N° 2297

__________

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 29 mars 2000.
RAPPORT
FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION D'ENQUÊTE (1)
sur la TRANSPARENCE et la SÉCURITÉ SANITAIRE
de la FILIÈRE ALIMENTAIRE en FRANCE

Président
MFélix LEYZOUR,
Rapporteur
MDaniel CHEVALLIER,
Députés.
--
AUDITIONS
TOME II
Volume III
(1) La composition de cette Commission figure au verso de la présente page.

Agro-alimentaire.

Cette Commission est composée de : MM. Félix LEYZOUR, Président, M. André ANGOT, Mme Monique DENISE, Vice-présidents MM. Pierre CARASSUS et Jean-François MATTEI, Secrétaires, M. Daniel CHEVALLIER, Rapporteur ; MM. André ASCHIERI, Jean BARDET, Alain CALMAT, Patrice CARVALHO, Mme Laurence DUMONT, MM. Renaud DUTREIL, Jean-Pierre FOUCHER, Claude GATIGNOL, Jean GAUBERT, Hervé GAYMARD, Germain GENGENWIN, Michel GRÉGOIRE, Mme Odette GRZEGRZULKA, MM. François GUILLAUME, Pierre LELLOUCHE, Patrick LEMASLE, Jean MICHEL, Gilbert MITTERRAND, Joseph PARRENIN, Jacques PÉLISSARD, Mmes Annette PEULVAST-BERGEAL, Michèle RIVASI, MM. François SAUVADET et Jean-Luc WARSMANN.

Les présentes annexes reprennent l'intégralité des procès-verbaux des auditions auxquelles la commission d'enquête
a procédé du 20 octobre 1999 au 3 février 2000

Ces procès-verbaux sont présentés dans l'ordre des différents cycles retenus par la commission d'enquête

Le sommaire détaillé des cycles figure en en-tête de chacun d'eux

Pages

TOME I :

Premier cycle : le bilan des travaux du Parlement sur la

sécurité sanitaire des aliments au 20 octobre 1999 ................... 5

Deuxième cycle : le témoignage des responsables institutionnels......................... 111

Troisième cycle : l'expertise des scientifiques......................... 409
TOME II :
Quatrième cycle : l'analyse des acteurs de la filière alimentaire........................... 5
TOME III :
Cinquième cycle : l'environnement international ..................................... 5
Sixième cycle : le témoignage du gouvernement français............ 109

CINQUIEME CYCLE

L'ENVIRONNEMENT INTERNATIONAL

Sommaire

I.- Les relations bilatérales avec nos partenaires européens

Entretien avec Son Excellence Sir Michaël JAY

Ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du nord en France,
le 3 novembre 1999, accompagné de MM. Joe GRIFFIN, chef de cabinet
et David BARNES, Attaché pour les affaires agricoles 9

Entretiens de BERLIN, *

Entretiens au ministère de l'Agriculture 23
Entretiens du 2 février 2000

Entretien avec Mme NICKELS
Secrétaire d'Etat à la Santé de l'Allemagne

Entretiens du 3 février 2000 41

Réunion de travail l'Institut Fédéral de la Santé

Entretiens du 3 février 2000 47

II.- L'Union européenne

Entretiens avec la Commission de l'Union européenne

M. Michel BARNIER
,
membre de la Commission chargé des politiques régionales 59
M. Franz FISCHLER,

membre de la Commission,
chargé de l'agriculture, du développement rural et de la pêche 69
M. David BYRNE
,
membre de la Commission,
chargé de la santé et de la protection des consommateurs 74
Audition de M. KECK
, *
Directeur
Direction générale des entreprises et sociétés de l'information 87
M. Pascal LAMY,

membre de la Commission chargé du commerce 100

* La Commission d'enquête publie sous sa responsabilité le texte des entretiens qui se sont tenus à Berlin, compte tenu de leur intérêt, le texte des auditions n'ayant pu être soumis aux personnalités intéressées

I.- Les relations bilatérales avec nos partenaires européens

Entretien avec Son Excellence Sir Michaël JAY

Ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire
du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du nord en France,
accompagné de MM. Joe GRIFFIN, chef de cabinet et David BARNES, Attaché pour les affaires agricoles
(extrait du procès-verbal de la séance du Mercredi 3 novembre 1999)
Présidence de M. Félix LEYZOUR, Président
Son Excellence Sir Michaël Jay et ses collaborateurs sont accueillis par M. le Président.
M. le Président : Monsieur l'Ambassadeur, mes chers collègues, c'est avec un réel plaisir que nous accueillons au sein de notre commission d'enquête Sir Michaël Jay, ambassadeur de Grande-Bretagne auprès de la France. C'est en effet, Monsieur l'Ambassadeur, un plaisir que d'accueillir le représentant d'une puissance amie, membre, comme la France, de l'Union européenne, un diplomate qui connaît parfaitement notre pays comme il connaît parfaitement l'Union européenne puisque, M. Jay, j'ai noté que vous avez été successivement conseiller aux affaires financières et commerciales au sein de l'ambassade de France en Grande-Bretagne de 1987 à 1990, puis sous-directeur des affaires européennes au Foreign Office de 1990 à 1994, enfin directeur de ce même service jusqu'en 1996, date de votre accréditation en France.
C'est aussi un honneur puisque, si mes sources sont exactes, c'est la première fois qu'une commission d'enquête accueille le représentant d'une puissance étrangère qu'accompagnent plusieurs de ses conseillers, que j'ai le plaisir de saluer également, M. Griffin, votre chef de cabinet, et M. Barnes, votre attaché pour les affaires agricoles.
Monsieur l'Ambassadeur, conformément à votre souhait, je vais vous donner la parole, pour que vous exposiez le point de vue du gouvernement britannique puis mes collègues de la commission vous feront part, sous la forme de questions, des préoccupations de l'opinion publique française, questions auxquelles vous-même ou vos collaborateurs aurez tout loisir de répondre.
Monsieur l'Ambassadeur, vous avez la parole.
Son Excellence Sir Michaël JAY : Merci, M. le Président, pour l'invitation à être des vôtres aujourd'hui. C'est pour moi un plaisir d'être ici. Je ne savais pas que j'étais le premier ambassadeur de notre pays à être l'invité d'une telle façon, mais j'en suis honoré et ravi.
La sécurité alimentaire est au c_ur d'enjeux considérables dans nos deux pays, comme vous venez de le dire, M. le Président. Les exigences sont fortes, tant en termes de maîtrise technique qu'en termes d'attente des consommateurs. Le gouvernement britannique y attache la plus grande importance.
L'épidémie d'E.S.B., dont souffre notre pays depuis dix ans maintenant, fait que l'opinion, alertée sur ces questions, est désormais beaucoup plus exigeante - à juste titre d'ailleurs - vis-à-vis des pouvoirs publics. Mais l'épidémie d'E.S.B. n'a pas été seule à susciter des inquiétudes. Le débat soulevé à l'échelle internationale par l'utilisation des organismes génétiquement modifiés y a aussi sa part, de même que la série d'intoxications alimentaires qu'a connues l'Écosse en 1996 et qui a fait 21 victimes.
Vous comprendrez dès lors que les consommateurs britanniques soient au moins aussi soucieux que les consommateurs français de la qualité de leur alimentation. Le gouvernement britannique a dû, comme le gouvernement français, répondre à ces exigences nouvelles, en mettant en place un dispositif de maîtrise de la qualité alimentaire.
Ce dispositif repose sur deux grands principes.
Premièrement, la primauté de l'analyse scientifique et de l'avis porté par des experts indépendants. C'est pour la faire prévaloir que nous avons posé les bases de notre Food Standards Agency, qui entrera en fonction au printemps prochain. Elle s'apparentera, à bien des égards, à l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (l'A.F.S.S.A.) puisqu'elle aura, elle aussi, pour mission de mieux coordonner l'action des différents organismes qui interviennent dans la maîtrise de la sécurité alimentaire et d'éliminer toute possibilité de conflit entre les exigences de sécurité des consommateurs et les intérêts des producteurs.
Il y aura cependant des différences entre l'A.F.S.S.A. et notre future agence. Alors que l'A.F.S.S.A. est placée sous la tutelle de trois ministères, la Food Standards Agency relèvera, en effet, du seul ministère de la Santé. En outre, son rôle ne se limitera pas à l'analyse et à l'évaluation du risque puisque, contrairement à l'A.F.S.S.A., elle se verra aussi confier un certain nombre de compétences en matière de répression des infractions, notamment la surveillance de la maîtrise sanitaire dans l'abattage et la transformation. Cela étant, elles auront des rôles très proches, ce qui montre bien que nos deux gouvernements réagissent de manière analogue à la pression et aux attentes auxquelles ils sont soumis.
L'autre source d'éclairage scientifique à laquelle puise le gouvernement provient des différents comités consultatifs de chercheurs indépendants, spécialistes de nutrition et de qualité alimentaire. Le système a fait ses preuves récemment lors de la publication du rapport de la Commission européenne sur l'utilisation de boues d'épuration dans l'alimentation animale. Le gouvernement britannique, confronté à la très vive émotion que ces révélations avaient suscitée dans l'opinion, a eu soin de consulter aussitôt les présidents des trois comités compétents. Or, ceux-ci se sont ralliés aux vues des scientifiques de la Commission pour estimer qu'il n'y avait pas de risque pour la santé humaine de nature à justifier la mise en place d'un embargo sur les produits français.
L'autre grand principe de notre système est la transparence, exigence à laquelle, je le sais, votre commission d'enquête est particulièrement attachée. Le gouvernement britannique y voit la condition sine qua non de la confiance des consommateurs dans le système réglementaire et donc dans la qualité de l'alimentation qui arrive dans leur assiette. C'est pour garantir cette transparence que, pour vous donner des exemples, nous publions :
- les avis émis par les comités scientifiques indépendants, leurs documents de travail et leurs rapports annuels ;
- l'ensemble de l'information disponible sur l'E.S.B., dont les statistiques épidémiologiques et les rapports d'inspection des abattoirs ;
- les résultats de nos divers travaux de surveillance, notamment des contrôles que nous pratiquons sur les résidus de pesticides dans l'alimentation.
J'espère que ce descriptif de la politique de sûreté alimentaire au Royaume-Uni et des deux grands principes qui la guident, primauté de l'avis des experts et transparence, vous aura éclairés. J'en viens maintenant au b_uf britannique.
Vous savez que c'est à la fin des années 80 qu'une nouvelle maladie s'est déclarée dans le bétail britannique, l'encéphalopathie spongiforme bovine ou E.S.B. Les recherches ont montré que les farines de viandes et d'os, données en complément de l'alimentation du bétail, en étaient le principal mode de transmission ; leur utilisation a donc été interdite. Puis, en 1996, le gouvernement britannique a annoncé que les chercheurs avaient mis en évidence un lien éventuel entre l'E.S.B. et un nouveau variant de la maladie de Creutzfeldt-Jakob chez l'homme.
Les autorités britanniques et européennes ont évidemment pris l'affaire très au sérieux. Le b_uf britannique a été frappé d'interdiction à l'exportation et des critères très stricts ont été définis au Conseil européen de Florence, devant conditionner une éventuelle levée de l'embargo.
Il a fallu des années aux autorités britanniques, pour remplir toutes les exigences du sommet de Florence.
Ce sont des exigences très strictes. Nous avons dû interdire totalement l'usage des farines animales dans l'alimentation animale, y compris même pour les espèces non touchées par l'E.S.B. Nous avons abattu des bovins susceptibles d'être contaminés et enlevé de la chaîne alimentaire tous les bovins âgés de plus de 30 mois. Nous en avons abattu plus de 3,6 millions au total. Nous avons introduit un nouveau système d'identification et de suivi des bovins et nous avons adopté les règles les plus strictes du monde concernant l'élimination de la carcasse des tissus à risque.
Nous voyons aujourd'hui l'efficacité de ces mesures. Il reste encore des cas d'E.S.B. en Grande-Bretagne, mais seulement parmi les vieux bovins qui, je le répète, sont en dehors de la chaîne alimentaire. Aucun cas n'est à signaler parmi les jeunes bêtes âgées de moins de 30 mois, les seules bêtes autorisées à la consommation humaine et à l'exportation.
Une fois l'ensemble des conditions réunies, nous avons élaboré un projet de levée de l'embargo sous condition de date, le D.B.E.S. ou Date-Based Export Scheme, qui limite la possibilité d'exportation aux seuls animaux nés après une date donnée. La Commission, après avoir procédé à une inspection du dispositif en vigueur en Grande-Bretagne et demandé quelques aménagements, a donné son avis favorable à la mise en place du " programme d'exportations basées sur la date " (le D.B.E.S.) à compter du 1er août dernier.
Suite à l'avis négatif de l'A.F.S.S.A., le 1er octobre, nous avons été heureux de voir le comité scientifique directeur de l'Union confirmer, vendredi dernier, l'innocuité du b_uf britannique.
Hier, dans la volonté de sortir de l'impasse actuelle, le ministre britannique de l'Agriculture, Nick Brown, et son homologue français, Jean Glavany, se sont réunis à Bruxelles en présence du commissaire chargé de la protection des consommateurs, David Byrne. Leurs experts doivent se rencontrer vendredi prochain pour évoquer certains points techniques : la traçabilité, les tests permettant de déterminer si une vache est malade ou non, les produits dérivés, le contrôle et l'étiquetage. Il s'agit d'une démarche dans laquelle les ministres se sont engagés avec un esprit constructif. Étant donné l'avis unanime du Comité scientifique directeur, nous comptons bien voir ces discussions aboutir à une levée de l'embargo par la France dans un proche avenir.
J'espère avoir donné par ces remarques préliminaires un bon point de départ à nos discussions et je me tiens prêt maintenant à répondre à vos questions. Vous comprendrez cependant que je m'abstienne de tout commentaire sur les pourparlers actuellement en cours ; et que je laisse le soin à mon attaché agricole, M. Barnes, d'entrer dans des considérations d'ordre technique.
M. le Président : Merci M. l'Ambassadeur. Nous allons maintenant vous soumettre un certain nombre de questions.
La parole est à M. Angot, vice-président de la commission d'enquête et qui, je le précise, est vétérinaire.
M. André ANGOT : Monsieur l'Ambassadeur, vous avez présenté un certain nombre d'arguments, pour faire ressortir la fiabilité de la viande bovine venant de Grande-Bretagne. Je crois toutefois qu'on peut quand même déplorer l'absence de garanties sanitaires dans la viande bovine anglaise. On peut noter, en particulier, le programme d'abattage sélectif de 80 000 bovins à risque, ce qui a, bien entendu, diminué les cas déclarés. Ces 80 000 bovins à risque n'ont pas été atteints par l'E.S.B., parce qu'ils ont été abattus, avant d'être éventuellement atteints par cette maladie.
Il y a, de plus, un certain nombre d'incertitudes scientifiques concernant l'origine des animaux nés après l'interdiction des farines. Il faut savoir, qu'en Grande-Bretagne, on estime à 10 % le nombre de bovins atteints par contamination verticale de la mère vers sa descendance.
D'autre part, il faut noter que l'effort de traçabilité est souvent insuffisant. Il faut savoir que l'identification des bovins et la traçabilité n'ont commencé qu'en 1996 en Grande-Bretagne. Nous sommes maintenant en présence d'animaux âgés de 6 à 30 mois qui sont en principe consommables et qui sont issus de fermes théoriquement non touchées par l'E.S.B., mais je crois que le délai entre le début de la mise en pratique des méthodes de traçabilité et la période actuelle est très insuffisant pour garantir qu'une ferme a été totalement indemne d'E.S.B. Un certain nombre de problèmes subsistent donc à ce niveau.
Par ailleurs, vous avez parlé de la consommation possible de jeunes bovins de moins de 30 mois. Certes, ces bovins ne vont pas être touchés par l'E.S.B., parce que le délai d'incubation est beaucoup plus long, supérieur à 30 mois, mais on ne peut pas garantir que ces bovins ne soient pas porteurs de prion, malgré la traçabilité qui a été mise en place très tard.
Tout cela pour vous dire que demeurent de nombreuses interrogations sur la présence de prion dans la viande bovine britannique.
Son Excellence Sir Michaël JAY : Je vais demander à mon attaché agricole de répondre en détail à votre question, qui soulève évidemment des points importants, mais assez techniques.
Je voudrais juste dire un mot pour commencer, au sujet de la question du risque et du " risque zéro ". Y a-t-il un " risque zéro " ? La réponse est que cela n'existe pas ; il n'y a pas de " risque zéro ". On ne peut jamais dire qu'il n'y a pas de risque pour le b_uf britannique, le b_uf allemand, le b_uf français.
La question pour nous est de savoir si le b_uf britannique est aussi sûr que le b_uf des autres pays européens. Nous en sommes convaincus et je crois que le comité directeur qui s'est réuni vendredi à Bruxelles a aussi estimé que c'était le cas.
Je vais maintenant demander à mon attaché agricole de répondre aux quatre questions techniques importantes posées par votre collègue.
M. David BARNES : Monsieur l'Ambassadeur a répondu au premier point. J'étais sur le point de confirmer que personne ne peut assurer avec une certitude absolue un niveau de " risque zéro ", quelle que soit la provenance de la viande. C'est dans cet esprit qu'il faut aborder la question.
Deuxièmement, je dirai comme remarque préliminaire que ce sont toutes, bien sûr, des questions très importantes, mais la Commission européenne les a elle-même abordées ; les scientifiques les plus élevés de l'Union européenne ont pu les aborder, étant donné l'avis de l'A.F.S.S.A. et l'avis du sous-comité d'experts au niveau européen. On peut peut-être se souvenir du fait qu'on a abordé ces questions au niveau européen et qu'on a pu, heureusement pour nous, confirmer que le niveau de risque de la viande bovine britannique n'était pas plus élevé que pour d'autres viandes bovines européennes.
En ce qui concerne la première question, c'est vraiment l'épidémiologie de l'E.S.B.. Il est vrai que nous avons eu un programme d'abattage sélectif. Cela faisait partie des conditions posées par l'Union européenne lors du sommet de Florence en 1996.
L'important, c'est que les experts nous aient dit, qu'étant donné ce programme et tous les autres programmes mis en place par le Royaume-Uni, le nombre de cas d'E.S.B. restait chez nous dans les limites prévues. Pourquoi ? Parce qu'on a fait des prévisions avec deux voies d'infection, l'infection par l'alimentation contaminée et l'infection " verticale ", de la mère au veau. Si le nombre de cas observés reste dans la fourchette de prévision, cela implique qu'il n'y a pas d'autre voie d'infection possible -pas avec une certitude absolue bien sûr. Personne ne peut dire que cela n'empêche pas l'apparition dans l'avenir de voies d'infection actuellement inconnues. Comme on vient de le dire, le " risque zéro " n'existe pas. Mais sur la base des connaissances scientifiques les plus avancées, on peut dire aujourd'hui que les hypothèses de l'épidémiologie de l'E.S.B. restent confirmées par l'Union européenne.
En ce qui concerne la traçabilité, il est exact que le Royaume-Uni est en train de changer de système, passant d'un système basé sur des documents papier à un système totalement informatisé. Je peux dire que la Commission européenne a inspecté ce système informatique au mois d'avril et, qu'après avoir demandé quelques aménagements mineurs, elle l'a accepté. Elle vient de le réinspecter au début d'octobre.
Je peux donc dire que nous sommes tout à fait ouverts aux inspections européennes et confirmer que notre système apporte les garanties exigées par l'Union lors du sommet de Florence.
En ce qui concerne l'absence actuelle de cas parmi les animaux âgés de moins de 30 mois, je dois dire encore une fois, qu'il n'y a pas de certitude absolue ; mais, j'observe que le professeur Gérard Pascal, président du comité scientifique directeur, qui a déclaré que l'absence de cas observés, depuis 1996, a pesé beaucoup dans la décision de ce comité.
En ce qui concerne la transmission " verticale ", il faut considérer que le dispositif britannique apporte de nombreuses garanties. Aucune des mesures prévues ne peut, à elle seule, protéger efficacement le consommateur, mais l'effet total de cette série de sauvegardes confère le niveau de protection exigé par l'Union européenne : des mesures sont prévues pour traiter la possibilité à 10 % de la transmission " verticale ". Il n'a pas d'efficacité absolue et totale, mais on a aussi l'âge " " butoir " de 30 mois, ce qui empêche que les animaux ayant eu la dernière phase d'infection pré-clinique n'entrent dans la chaîne alimentaire. Il faut mentionner également les systèmes de traçabilité pour le programme d'exportation qui exigent que la mère de l'animal soit identifiée et qu'elle ne soit pas atteinte de l'E.S.B. On a l'interdiction totale des farines animales dans l'alimentation animale chez nous, on a les règles les plus strictes du monde pour l'enlèvement des tissus à risque, de toute carcasse bovine.
Je ne dis pas qu'une seule mesure protège le consommateur, soit britannique, soit européen, de la possibilité de la transmission " verticale ", mais je dis, comme le comité européen l'a confirmé, que la totalité de ces mesures donne le niveau de protection exigé par l'Europe.
J'espère avoir bien répondu à vos questions.
Son Excellence Sir Michaël JAY : Je voudrais confirmer les trois principes que vient d'exposer mon collègue David Barnes :
- Premièrement, l'ouverture à l'inspection ; nous sommes toujours ouverts aux inspecteurs de la Commission, parce que nous connaissons bien l'attachement des consommateurs des autres pays européens à la sécurité alimentaire.
- Deuxièmement, la transparence, dans le sens où nous publions tout ce qu'il faut aussi pour rassurer les consommateurs dans les autres pays européens.
Et troisièmement, c'est la question de la confiance du peuple britannique. Nous sommes nous-mêmes absolument convaincus de l'innocuité de notre b_uf et, comme je le disais tout à l'heure, nous sommes aussi soucieux que les consommateurs français de l'importance de la sûreté de nos aliments.
M. le Président : Merci, M. l'Ambassadeur, de ces précisions.
M. Germain GENGENWIN : Monsieur l'Ambassadeur, vous avez presque répondu à la première question. Quelle a été la réaction du consommateur britannique, quand cette maladie a éclaté ? Cela a certainement provoqué une chute de la consommation. Combien de temps le consommateur a-t-il mis pour reprendre confiance dans la viande de b_uf britannique ?
Deuxièmement : vous avez dit vous-même qu'on avait fait le rapprochement avec la maladie de Creutzfeldt-Jakob. Avez-vous enregistré des cas de cette maladie transmissible à l'homme ? Est-ce terminé ou y a-t-il encore des risques ?
Et la deuxième question que je voudrais poser porte sur les farines de viande. Comment cela a-t-il pu se produire ? Y avait-il un fabricant de farine de viande qui n'a pas respecté la réglementation, ou y avait-il une lacune dans la législation de préparation ou d'utilisation, de mise sur le marché des farines de viande, puisque les cas ont été tellement nombreux ?
Son Excellence Sir Michaël JAY : Je vais demander à mon collègue de répondre à la troisième question et je vais répondre aux deux premières questions.
La réaction des consommateurs britanniques a été négative au début : on a vu chuter la consommation de b_uf après l'annonce d'un lien éventuel entre l'E.S.B. et la maladie de Creutzfeldt-Jakob, mais on a vu remonter la confiance et la consommation de b_uf par la suite, du fait des mesures prises par le gouvernement britannique.
Le gouvernement a tout de même décidé - c'était l'année dernière - de prohiber la circulation et la consommation de b_uf sur l'os et on a pu observer une réaction intéressante de la part des consommateurs, parce que beaucoup d'entre eux ont dit : c'est maintenant à nous de décider, nous avons les chiffres, nous avons les renseignements, nous allons décider de ce qui est sûr et de ce qui ne l'est pas. Et ce débat continue. Mais après, en prenant en compte toutes les mesures prises par le gouvernement britannique depuis 1996, on peut dire que la consommation est maintenant vraiment remontée et qu'il n'y a pas de problème de confiance dans le b_uf britannique chez nous.
En ce qui concerne la seconde question sur le nombre de cas de maladie de Creutzfeldt-Jakob, on en a compté 17 en 1998, 7 en 1999, jusqu'à la fin du mois de septembre. Le nombre total de cas de cette nouvelle forme de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, depuis 1995, est de 47. En 1999, nous avons eu 7 cas jusqu'à présent.
Je vais demander à David Barnes de répondre à la troisième question sur les farines animales.
M. David BARNES : Monsieur le Président, il n'y a pas eu, au Royaume-Uni, d'infraction à la réglementation existante. Avec notre connaissance actuelle de la maladie, on peut dire qu'il y avait, en effet, une lacune dans la réglementation, quel que soit le pays, parce que personne ne connaissait l'existence de cette grave maladie. On peut dire qu'on aurait peut-être pu éviter l'épidémie, si la réglementation avait été plus stricte, mais c'est un raisonnement que nous tenons à partir de nos connaissances actuelles. A l'époque, personne ne pouvait le dire, personne ne pouvait prévoir cette épidémie.
M. Germain GENGENWIN : Je pense que la législation a été modifiée et adaptée.
M. David BARNES : Bien sûr. Avec la connaissance actuelle, on a pu préciser les conditions de traitement des farines animales qui semblent pouvoir détruire l'agent responsable de l'E.S.B. Au Royaume-Uni, nous avons bien sûr une réglementation plus stricte, car l'usage des farines animales dans l'alimentation du bétail est totalement interdit. La possibilité d'une présence de l'agent dans l'alimentation est exclue par notre réglementation et je dirai que l'absence de cas d'E.S.B. qu'on peut repérer actuellement chez les jeunes bêtes montre l'efficacité de ces mesures.
M. André ANGOT : Deux questions : vous avez parlé de l'absence d'utilisation des farines animales dans les élevages britanniques, je pense que vous parlez uniquement des élevages bovins. Vous n'utilisez plus aucune farine animale, ni pour les porcs, ni pour les volailles, ni pour les poissons ?
Deuxième question : il faut rester très prudent sur le nombre de personnes atteintes par le variant de la maladie de Creutzfeldt-Jakob. Il faut savoir que le délai d'incubation - c'est ce qu'on dit maintenant - peut être de 15 ans. Un certain nombre de personnes ont probablement été contaminées dans les années 1990 à 1995 ou 1996, qui sont porteuses du prion et qui ne déclareront leur maladie que quinze ans après. Le fait qu'il n'y ait que 47 décès confirmés actuellement incite à la prudence sur le nombre de cas à venir.
Son Excellence Sir Michaël JAY : Je suis tout à fait d'accord sur la deuxième question ; je ne tire donc pas de leçons, je ne dis pas que c'est la fin de cette maladie. C'est juste un constat du nombre de cas avérés, mais il est évidemment possible qu'il y ait des cas à venir.
En ce qui concerne l'utilisation des farines, je n'en suis pas sûr pour les poissons, mais, à part les poissons, je peux dire que la farine est tout à fait bannie en Grande-Bretagne. Elle n'est utilisable, ni pour les bovins, ni pour les ovins, ni pour les porcs, ni pour la volaille. C'est une réglementation qui remonte à plusieurs années.
M. le Président : Dans le même ordre d'idée, que faites-vous des farines lorsque vous avez des bêtes sortant de l'équarrissage ? Il y a toujours des cadavres. Les incinérez-vous ?
M. David BARNES : Oui.
M. le Président : En totalité ?
M. David BARNES : Oui, nous avons un régime d'incinération, un régime de grande dimension puisqu'on a abattu 3,6 millions de bêtes chez nous. On commence à tenter d'utiliser ces farines pour la production d'électricité, mais, bien sûr, dans des conditions strictement réglementées par les pouvoirs publics, afin d'éviter tout risque pour le public.
M. le Président : Une précision : vous utilisez donc aujourd'hui les farines dans les centrales thermiques pour produire du courant électrique. Les équipements sont-ils adaptés à cela ou bien avez-vous réussi à incinérer ces farines dans des centrales thermiques ? La question nous intéresse, parce que nous avons évidemment aussi des stocks à détruire. Pour l'instant, c'est dans les cimenteries qu'on incinère ces farines en France et nous souhaiterions évidemment pouvoir accélérer la disparition des farines en stock.
Son Excellence Sir Michaël JAY : Je propose de vous écrire une note sur cette question.
M. le Président : Je vous en remercie.
M. Gilbert MITTERRAND : Monsieur l'Ambassadeur, je pense qu'il faut aller au-delà des problèmes de l'E.S.B. ; je voudrais vous parler du Conseil de l'Europe dont la Grande-Bretagne est un membre éminent. Je sais même que le président Lord Johnson Russell, est un Britannique, et que le Conseil de l'Europe a l'avantage de regrouper 41 Etats membres, dont un grand nombre de pays de l'Est, qui sont d'importants fournisseurs alimentaires pour nous.
Le Conseil de l'Europe a adopté, depuis bientôt dix ans, un certain nombre de recommandations en matière de sécurité alimentaire et de politique de santé dans la mesure, où c'est un droit fondamental qui est affirmé dans la charte sociale du Conseil de l'Europe. Ces recommandations, ces résolutions, après avoir été adoptées par l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, doivent franchir un nouvel obstacle, celui de leur adoption par le comité des ministres composé de l'ensemble des ministres concernés par le sujet au niveau européen.
La recommandation la plus récente date de 1999. Elle est déjà adoptée en commission à l'unanimité et la session de janvier devrait la confirmer. Un nouveau projet de recommandation est présenté par notre collègue Jean-François Mattei. Les propositions sont particulièrement précises, il y en a une cinquantaine que je ne peux pas détailler maintenant. La recommandation fait d'abord un résumé et un condensé des travaux de ces dix dernières années sur le sujet, donc bien avant que les problèmes n'existent, prouvant que c'était une anticipation importante ; elle fait aussi des propositions aux Etats membres du Conseil de l'Europe ainsi qu'à l'Union européenne. Nous avons ici évidemment besoin de relais, non seulement de l'ensemble des ministres des Etats membres au niveau du Conseil de l'Europe, mais aussi au sein de l'Union européenne.
Je précise que, parmi ces propositions, quelques-unes peuvent ne pas recevoir le soutien total de tel ou tel Etat.
Par rapport à l'importance de ces travaux du Conseil de l'Europe, dont je rappelle qu'ils s'appliquent à quarante-et-un Etats membres et les répercussions qu'ils peuvent avoir sur ce que fera l'Union européenne -l'Union européenne tiendra compte ou non de ces travaux du Conseil de l'Europe -, la position de la Grande-Bretagne est évidemment primordiale. Or l'une des propositions recommande d'appliquer systématiquement le principe de précaution dans le domaine alimentaire et, de la même façon, une autre recommande d'instaurer des processus de débat public pour les décisions en matière de santé publique, en particulier vis-à-vis des problèmes caractérisés par une incertitude scientifique forte.
Ce qui montre bien l'enjeu du débat. Les parlementaires du Conseil de l'Europe adopteront ce texte. Que feront les ministres ensuite ? L'Union européenne elle-même a manifesté le désir d'apporter une réponse communautaire aux problèmes de santé publique.
Tous ces problèmes européens ne figuraient pas dans le traité de Rome, mais sont présents dans le traité d'Amsterdam. Le gouvernement britannique entend-il donner un fort écho aux travaux du Conseil de l'Europe et, à travers lui, aux suggestions de l'Union européenne ? Quelle est sa position ? Plutôt attentive ou considérant que le Conseil de l'Europe est un organisme, sympathique certes, mais voué à disparaître ?
Son Excellence Sir Michaël JAY : C'est une vaste question. Je ne suis pas tout à fait au fait de tous les débats qui ont lieu au sein du Conseil de l'Europe. Mais un de mes collègues à Strasbourg, est notre ambassadeur auprès du Conseil de l'Europe.
Vous avez évoqué l'importance du principe de précaution et la nécessité de débats ouverts sur des questions qui soulèvent des problèmes au sein de l'opinion publique. Nous sommes tout à fait d'accord sur ces deux points. Le principe de précaution nous semble aussi important qu'aux Français et, pour ce qui concerne le débat ouvert sur ce type de question, nous jouons nous-mêmes la transparence.
Sur le fond, nous sommes tout à fait d'accord avec cette résolution.
M. Gilbert MITTERRAND : Vous pouvez passer le message.
Son Excellence Sir Michaël JAY : Certainement. Je suis tout à fait en mesure de passer le message aux responsables à Londres et à Strasbourg.
M. le Rapporteur : Monsieur l'Ambassadeur, au début de votre intervention, vous avez évoqué le problème de l'E.S.B. ; vous avez parlé aussi de l'inquiétude des consommateurs, aussi bien français que britanniques, à l'égard des organismes génétiquement modifiés, du poulet à la dioxine ou de l'E.S.B. Il est vrai que notre souci, en tout cas notre devoir, c'est de rétablir un climat de confiance.
Je suis tout à fait d'accord avec vous : le " risque zéro " n'existe pas et il est nécessaire d'appliquer un principe de précaution du fait de l'inexistence de ce " risque zéro ". Je crois que ce sera là un des éléments fondamentaux de la discussion d'aujourd'hui, mais également de notre travail au sein de la commission d'enquête.
Des travaux sont actuellement conduits en France pour essayer de définir ce principe de précaution et de voir s'il peut y avoir une proportionnalité entre des causes et des effets, c'est-à-dire d'essayer de voir comment ce principe de précaution peut s'appliquer dans son intégralité. Et si on applique ce principe de précaution à la crise actuelle, force est de constater que des données, certes statistiques, montrent que, par rapport aux prévisions envisagées, l'incidence d'avoir un développement de l'encéphalopathie spongiforme bovine en Grande-Bretagne, c'est 650 cas par million de bovins alors que, pour la France, le rapport est de 1 à 2. Il est évident que lorsqu'on regarde ces chiffres dans leur sécheresse, on a tendance à prendre des précautions vis-à-vis des importations de b_uf britannique.
Je pense que, face à ce problème qui nous occupe aujourd'hui, il importe de parvenir à une harmonisation des critères. Si nous avions des critères identiques en France et en Grande-Bretagne ou même - pourquoi ne pas rêver, cela arrivera peut-être - au niveau européen, ce type de problèmes ne se poserait pas.
Etant donné les discussions récentes, il semblerait qu'on aille dans cette direction, afin de définir une position commune sur l'appréciation des dangers ou sur des inconvénients que peut représenter telle ou telle consommation de viande. Au moins cette crise aura eu un effet bénéfique de recherche d'une harmonisation des critères. Si le test de l'identification de la protéine P.R.S. du professeur Dormont permet de détecter l'encéphalopathie spongiforme bovine, y compris chez des bovins qui ne présentent pas de signe clinique, je pense qu'on aura à ce moment-là résolu une bonne part de la question.
Mais, M. l'Ambassadeur, à un moment donné, vous avez mentionné dans votre exposé des cas d'E.S.B. en Grande-Bretagne sur des vieux bovins placés en dehors de la chaîne alimentaire. Comment se fait-il que ces vieux bovins ne soient pas abattus et quel est l'intérêt de les conserver ?
Deuxième question, concernant la mise en place de l'agence britannique qui serait un peu l'équivalente de notre A.F.S.S.A., j'aimerais savoir où vous en êtes actuellement.
Son Excellence Sir Michaël JAY : Sur la première question, l'explication de la différence entre l'incidence de la maladie d'E.S.B. en France et en Grande-Bretagne, est en fait celle à laquelle vous avez vous-même fait allusion : les cas d'E.S.B. que nous voyons aujourd'hui en Grande-Bretagne ne concernent que des animaux de plus de 30 mois, notamment nés en 1993 et 1994, qui sont de toute façon impropres à la consommation humaine et a fortiori à l'exportation. Ils représentent dans un certain sens le reliquat d'une situation révolue. Et depuis 1996, il n'a pas été enregistré un seul cas d'E.S.B. chez les animaux de moins de 30 mois susceptibles d'exportation.
Comment se fait-il que des vaches de plus de 30 mois soient toujours en vie ? C'est parce que nous n'avons pas encore eu le temps de les abattre mais cela fait partie du programme d'élimination de toutes les vaches de plus de 30 mois.
Sur la question de la situation actuelle de notre A.F.S.S.A., je vais demander à David Barnes de répondre à cette question.
M. David BARNES : Monsieur le président, M. le rapporteur, il nous faut une loi pour l'établissement de notre agence. La Chambre des Lords examine aujourd'hui même le projet de loi. On espère pouvoir faire adopter le texte dans les semaines qui viennent et pouvoir mettre en place l'agence elle-même au printemps prochain.
Mais cela ne veut pas dire qu'on n'a pas encore commencé le travail de l'agence ; on a, au contraire, déjà regroupé les directions de la sécurité alimentaire du ministère de la Santé et du ministère de l'Agriculture, qui travaillent actuellement comme une équipe commune pour assurer l'indépendance du conseil donné au ministre britannique au sujet de la sécurité alimentaire, l'indépendance des intérêts des producteurs agricoles ; seuls les intérêts du consommateur sont pris en compte dans le conseil de cette direction actuelle. La mise en place de l'agence est prévue formellement au printemps prochain, mais on a déjà commencé à travailler.
M. le Président : Vous savez que lorsqu'un animal est atteint de l'E.S.B., dans un troupeau, en France, on l'élimine bien sûr, mais on élimine aussi la totalité du troupeau car on a des doutes. Est-ce le cas également chez vous ? C'est évidemment une mesure de précaution.
Son Excellence Sir Michaël JAY : La réponse est non, M. le Président, nous n'abattons pas tout le troupeau où se trouve un cas d'E.S.B. et je vais demander à David Barnes d'expliquer pourquoi.
M. David BARNES : Monsieur le Président, nos deux pays ont mis en place des cahiers des charges, des dispositifs différents pour diminuer les risques. Comme vous venez de le dire, une des mesures de précaution prises en France est l'abattage du troupeau entier. Chez nous, on a différents dispositifs de précaution pour arriver au même niveau de protection. Ce sont, bien sûr, des mesures exigées par l'Union européenne à Florence et agréées par la Commission très récemment.
Nous avons donc eu des problèmes d'abattage sélectif des bêtes élevées avec un animal atteint d'E.S.B. On a un programme d'abattage sélectif des animaux nés d'une mère atteinte d'E.S.B. La mesure la plus importante est, bien sûr, l'abattage de toute bête âgée de plus de 30 mois dans notre cheptel national. C'est la mesure de précaution la plus efficace pour nous. Ce n'est pas absolument identique aux mesures prises par la France, mais l'ensemble de nos mesures ont été agréées par l'Union européenne qui a dit qu'elles présentaient, en fin de compte, le même niveau de protection. Ce sont deux différents moyens, acceptés par la Commission, qui permettent d'arriver au même but.
M. le Président : Dans le débat qui s'est instauré ces derniers temps autour de la levée ou non de l'embargo, deux avis ont donc été donnés : celui des experts français puis celui des experts européens, et ces avis étaient évidemment distincts. Les experts français, si j'ai bien compris, n'ont pas déclaré que rien n'avait bougé en Angleterre mais ont émis des doutes et, en application du principe de précaution, ils ont considéré qu'il ne fallait pas lever l'embargo. Par contre, les experts européens, eux, ont considéré qu'il fallait lever l'embargo. Mais on dit qu'il n'y avait pas de spécialiste du prion dans le groupe des experts européens, ce qui était pourtant le cas chez les experts français. Qu'en est-il exactement et comment réagissez-vous à cette observation souvent présentée en France ?
Son Excellence Sir Michaël JAY : Je ne suis pas moi-même un expert technique mais il me semble que les deux comités, le comité français et le comité bruxellois, ont répondu à des questions différentes. Il me semble que l'A.F.S.S.A. s'est demandée : est-ce que tout risque sur le b_uf britannique a été éliminé ? Comme on vient de le dire, je crois qu'on est d'accord sur le fait que le " risque zéro " est impossible et qu'on ne peut pas le garantir.
Le comité scientifique directeur de Bruxelles, comité qui a remis ses conclusions vendredi dernier, a posé une question un peu plus large, un peu plus pratique : le b_uf britannique est-il aussi sûr que le b_uf des autres pays européens, la France, l'Allemagne, l'Italie, en prenant en compte les mesures mises en application par le gouvernement britannique ? Ils ont répondu oui à l'unanimité.
C'est surtout la qualité des membres de la commission qui explique la différence entre les deux résultats.
M. le Président : Nous ne sommes évidemment pas chargés, ni les uns ni les autres, de négocier. Mais nous savons très bien que des rencontres vont se poursuivre. Je crois qu'il y a quelques points qui sont au centre de la discussion et je souhaiterais savoir si la volonté -je n'en doute pas mais j'aimerais bien que vous le précisiez - de la partie britannique était aussi d'aller vers ce qu'on appelle le renforcement de la traçabilité et comment elle peut vraiment être mise en _uvre. Par exemple, seriez-vous également d'accord pour aller vers une identification des troupeaux ? Je crois savoir que ce n'est pas le cas jusqu'à présent alors que c'est le cas en France. C'est un élément qui permet ensuite de suivre les animaux depuis l'étable jusqu'à la table, comme nous avons coutume de dire.
Son Excellence Sir Michaël JAY : Je voudrais bien continuer la discussion sur ces points-là mais, comme je le disais au début de mon intervention, je dois m'abstenir d'entrer dans le détail des questions qui sont maintenant sur la table à Bruxelles. Je peux simplement dire que c'est la volonté de nous tous de sortir de cette impasse parce que ce n'est pas du tout l'intérêt de l'économie britannique, de l'économie française, des producteurs britanniques, des producteurs français que les problèmes que nous avons en ce moment se poursuivent.
Encore une précision : je souligne la position qu'a prise le Premier ministre britannique, Tony Blair, la semaine dernière en disant qu'il faut absolument éviter une sorte de guerre commerciale parce que, s'il y a une guerre commerciale entre la France et la Grande-Bretagne, ce n'est que la France et la Grande-Bretagne qui souffrent. Il faut donc l'éviter. Je crois donc que c'est de l'intérêt de tout le monde de sortir de cette crise le plus vite possible.
M. le Président : Très bien M. l'Ambassadeur. Cet échange était intéressant et je crois que notre travail aura été tout à fait utile si ce qui a été dit ici publiquement - puisque c'est devant la presse - peut favoriser l'avancée en direction de solutions positives, intéressantes à la fois pour la France, pour la Grande Bretagne, pour l'ensemble de l'Europe, ainsi que pour l'ensemble de nos consommateurs.
Son Excellence Sir Michaël JAY : Comme je le disais aussi au début, j'espère bien qu'on va sortir prochainement de cette crise avec la levée de l'embargo. Mais si vous avez des questions à nous poser, mes collègues à l'ambassade essaieront de répondre aux questions. Il est extrêmement important de poursuivre les contacts avec les élus français pour expliquer la position britannique dans l'ouverture et la transparence que j'ai mentionnées tout à l'heure.
M. le Président : Merci M. l'Ambassadeur.

II.- Entretiens de Berlin

Entretiens à BERLIN avec Mme NICKELS,
Secrétaire d'Etat à la Santé de l'Allemagne
et avec les Directeurs du ministère de l'Agriculture

les 2 et 3 février 2000

Entretiens du 2 février 2000 au ministère de l'Agriculture
Etaient présents au titre du ministère de l'Agriculture d'Allemagne : M. BLASCHKE, Mme BLATT, M. FIEDLER, M. HEITMANN,, au titre de la commission d'enquête : M. le Président Félix LEYZOUR, M. le Rapporteur Daniel CHEVALLIER, M. Patrice CARVALHO, Dr André ANGOT, au titre de l'Ambassade de France : M. le Docteur vétérinaire GUILLON.
M. BLASCHKE : Monsieur le Président, Messieurs les Députés, Mesdames, Messieurs, je suis très heureux de pouvoir vous souhaiter la bienvenue au siège du ministère fédéral chargé de l'agriculture, des forêts et des produits alimentaires, au nom du ministre M. Funke.
Je voudrais excuser le secrétaire d'Etat qui ne peut assister à nos entretiens d'aujourd'hui ; il a dû effectuer au nom du ministre, M. Funke, une mission et se rendre en Bavière et en Turinge ; c'est la raison pour laquelle il ne peut être présent parmi nous aujourd'hui.
C'est la raison pour laquelle le Docteur Karlen m'a chargé, dans mes fonctions de responsable du siège, de suivre ces entretiens avec vous aujourd'hui.
Nous sommes particulièrement heureux de pouvoir vous saluer ici aujourd'hui ; vous êtes en effet la première délégation étrangère à se rendre à ce nouveau siège inauguré voici six semaines. Nous sommes très heureux d'avoir des Français comme premiers hôtes ici ; nous vivons encore dans des conditions provisoires et nous vous prions de bien vouloir nous en excuser ; vous avez pu le remarquer vous-mêmes, l'entrée n'est pas tout à fait terminée encore, nous n'avons pas pu vous ouvrir le grand portail de l'entrée, nous avons quelques problèmes de vestiaires, etc. Mais j'espère que cela ne nous empêchera pas d'avoir des entretiens intéressants et fructueux.
Avant que mes collègues ne se présentent eux-mêmes, je me permettrai de faire quelques remarques préliminaires en ce qui concerne notre siège à Berlin, notre représentation du ministère chargé des produits alimentaires, des produits agricoles et des forêts. Vous savez qu'en septembre de l'année dernière, le Bundestag, l'Assemblée allemande, le gouvernement sont venus s'installer à Berlin ; ce déménagement du gouvernement et du Parlement signifie que pour la région de Bonn, il y aura une perte en emplois et il a été convenu de prendre certaines mesures de compensation en faveur de cette région par rapport à ces pertes d'emplois.
Un certain nombre de ministères fédéraux sont installés définitivement ici, à Berlin, avec l'ensemble de leurs locaux ; une autre partie des ministères restera installée à Bonn avec une représentation à Berlin.
Nous-mêmes en tant que ministère fédéral de l'Agriculture, nous conservons notre siège principal à Bonn en ayant une représentation ici, à Berlin.
Nous avons à peu près 80 personnes présentes à Berlin pour le ministère de l'Agriculture, nous devons être les interlocuteurs compétents pour pouvoir donner les renseignements voulus aux différentes instances, maintenir le contact avec le Parlement, les fédérations, etc.
Nous sommes ici au 54 Wilhelmstrasse, tout à proximité de l'endroit où se trouvait auparavant le mur.
Nous nous sommes installés à Berlin voici six semaines, le ministre lui-même va entrer en fonction le 14 février et commencera à travailler dès lors ici.
Pour terminer ces remarques d'introduction, je vous propose de vous présenter mes collègues et moi-même.
Je suis M. Blaschke, directeur des services du ministère fédéral de l'Agriculture à Berlin.
Mme Blatt est responsable de la direction B qui s'occupe des contacts en matière de questions générales de politique agricole ; voici peu de temps encore, elle s'occupait des questions scientifiques en matière d'alimentation et de conseils à apporter aux consommateurs.
M. Jurgen Heitmann est en poste depuis le 1er septembre 1999, tout comme Mme Blatt ; il s'occupe du comité de liaison avec la direction D3, c'est le service qui s'occupe des services vétérinaires ; il travaillait auparavant à la direction numéro 6 qui est en charge des affaires internationales et de l'union européenne, en particulier financement agricole, politique budgétaire européenne ; c'est une instance assez nouvelle.
M. Johannès Fiedler fait partie de la direction 3 avec M. Heitmann, il s'occupe de l'instance protection des animaux, élevage des animaux, alimentation des animaux et services vétérinaires ; il est en poste depuis le 1er janvier 2000 à Berlin ; il faisait auparavant partie d'un centre national traitant des questions d'épizooties aussi bien pour l'Allemagne que pour les pays de l'Union européenne.
Je vous souhaite la bienvenue à tous, nous espérons avoir des entretiens intéressants cet après-midi.
M. le Président : Monsieur le directeur, Mesdames, Messieurs, je voudrais vous remercier d'abord de bien vouloir nous accueillir ; comme vous le savez, nous faisons partie d'une délégation française ; le Parlement nous a donné une mission, nous avons constitué une commission d'enquête parlementaire qui comprend trente membres ; aujourd'hui nous sommes représentés ici par quatre membres, dont nous ferons les présentations tout à l'heure, accompagnés par M. Eude.
Notre mission est d'essayer d'en savoir toujours plus sur la sécurité et la transparence dans tout ce qui constitue la chaîne alimentaire depuis la ferme, jusqu'à la table du consommateur, à travers la production agricole elle-même, la transformation, le conditionnement, le stockage, la chaîne du froid, tout ce qui fait les maillons de la chaîne alimentaire.
Nous avons comme mission d'étudier bien sûr la filière alimentaire en France, mais il est bien facile de comprendre que la France ne vit pas sur elle-même ; nous avons donc également essayé de comprendre ce qui se passe au niveau européen, car nous avons de plus en plus des réglementations européennes ; nous avons, à travers l'Europe, des intérêts communs, des problèmes communs à étudier, mais il existe aussi des relations bilatérales entre la France et l'Allemagne ; il était intéressant, car vous aviez accepté que nous venions en Allemagne, de venir vous rencontrer et voir comment les choses se passent chez vous également.
Les institutions en France et en Allemagne ne sont pas tout à fait les mêmes mais nous souhaitions voir comment dans un Etat fédéral, les deux niveaux, le niveau fédéral et le niveau des länders fonctionnaient également pour tout ce qui concerne la sécurité, la santé, les problèmes de l'agriculture et de l'agroalimentaire.
Notre délégation est pluraliste, elle représente le Parlement ; je suis le président de cette commission d'enquête ; M. Daniel Chevallier, député de la région des Alpes Maritimes est le rapporteur, c'est lui qui aura le plus gros du travail à faire ; nous avons également M. André Angot, Député de Bretagne, comme moi ; M. Patrice Carvalho est député de l'Oise ; nous représentons à peu près tous les secteurs géographiques avec des types d'agriculture tout à fait différents. M. Eude est le représentant des services administratifs de l'Assemblée.
Je vais laisser notre rapporteur, le questionneur numéro un, vous poser les questions pour que nous engagions le débat ; chacun d'entre nous posera également des questions, vous pourrez aussi nous poser des questions, car nous sommes venus pour un échange.

M. le Rapporteur : Je voudrais vous remercier de cette réunion de travail et de cette rencontre ; en tant que rapporteur de cette commission d'enquête, je vais rentrer dans le vif du sujet en abordant essentiellement trois points.

Le premier concerne les renseignements que vous pourriez nous fournir sur l'organisation qui existe chez vous, le Président l'a indiqué, à différents niveaux, mais également sur l'ensemble de la chaîne ; quels sont vos moyens, vos méthodes, pour vous assurer de la sécurité et de la qualité de votre alimentation ?
Deuxième point : il concerne la manière dont vous traitez les dossiers urgents ; par exemple, quelles ont été vos réactions et les mesures prises lors des affaires concernant l'encéphalopathie spongiforme bovine ou le problème de la dioxine : les poulets à la dioxine, etc. ?
Troisième point : au niveau européen a été proposé un Livre blanc sur la sécurité alimentaire ; j'aimerais connaître la position dans laquelle vous vous situez par rapport à ces propositions et vos intentions, si on les connaît déjà bien entendu par rapport à ce travail et ces propositions.
M. BLASCHKE : Une remarque préliminaire : justement au Cabinet aujourd'hui, nous venons d'adopter le rapport sur la situation des exploitations agricoles dans lequel on formule les objectifs à atteindre dans le cadre de la politique agricole et les mesures à prendre ; il vient d'être approuvé, aujourd'hui ; en ce qui concerne les questions des consommateurs et des consommations, on dit la chose suivante : " dans le cadre de sa politique en faveur des consommateurs, de la production agricole et de l'alimentation, le gouvernement fédéral a décidé de prendre les mesures de prévention nécessaires pour assurer la protection des consommateurs et pour améliorer leur information ".
Il sera encore nécessaire à l'avenir de prendre, le cas échéant, des mesures d'adaptation dans les réglementations en vigueur pour assurer la qualité des produits alimentaires et continuer à veiller à ce qu'ils soient sans aucun risque. Il s'agira en particulier de veiller à ce qu'il y ait un étiquetage adéquat en matière de substances contenues, de procédés de fabrication employés et d'origine des produits, de manière à ce que le consommateur puisse faire son choix en toute connaissance de cause.
Seules cette transparence et cette ouverture pourront permettre de maintenir la confiance des consommateurs à l'avenir en ce qui concerne les produits alimentaires. Par ailleurs, il est indispensable de conserver des modes d'information correspondant à l'état actuel des connaissances scientifiques, et indépendants des producteurs, de manière que les consommateurs soient parfaitement informés des risques sur la santé que peuvent avoir certains régimes alimentaires ; c'est en gros la description des objectifs que l'on peut envisager dans ce domaine.
Ce rapport ayant été adopté aujourd'hui pour ce qui concerne le ressort du ministère de l'Agriculture, les autres ministères concernés, c'est-à-dire le ministère de la Santé et le ministère de l'Environnement ont aussi accepté ces mêmes objectifs.
En tant que ministère de l'Agriculture, nous devons veiller à nous efforcer de faire valoir ces différents objectifs avec les autres instances, les autres ministères fédéraux, par exemple le ministère fédéral de la Santé, et à l'échelon des länders.
Je vais demander à Mme Blatt de vous donner un certain nombre d'informations concernant l'organisation, la répartition des tâches entre l'échelon fédéral et l'échelon des länders.
Mme BLATT : Avant de commencer, une remarque préliminaire : vous savez peut-être que comme dans votre pays, nous avons différentes instances concernées, il y a une séparation entre le ministère chargé de la Santé et le ministère chargé de l'Agriculture. En matière de produits alimentaires, le ministère de la Santé qui est chargé de s'occuper des affaires correspondantes vous donnera peut-être davantage de détails demain par le secrétaire d'Etat, mais je vais essayer de vous donner quand même un certain nombre d'explications.
En matière de protection des consommateurs, il s'agit surtout de garantir la santé du consommateur, de le protéger contre des man_uvres, de lui éviter d'être trompé et de lui donner les informations voulues sur les produits disponibles ; pour ce faire, une série de réglementations juridiques sont largement harmonisées au sein de l'Union européenne.
Une loi en Allemagne concerne les produits alimentaires et les biens de consommation, les produits de première nécessité ; c'est une loi fédérale qui couvre un domaine très vaste, à savoir toutes les questions juridiques ayant rapport aux produits alimentaires, à la production du vin, aux médicaments, aux différentes catégories utilisées dans le commerce, des dispositions légales concernant les produits agricoles de l'Union européenne ; c'est quelque chose de très vaste ; cette réglementation couvre différentes dispositions juridiques qui viennent des directives de l'Union européenne. La surveillance de ces différentes dispositions est confiée aux länders, aux Etats fédéraux.
Pour le ministère de la Santé, c'est un peu différent, car ils ont un organisme qui règle les choses à l'échelon fédéral, mais je pense qu'ils vous donneront les renseignements demain ; c'est un peu plus complexe.
Il y a la responsabilité des entreprises elles-mêmes qui doivent veiller par le contrôle de qualité à garantir la qualité de leurs produits justement.
M. BLASCHKE : Dans un passé récent, voici quelques semaines, nous avons eu la semaine verte, le salon de l'agriculture, ici à Berlin ; un forum international s'est tenu dans le cadre de cette semaine verte avec le titre suivant : " alimentation des animaux : danger pour la sécurité des produits alimentaires ? " Pour ce qui concerne l'Allemagne, je pense que l'on peut vraiment répondre par la négative à cette question.
La question qui se pose toujours, en matière de sécurité de l'alimentation, pour vraiment garantir cette sécurité est : est-ce que les réglementations, les dispositions légales dont nous disposons sont suffisantes ? Ne faut-il pas surtout veiller à contrôler l'application des réglementations en vigueur ? Durant la période récente, le fait qu'il y ait eu un certain nombre de scandales connus de l'opinion publique montre bien que les contrôles fonctionnent.
La question qui se pose est de savoir si ici ou là, il y a des défaillances humaines qui peuvent intervenir, ou est-ce que quelqu'un met vraiment une énergie criminelle à déclencher ce genre de chose ?
M. le Rapporteur : Sur les contrôles, avez-vous également ici un système d'autocontrôle, c'est-à-dire de contrôle effectué par les producteurs ou les entreprises elles-mêmes, sans que ce soit un contrôle fédéral ou du niveau des länders ?
(Mme Blatt et M. Blaschke acquiescent)
M. BLASCHKE : Bien sûr, pour une entreprise, c'est toujours très important, dès lors qu'elle souhaite l'entrée de produits sur le marché, d'effectuer tous les contrôles voulus pour être sûr que les produits ne présentent absolument aucun risque pour la santé, soient libérés de tout résidu toxique, etc. Il faut voir l'aspect publicité pour l'entreprise, lorsqu'elle essaie de vendre ses produits, qu'il y a quoi que ce soit de connu, qu'il y a un problème quelconque pour la santé des animaux, la santé humaine ou l'environnement, c'est publié dans les journaux, etc. et l'on imagine tout de suite les conséquences que cela a en matière de chiffre d'affaires.
Mme BLATT : C'est un aspect très important, cet autocontrôle effectué par les entreprises, car l'Etat ou les instances correspondantes ne peuvent effectuer des échantillonnages.
M. le Rapporteur : Une étude des services de l'Union européenne a regardé, Etat par Etat, comment la directive n° 93/99 de l'Union européenne avait été appliquée ; cette étude est critique à l'égard des Quinze pays de l'Union ; pour ce qui concerne l'Allemagne, vous m'excuserez, mais puisque nous sommes chez vous, elle fait notamment état des difficultés de certains länders à appliquer la directive ; est-ce que vous avez ce sentiment au niveau fédéral et quelles sont les mesures qui sont susceptibles, dans le cadre des structures fédérales qui sont les vôtres, de faire en sorte que les länders s'alignent sur le droit communautaire ?
M. BLASCHKE : Nous savons parfaitement que le droit de l'Union européenne sera appliqué naturellement dans les différents Etats membres ; il existe certaines difficultés en ce qui concerne notre droit constitutionnel, car des mesures ne peuvent pas être imposées par l'Etat lui-même, mais relèvent de la compétence des länders, l'Etat doit déléguer aux länders le soin de faire appliquer telle ou telle mesure ; je vous recommanderai donc de poser cette même question demain au ministère de la Santé, car je dois vous avouer à ma grande honte que je ne connais pas cette étude.
M. le Rapporteur : Je me permets de préciser que l'étude est également critique à l'égard de la France ; nous sommes tous accusés par les services de l'Union ; nous sommes tous à égalité.
M. BLASCHKE : C'est justement en analysant les activités dans différents pays de manière critique que l'on peut voir justement où sont les défaillances, les carences, et apprendre les uns des autres. Il faut simplement veiller que la critique n'inquiète pas trop les consommateurs, ne les " déboussole " pas complètement.
M. le Rapporteur : Sur le dossier de l'E.S.B., nous avons quelques difficultés à comprendre le mécanisme que vous appliquez, qui conduit à vos décisions par rapport à un maintien ou une levée de l'embargo ; pouvez-vous, par rapport à cette organisation fédérale de länders, nous expliquer qui décide quoi et à quel moment une décision peut être prise définitivement par rapport à ce problème de l'embargo ?
M. BLASCHKE : Monsieur Fiedler peut essayer de répondre à votre question, nous pourrons ensuite en discuter.
M. FIEDLER : Merci M. le Président. Mesdames, Messieurs, pour ma part, je ferai aussi deux remarques préliminaires, en disant que bien sûr, c'est véritablement la volonté politique de notre établissement de garantir, comme vous l'indiquiez tout à l'heure, la transparence, la sécurité en matière de produits alimentaires. Nous nous disons aussi que si nous arrivons à garantir la qualité des produits alimentaires, nous devons convaincre également le consommateur qu'il a à sa disposition les meilleurs produits, les produits les plus simples.
Je ferai ensuite une remarque concernant la répartition du travail entre le ministère chargé de la Santé et le ministère de l'Agriculture ; le ministère de l'Agriculture est chargé des produits primaires, de la première étape de la production ; pour les produits alimentaires proprement dits, c'est-à-dire les produits traités qui vont ensuite être entreposés, empaquetés, vendus par la suite, c'est le ministère de la Santé qui est compétent.
Pour illustrer ceci avec un exemple que vous avez indiqué tout à l'heure, celui de la dioxine, M. le Rapporteur, s'agit-il de dioxine dans les _ufs, dans la viande de volaille, etc., c'est là le ministère de la Santé qui est chargé de s'en occuper. Cependant, s'il s'agit de dioxine que l'on trouve dans les fourrages, ou de dioxine produisant des maladies chez les animaux, alors, c'est de notre ressort. La situation est analogue pour ce qui concerne l'E.S.B. Nous sommes compétents en matière de diagnostic à établir, d'analyse, d'épidémiologie, et ensuite, de destruction, le cas échéant, des animaux des cheptels concernés ; pour ce qui concerne la protection des consommateurs, les mesures d'embargo par exemple pour la viande britannique, cela relève du ressort de ma collègue du ministère de la Santé. C'est Mme Nickels, ministre chargée de la Santé, qui aura à prendre une décision définitive en matière de comportement à adopter par rapport à la viande de Grande-Bretagne.
Pour en venir à votre question proprement dite, je dois rappeler par conséquent que nous avons une structure de fédération dans notre Etat, mais pour les cas normaux ou classiques, tout un système fonctionne très bien, qui est peut-être un peu long et pesant, mais qui fonctionne très bien dans la normalité ; c'est une façon de régler les choses par un processus parlementaire. Cependant, dans les situations de crise, le droit constitutionnel et différentes dispositions nous permettent de prendre des décisions au cas par cas ; en cas de nécessité, nous sommes tout à fait en mesure de nous mettre d'accord avec tous les länders, en l'espace de 24 heures, de prendre toutes les mesures nécessaires, de déterminer les réglementations qui doivent être observées et de veiller à ce que les länders ensuite contrôlent l'application des dispositions correspondantes. Le droit allemand a pris les dispositions correspondantes, et en tant que ministère fédéral de l'Agriculture, nous avons la possibilité, dans certaines conditions, de formuler un décret, c'est prévu dans le droit, lorsqu'il y a " péril en la demeure ", c'est le terme utilisé dans la juridiction, ou lorsque ceci est imposé par l'Union européenne ; à ce moment, nous pouvons prendre un décret qui va immédiatement entrer en vigueur, qui sera publié au Journal Officiel et sera valable pendant une période de six mois, sans avoir à consulter la deuxième Chambre, la D.I.E.T. des Länders ; immédiatement donc, du jour au lendemain, nous pouvons appliquer les mesures correspondantes.
Je vais revenir sur un point du passé récent, c'est-à-dire les années 93 à 95 où nous avions une véritable épidémie de peste porcine ; nous avons mis en place une cellule de crise et commencé à voir comment procéder pour la gestion de crise ; c'est à cela que l'on se rapporte maintenant en cas de situation très difficile, lorsqu'il y a un cas comme celui de la dioxine, ou bien l'E.S.B. ; nous appliquons les mêmes procédures.
Il existe donc un centre national de crise, à l'échelon national, par conséquent, qui informe immédiatement le centre de crise des länders et leur indique les mesures à prendre immédiatement.
Cela peut concerner, soit des situations que l'on trouve ici, dans le pays même, ou bien des informations que l'on obtient de la part de la commission, par exemple dans le cas de la dioxine en Belgique.
A côté de cela, une autre organisation, c'est ce que j'appellerai " la cellule de crise nationale ", la cellule de crise en question comprend les différents secrétaires d'Etat des ministères de l'Agriculture et des länders. En cas de situation de crise extrêmement urgente, cette cellule de crise se retrouve sous 24 heures ; on discute là immédiatement de l'application des différentes dispositions du ministère, on voit si ces différentes dispositions sont appliquées dans les länders d'une manière adéquate. En période de crise, vous avez finalement une très bonne intégration entre la commission de l'Union européenne, le ministère de l'Agriculture à l'échelon fédéral et les différentes autorités dans les länders.
J'ajouterai que par exemple dans un cas comme celui de la peste porcine, nous avons mis en place un système informatisé, c'est un système de traitement des données, qui est interne à l'administration et qui nous permet de fournir toutes les informations voulues aux différents offices vétérinaires qui se trouvent dans les différentes circonscriptions, car les contrôles sont effectués à l'échelon de la circonscription, du Kreï en Allemagne ; c'est donc un système très efficace, qui le cas échéant vous permet de fournir les informations nécessaires et donner les orientations nécessaires.
Pour revenir à la question posée par M. Chevallier sur les contrôles effectués en Allemagne, à ma connaissance déjà deux contrôles ont été effectués : une fois, ce fut une évaluation des services vétérinaires qui fut réalisée, et par ailleurs, dans le cadre de l'E.S.B., des contrôles ont été effectués également.
Pour ce qui concerne l'évaluation des services vétérinaires, à ma connaissance, la France, l'Allemagne, et une série de pays des Etats membres de l'Union européenne ont été évalués, je pense que notre pays avait eu de très bonnes notes.
Pour ce qui concerne l'autre chapitre, l'E.S.B., il s'agissait surtout de l'aspect lutte contre la maladie, surveillance des dispositions, etc., qui avait été éclairé ; un certain nombre de remarques avaient été faites à l'égard de certains länders ; face à cela, nous avons eu deux types de réactions ; pour certaines remarques, nous avons dû les rejeter, car manifestement, la mission n'avait peut-être pas bien compris certaines choses et là où il y avait des carences réelles, nous nous efforçons d'y remédier et d'atteindre le niveau voulu pour tous les pays.
En Rhénanie du Nord, Westphalie, à l'Ouest de l'Allemagne, une série de tests a été effectuée, concernant des bovins, 5 000 en tout, avec différentes tranches d'âge, différentes origines, etc. Il n'y a eu aucun cas constaté.
Je terminerai en faisant une remarque en ce qui concerne l'orientation politique : nous savons parfaitement que dans ce secteur, il existe un dynamisme très important, les choses évoluent très rapidement, les exigences deviennent de plus en plus sévères ; c'est justement l'objectif de notre travail ; nous cherchons vraiment à rester au niveau et à remplir les exigences telles qu'elles se présentent.
M. le Président : Quant à la troisième question posée par notre Rapporteur, sur votre opinion sur le Livre blanc, qui est en cours de discussion au niveau européen, pourrions-nous avoir votre avis ? Puis nous pourrons revenir sur quelques questions particulières.
M. HEITMANN : Je vais répondre en ce qui concerne cette question du Livre blanc et essayer de prendre une première position à ce sujet ; encore une fois, c'est un sujet qui touche à la fois le ministère de l'Agriculture et le ministère de la Santé ; vous aurez peut-être l'occasion d'y revenir lors de votre visite demain.
En tout cas, il faut savoir que la nouvelle commission a également fait l'objet d'une réorganisation après ce qu'il est convenu d'appeler " les scandales " ; la confiance des consommateurs s'est vraiment trouvée minée, il s'est trouvé que dans le domaine de la protection des consommateurs également, il était nécessaire de réorganiser le travail. Ce rôle se trouve maintenant confié à la DG24, avec M. BYRNE, le commissaire ; certaines tâches de la DG6 ont été transférées.
Ce Livre blanc avait été annoncé pour le mois de novembre de l'année dernière et a finalement été présenté au conseil des ministres de l'agriculture le 24 janvier et publié. Dans ce Livre blanc, nous trouvons différentes choses : un constat de la situation actuelle, certaines mesures qui sont annoncées, des mesures également qui sont reprises, des mesures qui datent de l'été dernier, qui avaient été déjà discutées après la crise de la dioxine, surtout en ce qui concerne la présence de dioxine dans l'alimentation des animaux, et des mesures concrètes qui avaient déjà été discutées par la commission précédente. Nous sommes, tout comme vous, probablement, en train de voir quelles sont les propositions qui ont été faites, de les analyser pour élaborer ensuite une prise de position qui devra être présentée d'ici le mois d'avril à la commission.
La première réaction, qui a déjà été visible lors de la réunion du conseil des ministres de l'Agriculture, fut de dire que nous sommes très favorables à tous les efforts qui peuvent être entrepris pour rétablir la confiance des consommateurs en garantissant un maximum de sécurité et en veillant à avoir une qualité maximale des produits de l'alimentation.
Pour certaines propositions, nous sommes tout à fait favorables ; par exemple, cette agence des produits d'alimentation qui a été discutée ; en ce qui concerne les mises en place de directives cadre à l'échelon européen, tout à fait d'accord, pour tout ce qui concerne les contrôles ou plus exactement le fait d'harmoniser et d'améliorer tous les types de contrôles ; sur d'autres propositions, nous sommes plus réservés : en ce qui concerne par exemple l'alimentation des animaux, le fourrage, nous avons des remarques plus critiques à faire, notamment dans le domaine de l'élimination des cadavres d'animaux et de la production de farines animales.
Comme nous l'avons indiqué précédemment, à l'occasion de la semaine verte, s'est tenu un forum dont le titre était " l'alimentation des animaux constitue-t-elle un danger pour la sécurité des produits alimentaires ? " ; notre ministre, M. Funke, a tenu un discours lors de ce forum, et a également fait des remarques en ce qui concerne ce Livre blanc ; je signale qu'également Zenorgue Fulla avait fait un exposé dans ce même forum.
Dans le discours du ministre, vous trouvez déjà une première prise de position sur tous les points éclairés de manière critique à propos des farines animales, sur les problèmes d'antibiorésistances qui sont également d'actualité, sur les produits manipulés génétiquement également utilisés dans les produits de l'alimentation des animaux, etc., c'est-à-dire des thèmes d'actualité, et l'on retrouve les différentes positions dans ce discours ; je pense peut-être par conséquent que nous pourrions vous distribuer le texte de ce discours où vous trouverez la position de notre établissement sur le sujet.
Globalement, dans ce Livre blanc, je pense qu'il y a une série de points très positifs que nous pouvons relever, mais d'un autre côté, il faut être assez prudent en ce qui concerne les autres points, on a l'impression parfois que les choses peuvent aller trop loin, que lorsqu'à la lumière de certains événements qui peuvent se produire, en dépit des dispositions qui existent déjà, de la politique déjà mise en place, suite à une énergie criminelle libérée, on a tendance à vouloir prendre des mesures excessives qui vont beaucoup trop loin ; il faut garder une attitude très critique là-dessus.
M. André ANGOT : Si la commission européenne met en place une agence de sécurité alimentaire composée d'experts qui vont donner leur avis sur tous les aliments et tous les problèmes alimentaires qui peuvent se poser dans les pays adhérents à la communauté européenne, est-ce que votre pays est prêt à suivre d'une façon rigoureuse tous les avis donnés par cette agence de sécurité alimentaire européenne ou est-ce que votre pays entend conserver une certaine marge de man_uvre en vertu du principe de subsidiarité ?
M. le Rapporteur : Je vais compléter la question : au centre de ces questions, en tout cas en France, et je crois également au-delà, il y a ce que l'on appelle aujourd'hui également " le principe de précaution " ; les scientifiques considèrent aujourd'hui que la prévention et la précaution sont les deux facettes de la prudence ; la prévention concerne surtout les risques connus alors que la précaution concerne les risques potentiels ; nous sommes dans le domaine de l'incertain et de ce fait, il faut évaluer le risque ; nous considérons que l'évaluation des risques doit se faire par des experts indépendants, et ensuite se pose le problème de la gestion du risque ; nous pensons là que c'est au pouvoir politique de prendre les décisions pour gérer le risque, alors qu'il y aura toujours, lorsqu'il y aura une autorité au niveau de l'Europe, par rapport à celle que nous avons déjà en France, car nous avons une Agence, à se rapprocher dans l'évaluation du risque, et il y aura aussi à se rapprocher dans la gestion du risque.
M. BLASCHKE : Pour ce qui concerne cette agence, je vous conseille de reposer vos questions au ministère de la Santé demain pour obtenir des réponses complémentaires, mais je pense que deux domaines lui seront confiés : d'un côté, il y a eu par le passé à l'échelon de l'Union européenne, certaines institutions, il s'agissait de refondre l'organisation, d'avoir une meilleure coordination entre différents domaines et d'essayer de voir quels étaient les points faibles dans l'organisation qui existait jusque là ; c'est l'une des raisons pour lesquelles nous souhaitions créer cette agence ; d'un autre côté, ce que vous décrivez, c'est-à-dire la mise en place d'une sorte de système d'alerte précoce, qui permette de réagir rapidement, par exemple lorsque le cas se présente comme dans l'alimentation animale ; lorsqu'on s'aperçoit qu'il y a péril en la demeure, il s'agit d'informer les institutions compétentes pour qu'elles puissent prendre les mesures adéquates ; dans le cadre du principe de subsidiarité, ce sera effectivement aux Etats de voir comment ils doivent s'organiser, en fonction de leurs situations constitutionnelles, pour que ces mesures soient prises.
Mme BLATT : Le principe de précaution est déjà appliqué dans la législation en vigueur ici ; il y a deux aspects : pour pouvoir effectuer l'évaluation du risque, on peut s'appuyer d'une part sur les résultats scientifiques, et d'autre part, voir quelle est l'opinion des consommateurs ; souvent, on s'aperçoit qu'il existe une grande divergence entre ces deux choses.
On peut se poser la question de savoir pourquoi, et pourquoi souvent les consommateurs voient les choses de manière tout à fait différente par rapport à ce que l'on a obtenu comme résultats scientifiques ; cela pourrait être à mon point de vue le travail d'une telle administration, d'une telle agence, de restaurer la confiance auprès des consommateurs, c'est en tout cas la façon dont j'envisage les choses pour l'Allemagne, je ne sais pas si c'est valable aussi pour la France.
M. Patrice CARVALHO : Pour appuyer cette mesure de précaution, il faut savoir à partir de quel moment on fait rentrer la notion de rentabilité par rapport à la notion de produit de qualité ; or on sait que les chercheurs, pour ce qui concerne notamment les céréales ou les O.G.M., avancent des risques ; ils sont un peu divisés, mais la majorité pense qu'il existe un risque pour l'avenir, qu'avant d'utiliser ces produits, il faudrait peut-être avoir des périodes d'essais, pour savoir s'il y a des effets véritablement. Or dans ce domaine, le consommateur a consommé ces produits, car ils ont été mis sur le marché et qu'ils sont moins cher ; c'est comme pour toutes les choses en base, les maïs de façon importante et l'Allemagne en a fait venir, qui ont servi dans l'alimentation à grande échelle ; je vous passe toute cette nouvelle culture alimentaire liée au système fast food, Mac Donald, etc., qui sont utilisés de même façon ; la précaution n'est pas appliquée, on ne sait pas quel effet cela aura ; cela n'aurait peut-être pas d'effet, s'il y a des effets négatifs, on gérera après !
Dans ce qui s'est passé précédemment, la crise de la " vache folle ", le mal sera fait ; il sera trop tard et c'est vraiment en amont qu'il faut être sûr qu'il n'y a pas de risque et que l'on n'a pas sacrifié sur l'autel de la rentabilité ; les commissions : je suis un politique, mais je suis sceptique, car à partir de quel moment (on l'a vu sur le problème des Anglais avec la " vache folle ") lâche-t-on pied face à l'intérêt économique ? Est-ce que l'on est allé jusqu'au bout ? Est-ce que l'on est sûr que toute la viande importée aujourd'hui n'est pas encore touchée, ou n'a pas été alimentée avec ces produits qui ont les effets que l'on connaît, bref, est-on vraiment sûr du résultat ?
M. BLASCHKE : Vous avez raison, c'est une question très difficile, la priorité absolue doit être absolument de constater qu'un produit donné n'a pas d'effet négatif, ni sur l'homme, ni sur les animaux, ni sur l'environnement ; ce sont les trois catégories les plus importantes ; ce principe de précaution doit vraiment avoir la priorité absolue ; ensuite, il y a naturellement la mesure à prendre absolument qui est l'étiquetage ; il faut que le consommateur puisse repérer les choses et décider lui-même s'il veut acheter ou non tel ou tel produit ; mais avant l'étiquetage, il y a le fait de constater que le produit ne présente aucun danger dans ces trois domaines.
Il est sûr que les aspects de rentabilité jouent toujours un rôle très important, c'est absolument indéniable, mais il faut avant que les intérêts économiques soient pris en considération, pouvoir constater pour le produit qui a été élaboré à la ferme, ou bien si c'est un produit transformé, l'application de bonnes pratiques et que les processus ont été appliqués ; ensuite le producteur peut se servir de cela pour faire de la publicité pour son produit, c'est-à-dire que c'est à lui de prouver qu'il a appliqué de bonnes pratiques pour l'élaboration du produit donné.
M. FIEDLER : Je voudrais faire une remarque et revenir sur ce forum tenu lors de la semaine verte ; nous avions précisément abordé ce sujet de précaution à prendre à l'échelon primaire ; nous voyons en Allemagne trois secteurs où il faudrait organiser ces mesures de précaution primaire ; le premier secteur est de voir comment le passage de micro-organismes se fait par le biais des produits alimentaires et peut toucher le consommateur, certains secteurs sont énumérés dans le Livre blanc : salmonelle, brucellose, tuberculose et listériose.
En fait nous allons plus loin et nous disons que toute contamination bactériologique par des germes étrangers doit pouvoir être éliminée dans le processus de fabrication.
Il est peut-être un autre sujet que l'on peut discuter, de manière un peu controversée, c'est la contamination par des toxines fongiques. Au terme du Livre blanc, à l'avenir, il sera interdit de faire des mélanges de fourrages composés, ou de produits composés, par exemple en faisant des mixtures. Or il y a des scientifiques qui nous disent justement qu'il serait admissible d'avoir des produits alimentaires pour animaux, moins concentrés, ayant une certaine contamination fongique. C'est un sujet qui peut être discuté de manière controversée.
Deuxièmement, le chapitre prévention toxicologique : les dioxines. La politique menée par notre établissement est de dire qu'il ne faut pas définir de charge maximum, de quantité maximale admissible, mais au contraire, à l'inverse, essayer d'avoir dès le départ des contaminations aussi faibles que possible dans les produits alimentaires. Le fait que nous ayons formulé cette exigence vient de ce que nous considérons que s'il y a une quantité maximum admissible formulée, vous trouverez toujours des intervenants qui iront à 99,99 % dès le départ et essaieront d'aller jusqu'à l'extrême limite de la tolérance.
En Allemagne, nous avons une forme spéciale de précaution éthique ; en Allemagne, vous savez que même les animaux domestiques, les chiens, etc., peuvent passer par des clos d'équarrissage ; on peut se servir des déchets et utiliser les farines animales dont on se sert pour l'alimentation des animaux. Dès lors, vous avez des journaux qui titrent de la manière suivante : " votre chien préféré, (avec son nom), se retrouvera sur votre table au petit déjeuner sous forme d'_uf à la coque ". C'est la raison pour laquelle on s'efforce maintenant de prendre des mesures pour ce qui concerne les cadavres des animaux domestiques, que l'on veut les incinérer, il faut qu'ils soient traités à part et n'aient plus rien à voir avec les animaux d'abattage pour tenir compte des ces éléments éthiques.
M. le Président : Sur les farines animales, il existe un grand débat, l'approche n'est pas la même dans tous les pays et si je comprends bien, il existe en Allemagne des déchets sains venant des abattoirs et des produits d'équarrissage qui continuent d'aller dans des farines animales, qui sont ensuite données aux animaux, volailles, porcs, mais ne sont pas données aux ruminants ? Est-ce que l'on est sûr que dans des exploitations, certaines farines destinées aux porcs et aux volailles ne sont pas à certains moments appelées à aller également aux ruminants ?
M. FIEDLER : Vous savez parfaitement vous-même que l'on ne peut pas donner une garantie à 100 %, mais on peut dire qu'il existe des dispositions légales, elles sont en vigueur, et au terme des textes, il n'est pas permis de donner des farines animales qui comprennent une base de viande de ruminants, à des ruminants. En principe, ce risque ne doit pas exister ; en plus, il faut savoir qu'en Allemagne, il n'y a jamais eu cette tradition de donner des farines animales aux ruminants ; peut-être pour des raisons de prix, nous avons toujours préféré donner des produits végétaux aux ruminants, ou bien du lait quand il était nécessaire d'avoir un apport en protéines. Cette tradition n'existait pas, donc le risque d'avoir une contamination par les farines animales est quand même minime. On connaît bien les risques, il y a eu toute cette publicité très défavorable par rapport à la Grande-Bretagne, l'industrie de fabrication des farines animales elle-même surveille de très près ; ce n'est absolument pas son intérêt qu'il y ait des effractions.
M. le Président : Par rapport aux consommateurs, sont-ils organisés ici, en Allemagne ? Y a-t-il des associations de consommateurs et quel est le rôle que jouent ces associations comme système d'alerte par rapport aux problèmes de sécurité ?
Mme BLATT : A l'échelon fédéral, un groupe de travail coiffe les différentes associations de protection des consommateurs, c'est une organisation à l'échelon fédéral, financée par le ministère de l'Economie, qui a son propre siège, avec des employés, avec la possibilité de remplir certaines fonctions.
M. le Président : C'est une organisation financée par le ministère et pour autant indépendante ?
Mme BLATT : Oui ; elle a son siège, ses employés et s'occupe de différentes questions : la sécurité des produits alimentaires, les produits alimentaires, la responsabilité du fait du produit, etc. Ensuite, à l'échelon des länders, il y a des centres de consultation pour les consommateurs, qui s'occupent de conseiller les consommateurs ; ces différents centres des länders sont organisés au sein de ce groupe de travail ; ensuite, cela descend jusqu'à l'échelon communal, avec différentes structures, différentes organisations bénévoles, qui ont encore certaines tâches dans le domaine de la protection des consommateurs ; il existe par exemple un syndicat de ménagères qui souvent se prononce sur des questions qui concernent les consommateurs ; il y a des syndicats qui peuvent jouer également un certain rôle à cet égard ; d'autres structures communales plutôt menées par des volontaires existent, mais qui à ce moment ne bénéficient pas de financement spécial ; et il y a d'autres organisations à côté, comme le B.U.N.D.T., par exemple, une organisation de protection de la nature et de l'environnement qui elle aussi se prononce sur certaines questions et a une certaine influence auprès des consommateurs.
Dans ce groupe de travail à l'échelon fédéral, je précise qu'il existe un secteur de consultation ou conseil en matière d'alimentation, qui est sous la tutelle du ministère de l'Agriculture ; le ministère finance certaines campagnes, des actions sont menées, des campagnes d'information en ce qui concerne les produits alimentaires ; ensuite, en tant que ministère de l'Agriculture, des forêts, de l'alimentation, nous avons notre institution propre, qui s'appelle A.E.D., qui fournit des conseils et des informations en matière de produits agricoles, d'alimentation.
Pour ce qui concerne le travail de consultation à l'échelon politique, il existe une autre organisation qui s'appelle " comité de consommateurs " où sont représentées différentes personnalités connues de la vie publique, qui ont un lien quelconque avec les organisations de consommateurs.
M. le Rapporteur : J'ai bien compris la séparation entre les responsabilités ministère de la Santé et ministère de l'Agriculture, votre ministère s'occupe essentiellement de la production primaire et à ce sujet, au niveau de la production primaire, j'aurai deux questions à vous poser encore, si vous le permettez : en ce qui concerne les intrants, c'est-à-dire ce que l'on fait rentrer dans cette production primaire, notamment : comment gérez-vous le problème des boues de stations d'épuration, d'épandage, de recyclage ?
Une question corollaire, quel effort déployez-vous actuellement pour tendre vers ce que l'on appelle " une agriculture raisonnée " ou pour le moins qui existe déjà, une agriculture dite " biologique " ?
M. FIEDLER : Concernant l'épandage des boues, c'est une question très importante, nous avons en République Fédérale d'Allemagne une réglementation en vigueur depuis le 1er juillet 1990 ; ce règlement est inspiré de la directive n° 68/278 de l'Union Européenne, qui date de l'année 1986. C'est une réglementation qui a été promulguée par le ministère compétent qui est chez nous le ministère de l'Environnement.
Le ministère de l'Environnement est appelé chez nous " ministère de l'Environnement, de la protection de la nature et de la sécurité nucléaire " ; les textes correspondants ont été longuement discutés entre les différents ministères concernés et élaborés avec nous-mêmes, en accord avec le ministère de l'Agriculture et avec le ministère de la Santé ; cette réglementation comprend dix différents articles ; sur le contenu de cette réglementation, cela comprend le champ d'application, les conditions dans lesquelles l'épandage des boues peut se faire ; on définit les conditions très strictes, importantes, pour l'épandage des boues ; on exige par exemple qu'auparavant il y ait une analyse des sols qui soit effectuée ; cette analyse des sols donnera des indications précises en ce qui concerne les teneurs en métaux lourds comme le cadmium, le cuivre, le plomb, le magnésium, le phosphore, etc., de ce sol ; il doit donner des valeurs précises sur le P.H. du sol, car dans les valeurs acides inférieures à 5, il y a des problèmes très importants. En dehors de l'analyse du sol, il doit y avoir également des indications fournies sur les boues d'épandage elles-mêmes, sur les teneurs en métaux lourds.
Ensuite on donne des indications très détaillées sur les interdictions, par exemple les boues d'épandage ne peuvent pas être utilisées sur toute une série de sols ou de champs, par exemple lorsqu'il y a culture de fruits, maraîchère, des champs qui servent pour le fourrage des animaux, certaines zones de protection des eaux, et tous les endroits où le terrain est acide, avec des valeurs de P.H. inférieures à 5.
M. le Président : Concrètement, quand on ne peut pas épandre ces boues sur ces terres, qu'en fait-on, où les met-on ?
M. FIEDLER : Il est sûr que un certain nombre d'exploitants agricoles, des gens qui font de la culture maraîchère, sont exclus, ne peuvent absolument pas envisager de répandre les boues correspondantes, il faut trouver des surfaces adéquates et on ne peut pas dire que toutes les surfaces agricoles servent pour l'épandage des boues, c'est absolument exclu ; c'est d'ailleurs un régime vraiment très strict, les usines de traitement des eaux usées qui produisent des boues correspondantes doivent tenir des registres indiquant où, quand, comment a été faite telle ou telle répartition ou application, car il est absolument exclu d'utiliser tout, en fonction des teneurs en métaux lourds, par exemple, et de répandre cela n'importe où.
M. le Président : Quand on n'a pas de terre pour répandre les boues, que fait-on ? Est-ce qu'on les incinère ?
M. HEITMANN : Il faut voir qu'il y a des surfaces où il est inimaginable, où l'on ne peut absolument pas se débarrasser de ces boues, par exemple pour la région des pré-Alpes ou d'autres régions qui ne peuvent être envisagées en aucun cas ; à ce moment, là où cela est interdit, les boues devront d'abord être desséchées et ensuite incinérées, ou il faut faire des transports sur de longues distances et chercher des surfaces adéquates, peut-être des cultures de céréales, etc. ; dans le cas contraire, les boues sont desséchées et incinérées ; il n'y a pas d'alternative, c'est un régime très strict et les abus sont exclus.
M. Patrice CARVALHO : Et la filière compost ?
M. HEITMANN : On peut dans certains cas envisager des formules de compostage en utilisant des boues de stations d'épuration, le problème est toujours la teneur en métaux lourds ; il existe quand même certaines possibilités.
M. Patrice CARVALHO : Dans la filière compostage, l'avantage est que vous partez des boues de fermes d'épuration, mélangées avec des fermentescibles, ensuite vous avez d'autres éléments, vous broyez et mélangez ; mais la réglementation française est stricte, on ne peut pas mélanger, il faut des stockages différents ; quand le compost est fait, il suffit de l'analyser, et on a alors la composition de visu, on sait si on peut les épandre dans les champs ou non.
Quand on parlait de précaution, on est plus rigoureux pour les choses que l'on peut contrôler, et moins pour les choses que l'on ne contrôle pas, au moins pour l'instant.
M. le Rapporteur : Je voudrais évoquer rapidement quelques problèmes : le premier a été mis en avant par certains professeurs de médecine en France, celui de la nutrition ; nous verrons demain avec Mme Nickels ce sujet. C'est plutôt du domaine du ministère de la Santé.
Pour ce qui concerne l'agriculture, serait-il possible pour nourrir le rapport de M. le Rapporteur, d'avoir un organigramme des services ? Peut-être l'avez-vous déjà ?
Vous nous avez parlé également d'un livre qui sortait aujourd'hui ou allait sortir sur l'agriculture, et ce au début de notre entretien.
Dans la salle : Il s'agit d'un rapport.
M. le Rapporteur : Un rapport, un Livre blanc : est-ce un document qui va être soumis au Parlement allemand, ou est-ce un document de nature purement administrative ? Peut-être sera-t-il possible, via notre Ambassade, d'avoir communication de ce document ?
La commission d'enquête, dernier point, a découvert un organisme qui est d'une importance considérable, l'Office alimentaire et vétérinaire de Dublin, qui fait des contrôles très sévères ; quelle appréciation portez-vous sur les conclusions que l'organisme de Dublin peut tirer de vos propres activités en matière agricole et alimentaire ?
M. BLASCHKE : L'organigramme sera transmis à l'Ambassade, même chose pour le rapport que vous aurez par l'Ambassade.
M. FIEDLER : Pour répondre à votre question concernant l'Office de Dublin, nous avons parlé à plusieurs reprises de ce fameux Livre blanc, on peut remarquer que ce Livre blanc fait une distinction entre l'évaluation des risques et ensuite, la gestion des risques ; cela veut dire, à l'échelon de l'Union européenne, qu'il y a d'abord des réglementations à établir, par le pouvoir législatif, et ensuite, toute la tâche qui concerne le contrôle, la surveillance, la mise en application réelle des dispositions correspondantes.
L'Office de Dublin est chargé de la mise en application du droit européen dans les différents pays membres de l'Union européenne. Nous sommes entre nous, je pense donc pouvoir me prononcer de manière très ouverte, et je dirais qu'il faut quand même veiller à ce que les groupes chargés de l'inspection et les Etats membres puissent combattre à armes égales ; nous avons appliqué toujours le principe de travail suivant : nous veillons toujours à ce que le début et la fin des visites de ce groupe d'inspection se fassent à Bonn ; nous veillons toujours à ce qu'il y ait véritablement une analyse précise des résultats de la visite qui soit faite ici en Allemagne.
Lorsque le programme des visites est déterminé, nous essayons de bien cibler les différents thèmes à aborder ; nous ne voulons pas que lorsqu'ils indiquent qu'ils veulent vérifier x chose, ils décident en arrivant que finalement, ce sera plutôt y chose.
Puis, nous avons l'habitude, lorsque ces visites se font en Allemagne, de nous exprimer en allemand, ce n'est pas du tout un caractère chauviniste qui s'exprime, mais nous pensons que dans notre propre langue, nous pouvons nous articuler de la manière la plus précise possible, pour qu'il n'y ait pas de malentendu. Quand on tient compte de ces différents éléments, on peut dire que la coopération avec cet organisme est très productive. C'est très important, car cela nous permet de vérifier le bien-fondé des mesures que nous décidons ; c'est très important également car il y a dans cette commission des vétérinaires qui établissent ensuite les rapports à Bruxelles ; en général, ces groupes sont accompagnés au moins par un expert national venant d'un autre pays encore, il est très important d'avoir l'avis de personnes venues de l'extérieur, parfois cela permet d'avoir de nouvelles recommandations, d'éclairer des aspects qui ne sont pas forcément évidents, quand on reste en position intérieure.
M. le Président : Les contrôles organisés par l'O.A.V., cet organisme, si nous comprenons bien, sont organisés dans la concertation entre vous et cet organisme ? Est-ce que c'est votre structure fédérale et la structure avec les länders qui imposent cette conception du contrôle ?
M. FIEDLER : Je ne dis pas " concertation " dans le sens où l'on se mettrait d'accord sur certains thèmes, ce n'est pas à nous de décider.
M. le Président : C'est l'accompagnement.
M. FIEDLER : On demande simplement que le sujet du contrôle soit précisé auparavant ; quand un contrôle est effectué, le gouvernement fédéral est contrôlé, mais aussi deux ou trois länders ; nous devons donc transmettre les informations précises aux länders également ; ce que nous souhaitons savoir d'avance, ce sont les critères du contrôle, je le répète encore une fois. Un exemple de sujet de contrôle qui peut être traité est par exemple le plan d'urgence pour les cas de fièvre porcine et peste porcine. Par exemple, le contrôle va porter sur la peste porcine, on voudrait savoir premièrement comment les directives européennes en ce qui concerne cette épidémie sont mises en application à l'échelon fédéral en Allemagne ? comment vos laboratoires sont-ils préparés pour établir les diagnostics et traiter les cas correspondants ?
Ensuite, on voudrait visiter un laboratoire à l'échelon local, pour voir comment il établit les mesures de diagnostic, et nous désirons visiter deux circonscriptions avec les Offices vétérinaires sur place, pour savoir comment ils font pour éliminer ces maladies. On considère que cela, c'est un programme réaliste, tout à fait faisable ; ensuite, on transcrit les informations, les différentes institutions se préparent à fournir les informations correspondantes, les länders se préparent à fournir les informations correspondantes. Je précise encore une fois que ces missions de contrôle ont pour objet de vérifier la mise en application des directives européennes.
M. le Président : Si mes collègues n'ont plus de question, je crois qu'il n'y en a plus, je voudrais vous remercier, M. le directeur, Mesdames, Messieurs, d'avoir accepté de passer tant de temps avec nous cet après-midi et d'avoir répondu à toutes les questions que nous avons pu vous poser ; nous sommes venus pour essayer de comprendre comment cela fonctionne en Allemagne de façon que nous puissions tirer un certain nombre d'enseignements de ce qui se passe dans les pays qui nous entourent et en particulier au sein de l'Union européenne. Merci en tout cas.
M. BLASCHKE : Monsieur le Président, M. le rapporteur, j'aurais pour ma part deux questions très brèves à vous poser avant de terminer, puisque vous avez dit que vous allez établir un rapport pour le Parlement, je voudrais savoir combien de temps vous avez à votre disposition pour établir ce rapport ; quand ce rapport sera-t-il fourni ? Peut-être serait-il possible de se le procurer ensuite par les collègues de l'Ambassade ?
Deuxièmement, vous êtes venus nous rendre visite ici à Berlin, au ministère de l'Agriculture, au ministère de la Santé, j'aimerais savoir si vous comptez visiter d'autres pays, d'autres Etats membres de l'Union européenne, ou même d'autres pays européens en dehors de l'Union ?
M. le Président : Notre commission a été mise en place au mois d'octobre ; depuis le mois d'octobre, nous avons tenu des réunions au rythme de deux matinées par semaine à peu près ; nous avons donc rencontré aujourd'hui entre 150 et 200 personnes, des responsables divers, des gens représentant les différents secteurs ministériels notamment, les différentes directions des ministères, les représentants professionnels, les organisations syndicales, les représentants des consommateurs ; c'est donc un travail considérable. Notre objectif, mais le Rapporteur précisera la date, est d'essayer de rendre notre rapport courant mars probablement ; c'est-à-dire que l'objectif est sur six mois de fournir un rapport, car nous pensons que nous sommes dans un moment où il y a beaucoup de discussions sur ces questions, pas simplement en France, mais au niveau européen ; si nous pouvons nous inscrire avec le travail de notre commission, dans la réflexion notamment en France et en Europe, nous aurons également atteint le but que nous nous étions fixé ; bien entendu, le rapport sera public ; nous aurons le rapport de la commission, le rapport de synthèse, et nous publierons également toutes les contributions qui ont été faites autour de la commission d'enquête. Ce sera un document qui pourra intéresser les gens hors de nos frontières.
Nous avons eu l'occasion de recevoir en France l'Ambassadeur de Grande-Bretagne en France ; nous avons écrit à tous les Ambassadeurs des pays de l'Union européenne en France et vous êtes les seuls, je vous l'avoue, à nous avoir invités à venir dans votre pays ; nous sommes allés également à Bruxelles où nous avons rencontré plusieurs commissaires, dont en particulier le commissaire BYRNE.
M. BLASCHKE : Merci beaucoup, M. le Président, M. le Rapporteur, de cette réunion de travail ; j'espère que nous avons pu vous fournir des indications intéressantes pour votre travail ; j'espère que vous aurez encore quelques rencontres agréables ce soir ou demain.
M. le Président : Si vous en étiez d'accord, le compte rendu de notre rencontre sera publié, mais il vous sera soumis avant publication.

Déplacement à BERLIN le 3 février 2000

Entretien avec Mme NICKELS
Secrétaire d'Etat à la Santé

La rencontre débute à 10 heures 05, sous la présidence de Mme NICKELS.
Etaient présents : Mme NICKELS, M. WEISE, M. BLASCHKE, M. FERRE, Dr GUILLON, M. Daniel CHEVALLIER, M. Félix LEYZOUR, M. Patrice CARVALHO.
Mme NICKELS : Bonjour M. le Président, Mesdames et Messieurs ; je vous souhaite la bienvenue ici dans ces locaux qui représentent l'antenne du ministère fédéral de la Santé ; malheureusement, les collègues députés qui travaillent sur les questions de santé ne peuvent être présents parmi nous aujourd'hui ; cela est dû au fait que nous avons à l'heure actuelle deux semaines sans réunions dans les ministères et que deux campagnes électorales doivent être menées en même temps dans deux Länder, dans le Nord de l'Allemagne et en Rhénanie du Nord-Westphalie.
Je voudrais commencer par vous exposer les particularités des modes de travail qui concernent nos établissements. Vous savez que le déménagement du gouvernement a eu lieu, qu'il s'est installé à Berlin après avoir quitté Bonn, suite aux décisions prises au Parlement sur le choix de la capitale allemande dans les années 90. Un certain nombre de ministères restent encore en place à Bonn, ont leur siège principal à Bonn et une représentation ici à Berlin. C'est le cas de notre ministère fédéral de la Santé qui conserve son siège principal à Bonn, mais a une antenne à Berlin avec une représentation auprès du Bundestag et la possibilité pour les parlementaires de s'informer et d'avoir des contacts avec le ministère.
En tant que parlementaires, vous allez certainement poser la question de savoir comment nous pouvons tenir compte des besoins des députés ; cela demande bien sûr énormément d'efforts du point de vue organisationnel ; ici, dans notre établissement, nous avons une salle de visioconférence qui est très utilisée pour maintenir le contact entre les différents bureaux ; nous avons également instauré un régime strict, rigoureux, pour les députés, en matière d'horaires, d'organisation des réunions.
Il faut se mettre d'accord pour savoir quand les réunions de la commission sur la santé peuvent se tenir, pour organiser également les rencontres avec les fonctionnaires, ou les experts. Nous nous sommes efforcés de tenir compte des besoins des députés.
Pour le directeur de département, pour le secrétaire d'Etat en charge, cela signifie un surcroît de travail, il faut avoir quasiment son bureau dans sa valise et faire la navette sans cesse entre Bonn et Berlin, mais je pense que les équipes en place le font avec beaucoup d'engagement personnel.
J'ai bien pris connaissance des sujets que vous avez à traiter dans le cadre de votre commission d'enquête ; les points forts qui ont été indiqués correspondent exactement à nos propres centres d'intérêt. Ils entrent également dans notre compétence ; hier, vous avez eu l'occasion de rencontrer les représentants du ministère fédéral chargé de l'Agriculture et les différents sujets que vous avez énumérés sont pour nous des sujets brûlants ; je citerai tout particulièrement tout ce qui concerne la protection des consommateurs, la prévention dans le cadre de la protection des consommateurs, nous voyons là le point fort de notre activité. Nous traitons d'autres chapitres comme la transparence accrue, la traçabilité, le sujet essentiel de la protection des consommateurs par rapport aux risques liés à la maladie E.S.B., tout ce qui concerne le génie génétique, les O.G.M. ; en matière d'application de normes européennes, nous avons certainement beaucoup de points communs à discuter. Vous avez également parlé de la question des accélérateurs de croissance ; tous ces sujets sont des phénomènes qui retiennent toute notre attention.
J'ai fait part précédemment de la situation que nous connaissons ici actuellement ; c'est la raison pour laquelle je n'ai pas davantage de collaborateurs présents ici ce matin, mais vous pourrez discuter avec M. Weise, directeur du service hygiène des aliments et des biens de première nécessité ; c'est un excellent expert, avec lequel vous pourrez examiner les différents sujets.
Pour ma part, je vous prie de bien vouloir faire preuve de compréhension, j'ai une réunion demain à la Diète des Länder et mes fonctions m'obligeront à participer à cette réunion. Je vous demande de bien vouloir m'excuser si je dois vous quitter vers 11 heures, ce n'est pas par manque de courtoisie, ce sont simplement les impératifs de nos calendriers.
Je vous demanderai de bien vouloir poser les questions qui vous paraissent devoir être traitées sur place, vous aurez ensuite l'occasion de poursuivre avec M. Weise.
M. le Président : Je voudrais, au nom de la délégation, vous remercier pour votre accueil chaleureux. Votre emploi du temps étant très chargé, je ne vais pas rappeler la mission qui nous a été confiée, je pense que vous en avez eu connaissance ; ce qui était intéressant pour nous qui avons enquêté sur la sécurité et la transparence de toute la chaîne alimentaire en France et au-delà, c'était de pouvoir observer dans un pays voisin comment se passaient les choses. Nous nous sommes adressés à tous les Ambassadeurs des pays européens en France et c'est l'Ambassadeur d'Allemagne en France qui nous a invités à venir chez vous prendre connaissance de la manière dont les choses se passent. Je suis donc très heureux d'être là avec notre délégation ; M. Chevallier en est le Rapporteur.
Nous avons rencontré hier vos collègues du ministère de l'Agriculture ; il était intéressant pour nous de voir comment se répartissent les responsabilités entre le ministère de l'Agriculture et celui de la Santé chez vous, en Allemagne, car la répartition des responsabilités n'est pas tout à fait la même en France et en Allemagne. Il était donc intéressant pour nous de voir comment vous fonctionnez, d'autant plus que vous avez également une organisation spécifique entre Etat Fédéral et les Länder. Il était intéressant pour nous de découvrir comment vous fonctionnez au niveau de la gestion de l'alerte lorsqu'il y a un problème.
M. le Rapporteur : Madame la ministre, merci de participer à cet échange ; comme le disait le Président, hier, nous avons rencontré vos collègues du ministère de l'Agriculture et avons bien compris qu'eux avaient en charge tout ce qui concernait la sécurité, la transparence, la traçabilité au niveau de la production primaire, et que c'était le ministère de la Santé, votre ministère, qui avait compétence sur les produits alimentaires.
Dans ce cadre d'action, il nous intéresserait de savoir comment est organisée la veille sanitaire, la surveillance de la qualité sanitaire de la distribution au niveau de la consommation. Deuxièmement, en cas de crise, comment les mécanismes se mettent-ils en place et comment chacun joue-t-il son rôle ? Enfin, troisièmement et cela rejoint ma première question, je m'en excuse, mais du point de vue de la surveillance épidémiologique, c'est-à-dire du suivi de l'état de santé de vos concitoyens, quel est le rôle dévolu au corps médical, et comment se fait l'assemblage des informations et ensuite des décisions que vous avez à prendre ?
Mme NICKELS : Je souhaite préciser que je suis secrétaire d'Etat auprès du ministre et que M. Weise n'est pas directeur, mais son représentant pour la compétence correspondante.
Pour les deux premières questions, M. Weise pourra vous apporter une réponse ; pour le troisième point que vous avez indiqué, je voulais vous dire que nous sommes précisément en train de préparer une nouvelle loi qui est déjà passée en première lecture au Bundestag ; il s'agit de renforcer le cadre juridique de la protection contre les infections. C'est une loi qui avait déjà été préparée par le ministre en fonction auparavant, et nous, en tant qu'opposition, nous avions déjà apporté tout notre soutien à la préparation de cette loi ; ce sont de nouvelles dispositions, des amendements qui doivent permettre de rendre la loi plus facilement applicable et maniable ; le c_ur de ces nouveaux textes est d'intégrer l'Institut Robert Koch comme instance de coordination nationale et en même temps comme centre pour un réseau de l'Union européenne.
C'est une instance qui jouera un rôle très important quant à la surveillance et au monitoring ; je ne savais pas au départ que c'était un point qui était susceptible de vous intéresser, je peux mettre à votre disposition la documentation correspondante avec tous les textes, sous la forme que vous pouvez souhaiter.
Nous pensons qu'il est très important d'avoir cet échange d'informations, que cela peut être très bénéfique pour tous les pays de l'Union européenne, car on sait parfaitement que les agents pathogènes ne s'arrêtent pas aux frontières ; par ailleurs, on a pu observer ces dernières années certains phénomènes. Vu la mondialisation, la plus grande mobilité de tous les citoyens, des maladies qui apparaissaient seulement dans certaines zones et apparaissent maintenant dans notre pays ; cela fut récemment le cas de la fièvre tropicale ; on a pu constater à cette occasion que le système d'échange d'informations fonctionnait parfaitement bien ; en fait, les choses fonctionnaient déjà comme si la nouvelle législation était déjà en place.
D'autres phénomènes peuvent être observés, par exemple la résurgence de maladies que l'on croyait disparues, comme la tuberculose qui réapparaît maintenant, sous des formes plus malignes avec des agents multi-résistants. Encore une fois, il est très important à ce niveau d'avoir un système d'alerte qui fonctionne ; nous allons mieux intégrer les différentes instances des Länder, mais surtout l'importance de cet Institut Robert Koch comme instance de coordination doit être soulignée.
Monsieur Weise répondra aux autres questions ; en matière de gestion de la crise, il y a des phénomènes très importants, tout récents, que l'on peut citer ; par exemple, on avait détecté un problème de T.B.T. dans les vêtements de sport ; il y a eu également des problèmes pour les fruits de mer, cela fait partie du secteur dont M. Weise vous parlera.
M. WEISE : En ce qui concerne la surveillance en matière de santé, nous avons un système général, c'est un peu plus complexe : il y a toujours deux échelons différents qu'il faut distinguer, tout d'abord le cadre juridique, avec les dispositions correspondantes qui sont prises et ensuite, la surveillance et l'application des mesures prises.
Les questions posées par les produits alimentaires et la santé, relèvent de la compétence des Länder ; ceux-ci peuvent prendre leurs décisions de manière autonome et, pour éviter que leurs décisions soient divergentes, il est prévu qu'ils se retrouvent dans le cadre d'une alliance volontaire.
Pour les produits alimentaires, il existe un groupe de travail chargé de la surveillance des produits alimentaires, aussi bien en ce qui concerne les aspects de la médecine vétérinaire que les aspects de la chimie ; en ce qui concerne la santé, les fonctionnaires compétents se retrouvent également de manière régulière ; et, à l'échelon des ministres, il existe également des conférences des ministres de la Santé des différents Länder, qui se retrouvent pour prendre des décisions communes.
C'est un système assez complexe, plus difficile à manier peut-être que dans un état centralisé, mais cela a l'avantage de garantir une grande transparence, car les débats se font de manière publique et l'opinion publique peut prendre connaissance des différentes opinions qui peuvent être émises à tel ou tel sujet.
En ce qui concerne l'évaluation sur le plan de la santé de tel ou tel problème, nous avons pour nous aider les différents instituts qui font partie des ministères fédéraux de la Santé et de l'Agriculture. Dans le cas du T.B.T. par exemple, c'est mon organisme, le B.G.V.V. qui a été chargé de l'évaluation du risque ; quand cette évaluation du risque a été faite, les Länder peuvent prendre les mesures correspondantes. C'est un travail peut-être plus lent, avec peut-être un peu moins de réactivité, mais qui se fait de manière très approfondie quand même.
Ensuite, on pourrait naturellement imaginer d'aller plus loin et d'avoir une instance à l'échelon européen, comme pour les médicaments, par exemple, pour avoir des dispositions plus harmonisées au sein de l'Union européenne ; c'est d'ailleurs nécessaire, car tout le commerce international s'opère ; il serait vraiment intéressant d'avoir davantage d'harmonisation, d'abord à l'échelon de l'Union européenne et même peut-être à l'échelon européen.
Nous n'avons pas toujours à effectuer cette évaluation des risques lorsque nous sommes déjà confrontés à un cas donné ; heureusement, il y a d'autres cas où il existe déjà des réglementations, soit à l'échelon national, soit à celui de l'Union européenne, par exemple pour les salmonelles ; tout un dispositif de réaction existe ; cela ne se fait pas seulement à l'échelon du Länd, vous avez aussi toute une hiérarchie en place dans les Länder, avec des Offices chargés de la surveillance des produits alimentaires ; dès qu'un vérificateur se rend dans un magasin, il prend un échantillon, il constate un problème de salmonelle, par exemple, et une annonce immédiate en est faite.
D'autres agents pathogènes existent, nous avons des dispositions déjà prises à l'échelon national, mais nous n'avons pas encore d'accord à l'échelon international, un débat peut encore avoir lieu. Nous avons eu le cas pour les produits laitiers, les listerias monofongiques ; c'est un des cas où il faut poursuivre les débats et pouvoir se mettre d'accord à l'échelon international, de l'Union européenne, de même que pour les produits de la pêche par exemple. Il y a aussi des problèmes, car il n'existe pas de règlement à l'échelon européen, certains pays, dès qu'il y a des traces d'ordre plutôt qualitatif dans un produit, veulent empêcher les importations, alors que d'autres voient les choses de manière différente ; pour nous, en tant qu'institution B.G.V.V., nous essayons d'élaborer à ce moment des recommandations disant qu'il faut avoir une valeur limite, de cent par exemple pour le cas des listerias pour les produits de la pêche.
Nous avons déjà une sorte de code des produits alimentaires, que nous avons élaboré, proposé et fourni sous forme de propositions à l'Union européenne, en demandant de fixer des valeurs limites ; dans le cas des listerias, on sait que c'est un agent qui a un caractère d'ubiquité, on le retrouve partout, il y a souvent des traces d'une contamination des produits alimentaires, sans pour autant qu'il y ait de maladie déclenchée ; nous pensons qu'il y a à peu près 200 cas connus en Allemagne ; c'est une approximation, car les cas de maladie ne doivent être signalés que lorsqu'il s'agit de nouveau-nés. On n'a pas de chiffre exact, on sait qu'il y a des aliments contaminés, mais cela ne déclenche pas pour autant une maladie.
On pense désormais qu'il faut trouver une sorte de compromis, au lieu de définir des interdictions, on peut par exemple peut-être proposer de mieux informer la population ; d'un autre côté, on pense que le fait de miser sur l'information de la population n'est pas forcément non plus suffisant, il faut bien sûr informer surtout les groupes à risques, mais la population est exposée à une foule d'informations ; il n'est pas sûr que les gens arrivent très bien à percevoir ces informations.
M. le Rapporteur : Pour les maladies ayant pour origine une contamination à la listeria, j'ai bien compris que la déclaration n'est obligatoire que pour les seuls cas qui affectent les nouveau-nés ?
M. WEISE : Oui, c'est cela ; en se basant sur les ouvrages internationaux, on sait que l'on peut extrapoler, que l'on peut prendre le taux d'infection des nouveau-nés et multiplier par 5 pour avoir l'ensemble de la population ; comme on avait 40 cas chez les nouveau-nés, on a multiplié par 5 et c'est ainsi que l'on arrive à ce chiffre de 200 que j'ai indiqué.
M. le Rapporteur : Il ne s'agit pas de 200 cas de nouveau-nés ?
M. WEISE : Non, pas du tout.

J'aurais souhaité aborder deux chapitres avec vous encore, tout d'abord, celui de la participation des consommateurs et également tout ce qui concerne le suivi, le monitoring.

Pour la participation des consommateurs, dans nos établissements, au B.G.V.V., lorsque nous effectuons une évaluation du risque, nous constituons en général des groupes de travail, nous nous retrouvons entre scientifiques, consommateurs, ainsi que des représentants des entreprises ; les consommateurs ont la possibilité de formuler leurs desiderata, de dire quelles sont les options préférées. De manière générale, nous avons de bons contacts avec les organisations de consommateurs ; nous avons prévu de mettre en place un conseil des consommateurs où se retrouveraient les différentes associations de consommateurs, par exemple une fois par an ; bien sûr leurs souhaits exprimés n'auraient qu'un caractère consultatif, les consommateurs ne peuvent pas se charger du travail scientifique, mais nous pourrions quand même les consulter et mieux être informés de leurs désirs. C'est très important car, au terme du " Livre blanc " de l'Union européenne, lorsque l'on effectue la gestion du risque, lorsque l'on prend les mesures correspondantes, on ne peut pas tellement se baser sur les résultats scientifiques obtenus lors de l'évaluation du risque, on doit aussi tenir compte des besoins des consommateurs, de leurs appréhensions.
Si vous prenez par exemple le secteur " novel foot ", les O.G.M., on peut très bien affecter tel et tel produit si l'on a prouvé sur le plan scientifique que cela ne présentait pas de risque particulier, mais on sait que les consommateurs n'acceptent pas ces produits, et à ce moment, il est très important d'associer un étiquetage correspondant, de manière que les consommateurs puissent choisir en connaissance de cause.
En ce qui concerne le monitoring, nous avons depuis plus de vingt ans un centre de collecte de données au B.G.V.V., pour avoir toutes les informations voulues en ce qui concerne la teneur en substances nuisibles, en résidus nuisibles dans les produits alimentaires ; toutes ces données sont rendues publiques une fois par an, elles sont donc à votre disposition en permanence ; elles sont également maintenant publiées sur Internet.
Nous voulons également mettre en place, et cela nous paraît très important, un autre centre de saisie de données, en ce qui concerne la résistance aux antibiotiques. C'est quelque chose dont nous voulons avoir vraiment un aperçu aussi précis que possible pour différents agents.
Pour les résidus de médicaments dans les denrées alimentaires, il y a là déjà harmonisation, nous avons également une centrale qui s'occupe de ces problèmes au B.G.V.V. avec un modèle qui est déjà mis en place pour la saisie des données correspondantes.
Mme NICKELS : Vous allez avoir maintenant la possibilité de rencontrer des spécialistes du B.G.V.V., vous retrouverez là-bas les différents spécialistes des différentes compétences, vous trouverez en eux des interlocuteurs tout à fait compétents.
Nous avons établi un programme provisoire sur la base des données que vous nous avez fournies, des différents sujets que vous vouliez voir abordés, les O.G.M., la question du contrôle dans les résidus alimentaires, tout cela pourra être abordé, ainsi que la question des relations publiques, des relations avec l'O.M.S., avec peut-être des visites de laboratoires éventuellement ; si vous avez des desiderata en ce sens, vous pouvez ensuite rencontrer les experts, peut-être sous forme de table ronde, ils auront peut-être l'occasion de faire un petit exposé en introduction, et je suis sûre qu'ils pourront vous fournir toutes les informations voulues.
Je vous souhaite une agréable journée, je vous remercie, j'espère que votre fin de séjour sera très intéressante. Je vous souhaite un bon retour.
M. le Président : Je voudrais, au nom de la délégation, vous remercier d'avoir pu nous consacrer tant de temps ; comme nous avons enregistré tout ce qui a été dit ici ce matin, cela nous sera utile pour nos travaux, quand nous serons rentrés en France, si vous en étiez d'accord, nous pourrons joindre le procès-verbal de notre rencontre aux documents que nous allons publier, mais nous vous les transmettrons auparavant pour avoir votre accord sur le compte rendu, si vous acceptez que l'on procède ainsi.
Mme NICKELS : Tout à fait.

Déjeuner de travail à l'Institut Fédéral de la Santé
à BERLIN le jeudi 3 février 2000

Etaient présents : M. WEISE, Attaché de communication, Attachée agricole de l'Ambassade, Dr GUILLON, Directeur de l'Institut Fédéral de la Santé, M. Patrice CARVALHO, M. Félix LEYZOUR, M. Daniel CHEVALLIER.
M. le Président : Je n'ai pas saisi la place de votre Institut dans l'analyse et la préparation.
Attaché de communication : Nous faisons des évaluations scientifiques et une proposition au gouvernement ; s'il survient un scandale comme le T.B.T., il faut faire une réglementation, car il n'en existe pas pour cette substance. Dans ce cas, on préconise auprès du gouvernement une réglementation pour interdire d'utiliser cette substance dans les vêtements. Si le gouvernement a des questions sur la détermination d'une réglementation au niveau européen, on nous le demande et des gens comme le docteur Weise, qui sont en charge des réglementations scientifiques pour les liens européens, sont chargés de le voir. Nous travaillons aussi sur des champs définis, par exemple sur la salmonelle, ainsi que nous le faisons depuis des années. Il existe des éléments organiques comme l'étain, que l'on utilise pour le bâtiment, que l'on peut utiliser dans les vêtements. C'est une substance contre les bactéries. Nous avons une section vétérinaire et une section chimique, une grande section de toxicologie et une section qui ne s'occupe que de la chimie.
En Allemagne, les lois sur la chimie stipulent que toutes les matières chimiques ont été évaluées, nous faisons des dossiers sur des substances chimiques ; nous avons un registre et collectons tous les cas d'intoxication, etc., ceci afin d'augmenter le niveau de la sécurité des consommateurs.
M. le Président : J'ai demandé si l'institut travaillait sur les O.G.M. ; il serait intéressant que l'on puisse vous entendre là-dessus.
Attaché de communication : Nous sommes la première instance de contrôle, d'examen et de vérification ; nous avons également certaines méthodes pour trouver ces éléments dans les aliments.
Attachée agricole de l'Ambassade : Y a-t-il d'autres stations en dehors de votre institut ?
Attaché de communication : C'est la première instance de contrôle pour l'Union européenne.
M. le Président : Dans les études que vous faites, effectuez-vous des études sur l'environnement, les conséquences des plantes à O.G.M. sur les plantes environnantes ou sur l'alimentation ?
Attaché de communication : Sur l'alimentation seulement, pour l'environnement, c'est l'Office fédéral de protection de l'environnement qui s'en occupe. L'évaluation se fait en deux étapes, pour l'environnement, c'est l'institut Robert Koch qui s'en occupe ; si vous voulez faire avec cet organisme du soja, du maïs, c'est notre institut qui s'en occupe, car c'est différent des impératifs de l'environnement.
M. le Rapporteur : J'aurais volontiers posé la question suivante : avez-vous le sentiment que l'Europe de la science, de la recherche, est en train de se faire ? Lorsque l'on voit vos installations et celles du C.N.E.V.A. à Paris, le Centre National d'Etudes Vétérinaires, on a à première vue l'impression que ce sont des recherches à peu près identiques et parallèles, et comme tout parallèle, cela ne se rejoint pas.
Attaché de communication : C'est exactement le problème. Si l'on est au niveau scientifique de l'Europe, pour établir la sécurité de l'alimentation par exemple, il existe des commissions, des comités, mais la recherche elle-même est faite parallèlement dans tous les endroits ; par exemple, à Londres, la M.A.F., etc. Sur l'E.S.B., nous avons une spécialisation surtout en Grande-Bretagne. Au plan scientifique, on travaille beaucoup en Grande-Bretagne et en Allemagne. Un Office fédéral de Tubing s'occupe de la recherche fondamentale sur l'E.S.B.
M. le Rapporteur : Au niveau des congrès, est-ce qu'au travers des publications scientifiques, des congrès de chercheurs, vous arrivez à vous rencontrer suffisamment souvent néanmoins pour être au courant les uns les autres de vos recherches respectives ?
M. WEISE : Le problème existe effectivement. Souvent, des études sont faites ici, concernant des problèmes qui se posent à l'échelon national, puis on s'aperçoit que les problèmes se présentent également à l'échelon international ; une chance s'offre à nous, c'est que les projets financés par l'Union européenne doivent être à orientation internationale, cela permet d'aborder les choses dans cette optique internationale. Des projets sont définis avec des coopérations en France, en Allemagne et vice versa ; sur les médicaments vétérinaires, par exemple, des projets sont définis ; sur les laboratoires de référence, pour certains produits alimentaires, il existe également des coopérations ; chaque pays de l'Union européenne doit avoir son propre laboratoire de référence pour un produit donné, par exemple pour le lait ; vous avez ensuite un laboratoire commun à l'échelon de l'Union européenne, qui coordonne le travail entre les différents laboratoires de référence ; pour les analyses de lait, il existe ce laboratoire européen situé à Paris, cela permet de se rencontrer ; on se retrouve soit à Paris, soit à Bruxelles pour évoquer les développements futurs et les projets.
M. le Rapporteur : Comment se fait-il que sur l'E.S.B., on n'arrive pas à dégager une position qui soit commune, vu ce type de collaborations et d'échanges scientifiques ?
M. WEISE : Je ne peux pas vraiment me l'expliquer justement ; nous en avons discuté de manière intensive à la commission permanente vétérinaire où les experts se rencontrent régulièrement ; le comité vétérinaire scientifique auprès de la commission se retrouve régulièrement avec les experts ; ils ont précisément discuté de ce problème et constaté que si la Grande-Bretagne appliquait vraiment strictement les réglementations, il n'y avait pas de risque à encourir ; naturellement, les détails prennent un caractère diabolique. La question est toujours de savoir si l'on peut vraiment vérifier, contrôler qu'un pays s'en tient aux réglementations ; peut-on vraiment exclure que des viandes contaminées arrivent dans l'alimentation ?
M. le Rapporteur : Si l'on ne maîtrise pas la transmission et la connaissance de ces maladies, on en revient au principe de précaution, bien entendu ; quelle utilisation faire du principe de précaution si on ne l'applique pas à son cas particulier ? C'est actuellement la position française, disant : nous n'avons pas encore suffisamment d'information et demandons l'application du principe de précaution. C'est comme sur les O.G.M., où beaucoup de scientifiques se sont prononcés sans qu'il y ait unicité de points de vue ; il y a donc une forte demande au niveau de certains élus ou concitoyens sceptiques, pour dire : " attention au principe de précaution " également.
Dr GUILLON : Je précise qu'il faut distinguer deux groupes de scientifiques : le comité scientifique directeur, qui n'est pas composé de véritables spécialistes des maladies à prions, et le groupe ad hoc, qui était composé de spécialistes des maladies à prions, où il y avait des avis divergents : une partie des experts a estimé qu'il subsistait un risque et n'était pas d'accord avec la position du comité scientifique européen ; je voudrais préciser que certains scientifiques allemands rejoignent la position française comme le professeur Crimhmar, qui s'est exprimé dans la presse, qui dit comprendre tout à fait l'avis exprimé par l'A.S.A.V. Je crois qu'il est professeur de neurobiologie à Goettingen.
M. WEISE : Il n'y a pas de risque zéro ; sur le continent européen, il reste quelques cas individuels comme le Portugal.
Attaché de communication : A partir du moment où cela existe dans le cheptel, au bout d'un an ou deux ans, la vache a des veaux, on ne peut le justifier sur un ou deux cas.
Dr GUILLON : En France, si l'on a un cas dans un troupeau, tout le troupeau est éliminé.
Attaché de communication : A quel âge est-il possible de constater les symptômes ? Elle peut déjà avoir eu des veaux, plusieurs fois, la vache contaminée ; sur le veau, la maladie n'est pas visible.
Dr GUILLON : Les descendants sont aussi éliminés en France.
Attaché de communication : On pourrait avoir vendu la viande avant que la maladie ne soit visible.
Dr GUILLON : C'est valable en Angleterre, et l'on trouve plus de 2 000 cas.
Attaché de communication : La sécurité à risque zéro n'existe pas, peut-être en Allemagne ?
Attachée agricole de l'Ambassade : Etes-vous sûr que vous n'avez pas de cas ?
Attaché de communication : Nous ne sommes pas sûrs, mais les cas que nous avions étaient des cas importés, aucun cas ne venait du cheptel national. C'est la différence.
M. le Président : C'est toujours très difficile, peut-être que ces choses, avant même que l'on ait connu la maladie, existaient.
Attaché de communication : On ne sait jamais.
M. le Président : Peut-on considérer que l'Allemagne est totalement indemne ?
Attaché de communication : On ne pourra jamais dire cela. Il existe toujours un facteur de risque plus ou moins important. Le risque zéro n'existe pas.
M. Patrice CARVALHO : Qui assume la responsabilité ? Sur les O.G.M., vous avez des scientifiques qui sont opposés, d'autres qui sont favorables. Vous dites que le risque zéro n'existe pas, que l'on prend le risque de le faire. Mais s'il y a un incident, que des gens meurent du cancer ensuite, qui assume ? Les scientifiques ? Les politiques ?
Attaché de communication : Dans notre Institut, nous avons des problèmes avec ces questions sur les équipements de sécurité ; nous allons essayer quelque chose de nouveau, d'en discuter avec des groupes de consommateurs, pour savoir si le risque est acceptable ou non acceptable. Il y a une dégradation peut-être possible, la société peut accepter le risque, ou ne pas l'accepter.
M. Patrice CARVALHO : Comment voulez-vous que l'on accepte un risque ? Personne n'accepte un risque.
Attaché de communication : L'automobile, la conduite est un risque très grand.
M. Patrice CARVALHO : Cela n'a rien à voir.
Attaché de communication : On l'accepte. C'est autre chose avec l'alimentation, mais on l'accepte aussi. La question est de savoir comment notre société peut trouver des moyens d'évaluation et d'acceptation du risque. C'est la question, je suis d'accord avec vous.
M. Patrice CARVALHO : S'il y a une véritable information, que vous vendez du pain dont les graines ont été modifiées génétiquement et de l'autre côté un pain où rien n'a été fait, vous allez dire dans le magasin que ce pain a été génétiquement modifié, que l'on peut avoir le cancer dans dix ans peut-être ou que vous ne l'aurez pas, on l'écrit sur de petites étiquettes, personne ne les lit, on sait pourquoi on le fait ainsi, c'est en terme de rentabilité ; on prend des risques et c'est grave comme situation.
Attaché de communication : Tout à fait.
M. le Rapporteur : Quand il y a incertitude, vous avez deux solutions : soit, c'est le pouvoir politique qui en définitive a la décision et qui dit qu'il refuse, en raison du principe de précaution. Soit le pouvoir politique est indécis et il renvoie la décision au niveau du consommateur. Ce que j'entends de plus en plus, en Allemagne, en France, en Angleterre et en Europe, c'est que l'on a tendance à faire ce choix dans cette situation d'incertitude, on a tendance à renvoyer la balle dans le camp des consommateurs, en disant " on va faire une information et c'est le consommateur qui choisira en définitive ". Cela ne me semble pas très normal ; c'est un constat, pas une critique.
Attaché de communication : Ce problème existe, il faut d'un côté faire toute la recherche scientifique, définir les risques, exclure les risques ; pour les risques qui subsistent, il faut un consensus du public, informer, écrire que cela contient des O.G.M. En Allemagne, vous ne pourriez pas vendre des choses où cela serait inscrit.
M. le Président : Mais on les vendrait sans problème si ce n'était pas marqué.
Attaché de communication : On peut vendre des produits génétiquement manipulés en Allemagne sans étiquetage correspondant.
(Les avis des experts sont partagés et s'expriment en même temps)
M. WEISE : On est obligé de déclarer la manipulation génétique seulement si elle est prouvable. S'il y a une différence entre les O.G.M. et le produit manipulé, si vous avez des sucres manipulés, les cristaux de sucre auxquels on arrive par extraction sont exactement les mêmes que les cristaux non manipulés, on ne peut le prouver scientifiquement sur le produit final, il pourra être dans le commerce sans que le consommateur puisse faire la différence.
Le soja et le maïs font l'objet de déclarations obligatoires, le consommateur a refusé ces produits, et les produits ont été retirés du marché.
Attachée agricole de l'Ambassade : Même s'ils sont autorisés, ils sont retirés ?
M. le Rapporteur : Quand vous avez de la saccharose, de la vitamine C, quel que soit le process de synthèse, pourvu que ce soit purifié, on a une molécule obtenue par O.G.M., par voie de synthèse ou par extraction au niveau de l'orange, on a une molécule déterminée, dont on a vérifié l'identité, mais quand on est dans une préparation comme le pain, des graines, un broyage de l'organisme génétiquement modifié, on ne sait plus ce que l'on fait. Il faudrait faire des recherches pour savoir effectivement ce qu'il en est, il faut bien faire la séparation entre l'utilisation de molécules obtenues par génie génétique et d'organismes génétiquement modifiés, qui sont introduits dans le processus de fabrication.
Attaché de communication : Même dans les produits où est apporté un complément, un additif sous forme de sous-produit d'une denrée qui a été modifiée génétiquement, vous avez l'A.D.N., on fait l'analyse, on arrive à extraire exactement, quand on a cette présence, il y a déclaration obligatoire ; c'est ce problème de preuve scientifique à apporter de la présence de manipulations génétiques qui pose question.
Dr GUILLON : A partir de quand ? Un pour cent ? Un demi pour cent ? C'est le problème.
M. le Rapporteur : Sur le problème du seuil, de deux choses l'une : ou bien les O.G.M. sont dangereux, et c'est zéro, ou bien ils ne sont pas dangereux et c'est 100 %. Je ne sais quelle est votre position ?
M. WEISE : On part du principe qu'un produit est non dangereux dans l'avancement actuel de la science, la déclaration est fournie pour le consommateur qui n'a pas confiance dans l'état actuel de la science, son expertise et son savoir-faire, pour être informé. Ici, on parle de la juridiction dans l'Union européenne qui est harmonisée. On peut voir ensuite comment faire évoluer le droit européen.
M. le Rapporteur : Le protocole de Montréal adopté voici une semaine laisse la liberté à chacun des pays de définir lui-même sa position par rapport à l'utilisation des O.G.M. ; il n'y a donc pas unicité et accord sur les analyses par tous les scientifiques.
M. WEISE : Bien sûr, il y a aussi tout ce qui concerne le libre échange entre les différents Etats membres, et l'Union européenne, il y a la liberté de commerce, il n'y a pas de contrôle aux frontières, il n'est pas possible de savoir ce qui entre et de faire les vérifications sur les produits des autres pays.
M. le Rapporteur : Ont-ils la conviction eux-mêmes que ce que nous avons mangé aujourd'hui était déjà à base d'O.G.M. ?
M. WEISE : On ne peut jamais être sûr ; on a parlé ce matin d'éventuelles contaminations avec Mme Nickels, par exemple, la diffusion sur les champs quand il s'agit d'O.G.M., pour les végétaux, vous ne pouvez pas empêcher que cela passe d'un champ à l'autre.
M. le Rapporteur : Sur ce point, en France, il y a deux commissions, la commission de génie biomoléculaire et la commission de génie génétique. Ces deux commissions délivrent des autorisations pour des expériences en plein champ. En Allemagne, qui délivre les autorisations pour les expérimentations en plein champ ?
Attaché de communication : C'est l'institut Robert Koch, ils ont cette notion de diffusion dans l'environnement, et nous, nous nous occupons seulement de la partie qui concerne les denrées alimentaires qui sont commercialisées. C'est donc l'institut Robert Koch.
Dr GUILLON : Pour les cultures expérimentales ?
M. WEISE : C'est un institut qui fait partie du ministère de la santé, qui en relève. Jusqu'en 1994, il y avait encore l'Office fédéral de la santé qui a été éclaté en différents instituts, l'un pour les médicaments, un institut spécial pour la médecine humaine donc, l'institut Robert Koch pour les maladies de l'être humain infectieuses et non infectieuses, et l'institut où vous vous trouvez, le B.G.V.V. pour la question de la protection des consommateurs, y compris les denrées alimentaires, mais pas seulement, les produits textiles pour l'habillement et toutes les substances qui sont en contact avec les produits alimentaires, les couverts, les assiettes, les produits cosmétiques, les produits de protection phytosanitaire, et les produits chimiques de l'environnement, tous les produits chimiques.
M. le Rapporteur : Pour les expérimentations avec les O.G.M., est-ce que les länders peuvent s'opposer à ces expérimentations ?
M. WEISE : vous voulez dire les Etats fédérés ? je ne pense pas qu'ils puissent s'y opposer. La législation sur le génie génétique et l'ordonnance sur le " novel foot " à l'échelon européen ont un inconvénient majeur à nos yeux, si je prends les médicaments, l'enregistrement des médicaments, c'est la société qui produit le médicament qui doit apporter elle-même les justificatifs et pour les denrées alimentaires, ce n'est pas le cas, le producteur n'a pas à apporter ces preuves lui-même ; l'inconvénient est que l'on ne peut élaborer de procédure d'analyse que lorsque le produit est déjà sur le marché ; les examens de biologie moléculaire où l'on trouve la preuve de l'A.D.N. présupposent que l'A.D.N. transformé est déjà là. Si l'on n'est pas en présence de l'A.D.N. correspondant, on ne peut apporter la preuve ; nous demandons aux instances européennes de mettre en place ce principe également par analogie aux produits pharmaceutiques, que ce soit le producteur qui fournisse les justificatifs également.
M. le Président : Aujourd'hui, on semble s'accorder sur le fait qu'il y a d'une part l'évaluation des risques par les experts et ensuite la gestion des risques par les politiques ; on s'oriente en Europe vers la création d'une autorité qui jouerait au niveau de l'Europe le rôle que joue la F.S.A. en France. Il faudra créer le comité des experts qui joue un rôle très important ; la question souvent posée est : qu'est-ce qu'un expert ? Comment les choisir ?
M. WEISE : C'est une difficulté, nous avons dit dans le Livre blanc que nous souhaitions avoir ce type d'instance à l'échelon européen et demander à très court terme aux Etats membres de faire les propositions correspondantes d'ici le 20 avril de cette année. En Allemagne, jusqu'au 20 février, nous devons remettre notre position au ministère de la Santé, fournir notre prise de position ; fondamentalement, nous sommes assez en faveur de la création d'une telle instance européenne, car nous aurons à ce moment une évaluation des risques à l'échelon européen, sans que les différents pays fassent valoir leur intérêt particulier. Pour garantir l'autonomie de cette institution, cela ne devrait pas être à elle de s'occuper de la gestion du risque, qui devrait rester à l'autorité des différents Etats.
M. le Président : Commission ou Etat ?
M. WEISE : Aussi bien la commission que les Etats.
M. le Président : La question est très importante ; nous sommes allés à Bruxelles, nous avons rencontré les commissaires et en particulier le commissaire BYRNE ; la discussion globalement portait sur cet aspect des choses. Il y aura deux types de problèmes avec la création de l'autorité au niveau européen, cela ne veut pas dire que les autorités ou agences que nous avons dans nos propres pays vont disparaître ; il faudra trouver comment elles vont articuler leur réflexion. Et ensuite, il y aura l'articulation pour la gestion des risques également.
M. WEISE : Nous souhaitons également que les différents pays puissent conserver leurs instances nationales, car à l'échelon régional, il peut y avoir des points forts qui diffèrent. Il y a toute une gamme de produits, comme la charcuterie, chez vous, c'est le fromage, pour les pays scandinaves, cela ne les intéresse pas, car ils pasteurisent tout.
M. le Président : Nous avons le souci d'aller toujours vers la plus grande sécurité au point de vue sanitaire et conserver la diversité des produits en même temps, qui font la richesse de toutes nos productions.
M. WEISE : Il faudra veiller à améliorer l'information des consommateurs, nous ne sommes pas encore très satisfaits de ce que nous faisons ; de temps en temps, nous communiquons par le biais de communiqués de presse, nous sommes en train de mettre en place une page d'accueil sur Internet, mais la meilleure partie de la population ne connaît pas du tout notre Institut.
M. le Président : Si demain se crée une autorité européenne, elle va se créer, avez-vous une idée de la manière dont vous, en tant qu'institut, vous allez travailler en liaison avec cette autorité ? Sur quels aspects des problèmes pourriez-vous apporter votre contribution ?
M. WEISE : Une telle agence européenne ne va pas fournir un travail de ce genre, ce sera une évaluation surtout des produits sur la base des différentes expériences faites dans les pays. On peut imaginer aussi sur le même modèle, pour les produits pharmaceutiques, que des scientifiques soient délégués et travaillent pour un certain temps dans un pays donné, et avoir une sorte de coordination du travail des différents scientifiques effectué dans les pays membres.
M. le Président : La France et l'Allemagne ont des terrains sur lesquels les deux pays peuvent se retrouver demain, pour faire avancer au niveau européen les questions de la sécurité alimentaire ?
M. WEISE : Oui.
M. le Rapporteur : Avez-vous organisé des conférences de citoyens sur un sujet d'actualité ou de société ?
M. WEISE : Je disais ce matin que lors des réunions d'experts qui sont organisées, nous essayons de faire participer également les consommateurs. Nous voulons avoir davantage de proximité par rapport aux consommateurs en créant ce que nous appellerions un " conseil des consommateurs " ; les consommateurs auront un rôle consultatif ; ils pourront nous conseiller, exprimer leurs desiderata.
M. le Président : Une fois par an ?
M. WEISE : Ce n'est pas encore défini ; une fois que le conseil des consommateurs se sera mis en place, ils peuvent se rencontrer également en dehors.
M. le Président : Pensez-vous que dans les comités d'experts appelés à évaluer le risque, il y a nécessité d'avoir une diversité au niveau des spécialités, pour que les experts puissent également s'interpeller les uns et les autres ? N'y a-t-il pas une dimension culturelle également à l'appréciation du risque ?
M. WEISE : Je n'ai pas bien réfléchi à cette question.
Attaché de communication : Il y a un projet dans notre Institut qui s'occupe de plans de communication des risques, c'est-à-dire la perception des risques des différentes sociétés, celle des scientifiques est tout à fait différente de celle du consommateur ; en ces cas, il faut faire une communication des risques, c'est ce que je voulais dire, trouver un niveau où tout le monde accepte ou n'accepte pas ; mais nous avons le sentiment que cette expertise de l'évaluation du risque est un nouveau travail à faire dans un institut scientifique comme le nôtre. Il y a des moments où les experts sont contre nous, on dit qu'il y a risque ou pas, qu'il faut l'accepter ou pas, mais dans l'état des médias actuels, cela ne va plus.
Attachée agricole de l'Ambassade : Le consommateur exige davantage d'information.
M. WEISE : Au niveau de l'évaluation du risque, il n'y a pas tellement de différence, il est bon d'avoir des représentants des différentes disciplines, il faudra des toxicologues, des vétérinaires, des chimistes, etc., mais les avis ne devraient pas différer fortement. Il faut tenir compte des différences qu'il peut y avoir au niveau des habitudes alimentaires et des technologies utilisées. Le steak ou le steak haché en Allemagne, c'est cuit et recuit. Aux Etats-Unis, c'est mangé presque cru ; il y a des différences et des incidences pour les colibactéries, etc.
M. le Président : Est-ce que les personnes que nous avons vues peuvent apporter des points de vue qui compléteraient ce que nous avons dit ici ?
M. WEISE : Vous pouvez visiter un laboratoire dans l'institut sur place.
M. le Rapporteur : Une simple question complémentaire, M. le Président, on insiste beaucoup en France sur le fait que l'A.F.S.S.A. est un organisme indépendant, le gouvernement le répète tous les jours, le Parlement ne manque pas de dire la même chose. Est-ce que votre institut, au regard de votre législation, revendique le même statut ?
Attaché de communication : Au terme de la loi, nous sommes indépendants et autonomes sur ce qui concerne notre expertise sur le plan scientifique. Nous pouvons nous exprimer concernant les résultats scientifiques obtenus de manière libre, si nous pensons qu'il y a un risque, que le gouvernement ait une opinion différente, nous sommes parfaitement libres de donner notre point de vue, mais cela existe depuis la création, depuis 1994 ; nous sommes libres aussi de nous adresser à la presse sans avoir à fournir auparavant les informations au ministère et présenter d'avance les résultats que nous allons donner ; bien sûr, des conflits surgissent sur l'évaluation des hormones dans la viande, ce sont deux choses si l'on veut apprécier cela politiquement, ou pas et scientifiquement ou pas ; il y a ou non danger selon ces appréciations. Ce sont deux voies différentes de vision des mêmes choses, à ce moment, il peut y avoir des tensions.
Attachée agricole de l'Ambassade : Que disent les scientifiques ?
Attaché de communication : On dira qu'il n'y a aucun problème du point de vue de la santé ; il y a autre chose au point de vue de l'agriculture, de l'économie, etc. C'est quelquefois peut-être un peu difficile. Sur l'E.S.B., il existait des problèmes dans l'ancien gouvernement fédéral, une pression très forte exercée ; notre président de l'époque à l'institut avait avec beaucoup de fermeté défendu sa position en Allemagne ; on disait qu'il y avait un problème de ce point de vue, mais une pression politique s'est exercée en provenance de Grande-Bretagne, et en ce cas, il faut tenir bon.
Dr GUILLON : A l'époque, vous pensiez qu'il y avait un risque au niveau scientifique sur l'E.S.B., et maintenant ?
Attaché de communication : Voyez M. Weise, je ne suis pas l'expert.
M. WEISE : Ma position personnelle est de dire qu'il aurait été bon d'attendre un peu avant de mettre fin à l'interdiction d'importer, voir que la situation se stabilise en Grande Bretagne ; c'est mon opinion personnelle. Les deux commissions européennes ont exprimé une opinion différente et ont dit que si toutes les conditions étaient bien remplies en Grande-Bretagne, il n'existait pratiquement pas de risque. Il y a tout un ensemble de mesures à mettre en place pour les animaux qui sont ensuite exportés ; on ne peut les exporter que si l'on connaît leurs parents, si leurs parents sont encore vivants, ce sont de jeunes animaux qui ont au maximum deux ans et demi, ensuite, il faut savoir que ce sont des troupeaux qui n'ont pas été contaminés par l'E.S.B., pour la viande elle-même il doit y avoir déclaration correspondante ; dans cette situation, on avait le sentiment de ne pouvoir s'opposer, mais je pense qu'il y a un problème au niveau de ces déclarations, que des lacunes apparaissent, l'étiquetage doit être fait de la viande jusqu'à l'arrivée au consommateur, mais il y a une échappatoire si la viande est transportée aux Pays-Bas et transformée là-bas et revient des Pays-Bas en Allemagne car il n'y a plus d'obligation de déclaration ; c'est à nos yeux une lacune.
Dr GUILLON : La condition de viande indemne c'était pour l'Irlande du Nord, pas pour la Grande-Bretagne. Le système D.B.E.S. ne prévoit pas que le veau est indemne, mais le système V.H.S. le prévoit. On doit remonter 8 ans en arrière et les troupeaux doivent être indemnes 8 ans pour l'Irlande du Nord, mais ce n'est pas le cas pour l'Angleterre, ce n'est pas possible, un troupeau sur deux étant atteint.
Attaché de communication : Pour les vaches laitières.
Dr GUILLON : Un troupeau sur deux a eu un cas ou plusieurs cas.
M. le Président : Si j'ai bien compris votre approche de ce que l'on appelle : principe de précaution, cela va dans le sens de ce que nous disions, dans la mesure où l'on est dans le domaine de l'incertain, il faut gérer le risque en prenant la bonne décision ; dans le secteur évaluation du risque, on a toujours certaines prémisses, on part du principe que les différentes réglementations vont être appliquées ; d'un autre côté, après, au niveau de la gestion du risque, c'est différent, on sait que certaines réglementations soit ne seront pas observées, soit ne sont pas contrôlables, ou bien il existe des lacunes au niveau de la déclaration, et même si tout est bien couvert, que l'on a un maximum de sécurité, il se peut quand même que le consommateur refuse le produit correspondant. D'autres facteurs entrent en ligne de compte, indépendamment de cela, vous avez les clauses du commerce international, de ne pas avoir d'entrave dans les échanges, la Grande-Bretagne est toujours à la périphérie de l'Europe, on essaie de ne pas les exclure ; il y a des résistances, mais ce n'est plus de notre domaine, cela fait partie de la législation du risque qui n'est plus de notre ressort.
Vous avez l'évaluation d'une part, et la gestion politique d'autre part.
Attaché de communication : IL faut toujours bien faire valoir ce principe de prévention ou précaution vis à vis du consommateur et arriver à exclure autant que faire se peut tous les risques ; nous avons l'exemple du T.B.T., dans les textiles, qui est d'actualité ; c'est très difficile, car vu les quantités en présence, on peut dire que le risque pour la santé est très faible ; mais d'un autre côté, on part du principe que ce genre de substance ne doit pas se retrouver dans les textiles utilisés par les êtres humains et ne doit pas être répandu dans l'atmosphère ; vous avez un problème psychologique dès que l'on parle de certains risques ; il y a une hystérie dans la population, ceci étant renforcé et relayé par les médias. C'est toujours très difficile : d'un côté, vous ne devez pas inquiéter les consommateurs et d'un autre côté, vous avez intérêt à ce que la substance correspondante soit interdite ; c'est un problème au niveau de la communication, c'est à la fois la gestion du risque et la communication sur le risque.
M. le Rapporteur : Une question à la charnière des problèmes de santé et de diplomatie, qui rejoint la question de M. le Président et les préoccupations que le Rapporteur devra émettre dans son rapport : il s'agit des rapports entre l'autorité européenne future et les agences ; si j'ai bien compris, vous êtes favorable au maintien des agences nationales et l'autorité internationale, européenne, sera une autorité d'appel, qui prendra en tout état de cause une décision en dernier ressort.
M. WEISE : Un jugement rendu, une opinion exprimée par une telle instance européenne, je pense, aurait un poids particulier ; nous l'avons constaté à l'échelon national quand nous étions opposés à certains résultats et conclusions des experts internationaux scientifiques de la commission ; il était très difficile d'aller à l'encontre de leur avis ; on part du principe qu'un organe constitué d'experts internationaux a toujours plus de poids et est davantage pris en considération qu'une instance nationale.
En ce qui concerne cette future administration européenne, elle ferait bien de se servir du know how, du savoir-faire, de l'expertise qui existent dans les différents pays. Si j'ai bien compris le projet, il est prévu de créer un réseau et d'intégrer les instances régionales, de coopérer avec les différentes institutions régionales. Cela me paraît intéressant, car pour autant que je sache, cette institution européenne ne prévoit pas de faire du travail, elle devra faire appel aux résultats obtenus dans les différents pays. Si l'on prend le fromage à base de lait brut, on pourra demander aux Français ce qu'ils ont comme résultats ; pour le poisson, ce sera la Scandinavie, ou que sais-je !
M. le Président : Sur la question de M. Chevallier, pensez-vous que cette autorité interviendra en appel ou au départ pour définir la règle ? Il y a là une très grande question ; en tout cas, nous, dans le processus qui est en cours à l'heure actuelle, nous voudrions également inscrire les réflexions que nous allons dégager de notre rapport, pour apporter une contribution à la préparation de tout cela ; on ne sait pas aujourd'hui comment les choses vont se faire, mais nous voudrions nous inscrire dans cette démarche.
(Arrivée des deux experts de l'Institut attendus : 14 heures 55)
M. WEISE : Voici les docteurs Bron et Helmut ; le docteur Bron s'occupe de l'autorisation des produits novel foot et pourrait vous parler de toute la procédure. M. Helmut s'occupe des salmonelles et des résistances aux antibiotiques.
M. le Rapporteur : Etes-vous pour ou contre l'introduction d'O.G.M. dans l'alimentation ?
M. BRON : Ce n'est pas une question d'être pour ou contre au départ, en tant que position, il faut des critères objectifs et essayer d'évaluer les choses pour ce qui concerne le secteur novel foot. Si nous-mêmes et nos collègues européens sont d'avis que les denrées alimentaires comprenant des O.G.M. sont aussi sûres que les produits conventionnels, il faudra les autoriser sur le marché, mais si nous pensons qu'il n'y a pas le même degré de sécurité par rapport à des produits conventionnels, ils ne seront pas autorisés.
M. le Rapporteur : En l'état actuel des connaissances, c'est oui ou c'est non ?
M. BRON : Ma conviction personnelle est que les denrées alimentaires comprenant les O.G.M. qui à l'heure actuelle sont autorisées sur le marché sont tout aussi sûres que des produits conventionnels.
M. WEISE : C'est convaincant.
M. BRON : J'ajouterai qu'il n'y aura jamais d'autorisation de fournie pour tout un ensemble, un groupe de produits ; on analysera toujours dans un cas donné un produit donné, si ce produit donné est aussi sûr que le produit conventionnel, il sera autorisé, mais on ne donnera jamais une autorisation pour tout un ensemble.
M. le Rapporteur : Les inconvénients de l'ingestion de produits renfermant des O.G.M., on peut penser que les résultats ne se produiront que dans 5 ans, 10 ans, 15 ans, avez-vous aujourd'hui la certitude, la garantie que pour les 15 ans à venir, après avoir mangé des O.M.G., je ne risque rien ?
M. BRON : Il faut dire qu'à l'heure actuelle, en ce qui concerne les denrées alimentaires à base d'O.G.M., nous avons une autorisation qui est fournie quand les O.G.M. sont parfaitement bien caractérisés. Ce sont des produits qui se distinguent du produit conventionnel analogue par une seule propriété ou caractéristique, bien déterminée. Le producteur qui va déposer son dossier et demander l'autorisation devra fournir tous les documents par rapport à cette propriété ; nous avons là quelque chose de bien cerné, que nous pouvons juger ; on agit bien sûr en fonction de l'état d'avancement actuel des connaissances ; il n'y a pas par ailleurs de denrée alimentaire qui intrinsèquement soit absolument sûre. On sait que dans l'historique de certains produits, cela ne pose pas de problème, mais il n'y a pas de produit totalement sûr en soi. Un produit qui a été admis sur le marché a la même sécurité qu'un produit analogue conventionnel.

M. HELMUT : Je voulais ajouter, pour lier les deux choses, que je suis parfaitement d'accord pour dire qu'il faut toujours qu'il y ait des analyses ou des examens de faits au cas par cas, avant de pouvoir admettre tel et tel produit sur le marché, mais par ailleurs, nous disons que nous pensons que les gènes qui peuvent favoriser la résistance aux antibiotiques n'ont rien à faire dans les denrées alimentaires ; voici peu de temps, j'ai eu le plaisir de me rendre à Paris, à l'Institut Pasteur, il y a eu une conférence, un groupe de chercheurs européens fonctionne là-bas, sous présidence française, qui a indiqué que ces gènes favorisant la résistance aux antibiotiques ne devaient pas être utilisés dans les denrées alimentaires, que l'on devait les introduire le moins possible. Des points communs se dégagent, et il y a d'ores et déjà des positions européennes que l'on peut rencontrer sur certains sujets.

M. le Rapporteur : Avez-vous un programme de recherche sur les effets éventuellement néfastes de l'Aspartam ?
Attaché de communication : Cela existe, mais nous n'avons pas de programme de recherche.
M. le Président : Nous allons être obligés de vous quitter, car nous avons notre avion à prendre ; il aurait été intéressant de poursuivre l'échange, le débat entre les scientifiques que vous êtes ; on n'a jamais terminé. Nous sommes une commission d'enquête parlementaire, vous avez accepté que l'on vienne dans votre pays pour échanger avec différentes instances, nous sommes très heureux d'avoir pu vous rencontrer, et vous entendre ; je voudrais quand même vous informer que si vous n'y voyez pas d'inconvénient, nous avons l'intention de rendre publiques dans le dossier que nous allons établir les différentes auditions que nous avons pu avoir ici et là ; si vous en étiez d'accord, nous pourrions vous transmettre le compte rendu qui sera fait et si vous pensez que cela peut être joint au dossier que nous allons établir, ce serait bien ; nous vous adresserons d'ailleurs le dossier tel qu'il résulte de toutes les auditions que nous avons eues en France et au niveau de la commission européenne ; c'est un document de travail et de réflexion.
M. WEISE : Nous voulons vous remercier de votre visite, nous regrettons de ne pas avoir pu vous montrer notre bel institut.

III.- L'Union européenne

Entretiens à Bruxelles avec MM. les Commissaires européens
Barnier, Byrne, Fischler et Lamy,

Entretien avec M. Michel BARNIER
Commissaire chargé des affaires institutionnelles

(Mardi 11 janvier 2000)
M. Michel BARNIER : Avant de débuter notre entretien, je voudrais rappeler que je suis le seul commissaire que vous rencontrez aujourd'hui à n'être pas directement concerné par les dossiers que vous traitez, même si la Commission dans son ensemble est concernée puisqu'elle va approuver le " Livre blanc " demain.
Je sais que vous rencontrerez MM. David Byrne et Pascal Lamy, mais vous ne rencontrerez pas M. Likkanen qui est également concerné avec M. Fischler aux côtés de M. David Byrne qui a en charge ce dossier.
Je n'entrerai pas dans les détails de ce " Livre blanc ". La méthode des " Livre blanc " a été initiée par Jacques Delors en vue de publier, sous l'autorité de la Commission, des documents d'analyse et de réflexion ouvrant le débat.
En réalité, même s'il introduit des perspectives de législation européenne ou de réglementation, ce " Livre blanc " va susciter un débat pendant une assez longue période.
C'est une initiative à laquelle M. Prodi tient beaucoup. Il faut rappeler que M. Prodi a annoncé le projet de création d'une autorité européenne de l'alimentation et de la sécurité alimentaire dans son discours d'investiture devant le Parlement européen.
La philosophie générale du " Livre blanc " consiste à poser les problèmes et à imaginer la mise en réseau de toutes les structures nationales.
Partant d'un principe que j'avais déjà identifié lorsque j'étais au Gouvernement en tant qu'élu français, je trouve personnellement assez paradoxal que, dans un marché où les produits et les hommes circulent librement - c'est la philosophie même du marché unique - les contrôles si essentiels de l'alimentation et de l'hygiène publique ne soient pas coordonnés ou harmonisés.
En tant que président d'un Conseil général, j'ai été longtemps responsable de la prophylaxie contre les maladies des animaux, dont la brucellose. Quand la question de la " vache folle " a explosé, nous nous sommes aperçus que nous avions quinze systèmes de contrôle vétérinaires différents, alors que les produits alimentaires et notamment la viande, circulaient sous certaines conditions en Europe et que nous étions contents d'acheter et de vendre.
En ce qui concerne la coordination et l'harmonisation des contrôles, il ne s'agit pas de se substituer aux structures ou aux autorités nationales, mais bien plutôt de les mettre en réseau, de les coordonner. L'objectif n'est pas de créer une structure identique à l'agence Américaine (F.D.A.) qui compte quelque 12 000 fonctionnaires, c'est-à-dire approximativement l'effectif de la Commission européenne.
M. le Rapporteur : C'est relativement peu ! La D.G.A.L. compte 4 000 fonctionnaires avec ses services extérieurs et la D.G.C.C.R.F. en compte 5 500, même s'ils ne travaillent pas tous sur l'alimentation.
M. Michel BARNIER : Il faut rapporter ces chiffres aux chiffres d'ensemble des fonctionnaires de la Commission européenne, soit 15 000 personnes. C'est à dire moins de fonctionnaires qu'à Liverpool, pour ne pas citer d'autre exemple !
M. le Président : En venant ici aujourd'hui, pour rencontrer les membres de la Commission européenne, nous souhaitions savoir comment ce qui est fait actuellement en France, est perçu au niveau européen et comment l'autorité, évoquée dans le " Livre blanc ", pourrait s'articuler avec l'agence qui existe dans notre pays, principalement au niveau de l'expertise.
M. Michel BARNIER : L'évaluation du risque restera d'abord de la responsabilité de chaque Etat membre et notamment des scientifiques. Cependant, la Commission a sa responsabilité dans le cadre du Traité et du marché unique. C'est d'ailleurs au nom de cette responsabilité que la Commission a pris collégialement la décision d'engager des poursuites contre la France.
L'idée, assez nouvelle, de cette autorité est qu'elle travaillera de manière permanente. Le comité scientifique européen actuel se réunit de temps en temps, lorsqu'il est convoqué par la Commission en tant que de besoin ou lorsqu'apparaît un problème.
M. Pierre LELLOUCHE : Qui convoque le comité scientifique ?
M. Michel BARNIER : La Commission, les commissaires chargés de ces aspects.
M. Pierre LELLOUCHE : " Mise en réseau " signifie-t-il que la future agence ou autorité aura le pouvoir ? Les décisions devront-elles être toutes filtrées par elle ? Pourra-t-elle imposer des normes ? Comment tout cela s'articulera-t-il avec l'action des autorités nationales ?
M. Michel BARNIER : C'est la législation européenne qui donnera le pouvoir à cette autorité. Pour l'instant, il n'est pas prévu que cette autorité impose sa décision aux structures nationales.
Mais quelle que soit l'autorité juridique que nous donnerons à cette autorité européenne sur les autres, je pense que, le fait que les experts de différents pays aient un lieu préalable de confrontation de leurs points de vues constitue un vrai progrès. Le fait qu'il y ait une plaque tournante, un point fixe permanent et non pas un comité supplémentaire qui se réunit uniquement en cas de nécessité, constitue un progrès.
Si déjà cette autorité européenne pouvait conduire à ce que les gens prennent l'habitude de travailler ensemble, plutôt que d'arriver le dos au mur en cas de crise dans une confrontation dont la presse, les hommes politiques, les citoyens s'empareraient... ! Comme l'on retrouve ici une part d'affectivité, de sensationnel, d'actualité, cela me paraît être un vrai progrès qu'il y ait ce travail en amont ou en aval.
D'autre part, il n'est pas prévu, pour l'instant, de donner à la structure européenne une autorité décisionnelle sur les instances nationales. Mais ce travail va, de toutes façons, provoquer une réflexion durant les prochaines années, ce qui est d'ailleurs l'objet du " Livre blanc " et peut être ainsi engendrer des changements.
En ce qui me concerne, je n'exclus pas que les mentalités évoluent. Dans le prolongement de ce " Livre blanc ", le Conseil des ministres, qui aura à se saisir d'un texte, pourrait peut-être faire évoluer les choses et ainsi donner à cette autorité plus de force que ce qui est proposé.
M. le Rapporteur : Quelle serait la différence entre cette autorité et l'O.A.V. ?
M. Olivier GUERSENT, membre du cabinet de M. Michel BARNIER : Je pense que la structure du contrôle vétérinaire a quand même une vision plus limitée du sujet de la sécurité alimentaire que cette autorité européenne.
 Il y a aujourd'hui des réseaux d'information, des bases de données, des réseaux d'alerte. Tout cela n'est pas très bien coordonné, les informations ne circulent pas en temps réel entre les différentes autorités.
Par conséquent, comme le commissaire l'a dit, nous nous retrouvons " le dos au mur " face à une crise réelle ; le jour où cette crise s'est manifestée, les données n'étaient pas toujours comparables.
Une grande partie de ce qui est prévu dans le " Livre blanc " consiste précisément à homogénéiser tous ces éléments, à mettre en cohérence, à prévoir une circulation de l'information en temps réel à l'intérieur des pays de l'Union ; nous voulons aussi que les parties prenantes se rencontrent autant que cela est nécessaire et qu'elles disposent de meilleurs outils d'appréciation du risque.
Cependant, pour la raison politique qu'a évoquée le commissaire, qui est le fait que la Commission considère de sa responsabilité politique d'assurer la gestion du risque, il n'est pas prévu de transférer à cette agence de pouvoirs de contrôle ou de pouvoirs de réglementation. Cela, la Commission veut le conserver. Si elle voulait procéder autrement, il faudrait alors modifier le Traité qui ne permet pas, aujourd'hui, de transférer ce type de pouvoir à une agence.
Ce sera donc une agence dont le rôle principal sera d'améliorer la connaissance et la circulation de l'information et donc l'évaluation du risque.
M. le Rapporteur : Une base de données permanente en quelque sorte !
M. Olivier GUERSENT, membre du cabinet de M. Michel BARNIER : Pas seulement ; ce sont aussi des scientifiques qui se parlent entre eux et expriment un avis
M. Michel BARNIER : Et les politiques prendront ensuite leurs décisions.
M. le Rapporteur : C'est donc très comparable à l'A.F.S.S.A. C'est en quelque sorte le système français qui prévaudrait : analyse des risques et décision politique. (assentiment de M. Barnier et de son conseiller)
D'autres propositions existent, comme le système anglais...
M. Pierre LELLOUCHE :  Sauf que l'on connaîtra les mêmes problèmes qu'avec l'A.F.S.S.A., à savoir que, normalement, l'A.F.S.S.A. va se relier sur le foisonnement en réseau des analyses partout dans le pays.
M. le Rapporteur : Supposons qu'un problème alimentaire concerne un pays de la Communauté ; celle-ci va-t-elle se saisir de ce problème ou laissera-t-elle le pays agir seul ?
S'il y a extension du problème au niveau européen, l'autorité européenne interviendra de fait, mais est-il envisagé qu'elle intervienne si le problème reste circonscrit à un Etat ?
M. Michel BARNIER : Je n'ai pas compris que la Communauté aurait ce pouvoir d'intervenir, sauf si le pays concerné le lui demande. Il n'est pas exclu, en effet, que si une crise surgit dans un pays déterminé, les autorités de ce dernier demandent une analyse, une enquête, un appui, une aide à l'autorité européenne.
M. le Rapporteur : Potentiellement, une crise dans un pays peut rapidement s'étendre à l'ensemble de l'Europe. Une crise peut être circonscrite à un seul pays, avec des possibilités d'extension. C'est vrai que l'on réfléchit un peu à la marge et que l'on entre peut-être trop dans le détail, mais ces problèmes risquent d'apparaître.
M. Michel BARNIER :  La philosophie d'ensemble ne consiste pas à créer une super-agence avec une structure administrative et scientifique lourde, mais à s'appuyer sur les autorités nationales et à harmoniser la pratique et les échanges d'information.
M. le Rapporteur : Je pense néanmoins qu'il faudra veiller à ce que les questions posées soient claires et que les réponses soient " normées ".
M. Michel BARNIER : .La situation ne peut pas être pire qu'aujourd'hui.
M. le Président : Quelle est la situation dans l'ensemble des Etats de l'Union aujourd'hui ? Venant de France, nous avons le sentiment que la France n'est pas en retard par rapport aux autres pays.
M. Michel BARNIER :  Non, de la même manière qu'en matière de contrôle vétérinaire, je crois que le système de contrôle français est l'un des plus performants.
M. le Président : L'une de nos préoccupations est de savoir si l'on va tirer l'ensemble des Etats membres vers le haut en matière de sécurité et de transparence, ou si, au bout de quelque temps, on ne risque pas de tirer vers les bas les pays qui sont déjà en avance.
M. André ANGOT : En théorie, les normes sanitaires et alimentaires devraient obligatoirement être tirées vers le haut, car les consommateurs ne seront plus d'accord.
M. Michel BARNIER :  L'exigence, la sensibilité sont telles dans l'opinion que je suis persuadé que l'on ira vers le haut.
M. le Rapporteur : Nos producteurs et transformateurs pensent qu'ils sont confrontés à une administration extrêmement tatillonne qui applique à la lettre les recommandations européennes. Mais, dans d'autres pays, les mêmes règles sont appliquées avec moins de rigueur, les produits entrant dans le marché européen faisant désormais partie du marché global. Nos producteurs et transformateurs se plaignent de subir un handicap, sachant que dans les pays voisins, l'administration est plus souple.
M. Michel BARNIER :  Peut-on donner des leçons aux autres dans tous les domaines ? Je n'en suis pas sûr.
Je constate que l'exigence d'hygiène et de sécurité alimentaires s'accroît partout, peut-être plus fortement dans les pays du nord où cela relève d'une tradition ou d'une exigence culturelle que dans d'autres pays.
Ma conviction est que cette instance que nous allons créer aboutira à relever le niveau de connaissances, d'exigences et de contrôle. Tous les gouvernements seront amenés à cette exigence commune.
M. Olivier GUERSENT, membre du cabinet de M. Michel BARNIER : L'autorité européenne est un volet de la problématique ; c'est peut-être un aspect plus emblématique mais pas nécessairement plus important que d'autres
Un aspect tout aussi important est que le " Livre blanc " comporte en annexe un plan de 82 actions s'appliquant sur plusieurs années et constituant en quelque sorte une refonte complète du droit communautaire de l'alimentation, d'abord pour adopter - ce qui n'avait pas été le cas dans les années passées - une approche beaucoup plus intégrée des différents instruments et une approche de filières, ensuite, pour pallier les carences qui sont apparues à l'occasion des différentes crises que l'on a pu traverser.
Donc c'est vraiment un ensemble intégré au sein duquel vient s'insérerr cette agence.
M. le Rapporteur : Qui a élaboré le " Livre blanc " ? Comment cela fonctionne-t-il ? Est-ce un comité ?
M. Michel BARNIER :  M. Byrne, chargé de la sécurité alimentaire et sa direction " pilotent " le travail. Au sein de la Commission, un travail interservices se fait, par ailleurs, entre les différentes directions en coopération avec quatre commissaires : le commissaire finlandais Likkanen, chargé des P.M.E. et des entreprises, le commissaire néerlandais chargé du marché intérieur ; M. Busquin, commissaire belge chargé de la recherche ; Pascal Lamy, commissaire français chargé du commerce, et Mme Valström, chargée de l'environnement.
M. le Rapporteur : Quel est le titre précis du " Livre blanc " ?
M. Olivier GUERSENT, membre du cabinet de M. Michel BARNIER :  Le " Livre blanc sur la sécurité alimentaire ".
M. le Président : Ce " Livre blanc " est intervenu assez rapidement. Etait-il déjà en gestation auparavant ou a-t-il été élaboré en peu de temps ?
M. Michel BARNIER :  Je ne peux pas vous dire si le travail a été engagé avant, mais je ne le crois pas, car c'est vraiment Romano Prodi qui a décidé de créer cette agence ou autorité. Il a fait part de ce projet en septembre, il y a quatre mois, quand nous avons été investis par le Parlement européen le 15 septembre.
Je crois que votre commission devrait s'intéresser à l'ensemble de ces mesures. La Commission ne se limite pas à déceler un problème, à coordonner ou harmoniser des connaissances préalables, des études scientifiques ou des échanges ; pour son propre compte, elle considère que certaines des législations ou des règlements dont elle a la charge doivent être harmonisées ou refondues.
M. le Président : Quel est le climat existant aujourd'hui au sein de la Commission ?
M. Michel BARNIER : Mon rôle n'est pas de dévoiler ou de découvrir les débats internes que nous pouvons avoir sur ce sujet, puisque c'est une décision collégiale qui est prise.
La Commission est une institution suffisamment étoffée pour que vous puissiez distinguer la conjoncture du fond, la conjoncture étant cette crise dont nous allons tirer les leçons, les uns et les autres.
Je n'irai pas jusqu'à dire que cette crise est archaïque, mais qu'elle est décalée. Chacun est dans son rôle : le Gouvernement français avec une appréciation que le Premier ministre m'a donnée. M. Jospin a dit que l'affaire du sang contaminé avait créé un degré de sensibilité en France qui ne se retrouvait nulle part ailleurs. Il reste néanmoins toujours délicat de donner des leçons aux autres pays.
Je ne veux pas dire que la sensibilité à cette question en Suède ou en Allemagne soit forcément en retrait par rapport à celle de la France. Chaque gouvernement a sa souveraineté. Cela étant dit, si on ne donne pas de leçons, on peut expliquer et comprendre la sensibilité française sur cette question.
Nous sommes en mesure de distinguer l'aspect conjoncturel de cette crise, où chacun joue son rôle - la France apprécie le risque, prend des décisions et assume ses responsabilités, la Commission assumant les siennes.
La Commission a également engagé un certain nombre de procédures, notamment en Allemagne, même si le système allemand est plus complexe et qu'intervient ici encore le problème de la subsidiarité, terme qui ne recouvre pas toujours le même sens d'un pays à l'autre.
Ensuite, il y a le fond des choses : nous travaillons ici au-delà de la conjoncture et de la crise actuelle, sur une période qui intéresse les futures générations. Je pense donc que vous pourrez faire un travail dépassionné et avoir des rencontres qui le seront également.
M. le Rapporteur : La commission d'enquête existe, parce que le monde politique en France a eu le sentiment que la France elle-même connaissait mal son système. C'est précisément la raison pour laquelle la commission d'enquête a été créée.
La commission d'enquête elle-même a rencontré les pires difficultés à connaître ce qui se passe ailleurs. Or dans un système qui est fondé sur le libre échange, vous disiez vous-même qu'il est difficile d'aboutir à une situation saine.
Quels sont les moyens de connaissance et quelle est, à l'heure actuelle, la connaissance que peut avoir la Commission des différents systèmes, étant entendu qu'au niveau hexagonal, nous éprouvons de grandes difficultés à savoir ce qui se passe ailleurs ? A telle enseigne que le rapporteur a interrogé une quarantaine d'ambassadeurs en poste en France et que nous avons reçu des réponses assez cocasses. Par exemple, comme nous n'avons pas formulé notre demande en suédois ou en néerlandais, il nous a été répondu qu'il était difficile de nous répondre.
M. Michel BARNIER : Il faut interroger les ambassadeurs de ces pays en France et les ambassadeurs français auprès de ces pays.
A l'époque où j'étais président de la commission des affaires européennes au Sénat, la délégation du Sénat pour l'Union européenne avait une cellule de législation comparée. Cela existe sans doute à l'Assemblée nationale.
Je pense que M. Byrne sera en mesure de vous expliquer ce qui se passe chez les Quinze.
Il me semble également que vous devriez étendre ce champ d'investigation à ce qui se passe dans les douze pays qui demandent leur adhésion à l'Union européenne.
M. le Président : L'élargissement causera sans doute de nouveaux problèmes.
M. Michel BARNIER :  C'est vrai de cette question de sécurité alimentaire comme de la sécurité en général. Pourquoi me suis-je battu lors de l'élaboration du fameux traité d'Amsterdam - dont je connais bien les insuffisances - à la demande du Président de la République pour communautariser Schengen ? Schengen représente une coopération entre sept pays en dehors de l'U.E. ; ils sont membres de l'Union, certes, mais cela s'est fait en dehors du Traité. On a décidé de mettre cette convention de Schengen dans le Traité.
Pourquoi ? L'une des raisons fondamentales est que, lorsqu'un pays adhère à l'U.E. aujourd'hui, il n'a aucune obligation en matière de sécurité ; il a des obligations en matière d'environnement, de marché intérieur, mais aucune en matière d'immigration, de contrôle des frontières, d'asile, de visas.
A partir de maintenant, pour tout pays qui entre, dans l'acquis communautaire qu'il doit obligatoirement reprendre à son compte, figure ou figurera Schengen. Le même raisonnement vaut pour ce que l'on fait ou fera en matière de sécurité alimentaire.
Je pense donc qu'il faut étendre ce champ de réflexion, parce que l'élargissement est " à nos portes ".
Si vous posez la question à M. Byrne, il devrait être en mesure de vous répondre et de vous dire ce qui se passe dans les Quinze autres pays et même au-delà.
Très franchement, je pense que c'est un travail utile autour duquel nous voulons conduire un débat public. Il est bien qu'une commission d'enquête parlementaire française s'intéresse à ce sujet.
Depuis quand avez-vous entamé vos travaux ?
M. le Rapporteur : La commission a été mise en place le 19 octobre 1999 et a entamé ses travaux le 20 ; elle n'a pas arrêté depuis.
Dans le dossier de la " vache folle ", nous avons été surpris d'apprendre que les questions posées aux scientifiques aux niveaux français et européen n'étaient pas les mêmes. J'ai insisté tout à l'heure en expliquant que dans le cadre d'une harmonisation, les questions posées devaient être rigoureusement les mêmes pour que les experts puissent répondre correctement.
Or dans le cas particulier de la " vache folle ", il semblerait qu'il y ait eu des réponses différentes à des questions différentes.
M. le Président : C'est ce que nous a diplomatiquement fait comprendre M. l'Ambassadeur de Grande-Bretagne en France à qui nous avions posé la question, réponse diplomatique qui, en même temps, correspondait à la réalité.
M. Pierre LELLOUCHE : Dans un cas, la question posée était de savoir si les décisions prises par les experts britanniques pour le b_uf après 1996 allaient dans le bon sens. La réponse a été positive. Dans l'autre cas, il avait été demandé aux experts français s'ils avaient la certitude que le b_uf importé né après 1996 était sans danger ! La réponse a été négative.
Est-ce de nature à amener la France à lever l'embargo ? C'est une question politique.
L'A.F.S.S.A. a précisé que c'était aux politiques de trancher, mais qu'elle émettait les plus extrêmes réserves.
M. Michel BARNIER : Personne ne dira qu'il n'y a aucun risque.
M. Pierre LELLOUCHE :  Mais la question du risque n'a pas été soulevée au comité scientifique européen.
M. Michel BARNIER : En revanche, la Commission a constaté, après avoir joué son rôle dans cette question - M. Byrne vous le confirmera - que, pour les cinq exigences posées par la France, il y a eu des réponses.
Si vous me demandez mon opinion personnelle, nous en sommes à une étape de coordination, d'élaboration de structures professionnelles européennes qui favorisent les contacts, les échanges ; que l'on pose les mêmes questions pour avoir des réponses ; que les experts travaillent ensemble, avec les même canevas, les mêmes cahiers des charges.
Cela dit, cela ne suffira plus dans quelques années ; il faudra alors une structure européenne qui ait l'autorité.
M. le Président : Nous avons aussi posé la question de savoir comment sont choisis ceux que l'on appelle les experts.
M. Michel BARNIER : Si l'on harmonise suffisamment, il faudra se mettre d'accord sur les critères de choix des experts et les choisir ensemble. Qui doit les choisir ? Une autorité indépendante ?
Quand j'étais ministre de l'Environnement, je me suis beaucoup intéressé aux risques naturels et j'ai proposé des règles législatives sur la gestion des décharges industrielles, notamment orphelines (dépôts industriels toxiques enfouis sous la terre et sur lesquels ont été construits des campings, des écoles, des maternités, des routes) qui n'ont plus de propriétaires, parce que certaines industries ont disparu. J'avais cette angoisse de la terre contaminée. A l'époque, j'ai éprouvé le besoin d'une autorité indépendante pour m'aider. La commission nationale des débats publics a ainsi été créée, constituant la première étape vers la mise en place de cette autorité. Mais, avant la décision finale qui appartient au politique, j'ai éprouvé le besoin que l'on soit éclairé autrement que par des polémiques, des confrontations publiques passionnelles où le politique n'a plus la vraie marge de décision, parce qu'il est pris dans un système partisan, public, électoral et autre.
M. le Président : Quand on lit le document sur le principe de précaution, on est en présence de toute une culture nouvelle.
M. Michel BARNIER : J'ai moi-même fait inscrire ce principe de précaution dans la loi de février 1995.
M. Olivier GUERSENT, membre du cabinet de M. Michel BARNIER : A l'ordre du jour de la Commission de la semaine prochaine, une communication de M. Byrne sera faite sur le principe de précaution. Cela pourra vous être communiqué après adoption.
M. Michel BARNIER : La semaine prochaine, nous adopterons aussi la carte de zonage de l'Objectif 2 pour la France. Etant très soucieux d'améliorer l'information des Parlements nationaux, j'ai prévu de faire porter aux parlementaires français la carte française qui sera approuvée mercredi par le collège.
M. le Rapporteur : Quel est votre point de vue sur les O.G.M. ?
M. Michel BARNIER : Le débat sur ce thème est assez actif, mais là aussi, la question est de savoir de quelle instance relèvent les décisions : de la législation nationale ou européenne ?
M. Olivier GUERSENT, membre du cabinet de M. Michel BARNIER : C'est l'un des 82 points figurant dans le plan d'action du " Livre blanc ".
M. le Rapporteur : Les experts venus devant la commission d'enquête ont largement insisté sur le fait que l'alimentation était liée au sol, aux pollutions ou non-pollutions atmosphériques, à l'eau.
Le ministère de l'Environnement dispose-t-il en France de tous les moyens nécessaires pour faire en sorte que ce type de problème soit résolu ? Vous parliez des sites orphelins. Cela a pu évoluer depuis.
M. Michel BARNIER :  Il y a quand même des moyens : il y a la connaissance des sites et les moyens de les traiter. Une taxe a été créée pour les mises en décharge et la dépollution des sites orphelins. Nous travaillions avec les D.R.I.R.E.
M. le Rapporteur : Nous intégrerons aussi le problème des boues dans nos préoccupations, à la demande d'ailleurs de M. Angot.
M. André ANGOT : En tout cas, cela ne préoccupe pas du tout les directeurs du ministère de l'Environnement. Le principe de responsabilité n'est pas posé : on ne sait pas qui est responsable le jour où surgit un problème : est-ce l'agriculteur, la collectivité locale ? Il n'y a pas de jurisprudence sur cette question.
M. le Président : Mais le problème ne se pose pas qu'en France. Peut-être y est-il perçu de façon plus sensible chez nous, mais il se pose partout.
M. Michel BARNIER :  Dans un marché désormais unique, ce qui est fondamental n'est pas seulement la circulation des produits, la consommation, c'est aussi l'information ou la répercussion des campagnes de presse dans l'opinion. Le rôle de la Commission dans ce domaine est extrêmement utile ; elle est dans son rôle quand elle publie ce " Livre blanc ".
M. le Président : Nous vous remercions.
Audition de M. Franz FISCHLER,
commissaire chargé de l'agriculture et de la pêche
(procès-verbal de la séance du Mardi 11 janvier 2000)
Présidence de M. Félix LEYZOUR, Président
M. Franz FISCHLER : Mesdames et messieurs, je vous souhaite la bienvenue et vous propose d'entrer dans le vif du sujet.
Le Président Leyzour présente la commission d'enquête et ses objectifs à M. Fischler.
M. le Président : Nous nous penchons sur la filière alimentaire sous les aspects de la transparence et de la sécurité. Nous souhaitons également étudier les problèmes posés par l'articulation entre la législation et la réglementation françaises et les directives européennes en la matière.
Dans le champ de nos investigations figure l'agriculture, qui relève directement de votre compétence. Nous avons abordé plusieurs sujets avec vos collègues et, en particulier, les problèmes posés par l'embargo sur la viande britannique et la publication du " Livre blanc ".
Le rapporteur pourra vous préciser les questions que nous souhaitons aborder avec vous. Je précise que le compte rendu de notre rencontre vous sera soumis.
M. Franz FISCHLER (interprétation) : Je vous remercie et voudrais vous rappeler au préalable la nouvelle répartition des compétences au sein de la Commission. Vous savez que la réglementation en matière de denrées alimentaires, de santé et de qualité est dans les compétences de mon collègue Byrne. Je ne peux donc pas vous répondre. Vous pouvez me poser des questions économiques, mais celles concernant le domaine de la santé devront lui être adressées.
M. le Président : Nous avons déjà rencontré M. Byrne cet après-midi et avons pu évoquer ces questions.
M. le Rapporteur : Monsieur le commissaire, je connais votre grande expérience en matière d'agriculture européenne, concernant notamment le dossier de l'E.S.B. (encéphalopathie spongiforme bovine), je voudrais aborder les problèmes que pose le principe de précaution.
J'aimerais avoir votre sentiment sur les différences existant entre les visions européenne et française sur ce sujet.
M. Franz FISCHLER (interprétation) : Je pense qu'il faut nuancer et différencier, car il y a évaluation du risque, mais aussi gestion du risque. Pour l'évaluation du risque, nous avons besoin d'une base scientifique très sûre et très solide dans le contexte de nos obligations internationales, car sinon, les Etats membres ou les entreprises pourraient nous présenter n'importe quels arguments. Cela justifie la nécessité de bases scientifiques solides.
En ce qui concerne le principe de précaution, il est important certes, mais il faut surtout dire que ce principe doit trouver une application uniforme dans la Communauté. Les gens qui vivent dans nos pays ont tous une sensibilité égale vis-à-vis de l'E.S.B. Je pense que l'application uniforme de ce principe est donc très importante.
Il faut se souvenir de l'année 1996, quand la catastrophe a commencé. A l'époque, nous avions eu un jugement différencié parce que, d'après ce que les Britanniques nous disaient, il n'y avait pas de raison d'interdire la consommation de viande bovine. D'un autre côté, les informations fournies par les autorités britanniques étaient quelque peu insuffisantes, mais aussi difficilement compréhensibles pour tous. C'est pourquoi, nous avons, de façon provisoire et en appliquant, dans une certaine mesure, le principe de précaution, décidé d'interdire l'importation.
Ensuite, lors du Sommet de Florence, nous avons trouvé un accord de principe et un accord sur les procédures concernant l'interdiction d'exportation totale ou partielle, pour savoir si nous pouvions la retirer ou non.
Nous avons procédé de la sorte avec ce que nous avons appelé les pré-conditions que nous avons posées et, avant l'examen de chaque cas, nous avons précisé la procédure à suivre, préconisé la recherche de documentation, demandé un examen scientifique. L'ensemble de cette procédure a été appliqué à deux reprises jusqu'à présent, notamment pour " l'exception des troupeaux certifiés " et du système qui se base sur la banque de données. Dans les deux cas, l'avis du comité scientifique a été positif et nous avons toujours suivi cette procédure.
Ensuite, il y a eu ces problèmes et surtout une certaine résistance en France contre ce deuxième système. M. Byrne a dû vous l'expliquer en détail : la Commission a examiné les problèmes exposés par la France et les a fait vérifier par le comité scientifique. Je pense que la situation est claire.
M. André ANGOT :  L'un des fondements de la sécurité alimentaire repose sur la traçabilité. On peut déplorer que la mise en place de cette traçabilité qui devait intervenir à partir du 1er janvier ait été reportée de quelques mois.
D'autre part, puisque vous avez aussi en charge le dossier de la pêche, je voudrais savoir s'il y a des directives européennes en la matière.
M. Franz FISCHLER (interprétation) :  Chaque poisson n'est pas " retracé " ; cela ne concerne pas chaque poisson.
M. André ANGOT : ...quand on va au marché, on achète du bar ou du turbot, sans aucune possibilité de savoir, s'il s'agit d'un bar ou d'un turbot d'élevage, alors que l'on sait que ces poissons sont largement produits en élevage aujourd'hui et qu'il y a une grande différence de qualité entre le bar pêché en mer et le bar d'élevage.
M. Franz FISCHLER (interprétation) : Je crois qu'il convient de diviser la discussion en deux parties. Il faudrait d'abord s'occuper des animaux domestiques et puis des poissons.
Sur la traçabilité, il est juste - c'est aussi la volonté des Etats membres - que ceux-ci aient obtenu unanimement que l'on suive ce principe contre la volonté de la Commission, cette dernière étant d'avis qu'il fallait utiliser une autre base légale, un autre article des traités qui aurait rendu nécessaire un avis positif du Parlement européen. A cet égard, une procédure est justement en suspens devant la Cour, mais il est exact que les Etats membres ont obtenu ce système de traçabilité qui fait partie du système sur lequel nous nous sommes mis d'accord, mais uniquement en ce qui concerne le b_uf et non pas pour d'autres animaux domestiques pour lesquels on ne parle pas de traçabilité. Nous avons en fait été d'accord pour pratiquer ce système de traçabilité d'abord pour le b_uf.
Nous avons d'abord procédé à une identification volontaire. C'est-à-dire que dans les pays membres où il y a une espèce de système qui intègre tous les animaux, nous pratiquons ce système, mais les Etats membres peuvent le pratiquer pour leur propre production.
La France est le seul pays membre qui a utilisé cette possibilité parce qu'à l'époque, le système d'identification des animaux y avait fait des progrès considérables et qu'il était relativement performant.
En ce qui concerne l'entrée en vigueur au 1er janvier 2000, il faut se poser la question de savoir pourquoi il y a un problème. Le texte a été rédigé contre la volonté de la Commission, de telle façon que le système volontaire prend fin le 1er janvier 2000, mais pas le système obligatoire qui continue à exister.
Pour qu'il y ait une traçabilité complète, le système obligatoire d'identification n'est obligatoire que depuis le 1er janvier 1998.
C'est ainsi que vous avez la garantie que ces conditions concernant l'identification sont applicables seulement à partir de cette date et aussi pour les animaux nés le 1er janvier 1998.
Si vous rajoutez deux ans à ce délai du 1er janvier 2000...
M. le Rapporteur : Vous voulez dire le 1er janvier 1998 ! ?
L'interprète : Vous avez relativement peu d'animaux nés après le 1er janvier 1998 sur le marché. En revanche, une grande partie des animaux remplissent les conditions pour permettre l'application du système obligatoire. Mais peu d'animaux nés après cette date vont sur le marché et peuvent faire l'objet d'un commerce.
M. Franz FISCHLER (interprétation) : Cela explique que nous ayons dit que si l'on ne pratiquait pas ce système maintenant, l'Etat français ne pouvait pas maintenir son système obligatoire, les autres Etats membres conservant leur système volontaire. Si tout le monde fait ce qu'il veut - l'un pratique le système obligatoire, l'autre le système volontaire - la situation devient chaotique. Nous n'en voulons pas.
C'est pourquoi, nous avons dit que nous pratiquerions pour le moment le système en usage en France, les autres Etats recourant à leur système volontaire. Par la coexistence de ces deux systèmes, nous voulons atteindre une masse critique d'animaux qui remplissent les conditions d'identification.
La Commission veut également appliquer le système obligatoire, mais en attendant, nous pensons que la solution actuelle permet de clarifier la situation.
M. le Président : J'ai cru comprendre que la Commission avait repoussé à 2001 l'obligation de mentionner l'endroit où l'animal avait été abattu et à 2003 celle concernant le lieu de naissance de l'animal. J'aimerais que vous précisiez ce point.
M. Franz FISCHLER (interprétation) :  Nous avons posé la question de savoir si, pour l'identification obligatoire, l'étiquetage ou le " labelling ", il ne conviendrait pas de diviser ces informations en deux parties, l'une d'elles étant relative aux abattoirs où l'animal est amené. On sait alors automatiquement quel est le lieu ou l'animal a été abattu, mais aussi sa race par exemple.
Evidemment, cette traçabilité a aussi un autre sens et une autre signification parce que je veux aussi savoir où l'animal a vécu, dans quel troupeau il a séjourné, où il est né. Je pense que ce n'est possible que si nous avons ce passeport des animaux reprenant toutes ces dates. De même, il nous faudrait un système électronique ou informatique pour contrôler tout cela.
Je pense aussi que ceci est raisonnable. Nous sommes favorables à une introduction rapide de ce système ; nous avons intérêt à ce que le système d'identification obligatoire entre en vigueur rapidement. On aurait pu penser aussi que l'on procède à l'introduction plus rapide de la première partie par rapport à la deuxième partie.
Nous avons fait une proposition visant à rendre l'introduction légale un mois après la décision du Conseil. Mais si nous avons la procédure de la codécision avec le Parlement, des délais plus longs doivent être envisagés. En outre, nous avons dit que le système serait introduit à partir du 1er janvier 2001, ce qui correspond à notre première proposition. Entre temps, nous avons changé notre proposition, consulté le Parlement européen. Finalement, la proposition a été modifiée et la date retenue est celle du 1er septembre 2000.
Je pense qu'il faut aussi tenir compte des aspects pratiques de cette procédure, sachant qu'en août, il n'y a pas de séance du Parlement ou du Conseil, qui donc ne rendent pas de décision. Si nous voulons obtenir une décision, il faudrait la préparer pour le Conseil de juillet afin que le système puisse entrer en vigueur et fonctionner à partir du 1er septembre 2000. Je dois préciser, qu'en moyenne, les procédures soumises à la codécision, durent près de 18 mois entre la première et la seconde lecture.
M. le Président : Concernant les farines animales, nous savons que les farines en France aujourd'hui ne comprennent plus les produits issus des cadavres d'animaux. Ce n'est pas encore le cas pour tous les pays européens.
La Commission a-t-elle envisagé des dispositions pour aller vers l'interdiction de l'introduction de ces produits issus des cadavres d'animaux et des produits dangereux dans les farines ?
Deuxième question liée à la première : comment pouvons-nous, en Europe, essayer de limiter notre dépendance au point de vue protéique ? Peut-on imaginer que l'on puisse aussi développer les cultures protéagineuses en Europe pour répondre aux besoins en protéines ?
M. Franz FISCHLER (interprétation) : Si je peux commencer par la seconde question, concernant les protéines, je ne pense pas que l'Europe ait un problème de dépendance en matière de protéines. Nous n'avons aucun problème pour produire ces protéines. La seule question est de savoir à quel prix on les produit.
Ceux qui produisent des aliments composés pour animaux prennent leurs décisions économiques en fonction des prix du marché et composent leurs aliments en fonction des meilleurs prix.
Il faut aussi voir qu'une grande partie des protéines pour animaux est dérivée de la production végétale. Les tourteaux de soja sont un produit dérivé de la production d'huile. Même chose pour le tournesol et autres plantes végétales.
Il ne faut pas oublier, qu'avant la réforme de l'Agenda 2000, nous avions un accord avec les Etats-Unis qui limitait l'utilisation et la production de tourteaux de soja, accord que nous devions respecter.
Aujourd'hui, avec la réforme, cette restriction est tombée, mais nous avons quand même un délai de transition de deux ans, sachant que, dans deux ans, nous pourrons produire autant de tourteaux de soja que nous voulons.
Pour en revenir à la première partie de votre question concernant les matériels à risques, à savoir les farines d'os et de viande, M. Byrne vous en a certainement parlé. Il a dû vous dire que ce point sera traité dans le cadre du " Livre blanc " sur lequel la Commission va prendre une décision demain.
Dans le " Livre blanc ", nous comptons appliquer les critères de l'office vétérinaire international qui a divisé ces matériaux à risques en trois catégories ; la troisième, la " High risk material " (matériels à haut risque) doit de toute façon être éliminé et enlevé.
Il ne s'agit pas uniquement des risques en rapport avec l'E.S.B., mais aussi des risques provenant des cadavres.
M. le Rapporteur : Une dernière question : Je reviens à l'aspect de la fourniture des protéines. Vous nous avez expliqué les accords passés avec les Etats-Unis, la possibilité de production au plan européen.
N'y a-t-il pas urgence aujourd'hui à relancer une production européenne protéinique, notamment quand on sait que les Etats-Unis nous fournissent des protéines de soja génétiquement modifiées ?
M. Franz FISCHLER (interprétation) : Je pense que c'est juste et cela fait partie aussi de l'Agenda 2000. Nous voulons aussi développer une production propre d'huile végétale dans la Communauté. Jusqu'à présent, nous avons un taux d'approvisionnement de 30 %. Nous pouvons augmenter et amplifier cette production, la tripler sans dépendre de l'exportation.
Cela dit, il nous faudra du temps ; il y a cette période de transition dont j'ai parlé. Ensuite, une production libre de ces huiles végétales sera possible.
Néanmoins, nous avons aussi pensé qu'il fallait donner un peu plus de subventions ou promouvoir un peu plus les haricots des champs et les petits pois qui, selon nous, devraient être plus favorisés que d'autres plantes.
M. le Président : Monsieur le commissaire, nous vous remercions. Nous savons que vous avez un emploi du temps très chargé.
Audition de M. David BYRNE
Commissaire à la santé et à la protection des consommateurs
M. David Byrne accueille les membres de la délégation en anglais.
M. le Président : Monsieur le commissaire, merci de nous accueillir. Je voudrais d'abord rappeler que nous sommes une commission d'enquête parlementaire dont la création a été décidée à l'unanimité par l'Assemblée nationale, ce qui montre que nos préoccupations sont partagées sur tous les bancs de l'Assemblée. Notre commission comprend une trentaine de membres qui représentent tous les groupes de l'Assemblée.
Aujourd'hui, notre délégation est composée de MM. Chevallier, rapporteur, Lellouche, Angot, vice-président et moi-même. Nous sommes accompagnés de M. Loïc Evain, notre représentant auprès des instances européennes.
Notre objectif est d'essayer d'avoir un maximum d'éléments sur toute la filière alimentaire, sous son double aspect de sécurité et de transparence. Il est bien évident que, parmi toutes les questions auxquelles nous avons été confrontés, notre attention s'est portée sur l'adéquation, la réglementation, la législation dans notre propre pays et ce qui se fait au niveau européen. Nous avons des exemples concrets qui montrent que nous avons besoin d'harmoniser notre approche.
Nous savons que vous devez sortir dans les prochains jours un Livre blanc. Il serait intéressant que vous puissiez nous en parler et nous donner votre approche de ce que nous appelons le principe de précaution qui est au centre de toutes les discussions et interprétations.
Notre commission étant pluraliste, chacun vous posera ensuite les questions qu'il souhaite.
M. David BYRNE : (interprétation) : Sur la question de la sécurité alimentaire, parmi les nouvelles dispositions du traité, l'article 152 traite de la santé publique, l'article 153 traite de la protection des consommateurs et la D.G. Sanco(?) est chargée de traiter les questions liées à la santé publique, à la protection des consommateurs, notamment en ce qui concerne son aspect alimentaire.
Le président Prodi s'est engagé dès le début à mettre la sécurité alimentaire parmi les priorités de l'agenda politique ; c'est ce qui s'est fait depuis le début de notre commission.
En conséquence, un commissaire chargé de la sécurité alimentaire a été désigné ; c'est mon portefeuille. Cela résulte d'une réorganisation fondamentale des services de la commission. Depuis que j'ai pris mes fonctions, nous avons entrepris toute une série de mesures législatives. Nous avons établi l'interdiction permanente sur le B.S.T. (?). Il y a eu aussi maintien de l'interdiction sur les hormones, dans la viande bovine notamment en ce qui concerne l'importation de cette viande en provenance des Etats-Unis. Des mesures de protection fortes ont également été demandées à l'O.M.C. Enfin, il y a le Livre blanc que vous avez évoqué, ainsi que le principe de précaution.
Nous avons terminé le travail préparatoire sur le Livre blanc que je présenterai demain à mes collègues lors de notre réunion hebdomadaire.
J'espère que mes collègues seront satisfaits de notre travail, qu'ils seront convaincus par le travail que nous avons fait avec le commissaire Likkanen, en tenant toujours le président informé de nos travaux.
Notre idée est donc de lancer ce Livre blanc demain.
Les objectifs de ce Livre blanc sont les suivants : nous voulons assurer une chaîne solide et étanche, de l'exploitation agricole à la table du consommateur. C'est très important pour nous. Tous les mécanismes de sécurité et toutes ces mesures de sauvegarde qui nous paraissent nécessaires seront instituées depuis l'exploitation agricole jusqu'à la table du consommateur.
Nous avons aussi l'intention de renforcer les avis scientifiques qui seront mis à la disposition de la commission, et plus particulièrement - question qui attire le plus l'intérêt du public - l'établissement d'une autorité de sécurité alimentaire.
Les grandes réformes législatives que nous envisageons portent sur le secteur de l'hygiène, des aliments, un système d'alerte rapide et des clauses de sauvegarde, ainsi qu'une mise en _uvre très stricte de la législation européenne.
Quand je parle de mise en _uvre très stricte, cela implique deux facteurs : tout d'abord, la nécessité de veiller à ce qu'il y ait une transposition efficace et à temps de la législation communautaire dans les législations nationales. Une fois transposées, ces législations devront être pleinement appliquées.
Vous avez vous-mêmes évoqué le principe de précaution. Dans 15 jours, nous allons présenter une communication de la commission sur ce principe de précaution. C'est une question importante, mais nous pensons qu'il y a beaucoup de malentendus quant à ce qu'implique ce principe et quant aux occasions dans lesquelles il faut le mettre en _uvre.
Il est donc très important pour la commission d'expliquer sa manière de voir sur le sujet, notamment à l'adresse de nos amis américains qui ne comprennent pas très bien notre philosophie en la matière. Je pense qu'il y a encore du travail à faire.
Ce principe sera également discuté lors de la prochaine réunion du Codex Alimentarius à Paris le 20 avril prochain. Un document écrit a été envoyé au Codex Alimentarius reprenant notre position en ce qui concerne l'établissement des lignes directrices appropriées concernant la mise en _uvre de ce principe de précaution. Nous espérons que le Codex Alimentarius adoptera cette ligne directrice, et que tout cela pourra être repris dans les négociations O.M.C.
Comme vous le savez en effet, l'article 5-7 traite de cette question du principe de précaution, mais il faudra le préciser, l'élargir, le définir de manière à ce que le public et nos partenaires commerciaux comprennent que ce principe s'applique dans les cas où c'est la protection du consommateur qui a la priorité et non pas la protection des relations commerciales.
Vous connaissez certainement notre philosophie sur la question ; elle se retrouvera dans la communication qui sera publiée dans 15 jours.
Vous avez évoqué la transparence. De toute évidence, il est important que les décisions prises au niveau communautaire soient pleinement transparentes. La raison pour laquelle nous prenons une décision est importante ; il faut aussi que l'on comprenne que la décision est fondée sur une base scientifique. Il faut qu'elle soit pleinement expliquée, rationnelle et compréhensible.
A mes yeux, rien ne mine plus la confiance du consommateur que l'impression que quelque chose se passe sans savoir quoi exactement. Ceci est très négatif pour la confiance du consommateur. Dès lors, j'accorde une très grande importance à cette question de la transparence, et je suis très heureux que vous l'ayez évoquée vous-mêmes puisqu'elle a pour vous la même importance.
Vous avez cité l'adéquation des rapports entre les législations nationales et communautaires. Je crois que cette adéquation doit être soigneusement définie. En effet, une fois qu'un projet législatif est passé par les mécanismes appropriés qui le transforment en texte législatif, cette disposition, selon qu'il s'agit d'un règlement ou d'une directive, chacun ayant sa nature propre après transposition, doit être mise en _uvre.
Dans l'hypothèse où la législation communautaire ne serait pas appliquée, la seule solution est que cette question soit appréciée par les tribunaux.
Une autre question que je souhaiterais évoquer peut vous intéresser : il s'agit de l'utilisation des farines dans l'alimentation animale. Je pense qu'il y a nécessité de prévoir une interdiction de ce type d'utilisation de manière permanente et avec des mesures de surveillance au Conseil.
Cette question a été évoquée au Conseil de l'agriculture juste avant Noël ; elle n'a pas été tranchée et a été renvoyée à la réunion du 18 mai. J'espère qu'entre-temps, cette question pourra progresser. Je considère en effet que ceci est un risque et que la sécurité de la viande bovine serait nettement améliorée si cette interdiction était dûment mise en _uvre et était d'application sur l'ensemble de l'Union européenne.
De plus, je considère que l'on devrait pouvoir utiliser à cette fin uniquement des produits appropriés à la consommation humaine et éviter tout ce qui ne relève pas de ce critère. Eviter aussi la contamination croisée du bétail qui mange des aliments destinés à d'autres pose problème et est source de danger, notamment dans certains Etats membres qui n'ont pas totalement éliminé la viande et les farines de la nourriture animale.
Il y a donc là un risque que tous les agriculteurs dans les Etats membres ne soient pas véritablement convaincus de cette nécessité. Je me féliciterais de toute observation ou suggestion que vous pourriez faire à ce sujet. Vous savez en effet que la viande et les farines peuvent être consommées par des porcs et des poulets, non pas par des bovins, et qu'il y a là un risque, à nos yeux, sur ce point.
La sécurité de la chaîne alimentaire, de la production alimentaire, nous préoccupe aussi et notre Livre blanc insistera sur la nécessité d'une meilleure hygiène dans la chaîne alimentaire qui va de l'exploitation agricole jusqu'à la table du consommateur.
Les principaux responsables pour ce faire sont les producteurs, les transformateurs, les détaillants et les consommateurs eux-mêmes qui ont aussi une responsabilité sur ce point. Il y aura certainement un passage consacré à ce sujet dans le Livre blanc.
Une autre question qui nous paraît importante et qui est de plus en plus discutée concerne les O.G.M. Je crois qu'il conviendra de rapidement se mettre d'accord sur le contexte d'approbation de ces O.G.M. Vous savez que la directive 90-220 concernant ce sujet est en cours de révision. J'espère que ses amendements seront acquis d'ici l'été et qu'ainsi, on pourra mettre en _uvre des autorisations fondées sur des avis scientifiques, limitées dans le temps et faisant l'objet d'un contrôle continu.
Il y a aussi des dispositions pour l'étiquetage et la traçabilité des produits dérivés d'O.G.M. L'étiquetage est une question importante pour nous : des dispositions strictes en matière d'étiquetage et de traçabilité sont indispensables pour permettre au consommateur de faire son choix.
A côté de la directive que je viens d'évoquer, nous envisageons également d'amender la directive " Nouveaux aliments ", les directives concernant ces nouveaux aliments pour animaux, et " Nouvelles semences ". Ces deux points sont des nouveautés et sont en cours de rédaction.
Ces différents textes doivent être cohérents les uns par rapport aux autres, notamment en matière d'étiquetage et de traçabilité. En matière d'étiquetage, nous considérons que les produits O.G.M. doivent être marqués en tant que tels ; les produits n'en contenant pas devant l'être également. Les aliments qui ont été contaminés par hasard par des O.G.M. jusqu'à un seuil de 1 % ne seront pas autorisés à être étiquetés comme sans O.G.M. ou dérivés d'O.G.M. ; ce sera un étiquetage neutre. Il sera donc nécessaire d'expliquer au consommateur que c'est ainsi que l'étiquetage que nous envisageons sera organisé.
De plus, nous prévoirons également l'étiquetage des aliments organiques. Je crois qu'il nous faudra encore beaucoup travailler sur ce point. Un groupe de commissaires a été constitué pour se pencher sur les preuves scientifiques concernant ce produit et préparer un rapport qui sera présenté au collège des commissaires pour que celui-ci décide comment faire au mieux en la matière.
Enfin, je voudrais évoquer les dispositions internationales. L'Union européenne veut appliquer des règles plus strictes quand elles sont proportionnées et fondées sur une base scientifique. Je me suis rendu à Seattle pour les négociations O.M.C. Je sais qu'il y a de nombreuses préoccupations au niveau international en matière de sécurité alimentaire et de normes de bien-être animal à appliquer dans le contexte de l'O.M.C.
Tant que les normes plus strictes sont proportionnées et fondées sur une base scientifique, elles ne violent pas les dispositions de l'O.M.C. Nous considérons donc que, l'Union européenne étant le plus grand exportateur et importateur de produits alimentaires, il est essentiel pour nous que les systèmes que nous instaurons soient bien réfléchis et assurent la sécurité alimentaire.
Voilà donc les différentes idées préliminaires que je souhaitais vous présenter et ce que je voulais dire sur les questions que vous souhaitiez me voir évoquer. Si vous avez des questions, je serai heureux d'y répondre ou de demander à mes collègues de m'aider à y répondre si vous souhaitez plus de détails.
M. le Président : Merci, M. le Commissaire après ce large tour d'horizon sur tous les sujets qui nous préoccupent. Je laisse maintenant la parole à M. Daniel Chevallier, rapporteur.
M. le Rapporteur : Monsieur le Commissaire, merci de cette présentation très concise et efficace. J'aurai deux questions à vous poser : la première est relative au principe de précaution par rapport à un dossier qui n'est pas encore complètement clos, à savoir celui de l'E.S.B. (encéphalite spongiforme bovine), considérant que, dans ce dossier, la position française se fonde justement sur ce principe de précaution et de protection du consommateur.
J'ai été l'un de ceux qui ont participé à la mise place de l'A.F.S.S.A. qui, dans sa démarche, connaît bien ses limites. Elle a accompli un rôle d'expertise, laissant le soin ensuite aux pouvoirs exécutif et politique de faire leurs choix en connaissance de cause.
Je ne sais pas si l'autorité dont vous avez envisagé la création dans votre Livre blanc sera de la même composition ou du même fonctionnement que l'A.F.S.S.A., mais il nous paraît important de bien séparer les fonctions d'expertise de la fonction de gestion du risque. Sans prétendre détenir la vérité en la matière, dans cette affaire et compte tenu du contexte français avec les événements que nous avons connus sur l'affaire du sang contaminé et autres problèmes de ce type, l'avis prononcé par le Gouvernement français en ce qui concerne ce dossier de la " vache folle " me paraît normal. Je le partage en tout cas.
Cela m'amène à vous poser la question suivante : au nom du principe de précaution qu'il nous appartient encore de définir et sur lequel nous travaillons au Parlement français - nous savons également que vous devez remettre un rapport d'ici une quinzaine de jours - comment une proportionnalité de réactions peut-elle être mise en place par rapport à des événements qui se déroulent ? La démarche que vous allez instaurer au niveau de ce principe de précaution, sera-t-elle parallèle à la mise en place de l'Agence de sécurité alimentaire ?
Pour résumer ma question : tout d'abord, avez-vous une idée du mode de fonctionnement de l'Agence européenne de sécurité ? D'autre part, comment voyez-vous la gestion de ce principe de précaution au niveau de cette agence ?
Second point que je voudrais aborder : les intrants au niveau de la fabrication des produits alimentaires. Vous avez fait allusion aux farines. Un sujet nous préoccupe beaucoup qui va prendre une dimension européenne, à savoir les boues des stations d'épuration. Comment gérer cette production, cette matière qui nous vient du fonctionnement de la dépollution de nos stations d'épuration ?
Au niveau des intrants en matière d'O.G.M., j'ai eu le sentiment en vous écoutant que nous étions déjà dans une phase post-O.G.M. J'aimerais quelques précisions en la matière. En effet, j'ai eu l'impression en vous entendant que nous étions déjà dans une phase de gestion et que le principe de la présence d'O.G.M., de leur utilisation pour la fabrication de produits alimentaires étaient acquises et que l'on allait mettre en place deux types de filières : filière O.G.M. et filière non-O.G.M. avec tous les problèmes que cela provoque. J'aimerais connaître votre sentiment, et celui de la commission, sur la gestion de ce dossier O.G.M. qui fait l'objet de toute notre attention au sein de cette commission d'enquête.
M. David BYRNE (interprétation) : S'agissant du principe de précaution, je vous dirai tout d'abord, - vous m'avez demandé comment cela se conjuguerait dans le contexte de la création de l'Agence de sécurité alimentaire européenne - que nous allons commencer les discussions pour la création d'une telle agence en même temps que nous allons présenter notre communication sur le principe de précaution. Ce parallélisme est opportun parce que cela permet aussi aux discussions de se faire en parallèle.
La mise en _uvre du principe de précaution relève de la gestion du risque et non pas de l'évaluation du risque. Il ne faut pas mélanger les concepts comme cela se fait quelquefois. Je ne parle pas de vous, mais certains commentateurs ont parfois confondu l'approche de précaution du scientifique et le principe de précaution ; deux notions différentes.
De manière très générale, je peux essayer de vous expliciter ce que j'entends par le principe de précaution. Ce principe s'applique dans les cas où il n'y a pas de preuves scientifiques, ou du moins, dans la mesures où elles seraient disponibles, ne sont pas vraiment claires et ne donnent pas de certitude.
Le risque est donc un risque réel et entraînerait des dommages qui ne pourraient jamais être compensés. Mais il faut que les mesures prises pour y remédier soient proportionnées, efficaces et que leurs coûts soient aussi fonction du risque. Il faut que ces mesures soient suivies et qu'en même temps, des actions soient entreprises pour essayer de définir avec sécurité les données scientifiques liées ou posées par ce risque particulier.
La décision à prendre sur tel ou tel risque, s'il existe, devrait être fondée sur une base scientifique et non pas sur le principe de précaution qui, pour moi - comme je l'ai dit tout à l'heure - reste une procédure de nature transitoire dans l'attente des preuves scientifiques qui permettraient une décision fondée sur des données scientifiques sur telle ou telle question.
Mais de par sa nature, même ce principe exige que sa mise en _uvre fasse l'objet d'une évaluation politique et non pas scientifique. En effet, par définition, ce principe ne jouera que dans les cas où les scientifiques ne pourront pas nous donner la réponse.
Comme je vous l'ai indiqué, la commission va réfléchir à ce principe qui entraînera des répercussions internationales, hors Union européenne, des conséquences au niveau de l'O.M.C. C'est donc une question qui devra être approfondie au sein de l'Union et tous les Etats membres auront la possibilité de se prononcer sur le sujet.
En fin de compte, il se pourrait parfaitement que ceux-ci puissent faire l'objet de mesures législatives le cas échéant et auront l'occasion de se faire entendre sur ce point.
Votre deuxième question concernait les farines animales et les O.G.M.
S'agissant tout d'abord des O.G.M., vous me demandiez si l'on en était déjà à la gestion du phénomène et si l'on avait déjà accepté le fait qu'il y ait une production O.G.M. et une production non-O.G.M.
Le comité, que j'ai établi et que je préside, est composé de MM. Franz Fischler, Pascal Lamy, Valstroëm et Busquin, Likkanen, le cabinet du président Prodi étant bien sûr également représenté.
Notre intention est de collecter tous les avis scientifiques existants sur le sujet. Je ne crois pas que l'on puisse affirmer que nous ayons déjà pris position selon le scientifique en ce qui concerne ces O.G.M. Nous n'avons pas encore dépassé le stade de l'évaluation du risque. Et tout compte fait, il se pourrait que cela soit quelque chose que cette nouvelle autorité de sécurité alimentaire soit appelée à considérer.
Pour l'instant, et pour autant que je sache, bien qu'il y ait certaines controverses sur le sujet et que des positions extrêmes aient été adoptées des deux côtés, certains considérant que les O.G.M. sont extrêmement dangereux, d'autres considérant qu'aucune preuve scientifique ne permet d'affirmer que ces O.G.M. soient dangereux en quoi que ce soit, je constate pour ma part que ce que j'appelle " le centre rationnel " dit qu'il n'en sait pas assez sur le sujet.
Pour l'instant, nous devons donc nous attacher à rassembler toutes les informations disponibles et à les fournir de manière compréhensible à l'opinion publique. Entre temps, comme il n'y a aucune preuve évidente - en tout cas à mes yeux - que la consommation d'aliments produits à base d'O.G.M. soit dangereuse, c'est au consommateur de choisir.
Ce n'est que lorsque quelque chose est dangereux qu'il faut l'interdire, c'est-à-dire si le consommateur ne peut pas choisir lui-même. Mais si cette question relève du choix du consommateur, c'est une question d'étiquetage de manière à ce que le public puisse choisir s'il veut consommer ou non des produits dérivés de l'O.G.M.
Il faut savoir qu'existent sur le marché des produits dérivés des O.G.M. et qui ont certains avantages pour le consommateur : par exemple, les cacahuètes dont a été retirée l'insuline. C'est donc positif pour certaines catégories de consommateurs. Il se peut donc que le consommateur souhaite consommer de tels produits dérivés des O.G.M., mais il faut alors que l'étiquetage soit approprié.
Si les producteurs de tels aliments dont les consommateurs considèrent qu'ils sont bons, si nous partons de l'idée qu'il n'y a pas de preuve du contraire, je dirai que les consommateurs doivent pouvoir avoir le droit de consommer tous ces produits en sachant ce qu'ils consomment et ce que contiennent ces produits.
Voilà ma réflexion sur les OGM.
En ce qui concerne les boues d'épuration, je n'ai pas tout à fait bien compris votre question.
M. le Rapporteur : Dans votre exposé, vous avez parlé de la chaîne alimentaire depuis l'exploitation agricole jusqu'à l'assiette du consommateur. Concernant l'exploitation agricole, certaines pratiques se développent au niveau des semences, notamment dans le cadre peut-être de semences génétiquement modifiées, mais également par rapport à des intrants (fongicides, pesticides, engrais), mais également de l'utilisation de boues de stations d'épuration dont on ne sait pratiquement plus que faire. On sait en effet qu'il y a une production au niveau du fonctionnement des stations d'épuration et que ces boues sont parfois utilisées en agriculture comme apports azotés d'engrais pour les sols.
Dans ce domaine, y a-t-il une réglementation ou une démarche à l'échelon européen ? J'ai le sentiment en effet que le problème se pose sur l'ensemble des pays de l'Union européenne.
M. David BYRNE : (interprétation) : Je comprends mieux ce que vous voulez dire. L'épandage des boues d'épuration relève d'une mesure agricole qui peut avoir des conséquences en matière de sécurité alimentaire.
La directive n° 86-278 établit des règles générales et des principes que les Etats membres doivent respecter : les quantités qui peuvent être épandues, le contenu en azote et métaux lourds, période, mécanisme de rapport.
La commission doit adopter à la fin de cette semaine un rapport sur les systèmes en cours dans les Etats membres ; ce rapport conclut qu'il n'y a aucun cas connu de contamination humaine, animale ou encore des récoltes qui soit lié à l'épandage des boues d'épuration sur les terres.
Mais l'utilisation de boues d'épuration dans l'alimentation animale dont nous avons pris connaissance au début de l'été en France pose une question bien différente. La position de la commission sur ce point est très claire : les trois stades de traitement et d'épuration des eaux, notamment dans les abattoirs, est interdite. Une législation existante (de normalisation ?) sera reprécisée si les discussions en cours avec les Etats membres prouvent que c'est nécessaire.
Nous avons découvert que cette question se posait en France. Nous avons demandé des compléments d'informations au Gouvernement français qui nous les a fournis. Je crois qu'il y a eu certaines ambiguïtés dans l'interprétation qui n'était pas suffisamment claire dans la mesure où l'on a considéré que toutes les boues d'épuration des trois différentes étapes étaient visées par la législation. Les autorités françaises ont à présent reconnu que cela devait être le cas. Il n'y a donc plus de confusion.
Notre préoccupation était que cela se faisait en France et que cela pouvait donc se faire dans d'autres Etats membres. Nous avons donc envoyé un questionnaire à tous les Etats membres.
Les réponses arrivent et disent que c'est l'interprétation de la commission qui est la bonne. Les trois étapes sont interdites : filtrage, traitement, épuration. De manière à ce qu'il n'y ait aucune ambiguïté, nous discutons avec les Etats membres d'un renforcement de la décision prise par la commission en la matière pour être certain qu'il n'y ait aucune possibilité de tels abus.
En outre, concernant les préoccupations en matière de santé publique, il faut aussi reconnaître que les consommateurs sont tout simplement choqués par une telle révélation. Il y aurait certainement une très grosse résistance du consommateur à une telle utilisation. On peut donc partir de l'idée que c'est déjà quelque chose de dépassé qui ne devrait plus se faire dans l'avenir.
M. Pierre LELLOUCHE : Monsieur le Commissaire, j'aimerais vous interroger sur deux points. Je vous ai écouté avec fascination. I was quite fascinated by what you said.
Tout d'abord sur le principe de précaution, j'ai noté les critères que vous avez définis et qui sont pour moi très intéressants parce que c'est la première fois que je vois une liste aussi précise.
D'après ces critères, à votre sens, la position du Gouvernement français qui a considéré sur la base de nos experts qu'il n'est pas sage d'importer du b_uf britannique aujourd'hui rentre dans le principe de précaution ou pas ?
Vous avez dit : " proportionnate, non discriminated, time limited, cost effectives and time used to developpement of certificate information ". Ces critères ne satisfont pas la position française. Dans ce cas, pourquoi la commission a-t-elle décidé d'entamer les poursuites contre le Gouvernement français ?
Deuxième question : sur les O.G.M., je suis très troublé par ce que vous avez dit. C'est vrai qu'aucune indication scientifique ne montre un danger particulier sur les O.G.M. ni dans un sens ni dans l'autre ; il y a des incertitudes, mais vous en tirez argument pour déplacer en fait la responsabilité sur le consommateur.
Vous êtes en train de nous dire que puisqu'il n'y a pas de certitude scientifique dans un sens ou dans un autre, c'est au consommateur de se déterminer. Au fond, cette philosophie n'est pas très éloignée de celle des Etats-Unis. Je ne vois pas sur quoi nous nous battons avec les Etats-Unis à Seattle si nous avons la même philosophie sur tous ces points.
Troisième question : puisque vous êtes en charge de la santé - je sais que nous sommes ici dans le temple de la libre circulation du marché intérieur - ne pensez-vous pas que le marché intérieur et la libre circulation doivent avoir pour limite la sécurité physique des personnes qui relève de la responsabilité ultime de l'Etat et non pas des experts ?
M. le Président : Sur le principe de précaution, je veux en profiter pour vous demander de préciser les choses. Si j'ai bien compris, vous avez indiqué que le principe de précaution ne s'applique pas à l'évaluation du risque, mais à la gestion du risque.
Je ne suis pas spécialiste de la question et nous sommes tous ici des parlementaires en phase d'investigation pour essayer de comprendre les choses. Ne peut-on penser que le principe de précaution puisse inspirer les deux moments de la prudence, à savoir l'évaluation du risque et la gestion du risque ?
Pour prendre tel ou tel produit sur le marché, il y a une interrogation, un doute. Il y a deux façons d'aborder les choses. On peut nous dire : " Vous prétendez que c'est dangereux, prouvez-le ! ". On peut dire aussi : " Il y a des doutes, prouvez que cela n'est pas dangereux ! "
A ce niveau-là, le principe de précaution peut quand même déjà inspirer la réflexion.
Ensuite, au niveau de la formulation du risque et de la gestion du risque, il faut appliquer le principe de précaution au moment où l'on prend la bonne décision. Le problème dans le doute n'est pas de ne rien faire ; le problème est de trouver la bonne décision en pesant les avantages et les inconvénients. On gère donc également en application du principe de précaution.
J'aimerais que, dans vos réponses aux questions de M. Lellouche, vous puissiez nous clarifier ces éléments. Demain, nous devons entendre les spécialistes sur les questions de principe de précaution dans notre pays et j'aimerais savoir si nous comprenons bien la manière dont les choses peuvent être abordées.
M. David BYRNE : Je vous remercie de ces questions et je vais tenter d'y répondre.
Premièrement, permettez-moi de dire que le risque zéro n'est pas encore une option réaliste vis-à-vis de l'E.S.B. (encéphalite spongiforme bovine). La France connaît aussi des difficultés à éliminer cette maladie.
Il s'agit de savoir comment traiter la situation. Je ne veux pas entrer trop en détail dans la question du contentieux devant la Cour de justice. Mais vous avez soulevé la question de l'application du principe de précaution par la France par rapport à ces questions.
Tout d'abord, permettez-moi de dire que la France n'a jamais évoqué le principe de précaution par rapport à l'E.S.B. (encéphalite spongiforme bovine) soit vis-à-vis du Royaume-Uni, de la France ou d'ailleurs. C'est un aspect qui a été soulevé dans la procédure qui est maintenant devant la Cour de justice.
En invoquant le principe de précaution - vous n'avez pas évoqué les critères -, la toute première nécessité, c'est l'absence de données ou de preuves scientifiques, ou alors une présence si pauvre en données scientifiques qu'il faut appliquer le principe de précaution.
Il ne faut donc pas prendre pour acquis l'application de ce principe de précaution, car les scientifiques ont été amenés à traiter ces questions pendant un certain nombre d'années, et surtout au cours des 18 derniers mois. Les conclusions tirées par les scientifiques sont que l'interdiction de l'exportation de b_uf britannique pouvait être levée dans certaines circonstances.
Si l'on pouvait établir que le risque dans une zone particulière était si minime que, si des conditions étaient appliquées à l'exportation de viande bovine, dans ces circonstances, il s'agit du système d'E.B.E.S.P.*, dans ce cas l'exportation de ces viandes bovines - la décision avait été prise de manière unanime par les membres scientifiques du comité scientifique - et cette viande bovine était aussi sûre que tout autre viande bovine produite dans l'Union européenne.
Le système d'E.B.E.S.P.* a été établi comme étant celui qui fournit ce niveau de sécurité, et les scientifiques ont pris cette décision de manière unanime. Ces scientifiques proviennent de presque tous les Etats membres de l'Union européenne ; tous des scientifiques au zénith de leur carrière, présidés par un Français expert dans ce domaine. A mon avis, l'emploi du principe de précaution dans ces circonstances n'est pas approprié.
Il y a eu des dangers si le principe de précaution est appliqué de manière incorrecte car il peut se retourner contre n'importe quel Etat membre. Et les produits de n'importe quel pays, qu'il s'agisse de la viande porcine ou du fromage français, de la viande bovine ou du fromage britannique, peuvent devenir le point focal d'une attention démesurée.
Si l'on ne peut pas analyser la situation suffisamment bien, on peut créer une anxiété et une inquiétude démesurées parmi les consommateurs et le fonctionnement du marché interne peut être dérangé de manière non justifiée. Il s'agit de savoir en quoi consiste le principe de précaution, et de savoir l'appliquer de manière rigoureuse là où il faut l'appliquer.
Concernant les O.G.M., je dois dire que la position de l'Union européenne est tout à fait différente de celle des Etats-Unis ou en tout cas différente de l'opinion majoritaire aux Etats-Unis. Mais cette opinion évolue en direction de l'opinion de l'Union européenne ; on commence à exprimer certaines préoccupations aux Etats-Unis, alors qu'auparavant, de telles préoccupations n'étaient pas entendues.
Il serait injuste de tirer la conclusion de ce que j'ai dit en disant que la responsabilité par rapport aux O.G.M. se déplace vers le consommateur là où il y a un danger résiduel. Je ne crois pas que l'on puisse dire cela.
Cela dit, je pense qu'il faut continuer à examiner ces questions car il y a une énorme résistance de la part des consommateurs. Et là où il y a une possibilité de danger, il faut examiner ces questions, et s'il y a danger, les produits alimentaires de cette catégorie doivent être éliminés de la chaîne alimentaire. Mais nous n'avons pas d'information en ce sens pour l'instant.
Comme je vous l'ai dit tout à l'heure, certains avantages découlent des O.G.M. dans des circonstances que j'ai décrites. Il y a des médicaments O.G.M. qui sont utilisés. Certes, on n'a pas braqué l'attention là-dessus car l'équilibre entre les avantages et les désavantages est tout à fait différent dans le cas des médicaments ; on n'est pas obligé de consommer certains aliments. La résistance n'est pas la même dans les deux cas.
En tout cas, cet aspect n'est pas le seul qu'il faille examiner. Nos décisions doivent être fondées sur les données scientifiques, et nous n'avons pas de preuve scientifique disant que les O.G.M. sont dangereux.
Vous m'avez demandé, M. le président, de parler du principe de précaution et de dire s'il faut appliquer ceci à la fois dans la gestion du risque et de l'évaluation du risque. Je ne le crois pas. Je crois qu'il faut demander aux scientifiques de faire ce qu'ils ont à faire sur la base de leurs capacités scientifiques. La gestion des risques identifiés par les scientifiques relève plutôt, à mon avis, du législateur. Après tout, c'est le législateur qui est responsable devant la population et non pas les scientifiques.
Il serait faux de demander aux scientifiques d'effectuer le jugement. C'est du domaine du politicien qui est responsable devant l'opinion publique. Les scientifiques ne devraient pas fonctionner comme législateurs ; il faut une séparation nette entre les deux fonctions.
C'est pourquoi j'estime qu'il s'agit de quelque chose qui relève de la gestion des risques, et c'est au concepteur et gestionnaire politique de traiter de ces questions et non pas aux scientifiques.
Je crois que ce débat sur le principe de précaution va gagner un élan supplémentaire lorsque notre Livre blanc sera publié dans deux semaines, et nous aurons tous l'occasion de mieux comprendre ce dont il s'agit et où nous voulons que ce principe s'applique, surtout dans nos relations avec les différentes associations et nos partenaires commerciaux qui estiment que nous appliquons le principe de précaution de manière protectionniste plutôt que de manière ouverte. Je ne crois pas que cela soit justifié et je pense qu'il convient d'expliquer un certain nombre de choses aux Etats-Unis. Une fois que le Livre blanc aura été publié, nous pourrons discuter de ces questions de manière plus fertile et plus positive.
M. le Rapporteur : Vous avez fait allusion aux spécialistes tout à l'heure dans le cadre du dossier de l'E.S.B. Nous avons appris - encore faut-il que cela nous soit confirmé - que les spécialistes de la commission européenne ne comptaient pas vraiment de spécialistes scientifiques du prion tels que nous avons pu les entendre au cours de notre commission d'enquête.
Nous avons auditionné à la fois les responsables européens et français. En matière scientifique, il y a absolument identité de vue. Nous avons le sentiment qu'en fait, les questions posées aux scientifiques français et à ceux de la commission européenne étaient différentes. Des questions différentes induisant des réponses différentes, il y aura peut-être nécessité d'harmoniser le fonctionnement. C'est certainement un souci que vous aurez dans le cadre de la mise en place de cette agence européenne par rapport aux agences qui existent sur un plan national.
Pour tout cela, nous sommes en période de gestation. Mais sur ce dossier, nous avons l'impression que cela s'est passé de manière plutôt particulière et que les différentes positions, notamment scientifiques, l'étaient par rapport à un questionnement différent.
M. David BYRNE : (interprétation) : Permettez-moi de réagir à cette question. Deux comités ont eu la possibilité de se pencher sur la question. Initialement, un comité ad hoc constitué d'une douzaine d'experts en la matière s'est penché sur toutes les informations récentes, notamment celles que j'avais demandées à la France ainsi que toutes les données actualisées venant du Royaume-Uni.
Le comité a préparé son rapport qu'il a envoyé ; ce rapport reprenait toutes les questions posées en la matière et se fondait sur toutes les informations fournies par la France et le Royaume-Uni et l'a transmis au comité directeur scientifique qui s'est penché sur ce texte et qui a pris en compte toutes les informations fournies par ce comité ad hoc qui a ensuite abouti à une conclusion unanime disant que les exportations de bovins britanniques dans le contexte de ce système étaient aussi sûres que les exportations provenant d'autres pays européens. Voilà comment les choses ont fonctionné.
Bien sûr, lorsque l'on pose des questions, il convient toujours d'être très prudent sur la manière dont elles sont posées. Il faut s'assurer que la question posée le soit de manière ouverte de telle façon que ceux à qui elles sont posées puissent répondre complètement. Je ne crois pas qu'il y ait eu une controverse sur le type de question posée, soit par le comité directeur - comité qui avait pour charge d'évaluer les informations fournies et de voir s'il fallait changer la position -. Je ne connais pas les questions qui ont été posées en France, mais je suis convaincu que les autorités françaises n'ont pas demandé à l'agence de se prononcer pour savoir si la consommation de la viande bovine était absolument sans risque. La réponse devait nécessairement être non, parce que rien n'est jamais sans risque, pas même la viande bovine française ou une autre viande bovine. On part donc de l'idée que ceux qui posent les questions savent ce qu'ils font et ce qu'ils demandent, et qu'ils se comportent de manière responsable en posant une question qui laisse la possibilité au scientifique de fournir une réponse complète à la question posée.
M. le Président : Monsieur le Commissaire, nous n'avons pas pu aborder toutes les questions que nous aurions souhaité aborder. Nous vous remercions d'avoir accepté de nous rencontrer et d'avoir apporté votre contribution à l'enquête que nous sommes en train de réaliser.
Nous ne sommes pas des scientifiques, nous sommes des parlementaires et nous essayons de comprendre. Je ne doute pas que ce que vous nous avez indiqué constitue un élément intéressant de notre travail. Le débat reste ouvert sur bien des questions, mais c'est le propre des grandes questions de ce type.
J'espère qu'avec la publication du Livre blanc, nous aurons matière à travailler et à l'enrichissement du débat qui va s'instaurer entre notre pays et les autres pays de l'Union européenne.
M. David BYRNE : (interprétation) : Merci, M. le président, messieurs. Ce fut une expérience très utile pour moi que d'avoir pu discuter ainsi avec vous.

Audition de M. KECK entouré de ses collaborateurs,
Direction générale des entreprises et
sociétés de l'information
(responsable de la législation alimentation)

(extrait du procès-verbal de la séance du Mardi 11 janvier 2000)
Présidence de M. Félix LEYZOUR, Président
M. Keck présente son équipe.
M. le Président présente la commission d'enquête parlementaire et la mission qui lui a été confiée.
M. le président : Je vous présente notre délégation. Nous sommes une commission d'enquête parlementaire, constituée au niveau de l'Assemblée nationale. Cette commission comprend trente membres, représentant les différents groupes politiques de notre assemblée. Sa création résulte d'un vote unanime de l'Assemblée nationale. Les trente membres ne peuvent pas faire tous les déplacements. Nous sommes quatre parlementaires : M. Angot, député, M. Chevallier, Rapporteur de la commission, M. Evain, membre de la représentation permanente, moi-même, M. Leyzour, Président, M. Lellouche, parlementaire.
Nous avons procédé à de très nombreuses investigations et auditions en France.
Nous avons comme objectif de présenter un rapport dans les mois qui viennent. La mission que nous a confiée l'Assemblée nationale porte sur des questions importantes pour la France, la sécurité et la transparence dans le domaine alimentaire.
Nous souhaitions venir à la rencontre des responsables européens pour voir comment ces questions sont abordées. Nous arrivons au bon moment puisque le " Livre blanc " va être rendu public très prochainement.
Je demande maintenant au Rapporteur d'aborder les questions sur lesquelles nous souhaiterions avoir quelques éclaircissements.
M. le Rapporteur : Les points essentiels ont été rappelés par le Président. Nous arrivons à un moment un peu particulier avec la publication du " Livre blanc ". On nous a annoncé qu'il comportait 82 propositions.
Notre commission réfléchit à l'harmonisation des règles applicables aux Etats. Nous avons souvent entendu parler du principe de précaution. Nous aimerions savoir quelle approche vous en avez au niveau de votre direction.
Un autre point porte sur le dossier des organismes génétiquement modifiés (O.G.M.).
M. KECK : Nous allons commencer avec le " Livre blanc " qui est prêt. Il va être examiné par la Commission demain et il sera ensuite présenté au grand public. La mesure principale contenue dans ce document concerne la création d'une autorité européenne pour les denrées alimentaires. Cette autorité sera chargée de l'évaluation du risque et de l'information sur ce risque. La gestion du risque appartient aux autorités du fait des Traités.
M. Pierre LELLOUCHE : La gestion du risque sera-t-elle assurée par la Commission et les Etats ou par la Commission seule ?
M. KECK : La Commission va présenter des propositions. Nous en sommes actuellement dans la procédure de codécision avec le Parlement. Cela peut passer en première lecture ou non s'il y a une différence de point de vue entre le Conseil et le Parlement. La proposition peut ou non être adoptée en première lecture selon les positions du Conseil et du Parlement. Il peut y avoir aussi conciliation, les décisions étant prises en seconde lecture. Si l'on n'arrive pas enfin à se mettre d'accord sur le traité d'Amsterdam, la proposition devient caduque.
Il faut mentionner ensuite la législation pour les denrées alimentaires qui, en principe, est déjà en place. Le problème que nous avons eu avec l'E.S.B., avec la dioxine, et même avec le Coca Cola, ne résulte pas de la législation existante, bien qu'il faille reconnaître que la législation doit encore être complétée.
Le " Livre blanc "prévoit une loi-programme qui intègre une liste de propositions législatives que la Commission va soumettre aux Etats membres et au Conseil.
Le point clef en sera l'exposé des principes généraux de la législation sur les denrées alimentaires. C'est un élément qui manque et qui permettra d'énoncer quelques principes de base. Un des principes que l'on va essayer de rétablir est l'obligation pour les producteurs de produire des denrées alimentaires saines. Cette responsabilité doit être plus clairement établie qu'avant.
Ensuite, il y a d'autres points. Mme Testori ou Mme Brucci pourront vous donner les priorités de la législation des denrées alimentaires.
Par souci d'unité dans tous les éléments de la chaîne alimentaire, la Commission va probablement décider de mettre les législations et les contrôles sous la responsabilité de la direction générale S.A.N.C.O., y compris pour la nutrition animale. Or, pour l'instant, la direction générale S.A.N.C.O., santé du consommateur, est aussi en charge des comités scientifiques qui, selon notre philosophie, doivent avoir une vie à part. Pour que leur objectivité soit assurée, ces comités doivent être complètement indépendants des services qui assurent la gestion des risques et la communication. Pour l'instant, il existe un conflit qui sera résolu quand l'autorité alimentaire aura été mise en place.
M. Pierre LELLOUCHE : Cette autorité ayant été précisément mise en place et la Commission préparant la législation, vous nous avez expliqué que nous sommes dans un système de prise de décision passant par le Parlement européen et par le Conseil. Ceci est relativement classique, encore qu'il s'agisse de matières essentielles qui relèvent de la subsidiarité. C'est la sécurité physique des personnes qui est en cause et cela pourrait donc être discuté. J'aimerais connaître la base juridique de votre raisonnement.
Je voudrais poser un cas d'école qui va se concrétiser inévitablement dans deux ans. En supposant que l'autorité européenne existe, une crise arrive, dioxine, listeria ou autre. L'autorité est saisie. Par qui est-elle saisie ? Ensuite, elle donne un avis. Cet avis s'impose-t-il aux gouvernements ? Un Etat peut-il décider que l'avis de l'autorité ne lui convient pas, au regard des avis qu'il peut recueillir dans son propre pays ? A ce moment-là, qui décide ?
Autrement dit, ma question en recèle deux autres : quelle est la base juridique qui vous amène à considérer que toute la législation en matière de sécurité alimentaire échappe en réalité aux parlements nationaux, puisque tout est réglé entre le Conseil, la Commission et le Parlement européen ?
Par ailleurs, qui décide de quoi, en cas de crise, une fois cette autorité européenne créée ?
M. KECK : L'article 95 concerne le marché intérieur. Théoriquement, s'il n'y avait pas un marché intérieur pour l'Union européenne, on n'aurait pas besoin d'une législation européenne. L'article 95 fait en sorte que, pour les denrées alimentaires et pour d'autres produits, le marché intérieur existe. En même temps, les dispositions de l'article 95 précisent que, lorsque l'on travaille sur le marché intérieur, il faut assurer un niveau élevé de protection du consommateur.
Sur cette question de la sécurité, nous ne cherchons pas à régler tous les aspects de la législation des Etats membres. Nous agissons, lorsque nous nous apercevons qu'il y a besoin de régler une partie de la législation qui fait obstacle à la libre circulation des denrées alimentaires.
Pour vous donner un exemple, nous ne l'avons pas encore fait, mais il faut que nous le fassions : la dioxine. Il n'existe pas de législation européenne sur les contaminants, ni le plomb, ni le cadmium, ni les dioxines. Il y a des législations nationales. Avec la crise de la dioxine, nous nous sommes aperçus qu'il fallait harmoniser les législations sur la dioxine. C'est cela la base. Mais les contaminants ne sont pas réglés à l'heure actuelle au plan européen. Vous pouvez dire que c'est à tort ou à raison, mais cela est un autre débat.
Je vais demander à Chantal Brucci de vous expliquer comment l'état de crise est déclenché.
Mme Chantal BRUCCI : La clause de sauvegarde est actuellement gérée par la direction générale de la santé, S.A.N.C.O. Pour revenir à la question " qui peut saisir l'agence ? ", ce détail n'est pas encore réglé dans le "Livre blanc". Cela se fera dans le cadre du règlement qui créera l'agence.
Je peux imaginer que n'importe quelle partie intéressée peut saisir l'agence. Un Etat membre, la Commission, une entreprise. Nous avons tout intérêt à mettre en place un système par lequel toute entité qui est en mesure d'informer l'autorité européenne d'un danger potentiel doit pouvoir le faire. Il appartiendra à l'agence spécialisée de vérifier l'urgence et l'importance du dossier et d'informer l'ensemble des parties.
Mme Paola TESTORI : Je pense que vous, hommes politiques, vous voyez que la Commission propose de constituer un nouvel organisme, qui rentre dans le scénario européen. Si j'étais un homme politique, je me demanderais quel pouvoir va prendre cette autorité.
Cette autorité ne va pas prendre un nouveau pouvoir. Elle va essayer de constituer une base commune à travers les quinze Etats, pour qu'un des volets qui rentrent dans les décisions " making process ", le volet scientifique, soit un volet unique où les Quinze aient la même position.
La Commission s'est rendu compte que la base scientifique a une grande importance dans la décision politique et qu'il faut essayer d'avoir une base scientifique commune. Ce n'est pas la Commission qui va dire que l'opinion scientifique de l'Agence s'impose au niveau européen. C'est l'Agence, travaillant en réseau avec les organismes nationaux s'ils existent ou avec d'autres organismes nationaux qui s'occupent de la matière, qui devrait constituer une telle excellence qu'elle parvient à une opinion scientifique incontestable.
Après, le contre-pouvoir politique est le fait des gouvernements nationaux. Ils ont la responsabilité des décisions politiques, D'autres éléments peuvent rentrer en jeu. Une décision politique n'est pas seulement faite de la transformation d'une opinion scientifique en décision. D'autres intérêts peuvent rentrer en jeu. C'est le devoir des gouvernements nationaux avec les Parlements...
M. Pierre LELLOUCHE : ... nationaux.
Mme Paola TESTORI : Attention ! Vous entrez dans les compétences fixées par le Traité. Le Traité a fixé les domaines de compétence de l'Union européenne. Sur le marché intérieur, la compétence n'est plus une compétence législative nationale, mais une compétence de l'Union européenne. Nous ne pouvons pas remettre cela en discussion. Je comprends votre souci, mais nous ne sommes pas ici pour rediscuter de la répartition des compétences établie par les Traités. On doit le faire par une modification des Traités. Pour nous, c'est un acquis.
M. HOLWEISBERG : C'est un point institutionnel crucial. Je comprends votre position en tant que Parlement national : " quel est le rôle que je peux jouer dans ce contexte ?". Après tout, le Conseil, la commission, l'Agence, ce sont des organismes un peu lointains du Parlement national.
M. Pierre LELLOUCHE : Loin des électeurs aussi !
M. WEISBERG : Dans mon pays, la situation est telle, que si le représentant du gouvernement national va au Conseil des ministres dans le cadre de la colégislation, il y a un retour politique avec le Parlement national dans les questions de vitalité. Il y a une vérification avec le Parlement national, chaque fois que le délégué allemand va à Bruxelles. C'est votre porte d'entrée, politiquement, pour le Conseil des ministres.
M. le Président : Nous avons un débat de fond sur les questions européennes. Pour prendre le problème qui nous préoccupe, vous avez dit qu'avec le " Livre blanc ", il y aurait création d'une autorité européenne. Cette autorité va composer un comité d'experts qui vont évaluer le risque. Comment seront choisis ces experts ? Qu'est-ce qu'un expert ? Qui va les nommer ?
A cet égard, nous sommes d'accord sur la nécessité que des scientifiques évaluent le risque. Comment cette autorité pourra-t-elle travailler avec l'existant dans les différents pays ? Nous ne partons pas de rien ! Dans notre pays, vient de se constituer une agence nationale qui a aussi une même vision des choses, à savoir le rôle des experts.
Ensuite se pose le problème politique de la gestion du risque, une fois celui-ci évalué. Même sur l'évaluation du risque, il peut y avoir des approches différentes.
Ensuite, il y a la gestion du risque. C'est là que se pose la question abordée par M. Lellouche. Comment conduire cette gestion politique au plan européen ? En même temps, quel sera le rôle des divers Etats dans l'application et dans le contrôle ? Nous sommes au c_ur de grandes questions.
M. Pierre LELLOUCHE : D'après ce que vous savez, l'avis de cette autorité - qui sera incontestable - sera-t-il consultatif ou obligatoire ? Sur qui ? Sur le Conseil ? Sur la Commission ? Les gouvernements seront-ils automatiquement engagés au niveau du Conseil ou pas ?
La remarque qui consiste à faire une vérification, chez nous par le biais de l'article 88 de la Constitution en faisant intervenir la délégation européenne me paraît totalement insuffisante par rapport à l'enjeu de l'affaire. Il me semble que vous vous êtes placés sur l'article du marché intérieur en considérant que les problèmes relatifs à cette sécurité sanitaire sont un obstacle à la libre circulation, alors, qu'à mes yeux, elle devrait être une condition de la libre circulation.
Ce faisant, vous êtes en train de dessaisir les Etats-Nations et les Parlements de responsabilités fondamentales dans la sécurité humaine. Vous êtes en train de construire une " usine à gaz " qui politiquement, ne pourra pas fonctionner, puisque la responsabilité ultime dans une démocratie est d'assurer la sécurité physique des citoyens, que ce soit en matière de justice, de police ou de sécurité sanitaire. En écartant complètement les élus par le biais de la codécision, dans la préparation, puis dans l'application de mesures décrétées par les autorités scientifiques, quelles qu'elles soient, vous êtes en train de créer un vrai problème, qui ne sera pas seulement français.
Je conteste formellement le raisonnement juridique qui mène à cela.
M. KECK : Je vois que vous avez beaucoup de problèmes. Nous sommes des fonctionnaires ; nous ne pouvons vous donner que des réponses de fonctionnaires. Les choses sont moins émotionnelles que vous ne le croyez.
Pour vous donner un exemple, concernant les produits pharmaceutiques, on a créé à Londres une agence - on peut dire autorité ou agence - qui fait l'évaluation des produits pharmaceutiques. 180 personnes y travaillent. Le conseil de direction est composé des autorités des Etats membres. Dans chaque Etat membre, il y a une autorité qui donne des autorisations pour les produits pharmaceutiques : une pour les produits humains, une pour les produits vétérinaires.
Pour la sélection, sur la question d'excellence, nous appliquons des procédures sur lesquelles nous ne pouvons pas revenir dans le détail. Le " Livre blanc "vous dira que c'est ce que l'on cherche. Nous travaillons aussi avec les Etats membres pour parvenir à un consensus. Quant à l'avis rendu, il n'a rien d'autre à dire que c'est sûr, sous certaines conditions, ou que ce n'est pas sûr. Cet avis scientifique déclenche la gestion des risques.
C'est alors qu'intervient le principe de précaution, si l'on ne dispose pas de suffisamment de données scientifiques sûres. Mais si l'avis est assez sûr, cela déclenche - et tout le monde est impliqué - une proposition de la Commission pour un article de loi. C'est le cas pour les contaminants comme la dioxine dont le cas va être présenté au Conseil et au Parlement.
Le Parlement européen est aussi un Parlement élu. On ne peut pas dire que le Parlement européen n'est pas responsable. Les députés européens sont élus par le même électorat que vous ; ce sont les Français, les Allemands, les Belges, les Anglais... Le Parlement européen représente donc également un contrôle parlementaire sur la législation que l'on produit. Vous avez un double contrôle par le biais des Etats membres et le retour avec leur Parlement national et, en deuxième instance, de par la définition de la législation, vous avez aussi un Parlement européen élu.
A l'heure actuelle, les comités scientifiques ne sont pas assez étoffés ; la construction n'est pas assez solide ; ils sont très chargés. Nous travaillons depuis la crise de l'E.S.B. en 1997 à la même construction, mais dans un profil plus grand, plus solide et avec une plus grande implication des Etats membres, dans la mesure où l'on est en train d'établir cette nouvelle législation. Cela dit, il y a eu un conflit entre un avis rendu par votre agence et un avis rendu par les Etats membres sur la question des hormones.
M. le président : Par rapport aux avis différents qui ont été donnés sur la question de l'E.S.B., il semble, qu'en réalité, les questions soumises aux experts n'étaient pas tout à fait les mêmes. C'est la raison pour laquelle ces avis ont été différents. La France s'est aussi trouvée devant une situation où elle a considéré que l'avis tel qu'il avait été donné ne lui permettait pas en fait de gérer le risque dans de bonnes conditions. C'est la raison pour laquelle elle a pris la position que l'on connaît.
M. KECK : Je ne connais pas le détail, mais, dès lors que l'autorité existera, avec l'implication des Etats membres, ces problèmes vont disparaître. Les Belges ont créé une autorité après la crise de la dioxine ; certains Etats membres n'en ont pas. Ou bien, ce sont les ministères qui assurent la fonction et il y a alors un conflit entre le rôle de législateur et le rôle d'évaluation du risque. La séparation n'est pas encore faite. C'est aux Etats membres de décider de la procédure, de la composition de l'agence et des modalités de travail.
M. le Président : Comment voyez-vous à l'avenir les relations de travail entre cette autorité et une agence comme l'A.F.S.S.A. qui existe en France ?
M. KECK : A mon avis, il faut se rapporter à l'exemple de l'agence pour les produits pharmaceutiques et vétérinaires située à Londres. Le travail se fait très étroitement avec le centre d'excellence ; tout le monde est en réseau informatique, Internet, fort bien protégé. Les dossiers sont échangés puis examinés, avant que soit saisi pour avis un comité d'experts présidé d'ailleurs par un Français pour ce qui concerne les produits à usage humain.
La discussion sur la forme finale n'est pas encore terminée. Le " Livre blanc "est le début d'une discussion qui offre à chacun la possibilité de s'exprimer.
Jusqu'à fin avril, nous sommes ouverts aux réactions du public, des O.N.G., des Parlements nationaux, des Etats membres. Après avoir rassemblé tout cela, nous donnerons la dernière forme à cette agence.
M. le Président : La publication du " Livre blanc " ne clôt donc pas le débat ; elle le relance !
M. KECK : En 1997, on a déjà publié un " Livre vert " sur les denrées alimentaires. Les discussions ont débuté en 1998, mais elles ont traîné, car nous voulions enquêter davantage sur l'agence. Tous ces débats, plus l'expérience de l'agence et la prise en compte de tous les commentaires que nous avions déjà reçus du public, de la profession, des Etats membres figureront dans le " Livre blanc ". Il est encore ouvert pendant trois mois pour recevoir les commentaires. Ensuite, nous proposerons des décisions aux Etats membres pour créer la base légale du système.
M. le Rapporteur : Il m'a semblé que vous aviez une position si maximaliste au regard de l'interprétation des traités que l'on pouvait se demander si l'agence française de sécurité sanitaire des aliments était légale au regard du traité de Rome. C'est la question que je vous pose.
Deuxième question : à l'heure actuelle, il y a une montée en puissance au sein de l'O.M.C. du Codex Alimentarius. Comment faites-vous pour faire en sorte qu'il y ait un ajustement entre les deux et qu'il n'y ait pas une déconnexion entre ce qui peut se faire à l'échelle internationale et ce qui est en train de se faire à l'échelle européenne ?
M. KECK : S'il y a un conflit entre l'avis d'un Etat membre et l'avis des instances communautaires, ce n'est pas forcément dû à un article de loi qui est passé par toutes les procédures. Pour nous, c'est le travail quotidien. Nous avons deux conflits par semaine dans tous les domaines.
S'agissant du Codex alimentarius, ...
M. Pierre LELLOUCHE : Vous n'avez pas répondu à la question. Si vous basez tout le sujet dont nous parlons ce matin sur l'article concernant la libre circulation et le marché intérieur, l'A.F.S.S.A. qui est un obstacle à la libre circulation quand elle donne des avis négatifs est absolument illégale ! Tout ce qui relève du marché intérieur relèverait de vous !
M. KECK : Les Etats membres sont libres. Il y a un eu un avis qui était contraire au nôtre. Il faut que quelqu'un tranche si l'on n'arrive pas à résoudre ce conflit.
M. Pierre LELLOUCHE : A votre avis, ce sont les juges qui doivent trancher ?
M. KECK : Oui, ce sont les juges, la Cour de justice européenne. C'est notre vie quotidienne parce que nous rencontrons des problèmes de cette nature : il y a des infractions que nous croyons être des infractions ; il y a des problèmes sur l'E.S.B. ou autres où votre législation est accusée par des firmes privées. Par exemple, sur la fameuse question de l'E.S.B., la firme Monsanto et Lily nous ont traînés devant la Cour de justice, en disant que la commission avait traîné les pieds en ne mettant pas les minima résiduels dans l'annexe II de la législation. C'est notre vie quotidienne et cela peut donc arriver.
M. Philippe BRUNETTE : S'agissant de l'articulation entre les agences nationales et communautaires, on peut prendre l'exemple de ce qui a été fait dans le domaine du médicament. Les comités scientifiques sont comme les tribunaux : vous trouverez toujours une instance d'appel qui, à un moment donné, infirmera la décision d'une précédente. Cela dépend de la question et des données qui sont soumises au moment où l'instance doit décider.
Dans le domaine pharmaceutique, ce qui a été fait, ce n'est pas une agence créée ex nihilo avec une expertise spécifique à cette agence, mais chaque agence nationale a délégué son potentiel d'expertise à l'agence. Les experts de l'agence qui s'occupent des médicaments ne sont pas des experts du troisième type, mais des experts qui exercent dans leurs propres Etats membres les mêmes expertises.
Donc, le type de situation difficile que l'on connaît maintenant avec des avis différents, voire antagonistes, ne peut pas exister, parce que les mêmes experts amenés à se prononcer aux niveaux nationaux doivent le faire au niveau communautaire et doivent répondre aux mêmes questions au niveau communautaire sur les mêmes données. Quand il y a un débat, il a lieu entre experts au niveau communautaire. On évite ainsi toute voie contentieuse.
M. Pierre LELLOUCHE : Les gouvernements sont encore responsables de l'introduction sur le marché de tel ou tel médicament ?
M. Philippe BRUNETTE : Non. Plus du tout !
M. KECK : Sauf si les sociétés veulent que cela soit limité au marché français.
M. Philippe BRUNETTE : Vous avez des médicaments d'origine biotechnologique extrêmement novateurs pour lesquels c'est la Commission qui délivre l'A.M.M.(autorisation de mise sur le marché). Pour les autres médicaments, c'est la société qui choisit si elle veut passer par la voie communautaire ou par la voie nationale. Il fallait que tous les Etats membres soient traités de façon équitable.
A la fin des années 80, des médicaments sont arrivés sur le marché ; les experts qui avaient l'expérience scientifique pour analyser ce médicament étaient trois et ils étaient tous américains. Pour certains Etats membres, la procédure d'évaluation se résumait à un coup de tampon pour une raison très simple : l'architecture biotechnologique du produit échappait à la connaissance de leurs experts. C'est pourquoi on a fondé la procédure d'autorisation sur ces produits. C'était en effet la seule façon de faire venir les experts américains qui, à l'époque, se déplaçaient en Angleterre ou en France et disaient ce qu'ils voulaient dire.
Pour certains autres produits, il y avait une expertise. Chaque expertise a été additionnée dans un comité européen qui n'a pas été créé de toutes pièces, mais qui est la somme des expertises nationales. Le dossier a été commun aussi. C'est très important, parce que les exigences et les paramètres à vérifier sont maintenant communs. Donc, la difficulté que vous évoquiez en disant que l'on ne peut pas être d'accord si on ne pose pas la même question a été contournée.
Nous avons un certain recul, puisque cela a débuté en 1995. Sur 185 procédures d'autorisation de mise sur le marché, aucune n'a jamais été problématique. Nous avons un filet de sauvegarde, car la décision de la Commission est soumise à un comité des Etats membres qui vote pour accepter ou non la décision de la Commission. Sur les 185, aucun n'a été refusé par les Etats membres.
Pourquoi ? Parce que chaque Etat membre sait que l'expertise communautaire est une partie de l'expertise nationale, puisque ses meilleurs experts ont participé à l'expertise communautaire. C'est très important, car nous avons autorisé des médicaments comme les quadrithérapies contre le sida pour lesquels les mêmes procédures d'expertises auraient pu prendre jusqu'à quatre ans dans certains Etats membres, alors que nous avons pu autoriser ces médicaments en 200 jours. Comme chacun a pu poser les questions au bon moment, chacun a pu participer à l'expertise scientifique, les Etats membres avaient les assurances. Leurs propres experts, dans un concert communautaire, ont pu poser les bonnes questions au bon moment.
M. Pierre LELLOUCHE : Considérez-vous que la mise en commun tire la législation vers le haut en termes de qualité ?
M. Philippe BRUNETTE : In fine, ce n'est pas une matière de législation. La législation que nous mettons en place est un cadre, une " boite à chaussures " ; cela ne veut pas dire qu'à l'intérieur, la chaussure sera de bonne qualité. Mais il est important que les Etats membres au fil du temps, aient envoyé dans ce comité leurs meilleurs experts.
S'agissant de la France, la nouvelle agence a toujours envoyé à Londres ses meilleurs experts. Jusqu'à preuve du contraire, le président du comité des médicaments, le professeur Alexandre, a été très longtemps le président de la commission de l'A.M.M. en France.
On évite les conflits parce qu'au bout d'une certaine période, les gens ont confiance les uns dans les autres. Quand les gens ne se connaissent pas entre européens, ils préfèrent aller voir ce que la F.D.A. en pense plutôt que ce que la France, l'Allemagne ou l'Angleterre en pense. En revanche, quand tous travaillent ensemble et qu'ils font venir quelqu'un de la F.D.A., celui-ci se déplace parce que quinze Etats membres le demandent. Deuxièmement, il y a eu un effet de synergie, à savoir que le potentiel scientifique de chacun des Etats a donné à ce comité une excellence scientifique.
M. le Rapporteur : Pensez-vous procéder de la même manière pour les O.G.M. ?
M. Philippe BRUNETTE : Ce que je viens de vous dire concernait les médicaments. Dans le cadre de la sécurité sanitaire, tout reste à faire. Le choix reste ouvert.
M. KECK : Avant de décider de mettre dans le " Livre blanc " cette autorité de sécurité sanitaire, nous avons demandé leur accord aux Etats membres. A l'unanimité, ils étaient d'accord pour avoir une agence.
M. Pierre LELLOUCHE : Le sujet n'est pas la critique de la mise en commun de l'expertise scientifique. Le problème que je pose est le suivant : la décision scientifique - à supposer qu'elle soit unanime -, à partir de laquelle se construit cette confiance dans des sujets très nouveaux comme les O.G.M., qui prend quelle décision en matière de sécurité alimentaire ensuite ?
Si l'on raisonne de façon à s'inscrire comme vous le faites implicitement, M. le Directeur, dans le système d'un Etat déjà fédéral, c'est tout à fait concevable, mais cela pose quelques problèmes. Nous ne sommes pas encore dans un Etat fédéral. Quand vous nous expliquez que la consultation démocratique se fait déjà par le biais d'un autre Parlement et que c'est tant pis pour nous... !
M. KECK : Ce n'est pas ce que j'ai dit.
M. le Président : Notre commission aborde les problèmes de sécurité et de transparence. En abordant ces questions, il y a beaucoup d'autres questions à caractère très politique qui se posent. Ces questions viennent dans le débat ici et là. Ce n'est pas ici entre nous que nous allons trancher ce débat, mais il était intéressant d'avoir votre opinion sur ces problèmes.
Nous savons que la sécurité alimentaire intéresse tout le monde. L'approche de ces questions n'est pas la même aujourd'hui dans tous les pays européens. Probablement que sera encore différent demain avec l'élargissement. Comment essayer d'avoir l'harmonisation en tirant vers le haut les problèmes de sécurité ? C'est notre préoccupation.
M. KECK : Tout le débat a été déclenché avec l'E.S.B., puis la dioxine, Coca Cola, plus la listeria aujourd'hui. Ce n'est pas un problème de législation. On peut améliorer celle-ci ; même avec une législation parfaite, ces problèmes auraient pu se produire ; ils vont se reproduire.
La législation n'est pas le problème ; c'est le contrôle qui fait problème - on entre là dans le domaine de la subsidiarité - parce qu'il est confié aux Etats membres. On va essayer d'avoir une construction à trois étages : responsabilité des producteurs, des Etats membres, et à Dublin, une agence (O.A.V.) vérifie que les Etats membres opèrent leurs contrôles selon la législation sur laquelle tout le monde s'est mis d'accord.
M. le Rapporteur : Les règles sont édictées. Quelle est la certitude et la garantie que ces règles sont rigoureusement appliquées dans l'ensemble des Etats membres ?
La responsabilité des administrations concernées est importante. On a perçu ici et là au niveau de notre commission d'enquête que, dans certains pays, l'application des réglementations ne se faisait peut-être pas avec la même rigueur partout. On nous renvoie à l'O.A.V., l'organisme de Dublin. Quelle est la réalité de ses moyens ?
Mme Paola TESTORI : Depuis 1997, la Commission a voulu renforcer les possibilités de contrôles sur les Etats membres. On a donc établi cet office, qui fait partie de la commission, situé à Dublin. On lui a donné beaucoup de ressources avec 120 inspecteurs qui sillonnent les quinze pays pour contrôler que les Etats membres remplissent de façon correcte les obligations édictées dans les lois.
M. le Rapporteur : Ils travaillent avec l'administration de chacun des pays ?
Mme Paola TESTORI : Oui. Les inspecteurs ne font pas de contrôles dans les usines. Ils vont dans les administrations nationales en charge des contrôles et font des audits pour voir comment la législation nationale répond aux obligations fixées par les lois européennes ou les lois nationales appliquant les lois européennes.
Dans des cas spécifiques, comme ceux de Coca Cola ou de la dioxine, nous pouvons demander à l'autorité nationale d'aller contrôler des usines particulières. Ce sont des contrôles " on the spot ". En général, nous contrôlons la performance de l'autorité nationale. C'est un des points les plus innovants du " Livre blanc ".
Pour le contrôle, la législation et les règles sont en place, mais vu que la responsabilité appartient aux Etats membres, ceux-ci l'appliquent de façon différente. Aujourd'hui, dans le marché intérieur, les produits circulent, mais si vous prenez les quinze autorités nationales, les niveaux de garantie offerts sont différents.
C'est pourquoi le " Livre blanc" est, à mon sens, révolutionnaire. On propose de renforcer le cadre communautaire pour établir avec les autorités nationales des " lignes guides ", une coopération administrative, un échange de fonctionnaires. On veut obliger les Quinze  à travailler mieux ensemble pour assurer que le niveau de contrôle soit meilleur.
M. le Rapporteur : Pour assurer le respect d'un cahier des charges.
Mme Paola TESTORI : La proposition la plus importante à mon avis dans la liste des 82, avec les Etats membres, concerne la mise en place d'une nouvelle législation qui fixerait des principes généraux et obligerait les Etats membres à répondre à un cahier des charges, à une " ligne-guide ". Cette nouvelle législation de contrôle couvrirait toute la chaîne alimentaire depuis les producteurs d'aliments pour animaux - qui sont dans le flou actuellement étant soumis à un contrôle pas assez sérieux - jusqu'à la fin de la chaîne alimentaire, c'est-à-dire jusqu'aux produits distribués. Elle fixerait des principes à cette chaîne alimentaire et obligerait les Etats membres à travailler ensemble pour arriver à un cadre communautaire identique pour tous et respecté. Si l'autorité est fautive en ne répondant pas à ce cahier des charges, on peut l'identifier et la sanctionner.
M. le Rapporteur : C'est là que je vois poindre un risque dans ce nouveau cadre de dispositions qui priveraient certaines régions ou certains pays de productions jusque là tolérées, particulières ou à la limite de la sécurité sanitaire, parce que c'est une pratique ancestrale, que ce sont des habitudes...
Mme Paola TESTORI : La législation communautaire protège certaines productions ancrées dans les habitudes. S'il y a une raison objective pour garder une certaine production de façon spécifique, il y a une possibilité de reconnaître cette production avec ses spécificités, de lui donner un " logo " pour lui donner une valeur ajoutée.
On pourrait arriver à trouver un bon compromis entre la nécessité de fixer des règles minimales qui devraient s'appliquer à toute la production à tout niveau et la nécessité de préserver certaines productions spécifiques régionales qui doivent rester en dehors d'un cadre général pour certaines raisons objectives et reconnues.
M. le Rapporteur : Si l'on fait cela, c'est bien.
Mme Paola TESTORI : Je dis bien que l'on doit trouver un compromis.
M. le Rapporteur : Madame, vous avez dit une chose qui me semblait déterminante : au niveau des services de la Commission, vous vous rendez compte qu'il y avait des différences manifestes au niveau des contrôles dans les divers pays.
Mme Paola TESTORI : On les découvre. On le savait a priori. Avec nos rapports d'inspection qui augmentent depuis 1987, car nous avons plus d'inspecteurs, nous nous rendons compte, nous essayons à chaque fois de pousser.
M. le Rapporteur: Vous faites allusion au rapport de l'O.A.V. ?
Mme Paola TESTORI : Oui. Si vous lisez les rapports dans les divers secteurs, vous découvrirez qu'il y a encore des niveaux disparates pour certains secteurs en France, en Italie.
M. le Rapporteur : La commission d'enquête sera amenée à lire attentivement les rapports de l'O.A.V. qui n'étaient pas jusqu'à présent une lecture courante.
M. KECK : C'est une organisation qui existe depuis deux ans. Nous sommes arrivés à la conclusion qui vous est donnée par Mme Testori.
M. le Rapporteur : La sécurité alimentaire monterait en puissance au niveau européen ?
Mme Paola TESTORI : Nous le disons, mais il ne faut pas se cacher que le niveau européen est déjà un niveau très élevé. Nous voulons davantage. Nos inspecteurs voyagent dans le monde car, pour les produits vétérinaires, nous allons aussi inspecter dans les pays tiers. Notre niveau est déjà " hyper " bon.
M. le Président : Je pense que nous avons fait le tour des questions. Je vous remercie d'avoir accepté de nous avoir consacré une partie de votre temps. Nous aurons évidemment dans les tout prochains jours à attendre la traduction du " Livre blanc " car je crois qu'il est écrit en anglais.
Mme Paola TESTORI : Certaines parties, surtout concernant l'autorité, les ressources, les compétences, sont encore en discussion. Demain, il sera disponible à partir de 13 heures en anglais, mais le français ne sera pas disponible demain.
M. le Président : Nous avons aussi des spécialistes capables de le lire en anglais, mais il y a toujours des subtilités.
Nous aurons aussi à prendre connaissance des propositions qui seront faites et à les croiser avec celles que nous serons amenés à faire au gouvernement français. Notre commission a pour objectif de rédiger un rapport et d'essayer de dégager des propositions.
Nous ne sommes qu'une commission d'enquête ; nous ne sommes pas le Gouvernement. Nous essaierons de faire des propositions en tenant compte de tout ce que nous aurons pu déceler ici ou là pour aller vers toujours plus de sécurité et de transparence
dans le domaine alimentaire. Une fois ces deux termes employés, on a tout dit, mais tout reste à faire.
Nous avons terminé presque toutes nos auditions, les forums, etc. Le travail le plus difficile reste à faire, c'est-à-dire celui du rapporteur. Nous allons publier tous les entretiens qui ont eu lieu et il y aura un rapport de synthèse avec certaines propositions.
M. le Rapporteur : Si vous pouviez enrichir le site avec la réponse à la question que j'ai posée sur le Codex Alimentarius, cela nous aiderait.
M. KECK : Merci d'être venus. Comme je vous l'ai dit, le " Livre blanc " est le début d'une discussion avec trois mois pour réagir. Il a certaines relations avec votre rapport.
Nous n'avons pas eu le temps de discuter sur le principe de précaution. Nous avons l'intention de faire passer notre ligne-guide sur le principe de précaution le 26 janvier. En principe, c'est aussi une communication qui ouvre la discussion.
L'idée est d'avoir une certaine procédure dans le déclenchement du principe de précaution. On ne définit pas le principe de précaution, car c'est une appréciation politique. Cela fait partie de la gestion des risques par le pouvoir politique national, européen ou international.
Nous essayons d'énoncer quelques principes en ce qui concerne la santé ou l'environnement ; le principe de précaution est toujours déclenché par certaines indications, mais pas par une certitude scientifique bien fondée, surtout avec un lien très clair entre cause et effet.
Lorsque la décision est basée sur une appréciation politique, il faut toujours savoir si c'est une bonne décision. Il faut un processus de révision : ou l'on prend mesure après mesure, c'est l'appréciation de la situation. La mesure prise doit être proportionnelle au risque que l'on veut gérer. Peut-être y a-t-il d'autres manières de gérer un risque qui est moins difficile politiquement et économiquement.
L'application non discriminatoire peut être en faveur de certains groupes à l'intérieur d'un pays ou vis-à-vis d'un groupe d'Etats membres au plan international. Et surtout, quand on déclenche une mesure avec des interdictions, une mesure de gestion de risque, il faut continuer avec la recherche scientifique pour vérifier si la décision est bonne.
Si vous examinez le Codex Alimentarius, c'est lié à l'O.M.C. Dans l'accord sur les S.P.S., il y a obligation, en ce qui concerne les denrées alimentaires, que les mesures soient provisoires et sujettes à révision. On travaille sur ces hypothèses. C'est un sujet pour une discussion.
M. le Président : Nous allons rencontrer nos spécialistes français sur le principe de précaution.
M. KECK : Notre plus grande spécialiste est Mme Ajevski qui connaît bien les questions les plus en pointe du Codex Alimentarius, surtout concernant les questions d'hygiène. Elle est l'une des personnes à avoir rédigé la législation sur l'hygiène de la fourchette à la table.
Nous vous remercions.
Audition de M. Pascal LAMY,
commissaire chargé du commerce
(procès-verbal de la séance du mardi 11 janvier 2000)
Présidence de M. Félix LEYZOUR, président
M. le Président : Nous avons procédé à de nombreuses auditions dont les comptes rendus seront publiés ; un rapport de synthèse sera présenté par notre rapporteur.
M. le Rapporteur : Nous essaierons de dégager des pistes pour faire des propositions au Gouvernement, mais nous sommes dans une phase d'investigation et nous avons pensé qu'un détour par Bruxelles était nécessaire. Tout ce que nous avons vu et entendu depuis ce matin nous le confirme amplement.
M. Pascal LAMY : C'est un sujet sur lequel nous sommes en phase, si phase signifie concomitance de réflexion, de recherche de solutions. Nous sommes en phase sur ce qui est fait au plan national et sur ce que la Commission essaie de faire au niveau de l'Union européenne. C'est aussi en phase avec l'interface que nous avons à mettre en place au niveau de l'Union et ce qui se fait au plan international.
J'ai une position de jonction qui consiste techniquement à m'assurer que ce que nous faisons au plan européen ne contredit pas des engagements internationaux et ne pose pas à nos partenaires internationaux dans les échanges commerciaux de problèmes qui conduiraient à nous mener devant tel ou tel organisme de règlement des différends d'une part, et d'autre part, dans tout ce qui est négociation des accords internationaux.
Dans ce domaine, ma mission est de m'assurer que l'Union garde, pour ce qui est du niveau de protection qu'elle veut établir dans ces domaines, les mains aussi libres que possible. Je suis dans une position quelque peu contradictoire qui consiste à ce que nous ayons les mains libres - comme on doit les avoir quand il s'agit de telles préoccupations - parce que ce sont des préoccupations d'ordre public européen.
Les problèmes d'articulation entre cet ordre public européen et les ordres publics nationaux ne sont pas de mon ressort en tant que commissaire au commerce. C'est de mon ressort en tant que membre d'un collège qui se penche sur le sujet, mais ce n'est pas de mon ressort en tant que chargé de mission.
D'autre part, je dois quand même faire en sorte qu'en termes de niveau de protection, en termes de compréhension de nos propres enjeux sur ce sujet, nous soyons suffisamment convaincants à l'extérieur pour que cela ne soit pas considéré par tel ou tel comme un mauvais prétexte pour mettre des barrières aux échanges, d'autant plus suspectes, que nous pouvons nous les offrir, alors que d'autres ne le peuvent pas. C'est souvent le problème que nous avons dans ces domaines.
Disant cela, je pense être en accord avec ce que vous avez dit au départ. Nous sommes en phase et à un moment où ce sujet est à l'ordre du jour. Je n'ai pas beaucoup de certitudes sur ce sujet qui est complexe et sur lequel je ne suis pas expert techniquement. Je suis obligé de le prendre en compte comme un des sujets dans lesquels baignent les négociations internationales. Ce dont je suis sûr, c'est que cette question sera plus importante encore demain qu'aujourd'hui. Autant s'en occuper maintenant.
Là où il a un vrai point - que l'on essaie de transcender avec ce projet d'agence européenne qui date d'avant cette affaire -, c'est que cette situation où il y a contradiction dans la mise en place de ces normes, de leur application et de leur gestion entre les différents Etats de l'Union et l'Union elle-même est difficile à vivre et qu'elle me pose un problème sérieux dans mon travail.
En tant que commissaire chargé du commerce extérieur, mon intérêt est que ces problèmes soient résolus d'une seule voix au sein de l'Union. La raison en est simple. Je ne m'occupe pas de la " vache folle ", mais du b_uf aux hormones par exemple.
Ma position vis-à-vis des Américains serait la suivante : " Nous avons un certain nombre d'éléments scientifiques qui nous conduisent à penser que le b_uf aux hormones n'est pas bon pour la santé humaine et, par conséquent, nous prenons des mesures d'interdiction. Ecoutez et ne commencez pas à discuter nos avis scientifiques parce que c'est notre problème. " Ils me rétorqueront que c'est notre problème, mais qu'après tout, nous ne sommes pas tout à fait d'accord entre nous sur un certain nombre de sujets. Ils me diront que la crédibilité de notre position dans les instances contentieuses n'est pas facilitée par ce genre de choses.
Objectivement, si nous voulons vis-à-vis de l'extérieur, asseoir le niveau de protection que nous sommes en droit d'avoir sur un avis technique relève de notre décision politique. Après, joue le principe de précaution. Si nous voulons le faire, il faut alors de manière crédible vis-à-vis de l'extérieur, que ce que nous faisons vis-à-vis de l'intérieur soit crédible.
Le juge ultime de tout cela ne sont pas les techniciens. A la limite, ce n'est même pas vous ni moi, ni le Gouvernement français ; c'est l'opinion publique. Le juge ultime de la crédibilité de ces mesures, de ces normes et de la façon de les appliquer, c'est l'opinion !
M. le Rapporteur : Pour l'E.S.B., le gouvernement français ne s'est pas trompé. L'opinion a tranché.
M. Pascal LAMY : L'opinion française !
M. le Président : On sait bien que les choses ne sont pas faciles, mais la question qui est posée est de savoir si les problèmes posés sont réels.
M. Pascal LAMY : Sûrement.
M. le Président : Sur le principe de précaution, je pense qu'il y aura débat au niveau européen. Qu'est-ce que le principe de précaution ?
M. Pascal LAMY : On met un papier de doctrine sur la table.
M. le Président : Nous avons senti dans les discussions que nous venons d'avoir que le principe de précaution ne devait pas inspirer l'évaluation du risque, mais la gestion du risque.
Si l'on fait une différence entre la prévention qui concerne des risques avérés et la précaution qui concerne plutôt des risques potentiels, je crois que dans l'évaluation du risque, il y a quand même une certaine forme de prudence. Le principe de précaution ne doit pas être absent également de l'évaluation du risque. Ensuite, il intervient aussi pour la gestion du risque.
Si l'on nous dit que nous devons apporter la preuve quand nous prétendons que tel ou tel produit est dangereux, on peut poser alors le problème en disant que tel ou tel produit présente des risques et que, donc, dans l'incertitude, on ne peut pas s'abstenir, mais prendre un certain nombre de bonnes décisions. Voilà le fond du problème !
M. Pascal LAMY : Il est vrai que c'est le fond du problème. D'ailleurs, ce principe de précaution a été importé en matière sanitaire depuis le domaine de l'environnement où il est né quand il y avait des doutes sur les raisons de changements climatiques sur la couche d'ozone et sur le rapport entre l'émission de CO2 et la couche d'ozone.
Quand on a décidé de limiter les émissions de dioxyde de carbone, on n'avait pas d'analyses scientifiquement convaincantes que le dioxyde de carbone agissant sur la couche d'ozone provoquait des changements climatiques. Néanmoins, nous l'avons fait. C'est cela le principe de précaution ; il conduit à agir dans un contexte scientifiquement incertain. Ce n'est pas seulement la prudence, la marge de sécurité.
Pour revenir à la façon dont le sujet se présente en matière de commerce international, le principe de précaution existe en matière sanitaire et phytosanitaire dans l'article 20 de l'accord sanitaire et phytosanitaire de Marrakech. D'ailleurs dans l'interprétation qui a été donnée - y compris par le panel Hormones -, on a perdu non pas parce que les preuves que l'on donnait n'étaient pas les bonnes aujourd'hui, mais, parce qu'à l'époque où l'on a pris la décision, ce n'était pas fondé sur une opinion scientifique.
Sur ce terrain, en matière internationale, nous avons un certain nombre de bases qui nous permettent de faire varier, y compris vers le haut, le niveau de protection de notre marché à l'abri et en cohérence avec la législation internationale.
Le problème, c'est qu'il faut aller plus loin. Il faut être plus explicite, notamment du point de vue qui fait que les avis scientifiques n'ont pas à être majoritaires pour être valables, ce qui est dans la décision. Dans ses considérants, le panel qui a jugé contre nous sur les hormones a reconnu que l'opinion scientifique pouvait parfaitement être minoritaire pour qu'il y ait un risque et pour donner droit à l'action. Il faut que ces choses-là soient plus explicites qu'elles ne le sont aujourd'hui.
De ce point de vue, nous convaincrons à l'extérieur - notamment dans tout ce qui tourne autour de la biotechnologie, l'enjeu majeur en termes industriel et de civilisation dans les 10 ou 20 années qui viennent, que si à l'intérieur, nous avons la crédibilité suffisante. Mon diagnostic est qu'aujourd'hui, on est encore dans une situation incertaine.
M. le Rapporteur : Vous faites allusion aux O.G.M. ?
M. Pascal LAMY : Oui.
M. le Rapporteur : Pour avoir la possibilité de s'entourer du maximum d'avis scientifiques, encore faut-il que des programmes scientifiques se développent. Par rapport à l'influence de la diffusion d'un organisme génétiquement modifié dans un écosystème, encore faut-il qu'il y ait des recherches. Qui doit les impulser ? Est-ce au niveau des Etats ou au niveau européen ?
M. Pascal LAMY : Il existe d'ores et déjà une série de programmes communautaires sur lesquels beaucoup d'argent a été dépensé. Avez-vous vu M. Busquin ? (non)
M. le Rapporteur : Dans quel pays et avec quel programme ? Par qui cela a-t-il été défini ? Comment ces investigations sont-elles conduites ?
M. Pascal LAMY : Je n'ai pas de doute quant au fait que cela soit conduit de la manière la plus transparente, collaborative, coopérative, multinationale, etc.
M. le Rapporteur : Avec des spécialistes ? Des experts ? Tout à l'heure, j'ai entendu votre collègue nous dire qu'il était entouré " des experts les plus compétents de " top niveau ". Je ne sais pas ce que ce sont les experts les plus compétents. Je suis scientifique de formation ; je connais des spécialistes, mais des experts " les plus compétents de top niveau ", je ne sais pas ce que c'est.
Mme l'adjointe de M. Lamy : Il y a un très gros programme de recherches biotechnologiques dans le volet sciences du vivant, financé par le programme cadre de recherche communautaire. Depuis de très nombreuses années, des projets de coopérations européennes - sur ces domaines, ont été financés par le programme cadre.
Si vous vous adressez aux scientifiques ou au personnel de la Commission qui a financé ces projets, de très nombreux résultats ont été financés par les crédits communautaires en matière de biotechnologies et d'O.G.M. en particulier.
Ce sont des projets qui impliquent des instituts de recherche publics et privés dans l'ensemble de la Communauté. Certaines expériences ont été menées.
M. le Rapporteur : Je connais des projets scientifiques subventionnés par l'Europe pour l'obtention de nouvelles variétés, d'expériences en plein champ ; je n'ai pas connaissance - mais peut-être allez-vous me donner la bonne adresse pour obtenir les bons renseignements - d'une démarche intégrée au niveau de l'utilisation des O.G.M.
Ce qui pose problème, ce n'est pas le fait de pouvoir transférer des gènes d'une plante à l'autre - on le fait et c'est banal - c'est la question du devenir d'un organisme génétiquement modifié dans un écosystème. J'ai l'impression que la démarche globale d'appréhension de la gestion des O.G.M. n'est pas faite.
Mme l'adjointe de M. Lamy : Votre sentiment n'est pas faux. Dans la réflexion qui commencera en 2002 sur le sixième programme-cadre, l'un des axes sera de renforcer encore l'intégration des divers domaines. Cela pourrait être l'un des axes.
M. Pascal LAMY : Il y a déjà des choses en cours. Nous pouvons prévoir les contacts nécessaires si vous êtes intéressé par cela.
M. le Rapporteur : C'est déterminant pour la commission d'enquête. Car il faut avoir la bonne adresse pour avoir les bons rapports. Pour l'instant, l'Assemblée nationale n'a pas l'adresse, ni la clé de la porte pour rentrer.
Mme l'adjointe de M. Lamy : Les rapports de recherche sont publics. Après, il me semble qu'il est important de se projeter dans l'avenir en prenant connaissance des axes de recherche.
M. Pascal LAMY : Il faut aussi rencontrer M. Busquin et son équipe. Vous pouvez voir notamment M. Magnien qui est français.
M. le Président : J'ai compris les préoccupations que vous avez exprimées tout à l'heure. Vous avez en charge le commerce. Notre problème pour nous n'est pas de chercher à mettre des barrières au développement des relations commerciales, mais de faire en sorte qu'à travers le développement des relations commerciales, on assure au mieux la sécurité alimentaire. C'est notre préoccupation.
On sait que l'approche n'est pas la même dans tous les pays et dans tous les Etats membres aujourd'hui, ni dans tous les Etats susceptibles d'importer en Europe.
M. Pascal LAMY : Surtout quand il s'agit de pays en développement qui ont déjà un mal fou à exporter leurs produits.
M. le Rapporteur : Au cours de la commission d'enquête, nous avons entendu des affirmations plus ou moins vérifiables, notamment de la perméabilité de certains ports européens par lesquels rentreraient des produits qui deviendraient ensuite des produits communautaires et où les contrôles ne seraient pas suffisants pour prouver que les produits sont conformes à la réglementation européenne. Avez-vous des informations sur ce point ?
M. Pascal LAMY : Je ne veux pas dire que ce n'est pas mon sujet, mais ce point relève véritablement de la responsabilité des services douaniers. Je n'ai pas connaissance de cela.
M. le Président : Mais vous ne seriez pas étonné que cela existe ? !
M. Pascal LAMY : Je n'en sais rien du tout. Il y a des services chargés de faire des contrôles ; certains le font très bien et laissent passer des choses alors que d'autres ne le font pas bien et laissent aussi passer des choses.
M. le Rapporteur : Nous vous faisons remonter le sentiment au niveau de la filière agroalimentaire, de certains producteurs, selon lequel nous avons une administration performante en France qui applique bien les textes émanant des gouvernements, de l'Assemblée, de la réglementation, de textes européens. En revanche, nous n'avons pas la même garantie que ces textes, notamment européens, soient appliqués de la même manière.
M. Pascal LAMY : L'air est connu. Cela fait 20 ans que je l'entends. Je ne sais pas si cela est vrai. J'entends des services administratifs français et d'autres d'ailleurs, plaider sur le thème : on nous fait faire des choses ; si l'on avait la certitude qu'ailleurs, les choses se passent aussi bien que chez nous, on aurait la conscience plus tranquille.
M. le Président : Sur la question de la levée de l'embargo, nous sommes au c_ur du débat, puisque la France est poursuivie devant la Cour européenne. Quels sont les autres pays européens qui n'importent pas non plus de viande britannique à l'heure actuelle ? Le problème n'est, en effet, pas simplement franco-britannique.
M. Pascal LAMY : A ma connaissance, il n'y a que l'Allemagne.
M. le Président : Les Allemands ne sont pas en première ligne.
M. Pascal LAMY : Les Allemands, à tort ou à raison, sincèrement ou non - je n'en sais rien - pour l'instant disent qu'ils ont des problèmes pour lever l'embargo, parce qu'ils ont du mal à s'articuler avec les Länder, car il s'agit d'une compétence subfédérale. Ils demandent du temps pour convaincre leurs Länder.
Les Allemands ne disent pas qu'ils méprisent le gendarme ; ils estiment qu'ils ont un problème pour se remettre dans le droit chemin. C'est un sujet sérieux et, au bout d'un certain temps, il appartiendra à David Byrne de contrôler. Si les Allemands ne sont pas dans l'ordre communautaire, comme les Français, on leur demandera de se mettre en ligne. S'ils ne veulent pas le faire, on ira alors devant la Cour de Justice. Mais la situation n'est pas tout à fait la même du point de vue de l'application du droit communautaire.
M. le Président : Le problème n'est pas le même au plan institutionnel, mais sur le fond, c'est le même : doit-on accepter des viandes si l'on considère qu'elles présentent des risques ? Les Allemands s'abritent derrière un édifice institutionnel pour dire qu'ils ne sont pas en mesure de prendre la décision.
M. Pascal LAMY : Il est dans notre mission de faire régner l'ordre public communautaire, de même qu'il est dans la mission des autorités nationales de faire régner l'ordre public national.
Nous gérons beaucoup de procédures d'infraction de la part des Etats membres. Celle-là est emblématique ; c'est pourquoi il faut la ramener à ses véritables proportions. Les flux concernés sont minimes par rapport à d'autres infractions.
Cela dit, le problème de principe est très important ; le problème politique est considérable et il doit être traité.
On ne peut pas réagir de la même manière du point de vue de l'ordre communautaire, vis-à-vis d'un Etat qui refuse une sanction avec laquelle il n'est pas d'accord, qui refuse notre analyse et vis-à-vis d'un autre Etat qui accepte de se remettre en ligne à condition de disposer d'un peu de temps. Cela dit, les signaux officiels nécessaires ont été envoyés par la Commission à l'Allemagne sous forme de lettre pré-contentieuse.
Pendant un certain temps, on peut faire la différence entre ceux qui disent ne pas vouloir et ceux qui disent ne pas pouvoir. On finira par se demander si ces derniers ne disent pas qu'ils ne veulent pas. Dans les deux cas, les mêmes motifs entraîneront les mêmes réactions.
M. le Rapporteur : Quel sera l'avenir du " Livre blanc " présenté demain ? Comment va-t-il être soumis à discussion ?
M. Pascal LAMY : Ce " Livre blanc " est mis sur la table, pour être débattu avec les Etats membres, avec les sociétés civiles, avec les intérêts économiques, mais aussi à l'extérieur de l'Union européenne parce qu'il sera perçu comme une préfiguration des actions européennes.
M. le Rapporteur : Connaissez-vous un exemple d'un " Livre blanc " européen qui ait été suivi d'un débat approfondi dans un pays membre de l'Union, débat parlementaire ou autre ?
M. Pascal LAMY : Bien sûr ! Entre 1984 et 1994, je peux vous en citer un certain nombre dont celui de 1985 sur le marché intérieur. Il n'a pas été sans conséquences et ne s'est pas fait sans débats. La Commission doit rendre publics quatre ou cinq " Livres blancs " de cette importance politique par an.
Mme l'adjointe de M. Lamy : Une partie de ce " Livre blanc " présente la subtilité d'être un " Livre vert ". La partie avant du " Livre blanc " concerne la proposition d'autorité européenne pour la sécurité alimentaire. La Commission demande sur cette partie aux diverses institutions communautaires et autres qui le souhaitent de remettre des avis et des réactions particulières. Sur cette partie-là, il y a vraiment une demande spécifique de réactions.
M. le Président : Aujourd'hui, seuls des produits sains entrent dans les farines animales. Les cadavres d'animaux sont incinérés. Ce n'est pas forcément le cas partout. Les farines produites sont des farines destinées à l'alimentation des volailles et des porcs, mais pas à l'alimentation des bovins. Pouvons-nous être sûrs que, parmi les farines importées, il n'y a pas des farines qui contiennent des produits d'équarrissage que nous avons interdits ?
M. Pascal LAMY : Je ne sais pas si on en est sûr ou non. Je ne suis pas en charge de cette question ; ce n'est donc pas dans ma responsabilité directe. Quand on édicte une norme d'importation pour des produits, c'est aux personnes qui s'occupent de cela aux frontières de la Communauté de le vérifier.
M. le Président : Y a-t-il une norme ?
M. Pascal LAMY : Il y a sûrement des normes.
M. le Président : La France a décidé de ne plus mettre les cadavres dans les farines. Y a-t-il une norme européenne ?
M. Pascal LAMY : Il y en a certainement une. Je ne sais pas où elle se situe par rapport à la norme française. Il faut demander cela à M. Fischler ou à M. Byrne.
Mme l'adjointe de M. Lamy : La commission va proposer d'interdire le recyclage des cadavres et des saisies d'abattoirs dans les farines animales au niveau européen. Cela figure dans le " Livre blanc ".
M. le Président : Pour l'instant, ce n'est pas fait.
M. Pascal LAMY : Une norme européenne définit les critères sanitaires ou phytosanitaires auxquels doivent obéir les farines que l'on importe.
Mme l'adjointe de M. Lamy : ...dont ne font pas partie les interdictions sur les cadavres...
M. le Président : Il y a donc nécessité d'avoir une bonne harmonisation au niveau européen. Nous parlons pour la France. La grande question est de savoir à quel point se fera l'harmonisation. Se fera-t-elle vers le haut et vers plus de sécurité ou vers le bas et moins de sécurité ? Pour notre part, nous souhaitons plus de sécurité.
M. Pascal LAMY : Dans l'ensemble, nous allons toujours vers plus de sécurité. J'ai le même problème que vous, mais au niveau international, entre le niveau européen et le niveau international. Je ne doute pas que l'on aille vers des niveaux de sécurité supérieurs. Le problème est de les mettre en place et d'assurer les transitions et les conséquences sur les échanges, dans le sujet qui vous préoccupe, à l'intérieur de l'Union et pour ce qui me concerne à l'extérieur de l'Union.
M. le Rapporteur : Avez-vous connaissance de pays qui feraient mieux que la France ou que l'Europe en termes de sécurité alimentaire ?
M. Pascal LAMY : Je pense que l'Europe est clairement en pointe. J'en tire la conclusion que notre intérêt politique est que ce type de débat soit aussi exporté que possible, étant entendu que, dans certains cas, on se heurte à des résistances culturelles.
Pour prendre le cas des Etats-Unis, mon sentiment personnel est que la F.D.A. est une institution sérieuse, crédible et qui n'a jamais été prise en défaut. Le fait est que le citoyen américain a dans la F.D.A. une confiance que le citoyen européen n'a pas dans ses organisations. Tout cela est aussi une affaire de culture.
Les Américains sont moins préoccupés par ce type de risque que nous ne le sommes pour des raisons historiques, religieuses. De plus, au cours des vingt dernières années, avec le sang contaminé, la dioxine, on comprend que l'opinion soit sérieusement échaudée. Mais, en dehors des différences culturelles qui existent et qui existeront toujours, je pense que l'intérêt de l'Europe est de disséminer autant que possible ce type de préoccupation. On se heurtera dans certains cas à des civilisations qui n'ont pas les moyens de s'offrir ce genre de préoccupation. On a alors un vrai problème de gouvernance internationale qui est de savoir comment on articule l'interface entre les deux.
M. le Rapporteur : Demain matin, la commission réunit un forum sur le principe de précaution à partir du rapport Kourilsky-Viney. Les deux auteurs seront accompagnés de représentants du Conseil d'Etat et de la Cour de cassation. Y a-t-il des études de droit comparé disponibles qui permettent de connaître la réflexion conduite par nos partenaires européens ?
M. Pascal LAMY : Sûrement. Nous le demanderons au service juridique.
M. le Rapporteur : Les experts venus devant notre commission disent unanimement que la France ne s'investit pas suffisamment dans le Codex Alimentarius, lequel donne le sentiment d'avancer encore plus vite que n'avancent les directives européennes. Qu'en pensez-vous ? La France est-elle trop absente de ce type de débat ?
M. Pascal LAMY : Je ne suis pas capable de répondre à cette question. Les responsables de la direction générale sont capables de le faire. Il me paraît clair que l'on a là un problème d'articulation de compétences, un problème institutionnel entre les Etats membres et l'Union européenne, notamment sur tout ce qui touche à ces données, proches de la propriété intellectuelle, sur lesquelles on est dans une zone assez grise au plan institutionnel.
M. le Rapporteur : Vous voulez parler de la brevetabilité du vivant.
M. Pascal LAMY : Tout ce qui tourne autour de cela relève de compétences mixtes. Autant en matière commerciale, je n'ai pas de problème, autant quand on touche à la propriété intellectuelle, on tombe dans les problèmes de compétences mixtes. Dans les institutions internationales comme celle à laquelle vous faites allusion, dans les processus ou les travaux internationaux de ce type, nous avons un vrai handicap institutionnel face à des Américains qui ont une ligne facile à établir et donc, facile à défendre.
M. le Président : Nous avons demain notre forum sur le principe de précaution. Le document que vous allez mettre sur la table dans les jours qui viennent, est-il déjà élaboré de manière définitive ?
M. Pascal LAMY : Il est à l'état de document de travail. C'est encore en consultation inter services. Cela passe en consultation entre les commissaires pour un passage en commission le 18 de ce mois.
M. le Président : Merci de nous avoir reçus.
M. Pascal LAMY : La plupart du temps, je rends des comptes au Parlement européen. Il m'arrive de me déplacer à l'Assemblée nationale ou au Sénat. Cela me paraît tout à fait normal et naturel. Je dois même dire que, pendant les quelques années où j'avais vécu à Bruxelles, j'avais vu beaucoup de délégations parlementaires, mais peu de Français. Ayant mon maillot national sous mon maillot communautaire, je trouve très positif que des représentants de l'Assemblée nationale et du Sénat se rendent à Bruxelles. Dieu sait que j'ai vu des comités de la Chambre des Communes, de la Chambre des Lords, des comités du Bundestag, du Bundesrat et des Cortes avant de voir des parlementaires français. Je suis donc ravi.

SIXIEME CYCLE

LE TEMOIGNAGE DU GOUVERNEMENT FRANCAIS

Sommaire

I. Mardi 18 janvier 2000

Audition de Mme Dominique GILLOT,
Secrétaire d'Etat à la Santé et à l'action sociale 119

II. Mardi 25 janvier 2000

Audition de Mme Marylise LEBRANCHU,
Secrétaire d'Etat aux Petites et moyennes entreprises 145

Audition de Mme Dominique VOYNET,
Ministre de l'Aménagement du territoire et de l'environnement 159

III. Mardi 1er février 2000

Audition de M. Jean GLAVANY,
Ministre de l'Agriculture et de la pêche 173

Audition de Mme Dominique GILLOT,
Secrétaire d'Etat à la Santé et à l'action sociale

(extrait du procès-verbal de la séance du Mardi 18 janvier 2000)
Présidence de M. Félix LEYZOUR, Président
Mme Dominique GILLOT est introduite.
M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. A l'invitation du Président, Mme Dominique GILLOT prête serment.
M. le Président : Mes chers collègues, j'ai le plaisir d'accueillir, ce matin, Mme Dominique Gillot, Secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale.
Madame la ministre, je vous remercie de votre présence parmi nous. La commission d'enquête qui travaille maintenant depuis trois mois et qui a entendu quelque cent cinquante témoins est particulièrement honorée de recevoir pour la première fois un membre du Gouvernement.
J'ajoute que je me félicite que ce soit vous qu'elle entende aujourd'hui, parce que votre compétence et votre disponibilité sont unanimement reconnues et que le sujet qui nous préoccupe est directement lié à la santé publique.
Vous connaissez parfaitement nos préoccupations puisque l'un de vos collaborateurs a pu assister, ce matin, au débat qui a suivi la présentation, par M. Chevallier, de son rapport d'étape.
Aussi, vous avez la parole.
Mme Dominique GILLOT : Monsieur le Président, mesdames et messieurs les députés, je suis très heureuse de venir devant vous, d'autant qu'il n'y a pas très longtemps, j'étais encore parmi vous et que je me souviens, pour avoir participé à des commissions d'enquête, combien leurs commissaires appréciaient de recevoir des membres du Gouvernement, de les interroger et de discuter librement avec eux.
Aussi, j'apprécierai d'entendre ce que vous comptez faire des travaux que vous avez conduits depuis plusieurs semaines, des auditions que vous avez menées et des conclusions et des orientations que vous allez en tirer et de vous faire part moi-même de mon expérience assez récente, puisque j'ai été nommée à cette responsabilité au mois d'août dernier. Très rapidement, les questions de sécurité sanitaire ont été présentes dans ma vie de responsable ministérielle. En effet, dès les premiers jours de ma prise de fonctions, j'ai eu à faire face au problème des lunettes pour l'éclipse, en même temps que j'étais informée, jour par jour, de l'évolution de nos connaissances et de nos interrogations face à l'obligation qui allait nous être faite de lever l'embargo sur les viandes bovines britanniques.
Dès ma nomination au secrétariat d'Etat à la Santé et à l'action sociale, j'ai donc senti que la sécurité sanitaire était un problème très prégnant pour ce ministère, qui nous obligeait à organiser le mieux possible nos connaissances et nos principes, en développant une expertise permettant d'aider la décision politique dans la plus grande transparence.
Mon ministère est donc, ainsi que je vous le disais, concerné au premier chef par la sécurité sanitaire, car la santé des consommateurs est fréquemment en jeu : j'ai cité la crise de l'E.S.B. liée à la viande bovine britannique, et également française par voie de conséquence, mais, dernièrement, nous avons eu aussi à faire face à ce qui a été baptisé " épidémie de listériose ", suite à la consommation de produits de charcuterie. A cette occasion, nous avons vu que l'alerte donnée par le réseau d'épidémiosurveillance a permis de toucher les consommateurs et les praticiens confrontés à des symptômes qui auraient pu paraître inexplicables et de juguler rapidement ce qui aurait pu devenir une épidémie telle que celles que l'on a connues il y a des années et qui causaient des dizaines de morts.
Ce thème de la sécurité sanitaire que vous traitez peut s'inscrire dans un cadre plus général qui me concerne au premier chef.
C'est donc l'occasion pour moi de dresser un premier bilan du dispositif que nous avons activement contribué à mettre en place par la loi du 1er juillet 1998 et, par ailleurs, sur le terrain de la décision, c'est l'occasion de nous familiariser, à chaque crise émergente surmontée, avec l'application de ce qui est maintenant communément appelé le " principe de précaution ".
Le concept de sécurité sanitaire et sa mise en _uvre ne vont pas sans poser un certain nombre de questions : le rôle et la légitimité des experts, le cadre d'application du principe de précaution, le rôle de l'Etat pour garantir cette sécurité, l'articulation entre le niveau de décision et le niveau communautaire d'une part, celui de l'expertise d'autre part, comme on l'a vu avec la levée de l'embargo.
L'application en France du principe de précaution a pu faire l'objet de critiques, certains nous ayant accusés de l'utiliser comme un prétexte au repli sur soi ou au protectionnisme, je vous renvoie aux débats largement ouverts, y compris dans certaines colonnes de la presse, au mois de novembre dernier. Certains reprochent aussi aux mesures de précaution qui ont pu être prises d'entretenir, sans raison fondée, une peur et une anxiété inappropriées dans l'opinion publique.
Pour ma part, je considère que le principe de précaution n'est pas l'éthique de la peur et du repli sur soi ; nous devons nous attacher à prouver le contraire en avançant et en définissant le plus précisément possible ce qu'il peut être, pour tout un chacun.
Aujourd'hui, vous me donnez la possibilité de décliner ma vision du principe de précaution.
Il s'agit d'un principe d'action, issu, en fait, du domaine de la protection de l'environnement : ce n'est que dans un second temps, qu'il a été mobilisé pour des questions de sécurité sanitaire avec l'évolution des exigences de l'opinion publique.
C'est le droit international de l'environnement qui constitue le berceau du principe de précaution reconnu sur la base d'une vision intégrée des exigences de la protection de l'environnement et de la prise en compte des générations futures comme l'un des grands principes du droit de l'environnement à la conférence internationale de Rio de Janeiro, en 1992.
Avant cette reconnaissance, ce principe avait déjà été évoqué, en 1985, à la conférence de Vienne : alors que le rôle délétère des C.F.C. - chlorofluorocarbures - sur la couche d'ozone était une hypothèse scientifique, il a été décidé d'adopter des mesures visant à limiter la production et la consommation desdits produits. Le succès de ce principe d'action lui a permis de figurer dans le traité de Maastricht, en 1992, sans d'ailleurs y être clairement défini.
Il a fait son entrée dans le droit français par la loi du 2 février 1995 qui a permis de préciser les grands principes de la protection de l'environnement dans notre législation.
Le besoin croissant de sécurité qui s'exprime dans notre société a fait naturellement glisser ce principe de l'environnement vers la santé : bien sûr, ces domaines sont très liés mais, en France, la survenue de plusieurs drames sanitaires a généré plus qu'ailleurs peurs, crise de confiance et attentes nouvelles à l'égard du système de santé. La société, ayant pris conscience du fait que des risques qu'elle ignore peuvent la menacer, demande une plus grande transparence, veut être informée et avoir le droit de choisir. Elle réclame une plus grande sécurité : sécurité sanitaire bien évidemment, mais aussi sécurité des produits de consommation et sécurité de l'environnement.
Il nous appartient de répondre à cette attente et, c'est dans ce cadre que viennent s'inscrire l'application du principe de précaution et la mise en place d'un dispositif de réduction des risques. En revanche, il ne faut pas entretenir l'idée ou l'illusion de la possibilité de vivre sans risques. C'est une évaluation permanente et une appréciation régulière adaptée qui s'imposent. La revendication sécuritaire qui réclamerait le " risque zéro " " n'est pas recevable et je pense que nous aurons vraisemblablement à en discuter.
Le principe de précaution n'est pas l'éthique de la peur et du repli sur soi, comme je le disais précédemment. Il s'agit simplement de définir précisément le principe de l'action de précaution ou " principe de précaution ", ce qui n'est pas un exercice facile.
Plusieurs experts ont participé à la définition de ce principe et le dernier rapport des professeurs Viney et Kourilsky, remis au Premier ministre il y a quelques semaines, est, sur ce sujet, un outil précieux même s'il présente quelques imprécisions dans des domaines que nous serons amenés à évoquer.
La précaution est un principe d'action qui oriente la gestion du risque. Elle concerne un risque potentiel qui, contrairement au risque avéré, n'est pas complètement étayé : il existe des arguments scientifiques solides pour suspecter son existence, mais ces arguments sont encore insuffisants pour la démontrer réellement. Je vous en citerai un exemple qui est d'actualité, à savoir le mode de transmission entre des animaux d'un même troupeau de l'agent de l'encéphalopathie spongiforme bovine : à l'heure actuelle, on peut considérer que c'est un risque potentiel car, selon les études dont nous disposons, il n'est pas encore avéré.
C'est principalement sur cette base que nous nous sommes appuyés pour maintenir l'embargo sur la viande bovine britannique, même si cela met aussi en question nos dispositifs de sécurité intérieure.
D'autres risques potentiels ont récemment donné lieu à des mesures de précaution : les C.F.C. pour protéger la couche d'ozone, le b_uf aux hormones et les organismes génétiquement modifiés.
On peut définir la mesure de précaution comme une mesure de prévention appliquée à un risque potentiel, en tenant compte de l'incertitude qui entoure la réalité du risque à gérer.
La première difficulté est de faire la part de l'imaginaire et de celle d'une menace potentielle ; la seconde consiste à évaluer de la façon la plus précise possible un objet qui, par son caractère incertain, est difficile à saisir : toute menace de risque ne justifie pas de prendre des mesures de précaution. Nous ne devons pas nous laisser aller à l'erreur d'une application aveugle ou disproportionnée de ce principe : nous en avons un exemple avec le téléphone portable...
Appliquer le principe de précaution, c'est respecter une démarche en plusieurs étapes distinctes : évaluer, mener une expertise approfondie du risque qui permette d'apprécier la sévérité du danger qu'il représente pour la santé ou pour l'environnement, d'évaluer la population qui peut être réellement exposée ainsi que la probabilité que ce danger survienne.
Il faut procéder à une évaluation des avantages et des inconvénients des différents scénarios possibles entre lesquels il faut arbitrer pour adopter des mesures de précaution qui doivent toujours être révisables. Le rôle des experts est donc essentiel : il consiste précisément à présenter l'état des connaissances scientifiques aux décideurs. Il leur faut travailler en toute indépendance. Leurs avis doivent être rendus publics, afin de permettre à la société, sinon de prendre part directement à la décision, du moins d'être suffisamment informée pour être à même de la comprendre et d'apprécier le besoin de fixer, ou non, des mesures de précaution.
La décision, elle, relève des responsables politiques.
Les mesures de précaution que les responsables politiques peuvent être amenés à prendre doivent être proportionnées à la menace. Quand elles sont prises, ces mesures doivent être considérées comme transitoires. Il convient de les réévaluer régulièrement à la lumière des bilans et des avancées des connaissances scientifiques.
Appliquer le principe de précaution de manière rationnelle implique, pour le décideur politique, de s'appuyer sur un dispositif adapté. Avec la loi de sécurité sanitaire du 1er juillet 1998 la France dispose d'une organisation cohérente d'agences, nouvelle forme d'institutions situées au sein de l'Etat et placées sous la tutelle du ministère chargé de la Santé. Le dispositif ainsi constitué permet à la sécurité sanitaire de s'imposer dans un secteur important de la santé publique.
Il repose sur quatre principes : le principe d'évaluation, l'évaluation du risque potentiel ou avéré, l'évaluation des avantages et des inconvénients des mesures de gestion du risque sanitaire ; le principe de prudence dans la gestion du risque qui se décline en actions-prévention pour le risque avéré et en précautions pour le risque potentiel ; le principe d'indépendance, l'indépendance des experts vis-à-vis du politique, l'indépendance du décideur et des experts vis-à-vis des intérêts économiques ; le principe de transparence, condition d'une alerte précoce dans le cadre de la veille sanitaire et d'une démocratisation de la gestion du risque avec l'appropriation par l'opinion publique de l'ensemble des arguments qui conduisent à la décision politique.
Avec l'Institut de veille sanitaire, qui surveille l'état de santé de nos concitoyens, l'A.F.S.S.A.P.S. - Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé -, qui intervient sur les produits de santé et l'A.F.S.S.A. - Agence française de sécurité sanitaire des aliments -, le dispositif d'expertise paraît aujourd'hui de nature à couvrir les principaux domaines où peuvent émerger des risques pour la santé humaine.
Il reste que l'évaluation de ces risques émergents, non encore avérés est particulièrement délicate. Elle mobilise à la fois des compétences spécifiques sur le risque en question - Comité E.S.T.T. pour les prions, par exemple - et une compétence transversale, l'épidémiologie, pour nous alerter le plus rapidement possible.
A ce titre, il faut insister sur le rôle du Comité national de sécurité sanitaire. Egalement instauré par la loi du 1er  juillet 1998, ce comité, réuni une fois par trimestre au ministère de la Santé sous ma présidence, permet non seulement de coordonner la politique scientifique des agences, mais aussi d'explorer les sujets de fond ou transversaux. Des groupes de travail se sont mis en place pour réfléchir à l'identification des risques émergents, formaliser les critères d'alerte sanitaire ou estimer quantitativement les risques en situation d'incertitude.
Ce comité continuera de se réunir tous les trois mois. Les groupes de travail vont, quant à eux, avancer dans l'évaluation des pratiques des différentes agences et administrations qui sont réunies dans ce cadre ; leurs travaux pourraient faire l'objet d'un rapport annuel, éventuellement soumis au Parlement pour faciliter et accroître cette transparence, que j'appelle de mes v_ux et cette appropriation d'une véritable politique commune de sécurité sanitaire.
Il reste encore du chemin à parcourir. L'analyse des professeurs Viney et Kourilsky nous aide à apprécier la situation française : ils font état du sous-dimensionnement de l'expertise dans notre pays, de la faiblesse de la représentation française dans les instances internationales et de la valorisation insuffisante des compétences que recèlent les organismes publics de recherche et les universités.
Les experts dans notre pays doivent disposer d'un statut qui privilégie leur indépendance et la reconnaissance de leur compétence scientifique.
En ce qui concerne la future autorité européenne de sécurité sanitaire, évoquée à plusieurs reprises comme voie d'issue à la crise engendrée par le refus de la France à lever l'embargo sur la viande bovine britannique, il faut la doter des moyens nécessaires pour lui permettre de réaliser une expertise de qualité. Elle doit, bien évidemment, être, elle aussi, indépendante des intérêts économiques et politiques. Il conviendra, par ailleurs, d'étudier soigneusement son articulation avec les instances nationales d'expertise, sachant que, dans ce domaine, la France a de l'avance par rapport à ses voisins européens : à ma connaissance, elle est la seule à s'être dotée d'un dispositif qui, s'il n'est pas tout à fait complet, puisqu'il y manque l'agence santé-environnement, couvre actuellement l'ensemble des champs dont les perturbations peuvent entraîner des conséquences pour la santé humaine.
Il est un autre point important en matière de sécurité sanitaire, comme on l'a vu aussi à l'occasion de la crise sur la levée de l'embargo : il importe que la France parle d'une seule voix dans les différentes instances internationales sur ces sujets. Nous devons être plus présents à ce niveau, car la mondialisation des échanges nous y oblige. L'actualité européenne notamment, avec la préparation de la présidence française au cours du deuxième semestre de l'année 2000, nous conduit à la réflexion concertée la plus large possible pour permettre l'expression de cette voix unique de la France en matière de sécurité sanitaire.
Voilà ce que je tenais à dire rapidement pour cadrer la réflexion du ministère de la Santé et donner des indications sur ses prises de position sur le dispositif de sécurité sanitaire et le principe de précaution, en dépassant votre sujet qui est essentiellement centré sur la sécurité sanitaire et alimentaire.
M. le Rapporteur : Madame la ministre, nous sommes très heureux de vous accueillir dans le cadre de cette commission ; je vous remercie des contributions apportées sur des points importants qui ont mobilisé nombre de nos efforts et de nos réflexions, notamment en ce qui concerne les experts et le principe de précaution.
Je profite également de votre présence pour vous demander de transmettre nos remerciements au professeur Abenhaïm et au docteur Coquin qui ont, eux aussi, consacré une part de leur temps à nos travaux et nous ont fait parvenir une série de réponses aux nombreuses questions que je leur avais adressées.
Au-delà des deux grands sujets que vous avez abordés, j'aimerais revenir à des questions qui concernent le fonctionnement de la Direction générale de la santé.
Nous avons discuté avec ses responsables, nous nous sommes déplacés au ministère de la Santé et un point m'a vivement frappé, qui a trait aux effectifs de cette direction.
Il se trouve que ce matin, en présentant le rapport d'étape auquel le Président a fait allusion, je n'ai pas été convaincu que les moyens mis à disposition par le ministère sont suffisants, non pas en termes de qualité mais en termes de quantité, pour faire face à l'ensemble des problèmes qui se posent pour un suivi de la sécurité sanitaire au sein des différentes administrations concernées et notamment de la Direction générale de la santé.
A cette première question, sur laquelle j'aimerais recueillir votre sentiment viennent s'ajouter deux autres qui ont trait à la surveillance épidémiologique des risques alimentaires et à son corollaire, la manière dont se déclenchent les crises.
Nous traversons actuellement différents épisodes - certains ont conduit à la création de cette commission d'enquête, d'autres surviennent aujourd'hui tels que la listériose - et j'ai été frappé de constater que, par rapport aux symptômes qui se manifestaient chez certains de nos concitoyens ayant consommé des produits contaminés par la listeria, les médecins se trouvaient quelque peu désarmés, démunis ou bien en peine d'établir un diagnostic.
Un problème se pose au niveau de la surveillance épidémiologique quant aux relations existant entre spécialistes, médecins et vétérinaires et j'aimerais savoir comment cette articulation se fait et comment, éventuellement, elle pourrait être améliorée.
Aussi, ma dernière question est relative aux problèmes d'hygiène alimentaire et aux risques de caractère nutritionnel.
On constate que les consommateurs développent de plus en plus d'allergies de différentes origines et qu'il y a une nécessité pour la restauration collective d'appliquer les éléments de recherche émanant de nos laboratoires, qu'il s'agisse de l'I.N.R.A. - Institut national de la recherche agronomique - ou de l'I.N.S.E.R.M. - Institut national de la santé et de la recherche médicale -, alors que sembleraient exister des problèmes de communication. En d'autres termes, compte tenu des progrès de la diététique et de l'hygiène, quelques difficultés subsistent quand il s'agit d'apprendre à bien manger et à manger ce qui est bon pour la santé.
Sans entrer dans la campagne actuelle, lancée par les médias, qui se développe sur la nutraceutique, les alicaments et offre à certains présidents des embellies commerciales, je pense que revenir à des notions d'hygiène stricte en matière d'alimentation serait important et qu'il est nécessaire de faire passer ce message aux consommateurs, notamment au niveau scolaire.
Mme Dominique GILLOT : Vous avez vu que la Direction générale de la santé est une administration importante, organisée en directions, sous-directions, avec effectivement des personnels engagés, compétents et disponibles.
On pourrait considérer qu'une direction ou une sous-direction ne suffit pas à gérer la totalité des risques auxquels nous sommes confrontés, mais ce serait oublier qu'elle a à gérer, à coordonner et à piloter l'action conduite par les agences de sécurité sanitaire, mises en place par la loi du 1er  juillet 1998.
Donc, ce ne sont pas simplement les personnels de la D.G.S. qui ont cette responsabilité dans notre pays, mais l'ensemble du dispositif de sécurité sanitaire qui a été mis au point et qui est coordonné par la D.G.S. ; elle en contrôle le fonctionnement, passe des commandes, évalue les dispositifs mis en place et, dans certaines situations, assume les responsabilités ou conseille le ministre en matière de décision.
C'est donc un ensemble de personnels, d'experts mobilisables suivant les questions à aborder qu'il faut prendre en compte et pas simplement les fonctionnaires " basés " à la D.G.S.
Cela étant dit, la création des agences a suscité un peu de désarroi au sein de la direction. Un certain nombre de fonctionnaires de haut niveau, de médecins, de spécialistes, se sont sentis dépossédés d'une part de leurs responsabilités et d'un potentiel d'action : je pense que ce désarroi est en voie de dépassement surtout depuis le recrutement du professeur Abenhaïm pour diriger cette grande administration. Avec sa culture d'épidémiologiste fortement engagé dans la définition de politiques de sécurité sanitaire, il jouit d'une reconnaissance dans le milieu scientifique qui valorise la D.G.S. et lui confère l'autorité nécessaire précisément pour jouer ce rôle de coordination des différentes agences.
A mon avis, sauf à me démontrer le contraire, quand nous aurons réussi à recruter le personnel qui manque et à pourvoir les postes depuis trop longtemps vacants, la D.G.S. sera un outil tout à fait performant sous la direction du professeur Abenhaïm. Nous lui en donnons les moyens ; il faut maintenant lui laisser le temps de mettre en _uvre son programme de réorganisation.
Concernant la surveillance épidémiologique des crises alimentaires, il peut se trouver des médecins, il est vrai, qui ne décèlent pas immédiatement la listeria comme étant la cause des troubles de leur patient.
C'est une situation qui ne se produit plus une fois l'alerte donnée...
Je dirai simplement que le système d'alerte a fonctionné dans des délais extrêmement précis et rapides concernant l'épidémie de listériose : les premiers cas ont été constatés aux quatre coins de la France dans le courant du dernier trimestre de l'année 1999, et c'est précisément le système " Sentinelle " organisé par les médecins vers l'Institut Pasteur et l'Institut de veille sanitaire qui a permis de repérer que ces cas, qui posaient interrogation, étaient dus à une même bactérie identifiée très rapidement, dans les derniers jours du mois de décembre. Très vite, l'alerte a été donnée et, à partir de ce moment-là, un médecin qui voyait arriver vers lui un patient présentant les symptômes décrits dans le cadre de la listériose était tout à fait à même de s'interroger et de prescrire le traitement approprié.
J'ai rencontré, dans ma circonscription, des personnes qui m'ont dit avoir mangé de ces fameuses rillettes référencées qui venaient de Auchan ; ayant consulté un médecin, ce dernier les a immédiatement mises sous antibiotiques alors qu'elles ne présentaient pas encore de symptômes...
Il ne faut pas faire de généralités à partir de cas particuliers, mais plutôt s'assurer que le système " Sentinelle " fonctionne bien, que les médecins comprennent clairement à quoi correspondent cette alerte et les renseignements qui leur sont fournis. Le meilleur moyen de leur apporter une réponse, c'est d'utiliser correctement les informations qu'ils nous transmettent et de leur renvoyer dûment expliquées les dispositions à prendre pour stopper une épidémie telle que la listériose qui, vous le savez bien, a, dans d'autres circonstances, entraîné des dizaines de morts. Malheureusement, à ce jour, nous en déplorons deux ; j'espère que, compte tenu de la vigilance qui s'est exercée suite à cette alerte et à cette identification, le chiffre ne va pas augmenter. Même si deux décès sont encore de trop, j'estime, néanmoins, que l'on peut se satisfaire des résultats obtenus.
Votre question sur l'hygiène alimentaire et les risques nutritionnels renvoie à de nombreux problèmes qui n'appellent pas les mêmes réponses.
Elle sous-tend à la fois l'idée de bien apprendre à manger, de bien manger, de respecter un équilibre alimentaire et celle de promouvoir une éducation nutritionnelle susceptible de préserver la santé, d'entretenir, voire de conforter ou de restaurer les déterminants de santé. Cette dernière démarche implique que l'on ait, dans le champ de la santé publique, la définition d'un pan aujourd'hui inexistant qui est celui de l'éducation à la santé généralisée, s'appuyant notamment sur une éducation nutritionnelle visant à adopter de bons comportements, facteurs d'amélioration ou de préservation de la santé.
C'est un domaine que j'ai l'intention de porter fortement de par mon expérience personnelle et mes goûts, d'autant que l'opportunité s'en présente actuellement. Il s'agit d'un domaine assez fortement utilisé et soutenu dans les pays du nord de l'Europe : j'ai pris connaissance, ces derniers temps, d'un certain nombre de programmes et, au cours du deuxième semestre de l'année 2000, c'est-à-dire lorsque la France sera en charge de la présidence européenne, l'éducation nutritionnelle sera un des points sur lesquels nous mettrons l'accent dans la continuité des présidences finlandaise et portugaise.
M. Jean-François MATTEI : Madame la ministre, merci de vos propos.
Le ministère de la Santé, depuis quelques années, est de plus en plus associé, même si c'est à des degrés divers et plus ou moins satisfaisants, à la surveillance de tout ce qui touche à la sécurité des produits de santé, à la sécurité alimentaire, voire à la sécurité environnementale.
Quel est précisément le rôle du ministère de la Santé dans la définition des critères de mise sur le marché, non plus de produits médicamenteux, mais de produits alimentaires ou de produits susceptibles, par leur utilisation, de nuire à la santé ? Tout à fait en amont, dans la décision d'autorisation de mise sur le marché, le ministère de la Santé est-il consulté ? A-t-il des experts ? Est-ce qu'à la D.G.S. ou autre part, on sollicite son avis ?
Reportons-nous quinze ans en arrière. Consulterait-on le ministère de la Santé sur l'utilisation de l'amiante dans la construction de logements et sur ses dangers potentiels ?
Aujourd'hui, à quel niveau le ministère est-il sollicité, s'il l'est ?
Par ailleurs, s'il y a un premier niveau d'autorisation, vous n'ignorez pas qu'il y en a un second qui concerne les modalités de surveillance. Quels sont le rôle et la place du ministère de la Santé - et je salue le progrès que constitue l'Institut de veille sanitaire - dans les critères de surveillance, lorsqu'il s'agit de domaines connexes avec d'autres dont je vous donne un exemple précis : les Suisses, aujourd'hui, effectuent des tests sur l'encéphale de bêtes abattues pour essayer de dépister le prion chez des sujets contaminés, avant toute manifestation clinique. Aujourd'hui, quel est votre poids, quel est votre niveau d'intervention, quelle est votre autorité vis-à-vis du ministère de l'Agriculture pour exiger que soient mis en application les tests de dépistage sur les animaux abattus ? Les résultats obtenus en Suisse sont assez troublants, quand on voit le nombre et le pourcentage de bêtes réellement contaminées alors qu'on les imaginait saines.
Vous aurez compris que mon souci, partagé par beaucoup, est d'essayer de démontrer que le ministère de la Santé n'a aujourd'hui pas les moyens d'assurer ce que nous souhaiterions le voir assurer. Je n'insisterai pas sur ce qu'a très bien dit notre rapporteur concernant la D.G.S., même si je dois saluer, ce que j'ai déjà fait en séance publique, le choix d'un certain nombre de responsables recrutés et qui sont de notoriété incontestée - mais les meilleurs maçons sans les outils et les instruments nécessaires ne sont pas en mesure d'exercer leur art... Etes-vous véritablement engagée dans une réforme des structures de votre ministère, et notamment de la D.G.S., pour tenter d'articuler ces domaines difficiles avec le ministère de l'Agriculture, le ministère de l'Environnement, le ministère de l'Industrie et le ministère des Finances ?
Par ailleurs, lors du vote de la loi sur la sécurité sanitaire, en 1998 - nous avions souligné, à l'époque, aussi bien sur les bancs de la majorité que sur ceux de l'opposition, la profusion de structures associatives, d'institutions, de réseaux ou autres organisations impliqués dans la sécurité sanitaire - avez-vous commencé à mettre de l'ordre, afin d'éviter cet émiettement qui pourrait être source de conflits d'autorité, voire, beaucoup plus grave, de conflits d'expertise dont on sait bien où ils peuvent nous mener...
Je voudrais maintenant vous interroger sur les relations que vous entretenez avec vos collègues européens et sur la hiérarchie qui peut s'établir entre les choix que nous, Français, faisons, et ceux que fait l'Union européenne.
Lorsque vous rencontrez vos homologues, ministres de la Santé, comment les choses se passent-elles ? En effet, lorsque vous vous trouvez confrontée au ministre de l'Agriculture britannique ou que vous êtes dans une réunion interministérielle, nous comprenons bien qu'il y ait des points de vue différents qui s'expriment, mais percevez-vous qu'il existe dans les autres pays de l'Union européenne les mêmes conflits de " pré carré ", de prérogatives, entre le ministère de l'Agriculture, le ministère de la Santé et le ministère de l'Industrie ? Avez-vous l'impression que le groupe des ministres de la Santé est assez solidaire pour tenter d'imposer et d'accroître la prise en compte de la compétence sanitaire de l'Europe ?
Enfin, vous avez, tout à l'heure fait allusion à cette agence de sécurité alimentaire que souhaite l'Union européenne - et je n'entrerai pas dans le détail, puisqu'elle n'a qu'une vocation consultative. Quels seraient la légitimité et le rôle de notre A.F.S.S.A., si ses avis étaient en contradiction, ici ou là, avec un avis européen ?
A la limite, on se demande à quoi serviraient nos structures nationales si, dans le domaine de la subsidiarité, elles ne pouvaient pas se faire entendre selon les prérogatives françaises. Est-ce une contradiction selon vous ? Est-ce que le Gouvernement s'en préoccupe ? Comment comptez-vous contribuer à accroître la dimension sanitaire dans ce carcan européen d'origine économique ?
M. Pierre LELLOUCHE : Madame la ministre, d'abord, je me réjouis de votre présence à notre commission.
En effet, les sujets que nous allons toucher montrent le caractère interdisciplinaire des questions qui se posent et soulignent le problème de la coordination gouvernementale. Quoi qu'il en soit, mes questions concernent le Gouvernement dont vous êtes la représentante.
Premièrement, je voudrais connaître votre avis sur le capharnaüm administratif déjà mentionné par M. Mattei et le foisonnement des textes qui rendent les choses très obscures. Lors de notre réunion sur le rapport d'étape de notre collègue Rapporteur, l'éventualité d'une codification des textes concernés par le sujet et d'une remise à plat du système administratif a été évoquée. J'aimerais connaître la position du Gouvernement.
Deuxièmement, j'évoquerai les relations entre l'Etat, le Parlement français et la législation européenne.
J'ai été, comme peut-être certains de mes collègues, abasourdi d'entendre, la semaine dernière, à Bruxelles, où nous avons effectué un déplacement, les commissaires européens nous expliquer, certains avec une arrogance peu commune, que le domaine de la sécurité alimentaire étant directement lié au marché unique, il était, de leur point de vue, d'une compétence communautaire, ce qui implique la participation exclusive des exécutifs mais, surtout, de la Commission et du Parlement européen ; par conséquent, nous étions, en résumé, priés d'aller enquêter ailleurs, puisqu'ils détenaient la vérité.
Quand j'ai posé au commissaire Byrne, alors même que venait d'être définie devant nous la vision européenne du principe de précaution, qui correspond d'ailleurs à notre propre analyse, la question de savoir pour quelles raisons la Commission européenne avait jugé bon de poursuivre la France, il m'a répondu globalement la chose suivante : " Ce sont nos experts qui ont raison et vous qui avez tort et, de toute façon, nous allons gagner devant la Cour européenne ! " ce qui est juridiquement imparable.
Tout le problème, Madame la ministre, et c'est sur ce point que je souhaite vous interroger, c'est que cette construction juridique est aberrante car, si au nom du grand marché et de la communautarisation, on en vient à exclure toute compétence des Parlements nationaux et des Gouvernements, dont la première tâche est tout de même d'assurer la sécurité physique de leurs concitoyens, que reste-t-il à la subsidiarité ?
La lecture du " Livre Blanc ", qui installe une commission et contient une série de quatre-vingts propositions qui rejoignent, dédoublent ou redoublent tout le travail réalisé en France ces dernières années, laisse entendre concrètement que toute cette production européenne a une valeur supérieure à celle du droit français. C'est d'ailleurs pourquoi, je suggère respectueusement à notre Président de bien vouloir inviter également M. Moscovici.
En effet, votre réponse nous intéresse, à la veille de la présidence française, au deuxième semestre de l'an 2000 : c'est un point qu'il est capital de clarifier sans quoi tout ce que nous faisons ici n'aurait aucun sens, ni aucune signification.
Enfin, j'ai attentivement écouté vos considérations sur le principe de précaution ; nous avons eu un débat au sein de cette commission pour savoir s'il convient, ou non, de légiférer et sur quoi ce principe s'applique : s'applique-t-il sur l'évaluation du risque ou sur sa gestion ? Du point de vue du Gouvernement, le dispositif du code rural de la loi Barnier suffit-il ? Ne conviendrait-il pas d'étudier cette question et de cadrer le travail des différentes agences et des autres responsables qui auront à traiter et à gérer ce sujet ?
Vous avez soulevé le sujet des téléphones portables. Je n'y suis pas hostile, d'ailleurs j'en possède un comme vingt millions de Français. Vous avez souligné leur innocuité, mais je souhaite poser une question très simple et qui relève de votre ministère : pourquoi aucun service de santé n'est-il consulté sur l'implantation d'antennes relais en milieu urbain ?
Vous savez, ou non, qu'aujourd'hui, seuls le P.O.S. et les Bâtiments de France sont consultés. Or il se trouve que, dans un certain nombre de cas, des écoles, des crèches se trouvent à proximité et que d'autres pays, dont je pourrais vous donner la liste, essaient de limiter les nuisances de ce genre d'installations. En effet, elles produisent des rayonnements importants mais qui n'ont jamais été analysés puisqu'il n'y a eu aucune étude française sur le sujet.
Peut-être pourriez-vous, à un moment ou à un autre, tenter d'intervenir dans ce processus de décision qui intéresse nombre de mes électeurs : on voit foisonner ces antennes dans les grandes villes et certains se posent des questions, comme je le fais moi-même. Je serais content d'avoir une réponse sur ce point, puisque nous avons l'honneur de vous recevoir aujourd'hui.
Mme Dominique GILLOT : Il est vrai, M. Mattei, que, depuis quelque temps, le ministère de la Santé est de plus en plus étroitement associé à la sécurité des produits de santé. C'est l'A.F.S.S.A.P.S. qui en a maintenant la responsabilité. Depuis la conversion de l'agence du médicament, on distingue en effet l'A.F.S.S.A. et l'A.P.P.S.A.P.S. : l'A.F.S.S.A. a en charge les produits de santé, la sécurité alimentaire, réunit les services vétérinaires et a engagé des experts et des fonctionnaires de qualité, notamment ceux qu'elle a trouvés à la D.G.S. pour mettre en place un véritable outil de sécurité alimentaire et assurer les évaluations et non le contrôle. l'A.F.F.S.A.P.S. a une compétence à la fois d'évaluation et de contrôle des décisions, puisqu'elle a la possibilité de retirer un médicament ou un produit de santé alors que l'A.F.S.S.A. produit des rapports, des expertises, des propositions de décision aux ministres de tutelle qui sont le ministre de l'Agriculture, le ministre de la Santé et le ministre de la Consommation.
Pour l'environnement, actuellement c'est l'I.V.S. qui est notre outil d'évaluation, et l'O.P.R.I., pour ce qui est des rayonnements ionisants, mais il est évident qu'il manque un maillon au dispositif de sécurité sanitaire. Je pense que le dispositif législatif portant modernisation du système de santé nous donnera l'opportunité de terminer l'_uvre engagée au 1er juillet 1998 et de créer cette agence de santé-environnement qui nous permettrait d'assurer une meilleure vigilance relative à l'autorisation de certaines installations notamment dans la construction ; il est vrai qu'aujourd'hui, nous ne disposons pas d'outils pour vérifier et contrôler l'implantation de ces bornes téléphoniques auxquelles il a été fait allusion.
Nous sommes alertés et sollicités : j'ai moi-même été amenée à répondre à une question sur ce point devant l'Assemblée nationale. Les seules informations dont nous disposions, c'est qu'il n'y a pas de danger avéré pour la santé humaine, exception faite d'une élévation temporaire de la température ou d'un abaissement des flux qui ne sont nullement dommageables. En revanche, on ignore ce qui se passera à long terme : des études épidémiologiques viennent d'être lancées, mais vous savez qu'il faut du temps pour en obtenir les résultats et surtout des résultats exploitables. Le seul risque avéré des téléphones portables c'est leur utilisation au volant d'une voiture, car elle peut multiplier, je crois, les risques d'accidents par quatre...
Pour ce qui est de l'autorisation de mise sur le marché, je dois dire que celle des produits alimentaires ne relève pas de notre responsabilité : le ministère, par le biais de ses agences et de la Direction générale de la santé, intervient en cas de dysfonctionnement avéré, en cas de risque potentiel ou avéré pour la santé de l'homme mais, contrairement à ce qui se passe pour les médicaments ou les produits de santé qui, eux, nécéssitent une A.M.M. - autorisation de mise sur le marché - ou une autorisation temporaire d'utilisation, n'importe quel produit alimentaire peut circuler sans que nous soyons consultés.
La question va certainement se poser pour ces aliments qui se prévalent de présenter des intérêts pour la santé. Nous réfléchissons effectivement à l'attitude que nous aurons à adopter avec nos différents instituts et agences pour intervenir, ainsi qu'avec les autres ministères compétents.
J'en viens maintenant au rôle du ministère de la Santé dans le contrôle des produits dans d'autres domaines. Par exemple, nous travaillons sur l'utilisation de l'expérience suisse où des tests sont mis en _uvre pour détecter le prion chez des bêtes avant qu'elles ne présentent les symptômes de la maladie de la " vache folle ". Vous savez que sont actuellement disponibles trois tests sur le marché : le test suisse, un test français qui est un produit du C.E.A. puisque c'est le professeur Dormont qui l'a mis en place, et un test britannique dont on ne connaît pas très bien les effets.
En outre, nous avons saisi l'A.F.S.S.A. au mois de septembre dernier et lui avons demandé de définir un protocole de mise en _uvre de ces tests sur le cheptel français, de façon à nous renseigner sur l'innocuité ou la fiabilité du dispositif mis en place en France pour prévenir ou juguler l'épidémie de " vache folle ". En effet, nous avons enregistré, en France, une cinquantaine de cas dans l'année, ce qui est beaucoup moins qu'en Grande-Bretagne.
Les " manques " existant dans notre dispositif sont-ils dans l'alimentation des animaux qui consommeraient encore des farines animales ? S'agit-il d'une transmission transversale entre animaux dans un même troupeau ? On l'ignore et, comme moi, vous vous interrogez certainement sur ce point.
Quoi qu'il en soit, la mise en place de ces tests doit se faire sur un échantillon fiable selon un protocole précis, après avoir surtout défini les conditions de sécurité de mise en place de ces tests. En effet, comme il s'agit d'aller prélever sur des bêtes réputées non malades mais qui peuvent se révéler l'être au cours du prélèvement pour l'application du test, vous imaginez les conséquences que tout cela peut avoir sur les personnels qui seront chargés d'effectuer ces opérations... Cela justifie le temps pris par l'A.F.S.S.A. pour mettre en _uvre ce protocole. Néanmoins, on l'élabore sans que notre action soit contrecarrée par la Direction générale de l'agriculture qui va voir introduits dans ses services, notamment dans les abattoirs et les services vétérinaires, des tests qui peuvent conduire à révéler une augmentation de l'invasion du prion sur nos animaux.
A quel niveau le ministère se trouve-t-il impliqué ? Déjà dans la saisine de l'A.F.S.S.A. qui est sous triple tutelle, j'ai des relations très régulières avec son directeur et ses équipes, pour leur faire part de mes interrogations. Nous tenons des réunions tous les quinze jours avec l'ensemble des collaborateurs des dispositifs de sécurité sanitaire.
Par ailleurs, il y a le Comité national de sécurité sanitaire dont j'ai fait mention dans mon intervention liminaire, que je préside et réunis tous les trois mois. Il s'agit là d'un comité qui réunit l'ensemble des agences, l'ensemble des directions sous la responsabilité des quatre ministères concernés : l'Environnement, la Consommation, l'Agriculture et la Santé.
Cette pratique de mise en commun est porteuse de nouvelles cultures de travail. Même si nous n'avons pas encore atteint le bout du chemin, un partenariat et un décloisonnement naissent de ce travail obligatoire du Comité national de sécurité sanitaire. La constitution des groupes de travail pour évaluer la manière dont il a été fait face à des crises et pour définir, en fonction des informations, les crises qui pourraient intervenir dans les mois suivants afin de les appréhender préventivement, permet à ces professionnels de travailler ensemble et de mutualiser leurs expériences et leurs réflexions.
Ma volonté de disposer d'un rapport à la fois rétrospectif et prospectif va aussi dans ce sens et je souhaite vraiment que ce comité, qui produira un rapport annuel, soit le lieu du développement d'une culture administrative commune en matière de sécurité sanitaire.
Je citerai encore la réunion interministérielle autour du Premier ministre qui témoigne de cette volonté transversale de prise en compte des problèmes. Dans la gestion de la levée de l'embargo - les choses se sont tout de même passées dans la transparence - vous avez pu constater que si, au début, on avait l'impression que seul le ministère de l'Agriculture était sur le front de cette question, progressivement il en a été autrement...
Vous avez mesuré l'autorité des commissaires à Bruxelles : pour les problèmes alimentaires ce sont les ministres de l'Agriculture qui traitent en direct avant de retourner devant leur Gouvernement. Comme ce qui a été dit à Bruxelles n'est pas interprété de la même manière dans les différentes capitales, cela les amène à revenir, à reprendre les discussions : c'est une procédure très lourde !
Lorsque le Premier ministre l'a souhaité, nous étions évidemment prêts à lui communiquer notre avis en matière de santé publique. En effet, chaque fois que nous avons eu à porter la position de la France à Bruxelles, cela s'inscrivait dans le cadre d'une réflexion et d'une décision interministérielles.
Les questions que vous avez posées à l'Assemblée nationale vous ont d'ailleurs apporté des réponses allant dans ce sens !
Comment les ministres de la Santé ont-ils vécu la chose ? Ils ont, je dois le dire, été très intéressés, parce qu'aucun des autres pays de la Communauté n'avait encore envoyé un tel binôme Santé-Agriculture pour discuter de problèmes de sécurité alimentaire mais seulement des représentants de l'agriculture.
Par conséquent, mes homologues de la santé, lorsque je les ai rencontrés au conseil des ministres de la Santé, sont venus me voir les uns après les autres, ou les unes après les autres, car ce secteur compte beaucoup de femmes, pour me dire qu'il fallait faire avancer les choses et surtout ne pas lâcher, y compris la ministre allemande qui cherche un argumentaire, une méthode pour affirmer son souci de sécurité sanitaire.
La Finlande est un pays qui comprend les choses sur le principe et accompagne notre action, mais qui ne se sent pas en danger pour le secteur de la viande bovine. Je peux citer également les soutiens de la ministre néerlandaise, de la ministre italienne et l'entretien que j'ai eu avec Mme Bruckland, qui illustrent bien la montée en puissance de la préoccupation sanitaire au regard de la santé de l'homme.
On ne peut pas dire que " c'est gagné ", parce que, de nouveau, c'est le secteur de l'agriculture qui parle de ces questions, mais je crois qu'un pas a été franchi. Le fait que le Premier ministre et le Président de la République aient parlé d'une seule voix - dans mon propos introductif, j'ai mentionné cette nécessité pour la France - est un des éléments ayant permis que cette décision française de ne pas lever l'embargo soit bien perçue et prenne tout son poids et son autorité. Aucune voix divergente ne s'est élevée, et si certains chercheurs ont tenté de tourner autour de la question, c'est une bonne chose pour le débat public qui a besoin, pour s'instaurer, d'avis contraires...
Cela étant, que le Premier ministre puisse indiquer clairement à Tony Blair que ce qui compte pour lui, c'est la santé de ses concitoyens, et qu'il préfère passer pour un mauvais européen que de faire peser un risque supplémentaire sur le consommateur français, constitue une première dans le grand marché européen et dans la définition des principes économiques que, par ailleurs, nous ne renions pas !
C'est pourquoi, en transposant cette question, notre souci était de dire que nous ne faisions pas de protectionnisme, ne prônions pas le repli sur nous-mêmes et ne prétendions pas être meilleurs que les autres - la preuve en était que nous réévaluions notre système français, que nous nous appliquions donc à nous-mêmes les règles que nous demandions aux autres d'appliquer - mais que nous souhaitions que les informations recueillies par les experts soient portées au niveau européen et puissent bénéficier à l'ensemble des pays de l'Union, afin qu'ils progressent ensemble dans un dispositif de meilleure sécurité sanitaire.
M. Pierre LELLOUCHE : Que répondez-vous donc au commissaire Byrne, quand il dit, qu'à Bruxelles, on a bien vu le rapport de l'A.F.S.S.A., qu'on a consacré deux jours à analyser ses conclusions, mais qu'on les a rejetées ?
Mme Dominique GILLOT : Je ne veux pas vous faire l'injure de vous rappeler comment les choses se sont passées, mais l'A.F.S.S.A. a réuni un groupe de trente experts internationaux - parce qu'il ne s'en trouve quand même pas à profusion en France - tous spécialistes du prion.
L'avis de l'A.F.S.S.A. a été communiqué au Gouvernement qui a déclaré qu'il ne pouvait pas lever l'embargo parce que, si effectivement les conditions administratives et réglementaires telles que définies en 1998 avaient été mises en place en Grande-Bretagne, les nouveaux résultats laissaient interrogatifs : en effet, en appliquant le même dispositif de sécurité, la France obtenait des résultats bien meilleurs en termes d'épidémie sur les animaux. Le Gouvernement exigeait donc des explications, des garanties et se disait prêt à lever l'embargo sur de la viande qui n'introduirait pas un risque supplémentaire.
Lesdits résultats ont été envoyés à la Commission européenne qui a saisi son conseil scientifique, qui est son conseil technique, et au sein duquel il ne se trouve qu'un spécialiste du prion. Les experts saisis se sont donc tournés vers d'autres groupes d'experts, ils ont consulté, certes, mais pas un organisme formellement établi ! Parmi les nouvelles personnalités interrogées, se trouvaient une dizaine d'experts du prion, lesquels ont confirmé individuellement l'avis de l'A.F.S.S.A., sans faire l`objet d'un rapport tel que celui produit par l'A.F.S.S.A. sous la signature de son directeur. Quant aux autres personnes sollicitées, expertes en réglementation ou en droit européen, elles ont seulement regardé si la Grande-Bretagne avait satisfait aux obligations qui lui avaient été fixées par la Commission européenne et elles ont émis un avis positif.
Le comité scientifique européen, lui, s'est fondé sur cet avis réglementaire et administratif, ce qui a conduit le comité technique à émettre un avis favorable à la levée de l'embargo qui plaçait la France au ban de la Communauté européenne.
Pour notre part, nous avons agi en transparence - comme nous avons, de par la loi, un dispositif à consulter, la transparence était évidente. Ce n'est pas le cas en Allemagne, où il n'existe pas un tel dispositif : c'est le vote des Länder qui semble interdire au Gouvernement de lever l'embargo et qui permet à ce dernier de se retrancher derrière cet argument, alors que la Commission européenne n'a pas agi dans la transparence, mais dans l'affirmation de principes non vérifiés du point de vue scientifique.
Le professeur Pascal, expert français siégeant au comité scientifique, a fourni de nouvelles explications sur sa position, en faisant valoir qu'il avait dit que l'on pouvait lever sans dommages l'embargo parce que les viandes des autres pays n'étaient pas moins sûres que les viandes britanniques... C'est une manière de retourner une position prouvant bien que, face à l'exigence de transparence dans leur décision, les membres du comité scientifique se sentent gênés et obligés de préciser leur point de vue.
Cette expérience a aussi permis à la France de contre-attaquer et de ne pas attendre passivement la condamnation devant la Cour de justice.
Le fait que la Commission européenne ait mis beaucoup de temps avant d'introduire son action car elle avait besoin de temps pour qualifier son attaque contre la France, alors qu'on nous la promettait toujours pour les jours suivants, nous a permis de déposer un recours devant la Cour de justice au motif que nous avions transmis des éléments nouveaux à la Commission européenne qu'elle n'avait pas pris la peine de prendre en compte ; c'était une faille au regard de la règle européenne, qui veut que chaque pays puisse porter à la connaissance de la Commission les éléments qu'il veut voir prendre en compte.
Il va donc y avoir maintenant un débat juridique européen intéressant à partir d'une question de sécurité sanitaire portée pour la première fois par le Gouvernement français. Celui-ci a introduit dans ses préoccupations la santé à égalité avec les questions économiques, les questions de solidarité européenne ou d'observance de la réglementation européenne.
M. le Président : Avant de redonner la parole à mes collègues, vous me permettrez de formuler une observation : nous nous sommes rendus à Bruxelles et nous nous sommes beaucoup interrogés sur la manière dont les choses s'y déroulent.
Vous venez de nous apporter des éléments de réflexion sur la manière dont la décision de gestion du risque a été élaborée. Il est très intéressant de voir comment les choses se sont passées et cela donnera encore lieu à débat, car l'Europe s'est construite sur la base de Traités par rapport auxquels les uns et les autres, en fonction de leur sensibilité, ont pu adopter des attitudes différentes.
Il n'en demeure pas moins que la question est pour nous de savoir, dans le cadre de l'Europe et des Traités tels qu'ils existent, comment nous pouvons faire bouger les choses, en tenant compte de l'état de l'opinion et des problèmes tels qu'ils se posent dans notre pays. Le fait d'avoir pu donner une telle place aux préoccupations de sécurité sanitaire prouve que l'on peut sans doute faire avancer les mentalités dans ces domaines.
Mme Dominique GILLOT : Oui, c'est une crise qui peut être exemplaire, compte tenu, d'une part, de la manière dont la France a réagi, d'autre part de la possibilité qu'elle ouvre pour faire évoluer les dispositifs européens vers plus de responsabilité communautaire. C'est pourquoi notre souci constant a été de dire que notre position n'était pas antibritannique, que nous ne négligions pas la discipline européenne, mais avions des éléments conduisant à nous exprimer comme nous le faisions et que nous demandions de les prendre en compte.
Lorsque le ministre britannique de l'Agriculture a dit à Jean Glavany " mon b_uf est aussi sûr que le tien ", ce dernier lui a répondu : " j'espère que tu as raison, sinon tu risques, d'ici à dix ou quinze ans, de regretter ce que tu affirmes avec autant d'autorité, alors que je t'apporte des éléments qui te prouvent qu'il y a encore problème ! " Je crois que cet échange a vraiment troublé l'auditoire et que l'émergence de deux cas humains - chez les Britanniques, une jeune fille de treize ans ; chez nous, une personne adulte qui est toujours en vie - a validé la démarche française qui a eu une résonance particulière dans les autres pays de la Communauté européenne.
Mme Michèle RIVASI : La discussion a mis en lumière l'évolution des mentalités concernant le ministère de la Santé. Jusqu'à présent, ce ministère était lié à l'aspect médical et pharmaceutique, mais pas tellement à l'aspect alimentaire et environnemental. Je suis satisfaite que vous ayez souligné qu'il manquait un maillon au niveau de la santé, à savoir cette agence santé-environnement, car toute une série de domaines ne sont pas pris en compte.
Sur les O.G.M., que le ministère de l'Agriculture se sente directement concerné, soit. Personnellement, je suis favorable à ce que le ministère de la Santé intervienne de façon beaucoup plus importante dans ce secteur, comme dans celui des hydrocarbures avec la " marée noire ", pour montrer que la santé peut être touchée...
Le rôle d'alerte et de prévention doit incomber à ces agences - il faut absolument construire ce maillon manquant - celui de la surveillance plus générale étant à la charge de l'Institut de veille sanitaire.
A ce niveau-là, je me demande s'il ne conviendrait pas, aussi, d'engager une reforme sur la médecine du travail, parce que, si l'on a un doute sur la santé, c'est bien tout de même dans les lieux critiques du milieu industriel. Or quand on regarde les études épidémiologiques faites au niveau des travailleurs, on s'aperçoit, d'abord qu'elles sont très peu nombreuses, ensuite que le statut même de la médecine du travail n'est pas vraiment de nature à mettre en exergue les problèmes liés à la santé. Les médecins sont trop dépendants du milieu industriel.
Il faudrait revoir le statut de la médecine du travail pour permettre une indépendance de ses médecins par rapport à ce qu'ils peuvent observer au niveau des travailleurs. Cela nous fournirait des renseignements plus ciblés sur la santé et le risque par rapport aux industries, qu'elles soient alimentaires ou autres, et nous permettrait d'en tirer, par la suite, des informations pour les populations. J'estime que, d'un point de vue méthodologique et législatif, il y aurait là des choses à faire !
Sur le principe de précaution, je trouve que nous avons été assez exemplaires sur l'encéphalopathie spongiforme. En revanche, il est d'autres domaines où ce principe n'est pas appliqué.
Je prendrai l'exemple des lignes à haute tension. J'ai consacré un colloque à ce sujet, au cours duquel les agriculteurs sont intervenus de façon massive. Cela nous a permis d'obtenir une convention avec E.D.F. et le ministère de l'Agriculture pour remettre aux normes des installations électriques ou dévier des lignes à haute tension qui passaient sur des élevages, travaux financés conjointement par E.D.F. et le ministère de l'Agriculture. Je trouve assez surprenant que l'on ait pu obtenir une telle convention pour les lignes à haute tension qui dominent des élevages et qu'on ne se pose pas de questions pour celles qui passent au-dessus de l'habitat et des écoles...
On peut se demander s'il y a quelqu'un pour étudier cette question en France. A ma connaissance, les seuls experts qui sont intervenus dans le colloque étaient des experts des industriels. Vous avez dit qu'il faudrait revoir le statut des experts : j'estime que c'est essentiel pour la crédibilité et qu'il faut des laboratoires pour étudier ces problèmes car j'avoue ne pas voir, mis à part les personnels d'E.D.F., qui peut être en mesure de le faire. Le principe de précaution n'est pas appliqué.
Pour ce qui a trait aux téléphones portables, excepté les antennes qui émettent des rayonnements et pour lesquelles une réglementation existe déjà qui définit des périmètres...
M. Pierre LELLOUCHE : Pas du tout !
Mme Michèle RIVASI : Si ! Il s'agit d`une petite réglementation qui est peu respectée mais qui existe...
M. Pierre LELLOUCHE : Non, non ! Ce n'est pas un cas d'école mais comme j'ai été saisi par un syndicat de copropriétaires, car les compagnies de téléphone distribuent un peu d'argent à ces syndicats en échange de l'emplacement d'antennes relais qui sont parfois de grosses constructions, j'ai vu l'autorisation de la ville de Paris : sont visés le P.O.S., les Bâtiments de France dont on me dit qu'ils accordent maintenant les autorisations de façon quasi-automatique.
Je vais interroger le maire de Paris par courrier ces jours-ci et lui demander pourquoi aucune des directions de la ville n'est consultée.
C'est d'ailleurs pour cette raison que je vous ai, Madame la ministre, posé tout à l'heure la question de savoir si votre ministère intervenait dans ce genre de décision.
Mme Dominique GILLOT : Je vous ai répondu par la négative parce que nos outils n'entrent en jeu qu'après que des perturbations sur la santé nous aient alertés !
M. Pierre LELLOUCHE : Le problème c'est que l'on n'en sait rien !
Mme Dominique GILLOT : Je réponds sur ce que l'on fait ! Si le réseau " Sentinelle " renvoie à l'I.V.S. un nombre de cas conséquents ou observables de personnes qui vont présenter des dépressions nerveuses, des perturbations nerveuses ou autres...
Mme Michèle RIVASI : Il s'agit d'amnésies en général !
Mme Dominique GILLOT : ...et qu'il ressort de l'étude épidémiologique de l'I.V.S. que ces personnes habitent toutes sous une ligne à haute tension, un rapport sera produit. A mon avis et dans l'état de mes connaissances, ce n'est que dans ce cas qu'on pourra l'obtenir, d'où l'intérêt et la nécessité de cette agence santé-environnement qui étudiera spécifiquement ces aspects.
M. Pierre LELLOUCHE : Nous sommes d'accord !
Mme Michèle RIVASI : J'ajouterai quelques mots sur la directive de la responsabilité civile sur les produits défectueux. Vous savez que l'Europe demande de revoir cette directive établie en 1985, transposée en droit français en 1998, qui repose sur la charge de la preuve : la victime qui a consommé un produit défectueux ou qui subit un dommage a la charge d'en établir la preuve. Or maintenant que l'on parle du principe de précaution, je souhaite connaître la position du ministère de la Santé sur cette directive. Rapporteur de cette loi, j'auditionne le ministère de la Santé à ce sujet afin de savoir s'il compte influer en faveur de la présomption de la preuve.
M. Claude GATIGNOL : Madame, vous nous avez resitué, tout à l'heure votre intervention au moment de la crise " franco-britannique " qui me paraît tout à fait normale puisque, si les ressortissants du ministre de l'Agriculture sont chargés de produire l'alimentation et que, dans la grande majorité des cas tout se passe bien, en cas de difficulté avec des conséquences sur la santé humaine, la chose relève aussi de votre autorité. Il était donc juste que vous soyez présente dans ces discussions avec toutes les difficultés que cela a pu comporter.
Vous avez évoqué, dans votre propos, le principe de précaution mais, puisque tout va bien dans la majorité des cas, c'est donc bien qu'il y a eu auparavant l'application d'un principe de prévention. Je suis heureux que vous ayez remarqué à ce titre, que les vétérinaires étaient bien présents et participaient, au niveau des productions d'origine animale, à tout ce qui est prévention vis-à-vis de la santé humaine et dans d'autres domaines ; on l'a vu ici dans cette même salle où un certain nombre de gens fort compétents sont soit médecins, soit vétérinaires. Leur action a été particulièrement remarquable dans l'histoire de l'E.S.B. et plus largement animale, puisque Mme Jeanne Brugère-Picoux nous a dit avoir été convaincue de la transmission de la maladie le jour où un chat avait lui-même présenté une encéphalite, ce qui était un élément déterminant pour la transmission interespèce dont l'homme fait partie.
Je reviendrai sur la notion de risque que vous avez développée, sachant que le " risque zéro ", il est vrai, n'existe pas et que ce n'est pas un concept recevable, mais qu'il s'agit pour vous de réduire le risque.
Lorsqu'une alerte est déclenchée, votre décision, qui est toujours politique, comporte une part d'éléments scientifiques et une part d'autres paramètres : avec les Britanniques il s'agissait d'une question de marché, de circulation de marchandises. Les dangers encourus par l'individu sont de plusieurs ordres : il peut y avoir des risques de nature physique avec les ondes électromagnétiques ; des risques chimiques et on a vu à un certain moment que la dioxine pouvait donner des préoccupations, mais qu'il fallait aussi, hélas, mesurer le risque ; des risques biologiques de type bactériologique, comme on l'a vérifié avec l'affaire des rillettes mais aussi, quelques mois auparavant, avec un fromage au lait cru, dont je crois qu'ils existeront toujours, puisque les bactéries font partie de notre environnement.
Dans ces conditions, quels sont les interlocuteurs efficaces et qui vous fournissent une réponse utile ? Vous avez cité l'A.F.S.S.A., l'O.P.R.I. pour les rayonnements. Mais avez-vous décelé des manques qu'il serait utile de combler pour vous aider à élaborer votre décision ?
Cette question vise à savoir si vous avez noté l'absence de tel ou tel service spécialisé, sachant bien que la nature de l'évaluation de l'expert est très difficile et que c'est souvent plus à un collège d'experts qu'on peut avoir affaire comme l'a illustré cette histoire de Commission européenne.
Cela m'amène d'ailleurs à dire que nous pensons que les agences européennes sont fort utiles et vous sont fort utiles...
Mme Dominique GILLOT : En effet !
M. Claude GATIGNOL : Exactement !
Puisqu'on parle d'une éventuelle agence européenne, avez-vous déjà une idée de la façon dont pourraient s'articuler la coordination des deux agences - l'une française et l'autre européenne - et comment se situeraient les décisions, évoquées précédemment par M. Lellouche, de la Commission européenne ? Y aura-t-il toujours opposition, ambiguïté dans la décision à prendre entre le ministre que vous êtes et la Commission ? Etes-vous parvenue à tracer un chemin pour que la bonne décision soit toujours appliquée sans donner lieu à contestation ?
Pour terminer, M. le Président, j'aborderai un domaine très technique et très concret : au niveau bactériologique il est un moyen, je crois, d'atteindre le " risque zéro " qui, à ce jour, n'est pas utilisé. Ce risque est relativement modeste compte tenu de la prévention, je veux parler du recours, pour certains produits alimentaires, à l'ionisation qui offre, au moins pour la nourriture des populations fragiles, telles que les enfants, les personnes immuno-dépressives et les personnes âgées, certaines garanties...
Mme Michèle RIVASI : Non, cela détruit les vitamines...
Mme Odette GRZEGRZULKA : Madame la ministre, nous nous réjouissons de la tournure que prend le ministère de la Santé pour devenir davantage un ministère de la prévention qu'un ministère du soin et surtout de l'urgence, comme il l'a été traditionnellement pendant des décennies. Néanmoins, pour jouer aussi efficacement que possible ce rôle de prévention, il manque encore un certain nombre de choses : je sais que vous en êtes consciente, mais j'aimerais savoir avec quels moyens et dans quels délais vous pourriez vous en doter.
En outre, je souhaiterais que vous nous disiez si vous réfléchissez à une formation plus qualifiante, plus valorisante et surtout plus massive des épidémiologistes et des hygiénistes et comprenant notamment un volet hygiéniste auprès des généralistes - je sais que c'est un sujet très cher au docteur Mattei, mais je partage à cent pour cent sa suggestion. En effet, c'est la base pour que la population se nourrisse de façon aussi peu dangereuse que possible.
Par ailleurs, vous nous avez parlé des réformes de structures de votre ministère, notamment à l'échelon central de la D.G.S., mais je souhaite vous interroger sur l'évolution de l'échelon déconcentré : je suis très frappée de l'absence des D.D.A.S.S. - Directions départementales des affaires sanitaires et sociales - sur le terrain, dès lors qu'il s'agit de santé ou plutôt de leur intervention en cas de crise ! Certes, elles siègent aux comités d'hygiène départementaux et autres, mais il s'agit de structures qui interviennent, d'abord de façon contestable, ensuite souvent très en amont, et en cas de problèmes d'hygiène et de sécurité alimentaire on entend plus, au niveau national, les voix des ministères de l'Agriculture et de la Consommation que celle du ministère de la Santé. Je déplore, que sur le terrain, on voie davantage les services vétérinaires et ceux de la répression des fraudes et de la concurrence que les D.D.A.S.S. qui disposent certainement de très peu de moyens et uniquement de quelques textes chaotiques à appliquer.
Une grande réflexion avait été engagée il y a dix-huit mois, sur la mise en place de pôles de compétence sanitaire dans les préfectures, à l'échelon départemental. Où en est-on ? Il serait intéressant que dans délais assez rapides, sur le terrain, votre administration ait les moyens de jouer son rôle.
J'aurai encore une suggestion : existe-t-il un moyen, au-delà de ce qu'a dit ma collègue, Michèle Rivasi - je serai encore plus sévère qu'elle sur la médecine du travail dont je conteste absolument les conditions de fonctionnement - d'associer davantage la médecine du travail et la médecine scolaire à la restauration collective de nos enfants dans les écoles et des personnels dans les entreprises ? En effet, il y a une source de danger sanitaire et alimentaire dans ces domaines d'où ces deux médecines sont, à ma connaissance et si j'en crois mon expérience, totalement absentes.
A l'occasion des Etats Généraux de la Santé, tous les participants représentant la population ont émis le souhait d'être mieux informés, de mieux comprendre ce qui leur arrive, d'être associés aux décisions. Sous quelle forme envisagez-vous d'assurer cette transparence gouvernementale - et je pense aux anciennes conférences sur les O.G.M. - afin que la population n'ait pas pour seule source d'information la vulgarisation parfois choquante des médias qui donne lieu à des psychoses ? Il serait intéressant de réfléchir.
Enfin, avec notre rapporteur, nous avons déposé il y a presqu'un an, une proposition de loi portant création d'une agence de sécurité sanitaire environnementale et je viens de déceler dans vos propos l'annonce que cette création pourrait être examinée au cours d'un prochain débat parlementaire sur un D.M.O.S. - Diverses mesures d'ordre social. C'est une bonne nouvelle, mais j'aimerais obtenir quelques précisions.
Mme Dominique GILLOT : Je n'ai pas dit " D.M.O.S. " !
M. Gilbert MITTERRAND : Madame la ministre, j'aimerais aborder deux sujets. L'aliment, de sa production à sa consommation est soumis à au moins quatre codes différents : j'ai même observé que le code du travail n'était pas forcément à exclure de ce champ de prévention ou de précaution. C'est donc un maquis dont les directions ministérielles reconnaissent elles-mêmes qu'il est assez inextricable, et ma question est simple : que peut le ministre de la Santé, directement concerné par les problèmes qui se posent lorsque les choses ont dérapé ailleurs, même si cela ne relève pas de ses compétences d'attribution, auprès de ses différents collègues et sous quelle forme, pour faire évoluer les choses ? Vous êtes forcément en mesure de lancer un certain nombre de messages clairs à l'adresse de vos collègues ministres, au nom du Gouvernement, et je m'interroge sur la forme dont vos propositions pourraient être reprises, qu'elles soient réglementaires ou législatives.
Avez-vous capacité à entraîner ce mouvement ou faut-il vraiment qu'une commission d'enquête le réclame à cor et à cri ?
Mme Dominique GILLOT : Une chose n'empêche pas l'autre !
M. Gilbert MITTERRAND : Nous ferons peut-être les deux s'il le faut...
Vous avez dit que l'éducation du consommateur ne relevait pas de votre champ de compétence immédiat : je crains, en tenant un tel discours que l'on ne culpabilise le consommateur : il va finir par se dire que, s'il ne se porte pas bien, cela tient, non pas à la mauvaise qualité des produits mais à son incapacité de les bien choisir, au mauvais nettoyage de son réfrigérateur, qu'il ne passe pas à l'eau javellisée...
Il ne faudrait pas que le consommateur, régulièrement alerté de dysfonctionnements finisse par croire, qu'avant lui, toute la chaîne a été respectée, alors qu'on n'est pas absolument certain qu'au niveau du producteur, du transporteur, du distributeur, il n'y a pas eu quelques accidents au passage... On va finir même par faire valoir au consommateur que sa défense immunitaire n'est pas satisfaisante : vous comprenez ce que je veux dire...
Ne pourriez-vous envisager de demander aux ministères concernés de prendre des initiatives pouvant relever du code du travail, du code de la consommation, voire de procédés technologiques permettant au consommateur de savoir si, par exemple, la " chaîne du froid " a été ou non respectée ?
De telles initiatives seraient des signes forts envoyés aux consommateurs, pour montrer que vous vous occupez de la santé publique, non pas uniquement au niveau de considérations purement européennes et de formation et de recrutement de techniciens, mais aussi par des mesures immédiates et éloquentes sur les garanties et la confiance que l'on veut offrir sur un produit fabriqué par un producteur, transporté par un transporteur, distribué par un distributeur avant de se trouver sous la responsabilité du consommateur ? Existe-t-il deux ou trois mesures simples de ce type ?
Pour ma part, je peux en suggérer une : un salarié qui dénonce un employeur qui lui demande de faire des choses dont il sait pertinemment qu'elles sont parfaitement interdites et dangereuses, devrait pouvoir, à l'inverse de ce qui se passe actuellement, être protégé.
Mme Dominique GILLOT : Il n'empêche que cela entraîne quand même un contrôle supplémentaire...
M. Gilbert MITTERRAND : Oui, mais cela s'arrête là, car ledit salarié perd son emploi et la procédure en justice s'interrompra vite car il ne pourra pas venir témoigner... Ce sont des choses connues ! Bien entendu, il ne faut pas arriver à la délation systématisée : je parle bien de statut de " salarié protégé " qui, comme les procédures d'arrêt d'une machine, ne peut pas exister dans n'importe quelles conditions et à n'importe quel moment.
M. le Président : Ces dernières questions ont été abordées, lorsque nous avons reçu les syndicalistes et il serait très intéressant de reprendre tout ce qui a pu être dit !
Mme Dominique GILLOT : Sur la dernière question qui se présente plutôt sous forme d'ouverture et qui concerne l'éducation du consommateur, je répondrai - et je l'ai dit tout à l'heure - que ma responsabilité porte sur l'éducation à la santé et la nutrition, ce qui n'est pas exactement la même chose que l'alimentation.
On ne peut pas demander que tout soit dans tout et il me semble que, dans le contrôle de la sécurité sanitaire des aliments, même si j'assume complètement la responsabilité en bout de chaîne des conséquences sur la santé de l'homme, il faut que, dans l'environnement également, la pluridisciplinarité continue de s'appliquer et s'améliore avec un travail partenarial, normal, habituel porteur d'émulation et de dispositifs d'information et d'alerte réciproques. Dans le cas contraire, on aura toujours une chapelle contre une autre chapelle et je me vois mal aller réglementer la production des tomates ou la fabrication de la sauce tomate : l'interministérialité fonctionne dans ce domaine !
Cela étant, il existe des dysfonctionnements ayant entraîné des modifications, car les contrôles sont effectués régulièrement et les dispositifs sont, en permanence, susceptibles d'être réévalués et reprécisés.
J'en veux pour preuve un exemple tout à fait récent : nous avons eu, au début de l'automne, une nouvelle alerte à la légionellose, après celles de cet été et de l'année dernière. Cette fois, à l'expérience des autres crises que nous avions eu à connaître, les systèmes d'alerte de l'I.V.S. ont permis d'en bien localiser l'origine. Nous avons constaté que les cheminées d'aération ou de chauffage rejetaient, au moment où on les remettait en route, au début de l'été et au début de l'hiver, des légionelles qui se sont développées dans les canalisations.
Y avait-il une réglementation ? Non, il y avait une réglementation pour les cheminées, pour les conduites d'eau, ce qui nous a conduits à élaborer une réglementation pour obliger les propriétaires ou les utilisateurs de dispositifs de réfrigération ou de climatisation à témoigner que, chaque année, il a été procédé au nettoyage nécessaire. Tout cela illustre bien le fait que les choses ne sont pas figées une fois pour toutes, mais qu'elles sont en évaluation et en évolution permanentes.
Tout à l'heure, l'exemple a été évoqué d'infractions à la réglementation dans l'utilisation ou la fabrication de produits : nous en avons eu un exemple avec l'utilisation des boues d'abattoirs dans la fabrication de farines alimentaires. Il s'agissait d'une infraction à la loi ; elle a été dénoncée ; elle a fait l'objet d'enquêtes et de sanctions graves et il a été mis un terme à ces pratiques. Il y a donc un système qui fonctionne, vraisemblablement encore insuffisant, mais le concours d'idées est ouvert et je suis également intéressée par toutes vos suggestions en ce domaine.
Nous sommes moins à l'aise notamment lorsqu'il s'agit d'aller alerter le consommateur sur le danger de l'abus de consommation de tabac ou d'alcool, car nous nous heurtons alors à un conflit de compétences et d'intérêts plus difficile à dépasser qu'en cas de légionelles.
Ceci prouve que l'on ne peut pas tout interdire et tout réglementer, qu'il faut aussi laisser une part de responsabilité au consommateur.
Concernant la médecine du travail, des éléments de réponse ont été apportés par Mme Grzegrzulka dans son intervention : la médecine du travail, comme la médecine scolaire, n'est pas de la responsabilité directe du ministère de la santé !
Mme Odette GRZEGRZULKA : Il est temps que cela change !
Mme Dominique GILLOT : D'accord, mais la médecine du travail est gérée dans le cadre du paritarisme...
Mme Odette GRZEGRZULKA : C'est là le scandale !
Mme Dominique GILLOT : C'est là le scandale, mais c'est aussi un héritage de quelque chose qu'il convient de mettre en cause... Personnellement, j'ai commencé à discuter de ce point mais la Direction du travail qui revendique cette formule est soutenue par les organisations syndicales qui considèrent que cela relève de ses prérogatives. Il faut effectivement avancer dans ce domaine. Je pense qu'il faut continuer à faire évoluer les choses et, pour ma part, je souhaite que la santé soit un tout. J'estime, pour reprendre les propos du Premier ministre à la conclusion des Etats Généraux de la Santé, qu'il convient de définir une politique de santé globale. On avance sur ce point mais, à ce jour, je n'ai pas de réponse immédiate à vous apporter en termes de décisions sur ces questions.
Pour ce qui est de la directive sur la responsabilité civile pour les produits défectueux, je ferai des recherches et apporterai la réponse par la suite.
J'ai été interrogée, toujours par Mme Grzegrzulka, sur une information relative à un projet de création d'agence de santé-environnement dans un dispositif législatif : j'ai donné pour exemple le projet de modernisation du système de santé. Il me semble qu'il offre une opportunité : c'est une loi qui va comporter plusieurs titres et je travaille pour qu'un titre soit porteur de ce projet, de manière à répondre justement à ce besoin et à terminer le maillage de sécurité sanitaire sur l'ensemble de notre territoire.
Sur la formation des épidémiologistes et des hygiénistes, j'ai souligné, tout à l'heure, que nous souffrions d'un déficit d'expertise et de formation. Il nous appartient d'abord d'adapter les formations à la réalité des besoins d'aujourd'hui, notamment dans le cadre de la réforme des études médicales, ensuite d'organiser la démographie médicale, en fonction de ces mêmes besoins. Le bateau est lancé dans un sens, il faut lui faire prendre un autre cap : le dialogue est ouvert actuellement avec le ministère de l'Enseignement, de la recherche et de la technologie, mais il est également engagé avec les universités et les facultés de médecine. Les choses ne sont pas simples, mais nous avançons sur ces questions et, personnellement, je fais aussi confiance aux étudiants et aux scientifiques qui ont le talent de s'orienter vers des domaines porteurs où ils pourront se rendre utiles.
Par conséquent, si nous créons des postes, comme c'est le cas avec les agences, dans les années qui viennent, nous allons atteindre le nombre d'experts suffisant et, s'il en manque sur un sujet, nous lancerons un appel international comme cela s'est produit pour le comité Dormont.
Cela étant dit, la nomination de Lucien Abenhaïm à la D.G.S. montre bien quelle orientation, en termes de spécialisation et de définition de l'expertise, nous voulons mettre en _uvre aujourd'hui. La question d'une grande université de santé publique française reste toujours en suspens, mais cela fait également partie des projets à poursuivre et à mener à bien...
Pour répondre sur les D.D.A.S.S., je ne partage pas ce sentiment de leur absence sur le terrain de la sécurité sanitaire départementale. Mais il est vrai que nous avons été très gênés ces derniers mois par la grève des médecins inspecteurs de santé publique qui ne faisaient pas remonter suffisamment les informations et n'exerçaient plus leurs prérogatives aussi visiblement que nous l'aurions souhaité. Nous sommes en passe de régler le problème suite à des propositions et à des améliorations de statut, mais nous devons aussi mener une politique suffisamment volontaire pour faire en sorte que ces métiers soient porteurs et que les meilleurs de nos diplômés s'orientent vers ces carrières de santé publique.
Mme Dominique GILLOT : Pour donner une suite aux Etats Généraux de la Santé et faire durer et organiser cette consultation permanente, la démocratie sanitaire telle qu'elle a été réclamée, pour alimenter le projet de modernisation du système de santé, nous ferons des propositions pour organiser la représentation collective des usagers et leur participation aux grandes questions de santé publique d'orientation et de choix avant décision politique : rendez-vous est donc pris dans le cadre de la loi !
J'ai été interrogée par M. Gatignol sur la question de savoir s'il nous manquait des interlocuteurs pour fonder notre décision. Jusqu'à présent, nous n'avons pas ressenti de manque dans la mesure où, chaque fois que nous avons besoin de constituer un comité d'experts pour évaluer, nous passons commande à l'une de nos agences qui s'organise pour convoquer les experts les plus pointus. Les agences qui se connaissent et ont l'habitude de ce travail passent parfois des appels internationaux et, avec les nouvelles technologies de communication, les choses se font très simplement. En outre, comme je le disais tout à l'heure, l'interministérialité fonctionne de sorte que nous disposons d'outils qui, jusqu'à présent ne nous ont jamais fait défaut. Peut-être décélera-t-on un jour un déficit mais, pour l'instant, ce n'est pas encore arrivé...
Pour en venir à votre question sur la nécessité de réduire les risques, lorsque vous prétendez que l'évaluation doit reposer sur des éléments scientifiques, nous en sommes bien d'accord, mais, lorsque vous dites qu'elle doit aussi reposer sur une part de marché, nous y voyons une difficulté. Personnellement, je juge que l'introduction d'une part d'acceptation économique n'est pas supportable : je ne pense pas que l'on puisse avoir cette dimension de modération de régulation dans la prise de décision et dans l'application d'un principe de précaution.
Je sais bien que cela appelle discussion d'autant que, dans leur rapport, les professeurs Viney et Kourilsky parlent de la prise en compte de " l'économiquement supportable ". Cette question n'est pas sans poser problèmes...
Il est également vrai que lorsque nous avons à prendre des décisions d'interdiction de diffusion de produits, la notion de nécessité vitale intervient aussi dans l'évaluation du bénéfice risque !
M. le Président : Madame la ministre, il nous reste à vous remercier de nous avoir consacré plus de deux heures de votre temps. Vous avez apporté beaucoup de réponses à nos nombreuses interrogations mais, évidemment, nos discussions ne sont pas encore terminées puisque nous devons encore rencontrer certains de vos collègues. Merci, en tout cas, de votre contribution .La séance est levée.
(La séance est levée à dix-huit heures 20.)

Audition de Mme Marylise LEBRANCHU,
Secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises,
au commerce et à l'artisanat

(extrait du procès-verbal de la séance du Mardi 25 janvier 2000)
Présidence de M. Félix LEYZOUR, Président
Mme Marylise LEBRANCHU est introduite.
M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. A l'invitation du Président, Mme Marylise LEBRANCHU prête serment.
M. le Président : Mes chers collègues, j'ai le plaisir d'accueillir, ce matin, Mme Marylise Lebranchu, Secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce et à l'artisanat.
Madame la ministre, nous approchons du terme de nos travaux au sein de cette commission d'enquête. S'agissant de votre ministère, Madame, nous avons déjà entendu M. Jérôme Gallot et M. le Rapporteur a également eu l'occasion de rencontrer M. Viogeat, directeur départemental, au cours d'une visite dans le département des Côtes-d'Armor, où nous nous sommes rendus pour savoir comment fonctionnaient les services déconcentrés de l'Etat. Aujourd'hui, c'est vous, ainsi que Mme Voynet, que nous nous proposons d'écouter.
M. le Président : Je crois préférable, pour des raisons de temps que vous répondiez aux questions des commissaires et je vais laisser le soin à M. Chevallier qui est notre Rapporteur de les formuler.
M. le Rapporteur : Madame la ministre, merci d'être parmi nous aujourd'hui. En préparant notre entrevue de ce matin, j'avais envisagé un nombre imposant de questions que je vais m'efforcer de limiter, de manière à permettre à l'ensemble de mes collègues de participer à cet échange.
Nous sommes confrontés à un problème très vaste, celui de la fiabilité de notre filière alimentaire. A ce propos, deux questions reviennent fréquemment : le problème de la sécurité de l'alimentation et celui de sa qualité.
En matière de sécurité, puisque vous avez en charge tout ce qui concerne les relations avec les consommateurs, ma première question portera sur les efforts qui sont déjà entrepris, mais qu'il convient certainement de développer encore, en matière de traçabilité des produits et son corollaire, l'étiquetage.
Le consommateur doit disposer de produits de qualité tout au long de la chaîne alimentaire, depuis la production initiale jusqu'à la distribution. Or des problèmes de sécurité se posent, tant au stade de la fabrication qu'à celui de la conservation, comme il nous a été donné de le voir encore très récemment. Qu'en est-il donc de la " chaîne du froid " et des dates limites de consommation, deux questions qui dépendent directement de votre responsabilité ? De quelle manière peut-on améliorer encore les garanties de la chaîne du froid et celles des dates limites de consommation ?
Nous nous interrogeons sur les rapports qui existent entre les différentes administrations qui gèrent les questions de sécurité alimentaire, la Direction générale de l'alimentation (D..G.A.L.) et la Direction générale de la consommation, de la concurrence et de la répression des fraudes (D.G.C.C.R.F.). On nous dit que, dans les départements, des pôles de compétence peuvent être créés : y êtes-vous favorable et quelles sont les relations qu'entretient la D.G.C.C.R.F. avec la D.G.A.L. ?
En outre, la Commission européenne vient de rendre public un " Livre Blanc " qui contient diverses propositions en matière de sécurité alimentaire : sans préjuger ce que sera la contribution française à la réflexion entamée à Bruxelles, nous aimerions savoir quelle est votre perception de la situation nationale par rapport à celle des autres pays européens et comment la contribution de la France peut amener à faire évoluer la réglementation communautaire, sans pour autant que ces mesures soient vécues comme une sorte de nivellement de nos spécificités.
En effet, le risque que nous avons un peu ressenti à Bruxelles serait de voir édicter un ensemble de règles relativement contraignantes en matière de sécurité et de qualité avec, pour contrepartie, la disparition de certaines particularités françaises et la mise en place d'une sorte de " plate-forme " européenne, qui tendrait ensuite à s'aligner sur une " plate-forme " américaine, dont nous redoutons qu'elle soit un modèle alimentaire appliqué à l'ensemble des consommateurs français.
Voilà, c'est un propos introductif que j'ai voulu concentré mais dont je pense qu'il nous permettra de lancer le débat.
M. le Président : Comme c'est un " concentré ", il comporte beaucoup d'ingrédients et je vous donne la parole, Mme la ministre, pour répondre à ces premières questions.
Mme Marylise LEBRANCHU : Sur la traçabilité, je dirai qu'il convient de distinguer deux choses parfois confondues par les consommateurs : la traçabilité et l'étiquetage, le second visant que l'information des consommateurs qui n'est bien faite, que s'il y a une réelle traçabilité.
La traçabilité permet non seulement d'identifier un produit au fur et à mesure du déroulement de sa fabrication - et donc de déterminer d'où vient, par exemple, le plat cuisiné acheté en grande surface et quelles sont les conditions de sa fabrication - mais aussi de rappeler un produit en cas d'incident. Les chaînes alimentaires étant de plus en plus complexes, la traçabilité constitue un important facteur de sécurité alimentaire. Ainsi, si un opérateur décèle dans un produit d'origine - des canettes de bière par exemple - que le houblon qui lui a été livré à telle date présente une anomalie, quelle qu'en soit la nature, la traçabilité permet de rapatrier tous les produits.
Rappelez-vous que, lors de la crise récente du Coca-Cola, qui est d'ailleurs une crise à laquelle on n'a pas trouvé d'explication rationnelle, si nous avons pris la décision d'informer largement la population, c'est parce que l'entreprise n'avait pas pu apporter dans les quarante-huit heures la traçabilité suffisante et qu'elle n'avait pu nous assurer qu'elle avait fait rapatrier toutes les canettes de telle ou telle fabrication.
Si notre règlement implique, à terme, l'étiquetage O.G.M., par exemple et que le houblon utilisé est O.G.M. - ce n'est pas le cas aujourd'hui et c'est pourquoi je le cite - il faudra que la bière in fine soit étiquetée O.G.M.
Il convient donc d'assurer l'information, mais aussi d'être capable de répondre à l'accident ou à l'infraction. Telle que je la vois, la traçabilité a pour vocation d'apporter de la transparence. Elle permet aussi à celui qui, en bout de chaîne, va faire un plat cuisiné, de savoir d'où viennent les produits qu'il emploie, ce qui n'était pas toujours le cas auparavant, bien que ce soit là une nécessité, si l'on veut que le consommateur soit vraiment protégé et informé.
Vous avez évoqué les dates limites de consommation qui sont d'ailleurs peut être insuffisantes aujourd'hui. La date limite de consommation est fixée, en effet, par les professionnels et n'est pas fixé a priori par un texte réglementaire. En fonction des études effectuées sur le vieillissement de leurs produits, les industriels qui n'ont évidemment aucun intérêt à ce que les gens tombent malades, déterminent une date limite de consommation.
J'avais personnellement émis le souhait, lors de la dernière crise de listériose due à la consommation de rillettes, que cette date limite de consommation tienne compte du fait que, dans la " chaîne du froid ", on oublie souvent le consommateur. En effet, le consommateur qui achète un produit dont la date limite de consommation est proche ,ignore que le produit circule peut-être depuis déjà quarante jours, de sorte qu'il s'octroie lui-même sa propre liberté, estimant qu'il n'est pas à un ou deux jours près, ce qui n'est pas un comportement totalement adapté au fait que la date limite de consommation est une date au plus tard.
Je reste donc persuadée que l'accord entre les industriels et les distributeurs et l'accord entre les industriels et leurs propres auditeurs scientifiques doit laisser une marge pour le consommateur ; j'ai approuvé à cet égard l'attitude des industriels de l'agroalimentaire, en particulier des fabricants de rillettes, qui ont raccourci les délais de péremption à moins de trente jours.
Peut-être faut-il, dans nos systèmes de contrôle, demander et exiger plus de précisions quant aux protocoles de vieillissement des produits qui ont permis d'arrêter telle ou telle date limite de consommation. De surcroît, je reste intimement persuadée aujourd'hui que nous ne faisons pas suffisamment attention aux consommateurs les plus précaires. Quand on dit, par exemple, qu'il ne faut pas manger de fromage au lait cru, de charcuterie ou de poisson fumé en cas de grossesse, j'aimerais que l'ensemble des médecins généralistes, des obstétriciens et des gynécologues le sachent, mais surtout le disent car, souvent, ils savent, mais ils omettent de dire, dans la consultation de grossesse, le danger que représente, dans la grande majorité des cas une listériose pour l'enfant. C'est d'autant plus dommage qu'une personne en bonne santé peut parfaitement supporter une listériose, mais que ce n'est pas du tout le cas pour un f_tus...
Je trouve qu'il y a là un vrai sujet d'information collective, surtout au niveau des consommatrices qui sont directement concernées.
Plus encore, on sait que, médicalement, le fromage au lait cru, les rillettes et le poisson fumé sont dangereux pour des gens qui ont déjà eu des ennuis rénaux, cardiaques ou qui sont immunodépressifs : très souvent, il s'agit de personnes âgées dont une bonne partie lisent mal, connaissent mal la " chaîne du froid " et sont peu informées. Alors que c'est la partie de la population qui devrait prêter le plus d'attention aux étiquettes, où sont indiqués la température de conservation et les conseils à respecter, ces derniers sont libellés en si petits caractères qu'il faudrait une loupe pour les déchiffrer. J'estime donc que si l'étiquetage, aujourd'hui, est très informatif, il reste, sinon inaccessible, du moins peu accessible à ceux qui en ont le plus besoin - à savoir ceux qui sont soit âgés ou handicapés, soit en situation difficile - au point que certaines maladies sont directement liées à l'approximation de l'information.
Je crois que nous avons un gros travail à accomplir en matière d'information auprès des populations les plus en difficulté, celles des maisons de retraite, les cantous (?) en Bretagne - je parle pour Félix Leyzour et moi-même pour qui les cantous sont si importants - des foyers logement et de tous les centres de soins.
De la même façon, les infirmiers à domicile et les assistants à domicile devraient recevoir une formation en matière de sécurité alimentaire, parce que ce sont eux qui vont réaliser que le pot de rillettes est resté trois jours sur la table et qu'il n'a pas été conservé au réfrigérateur.
Pour ce qui est de la " chaîne du froid ", elle fonctionne et elle est contrôlée. J'ai pu, avec des contrôleurs de mes services et ceux du ministère de l'Agriculture, lors d'" opérations vacances ", suivre des contrôles visant le fonctionnement des réfrigérateurs.
Parfois, nous avons trouvé un appareil " en fin de course ", " de vitrine ", qui pouvait présenter un écart d'un ou deux degrés, mais ce qui m'a, surtout impressionnée - et c'est là où j'estime qu'il y a le plus de travail à faire - c'est le fait que les acteurs économiques attachent surtout de l'importance aux contrôles possibles. En d'autres termes, la perspective du P.V. ou de l'avertissement est, pour elles, plus stressante que celle de vendre des produits impropres à la consommation.
Cela montre bien que ce n'est pas tant sur la " chaîne du froid ", que sur la formation du personnel, qu'il faut faire preuve de vigilance.
Les magasiniers ou, en amont, les chauffeurs de camion qui vont charger ou décharger des palettes, s'ils reçoivent un appel sur leur téléphone portable et engagent une conversation téléphonique, ne vont pas forcément prendre le temps de refermer la porte du camion, de décharger la palette, voire de demander à leur interlocuteur de rappeler plus tard !
De la même manière, vous avez sans doute pu voir, comme tout le monde, dans des surfaces moyennes de distribution, que quelqu'un qui met les articles en rayon très rapidement et soigneusement, afin d'éviter toute rupture de la " chaîne du froid " peut être interrompu dans son travail, au motif qu'un client a cassé quelque chose et qu'il lui faut aller rapidement réparer en abandonnant pendant ce temps deux ou trois cassettes de produits laitiers fragiles...
Une formation des personnels et de tous ceux qui encadrent les équipes est donc indispensable ; elle doit permettre de les sensibiliser au fait que la " chaîne du froid " se rompt facilement et que le froid ne se rattrape pas vite dans la vitrine frigorifique, qui n'est pas elle-même capable de refroidir le produit, mais sert à le conserver à la température à laquelle il arrive.
La formation des personnels devrait être largement développée pour les " chaînes du froid ", comme elle a été assurée pour le secteur des fruits et légumes, par exemple.
En ce qui concerne les normes bactériologiques, je crois que nous disposons d'un système relativement opérationnel. Il convient d'opérer une révision régulière des normes arrêtées. Certes, on est accusé de complexifier les règlements par les entrepreneurs, les industriels, les marchands ou par les consommateurs, mais l'état des connaissances scientifiques évolue et j'estime qu'il ne faut donc pas avoir peur, régulièrement, de tirer des bilans et d'imposer des normes.
Si je prends l'exemple de la listeria, pourquoi n'était-elle pas à zéro à la sortie d'usine ? Avions-nous vraiment décrypté quel était le comportement des uns et des autres tout au long de la chaîne de vente ? Il y a quand même eu d'importants accidents en 1992 : l'erreur humaine est toujours possible sur la " chaîne du froid ", ce qui nous oblige à revoir régulièrement les normes bactériologiques. On a tellement de normes - il est incontestable que nous en avons beaucoup - qu'il est difficile de détecter celles qui n'auraient pas été forcément adaptées et que de nouvelles découvertes permettraient d'améliorer.
M. le Rapporteur : Pardonnez-moi de vous interrompre mais, par rapport à cette " chaîne du froid ", que pensez-vous de l'application de " pastilles fraîcheur ", qui détectent une éventuelle rupture de la " chaîne du froid " sur les produits livrés à la consommation ?
Mme Marylise LEBRANCHU : J'ignore quel en est actuellement le coût !
M. le Rapporteur : Vingt centimes l'unité.
Mme Marylise LEBRANCHU : Tout dépend de leur fiabilité technique : je trouve que le procédé est bon, si l'on est certain qu'elles vont vraiment bien se comporter, car si vous apposez une pastille de ce type et qu'il y a un déficit dans sa fabrication, vous risquez de déresponsabiliser les intervenants de la " chaîne du froid " qui vont se contenter de cette garantie.
Qu'il y ait des indicateurs me semble une bonne chose, mais je dis de faire attention à garantir la fiabilité et à ne pas déresponsabiliser les personnes à qui il faut bien expliquer que ce n'est pas, parce qu'il y a des pastilles, qu'elles doivent relâcher leur attention. Je ne suis pas défavorable à de telles pastilles, si leur fiabilité est assurée, d'autant que nous sommes à la recherche de produits et de niches de marché, mais à la condition qu'elles soient fiables !
Pour ce qui a trait aux administrations, je crois qu'il ne faut pas essayer de " mixer " les cultures. La D.G.A.L. qui dépend du ministère de l'Agriculture a une culture du produit animal et du produit végétal qui nous intéresse et qu'il faut garder.
La D.G.C.C.R.F. a, quant à elle, une " culture consommateur ". On conserve deux types de culture, auxquels on a ajouté, et c'est important pour l'Agence de sécurité sanitaire des aliments, la culture " exigence santé ". Cela confirme ce que je disais précédemment à propos de la listériose et le fait que les professionnels de la santé doivent, sur ce sujet, s'exprimer et nous aider à assurer l'information du plus grand nombre d'immunodépressifs et de personnes susceptibles de contracter la maladie. Je pense que le fait de préserver différentes cultures, permet de conserver dans le même temps une approche et un dialogue constant sur la sécurité alimentaire.
Les certitudes me font toujours peur et je crains, qu'avec une administration unique, comme certains en ont avancé l'idée, une ligne unique chargée de l'ensemble des contrôles ne devienne une ligne de certitudes et qu'il n'y ait plus de débats internes en nombre suffisant, pour se poser toutes les questions nécessaires.
Il faut, en effet, savoir que dans le domaine de la sécurité alimentaire, on est meilleur qu'il y a cinquante ans, qu'on dénombre - et c'est heureux - beaucoup moins de décès et d'accidents, tout en gardant la qualité gustative des produits, mais que ce qui nous a peut-être permis de rester performants, c'est précisément ce débat contradictoire entre différentes cultures, avec d'ailleurs, l'ajout environnemental que Dominique Voynet évoquera tout à l'heure.
Il faut donc des cultures différentes, y compris dans les chaînes administratives de contrôle, mais avec des pôles de compétence. Certains fonctionnent très bien, notamment celui de Lyon que je cite, parce que c'est le dernier que j'ai visité.
Régulièrement, sous une autorité unique qui est celle du préfet, les trois cultures - santé, agriculture et consommation - se retrouvent pour discuter d'un certain nombre de contrôles et éviter les " doublons " mais aussi pour tirer quelques leçons.

Par exemple, le pôle de compétence de Lyon s'est penché plus particulièrement, parce que cela a été un cas lourd, sur les marchés courts. Il y a énormément de petits agriculteurs, autour de Lyon, qui élaborent des produits destinés à des marchés courts, donc avec peu de " chaînes de froid " et qui étaient beaucoup moins contrôlés que ne le sont les industries agroalimentaires. Nous devons les aider.

L'agriculture, la santé et la D.G.C.C.R.F. travaillant ensemble ont également étudié les choses avec ces professionnels pour qu'eux-mêmes disposent de beaucoup plus d'informations sur la logique de l'atelier -, qu'il s'agisse de fabrication de fromages, de charcuteries ou de légumes préparés, il jouxte souvent l'exploitation agricole - la logique du transport, en allant au marché, ce qui n'est plus du tout la même logique que celle du froid, enfin sur la logique de l'emballage, pour que les produits, prêts à partir la veille, arrivent dans de bonnes conditions sur le marché le lendemain matin.
Voilà donc un pôle de compétence qui a pris en compte le fait qu'une grande majorité de Lyonnais, y compris des restaurateurs, s'approvisionnent, non pas à partir de chaînes organisées, mais à partir de marchés courts. Effectivement, dans ce cas, si un accident survient, il est peu connu parce que, lorsqu'on vend dix fromages, le risque majeur concerne une trentaine de personnes au maximum ce qui n'est plus du tout la même échelle...
C'est un exemple de pôle de compétence qui fait appel à trois cultures. Les deux cultures de contrôle et celle de santé publique se rejoignent. Je crois qu'on peut conserver plusieurs cultures, à la condition précisément qu'il y ait une organisation et une autorité qui puissent les réunir et assurer la cohérence des actions.
La restauration collective est, pour moi, un sujet important : c'est le sujet même où toutes les cultures doivent se retrouver, y compris l'éducation nationale pour l'école et la sphère médico-sociale pour les maisons de retraite, foyers-logement et autres structures.
Dans la restauration collective d'origine municipale, les choses se passent, à mon avis à peu près correctement, parce que les contrôles sont très rigoureux, sinon sur la qualité gustative, du moins sur la qualité sanitaire des aliments. Avec un succès des services publics non concédés et des liaisons froides qui sont très performantes, aussi performantes que celles des hôpitaux, nous sommes arrivés à un système où les liaisons froides sont maîtrisées, ce qui n'est possible que si les personnels ont reçu une formation.
C'est là où prend conscience du fait que la direction des services techniques municipale, qui a en charge la construction d'un service de restauration collective doit recevoir une information solide de la part d'un bureau d'études ou de tout autre interlocuteur sur la sécurité alimentaire, car la construction même du bâtiment permettra de bien séparer la chaîne de l'aliment de celle des déchets ou des axes de déplacement des personnels, y compris des vestiaires... Il y a vraiment des règles du jeu qui doivent maintenir un niveau de formation important des personnels de restauration collective !
Je dis, ce qui sera peut-être mal reçu, que dans certains systèmes de restauration collective d'entreprise cogérés par des comités d'entreprise, par des entreprises publiques privées, je n'ai pas eu l'absolue certitude, que les systèmes soient toujours aussi performants et c'est pourquoi, nous avons demandé à nos services de leur prêter la plus grande attention et de se montrer extrêmement vigilants.
Autant ces personnes sont attachées à ne pas perdre leurs clients et ont donc un intérêt direct à assurer la qualité, autant pour ce qui a trait à l'information du consommateur - je pense aux O.G.M. mais aussi à certains problèmes religieux qui se posent dans la restauration collective d'entreprise - les choses laissent à désirer. Sur ce point, je travaille beaucoup avec les services, pour faire en sorte qu'en restauration collective, l'information soit aussi sérieuse que sur les lieux d'achat : ce n'est pas parce qu'on mange à l'extérieur, que l'on ne doit pas savoir ce que l'on mange !
Vous m'avez, par ailleurs interrogée sur le " Livre blanc " européen. Ce que j'en retiens principalement, c'est d'abord qu'on réécrit une vision européenne de la réglementation, ce qui évitera que cette dernière soit segmentée et non lisible pour les administrations des Etats mais aussi pour la population et, ensuite, que naît l'idée d'une agence. A l'image de ce qui s'est passé en France, il faut séparer - et c'est ce que j'approuve vivement, contrairement aux Américains et à la F.D.A. - Food and drug administration -, l'évaluation du risque de la gestion et du contrôle. C'est une idée à laquelle je suis personnellement très attachée. La gestion et le contrôle peuvent avaler la capacité d'analyser, à un moment donné, les risques à venir, les risques potentiels : nous en avons longuement parlé - M. le Rapporteur peut en témoigner - lors de la discussion de la loi de 1998 sur l'agence française.
Il faut qu'il y ait des systèmes qui permettent que l'on puisse interroger une autorité qui ne souffre pas d'impératifs de contrôle, d'emploi du temps de contrôle et de gestion du risque, donc qui dispose de temps et soit intellectuellement libre de répondre. C'est un point important et on l'a vu en France, lorsqu'il s'est agi de l'embargo britannique et de l'impact qu'il a pu avoir, y compris sur nos propres systèmes de réflexion. Je dirai donc qu'il faut une autorité qui ait le temps scientifique pour elle et qui puisse, dans l'évolution de la connaissance, nous permettre d'être meilleurs en matière de sécurité alimentaire et d'appréhender l'aliment dans un ensemble.
En effet, ce n'est pas parce que - et c'est ce en quoi notre position diffère de la position américaine - l'aliment n'est apparemment pas mauvais pour la personne - je pense en particulier aux O.G.M. - qu'il n'a pas un impact environnemental qui, in fine et à long terme pourrait avoir des conséquences sur la santé des personnes. Il ne faut pas que l'aliment devienne l'unique paravent de la santé, car cette dernière peut être touchée par ses conséquences : on sait quand on choisit tel ou tel type d'emballage que sa destruction peut être plus nocive pour la santé que son contenu qui a pu procurer un grand moment de plaisir.
Je pense donc que la sécurité alimentaire ne doit pas masquer le fait que les problèmes de santé ne sont pas liés uniquement à l'aliment. Aussi, je pense qu'il convient, en amont, de réfléchir par exemple, à l'emballage, en démontrant qu'un emballage extrêmement simple, qui respecte la " chaîne du froid " et supporte la pastille, peut constituer, en aval de l'alimentation, un danger supplémentaire. C'est la raison pour laquelle ces agences doivent se poser toutes les questions, y compris celles qui sont relatives à des prescriptions de ce type ou à des impacts différents, tels que ceux que peuvent avoir les O.G.M., sur l'environnement et l'équilibre de la faune et de la flore.
Nous assistons donc, au niveau européen, au développement d'une culture intéressante, mais je souhaiterais voir venir s'ajouter à ce travail un outil dont nous disposons en France, qui passe peut-être inaperçu, à savoir le C.N.C. - Conseil national de la consommation - où se rencontrent les consommateurs et les professionnels. Outre le fait qu'on y parle de sécurité alimentaire, comme d'autres sujets ce qui est bien, il offre des lieux de confrontation, ce qui nous permet de donner un mandat de travail à un groupe au sein duquel professionnels et consommateurs peuvent échanger leurs informations, mais aussi discuter de leurs évolutions et de leurs objectifs. Je pense qu'il serait important que ce système existe également au niveau européen et qu'il puisse décrypter les décisions de l'agence et y travailler longuement.
Cet outil dont nous disposons, est peu connu mais il se révèle, en tout cas, extrêmement efficace au niveau national.
M. le Président : Je vous remercie, Mme la ministre. Il reste beaucoup de questions, bien que vous ayez déjà répondu à un certain nombre de nos préoccupations et je vais d'abord donner la parole à M. Gengenwin.
M. Germain GENGENWIN : Madame la ministre, je souhaite vous interroger sur les " Assises de la consommation " au cours desquelles le Premier ministre a évoqué la mise en place d'une commission " pratiques commerciales " pour des relations contractuelles. Il a utilisé la formule " civisme commercial " que nous approuvons tous ici, car nous savons bien que la grande distribution, à travers les cinq centrales d'achat qui restent, exerce une telle pression sur le producteur, que ce dernier est contraint de se retourner vers son fabricant d'aliments en cas d'accidents de parcours, tels que ceux que nous avons connus.
Nous sommes d'accord avec le civisme commercial, mais pouvez-vous nous dire quelle devrait être la mission de ces commissions de pratiques commerciales auxquelles le Premier ministre a fait allusion ?
En outre, vous venez de vous exprimer longuement sur la traçabilité et la " chaîne du froid " : ne pensez-vous pas qu'un excès de réglementation est aussi une façon de nuire au commerce ? Je m'explique : sur mon secteur, un fromager faisait les marchés sans avoir jamais eu d'accident ; or la réglementation lui impose aujourd'hui des investissements si lourds, qu'il n'a pas les moyens de les assumer et qu'il doit cesser son activité. Ne pensez-vous pas que l'excès de réglementation peut avoir des effets négatifs et mène de plus en plus à la grande concentration, même si nous sommes naturellement d'accord sur la nécessité de réglementer ?
M. le Président : La parole est à Mme Dumont.
Mme Laurence DUMONT : Concernant la " chaîne du froid ", finalement, qui connaît la température à l'intérieur de son réfrigérateur ? Le problème se posant effectivement jusque chez le consommateur, ne serait-il pas bon d'imposer la présence d'un thermomètre dans les réfrigérateurs qui sont mis sur le marché ?
Par ailleurs, je voudrais revenir sur la dernière crise de listériose et plus particulièrement sur deux aspects que vous avez abordés.
Premièrement, sur l'information du consommateur, le but est quand même de ne pas affoler tout le monde et effectivement de sensibiliser les populations à risque, car nous avons bien vu que les deux premières victimes ont été un bébé et une personne âgée.
Dans ces conditions, j'aimerais savoir de quels moyens vous disposez, pour qu'il en aille autrement et s'il existe un lieu, comme le C.N.C., par exemple, qui réunit les consommateurs et les producteurs, où l'information peut être vraiment délivrée aussi bien aux gynécologues qu'aux pédiatres et à tous ceux qui sont directement concernés ?
Deuxièmement, pour revenir sur la date limite de consommation, j'ai relevé que vous aviez dit qu'elle était fixée par les professionnels : c'est bien là, à mon sens, qu'est le problème parce que, justement, il n'y a pas de validation de cette date limite de consommation qui relève de la seule responsabilité du conditionneur du produit. Vous avez souligné que vous aviez trouvé intéressante la démarche de la société mise en cause dans l'affaire des rillettes, dans la mesure où celle-ci avait décidé de réduire de quinze jours la date limite de consommation, alors qu'à partir du moment où il n'y a aucune validation scientifique de ladite date, je crois à l'inverse, que la société incriminée s'est fait une campagne de publicité assez facile : si la date de consommation n'est pas validée, qu'elle soit raccourcie de quinze ou de deux jours n'a pas plus de sens au niveau de la sécurité... J'aimerais savoir comment on pourrait, d'après vous, un peu mieux encadrer cette D.L.C.
M. le Président : La parole est à M. Parrenin.
M. Joseph PARRENIN : Pour ma part, je manifesterai une légère inquiétude : on entend souvent parler de fromages au lait cru et je crois que l'ensemble de la filière est inquiète et que cela ne date pas d'hier... Je trouve -  mais c'est une remarque personnelle - qu'on accuse un peu trop facilement les fromages au lait cru, notamment pour tout ce qui est relatif à la listériose. Je tiens à souligner que l'enquête conduite par des scientifiques sur les grands accidents liés à la listeria qui sont survenus aussi bien en Suisse qu'en France et qui mettaient en cause le vacherin Mont d'or, avait prouvé qu'ils étaient dus à une adjonction de lait pasteurisé. C'est une dimension que l'on oublie, mais qui est importante parce qu'effectivement, les mélanges de lait pasteurisé et de lait cru sont excessivement dangereux : les scientifiques pourront vous l'expliquer...
Je recommande donc que, vis-à-vis d'un ensemble de régions de France, nous fassions preuve de vigilance : n'accusons pas trop facilement les fromages au lait cru, d'autant qu'il est également bon de rappeler que la listeria se développe dans les pâtes molles et non dans les pâtes cuites...
Par ailleurs, on nous fait souvent observer que les contrôles ne sont pas les mêmes dans la grande distribution et chez les petits commerçants. On entend notamment fréquemment les bouchers et les boulangers se plaindre de ce qu'ils subissent dix fois plus de contrôles que la grande distribution : j'aimerais savoir si ce propos est exact.
M. Alain CALMAT : Je voudrais simplement avoir un peu plus de précisions sur ce que vous souhaitez exactement dire, Mme la Secrétaire d'Etat, quand vous parlez de la nécessité pour les médecins d'informer les parturientes sur la listériose. En effet, dire à toutes les femmes enceintes qu'elles ne peuvent plus manger tel ou tel aliment, parce qu'il est susceptible de donner une listériose, me semble un peu exagéré et il ne faudrait pas, non plus, interdire un certain nombre d'aliments. Est-ce que c'est ce que vous souhaitez que l'on fasse ?
On peut leur conseiller d'être plus vigilantes sur les dates de péremption, mais est-ce bien le rôle du corps médical ? Peut-être au niveau de la protection maternelle et infantile est-ce envisageable, mais il me semble qu'il appartient plutôt aux pouvoirs publics de lancer de grandes campagnes d'information. Encore faut-il savoir où l'on s'arrête ! En disant aux femmes enceintes qu'elles ne peuvent pas manger de saumon fumé, parce qu'elles courent le risque d'attraper la listériose, on va un peu loin, mais peut-être n'est-ce pas ce que vous vouliez dire ? J'aimerais avoir des précisions sur les conditions dans lesquelles vous souhaitez faire passer l'information.
M. le Président : Madame la ministre, vous avez la parole pour répondre à toutes ces questions. Vous disposez de peu de temps, mais je vous sais capable d'exercer votre esprit de synthèse.
Mme Marylise LEBRANCHU : Sur le civisme commercial, le Premier ministre souhaite que cette commission regarde tout ce qui est abusif dans les contrats, en particulier tout ce qui a trait aux remises, aux chiffres d'affaires annuels et tout ce que l'on appelle " les remises arrière " pour réhabiliter la notion de la valeur des produits, ce qui rejoint votre souci. En effet, si l'aval, le circuit de distribution, pour des raisons essentiellement de concurrence, tire toujours le prix vers le bas, on remet en cause la valeur du produit et, pour que cette dernière corresponde au prix, on va avoir tendance, soit à limiter la main d'_uvre pour le fabriquer, soit à acheter du bas de gamme en particulier pour les plats cuisinés. Donc il est vrai, qu'il y a une relation entre la valeur et la notion de qualité, puisque l'on a effectivement vu des entreprises avoir des comportements limites.
Cela étant, il faut corriger cette appréciation sur un point : les entreprises qui avaient eu les comportements les plus critiquables concernant les boues des stations d'épuration, par exemple, étaient des entreprises qui se portent extrêmement bien et qui n'avaient aucun souci de négociation, car il ne faut pas oublier, qu'en face de la distribution, se trouvent de petits entrepreneurs qui ont des difficultés de négociation, mais aussi de très gros entrepreneurs qui n'en ont pas ou peu puisque, si la distribution, ne prend pas leurs produits, c'est toute la gamme qu'ils possèdent qui lui échappe auquel cas ses magasins deviennent peu attractifs : il faut donc bien remettre les pendules à l'heure quant aux forces en présence face à la distribution, réhabiliter la notion de valeur et supprimer toute clause abusive qui pourrait conduire les uns ou les autres à limiter tout ce qui concerne la sécurité ou le goût est aussi une demande forte.
Sur la traçabilité et la " chaîne du froid ", vous semblez craindre et vous avez raison d'ailleurs, que, pour les fromages au lait cru et les charcuteries artisanales, les contrôles conduisent à des investissements. Pour ma part, je reste convaincue qu'on ne peut pas laisser les gens qui vendent leurs produits sur un marché, quel qu'il soit, les fabriquer dans n'importe quelles conditions, dans des cuisines artisanales sans poste séparé pour se laver les mains et laver les ustensiles nécessaires à la fabrication ; nous avons donc gardé des prêts bonifiés à leur intention. En vue de la mise aux normes un certain nombre de mesures ont été prises par les pouvoirs publics - mais elles sont peut-être méconnues - afin de permettre d'investir dans de bonnes conditions : on a maintenu pour un an des prêts bonifiés pour l'euro, le passage à l'an 2000 et les normes de fabrication. En la matière, on ne peut pas laisser " filer les choses " au motif qu'il " s'agit d'un excellent produit ", qu'il " s'inscrit dans la tradition ", dans la mesure où il n'est plus mangé simplement en famille...
Nous avons une responsabilité collective, il faudra toujours qu'elle s'exerce mais il convient d'aider celui qui doit se mettre aux normes et qui, à court terme, n'a, il est vrai, aucun retour sur investissement, puisque le produit est vendu au même prix : on ne peut pas prévoir des prix plus élevés, sous prétexte que l'on a changé le lavabo ou la chaîne de fabrication...
Nous sommes disposés à aider les personnes à se mettre aux normes.
A propos des thermomètres à l'intérieur des réfrigérateurs, les techniciens nous disent qu'ils ne sont pas fiables. Cela étant, je considère qu'il vaut mieux avoir un thermomètre non fiable, que pas de thermomètre du tout, même s'il faut préciser qu'il faut en changer, après quelques années et qu'une indication sur la température intérieure du réfrigérateur serait la bienvenue.
J'ai relu le mode d'emploi d'un appareil récent et les indications en la matière étaient totalement impossibles à suivre, puisqu'il faut mettre le thermostat sur 3 en fonction de la qualité, mais aussi de la quantité des produits et de la température à laquelle vous les avez apportés... Effectivement, je suis donc plutôt favorable à cette présence d'un thermomètre, estimant qu'après tout, il appartient aussi aux techniciens de trouver des thermomètres fiables, puisqu'ils ont bien réussi à le faire pour d'autres secteurs : cela stimulera aussi la recherche-innovation, la recherche-développement pour les entreprises.
Sur l'information du consommateur en situation de grossesse ou de fragilité, je répondrai simultanément aux deux questions qui m'ont été posées. Je trouve qu'une femme enceinte qui apprécie le fromage au lait cru et dont les habitudes de consommation la conduisent à faire ses provisions une fois par semaine - ce qui est souvent le cas, car ce n'est pas parce que l'on est enceinte que l'on reste à la maison - doit savoir, qu'au bout de quelques jours, le fromage et sa croûte en particulier, est davantage porteur de listerias : il n'y a aucune raison de ne pas le lui dire ! Il faut l'informer ; libre ensuite à elle d'agir comme elle veut : elle est responsable et peut garder son fromage quinze jours, mais je trouve anormal, voire choquant, que nul ne l'alerte sur le risque.
On me recommande de la faire par le biais de la télévision : pour le coup, vous allez affoler les foules ! Si on fait un flash télé informant que le fromage au lait cru est mauvais pour les femmes enceintes, 99 % des consommateurs vont penser que s'il est mauvais pour les femmes enceintes, il sera certainement mauvais pour eux aussi...
Il est difficile d'expliquer les choses à la télévision, alors que le médecin, ou toute autre personne, qui suit médicalement une grossesse - car l'environnement de la femme enceinte en France est plutôt bon - qu'il s'agisse des personnels des centres de P.M.I. ou des sages-femmes, peut expliquer ce qu'est la listériose, quelles sont ses origines, son évolution et les dangers qu'elle comporte. On peut même envisager de faire figurer ces informations sur les carnets de grossesse
Il faut, pour cela, prendre un peu de temps et les mots ne sont pas les mêmes pour tout le monde ! Le médecin connaît sa patiente, la personne qu'il a en face de lui et il sait comment lui parler en fonction de la culture qui est la sienne. Je crois qu'il y a des choses qu'il est intéressant de rappeler et nous allons en discuter avec Dominique Gillot devant le Conseil national de la consommation. Je crois qu'il est important que cette information soit faite d'individu à individu, parce qu'on constate depuis dix ans que l'on fait de l'information collective, qu'elle ne passe pas et que, sur un certain nombre de produits, les gens se trompent complètement !
Sur le rôle du médecin, je pense qu'il est concerné et qu'il peut donner des conseils. Puisqu'il en donne sur d'autres sujets comme la consommation d'alcool ou de tabac, les stations debout pénibles ou un certain nombre de comportements à risque, il peut donc aussi en donner sur des comportements alimentaires : c'est une chose qui m'apparaît possible ! Je me trompe peut-être, mais cela me semble possible ; je suis d'ailleurs très choquée d'avoir rencontré beaucoup de femmes qui n'avaient jamais entendu parler de ce problème de la listeria : dans les cas récents de listériose qui se sont avérés mortels pour les enfants, les femmes n'étaient pas informées...
Concernant les dates limites de consommation, il est vrai qu'il existe des protocoles d'études de vieillissement, mais on ne peut pas édicter une règle, compte tenu du fait que les techniques de fabrication ne sont pas les mêmes, que les circuits de commercialisation et de distribution ne sont pas les mêmes : si vous vendez des rillettes d'oie sur un marché, il n'y a personne entre vous et le consommateur et donc la date limite de consommation est tout à fait différente de celle d'un produit industrialisé qui va voyager, été comme hiver et qui va peut-être souffrir d'erreurs de manipulation. Il faut donc se montrer strict sur les protocoles de vieillissement et les contrôler. Ils sont réalisés par des sociétés vraiment performantes et il nous faut également pouvoir être informés sur les audits internes des entreprises.
L'évolution dans ce sens doit peut-être davantage porter sur la façon de contrôler les protocoles et sur l'accès aux audits internes. C'est sans doute plus sur ces points que sur la date elle-même, que nous devons faire preuve de vigilance, car si un protocole peut varier d'une fabrication à une autre, en revanche, la marge de sécurité doit répondre à certains impératifs. En d'autres termes, si nous partons sur la base d'un protocole qui montre qu'un produit est bon pendant quarante jours, mais qu'au-delà de quarante-cinq jours, il devient nocif, il nous faut arrêter une marge de sécurité consommateur. Elle nous semble indispensable et il nous faudra donc contrôler les protocoles avec une marge de sécurité consommateur et, j'ajoute, avec une information sur le produit qui soit performante.
En ce qui concerne le nombre de contrôles effectués en petites et grandes surfaces - je pourrai vous faire parvenir les chiffres - je voudrais dire que les contrôles sont plus nombreux en grandes surfaces qu'en petite distribution, puisque certains lieux de petite distribution peuvent ne pas être contrôlés durant deux ans... En revanche, il faut que nos contrôles soient effectués différemment - j'entends votre remarque - et qu'ils soient répressifs face à un comportement qui relève de la mauvaise foi, mais il faut aussi qu'ils soient pédagogiques. Je me souviens de charcutiers se plaignant d'être contraints de jeter ces espèces de barres de plastique qu'ils utilisent comme moules : le contrôleur doit expliquer qu'elles sont en matière poreuse, impossibles à stériliser puisqu'elles fondent... Il faut expliquer les choses. Je pense, qu'à nos contrôles, manque cette dimension pédagogique que nous avons essayé d'apporter sur divers sujets mais qu'il faudra aussi amplifier à ce niveau.
Je crois, M. le Président avoir répondu à toutes vos questions.
M. le Président : Merci, Mme la ministre.

Audition de Mme Dominique VOYNET
Ministre de l'Aménagement du territoire
et de l'environnement

(extrait du procès-verbal de la séance du Mardi 25 janvier 2000)
Présidence de M. Félix LEYZOUR, Président
Mme Dominique Voynet est introduite.
M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. A l'invitation du Président, Mme Voynet prête serment.
M. le Président : Mes chers collègues, j'ai le plaisir d'accueillir maintenant, Mme Voynet, ministre de l'Aménagement du territoire et de l'environnement
Votre contribution, Mme la ministre, va permettre à notre commission de réfléchir aux liens existant entre l'environnement et la sécurité dans le domaine de l'alimentation.
Monsieur le Rapporteur, vous avez la parole.
M. le Rapporteur : Madame la ministre, le Président vient de situer le débat et l'objet de votre présence devant cette commission d'enquête.
Il est apparu, au cours de nos précédentes auditions, que la filière alimentaire est, et sera, de plus en plus dépendante de la qualité de notre environnement.
En disant cela, je fais bien sûr allusion à l'état du milieu qui nous environne : l'eau, le sol et l'air. La question qui se pose à nous est de savoir de quelle manière les actions sont engagées pour que la qualité des produits qui en sont issus et que nous serons amenés, soit à ingérer directement, soit à transformer en aliments, voient leur qualité préservée sachant que celle-ci dépend de la qualité de l'environnement lui-même. Cela met en cause l'action humaine sur l'environnement avec tous les problèmes que cela pose en matière d'apports chimiques ou de traitement des déchets humains, qu'il s'agisse des boues de stations d'épuration, des biotechnologies ou des organismes génétiquement modifiés.
Une réflexion est entamée au niveau gouvernemental au sujet du projet d'agence de sécurité sanitaire de l'environnement ; il serait intéressant, pour notre commission que vous puissiez, d'une part, faire le point sur l'état de ce dossier, d'autre part, nous faire connaître votre analyse du principe de précaution.
Je terminerai en vous demandant de nous livrer votre analyse sur le Livre blanc relatif la sécurité alimentaire qui vient d'être publié par la Commission européenne.
M. le Président : Madame la ministre, vous avez la parole.

Mme Dominique VOYNET : Monsieur le Président, M. le Rapporteur, mesdames et messieurs les députés, je dois dire que je suis particulièrement heureuse d'avoir été invitée à intervenir devant votre commission d'enquête. Il existe, en effet, dans mon domaine d'activité, une grande distorsion entre l'importance des moyens mobilisés pour réparer les conséquences d'événements accidentels et la modestie des stratégies et des moyens de prévention. J'attends donc de votre commission d'enquête qu'elle fasse ressortir l'intérêt de privilégier les stratégies de prévention et d'intervention en amont des risques.

J'ai eu l'occasion, par exemple, cet été, de dire combien la décision de retirer des millions de canettes de Coca-Cola pour un risque qui était, somme toute, modeste, apparaissait disproportionnée par rapport à la faiblesse des moyens dont nous disposons pour inventorier des sites et sols pollués et pour réunir les éléments qui nous permettraient de prendre des décisions plus étayées dans de nombreux domaines.
Ainsi, dans quelques secteurs, où j'ai personnellement été amenée à prendre des décisions, dans le cadre de l'élaboration de réglementations communautaires, par exemple, j'avoue l'avoir fait sur la base d'un faisceau d'éléments concordants ou plus ou moins convaincants, mais pas nécessairement avec la certitude de disposer de tous les éléments qui auraient été nécessaires pour prendre une décision robuste et solide.
Cela a été le cas, par exemple, pour la présence d'aluminium dans l'eau : vous savez que certains procédés d'épuration de l'eau font appel à l'aluminium et, si nous avons pu lire des articles de presse qui faisaient état d'un possible lien entre la concentration en aluminium de l'eau et l'apparition de la maladie d'Alzheimer, aucun expert ne peut, aujourd'hui, ni confirmer, ni infirmer cette hypothèse ; le doute demeure ce qui fait évidemment obligation de mettre en place des programmes et des recherches qui nous permettront de réduire ces incertitudes et de consolider nos stratégies...
Il est un autre domaine qui pose problème, celui de la pollution radioactive des sols. Nous savons, qu'en certains endroits, des taches de pollution radioactive existent. On nous pose parfois la question de savoir si des stratégies particulières doivent être développées mais, actuellement, nous ne disposons pas encore des éléments qui nous permettraient de répondre à cette question de façon rationnelle et prudente à la fois.
Vous m'avez demandé de définir ce qu'est pour moi le principe de précaution. Je m'efforce, dans tous les actes de ma vie ministérielle, de l'utiliser de la manière la plus rigoureuse possible : pour moi, le principe de précaution consiste en une approche de gestion des risques en situation d'incertitude scientifique ; il exprime une exigence d'action face à un risque potentiellement grave et irréversible, sans attendre les résultats de la recherche.
Le principe de précaution suppose ainsi que soit élaborée une approche coût-bénéfice des différentes pratiques, des différents comportements envisagés, le coût étant évidemment évalué dans tous les domaines, environnemental, financier et naturellement, puisque l'on touche au domaine de la santé humaine et de l'alimentation, en termes de santé.
La situation est particulièrement complexe. En effet, si ma collègue chargée du contrôle des activités agroalimentaires peut s'en tenir à la contamination des aliments par tel ou tel produit, qu'elle soit par exemple d'ordre bactériologique ou chimique, la question à laquelle je suis confrontée est liée à la multiplicité des modes d'exposition et de contamination.
Comme nous l'avons vu avec l'affaire de la dioxine, la question n'est pas simplement liée à la possibilité pour les produits laitiers ou les graisses animales d'être contaminés par des dioxines rejetées par les usines d'incinération d'ordures ménagères ou les usines sidérurgiques, elle est liée aussi, pour les êtres humains, au fait de résider à proximité de telles installations, de cumuler dans leur corps ces produits pendant des mois, voire des années. Au-delà donc de la contamination alimentaire proprement dite, se pose la question de toutes les autres contaminations : la contamination par l'air, par l'eau, par les produits alimentaires, mais aussi par la présence directe dans une zone où des polluants ont un impact sur le corps humain.
Il en va de même en ce qui concerne la complexité de traitement de ces polluants. Si je reprends l'exemple des produits contaminés par les dioxines, il apparaît clairement qu'on ne pourrait les éliminer par simple incinération. Des boues d'épuration contaminées par des métaux lourds, par des solvants ou par des produits chimiques dangereux ne peuvent pas être éliminées de façon simple : à un moment ou à un autre, les effluents des process d'élimination peuvent aussi emporter le risque de contamination, par ricochet, donc se retrouver dans la chaîne alimentaire.
La question se pose également de la connaissance de pratiques comme celle de l'épandage des boues d'épuration. Nous avons récemment défini le cadre de la composition de ces boues et de la conduite à tenir pour les utiliser, de manière à éviter tout effet sur la santé ou l'environnement, mais il faut bien reconnaître que nombre des produits épandus sont moins bien connus que les boues de stations d'épuration : je pense aux fumiers, aux lisiers, mais aussi aux boues industrielles, à celles qui sont produites par les industries agroalimentaires ou par les papeteries, ainsi qu'à l'ensemble des déchets agricoles, notamment aux déchets de la vinification qui, jusqu'à une époque récente, ne suscitaient pas beaucoup d'intérêt, mais dont on voit aujourd'hui qu'ils peuvent avoir un effet polluant assez important. Ce sont toutes ces questions qui doivent être traitées par mon ministère.
Le travail à réaliser est énorme. Tous ces produits peuvent contenir des métaux, des résidus de traitements vétérinaires, des nitrates comme, bien sûr, d'autres produits et notre difficulté, aujourd'hui, est de savoir précisément ce que nous devons chercher et analyser, tout en considérant que toutes les analyses ont des coûts importants, en l'absence de méthodes banalisées d'analyse. Si je prends l'exemple de la pollution de l'air, il est évident que l'on mesure un certain nombre de polluants bien connus pour lesquels les méthodes d'analyse sont robustes et d'un coût relativement modeste, mais il existe toute une série de produits que l'on n'analyse pas, tout simplement parce que l'on n'a pas encore pris conscience du simple fait qu'ils pouvaient poser problème sur le plan sanitaire et parce que nous ne disposons pas toujours de méthodes d'analyse fiables et reproductibles en pratique quotidienne.
Je voudrais évoquer, avant d'en venir à vos questions, M. le Président, une difficulté majeure relative au problème des sites et des sols pollués. Nous n'avons pas pour l'essentiel une mémoire exhaustive de ces sites. Le travail de leur identification - première étape d'un diagnostic fin et précis de la contamination - est en cours dans un certain nombre de régions et de départements avec l'aide de mon ministère, en particulier, de la Direction de la prévention des pollutions et des risques, mais aussi du Bureau de recherches géologiques et minières ; l'essentiel de ce travail est un travail d'archives : on recherche, à travers des documents anciens, des journaux, des relevés de décisions de conseils municipaux et autres, l'existence d'anciennes activités industrielles, agricoles ou minières. Une fois les sites identifiés, il reste à établir le diagnostic desdits sites, qui sont souvent contaminés par des produits multiples, ce qui finit par rendre la tâche très lourde.
Nous avons ainsi procédé pour certains terrains : c'est le cas du site de l'ancienne mine d'or de Salsigne, par exemple, qui a failli être noyée, lors des inondations qui ont touché le département de l'Aude à la fin du mois de novembre, ce qui aurait pu provoquer une catastrophe écologique sérieuse à laquelle nous avons échappé de justesse, ou encore du site qui entoure l'usine Metaleurop dans le Pas-de-Calais à Noyelles ou à Montchanin où le diagnostic a été établi. Pour un site identifié, combien de milliers d'autres dont on a perdu la mémoire, combien de cours d'eau contaminés par des sites industriels dont on a perdu toute trace ? C'est évidemment un problème !
Je précise qu'il ne s'agit pas seulement d'un problème commercial. J'ai retenu de l'intervention de Marylise Lebranchu, tout à l'heure, que se posait la question de la sécurité sanitaire des produits commercialisés, mais, si je prends l'exemple de Metaleurop dans le Pas-de-Calais, le principal problème n'est pas tant celui de la commercialisation des produits sur lequel nous sommes vigilants depuis des années, que celui de l'autocommercialisation. Il s'agit, en effet, d'une zone d'habitat pavillonnaire ouvrier ancien regroupant des jardins ouvriers qui existe depuis des décennies ; il est évident qu'il nous est impossible d'imaginer sur mille, voire deux mille ou cinq mille hectares, l'interdiction de tout jardinage ou l'enlèvement de la couche de terre qui, seul, permettrait de garantir la qualité et la sécurité des produits.
Dans mon ministère, le champ d'application du principe de précaution est donc très vaste.
Lorsqu'a été créée, l'année dernière, l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments, j'ai tenté de faire prévaloir l'idée, qu'au-delà du champ alimentaire au sens strict, devaient être prises en compte les conditions liées au milieu qui pouvaient, de façon directe ou indirecte, avoir un impact sur la qualité, non seulement des aliments, mais aussi de la santé des individus au-delà de l'environnement proprement dit.
Cette approche n'a pas été retenue et je crois, que la priorité a été donnée à la définition d'un champ relativement bien délimité et permettant une intervention rapide de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments.
Mon ministère ne dispose pas de la cotutelle sur cette agence ce que je déplore, parce que je pense que la qualité de l'eau, celle de l'air celle des sols ont un impact direct sur la qualité des produits et donc sur la sécurité sanitaire des aliments.
Il me semble également que la définition actuelle des missions de l'agence ne permet guère de prendre en compte la multiplicité des modes d'exposition et des contaminations qui passent parfois par les milieux, parfois par l'alimentation animale, parfois par l'alimentation humaine de façon plus directe : je crois que la démonstration est faite aujourd'hui que le champ d'action de cette agence estt insuffisant pour permettre une couverture complète de l'ensemble des risques sanitaires.
Je me suis donc réjouie de l'annonce faite par le Premier ministre de la création d'une agence santé-environnement, mais vous noterez que la formule comporte une part d'ambiguïté : s'agissait-il d'une agence de sécurité sanitaire environnementale ou de sécurité de l'environnement allant au-delà de cette question de l'impact éventuel des dégradations de l'environnement sur la santé ? La mise en place de l'agence devra le préciser.
Le travail mené aujourd'hui en collaboration avec le secrétariat d'Etat à la Santé devrait, en tout cas, permettre de clarifier les choses sur deux points.
- Il s'agit tout d'abord de bien distinguer ce qui relève de l'expertise, de l'évaluation des risques de ce qui relève des missions de contrôle du respect de la réglementation. Je crois que nous avons tout à fait intérêt, non seulement à " muscler " l'expertise, mais aussi à regrouper celle qui existe aujourd'hui dans des organismes très divers. Pour ce qui concerne mon ministère, il s'agit essentiellement de l'I.N.E.R.I.S. -Institut d'évaluation des risques industriels qui après avoir été longtemps, en raison de son histoire, principalement attentif aux risques industriels proprement dits, tels que la gestion des carrières, les explosions, la sécurité des silos, se préoccupe davantage aujourd'hui de l'évaluation des produits chimiques dans leur impact sanitaire et environnemental.
- Il est, à mon sens ensuite, très important que la réflexion nationale s'inscrive également dans un cadre plus vaste et j'estime essentiel de travailler à la création, non seulement d'une agence européenne d'évaluation des risques sanitaires des produits alimentaires, comme le Gouvernement s'y est déclaré favorable, mais aussi d'une agence européenne d'évaluation des risques pour l'environnement au sens large. Je n'imagine pas une seconde que chacun des pays de l'Union puisse se doter d'un appareillage d'évaluation et d'expertise des produits chimiques ! D'ailleurs, le conseil informel de l'environnement qui s'est tenu au mois de juillet 1999 et qui était consacré aux risques chimiques a tenté de répartir la tâche entre les quinze pays de l'Union.
Vous connaissez bien le contexte : les nouveaux produits chimiques qui sont mis sur le marché doivent l'être sur la base d'une analyse des dangers et des impacts, mais le problème ne concerne pas ces produits mais bien les centaines de milliers de produits qui ont été mis sur le marché avant que n'intervienne cette réglementation communautaire.
Par conséquent, dans un premier temps, le travail a consisté à identifier les familles de produits qui étaient susceptibles de poser les principaux problèmes ; la France est chargée de procéder à l'expertise d'une partie de ces familles, chacun des pays de l'Union devant d'ailleurs faire de même : nous sommes fort loin d'avoir affronté la question des familles les plus dangereuses et resteront ensuite les dizaines de milliers de produits pour lesquels aucune évaluation n'est actuellement disponible, du fait de l'absence d'arguments ciblant les risques.
Au niveau national l'Agence santé-environnement devrait, à mes yeux, être d'abord une agence d'expertise avec une possibilité d'autosaisine, organisant la pluralité des avis et des experts dans le souci, bien sûr, de travailler de façon aussi transparente que possible et disposant de la capacité de rendre des avis publics. Je juge indispensable que l'information complète du public soit garantie et que le Gouvernement soit contraint de rendre publiques les conclusions de l'Agence.
Au Gouvernement revient la responsabilité de prendre les décisions politiques qui s'imposent, alors que les experts ont rendu leurs conclusions, mais il ne lui revient pas, à mon sens, de décider si tel ou tel avis d'expert doit, ou ne doit pas, être rendu public.
J'estime tout à fait indispensable de faire en sorte que les approches sanitaires et environnementales soient croisées. Je voudrais vous donner en un exemple récent : depuis quelques années, l'Institut français de l'environnement a cartographié l'évolution d'une espèce végétale (l'ambroisie) dans la vallée du Rhône qui se comporte comme une plante invasive remplaçant les espèces traditionnelles notamment dans les départements de la Drôme et du Vaucluse. Il se trouve que le ministère de la Santé avait noté, pour sa part, l'extension des cas d'asthme dans cette région et que le croisement des cartes de l'extension de cette graminée et de la propagation des cas d'asthme a permis d'établir un lien entre les deux phénomènes et de mettre en place un programme visant à contenir la croissance de cette plante, de l'arracher et de privilégier des espèces qui peuvent être moins décoratives ou plus fragiles, mais qui présentent moins de conséquences pour la santé.
En tout état de cause, l'institut de veille sanitaire devrait, à mon sens, intensifier sa coopération avec notre institut de veille environnementale, l'l'I.F.E.N. -((Institut français de l'environnement).
M. le Président : La parole est à M. Angot.
M. André ANGOT : Je voudrais revenir sur le problème des boues de stations d'épuration urbaines. Vos services préconisent l'utilisation de ces boues sur les terres agricoles ; or en vertu du principe de précaution, on voit déjà un certain nombre d'industries agroalimentaires, en particulier des industries de conserves de légumes, refuser les légumes cultivés sur des terres ayant reçu des boues de stations d'épuration. Que pensez-vous d'une telle application du principe de précaution ?
Mme Dominique VOYNET : Je crois clairement que la responsabilité de l'Etat et celle des producteurs et des distributeurs de produits alimentaires sont de nature différente.
Aux administrations, à l'Etat, aux ministères, revient le soin d'établir des réglementations et de les faire respecter. Je ne pense pas que les distributeurs - je pense, par exemple, à Carrefour qui a pris des initiatives en direction des producteurs qui vont au-delà de ce qu'impose la réglementation dans certains cas - ou les intermédiaires de l'agroalimentaire aient à imposer de fait leur propre réglementation, en faisant signer aux agriculteurs des cahiers des charges allant au-delà de la réglementation existante.
En effet, il me semble que l'attente de la société à l'égard de ces acteurs de l'agroalimentaire et de ces distributeurs est bien une attente de qualité, de rigueur dans les prix, de services rendus aux consommateurs ; mais je constate que certains d'entre eux, plutôt que de réaliser des efforts par eux-mêmes, loin d'assumer leurs responsabilités, sont en fait tentés de sous-traiter aux agriculteurs, qui doivent respecter un certain nombre de cahiers des charges ou de signes de qualité, affichés de façon commerciale et unilatérale par la grande distribution ou par les transformateurs. Je considère que, de la part des distributeurs, c'est une facilité que d'exiger des agriculteurs, pour des raisons uniquement commerciales, de marketing, le respect de cahiers des charges allant au-delà de la réglementation, plutôt que de donner des garanties sur leur propre travail.
Je voudrais dire que,- dès juin 1997 - nous avons été alertés par les agriculteurs sur les difficultés qu'ils rencontraient lors de l'épandage des boues de stations d'épuration. Nous avons, non seulement mis sur pied un groupe national de travail associant les représentants des collectivités locales, les professionnels de l'assainissement, les professionnels agricoles, les industries agroalimentaires, la grande distribution, les consommateurs, les associations de protection de l'environnement et les experts, mais nous avons également, rénové le cadre réglementaire dans lequel s'opérait l'épandage des boues.
Avec la réglementation mise en place en décembre 1997, je crois que nous nous sommes donné à la fois des garanties de qualité des boues, de traçabilité, d'organisation et de suivi des épandages et que nous pouvons dire aujourd'hui que l'épandage agricole n'est pas une mauvaise pratique, mais qu'il s'agit au contraire d'un mode de recyclage qui peut et doit être conseillé.
Je ne veux pas dire que toutes les boues sont de qualité et je crois qu'un effort important doit être encore réalisé par les gestionnaires de stations d'épuration pour garantir cette qualité ; ceci suppose des analyses régulières, un travail avec les producteurs d'eaux usées, afin d'améliorer les boues, dont 25 % seraient d'après mes informations impropres à l'épandage. Pour ces dernières, évidemment, il nous faut proposer autre chose : les techniques d'incinération sont les alternatives les plus courantes. Elles ne sont pas sans inconvénients, ne serait-ce qu'en termes de coût pour les usagers. Nous cherchons naturellement, non seulement à être efficaces sur le plan environnemental et à assurer la sécurité sanitaire, mais aussi à maîtriser les coûts, car le prix des traitements, qu'il s'agisse du traitement des ordures ménagères ou de celui des boues d'épuration, se répercute sur des citoyens qui sont souvent modestes, ce dont il faut tenir compte...
Vous savez également que la tendance lourde est aujourd'hui à l'équipement des industriels en général, des industriels de l'agroalimentaire en particulier, en stations d'épuration propres, ce qui permet de ne pas contaminer les boues de toute une collectivité, par exemple et d'atteindre une plus grande efficacité en termes d'épuration.
Le Comité national a, me semble-t-il, bien travaillé, qu'il s'agisse de faire la synthèse des connaissances existantes, les comparaisons des différentes filières de valorisation ou d'élimination des boues ou bien de répondre aux différentes questions que se posaient les acteurs de la filière d'épandage agricole. Ce comité continue à travailler, parce que nous sommes très conscients des réticences persistantes d'une partie des professionnels eux-mêmes et des exigences des distributeurs. Je ferai, pour ma part, une petite différence entre le secteur des légumes et d'autres secteurs : en effet, il va de soi que, comme pour les productions maraîchères fraîches, pour lesquelles on évite les arrosages avec des eaux usées, par exemple - c'est ce qui s'est passé à Achères où l'on a décidé d'interrompre les arrosages maraîchers avec les eaux usées de la station d'épuration - il est assez légitime d'imaginer des précautions particulières pour les productions légumières.
Je crois que l'utilisation des boues d'épuration est possible très en amont de la phase de maturation des légumes. Il en va de même pour ce qui concerne les céréales en général et la plupart des élevages agricoles. Je me suis élevée fortement contre la prétention des A.O.C. du Champagne d'interdire l'usage de boues d'épuration : en effet, leur application sur la vigne apparaît particulièrement adaptée si on prend des précautions particulières et qu'on les épand à distance des phases de récolte.
Je ne suis pas en train de plaider pour l'usage des boues dont je ne crois pas qu'elles constituent la solution idéale, mais je constate qu'à cette heure, il n'en est pas de préférable.
M. André ANGOT : Un jour ou l'autre, l'Etat devra déterminer qui est responsable quand se posera un problème, car les agriculteurs sont préoccupés actuellement par le fait qu'ils sont considérés comme responsables lorsque survient un accident avec un épandage de boues de station d'épuration sur un élément de leur production. Il faudra bien, qu'à l'avenir, les responsabilités soient déterminées entre la collectivité fournisseur de boues et l'agriculteur qui a accepté de les recevoir sur son champ...
Mme Dominique VOYNET : Je vais évidemment répondre à cette question, parce qu'elle touche à l'un des volets auxquels le Comité national des boues a largement consacré ses réflexions.
La question de la responsabilité a été soulevée et nous avons travaillé avec le ministère de l'Economie, des finances et de l'industrie pour que soient mis en place, non seulement, pour ce qui nous concernait, une nouvelle réglementation, une charte de qualité des boues, mais aussi un dispositif d'assurances à souscrire par les collectivités productrices de boues.
Il paraît déraisonnable d'imaginer faire peser la responsabilité sur l'agriculteur ; ce sont donc les collectivités productrices de boues qui s'assureraient et qui passeraient un contrat avec les agriculteurs utilisateurs. Les sociétés d'assurances ont été contactées pour que les risques encourus par les agriculteurs soient couverts, mais il va de soi que l'Etat devra prendre ses responsabilités, afin d'éviter que des agriculteurs ne soient lésés en cas de contestation de dommages imprévisibles, qui ne seraient pas couverts par les assurances.
C'était toute la question de la mise en place, à côté du dispositif " assuranciel ", d'un fonds de garantie permettant l'indemnisation de dommages imprévisibles. Le principe de ce fonds de garantie n'a pas été retenu, mais la responsabilité de l'Etat, qui donne sa garantie par le cadre réglementaire dans lequel il propose aux partenaires d'évoluer, me paraît tout à fait évidente !
En tout cas, je crois que la question doit être posée de façon plus large dans une réflexion portant sur les épandages agricoles. J'évoquais il y a quelques instants la pratique d'épandage des résidus de la vinification, mais on pourrait aussi évoquer celle des résidus animaux. Les traitements antibiotiques, hormonaux et les déchets alimentaires n'étant pas exempts de risques, je souhaite que l'on puisse avoir le même niveau d'exigence pour les boues d'épuration urbaine et pour certains de ces déchets.
M. le Président : La parole est à M. Calmat.
M. Alain CALMAT : Madame la ministre, j'aurai deux séries de questions très rapides à vous poser, après vous avoir dit auparavant que je me réjouis de votre position en ce qui concerne l'agence de sécurité sanitaire santé-environnement.
J'ai cru comprendre que cette définition santé-environnement correspondait à vos vues et que vous l'approuviez. Peut-être souhaitez-vous maintenant que les choses aillent plus loin.
Sur les rapports entre l'Institut de veille sanitaire et l'Institut de veille environnementale, j'aimerais que vous nous apportiez quelques précisions parce qu'il me semblait que le premier englobait le second.
Mes autres questions seront d'ordre plus technique : vous avez dit tout à l'heure que les aliments étaient sensibles à un certain nombre de pollutions, en rapport avec l'environnement dans lequel ils se développaient et, avec la dioxine, vous nous en avez donné un exemple tout à fait éloquent !
Enfin je voudrais savoir s'il y a des modifications de ce qu'on pourrait appeler l'écosystème dans l'environnement des surfaces plantées en O.G.M. Observe-t-on des phénomènes particuliers ?
Mme Dominique VOYNET : Il est vrai que, d'emblée, la discussion sur le champ de compétence de l'Agence de sécurité sanitaire des aliments a été ambiguë parce que, si cette dernière a considéré comme normal de s'intéresser aux facteurs environnementaux pouvant avoir une influence sur la qualité des aliments et sur la santé, on n'a pas couvert tout le champ.
Certaines pratiques ou activités humaines n'ont pas, à court terme, d'impact sur la santé mais des conséquences à long terme pour l'environnement : on a constaté par exemple dans certains départements, une surmortalité des abeilles ; les apiculteurs ont évoqué alors un lien possible entre cette surmortalité et l'usage d'un produit chimique, le " gaucho ", commercialisé par Bayer, afin de traiter notamment des semences de tournesol. La première conséquence envisagée a été environnementale mais, finalement, la question reste posée de savoir si, à un moment ou à un autre, l'usage massif, inconsidéré, sans précautions de ce produit n'aurait pas pu avoir des conséquences sur d'autres espèces et peut-être, à terme, pourquoi pas, sur la santé humaine. On ne le saura jamais, puisqu'on a identifié le problème suffisamment tôt pour retirer le produit incriminé et lancer un programme de recherches en vue d'objectiver le lien entre le produit et les conséquences apicoles.
J'estime donc indispensable d'avoir, sans a priori, un Institut de veille environnementale. Je considère qu'aujourd'hui, ce travail est accompli par l'I.F.E.N. qui a dressé un panorama exhaustif de la contamination des eaux superficielles par les pesticides, mais que c'est le croisement des données sanitaires et environnementales qui, à un certain moment, est intéressant : sur le plan de la rigueur scientifique, c'est une formule qui me paraît plus intéressante que le fait de ne s'intéresser qu'aux seules conséquences sur la santé.
Pour ce qui est des O.G.M., je tiens à dire que je ne crois pas que le principal problème posé soit de nature sanitaire ou environnementale. Les O.G.M. posent, selon moi, avant tout un problème de politique agricole et tout particulièrement celui de l'autonomie de nos agriculteurs par rapport aux stratégies commerciales de grands groupes alimentaires mondiaux. On a clairement évoqué et objectivé les risques de croisement entre certaines espèces génétiquement modifiées et des espèces sauvages, notamment pour les crucifères, betteraves, colzas et autres. Le Gouvernement actuel et le Gouvernement précédent avaient dans ces conditions pris la décision de ne pas autoriser la mise en culture d'espèces susceptibles de se croiser avec des espèces sauvages.
Dans un premier temps, avait été évoquée la nécessité d'une sorte de périmètre de sécurité autour des parcelles : dans les pays où ces plantations ont été faites on a observé des croisements très au-delà des périmètres de sécurité envisagés qui, dans certains cas étaient de quarante mètres et dans d'autres, de cent mètres : on sait ainsi que l'on peut retrouver des espèces croisées bien au-delà de ces périmètres...
M. le Président : J'aimerais également vous poser une question, Mme la ministre, ayant trait à l'actualité et qui rejoint tout à fait le débat qui est le nôtre : quelles sont les dispositions qui sont prises aujourd'hui pour étudier, par exemple, les conséquences de la " marée noire " sur tous les produits propres à la consommation humaine, notamment sur le long terme ? Quelles sont les dispositions qui, aujourd'hui, par exemple au niveau de votre ministère, sont mises en _uvre dans cette perspective ?
Mme Dominique VOYNET : Vous le savez, mon ministère s'est donné comme mission d'étudier l'environnement au sens large, c'est-à-dire la dynamique des écosystèmes, le maintien de leur complexité et de leur diversité, qu'il s'agisse d'espèces animales ou végétales, qu'elles comportent des conséquences économiques ou non. Mais la qualité des produits relève de la responsabilité d'autres ministères, je ne le dis pas pour fuir mes responsabilités, mais parce qu'elles appartiennent effectivement au ministère de l'Agriculture, d'une part et au ministère de la Santé d'autre part !
En conséquence, l'organisme qui se trouve, aujourd'hui, en première ligne, c'est l'I.F.R.E.M.E.R. à qui nous avons posé des questions très précises sur la contamination par les hydrocarbures des espèces consommées. Il s'agit essentiellement d'espèces animales car je ne crois pas que des études aient porté sur les algues.
L'I.F.R.E.M.E.R. procède à des analyses sur ce point ; ceci montre que de tels programmes de travail n'avaient pas été lancés, il y a vingt ans, après que soient survenus des accidents du même type.
Je vous invite donc à poser cette question de façon plus explicite et plus directe à l'I.F.R.E.M.E.R., pour savoir exactement quels sont les programmes qui sont lancés en ce moment !
J'ajoute que, dans un premier temps, l'on s'est beaucoup intéressé aux poissons et aux huîtres mais que j'ai posé quelques questions relatives aux espèces dont on ne parle presque pas et dont on s'est peu inquiété dans les premiers jours de la " marée noire " du fait que l'on n'avait pas constaté de contamination des fonds : ce sont aussi bien les araignées de mer que les crevettes, par exemple ! Les plongées qui ont été effectuées sur certains sites, depuis une semaine, montrent qu'il y a une certaine contamination des fonds et je crois qu'il nous faudra donc compléter les commandes passées à l'I.F.R.E.M.E.R. par une étude spécifique de ces espèces dont on ne s'est pas ou peu inquiété dans les premiers jours.
M. le Président : sachant que l'évaluation du risque doit être faite par des experts et qu'ensuite la gestion du risque relève évidemment du pouvoir politique, j'aimerais que vous nous donniez votre opinion sur ce qu'est un expert. La question que nous avons souvent posée vise à savoir ce qu'est finalement un expert, qui le désigne, et s'il y a intérêt, dans un comité, à avoir des experts de cultures différentes, de façon à ce qu'il y ait également interpellation et débat dans l'évaluation du risque ?
Mme Dominique VOYNET : Je crois qu'un expert est une personne qui a accumulé, non seulement d'importantes connaissances dans le secteur considéré, mais aussi une expérience pratique, concrète, ce qui suppose un minimum de travail et de temps passé en dehors des grimoires et des laboratoires. Je crois surtout que l'expert " en soi " n'existe pas et que, seule l'expertise existe, par le croisement des points de vue, par le pluralisme des avis qui sont recueillis. Donc, pour moi, l'expert n'existe pas mais les experts existent et la confrontation des avis au sein d'un panel pluraliste d'experts variés, échangeant leurs arguments, confrontant leurs points de vue et ayant aussi le courage de dire ce qu'ils savent et ce qu'ils ne savent pas me paraît fondamental !
La tentation est grande, sans doute pour se protéger et, parce que c'est ainsi que fonctionne ce monde des experts, de trancher chaque demande d'avis par une réponse dilatoire ou par de nouvelles questions invitant à de nouvelles expertises et à de nouveaux programmes de recherches. Je dois dire que c'est, sans doute, partiellement lié au fait que la commande politique n'est pas toujours aussi précise qu'elle le devrait et je suis soucieuse de demander aux experts qu'ils ne répondent pas forcément par l'affirmative ou par la négative, mais qu'ils fassent état de l'importance des incertitudes en évitant la réponse dilatoire et vague apportée de façon quasi-systématique qui laisse le politique désarmé face à la décision à prendre.
Je crois que la façon dont M. Kourilsky et Mme Viney ont défini le principe de précaution cerne bien ce que nous attendons des experts : nous leur demandons de réduire nos incertitudes et de nous donner finalement un faisceau d'arguments pour prendre, ou ne pas prendre, une décision !
M. le Président : La parole est à Mme Dumont.
Mme Laurence DUMONT : Concernant la nécessité de l'éradication du varron, un protocole a été décrété par le ministère de l'Agriculture.
L'une des conséquences quelque peu abusive de cette éradication du varron est qu'elle a également été imposée aux agriculteurs biologiques, bien que ce protocole soit contraire à leur charte, de sorte qu'ils se voient aujourd'hui contraints - et les tribunaux font appliquer la loi - de mettre en place ce protocole. Votre ministère a-t-il été saisi de ce problème ?
Mme Dominique VOYNET : Mon ministère insiste pour être associé à toutes les décisions qui peuvent avoir des conséquences sur la diversité biologique et sur les écosystèmes. Il faut bien voir que les moyens dont il dispose pour se rendre dans tous les lieux on l'on discute de l'autorisation de mise sur le marché de nouveaux produits, de mise en place de nouveaux protocoles sont très réduits : là où vous avez vingt ou trente fonctionnaires du ministère de l'Agriculture, vous avez un demi-poste dans mon ministère ce qui relativise aussi les choses !
Mon directeur de cabinet qui a exercé ses talents au ministère de l'Agriculture pendant un moment défendra l'idée qu'il n'est pas confortable pour les animaux de supporter le varron ; pour ma part, je considère, effectivement, que les préoccupations des producteurs " bio " auraient pu être prises en compte ; mon ministère, saisi de cette question par les agriculteurs biologistes, a interrogé le MAP à ce sujet, sans réponse à ce jour.
Sans doute y aurait-il d'autres protocoles possibles...
M. le Président : j'aimerais que vous nous donniez un peu votre sentiment sur un point que nous avons eu l'occasion d'aborder à plusieurs reprises. Nous nous sommes rendus dans le département des Côtes-d'Armor où nous avons constaté qu'il existe aujourd'hui des stocks de farine animale - ce n'est pas le seul département de France - pour lesquels nous cherchons des solutions pour les incinérer au mieux.
Une convention a déjà été passée entre les pouvoirs publics et les cimentiers de façon à utiliser ces farines dans les cimenteries. La question qui est posée aujourd'hui est de savoir comment on peut accélérer l'incinération de ces farines : relève-t-elle de votre ministère, du ministère de l'Agriculture ou est-ce que les deux ministères travaillent conjointement sur ce problème qui est quand même relativement complexe ?
Mme Dominique VOYNET : La responsabilité de l'élimination de ces farines repose effectivement sur le ministère de l'Agriculture qui a passé les appels d'offres pour les différentes techniques d'élimination possibles, mais la concertation a été approfondie entre les deux ministères pour trouver, non pas la meilleure solution possible, mais la moins mauvaise.
Il se trouve que la nature des produits, très gras, qui génèrent apparemment des fumées importantes n'a pas rendu l'incinération aussi facile que nous l'imaginions dans les cimenteries qui paraissaient les plus adaptées, puisqu'elles travaillent à très haute température sans générer de déchets mis à part les fumées qui sont épurées et le clinker qui comprend les matières minérales résiduelles. Je ne vois donc pas, à cette heure, de moyens pour accélérer cette incinération.
En revanche, je n'exclus pas que nous soyons, dans l'avenir, confrontés à des problèmes analogues. Vous savez que nous avons eu, par exemple, à affronter la question de l'incinération des cadavres des oiseaux mazoutés et que ces derniers mélangés au mazout et à de nombreux autres déchets ont pu, en fait, après des essais divers, être incinérés dans des usines d'incinération d'ordures ménagères banales qui se sont révélées aptes parce que les quantités n'étaient pas trop importantes. C'est donc au cas par cas en fonction de la composition des produits et des technologies disponibles que nous parviendrons à résoudre ce problème de l'élimination.
Je pense qu'on aurait éventuellement pu étendre l'aire concernée par l'incinération et les stockages avec toutefois le souci de réduire le transport à travers la France des matières contaminées ce qui pose aussi d'autres problèmes...
M. le Président : Le stockage se fait évidemment dans des conditions différentes d'un secteur à l'autre. Sur le site que nous avons visité, nous ne pouvons pas dire que le stockage, en lui-même, n'était pas bien fait mais cela peut quand même poser des problèmes du point de vue environnemental. Il faut, surtout, à un moment donné, être capable de détruire ces farines, puisqu'on ne peut plus les incorporer à l'alimentation animale.
Mme Dominique VOYNET : Vous avez dû visiter le site de Plouisy (22) qui a brûlé longuement cet été ?
M. le Président : Oui c'est bien de celui-là qu'il s'agit. On ne peut pas dire que cela ait brûlé longuement : disons qu'il y a eu un réchauffement des farines, puis un début d'incendie qui a été maîtrisé. On a réussi également à trouver une première solution d'incinération, mais il est vrai qu'au rythme actuel, les choses risquent de prendre du temps puisque maintenant, toutes les farines qui n'entrent pas dans la composition animale vont en flux tendus des usines d'équarrissage vers les centres d'incinération. Par conséquent, s'il faut en même temps brûler toutes ces farines en plus de celles qui sont stockées, cela posera quelques problèmes...
Mme Dominique VOYNET : On a encore, je crois, quelques dizaines de milliers de tonnes de retard et on devrait avoir à peu près récupéré ce retard au mois de juin ce qui est considérable, à supposer qu'il n'y ait pas de nouvel afflux massif : j'espère de tout c_ur que la mise en place d'un dépistage systématique sur les carcasses ne va pas nous apporter de mauvaises nouvelles.
Plus généralement, je crois que notre pays devra réfléchir à nouveau à la stratégie d'élimination de ses déchets. Nous avons fourni un important travail pour l'élaboration des plans départementaux de traitement des ordures ménagères et beaucoup travaillé sur les boues des stations d'épuration et les déchets agricoles au sens large avec, éventuellement des stratégies de valorisation de certains de ces déchets qui pourraient être exploités. Nous avons étudié la question du devenir des déchets industriels spéciaux pour lesquels ont été développées pratiquement en concurrence deux hypothèses, celle de l'incinération dans les cimenteries et celle de l'incinération dans des installations privées qui, pour être rentables, réclament certaines quantités. Tous ces points devraient, je crois, à un moment donné être " remis à plat " ; mon ministère s'en préoccupe et prend en compte le fait, qu'après la phase de traitement des ordures ménagères, il faudra compléter le dispositif.
M. le Président : Merci, Mme la ministre, de votre participation à nos travaux. Je crois qu'il était bien, comme vous l'avez indiqué, que les préoccupations environnementales, au sens large du terme, soient évidemment prises en compte lorsqu'il s'agit de la sécurité alimentaire et peut-être nos travaux faciliteront-ils l'avancée de cette idée à travers les préoccupations que vous avez exprimées...
Mme Dominique VOYNET : Merci, M. le Président. Au-delà de cette audition, je me permettrais de vous faire parvenir un dossier sur les dioxines qui vous permettra de mesurer l'étendue du travail qui a déjà été réalisé pour maîtriser les émissions des usines d'incinération des ordures ménagères et un dossier sur les sites pollués qui montre l'étendue de la tâche à accomplir ainsi que sa complexité, et son coût.
M. le Président : Je vous en remercie.

Audition de M. Jean GLAVANY
Ministre de l'Agriculture et de la pêche

(extrait du procès-verbal de la séance du Mardi 1er février 2000)
Présidence de M. Félix LEYZOUR, Président
M. Jean Glavany est introduit.
M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. A l'invitation du Président, M. Glavany prête serment.
M. le Président : Monsieur le ministre, nous avons le plaisir de vous accueillir et vous recevant, d'achever le cycle de nos auditions.
Depuis le mois d'octobre, nous avons entendu quelque deux cents personnes au cours d'auditions séparées, d'auditions conjointes, de forums, regroupant des représentants professionnels, des syndicalistes agricoles, des représentants des salariés du secteur de l'agroalimentaire, des spécialistes du monde scientifique, des représentants des directions de tous les ministères qui, à des degrés divers, ont en charge des problèmes liés, d'une façon ou d'une autre, à la sécurité et à la transparence de la chaîne alimentaire.
La commission a effectué un déplacement dans un département, pour se rendre compte de la manière dont réagissent et fonctionnent les services déconcentrés de l'Etat, placés sous la responsabilité du Préfet.
La commission a entendu M. l'Ambassadeur de Grande-Bretagne en France.
Elle a également effectué un déplacement à Bruxelles, où elle a rencontré plusieurs commissaires, en particulier le commissaire Byrne. Nous nous rendons demain et après-demain en Allemagne, où nous rencontrerons divers responsables de haut niveau dont les responsables ministériels de l'Agriculture et de la Santé.
La France a créé une agence, l'A.F.S.S.A., dont on a pu mesurer le sérieux dans l'approche des questions et dans la production de ses expertises. Le dossier de l'embargo sur les importations de b_uf britannique a illustré comment l'Agence évaluait le risque et comment le pouvoir politique était appelé à le gérer. De même que la France a créé une agence de sécurité, l'Europe se prépare à créer une Autorité conforme aux orientations du " Livre blanc ". Comment s'articuleront l'évaluation et la gestion des risques en France et en Europe ?
C'est une question politique, sur laquelle il serait intéressant que vous puissiez, M. le ministre, apporter l'éclairage de votre ministère.
Vous avez la possibilité de présenter un exposé et de faire une déclaration. Ensuite, vous serez amené à répondre aux questions des commissaires. Au préalable, je laisse la parole à notre Rapporteur.
M. le Rapporteur : Avant que vous ne preniez la parole, M. le ministre, en qualité de Rapporteur, je voudrais dire que nous nous réjouissons de votre audition devant la commission, qui arrive au terme de son travail.
Dans le cadre de la filière alimentaire, vous occupez un poste clef, puisque la qualité des aliments dépend, en tout cas, de tous les intrants de l'exploitation agricole et de tout ce qui est lié à l'environnement et qui conditionnera la qualité des produits entrant dans la chaîne alimentaire.
La réflexion qui a été engagée au niveau de ce ministère conduit à un concept nouveau, qui est celui d'agriculture raisonnée. Nous en avons souvent parlé. La maîtrise des intrants de l'activité agricole est un élément important qui touche aux pesticides, aux apports extérieurs, à la qualité de l'environnement, mais aussi aux organismes génétiquement modifiés. Le débat est ouvert pour le maintien de la biodiversité.
Vous avez à votre disposition la Direction générale de l'alimentation. Il est apparu au cours des travaux de la commission d'enquête - nous le savions déjà - que plusieurs administrations suivaient les problèmes de sécurité alimentaire. Nous aimerions confirmer le rôle de la Direction générale de l'alimentation par rapport à la Direction générale de la santé et à la D.G.C.C.R.F.
Parallèlement aux initiatives nationales, se dessine un ensemble de démarches au niveau européen, que ce soit le " Livre blanc " ou la réflexion sur le principe de précaution. Il est important de connaître les perspectives qui se présentent au travers de la définition de normes européennes. Ne risque-t-on pas, demain, de voir disparaître des productions françaises, locales, de terroir, éventuellement non conformes aux normes européennes ? Je crains que l'on ne s'oriente vers une plate-forme, en tout cas un nivellement du niveau des productions pour tendre vers des normes européennes beaucoup plus contraignantes qui feraient disparaître nos spécificités.
Une démarche est engagée au plan européen ; une autre est initiée au plan mondial. Dans le cadre des négociations de l'Organisation mondiale du commerce, nous occupons une place importante pour faire reconnaître nos pratiques. N'avons-nous pas intérêt à avancer le plus rapidement et le plus efficacement possible vers une réglementation qui ferait du modèle français le modèle retenu par d'autres pays dans le cadre du débat tant au plan européen que mondial ?
M. le Président : Monsieur le ministre, vous avez la parole.
M. Jean GLAVANY : Monsieur le Président, M. le Rapporteur, mesdames, messieurs les députés, je vous dirai les choses comme je les ressens.
Je suis de très près vos travaux - autant que faire se peut, car, je ne puis m'immiscer dans vos délibérations. Votre responsabilité est lourde et j'attends le fruit de vos travaux avec impatience. Les sujets que vous abordez sont essentiels, non seulement pour le ministère dont j'ai la charge, mais également pour l'ensemble de la société.
Vous avez auditionné plusieurs de mes collaborateurs ou collaboratrices, mon directeur de cabinet et Mme Guillou, directrice générale de l'alimentation, qui m'accompagnent aujourd'hui. Compte tenu de leurs exposés, dont vous me pardonnerez d'être quelque peu informé, comme des documents qu'ils vous ont transmis, le travail de ce soir ne devrait-il pas, certes revenir sur quelques détails, mais essentiellement s'en tenir à de grandes questions politiques, telles qu'évoquées par le rapporteur ? Pour ma part, j'en retiendrai tout au plus quatre ou cinq.
Premièrement, l'agriculture française et européenne est en train de vivre une mutation profonde, que la loi d'orientation agricole a essayé de traduire à sa façon l'an dernier. La loi n'est pas si mauvaise. Ce n'est pas moi qui l'ai préparée, mais j'en ai hérité et je l'ai assumée. J'y ai adhéré, puisque, parlementaire, je l'ai votée en première lecture. C'est une loi qui essaie de transcrire cette mutation.
Quelle est-elle ?
Je l'appelle dans mon langage "la mutation qualitative". L'agriculture européenne s'est développée depuis la deuxième guerre mondiale sur un mandat clair, celui de produire toujours plus et au moindre coût. A ce titre, on ne peut adresser aucun reproche aux agriculteurs, car tel était bien le mandat qu'ils avaient reçu des gouvernants de l'Europe. Pendant quarante ans, ce mandat s'est traduit par un système d'aide, que l'on appellera "les prix P.A.C.", uniquement liés à la quantité produite ; plus on produisait, plus on touchait de primes. Cela s'est transformé grosso modo par : plus le nombre d'hectares est grand, plus on produit, plus on obtient de primes. Le système a très bien fonctionné, puisque l'Europe est devenue une très grande puissance agricole et la France, au sein de l'Europe, est devenue la première puissance agricole. Nous n'avons pas à nous en plaindre.
Cependant, ce modèle, me semble-t-il, est aujourd'hui profondément dépassé. Grâce à ses succès et à la réussite de ce modèle que l'on qualifiera de "productiviste", l'Europe est devenue excédentaire dans quasiment toutes les productions. Celles qui ne le sont pas se comptent sur les doigts de la main. Quelques productions seulement sont déficitaires aujourd'hui en Europe : il s'agit de la production bovine, de la production des oléoprotéagineux du fait d'accords qu'il faudra savoir mettre en cause et de quelques productions agrumières. Dès lors que l'on est excédentaire à peu près dans toutes les productions, il est difficile de conserver un système d'encouragement à la production elle-même. A cela s'ajoute le fait que le modèle productiviste a montré ses limites, dans la mesure où cette course à la quantité produite a un effet de désertification rurale, lié à la concentration des exploitations. Cela a posé aussi un problème d'aménagement du territoire et a entraîné des conséquences sur nos paysages et sur nos ressources naturelles - je pense aux nappes phréatiques - qui heurtent de nouvelles aspirations de notre société. La mutation qualitative que l'agriculture française et européenne commence à entamer, et qu'elle doit entreprendre avec plus de vigueur encore pour l'amplifier, vise à s'engager dans une logique du " produire mieux " à la place du " produire plus ".
"Mieux" signifie utiliser les meilleures pratiques agricoles, autrement dit en termes d'environnement, de préservation de l'environnement, des ressources naturelles, des intrants, la maîtrise de pratiques agricoles plus soucieuses des équilibres écologiques et de la biodiversité.
En termes d'aménagement du territoire et d'aménagement des paysages, "mieux" signifie mettre un frein aux abus passés et reconquérir un certain nombre d'aménagements paysagers. Je pense aux haies, au bocage.
En termes d'emploi, "mieux" signifie reconquérir l'emploi agricole. Alors que la France, dans toutes ses composantes - politiques, économiques et sociales - est unanimement engagée dans la lutte pour l'emploi et contre le chômage, je ne vois pas de raisons objectives à ce que le monde rural reste à l'écart de cette lutte. Certes, vous penserez que je suis un idéaliste, car le nombre d'exploitants baisse tendanciellement depuis des décennies, ce qui est vrai. Mais il y a bien un moment où cette baisse rencontrera son asymptote. J'ajoute que si le nombre d'exploitants baisse, le nombre de salariés agricoles augmente depuis quelques années et que l'emploi agricole est la somme des deux. Nous devons, en ce domaine, engager une reconquête.
Produire mieux, c'est enfin produire mieux en termes de qualité des produits. J'en arrive au sujet qui vous préoccupe.
Des profondeurs de l'opinion et de notre société émerge une aspiration à la qualité des produits qui entraîne des dispositions - traçabilité, étiquetage - et à une sécurité alimentaire qui s'exprime, lorsque surviennent des crises, par des comportements qui relèvent parfois de la psychose, mais qui montrent un attachement psychologique collectif très profond des Français à leur nourriture, à leur assiette. Nous sommes confrontés à une forme de disproportion. Nous enregistrons quelques dizaines de décès par an, liés à un défaut de sécurité alimentaire et chaque crise engendre une sorte de psychose collective alors que les routes font 8 000 morts par an sans que n'éclate la moindre terreur. Nous sommes face à une aspiration qui, politiquement, pose question.
La mutation qualitative de l'agriculture française et européenne est un problème de fond que nous avons essayé de transcrire dans la loi d'orientation agricole, que nous essayons de traduire concrètement cette année par la mise en place des contrats territoriaux d'exploitation, traduction d'une volonté d'avancer sur cette mutation qualitative. Cela passe naturellement par la recherche de la sécurité des aliments.
Dans cette perspective, j'avancerai quatre questions.
La première est celle de la culture du risque. Notre société n'a pas la culture du risque, ce qui conduit à la psychose collective évoquée à l'instant. Par exemple, chaque tempête provoque de nombreux morts qui pourraient être évités par l'éducation, par la simple maîtrise de la culture du risque. Si les gens ne se promenaient pas en forêt les jours de tempête ou s'ils ne montaient pas sur leur toit pour le réparer par grand vent, des dizaines de morts seraient évitées. La culture du risque peut s'acquérir, puisque les départements et territoires d'Outre-mer l'ont acquise en matière d'ouragans. Suite au cyclone à La Réunion, nous avons vu que ce modèle existait.
La culture du risque devrait nous amener à des réflexions concrètes et simples. Nous pourrions populariser l'idée que le " risque zéro " n'existe pas. "Populariser" signifie faire comprendre à nos concitoyens que, autant on doit tendre vers le risque minimum, autant nous n'atteindrons jamais, ni en matière alimentaire ni dans d'autres domaines, le " risque zéro " qui n'existe pas.
Cette affirmation doit se conjuguer avec celle de la nécessaire prévention tous azimuts. Cela signifie des dispositions concrètes, que vous avez abordées avec mes collaborateurs, dans un dispositif de plus en plus sophistiqué, qui présente encore quelques failles. Je pense notamment à la prévention. Je considère, par exemple, que la crise de la listériose est édifiante, tant du point de vue du " risque zéro " que de la prévention. Nos compatriotes et nous-mêmes mangeons de la listeria tous les jours dans des proportions acceptables et tolérables par nos organismes. De ce fait, par notre nourriture traditionnelle et traditionaliste - les fromages au lait cru, la charcuterie, exemples parmi d'autres - nous " flirtons " avec ce risque. Peut-être faut-il le formuler plus explicitement. Je suis frappé de constater qu'aucune politique de prévention réelle s'adressant aux populations à risques n'est mise en _uvre. Nous savons que la listériose est plus grave pour les femmes enceintes et les personnes immuno-déprimées. Peut-être pourrait-on commencer par demander aux médecins qui traitent de ces cas d'informer les femmes enceintes qu'il faut éviter de consommer des produits susceptibles de les rendre malades. Or ce travail n'est pas toujours fait. La culture du risque n'a pas encore porté ses effets ni dans l'appréciation ni dans la culture préventive. Il me semble que de grands progrès sont à réaliser.
Dès lors que le risque existe, la deuxième grande question politique posée est celle de l'évaluation et de la gestion du risque.
Après la mise en place de l'A.F.S.S.A., voulue par le Parlement unanimement, et après les premières crises qu'elle a eu à gérer, notamment celle de la " vache folle " et de la levée de l'embargo, les choses sont désormais claires : autant il me semble que l'évaluation du risque doit être de plus en plus confiée à des scientifiques, si possible, indépendants, autant la gestion du risque relève uniquement du pouvoir politique démocratiquement élu. Pour l'exemple et sans trahir le secret des délibérations gouvernementales, le jour où le Gouvernement a décidé, après le deuxième avis de l'Agence, de maintenir l'embargo sur le b_uf britannique, cette décision revêtait un caractère fondamentalement politique. Tout à la fois, elle incorporait l'évaluation du risque par les scientifiques, l'évaluation des débats avec les Britanniques et des échanges avec la Commission trois mois durant, ainsi que l'appréciation de ces discussions par les scientifiques. Mais cette décision se devait d'incorporer d'autres données que nous révélons sans honte : l'état de l'opinion française ; les données diplomatiques. Ce faisant, nous savions que nous créions une difficulté dans le fonctionnement de l'Europe, donnée qui ne pouvait être balayée d'un revers de la main. Il fallait en peser les conséquences sur la sécurité alimentaire. Sur cette délibération, le ministre des Affaires étrangères comme celui des Affaires européennes avaient leur mot à dire, car les considérations diplomatiques pouvaient déboucher sur des menaces de rétorsion, notamment anglaise, et faisaient courir un risque à certains secteurs de l'activité économique française. Cela dépasse le strict cadre de la sécurité sanitaire ; des éléments de la décision ne pouvaient être relégués aux seuls scientifiques.
Oui donc à l'évaluation des risques par des autorités scientifiques indépendantes, mais seule l'autorité politique peut prendre la responsabilité de gérer le risque.
A partir de là, sur la base de quels principes pouvons-nous agir ? Vous avez commencé à réfléchir, à étudier et à poser des questions sur le principe de précaution, principe ô ! combien confortable pour un responsable politique, mais en même temps ô ! combien indéfini. Le professeur Kourilsky et Mme Viney ont présenté leur rapport au Premier ministre. Je l'ai lu attentivement. Il apporte des éléments de réponse et révèle l'état de non-maîtrise parfaite du principe - et pour cause ! - par la société française. Un élément du rapport m'a particulièrement intéressé : le principe de précaution défini par le professeur Kourilsky et Mme Viney me satisfait en ce qu'il dit de ce principe. Ce n'est pas "Dans le doute, abstiens-toi. ", mais "Dans le doute, gère le risque." Ce principe de précaution comme méthode de gestion du risque me paraît beaucoup plus actif, dynamique et susceptible d'aider à la décision politique que le seul principe d'abstention qui est paralysant.
La troisième grande question politique porte sur l'organisation du risque et la gestion du risque par le politique. Elle a été évoquée à l'instant par M. le Rapporteur sur l'organisation administrative en France, à savoir la gestion du risque à travers trois administrations : la Direction générale de la santé, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes au ministère de l'Economie et la Direction générale de l'alimentation au ministère de l'Agriculture. Peut-être pourrions-nous aller droit au but. Après tout, si j'étais encore parlementaire, je me poserais certainement cette question : faut-il changer le dispositif pour l'unifier ?
A ce stade, deux raisons fondamentales m'incitent à répondre négativement. Il faut l'améliorer, non pas le changer. Pourquoi ?
Premièrement, parce que nous venons de tout changer et que trop de changement tue le changement. Nous venons de prendre des décisions dans trois grands domaines.
Nous venons de mettre en place l'A.F.S.S.A., organisme indépendant d'évaluation.
A travers la loi d'orientation agricole, nous avons instauré un système de biosurveillance et de sécurité alimentaire, dispositif législatif renforcé et complexe, adopté il y a à peine six mois.
Dans l'organisation même du ministère de l'Agriculture et de la Direction générale de l'alimentation, clef de voûte du travail de sécurité alimentaire dans notre pays, nous venons d'engager une réforme de l'administration visant à séparer les relations avec la production, notamment les industries agroalimentaires, de la fonction de contrôle, afin d'édifier une cloison plus étanche et plus sécurisante. Nous venons de bouleverser le dispositif. C'est pourquoi j'aurais tendance à penser qu'il convient de lui laisser le temps de faire ses preuves avant d'ouvrir un nouveau chantier.
La seconde raison que j'invoquerai est plus profonde encore. Par l'interministérialité, il nous faut conjuguer des problèmes de santé publique, des problèmes économiques, des problèmes techniques, des problèmes de distribution et des problèmes de consommation.
Dans ce cadre, chacun assume sa mission ; la nôtre est sans ambiguïté : que l'agriculture et l'industrie alimentaire elle-même, par l'évolution de leurs pratiques en profondeur, conduisant à une meilleure sécurité alimentaire, c'est-à-dire que notre conception " de la fourche à la fourchette " permette la sécurité alimentaire du début à la fin. Si ce travail de concertation permanent n'est pas entrepris au quotidien avec les professionnels de l'agriculture et de la transformation nous risquons de perdre beaucoup de temps et de connaître plus de traumatismes encore.
Je vous livrerai un exemple sans dévoiler le secret de la délibération gouvernementale et encore moins manquer à la solidarité gouvernementale. Ma collègue et amie, Dominique Gillot, a annoncé dans la presse il y a une dizaine de jours que le ministère de l'Agriculture allait mettre en place un programme de tests sur l'E.S.B. Je n'ai pas à lui adresser de reproches. C'est un travail que nous menons ensemble ; j'étais donc au courant, mais je n'étais pas prêt, ce dimanche-là, à l'annoncer. Je ne disposais pas des propositions du Comité Dormont et ai dû faire face à une pression médiatique. Nous sommes suffisamment solidaires pour y faire face. Ma seule difficulté dans cette affaire fut celle-ci : la profession agricole a appris la nouvelle par Le Journal du Dimanche alors que, depuis des années, depuis la crise de la " vache folle ", avec M. Vasseur, M. Le Pensec et moi-même, la profession produit des efforts de mutation de travail au quotidien. J'essaye de montrer concrètement le but de mon affirmation. Oublions le petit épisode de l'annonce, il n'a aucune importance : le travail se réalise dans le cadre de l'interministérialité. Ce qu'il faut bien comprendre c'est que la sécurité alimentaire " de la fourche à la fourchette " passe par cette mutation de l'agriculture, par une capacité d'entraînement du monde agricole et alimentaire que, j'en suis persuadé, seul le ministère de l'Agriculture peut avoir à ce stade. La Direction générale de la santé n'a pas cette capacité d'entraînement, et ce pour des raisons évidentes que nous ne pouvons lui reprocher.
Cette raison de fond m'amène à penser que changer le dispositif serait une erreur. Je me demande plutôt comment l'améliorer.
Lorsque je suis devenu ministre de l'Agriculture et de la pêche, j'ai découvert la gestion interministérielle et j'ai, par moi-même, constaté une culture de rivalité entre ces trois administrations, engendrant sans doute trop de difficultés. Depuis le début, j'essaye de dire ces choses simples aux fonctionnaires de mon ministère et des autres ministères en en donnant autant que possible des preuves concrètes.
Avant d'être fonctionnaire de tel ou tel ministère, on sert la République. Il ne peut y avoir de rivalité entre fonctionnaires, d'un ministère à un autre, sur des problèmes aussi fondamentaux que celui de la sécurité alimentaire. Il faut oublier les querelles passées et les rivalités, forcer au quotidien le trait de cette coopération, pour que l'interministérialité soit plus huilée. Cela m'a conduit, le jour où l'affaire de la dioxine a éclaté et alors qu'un fonctionnaire du ministère des Finances a été accusé de ne pas avoir géré suffisamment rapidement un télex qui n'était d'ailleurs pas une alerte européenne - ce dont on ne pouvait donc l'accuser - à prendre sa défense, dans la mesure où tout fonctionnaire du ministère des Finances mérite d'être défendu en tant que fonctionnaire de la République. J'essaye de forcer ce trait. Par exemple, j'incite fortement les préfets à mettre en place dans chacun des départements des pôles de sécurité alimentaire, des délégations interservices, pour que, sur le terrain, sur des services déconcentrés, les directions départementales des trois administrations travaillent mieux ensemble et au quotidien, mettent en place des protocoles d'alerte, travaillent en vue de la prochaine crise alimentaire, qui inévitablement aura lieu.
Sur l'interministérialité, je me pose des questions précises.
Compte tenu de la nécessité de faire travailler ces trois administrations ensemble, depuis le terrain jusqu'aux administrations centrales, je me demande si l'on ne pourrait pas trouver des modes de fonctionnement interministériels, comme il en existe déjà, avec des secrétaires généraux interministériels, à Matignon. Dans le cadre d'une crise alimentaire, il faut aller vite, notamment lorsqu'il faut sortir un communiqué ; c'est parfois une question d'heures. Lorsque les administrations ne sont pas d'accord sur les termes du communiqué, un arbitrage est alors nécessaire. Matignon est une machine trop lourde pour procéder à l'arbitrage. Je pense sincèrement qu'il faut trouver les moyens de normaliser les procédures d'arbitrage, de les enraciner dans un dispositif particulier pour que, en cas de gestion de crise, la coordination interministérielle se réalise de façon plus souple. Pour autant, je ne crois pas à la nécessité de changer le paysage français, même si nous devons l'aménager.
Enfin, la dernière grande question qui nous est posée est la question européenne. Le système européen n'est pas satisfaisant, pour deux grandes raisons.
D'une part, la situation des différents pays de l'Union par rapport aux problèmes de sécurité alimentaire est excessivement hétérogène. En matière d'E.S.B., de dispositif sur les farines animales, l'hétérogénéité est évidemment très dommageable et pose des questions de principe très fortes.
D'autre part, les procédures sont trop lourdes et, selon moi, déresponsabilisantes. De ce point de vue, je suis plutôt optimiste, dans la mesure où la Commission Prodi a très vite pris conscience de ces insuffisances. La nomination du commissaire Byrne et la création d'un portefeuille spécifique "santé, protection des consommateurs" sont le signe d'un acte politique fort. Au surplus, en moins de six mois, la Commission a rédigé un " Livre blanc sur la sécurité des aliments ". Premier audit de la Commission sur les procédures européennes, comme par hasard, il porte sur le sujet.
Je ne suis pas pessimiste, car la théorie européenne exposée par le " Livre blanc " repose sur la théorie française, celle de " la fourche à la fourchette ", c'est-à-dire une conception globale qui propose une Agence européenne de sécurité sanitaire des aliments. Elle donne droit à une proposition de la France. Le premier tour de table lors du dernier Conseil de l'agriculture sur l'Agence et sur le " Livre blanc " montre que l'hétérogénéité des différents pays par rapport aux problèmes de sécurité alimentaire entraîne des hétérogénéités dans l'approche de l'Agence et du " Livre blanc ", mais il me semble que les choses évoluent plutôt favorablement et que la pression des opinions joue, fortement relayée par le Parlement européen. En matière de sécurité sanitaire des aliments, ce dernier est notre allié face à la Commission et surtout face à l'inertie de certains Etats membres de l'Union. Je suis plutôt optimiste, car je pense que les choses vont s'améliorer - nous sommes sur la bonne voie. Le " Livre blanc " le montre et nous avons des raisons d'espérer que le dispositif avance et se précise dans les mois qui viennent.
Telles sont les quelques grandes questions politiques que je souhaitais aborder, en restant à votre disposition pour répondre à d'autres questions.
M. le Président : Je vous remercie.
La parole est à Mme Odette Grzegrzulka.
Mme Odette GRZEGRZULKA : Je voudrais tout d'abord rendre un hommage très sincère à M. le ministre et à l'ensemble de ses services et, avant vous, M. le ministre, à votre prédécesseur, tant il est vrai que, depuis deux ans et demi, une véritable révolution culturelle s'est opérée dans l'administration. Nous connaissons bien Mme Guillou et savons tout ce qui a pu être réalisé, grâce aussi à la volonté du Parlement. Ce n'était pas si facile.
Je voudrais également rendre hommage à la sincérité, à l'authenticité, avec lesquelles vous venez de plaider pour une interministérialité forte. Cependant, vous ne pouvez empêcher les élus locaux que nous sommes de considérer que cette coopération idéale est loin d'être atteinte sur le terrain. Nous constatons que des services, soit ne disposent pas de moyens, soit ne veulent pas les utiliser, soit encore se concurrencent, notamment vos services, M. le ministre, qui sont si habitués à être proches des lobbies agricoles qu'il leur est parfois difficile d'exercer leurs compétences dans le domaine du contrôle.
Je découvre avec plaisir la formule que vous venez d'employer, M. le ministre, à savoir les pôles de compétences de sécurité sanitaire alimentaire. Nous l'évoquions dans le rapport que nous avons remis, avec mon collègue, M. Aschiéri, à M. le Premier ministre. A croire que vous vous en êtes beaucoup inspiré, car nous y évoquons les pôles de sécurité sanitaire environnementale et le comité de liaison interministériel. Un grand effort reste à faire pour que, à l'échelon de nos régions et de nos départements, cela se traduise par la prévention et non pas seulement par le constat des crises et de leur gestion.
S'agissant de la sécurité alimentaire, il y a trois ministères dont on a quand même l'impression qu'ils sont déchirés par une rivalité médiatique. L'exemple que vous avez choisi n'est pas innocent et l'illustre. Au surplus, le ministère de l'Environnement n'est jamais cité alors que la ministre de l'Environnement est également concernée. S'agissant de la crise de la dioxine ou du lait, elle a toute sa place. Il en va pareillement du ministre de la Recherche. L'interministérialité que vous prônez devrait être élargie, me semble-t-il, à au moins deux autres ministères - l'Environnement et la Recherche - pour que l'on soit mieux à même d'effectuer les expertises que vous souhaitez, qu'elles soient à la hauteur et indépendantes.
Je ne souhaitais pas vous poser de questions, mais plutôt vous remercier de vos propos. Toutefois, comptez sur nous pour vous rappeler quand cela va mal sur le terrain et quand vos décisions mettent du temps à se traduire.
M. Alain CALMAT : Monsieur le ministre, je voudrais intervenir essentiellement sur l'un des aspects centraux que vous avez développés. Il s'agit de la cohésion entre les différentes parties, notamment de l'interministérialité.
Une phrase prononcée en permanence me semble totalement fausse : la sécurité de " la fourche à la fourchette ", qui n'est qu'une partie du problème. Si la fourchette s'arrêtait à la bouche, il n'y aurait pas de problème. Il convient de prendre en compte l'organisme et j'emploierai la formule des deux "f" : de " la fourche au foie ", usine de transformation des aliments. Il ne convient pas d'oublier le récepteur de l'aliment.
Vous avez cité l'exemple de non-concertation au moment de l'annonce des tests. Dans la loi que nous avons et que vous avez votée, alors que vous étiez député, les outils existent. Au-delà de l'A.F.S.S.A., dont on parle beaucoup et qui a bien fait son travail, il existe d'autres organismes que l'on n'évoque guère et qui pourtant devraient intervenir dans le cadre de l'interministérialité, en particulier, pour ce qui concerne la santé, l'institut de veille sanitaire, dont le rôle est d'agir au moment des crises.
Vous parlez de la listériose. Nous ingérons sans cesse des listerias et vous avez raison de dire qu'il existe un problème de terrain. Le réseau national de santé publique s'en occupe. Un membre du Gouvernement, entendu par notre commission, a déclaré qu'il fallait que les médecins réalisent un plus large travail d'information auprès des parturientes et des personnes âgées notamment. Nous pourrions en débattre et envisager une campagne d'information nationale. Au reste, je crois davantage à une telle action qu'à l'information par le médecin qui, voyant une parturiente à problèmes, lui parlerait immédiatement de listériose. C'est un élément parmi cinq cents autres à préciser aux femmes enceintes. Un travail réel est à engager au niveau de l'information médicale, également au niveau de l'Institut de veille sanitaire qui, selon moi, devrait mieux développer son activité. Le Comité national de sécurité sanitaire, organe de liaison entre les différentes agences et l'Institut de veille sanitaire, voulu par l'Assemblée nationale et voté à l'unanimité avec le Sénat, qui a accepté notre proposition, a les moyens d'intervenir très rapidement dans les heures qui suivent une crise pour donner un avis afin d'éclairer le Gouvernement.
Les outils existent donc. Ainsi que vous le releviez, M. le ministre, une amélioration de leur fonctionnement est nécessaire, sans pour autant que s'impose la nécessité de changer les choses. Il faut surtout savoir que les outils existent et qu'ils fonctionnent.
Monsieur le ministre, vous avez relevé fort justement une mutation qualitative dans l'agriculture. Je pense que l'on peut ajouter "et dans l'alimentation".Elle est liée à une prise de conscience nouvelle de la population et des citoyens qui ont une exigence forte en matière de santé. Tout est lié. Une telle révolution est, je crois, importante.
Avec la création de l'A.F.S.S.A., nous avons quelque peu précédé l'événement. Il était temps que l'on s'en occupe et que l'on change les choses. Nous sommes donc tout à fait d'accord avec vos propos et nous vous encourageons à poursuivre.
Je vous poserai maintenant deux questions sur lesquelles je pense que vous pourrez nous éclairer.
Les O.G.M. continuent d'inquiéter la population. Une suite sera-t-elle donnée au protocole de Montréal qui a fait évoluer la situation, avec les cinquante ministres de l'environnement ? Quelles sont vos relations avec le ministère de l'Environnement en ce domaine ? Envisagez-vous une suite et laquelle ?
Depuis quelques jours, nous nous inquiétons des informations qui nous sont livrées au sujet de l'Erika et de la pollution qu'il dégage, qui pourrait être plus toxique que prévu. Au sujet de la pêche et des coquillages, disposez-vous de quelques informations plus récentes à nous donner ?
M. le Président : Monsieur le ministre, vous avez la parole.
M. Jean GLAVANY : Je remercie Mme Grzegrzulka de ses propos aimables et amicaux.
Notre volonté est que l'interministérialité se traduise de plus en plus sur le terrain ; aujourd'hui, vingt-neuf pôles sont en place et treize sont en cours de constitution. Soit un total prévisible de quarante-deux.
Je me suis exprimé devant les préfets voilà une semaine, auxquels j'ai réitéré avec insistance notre volonté de voir mettre en place ces délégations interservices, ces pôles de compétences, pour faire travailler les services au niveau départemental. Certains préfets confient la présidence de ces pôles à la D.S.V., d'autres à la D.D.A.S.S., d'autres à la D.D.G.C.R.F., d'autres organisent des présidences tournantes. Les pôles de compétences sont en train d'entrer dans les faits. Nous y veillons, car c'est important.
L'interministérialité avec le ministère de l'Environnement a fait l'objet d'une interrogation : c'est le cas sur certains sujets, tels les O.G.M. ou les phytosanitaires. Nous sommes en interministérialité avec le ministère de l'Environnement dès lors que c'est nécessaire.
Quant à la rivalité médiatique, je vous ai indiqué que l'on était fonctionnaire de la République avant d'être fonctionnaire d'un ministère. Quand on est ministre, on ne doit pas davantage faire la course aux médias en se précipitant chaque fois qu'une crise éclate. C'est un sujet qui peut et qui se traite très bien dans le cadre la solidarité gouvernementale, même si je suis conscient que la presse sanitaire exerce sans doute une plus forte pression médiatique sur le ministre de la Santé que la presse agricole sur le ministre de l'Agriculture, en ce qui concerne en tout cas la sécurité des aliments. J'ai conscience de cette pression différenciée.
Je voudrais dire à Alain Calmat qu'il n'y a pas de conflit, ni théorique ni pratique, entre la théorie de " la fourche à la fourchette ", la nécessaire interministérialité et la préoccupation sanitaire que représente l'Institut de veille sanitaire. L'I.V.S. nous signale les maladies liées aux aliments. Ce dispositif est indéniable. " La fourche à la fourchette " c'est la prévention - ce qui vient avant. Les deux marchent ensemble dans le dispositif qui fait fonctionner les deux. Je le redis ici : la préoccupation sanitaire est première, mais si nous voulons un système de contrôle a posteriori sans faire évoluer en profondeur l'agriculture française, on risque de connaître plus souvent des crises, des évolutions plus lentes et des résultats moins bénéfiques. Je vous ai expliqué qu'il fallait faire avancer tout le monde d'un pas rapide, plaidant ainsi en faveur de l'interministérialité.
André Aschiéri a évoqué le protocole de Montréal. Le protocole sur la bio-sécurité qui réglemente les échanges d'organismes vivants modifiés a fait l'objet d'un accord. Le principe de précaution y est décrit comme un outil de décision. C'est une grande nouveauté. Le protocole établit une procédure d'accord préalable à l'importation d'organismes génétiquement modifiés. Il mentionne la possibilité pour un pays de tenir compte dans sa décision des incidences socio-économiques de l'impact des O.G.M., ce qui est un point essentiel. La coexistence entre cet accord et l'Organisation Mondiale du Commerce y est reconnue, même si, avouons-le, elle n'est pas encore suffisamment précisée. Le protocole marque certes une avancée, mais c'est aussi un succès manifeste des thèses françaises.
J'en viens à la question sur l'Erika. Dès le début de l'accident, les services de contrôle, à la fois les services vétérinaires départementaux et les DDCCRF à la demande des deux ministères, ont mis en place des plans de contrôle. Plusieurs zones touchées par la " marée noire " ont été fermées. Nous avons saisi l'A.F.S.S.A., afin de disposer d'une évaluation du risque. C'est cette évaluation qui nous guide dans la gestion du risque et de la pollution. Les premiers résultats des analyses ont montré un très faible nombre de résultats dépassant les seuils fixés par l'A.F.S.S.A. A ce stade, sans en dire trop, je puis vous indiquer que l'A.F.S.S.A. travaille sur la réévaluation des seuils.
M. le Président : La parole est à M. Germain Gengenwin.
M. Germain GENGENWIN : Monsieur le ministre, vous avez commencé votre exposé en déclarant que nous produisions trop, que nous étions excédentaires dans nombre de domaines. N'oubliez-vous pas l'aspect économique de la production agricole ? En 1980, l'agriculteur touchait deux fois plus en francs pour la production d'un quintal de maïs qu'aujourd'hui - exactement le double. C'est pourquoi, il produit à l'heure actuelle le double pour à peine parvenir à un même revenu. Au niveau mondial, j'évoquerai pour mémoire le rôle des pays qui ont la capacité de produire alors que d'autres ont faim, mais ne disposent pas des moyens de payer. La crise du porc et les livraisons en Russie en sont la meilleure illustration.
Vous dites de produire mieux. C'est vrai, mais ne doit-on pas prendre en considération les progrès considérables de l'agriculture dans le domaine des moyens de production comme des produits chimiques utilisés, que ce soit les engrais ou leur traitement ? Vous avez parlé de la production "bio". Mais le jour où une exploitation ou une laiterie collecte dans le même lot le lait de la ferme "bio", et que cette ferme fonctionne sans subvention et peut tourner sur elle-même, il faut le dire.
Vous évoquez les risques. Ne faut-il pas les chercher ailleurs ? Nous connaissons le problème des listerias. Par le système des grandes centrales d'achat, un même produit peut se retrouver en vingt-quatre heures dans tous les magasins de France. N'y a-t-il pas là un grand risque ?
Vous avez reconnu que la politique de prévention n'était pas mise en _uvre. Suite aux diverses auditions, dont celles de vos services, nous avons eu l'impression contraire, selon laquelle, en France, nous étions les meilleurs au plan de l'organisation.
Ne pensez-vous pas que la qualité a un prix ? Je prends l'exemple du poulet. Les prix de vente sont matraqués. Quand on restreint le producteur, celui-ci se tourne automatiquement vers son fournisseur d'aliments, qui cherche tous les moyens pour produire un centime au kilo en moins et puis arrive ce qui est arrivé et ce qui se reproduira, si nous n'obligeons pas le consommateur à payer la qualité.
M. Jean GAUBERT : C'est autant le futur Président du Conseil des ministres agricole européen que je voudrais interroger que le ministre de l'Agriculture. Monsieur le ministre, parmi les sujets que vous avez abordés, certains sont franco-français ; sur les autres, nous avons moins de prise.
Des mesures que nous prenons en France depuis un certain nombre d'années ne sont pas prises dans plusieurs pays de l'Union européenne. Au surplus, nous avons eu des échos qui nous laissaient entendre qu'elles n'étaient pas prêtes à être prises. Je ne citerai que deux exemples.
D'une part, la grande disparité dans l'application de règles d'utilisation des farines animales, dossier que vous connaissez bien.
D'autre part, l'accompagnement du développement important de la production porcine en Espagne. Ce n'est pas ici que nous allons évoquer les conditions du développement de la production elle-même. Mais j'ai rencontré il y a une quinzaine de jours une personne digne de confiance qui revenait d'un voyage d'étude en Espagne et qui m'a dit avoir visité un abattoir en construction dans lequel il n'existait pas de dérivation pour consignation sanitaire. Cela pose le problème du fonctionnement d'une Union européenne où le marché serait libre alors que les règles de sécurité ne seraient pas les mêmes pour tous.
Ma seconde question touche à peu près au même dossier. Des produits "bio" arrivent sur les marchés de l'Union européenne. Nous ne produisons pas, à ce jour, suffisamment de produits "bio" pour la consommation française et européenne. A votre connaissance, que fait-on pour vérifier qu'il s'agit de produits "bio" ? Quelles sont les garanties que l'on peut apporter aux consommateurs qui, sur les marchés, notamment des grandes métropoles - c'est un peu moins vrai dans nos régions agricoles - achètent ces produits, considérant, parce qu'ils sont " bio ", qu'ils offriraient toutes les garanties sanitaires ?
M. André ANGOT : Monsieur le ministre, mes questions seront d'ordre technique.
Vous avez évoqué l'annonce de la mise en _uvre de tests pour l'E.S.B. Dans quels délais seront-ils opérationnels sur le terrain ? Quelle sera leur efficacité, dans la mesure où nous savons que nous passerons à côté de certains bovins porteurs de prion que l'on ne détectera pas par insuffisante sensibilité à quelques mois de la mort clinique de l'animal ? Qui assumera le coût des tests ? Est-ce l'Etat ? Sera-t-il répercuté sur le prix de la viande, sur l'abattage ou sur le boucher ?
On a beaucoup parlé de l'E.S.B. dans le cadre de notre commission. C'est l'un de nos soucis. Je suis persuadé que la maladie n'est pas arrivée par hasard. Certainement, l'utilisation des farines animales a multiplié les cas, mais je suis persuadé que la maladie préexistait, qu'on ne la diagnostiquait pas. On la diagnostique aujourd'hui, parce que l'on procède à des recherches, parce que l'on a des connaissances sur la maladie et que l'on dispose de tests qui permettent de la diagnostiquer. Dès lors que l'on mettra en _uvre des tests de détection de l'E.S.B., on risque de trouver de nombreux cas sans lien avec le mélange d'aliments ou la contamination des filières d'aliments.
Notre commission d'enquête a inclus, parmi ses préoccupations, les boues de station d'épuration. Un problème juridique devra être réglé. Les agriculteurs qui acceptent d'épandre des boues de station d'épuration sur leurs terres agricoles sont responsables en cas de problèmes. Il n'existe pas de recours auprès de la collectivité locale qui a fourni les boues alors qu'elle devrait vérifier leur conformité. Pensez-vous, avec votre collègue du ministère de l'Environnement, prendre des dispositions pour que l'agriculteur ne soit pas reconnu systématiquement responsable ? C'est un grand frein pour les agriculteurs qui hésitent à mettre leurs terrains à disposition pour évacuer les boues de station d'épuration.
Lors d'une de nos auditions, nous avons reçu un médecin qui a suggéré d'interdire les publicités des produits alimentaires au prix le plus bas. Freiner ce type de publicités annonçant la côte de porc à douze francs doit-il entrer dans le champ de nos préoccupations ? Pensez-vous que la course au prix toujours le plus bas peut être un facteur viable pour l'agriculture, en particulier pour la qualité des produits agricoles ?
M. Jean GLAVANY : Monsieur Gengenwin, je n'ai pas dit que nous produisions trop, mais que, dès lors que l'on est excédentaire, on ne peut avoir la même approche économique d'un secteur que si l'on est déficitaire en tout, notamment pour les systèmes d'aides.
Je vous remercie, M. Gengenwin, d'insister sur l'idée que l'agriculture est un secteur économique - le fait ne m'avait nullement échappé - et qu'elle participait largement à un excédent commercial de la France, à hauteur de soixante milliards de francs et plus. Première puissance agricole d'Europe, la deuxième du monde, la deuxième exportatrice, la France se situe en tête de la bataille économique. Mais il ne faut pas se masquer les yeux : c'est bien la course au productivisme qui a engendré quelques dérapages incontrôlés. Dans la course à la protéine, les protéines animales ont été inventées pour dépasser en performances les protéines végétales. Cette course a bien été initiée par des motivations économiques et productivistes. Il convient donc de mieux maîtriser les dérapages.
Je n'ai pas dit non plus que les systèmes de prévention ne fonctionnaient pas. Tout ce que nous mettons en place montre - c'est une responsabilité que nous partageons tous - que le système français de sécurité alimentaire est sans doute le plus performant d'Europe. Je n'ai pas dit que le système ne fonctionnait pas, mais que, dans la mesure où nous n'avons pas encore la culture du risque - nous l'avons d'une manière administrative, parfois industrielle, sans doute insuffisamment -, nous ne l'avons pas d'une manière démocratique au sens populaire du terme : on ne l'enseigne pas dans les écoles... Mais la prévention sanitaire ne touche pas uniquement la sécurité sanitaire des aliments. Je pense que l'on pourrait laisser une place bien plus large à l'éducation de la santé dans les programmes d'instruction civique par exemple. Le sujet dépasse donc largement le cadre de la sécurité sanitaire des aliments. Pour la listeria, j'ai pris l'exemple des populations à risques. Nous mettons en place cette année des programmes d'information, afin que les gynécologues qui suivent les femmes enceintes soient en mesure de les mettre en garde. Nous avons beaucoup attendu, mais les choses se mettent en place et je pense que nous sommes performants.
Quant au fait que la qualité a un prix, j'en suis d'accord, mais cela dépasse les problèmes de sécurité sanitaire et me rapproche de la dernière question posée par M. Angot. Ne croyez pas que les problèmes sanitaires des aliments soient directement corrélés au problème de prix. Sachez que ce sont les plus grandes marques d'industries alimentaires qui engagent les plus gros efforts en termes de qualité et de sécurité sanitaires et pourtant elles proposent des prix bas. Danone fait très attention, car les enjeux sont tels que si un accident survenait, le coût pour la société serait exorbitant. Les grandes industries alimentaires pratiquent des prix bas, mais c'est aussi là que la sécurité alimentaire est la plus forte. Ce n'est pas la faiblesse du prix qui a conduit à des accidents de listeria dans certaines fromageries d'époisses ou dans les établissements Coudray qui produisent des rillettes. Le risque sanitaire n'est pas directement corrélé, même si je crois que la qualité a un prix et qu'une éducation de l'opinion est, de ce point de vue, à engager.
Je réponds à Jean Gaubert sur l'harmonisation européenne. Certes, il s'agit bien d'un problème majeur et la question que vous soulevez est d'une grande pertinence. Lorsque l'on traite des farines animales - j'y ai fait référence de manière allusive dans mon propos introductif, mais je pensais bien à cela -, des pays déclarent qu'ils ne sont pas concernés par l'E.S.B. Il n'y en aurait pas chez eux, alors qu'ils ne sont pas même capables de le prouver, car ils ne disposent pas des moyens de sa recherche. Bien évidemment, cela pose problème. Et certains pays continuent à introduire dans leurs farines animales des matériaux à risques spécifiés, pour certains, des cadavres d'animaux. Je le signale avec insistance à chaque réunion du Conseil européen. J'indique que nous sommes dans un marché unique, que nous essayons de mettre en place des procédures européennes alors que prévaut une hétérogénéité absolue. Je vous le dis, parce que le débat est porté sur la place publique : si des harmonisations n'interviennent pas plus vite, plus rapidement, plus efficacement, nous serons très certainement obligés de prendre des dispositions, par exemple d'interdire purement et simplement les farines animales dans notre pays pour que le signal soit fort et que notre dispositif soit renforcé. Je crois profondément à cela.
Quant au problème de contrôle, il existe un organe européen, l'Office alimentaire et vétérinaire, localisé à Dublin, dont la mission est de contrôler l'application des règles communautaires par les Etats membres. Les rapports sont publics. Une équipe d'inspecteurs a été renforcée récemment. Peut-être l'Europe, dans le cadre du " Livre blanc " va-t-elle renforcer le dispositif.
L'O.A.V. contrôle également les normes européennes "bio". Nous sommes dans une situation un peu particulière ; nous sommes déficitaires, car nous ne produisons qu'insuffisamment, bien que la production augmente d'année en année. Plus encore, en termes qualitatifs, les normes "bio" françaises sont plus rigoureuses que les normes européennes. Dans le cadre de l'harmonisation, nous avons demandé à maintenir notre système plus exigeant. C'est le cas. Nous avons toute raison de penser que, grâce à l'O.A.V., les normes édictées au plan européen sont respectées.
Je reviens à la question de M. Angot sur les tests de l'E.S.B. Commençons par leur fondement.
Dans le cadre des négociations avec les Anglais et les Européens, nous avons demandé, l'application d'un certain nombre de conditions, dont deux principales.
D'une part, la mise en _uvre de tests, puisqu'ils existent. Le test irlandais, l'Enfer, le test suisse, le Prionics, et le test français du Commissariat de l'énergie atomique arrivent sur le marché. Nous avons donc demandé la mise en _uvre des tests ; cette demande ne s'adressait pas uniquement aux Anglais, mais à l'Europe. Sur le fond, c'est davantage avec la Commission européenne que nous avons rencontré des difficultés qu'avec les Anglais.
La seconde condition portait sur l'étiquetage de " la fourche à la fourchette ", si j'ose dire.
Dans la mesure où nous avions demandé à l'Europe de répondre à cette condition, nous avons décidé de nous l'appliquer à nous-mêmes. Nous retrouvons la notion de cohérence. Sous forme imagée, même si cela peut paraître immodeste, les premiers de la classe veulent donner l'exemple. Nous voulons entraîner le mouvement. Derrière cela, il y a aussi la volonté d'une meilleure connaissance épidémiologique de la maladie, en particulier son évaluation quantitative. Les cas ne sont-ils pas plus nombreux qu'on ne le pense ? Cibler les tests sur une population à risques dans les départements où les cas sont les plus nombreux permettrait en outre une approche plus précise d'un éventuel troisième mode de contamination, puisque, jusqu'à maintenant, l'on considère qu'il n'existe que deux modes de contamination : de la vache au veau et par l'alimentation. En existe-t-il un troisième ? Les scientifiques français ne l'excluent pas, même s'ils n'en ont pas les preuves ; en tout cas, ils souhaitent faire la preuve qu'il n'en existe pas de troisième.
Le programme de tests nous donnera-t-il des résultats efficaces et une évaluation plus précise ? Les tests ne sont pas fiables à 100 %. Il est probable qu'ils ne donneront des indications pertinentes, en termes de contamination, que dans les quelques mois précédant la déclaration de la maladie. Toutefois, c'est déjà mieux qu'au moment de la déclaration de la maladie. Ce n'est pas parce qu'ils ne sont pas pertinents à 100 % qu'il ne faut pas les mettre en _uvre, même si les tests sont basiques. Les Suisses, en appliquant le test basique, le Prionics, ont une connaissance basique de leur épidémie, mais elle se révèle meilleure que la connaissance actuelle. Cela conduira-t-il à une réévaluation ? Probablement, certainement même, puisque, grâce aux tests, nous allons découvrir des cas non connus actuellement. Là aussi, la décision est politique.
Quant au financement, ce ne sont ni les éleveurs ni les consommateurs qui paieront les tests, ce sont les contribuables. Le budget de l'Etat assumera à la fois les tests et les conséquences de ces tests. Dans le cadre des discussions interministérielles, c'est là une préoccupation très forte du ministre de l'Agriculture, car cela va coûter très cher et je voudrais que l'on ait pu mesurer l'ensemble des conséquences.
Sur les stations d'épuration, je répondrai spontanément et sans entrer dans les détails qu'il s'agit d'un problème dont le Parlement et le Gouvernement doivent se saisir tôt ou tard. Je serais agriculteur, je n'accepterais plus les boues des stations d'épuration sans au préalable avoir fait signer une décharge au maire qui me les confierait. Cela ferait réfléchir le maire. C'est un problème qui va nous exploser au visage un de ces jours. J'ignore comment procéder. Peut-être en organisant une conférence citoyenne à l'image de celle que Jean-Yves Le Déaut avait organisée sur les O.G.M. pour faire progresser le débat. Peut-être le Parlement pourrait-il organiser ce débat public et ces propositions sur les boues de station d'épuration. Quelles que soient les précautions prises, le ministère de l'Environnement n'est pas resté les deux pieds dans le même sabot et a agi. Mais j'estime nécessaire un débat citoyen, un grand débat public sur les boues des stations d'épuration. C'est un problème qui va devenir majeur.
Enfin, interdire les publicités vantant les prix les plus bas : M. Angot, je vous ai déjà répondu à ma manière, disant qu'il fallait faire attention. Il existe des problèmes de production-distribution, des problèmes sur les publicités, que je ne qualifierai pas de mensongères, liés à la production et à la qualité. Avant les fêtes, Auchan prenait par voie de presse l'engagement que tous les produits alimentaires distribués par ses magasins étaient issus de l'agriculture raisonnée. Que signifie le terme " agriculture raisonnée " alors que ce n'est pas précisé ? Un réseau de l'agriculture raisonnée existe aujourd'hui, présidée par Mme Christiane Lambert, qui s'interroge. J'ai confié la mission à M. Paillotin, ancien Président de l'I.N.R.A., de dresser un rapport pour savoir s'il fallait labelliser ou non, comment, pourquoi. Je lui ai demandé s'il était préférable de donner un label aux produits ou une certification aux exploitations à l'instar des démarches d'assurance-qualité pour les entreprises. Nous y travaillons. Et Auchan prend l'engagement que ses produits sont issus de l'agriculture raisonnée ! C'est facile. Ces questions de publicité, davantage abusive que mensongère, nous posent question et ne peuvent nous désintéresser.
M. le Président : La parole est à M. Joseph Parrenin.
M. Joseph PARRENIN : Merci, M. le ministre, pour votre exposé et pour vos réponses audacieuses et courageuses.
Je voudrais avancer une affirmation très forte : dans le domaine de la qualité, l'agriculture a produit, depuis quarante ou cinquante ans, des efforts considérables. Dans les années cinquante, nous assistions à des tueries. Le vétérinaire laissait le cachet sur place. Le seul faiseur détectait lui-même si la viande était bonne ou non. Nous en sommes loin, car l'Etat et ses services ont fait prendre conscience au fil des ans de la nécessité d'évoluer et d'améliorer les situations. Bien entendu, cela ne touche pas les seuls abattoirs de viande. La seule difficulté que nous ayons rencontrée durant toutes ces années tient en ce que les choses ont davantage été imposées qu'elles n'ont été comprises, notamment par le monde des agriculteurs. C'est ce que nous pouvons regretter. C'est pourquoi, je vous pose deux questions.
Dans les cursus de formation des agriculteurs, qui sont sous votre responsabilité, cet aspect des choses est-il suffisamment pris en compte ?
Il y a peu, nous avons voté une loi d'orientation agricole. Depuis, on parle toujours plus de qualité. Dans le volet C.T.E., dans la partie économique, l'incitation à une démarche de qualité par les agriculteurs ne devrait-elle être plus forte encore ? Le volet "qualité" des produits ne devrait-il pas faire davantage partie intégrante, plus que nous l'avions imaginé au moment du débat de la loi d'orientation agricole ?
M. le Président : Sur la gestion du dossier des farines animales, comment évolue le dossier de l'incinération des farines provenant des usines d'équarrissage, car des farines sortent des usines, d'autres ont été stockées, pour lesquelles il est souhaité que la résorption se réalise assez rapidement ?
Nous nous rendons demain et après-demain en Allemagne. J'aimerais que vous nous disiez si l'on est assuré aujourd'hui que des farines provenant des usines d'équarrissage allemandes ne viennent pas en France ou si des d'animaux nourris avec des farines interdites chez nous, mais qui ne le sont pas partout, n'arrivent pas sur le territoire français.
Ma deuxième question porte sur le problème de l'E.S.B. Où en est-on de la gestion du dossier depuis que le Gouvernement a pris la décision de l'embargo, décision approuvée par toutes les personnes auditionnées par notre commission ?
Comment entrevoyez-vous le fonctionnement futur de l'A.F.S.S.A. et celle de l'Autorité européenne ? Nous nous sommes rendus à Bruxelles. Nous avons senti que se poseraient quelques problèmes d'articulation. Quel sera l'avis qui primera au dernier moment, lorsque nous serons en présence d'un problème et comment ferons-nous pour ensuite gérer le risque ?
M. Jean GLAVANY : Monsieur Parrenin, de plus en plus, les démarches de qualité et de sécurité sont inscrites dans les cursus de formation dans les lycées agricoles. Nous y avons veillé. Je m'en suis d'ailleurs récemment entretenu avec le directeur général de l'Enseignement et de la Recherche. Plus généralement, les lycées d'enseignement agricole ont vocation à dispenser des formations dans la droite ligne des grandes options définies par le Parlement dans la loi d'orientation agricole. Le Parlement définit des principes d'orientation de la politique agricole et les lycées d'enseignement agricoles ont vocation à enseigner ces grandes orientations définies par le Parlement. En tout cas, telle est ma définition de la République.
La loi d'orientation agricole a pour vocation, à travers les C.T.E., d'entraîner des démarches qualité. Elle s'inscrit dans la réalité. Hier, j'étais dans le Haut-Rhin et dans la Meuse. J'ai signé une quinzaine de C.T.E. Tous, sans exception, revêtaient une démarche qualité. Je crois donc que les agriculteurs sont très conscients de cette nécessité et que tout fonctionne très bien.
Monsieur le Président, il reste environ 100 000 tonnes de farines animales en France stockées sur trente-six sites, dans dix-sept départements. Vingt-six silos comptent encore des farines pour un poids total de 104 000 tonnes, dont 86 000 tonnes de farines non grasses et 18 000 tonnes de farines grasses. Nous incitons les cimentiers à augmenter leurs achats de farines pour les brûler et en écouler la plus grande quantité possible.
Sur les contaminations et les certifications d'importations d'Allemagne, nous savons que certains Etats membres utilisent toujours des matériaux à risques spécifiques. Pour les farines importées, une certification des pays d'origine doit être délivrée attestant du respect des règles de production française. Nous pouvons certifier le dispositif et les contrôles que nous mettons en place. Cela dit, nous ne pouvons exclure que des personnes fraudent ou trichent, bien que je ne conçoive pas l'intérêt qu'éprouvent certains - peut-être pour des questions de prix, et encore ! - à importer frauduleusement des farines animales comportant des matériaux à risques spécifiques alors que la réglementation française l'interdit. Ce sont des comportements que je qualifierai de criminels au sens strict du terme, et de frauduleux. Je ne puis certifier, hélas ! qu'ils n'existent pas. Mais je pense sincèrement que les dispositifs que nous mettons en place l'évitent.
Sur le front de l'E.S.B. et de l'embargo, j'aurais tendance à vous répondre, M. le Président : pas de changement ! Il n'est pas question pour le Gouvernement français de changer de position compte tenu des deux positions de principe que nous avons prises sur la mise en _uvre des tests et sur l'étiquetage.
Une évolution est-elle possible ? Sur la mise en place des tests, nous avons nous-mêmes lancé le mouvement. Quelle est la capacité des Etats membres à en faire autant ? Nous verrons. Mais, vous le savez, il y a programme de tests et programme de tests. Le protocole scientifique de détermination des échantillons qui permettront de réaliser ces tests est en soi un protocole qui, dans un cadre, peut se révéler efficient, dans un autre pas. Certains départements de l'Ouest ont connu plusieurs dizaines de cas de " vache folle ". Dans un département comme le mien, où il n'en a pas été révélé un seul, les tests seraient moins pertinents que dans certains départements de l'Ouest, comme le vôtre - sans, bien évidemment, établir aucun lien direct !
Le protocole scientifique vaut si l'on fait des tests systématiquement sur des animaux qui meurent de manière inexpliquée. Le protocole scientifique permet une plus grande fiabilité des tests. Il est défini par le comité Dormont et nous l'appliquons le plus sérieusement possible. Les premiers schémas proposés par les Anglais étaient très contestés par nos scientifiques. Cela pour dire que tous les programmes ne se valent pas. Pour l'heure, il n'en existe pas de manière généralisée en Europe, y compris parce que les tests n'étaient pas disponibles sur le marché. Il ne faut pas non plus se placer en donneur de leçons. La Suisse a entamé, il y a quelques mois, le programme de tests Prionics.
Sur le terrain des tests, les choses n'ont pas évolué, mais l'on continue d'y réfléchir au sein des instances européennes.
En revanche, le programme de l'étiquetage évolue lentement, mais il évolue. Sur la première délibération relative à l'étiquetage de la viande bovine intervenue au mois de décembre, la France était très isolée. La présidence portugaise a souhaité y revenir il y a dix jours, de sa propre autorité. Les choses ont évolué dans la bonne direction. Sera-ce suffisant pour aboutir à un étiquetage européen au mois de septembre, ce que souhaite le Parlement européen, qui nous presse fortement ? Si les deux conditions que nous avons posées, les tests et l'étiquetage, se révélaient réunis, on pourrait envisager la question, mais à condition que ces tests mis en _uvre à grande échelle ne révèlent pas par eux-mêmes, soit une réévaluation de la maladie, soit un troisième mode de transmission, qui nous conduirait à réévaluer notre propre dispositif, y compris national. Si un programme de tests de grande ampleur en Grande-Bretagne conduisait à une réévaluation de l'épidémie, ce n'est pas la France qui lèverait l'embargo ; le phénomène conduirait d'autres pays à le rétablir, ce que, d'un point de vue purement intellectuel, on ne peut exclure.
J'en viens au lien entre l'A.F.S.S.A. et la future Autorité européenne décrite par le " Livre blanc " de la Commission européenne. Selon ce que m'ont en dit les scientifiques européens et mes collaborateurs, l'Agence du médicament est un modèle efficace. Il suffirait de créer un dispositif européen comparable, étant entendu, pour répondre à votre question, que, là encore, ce ne sont pas les agences qui décident. Elles évaluent le risque. Ce sont les responsables politiques, que ce soit au niveau national ou européen, qui gèrent le risque, qui prennent les décisions. Des scientifiques peuvent être en désaccord, des politiques également - cela s'est déjà vu. Cela ne nous fait pas souci. En tout cas, le dispositif souhaité est clair : évaluation par les agences avec une coordination entre l'Autorité européenne et les agences nationales comparables à l'Agence du médicament et décision par les politiques selon des procédures qui relèvent de la décision politique au plan européen et au plan national.
M. le Rapporteur : Il en reste un, qui n'a pas été abordé, et qui ressortit à la compétence de la commission : celui du bien-être animal.
Le " Livre blanc " aborde cet aspect. Avez-vous quelques propositions ou remarques à nous soumettre sur ce sujet ?
Une dernière question à propos des O.G.M.
Le protocole de Montréal est intervenu. Sans préjuger la position française, il me semble qu'il sera nécessaire de rouvrir le débat, en tout cas de savoir exactement ce que nous allons décider en ce qui concerne la mise sur le marché et l'utilisation des organismes génétiquement modifiés. Pour l'heure, nous sommes en attente. Avez-vous une idée de la position française dans les jours, les semaines et les mois à venir ?
Après ces deux questions de conclusion, je tiens à vous remercier pour la richesse de notre échange qui va nous permettre de procéder à des choix, qui feront l'objet du rapport de la commission d'enquête.
M. Jean GLAVANY : Dans la mesure où tous les scientifiques nous disent que les conditions de vie des animaux d'élevage ont une incidence sur leur état de santé et donc que le bien-être animal a des répercussions sur le caractère sanitaire des animaux, nous plaidons pour que ce sujet fasse partie intégrante des missions de l'agence européenne.
Je ne suis pas habilité à dévoiler d'éventuelles décisions ultérieures du Gouvernement au sujet des O.G.M. Je pense, quant à moi, que la règle clef est celle de la traçabilité et de l'étiquetage. Dès lors que des progrès seront engagés en ce sens et que le libre choix sera laissé au consommateur, je pense que le problème se réglera de lui-même compte tenu de la pression de l'opinion. Tous nos efforts en faveur de la traçabilité, de l'étiquetage, de l'information, de la transparence et de l'information des consommateurs seront la clef d'une politique en ce domaine. C'est la voie que nous prenons. Du reste, dès que l'on s'engage dans cette voie par la pression de l'opinion, les comportements changent.
M. le Président : Monsieur le ministre, nous vous remercions de votre contribution.