Commission d'enquête sur le recours aux farines animales dans l'alimentation des animaux d'élevage, la lutte contre l'encéphalopathie spongiforme bovine et les enseignements de la crise en termes de pratiques agricoles et de santé publique

Rapport n° 3138
Deuxième partie

SOMMAIRE

Pages

DEUXIÈME PARTIE : LES AUTORITÉS PUBLIQUES FACE À L'ESB 67

I.- DE 1988 À L'AUTOMNE 2000 67

A.- DE 1988 À 1996, LA LUTTE CONTRE UNE MALADIE ANIMALE DONT LA TRANSMISSION À L'HOMME DEMEURE HYPOTHÉTIQUE 67

1.- Le Royaume-Uni face à l'émergence de l'épizootie : gestion interne et communication externe 67

a) Les autorités britanniques face à l'inconnu : une gestion interne difficile, un discours peu cohérent 67

b) Une information externe très insuffisante 76

2.- Les réactions françaises et communautaires face à la crise britannique : une prise de conscience progressive et partielle 80

a) En France, la prise de conscience des autorités publiques est tardive mais réelle 80

b) La crise du mois de juin 1990 entraîne des mesures nationales et communautaires 88

· La crise du mois de juin 1990 révèle en France une appropriation tardive par les autorités politiques des problèmes liés à l'ESB 88

· Les premières mesures communautaires concernant l'épizootie d'ESB sont non négligeables, mais tardives et insuffisantes 92

c) Après la crise du mois de juin 1990 et jusqu'au mois de mars 1996, la France met en _uvre des mesures importantes mais incomplètes dans un climat communautaire artificiellement apaisé 94

· Les autorités publiques françaises prennent conscience du risque de la présence de l'ESB sur le territoire national, sans tirer toutes les conséquences des premiers cas détectés 94

· Du mois de juin 1990 au mois de mars 1996, quelques mesures sont mises en _uvre à l'échelle communautaire 101

B.- DE 1996 À 2000, LES AUTORITÉS PUBLIQUES METTENT EN _UVRE DES MESURES RADICALES AFIN DE PROTÉGER LA SANTÉ HUMAINE ET ANIMALE ET TENTENT DE RÉORGANISER LEURS RAPPORTS AVEC L'EXPERTISE SCIENTIFIQUE 104

1.- L'annonce du 20 mars 1996 entraîne partout dans l'Union européenne la mise en _uvre de mesures radicales mais très incomplètes dans certains pays 104

a) Les autorités publiques du Royaume-Uni mettent en _uvre des mesures très radicales afin de répondre à une crise profonde dont elles sont en partie responsables 104

b) L'annonce du 20 mars 1996 déclenche en France et, dans une moindre mesure, dans l'Union européenne, la mise en _uvre de mesures propres à relever le niveau de la sécurité alimentaire des aliments 106

· La France met en _uvre à compter du printemps de l'année 1996 un embargo sur tous les produits bovins en provenance du Royaume-Uni, ainsi que le retrait des matériaux à risque spécifiés 106

· L'Union européenne, qui subit le blocage d'une majorité de pays, ne parvient pas à imposer les mesures nécessaires afin d'assurer la sécurité sanitaire des aliments 109

2.- Les autorités publiques tentent d'améliorer l'efficacité de leur rapports avec l'expertise scientifique, notamment en l'institutionnalisant 117

a) Avant 1996, les échecs d'une relation efficace entre les autorités politiques et les experts scientifiques 117

b) La France et l'Union européenne ont su réformer les modalités de fonctionnement de l'expertise scientifique nécessaire à la décision publique 120

· La France est parvenue à créer et à organiser une expertise scientifique dédiée à l'alimentation 120

· La Commission européenne est parvenue à réorganiser l'expertise scientifique sur la base de laquelle elle propose aux Etats membres de l'Union européenne des réglementations sanitaires 123

II.- LA CRISE DE L'AUTOMNE 2000 EST LA CONSÉQUENCE D'UNE AGGRAVATION, DEPUIS 1999, DU CONTEXTE ÉPIDÉMIOLOGIQUE ANIMAL EN FRANCE ET HUMAIN AU ROYAUME-UNI, AINSI QUE D'UNE RÉACTION IRRATIONELLE FACE À UN ÉVÈNEMENT PONCTUEL 126

A.- EN 1999 ET EN 2000, IL EST CONSTATÉ DES AUGMENTATIONS DU NOMBRE DE CAS D'ESB EN FRANCE ET DU NOMBRE DE CAS DU NOUVEAU VARIANT DE LA MALADIE DE CREUTZFELDT-JAKOB AU ROYAUME-UNI 126

1.- L'augmentation depuis 1999 du nombre des cas d'ESB détectés en France a contribué à une crise de confiance à l'encontre du dispositif français de lutte contre l'ESB 126

a) Depuis le début de l'année 1999, la fréquence de la détection des cas d'ESB a régulièrement augmenté 126

b) La réflexion scientifique menée à compter de l'année 1999 sur l'augmentation des cas d'ESB détectés a rejailli sur les mesures de lutte contre l'ESB applicables depuis 1996 129

2.- En 1999 et en 2000, la situation épidémiologique humaine s'est assombrie au Royaume-Uni et les perspectives d'une large épidémie humaine ont connu des développements nouveaux 131

B.- LA CRISE DE L'AUTOMNE 2000 A ÉTÉ DÉCLENCHÉE À PARTIR D'UN ÉVÉNEMENT PONCTUEL MAL COMPRIS, REFLÉTANT UNE CERTAINE IRRATIONALITÉ DE NOTRE SOCIÉTÉ 133

1.- Les fait précis de l'affaire dite « Soviba » ont démontré la qualité du réseau d'épidémiosurveillance passive ainsi que le profond traumatisme de la société française face à l'ESB 133

2.- L'affaire dite « Soviba » a donné lieu à un traitement médiatique contestable et a entraîné une profonde crise de confiance de la part des consommateurs 136

a) Le ton de la presse à l'automne 2000 révèle la psychose de la société française à l'égard de l'ESB 136

b) La crise française est immédiatement suivie d'une crise plus profonde dans plusieurs pays de l'Union européenne 139


Suite du rapport : troisième partie

Sommaire du rapport


DEUXIÈME PARTIE : LES AUTORITÉS PUBLIQUES FACE À L'ESB

I.- DE 1988 À L'AUTOMNE 2000

A.- DE 1988 À 1996, LA LUTTE CONTRE UNE MALADIE ANIMALE DONT LA TRANSMISSION À L'HOMME DEMEURE HYPOTHÉTIQUE

1.- Le Royaume-Uni face à l'émergence de l'épizootie : gestion interne et communication externe

a) Les autorités britanniques face à l'inconnu : une gestion interne difficile, un discours peu cohérent

Nos observations sur l'attitude du Royaume-Uni face à la crise de l'ESB s'appuieront principalement sur les éléments recueillis par la commission d'enquête britannique dont les travaux ont débuté le 12 janvier 1998, qui a eu pour objet d'établir et d'étudier, d'une part, l'histoire de l'ESB et de la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob au Royaume-Uni et, d'autre part, les mesures mises en _uvre pour y répondre et ce, jusqu'au 20 mars 1996, date à laquelle les autorités publiques du Royaume-Uni ont annoncé officiellement le lien probable entre la maladie animale et dix cas d'une nouvelle maladie humaine. Cette Commission devait aussi établir des conclusions sur l'opportunité des mesures mises en _uvre par lesdites autorités publiques, au regard de l'état des connaissances propres à chaque époque (1). Le rapport que cette Commission a rendu public sera désormais nommé le rapport Phillips.

Selon ce rapport, il est vraisemblable que des bovins ont été atteints au Royaume-Uni par l'ESB durant les années 1970. Si certains d'entre eux ont vécu suffisamment longtemps pour présenter les signes cliniques de la maladie, ils n'ont pas fait l'objet d'un signalement aux autorités vétérinaires centrales de l'administration britannique. Il n'y a donc pas eu d'investigations sur ces probables et rares premiers cas.

Le premier décès dû à l'ESB signalé au département de pathologie du laboratoire vétérinaire central du service vétérinaire d'Etat du Royaume-Uni a lieu en septembre 1985. Malheureusement, les investigations menées par les vétérinaires aboutissent à la conclusion que d'autres facteurs qu'une maladie neurodégénérative propre aux bovins sont à l'origine du décès. Ce premier cas d'ESB n'est donc pas répertorié comme tel au moment de son signalement. Selon, le rapport Phillips, ce contretemps n'est pas le fait d'une négligence ou d'une erreur, mais a pour origine des facteurs médicaux propres audit cas.

Deux autres cas d'ESB sont étudiés par le département de pathologie du laboratoire vétérinaire central à la fin de l'année 1986. Ils sont identifiés comme des cas d'une ESST propre aux bovins. Cette identification est qualifiée de « louable » (2) par le rapport Phillips. Il est exact que l'identification de la maladie animale ne pouvait être que difficile. Il faut rappeler que les services vétérinaires britanniques ne pouvaient pas se douter de son existence et n'avaient, par définition, aucune raison de chercher sa détection. Cette situation révèle aussi la difficulté à repérer une maladie animale émergente à l'aide d'un système d'épidémiosurveillance passive. Il faut noter, enfin, que l'existence de la maladie est une information qui parvient à la connaissance des autorités publiques par le vecteur du ministère de l'Agriculture.

Au cours de la première moitié de l'année 1987, la collecte des informations relatives à l'extension, dès lors constatée, de la maladie, est freinée au sein du service vétérinaire d'Etat, afin que l'existence de la maladie ne soit pas rendue publique. Le rapport Phillips regrette ce contretemps (3).

A la fin de l'année 1987, John Wilesmith, qui est chef du département d'épidémiologie du laboratoire vétérinaire central, acquiert la conviction que la consommation par les bovins de farines de viandes et d'os, fabriqués à partir de carcasses d'animaux déjà porteurs de l'infection, est à l'origine de la maladie. Selon le rapport Phillips, John Wilesmith aboutit à cette conclusion correcte (4), avec une rapidité digne d'être louée.

Selon le rapport Phillips, les autorités du ministère de l'Agriculture ont réfléchi, dès l'émergence officielle de l'épizootie, à d'éventuelles conséquences de l'ESB sur la santé des êtres humains. A la fin de l'année 1987, lesdites autorités s'inquiètent du fait que les carcasses des animaux qui présentent des signes cliniques de la maladie entrent dans la chaîne alimentaire. Cependant, à cette date, le département de la santé, en charge de la santé humaine, n'est pas associé à cette réflexion et, d'ailleurs, n'est pas mis au courant de l'existence de la maladie animale et de son origine supposée. Le rapport Phillips estime qu'il s'agit d'une erreur.

En mars 1988, les fonctionnaires du ministère de l'Agriculture proposent à leur ministre que les animaux atteints par l'ESB soient abattus et incinérés, donc retirés de la chaîne alimentaire humaine. A cette occasion, le directeur général de la santé, Sir Donald Acheson est informé de l'émergence de l'épizootie, par les autorités du ministère de l'Agriculture qui, par ailleurs, lui demande de leur livrer son opinion s'agissant des implications éventuelles sur la santé humaine de l'ESB.

A cette occasion, Sir Donald Acheson, décide, après l'accord de son ministre de tutelle M. Anthony Newton, de confier à un groupe de travail la mission de procéder à l'évaluation des risques éventuels induits par l'émergence de l'épizootie d'ESB s'agissant de la santé humaine et de proposer toutes les mesure propres à limiter ou à éliminer lesdits risques. La direction de ce groupe de travail est confiée à Sir Richard Southwood, qui est un éminent zoologiste. Réuni pour la première fois le 20 juin 1988, le groupe de travail achève ses travaux le 3 février 1989. Son rapport est soumis au Gouvernement britannique le 9 février 1989 et rendu public le 27 février 1989. Ce rapport sera désormais noté le rapport Southwood (5).

Avant même que le groupe de travail ne se réunisse pour la première fois, John Mac Gregor, ministre de l'Agriculture, adopte le 18 mai 1988 la position de principe selon laquelle l'usage des protéines de ruminants doit être suspendu jusqu'au 31 décembre 1988 dans l'alimentation des ruminants. Malheureusement, cette mesure essentielle s'accompagne d'un « délai de grâce » de cinq semaines afin que les négociants en farines de viandes et d'os puissent liquider leurs stocks avant l'entrée en vigueur de l'interdiction. Certains de ces négociants se sont, de surcroît, octroyés un délai supplémentaire. Enfin, les stocks d'aliments concentrés, fabriqués à partir de farines de viandes et d'os, présents dans les exploitations agricoles, ont été utilisés jusqu'à leur épuisement. Selon le rapport Phillips, plusieurs milliers de bovins ont été infectés durant cette période transitoire. Cette mesure entre en vigueur le 18 juillet 1988. Elle sera reconduite pour un an à la fin de l'année 1988 puis pérennisée.

Par ailleurs, les abats de bovins, qui ont été interdits pour la consommation humaine en Angleterre et au pays de Galles le 13 novembre 1989, ont été utilisés dans la fabrication des aliments concentrés pour les volailles et les porcs jusqu'au mois de septembre 1990. A cette date, en effet, l'étude relative à l'infection d'un porc par l'agent pathogène de l'ESB, dans les conditions expérimentales, extrêmes, que nous avons évoquées dans la partie relative aux données concernant les maladies humaines et animales, est publiée. Avant cette interdiction, les contaminations croisées ont ainsi été facilitées. Les auteurs du rapport Phillips estiment, de surcroît, que l'interdiction de l'utilisation des abats de bovins dans la fabrication des aliments pour les volailles et les porcs était impraticable. D'autres contaminations croisées ont donc eu lieu après cette date.

Au terme de sa réunion du 20 juin 1988, le groupe de travail présidé par Sir Richard Southwood propose que les carcasses des animaux atteints par l'ESB soient détruites par incinération. Cependant, l'abattage systématique puis l'incinération des animaux malades n'entrent en vigueur qu'au mois d'août 1988. Selon le rapport Phillips, s'il y avait eu une collaboration plus rapide et plus fructueuse entre les services du ministère de l'Agriculture et les services du ministère de la Santé, cette décision, capitale pour la santé humaine, aurait pu être mise en _uvre plusieurs mois plus tôt. Il faut noter, précisément, que la recommandation du groupe de travail n'est pas le produit d'une réflexion scientifique approfondie concernant les risques pour la santé humaine de l'intégration dans la chaîne alimentaire de bovins présentant les signes cliniques de l'ESB. Il s'agit plutôt d'une réaction humaine consistant à refuser que les produits alimentaires soient fabriquées à partir d'animaux malades ou morts d'une maladie.

Le rapport Southwood présente plusieurs informations intéressantes. En premier lieu, il démontre que le problème de la santé humaine est une préoccupation précoce, dans le cadre de l'histoire de l'ESB. Ainsi, dès que le ministère de la Santé reçoit l'information selon laquelle une maladie neurodégénérative se développe dans le troupeau bovin, il entreprend d'en évaluer les risques pour l'être humain. En deuxième lieu, le contenu du rapport montre qu'il a été possible, en peu de temps, de rassembler un grand nombre d'informations concernant les ESST humaines et animales, informations qui, d'ailleurs, sont pour une part encore valables aujourd'hui, ainsi que de recommander plusieurs mesures importantes. En troisième lieu, ce rapport est la preuve que l'expertise scientifique doit être minutieusement organisée, afin, à tout le moins, d'éviter des erreurs grossières de perspective comme celles figurant dans ledit rapport.

Le rapport Southwood établit en premier lieu une description de la situation du Royaume-Uni au regard de l'ESB. Il décrit les signes cliniques, la durée, les conditions d'établissement du diagnostic, l'incidence ainsi que la distribution territoriale de la maladie.

En deuxième lieu, ayant précisé la perplexité scientifique sur la nature de l'agent pathogène ainsi que les caractéristiques physiques et chimiques dudit agent, il procède à une description des différentes ESST humaines et animales recensées. Certaines précisions apportées par le rapport montrent la qualité du travail de recherche mis en _uvre par ses auteurs. La transmissibilité expérimentale de la tremblante à la souris est relevée. Les auteurs du rapport notent par ailleurs que la maladie du Kuru et la forme sporadique de la maladie de Creutzfeldt-Jakob sont transmissibles au chimpanzé. Ils examinent de façon minutieuse, à l'aide d'études épidémiologiques, un lien éventuel entre la tremblante et la forme sporadique de la maladie de Creutzfeldt-Jakob. Ils concluent que ce lien ne peut être établi. Ils savent que l'ESB est transmissible, en laboratoire par injection intracérébrale, à la souris. Ils ont donc une idée précise et exacte de leur objet d'étude.

En troisième lieu, le rapport Southwood tente de déterminer les causes de l'épizootie. Il émet l'hypothèse, la plus répandue à cette époque, d'une transmission, peut-être à l'issue d'une mutation génétique, de la tremblante à l'espèce bovine et ce à grande échelle, du fait notamment du recyclage dans les farines de viandes et d'os de bovins déjà infectés. La modification des procédés de fabrication desdites farines est aussi évoquée. Cette analogie entre la tremblante et l'ESB a bien sûr contribué à une évaluation atténuée du risque de transmission de celle-ci à l'être humain, puisque le même rapport établit que lien de la première avec les ESST humaines ne peut être établi. Par ailleurs, le rapport établit le lien entre le fait que le troupeau des vaches laitières est plus touché par l'ESB que celui des vaches allaitantes et les rations alimentaires propres à chacun des deux troupeaux. En effet, l'alimentation des vaches laitières est constituée pour une plus grande part d'aliments concentrés protéiques, fabriqués à partir de farines de viandes et d'os.

Le rapport signale par ailleurs le décès par le développement d'une ESST d'un Nyala et d'un Oryx en captivité dans des zoos du Royaume-Uni en 1986 et 1987. L'hypothèse la plus probable, pour les auteurs du rapport, est que ces décès sont dus à la transmission de l'ESB à ces animaux, qui ont consommé des aliments concentrés, fabriqués à partir de viandes et d'os. Il est donc admis que la barrière d'espèces a été franchie par l'agent pathogène de l'ESB et ce, par la voie alimentaire. Dans cette hypothèse, les auteurs du rapport relèvent la prédisposition de ces espèces au développement rapide de la maladie.

S'agissant de la transmission de l'ESB aux animaux domestiques, les auteurs du rapport Southwood estiment qu'elle est « peu probable, mais possible » (6). C'est exactement l'expression à laquelle le rapport Southwood aurait dû aboutir s'agissant de la transmission éventuelle de l'ESB à l'homme. Cela n'a pas été le cas. Il convient de retranscrire dans son intégralité le passage du rapport Southwood consacré à la possible transmission à l'homme de l'ESB :

« 5.3 La possible transmission à l'homme

5.3.1 La maladie du Kuru et la maladie de Creutzfeldt-Jakob démontrent que les êtres humains sont sensibles aux encéphalopathies spongiformes. Les voies potentielles de transmission de l'ESB des bovins à l'homme ont été minutieusement examinées. Du fait de la très longue période d'incubation des encéphalopathies spongiformes chez les êtres humains, il se peut qu'il faille attendre une décennie ou plus avant qu'une réponse définitive puisse être donnée.

5.3.2 Le constat que l'on peut faire au regard d'études portant sur plusieurs cas d'encéphalopathies spongiformes est que l'inoculation parentérale (7)est beaucoup plus efficace s'agissant de la transmission de la maladie que l'exposition orale, qui est la voie de contamination potentielle s'agissant de l'ESB. Par ailleurs, les tissus nerveux et, dans une moindre mesure, lymphoïdes portent l'infection, tandis que le risque est beaucoup plus limité s'agissant d'autres tissus. Les cheminements théoriques de la transmission de l'ESB des bovins aux êtres humains peuvent être appréhendés comme « un risque », afin d'aider à clarifier si une action est appropriée ou si un protocole de recherche est valable.

5.3.3 En théorie, le risque le plus important pourrait venir d'une injection parentérale de matériaux dérivés de tissus du cerveau ou lymphoïdes de bovins. Les produits médicaux à injecter ou les greffons dans la composition desquels entrent des tissus bovins, de l'albumine bovine ou des produits analogues, pourraient permettre la transmission des agents infectieux. Chaque produit médical est agréé, selon la loi sur les médicaments, par l'Autorité d'Agrément, après avis, selon le cas, du Comité sur la sécurité du médicament, du Comité sur les matériels dentaires et chirurgicaux et leurs sous-comités. L'Autorité d'Agrément a été alertée de l'inquiétude potentielle concernant l'ESB et les produits médicaux. Elle assurera que l'examen minutieux de l'origine des matériels et des procédés de fabrication prendra désormais en compte l'existence de l'agent de l'ESB.

5.3.4 L'inoculation directe de tissus bovins pourrait aussi avoir lieu accidentellement au cours de certaines activités professionnelles, telles que l'abattage, les activités de soins sur les animaux ou les activités de laboratoire. Les conseils concernant la sécurité des pratiques professionnelles relèvent, de façon générale, du bureau pour la sécurité et la santé, qui a été alerté de l'inquiétude potentielle concernant l'ESB et, en particulier, de l'infectiosité éventuelle du placenta. Pour l'instant, il n'y a pas de mesures spécifiques supplémentaires à évoquer. Néanmoins, l'application des mesures recommandées s'agissant de la manipulation des animaux et des produits animaux est clairement très importante.

5.3.5 De façon globale, le risque de transmission de l'ESB à l'être humain apparaît éloigné. Toutefois, puisque l'éventualité d'une transmission de l'ESB par la voie orale ne peut être complètement écartée, les bovins infectés ne devraient pas intégrer la chaîne alimentaire et la mesure d'ores et déjà mise en _uvre le garantit. Rien n'a jamais prouvé que le lait puisse assurer la transmission des encéphalopathies spongiformes. Cependant, afin de garantir la cohérence avec la recommandation évoquée selon laquelle les bovins infectés ne devaient pas être offerts à la consommation humaine, nous avons recommandé la destruction du lait des vaches suspectes d'être atteintes de l'ESB. D'ailleurs, sur ce sujet, une mesure a également d'ores et déjà été mise en _uvre. In fine, si l'agent de l'ESB était présent dans le corps d'un animal, il le serait plus vraisemblablement dans la rate et dans les tissus lymphoïdes au début de l'infection et, au fur et à mesure de la progression de la maladie, dans le cerveau et dans les tissus nerveux. Il a été proposé, alors que les bovins ayant développé les signes cliniques de la maladie sont abattus et détruits, que des arguments pouvaient être défendus pour que les produits contenant des tissus du cerveau et de la rate de bovins soient étiquetés en conséquence, afin que le consommateur soit en mesure d'opérer un choix informé. Le groupe de travail pense que les risques, tels qu'ils sont perçus aujourd'hui, ne justifient pas cette mesure. Nous notons que la réglementation actuelle, s'agissant des exigences relatives à l'étiquetage concernant le contenu des aliments fabriqués, permet l'utilisation des termes génériques « viande » et « abats ». Nous considérons que les fabricants d'aliments pour bébés devraient éviter l'usage des abats et du thymus des ruminants ; ledit thymus est actuellement intégré sur les étiquettes alimentaires sous le terme « viande ».

5.3.6 Il est raisonnable de penser que si l'ESB se transmettait à l'homme, les manifestations cliniques de la maladie ressembleraient étroitement à celles de la maladie de Creutzfeldt-Jakob. La durée de la période d'incubation, qui dépend de la voie de transmission, pourrait être limitée à un an (comme dans certains cas iatrogènes de maladies de Creutzfeldt-Jakob) ou s'élever à plusieurs décennies (comme dans beaucoup des cas sporadiques de maladie de Creutzfeldt-Jakob). L'identification de tels cas peu communs ou atypiques ne serait pas simple. Néanmoins, le directeur de la santé pourrait envisager que les médecins spécialistes tels que les neurologues, les neurophysiologistes et les neuropathologistes, auxquels les suspicions de maladie de Creutzfeldt-Jakob sont rapportées afin qu'ils établissent un diagnostic, soient informés de l'émergence de l'ESB, afin qu'ils puissent signaler des cas atypiques ou des modifications dans l'incidence de la maladie. La maladie de Creutzfeldt-Jakob est aussi un sujet d'un intérêt considérable pour les épidémiologistes. Ils devraient être encouragés à observer d'éventuelles modifications de l'incidence de la maladie. L'Office des enquêtes et du recensement de la population a déjà entrepris le réexamen des décès attribués à un cas de maladie de Creutzfeldt-Jakob et recherchera d'éventuelles tendances, une activité professionnelle spécifique ou d'autres caractéristiques, s'agissant des décès pour lesquels il a été formellement reconnu que la maladie de Creutzfeldt-Jakob en est à l'origine. Les questions relatives à une surveillance plus précise des groupes de population considérés comme les plus concernés par l'exposition à l'ESB ou à une surveillance plus approfondie des cas de maladie de Creutzfeldt-Jakob doivent aussi être soumises, parmi d'autres, au Comité consultatif sur la recherche. »

On peut y ajouter la partie des conclusions générales relatives à la transmission à l'homme :

« 9.2 Il apparaît probable que le bovin constituera la destination finale (8) pour l'agent de la maladie et très improbable que l'ESB aura une quelconque implication s'agissant de la santé humaine. Cependant, si nos évaluations s'avéraient inexactes, les conséquences seraient extrêmement sérieuses.... ».

Le rapport Phillips relève des incohérences au sein du rapport Southwood. Elles peuvent être résumées ainsi :

- les auteurs savent que la barrière des espèces a été franchie par l'agent pathogène de l'ESB, s'agissant de la souris par la voie expérimentale et s'agissant d'antilopes par la voie alimentaire ;

- les auteurs savent que des charges infectieuses sont présentes dès la période d'incubation de la maladie dans certains organes des bovins atteints d'ESB. Ils connaissent ces organes de façon approximative ;

- ils conseillent l'abattage et la destruction des animaux malades. Ils conseillent aux fabricants d'aliments pour bébés de ne pas utiliser les abats bovins, parce que ceux-ci sont porteurs de la charge infectieuse la plus importante durant la période d'incubation de la maladie. Ce conseil ne figure pas dans les conclusions générales ;

- ils évoquent les hypothèses d'une contamination humaine par l'ingestion de médicaments ou l'exercice de certaines activités professionnelles et recommandent la vigilance sur ces sujets ;

- pourtant, la question de l'ingestion par les enfants, les adolescents et les adultes des abats porteurs de l'infection, issus d'animaux intégrés dans la chaîne alimentaire humaine alors qu'ils incubaient la maladie, n'est pas abordée, sauf pour évoquer - sans la recommander - la mesure selon laquelle la présence de cerveaux de bovins dans certains plats préparés pourrait être signalée aux consommateurs. Au regard des éléments présents par ailleurs dans le rapport, leurs auteurs auraient dû, à tout le moins, poser cette question. La distinction entre les bébés et le reste de la population ne repose sur aucun argument.

Enfin, il apparaît que d'autres mots auraient pu être employés s'agissant de l'évaluation du risque de la transmission à l'homme. Certes, on ne peut pas reprocher aux auteurs du rapport d'avoir estimé ce risque éloigné, très peu probable au regard du modèle de la tremblante. Cependant, il semble qu'ils étaient en mesure d'estimer que le risque, peu probable, ne pouvait être exclu, expression qui aurait été plus rigoureuse d'un point de vue scientifique. Il n'y avait pas besoin d'être plus alarmiste pour être plus exact.

Le rapport Southwood a eu deux effets, l'un fut relativement rapide et bénéfique, l'autre a entraîné une grave erreur de perspective qui a duré jusqu'en 1996.

Le rapport est rendu public le 27 février 1989. Le jour même, plusieurs articles de presse font observer que la distinction entre les bébés et les autres êtres humains ne reposent sur aucun argument explicite dans le rapport Southwood. Dès lors, l'intérêt de l'opinion publique, relayée par la presse, se porte sur cette question, d'autant plus que le Gouvernement britannique décide de suivre à la lettre les recommandations du rapport Southwood. Le rapport Phillips estime regrettable que le Gouvernement britannique ait adopté la position selon laquelle sa politique serait de mettre en _uvre tout ledit rapport et rien que ledit rapport. Selon les auteurs du rapport Phillips, les faiblesses et les lacunes évoquées du rapport Southwood étaient suffisamment détectables pour qu'une réflexion s'engage sur l'entrée dans la chaîne alimentaire des organes portant les charges infectieuses issus des animaux abattus durant la période d'incubation de l'ESB.

La pression est telle que la décision d'une interdiction totale d'utilisation dans l'alimentation humaine de certains abats issus de bovins est adoptée au début du mois de juin 1989. Ces abats sont le cerveau, la moelle épinière, le thymus, la rate ainsi que les amygdales. Cette interdiction est entrée en vigueur le 13 novembre 1989. L'effet bénéfique et accidentel du débat public relatif à la recommandation portant sur les aliments pour bébés aboutit à cette interdiction.

L'erreur de perspective de la part du Gouvernement britannique est d'avoir annoncé cette mesure sans remettre en question l'idée du rapport Southwood selon laquelle le risque d'une transmission à l'homme de l'agent pathogène de l'ESB était éloigné et très improbable. Le Gouvernement présente cette mesure comme permettant de mettre en _uvre plus simplement la recommandation du rapport Southwood sur l'alimentation des bébés et donnant à l'opinion publique le gage de réassurance qu'elle exigeait s'agissant des raisons de la distinction opérée par ledit rapport entre les bébés et les autres êtres humains. Du 13 novembre 1989 au 19 mars 1996, le Gouvernement britannique n'admettra jamais clairement qu'il s'agissait d'une mesure de précaution en réponse au risque, certes peu probable mais qu'il était impossible d'exclure, d'une transmission de l'ESB à l'homme. L'absence de précisions sur ce point dans le rapport Southwood sera invoquée par le Gouvernement du Royaume-Uni, de façon constante comme équivalente à une absence de risque.

Ce discours, heureusement accompagné de décisions importantes et opportunes, comme l'interdiction de l'utilisation des farines de viandes et d'os dans l'alimentation des ruminants et l'interdiction d'utiliser certains abats de bovins dans l'alimentation humaine, le Gouvernement britannique l'a aussi tenu à ses partenaires commerciaux et, notamment, aux membres de l'Union européenne.

b) Une information externe très insuffisante

Comment le Royaume-Uni a-t-il prévenu ses partenaires commerciaux du lien existant entre l'épizootie de l'ESB que ce pays subissait et l'usage des farines de viandes et d'os dans l'alimentation des bovins ? Le rapport Phillips évoque une lettre du 14 juillet 1988 de M. Cruickshank, membre du groupe sur la santé animale au sein du ministère de l'Agriculture britannique, adressée aux attachés agricoles de plusieurs pays occidentaux, dont la France. Cette lettre explique le sens de la suspension des farines animales, qui entre en vigueur au Royaume-Uni le 18 juillet 1988. Elle ne demande pas que les autorités des pays évoqués en soient alertées. Cette lettre ne peut être considérée comme un vecteur ayant permis au Royaume-Uni de prévenir ses partenaires commerciaux de l'existence d'un danger pour la santé des cheptels bovins desdits partenaires, danger d'ores et déjà encouru du fait des importations passées.

La réglementation nouvelle concernant les farines de viandes et d'os est notifiée le 25 juillet 1988 à la Commission des Communautés européennes. M. Suich, fonctionnaire de la division de la santé animale au ministère de l'Agriculture, écrit à l'un des fonctionnaires de la représentation permanente du Royaume-Uni à Bruxelles. Dans ce courrier, il s'exprime en ces termes : « je comprends que, du point de vue des aliments pour animaux, il apparaisse nécessaire de notifier les nouvelles restrictions que nous mettons en _uvre s'agissant de certains de leurs emplois. Cependant, parce que nous ne voulons pas provoquer un débat sur les aliments pour animaux, de peur de répercussions malvenues, le secrétaire parlementaire pense qu'une lettre rédigée en termes généraux devrait être envoyée à Legras. » (9).

M. Guy Legras, alors directeur général de la DG VI en charge de l'Agriculture, reçoit effectivement une lettre le même jour, signée du représentant permanent du Royaume-Uni. Ce courrier ne constitue en aucun cas une alerte. Il reflète le fait que, à cette époque, le Royaume-Uni n'a pas pour objectif de prévenir les pays voisins d'un danger éventuel. Il s'agit au contraire de ne pas créer quelque événement que ce soit, comme la lettre évoquée l'indique de façon explicite.

En conséquence, la réunion du comité vétérinaire permanent qui a lieu les 26 et 27 juillet 1988 n'aboutit à aucune conclusion concernant les farines de viandes et d'os, malgré certaines inquiétudes exprimées par les Pays-Bas.

L'Office international des épizooties (OIE) est une organisation internationale créée par l'arrangement international du 25 janvier 1924. Elle a notamment pour rôle d'informer les gouvernements de l'existence ou de l'évolution des maladies animales dans le monde, et des moyens de les combattre. Le rapport final de la 56ème session générale de l'OIE, qui a eu lieu du 16 au 20 mai 1988, évoque l'ESB en ces termes :

« 166. Une nouvelle maladie dénommée « bovine spongiform encephalopathy » est observée en Grande-Bretagne. L'incubation est de longue durée. L'agent pathogène est encore très mal connu. Des recherches sont en cours... ».

Le rapport final de la 57ème session générale de l'OIE, qui a eu lieu du 22 au 26 mai 1989, évoque l'ESB à peine plus précisément :

« 165. L'encéphalopathie spongiforme bovine est signalée chez quatre bovins en Irlande où des mesures énergiques ont été prises afin de juguler cette maladie. Des lots entiers de semences ont été détruits dans le but d'éviter tout risque de propagation ultérieure de l'infection. La maladie est à déclaration obligatoire. La Grande-Bretagne rappelle que cette maladie fait désormais partie des maladies à déclaration obligatoire au Royaume-Uni, où son incidence a progressé (140 cas en moyenne enregistrés chaque semaine). La distribution aux ruminants d'aliments contenant des produits dérivés de ruminants a été provisoirement suspendue. Des recherches sont en cours afin d'identifier les modes exacts de transmission de cette affection. ».

Les autorités britanniques ne sauraient se prévaloir de ces lignes laconiques et perdues au sein d'un rapport pour affirmer que les partenaires commerciaux étaient alertés par eux de façon suffisante de l'existence de la maladie et des dangers liés à l'alimentation des bovins par les farines de viandes et d'os livrées par le Royaume-Uni.

Le Royaume-Uni parvient, lors d'une réunion de la Commission de l'OIE sur la fièvre aphteuse et d'autres épizooties, qui a lieu du 28 novembre au 1er décembre 1989, à diffuser l'idée selon laquelle l'alimentation des ruminants à l'aide d'aliments élaborés à partir de farines de viandes et d'os contenant des protéines de ruminants est potentiellement dangereuse et ce, au regard de l'expérience de l'ESB au Royaume-Uni. Cette attitude est louable. Cependant, il ne s'agit pas d'une alerte concernant le danger issu des livraisons desdites farines que le Royaume-Uni poursuit. L'objectif consiste plutôt à prévenir dans les autres pays du monde l'émergence de l'ESB, telle qu'elle a eu lieu au Royaume-Uni.

Selon le rapport Phillips, le docteur Pickles, qui a contribué aux travaux du groupe de travail dirigé par Sir Richard Southwood, est la première personne qui ait alerté, par une lettre en date du 1er décembre 1989, les autorités publiques britanniques sur le problème spécifique des exportations britanniques de farines de viandes et d'os. Ce courrier est adressé au directeur général de la Santé, Sir Donald Acheson. Elle estime que les réactions tardives (10) des pays tiers concernant les farines de viandes et d'os montrent que lesdits pays n'ont pas pris la mesure des problèmes liés à celles-ci. Elle ajoute que les exportateurs devraient être sensibilisés à ce sujet, afin d'avertir très clairement leurs clients. Elle estime que le danger est d'autant plus grand que les exportations sont devenues une solution de vente alternative à l'écoulement sur le marché intérieur, désormais réduit à l'alimentation des porcs et des volailles.

Sir Donald Acheson relaie cette lettre par un autre courrier en date du 3 janvier 1990, adressé à M. Meldrum, qui dirige les services vétérinaires centraux au Royaume-Uni. Il estime que l'interdiction des exportations de farines de viandes et d'os pourrait être envisagée. Il évoque la possibilité que le Royaume-Uni soit à l'avenir jugé responsable de l'apparition de l'ESB dans des pays tiers.

On ne peut que constater que M. Meldrum a milité pour que l'interdiction d'exportation ne soit pas mise en _uvre. Dans sa réponse à Sir Donald Acheson en date du 9 février 1990, il relève que différents pays ont d'ores et déjà mis en _uvre de mesures tendant à limiter leurs importations de farines de viandes et d'os en provenance du Royaume-Uni. Il rappelle que le Royaume-Uni a proposé à l'Union européenne l'interdiction totale de l'usage des protéines de ruminants dans l'alimentation des ruminants. Il prétend donc que les pays tiers sont informés et peuvent ainsi se faire leur propre opinion sur les mesures qu'il convient de mettre en _uvre.

A la demande de son ministre de tutelle, M. Meldrum informe cependant personnellement, par un courrier en date du 14 février 1990, plusieurs de ses collègues de pays non membres de l'Union européenne, de la situation au Royaume-Uni au regard de l'ESB.

Le docteur Pickles tente cependant de défendre l'idée d'une interdiction des exportations. Elle estime notamment que le projet d'extension à l'ensemble de l'Union européenne de l'interdiction de l'utilisation des farines de viandes et d'os dans l'alimentation des ruminants n'est pas suffisant, puisqu'il s'agit d'un projet, destiné à protéger le cheptel des pays tiers de l'infection résultant des farines de viandes et d'os en provenance du Royaume-Uni. Elle estime que l'interdiction des exportations desdites farines serait la meilleure solution. Il convient de constater que cette position n'a pas été mise en _uvre.

En conclusion de ces développements, le rapporteur estime que l'attitude des autorités publiques britanniques constitue une faute lourde à l'égard des Etats membres de l'Union européenne et des pays tiers. Ceux-ci étaient en droit d'attendre les actes suivants de la part desdites autorités :

- lors de la suspension des FVO mise en _uvre le 18 juillet 1988, les autorités politiques des pays tiers ayant importé ces farines du Royaume-Uni durant les dernières années auraient dû être averties par le ministre de l'Agriculture britannique lui-même, afin qu'elles soient informées de la cause envisagée du développement de l'épizootie d'ESB. Des échanges commerciaux ayant eu lieu, il est probable que des aliments pour ruminants contaminés aient été utilisés dans plusieurs pays ;

- la certitude du rôle des farines de viandes et d'os est acquise peu de temps après leur interdiction. Le Royaume-Uni avait dès lors le devoir moral d'interdire l'exportation desdites farines. Cette idée ne saurait être considérée comme exagérée, puisque certains personnes ont, au Royaume-Uni, proposé cette solution dès cette époque.

2.- Les réactions françaises et communautaires face à la crise britannique : une prise de conscience progressive et partielle

Il convient d'examiner les modalités de la réception par les autorités publiques françaises des événements survenus au Royaume-Uni, s'agissant notamment des deux mesures les plus significatives mises en _uvre par ce pays, à savoir l'interdiction des protéines de ruminants dans l'alimentation des ruminants le 18 juillet 1988 et l'interdiction de l'intégration dans la consommation humaine de certains abats bovins le 13 novembre 1989.

a) En France, la prise de conscience des autorités publiques est tardive mais réelle

Le rapporteur a expliqué pourquoi il ne lui paraît pas possible de considérer les notifications évoquées du Royaume-Uni de la décision du 18 juillet 1988 concernant les protéines de ruminants comme des avertissements suffisants, propres à alerter les autorités publiques des pays voisins du danger potentiel inhérent à l'utilisation des protéines de ruminants et, ainsi des farines de viandes et d'os, dans l'alimentation des ruminants.

S'agissant de la France, on peut estimer que cette information pouvait parvenir aux autorités publiques en charge des décisions réglementaires internes par l'intermédiaire de la représentation française au Royaume-Uni et par une veille sanitaire interne aux services vétérinaires centraux français, sans, d'ailleurs, qu'une voie exclue l'autre. Il revient, en effet, à l'ambassade de France à Londres de transmettre en France les éléments d'information sur un événement dont la presse britannique s'empare assez largement à compter du second semestre 1988 et surtout après que le rapport Southwood a été rendu public.

Par ailleurs, il apparaît normal que les services internes administratifs français s'informent d'un événement vétérinaire ayant lieu dans le cheptel d'un pays voisin qui est un grand partenaire commercial de la France, sur une maladie qui, dès son émergence, devait susciter la curiosité.

La première publication scientifique concernant l'ESB est publiée dans The Veterinary Record du 31 octobre 1987 (11). Cet article propose le nom de la maladie et affirme qu'il s'agit d'une ESST qui ressemble à la tremblante du mouton. Il précise que les causes de la maladie demeurent inconnues.

Par contre, on peut estimer que l'article de la même revue du 17 décembre 1988 ne laisse plus de doute sur le vecteur de la transmission de la maladie (12). Selon cet article, l'étude épidémiologique concernant les cas d'ESB détectés depuis l'émergence de la maladie montre que l'alimentation constitue ledit vecteur. Plus précisément, le recyclage des protéines animales par l'intermédiaire des farines de viandes et d'os a permis l'expansion de la maladie. L'article se termine sur le rappel de la mesure mise en _uvre à compter du 18 juillet 1988 et relève qu'au regard des connaissances concernant la durée d'incubation, ladite mesure ne devrait avoir d'effets sur l'incidence de la maladie qu'à compter de l'année 1992, ce qui s'est révélé exact.

On peut estimer qu'à cette date, à la fin de l'année 1988, les scientifiques en contact avec le autorités publiques et, parmi eux, les vétérinaires du ministère français de l'Agriculture sont informés de l'existence de la maladie et du vecteur très probable de sa diffusion. On peut estimer qu'à compter du mois de mars de l'année 1989, l'écho médiatique du rapport Southwood et de la discussion qui s'engage sur l'intégration dans la chaîne alimentaire d'animaux en phase d'incubation, ne peut échapper aux fonctionnaires de l'ambassade de France au Royaume-Uni. A cet égard, il est normal qu'ils en informent les administrations centrales françaises, en précisant que l'usage des protéines de ruminants a été interdit dans l'alimentation des ruminants depuis plus de six mois et ce, afin d'empêcher la diffusion de l'épizootie.

S'agissant des activités de l'ambassade de France à Londres, il est important de relever les propos de M. Marc-Henri Cassagne, directeur de la fédération nationale des groupements de défense sanitaire (FNGDS). Au cours du premier semestre de l'année 1989, une délégation de la FNGDS se rend au Royaume-Uni afin de préparer un congrès européen sur le sujet de la sécurité vétérinaire en Europe. M. Marc-Henri Cassagne a tenu à présenter les faits suivants :

« À l'occasion de notre déplacement au Royaume-Uni, l'attaché agricole de l'ambassade et le vétérinaire qui assumait ses fonctions auprès dudit attaché nous ont confié avoir alerté le ministère à plusieurs reprises sur un événement en cours et au sujet duquel nul n'avait d'explications. En Grande-Bretagne, des animaux mouraient d'une maladie mystérieuse. Ils nous demandèrent si, de retour en France, il nous serait possible d'appuyer leur message par un courrier de la FNGDS au ministre. Pour celle-ci, il ne s'agissait nullement d'interdire l'usage ou l'importation des farines ou d'animaux.

À l'époque, nous ne savions pas grand-chose, nous n'étions en effet en possession que du propos de l'attaché agricole de l'ambassade de France au Royaume-Uni, M. Demange, et du vétérinaire qui l'assistait. Nous avons envoyé une lettre au ministre de l'époque, bien évidemment imprécise, non par volonté d'être imprécis, mais mus par le seul souci de relayer l'information auprès des autorités publiques compétentes. Voilà quel était notre état d'esprit au moment de rédiger cette lettre. Nous n'avons pas reçu de réponse du ministère à l'époque. ».

Il est intéressant de reproduire cette lettre, écrite le 3 août 1989, in extenso :

« Monsieur le Ministre,

Suite à une visite de la FNGDS en Grande-Bretagne, nous nous permettons d'attirer votre attention sur le problème de l'Encéphalite Spongiforme des Bovins (B.S.E).

En effet, tous les responsables britanniques que nous avons rencontrés, qu'ils soient fonctionnaires ou représentants des professionnels, nous ont fait part de leur inquiétude face à cette maladie, encore mal connue quant à son origine, sa transmission...

Monsieur DEMANGE, Attaché Agricole à l'Ambassade de la France, nous a confirmé l'ampleur de la maladie (100 cas nouveaux chaque semaine) et nous a fait part de son souci relatif aux veaux anglais, exportés directement ou indirectement via les Pays-Bas, vers la France.

Nous estimons qu'il serait urgent de réfléchir aux moyens à mettre en _uvre pour protéger l'élevage français contre cette maladie et nous vous demandons en conséquence de bien vouloir réunir les représentants de l'élevage et de l'Administration pour étudier ce problème.

Vous remerciant de la suite que vous voudrez bien donner à notre demande, nous vous prions d'agréer, Monsieur le Ministre, l'expression de notre haute considération.

Le Président, Alain Blandin ».

On peut remarquer que cette lettre ne fait pas mention des farines de viandes et d'os, interdites depuis plus d'un an au Royaume-Uni. Elle ne peut donc être d'une grande aide technique pour les services du ministère de l'Agriculture. Lesdits services sont cependant à cette date en possession des informations utiles, puisque l'avis aux importateurs interdisant l'importation de certaines farines fabriquées au Royaume-Uni, sauf si celles-ci sont destinées à l'alimentation d'animaux non ruminants, est publié au Journal Officiel du 13 août 1989, soit dix jours après la rédaction de la lettre évoquée. Ce courrier permet de prendre conscience que l'information commence à circuler à cette époque hors du Royaume-Uni, mais de manière partielle.

Les services du ministère de l'Agriculture ont transmis à la commission d'enquête un document qui illustre ce constat. Il s'agit d'une lettre en date du 20 juillet 1989 adressée par le chef du service vétérinaire d'hygiène alimentaire de la direction générale de l'alimentation (DGAL) à l'attaché agricole de l'ambassade de France à Londres. Le premier demande au second de lui confirmer et de lui préciser les informations selon lesquelles le Royaume-Uni a interdit l'« utilisation des farines de viandes bovines dans les aliments pour bétail » et retirerait prochainement « de la consommation humaine au niveau des abattoirs les abats provenant de bovins suspects de B. S. Encephalite. ». L'information circule et suscite des interrogations.

L'avis aux importateurs du 13 août 1989 intervient donc dans ce contexte. Il concerne les farines de sang, les farines de poudres de viandes, d'abats et d'os et de cretons originaires du Royaume-Uni. L'interdiction d'importation peut néanmoins faire l'objet d'une dérogation, « sous réserve que ces produits ne soient en aucun cas utilisés pour la fabrication d'aliments complets ou complémentaires destinés aux ruminants. ».

Cette mesure est donc intervenue plus d'un an après la mesure d'interdiction édictée au Royaume-Uni. Cependant, il n'était guère aisé de mieux faire. Nous avons évoqué l'attitude des autorités publiques du Royaume-Uni, qui n'ont pas permis aux pays tiers de mettre en _uvre une réflexion rapide s'agissant des farines de viandes et d'os. Il faut noter, par ailleurs, que le docteur Pickles, qui militait au Royaume-Uni à la fin de l'année 1989 pour une interdiction des exportations de farines de viandes et d'os en provenance de son pays, s'alarmait du constat selon lequel les pays les plus prompts à réagir à l'infectiosité potentielle de ces farines avaient mis en _uvre des mesures de protection un an seulement après la mesure interne du Royaume-Uni du 18 juillet 1988. Ce constat est toujours valable. Un an constitue une durée trop longue. Ladite durée s'avère néanmoins un délai de réaction relativement bref en comparaison de celui observé dans d'autres pays communautaires.

Afin d'évaluer l'efficacité de cette mesure, il aurait été nécessaire de vérifier les réponses que l'administration a données aux demandes de dérogation des importateurs et, notamment, les garanties exigées afin que lesdites dérogations soient acceptées. Il semble que celles-ci aient été délivrées sur le principe de la confiance. Selon les services du ministère de l'Agriculture « en signant la demande de dérogation, l'opérateur qui sollicite l'autorisation d'importer du Royaume-Uni les produits visés par l'avis aux importateurs du 13 août 1989 s'engage notamment à prendre les dispositions nécessaires pour que les produits ne soient pas utilisés pour la fabrication d'aliments complets ou complémentaires destinés aux ruminants. Il n'y avait aucun critère spécifique d'acceptabilité de l'engagement. ».

La lecture des formulaires de dérogation, ainsi que l'établissement d'un bilan des dérogations accordées ou refusées auraient été utiles. La commission d'enquête n'a pas pu se les procurer. En effet, selon les services du ministère de l'Agriculture, « ces renseignements ne sont pas disponibles. Les documents qui ont pu être retrouvés à l'occasion des enquêtes effectuées notamment par la brigade nationale d'enquêtes vétérinaires et sanitaires (BNEV) ont été transmis à la justice dans le cadre de l'instruction ouverte après le dépôt de plainte effectué par deux familles des victimes françaises du nouveau variant de la maladie de Creutzfeldt-Jakob. » (13).

On peut cependant déduire de la rédaction de l'avis aux importateurs du 15 décembre 1989 que le dispositif des dérogations de l'avis aux importateurs du 13 août 1989 n'a pas été considéré comme suffisant. L'avis aux importateurs du 15 décembre 1989 énumère des conditions plus sévères s'agissant de la délivrance d'une dérogation. En effet, celle-ci est accordée « ..., sous réserve que la destination finale des produits importés soit connue et que des engagements particuliers soient signés par les entreprises de fabrication des aliments pour animaux recevant lesdits produits. Seules les usines spécialisées où aucune fabrication d'aliments pour ruminants n'est mise en _uvre peuvent contracter ces engagements dont le contrôle sera réalisé préalablement aux importations par les services vétérinaires du département concerné. ».

Ce durcissement de la réglementation des dérogations ne semble lui-même pas avoir été suffisamment efficace. En effet, selon les services du ministère de l'Agriculture, « ... compte tenu d'informations émanant des services déconcentrés faisant état de la part de certains fabricants d'aliments du bétail, de garanties jugées insuffisantes pour éviter des anomalies, aucune dérogation particulière n'a plus été délivrée à partir de février 1990... ». A compter de cette date, les importations de farines de viandes et d'os en provenance du Royaume-Uni sont de fait interdites. Le rapporteur estime qu'il est regrettable que cette solution, radicale mais satisfaisante, n'ait pas été choisie initialement et ce d'autant plus que les importations de farines de viandes et d'os en provenance du Royaume-Uni se sont fortement accrues en 1989. Ainsi, les importations de farines de viandes et d'os ont été trois fois plus importantes au premier semestre de l'année 1989 qu'au second semestre de l'année 1988, ces importations passant de 10 000 tonnes à 29 000 tonnes.

Il faut signaler que l'avis aux importateurs du 15 décembre 1989 étend l'interdiction de l'importation des farines évoquées à la République d'Irlande. L'Irlande a détecté un premier cas d'ESB le 25 janvier 1989, puis quatorze autres cas durant l'année 1989.

Entre ces deux avis, a lieu une réunion, le 26 septembre 1989, qui constitue certainement la première tentative de la part des pouvoirs publics français de réunir le plus grand nombre d'informations possibles sur la situation au Royaume-Uni et dans le reste de l'Union européenne et, par ailleurs, de sensibiliser les professionnels français à cette nouvelle maladie. Autour des fonctionnaires de la DGAL, sont ainsi réunis des vétérinaires, des représentants de l'industrie de l'équarrissage, de l'industrie de la fabrication d'aliments pour animaux d'élevage, des représentants des exploitants agricoles ainsi qu'un membre de la direction générale de la santé. Il est intéressant d'examiner les propositions auxquelles cette réunion aboutit :

- « interdiction d'importation de farines en provenance de pays déclarant des cas de B.S.E., la discussion restant ouverte sur la destination des farines ; ». Il s'agit d'une approbation du choix opéré par l'avis aux importateurs du 13 août 1989. On peut noter que les participants envisagent implicitement que des cas d'ESB puissent être détectés hors du Royaume-Uni, ce qui tend à relativiser l'idée selon laquelle le problème de l'ESB est, encore à cette époque, considéré comme un problème uniquement britannique ;

- « inscription de la B.S.E. comme maladie à déclaration obligatoire ; ». Il s'agit d'une proposition qui tend à montrer que les participants estiment possible, voire probable, l'apparition de la maladie animale en France, d'autant plus que, durant la réunion, les vétérinaires ont été sensibilisés aux signes cliniques de l'ESB. Il s'agit d'une démarche louable et certainement courageuse ;

- « étude des possibilités de réaliser des diagnostics anatomopathologiques sur les prélèvements trouvés négatifs au regard de la rage ; ». Cette proposition tendait, d'une part, à vérifier si des cas d'ESB avaient d'ores et déjà eu lieu à cette date et, d'autre part, à mettre en _uvre un entraînement des vétérinaires à l'unique examen permettant de diagnostiquer un cas d'ESB. Incontestablement, les autorité publiques françaises ont conscience de la probabilité que de tels cas apparaissent en France ;

- « réalisation d'une étude des procédés de traitement des produits d'équarrissage en France en s'efforçant dans la mesure du possible, de les comparer avec ceux pratiqués en Grande-Bretagne avant et après 1981. ». A cette époque, l'idée selon laquelle l'épizootie d'ESB a pour origine le passage de la tremblante du mouton au bovin du fait d'une modification dans la préparation des farines de viandes et d'os, est considérée comme certaine. Dès lors, il convenait d'étudier les procédés français d'équarrissage afin de savoir si un tel événement pouvait avoir lieu dans notre pays.

Le compte rendu de cette réunion montre que le risque d'une transmission à l'homme de l'ESB n'est pas ignoré. Le discours biaisé du Gouvernement du Royaume-Uni est cependant d'ores et déjà repris. Ainsi, s'agissant du retrait des abats à risque, mesure dont les autorités publiques britanniques ont annoncé la prochaine entrée en vigueur, un fonctionnaire de la DGAL rappelle qu'au niveau des Communautés européennes, « les Britanniques ont déclaré avoir cherché à résoudre un problème politique et d'opinion publique et qu'en conséquence, les mesures adoptées ne sont pas étayées par des certitudes scientifiques. ». Enfin, le risque induit par la forte augmentation des importations de farines de viandes et d'os en 1989, en provenance du Royaume-Uni, est abordé.

Quelques mois plus tard, l'avis aux importateurs du 16 février 1990 interdit l'importation en provenance du Royaume-Uni de certains abats bovins. Il s'agit de la tête entière, du thymus, des amygdales, de la moelle épinière, de la cervelle, de la rate et des intestins (14). Ces abats ont été interdits à la consommation humaine au Royaume-Uni le 13 novembre 1989.

L'existence de cet avis aux importateurs tendrait à prouver que le Royaume-Uni a permis l'exportation de ces abats, après les avoir interdits à la consommation humaine. Il s'agirait alors d'un comportement inqualifiable de la part du Royaume-Uni, plus grave que le comportement ayant caractérisé l'exportation des farines de viandes et d'os, puisque les abats étaient totalement interdits à la consommation humaine au Royaume-Uni et que la mesure mise en _uvre par ce pays concernait la protection des êtres humains. M. David Barnes a vigoureusement contesté cette accusation : « ... on entend dire que les Britanniques ont interdit les abats bovins chez eux, mais qu'ils ont continué à les exporter. Le problème de ce point de vue concerne en fait les statistiques douanières : le système douanier n'était pas destiné à traquer les produits liés à l'ESB. Il est vrai que nous avons interdit certains abats chez nous et que nous avons continué à exporter des abats, mais ces derniers étaient les abats qui étaient autorisés également en Grande-Bretagne. Dans les statistiques des douanes, il n'est pas possible de les différencier. C'est la raison pour laquelle un journaliste a pu titrer : « Interdiction des abats en Grande-Bretagne ; exportation des abats le lendemain. » Les choses ne se sont pas passées comme cela, en réalité [...] la législation britannique exigeait la destruction des abats à risque. Donc, si cette législation a été respectée, ces abats ne pouvaient être consommés en Grande-Bretagne ni exportés à l'étranger. ».

L'annonce de cette décision par le ministre de l'Agriculture du Royaume-Uni le 13 juin 1989, M John Mac Gregor, tend à confirmer les propos de M. David Barnes. A cette occasion, il avait en effet déclaré « ces abats, dans lesquels sont inclus le cerveau, la moelle épinière, le thymus, la rate et les amygdales, devront être badigeonnés à l'aide d'une teinture et seront traités selon les conditions applicables aux produits impropres à la consommation ». On relève, par ailleurs, que le rapport Phillips n'aborde pas cette question, alors que ses auteurs ont consacré de longs développements à l'attitude des autorités publiques du Royaume-Uni à l'égard de ses partenaires commerciaux, s'agissant des exportations de farines de viandes et d'os dont l'usage était partiellement interdit au Royaume-Uni.

Malheureusement, il semble que la réalité ait été un peu plus complexe. On note, en effet, dans une partie du rapport Phillips relative aux contaminations croisées, qu' « à partir de septembre 1990, la contamination des aliments pour bovins avec des aliments destinés aux volailles et aux porcs n'aurait plus dû être infectieuse. En effet, considérant la transmission expérimentale de l'ESB au porc, le ministre de l'Agriculture, suivant en cela le conseil du Comité de conseil sur l'encéphalopathie spongiforme, a mis en _uvre en septembre 1990 une mesure tendant à protéger les volailles et les porcs de l'ESB. Elle consistait en l'interdiction de l'intégration dans les aliments pour les volailles et les porcs des farines de viandes et d'os issus des parties bovines susceptibles de porter des charges infectieuses élevées dans le cas d'un animal en période d'incubation ou souffrant de la maladie, c'est à dire les matériaux à risque spécifiés. ». Ce passage sous-entend clairement que tous les abats à risque n'ont pas été détruits après le 13 novembre 1989 et que certains d'entre eux, à tout le moins, ont été utilisés dans la fabrication d'aliments pour certains animaux d'élevage monogastriques.

Il est donc possible qu'il y ait eu des exportations d'abats à risque, en provenance du Royaume-Uni, après leur exclusion de la chaîne alimentaire humaine dans ce pays. Néanmoins, il semble, que si cela fut le cas, il n'a pu s'agir que de fraudes à la réglementation du Royaume-Uni. Dès lors, il semble qu'on doive faire justice au gouvernement britannique de l'accusation selon laquelle le Royaume-Uni avait sciemment autorisé l'exportation de produits qu'il avait déclarés impropres à la consommation humaine.

Toutefois, il reste un doute sur la manière dont la réglementation a été appliquée et contrôlée. Et sur ce point, aucune autre information que celle relative à la confusion des nomenclatures douanières n'a été fournie à la commission d'enquête.

On trouvera ci-après les chiffres fournis par les douanes anglaises sur l'accroissement des importations françaises d'abats provenant de Grande-Bretagne.

exportations d'abats à partir du Royaume-Uni

(en tonnes)

années

total

dont France

1987

439

326

1988

7 129

4 883

1989

7 086

4 797

1990

6 847

5 047

1991

8 406

5 870

1992

9 467

6 394

1993

12 246

8 055

1994

18 653

8 173

1995

7 611

4 186

Source : Douanes anglaises.

Il est vrai que l'augmentation des importations commence avant 1989 et que, par ailleurs, rien ne permet de distinguer dans ces chiffres les abats à risque de ceux qui ne l'étaient pas. Jusqu'en février 1990, date de l'avis aux importateurs français interdisant l'importation d'abats britanniques, les douanes françaises ne sont pas en mesure de s'opposer à ces importations.

Si des exportations en France d'abats bovins interdits au Royaume-Uni ont néanmoins eu lieu après le 13 novembre 1989, l'avis aux importateurs du 16 février 1990 a interdit, du côté français, l'importation de tels abats. Le rapporteur estime que cette mesure a été adéquate et suffisamment rapide pour garantir strictement que ces abats ne pouvaient plus être vendus ou valorisés sur le marché français.

b) La crise du mois de juin 1990 entraîne des mesures nationales et communautaires

· La crise du mois de juin 1990 révèle en France une appropriation tardive par les autorités politiques des problèmes liés à l'ESB

Peu de temps après la mise en _uvre en France de l'avis aux importateurs du 16 février 1990, le Royaume-Uni connaît une crise interne due à la médiatisation d'un cas d'encéphalopathie spongiforme chez un chat. La presse attribue ce cas à l'ingestion par ledit chat d'aliments fabriqués à partir de tissus bovins infectés par l'agent pathogène de l'ESB, explication qui s'avérera exacte. Dès lors, il est admis que cet agent est capable de franchir la barrière des espèces. L'inquiétude grandit car l'éventualité d'un passage de l'infection à l'être humain semble plus probable à l'opinion. Toutefois, le Gouvernement britannique ne modifie en rien son discours. L'infection des êtres humains demeure officiellement hautement improbable. Par ailleurs, il est curieux que ce cas d'encéphalopathie spongiforme du chat constitue, aux yeux de chacun à cette époque et encore aujourd'hui, le premier passage de la barrières d'espèces de l'agent pathogène de l'ESB. En effet, les auteurs du rapport Southwood, ainsi que nous l'avons déjà noté, admettent que l'ESB a d'ores et déjà été transmise par l'alimentation à un Nyala et à un Oryx vivant en captivité au Royaume-Uni. Il est probable que l'affection de beaucoup d'êtres humains pour un ou des chats ait contribué à cette erreur de perception et, ainsi, à l'idée que le danger d'une transmission à l'homme apparaisse beaucoup plus proche.

L'écho de cet événement arrive en France. Ainsi, selon M. Henri Nallet, ministre de l'Agriculture à cette date, « en avril 1990, dans une famille britannique, deux chats siamois meurent en présentant des symptômes qui évoquent la maladie de la vache folle ; deux journaux populaires, d'abord, puis un journal scientifique au Royaume-Uni, évoquent la possibilité du franchissement de la barrière des espèces. J'en ai un souvenir extrêmement précis, que j'ai évoqué lors de mon audition en 1996, et que je vous rappelle : je rentre d'un Conseil des ministres et trouve une partie de mon cabinet, celle composée des ingénieurs agronomes, plus nombreux que les énarques, qui me demande de participer à la réunion de cabinet. Ils m'expliquent de manière grave et avec vigueur, qu'il ont eu entre eux un débat parce que, s'il est établi que la maladie a été transmise à des chats, on peut alors imaginer qu'elle pourrait se transmettre à l'homme. Voilà l'information qui m'est donnée en avril 1990. J'ai donc été informé du risque éventuel de transmission de la maladie à l'homme par la presse populaire britannique, non par les autorités britanniques, ni par les autorités communautaires, ni par les spécialistes ou « sachants » français. ».

M. Henri Nallet dit avoir reçu des autorités britanniques et des instances communautaires l'assurance qu'il n'était nul besoin de mettre en _uvre des mesures supplémentaires de précaution ou prévention, à quelque niveau que ce soit. Il estime alors que la seule solution permettant l'ouverture d'un débat politique public est la fermeture des frontières de la France aux produits bovins en provenance du Royaume-Uni. Le Premier ministre, M. Michel Rocard, donne son accord à la proposition qui lui est ainsi faite.

M. Henri Nallet explique ainsi l'esprit de cette initiative : « j'étais convaincu qu'en fermant les frontières unilatéralement, c'est à dire en bloquant les exportations du Royaume-Uni vers la France, je provoquerais une crise et que se tiendrait enfin une réunion du Conseil des ministres [de la CEE]. D'ailleurs, la réaction ne s'est pas fait attendre. Nous avions fait une bonne analyse et nous avons eu tout de suite un Conseil des ministres, très dur, dramatique, dès les premiers jours de juin, au cours duquel ont été prises les mesures que vous connaissez... ».

Avant de revenir sur ces mesures, mises en _uvre à l'échelle communautaire après la levée de l'embargo qui n'aura ainsi duré que du 30 mai 1990 au 7 juin 1990, il convient de revenir sur ce que révèle cet événement pour la France.

En premier lieu, il convient de relever que M. Henri Nallet affirme qu'il n'a aucun souvenir relatif à l'ESB ou à une question corollaire avant le mois d'avril 1990. Il ajoute, « si l'on m'en a parlé - ce qui est toujours possible - ce n'était pas dans des termes qui appelaient une décision, car je n'en ai pas souvenir. ». Cela signifie donc que les deux avis aux importateurs des 13 août 1989 et 16 février 1990 ont été préparés, rédigés et mis en _uvre sans que le ministre qui assume la responsabilité politique de ces mesures n'en soit tenu au courant. M. Henri Nallet a confirmé ces observations. En effet, en évoquant le premier desdits avis, il précise « je ne l'ai pas signé, je ne l'ai pas connu, je n'en pas été informé. ». Il ajoute que « le ministre n'a pas à être informé des avis aux importateurs...les avis aux importateurs sont relus par le directeur de cabinet du ministère concerné, qui donne un « bon à tirer », qui ne les signe même pas.  ».

Selon M. Henri Nallet, un tel avis « fait partie de ces décisions administratives qui sont prises sans l'intervention directe de l'autorité politique. Toutefois, ces décisions sont prises sous sa responsabilité. Cet avis, je l'assume complètement. Simplement, on ne m'en a pas informé, je n'en pas été saisi. Je n'ai pas à eu à le lire, parce que ce n'était que le déroulement normal d'une décision administrative qui paraissait, à l'époque, ordinaire. ».

On est donc conduit à considérer les avis aux importateurs, qui, certes, s'imposent réglementairement à ceux-ci (15), pour ce qu'ils sont. Ils ne sont pas les éléments d'une politique cohérente et assumée, destinée à empêcher l'émergence de cas d'ESB en France ou, à tout le moins, destinée à ce que les cas d'ESB en France soient les moins nombreux possibles. Il s'agit en fait de mesures administratives ponctuelles, isolées, qui témoignent de l'existence d'une administration relativement réactive et dotée, curieusement, d'un pouvoir qui ne devrait relever que des autorités politiques, à savoir celui de bloquer les importations en provenance d'un Etat membre de la Communauté européenne et de confier aux autorités administratives déconcentrées le soin d'accorder, le cas échéant, les dérogations.

L'absence en France d'une intervention publique concernant la lutte contre l'ESB jusqu'au mois d'avril 1990 est tout à fait regrettable. Or, une telle intervention était l'une des conditions garantissant l'efficacité des avis aux importateurs évoqués. D'ailleurs, le rapporteur s'étonne et regrette que les avis aux importateurs ne soient pas portés à la connaissance des ministres, ni signés par eux, préalablement à leur publication.

Les faits tels qu'ils sont racontés par M. Henri Nallet révèlent, par ailleurs, un fonctionnement du travail ministériel qui ne peut être considéré comme satisfaisant. Avec le recul, on peut penser que le premier contact du ministre de l'Agriculture avec les problèmes relatifs à l'ESB aurait pu avoir lieu plus tôt, sur la base de dossiers préparés par ses services, dans un cadre propice à la réflexion et à la sérénité, afin de tenter de résoudre efficacement des problèmes complexes. En fait, le ministre de l'Agriculture n'a été averti de ceux-ci qu'après la survenance d'événements significatifs. Son information est issue de journaux britanniques dont les articles ne peuvent contribuer à une réflexion approfondie, même s'il faut relever qu'en l'espèce, la chaîne de l'information entre l'ambassade de France à Londres et les services du ministre concerné semble avoir fonctionné. Il s'ensuit que la décision politique, qui doit effectivement être mise en _uvre rapidement, l'est unilatéralement, ce qui contribue à en faire une décision dramatique et de crise. Le rapporteur estime, au-delà du bien-fondé de la réaction des autorités publiques françaises, qu'il s'agit de modalités de fonctionnement qui doivent être évitées.

Ces remarques, adressées par l'institution parlementaire à l'institution gouvernementale, doivent bien sûr s'accompagner d'une évocation de l'activité dudit Parlement s'agissant de l'ESB. M. Henri Nallet a ainsi contribué à cette évocation devant la commission d'enquête : « J'ai regardé les questions qui m'ont été posées par votre Assemblée sur les maladies animales au cours du premier semestre 1990. Voici le résultat de ma recherche : au cours du premier semestre 1990, mai et juin compris, pas une seule question orale sur l'ESB, pas une seule sur la « vache folle », pas une seule sur toute autre maladie du bétail. Par contre, j'ai eu à répondre à trente-trois questions écrites sur des maladies animales concernant la brucellose, la dermatose nodulaire ou la leucose bovine. Aucune sur l'ESB. Pourtant, les parlementaires sont des gens informés, en contact avec des vétérinaires, parmi lesquels on compte un certain nombre d'agriculteurs, voire de professeurs de médecine. ».

Vérification faite, deux questions écrites posées en juillet 1990, sans porter directement sur l'ESB, évoquaient la crise de la vache folle qui sévissait au Royaume-Uni (Journal Officiel du 2 juillet 1990). Il n'a cependant été répondu à ces questions... qu'en 1992, en méconnaissance, par conséquent, du délai d'un mois imparti au ministre pour y répondre. Les réponses sont d'ailleurs aussi peu explicites sur l'ESB que ne l'était le contenu de la question posée (Journal Officiel du 6 avril 1992).

On peut noter, par ailleurs, que l'ESB occupe une place secondaire au sein du travail réalisé par la commission d'enquête de l'Assemblée nationale relative au fonctionnement du marché de la viande ovine et bovine, dont le président était M. Gaston Rimareix et le rapporteur M. Martin Malvy (16). Il est vrai que les problèmes sanitaires ne sont pas au c_ur du sujet abordé alors par nos collègues. L'ESB est donc décrite, sans erreurs, de façon concise, dans le cadre de l'énumération des causes de la crise de marché que les filières de l'élevage ont connu en 1990. Ce travail très approfondi concernant lesdites filières tend à montrer que la vigilance de l'Assemblée nationale n'a pas été plus aiguë que celle du Gouvernement s'agissant des conséquences de l'épizootie d'ESB au Royaume-Uni.

· Les premières mesures communautaires concernant l'épizootie d'ESB sont non négligeables, mais tardives et insuffisantes

Selon le rapport Phillips, la décision d'interdire l'usage des protéines de ruminants dans l'alimentation des ruminants, mise en _uvre par le Royaume-Uni le 18 juillet 1988, a suscité l'inquiétude d'un seul Etat membre des Communautés européennes. En effet, à la fin du mois de juillet 1988, le Gouvernement des Pays-Bas demande la création d'un groupe de travail communautaire, afin d'étudier les effets de la mise en _uvre de cette décision. Faute de soutien, cette demande n'est pas suivie d'effets.

Un an plus tard, la Commission des Communautés européennes met en _uvre la décision n° 89/469/CEE du 28 juillet 1989, tendant à interdire l'expédition en provenance du Royaume-Uni, à destination des autres Etats membres de la CEE, des bovins nés avant le 18 juillet 1988 ou nés de femelles atteintes ou suspectées d'être atteintes par l'ESB. Dans les considérants qui motivent cette décision, il est précisé que « ..., à la lumière de l'épidémiologie et de la pathogénicité de la maladie, le risque ne peut être considéré comme existant que pour les bovins nés avant le 18 juillet 1988 ou nés de vaches infectées. ». Il ne fait pas de doute, au regard de cette référence et du contenu de la décision, que les autorités communautaires admettent que les farines de viandes et d'os sont à l'origine de l'épizootie, puisque la date du 18 juillet 1988 est celle de l'interdiction de l'usage des protéines de ruminants dans l'alimentation des ruminants au Royaume-Uni.

Cette mesure constitue néanmoins un dispositif peu efficace dans la lutte contre la propagation de l'ESB, car un animal vivant atteint par l'ESB n'est pas contagieux. Cette décision permet seulement d'éviter l'introduction dans la chaîne de fabrication des aliments pour les êtres humains et les animaux dans les pays membres de la CEE, hormis le Royaume-Uni, d'animaux très infectés issus du cheptel de ce dernier pays. Le Royaume-Uni peut ainsi continuer à expédier les farines animales fabriquées sur son territoire, qui constituent à cette époque les vrais vecteurs de la contamination, élément qui n'a pas échappé à la Commission, puisque son dispositif est articulé autour de la date du 18 juillet 1988. Ainsi, au regard de l'objectif qu'elle explicite dans ses considérants, qui est d'éviter la contagion de l'ESB qui sévit au Royaume-Uni dans les cheptels de ses partenaires de la CEE, la mesure mise en _uvre par la Commission est peu efficace.

Elle a été améliorée de façon assez substantielle par la décision n° 90/59/CEE du 7 février 1990. Désormais, le Royaume-Uni doit s'abstenir d'expédier vers les autres Etats membres les bovins âgés de plus de six mois, nés sur son territoire, ainsi que les bovins descendants des femelles pour lesquelles un cas d'ESB est suspecté ou avéré. Cette disposition semble tenir compte de la faible efficacité de la mesure du 18 juillet 1988 au Royaume-Uni. C'est pourquoi, il est curieux de constater que les bovins nés hors du Royaume-Uni et introduits dans ce pays après cette date peuvent en être exportés, alors qu'ils ont ingéré les mêmes aliments que les autres bovins du cheptel britannique, aliments que cette décision considère implicitement comme potentiellement contaminés, y compris après le 18 juillet 1988.

Afin de parvenir à la levée de l'embargo sur les produits bovins d'origine britannique décidé par la France le 30 mai 1990, le Conseil des Communautés européennes trouve un accord lors de sa réunion des 5 et 6 juin 1990. En conséquence, la Commission met en _uvre la décision n° 90/261 du 8 juin 1990, qui permet l'expédition en provenance du Royaume-Uni des carcasses de bovins non désossées, uniquement si elles sont issues d'animaux dont le troupeau est indemne de cas d'ESB et des carcasses de bovins désossées pour lesquelles les tissus nerveux et lymphatiques visibles ont été éliminés.

Même si chaque mesure de précaution ainsi élaborée est positive, la décision du 8 juin 1990 ne constitue pas un progrès important. Avant cette décision, l'expédition des animaux vivants de plus de six mois en provenance du Royaume-Uni est interdite, l'expédition des abats susceptibles de porter l'infection est interdite (17) et le Royaume-Uni procède au retrait desdits abats pour la consommation humaine depuis le 13 novembre 1989. Dès lors, si une mesure supplémentaire significative devait être mise en _uvre, il ne pouvait s'agir que d'un embargo. Ce fut initialement le choix de la France, contrecarré par ses partenaires européens et par les autorités publiques communautaires. La décision du 8  juin 1990 constitue en fait un statut quo ante à peine amélioré. Il n'est pas certain que les autorités publiques françaises aient saisi la portée exacte, c'est à dire très faible, de cette décision.

c) Après la crise du mois de juin 1990 et jusqu'au mois de mars 1996, la France met en _uvre des mesures importantes mais incomplètes dans un climat communautaire artificiellement apaisé

· Les autorités publiques françaises prennent conscience du risque de la présence de l'ESB sur le territoire national, sans tirer toutes les conséquences des premiers cas détectés

Selon les réponses que l'actuel ministre de l'Agriculture a bien voulu apporter à la commission d'enquête, « la crise... [de juin 1990] a permis, notamment lors du Conseil agricole des 6 et 7 juin 1990 et des réunions qui l'ont préparé et suivi, une meilleure circulation de l'information et une appréciation plus exacte de la situation et des mesures prises au Royaume-Uni. Les autorités françaises ont édicté les mesures qu'elles jugeaient appropriées compte tenu de cette nouvelle appréciation de la situation. ».

La première desdites mesures a consisté à classer, par le décret n° 90/478 du 12 juin 1990, l'ESB dans la nomenclature des maladies réputées contagieuses. Il est vrai que l'ESB n'est pas, a priori, une maladie directement contagieuse, dans le sens où elle n'est pas transmissible par un simple contact entre un être vivant infecté et un être vivant sain (18). Il s'agit en fait de garantir, dans le cas de l'ESB, la mise en _uvre de certaines réglementations réservées habituellement aux maladies très contagieuses comme la peste porcine ou la fièvre aphteuse. Il s'agit notamment de la déclaration obligatoire de la maladie aux services vétérinaires, de la description des règles d'isolement applicables à l'animal malade ou encore des pouvoirs du préfet afin de procéder à l'autopsie de l'animal ou à certains prélèvements sur son corps. Il faut noter que les Communautés européennes, par une décision de la Commission n° 90/134/CEE du 6 mars 1990, mettent en _uvre aussi la déclaration obligatoire des cas d'ESB dans la CEE et ce, dans un premier temps jusqu'au 30 juin 1992.

Cette classification dans la nomenclature des maladies réputées contagieuses permet l'élaboration d'une réglementation complète concernant l'organisation de l'épidémiosurveillance de l'ESB et les règles financières applicables en cas de confirmation d'un cas de cette maladie. Les deux arrêtés des 3 et 4 décembre 1990 définissent cette réglementation.

L'arrêté du 3 décembre 1990 précise notamment que le laboratoire du centre national d'études vétérinaires et alimentaires (CNEVA) devient ainsi le « centre de référence français pour les recherches relatives au diagnostic et à l'épidémiologie de la B.S.E. ». Par ailleurs, il est prévu que dans chaque département, un vétérinaire sanitaire est nommé « coordonateur départemental des actions relatives à l'épidémiosurveillance de la B.S.E menées par l'ensemble des vétérinaires sanitaires intervenant sur le territoire du département. ». Les circonstances de suspicion de l'ESB sont décrites avec précision. La procédure administrative au sein du département dans lequel un cas d'ESB est soupçonné fait l'objet d'une explication détaillée.

On peut noter que l'abattage total et systématique du troupeau dans lequel un cas d'ESB a été détecté ne constitue pas dans l'arrêté du 3 décembre 1990 une obligation. A contrario, il est prévu que les animaux du troupeau pourront intégrer la chaîne alimentaire humaine, à la condition que les mesures décrites dans la décision précitée de la Commission en date du 8 juin 1990 concernant la présentation des carcasses de bovins en provenance du Royaume-Uni soient appliquées à ces animaux. En pratique, le troupeau dans lequel fut détecté le premier cas français d'ESB a été entièrement abattu après avoir été maintenu en vie sous surveillance scientifique. Par contre, les troupeaux dans lesquels furent détectés les cinq cas d'ESB suivants ont donné lieu à la commercialisation des viandes. A partir des septième et huitième cas français d'ESB, détectés (19) dans le même élevage de 47 bovins dans le département des Côtes-d'Armor, il a été décidé de pratiquer l'abattage total du troupeau. Cette règle a été appliquée ensuite, sans fondement réglementaire, mais sans être contestée par les éleveurs qui passaient des conventions d'indemnisation avec l'Etat. L'arrêté du 2 septembre 1997 donne une base juridique à l'abattage total du troupeau, en l'étendant aux troupeaux dans lequel l'animal atteint par l'ESB a vécu plus de deux mois avant la période de deux ans précédant sa mort, soit la durée minimum d'incubation de la maladie constatée jusqu'à présent.

L'arrêté du 4 décembre 1990, modifié par un arrêté du 2 septembre 1997, précise le montant des participations financières de l'Etat, s'agissant, entre autres, du coût du prélèvement de la tête de l'animal euthanasié pour lequel l'ESB est présumée ou du coût des visites réglementaires des vétérinaires sanitaires dès lors qu'un cas d'ESB est soupçonné dans un troupeau. Cet arrêté définit, par ailleurs, le montant des indemnisations versées aux éleveurs pour lesquels les animaux sont abattus.

Le rapporteur considère que ces dispositions, qui créent le réseau d'épidémiosurveillance français de l'ESB et qui précisent chacune des modalités administratives et financières applicables dès qu'un cas d'ESB est soupçonné, indiquent que les autorités publiques françaises, après la crise de juin 1990, sont persuadées que des cas d'ESB sont susceptibles d'apparaître en France. En effet, il n'est plus possible d'ignorer que, pendant des années, et au plus tôt jusqu'au 13 août 1989, des farines de viandes et d'os britanniques contaminés ont pénétré sur le territoire français et qu'elles ont pu intégrer légalement la fabrication d'aliments donnés à des bovins français. Par ailleurs, il n'est plus possible d'ignorer que, jusqu'au 8 juin 1990, des animaux en phase d'incubation de la maladie ont été expédiés du Royaume-Uni en France et que ceux-ci ont pu être utilisés dans la fabrication d'aliments pour les bovins français. Il s'agit donc de décisions réalistes, qui témoignent de la prise de conscience des autorités politiques françaises que le risque d'apparition de cas d'ESB en France ne pouvait être écarté (20).

Dans une moindre mesure, il est possible de porter la même appréciation sur l'arrêté du 24 juillet 1990, tendant à interdire l'emploi de certaines protéines d'origine animale dans l'alimentation et la fabrication d'aliments destinés aux animaux de l'espèce bovine. L'arrêté précise que l'interdiction porte sur les farines et poudre d'os et sur les protéines d'origine animale, à l'exception des protéines issues des produits laitiers, des produits à base d'_ufs ainsi que des poissons et des animaux marins.

Il ressort des comptes rendus des réunions ayant préparé le contenu de cet arrêté que des relations peut-être difficiles, à tout le moins insuffisantes, au sein de la DGAL entre le service vétérinaire d'hygiène alimentaire (SVHA) et le bureau de l'alimentation animale de la sous-direction des produits animaux (SDPA), ont abouti à ce que cette mesure ne concerne que les bovins alors qu'elle aurait dû concerner tous les ruminants.

Lors d'une réunion organisée le 19 juin 1990 par le SVHA, il est proposé l'adoption d'un arrêté interministériel afin d'interdire « l'introduction de farines de viande dans l'alimentation des ruminants ».

La SDPA avait, avant cette date, organisé une réunion le 13 juin 1990 avec les représentants du syndicat national de l'industrie alimentaire (SNIA), de la fédération nationale des coopératives de production et d'alimentation animales (SYNCOPAC) et du syndicat des protéines et corps animaux (SPCA). Les deux premières organisations regroupent des fabricants d'aliments pour les animaux et la troisième associe des personnes qui valorisent les coproduits animaux, c'est-à-dire les produits animaux qui ne sont pas destinés à l'alimentation humaine. Le SNIA, qui a conseillé à ses adhérents par une lettre en date du 27 novembre 1989 de ne plus utiliser de farines animales dans la fabrication des aliments pour les ruminants, ne s'oppose pas à ce que la même mesure soit mise en _uvre par un arrêté. Il s'inquiète toutefois du fait que ce qui sera interdit ne pourra plus être autorisé. Par ailleurs, il lui semble que les contrôles seront difficiles car beaucoup d'usines de fabrication des aliments pour animaux produisent à la fois pour les ruminants et pour les monogastriques.

Le SPCA s'oppose à l'élaboration d'une mesure réglementaire, parce qu'il craint que la pression de l'opinion publique aboutisse à une interdiction totale des farines de viandes et d'os dans l'alimentation des animaux. Il estime que ce débouché est indispensable pour assurer la survie de l'industrie de l'équarrissage.

Le SNIA et le SYNCOPAC demandent, à tout le moins, qu'une éventuelle mesure réglementaire ne concerne que les ruminants. Le SYNCOPAC s'engage à émettre des recommandations à ses adhérents. Les conclusions de la réunion montrent que si l'élaboration d'une mesure réglementaire n'est pas exclue, elle n'apparaît pas urgente.

Le 27 juin 1990, une réunion importante est organisée par les services de la DGAL. L'évocation de l'arrêté en préparation ne vise plus que les bovins. Il semble que la sous-direction des produits animaux du ministère de l'Agriculture ait milité pour que l'arrêté ne vise que les bovins et non les ruminants, sous le prétexte, peu clair, que le code rural ne donnait pas de base juridique permettant de viser les ruminants.

Le rapporteur estime que le rétrécissement du champ d'application du texte aux bovins n'avait pas de fondement et aurait dû être évité. La décision du 18 juillet 1988 mise en _uvre par le Gouvernement du Royaume-Uni concernait tous les ruminants. De plus, l'application de la mesure aurait été grandement facilitée si elle avait concerné tous les ruminants et non uniquement une espèce parmi eux. Enfin, à cette date, certaines organisations professionnelles avaient conseillé à leurs adhérents de ne pas utiliser les farines de viandes et d'os dans l'alimentation des ruminants. Cette restriction du champ de l'arrêté est d'autant plus regrettable que l'avis de la commission interministérielle et interprofessionnelle de l'alimentation animale, visé par l'arrêté du 24 juillet 1990, estime, selon le compte rendu de sa réunion du 28 juin 1990, qu' « il convient, c'est l'avis de la grande majorité des membres de la commission, qu'un arrêté spécifiant l'interdiction d'employer chez les ruminants des farines de mammifères terrestres, soit publié,..., pour donner toute garantie. ».

Ce rétrécissement inopportun du champ d'application de la réglementation paraît lié, dans une certaine mesure, à une organisation administrative entretenant la confusion entre la gestion et le contrôle. Lors de son audition, M. Glavany a exposé les conditions dans lesquelles il avait tenu à organiser une séparation entre ces tâches, de façon à éviter ce genre d'ambiguïté : « ... j'ai souhaité au ministère de l'Agriculture tirer les leçons de la succession de ces crises et de la mise en place de l'AFSSA en réformant profondément la direction générale de l'alimentation (DGAL), réforme qui avait été envisagée par mon prédécesseur, Louis Le Pensec, qui avait commencé à y travailler et que j'ai mis en place, au début de 1999. La Direction générale de l'alimentation avait jusqu'alors une double mission, qui était d'assurer à la fois la gestion des problèmes de sécurité alimentaire et la tutelle des industries agroalimentaires. Ce qui fait que cette Direction générale de l'alimentation était suspectée d'être juge et partie, c'est-à-dire d'être en contact privilégié avec ces industries, et donc suspecte, dans sa mission de sécurité alimentaire, d'être le porte-parole de ces industries agroalimentaires.

La tutelle sur les industries agroalimentaires a donc été confiée à la DPEI (Direction de la production des échanges internationaux et de l'économie internationale), de sorte que la DGAL est désormais exclusivement consacrée à la tâche de sécurité alimentaire. D'une certaine manière, j'ai souhaité qu'elle se transforme en Direction générale de la sécurité alimentaire. On ne lui en a pas donné le titre, puisque ce travail est interministériel et c'est le troisième point que je voulais aborder. Elle partage cette mission de sécurité alimentaire avec deux autres grandes directions : la direction générale de la santé au ministère de la Santé (DGS) et la direction générale de la concurrence et de la répression des fraudes au ministère de l'Economie (DGCCRF).

La Direction générale de l'alimentation est maintenant à part entière cette direction de la sécurité alimentaire que je souhaitais avoir au ministère de l'Agriculture. On sous-estime parfois la révolution culturelle que cela représentait pour le ministère de l'Agriculture, qui a très longtemps été le ministère des agriculteurs et des producteurs, le ministère de la production agricole, et qui maintenant est un ministère à part entière des consommateurs, de la qualité et de la sécurité alimentaire. Je veux rendre hommage aux fonctionnaires, pour qui cela a été aussi une révolution culturelle, et qui s'y sont pliés avec beaucoup de discipline, de loyauté et d'efficacité. C'était une réforme qui me paraissait indispensable. ».

On peut regretter que cette importante réorganisation administrative ne soit intervenue qu'en 1999.

En tout état de cause, l'arrêté du 24 juin 1990 constitue une preuve supplémentaire du fait que les autorités publiques françaises ont pris conscience que l'émergence de l'ESB en France était probable. En effet, si les autorités n'imputaient qu'aux farines de viandes et d'os en provenance du Royaume-Uni la capacité de transmettre l'infection, l'élaboration et la mise en _uvre de l'arrêté du 24 juillet 1990 seraient apparues inutiles, puisque les aliments fabriqués à partir de farines de viandes et d'os britanniques n'étaient plus, a priori, donnés aux bovins depuis l'avis aux importateurs du 13 août 1989 et que celles-ci n'entraient plus sur le territoire français depuis le mois de février 1990.

Il faut noter qu'un arrêté du 26 septembre 1990 a modifié l'arrêté du 24 juillet 1990, afin que les protéines issues des volailles ainsi que les farines de plume puissent être utilisées dans l'alimentation des bovins. On ne peut que constater que cette dérogation supplémentaire a augmenté le risque de contaminations croisées. Cette question est posée par les acteurs industriels eux-mêmes, puisque selon le compte rendu de la réunion évoquée du 13 juin 1990, organisée par la SDPA «  le SNIA s'interroge sur la possibilité de séparer avant équarrissage les matières premières d'origine bovine, comme ceci a été réalisé au Danemark afin d'obtenir des farines à base de porc et volaille uniquement. M. Lugan estime cette sélection très difficile, donc coûteuse, en France, compte tenu de l'atomisation de l'élevage bovin. ». Il semble cependant que les mêmes organisations professionnelles se soient mobilisées durant l'été 1990 pour obtenir la dérogation évoquée. Cependant, selon les services du ministère de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, « les protéines d'origine avicole devaient provenir d'entreprises traitant exclusivement ces produits à partir de matières premières provenant d'abattoirs spécialisés, collectées à part, subissant un traitement industriel spécifique et stockées séparément des protéines dont l'utilisation est interdite ».

Par ailleurs, il est important de noter qu'à compter de cette date, des décisions sont mises en _uvre en France qui montrent que l'hypothèse d'une transmission de l'ESB à l'homme est considérée comme possible. Le Dr. Dominique Dormont a évoqué ainsi cette période :

« Fin 1990-début 1991, sous l'impulsion de deux universitaires, le professeur Florian Auraux, décédé l'année dernière, professeur à l'institut Pasteur, et le professeur Jean-Hugues Trouvin, professeur de pharmacie à l'université de Châtenay-Malabry, un certain nombre d'universitaires et de chercheurs se sont réunis de façon informelle à l'ex-direction de la pharmacie et du médicament au ministère de la Santé, pour revoir la sécurité de tous les médicaments d'origine biologique, faisant l'hypothèse que l'encéphalopathie bovine était transmissible à l'homme.

A partir de 1991, commence le « nettoyage » des médicaments. Il est réalisé, tout d'abord, par identification des médicaments d'origine bovine, ovine et humaine et en second lieu, par évaluation par les experts cliniciens et pharmacologues de l'efficacité de ces médicaments. Si les médicaments n'étaient pas efficaces, ils étaient purement et simplement interdits ; s'ils étaient efficaces, ce groupe d'universitaires et de chercheurs qui est devenu par la suite le groupe de sécurité virale, analysait le risque lié à ces médicaments.

L'hypothèse, qui avait été posée d'emblée, était une hypothèse qui était apparue maximaliste à l'époque, et qui s'est révélée, malheureusement, la bonne. Elle consistait à dire que l'agent bovin présentait un risque de pathogénicité pour l'homme. Cela explique que dans les années 1992-1993 vous trouviez, dans le Journal Officiel, toute une série d'interdictions de médicaments ou de restrictions de leur usage. ».

Cette initiative tout à fait louable s'accompagne d'une série de décisions réglementaires importantes concernant le retrait de tissus à risque d'origine bovine des préparations magistrales (21), des médicaments homéopathiques (22), des compléments alimentaires et des produits destinés à l'alimentation infantile, décisions que M. Jean-François Mattei a longuement évoquées dans son rapport (23).

Il convient de revenir sur l'arrêté du 31 juillet 1992, particulièrement opportun, portant suspension de la fabrication, de la mise sur le marché et ordonnant le retrait des compléments alimentaires et produits destinés à l'alimentation infantile renfermant des tissus autres que musculaires d'origine bovine et ovine.

Cet arrêté est mis en _uvre après que la commission interministérielle d'étude des produits destinés à une alimentation particulière (CEDAP) a émis un avis positif sur le projet d'arrêté lors de sa réunion du 9 juillet 1992. Ledit avis précise que les professionnels français de l'alimentation infantile ont cessé dès l'année 1990 d'utiliser les tissus reconnus à risque dans leurs préparations. On relève par ailleurs que le problème global des matériaux à risque spécifiés dans l'alimentation de tous les êtres humains est posé de façon implicite. Malheureusement, ce problème n'est pas traité et l'arrêté du 31 juillet 1992 constitue un écho lointain du rapport Southwood qui avait disjoint aussi l'alimentation des bébés et celle des autres être humains.

Afin de saisir l'état d'esprit dans lequel cette décision a été mise en _uvre, il convient de citer les deux derniers considérants de cette décision :

« Considérant que la consommation des produits à base de tissus d'origine bovine et ovine appartenant aux classes I et II (24) comporte un risque virtuel de transmission de l'agent de l'encéphalopathie spongiforme ;

Considérant que l'absence de cas humains présentant cette affection n'exclut pas la mise en _uvre de moyens propres à éviter ce risque éventuel, ».

On ne saurait mieux définir le principe de précaution. Il est cependant extrêmement regrettable qu'une telle lucidité n'ait pas abouti dès cette époque à une réflexion concernant l'introduction des tissus dont le titre infectieux est le plus fort dans la chaîne alimentaire, quel que soit l'âge du consommateur. Cette réflexion aurait du être stimulée par l'apparition des premiers cas d'ESB sur le territoire français.

· Du mois de juin 1990 au mois de mars 1996, quelques mesures sont mises en _uvre à l'échelle communautaire

Après la crise du mois de juin 1990, les autorités communautaires estiment sans doute avoir sauvegardé l'essentiel. Aucun Etat membre ne met plus en _uvre une réglementation unilatérale portant atteinte à la libre circulation des marchandises. Quelques mesures de précaution concernant la viande bovine britannique existent, mais elles ne constituent pas une politique communautaire cohérente tendant à endiguer l'épizootie d'ESB et à prévenir l'émergence éventuelle d'un problème de santé publique.

Le rapporteur estime qu'il aurait été du devoir de la Commission de mener une réflexion sur ces sujets. Il était en effet évident que des farines de viandes et d'os britanniques contaminées par l'agent pathogène de l'ESB avaient circulé librement dans l'Union européenne avant même que le Royaume-Uni mette en _uvre sur son territoire la première mesure de prévention concernant lesdites farines le 18 juillet 1988. Celles-ci ont continué à circuler librement au moins jusqu'à l'été 1989 avant que certains Etats membres, dont la France, aient limité ou stoppé leur entrée sur leur territoire national. La politique qui consistait à limiter les livraisons d'animaux vivants, de carcasses et de viandes fraîches, sans imposer quelque mesure que ce soit concernant les farines de viandes et d'os, ne pouvait pas être efficace contre l'extension de l'ESB à d'autres Etats que le Royaume-Uni. La Commission aurait dû s'en apercevoir et proposer aux Etats membres la mise en _uvre de mesures adéquates, afin de sensibiliser chaque Etat membre à ces difficultés.

Il reste que l'Allemagne a exprimé la volonté, au début de l'année 1994, de renforcer les mesures mises en _uvre afin de prévenir l'apparition de l'ESB dans d'autres pays que le Royaume-Uni, sachant qu'à cette date seuls l'Irlande, le Portugal, la France et, hors de la CEE, la Suisse reconnaissent l'existence de cas d'ESB sur leur territoire. Les négociations, âpres mais très peu médiatisées, aboutissent à trois décisions de la Commission qui ne sont pas sans importance.

En premier lieu, la décision de la Commission n° 94/381/CE du 27 juin 1994 tend à exclure, dans l'ensemble de l'Union européenne, les protéines de mammifères de l'alimentation des ruminants (25). Cette mesure concerne toutes les protéines de ruminants, car, selon l'un des considérants de la décision, « la distinction entre les protéines transformées dérivées de ruminants et celles provenant d'autres espèces de mammifères soulève des difficultés ..., pour des raisons de mise en _uvre, il convient donc d'interdire l'utilisation des protéines dérivées de toutes les espèces de mammifères dans l'alimentation des ruminants ». Cette décision est particulièrement importante parce qu'elle tend à montrer que les autorités publiques communautaires et certains pays membres considèrent désormais que l'ESB est un problème qui dépasse les frontières du Royaume-Uni. Si tel n'avait pas été le cas, la décision de la Commission aurait simplement interdit les expéditions de protéines de mammifères en provenance du Royaume-Uni. Il faut noter qu'en 1993, comme le rappelle l'un des considérants de la décision, l'infection par l'alimentation, dans les conditions expérimentales, des ovins par l'agent pathogène de l'ESB est avérée.

En deuxième lieu, la décision n° 94/382/CE du 27 juin 1994 précise et renforce les conditions de traitement thermique des déchets issus de tissus de ruminants. Cette décision est la conséquence du constat selon lequel certains procédés d'inactivation des agents pathogènes des ESST se sont révélés inefficaces ou peu efficaces, au cours d'expériences scientifiques les concernant.

En troisième lieu, la décision de la Commission n° 94/474/CE du 27 juillet 1994 modifie les conditions dans lesquelles le Royaume-Uni est autorisé à expédier des bovins vivants et de la viande fraîche aux autres pays membres de l'Union européenne (26). Désormais, le Royaume-Uni peut livrer des animaux vivants de plus de six mois uniquement si ceux-ci sont nés après le 1er janvier 1991. Cela signifie que chacun a pris conscience du fait qu'après le 18 juillet 1988, des farines contaminées par l'agent pathogène de l'ESB ont été ingérées par des bovins au Royaume-Uni. Le choix de la date du 1er janvier 1991 signifie que les autorités communautaires estiment que la réglementation britannique concernant les farines de ruminants n'a pas été appliquée convenablement pendant presque dix-huit mois. Par ailleurs, la viande désossée livrée par le Royaume-Uni doit avoir pour origine un animal issu d'un troupeau dont aucun des animaux le composant n'a été atteint par l'ESB depuis six ans.

La décision n° 94/474/CE a été modifiée par la décision n° 94/794/CE du 14 décembre 1994, permettant au Royaume-Uni d'expédier dans les autres pays de l'Union européenne de la viande fraîche issue d'animaux nés après le 1er janvier 1992. Au regard de l'évolution épidémiologique de l'ESB au Royaume-Uni, il est admis que le risque de cas d'ESB pour les animaux nés après cette date est très faible. L'un des considérants de cette décision est ainsi rédigée : « ..., le risque d'exposition de l'homme à l'agent de l'ESB à travers les viandes provenant de bovins nés au Royaume-Uni après le 1er janvier 1992 est très faible ; ». Cette rédaction tend à considérer que les mesures mises en _uvre à l'encontre des animaux du Royaume-Uni ont pour objet d'éviter le contact entre l'homme et l'agent pathogène de l'ESB. Il s'agit peut-être du premier élément évoquant, à l'échelon communautaire, l'hypothèse de la transmission dudit agent à l'être humain.

Les décisions n° 94/474/CE et n° 94/794/CE sont modifiées une nouvelle fois par la décision n° 95/287/CE du 18 juillet 1995. Il semble qu'il s'agisse de la première décision communautaire élaborée sur la base d'une évaluation réaliste de la situation passée et présente de l'ESB au Royaume-Uni. En premier lieu, la référence statique au 1er janvier 1992 est remplacée par une référence « glissante » aux animaux âgés de plus deux ans et demi. La Commission constate « qu'il est plus simple de contrôler l'âge à l'abattage que la date de naissance ». Mais la cause réelle de cette substitution est le souci d'éloigner autant que possible la date de naissance des bovins de la date du 18 juillet 1988, puisque, comme le reconnaît pour la première fois une instance communautaire, « l'interdiction relative à l'alimentation [des bovins au Royaume-Uni] est de plus en plus efficace... elle n'est cependant pas totalement efficace... des contrôles supplémentaires sont nécessaires pour en améliorer l'efficacité. ». L'exigence d'une plus grande rigueur de la part du Royaume-Uni s'exprime par ailleurs dans cette décision, s'agissant des livraisons de viande fraîche du Royaume-Uni. Enfin, la Commission s'enquiert de savoir si ce pays pratique pour ses exportations de bovins et de viandes fraîches à destination « des pays tiers, notamment vers l'Europe de l'Est », les mesures que lui impose l'Union européenne s'agissant des livraisons de ces produits à destination des Etats membres.

Compte tenu de l'état des connaissances de l'époque, le rapporteur estime qu'avant le mois de mars 1996, selon un cheminement certes trop long, les autorités publiques communautaires ainsi que des Etats membres de l'Union européenne sont parvenus à la mise en _uvre de mesures en rapport avec la réalité de l'épizootie au Royaume-Uni, en évoquant de façon implicite, et parfois explicite, l'hypothèse d'une transmission à l'homme de l'agent pathogène de l'ESB par la voie alimentaire. Cependant, il est évident que plusieurs Etats, parmi lesquels ne figurent ni le Portugal ni la France, n'ont pas encore admis à cette époque que l'ESB existait ou apparaîtrait sur leur territoire respectif et ce, contre l'évidence.

B.- DE 1996 À 2000, LES AUTORITÉS PUBLIQUES METTENT EN _UVRE DES MESURES RADICALES AFIN DE PROTÉGER LA SANTÉ HUMAINE ET ANIMALE ET TENTENT DE RÉORGANISER LEURS RAPPORTS AVEC L'EXPERTISE SCIENTIFIQUE

1.- L'annonce du 20 mars 1996 entraîne partout dans l'Union européenne la mise en _uvre de mesures radicales mais très incomplètes dans certains pays

a) Les autorités publiques du Royaume-Uni mettent en _uvre des mesures très radicales afin de répondre à une crise profonde dont elles sont en partie responsables

Le 20 mars 1996, Stephen Dorrell, ministre en charge de la Santé du Royaume-Uni annonce à la Chambre des Communes que dix cas d'une ESST proche des maladies de Creutzfeldt-Jakob ont été détectés au Royaume-Uni chez des personnes jeunes, qui, a priori, ne devraient être que peu concernés par ces maladies. Selon lui, « l'explication la plus probable » est que ces personnes ont été infectées par l'agent pathogène de l'ESB.

La déflagration qu'entraîne cette déclaration est compréhensible. En premier lieu, l'attitude des autorités publiques britanniques avant cette date a sans doute beaucoup aggravé le sentiment de la population du Royaume-Uni selon lequel elle devait désormais vivre avec un grave problème de santé publique sans y avoir été préparée. Encore peu de temps avant le 20 mars 1996, le gouvernement du Royaume-Uni produisait en effet le discours qui était le sien lors de la publication du rapport Southwood : le risque de transmission de l'ESB à l'homme est éloigné et très improbable, puisque la tremblante ne se transmet pas à l'homme. La mesure mise en _uvre concernant l'alimentation pour les bébés constitue un dispositif d'extrême précaution. Le retrait total des abats infectieux pour l'alimentation de tous les êtres humains, mis en _uvre à compter du 13 novembre 1989, n'a pas d'autre objet que de rendre matériellement possible la mesure concernant l'alimentation des bébés. Le retrait des abats à risque n'est donc pas une mesure utile à la santé publique, il s'agit en fait de rassurer une opinion publique qui est inopportunément inquiète.

Il n'est pas étonnant que ladite opinion publique ait l'impression d'avoir été trahie par son Gouvernement, dès lors que d'un jour à l'autre, le discours de celui-ci est complètement modifié. Dès lors, les explications du gouvernement du Royaume-Uni deviennent inaudibles. Stephen Dorrell précise pourtant que le contact entre l'agent pathogène et les personnes atteintes par la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob a certainement eu lieu avant 1989, soit à l'époque pendant laquelle la maladie animale sévissait déjà mais sans que les autorités publiques n'aient pris conscience de son ampleur dans le cheptel bovin et, bien sûr, de son danger pour l'être humain. Il sous-entend ainsi que les décisions mises en _uvre par le gouvernement, notamment parmi elles le retrait des abats à risque spécifiés, ont été justes et sont intervenues relativement tôt. Cet argument, dont le rapport Phillips nous dit qu'il n'est pas faux bien qu'il faille le nuancer sur certains points, n'est plus compréhensible pour la population du Royaume-Uni. Le gouvernement britannique paie en mars 1996 le prix d'une attitude constante depuis sept ans qui a consisté à expliquer et défendre de bonnes décisions avec de très mauvais arguments.

La psychose qui s'empare de l'opinion au Royaume-Uni n'a pas uniquement pour origine le discours tenu par son gouvernement avant le 20 mars 1996. Certains éléments propres à la maladie humaine et à ses causes peuvent l'expliquer.

En premier lieu, aucune des personnes atteintes par la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob n'a eu conscience de courir le moindre risque, puisque l'infection avait pour origine l'alimentation quotidienne. On peut ajouter qu'au sein de l'alimentation, la consommation de viandes n'est pas classiquement perçue comme superflue et pathogène. Beaucoup de parents estiment en effet qu'il est essentiel que leurs enfants mangent de la viande. L'infection avait pour origine l'un des aliments considérés comme nobles et indispensables.

Ce risque n'a donc pas pu être assumé. De surcroît, alors même que son origine était désormais détectable, son périmètre n'était pas définissable. Personne ne peut s'estimer définitivement indemne, car chacun sait qu'il a mangé de la viande, que celle-ci se soit présentée sous la forme d'un morceau de viande cuite ou d'un plat préparé. Il y a aussi ce que chacun soupçonne, la présence de tissus bovins dans les médicaments ou dans d'autres produits utilisés quotidiennement. Dans ces conditions, il est logique que chacun se retourne sur chaque repas pris dans le passé et ce, avec effroi.

A cette incertitude s'ajoute le fait que chacun pressent puis apprend peu à peu que la maladie humaine est atroce. Elle est incurable et le patient n'a pas de périodes de rémission ou d'amélioration. Elle est à l'origine d'importantes souffrances pour le patient et pour les membres de sa famille. Enfin, la mort, inéluctable, est précédée de la perte de l'intégrité physique et psychique du patient.

Afin de tenter de rassurer l'opinion publique du Royaume-Uni, le gouvernement a été tenu de mettre en _uvre des mesures suffisamment radicales afin d'éliminer tous les risques de contamination pour les hommes et pour les animaux :

- en premier lieu, l'usage des protéines issues d'animaux, quel que soit l'animal dont elles sont issues, est interdit dans l'alimentation des animaux, quel que soit l'animal. Ce dispositif consiste de fait à interdire définitivement l'usage des farines de viandes et d'os. Cette mesure permet de résoudre le problème posé par l'applicabilité du dispositif du 18 juillet 1988 qui ne concernait que les protéines de ruminants à destination de l'alimentation des ruminants, dispositif qui n'avait pas empêché les contaminations croisées. Il s'agit donc d'une bonne mesure technique, mais aussi d'une mesure psychologique importante car les farines de viandes et d'os sont souvent considérées, encore aujourd'hui, comme l'agent pathogène lui-même et non comme le vecteur de celui-ci.

- en deuxième lieu, les bovins qui entrent dans la chaîne alimentaire ne peuvent être âgés de plus de trente mois. Cela ne signifie pas que tous les bovins de plus de trente mois sont abattus et incinérés. Par contre, si une vache laitière est abattue à l'âge de huit ans, elle ne pourra pas intégrer la chaîne alimentaire humaine, même si son lait a été commercialisé après qu'elle ait atteint l'âge de trente mois, jusqu'au terme de sa carrière laitière. Aujourd'hui, les bovins britanniques qui intègrent la chaîne alimentaire sont nés au plus tôt au mois de décembre 1998.

Il faut relever que le bovin britannique né le plus récemment et pour lequel a été détecté un cas d'ESB est né au mois d'août 1996 (27). Aucun cas d'ESB n'a été détecté s'agissant de bovins nés après cette date. L'efficacité des mesures d'éradication de l'ESB choisies par le Royaume-Uni est donc incontestable. Ce constat doit d'ailleurs être pris en compte dès lors que l'on considère l'opportunité de l'embargo que la France impose à la viande bovine britannique.

b) L'annonce du 20 mars 1996 déclenche en France et, dans une moindre mesure, dans l'Union européenne, la mise en _uvre de mesures propres à relever le niveau de la sécurité alimentaire des aliments

· La France met en _uvre à compter du printemps de l'année 1996 un embargo sur tous les produits bovins en provenance du Royaume-Uni, ainsi que le retrait des matériaux à risque spécifiés

La France met en _uvre dès le lendemain du 20 mars 1996 deux arrêtés tendant à instaurer un embargo sur les produits bovins en provenance du Royaume-Uni, qu'il s'agisse des animaux vivants, des carcasses, de la viande fraîche, de la gélatine et des graisses telles que le suif. L'idée est qu'aucun produit bovin britannique, quel que soit sa nature, ne doit plus entrer sur le territoire national et ce, sans qu'aucune exception ne soit tolérée. Il est manifeste qu'une telle décision était opportune. Au regard de la gravité de l'annonce du ministre de la Santé du Royaume-Uni, il était nécessaire de mettre en _uvre une pause, afin d'évaluer les risques éventuels induits par les produits bovins britanniques, sans courir aucun d'eux. Autrement dit, l'embargo sur les produits bovins britanniques était une heureuse mesure de précaution (28).

La France met par ailleurs en _uvre à compter du mois d'avril 1996 des mesures concernant le retrait des matériaux à risque spécifiés (MRS), mesures comparables à celles mises en _uvre par le Royaume-Uni à compter du 13 novembre 1989. Le rapporteur estime qu'il est nécessaire de rechercher à quelle date exacte il est raisonnable de penser que le retrait des MRS a été effectif et efficace. Par ailleurs, il est nécessaire de s'interroger sur la date à laquelle les autorités publiques françaises se sont enquis de la nécessité du retrait des MRS.

L'arrêté du 12 avril 1996 publié au Journal Officiel du 14 avril 1996 ajoute à la liste des produits impropres à la consommation humaine l'encéphale, la moelle épinière, le thymus, les amygdales, la rate et les intestins des bovins nés avant le 31 juillet 1991 (29). Seuls ces animaux sont concernés car « il n'est pas possible d'exclure [qu'ils aient] consommé des farines de viande susceptibles de contenir l'agent de l'encéphalopathie spongiforme bovine ». Il est nécessaire de relever deux éléments :

- d'une part, l'arrêté admet que l'interdiction d'intégrer à l'alimentation des bovins des protéines animales, mise en _uvre par l'arrêté du 24 juillet 1990, n'a pas été appliqué correctement pendant plus d'un an, puisque les animaux nés entre cette date et le 31 juillet 1991 sont considérés comme susceptibles d'avoir ingéré des farines de viande et d'os. Selon les services du ministère de l'Agriculture, « suite à l'interdiction édictée le 24 juillet 1990 aucune mesure de retrait des farines animales présentes chez les fabricants d'aliments, ni des aliments destinés aux bovins susceptibles de contenir ces farines, n'avait été décidée. » ;

- d'autre part, alors que la majorité des bovins français chez lesquels a été détectée l'ESB sont nés en 1993, 1994 et 1995, il n'est pas possible de considérer que cette mesure permettait objectivement d'assurer la sécurité sanitaire des aliments, sans que l'on puisse la juger inopportune au regard de la perception de la réalité à la date de l'arrêté.

L'arrêté du 28 juin 1996, paru au journal officiel du 29 juin 1996, constitue, s'agissant de cette dernière appréciation, un progrès substantiel. En effet, cet arrêté prescrit le retrait et la destruction de l'encéphale, de la moelle épinière et des yeux de tous les ruminants, selon des modalités définis par une circulaire ministérielle. Cette circulaire, datée du 25 juillet 1996, évoque l'avis du Comité interministériel sur les ESST (CIESST) en date du 5 juillet 1996 qui conseille le retrait et la destruction par incinération de ces organes pour les bovins de plus de six mois et les ovins et les caprins de plus de douze mois (30).

Il faut en conclure que l'arrêté du 28 juin 1996, appliqué de fait à compter du 25 juillet 1996 après la publication de la circulaire à laquelle il fait référence, ne se réfère plus à une date fixe s'agissant du retrait de l'encéphale, de la moelle épinière et des yeux, mais à l'âge des animaux. Par contre, le retrait du thymus, des amygdales, de la rate et des intestins concerne uniquement les bovins nés avant le 31 juillet 1991. On peut donc considérer qu'à la fin du mois de juillet 1996, le dispositif de sécurité sanitaire de la viande bovine et des produits alimentaires d'origine bovine est très satisfaisant (31). Enfin, le ton de la note du 25 juillet 1996 ne laisse pas de doute sur la détermination des services du ministère de l'Agriculture concernant la nécessité de mettre en _uvre les retraits de MRS sans erreurs et sans délai.

Il convient de s'interroger sur le point de savoir si la date à laquelle la France a mis en _uvre le retrait des MRS n'aurait pu être plus précoce. Il ne saurait être question d'exprimer une réserve sur l'opportunité de cette mesure. Cependant, le rapporteur estime que ledit retrait aurait pu faire l'objet d'une réflexion avant 1996 et peut-être même dès l'époque où la France a détecté ses premiers cas d'ESB. En effet, à partir du moment où les autorités publiques savent que l'épizootie a atteint le territoire national, il n'est plus possible d'ignorer que des animaux en période d'incubation ou des animaux en phase clinique et qui n'auraient pas été détectés, entrent dans les chaînes alimentaires humaine et animale, sauf à considérer que le système d'épidémiosurveillance passive mis en _uvre par la France est parfait et permet de détecter chaque animal atteint par la maladie. Une telle perfection n'est d'ailleurs pas revendiquée par les services vétérinaires du ministère de l'Agriculture, encore moins s'agissant d'une période de rodage pour notre système d'épidémiosurveillance.

On peut dire aujourd'hui que des animaux infectés ont intégré la chaîne alimentaire en France, avant 1996, alors qu'aucune mesure de retrait concernant certains organes n'était mise en _uvre. La France n'est bien sûr pas seule dans ce cas. Le Royaume-Uni a connu cette situation à une échelle incomparablement plus importante avant le mois de novembre 1989. Les pays européens qui ont détecté un premier cas d'ESB sur leur territoire à la fin de l'année 2000 ont aussi connu cette situation tant il est évident que ces premiers cas détectés ont été précédés d'autres cas, peut-être nombreux, au cours des années précédentes. Mais la France est peut-être le pays pour lequel la durée entre le moment où le premier cas d'ESB est détecté et le moment où le retrait des MRS entre en vigueur, a été la plus longue. Même s'il est vrai que le nombre de cas d'ESB a été très faible jusqu'à l'année 1995 comprise (32), le rapporteur estime que ce contretemps est regrettable. Une réflexion aurait du être mise en _uvre sur ce sujet au sein du ministère de l'Agriculture bien avant le printemps de l'année 1996. Or, il semble que cette réflexion n'ait pas eu lieu comme l'illustre cet échange entre M. Jean Puech et le rapporteur :

« M. le Rapporteur : Pour la Grande-Bretagne, c'est en 1989 qu'a lieu le retrait des MRS, [...] Le franchissement de la barrière des espèces est communément admis en 1990 et les ministres, il est vrai, ont pris alors des décisions courageuses, mais pas la décision de retrait des MRS, qui n'interviendra en France qu'en 1996. En Europe, n'en parlons pas, elle est prise bien plus tard. Qu'en dites-vous ?

M. Jean PUECH : Je n'ai pas une connaissance scientifique du dossier qui me permette de vous répondre. ».

· L'Union européenne, qui subit le blocage d'une majorité de pays, ne parvient pas à imposer les mesures nécessaires afin d'assurer la sécurité sanitaire des aliments

Le retrait des MRS a fait l'objet d'un débat acharné pendant plusieurs années au sein des institutions de l'Union européenne. La première proposition de la Commission relative à l'interdiction des matériels à risque spécifiés a été soumis au Comité vétérinaire permanent (CVP) le 3 décembre 1996. Le CVP, dont les décisions sont prises à la majorité qualifiée et dans lequel chaque Etat membre expose une position politique (33), a très largement refusé cette proposition. Seuls le Royaume-Uni et la France expriment une position positive. L'Irlande s'abstient. Dès lors que la proposition de la Commission est rejetée par le CVP, ladite Commission a la possibilité de présenter sa proposition au Conseil des ministres. Celui-ci, saisi le 11 décembre, rejette ladite proposition, dix Etats votant contre. Il s'agit de l'Allemagne, de l'Autriche, de l'Italie, de l'Espagne, des Pays-Bas, de la Belgique, de la Finlande, du Portugal, de la Grèce et du Danemark.

Le 16 juillet 1997, la Commission propose une nouvelle fois au CVP la mise en _uvre du retrait et de la destruction des MRS. Le CVP rejette de nouveau cette proposition (34). Saisi par la Commission, le Conseil des ministres ne parvient ni à rejeter ni à adopter cette proposition. Dès lors, la Commission a adopté sa proposition. Celle-ci devient la décision n° 97/534/CE du 30 juillet 1997. Le retrait des MRS dans chaque Etat de l'Union européenne doit ainsi entrer en vigueur le 1er janvier 1998. Il convient bien sûr de relever que la Commission a, peu après le 20 mars 1996, tenté d'imposer une réglementation communautaire relative au retrait des MRS. Il faut la féliciter d'avoir défendu cette position avec ténacité. Certains considérants de la décision n° 97/534 sont courageux. Le considérant n° 23 est ainsi rédigé : « considérant qu'en raison des échanges de certains produits, notamment de farines de viande et d'os et d'animaux vivants qui ont lieu dans le passé, la présence éventuelle d'agents des EST (35) ne peut être exclue dans aucun des Etats membres ; que, sur la base des résultats des inspections, aucun Etat membre ne peut par conséquent être considéré indemne d'un risque potentiel d'EST ; ». Ce constat, simple puisqu'il s'appuie sur des faits que chacun pouvait observer, a été continuellement nié par certains Etats membres de l'Union européenne pendant plusieurs années.

Ainsi, à compter de la décision de la Commission en date du 30 juillet 1997, ces Etats tentent de reculer la date à laquelle celle-ci doit entrer en vigueur. Une décision de la Commission n° 97/866 du 16 décembre 1997 permet le report de cette date d'entrée en vigueur de trois mois. Seul le Royaume-Uni, au niveau du CVP, s'est opposé à ce report. Au mois de mars 1998, la Commission propose l'adoption d'une version assouplie de sa décision n° 97/534 en proposant notamment que l'obligation du retrait des MRS soit adaptée à la situation épidémiologique de chaque Etat membre. Devant l'impossibilité d'obtenir quelque accord que ce soit, la Présidence demande à la Commission de proposer avant le 1er avril 1998 une nouvelle mesure tendant à reculer l'entrée en vigueur de la décision n° 97/534.

La Commission a refusé de présenter au CVP une proposition allant dans ce sens. Elle a proposé aux Etats membres l'abrogation de sa décision n° 97/534 afin de lui substituer une mesure tendant à exonérer du retrait et de la destruction des MRS, les Etats se déclarant indemnes d'ESB. Un tel dispositif constituait une prime au bénéfice des systèmes d'épidémiosurveillance les moins performants, voire à la dissimulation de cas d'ESB. Il était donc inacceptable. Seuls le Royaume-Uni, la France et le Portugal ont refusé cette abrogation, les Pays-Bas s'abstenant. Dès lors, le Conseil des ministres a adopté à l'unanimité une décision reportant au 1er janvier 1999 la date d'entrée en vigueur de la décision n° 97/534. Le vote de la France en faveur de ce report s'explique ainsi : si la France ne s'était pas prononcée en faveur dudit report, la Commission aurait été en mesure d'adopter sa nouvelle proposition. Il est vrai aussi que le Gouvernement français s'interrogeait sur l'applicabilité de la décision de la Commission n° 97/534 qui interdisait tous les usages, sans exception, des MRS et avait ainsi un champ bien plus large que l'alimentation.

Ultérieurement et par deux fois, les mêmes débats aboutissent aux mêmes résultats. La décision du Conseil des ministres n° 98/745 du 17 décembre 1998 et la décision du Conseil des ministres n° 99/881 du 14 décembre 1999 reculent l'entrée en vigueur de la décision de la Commission n° 97/534 respectivement au 1er janvier 2000 et au 1er juillet 2000.

Un autre sort est réservé à une nouvelle proposition de la Commission tendant à l'abrogation de la décision n° 97/534 et à l'adoption d'une nouvelle réglementation relative au retrait des MRS. Les positions des Etats membres ont évolué car seuls quatre pays s'opposent à cette réglementation au niveau du CVP, soit la Grèce, l'Autriche, la Finlande et les Pays-Bas et quatre autres pays s'abstiennent, à savoir l'Allemagne, l'Espagne, le Portugal et le Royaume-Uni. Cette minorité de blocage oblige la Commission à saisir le Conseil des ministres, au sein duquel ne se dégage aucune majorité, ni pour refuser, ni pour adopter la proposition de la Commission. Celle-ci peut ainsi adopter sa proposition. Elle devient la décision n° 2000/418 de la Commission et implique l'entrée en vigueur du retrait des MRS dans l'ensemble de l'Union européenne à compter du 1er octobre 2000. Cette décision est effectivement entrée en vigueur à la date prévue.

Certains des pays les plus hostiles à l'obligation du retrait des MRS ont donc modifié leur position au cours de l'été 2000. Il est possible que la perspective de la détection de cas d'ESB sur leur territoire soit devenue, peu avant cette période, beaucoup plus forte et ce, pour deux raisons.

En premier lieu, avec l'élaboration de tests rapides de dépistage de l'ESB, la Commission européenne est sur le point de posséder un outil lui permettant de vérifier la qualité des systèmes d'épidémiosurveillance passives de chacun des pays membres, a fortiori de ceux qui n'ont jamais détecté de cas d'ESB (36). Dès lors, l'opposition d'un Etat à l'entrée en vigueur d'une mesure de retrait des MRS, sous le prétexte que cet Etat s'estime indemne de l'ESB, ne pouvait plus s'appuyer sur la plus ou moins grande qualité de son système d'épidémiosurveillance mais sur un outil commun à tous. Pour certains Etats membres, il était donc peut-être temps de reconsidérer cette opposition.

En second lieu, le comité scientifique directeur (CSD), à partir du début de l'année 2000, a communiqué à certains Etats membres les résultats d'une enquête tendant à évaluer la probabilité de la présence de l'ESB dans chacun d'eux. A ce sujet, voici les propos tenus devant notre commission d'enquête par le président du CSD, M. Gérard Pascal :

« Nous avons publié, en juillet 2000, l'évaluation du risque géographique pour vingt-trois pays : quatorze membres de l'Union européenne -  seule la Grèce n'avait pas fourni de dossier - et neuf pays tiers. Nous continuons l'exercice : vingt-cinq nouveaux dossiers d'évaluation de pays tiers sont prêts, dont nous allons discuter la semaine prochaine. Les rapports d'évaluation devraient être publiés d'ici un mois ou deux.

Au printemps 2000, tous les rapports n'étaient pas totalement finalisés mais nous avions déjà les conclusions principales. Cette méthodologie nous avait permis de conclure que l'ESB était probablement présente au Danemark. J'étais en train de relire le projet de conclusions sur le dossier du Danemark lorsque j'ai reçu un appel de Bruxelles m'annonçant la déclaration du premier cas d'ESB au Danemark. Dans ces mêmes documents, nous avions également conclu qu'il était extrêmement probable que l'ESB soit présente en Allemagne, en Espagne et en Italie. Quelques mois plus tard, l'actualité nous a donné raison.

Pourquoi ? Ce n'était pas un exercice de voyance, c'était un exercice basé sur les facteurs de risque : il s'agissait essentiellement, comme facteur de risque extérieur, de l'importation de farines et d'animaux vivants en provenance de Grande-Bretagne, et comme facteurs de risque interne, des systèmes propres aux pays qui interdisaient les farines de viande et d'os pour les ruminants ou qui les interdisaient totalement pour toutes les espèces animales, des modes de surveillance épidémiologique de la maladie dans les troupeaux bovins, des systèmes d'équarrissage et de leur efficacité, etc. Bref, toute une série de facteurs permettaient de porter un jugement sur le risque de présence de l'ESB dans les différents pays.

Nous avons eu quelques difficultés avec les Etats membres pour publier ces rapports, qui ne faisaient pas plaisir à certains d'entre eux à l'époque. Ces conclusions ont été fournies à titre d'information aux Etats membres pour qu'ils puissent réagir et nous apporter des compléments nous amenant éventuellement à les corriger. Les réactions ont été violentes dans certains pays mais, je le répète, l'actualité nous a donné raison puisque nous avions estimé qu'en Allemagne, Espagne et Italie, l'ESB était présente.

M. le Président : Quand avez-vous remis ces rapports ?

M. Gérard PASCAL : Les allers-retours avec les Etats membres ont commencé courant 1998. C'est une méthodologie qui s'est mise au point peu à peu, justement à partir des réactions, des observations et des critiques des Etats membres sur les premiers projets de rapports : ils nous ont indiqué ce qui n'allait pas et ce qu'il était bon de corriger. Les pré-rapports définitifs ont été soumis aux Etats membres au début de l'année 2000, avec des réactions à la fin de l'hiver et au début du printemps 2000.

M. le Président : Une copie était transmise à la Commission ?

M. Gérard PASCAL : Tout à fait, la Commission disposait de tous ces documents. Dès le départ de cet exercice et sur la base d'autres avis que nous avions émis, nous lui avions recommandé très fortement d'obtenir l'harmonisation de l'élimination des matériaux à risque spécifiés au sein de l'ensemble des Etats membres de l'Union européenne. ».

Il faut en conclure que, durant le premier semestre de l'année 2000, de nombreux pays de l'Union européenne qui se déclarent indemnes de cas d'ESB doivent confronter les informations rassurantes fournies par leur système d'épidémiosurveillance passive avec les évaluations élaborées par l'expertise scientifique de l'Union européenne. Or ces évaluations ne sont pas rassurantes et ont certainement eu pour effet de fragiliser la position desdits pays au sein des instances communautaires, consistant à refuser une quelconque réglementation sur le retrait des MRS, sous le prétexte, précisément, que le problème de l'ESB ne les concernait pas. On relève que l'Union européenne a su, sur ce point, s'acquitter de l'une des ses missions les plus importantes, soit l'élaboration et la mise en _uvre de paramètres d'évaluation des situations et des dispositifs de chacun de ses membres, afin d'en comparer l'efficacité respective.

Par contre, le jugement que l'on peut porter sur l'attitude de certains pays membres de l'Union européenne ne peut qu'être extrêmement sévère. A l'été 2000, il n'était plus honnête depuis plusieurs années, voire depuis dix ans, de nier la présence de l'ESB sur le territoire de l'Allemagne, de la Belgique, du Danemark, de l'Espagne, de l'Italie et des Pays-Bas. Un tel comportement était donc intellectuellement malhonnête - au regard des faits objectifs que les travaux du CSD ont contribué de façon décisive à éclairer au début de l'année 2000 - mais il était surtout irresponsable, au regard des risques que ces pays ont fait courir à leur population et à celles des pays dans lesquels ils livraient leurs produits alimentaires d'origine bovine. Sur ce sujet, il suffit de noter les propos de Gérard Pascal, sans d'ailleurs que le pays qu'il cite soit le seul incriminé :

« Nous avions signalé à plusieurs reprises à la Commission, qui l'avait indiqué aux Etats membres et, en particulier, à l'Allemagne, que cette dernière faisait courir des risques considérables et inconsidérés à sa population en ne prenant aucune mesure, en n'éliminant pas les matériaux à risque spécifiés et en continuant à incorporer - cela avait été publié par une équipe de scientifiques allemands - des éléments du système nerveux bovin dans des produits destinés à la consommation humaine, saucisses et pâtés. Cette situation a perduré en Allemagne jusqu'au 1er octobre 2000 et peut-être même encore après : je ne sais pas ce qu'il en est des contrôles qui y ont été réalisés. ».

Cette attitude a enfin eu de graves conséquences économiques pour les filières bovines des pays qui mettaient en _uvre de façon isolée le retrait des MRS. En effet, les prix de la viande bovine issu d'animaux dont l'abattage est soumis au retrait et à la destruction de certains organes sont plus élevés, car la valorisation commerciale de l'animal est réduite à un nombre limité d'organes et concrètement, à la viande seule. La viande issue d'animaux dont tous les organes demeuraient valorisables possédait donc un avantage de marché sur la viande issue d'animaux auxquels certains organes étaient réglementairement soumis à la destruction et ce, afin de parvenir à un niveau convenable de sécurité sanitaire.

Autrement dit, les viandes produites par les pays que nous avons évoqués étaient moins chères et moins sécurisées. On peut même affirmer qu'elles étaient moins chères parce qu'elles étaient moins sécurisées. L'attitude de ces pays, de 1996 à 2000, constitue une faute grave à l'égard de la population de l'Union européenne et des autres pays membres de l'Union européenne.

Ce contexte permet d'évaluer l'opportunité d'une mesure mise en _uvre par l'Union européenne concernant les conditions dans lesquelles certains produits animaux doivent être traités, afin qu'ils puissent être considérés comme sains au regard de l'agent pathogène de l'ESB et, ainsi, être commercialisés. Il s'agit du contenu de la décision de la Commission européenne n° 96/449 du 18 juillet 1996, relative à l'agrément de systèmes de traitement thermique de remplacement pour la transformation de déchets animaux au regard de l'inactivation des agents de l'encéphalopathie spongiforme. Concrètement, il s'agit d'une réglementation tendant à imposer le chauffage des produits de l'équarrissage, donc parmi eux des farines de viandes et d'os, à une température de 133 degrés Celsius, pendant vingt minutes et sous une pression de trois bars.

Il est évident que cette mesure reposait sur des présupposés scientifiques erronés. Ainsi, l'un des considérants de la décision n° 96/449 précise, s'agissant des conditions de chauffage évoquées, qu'« un seul des systèmes testés était en mesure d'inactiver totalement l'agent de la tremblante dans la farine de viande et d'os. ». Or, des scientifiques savaient déjà que seule l'incinération pouvait inactiver « totalement » l'agent pathogène d'une ESST. La décision n° 96/449 du 18 juillet 1996 n'offrait donc aucune garantie de destruction de l'agent pathogène de l'ESB, même s'il est certain que le procédé de chauffage qu'elle rend obligatoire limite sensiblement les charges infectieuses éventuellement présentes dans les produits animaux. La mise en _uvre de cette mesure ne pouvait donc pas se substituer à un retrait des MRS. Elle ne pouvait être qu'une mesure complémentaire audit retrait, qui est le dispositif permettant, par définition, de réduire de façon radicale les charges infectieuses présentes dans les chaînes alimentaires et animales.

Or les Etats membres qui ont milité pour que cette procédure de chauffage des produits animaux soit adoptée au niveau de l'Union européenne, ont considéré qu'elle permettait de ne pas mettre en _uvre le retrait des MRS. Gérard Pascal évoque ainsi cette situation :

« Les Allemands ont mené une bataille effrénée contre la Grande-Bretagne et la France qui demandaient cette élimination des matériaux à risque spécifiés et une harmonisation de cette élimination depuis très longtemps. Ils ont soutenu que leur pays était exempt de l'agent de l'ESB, que la technologie d'équarrissage et de traitement des farines de viande et d'os allemande était efficace à 100 %, ce qui était manifestement faux, les scientifiques le savaient depuis très longtemps. L'Allemagne a d'ailleurs réussi à imposer à l'ensemble des pays de l'Union européenne cette technologie des 133 °, vingt minutes, 3 bars, qui provient d'une proposition allemande parce que c'était le système utilisé en Allemagne et prétendument efficace à 100 %. C'est avec de tels arguments que l'Allemagne s'opposait violemment à toute mesure d'élimination des matériaux à risque qui aurait pu avoir un impact économique. ».

La France, au nom d'exigences plus fortes, a milité contre l'adoption de cette mesure. Ainsi, le 2 juillet 1996, la France est le seul Etat qui vote contre la proposition de la Commission au sein du CVP. Par ailleurs, alors que l'article 3 de la décision n° 96/449 précise qu'elle est applicable à compter du 1er avril 1997, la France n'a réellement mis en _uvre celle-ci que durant le premier semestre de l'année 1998, après l'entrée en vigueur d'un arrêté du 6 février 1998.

Le Gouvernement estimait notamment que le retrait et l'incinération des MRS, des saisies sanitaires et des cadavres d'animaux, mis en _uvre en France à compter de l'été 1996, constituaient des mesures plus efficaces que l'obligation de chauffage des produits animaux à 133 degrés Celsius, pendant vingt minutes sous une pression de trois bars. De plus, en France, les autres produits animaux valorisables, dont les farines de viandes et d'os dont l'usage, à l'époque, était encore permis dans l'alimentation des animaux monogastriques, étaient soumis à l'un des traitements thermiques visés par la décision de la Commission n° 94/382 du 18 juillet 1994, décision que nous avons déjà évoquée, tendant à définir plusieurs traitement thermiques aptes à réduire l'infectiosité éventuelle des produits animaux. In fine, la seule modification substantielle issue de la décision n° 96/449 est la substitution d'un seul procédé de chauffage aux procédés énumérés dans la décision n° 94/382.

Finalement, la France, du 1er avril 1997 au 6 février 1998, est demeurée dans une situation d'infraction au regard de la décision n° 96/449, dans les conditions suivantes :

- elle autorisait le traitement thermique de certains produits animaux selon des procédés valides au regard de la décision n° 94/382, mais qui ne l'étaient plus au regard de la décision n° 96/449, laquelle n'autorise plus qu'un seul traitement thermique, soit le chauffage à 133 degrés Celsius, pendant vingt minutes sous une pression de trois bars, traitement désormais considéré comme le seul efficace (37) ;

- si la France ne procédait pas au chauffage préconisé par la décision n° 96/449 s'agissant des MRS, des saisies d'abattoirs et des cadavres d'animaux, ladite décision autorisait en fait cette procédure puisque le point 5 de son article 2 précise que « ... les Etats membres sont habilités à autoriser la transformation des déchets animaux par une méthode ne répondant pas aux paramètres mentionnés à l'annexe (38) si cette transformation est précédée ou suivie d'un procédé répondant aux paramètres mentionnés à l'annexe ou si le matériel protéique obtenu est détruit par enterrement, incinération, utilisation comme combustible ou une méthode similaire qui assure une destruction sûre. ». En effet, les MRS, les saisies d'abattoirs et les cadavres d'animaux étaient destinés à l'incinération, après leur transformation en farines.

Cette infraction, sciemment assumée, était certes compréhensible dans son principe puisque le dispositif français basé sur la destruction des MRS était plus efficace et que les produits animaux valorisables étaient soumis à un traitement thermique.

Toutefois, avec le recul, on peut estimer que la France aurait du rendre applicable la décision n° 96/449 à la date exigée, soit le 1er avril 1997, et non le 6 février 1998. La raison en est simplement que cette décision n'était pas inutile, puisque le chauffage à 133 degrés Celsius pendant 20 minutes sous une pression de trois bars constitue effectivement le meilleur, à tout le moins le moins mauvais, des procédés énumérés et permis par la décision n° 94/382 du 27 juin 1994. Le comité interministériel sur les ESST aboutit à cette conclusion dans son avis du 18 décembre 1997. C'est d'ailleurs sur la base de cet avis que le Gouvernement publie l'arrêté du 6 février 1998. Il est évident que la non-application de la réglementation communautaire ne constituait pas une politique efficace pour persuader nos partenaires de l'Union européenne que ladite réglementation était insuffisante.

2.- Les autorités publiques tentent d'améliorer l'efficacité de leur rapports avec l'expertise scientifique, notamment en l'institutionnalisant

a) Avant 1996, les échecs d'une relation efficace entre les autorités politiques et les experts scientifiques

Il convient de rappeler en premier lieu l'échec relatif du groupe de travail dirigé par Sir Richard Southwood, du mois de mai 1988 au mois de janvier 1989. Le rapport Phillips estime que ce groupe de travail aurait dû répondre à la question de savoir s'il était opportun de retirer de la chaîne alimentaire humaine les abats de bovins les plus potentiellement contaminants, sachant que des animaux infectés par l'agent pathogène de l'ESB en période d'incubation entraient dans ladite chaîne. Il est évident qu'au regard des informations que le groupe de travail avait en sa possession à cette époque, les termes de ce débat pouvaient être exposés et rendus public. Il est difficile de discerner pourquoi tel n'a pas été le cas.

Il convient de remarquer néanmoins que la faiblesse du groupe de travail avait peut-être pour origine son statut de groupe ad hoc, dont les membres avaient été choisis par les autorités publiques elles-mêmes. Or une partie du travail de l'expertise scientifique consiste justement à choisir quels sont les experts les plus compétents, afin de remettre dans les mains des autorités publiques, gestionnaires du risque, les éléments d'information les plus complets et les plus récents, sous une forme permettant à ces gestionnaires de prendre une décision. Il ne s'agit pas, bien sûr, de mettre en doute les compétences des membres du groupe de travail dirigé par Sir Richard Southwood, encore moins de s'interroger sur leur honnêteté s'agissant d'un travail dont nous avons souligné les difficultés et les qualités. Il s'agit de relever que le groupe de travail n'avait pour membre aucun expert reconnu des ESST. La faute en incombe d'ailleurs au gouvernement britannique. Ce que nous enseigne cet épisode est que le choix d'un expert scientifique doit être confié à des scientifiques.

Les années qui précèdent l'année 1996 ne sont pas non plus en France des moments exemplaires s'agissant des rapports entre les autorités politiques et le monde scientifique. En fait, l'expertise scientifique n'est pas organisée en France avant 1996. L'information scientifique parvient ainsi aux autorités publiques de façon sporadique et désorganisée. On peut citer deux exemples qui tendent à montrer qu'au-delà des compétences et de la bonne volonté de chacun, il est nécessaire que l'expertise scientifique soit institutionnalisée afin d'apporter aux gestionnaires des risques que sont les responsables politiques, les éléments nécessaires à l'action publique.

En premier lieu, on évoquera la réunion du 26 septembre 1989 organisée par la DGAL, qui constitue peut-être la première initiative des autorités publiques françaises pour rassembler les éléments disponibles concernant les ESST en général et l'ESB en particulier et pour sensibiliser la filière bovine à l'émergence de l'épizootie de cette maladie au Royaume-Uni. Ce sont les fonctionnaires de la DGAL qui ont choisi les experts scientifiques présents (39) à cette réunion et ce choix a été fait en fonction de la perception que lesdits fonctionnaires avaient du problème auquel ils étaient confrontés. Certes, on note la présence d'un fonctionnaire de la direction générale de la santé. Il reste que personne n'a cru bon de convier une ou un spécialiste des ESST humaines. Il ne s'agit pas de sous-entendre que la France aurait mieux agi dans un tel cas. Il s'agit de remarquer, là encore, que le choix des compétences scientifiques doit être celui de scientifiques. Enfin, une réunion comme celle du 26 septembre 1989 ne constitue pas une modalité adéquate d'organisation de l'expression de l'expertise scientifique. Les experts évoqués sont certes intervenus, parfois de façon très pertinente, mais de façon décousue, sans que jamais ne se détache la parole scientifique, à partir de laquelle les fonctionnaires, en concertation avec les acteurs professionnelles de la filière, peuvent préparer la décision du responsable politique. Les scientifiques ont donc besoin d'un moment et d'un lieu où ils se retrouvent entre eux, afin de procéder à la collecte des connaissances, à leur confrontation et à leur mise en forme.

En deuxième lieu, on remarque que certains scientifiques ont pris l'initiative d'actions propres à protéger la santé publique. Nous avons déjà évoqué les propos du Dr. Dominique Dormont, qui évoque la période suivant immédiatement le premier embargo français sur les produits bovins britanniques, période pendant laquelle des experts français contribuent, après l'avoir proposé, au « nettoyage des médicaments », mis en _uvre par la direction générale de la santé, afin d'éliminer les tissus bovins de la composition de ces médicaments. Ces travaux ont permis l'adoption de la mesure concernant l'alimentation infantile et les compléments alimentaires. Il est très regrettable qu'à cette époque et ce, jusqu'à l'année 1996, ces scientifiques n'aient pas été invités par les pouvoirs publics à réfléchir à un programme interministériel de mesures de précaution à mettre en _uvre. Il ne fait pas de doute que, si le travail mené au sein de la direction générale de la santé avait eu une vocation interministérielle, si le cloisonnement avait pu être évité entre cette direction et le ministère de l'Agriculture, la question du retrait et de la destruction des MRS aurait été abordée plus rapidement qu'elle ne l'a été. L'expertise scientifique doit donc toujours être interministérielle. La commission d'enquête en a acquis la conviction.

Il faut évoquer enfin ce qu'était l'expertise scientifique au sein des institutions communautaires avant 1996. Beaucoup a été dit sur ce sujet par les membres de la Commission temporaire d'enquête en matière d'ESB du Parlement européen. Son rapporteur, M. Manuel Medina Ortega, relève que « l'influence des idées britanniques sur la Commission a, à l'évidence, été accrue par la présence prépondérante d'experts et de fonctionnaires du ministère de l'Agriculture britannique au sein du sous-groupe ESB du Comité scientifique vétérinaire....Quoi qu'il en soit, le sous-groupe ESB du Comité scientifique vétérinaire a presque toujours été présidé par un Britannique, ce qui rendait particulièrement importants les aspects d'objectivité et d'impartialité. ». Il relève plus loin que « en règle générale, la Commission fonde ses propositions législatives sur les avis du comité scientifique vétérinaire permanent... ».

M. Gérard Pascal a livré à notre commission d'enquête ce témoignage s'agissant du fonctionnement du comité scientifique vétérinaire et ce, même après l'année 1996 : « Ce comité scientifique vétérinaire était, à l'époque, placé au sein de la direction générale de l'agriculture. Son mode de fonctionnement - que j'avais pu observer en participant à titre d'observateur à l'une de ses dernières réunions avant le remaniement des comités scientifiques (40) - m'avait beaucoup surpris : en effet, j'avais pu voir en entrant dans la salle de réunion, sur la table, un document très important qui devait être un avis adopté par le comité scientifique vétérinaire et qui n'avait pas été envoyé auparavant à ses membres. C'était un avis complexe, très important, qui soulevait déjà la question de la présence possible de l'agent de l'ESB chez le mouton. Figurait également sur la table, un projet d'avis sur un autre sujet qui était déjà pré-rédigé. Je n'avais jamais vu ce mode de fonctionnement dans le comité scientifique de l'alimentation humaine dans lequel je travaillais depuis déjà dix ans. Cela m'a surpris. C'est une simple observation. ».

Le comité scientifique vétérinaire a constitué jusque durant l'année 1996 l'outil d'expertise scientifique au service de la Commission, pour l'élaboration des réglementations relatives à l'ESB. Il semble évident que cet outil n'a pas fonctionné convenablement. On relève qu'un soupçon pèse sur l'indépendance des membres du comité scientifique vétérinaire, alors qu'il est indispensable que les experts soient indépendants des personnes, des institutions et des Etats pour lesquelles le sujet traité par lesdits experts a une importance économique. On relève ensuite que chacun des membres du comité scientifique vétérinaire n'était pas informé convenablement par ses pairs des sujets sur lesquels il allait devoir exprimer un avis. On peut donc dire que ces modalités de fonctionnement sont déplorables.

b) La France et l'Union européenne ont su réformer les modalités de fonctionnement de l'expertise scientifique nécessaire à la décision publique

· La France est parvenue à créer et à organiser une expertise scientifique dédiée à l'alimentation

L'expertise scientifique française en matière d'ESST a été constituée à la suite du choc entraîné par l'annonce du 20 mars 1996. Immédiatement, le Gouvernement de l'époque ressent le besoin de se doter d'une expertise scientifique, afin de l'aider à mettre en _uvre des décisions opportunes s'agissant d'un grave problème potentiel de santé publique dont les implications scientifiques étaient complexes. Il crée ainsi le 17 avril 1996 le comité d'experts de veille scientifique, médicale et vétérinaire sur les encéphalopathies subaiguës spongiformes transmissibles et les prions, que chacun nomme le Comité interministériel sur les ESST (CIESST). La première réunion du CIESST a lieu le 17 avril 1996 au siège de l'institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM). M. Philippe Vasseur, alors ministre de l'Agriculture, de la Pêche et de l'Alimentation, M. François d'Aubert, secrétaire d'Etat à la Recherche et M. Hervé Gaymard, secrétaire d'Etat à la Santé et la Sécurité sociale ont participé à cette réunion inaugurale. Ils ont précisé au CIESST, présidé par le Dr. Dominique Dormont, que les missions du comité étaient au nombre de trois :

« - mise à jour permanente des connaissances ;

- fourniture d'éléments destinés à orienter les décisions en matière sanitaire tant dans le domaine animal que vis-à-vis de la santé humaine ;

- proposition dans les meilleurs délais d'un programme de recherche inter-organismes que les trois ministres soutiendront (facteur de transmissibilité, physiopathologie, tests, modes de transmission, outils pharmacologiques). ».

On peut estimer que l'expertise est constituée par le deuxième point, dont le contenu s'appuie sur le premier point.

L'action du CIESST a été très rapidement positive. En effet, l'avis du 5 juillet 1996 du CIESST permet au Gouvernement d'améliorer substantiellement la réglementation française des MRS en date du 12 avril 1996. Le CIESST invite notamment le Gouvernement à mettre en _uvre le retrait des MRS pour les bovins âgés de plus de six mois et non uniquement pour les bovins nés avant le 31 juillet 1991. Cette intervention est très bénéfique car, d'une part, elle facilite la tâche des abattoirs, puisqu'il est plus facile, en pratique, d'évaluer l'âge d'un animal que de contrôler sa date de naissance et, d'autre part, elle est basée sur une vision réaliste, donc critique, de la mise en _uvre de l'interdiction d'utiliser des protéines animales dans l'alimentation des bovins à compter du 24 juillet 1990.

Par la suite, le Parlement dote la France, par les articles 9 à 13 de la loi n° 98-535 du 1er juillet 1998 relative au renforcement de la veille sanitaire et du contrôle de la sécurité sanitaire des produits destinés à l'homme, d'une agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA). L'Agence a débuté ses travaux le 1er avril 1999, date à laquelle le Conseil des ministres a procédé à la nomination de son directeur général. La mission générale de l'AFSSA est décrite au deuxième alinéa de l'article L. 794-1 du code de la santé publique :

« Dans le but d'assurer la protection de la santé humaine, l'agence a pour mission de contribuer à assurer la sécurité sanitaire dans le domaine de l'alimentation, depuis la production des matières premières jusqu'à la distribution au consommateur final. Elle évalue les risques sanitaires et nutritionnels que peuvent présenter les aliments destinés à l'homme ou aux animaux, y compris ceux pouvant provenir des eaux destinées à la consommation humaine, des procédés et conditions de production, transformation, conservation, transport, stockage et distribution des denrées alimentaires, ainsi que des maladies ou infections animales, de l'utilisation des denrées destinées à l'alimentation animale, des produits phytosanitaires, des médicaments vétérinaires... ».

Il convient de noter que l'AFSSA a absorbé ou s'est substituée à divers organismes d'expertise existants. Chacun d'eux possédait une parcelle de la compétence de l'AFSSA, sans que la somme de ces parcelles n'atteigne la définition générale des compétences de l'AFSSA. Il s'agit notamment du Centre national de coordination des études et des recherches sur la nutrition et l'aliment au sein du Centre national de la recherche scientifique, du Centre national d'études vétérinaires et alimentaires (CNEVA) et de la Commission de technologie alimentaire. Par ailleurs, l'AFSSA s'est substituée et se substituera progressivement au Comité interministériel d'étude des produits destinés à une alimentation particulière (CEDAP), qui dans un avis du 9 juillet 1992 avait recommandé de retirer des compléments alimentaires et des aliments pour les bébés les tissus bovins et ovins les plus susceptibles de porter les charges infectieuses dans le cas d'une ESST, à la section alimentation et ainsi qu'à une partie de la section des eaux du Conseil supérieur d'hygiène publique de France (CSHPF), Conseil qui avait rendu trois avis en 1992 concernant les ESST, ainsi qu'à la Commission interministérielle et interprofessionnelle de l'alimentation animale (CIIAA).

Dans son activité d'évaluation des risques sanitaires et alimentaires, l'AFSSA est assisté par des groupes d'experts spécialisés. Le CIESST est bien sûr devenu le groupe d'expert spécialisé, interlocuteur privilégié de l'AFSSA à compter du 1er avril 1999, s'agissant des ESST. C'est pourquoi, dans beaucoup de ses avis, l'AFSSA cite de façon très abondante les avis du CIESST et reprend ses recommandations.

Il est essentiel que l'AFSSA parvienne, à terme, à réaliser la synthèse des éléments pour chacun desquels elle dispose d'un groupe d'expert spécialisé. Le rapporteur estime donc qu'il est nécessaire que le Gouvernement saisisse l'AFSSA pour que celle-ci mettre en _uvre une étude globale et de long terme permettant de hiérarchiser, sur des bases scientifiques incontestables, les risques sanitaires alimentaires. Il ne s'agit nullement ici de critiquer les avis de l'AFSSA s'agissant des ESST. Les autorités politiques doivent garder la responsabilité de la gestion publique et, en l'espèce, de la gestion des risques. Il s'agit de permettre à l'AFSSA de contribuer à une réflexion des citoyens sur ce que pourrait être une juste perception des risques alimentaires. A ce sujet, M. Gérard Pascal a tenu devant notre commission d'enquête des propos extrêmement éclairants : « A mon sens, la première priorité serait d'essayer d'avoir une classification, une hiérarchisation des risques dans le domaine alimentaire. C'est un exercice difficile, car nous ne disposons pas de toutes les informations qui seraient nécessaires. Cet exercice est entrepris au Conseil national de l'alimentation, [...] mais il l'est également dans le cadre d'une collaboration entre l'Institut national de veille sanitaire et l'AFSSA. Nous essayons aussi de le conduire au sein de l'INRA, pour aider les décideurs à prendre conscience des niveaux de risque de santé publique.

Cela ne veut pas dire que ce sera le seul élément d'appréciation pour les décideurs politiques, parce que la perception du risque par le citoyen ne sera pas forcément en accord avec l'évaluation du scientifique. Néanmoins, je m'interroge très sérieusement sur l'insuffisante prise en compte du risque nutritionnel. Il me semble grave de voir se développer l'obésité chez nos enfants, dont les conséquences à terme en matière de santé publique ne sont pas discutées, sans que ce problème soit pris en compte plus sérieusement que d'autres problèmes de santé publique.

Il est évidemment beaucoup trop tôt pour pouvoir se prononcer sur l'importance que revêtira la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob en termes de santé publique. Mais, les problèmes de listériose, par exemple, qui font les grands titres de la presse, ne sont pas des problèmes majeurs en terme de santé publique, même s'ils sont perçus comme tels par le citoyen. J'aimerais pouvoir contribuer à l'élaboration d'une échelle de risques, de manière à ce que l'on puisse mettre en face les mesures de précaution qui sont prises pour pallier et combattre ces risques. C'est vraiment un exercice difficile. ».

C'est un exercice difficile, mais il est nécessaire. Sa mise en _uvre n'exclut d'ailleurs pas pour l'AFSSA la poursuite de l'étude minutieuse des éléments relatifs aux ESST, afin que le Gouvernement puisse décider des mesures nécessaires à la sécurité sanitaire des aliments dans ce domaine particulier.

Il reste que la création de l'AFSSA constitue un élément majeur de notre dispositif sanitaire dans le domaine de l'alimentation. Au-delà de la simplification et de la globalisation de l'expertise scientifique concernant les aliments, la qualité des travaux menés depuis sa création en témoigne. Ainsi, le rapport de l'AFSSA daté du mois d'avril 2001, intitulé « les risques sanitaires liés aux différents usages des farines et graisses d'origine animale et aux conditions de leur traitement et de leur élimination », est l'exemple même d'une synthèse utile et complète d'un risque lié à l'alimentation. La commission d'enquête considère que l'AFSSA est un motif de fierté en ce qu'elle démontre que l'Etat peut se moderniser pour rendre un meilleur service à ses administrés. Le fait qu'elle résulte d'une initiative parlementaire ne peut d'ailleurs que renforcer, par ailleurs, le sentiment de la commission d'enquête.

· La Commission européenne est parvenue à réorganiser l'expertise scientifique sur la base de laquelle elle propose aux Etats membres de l'Union européenne des réglementations sanitaires

Sur ce point, M. Gérard Pascal a très longuement exposé devant notre commission d'enquête la construction progressive des comités scientifiques au sein des instances communautaires. En premier lieu, peu après le 20 mars 1996, « La Commission a donc décidé...de créer auprès de son secrétariat général, et non plus au sein d'une direction générale, un comité particulier pour traiter spécifiquement de ces problèmes, lequel s'est intitulé Comité scientifique multidisciplinaire sur l'ESB. C'était la manifestation du fait que la Commission souhaitait retirer les avis scientifiques sur l'ESB des directions générales, qui pouvaient en effet être directement impliquées dans la réglementation ou avoir des intérêts dans le traitement de problèmes économiques liés soit à l'agriculture et à la production agricole, soit à l'industrie et à la transformation industrielle.

J'ai été l'un des sept membres de ce comité multidisciplinaire qui était constitué de cinq spécialistes des maladies à prions, virologues et épidémiologistes, et de deux « Candide ». J'étais l'un d'eux, le second étant mon collègue Fritz Kemper, qui présidait ce comité. Celui-ci s'est réuni de juillet 1996 à octobre 1997 et j'ai beaucoup appris en écoutant ces spécialistes des maladies à prions qui étaient vraiment les plus compétents, me semble-t-il, dans ce domaine à l'échelle européenne. Le professeur Dormont participait d'ailleurs à ce comité. »

Cette première étape est similaire à celle qui a conduit le Gouvernement français à créer le CIESST. Il s'agissait de pouvoir disposer rapidement d'une expertise scientifique de qualité concernant les ESST, pour lesquelles d'importantes décisions de santé publique devaient être mises en _uvre de façon urgente, dans l'attente d'une organisation de l'expertise scientifique plus ambitieuse et consacrée concurremment à d'autres risques.

Ainsi, « C'est au cours de l'été 1997 que la Commission a mis en place, à la suite de sa réflexion sur la réorganisation de l'expertise scientifique, les nouveaux comités scientifiques, non plus au sein des directions générales impliquées dans les affaires économiques et commerciales et dans la réglementation, mais au sein de la direction générale XXIV de l'époque, qui était intitulée avant cette réorganisation « Politique des consommateurs » et qui est devenue « Politique des consommateurs et protection de leur santé ».

Ont été recréés huit comités scientifiques spécialisés et, chose nouvelle, un comité scientifique directeur. Leurs membres ont été nommés après appel à candidature et sélection par des jurys. J'ai été personnellement nommé membre du comité scientifique directeur : il était constitué de huit membres nommés au titre de leur compétence et de leur expérience, et qui ont présidé ultérieurement les jurys de sélection des huit comités scientifiques plus spécialisés. Ce comité scientifique directeur s'est trouvé ensuite complété par les huit présidents élus de ces comités scientifiques spécialisés. Il est donc composé de seize membres : huit qui n'appartiennent à aucun autre comité scientifique et huit qui sont les présidents des comités scientifiques spécialisés. Dès sa mise en place, lui a été attribuée, entre autres, la mission de suivre les questions relatives à l'ESB.

Tout en mettant en place ce comité directeur, la Commission avait prévu, dès l'origine, la création au sein de ce dernier d'un groupe ad hoc spécialisé dans les maladies à prions et, en particulier, l'ESB. Ce groupe ad hoc a été très rapidement créé après que le comité directeur eut désigné ses président et vice-présidents. J'ai eu l'honneur d'en être élu président en novembre 1997. Le comité a mis en place le groupe ad hoc sur l'ESB constitué, d'une part, de membres du comité directeur et, d'autre part, des experts les plus compétents sur le plan scientifique dans le domaine. Le professeur Dormont en a fait partie dès le début.

A partir de cette date, ce groupe a été systématiquement consulté sur toutes les questions qui nous étaient posées par la Commission et nous a préparé le travail sur le plan purement scientifique. Il travaillait avec des spécialistes extrêmement pointus venus de toute l'Union européenne, voire d'autres pays, en particulier de la Suisse qui, sur le plan de la recherche, comptait parmi les pays les plus avancés en ces matières. Ce groupe ad hoc pouvait faire appel à d'autres experts. Il l'a fait à maintes reprises lorsque le besoin s'en faisait sentir, faisant même venir parfois certains experts des Etats-Unis.

Depuis 1997, le comité scientifique directeur a émis plus d'une quarantaine d'avis qui représentent plusieurs centaines de pages... ».

Cette organisation s'est rapidement révélée efficace. Le comité ad hoc sur l'ESB a ainsi été à l'origine des propositions de la Commission concernant la réglementation relatives aux MRS et du protocole et de la réalisation de la procédure d'agrément des tests rapides mise en _uvre à compter de l'été 1999.

Enfin, le rapporteur a l'impression que M. Gérard Pascal a émis une certaine réserve s'agissant du fonctionnement de l'expertise scientifique en France. Il précise, après avoir rappelé les termes du désaccord entre les experts français et les membres du CSD s'agissant de l'embargo sur la viande en provenance du Royaume-Uni :

« J'ai l'impression que la richesse des comités européens tient à cette mixité entre des groupes de travail comportant des personnes extrêmement pointues sur un sujet et un comité réunissant des personnes possédant l'expérience qui leur permet d'extraire de ce que disent les scientifiques les éléments qui peuvent aider les décideurs.

C'est un sentiment que je conforte au fil des ans, mais qui peut être discuté, puisque la critique immédiate consiste à se demander comment des gens incompétents peuvent s'exprimer sur un sujet, alors que ceux qui sont engagés dans la recherche et au sein des laboratoires ne sont pas forcément suivis. Mais souvent on ne peut pas les suivre, car lequel suivre lorsque leurs avis sont quelque peu divergents ? ».

Par ailleurs, Gérard Pascal évoque « les positions maximalistes » de la France s'agissant de l'embargo sur les viandes du Royaume-Uni, avant de les contester de façon très argumentée à la fin de son audition. Le rapporteur extrapole peut-être en pensant que Gérard Pascal établit un lien entre les modalités d'organisation de l'expertise scientifique française autour de comités d'experts spécialisés qui produisent une information scientifique non retraitée par des scientifiques « généralistes » et ces positions qu'il qualifie de maximalistes. Il y aurait ainsi un lien entre l'organisation de l'expertise scientifique et le contenu scientifique des avis dont elle est à l'origine. A tout le moins, la confrontation des expériences et des perspectives des experts de tous les risques alimentaires doit pouvoir être fructueuse. C'est pourquoi le rapporteur estime que la recherche d'une hiérarchie des risques alimentaires contribuerait à un plus grand brassage multidisciplinaire au sein de l'expertise scientifique française.

II.- LA CRISE DE L'AUTOMNE 2000 EST LA CONSÉQUENCE D'UNE AGGRAVATION, DEPUIS 1999, DU CONTEXTE ÉPIDÉMIOLOGIQUE ANIMAL EN FRANCE ET HUMAIN AU ROYAUME-UNI, AINSI QUE D'UNE RÉACTION IRRATIONELLE FACE À UN ÉVÈNEMENT PONCTUEL

A.- EN 1999 ET EN 2000, IL EST CONSTATÉ DES AUGMENTATIONS DU NOMBRE DE CAS D'ESB EN FRANCE ET DU NOMBRE DE CAS DU NOUVEAU VARIANT DE LA MALADIE DE CREUTZFELDT-JAKOB AU ROYAUME-UNI

1.- L'augmentation depuis 1999 du nombre des cas d'ESB détectés en France a contribué à une crise de confiance à l'encontre du dispositif français de lutte contre l'ESB

a) Depuis le début de l'année 1999, la fréquence de la détection des cas d'ESB a régulièrement augmenté

Ce constat peut être illustré par le tableau suivant :

Nombre de cas d'ESB confirmés par mois, entre janvier 1999 et décembre 2000,

par le système d'épidémiosurveillance passive (SEP)
et par le programme de recherche (PdR) initié en juin 2000
et noms des départements pour lesquels un premier cas d'ESB a été détecté 
(1)

 

Nombre de cas déclarés

Nouveaux départements touchés

 

Décomposition

Total

 

Janvier 1999

SEP : 4

4

Vendée

Février 1999

SEP : 2

2

 

Mars 1999

SEP : 2

2

Aveyron

Avril 1999

SEP : 0

0

 

Mai 1999

SEP : 2

2

 

Juin 1999

SEP : 2

2

 

Juillet 1999

SEP : 3

3

Aube

Août 1999

SEP : 1

1

 

Septembre 1999

SEP : 3

3

 

Octobre 1999

SEP : 2

2

 

Novembre 1999

SEP : 4

4

Oise

Décembre 1999

SEP : 3

3

Cantal

Janvier 2000

SEP : 6

6

Creuse

Février 2000

SEP : 4

4

Loire

Charente-Maritime

Ain

Mars 2000

SEP : 4

4

Deux-Sèvres

Rhône

Haute-Vienne

Avril 2000

SEP : 4

4

Eure-et-Loire

Mai 2000

SEP : 1

1

 

Juin 2000

SEP : 4

PDR : 0

4

Loire-Atlantique

Juillet 2000

SEP : 9

 

Isère

 

PDR : 1

10

 

Août 2000

SEP : 3

   
 

PDR : 6

9

 

Septembre 2000

SEP : 6

   
 

PDR : 3

9

 

Octobre 2000

SEP : 15

 

Doubs

 

PDR : 18

33

Vosges

Novembre 2000

SEP : 21

 

Tarn

 

PDR : 16

37

Jura

Décembre 2000

SEP : 20

 

Landes

 

PDR : 12

32

Allier

Haute-Vienne

Cher

(1) : les départements ayant connu au moins un cas d'ESB avant le mois de janvier 1999 sont les suivants : l'Aisne, le Calvados, le Cantal, les Côtes d'Armor, la Creuse, le Finistère, l'Ille-et-Vilaine, le Loir-et-Cher, le Maine-et-Loire, la Manche, la Mayenne, le Morbihan, le Nord, l'Orne, le Pas-de-Calais, le Puy-de-Dôme, la Haute-Saône, la Sarthe et la Savoie.

S'agissant du nombre de cas d'ESB détectés en France, il faut relever plusieurs périodes durant les deux années 1999 et 2000. Du mois de janvier 1999 au mois d'octobre 1999, on constate que le nombre mensuel moyen de cas d'ESB confirmés atteint 2,1. Du mois de novembre 1999 au mois de juin 2000, ce nombre s'élève à 3,75. Durant les trois mois qui précèdent le mois pendant lequel se noue la crise actuelle, soit les mois de juillet, d'août et de septembre de l'année 2000, la moyenne des cas d'ESB détectés s'élève à 9,3 cas par mois, sachant qu'au début du mois de juin est mis en _uvre le programme de recherche par l'utilisation de tests rapides (41). Cette moyenne s'élève pour les trois derniers de l'année 2000 à 34 cas détectés par mois. Au total, sur les 162 cas d'ESB détectés durant l'année 2000, 102, soit 63 %, l'ont été au dernier trimestre de l'année 2000.

Une modification aussi rapide de la réalité épidémiologique de la maladie animale a modifié la perception de l'opinion publique s'agissant de l'exposition au risque alimentaire. On relève que durant l'année 2000, la presse écrite nationale française a porté à la connaissance du public chaque nouveau cas d'ESB. Les quotidiens régionaux ont aussi, bien sûr, contribué à la description de l'augmentation du nombre des cas d'ESB. Cette information avait d'ailleurs plus de chance de sensibiliser l'opinion, car la presse locale a davantage vocation à décrire la proximité du risque en évoquant des cas locaux d'ESB, proches géographiquement de ses lecteurs, en décrivant les conséquences concrètes de l'apparition d'un tel cas, notamment le fait que l'ensemble du troupeau de l'éleveur concerné est abattu.

Le tableau ci-dessus permet d'ailleurs de constater que, du mois de janvier 1999 au mois de décembre 2000, vingt-trois départements ont été confrontés pour la première fois à un cas d'ESB, alors que du mois de février 1991 au mois de décembre 1998, seuls dix-huit départements avaient été concernés par au moins un cas d'ESB. La pression de l'ESB sur la population française s'est donc accrue substantiellement durant les deux années 1999 et 2000 du fait de la forte augmentation du nombre de cas détectés et du fait de l'élargissement de la distribution géographique desdits cas.

Il ne s'agit évidemment pas de reprocher à la presse de relater des faits réels, notamment l'aggravation de la situation épidémiologique chez l'animal en 2000, mais bien de comprendre les raisons pour lesquelles une certaine psychose s'est emparée de l'opinion publique à compter du mois d'octobre 2000. L'augmentation du nombre de cas d'ESB en France, qui a précédé la crise et qui a été rapportée comme il se devait aux Français par leurs organes de presse, a contribué, presque de façon inconsciente, à l'apparition de cette psychose, notamment en accréditant le sentiment selon lequel le risque de l'exposition de l'être humain à la maladie animale se rapprochait.

b) La réflexion scientifique menée à compter de l'année 1999 sur l'augmentation des cas d'ESB détectés a rejailli sur les mesures de lutte contre l'ESB applicables depuis 1996

Au mois de novembre 1999, le Gouvernement décide de saisir l'AFSSA afin que celle-ci opère une réévaluation complète du dispositif de lutte contre l'ESB. Cette saisine a plusieurs raisons.

L'AFSSA fonctionne depuis la nomination de son directeur général, M. Martin Hirsch, le 1er avril 1999. Alors que la création de l'AFSSA avait, en partie, pour origine les enseignements que les pouvoirs publics français avaient mis en lumière lors de la crise issue de l'annonce du ministre de la Santé britannique du 20 mars 1996, il était normal de saisir cette agence afin qu'elle évalue le dispositif de lutte contre l'ESB mis en _uvre à compter du mois d'avril 1996. Il est important de relever que l'objet d'étude confié à l'AFSSA au mois de novembre 1999 est d'évaluer le dispositif en vigueur, dans lequel les matériaux à risque spécifiés des bovins et des ovins sont retirés des chaînes alimentaires humaine et animale et dans lequel les farines de viandes et d'os sont interdites dans l'alimentation de tous les ruminants.

Par ailleurs, le Gouvernement saisit l'AFSSA, parce qu'il estime important que les dispositifs mis en _uvre par la France puissent être réévalués de façon régulière, au regard des découvertes scientifiques les plus récentes, dont les implications sur l'action publique ne sont accessibles aux gestionnaires du risque qu'après qu'ils aient été décryptés par les responsables de l'expertise scientifique. La saisine de l'AFSSA du mois de novembre 1999 correspond ainsi à la volonté de maintenir le lien le plus étroit possible entre la réglementation et les connaissances scientifiques.

Enfin, il est probable que le Gouvernement envisage dès cette époque l'augmentation du nombre de cas détectés d'ESB. En effet, dès 1998, le comité interministériel sur les ESST estime possible une augmentation du nombre de cas d'ESB détectés, augmentation qui aurait pour origine des contaminations de l'alimentation des bovins par des aliments destinés aux monogastriques, c'est-à-dire des contaminations croisées. Or les animaux concernés sont nés, pour la plupart d'entre eux, en 1993, 1994 et 1995, soit plusieurs années après l'arrêté du 24 juillet 1990 interdisant l'utilisation des protéines animales dans l'alimentation des bovins. Il s'agit donc de tenter de comprendre pourquoi des bovins, nés après qu'il ait été interdit de les nourrir avec des aliments fabriqués à partir de farines de viandes et d'os, ont été contaminés.

Il s'ensuit, de la part de l'AFSSA, la publication de plusieurs avis, qui sont les résultats d'une démarche très ambitieuse et très utile de réévaluation globale de l'ensemble du dispositif français de lutte contre l'ESB. Il s'agit de savoir si les mesures mises en _uvre sont opportunes et si d'autres mesures envisagées doivent être mises en _uvre. L'AFSSA émet quatorze avis en 2000 concernant l'ESB, souvent en lien avec cette demande de réévaluation globale du dispositif français de lutte contre l'ESB. Ainsi, l'AFSSA a conseillé en 2000 l'interdiction de la pratique du jonchage, le renforcement des mesures de précaution relatives au thymus, à la rate et aux intestins des bovins.

Cette succession d'avis recommandant le renforcement des mesures de précaution s'agissant de la lutte contre l'ESB a pu être interprétée par l'opinion publique, paradoxalement, comme l'aveu d'un dispositif déficient et non comme le signe d'un haut niveau de sécurité. Cette interprétation n'a pu être que renforcée par la dégradation de la situation épidémiologique animale en France. Il est possible qu'un lien inconscient ait été établi, dans l'opinion publique, entre, d'une part, l'accumulation des avis issus de l'expertise scientifique recommandant le renforcement des mesures de précaution et, d'autre part, l'augmentation du nombre de cas détectés d'ESB dans le cheptel français, notamment en l'an 2000. Or ces deux éléments ne se rapportent pas au même dispositif de lutte contre l'ESB.

En effet, les cas d'ESB détectés en 2000 concernent des animaux nés avant 1996. Ils illustrent donc l'inefficacité, au moins partielle, d'un dispositif de lutte contre l'ESB dont la mesure la plus importante consistait à interdire les protéines animales dans la fabrication des aliments pour les bovins puis pour les ruminants.

Par contre, le travail de l'AFSSA au cours de l'année 2000 a consisté à évaluer la qualité du dispositif mis en _uvre à compter du mois d'avril 1996 et dont la mesure essentielle est le retrait des abats à risque des chaînes alimentaires humaine et animale. Il est probable qu'un lien a été établi entre la dégradation constatée de la situation épidémiologique et le dispositif de lutte contre l'ESB en vigueur au moment où la dégradation a été constatée. Il est probable que ce lien a conduit à l'émergence d'une certaine méfiance à l'encontre dudit dispositif, auquel on a imputé une situation épidémiologique dont il n'était pas la cause. Or la France constatera le degré d'efficacité du dispositif mis en _uvre à l'été de l'année 1996 cinq années après cette date, délai qui correspond à la durée moyenne d'incubation de la maladie dans l'espèce bovine.

Sans préjuger de résultats épidémiologiques que chacun espère positifs, il est certain que les mesures mises en _uvre en 1996 constituent un dispositif efficace. Les mesures mises en _uvre en 2000, qu'il s'agisse des compléments apportés à la liste des MRS ou de l'interdiction du jonchage, n'ont pas constitué une modification de la stratégie des pouvoirs publics dans la lutte contre l'ESB, mais relèvent d'une amélioration, à la marge, de cette stratégie, au regard de l'expertise scientifique la plus récente et la plus documentée.

2.- En 1999 et en 2000, la situation épidémiologique humaine s'est assombrie au Royaume-Uni et les perspectives d'une large épidémie humaine ont connu des développements nouveaux

Le 20 mars 1999, The Lancet publie une étude qui fait état d'une augmentation du nombre des cas de la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob au Royaume-Uni. A cette date, en effet, 39 personnes étaient déjà décédées de cette maladie depuis 1995, dont 9 durant le dernier trimestre de l'année 1998. Après le décès de 15 personnes, lié à la même maladie au Royaume-Uni en 1999, il est constaté durant l'été 2000 que le nombre de cas augmenterait sensiblement durant cette année. Cette estimation se confirma, puisque 27 personnes sont décédées au Royaume-Uni de la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob en 2000 (42).

En 2000, en France, deux nouveaux cas de la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob sont rendus publics, après celui de l'année 1996. Une jeune femme est décédée dans le courant de l'année 2000 ainsi qu'un jeune homme en 2001.

C'est également l'an dernier que furent publiées les premières projections épidémiologiques concernant l'ampleur future, au Royaume-Uni, de l'épidémie de la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob. Au début de l'année 2000, l'équipe du professeur Roy Anderson, de l'université d'Oxford, publie dans les comptes rendus de la Société royale britannique de biologie une évaluation du nombre total de victimes humaines du début jusqu'à la fin de l'épidémie. Ce nombre varierait entre 14 000 et 500 000. Dans le numéro du 10 août 2000 de la revue Nature, l'équipe du professeur Roy Anderson publie une nouvelle estimation. Entre 70 personnes et 136 000 personnes pourraient être atteintes au Royaume-Uni par la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob jusqu'à l'extinction de l'épidémie humaine. Dans la partie que nous consacrerons aux projections épidémiologiques concernant la maladie humaine, nous décrirons la méthodologie employée par le professeur Roy Anderson, ainsi que les évaluations qu'il est possible d'élaborer pour la France. On peut remarquer que le nombre présenté des victimes potentiels est très élevé s'agissant de la borne haute de l'évaluation.

Il n'est pas simple, pour qui que ce soit, d'appréhender puis d'accepter de telles perspectives. On comprend, à tout le moins, que la diffusion de ces informations a sensiblement accentué l'idée que le risque couru par chacun n'était pas négligeable.

Par ailleurs, au cours de l'année 2000, sont évoqués pour la première fois les tests réalisés sur l'homme pour déterminer l'ampleur de la présence de la maladie chez l'être humain. Le Gouvernement britannique rend ainsi public, le 28 avril 2000, les résultats d'une enquête tendant à détecter la présence de la PrPres caractéristique de la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, dans les échantillons d'amygdales et d'appendices de 20 000 patients pour lesquels ces organes avaient fait l'objet d'une ablation entre le début des années 1980 et la fin des années 1990. Certes, aucune trace de la PrPres n'a été détectée dans les 3 170 premiers échantillons étudiés. Mais il apparaît que cette expérience constitue, à peu de chose près, un test sur les êtres humains. Or, chacun pressent facilement la difficulté de gestion d'un tel outil utilisé sur des êtres vivants, qui peut aboutir à la situation dans laquelle une personne sait qu'une autre personne ou elle-même vit la période d'incubation de la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob.

Enfin, en 2000, se pose de façon plus aiguë le problème de la transmission de la maladie par le sang au sein de l'espèce humaine. L'hypothèse de la présence de la PrPres dans le sang des patients atteints par la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob n'est pas nouvelle, comme nous l'avons relevé plus haut. Cependant, en 2000, cette hypothèse devient la cause de mesures de précaution mises en _uvre par certains Etats. Ainsi, les Etats-Unis d'Amérique, le Canada et l'Australie ont décidé, à la fin de l'année 1999 et en 2000, d'exclure de leur dispositif de don du sang les personnes ayant séjourné au Royaume-Uni, voire dans l'Union européenne, pendant une certaine durée, entre 1980 et 1996.

Il est compréhensible que les ressortissants des pays ainsi visés, donc les Français, aient eu le sentiment que le risque était plus fort et plus précis, dès lors que des groupes humains comptant plusieurs millions de personnes étaient considérés globalement comme des porteurs potentiels de l'agent infectieux de la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob. Par ailleurs, l'idée que le sang porte l'agent infectieux signifie que le risque de sa dissémination au sein de l'espèce augmente sensiblement, alors même que l'infection de l'être humain par ingestion de produits bovins infectés avait semblé être la seule voie possible de l'infection.

Le 16 septembre, The Lancet publie les résultats d'une étude d'un groupe de chercheurs britanniques dirigé par les docteurs Nora Hunter et Chris J. Bostock, tendant à montrer que l'infection due à l'agent pathogène de l'ESB est transmissible par transfusion sanguine d'un mouton atteint par la forme ovine de l'ESB à un mouton sain. La similitude de la dispersion périphérique, notamment dans certains tissus lymphoïdes, de la PrPres dans la forme ovine de l'ESB et dans la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob et ce, contrairement à ce qui est constaté chez les bovins, constitue, s'agissant d'une éventuelle similitude de la transmission par le sang dans ces deux maladies, un élément inquiétant. Néanmoins, il était certainement excessif de conclure de ces résultats scientifiques que, s'agissant de l'ESB, « la maladie peut se transmettre par le sang » (43), puisqu'il s'agissait uniquement d'une transmission, certes, par le sang mais de la maladie ovine au sein de l'espèce ovine.

En résumé, chacun des événements relatifs à l'ESB de l'année 1999 et surtout de l'année 2000 a contribué à la construction d'une psychose collective. L'augmentation des cas détectés d'ESB, l'élargissement géographique de cette maladie au sein du territoire national, l'accumulation des recommandations concernant la mise en _uvre de mesures de sécurité sanitaire complémentaires, l'augmentation du nombre des cas humains de la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob au Royaume-Uni, la perspective d'une large épidémie humaine ainsi que les risques éventuels liés au sang, constituaient un ensemble d'éléments propices à une explosion, dont le détonateur a été l'affaire dite « Soviba ».

B.- LA CRISE DE L'AUTOMNE 2000 A ÉTÉ DÉCLENCHÉE À PARTIR D'UN ÉVÉNEMENT PONCTUEL MAL COMPRIS, REFLÉTANT UNE CERTAINE IRRATIONALITÉ DE NOTRE SOCIÉTÉ

1.- Les fait précis de l'affaire dite « Soviba » ont démontré la qualité du réseau d'épidémiosurveillance passive ainsi que le profond traumatisme de la société française face à l'ESB

Paradoxalement, le détonateur de la crise de l'automne 2000 est un non-événement, une séquence de faits montrant que le dispositif de détection était en parfait état de fonctionnement.

Le directeur scientifique du groupe coopératif dont fait partie la Soviba (44) a relaté les fait de la manière suivante : « La crise de l'ESB, qui a débuté au mois d'octobre dernier, est partie médiatiquement de l'entreprise Soviba. Un rappel rapide des faits permettra d'expliquer et de répondre à votre interrogation sur les raisons de l'impact médiatique extrêmement fort et des conséquences économiques très lourdes.

L'animal, bloqué à l'abattoir le 11 octobre 2000 et au sujet duquel nous avons obtenu les résultats des tests effectués par l'AFSSA le 19 octobre, provenait d'un troupeau vendu en totalité par sa propriétaire à un négociant, lequel nous avait livré le 4 octobre - quinze jours avant l'annonce d'un test positif sur l'un des animaux - onze animaux de ce troupeau, un douzième ayant été vendu à un autre exploitant agricole pour poursuivre sa carrière laitière. Le treizième, présentant des signes pathologiques, avait été conservé par le négociant pendant une semaine avant de le présenter à l'abattoir le 11. Cet animal malade n'a jamais rejoint la chaîne alimentaire.

En revanche, le 19 octobre, nous avons été sollicités par les pouvoirs publics, par la DSV, pour procéder au retrait des viandes issues des onze vaches saines abattues le 4 octobre. C'est ce décalage de quinze jours entre l'abattage des animaux sains et la demande de retrait qui a déclenché la crise. À la date où il nous a été demandé le retrait des animaux sains, on peut considérer que 100 % des quartiers avant étaient commercialisés et consommés. Les quartiers avant sont transformés en steaks hachés. La date limite de consommation des produits, dont les derniers avaient été fabriqués le 11 octobre, était dépassée de trois jours lorsque l'on nous a demandé de procéder au retrait. L'on peut considérer que les quartiers avant, en gros 50 % des muscles, étaient consommés en totalité ; pour les quartiers arrières, les muscles sous-vide, ensuite découpés en rôtis et en steaks, qui demandent des durées de maturation de viande plus longues, on peut considérer que 50 % de la marchandise étaient consommés. C'est avec rapidité que nous avons mis en _uvre la demande de retrait : en moins de vingt-quatre heures, les 780 magasins susceptibles d'avoir été livrés avec de la marchandise issue de ces onze vaches ou de lots assemblés dans l'abattoir à partir de ces onze vaches et d'autres animaux, ont été prévenus et ont donné suite à la demande de retrait.

De la partie technique de cette crise, nous retirons que des procédures anticipatrices de l'entreprise ont permis de limiter - si on peut employer ce terme au vu de l'ampleur de la crise - les conséquences négatives, dans la mesure où nous avons pu mettre en _uvre une traçabilité efficace révélant aux consommateurs et aux pouvoirs publics que nous étions capables, dans un délai extrêmement court, de retrouver la destination exhaustive de la totalité des muscles issus de ces animaux. Je pense qu'il aurait été catastrophique pour le citoyen de constater qu'un abattoir n'était pas capable de retrouver la destination des produits qu'il mettait en _uvre.

Deuxième élément important, que vous avez relevé : la barrière sanitaire a très bien fonctionné, malgré la fraude ou supposée fraude. C'est la justice d'ailleurs qui déterminera s'il y a eu ou non fraude de la part du négociant qui nous a livré ces animaux. Malgré cette négligence du négociant, la barrière sanitaire a bien fonctionné. C'est un élément qui n'a pas été suffisamment souligné pour rassurer le consommateur. ».

Il faut noter que, le 18 octobre, le directeur des services vétérinaires du Calvados a saisi le parquet de Bernay dans l'Eure afin d'établir les circonstances dans lesquels l'animal, pour lequel un vétérinaire a pu déceler à l'abattoir des signes comportementaux anormaux, a été amené à l'abattoir une semaine après le troupeau dont il était initialement issu. Le dimanche 22 octobre, le négociant en bestiaux, propriétaire de la vache malade, ainsi que son fils ont été mis en examen. L'information judiciaire permettra de savoir s'il y a eu volonté de dissimuler la maladie de l'animal par un abattage plus tardif que celui qui a concerné le troupeau dont il était issu.

Il s'agit ici de comprendre comment ces faits ont abouti à une telle crise de confiance de la part des consommateurs de viande bovine. On constate que le système d'épidémiosurveillance passive a fonctionné de façon très satisfaisante. L'animal malade a été détecté à l'abattoir par les services vétérinaires de l'Etat et n'est pas entré dans la chaîne alimentaire. Si quelqu'un a tenté de dissimuler ce cas d'ESB, le mérite des services vétérinaires n'en serait que plus grand.

Par contre, la décision des mêmes services consistant à demander à la société Soviba le retrait du marché de tous les produits bovins issus du troupeau dont était initialement issu l'animal atteint par l'ESB a certainement contribué à l'émergence de la psychose collective. En effet, ce retrait, qui concernait des enseignes de la grande distribution très connues, a été interprété comme l'aveu de l'infection des viandes concernées et ce d'autant plus que ledit retrait a commencé après la date limite de consommation des steaks hachés. Comment expliquer aux consommateurs que la viande dont les services de l'Etat cherchent la trace partout sur le territoire de la France est aussi bonne que toutes les autres viandes, mais que l'animal malade, qui constitue la cause de la recherche, n'est lui, pas entré dans la chaîne alimentaire ?

Pourtant, on peut estimer que la solution alternative, celle qui aurait consisté à décider de ne pas opérer le retrait des viandes évoquées n'était pas nécessairement meilleure. En premier lieu, la décision d'opérer le retrait des viandes du troupeau duquel était issu l'animal malade constituait l'application à un cas spécial et difficile de la règle selon laquelle les animaux du troupeau dans lequel un cas d'ESB a été détecté sont abattus et détruits. En deuxième lieu, il n'est pas certain que la psychose n'aurait pas eu lieu si, par exemple, nos concitoyens avaient appris que les services vétérinaires avaient décidé de laisser sur le marché de la viande issue d'un troupeau dans lequel un cas d'ESB a été détecté.

La recherche, partout en France, de lots de viandes dans les magasins, ainsi que l'ouverture d'une information concernant une éventuelle tentative de dissimulation de l'animal malade, ont donc conduit l'opinion publique à penser que des produits particulièrement dangereux étaient entrés dans la chaîne alimentaire humaine.

Les acteurs privés de l'« affaire Soviba » n'ont pas contribué à une approche sereine des faits par les consommateurs. Ainsi, certaines enseignes, approvisionnées par la société Soviba, ont décidé de retirer tous les produits livrés par celle-ci. Il s'agissait de viandes bovines issue d'animaux qui n'appartenaient pas au troupeau concerné par la mesure de retrait des viandes mise en _uvre sur demande des services vétérinaires, mais aussi de viandes d'autres animaux, comme des volailles et ce au nom de l'application d'un principe « d'extrême précaution ». Or ces décisions ne relèvent plus de la précaution, puisqu'elles n'avaient plus aucun lien avec l'ESB. Cette attitude fut une manière maladroite et contreproductive de tenter de rassurer les consommateurs.

La mise en _uvre d'un tel déploiement de forces a conduit ceux-ci à penser à la proximité et à l'imminence d'un grave danger. Ce sentiment a pu être accrédité par l'accumulation des éléments négatifs concernant l'ESB qui sont peu à peu apparus en 2000, comme nous l'avons souligné plus haut. Pour l'opinion publique, l'absence d'action de l'autorité publique et l'action de celle-ci étaient désormais respectivement considérées comme un atermoiement suspect ou l'aveu d'une situation très grave. La psychose était désormais patente.

2.- L'affaire dite « Soviba » a donné lieu à un traitement médiatique contestable et a entraîné une profonde crise de confiance de la part des consommateurs

a) Le ton de la presse à l'automne 2000 révèle la psychose de la société française à l'égard de l'ESB

La presse n'a pas joué un rôle modérateur dans l'affaire dite « Soviba ». Le titre de première page du Journal du dimanche en date du 22 octobre 2000, « la vache folle vendue dans nos supermarchés », en est l'expression la plus manifeste et aussi la plus regrettable. L'article figurant dans les pages intérieures est d'ailleurs assez bien informé pour préciser que l'animal malade n'est pas entré dans la chaîne alimentaire humaine. Le titre de première page, certes sensationnel, constituait donc, en l'espèce, une contrevérité. On ne peut que formuler fermement le souhait que les organes de presse sauront désormais éviter ce qu'il convient d'appeler un dérapage.

Pour être juste, on notera que l'organe de presse que nous avons cité n'est pas le seul dont les propos peuvent être qualifiés de surprenants. Quelques jours avant l'apparition de l'affaire « Soviba », la presse rapporte une information selon laquelle les services de contrôle de l'Etat toléreraient que les aliments utilisés dans l'alimentation des ruminants contiennent des farines de viande et d'os dans une faible proportion (0,3 %). Cette infraction à la réglementation française, qui interdit totalement un tel usage, aurait été dissimulée à l'opinion public.

Il convient de faire justice aux services de la DGCCRF de cette accusation de laxisme. Lors de son audition devant la commission d'enquête, M. Jérôme Gallot, directeur général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes a tenu à « porter un bref commentaire sur une polémique qui date du mois d'octobre dernier sur un prétendu seuil de tolérance pour la présence de farines interdites dans les aliments pour bovins. ». Il a précisé qu'« un service de contrôle n'a pas de compétences réglementaires ; il ne peut mettre en _uvre des modalités de réglementation contraires aux lois et règlements. Que s'est-il passé ? Nous avons fixé une limite à partir de laquelle une procédure est envoyée devant les tribunaux. Elle fut établie à 0,1 % de fragments d'os dans les aliments destinés au bétail, 0,1 % de fragments d'os correspondant à 0,3 % de farines animales présentes dans les aliments. Pourquoi cette limite ? Parce que toute méthode d'analyse comporte une marge d'incertitude. Dans la mesure où nous sommes dans le cadre de procédures pénales, nous devons convaincre le juge de l'intention frauduleuse ou de la négligence coupable, celle-ci étant assimilée par la jurisprudence à une intentionnalité. À partir de 0,1 % de trace de fragments d'os, l'analyse est fiable. Nous avons estimé que nous serions en mesure de convaincre le juge que les farines ne pouvaient résulter d'une présence fortuite. ».

Il faut en conclure, selon lui, que « l'expression de « tolérance » était particulièrement inappropriée, car, en deçà du seuil de 0,1 % de fragments d'os, ce n'était pas la règle du laisser faire, laisser passer, mais, au contraire, une intervention extrêmement volontariste de mon administration, qui s'est arrogée une sorte de droit d'injonction en exigeant des entreprises qu'elles recherchent la source de la contamination et adoptent des mesures correctrices. Dans tous les cas où nous avons détecté des traces, y compris minimes, nous avons procédé à des contrôles complémentaires pour nous assurer que lesdites entreprises prenaient des mesures correctrices. Je m'inscris donc en faux contre l'expression journalistique de « seuil de tolérance », totalement étrangère aux modalités d'intervention et d'action de mon service. J'ajoute que le comité scientifique directeur de Bruxelles a retenu en 1998 un taux supérieur au taux que nous nous étions fixé, à savoir celui de 0,15 % de fragments d'os. ».

Une semaine plus tard, la presse rapporte la publication du rapport Phillips à Londres. Ce rapport est qualifié d'accablant pour les autorités publiques britanniques. Dans son édition du 28 octobre 2000, le journal Le Monde publie un article tendant à décrire ce que le rapport Phillips révèle de l'époque où le rapport Southwood fut rédigé. Voici un passage éloquent dudit article (45): « ...Ainsi en 1989, un rapport scientifique dénommé « The Southwood report » préconise de retirer les abats de la chaîne alimentaire et, surtout, de la fabrication des petits pots pour bébés. Si cela est fait, précisent les chercheurs, « le risque posé à l'être humain par l'encéphalopathie spongiforme bovine [sera] minime. ». Mais jamais Sir Donald, alors conseiller médical en chef au ministère de la santé, ne rendra publique l'information sur les petits pots. « Cela affolerait les gens », explique-t-il à ses interlocuteurs politiques qui, au reste, partagent globalement cet avis ».

Or, le rapport Southwood n'a jamais recommandé le retrait des abats de la chaîne alimentaire humaine, défaut sur lequel le rapport Phillips s'interroge très longuement. Le rapport Southwood estime inutile de recommander que la réglementation relative à l'étiquetage oblige à indiquer que du cerveau de bovin a été utilisé pour la fabrication d'un plat préparé. S'il recommande seulement de retirer les abats des aliments pour les bébés, il ne précise pas quels sont les arguments scientifiques qui lui permettent d'émettre cette conclusion. Il faut noter que cette recommandation s'adresse aux fabricants d'aliments pour bébés. Le rapport Southwood ne contient donc aucune recommandation de réglementation. Sir Donald Acheson a créé le groupe de travail dirigé par Sir Richard Southwood afin d'évaluer les risques éventuels pour la santé humaine de l'émergence de l'épizootie d'ESB. De façon générale, le rapport Phillips rend hommage à Sir Donald Acheson pour son action positive. Celui-ci ne peut pas ne pas avoir rendu publique l'information concernant l'alimentation des bébés, puisque le rapport Southwood est publié à la fin du mois de février 1989, soit trois semaines après sa communication au Gouvernement, et que, précisément, le débat public s'engage immédiatement sur l'opportunité de réserver le retrait des abats aux seuls aliments pour les bébés.

De telles approximations sont d'autant plus étonnantes que quelques conclusions clés du rapport Phillips sont traduites dans la même édition du journal. Leur lecture ne laisse aucun doute sur le sérieux du rapport Phillips. Il s'agit d'un travail extrêmement précis, argumenté, très nuancé et qui n'est pas sans reconnaître aux autorités britanniques une certaine rapidité dans la mise en _uvre de décisions essentielles, accompagnée malheureusement d'un discours trop rassurant tenu à la population britannique, ainsi qu'à ses partenaires de l'Union européenne.

Lire la presse française de la fin du mois d'octobre 2000 et du début du mois de novembre 2000 permet de comprendre ce qu'est, à ce moment, le symptôme de la société française. Chaque événement, quel qu'il soit et quel que soit son sens, est interprété comme un élément s'ajoutant à cette idée fixe : la France et sa population sont cernées par l'ESB et la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, notamment parce qu'elles ont été mal protégées par les autorités publiques françaises, coupables d'attentisme et de dissimulation et soupçonnées de diffuser une vérité officielle éloignée de la réalité.

Le paroxysme de la crise est atteint après la diffusion le 5 novembre 2000 d'un sujet télévisé concernant notamment le calvaire vécu par la troisième victime française de la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob et par sa famille. Le lendemain, plusieurs maires annoncent que la viande de b_uf ne sera plus proposée dans les cantines scolaires des communes dont ils sont les élus. L'ESB devient alors le sujet central du débat public, les interrogations et les interventions des pouvoirs publics se multiplient ; à titre d'exemple on peut noter que l'ESB a fait l'objet de huit questions au Gouvernement lors des séances des 7 et 8 novembre à l'Assemblée nationale. Par ailleurs, c'est dans ce contexte qu'a été organisée, au sein de notre assemblée, une séance de questions orales avec débat, entièrement consacrée à la sécurité alimentaire, le 28 novembre 2000, dans le cadre d'une procédure qui n'avait plus été utilisée depuis 1978.

Il va de soi que nous n'entendons pas donner ici de leçon à qui que ce soit sur la manière dont il faut lire les événements, mais il s'agit de comprendre le fonctionnement d'une société, y compris dans ce que ce fonctionnement peut avoir d'irrationnel. Sur la psychose de l'opinion publique, nous reprendrons les propos tenus devant la commission d'enquête par M. Jean Glavany : « L'opinion se focalisait peu à peu sur ce problème des farines animales et l'on a vu à quel point elle a joué un rôle dans la naissance de la crise à la fin de l'année dernière. Il me semblait que notre responsabilité de politique était de dire : « Finissons-en avec ce long feuilleton des farines animales » qui était vécu comme un feuilleton d'inquiétude ou d'angoisse par l'opinion. Notre devoir était aussi de savoir entendre ces messages, même si l'opinion est souvent irrationnelle. En l'occurrence, elle l'a été. Nous avons vécu quelques semaines étonnantes au mois de novembre où l'opinion criait, d'une certaine manière : « il faut interdire les farines animales ». En même temps, les consommateurs ne mangeaient plus de b_uf, ou en consommaient 40 % en moins, alors que le b_uf n'était plus nourri de farines animales depuis 1990, et reportaient leur consommation sur du poulet ou du porc, qui étaient toujours nourris avec des farines animales !

Voilà l'irrationalité de l'opinion. Elle est ainsi et je la prends comme telle. Il ne faut pas mésestimer ni mépriser cette irrationalité. C'est une donnée de l'action publique qu'il faut savoir traiter en tant que telle. »

b) La crise française est immédiatement suivie d'une crise plus profonde dans plusieurs pays de l'Union européenne

Au cours des jours qui suivent le début de la crise française, une crise plus large se noue au sein de l'Union européenne. En quelques jours, après un cas d'ESB détecté au Danemark, les autorités publiques espagnoles puis allemandes, notamment, annoncent la découverte des premiers cas d'ESB sur leur territoire. M. Jean Glavany a évoqué cette période :

« Entre deux conseils des ministres de l'Agriculture, il y a eu un formidable concours de circonstances : les premiers cas d'ESB sont apparus en Allemagne, en Espagne, en Italie, comme ils auraient dû apparaître depuis longtemps. Cela nous a permis de dénouer la crise d'une manière plus rapide, d'un point de vue sanitaire... ».

Si la France a connu une forte augmentation des cas détectés d'ESB en 2000, notamment au cours des trois derniers mois de l'année, l'apparition de l'ESB dans certains des Etats membres de l'Union européenne a constitué pour les populations concernées un traumatisme intense. L'idée selon laquelle ces pays étaient indemnes de l'ESB y étaient solidement installée et constamment relayée par les gouvernements. Il est vrai qu'au fil du temps, l'absence de détection de cas d'ESB constituait moins un constat épidémiologique qu'une décision politique. Dès lors qu'il n'a plus été possible de nier l'évidence, les populations concernées ont émis une forte réaction de rejet à l'égard de la viande bovine.

La chute de la consommation de viande bovine a ainsi été beaucoup plus aiguë en Allemagne ou en Italie qu'en France. Aux difficultés que la filière bovine française subit sur son marché interne s'ajoutent celles de l'exportation chez nos partenaires de l'Union européenne.

Il reste que la crise ainsi devenue communautaire a permis la mise en _uvre d'une législation complète concernant la lutte contre l'ESB. A ce titre, l'harmonisation de cette législation au niveau de l'Union européenne tend à réconcilier le marché unique et la santé publique.

Le retrait et la destruction des MRS sont donc issus d'une décision de la Commission 2000/418 du 29 juin 2000, entrée en vigueur avant la crise, le 1er octobre 2000. La suspension de l'utilisation des farines de viande et d'os dans l'alimentation de tous les animaux été adoptée par le Conseil de ministres dans sa décision 2000/76 du 4 décembre 2000. Le dépistage systématique de l'ESB pour chaque animal de plus de trente mois destinés à intégrer la chaîne alimentaire humaine est adoptée par la Commission dans sa décision n° 2000/764 du 29 novembre 2000. Enfin, l'Union européenne s'est dotée d'un volet externe à son dispositif de lutte contre l'ESB par la décision de la Commission n° 2001/270 du 29 mars 2001, qui établit la liste des pays pour lesquels l'importation de produits bovins n'est pas soumis au retrait des MRS. Le risque en termes d'ESB représenté par les pays concernés fait l'objet d'une étude approfondie de la part du CSD avant que la Commission accorde la dérogation relative au retrait des MRS.


() Lord Phillips of Worth Matravers, Mrs June Bridgeman, Professor Malcolm Ferguson-Smith, « The inquiry into BSE and variant CJD in the United Kingdom », octobre 2000.

() « commendable »

() « This should not have occurred. »

() Elle est correcte mais n'est pas exacte. John Wilesmith pense à cette époque que les animaux qu'il étudie appartiennent à la première génération des animaux malades. Il pense que ces animaux ont été infectés par des tissus d'ovins atteints de la tremblante et incorporés aux farines de viandes et d'os.

() Sir Richard Southwood, Professor M. A. Epstein, Dr W.B. Martin et sir John Walton, « Report of the working party on bovine spongiform encephalopathy », février 1989.

() « Iit seems unlikely, but possible... ».

() Il s'agit d'une inoculation par une autre voie que la voie digestive.

() Nous avons ici traduit l'expression « dead-end host » par destination finale. Cette expression est particulièrement difficile à traduire car, en premier lieu, elle n'appartient qu'à la langue anglaise et, en second lieu, elle semble avoir fait l'objet de confusions entre les membres du groupe de travail. Le rapport Phillips ne semble pas être parvenu à éclaircir la volonté des rédacteurs s'agissant d'une expression qui, par la suite, a souvent été interprétée comme signifiant que l'agent de l'ESB ne toucherait jamais que des bovins, alors même que le rapport signale déjà la transmission naturelle de la maladie à des antilopes Nyala et Oryx. Lesdits rédacteurs ont, en fait, certainement voulu dire que la maladie n'était pas endémique dans le troupeau bovin, comme l'est la tremblante dans le troupeau ovin, ou que l'ESB n'était pas transmissible de la mère au veau. Cette confusion n'a pas aidé, à tout le moins, à procéder à une évaluation correcte du risque de transmission à l'homme de la maladie.

() « I understand that it felt necessary on the feedingstuffs side to notify our new restrictions on the use of certain feedingstuffs. However, because we are not keen to provoke a debate in the feedingstuffs forum for fear of unwelcome repercussions the Parliamentary Secretary (Commons) has agreed that a generally worded letter should be sent to Legras. »

() Comme nous le verrons, la France a tenté d'interdire le 13 août 1989 - par un avis aux importateurs - l'importation de ces farines en provenance du Royaume-Uni sauf si elles n'étaient pas destinées à l'alimentation des ruminants.

()  G. A. H. Wells, A.C. Scott, C. T. Johnson, R. F. Gunning, R. D. Hancock, M. Jeffrey, M. Dawson, R. Bradley, The Veterinary Record, « A novel progressive spongiform encephalopathy in cattle », 31 octobre 1987, pages 419 et 420.

()  J. W. Wilesmith, G. A. H. Wells, M. P. Cranwell, J. B. M Ryan, The veterinary Record, « Bovine spongiform encephalopathy : epidemiological studies », 17 décembre 1988

() Voir sur ce point la note en bas de page figurant dans l'introduction.

() Il faut noter que le contenu de cet avis aux importateurs est repris dans la décision de la Commission européenne n° 90/200 du 9 avril 1990. Celle-ci ne concerne cependant que les abats des bovins âgés de plus de six mois lors de l'abattage. Par ailleurs, cette décision interdit les livraisons en provenance du Royaume-Uni des tissus placentaires, des cultures de cellules d'origine bovine, des sérums et sérums f_tal de veau, des pancréas, des glandes surrénales, des testicules, des ovaires et des hypophyses ainsi que des autres tissus lymphoïdes.

() Les articles premier et deux de l'arrêté du 12 mai 1964 du ministre de l'Agriculture prohibent l'importation en France des animaux d'élevage vivants et de leurs produits, dont les farines visées par l'avis aux importateurs du 13 août 1989. L'article 3 dudit arrêté précise que « des dérogations aux dispositions des articles 1er et 2 du présent arrêté pourront être accordées par le ministre de l'Agriculture soit à titre général, soit sur demande particulière des importateurs. ». En application de cette dernière disposition, une dérogation générale permettant l'importation des produits visés par l'avis aux importateurs du 13 août 1989 a été publiée le 3 avril 1980. Ledit avis aux importateurs interdit les importations des produits qu'ils visent en provenance du Royaume-Uni, sauf s'ils sont destinés à certains emplois. Cette mesure s'impose donc juridiquement aux importateurs, auxquels il n'est ainsi pas donné qu'un simple conseil.

() Commission d'enquête relative au fonctionnement du marché de la viande ovine et bovine, IXème législature, rapport n° 1950, dépôt publié au Journal Officiel du 6 avril 1991.

() Il s'agit du contenu de la décision n° 90/200 CEE du 9 avril 1990 que nous avons déjà évoquée.

() Il faut reconnaître que cette affirmation exclut les hypothèses de transmission de l'ESB de la mère au veau ainsi que l'existence d'une éventuelle troisième voie de contamination, toutes choses qui ne sont pas avérées.

() Ces deux cas ont été rendus public le 26 mai 1994.

() Le premier cas d'ESB français a été détecté au mois de février 1991, soit plusieurs mois après la mise en _uvre du décret du 12 juin 1990 et des arrêtés des 3 et 4 décembre 1990.

() Arrêté du 3 juillet 1992.

() Arrêté du 22 juillet 1992.

() Jean-François Mattei, Op. Cit., pages 126 à 133.

() Il s'agit des classes définies par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) dans un rapport en date du 14 novembre 1991, classes dans lesquelles figure chaque tissu ou organe, au regard de son infectiosité s'agissant des ESST. La classe I, qui regroupe les tissus dont le titre infectieux est important, comprend le cerveau, la moelle épinière et l'_il, la classe II, qui regroupe les tissus dont le titre infectieux est moyen, comprend l'iléon, les ganglions lymphatiques, la rate, les amygdales, l'hypophyse, le liquide céphalorachidien, les glandes surrénales, le placenta et le colon proximal.

() Cette décision a été transposée en droit français par un arrêté du 20 décembre 1994, entré en vigueur le 5 janvier 1995. Cependant, à l'instar de toutes les décisions communautaires au sens de l'article 249 du traité, la décision évoquée était immédiatement applicable après sa notification aux Etats membres sur le territoire de chacun d'eux, sauf mention contraire dans la décision elle-même. En l'espèce, l'article premier de la décision accordait trente jours aux Etats membres avant d'ordonner l'application de son dispositif.

() Cette décision a été transposée en droit français par un arrêté du 1er juin 1995. Elle était cependant applicable dès la date de sa notification aux Etats membres de l'Union européenne.

() Il faut noter que le diagnostic définitif n'a pas encore été rendu s'agissant de six bovins qui sont nés au plus tard en 1997.

() Il faut noter que l'embargo a été accompagné d'un programme d'abattage et de destruction de tous les bovins originaires du Royaume-Uni et vivants en France. Ce programme a été achevé au mois d'août 1996. Il a concerné 50.000 bovins et a donné lieu à des compensations financières.

() Les yeux, classés par l'OMS parmi les tissus dont l'infectiosité est importante, sont intégrés dans les MRS à compter d'un arrêté du 13 juin 1996. Cependant, entre le 12 avril 1996 et le 13 juin 1996, les yeux des bovins n'ont pas pu intégrer la chaîne alimentaire humaine car ces tissus n'ont jamais eu de valorisation commerciale.

() Le nombre de bovins de moins de six mois abattus dans les abattoirs français s'élève à environ 1.900.000 animaux par an sur un total des animaux abattus de cet espèce de 5.700.000 bêtes par an. S'agissant des ovins et des caprins, le nombre d'animaux de moins de douze mois abattus dans les abattoirs français s'élèvent à 5.800.000 bêtes par an, sur un total du nombre d'animaux de ces espèces abattus de 6.500.000 bêtes par an.

() L'arrêté du 17 septembre 1996, publié au Journal officiel du 25 septembre 1996, apporte une précision supplémentaire qui permet d'améliorer un peu la qualité du dispositif. En effet, cette arrêté précise que le retrait des MRS concerne tous les animaux, quelque soit leur origine.

() Cinq cas d'ESB ont été confirmés en 1991 en France, zéro en 1992, un en 1993, quatre en 1994, trois en 1995 et douze en 1996.

() Le CVP constitue en fait un Conseil des ministres vétérinaire

() Les huit pays qui rejettent cette proposition sont la Belgique, le Danemark, l'Allemagne, la Grèce, l'Italie, l'Autriche, le Portugal et la Finlande.

() Les EST sont les encéphalopathies spongiformes transmissibles. Il s'agit ici bien sûr de l'ESB.

() La décision de la Commission n° 2000/374 du 5 juin 2000 met en _uvre un programme communautaire de dépistage de l'ESB fondé sur l'utilisation des tests rapides et, à l'époque, ciblé sur les animaux à risque.

() Bien sûr, le chauffage à 133 degré Celsius, pendant vingt minutes sous une pression de trois bars était l'un des procédés permis par la décision n° 94/382.

() Ces paramètres sont bien sûr le chauffage à 133 degrés Celsius, pendant vingt minutes sous une pression de trois bars.

() Ces experts sont Mme Brugère-Picoux, M. Parodi, M. Savey et M. Toma.

() Comme nous le verrons, ce « remaniement » a eu lieu à compter de l'été 1997.

() Il faut d'ailleurs noter que, même si ce programme n'avait pas été mis en _uvre, le mois de juillet 2000 aurait constitué un infléchissement à la hausse important du nombre des cas d'ESB détectés.

() Pour l'année 2001, à la date du 17 mai, trois personnes sont déjà décédées au Royaume-Uni, pour lesquels l'examen post mortem a confirmé le diagnostic d'un cas de la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob ; pour six autres décès, le diagnostic post mortem n'a pas encore été réalisé, tandis que six patients présentent les symptômes de cette maladie.

() Jean-Yves Nau, Le Monde, « Vache folle : la maladie peut se transmettre par le sang », édition du 16 septembre 2000, page 2.

() La Soviba est elle-même un groupe coopératif. Les éleveurs membres de ce groupe valorisent et commercialisent leurs produits en utilisant ses outils, notamment ses abattoirs et ses moyens de transports. Ce groupe coopératif, notamment implanté dans l'Ouest de la France, travaille avant tout avec les principales enseignes de la grande distribution.

() Patrice Claude, « L'accablant rapport britannique sur le drame de la vache folle », Le Monde, édition du 28 octobre 2000, page 2.


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