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N° 3386

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 14 novembre 2001.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION D'ENQUÊTE
sur les CAUSES des INONDATIONS RÉPÉTITIVES ou EXCEPTIONNELLES
et sur les CONSÉQUENCES des IMTEMPÉRIES afin D'ÉTABLIR les RESPONSABILITÉS, D'ÉVALUER les COÛTS ainsi que la PERTINENCE des OUTILS de PRÉVENTION,
D'ALERTE et D'INDEMNISATION (1)

Président

M. Robert GALLEY,

Rapporteur

M. Jacques FLEURY,

Députés.

--

TOME II

AUDITIONS

La commission d'enquête sur les causes des inondations répétitives ou exceptionnelles et sur les conséquences des imtempéries afin d'établir les responsabilités, d'évaluer les coûts ansi que la pertinence des outils de prévention, d'alerte et d'indemnisation est composée de : M. Robert GALLEY, président, M. Maxime GREMETZ, M. Jean LAUNAY, vice-présidents, M. Philippe DURON, M. Christian KERT, secrétaires, M. Jacques FLEURY, rapporteur ; M. Stéphane ALAIZE, Mme Marie-Hélène AUBERT, Mme Roselyne BACHELOT-NARQUIN, M. Jacques BASCOU, M. Jacques BRUNHES, M. Dominique BUSSEREAU, M. Jean DELOBEL, M. Paul DHAILLE, M. Alain FERRY, M. Jean-Pierre GIRAN, M. Francis HAMMEL, M. Patrick JEANNE, M. Thierry LAZARO, M. Daniel MARCOVITCH, M. Jacques MASDEU-ARUS, M. Vincent PEILLON, M. Jacques PÉLISSARD, M. Gilles de ROBIEN, M. Henri SICRE, M. Jean-Pierre SOISSON, M. Pascal TERRASSE, M. Michel VOISIN.

TOME SECOND

SOMMAIRE DES AUDITIONS

Les auditions sont présentées dans l'ordre chronologique des entretiens de la Commission

(la date de l'audition figure ci-dessous entre parenthèses)

pages

_ M. Philippe VESSERON, directeur de la prévention des pollutions et des risques, au ministère de l'Aménagement du territoire et de l'environnement
(29 mai 2001)
7

_ M. Gérard JACQUIN, directeur du développement et de l'innovation du CEMAGREF et M. Pierrick GIVONE, directeur scientifique adjoint
(6 juin 2001)
24

_ M. Pierre-Éric ROSENBERG, directeur de l'espace rural et de la forêt au ministère de l'Agriculture et de la pêche

(6 juin 2001) 41

_ M. Bernard BAUDOT, directeur de l'eau au ministère de l'Aménagement du territoire et de l'environnement et M. Noël GODARD, chargé de la sous-direction de la protection et de la gestion des eaux
(6 juin 2001)
53

_ M. Yves CARISTAN, directeur général du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) et M. Thierry POINTET, hydrogéologue
(6 juin 2001)
67

_ M. Bernard MENASSEYRE, président de la 7e chambre de la Cour des Comptes et M. Marc Le Roux, rapporteur
(13 juin 2001)
77

_ M. René COULOMB, président de la Société Hydro-technique de France, M. Yves MAROLLEAU, président du comité scientifique et technique et M. Daniel DUBAND, président de la division « eau et environnement »
(13 juin 2001)
90

_ M. Paul-Henri BOURRELIER, vice-président délégué de l'Association française pour la prévention des catastrophes naturelles et ancien-président de l'instance d'évaluation de la politique publique de prévention des risques majeurs
(13 juin 2001)
97

_ M. Daniel RICHARD, président et M. Vincent GRAFFIN, chargé de la mission « eau douce » au WWF France
(13 juin 2001)
110

_ M. Thierry MASQUELIER, président de la Caisse centrale de réassurance (13 juin 2001) 125

_ M. Thierry FRANCQ, sous-directeur des assurances à la direction du Trésor au ministère de l'Économie, des finances et de l'industrie
(13 juin 2001)
132

_ M. Jean-Marc LAMÈRE, délégué général adjoint de la Fédération française des sociétés d'assurance, M. Guillaume ROSENWALD, président de la Mission risques naturels des sociétés d'assurance, Mme Catherine TRACA, secrétaire général adjoint du GEMA, M. Michel POUPONNEAU, directeur des sinistres à la MAIF et membre du conseil d'administration du fonds de prévention des risques naturels majeurs
(19 juin 2001)
138

_ M. Nicolas-Gérard CAMPHUIS, directeur de l'Équipe pluridisciplinaire du plan « Loire grandeur nature »
(20 juin 2001)
146

_ M. Michel SAPPIN, directeur de la défense et de la sécurité civiles au ministère de l'Intérieur
(20 juin 2001)
161

_ M. Claude LEFROU, président de la mission interministérielle sur les inondations de la Somme
(27 juin 2001)
175

_ M. Bruno LEDOUX, consultant conduisant des études sur le retour d'expériences des crises en France et à l'étranger
(27 juin 2001)
184

_ M. Jean-Pierre BEYSSON, président-directeur général, M. Philippe COURTIER et M. Olivier MOCH,  directeurs  généraux  adjoints  de  Météo- France
(27 juin 2001)
192

_ M. Jean DUNGLAS, ingénieur général honoraire du génie rural, des eaux et des forêts
(27 juin 2001)
204

_ M. Gilles HUBERT, chargé de recherche au Centre d'enseignement et de recherche sur l'eau, la ville  et  l'environnement  (CEREVE)
(27 juin 2001)
212

_ M. Philippe HUET, inspecteur général de l'environnement, président de la mission interministérielle sur les inondations en Bretagne et M. Xavier MARTIN, ingénieur en chef du génie rural, des eaux et des forêts, membre de l'inspection générale de l'environnement
(3 juillet 2001)
221

_ M. Christophe SANSON, universitaire et consultant en droit de l'environnement
(3 juillet 2001)
231

_ M. Denis BERTEL, directeur général adjoint et responsable du pôle eau du BCEOM
(3 juillet 2001)
242

_ M. François BORDRY, président de Voies navigables de France, M. Benoît DELEU, directeur de l'infrastructure et de l'environnement, M. Patrick JUNOD, subdivisionnaire de Gambsheim
(3 juillet 2001)
250

_ M. Bernard ROUSSEAU, président de France Nature Environnement
(11 juillet 2001)
265

_ M. Christian TERRIER, directeur de l'ingénierie, et M. Jean-Paul GAUVIN, directeur de l'exploitation de la Compagnie nationale du Rhône
(11 juillet 2001)
273

_ M. Jacques MASSON, directeur de l'hydraulique, et Daniel DUBOIS, adjoint au directeur de la division de la production nucléaire d'EDF
(11 juillet 2001)
283

_ M. Michel RIOUX, président de l'association de défense des sinistrés et de protection des quartiers inondables du Mans
(11 juillet 2001)
292

_ M. Philippe BAFFERT, chef du bureau de la législation et de la réglementation au Service de la stratégie et de la législation à la Direction générale de l'urbanisme, de l'habitat et de la construction  au  ministère  de  l'Équipement,  des  transports  et  du  logement
(11 juillet 2001)
305

_ M. Pierre MONADIER, coordonnateur de l'Inspection générale de l'équipement pour le bassin de la Loire (Conseil général des Ponts et chaussées)
(5 septembre 2001)
316

_ M. Bernard LENGLET, président du syndicat de communes de la vallée des Anguillères (département de la Somme)
(11 septembre 2001)
328

_ M. Yves COCHET, ministre de l'Aménagement du territoire et de l'environnement
(25 octobre 2001)
335

TABLES-RONDES

_ Table-ronde réunissant :

. bassin Adour-Garonne : M. Jean-Pierre POLY, directeur de l'agence

. bassin Artois-Picardie : M. Alain STRÉBELLE, directeur de l'agence

. bassin Loire-Bretagne : MM. Jean-Claude DEMAURE et Jean-Louis BESEME, président et directeur de l'agence,

. bassin Rhin-Meuse : M. Claude GAILLARD, député et président du comité de bassin, et MM. François BARTHELEMY et Daniel BOULNOIS, président et directeur de l'agence,

. bassin Rhône-Méditerranée-Corse : M. Henri TORRE, sénateur et président du comité de bassin, et M. Jean-Paul CHIROUZE, directeur de l'agence,

. bassin Seine-Normandie : M. Pierre-Alain ROCHE, directeur de l'agence.

(5 septembre 2001) 346

_ Table-ronde réunissant :

_ MM. Jean PALANCADE et Alain MIR, président et directeur de l'Association interdépartementale des basses plaines de l'Aude,

_ MM. Xavier de ROUX et Rémy FILALI, président et directeur de l'Institution interdépartementale pour l'aménagement du fleuve Charente et de ses affluents,

_ M. Guy PUSTELNIK, directeur de l'Établissement public interdépartemental Dordogne,

_ MM. Gaston ESCUDÉ et Michel AUZIÉ, vice-président et directeur du Syndicat mixte d'études et d'aménagement de la Garonne,

_ M. Régis THÉPOT, directeur de l'Établissement public Loire,

_ M. Daniel BERTHERY, directeur de l'Entente interdépartementale pour la protection contre les inondations de l'Oise, de l'Aisne, de l'Aire et de ses affluents,

_ MM. Éric GUILLAUMIN et Benoît CORTIER, directeur et chargé de mission de l'Institution interdépartementale des bassins Rhône-Saône,

_ M. Marc FORÊT, directeur du Syndicat mixte d'études pour l'aménagement du bassin de la Saône et du Doubs,

_ MM. Pascal POPELIN et Jean-Louis RIZZOLI, président et responsable du service technique de l'Institution interdépartementale des barrages-réservoirs du bassin de la Seine,

_ M. Michel ALLANIC, directeur de l'Institution d'aménagement de la Vilaine.

(11 septembre 2001) 369

_ Compte-rendu du déplacement d'une délégation de la Commission dans la Somme
(11 et 12 juin 2001) 394

_ Compte-rendu du déplacement d'une délégation de la Commission dans l'Ardèche, le Gard et l'Aude
(8 et 9 octobre 2001) 403

Audition de M. Philippe VESSERON,
directeur de la prévention, des pollutions et des risques
au ministère de l'Aménagement du territoire et de l'environnement,

(extrait du procès-verbal de la séance du 29 mai 2001)

Présidence de M. Éric DOLIGÉ, Président

M. Philippe Vesseron est introduit.

M. le Président luir rappelle le mode de fonctionnement de la commission et lui indique que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. À l'invitation du Président, M. Philippe Vesseron prête serment.

M. le Président : Comme vous le savez, notre champ d'investigation est extrêmement vaste puisqu'il couvre les causes, les conséquences et les mesures prises pour prévenir les inondations.

Ce phénomène nous semble aujourd'hui bien connu, et les mesures à prendre largement identifiées. Aussi vous poserons-nous un certain nombre de questions sur les causes des inondations et sur les mesures de prévention. Notre commission d'enquête s'intéressera beaucoup à démêler l'écheveau des compétences et des responsabilités en matière d'inondations tant les acteurs concernés sont nombreux. À cet égard, nous sommes, également intéressés par la nature des fonctions de délégué aux risques majeurs que vous exercez.

M. Philippe VESSERON : Je suis très honoré d'être l'un des premiers à m'exprimer devant vous. Je m'efforcerai de dresser quelques éléments du panorama, éléments forcément incomplets car il faut plus que le bottin administratif, plutôt quelques tomes d'encyclopédie, pour couvrir l'ensemble du sujet.

La première idée sur laquelle je voudrais réfléchir avec vous est celle de la fréquence des événements : y a-t-il ou non à l'heure actuelle augmentation des événements catastrophiques?

En ce qui concerne les risques naturels, les événements catastrophiques dans un pays comme le nôtre sont d'une probabilité faible. Nous sommes un pays où, excepté le risque sismique aux Antilles, le risque naturel est beaucoup moins préoccupant qu'il ne peut l'être en Amérique du Nord ou en Asie, par exemple. Dans un pays comme le nôtre, la catastrophe naturelle est typiquement un événement dont la probabilité est de l'ordre de 1 % par an, c'est-à-dire qu'il n'a guère que deux chances sur trois de se produire dans une période de cent ans.

C'est une catégorie de phénomènes qui échappe à la culture spontanée et qui nécessite donc une certaine construction si l'on veut qu'ils soient pris en compte dans nos institutions ou nos comportements. Notre société n'intègre pas spontanément des événements qui se produisent avec une fréquence aussi faible.

À titre d'exemple, 1 % par an, c'est la probabilité de retour des crues de 1910 à Paris. Même si les travaux qui ont été effectués auraient une incidence réelle sur l'impact de telles crues, ils n'ont pas d'incidence sur la probabilité de l'événement, qui reste donc de l'ordre de 1 % par an.

De même, cela ne signifie pas qu'il n'y ait pas d'événements de gravité et de temps de retour moindres. Il existe des crues décennales. Mais notre sujet de préoccupation est typiquement l'événement centennal.

Une question qu'il faut se poser à l'heure actuelle, que nous nous posons beaucoup depuis les événements de la fin 1999 - inondations dans l'Aude, les Pyrénées-Orientales et le Tarn, tempêtes de la fin de l'année - est la suivante : cette aggravation des situations des risques naturels ne serait-elle pas la conséquence du changement climatique ?

C'est une question à laquelle il faut apporter une réponse extrêmement prudente. Les vrais experts du domaine, dont je ne prétends pas être, considèrent en règle générale qu'il n'est pas démontré que les événements de ces dernières années soient l'indice des conséquences du changement climatique. Cette question nous oblige néanmoins à réfléchir sur ce que seraient les conséquences de ce que l'on appelle le réchauffement de l'atmosphère.

Il y aurait notamment une augmentation des phénomènes extrêmes, un accroissement des pluies dans les régions où il pleut et de la sécheresse dans les régions arides ; l'évolution ne sera pas du tout homothétique. On estime, par exemple, que si le changement climatique se confirme, il induira une augmentation des pluies dans le Nord de la France ou en Grande-Bretagne. Vous trouverez cité le chiffre, à l'horizon d'un siècle, d'une augmentation de 10 % du débit de la Tamise, ce qui n'est pas négligeable.

Les événements que nous avons vécus en Bretagne, en Picardie et l'ensemble des inondations des douze derniers mois correspondent à des pluies assez exceptionnelles. Vous l'avez vu en ce qui concerne la Picardie récemment. Les chiffres sont également disponibles pour la Bretagne. Nous avons eu sur ces périodes des pluviosités totales qui ont très largement dépassé ce qui existe en année moyenne. Bien entendu, c'est là l'origine des inondations.

Comment, de manière générale, aborde-t-on ou exprime-t-on l'inondation ?

Il existe différents concepts, et l'Histoire joue aussi un rôle important.

Toute une partie de la connaissance repose sur ce qu'ont été les niveaux atteints lors des inondations historiquement rencontrées. Une référence normative que nous utilisons beaucoup est la crue centennale. Elle résulte pour l'essentiel d'un calcul. On utilise donc comme référence l'expression de « crue centennale » mais aussi celle de « la plus haute crue historiquement connue ». C'est souvent la même chose, mais pas toujours.

Au cours des dernières années, il me semble que les modélisations utilisées pour passer de la pluie à l'inondation ont fait des progrès considérables. Elles permettent à tous de prendre des décisions bien plus rationnelles qu'on ne pouvait le faire par le passé.

Bien entendu, l'inondation c'est l'événement, mais il n'a de conséquences que si existe simultanément un enjeu, c'est-à-dire, essentiellement, la présence d'activités humaines. Toute une partie de l'action des pouvoirs publics doit être, non seulement, de faire en sorte que d'éventuelles inondations soient aussi maîtrisées que possible, mais également que les activités humaines présentent la robustesse nécessaire, que l'on ne construise pas dans les zones dangereuses, que, lorsque l'on construit, on le fasse selon des modalités qui permettent effectivement aux bâtiments d'habitation, aux bâtiments industriels ou aux équipements collectifs de résister aux événements.

À cet égard, la référence centennale sera parfois insuffisante. Par exemple, il me semble de plus en plus normal de faire en sorte que les équipements dont on a besoin en situation de crise, comme l'hôpital, bénéficient d'un niveau de protection supérieur à celui requis par l'événement centennal.

Le deuxième thème de réflexion est la responsabilité des uns et des autres.

En matière de risque naturel, on pense généralement, c'est ce que dit la loi du 2 février 1995, que l'État a deux grandes responsabilités : assurer l'information fiable de tous sur les risques et réaliser des plans de prévention des risques (PPR), dont nous reparlerons.

Il serait cependant erroné de réduire la responsabilité de l'État à ces deux thèmes même si, d'après la loi, ce sont les points essentiels. L'État joue également un rôle important en matière d'annonce de crues, particulièrement utile dans les régions où les crues sont rapides, car pour assurer la fonction de protection, il convient d'avoir un mécanisme de prévision et d'alerte de la population. La deuxième fonction que doit remplir l'État malgré l'absence de texte législatif lui confiant cette responsabilité est d'assurer le retour d'expérience.

Si l'on veut que toutes les leçons soient tirées des événements, il faut construire des mécanismes de retour d'expérience, ce qui n'est jamais naturel.

La dernière responsabilité additionnelle à ce que prévoit la loi est, pour ce qui nous concerne, l'exemplarité.

L'État est le responsable direct d'un certain nombre d'équipements. J'évoquais précédemment les hôpitaux publics, mais il existe bien d'autres infrastructures, réseaux et bâtiments qui sont nécessaires en cas de catastrophe naturelle. Il est important que l'État fasse au moins ce qui est réglementaire - et j'espère mieux.

Les collectivités territoriales jouent, elles aussi, un rôle absolument fondamental en tant que maître d'ouvrage direct de certains équipements mais aussi par l'assistance qu'elles apportent aux responsables directs des travaux de prévention.

Ainsi, par exemple, comme vous le savez, en France, l'entretien des rivières est de la responsabilité du riverain. C'est vrai depuis Napoléon. À mon sens, il est important que chaque fois que le riverain n'est pas en mesure de remplir seul cette responsabilité soit mis en place un système de lignes de défense successives qui garantisse que le travail soit fait. C'est souvent une responsabilité que remplissent les communes, les intercommunalités, les départements, voire, dans certains cas, les régions sous des formes assez souples. C'est également une des fonctions remplies par les établissements publics territoriaux de bassin, qui se développent de plus en plus.

Je parlai de l'instrument de prévention constitué par les PPR.

La loi de 1982, réactualisée en 1995, a créé des mécanismes pour agir sur le risque naturel. Parmi eux, il y a les mécanismes de connaissance et de transfert d'informations.

J'en souligne toujours l'importance. Il est clair que nous ne renforcerons notre capacité à résister aux risques naturels qu'à condition de véhiculer l'information pertinente vers tous les acteurs de la société. Cette information est souvent sans autre conséquence qu'un « porter à connaissance » ou que de transmettre des informations sur les caractéristiques des zones inondables, sur les différents types de risques, sur les crues qui se sont produites dans le passé.

C'est le travail que nous faisons pour l'État au travers, entre autres, des atlas de zones inondables, des dossiers départementaux des risques majeurs (DDRM), des dossiers communaux-synthétiques (DCS), tout ceci devant être repris par les communes pour l'information des citoyens.

À cet égard, je signale au passage qu'un élément d'information me paraît manquer : le transfert d'informations entre le vendeur et l'acquéreur d'un bien. Dans d'autres domaines, comme celui des pollutions des sols dont j'ai également la responsabilité, la loi a créé des mécanismes par lesquels celui qui achète un terrain doit être informé par le vendeur des aspects négatifs affectant le terrain et de ce qui a été fait les années précédentes.

En matière de risque naturel, il me paraîtrait raisonnable que lorsqu'un bien a fait l'objet d'un arrêté de catastrophe naturelle, l'acquéreur en soit informé. À l'heure actuelle, malheureusement, je n'ai pas réussi à mettre en place de tels mécanismes.

Parmi les documents créés par la loi de 1995, se trouvent donc les PPR.

C'est une des responsabilités de l'État, assez atypique puisque depuis les années 1980, les responsabilités d'urbanisme appartiennent aux collectivités territoriales. Mais, en matière de risque naturel, l'État s'est vu confier à différentes reprises et, à nouveau, en 1995 la responsabilité de dire les servitudes qui résultent de l'existence de ce risque.

C'est tout l'objet du PPR. C'est un travail qui n'est pas simple. Aucun propriétaire ou aucun élu n'est extrêmement heureux de l'existence d'un risque naturel chez lui. Personne n'a envie qu'un règlement fixe des contraintes sur un terrain, qui lui appartient et où existe pourtant un risque naturel. Les directions départementales de l'équipement (DDE), les préfets et nous-mêmes rencontrons forcément pas mal de réticences lors de la réalisation de ces PPR. Si cela me paraît inévitable, il appartient à l'État de prendre ses responsabilités.

Je constate, après des événements difficiles, que l'on nous fait plutôt le reproche de ne pas avoir réussi à surmonter les réticences des uns et des autres. Par exemple, dans le département de la Somme, la mise en place des PPR n'était pas encore engagée.

Depuis l'intervention de la loi de 1995 - je fais pour ma part ce métier depuis décembre 1996 -, nous avons beaucoup poussé pour accélérer la réalisation des PPR. D'une part, en y consacrant plus d'argent qu'auparavant puisque le Gouvernement a quadruplé le budget en la matière et, d'autre part, en faisant beaucoup de pédagogie et en exerçant des pressions.

Il me reste une difficulté à résoudre, celle de la mobilisation du personnel nécessaire dans les services de l'État des différents départements. C'est un travail qui nécessite compétence et ténacité. À l'heure actuelle, le nombre de communes dans lesquelles un PPR a été approuvé est de 2 707. Notre objectif est d'atteindre l'élaboration de 5 000 plans en 2005. Il reste encore un certain chemin à parcourir.

Je dirai un dernier mot, monsieur le Président, si vous me le permettez, avant de me livrer à vos questions.

Une des spécificités de la France, vous le savez, est le régime d'indemnisation des catastrophes naturelles qui a été mis en place à partir de 1982. Si ce régime a permis de réaliser des progrès considérables, puisque les personnes victimes d'une catastrophe naturelle, d'une inondation, par exemple, sont vraiment indemnisées rapidement et sans trop de débats métaphysiques, il peut cependant avoir des effets pervers dans la mesure où il peut aboutir à déresponsabiliser aussi bien les assureurs que les assurés dès lors qu'il n'y a plus adéquation de la prime d'assurance aux efforts de prévention faits par les uns et les autres - l'assuré, la commune ou l'État -.

C'est un des points sur lesquels nous avons essayé en 2000 de faire évoluer ce régime et sur lequel il faudra certainement revenir encore. Il me semble, en particulier, qu'il serait de l'intérêt de tout le monde que toute une catégorie d'événements, considérés comme non assurables à l'heure actuelle, le redeviennent afin de permettre les régulations dont nous avons besoin.

Il m'apparaît également, à la lumière de ce qui s'est passé en Picardie, que ce régime devra mieux réfléchir à ce qui est fait pour favoriser les bons comportements après les catastrophes, par exemple les reconstructions ailleurs que dans la zone inondable. Je ne suis pas sûr que la façon dont nous procédons à l'heure actuelle ne puisse être améliorée à la lumière des événements que nous avons vécus dans l'Aude, en Bretagne et dans la Somme.

M. le Président : Je vous remercie, monsieur le directeur. Avant de donner la parole à M. le Rapporteur, je vous livrerai juste une petite réflexion qui m'est venue en vous écoutant.

Quand on parle de probabilité et d'une chance sur cent pour une crue centennale, bien souvent, la population a le sentiment que chaque année passée rapproche un peu plus de la catastrophe. Ce n'est pas le cas, je tiens à le rappeler. Cela signifie seulement que, chaque année, on a une chance sur cent d'avoir à affronter cette catastrophe ; au bout de dix ans sans catastrophe, le risque est toujours le même. Dans la population, bien souvent, on entend dire : « Ça fait 99 ans qu'on n'a rien eu, ça va nous arriver l'année prochaine. ».

Vous avez dit aussi que l'on a tendance à caler la protection sur la crue centennale. C'est un objectif ambitieux, mais il peut y avoir des crues plus importantes. Or, j'ai le sentiment que dans nombre d'endroits nous ne sommes même pas protégés contre la crue cinquantennale, voire décennale. Il reste donc un chemin énorme à parcourir.

Il convient également de savoir qui doit décider du niveau de protection : l'État, les collectivités locales... ? Il faut faire le choix du décideur et le faire correctement car, en fonction du niveau de protection que l'on souhaite avoir selon le type de crues que l'on a étudiées, il est bien évident que les engagements et les investissements ne sont pas du tout les mêmes.

M. Philippe VESSERON : Un événement qui a une probabilité de 1 % par an, est un événement qui se produit effectivement. Dans les autres domaines de risque, 1 % par an serait considéré comme se produisant à coup sûr. Ce niveau de risque, en matière aéronautique, ne serait pas considéré comme supportable. Nous n'accepterions pas que sur cent 747, on en perde un par an.

J'ai dit qu'un certain nombre d'installations devaient être mieux protégées contre la crue centennale. Il me paraît peu raisonnable que ce qui est nécessaire aux secours puisse être mis en défaut en cas d'événements de ce type. Mais globalement, nous cherchons à nous protéger contre l'événement centennal et, pour ce faire, nous avons besoin d'un certain nombre d'éléments de correction, parce que la protection n'est pas absolue.

Il est clair que, dans de nombreux cas, la prévention ne coûte pas cher, à la condition toutefois d'être envisagée à temps. Il est évident que construire selon les normes parasismiques quand on le fait au moment de la construction ne coûte pas cher. Dans le domaine des inondations, ne pas construire dans les zones inondables, c'est encore moins cher quand on y pense à temps.

Nous héritons tous d'une situation où, pendant quelque quarante ans, nous avons oublié cette nécessité parce qu'il n'y avait pas eu de grands événements durs. C'est sans doute ce qui explique notre difficulté à relancer à l'heure actuelle les mécanismes du type plan de prévention des risques. Mais avec de la pédagogie, les situations évoluent.

M. le Rapporteur : Monsieur le directeur, je rappelle qu'en 1994, un intéressant rapport avait été rédigé par mon collègue Thierry Mariani. Depuis, un certain nombre de réformes sont intervenues, des textes de loi ont été adoptés. Pourtant, on se retrouve aujourd'hui dans l'obligation de relancer une nouvelle commission d'enquête. Les problèmes n'ont peut-être pas évolué aussi bien que nous aurions pu l'espérer sur la base des conclusions et des réflexions qui avaient été faites il y a sept ans.

Aussi souhaiterais-je qu'à mes questions, il soit répondu sous cet angle parce que, finalement, ce qui intéresse nos collègues c'est bien de connaître les raisons pour lesquelles ces évolutions ne se sont pas faites. Quelles ont été les résistances ou les réticences rencontrées ? Vous les avez d'ailleurs évoquées en ce qui concerne les PPR. Mais peut-être aussi les réflexions n'avaient-elles pas abouti à des conclusions convenables et faut-il en envisager d'autres. C'est le sens de notre démarche.

Cependant, mes premières questions sont d'ordre purement administratif et structurel.

Il existe deux grandes directions au ministère de l'Environnement qui traitent de ces questions, la vôtre et celle de l'eau. Quelles sont les compétences respectives de ces deux directions ?

Une réforme de 2000 confirmait normalement le rôle de votre direction dans le domaine de la connaissance et de l'évaluation préventive des risques. Pouvez-vous aussi nous préciser les relais dont vous disposez au niveau déconcentré ? De façon plus générale, comment s'exerce la coordination interministérielle aux niveaux central et déconcentré ?

M. Philippe VESSERON : Jusqu'au début des années 1990, la direction de l'eau et la direction de la prévention de la pollution et des risques étaient une seule et même direction d'administration centrale. Lorsqu'elles furent constituées séparément, il y eut une répartition des responsabilités.

En gros, a été confié au directeur de l'eau tout ce qui concerne l'action de l'État comme maître d'ouvrage dans le domaine des inondations. Il s'agit, par exemple, des problèmes d'annonce de crues que j'évoquais tout à l'heure, du soutien à Météo-France pour la mise en place de radars météorologiques permettant d'améliorer la prévision, de l'entretien des digues du domaine de l'État. C'est mon collègue Bernard Baudot, que vous entendrez la semaine prochaine, qui gère ce type d'activités.

Pour ma part, j'ai essentiellement la responsabilité d'agir à l'égard des différents types de risques naturels, pas seulement des inondations, quant à l'amélioration de la connaissance et l'utilisation des instruments normatifs que le législateur a confiés à l'administration.

Cela signifie, entre autres, réaliser des guides méthodologiques. J'ai apporté celui sur les inondations. Cela signifie monter des formations et animer des organismes de recherches qui contribuent à accroître les connaissances. Cela signifie également donner le cadre et les impulsions nécessaires aux préfets de département, aider les services de l'État, comme le Service de la restauration des terrains de montagne (RTM)...

Je passe mon temps à parler de risque naturel à chacun des préfets que je peux joindre au téléphone. Mon rôle concerne essentiellement la prévention, je n'ai pratiquement pas de responsabilités en matière d'intervention en situation de crise. Cela relève du directeur de la défense et de la sécurité civiles placé au ministère de l'Intérieur.

M. le Rapporteur : La Cour des comptes estime que la fonction de délégué aux risques majeurs ne garantit pas une véritable coordination interministérielle. Cette fonction se justifie-t-elle, puisque vous avez l'air de dire que vous êtes chargé essentiellement de la prévention et pas de l'action ? Cela engendre-t-il des désordres ?

M. Philippe VESSERON : L'action en période de crise est d'autant plus efficace qu'elle a été préparée en amont. J'ai créé, courant 1997, un système de réunions périodiques des directions de l'administration centrale concernées, durant lesquelles nous faisons le point des différents problèmes que peuvent poser les initiatives que nous pouvons prendre. C'est un système qui fonctionne assez bien si j'en juge par l'assiduité des participations au niveau approprié.

Néanmoins, vous aurez noté que le Gouvernement a bien vu l'importance de ces problèmes de coordination interministérielle, et a décidé, par un décret de février dernier, la création d'un comité interministériel de prévention des risques naturels majeurs que nous sommes en train de mettre en place.

M. le Rapporteur : Vous êtes donc chargé de l'amélioration de la connaissance. Quelle est l'importance du risque inondation parmi les différents risques naturels ? Cela justifie-t-il une approche particulière ?

M. Philippe VESSERON : Le risque naturel qui m'inquiète le plus est le risque sismique aux Antilles. En termes d'impact sur les populations, c'est certainement un des problèmes les plus graves. Néanmoins, le risque d'inondation constitue le risque naturel principal dans notre pays, si l'on prend en compte le nombre de personnes et de communes concernées, la fréquence des événements, même si ce ne sont pas des événements centennaux.

Les indemnisations du régime des catastrophes naturelles représentent près de 2 milliards de francs en ce qui concerne le risque d'inondation. C'est, en métropole, un des risques naturels les plus fréquents, celui qui appelle le plus d'attention.

M. le Rapporteur : Pour ce qui est des PPR que vous avez évoqués, quel est le bilan quantitatif de cette expérience ?

Sur l'aspect qualitatif, la Cour des comptes estime que la réforme récente des PPR n'a pas foncièrement amélioré le contenu des plans en matière d'inondations. Elle indique notamment que le choix de la crue de référence est sans fondement économique. Partagez-vous ce point de vue ?

M. Philippe VESSERON : Les mécanismes de planification de l'espace en matière de risque d'inondation, dont vous retrouvez les premiers fondements en 1935, avec les plans de surfaces submersibles, n'ont jamais très bien fonctionné. Puis, il y eut un essai de rénovation en 1982, avec le plan d'exposition aux risques (PER), qui n'a pas très bien fonctionné non plus. À mon avis, il est intéressant de réfléchir aux raisons pour lesquelles, à partir d'une circulaire de 1994 et de la loi votée en 1995, les choses ont commencé à fonctionner.

Pourquoi, entre les différents acteurs, en termes financiers et en termes de volonté de surmonter les différentes difficultés ou réticences que j'évoquais, les choses semblent fonctionner à peu près depuis cinq ans ?

Concernant le bilan quantitatif, il est assez spectaculaire : on peut constater une rupture depuis 1996. Aujourd'hui, 2 707 plans sont approuvés contre 1 200 ou 1 300 en 1994. L'objectif de 5 000 plans en 2005 reste valable et il sera possible de l'atteindre.

Concernant la qualité, j'ai veillé à ce qu'un système d'inspection générale soit développé afin d'éviter une détérioration de celle-ci. Je n'ai pas d'indices me donnant à penser qu'il y aurait à l'heure actuelle des dérives. Ce serait même parfois tout le contraire ; c'est parce qu'il y a ce désir d'éviter le laxisme qu'un certain nombre de plans ne sont pas encore approuvés. Cela me crée un autre type de difficultés.

Il est clair que le critère de la plus grande crue historique connue ou de la crue centennale est un peu arbitraire. Il faut que nous ayons des approches plus souples. Dans certains cas, il est vrai que nous ne pouvons pas assurer la protection, y compris celle d'installations nouvelles, contre la crue centennale et il faut avoir une réflexion plus sophistiquée. Dans d'autres, il faut être plus exigeant.

M. le Rapporteur : Pour compléter ma question, la philosophie du PPR est-elle de voir comment évaluer les risques du point de vue de l'assurance et de l'indemnisation ou de les prévenir en proposant des mesures visant à limiter les dommages ?

M. Philippe VESSERON : Il s'agit de prévenir les risques par un instrument qui est une décision et non pas une simple cartographie ou une connaissance. Le PPR est un acte qui intervient après une procédure contradictoire, un avis du conseil municipal, une enquête publique et une décision expresse du préfet. Juridiquement, c'est une servitude d'utilité publique qui joue sur les constructions nouvelles, qui peuvent certes être interdites, mais aussi autorisées sous un certain nombre de conditions comme, par exemple, qu'un bâtiment dispose d'un étage accessible de l'intérieur situé à une hauteur suffisante pour ne pas être inondable, ou que le plancher le plus bas soit protégé contre l'inondation.

Le plan peut également imposer des modifications aux bâtis existants à condition de ne pas engendrer de dépenses qui excéderaient 10 % de la valeur du bien.

C'est la très grande différence entre le PPR, qui est un instrument ayant des conséquences obligatoires, et les autres documents que j'évoquais, qui sont seulement des documents d'informations, de transfert de connaissances ou de sensibilisation.

M. le Rapporteur : Il n'existe pas, dans le PPR, des dispositions qui obligent le maire d'une commune à mettre en place des protections, telles que des digues par exemple ?

M. Philippe VESSERON : Ne pas construire dans une zone ou ne construire qu'à condition que chaque maison dispose d'un étage toujours hors d'eau accessible de l'intérieur, c'est fortement préventif.

M. Jean-Pierre SOISSON : Je ne cacherai pas, après vous avoir écouté, monsieur le directeur, un certain sentiment de frustration. L'Assemblée a débattu une matinée entière, hors de tout clivage politique, en se fondant sur des documents et des rapports, tels le rapport Mariani et le rapport public de la Cour des comptes pour 1999. Alors que nous avons vis-à-vis des pouvoirs publics et des Français une certaine obligation de résultats pour la recherche des causes et l'amélioration de la prévention, j'ai le sentiment que nous avons là une discussion un peu académique.

D'ailleurs, dans les réponses du Gouvernement au rapport de la Cour des comptes, je lis dans celle du ministère de l'Environnement, cette phrase : « Ces insuffisances sont largement le résultat d'une certaine insouciance des populations ».

On ne peut pas rester sur un tel constat. Il faut que nous fassions des propositions concrètes. Je vois bien les difficultés des PPR. Pour ma ville, Auxerre, je sais bien que la moitié de la ville est inondable, et d'ailleurs régulièrement inondée. Par ailleurs, il faut garder à l'esprit que ce qui est fait quelque part sur un cours d'eau a une influence sur l'aval, voire sur l'amont. Nombre de mes collègues ont invoqué cette interaction pour insister sur la nécessité de parvenir à des propositions cohérentes.

Or j'ai l'impression que nous n'avançons pas sur le chemin de ces propositions. C'est donc ce sentiment de frustration dont je voulais faire part à la commission.

M. Philippe VESSERON : Dans un propos oral et forcément limité, j'ai essayé de vous donner les lignes de pensée. S'il s'agit de résumer, je peux vous dire que, pour ce qui concerne les PPR, j'ai fait en sorte que les budgets nécessaires soient dégagés mais que je rencontre des problèmes d'effectifs dans les différents services d'État et des problèmes de mobilisation de ceux-ci. C'est dire plus brièvement ce que je vous ai dit.

En ce qui concerne les mécanismes d'indemnisation, j'ai essayé d'indiquer quelques effets pervers qu'il nous faudrait essayer de surmonter mais, en même temps, je considère que ce qui a été créé depuis 1982 a apporté des améliorations.

M. Jean-Pierre SOISSON : Vous êtes meilleur quand on vous provoque !

M. Stéphane ALAIZE : Monsieur le directeur, j'ai écouté attentivement votre propos. J'ai pu noter divers éléments sur lesquels je souhaite revenir. L'un d'entre eux m'intéresse plus particulièrement : le retour d'expérience. Vous avez évoqué cette notion qui permet, sur la base de cas concrets, de rechercher des réponses et des solutions car, je rejoins totalement mon collègue Jean-Pierre Soisson sur ce point, nous avons une obligation de résultats et sommes attendus sur ce terrain.

Ma question est de savoir ce qu'il en est exactement de cette notion, de son application. Comment se pratique-t-elle concrètement ? À partir de cas particuliers, je pense à celui de l'Ardèche que je représente ici, arrive-t-on à en tirer des enseignements permettant d'agir pour l'avenir ?

Dans le prolongement de cette réflexion, on a le sentiment qu'il y a pas mal de freins aux aménagements. L'Ardèche a connu une crue sévère en 1992, se soldant par quatre décès, des inondations sur tout son parcours et bien des dommages. On a le sentiment dix ans après que, finalement, les enseignements de cette crue n'ont pas été tirés et qu'aujourd'hui, on est à la merci des mêmes conséquences parce que l'on s'est refusé à agir sur les causes.

Vous parliez tout à l'heure de difficultés dans la mise en application liées au manque de personnel, de moyens humains. Pourtant, en tant que rapporteur pour avis du budget de l'Environnement, je sais bien que les moyens financiers existent.

Je citerais un passage du rapport Mariani où il est fait état de l'article 19 du projet de loi relatif à la protection de l'environnement qui prévoit différentes méthodes d'action, dont une qui consiste, en fait, à regrouper les acteurs et à leur reconnaître la capacité d'agir. Aujourd'hui, j'ai le sentiment que cette capacité est retirée aux élus locaux, et qu'elle est, en fait, entre les mains d'administrations qui semblent conduire leur réflexion de façon assez discrète, voire discrétionnaire. Je vous accorde que les PPR sont une bonne chose mais, pour ce qui est de la mise en application, de la transparence et de la coordination avec les acteurs de terrain, permettez-moi de douter encore. C'est le point sur lequel je voulais insister et, peut-être, obtenir des éclaircissements.

N'est-ce pas pourtant au niveau local qu'il nous faut réfléchir et agir pour que les choses s'établissent dans un climat de confiance avec les élus, parce que ce sont eux qui sont souvent mis en accusation ? Il y a certainement des raisons à cela, mais le jugement me semble un peu hâtif, car en les mettant en accusation, on néglige le fait qu'ils ont le souci de protéger les populations le plus efficacement possible.

Pour être encore plus concret, je trouve anormal, par exemple, que l'on ne puisse pas ponctuellement procéder à des curages de rivière ou des aménagements de berges, quand il a été clairement identifié que l'un des risques provient de là.

M. le Président : Pour reprendre les propos de mes collègues, je dois dire que je ressens sur le terrain l'énorme difficulté de passer du discours aux actes, alors que l'on sait ce qu'il faut faire. J'ai le sentiment que, dans nombre d'endroits, on ne parvient pas à traduire les discours de manière concrète sur le terrain. Il faut pourtant y parvenir.

Comment faire pour passer de l'abstrait, de la constatation et de la réflexion au concret ? Faut-il acheter un fouet pour que cela aille plus vite ou continuer comme on le fait ?

On vient de nous citer un cas vieux d'il y a dix ans. Si cela se reproduisait aujourd'hui, la situation serait identique. Or je suis persuadé qu'au cours de ces dix ans, les élus sur le terrain ainsi qu'un certain nombre d'autres personnes ont proposé des solutions pour éviter que les choses ne se reproduisent de la même façon. Si cela se reproduit de la même façon, je pense que nous n'aurons pas l'air très crédibles. Notre problème est d'entrer dans la réalité des dossiers.

M. Philippe VESSERON : Le retour d'expérience me semble être un point absolument fondamental.

Une des grandes difficultés en la matière est que lorsque nous sommes dans une période de crise, nous avons une forte mobilisation où chacun cherche à secourir ceux qui sont en difficulté, où, le cas échéant, des polémiques éclatent ainsi que des mises en accusation. On reproche aux élus ou aux fonctionnaires de ne pas avoir fait suffisamment leur travail en amont. Puis, tout s'arrête et on passe à autre chose.

Si l'on veut, d'une part, que les conséquences de l'événement qui s'est produit soient tirées et corrigées sur le lieu de la catastrophe et, d'autre part, que des leçons en soient tirées ailleurs, il faut avoir une mécanique volontaire de retour d'expérience.

Je l'ai personnellement, dans d'autres responsabilités, expérimenté à la suite des inondations de Nîmes où immédiatement avait été monté un système de recueil d'informations et de propositions sur ce qu'il y avait lieu de faire. C'est le type de mécanique que nous généralisons à l'heure actuelle. L'expérience s'est assez bien passée. Nous sommes en train de publier le rapport sur les inondations de Bretagne qui est, à la fois, une analyse de ce qui s'est passé et une feuille de route pour les uns et les autres pour la suite.

J'ai dit que nous avions dans toutes ces affaires des problèmes d'information et de culture. Il ne s'agit pas simplement de dire que des mécanismes pourraient être mis en place par l'administration ou le législateur car, s'ils ne sont pas compris et admis, cela ne fonctionnera pas. Il faut que nous assurions la diffusion de l'information et la transparence en direction des différents milieux concernés - les écoles, les architectes... - par tous les canaux possibles.

J'accepte entièrement votre mot de transparence. Il ne s'agit pas simplement de faire du béton ou d'ériger des règles.

Je n'ai pas bien compris pourquoi on vous interdisait de curer les rivières. Il est clair que le travail d'entretien des rivières est un des moyens de prévenir les problèmes. Pas forcément de prévenir les inondations centennales, mais il n'y a pas que cela pour nous occuper.

M. Paul DHAILLE : J'aimerais savoir sur quelle durée se fondent les scientifiques pour pouvoir parler de changement climatique : dix ans, cent ans, mille ans, dix mille ans ?

M. Philippe VESSERON : Sur quelques dizaines d'années. Vous le savez, monsieur le député, dans de nombreux cas, nous n'avons de mesures que depuis 1945 sur un certain nombre de phénomènes. Vous comprendrez donc ma prudence.

M. Paul DHAILLE : Sur ces problèmes d'inondations, deux directions sont compétentes au sein du ministère de l'Environnement : la direction de la prévention des pollutions et des risques, et la direction de l'eau. Or la loi sur l'eau parle de l'élaboration de schémas d'aménagement et de gestion des eaux (SAGE). Les inondations sont des risques majeurs, mais ce sont aussi des phénomènes qui touchent à l'eau. Les SAGE dépendent-ils de vous ou de votre collègue de la direction de l'eau ? S'ils dépendent de vous, combien de SAGE sont élaborés à l'heure actuelle en France ? Combien sont opérationnels aujourd'hui ? Pouvez-vous nous fournir une carte des SAGE et de leur degré d'élaboration actuel ?

M. Philippe VESSERON : Cette responsabilité relève de mon collègue Bernard Baudot. Les SAGE traitent de beaucoup d'aspects en dehors du risque d'inondation, notamment des problèmes de qualité de l'eau.

Un autre point me préoccupe. Il est vrai qu'il y a dans tous ces problèmes de cours d'eau et d'inondation, le fait que les riverains sont propriétaires. Le problème de la domanialité ou de la propriété d'un cours d'eau est un problème majeur car, lorsque vous dites que la collectivité locale, le syndicat ou l'association peut se substituer au propriétaire si, manifestement, ce dernier ne s'en occupe pas, cela paraît simple en théorie. Dans la pratique, je puis vous assurer que c'est extraordinairement plus difficile.

M. Paul DHAILLE : Pourriez-vous nous donner votre avis sur le problème de la propriété ou de la domanialité des cours d'eau ? Faut-il envisager, pour un bon entretien des cours d'eau, un changement juridique de la propriété ou de la domanialité de ceux-ci ?

M. Philippe VESSERON : Ma recommandation serait plutôt de veiller à la souplesse ou à la facilitation de l'intervention de substitution en cas de besoin. On peut sans doute faire mieux qu'on ne fait à l'heure actuelle. En ce qui concerne la TVA, par exemple, il reste des progrès à faire. Par ailleurs, s'agit-il d'interventions en tant que financeur ou en tant que maître d'ouvrage ? Créer un système d'aides publiques pour faciliter au maître d'ouvrage l'exercice de sa responsabilité serait certainement une évolution très souhaitable.

Le principe de la responsabilité du propriétaire ne me semble pas mauvais. En revanche, il faut que la substitution ou l'appui aux propriétaires soient plus faciles qu'ils ne le sont à l'heure actuelle.

Je me rappelle une petite commune des Alpes-Maritimes, pour laquelle la maîtrise des risques naturels imposait de réaliser un investissement de près de 300 millions de francs. Il est clair qu'il était indispensable que les collectivités de rang supérieur et l'État viennent en appui.

M. Paul DHAILLE : Nous sommes dans un pays de droit et, vous pouvez simplifier les procédures autant que vous pourrez, si le propriétaire fait appel devant un tribunal administratif ou même un tribunal civil, il aura tous les moyens de faire en sorte que les travaux soient retardés pour des durées extrêmement longues. Je crois modérément à la facilitation de l'intervention de la puissance publique, dans la mesure où dans un État de droit, les droits de chacun sont préservés et qu'il y a des recours devant toutes formes de juridictions.

J'ai pourtant le sentiment que dans ces affaires de rivières, de cours d'eau et de risques naturels, les intérêts particuliers pèsent lourdement dans les décisions qui sont prises ou qui ne le sont pas.

M. Philippe VESSERON : Monsieur le député, il est bien compréhensible, et ce n'est pas illégitime, que chacun des acteurs défende ses intérêts ou sa vision de ce que sont ses intérêts.

Quant à la réflexion sur les mécanismes d'intervention, bien entendu, les lois sont faites pour être respectées. Mais regardez comment fonctionnent les choses en matière d'obligation de débroussailler dans les zones qu'il faut protéger contre les risques d'incendies de forêt. On retrouve les mêmes types de mécanismes. Une obligation claire est faite au propriétaire et il existe des mécanismes de coercition et de facilitation qui ne fonctionnent pas si mal quand on veut effectivement les mettre en _uvre. C'est ce que je constate à l'heure actuelle dans le Var et les Alpes-Maritimes par exemple.

M. Philippe DURON : Monsieur le directeur, je veux bien vous donner acte de l'évolution positive des PPR. Il est vrai qu'après 1995, leur nombre s'est accru du fait de deux phénomènes.

Le premier a été l'importance des inondations de 1995, qui a créé une prise de conscience chez les élus locaux et chez les préfets. Le second a tenu aux moyens qui ont été mis à disposition et à la volonté politique qu'il y a eu de les promouvoir après 1997.

Cependant, à mon avis, ces PPR ne sont qu'une forme de prévention, une prévention structurelle et sur le long terme car ils agissent sur l'urbanisme et ne prennent donc en compte que l'avenir et l'évolution de l'urbanisme existant. On ne peut pas se contenter des PPR lorsque l'on est dans un cycle particulièrement récurrent d'inondations qui menacent les populations et les biens.

Sur les PPR, je ferais deux remarques.

Premièrement, il me semble qu'au niveau méthodologique, des progrès sont encore à faire, notamment sur l'outil cartographique. En effet, on utilise souvent, pour des raisons d'économie, des fonds de cartes ou des bases de données du style BD Topo, qui ne sont pas toujours à la même échelle. Nous avons là des distorsions dans le rendu final qui peuvent être tout à fait gênantes dans la mesure où le PPR est aussi producteur de réglementation et de droit et, donc, d'une certaine inégalité entre les collectivités ou les citoyens par la suite. Il faudrait probablement mettre davantage de moyens pour que les PPR soient au moins plus précis.

Deuxièmement, en termes d'approche administrative, le PPR est une initiative de l'État qui engage un débat avec chacune des collectivités situées dans la zone inondable. Il serait sans doute préférable aujourd'hui que le dialogue et la négociation s'établissent non pas avec chacune des collectivités mais avec l'ensemble d'entre elles. Cela donnerait une cohérence plus forte parce qu'en fait, l'inondation ne se limite pas aux frontières communales et il y aurait ainsi une meilleure équité dans le traitement des communes car on sait très bien que dans le dialogue entre l'État et les communes, certaines d'entre elles ont plus de poids, des arguments plus forts ou sont plus aptes à faire valoir leur point de vue.

J'ai personnellement rencontré ce problème. Nous avons réussi au prix de grandes difficultés à obtenir de notre préfet que le PPR soit négocié au niveau du schéma directeur. Nous y avons trouvé beaucoup plus d'intérêt collectif qu'une négociation entre l'État et chaque commune prise séparément.

Je reviens sur un autre point que vous avez évoqué, celui des données mises à notre disposition pour faire de la prévention et améliorer le retour d'expérience. Je suis frappé, et nous l'avions déjà remarqué lors du travail que nous avions conduit avec notre collègue Yves Dauge pour la mission que lui avait confiée le Premier ministre, de constater qu'il y a une amélioration et bien plus de données à la disposition des acteurs.

Les producteurs cependant sont assez diversifiés : nous avons Météo-France, les DDE, les directions régionales de l'environnement (DIREN), l'Institut français de l'environnement (IFEN)... Le problème est que, pour certaines, ces données sont gratuites et disponibles, pour d'autres, elles ne sont pas disponibles immédiatement. Météo-France, notamment vend ses données et nous nous heurtons à trois types de problèmes, que l'on pourrait facilement améliorer :

- le premier est celui de la coordination ; il faut rassembler ces données et les confronter entre elles pour pouvoir les exploiter correctement ;

- le deuxième est celui de leur exploitation ; il n'existe pas d'administration tête de file dans ce domaine, qui puisse être l'autorité de référence et assumer la synthèse de l'ensemble des données ;

- le troisième est celui de la transmission, notamment aux personnes qui ont à gérer les crises, les maires en règle générale, à ce niveau, les données sont très souvent, communiquées après l'inondation ; de très belles courbes, de nombreuses données très intéressantes.

Il faut faire des progrès. Cela s'est amélioré depuis quelques années, mais ce n'est pas encore suffisant. Il faut pouvoir donner aux collectivités territoriales les moyens d'avoir une information qui, à défaut d'être en temps réel, soit très rapide afin de pouvoir être exploitée durant la gestion de la crise.

Enfin, je voulais aborder la question de l'aménagement et des travaux. Stéphane Alaize a dit le temps qu'il fallait parfois pour passer de la constatation d'un sinistre à l'amélioration d'une situation. Il y a beaucoup de difficultés. Je ne partage pas tout à fait le point de vue de notre président : on sait parfois ce qu'il faut faire, mais encore faut-il vérifier ce que l'on va faire, parce que l'on a parfois des intuitions, des jugements a priori sur les situations hydrauliques, mais ce sont des matières extrêmement complexes. Il y a donc des études à conduire, des travaux préalables à engager.

Mais, ensuite, la bataille pour passer du diagnostic à la réalisation est bien longue ; longue en raison de l'ensemble des procédures liées à la nécessité de transparence et d'information du public. Pour faire des travaux en matière hydraulique, vous avez tout d'abord trois enquêtes publiques : une « enquête Bouchardeau », une enquête loi sur l'eau, une enquête parcellaire. Vous ne pouvez pas toujours les conduire en parallèle. Quand vous y parvenez, vous avez de la chance.

Puis, vous avez les instructions mixtes des services de l'État. Là encore, la procédure pourrait être largement améliorée et anticipée. J'ai appris récemment que l'on ne pourrait plus les faire en parallèle avec les enquêtes publiques. C'est un recul, parce que cela va faire perdre encore un an et demi ou deux aux collectivités ou aux syndicats intercommunaux qui engageront des travaux contre les inondations.

Il serait bon, dans les travaux de notre commission, que nous puissions faire des recommandations non pas sur la diminution de l'information ou de l'enquête publique mais, en tout cas, pour des matières aussi stratégiques et aussi urgentes que la lutte contre les inondations, sur la réduction des délais de conduite de ces opérations.

M. Philippe VESSERON : J'aimerais rebondir sur votre dernier point.

On l'a dit tout à l'heure, il est essentiel dans ces matières de faire comprendre ce que nous avons à dire et d'informer au maximum tout le monde et en particulier tous ceux qui sont concernés. L'enquête publique est l'un des moyens. Mme Voynet passe son temps à dire qu'il faut que les enquêtes publiques aient lieu le plus vite possible.

De mon expérience, je puis dire que nous avons tous les uns et les autres d'excellentes raisons pour toujours retarder les enquêtes publiques, parce que le dossier sera ainsi meilleur. Pourtant, nous avons tous besoin d'accélérer les enquêtes publiques à la fois parce que cela permet aux projets de se réaliser plus vite et que cela donne une information plus claire aux gens.

Vous disiez que l'on ne peut pas se contenter des PPR. C'est exact. Je n'ai pas dit que le PPR ne jouait que sur le bâti futur, c'est cependant sa cible essentielle. Cela dit, c'est aussi là-dessus que nous avons le plus de degrés de liberté. Ne nous trompons pas, si nous voulons réorienter notre façon de construire et d'utiliser l'espace, nous aurons besoin d'une trentaine d'années pour le faire. Cela ne se fera pas du jour au lendemain.

J'accepte totalement ce que vous disiez quant aux difficultés d'accès à l'information, même quand elle existe. Nous avons engagé un cycle de discussion avec le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), Météo-France et l'ensemble de ces producteurs d'informations pour que, quand la donnée n'est pas totalement gratuite, le coût facturé ne soit pas son coût de production et qu'il se limite au coût de reproduction de l'information.

Je constate que, depuis deux ou trois ans, la numérisation des informations change énormément la situation. À partir du moment où nous sommes en mesure de transférer une information cartographique, du texte et des données sous forme numérique, un certain nombre de mécanismes fonctionnent beaucoup plus facilement. Vous trouverez sur Internet de nombreux éléments, dont l'état d'avancement des PPR, y compris ceux qui avancent mal. Et il y a d'autres informations techniques que j'aimerais rapidement mettre à disposition.

Je suis bien entendu d'accord pour une meilleure information des maires. Mais il faut bien veiller aussi à l'information des populations. J'évoquais sommairement les documents d'information de l'État vers les communes (DCS) et vers le public (DICRIM). Franchement, cela ne va pas assez vite. Nous montrons encore collectivement trop de réticences pour désigner les risques dans telle ou telle zone, y compris pour dire : « Voilà ce qu'il faut faire si le camping est inondé ». La culture aux États-Unis, par exemple, est assez différente de la nôtre.

Nous avons à apprendre à donner une information transparente, même quand elle n'est pas complètement confortable. Après tout, on trouve bien dans tous les hôtels, le plan d'évacuation en cas d'incendie. Pourquoi, à l'égard des risques naturels, qui sont quelque chose que nos concitoyens comprennent bien, ne sommes-nous pas plus transparents, même si les sujets ne sont pas réjouissants ?

M. le Président : Il est vrai qu'effectivement Mme la ministre demande d'aller plus vite dans les enquêtes publiques. Mais je rappellerai qu'auparavant, nous ne pouvions pas les faire l'été. Actuellement, nous ne pouvons pratiquement plus les faire l'hiver non plus. Bientôt quelqu'un décidera que nous ne pouvons pas les faire au printemps, et puis à l'automne. Et nous ne pourrons plus les faire !

Cela dépend peut-être certes aussi de nos préfets respectifs.

M. Philippe VESSERON : Monsieur le Président, vous me trouverez toujours auprès de vous pour essayer de déminer les uns après les autres tous les obstacles qui conduisent à retarder le lancement d'une enquête publique. Il faut être extrêmement vigilant, ce n'est pas seulement un problème d'été ou d'hiver.

M. Daniel MARCOVITCH : Nous évoquions tout à l'heure les difficultés de substitution aux propriétaires de cours d'eau. Il existe dans le domaine immobilier des arrêtés de périls, par lesquels les préfets peuvent tout à fait se substituer à un propriétaire défaillant. En cas de saturnisme, par exemple, les travaux peuvent être engagés sous quinze jours par l'Assistance publique, quitte à ce que le préfet se retourne ensuite contre le propriétaire.

Monsieur le directeur, je voulais avoir votre avis sur l'avant-projet de loi sur l'eau, notamment sur la redevance pour modification du régime des eaux non rétroactive et applicable éventuellement au-dessus d'un hectare. Quel est votre sentiment sur la validité d'une redevance portant simplement sur des imperméabilisations des sols sans qu'il y ait également l'obligation de mesures, comme des bassins de rétention ou autres, qui pourraient avoir un véritable effet ?

Dernier point à l'adresse de notre collègue M. Dhaille, une soixantaine de SAGE sont actuellement à l'étude en France, mais seulement quatre ont été signés définitivement, et je pense qu'aucun d'entre eux ne se préoccupe des inondations.

M. Philippe VESSERON : Les SAGE se préoccupent de bien d'autres choses que les inondations. Le fait que les agences de l'eau doivent être des acteurs importants sur les problèmes d'inondations, chacun l'écrit depuis un certain temps. Des rapports, y compris celui de M. Christian Kert ont évoqué cette thématique. Jusqu'à présent, on n'a pas encore trouvé de moyens complètement efficaces permettant d'étendre le rôle des agences de l'eau en matière de prévention des inondations.

Historiquement, les agences ont été efficaces chaque fois qu'elles ont trouvé des programmes d'intervention qui ont permis de faire bouger les situations, et pas seulement par le changement de comportement que le prélèvement d'une redevance pouvait induire. Je crois beaucoup, pour ma part, aux mécanismes permettant aux agences de maintenir un certain nombre de zones humides utiles à la prévention des inondations par le biais des acquisitions foncières. C'est extrêmement efficace. Je le constate en amont de Paris, par exemple. C'est vraiment très bien.

M. Gilles de ROBIEN : Monsieur le directeur, après l'expérience que nous avons vécue dans la Somme, on dit souvent que c'était prévisible. Vous avez dit vous-même que la pluviométrie était « au-dessus de la moyenne ». C'était d'ailleurs une formulation toute en nuances puisque la pluviométrie était presque le double de celle d'une année moyenne.

Vous avez parlé d'information. On a pourtant le sentiment aujourd'hui, alors que tout le monde dit que c'était prévisible, que nous n'avons pas eu d'informations. Or, vous avez bien précisé que l'État nous doit l'information. Alors, sous quelle forme nous la doit-il ?

Je puis vous assurer que le vécu des sinistrés aurait été tout autre si nous avions eu des informations au fur et à mesure, en présentant, par exemple, deux courbes qui se croisent, la nappe phréatique et la pluviométrie, et en expliquant qu'à partir du moment où quinze millimètres d'eau tombent en un jour, avec un écoulement de x mètres/seconde et l'évaporation, on estime que le niveau montera de tant.

À aucun moment, on ne nous a dit que la pluviométrie allait entraîner directement une montée du niveau de l'eau dans les rues, puis dans les maisons, puis dans les chambres. C'est très frustrant. Je pense que l'on aurait grandement diminué la réaction affective, voire les rumeurs et la colère des gens, si l'information avait été donnée en temps réel. Ma première question sera donc de savoir quel est le cheminement de cette information.

Vous avez dit ensuite à propos de la constructibilité dans des zones inondables que, pendant quarante ans, on avait oublié où il ne fallait pas construire. Pourquoi quarante ans ? Toutes les maisons inondées que je connais ont, pour 10 à 15% d'entre elles, une vingtaine d'années, les autres étant des maisons qui datent plutôt du siècle dernier ou du début de siècle.

Pourquoi y aurait-il eu cet oubli, qui aurait frappé, comme par hasard, depuis seulement une quarantaine d'années ?

M. Philippe VESSERON : J'ai été, comme vous, extrêmement insatisfait de la façon dont les éléments permettant de qualifier l'information ont circulé lors des inondations en Somme. J'en ai été d'autant plus surpris que la référence aux inondations de 1995, en mettant les chiffres en perspective, aurait permis d'apporter des éléments de compréhension. Pourquoi n'a-t-il pas été dit immédiatement comment l'événement qui était en train d'apparaître se situait par rapport aux inondations de 1995 que l'on avait cru, à tort, centennales ?

C'est un point sur lequel il faudra que nous comprenions ce qui s'est passé. Cela aurait favorisé une meilleure diffusion de l'information et aurait apporté des éléments qui auraient permis aux habitants du département mais aussi aux différents acteurs de mieux comprendre ce qui était en train de se passer.

Pourquoi ai-je parlé de quarante ans ? À vrai dire, je n'ai pas de tournant très précis en tête mais, manifestement, dans les différents exemples que je vois en Bretagne ou dans l'Aude, je constate qu'il y a eu une période où la vigilance à l'égard du risque d'inondation a faibli. On a alors construit dans des zones considérées par le droit et, plus encore, par la tradition comme dangereuses. Toute cette tradition a été perdue.

À quelque chose, malheur est bon, comme dit la sagesse populaire. Je note aujourd'hui avec une certaine satisfaction que la vigilance renaît et que l'on arrive à mieux faire comprendre le message de ne pas construire dans les zones où le terrain est mauvais ou où le risque d'inondation est fort.

M. Jacques MASDEU-ARUS : Ce qui m'inquiète est la périodicité des inondations. On constate une répétition de plus en plus rapide, même si les crues ne sont pas, fort heureusement, de la même intensité. On se rend compte également que l'envasement de la Seine s'accroît. L'affouillement de nos rives n'est pas traité. Vous disiez tout à l'heure que la responsabilité des rives était celle des riverains, mais elle relève aussi bien souvent des communes.

Or, les petites communes - ce qui n'est pas tout à fait mon cas, car Poissy est une ville de moyenne importance qui dispose de moyens pour les entretenir - celles de 1 500 habitants et qui ont deux ou trois kilomètres de rives, n'ont pas les moyens financiers suffisants pour le faire. Même avec des subventions qui ne leur laissent que 10 à 20 % des travaux d'entretien à leur charge, elles n'ont pas assez de moyens pour payer, surtout sur la Seine où la puissance des pousseurs ne cesse de croître.

Il y a dix ans, on disait que les pousseurs n'abîmaient pas les rives mais on remarque bien que certaines petites zones, notamment au bout de nos îles, disparaissent, que les arbres tombent régulièrement. Bientôt, nous n'aurons plus ni arbres ni îles. Ce trafic des pousseurs crée donc bien ces affouillements et fait tomber, au fur et à mesure, les rives dans la Seine. Je pense donc que, dans ce domaine, on ne fait pas suffisamment de travaux. Pourtant, ne serait-ce pas prioritaire ?

On peut s'interroger aussi quand on voit les crues et les dégâts qu'elles occasionnent, comme cette fois où nous avons été sous l'eau pendant quinze jours. Bien que ce ne soit pas la même durée que dans la Somme, c'était la première fois en vingt ans que la Seine restait dans les maisons aussi longtemps. En région parisienne et à l'amont de la vallée de la Seine, les barrages seront-ils suffisants pour composer toutes les surfaces que nous avons imperméabilisées par les différentes constructions ?

M. Philippe VESSERON : Monsieur le député, je faisais référence à la crue de 1910 et à l'impact des barrages. Vous entendez des phrases, et la Cour des comptes a repris cela, du genre : « Cela ne ferait baisser le niveau que de quelques cinquante ou quatre-vingts centimètres, selon le mode de calcul, par rapport à la crue de 1910. » C'est considérable. Certes, il n'est pas question de supprimer huit mètres de crues avec des barrages, mais sur les crues de fréquence décennale, l'impact est considérable. Même quelques dizaines de centimètres sur la crue centennale ne sont pas négligeables. On a tort de méconnaître l'impact des ouvrages qui ont été édifiés en amont de Paris.

Je reviens sur un point que vous évoquiez pour dire qu'une des conséquences du mauvais entretien des rives est souvent liée aux arbres qui créent des obstacles certes pas sur la Seine, mais sur beaucoup de rivières. C'est un des points que je redoute et qui peut avoir des conséquences non négligeables en termes de risque d'inondation. J'ai eu, par exemple, pas mal d'inquiétudes après les tempêtes de la fin 1999, dans la mesure où il aurait été très dangereux que des embâcles subsistent à une période où on pouvait subir des inondations.

Enfin, pour répondre à votre première question, je ne pense pas que l'on puisse tirer une tendance de long terme des statistiques actuelles. C'est trop tôt, ce ne serait pas scientifiquement fondé. En particulier, je ne sais pas interpréter le fait que les crues de 2001 dans la Somme soient si proches des dernières de 1995. Je me garderai d'extrapoler sur le rapprochement de ces deux événements.

M. le Président : Monsieur le directeur, j'ai écouté avec beaucoup d'attention votre dernière intervention sur les barrages et les niveaux parce que j'avais quelques projets d'ouvrages écrêteurs sur la Loire qui devaient baisser de quarante centimètres l'eau à Orléans. On me démontre toujours que quarante centimètres, ce n'est rien. Je sais pourtant qu'une goutte d'eau suffit à faire déborder un vase et que, bien souvent, un centimètre en plus peut vous amener des millions de mètres cubes d'eau. Je crois qu'effectivement tout centimètre gagné sur une crue peut éviter bien des catastrophes, selon la nature de la crue bien évidemment.

Ce sont des questions complexes parce que la nature n'est pas seule en jeu, il y a aussi l'influence de l'homme et de la politique. En débattre est encore plus compliqué qu'on ne le pense.

M. le Rapporteur : Une petite question du député de la Somme que je suis : on m'a expliqué que les inondations sont dues à la montée des nappes phréatiques. Est-ce un phénomène fréquent, bien connu et analysé ? Existe-t-il des moyens de prévention contre ce type d'événement ? Il y a deux ou trois ans, les nappes phréatiques étaient tellement basses que l'on se demandait si nous n'allions pas vers la sécheresse.

M. Philippe VESSERON : C'est un phénomène qui s'est produit en 1995 et qui s'était produit aussi antérieurement. Des essais de modélisations avaient été réalisés sur certaines parties de nappe, notamment lors d'un travail mené par l'Agence de l'eau et le BRGM. Une certaine modélisation existe donc.

Est-il possible de prévenir en amont pour empêcher la nappe de connaître ce genre de mouvements ? Par prudence professionnelle, je répondrai que nous en reparlerons dès que nous aurons le rapport de retour d'expérience. Je serais néanmoins étonné que nous ayons une réponse positive sur ce point.

M. le Rapporteur : Je vous ferai parvenir d'autres questions. Mais, avant de nous quitter, je souhaiterais une dernière précision. Vous avez évoqué les mécanismes d'indemnisation et vous parliez des effets pervers qu'ils pourraient engendrer. J'aimerais que vous développiez cette idée pour savoir comment éviter l'effet pervers en question.

M. Philippe VESSERON : Il me semble très important que nous arrivions à mieux impliquer le monde de l'assurance dans le travail de prévention. La pédagogie ou la fixation de règlements ne suffisent pas. Par ce que l'assureur dit à son client, par des mécanismes concrets sur les décisions de reconstruction, par des systèmes de distribution d'avances en période d'urgence, avec des garanties modestes, permettant à la vie de reprendre, le lien entre l'assurance et la prévention peut être amélioré.

J'attire votre attention sur un arrêté pris à la fin de l'année dernière qui crée un lien entre le montant des franchises et l'existence ou l'absence d'un PPR. C'est une décision qui, parfois, n'est pas trop appréciée, mais qui rappelle à tout le monde qu'il faut avoir des PPR et qu'il est de l'intérêt collectif de les faire progresser.

M. le Président : Nous vous remercions.

Auditions de M. Gérard JACQUIN,
directeur du développement et de l'innovation
du CEMAGREF

et de M. Pierrick GIVONE,
directeur scientifique adjoint

(Extrait du procès-verbal de la séance du mercredi 6 juin 2001)

Présidence de M. Éric DOLIGÉ, Président

MM. Gérard Jacquin et Pierrick Givone son introduits.

M. le Président leur rappelle le mode de fonctionnement de la commission et leur indique que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. À l'invitation du Président, MM. Gérard Jacquin et Pierrick Givone prêtent serment.

M. Gérard JACQUIN : Le CEMAGREF a un statut similaire aux autres établissements publics à caractère scientifique et technique. En revanche, son positionnement est original, car il agit sous la double tutelle du ministère de la Recherche et du ministère de l'Agriculture. Son budget annuel est d'environ 400 millions de francs, dont les deux tiers proviennent de subventions du ministère de la Recherche et un tiers du ministère de l'Agriculture. Sur ces 400 millions de francs, 80 millions en moyenne proviennent, sur la décennie écoulée, de ressources contractuelles.

Ceci est un signe que le CEMAGREF souhaite engager des recherches dont la pertinence est susceptible d'intéresser différents commanditaires. Près des deux tiers de ces ressources contractuelles proviennent de contrats d'origine publique et un tiers de contrats d'origine privée.

La structure des activités du CEMAGREF est bâtie à partir d'une programmation scientifique découlant de différents thèmes de recherche. Le thème de recherche, d'une durée de quatre ans, constitue une sorte de contrat entre un groupe de scientifiques et d'ingénieurs et la direction générale.

S'agissant du domaine des inondations, deux thèmes de recherche sont dédiés à cette problématique. Le premier thème de recherche, intitulé TRANSFEAU, s'intéresse aux transferts en bassins versants et réseaux hydrographiques : il occupe près de vingt-huit personnes dont douze thésards. Ceci montre l'importance de la force de frappe mobilisée sur ces thématiques hydrologiques et hydrauliques, dont l'application inondations est la principale, mais pas la seule.

Un deuxième thème de recherche, également tourné vers cette problématique des inondations, se consacre plus particulièrement aux ouvrages. C'est le thème BORIS, qui s'attache plus particulièrement aux ouvrages hydrauliques, notamment dans le domaine du vieillissement et de la sécurité. Nous avons une expertise nationale dans le domaine du diagnostic, de la maintenance et de la surveillance des ouvrages hydrauliques, des barrages, des digues et remblais de protection, ces ouvrages étant au carrefour du risque technologique de la rupture physique et de l'aléa hydraulique qui correspond à l'inondation.

Le CEMAGREF a, comme tous les autres établissements de même nature, passé un contrat quadriennal avec l'État, signé en novembre 2000. Il a fortement recentré les priorités du CEMAGREF sur le fonctionnement des hydro-systèmes, dans une optique de gestion intégrée de ceux-ci. Une action scientifique, menée en collaboration avec l'Institut national de la recherche agronomique (INRA), concerne le régime et la qualité des eaux, l'occupation des sols et les pratiques agricoles. Une autre action scientifique est plus particulièrement centrée sur les risques naturels.

La culture du CEMAGREF est une culture de recherche appliquée. L'institut se présente comme un institut de recherche pour l'ingénierie de l'agriculture et de l'environnement. Globalement, notre centrage disciplinaire est plus axé autour des sciences pour l'ingénieur, dans le domaine des sciences de l'univers et des sciences biologiques.

Depuis plusieurs années, nous avons dû nous ouvrir sur la communauté des sciences humaines et sociales, les économistes et les sociologues, pour mieux prendre en compte les thématiques de la vulnérabilité et de la négociation du risque.

Notre positionnement reste néanmoins très fortement orienté autour de l'appui aux politiques publiques. Ceci se traduit, dans notre vie contractuelle, par des conventions-cadre très structurantes avec nos grands partenaires publics :

- une convention-cadre pluriannuelle avec le ministère de l'Agriculture, retoilettée pour les quatre ans à venir et signée en avril 2001. Elle concerne environ 20 % des effectifs de scientifiques et d'ingénieurs du CEMAGREF ;

- des conventions-cadre pluriannuelles avec de grandes directions du ministère de l'Environnement : la direction de l'Eau (avec une convention-cadre de cinq ans signée en juin 2000 dans laquelle les inondations sont une thématique prioritaire), la direction de la prévention des pollutions et des risques (DPPR) (qui passe chaque année environ une dizaine de contrats d'étude avec le CEMAGREF sur la thématique des risques naturels) et la direction de la nature et des paysages.

Nos partenaires sont très souvent des services de l'État, mais nous avons de plus en plus de liaisons directes avec des services techniques de collectivités locales qui nous conduisent parfois, en totale transparence avec nos partenaires du ministère de l'Agriculture ou de l'Environnement, à mettre en _uvre des démarches, que l'on peut qualifier d'innovantes.

Il est crucial d'éviter toute confusion entre la prévention, la prévision et la gestion de crise, ainsi qu'entre l'aléa, la vulnérabilité et le croisement des deux, que l'on appelle le risque dans notre jargon scientifico-technique.

L'aléa concerne tout ce qui peut caractériser le phénomène physique, mais dans des dimensions statistiques et spatiales. La vulnérabilité concerne le descriptif des biens et des personnes exposées à cet aléa. C'est le croisement de ces deux éléments qui est important pour le décideur. À titre d'exemple, dans le cas d'un tremblement de terre au milieu du désert du Nevada, l'aléa est caractérisé, la vulnérabilité est nulle et le risque, par définition, est nul. En revanche, si l'épicentre du tremblement de terre se situe en plein centre de Los Angeles, cela change totalement la perspective. C'est ce croisement de l'aléa et de la vulnérabilité qui est l'élément important.

L'aléa constitue le centre de gravité des recherches du CEMAGREF. Il fait appel à des disciplines telles que les sciences pour l'ingénieur, l'hydrologie, l'hydraulique, et maintenant la géomatique et le traitement de l'information. En revanche la vulnérabilité fait appel à des sciences humaines et sociales : la sociologie, l'histoire, l'économie. La prise de décision résulte de la confrontation de ces deux approches.

Le CEMAGREF a ainsi mis en place une méthode dite « inondabilité ». Cette tentative méthodologique a été appliquée sur une dizaine de zones pilotes en France. Elle essaie de concilier l'approche aléa hydraulique - caractérisation en termes de durée, de débit et de fréquence - et l'approche vulnérabilité, en termes de risques acceptables. De cette façon, grâce à un croisement des deux, on peut faire apparaître, sur les cartographies des zones inondables, des zones qui pourraient être sur-protégées, c'est-à-dire bénéficiant d'une protection supérieure aux risques admis, ou sous-protégées, par exemple une zone qui n'accepterait pas d'être inondée plus d'une fois par an et qui le serait de façon régulière. À partir de cette méthode « inondabilité », on établit une cartographie de la sur-protection ou de la sous-protection des zones, permettant de déterminer de façon précise les éléments sensibles sur une zone donnée.

En début d'année 2001, nous avons également été à l'origine d'un événement éditorial, la reprise des travaux d'un érudit du XIXe siècle, M. Champion. Il s'était attaché, dans les années 1850, à rassembler, par un travail absolument remarquable de documentation et d'archivage, la totalité des témoignages, textes officiels et autres qui ont pu être réalisés sur les inondations.

Nous souhaitons mettre l'accent sur cette dimension historique car d'une part, cela offre à l'infime communauté des historiens français qui s'intéressent aux phénomènes des inondations une légitimité pour réinsérer l'histoire dans des problématiques scientifiques. D'autre part, cela leur permet de cultiver la mémoire dans le tissu social et la vie locale, dans la mesure où des événements passés peuvent souvent éclairer les décisions actuelles et futures.

Par ailleurs, nous sommes sous contrat avec le ministère de l'Environnement pour établir une cartographie générale de tous les ouvrages, remblais et digues de protection et évaluer leur qualité et leur résistance. Au-delà de ce travail de diagnostic et d'inventaire général de tous les ouvrages, nous avons également un regard sur la vulnérabilité derrière les zones de protection. En effet, une mesure de protection de type remblais peut entraîner des pratiques dommageables en termes de vulnérabilité.

D'une façon générale, les inondations ne peuvent se concevoir qu'à l'échelle d'un bassin versant. Cela implique des pratiques d'intercommunalité et de solidarité entre l'amont et l'aval. Toutefois, lorsqu'on raisonne à l'échelle d'un grand réseau hydrographique, c'est la dimension européenne qui est nécessaire. À titre d'exemple, FLOOD AWARE, AIMWATER et NOAH sont trois programmes européens qui ont été sous coordination CEMAGREF. La Moselle, qui fait l'objet du contrat NOAH, implique des collaborations entre la France, le Luxembourg et l'Allemagne.

M. le Président : Deux thèmes importants concernant les inondations vous ont été confiés, dont l'expertise des ouvrages. Quel est votre jugement sur la qualité des ouvrages, leur impact positif voire négatif, car vous avez mentionné que des risques en aval n'étaient peut-être pas toujours mesurés à l'origine ?

Vous avez indiqué également établir une cartographie intégrant les éléments sensibles. La Somme était-elle un de ces éléments sensibles ?

Enfin vous avez rappelé les travaux d'un homme remarquable, M. Champion. N'aurait-il pas rêvé d'un centre national de prévention des inondations, quand on observe la complexité des organismes qui interviennent dans ce domaine ? Si oui, quels pourraient être, selon vous, ses missions et ses moyens ?

En tant qu'élu, nous nous interrogeons sur les raisons pour lesquelles, avec la connaissance dont on dispose, les choses n'avancent pas vite sur le terrain. N'hésitez pas à nous faire part de vos sentiments.

M. le Rapporteur : Le Président a rappelé que vous étiez chargé d'élaborer une cartographie du risque d'inondation. Cette cartographie touche-t-elle l'ensemble du territoire national et quel est l'état actuel d'avancement de vos travaux ? La Somme était-elle concernée par cette étude et quels en étaient les résultats ?

Ma seconde préoccupation est de savoir quelles actions ont été menées depuis 1994, date du dépôt d'un rapport d'une commission d'enquête parlementaire comprenant une vingtaine de préconisations. Quelles ont été les politiques de prévention mises en _uvre, les mesures structurelles de prévention prévues et, par conséquent, quels en ont été les résultats et les insuffisances, de votre point de vue ?

Sur l'aspect purement technique, vous aurez sans doute un grand nombre d'informations à nous donner, notamment sur les principaux facteurs d'augmentation de l'aléa dû à l'activité humaine, notamment l'activité agricole.

Ma dernière question porte sur la notion de zone sur-protégée ou sous-protégée par rapport à la notion de risque acceptable. J'imagine que vous prenez en compte l'aspect socio-économique. C'est un aspect que nous allons pouvoir constater dans les conséquences des inondations de la Somme, car c'est maintenant que nous allons être confrontés à l'ampleur des conséquences économiques.

M. Gérard JACQUIN : Je voudrais vous donner un premier aperçu de ce que vous avez appelé la complexité administrative et la multiplicité des acteurs. Nous la vivons actuellement dans le cadre d'un projet financé par le ministère de la Recherche. Il s'agit du projet PACTES qui associe des acteurs du monde industriel, les groupes Alcatel et Astrium, et les intervenants de la chaîne qui va de la prévision au retour d'expérience, en passant par la prévention et la gestion de crise. Nous constatons cette complexité sur chacun des modules de ce projet - module prévention, module prévision c'est-à-dire les services d'annonce de crues (SAC), module gestion de crise où c'est la sécurité civile qui intervient.

Sur l'ensemble de cette chaîne, l'offre du CEMAGREF n'est pas complète. Nous centrons nos travaux sur les méthodes d'aménagement hors période de crise. Nous travaillons en temps différé, en amont, afin de sensibiliser les élus à des pratiques de gestion intégrée, avec un label « il vaut mieux prévenir que guérir » sur lequel nous insistons très fortement.

Nos différents partenariats s'inscrivent autour de la priorité donnée à la prévention. En effet, nous avons des partenariats scientifiques dans lesquels nous nous insérons tout à fait correctement et nous participons à des programmes nationaux menés par le CNRS dans le domaine de la recherche en hydrologie. Nous participons également à des programmes de recherche appliquée gérés par le ministère de l'Environnement.

Nous proposons aussi des prestations d'appui aux décisions publiques par le biais de contrats d'expertise avec les ministères de l'Agriculture et de l'Environnement, les services déconcentrés du ministère de l'Agriculture et les partenaires du réseau scientifique et technique du ministère de l'Équipement.

Pour tout ce qui concerne la cartographie nationale et l'inventaire, sous forme d'une base de données des ouvrages, digues et remblais impliquant la sécurité des populations vis-à-vis des inondations, les partenaires de terrain du CEMAGREF sont les réseaux du ministère de l'Équipement et non pas ceux du ministère de l'Agriculture.

Je ne nie pas cette complexité. Pour faciliter le transfert des méthodes mises au point par le CEMAGREF, notamment sur les digues et les remblais, nous attendons depuis des années, deux ou trois postes du ministère de l'Équipement qui nous permettraient d'accélérer le transfert à tous les réseaux de ce ministère. La compartimentation et l'absence de fluidité et de mobilité des ingénieurs entre ces services freinent probablement des transferts de méthodes.

Sur le plan de la problématique scientifique, le panorama est relativement bien organisé. Des initiatives sont prises de longue date dans lesquelles le CEMAGREF, au fur et à mesure des années, a réussi à faire reconnaître la pertinence de ces actions, en considérant le bassin versant comme une entité géographique pertinente.

S'agissant du centre national de prévention des inondations, nous n'avons pas évoqué ce terme-là dans nos plans stratégiques. En revanche, nous avons réfléchi à un centre national de sécurité des ouvrages hydrauliques. Pourquoi l'un et pas l'autre ? Nous considérons que la communauté des ingénieurs et scientifiques s'intéressant aux ouvrages hydrauliques, barrages, digues et remblais, est en décroissance au niveau national. Il est donc important de pouvoir rassembler, en un seul site, à savoir Aix-en-Provence, l'ensemble des ingénieurs des différents ministères pouvant offrir une telle expertise sur ces ouvrages.

Il y a vingt ou trente ans, la France a construit des barrages. L'enjeu est maintenant d'en assurer la maintenance et de s'assurer de leur durabilité. L'idée de rassembler des ingénieurs des différents ministères sur un seul site nous parait être très intéressante. C'est pourquoi nous l'avons inscrite comme étant un point à négocier avec le ministère de l'Équipement.

S'agissant d'un éventuel centre national de prévention des inondations, même si des initiatives sont actuellement prises dans différentes régions, elles n'ont pas l'envergure d'un centre national. Des initiatives prises à l'échelle de grands bassins hydrographiques, qui sont des structures mieux adaptées que les entités administratives pour gérer les inondations, nous sembleraient plus pertinentes. On pourrait ainsi envisager un réseau de centres régionaux par grand bassin hydrographique, chargé d'organiser des retours d'expérience et de capitaliser des expertises.

Je souhaiterais évacuer une ambiguïté concernant la méthode inondabilité. Celle-ci s'applique sur une zone donnée et propose aux décideurs une démarche pour concilier les approches aléa et vulnérabilité, pour négocier le risque, pour aboutir à une cartographie des sites sur-protégés, sous-protégés ou correctement protégés. Actuellement, cette méthode n'est pas généralisée, car elle pose des problèmes de transférabilité à grande échelle.

Nous avons souhaité appliquer cette méthode sur quelques zones pilotes, de façon à insister sur le fait que le risque est un élément qui se négocie avec les populations. Quand la culture du risque est partagée par les habitants et les élus, les mesures de prévention n'en sont que plus efficaces.

M. Pierrick GIVONE : Je voudrais apporter un élément d'information tout à fait factuel sur un éventuel centre national de prévention des inondations. La France est un des rares pays, sinon le seul, qui ne dispose pas d'un service hydrologique ou hydrométéorologique national. La quasi-totalité des pays du monde dispose d'un système national de capitalisation des connaissances et des pratiques, en matière de gestion de l'eau en général.

Il en existe deux modèles classiques. Le plus classique est sans doute le centre hydrométéorologique, qui intègre la partie météorologique, y compris la prévision, et la partie hydrologique, c'est-à-dire gestion de l'eau, que cette eau soit en excès ou non. Le second modèle se présente sous la forme de deux services séparés.

La France est l'un des très rares pays où ce dispositif national de capitalisation technique n'existe pas. C'est une remarque qui resurgit lorsqu'un événement ou une succession d'événements d'ampleur nationale interviennent. On peut se demander si l'absence d'un tel dispositif de capitalisation national n'induit pas une certaine fragilité, face à ce type d'événements.

J'en viens maintenant aux différentes questions. Notre action est de nature scientifique et technique. Nous ne sommes pas en charge de la cartographie opérationnelle des inondations ou des zones inondables en France. En revanche, nous travaillons sur d'autres thèmes, en l'occurrence le thème avalanches, sur lequel nous avons une mission de cartographie des zones probables d'avalanches, qui est tout à fait opérationnelle et destinée aux services qui gèrent ce thème.

Toutefois, en matière d'inondation, nous n'avons pas de mission opérationnelle de cartographie des bassins versants. Nous ne sommes qu'un centre de recherche, qui produit des connaissances et les transfère aux services chargés de la mise en _uvre opérationnelle de ces méthodes sur le terrain.

Ceci étant, il existait, sur la Somme, préalablement aux événements récents, un atlas des zones inondables. Cet atlas ne concerne pas l'ensemble du département, mais une grande partie du réseau hydrographique. Même s'il mettait en évidence un certain nombre de zones potentiellement inondables, il ne s'est pas révélé un outil de gestion de crise suffisant face à l'ampleur du phénomène que nous avons connu.

Les inondations de la Somme sont un phénomène extrême et totalement différent des inondations de l'Aude par exemple. Il s'agissait là, en l'occurrence, de faire face à un débit très important, une espèce de grosse vague qui, en un très court laps de temps et avec une très forte intensité, a provoqué des dégâts considérables, mais dont la durée d'extension est de quelques jours, voire moins. En revanche, les inondations de la Somme sont un phénomène totalement différent, avec un volume d'eau considérable : l'éponge est pleine, déborde et mettra ensuite des semaines, voire des mois, à se vider.

Par conséquent, le fait de cartographier le risque, c'est-à-dire les zones potentiellement inondables, n'était pas suffisant pour se prémunir contre une durée de submersion aussi longue puisque, par définition, un atlas des zones inondables définit les zones potentiellement inondables, sans pour autant donner d'informations sur la durée de ces inondations zone par zone.

C'est notamment pour cette raison que nous essayons de caractériser l'aléa d'inondation. Nous ne nous contentons pas de caractériser les événements maximums, le débit de pointe ou la récurrence dans le temps, ce que l'on appelle la durée de retour. Nous essayons toujours d'apporter une information sur les durées de submersion, qui sont au moins largement aussi importantes et, en tous les cas, un élément constitutif de ce risque acceptable dont on a parlé.

Être inondé une heure, une semaine, un mois, ou plusieurs mois, n'a pas le même sens et n'a pas les mêmes conséquences. C'est bien le régime des eaux dans toutes ses dimensions qu'il faut appréhender dans ce cas et non pas simplement certaines de ses caractéristiques extrêmes, la plus courante étant le débit maximal pris fréquemment comme référence pour caractériser la fréquence de récurrence de l'événement.

Vous dites, Monsieur le Président, que le phénomène des inondations est aujourd'hui bien connu. Il est exact de dire que l'étendue de nos connaissances est très importante. Mais, de là à dire que nous maîtrisons et avons une connaissance parfaite de l'intégralité des composantes du cycle de l'eau, je crains que nous en soyons loin.

Lorsque l'inondation se développe - surtout si elle revêt l'importance de celle de la Somme, de Redon ou de l'Aude - elle intéresse un bassin versant de plusieurs milliers de kilomètres carrés et concerne une diversité considérable de paysages, de cultures, de phénomènes locaux. Mais cette complexité, qui n'est pas simplement hydraulique, intègre aussi un grand nombre d'éléments sociaux, économiques, humains, etc., à cette échelle, nous la connaissons très peu, voire très mal, et nous n'en avons en aucun cas la maîtrise.

Nos connaissances sont beaucoup plus précises en ce qui concerne les processus élémentaires du cycle de l'eau, l'infiltration, le ruissellement, la pluie, l'évapotranspiration. À l'échelle du mètre carré, nous connaissons ces phénomènes, que nous appelons élémentaires. Sans les maîtriser complètement, notre compréhension est relativement importante.

Or, lorsque l'on passe du mètre carré aux milliers de kilomètres carrés, nous ne maîtrisions plus la complexité du phénomène, liée notamment à la diversité des paysages et des cultures. À une échelle supérieure, comme le bassin versant du Rhône, qui couvre 120 000 km², ou le bassin versant du Rhin, qui en couvre 160 000, la complexité augmente encore. De plus, vient s'y ajouter la variabilité climatique.

En ce qui concerne la Somme, la variabilité climatique n'a pas joué sur son bassin versant. Le climat a été uniforme pendant l'événement et les quelques mois qui l'ont précédé. Mais si l'on considère un bassin versant comme celui du Rhin, qui a connu de très importantes inondations en 1995, il est certain qu'entre la haute montagne suisse et les plaines de Hollande, la variabilité climatique et météorologique a joué de manière considérable.

On peut faire un parallèle avec la complexité des intervenants dans le monde scientifique et technique. On peut observer, certes de manière schématique mais assez juste, que de nombreux organismes de recherche davantage académique (CNRS, universités) sont plutôt centrés sur l'étude des processus élémentaires et que d'autres organismes, comme le CEMAGREF, s'intéressent plus particulièrement à la description et à la compréhension de l'échelle du bassin versant.

Certes les liens et les collaborations existent, mais ces organismes de recherche ont vocation à répondre à des questions de nature différente. Sans la connaissance des processus élémentaires, on ne comprendra pas ce qui se passe à l'échelle du bassin versant. Il est indispensable de travailler sur les deux échelles. Mais à ma connaissance, il n'existe pas, dans le monde, d'organisme de recherche scientifique et technique couvrant l'intégralité du champ de recherche.

Vous avez évoqué l'ouvrage de Maurice Champion. Certes, cet ouvrage, auquel il a consacré des dizaines d'années de sa vie, est une somme considérable d'informations. Il retrace, de manière bibliographique, l'ensemble des inondations ayant touché la France du VIe au milieu du XIXe siècle. Cela étant, pour exploiter de manière pertinente ces informations, nous nous heurtons à un problème de méthode, car cela implique une coopération entre historiens et hydrologues.

Cette coopération scientifique n'est le fait aujourd'hui que de quelques individus, même si certains d'entre eux sont célèbres, comme M. Le Roy Ladurie. Par conséquent, nous sommes extrêmement fragiles, en termes de connaissances, sur ce point et les lieux de collaboration entre historiens et hydrologues sont largement à créer. Il existe des initiatives. Nous commençons à rassembler, sous une forme utilisable, les documents nécessaires. Il ne s'agit pas seulement de rééditer les ouvrages, mais de les numériser et de les rendre ainsi accessibles à la recherche automatique par mots-clefs. Le premier résultat de l'élaboration de documents exploitables pour la recherche est la publication du CD-Rom qui reprend les travaux de M. Champion.

Je conclurais cette première série de réponses en indiquant que pour piloter un dispositif de prévention, nous avons schématiquement trois grands thèmes à couvrir, parmi lesquels la connaissance scientifique des aléas et de la vulnérabilité. Par ailleurs, il existe aussi depuis très longtemps, un dispositif réglementaire dont on a assez peu parlé. On peut d'ailleurs s'interroger sur son efficacité, puisque nous en changeons régulièrement tous les dix ou quinze ans. Les premiers dispositifs réglementaires, les plans de surfaces submersibles (PSS), datent de 1935.

Ce dispositif s'applique aux tiers. Il n'est pas simplement une préconisation générale, mais impose des réglementations en matière de constructions. Aujourd'hui, nous en sommes aux plans de prévention des risques (PPR). Ce dispositif intègre nettement mieux une partie assez peu traitée jusqu'à présent, à savoir la négociation avec les usagers. On en attend une meilleure efficacité.

Vous savez que gérer la prévention des inondations touche à l'occupation du sol et, par conséquent, aux autorisations de construire, aux extensions, etc. Ceci a une dimension politique importante et ne peut être traité à la légère. Cela ne veut pas dire que le principal point de blocage se situe là, mais il pèse néanmoins très lourd dans le dispositif de gestion des inondations.

M. le Président : J'ai bien noté vos deux réponses sur un éventuel centre national de prévention des inondations. Je souhaitais connaître les missions que vous estimez nécessaire de confier à un tel organisme.

Monsieur le directeur, vous avez indiqué que c'est une initiative qui devrait se prendre à l'échelle des grands bassins. Puis M. Givone a complété cette première réponse, en indiquant que la France était un des seuls pays à ne pas disposer d'un service national de capitalisation des connaissances techniques et historiques. Je pensais plus à un organisme de ce type qu'à celui que vous avez évoqué tout à l'heure, monsieur le directeur, mais peut-être y a-t-il deux organismes à envisager. Mais au regard de la quantité d'informations dont disposent les uns et les autres, il nous semble qu'un lieu de rencontres et de centralisation de celles-ci est tout à fait nécessaire.

M. Gérard JACQUIN : Je voudrais compléter ma réponse sur ce dernier point. Lorsque j'ai évoqué le centre national de sécurité des ouvrages hydrauliques, je prenais à mon compte les initiatives que pouvait prendre le CEMAGREF pour rassembler une communauté de scientifiques.

Sur la notion de centre national de prévention des inondations, nous sommes actuellement un des partenaires, mais pas le leader, dans des initiatives portant sur la capitalisation de la mémoire, la valorisation des bases de données et la mise en place d'un lieu de débats et de retours d'expérience, permettant un débat permanent sur les crises. Il faudra voir ensuite les modalités d'organisation (centre national unique, antennes régionales...). Nous ne savons pas encore quel type de structure ce sera - groupement d'intérêt public, association ou autre - mais des discussions sont en cours, qui impliquent de nombreux partenaires, sociétés d'assurances, ministère de l'Environnement, agences de l'eau, collectivités territoriales, etc.

Ensuite, au-delà d'un lieu national qui reste à déterminer avec éventuellement des relais dans les bassins hydrographiques, il y aura sans doute un travail en réseau à organiser. Mais, j'entendais bien un centre national de prévention qui aurait rassemblé l'ensemble des scientifiques. Les problèmes de structure étant délicats, j'avais préféré mettre ce point de côté. En revanche, les missions sont bien identifiées : mémoire, données, retours d'expérience et débat.

M. Jean LAUNAY : S'agissant de la modélisation des crues, dispose-t-on aujourd'hui des outils informatiques nécessaires ? S'il est possible de visualiser la propagation d'une crue, cela peut permettre d'anticiper sur les comportements à adopter sur les différentes zones du territoire. Selon que ces zones seront soumises à des courants ou seulement à la submersion, on conçoit bien que le risque ne sera pas le même pour les populations et que les conséquences seront différentes, beaucoup plus dramatiques dans le premier cas naturellement.

Ma deuxième question est davantage une observation. Au travers des explications qui nous ont été données, peut-être devrions-nous avancer dans la deuxième phase de la décentralisation. En effet, travailler et vouloir raisonner à l'échelle des bassins versants, voire interrégionaux ou internationaux - par exemple le Rhin - implique, au-delà même de la décentralisation, le développement de politiques européennes plus intégrées et plus transversales.

Dans le même temps, vous avez évoqué - la question était sous-jacente à travers l'existence ou non d'un centre national de lutte contre les inondations - à la fois le besoin d'une décentralisation aboutie et d'une gestion assumée par les élus sur la zone qui les concernent, et la nécessité de disposer d'une information centralisée, objective, accessible à tous, la plus transversale et plus interactive possible entre les différents métiers et savoir-faire techniques et scientifiques.

Pour ma part, je ne considère pas qu'une décentralisation aboutie soit contradictoire avec un État fort, qui définit les orientations et les règles du jeu générales. Ensuite, à chacun de les adapter et de les assumer dans son bassin.

M. Pierrick GIVONE : La modélisation hydrologique est une étape très importante, dans la mesure où elle permet d'apporter des éléments de réponse à la distance entre, d'une part, les connaissances de nature scientifique et technique et, d'autre part, les outils de gestion dont les décideurs ont réellement besoin sur le terrain.

Sans entrer dans des détails scientifiques et techniques, il faut distinguer divers éléments dans une rivière lorsqu'elle est en crue.

Il y a tout d'abord le lit mineur, c'est-à-dire la partie dans laquelle la rivière coule dans son état normal. La vitesse et la profondeur sont établies visuellement et les gens ne s'aventurent pas dans ce lit mineur. Il existe une certaine homogénéité de l'écoulement dans le sens de la rivière. C'est ce que nous appellerons un écoulement à une dimension, qui est celle du sens principal de l'écoulement de la rivière.

Dans ce cas, nous disposons d'un grand nombre d'outils, y compris si le réseau est maillé ou s'il compte divers ouvrages complexes, tels que ouvrages à la mer, pompes, etc. Notre outillage non seulement existe, mais a largement quitté les laboratoires de recherche pour être mis en _uvre dans les bureaux d'études et d'ingénierie. Un certain nombre de ces outils sont passés dans le domaine de la gestion au quotidien des réseaux hydrographiques. Certes des progrès restent à faire, néanmoins l'outil existe, il est assimilé et utilisé, y compris de manière opérationnelle.

Lorsque la rivière déborde, la situation devient totalement différente. Le lit majeur de la rivière, c'est-à-dire l'espace immédiatement inondé quand le lit mineur déborde, se remplit d'eau. La topographie de ce lit majeur, qui résulte largement des différents usages socio-économiques, doit alors être pris en considération. Le cheminement de l'eau y est très complexe. En particulier, ce cheminement n'a pas de direction principale : il se fait alors en deux dimensions. Les directions principales n'existent que sur de courtes longueurs, au gré des accidents de terrain, des digues, des routes, des murs. C'est pourquoi elles changent très rapidement.

Comme on ne peut se satisfaire d'une modélisation à une seule dimension qui serait une simple extension des outils précédents, nous devons donc utiliser des outils à deux dimensions plus sophistiqués. Ils existent en laboratoire, mais sont maîtrisés par un moindre nombre de personnes et sont très loin d'être utilisés couramment dans les bureaux d'ingénierie. En effet, leur complexité exige une compétence très poussée. De plus, leur précision est fondamentalement liée à notre capacité à établir la topographie dans le lit majeur. Or, ce n'est en aucun cas systématique. Cette opération, qui coûte très cher, doit être renouvelée chaque fois qu'un changement intervient dans le paysage du lit majeur.

Pour vous donner une idée de la difficulté de cette tâche, la précision en altitude indispensable pour que le modèle hydraulique soit réellement utilisable, est d'environ dix centimètres de hauteur, avec une représentation de tous les éléments du lit majeur ayant une influence sur l'écoulement (petites digues, routes, murs...). Donc, ce n'est pas que ces outils ne puissent être mis à disposition des décideurs, mais le prérequis de connaissances topographiques est extrêmement lourd et, en aucun cas, systématiquement établi.

M. le Président : C'est un point important. Les coûts de telles études sont considérables. Encore faut-il trouver les financements pour mener des études aussi précises, pourtant nécessaires pour prendre les bonnes décisions.

Je vous donne l'exemple de la Loire. Nous avons mis en place une équipe pour mener un certain nombre d'études. Son coût est de 50 millions de francs. Demander une telle somme aux collectivités locales et aux autres partenaires pour mener des études n'est pas évident. Beaucoup rétorquent que les études existent déjà en nombre suffisant.

M. Pierrick GIVONE : Sur ce point, il y a une réelle absence de capitalisation technique. Le CEMAGREF réalise en permanence des mesures topographiques, en particulier en zone urbaine et périurbaine. Or comme il n'existe aucune capitalisation faite à l'échelle de la rivière ou du bassin versant de ces topographies partielles, lorsque nous sommes confrontés à un problème d'aménagement hydraulique sur une grande surface, il faut reprendre, à partir de zéro, un relevé topographique général. À cet égard, l'absence de capitalisation a des conséquences relativement importantes.

M. le Rapporteur : Croyez-vous possible économiquement, compte tenu de la variabilité des données, de réaliser cette étude du lit majeur et cette modélisation de façon permanente ?

M. Pierrick GIVONE : Cette étude n'est pertinente que si l'on adapte le niveau de modélisation aux enjeux. Les techniques modernes de modélisation, dans lesquelles nous progressons actuellement, sont des techniques de couplage entre les différents types de modèles, de façon à ne réserver les modèles les plus sophistiqués qu'aux zones d'enjeux très forts, où une précision dans la modélisation est importante et peut sauver des vies humaines.

Globalement, il n'est sans doute pas nécessaire de réaliser des études aussi sophistiquées le long de toutes les rivières. Il faut les réserver aux zones à enjeux. Mais là encore, il convient d'être en mesure de bien coordonner l'ensemble, de façon à ne pas réaliser à l'infini des petits bouts d'étude qui ne soient pas cohérents avec une étude globale.

M. Robert GALLEY : Pour ma part, je vous ai trouvé quelque peu pessimiste. Si j'en juge par la connaissance que les agences de l'eau ont des problèmes de nappes phréatiques, peut-être conviendrait-il dès maintenant d'engager une étude, qui porterait sur cinq ou dix ans, afin de calculer la perméabilité des sols et d'évaluer la hauteur des nappes. En raison de la gravité de ces problèmes, il conviendrait dès maintenant d'engager ces études, même si elles se font sur plusieurs années.

Par ailleurs, dans la loi sur l'eau, il est beaucoup question des SDAGE et des SAGE, c'est-à-dire les schémas directeurs et les schémas d'aménagement et de gestion des eaux. Un des objectifs majeurs de ces SDAGE est de prévenir les inondations. Ne pensez-vous pas que les agences de l'eau constituent l'outil pertinent pour disposer d'une vision globale ? En effet, chacun sait que la crue de 1910 a entraîné la construction de barrages sur l'Yonne, la Seine, la Marne... Ces ouvrages ont été, en réalité, les résultats d'une analyse dont vous mesurez vous-même combien elle est difficile. Néanmoins, elle a été effectuée globalement, de manière macroscopique, et a permis des décisions très importantes, qui aujourd'hui paraissent avoir été très heureuses, notamment en ce qui concerne la capitale.

M. Pierrick GIVONE : L'influence maximale des barrages-réservoirs à l'amont de Paris sur une crue identique à celle de 1910 - ce qui d'ailleurs est une gageure, car le régime des eaux a tellement évolué que la notion de crue identique n'a aucun sens - diminuerait les hauteurs d'eau dans la capitale de dix à vingt centimètres, selon les cas. Cela peut avoir des conséquences considérables, car c'est le dernier centimètre qui provoque les dégâts les plus importants. Néanmoins, ces ouvrages n'ont pas changé radicalement la situation, d'autant que - et l'actualité nous le rappelle malheureusement - il peut y avoir des crues très supérieures à celle de 1910.

Nous savons utiliser l'aménagement et les grands ouvrages comme outils de gestion principale des crues, mais il faut aussi en mesurer les limites. À cet effet, je rappellerai un chiffre. On a construit plusieurs casiers sur le Rhin, côté français et côté allemand, dont chacun coûte plus de 150 millions de francs. Leur gestion est compliquée, avec des portes que l'on doit ouvrir, puis fermer. La crue de référence sur le Rhin est d'une durée de retour de deux siècles. On essaie de protéger les grandes villes, notamment Coblence située à une confluence. L'exploitation optimale de ces casiers fait varier le niveau de la crue bicentennale à Coblence de deux centimètres. Ces chiffres vous donnent les limites de l'exploitation de ces ouvrages. Pour autant, cela ne signifie pas qu'il ne faut pas les construire, mais il s'agit de bien en mesurer les limites. D'où l'importance de la composante « culture du risque ».

En ce qui concerne les inondations de la Somme, le terme crue de nappe phréatique devrait être utilisé avec précaution, car l'eau provient quand même de la pluie. Lorsque l'on dit que la nappe phréatique gonfle et déborde, cela donne l'impression que l'eau vient du sol. Or, cette eau provient de la pluie, qui ne parvient plus à s'infiltrer. De ce point de vue, ces crues ne sont pas fondamentalement très différentes d'une crue standard.

Pour revenir plus précisément à la mesure de la perméabilité, il est exact que nous disposons de tous les moyens scientifiques et techniques pour mesurer, à l'échelle du mètre carré, la perméabilité dans toutes les circonstances possibles. Cela étant, sa variabilité est réellement très importante, en particulier sur un bassin versant artificialisé. En effet, tous les dix mètres, elle peut changer de manière radicale. Même si nous savons la mesurer, c'est cette complexité liée à sa variabilité, elle-même liée aux changements d'échelle spatiale, que nous avons du mal à cerner.

M. Robert GALLEY : Nous faisions face, ces derniers temps, à un très grave problème, à savoir la baisse de la nappe phréatique de Beauce, du fait que les agriculteurs de la Beauce pompaient abondamment l'eau pour arroser leur maïs. Cette nappe de Beauce a, depuis, remonté de manière considérable, suite aux précipitations. Ceci montre que la perméabilité du sol, si elle est convenable, et le niveau de la nappe phréatique peuvent constituer un réservoir considérable pour limiter le volume des crues.

M. Pierrick GIVONE : J'irai plus loin, cela vient aussi du fait que les crues durent plusieurs jours, voire plusieurs semaines. Sur une crue de type méditerranéen ou assimilé, cette capacité de la nappe est beaucoup plus difficile à mobiliser.

M. Gérard JACQUIN : Il ne s'agit pas d'être pessimiste ou optimiste. Nous essayons simplement d'adopter un langage raisonnable, c'est-à-dire utiliser des outils adaptés aux enjeux de vulnérabilité rencontrés. Si des centres nationaux se mettent en place, ils travailleront en réseau sur les trois thématiques que nous avons évoquées tout à l'heure : mémoire, valorisation des données et débat avec retour d'expérience.

Sur le thème de la valorisation des données, de la même façon que des données de suivis piézométriques des nappes peuvent constituer des indicateurs de la capacité d'absorption résiduelle des nappes, le fait de disposer de profils en travers, pour des études en deux dimensions dans des modèles hydrauliques, peut également constituer des bases de données qui devraient être disponibles à l'ensemble de la communauté scientifique.

Par conséquent, disposer de profils en long et de données topographiques, avec des modèles numériques de terrain et des techniques de systèmes d'information géographiques, peut également être une bonne initiative en termes de capitalisation des données, de sorte que nous n'ayons pas en permanence à les reconstituer.

Par ailleurs, ce n'est pas être pessimiste que de s'interroger sur les verrous technologiques ou le coût des modèles. Nous sommes confrontés à la difficulté d'optimiser les coûts des relevés topographiques, des études, parfois des calages. En effet, quand je dis que ces modèles ne sont pas sortis des laboratoires, cela signifie que l'hydraulicien, pour optimiser sur un lit majeur perturbé par de nombreux accidents topographiques, fait du calage et aboutit à des convergences qui restent artisanales. Nous travaillons actuellement sur ce sujet, à savoir déterminer l'incertitude à la sortie d'un modèle hydraulique, c'est-à-dire selon que la cote d'eau est donnée à plus ou moins vingt ou trente centimètres. Cela permet au décideur de ne pas prendre à la lettre le résultat du modèle hydraulique, de garder du recul sur l'incertitude et le coût relatif des études qu'il faut réaliser.

S'agissant des agences de l'eau, j'ai indiqué que tout ce qui pouvait aller dans le sens d'un rapprochement des entités de coordination et de décision vers la logique du bassin versant ou hydrographique était tout à fait positif.

Par ailleurs, en examinant les débats sur la loi sur l'eau, en ayant eu des discussions avec des membres du Conseil économique et social qui ont fait des recommandations, il me semble que le débat se fait entre agences de l'eau et établissements publics territoriaux de bassin. L'une ou l'autre de ces entités me semblent correspondre à la nécessité de disposer d'une vision hydrographique intégrée. Ensuite, reste la question du choix des uns ou des autres.

M. Thierry LAZARO : Monsieur Jacquin, vous avez indiqué, tout à l'heure, que plus la culture du risque est développée, plus on est efficace. Je n'ai pas eu à le vérifier en grandeur réelle. Élu dans une région rurale et périurbaine, située à une quinzaine de kilomètres au sud de Lille, nous n'avons pas eu à vivre le drame de la Somme. Toutefois, nous avons eu deux inondations, totalement différentes, la première fin juillet 2000 et l'autre début décembre. L'une est liée à un très gros orage qui a touché une partie de la région sud de Lille, l'autre au phénomène de saturation des sols.

Nous avons pu constater qu'en termes de gestion, nous avions été beaucoup plus efficaces lors de la deuxième inondation. Cela étant, en termes de prévention, il reste beaucoup de choses à faire. Quelques jours avant la deuxième inondation, j'ai demandé au préfet si nous pouvions nous inscrire dans le cadre d'un PPR. Rien ne nous y obligeait, puisque nous n'étions pas classés en catastrophe naturelle. Mais plus je m'informe, plus je constate que le PPR a ses limites. On voit qu'entre l'annonce et la réalisation, il reste beaucoup de choses à accomplir.

Pour notre part, nous sommes partis en faisant cavalier seul. Je vous avoue que nous nous sentons particulièrement isolés. En effet, quatre cents habitations ont été touchées, dont certaines complètement dévastées. Même si la première inondation n'a duré que deux jours et la seconde quelques heures, le drame est bien présent.

Dans le cadre des lois votées depuis 1982, il nous était annoncé des choses extraordinaires avec des moyens conséquents. J'ai le sentiment qu'entre la déclaration d'intention et la réalité, il y a un fossé. Les PPR sont bien moins nombreux qu'annoncé. De plus, j'ai remarqué, car ma circonscription est limitrophe du Pas-de-Calais, que lors des échéances municipales, les différents travaux effectués entre la préfecture du Pas-de-Calais, celle du Nord et les communes concernées, étaient grandement ralentis.

Sachant que des échéances législatives sont proches, je me demande si l'année ne va pas être encore plus difficile dans l'avancement des études et dans les réponses données à nos populations.

M. Pierrick GIVONE : Cette question ouvre un champ de réflexion considérable. Un PPR, dont l'utilité fondamentale est aussi de tenir informées les populations, est d'abord un outil réglementaire agissant sur l'occupation du sol et sa gestion.

Un très bon collègue anglais, lorsque nous discutons de choses de cette nature, rappelle que, dans la lutte contre les inondations, il n'existe que deux moyens : soit enlever l'eau des parcelles, soit enlever les habitations de l'eau. Le seul réel moyen de prévention contre les crues serait de raser les constructions existantes et de ne plus en construire dans les zones potentiellement inondables par des événements d'une durée de retour très importante.

Je voudrais très brièvement rappeler quelques faits. Lors de l'inondation de Vaison-la-Romaine, le 22 septembre 1992, le pont romain n'a pas souffert, de même que les habitations romaines qui étaient toutes situées plus haut que le pont romain. En l'absence de connaissances précises de nature hydrologique et hydraulique, les anciens prenaient des précautions liées à leur méconnaissance des phénomènes et habitaient loin de ceux-ci. La situation est telle que maintenant nous devons mobiliser ces zones pour l'activité humaine, qu'elle soit industrielle, commerciale, résidentielle, etc. De toute manière, même si on décide dans l'avenir de ne plus construire dans de telles zones, il faut y gérer l'existant et le fait que l'on a construit en zone inondable, ce qu'ont d'ailleurs fait tous les pays du monde.

La démarche à suivre serait d'informer les gens qu'ils ont construit en zone inondable, qu'un jour ils seront gravement inondés et qu'ils doivent en tenir compte. Une telle information n'est jamais simple à annoncer, notamment en période électorale. Le porteur de mauvaises nouvelles n'est pas celui que l'on accueille le plus volontiers. Par ailleurs, au-delà de cette information, il faut gérer la situation de manière très fine car, en fait, il ne restera plus que des cas particuliers à gérer.

Certes un dispositif réglementaire général est utile et indispensable, mais ce n'est pas à partir de cela que l'on gérera le quotidien des habitants. Dans les quatre cents maisons inondées que vous citez, j'imagine qu'il y a plusieurs dizaines de cas très particuliers.

Cette gestion de proximité ne peut être assurée ni par les dispositifs réglementaires généraux, ni par les modélisations techniques à grande maille. Il convient réellement de travailler à un niveau local, à la fois en termes de culture du risque et de prévention.

On ne peut pas dire que le PPR soit inefficace, mais comme tout dispositif générique, je doute qu'il prenne en charge les problèmes des gens à une échelle très locale. Seuls le dialogue et la négociation directe sont, de mon point de vue, efficaces.

M. Gérard JACQUIN : Concernant l'efficacité des PPR, c'est là une question d'évaluation des politiques publiques. Il est préférable de la poser à ceux qui sont en charge de cette politique, et mettent ces outils en place.

Je souhaiterais placer le CEMAGREF sur le terrain de l'impertinence ou de la critique méthodologique et ainsi sensibiliser la commission à l'ensemble des projets de recherche cités dans le programme « Évaluation et prise en compte des risques naturels et technologiques ». Nous assistons là à un début de prise de conscience collective de la limite des dispositifs réglementaires et techniques qui, parfois, peuvent même avoir des effets induits tout à fait dommageables. Protéger une commune en amont en accélérant le flot hydraulique exposera potentiellement une commune située en aval. Il faut avoir conscience de tels phénomènes.

La notion d'appropriation du risque, c'est-à-dire la culture du risque, se travaille avec les populations, avec des opérations vérités et des retours d'expérience, de façon à capitaliser la mémoire. On constate que certaines régions possèdent une culture du risque. Ainsi, aux Antilles, avec les cyclones qui reviennent presque chaque année, il existe des outils de prévision, des mesures de prévention à court terme, comme la fermeture des habitations ou autres. Ces cyclones n'entraînent pratiquement plus de pertes en vies humaines. C'est ce que j'appelle la culture du risque complètement intégrée.

Le retour d'expérience sur l'Aude montre que très probablement, des vies humaines ont été perdues suite à des comportements qui n'avaient absolument pas intégré cette culture du risque. Par exemple, des personnes ont pris leur voiture et se sont engagées sur des ponts, à un moment où il ne fallait surtout pas le faire. De tels comportements ont des conséquences extrêmement graves, mais ce ne sont pas des mesures lourdes qui peuvent les faire évoluer.

Certes, un élu est obligé de bâtir un mur ou une mesure de protection, car c'est l'attente des populations. Cependant, une pédagogie de l'intercommunalité et de la solidarité entre communes et des mesures d'appropriation du risque sont également d'une grande efficacité, sans entraîner des coûts économiques trop élevés pour la collectivité locale ou pour l'État.

M. Pierrick GIVONE : Sur la culture du risque au niveau local, l'exemple d'une agence fédérale américaine, la Federal Emergency Agency, est tout à fait frappant. Celle-ci édite des guides très pratiques, où on explique comment gérer et modifier un réseau électrique dans une maison située en zone inondable, comment organiser le sous-sol des habitations... Cela peut sembler n'être que des détails, mais cela constitue néanmoins un réel complément d'information par rapport à un dispositif réglementaire qui parait toujours quelque peu technocratique.

En France, nous n'avons sans doute pas suffisamment mis en place de telles mesures qui nous paraissent peut-être trop simplistes, mais qui ont néanmoins une réelle efficacité pratique. Il s'agit de faire prendre conscience aux habitants qu'ils vivent en zone inondable, qu'ils auront à faire face à un certain nombre d'événements et de leur donner les moyens pratiques de rendre leur vie moins inconfortable en situation d'inondation.

M. Gérard JACQUIN : Ceci vaut pour les habitations comme pour les petites et moyennes entreprises. Des études sont actuellement réalisées sur le val de Bièvre, avec un panel de cinquante à cent PMI-PME, pour établir la façon dont elles ont intégré la notion de risque d'inondation dans leur gestion. Les dispositions à prendre paraîtront peut-être modestes, mais avec le recul, la communauté des ingénieurs constate la limite de ses interventions et se tourne maintenant vers les sociologues, les psychosociologues ou les historiens pour organiser la mémoire. Quand quelqu'un achète un pavillon en zone inondable au mois de juin par beau temps, on a beau lui dire que c'est en zone inondable, de toute façon la mémoire l'occulte. Il faut le rappeler en permanence.

M. Thierry LAZARO : Je ne considère pas que cela soit modeste, car communiquer est extrêmement important. En général, les populations font preuve de grande sagesse sur le sujet. Mon observation porterait davantage sur le soutien de l'administration en général. Je confirme vos propos lorsque vous disiez que l'on se sent particulièrement isolé, dès que l'on souhaite avancer en matière de prévention.

Nous travaillons dans le cadre de l'intercommunalité, car nous n'avons pas d'autre choix. Lors de la dernière inondation, nous avons reçu un réel soutien de la préfecture, avec toutefois l'impression que la multiplicité des strates de décision fait que cela ralentit la chaîne. C'est pourquoi nous avons pris la décision de réaliser, avec un cabinet spécialisé, une étude de modélisation. Nous sommes partis seuls pour gagner un peu de temps. Je trouve cela dommage.

Enfin, vous parliez des pouvoirs du maire en matière d'urbanisme. Dans ma commune, trois projets de lotissements étaient envisagés. L'un d'eux, d'une vingtaine de maisons, n'a pas pu être arrêté car il était déjà lancé. Quant aux deux autres, nous avons été en mesure de les arrêter, malgré les conséquences que cela entraîne.

M. Stéphane ALAIZE : Ma première observation portera sur le problème du risque zéro. Dans ce pays, la culture du risque zéro commence à prendre une telle ampleur que l'on s'affole devant les plus petits phénomènes alors que l'on néglige, avec toutes les conséquences que l'on voit, les gros phénomènes.

Ma première question concerne la notion de retour d'expérience. Cette méthode est-elle réellement utilisée et comment est-elle exploitée ?

L'autre point, sur lequel je souhaite avoir quelques éclaircissements, porte sur les différentes approches territoriales. Le bassin hydrographique a été cité comme étant la zone pertinente. Toutefois, les interventions au niveau d'une telle zone hydrographique n'ont rien à voir avec les interventions pouvant se faire au niveau local. Entre ces différents niveaux, existe-t-il aujourd'hui une sorte de méthode qui permettrait de répondre à la question de l'outil pertinent pour agir ?

Ceci m'amène à une autre question qui est celle de la classification des différents types d'inondations. Peut-on vraiment modéliser ces différentes formes d'inondations ?

J'en profiterais pour faire une observation. Il est tout à fait vrai que les acteurs locaux ont l'impression d'être démunis, y compris même dans leurs rapports avec l'administration. La méconnaissance et la complexité des outils techniques sont inquiétants.

Enfin, s'agissant des aménagements, les élus se heurtent, dans mon département, à une forte réticence, sinon une hostilité systématique de l'administration pour des aménagements locaux. C'est le cas des dégagements des embâcles et des atterrissements, par exemple. On constate que le lit de l'Ardèche, rivière particulièrement tourmentée, se modifie petit à petit et que la rivière n'a plus le même lit mineur qu'antérieurement.

C'est un point qui nous inquiète, parce que le déplacement de la rivière ronge les berges et modifie son cours pour se rapprocher d'habitations parfois anciennes. Y a-t-il véritablement des incidences lourdes et déstructurantes si on agit ponctuellement dans le lit mineur d'un cours d'eau pour dégager des embâcles ou des atterrissements, voire le rétablir dans son lit mineur ancien ?

M. Pierrick GIVONE : En matière de retour d'expérience, l'une des conclusions du rapport de votre collègue Yves Dauge sur les inondations a été notamment de mieux organiser le retour d'expérience et sa capitalisation. Sur les crues de l'Aude par exemple, une mission de retour d'expérience a été mise en place et fonctionne par enquête, c'est-à-dire que tous les événements sont examinés, puis on essaie de mettre le tout en perspective, etc. Ce type de démarche se fait maintenant de manière quasi systématique pour les grands événements.

Pour ma part, je ne connais aucun lieu - et là je sors de mon rôle de scientifique - où l'on capitalise systématiquement ces documents de retours d'expérience. Il me semble qu'ils sont à disposition à l'échelle départementale ou communale, mais au-delà, je ne sais pas.

M. Gérard JACQUIN : Les missions de retours d'expérience sont réalisées sous l'égide de l'Inspection générale de l'environnement. Comme tout document de cette nature, ils sont rendus publics par le ministère de l'Environnement et disponibles sur son site Internet.

Cela étant, cette mise à disposition n'est qu'un pis-aller, c'est-à-dire que cela met à nouveau en lumière une des trois missions de ce que le président Doligé appelait le centre national de prévention des inondations où il faudra capitaliser et débattre sur ces retours d'expérience. En clair, les quelques missions qui ont été réalisées sont bien faites, les rapports sont rendus publics, mais l'appropriation qui s'ensuit de ces rapports nécessiterait un vrai débat.

Je souhaiterais indiquer que, parmi les vingt-six programmes de recherche très appliquée financés par le ministère de l'Environnement, l'un d'eux est piloté par l'École des mines de Paris. Son objet est, de façon extrêmement concrète, de mettre en place un guide technique des retours d'expérience, d'établir des méthodes de travail collectives, notamment pour la restitution des réactions des populations pendant la crise, puis une journée, une semaine, trois mois après la crise. Ainsi, une procédure pourrait se mettre en place avec une mise à disposition de guides méthodologiques pour pratiquer le retour d'expérience dans de bonnes conditions. L'un des objectifs que l'on pourrait attribuer à un centre national des inondations, serait de capitaliser ces retours d'expérience réalisés sur des grands événements.

Les trois phénomènes exceptionnels que sont l'Aude, l'Ille-et-Vilaine avec Redon et la Somme constituent un panel extraordinaire. À cet égard, il me semble que de nombreuses méthodologies pourraient se mettre en place et être capitalisées et collectivisées.

M. Pierrick GIVONE : Il n'y a aucune opposition entre le local et le global. Quand l'Ardèche se fâche, elle se fâche rarement à un endroit précis, mais de manière assez globale. Il faut donc disposer d'une connaissance globale à l'échelle des bassins versants, et d'une connaissance des conséquences au niveau local des aménagements existants et des événements. Cela explique en partie la complexité que j'évoquais et que nous avons parfois du mal à cerner.

Cela étant, à titre d'information, les organismes de recherche essayent actuellement de mettre en place, sur l'Ardèche, un observatoire de recherche pour l'environnement. Celui-ci, dédié à la connaissance du risque hydrométéorologique, permettra d'apporter un certain nombre d'informations.

M. Paul DHAILLE : À l'heure actuelle, dans l'étude des problèmes de l'eau, deux voies sont employées. D'une part, il y a la mise en _uvre des SDAGE et des SAGE, dont on peut considérer qu'ils étudient l'eau en tant que ressource. D'autre part, il y a les PPR pour les inondations.

Doit-on conserver ces deux voies ou, au contraire considérer le domaine de l'eau globalement, c'est-à-dire tout rassembler dans un même type d'études ? Il y a là un problème de financement qu'il faudra régler.

Ma deuxième question porte sur la distinction entre lit mineur et lit majeur. Les villes se sont établies près des cours d'eau car, à une époque, c'était un élément favorable, ne serait-ce que pour l'assainissement et la possibilité de force hydraulique. Néanmoins, en dehors des agglomérations, le cours d'une rivière n'est pas toujours entièrement canalisé. Aux endroits où les lits des rivières ne sont pas canalisés, considérez-vous qu'il faille prendre des mesures pour éviter tout phénomène, même sur le lit majeur ? En effet, vous indiquez que, dès lors que le lit majeur subit une transformation, cela implique une remise à jour de la modélisation difficile à mettre en _uvre.

Mon dernier point sera peut-être de nature plus politique. Un débat qui agite régulièrement notre pays lors des inondations, est celui entre hydraulique douce et hydraulique dure. Vous avez évoqué les barrages construits en amont de la Seine à la suite de la crue de 1910. Vous indiquez qu'une crue de même ampleur ne serait pas significativement amoindrie par ces ouvrages. D'où ma question sur la pertinence de construire de tels ouvrages pour des résultats si peu probants.

Quant aux partisans de l'hydraulique douce, ils invoquent l'accroissement de la perméabilisation des sols et la suppression d'un certain nombre de mares, de fossés, de talus, etc. Si je reviens à la crue de 1910, certes la perméabilisation des sols était beaucoup moins importante, les mares et les talus en plus grand nombre qu'aujourd'hui, ce qui n'a pas empêché cette grande crue. L'avis des scientifiques ne nous éclaire pas réellement pour trancher.

M. Pierrick GIVONE : Nous nous y efforçons. Les SDAGE et les SAGE, qui ont des documents portant sur des échelles différentes, n'excluent pas les risques naturels. Sur le fond, mais c'est mon opinion, il me semble qu'il faut traiter le problème de manière globale. Notre objectif porte sur les éléments scientifiques de la gestion intégrée de l'eau et du développement durable.

De toute façon, chaque fois que l'on crée un aménagement, on crée des conséquences à la fois en termes de quantité d'eau, en situation normale et en situation de crue, et de qualité de l'eau. Par conséquent, il n'y a aucune raison de faire une distinction entre ces éléments, qu'il faut au contraire intégrer.

En ce qui concerne l'hydraulique douce et l'hydraulique dure, en matière d'aménagement hydraulique comme en tout autre domaine, le principe de réalité s'applique. Il s'agit principalement de trouver un juste équilibre entre le poids politique des solutions, leur coût financier, leur efficacité scientifique et technique, la qualité des dispositifs réglementaires, etc.

Nous avons récemment été contactés par une préfecture qui souhaitait savoir si, en l'absence d'aménagement hydraulique, de simples replantations de haies auraient une influence sur la crue centennale. Malheureusement, la réponse est non.

L'idéal, si tant est qu'il existe, réside réellement dans l'équilibre entre l'ensemble des différentes méthodes disponibles. Lorsque j'ai indiqué que les barrages-réservoirs, à l'amont de la Seine, ne font baisser le niveau que de quelques dizaines de centimètres à Paris, il faut se rappeler que vingt centimètres de plus ou de moins à Paris se chiffrent en dizaines de milliards de francs de dégâts en plus ou en moins. C'est toujours le dernier centimètre qui tue.

Toutefois, il convient de reconnaître que de nos jours, nous sommes plutôt partisans d'une hydraulique douce, c'est-à-dire de mobiliser la diversité des paysages et des cultures pour multiplier un grand nombre de petits ouvrages locaux. Ces concepts semblent plus efficaces globalement. Par ailleurs, ils sont mieux acceptés par les riverains et permettent à ceux-ci de se sentir acteurs de l'aménagement. En revanche, lorsque vous construisez un grand ouvrage, d'une certaine façon, vous excluez le riverain, qui ne se sent pas acteur. Il règne une espèce d'illusion technologique qui consiste à imaginer qu'en construisant un grand barrage, tous les problèmes seront résolus. Certains sont résolus, d'autres persistent.

M. le Président : Nous pourrions discuter un certain temps sur le niveau à gagner, deux, dix ou quarante centimètres. Lorsque vous expliquez aux gens que l'on va faire baisser le niveau de quarante centimètres, ils considèrent qu'investir de telles sommes pour seulement quarante centimètres n'est pas sérieux. Ils n'ont pas conscience que c'est pourtant le dernier centimètre qui compte.

Nous vous remercions.

Audition de M. Pierre-Éric ROSENBERG,
directeur de
l'espace rural et de la forêt
au ministère de l'Agriculture et de la pêche

(extrait du procès-verbal de la séance du mercredi 6 juin 2001)

Présidence de M. Éric DOLIGÉ, Président

M. Pierre-Éric Rosenberg est introduit.

M. le Président lui rappelle le mode de fonctionnement de la commission et lui indique que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. À l'invitation du Président, M. Pierre-Éric Rosenberg prête serment.

M. le Président : Monsieur le directeur, vous connaissez le champ d'investigation de notre commission d'enquête qui est particulièrement vaste. Si le ministère de l'Environnement s'est vu confier le premier rôle en matière de politique de l'eau et de prévention des inondations, d'autres ministères interviennent dans ces domaines, dont le ministère de l'Agriculture.

Votre ministère nous semble aussi être le mieux placé pour évaluer l'influence que peuvent avoir les pratiques agricoles et forestières et, plus généralement, la gestion globale de l'espace rural sur les inondations et leurs conséquences.

M. Pierre-Éric ROSENBERG : La direction de l'espace rural et de la forêt (DERF), que je représente ici, intervient très nettement au deuxième rang par rapport à la responsabilité qui a été confiée au ministère de l'Environnement sur le thème des inondations et de la gestion de l'eau.

En premier lieu, je souhaiterais préciser le champ de compétences.

La DERF est d'abord directement responsable de la politique forestière. Elle élabore, met en _uvre, évalue cette politique, y compris dans sa dimension de protection. La forêt a en effet une fonction importante de protection des sols et de l'eau, notamment dans des zones particulières telles que les zones de montagne. C'est tout l'objet de ce que l'on appelle la politique de restauration des terrains en montagne, avec des effets sur certaines crues, notamment celles de nature torrentielle. Par ailleurs, la politique de défense contre l'incendie a, elle aussi indirectement, un effet sur la gestion de l'eau par le maintien d'un couvert végétal dans certaines zones, notamment les zones méditerranéennes. La politique forestière comporte également un encadrement en matière de défrichement, avec le maintien de la couverture sur certains sols sensibles. C'est un encadrement réglementaire extrêmement lourd, fruit d'une production législative ancienne et permanente.

Le deuxième champ de compétences de cette direction concerne sa participation à la politique de gestion et de mise en valeur du territoire. Il s'agit là d'une vision beaucoup plus globale de la gestion des espaces, en liaison notamment avec la DATAR. Je reviendrai sur ce point lorsque j'évoquerai les schémas de services des espaces naturels et ruraux.

En troisième lieu, la DERF a, et cela nous rapproche du sujet qui vous préoccupe, une responsabilité en ce qui concerne la définition du cadre juridique de l'aménagement foncier. Je reviendrai sur la relation entre aménagement foncier et évolution de la gestion de l'eau.

Enfin, la DERF a une fonction de promotion, dans le secteur agricole, de toutes les pratiques qui permettent de mieux prendre en compte les préoccupations environnementales. Il s'agit de la qualité des eaux et des sols, mais aussi les problèmes de ruissellement, d'érosion et donc les problèmes d'inondation.

Ainsi, cette direction n'a pas d'action directe sur la gestion des crises, comme nous venons d'en connaître dans la Somme ou en Bretagne, même si, sur le terrain, les services extérieurs du ministère de l'Agriculture y participent, notamment au titre de leur rôle de police de l'eau et d'agents de terrain du ministère de l'Environnement. En revanche, la DERF s'intéresse à toutes les actions qui, en amont, visent à prévenir ces situations de crise, principalement au regard des aménagements agricoles et forestiers et des pratiques agricoles elles-mêmes.

Pour compléter l'exposé du CEMAGREF sur la typologie en matière d'inondations et d'un point de vue agricole, je classerai les inondations en trois catégories :

- les grandes inondations à cinétique lente, comme celles de la Somme et en Bretagne : dans ce type d'inondation, on observe que la saturation, plus ou moins durable, des sols et le débordement des nappes conduisent à une inondation ; les deux rapports d'étape de chacune des missions interministérielles qui viennent de se pencher sur ces sujets démontrent que l'effet des pratiques ou des aménagements agricoles est nul ou quasi nul dans ce type d'inondation ; en tous cas, il n'est pas perceptible ;

- les inondations de type torrentiel : à titre d'exemple, ce sont celles des crues de l'Aude ; elles relèvent, me semble-t-il, plus de dysfonctionnements liés à l'état des ouvrages hydrauliques et à la circulation des eaux, ainsi que, pour une part importante, d'une politique d'urbanisme et d'implantation des habitations et des installations économiques inadaptée ;

- les inondations d'ampleur limitée, dans lesquelles les effets des modes d'aménagement agricole ou des pratiques agricoles ne sont pas négligeables ; ces phénomènes plus locaux, provoquent des dégâts d'une moindre ampleur et sont beaucoup moins médiatisés.

Les conséquences de l'aménagement ou des pratiques agricoles sur l'importance des crues sont bien connues dans leur principe. Ainsi, les sols nus accentuent les phénomènes de ruissellement. Un autre élément, moins souvent perçu, est que les aménagements fonciers et le positionnement des parcelles agricoles peuvent jouer un rôle important sur ces phénomènes de ruissellement. Cela vaut notamment pour un certain nombre de remembrements conduits par le passé, pour lesquels la question du positionnement des parcelles vis-à-vis de la pente n'a pas été posée. Or, dès lors que l'on trace des parcelles dans le sens de la pente, on accentue les phénomènes de ruissellement. Il y a quelques années, certains vignerons de Champagne ont pu le constater à leurs dépens, avec des dégradations importantes, non seulement de leurs vignobles, mais également des infrastructures en aval de ceux-ci.

Un autre phénomène, bien connu et dont on surestime peut-être l'importance, concerne l'arasement des talus et la suppression des haies qui conduisent à réduire la capacité de rétention d'eau du sol. C'est la critique forte émise à l'encontre d'opérations de remembrement conduites depuis la loi d'orientation agricole du 5 août 1960, notamment dans certaines zones de bocage où des centaines, voire des milliers, de kilomètres de talus et de haies ont été détruits.

Ces deux phénomènes sont maintenant bien appréhendés. Les actions conduites actuellement, visent plus particulièrement à reconstituer et réaménager un milieu plus favorable à la prévention des inondations.

Nous conduisons de nombreuses actions dans ce domaine. Il convient d'abord de rappeler que les inondations et les risques liés à la gestion des espaces naturels méritent d'être pris en considération non seulement par les élus et les responsables institutionnels, mais aussi par l'ensemble de la population. Il y a là probablement une réflexion à conduire sur la manière dont l'État mène sa politique d'aménagement du territoire.

Il me semble que nous vivons actuellement une nouvelle époque, dans la foulée de la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire. J'évoquais, dans mon introduction, le schéma de services des espaces naturels et ruraux, document actuellement en consultation parlementaire et qui fera l'objet d'une publication et d'un décret. Dans ce schéma de services, la question des risques et des inondations est clairement posée.

Il me semble que cela signifie que l'État, au travers de cet exercice, souhaite fixer non pas des règles, mais une méthode qui permette d'associer l'ensemble des partenaires, notamment agricoles, à la réflexion sur la prévention des risques, en particulier les inondations. L'État s'impose une certaine discipline, mais elle n'a de sens que si, sur le terrain, au niveau territorial approprié, l'ensemble des acteurs se pose les bonnes questions en termes d'aménagement d'un territoire. Les différents partenaires doivent être capables de mesurer l'ensemble des facteurs de risques, les contraintes environnementales et les pressions économiques, d'aménagement et d'infrastructures. Ils ne doivent omettre aucun de ces aspects de la politique d'aménagement du territoire.

Cette démarche est nouvelle. Il est aujourd'hui difficile de savoir si, au niveau territorial, elle prendra réellement corps. Je suis, pour ma part, convaincu que, sans cette approche territoriale, nous rencontrerons beaucoup de difficultés dans l'avenir pour améliorer des dispositifs qui sont aujourd'hui purement réglementaires. En effet, la réglementation a montré ses limites.

Le deuxième axe d'intervention porte sur les actions d'aménagement foncier. Pendant longtemps, la critique contre les « araseurs de talus » a été pertinente. Mais depuis la loi du 3 janvier 1992 sur l'eau et la loi du 8 janvier 1993 sur la protection et la mise en valeur des paysages, les procédures d'aménagement foncier et de remembrement ont largement évolué. Désormais, l'étude préalable d'impact, dès l'arrêté initial de remembrement, intègre cette dimension de prévention des risques, notamment en matière d'inondations.

Cet arrêté prévoit, dans les zones à risques, des prescriptions très précises : soit, dans les cas les plus sensibles, le maintien des haies et des talus qui jouent un rôle dans la rétention de l'eau, soit des actions de rééquilibrage par reconstitution de talus et de bassins de rétention, là où l'aménagement dans telle ou telle partie de commune suppose la destruction de haies ou de talus. Le préfet, lors de l'arrêté de clôture du remembrement, pris en fin d'opération, est chargé de vérifier que ces prescriptions ont bien été respectées.

Au-delà de cet aspect réglementaire, les actuelles opérations de remembrement permettent également le développement d'actions qui relèvent d'une démarche beaucoup plus volontariste. À ce titre, des opérations type « bourse aux arbres » - c'est-à-dire la création de linéaire d'arbres à l'occasion d'un remembrement -, la création de bassins de stockage et de banquettes anti-érosives sont autant d'éléments positifs dans la prévention des inondations. Le remembrement apporte un support juridique, notamment pour créer les réserves foncières permettant la réalisation de ces équipements. Avec une ponction de 1 % des surfaces sur un remembrement, on se donne la possibilité de créer ces aménagements qui peuvent jouer un rôle en matière de prévention des inondations.

Le troisième axe d'intervention, plus directement lié aux exploitations agricoles, est la politique agricole commune (PAC). Je n'insisterai pas sur le c_ur historique de la politique agricole et les politiques de gestion de marché. Mais, depuis les accords de Berlin de 1999 existe un règlement « développement rural » qui avait été précédé, depuis 1992, par les « mesures d'accompagnement de la PAC », que l'on appelle maintenant « mesures agri-environnementales ».

Ces mesures apportent un soutien direct aux agriculteurs dans le domaine de la prévention des inondations. À titre d'exemple, en Bretagne, elles ont permis de reconstituer quatre mille hectares de prairies à partir de terres qui, antérieurement, étaient des terres labourées, avec sols nus en hiver, d'où des problèmes à la fois de qualité et de gestion des volumes d'eau.

En France, de 1999 à aujourd'hui, le règlement européen s'est traduit, par la mise en place du programme de développement rural national (PDRN), dont un des dispositifs est le contrat territorial d'exploitation (CTE). Ce contrat est un outil qui permet d'accompagner un agriculteur, dès lors qu'il développe un projet présentant deux volets. Un volet économique, sur lequel je ne m'attarderai pas, et un volet environnemental concernant l'insertion de l'exploitation dans son milieu et qui vise à améliorer ses pratiques environnementales - niveau des nitrates et de l'azote, utilisation des sols. Par exemple, il peut s'agir d'une reconversion des terres arables en prairies ou de l'implantation de couverts végétaux en saison automnale ou hivernale, mesure que nous allons rendre obligatoire dans certaines zones sensibles. Cela peut également consister en des modes de travail du sol simplifiés permettant d'éviter des phénomènes d'érosion. En matière de qualité de l'eau, des mesures d'aménagement de l'exploitation (mares, talus) permettent indirectement d'améliorer la prévention des risques d'inondations moyennes.

Mais ces mesures individuelles, puisque le CTE est un contrat individuel de l'exploitant avec l'État, n'auraient guère d'intérêt si elles ne s'inscrivaient pas dans une logique de territoire. Cette démarche de contrat territorial n'a d'intérêt que si ce dernier n'est pas un acte purement individuel, mais s'inscrit dans des prescriptions de niveau territorial comme, par exemple, les schémas de services collectifs.

Aujourd'hui, région par région, nous souhaitons privilégier des réflexions collectives associant non seulement des agriculteurs, mais aussi leurs partenaires de la société civile, c'est-à-dire des associations de consommateurs ou environnementalistes, de façon à ce que l'ensemble des préoccupations liées à la gestion d'un espace et celles liées à la prévention des risques soit pris en compte.

M. le Président : J'aimerais que vous nous donniez quelques informations sur les zones humides et leur rôle en matière de prévention des inondations, puisque cela fait partie de votre domaine de compétences. En effet, depuis quelques décennies, leur surface a largement diminué en raison de l'urbanisation.

Par ailleurs, pourriez-vous nous indiquer si l'entretien des fleuves et des rivières et la police de l'eau sont du ressort de votre ministère ? En effet, les moyens des directions départementales de l'agriculture et de la forêt (DDAF), en matière d'entretien et de surveillance des fleuves et rivières, sont extrêmement réduits, ce qui pose quelques problèmes.

M. le Rapporteur : Nous aimerions comprendre comment est mise en _uvre la coordination interministérielle entre vos services et ceux d'autres ministères. Il est par exemple surprenant que l'entretien des cours d'eau relève, selon les départements, de la DDAF ou de la direction départementale de l'environnement (DDE), donc de services relevant de ministères différents.

Mes questions porteront également sur votre rôle en matière d'entretien et de gestion des forêts publiques. Vous avez apporté quelques réponses, mais il serait intéressant de savoir quelle est l'influence du reboisement ou de la déforestation sur les inondations, et l'impact des routes forestières sur le phénomène. Par ailleurs, existe-t-il un problème d'entretien des forêts privées qui pourrait constituer un facteur aggravant en matière d'inondations ? Enfin, les tempêtes de décembre 1999 vont-elles indirectement avoir des conséquences sur le niveau et l'intensité des inondations dans les régions touchées ?

Concernant le volet agricole, vous avez déjà répondu à certaines de nos préoccupations. Toutefois, il serait intéressant d'avoir une idée des actions entreprises actuellement pour corriger les effets accrus et cumulatifs des remembrements. Dans mon département, je connais toute une série d'espaces agricoles qui sont toujours orientés dans le sens de la pente et entraînent un phénomène d'érosion et un transfert de boues vers le village au moindre orage. Il y a donc encore beaucoup d'efforts à faire en ce domaine. Considérez-vous que les contrats territoriaux suffiront à régler ce problème ?

Enfin, concernant l'indemnisation des agriculteurs en cas d'inondations, le régime des calamités agricoles est-il optimal ?

M. Pierre-Éric ROSENBERG : Les zones humides sont des espaces auxquels l'ensemble des ministères accordent beaucoup d'importance. C'est le cas notamment du ministère de l'Environnement, du fait de la richesse écologique de ces milieux. Force est de constater que l'urbanisation de ces dernières années ainsi que la modernisation de l'agriculture ont pu contribuer à les dégrader, pas tant en matière de circulation d'eau qu'en ce qui concerne la qualité intrinsèque des écosystèmes.

Depuis quelques années, nous avons « battu en arrière », comme disent les marins, et toutes les actions visent à une reconquête. Le mouvement inverse est enclenché, même si les conditions économiques ne le rendent pas toujours facile. Proposer à un agriculteur qui cultive aujourd'hui du maïs irrigué dans la région poitevine de se reconvertir n'est, par exemple, pas chose aisée.

Or, au ministère de l'Agriculture, notre préoccupation est bien sûr de participer à cette reconquête du milieu, mais aussi de veiller à la préservation de l'emploi et de la valeur ajoutée agricole. Il y a là un équilibre parfois difficile à trouver. De plus, c'est un sujet sur lequel la politique agricole commune a parfois été un peu lacunaire dans le passé.

Au niveau national, nous menons actuellement une réflexion importante et complexe sur la manière dont les aides à l'irrigation, dans ces zones humides, pourraient être modulées de façon à éviter que les politiques publiques - d'un côté, une politique de reconquête du milieu, de l'autre une politique économique - ne soient trop divergentes.

Concernant l'entretien des fleuves et des rivières, la direction de l'espace rural et de la forêt n'a aucune compétence en la matière, au niveau central du ministère de l'Agriculture, puisque cette compétence a été transférée au ministère de l'Environnement et que la coordination en est assurée par les directions régionales de l'environnement (DIREN). Cela n'exclut pas toutefois que les DDAF soient mises à contribution puisqu'elles sont, dans ce domaine de la politique de l'eau, les services extérieurs du ministère de l'Environnement.

Cela complexifie parfois la lecture car, selon les départements, les missions interservices de l'eau (MISE) sont positionnées soit dans les DDAF - c'est le cas à 80 % -, soit dans d'autres directions départementales, notamment les DDE.

En matière de coordination interministérielle, la DERF est au c_ur du dispositif et essaie, à ce titre, de jouer un rôle de facilitateur entre les services de l'Environnement et de l'Agriculture, de faire collaborer les uns avec les autres le mieux possible. C'est un fait historique, le monde agricole et le monde environnementaliste ont encore quelques difficultés à s'entendre.

Concernant la forêt publique, l'Office national des forêts (ONF), qui gère la forêt domaniale appartenant à l'État mais aussi les forêts relevant de régime forestier, c'est-à-dire principalement les forêts communales, se doit de plus en plus d'intégrer, dans son action, non seulement sa fonction de bon gestionnaire de la forêt au sens économique du terme, mais également toutes les fonctions environnementales de la forêt. La loi d'orientation sur la forêt, en cours d'examen, réaffirme de manière très claire l'aspect multifonctionnel de la forêt, notamment sa contribution à une bonne gestion du milieu naturel et de l'eau.

J'ai cité tout à l'heure très rapidement les actions de restauration des terrains de montagne. La forêt a une double fonction. Dans les zones de plaine, l'arbre agit comme une "pompe à eau" et contribue à retenir l'eau et à réduire les ruissellements. Sur des terrains plus pentus, l'arbre, au-delà de cette fonction de pompe à eau, a également une fonction de maintien des sols. Les forêts, de ce point de vue, jouent un rôle important, pour autant que les aménagements liés à leur exploitation, notamment les routes et pistes forestières, soient conçus de manière à ne pas fabriquer des « lits » qui deviennent très vite des torrents, en situation de forte pluviométrie.

C'est un sujet bien identifié aujourd'hui par les gestionnaires de la forêt, même si, ici ou là, certaines exceptions demeurent. L'ONF, en tant qu'établissement public, a pour fonction de donner l'exemple et donc d'utiliser des modes de gestions qui soient exemplaires et indiscutables. Pour autant, dans la forêt d'Aquitaine suite aux tempêtes et à la forte pluviométrie, des pistes forestières, pourtant complètement planes, sont aujourd'hui devenues des étangs. Comme l'ensemble du substrat est saturé, l'eau réapparaît. Malheureusement je crois qu'il n'y a rien à faire, si ce n'est attendre la décrue pour éviter de dégrader encore un peu plus les sols en intervenant trop rapidement.

S'agissant de la forêt privée, un de ses grands handicaps est lié à son extrême morcellement, la surface moyenne par propriétaire est, en France, de moins de cinq hectares, ce qui est très faible. Ceci pose des problèmes de gestion économique de la forêt. Mais, sur le plan environnemental, ces forêts peu exploitées ne posent aucun problème grave puisque, précisément, elles disposent de peu d'infrastructures de circulation. De plus, elles sont dotées de couverts végétaux proches du sol, assez denses, constituant de ce fait de bonnes pompes à eau.

Le risque est plutôt celui de l'incendie, donc de destruction de la forêt, avec un effet secondaire lié à la mise à nu de certains sols et donc de risques accrus de dégradations et d'inondations en cas de fortes pluies. C'est là une réflexion importante, présente dans le projet de loi d'orientation sur la forêt : il convient de mieux identifier les responsabilités de chacun, propriétaires forestiers, mais aussi collectivités forestières et pouvoirs publics afin d'assurer une meilleure prévention de l'incendie.

Concernant le remembrement, il faut reconnaître que les remembrements sont aujourd'hui très peu nombreux par rapport aux années 1970 et essentiellement utilisés en cas de création d'infrastructures. Nous ne pouvons pas mettre en place des remembrements qui auraient pour seule fonction de réorganiser les parcelles soumises à un fort risque d'inondation. Ce n'est pas l'objectif du remembrement. C'est pourquoi nous développons la démarche du contrat territorial d'exploitation (CTE), basé sur le volontariat et des démarches plus directives, comme l'obligation de couverture des sols dans les zones sensibles, notamment dans le Grand Ouest, ou l'application de la directive nitrate relative à la qualité des eaux.

Concernant la question des calamités agricoles et l'indemnisation des agriculteurs, je ne suis pas directement compétent en la matière. Il me semble que les derniers grands événements, qu'il s'agisse de l'eau ou d'autres calamités dans le secteur des fruits et légumes, ont montré que cette procédure, aujourd'hui bien rodée, fonctionne de plus en plus rapidement.

Cela étant, il serait intéressant d'engager une réflexion dès maintenant sur ce que pourrait être demain un système d'assurance récoltes au profit des exploitants agricoles. Cette réflexion doit nous permettre de bâtir demain un dispositif d'assurance récoltes - certains parlent même d'assurance revenus - permettant au monde agricole de se prémunir contre des accidents climatiques, notamment les inondations. De plus, ce dispositif doit être incitatif de manière que les agriculteurs, moins inquiets, réalisent au niveau individuel les aménagements les plus favorables à la préservation des milieux.

M. Jean LAUNAY : Je voudrais apporter un témoignage. Au début de l'automne, après un été très chaud et sec, la Cère, une rivière affluente de la Dordogne qui traverse ma commune, a connu une brusque montée d'eau. Cela a entraîné, à certains endroits, une pression sur les murs de soutènement qui canalisent la rivière lors de sa traversée de la commune et provoqué, à un endroit, un effondrement de ce mur dans une propriété privée.

Un ouvrage communal, en l'occurrence une passerelle donnant accès à une île à l'intérieur de la commune, était menacé en amont par cet effondrement. De la même façon, les murs de soutènement, en aval de la rivière, risquaient d'être soumis à un jeu de dominos. Dans une telle situation, l'administration ne nous a fourni aucune réponse satisfaisante, invoquant les dispositions de la loi sur l'eau et indiquant qu'il fallait « étudier la question ». Or, entrer dans un processus d'études successives ferait que nous n'aboutirions qu'à une solution lointaine et non immédiatement opérationnelle.

Cet exemple montre bien que la crédibilité de l'action des élus, qui repose en grande partie sur la rapidité de leurs décisions, peut être anéantie par les difficultés de positionnement des administrations entre elles et par leur incapacité à se coordonner. En l'occurrence, je suis passé outre l'avis de l'administration, avec l'aide de techniciens dont les conseils nous ont paru avisés et que nous avons suivis. Pour éviter que le problème ne devienne catastrophe, nous sommes intervenus en tant que collectivité publique sur la propriété d'une personne privée.

Il n'y a donc ni réponse technique fiable et rapide, ni, à la clé, financement et accompagnement sur des actions qui paraissent de bon sens. C'est en partant d'exemples locaux que l'on peut élaborer une réflexion globale. Même si cet événement n'a pas eu d'incidences majeures en termes de vies humaines, cette anecdote montre que les collectivités locales dépendent largement de la capacité de l'État à coordonner l'action de ses différents services.

Dans l'une de vos réponses au Rapporteur, vous mettez en évidence ces problèmes de coordination. Même si nous sommes mis à contribution dans la prévention des inondations et intervenons en tant que conseil, se pose un réel problème lorsqu'il s'agit ensuite de transposer des mesures concrètes sur le terrain et d'obtenir des réponses rapides et adaptées.

M. Pierre-Éric ROSENBERG : Ces questions s'écartent assez largement de mon champ institutionnel de compétence, même si j'ai un avis personnel sur le sujet. Ce type de phénomène relève tout à fait, même s'il n'y a pas risque majeur pour la vie des habitants, de la logique d'appréciation a priori des risques éventuels, donc d'identification et de prévention des risques. Nous disposons aujourd'hui d'un outil intéressant, le plan de prévention des risques (PPR).

Même si je pense que la démarche a quelques difficultés à prendre sa vraie dimension, notamment dans les zones à crue torrentielle et si, dans un premier temps, il est bâti de manière quelque peu sommaire dans certaines communes, le PPR doit constituer un moyen de doter les administrations et les élus d'une capacité d'évaluation du risque et donc d'anticipation sur ce phénomène.

Dans l'événement que vous avez rappelé concernant la canalisation d'une rivière, nous sommes au c_ur du débat entre appréciation du coût de correction a posteriori et du coût de correction a priori, par la prévention.

Dans ce domaine, la construction des grands ouvrages de protection ne me semble plus être privilégiée aujourd'hui. En revanche, on cherche à identifier de façon précise les zones à risque, les moyens de réduire ces risques et les aménagements d'hydraulique douce permettant de couvrir certains types de situations. Certains experts pensent que la crue qu'a connue la Somme est de niveau cinq-centennal. Par conséquent, il serait inutile de construire les équipements nécessaires à la prévention de tels phénomènes. En revanche, on peut réduire les effets de la crue, notamment par les règles d'urbanisme, mais cela dépasse largement ma compétence.

Pour autant, dans tous les cas, le PPR reste, me semble-t-il, la démarche à privilégier.

M. Paul DHAILLE : Ma première question portera sur le rapport entre les modes de culture et le ruissellement. Il est vrai que, dans toutes les réunions agricoles, il est dit qu'il vaut mieux avoir dix hectares de pâturages. Pour autant, dix hectares de maïs sont plus subventionnés que dix hectares de pâturages. Dans ce cadre, la réponse économique s'oppose à la réponse environnementale.

Il faut certes des bassins de retenue des crues, mais si, à proximité de ce bassin, on cultive du maïs ou on maintient un pâturage, le niveau de remplissage ne sera pas le même.

Comme il existe des droits de préemption urbains, peut-être serait-il intéressant d'avoir des droits de préemption ruraux. Qu'en pensez-vous ? De la même façon que, lorsqu'on projette de créer un captage, on peut acquérir les terrains alentours constituant un périmètre de protection, ne faudrait-il pas créer un droit de préemption rural pour les communes ou des intercommunalités sur les zones de coulée des crues afin qu'elles puissent les acquérir et les maintenir en prairie ou en forêt et ainsi éviter ces phénomènes de ravinement ?

Ma deuxième question portera sur les missions interservices de l'eau (MISE). Pour y avoir été moi-même confronté, la MISE ne m'est pas apparue comme une réponse toujours très pertinente aux problèmes qui se posaient. Elle est effectivement interservices, mais les intérêts des services sont parfois très contradictoires. Lorsque vous voulez faire curer une rivière, les associations de pêche vous expliquent que les poissons ne vont pas pouvoir frayer et que vous aurez moins de poissons. Il ne faut donc pas curer la rivière, ou alors la faucarder à tel ou tel moment. Je n'ai pas eu le sentiment que la coordination instaurée par ces MISE résolvait tous les problèmes.

Autre appréciation personnelle, il est très difficile d'obtenir des services de l'État un avis écrit sur les questions que nous posons. Le maire disposera toujours d'un avis oral, difficilement utilisable lorsqu'il se retrouve face à ses concitoyens.

Ma dernière question portera sur la modification du cours des rivières. Pour modifier le cours d'une rivière, il faut mener de nombreuses études afin de vérifier que cette modification n'aura pas plus d'effets négatifs que positifs. Par ailleurs, aux termes de ces études, si la modification du cours d'une rivière est décidée, le régime juridique actuel rend cette modification extrêmement complexe. Ne serait-il pas possible d'envisager des procédures beaucoup plus simples ?

M. Pierre-Éric ROSENBERG : Sur la question des modes de culture, vous l'avez dit très clairement, dix hectares de maïs ou de prairie n'ont pas le même effet sur la quantité d'eau que l'on retrouve en aval en situation de forte pluviométrie. La rentabilité n'est pas non plus la même. Il est vrai qu'un hectare de maïs permet d'obtenir, selon la zone où l'on se trouve et selon qu'il est irrigué ou non de 3 000 à 3 500 francs de primes communautaires à l'hectare. En réalité, ce que l'on mesure moins bien, c'est que la même surface en prairie, avec une densité d'élevage pas trop élevée pour faire de la production de qualité, conduit à une prime à l'élevage quasiment équivalente.

Ce n'est donc pas tant un problème de prime, sauf peut-être dans les zones irriguées à très fort rendement, mais de reconversion des exploitations et de modèles de production. L'agriculture est en plein bouleversement, poussée par les consommateurs qui préfèrent un veau à l'herbe à un torillon qui n'est jamais sorti de l'étable. Ces éléments poussent vers une nouvelle évolution des exploitations. Notre réflexion doit ainsi tenir compte de l'évolution économique du secteur, en prenant en compte ces évolutions de la demande qui vont dans le sens d'une meilleure préservation de l'environnement en général, mais aussi de modes de production plus herbagés qui sont favorables à la préservation des milieux et donc à la prévention des risques.

On a pu dire que la politique agricole commune avait contribué à la dégradation des milieux naturels. Je ne dirais pas que cela n'a jamais été le cas, mais la PAC a répondu à une attente, à un moment donné, de notre société. Aujourd'hui, elle évolue peut-être plus lentement que les attentes des consommateurs.

Pour autant si l'on considère les dernières déclarations du commissaire chargé de l'agriculture, M. Franz Fischler, et de notre ministre, M. Jean Glavany, non pas pour une nouvelle grande réforme de la PAC, mais pour un renforcement de la notion de développement rural et donc de la dimension environnementale, il me semble que ce mouvement est clairement amorcé.

Je reviens maintenant à votre proposition de créer des zones préemptées. J'aurai un premier élément de réponse à vous donner. Le projet de loi sur l'eau, encore à l'examen du Conseil d'État, s'il ne prévoit pas ce droit de préemption, ouvre la possibilité de créer une servitude sur des parcelles susceptibles de servir de zones de rétention et de zones tampons.

En effet, sur les photos aériennes des crues, on discerne bien les zones de délimitation de l'eau qui, en fonction de la crue, décennale ou centennale, seront différentes. Créer une servitude, c'est-à-dire identifier le risque de couverture par l'eau de ces parcelles, me paraît une bonne chose.

Votre proposition va plus loin et me paraît intéressante. Elle poserait néanmoins la question de l'alourdissement des charges des collectivités qui auraient à maîtriser ce foncier et à le remettre en gestion. À titre d'exemple, un tel dispositif existe, même si ses préoccupations ne sont pas les mêmes, au travers du Conservatoire national du littoral. Ce dernier acquiert des parcelles et, indépendamment et hors régime de fermage, les donne en gestion à des exploitants agricoles sous réserve du respect d'un cahier des charges souvent contraignant.

Dans le cas de votre proposition, le débat doit porter sur l'importance des surfaces qui pourraient être concernées et la charge que cela pourrait représenter pour les collectivités en question.

Sur les MISE comme sur les modifications des cours de rivière, sans vouloir esquiver ces questions, je préférerais que celui qui a la responsabilité de ces sujets, c'est-à-dire M. Bernard Baudot, directeur de l'eau, puisse vous répondre.

M. Robert GALLEY : Je voudrais intervenir sur un point de détail, mais qui, à l'échelle de l'ensemble du territoire, pourrait avoir des conséquences appréciables sur les inondations. Il est apparu clairement que l'implantation de bandes herbées d'environ douze à quinze mètres de chaque côté des rivières, outre qu'elle permet de bloquer l'arrivée des pesticides dans les rivières, constitue une sorte de barrage au ruissellement de l'eau.

Serait-il envisageable de généraliser, même de manière autoritaire, ces bandes herbées ? D'un autre coté, les parcelles ainsi protégées par ces bandes herbées sont aussi très souvent plus longtemps inondées.

Enfin, quelle importance peut avoir le phénomène du drainage sur la rapidité de montée des crues ? Je sais que les terrains drainés ne sont pas très nombreux. Néanmoins, on peut considérer que ce drainage empêche naturellement les terrains, plus ou moins perméables, de stocker de l'eau et par conséquent, vont absolument à l'encontre de l'objectif de prévention des inondations.

M. Pierre-Éric ROSENBERG : Les bandes herbées sont un sujet important, même s'il pourrait paraître mineur à première vue. Nous avons traité cette préoccupation de deux manières. Dans un premier temps, dans le cadre de la politique agricole commune, nous avons essayé de faire en sorte que le système de jachère, instauré en 1992, ne soit pas une friche ou une perte environnementale avec des parcelles dégradées, laissées à l'abandon. Nous avons donc assez rapidement engagé une discussion au niveau communautaire pour reconnaître la possibilité de valider, au titre de la jachère, les bordures de rivière.

Suite à des discussions tatillonnes à Bruxelles, nous avons pu faire admettre le maintien en herbe de ces bordures sur une largeur d'au moins dix mètres. Dans un second temps, cette mesure a été financée par le système de la jachère, outil d'incitation efficace afin que les agriculteurs maintiennent ces bandes herbées. C'est le cas aujourd'hui. Tous les agriculteurs ne bénéficiaient pas des aides directes aux grandes cultures. Nous avons donc favorisé ces implantations, notamment dans toutes les zones sensibles, à la fois pour des raisons de qualité de l'eau (pesticides, nitrates ou engrais), mais aussi pour des questions de gestion des ruissellements. Cela fait partie des mesures types proposées aux agriculteurs dans toutes les zones où ces questions se posent de manière sensible.

Cette mesure agri-environnementale de maintien de bandes herbées le long des rivières, que nous souhaitons renforcer, fonctionne relativement bien aujourd'hui, avec toutefois un petit bémol dans le Grand Ouest où le contrat territorial d'exploitation, pour d'autres raisons, a un peu de mal à monter en puissance.

Cette mesure s'appuie sur le volontariat dans les zones relativement peu sensibles, mais peut devenir une mesure quasi obligatoire dans les zones les plus sensibles.

La question du drainage n'est pas facile à mesurer. On draine justement les parcelles dont la couche imperméable est proche de la zone de culture et qui, sans drainage, sont très vite saturées et impropres à la culture. Le drainage permet donc de ne pas noyer trop souvent les cultures. Dès lors qu'on arrive dans une période de forte pluviométrie, avec ou sans drainage, ces sites ruissellent énormément. Par conséquent, l'effet du drainage, me semble-t-il, est relativement limité.

M. Thierry LAZARO : Vous avez précisé tout à l'heure que l'Office national des forêts devait avoir une fonction d'exemplarité. J'en suis particulièrement heureux, et je vais revenir au niveau local puisque c'est à partir de lui que l'on peut mieux étayer un raisonnement. L'exemple que je vais vous donner sera peut-être révélateur du décalage entre l'intention et la réalisation.

Dans ma région, le Nord-Pas-de-Calais, la forêt domaniale de Phalempin se trouve à environ trente mètres au-dessus du village dont je suis le maire. Ce village a connu deux inondations. Nous savons que la forêt de Phalempin a un rôle très important de régulation puisqu'au nord, une rivière prend sa source et inonde une partie du village. De l'autre coté, le réseau de fossés, de lacs et de gros étangs a inondé, notamment en juillet et décembre, l'autre partie du village.

Nous avons organisé des réunions avec les multiples acteurs et gestionnaires de ce problème, dont l'ONF, afin de trouver des solutions. Sans remettre en cause la bonne foi et la bonne volonté des fonctionnaires de l'ONF, nous avons pris la décision d'étudier la possibilité de réguler et d'utiliser la forêt, en partie au moins, comme zone de rétention.

Pour cela, il suffirait de peu de choses, c'est-à-dire de poser deux moines, dont le coût s'élève à 32 000 francs hors taxes. On m'a répondu qu'il fallait se tourner vers les collectivités. Si la prise en charge de 32 000 francs pose problème, je suis inquiet quant à la capacité de l'État à gérer la question des inondations.

M. Pierre-Éric ROSENBERG : Au-delà du cas que vous évoquez, se pose le problème du financement de certains investissements et équipements en forêt.

S'agissant d'une forêt domaniale, l'État, me semble-t-il, se doit de prendre en charge les équipements dès lors qu'ils sont considérés comme relevant d'une bonne gestion forestière. Nous essayons aujourd'hui, à travers l'élaboration d'un nouveau contrat d'objectifs entre l'État et l'ONF, de définir ce que la loi ne définit pas, même si elle en pose le principe, c'est-à-dire le régime forestier. Le législateur n'a jamais souhaité définir exactement ce qu'il recouvrait.

Je pense qu'on a eu raison d'agir ainsi, puisque les attentes de la société vis-à-vis de la gestion forestière ont évolué dans le temps. On pensait « bois de chauffage » il y a un siècle et aujourd'hui, on se préoccupe de gestion des espaces. Il nous appartient sans doute, avec l'ensemble des partenaires, de procéder à la définition de ce régime forestier.

Dans le cadre du contrat d'objectifs que nous sommes en train de négocier, nous précisons quelles actions l'ONF doit conduire dans le cadre de ses propres responsabilités. Cela reviendra, d'une certaine manière, à définir les actions d'intérêt public, qui vont au-delà de la simple gestion forestière. Elles méritent, selon les cas, que l'État lui-même en assure le financement, dans le cadre de missions environnementales générales ou d'accueil du public ou que les collectivités locales y participent.

Le petit aménagement dont vous faisiez état relève peut-être d'une réflexion qui n'est pas aboutie aujourd'hui, sur les limites de la bonne gestion forestière et le moment à partir duquel les autres partenaires, État ou collectivités, sont amenés à participer financièrement à un projet.

Je reprends l'exemple de la restauration des terrains de montagne. Ce n'est pas une mission classique de gestion forestière. L'État finance donc, de manière claire, identifiée et transparente, cette mission particulière considérée comme d'intérêt public. Il convient d'aboutir à une meilleure définition de ce que sont les missions internes des gestionnaires forestiers de l'ONF et les missions d'intérêt public de l'ONF, afin de clarifier les situations que vous évoquiez tout à l'heure.

M. Christian KERT : Je suis heureux, monsieur le directeur, que vous ayez évoqué l'utilité des PPR qui me paraissent, malgré le caractère aujourd'hui un peu artisanal de leur élaboration, une bonne réponse dans le cadre d'une politique de prévention. Je me demande si, un jour, il ne faudra pas rendre obligatoire la modification du plan local d'urbanisme lorsqu'un PPR est adopté, sinon quantité de communes à risques continueront à ne pas les cartographier. Je crois qu'il y aurait là peut-être une réflexion législative à conduire.

J'aurais une question d'ordre technique. Vous avez très justement évoqué le problème des incendies de forêt. Lorsqu'une forêt a été incendiée, que préconisent vos services pour que, dans les années qui suivent ces incendies, les mêmes régions n'aient pas à connaître de difficultés liées à des écoulements brutaux liés aux pluies torrentielles ?

M. Pierre-Éric ROSENBERG : J'ai indiqué tout à l'heure que je citais les PPR de manière un peu rapide, car c'est le directeur de la prévention des pollutions et des risques qui est en charge de ce domaine. À mon avis, tout acte d'urbanisme devrait à terme intégrer, voire être précédé, par une réflexion sur le risque. Ceci étant, les PPR n'existent pas depuis très longtemps. Il y a une prise de conscience importante à travers l'existence même de cet outil, et on peut espérer que, demain, il y ait un lien plus fort entre les plans locaux d'urbanisme (PLU) et les PPR.

Sur la gestion post-incendie des forêts, nous avons eu le cas en Corse où, au lendemain d'un incendie, nous avons réussi à dégager, rapidement et de manière exceptionnelle, des moyens pour conduire les premiers travaux de protection - travaux de nivellement, de terrassement, de gestion des écoulements. Nous n'avons, par contre, pas replanté. En effet, dans bien des cas, notamment dans des zones méditerranéennes sujettes à l'incendie, le meilleur moyen de reconstruire une couverture est de laisser faire la nature, quitte, au bout de deux ou trois années, à guider cette régénération naturelle. Favoriser par tous les moyens la reconstitution naturelle d'un couvert végétal est un des objectifs poursuivis par les services forestiers, à la fois sur le domaine public, grâce à l'ONF, mais également, dans les forêts privées, à travers tous les conseils que peuvent donner les centres régionaux de la propriété forestière (CRPF) aux propriétaires privés en pareils cas.

Monsieur le directeur, nous vous remercions.

Auditions de M. Bernard BAUDOT,
directeur de l'eau
au ministère de l'Aménagement du territoire et de l'environnement,

et de M. Noël GODARD,
chargé de la sous-direction de la protection et de la gestion des eaux

(extrait du procès-verbal de la séance du mercredi 6 juin 2001)

Présidence de M. Éric DOLIGÉ, Président

MM. Bernard Baudot et Noël Godard sont introduits.

M. le Président leur rappelle le mode de fonctionnement de la commission et leur indique que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. À l'invitation du Président, M. Bernard Baudot et M. Noël Godard prêtent serment.

M. le Président : Le champ d'investigation de notre commission est vaste. Nous voulons étudier les causes et les conséquences des inondations et évaluer leur coût, puis proposer rapidement un certain nombre de mesures efficaces et applicables. De ce point de vue, considérez-vous qu'il reste encore beaucoup de travail à accomplir avant de cerner correctement ces phénomènes ou sommes-nous déjà prêts à prendre un certain nombre de dispositions ?

Notre commission va également s'intéresser à démêler l'écheveau des compétences et des responsabilités en matière d'inondations. Les acteurs sont en effet nombreux, leurs rôles pas toujours bien connus et ils semblent peu coordonnés. Nous avons d'ailleurs fait le constat, au fur et à mesure des auditions, que depuis un certain nombre d'années, la situation a relativement peu évolué, et que le nombre des interlocuteurs reste toujours aussi élevé, d'où une grande difficulté pour les gens de terrain à s'y retrouver. À titre d'exemple, lors d'une audition précédente, nous avons constaté que les directions départementales de l'équipement (DDE) et de l'agriculture et de la forêt (DDAF), que certains d'entre nous pensaient être encore sous la coupe de leurs ministères respectifs, travaillaient, pour un certain nombre de sujets qui nous intéressent, sous la seule autorité du ministère de l'Environnement...

Dans le cadre de nos réflexions, nous avons déjà auditionné l'autre grande direction de votre ministère, la direction de la prévention des pollutions et des risques (DPPR). Nous sommes très intéressés par la façon dont vos deux directions coordonnent leurs actions tant au niveau central que déconcentré.

M. Bernard BAUDOT : Avant d'aborder le thème qui fait l'objet des travaux de votre commission, je souhaiterais recadrer l'action de la direction de l'eau par rapport aux autres directions de notre ministère, notamment la DPPR, et par rapport aux autres ministères concernés.

Dans le domaine des inondations, la direction de l'eau travaille en complémentarité avec la DPPR. Cette dernière est chargée de la politique générale de l'information préventive sur l'ensemble des risques, de la programmation et de l'élaboration des plans de prévention des risques (PPR) et de la coordination de l'action gouvernementale en matière de prévention des risques naturels.

D'autres ministères concourent à la prévention des inondations :

- le ministère de l'Intérieur intervient au titre de ses missions de sécurité civile ;

- le ministère de l'Équipement, du logement et des transports intervient au titre de ses compétences dans le domaine de la surveillance météorologique, de la gestion des cours d'eau navigables et du domaine public maritime, de l'urbanisme et du logement ; en matière d'urbanisme et de logement, ce ministère intervient au niveau des prescriptions, notamment dans les zones à risques ;

- le ministère de l'Agriculture et de la pêche intervient plus particulièrement en milieu rural et en montagne, en matière de restauration des terrains.

Une coordination interministérielle permanente est assurée au niveau national par le biais de réunions régulières organisées par le Directeur de la prévention des pollutions et des risques qui est également délégué aux risques majeurs et par de nombreux contacts bilatéraux entre directions.

Au niveau local, les services de l'État étant sous les ordres du préfet, la coordination est assurée, selon l'échelon géographique, par le préfet de département ou de région, ainsi que par le préfet coordonnateur de bassin.

En matière d'inondations, les missions de la direction de l'eau sont les suivantes :

- l'élaboration des atlas des zones inondables ;

- la mise en place des services de surveillance des crues des grands cours d'eau, appelés services d'annonce des crues ;

- la gestion des cours d'eau domaniaux non navigables ;

- la programmation des interventions financières de l'État en matière de travaux de restauration des cours d'eau non domaniaux et des zones naturelles d'expansion des crues et protection des lieux habités contre les inondations d'origine fluviale.

Je souhaite, dans mon exposé introductif, intervenir plus particulièrement sur l'objet de vos réflexions, à savoir les causes des inondations exceptionnelles et répétitives observées ces dernières années.

En tout premier lieu, il est clair que ces inondations, comme d'ailleurs celles survenues dans le passé, ont pour cause principale des précipitations exceptionnellement élevées, tant par leur durée et leur intensité que par leur étendue géographique. Par ailleurs, la formation des crues qui résulte de ces précipitations est variable selon la géographie et la géologie des bassins versants.

Il existe en effet différents types de crues. Les crues de type torrentiel, comme celles de l'Aude en novembre 1999, se situent dans un espace-temps très court - quelques heures - et font suite à des précipitations très brèves mais très intenses. On retrouve fréquemment ce type de crues dans le sud-est de la France, même si, de manière ponctuelle et localisée, le reste du territoire peut y être exposé.

Le deuxième type de crue est la crue de plaine, telle que l'a connue Redon avec la Vilaine. Ces crues, qui durent plusieurs jours, résultent d'une période de fortes pluies succédant en général à une période humide qui a déjà saturé les sols.

Le troisième type de crue est la crue de nappe. C'est celle qu'a connue le bassin de la Somme. Elle résulte de l'accumulation des eaux, sur une durée beaucoup plus longue, qui amène la nappe souterraine à remonter au niveau du sol, lui-même saturé. En fonction de la situation climatique des prochains mois, le niveau des nappes sera plus ou moins long à descendre.

Pour les experts de la mission interministérielle, cet événement est exceptionnel, centennal voire cinq-centennal, mais risque toutefois de se reproduire si les conditions climatiques étaient défavorables dans les deux ans qui viennent. En effet, les crues de 1995 ont montré que deux à trois ans étaient nécessaires pour que la nappe redescende à un niveau normal.

Par ailleurs, ces trois types de crues peuvent se superposer, à des temps différents, dans un même bassin.

Les facteurs anthropiques, c'est-à-dire liés aux activités humaines, sont fréquemment cités comme causes d'inondations. Ces facteurs ont un impact, notamment en cas de crues d'intensité faible ou normale. En effet, ils augmentent la vulnérabilité des sols aux inondations, du fait de leur utilisation pour des activités autres que celle de champs d'expansion naturelle. Mais, en cas de crues exceptionnelles, leur impact est limité. Ces crues exceptionnelles sont surtout liées à un cumul de précipitations importantes et très peu à l'utilisation du sol par l'activité humaine ou à la gestion des fleuves et des rivières.

On peut aussi s'interroger sur la possibilité d'une évolution climatique récente qui générerait des crues de plus grande ampleur. À l'heure actuelle, il est encore trop tôt pour affirmer que la succession de phénomènes climatiques extrêmes durant les dix dernières années résulte du réchauffement climatique.

Pour autant, même si la France a connu de nombreux phénomènes climatiques extrêmes au cours des cinq derniers siècles, on constate aujourd'hui que les variations pluviométriques et climatiques sont de plus en plus importantes. Les spécialistes européens considèrent par ailleurs que ces phénomènes risquent de se multiplier et de s'intensifier au cours des prochaines décennies.

Sur un tel sujet, il convient d'attendre les résultats des recherches qui ne peuvent être menées qu'au plan européen, voire international, et en tirer des solutions communes à l'ensemble des pays. À défaut, on peut craindre une aggravation de ces phénomènes et donc, à terme, des inondations. Toutefois, rien n'est encore, actuellement, véritablement prouvé de manière précise.

S'agissant de la modification de l'occupation des sols en zone rurale, vous connaissez les problèmes posés par les restructurations et les drainages qui, en cas d'inondation d'intensité normale, peuvent augmenter et accélérer, de manière nette, le ruissellement. Mais, lorsque les précipitations sont très fortes, même les zones bocagères n'ont plus la capacité d'absorber l'eau, d'où des ruissellements et des écoulements sur la totalité du sol.

En ce qui concerne l'urbanisation, il convient de rappeler que les zones inondables couvrent 2 à 3 % du territoire français. Ces zones se sont fortement urbanisées de 1950 à 1990 avec la construction de logements, l'implantation d'entreprises ou d'infrastructures publiques. On estime aujourd'hui qu'environ 2 millions de personnes résident dans des zones inondables à risques. Sur ce nombre, environ 700 000 vivent en région parisienne et 300 000 dans la Loire moyenne, le million restant se répartissant sur l'ensemble du territoire.

Par ailleurs, les responsabilités doivent être partagées entre les propriétaires et les occupants, les collectivités et les établissements publics, et l'État et ses représentants. Ces derniers partagent, avec les maires, la responsabilité de la prévention des risques naturels. Les maires sont, de leur côté, chargés de l'information des populations et de leur sécurité.

La politique de l'État dans le domaine de la protection contre les inondations se résume en trois volets : prévention, prévision et protection.

La prévention consiste à bien délimiter le champ d'exposition au risque d'inondation afin de le circonscrire. C'est pourquoi il convient en tout premier lieu d'établir des atlas de zones inondables, de les réactualiser au fur et à mesure de la collecte de nouvelles informations et de mettre en place une base de connaissances. Le plan de prévention des risques (PPR) est le deuxième élément de la prévention, en particulier dans les zones à risques importants.

Les maires et les préfets disposent de deux soutiens techniques à la prévision et à l'alerte pour assurer leur mission de sécurité publique : d'une part, Météo-France, qui apporte quotidiennement des données sur les précipitations et, d'autre part, les services d'annonce de crues. Cinquante-deux services ont été créés en France, qui couvrent 6 300 communes. Ce dispositif touche 90 % de la population située en zone inondable, ce qui correspond à environ 1,8 million d'habitants. Il permet de suivre l'évolution des principaux cours d'eau potentiellement dangereux. Récemment, un nouveau service d'annonce des crues a été créé dans le Var.

Par ailleurs, la protection passe par la réduction de la vulnérabilité et l'entretien des cours d'eau. Les propriétaires et les gestionnaires d'entreprises, d'équipements publics ou de logements doivent prendre des mesures afin de réduire la vulnérabilité de leurs biens exposés et les assurer. Par ailleurs, l'entretien des cours d'eau est non seulement de la responsabilité des collectivités et des services de l'État, mais également des propriétaires riverains. Il est ainsi difficile de cloisonner les responsabilités.

Enfin, l'aménagement et l'entretien d'ouvrages de protection des lieux habités, qui complètent ce dispositif, sont en général de la responsabilité des collectivités, aidées financièrement par l'État.

Je rappellerai l'effort non négligeable entrepris par l'État dans ces différents domaines depuis 1994. Un programme décennal de restauration des cours d'eau et de renforcement des ouvrages de protection des lieux habités a été mis en _uvre par M. Michel Barnier sous le gouvernement de M. Edouard Balladur. Ce programme a été renforcé et amplifié en 1997. Ainsi, des moyens financiers supplémentaires ont été alloués à la direction de l'eau notamment en matière de protection des lieux habités contre les inondations. Au titre de ce programme, le budget mobilisé par la direction de l'eau a augmenté, en trois ans, de 50 millions de francs. Il est aujourd'hui proche de 300 millions de francs. De 1990 à 1999, avec le concours des agences de l'eau, près de 1,7 milliard de francs ont été mobilisés par le ministère de l'Environnement pour aider les collectivités et engager de ce fait 5 milliards de francs de travaux d'investissements. Par ailleurs, l'éligibilité des investissements des collectivités au Fonds de compensation de la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA) a été étendue en 1999 aux travaux qu'elles entreprennent hors de leur domaine.

En conclusion, je souhaiterais insister sur la nécessité de renforcer la coordination entre les acteurs qui, au-delà des moyens financiers, demeure une condition indispensable pour mener une politique efficace. Toutefois, étant donnée la multiplicité des services et des acteurs à la disposition du ministère de l'Environnement éparpillés dans différents ministères, cela nécessitera beaucoup d'efforts. Avant d'envisager le regroupement de certains services, peut-être faudrait-il déjà clarifier leurs missions.

Il existe un problème d'inadéquation des découpages administratifs et naturels dans le domaine de l'eau. En effet, les cours d'eau sont regroupés par bassins hydrographiques qui ne correspondent pas forcément au découpage d'un département, d'un canton ou d'une commune. C'est la raison pour laquelle l'État a pris en charge les services d'annonce des crues, afin que tous les maires puissent disposer d'une information fiable. Il était impossible de gérer ces services au niveau communal, les maires ne disposant pas d'une vision globale. Mais, en théorie, une collectivité, une entente interdépartementale ou de bassin pourrait prendre ce type d'initiative et de responsabilité. Dans ce domaine également, des progrès doivent être obtenus.

Un certain nombre de réformes vont prendre place dans le projet de loi sur l'eau, notamment suite au rapport de M. Robert Galley et aux différentes remarques qu'il a suscitées. Nous croyons beaucoup au développement des schémas d'aménagement et de gestion des eaux (SAGE). Il convient de relancer leur mise en place, de réfléchir véritablement à la question de la gestion des eaux, et, dans ce cadre, à la prévention des inondations. Ces SAGE doivent permettre d'identifier un véritable maître d'ouvrage dans ce domaine. Il est nécessaire d'inciter et de promouvoir au maximum la désignation de maîtres d'ouvrage par bassin ou sous-bassin, en mesure de fédérer les collectivités locales.

Le problème va se poser pour la Somme. Même si des moyens financiers sont débloqués, encore faudrait-il qu'il existe des maîtres d'ouvrage suffisamment fédérateurs qui réalisent les travaux qui ne concernent pas une seule collectivité. Il conviendrait de réfléchir à la création de syndicats mixtes, d'établissements publics territoriaux de bassin (EPTB) ou d'institutions intercommunales, à même d'agir sur l'ensemble du bassin.

Les EPTB semblent être une des structures répondant à ces critères. C'est la raison pour laquelle nous assurons leur « promotion » à l'intérieur du projet de loi.

Les agences voient également leur rôle clarifié. Par ailleurs, dans le cadre d'un aménagement du « Fonds Barnier », nous proposons de les mettre à contribution pour leur allouer des moyens financiers supplémentaires afin qu'elles participent aux actions de restauration de champs d'expansion des crues. La création d'une redevance est préconisée pour faire contribuer les maîtres d'ouvrage d'aménagements réduisant les capacités de stockage des champs (remblais, imperméabilisations, etc.), mais nous ne souhaitons pas, pour le moment, la rendre rétroactive. Ainsi, les flux financiers seront, au départ, modestes pour les agences, d'où l'idée de compléter ce dispositif par un abondement par le « fonds Barnier ».

Le projet de loi comporte également d'autres dispositions destinées à faciliter l'action des collectivités locales dans la gestion et l'entretien des cours d'eau.

Ces premières réflexions ne sont qu'un point de départ. La commission et le débat parlementaire viendront enrichir et compléter le projet de loi dans ce domaine. En effet, il apparaît aujourd'hui que l'aspect « inondations » n'a sans doute pas été suffisamment développé mais ce dossier n'était pas inclus dans le projet initialement voulu par le Gouvernement.

M. le Président : Nous allons peut-être parvenir à vous faire modifier ce projet de loi sur un certain nombre de points qui nous intéressent.

Vous avez été tellement élogieux à l'égard des EPTB que j'hésite à vous faire part de mes remarques mais votre exposé en appelle un certain nombre. Vous avez indiqué que les responsabilités étaient clairement partagées. Or ce n'est pas le sentiment que nous avons.

Il revient certes à l'État de donner l'alerte, mais, ensuite, que se passe-t-il ? Je me souviens qu'un sous-préfet m'a récemment appelé pour m'informer que ma commune était « en alerte ». Lorsque je lui ai demandé quelles mesures je devais prendre, il n'a pas su me répondre. Mais en m'alertant, il avait rempli son rôle. Un tel exemple montre la nécessité de clarifier les missions de chacun.

Vous avez également évoqué le problème de l'entretien des cours d'eau qui est de la responsabilité des propriétaires, de l'État, des collectivités, des syndicats, etc., en avouant qu'il n'était pas aisé de s'y retrouver. Là encore, cette difficulté appelle une clarification.

Il en est de même des rôles respectifs des DDAF et des DDE. Vu d'un ministère, tout semble clair, mais vu par une collectivité, cela l'est moins. Quand vous êtes maire d'une petite commune et que vous appelez une administration - la DDE ou la DDAF - pour qu'elle assure ses missions de police ou d'entretien, il n'est pas toujours facile de trouver le bon interlocuteur.

Vous avez également cité des chiffres intéressants - 1,7 milliard de francs qui doivent engager 5 milliards de travaux. Mais inscrire des engagements, est une chose, les réaliser sur le terrain en est une autre. À titre d'exemple, sur 800 millions de francs d'investissements dans le plan interrégional Loire, l'État apporte environ 300 millions. Cette somme est bien inscrite, mais loin d'être mise en _uvre. Ces quelques interrogations ne sont pas pour nous réconforter dans l'immédiat. À l'heure actuelle, il convient d'essayer d'avancer rapidement sur tous ces dossiers pour faire en sorte que les crédits engagés soient rapidement et correctement dépensés sur des actions répertoriées et que le rôle de chacun soit clarifié.

Peut-être le nombre d'intervenants ne doit-il pas diminuer, mais encore faudrait-il que des chefs de file soient clairement identifiés. Ainsi, dans le cadre de la politique de l'eau, l'interlocuteur des collectivités est normalement le préfet coordonnateur de bassin qui coordonne l'action des préfets de département, mais il a parfois tendance à se décharger sur le préfet du département concerné par le problème. Les collectivités n'ont alors plus un interlocuteur, mais plusieurs. Sur le terrain, cette complexité nous donne le sentiment que nos interrogations n'ont reçu aucune réponse durant les dix dernières années, alors que nous avons connu un certain nombre de catastrophes. Les choses n'avancent pas au rythme souhaité par les citoyens ou les élus locaux.

M. le Rapporteur : Je voudrais tout d'abord rebondir sur les propos du Président, à savoir qu'heureusement cette assemblée compte des maires pour bien appréhender les problèmes de terrain. J'ajouterais que, pour les maires qui n'ont pas été directement confrontés par le passé à des problèmes d'inondations, le sujet est particulièrement complexe et la multiplicité des responsabilités pose problème. Un guichet unique auquel on pourrait s'adresser serait une bonne solution, mais étant donnée la complexité et la multiplicité des intervenants, sa mise en _uvre ne semble pas évidente à l'heure actuelle.

Au-delà des différentes directions de ministères qui interviennent dans ce domaine, il convient de ne pas oublier Voies Navigables de France, les associations de propriétaires riverains, les agences de l'eau, etc. Vous nous avez fait un exposé plutôt favorable aux EPTB, mais les agences de l'eau pourraient également intervenir. Or, un dispositif mêlant agences et EPTB risque de créer de nouvelles confusions et de nouvelles concurrences. J'aimerais que cet aspect soit développé et que vous nous suggériez une façon de simplifier le dispositif. Par ailleurs, quel pourrait être le rôle des agences de l'eau dans la prévention des inondations ?

J'aimerais par ailleurs que vous établissiez un bilan quantitatif et qualitatif des schémas directeurs d'aménagement et de gestion de l'eau (SDAGE) et des schémas d'aménagement et de gestion de l'eau (SAGE). Un de mes collègues souhaiterait connaître le nombre de SAGE applicables et savoir si ces schémas existent pour la Somme et la Vilaine. Pouvez-vous également faire un bilan d'étape du programme décennal de prévention des crues, mis en place par le comité interministériel du 24 janvier 1994, en matière de restauration des cours d'eau et de protection des lieux habités ?

Une autre série de questions portera sur le système d'annonce des crues. En 1994, votre prédécesseur évoquait les faiblesses de ce système, notamment des « trous » dans la couverture radar et des postes vacants. La situation a-t-elle connu quelques améliorations ? Ce système d'annonce des crues est-il maintenant plus efficace ?

Quant à la dernière question, elle vous est posée non pas par le Rapporteur de la commission, mais par le député de la Somme. De même que mon collègue Gilles de Robien, je suis inquiet lorsque vous annoncez que, non seulement, l'eau va mettre du temps à se retirer, mais que, si la pluviométrie était excessive dans les six prochains mois, voire dans les un ou deux ans à venir, nous risquerions d'être de nouveau confrontés à un phénomène comparable à celui que nous avons connu. Qu'est-il possible de faire pour limiter les dommages ?

M. Bernard BAUDOT : Peut-être est-ce mon naturel de méridional qui vous a donné l'impression que j'étais optimiste quant à la clarté de la répartition des responsabilités. Je voulais dire que je ne voyais pas comment les responsabilités ne pouvaient pas être partagées. Pour autant, cela ne signifie pas que nous ne devons pas les clarifier. Les acteurs doivent avoir conscience de faire partie d'une chaîne.

Ainsi, la loi n'oblige pas l'État à créer un système d'annonce de crues. Elle prévoit simplement que le maire est chargé de la sécurité et de l'information de la population. Mais il est apparu impensable de ne pas mettre en place un système centralisé d'annonce des crues par bassin versant.

Contrairement à ce que disait mon collègue en 1994, il me semble qu'aujourd'hui, hormis dans la Somme où il n'y a pas de service d'annonce de crues pour des raisons historiques, ce type de service a bien joué son rôle en Bretagne et dans d'autres régions qui ont connu des inondations.

Les services d'annonce des crues assurent une couverture correcte du territoire français. Le seul problème vient du renouvellement du personnel et de sa gestion. En effet, l'annonce des crues ne se fait qu'au moment des crues. Ces personnels travaillent donc sur d'autres dossiers. La plupart du temps, même s'ils travaillent sur un domaine relevant de la direction de l'eau, ils sont rattachés le plus souvent à des DDE. Parfois, leurs activités « secondaires » priment sur leur activité pour le service d'annonce de crues. Peut-être serait-il nécessaire de mieux identifier les structures des services d'annonce des crues.

L'effort en matière de couverture radar est également important. La direction de l'eau a apporté les financements nécessaires à Météo-France, pour mettre en place cinq nouveaux radars : sur 55 millions de francs, 40 millions, les 15 millions restants étant apportés par d'autres contributeurs tels que l'Europe, les Conseils généraux et Météo-France.

Nous envisageons d'aider Météo-France à compléter la couverture radar, notamment dans le nord et l'est de la France, et dans une partie du sud-ouest -  la région du Tarn et du bassin de la Dordogne. Avec le lancement d'un deuxième programme d'aides de 40 millions de francs supplémentaires dans les trois ans qui viennent, nous estimons que nous aurons permis à Météo-France d'achever la couverture radar de la totalité du territoire français.

Je suis d'accord avec le Président lorsqu'il déplore que les services d'annonce des crues ne donnent qu'une alerte et une côte. Lorsque j'étais chef de service déconcentré, j'ai pu constater que je recevais de nombreux fax qui ne portaient aucune qualification de la dangerosité de la crue. À cet égard, la direction de l'eau, par l'intermédiaire des services d'annonce des crues et des préfets, doit faire un effort pour mieux qualifier les crues et fournir aux maires une information, plus didactique et opérationnelle, qu'ils puissent ensuite répercuter vers leur population. Il est clair qu'il est préférable de fournir des éléments qui permettent rapidement aux maires de savoir à quel endroit va se situer la crue maximale et la crue minimale.

Ensuite, la responsabilité du maire est de garantir la sécurité de ses administrés. Ce domaine n'est pas de la compétence du préfet, même si les services de sécurité attachés auprès du préfet peuvent apporter conseils ou soutien.

Pour ce qui concerne la répartition des tâches, notre souhait, dans le projet de loi sur l'eau - mais peut-être ne sommes-nous pas allés assez loin - est d'accroître la décentralisation. Nous proposons de donner la possibilité aux collectivités soumises au risque d'inondations de pouvoir traiter le problème de l'entretien des cours d'eau en urgence en passant sur le terrain des propriétaires privés sans enquête publique. Cela implique toutefois que les coûts d'entretien ne seront pas répercutés sur les riverains, mais à la charge de l'intervenant, que ce soit l'État ou la collectivité territoriale. Cette disposition rendra possible une intervention immédiate lors de situations d'urgence, ce que ne permettait pas l'article 31 de la loi du 3 janvier 1992 sur l'eau.

Par ailleurs, nous souhaitons accentuer la décentralisation de l'entretien et la gestion des cours d'eau du domaine public fluvial, lorsque les collectivités territoriales le désirent. La loi le permettait déjà depuis 1983 pour les cours d'eau navigables au profit des régions et certaines l'ont mise en _uvre, en Bretagne et dans la Somme. Dans ces deux cas, les régions ont rétrocédé l'entretien et la gestion de ces cours d'eau aux départements. La proposition faite dans le projet de loi consiste à prévoir directement la décentralisation au niveau du département ou d'une institution interdépartementale, cette dernière permettant de tenir compte du bassin fluvial concerné.

S'agissant du bilan du programme décennal, nous vous remettrons un bilan de sa mise en _uvre de 1994 à 1999. Il est clair qu'en raison de la complexité des aspects financiers liée à la multiplicité des acteurs engagés, les crédits ne sont pas consommés à la hauteur des travaux que l'on devrait entreprendre. Par ailleurs, l'État, lorsqu'il est maître d'ouvrage, ce qui est relativement rare, doit renforcer ses équipes techniques. Ainsi, les DDE gérant la Loire et ses levées connaissent actuellement une carence d'équipes techniques dans ce domaine, car de tels travaux sortent de leur champ d'action habituel. Nous allons donc tenter de mettre en place l'équipe d'appui à ces DDE préconisée par le rapport Monadier du ministère de l'Équipement, c'est-à-dire une équipe interdépartementale qui assurerait la coordination et l'appui technique des DDE, que ce soit dans la réalisation des études, leur suivi ou la réalisation des travaux pour l'ensemble des travaux entrepris par l'État sur la Loire domaniale.

J'en viens au bilan des SDAGE et des SAGE. Les SDAGE, au nombre de six, ont été proposés par les comités de bassin, établis par les agences de l'eau et approuvés par le préfet de bassin. Ils sont opérationnels depuis 1995 ou 1996, puisqu'ils sont la conséquence de la loi sur l'eau de 1992. Par ailleurs, les SAGE ne pouvaient être mis en place avant la création d'un SDAGE, puisqu'ils en sont un sous-ensemble et doivent en respecter les orientations. La procédure d'adoption est la même que pour les SDAGE.

Depuis 1997, six SAGE sont opérationnels et soixante en préparation. Nous considérons que ces deux dispositifs, d'ailleurs proposés par les députés dans la loi de 1992, sont de bons outils.

Le problème auquel nous sommes confrontés, non seulement en matière d'inondations mais aussi en matière de qualité de l'eau et de gestion par bassin associant l'ensemble des partenaires, est de pouvoir trouver des maîtres d'ouvrage et leur permettre de réaliser les études dès la définition du périmètre du SAGE, ce que ne permet pas actuellement la loi. C'est pourquoi nous prévoyons, dans le projet de loi, la possibilité d'identifier un maître d'ouvrage qui pourra, dès la définition du périmètre du SAGE, être porteur des études et donc des aides financières.

D'autres simplifications restent à mettre en _uvre, telles qu'une plus grande souplesse dans la composition des commissions locales de l'eau. Par ailleurs, sans vouloir faire une publicité particulière aux EPTB, car un groupement d'intérêt public ou un syndicat intercommunal pourraient aussi bien l'assumer, un organisme unique devrait pouvoir réaliser le portage des études de mise en _uvre du SAGE. Une telle réforme permettrait un développement plus important des SAGE.

Néanmoins, il est bien entendu que, sans volonté politique, il n'y aura pas de SAGE puisque, dans la loi actuelle, le lancement d'un SAGE doit être impulsé par les collectivités territoriales. Pour autant, nombre d'élus me répondent que l'État ne les aide pas. Nous devons donc remobiliser les services de l'État, y compris les préfets, pour faire en sorte que les SAGE soient considérés comme un dispositif essentiel de la gestion collective de l'eau. Ces services doivent apporter une assistance technique et méthodologique aux collectivités qui n'auraient pas les moyens de mettre en _uvre seules ces SAGE.

Pour répondre à une autre question, je tiens à souligner que les agences de l'eau et les EPTB sont deux entités complètement différentes.

Les agences de l'eau sont des établissements publics qui ont pour tâche de fixer un cadre général, des règles pour l'ensemble du bassin, notamment à partir du SDAGE. Les agences de l'eau, à mes yeux, n'ont pas pour tâche d'être maître d'ouvrage. Elles apportent, d'une part, un cadre de référence et un appui technique et, d'autre part, des appuis financiers par le biais de la perception des redevances. À cet égard, dans le projet de loi, suite à la proposition du rapport Galley, nous avons prévu que les agences de l'eau pourraient intervenir dans le domaine de l'aide aux investissements de protection contre les crues et de protection des champs d'expansion des crues.

En revanche, les EPTB sont davantage des maîtres d'ouvrage locaux, voire, dans certains cas, des maîtres d'_uvre pour les collectivités qui en sont adhérentes.

Pour ma part, je considère que la répartition est relativement nette. Pour autant, cela ne signifie pas que les agences de l'eau ne peuvent apporter leurs compétences techniques et leurs connaissances, tout comme les services de l'État - DIREN, DDAF ou DDE - pour l'élaboration d'un SAGE ou des projets de travaux menés par l'EPTB ou une collectivité.

Concernant votre question sur la nécessité d'un guichet unique, vous indiquez que vous n'avez pas une vision globale des services _uvrant dans le domaine de l'eau. Je vous répondrai que moi non plus. En tant que directeur de l'eau, j'ai parfois beaucoup de difficultés à coordonner l'ensemble des services de l'État intervenant dans ce domaine car, comme je vous l'ai montré, les compétences restent éclatées.

À titre d'exemple, pour ce qui concerne la police de l'eau, je peux avoir recours à cinq services départementaux de l'État appartenant à autant de structures différentes : service de la navigation, service maritime, DDE, ou DDAF. Cet éclatement des services pose problème aux plans départemental et local, mais beaucoup moins au niveau régional.

C'est peut-être par le biais d'une meilleure répartition des compétences et d'une plus grande décentralisation que le partage des responsabilités pourra être clarifié, sachant que ces responsabilités seront automatiquement liées et qu'elles devront toujours être appréhendées en termes de filière. Je ne suis pas persuadé que l'État seul, une collectivité ou une quelconque institution sera à même de coordonner et d'animer l'ensemble de la chaîne.

M. le Président : Si vous-même rencontrez parfois des difficultés dans un département, avec cinq responsables de la police de l'eau, cela confirme que nous pouvons nous-mêmes, en tant qu'élus, avoir des difficultés à retrouver les bons interlocuteurs sur le terrain.

M. Jean LAUNAY : Concernant l'action de votre direction dans la politique d'élaboration des atlas des zones inondables, les cartographies qui sont établies, département par département, le sont souvent avec des cahiers des charges différents dans leurs objectifs. Par ailleurs, non seulement elles sont réalisées par des bureaux d'étude différents, mais aussi avec des échelles différentes. Je me demande si cela ne pose pas des problèmes par la suite, lorsque ces différentes cartographies sont mises bout à bout à l'intérieur d'un bassin versant. Les outils de modélisation dont on dispose permettent-ils de corriger cet état de fait, puisqu'il semble que le ministère n'ait apparemment pas les moyens d'imposer aux services déconcentrés de l'État des cahiers des charges cohérents ?

Ma deuxième question porte sur les compétences des services d'annonce de crues. Vous nous avez indiqué que cinquante-deux services ont été mis en place sur le territoire national. Ils sont de compétence et d'ampleur très variables. Dans le bassin de la Dordogne, il existe une entente interdépartementale pour l'annonce des crues, mais son rôle a diminué au fil du temps.

À l'origine, cette entente interdépartementale pour la protection contre les crues de la Dordogne intervenait également sur les crues de la Vézère et de la Corrèze. Elle avait pour objectif de réaliser des études pour la protection contre les inondations. Mais, depuis 1977, cette entente a changé d'objet et s'implique en fait uniquement dans la modernisation et le développement des télémesures hydrologiques sur le bassin de la Dordogne. Ainsi, bon nombre d'attributions qui étaient les siennes à l'origine lui échappent, y compris son propre fonctionnement administratif qui est confié à la DDE de Dordogne.

Alors même qu'elle regroupe les élus locaux des départements concernés, cette entente interdépartementale se contente aujourd'hui de la répartition financière des contributions départementales à la réalisation d'investissements voulus par les départements. Les installations réalisées deviennent ensuite, de droit, la propriété de l'État.

Cela m'amène à une question annexe sur ce sujet, concernant le bien-fondé juridique de cette distinction qui fait que les départements réalisent et que la propriété des biens liés à l'annonce des crues revient à l'État. En cas de dysfonctionnement de ces installations, se pose la question de la responsabilité de l'entente, qui est certes maître d'ouvrage, mais pas propriétaire.

Je continue sur ce même sujet. Le réseau Cristal sur la Loire, de gestion du risque d'inondation, intègre à la fois la prévision et l'alerte sur les crues, et, en cas d'inondation, sait donner une traduction spatiale de ses prévisions. Ce n'est pas le cas partout. Par exemple, notre entente interdépartementale, du fait de ses modalités de fonctionnement, n'a pas du tout la capacité de mettre en _uvre ce type de politique globale.

N'y aurait-il pas intérêt à regrouper différents outils, notamment l'entente pour l'annonce des crues et Établissement public interdépartemental de la Dordogne (ÉPIDOR) -, afin de rééquilibrer les débats entre les collectivités et l'État et d'obtenir ainsi une meilleure implication des élus dans la gestion du risque d'inondation ? C'est une piste qui paraît intéressante à creuser.

Enfin, vous avez évoqué votre responsabilité en termes de gestion des cours d'eau domaniaux non navigables. Ce matin, j'ai demandé au directeur de l'espace rural et de la forêt du ministère de l'Agriculture quelle était la distinction entre cours d'eau domaniaux et cours d'eau non domaniaux. J'aimerais savoir si cette distinction est toujours fondée au plan juridique. Il y a peut-être là aussi des pistes qui nous permettraient d'instaurer plus de transversalité dans la présence et la responsabilité des services de l'État et plus de clarté vis-à-vis des élus et du public. On arriverait ainsi à un État plus fort, car plus intégré dans le dispositif avec un objectif commun à l'ensemble des acteurs : la sécurité du public.

M. Yves DAUGE : J'aurais quelques questions concernant les SDAGE et les SAGE auxquels je crois personnellement beaucoup et dont je pense que l'on pourrait, à l'occasion du travail que nous faisons, demander l'accélération de la mise en place. On peut très bien faire un effort financier en leur faveur, de même qu'on le fait pour les PPR. On peut multiplier les PPR à l'infini, mais cela doit être calé sur une vision géographique plus vaste. Sinon, on travaille à l'aval d'un système qu'il faut surtout contrôler de l'amont. La bonne géographie, ce sont les deux niveaux, SDAGE et SAGE. Je crois que nous devrions pousser très fortement dans cette direction.

Toutefois il est également juste de reconnaître que le développement de la maîtrise d'ouvrage est lié à une forte volonté politique. Pour autant, depuis quelques mois, sinon quelques années, la sensibilisation sur ces sujets est croissante : l'État est donc en position d'accélérer les choses et de jouer le rôle du meneur. Il n'est pas normal d'en être encore au stade où nous en sommes.

Il est une proposition, certes délicate, mais que je verrais bien figurer dans ces documents, à savoir l'élaboration de véritables servitudes pour délimiter des secteurs géographiques qui seraient de zones d'expansion en cas de fortes crues. C'est une idée ancienne, bien connue sur la Loire.

Le problème est que l'on n'a pas respecté ces zones d'expansion très anciennes et qu'on y a construit des bâtiments. Il existait même des déversoirs qui permettaient, en cas d'inondations, de stocker l'eau pendant un certain temps, afin de préserver d'autres zones. Ces zones sont devenues constructibles, même si certaines ont été préservées.

Si on a construit dans ces zones, il faut créer des servitudes. Cela permettrait une éventuelle indemnisation des propriétaires. En effet, il ne suffirait pas de faire figurer ces zones dans les plans d'occupation des sols, car elles seraient alors considérées comme inconstructibles, sans qu'il y ait indemnisation à la clé. Les propriétaires se demanderont pourquoi eux, plus que d'autres, sont obligés de subir cette servitude.

On pourrait prendre exemple sur la gestion des forages. Il existe des zones de protection autour des forages, qui impliquent des servitudes et donc une indemnisation des propriétaires.

Il y a beaucoup à dire sur l'alerte. C'est un point sur lequel on peut largement progresser, notamment grâce aux moyens techniques modernes. En cas d'alerte, nous travaillons encore en téléphonant au préfet. Nous en sommes restés à la guerre de 14 en matière de communications ! Nous ne sommes pas outillés pour une alerte en temps réel, gérée de manière identique sur l'ensemble du territoire. Par exemple, pour ma ville, Chinon, l'information est fiable sur la Vienne via le service d'annonce de Poitiers alors que sur l'Indre-et-Loire, elle laisse largement à désirer. Nous téléphonons donc à Poitiers pour avoir des informations fiables. Je l'ai signalé au préfet qui m'a indiqué qu'il allait tenter d'arranger cela, mais la bonne volonté d'un préfet n'est pas suffisante dans une telle affaire.

Il convient de disposer d'un mécanisme d'alerte qui soit fiable et efficace, presque en continu. Il suffit d'indiquer les moments de tension, et nous resterons alors attentifs. Les critiques sont nombreuses sur l'Aude et le rapport sur le retour d'expérience montre clairement qu'on n'avait pas le savoir-faire en matière d'alerte. Sur des crues comme celle de la Somme, l'alerte n'a pas la même dimension que lors de crues torrentielles.

Dans l'Aude, le système de communication a été défaillant, tout était saturé, les communications téléphoniques impossibles. Heureusement, les gendarmes avaient leur propre réseau pour informer les responsables, mais les habitants ne pouvaient pas communiquer entre eux. De plus, comme les voies de chemins de fer étaient coupées, le système de communication l'a également été. Les téléphones portables comme les lignes téléphoniques normales ne fonctionnaient plus.

Ainsi, les questions primordiales restent, pour moi, la sécurité en amont et la prévention. De plus, un pays comme le nôtre doit être à même de mettre en place des systèmes d'alerte et de communication performants et absolument fiables. Cette question des communications m'inquiète particulièrement, plus que celle du guichet unique. Je considère que dans ce domaine la coordination doit être assurée par le préfet et le sous-préfet.

M. Robert GALLEY : Quand j'entends M. Bernard Baudot dresser la liste des différents ministères - Environnement, Intérieur, Équipement, Agriculture, etc. - compétents dans le domaine de la prévention des inondations, nous en avons pour des siècles avant de solutionner ces problèmes ! Où va-t-on ?

En ce sens, monsieur le directeur, ne considérez pas que la loi sur l'eau, sur laquelle nous travaillons tous les deux depuis tant de temps, soit la réponse adéquate à notre problème. Cette loi est faite pour toute autre chose que ce problème des inondations et les parlementaires doivent le savoir. Je formulerai un v_u, celui que soit élaboré un véritable titre sur la lutte contre les inondations.

Je l'ai indiqué l'autre jour en comité de bassin et vous avez levé les bras au ciel, en indiquant que les redevances ne sont pas absolument suffisantes pour permettre de lutter contre les inondations. Je suis membre de l'opposition, je sais que nos amendements reçoivent des avis défavorables de la commission et du Gouvernement. Je vous suggère donc de demander à Mme Voynet d'inclure un titre complet sur les inondations en tenant compte de nos observations, et le cas échéant, je reste à votre disposition pour compléter mon rapport puisque vous avez bien voulu y faire allusion à deux reprises.

On pourrait imaginer avoir un ministère « pilote » dans ce domaine, que ce soit l'Intérieur, l'Équipement, l'Environnement. Sans cela, il existera toujours une dispersion des compétences et personne ne sera jamais responsable.

De plus, comme vous l'avez souligné avec beaucoup de pertinence, le réchauffement de la terre, à travers l'effet de serre, va multiplier l'intensité des précipitations et donc les tempêtes et autres phénomènes météorologiques. Par conséquent, nous, hommes politiques et responsables, serions impardonnables de ne pas prendre le taureau par les cornes et de ne pas clarifier les domaines de compétences de chaque ministre. Nous devons trouver une solution efficace pour ce faire.

Ce n'est pas une question que je vous pose, mais une supplique que je vous adresse. Aux travers de vos propos, très pertinents par ailleurs, on constate qu'il faut bouleverser le mouvement et établir un dispositif qui soit opérationnel, non seulement pour prévoir, mais aussi pour alerter.

Enfin, vous avez mentionné qu'il fallait chercher un maître d'ouvrage. Dans la situation actuelle, en dehors de l'État, il n'existe pas, à moins d'instituer des ententes obligatoires entre les régions. Par exemple, les inondations à Paris dépendent du bassin de Picardie, du bassin Champagne-Ardennes, de la Bourgogne et du Centre. Ainsi l'entente interrégionale est le seul niveau viable. Cette entente deviendrait maître d'ouvrage. Dans le cas contraire, seul l'État disposera d'une vision suffisamment globale. C'est à vous de poser le problème et de répondre à cette question.

M. Bernard BAUDOT : M. Jean Launay, concernant les atlas de zones inondables, je suis surpris qu'il y ait des différences dans les cahiers des charges. C'est un point que mes services examineront de plus près. En principe, c'est la DIREN, avec les DDE, qui met en place ces atlas de zones inondables et qui doit s'assurer de leur cohérence. Vous m'avez signalé une différence d'échelle. Je ne peux vous donner une réponse dans l'immédiat, mais soit la coordination est possible sans trop de problème parce que l'échelle est relativement proche, soit c'est un problème de non-respect du cahier des charges. Par ailleurs, je me renseignerai plus précisément pour ce qui concerne votre région.

Concernant le problème de l'entente interdépartementale et de l'ÉPIDOR, vous avez pratiquement donné la réponse : il faudrait surtout que les élus s'entendent. Je vous conseille de voir cela avec le sénateur Bernard Cazeau et les présidents de l'ÉPIDOR et du conseil général de la Dordogne. Il est certain qu'un regroupement des deux structures est préférable.

S'agissant de la distinction des cours d'eau domaniaux et non domaniaux, les cours d'eau domaniaux sont la propriété de l'État. C'est donc l'État qui a en charge leur gestion et leur entretien, à moins d'un transfert vers les régions, ou les départements si le projet de loi est voté, ou de subdélégation de la région vers le département.

Nous charger en plus des autres cours d'eau dits non domaniaux, - c'est-à-dire tous les cours d'eau dont l'entretien, pour l'instant, dans le droit français, relève de la responsabilité des propriétaires privés -, poserait un sérieux problème. En effet, je ne vois pas de quelle manière l'État, et donc la direction de l'eau du ministère de l'Environnement, pourraient prendre en charge l'entretien et la gestion de ces cours d'eau, même si cela apporterait une plus grande cohérence. Toutefois, il est vrai que, de plus en plus, ce sont les collectivités qui assurent l'entretien et la gestion des cours d'eau non domaniaux. Il convient donc de trouver un système qui permette aux collectivités d'avoir plus d'outils juridiques pour intervenir au nom de l'ensemble des propriétaires privés et de pouvoir en répercuter la charge, tout au moins en cas d'enquête publique.

J'en reviens aux notions de servitude. Le projet de loi ne traite pas, loin s'en faut, tout le problème des inondations car il n'était pas, à l'origine, destiné à cela. Nous avons intégré un maximum d'éléments. À l'époque, lorsque vous avez produit votre rapport, M. Galley, nous n'avions pas le recul nécessaire pour faire des propositions sur l'ensemble du volet « inondations ». J'ai donc bien noté votre proposition et j'en informerai la ministre.

Nous réfléchirons à la façon de renforcer le dispositif, par vos propositions et celles de M. Yves Dauge, que j'approuve totalement. Il convient en effet de donner une priorité à l'amont et d'intégrer la notion de servitude sur ces zones, avec la possibilité d'une enquête publique et la rétribution des différents partenaires. Cela permettra de maintenir des activités sur ces zones.

Dans le projet de loi, nous envisageons déjà un tel système puisque nous proposons la création de servitudes, sur proposition des collectivités, permettant l'extension de zones d'expansion naturelle afin de protéger les lieux habités ou, en tout cas, de limiter les risques d'inondation dans ces zones. Le Conseil d'État est d'ailleurs favorable à ce dispositif.

S'agissant de l'alerte en temps réel, M. Dauge, je suis d'accord avec vous. À l'époque où nous vivons, l'ensemble des élus doit disposer d'un accès direct à une base de données, et même pouvoir accéder à toutes les informations en continu sur l'ensemble des éléments de connaissance. Le ministère de l'Environnement travaille à un renforcement de ses moyens dans ce domaine.

Votre cas est particulier car vous êtes à cheval sur deux services d'annonce des crues, celui de Poitiers et celui de Tours.

De plus, en ce qui concerne l'alerte, les élus et les décideurs devraient disposer des modèles leur permettant d'évaluer la façon dont peut évoluer la crue. À cet égard, de manière à ce que les services d'annonce des crues disposent d'un centre d'appui, nous envisageons actuellement de mettre en place d'ici deux à trois ans un centre hydrométéorologique qui associera des météorologistes et des hydrologues et travaillera sur ces modèles, tant en cas de crue violente que de crue normale.

Je n'ai pas répondu à toutes les questions concernant l'entente interdépartementale pour la protection contre les crues en Dordogne car je ne dispose pas moi-même de l'information. Je vais donc laisser la parole à mon collaborateur.

Reste une notion importante que nous n'avons pas abordée : la culture du risque et l'information sur le risque. Le débat public sur ces domaines devra être porté plus en amont, pour travailler avec l'ensemble des acteurs et diffuser l'information afin de sensibiliser la population. En ce sens, des centres de mémoire permettraient de garder un souvenir précis des événements et, surtout, d'en tirer des conséquences pour la suite.

M. Noël GODARD : Le partage du financement de l'annonce des crues entre l'État et les collectivités locales se fait sur d'autres bassins versants que celui de la Dordogne. Sur le bassin de la Loire, depuis déjà une quinzaine d'années, il existe une coopération entre l'État et l'Établissement public d'aménagement de la Loire et de ses affluents (ÉPALA) pour financer la mise en place du système de surveillance de la Loire. En Dordogne, il convient peut-être de vérifier les conditions des conventions passées entre l'État et l'entente interdépartementale. Le sénateur Bernard Cazeau nous a demandé de monter une mission d'inspection ayant pour objet de clarifier la situation dans ce domaine et de parvenir à une modernisation du système.

Sur le bassin de la Dordogne, vous avez la chance de disposer d'un seul service d'annonce des crues, mais encore faut-il qu'il soit bon. C'est dans ce sens qu'il faut travailler.

M. le Président : J'espère qu'un certain nombre de messages sont passés entre la direction de l'eau et les élus, de manière à faire avancer les choses. Mes collègues vous ont fait quelques propositions intéressantes, directes ou voilées. Souhaitons qu'elles soient prises en compte et inscrites dans les textes. Cela nous permettra de voter le projet de loi sur l'eau à l'unanimité, avec un plaisir non dissimulé.

Nous vous remercions.

Audition de M. Yves CARISTAN,
directeur général du
Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM)

et de M. Thierry POINTET,
hydrogéologue

(extrait du procès-verbal de la séance du mercredi 6 juin 2001)

Présidence de M. Éric DOLIGÉ, Président,
puis de M. Jean LAUNAY, Vice-président

MM. Yves Caristan et Thierry Pointet sont introduits.

M. le Président leur rappelle le mode de fonctionnement de la commission et leur indique que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. À l'invitation du Président, MM. Yves Caristan et Thierry Pointet prêtent serment.

M. le Président : L'organisme que vous dirigez joue un rôle important en matière de recherches géologiques. La connaissance du sous-sol nous paraît précieuse pour bien comprendre les mécanismes qui ont conduit aux inondations que nous avons connues dans la Somme.

M. Yves CARISTAN : Je vous présenterai tout d'abord le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) que je dirige maintenant depuis deux ans et demi. Cet organisme _uvre dans le domaine de la géologie et du sous-sol. Ses activités se répartissent entre une activité de recherche et une activité de service public, qui constitue en quelque sorte un appui aux politiques publiques.

Nous travaillons à ce titre avec les collectivités locales et les ministères, et notamment avec la direction de l'eau du ministère de l'Environnement. À cet effet, nous disposons d'implantations régionales dans toutes les régions, dont la Picardie, cette implantation, compétente pour la Somme, a d'ailleurs été fortement sollicitée ces derniers temps.

Cet aspect illustre la particularité de notre établissement qui n'est pas seulement un établissement de recherche. Bien que dépendant du ministère de la Recherche, il propose aussi un appui aux politiques publiques. Dans le domaine de la recherche, nous travaillons sur la connaissance des phénomènes, sur la recherche en métrologie, c'est-à-dire le suivi des systèmes d'alerte et les développements méthodologiques associés.

Dans le domaine de l'appui aux politiques publiques, nous disposons d'observatoires opérationnels, c'est-à-dire que nous capitalisons la connaissance et le suivi. C'est ainsi que notre hydrogéologue en région Picardie a pu répondre efficacement aux questions des collectivités locales et des services de l'État.

Enfin, nous avons une activité internationale et sommes très souvent sollicités sur les questions d'inondation. En effet, ces problèmes ne se limitent pas au territoire français, il existe en ce domaine une forte demande à l'international.

S'il est une leçon que nous avons tirée des événements récents, c'est que notre connaissance de la géologie nous a conduits, depuis de nombreuses années, à considérer les nappes phréatiques comme des éléments moteurs fondamentaux du fonctionnement des systèmes de surface, à savoir les fleuves. Les débits d'étiage des fleuves sont liés directement aux nappes phréatiques et à leur fonctionnement. Tout le monde a pris conscience, après les événements de la Somme, que les crues catastrophiques et extraordinaires, qui peuvent survenir dans un certain nombre de contextes géologiques, sont aussi directement liées au fonctionnement des nappes phréatiques.

Il est de mon devoir de souligner devant vous que cette prise de conscience, au niveau national, est récente et qu'elle a été largement encouragée par les événements récents. Si l'on examine la situation antérieure, l'ensemble des études et des recherches ainsi que l'appui aux politiques publiques se faisaient uniquement à partir de l'étude des rivières et des précipitations, comme si le sol et le sous-sol n'existaient pas.

Pour caricaturer, il était souvent admis dans le grand public, voire les administrations, qu'à partir des précipitations, on pouvait déduire immédiatement s'il y aurait crue ou non, inondation ou non. Les événements récents ont montré que ce n'est pas le cas. L'inondation a duré beaucoup plus longtemps que les phénomènes météorologiques associés et a révélé l'importance fondamentale de la connaissance de la géologie et des nappes phréatiques.

J'insiste sur ce point car ce message n'a pas été perçu, y compris par la communauté des chercheurs. Depuis plusieurs années, nous travaillons sur ces thèmes de l'érosion, de l'infiltration de l'eau et de la relation entre les eaux de surface et les eaux souterraines. Du fait que ces thèmes sont assez peu développés, la communauté travaillant dans ces domaines ne s'est pas structurée. C'est pourquoi, dans le domaine de la recherche et du développement de nouvelles méthodes pour mieux prévoir, les chercheurs qui ont pour champ d'étude les eaux de surface considèrent que leur seul travail permet de régler l'ensemble des problèmes. La même vision s'applique à ceux qui ont pour champ d'étude les eaux souterraines. De ce fait, le lien entre les deux domaines n'est aujourd'hui pas fait. C'est un point tout à fait capital.

Notre objectif est d'améliorer cette situation et de développer des modèles de liens entre les événements qui ont lieu en surface et en sous-sol. Ainsi, nous avons travaillé sur des zones, telles que les zones crayeuses que l'on retrouve dans la Somme, ainsi que sur des zones karstiques où les systèmes sont alors plus complexes, ces zones pouvant alimenter de façon très rapide des crues soudaines.

Enfin, associés à tous ces phénomènes de crues, on retrouve les phénomènes de stabilité du sous-sol, comme nous avons pu le constater en Champagne et en Picardie. Ces phénomènes entraînent des effondrements, qui sont directement liés à la nature géologique du sous-sol.

Dans le cadre des travaux actuels menés sur l'évolution du climat, tout indique que le contexte aujourd'hui est à un réchauffement, dont il ne m'appartient pas de discuter ici s'il est d'origine naturelle ou anthropique. Toutefois, nous sommes confrontés à des précipitations plus nombreuses, d'où des phénomènes de crues et de subsidences de terrains. Il conviendra donc d'orienter les recherches et les travaux des établissements de recherche appliquée vers ces domaines, afin de répondre aux besoins de la société.

À ce titre, nous avons engagé une réflexion avec nos collègues qui sont localisés comme nous sur le campus de La Source à Orléans, afin de mieux travailler ensemble. C'est ainsi que les modèles, qui permettent de prévoir l'évolution des nappes phréatiques en lien avec la météorologie et les autres types de surfaces, peuvent être mieux développés et mieux intégrés et donc apporter une réponse concrète aux élus et aux responsables locaux ou nationaux. Nous envisageons, par exemple, de développer des programmes avec plus de synergie, avec l'équipe Loire qui est présente à La Source et les équipes de la direction régionale de l'environnement (DIREN) qui sont chargés des systèmes de « monitoring » de la Loire. C'est un point qui me semble tout à fait important et qui devrait permettre non seulement de développer des modèles prédictifs, mais également de mieux capitaliser la connaissance que nous avons déjà les uns et les autres et que nous n'avons probablement pas suffisamment mise en commun pour appuyer les politiques publiques.

Cette capitalisation et cette diffusion de la connaissance me semblent être un point tout à fait important. Il est clair qu'elles ne sont pas suffisamment organisées aujourd'hui. Le BRGM participe, à la demande du ministère de l'Environnement, à la constitution d'une banque de données sur les nappes phréatiques en France, au travers d'un réseau national de données sur les eaux. Ce réseau étant relativement hétérogène, notre objectif est de lui donner une plus grande homogénéité et de rendre ainsi accessible aux collectivités locales et à l'État une vraie connaissance en ce domaine. Même si le nombre de nappes phréatiques en France est important, les zones susceptibles de faire l'objet d'inondations sont déterminées par leur géologie.

Enfin, la communication avec le public me semble être un point tout à fait important dans la prise de conscience des problématiques liées aux risques naturels. À ce titre, nous élaborons une réflexion dans le cadre de nos programmes de développement visant à améliorer les moyens de communication avec le public, par exemple sous forme de présentations des données ou des problématiques en trois dimensions. Dans le cadre d'un projet intitulé « Terre virtuelle », nous mettons en place un projet de plateforme de communication pour la décision, destinée aux élus, aux administrations déconcentrées et au public. Tels sont les points essentiels concernant l'implication du BRGM dans le cadre des inondations.

Au-delà de cette synergie que nous tentons de développer et de promouvoir à Orléans, nous travaillons avec d'autres organismes dont le champ d'étude porte sur les eaux de surface, à savoir le CEMAGREF et le Centre d'études techniques maritimes et fluviales (CETMEF), dans la recherche et le développement de nouvelles méthodes.

Si vous avez des questions concernant les circonstances et le développement des inondations de la Somme et des mécanismes mis en _uvre au moment de cette inondation, M. Thierry Pointet, notre spécialiste en hydrogéologie, pourra y répondre.

M. le Président : Je vous remercie. Il y aura certainement des questions sur ce sujet, d'autant que nous allons dans la Somme la semaine prochaine, pour y rencontrer un certain nombre d'intervenants qui souhaitent nous communiquer des informations sur ce qui s'est passé. Une bonne connaissance des phénomènes hydrologiques nous sera donc utile.

Avant de vous entendre, j'avais conscience des problèmes existant entre ministères et qu'il convenait de régler, mais je n'envisageais pas que nous aurions à régler également les problèmes entre les eaux de surface et les eaux souterraines. Cela risque de ne pas simplifier notre tâche.

Lors de précédentes auditions, le directeur de l'eau, M. Bernard Baudot, a rappelé les travaux de notre collègue Yves Dauge sur un centre de mémoire. Puis, lorsque j'ai demandé aux représentants du CEMAGREF leur avis sur un centre national de prévention des inondations, M. Pierrick Givone, directeur scientifique adjoint, a souligné que la France était probablement le seul pays qui ne disposait pas d'un service de capitalisation national des connaissances et des pratiques de l'eau en général. Quant au directeur du développement et de l'innovation du CEMAGREF, M. Gérard Jacquin, il nous a indiqué qu'il était indispensable de regrouper, au sein d'un même service trois points essentiels, la capitalisation de la mémoire, la valorisation des données et un lieu de débats et de retours d'expérience.

Il me semble que nous avons là des pistes intéressantes puisque nous constatons, au fil des auditions et sur le terrain, que le nombre d'intervenants entre les ministères et les organismes spécialisés est extrêmement important, que chacun a sa connaissance et ses retours d'information, et que la compilation et l'échange n'existent pas. Vous avez d'ailleurs souligné vous-même qu'il existait déjà des difficultés entre les organismes travaillant sur les eaux de surface et les eaux souterraines. C'est pourquoi la création d'un centre national, dont le nom reste à définir, nous semble indispensable. Quel est votre avis sur ce sujet et avez-vous des suggestions ?

M. Yves CARISTAN : Je suis tout à fait favorable à la constitution d'un centre national qui permettrait de capitaliser cette connaissance et de favoriser ce lien en vue d'élaborer des modélisations et des prévisions prenant en compte l'ensemble du cycle, c'est-à-dire la partie atmosphérique, la partie superficielle et la partie souterraine. En cela, je rejoins tout à fait mon collègue du CEMAGREF. Il est vrai que la France est un des rares pays à ne pas avoir suffisamment organisé cette connaissance et les acteurs qui y contribuent.

Au niveau de nos activités régionales, nous avons déjà senti le besoin d'avoir une meilleure synergie avec nos collègues de la DIREN et de l'équipe Loire. Par conséquent, nous ne pouvons être qu'enthousiastes à l'idée d'un centre national dans lequel nous serions prêts à participer.

M. le Président : À cet égard, l'intervenant de ce matin soulignait que, dans le cadre de ce centre national, le nombre de participants serait important. En effet, il a évoqué le secteur des assurances, les collectivités et des organismes tels que le vôtre. Ce lieu aura pour objectif de permettre à chacun d'échanger et de se rencontrer.

M. Yves CARISTAN : Cet aspect d'échange et de discussions avec les collectivités locales et le secteur des assurances est fondamental pour le développement d'une politique du risque, notamment pour ce qui concerne sa perception par le grand public.

M. le Rapporteur : Mes questions porteront essentiellement sur les phénomènes de crues qu'a connus le département de la Somme. J'aimerais tout d'abord savoir si votre organisme a été aussi surpris que nous par l'ampleur des inondations que ce département a subies. Par ailleurs, pourriez-vous nous expliquer le mécanisme de ce type d'inondation par les nappes phréatiques ? Vous avez indiqué qu'un certain nombre de régions géologiques comparables existent en France. Quelles sont-elles ?

Nous savons que le niveau des nappes phréatiques va mettre un certain temps pour baisser. Cela nous met donc à la merci d'une nouvelle inondation en cas de retour d'une forte pluviométrie. J'aimerais savoir s'il est possible de prévoir les débordements de nappes phréatiques, de mesurer ce phénomène et de gérer ainsi, de façon préventive, ce type d'inondation. Y a-t-il ainsi des moyens de « gérer » une nappe phréatique ?

Ma deuxième série de questions concernera les schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE). Vous paraissent-ils être un moyen efficace de gérer la ressource en eau et prennent-ils suffisamment en compte le risque d'inondation ?

La cartographie des aléas naturels, qu'établit votre organisme, prend-elle en compte ce risque d'inondation par nappe phréatique ? Vous avez indiqué que votre organisme travaillait en coordination avec le CEMAGREF, en rencontrant néanmoins quelques difficultés entre les domaines des eaux de surface et de sous-sol. À cet égard, envisagez-vous des possibilités de progrès ?

Dans un rapport de 1999, dans lequel les activités de votre organisme en matière de risques naturels sont énumérées, figurent le risque sismique, les mouvements de terrain, les phénomènes de retrait et de gonflement des argiles sensibles à la sécheresse, les effondrements liés aux carrières souterraines et aux mines abandonnées, le risque volcanique, mais aucunement le risque d'inondation. Cela a-t-il une signification ?

Vous avez fait allusion, tout à l'heure, aux phénomènes d'effondrement liés à l'existence de marnières. La circonscription dont je suis l'élu dans le département de la Somme est davantage concernée par ce phénomène d'effondrement que par les inondations. Je serais donc intéressé d'avoir votre point de vue sur ce sujet.

M. Yves CARISTAN : S'agissant des domaines des eaux de surface et de sous-sol, nous collaborons maintenant avec le CEMAGREF et le CETMEF qui, pour leur part, se penchent plus particulièrement sur les eaux de surface.

Concernant l'intervention du BRGM, nous avons été sollicités de façon assez forte, tant sur les effondrements que sur les inondations, en particulier dans la Somme, où nous avons fait le premier diagnostic de l'origine de cette nappe.

Concernant les activités de l'établissement et la cartographie des aléas naturels, le fait que les inondations ne figuraient pas dans ce rapport, qui date d'il y a quelques années, est tout à fait révélateur, non pas de l'incapacité de l'établissement à conduire ce type de travail, mais du contexte scientifique et administratif de l'époque où l'idée dominante consistait à dire que les inondations n'étaient pas un phénomène lié à la géologie. C'est pourquoi cela ne figurait pas dans les objectifs de l'établissement. Pour autant, cela ne nous a pas empêché, lorsque nous avons établi des cartes d'aléas naturels, de prendre en compte les risques d'inondation même si, dans certaines zones, ce risque inondation par nappe phréatique ne figure pas de façon explicite.

S'agissant de la gestion des nappes, il est possible de gérer l'avant-crise. Ainsi, on peut disposer de systèmes permettant de prévoir le fonctionnement des hydro-systèmes, donc les montées de nappes et les situations où la nappe pourra créer des inondations. Mon collaborateur va maintenant vous expliquer, d'une part, le mécanisme mis en _uvre au niveau de la Somme et, d'autre part, faire le point sur les autres régions concernées.

M. Thierry POINTET : Les crues observées dans la Somme ont été très tôt accompagnées par des phénomènes inhabituels et assez visibles, tels qu'apparitions de sources, résurgences d'eau sous des ouvrages construits à des endroits où il n'y avait pas de cours d'eau. Très tôt, ces différents phénomènes nous ont fait envisager la contribution d'eaux souterraines.

Notre première réaction a été de se méfier de la mono-explication. En effet, de la même façon que par le passé on a eu tendance à mettre les crues à la charge des seuls cours d'eau, il s'est avéré, cette année, qu'on a eu tendance à mettre les crues à la seule charge des eaux souterraines. En fait, les crues sont un phénomène intégrateur d'un certain nombre de facteurs.

Le premier facteur est le flux qui vient de l'amont, apporté par la rivière, et qui peut provenir d'une nappe ou de phénomènes de surface.

Le deuxième facteur est le ruissellement immédiat des pluies, tombées à la surface du sol dans les trois jours précédents, en direction de l'endroit où on constate la crue.

Le troisième facteur, ce sont le ou les comportements des compartiments de nappes qui composent le sous-sol et qui apportent de l'eau à l'endroit donné.

Enfin, le dernier facteur, c'est la capacité du site à évacuer l'eau en quantité suffisante pour empêcher qu'elle monte de manière considérable.

La crue est la résultante de ces différents facteurs. C'est une somme algébrique, en quelque sorte, de différents phénomènes.

S'agissant du BRGM, nous avons étudié la composante liée aux eaux souterraines. Une des particularités qui a fait que la Somme a réagi tient, semble-t-il, à deux éléments. Le premier est que le sous-sol lui-même est composé de craie, un des milieux géologiques les mieux répartis dans le bassin parisien, en particulier à la périphérie nord-ouest jusqu'à l'Eure et la Seine-Maritime. Le deuxième élément est un phénomène connexe avec une pluviométrie moyenne très abondante à proximité des côtes. Ces deux facteurs ont été déterminants dans les crues.

Nous avons étudié le rôle de ces différentes composantes. Pour aller au-delà d'une approche empirique, nous avons décomposé la mécanique, afin d'appréhender parfaitement les mécanismes qui ont pu jouer. Nous avons établi un suivi en utilisant les points de mesure dédiés à d'autres usages, en particulier le suivi patrimonial des eaux, dont nous avons pu tirer un assez bon profit.

Par chance, comme il existe un nombre assez considérable de points sur le bassin de la Somme - environ une soixantaine -, nous avons pu établir des suivis des montées de ces nappes. Une des singularités qui nous est apparue est que ces nappes sont assez profondes. La nappe générale provenant du plateau ou du bassin crayeux lui-même, est située à une certaine profondeur - 70 ou 80 mètres, voire plus -, ce qui atteste une facilité de l'eau à transiter depuis la surface du sol en direction de la nappe. Cette profondeur est tout à fait inhabituelle par rapport à la nappe de la vallée de la Seine qui se trouve à 2 ou 3 mètres sous le sol, ou encore des nappes importantes comme celle de la Beauce qui se trouve à 10 mètres sous le sol avec de faibles fluctuations.

Nos observations ont été les suivantes. Ces nappes sont assez profondes, avec une transmission facile dans une zone intermédiaire qui n'est pas saturée d'eau et où il existe encore de l'air dans les vides du sol. Ensuite nous avons constaté des remontées d'eau, enregistrées sur des points, qui atteignent jusqu'à 20 à 25 mètres en une saison, en un cycle hydrologique, ce qui est absolument considérable. Une remontée de 25 mètres correspond à plus de dix fois la remontée moyenne de la nappe de Beauce en année normale.

Nous n'avons pas été véritablement surpris par ces phénomènes, car nous avions bonne conscience que les crues de 1995 et 1996 avaient pratiquement la même origine. Ces crues ont plutôt fait parler d'elles sur l'Oise et l'Aisne, mais manifestement des composantes liées aux eaux souterraines ont contribué au déclenchement de ces crues et à leur persistance, plusieurs semaines après l'arrêt des pluies. En effet, les nappes contribuent au soutien des débits des cours d'eau, y compris après l'arrêt des pluies en période de crues.

Le deuxième facteur, lié aussi au temps, est un certain différé. Nous avons cru observer, mais cela reste à confirmer, que moins les épisodes pluvieux sont importants, plus la réaction de la nappe est précoce. Après une pluie de faible importance, on note une réaction de la nappe dans la semaine qui suit, après une pluie de moyenne importance, dans le mois qui suit. Après une pluie de très forte importance, le délai de réaction maximum de la nappe peut atteindre deux mois. D'ailleurs, les suivis auxquels nous avons procédé et qui datent d'une dizaine de jours montrent que les nappes principales remontaient encore de manière assez tranchée. À cet égard, nous avons établi un rapport qui a été remis à la mission interministérielle présidée par M. Claude Lefrou.

J'ai mentionné, au début de mon propos, que les crues étaient un phénomène intégrateur, c'est-à-dire que les nappes continuent à monter alors que les autres composantes sont toutes en baisse. À ce moment-là, l'intégration des différentes composantes sera beaucoup moins pénalisante que pour les crues que nous avons connues au mois d'avril. On peut supposer que pratiquement jusqu'à la fin du mois de juin, les nappes vont encore légèrement continuer à monter et qu'ensuite, nous assisterons à la décrue des nappes proprement dites.

Quels sont les moyens disponibles en matière de prévision, voire de prévention ? Ces deux notions sont à distinguer. Au vu des ordres de grandeur que j'ai cités, les nappes sont des objets naturels absolument gigantesques. Dans une certaine mesure, il est utopique de prétendre intervenir et faire de la prévention. On peut certes jouer sur des crues de faible amplitude en diminuant les amplitudes maximum ou en limitant les fréquences, par exemple. Mais sur les phénomènes majeurs, on aura d'autant moins d'influence que ces objets sont dans des états de gonflement considérable.

Est-ce que l'on peut faire de la prévision ? À partir du moment où l'on comprend le mécanisme, où l'on sait à quelle stimulation la nappe réagit, dans quelles conditions et dans quels délais, cela est possible.

Il est cependant nécessaire de prendre en compte que ces nappes, qui sont considérables, sont aussi dotées d'une certaine inertie, c'est-à-dire que les seuls effets constatés au mois d'avril, après un mois de mars plutôt normal, sont bien loin d'être suffisants pour expliquer le phénomène. En fait, nous avons une intégration des différents événements intervenus sur la période hivernale, depuis pratiquement le mois de novembre.

En matière de prévision, nos études sur le bassin semblent indiquer qu'il y a en gros trois subdivisions à faire.

- la partie amont, comprise entre la Somme et l'Avre, pratiquement à l'extrémité du plateau du Santerre ; c'est là que le phénomène d'inertie à long terme a joué au maximum ; en d'autres termes, démarrer un suivi très précocement dans l'année hydrologique, c'est-à-dire dès le mois d'octobre ou de novembre, serait utile pour connaître la façon dont monte en puissance ce système qui a certainement fourni la plus grosse partie du flux d'eau qui a transité à Abbeville ;

- la vallée moyenne en rive droite ; nous avons observé une sorte de pulsation très forte de la nappe - c'est là que nous avons enregistré les plus fortes amplitudes - et un phénomène de prise en saturation complète de la zone dans laquelle il restait encore de l'air ; ce phénomène a joué probablement sur au moins une dizaine de mètres, sinon plus, et la montée progressive en saturation de ce milieu l'a fait tout à coup s'identifier à la nappe qui était en dessous ; en fait, la nappe s'est trouvée augmentée d'un compartiment de sous-sol considérable, ce qui a fait monter son niveau soudainement en l'espace de quelques jours. Nous avons reçu des appels au secours de nos services en région indiquant qu'ils ne comprenaient pas bien les raisons de ces montées d'eau ; nous avons vu, en l'espace de trois jours, la nappe à tel endroit monter de dix mètres soudainement, ce qui est totalement incompatible avec le fonctionnement hydrodynamique normal d'un milieu souterrain ; cela provient fort probablement d'une montée en puissance d'un compartiment particulier ; cette partie du cours moyen a probablement joué un rôle important, par cet effet assez brutal, dans le déclenchement de la crue et lui a donné cette dimension exceptionnelle.

- en rive gauche, ce mécanisme est peut-être moins puissant par la recharge, mais suffisamment puissant du fait de la pression dont la nappe disposait pour pousser des eaux qui n'étaient pas celles tombées dans le mois, mais des eaux anciennes qui y ont transité ; en effet, ces nappes fonctionnent un peu comme des matelas successifs qui se poussent les uns les autres ; de ce fait, on voit ressortir, vers le cours d'eau, des eaux d'un âge ancien qui sont les eaux qui s'étaient infiltrées six mois, deux ou trois ans auparavant.

In fine, nous avons procédé à des échantillonnages des eaux de la crue pour donner, par des méthodes qui s'apparentent à la dégradation de certains isotopes de la molécule d'eau, un âge aux différentes masses d'eau observées dans le val de la Somme. Nous escomptons pouvoir prochainement étayer les premiers résultats que nous avons obtenus à cet égard.

En termes de recommandations, le deuxième point de suivi serait la mise en place d'un dispositif de veille, mais beaucoup plus réactif, pour comprendre la façon dont fonctionne ce système à déclenchement que nous avons cru observer en rive droite.

En tant que scientifique, nous ne pouvons pas exprimer des certitudes car ces remarques ont été rapidement ébauchées, à la suite d'observations de montées de niveau. Du niveau des nappes aux crues, il y a plusieurs pas à franchir. Le premier consiste à convertir les niveaux en volume. Ces eaux qui s'écoulent représentent des volumes instantanés qu'il est difficile d'apprécier, puis deviennent des flux. La crue s'avère être, en fait, un flux qui s'évacue.

À plus long terme, dès lors que nous aurons mis en place des systèmes de surveillance, il conviendra d'engager une réflexion pour établir un lien scientifiquement bien étayé entre ces observations de niveaux, les volumes et les flux, pour prétendre prévoir l'un par l'autre.

M. Yves CARISTAN : Concernant la prévision, il existe déjà un suivi, mais il doit être amélioré en fonction de ces phénomènes et relier entre eux des paramètres qui ne l'étaient pas jusqu'à présent - ce sont les paramètres météorologiques et de sous-sol -, puis en déduire les phénomènes qui peuvent survenir au niveau de la rivière. Ce suivi, qui paraît très simple, n'est pas pour l'instant mis en _uvre de manière opérationnelle.

M. Gilles de ROBIEN : Les explications fournies me paraissent tout à fait rationnelles et compréhensibles, mais je suis surpris qu'avec ces données, personne n'ait été en mesure d'informer en temps réel les élus sur la réalité de la situation. Lorsque vous observez des variations de 10 ou 20 mètres sur une nappe phréatique, j'aimerais savoir qui vous en informez. Par ailleurs, si effectivement vous transmettez cette information, comment est-elle traitée et comment parvient-elle sinon à l'opinion publique, du moins à ceux qui ont en charge une population, c'est-à-dire les élus ?

M. Yves CARISTAN : Le BRGM aujourd'hui n'entre pas dans une organisation dédiée aux inondations. Si l'on prend l'exemple des pompiers, ils sont organisés pour le feu, avec la contribution de volontaires, de professionnels et de la sécurité civile. L'apparition d'une fumée est immédiatement suivie d'une action des pompiers. Aujourd'hui en ce qui concerne les inondations, l'État et les collectivités ne sont pas organisés de façon telle que les informations parviennent aux bons endroits.

Il est clair que ce phénomène de nappes est resté longtemps ignoré. Vous avez vous-même mentionné l'inexistence, dans la liste des risques naturels étudiés par le BRGM, de ce risque d'inondations. Même si le BRGM avait conscience du problème de l'effet des nappes phréatiques, jusqu'à présent il n'entrait pas dans son action d'appui aux politiques publiques.

Quant à la diffusion de l'information, il conviendrait de constituer un service dont ce serait une des missions clairement établies.

M. le Rapporteur : C'est ce centre national que vous évoquiez tout à l'heure.

M. Yves CARISTAN : Cela peut être un centre au niveau national, mais en ce qui concerne les inondations, nous nous situons plutôt dans un cadre régional. Même si on peut observer des apports d'autres bassins, ce phénomène est d'abord observable à l'échelon régional. Pour ce qui concerne l'alerte, elle doit être organisée dans un cadre régional. Le BRGM dispose d'implantations régionales, mais n'a pas cette mission.

M. Yves DAUGE : Différents points ont été évoqués : l'alerte en temps réel, la communication, le problème de transmission. L'aspect qu'a évoqué le Président, en reprenant une proposition que nous avions faite dans le rapport établi il y a un an maintenant, concerne l'organisation centralisée de la mémoire, de la connaissance et de l'interconnexion entre les différents acteurs. Mais en aucun cas, dans notre esprit, il ne s'agissait de l'organisation de l'alerte en tant que telle. Cela ne signifie pas pour autant que le système d'alerte ne devra pas aussi puiser des informations dans cet organisme. Toutefois, il convient de bien distinguer les deux choses. Tout le monde s'accorde pour dire qu'il manque un lieu de collecte de la mémoire, de retour d'expérience et d'interconnexion entre les différents services.

L'autre aspect concerne la façon dont l'alerte en temps réel peut être mise en place. Il est certain que la communication sur les antennes ne peut revenir à un bureau d'études, même national. En fait, le processus normal serait que ce bureau d'études soit connecté à une instance ayant la responsabilité politique de l'alerte et donc de la communication.

D'ailleurs, l'alerte n'est pas le résultat d'une obligation d'État. La loi n'organise rien, des services d'alerte ont parfois été créés mais pas partout. Peut-être faudrait-il aller plus loin, c'est-à-dire jusqu'à un vrai service public, structuré, rendant obligatoire l'alerte dans certaines conditions. J'ai entendu certains responsables de l'alerte, notamment de Météo-France, indiquer qu'il fallait faire attention à ce que l'on disait ou pas, car par la suite, on pouvait aussi reprocher d'en avoir trop dit ou pas assez. C'est une question qu'il faut absolument régler.

Par ailleurs, il existe des informations sur la météorologie qui ne sont pas diffusées car elles coûtent cher. Si vous souhaitez les obtenir, il faut vous abonner. Dans quelles conditions, cette information, qui est un bien public, est-elle à disposition de tous gratuitement, et dans des conditions de fiabilité juridique telles que cela va fonctionner ?

M. Yves CARISTAN : Nous sommes d'accord sur les points que vous avez soulevés.

M. le Rapporteur : Dans le cadre d'une inondation de type Somme, qui peut se conjuguer avec une inondation de plaine, l'alerte semble moins cruciale que pour des inondations torrentielles, car l'eau monte régulièrement de dix centimètres par dix centimètres. En étant prévenu à l'avance, on peut organiser sereinement les évacuations de populations. Mais on n'est pas pris à la gorge ; sauf imprudence caractérisée, il n'y a pas de victimes. Ce n'est pas le même type de problèmes. En revanche, on a l'impression qu'on ne peut pas faire grand chose pour contrer ce type d'inondation. Sachant que les phénomènes conjugués des eaux de surface et des nappes phréatiques font que nous allons vers une crise grave, que peut-on faire en termes de prévention ?

M. Yves CARISTAN : Si vous reprenez l'actualité récente, deux évacuations de populations ont été faites suite à des découvertes d'armes chimiques datant de la première guerre mondiale. Ces deux situations sont identiques dans les faits, avec l'une non préparée à Vimy, il y a un mois et demi, et l'autre préparée, il y a quelques jours dans les Ardennes. Dans le premier cas, vous avez des citoyens qui étaient hors d'eux et, dans le second, des citoyens tout à fait paisibles et préparés. On peut certes imaginer que dans certains cas des phénomènes de nappes phréatiques conduisent à des écoulements de type torrentiel, mais c'est très peu probable. L'information permettrait d'abord de sensibiliser la population à tous ces phénomènes.

M. le Rapporteur : Dans le département de la Somme, le risque humain se situe plus dans la zone des effondrements liés à la pluviométrie. Dans de tels cas, y a-t-il moyen de prévenir ?

M. Yves CARISTAN : Le problème est quelque peu différent car il s'agit de connaître les cavités souterraines. Or nous ne les connaissons pas. Dans certains endroits, nous les avons cartographiées. Nous travaillons, par exemple, dans le domaine minier. Il existe en Lorraine des exploitations de mines de fer très anciennes, dont on ne connaît pas toujours les plans. Puis, en fonction des différents effondrements intervenus, la cartographie est à reprendre.

Ce travail fait l'objet de développements méthodologiques, au sein du BRGM, à partir de la géophysique et de différents moyens d'observation aéroportés ou satellitaires, qui permettent d'observer l'endroit où s'amorcent des subsidences, avant qu'elles ne deviennent catastrophiques. Tout un travail est mené dans le domaine de la détection des cavités. Cela concerne autant les zones urbaines que rurales.

M. le Rapporteur : Quelles sont les différentes régions géologiques où l'on pourrait rencontrer les mêmes problèmes que ceux rencontrés dans la Somme ?

M. Thierry POINTET : Ce sont les zones où affleurent les mêmes terrains géologiques, de la craie principalement, soumis aux mêmes conditions pluviométriques, avec la même répétition de pluies de novembre à avril compris. En d'autres termes, dans les régions en bordure de la Manche jusqu'à l'Eure et sur la rive gauche de la Seine.

Je ne serais pas surpris, bien que les zones fussent moins peuplées, que sur des cours d'eau parallèles à la Somme, comme la Canche ou l'Authie, qu'on ait enregistré des phénomènes très proches, peut-être d'une moindre amplitude. Si, en 1995 et 1996, les affluents de l'Oise et de l'Aisne, qui coulent sur les mêmes terrains, ont réagi d'une façon probablement comparable, ce n'est pas fortuit. Cela vient du fait que cette formation géologique a les caractéristiques propices à générer un phénomène de cette nature.

M. le Rapporteur : Cela concerne grosso modo le bassin parisien ?

M. Thierry POINTET : Non, pas le bassin parisien. Si vous vous déplacez vers le centre du bassin parisien, à partir du Vexin, ces formations crayeuses sont couvertes par d'autres terrains qui font écran et qui ont leur comportement propre, mais qui limitent considérablement l'alimentation du système de la craie. Je dirai que c'est la bordure sur environ 250 kilomètres à partir du littoral de la Manche.

Concernant la question sur la prise en compte de ces zones dans les SDAGE, actuellement deux SDAGE sont concernés, celui de Seine-Normandie et celui d'Artois-Picardie. Je rejoindrai l'explication donnée dès le début, c'est-à-dire que la contribution des eaux souterraines n'a pas été prise en compte dans les SDAGE, car ce n'était pas dans l'état d'esprit collectif de le faire, de la part des agences de l'eau, des services déconcentrés de l'État, ... même si nous avons milité au BRGM pour cette prise en compte des eaux souterraines. Mais dès lors que la directive-cadre européenne sur l'eau, publiée en décembre dernier, impose de reprendre et de republier, d'ici quelques années, des schémas directeurs bassin par bassin, on peut espérer que les choses seront remises à leur place et que les justes dimensions seront données aux différentes composantes qui contribuent et produisent des flux importants qui peuvent jouer dans la question des crues.

M. le Président : Nous vous remercions.

Audition de M. Bernard MENASSEYRE,
président de la 7ème chambre de la Cour des comptes,

accompagné de M. Marc LE ROUX,
rapporteur.

(extrait du procès-verbal de la séance du 13 juin 2001)

Présidence de M. Éric DOLIGÉ, Président

MM. Bernard Menasseyre et Marc Le Roux sont introduits.

Monsieur le Président leur rappelle le mode de fonctionnement de la commission et leur indique que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. À l'invitation du Président, MM. Bernard Menasseyre et Marc Le Roux prêtent serment.

Monsieur le Président : Comme il vous a été indiqué, Monsieur le Président, le champ d'investigation de notre commission est extrêmement vaste, puisqu'il couvre la connaissance des causes des inondations, l'étude de leurs conséquences et l'appréciation des mesures prises pour les prévenir.

À ce titre, l'enquête de la Cour, qui a fait l'objet d'une insertion dans le rapport annuel de 1999, constitue un instrument de travail essentiel pour notre commission. Elle apparaît comme une liste quasi exhaustive des lacunes des procédures et des politiques en matière d'inondations.

Ainsi, comme la Cour, la commission d'enquête s'intéressera beaucoup à démêler l'écheveau des compétences et des responsabilités en matière d'inondations, tant les acteurs sont nombreux et leur rôle pas toujours bien connu et peu coordonné.

M. Bernard MENASSEYRE : Monsieur le Président, mesdames, messieurs, je vous présenterai brièvement les travaux de la Cour des Comptes. Lorsque j'ai pris connaissance des débats qui avaient inauguré la création de votre commission, j'ai noté que l'insertion au rapport public de la Cour avait été citée dix fois. Ceci est significatif.

Vous avez pris connaissance du document. Pour commencer, je vous exposerai donc quels en sont la justification, le mode d'élaboration, la portée et les principaux points. Il est préférable qu'il n'y ait pas de doute ou d'ambiguïté sur la nature du document.

Vous connaissez la compétence de la Cour des Comptes qui n'est pas un service opérationnel, au sens où ce n'est pas une société de scientifiques, d'ingénieurs, d'hydrographes ou de géographes bien qu'elle comporte certains spécialistes, tels que M. Le Roux, ingénieur de l'armement. La Cour est chargée de contrôler la régularité des opérations effectuées par les pouvoirs publics. Selon la formule napoléonienne très ancienne, son rôle est de dire si les deniers publics ont été bien utilisés.

Cet aspect des choses a été à l'origine de nos réflexions sur la prévention des inondations. La compétence de la chambre que je préside nous donne une vision assez générale du problème que vous traitez. La septième chambre contrôle les crédits du ministère de l'Environnement et de ses établissements publics et, en particulier, les agences de l'eau. Elle est également chargée du contrôle du ministère de l'Équipement et du ministère de l'Agriculture. Seul le ministère de l'Intérieur n'entre pas dans le champ de notre compétence à proprement parler, mais a fait l'objet d'investigations de notre part.

Trois considérations ont conduit la juridiction à s'intéresser à ce sujet, en dehors du problème le plus important, à savoir le risque d'inondation pour les personnes et les biens. En premier lieu, il s'agissait de mesurer l'incidence possible du risque d'inondations sur le budget de l'État. Des inondations importantes pourraient faire exploser le système d'assurances dont l'État assure la garantie finale. Lorsque l'on connaît l'énormité des risques financiers, on ne peut pas rester inattentif. Le risque est en effet relativement important. Il représente une fraction d'un ensemble plus considérable sur lequel nous constatons qu'il y a peu d'études systématiques.

Le deuxième angle d'attaque consistait à porter un diagnostic sur l'usage des moyens dont l'État dispose en crédits et en organisation. Ce point nous a conduits à faire quelques investigations sur la manière dont les services de l'État sont organisés, tant au niveau central que déconcentré.

Ceci a donné lieu à quelques interrogations originaires. Nous avons fait le constat suivant : en dépit d'études parfois très anciennes et très précises, aucune suite n'a été accordée aux mises en garde et analyses. Je cite ce qui figure dans l'insertion au rapport public, à savoir, l'étude du Conseil économique et social de 1955-1957, l'étude de M. Haroun Tazieff en 1983, l'enquête de l'Assemblée nationale menée en 1994 et une étude du Commissariat général du Plan datant de 1997. À la lecture de ces études, l'on est frappé par la clarté des analyses, la netteté de nombreuses recommandations faites au législateur et par le fait qu'en dépit de cela, peu de choses aient bougé.

J'explique, pour mémoire, selon quel mode a été élaboré notre rapport afin que la commission sache quel usage raisonnable elle peut en faire. La procédure de la Cour est double, à la fois contradictoire et collégiale. À l'origine, les travaux des rapporteurs sont anciens, puisqu'ils ont été engagés en 1996-1997 et poursuivis pendant plusieurs semestres. Après étude des rapports et passage devant la septième chambre, nous avons envoyé un relevé de constatations provisoires aux différentes directions des ministères concernés, ainsi qu'au ministère de l'Intérieur et au ministère de l'Économie, des finances et de l'industrie. Nous avons procédé à des auditions en demandant des explications sur les réponses écrites que nous avions obtenues. À l'issue de cela, le Premier Président a adressé, fin 1998, un référé aux ministres intéressés, qui ont communiqué copie de ce référé au Premier ministre. Après coup, une insertion au rapport public a été décidée, laquelle a donné lieu à un débat contradictoire.

Il convient de bien garder à l'esprit que le document que vous avez cité, Monsieur le Président, comprend, d'une part, les constats, recommandations, critiques de la Cour, mais aussi les réponses des administrations. Le rapprochement des observations de la Cour et des réponses des administrations est, en soi, source d'enseignement, car les accords auxquels nous sommes parvenus et les désaccords persistants ont tout autant d'importance que le fond même des questions que nous avons traitées. Il est fort intéressant que la Cour puisse vérifier les engagements pris mais souligne également, le cas échéant, les désaccords.

Cet exercice a une certaine portée mais aussi ses limites. L'ambition de ce travail était d'être aussi exhaustif que possible, cela en dépit du faible nombre de pages consacrées à cette insertion car le rapport public ne peut être un document trop développé. Il s'agit d'un inventaire raisonné des problèmes que nous avons décelés. En contrepartie, beaucoup de développements ont un caractère nécessairement synthétique sur des sujets d'une grande complexité. Un effort a été fourni afin de pouvoir exposer avec le plus de clarté possible un sujet d'une complication que vous avez sans doute découverte.

Comme cela est toujours le cas pour les rapports publics de la Cour, il s'agit d'informer les pouvoirs publics mais aussi l'opinion publique, d'ouvrir un débat ou de porter à la connaissance des lecteurs les points essentiels qui posent problème. En cela, nous avions été rassurés car le rapport public de la Cour avait été abondamment cité à sa publication. Il l'a été d'autant plus qu'elle est intervenue quelques mois après les inondations catastrophiques de l'Aude. Il avait donc un caractère prémonitoire ou a, malheureusement, pu trouver confirmation dans cette catastrophe. Cela est le cas des inondations de la Somme, présentes aux esprits de tous, sans oublier la Bretagne, également gravement touchée, ainsi que la Région parisienne et le Val de Loire. Nous avons mis en avant un certain nombre de questions qui restent aujourd'hui posées.

Il est malaisé pour un magistrat de la Cour de commenter un document délibéré collégialement tant au niveau de la chambre que de la Cour réunie. En l'espèce, la collaboration reste possible comme l'ont montré les travaux de la Mission d'évaluation et de contrôle (MEC) de la commission des Finances où nous sommes intervenus à plusieurs reprises. Les travaux de la Cour servent de supports techniques, avec parfois la présence des magistrats de la Cour aux séances de la MEC, dans le but d'expliquer quelle portée peuvent avoir nos observations.

C'est dans ce sens que je souhaiterais dire quelques mots de l'insertion au rapport public proprement dite.

Nous avons analysé le risque d'inondation et le dispositif de prévention. Nous avons d'abord insisté sur la méconnaissance du risque d'inondation, point essentiel qui se décline de diverses manières, étant données la très grande disparité et la juxtaposition des instruments juridiques élaborés de 1935 à nos jours : du plan de surfaces submersibles (PSS) au plan d'exposition aux risques (PER), puis au plan de prévention des risques (PPR). Il existe toute une série de sigles et d'instruments qui ne se recoupent pas très exactement ou qui n'ont pas le même objet. Ils constituent certes des avancées successives, mais quelque peu désordonnées.

Le champ d'application de ces différents documents est variable et leurs finalités et les procédures de leur mise en _uvre sont différentes. À cela se sont ajoutés les schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE), les schémas d'aménagement et de gestion des eaux (SAGE) et les atlas de zones inondables, qui ne sont pas toujours en harmonie avec les documents qui ont été préalablement élaborés. De même, nous constatons que la prise en compte du risque dans l'urbanisme, la procédure du « porter à connaissance », du ressort du préfet, l'information des communes et des citoyens sur le risque relèvent également d'une forme relativement complexe de données d'ordre juridique et pratique.

Le deuxième élément concernant la méconnaissance du risque est lié aux lenteurs d'élaboration des plans relatifs aux risques. Les exemples sont nombreux. En particulier, les carences d'élaboration des plans dans les grandes cités fluviales constituent un élément frappant. Dans la Somme, il n'y avait pas de PPR. Lorsque les catastrophes se sont produites dans l'Aude, des plans avaient été prescrits mais pratiquement aucun, sinon deux, n'existait. En cas de catastrophes, qu'était-il prévu ? Rien n'était réellement opérationnel.

Par ailleurs, la procédure du « porter à connaissance » des préfets est très peu utilisée. Les PPR sont souvent de facture défectueuse et de qualité inégale. Il est nécessaire de réviser les anciens plans, de revoir les plans d'occupation des sols. De plus, l'aléa de référence est souvent choisi de manière aléatoire et discutable.

En dehors de la méconnaissance du risque, nous avons mesuré la vulnérabilité des populations. Dans une inondation, quelle qu'en soit la nature, il y a conjonction entre deux éléments : une pluviométrie exceptionnelle et la densité d'une population à un endroit déterminé. Ces deux éléments permettent de comprendre le mécanisme d'enchaînement des circonstances. Il y a une réelle défaillance de l'État : il n'a pas maîtrisé l'urbanisation des zones inondables depuis de très nombreuses années et reste très impliqué, malgré la décentralisation, dans l'instruction et le contrôle des décisions d'urbanisme.

Au cours d'une audition à la Cour des Comptes, nous avons demandé à la Direction générale de l'urbanisme et de la construction s'il était possible de faire un recensement des zones inondables urbanisées ; a-t-on des statistiques sur ce point ? La réponse a été négative. Lorsque nous avons demandé s'il était envisagé de compléter ou de mettre en _uvre une procédure d'évaluation, par recensement ou inventaire, la réponse n'a pas été davantage positive. Nous n'avons pas eu d'engagement de cette nature.

La question de la protection des grandes cités fluviales n'est pas traitée, les plans n'existent pas, il n'y a pas d'obligation d'en réaliser et les projets élaborés ont été abandonnés par manque de financement ou par opposition de principe. De vastes régions, comme l'Île-de-France ou le Val de Loire, sont particulièrement menacées.

Nous avons aussi regretté la position doctrinale, technique, du ministère de l'Environnement, défavorable aux grands travaux d'aménagement sans pour autant démontrer la qualité ou le mérite des solutions alternatives qu'il présente.

Concernant la méconnaissance du risque d'inondation, je soulignerai la défaillance de l'évaluation économique du risque et de la prévention. Nous n'avons pas de réelles mesures permettant d'avoir une approche économique raisonnable de ce problème. Nos interlocuteurs ont souvent procédé par affirmation sans véritable démonstration et comparaisons ; alors que, dans d'autres domaines économiques et financiers, on les pratique couramment.

Par ailleurs, le dispositif juridique de prévention des inondations nous est apparu totalement inadapté. L'idée lancée par le Conseil économique et social en 1955-1957 d'une réforme législative d'ensemble qui toucherait la loi de 1807 n'a pas été véritablement contredite, mais n'a pas été mise en _uvre non plus. J'observe qu'il en est allé de même des travaux de la précédente commission d'enquête de votre Assemblée.

Dans le document de 1994, on avait abouti à ce même constat, avec une proposition de même nature, sans qu'il y ait par la suite de véritables avancées. Or, c'est un domaine essentiel ! Certes, l'État n'est pas dépourvu de responsabilités en matière d'inondations, mais la loi précise clairement qu'il y a finalement deux catégories de responsables essentiels : les propriétaires riverains et les maires, du fait de leurs fonctions en matière de sécurité publique. Si bien que l'État est dans une position assez confortable puisque, d'après les termes de la loi, sa responsabilité n'est pas engagée. Les jurisprudences des tribunaux administratifs et du Conseil d'État le démontrent de manière tout à fait explicite.

L'un des angles d'attaque de ce problème consisterait à effectuer un recensement raisonné des jurisprudences sur les responsabilités mises en jeu, faisant apparaître très clairement la nature des problèmes posés.

De ce dispositif incohérent, il résulte un vide juridique ne permettant pas de mettre en _uvre des grands travaux de protection contre les inondations. L'État lui-même se décharge de ses responsabilités de propriétaire riverain ou de maître d'ouvrage sur les collectivités locales.

Le problème se pose également pour l'annonce des crues. Si, dans le domaine de l'alerte, la responsabilité des maires est clairement affirmée, en matière d'annonce des crues, il y a incertitude sur la répartition des rôles. Il arrive que l'État intervienne puisque des installations assez nombreuses sont sous sa responsabilité, mais il le fait de façon libre, sans obligation ni contraintes sur le plan juridique.

Un deuxième élément concerne le dispositif de prévention, indépendamment du dispositif juridique : l'organisation administrative. Nous sommes dans un registre malheureusement plus classique, avec une répartition complexe des compétences au niveau central, et, en particulier, au sein même du ministère de l'Environnement entre la direction de l'eau et celle de la prévention des pollutions et des risques. Cette question pourrait faire l'objet d'investigations.

Au niveau déconcentré, nous avons été frappés par la superposition des responsabilités et les faibles moyens des directions régionales de l'environnement (DIREN). Le préfet, dont la responsabilité n'est pas nulle, peut difficilement s'appuyer sur des services déconcentrés dont les responsabilités soient clairement affirmées et qui soient techniquement aptes à faire face au problème posé. Au niveau local, on multiplie les instances avec les comités de bassin et les commissions de l'eau. Il conviendrait aussi de clarifier le rôle - hypothétique - des agences de l'eau.

Nous avons également relevé une méconnaissance du coût de la prévention. Souvent, le coût global n'est pas connu. Dans la sphère même de l'État, on n'est pas capable de recenser les crédits disponibles et l'usage qui en a été fait. Quand on veut agréger des dépenses publiques avec celles des associations de propriétaires, on a des résultats extrêmement incertains, ce qui ne permet pas de mesurer l'effort consenti. Une seule évaluation du coût de la prévention semble avoir été effectuée en 1997. Encore l'a-t-elle été par un bureau d'études auquel l'administration avait sous-traité le sujet.

Concernant les limites du régime d'indemnisation catastrophes naturelles, je ne porterai pas de jugement, car je n'ai pas la possibilité de le faire en toute clarté. Mais ce régime n'incite pas à réaliser des travaux. C'était pourtant l'un des objectifs posés en 1982. C'est donc un échec. L'effet inverse est constaté, en raison d'une définition de la catastrophe naturelle relativement déresponsabilisante, définie de façon aléatoire et variable selon les circonstances.

Il n'y a pas de véritable mécanisme d'incitation à la prévention et la réponse que nous a faite le ministre de l'Économie, des finances et de l'industrie rejette l'idée d'une modulation de la surprime, au nom de la solidarité nationale.

Dans ces conditions, le métier d'assureur devient bien singulier : il sert uniquement d'intermédiaire financier, il ne peut pas moduler le taux de la prime d'assurance en considération du risque qu'il assure. Ce système a le bénéfice de la régularité de la couverture du risque pour les sinistrés - sous réserve de cas qui ne font pas l'objet de couverture suffisante -, mais l'aspect préventif fait défaut.

Je terminerai mon exposé par les points qui nous paraissent les plus importants. D'une part, il y a deux obstacles à la mise en _uvre d'une politique de prévention efficace. C'est un point de vue personnel que j'exprime suite à la lecture du rapport. Une réflexion sur la loi de 1807 et le régime juridique applicable en l'espèce est indispensable. Cette loi porte un millésime intéressant puisque, à cette date, Napoléon a aussi institué la Cour des comptes. Il s'agissait avant tout à l'époque d'assécher des marais ! Elle est donc marquée historiquement.

L'inondation était alors considérée comme un phénomène local. La prévention est donc entièrement attachée au droit de la propriété en dépit de tous les inconvénients de ce système, notamment le fait que les riverains ne fassent pas ce qui est de leur devoir par désintérêt ou manque de moyens financiers. On a tenté d'ajouter des strates législatives successives pour sortir de ce blocage d'origine, mais il demeure. Il suffit de se référer à la jurisprudence du Conseil d'État et des tribunaux administratifs pour constater que ceux-ci raisonnent toujours sur cette base.

D'autre part, le débat sur les grands ouvrages de protection contre les eaux n'existe pas ; c'est un débat interdit. Nous ne portons pas de jugement sur ce point, mais les réponses qui nous ont été faites montrent que, pour ce sujet, la religion est faite d'avance. Il nous semble qu'en raison des problèmes évoqués - en région Île-de-France et en Val de Loire notamment -, ce sujet mériterait pourtant de faire l'objet d'un débat public.

Ces deux points s'ajoutant l'un à l'autre, une troisième caractéristique apparaît : l'absence d'une vision d'ensemble sur les problèmes relatifs aux inondations. À l'évidence, on doit raisonner en termes d'inondations sur des bassins versants et de grands ensembles. Les éléments évoqués ci-dessus s'opposent résolument à ce que le problème soit à l'heure actuelle traité de cette manière.

M. le Président : Vous avez dit que le rapport public est un document de synthèse comprenant beaucoup d'éléments présents dans le document de base qui n'est pas rendu public. La Cour des comptes suit tous ces grands problèmes au plan national et les chambres régionales des comptes le font au niveau local. Il n'y a pas forcément des relations extrêmement étroites entre elles, des relations se nouent mais chacun travaille dans son secteur.

M. Bernard MENASSEYRE : Vous me peinez !

M. le Président : Lorsque les chambres régionales des comptes contrôlent localement des structures et font leurs observations, en général, les structures contrôlées tiennent compte des observations faites. Cela nous intéresse de pouvoir débattre, discuter, expliquer et rectifier si nécessaire.

L'établissement public d'aménagement de la Loire et de ses affluents que je préside, l'ÉPALA, a été contrôlé par la chambre régionale des comptes. Ce fut un travail très intéressant et nous avons tenu compte des remarques de la chambre, comme elle a tenu compte des nôtres. Or, la Cour des comptes a également fait un travail important sur l'action de l'État. Nous avons le sentiment que la réaction de l'État n'est pas la même que celle des élus locaux contrôlés. Tous les rapports cités montrent que les choses ont relativement peu évolué.

En tant que collectivité locale, responsable d'organismes locaux, nous aimerions qu'une suite soit donnée aux remarques de la Cour des comptes, car nous avons le sentiment que la qualité de vos travaux n'est pas suivie d'effets sur le terrain. Ce qui a été pointé il y a quelques années perdure et il reste difficile d'aborder certains sujets.

M. Bernard MENASSEYRE : Il ne faudrait pas donner de l'administration une vue entièrement négative. Nous avons constaté qu'après l'intervention de la Cour, les ministères ne sont pas restés inertes. En particulier, des efforts incontestables ont été faits en matière de programmation de PPR. Le ministère a dû vous en dire quelques mots. L'espèce de léthargie dans laquelle nous avions trouvé le sujet a évolué.

La ministre de l'Aménagement du territoire et de l'environnement a prescrit l'élaboration de PPR qui faisaient défaut. Ces documents sont longs à élaborer, leur méthodologie est difficile. Il faudrait couvrir l'ensemble du territoire, bien connaître le risque et son incidence sur les permis de construire et le plan d'occupation des sols. Ce problème ne pourra donc être résolu à court terme. Toute une partie du territoire est en retard. En particulier, la Bretagne, le Nord et la Picardie sont des zones dans lesquelles peu de plans avaient été prescrits.

Pour autant, il y a eu une prise de conscience. J'observe que l'administration ne peut pas tout et que les obstacles que j'ai énoncés, notamment au plan juridique, sont des obstacles qu'elle rencontre également. S'il n'y a pas de novation juridique, l'administration et l'État risquent d'être à nouveau confrontés à une forme d'irresponsabilité insurmontable parce que les termes de la loi sont inchangés.

M. le Rapporteur : Vous avez déjà répondu en filigrane à beaucoup de questions mais je souhaiterais des réponses plus précises. Le rapport de la Cour résulte-t-il également d'autres contrôles relatifs à la prévention des risques naturels en général ou relatifs à d'autres aspects de la politique de l'eau ?

M. Bernard MENASSEYRE : La 7ème chambre de la Cour des comptes ayant compétence pour contrôler le ministère de l'Environnement, nous avons entrepris une enquête systématique sur les services et les moyens de ce ministère. À ce titre, nous sommes en train de contrôler deux directions qui sont au c_ur de ces problèmes : la direction de l'eau et la direction de la prévention des pollutions et des risques.

La prévention des risques d'inondations nous a conduits très naturellement à nous demander de quels moyens dispose l'État. De la même façon, nous avons fait des études sur les directions régionales de l'environnement qui ont donné lieu à des interventions sous forme de référés du premier président. Nous sommes en train de contrôler de façon globale et synthétique les agences de l'eau. Au fond, notre compétence est assez large. Néanmoins, elle ne touche pas les services de l'eau et de l'assainissement, lesquels relèvent des collectivités territoriales, qui sont contrôlées par les chambres régionales des comptes.

La MEC de l'Assemblée nationale a publié récemment un rapport de M. Yves Tavernier relatif au prix de l'eau. La Cour et les chambres régionales des comptes ont participé activement à ce contrôle et ont apporté leurs contributions.

Au sein de la chambre que je préside, je vous rappelle que nous avons compétence sur les moyens et crédits et l'organisation des ministères de l'Environnement, de l'Équipement et de l'Agriculture. Ce rapprochement dans un même ensemble est un élément très important pour comprendre un certain nombre de problèmes que nous avons soulevés devant vous.

M. le Rapporteur : Depuis le rapport que vous avez publié en 1999, des avancées concrètes ont-elles été réalisées ? Concernant la position de la France comparée à celle d'autres pays, avez-vous des informations qui permettent de tirer des leçons ou des conclusions ?

M. Bernard MENASSEYRE : Le seul élément décelable dans le changement de la position de l'administration est un effort accru en matière d'études effectuées sous forme de PPR. Pour le reste, nous n'avons pas décelé de véritables modifications. C'est aussi avec une forme d'inquiétude que je range, de façon peut-être trop pessimiste, le rapport de la Cour au nombre des études qui ont été saluées à l'instant et qui n'ont pas eu de réelles suites. Comme nous l'avons écrit, la mémoire s'estompe... Après la catastrophe, on oublie, soit parce que l'on veut oublier, soit parce qu'il est plus commode d'oublier.

C'est l'un des éléments qui nous a le plus frappés dans ce travail.

En ce qui concerne les exemples étrangers, il est éclairant de pouvoir faire des rapprochements. Dans l'insertion au rapport public, nous citons deux exemples : d'une part, la grande inondation de l'Oder, comparable à ce qui pourrait se produire sur la Seine ou la Loire. D'autre part, nous avons relevé le cas du barrage sur la Tamise. Dans certains pays, on n'a pas hésité à construire des ouvrages de protection et surtout on a pris une référence en termes d'aléas naturels qui est très loin de celle que l'on considère parfois comme allant de soi : la crue de nature centennale. Il est évident que la crue de nature centennale ne donne pas une garantie suffisante. De nombreux exemples le démontrent : la crue historique de la Seine de 1658 a été plus importante que celle de 1910, les crues très meurtrières de la Garonne en 1875 ont entraîné la mort de quelques 300 personnes.

Cela laisse à penser que, dans certains cas, il y aurait intérêt à approfondir de façon différenciée la notion d'aléa de référence. Si l'on ne fait pas cette investigation, on traite les choses de manière relativement indifférenciée et sans doute inadaptée. À cet égard, je ne parle pas des digues maritimes des Pays-Bas. Mais on a là, historiquement et géographiquement, l'exemple d'une réflexion et d'une mise en _uvre qui tient compte d'aléas de l'ordre de plusieurs milliers d'années, pour faire face à des dangers potentiels que l'on considère suffisamment importants pour les prévoir et en tirer les conséquences. Cela fait partie des débats avortés qu'il serait peut-être utile de relancer de manière un peu plus ouverte.

M. le Rapporteur : À la lecture de votre rapport et à vous entendre, vous regrettez la doctrine du ministère de l'Environnement, peu favorable aux grands travaux d'aménagement. Je voudrais que vous vous exprimiez sur cette question.

M. Bernard MENASSEYRE : Il est difficile pour la Cour de se prononcer en opportunité. Nous nous sommes gardés de le faire parce qu'il ne faudrait pas ranger notre institution comme étant au nombre des défenseurs d'un terme que je n'ose pas prononcer : les « barrages » ou les grands ouvrages. La réponse d'un certain nombre de ministères nous a frappés. Le ministère de l'Environnement n'est pas un cas isolé, la réponse du ministère de l'Équipement n'est pas éloignée. En revanche, le ministère de l'Agriculture ne conteste pas le bien-fondé de telles constructions, ce qui démontre qu'au sein de l'administration, il y a une ouverture d'esprit différenciée.

Les arguments apportés à l'appui de la thèse de ceux qui sont hostiles aux grands ouvrages ne sont pas étayés par des démonstrations économiques ou des explications qui permettraient d'ouvrir un débat. Lorsque je dis que le ministère de l'Environnement n'est pas de l'avis de la Cour, je ne lui fais pas un procès d'intention. Je dis qu'en l'espèce, il semble que les arguments présentés par ceux qui nous ont contredits ne sont pas suffisamment étayés et mériteraient un surcroît d'investigations. En particulier, au sujet du coût comparé des grands ouvrages et de l'économie que pourrait représenter le préjudice évité.

Lorsque nous avons évoqué cette préoccupation sur la Seine concernant les barrages édifiés ou imaginés il y a une cinquantaine d'années et qui n'ont pas été tous construits, on nous a opposé des arguments qui, en termes économiques, mériteraient un approfondissement. Sur ce point, je n'ai pas d'opinion a priori en tant que magistrat de la Cour ; je pèse seulement la pertinence des objections qui nous sont faites. Si la pertinence ne nous paraît pas suffisante, il y a matière à discuter.

M. le Président : Dans le bassin de la Somme, que nous avons visité hier et avant-hier, si les riverains avaient pu avoir 30 à 40 centimètres d'eau de moins, ils n'auraient sans doute pas connu d'inondations. Or, lorsque l'on parle publiquement de la possibilité d'écrêter, de 30, 40 ou 50 centimètres, on nous oppose le coût du barrage en disant que dépenser un milliard pour épargner 40 centimètres ne vaut pas la peine. Mais, c'est le dernier centimètre qui fait le plus de mal ! C'est un sujet délicat et tabou actuellement. Le jour où nous aurons dépassé cette difficulté, nous aurons réalisé une grande avancée.

M. Marc LE ROUX : C'est effectivement l'objection très fréquemment avancée à l'intérêt de grands ouvrages. Or, il est essentiel de limiter l'énergie de la crue, en raisonnant davantage en termes de débit que de hauteur d'eau.

Cela peut se faire par deux grands moyens : d'une part, les champs d'expansion des crues qui participent du libre écoulement des eaux et, d'autre part, les retenues qui permettent non seulement de contenir une partie de l'énergie, mais aussi de décorréler les différentes ondes de crues. On pourrait citer l'Yonne dont la crue est beaucoup plus rapide que la Seine, ou l'Allier qui a une crue plus violente que celle de la Loire, dont la décorrélation permet de limiter les dégâts.

Mais il est vrai qu'en termes de diminution de hauteur d'eau, le raisonnement donne une impression d'effet mineur ou dérisoire. Si le barrage du Veurdre était réalisé sur l'Allier, en cas de crues, la diminution serait de 20 centimètres à Tours, de 50 centimètres à Orléans. L'effet cumulé des 4 lacs réservoirs en amont de la Seine et de ses affluents induit une diminution de l'ordre de 90 centimètres. En termes de débit, c'est considérable : 800 m3 par seconde, sur un débit de crue maximal en 1910 de 2 500 m3 par seconde.

Cette partie supérieure du débit est justement la plus dommageable. Ce raisonnement est valable sur la Seine et sur la Loire. Au contraire, le Rhône ne peut pas faire l'objet de tels aménagements, les barrages hydroélectriques étant tout à fait transparents vis-à-vis de la rétention des eaux ; la seule véritable solution, ce sont alors les digues, qui, malheureusement, sont appelées à être rompues un jour ou l'autre.

L'analyse économique, qui permet de comparer l'économie de dommages avec le coût des ouvrages, tend à montrer que, dans le cas des grands fleuves et des zones urbanisées, quel que soit le type d'ouvrage réalisé, l'intérêt des ouvrages mérite d'être considéré. Par contre, le ministère a fait une objection valable en affirmant que nous n'avions pas opéré de calcul d'actualisation.

Il faut distinguer les deux grands types de crues intéressant les travaux de la commission d'enquête : les crues de plaine - la Somme en est un exemple malheureux récent - et les crues torrentielles, telles que dans l'Aude. Dans le cas des crues torrentielles, l'enjeu est la vie des personnes. Parler de rentabilité économique dans ce cas est délicat. Les montées d'eau peuvent atteindre sept mètres en quelques minutes. Nous avons des exemples dans l'histoire récente, notamment Vaison-la-Romaine. Il est permis de douter de la pertinence du calcul économique dans ce cas.

Pour les crues de plaine, le calcul est plus pertinent mais il y a un obstacle à son application. La comparaison en francs actuels est possible mais si l'on applique une actualisation sur 100 ans avec un taux de 7 %, l'on divise par mille l'économie des dommages qui se produiraient dans 100 ans. Ce qui veut dire que l'économie des dommages devient négligeable. Dans ce cas, il n'y aurait aucun intérêt à réaliser de grands ouvrages. Mais l'incertitude est : quand la grande crue surviendra-t-elle ? Plus le temps passe, plus la probabilité augmente. Pour la Seine, la crue de 1910, qui ne fut pas la plus importante, est considérée comme centennale ; donc l'échéance approche. L'espérance mathématique de l'économie des dommages devient plus forte. Il est par ailleurs nécessaire de faire une comparaison complète en tenant compte de la grande crue de référence, au-delà de laquelle il n'y a pas de protection absolue, mais aussi de l'ensemble des crues intermédiaires dont les dommages sont économisés (par exemple, une crue cinquantennale, deux crues vingtennales, cinq crues décennales).

La Cour a également inclus dans ses calculs le coût, prépondérant, de fonctionnement et d'entretien des ouvrages. Dans le cas de la Seine, sur 100 ans, cela représente, par rapport à 4 milliards de francs de construction pour quatre retenues, une estimation de 9 milliards de frais de fonctionnement.

M. le Président : Concernant la Loire, le coût des travaux serait de 3,5 milliards de francs pour 500 km, afin d'éviter une crue centennale. Ces 3,5 milliards limiteraient les dégâts à environ 6 milliards de francs au lieu de 40. La dernière crue centennale a eu lieu il y a 150 ans, cela montre que l'on a bien fait d'attendre, mais maintenant il serait peut-être temps d'agir !

M. Robert GALLEY : J'ai écouté avec beaucoup d'attention votre réquisitoire, Monsieur le Président, et je partage l'essentiel de vos idées.

Les schémas d'aménagement et de gestion des eaux (SAGE) peuvent être un moyen de prévoir l'expansion en amont d'un certain nombre de crues et, par conséquent, de stocker des volumes d'eau sur des terres inondables en amont des fleuves et rivières de manière plus importante que ne le permettent actuellement les barrages.

Ne pensez-vous pas que l'on devrait indiquer très clairement que ces SAGE, qui ne sont aujourd'hui utilisés que pour l'assainissement, doivent obligatoirement traiter de la prévention des inondations ? Dès lors qu'ils ont été élaborés et acceptés, on devrait chercher des formules législatives qui permettraient d'obliger les gens à faire les travaux, avec une recherche de responsabilité économique et financière.

L'Île-de-France a payé l'essentiel des grands barrages destinés à la préserver. Les départements de l'Aube, de la Marne ou de la Haute-Marne ne pouvaient les prendre en charge. Le projet de loi sur l'eau n'est-il pas opportun pour traiter de ce problème ?

Ensuite, j'ai été absolument ravi de voir que vos conclusions rejoignaient les miennes en matière d'assurances. Que faut-il faire ? Je sais de source sûre que, si l'on construit un supermarché sur un terrain inondable, le taux d'assurances sera le même que si on met le supermarché sur une colline, avec cette différence que le prix du terrain en zone inondable est plus faible. Le supermarché aura donc tendance à s'installer en zone inondable.

Sur le plan législatif, pensez-vous que l'on pourrait faire en sorte qu'il y ait une différenciation des primes d'assurances suivant que l'on est dans une zone à risques ou dans une zone sans risques ?

M. Bernard MENASSEYRE : Je ne voulais pas utiliser le ton du procureur. Il y a, de manière générale, une inquiétude sur les sujets que nous traitons, qui explique la gravité des constats que nous faisons. Vous avez évoqué deux sujets : les SAGE et l'assurance.

Les SAGE, dans la mesure où ils sortent du cadre local, sont en eux-mêmes des éléments positifs. Il s'agit d'un effort tout à fait louable, qui contribue à donner une vision plus réaliste et plus opérationnelle de la gestion de l'eau. Je ferai deux observations à cet égard. Souvent, les SAGE ne sont pas en harmonie avec les documents juridiques élaborés à titre préalable parce que la chronologie n'est pas la même. Une harmonisation des différents instruments (PSS, PPR, SAGE) doit être recherchée. Elle est indispensable.

Vous avez soulevé une question essentielle : peut-on obliger les propriétaires à faire des travaux ? Nous retrouvons la problématique de base de la loi de 1807. Cette loi a deux volets : d'une part, qui a l'initiative de la maîtrise d'ouvrage ? D'autre part, qui doit supporter les frais ? Il faudrait traiter les questions de façon différenciée.

Autant il me semble que laisser la maîtrise d'ouvrage aux riverains, quels qu'ils soient, fussent-ils groupés en association, relève d'un pari optimiste, autant, en ce qui concerne le financement, dans la mesure où la protection contre les eaux bénéficie aux riverains, il faut trouver une solution pour que les riverains financent l'atténuation du préjudice qui sera le leur. A priori, on peut imaginer une forme de découplage entre la maîtrise d'ouvrage et le financement. Si le législateur abroge la loi de 1807, que doit-il mettre à la place ? C'est une question qui pourrait faire l'objet d'une analyse sélective selon les éléments en cause.

Concernant l'assurance et la forme de perversion qu'elle recouvre - la déresponsabilisation -, au-delà des problèmes de solidarité nationale, il convient d'appliquer la règle essentielle de l'assurance : « celui qui fait courir un plus grand risque en supporte le coût ». Nous avons été relativement surpris que le ministère de l'Économie, des finances et de l'industrie dénie la possibilité de moduler la surprime au nom de la solidarité nationale. Si cette position est maintenue, elle rendra très difficile la mise en _uvre de ce principe assurantiel simple. Cela me paraît relever du domaine du bon sens. Sans cela, le système assurantiel ne joue pas, l'assureur n'est plus qu'une sorte de guichet sans aucun pouvoir de sélection. Je n'ai pas sondé les assureurs mais, si nous les interrogions sur ce point, ils seraient sûrement intéressés de pouvoir choisir les risques les plus significatifs.

M. Jean LAUNAY : Dans votre intervention liminaire, vous avez qualifié le rôle des agences de l'eau d'hypothétique. Pourriez-vous développer ?

Au sujet de l'annonce des crues, vous avez parlé d'incertitude sur la répartition des rôles. Nous avons, sur notre bassin, une entente interdépartementale qui réalise des investisements avec des financements de l'État et des collectivités départementales relativement bien partagés. Mais au final, la propriété revient à l'État.

Enfin, le directeur de l'eau nous a indiqué que l'annonce des crues était de sa compétence. Cependant, quelle est sa véritable responsabilité ? Doit-on parler de compétence ou de responsabilité ? S'il y a dysfonctionnement au moment de l'alerte, le public se tourne vers les pouvoirs publics, vers l'État en général et vers les élus. Dès lors, n'est-il pas nécessaire de se diriger à la fois vers une décentralisation plus aboutie et vers un État fort qui prenne ses responsabilités et partage bien les rôles ?

M. Bernard MENASSEYRE : Les agences de l'eau sont des organismes dont la vocation essentielle est de lutter contre la pollution et d'instaurer un système de contributions destinées à préserver la ressource en eau. Étant données leurs compétences, je ne vois pas, pour le moment, ce qui leur donnerait vocation à agir en matière de prévention contre les inondations.

La faiblesse du ministère de l'Environnement au niveau central et déconcentré pousse cette administration à s'appuyer sur des organismes extérieurs qui sont sous sa tutelle, comme si la priorité n'était pas de doter l'État des moyens qui lui sont indispensables. Il serait bien plus satisfaisant que chaque préfet puisse s'appuyer sur les services de la direction régionale de l'environnement plutôt que de recourir à une institution qui a une autre fonction. Cela constitue une forme de dilution des responsabilités. Ce n'est pas une critique des agences de l'eau mais chacun a des responsabilités, des compétences, des missions. À vouloir donner des missions à d'autres que ceux qui doivent les exercer, on brouille les pistes plutôt qu'on ne les éclaircit.

En ce qui concerne l'annonce de crues, les choses sont assez claires. Selon la jurisprudence administrative, l'État n'est pas responsable de l'annonce des crues et le maire est responsable de l'alerte. Il n'empêche que des installations sont prises en charge par l'État de manière opportune. L'État en a la propriété et est chargé de leur entretien. Si ces services sont défaillants lors de l'annonce des crues, alors l'État est responsable. Mais, en général, il est difficile d'identifier un responsable.

Compte tenu de la nature de cette responsabilité, il est possible d'imaginer de la confier à une autorité, qui serait vraisemblablement dépendante de l'État, dans une entente avec les collectivités locales intéressées. Le pire serait de laisser persister un vide juridique, une absence d'identification de la responsabilité. Dans le cas contraire, l'État n'est pas responsable mais tout de même intéressé. Il met en place, gère, modernise mais, finalement, il pourrait ne rien faire puisque rien ne l'y oblige.

Mme Roselyne BACHELOT-NARQUIN : Il y a dans votre rapport, un recensement des PPR prescrits et approuvés au 15 juillet 1998. Pourrions-nous avoir, en parallèle, l'équivalent actualisé, afin de pouvoir observer les évolutions ?

M. Bernard MENASSEYRE : Lorsque nous avons commencé nos investigations, nous avons eu les statistiques portant sur 1996. Les tableaux figurant en annexe du rapport de la Cour portent sur l'année 1998. Le ministère chargé de l'Environnement, dispose d'un document actualisé. À l'occasion du contrôle de la direction de la prévention des pollutions et des risques, nous avons demandé des informations sur ces éléments. Puisque vous êtes en relation directe avec le ministère, il est simple de demander l'actualisation qui fera ressortir une progression indiscutable des prescriptions et vous permettra de mesurer la durée nécessaire à l'approbation des PPR prescrits.

Mme Roselyne BACHELOT-NARQUIN : Vous indiquez que seulement 7 villes de plus de 100 000 habitants bénéficient d'un PPR. Cela a pu évoluer puisque vos travaux datent de 3 ans. On ne peut qu'être frappé par la timidité des communes et grandes villes dans cette démarche. Beaucoup de ces villes n'ont pas envie de se voir « infliger » un PPR. Cela est tout à fait évident ! La démarche PPR n'est pas assez coercitive. Nos villes et structures intercommunales ont pourtant été contraintes de bâtir un plan de déplacement urbain en quelques mois, avec tout ce que cela comporte de difficultés.

Quelles dispositions législatives préconiseriez-vous pour rendre cette démarche plus coercitive ? Quelle pourrait être l'implication des communes ou structures intercommunales, susceptibles d'être l'échelon le plus pertinent pour gérer les PPR ?

M. Bernard MENASSEYRE : Nous avons souligné que les grandes cités fluviales étaient dépourvues de PPR, sauf la ville de Vienne.

Mme Roselyne BACHELOT-NARQUIN : Metz et Strasbourg ont également des PPR.

M. Bernard MENASSEYRE : Metz, Strasbourg et Vienne effectivement. Il existe parfois des difficultés techniques à élaborer ces PPR. Il ne suffit pas de faire un PPR. Il faut également avoir un document correctement établi qui ait une signification. Les données techniques sont notamment souvent difficiles à rassembler. Vous avez raison de faire valoir que le PPR a certains inconvénients : quand on connaît, on est responsable. Lorsque l'on connaît le risque, que l'on est responsable, que l'on prescrit des plans d'occupation des sols et que ces plans ont des traductions pratiques en termes de permis de construire, on comprend qu'il y ait une forme de réserve, de prudence vis-à-vis des PPR.

Hormis les cités fluviales, nous avions également relevé l'absence de prévention pour des rivières qui ont débordé dans l'Aude. Il est difficile de prendre en compte le risque dans les documents d'urbanisme, contraignants mais antérieurs.

En supposant que l'on ait connaissance de ces documents, quelles relations s'instaurent entre le représentant de l'État et l'autorité locale dans le mécanisme du contrôle de légalité ? Il ne suffit pas d'avoir un PPR, il convient aussi que, lorsque des éléments contraires au PPR apparaissent, le représentant de l'État soit vigilant aux conséquences qu'entraînent les transgressions des plans pour le futur.

M. Jacques BASCOU : Il ne faut pas déconnecter ce problème d'une réflexion générale. Le problème du PPR est un problème de diagnostic : on a déterminé un aléa, mais, à partir de là, que fait-on ? Dans l'Aude, il y a des habitations dans des zones de fort aléa. La réponse de l'État n'est pas précise. On ne peut pas avoir d'échanges ou de transfert de propriété. La seule réponse apportée récemment est de monter les maisons d'un étage. Une réflexion plus approfondie est donc indispensable.

Toutes les auditions renvoient au même constat : il n'y a pas eu de concrétisation des PPR. Cependant, cette critique, qui est juste, fait croire aux populations que l'on va trouver une solution qui permettra d'aboutir au risque zéro. Il est nécessaire de dire aux populations que le risque zéro n'existe pas et de leur faire prendre conscience des risques et des contraintes. Le rapport de la Cour des comptes est intéressant mais cela a pu donner l'illusion qu'un jour, on trouverait une solution idéale. Une démarche pédagogique en direction des populations est également à envisager.

M. Bernard MENASSEYRE : Vous avez parfaitement raison. Il ne faut pas imaginer que les conditions atmosphériques vont évoluer jusqu'à conduire à l'absence de risque. Les risques pluviométriques sont hors de la portée de l'action de l'homme. Une autre donnée, qui n'est pas de même nature, mais tout aussi contraignante, concerne l'état de l'urbanisation existante. C'est malheureusement une donnée sur laquelle on ne peut plus influer. D'ailleurs, la jurisprudence administrative va dans ce sens. Elle interdit les constructions nouvelles mais n'interdit pas de conforter les habitations existantes. Donc, le risque zéro n'existe pas. Le risque peut être limité pour l'avenir mais l'on doit considérer qu'il y a un « stock » de bâtiments, d'installations, qui, de toute façon, resteront soumis au risque.

M. le Président : Nous vous remercions.

Audition de M. René COULOMB,
président,

de M. Yves MAROLLEAU,
président du comité scientifique et technique

et de M. Daniel DUBAND
président de la division « eau et environnement »
à la Société Hydro-technique de France

(extrait du procès-verbal de la séance du 13 juin 2001)

Présidence de M. Éric DOLIGÉ, Président

MM. René Coulomb, Yves Marolleau et Daniel Duband sont introduits.

M. le Président leur rappelle le mode de fonctionnement de la commission et leur indique que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. À l'invitation du Président, MM. René Coulomb, Yves Marolleau et Daniel Duband prêtent serment.

M. René COULOMB : La société hydro-technique de France (SHF) a été fondée en 1912 mais son origine, liée au développement de l'hydraulique, est plus ancienne, en raison de l'intérêt porté à l'hydroélectricité au début du siècle. La revue La Houille Blanche, dans laquelle nombre de nos publications paraissent, a été créée en 1902 à Grenoble. Elle fait partie des revues reconnues internationalement au plan scientifique.

Nous sommes un carrefour de la recherche universitaire et industrielle et des applications dans deux domaines. D'une part, le domaine de l'eau proprement dit dans toutes ses dimensions (gestion de la ressource ; utilisation de l'eau pour l'alimentation, pour l'agriculture, pour l'hydroélectricité, la nourriture, les transports ; incidences sur l'environnement dans le cadre d'un développement durable ; hydrologie ; météorologie ; crues et inondations ; étiages et sécheresse). D'autre part, même si ce n'est pas le sujet qui vous préoccupe, elle s'implique aussi dans le domaine plus général de la mécanique des fluides et de leurs applications industrielles.

Cette association a pour objet - c'est l'article premier de ses statuts - de favoriser le progrès et le développement des connaissances et de la culture scientifique dans tous les domaines de la ressource en eau et des sciences hydro-techniques. C'est un lieu de dialogue ouvert, neutre, qui s'efforce d'être indépendant car il est basé sur le bénévolat et l'expertise de ses adhérents qui témoignent de la variété de l'ensemble des acteurs publics et privés concernés par l'eau. Il tire son efficacité d'une structure très simple et originale : un collège d'adhérents qui sont des entreprises industrielles, agricoles, des bureaux d'études, des laboratoires, des établissements publics, des collectivités locales et de nombreux membres individuels.

Pour animer l'activité scientifique et de recherche, un comité scientifique et technique réunit des chercheurs, des universitaires, des ingénieurs et des gestionnaires. Ce comité scientifique et technique est présidé par M. Yves Marolleau. Par des colloques, des journées, des congrès baptisés « journées de l'hydraulique », on tente de confronter de nombreux points de vue, dont il peut ressortir des recommandations qui peuvent être utiles. Nous ne sommes ni des donneurs d'ordre ni des donneurs de leçons. Grâce à cela, nous avons acquis, malgré le déclin de l'influence de la langue française, un rayonnement international nous permettant de travailler en liaison avec l'Association internationale de recherche hydraulique. Nous sommes membres du Conseil mondial de l'eau, dont le siège est à Marseille et qui réunit tous les organismes publics ou privés s'intéressant à l'eau dans le monde. Nous comptons de nombreuses participations à notre revue La Houille Blanche notamment, en provenance de pays d'Afrique.

M. Yves MAROLLEAU : Je présenterai les manifestations que nous avons organisées au cours de la dernière décennie et celles de cette année. Auparavant, je souhaite rappeler tout l'intérêt que la SHF porte aux crues et aux inondations. Ce sont surtout des constructeurs et des exploitants qui ont constitué la SHF. Comme leurs ouvrages étaient situés dans les rivières et dans les fleuves, les problèmes de crues et d'inondations les ont intéressés. Cela a conduit notre société à former un corps d'experts reconnus. Sans remonter à l'origine de notre association, je mentionnerai notre congrès de 1968 qui a réuni près de 300 participants, dont 20 % d'étrangers représentant une vingtaine de pays. Le thème était : « La prévision des crues et la protection contre les inondations ». Cette manifestation a eu lieu deux ans après la crue catastrophique de l'Arno qui avait dévasté Florence et la Toscane.

Je cite mon prédécesseur Michel Banal : « La crue de l'Arno a excédé tout ce qui avait pu être observé depuis le Moyen Âge. La hauteur d'eau atteinte dans la ville de Florence paraît en effet avoir très largement dépassé (1m et plus) les repères placés à la suite des crues très anciennes de 1333, 1557, 1844. Il faut reconnaître qu'il y a surtout dans nos pays tempérés quelque chose d'irritant dans l'irrégularité de l'apparition des crues exceptionnelles ».

Depuis 1994, quatre manifestations ont eu lieu sur le thème des inondations et deux colloques en ont traité partiellement :

- le congrès de Nîmes a réuni plus de 300 personnes, en septembre 1994 ; cette manifestation intervenait deux ans après la catastrophe de Vaison-la-Romaine qui a fait plus de 30 morts ; on a pu constater que les experts météorologues et hydrologues commençaient à se parler, ce qui fut très agréable pour nous qui recherchons la pluridisciplinarité ;

- en septembre 1997 à Paris, nous avons organisé un colloque sur le risque d'inondation en Région parisienne ; ce fut l'occasion de sensibiliser les Franciliens sur le risque de retour d'une crue type 1910, dont l'occurrence est de 100 à 150 ans et dont le coût actuel serait de l'ordre de 50 à 60 milliards de francs ;

- en mars 1999, nous avons organisé le colloque « Crues de la normale à l'extrême », qui a réuni des experts météorologues et hydrologues de la genèse des crues, en partant des observations et de la modélisation ;

- la même année en septembre, le colloque « Gestion des risques liés aux inondations rapides et lentes » a explicité la notion de risque, à savoir la conjonction d'un aléa naturel et d'une vulnérabilité liée à une pression anthropique sur le territoire ; quatre volets ont été présentés : la prévention, la prévision, la gestion de la crise et le retour d'expérience ; des thèmes transversaux ont également été abordés tels que : la sensibilisation, l'information, la communication et la formation ; le but étant de développer une culture du risque pour tous les acteurs.

Les deux colloques qui ont abordé partiellement les inondations sont celui de Bordeaux, « L'eau et la ville » en mars 1997, et surtout le colloque sur la Loire, à Tours, en juin 1996. L'un des membres de votre commission, M. Yves Dauge y a fait un exposé, et le président Doligé était l'un des invités de la table ronde.

En 2001, nous avons quatre manifestations dont trois traitent des inondations. La première, les 20 et 21 juin à Toulouse, « Imagerie satellitaire et radar au service de l'eau » : il s'agit du problème de la prévision. Les 26 et 27 septembre, à Nancy, « Forêts et eau » il s'agit de l'incidence de la forêt sur la gestion de l'eau dans le domaine des étiages et des crues. Les 12 et 13 décembre, à Paris, « Variations climatiques et hydrologie » qui touche également un problème d'actualité.

M. Daniel DUBAND : Les principaux acteurs qui constituent notre réseau de communicants et d'auditeurs sont  le ministère de l'Aménagement du territoire, à travers la direction de l'eau et la direction de la prévention des pollutions et des risques, le CEMAGREF, le CNRS, l'Institut français de recherche scientifique pour le développement en coopération, EDF, l'École nationale supérieure d'ingénieurs de mécanique et d'hydraulique de Grenoble, le ministère de l'Intérieur par la direction de la défense et de la sécurité civiles...

Pour ma part, je suis membre d'un certain nombre de commissions, entre autres à Météo-France, concernant l'hydrologie et les réseaux climatologiques, à l'agence de l'eau Rhône-Méditerranée-Corse, au sein du conseil scientifique. J'ai fait partie de la mission Dauge, du groupe d'appui scientifique de la mission interministérielle sur les crues de Bretagne. Je suis également conseiller dans l'étude globale des crues du Rhône qui se fait sous l'égide de l'institution Rhône-Saône, financée en partie par l'agence Rhône-Méditerranée-Corse.

Nous avons entrepris une réflexion sur les inondations suite à la mission Dauge, laquelle avait débuté à la SHF depuis quelques années. Le fait que nous ayons une division « glaciologie, nivologie » a donné comme base de réflexion l'Association nationale de l'étude de la neige et des avalanches (ANENA), créée en 1970 à Grenoble, suite à une avalanche à Val d'Isère qui avait fait une quarantaine de victimes.

Au niveau national, il manque une structure plutôt de type associatif, et non pas un groupement d'intérêt public, qui pourrait prendre modèle sur l'organisation de l'ANENA qui concerne 600 communes dans les massifs montagneux, les Alpes, les Pyrénées, le Massif central, le Jura et les Vosges. Il est vrai que le nombre des communes concernées par les crues et inondations, environ 8 à 10 000, est sans commune mesure.

Cette réflexion est en cours avec des responsables du ministère de l'Environnement, des agences de l'eau, des équipes du plan Loire, des sociétés d'assurance, du CEMAGREF, etc. Cela servirait à entretenir la mémoire des événements historiques car il y a une forme d'amnésie en France. Nous avons une mémoire historique archivée qui remonte à 150 ans et que l'on a tendance à oublier en cas d'événements exceptionnels. Il convient également de contribuer à l'expertise et à favoriser le retour d'expérience. Il est donc nécessaire de développer une communication dans tous ses aspects et de participer à une formation. Une réflexion est en cours au niveau national.

M. le Président : Merci Messieurs de nous avoir présenté votre société. Vous avez abordé de nombreux sujets dont l'un m'intéresse plus particulièrement : la mémoire. Je l'évoquais à plusieurs reprises, à propos de la mise en place d'un centre national de prévention des inondations. Y êtes-vous favorable et si oui, quelles pourraient être les missions confiées à ce centre ?

M. René COULOMB : Nous ne nous sommes pas penchés sur la création d'un centre. Avant de laisser la parole à M. Yves Marolleau qui s'appuiera sur les propositions du rapport Bourrelier, je souhaite confirmer l'idée d'une association analogue à l'ANENA, dans la mesure où nous l'avons expérimentée et connaissons son utilité. Cela peut se faire simplement, puisqu'il s'agit d'une association loi 1901.

MM. Marolleau et Duband ont préparé les statuts d'une telle association, évoquée dans diverses réunions avec des établissements publics en charge de ce problème, des représentants de l'administration centrale et des responsables de l'équipe pluridisciplinaire du Plan Loire Grandeur Nature. En ce qui concerne un centre de prévision, cette question est relative à l'organisation des pouvoirs publics. Je ne sais pas si nous sommes aptes à vous répondre correctement.

M. Yves MAROLLEAU : Nous sommes une association indépendante et neutre. Nous n'avons donc pas de position politique à prendre, néanmoins, il nous est permis d'avoir un avis en tant que citoyen. Je me référerai au rapport d'évaluation de l'ingénieur général des mines, M. Bourrelier. Le rapport, paru en septembre 1997, prévoyait la création d'une agence d'analyse d'accidents qui soit indépendante. Tous les acteurs seraient réunis dans une telle association : les sinistrés, les habitants des zones à risque, les collectivités territoriales, les experts, les institutions scientifiques, les professionnels, les administrations et les assureurs, ainsi que tous ceux qui gèrent des organismes comme le vôtre, notamment l'Association française des établissements publics territoriaux de bassin, qui n'existait pas alors.

Nous y sommes favorables. Nous avons préparé des statuts adaptés, qui ont été proposés dans une réunion qui a eu lieu le 15 mai au ministère de l'Environnement. Il conviendrait donc de demander son avis au ministère. Nous avons apporté notre pierre mais nous ne sommes pas les décideurs. Cependant, nous restons prêts à apporter notre aide.

M. le Rapporteur : Quel est le rôle de l'agence que le rapport préconise ? On a constaté une absence de coordination entre les différents spécialistes. Le directeur du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) indiquait qu'il n'y avait pas de rapport entre ceux qui étudient le sol, le sous-sol et l'atmosphère. Nous ne disposons pas d'un centre hydrologique national. Quel est votre avis sur la façon dont la prévision est organisée et quelles sont les préconisations que vous pourriez faire ?

M. Yves MAROLLEAU : Je vais revenir sur cette agence, mais la prévision, c'est autre chose. La proposition n° 2 du rapport Bourrelier préconise de créer une agence d'analyse d'accidents indépendante pour organiser le retour d'expérience et entretenir la mémoire du risque. Le retour d'expérience est la pierre angulaire de toute politique de prévention. Les références sont nombreuses : aviation civile, nucléaire, construction, sécurité routière, risques technologiques. L'absence de retour d'expérience sur le risque naturel est d'autant plus paradoxale et inadmissible que le système d'indemnisation permettrait de collecter facilement les éléments d'une documentation de base, au moins sur les dégâts.

Cependant, j'observe que des opérations de retour d'expérience se sont mises en place à partir de l'observation des catastrophes de l'Aude.

M. le Rapporteur : Et sur le second aspect de ma question : l'organisation de la prévision et le travail entre les différents spécialistes ?

M. Daniel DUBAND : J'ai eu la charge d'un service à EDF. Dès les années 1960, un service hydro-météorologique a été créé pour la prévision. Cela a permis de créer une culture météorologique et hydrologique. Les informations venaient de Météo-France et étaient traitées par des ingénieurs de Météo-France et des ingénieurs hydrologues d'EDF. Il conviendrait de créer ce type de structure afin d'éviter les cloisonnements. Aujourd'hui, Météo-France fait des bulletins d'alerte, et les transmet aux services d'annonce de crue de l'État : tout cela est trop cloisonné.

À mon sens, il faut traiter complètement l'information que fournit Météo-France et l'adapter au phénomène de ruissellement de surface. Cela me paraît nécessaire au niveau des grands bassins versants, en commençant, par exemple dans le Sud-est ou dans la Loire. Cette structure intégrerait les deux types d'organisation s'agissant des services de l'État. Tant que l'on n'aura pas fait cela, on conservera cette stratification des divers services de l'État et donc des responsabilités.

M. le Rapporteur : Limitez-vous l'intégration aux météorologues et hydrologues de surface ?

M. Daniel DUBAND : Les phénomènes souterrains sont importants et ce qui remonte des nappes phréatiques résulte d'une forme de saturation des terrains. Ce fut le cas dans la Somme, en Bretagne, en Île-de-France, en 1983, en 1936, en 1910. En cas de pluies très longues, les phénomènes affectant les nappes phréatiques ont toute leur importance. Il existe des compétences au BRGM en la matière. Elles compléteraient utilement cette organisation. Cependant, la partie la plus importante demeure ce qui vient du ciel, à savoir la pluie. Nous avons encore beaucoup à faire en matière de prévision pour anticiper ce qui va arriver sur le sol, dans les rivières ou dans les nappes dans les jours ou les semaines à venir.

M. René COULOMB : À EDF, cette équipe pluridisciplinaire existe depuis longtemps. Il convient de faire la même chose dans tous les services de prévision. Un système d'astreinte est indispensable car la pluie ne s'arrête pas avec les 35 heures !

M. le Rapporteur : Nous avons entendu les responsables du CEMAGREF expliquer que, en cas d'inondation exceptionnelle, les causes humaines jouent un rôle secondaire. Qu'en pensez-vous ?

M. Daniel DUBAND : Je suis d'accord avec cette affirmation. L'anthropisme joue au niveau des crues moyennes, inférieures à la crue décennale. Dans le cas des phénomènes plus rares, crue vingtennale, cinquantennale, centennale, la violence du phénomène physique prend le dessus sur les éléments anthropiques.

M. le Rapporteur : Au cours des diverses auditions, il y a eu un débat sur l'existence d'endiguement, de barrages, d'ouvrages plus ou moins importants. Sur le plan scientifique, nous avons des interrogations : ces ouvrages sont-ils susceptibles d'entraîner des effets pervers sur la gestion des inondations ?

M. René COULOMB : Peut-on diviser la question ? Il peut y avoir des ouvrages comme des ponts à Vaison-la-Romaine qui, lors de la crue, peuvent aggraver la situation.

Visez-vous, au contraire, des retenues qui servent à stocker l'eau pour tenter d'avoir un effet sur les crues moyennes et permettre à l'homme d'influencer le déroulement d'événements qui lui échappent en grande partie ?

M. le Rapporteur : Ma question porte sur les équipements que l'homme peut installer pour prévenir les inondations.

M. Daniel DUBAND : Si on fait des barrages pour écrêter les crues, il ne faut faire que cela. Lorsque l'on installe des barrages multi-usages, il y a toujours un usage privilégié par rapport aux autres. On ne peut pas jouer sur tous les tableaux. Certains barrages peuvent écrêter des pointes de crue à condition que les prévisions soient très précises. Les barrages écrêteurs de crues, tels que ceux des Cévennes, sont à leur place car ils écrêtent des crues très rapides et ne font que cela. Lorsqu'il s'agit d'écrêter des crues lentes, c'est déjà beaucoup plus difficile car la plupart des barrages sont remplis avant d'arriver à la pointe.

Il existe aussi les champs d'expansion. Ils ont leur intérêt dans certains grands bassins et zones humides. Ils permettent de retarder les crues et de limiter les conjonctions à l'aval. Cependant, en remplissant ces zones, il faut veiller à ne pas véhiculer des sédiments pollués qui sont dans le cours principal de la rivière au moment des grandes expansions.

Cependant, il n'y a pas de solution miracle ! Lorsque les crues sont très lentes et très longues, on a intérêt à évacuer l'eau et non pas à la stocker. Stockée, elle a un rendement très grand par rapport à la pluie, voisin de un. Il n'y a donc pas de solution miracle mais des solutions différentes adaptées à chaque situation. Au sein du même bassin, il peut y avoir plusieurs solutions.

M. René COULOMB : On ne peut pas donner une seule réponse globale à un problème donné. Certains phénomènes exceptionnels sont difficiles à maîtriser, à moins de faire des ouvrages extrêmement importants, tel que l'a fait l'Institution Interdépartementale des Barrages Réservoirs de la Seine, à la suite à la crue catastrophique de 1955. Ensuite, on a surtout cherché à relever les débits d'étiage avec des barrages à buts multiples. On a arbitré comme on a pu. Il est difficile en effet de provoquer de petites crues lorsque l'on assiste à des crues et que l'on souhaite recréer un creux dans le réservoir car la population a l'impression que, pour éviter des phénomènes extrêmes, on favorise des crues moyennes et que l'on maintient une situation désagréable.

Nous avons fait d'énormes progrès. Nous avons étudié la propagation des effets des barrages sur l'aval. Tout en étant utile pour les crues moyennes et, dans certaines circonstances, pour les crues exceptionnelles, ce n'est pas la panacée. Cela ne résout pas les problèmes liés aux inondations, si l'on donne la priorité à la garantie des débits d'étiage pour l'été suivant.

Enfin, cela doit être complété par des mesures locales, comme l'envisage l'agence de bassin Seine-Normandie et l'Entente interdépartementale des barrages-réservoirs, par des champs d'expansion des crues dans des zones adaptées.

M. Yves MAROLLEAU : Le Rhin est constitué, pour sa partie amont, par le grand canal d'Alsace où les usines se succèdent. C'est un élément qui accélère les débits. Lors d'une très grande crue en 1990, pour soulager les Allemands à la frontière, il nous a été demandé de basculer l'eau du canal au niveau du barrage de Kembs, vers le lit du Rhin. Grâce à cette expansion dans un lit qui n'avait pratiquement pas d'eau, on a retardé l'écoulement et gagné quelques décimètres dans les villes d'Allemagne. Donc, chaque situation appelle une réponse adaptée.

M. le Président : Les ouvrages doivent être adaptés et avoir un objet unique, sinon il y a un conflit d'usages difficile à gérer. De plus, il doit y avoir des mesures complémentaires : l'entretien du lit, etc.

Vous connaissez probablement l'ouvrage potentiel du Veurdre qui est à objet unique et ne serait utilisé que dans des cas très particuliers, en cas de crues. Que pensez-vous de ce type d'ouvrage ?

M. Daniel DUBAND : Il s'agit là d'un véritable ouvrage écrêteur de crues. Il se remplit en cas de crue et se vide ensuite progressivement. Son problème est de tenir compte des évolutions différenciées de l'Allier et de la Loire. Son intérêt dépend de la façon dont les crues de la Loire supérieure et de l'Allier se conjuguent. Si l'on arrive à anticiper cela, il sera utile puisqu'il y existe l'ouvrage du Villerest en amont. Mais, il ne servira que pour des grandes crues. Accepte-t-on que de grands ouvrages coûteux ne servent que deux à trois fois par siècle ? C'est un problème d'information et de formation des populations.

M. le Rapporteur : Pouvez-vous expliquer l'intérêt de l'ouvrage ?

M. le Président : Cet ouvrage, prévu dans le plan Loire qui devait être décidé avant 1998, est un ouvrage ouvert comme une écluse ouverte en permanence. Il ne se ferme et ne constitue une retenue qu'au cas où il y aurait de l'eau à retenir en fonction des prévisions faites. Si l'on voit qu'il y a un risque d'inondation trop important ou de crue trop importante, on ferme le barrage. Il ne servira donc que quelques fois par siècle. Le but est d'écrêter un niveau d'eau estimée à 40-50 centimètres à Orléans, 20 centimètres à Blois. Ce n'est pas un soutien d'étiage. Le problème de ce type d'ouvrage réside en son coût : 500 à 700 millions de francs pour une utilité ponctuelle !

M. le Rapporteur : La prise en compte des aspects socio-économiques dans l'estimation du risque vous semble-t-elle suffisante ?

M. Daniel DUBAND : Peu d'économistes travaillent sur ces problématiques en France. En matière sociale, quelques sociologues commencent à s'y intéresser. Il y a un vide à ce sujet. Nous sommes mieux armés techniquement au niveau de la physique, au niveau des assurances mais assez mal au niveau socio-économique.

M. le Rapporteur : Qu'en est-il de la prise en compte de ces aspects socio-économiques à l'étranger ?

M. Daniel Duband : En Angleterre, ils s'y intéressent mais ils n'ont pas les mêmes phénomènes physiques qu'en France. En Suisse, ils l'abordent un peu mieux, mais morphologiquement la Suisse est très différente de la France, sauf dans les régions montagneuses. Au niveau mondial, les pays nordiques ont davantage réfléchi et sont peut-être plus en avance, mais cela relève de domaines qui commencent à peine à être défrichés. La dimension socio-économique manque quelque peu, en tout cas en France voire en Europe.

M. le Président : Cette dimension paraît essentielle car si l'on ne fait pas les études socio-économiques, on ne peut pas justifier la nécessité d'un investissement. L'analyse socio-économique requiert des moyens et des études pointues et coûteuses.

M. Daniel DUBAND : Le Québec réfléchit depuis une dizaine d'années sur ces aspects. Ils sont en avance sur nous et peuvent constituer une référence, avec l'avantage d'une langue commune.

M. le Président : Nous vous remercions.

Audition de M. Paul-Henri BOURRELIER,
vice-président délégué de
l'Association française pour la prévention des catastrophes naturelles,
et ancien-président de
l'instance d'évaluation de la politique publique de prévention des risques majeurs.

(extrait du procès-verbal de la séance du 13 juin 2001)

Présidence de M. Éric DOLIGÉ, Président

M. Paul-Henri Bourrelier est introduit.

M. le Président lui rappelle le mode de fonctionnement de la commission et lui indique que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. À l'invitation du Président, M. Paul-Henri Bourrelier prête serment.

M. le Président : M. Paul-Henri Bourrelier, vous avez été président de l'instance d'évaluation de la politique publique de prévention des risques majeurs, dont le rapport, publié sous l'égide du Commissariat général du Plan en 1997, constitue un document de référence fort précieux pour notre commission.

Vous êtes également actif au sein de l'Association française pour la prévention des catastrophes naturelles, animée par deux membres de notre commission, MM. Yves Dauge et Christian Kert.

Vous ferez peut-être état de l'audition de juin 1994 devant une précédente commission d'enquête où vous aviez fait des remarques et critiques fort pertinentes. J'espère que vous n'aurez pas les mêmes remarques et critiques sept ans plus tard. Il serait dommage que l'on en soit resté au point initial.

M. Paul-Henri BOURRELIER : Effectivement, les risques naturels ont occupé une grande partie de ma carrière. Pendant dix ans, de 1975 à 1985, j'ai été directeur général du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), ce qui m'a donné une certaine habitude des problèmes de mouvements de terrain, d'hydrologie, etc. Ensuite, j'ai été membre de la Mission d'inspection de l'environnement du ministère de l'Environnement. Actuellement, je suis encore membre du Comité de la prévention et de la précaution de ce même ministère et du Conseil supérieur d'hygiène publique de France, les deux s'intéressant plus particulièrement aux risques sur la santé.

Ingénieur des mines de formation, je me suis occupé du risque technologique puis du risque naturel pour élargir enfin mon champ d'intérêt au risque sanitaire. J'ai été chargé de l'évaluation de la politique publique de prévention des risques naturels en 1993. Ce fut une lourde mission dans laquelle toutes les parties de la société française, y compris des parlementaires, ont participé. Un rapport a été remis. J'ai également participé, auprès de votre collègue M. Christian Kert, à la conduite du Comité de la décennie des Nations Unies pour la prévention des risques naturels qui s'est transformé en Association française pour la prévention des risques naturels (AFPRN).

Enfin, j'ai publié il y a un an, un livre intitulé : « Les catastrophes naturelles : le grand cafouillage ». C'est une expression forte. Ce livre est une synthèse du rapport de l'instance d'évaluation abordé de façon personnelle. Dans ces annexes, il comporte des déclarations de Mme Dominique Voynet, un résumé du rapport de M. Yves Dauge, etc.

Je ferai un rapide historique des missions d'enquête et d'évaluation.

Lorsque j'ai dirigé cette évaluation, j'ai été amené à me reporter aux enquêtes effectuées antérieurement. Depuis la rénovation de la législation en 1982 par la loi créant le régime d'indemnisation et les plans d'exposition aux risques (PER) et en 1987 par la loi sur la sécurité civile, il y a eu une trentaine de commissions ou de missions d'enquête à la suite de catastrophes, notamment le fameux rapport Ponton suite à la tragédie de Nîmes. Tous ces rapports d'enquête ont été suivis de propositions : la commission d'enquête de l'Assemblée nationale dont le rapporteur était M. Thierry Mariani, le rapport de l'Office parlementaire d'évaluation des choix technologiques et scientifiques dont le rapporteur était M. Christian Kert, l'évaluation de la politique publique, le rapport confié à M. Yves Dauge, etc.

Chaque enquête a été accompagnée de recommandations. Une chose est frappante : il y a eu beaucoup de mesures prises et beaucoup d'actions menées à la suite de ces rapports mais, de façon désordonnée, éparse, au coup par coup. Aucun gouvernement ne s'est donné la peine d'indiquer aux rédacteurs ou rapporteurs les propositions qu'il retenait. Il n'y a jamais eu de vue d'ensemble. Cela m'a frappé d'autant plus que j'avais insisté sur la cohérence.

Il est possible d'effectuer des actions efficaces sur certains points, mais si l'ensemble est incohérent, cela ne marche pas. De même, en ce qui concerne le circuit d'alerte : si un seul chaînon manque, cela ne fonctionne pas. La cohérence est essentielle !

J'ai rédigé mon livre à la suite de trois événements qui ont constitué des avertissements très graves à la fin du siècle passé : les inondations dramatiques de l'Aude, le naufrage de l'Erika et les tempêtes de décembre 1999. Ils ont montré des dysfonctionnements sur des points pour lesquels les préconisations qui avaient été faites n'ont pas été prises en compte.

Le bilan général met en évidence des avancées importantes et nombreuses mais aussi une absence de cohérence et des lacunes graves ; d'où mon expression de « cafouillage ». L'observation de toutes ces situations ne donne pas un bilan très satisfaisant. Certaines choses n'ont absolument pas progressé.

Nous n'avons pas suffisamment progressé sur deux aspects essentiels ; tout d'abord sur les dispositifs de vigilance et d'alerte. J'emploie le mot « vigilance » à dessein, car la notion est plus vaste que la surveillance. Le rapport de M. Mariani avait insisté sur la nécessité de rénover le système. De même, un chapitre entier du rapport d'évaluation de la politique publique était consacré à ce sujet et rédigé par un responsable de la sécurité civile.

Quatre points relativement importants sont à l'origine de ce dysfonctionnement.

En premier lieu, il n'y a pas un système cohérent et adapté de surveillance des événements météorologiques. Météo-France est un établissement parfaitement compétent sur le plan scientifique mais, en matière de catastrophes naturelles, il est inadapté. Le « pas de temps », c'est-à-dire la fréquence de ces messages, n'est pas approprié. Dans certaines régions où les crues sont rapides, le « pas de temps » doit être court, dans d'autres il peut être plus long. Cela n'est pas homogène. La précision géographique ne répond pas, non plus, du tout aux besoins. Lorsque des bulletins régionaux d'alerte météorologique (BRAM) concernent une zone comprise entre Biarritz et Genève, au bout d'un certain temps, personne ne bouge plus car 20 000 maires ont le même message. On pourrait faire vraiment mieux en y mettant des moyens.

Deuxièmement, il n'y a pas de vraies équipes communes entre météorologues, hydrauliciens et géologues. Lorsque l'on rencontre des phénomènes de pluie continue pendant trois à quatre mois, cela relève à la fois de la météorologie, en ce qui concerne les données d'origine, de l'hydrologie, pour le circuit de l'eau, et de la géologie, pour savoir comment réagissent les nappes. Si l'on ne fait pas collaborer ces trois disciplines, on ne peut rien faire. Dans le cas des crues rapides, il faut transformer les lames de pluie en écoulement, cela dépend également de l'absorption des sols.

Troisièmement, le système d'annonce des crues est caduc. Il a été créé au XIXe siècle et son régime juridique est aujourd'hui indéfendable. L'État n'a aucune obligation juridique, il fait les choses à sa convenance. Cette situation, outre sa faiblesse juridique, est tout à fait critiquable au plan de l'équité. Certaines régions ou portions de bassin sont couvertes par des services d'annonce des crues, d'autres ne le sont pas. C'est lié à l'histoire. Cependant, si l'on souhaite mettre en place un système cohérent, il est indispensable de couvrir tout le monde.

Le quatrième point porte sur la transmission de l'alerte, point sur lequel nous avions particulièrement insisté dans le rapport d'évaluation. Un système d'alerte doit aujourd'hui être très sophistiqué, il doit utiliser les moyens de transmissions modernes (fax, télécoms, Internet) en instantané, sans passer par les circuits traditionnels (le préfet, etc.). Les alertes passent aussi par les médias : actuellement, en cas de tremblement de terre, les meilleurs circuits d'avertissement des populations sont généralement les radios locales. Nous avions insisté sur la nécessité de concevoir un système adapté aux technologies modernes de l'information. Il reste beaucoup à faire sur ce point.

L'autre aspect important porte sur l'après-crise. Que fait-on après les événements ? Tous les témoignages confirment que cette période est la plus favorable à l'action. La population est sensibilisée, elle ne veut pas que cela se reproduise. C'est le moment opportun pour prendre des décisions importantes en termes d'orientation, notamment à l'occasion de la reconstruction, dans la mesure où des sommes importantes provenant des fonds d'indemnisation (fonds semi-publics) sont débloquées. Il n'y a pas de procédure intelligente de reconstruction comme il en existe dans certains pays étrangers. On se demande, à chaque fois, ce qu'il convient de faire : modifier l'urbanisme, renforcer les digues ou cesser les constructions. Aucune procédure n'existe et c'est chaque fois l'improvisation. Les gens finissent par renoncer et, six mois ou deux ans plus tard, on constate que l'on a fait beaucoup moins que prévu.

Enfin, le système d'indemnisation est rigide. À l'époque, les assureurs disaient que son intérêt était d'être bête ! Ce n'est pas ironique, mais correspond à la situation de 1982. À l'époque, on ne disposait pas de base de données : on a donc élaboré un système simple, brutal mais commode, comme en 1945 lorsque l'on a créé la Sécurité sociale en mutualisant en bloc.

Aujourd'hui, il est possible de faire des choses plus intelligentes, notamment ne pas reconstruire à l'identique. Comme notre système est hybride et semi-public, puisque géré par les assurances par délégation de l'État, il devrait être facile de concevoir des choses intelligentes, ce qu'il serait impossible de faire dans un système assurantiel purement libéral, de type américain ou japonais.

Or, les indemnisations ne couvrent pas certains dommages, ce qui est défavorable à une reconstruction rapide, en particulier en ce qui concerne certains biens des collectivités locales. Si certains peuvent reconstruire immédiatement et d'autres doivent attendre deux ou trois ans, que les conseils généraux ou régionaux aient voté des subventions, la reconstruction ne peut se faire efficacement. Le système fonctionne en fait par improvisation.

J'ai été choqué que l'on trouve sur le site internet de Météo-France, des messages triomphalistes disant que leurs modèles avaient prévu les tempêtes. Personne n'a été averti, aucun message n'a été donné ! Le directeur de la sécurité d'EDF m'a dit n'avoir reçu aucun message. Localement, il y en a eu quelques-uns mais, globalement, l'on n'a pas vu arriver cette vague de tempêtes. Le système d'alerte n'a pas fonctionné.

Il convient d'intégrer la sécurité et la prévention dans des projets globaux de territoire. Il n'est pas souhaitable de déterminer des solutions au cas par cas, sans tenir compte des autres problèmes.

Quelle que soit l'échelle choisie, les collectivités territoriales, la population, l'État, les entreprises doivent élaborer, en commun, un projet de développement. Naturellement, les maires veulent construire et les industriels s'étendre. Depuis la décentralisation, ce n'est plus le rôle de l'État. Bien entendu, l'État conserve la capacité de fixer les limites, car on ne peut pas mettre la vie des populations en danger de façon irresponsable. Mais, au-delà de ces limites, il existe des marges de man_uvre pour opérer des choix, entre des zones d'expansion de crues ou des travaux de protection et d'adaptation des bâtiments, etc. La solution unique est absurde.

Le système français s'est donc un peu adapté : il n'est plus celui de 1987, ni celui de 1994. Il a connu des avancées notables mais, globalement, il reste mauvais. Il n'est pas cohérent. Nous n'avons pas tiré les conséquences des avertissements que constituent les trois événements catastrophiques survenus en trois mois à la fin de 1999.

Ces dernières années, nous avons dû faire face à l'accroissement des aléas, que l'on relie à une variabilité climatique naturelle ou provoquée par l'homme. On néglige trop l'importance de la variabilité climatique. Il y a eu, dans le passé lointain, des catastrophes liées à des changements de climat. Le climat de la terre n'est pas stable et il y a donc des périodes de catastrophes. Nous sommes manifestement dans une telle période de variabilité climatique où la vulnérabilité s'est accrue parce que l'on est plus riche, que l'on a construit, que l'on possède des réseaux. L'enjeu est donc plus important.

Nos concitoyens sont de plus en plus préoccupés par leur sécurité. Or, le risque de perte de confiance est grave, alors qu'elle constitue la base de tout système public de gouvernement. Des ratés dans les systèmes d'alerte sont des faits graves qui touchent directement à la confiance du public.

Cela marche bien localement lorsqu'il y a un bon préfet et que le souvenir des catastrophes passées est préservé. Cependant, les préfets et les collectivités territoriales ont des moyens limités. On observe un certain rattrapage, au niveau local, mais cela ne suffit pas !

C'est au niveau central, que se trouvent les véritables raisons de la situation actuelle : il y a morcellement des compétences entre ministères et absence d'une direction responsable clairement identifiée. La Délégation aux risques majeurs, qui a eu un passé glorieux, n'est plus aujourd'hui qu'une sous-direction de d'un des ministères ; elle ne peut pas, organiquement, être le gérant du système, d'autant plus que le point fort en matière de catastrophes naturelles, à savoir la crise et l'après-crise, relève du ministère de l'Intérieur, de ces préfets et de ces réseaux d'alerte, etc. Il y a encore de grosses lacunes en ce qui concerne les compétences de la Délégation aux risques majeurs : elle n'a pas la tutelle des agences de l'eau, elle ne s'occupe, ni vraiment de l'indemnisation qui relève de la compétence du Trésor, ni de l'alerte au moment de la crise qui relève des services préfectoraux. Elle ne s'occupe de l'eau que de façon restreinte.

Le tissu associatif et les collectivités territoriales sont mal utilisés, malgré leur importance. Mais, l'on observe ce phénomène partout ailleurs dans le monde. C'est pourquoi nous avons constitué l'AFPRN. Notre président, M. Yves Dauge, a écrit à tous les ministres, il y a deux mois. Je n'ai pas reçu un seul accusé de réception, ni observé de réaction à la création de cette association, qui se veut un relais avec les associations locales.

Le moment est vraiment venu de construire une cohérence. Contrairement à la situation de 1982 où l'on ne savait pas grand-chose, à celle de 1994 où il y avait encore beaucoup de confusion, l'on connaît aujourd'hui clairement les données du problème. On sait fort bien que l'on peut faire des alertes très rapides, faire des prévisions précises et se protéger contre beaucoup de risques. En revanche, on n'a pas su s'organiser correctement.

S'agissant plus particulièrement des inondations, il manque véritablement une cohérence du système d'annonce des crues et un service hydrologique national, qui rassemblerait les données relevant de toutes les disciplines. Il y a des progrès, de brillantes réussites d'établissements remarquables, tels que Météo-France, le BRGM, le CEMAGREF ou l'école d'hydrologie, mais tout cela ne forme pas un système cohérent.

M. le Président : Merci, M. Bourrelier. Votre intervention très concise et précise était fort intéressante. J'y retrouve les différents points de votre audition de 1994 concernant le manque de cohérence, les responsabilités, la dissolution des compétences, etc. À l'époque, vous n'aviez pas encore terminé votre rapport. Depuis, d'autres rapports ont paru. Tous les organismes cités ont, individuellement, de grandes compétences, mais dans notre pays, on ne parvient pas à les rassembler pour apporter une réponse collective à la problématique posée. J'ai l'impression que des progrès ont été faits sur certains points : on a une meilleure connaissance du risque, une meilleure connaissance technique de la faisabilité de l'alerte. Mais, vous avez raison, il n'y a pas toujours de cohérence globale. Malgré les moyens modernes de communication, on s'aperçoit que, bien souvent, c'est le gardien de la paix qui finit par poser l'avis de tempête sur la porte de la mairie avec une punaise. Il y a déphasage entre notre très grande compétence et l'application sur le terrain.

Heureusement, vous avez laissé une lueur d'espoir. Dans votre conclusion, lorsque vous aviez quitté la commission d'enquête en 1994, vous aviez dit attendre avec beaucoup d'intérêt son rapport. J'espère que vous nous direz la même chose tout à l'heure et que notre rapport sera source de progrès et vous évitera de réécrire un livre sur les grands cafouillages !

M. le Rapporteur : Dans le rapport d'évaluation pour le Commissariat général du plan, vous aviez noté que les structures administratives étaient trop complexes. Comment envisagez-vous d'améliorer l'architecture administrative dans le domaine de la prévention et la gestion des crises ?

Le rapport critiquait la lenteur de la mise en place des plans de prévention des risques (PPR), ainsi que la faiblesse de l'outil. Un autre instrument de prévention est-il à créer ou peut-on améliorer les dispositifs existants ?

Vous avez parlé d'un système d'indemnisation inintelligent. Nous avons vu hier, dans la Somme, que cela pose des problèmes concrets. Que proposez-vous comme réforme possible en ce domaine ?

M. Paul-Henri BOURRELIER : En ce qui concerne les structures administratives locales, il suffit que le préfet exerce ses prérogatives en s'entourant de ses services techniques. La difficulté n'est pas là. D'autre part, il y a eu un autre gros progrès, avec la couverture quasi complète de la France par des établissements publics territoriaux de bassins, qui fournissent des moyens supplémentaires.

Le tissu départemental et régional me paraît le plus pertinent, étant donnée notre situation administrative marquée par l'existence de 36 000 communes et d'une superposition de collectivités. Ce n'est pas par le bais des catastrophes naturelles que l'on changera notre carte administrative. Les responsabilités des riverains sur les berges constituent un autre problème de propriété foncière très ancien mais très difficile à résoudre.

Au niveau central, il faut revoir les choses. La sous-direction du ministère de l'Environnement, ex-Délégation aux risques naturels, fonctionne assez bien avec le ministère de l'Équipement ou le ministère de l'Agriculture et leurs directions départementales, pour l'aménagement de prévention. Elle a obtenu des crédits. Il ne faut donc pas s'étonner que les avancées les plus importantes aient porté sur les PPR ou l'information préventive.

Mais, en cas d'alerte, de crise, de menace, le problème n'est pas d'aménager. Nous avons vu la ministre de l'Environnement complètement perdue lors de la crise de l'Erika, car elle n'avait pas la tutelle des préfectures. La gestion des moments chauds se traite normalement au ministère de l'Intérieur. Il y a quelque chose à faire à ce sujet : il devrait exister au ministère de l'Intérieur une structure compétente pour l'ensemble des risques de société qui soit techniquement équipée de façon moderne. Le saut serait rapide et peut-être faut-il repasser temporairement par une mission auprès du Premier ministre... Mais, tant que l'on reste dans le ghetto du ministère de l'Environnement, du ministère de l'Économie et des finances pour les indemnisations, du ministère de l'Intérieur pour la communication, on n'en sortira pas ! La bonne volonté des fonctionnaires n'est pas en cause, mais ils sont enfermés dans des logiques de prés carrés dont ils ne peuvent sortir.

À la suite de mon rapport ou d'autres, un comité national a été créé. Il ne faut pas se faire d'illusions ! Ce n'est pas du tout à la hauteur du problème.

Concernant les PPR, j'avais critiqué la conception perfectionniste qui avait conduit à seulement 300 PPR en dix ans. Dans un premier temps, la Délégation aux risques majeurs avait imaginé des PPR perfectionnistes à l'échelle de la commune, du plan parcellaire, qui énonceraient les droits. J'avais rencontré M. Haroun Tazieff, qui estimait que cela devait être décidé localement et non par le Gouvernement. En effet, ce sont les communes qui élaborent les plans d'urbanisme : cela ne peut pas être décidé par un PPR.

Pour ma part, j'ai proposé une conception qui a nettement fait évoluer les choses : il s'agissait d'élaborer un PPR à une échelle assez petite, au 25/1000e, afin qu'il ne devienne pas un pseudo plan d'urbanisme ou un pseudo plan d'occupation des sols. Les citoyens ne lisent pas le PPR et quand ils veulent construire, ils regardent le plan d'occupation des sols (POS) et demandent un permis de construire à la mairie. Le POS relève de la responsabilité des communes. Il faut que les PPR marquent les limites, avec une échelle assez large pour laisser les communes faire des projets de territoire intelligents. Le PPR ne doit pas remplacer le POS ou un projet de territoire. Ce n'est que l'un des éléments du dossier par lequel on peut établir ce plan ou ce projet.

Les PPR sont nécessaires dans toutes les zones à risques mais il y a eu un effet d'inversion : les maires qui ont fait des PPR sont parfois sanctionnés par leurs électeurs parce qu'ils ne délivrent plus de permis de construire. Le PPR doit donc laisser un espace de respiration aux communes. Par contre, il est nécessaire partout. Les assureurs tirent prétexte de ce défaut pour ne pas s'engager dans la prévention. Aujourd'hui, il y a environ 3 000 PPR, le but est d'atteindre 10 000. Le mouvement est lancé. Cela représente un changement positif important.

Le PPR n'est cependant pas l'outil unique de prévention. Il agit sur le futur, plus que sur l'existant qui relève davantage de la vigilance, de la protection, de l'entretien ou de l'alerte. Le PPR est un instrument d'information et de dialogue entre l'État et les communes qui marque les limites. Il ne faut pas l'envisager comme la clef universelle. Cela étant, c'est un des points sur lesquels la progression a été la plus intéressante.

Concernant l'indemnisation, il convient de lui donner de la souplesse. Le danger est de faire preuve de souplesse dans un sens restrictif uniquement. Une modification récente a augmenté la franchise en cas de répétition de sinistre. Tout cela est perçu comme plutôt négatif par les sinistrés. Il faut aller beaucoup plus loin dans la souplesse et l'intelligence en ce qui concerne l'utilisation, dans un but préventif, de ces fonds.

Je ne crois pas à la voie autoritaire. La loi Barnier qui permettait d'exproprier pour cause de danger me paraît un système discutable qui a pour premier effet de soulever les populations contre elle. Cette loi a été conçue suite à un glissement de terrain dans les Alpes. Les gens ont immédiatement créé une association pour s'y opposer, car ils ne voulaient pas déménager. Le système autoritaire doit donc rester exceptionnel et s'en tenir à un système analogue à celui qui oblige un maire à faire évacuer une maison lorsqu'elle menace de s'effondrer.

En revanche, après les inondations, certaines personnes souhaitent reconstruire. Il est possible de reconstruire en procédant à des améliorations, par exemple en évitant de remettre du placoplâtre dans une maison fréquemment inondée ! Les pompiers ont de nombreuses idées à ce propos : avoir un point bas dans la cave pour y installer une pompe, poser du carrelage, placer les prises à un mètre du sol, etc. Cela n'entre pas dans l'indemnisation bête et méchante. C'est pourquoi il convient de réfléchir à des solutions intelligentes, en liaison avec les assureurs qui ont une connaissance unique des dommages.

Tant que l'on garde un système hybride, l'État doit aller dans ce sens et encourager la négociation et le débat. Je suis partisan d'un système de primes variables avec la possibilité d'interdire aux gens de reconstruire une habitation trop exposée. Si ce n'est pas hautement dangereux, on les informe de la probabilité d'inondations périodiques qui engendrera une prime d'assurance double ou triple. Cela peut choquer pour les particuliers, mais en ce qui concerne les supermarchés, il est normal de raisonner ainsi, car il est scandaleux de s'installer à l'endroit le plus commode, puis d'être indemnisé aux frais de la collectivité nationale. S'ils avaient dû acquitter des primes plus élevées, ils seraient allés ailleurs.

En 1994, les compagnies d'assurance se vantaient d'avoir le meilleur système du monde, simple et en suréquilibre. Cela a changé. Premièrement, il n'est plus en équilibre. Deuxièmement, le monde évolue et elles ne peuvent rester à l'écart des évolutions mondiales des assurances et de la réassurance. Je m'étais efforcé de les convaincre d'être compétitives. Les compagnies anglaises connaissent maison par maison les risques d'inondations dans la banlieue de Londres. Un barème de primes est établi en fonction de divers critères. Les compagnies françaises ne connaissent rien de tout cela, car elles se retranchent derrière la responsabilité de l'État. Elles opèrent les yeux fermés et indemnisent selon leurs procédures habituelles. Je crois qu'elles ont compris que cette attitude les affaiblissait dans la compétition européenne et mondiale.

On a fait du chemin en la matière, mais il reste encore beaucoup à faire.

Dans mon livre, je suis allé plus loin. On oublie que la moitié des dommages liés aux risques naturels sont hors du système « catastrophes naturelles », notamment les tempêtes qui provoquent autant de dégâts que les événements catalogués comme catastrophes naturelles. Le système fonctionne parce que l'État a eu l'intelligence de rendre l'assurance tempête obligatoire. Dès lors, la demande est créée et les assurances peuvent faire leur métier. C'est à cela qu'il faut aboutir en matière de catastrophes naturelles. Il est évident que cela peut avoir des conséquences politiques sur lesquelles je n'ai pas à me prononcer. Mais, un système rigide, qui ne prépare pas nos compagnies à être concurrentielles et n'informe pas les gens n'est pas durable.

Les Français reçoivent tous les ans la visite des pompiers, pour le calendrier, reçoivent peut-être aussi une lettre de leur agent d'assurance et voient leur maire. À travers ces contacts, ils pourraient recevoir des informations sur les risques. Ils rencontrent les trois pôles concernés : le maire (POS et PPR), le pompier (service départemental d'incendie et de secours (SDIS) et ministère de l'Intérieur) et, enfin, l'assurance et le système financier. Il faut arriver à faire fonctionner ces trois instances ensemble.

M. le Rapporteur : Nous aurons l'occasion d'interroger les assureurs. Hier, au cours de notre visite dans la Somme, le discours tenu était encore de s'en tenir au contrat. Ce n'est pas une gestion très encourageante du problème.

M. le Président : La Cour des comptes nous a dit tout à l'heure qu'ils avaient fait quelques propositions, mais que le ministère des Finances était très réticent.

M. Paul-Henri BOURRELIER : Nous avons un problème de fonctionnement de l'État. Au fur et à mesure que les compétences sont transférées à l'Europe ou aux collectivités territoriales, les administrations centrales sont plus faibles et perdent leurs prérogatives. Autrefois, il y avait une Direction des assurances. Maintenant, ce n'est qu'une simple sous-direction de la Direction du Trésor avec de jeunes fonctionnaires très brillants mais qui n'ont que trente ans ! Quel poids peuvent-ils avoir par rapport aux grandes compagnies d'assurance ?

Les administrations techniques sont plus riches : celle de l'équipement avec les DDE n'est pas pauvre, celle de l'agriculture a des moyens suffisants... Le ministère de l'Environnement est riche dans certains endroits parce que cela correspond désormais à une préoccupation des Français. En revanche, la sécurité civile est restée très pauvre et la sous-direction des assurances n'est plus qu'une petite entité du ministère des Finances. C'est un problème de réforme de l'État sur lequel le Parlement aurait sans doute des suggestions à faire auprès du Gouvernement. Les rigidités se trouvent au niveau des exécutants. On nous a rebattu les oreilles avec la solidarité nationale. Je constate qu'il y a des bassins, celui de la Loire par exemple, assez bien équipés en prévision, en alerte, etc. Mais, pour la Somme, qu'y avait-il ? De même pour le Var. Nous sommes dans un système incohérent, trop livré aux exécutants locaux.

M. le Rapporteur : Peut-être parce que l'on pensait qu'il n'y aurait jamais d'inondations dans la Somme.

M. Paul-Henri BOURRELIER : Les endroits dangereux sont ceux où personne ne se préoccupe de ce problème et où l'oubli est intervenu. À Vaison-la-Romaine, on avait oublié qu'il y avait une rivière ! Il y a des cas étonnants. Lors des récentes crues du Var, la préfecture était dans la trajectoire même de l'inondation, la caserne des pompiers également !

M. le Rapporteur : Cela pose le problème du manque de mémoire historique.

M. Paul-Henri BOURRELIER : Et du manque de vigilance. Il y a accumulation. Les scientifiques sont incapables de faire une relation entre le changement climatique, les émissions de CO2 et les événements catastrophiques. Mais ce qui est certain, c'est qu'il y a de grandes oscillations climatiques et météorologiques. Des périodes de cyclones durent cinq à dix ans. On essaie de lier cela à de grandes oscillations. De grands changements se font parce que le système naturel est ainsi : il y a eu le petit âge glaciaire, et ainsi de suite.

Si l'on ne reste pas vigilant, on oublie. Il existe plusieurs échelles : l'échelle pluriannuelle ou pluriséculaire. Ce qui s'est manifesté dans la Somme est lié au cumul de trois ou six mois de pluie. Il y a également des périodes plus courtes avec des inondations classiques, type inondations de la Loire. Enfin, il y a les crues subites, telles qu'à Nîmes, dans l'Aude, ou à Vaison-la-Romaine. Le système doit répondre à toutes ces hypothèses sans quoi on est à côté de la plaque.

M. Jean LAUNAY : Vous avez dit que le système d'annonce des crues était caduc. Pouvez-vous développer ce point sur le plan du droit, de la mise en _uvre et du partage des rôles entre l'État et les collectivités locales ?

M. Paul-Henri BOURRELIER : Je ne peux pas décrire un système idéal. Le discours, qui consiste à dire que l'État n'est pas, en droit, obligé de faire un système d'annonce des crues mais le fait tout de même, est très bizarre.

M. Jean LAUNAY : Il n'y est pas obligé, mais le directeur de l'eau a précisé que c'était de sa compétence.

M. Paul-Henri BOURRELIER : La situation est curieuse. Il n'y a pas de service d'annonces partout. La raison est historique. L'État devrait avoir l'obligation de mettre en place un tel système sur tous les bassins français. Accepter que tel bassin n'ait pas de service d'annonce des crues est aujourd'hui inconcevable. Par ailleurs, l'expression « annonce des crues » n'est plus adaptée et il vaudrait mieux parler de « phénomènes hydrologiques dangereux et dommageables ». Le terme d'« annonce des crues » renvoie à un individu avec une corne qui clame la nouvelle ! Et une coulée de boue ou une remontée de nappe phréatique sont-elles des crues ? Le terme d'« annonce des crues » ne me paraît plus très idoine.

L'État doit rester vigilant à l'égard des phénomènes hydrologiques et de mouvements de terrains liés à l'hydrologie. Il a les outils nécessaires : CNRS, Institut de physique du globe, etc. Il a le devoir de traiter toutes les zones françaises de la même façon.

Certaines régions ont une tradition de sécurité, comme la montagne. Cela fonctionne parce que chacun sait que la montagne est dangereuse. Le rôle de l'État est de rétablir un fonds de tableau scientifique avec les connaissances actuelles, sans entrer dans les détails qui relèvent du niveau local. Par exemple, Météo-France, organisme national qui travaille sur le changement climatique avec le CNRS, devra fournir des données à des observatoires locaux. Rendre possible ce passage de relais représente une rude tâche et j'avais signalé deux ou trois endroits où cela fonctionnait bien : à Nîmes ou en Seine-Saint-Denis, avec un système d'alerte géré par le département. Cela s'est peut-être étendu depuis à quelques régions. Les riverains de la Loire y ont réfléchi.

Ce système ne peut fonctionner avec une seule dimension. Il faut un travail en commun avec d'autres acteurs tels qu'hydrologues ou hydrogéologues. Localement, on peut mettre en place une équipe pluridisciplinaire dans les services de l'État ou dans des établissements publics locaux.

Pour vous citer un exemple frappant, lorsque nous avons créé notre Association pour la prévention des catastrophes naturelles, MM. Dauge et Kert se sont adressés aux six agences de l'eau pour leur demander d'y adhérer. Il n'y a eu que deux réponses positives : deux agences ont décidé de participer et quatre autres ont dit que cela ne les concernait pas. Je suis très étonné d'entendre un langage si différent de la part d'agences ayant la même fonction.

Nous avons également écrit à diverses institutions en leur demandant de collaborer avec nous. Nous avons reçu la réponse tout à fait négative de France Télécom, qui considère que cela ne le concerne pas et qu'il a ses propres problèmes à gérer. J'attends encore la réponse de Météo-France. Il n'y a pas de réelle perception du problème. En revanche, les assureurs adhèrent au projet.

M. le Rapporteur : Dans le département de la Somme, les risques les plus élevés pour la vie humaine ne concernent pas les inondations mais les effondrements. Une alerte est-elle possible dans ce cas ?

M. Paul-Henri BOURRELIER : Les problèmes de mouvements de terrain sont plus délicats, car les signes prémonitoires sont faibles et les mouvements sont instantanés. Cependant, peu de glissements de terrains mettent en cause des vies humaines. La région parisienne, qui est un vrai gruyère, a maintenant son service des carrières. Certes, il y a eu encore des accidents à Clamart dans les années 50, à Lille, à Bapaume. Il est plus difficile de prévoir, mais il faut néanmoins réfléchir à un système de surveillance. Cette question peut être liée à l'eau, dans la mesure où les mouvements des nappes provoquent parfois des effondrements.

M. Paul DHAILLE : Je serai peut-être quelque peu brutal et caricatural. Vous avez fait un rapprochement entre l'Erika et les inondations. J'ai participé aux deux commissions d'enquête, je ne vois pas du tout le rapport entre les deux ! L'Erika n'est pas une catastrophe naturelle mais un accident de transport, dont les responsables sont clairement identifiés (l'armateur, le bureau de contrôle, les assurances, les règles maritimes trop vagues). Le seul élément naturel de cette catastrophe est la tempête. Mais, je n'ai pas connaissance que les bateaux ne circulent plus par temps de tempête. Le capitaine et l'équipage avaient bien fait leur travail, mais, quand le bateau s'ouvre comme une boîte de sardines suite à un défaut de contrôle, cela n'a rien à voir avec une catastrophe naturelle.

En revanche, dans la Somme, s'il y a peut-être des responsabilités humaines, elles sont diluées et historiquement peu significatives.

Dans un cas, on a donc une catastrophe annoncée, parce que le système de transports des matières dangereuses est tel que l'on connaîtra encore ce type de catastrophe à cause de calculs purement financiers. Dans le cas des inondations de la Somme, visiblement la main de l'homme est relativement peu responsable. Pouvez-vous m'expliquer le rapprochement ?

M. Paul-Henri BOURRELIER : J'ai fait, je le reconnais, un rapprochement rapide et critiquable. En termes de responsabilité, de causes, de droit, vous avez entièrement raison. Le rapprochement que je faisais concerne la prévision de la dispersion des produits polluants et la façon dont les messages sont transmis. J'ai constaté qu'il y avait eu un flottement dans le message d'alerte après le naufrage. Je ne porte aucun jugement sur ce qui s'est passé avant.

J'ai participé à un colloque à l'Institut océanographique sur les phénomènes marins dont certains ont renversé des plates-formes pétrolières. La connaissance de l'aléa est, là aussi, nécessaire. Ces phénomènes prennent naissance dans l'océan puis produisent des effondrements de falaises. En matière de compréhension de ce qui se passe et d'alerte, il y a des analogies avec les crues.

Il y a deux autres catégories mixtes, en partie dues à l'homme. Les effondrements miniers ou autres sont clairement d'origine humaine. Le risque est à la fois naturel et anthropique. Dans le cas des feux de forêt, il y a une part de naturel (les forêts de l'ère primaire brûlaient aussi !), mais ils sont parfois allumés par une main !

Vous avez donc raison, mais il est intéressant d'observer les dysfonctionnements parallèles.

M. Paul DHAILLE : Vous dites qu'il faut des équipes pluridisciplinaires pour l'annonce des crues ou des catastrophes naturelles. En tant qu'élu local, j'ai subi une crue non annoncée et brutale qui pouvait mettre la population en danger. Si l'on me dit « demain vous aurez dix centimètres d'eau chez vous et après-demain vingt », à part prendre quelques précautions pour monter le mobilier à l'étage, que puis-je faire ? Il y a quand même un sentiment d'impuissance. L'alerte est nécessaire, mais ne résout rien pour le citoyen. À partir de la connaissance d'un certain nombre de phénomènes, comment peut-on prévenir et, au-delà, organiser des secours et trouver des solutions plus efficaces. L'annonce me paraît intéressante, mais lorsqu'il n'y a pas de vies humaines en danger, elle n'a seulement qu'un intérêt scientifique.

M. Paul-Henri BOURRELIER : Effectivement, l'annonce est vitale pour les crues torrentielles. En ce qui concerne la prévision, le fait de pouvoir annoncer et expliquer aux gens ce qui se passe renvoie à un problème de confiance, de réactions et de retour à la vie. Si l'on avait un système de vigilance qui explique mieux à l'avance, il y aurait moins de rumeurs.

Le risque de perte de confiance est très important et influe sur la façon de gérer la crise et l'après-crise. Effectivement, il faut passer de dispositifs de surveillance à des dispositifs de prévention. Ces dispositifs de prévention ont leurs limites. Les événements peuvent aller au-delà des prévisions, car il n'y a jamais de niveau maximum ! Heureusement, on n'a pas assisté au XXe siècle à des crues de la Loire comme il y en a eu trois au XIXe, mais il peut y en avoir à l'avenir qui seront plus importantes. Il faut donc prendre des précautions raisonnables et obliger les citoyens à observer un certain nombre de règles.

À partir des connaissances rassemblées et des modélisations obtenues, il est possible d'anticiper. Le paradoxe de la prévention est que lorsqu'un événement est très rare et ne présente pas de risque pour les vies humaines, il est économiquement déraisonnable de faire des dépenses. Il est de la responsabilité des habitants d'estimer les risques encourus et de s'assurer en conséquence. C'est un problème de philosophie du risque. L'alerte et les PPR n'ont pas un caractère magique, qui permettrait d'aboutir au risque zéro.

M. Paul DHAILLE : Je comprends qu'à l'occasion d'une commission d'enquête sur les inondations, l'on ne remette pas en cause le système institutionnel français. Vous avez indiqué qu'il y a des problèmes de droit des riverains, de domanialité des cours d'eau, et qu'il existe 36 000 communes et que l'on ne peut pas changer cela. Ce sont des problèmes importants pour le cas précis qui nous occupe. Sur l'entretien des rivières, sur les droits des riverains, l'intérêt général est-il la somme des intérêts particuliers ? Un riverain peut-il, pour une raison ou pour une autre, mettre en jeu la vie de l'ensemble de ses concitoyens ou leurs biens ? De précédents interlocuteurs ont dit que la puissance publique pouvait faire les travaux à la place des propriétaires. Mais, avant de récupérer l'argent des travaux, il se passe du temps !

Sur les 36 000 communes, il y a des communes qui sont sur les plateaux et d'autres dans les vallées. Si les communes des plateaux retiennent l'eau chez elles, les communes des vallées n'auront aucun problème ! C'est un problème de responsabilité collective qui touche à l'aménagement du territoire. Ma commune a été victime d'une inondation en 1993. Elle remonte au deuxième siècle avant Jésus-Christ, ce n'est donc pas une ville nouvelle que l'on aurait pu fonder ailleurs ! On a réussi à réunir tout le monde autour d'une table et la responsabilité est apparue clairement collective. Les maires des communes des plateaux sont collectivement responsables des événements, au même titre que ceux des vallées.

Je souhaiterais vous entendre sur ces problèmes de droit et de responsabilités des collectivités locales.

M. Paul-Henri BOURRELIER : Je ne suis qu'ingénieur des mines, et non pas du génie rural, des eaux et des forêts. Je n'ai pas la culture de ce problème foncier, je m'y avance donc avec précaution. Il est nécessaire d'agir sans attendre que l'on ait changé des règles vénérables. Cela étant, il faudra bien les retoucher un jour !

J'ai assisté à un colloque du CNRS sur « risques et territoire ». Il y a eu un exposé très intéressant des responsables du service de Restauration des terrains de montagnes (RTM). Curieusement, ils ont dit que ce service a été créé vers 1870, en raison de l'érosion très grave des hauts sommets qui provoquaient des phénomènes très dangereux dans les vallées. Le risque a été maîtrisé grâce à un reboisement mais même dans les endroits où l'on n'a pas fait de reboisement, le risque a également disparu. Cette situation résulte largement de la variation du climat depuis un siècle.

Et aujourd'hui, il y a un risque d'approfondissement des rivières, d'érosion insuffisante qui n'alimente pas assez les plaines. Les rivières s'enfoncent et créent des risques d'effondrements des berges. Tous les systèmes doivent être adaptés. Le problème du droit des riverains reste important, mais je ne suis pas compétent pour préconiser des solutions.

En ce qui concerne les solidarités entre communes, cela fonctionne bien sur le Rhin, parce que le système est international, sous la tutelle de la Commission internationale pour la protection du Rhin. Les Allemands, inquiets pour les inondations, ont financé l'aménagement de zones d'expansion de crues en Alsace. Les associations écologiques étaient ravies parce qu'elles retrouvaient les milieux naturels et les Allemands se protégeaient de cette façon.

Ensuite, j'ai vu un préfet de la vallée du Rhône auquel j'ai proposé de faire la même chose. Il m'a expliqué que c'était impossible de trouver une solution, le préfet coordonnateur étant à Lyon, lui à Marseille... !

Il y a un vrai problème de solidarité entre l'amont et l'aval. Par exemple sur la Meuse, quelque chose est à construire avec les Belges. Les établissements de bassin et les agences peuvent travailler sur le principe de mutualisation. Il faut aller plus loin et ouvrir des débats en amont et en aval. Cependant, il n'y a pas de miracle à attendre. Il faut des institutions qui réunissent les gens et créer des systèmes de compensation. Les agriculteurs de la Saône doivent arrêter de faire du maïs puisqu'il y a tous les ans des inondations. Mais, peut-être ont-il droit à des compensations !

Vous abordez le problème de la négociation. Cela ne se règle pas seulement par le droit pur, celui-ci n'étant que l'auxiliaire des négociations. De la même façon, les PPR doivent être faits sur des groupes de communes, comme il faut solidariser les agglomérations avec leur environnement.

Les services d'alerte de Marseille ou de Nîmes se demandent s'ils ne mettent pas leur responsabilité en jeu en avertissant les maires des communes voisines. Des problèmes de responsabilité, de droit peuvent être paralysantes. Dans la réticence de Météo-France, intervient l'angoisse du prévisionniste météo qui craint que s'il n'annonce pas ou s'il se trompe, il engage sa responsabilité, morale, juridique ou pénale. Il faut que la loi ne soit pas stressante et pousse à la solidarité.

M. Stéphane ALAIZE : Vous avez évoqué la nécessité d'élaborer des projets de territoire négociés avec la société civile. Comment concevez-vous cette négociation collective ?

Ma deuxième question rejoint ce qui vient d'être dit sur la pertinence territoriale des PPR. Vous avez signalé que le PPR n'était pas le seul outil envisageable. Quelles seraient les autres solutions, éventuellement opposables aux tiers ? Enfin, vous avez estimé que c'était la gestion de crise qui posait problème davantage que l'aménagement. Je ne suis pas convaincu dans la mesure où la dilution des responsabilités s'observe également au niveau de l'aménagement. Or, lorsque l'on mène une politique volontariste en termes d'aménagement, on travaille aussi pour la prévention des risques. Puis-je avoir votre sentiment ? Quel serait l'outil pertinent d'action locale ? Ne faudrait-il pas créer des directions départementales de l'environnement, qui unifieraient les différents services opérateurs en matière de risques naturels et d'aménagement des lits des rivières ?

C'est avec un sursaut d'orgueil territorial et une certaine inquiétude que je note l'absence de l'Ardèche dans les interventions, alors que nous avons connu un épisode pluvieux très important en 1992. Comment se fait-il que l'Ardèche ne soit pas évoquée ? Est-ce un oubli ou bien ne constitue-t-elle pas un objet d'analyse intéressant ?

M. Paul-Henri BOURRELIER : Le bassin de l'Ardèche est l'un des plus dangereux de France. Il faut s'en occuper autant que les autres, sinon plus.

Sur les projets de territoire, notamment avec les notions de « pays », nous avons fait beaucoup de chemin depuis le lancement de la DATAR dans les années 60. Progressivement, des procédures d'aménagement des bassins s'établissent. La grande difficulté semble être celle des échelles, car il convient d'emboîter les différents niveaux. Si l'on considère les nappes phréatiques, la carte de l'eau souterraine n'est pas celle des bassins superficiels. Il faut réfléchir en liaison avec les géographes. Je pousse beaucoup ceux-ci à participer à la réflexion, mais ils sont encore trop absents.

L'absence de la DATAR dans ce débat est frappante. Sa participation à la réflexion sur l'aménagement est indispensable, de même que celle des géographes dont le métier est d'avoir une approche physique et humaine.

Les PPR me paraissent pertinents, car il est nécessaire que l'État affiche les limites, ce qu'il est interdit d'outrepasser. Ils affichent à la fois le risque, les limites et les précautions à prendre. Il y a d'autres instruments qui peuvent fonctionner, certains sont même plus autoritaires : les projets d'intérêt général (PIG), qui ont été utilisés assez souvent. Je pense que les PPR sont un outil important. Ils doivent être aussi compris comme un instrument d'information qui doit être pris en compte dans l'aménagement qu'envisagent la population et les élus d'une région.

Enfin, les responsabilités des collectivités locales se sont multipliées. Le rôle de la région et du département n'a fait que croître. Il y a les groupements de communes ou d'agglomérations pour un bassin répondant à un même PPR, dans un bassin de risques ou de vie, voire un pays. Il convient de concentrer les responsabilités locales sur ces deux niveaux. Je donne ici mon impression de citoyen plutôt que de technicien. Pour ma part, j'envisage le niveau européen, le niveau national, le niveau des grands bassins fluviaux, la région, le département. À mon sens, il y a également celui des grandes villes et de leur agglomération, ou celui du « pays ». L'avenir serait une démocratie aussi à ce niveau.

M. le Président : Nous vous remercions.

Audition de M. Daniel RICHARD,
président,

et de M. Vincent GRAFFIN,
chargé de la mission « eau douce »
au WWF France.

(extrait du procès-verbal de la séance du 13 juin 2001)

Présidence de M. Éric DOLIGÉ, Président

MM. Daniel Richard et Vincent Graffin sont introduits.

Monsieur le Président leur rappelle le mode de fonctionnement de la commission et leur indique que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. À l'invitation du Président, MM. Daniel Richard et Vincent Graffin prêtent serment.

M. le Président : Parce que vous appartenez à la première organisation mondiale de protection de la nature, vous disposez d'une vue générale et d'un certain recul pour apprécier ce qui constitue l'un des objets de notre commission, à savoir évaluer le rôle des activités humaines de toute nature dans la survenue des inondations et dans l'importance de leurs conséquences.

J'ai, en outre, le sentiment que le phénomène des inondations est aujourd'hui bien connu. J'ajouterai également que, pour l'essentiel, les mesures à prendre pour prévenir ou pour réduire les conséquences des inondations sont également très largement identifiées. J'aimerais savoir si vous partagez ce sentiment.

M. Daniel RICHARD : Je suis président du WWF France depuis le 1er janvier de cette année après en avoir été le vice-président pendant quatre ans. Je rappelle que le WWF est une « multinationale » puisque nous sommes présents dans 99 pays. C'est une structure composée d'associations nationales indépendantes regroupées au sein d'un réseau. Nous nous appuyons sur une structure internationale basée en Suisse. Le WWF est européen alors que, souvent, on pense qu'il est américain. Il a été créé à Fontainebleau, il y a quarante ans, par quelques scientifiques européens, dont le fils de M. Scott, le grand découvreur, et Sir Julian Huxley.

Aujourd'hui, une partie de notre savoir-faire est lié au fait de pouvoir communiquer entre pays. Nous travaillons aujourd'hui, au niveau mondial, sur les changements climatiques, l'eau douce, les océans et les côtes, la forêt, la biodiversité végétale ou animale.

Le WWF calcule chaque année « l'empreinte de l'homme » sur la planète. Elle est de plus en plus importante car l'homme veut toujours plus de confort et la démographie est galopante. Dans les vingt prochaines années, il y aura trois milliards d'hommes de plus sur la planète, ce qui n'est pas rien.

L'empreinte, nous la mesurons pays par pays, au travers de nos associations. Elle représente la consommation d'un homme en eau, en végétal, en animal et en énergie. Il est clair que les Émirats arabes unis, le Canada ou les États-Unis ont une empreinte importante. Le citoyen américain a une empreinte énergétique extraordinaire.

Concernant l'eau douce, sur les trente dernières années, 50 % de la biodiversité végétale ou animale de l'eau douce a disparu.

Au niveau mondial, nous passons d'une civilisation industrielle à une nouvelle civilisation. Nous vivons un changement structurel très important. Le principal frein à ce changement est la croyance en l'ingénieur. Comme nous venons d'une civilisation industrielle, toute notre éducation nous forme à la croyance selon laquelle les technologies et l'ingénieur vont nous sortir de toutes les situations. Or, c'est faux. Nous avons abusé des technologies. Nous avons oublié de raisonner au niveau global, celui de l'harmonie de l'homme avec ce qui l'entoure.

Ce qui se passe pour l'eau douce est caractéristique de cette situation. Il n'y a pas d'approche globale parce qu'elle est complexe. Les ONG environnementales, y compris Greenpeace, l'ont bien compris et ont indiqué que leur priorité était les changements climatiques comme risque humain le plus important. S'occuper d'espèces animales ou végétales qui vivent dans des forêts ou des rivières et ne pas s'occuper des changements climatiques revient à s'enfermer.

Tout notre propos est la conséquence de cette analyse. Nous sommes encore plongés dans une culture technologique de type industriel. La surpopulation, l'évolution démographique sont telles que bientôt, si nous admettons sur un plan éthique que les Indiens et les Chinois peuvent rejoindre notre niveau de confort, cela nécessitera de vivre sur deux planètes au lieu d'une. Il faudra bien se partager cette petite planète bleue !

L'eau douce est un exemple de cette croyance technologique et de la trop grande fragmentation des actions passées. Nous ne disons pas que les inondations qui ont eu lieu en France, ou ailleurs sur le globe, sont le fait du changement climatique. Il y en a eu, il y en aura encore. Les inondations qui ont frappé la France font partie de cycles normaux et naturels.

En revanche, nous savons - toutes les simulations nous font froid dans le dos - que l'évolution actuelle des émissions de CO2 va rendre plus probable et plus fréquent ce type d'événement. Sur quelle période ? Probablement au cours du siècle prochain, mais nous pensons que les choses vont rapidement s'accélérer. Quand on parle de Kyoto, on parle d'une négociation sur l'arrêt d'un accroissement relatif d'émission de CO2 ! On ne négocie pas sur une réduction. Comme le CO2 reste environ 70 ans dans l'atmosphère, ce que nous faisons aujourd'hui n'aura pas d'impact avant 70 ans. On entre dans un tunnel sans rien maîtriser.

Nous pensons donc que les hommes seront amenés à subir de plus en plus de catastrophes. Notre préoccupation va loin, puisque nous organisons des conventions avec les religions pour faire en sorte que les réseaux religieux quels qu'ils soient - islamiste, chrétien, hindouiste ou bouddhiste - prennent davantage en compte les problèmes environnementaux. Les prophètes du passé n'avaient pas cette conscience. Dans les textes sacrés, cette préoccupation n'existait pas. Nous avons commencé à développer ces actions à la fin de l'année dernière et nous allons commencer à le faire pour la France cette année.

L'aspect inquiétant des changements climatiques est qu'il ne s'agit pas d'une évolution continue. Le CO2 a une évolution continue, mais les conséquences de cette évolution sont des ruptures. Il y aura des périodes très chaudes, d'autres très froides. L'homme, dont la plus grande capacité est l'adaptation, n'aura pas le temps de s'adapter.

Les conséquences sur la gestion de nos fleuves sont importantes. En France, seule la Loire a conservé quelques portions naturelles. Sur tous les autres fleuves, nos ingénieurs ont mis en place, depuis la fin du siècle dernier, des digues, des barrages, pour se prémunir, soit localement soit régionalement. Ils ont fragmenté ces fleuves sans jamais tenir compte du bassin et des nappes phréatiques.

L'une des conséquences de l'appropriation des fleuves porte ainsi sur les nappes phréatiques : quand l'eau est drainée très rapidement à travers des digues et des barrages, les nappes phréatiques n'ont pas le temps de s'alimenter. Depuis des années, on a une approche technologique de la rivière et du fleuve que l'on a endigués et canalisés, apportant ainsi une fausse sécurité. On a vendu à bon marché des applications industrielles d'ingénieurs, peu coûteuses. À l'abri de cette fausse sécurité, on a bâti pour faire face à l'évolution démographique. Vincent Graffin cite souvent cet exemple des déversoirs d'Orléans qui ont subi des crues de fréquence centennale à bicentennale en 1846, 1856 et 1866. À l'époque, 2 500 personnes vivaient dans les zones touchées par les inondations ; elles sont aujourd'hui 250 000.

Ces crues ne sont pas dues aux changements climatiques : elles existaient auparavant, mais nous sommes aujourd'hui piégés car tout n'a pas été calculé en fonction de ces grandes crues. Nous venons de faire une étude européenne sur l'eau en analysant cinquante-cinq fleuves et rivières. Nous avons constaté une dégradation générale des fleuves européens, sauf dans les pays candidats à l'admission dans l'Union européenne. Ils sont les seuls à avoir conservé des fleuves et des rivières naturels et propres, contrairement à l'opinion commune d'un Est pollué. En Europe, il n'y a que cinq fleuves sur cinquante-cinq méritant le qualificatif de naturel !

Le problème n'est pas que français ; il est européen et mondial. Il est dû à la civilisation industrielle. On a fait de la technologie sur nos fleuves, on l'a fait abusivement en les fragmentant et en les bâtissant. On les a canalisés. Ils se sont creusés. En fait, nous avons préparé en amont ce qui allait se passer en aval, là où on a bâti.

Certaines données sont en train de s'inverser au niveau européen avec la destruction d'ouvrages. Nous espérons que cela se produira également en France.

M. Vincent GRAFFIN : Puisque nous travaillons sur les rivières et que notre façon de travailler lie toujours l'humain à la protection de la nature, nous n'allions pas nous contenter de militer en faveur de la protection des zones humides et des plaines alluviales sans prendre en compte la gestion des inondations.

Nous en sommes arrivés à l'idée qu'il faut réapprendre à vivre avec les inondations. Avec des experts internes et externes au WWF, nous avons rédigé un texte qui nous a permis de structurer notre pensée et de mettre à plat la façon dont nous concevons les inondations, tant au niveau des causes que de leur mode de gestion.

Lorsqu'une catastrophe a eu lieu, les pouvoirs publics sont interpellés pour lutter contre les inondations. On réclame de grands barrages, des endiguements, des travaux lourds qui sont censés apporter des solutions définitives. À notre sens, la gestion des inondations doit se faire, non pas en tentant de les empêcher, mais en tentant de les utiliser.

M. Daniel RICHARD : Le parallèle avec la ligne Maginot est intéressant, les stratégies défensives ont leurs limites. Vouloir arrêter l'eau est trop orgueilleux.

M. Vincent GRAFFIN : Les avancées technologiques, particulièrement celles du XXe siècle, ont conduit à penser que l'on serait en mesure de contrôler la nature et d'éliminer les risques naturels comme celui des inondations. Conquérir les plaines inondables qui étaient soumises aux risques de crue était une condition et même un signe de développement économique, un reflet des progrès techniques. Dans l'ensemble des pays industriels, la protection des zones riveraines contre les inondations s'est traduite par la construction de digues, de barrages ou par la rectification des cours d'eau.

Bien qu'elle ait eu un certain succès, cette méthode ne manque pas d'inconvénients de plus en plus visibles et de plus en plus difficilement supportables pour les collectivités.

J'ai listé quelques inconvénients de ce système « classique » que l'on pourrait appeler « digues-barrages ». Le premier inconvénient, et de loin le plus dangereux, est qu'il donne souvent un sentiment illusoire de sécurité, se traduisant par une exploitation intensive des terrains qu'il protège. Or, il n'offre qu'un certain niveau de protection. Que se produise une crue plus sévère que celle prévue dans la conception des digues, et l'eau passe par-dessus. Dans ce cas, les inondations sont beaucoup plus dévastatrices que si les digues n'existaient pas. Nous avons cité le cas de la région d'Orléans.

Il convient donc de permettre aux zones d'expansion des crues restantes de stocker le maximum d'eau pour éviter les catastrophes dans les zones urbanisées. Ainsi, le Rhin est l'un des fleuves les plus aménagés du monde. Il a été couvert de barrages et de digues après les grandes crues des années 1930. Or, tous ces barrages ont débordé et toutes les digues ont été submergées en juillet 1993, occasionnant 50 milliards de francs de dégâts.

M. Daniel RICHARD : Il y a un vrai problème économique. On a tellement construit que le coût d'une inondation qui se produira de toute façon est démesuré par rapport au coût des investissements pour l'aménagement du fleuve. Auparavant, à Orléans, le coût était peu important avec 1 500 foyers. Aujourd'hui, une inondation comparable à celles du siècle dernier, avec 45 000 foyers, se traduirait par un coût disproportionné pour la collectivité par rapport à l'ensemble des investissements à faire ou à refaire sur le fleuve. Les Allemands ont été amenés à prendre des décisions économiques très importantes parce que ce rapport s'est inversé. Il est important de prendre conscience de cette inversion.

M. Vincent GRAFFIN : Le second inconvénient du système digues-barrages est lié à la généralisation de la rectification des lits ou à la construction de digues sur des sections de rivières. Construire des digues ne réduit pas le débit des rivières, mais empêche l'épanchement et le stockage du trop plein d'eau sur la plaine d'inondation et élimine l'atténuation des crues.

Les endiguements offrent certes une protection contre les inondations là où ils sont construits, mais l'eau de crue dont le débit est accéléré doit bien aller quelque part. En pratique, ces endiguements ne font que transférer le problème en aval où ils provoquent des inondations plus brutales et aggravent ainsi les dégâts. Le courant a été accéléré dans ces rivières tuyaux, elles-mêmes alimentées, au fil de leur cours, par des affluents.

En 1995, sur le Rhin, l'existence de digues en amont amplifia les sérieuses inondations qui frappèrent les villes situées sur le cours moyen et supérieur du fleuve. Il en fut de même en Hollande, où 230 000 personnes ont été évacuées. Les digues, en isolant le fleuve de sa plaine d'inondation, ont protégé des terres urbanisables et agricoles, mais ont empêché le fleuve d'accéder à ses bassins naturels de stockage. La conséquence est qu'en 1995, deux grands bassins de stockage des crues ont été recréés à grands frais sur la rive allemande du Rhin par des suppressions de digues dans le cadre d'un programme, le Plan d'action du Rhin, pour réduire les dommages causés par les inondations en aval. Cette mesure, sans danger pour l'environnement, a été considérée comme la plus économique.

Par ailleurs, 400 millions de francs ont été utilisés pour préserver les zones restantes d'expansion des crues du bassin de la Loire afin de protéger les grandes agglomérations. D'ici 2006, plusieurs autres centaines de millions de francs seront investis pour améliorer la gestion du risque naturel de crue : établissement de plans de prévention des risques, modernisation du dispositif de prévention et d'alerte, renforcement des levées, création d'une véritable culture du risque d'inondation chez les élus, dans les services de l'État et dans la population.

Bien sûr, l'urbanisation en zone inondable est fortement contrainte. Par ailleurs, une méthode de zonage des plaines d'inondation basée sur la combinaison du risque (probabilité d'inondation d'une certaine importance et pendant un certain temps) et de la vulnérabilité (le coût socio-économique de l'inondation) a également été élaborée. Cette méthode permet d'identifier les zones qui doivent bénéficier de la plus grande protection et celles qu'il vaut mieux consacrer au stockage de l'eau. Une démarche similaire a déjà été menée sur la Napa Valley en Californie. Il conviendrait en parallèle de développer une valorisation économique satisfaisante des zones d'épandage, notamment en valorisant une agriculture respectueuse de l'environnement comme l'élevage extensif et la prairie de fauche. Ce point n'est pas du tout secondaire.

M. Daniel RICHARD : Il nous semble qu'il y a quelque chose à faire au plan juridique concernant la propriété des sols aux abords des rivières. Les propriétaires exercent une pression pour cultiver le plus loin possible jusqu'à la berge, ce qui crée parfois cette espèce de canal qui empêche l'eau de s'épandre. Il faut trouver un moyen juridique ou économique pour financer ces zones. Aujourd'hui, la France ou l'Europe donnent de l'argent à des agriculteurs qui vont planter du maïs jusqu'au ras de la berge, canalisent la rivière et créent ainsi de très gros problèmes.

M. Vincent GRAFFIN : Le troisième inconvénient tient au fait que ce système digues-barrages altère gravement le fonctionnement écologique des rivières. Or, c'est le respect des équilibres naturels des rivières et de leurs annexes - les zones humides qui les bordent telles que les bras morts, les marais, les forêts alluviales - qui permet à l'eau d'être recyclée, épurée avant de regagner les cours d'eau ou les nappes alluviales souterraines. Ces zones sont le siège de transferts d'eau constituant une part importante du cycle hydrologique. L'équilibre de ces zones humides est indispensable à un double titre. Sur le plan quantitatif, ces zones peuvent emmagasiner de grandes quantités d'eau au moment des crues et, de ce fait, agir en régulateurs naturels. Elles réduisent de ce fait les risques d'inondation et constituent une réserve en eau pendant la saison sèche. Pour schématiser, elles jouent le rôle d'éponges qui absorbent l'hiver et restituent l'été. Sur le plan qualitatif, leur végétation piège les sédiments, élimine beaucoup de polluants et recycle les nutriments (comme les nitrates), si bien que l'eau qui sort d'une zone humide est souvent de bien meilleure qualité que lorsqu'elle y entre. Ces zones humides jouent également le rôle de filtres. On voit que leur alimentation en eau est primordiale pour le renouvellement de la ressource, et que les barrages et les digues les empêchent de fonctionner.

Par ailleurs, les digues et les barrages empêchent la circulation des organismes comme les poissons migrateurs entre le cours principal de la rivière et les sites de reproduction.

En mai 2000, après un suivi sur vingt ans de la qualité de l'eau dans la nature et au robinet en France métropolitaine, le WWF a montré que la qualité de l'eau dans la nature ne cesse de se dégrader sur le plan des nitrates et des pesticides, ce qui a des conséquences sur la qualité de l'eau au robinet. Tout le monde reconnaît qu'une protection et une restauration des écosystèmes d'eau douce sont indispensables pour garantir la protection de notre ressource en eau sur le long terme.

M. Daniel RICHARD : Lorsque nous avons fait cette étude, nous nous sommes rendu compte que les cahiers des charges des distributeurs étaient malgré tout tenus. Pour cela, ils effectuent un mélange d'eaux pour permettre à l'eau de plus en plus polluée de rester dans les limites du cahier des charges en la mélangeant à de l'eau extraite de plus en plus profondément dans les nappes phréatiques. Cette pratique a aussi une limite : si l'on ne se préoccupe pas au moins de stabiliser la pollution des eaux, jusqu'où ira-t-on ?

M. Vincent GRAFFIN : Aucun distributeur d'eau n'a contredit ces arguments, développés dans notre campagne de presse.

Il y a donc urgence car l'idée que les zones humides sont des terres à l'abandon, née de l'ignorance ou de l'incompréhension de leur valeur sur le plan hydrologique, a conduit à les transformer en terres de culture intensive, elles-mêmes sources de pollution ou en sites industriels ou résidentiels. Les deux tiers d'entre elles ont disparu au cours de ce siècle en France. Habitats d'une faune et d'une flore remarquables, leur protection est donc une urgence en matière de biodiversité.

Dans le domaine de l'eau, on constate que les besoins de l'homme et de la nature se rejoignent : pour que l'un soit en bonne santé, il faut que l'autre le reste.

L'endiguement des rivières favorise l'accélération du courant dans un lit artificialisé. Lorsqu'une crue passe dans une rivière au cours rectifié et endigué, le niveau de l'eau augmente entre les digues, ce qui accélère l'érosion du lit de la rivière. Si les sédiments disparaissent, la rivière s'enfonce, conduisant à un abaissement du niveau de la nappe alluviale. Il s'ensuit un assèchement progressif des zones qui étaient alimentées par la nappe alluviale : des bras morts et des puits peuvent par exemple s'assécher. En outre, l'aggravation des phénomènes érosifs crée des problèmes de déstabilisation des berges et des ouvrages d'art par affouillement à leurs pieds.

Les barrages engendrent les mêmes effets avec des causes différentes. Ils piègent notamment les sédiments dans leur retenue : la rivière récupère alors sa charge sédimentaire comme elle le peut, en déclenchant de nouveaux processus érosifs du lit ou des berges.

Le quatrième inconvénient tient au fait que l'eau qui est passée par-dessus les digues ne peut pas toujours regagner le lit du cours d'eau quand s'amorce la décrue. Ce problème a été très net pendant les inondations du Mississipi de 1993 qui ont causé des dégâts à hauteur de 12 à 16 milliards de dollars et tué 38 personnes. L'eau a séjourné sur des terres agricoles, dans les maisons et sur les routes longtemps après la décrue du fleuve. Cet accident a incité le gouvernement américain à repenser sa méthode de lutte contre les inondations.

Le WWF estime qu'il faut aller vers une nouvelle conception du rôle des inondations. On commence à considérer un peu plus volontiers ce que disent depuis longtemps les scientifiques, les associations de protection de la nature comme la nôtre et certains responsables de la gestion des cours d'eau : les inondations sont des processus naturels et nécessaires pour la bonne gestion de la ressource en eau, dont on peut tirer quelques profits. Les dangers réels des inondations sont le plus souvent le fait des hommes qui vivent et construisent sur les plaines d'inondation.

Trois idées fortes sont au centre de cette nouvelle conception du rôle des inondations : globalité, intégration et gestion.

Globalité parce que chaque bassin devrait être considéré dans son ensemble de façon à ce que l'aménagement d'une de ses parties n'ait pas d'effet néfaste sur les autres. Cette idée inclut le concept de continuum fluvial, qui signifie que, sur un cours d'eau, tous les processus sont liés entre eux de l'amont à l'aval, et le concept de retour périodique des inondations, qui prend en compte les interactions entre un cours d'eau et ses plaines d'inondation.

Intégration parce qu'il faut que collaborent toutes les parties prenantes, c'est-à-dire les différentes organisations et institutions responsables ou intéressées par l'eau. L'élaboration des schémas d'aménagement et de gestion des eaux (SAGE), le fonctionnement des comités de bassin et ce qui est préconisé par la nouvelle directive-cadre européenne sur l'eau vont dans ce sens.

Gestion, et non pas aménagement, car on devrait laisser les plaines d'inondation jouer leur rôle naturel et, autant que possible, ne plus protéger les zones vulnérables, pour y décourager toute nouvelle « mise en valeur », à savoir urbanisation ou transformation de zone humide en terre agricole. Il faudrait inciter au transfert de certaines activités sur des terrains plus en hauteur. Cela s'est vu dans le cadre du plan « Loire grandeur nature » où quelques entreprises, notamment à Brives-Charensac, ont été transplantées.

Un conflit d'intérêt a opposé par le passé les ingénieurs hydrauliciens - dont le but était d'évacuer l'eau de crue aussi vite que possible -, les gestionnaires de la ressource en eau - confrontés au manque d'eau à la saison sèche et aux problèmes de qualité - et les protecteurs de la nature qui cherchaient à préserver la biodiversité des cours d'eau et des zones humides. Ce conflit a incité à considérer des solutions alternatives permettant de gérer les inondations plutôt que de les empêcher, et de se servir des processus hydrologiques naturels plutôt que de les combattre. À ce titre, le bassin de la Loire est exemplaire en matière d'innovation dans la lutte contre les inondations et dans la protection des processus écologiques du fleuve. Les services de l'État, l'agence de l'eau, les associations de protection de la nature y collaborent de façon relativement exemplaire.

Une solution évidente consiste à réduire les risques que font courir les inondations, non pas en réduisant les pics de crue à l'aide de barrages écrêteurs, mais en restreignant l'aménagement des plaines d'inondation. Aux États-Unis, une méthode efficace mais coûteuse consiste à acheter les terrains situés près des cours d'eau, dans « l'allée des inondations », définie comme la zone inondable par les crues centennales, et de les consacrer à des parcs de loisirs ou de les transformer en réserves naturelles. Du fait de leur affectation, ces terrains ne souffrent pas et peuvent même tirer profit d'être temporairement inondés. Dans le même esprit, sur le bassin de la Loire toujours, le programme « Loire Nature », mis en _uvre par de nombreuses associations de protection de la nature, vise à protéger les sites alluviaux à haute valeur écologique, de façon à préserver l'espace de liberté du fleuve, c'est-à-dire l'espace de mobilité de la rivière et sa plaine d'inondation. Rappelons aussi que l'ensemble du bassin de la Loire doit, par ailleurs, être couvert par des PPR.

L'approche américaine n'est évidemment pas généralisable systématiquement dans les zones ou pays fortement peuplés, mais d'autres mesures peuvent être prises. On peut protéger les parties les plus importantes des plaines d'inondation contenant des habitations, des routes et des industries et utiliser les autres comme terrains d'expansion où peuvent être maintenus les processus naturels d'inondation et les processus d'ajustement qui visent à stabiliser l'équilibre sédimentaire des cours d'eau. Il faut savoir que tous les cours d'eau sont aujourd'hui en déséquilibre sédimentaire. De coûteux ouvrages de génie civil, qu'un contrôle soit-disant complet de la rivière rendrait nécessaires, seraient ainsi évités et la création de bassins naturels de stockage réduirait les risques d'inondation en aval en même temps qu'elle favoriserait un meilleur renouvellement qualitatif et quantitatif de la ressource en eau.

Dans un passé encore très récent, les rares maisons (moulins, fermes) qui étaient quand même construites dans les plaines d'inondation n'avaient pas de pièces habitables au rez-de-chaussée, qui était consacré à l'entreposage d'objets facilement remplaçables. La possibilité d'inondations occasionnelles ne causant pas de grosses pertes économiques était alors acceptée.

On ne peut pas parler des inondations sans évoquer l'aménagement des bassins, et notamment de leurs parties supérieures, comme les prairies et les terres agricoles qui, en général, ont été dégradées et doivent être restaurées. L'arasement des haies et des talus, certains types de sols laissés nus l'hiver, le drainage, le recalibrage des rivières dans le cadre des travaux connexes au remembrement, favorisent le ruissellement et aggravent donc les crues. Les haies, les zones boisées et les zones végétalisées favorisent au contraire l'infiltration de l'eau dans les sols et donc la recharge des aquifères, tout en limitant l'érosion des sols.

L'aménagement de l'espace agricole et la politique agricole qui favorisent systématiquement l'agriculture intensive sans prise en compte de l'environnement, doivent donc être revus pour restaurer de façon intelligente les haies et les talus boisés, là où cela peut avoir un impact positif sur l'hydrologie et la réduction des pollutions.

Ces modifications de l'espace rural se sont accélérées dans les années 1970-1980 avec la politique agricole commune. Dans le même temps, l'urbanisation des zones inondables a eu pour conséquence l'imperméabilisation des sols. Aujourd'hui, 1 % du territoire français est imperméabilisé tous les dix ans.

Pour conclure, maintenant que nous connaissons mieux les processus hydrologiques et écologiques des écosystèmes d'eau douce et que nous savons qu'il est illusoire de vouloir maîtriser totalement la nature, nous devons tous avoir conscience que la gestion des rivières, et donc des phénomènes comme les inondations, doit reposer sur une « culture de l'inondation », basée sur une approche globale et non locale, qui intègre, par la concertation, les besoins, usages et connaissances de tous les acteurs et qui respecte les processus naturels.

M. Daniel RICHARD : Plutôt que d'affronter directement un phénomène, il faut chercher à le récupérer d'une façon plus globale et plus harmonieuse. Jusqu'à présent, on utilisait les technologies pour affronter en pensant que l'homme était forcément le plus fort. Dans le nouveau siècle, nous allons apprendre que nous ne sommes pas les plus forts, notamment avec les changements climatiques. Celui qui pourra les maîtriser n'est pas né. Je ne pense pas que les hommes aient suffisamment de temps pour le faire.

Vis-à-vis de l'eau douce, nous sommes en mauvaise position parce que les zones humides ont mauvaise réputation. Dans les contes de fée, le diable vit dans la zone humide. Toutes les légendes en font ressortir les aspects négatifs. Or, les zones humides sont des machines nécessaires à l'homme pour purifier l'eau ; on a voulu les remplacer par d'autres machines qui n'ont pas la même capacité. C'est en quelque sorte une leçon que la nature nous donne.

M. le Président : Je vous remercie de nous avoir livré cette vision particulièrement intéressante. Votre analyse est séduisante et certains éléments me conviennent. Par contre, je vous enverrai quelques documents qui vous permettront de rectifier certains chiffres. Sur Orléans, il n'y a pas 250 000 personnes. Ce sont 300 000 personnes, mais sur 500 kilomètres, qui seraient noyées par une crue centennale de type 1856-1866.

M. Vincent GRAFFIN : Ces chiffres viennent de l'administration. Je cite : « 250 000 personnes vivent aujourd'hui dans les zones très exposées de la Loire moyenne, en particulier dans les déversoirs. Dans le val d'Orléans, 45 000 personnes vivent en zone inondable ».

M. le Président : Ce ne sont donc pas 250 000 personnes uniquement sur Orléans, mais aussi sur Tours, Blois, Angers. Les chiffres réels sont 300 000 personnes sur 500 kilomètres qui peuvent être atteintes par des crues centennales. Dans la Somme, il y a 10 000 personnes à évacuer. Cela mérite une prise de position. On ne peut pas dire que l'on se désintéresse de 300 000 personnes qui courent un risque.

Tout le monde réfléchit aux zones humides, aux zones d'expansion. On essaie de trouver des sites. Peut-être que quelqu'un aura le courage politique de le faire. Si l'eau ne va pas à Orléans, Tours ou Blois, il faut qu'elle aille ailleurs. Il faut faire des choix pour désigner cet « ailleurs », où il y a aussi du monde.

Vous avez dit que la canalisation d'un fleuve était extrêmement dangereuse pour tout ce qui est en aval car elle accélère le débit du fleuve. Je vous invite à regarder de près le dossier de Brives Charensac où tous ceux qui sont en aval craignent de voir se reproduire ce qui s'est passé il y a quelques années parce que l'on a canalisé le fleuve dans la ville et déplacé quelques entreprises sur les hauteurs. Tous les techniciens disent que pour les villes situées en aval, la canalisation aura des conséquences extrêmement dommageables.

Ce serait un bon exemple à prendre de l'accélération produite par la canalisation d'un fleuve. Ce serait également un bon exemple de ce qu'il ne faut pas faire au plan économique : surpayer le déplacement d'une entreprise.

Dans l'ensemble, je ne suis pas opposé à vos propos. Votre vision est bonne sur certains secteurs, dont la Loire que je connais. Mais il faut concevoir que la mission des collectivités est de protéger 300 000 personnes dans le respect de l'environnement.

M. Daniel RICHARD : La Loire est un exemple pour l'Europe.

M. le Président : Sous l'action d'un certain nombre d'acteurs que vous avez cités, c'est vrai qu'un travail important a été fait, de façon évolutive.

M. Vincent GRAFFIN : Un travail de concertation. C'est un bassin pilote en France.

M. le Président : Il peut servir d'exemple.

Le Rapporteur aura sûrement des questions à vous poser. Mes collègues sont pratiquement tous élus dans des zones inondables. Nous avons tous, dans nos départements, des fleuves ou des rivières qui sont souvent des exutoires. On prélève et on rejette beaucoup. Nous avons tous à subir les aspects négatifs et nous essayons de profiter des aspects positifs de ces cours d'eau.

M. le Rapporteur : Étant donné que 99 pays sont concernés par votre action, il serait intéressant que vous abordiez les expériences menées dans des pays comparables au nôtre pour gérer les inondations.

Par ailleurs, je viens de vivre les inondations de la Somme. À la différence de la Loire où l'on travaille sur ces problèmes depuis longtemps, la Somme n'a pas cette culture. L'un des reproches qui étaient souvent entendus à l'occasion des inondations est que l'on avait trop laissé la nature reprendre le dessus. Les ouvrages ne sont pas entretenus. Les zones d'expansion se sont recréées d'elles-mêmes. Les marais ont perdu beaucoup de leur profondeur par manque d'entretien. Cela s'est traduit par des dommages très importants. Si vous avez pu étudier les événements de la Somme ces derniers mois, j'aimerais connaître votre point de vue.

M. Vincent GRAFFIN : Je ne connais pas le bassin de la Somme en détail. Quelle est la fréquence de la crue de cette année ?

M. le Rapporteur : Les experts consultés nous parlent d'une crue susceptible de revenir tous les 500 ans. Je crains qu'elle ne revienne dans les six mois pour la simple raison que les nappes phréatiques sont pleines. Par conséquent, la moindre goutte d'eau risque de les faire déborder. Il semblerait qu'on ne retrouve de trace d'un tel type d'inondation que vers 1680.

M. Vincent GRAFFIN : Une fréquence de crue de 500 ans est exceptionnelle. Ce que je sais du bassin de la Somme, c'est que l'agriculture y est très présente. À ma connaissance, c'est une zone où le remembrement est achevé. Tout au moins, il serait étonnant qu'il n'y ait pas eu de remembrement sur une partie du bassin. L'eau de pluie ruisselle et son débit est accéléré vers les rivières. C'est un premier facteur d'aggravation. Il nous faut aujourd'hui repenser l'aménagement des terres agricoles sur un plan hydrologique, sans revenir partout à un paysage de bocage. Il faut réfléchir scientifiquement pour savoir où et comment, en remettant des talus boisés et en recréant des zones humides auprès des chevelus de tête de bassin, on permettra à l'eau de mieux s'infiltrer plutôt que de s'écouler trop vite vers les rivières.

La nature reprend toujours le dessus. Cela signifie que, lorsque l'on choisit une solution tout ingénierie, il ne suffit pas de l'installer, il faut aussi l'entretenir. L'expérience montre que l'on n'est pas capable de le faire sur le long terme.

M. le Rapporteur : On parle d'équipements qui dataient des Romains.

M. Daniel Richard : En Camargue, les digues datent aussi de très longtemps. Sur les cinquante dernières années, il y a eu des inondations tous les deux ans. Plus personne n'a d'argent pour les entretenir ; il y a un problème économique. Mais on ne confronte pas assez ce coût au coût économique du désastre qui augmente de plus en plus. On va se trouver confronté à des désastres financiers de plus en plus importants non pris en compte dans les budgets régionaux, départementaux, etc. De plus, quand les crues sont très rares, il n'y a pas de culture de l'inondation.

M. Vincent GRAFFIN : Vous avez parlé de l'entretien des zones humides. Nous sommes devant un paradoxe : une association comme la nôtre est souvent perçue comme non interventionniste sur les milieux dits naturels. L'incapacité des rivières à recréer des zones humides au gré de leurs divagations, qui compensaient les pertes naturelles des zones humides par comblement, fait que finalement, on est obligé d'entretenir celles qui restent pour pouvoir en conserver. Or, jusqu'à présent, il n'y avait pas de financements.

Quelle est la superficie de zones humides qui a disparu dans le bassin de la Somme suite aux remembrements par exemple ? On peut parler aussi des aménagements urbains en zone inondable qui ont sûrement joué un rôle. Tous ces facteurs aggravants entrent en ligne de compte.

Il faut savoir qu'en France, les deux tiers des zones humides ont disparu en un siècle et la moitié ces trente dernières années à cause de la « révolution verte ».

M. le Rapporteur : Je sourie quant à la difficulté de l'entretien des zones humides. Dans mon secteur, les marais est une source de loisirs pour les pêcheurs et les chasseurs. Quand nous essayons de nettoyer un marais, nous avons une forte réaction de la part de ces acteurs de la vie locale.

Je ne souhaite pas insister sur le département de la Somme. J'aimerais que vous citiez des expériences internationales qui pourraient nous être utiles.

M. Vincent GRAFFIN : L'entretien des zones humides est compliqué. Nous travaillons dans le parc naturel régional de la Brenne, autour de la réserve de Chérine, avec les chasseurs. Cet entretien ne consiste pas simplement à enlever des déchets, mais à traiter la végétation pour permettre à la faune et à la flore d'être présentes. Les chasseurs peuvent s'y retrouver dans la mesure où un habitat plus accueillant assure la présence d'une faune plus nombreuse.

Au niveau européen, le WWF en tant que tel a travaillé sur le Rhin dans le cadre de la commission internationale pour la réhabilitation de ce fleuve. Le WWF, à travers WWF Allemagne, possède l'Institut des plaines alluviales. Nous travaillons également sur le programme appelé « Green corridor for the Danube » qui consiste à restaurer des bras morts et des zones humides.

M. Daniel RICHARD : Sur le Rhin et le Danube, on procède à la reconstitution de zones humides, quitte à supprimer des barrages et des digues. Les financements sont très importants par rapport à ce qui se faisait il y a cinq ou dix ans.

Pour le Danube, il faut noter l'appui d'une religion. Le patriarche orthodoxe grec a demandé à ses fidèles de prendre en charge le problème du Danube. L'aspect culturel est très important ici. Ce sont des problèmes pour lesquels toute la collectivité - chasseurs, pêcheurs etc. - doit se concerter. Il faut restaurer une culture. La religion orthodoxe est très présente dans le bassin du Danube ; j'ai eu l'occasion d'assister à un discours du patriarche qui m'a surpris par sa modernité et son actualité écologique. Ce n'est pas le seul cas : aux États-Unis, sept évêques des principales villes situées sur la Columbia River ont pris en charge le problème.

L'impact des religions est assez étonnant. Nous avons fait des campagnes de cadeaux à la terre. Nous avons observé quelque chose d'exceptionnel : les méthodistes de Chicago, qui ont un fonds de pension de 50 milliards de dollars, ont décidé qu'un tiers de ce fonds, soit 15 milliards de dollars, ne serait réinvesti que dans les entreprises ayant accepté une charte environnementale.

Techniquement, il faut décanaliser et recréer des zones humides à proximité des fleuves, afin de disposer d'une vraie machine de filtration.

M. Vincent GRAFFIN : C'est une tendance qui se généralise au niveau international. En France, elle est essentiellement pratiquée sur la Loire. Ce qui s'y fait est tout à fait positif, même si c'est imparfait à nos yeux. Les Français doivent rester modestes car ce qui se fait sur le Danube, le Rhin ou le Mississipi est d'une tout autre ampleur. L'école française de l'eau a certes servi de modèle avec ses agences de l'eau, ses comités de bassin et ses sociétés qui savent distribuer l'eau. Elle a permis d'aboutir à une directive européenne, certes imparfaite, mais néanmoins intéressante. En matière de restauration des cours d'eau, nous sommes un peu à la traîne.

M. Daniel RICHARD : Dans le monde, les dix premières sociétés qui travaillent sur l'eau sont européennes. Parmi ces dix entreprises, deux sont françaises et leaders mondiaux. En outre, ce savoir-faire ne réside pas seulement dans la distribution de l'eau, mais existe aussi en amont. Techniquement et financièrement, le leadership est français et européen. Mais nous sommes en retard pour le traitement des rivières et des fleuves.

M. Vincent GRAFFIN : Une chose nous a récemment surpris. Pour la Journée de l'environnement, le WWF a organisé une journée « Rivière vivante ». Nous avons un projet d'éducation à l'environnement avec un kit, nommé « La rivière m'a dit », consistant à apprendre à des jeunes de huit à seize ans comment vit une rivière. Son fonctionnement est basé sur des mesures de terrain. Nous avions organisé la visite de mille enfants au bord des rivières. Ils ont réalisé des mesures avec ce kit et ont donné leur avis sur leur rivière. À chaque question précise et quantitative sur l'état de la rivière, les enfants nous ont indiqué qu'ils avaient trouvé des déchets, des voitures, des pneus, des machines à laver. Mais ces mêmes enfants ont tous trouvé que leur rivière étaient belle et vivante. J'ai moi-même accompagné un groupe d'enfants sur l'île Saint-Germain. Ils ont trouvé que la Seine était belle parce que l'on y voyait de petits poissons...

Nous n'avons plus de référence sur ce qu'est une rivière vivante. Le WWF a fait une étude sur les rivières vivantes en Europe. On considère qu'il n'y a plus que cinq fleuves « vivants » sur cinquante-cinq. Les fleuves que l'on qualifie de « bons » en termes de poissons migrateurs sont ceux pour lesquels les niveaux de population de saumons sont de l'ordre de 25 % de ce qu'elles étaient il y a trente ans. Ces enfants n'ont pas de point de repère parce qu'ils n'ont jamais vu une loutre, un castor, des saumons dans les rivières.

M. le Président : De nombreux documents attestent que les salariés, à la fin du XIXe siècle, refusaient d'être embauchés dans les entreprises du bord de Loire, qui les nourrissaient avec trop de saumon ! Cela étant, au-delà de cette anecdote, il faut apprendre aux jeunes à connaître leurs rivières. Nous voulons créer des « classes Loire » pour faire découvrir la Loire à tous les enfants résidant sur les mille kilomètres de son cours. Si le WWF a quelques moyens...

M. Vincent GRAFFIN : Nous manquons de moyens, mais nous avons l'outil.

M. le Rapporteur : Je vous ai entendu avec intérêt traiter de l'aménagement des rivières. J'ai eu le sentiment que votre discours était plus adapté au problème des rivières de plaine. Mes collègues de l'Aude et de l'Ardèche ont à traiter des inondations de type torrentiel, où les vies humaines sont en jeu. On n'a pas de mémoire très ancienne parce que cela passe d'une vallée à l'autre. Quelle est votre réaction sur ce type d'inondation ? Avez-vous une réponse identique ?

M. Vincent GRAFFIN : La réponse est identique dans ses grandes lignes : quand on traite une rivière, il faut le faire de l'amont à l'aval. Faire un barrage pour protéger une agglomération de crues catastrophiques comme le sont les crues méditerranéennes aura des répercussions sur la rivière, en bloquant des sédiments par exemple, car ces rivières ont des charges sédimentaires assez fortes. On ne peut plus faire un aménagement de rivière sans se poser la question de tous ses impacts en aval.

L'approche géographique ainsi que l'approche thématique doivent être transversales. Si vous aménagez une rivière, vous aurez un impact sur la qualité de la ressource en eau et sur la biodiversité. La solution doit être le meilleur compromis de toutes les solutions possibles sur la rivière. De toute façon, la directive européenne va nous y contraindre, même si, avec les agences de l'eau, la France a déjà progressé dans cette direction.

Notre préconisation est de choisir la solution qui respecte le plus les processus écologiques de la rivière.

M. Jacques BASCOU : Le problème ne vient souvent pas des aménagements, mais de l'absence d'entretien des rivières. Dans l'Aude, les ripisylves, emportées par les flots, ont fait barrage au niveau des ponts, qui se sont ensuite brisés, provoquant une vague énorme qui a fait des victimes.

Quand on veut nettoyer les rivières et couper les arbres, il y a toujours une association qui proteste. Dans la vallée de la Cèze, à la suite d'une mini tempête, des engins devaient descendre dans le lit de la rivière pour remonter les troncs des arbres qui avaient été renversés. Des pétitions demandant de le faire avec des chevaux ont reporté l'exécution des travaux. Ces arbres ont par la suite été emportés vers un pont qui a explosé en provoquant une vague.

Une première difficulté vient certes du financement du nettoyage des rivières qui devrait revenir aux riverains. Mais la deuxième difficulté vient également de certaines associations qui freinent l'aménagement des rivières.

M. Vincent GRAFFIN : On est vraiment dans le domaine de la concertation et du compromis. On peut se demander quels étaient ces arbres plantés en bord de rivière. Était-ce une vraie ripisylve, avec des arbres naturels ? Ou étaient-ce encore des peupliers ? Auquel cas ces peupliers n'ont pas à être là. Le même problème se pose pour le maïs : l'agriculteur n'est pas responsable de la mise en place de champs de maïs au bord de la rivière puisque les subventions agricoles ne font que l'encourager - puissamment d'ailleurs - à cultiver du maïs. Mettez-vous à la place de l'agriculteur qui touche 400 francs par hectare et par an pour de l'herbe et 2 000 ou 3 000 francs pour le maïs. Le calcul est très vite fait. C'est du domaine de la politique agricole.

M. Daniel RICHARD : Rien ne peut se faire sans travail de concertation. Même dans le cas de la Loire que vous citiez en exemple, il a fallu beaucoup de temps avant que tout le monde se sente concerné.

En même temps, nous sommes confrontés au fait que, pour le Français, l'eau est gratuite. Elle est là depuis des siècles ; elle n'a donc pas de valeur, on ne doit pas la payer.

Chaque fois que nous intervenons sur ces problèmes, c'est toujours en concertation avec tous les acteurs car les situations sont très complexes.

Nous essayons aussi de remonter jusqu'à la culture de la région. Avec la Fédération Rhône-Alpes de protection de la nature (FRAPNA), nous avons fait une mallette destinée aux enfants pour essayer de sensibiliser les foyers. Un enfant qui fait des mesures dans la rivière n'en parlera pas qu'à son enseignant ; nous espérons qu'il en parlera aussi à ses parents. Peut-être provoquera-t-il une prise de conscience par ce biais. Il est culpabilisant d'entendre son enfant parler des déchets qu'il a trouvés dans la rivière. Nos actions sont fondées sur une culture de ce type, mais elles nécessitent une très longue mise en place.

M. Jean LAUNAY : Comment analysez-vous les investissements faits pour aménager les cours d'eau ou les rivières afin de développer les loisirs nautiques ? Y a-t-il une incompatibilité rédhibitoire, sachant que ce développement touristique est un vecteur important de développement pour les collectivités locales ?

M. Daniel RICHARD : Nous pensons que c'est un très bon moyen de sensibilisation des populations. Nous faisons l'expérience sur la Brenne et nous sommes étonnés du trafic généré. Cela intéresse beaucoup les gens et correspond au besoin de la famille de se retrouver, de découvrir des choses que l'on ne voit pas en ville. Nous allons le faire en Camargue, au marais de Vigueirat. Nous allons essayer de montrer que l'on peut faire revenir les oiseaux et la faune en traitant bien la flore.

En même temps, nous montrons aux différents intervenants, chasseurs, pêcheurs, que l'on peut s'entendre sur quelque chose de plus harmonieux. Nous sommes frappés par les visites et la puissance touristique que peut avoir un milieu naturel restauré.

Aujourd'hui, nous ne le faisons que sur des îlots d'exemplarité, sans signification statistique. Mais nous sentons que cette vocation touristique est importante.

M. Jean LAUNAY : Je m'inquiétais du risque de la pression touristique sur un milieu déjà fragile. Cela peut-il être compatible ?

M. Daniel RICHARD : C'est encore un autre problème. S'il y avait des zones multiples d'attraction, la pression serait divisée. Mais il y en a peu. C'est la Méditerranée qui nous préoccupe le plus. La pression touristique le long de la côte devient dangereuse. On travaille sur le sanctuaire des Ligures où l'une des plus grandes concentrations de cétacés, entre Nice et Gênes, est en train de disparaître.

Gérard d'Abboville, après sa traversée à la rame, a dit que la mer était une poubelle. Cela vient en partie de la pollution touristique. Personne n'a de solution pour gérer les millions de personnes de la côte méditerranéenne. En montagne et à la campagne, la solution est de multiplier les sites pour éviter une trop forte pression.

M. Jacques BASCOU : J'ai entendu parler d'un programme européen autour du Rhin incluant cinq pays. Un volet de ce programme ne consistait-il pas à faciliter le transfert des équipements publics et des habitations privées situées en zones inondables ?

M. Daniel RICHARD : Nous vous enverrons la réponse fournie par nos collègues allemands.

M. le Président : L'aménagement se pense forcément de l'amont vers l'aval, si ce n'est que l'on a, comme dans la Somme, le problème des estuaires. Souvent, si l'on en fait trop en amont, le débit est accéléré en aval. L'estuaire de la Somme remonte chaque année de deux centimètres du fait de l'accumulation de sable. Dans l'estuaire de la Loire, le bouchon vaseux est l'élément aggravant. Les aménagements en amont n'auront pas l'efficacité nécessaire tant que l'on n'aura pas résolu le problème de l'estuaire.

M. Vincent GRAFFIN : L'état de l'estuaire de la Loire est le résultat de deux phénomènes : Le premier est que l'on a voulu faire de Nantes un port de mer et que l'on drague le fonds de l'estuaire 24 heures sur 24, ce qui est incroyable ! D'autre part, la rétention des crues de moyenne fréquence fait que l'effet « chasse d'eau » du bouchon vers la mer se produit moins souvent. L'estuaire est devenu tellement artificiel qu'il n'est pas assez inondé. C'est à un point tel que la pêche dans l'estuaire est en train de disparaître. Il est vrai que les estuaires posent des problèmes parce qu'on les a aménagés.

M. Stéphane ALAIZE : De nos échanges, il ressort que vous seriez plutôt partisan de mesures sur l'aval comprenant le maintien de ripisylves et de la diversité écologique. Face à des inondations imprévisibles, brutales et parfois meurtrières, quelle contribution apportez-vous ou pourriez-vous apporter ? Participez-vous à la gestion de ces problèmes ?

Nous adhérons complètement à cette volonté de préservation de l'environnement et de la diversité écologique, mais nous avons du mal à établir les passerelles, les concertations pour travailler en bonne intelligence sur des solutions de moindre mal écologique, susceptibles d'être mises en _uvre pour parer ou tenter de parer aux catastrophes naturelles.

Il est très important, chez nous où les eaux sont en régime méditerranéen, d'aboutir à cette coordination. Nous sommes bloqués : nous ne pouvons agir pour gérer les atterrissements, les repousses intempestives d'arbustes ou la nature qui se réapproprie un territoire laissé vacant. On assiste parfois également à une modification du cours de l'eau, ce qui crée aussi des risques car, en modifiant son cours, l'eau vient rogner des berges qui n'y étaient pas préparées.

Toutes ces incidences écologiques ont des conséquences sociales, humaines et économiques.

M. Vincent GRAFFIN : Il est intéressant que vous parliez d'atterrissement et d'érosion. Je n'ai mentionné qu'une fois la notion d'espace de liberté des rivières, qui a été développée essentiellement sur la Loire. L'espace de liberté est la zone dans laquelle une rivière divague. En effet, une rivière divague. Au gré des crues et des rochers présents dans le lit, la mécanique des fluides se charge de dessiner le lit de la rivière qui change au fil du temps. On a complètement oublié cette réalité. Un Parisien, qui n'a jamais vu la Seine qu'entre ses berges, ne peut pas croire que cette rivière divaguait. Nous préconisons la défense de cet espace de liberté autant que possible.

J'ai également parlé d'espace d'inondation. En fait, les deux se recouvrent plutôt bien. Lorsqu'une rivière travaille, elle va créer des milieux, atterrir, éroder des berges. Cela peut faire sourire, mais les hirondelles de rivage ne nichent que dans les petites falaises friables ou sur les rivages érodés. Si vous avez la chance d'avoir une rivière qui offre encore de tels paysages, je vous invite à la protéger. Par contre, cela pose un réel problème économique pour le propriétaire du terrain.

M. Daniel RICHARD : Je voudrais revenir sur le mode de fonctionnement de WWF. Nous n'avons pas les moyens d'aller étudier toutes les rivières de France. Par contre, nous ne cherchons pas à fonctionner comme des sociétés de conseil. Notre savoir-faire consiste à faire travailler des associations locales et à les coordonner en leur donnant un accès à une information mondiale. Sur un problème donné nous essayons d'assurer la coordination et parfois de financer sur nos fonds propres des actions.

Nous n'avons pas les moyens de gérer une catastrophe. Nous sommes soixante en France. Si les coordinateurs en place viennent nous chercher, nous allons prendre contact avec les associations locales. Le contact local est le plus important. Par contre, les associations savent que nous avons un vrai savoir-faire national et international de coordination.

M. Stéphane ALAIZE : Quand il s'agit de la sécurité, je considère qu'il doit être possible d'intervenir dans les rivières. Cela me paraît une exigence chez nous, avec ses obligations en matière de principe de précaution et de respect de l'environnement. L'écologie s'inscrit dans une durée plus longue que celle qui nous préoccupe.

À vous entendre, j'ai l'impression qu'il y a quelque part des incompréhensions et des malentendus qui conduisent à des blocages qui peuvent être particulièrement dommageables. Il y a un travail urgent de rapprochement à réaliser. Comment peut-on faire ?

M. Daniel RICHARD : C'est le fond du travail que nous réalisons. Nous essayons d'informer les associations locales et de faire en sorte qu'elles travaillent ensemble. Sur la Loire, il y a eu des frictions, mais nous avons abouti à des réalisations.

M. Vincent GRAFFIN : Quand on parle de protection de l'espace de liberté, on impose une contrainte au riverain : dans l'intérêt général, il faut que la rivière construise, fasse des habitats et retrouve sa charge sédimentaire.

Cela signifie que le riverain doit obtenir une aide. Quand le terrain est rongé par l'érosion, il faudrait peut-être qu'il n'ait pas à payer d'impôts.

Nous cherchons des solutions et nous essayons de les mettre en _uvre. Nous nous concentrons sur la Loire parce que nous ne pouvons pas travailler partout. Nous essayons ensuite de communiquer sur ce qui est fait de positif dans les bassins les plus avancés de façon à le transférer ailleurs.

M. le Président : Du fait de l'érosion, le lit de la Loire évolue. J'ai rencontré des agriculteurs qui voyaient la Loire réduire de façon considérable leurs terrains, qui tombaient par pans entiers tous les ans. Sur l'autre rive, l'autre agriculteur, lui, gagnait du terrain !

Nous vous remercions.

Audition de M. Thierry MASQUELIER,
président de la
Caisse centrale de réassurance

(extrait du procès-verbal de la séance du 19 juin 2001)

Présidence de M. Éric DOLIGÉ, Président

M. Thierry Masquelier est introduit.

M. le Président lui rappelle le mode de fonctionnement de la commission et lui indique que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. À l'invitation du Président, M. Thierry Masquelier prête serment.

M. le Président : Cet après-midi, notre commission a choisi de consacrer ses travaux au régime d'indemnisation des catastrophes naturelles. En près de vingt ans d'existence, il est sans doute possible de dresser un bilan positif de ce régime mis en place en 1982. Cependant, vous conviendrez sans doute qu'il n'est pas sans défaut. Dans son rapport public, la Cour des comptes en a d'ailleurs exposé les limites, notamment en ce qui concerne sa contribution, quasi nulle, à la politique de prévention et de réduction des risques. Nous souhaitons naturellement connaître votre sentiment sur ce point essentiel pour les travaux de notre commission.

Par ailleurs, la Caisse centrale de réassurance est particulièrement bien placée pour apprécier la viabilité financière du régime « Catnat ». Vous nous direz s'il convient de nourrir des inquiétudes à cet égard.

M. Thierry MASQUELIER : Dans un premier temps, je rappellerai brièvement la nature de la Caisse centrale de réassurance, notre action n'étant pas très médiatique. Ensuite, concernant le régime des « catastrophes naturelles », l'économie générale étant connue, j'essaierai d'aborder les deux questions que vous avez soulevées sur son éventuelle incidence sur la politique de prévention et la réduction des risques et sur sa viabilité financière.

La Caisse centrale de réassurance a été fondée en 1946, sous la forme d'un établissement public à vocation commerciale. L'idée était double : la première était essentiellement de nature statistique et de contrôle du marché de l'assurance. Celui-ci sortait évidemment d'une période de guerre et il était de ce fait relativement désorganisé. Le législateur de l'époque a souhaité créer cet établissement public en imposant à tous les assureurs de céder 4 % des primes d'assurance collectées. Ce pourcentage a été ensuite progressivement réduit. De ce fait, la Caisse de réassurance pouvait avoir une vocation statistique, puisqu'elle percevait une fraction des primes perçues par l'ensemble des assureurs agissant en France et payait la même fraction des sinistres.

La deuxième idée était que ce marché de l'assurance, relativement désorganisé, avait besoin de trouver des capacités de réassurance, si possible sur la place de Paris. En effet, les grands réassureurs se trouvaient alors de l'autre côté de la Manche, du Rhin ou en Suisse. L'objectif était qu'il existe en France une possibilité de supporter des risques trop importants pour les assureurs.

La Caisse centrale de réassurance a été fondée sur cette base. En 1970, son portefeuille, constitué de toutes ces réassurances offertes à des assureurs français, mais aussi, au fil du temps, à des assureurs étrangers, a servi de base à la création de la SCOR, qui a longtemps été une filiale de la Caisse centrale de réassurance jusque dans les années 90.

La partie de notre activité en rapport avec l'objet de votre commission est notre intervention au titre de la loi de 1982 sur le régime de catastrophes naturelles, intervention qui représente aujourd'hui entre 50 et 60 % de notre activité.

Le régime d'assurance des catastrophes naturelles a été créé par la loi du 13 juillet 1982. Il repose sur une clause-type, introduite dans les contrats d'assurance « dommages » délivrés par les assurances en France, qui couvre automatiquement l'assuré contre les conséquences des catastrophes naturelles, c'est-à-dire les conséquences d'une intensité anormale d'un agent naturel pour un risque non assuré par le marché classique.

Dans ce régime, l'élément de solidarité entre les assurés provient du fait que le taux de la prime demandée pour cette clause type ou « taux de surprime » est uniforme : 12 % du montant de la prime « dommages ». Ainsi, la prime demandée à l'assuré est indépendante de son exposition réelle au péril de catastrophes naturelles. L'assiette, comme le taux de la prime, sont fixés par arrêté de façon uniforme. Il y a bien quelques variations selon la nature du risque couvert, mais le principe est l'uniformité.

La spécificité de ce régime est, par ailleurs, que, par rapport au mécanisme classique d'assurance, l'état de catastrophe naturelle résulte de la publication d'un arrêté conjoint du ministre de l'Intérieur et du ministre de l'Économie, des finances et de l'industrie. Cet arrêté est pris sur l'avis d'une commission interministérielle, laquelle s'attache fondamentalement à distinguer parmi les divers événements naturels, dont les inondations font partie, ceux qui sont fréquents et qui ne sont donc pas des catastrophes naturelles. Par « événements fréquents », on entend ceux qui surviennent statistiquement plus d'une fois par décennie.

Comment la Caisse centrale de réassurance intervient-elle dans ce schéma ? Elle offre aux assureurs français ou étrangers opérant en France, délivrant des polices à des assurés en France, la possibilité de transférer une partie du risque de catastrophe naturelle sur la CCR. Nous offrons des garanties de réassurance volontaire : l'assureur peut transférer une partie de son risque sur la CCR, suivant certaines modalités. Moyennant reversement d'une partie des primes perçues sur les assurés, particuliers ou industriels, la CCR prend en charge une fraction du coût financier de la catastrophe naturelle ou une fraction des indemnités que l'assureur aura versées aux assurés au titre de la catastrophe naturelle.

L'assureur se réassure, parce qu'une catastrophe naturelle entraîne évidemment un sinistre pour un grand nombre de polices qu'il a délivrées. Elle touche un grand nombre de ses clients simultanément. L'accumulation des indemnités versées à chaque assuré peut s'avérer trop élevée par rapport à ses fonds propres, à ses perspectives de résultat ou à son chiffre d'affaires. Il souhaite donc transférer à un réassureur, le plus souvent la CCR, une partie du sinistre potentiel qu'il encourt.

De la même manière, la CCR, devenue société anonyme en 1992, n'a que des fonds propres limités et une capacité financière à supporter les sinistres limitée. Cependant, elle bénéficie de la garantie de l'État pour ce risque particulier, ce qui lui permet de délivrer aux assureurs une garantie de réassurance illimitée. Si ses réserves financières constituées au titre du risque de catastrophe naturelle venaient à être épuisées, la garantie de l'État serait mise en jeu et le système pourrait toujours fonctionner.

Dans cette organisation, la préoccupation est essentiellement une préoccupation de solidité financière et de bonne indemnisation des assurés victimes d'une catastrophe naturelle.

Quel jugement peut-on porter sur cet aspect des choses ? Nous en avons une impression, mais vous êtes meilleurs juges que nous, qui faisons partie du système. Concernant la partie indemnisation, même si tout système est perfectible, celui-ci apporte une couverture raisonnablement satisfaisante aux assurés qui détiennent un contrat d'assurance « dommages ». Elle ne pourra jamais être complète et elle souffre évidemment de quelques lacunes qui sont régulièrement corrigées. Mais, globalement, le volet indemnisation peut être considéré comme raisonnablement satisfaisant. La critique la plus souvent formulée est que l'indemnisation, si elle fonctionne raisonnablement bien, peut avoir un effet insuffisamment incitateur aux mesures de prévention ou de réduction des risques.

Les pouvoirs publics, les assureurs et la CCR ont essayé de prendre en compte ces préoccupations dans les réformes récentes de ce régime. Je pourrai revenir sur ce point si vous le souhaitez.

Concernant la viabilité financière du régime, celui-ci fonctionne depuis presque vingt ans et n'a pas connu de problèmes financiers majeurs. Un certain nombre de catastrophes se sont produites, dont certaines significatives, y compris en 1999. Cependant, nous n'avons pas encore connu de catastrophes majeures, du type tremblement de terre important dans le sud-est de notre pays ou inondations de la Seine comme celles de 1910. L'expérience montre que le système a pu prendre en charge toutes les catastrophes moyennes survenues. Il n'a jamais été fait appel à la garantie de l'État, sauf en 1999 en raison de l'accumulation de trois phénomènes. Il y a eu une multiplication de sinistres sur un péril inconnu au moment où la loi a été votée, qui a coûté relativement cher au régime dans les années 90 : le péril de « subsidence », lié à des mouvements différentiels de terrains consécutifs à la sécheresse et à la réhydratation des sols. Par ailleurs, l'année 1999 a vu se produire les inondations de novembre dans la vallée de l'Aude, avec des pertes en vies humaines et en biens matériels relativement importantes, et la tempête. Si le risque tempête, à l'origine pris en charge par le système, est intégralement couvert par l'assurance classique depuis 1990, un certain nombre d'inondations concomitantes ont néanmoins été prises en charge par le régime des catastrophes naturelles.

Cela a conduit à une réforme de ce régime, intervenue pour l'essentiel en 1999, en partie en 2000 et pour les dernières mesures en 2001. Elle a pour effet de remettre le régime sur de bons rails financiers, ce qui lui permet de continuer à prendre en charge les catastrophes moyennes dans les années à venir, si possible sans être obligé de mobiliser la garantie de l'État, qui demeure essentielle pour la solidité globale du système et garantit son bon fonctionnement.

M. le Président : Il ne faut pas exclure du raisonnement la différence de nature des catastrophes. Vous avez parlé de la fréquence : lorsqu'un événement a une fréquence de moins de dix ans, il n'est pas considéré comme une catastrophe naturelle. Mais, il y a également les catastrophes prévisibles et non prévisibles. Au bord d'un cours d'eau, une inondation est prévisible même si l'échéance n'est pas facilement déterminable. Par ailleurs, certaines catastrophes naturelles peuvent être nationales, du type tempête, ou très localisées, du type effondrement de terrain ou autres. Enfin, en matière d'inondations, il peut y avoir des inondations de courte durée ou de longue durée. L'intervention de l'assurance n'est pas du tout de même nature. La solidarité nationale doit intervenir davantage dans le cas de la longue durée que dans la courte durée.

M. le Rapporteur : Au sujet du régime d'indemnisation des catastrophes naturelles, vous avez laissé entendre que vous ne le jugiez pas suffisamment incitatif en matière de prévention. J'aimerais que vous nous disiez ce que vous en pensez. Des réformes sont intervenues depuis 1982. Quelles sont-elles ? Qu'ont-elles apporté ?

D'autre part, en ce qui concerne les mesures de responsabilisation des acteurs de la prévention, l'augmentation de la franchise est-elle une solution ? Par ailleurs, le principe de la reconstruction à l'identique se pose en particulier dans le département que je représente. Comment pourrait-on s'en écarter, en intégrant des mesures de prévention sans rendre inconstructibles toutes les vallées susceptibles d'être inondées ? Cela créerait d'autres problèmes à la fois psychologiques et politiques. J'aimerais connaître votre position.

Il apparaît que d'importants dégâts ne sont pas couverts par le régime de catastrophes naturelles, tels ceux subis par les collectivités publiques ou les dégâts dus à la perte d'exploitation des entreprises. C'est le cas notamment des entreprises qui, bien que non directement touchées par la catastrophe naturelle, ont dû cesser leur activité.

M. Thierry MASQUELIER : Je vais essayer d'apporter quelques éléments de réponses pour ce qui entre dans le cadre des responsabilités de la CCR. Nous sommes une société anonyme et notre objet social est la réassurance, c'est-à-dire le partage des risques avec les assureurs directs. Il est vrai que notre responsabilité - y compris dans le cadre de ce régime - est principalement une responsabilité de bon fonctionnement du système d'assurance. Nous nous efforçons de faciliter la viabilité financière de ce régime avec l'aide de la garantie de l'État, qui est notre actionnaire. Depuis 1998, nous avons engagé des efforts de compréhension des phénomènes, au moins analysés sous l'angle des conséquences financières.

En revanche, nous agissons bien entendu dans le cadre des textes législatifs et réglementaires qui régissent ce régime. Pour répondre à votre première question, monsieur le Président, l'arrêté conjoint des deux ministres, ministre de l'Intérieur et ministre de l'Économie et des finances, déclare la catastrophe naturelle en s'appuyant sur l'avis de la commission interministérielle dans laquelle la CCR n'a qu'un rôle de secrétariat. La définition précise d'une catastrophe naturelle n'est pas dans la loi. Les termes de la loi sont « l'intensité anormale d'un élément naturel ». C'est la commission qui a élaboré une forme de jurisprudence sur l'élément de fréquence que j'ai indiqué. Dans cet esprit, les risques sont pris en charge de la même manière, qu'ils soient prévisibles ou imprévisibles. Il est évident qu'une habitation le long d'une rivière a une exposition prévisible à ce risque plus importante qu'une maison située au sommet d'une colline. La pratique du régime ne fait par ailleurs absolument aucune distinction selon que la catastrophe est d'ampleur nationale ou localisée. L'intensité anormale de l'élément naturel est appréciée localement, même si elle se manifeste en de nombreux endroits simultanément.

Dans le cadre de ce régime, la responsabilité principale des assureurs et de la CCR est certainement l'indemnisation. La solidarité a été un élément important de ce régime depuis la loi de juillet 1982. Cela n'exclut pas que les dispositifs d'assurance et de réassurance soient de plus en plus incitatives à la prévention, dans la mesure où cet élément est accepté par la communauté des assurés.

Plusieurs éléments intégrés dans les réformes récentes ne sont pas nécessairement très faciles à faire accepter. Le premier élément est un relèvement général des franchises. En cas de survenance d'un sinistre, la part laissée à la charge de l'assuré a été légèrement augmentée : elle est de 2 500 francs pour les particuliers. Une deuxième mesure, entrée en vigueur au 1er janvier 2001, consiste à moduler cette franchise, c'est-à-dire à la doubler, la tripler, voire la quadrupler dans quelques cas extrêmes, lorsqu'il y avait eu, sur une commune ou à un endroit déterminé, plusieurs arrêtés de catastrophes naturelles concernant le même péril depuis 1995. En l'espèce, la franchise est doublée quand, depuis 1995, nous en sommes au troisième arrêté concernant la même commune pour le même risque.

L'objectif n'est pas du tout financier. L'application de cette mesure n'a qu'une incidence marginale sur le volume des indemnités de sinistre versées. Le but de cette modulation de franchise est de sensibiliser aux mesures de prévention, individuelles ou communales. Il est évident que, pour le risque d'inondation, si les mesures de prévention individuelles ou communales peuvent être efficaces, elles sont très souvent à concevoir au niveau du bassin.

M. le Rapporteur : La franchise qui tient compte de la répétition d'un sinistre pénalise les assurés, mais pas les collectivités publiques qui n'ont pas pris en compte le risque en question.

M. Thierry MASQUELIER : Cette modulation ne s'applique pas lorsqu'il y a un plan de prévention des risques (PPR) prescrit ou approuvé dans la commune. L'effet pratique de cette mesure, constaté depuis qu'elle a été publiée en décembre 2000, est un développement important du nombre de PPR prescrits. Les PPR doivent être approuvés dans les cinq ans. Si l'approbation ne survient pas dans ce délai, la modulation reste applicable.

Naturellement, ce n'est pas une mesure à effet direct puisque nous n'en sommes qu'à la prescription, mais l'effet pratique le plus important a été le lancement d'un grand nombre d'études au titre des PPR.

Tout cela a une conséquence sur le long terme, allant dans le sens de la prévention ou tout au moins de la modulation progressive des garanties données par les assureurs au titre des catastrophes naturelles. Lorsqu'un PPR a été approuvé, la loi prévoit une possibilité de restreindre les garanties. Sans pour autant déroger au taux unique de surprime, le Bureau central de tarification se reconnaît la possibilité d'agir sur le montant de la prime du contrat sous-jacent qui sert d'assiette au taux de la surprime. Il est possible, sur décision du Bureau central de vérification, d'offrir des garanties plus restreintes aux biens situés dans une zone couverte par un PPR, si l'assuré ne se conforme pas aux prescriptions du PPR dans un délai de cinq ans.

Nous aurons également progressivement un effet sur le long terme, à échéance de cinq ou dix ans, avec des dérogations à la solidarité sur le plan de la tarification. Via le Bureau central de tarification, il sera possible de moduler la prime ou les garanties, si le risque couvert ne fait pas l'objet de mesures de prévention raisonnables.

M. le Rapporteur : Peut-on imaginer que, dans le cadre de la modulation des primes et des franchises, on puisse tenir compte de l'intégration de mesures de prévention au moment de la construction ou de la reconstruction. Cela vous semble-t-il possible et souhaitable ?

M. Thierry MASQUELIER : Dans l'économie actuelle du régime, l'indemnisation en matière de catastrophes naturelles, à la seule exception de la franchise, suit les modalités d'indemnisation pour le risque principal de la police. En général, il s'agit du risque « incendie - dégâts des eaux » pour une habitation. Si la police d'assurances prévoit la reconstruction à l'identique, par exemple en valeur à neuf, l'indemnisation « catastrophe naturelle » suivra le régime de la police principale.

Chaque citoyen a le choix de s'assurer ou non. Généralement, il est assuré, mais ce n'est pas une assurance obligatoire. Il choisit librement son assureur qui, généralement, lui propose plusieurs formules pour la couverture de son habitation ou de son entreprise.

Une partie des risques agricoles n'est pas couverte par le régime des catastrophes naturelles, car ce domaine relève des calamités agricoles. De même, ne sont pas couverts par le régime tous les risques qui ne sont pas assurés, par exemple, les risques de très grandes entreprises, comme EDF ou la SNCF qui font le choix de ne pas s'assurer, ou portant sur certains équipements publics. Le régime des catastrophes naturelles n'a pas vocation à tout couvrir.

M. le Président : Nous avons vu que certaines personnes ou entreprises ne peuvent pas être assurées ou le sont mal. Il y a des augmentations de franchises légères, qui peuvent par ailleurs être doublées, triplées ou quadruplées dans des cas exceptionnels. Encore faut-il des gens pour sensibiliser à la culture du risque, car je ne pense pas que l'assuré le soit spontanément. Lorsque l'on a une assurance importante avec une franchise de 2 500 francs, cela ne change pas grand-chose. Dans la Somme, on a vu que cela posait également des problèmes majeurs aux assurés victimes de petits sinistres.

M. Robert GALLEY : Je souhaiterais revenir sur la possibilité de dérogation pour moduler le montant de la garantie. Compte tenu de la relative imprévoyance des gens, ce régime est moins dissuasif que ne le serait un montant différencié de prime d'assurance. Avez-vous une opinion sur les raisons qui ont fait que l'on ne voulait pas toucher au régime de l'assurance ? Dans d'autres domaines, tel que celui de l'automobile, les conducteurs ayant un comportement à risques sont taxés plus lourdement. Faire appel au porte-monnaie de l'assuré est infiniment plus dissuasif. J'ai cité l'exemple d'un supermarché qui, se situant en zone inondable parce que le terrain est beaucoup moins cher, avait une prime d'assurance qui était la même que s'il s'était installé sur la colline. Notre commission d'enquête ayant pour but de proposer des réformes, quel est votre sentiment sur ce choix de moduler le montant de la garantie plutôt que la prime d'assurance ?

Vous avez indiqué que la CCR ne pratiquait qu'une réassurance partielle. Quelle est la part de cette réassurance ?

M. Thierry MASQUELIER : Concernant le premier point, dans le texte actuel de la loi de 1982, l'assureur a la possibilité de saisir le Bureau central de tarification. C'est la procédure obligatoire pour pouvoir déroger, soit sur le plan des conditions, soit sur le plan de la tarification, soit sur une combinaison des deux. Le Bureau central de tarification fixe les conditions et tarifs éventuellement dérogatoires. Dans la loi de 1982, les conditions de saisine sont extrêmement restrictives. La saisine est facile pour l'assuré qui ne trouverait pas de couverture. En revanche, elle est extrêmement difficile pour l'assureur, qui estimerait qu'il serait approprié dans tel ou tel cas particulier de pouvoir pratiquer des tarifs ou des conditions dérogatoires. Ces vingt dernières années, il y a eu quelques cas, très peu nombreux, d'assureurs ayant pratiqué cette saisine. Il y a donc eu très peu de décisions du Bureau central de tarification sur ce thème.

Concernant l'importance de la réassurance, il s'agit de l'un des éléments que nous avons introduits dans la réforme de la réassurance. Aujourd'hui, nous avons uniquement des relations de droit privé avec les assureurs. Au cours de ces dernières années, sur une base consensuelle, nous avons cherché à laisser à leur charge une fraction plus importante du risque ou du montant de l'indemnité. De cette façon, l'assureur direct ne se désintéresse pas complètement de l'évolution du risque et des conséquences d'une catastrophe naturelle. Nous l'avons fait avec prudence et progressivement. Au cours d'une année où il ne se produit pas d'événements très significatifs, comme en 2000, le risque est partagé à parts égales entre l'ensemble des assureurs français ou étrangers travaillant en France et la CCR. En fait, notre part est un peu plus importante : 52 à 53 % du risque.

L'aspect fondamental de cette garantie que nous offrons aux assureurs est de plafonner la charge financière qu'ils auront à supporter, même si cette charge maximale a eu tendance à augmenter, année après année. S'il survenait une très grande catastrophe, du genre de celles que j'ai mentionnées précédemment, mais qui ne s'est pas produite au cours des vingt dernières années, la répartition serait de l'ordre de 70 / 30 % ou 80 / 20 %, selon la taille de la catastrophe. La CCR ne serait alors pas en mesure de supporter intégralement les 80 % et une partie serait prise en charge par la garantie de l'État.

M. Christian KERT : On a raison de dire que ce système, parce qu'il est de qualité, est non seulement peu incitatif, mais également déresponsabilisant. Ne croyez-vous pas qu'il serait temps, non pas uniquement de frapper au portefeuille, mais aussi que le monde de l'assurance prenne des dispositions en faveur d'une meilleure responsabilisation. Vous avez évoqué le risque sismique. Depuis un texte de 1994, les assurés ont l'obligation de construire selon une norme parasismique. Mais, celui qui les respecte est assuré de la même façon que celui qui ne le fait pas. Ne serait-il pas temps que les assureurs prennent l'initiative de réaliser un contrôle de la qualité du travail fourni en matière de construction parasismique, quitte à répercuter sur le paiement des primes à venir le coût de ce contrôle ? L'assureur deviendrait un agent de la politique de prévention, ce qu'il n'est pas encore.

M. Thierry MASQUELIER : Le régime des catastrophes naturelles est en grande partie encadré par la loi et la réglementation. Ce dispositif veut tempérer les mécanismes d'assurance, dans le sens classique du terme, par des considérations de solidarité. L'un des points importants de ce régime est que tout assuré qui le souhaite trouve une police d'assurance et peut bénéficier d'une couverture pour les catastrophes naturelles. Cela représente un acquis très important. Cela n'existe pas dans un grand nombre de pays, y compris voisins. La contrepartie est l'obligation de couvrir selon une clause type et un tarif fixés par arrêté. Les assureurs n'ont pas la même liberté d'adapter les conditions et la tarification comme ce serait le cas pour une approche assurantielle classique.

Ce n'est pas de la responsabilité de la CCR d'estimer qu'il faille aller dans une direction plutôt qu'une autre. Néanmoins, pour aller dans le sens que vous avez indiqué, la CCR et l'ensemble de la profession essaient de faire des efforts sur ce que l'on appelle le retour d'expérience, à savoir la compréhension des phénomènes, la connaissance statistique et l'analyse des conséquences financières des événements passés. Dans les brochures que nous diffusons, nous essayons d'analyser les conséquences financières des catastrophes, notamment des inondations intervenues depuis 1997.

Ce n'est pas le rôle direct de la CCR et de l'assurance de réfléchir à la politique de prévention en tant que telle, mais peut-être pouvons-nous contribuer à l'information et à la réflexion des décideurs. Ce dispositif est long à mettre en place et doit atteindre un degré de fiabilité suffisant pour constituer une base de réflexion correcte. Mais nous y travaillons. J'ai bon espoir que, dans les années qui viennent, nous soyons capables de donner des éléments de réflexion aux décideurs en matière de prévention publique.

M. le Président : Nous vous remercions.

() La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

Sécurité publique.


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