N° 1064

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 10 juillet 1998.

RAPPORT D'INFORMATION

déposé en application de l'article 145 du Règlement

PAR LA MISSION D'INFORMATION COMMUNE
sur la SITUATION et LES PERSPECTIVES de l'INDUSTRIE AUTOMOBILE
en FRANCE et en EUROPE (1)

Président
M.
Daniel PAUL,

Rapporteur
M
. Gérard FUCHS,

Députés.

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RAPPORT
(deuxième partie)
AUDITIONS

(1) La composition de cette mission figure au verso de la présente page.

Automobiles et cycles.

La mission d'information commune sur la situation et les perspectives de l'industrie automobile en France et en Europe est composée de : M. Daniel PAUL, président ; M. Jacques MASDEU-ARUS, Mme Annette PEULVAST-BERGEAL, vice-présidents ; MM. Pierre CARASSUS, Gérard VOISIN, secrétaires ; M. Gérard FUCHS, rapporteur ; MM. Jean-Claude ABRIOUX, Maurice ADEVAH-POEUF, Pierre AUBRY, Jean-Pierre BAEUMLER, Alain BARRAU, Christian BATAILLE, Jean-Claude BATEUX, Mme Marie-Thérèse BOISSEAU, MM. Jean-Louis BORLOO, Pierre BOURGUIGNON, Yves BUR, Christian CABAL, Laurent CATHALA, Bernard DAVOINE, Lucien DEGAUCHY, Michel DESTOT, Raymond DOUYERE, Nicolas DUPONT-AIGNAN, Philippe DURON, Claude GATIGNOL, André GERIN, Gaétan GORCE, Mmes Janine JAMBU, Claudine LEDOUX, MM. Jean-Claude LEMOINE, François LOOS, Lionnel LUCA, Patrice MARTIN-LALANDE, Michel MEYLAN, Joseph PARRENIN, Jean PONTIER, Jean PRORIOL, Jean-Luc REITZER, Mme Odile SAUGUES, MM. Bernard SCHREINER, Pascal TERRASSE, Joseph TYRODE, Jena-Jacques WEBER.

S O M M A I R E

Pages

INTRODUCTION 9

I. UNION EUROPÉENNE ET CONSTRUCTEURS ASIATIQUES : UN DÉBAT DÉPASSIONNÉ MAIS UNE VIGILANCE NÉCESSAIRE 11

A. DES POINTS DE CONSENSUS 11

1) La " normalisation " japonaise 11

2) Un accord a minima 11

B. LA VIGILANCE 12

C. DEUX PROPOSITIONS CONCRÈTES 13

II. LE CONTRÔLE DES AIDES RÉGIONALES AUX CONSTRUCTEURS 13

A. UN DIAGNOSTIC COMMUN 13

B. DES SOLUTIONS DIVERGENTES 13

III. L'ENVIRONNEMENT, UNE PRIORITÉ PARTAGÉE 14

A. UN CONSENSUS POUR LA RÉDUCTION DES ÉMISSIONS POLLUANTES 14

B. STIMULER UNE NOUVELLE DEMANDE À L'ÉCHELLE EUROPÉENNE 14

C. SOLUTION : UNE NORME EUROPÉENNE LISIBLE 15

IV. LA RÉDUCTION DU TEMPS DE TRAVAIL : DES MÉTHODES DIFFÉRENTES, DES RÉSULTATS ASSEZ SEMBLABLES. 15

A. L'ITALIE SUR LA VOIE DE LA RÉDUCTION DU TEMPS DE TRAVAIL 15

B. LE PARADIGME VOLKSWAGEN 16

LISTE DES PERSONNALITÉS RENCONTRÉES DANS LE CADRE DE LA DEUXIÈME PARTIE DU RAPPORT 17

AUDITION À L'ASSEMBLÉE NATIONALE (COMPTE RENDU PAGE 593) 17

DÉPLACEMENT DE LA MISSION À LA HAYE LE 5 MARS 1998 17

DÉPLACEMENT DE LA MISSION AU PARLEMENT EUROPÉEN LE 10 MARS 1998 18

DÉPLACEMENT DE LA MISSION À ROME LE 26 MARS 1998 18

EXAMEN DU RAPPORT 19

EXPLICATIONS DE VOTE 23

AUDITIONS 35

SOMMAIRE DES AUDITIONS

Les auditions sont présentées dans l'ordre chronologique des séances tenues par la Mission

(la date de l'audition figure ci-dessous entre parenthèses)

 

Pages

__ M. Christian PIERRET, Secrétaire d'Etat à l'industrie (2 septembre 1997).

37

 

__ M. Louis SCHWEITZER, Président-directeur général de Renault               
(3 septembre 1997).


77

__ M. Jacques CALVET, Président du directoire du groupe PSA Peugeot Citroën
(3 septembre 1997).


111

__ M. Amaury HALNA du FRETAY, Président de la Fédération des industries des équipements pour véhicules (FIEV) (17 septembre 1997).


137

__ M. Bernard CALVET, Président de l'Union française des industries pétrolières (UFIP) (17 septembre 1997).


153

__ M. Jean-Pierre HENAUT, Président du Conseil national des professions de l'automobile (CNPA), Jacques CAPDEPONT, Roland GARDIN et Jean-Claude LENORMANT, Vice-présidents du CNPA (17 septembre 1997).



161

__ Délégation du syndicat CGT des personnels de Renault composée de MM. Yves AUDVARD et Jean-Marie BOUSSET, Membres du comité central d'entreprise (CCE), Jean-Pierre BUTTARD, Secrétaire adjoint du CCE, et Guy FOUCAULT, Membre suppléant du CCE (23 septembre 1997).




179

__ Délégation du syndicat CFE-CGC des personnels de Renault composée de MM. René CANTELOUP, Membre du comité central d'entreprise (CCE), Alain CHICHE, Membre du comité de groupe France, Michel DORIS, Secrétaire adjoint du CCE, et Gérard GONTHEY, Secrétaire du CCE (23 septembre 1997)




191

__ Délégation du syndicat CGT-FO des personnels de Renault composée de MM. Jean BOCQUET, Membre du comité central d'entreprise (CCE), Jean-Pierre LANGEVIN, Représentant syndical au CCE, Jean-Marie RAVRY, Membre du CCE, et Pierre VITRY, Délégué syndical central - réseau commercial (23 septembre 1997)





203

__ Délégation du syndicat CFTC des personnels de Renault composée de MM. Daniel BRUNET, Délégué syndical central, Jack DAUPHIN, Délégué syndical central adjoint, Représentant syndical au comité central d'entreprise, et Serge DEPRY, Délégué syndical central, Secrétaire adjoint du comité de groupe européen
(23 septembre 1997)





217

__ Délégation du syndicat CFDT des personnels de Renault composée de MM. Pierre ALANCHE, Administrateur représentant les actionnaires salariés, Serge BOUTROU, Secrétaire adjoint du comité central d'entreprise, Emmanuel COUVREUR, Délégué syndical central, et Alain VETILLARD, Délégué syndical central - réseau commercial (23 septembre 1997)





225

__ M. Noël GOUTARD, Président-directeur général de VALÉO (24 septembre 1997)

237

__ MM. Michel FREYSSENET, Directeur de recherches au CNRS, Directeur du Groupe d'études et de recherches permanent sur l'industrie et les salariés de l'automobile (GERPISA), Jean-Jacques CHANARON, Directeur de recherches au CNRS, et Robert BOYER, Directeur de recherches au CNRS, Directeur d'études à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (24 septembre 1997).





253

__ Délégation du syndicat CFDT des personnels de PSA Peugeot Citroën composée de MM. Vincent BOTTAZI, Délégué syndical central Peugeot, Didier DUMONTIER, Délégué syndical central Citroën, Jean-Paul EVEN, Délégué syndical Peugeot-Sochaux, Membre du comité de groupe européen, et François MERMET, Délégué syndical central ECIA, Membre du comité de groupe européen (7 octobre 1997).






269

__ Délégation du syndicat CFE-CGC des personnels de PSA Peugeot Citroën composée de MM. Pierre BEVILACQUA, Délégué syndical central Peugeot, Julien JUILLARD, Délégué syndical central adjoint, Représentant syndical au comité d'établissement de Peugeot-Sochaux, Fabrice PEUFLY, Représentant syndical au comité d'établissement de Citroën-Aulnay, et Mme Anne VALLERON, Déléguée syndicale centrale Citroën (7 octobre 1997)






279

__ Délégation du syndicat CGT-FO des personnels de PSA Peugeot Citroën composée de Mme Yvonne FONTAINE, Secrétaire du syndicat FO de Citroën-Rennes et de MM. Jean-François KONDRATIUK, Secrétaire du syndicat FO de Peugeot-Poissy, Michel LAUNEY, Responsable du syndicat FO de Citroën-Caen, et Yvon MANZI, Secrétaire du comité central d'entreprise Automobiles Peugeot, Secrétaire adjoint au comité européen de PSA (7 octobre 1997)






287

__ Délégation du syndicat CFTC des personnels de PSA Peugeot Citroën composée de MM. Hubert DELACROIX, Représentant syndical au comité de groupe européen, Théo GENDROT, Délégué syndical central Citroën, et Jacques MERGEY, Délégué syndical central Peugeot (7 octobre 1997)




299

__ Délégation du syndicat CGT des personnels de PSA Peugeot Citroën composée de MM. Jean-Claude CONET et Jo CUSSONNEAU, Membres du comité de groupe européen, Loris DALL'O, Délégué syndical central Peugeot, et Joël MOREAU, Représentant syndical au comité central d'entreprise (7 octobre 1997)




307

__ M. François MICHELIN, Associé commandité et gérant de la Société Michelin (8 octobre 1997).


317

__ MM. Jean PERRET, Président du Syndicat national du décolletage (SNDEC), Claude MORISSEAU, Secrétaire général du SNDEC, Jean-François DUSSAIX, Président du Centre technique du décolletage (CTDEC), et Roger BONHOMME, Directeur général du CTDEC (15 octobre 1997)




335

__ M. Régis MAITENAZ, Président du Groupement automobile de la plasturgie (15 octobre 1997)


349

__ Délégation de la Fédération générale des mines et de la métallurgie (FGMM) - CFDT composée de MM. Pascal AUDINET, Délégué syndical central Valéo, Marcel GRIGNARD, Secrétaire national de la FGMM - CFDT, responsable de la branche automobile, Jean-Marc GURDIN, Délégué syndical central Bosch, et Daniel RICHTER, Délégué syndical central adjoint Renault (21 octobre 1997).





361

__ Délégation du Collectif national auto de la Fédération des travailleurs de la métallurgie-CGT composée de MM. Daniel SANCHEZ, Secrétaire fédéral, responsable de la branche automobile, Norbert BOULANGER, Délégué syndical central Valéo, Gérard GIRARDON, Délégué syndical central Perfect circle Europe, Hervé GUIHAIRE, Délégué syndical central Bertrand Faure, Fabrice NODET, Délégué syndical central Allied Signal, Daniel PELLET-ROBERT, Délégué syndical central Renault Véhicules Industriels (21 octobre 1997)







371

__ M. Shemaya LEVY, Président-directeur général de Renault Véhicules Industriels (22 octobre 1997).


381

__ M. Jean-Martin FOLZ, Président du directoire du groupe PSA Peugeot Citroën (28 octobre 1997)


413

__ M. Jacques AUXIETTE, Président du Groupement des autorités responsables de transport (GART), Jean-Pierre LAPAIRE, Vice-président du SIVOM de l'agglomération orléanaise, chargé des transports, membre du conseil d'administration du GART, Jean-Louis SCHNEITER, Président du district urbain de Reims, Premier adjoint au maire de la ville-centre, membre du conseil d'administration du GART, et Mme Pascale PECHEUR, Secrétaire générale du GART (29 octobre 1997)







445

__ Délégation de la Fédération Force ouvrière de la métallurgie composée de MM. Michel HUC, Secrétaire général de la Fédération, et Jean-François KONDRATIUK, Secrétaire du syndicat FO de Peugeot-Poissy (4 novembre 1997).




463

__ Délégation de la Fédération de la métallurgie CFE-CGC composée de MM. Jean-Pierre CHAFFIN, Président de la Fédération, Pierre BEVILACQUA, Délégué syndical central Peugeot, et Robert MALHERBE, Délégué syndical central Renault (4 novembre 1997)




473

__ Délégation de la Fédération nationale CFTC des syndicats de la métallurgie composée de MM. Jacques DESESPRINGALLE, Président fédéral, Valère JUNG, Secrétaire général, et Francis CLERBOUT, Secrétaire général adjoint
(4 novembre 1997).




483

__ Mme Dominique VOYNET, Ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement (5 novembre 1997)


493

__ M Philippe CHARTIER, Directeur scientifique, et Alain MORCHEOINE, Directeur des transports à l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) (5 novembre 1997).



509

__ M. Jean-Claude GAYSSOT, Ministre de l'équipement, des transports et du logement (12 novembre 1997).


519

__ M. Philippe GUEDON, Président-directeur général de Matra Automobile
(18 novembre 1997).


537

__ MM. Jean-Pierre CHOMETTE, Directeur de la conjoncture, Aimé LANAU, Directeur des entreprises, et Mme Annie SAUVÉ, Economiste à la Direction des entreprises à la Banque de France (19 novembre 1997).



551

__ MM. Loïc CAPÉRAN, Directeur commercial et marketing de Fiat Auto, et Giorgio FRASCA, Président-directeur général de Fiat France (26 novembre 1997).


565

__ MM. Jürgen PETERS, Secrétaire général d'IG Metall Hanovre, et Bernd OSTERLOH, Président des représentants syndicaux chez Volkswagen
(28 janvier 1998).



593

INTRODUCTION

Les analyses réalisées dans la première partie du rapport de la mission d'information commune sur la situation et les perspectives de l'industrie automobile en France et en Europe (rapport d'information n° 530 du 12 décembre 1997) ont mis en évidence l'importance du cadre européen pour l'industrie française et les similitudes des problèmes affectant les industries automobiles nationales des pays membres de l'Union européenne.

Les propositions développées dans cette première partie du rapport répondent, pour certaines, aux spécificités de l'industrie automobile française et de son marché domestique : c'est notamment le cas des solutions au vieillissement de la pyramide des âges des salariés, ainsi que du réaménagement de la fiscalité sur les carburants et les véhicules.

En revanche, d'autres propositions s'inscrivent dans un cadre communautaire. Elles concernent notamment les relations entre l'Europe et les constructeurs extrême-orientaux, ainsi que l'évolution des règles communautaires en matière de distribution automobile, de normalisation et, plus spécifiquement, de normes d'émission de substances polluantes (programme auto-oil).

La mission a donc voulu " valider " son diagnostic et ses propositions auprès de plusieurs partenaires européens.

1) La mission a d'abord procédé à l'audition de MM. Jürgen Peters, Secrétaire général d'IG Metall Hanovre, et Bernd Osterloh, Président des représentants syndicaux chez Volkswagen.

2) Un souci de cohérence a conduit la mission à chercher à connaître le point de vue des Pays-Bas. En effet, ce pays membre de l'Union européenne où l'industrie automobile ne représente pas une activité industrielle essentielle, était susceptible de porter un regard différent mais constructif sur les solutions préconisées par le rapport.

La mission s'est donc rendue à Amsterdam et à La Haye le 5 mars 1998. Elle y a rencontré des représentants de l'association regroupant les professionnels de l'automobile, les dirigeants des réseaux de distribution de Peugeot, Citroën et Renault, des parlementaires néerlandais, le président de la chambre de commerce de La Haye, et des hauts fonctionnaires des ministères de l'industrie, des finances et de l'environnement.

3) Dans un troisième temps, la mission s'est rendue le 10 mars 1998 au siège du Parlement européen à Strasbourg. Elle y a rencontré des parlementaires européens intéressés par les problèmes de l'industrie automobile.

4) La mission a effectué un dernier déplacement à Rome le 26 mars 1998. Un débat avec des députés italiens a été suivi d'un entretien avec un haut fonctionnaire du ministère de l'industrie spécialisé dans les questions européennes.

Lors de ces déplacements et ces rencontres, les discussions se sont organisées autour des quatre thèmes principaux suivants :

- les relations de l'Union européenne avec les constructeurs extrême-orientaux ;

- le régime des aides régionales attribuées aux constructeurs dans un contexte de surproduction ;

- les préoccupations environnementales dans la perspective d'un soutien de la demande ;

- la réduction du temps de travail comme solution aux problèmes sociaux rencontrés par les industries automobiles.

Ces déplacements ont permis à la mission de constater que la " solidarité de destins " évoquée par les pères fondateurs de la communauté européenne concernait aussi l'industrie automobile.

On trouvera annexés à cette deuxième partie les comptes rendus des auditions réalisées par la mission depuis sa constitution ainsi que la liste complète des interlocuteurs rencontrés au cours de ses différents déplacements.

I. UNION EUROPÉENNE ET CONSTRUCTEURS ASIATIQUES : UN DÉBAT DÉPASSIONNÉ MAIS UNE VIGILANCE NÉCESSAIRE

A. DES POINTS DE CONSENSUS

1) La " normalisation " japonaise

L'impression générale ressentie lors de ces entretiens est que le danger japonais s'est éloigné, autant dans sa perception que dans son impact réel.

Les chiffres de pénétration des marchés néerlandais et italien par les marques japonaises sont les suivants : un peu moins de 20 % aux Pays-Bas (au 31/01/98), pays traditionnellement ouvert, et 4 % en Italie (moyenne 1997).

Le cas italien est emblématique : sur les huit marques japonaises présentes dans la péninsule, le seul groupe actif est Nissan, qui détient à lui seul plus de 2 % des parts de marché (contre 0,7 % en 1991).

En 1992, les importations directes de véhicules produits au Japon ne fournissaient que 10 % du total des immatriculations de véhicules japonais en Italie. En 1996, ces importations directes se montent à 42 % du nombre total d'immatriculations japonaises. Elles n'ont cependant jamais dépassé les deux tiers du quota annuel établi par l'accord UE-Japon.

Selon l'analyse du service d'expansion économique de l'ambassade de France en Italie, l'ouverture complète des échanges n'aura qu'une incidence limitée sur les importations en provenance du Japon. Il estime que la part de marché des constructeurs nippons devrait plafonner à 10 % du marché italien.

2) Un accord a minima

Il semble exister un accord implicite de nos interlocuteurs pour gérer la " sortie " de l'accord, mais dans une formule a minima :

a) dans le respect des règles de l'OMC (Organisation Mondiale du Commerce) ;

b) sous le contrôle de l'UE ;

c) et sous une forme restant à définir, mais incluant cependant un comptage du volume des importations.

M. Jürgen Peters, Secrétaire général d'IG Metall Hanovre, a ainsi exprimé la nécessité d'un " marché réglementé pour éviter une concurrence dommageable pour l'Europe ".

Enfin, il faut signaler que la sévérisation des normes a été considérée par certains de nos interlocuteurs comme un atout pouvant jouer en faveur de constructeurs européens performants, dans un contexte de guerre commerciale entre des constructeurs de maturité technologique inégale.

B. LA VIGILANCE

Malgré ce constat d'une concurrence " soutenable " de la part des constructeurs asiatiques, il faut se demander quel pourrait être l'impact de la crise financière asiatique sur les constructeurs japonais et coréens. Ne pourraient-ils pas être tentés de retrouver leurs marges sur les marchés européens ?

Certains, de même, se sont interrogés sur l'éventualité de la naissance de constructeurs chinois.

Quant à la Corée, l'ouverture de son marché a été jugée indispensable. Nos interlocuteurs ont tous insisté sur l'exigence de réciprocité, en relevant l'agressivité des constructeurs coréens.

Ainsi, selon les chiffres du marché automobile italien, la part de marché de Hyundaï a progressé de 245 % entre 1996 et 1997. Daewoo et Hyundaï, sur les segments forts de Fiat (A, B et C), proposent des prix inférieurs avec une stratégie commerciale très agressive.

Les professionnels italiens du secteur considèrent ces constructeurs comme le principal danger des cinq prochaines années, particulièrement sur les marchés tiers.

C. DEUX PROPOSITIONS CONCRÈTES

Il semble possible de proposer à nos partenaires un système de " monitoring " pour la sortie de l'accord UE-Japon, c'est-à-dire un système fin d'observation du volume des importations japonaises de véhicules, permettant le cas échéant des réactions.

Il serait également utile de se rassembler pour maîtriser les progrès de l'industrie automobile coréenne, en veillant à ce que les aides versées par le FMI aient comme contrepartie davantage de transparence et rendent plus acceptables les conditions de la concurrence.

II. LE CONTRÔLE DES AIDES RÉGIONALES AUX CONSTRUCTEURS

L'impératif de l'aménagement du territoire et la lutte contre la surproduction sont deux objectifs qui sont apparus parfois en contradiction. Une meilleure concertation européenne pourrait éviter ce conflit.

A. UN DIAGNOSTIC COMMUN

Nos interlocuteurs se sont révélés d'accord sur un des diagnostics établis par le rapport de la Mission : l'industrie automobile européenne souffre de surcapacités.

Lors de son audition devant la Mission, M. Jürgen Peters, Secrétaire général d'IG Metall Hanovre, évaluait ainsi la surcapacité mondiale à dix millions de véhicules par an.

B. DES SOLUTIONS DIVERGENTES

Certains de nos interlocuteurs se sont élevés contre la suggestion d'un strict contrôle du versement des subventions, à la fois dans son principe et dans ses modalités.

M. Jürgen Peters s'est ainsi déclaré " très réticent à ce que les aides soient assorties de conditions, à ce qu'elles soient accordées, par exemple, uniquement pour les technologies d'avenir (cela pose le problème de la définition), ou si la branche considérée ne souffre pas de surcapacité ".

Certains interlocuteurs proposent de conditionner le versement des aides au maintien des capacités de production ainsi créées durant un délai fixé. Pratiquement, si l'usine implantée grâce à des aides ferme ses portes avant un certain délai, l'entreprise devra rembourser les aides.

D'autres interlocuteurs ont suggéré de maintenir constant le niveau des capacités de production. L'implantation d'une nouvelle usine en Europe ne se ferait alors qu'à la condition que l'entreprise ferme une autre usine.

M. Peters a estimé très difficile d'apprécier ce critère de surproduction : " Il est extrêmement difficile, en Europe, de reconnaître ces surcapacités ou d'admettre qu'elles pourraient créer une crise ".

Quelques-uns des interlocuteurs de la Mission ont émis le souhait d'éviter des délocalisations intra-européennes et d'élargir le versement des aides à la modernisation des sites.

Votre Rapporteur reste convaincu qu'aucune aide européenne ne devrait être apportée à la construction de nouveaux sites, sauf en contrepartie de la fermeture de capacités trop anciennes d'un volume comparable.

III. L'ENVIRONNEMENT, UNE PRIORITÉ PARTAGÉE

A. UN CONSENSUS POUR LA RÉDUCTION DES ÉMISSIONS POLLUANTES

Les préoccupations environnementales sont communes à tous nos partenaires, parfois plus en avance dans certains domaines. Ainsi, les Pays-Bas ont mis en place un système très performant de recyclage des véhicules, financé par une majoration de leur prix et qui fait intervenir tous les acteurs de la filière.

L'effort pourrait être partagé avec les industries pétrolières, comme l'on suggéré des députés européens.

Il faut noter que le développement de la production de voitures électriques comme solution à la pollution atmosphérique n'apparaît pas à court terme comme très crédible (elles sont cependant exonérées de taxes aux Pays-Bas).

B. STIMULER UNE NOUVELLE DEMANDE À L'ÉCHELLE EUROPÉENNE

Le Gouvernement italien a opté pour la " voie française ", en adoptant le 30 décembre 1996 un dispositif de soutien du marché automobile qui combinait le versement d'une prime de près de 5 000 F et le retrait des véhicules de plus de dix ans.

Afin d'éviter la chute des immatriculations à l'expiration des mesures de soutien, le Gouvernement a cependant intelligemment prolongé ces mesures en leur donnant une nouvelle orientation à partir de février 1998.

Entre le 1er février et le 30 juin 1998, les primes favorisent les véhicules consommant peu d'essence et les véhicules à moteur diesel. Par ailleurs, les voitures " écologiques " sont privilégiées par l'allocation de primes élevées qui seront maintenues après juillet 1998.

Il faut aussi évoquer le projet néerlandais de prime qui comporte une forte préoccupation écologique. Il est apparu très complexe car prenant en considération un nombre élevé de critères (taille des véhicules notamment).

La suggestion d'un projet européen de programmation d'élimination des véhicules anciens a reçu un accueil mitigé. Nos interlocuteurs se sont interrogés sur les effets de cycles que pourraient induire ces aides et ont proposé de les étendre à d'autres biens de consommation courante.

C. SOLUTION : UNE NORME EUROPÉENNE LISIBLE

Selon l'avis de nombreux députés européens, il faudrait pousser à l'élaboration d'une directive " multifonctionnelle " intégrant tous les aspects concernant l'automobile, afin d'assurer plus de cohérence à une législation européenne qui s'efforce, par exemple, simultanément et de façon non coordonnée, d'accroître la sécurité des véhicules, donc leur poids, et de diminuer leur consommation.

IV. LA RÉDUCTION DU TEMPS DE TRAVAIL : DES MÉTHODES DIFFÉRENTES, DES RÉSULTATS ASSEZ SEMBLABLES.

A. L'ITALIE SUR LA VOIE DE LA RÉDUCTION DU TEMPS DE TRAVAIL

Le mardi 24 mars 1998, le Premier ministre Romano Prodi a fait approuver par son conseil des ministres un projet de loi visant à réduire la durée légale du travail à 35 heures dès 2001 dans les entreprises de plus de 15 salariés.

Pour les entreprises qui accepteront dès maintenant de réduire le temps de travail et embaucheront, le projet prévoit des dégrèvements de contributions sociales financées par le Fonds pour l'Emploi. Soulignons que l'Italie n'a officiellement fixé la semaine de travail à 40 heures que l'année dernière.

B. LE PARADIGME VOLKSWAGEN

Le cas de Volkswagen est emblématique en Europe grâce à l'accord conclu en 1993 sur le temps de travail, parfois abusivement résumé dans la formule dite de " la semaine de quatre jours ".

En réalité, l'accord est plus complexe. Il mêle notamment la garantie de l'emploi, la réduction de la durée de travail à environ 28.8 heures par semaine sous des formes différenciées, et une réduction d'environ 10 % des salaires sur une base annuelle.

MM. Jürgen Peters, Secrétaire général d'IG Metall Hanovre, et Bernd Osterloh, Président des représentants syndicaux chez Volkswagen ont tiré un bilan très positif de cet accord, M. Jürgen Peters préconisant l'extension du dispositif à d'autres secteurs de l'économie.

LISTE DES PERSONNALITÉS RENCONTRÉES DANS LE CADRE
DE LA DEUXIÈME PARTIE DU RAPPORT

AUDITION À L'ASSEMBLÉE NATIONALE (COMPTE RENDU PAGE 593)

- M. Jürgen PETERS, Secrétaire général d'IG Metall Hanovre, et Bernd OSTERLOH, Président des représentants syndicaux chez Volkswagen.

DÉPLACEMENT DE LA MISSION À LA HAYE LE 5 MARS 1998

- MM. DOOGE et GLASIUS, respectivement Président et Secrétaire de la RAI (Nederlandse Vereiniging De Rijwiel en Automobiel - Industrie), association regroupant tous les professionnels de l'automobile et du cycle.

- MM. SCHILFARTH, Directeur général de Peugeot Nederland NV, VAN RO, Directeur général de Citroën Nederland NV et OSMANDJIAN, Directeur général de Renault Nederland NV.

- MM. DE JONG, VAN GELDER et VAN WALSUM, députés, membres de la Commission des finances.

- M. VAN IERSEL, Président de la chambre de commerce de La Haye.

- MM. IDENBURG, Directeur général adjoint de l'industrie et des services, BROWER, Directeur du département " bruit et trafic " au ministère de l'environnement, IN'T VELD, expert du département impôts indirects du ministère des finances, MAAS, Expert à la direction de l'industrie et des services, OTTE, expert à la direction de l'énergie et Havenith, administrateur principal du projet " Vehicle technology and emission ".

DÉPLACEMENT DE LA MISSION AU PARLEMENT EUROPÉEN LE 10 MARS 1998

- MM. Gérard CAUDRON, Alan DONNELLY, Membre de la commission économique, Bernd LANGE, Vice-président de la commission de l'énergie, Mme Heidi HAUTALA, Membre de la commission de l'environnement, M. André SAINJON, Vice-président de la commission REX.

DÉPLACEMENT DE LA MISSION À ROME LE 26 MARS 1998

- Mme Grazia LABATE, députée, MM. Nerio NESI, Président de la commission des affaires productives, Carlo CARLI, Sergio FUMAGALLI, Giovanni SAONARA, Salvatore BUGLIO, Giacomo CHIAPPORI et Umberto GIOVINE, députés.

- M. LAPPALLORCIA, Directeur des Affaires Européennes du Ministère de l'Industrie.

EXAMEN DU RAPPORT

La mission a procédé à l'examen du rapport de M. Gérard FUCHS au cours de sa séance du mercredi 8 juillet 1998.

Un débat a suivi l'exposé du Rapporteur.

M. Maurice ADEVAH-POEUF, rappelant la hâte qui avait présidé aux débuts des travaux de la mission, s'est d'abord interrogé sur son rythme de travail, soulignant qu'elle aurait gagné en cohérence en travaillant sur la durée. Sur le problème des aides accordées aux nouvelles implantations de capacité de production, il a indiqué que les orientations du Rapporteur pouvaient faire l'objet d'une interprétation ambiguë. Enfin, s'agissant de la situation des constructeurs coréens et de l'aide apportée par le Fonds Monétaire International (FMI), il a souhaité que ces entreprises adoptent des normes comptables claires et sincères.

M. Jacques MASDEU-ARUS a estimé que les récents développements de la crise asiatique, notamment la dépréciation des monnaies asiatiques, obligeaient, en raison des risques accrus de concurrence sur les prix en Europe, à une nouvelle lecture du bilan de l'accord UE-Japon. Il a indiqué que le niveau moyen des ventes de véhicules japonais en Europe était principalement dû aux effets de la crise économique et non pas à l'application de l'accord avec le Japon. Abordant l'expérience de la réduction du temps de travail menée chez Volkswagen, il a noté qu'elle était limitée à quelques sites précis et qu'elle n'aurait pas pu avoir lieu sans le soutien du Land actionnaire. Il s'est ensuite prononcé pour des solutions permettant d'accroître la flexibilité, notamment grâce à des formules d'annualisation du temps de travail. Notant que le document soumis par le Rapporteur ne reprenait pas toutes ces préoccupations, il a annoncé qu'il ne voterait pas la deuxième partie du rapport.

Mme Annette PEULVAST-BERGEAL a expliqué que l'industrie européenne se trouvait confrontée non seulement à des problèmes endogènes, mais aussi à des problèmes exogènes, comme le flou entourant la situation réelle des entreprises automobiles asiatiques et les conditions de l'aide apportée par le FMI.

Répondant aux intervenants, M. Gérard FUCHS a remarqué qu'un des effets positifs de la crise asiatique était justement de revoir à la baisse les projets d'implantation des constructeurs asiatiques en Europe. Il a expliqué que le succès observé chez Volkswagen tenait à la capacité de négociation des partenaires sociaux en Allemagne. Il a ensuite constaté que le calendrier des travaux de la mission lui avait permis de valider ses conclusions auprès de ses partenaires européens et d'avoir une influence sur certaines orientations du Gouvernement, notamment en matière de fiscalité des carburants. Afin de prendre en compte les observations de M. Maurice ADEVAH-POEUF, il a proposé une modification du texte du rapport.

La Mission a approuvé les conclusions du rapport et autorisé sa publication conformément à l'article 145 du réglement.

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EXPLICATIONS DE VOTE

EXPLICATIONS DE VOTE DES COMMISSAIRES APPARTENANT
AU GROUPE DU RASSEMBLEMENT POUR LA RÉPUBLIQUE

Les récents développements de la crise asiatique, notamment la dépréciation des monnaies asiatiques, obligent, en raison des risques accrus de concurrence sur les prix en Europe, à une nouvelle lecture du bilan de l'accord Union européenne - Japon.

Il est effectivement essentiel de ne pas annihiler les efforts de réduction des coûts entrepris par les constructeurs européens.

Contrairement à la position adoptée dans le rapport, le niveau moyen des ventes de véhicules japonais en Europe a été principalement dû aux effets de la crise économique et non pas à l'application de l'accord avec le Japon.

Alors que l'on estime les surcapacités industrielles dans le domaine de la construction automobile en Europe à environ 5 millions d'unités, il est dangereux de laisser croire que tout risque est écarté.

C'est ainsi que la masse globale de " trop vendu " des voitures japonaises en Europe depuis 1993 est estimé à quelque 3,3 millions de véhicules.

Si un monitoring de l'Accord est nécessaire, il doit tenir compte de cette situation qui devrait, en toute logique, se traduire de manière mécanique dans les volumes d'importations.

De plus, il est indispensable d'être extrêmement vigilant sur la destination des aides versées par Bruxelles aux constructeurs automobiles de l'Union européenne. En effet, compte tenu de l'importante surcapacité industrielle de l'Europe dans ce secteur, il convient d'éviter de concurrencer les gammes similaires de véhicules déjà existantes sur le marché.

Par ailleurs, au sujet de l'accord sur la réduction du temps de travail mené chez Volkswagen, il faut noter qu'il est limité à quelques sites précis, ne représente qu'une partie seulement du dispositif industriel total de cette entreprise dans le monde et n'a pas pu avoir lieu sans le soutien du Land actionnaire.

En outre, les employés de Volkswagen concernés par cet accord ont dû accepter une réduction des salaires de plus de 10% sur une base annuelle.

Il apparaît, enfin, indispensable d'adopter des solutions permettant d'accroître la flexibilité, notamment grâce à des formules d'annualisation du temps de travail.

Le document soumis par le Rapporteur ne reprend aucune de ces préoccupations fondamentales.

C'est pourquoi, le groupe RPR ne votera pas la deuxième partie du rapport.

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EXPLICATIONS DE VOTE DES COMMISSAIRES APPARTENANT
AU GROUPE DE L'U.D.F - ALLIANCE

L'industrie automobile française garde des atouts très forts : le goût et l'aptitude à l'innovation, un niveau de qualité qui n'a plus rien à envier aux standards internationaux les plus élevés, des marques fortes de leur histoire et bénéficiant d'un réel pouvoir d'attraction auprès des consommateurs.

Pourtant, il est évident que les constructeurs français doivent faire face à une période difficile liée à la conjonction de plusieurs facteurs défavorables : un marché saturé en Europe, une situation de surcapacité structurelle, le viellissement de la pyramide des âges de ses effectifs de production, une intense guerre des prix et l'agressivité commerciale et industrielle des constructeurs asiatiques.

Dans ce contexte, les travaux menés par la mission d'information et par son Rapporteur ont l'intérêt de présenter un " état des lieux " très documenté et bien analysé sur la situation et les perspectives de l'industrie automobile française.

Mais, comme nous l'avons déjà exprimé dans nos explications de vote sur la première partie du rapport, rendu public en décembre 1997, les " propositions d'actions " présentées en conclusion de ce rapport ne sont pas à la hauteur de la qualité du travail d'analyse mené par le Rapporteur.

La tonalité des propositions présentées nous a paru plus " défensive " qu'offensive ; en particulier, ces propositions évitent d'aborder franchement le problème des sureffectifs dont on voit mal comment il pourraît être réglé par les mesures relatives à la réduction du temps de travail ; elles semblent aussi faire l'impasse sur les problèmes de compétitivité des constructeurs français ; elles n'insistent pas assez sur la nécessité d'une aide au développement de technologies innovantes pour la mise au point des véhicules du futur.

Cette deuxième partie du rapport de la mission d'information, essentiellement consacrée à la deuxième partie des comptes rendus d'auditions, n'apporte guère de nouveautés par rapport à la première partie publiée en décembre 1997, si ce n'est une approche très rapide des enjeux européens du dossier automobile à partir des déplacements de la mission en Italie, aux Pays-Bas et à Strasbourg.

A ce propos, le Rapporteur évoque " la solidarité de destins " qui s'appliquerait à l'industrie automobile, mais c'est pour faire aussitôt le constat désabusé qu'on est encore loin d'une solidarité dans l'action.

Rien dans cette deuxième partie du rapport ne peut conduire le groupe U.D.F. - Alliance à modifier l'appréciation qu'il avait portée sur la première partie de ce rapport. Les commissaires appartenant au groupe U.D.F. - Alliance ne peuvent donc que s'opposer aux conclusions du rapport de la mission d'information commune sur la situation et les perspectives de l'industrie automobile en France et en Europe.

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EXPLICATIONS DE VOTE DES COMMISSAIRES APPARTENANT
AU GROUPE DÉMOCRATIE LIBÉRALE

La France occupe le rang de quatrième producteur mondial (après le Japon, les Etats-Unis et l'Allemagne), et celui de troisième exportateur dans le secteur de la construction automobile. Deuxième exportateur européen, l'équipement automobile français détient en outre le quatrième rang mondial à l'exportation (derrière l'Allemagne, les Etats-Unis et le Japon). Les atouts français ne sont donc pas négligeables.

Dans ce contexte, il est tout à fait intéressant que l'Assemblée nationale se soit penchée sur la question de l'industrie automobile française dans le cadre d'une mission d'information sur la situation et les perspectives de l'industrie automobile en France et en Europe.

L'industrie automobile française est en effet confrontée à plusieurs défis.

La concurrence européenne, déjà très marquée, va être accentuée par l'entrée en vigueur de l'euro qui placera les éléments de la concurrence entre les leaders européens en pleine lumière. A l'intérieur de l'espace européen, cela aura pour conséquence que les unités existantes seront plus mobiles. L'emploi sera déplacé, supprimé ici, recréé plus loin, avec les bouleversements prévisibles pour les différentes régions où l'automobile occupe traditionnellement une place prépondérante.

Les producteurs asiatiques, et notamment les Japonais et les Coréens, exercent une pression récurrente qui risque de s'intensifier. Depuis le début de l'année 1998, les immatriculations de véhicules nippons ont augmenté de près d'un quart en France et de 11% en Europe. La chute du yen risque de favoriser encore plus la compétitivité des constructeurs automobiles japonais.

De plus, l'accord entre l'Union européenne et le Japon, signé en 1991 et qui instaurait des quota d'exportation de voitures japonaises vers l'Europe, expirent au 31 décembre 1999. Certes, cet accord n'a pas été totalement respecté puisqu'un excédent important de voitures japonaises a été vendu en Europe durant cette période, mais les constructeurs estiment néanmoins indispensable de voir prolonger les mesures d'encadrement pour éviter que l'ouverture du marché ait trop d'effets déstabilisants. Or, pour l'instant, aucune négociation n'a été ouverte entre les partenaires européens et nippons.

Les producteurs de la Corée du sud sont, eux, tentés de s'implanter dans les pays d'Europe centrale et orientale (PECO), où ils pourront travailler à moindre coût tout en étant proche voire à l'intérieur du marché européen.

Pour les producteurs européens, les meilleures chances de croissance résident à l'international, et notamment sur les marchés émergents de l'Amérique du Sud, plus particulièrement le Brésil, et de l'Asie, principalement en Chine. La concurrence fait rage sur ces marchés où les leaders européens et américains multiplient les usines délocalisées et les chaînes de montage.

Les producteurs français doivent en outre faire face aux restructurations mondiales qui s'annoncent dans l'industrie automobile, comme elle a eu lieu dans d'autres secteurs, notamment la banque ou la pharmacie. L'exemple de Rolls-Royce en a donné un avant-goût récemment. Sur les dix-neuf groupes automobiles qui existent aujourd'hui dans le monde, il ne pourrait en subsister à terme que onze ou douze.

Sur un marché aussi ouvert et internationalisé, la notion de concurrence est primordiale et il n'y a pas de place pour une « exception française ». Pour relever ces nombreux défis, les chaînes de fabrication des constructeurs français seront sans aucun doute au niveau technologique. Mais auront-elles l'environnement économique et social nécessaire pour leur donner les moyens de réussir ?

S'ils n'ont pas de remarque particulière à faire sur le choix des pays et des entreprises visités par les représentants de la mission d'information, les commissaires du Groupe Démocratie Libérale regrettent cependant que, dans la deuxième phase de cette mission, cette sélection ait été limitée à un seul syndicat (I.G. Metall), un seul pays producteur (l'Italie), un seul pays non producteur (les Pays-Bas) ainsi qu'à une seule institution européenne, le Parlement européen.

Outre l'intérêt de mieux connaître les méthodes industrielles et commerciales et le statut social de nos partenaires européens, ces auditions ont montré combien l'industrie automobile française est confrontée à des concurrents étrangers dont les implantations industrielles ou commerciales sur notre territoire accroissent la force de vente.

Mais les commissaires du Groupe Démocratie Libérale estiment que le rapporteur se trompe de cible lorsqu'il privilégie des mesures technocratiques déconnectées de la vie économique pour relancer les activités de l'industrie automobile nationale.

Il faut reconnaître que le poids considérable des charges sociales et patronales ainsi que l'instauration des 35 heures sont difficilement compatibles avec les règles du jeu de la concurrence en vigueur dans les pays asiatiques et les autres pays européens. Les pays d'Europe du Sud notamment, comme l'Italie, l'Espagne et le Portugal, exercent une forte concurrence du fait de la faiblesse de leurs coûts salariaux. La remise en cause de l'exonération des charges sociales sur les bas salaires ne pourra qu'élargir le fossé salarial entre les pays européens et entamer ainsi la compétitivité de l'industrie française.

Le marché unique européen n'existe pas dans le domaine de l'automobile. Les constructeurs français sont défavorisés par une T.V.A. qui pèse lourdement sur leur production et freine les achats. La croissance retrouvée pourrait être mise à profit pour baisser le taux de T.V.A. qui s'applique aux automobiles françaises pour que la reprise bénéficie également à cette branche de l'industrie nationale.

De plus, l'harmonisation de la concurrence européenne doit être réalisée très rapidement. Des écarts très importants subsistent aujourd'hui. A titre d'exemple, l'Europe aide l'Irlande où les entreprises reçoivent des aides à l'investissement importantes et où le coût du travail est environ deux à deux fois et demi moins cher qu'en France.

De même, la législation européenne doit s'appliquer de la même manière dans les différents Etats, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui en matière de mise en conformité aux normes de sécurité de certains produits et de certaines machines-outils. La France est toujours en avance dans ces domaines, ce qui se traduit par des coûts supplémentaires qui affectent les produits et les rend moins compétitifs.

Il convient de garder à l'esprit que l'industrie automobile française dans son ensemble représente 2,7 millions de salariés, soit 12,1% de la population active et qu'elle génère 16% des recettes fiscales totales de l'Etat. Pour cet enjeu de dimension nationale, la seule solution passe par la redynamisation de la filière.

Il faut en effet intensifier le partenariat entre les constructeurs, les équipementiers jusqu'au plus petit des sous-traitants. Ceci suppose une participation plus active au niveau de la conception mais aussi de la recherche dans le but de réduire les coûts et d'optimiser les produits. Un tel partenariat permettra de préserver le savoir-faire des P.M.E. françaises qui restent aujourd'hui les principales créatrices d'emplois dans notre pays.

L'environnement ne doit pas, par ailleurs, être négligé. S'il est en effet une priorité, il ne suffit pas de réclamer une augmentation de la fiscalité sur le diesel qui pénaliserait en premier lieu les constructeurs français, les principaux producteurs de voiture à moteur diesel : cette mesure paraît contre-productive. L'investissement dans la recherche et le développement permettrait, tout en créant des emplois, de mettre au point de vraies solutions qui permettraient de privilégier des modèles moins polluants.

Sans l'abrogation de la réduction autoritaire du temps de travail et sans une baisse sensible des charges sociales, l'emploi français ne pourra être compétitif sur des marchés internationalisés et hautement concurrentiels comme celui de l'automobile. Cela se traduira par une contraction de l'emploi en France mais aussi, pour les sous-traitants, par la perte d'un savoir-faire qu'il ne sera plus possible ensuite de retrouver. Au vu de ces éléments, les commissaires du Groupe Démocratie Libérale expriment leur total désaccord vis-à-vis des conclusions de ce rapport qui manque d'arguments pertinents derrière des titres de chapitres pourtant prometteurs.

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EXPLICATIONS DE VOTE DES COMMISSAIRES APPARTENANT
AU GROUPE COMMUNISTE

A l'issue de la première partie du rapport sur l'automobile, le groupe communiste avait présenté une réflexion globale sur cette question.

Il avait voté le rapport de la Mission, estimant y retrouver bon nombre de ses préoccupations.

Cette deuxième partie n'est pas de même nature. Elle vise à valider diagnostic et propositions après contacts avec des partenaires européens.

Estimant avoir déjà évoqué ces approches dans sa première contribution, le groupe communiste n'ajoutera aucun commentaire à l'issue de la deuxième partie.

Il votera ce rapport.

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A U D I T I O N S

Audition de M. Christian PIERRET,
Secrétaire d'Etat à l'industrie

(procès-verbal de la séance du 2 septembre 1997)

Présidence de M. Daniel PAUL, Président

M. Christian PIERRET : M. le Président, M. le Rapporteur, Mmes et MM. les députés, laissez-moi tout d'abord vous dire le plaisir que j'ai de me retrouver avec les experts que vous êtes, pour traiter d'un sujet complexe et passionnant. Votre mission, je l'espère, débouchera sur des solutions d'avenir et justifiera la confiance que nous avons dans l'industrie automobile française. Pour avoir siégé à l'Assemblée nationale pendant quelques années, je connais la qualité de ses travaux ; je sais qu'ils peuvent conduire à des solutions positives et éclairer le Gouvernement dans ses décisions. Je souhaite qu'au terme de cette mission, le Gouvernement puisse profiter pleinement de vos recherches et suivre les projections positives que vous aurez faites sur l'avenir.

Aujourd'hui - qui le niera ? - l'industrie automobile française se trouve dans un environnement en très profonde évolution.

Cette industrie est en effet confrontée à une situation difficile que résument à eux seuls deux chiffres : alors que les capacités de production installées en Europe de l'Ouest permettent de produire environ 18 millions de véhicules par an, le marché européen n'en absorbe que 13 millions chaque année.

Tout laisse à penser que ce fort déséquilibre persistera et qu'en particulier les ventes ne progresseront pas considérablement au cours des prochaines années.

Or, et c'est une caractéristique française, l'industrie automobile occupe une place de premier plan dans notre paysage industriel.

Les difficultés qui nous attendent et qui peuvent susciter des craintes légitimes chez les chefs d'entreprise comme auprès des salariés et de leurs organisations syndicales justifient donc que soient activement recherchées, dès maintenant, des solutions propres à assurer un nouvel équilibre sectoriel . C'est dans cet esprit que vous avez créé cette mission et que je travaille depuis que j'ai pris mes fonctions de Secrétaire d'Etat ayant en charge l'industrie aux côtés de M. Dominique Strauss-Kahn.

Je vais aborder la situation et les moyens de la faire évoluer à partir de trois idées principales.

Il faut en premier lieu partir d'un constat : le marché automobile connaît des modifications structurelles qui affectent ou vont affecter durablement nos deux constructeurs.

La situation mondiale de l'automobile peut se caractériser succinctement de la façon suivante.

Trois grands marchés, l'Europe, les Etats-Unis et le Japon, concentrent actuellement les trois quarts du marché mondial. Or, ces marchés, qui sont en régression depuis 1990, offrent des perspectives de croissance faibles.

(Présentation d'un document sur le marché mondial de l'automobile) (1)

En revanche, un certain nombre de marchés, dits émergents : l'Amérique du Sud, les pays d'Europe de l'Est, l'Asie - hors Japon - dont le niveau est aujourd'hui modeste, offrent les seules perspectives de croissance significative au plan mondial.

(Présentation d'un document sur les marchés émergents) (2)

Alors qu'on dénombre 400 véhicules pour 1 000 habitants en Europe et dans les pays de l'ALENA, on constate que ce ratio n'est que de 150 dans les pays d'Europe centrale et orientale et chez les quatre " dragons " asiatiques. Quant à l'évolution prévisible de la demande sur la période 1996-2000, elle s'établit à 55,1 % pour les pays d'Asie hors Japon, à 52,6 % pour les pays d'Europe centrale et orientale et à 32,7 % pour l'Amérique du Sud.

Comment expliquer la stagnation des grands marchés ?

L'évolution quantitative du marché français est très significative à cet égard.

(Présentation d'un document sur le marché français) (3)

Les immatriculations de voitures particulières, qui avaient atteint 1 875 000 unités en 1980, ont progressé assez régulièrement au cours de la décennie pour atteindre 2 300 000 unités en 1990. Mais le marché français n'a pas retrouvé ce niveau au cours des sept dernières années. Le point bas, comme d'ailleurs pour tous les autres secteurs de l'économie, a été atteint en 1993 avec 1 720 000 immatriculations. Soutenu par les primes, il est remonté à 1 970 000 en 1994, 1 930 000 en 1995 et 2 130 000 en 1996. Il se situe donc autour de deux millions, mais avec une tendance inquiétante à tomber régulièrement sous ce seuil.

Cette stagnation et, pour certaines années, cette diminution, signifie-t-elle que les Français se détournent de l'automobile ? Bien entendu non, mais de nombreux facteurs, qui jouent tous dans le même sens, pèsent sur ce marché.

Tout d'abord, la nature du marché a changé : ce n'est plus un marché de premier équipement, mais un marché de renouvellement ; notre lecture de l'évolution de ce secteur doit obligatoirement tenir compte de cette réalité, que connaissent les Etats-Unis depuis plus longtemps que nous.

Deuxièmement : les grands progrès techniques réalisés depuis dix à quinze ans en termes de fiabilité et de qualité modifient la donne : on peut aujourd'hui garder une voiture jusqu'à 150 000 kilomètres (davantage pour les automobiles à moteur diesel), alors qu'autrefois le renouvellement intervenait entre 80 000 et 100 000 kilomètres.

Troisièmement : l'automobile, du fait même de sa diffusion (le parc français compte aujourd'hui 25 millions de voitures particulières), est devenue un bien de consommation courante, jugé certes indispensable, à l'instar des dépenses de logement ou d'alimentation, mais qui ne doit représenter qu'une part strictement limitée du budget du ménage. On sacrifie moins aujourd'hui à l'automobile. Beaucoup d'autres priorités sont en effet venues, au fil des ans, s'ajouter à celle de l'automobile : les dépenses de loisirs, de vacances, la santé, l'épargne de précaution.

Quatrièmement : les Français constatent que le coût d'utilisation de la voiture, en dépit de sa plus grande fiabilité, ne diminue pas, du fait notamment du coût du carburant et des dépenses annexes (assurances, péages autoroutiers, etc...)

La conséquence de tous ces facteurs est la suivante : le consommateur, afin de serrer son budget voiture, joue sur la seule variable d'ajustement qui est à sa disposition, à savoir le prix d'acquisition de la voiture neuve. Ainsi assiste-t-on, depuis plusieurs années, à des négociations de tarifs, qui bien souvent débouchent sur des remises accordées par le vendeur.

Enfin, chacun le sait, un élément sociologique est apparu : la voiture n'est plus un symbole de statut social.

Tous ces facteurs se conjuguent donc pour peser sur le niveau des commandes comme sur celui des prix, cela au moment même où de nouvelles obligations - françaises ou européennes - sont imposées aux constructeurs, notamment en matière de lutte contre la pollution, alourdissant les prix de revient de manière significative.

Cette situation que connaît la France est valable pour toute l'Europe de l'Ouest.

(Présentation d'un document sur le marché européen) (4)

Elle a une influence particulière sur nos constructeurs, dans la mesure où le marché européen est le débouché principal des constructeurs français (85 % de leurs ventes sont réalisées en Europe de l'Ouest) et dans la mesure où l'offre européenne est en partie " surcapacitaire " ; les capacités de production européennes sont évaluées à 18 millions de véhicules, alors que le marché n'en absorbe que 13 millions. La guerre des prix est la conséquence logique de cette situation.

Enfin, le marché européen est le plus concurrentiel du monde. Tous y sont présents : Européens bien sûr, mais aussi Américains et Asiatiques.

A cet égard, il faut rappeler quelques échéances importantes auxquelles devra faire face ce marché.

L'accord conclu en 1991 entre la Communauté européenne et le Japon, qui permet de réguler les ventes de voitures japonaises sur le marché européen, expire fin 1999. La question des relations entre l'Union européenne et le Japon, au-delà de cette date, doit être abordée. Mais il est probable que le marché français, marché sur lequel les immatriculations de véhicules d'origine japonaise s'élèvent à 3-4 %, chiffre assez stable et relativement faible en comparaison des autres pays européens, sera soumis à une concurrence plus vive des constructeurs nippons.

Quant à la Corée, qui s'est d'ores et déjà hissée, en matière de production automobile, au cinquième rang mondial avec 2 800 000 véhicules en 1996, elle développe à marche forcée ses exportations et ses implantations en Europe. Les constructeurs coréens, qui détiennent déjà, en moins de cinq ans, près de 0,8 % du marché français et 1,8 % du marché européen, ont déjà planifié leurs efforts et leurs investissements en matière de création de modèles et de développement commercial.

Telle est la situation de l'industrie automobile aujourd'hui.

Or, et c'est la deuxième partie de mon propos, ces modifications de marché affectent un secteur qui occupe une place de premier plan au sein de l'économie française.

(Présentation de documents sur l'industrie automobile en France

et sur les emplois induits) (5)

En effet, rares sont les industries françaises qui ont un tel effet d'entraînement, en amont et en aval. L'industrie automobile emploie environ 300 000 personnes - 200 000 chez les constructeurs, 100 000 chez les équipementiers -, soit 10 % de l'emploi industriel de notre pays. Elle a en outre des effets induits très importants. En amont, la sidérurgie avec Usinor emploie 50 000 personnes et réalise 40 % de son chiffre d'affaires avec l'industrie l'automobile française ; cette proportion est de 50 % pour la fonderie, secteur employant également 50 000 personnes. Les industries du verre et du caoutchouc, celle de la mécanique - plus de 15 % de son activité - sont aussi de gros fournisseurs. N'oublions pas le textile, car un véhicule comporte 20 kilos de textile technique.

Ce sont au total 1 300 000 emplois qui sont tributaires, directement ou indirectement, de l'automobile, sur une population active de 24 millions de personnes.

Rares sont également les secteurs industriels qui ont apporté une telle contribution à l'aménagement du territoire. Quelques-uns des députés qui sont présents aujourd'hui peuvent témoigner de ce que l'industrie automobile a apporté à leur région.

Au cours des quarante dernières années - depuis 1955, date de l'installation de Citroën à Rennes -, quatre régions ont vu leur paysage industriel se transformer du fait des décentralisations automobiles : le Nord-Pas-de-Calais, la Lorraine, la Bretagne et la Haute-Normandie. Quant à la Franche-Comté, si elle maintient son rang de première région industrielle, en pourcentage de la population active employée dans l'industrie, c'est bien grâce à l'industrie automobile.

Il n'y a pas, en France, de région qui ne travaille directement ou indirectement pour l'automobile.

Rares sont enfin les industries autant exportatrices. Dans notre pays, deux constructeurs automobiles comptent parmi les dix premiers mondiaux et cela alors même que l'automobile figure, à l'évidence, parmi les secteurs industriels prioritaires du Japon et de la Corée. Ces industries exportent depuis le début des années 1960 plus de la moitié de leur production. Certes, d'autres industries, comme l'agro-alimentaire, la chimie, les biens d'équipements mécaniques ou électriques ont développé depuis quinze ans leurs ventes à l'étranger. Il reste que le solde positif de l'automobile est encore aujourd'hui parmi les plus importants, avec 33,5 milliards de francs en 1996.

Enfin, une seule comparaison internationale suffira à attester du poids de l'automobile dans notre patrimoine industriel : dans un grand nombre d'activités, l'industrie française représente, en volume, entre le tiers et la moitié de l'industrie allemande. Dans l'automobile, la proportion est des deux tiers.

La troisième partie de mon propos sera consacrée aux atouts de cette industrie pour faire face à cette situation préoccupante.

(Présentation d'un document sur la situation économique

des constructeurs français) (6)

Notre industrie automobile dispose d'atouts importants qui doivent lui permettre de surmonter les difficultés actuelles si nous lui appliquons une bonne politique d'ensemble.

Le Gouvernement attend des travaux dont vous lui transmettrez les conclusions dans quelques semaines, qu'ils l'aident à choisir les mesures dont ce secteur a besoin, notamment pour les emplois qui en découlent.

On souligne parfois le fait que nos ventes automobiles à l'étranger sont très concentrées sur le marché européen. C'est exact. Reconnaissons que notre présence au-delà des mers - en Asie, en Amérique latine - doit être largement développée. Il est certain cependant que notre présence en Europe, forte en Europe du Sud, significative et croissante en Europe du Nord comme l'attestent nos progrès sur le marché allemand, est un réel indicateur de compétitivité, précisément parce que la concurrence sur le marché européen est très vive : toutes les marques mondiales sont présentes et l'acheteur est, de ce fait, très exigeant.

(Présentation d'un document sur les atouts des constructeurs français) (7)

La qualité du produit automobile français est justement et très largement reconnue, bien au-delà de nos frontières. Les efforts très importants réalisés par les constructeurs - leurs ingénieurs, leurs bureaux d'études et tous leurs salariés - en matière de qualité, au cours de la dernière décennie, ont été payants à tel point que l'ensemble des panels de consommateurs internationaux reconnaissent que les produits d'origine française n'ont rien à envier à leurs concurrents internationaux. L'industrie française a mis sur le marché une gamme jeune et innovante et fait même, sur certains modèles, figure de pionnier. Je pense au " monospace " et en particulier au modèle d'un de nos constructeurs qui remporte actuellement un succès brillant.

Les voitures françaises sont reconnues pour leurs performances en matière de confort et de sécurité.

Enfin, en matière environnementale et particulièrement en termes de consommation, la production française détient le record de sobriété en Europe. Pensons-y lorsque nous évoquons la responsabilité des transports automobiles dans la pollution.

Si l'on regarde, par ailleurs, la situation économique de nos entreprises automobiles, on constate que les résultats des constructeurs se sont sensiblement effrités ces derniers temps, mais que leur situation financière reste globalement saine. Le montant relativement faible de leur endettement en témoigne. Cela nous donne des raisons fortes d'espérer dans leur aptitude à faire face aux enjeux importants auxquels elles sont confrontées, aussi bien en termes de conquête de marchés nouveaux que de réduction des coûts.

(Présentation d'un document sur les équipementiers) (8)

J'en viens à l'industrie équipementière française ou installée en France. Même si elle a fait l'objet au cours des dernières années de forts mouvements de réorganisation pouvant entraîner ici ou là dans les régions françaises d'importantes perturbations, elle est globalement parvenue à stabiliser sa situation, sur les plans économique et social, et a parfaitement réussi son internationalisation. En effet, tous les grands équipementiers français exportent largement aujourd'hui et nombreux sont ceux qui sont implantés dans d'autres pays d'Europe. Labinal et EBF réalisent ainsi 50 % de leur chiffre d'affaires hors de l'hexagone. Leur implication grandissante dans l'élaboration du produit automobile offre des gages supplémentaires de redressement du secteur automobile dans son ensemble.

Je voudrais ajouter un point précis : une très rapide obsolescence des produits oblige aujourd'hui les équipementiers à faire des efforts de recherche considérables. Ceux-ci représentent aujourd'hui 5 % de leur chiffre d'affaires. Les études et la conception d'un modèle comme la Safrane, par exemple, ont entraîné 10 milliards de francs d'investissements en recherche-développement.

L'un des objectifs des constructeurs automobiles est de réduire le coût de conception des nouveaux modèles, car les investissements réalisés à ce niveau sont considérables, même s'ils sont amortis pour les véhicules de haut de gamme.

En conclusion, je crois qu'il convient de garder à l'esprit que malgré son caractère hautement symbolique, l'industrie automobile est aussi une industrie comme les autres, composée d'entreprises privées dont le futur dépend d'abord des actions et des initiatives de ses salariés et de ses dirigeants. Elle doit aujourd'hui relever des défis difficiles pour pouvoir continuer à jouer le rôle structurant qui est le sien depuis des décennies dans l'économie française. Le Gouvernement dans son ensemble et le Secrétariat d'Etat à l'industrie en particulier sont très attachés à créer un environnement favorable à son développement.

Je suis pour ma part disposé à rencontrer les différents acteurs pour étudier avec eux, dans les limites autorisées par l'Union européenne, la façon dont l'Etat peut les aider à répondre aux questions sociales, industrielles ou de compétitivité auxquels ils se trouvent confrontés aujourd'hui.

Je fais confiance à l'industrie automobile française - je le dis avec solennité, mais nous nous trouvons à l'Assemblée nationale et vous me le permettrez -. Le Gouvernement fait confiance à l'industrie automobile française, à tous ses acteurs, salariés comme dirigeants, et je suis certain que, grâce à vous, nous saurons trouver collectivement des solutions pour garantir son développement.

Pour l'heure, le Gouvernement et moi-même attachons une importance capitale aux travaux de votre mission d'information, qui serviront de référence pour la définition d'une politique automobile industrielle française dans le contexte européen et mondial.

M. le Président : Nous vous remercions de ce tableau complet de la situation, à partir duquel les membres de la mission qui le souhaitent pourront vous poser des questions.

M. le Rapporteur : Je remercie également M. le Secrétaire d'Etat du panorama qu'il vient de développer devant nous. Je commencerai par des questions d'ordre général, avant d'en venir au point le plus difficile - les propositions -, sur lequel nous reviendrons longuement, je pense.

Vous avez dressé une liste des atouts de l'industrie automobile française. Il était bon que vous le fassiez. Cela dit, si nous sommes réunis aujourd'hui dans ce cadre précis, c'est bien qu'au-delà de ses atouts, le secteur automobile traverse de graves difficultés. Vous ne m'en voudrez pas de concentrer mes questions autour de ces difficultés et des perspectives de ce secteur.

Je vous poserai quatre questions.

Première question : vous nous avez présenté les courbes d'évolution du nombre d'immatriculations et vous avez signalé que le passage d'une courbe croissante à une courbe plate a des facteurs profonds. Quel est votre sentiment sur la dimension conjoncturelle de la crise ? Notre pays et l'Union européenne connaissent depuis quelques années une croissance faible et une stagnation du pouvoir d'achat, notamment pour certaines catégories sociales. Quelle est selon vous l'influence de ces déterminants sur le marché automobile ? Et surtout, voyez-vous des éléments de réponse dans la politique mise en place par ce Gouvernement ?

Ma deuxième question concerne un problème souvent considéré comme la source de tous nos maux : la concurrence internationale et, pour être plus précis, la concurrence japonaise et coréenne. Nous sommes nombreux ici à nous inquiéter de la façon dont l'accord Union européenne-Japon est mis en _uvre et surtout sur la manière dont nous allons en sortir, au 1er janvier 2000. Ma question est difficile et double : compte tenu du fait que les contraintes internationales ont évolué, que se passera-t-il au-delà de ce terme et quelle attitude pensez-vous adopter vis-à-vis de la Corée ? Quelle politique allez-vous suivre pour rétablir une concurrence à armes égales dont nous sommes encore loin ?

Ma troisième question porte sur l'écart entre la capacité de production et la consommation dans notre pays et en Europe. Celui-ci s'explique par une faible croissance et un pouvoir d'achat en baisse, mais cela ne suffit pas. Cela m'amène à la préoccupation qui est à l'origine de notre présence ici : l'évolution de l'emploi dans ce secteur. Faire en sorte que la consommation automobile évolue, c'est bien, mais il n'est pas sûr que cela suffise à réduire l'écart avec la capacité de production. La question des ajustements se pose donc ainsi que celle d'une plus grande coopération au niveau européen, car il s'agit bien d'un effet de taille des entreprises. Je ne pense pas que la réponse soit uniquement française, d'ailleurs l'intitulé de notre mission prend en compte la dimension européenne du problème. Pouvez-vous commenter devant nous " l'européanisation possible " des différents acteurs ?

Enfin, ma dernière question concerne la compétitivité de nos entreprises. Nous connaissons tous l'écart qui existe entre le nombre d'heures nécessaires au Japon pour fabriquer un véhicule et le nombre d'heures nécessaires en Europe. Si j'étais syndicaliste de l'industrie automobile, je m'inquiéterais de la manière dont va être réduit cet écart et des effets que cette réduction aura sur l'emploi.

Nous avons vécu au printemps l'expérience socialement douloureuse de la fermeture de Vilvorde, qui risque de se reproduire ailleurs. Pouvez-vous apprécier devant nous, à situation inchangée, les risques pour l'emploi dans l'industrie automobile, en incluant les recours éventuels à l'aménagement de la durée du temps de travail ?

M. Christian PIERRET : Nous entrons là dans le vif d'un sujet difficile.

Sur l'évolution du marché, nous serons d'accord pour ne pas considérer comme simplement conjoncturelles les difficultés actuelles du marché français de l'automobile. Comme je l'ai dit tout à l'heure, nous sommes devant une mutation qualitative de ce marché, qui est définitivement devenu un marché de remplacement. Notre industrie est donc dans l'obligation de faire face à cette mutation profonde.

Aujourd'hui, le consommateur peut différer le renouvellement de son véhicule, si l'on considère qu'un véhicule à moteur diesel, par exemple, peut rouler jusqu'à 200 000 kilomètres, ce qui double le kilométrage des véhicules actuels par rapport à celui qu'atteignaient les voitures des années 1980. La qualité et la fiabilité accrues des véhicules, ajoutées à la diminution du pouvoir d'achat des ménages ont incontestablement ralenti le renouvellement du parc.

Nous avons perdu des parts de marché de façon croissante dans l'hexagone, en passant de 77 % en 1981 à 56 % en 1996 peut-être - mais ce n'est pas la seule raison - parce que le prix des véhicules français était un peu élevé. Nos deux plus grands constructeurs font des efforts remarquables pour baisser le prix de leurs automobiles. Renault a, par exemple, pour objectif de diminuer de 3 000 francs le prix de revient de chaque véhicule avant fin 1997. L'explication de la crise par les prix, explication que j'ai souvent lue dans les journaux économiques, doit être relativisée, dans la mesure où le grand nombre de versions par modèle, qui tient à des motorisations, des équipements différents, rend difficile la comparaison entre les modèles de l'année N et les modèles de l'année N + 2. Dans ces conditions, expliquer la crise par les prix, ce qui ne serait pas seulement conjoncturel mais structurel, n'est pas suffisant.

Concernant le Japon et la Corée, je vais vous citer un chiffre : en 1991, première année de l'application de l'accord l'Union européenne-Japon, les importations d'automobiles japonaises ont représenté 4 % du marché français. En 1996, elles représentaient encore 4 % du marché français. L'accord n'a pas, sur notre marché, entraîné de dérive importante favorable aux constructeurs japonais. Dans ces conditions, on peut dire que le bilan de l'application de l'accord n'est pas défavorable pour notre pays.

Cet accord prend fin en janvier 2000. Il est trop tôt pour dire comment s'engageront les discussions entre le Japon et l'Union européenne et au sein de celle-ci entre les Etats membres.

Je souhaite pour ma part que le problème de l'automobile soit intégré dans une perspective globale des relations économiques entre l'Europe et le Japon. J'annonce aujourd'hui à la mission que je compte rencontrer rapidement Sir Leon Brittan, en charge de ce dossier à Bruxelles, pour lui en parler. J'aborderai également cette question avec mes collègues au cours du Conseil de l'industrie qui doit se réunir dans les prochains mois.

La concurrence coréenne n'est pas de même ampleur. L'ambition que ce pays affiche pour l'an 2000 est de devenir le quatrième producteur mondial de véhicules automobiles devant la France. La stratégie de développement de certains producteurs coréens en Europe centrale fait de notre part l'objet d'une attention très soutenue. En revanche, le développement de l'industrie automobile dans les pays d'Asie du Sud-Est - Malaisie, Indonésie - paraît moins menaçant pour nous, dans la mesure où ces pays essaient de se doter d'une industrie pour satisfaire prioritairement leur marché intérieur.

Je relève enfin avec satisfaction que nos constructeurs français participent au développement de ces industries nationales. Citroën intervient ainsi dans le cadre du programme Proton en Malaisie.

Il faut donc raison garder lorsqu'on évalue la menace que pourraient à l'avenir représenter les constructeurs asiatiques car, malgré leurs efforts importants, leurs parts de marché demeurent relativement modestes.

Votre troisième question a trait aux différences entre la capacité de production et la consommation en Europe. La tenue des parts de marché par les industriels français souffre largement la comparaison avec Fiat ou avec le groupe VAG, qui détient toutefois une position légèrement meilleure que celle de ses concurrents.

A ce stade de notre réflexion, il faut souligner que non seulement le marché européen enregistre des marges faibles mais que, de surcroît, nos constructeurs sont mieux placés sur le segment des véhicules de bas de gamme, c'est-à-dire sur celui dégageant les marges les plus faibles. C'est un élément de fragilisation.

Par ailleurs, il y a en Europe, sur tous les segments de marché, une compétition extraordinaire sur les prix. Face à cette situation, des stratégies doivent être mises en _uvre par les constructeurs français pour dominer le différentiel de prix et de compétitivité qui est le leur.

La surcapacité, évaluée à 4 millions de véhicules environ, doit inciter les constructeurs à s'adapter et à réorienter leurs ventes vers les marchés étrangers, en particulier vers ceux qui possèdent un potentiel de croissance élevé, c'est-à-dire les pays en émergence : pays d'Europe de l'Est et Sud-Est asiatique.

J'entends souvent demander s'il ne serait pas plus intelligent de rapprocher les constructeurs européens, afin de réduire les surcapacités. En effet, une logique assez simple voudrait que l'on opère dans ce sens. Je ne crois pas que l'on pourrait ainsi résoudre structurellement le problème. C'est aux constructeurs de répondre à cette question, mais l'avenir est beaucoup moins dans des fusions, dans des rapprochements capitalistiques entre les entreprises européennes de ce secteur que dans des coopérations techniques et industrielles pour la fabrication de véhicules dits " de niche " ou pour la fabrication d'organes communs à certains véhicules, comme les boîtes de vitesses. Souvenons-nous du moteur V 6 mis au point conjointement par Renault et Volvo ou des boîtes de vitesses automatiques, qui font l'objet de recherches et de coopérations entre les constructeurs français et allemands. On peut étendre cette réflexion aux équipementiers. C'est une voie qui peut déboucher sur des rationalisations de production et des baisses de coût.

Je m'intéresse beaucoup à cette voie de la diminution des coûts, qui donnerait plus de vigueur à nos deux constructeurs. Je vais vous donner un chiffre intéressant : 25 % du prix de revient d'un véhicule correspond à la conception et à la fabrication. Il faut donc que nous réduisions la durée de développement des nouveaux modèles. Mazda développe un modèle en 18 mois tandis que Renault vise 36 mois pour 1999 et que PSA projette de ramener ce délai à trois ans pour ses futurs modèles. Des efforts considérables restent donc à accomplir en France sur la durée de développement des modèles.

En matière de fabrication, PSA vise un objectif de baisse de 25 % d'ici à l'an 2000, tandis que Renault a mis en _uvre un programme de réduction des coûts de fabrication de 3 000 francs avant fin 1997. PSA, de son côté, poursuivra ses efforts de simplification des lignes de montage, de diminution des coûts d'investissement et d'optimisation des plates-formes de production.

Autre chiffre significatif : Renault et PSA développent entre 1 et 1,6 modèle par plate-forme, tandis que les autres constructeurs développent de 2 à 2,5 modèles par plate-forme. PSA et Renault ont décidé de porter respectivement à 2 et 1,5 le nombre de modèles produits par site en l'an 2000.

Autre réduction, qui doit être drastique : les frais d'achats qui représentent près de 50 % du prix du véhicule. Les deux constructeurs français veulent diminuer ce poste, d'ici à l'an 2000, de 10 milliards de francs pour Renault et de 25 % pour PSA.

Renault souhaite d'ailleurs sous-traiter davantage la construction de sous-ensembles complets à ses fournisseurs. Les équipementiers vont donc connaître une mutation structurelle qualitative de leur travail et de leurs relations avec leurs donneurs d'ordres.

Enfin, la réduction des frais de distribution doit être envisagée. Le chiffre est surprenant : les frais de distribution d'un véhicule français représentent 25 % du prix de revient ! On connaît d'ailleurs, à travers des difficultés récentes, les conséquences qui ont été tirées par certains constructeurs de cette situation. C'est pourquoi PSA et Renault ont accéléré la concentration de leur réseau de concessionnaires pour regrouper, au sein de structures généralement familiales, quelques concessions et leurs agents secondaires.

Ce travail de diminution des coûts est indispensable. Les constructeurs entendent le mener dans un contexte dont je souhaite personnellement qu'il donne toute sa place au dialogue social. Je souhaite que des discussions préalables s'engagent sur les conséquences de ces réductions des coûts et que les constructeurs prennent en compte l'avis des organisations syndicales représentatives des personnels.

M. le Président : Si le nombre de modèles produits par chaque plate-forme tend à augmenter et si l'on admet que les marchés français et européens ne devraient pas connaître un développement important, ne va-t-on pas ipso facto vers la fermeture de sites ?

Par ailleurs, en vous référant à l'exemple de la Safrane, vous avez évoqué l'importance des coûts de recherche-développement. Afin de réduire ces coûts, ne serait-il pas possible d'encourager des coopérations avec des secteurs industriels ne travaillant pas prioritairement avec les constructeurs automobiles ? M. le Premier ministre, lorsqu'il a reçu les ambassadeurs de France à l'étranger, a évoqué le projet de développer les secteurs de l'aéronautique et de l'électronique. Or, on le sait bien, l'électronique tient déjà une place importante dans les véhicules qui sortent des chaînes.

Par quels moyens le Gouvernement pourrait-il encourager des collaborations entre des secteurs aussi importants que l'électronique et la construction automobile ? Le problème de l'emploi étant prioritaire, une telle politique paraît mieux venue que celle consistant à accompagner des plans sociaux.

M. Christian PIERRET : Cette question est très importante à nos yeux. Je vais donc essayer de poser quelques jalons concernant l'emploi.

Tout d'abord, il faut élargir les marchés. Si l'on s'en tient à une production organisée autour des chiffres que j'ai indiqués tout à l'heure et que par ailleurs, ce qui est le cas, on connaît une évolution forte des techniques ainsi qu'une amélioration de la productivité du travail, la situation de l'emploi deviendra de plus en plus difficile. Il faut donc élargir nos marchés, afin d'écouler une production croissante. Même si nous sommes très performants à l'exportation, il faut renforcer notre présence sur les marchés extérieurs si l'on veut " charger " correctement nos sites de production.

Ensuite, il faut prendre en considération une réalité objective : les constructeurs français ont connu un exercice 1996 très difficile avec les conséquences que cela implique pour l'emploi. Renault a perdu 5,6 milliards de francs, tandis que Peugeot gagnait seulement 730 millions de francs, ce qui représente pour ce groupe une baisse significative de ses résultats par rapport à 1995 et, par rapport à l'importance des capitaux engagés, une faible rentabilité marginale du capital. Ces difficultés s'expliquent par le marché européen : surcapacité de production, guerre des prix, laminage des marges.

Les constructeurs ont pris des mesures pour asseoir leur compétitivité et pour développer leurs résultats commerciaux. Pour s'assurer une meilleure productivité, ils ont eu hélas recours à d'importants plans sociaux : 2 764 suppressions d'emplois chez Renault, 3 106 chez PSA. Rappelons que Renault a également fermé un site de production.

Il est important de souligner que les plans de redressement des constructeurs ne portent pas uniquement sur les effectifs. Ils visent aussi à réduire les coûts de conception et les frais d'achats. Les deux constructeurs ont ensemble annoncé leur intention de développer des coopérations techniques conjointes, mais n'envisagent pas des rapprochements capitalistiques.

Coopération technique, fabrication de sous-ensembles en commun, changement de leur politique vis-à-vis des sous-traitants, rationalisation des composants sont autant d'opérations leur permettant de rattraper leur retard par rapport à d'autres pays.

Parallèlement à toutes ces mesures, ils ont pris des dispositions pour augmenter leurs ventes, tout d'abord en développant de nouveaux modèles. Nous devons être fiers de notre production nationale. Citroën s'apprête à lancer la Xsara dans quelques jours. Pour 1998, Peugeot prépare la 206 et Renault le remplacement de la Clio.

Les ventes orientées vers les pays émergents, pour certains modèles qui leur sont adaptés, seront développées ; c'est en effet un facteur de croissance durable, donc un élément favorable à l'emploi.

Au total, la réduction des coûts, l'augmentation du volume des ventes et le développement de la productivité devraient permettre d'éviter des conséquences trop lourdes pour l'emploi. Reste un problème crucial et rarement abordé : celui de l'importante différence entre l'âge des travailleurs des entreprises françaises et celui des salariés de leurs concurrentes européennes. L'actuelle moyenne d'âge, chez Renault comme chez PSA, où elle est très légèrement inférieure, ainsi que son évolution prévisible sont très défavorables pour nos constructeurs, car elles entravent l'achèvement de la mutation industrielle que j'ai décrite à grands traits, à savoir le passage d'une organisation fondée sur les principes du taylorisme à une organisation fondée sur l'enrichissement des tâches, la polyvalence des salariés, la constitution d'équipes autonomes directement responsables de la production d'éléments plus complets et l'abandon du travail parcellaire sur lequel reposait jusqu'à présent l'organisation de base de ces entreprises.

La résolution de ce problème passe par une réflexion globale sur l'organisation du travail, la réduction du temps de travail et des mesures d'âge spécifiques que le Gouvernement est prêt à examiner avec les constructeurs, dans une discussion qui sera certainement difficile mais où chacun devra faire preuve d'ouverture d'esprit.

M. Gérard VOISIN : M. le Ministre, notre mission ne s'intéresse pas uniquement à la construction automobile, mais aussi à l'après-construction, c'est-à-dire la distribution et la réparation sous toutes leurs formes, qui représentent un nombre considérable d'emplois
- plus de 400 000 - dont on sait aujourd'hui qu'ils sont en grand danger, dans la mesure où la distribution et la réparation automobiles se sont fondamentalement transformées depuis une dizaine d'années. Après ce qui s'est passé à Vilvorde, on comprend l'angoisse des employés et des cadres. On peut aussi comparer cet émoi à celui suscité par un accident d'avion qui attirerait notre attention par le nombre de ses victimes, alors que, dans le même temps, disparaissent dans l'indifférence générale de nombreux emplois dans des entreprises familiales situées dans les campagnes ou dans de petites villes, parce que la distribution a changé, parce que les constructeurs se comportent comme ils doivent se comporter sur un marché comme le nôtre, que nous assistons à des regroupements de concessions, à des disparitions d'agents de réparation.

Je souhaite pour ma part que l'on n'oublie pas cet aspect du problème dans le cadre de notre mission.

Ceci étant dit, j'ai beaucoup entendu parler d'exportations en Europe, mais très peu dans le reste du monde. Peut-être ne faut-il pas se poser la question de savoir combien les Japonais ont vendu de voitures aux Français, mais combien de voitures les Français ont vendu aux Japonais, aux Coréens et aux autres ? On ne se pose jamais la question dans ce sens. Il suffit d'aller au Japon, ce que j'ai fait récemment : je n'y ai pas vu de voiture française. Aucune en quatre jours !

Que ferez-vous, M. le Ministre, pour aider les constructeurs à pénétrer les marchés hors d'Europe ? Ils s'y sont d'ailleurs déjà essayés, comme en atteste la tentative de Renault aux Etats-Unis, il y a quelques années. La raison principale de l'échec de Renault en Amérique du Nord tient dans le défaut d'implantation de son réseau, car il est indispensable d'avoir un réseau performant pour réussir à vendre des voitures et à pérenniser sa position dans un pays étranger.

Vous avez dit sur une station de radio, M. le Ministre, que vous ne vouliez pas reprendre à votre compte les " balladurettes " ni les " juppettes ". L'opération Balladur a été à mon sens une bonne opération ; l'opération Juppé fut moins bonne, c'est l'ancien garagiste qui parle. J'aurais souhaité pour ma part que cela ne soit pas pérennisé.

Vous avez dit ne pas vouloir reprendre la formule, car l'Etat français doit encore de l'argent aux constructeurs. Je rappelle que c'est le Gouvernement qui rembourse aux constructeurs le montant de ces primes. Ne pourrait-on pas envisager une aide, une prime qui serait liée aux exigences environnementales ?

M. Maurice ADEVAH-POEUF : M. le Ministre, je vous ai écouté avec beaucoup de satisfaction et si, sur un certain nombre de questions, vous m'avez rassuré, je suis inquiet du manque de précision de plusieurs de vos propositions.

Je ne crois pas qu'on puisse défendre à la fois le secteur de la réparation automobile et des primes de type " balladurette " ou " juppette " qui sont à l'origine de sa destruction, tous les professionnels le savent. Ces deux positions ne sont pas compatibles, elles sont même antinomiques.

Par ailleurs, je voudrais vous poser quelques questions techniques concernant l'accord avec le Japon.

Autant que je me souvienne, il ne s'agit ni d'un traité ni d'un accord international, mais d'un accord d'auto-limitation qui, lorsqu'il cessera de produire ses effets, le 31 décembre 1999, ouvrira le marché unique aux importations japonaises. Sauf dans le cas d'une volonté politique forte, je ne vois pas comment cela peut être évité en l'état actuel des choses. Je ne discute pas la validité des chiffres relatifs à nos importations, mais je voudrais vous rappeler que les lectures de l'accord, à l'époque, étaient différentes. La partie européenne, y compris sa composante française, indiqua que les parts de marché délimitées dans l'accord se comprenaient transplants inclus. Vos 4 % du marché français détenus pas les constructeurs japonais incluent-ils les transplants ou non (par exemple, les Primera de Nissan ou les Santana de Suzuki, etc...) ? Avec le recul, peut-on dire que les transplants sont bien pris en compte dans le " monitoring " tel qu'il était prévu par l'accord ? J'attends de votre part une réponse aussi précise que possible.

Deuxième question d'ordre technique : comment ce " monitoring " a-t-il été géré ? Je rappelle qu'avant que les quotas existent, on trouvait une stabilité remarquable du taux de pénétration des automobiles japonaises dans les divers marchés des pays de la Communauté, y compris ceux réputés avoir les frontières les plus ouvertes.

A l'époque, l'élément technique décisif, qui a été très utile à la partie française, consistait à dire que le " monitoring " serait géré par le biais du règlement 123-85 sur la distribution sélective qui permet de savoir, par les réseaux exclusifs de concessionnaires des constructeurs, à l'unité près, ce qui entre, ce qui est immatriculé et d'où vient le véhicule en question.

Or, je ne sais pas si ce " monitoring " a été géré de cette façon. Je ne sais pas si le nouveau règlement, qui se substitue au règlement 123-85 sur la distribution sélective, permet de le faire avec autant de fiabilité. Je crains que ce ne soit pas le cas. Je ne sais pas comment la directive sur les importations parallèles permet de contrôler qu'un véhicule importé dans un pays de l'Union européenne n'est pas immatriculé ensuite, même s'il vient du Japon, dans un autre pays. Si tel est le cas, est-il inclus dans vos statistiques ?

Toutes ces questions très techniques constituent l'un des éléments majeurs de la crédibilité de la mise en _uvre d'un tel accord.

Une autre question, que je n'ose pas qualifier de subsidiaire : comment cet accord, qui a été conclu avec une CEE à douze et un partenaire unique, a-t-il été interprété quand la CEE à douze est devenue l'Union européenne à quinze, en termes de taux de pénétration par les importations (importations seules, importations plus transplants) ? Et ce, par sous-contingent ou par pays, puisque bien évidemment les sous-contingents, pour les pays qui ont adhéré entre temps à l'Union européenne, n'étaient pas prévus dans l'accord d'origine ? Veuillez excuser le caractère extrêmement technique de ces questions, mais ma conviction ne sera faite sur ce dossier et ses conséquences que quand nous aurons des précisions sur ces points.

Une question complémentaire, à propos des textes européens sur les dessins et modèles. L'application de ces textes aura pour effet évidemment de limiter un peu plus les marges des constructeurs, puisque la possibilité de protéger les composants d'un véhicule n'existera plus - ni celle de protéger quoi que ce soit d'autre d'ailleurs, mais c'est un autre aspect du problème, celui de la compétitivité, et pour l'instant je limite mon propos à l'aspect commercial -. Ces textes entraîneront un affaiblissement considérable des réseaux commerciaux, c'est-à-dire, pour appeler les choses par leur nom, de la mainmise que les constructeurs ont sur leur réseau de concessionnaires.

Qu'on le regrette ou qu'on l'approuve, c'est un fait. La puissance publique perd un des moyens de contrôle du " monitoring " dans un tel accord.

Par ailleurs, vous dites qu'il n'est pas souhaitable de doper des marchés qui s'érodent insensiblement avec des moyens qui cassent les cycles de cette industrie. Vous dites qu'il faut exporter, je suis totalement d'accord. Mais nos deux principaux constructeurs fabriquent des véhicules légers qui sont équipés de moteurs diesel à 46 % pour l'un et à 40 % pour l'autre, alors que les profils des marchés potentiels à l'exportation affichent un taux de diésélisation d'environ 10 %. Il est clair que nous avons là une spécialisation remarquable, mais à part la France et peut-être l'Espagne, elle n'intéresse personne. Elle n'a d'ailleurs d'autre raison qu'une raison fiscale, un différentiel de taxe intérieure sur les produits pétroliers selon les catégories de carburant.

Je ne sais pas si vous pourrez vous exprimer sur ce point, mais je souhaite pour ma part que, mettant à part le transport routier de marchandises, qui est spécifique, la question de la fiscalité des carburants soit revue dans le sens d'une harmonisation progressive, étalée sur un moyen terme pour ne pas pénaliser les constructeurs ni les usagers, car il me semble aberrant que le contribuable finance une perversion fiscale. Tout le monde commence à être d'accord là-dessus. Je souhaite que quelque chose soit fait, très progressivement, pour les petits utilitaires et les véhicules légers.

Dernière question : vous avez exprimé la volonté de créer un environnement favorable à cette industrie. Je reprends mot pour mot vos propos sur ce point. Je comprends bien que vous n'ayez pas encore indiqué votre position, ni fixé des objectifs précis, des moyens et des échéances. Mais votre volonté est-elle l'amorce d'une politique industrielle avec laquelle la France renouerait et que vous sauriez porter à l'extérieur de nos frontières ? En tout cas, il vous faudra bien prendre une position, car les partenaires que vous allez rencontrer ne seront pas tous d'accord, ni sur les objectifs ni sur les moyens. Il faudra bien que la puissance publique prenne ses responsabilités.

Dans cette attente, le Gouvernement dispose d'un moyen important permettant de mener une politique industrielle automobile : il est actionnaire à 46 % d'un grand constructeur, Renault. Combien de temps le Gouvernement peut-il rester un actionnaire dormant, en détenant 46 % d'un des principaux constructeurs européens ? S'il ne cherche pas à initier une politique de filière et à la faire prendre en compte par nos partenaires de Bruxelles, avec, certes, les difficultés que cela comporte tant au plan commercial - je pense aux relations avec les pays non-membres de l'Union européenne - qu'en termes de recherche-développement, je ne vois pas ce qui justifie le fait qu'il garde près de la moitié du capital d'un constructeur généraliste de cette importance. Le Gouvernement devra résoudre rapidement cette question.

M. Christian PIERRET : Je commencerai par répondre à la question de M. Adevah-Poeuf sur la politique gouvernementale en faveur de l'automobile. Oui, nous voulons mettre en _uvre une stratégie favorable au développement de cette industrie, dont j'ai démontré l'importance et le dynamisme tout en soulignant les problèmes. Devons-nous nous substituer aux constructeurs, qui sont l'un et l'autre des entreprises dont les capitaux sont majoritairement privés ? Non ; mais sur la stratégie à suivre pour résoudre des problèmes structurels, comme celui de la pyramide des âges, nous aurons des relations contractuelles et nous définirons des objectifs, notamment en matière d'aménagement du temps de travail.

Il serait toutefois absurde que le Gouvernement fixe dès maintenant des objectifs, alors que l'Assemblée nationale ne fait que commencer ses travaux. Nous allons nous appuyer, au cours des prochains mois, sur un certain nombre de points forts, mais je veux les confronter auparavant avec les conclusions de la mission.

Nous aurons donc, si M. le Président le souhaite, l'occasion d'en reparler avec la mission pour confronter nos réflexions avec les analyses qu'elle aura dégagées à travers ses auditions.

Quant à la gestion de l'accord conclu entre le Japon et l'Union européenne, elle s'est faite globalement, même si cela doit vous surprendre, dans un sens qui a été jusqu'à présent favorable aux constructeurs européens par rapport aux prévisions initiales. Comme vous l'avez souligné, M. Adevah-Poeuf, il s'agit d'un accord d'auto-limitation. Nous nous sommes trouvés, une année, dans une situation où la stricte application des règles que la Communauté avait imposées, en particulier la règle dite des " trois quarts ", aurait engendré une importation négative en raison de l'écart entre l'évolution constatée du marché européen et les prévisions de croissance retenues deux ans auparavant par l'accord. Comme nous ne pouvions pas appliquer cette règle à la lettre, l'" ouverture négative " étant absurde, la Commission a négocié en 1993 un quota d'importations japonaises inférieur de 18,5 % aux importations effectives de 1992. Mais globalement, le bilan que l'on peut dresser de l'accord en 1997 montre que les objectifs ont été très largement atteints. L'augmentation des parts de marché détenues par les Japonais en Europe comme en France, entre 1992 et 1996, a été modérée et les chiffres restent très éloignés des objectifs fixés par l'accord pour 1999. La pénétration totale, prévue par l'accord, en 1999, - exportations plus transplants - sur le marché à douze, était de 16,1 % et la part de marché des seules exportations du Japon est de 5,26 % pour le marché français. Les transplants sont inclus, de fait, dans l'accord d'auto-limitation.

Nous constatons à travers quelques chiffres que la France est le pays qui a le mieux limité les progressions japonaises.

La part de marché des constructeurs japonais dans l'Union européenne à douze s'établissait à 11,3 % en 1992, première année d'application de l'accord ; elle est de 10,35 % en 1996.

Dans le même temps, leur part de marché est passée de 4 % à 3,9 % dans notre pays.

Il est également intéressant de se situer par rapport à nos voisins. Pour 1996 : Allemagne, 11,8 % ; Danemark, 24,2 % ; Espagne, 5,4 % ; Italie, 4,6 % ; Portugal, 10,2 % ; Royaume-Uni, 13,9 % et Suède, 13,7 %.

Il reste que la médiocre pénétration japonaise sur notre marché est également due à deux phénomènes qui vont disparaître. D'abord, l'appréciation du yen, qui a rendu difficile la commercialisation des véhicules japonais en Europe. Or, le yen a récemment baissé par rapport aux monnaies européennes. Malgré la pression forte des autorités américaines sur l'évolution de leur marché de l'automobile, la progression japonaise aux Etats-Unis montre bien l'importance de ce phénomène.

Par ailleurs, les restrictions imposées par l'accord Union européenne-Japon limitaient les efforts commerciaux en termes de budget publicitaire et de politique de conquête de concessionnaires ; la remise en cause probable - nous, les Français, tiendrons jusque là - de la distribution sélective autorisée par l'Union européenne jusqu'en 2002 et la rationalisation des réseaux de commercialisation devraient favoriser les constructeurs en phase de développement de leur réseau.

Ajoutons que les produits commercialisés en Europe n'étaient pas, jusqu'à un passé récent, développés spécialement pour le consommateur européen, mais que, dorénavant, certains modèles sont conçus dès l'origine pour le marché européen, avec des spécifications répondant aux goûts des consommateurs de nos pays.

A propos des dessins et modèles se pose la question des droits de propriété industrielle sur les pièces d'aspect des automobiles, c'est-à-dire sur l'extérieur du véhicule. C'est une source de profit net par constructeur d'un milliard de francs par an. Après une attaque en règle à Bruxelles et au Parlement européen, la solution envisagée par la Commission satisfait les constructeurs européens parce qu'elle sauvegarde l'essentiel. Mais il y aura à l'automne un débat sur cette question au Parlement européen.

A propos de la " juppette " et de la " balladurette " , je ne peux pas suivre M. Voisin dans l'appréciation positive qu'il a portée sur ces primes, car, lorsque la mesure cesse, le marché subit alors une baisse drastique. C'est ce qui se passe actuellement. J'étais député lorsque je me suis aperçu de ce phénomène. La même réflexion peut être menée sur une question que j'ai beaucoup étudiée au sein de votre commission des finances, celle des primes temporaires incitant à l'investissement. Les primes à l'investissement comme les primes à l'automobile provoquent une très forte poussée de la demande pendant une période courte : c'est ce que les économistes appellent un " accélérateur keynesien ". Mais quand la mesure cesse, on assiste à une dépression plus ou moins longue. L'analyse montre que la moyenne des investissements ou des achats sur un moyen terme est exactement identique à ce qu'elle aurait été sans l'intervention de la prime. Autrement dit, on peut parler d'un feu de paille. Et nous nous trouvons aujourd'hui dans une situation de très forte dépression.

Revenons sur ces primes : le nombre de primes à la reprise des véhicules de plus de dix ans, après dix-sept mois d'application, est de 880 000, soit une moyenne de 50 000 primes par mois. Ce volume représente 26 % des 3 300 000 commandes enregistrées entre février 1994 et juin 1995. Le nombre des primes à la reprise des véhicules de plus de huit ans est de 770 000, soit une moyenne de 64 000 primes par mois représentant 35 % des ventes de véhicules particuliers, pour 2 200 000 immatriculations.

Je crois que si le marché est en panne aujourd'hui, c'est précisément à cause de la " juppette " qui, sans prévoir de dispositif de sortie qui aurait permis d'amortir le choc, a artificiellement gonflé les ventes en 1996 et 1997. Cela n'est pas gérable pour les constructeurs automobiles, et ce d'autant plus qu'ils ont été obligés d'avancer le montant de la prime à leurs clients. Ces deux mesures se sont révélées très onéreuses : 4, 5 milliards de francs.

Enfin, le Gouvernement précédent n'avait pas inscrit les crédits correspondant au paiement de la prime pour l'année 1997 dans la loi de finances. Je suis donc aujourd'hui obligé de demander à mon collègue du budget d'inscrire dans la loi de finances rectificative 470 millions de crédits supplémentaires destinés à permettre à l'Etat de rembourser les constructeurs et ainsi d'honorer les engagements du Gouvernement de M. Juppé.

En ce qui concerne les taxes sur les carburants, je trouve que le débat est relativement infondé, car avec 73 % de taxe par litre de diesel, notre pays se place juste derrière le Royaume-Uni pour la taxation du gazole, la moyenne européenne étant de 64 %. Le diesel présente un avantage fiscal, par rapport à l'essence, de 9 %, mais la plupart des conducteurs utilisant le diesel sont des professionnels ou des particuliers qui effectuent avec leur véhicule le trajet entre leur domicile et leur lieu de travail.

L'industrie du diesel a besoin de motivations et de soutien financier pour développer de nouvelles technologies, comme le turbocompresseur à géométrie variable, qui réduisent considérablement les pollutions. D'ailleurs, si j'avais une question sur les différentes pollutions liées à l'essence, à l'essence sans plomb et au diesel, j'y répondrais volontiers. L'objectif que les fabricants de moteurs diesel se sont fixés pour l'an 2000 est de mettre sur le marché des véhicules ayant une consommation de trois litres aux cent kilomètres, ce qui semble nécessaire pour réduire l'effet de serre dû aux rejets de dioxyde de carbone, les moteurs diesel émettant moins de substances polluantes de ce type que les moteurs à essence sans plomb.

J'en viens aux incitations à la coopération avec le domaine de l'électronique.

Cette coopération existe déjà pour les dispositifs de contrôle des moteurs et pour les faisceaux électriques des véhicules, sur des programmes qui ont été subventionnés par le PREDIT.

Le PREDIT est un mécanisme qui attribue sur cinq ans 7,5 milliards de francs à des actions de recherche scientifique et de développement. C'est un dispositif auquel concourent les pouvoirs publics à hauteur de 2,5 milliards de francs sur cinq ans, dont 650 millions de francs provenant du budget de l'industrie. Contractuellement avec les constructeurs automobiles, il est un élément essentiel de la recherche-développement dans la modification des processus de fabrication. Je suis certain de la nécessité de maintenir, voire d'accroître, dans les prochaines années, l'effort en matière de recherche-développement dans le secteur automobile. Je m'y attacherai.

Pour l'aéronautique et le spatial, certains dispositifs bénéficient déjà des transferts de technologie, comme les freins à fibres de carbone et certaines pièces de carrosserie à déformation réversible.

M. François LOOS : M. le Ministre, je voudrais vous interroger sur la voiture électrique. Elle pourrait avoir un marché, mais les constructeurs préfèrent orienter leurs recherches sur l'ergonomie des sièges des passagers ou sur l'esthétique des véhicules. Allez-vous faire de la voiture électrique un axe de votre politique en faveur de l'automobile ?

Par ailleurs, que pensez-vous de la fiscalité des voitures de société ? Au Royaume-Uni, cette fiscalité n'existe pas. Ne pourrait-on améliorer notre dispositif fiscal, cette amélioration pouvant être bénéfique à l'emploi et prévenir aussi certains problèmes sociaux ?

Enfin, j'aimerais aborder un autre aspect du problème de l'automobile : le contrôle technique. Celui-ci, en quelques années, a été renforcé. Allez-vous continuer dans cette voie ? Allons-nous vers un niveau de contrôle aussi sévère qu'en Allemagne ? Un contrôle technique européen peut-il être institué ? Je pense que cela est souhaitable, comme le serait toute harmonisation européenne dans le domaine automobile.

J'en viens aux problèmes sociaux. Lorsqu'on écoute vos propos, on a l'impression que l'on va au-devant d'une grave catastrophe. Vous présentez un secteur industriel qui n'est pas fortement implanté sur les marchés émergents, sur les secteurs en développement, qui se trouve en position difficile par rapport à ses concurrents internationaux sur son propre marché, lequel n'est pas en période de croissance et dont les perspectives sont au mieux la stabilité, avec des surcapacités phénoménales... On peut tirer de tout cela une conclusion : des problèmes sociaux vont se produire. Il faut donc envisager une réorientation stratégique.

Face à ces problèmes sociaux, le Gouvernement envisage-t-il des mesures spécifiques à l'automobile, qui prendraient en compte le poids de cette industrie dans notre pays ? Une politique spécifique, comme celle mise sur pied pour l'industrie textile, est-elle possible ? Ne nuirait-elle pas à l'image de marque de nos constructeurs ? Pourra-t-on au contraire parvenir aux ajustements sociaux qui seront nécessaires dans le cadre du droit commun ?

Pour Renault, dans la mesure où l'Etat en contrôle la quasi-majorité, pourra-t-il mener concrètement une politique industrielle ? Dans les perspectives d'éventuelles restructurations européennes ou mondiales, l'Etat sera-t-il en mesure de faire jouer un rôle à Renault ?

Par ailleurs, il se trouve que deux des trois sociétés qui ont la plus importante trésorerie du monde sont des constructeurs automobiles : General Motors et Ford, la troisième étant Microsoft. Elles ont une marge de manoeuvre financière considérable. A un moment où il faut être présent sur les marchés émergents, où il faut y investir lourdement, elles ont réussi leur adaptation industrielle sur leur marché principal. Comment rivaliser avec ces entreprises, quand Renault a 5 milliards de pertes, quand on attend des plans sociaux et que les perspectives de nos entreprises sont plutôt franco-françaises alors qu'il faudrait au minimum qu'elles soient européennes ? Avez-vous une politique sociale automobile, ou pensez-vous que les industriels pourront faire face seuls ?

M. Pierre CARASSUS : Je suis surpris que vous n'ayez pas donné de chiffres concernant l'évolution de la rémunération du capital. On a parlé, pour certains exercices, du bénéfice net de Renault en termes de millions de francs, et c'est en termes de milliards qu'ont été distribués les dividendes.

Si nous avons bien compris, il n'y aura pas de " pierrette " ! Je vois tout de même pour ma part un intérêt à ces mesures : elles ont montré que le marché n'était pas aussi mort qu'on voulait bien le dire. Les marges de manoeuvre sont faibles, mais elles existent. J'aimerais que l'on nous dise quelles initiatives entend prendre le Gouvernement, par exemple en matière de TVA. En tout cas, je constate qu'un dopage, même artificiel, fait bouger les choses.

M. Alain BARRAU : M. le Ministre, ma circonscription vit un moment difficile sur le plan social, du fait de la situation d'une succursale Renault dont les ouvriers sont en grève depuis trois mois et occupent les locaux. Cette question me préoccupe beaucoup et je vous en ai parlé à de nombreuses occasions au cours des trois derniers mois.

Vous me pardonnerez, chers collègues, de centrer mon propos sur ces préoccupations, très concrètes pour moi. Je n'insisterai donc pas sur les questions certes très importantes des négociations avec le Japon et la Corée, ni sur les perspectives de recherche-développement. Mes questions seront focalisées sur ma perception de la situation française, due à l'existence de deux grands constructeurs automobiles.

L'Etat détient 46 % des actions de l'un de ces grands constructeurs : le Gouvernement ne pourrait-il pas tirer avantage de cette position de force pour poursuivre l'histoire économique et sociale de Renault qui, à l'évidence, a marqué la deuxième partie du XXe siècle en France ? Aujourd'hui, c'est vrai, le débat a évolué, mais sur des thèmes comme la réduction du temps de travail ou la qualité du travail, ne pourrait-on utiliser cette situation de manière utile, pour que cette grande entreprise française reste une référence ? J'ai pour ma part le sentiment - j'en ferai part demain à M. Louis Schweitzer - que l'objectif essentiel de la direction de Renault, aujourd'hui, est de banaliser sa situation afin d'être considérée comme une entreprise privée comme une autre.

Vous avez souligné l'importance quantitative des réseaux de distribution, du service après-vente, des ateliers d'entretien et évoqué la politique de filialisation que mènent actuellement activement nos deux constructeurs et particulièrement Renault. Comment cela se passe-t-il dans les autres pays ? J'ai pu constater que certains constructeurs allemands ont choisi une stratégie différente. On peut très bien imaginer, pour la distribution locale, une stratégie fondée sur des filiales tenant compte de la diversité du territoire et restant très liées à l'entreprise mère. Or, on sent bien que les constructeurs souhaitent se concentrer sur la production, d'où ce désengagement dans la distribution.

Je voudrais aborder un autre point, qui dépasse le cadre de l'industrie automobile et concerne la protection des salariés : il s'agit de la " vente conjointe " des murs et du personnel. C'est la situation à laquelle nous sommes confrontés à Béziers : Renault a décidé de vendre à une famille qui possède plusieurs garages dans la région, à la fois les murs de la succursale et le personnel. Je sais bien que les dispositions qui existent dans le code du travail peuvent être protectrices pour les salariés, qui au moins - pas tous en tout cas - ne sont pas licenciés à cette occasion. Mais la manière dont cela s'est passé - un tiers de salariés en moins et une baisse de salaire de 30 % pour ceux qui sont réembauchés - n'est ni convenable, ni concevable à la fin du XXe siècle ! On ne vend plus, aujourd'hui, les murs et les gens ! Il faudrait envisager une modification du code du travail : ceci n'est pas du ressort de votre ministère, mais le ministère en charge des affaires sociales devrait y réfléchir.

Alors que le Gouvernement que je soutiens est en train de mener une politique active et ambitieuse pour lutter contre le chômage des jeunes, Renault, pour la première fois, ne peut pas proposer de postes à ceux qui ont effectué un apprentissage très qualifiant au sein de l'entreprise. Il y a là une contradiction, qui nous ramène au problème de la pyramide des âges chez Renault. Ce qui est particulièrement choquant dans ce qui s'est passé dans ma circonscription, c'est que les salariés concernés avaient passé au minimum quinze à vingt ans dans l'entreprise, avec tout ce que cela sous-entend d'attachement à la firme.

Je résume : est-il acceptable qu'une grande entreprise nationale, détenue à 46 % par l'Etat, ait recours à de telles pratiques ? Est-il acceptable qu'à l'heure où l'Etat fait des efforts pour l'emploi des jeunes, elle n'embauche aucun de ceux qui sortent de l'apprentissage ?

M. le Président : Je voudrais dire que je partage l'avis de M. Barrau. A son invitation, à l'invitation des personnes qui occupent actuellement la succursale de Béziers, je me suis rendu sur place où j'ai pu juger de la gravité du problème. C'est à l'issue de ce déplacement que j'ai fait part par écrit à M. le Ministre de mes préoccupations.

M. Alain BARRAU : Si vous me le permettez, je profiterai de la circonstance pour remercier publiquement M. le Président de la mission et ma collègue Mme Claudine Ledoux, qui sont venus à Béziers. Plusieurs membres de la mission, qui n'ont pu s'y rendre, m'ont adressé des courriers pour me faire part de leur compréhension et m'indiquer qu'ils jugeaient cette situation tout à fait inacceptable.

M. Christian PIERRET : Je répondrai d'abord à la question concernant la voiture électrique. Ce mode de transport urbain non polluant a un très grand avenir. Mon département ministériel, à la demande de MM. Lionel Jospin et Dominique Strauss-Kahn, a décidé de l'encourager fortement.

Aujourd'hui, ce véhicule n'a pas rempli les espoirs que nous avions mis en lui. Son autonomie est encore beaucoup trop faible : 80 à 100 kilomètres. Le poids et la durée des batteries nickel cadmium le pénalisent. Son succès est donc très mitigé. Pourtant, nous sommes leader sur ce créneau. Nous avons construit 3 000 véhicules et nous détenons le record mondial du nombre de véhicules électriques en service, notamment dans certaines administrations, dont la mienne, et certaines collectivités locales. Mais tout ceci est encore du domaine du témoignage et je voudrais que cela devienne une réalité industrielle.

Le marché est à créer. On a pourtant développé, sous tous les gouvernements, une politique incitative : EDF accorde une prime de 10 000 francs à l'acheteur, par l'intermédiaire du constructeur, et l'Etat une prime de 5 000 francs par véhicule. Notre pays a, je crois, démontré qu'il croyait en ce mode de propulsion. Mais pour l'instant, le prix du véhicule, malgré les primes, n'a pas permis une large diffusion.

Le PREDIT, sur son programme 1990-1994, a accordé de nombreux crédits de recherche et de développement. Mon ministère a soutenu ces projets à hauteur de 100 millions de francs et si aujourd'hui les résultats ne sont pas suffisants, il faut savoir que le PREDIT 1996-2000 soutiendra le développement de batteries plus performantes, plus légères, qui permettront de porter l'autonomie du véhicule électrique à plus de 200 kilomètres. Notre objectif est de rendre possible son utilisation infra-urbaine pour des professionnels.

A long terme, la pile à combustible pourra apporter des solutions innovantes. Nous allons donner des instructions pour que soient augmentés les crédits affectés à cette piste de recherche. D'ores et déjà, mon ministère soutiendra ces recherches technologiques à hauteur de 75 millions de francs par an à partir de 1998.

L'introduction du véhicule électrique doit donc être accélérée dans les parcs automobiles des administrations, en particulier pour les véhicules effectuant des trajets ne nécessitant pas une trop grande autonomie. L'utilisation du véhicule électrique à EDF, à La Poste, à France Télécom et dans d'autres entreprises publiques doit être développée. Par des contacts très fréquents avec leurs dirigeants, je m'attache à en démontrer l'importance. Il serait très significatif que La Poste, par exemple, dispose non seulement de tels véhicules, mais aussi d'autres véhicules peu polluants qui pourraient être développés en attendant que, d'ici cinq à huit ans sans doute, les voitures électriques présentent des avantages compétitifs. Nous pensons pour notre part que la voiture électrique peut être, dans ce délai, techniquement au point et compétitive en termes de prix.

D'ici là, j'aimerais que les flottes de La Poste, France Télécom, EDF, GDF, la RATP, fassent une plus large place à l'utilisation du gaz, GPL (gaz de pétrole liquéfié) ou GNV (gaz naturel pour véhicules), qui est beaucoup moins polluant que nos carburants. Cela permettrait d'adapter des milliers de véhicules sur un programme de plusieurs années, étant donné le coût de la modification des véhicules et montrerait la détermination du Gouvernement à résoudre intelligemment la question de la pollution en milieu urbain. On voit aujourd'hui par exemple certains autobus de la RATP, mal réglés, projeter au démarrage un nombre considérable de microparticules et des gaz d'échappement, dont les effluents sont particulièrement nocifs et contribuent largement à la dégradation de la qualité de l'air en ville.

Il reste encore à résoudre un problème de distribution, car les règlements de sécurité n'autorisent pas à stocker en ville le GPL ou le GNV. Je me suis rapproché de Mme le Ministre de l'environnement pour que nous examinions ensemble les moyens de dépasser cet obstacle. Mais nous relèverons, avec une politique hardie de recherche et d'incitation, le défi de la voiture électrique et de l'utilisation du gaz non polluant dans les transports en commun.

A propos de la fiscalité sur les véhicules de société, celui qui vous parle a contribué, en tant que rapporteur général du budget dans cette assemblée, à permettre une meilleure utilisation par les entreprises de leurs véhicules de société, par le biais d'une prise en compte dans leurs charges des investissements concernant ces véhicules. Des progrès ont été accomplis à l'époque. Les dispositifs ont été quelque peu renforcés par la suite, mais tous les ministres du budget ont la même réponse, aujourd'hui comme hier et sans doute comme demain... Et dans l'état actuel de la volonté gouvernementale de réduire le déficit budgétaire, ce n'est certainement pas une dépense fiscale qui sera jugée prioritaire par M. Strauss-Kahn dans les prochaines années.

Sur le contrôle technique, j'ai quelques précisions à vous apporter. Tout d'abord, la fréquence du contrôle et le nombre de points de contrôle ont été augmentés en 1996. La fréquence, qui était fixée à quatre ans, est portée à deux ans. Les points de contrôle intègrent maintenant des contraintes d'environnement, notamment la préservation de la qualité de l'air, pour être en cohérence avec la loi sur l'air promulguée il y a quelques mois. L'impact sur la sécurité et sur l'environnement sont positifs. Je vais demander à mes services de faire le bilan de ces contrôles de sécurité avant d'en développer la rigueur et l'intensité. Nous en informerons l'Assemblée nationale dans les prochains mois.

Pour compléter ma réponse sur les gaz non polluants, je voudrais dire que si ce sont les gestionnaires de flottes importantes qui sont prioritairement visés, c'est parce que leurs points d'approvisionnement sont situés en tête de réseau, donc hors des centres urbains, et que le coût unitaire d'adaptation des véhicules, aujourd'hui très élevé, y compris pour les autobus de la RATP, est moindre.

J'en viens aux problèmes sociaux propres au secteur automobile. J'ai indiqué tout à l'heure que les questions sociales posées par le rééquilibrage de la pyramide des âges feraient l'objet dans un premier temps de contacts et ensuite, je l'espère personnellement mais je dois attendre la concertation avec le ministre de l'emploi et de la solidarité, d'un accord liant l'Etat et les constructeurs automobiles. Je puis vous affirmer, au nom du Gouvernement, que nous nous préoccupons de cette situation. Je rappelle les moyennes d'âge : 44 ans chez Renault, 42 ans chez PSA, alors qu'elles se situent chez d'autres constructeurs européens autour de 35 ou 37 ans et un peu au-delà de 20 ans chez les constructeurs japonais. Il y a donc un véritable problème.

Le Gouvernement est prêt à discuter avec les constructeurs des mesures à prendre pour faciliter le rajeunissement de la pyramide des âges dans la limite des contraintes budgétaires. Je rappelle que, si le gouvernement précédent avait suivi la proposition des deux constructeurs d'un système généralisé d'abaissement de l'âge de la retraite et de préretraites, la dépense pour l'Etat aurait avoisiné, en raison de l'ampleur des plans, 35 à 40 milliards de francs au total. Il était donc impossible à ce gouvernement, comme à tout autre d'ailleurs, d'y souscrire. La réflexion est ouverte parce qu'il y a là un enjeu considérable.

S'agissant de Renault, je voudrais rappeler qu'il s'agit d'une entreprise privée du domaine concurrentiel, puisque la majorité de son capital, coté en bourse, appartient au secteur privé. L'Etat entend toutefois jouer pleinement son rôle d'actionnaire. Il l'a d'ailleurs montré au cours des derniers mois, car les fortes inflexions qui ont été apportées au projet initial de Renault concernant son implantation en Belgique sont largement dues à la conception active que l'Etat a de sa position d'actionnaire. Il ne doit toutefois se substituer dans la décision ni au conseil d'administration d'une entreprise privée régie par la loi du 24 juillet 1966, ni au président directeur général qui assume ses responsabilités devant son conseil, devant son personnel et devant ses marchés.

L'Etat jouera donc son rôle normal d'actionnaire, participant de ce fait à la définition de la stratégie de l'entreprise sans interférer dans sa gestion.

Comme il s'agit d'une entreprise cotée, il importe d'éviter des prises de position publiques de la part d'un des actionnaires, qui pourraient avoir des conséquences sur l'évolution du titre. Nous entendons jouer pleinement notre rôle, comme tout actionnaire, conscients que nous sommes par ailleurs de l'importance de notre part dans le capital de Renault.

M. Carassus a souligné que ce secteur était vivant, et je le remercie de penser, comme moi, qu'il représente une source de satisfaction et une chance pour l'avenir.

Les atouts de Renault sont multiples.

D'abord, sa situation financière est saine. Aujourd'hui, grâce à l'effort de son président directeur général et de ses équipes, le niveau d'endettement de Renault est faible et sa situation financière est solide, bien que l'endettement financier net de ses activités industrielles et commerciales se soit accru depuis deux ans, du fait de la dégradation des conditions d'exploitation et du maintien à un niveau élevé des investissements du groupe.

L'entreprise a par ailleurs récemment lancé une gamme jeune et innovante, avec le nouvel Espace, la Scénic en 1996, la famille Mégane en 1995, la Laguna en 1994, la Twingo en 1993 et la Safrane en 1992. Peu d'entreprises européennes ont une gamme aussi complète et aussi jeune. Renault a une image de marque excellente en matière de qualité, de fiabilité et de service après-vente et un esprit d'innovation reconnu, la Scénic étant là pour le démontrer.

Signalons également que le succès des différentes déclinaisons de la Mégane sur le segment M 1, c'est-à-dire sur celui des voitures moyennes inférieures, permet de " remonter " la gamme en accroissant sa présence sur ces segments, le centre de gravité du " mix produit " se trouvant beaucoup plus bas avant l'arrivée de ce véhicule, lorsque la Clio et la Twingo tiraient Renault vers les segments A et B.

Enfin, Renault a développé une stratégie internationale que je voudrais saluer ici. L'objectif est de réaliser en l'an 2 000 25 % des ventes du groupe en dehors de l'Europe occidentale. Renault compte à cet égard sur son implantation très prometteuse au Brésil, sur son implantation très réussie en Slovénie, où 6 000 personnes travaillent actuellement pour le marché de l'Europe de l'Est, et sur la Turquie. Nous voyons là les prémices d'un véritable redéploiement permettant à Renault de renforcer ses positions pour accroître ses volumes de production, donc exporter plus - comme PSA d'ailleurs dont je souligne également l'excellente santé financière et les efforts remarquables de rationalisation de la production.

J'en viens au caractère exemplaire du secteur automobile et plus particulièrement de Renault. Je vous rappelle qu'au cours des prochains mois, avec ma collègue Mme Martine Aubry à titre principal, nous allons nous pencher sur les questions liées à l'évolution du temps de travail et aux conditions de travail. D'autres constructeurs européens et non des moindres s'en préoccupent ou s'en sont déjà préoccupés. VAG, qui occupe une part de marché supérieure en Europe à celle de nos deux constructeurs, a ouvert la voie. Au-delà d'une quelconque " exemplarité " de ce secteur, nous attendons d'une industrie qui, directement ou indirectement, donne du travail à 1,3 million de personnes, qu'elle participe à la démarche générale d'aménagement du temps de travail. Nous attendons d'elle qu'elle situe sur de nouvelles bases l'association de ses personnels à l'aventure industrielle.

J'ai parlé tout à l'heure de quitter le système taylorien, qui est d'ores et déjà aujourd'hui largement abandonné, et de passer à un autre système d'enrichissement des tâches et de responsabilisation dans les ateliers. C'est à cela aussi que doit servir l'aménagement du temps de travail. Je ne peux pas dissocier ma vision de l'aménagement du temps de travail de celle de l'évolution de la compétitivité de ces entreprises : le couple " enrichissement du social " et " aménagement du temps de travail " doit être naturellement solidarisé avec les idées de compétitivité et de capacité de conquérir de nouveaux marchés. Et je ne parle pas du rôle que doit jouer l'industrie automobile dans le cadre de l'objectif de création de 350 000 emplois dans le secteur privé.

Je pense personnellement que le programme gouvernemental doit être largement complété par un appel volontaire, contractuel et dynamique au secteur privé et que l'industrie automobile devra y participer.

M. Carassus, il n'est pas avéré que les mesures de soutien du marché soient efficaces. Par exemple, une mesure fiscale spécifique pour encourager la protection de l'environnement, ou la baisse du taux de la TVA - abstraction faite de la " dépense fiscale " particulièrement élevée pour l'Etat - appellerait de ma part les mêmes critiques que celles concernant la " balladurette " ou la " juppette " ; je suis très réservé sur tout système de prime, en raison des engagements de la France auprès de l'Union européenne. Nous nous efforçons donc de limiter toute aide sectorielle, dans le respect des règles européennes, ce qui est très difficile.

S'agissant du réseau commercial, il convient de rappeler que Renault a perdu en 1996 5,2 milliards de francs, d'où la nécessité de mettre en place d'urgence un plan de rationalisation, qui porte notamment sur le réseau commercial. Celui-ci, qui comprend 53 succursales, 24 filiales et emploie 9 000 personnes, a globalement perdu 247 millions de francs en 1996. Il représente entre 25 et 30 % du prix d'un véhicule. Il s'agit donc là de mesures stratégiques pour l'entreprise.

La réorganisation du réseau passe par la création d'un centre de responsabilités autonome pour la fonction " distribution ", afin de faciliter sa gestion et de porter davantage Renault sur ses marchés. C'est pourquoi Renault France Automobiles, filiale à 100 % de Renault, a été créée. J'indique ici que, selon les indications qui m'ont été données par M. Schweitzer lui-même, ce regroupement a lieu sous réserve que les 9 000 salariés qui rejoindront la nouvelle entité, bénéficient de conditions sociales équivalentes. Il a précisé devant les élus locaux qu'il veillerait " à ce que les salariés ne perdent pas les droits et les revenus qu'ils ont aujourd'hui ".

Quant au problème de Béziers, le préfet et moi-même avons eu le souci, comme toujours, de promouvoir avant tout le dialogue entre tous les partenaires. M. Barrau le sait, à la demande du secrétariat d'Etat à l'industrie, de nombreuses réunions à la préfecture et à la direction des ressources humaines de Renault ont été organisées. Dès que deux partenaires acceptent de discuter, ils avancent, et pour avancer, ils doivent bien reconnaître un état de fait. Or, dans ce cas, il s'agit d'une mutation juridique. Nous sommes dans un Etat de droit et cette mutation juridique est une réalité : le groupe Renault Béziers a transféré son activité au groupe Sofiran, présidé par M. Randon. D'autres transferts avaient déjà eu lieu depuis 1990 à Epinal, à Metz, à Grenoble et neuf filiales ont été créées par acquisition de concessions. Il ne s'agit donc pas d'une procédure extraordinaire.

Il faut que les partenaires se rencontrent et discutent sur la base des faits et du droit positif. Le transfert de propriété a bien eu lieu et à partir de là mon rôle, comme celui des parlementaires, consiste à favoriser une discussion permettant d'avancer dans deux directions. Premièrement, que personne à Béziers ne reste " au bord du chemin " et que des solutions individuelles soient trouvées pour les allégements d'effectifs qui auront lieu ; deuxièmement, et peut-être surtout, qu'au-delà de la période d'un an garantie par Renault, pendant laquelle les engagements contenus dans la déclaration de M. Schweitzer s'appliquent pleinement, il puisse y avoir une modification positive pour ce personnel qui a bien servi Renault et a démontré sa conscience professionnelle. On ne peut pas laisser ces personnes dans une situation psychologique telle qu'elles pourraient penser qu'on les " met sur la touche ". Mais ceci ne peut se faire que si la reconnaissance et la volonté de dialogue sont mutuelles et si l'évolution du droit positif, aujourd'hui incontournable et irréversible, est prise en compte.

Je suis intervenu à plusieurs reprises pour que, sur la base de cette reconnaissance juridique, le plus haut niveau de la direction des ressources humaines de Renault reçoive les représentants du personnel et discute. Je sais que M. Barrau, lui aussi, a fait pression en ce sens, afin que Renault, le groupe Sofiran et les représentants du personnel, recherchent une solution de compromis.

Rien ne serait pire que de continuer, en ce début de septembre, à entretenir un conflit. Rien ne peut déboucher s'il n'y a pas une volonté de dialogue. J'en appelle à chacun des partenaires pour que les choses soient clarifiées rapidement, ce qui passe certainement par un geste de chacun. Le préfet, à ma demande, se tient à leur disposition, 24 heures sur 24, pour favoriser cette évolution.

M. Jacques MASDEU-ARUS : M. le Ministre, vous avez largement développé les problèmes de l'industrie automobile, vous avez formulé un diagnostic et je souscris à une grande partie de vos propos. Mais ce sont les solutions qu'il faut mettre en place.

Vous dites notamment qu'il faut être présent à l'extérieur et augmenter nos ventes. Mais vous n'avez pas suffisamment abordé la question du coût de nos véhicules. Nous sommes aujourd'hui dans un marché totalement ouvert et ce sera encore plus vrai en l'an 2000. Il me semble donc primordial de prendre des dispositions pour abaisser nos coûts. Nous savons que la main-d'_uvre représente 65 à 70 % du coût total d'un véhicule.

Par rapport à tous nos concurrents, hormis peut-être l'Allemagne, c'est en France que le nombre d'heures de travail par an est le plus faible. Je ne compare pas avec la Corée ou le Japon, mais avec d'autres pays d'Europe ou avec les Etats-Unis. Comment comptez-vous aborder ce problème avec nos industriels ?

Pour participer depuis de nombreuses années aux discussions relatives à l'automobile, je sais que le problème de la pyramide des âges n'est pas nouveau, que d'autres l'ont rencontré avant nous, aux Etats-Unis notamment ou en Italie, comme Fiat par exemple. Ce problème est un drame dans le secteur automobile parce que les rémunérations des personnels, qui ont trente ans d'ancienneté pour certains, ne sont plus adaptées au marché. On peut le déplorer mais il en est ainsi.

Depuis longtemps, je vis au quotidien les problèmes d'un site automobile. Certaines personnes souhaitant partir à 55 ans viennent me voir pour me demander d'être inscrites sur la liste des plans FNE (Fonds national de l'emploi). Ces personnes ont travaillé dur pendant de nombreuses années et l'industrie automobile contemporaine n'a plus rien à voir avec ce qu'elles ont connu, notamment dans les ateliers de presse ou sur les lignes de montage ou de soudure : auparavant, ce type de travail était extrêmement pénible, ce qui n'est plus le cas aujourd'hui avec l'automatisation et la robotisation. On le sait d'ailleurs, Renault et Peugeot avaient transmis au gouvernement précédent des plans de restructuration.

Il faudra bien aborder le problème. J'ai cru comprendre que les plans proposés par nos deux constructeurs n'avaient pas l'aval de Mme Aubry. Vous avez dit tout à l'heure que vous regarderiez cela de très près. Reprenons l'exemple de Fiat : à une époque, alors que Fiat était quasiment éliminé du marché des constructeurs européens, brutalement 40 000 emplois y ont été supprimés. Aujourd'hui, après une restructuration complète et un certain coût pour l'Etat, l'industrie automobile italienne ne se porte pas trop mal. J'aimerais connaître votre avis sur un sujet qui concerne non seulement nos constructeurs automobiles, mais également nos équipementiers.

Concernant le coût de nos véhicules, ne peut-on pas agir sur les charges patronales ?

Quant aux primes à l'achat, elles ont eu un impact : en permettant aux ménages français de réaliser une économie de 8 000 francs, elles leur ont donné les moyens d'acheter des véhicules. Leurs inconvénients - que l'on constate aujourd'hui - ne doivent pas occulter leurs aspects bénéfiques, ne serait-ce que sur le plan de la pollution, car elles ont permis de renouveler le parc automobile.

Mme Annette PEULVAST-BERGEAL : M. le Ministre, je voudrais faire une remarque, poser une question et émettre un souhait.

Ma remarque concerne la voiture électrique. Vous avez évoqué la contribution des collectivités locales au développement de ce marché. La voiture électrique répond en effet à certains besoins de ces collectivités, mais ce n'est pas à vous, M. le Ministre, que j'apprendrai que les budgets des collectivités locales sont extrêmement serrés actuellement et que le coût de la voiture électrique leur est encore trop élevé. Partenaires intéressés et pleins de bonne volonté, les collectivités locales ne pourront utiliser ces véhicules que lorsque l'Etat fera un geste dans leur direction.

Comment, par ailleurs, encourager les transports en commun, gages d'économies de temps, d'espace et de pollution, et en même temps développer une industrie automobile forte ? Par exemple, les automobilistes conservent aujourd'hui plus longtemps leur voiture, environ sept ans. Ne risquent-ils pas de les garder douze ans si, les transports en commun se développant, ils y recourent plus souvent ?

Quant à mon souhait, il est de favoriser un rapprochement entre le secrétariat d'Etat à l'industrie, plus particulièrement pour ce qui concerne la gestion des problèmes de l'automobile, et le ministère de l'environnement. Nos concitoyens ont l'impression que chacun règle les problèmes qui lui reviennent : d'un côté les constructeurs automobiles et de l'autre, le ministère de l'environnement qui fait ce qu'il peut.

M. Christian PIERRET : Mme la députée, concernant la voiture électrique, nous allons étudier le problème avec l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) et le ministère de l'intérieur.

L'encouragement à l'utilisation des transports en commun notamment par des dispositifs très innovants doit être notre règle.

Je vous remercie, Mme la députée, de souhaiter le rapprochement entre le ministère de l'industrie et celui de l'environnement. Il n'y a pas actuellement " l'épaisseur d'une feuille de papier à cigarette " entre les positions de Mme Voynet et les miennes ; c'est simplement l'appréciation industrielle des problèmes qui nous différencie. Prochainement, nous aurons à prendre en commun des mesures pour répondre à l'attente de nos concitoyens en matière de pollution. Je souhaite une utilisation plus rationnelle de l'ensemble des modes de motorisation des véhicules privés et de l'ensemble des carburants.

Chaque membre du Gouvernement est d'accord avec moi sur ce point, il n'y a pas de stigmatisation du diesel, puisque comme vous le savez, la plupart des parcs européens enregistrent une croissance de la part de voitures utilisant ce carburant, quelques pays d'ailleurs ayant recours à des incitations. Il serait donc totalement erroné d'opposer le diesel et l'essence, car ce que nous appelons de nos voeux, c'est le développement du secteur de l'automobile. Des progrès doivent être accomplis dans les deux types de motorisation. Je rappelle que le diesel, eu égard à l'environnement, possède un certain nombre d'avantages. Dans le cadre du programme européen " Auto oil ", il a été démontré que le gazole amélioré pouvait voir son niveau de particules baisser de 30 %. Les bilans d'émission en oxyde d'azote et en hydrocarbures sont comparables pour les motorisations diesel et essence. Par contre, l'essentiel des particules émises par les voitures le sont par des véhicules diesel. Le problème est là : deux tiers des microparticules inférieures à 10 microns sont émises par les voitures diesel.

Des solutions techniques sont à développer : des pièges à particules ou d'autres systèmes qui consistent à utiliser des catalyseurs pour diesel qui, lorsqu'ils seront introduits dans les prochaines années, vont réduire de 50 % l'émission de particules.

Enfin et surtout, l'émission de CO2 par le diesel est très inférieure à celle de l'essence. Si l'on veut développer une approche cohérente des questions d'environnement (en particulier celle relative à l'effet de serre), nous devons donc réduire les émissions de CO2 et l'utilisation du diesel est un facteur positif à cet égard.

Nous avons la possibilité de poursuivre le progrès technique dans le domaine des moteurs diesel. Je le répète, le taux de diésélisation progresse, de manière parfois exponentielle, en Allemagne, en Espagne, en Italie, au Danemark, en Finlande, en Suède et au Luxembourg. Les nouvelles technologies, la baisse de la consommation des nouveaux moteurs diesel, l'utilisation de moteurs diesel suralimentés (qui accroissent à la fois la puissance et le couple, ce qui permet une meilleure utilisation du moteur), les turbocompresseurs à géométrie variable, l'ensemble des dispositifs anti-pollution liés au diesel sont autant d'éléments qui m'incitent à corriger le jugement néfaste porté par certains il y a quelques années et qui consistait à rejeter le diesel pour prôner l'essence. Soyons objectifs : dans les deux cas, il y a une pollution ; dans les deux cas, il faut promouvoir de nouveaux véhicules et favoriser les transports en commun.

Mon ministère sera le premier à vraiment consacrer de très importants moyens à la recherche et au développement concernant ces nouvelles technologies et ces nouveaux modes de transport. Mais convenons qu'il est complètement erroné de diaboliser le diesel par rapport à l'essence et que ce problème de société doit être inclus dans une vision globale des questions de transport.

Le problème du coût de nos véhicules est, à mes yeux, fondamental. Plusieurs économies sont envisageables. Tout d'abord, il est possible d'agir au stade des frais de fabrication, qui représentent 25 % du prix de revient d'un véhicule. L'objectif des constructeurs français est de réduire la durée de développement des nouveaux modèles. J'ai cité tout à l'heure Mazda, Renault et PSA. Il est possible aussi de systématiser pour la conception des nouveaux véhicules la constitution d'" équipes projet ", ce qui est très novateur et se pratique déjà au Japon. Cette méthode permet de relier les différents métiers du constructeur - études, achats, méthodes - et les équipementiers, dans une ingénierie simultanée. Cela suppose une autre conception de la fabrication des sous-ensembles et des composants, liant intimement des entreprises très différentes qui peuvent concourir aux mêmes progrès technologiques.

Je reviens sur quelques chiffres : PSA prévoit une baisse du prix de revient de ses véhicules de 25 % d'ici à l'an 2000 et Renault envisage une baisse de 3 000 francs par véhicule.

Mais, sans être pessimiste, ce que je ne suis pas, il faut reconnaître que nous partons d'un peu loin en matière de fabrication et de valeur ajoutée. Observons à cet égard quelques chiffres prenant pour base 100 l'indice de valeur ajoutée par travailleur aux Etats-Unis chez Chrysler et Ford : chez Toyota, il est de 140, soit 40 % de productivité du travail en plus. Chez les autres constructeurs japonais, il est de 110. Malheureusement, en moyenne, en Europe, l'indice de valeur ajoutée par travailleur est de 80. La différence entre le meilleur mondial et les constructeurs français est donc de 60. Il nous faut donc chercher à réduire nos coûts, à produire de plus en plus de valeur ajoutée par travailleur, à rationaliser la production et encourager la recherche-développement. C'est tout simplement une question de vie ou de mort de notre industrie automobile. Si nous ne le faisons pas, nous serons condamnés par l'évolution économique.

Nous devons aussi chercher à réduire les frais d'achats, qui représentent 50 % du prix de revient. Les deux constructeurs français veulent diminuer ce poste de 10 milliards de francs pour Renault et de 25 % pour PSA, en standardisant les éléments et en sous-traitant davantage la construction de sous-ensembles, ce qui intéresse nos régions et, par conséquent, vous tous qui êtes présents. Ils souhaitent également instaurer un véritable partenariat avec une trentaine d'équipementiers de premier rang, pour les encourager à proposer des suggestions d'économies. Renault doit avoir à peu près 500 fournisseurs aujourd'hui. Il est donc temps que la régulation entre les fournisseurs ou les sous-traitants, d'une part, et le donneur d'ordres, le constructeur automobile, d'autre part, repose sur d'autres méthodes, en intégrant ces co-contractants dans le processus même de conception et de fabrication d'ensembles complets.

Enfin, ils doivent réduire les frais de distribution, qui représentent également 25 % du prix de revient d'un véhicule.

Annexe 1

Annexe 2

Annexe 3

Annexe 4

Annexe 5

Annexe 6

Annexe 7

Annexe 8

Annexe 9

Annexe 10

Audition de M. Louis SCHWEITZER,

Président-directeur général de Renault

(procès-verbal de la première séance du 3 septembre 1997)

Présidence de M. Daniel PAUL, Président

puis de M. Jacques MASDEU-ARUS, Vice-président

M. Louis SCHWEITZER : Je souhaite faire un exposé introductif non pas sur l'ensemble des questions relatives à l'automobile, le sujet serait très vaste, mais beaucoup plus modestement sur l'entreprise Renault dans le monde, et parler de nos ambitions, de notre stratégie.

Renault est une entreprise presque centenaire - elle fêtera ses cent ans l'année prochaine - qui exerce un métier, la fabrication d'automobiles et de poids lourds.

Nous sommes la deuxième entreprise industrielle française, mais nous sommes, dans notre métier, un poids moyen. Par rapport aux chiffres d'affaires des grandes entreprises automobiles du monde, Renault se situe, comme PSA d'ailleurs, aux environs du dixième rang.

Etant un poids moyen, nous n'avons pas droit à la médiocrité, parce que nous ne pouvons pas compter sur la taille, sur un effet de volume pour résoudre des difficultés. Face à cette situation, Renault a une stratégie qui peut se résumer en deux idées simples : l'excellence du produit et la recherche d'une croissance rentable.

L'excellence du produit, d'abord. Il y a dix ou quinze ans, Renault n'avait pas une réputation de qualité irréprochable. Depuis, nous avons fait des progrès. Nous avons atteint - nous ne pouvons malheureusement pas montrer les chiffres parce que ce sont des informations que les constructeurs se partagent entre eux - un niveau de qualité qui nous place au premier rang sur nos marchés en Europe. Il faut le dire clairement, il n'y a pas une qualité allemande et une qualité française. Il y a une qualité française qui est au premier rang en Europe, notamment grâce à Renault. En revanche, et c'est un point important, notre image de qualité est toujours décalée par rapport à l'image allemande. Autrement dit, le poids du passé pèse encore sur notre image.

Un deuxième facteur d'excellence du produit - je n'insiste pas longtemps mais c'est un atout essentiel de Renault - tient à son originalité. Dans ce paysage mondial où il y a de plus en plus de constructeurs, de plus en plus de marques, un constructeur ne peut, selon moi, réussir que s'il apporte quelque chose de différent des autres, quelque chose qui innove. Innover, ce n'est pas nécessairement intégrer de plus en plus d'électronique ou de technologie, c'est aussi développer des concepts nouveaux. Quand on fait la Twingo, quand ont fait l'Espace, quand on fait la Scénic, nous faisons quelque chose que nos concurrents n'ont pas encore fait. Aucune industrie, aucune activité ne peut réussir si elle n'innove pas. Et l'une des forces de Renault, me semble-t-il, est cette capacité d'innovation.

Le troisième élément pose plus de questions, et nous en parlerons donc plus longuement, c'est le problème de la compétitivité en termes de coût.

(Présentation d'un document sur l'indice des prix de Renault en Europe) (9)

L'indice des prix pratiqués par Renault en francs constants indique que, jusqu'en 1992, les prix des automobiles - ce sont ici les prix de Renault, mais ce serait vrai pour n'importe quel constructeur - croissaient chaque année en francs constants. Autrement dit, jusqu'à cette date, nous offrions des voitures à la qualité sans cesse améliorée, de plus en plus équipées, mais également de plus en plus chères. En 1992, il y a une rupture. Cette rupture tient à l'éclatement, si l'on peut dire, du système monétaire européen cette année-là. La livre sterling, la lire italienne ont brusquement chuté, créant des écarts de prix en baissant les prix du marché dans certains pays.

Cette évolution s'est ensuite poursuivie, pour d'autres raisons qui tiennent à l'accroissement de la concurrence, aux surcapacités de production, au fait que les consommateurs sont plus exigeants sur le critère prix parce qu'ils sont plus inquiets sur leur avenir. Selon notre hypothèse de travail, cette rupture de 1992 n'est pas accidentelle et les prix de vente de l'automobile vont diminuer de façon durable. L'élément coût devient donc un élément tout à fait essentiel de la compétition.

Pour faire face à cette rupture, nous avons engagé, début 1996, un programme consistant à faire 3 000 francs d'économies par voiture d'ici à la fin de l'année 1997 et nous les ferons.

Mais l'effort ne peut pas s'arrêter à cette date. Nous avons donc engagé un second programme ayant pour objet de réaliser d'ici à l'an 2 000, 20 milliards de francs d'économies, en base annuelle. Ces 20 milliards de francs d'économies portent sur l'ensemble des éléments de coût.

(Présentation d'un document sur la décomposition des coûts d'une automobile) (10)

Le coût d'une automobile se décompose en plusieurs postes. Il y a d'abord la TVA dont le montant varie avec le coût des autres éléments. Il y a ensuite les coûts de distribution : ils représentent plus du tiers du prix hors taxe. Il faut préciser que ces coûts de distribution intègrent les rabais aux clients. Autrement dit, si la base 100 représente le " prix catalogue ", les coûts réels de distribution sont inférieurs puisque, vous le savez, peu de clients partent aujourd'hui de chez leur concessionnaire sans avoir obtenu de rabais. Donc, il faut le savoir, nous dépensons de l'argent pour permettre aux concessionnaires de faire ces rabais.

Il y a aussi les frais généraux et financiers qui sont relativement peu importants (6 % des coûts hors taxe). Viennent enfin les coûts de fabrication proprement dits. Les deux tiers à peu près des coûts de fabrication sont constitués par les achats à l'extérieur. Autrement dit, si le prix de fabrication d'une voiture sortie d'usine est de 100, sur ces 100, 65 à 70 sont des achats à nos fournisseurs, et 30 à 35 sont des coûts internes de Renault. Donc, notre programme d'économies de 20 milliards de francs ne porte pas sur une seule, mais sur l'ensemble des rubriques de coûts, sauf les rabais, hélas, qui ne dépendent pas de notre action. Ainsi, sur ces 20 milliards de francs, 10 milliards viennent des achats et une part significative provient de la logistique, des coûts de distribution, etc.

Notre ambition est d'être, à l'horizon 2000, le constructeur le plus compétitif en Europe. Pourquoi 2000 ? Parce que c'est un moyen terme et que c'est l'échéance à laquelle nous pensons ne plus avoir de protection vis-à-vis de nos concurrents, d'où qu'ils viennent. Nous sommes en effet convaincus que nos parts de marché en Europe seront, à cette date, très largement fonction de notre capacité à être compétitifs en termes de coûts.

Nos efforts porteront sur tous les domaines, mais la maîtrise des coûts de main-d'oeuvre et des coûts de fabrication de Renault pose un problème particulier. Nos perspectives de croissance en Europe ne sont pas très fortes, j'y reviendrai tout à l'heure. Or, nous devons faire des efforts de productivité de 6 à 7 % par an au minimum si nous voulons atteindre notre objectif, c'est-à-dire être compétitifs en Europe et défendre nos parts de marché à l'horizon de l'an 2000.

Pour y parvenir, nous nous heurtons à une difficulté, d'ailleurs commune aux constructeurs français, à savoir la structure d'âge de notre personnel.

(Présentation d'un document sur l'âge moyen du personnel dans les usines européennes) (11)

Chez Renault et PSA, la population est beaucoup plus âgée que chez leurs concurrents actuels en Europe. Or, il faut le savoir, cette population plus âgée connaît des problèmes non seulement d'adaptation, d'aptitude physique, mais aussi, on y pense moins, de mémorisation. On imagine souvent que, dans une usine, on fabrique des voitures qui se ressemblent toutes. En fait, dans une usine comme Flins qui produit uniquement des Clio et des Twingo, il y a des milliers de modèles différents. Les problèmes de mémorisation sont donc très importants.

(Présentation d'un document sur la pyramide des âges de l'usine de Sandouville) (12)

Examinons plus précisément maintenant le cas de l'usine de Sandouville, car il illustre ce problème à l'extrême. L'âge moyen des hommes et des femmes de cette usine est de quarante-six ans et le premier décile est à trente-neuf ans. Cela veut dire que 10 % seulement des ouvriers de Sandouville ont moins de trente-neuf ans. Il y a à l'évidence un problème de renouvellement de notre population. Par ailleurs, personne n'a plus de cinquante-sept ans. De fait, depuis nombre d'années, nous bénéficions - comme tous nos concurrents européens, que ce soit Volkswagen, Fiat, nos concurrents installés en Belgique ou ailleurs- de préretraites. Autrement dit, personne ne partira " naturellement " en retraite. Il n'y a donc pratiquement pas de turnover chaque année.

Le problème est double : la population vieillit et les départs naturels ne se produisent pas. M. le secrétaire d'Etat à l'industrie l'a, je crois, évoqué devant vous. Mon collègue de PSA et moi-même avons eu l'occasion de le présenter au Gouvernement français.

(Présentation d'un document sur l'effet du contrat GM Europe sur la production et la pénétration de Renault) (13)

Cela dit, les efforts d'économies ne se bornent pas à la réduction des effectifs et des coûts d'achat. Ils sont aussi soutenus par des efforts de coopération. Les effets du contrat conclu avec General Motors Europe sont, à cet égard, édifiants tant pour la production que pour la pénétration de Renault en Europe. Il s'agit d'un accord récent signé avec General Motors Europe pour faire des véhicules utilitaires, mais toute autre action de coopération menée par exemple avec PSA produit les mêmes effets. Ces actions nous permettent, en partageant des frais de développement et d'étude, en rationalisant des coûts, d'étendre à la fois notre gamme, parce que nous pouvons faire des produits que nous n'aurions pas pu faire sans cela, et de réduire nos coûts, puisque ramenés par unité, les coûts de recherche et de développement sont moindres.

La coopération avec General Motors permet donc à Renault d'accroître ses parts de marché et à notre usine de Batilly, en Lorraine, d'avoir des perspectives de croissance de production beaucoup plus significatives.

La coopération me permet de faire la transition entre les deux volets de notre stratégie : l'excellence du produit et la recherche de la croissance, puisque, je l'ai dit, Renault n'étant qu'un " poids moyen " de l'industrie automobile mondiale, la question de sa croissance se pose. Celle-ci peut avoir lieu en Europe et hors d'Europe, et je traiterai ces deux points.

Il faut avoir conscience que cette croissance ne viendra pas des marchés traditionnels. Certaines industries ont la chance d'être sur des marchés où les rythmes de croissance sont de 10, 15, 20 % par an. Ce n'est pas le cas de l'industrie automobile en Europe.

(Présentation d'un document MTM France-VP) (14)

De 1975 à 1990, le marché français a cru régulièrement. En 1990, nous avons atteint notre niveau record avec 2 300 000 véhicules immatriculés. Notre prévision de marché pour 1997 est de 1 750 000 véhicules. D'où cette idée : il n'y a plus de croissance sur notre marché national.

(Présentation d'un document MTM -VP + VU- Union européenne 15 pays) (15)

Le marché européen a lui aussi connu des années de croissance, le niveau record étant atteint en 1992 (près de 15 millions de véhicules). La prévision d'un marché en expansion continue faite en 1991 par l'ensemble des pays et des constructeurs européens, dans le cadre de l'accord Union européenne-Japon a été infirmée. Aujourd'hui, si tout se passe bien, nous espérons retrouver en 1999 le niveau de 1992.

Le marché européen a donc connu, en même temps que la cassure des prix de 1992, une cassure de sa croissance. Et c'est une difficulté supplémentaire pour notre entreprise.

(Présentation d'un document sur l'âge moyen des parcs VP Europe-Japon-USA) (16)

Pourquoi ce marché européen ne croît-il pas ? D'abord, parce que c'est un marché de renouvellement. Mais s'y ajoute un autre facteur sur lequel je voudrais attirer l'attention : c'est un marché où le parc vieillit, c'est-à-dire où l'âge moyen des automobiles augmente. Les Japonais ont un parc beaucoup plus jeune que le nôtre. Des mécanismes de contrôle technique, pensons-nous, jouent un rôle significatif. Aux Etats-Unis, au contraire, le parc est beaucoup plus âgé que le nôtre. Mais ce qui, pour nous, est préoccupant, c'est l'accroissement régulier de l'âge moyen du parc européen. Cela a bien sûr un effet négatif pour les constructeurs. Quand de nouvelles normes d'émissions de substances polluantes, de bruits, de consommation sont définies, cela améliore certes les véhicules, mais cela a également un impact sur les prix qui risque de ne pas inciter les consommateurs à changer de voiture.

Pour résumer, ce n'est pas de l'Europe que nous espérons notre croissance. Nous pensons demain, comme aujourd'hui, défendre une part de marché en Europe oscillant entre 10 et 11 %. C'est déjà une ambition car cela implique, alors qu'il y a de plus en plus d'acteurs, que notre part de marché soit maintenue. C'est pourquoi nous faisons des efforts de conquête en Allemagne, en Grande-Bretagne, aux Pays-Bas, etc., pour affermir cette part de marché de 10 à 11 %. Mais, je le répète, ce n'est pas de là que viendra la croissance.

(Présentation d'un document sur le marché mondial VP + VU) (17)

La croissance viendra donc de l'expansion hors d'Europe. On le voit, aujourd'hui, 80 % des automobiles du monde sont vendues en Amérique du Nord, en Europe de l'Ouest et au Japon. Autrement dit, 20 % de la population du monde consomment 80 % de la production automobile mondiale. Or, sur ces zones, les perspectives de croissance sont quasiment nulles à un horizon de quinze ans. Par conséquent, si nous voulons trouver des perspectives de croissance, il faut être présent dans tous les marchés n'ayant pas encore accédé à la civilisation automobile ; en Europe de l'Est, où Renault fait un effort de développement vers la Pologne, la République tchèque, la Hongrie, et - c'est encore un projet - vers le marché russe, lequel deviendra un des grands marchés de l'Europe de demain ; en Amérique latine, zone importante de développement où nous venons d'ouvrir un site industriel, au Brésil pour être précis ; plus difficilement en Asie, hors Japon, le marché coréen par exemple étant complètement fermé. Si nous voulons que notre entreprise se développe, il faut chercher la croissance sur ces nouveaux marchés.

Ce n'est pas de la délocalisation, dans la mesure où l'on a intérêt à fabriquer le produit automobile près des lieux de consommation, à cause de la diversité automobile et des coûts de transport d'une voiture complète, qui est un objet volumineux et délicat car les clients n'acceptent pas la moindre imperfection. Cela veut dire que si vous voulez vendre en Europe occidentale, il faut fabriquer en Europe occidentale. D'ailleurs, les Japonais et les Coréens ne s'y trompent pas qui viennent s'installer en Europe occidentale. Si vous voulez vendre en grande quantité en Amérique du Nord, il faut s'installer en Amérique du Nord. D'ailleurs, les Japonais ne s'y trompent pas qui fabriquent en Amérique du Nord. Si vous voulez vendre au Japon en grande quantité, il faut fabriquer au Japon. D'ailleurs, les Japonais ne s'y trompent pas puisque personne d'autre que les Japonais n'est installé au Japon. Par conséquent, si nous voulons nous développer ailleurs qu'en Europe, l'objectif est de pouvoir fabriquer ailleurs qu'en Europe. Si nous voulons vendre au Brésil, il faut fabriquer au Brésil, étant observé que nos fabrications brésiliennes utiliseront des moteurs et des composants qui viendront d'Europe occidentale ainsi que des compétences techniques et des forces d'ingénierie qui, elles, sont installées dans la région parisienne. La concurrence coréenne la plus inquiétante est moins celle des constructeurs Coréens fabriquant en Corée que celle des Coréens fabriquant en Pologne. De même, si nous voulons être un acteur en Russie, au Brésil ou en Asie, nous ne pouvons pas l'être seulement à partir de l'Europe occidentale, mais en devenant des acteurs locaux.

Tels sont, M. le Président, les défis que nous devons relever. La situation n'est peut-être pas facile, mais je regarde l'avenir de Renault avec beaucoup de confiance. Car les femmes et les hommes qui travaillent chez Renault ont à la fois une compétence et un engagement exceptionnels dans l'entreprise. L'histoire de Renault a déjà presque cent ans. Et, au cours de ce siècle, celle-ci s'est écrite à travers sa marque, ses produits, sa culture. Evidemment, il y a parfois des problèmes, mais je pense que cette richesse humaine fait que nous pouvons affronter notre second centenaire sans inquiétude.

M. le Président : Un certain nombre de marques concurrentes de Renault - je pense à certaines marques européennes - ont fait de la préservation de leur marché national ou de leur présence forte sur le marché national un de leurs objectifs premiers. Renault semble ne pas avoir fait de cette présence son objectif premier ou du moins, s'il l'a fait, ne pas l'avoir atteint, puisque la part de cette entreprise dans le marché français continue de baisser pour s'établir actuellement aux environs de 30 %. Cette remarque vaut également pour Peugeot. Le taux de pénétration des marques étrangères ne cesse de croître sur le marché national. Celui-ci ne serait plus un marché de développement, mais un marché de renouvellement. Toutefois, dans le quartier où j'habite - et ce n'est certainement pas un cas unique - une enquête menée auprès de ménages indique que seulement 42 % d'entre eux disposent d'un véhicule. Il y a encore des potentialités. Ma question est la suivante, M. le Président : pour quelle raison le groupe Renault a-t-il fait le choix de ne pas préserver avec force son marché national qui fut, pendant ce premier siècle d'existence auquel vous avez fait allusion, la richesse de Renault ?

M. Louis SCHWEITZER : Votre question est importante, mais je ne suis pas sûr d'être tout à fait d'accord avec votre formulation.

Nous nous efforçons de maintenir notre part dans le marché national. Il est vrai que Renault faisait 40 % du marché national, comme vous l'avez rappelé, au début des années 1980. Mais cette période a été relativement brève. Cette part de marché s'est érodée parce que les clients français ont eu le sentiment que certains concurrents leur offraient plus de qualité que nous. Objectivement, quand on regarde les enquêtes qui ont été effectuées, cela nous a coûté cher. C'est tellement vrai que la Renault 19 a vu ses ventes relancées en France quand on a dit aux Français : " Achetez une Renault 19, les Allemands les achètent ! " C'est un constat, irritant dans son principe : les Français avaient le sentiment que la référence de qualité était allemande. Notre part de marché s'élève très exactement, fin août, à 26,9 %. Elle est en progrès par rapport à celle de l'année dernière et notre objectif est de rester aux environs de 30 %. Il faut savoir que tous les constructeurs européens, dans tous les pays d'Europe, perdent des parts de marché sur leur marché national. Il y a donc un rééquilibrage des parts de marché en Europe, tout simplement parce qu'un " patriotisme de marque " qui existait au niveau national il y a dix ou vingt ans s'exprime maintenant au niveau européen. Les gens ont peut-être maintenant mauvaise conscience d'acheter japonais ou coréen, mais ils n'ont pas le sentiment d'être de mauvais citoyens en achetant européen.

La part de marché de Volkswagen en Allemagne décroît, de même que celle de Ford en Grande-Bretagne et celle de Fiat en Italie. Il y a une certaine érosion qui tient au fait que la conception du marché intérieur évolue du marché national, au sens strict, au marché européen. Il nous faut donc passer d'une situation qui était la nôtre il y a quelques années où nous détenions moins de 5 % de parts de marchés dans tous les pays d'Europe du nord, à une pénétration plus équilibrée. Mais, je le répète, notre objectif n'est pas d'accepter la baisse du marché national. Concernant la courbe des prix, vous avez constaté une cassure des prix de vente en 1996. Peut-être vous le rappelez-vous, j'avais déclaré, début 1996, que les Français trouvaient leurs voitures trop chères. C'était en effet notre analyse. La seule façon de maintenir ou de développer nos parts de marché en France consiste à réduire les prix de vente de nos automobiles. Nous avons lancé, au 1er octobre 1996, une nouvelle politique commerciale, s'accompagnant d'une baisse du prix de vente de nos automobiles en France. Au 1er juillet dernier, nous n'avons pas augmenté nos prix, comme le prouvent ceux proposés pour la Mégane. Nous serons même amenés à baisser le prix de certains véhicules. Bref, il nous semble que le point d'appui d'une reconquête du marché français consiste à ne pas avoir des prix supérieurs à ceux de nos concurrents. Mais parce que le prix client procède du prix fabricant, cela nous renvoie au problème de compétitivité sur lequel j'ai assez longuement insisté dans mon exposé.

M. le Rapporteur : M. le Président, vous nous avez fait un exposé clair de la situation et de la stratégie de Renault. Je vous demanderai volontiers de développer deux points que vous avez abordés et peut-être, dans le délai qui nous est imparti, d'en évoquer un troisième.

Le premier point concerne la concurrence extérieure non européenne et le problème japonais et coréen que vous avez abordé, mais sur lequel je souhaite que nous allions un peu plus loin.

En première analyse, on peut considérer que le problème japonais est aujourd'hui moins aigu qu'on ne l'entend parfois dire. Si l'on raisonne en parts de marché et en termes d'immatriculations européennes, la situation est moins préoccupante que celle envisagée par certains lors de la signature de l'accord Union européenne-Japon. Les Coréens pénètrent le marché européen un peu plus vite que ce que nous imaginions il y a sept ou huit ans, mais l'addition des parts de marché des constructeurs asiatiques reste, pour l'instant raisonnable.

Vous nous avez dit que vous vous prépariez à la nouvelle donne de la concurrence qui sera en vigueur à partir de 2000. Notre mission parlementaire doit essayer d'imaginer ce qui va se passer après l'expiration de l'accord existant aujourd'hui avec le Japon et en l'absence d'accord avec la Corée. A cet égard, votre point de vue est d'un grand intérêt pour nous.

Je me suis plongé, ces derniers jours, dans le contenu de l'accord entre les Etats-Unis et le Japon. C'est très subtil, car, contrairement à l'accord Union européenne-Japon, il n'y a pas de quotas d'importation, de production, même s'il y a également des zones d'ombre dans l'arrangement entre Européens et Japonais. Et si l'on y prête un peu d'attention, c'est loin d'être négligeable, notamment si l'on raisonne à travers ce que vous avez appelé les achats. Il y a quand même des obligations de rééquilibrage d'un certain nombre de choses.

Je ne dis pas que ce soit de votre responsabilité directe, M. le Président, mais quel prolongement souhaitez-vous voir donner, soit au niveau français, soit plus probablement au niveau européen, aux accords existants ou aux absences d'accords, en tenant compte des contraintes du commerce mondial telles qu'elles existent aujourd'hui et à la lumière de quelques autres expériences qu'il ne faut pas sous-estimer ?

Ma deuxième question portera sur la compétitivité. J'emploie ce mot à dessein, en laissant de côté les variations monétaires et les niveaux des salaires. Je parle en termes d'heures nécessaires pour faire une voiture. Vous avez évoqué un certain nombre de perspectives - 6 ou 7 % de gains de productivité par an -, vous avez abordé les problèmes d'âge. Vous n'avez pas parlé d'autres procédures qui ont été employées depuis le début de l'année, c'est-à-dire des fermetures de sites ou des plans sociaux qui sont également une façon de traiter le problème effectif des gains de productivité. Je voudrais vous demander si vous étudiez - je parle là de Renault - d'autres expériences conduites en Europe, notamment celle de Volkswagen. Peut-on imaginer traiter cet aspect du problème autrement qu'à travers des licenciements ou des mesures d'âge, mais à travers des procédures d'organisation du travail, de réduction de la durée du travail ? Il serait intéressant de savoir quelles leçons vous tirez de ce qui se passe ailleurs.

Ma dernière question sera brève, mais la réponse sera probablement plus longue.

Vous nous avez parlé du présent de Renault. J'imagine qu'une entreprise comme la vôtre est obligée de raisonner à dix ans. Que pensez-vous des véhicules fonctionnant au GPL, des véhicules électriques ou des véhicules intelligents ? Je ne vous demande pas, bien sûr, de nous livrer des secrets d'entreprise. Mais, pour des raisons de pollution, de conception de la ville, d'équilibre entre transports individuels et transports collectifs, il y aura des mutations de société d'ici dix ans. Je suis persuadé que vous y réfléchissez. Que pouvez-vous nous dire sur ce sujet ? En effet, notre mission ne veut pas se contenter d'examiner les problèmes à très court terme.

M. Louis SCHWEITZER : Sur le premier sujet, vous avez raison de souligner qu'en tant qu'industriel, je dois prendre en compte l'hypothèse selon laquelle il n'y aura plus aucune protection au niveau européen contre les Japonais, contre les Coréens ou contre toute forme de concurrence, même inéquitable. Je n'ai pas le droit de mettre en jeu l'avenir de l'entreprise en pariant sur la réalisation d'un événement aussi aléatoire qu'un accord résolvant ces problèmes. Cela ne veut pas dire que les problèmes ne sont pas réels. Autrement dit, si nous regardons aujourd'hui l'équilibre des flux Japon-Europe, Corée-Europe, nous constatons un déséquilibre évident. La mission me croira sur parole si je lui dis que ce déséquilibre ne paraît pas s'expliquer par un écart de compétences entre les constructeurs de ces différents pays. Il y a, de toute évidence, des règles du jeu qui ne sont pas parfaitement équilibrées.

Vous avez cité l'exemple des Etats-Unis. Effectivement, les Etats-Unis ont une capacité de négociation, que ce soit avec le Japon ou avec la Corée, plus politique que strictement juridique. Le Gouvernement américain, se concertant avec les trois grands constructeurs américains, définit un certain nombre d'objectifs et défend ces objectifs par des moyens qui ne sont pas uniquement juridiques. Les règles du commerce mondial font d'ailleurs que les instruments strictement juridiques sont d'un emploi extraordinairement difficile et lent.

Nous n'avons pas la même situation au niveau européen, d'abord parce que, là où il y a un gouvernement américain et trois constructeurs américains qui ont des intérêts finalement assez similaires et sensiblement la même approche du monde, il y a une situation plus disparate en Europe avec des divergences d'intérêts beaucoup plus fortes chez les constructeurs et des différences d'appréciation encore plus importantes chez les Etats. Il y a des pays constructeurs et des pays non constructeurs qui n'ont pas les mêmes vues. Parmi les pays constructeurs, certains sont des pays d'accueil - je pense à la Grande-Bretagne -, d'autres ont une véritable industrie nationale - je pense à l'Allemagne, à la France ou à l'Italie - et ceci crée des divergences de vues. En fait, le premier problème de toute négociation avec le Japon ou la Corée, ce n'est pas de négocier avec les intéressés, c'est de se mettre d'accord sur une position européenne. Or, aujourd'hui, je constate que cet accord n'existe pas. En ce qui concerne les constructeurs européens, ils se concertent et ont pour objectif d'arriver, au moins à leur niveau, à une position commune sur ce point d'ici la fin de l'année. Mais il y a un déséquilibre évident qui est très difficile à saisir. On ne parvient pas à expliquer clairement pourquoi on ne vend pas de voitures européennes en Corée. Il est vrai que, pour un Coréen, le fait d'acheter une Renault serait très mal perçu. Par conséquent, il n'en achète pas.

Concernant la compétitivité, vous avez fait allusion au fait qu'elle s'est effectivement traduite par des réductions d'effectifs et des fermetures de sites.

Je voudrais souligner que la fermeture de sites n'est pas une façon de résoudre des problèmes d'effectifs. C'était en l'occurrence une manière de traiter un problème structurel de Renault. Nous avions un appareil de production plus dispersé que celui de nos concurrents et c'était un handicap structurel, indépendamment de toute question d'effectifs. Cela dit, nous avons un problème d'effectifs, pour lequel nous n'avons pas de solution miracle. On cite souvent l'exemple de Volkswagen, que nous étudions avec beaucoup d'intérêt. L'évolution des effectifs de Volkswagen en Allemagne, depuis une dizaine d'années, est identique à celle des effectifs de Renault en France. Autrement dit, il n'y a pas de système où un constructeur sache traiter le problème de la compétitivité sans traiter un problème d'effectifs.

En revanche, deux systèmes ont été utilisés en Allemagne par Volkswagen et d'autres constructeurs. Des systèmes de réduction de la durée du travail d'une part et des systèmes employant plus de souplesse - n'employons pas le mot " flexibilité " - dans la répartition des heures de travail dans l'année d'autre part. C'est ce que nous appelons quelquefois annualisation, mais qui, en Allemagne, va plus loin, puisqu'on peut capitaliser ses heures de travail au-delà d'une année. Et ce qui compte pour nous, ce n'est pas une saisonnalité, c'est le fait qu'il y ait des cycles hauts et des cycles bas. Des accords ont été signés en ce sens chez Volkswagen, BMW et d'autres, qui se sont traduits par une réduction de la durée du travail et par plus de souplesse dans la répartition des séances de travail.

Je ferai deux remarques complémentaires.

Premièrement, dans le cas de Volkswagen, cela s'est aussi traduit par une réduction significative des ressources des salariés. Or, je ne suis pas sûr que ce genre de négociation soit tout à fait réalisable en France aujourd'hui.

Deuxièmement, nous avons mis en place chez Renault un certain nombre d'accords d'annualisation ou de flexibilité à Sandouville, à Cléon, à Douai, à Maubeuge, etc.... Les résultats sont satisfaisants et se sont traduits par une réduction de la durée annuelle du travail, des recrutements, une augmentation des ressources des salariés et un gain pour l'entreprise.

Nous avons ainsi réussi à instaurer, au niveau des établissements, des accords que j'appelle " gagnants-gagnants ", signés dans la plupart des cas avec les organisations syndicales. Toutefois, dans le cas de Cléon, nous n'y sommes pas parvenus.

Le dernier point que vous avez évoqué, M. le Rapporteur, portait sur les nouvelles énergies et les nouveaux véhicules.

Sur le véhicule intelligent et les pilotages, nous avons montré un certain nombres d'innovations au Salon de Paris. Nous avons l'impression de ne pas avoir de retard sur nos concurrents. Nous voudrions commercialiser sur la Scénic des systèmes de guidage avec écran. Nous intégrons cela dans tous nos véhicules. Nos projets sont parallèles à ceux des autres constructeurs.

M. le Rapporteur : A quel horizon ?

M. Louis SCHWEITZER : L'horizon est très variable selon les objets. Nous commercialisons, cette année, des systèmes de pilotage, avec un écran à bord pré-installé sur nos véhicules. Le rythme de développement prendra du temps, car il y aura d'abord une période d'apprentissage et la croissance des volumes sera progressive. Mais très probablement, comme, par exemple, pour les téléphones mobiles, les prix se diviseront par cinq ou par dix d'ici dix ou quinze ans. Nous avons déjà des réalisations-pilotes accessibles aux clients, mais qui sont commercialisées à un prix variant de 10 à 15 000 francs ; la plupart des clients considèrent que c'est un luxe. Quand elles seront offertes pour le prix d'une radio, à l 000 ou 1 500 francs, nous aurons beaucoup plus d'acheteurs. Il y a une autre étape dans le domaine électronique concernant le véhicule intelligent, c'est la voiture qui prend le relais du pilote, c'est-à-dire que le conducteur n'agit plus.

Mais là, la difficulté réside dans le changement de responsabilité. Nous avons, hélas, aujourd'hui de nombreux accidents automobiles. Je pense que l'électronique pourrait contribuer à en réduire le nombre. Mais la responsabilité passerait du pilote au constructeur. Or, cela pose des problèmes très difficiles à traiter, qui sont autant juridiques que techniques.

Concernant le GPL, on parle quelquefois du lobby automobile et j'avoue humblement que j'ai fait acte de lobbying fortement sur deux sujets dans ma vie : pour accroître l'avantage du super sans plomb par rapport à l'essence plombée et pour obtenir une baisse de la fiscalité sur le GPL. Sur le premier point, nous avons obtenu des résultats qui ont été partiellement remis en cause et je le regrette. Sur le second point, nous avons remporté un avantage et la balle est dans notre camp. Nous nous efforçons donc d'offrir une gamme complète de véhicules fonctionnant au GPL : ce carburant est significativement moins polluant que l'essence ou le gazole et il est fiscalement intéressant pour l'automobiliste. Le gaz naturel pose plus de problèmes, car il requiert des réservoirs très lourds qui sont plus adaptés à des véhicules utilitaires ou à des véhicules de transports en commun qu'à des véhicules particuliers.

Nous commercialisons aujourd'hui des véhicules électriques, mais, je dois l'avouer, avec un succès modeste. Nous avons très peu de clients. C'est vrai aussi pour General Motors aux Etats-Unis. La raison en est que si les prix de revient sont acceptables pour nos clients, la faiblesse de l'autonomie des véhicules est inacceptable. Le client n'accepte pas d'avoir un véhicule avec lequel il ne peut pas faire Paris-Fontainebleau aller et retour sans s'arrêter quelque temps pour brancher une prise électrique. Le problème relève donc plus des batteries que des moteurs.

Pour pallier cet inconvénient, en dehors du progrès en termes de batteries qui est plutôt prévisible à l'horizon 2005, deux voies s'offrent à nous. Tout d'abord, les véhicules hybrides dont nous avons présenté un certain nombre de prototypes, c'est-à-dire des véhicules qui ont un petit moteur servant soit à recharger la batterie quand on est dans une zone non urbaine, soit à renforcer le moteur électrique ou à éviter que l'on ne s'arrête quand la batterie est à plat. Les piles à combustible constituent la deuxième solution, les véhicules fabriquant alors leur propre électricité. Nous menons des recherches sur ce plan, ainsi que d'autres fabriquants, comme Mercedes, et nous avons l'intention de présenter des innovations. Mais il faut avoir conscience que les piles à combustible seront au point à l'horizon 2010, selon les spécialistes en la matière, c'est-à-dire selon ceux qui ont intérêt à ce que cela se développe le plus vite possible. Nous sommes donc dans des horizons assez lointains. Nous misons pour 2005 plutôt que pour 2000 sur un véhicule électrique à plus forte autonomie, non pas à batterie traditionnelle, mais d'un nouveau modèle. Je tiens à souligner que le premier élément de lutte contre la pollution actuelle est l'élimination de la partie la plus polluante des parcs. J'ai déjà cité la règle 80/20. Elle est vraie, là aussi : 20 % des voitures sont à l'origine de 80 % des émissions gazeuses. Par conséquent, si demain 5 % de nos ventes portent sur des voitures électriques, on voit bien que, par rapport à un parc qui se chiffre en millions d'unités, cela sera insignifiant. En revanche, un certain rajeunissement du parc automobile aura un effet beaucoup plus rapide.

M. Maurice ADEVAH-POEUF : Je poserai d'abord une question très technique. Que représente le ticket d'entrée à 7,5 % dans vos prix de revient ?

Par ailleurs, après ce que vous nous avez expliqué, vous avez trois variables d'ajustement pour assumer la lourde responsabilité qui est la vôtre dans la gestion et l'avenir d'une société anonyme de droit privé dont vous revendiquez, si j'ai bien compris, la banalité.

M. Louis SCHWEITZER : Certainement pas la banalité, mais le fait que nous nous battions à armes égales avec nos concurrents.

M. Maurice ADEVAH-POEUF : Vos variables d'ajustement sont la masse salariale, les achats et ce que vous n'appelez pas la délocalisation, mais les implantations sur les marchés émergents. Vos objectifs affichés, heureusement ou malheureusement, sont donc fiables. C'est la suppression de 3000 emplois par an jusqu'en l'an 2000. 12 000 emplois supprimés ne font-ils pas une unité de plate-forme supplémentaire à supprimer d'ici l'échéance ? Et si oui, avez-vous des idées sur la question ?

S'agissant des achats, il y a un discours récurrent chez les constructeurs français ou étrangers reposant sur le changement de philosophie des relations avec les équipementiers. Désormais - on en parle depuis des années - les relations entre les constructeurs et les équipementiers sont revues sur des bases complètement différentes. On associe les équipementiers au stade de la conception, on les incite à se regrouper et à fabriquer des ensembles et des sous-ensembles. C'est une pratique, sans doute, un discours très récurrent, certainement. Dans les faits, la politique des directions d'achats consiste à aller voir les équipementiers et à leur dire : " telle pièce était à tel prix l'année dernière : si, cette année, ce prix n'est pas diminué de 10 % ou 15 %, nous achèterons ailleurs ".

Enfin, on ne parle pas de délocalisation, car c'est un mot interdit. On accompagne, en créant des plates-formes de production sur les marchés émergents. Je ne discute pas de la nécessité de procéder de la sorte au regard de la stratégie industrielle. Mais on sait très bien que l'implantation de plates-formes de production à l'étranger, sur les marchés émergents ou ailleurs, s'accompagne d'une migration des sous-traitants au détriment de la fabrication en France de composants ultérieurement exportés. C'est la logique du système.

Par conséquent, dans ces trois cas de figure, on voit très bien que vos variables d'ajustement jouent contre ce qu'apporte et ce que continuera d'apporter - nous l'espérons tous - l'industrie automobile en France, et particulièrement Renault. Renault, comme PSA, se tournent de plus en plus volontiers vers l'Etat - ils n'ont d'ailleurs pas le choix - non pas vers l'Etat actionnaire, mais vers l'Etat qui sera susceptible de financer les mesures d'âge dont vous avez impérativement besoin. Mais cela ne se fera pas en une fois, car si des mesures d'âge sont prises massivement pour l'ensemble du personnel des sites de Renault et PSA, cela signifie que la moyenne d'âge va tomber et que, dans moins de dix ans, vous serez confrontés à un vieillissement sans aucune possibilité de sortie naturelle. Et au minimum tous les dix ans, il faudra prendre des mesures massives qui coûteront à la puissance publique, c'est-à-dire aux contribuables, des dizaines de milliards de francs, pour maintenir la structure d'âge à un niveau compétitif pour les constructeurs.

Par conséquent, je vous pose une question sans critique aucune, car chacun comprend que vous avez des responsabilités à assumer, qu'elles sont difficiles, que vous avez un rôle à jouer et que vous le jouez bien. En revanche, la question que, nous, mission d'information parlementaire, nous posons, est de savoir comment il sera possible, dans le présent et dans l'avenir, de demander toujours plus au contribuable pour assurer la compétitivité d'une filière industrielle qui, au fil des années, contribuera de moins en moins à créer de la richesse nationale et de l'emploi en France. C'est, je crois, une question centrale à laquelle personne n'échappera, et évidemment pas vous, M. le Président-directeur général.

M. Patrice MARTIN-LALANDE : Je voudrais vous interroger, M. le Président, sur l'avenir des petits constructeurs en France face, notamment, aux surcapacités de production. J'ai en tête un exemple précis, celui de Matra Automobile, inventeur du concept de monospace, concept qui a connu un succès tel qu'il a été rapidement imité de par le monde.

La démonstration est donc faite qu'on peut être un petit constructeur imaginatif et même révolutionnaire sur un certain nombre de points. Renault compte-t-il contribuer, et comment, au maintien de ce type d'atouts dont dispose notre construction automobile ? Compte-t-il continuer sa collaboration avec Matra, notamment lorsque la production de l'Espace aura cessé aux alentours de l'an 2000 ? Les surcapacités de production ne risquent-elles pas de conduire Renault à abandonner le partenariat avec Matra Automobile, puisque des capacités au sein de Renault étant utilisables, celles de Matra Automobile deviendraient moins intéressantes pour vous ?

Dans le même état d'esprit, Renault ne conteste-t-il pas l'aide apportée par la Commission européenne pour permettre la création au Portugal d'une unité de production de 180 000 véhicules par an. Cette usine, qui produit un véhicule concurrent de l'Espace, accroît de manière importante les surcapacités de production et fausse la concurrence en raison d'une subvention calculée à un niveau de 15 000 francs par véhicule. Je fais référence à l'Espace, mais cela vaut probablement pour d'autres véhicules. Comment Renault réagit-il face à ce genre de pratiques ?

M. Louis SCHWEITZER : M. Adevah-Poeuf, le ticket d'entrée, c'est la somme des dépenses d'étude et de développement et de l'investissement nécessaires au lancement d'un nouveau véhicule. Il y donc à la fois des heures de travail et des investissements physiques.

Vous avez dit qu'il y a trois moyens d'action pour réduire les coûts. Il en est un plus général, c'est d'être plus efficace en toutes choses et, dans ce domaine, je pense qu'il existe encore des marges de progrès. Cela dit, je réponds de façon plus précise à vos trois questions.

Premier point : je l'ai dit, effectivement, la perspective à durée de travail constante est une réduction régulière des effectifs de Renault de 3000 par an en Europe. Par rapport à une branche automobile qui représente 100 000 personnes, cela fait 3 % par an.

Non, cela ne se traduira pas, je l'ai dit aussi, par la suppression d'un site en France. Je considère qu'aujourd'hui le système industriel de Renault est bien dimensionné et bien structuré, qu'en termes de stratégie industrielle, il n'appelle pas une diminution du nombre de sites.

Dans les achats, il y a certes coopération mais aussi mise en concurrence. Cependant, je dois le dire, nos clients font la même chose avec nous quand ils viennent dans une concession Renault et nous disent : " la concession X me propose une voiture 5 000 francs moins cher que la vôtre ; ou bien vous me faites les 5 000 francs de rabais, ou bien je vais chez X ". Alors, effectivement, nous transférons une partie de cette exigence sur nos fournisseurs.

On constate toutefois, en travaillant avec nos fournisseurs, qu'ils ne sont pas moins prospères aujourd'hui qu'il y a quelques années. Les grands équipementiers français, stimulés par cette concurrence, ont progressé et leurs résultats sont honorables.

Vous avez évoqué l'idée que nous délocalisions. Eh bien non ! je ne vous suis pas sur ce point. Une voiture fabriquée au Brésil, même avec des salaires inférieurs aux salaires français, serait rendue en France plus chère qu'une voiture française. Donc, je le répète, - je ne parle même pas de principes généraux, de principes moraux - il n'est pas dans notre intérêt de délocaliser la fabrication automobile sur d'autres continents.

Mais un problème se posera quand certains pays d'Europe centrale entreront dans l'Union européenne. Ces pays, parfois moins distants de notre marché que le Portugal, offrent des salaires correspondant à 20 % des salaires français. Nous avons, là, un vrai sujet de préoccupation pour l'avenir. Mais, je le redis, il n'y a pas de stratégie de délocalisation de Renault.

Sur les mesures d'âge, deux précisions.

C'est vrai, nous demandons des mesures d'âge, c'est-à-dire des départs en préretraite. Nous avions proposé au gouvernement précédent un système ayant pour objet de traiter de façon durable le problème. Si nous parvenons à mieux équilibrer notre pyramide des âges, il n'y aura pas à demander des mesures d'âge continûment car le système fonctionnera naturellement. Mais je pense aujourd'hui que nous avons besoin de mesures d'âge.

Vous avez dit : on demande toujours plus au contribuable alors que nous contribuons de moins en moins à la richesse nationale. Franchement, M. le député, je ne partage pas ce jugement. Je crois que l'industrie automobile française contribue de façon active à la richesse nationale et qu'elle est, sous de nombreuses formes, un contribuable significatif au service de la collectivité publique.

M. Martin-Lalande a posé deux questions sur les petits constructeurs. La force de Matra, qui est un constructeur un peu particulier puisqu'il ne commercialise pas ses propres automobiles, tient moins à un système industriel qu'à une capacité d'originalité, d'innovation liée à sa petite taille. Je veux dire par là que les très grosses structures ont toujours, quoi qu'on essaie de faire, une certaine lourdeur alors que Matra apporte au monde automobile une certaine agilité. J'en suis persuadé, cette agilité continuera d'être nécessaire demain. Car, je l'ai dit aussi, je suis convaincu que l'avenir de Renault est fait d'un flux d'innovations. Demain, comme aujourd'hui, Matra peut et doit contribuer au flux d'innovations que Renault commercialisera.

Vous avez évoqué l'aide de la Commission européenne accordée à certaines implantations industrielles au Portugal. Autant que je sache, il y a eu, sur cette aide particulière, un contentieux devant la Cour européenne de justice. Je dirai simplement qu'en effet, il y a quelque paradoxe aujourd'hui, alors que les surcapacités européennes de production sont avérées, de voir les autorités publiques, européennes, nationales ou régionales, financer sur fonds publics des accroissements de capacité - pas seulement au Portugal, mais aussi en Allemagne par exemple. C'est le serpent qui se mord la queue ! J'ajoute que ces subventions à de nouvelles usines créent des problèmes de reconversion sur les sites existants et contribuent à justifier les appels aux contribuables évoqués par M. Adevah-Poeuf. On est donc effectivement dans un système qui me paraît loin de toute rationalité. J'ose espérer - mais je ne suis pas prêt à le parier- que si un grand constructeur japonais décide d'installer une nouvelle usine en Europe, il ne se trouvera pas d'autorité publique pour subventionner ce supplément de capacité en Europe.

M. Alain BARRAU : M. le Président-directeur général, depuis trois mois, nous avons une forte divergence d'appréciation sur un sujet, certes petit par rapport à l'immensité de ceux que vous avez évoqués, mais qui suscite une très forte émotion au-delà des 92 personnes concernées dans la succursale Renault de Béziers, ainsi que devrait en témoigner la prochaine manifestation sur les allées Paul-Riquet où la politique de Renault sera mise en cause.

En vous écoutant tout à l'heure, j'ai été particulièrement sensible à votre conclusion, parce que je croyais entendre un des grévistes de cette entreprise. Une des caractéristiques de Renault, avez-vous indiqué, est ce sentiment d'appartenance ; or c'est précisément ce que ces 92 salariés, en grève depuis trois mois et occupant la succursale, revendiquent. Selon eux, la manière dont s'est mise en place la politique de filialisation de l'ensemble du système des succursales avec, dans un certain nombre de cas dont celui de Béziers, la vente de ces succursales à des garages privés, ne règle pas la question du maintien des positions de Renault sur l'ensemble du territoire national.

Comment, aujourd'hui, alors que, dans d'autres pays, le maintien des positions de grands constructeurs nationaux se fait par un renforcement des liens entre la périphérie et le centre, opter ici pour une formule de détachement, voire de coupure, avec comme conséquences pour les salariés le changement de convention collective - dorénavant, ceux-ci devraient relever de la convention collective des garages privés, ce qui implique une diminution de revenus, et, souvent, une diminution du nombre de postes - ? Telle est ma première question.

Ma deuxième question porte sur le rôle de Renault, grande entreprise nationale, au sens historique et réel du terme, dans l'économie française. Vous avez un avantage : un actionnaire principal à 46 % qui est l'Etat. Quelle conséquence en tirez-vous, en particulier quand ceux qui ont la responsabilité de cet Etat et que je soutiens, souhaitent donner la priorité à la lutte contre le chômage ? Autrement dit, alors que l'actionnaire principal affirme que sa priorité est de lutter de toutes les manières possibles contre le chômage, comment, dans le même temps, sur un bassin d'emploi déjà durement touché, l'entreprise nationale Renault - même si elle a aujourd'hui un statut privé, mais avec 46 % du capital détenu par l'Etat, ce n'est pas tout à fait neutre - peut-elle avoir une telle attitude ?

Ma troisième question concerne le problème de l'apprentissage. Renault est connu, en France et dans le monde, pour la qualité de son apprentissage. Etant amené à m'intéresser de très près à l'entreprise, j'ai appris que le nombre d'apprentis entrant chez Renault en fin de stage était en forte diminution. Cela est d'ailleurs corroboré par la pyramide des âges. Cet état de fait n'est-il pas dommageable à la bonne santé de l'entreprise, au rajeunissement de ses salariés et à la lutte contre le chômage des jeunes ?

Ma dernière question porte précisément sur les mesures visant à lutter contre le chômage des jeunes. Dans la perspective du deuxième volet du plan gouvernemental portant sur les 350 000 emplois dans les entreprises privées, quelles sont les intentions de Renault ?

M. le Président : Je me permets, M. le Président, de m'associer aux propos de M. Barrau, puisque j'ai eu l'occasion de me rendre au mois d'août sur le site de Béziers et de vous écrire, avec M. Fuchs, à ce sujet.

Je souhaiterais obtenir une précision supplémentaire. J'ai cru comprendre que, dans l'actionnariat de Renault, les fonds de pension occupaient une place de plus en plus importante. Quelle est la part de ces fonds de pension et quelle en est l'évolution dans l'actionnariat de Renault ?

M. Louis SCHWEITZER : Pour répondre à M. Barrau sur le rôle de Renault, ma conviction est simple. Si Renault n'est pas compétitive, elle peut peut-être faire illusion, comme ces personnages de dessins animés qui marchent sur l'air avant de voir le vide se produire sous eux. Mais, au bout d'un certain temps, les réalités nous rattraperont et nous risquons d'en mourir. Renault a fait cette expérience concrètement à un certain moment de son existence. Et si elle n'avait pas -je pense à Georges Besse - pris des mesures qui semblaient dans un premier temps aller à l'encontre de l'intérêt de l'emploi, je crois qu'il y aurait aujourd'hui en France plus de chômeurs et moins de richesses créées. Je suis convaincu - sans employer le mot de banalisation, parce que je ne considère pas que Renault soit une entreprise banale - que si Renault ne se bat pas à armes égales avec ses concurrents pour conquérir des clients, l'entreprise sera à terme condamnée. C'est donc ainsi que je pense contribuer à l'effort de lutte contre le chômage, en contribuant à la création de richesses par la compétitivité de Renault.

Vous avez évoqué l'apprentissage. Effectivement, nous nous attachons à former des jeunes, pas nécessairement pour Renault d'ailleurs. En effet, nous utilisons des systèmes d'insertion pour donner à des jeunes des références dans le domaine industriel, même si nous n'avons pas la possibilité de les recruter. Nous arrivons à en replacer à peu près les deux tiers dans des emplois permanents. C'est, selon moi, positif pour sortir du cercle vicieux consistant à dire : vous n'avez pas d'expérience professionnelle, donc je ne vous donne pas d'emploi... Cela dit, c'est vrai, nous recrutons en fonction des besoins de l'entreprise. Lorsque nous sommes dans une situation où nos besoins ne croissent pas, nous ne pouvons pas recruter.

En ce qui concerne les mesures gouvernementales en faveur de l'emploi des jeunes, c'est un sujet que nous allons examiner tant pour nos activités industrielles que pour nos activités commerciales, quand nous connaîtrons les modalités de ce système ou de ces systèmes.

M. le Rapporteur : Permettez-moi, sur ce point précis, de compléter la question. L'une des mesures un moment envisagées est d'" échanger " - pour résumer rapidement - des salariés ayant cotisé quarante ans contre des jeunes. Votre entreprise a-t-elle déjà fait une étude sur le nombre de personnes susceptibles d'être concernées par des mesures de cette nature ?

M. Louis SCHWEITZER : C'est quelque chose que nous avons déjà fait. Nous avons des systèmes grâce auxquels des personnes ayant cotisé quarante ans ont pris une préretraite et ont été remplacées par des jeunes. Mais ils sont difficilement compatibles avec les modalités de réduction des effectifs. En effet, le nombre de salariés justifiant de quarante ans de cotisations est forcément plus limité à cinquante-six ans qu'à soixante.

Quant à l'actionnariat de Renault, il est en partie composé non pas tellement de fonds de pension, mais de fonds de gestion de capitaux américains. Ceux-ci représentent environ 25 % de notre actionnariat. On est " en ligne " avec la Bourse française, en moyenne. La situation de Renault n'est pas spécifique dans ce domaine. Ce sont des gens qui cherchent à placer leur argent en regardant où sont les entreprises et les pays qui leur inspirent confiance et s'ils nous font confiance, tant mieux ! Ces actionnaires ne prétendent pas contrôler la gestion, ne veulent pas entrer dans les conseils d'administration. Ils veulent qu'on leur rende des comptes, et s'ils ne sont pas contents, ils partent. C'est une relation que je qualifierai d'assez nette et assez simple.

M. le Président : Lorsque l'on est à 25 %, cela pose quand même un problème !

M. Louis SCHWEITZER : Il n'y en a pas un qui est à 25 %. Il y a une somme de fonds tout à fait indépendants. Le plus gros a 7 %, il y en a un qui a 5 %, et d'autres qui ont entre 1 et 3 %. Mais ils ne veulent pas intervenir dans la gestion. C'est un point important. Ils votent " avec leurs pieds ".

Sur la politique des succursales et des concessions, et le problème de Béziers, je crois qu'il faut faire un petit tableau d'ensemble, car ce n'est pas un sujet mineur.

L'industrie automobile est l'une des très rares industries mondiales à vendre au client final. Je ne connais pratiquement pas d'autres industries où l'on vend tous les produits fabriqués par la marque dans des commerces ou dans des lieux qui appartiennent à la marque ou bien où la marque est présente. Vous le savez, c'est une situation particulière, fondée sur des lois européennes et dont je ne sais pas si les bases juridiques seront renouvelées après 2002.

Mon analyse stratégique - car c'est vraiment de la stratégie - est qu'il est crucial pour les constructeurs automobiles de garder le lien direct avec leur client final. Je n'ai pas envie que nous vendions à des supermarchés qui vendent à des clients, parce que si nous perdons le fil avec le client final, je pense que nous en mourrons. Autrement dit, le client doit être content de notre réseau en termes de coût, de qualité, et notre réseau doit avoir une efficacité lui permettant de vivre.

Nous avons sur ce point - pas spécifiquement Renault, qui n'est pas plus mal placé qu'un autre - à faire des progrès. L'image du commerce automobile n'est malheureusement pas la première parmi les images commerciales, tant en Europe qu'aux Etats-Unis. Nous avons donc des progrès à faire, et c'est pour moi un axe stratégique.

Dans ce système, on peut avoir des concessionnaires et on peut avoir un réseau appartenant au constructeur. Le choix de Renault en France est d'avoir, de façon significative, une part de sa distribution propriété du constructeur. Cette part tend à croître. En 1990, nous commercialisions 33,6 % de nos véhicules par notre réseau propre ; nous sommes aujourd'hui à plus de 36 %. Autrement dit, dans l'équilibre entre réseau propriété de Renault et réseau de concessionnaires, un certain mouvement s'est fait pour accroître, par des acquisitions, la part du réseau nous appartenant. Pourquoi ? Parce que c'est une activité qui se transforme, parce que des problèmes de concurrence entre affaires d'une même marque deviennent de plus en plus aigus. Cela conduit donc à un système où, durablement, Renault a fait le choix d'être propriétaire d'une large partie de son réseau. L'ordre de grandeur actuel nous paraît un point d'équilibre correct. Si nous prétendons prendre le contrôle total de notre réseau, à l'évidence, nos concessionnaires nous fuiront.

Cet équilibre correct doit se faire, à nos yeux, avec une certaine " respiration ". Dans certains cas, il nous paraît nécessaire d'acquérir des affaires appartenant à des concessionnaires, dans d'autres, il ne nous semble pas illogique de céder des affaires propriété de Renault à des concessionnaires qui semblent posséder à la fois les compétences, la surface financière et l'implantation régionale leur permettant de réussir. Mais on demeure sous la marque Renault, on vend des Renault et l'attachement à Renault est réel.

C'est dans ce cadre que nous avons envisagé la cession de la succursale de Béziers. Nous avons en effet estimé qu'un concessionnaire, bien implanté au point de vue régional, serait mieux placé pour optimiser la pénétration de la marque dans cette zone dans des conditions financièrement acceptables.

Cela me conduit à dire une dernière chose. Effectivement, nous avons décidé de filialiser l'ensemble de nos succursales dans un ensemble qui est propriété de Renault à 100 %. Et l'un des effets de cette filialisation sera de faire passer les personnels des succursales du statut de la métallurgie au statut du commerce, de la réparation et des services automobiles.

Personnellement, il ne me paraît pas déraisonnable que des gens, dont le métier est de vendre et de réparer des automobiles, soient soumis aux conventions collectives régissant ces activités. Une succursale de Citroën, par exemple, qui est soumise à ce statut me semble plus proche d'une succursale de Renault, qu'une usine de montage de 5 000 personnes ne l'est d'une succursale ou filiale de 50 ou 60 personnes.

Bien sûr, ce changement de statut fait l'objet d'une négociation engagée avec les partenaires sociaux. A l'évidence, il ne doit pas en résulter une dégradation de la situation des personnes concernées.

M. Alain BARRAU : Puisque ce changement implique une baisse moyenne des salaires de 25 à 30 %, elle sera forcément dégradée !

M. Louis SCHWEITZER : Non, je ne le crois pas. Je vais illustrer mon propos concrètement. Il y a des salaires différents dans la métallurgie. Les ouvriers de Renault ne sont pas payés de la même façon que les ouvriers d'autres firmes métallurgiques. Et les écarts sont, quelquefois, bien supérieurs à 20 ou 25 %. Donc, sur cet aspect-là, le fait de passer d'une convention à l'autre n'a aucun effet mécanique sur les salaires. Il y a, en revanche, des règles juridiques, des règles d'adaptation, des règles d'ouverture qui ne sont pas les mêmes compte tenu des situations différentes. A vrai dire, dans certains cas, dans des centres urbains, les salariés des succursales Renault sont plutôt désavantagés par rapport à des salariés de concessionnaires. Il n'y a donc pas de lien mécanique entre telle ou telle convention collective et tel niveau salarial. Des dispositions qui ont été négociées spécifiquement pour les métiers de la distribution sont forcément mieux adaptées que des dispositions qui ont été négociées pour des métiers totalement différents. Quand nous négocions chez Renault, c'est effectivement en pensant d'abord à nos usines, à un siège social où il y a des centaines de personnes, à un centre de recherche où il y a 7 000 personnes, plutôt qu'à la succursale de X ou de Y où il y a 90 personnes, qui est, dans la réalité de sa vie quotidienne, une petite ou moyenne entreprise.

Concernant Béziers, nous n'allons pas revenir sur une situation de blocage, que je déplore. Ce n'est pas la première cession de succursale de Renault qui est conduite. Il y a eu d'autres exemples. La succursale de Mâcon a été filialisée, il y a un certain temps. Nous avons cédé celles d'Epinal, de Metz et quelques autres dans le passé. Pour certaines, nous avons bien réussi, pour d'autres pas.

Je constate qu'il y a localement une situation de blocage depuis l'annonce de la mesure. Je constate également que la cession a eu lieu le ler août. Je souhaite que nous sortions de cette situation de blocage où tout le monde est perdant, les grévistes et Renault. Nous sommes prêts à tout faire pour qu'une négociation s'engage. Mais nous ne pouvons pas dire que Renault restera immobile, c'est-à-dire qu'elle n'acquerra ni ne cédera jamais une affaire commerciale. Car - et je reviens à ce que je disais dans mon propos général introductif -, dans le monde industriel, si l'on choisit l'immobilité, on choisit 1a mort. Par conséquent, j'espère que nous parviendrons à avancer ensemble.

(Présidence de M. Jacques MASDEU-ARUS, Vice-président)

Mme Marie-Thérèse BOISSEAU : M. Schweitzer, j'ai été très impressionnée par la pyramide des âges que vous nous avez montrée. Je savais que le personnel de Renault était âgé - ce n'est d'ailleurs pas spécifique à Renault. Or, il n'est de richesse que d'hommes et, dans votre souci légitime de compétitivité, vous ne pourrez pas faire longtemps l'économie d'un apport de sang jeune. Cela me paraît même un problème extrêmement urgent. Il est impensable que vous n'ayez pas de salariés en dessous de trente-huit ans. Pour ma part, je ne crois pas aux mesures catégorielles, aux mesures d'âge. Je n'y crois pas, tout simplement parce qu'elles n'ont pas marché depuis vingt ans. Ce sont des mesures trop ciblées et, à terme, inefficaces. Il vaudrait mieux avoir une approche plus globale du problème. N'oublions pas que l'âge n'est qu'un élément de la compétitivité.

Vous avez rapidement mis sur le bord de la route la " loi Robien ". Avez-vous sérieusement étudié la possibilité de l'appliquer dans vos établissements ? Cette loi présente l'intérêt de se fonder sur une approche globale du problèmes du chômage. Elle demande également une réorganisation de l'entreprise, une réflexion sur les différents postes, une réflexion sur le temps de travail qui pourrait dépasser le stade de l'annualisation puisque, dans l'industrie automobile, un certain nombre d'activités répondent à des cycles plus longs. Pour vous, il n'est pas question de diminuer les salaires. Certaines entreprises l'ont fait ou ont gelé les salaires pendant un ou deux ans. Vous avez également parlé de réductions discrètes du temps de travail dans certains établissements. Pouvez-vous nous donner des précisions sur ce point ?

Ma dernière question est tout à fait différente. Nous sommes à la veille de l'euro. Quelle sera son incidence sur notre compétitivité dans les pays où une croissance est possible - l'Amérique du Sud ou les pays de l'Est - et sur l'implantation éventuelle d'entreprises étrangères dans notre pays ?

M. Jean PONTIER : La question que je voulais poser a déjà été soulevée par certains de mes collègues et portait essentiellement sur la pyramide des âges. Cependant, M. le Président, sans être choqué, j'ai été un peu ému de la piste de réflexion que vous nous avez donnée pour illustrer votre propos, en parlant des difficultés de mémoire liées à la diversité des modèles. Si c'est une perte sèche à partir de 56 ans, cela doit concerner beaucoup de gens, y compris les hommes politiques ! C'est une boutade, mais cet argument me gêne. Je comprends les autres arguments sur la pyramide des âges. Bien sûr, faire place aux jeunes ! Mais si nous devons faire place aux jeunes, nous serons nombreux à le faire dans ce pays !

M. Louis SCHWEITZER : Concernant d'abord les pertes de mémoire, je ne m'excepte pas de cette règle générale puisqu'il se trouve que j'ai 55 ans. La mémoire immédiate, qui n'est pas fondée sur le raisonnement, diminue. Si l'on me donne une page représentant vingt objets qui n'ont aucun lien entre eux, je suis sûr qu'à 55 ans, je suis bien moins performant que je ne l'étais à 25 ans.

Sur l'apprentissage de fond, on s'enrichit. Mais sur ce type de mémoire tout à fait mécanique et nullement liée à une expérience ou à une pratique, on constate qu'il y a effectivement des problèmes de mémorisation. Je ne dis pas pour autant que toute personne de plus de 55 ans est inapte à exercer une tâche.

S'agissant de votre question sur l'euro, Mme Boisseau, je ne peux pas vraiment dire quel en sera l'impact sur les exportations en Europe, parce que je ne sais pas quel sera le taux de l'euro face au dollar et au yen. Même en lisant les débats sur l'euro faible et l'euro fort vis-à-vis des autres monnaies, pour le moment, je ne sais pas qui décide quoi et quelle est la rationalité que nous envisageons à l'avenir. Sur ce point, hélas, je ne sais pas répondre à votre question.

Sur les implantations d'entreprises, pour évoquer par exemple les Japonais, le fait que la Grande-Bretagne soit hors euro est un handicap pour elle. On a longtemps oublié le risque de change parce que les parités s'ajustaient comme l'inflation. Mais, depuis 1992, on s'est aperçu que, même au sein de l'Europe, il y avait des mouvements de parités totalement brutaux et injustifiés. Ce qui fait que la monnaie unique est, à mes yeux, beaucoup plus nécessaire aujourd'hui qu'elle ne paraissait l'être il y a cinq ou six ans, époque où les parités semblaient refléter à peu près la compétitivité. Or, depuis 1992, ce n'est plus le cas. On a vu la livre sterling s'envoler. C'est une bonne affaire pour Renault. Mais cela ne répond à aucune logique industrielle ou de parité de pouvoir d'achat.

Sur les mesures d'âge et les ajustements d'effectifs, vous avez dit que j'avais parlé discrètement de diminution du temps de travail. Il s'agit de diminutions limitées qui sont de l'ordre de deux jours par an dans ces accords de flexibilité. Cela fait une diminution de la durée du travail de 1 à 2%. Vous ne croyez pas, Mme Boisseau, aux mesures d'âge. Je ne partage pas votre point de vue. Vous m'avez interrogé sur notre vision de la " loi Robien ". Pour le moment, nous avons signé un accord, dans une de nos filiales de la région lyonnaise, fondé sur l'application de la " loi Robien " dans son dispositif offensif. Dans cette filiale, le système offensif, qui a cette vertu de durer plus longtemps que le système défensif, répondait au problème posé. En revanche, nous avons proposé la signature d'un " accord Robien " défensif dans une autre filiale et nous avons été confrontés à une grève assez brutale. Nous verrons comment les choses évolueront. Je n'ai pas dit que j'excluais jusqu'à la nuit des temps tout ajustement des ressources lié à l'ajustement de la durée du travail. J'ai dit simplement qu'aujourd'hui, je ne voyais pas la faisabilité, en France, d'un accord du type de Volkswagen. Et l'expérience que nous avons faite de la " loi Robien " dans un système défensif va plutôt dans ce sens.

Enfin, vous avez dit que Renault bénéficierait d'un apport de recrutement. J'en suis convaincu. Dans le cas de Sandouville, par exemple, nous avons signé, voici quelques mois, un accord sur la flexibilité. Un des volets de cet accord prévoit un recrutement de jeunes.

M. Joseph PARRENIN : Combien y a-t-il eu de jours chômés l'année dernière chez Renault ? La baisse des prix constatés à partir de 1992 n'est-elle pas plutôt la conséquence de la baisse de la demande ? Car on aurait pu comprendre, dans votre exposé, que la baisse des prix a précédé celle de la consommation. Ma troisième question porte sur le comportement commercial des firmes en Europe. Je vous donne un exemple. J'ai acheté une voiture il y a un an et je l'ai payée, après rabais, 175 000 francs. Or, un de mes amis vient d'acheter la même voiture, réimportée, 142 000 francs. Je pense que cette situation décrédibilise les constructeurs français sur leur propre marché. En effet, puisqu'il est possible d'acheter une voiture réimportée 10, 15 ou 20% moins chère, pourquoi ne pas aller acheter une voiture étrangère ?

Enfin, vous avez parlé d'accords de coopération avec de nombreux constructeurs européens. Comment voyez-vous l'avenir ? Assistera-t-on à un développement de ces coopérations avec les constructeurs européens ou bien envisagez-vous des rapprochements plus effectifs entre constructeurs moyens ?

M. Henri EMMANUELLI : Je ferai trois brèves remarques et je poserai une question précise. Vous faites souvent allusion au " crédit richesse ". C'est une nécessité incontournable, mais qui est toujours liée à la question de l'utilité de cette richesse et à sa redistribution.

Deuxième remarque : lorsque les fonds d'investissements sont en position de force, il leur arrive de demander brutalement le changement de management quand cela ne correspond pas à leurs intérêts. On voit ce processus se développer très vite.

Troisième remarque : à la décharge des salariés de Béziers qui ne veulent pas changer de convention collective, je vous dirai, M. le Président, que c'est un phénomène très répandu en France. J'ai observé que les membres des grands corps de l'Etat changeaient souvent de fonction, mais je n'en ai jamais vu qui renonçaient à leur statut,

Enfin, ma question est la suivante. Vous nous avez montré tout à l'heure une courbe des prévisions de consommation en Europe. A combien estimez-vous le nombre de véhicules que Japonais et Coréens - vous nous direz si ce sont plutôt les Coréens que les Japonais - ont importés en Europe, hors quotas prévisionnels, ou en plus de ce qu'ils auraient dû réellement importer si les prévisions n'avaient pas été inexactes ?

M. Louis SCHWEITZER : Je ne pourrai pas répondre à la première question de M. Parrenin sur le nombre total de jours chômés chez Renault en 1996 ou 1997. A vrai dire, les situations sont très variables d'une usine à l'autre, notamment parce qu'il peut y avoir des changements de modèles, et même quelquefois d'un mois à l'autre. J'ai connu des usines où 60 jours ouvrés étaient chômés dans une année. Cela fait pratiquement trois mois de travail. Il est arrivé, dans des situations de conjoncture très volatile que, dans la même usine, on voie des journées chômées un mois et des samedis travaillés deux mois plus tard. Nous sommes face à des fluctuations très brutales qui posent des problèmes de gestion et qui sont un vrai sujet stratégique.

Concernant le lien entre prix et croissance, les économistes disent que la baisse des prix provoque la croissance, ils disent aussi que la surcapacité entraîne la baisse des prix. Pour ma part, je n'essaie pas d'établir des liens de causalité entre la poule et l'oeuf. Je constate simplement que nous avons une fracture de la croissance et une fracture des prix. Il faut savoir que si les clients hésitent entre les firmes automobiles concurrentes, ils hésitent aussi entre l'achat d'une automobile et d'autres achats. Et si le prix relatif de l'automobile augmente par rapport à celui d'autres biens de consommation - cela revient à évoquer le thème de l'utilité des richesses qu'a soulevé M. Emmanuelli -, le consommateur se détournera de l'automobile vers d'autres biens. Donc, je pense que les deux phénomènes sont structurels et qu'il faut vivre avec sans chercher à savoir dans quel ordre ils interviennent.

Vous avez évoqué en troisième lieu les réimportations et les écarts de prix en Europe.

Sur le plan juridique, nous n'avons pas le droit d'empêcher des mandataires de vendre moins cher que nos concessionnaires. L'un d'entre nous s'y est essayé et il s'est fait condamner. Cela dit, pourquoi y a-t-il des écarts de prix ? Certains sont en quelque sorte naturels, car liés à la politique commerciale. Renault, en France, par exemple, a une image de marque excellente. En Allemagne, elle est moins bonne. Si nous voulons conquérir des clients nouveaux en Allemagne, ce sera en privilégiant l'argument prix. Ceci peut justifier des écarts de prix modestes.

Les grands écarts de prix qui existent en Europe ont deux autres causes. La première est la variation des parités. Quand la lire ou la peseta varie sur trois mois de 20% à la baisse, nous ne pouvons pas relever nos prix en Italie ou en Espagne, parce que nous n'y vendrions plus une seule voiture. Notre réseau ferait alors faillite ou s'effondrerait. Nous sommes donc amenés à maintenir nos prix en Italie et en Espagne. Mais, de ce fait, si ces prix étaient au niveau des prix français avant la dévaluation, ils baissent de 20% après. Nous avons le phénomène inverse en Grande-Bretagne en ce moment. Mais en Grande-Bretagne, le volant est de l'autre côté et, par conséquent, ces interéchanges sont un peu limités. C'est un facteur qui me rend favorable à l'euro, car ces variations aberrantes cassent le marché.

J'aborderai maintenant le problème de la fiscalité indirecte. Quand, dans un pays - ce n'est pas le cas en France -, il y a une forte fiscalité spécifique à l'achat, c'est-à-dire que s'ajoute à la TVA sur l'achat d'une automobile un impôt indirect spécifique, la pratique prouve que le constructeur et le client se partagent ce poids. Vous avez donc un prix hors taxes, dans ce pays, inférieur à ce qu'il est dans un pays sans fiscalité indirecte sur l'automobile et un prix toutes taxes comprises supérieur à ce qu'il est en France. Par exemple, il y a aux Pays-Bas une fiscalité spécifique à l'achat, ce qui fait que nous vendons hors taxes moins cher qu'en Belgique et toutes taxes comprises plus cher. Je suis convaincu que si l'on veut une unité des prix européens, il faut une unité de la fiscalité européenne. Je pense que, dans ce domaine, la bonne voie consiste à supprimer les taxes spécifiques à l'automobile, qui étaient justifiées quand elle était un bien de luxe, mais qui ne le sont plus du tout aujourd'hui, alors qu'elle est devenue un bien de consommation populaire.

S'agissant des accords de coopération, je crois qu'il faut les développer, en Europe et hors d'Europe. En France aussi, car je pense qu'il est plus facile de travailler avec quelqu'un qui parle sa propre langue et habite près de chez soi que de travailler avec quelqu'un qui parle une autre langue et habite à 2000 kilomètres. Les rapprochements structurels seraient plus difficiles à réaliser parce qu'il s'agit d'une industrie de marque. Mettre sous une même autorité des marques différentes implique une gestion simultanée de l'autonomie des marques et du rapprochement des firmes, ce qui est un art difficile. Dans ces rapprochements, le premier risque est de perdre des parts de marché, de l'emploi et de la richesse.

M. Emmanuelli, nous ne demandons pas aux gens de renoncer à un statut ou à des avantages volontairement, à titre individuel.

M. Henri EMMANUELLI : Je décrivais le contexte qui peut expliquer certaines difficultés de comportement.

M. Louis SCHWEITZER : Si l'on demande à quelqu'un de faire le choix entre " garder " ou " ne pas garder ", je ne connais personne au monde qui réponde : " je préfère ne pas garder ".

S'agissant des Coréens, puisqu'il n'y a pas d'accord avec les constructeurs, il n'y a donc pas de dépassement de quotas. En se fondant sur l'interprétation que nous, le Gouvernement français et, je l'espère, la Commission européenne, donnons de l'accord de 1991, les Japonais ont dépassé, sur la période 1991-1999, de 3 millions d'unités environ le nombre de voitures qu'ils auraient dû vendre en Europe. Mais tous les pays européens et tous les constructeurs européens ne sont pas d'accord sur cette interprétation. Donc, pour certains, il n'y a aucun dépassement.

M. Henri EMMANUELLI : Les Anglais, je suppose ?

M. Louis SCHWEITZER : Par exemple. Toute la question est de savoir si l'on compte comme japonaises les voitures fabriquées par les Japonais en Europe. Et franchement, au moment où nous avons signé l'accord, personne ne pensait que le marché s'écroulerait. Nous sommes donc en dehors des limites de l'épure.

M. Pascal TERRASSE : Nous avons évoqué la question des préretraites. Le problème qui se pose en France se pose également dans d'autres pays. Au travers des éléments que vous nous avez communiqués, j'ai observé que, dans l'usine de Valladolid, en Espagne, l'âge moyen était très nettement supérieur à celui des salariés des sites français. Renault a-t-il entrepris certaines démarches auprès du Gouvernement espagnol ? Et si oui, quels en sont les résultats ?

S'agissant du parc automobile français, la motorisation diesel est très développée et je crois savoir que les deux principaux constructeurs français sont en pointe en la matière. Selon certaines informations, le Gouvernement prendrait peut-être un certain nombre de mesures visant à augmenter le prix du carburant et notamment celui du gazole. Ces augmentations auraient-elles des conséquences pour l'entreprise Renault (à la fois pour l'entreprise elle-même et pour les équipementiers et les gens qui travaillent pour Renault) ?

M. le Président : Vous avez dit qu'il fallait baisser les prix, les coûts, et je partage tout à fait votre avis. Mais j'aimerais savoir si vous avez fait des études comparatives avec nos principaux concurrents sur la masse salariale et notamment sur le poids des charges. Car le problème est là. On peut comparer les prix des véhicules, mais nous devons tous jouer dans la même cour. Je souhaiterais donc savoir si une étude sur ce sujet, intégrant tous les paramètres, y compris les paramètres fiscaux, est envisagée.

M. Louis SCHWEITZER : La moyenne d'âge est effectivement plus élevée qu'ailleurs dans nos usines espagnoles - c'est vrai aussi chez nos concurrents -, parce qu'il n'existe pas dans ce pays de systèmes de préretraite. L'Espagne disposait même, il n'y a pas très longtemps, de systèmes de retraite beaucoup moins développés qu'ailleurs. Nous avons toutefois été amenés, dans le passé, à recourir à des préretraites largement financées par l'entreprise : ces dispositifs étaient extraordinairement coûteux, parce qu'il n'y avait justement pas de relais dans des systèmes publics. Du fait de ce coût, nous n'y avons pas eu recours dans une période récente, ce qui explique le vieillissement de nos populations salariées en Espagne. Nous avons des contacts avec le Gouvernement espagnol, mais il faut reconnaître que, jusqu'à présent, ils n'ont pas été couronnés de succès.

S'agissant du gazole, la fiscalité sur les carburants, telle qu'elle est en France, que ce soit pour le gazole ou l'essence, n'est pas sensiblement inférieure à ce qu'elle est chez nos voisins européens. Il est clair qu'une augmentation de la fiscalité sur les carburants aurait probablement un effet dépressif sur la demande automobile. Sur l'équilibre gazole-essence, nous savons faire des moteurs essence excellents, de même que nous savons faire des moteurs diesel excellents. Ce sont des moteurs différents, qui sont fabriqués dans des usines différentes, dans des installations différentes, avec des investissements différents. Ce qui est insupportable, ce n'est pas tel équilibre plutôt que tel autre - nous nous ajustons - ; ce sont les remises en cause imprévisibles de cet équilibre. Dans ce cas, nous pouvons nous retrouver brusquement avec une surcapacité de production pour l'un des moteurs et une sous-capacité pour l'autre. Au fond, ce que je demande, dans ce domaine, avant tout, c'est de la prévisibilité. Quelquefois, les effets sont totalement inattendus. Par exemple, on a réduit l'avantage de l'essence sans plomb dans la loi de finances pour 1995. On a donc accru l'avantage fiscal du gazole. Les gens se sont alors dit qu'ils n'étaient sûrs de rien et l'achat de diesel en France a diminué. On a ainsi troublé le marché. A mes yeux, l'essentiel est de ne pas être dans une situation d'incertitude continue.

Concernant la masse salariale, je crois qu'il faut distinguer les équipementiers des constructeurs. Car les constructeurs n'ont pas la tentation de la délocalisation. Et dans le paysage automobile européen, les constructeurs français ne sont pas les plus mal placés. Le coût de la main-d'oeuvre, entièrement chargé, est plus faible en France qu'en Allemagne, aux Pays-Bas et en Belgique. Il est légèrement supérieur à ce qu'il est en Espagne et en Italie, mais pas dans des conditions qui, pour les constructeurs, tout du moins pour l'Italie du Nord, posent des problèmes majeurs. Pour les fournisseurs, la situation est plus complexe, parce que les coûts de transport sont beaucoup plus faibles. Il est clair que, dans ces conditions, la tentation de délocalisation et l'enjeu économique qu'elle représente sont beaucoup plus forts. Je dois dire que nous n'avons pas d'étude comparative majeure sur ce point. Aux Etats-Unis, les grands constructeurs ont des coûts salariaux élevés. Mais il faut savoir que l'écart entre le coût salarial de l'heure chez General Motors, Chrysler ou Ford, et celui d'un de leurs fournisseurs situé à 50 kilomètres de leur usine est, pour un ouvrier, de 1 à 4, à qualification égale. Je tiens compte des charges, car le salarié de General Motors a un plan de retraite, un plan médical et une sécurité sociale. A côté, il y a un salarié qui n'a rien de tout cela et qui a un salaire bien inférieur. Vous avez, aux Etats-Unis, des situations très différentes des nôtres et aussi très différentes entre constructeurs et équipementiers. En France, il n'y a pas ce type d'écart salarial que l'on voit aux Etats-Unis.

M. Philippe DURON : Vous avez essentiellement parlé de la production automobile en général, et des véhicules légers en particulier. Or Renault est également un producteur important de poids lourds. C'est un autre marché, c'est une autre hiérarchie de producteurs. J'aimerais savoir, après l'échec de la fusion Renault-Volvo, quelle est la stratégie et quelles sont les perspectives de votre groupe en matière de poids lourds mais aussi en matière de nouveaux transports urbains. Etant député du Calvados, ce point est pour moi d'actualité.

Je voudrais faire aussi un retour sur Vilvorde. Jadis, Renault avait une stratégie consistant à produire un même véhicule dans deux sites et, peut-être par là, à limiter les risques des conflits sociaux. Est-ce que Vilvorde annonce un changement de cette stratégie ?

M. Louis SCHWEITZER : Effectivement, je n'ai pas abordé le problème des véhicules industriels, mais cela mériterait presque un exposé en soi et je ressens quelque gêne à traiter en une minute un sujet aussi important en fin de réunion.

Je dirai simplement deux choses.

Premièrement, Renault Véhicules industriels (RVI) est, dans son métier, plus important que Renault automobile dans le sien. Il ne faut pas l'oublier.

Deuxièmement, en termes d'équilibre européen, RVI est moins bien placé que Renault automobile, d'une part car il est dépendant des marchés français et espagnol, nos deux marchés traditionnels, et d'autre part car nous avons beaucoup de mal à pénétrer dans le marché d'entreprises. De façon générale, nous constatons, cela vaut aussi pour les véhicules utilitaires et les véhicules particuliers, que les entreprises sont plus nationalistes que les individus dans leur politique d'achats, et que certains pays sont plus nationalistes que d'autres.

Nous sommes donc confrontés à des problèmes stratégiques dans un monde où la technologie s'est accélérée brutalement, notamment dans le domaine de la motorisation. D'où la nécessité de définir une stratégie de coopération. Je suis désolé de le dire aussi abruptement, mais cela mériterait un exposé en soi.

Sur les nouveaux transports urbains, nous avons effectivement été, comme Matra, candidats dans certaines opérations ; nous n'avons pas toujours été retenus. Je crois beaucoup au développement de transports urbains intermédiaires entre le tramway et le bus diesel circulant au milieu des automobiles. C'est, selon moi, une des voie que nous devons explorer car elle a des avantages à tous égards. En effet, le réseau ferré est un investissement lourd qui n'est pas toujours justifié. Il y a donc là une piste d'avenir suivie par RVI.

Concernant Vilvorde, je vous réponds que si nous gérons notre appareil industriel dans le souci de limiter le risque de grève, cela veut dire que nous le gérons dans une optique qui n'est pas l'efficacité au service du client. Et, de ce fait, nous nous imposons un handicap inacceptable. Non, la stratégie de Renault n'est pas d'avoir une usine de secours au cas où une usine ferait grève ! Pour moi, ce n'est pas une stratégie gagnante, c'est une stratégie qui génère des surcoûts.

M. le Rapporteur : Nous aurons une autre occasion d'aborder le problème des véhicules industriels car l'audition du Président de RVI est prévue.

Annexe 1

Annexe 2

Annexe 3

Annexe 4

Annexe 5

Annexe 6

Annexe 7

Annexe 8

Annexe 9

Audition de M. Jacques CALVET,
Président du directoire du groupe PSA Peugeot Citroën

(procès-verbal de la deuxième séance du 3 septembre 1997)

Présidence de M. Daniel PAUL, Président

M. Jacques CALVET : M. le Président, je vous remercie de votre accueil. Je suis très heureux de voir qu'une fois de plus, et d'ailleurs à titre tout à fait justifié, l'industrie automobile est un objet de réflexion et d'action de la part des représentants du peuple.

Je ne reviendrai que très rapidement, car j'ai vu que M. Pierret et M. Schweitzer l'avaient fait avant moi, sur l'importance de l'industrie automobile : le secteur représente à peu près 300 000 emplois directs, plus de 2 millions d'emplois indirects, si l'on englobe dans ce chiffre les agents de la circulation ou les assureurs, ce qui veut dire en clair à peu près 12% de la population active française.

Il me paraît important de vous dire que, si l'automobile représente 10% de la valeur ajoutée de l'industrie manufacturière en France, le secteur profite de l'ensemble des autres branches industrielles mais aussi les stimule. Nous avons des liens avec des vitriers, des caoutchoutiers, des pneumaticiens, des professionnels du textile ou de l'électronique. Et nous travaillons avec un taux d'intégration qui est inférieur, même dans le cas des entreprises les plus intégrées comme PSA, à 50%. Cela signifie que nous travaillons très en amont avec un certain nombre d'autres industries. L'industrie automobile a donc un effet d'entraînement et profite de toutes les recherches qui ont été faites par les autres branches industrielles. Pour vous donner un ordre de grandeur, Renault et nous-mêmes achetons pour à peu près 180 milliards de francs de pièces ou autres biens chaque année.

Un autre élément montre l'importance de notre filière : c'est notre rôle dans le commerce extérieur, s'agissant non pas des importations très regrettables de voitures étrangères en France - les Français étant beaucoup moins chauvins, par exemple, que les Allemands -, mais de notre propre balance du commerce extérieur. Nous sommes le premier groupe exportateur. Renault a des performances voisines des nôtres. Les deux groupes automobiles sont les deux premiers groupes exportateurs. En 1996, nous avons exporté des sociétés françaises vers l'étranger, 80 milliards en brut. Et, compte tenu des achats que nous faisons à l'étranger dans un certain nombre de domaines, nous avons eu un apport à l'équilibre de la balance commerciale française de 52 milliards 600 millions précisément.

Enfin, l'industrie automobile est un secteur dans lequel les dépenses de recherche, d'investissement et de main-d'oeuvre sont particulièrement importantes, ce qui m'amènera d'ailleurs à émettre quelques soupirs sur l'assiette de la taxe professionnelle. On nous demande souvent d'investir plus et d'embaucher. Mais malheureusement, nous avons une taxe professionnelle fondée sur la masse salariale, c'est-à-dire finalement sur l'emploi et sur le parc d'équipement.

Les constructeurs français occupent une place qui n'est pas négligeable par rapport aux autres grands constructeurs. Par constructeur, il faut entendre le processus qui va de la conception jusqu'au montage et à la production finale, ce qui implique la maîtrise sur le plan intellectuel et pratique de la totalité des étapes de la production et de la technologie. Il y a donc six grands pays constructeurs : les Etats-Unis, l'Allemagne, la Suède, l'Italie, le Japon et la France. Il est possible que, plus ou moins rapidement, mais ce n'est pas encore le cas actuellement, la Corée soit également un pays où des constructeurs maîtrisent la totalité du processus de conception des voitures. En revanche, si l'on produit des voitures en Espagne et en Grande-Bretagne, ces deux pays n'ont plus, à l'exception de Rolls Royce en Grande-Bretagne, de constructeurs nationaux.

L'industrie française de l'automobile, si elle n'est pas négligeable dans son impact, est pourtant actuellement mal comprise, mal aimée et attaquée de toutes parts, comme si l'on reprochait à l'industrie automobile une aisance qui n'est pas la sienne et à l'automobile une généralisation que l'on voudrait, en fait, contester et combattre.

J'évoquerai rapidement le contexte dans lequel nous travaillons actuellement, et nos stratégies pour faire face à ce contexte. J'insisterai peut-être particulièrement sur certains points, comme vous me l'avez demandé, M. le Rapporteur, tels que la spécificité de PSA par rapport à d'autres constructeurs français ou étrangers.

Il convient de souligner en premier lieu que l'équilibre à l'intérieur du marché mondial a fortement changé. Il fut un temps ou les Américains et les Européens dominaient complètement le marché mondial. Il y a eu aussi une période de grand effacement des Américains et l'on peut dire que, depuis une dizaine d'années, ils sont redevenus extraordinairement présents et forts. Mais l'élément le plus nouveau a été, depuis quelques dizaines d'années, la montée en puissance du Japon. Quelqu'un que j'apprécie beaucoup
- le ministre du budget - a écrit, alors qu'il n'était pas encore ministre, un certain nombre d'ouvrages particulièrement bien vus, à mon avis, sur la façon dont le Japon avait réussi, par un protectionnisme dissimulé et hypocrite, à se monter une véritable industrie pour, après cela, revendiquer hautement, sans le pratiquer d'ailleurs, le libéralisme dont on nous rebat les oreilles actuellement. L'élément nouveau est donc la montée du Japon et, peut-être aussi, à l'avenir, la montée de la Corée du Sud, qui est un pays particulièrement sympathique pour les importateurs puisque, quand un Coréen, malgré la campagne de frugalité lancée par le Gouvernement, a la fâcheuse idée d'aller acheter une voiture étrangère, il a droit à un contrôle fiscal à la fois personnel et sur son entreprise.

Puisque vous m'avez demandé de me différencier parfois de mon prédécesseur, j'avoue ne pas avoir la position intelligente et nuancée de M. Schweitzer sur les rapports avec le Japon. J'ai toujours considéré - je l'ai dit un peu bruyamment à l'époque - que l'accord de juillet 1991 entre la CEE et le MITI avait été un accord déplorable, d'autant plus qu'il était interprété de façon différente par ceux qui l'avaient signé, la Communauté européenne d'une part, et les Japonais d'autre part. Et cet accord, dans son interprétation européenne, n'a pas été respecté. Il comportait une clause un peu compliquée consistant à réserver aux marques asiatiques l'essentiel du bénéfice d'une croissance du marché qui serait supérieure aux prévisions très optimistes de la Commission et à leur faire assumer en revanche la quasi-totalité des pertes en cas de baisse du marché. Cela n'a pas été respecté et, à la fin de 1996, le trop-vendu des voitures japonaises en Europe est de 3 millions 300 000 voitures. Dans ces conditions, j'espère arriver à convaincre M. Schweitzer et mes autres collègues européens, de même que le Gouvernement - d'ailleurs, le prédécesseur de M. Pierret était intervenu à différentes reprises sur ce point auprès de la Commission - d'agir pour que la date d'ouverture complète du marché européen, c'est-à-dire le ler janvier 2000, soit reportée jusqu'au moment où cette avance de trop-vendu des Japonais aura été résorbée, c'est-à-dire pour une période de temps relativement longue.

On assiste donc à une mutation profonde, caractérisée par la réapparition des Américains et la force des Japonais et des Coréens. A ceux qui soutiennent la thèse selon laquelle les ventes des Japonais n'auraient pas tellement progressé récemment - je crois que c'était celle de M. Pierret -, je voudrais rappeler que l'industrie automobile est très dépendante des parités monétaires et que si, pendant un certain temps, les Japonais ont été moins présents et moins agressifs en Europe, c'est parce que le yen était passé d'à peu près 130 yens pour un dollar à, au plus bas, 95 yens. Or, actuellement, on est revenu à 120 yens pour un dollar. Même si le dollar est remonté et si la parité est meilleure vis-à-vis des monnaies européennes, je connais suffisamment les Japonais et j'ai assez d'estime pour eux pour savoir qu'ils se sont réorganisés, qu'ils ont abandonné toute une série de principes, qu'ils ont beaucoup délocalisé, ce que leur pyramide démographique leur permettait, et que, dans ces conditions, nous les reverrons. Nous sommes d'ailleurs en train de les revoir, depuis le début de l'année, agissant très fortement et cherchant également, par des moyens divers, à obtenir des aides pour installer de nouvelles usines en Europe.

Un deuxième élément doit être noté : c'est la cassure très importante du marché européen que nous avons subie en 1993. La rupture est telle qu'à la fin de 1996, il manquait encore 700 000 véhicules sur le marché européen de l'Ouest. Nous appelons ainsi les quinze pays actuels de l'Union européenne, plus les deux pays qui ont eu la sagesse ou la folie de ne pas vouloir y entrer, à savoir la Norvège et la Suisse. Dans ce marché européen de l'Ouest, il nous manque encore 700 000 véhicules par rapport aux 13,5 millions vendus en 1992. Puisque vous m'avez demandé de marquer des différences, je ne partage en rien la prévision de mon collègue de Renault, qu'il a émise sur le perron de Matignon en quittant M. Jospin, selon laquelle il n'y a pas de raison de revoir une fois encore à la baisse le marché français. Nous avons eu, comme chaque mois, nos comités de programme, qui ont pour rôle de prévoir la production en partant de nos ventes et des marchés. Je peux vous dire que nous sommes revenus non pas aux 1 800 000 que M. Schweitzer continue à défendre, mais à 1 760 000. Nos collègues étrangers se situent dans une fourchette de 1 720 000 à 1 760 000. Cela signifie, en clair, que le marché français va baisser, par rapport à 1996, dans notre hypothèse, de 18, 19 ou 20%. Fin août, nous en étions à moins 22% !

En revanche, sur le reste du marché européen - c'est d'ailleurs grâce à cela que nous tenons à peu près - nous avons une prévision d'augmentation du marché, avec des situations très différentes d'un pays à l'autre : une stagnation en Allemagne, une progression assez continue en Grande-Bretagne, une forte progression en Espagne et une progression tout à fait exponentielle en Italie, grâce à la " prodette ", puisque nous prévoyons une augmentation de 33% sur le marché italien en 1997 par rapport à 1996. Tout cela devrait nous mener à un marché européen, hors France, progressant de plus de 7% et de 3% si l'on y inclut la France. A l'évidence, cette situation est particulièrement difficile à vivre pour les deux constructeurs français.

Un autre problème réside dans la surcapacité de production en Europe, à la fois l'Europe réelle et l'Europe potentielle, virtuelle. Un certain nombre de constructeurs particulièrement habiles ont en effet pensé qu'un détour productif pouvait être utile et cherchent à s'installer en Pologne ou en Roumanie, comme Daewoo, pour pouvoir ensuite attaquer les pays européens de l'Ouest, en espérant l'entrée de ces pays dans l'Union européenne. Je ne sais pas très bien comment la Commission a calculé les chiffres de surcapacité de production qu'on vous a soumis. On parle généralement de 5 millions par rapport à 15 millions de production. En principe, on calcule sa capacité de production en deux équipes, sur cinq jours de travail. Or, de plus en plus, nos collaborateurs acceptent de travailler en équipes de nuit ainsi que les samedis et les dimanches, ce qui veut dire que le surcroît de capacité de production est en fait supérieur aux chiffres que l'on peut entendre actuellement.

Le bilan que l'on peut dresser de la situation actuelle se caractérise donc par un marché qui ne progresse pas beaucoup et qui régresse en France, beaucoup de concurrents et une surcapacité de production. La conséquence est une guerre des prix qui est maintenant totalement développée, avec son cortège de rabais et de remises. Les primes " balladurette " et " juppette " ont eu bien des avantages, mais aussi un certain nombre d'inconvénients, car elles ont poussé dans ce sens. Maintenant, on achète moins une voiture qu'un prix ou un rabais. Or, la rentabilité des constructeurs européens en général et français en particulier est tout à fait insuffisante pour assurer le développement normal de leurs investissements, de leurs études, de leurs recherches et de leurs innovations.

Pour ce qui nous concerne, dans ce contexte difficile, nous avons comme politique prioritaire de renouveler et d'enrichir les gammes de véhicules. Je ne vais pas faire la publicité qu'à juste titre, au demeurant, mon collègue a faite ce matin. Il avait peut-être besoin de la faire... Mais je crois que la qualité des véhicules Peugeot et Citroën fait que je n'ai pas à évoquer leur tenue de route, leur confort, leur comportement ou leur esthétique. Au départ, il faut reconnaître que nous avions une tâche importante à accomplir : c'est en 1975 que Citroën s'est rapproché de Peugeot, et en 1978 que nous avons repris les filiales européennes de Chrysler, notamment Poissy, mais aussi la filiale espagnole et la filiale anglaise. Nous avions donc une gamme Citroën trouée et une gamme Peugeot-Talbot surabondante, ce qui a nécessité de très gros efforts pendant des années.

Un autre axe d'action est le combat pour la réduction des coûts. Je suis totalement en accord avec M. Schweitzer sur ce point. Ce n'est pas un problème de choix, mais de nécessité. Nous savons que nos prix de vente s'orienteront, en monnaie constante et peut-être même en monnaie courante, de façon durable à la baisse, malgré tous les équipements supplémentaires que l'on peut mettre et malgré toutes les conséquences parfois absurdes des réglementations communautaires qui rajoutent des normes de pollution, de bruit ou autres. Nous ne sommes pas le moins du monde contre la lutte en faveur de l'environnement, mais nous aimerions qu'on la fasse de la même façon qu'on agit dans l'entreprise, c'est-à-dire par la voie la plus économique. Car finalement, c'est l'ensemble économique européen qui souffre que l'on prenne parfois, pour des raisons psycho-politiques ou doctrinaires, des mesures qui ne sont pas les plus économiques, pour atteindre un objectif que nous ne discutons pas. Il est donc indispensable de réduire ces coûts. Nous l'avons fait, pas seulement au moyen de plans sociaux, bien entendu, mais en transformant complètement notre organisation interne. Je n'oserai dire, devant des représentants du peuple que, s'ils avaient fait le même nombre de réductions des structures politico-administratives françaises que celles que nous avons faites dans nos structures hiérarchiques dans nos usines, le prélèvement public serait peut-être un peu moins élevé. C'est ma conviction profonde. Nous avons donc agi en changeant complètement nos organisations, en abandonnant le système pyramidal pour des systèmes transversaux, des équipes de projets, en baissant nos coûts d'investissement, en demandant à nos ingénieurs d'inventer un peu moins de " moutons à cinq pattes " et d'acheter un peu plus de produits catalogue chez les producteurs de biens d'équipement, et en ayant avec nos fournisseurs des relations constantes, à moyen terme, permettant de leur assurer un chiffre d'affaires sur un certain nombre d'années moyennant des progrès de productivité, de prix, de renforcement de leurs structures, et en leur demandant de nous suivre à l'international.

Un autre élément de notre politique sur lequel je me différencie également de mon collègue français est d'éviter l'accélération de la désintégration naturelle de la valeur ajoutée des constructeurs. Il y a un certain nombre de domaines dans lesquels nous n'avons pas la compétence et où, bien entendu, il faut que nous achetions. Cela a été le cas notamment avec les métaux précieux dans les catalyseurs, car nous ne sommes pas producteurs de métaux précieux. Il en va de même pour les puces électroniques. mais, en sens inverse, je considère que, compte tenu de notre responsabilité vis-à-vis de notre personnel, et compte tenu de l'importance d'être un vrai constructeur, c'est-à-dire dominant toutes les facettes du métier, il faut que nous arrêtions ce mouvement de désintégration naturelle de la valeur ajoutée. J'ai déjà créé deux pôles d'excellence, l'un dans l'hydraulique à Asnières, l'autre sur le plastique et le caoutchouc techniques à la Barre-Thomas, près de Rennes. Et je vais créer prochainement un troisième pôle technique métallurgique que l'on appelle du " fritté ", la poudre que l'on comprime pour obtenir des pièces. Je veux véritablement arriver à maintenir à la fois notre compétence et ce que l'on peut conserver d'emploi dans ce domaine.

Le quatrième axe de notre action porte sur la politique sociale ; je sais, en disant cela, que certains souriront, puisque nous avons très mauvaise réputation, bien qu'elle soit injustifiée. Nous avons le plus faible taux d'accidents du travail de la profession. J'aimerais qu'il soit encore plus bas, bien entendu. Et nous avons, notamment en raison de notre problème de pyramide des âges, mais aussi pour des motifs de considération du personnel et de qualité, une volonté d'améliorer les conditions de travail, particulièrement au montage, par un système très bien mis au point, grâce auquel, je crois, nous sommes très en avance par rapport au monde entier, y compris les Japonais.

J'évoquerai brièvement quelques autres éléments qui peuvent vous intéresser.

Je suis très nationaliste et très chauvin - peut-être me le reprochera-t-on dans dix ans -, mais nous avons maintenu l'essentiel de nos investissements en France et en Europe ; en Europe, notamment avec les filiales européennes de Chrysler que nous avons achetées et nos filiales communes avec Fiat. J'ai arraché à Fiat l'installation de notre seconde usine dans le Nord de la France, à la Sevelnord, malgré toutes les considérations économiques et les aides réciproques qui étaient apportées dans le Nord de la France et dans le Mezzogiorno, étant entendu que c'est PSA qui a fait la différence des aides pour que Fiat ne soit pas frustré.

J'ajoute que nous faisons 98 % de nos achats en Europe, dont 75 % en France.

Comme vous le savez également, j'ai beaucoup lutté pour maintenir une filière automobile complète en France. Je ne crois pas du tout aux sornettes de la trilatérale et du mondialisme qui est une lâcheté vis-à-vis de l'étranger. C'est ainsi que j'ai réussi - avec d'autres, bien sûr - à maintenir Valeo française, tant en 1986 qu'en 1996, et que nous avons racheté récemment les actions de Michel Thierry dans Bertrand Faure, qui, autrement, seraient passées à l'étranger.

Le problème de l'emploi sera, je pense, beaucoup abordé dans les questions.

M. Schweitzer vous l'a dit, actuellement, l'âge moyen dans nos ateliers de montage - c'est là surtout que le problème se pose - est supérieur à quarante ans : quarante et un, quarante-deux ans pour nous ; quarante-trois, quarante-quatre ans, je crois, pour Renault. Cette situation a beaucoup d'inconvénients : cela pose des problèmes dans l'organisation des équipes de travail, des problèmes de mémorisation pour un certain nombre d'opérations ou pour des changements d'organisation qui sont toujours un peu plus difficiles à mesure qu'on avance en âge. Un autre inconvénient extraordinairement grave est que nous ne recrutons pas suffisamment de jeunes. Nous faisons pourtant des efforts puisque nous en embauchons à peu près 3 000 par an, mais ce chiffre est insuffisant rapporté aux 139 000 membres du personnel en France et à l'étranger.

A cet égard, je dois le dire, je regrette un peu l'attitude de certains qui - dans le meilleur esprit d'ailleurs, et cela passe à travers les groupes et les sensibilités politiques - pensent qu'il faut rigidifier de plus en plus toutes les possibilités de souplesse de l'industrie pour provoquer l'embauche. C'est exactement le contraire qui se produira, bien entendu. Nous expliquer que les heures supplémentaires doivent être limitées, que le chômage technique n'est pas remboursable pour partie par l'Etat, c'est nier purement et simplement le caractère saisonnier de nos travaux et le fait que la demande des clients devient de plus en plus aléatoire, se porte d'un véhicule à l'autre, d'une motorisation à une autre, de sorte que nous pouvons avoir au même moment des heures supplémentaires dans un centre et du chômage technique dans d'autres.

J'ai accueilli ce matin avec tellement de satisfaction les déclarations de M. Pierret sur le diesel que je n'y reviendrai pas, sauf si vous le souhaitez.

Le problème est d'une simplicité biblique. La France a cette espèce d'admirable permanence à travers les siècles qui consiste à détruire ses sujets de supériorité sur l'étranger. Nous sommes les meilleurs dans le monde en matière de diesel, pas pour les très gros diesel comme ceux de Mercedes mais pour tous les autres. Renault est parmi les tout meilleurs également. Alors il est clair qu'à partir de ce moment-là, ça ne peut pas durer et qu'il faut partir dans une autre voie !

J'entends même des choses absurdes ! On a beaucoup parlé des pics d'ozone, et l'on en attribue la responsabilité au diesel. Malheureusement, non ! L'ozone est fait à partir de ce qu'on appelle des précurseurs d'ozone, c'est-à-dire les oxydes d'azote d'une part et les hydrocarbures de l'autre. Or les précurseurs d'ozone sont davantage produits par les véhicules essence que par les véhicules diesel. Alors on peut nous dire qu'il faut nous tuer à cause des particules, mais qu'on ne parle pas des pics d'ozone pour remonter la fiscalité sur le diesel ! D'ailleurs, M. Pierret vous a dit très clairement qu'elle était déjà supérieure, à deux exceptions près, au poids des taxes diesel dans les autres pays européens.

Je ne vous rappellerai pas que les véhicules neufs actuels polluent dix à vingt fois moins que les véhicules d'il y a dix ans, que ce sont les 20 % de véhicules les plus anciens qui représentent 80 % de la pollution. C'est d'ailleurs un phénomène extraordinairement curieux ! Maintenant que l'on a de meilleurs appareils de mesure, on croit qu'il y a une aggravation de ces émissions, alors que, simplement, on les mesure mieux. Ce n'est pas très raisonnable ! On pourrait peut-être demander aussi aux pétroliers d'être un peu moins prudents dans l'amélioration de la qualité des carburants !

En outre, vous le savez, les nouvelles normes qui viennent d'être adoptées
- d'une façon peu économique, je vous l'ai dit - baisseront encore le taux d'émission de nos voitures.

Enfin, je n'y insiste pas trop, parce que cela fait vraiment figure d'épouvantable lobbysme, notre profession - cela comprend nos clients, bien entendu, et la TIPP - est à peu près deux fois plus taxée que la moyenne des professions. Nous générons 300 milliards de francs de recettes fiscales en France, c'est-à-dire, grosso modo, l'équivalent de notre chiffre d'affaires hors taxe. Nous sommes donc presque devenus d'abord des percepteurs d'impôt avant d'être des vendeurs de voitures. Quand on nous parle transports en commun - même si je suis très nuancé sur ce point, et très partisan d'arriver à un bon équilibre entre transports en commun et voitures individuelles - quand on nous dit que nous coûtons plus à la collectivité que nous ne lui rapportons, c'est faux. Il y a à peu près une centaine de milliards de dépenses par an, contre 300 milliards de recettes.

Je n'insisterai pas sur nos efforts pour continuer à lutter pour l'environnement. Nos voitures sont celles qui, en moyenne, consomment le moins en Europe, notamment grâce au diesel. Ensuite, nous sommes très en avance sur tous les autres - Renault n'est pas mal placé - en matière de véhicules électriques. L'an dernier, sur 2 000 voitures vendues dans le monde entier, 1 200 l'ont été par les Français dont 1 000 par Peugeot-Citroën. Si nous pouvions avoir 50 % du marché mondial de façon générale, la situation serait meilleure... Nous nous lançons également, et de façon très industrielle et précise, dans le GPL.

Ce qui me frappe, notamment à Bruxelles mais parfois aussi dans les Etats, ce sont deux erreurs, à mon avis, fondamentales : l'une est la mauvaise connaissance du temps, du temps industriel. Nous sommes dans une branche industrielle où nous arrêtons nos plans stratégiques à dix ans, où il faut trois ans - auparavant cinq ans - pour concevoir et développer une voiture et deux ans et demi pour installer les grosses machines transfert ou modifier des moteurs en cas de nouvelles réglementations communautaires. Autrement dit, nous sommes un gros bateau qui ne peut pas évoluer comme une barque de pêche.

La seconde erreur est l'absence d'esprit de synthèse. Je ne comprends pas qu'on puisse traiter des problèmes environnementaux sans tenir compte des effets économiques, qu'on ne tienne pas compte des effets sociaux en même temps qu'on prend des décisions industrielles. Il faut vraiment avoir un esprit de synthèse et non pas simplifier excessivement la réalité.

J'ajoute, pour finir, que nous serions extraordinairement heureux si, parmi les futures visites de votre mission, vous aviez la bonté de choisir un site Peugeot et un site Citroën. Vous les visiteriez bien entendu dans la liberté la plus totale en rencontrant tous les interlocuteurs auxquels vous voudriez vous adresser. Et nous essaierions de vous montrer plus pratiquement que dans cet exposé un peu abstrait ce que sont nos efforts actuels en matière de qualité, de productivité, etc.

M. le Président : Merci, M. le Président. Pour reprendre votre dernière remarque, nous avons bien l'intention, avec votre accord évidemment, de nous rendre sur deux sites de PSA.

M. Jacques CALVET : Très bien ! J'en serai très heureux !

M. le Président : M. le Président, j'aimerais avoir votre avis sur la différence croissante entre l'évolution du pouvoir d'achat en France - en Europe aussi, sans doute - et l'évolution du prix moyen d'un véhicule. C'est sans doute pourquoi le marché français - le marché européen aussi - est de plus en plus un marché de renouvellement et pourquoi un nombre important de véhicules sont anciens, malgré " juppettes " et " balladurettes ", d'où des problèmes de pollution et d'atteinte à l'environnement. N'y a-t-il pas, dans ce différentiel entre l'évolution du pouvoir d'achat et l'évolution du prix moyen des véhicules, un problème qui, à terme, créera réellement des difficultés ?

Il y a quelques semaines, la presse s'est fait l'écho du coût des véhicules français en France. S'agit-il de votre part d'un choix qui ne souffre pas de modification ? Etant donné la situation économique - vous avez parlé du marché national et dit que vous étiez nationaliste -...

M. Jacques CALVET : Certes !

M. le Président : ... la préservation du marché national ne pourrait-elle pas vous conduire à faire en sorte que les véhicules du groupe PSA soient encore moins chers sur le marché national, compte tenu qu'ils le sont dans les pays étrangers ?

M. le Rapporteur : M. le Président, je vous remercie d'avoir bien voulu marquer une certaine différenciation par rapport à M. Schweitzer. Cela nous permet plus facilement à la fois de cerner les points d'accord et d'enrichir notre approche collective à partir des différences de tonalité que vous nous avez signalées.

Je voudrais centrer mes trois questions autour du thème central de la productivité qui, je crois, ressort de ces auditions.

Ma première question portera sur la concurrence avec l'extérieur. Vous nous avez exprimé votre rêve sur la façon d'organiser les relations entre l'Union européenne et le Japon. Sans me prononcer sur le fond, il est clair que votre vision n'est probablement pas partagée par la plupart des autres constructeurs européens, sans parler de leurs gouvernements. Vous appartenez à l'Association des constructeurs européens de l'automobile (ACEA) dont M. Schweitzer nous a dit ce matin qu'elle essaie de définir une position commune sur un certain nombre de problèmes, dont celui des relations extérieures commerciales de l'Europe. Comment percevez-vous l'attitude des autres constructeurs ? Je ne parle pas des pays où il n'y a pas de constructeur automobile, qui ont une autre logique. Et à quoi pensez-vous qu'il soit possible d'arriver, s'il doit y avoir de nouvelles négociations entre la Communauté européenne et le Japon ou la Corée ?

On a beaucoup parlé jusqu'à maintenant du Japon et de la Corée. Tout le monde s'accorde à le dire, et vous l'avez rappelé à travers les implantations récentes de Daewoo, on peut avoir un problème avec les pays d'Europe centrale et orientale, dans la mesure où il y a encore des écarts salariaux, sans éloignement géographique, et où cela peut accroître les problèmes de concurrence. Comment appréciez-vous ce danger ? Et comment conduire les négociations d'élargissement qui ne vont pas tarder à s'ouvrir ?

Ma deuxième question concerne l'emploi et les conséquences sur l'emploi des objectifs de productivité que vous vous donnez.

Les constructeurs automobiles ont fait un certain nombre de propositions en matière de préretraite élargie, de plans sociaux nouveaux, etc. Je suis de ceux, à tort ou à raison, qui accordent aussi de l'intérêt à une approche incluant certaines formes de réduction et d'aménagement de la durée du travail. A cet égard, quelle leçon tirez-vous de l'expérience conduite par Volkswagen, que je ne présente ni comme modèle ni comme référence mais comme quelque chose qui est en cours ? Cela vous paraît-il intégrable pour tout ou partie dans une approche incluant le souci de l'emploi, de l'évolution de la productivité ? J'aimerais avoir votre réaction.

Enfin, ma troisième question est liée à la constatation que, comme les autres constructeurs européens, nos deux constructeurs nationaux sont d'une taille assez modeste par rapport aux grands groupes américains ou japonais. Un esprit simple aurait envie de dire : faisons des constructeurs automobiles européens comme nous en faisons dans l'aéronautique. Tout le monde répond : " mais on doit gérer des marques, des images, ce n'est pas possible ". Or vous avez à cet égard une expérience que M. Schweitzer n'a pas, celle de la fusion entre Peugeot, Citroën et Talbot. Quelle leçon pouvez-vous tirer de cette expérience ? Au-delà des accords Peugeot-Fiat, avoir une convergence plus approfondie vers quelques groupes européens vous paraît-elle une idée à jeter par-dessus bord d'entrée de jeu ? Ou, à la lumière de ce que vous avez vécu vous-même, est-ce, à certaines conditions, un objectif éventuellement intéressant ?

M. Jacques CALVET : S'agissant du pouvoir d'achat et du marché, nous sommes, heureusement ou malheureusement, dans une situation de concurrence totale. Nous avons été, à certains moments, dans ce qu'on appelle le marché commun ou le marché unique
- en ayant l'air de croire qu'il existe - la victime, au milieu de 1992, d'un certain nombre de dévaluations qui ont été finalement soit assez raisonnables, pour la peseta, soit totalement déraisonnables, pour la lire et la livre sterling.

Tout cela est très dommage ! On peut dire d'ailleurs que la monnaie unique est absolument indispensable pour avoir un véritable marché unique, encore faudrait-il disposer préalablement des bases politiques, fiscales, sociales d'une monnaie unique et être sûr que la totalité des pays s'y trouveraient et seraient capables d'y rester.... Mais, quoi qu'il en soit, au moment où ces dévaluations compétitives se sont produites, nous nous sommes trouvés dans une situation épouvantable vis-à-vis, en l'espèce, de l'Italie, de nos collègues et amis de Fiat.

Concernant le pouvoir d'achat, nous sommes obligés d'avoir des prix qui soient dans le marché. Ces prix dans le marché ne dépendent pas uniquement du montant des salaires. Il y a bien d'autres éléments qui jouent. Mais il faut bien voir que, dans ces autres éléments, il y a notamment tous nos achats qui représentent à peu près 60 % de la valeur ajoutée et dans laquelle, bien entendu, on retrouve des salaires. Par conséquent, quand j'entends parfois telle ou telle sympathique organisation syndicale dire que, finalement, les salaires ne représentent que 15, 16, 17 ou 18 % de la valeur ajoutée, ce n'est pas tout à fait la réalité.

Actuellement, nous essayons vraiment - et nous avons eu des accords salariaux au cours des années récentes - d'arriver à des accords avec un certain nombre d'organisations syndicales. J'essaie d'éviter que recommence ce qui s'est passé en 1989, avec les grèves de Sochaux et de Mulhouse. Mais je ne regrette pas d'avoir tenu à ce moment-là, car nous partions vraiment dans une voie qui signifiait à terme la disparition de l'entreprise.

Mais, pour redonner un peu plus de pouvoir d'achat, il ne faut pas s'adresser aux entreprises exsangues comme Renault ou comme la nôtre, mais peut-être diminuer les prélèvements publics et laisser à ceux qui ont un emploi un peu plus de capacité d'acheter des voitures, puis, aussi, avoir une politique économique d'ensemble, où les facteurs monétaires ne soient pas considérés comme des éléments essentiels. Et peut-être doit-on se poser à nouveau la question de savoir si l'Assemblée nationale et le Sénat ont été tout à fait sages de donner l'indépendance à la Banque de France. Quant à nous, nous faisons vraiment tout ce que nous pouvons dans notre domaine.

S'agissant des prix des véhicules français qui seraient plus élevés en France que ceux des véhicules étrangers, je suis, de façon générale, anti-Commission de Bruxelles, mais sur ce point, bien davantage ! En effet, tous les six mois, on nous livre, sur la base d'ailleurs d'informations que nous avons à fournir, des éléments de comparaison pour dire qu'il coûte beaucoup moins cher d'acheter une voiture dans tel pays qu'en France ! Or, la Commission n'a pas voulu comprendre que les différents pays n'ont pas le même système fiscal, pas le même taux de TVA, pas le même taux de taxe à l'achat. Au Danemark, il y a 200 % de taxes sur le prix hors taxe. A tel point que la Commission a été obligée de retirer trois pays, la Grèce, le Portugal et le Danemark, des comparaisons des prix des voitures, tant c'était absurde !

D'autre part, maintenant, grâce à la remontée de la livre, c'est en Grande-Bretagne que les prix sont les plus élevés, alors qu'au milieu de l'année 1992, nous avions été obligés de serrer nos prix de vente sur l'Italie pour pouvoir conserver un réseau.

Cela dit, pourquoi, objectivement, les prix des véhicules français peuvent-ils être considérés comme supérieurs aux prix des véhicules étrangers ? Pour la raison qui fait que les prix des véhicules Fiat sont plus élevés en Italie et les prix des véhicules Volkswagen, Mercedes et BMW plus élevés en Allemagne : parce qu'il y a une prime dans les prix de marché aux constructeurs nationaux. Et ce que je regrette profondément, c'est que les Allemands étant beaucoup plus attachés à leurs produits allemands que les Français à leurs produits français, nous voyons une diminution de notre part de marché en France.

Cela dit, dans le même temps, nous enregistrons une forte augmentation de notre part de marché dans les autres pays européens. Notre politique a également pour objectif de porter de 14-15 % actuellement à 25 % en l'an 2 000, nos ventes de véhicules en dehors de l'Europe de l'Ouest.

Sur la productivité, que dit l'ACEA, M. le Rapporteur ? Pendant très longtemps, j'ai été seul à clamer dans le désert, en étant considéré comme un faible d'esprit ou un homme de Neandertal ; maintenant les choses sont un peu moins marquées. Renault me paraît avoir maintenant pleine conscience du problème. Il en est de même chez nos collègues transalpins. Et nous voyons, avec la remontée du dollar vis-à-vis du yen, les Américains, les européo-américains, et notamment Ford, recommencer à considérer que le problème de la concurrence asiatique existe, et sur leur marché intérieur et sur le marché européen.

Cet accord CEE-MITI que je trouve très mauvais, est au moins une base. Des accords de ce genre ne pourraient plus être passés, depuis que l'Uruguay Round a été conclu et que nous avons l'Organisation mondiale du commerce. Mais je souhaite que nous entrions en conversation, par l'intermédiaire de la CEE, avec le MITI, pour leur demander, en leur expliquant pourquoi, de repousser la date d'ouverture complète des marchés européens dits protégés, dans lesquels se trouve paradoxalement la Grande-Bretagne qui est pourtant une terre d'asile pour les Japonais. Et tels que je connais les Japonais, si nous sommes suffisamment déterminés et unis, nous y arriverons. Nous ne parviendrons peut-être pas à obtenir de repousser cette date jusqu'au moment où les 3 300 000 véhicules que j'évoquais précédemment auront été rattrapés, mais je suis persuadé que nous parviendrons à des résultats.

S'agissant de la Corée, ce sont les Américains qui ont lancé le débat les premiers. Et nous avons essayé de voir, dans tous les domaines, comment traiter ce problème. Nous avons espéré qu'on le traiterait au moment où la Corée a été admise à l'OCDE. C'était vraiment le moment de le faire, mais il n'en a rien été. C'est une question délicate, car on ne peut pas attaquer au niveau de la législation antidumping, les voitures coréennes étant vendues en Europe plus cher que sur le marché national. C'est une exception à ce que je vous disais. Le seul angle d'attaque consisterait, soit à réclamer une ouverture de marché qui n'existe pas - je vous ai parlé des pratiques fiscales -, soit à démontrer qu'il y a des aides publiques excessives apportées aux constructeurs coréens. Mais, compte tenu de leur système de production qui intègre dans un même " chaebol " des métiers tout à fait différents, on ne peut pas leur interdire, s'ils gagnent de l'argent sur les constructions navales, de le réinvestir dans l'automobile. D'autre part, ils ont un système financier tellement obscur qu'il est difficile de déterminer si les constructeurs coréens reçoivent véritablement des aides excessives, ce que certains d'entre nous semblent croire. Les problèmes actuels de Kia vont peut-être ralentir un peu les choses. En sens inverse, au niveau de la Corée, un des très grands dangers est l'entrée dans l'automobile de Samsung, grande entreprise mondiale, très forte en matière d'électronique, de construction navale ou de textile. Cela fait maintenant dix-huit mois qu'avec nos collègues américains et européens, nous essayons de trouver un angle d'attaque à l'égard de la Corée mais c'est très difficile.

S'agissant des pays d'Europe centrale et orientale (PECO), comment faire pour gérer l'élargissement ? Si nous subissons les mêmes troubles politico-organisationnels de l'Europe que maintenant, je me demande ce que donnera une Europe à vingt-sept quand on voit le désordre profond qui règne dans une Europe à quinze !

M. le Rapporteur : Je partage ce dernier sentiment.

M. Jacques CALVET : Je souhaite que la majorité et l'opposition actuelles se réunissent pour soutenir une thèse qui me paraît de simple bon sens. Que peut-on faire pour les PECO ? Ce que M. Brittan a fait une ou deux fois, mais très inquiet de son propre courage, il s'est rapidement replié : une des bases d'un élargissement possible consiste à commencer dès maintenant, avant même que l'élargissement ne se fasse, à faire respecter les règles de l'Union européenne par les pays qui veulent y entrer. M. Van Miert, Commissaire européen, que, personnellement, j'aime bien, même s'il n'est pas très populaire en France, suit de très près toutes les aides qui peuvent être apportées à l'intérieur de la Communauté européenne aux constructeurs automobiles. Il me paraîtrait extrêmement souhaitable que l'on demande aux PECO de prendre contact avec M. Van Miert et qu'ils ne fassent pas n'importe quoi dans un certain nombre de domaines.

Sur l'emploi, il faut bien voir que l'affaire de Volkswagen est très particulière. Après que l'Etat fédéral eut revendu les 20% qu'il avait dans son capital, Volkswagen est devenu très proche du Land de Basse Saxe et notamment de son président, M. Schröder, qui est aussi, je le crois, président du conseil de surveillance de Volkswagen. Et je peux vous dire que les conseils de surveillance, en Allemagne, sont véritablement des organismes très intégrés dans les décisions stratégiques. Ce qu'a fait Volkswagen à Wolfsburg, qui ne s'est d'ailleurs pas étendu à d'autres industriels allemands ni même à la totalité des sites industriels de Volkswagen, a été global  : il y a eu une réduction de la durée du travail, accompagnée d'une baisse des salaires - qui n'était pas à due concurrence, bien entendu - et d'une annualisation de la durée du travail, qui se traduit par davantage de facilités pour faire des heures supplémentaires quand il le faut sans les payer comme telles et, à d'autres moments, au contraire, pour travailler moins lorsque la demande est moins forte. Si vous le souhaitez, d'ailleurs, nous avons, avec Renault, étudié très précisément la question et nous pourrions vous transmettre l'analyse que nous en avons faite et qui, je crois, est assez objective. Personnellement, je ne crois pas que ce type d'accord corresponde à la mentalité française actuelle, tant celle des patrons " ignares et obtus " que celle des travailleurs de l'entreprise. J'insiste aussi sur le fait qu'il faut tenir compte du temps industriel. Nous avons une industrie lourde en investissements et en main-d'oeuvre. Et quand l'organisation des ateliers est faite, il est très difficile de la modifier. Je prendrai d'ailleurs à témoin M. Masdeu-Arus, qui a suivi l'opération que nous avons menée à Poissy pour passer à quatre jours de travail et cinq équipes afin de mieux tirer profit des installations existantes, sans augmenter la durée du travail de chaque travailleur. Il nous a fallu plus de six mois pour former les hommes. Cela a d'ailleurs été très utile, car nous avons une très bonne polyvalence à Poissy, c'est-à-dire des hommes et des femmes qui arrivent à tenir autant de postes que les meilleurs Japonais. Nous sommes à 2,6 postes ou 3 postes en moyenne, ce qui veut dire que certains salariés sont capables d'en tenir 5 ou 6. C'est une opération qui demande énormément de temps et qui, dans certains cas, se révèle impossible à réaliser. Cette opération Volkswagen s'explique par la situation syndicale en Allemagne, qui n'a rien à voir avec celle de la France, et par la présence de M. Schroëder, à la fois comme actionnaire et comme membre important du dispositif de Volkswagen. Je ne crois pas qu'elle soit reproductible en France. Et pour moi, je vous le dis tout net, la réduction de la durée du travail, ce sera plus de chômage et non pas plus d'emplois, car nous perdrons en productivité. Des études ont déjà été faites à ce propos, il y a bien longtemps. En 1936, après les accords de Grenelle, un groupe d'économistes a essayé de comprendre pourquoi cela n'avait pas marché. Ils en sont arrivés à la conclusion qu'il y avait ces mêmes problèmes de dispositifs industriels et que les hommes ne sont pas interchangeables. Nous faisons dans notre groupe un effort de formation considérable qui représente 4 à 5% de la masse salariale. Nous avons aussi une sorte de déroulement de carrière qui n'existe pratiquement nulle part ailleurs. Mais malgré cela, certaines personnes sont irremplaçables et doivent travailler, non pas trente-neuf ou trente-cinq heures, mais soixante heures par semaine ! Je parle des cadres, bien entendu.

On peut dire que les constructeurs français sont de taille modeste. Mais nous faisons quand même deux millions de véhicules par an. Vous avez posé une question tout à fait pertinente sur les rapprochements ou les non-rapprochements. Si vous me le permettez, je vais faire un retour en arrière. Quand je suis arrivé, en 1974, à la Banque Nationale de Paris, qui était issue de la fusion du Comptoir national d'escompte de Paris et de la BNCI, mon prédécesseur, M. Ledoux, avait fait un travail remarquable au niveau commercial. Il avait réussi à maintenir pour le nouveau groupe les parts additionnées des deux banques antérieures. En revanche, rien n'avait été fait au niveau de l'informatique, de la fusion administrative des deux banques. Je n'avais pas fini de régler cette question quand j'ai dû quitter mes fonctions, dans les circonstances que vous savez, huit ans après, alors que je m'étais acharné sur ce problème. Pour Peugeot-Talbot-Citroën, il m'aura fallu à peu près dix ans pour constituer réellement le groupe, de façon qu'il ait son unité, sa coordination tout en maintenant l'autonomie et la personnalité de chacune des marques. C'est la croix et la bannière ! Et c'est un travail qui ne sera jamais achevé. Les tendances centrifuges sont toujours plus fortes que les tendances centripètes.

Par conséquent, je suis formel sur ce point : rapprocher les deux constructeurs français, ce serait tout d'abord des problèmes sociaux épouvantables. Et ce serait, en plus, une voie ouverte magistrale pour les constructeurs étrangers. Car, pendant dix ans, nous serions obligés de régler des problèmes internes, alors que, actuellement, nous utilisons toutes nos forces à nous battre contre l'extérieur. Et si j'ai à peu près réussi à constituer ce groupe en dix ans, c'est aussi parce que j'ai eu la chance d'avoir, de 1985 à 1992, des années économiquement fastes. L'essentiel a été fait dans un certain contexte de facilité.

En revanche, je suis favorable à toutes les coopérations ponctuelles, quand il s'agit de faire mieux à deux, à trois ou à vingt-cinq qu'à un. Ce n'est pas facile non plus, car cela suppose d'avoir les mêmes choix techniques, les mêmes besoins et le même calendrier. Cela dit, nous faisons énormément de coopération et beaucoup plus qu'on ne le croit d'ordinaire. C'est d'ailleurs notre faute. Nous devrions à mon avis, le faire savoir. Je vous donne quelques exemples. Avec Renault, nous avons une filiale commune la Française de Mécanique, qui marche très bien et qui produit de nombreux moteurs. Nous venons de faire ensemble un nouveau V6, qui est d'ailleurs très bon. Nous avons également une filiale - 80% Renault, 20 % Peugeot -, la STA, à Ruitz, pour tout ce qui est transmission automatique. Nous avons fait ensemble une nouvelle boîte de vitesses automatique qui sera produite à la fois pour eux à la STA et pour nous dans notre usine de Valenciennes. Voilà pour les réalisations concrètes. Nous avons aussi, avec Renault, une collaboration avec un laboratoire d'accidentologie pour essayer d'améliorer tout ce qui est sécurité passive. Nous avons également de multiples rencontres au niveau des ingénieurs, pour traiter des problèmes d'études et de recherches. Avec Fiat, nous fabriquons des véhicules communs utilitaires ou des monospaces, soit dans le Mezzogiorno, soit à Valenciennes. Avec l'ensemble des autres constructeurs européens depuis quatre ans, nous avons déterminé, pour simplifier la vie des fournisseurs, qu'un contrôle de qualité fait par un constructeur serait valable pour l'ensemble des autres constructeurs. Nous avons des programmes communs pour le recyclage des voitures en fin de vie. Nous avons même des programmes communs de recherche. Je regrette d'ailleurs que l'accord européen de 1991 avec les Japonais, dont c'était le volet externe, et qui devait comporter un volet interne avec de la recherche et de la formation au niveau de la Communauté européenne, pour nous aider à supporter la concurrence, n'ait jamais été suivi du moindre effet, ni dans le quatrième programme communautaire de recherche-développement (PCRD), ni, je le crains dans le cinquième qui est actuellement en préparation. Cela dit, nous avons eu de nombreux programmes qui ont été très bien menés, tels ceux lancés, par exemple, par M. Curien ou par M. Giraud. Nous n'avons pas d'oppositions entre constructeurs, que ce soit en termes de fournisseurs, que nous essayons de conforter dans leurs structures, en termes de recherche ou de production d'organes, voire de véhicules. Mais en ce qui concerne la grande fusion générale, les deux expériences que j'ai eues m'amènent à vous dire ma crainte, dans le contexte actuel, que ce ne soit suicidaire. Je pense que M. Schweitzer a dû vous dire la même chose, car nous sommes tout à fait d'accord sur ce point.

M. Maurice ADEVAH-POEUF : M. le Président, je vous ai écouté avec beaucoup d'attention et j'ai observé, folie ou sagesse, que vous n'aviez pas changé.

M. Jacques CALVET : A mon âge, ce serait un peu tard, M. le député !

M. Maurice ADEVAH-POEUF : Je ne vous le reproche pas, je le constate. Vous n'avez pas changé et je m'étonne un peu de voir le nationaliste que vous êtes faire autant d'efforts pour se démarquer du deuxième constructeur français, des pouvoirs publics français et des industriels pétroliers français ...

M. Jacques CALVET : Je vous ai dit le plus grand bien de M. Sautter.

M. Maurice ADEVAH-POEUF : J'en suis heureux et je lui ferai part du fait que vous l'avez identifié nominativement. Il en sera, sans aucun doute, tout à fait flatté.

Je ne voudrais pas non plus que vous croyiez, s'agissant des pouvoirs publics, que tous - je parle pour les modestes législateurs que nous sommes et au-delà, pour les gens de l'exécutif et pour les fonctionnaires de cette maison ou d'ailleurs - nous passons notre temps dans des transats, sur le pont des premières classes, à imaginer les moyens d'augmenter les prélèvements obligatoires qui seront évidemment perçus sur les gens qui travaillent. On travaille beaucoup dans l'industrie automobile, y compris au plus haut niveau, mais ailleurs aussi.

M. Jacques CALVET : J'en suis persuadé.

M. Maurice ADEVAH-POEUF : Et je ne discute pas la nécessité de se poser en permanence la question du meilleur rapport entre l'argent public prélevé et l'utilisation qui en est faite. Nous nous la posons tous, et de manière continuelle. J'ajouterai que, depuis deux ans, nous avons connu une crête historique en matière de prélèvements qui, je l'espère, vont bientôt pouvoir se stabiliser et, si possible, diminuer. Cela dit, personne ne se pose de questions à propos de prélèvements qui sont de même nature, justifiés de la même manière et qui sont les prélèvements privés. Ce n'est pas au président du directoire d'un groupe de l'importance de PSA que je vais apprendre que les " management fees " qui font remonter des sous-filiales et des filiales vers les holdings de tête des pourcentages de chiffre d'affaires pouvant excéder 3,5%, se justifient par des charges de structure ou autres. Personne n'en parle jamais, sauf depuis cette année, dans un conseil d'administration d'équipementiers, que vous connaissez bien, et qui a été obligé de restituer à l'une de ses filiales la modeste somme de quelques dizaines de millions de francs pour prélèvements excessifs...

M. Jacques CALVET : Si vous pouviez dire cela à mes actionnaires, M. le député ! Je suis considéré, à juste titre d'ailleurs, comme l'homme qui rémunère le moins bien - et j'en ai un peu honte - ses actionnaires. S'il y a un domaine dans lequel je peux vous assurer qu'il n'y a pas de holding de tête qui perçoive des redevances, c'est bien chez PSA !

M. Maurice ADEVAH-POEUF : Je vous en félicite, M. le Président ! Il n'empêche que ce n'est jamais un objet de débat et la plupart des gens l'ignorent, alors que la question, à mon sens, mérite d'être soulevée, quand on raisonne en macro-économie comme vous l'avez fait et comme nous sommes là aussi pour le faire. Nos actionnaires à nous, hommes politiques, ce sont les citoyens. Ils sont donc peut-être un peu plus remuants !

M. Jacques CALVET : Vous ne pouvez pas dire cela, M. le député ! j'ai fait un budget dans lequel je ne me bornais pas à maintenir, ce qui est déjà tout à fait louable ...

M. Maurice ADEVAH-POEUF : M. le Président, ne vous sentez pas visé en tant que président du directoire de PSA. Mais vous connaissez, comme moi, des groupes où les " management fees " dépassent les 3,5% du chiffre d'affaires sur l'ensemble du groupe en consolidation. Et cela représente des sommes considérables auxquelles les actionnaires minoritaires commencent à s'intéresser. Je vous dis cela sans malice. Vous avez été franc. Je crois qu'il était de mon devoir, n'ayant pas la réserve qui s'impose à la tribune, de l'être aussi au nom de tous nos collègues ou, en tout cas, de tous ceux qui voudront bien se reconnaître dans mon intervention. C'est fait, n'en parlons plus.

Je voudrais vous interroger maintenant sur le diesel. J'observe avec un certain sourire que vous avez développé exactement les deux mêmes arguments que le secrétaire d'Etat à l'industrie, hier, ici même. Il s'agit de l'environnement et du taux de fiscalité du gazole en France par rapport aux autres pays de l'Union européenne. Je comprends bien que ce soient les deux arguments mis en avant.

M. Jacques CALVET : J'ai aussi parlé de l'ozone.

M. Maurice ADEVAH-POEUF : L'environnement et le différentiel de fiscalité du gazole en France par rapport aux autres pays de l'Union européenne sont les deux meilleurs terrains, parce que les seuls valables, de ceux qui - et je ne le leur reproche pas - prônent le maintien du différentiel de taxe intérieure sur les produits pétroliers (TIPP).

Je n'entrerai pas, comme vous vous y êtes refusé vous-même, dans la discussion sur la plus ou moins grande dégradation de l'environnement provoquée par les diesel ou par les moteurs à essence, parce que la vérité scientifique reste à établir dans cette matière. Et il est vrai que l'actualité récente de cet été a parfois, dans un certain nombre d'expressions publiques, dépassé les vérités scientifiques du moment. Ce n'est donc pas sur ce terrain-là que je me place. Je ne me place pas non plus sur le plan des droits d'accise sur les carburants, car la seule vérité qui compte pour notre débat franco-français, ce ne sont pas les différences de taux des droits d'accise sur le gazole entre la France et les autres pays de l'Union européenne, c'est le différentiel de droits d'accise en France entre le gazole et les autres types de carburants, et notamment les essences non plombées. Quand on regarde les chiffres, en francs constants, le différentiel était de 1,30 franc en 1990. En 1996, il était de 1,43 franc. Cela signifie que l'avantage fiscal en faveur du gazole s'est fortement accru dans les six dernières années, ce qui explique le transfert massif sur les petits véhicules utilitaires et sur les véhicules particuliers de l'essence vers le diesel ; c'est également la raison pour laquelle, malgré l'augmentation constante des taux de TIPP, le produit de cette taxe, troisième recette fiscale de l'Etat, n'augmente pas à due concurrence, c'est-à-dire que l'Etat perd de l'argent. Il y a donc, là aussi, un problème fiscal. Cela explique peut-être que la circulaire du 23 décembre 1977 sur le calcul de la puissance administrative continue de s'appliquer... Cela signifie, pour être clair, que si vous êtes propriétaire d'un véhicule qui vaut 300 000 francs, avec un moteur diesel de 160 ou 170 chevaux turbo-compressé, vous êtes dans une catégorie de puissance administrative à 7 chevaux fiscaux et que si vous avez un petit véhicule qui coûte 85 000 francs, à essence, vous payez autant, avec 7 chevaux fiscaux, en vignette, en carte grise et divers autres frais. L'avantage est donc incontestable. Cet avantage s'accroît encore avec le régime spécifique de la déductibilité de la TVA sur un véhicule professionnel ou un petit véhicule utilitaire : dans l'hypothèse où il s'agit d'un moteur à essence : déductibilité zéro. Si c'est un véhicule utilitaire diesel : déductibilité de la TVA, 100% ! Si c'est un véhicule particulier, mais à usage professionnel : déductibilité de la TVA, 50%.

Ainsi, sans qu'il y ait jamais eu un véritable débat au fond sur cette question, il y a incontestablement un avantage fiscal décisif pour le moteur diesel qui explique les taux de diésélisation extrêmement importants de la France, ce qui nous place hors normes pour le marché européen. C'est incontestable.

M. Jacques CALVET : Non, ce n'est pas incontestable 1

M. Maurice ADEVAH-POEUF : Je ne doute pas que vous me répondrez sur ce point, M. le Président. Je ne parlerai même pas des modèles mathématiques qui ont démontré, dans un rapport récent, déposé par le Gouvernement précédent il y a moins d'un an, qu'il y avait un transfert d'environ 24 milliards de francs des charges d'infrastructure sur les utilisateurs de véhicules particuliers fonctionnant avec des moteurs à essence. On peut discuter de la validité du modèle mathématique, mais il y a manifestement un effet de transfert qui est tout à fait fondamental. Cette politique fiscale extraordinairement avantageuse, que rien ne justifie en matière d'environnement ni, à mon sens, en aucune autre matière, a permis à nos constructeurs français et, en tout premier lieu, à PSA, de devenir c'est vrai, en matière de technologie des petits moteurs diesel, le meilleur du monde. Tant mieux ! M. le Président, vous avez dit tout à l'heure que c'était une spécificité française de détruire les objets de sa supériorité.

M. Jacques CALVET : Tout à fait !

M. Maurice ADEVAH-POEUF : Personne ne vous parle de détruire la supériorité des constructeurs français en matière de diesel de petites cylindrées. En revanche, et vous savez cela aussi bien que moi, même quand on est homme de passion et homme de conviction, on peut avoir raison. Mais quand on est tout seul, on peut aussi avoir tort ! Et des supériorités techniques françaises dans un certain nombre de domaines, les cimetières de la technologie française seront peuplés d'un certain nombre sous peu. Le Concorde a été une supériorité technologique remarquable et un fiasco commercial non moins remarquable. La filière à eau pressurisée a été une trouvaille technologique extraordinaire qui ne s'est pas beaucoup exportée et qui n'a pas donné de résultats économiques probants. Je ne parle pas de Superphénix. Il ne suffit pas d'être les meilleurs technologiquement pour pouvoir, sur cette supériorité technique d'un instant, être les meilleurs au plan commercial. Et dans votre logique - c'est tout à fait légitime - il me semble que c'est la préoccupation première.

J'estime comme vous que, dans une industrie aussi importante et aussi rigide par nature qu'est l'industrie automobile, on ne peut pas modifier des normes en les sévérisant
- parce que cela se passe toujours ainsi, sur les émissions, sur les qualités de carburants ou sur les bruits -, en changeant les règles tous les deux ou trois ans : je plaide pour qu'il y ait au moins du moyen terme - c'est-à-dire au minimum 10 ans - pour toute modification des normes et de la fiscalité. Car sinon on aboutit très vite à des impossibilités ou à des stupidités économiques et - j'en suis d'accord avec vous - le coût économique dépasse très largement l'avantage qui en résulte. Sur ce plan, sans rien enlever à la supériorité technique française en matière de diesel de petites cylindrées, il faut que la puissance publique procède progressivement à des arbitrages à moyen terme entre l'industrie automobile, la fiscalité des carburants, c'est-à-dire les recettes de l'Etat, l'industrie pétrolière, les usagers et les transports routiers. Je crois que nous n'éviterons pas ce débat, à condition qu'il commence, parce que jusqu'à présent, il n'a jamais eu lieu, ou alors sur de mauvais terrains, avec de mauvais arguments. Je voudrais, par cette modeste intervention, non pas le lancer, mais y contribuer.

M. Jacques CALVET : Je vais vous répondre avec la plus extrême franchise. Si j'ai rappelé les deux arguments de M. Pierret, ce n'est pas du tout parce que c'était les deux seuls que j'avais à présenter, mais parce que je pensais qu'un ministre du Gouvernement s'étant exprimé, la politique gouvernementale devait s'en déduire. Si ce n'est pas le cas, c'est une innovation intéressante pour une équipe gouvernementale !

M. Maurice ADEVAH-POEUF : Les lois de finances sont votées par le Parlement, M. le Président !

M. Jacques CALVET : Tout à fait ! Sur proposition du Gouvernement ! Et à ma connaissance, la majorité a, sur les choix essentiels, plutôt à appuyer son gouvernement qu'à le renverser...

Vous savez, c'est un sujet très sérieux et, malheureusement, votre proposition, que vous croyez modérée, est sans doute la plus dangereuse qui puisse être dans ce domaine.

En matière d'environnement, il faut être clair. Devant l'ACEA que je présidais l'an dernier, le Premier ministre précédent avait interpellé les patrons allemands en leur demandant comment eux, les meilleurs écologistes du monde, pouvaient être en faveur du gazole, en faveur du diesel ? Les constructeurs allemands lui ont répondu que l'effet de serre leur apparaissait plus grave que les particules et que le diesel permettait une moindre consommation - ce qui avait une moindre conséquence sur la couche d'ozone stratosphérique - et était donc encouragé par le gouvernement.

Ils développent effectivement le diesel, notamment Volkswagen, et l'on dit même que BMW va s'y mettre !

Fiat a signé récemment, comme nous l'avons fait nous-mêmes, un engagement de réduction des émissions de CO2 dans les années à venir, c'est-à-dire de la consommation moyenne des voitures qui sortent chaque année. Dans cet accord, il y a l'indication que la part de diesel doit passer à 40 % - elle est actuellement de l'ordre de 15 % sur le marché italien -, car c'est la seule façon d'arriver à réduire la consommation.

M. Al Gore, Vice-président des Etats-Unis, vient de lancer une mission d'étude pour voir dans quelle mesure le diesel pourrait être adapté à des voitures particulières. Et sur les 300 millions de dollars dérivés du budget du Pentagone...

M. Maurice ADEVAH-POEUF : Je ne dis pas le contraire !

M. Jacques CALVET : Bon !

Le Japon est en train de nous acheter des moteurs diesel et de se poser la même question. Par conséquent, ne parlons pas d'une exception française !

M. Maurice ADEVAH-POEUF : Fiscalement, si !

M. Jacques CALVET : Ne parlons pas d'une exception française. Disons que la France était en avance sur les autres pays. C'est quand même quelque chose de sympathique !

Deuxième argument, vous m'avez parlé des clients. Quels sont les clients pour le gazole ? Les transporteurs routiers, ...

M. Maurice ADEVAH-POEUF : Eux n'ont pas de possibilité de substitution ; ils ne doivent pas être concernés par une modification de la TIPP.

M. Jacques CALVET : ...les transporteurs routiers, les VRP : c'est l'essentiel des utilisateurs professionnels. Enfin, un certain nombre de gens peu aisés qui achètent un moteur diesel parce qu'ils sont obligés, tous les jours, de venir au travail et de faire un certain nombre de kilomètres.

Autre élément, nous avons actuellement une évolution importante du diesel avec l'injection directe. Il y a déjà un turbo diesel injection directe, chez Volkswagen. Nous en avons sur un véhicule utilitaire. Mais avec la pompe électronique, le niveau de bruit ne nous paraît pas acceptable. Nous avons donc choisi le " common rail " - c'est-à-dire une espèce de rampe d'injecteurs - qui permet d'injecter beaucoup plus précisément, comme le goutte à goutte pour les arbres quand on veut les arroser. Cela nous permettra de gagner de l'ordre de 10 à 15 % en consommation et en bruit, et de réduire la pollution.

Tout cela montre bien que nous sommes en avance dans un domaine d'avenir.

La progressivité - cette proposition mesurée que vous avez faite -ce serait la mort du diesel. Cela se traduirait immédiatement par une chute complète des ventes de diesel, pour une raison simple : le diesel est intéressant si l'on conserve sa voiture un certain nombre d'années en faisant un certain nombre de kilomètres par an, de l'ordre de 23 000 à 25 000.

Il est clair que si l'on annonçait un plan à moyen terme pour augmenter la fiscalité du gazole, il s'ensuivrait immédiatement une chute des achats de diesel avec toutes les conséquences sur l'emploi qui en découleraient chez Renault, et encore plus chez nous.

Il est préférable d'en rester à la situation actuelle.

Vous dites qu'on a augmenté l'avantage du gazole par rapport à l'essence sur une certaine période. En fait, on a augmenté de la même façon en valeur absolue les deux types de carburant. On a donc réduit en pourcentage l'avantage du gazole, ce que je regrette d'ailleurs très profondément.

M. Maurice ADEVAH-POEUF : C'est un constat de désaccord, M. le Président !

M. Jacques CALVET : Je le regrette, car c'est vraiment une question qui est assez vitale.

M. Maurice ADEVAH-POEUF : Je pense que c'est un objet de débat, et je souhaite qu'il puisse se tenir.

M. Joseph PARRENIN : M. le Président, je pense que l'on ne va pas s'étendre trop longtemps sur ce problème du diesel, d'autant plus que, vous l'avez dit, le ministre s'est exprimé sur le sujet. Il serait effectivement un peu dangereux, me semble-t-il, de s'orienter vers une remise en cause de la situation actuelle, sur des critères que nous apprécions, pour notre compte, fort mal. Je veux parler des problèmes de pollution et de protection de l'environnement, sachant que, sur ce sujet, les experts sont tous d'accord : la pollution provient, surtout dans les villes, de moteurs, essence ou diesel, qui fonctionnent dans des conditions difficiles, dans des périodes de bouchon. On sait très bien également que la pollution augmente avec les très grandes vitesses sur les autoroutes, par exemple. Si nous voulons toucher au problème de l'environnement, il faut réfléchir d'abord aux transports en commun dans les villes.

M. Jacques CALVET : Transports en commun dont vous vous serez assurés qu'ils sont bien propres !

M. Joseph PARRENIN : Je suis d'accord avec vous !

La mission automobile avait été instituée sous la précédente législature ; on a décidé de la recréer parce que la préoccupation première des élus que nous sommes, c'est l'avenir de l'emploi.

Vous venez de déclarer que vous ne croyez pas à la réduction du temps de travail comme solution à l'emploi. Comment envisagez-vous de gérer le problème de l'emploi chez PSA dans les dix années qui viennent ?

M. Jacques CALVET : J'avais eu une conversation de ce type avec M. Mauroy quand il était Premier ministre en 1983 et quand j'avais été obligé, malheureusement, de faire la première réduction d'effectifs importante à Poissy. M. Mauroy m'avait dit à l'époque : vous ne pouvez nier qu'au long des siècles, des décennies ou des années, la durée du travail s'est réduite ! Par conséquent il va bien falloir continuer ! Et je lui ai répondu ce que je vous redis maintenant : la réduction de la durée du travail est une retombée de la croissance et de l'expansion économique, ce n'est pas un moyen de répartir la pénurie.

Par conséquent, ayons une politique économique qui soit un peu moins maastrichienne, un peu moins basée sur des critères monétaires et un risque d'inflation que voient les monétaristes alors que, actuellement, on est à 1 % d'inflation théorique et que l'INSEE évoque plutôt 0,50 ou 0,75. Commençons donc à nous occuper plutôt de la croissance économique et de l'emploi au lieu de continuer à manier les mécanismes monétaires. Et je vous assure que le jour où nous aurons retrouvé une expansion et des résultats suffisants, le problème se posera de façon totalement différente.

M. Maurice ADEVAH-POEUF : Vous êtes keynésien, M. le Président !

M. Jacques CALVET : Oh, je ne sais pas si c'est keynésien !

M. Joseph PARRENIN : Vous n'avez pas vraiment répondu à ma question par rapport au groupe dans les dix années qui viennent.

M. Jacques CALVET : Pour le groupe, le problème est d'une simplicité biblique ! D'ailleurs, j'espère voir prochainement sur ce sujet - et c'est encore un ministre actuel pour lequel j'ai beaucoup d'estime - Mme Aubry. Moi, je considère que nous avons vis-à-vis des membres de notre personnel un devoir de reconnaissance pour le nombre d'années pendant lesquelles ils ont travaillé chez nous. Car si nous essayons maintenant, dans la mesure où nous le pouvons, d'améliorer les conditions de travail, ce n'était pas tout à fait le cas il y a vingt ou trente ans, quand ils ont commencé à travailler.

Par conséquent, ma thèse est qu'il faut absolument, comme nous l'avions proposé au dernier gouvernement qui ne l'avait pas accepté, pendant une période temporaire, avoir des possibilités de préretraites, bien que cela coûte cher - pas seulement à l'Etat, comme le dit à juste titre Mme Aubry, mais aussi aux entreprises -, de façon à pouvoir traiter le problème d'une façon socialement convenable. Et vous savez très bien que, dans les circonstances actuelles, 99,7 % des intéressés sont favorables à ces préretraites. Cela nous permettrait de recruter un certain nombre de jeunes.

D'autre part, moi, je crois beaucoup à la croissance économique générale sur un plan macro-économique. Mais j'essaie également d'agir de façon micro-économique, c'est-à-dire de produire des voitures qu'on ait envie d'acheter, de les vendre dans le maximum de pays, en nous y installant commercialement quand nous le pouvons, en nous y installant industriellement au niveau du montage quand c'est la seule façon de pénétrer ces pays, comme la Chine, la Malaisie, l'Argentine et demain le Brésil.

Mais cela est possible par la croissance, et non par la réduction de la durée du travail.

Quelles en seraient les conséquences ? Des conflits absolument épouvantables sur le maintien ou la baisse des salaires : des syndicats considèrent qu'on peut les baisser jusqu'à un certain niveau, mais pas totalement, d'autres qu'il n'en est pas question. S'il n'y a pas de compensation totale, on aura une perte de compétitivité. Or rappelez-vous ce que j'ai dit tout à l'heure sur la structure lourde de notre appareil industriel et de notre organisation de la production.

Tout le monde souhaite améliorer l'emploi ! Je vous assure, c'est ma préoccupation profonde, comme vous. Mais franchement, la voie qu'on veut prendre maintenant consiste à supprimer ce qui peut rester de souplesse ! C'est la théorie du gâteau. J'ai entendu cela indéfiniment, à une époque, au ministère des finances où l'on disait : le marché financier est un gâteau ; si l'Etat en prend plus, il n'y en aura plus assez pour le privé. Mais ce n'est pas un gâteau, le marché financier ! C'est quelque chose qui peut se développer ou, malheureusement, se réduire ! L'emploi, c'est la même chose. Ce n'est pas une donnée constante, c'est quelque chose qui peut évoluer ou, au contraire, se réduire. La voie dans laquelle risque de s'engager le Gouvernement - dans le meilleur esprit, je le reconnais volontiers - me paraît malheureusement aller à l'encontre de l'objectif recherché. C'est ma conviction personnelle. J'ai peut-être tort. Comme vous me l'avez dit, je ne suis pas infaillible !

M. le Rapporteur : Vu l'heure, je résiste à l'envie de me lancer sur cet aspect de la discussion. Mais cela sera un de nos sujets de réflexion. Il faudra bien que nous voyions ce que coûtent toutes les hypothèses. Quand je parle coût, c'est à la fois pour les entreprises concernées avec le souci de la concurrence, et aussi pour la collectivité publique...

M. Jacques CALVET : Tout à fait !

M. le Rapporteur : ...parce que nous sommes obligés - c'est notre devoir politique - de prendre en considération les deux.

L'hypothèse des préretraites devra faire l'objet d'un chiffrage permettant de savoir, si la solution des retraites anticipées était seule retenue, quelle serait la part de chacun et quelles seraient les conséquences sur l'emploi. Nous aurons probablement cette discussion dans les prochaines semaines.

J'ai été frappé par un de vos commentaires tout à l'heure sur la Corée que vous avez eu l'air de ne pas considérer encore comme un pays siège de constructeurs automobiles à part entière. J'aimerais que vous explicitiez ce jugement.

Enfin, pour terminer notre entretien, tournons-nous un peu plus vers l'avenir. Vous avez souligné à quel point PSA avait investi dans la voiture électrique, mais aussi les chiffres encore plus que limités des ventes, que ce soit au niveau mondial ou français. A quel horizon - avec tous les aléas que suppose une prévision de ce genre - vous situez-vous pour ces nouveaux types de véhicules ? Avez-vous quelques réflexions à nous apporter dans ce domaine ? En effet, nous ne pouvons pas, je pense, examiner le seul problème de l'emploi pour les trois ou les cinq ans qui viennent, mais il nous faut également intégrer les problèmes de pollution - transports collectifs, transports individuels, circulation urbaine - et examiner des perspectives renouvelées.

M. Jacques CALVET : S'agissant des constructeurs coréens, c'est-à-dire Hyundai, Daewoo, Kia, Ssangyong, ils ont eu pendant très longtemps des alliances avec les constructeurs japonais et, plus ou moins directement, avec des constructeurs américains, sans qu'il y ait eu de transfert de technologie. En d'autres termes, c'était les bureaux d'étude de Tokyo, ou de Toyota City, qui faisaient les plans de la voiture, les plans des organes, des groupes motopropulseurs, des transmissions, etc. Puis, Samsung a annoncé qu'il allait entrer dans l'industrie automobile coréenne - il a eu beaucoup de peine à obtenir l'autorisation, car, au départ, il ne devait pas y avoir de nouvelles entreprises entrant dans l'industrie automobile - et il a, en se servant d'une situation un peu difficile de Nissan à l'époque, conclu, il y a à peu près deux ans, un accord avec Nissan, qui, cette fois, assurait un transfert de technologie.

Par conséquent, c'est seulement depuis deux ans que les Coréens, qui avaient déjà la connaissance des opérations d'emboutissage, de ferrage, de peinture et de montage, accèdent à l'échelon supérieur, c'est-à-dire l'étude, la conception d'un véhicule complet.

C'est donc une menace. Cette menace est déjà réelle dans la mesure où, actuellement, le won est totalement sous-évalué. La bourrasque financière en Asie du Sud-Est qui a gagné jusqu'à la Corée renforce les choses, puisqu'il faut à l'heure actuelle 900 wons pour un dollar, alors que la parité normale serait sûrement inférieure à 800. De plus, les salaires sont très bas en Corée. Il y a donc déjà un danger coréen, mais c'est un danger de prix. Dans quelques années, quatre ou cinq ans, il pourra y avoir un danger venant du fait qu'ils seront des constructeurs complètement intégrés.

S'agissant du véhicule électrique, PSA a investi beaucoup d'argent
- 650 millions de francs - mais je ne suis pas sûr qu'ils aient été les millions de francs les mieux investis du groupe. Nous croyons vraiment au véhicule électrique, pour des raisons d'environnement, parce qu'il est adapté à un certain type de circulation urbaine, et aussi parce que, même si l'on trouve de plus en plus de gaz ou de pétrole ici ou là, les réserves ne sont pas inépuisables.

Nous avons beaucoup travaillé sur le véhicule électrique, non pas seuls mais avec trois équipementiers français de tout premier talent que sont Leroy Somer pour le moteur, Saft pour les batteries et Sagem pour le contrôle moteur.

Finalement, actuellement, deux problèmes se posent. Premièrement, l'autonomie du véhicule ; elle est en effet limitée à 80-100 kilomètres.

Nous avons fait beaucoup d'expériences, notamment avec M. Crépeau à La Rochelle, en faisant circuler une cinquantaine de Citroën AX et de 106 Peugeot afin d'étudier les réactions des conducteurs. Ces véhicules ont beaucoup d'avantages ! Les conducteurs sont beaucoup moins nerveux au volant.

M. le Rapporteur : A l'image des voitures !

M. Jacques CALVET : Oui, à l'image des voitures !

D'autre part, ces véhicules sont parfaitement fiables : il n'y a pas de problème de prototype, de démarrage difficile.

En revanche, avec ces voitures, on a toujours peur de tomber en panne. Pour recharger complètement la batterie, il faut pratiquement sept heures. Il existe des bornes de recharge rapide, mais il y en a peu. Il faut donc créer tout ce mobilier urbain. A Paris, il y a, pour l'instant, trois, quatre ou cinq postes de recharge rapide, qui redonnent quinze, vingt kilomètres d'autonomie en vingt minutes. C'est déjà assez lent.

Ce problème d'autonomie est lié au problème du poids des batteries. On est déjà passé du plomb, auquel sont encore les Américains, au nickel cadmium pour nos batteries actuelles. On pense passer, dans les trois ans à venir, soit au nickel métal hydrure, soit au lithium carbone. On pense ensuite évoluer - sauf si on invente des choses entre-temps - vers la pile à combustibles ; mais la pile à combustibles ne serait utilisable que vers 2010, 2015 ou 2020.

Le deuxième problème posé par la voiture électrique - malgré un système astucieux que nous avons mis au point avec EDF -, est celui du prix. Actuellement, comme les batteries durent plus longtemps que les véhicules - elles peuvent durer 300 000 kilomètres si on les traite bien - on loue les batteries et le prix de cette location est compensé par le prix du kilowatt qui est moins élevé que le prix - je n'ose pas dire d'un litre de diesel - disons d'un litre de carburant.

Malgré cela, le prix du véhicule électrique n'est pas très incitatif.

Je vais alors dire du bien d'un troisième membre du Gouvernement, et je vais m'arrêter là, parce que...

M. Maurice ADEVAH-POEUF : Cela va devenir suspect !

M. Jacques CALVET : Oui, à mon avis, cela devient suspect !

J'ai eu une conversation fort intéressante, à sa demande d'ailleurs, avec le ministre de l'éducation nationale qui est aussi ministre de la recherche. Il ma dit : " finalement, votre problème, ce n'est pas tellement d'avoir des aides supplémentaires "
- on en a déjà sous forme de détaxation ou d'une aide d'EDF -, " c'est d'avoir des commandes. Car si vous en avez, vous aurez une production plus forte et vous pourrez amortir vos investissements " - ce qu'on n'est pas capable de faire actuellement -. Il m'a fait part de sa volonté de considérer ce problème.

Depuis notre rencontre en juillet dernier, des réunions sont organisées entre nos collaborateurs et les siens pour voir dans quelle mesure les administrations - car, vous le savez, la " loi Lepage " prévoit 20 % du parc...

M. Pierre BOURGUIGNON : On ne sait pas très bien comment on va faire !

M. Jacques CALVET : Vous ferez ce que vous voulez ! Vous modifierez la loi ou pas !

M. Pierre BOURGUIGNON : C'est un problème pour les collectivités locales !

M. Jacques CALVET : Quand je vois de temps de temps, dans l'avenue où j'habite, passer dignement une voiture jaune des PTT, parfois une Peugeot d'ailleurs, qui relève chaque boîte à lettres tous les cent mètres, il me semble que le véhicule électrique serait assez bien adapté aux relevés des lettres dans les grandes villes ! Mais on n'y arrive pas ! Actuellement, la seule entreprise qui - pour des raisons qu'on comprend - est très ouverte dans cette affaire, et l'a toujours été, c'est EDF. Ils le font vraiment par conviction et non pour vendre des kilowatts.

Alors si la Poste décidait d'acheter des véhicules électriques... Ce serait d'autant plus justifié que c'est surtout au démarrage, et notamment sur les véhicules à essence, qu'on a le plus de pollution !

M. Maurice ADEVAH-POEUF : Surtout sur les pots catalysés !

M. Jacques CALVET : Oui ! Par conséquent, chaque fois que vous faites 200 mètres, vous avez une pollution beaucoup plus importante que celle définie par les cycles d'essais communautaires. Vous voyez, nous sommes presque d'accord sur le gazole !

M. Patrice MARTIN-LALANDE : Ma première question porte sur les primes " balladurettes " et " juppettes " et leurs conséquences sur le maintien d'un réseau de vente et de réparation. Comment voyez-vous l'éventuelle réutilisation de ce système, et les éventuelles conséquences positives ou négatives qu'ont eues ces deux précédentes expériences pour le maintien d'un réseau indispensable de vente et de réparation ?

En second lieu, je souhaiterais que vous nous disiez quelles sont les trois ou quatre mesures prioritaires que vous attendez des pouvoirs publics, qu'ils soient européens ou français ?

M. Jacques CALVET : Je crois qu'il faut être vraiment très nuancé dans l'appréciation que nous avons à porter sur les " juppettes " et " balladurettes ". Je finirai sur les concessionnaires. C'est un problème tout à fait essentiel.

Nous avons vraiment cru, du temps de M. Balladur, à la nécessité de donner une impulsion à l'activité économique pour la faire repartir. Un peu comme une voiture dont la batterie est à plat, au sommet d'une côte : vous la poussez, et la batterie se remet à fonctionner. Cela a eu un effet positif incontestable sur le nombre de véhicules supplémentaires vendus. J'insiste bien sur le terme " supplémentaires " car, contrairement à ce qu'on a dit parfois un peu rapidement, il n'y a pas eu que des effets d'aubaine et d'anticipation. Grâce à ces primes, nous avons amené aux véhicules neufs des hommes et des femmes qui seraient restés dans le secteur du véhicule d'occasion. Donc, il y a eu non pas seulement une anticipation dont on voit les conséquences actuellement, mais aussi une augmentation du nombre de véhicules vendus.

En revanche, il y a eu deux effets négatifs, et pour le constructeur et pour les concessionnaires. D'une part, une descente en gamme, qui a d'ailleurs été plus nette avec la " balladurette ", pour laquelle la prime était unique, qu'avec la " juppette ", pour laquelle il y avait deux niveaux de prime, même si l'écart n'était pas très important. D'autre part, ces primes ont eu un effet incontestable - en grande partie par la faute des constructeurs qui ont rajouté des primes, des aides (parce qu'ils étaient en concurrence forte) aux primes gouvernementales - d'abaissement des marges, aussi bien du constructeur que des concessionnaires.

Nous sommes très attentifs au problème des concessionnaires. En effet, ce sont des gens qui sont avec nous depuis vingt, trente, parfois cinquante ans et qui font partie de notre substance. Plus des deux tiers de nos voitures sont vendues par des concessionnaires et non par des succursales. Nous leur avons demandé de diversifier au maximum leurs activités. Comme ils gagnaient beaucoup moins et parfois rien du tout sur la vente de voitures neuves, nous les avons incités à rentrer de plus en plus dans le commerce du véhicule d'occasion - que certains faisaient avec talent, d'autres pas -, dans le domaine du service - qui pose des problèmes d'accueil, de disponibilité, de réparation rapide - afin que leur activité se répartisse entre voitures neuves, voitures d'occasion, pièces de rechange et service après-vente, et ne soit pas uniquement axée sur les véhicules neufs. Mais actuellement, la situation des concessionnaires, en moyenne, n'est pas favorable. C'est à peu près la même, d'ailleurs, dans les trois réseaux français en France. Elle est beaucoup plus grave dans le réseau de deux autres constructeurs de deux nationalités différentes, dont je ne peux pas vous donner les noms, car je n'en ai pas le droit. Et récemment, en Allemagne, à propos des concessionnaires allemands, cette fois, Mercedes ou BMW ont dit qu'à peu près un tiers de leurs concessionnaires risquaient de disparaître.

Il reste le problème du règlement de distribution sélective et exclusive qui a été renouvelé en décembre 1995 jusqu'en 2002. Pour notre part, nous souhaitons - et nous demanderons que le Gouvernement nous soutienne - le maintien de cette exception de la part de la Commission de Bruxelles.

Quelles sont les trois ou quatre mesures que nous préférerions ? Je souhaiterais tout d'abord que le Gouvernement ne prenne pas de mesures négatives sur le gazole ou sur l'emploi. S'agissant des mesures positives, il me semble qu'elles devraient concerner moins l'automobile que l'environnement. Avant que vous n'arriviez, j'ai expliqué que nous avions été très déçus par Auto Oil 1, car nous étions d'accord sur les objectifs de qualité de l'air envisagés par l'Organisation mondiale de la santé pour 2010, qui étaient les plus sévères du monde entier, bien supérieurs à ceux du Japon et des Etats-Unis, du moins à l'époque. Nous avions adopté , dans le jargon anglais, une méthode qui n'était plus le " best available technology ", la meilleure technologie disponible, mais le " cost efficiency " c'est-à-dire " coût-efficacité ". Nous avions travaillé avec la Commission et les pétroliers. Et à un moment donné, la Commission nous a dit que, psychologiquement et politiquement, cela ne suffisait pas, qu'il fallait aller au-delà et nous imposer des normes plus sévères. Pour atteindre le même objectif, on nous a donc imposé des normes plus sévères - qu'on n'a pas du tout imposées aux pétroliers, soit dit en passant.

Les mesures qui pourraient améliorer l'environnement, seraient des mesures locales. Mais la Commission de Bruxelles trouve cela épouvantable ! Il n'y a pas d'organisme plus bureaucratique et plus centralisateur et l'idée qu'on puisse prendre des mesures spécifiques à Madrid, à Milan et à Athènes, parce que ces trois villes ont des problèmes géographiques de pollution lui paraît attentatoire à sa dignité et à son pouvoir!

Il faudrait également prendre des mesures orientées vers le renouvellement des voitures les plus anciennes. " L'aznarette ", qui a suivi les deux plans Renove 1 et Renove 2 qui ressemblaient à la " balladurette " et à la " juppette ", comporte des primes beaucoup moins élevées, mais institue un régime permanent pour la suppression des véhicules de plus de huit ou dix ans. M. Prodi semble avoir prolongé jusqu'à fin décembre le régime qui devait s'arrêter fin septembre et il a prévu ensuite un régime permanent avec des primes relativement faibles, pour pouvoir évacuer plus rapidement les véhicules les plus polluants. Je vous l'ai dit tout à l'heure, 80% de la pollution provient de 20% des véhicules.

Concernant la TVA, je souhaite qu'un jour, il soit possible de revenir à un taux normal. Pierre Bérégovoy avait initié ce mouvement il y a quelques années. A l'exception des pays nordiques, nous avons en effet aujourd'hui un des taux les plus élevés parmi les pays européens. Je souhaite que nous arrivions un jour à un taux de 18 ou 18,5 % qui serait, peut être, la moyenne européenne. Mais je sais que cela coûte très cher et que ce n'est pas d'actualité.

En revanche, nous avons proposé aux pouvoirs publics quelques mesures techniques, que le Gouvernement précédent n'avait pas retenues, comme par exemple, le remboursement de TVA pour les véhicules d'occasion exportés en dehors de l'Union européenne. C'est un système qui existe, notamment en Allemagne. Il est clair que si des véhicules d'occasion vont vers les pays de l'Est européen ou même plus loin, cela recrée une incitation pour le marché français. Le CNPA - Conseil national des professions de l'automobile - a fait toute une série de propositions sur les véhicules des sociétés.

Nous avons aussi proposé que l'on revienne à un dispositif un peu moins sévère en matière de dépôt de garantie pour la location avec option d'achat. Le dépôt de garantie est exempt de TVA mais il n'est que de 15%. Or nous considérons que le risque normal pour la location avec option d'achat, pour les sociétés qui font ces affaires, est plutôt de 30%. Cela permettrait de baisser d'à peu près un point le taux de crédit à la consommation. Ces règles résultent d'une circulaire du Service de la législation fiscale.

Telles sont les quelques mesures positives que je souhaitais vous soumettre. Pour l'amour du ciel, nous sommes déjà comme un équilibriste sur un fil, ne nous mettez pas subitement 100 kg de poids supplémentaire sur les épaules !

Audition de M. Amaury HALNA du FRETAY,
Président de la Fédération des industries des équipements pour véhicules (FIEV)

(extrait du procès-verbal de la séance du 17 septembre 1997)

Présidence de M. Daniel PAUL, Président

M. Amaury HALNA du FRETAY : J'évoquerai tout d'abord la situation générale de la profession et en second lieu ses perspectives.

La FIEV - Fédération des industries des équipements pour véhicules - compte environ 300 adhérents qui ont représenté en 1996 un chiffre d'affaires de 100 milliards de francs et employé des effectifs de près de 108 000 personnes. Il est à signaler que ce chiffre d'affaires est réalisé essentiellement à partir d'usines situées en France. Ces données ne comprennent pas les fournitures à l'industrie automobile qui sont assurées par les adhérents de six autres fédérations : la mécanique, le caoutchouc et les pneumatiques, la plasturgie, l'électricité et l'électronique, les fondeurs et le verre.

Ces six fédérations - qui font bien d'autres choses et ont d'autres marchés que l'automobile - ont , selon les bases de 1996, un chiffre d'affaires de 95 milliards de francs et emploient 132 000 personnes. Je vous le signale à titre indicatif, mais, pour ce qui me concerne, je m'en tiendrai aux donnés qui concernent la FIEV.

Un point qu'il me paraît essentiel de souligner et qui constitue une différence de nature importante avec la production automobile proprement dite, est que les équipements pour véhicules se présentent sous la forme, soit de simples composants, soit d'ensembles plus complexes qui correspondent à une fonction du véhicule. Ces équipements qui sont extrêmement différenciés puisqu'il peut s'agir d'équipements électriques, d'équipements intérieurs, d'équipements liés au moteur, des liaisons au sol - amortisseurs, etc. - ou des postes de conduite, mettent en oeuvre des technologies très variées et des processus de fabrication très diversifiés qui peuvent aller de fabrications de très grandes séries, très automatisées, employant peu de main-d'oeuvre dans la mesure où il s'agit de produits standards, à des productions de petites séries qui nécessitent, au contraire, une main-d'oeuvre relativement importante.

De ce fait, la structure et le niveau des prix de revient des équipements ainsi que leurs contraintes logistiques peuvent être fort différents : certains produits se stockent, d'autres pas, les produits volumineux se transportent moins bien que d'autres, etc.

Dans le cadre de la recherche constante de progrès technologiques et de la mondialisation des grands constructeurs automobiles, il s'est produit, pour les équipementiers - y compris les plus grands - un mouvement de concentration et de spécialisation afin qu'ils puissent, pour les produits de leur portefeuille - puisqu'un seul équipementier ne fabrique pas tous les produits nécessaires à une voiture -, atteindre une taille assez importante au plan mondial pour amortir des frais de recherche et d'investissement de plus en plus lourds !

De leur côté, les constructeurs automobiles ont réalisé qu'ils ne pouvaient disposer eux-mêmes d'expertises technologiques compétitives sur tous les éléments concernant leurs véhicules et qu'il était préférable de confier la conception et la production de nombreux équipements à des fournisseurs extérieurs, spécialistes dans leur métier, d'où, ces dernières années, un mouvement que l'on peut appeler " d'externalisation " qui, suivant les constructeurs mondiaux, représente aujourd'hui entre 50 et 80 % du coût de fabrication des véhicules et qui va certainement se poursuivre dans les années à venir.

Par ailleurs, le secteur des équipements de l'automobile enregistre une demande accrue de la part des constructeurs d'être fournis en systèmes, c'est-à-dire en ensembles complexes correspondant à une fonction du véhicule. Cela conduit à distinguer les fournisseurs de premier rang - dont le nombre est relativement limité sur le plan mondial - qui produisent ces systèmes, et les fournisseurs dits " de second rang ", sous-traitants des précédents, parmi lesquels on retrouve l'essentiel des PME du secteur.

Par ailleurs, les constructeurs automobiles mondiaux exigent des fournisseurs de premier rang - cela fait partie des chartes contractuelles que nous avons avec eux et dont dépend notre sélection ou notre maintien comme fournisseurs - l'excellence internationale dans certains domaines dont j'énumérerai les principaux : l'innovation et la recherche ; la qualité des produits ; la productivité des processus de fabrication ; les délais et la flexibilité des livraisons ; la logistique ; la qualité des services commerciaux et après-vente ; l'aptitude à fournir le constructeur dans l'ensemble de ses implantations internationales
- c'est ce qu'on appelle le " world global sourcing " - ; la santé financière de façon à permettre le financement de la recherche et des investissements en particulier.

De ce fait, un constructeur n'accorde aucune préférence à un équipementier de même nationalité que lui. Il recherche systématiquement le meilleur fournisseur afin que ses propres productions de voitures soient compétitives sur le plan mondial, ce qui a eu pour conséquence, au cours des dernières années, une division par deux ou trois du nombre des fournisseurs de premier rang - ceux qui fournissent, livrent et facturent directement aux constructeurs - ce dont les constructeurs se vantent puisque leur politique est d'abaisser le nombre de leurs fournisseurs de 2 000 ou 3 000 à 600 ou 700.

Les équipementiers d'origine française, c'est-à-dire ceux qui, par la majorité du capital et la localisation des services centraux - direction générale, etc.- sont français, ont donc dû subir depuis plusieurs décennies la concurrence des grands équipementiers automobiles mondiaux, non seulement sur les marchés étrangers, mais aussi sur le marché intérieur, c'est-à-dire pour leurs ventes aux deux constructeurs automobiles français. Pour rester compétitifs vis-à-vis de leurs concurrents étrangers, ils ont dû rechercher, pour chacune de leurs lignes de produits, à figurer parmi les leaders mondiaux, ce qui implique en particulier un effort de recherche et de développement identique, une productivité et des installations de fabrication égales, une localisation optimale des usines et un niveau bénéficiaire du même ordre que leurs concurrents en vue de pouvoir, comme eux, financer tous les efforts énumérés ci-dessus.

Se situer parmi les leaders mondiaux suppose aussi pour les équipementiers français d'être, pour leurs lignes de produits, fournisseurs, non seulement des deux constructeurs français, mais également de constructeurs étrangers majeurs pour avoir une taille de production suffisante ; on exige donc des équipementiers qu'ils livrent à des constructeurs étrangers majeurs, qui, à leur tour, exigent d'être fournis dans l'ensemble de leurs implantations internationales, en particulier dans les pays émergents où il est nécessaire, en général, de fabriquer localement puisque, le plus souvent, les autorités de ces pays- à la différence des pays européens - l'imposent.

Devant de telles contraintes, de nombreux équipementiers à capitaux français ont disparu ou ont été absorbés par leurs concurrents français ou étrangers. Il en résulte qu'aujourd'hui le chiffre d'affaires annuel de 100 milliards de francs des adhérents de la FIEV auquel j'ai fait allusion précédemment se répartit approximativement de la manière suivante : 60 % sont réalisés par des filiales françaises d'équipementiers étrangers - ce sont ces filiales françaises qui sont adhérentes à la FIEV et non pas leur groupe au plan mondial - 30 % par les quelques grands équipementiers à capitaux français qui ont survécu dont les principaux sont Valéo - le numéro 1 - Bertrand Faure, ECIA, Labinal. Les 10 % restants représentent un chiffre d'affaires de PME qui, ainsi que je l'ai dit antérieurement, sont le plus souvent des fournisseurs de second rang des grands équipementiers, qu'il s'agisse d'ailleurs de filiales françaises d'équipementiers étrangers ou qu'il s'agisse d'équipementiers français.

En ce qui concerne les effectifs qui, je vous le rappelle, s'élèvent à 108 000_personnes, la profession est encore dispersée. Seuls 25 groupes emploient plus de 1 000_personnes, soit 55 000 au total ! A l'inverse, 200 PME emploient moins de 250 personnes ce qui représente un effectif total de 15 000 employés. Les 38 000 salariés restant travaillent dans des entreprises moyennes employant entre 250 et 1 000 salariés.

Il est une autre façon de décomposer ce chiffre d'affaires de 100 milliards de francs, réalisé, je le répète, à partir d'usines situées en France : 50 % sont destinés aux chaînes de production des deux constructeurs français, 15 % au marché de la rechange à travers les concessionnaires des constructeurs ou les réseaux indépendants de distribution
- les grossistes - et 35 % sont exportés, pour l'essentiel vers d'autres constructeurs que les deux constructeurs français.

En 1996, le chiffre d'affaires des adhérents de la FIEV a progressé de 2,5 %. Les ventes en volume ont certainement augmenté d'un pourcentage plus important par suite de l'intense pression sur les prix de vente, mais il est impossible de le mesurer car on n'additionne pas des pots d'échappement et des radiateurs. On estime que, selon les produits, les constructeurs obtiennent de nous des baisses annuelles de plusieurs points de pourcentage. Il est courant de lire dans la presse - et vous avez certainement eu l'occasion de le faire - que des constructeurs français réclamaient 5 ou 8 % de baisse annuelle en francs courants.

Etant donné la faible croissance de la production européenne de véhicules, et notamment celle de la production française, la progression du volume des ventes d'équipements n'est possible que par des accroissements de parts de marché en dehors de France comme le prouve la progression de 7,5 %, en 1996 des exportations à partir de notre pays, à comparer à l'augmentation globale de 2,5 % des ventes à laquelle je viens de faire allusion.

Il faut noter enfin, et j'en aurai terminé avec les généralités, que la balance du commerce extérieur des équipementiers automobiles de la compétence de la FIEV demeure positive depuis de nombreuses années - elle était de plus de 29 milliards de francs en 1996, ce qui nous situe parmi les tout premiers postes excédentaires avec, je crois, l'agro-alimentaire et l'aéronautique notamment - et témoigne de la contribution des équipementiers automobiles français à l'économie nationale.

Je souhaiterais maintenant évoquer les perspectives qui s'offrent aujourd'hui aux adhérents de la FIEV.

A cet égard, je m'empresse de préciser que je ne suis que le président d'un syndicat et qu'avant d'avoir l'honneur de vous soumettre cet exposé, j'ai réuni le bureau pour interroger ses membres dont je me fais le porte-parole. Mes propos ne seront donc que l'expression de l'opinion des adhérents les plus significatifs de la FIEV et notamment, d'ailleurs, des représentants des patrons de filiales françaises de sociétés étrangères;

En ce qui concerne ces perspectives, on peut dire que ce ne sont ni des problèmes de compétence technique ou industrielle, ni l'éventualité d'un développement défavorable des marchés mondiaux qui nous préoccupent ! L'industrie française des équipements automobiles est intrinsèquement compétitive. Je crois que nous pouvons l'affirmer sans aucune vanité !

Elle est constituée, en effet, à hauteur de 60 % par des usines qui appartiennent aux plus grands équipementiers mondiaux, américains, allemands, britanniques, italiens, notamment, dont la compétence et l'excellence ne peuvent être mises en cause puisque, incontestablement, ils ont mis dans leurs usines françaises des technologies de qualité équivalente à celle de leurs autres usines, y compris celles de leur pays d'origine.

Pour ce qui est des équipementiers d'origine française, le fait qu'ils existent encore après des décennies de concurrence acharnée, prouve qu'ils n'ont rien à envier à leurs grands concurrents étrangers, sans quoi ils auraient déjà disparu !

Les perspectives du marché mondial de l'équipement automobile sont, quant à elles, favorables. D'une part, on peut encore escompter du marché européen de l'automobile une croissance, même si elle est modérée ; nous avons peut-être sur ce point une position un peu différente de celle de nos deux grands constructeurs, car nous pensons, même s'il s'agit d'un marché de renouvellement, qu'il existe quand même en Europe des personnes qui souhaiteraient acheter une voiture, une seconde voiture ou peut-être faire l'acquisition d'un modèle plus puissant. Nous estimons donc qu'il s'agit d'un marché de renouvellement à dérivées positives ! D'autre part, les autres marchés mondiaux, et notamment ceux des pays émergents, vont exploser dans le futur. J'ignore si ce phénomène se produira d'ici 10, 20 ou 30 ans, mais on peut escompter que, sur les 5 milliards d'individus qui peuplent notre planète, un grand nombre de ceux qui font partie de la population active et qui n'ont pas encore de voiture, souhaitera en acquérir une et que leur proportion sera beaucoup plus élevée au cours des 50 prochaines années.

A ce besoin de véhicules vient s'ajouter la sophistication croissante des équipements pour diverses raisons dont je ne citerai que deux : le développement de la sécurité sur les voitures et la protection de l'environnement.

Toutefois, face à ces perspectives favorables, deux grands problèmes se posent aujourd'hui aux adhérents de la FIEV.

J'évoquerai d'abord les disparités qui existent entre les coûts salariaux horaires des usines françaises et ceux d'un certain nombre d'usines étrangères concurrentes situées en particulier en Grande-Bretagne, en Espagne, au Portugal, en Afrique du Nord et en Europe de l'Est. En effet, comme de nombreux équipements - ce qui n'est pas vrai pour tous - ont du mal, avec le " juste à temps ", à venir d'Amérique ou d'Asie, la concurrence principale vient d'Europe, d'Afrique du Nord et d'Europe de l'Est. Ces disparités des coûts salariaux horaires résultent avant tout d'une surévaluation du franc par rapport aux monnaies de ces pays et de la durée annuelle du temps de travail français qui est généralement inférieure à la leur.

Il faut bien voir que la dévaluation de la livre de 30 % par rapport au franc intervenue il y a quelques années, a signifié en quelques mois une augmentation des coûts salariaux français de 30 % par rapport aux coûts salariaux britanniques sans que le niveau de vie des salariés français ait d'ailleurs augmenté pour autant...Quand vous comparez la compétitivité des usines et les prix de revient rendus aux constructeurs français, vous constatez que, d'un seul coup, les Britanniques, les Espagnols, etc. ont eu l'avantage de pouvoir baisser leurs coûts en francs à l'égard des constructeurs français, de l'ordre de 20 à 25 %. C'est dire que la parité avec laquelle la France entrera dans l'euro par rapport à celle des pays européens précités - je parle en particulier de la Grande-Bretagne, de l'Espagne et du Portugal - ainsi que les modalités de réduction du temps de travail envisagées actuellement auront une importance capitale pour l'avenir des usines françaises d'équipements automobiles ou, à tout le moins, pour celles de ces usines qui fabriquent des équipements dans le prix de revient desquels le coût de la main-d'oeuvre est important.

Le second grand problème concerne la flexibilité des horaires et la gestion des effectifs. La production de véhicules automobiles est très variable dans le temps, non seulement globalement mais encore modèle par modèle ; les changements de millésime entraînent, environ trois mois avant le fameux 1er juillet, une baisse de la production qui retrouve par la suite son cours normal. On épuise ainsi les stocks du millésime du modèle précédent.

Il existe, en outre, des facteurs qui interviennent modèle par modèle, voire référence par référence : si, dans certains cas, les équipements sont identiques pour plusieurs modèles, d'autres changent en fonction des références. Or, vous pouvez avoir - et je me référerai à un exemple que je connais bien puisque c'est celui du câblage automobile - une centaine de références en fonction des options pour une voiture dont seront fabriqués 1 500 exemplaires par jour. Dès lors, il est indéniable que toute variation au niveau des options se répercute sur la production. Comme les commandes nous sont passées au dernier moment et doivent être, le plus souvent, livrées dans un délai moyen de trois à cinq jours, il faut parfois fabriquer et livrer en trois à cinq jours selon le système dit du " just in time " que vous connaissez bien !

La charge des usines des équipementiers peut donc être très fluctuante ! Or, pour être agréé comme fournisseur et le demeurer, il faut impérativement, d'une part, respecter les délais de livraison sans quoi on arrête les chaînes de montage, d'autre part, avoir des prix de vente compétitifs ce qui exclut de conserver des sureffectifs dans des périodes de basses eaux. Jusqu'à présent, les dispositifs tels que les heures supplémentaires et le chômage partiel d'une part, les contrats à durée déterminée d'autre part, permettaient aux usines françaises d'avoir la flexibilité nécessaire. Les tendances actuelles semblent être de rigidifier ces dispositifs.

En conclusion, deux graves menaces pèsent actuellement sur certaines usines françaises d'équipements automobiles - celles qui, structurellement, emploient beaucoup de main-d'oeuvre - qu'elles appartiennent à des filiales de grands groupes étrangers, à des grands groupes à capitaux français, ou à des PME dont le destin est inexorablement lié aux grands équipementiers de premier rang. Le risque est d'autant plus grand que, rappelons-le, 60 % de la production d'équipements français est le fait de filiales de sociétés étrangères pour qui la France est une localisation comme une autre et qui n'hésiteront pas à transférer leur fabrication si elles estiment que leurs usines françaises ne répondent plus aux critères de compétitivité des coûts salariaux et de flexibilité exigés par les constructeurs automobiles mondiaux et notamment français.

M. le Président : Je souhaiterais poser une question sur les relations, qui sont, semble-t-il, plus ou moins étroites, entre équipementiers et constructeurs. J'aimerais savoir en quoi les attitudes des constructeurs asiatiques, notamment japonais, à l'égard des équipementiers diffèrent de celle des constructeurs européens, encore qu'entre ces derniers il existe sans doute également des différences ou des nuances.

M. Amaury HALNA du FRETAY : Je ne suis pas en mesure de vous répondre d'une façon très précise sur les liens qui unissent les constructeurs japonais à leurs équipementiers. Il y a toujours un aspect assez mystérieux dans ces rapports... Je pense qu'ils ont des liens assez étroits, parfois même d'ordre financier, et qu'il existe un certain nationalisme. Tout dépend également de la nature stratégique des produits... Je peux prendre pour exemples, car je les connais bien, les deux principaux produits de mon groupe - le groupe Labinal - à savoir les filtres et le câblage. Nous fabriquons des filtres qui ne sont pas des produits stratégiques - on met un filtre sans connaître le reste de la voiture - : nous avons réussi à les vendre aux trois transplants japonais implantés en Europe et à devenir leur principal fournisseur. Les Japonais, qui avaient précédemment été violemment critiqués par l'opinion publique américaine pour avoir amené avec eux tous leurs équipementiers, n'ont, jusqu'à présent, pas fait de même pour ce produit qu'ils nous achètent.

Le câblage automobile est, lui, un produit beaucoup plus stratégique. En effet, les constructeurs automobiles ont pratiquement externalisé, non seulement la fabrication, mais également la conception du câblage, ce qui signifie que, durant les trois ou quatre ans qui précèdent la sortie du véhicule, nous sommes impliqués et nous savons exactement quelle sera l'architecture du véhicule, puisque, pour dessiner le câblage, nous devons être informés de toutes les options ! Il s'agit donc d'un travail très stratégique et très confidentiel ! C'est d'ailleurs pour des raisons de confidentialité que nous avons des bureaux d'études séparés pour nos quatre grands clients principaux dans ce domaine : Turin pour Fiat, Augsburg pour Volkswagen, etc.

Dans le câblage automobile, les Japonais ont fait venir leurs producteurs japonais, dont Sumitomo qui s'est associé à Lucas et Yazaki. Pour ce qui est des produits stratégiques, ils restent entre Japonais ...

En ce qui concerne les Européens ou les Américains, certains producteurs sont encore très intégrés : General Motors avec sa filiale Delphi, Ford qui ne fait pas tous les équipements mais qui en réalise un assez grand nombre et Volkswagen pour certain produits, dont le câblage ; de nombreux autres, au contraire, sont externalisés et achètent à des équipementiers. En général, ils ont fait le choix, par équipement, d'un panel de deux ou trois fournisseurs qu'ils ont préalablement sélectionnés mais qui peuvent changer à tout moment. Dans ce métier, il existe très rarement des contrats à long terme à prix ferme : les contrats garantissent en général aux équipementiers une part de marché à la condition qu'ils soient compétitifs en prix, qualité etc., sans quoi ils peuvent à tout moment se voir éliminer... Cependant, pour répondre à votre question, M. le Président, la tendance générale est celle que je viens de vous décrire.

M. le Rapporteur : Je souhaiterais approfondir quatre questions.

La première se situe au niveau du constat. Vous nous avez parlé de concentration - c'est un phénomène qui est perceptible par tous, y compris par les non-spécialistes - mais, ainsi que vous l'avez dit vous-même, dans une concentration il reste toujours un leader, un chef de file répondant à une nationalité. En conséquence, vous serait-il possible de détailler, par exemple, le chiffre d'affaires des adhérents de la FIEV en fonction de la nationalité du leader et d'opérer un exercice de même nature au niveau de l'Union européenne ? En d'autres termes, vous serait-il possible de nous livrer un paysage par origine continentale des équipementiers existant aujourd'hui et de nous préciser quels sont ceux d'entre eux qui aujourd'hui restent français ou européens et ceux qui sont américains ou japonais ?

La deuxième question sort du constat mais elle prolonge un peu la précédente. Quand on discute avec des constructeurs automobiles et que l'on évoque l'idée d'entreprises européennes, ils lèvent les bras au ciel en rétorquant qu'ils sont d'abord une image, une marque, un produit. Au niveau des équipementiers, existe-t-il aujourd'hui, à votre connaissance, une stratégie de concentration volontariste au niveau européen et, s'il n'en existe pas, devrait-il y en avoir une, notamment par rapport à la compétition, en particulier japonaise, que vous avez évoquée ?

Mes deux questions suivantes touchent au travail. Notre mission a été créée en pensant, en particulier, aux problèmes d'emploi, même si nous mesurons bien que l'évolution de ce dernier n'est que la conséquence d'autres facteurs. Vous nous avez parlé de délocalisation pour les équipementiers qui font particulièrement appel à de la main-d'oeuvre. J'imagine que certains secteurs, notamment ceux qui utilisent une technologie très avancée ou des matériaux difficiles à transférer, sont moins délocalisables que d'autres : est-ce que vous pouvez formuler un pronostic sur l'évolution des adhérents de la FIEV en termes de délocalisation et d'emploi et aller un peu plus loin dans votre analyse de l'avenir à cet égard ?

Par ailleurs, vous avez évoqué le problème des coûts salariaux et de la durée du travail. A ce sujet, je formulerai une question qui, pour vous, se pose sûrement en d'autres termes et qui doit dépendre de la situation des entreprises par rapport à celle des constructeurs automobiles. Il y a la durée du travail des hommes et la durée du travail des machines : on peut parfois faire des miracles en réduisant la première tout en augmentant la seconde. Cette affirmation appelle-t-elle un commentaire de votre part ?

Ma dernière question concerne plus directement l'avenir. Il y aura de plus en plus d'électronique embarquée dans les voitures comme cela a été le cas pour d'autres systèmes. C'est un domaine où l'Europe n'apparaît pas comme étant en très bonne position. Avez-vous des informations complémentaires à nous apporter à ce sujet, êtes-vous optimiste, pensez-vous que nous puissions tenir seuls ou qu'au contraire le fait d'inclure toujours plus d'électronique nous obligera à contracter des alliances extra-européennes, par exemple ?

M. Amaury HALNA du FRETAY : En ce qui concerne la concentration, je dirai que ce sont les constructeurs automobiles qui l'ont imposée, en décidant de réduire drastiquement le nombre de leurs fournisseurs. Il faut savoir qu'il y a, sinon des milliers, du moins des centaines d'équipementiers automobiles majeurs répartis à travers le monde pour vingt constructeurs automobiles majeurs ! A partir du moment où, pour un produit donné, car il faut raisonner par produit, ils ne veulent plus que deux ou trois fournisseurs et qu'ils exigent de surcroît que ces fournisseurs livrent plusieurs constructeurs automobiles mondiaux, il ne reste pas de place pour de nombreux joueurs - j'emploie le terme dans son acception américaine - dans les systémiers de premier rang.

Dans le câblage automobile par exemple il ne reste pratiquement plus que six " joueurs " au monde qui peuvent espérer se maintenir dans les dix ans qui viennent : mis à part les cas locaux pour les petites choses, il reste deux groupes américains - Delphi et UTC - deux groupes japonais - Yazaki et Sumitomo - et deux groupes européens
- Siemens et Labinal.

La concentration est donc déjà extrêmement forte et la lutte que ces groupes se livrent, notamment dans les pays émergents, vise non seulement à conserver ou développer les parts de marché qu'ils ont chez les constructeurs, mais aussi à racheter les petits et les moyens qui restent ! La concurrence suppose aussi, dans nos domaines, de racheter plus vite que nos concurrents les équipementiers indépendants condamnés à disparaître faute d'avoir la taille suffisante, d'abord, pour assumer l'expertise, les bureaux d'études, les investissements, etc., ensuite et surtout, pour livrer et suivre le constructeur partout à travers le monde.

Nous ne disposons pas des statistiques européennes, mais quand je dis " être parmi les leaders mondiaux ", cela signifie se situer à une ou deux places, et non pas à dix, du leader. Dans le câblage, deux groupes prennent largement la tête et sont deux fois plus importants que Labinal ou United technology, c'est Delphi et Yazaki : Delphi parce qu'il a un marché captif, General Motors, ce qui lui confère un atout et Yazaki parce que, selon les accords japonais, - nous en revenons à votre question, M. le Président, - un facteur favorable joue en sa faveur pour livrer les constructeurs de son pays. Mis à part ces avantages de taille, nous nous situons à peu près au même rang ! Toutefois, il faut toujours être très nuancé dans les analyses stratégiques car les avantages cités ci-dessus sont autant d'épées de Damoclès pour les deux leaders, certains constructeurs automobiles se refusant à acheter en quantité importante du câblage à une filiale de General Motors, leur concurrent, ou à un groupe japonais qui travaille avec les constructeurs japonais. De ce fait, nous avons, nous aussi, nos propres atouts et, comme vous le voyez, chaque cas stratégique est un peu complexe !

Vous avez posé la question de savoir s'il fallait opérer des rapprochements européens. Je dirai que, par définition, c'est déjà chose faite, sous une forme différente de celle qui est envisagée pour des industries qui vendent aux Etats, comme par exemple, l'aéronautique. Ainsi, Labinal a des usines partout puisqu'il fait deux tiers de son chiffre d'affaires à l'étranger où il possède 60 % de son effectif. En conséquence, les européanisations existent déjà tout simplement parce que les équipementiers sont, aussi bien en parts de marché qu'en implantations, déjà internationalisés.

En revanche, je crois difficile d'aller au-delà et d'envisager d'autres fusions. Prenons pour exemple le groupe allemand qui fait du câblage et qui est plus petit que nous, à savoir le groupe Siemens. Il fournit, tout comme nous, un certain constructeur automobile. Supposons que nous fusionnions nos activités : eh bien, nous perdrions des parts de marché car, très vraisemblablement, le constructeur automobile réduirait la part commune. Il faut donc bien voir que nous sommes parvenus à un stade où le problème n'est plus celui de la concentration mais de la réussite, pour chacun, de la mondialisation de sa production car, de toute façon, le constructeur choisira ses fournisseurs ! On peut dire que les grands équipementiers sont, d'ores et déjà, non seulement européens mais aussi mondiaux.

Le problème de l'association peut peut-être néanmoins se poser pour certaines PME qui ne sont pas encore mondialisées, afin de leur permettre de s'allier avec un concurrent italien, allemand, etc. Il faut cependant tenir compte du fait que de telles associations se heurtent souvent à des problèmes de rapports de capitaux familiaux, toute la question étant de savoir quelle famille conservera le leadership...

Vous m'avez également interrogé sur l'emploi et la délocalisation. J'ai employé le terme de " délocalisation " dans mon exposé mais je pense qu'il serait préférable, pour cerner de plus près la réalité, d'employer la formule suivante : " le choix des groupes pour implanter leurs nouvelles usines ". On lit souvent dans la presse, et nous en avons eu des exemples ces dernières années, que telle société ferme son usine dans un département français pour l'installer en Irlande, en Ecosse ou je ne sais où. Mais il faut savoir qu'il existe un processus qui est beaucoup plus pernicieux. En effet, la plupart des équipementiers investissent et créent des emplois au niveau mondial. C'est le cas de Labinal dont le chiffre d'affaires se développe tous les ans et dont les effectifs mondiaux augmentent. Tout le problème est alors de savoir si, pour des questions de compétitivité, les nouvelles usines qu'il convient de créer pour des extensions de capacité de production doivent être construites en France ou ailleurs ! Sur ce point, je suis certain que certains équipementiers - je ne peux pas vous dire dans quelle proportion - choisissent, du fait du franc fort, la seconde solution. Au sein de mon groupe, je me suis moi-même trouvé dans l'impossibilité de créer des usines en France et j'ai été contraint de les installer en Grande-Bretagne, au Portugal, etc.

Je peux vous citer un cas concret qui illustre bien la façon dont les choses se passent : supposons que vous fournissiez, en France, un constructeur automobile français à hauteur de 50 % de ses besoins qui aurait pour autre fournisseur un producteur concurrent à partir d'Espagne, du Portugal, ou de Grande-Bretagne - je tiens à préciser que, dans ce métier, il faut établir une distinction entre la nationalité du groupe et celle de l'usine implantée : Siemens est un concurrent ; il ne nous fait jamais de concurrence en France à partir d'usines allemandes mais le plus souvent à partir d'usines situées dans des pays à bas coûts salariaux. Lorsque brutalement, la peseta, l'escudo ou la livre ont dévalué en quelques mois de 30 %, que peuvent faire les services achats des constructeurs automobiles français ? Ils diront au fournisseur qui a son usine en Espagne, au Portugal ou en Grande-Bretagne qu'il n'a aucune raison de ne pas baisser son prix en francs de 30 % puisqu'il produit en monnaie locale. Probablement, il va se voir rétorquer que le prix de revient aura quand même un peu augmenté en raison des matières premières importées dont le coût aura progressé en raison de la dévaluation. Les constructeurs réduiront leurs exigences et demanderont une diminution de l'ordre de 25 %, puis ils viendront trouver l'équipementier français et lui demanderont d'aligner ses prix sur ceux du concurrent. C'est ainsi que les choses se passent à chaque fois qu'intervient une dévaluation compétitive !

Dans de telles conditions, que se passe-t-il lorsqu'un producteur a une usine en France ? Soit il dit : " je ne suis pas ! " et sa part de marché va disparaître en moins d'un an, soit il dit " je suis " mais, avec l'usine française, au bout d'un an, il se trouvera en faillite, soit encore, il opte pour une troisième solution qui consiste à dire :" je vais, moi aussi, produire au Portugal ou en Espagne pour avoir les mêmes conditions de production que mon concurrent ! "

Tel est exactement décrit le phénomène de la délocalisation pour des produits qui emploient de la main-d'oeuvre. Ce que je ne comprends pas c'est que nous n'ayons jamais pris conscience - pas plus les Allemands que nous d'ailleurs - qu'en laissant sa monnaie se surévaluer par rapport à celle de ses concurrents, un pays pénalisait complètement les coûts salariaux. Dans ce pays, on passe son temps à dire : " attention, il faut baisser les charges sociales... " - dont vous remarquerez que je n'ai pas parlé - sans jamais dire qu'à cause des variations de changes, le coût salarial peut augmenter de 30 % en quelques mois. Quand j'écoute quotidiennement le cours des devises à la radio et que j'entends dire :" bonne chose, le franc s'est renforcé ... ", j'ajoute, comme le fait Fernandel dans sa chanson, : " ...le chômage aussi ! "

S'agissant de l'électronique automobile, l'Europe n'a rien à envier aux américains : il existe au moins deux groupes, allemands par les capitaux - je ne parle pas des filiales des groupes américains - tout à fait remarquables dans leur domaine et qui sont Bosch et Siemens ; il y a également un groupe britannique qui, dans certains domaines, se défend parfaitement - je veux parler de Lucas - sans oublier Magneti Marelli et Valéo qui développent une électronique automobile de manière tout à fait considérable.

M. le Président : Et qu'en est-il des Français ?

M. Amaury HALNA du FRETAY : Certains spécialistes étaient, à l'origine, assez importants, notamment chez Matra. Le groupe Matra s'est, par la suite, associé à Fiat avant de vendre sa part, qui était de 33 %, à la filiale équipements de Fiat : Magneti Marelli.

Je crois qu'actuellement les constructeurs français ont amorcé des tentatives pour encourager des sociétés telles que Valéo et Sagem à prendre une place dans l'électronique automobile. Cela étant dit, dans certains secteurs, il semble extraordinairement difficile de pouvoir rattraper des géants comme Siemens, Bosch, etc. qui ont pris une avance considérable !

M. le Président : Thomson n'a aucune chance ?

M. Amaury HALNA du FRETAY : Il faudrait poser la question aux personnes concernées. Personnellement, mon groupe ne faisant pas d'électronique - il utilise des produits électroniques mais il les achète à l'extérieur ou les sous-traite - je ne connais pas bien ce secteur.

Il reste toujours très difficile, à partir de zéro, de parvenir à déloger quelqu'un qui est implanté dans une spécialité et qui a un chiffre d'affaires et une expertise technique appliquées à l'automobile depuis des années.

Mme Marie-Thérèse BOISSEAU : Je souhaiterais vous interroger sur les problèmes d'emploi et de temps de travail puisque vous nous avez lancé quelques perches à ce sujet.

J'ai cru comprendre que les équipementiers emploient globalement 100 000 salariés en France dans des entreprises de différente taille, également que votre activité ne se portait pas si mal, et même qu'elle se portait bien ! J'ai tenté d'établir un parallèle très grossier et très lointain avec la construction automobile, pour laquelle on nous dit qu'il faudrait mettre à pied environ 40 000 salariés au motif qu'il y a, en France, trop d'ouvriers dans ce secteur.

Je remarque que vous n'avez pas évoqué ce sujet mais j'aimerais savoir si vous rencontrez le même problème.

Par ailleurs, vous avez parlé d'une durée du temps de travail qui serait inférieure en France à celle des autres pays européens. Je ne partage pas votre sentiment : je crois que le temps de travail français est supérieur, par exemple, au temps de travail allemand.

Ayant contribué à la rédaction de la loi dite " Robien ", vous comprendrez que je m'intéresse à ce sujet ; si la loi a été écrite et votée dans le souci de créer des emplois, elle l'a été tout autant pour améliorer la productivité des entreprises car, avant de créer ou de maintenir des emplois, cette loi vise à augmenter le dialogue social à l'intérieur de l'entreprise, à permettre une réorganisation, une flexibilité à tous les niveaux, flexibilité qui est souvent une annualisation mais qui pourrait être adaptée puisque dans l'automobile, il y a des cycles de 6 mois, d'autres de 18 mois, qu'ils ne sont pas toujours d'un an et qu'il est important de suivre le rythme de l'automobile et de ses accessoires.

Pour atteindre cette amélioration de la productivité, on peut penser que, comme l'a observé le rapporteur, si les salariés travaillent moins, peut-être peuvent-ils être plus productifs et peut-être les matériels peuvent-ils travailler davantage...

Par ailleurs, j'aimerais que vous nous disiez deux mots sur la courbe démographique de vos 100 000 salariés. Dans l'automobile, le rajeunissement des équipes est un souci majeur. Or, l'aménagement et la réduction du temps de travail permettant de faire venir dans l'entreprise de nouveaux salariés, il permettrait aussi de répondre à cette préoccupation. Pouvez-vous nous apporter quelques précisions sur ces différents sujets ?

M. Amaury HALNA du FRETAY : Je voudrais d'abord dire que le problème de la durée du temps de travail est à mon avis différent pour un industriel, selon qu'il subit ou non la concurrence et selon les produits qu'il fabrique. Pour certains produits, il est indéniable qu'en feux continus on peut faire marcher l'outil de travail, avec d'ailleurs un personnel extrêmement réduit par rapport au chiffre d'affaires, de façon tout à fait correcte !

Quand vous avez une activité de petites séries, comme c'est la cas du câblage automobile ou de l'industrie aéronautique, vous avez un rythme de travail qui est, aujourd'hui, à peu près de deux postes par jour pendant cinq jours. S'il s'agit d'activités qui consomment beaucoup de main-d'oeuvre, par définition la partie investissement est moins forte. Cependant, la première difficulté rencontrée pour mieux faire marcher l'outil de travail est de mettre un troisième poste et de faire travailler le samedi ou deux samedis sur trois car je peux vous dire que, dans les usines, le personnel préfère de beaucoup conserver son rythme de travail actuel de 38 ou de 39 heures, cinq jours par semaine que de travailler le samedi. Bien sûr, il préférerait travailler 32 heures et quatre jours par semaine mais l'outil de travail travaillerait encore moins.

Mme Marie-Thérèse BOISSEAU : Vous lui avez posé la question ?

M. Amaury HALNA du FRETAY : Naturellement ! Et je peux vous dire que, dans le cas de beaucoup d'usines, il faudrait payer, pour le travail du samedi, des surprimes considérables, en négociant sur l'application de la " loi Robien " ! J'ai appliqué le volet défensif de cette loi dans notre groupe à l'occasion de deux plans sociaux : c'est vous dire que je la connais bien, du moins dans sa version défensive ! J'essaie par ailleurs d'appliquer le volet offensif dans une autre usine et cela pourrait aboutir si les conditions n'en sont pas changées par une nouvelle réglementation. Je peux vous dire que c'est extrêmement difficile !

Il est un autre point que je voudrais souligner. Dans la compétition internationale que je viens de décrire, croyez-vous, madame, que nous ayons attendu l'année de grâce 1997, pour nous efforcer d'avoir l'organisation du travail la meilleure possible par rapport à nos concurrents mondiaux, que nous ayons attendu le président de Robien pour tenter d'optimiser notre organisation du travail ?

Supposez même que nous trouvions par la négociation avec les syndicats une recette miracle permettant de mieux utiliser l'outil de travail, croyez-vous qu'elle ne serait pas également applicable dans les usines étrangères par nous-mêmes et nos concurrents ?

Il est une question que je n'ai jamais entendu poser, celle de savoir si la " loi Robien " ou tout système équivalent de réduction du temps de travail, allait ou non nous handicaper par rapport aux usines étrangères, que ce soit les nôtres ou celles de nos concurrents.

L'Europe, l'ouverture des frontières, l'absence totale de préférence européenne, c'est très bien lorsqu'on parle d'Europe, mais les pouvoirs publics français s'imaginent qu'ensuite, ils vont pouvoir appliquer des solutions à la française ! Eh bien, non, c'est impossible quand on a ouvert les frontières et laissé les produits circuler ! Quel que soit le gouvernement - sa couleur et sa majorité -, j'entends rarement poser la question de savoir, à l'occasion de l'examen d'une nouvelle loi qu'elle soit sociale, fiscale, ou autre, si elle va constituer un handicap pour nos usines par rapport à celles des pays concurrents...

En ce qui concerne le temps de travail, il est tout à fait vrai qu'il est aussi faible en Allemagne, mais je peux vous dire que dans l'équipement automobile, les fabricants qui utilisaient de la main-d'oeuvre en Allemagne ont vite déguerpi ! Ils sont tous partis, le plus souvent en Tchécoslovaquie, en Hongrie, etc. Il n'y a plus d'industries d'équipements automobiles employant de façon importante de la main-d'oeuvre en Allemagne. En revanche, des pays tels que l'Espagne, les Etats-Unis - dont la concurrence se fait davantage sentir en Europe dans l'aéronautique que dans l'automobile - travaillent 1 850 heures ! Un écart de 10 % du temps de travail annuel se traduit par un handicap de 10 % sur les coûts salariaux horaires auxquels viennent s'ajouter les 20 % consécutifs à la surévaluation de la monnaie et les 3 à 4 % de charges sociales ; ce sont, madame, les chiffres de nos propres usines puisque nous employons 10 000 personnes à l'étranger que ce soit en Italie, en Grande-Bretagne, en Espagne, au Portugal, au Maroc, aux Etats-Unis ou au Mexique. Le seul pays à avoir un temps de travail comparable à la France, c'est la Grande-Bretagne mais elle a des charges patronales qui ne sont que de 1,1 %, contre 1,41 ou 1,46 % en France.

Si je vous cite des chiffres, ce n'est pas pour polémiquer sur la " loi Robien " ou sur la politique du franc de M. Trichet, mais parce que je crois qu'il est de mon devoir de vous dire : " voilà quelle est la réalité arithmétique des faits ! "

Mme Marie-Thérèse BOISSEAU : Je proteste !

M. Amaury HALNA du FRETAY : Mais protestez !

Mme Marie-Thérèse BOISSEAU : Vous estimez, si j'ai bien compris, à 10 % du coût salarial la différence due à la diminution du temps de travail, à 20 % celle imputée aux dévaluations compétitives qui sont quand même, je l'espère, derrière nous puisque l'année prochaine nous aurons l'euro qui - j'ose espérer - autorisera une politique plus harmonieuse entre les principaux pays de l'Europe de l'Ouest et repoussera le problème un peu plus loin. Cependant, s'agissant de la " loi Robien " que je ne veux pas imposer à tout prix mais sur laquelle j'essaie de réfléchir afin de l'appliquer plus vite - un millier d'entreprises l'ont déjà fait depuis moins d'un an - et de l'étendre à d'autres domaines, vous oubliez quand même qu'est prévue une aide conséquente de l'Etat avec une diminution des charges patronales de 40 % la première année et de 30 % les six années suivantes pour une baisse du temps de travail de 10 %. Si l'on discute mathématiques, il faut peut-être aussi faire état de ces 30 et 40 % , sans parler des gains de productivité si l'on parvient à faire marcher les machines plus longtemps !

Vous dites que dans votre secteur on ne veut pas travailler le samedi, mais il est d'autres entreprises où l'on travaille le samedi et qui, au lieu de ne fonctionner que cinq jours, fonctionnent six jours avec deux ou trois équipes : si les salariés travaillent moins, l'entreprise, elle, travaille bien davantage et peut être plus productive ; c'est donc un système qui doit être également valable sur le plan international !

M. Amaury HALNA du FRETAY : Mais, madame, s'il existait une façon de mieux organiser le travail, je l'appliquerais de la même façon, et encore plus facilement dans les usines anglaises ou les usines américaines sur lesquelles ne pèse aucune contrainte législative concernant le nombre d'heures supplémentaires, le chômage partiel, etc. Imaginer qu'en France où le système est particulièrement rigide, on peut mieux organiser le travail qu'ailleurs et penser que les Français et les directeurs des usines françaises sont les seuls à pouvoir trouver une solution astucieuse, serait une vanité nationale absolument déplacée...

Je voudrais vous dire ensuite qu'avec un dollar à 6,50 francs, il n'y aurait plus de différence, une fois convertis en francs, entre le salaire brut des ouvriers américains et celui des ouvriers français travaillant dans des conditions comparables, bien que le niveau de vie des ouvriers américains soit supérieur à celui des ouvriers français.

Les charges sociales patronales en France et aux Etats-Unis font apparaître une différence de 3 % qui est importante mais qui se trouve compensée par le transport à travers l'Atlantique. Par contre, quand on prend en compte le nombre d'heures de travail annuel aux Etats-Unis, le calcul fait encore apparaître une disparité de 7% ce qui fait, au total, une différence de 10 % entre le coût horaire américain et le coût français.

A ces deux dernières remarques, je souhaiterais en ajouter une troisième : j'entends dire tous les jours par les journalistes que les patrons français sont incohérents dans la mesure où ils étaient contre la " loi Robien " et qu'ils l'ont pourtant plébiscitée ! J'aimerais quand même que l'on puisse dire comment les choses se passent. Vous savez parfaitement que la loi dite " Aubry " impose depuis plusieurs années, lorsque vous présentez un plan social, l'application de l'ensemble des dispositions législatives possibles concernant les réductions d'effectifs. Ces dispositions ont été complétées par M. Michel Giraud d'abord, MM. Jacques Barrot et Gilles de Robien ensuite. Lorsque vous présentez un plan social ne comportant pas de référence à la " loi Robien ", l'inspecteur du travail relève une carence et s'il omet de le faire, les syndicats vous traînent devant les tribunaux et vous perdez six mois avant de pouvoir présenter un nouveau plan social ! Demandez un peu à une grosse société française d'agro-alimentaire dont, si je ne m'abuse, le directeur des relations sociales était une femme sortie de la haute administration, comment elle en a fait l'expérience. En conséquence, vous mettez du " Robien " sans vous poser le problème de savoir si cela va améliorer les choses, car si vous ne le faites pas, votre plan social ne passera pas : je n'appelle pas cela un plébiscite, mais une obligation impérative...

M. le Président : Nous n'allons pas engager un débat politique...

M. Amaury HALNA du FRETAY : Il ne s'agit pas d'un débat politique mais de problèmes concrets, M. le Président !

M. Patrice MARTIN-LALANDE : Je souhaiterais simplement savoir ce que vous pensez du regroupement - que l'on constate actuellement - d'équipementiers à proximité immédiate de constructeurs. Quels en sont les avantages et les éventuelles contraintes supplémentaires pour les équipementiers et comment cette concentration se combine-t-elle avec la recherche d'une compétitivité internationale puisque vous nous avez dit précédemment que vous étiez mis en demeure d'être le fournisseur de nombreux constructeurs, ce qui peut sembler un peu antinomique avec le regroupement auprès d'un constructeur particulier ?

M. Yves BUR : J'ai rendu visite à l'un des équipementiers de ma circonscription qui m'a effectivement confirmé que les prix qui étaient à l'indice 100 au 1er janvier étaient à l'indice 96 au 1er juillet ...

M. Amaury HALNA du FRETAY : C'est tous les ans pareil !

M. Yves BUR : ...et qu'il y avait une forte pression sur les prix de la part des constructeurs. Je voulais donc savoir quel était le pourcentage des coûts salariaux dans les prix de revient de votre production, étant donné que les coûts d'investissement sont, pour des raisons technologiques, relativement élevés.

Par ailleurs, face à la pression que les constructeurs exercent sur les prix, face aux coûts salariaux qui n'ont pas tendance à baisser et compte tenu des problèmes que pose la réduction du temps de travail qui ont été largement évoqués, j'aimerais savoir si, mises à part la délocalisation et la concentration, vous avez des réponses à apporter et quelles sont les perspectives pour votre secteur d'activité.

M. Amaury HALNA du FRETAY : Tous les constructeurs automobiles n'ont pas forcément exactement les mêmes conceptions, mais si je m'en tiens à notre cas particulier, je peux dire que c'est essentiellement en Espagne et dans le Sud de l'Italie que l'on nous a demandé de faire du " juste à temps " - pour Fiat dans un cas et Volkswagen dans l'autre - parce que les coûts salariaux étaient bas. Dans les pays où les coûts salariaux sont élevés, comme c'est le cas en France pour Renault ou Peugeot et en Allemagne pour Volkswagen, les constructeurs nous conseillent d'aller produire au Portugal, au Maroc ou dans les pays de l'Est. Les constructeurs automobiles nous découragent de produire dans les usines françaises ou allemandes pour des raisons de compétitivité.

Par ailleurs, j'ai souligné au début de mon intervention un point qui est très important : suivant les produits, la fabrication est plus ou moins automatisée et utilise plus ou moins de main-d'oeuvre. Quand les fabrications sont très automatisées comme celle des filtres à huile, elles peuvent être réalisées en France puisqu'elles ne nécessitent que quelques personnes devant les chaînes. Dans ces conditions, le problème de main-d'oeuvre et de parité monétaire ne se pose pas, alors qu'il se pose pour certaines activités dans lesquelles, comme c'est le cas des petites séries, la main-d'oeuvre est importante. Or, la production de tels produits ne peut pas être automatisée.

Il est un autre point sur lequel j'ai oublié de répondre : il concerne l'euro. Une fois que nous serons entrés dans l'euro, les parités de départ seront définitivement figées. Si la peseta et le franc entrent dans l'euro sur la base de leurs parités actuelles, on aura inscrit définitivement dans le marbre une disparité salariale de 35 %.

Il faudra, pour que le chômage ne s'aggrave pas en France, ou bien que le niveau de vie des pays comme l'Espagne, l'Angleterre, etc... rattape son retard de 35 % ou bien que celui des Français diminue d'un tel pourcentage puisqu'il n'existera plus les possibilités d'ajustement que permettaient les dévaluations.

On imagine les réaction sociales et politiques d'une telle situation. Or c'est un problème très important.

Audition de M. Bernard CALVET,
Président de l'Union française des industries pétrolières (UFIP)

(extrait du procès-verbal de la séance du 17 septembre 1997)

Présidence de M. Daniel PAUL, Président

M. Bernard CALVET : Je vous remercie de bien vouloir m'accueillir pour traiter d'un sujet qui ne concerne pas directement l'industrie pétrolière mais qui, bien évidemment, l'intéresse au plus haut point.

Nous aborderons donc les questions directement liées aux types de motorisations de l'avenir et donc aux types de carburants qui paraissent, vus sous l'angle de l'industrie pétrolière, les plus adaptés aux nécessités de l'efficacité énergétique et aux exigences de l'environnement.

Je n'ai pas besoin de rappeler le poids de l'industrie pétrolière en France, vous le connaissez. Je dirai simplement que, pour les activités propres de raffinage et de distribution sur le territoire national, elle couvre 41 % des besoins en énergie, elle emploie 100 000 personnes sur l'ensemble de la chaîne et représente, pour les principales sociétés pétrolières, un courant d'investissement, peut-être insuffisant, de 7 milliards de francs par an.

L'industrie pétrolière se trouve aujourd'hui en situation de surcapacité dans l'ensemble de l'Europe. Ces surcapacités peuvent être estimées à environ 10 %, ce qui crée certains problèmes sur les marges. Je ne viens pas ici pour gémir sur le sort des sociétés pétrolières : leurs résultats sont très bons, ce qui est heureux dans la mesure où cela permet d'assurer la continuité de notre approvisionnement en pétrole brut et en produits pétroliers. En revanche, la situation française, prise isolément, pose problème.

Au nombre de ces problèmes, je mettrai au premier rang un déséquilibre croissant entre le marché du gazole moteur et le marché des supercarburants. Depuis des années, pour des raisons très largement propres à la France, le marché du gazole moteur croît à un rythme d'environ 4 % par an et celui des supercarburants décroît à un rythme d'environ 3 % par an. Cette situation ne nous paraît avoir de justifications, ni économiques, ni environnementales, ni industrielles. Plusieurs rapports, dont le rapport du Gouvernement au Parlement, ainsi que les études dont vous avez eu connaissance et qui ont été récemment transmises au public, notamment celles de la Société française de santé publique et du Comité de prévention et de précaution vont dans ce sens.

Parmi les principales raisons qui poussent à une diésélisation accrue, figurent certes, les progrès considérables accomplis dans la qualité des moteurs diesel - fruits des efforts produits par les constructeurs automobiles français en particulier - mais surtout l'écart de fiscalité qui pèse aussi bien sur les carburants que sur la fiscalité des véhicules. Aujourd'hui - et apparemment ce sera également le cas demain - il y a un écart de taxe intérieure sur les produits pétroliers (TIPP) de 1,43 franc par litre. Cet écart est très supérieur à celui des autres pays européens où il n'est en moyenne que de 95 centimes par litre ! Or, c'est cette différence de 50 centimes par litre qu'il faudrait réduire pour s'aligner sur la situation européenne, celle-ci n'ayant pas empêché le développement du diesel. Cet écart pourrait être comblé sur cinq ans tout en sachant, bien sûr, qu'il n'est souhaitable pour aucune industrie de subir des à-coups brutaux qui lui poseraient des problèmes d'adaptation très lourds.

De la même façon, il existe, en matière de fiscalité des véhicules, une spécificité française, peut-être partagée avec le Portugal. Le diesel est en effet systématiquement avantagé dans le calcul de la puissance fiscale des véhicules. Ce calcul, qui répond à une formule d'une extrême complexité, procure un avantage de 30 % aux motorisations diesel par rapport aux motorisations essence. Cet avantage peut avoir été justifié à une époque, mais, aujourd'hui, on ne voit plus très bien ce qui justifie cet écart. Sur la base des taux de TIPP actuels et avec un niveau de diésélisation équivalent à la moyenne européenne, les recettes pour le budget de l'Etat seraient majorées de 7 milliards de francs par an.

Sur la santé et l'environnement, je crois que se présentent deux types de problèmes : les problèmes environnementaux et de santé publique de proximité et les problèmes liés à " l'effet de serre " et à l'émission de gaz carbonique.

S'agissant de la pollution de proximité, je ne dirai pas qu'il y a un bon et un mauvais carburant. Les carburants à essence, dans les voitures non catalysées, aboutissent à une émission plus importante d'oxydes de carbone et de vapeurs d'hydrocarbures. Les moteurs diesel, quant à eux, émettent plus d'oxydes d'azote, substances qui produisent de l'ozone par réaction photochimique avec les vapeurs d'hydrocarbures.

Les particules constituent un autre problème. Beaucoup d'études leur ont été consacrées - elles sont recensées notamment par la Société française de santé publique - et je crois qu'elles posent un problème réel et indiscutable. Ce sont les particules fines de moins de deux microns et demi qui sont en cause. Or, il est vrai que les véhicules à essence émettent des particules comme les véhicules diesel. Mais, dans les conditions de la circulation urbaine, les émissions de particules par les véhicules diesel sont de 80 à 90 fois plus importantes que celles des véhicules à essence. Pour ce dernier type de véhicules, les émissions se produisent à l'occasion de la circulation en pleine campagne ou sur autoroute à des vitesses supérieures à 100 km/h. Dans les conditions de circulation urbaine, le problème d'émission des particules est donc directement lié aux moteurs diesel et il y a là des progrès à faire.

Pour les motorisations à essence, j'ai évoqué deux problèmes : l'oxyde de carbone et les vapeurs d'hydrocarbure. On sait les résoudre et ils seront réglés par la généralisation du pot catalytique trois voies, au fur et à mesure du renouvellement du parc automobile.

Face à ces arguments qui sont admis par les autorités du monde médical, il en est un autre qui est souvent mis en avant et qui consiste à dire que le diesel possède un avantage en matière de lutte contre l'effet de serre puisque sa consommation est inférieure d'environ 1,9 litre aux cent kilomètres.

Quand on observe les choses plus en détail, on constate que la densité des deux produits n'étant pas la même - 0,755 pour l'un et 0,845 pour l'autre -, la traduction de cette différence en termes de poids réduit déjà considérablement l'économie d'énergie attribuée aux moteurs diesel. D'autre part, les études menées par l'Institut national de recherche sur les transports et leur sécurité (INRETS) tendent à montrer que lorsque quelqu'un passe d'une motorisation à essence à une motorisation diesel, il raisonne à budget de déplacement constant et est donc amené à circuler davantage ce qui annule une partie du gain.

J'ajoute surtout, et c'est très important, que des progrès seront certainement réalisés demain en matière de pots catalytiques pour les véhicules diesel. Mais pour être efficaces, ces progrès risquent d'imposer des modifications profondes des caractéristiques des gazoles. Ils nécessiteront en particulier une diminution très importante de leur teneur en soufre, ce qui est techniquement réalisable mais qui va nécessiter l'usage de quantités extrêmement importantes d'énergie dans les raffineries pour produire de l'hydrogène en vue de désulfurer les produits.

La conjugaison de ces différences de densité et des besoins qui vont se faire jour dans les usines pour produire ces nouveaux gazoles vont annuler l'avantage du diesel, et ce d'autant plus que la reformulation de ces carburants pourra induire des suppléments de consommation d'énergie en raffinerie.

Quant à l'industrie pétrolière, elle se trouve dans une situation où, après avoir investi pour produire de l'essence sans plomb, elle doit exporter ce type de carburant en raison de la diminution de la demande. Elle le fait au rythme de 2,3 millions de tonnes par an alors qu'elle importe, selon les années, entre 7 et 9 millions de tonnes de gazole. S'il est possible de trouver du gazole disponible, il faut en revanche pour exporter de l'essence, chercher des marchés qui l'acceptent. Comme c'est très souvent le marché américain qui est intéressé, l'exportation se fait à un prix qui se trouve pénalisé par les coûts logistiques qu'elle entraîne. Le raffineur n'a souvent pas d'autre alternative pour ces surplus d'essence que de les exporter vers des pays lointains. Or, quand il se trouve devant un acheteur de la grande distribution - celle-ci représente aujourd'hui 50 % du marché -, il est amené à établir ses prix en tenant compte des conditions qui président à l'exportation. En outre, comme la grande distribution, elle-même, tire parti des prix auxquels elle acquiert le carburant, c'est l'ensemble de la chaîne qui se trouve en fait influencé par le niveau des prix à l'exportation. On peut ainsi estimer que, par rapport aux prix pratiqués dans les autres pays européens, l'industrie pétrolière française subit un handicap de l'ordre de 40 francs la tonne ce qui représente environ 700 millions de francs par an.

Nous souhaiterions donc voir disparaître certains de ces phénomènes et nous aimerions notamment que soit diminué l'écart de taxation entre le gazole et le supercarburant. Un des moyens pour y parvenir pourrait consister à retenir le système pratiqué dans les autres pays et qui est recommandé par la Commission européenne. Celle-ci est favorable à un écart entre supercarburant plombé et sans plomb de 50 écus par mètre cube, soit 33 centimes au litre au lieu des 27 centimes qui sont en vigueur aujourd'hui. Un tel écart permettrait, d'une part d'accélérer le retrait du marché du supercarburant plombé qui est mauvais pour l'environnement et d'autre part de rapprocher les fiscalités à recettes fiscales constantes.

Nous pensons également qu'une hausse du gazole doit s'accompagner de solutions adaptées aux transporteurs routiers. Une solution, que nous avions étudiée avec Renault en 1995, consiste à envisager un mécanisme de restitution partielle de la TIPP ou des hausses de la TIPP qui pourraient intervenir sur le gazole, comme cela se pratique pour la TVA en faveur des transporteurs routiers. Bien sûr, il s'agit d'un impôt déclaratif qui est un peu plus compliqué à gérer qu'un système d'accises, mais c'est faisable ! On peut aussi étendre aux poids lourds le système du forfait des taxis qui bénéficient de 5 000 litres de carburant détaxés - l'Italie a montré la voie en ce domaine et, en ce moment-même, le gouvernement hollandais est en train de présenter au Parlement des propositions en ce sens : ce n'est donc pas une idée totalement théorique - ou encore rééquilibrer les calculs des puissances fiscales des différents véhicules.

Pour terminer, je dirai que ce qui est en jeu c'est, dans une certaine mesure, l'avenir du raffinage et la sécurité de nos approvisionnements. Le choix qui est fait en faveur du diesel est peut-être légitime, mais les distorsions fiscales sont telles qu'on ne peut plus parler de choix et qu'on peut se demander s'il n'y pas d'autres solutions pour l'avenir. J'ai été frappé de voir encore tout récemment des pleines pages de publicité de Mitsubishi expliquant que la firme avait mis au point des moteurs à essence à injection directe qui consommaient 30 % de moins et que c'était là le produit d'avenir. Ne nous trompons donc pas d'orientation ! Si l'on pouvait tendre vers une certaine neutralité fiscale, seuls les mérites propres des différents types de motorisations et de carburants deviendraient prédominants et l'on risquerait alors moins de commettre des erreurs d'orientation dans la structure de notre parc automobile. Mais, bien évidemment, vous pourrez me dire que mon point de vue peut être biaisé dans la mesure où je défends les intérêts de notre profession.

M. le Président : Avant de donner la parole au rapporteur, je voudrais parler de la Basse-Seine, puisque je suis, tout comme M. Fuchs, député de Seine-Maritime qui est une forte région de raffinage.

Je pense que le Gouvernement - pour le moment du moins - n'a pas infléchi ses orientations concernant le diesel et lorsque nous les avons reçus, MM. Jacques Calvet et Louis Schweitzer, ont, l'un et l'autre, insisté sur l'importance du diesel. Au cas où la situation actuelle perdurerait avec un diesel représentant 40 % du parc automobile, est-ce que vous seriez prêt à envisager une augmentation de la production de gazole dans le raffinage français ?

M. Bernard CALVET : De toute façon, il va nous falloir investir pour augmenter la qualité du gazole. Nous avons déjà investi 1,9 milliard de francs et il faudra probablement, du fait de l'évolution de l'approvisionnement en brut qui viendra de moins en moins de la Mer du Nord et de plus en plus du Moyen-Orient, consacrer une somme au moins équivalente pour parvenir à maintenir les spécificités actuelles du gazole.

L'augmentation de la production de gazole est possible dans certaines limites : on ne peut tout de même pas envisager de passer dans un système aboutissant à une diésélisation totale du parc automobile particulier s'accompagnant d'une exportation de l'essence produite vers les pays qui l'utiliseraient encore ou de sa transformation en base pétrochimique. Il y a quand même des limites techniques qui se posent !

Pour augmenter la production de gazole, il faut engager des investissements considérables dont certains ont déjà été réalisés dans des pays comme le Bénélux - à Rotterdam et Anvers notamment - ou l'Italie. C'est une chose qui peut se faire mais on est bien forcé de constater que de tels investissements ne pourront se réaliser que dans des raffineries suffisamment importantes et au prix de grandes souffrances pour les petites raffineries, notamment celles de l'intérieur. M. le Président, je crois pouvoir vous rassurer pour Gonfreville puisque la vallée de la Seine est particulièrement bien placée...

Néanmoins, une telle orientation implique un regroupement non plus sur treize, mais sur six ou sept raffineries avec les conséquences lourdes que cela suppose.

Par ailleurs, les exigences en matière de qualité vont nous contraindre, petit à petit, à éliminer de la composition du gazole, un certain nombre de coupes issues du raffinage du pétrole, soit parce qu'elles ont une teneur en soufre trop élevée, soit parce qu'elles ont trop d'aromatiques. Nous allons donc avoir un conflit difficile à gérer entre l'éventuelle diésélisation massive du parc automobile et les exigences en matière de qualité qui vont nécessairement s'imposer à l'horizon 2 000, puis de manière encore plus sévère en 2 005.

Pour ce qui est de la localisation des investissements, il est indéniable que nous vivons dans un pays où un mécanisme comme celui de la taxe professionnelle n'encourage pas nécessairement l'investisseur à privilégier une localisation française.

M. le Rapporteur : M. le Président, je ne parviens pas à résister à la tentation de vous poser une question historique : les constructeurs automobiles se comptent sur les doigts de la main en France ; il en est de même pour les pétroliers et les raffineurs. Dans ces deux métiers, je pense que l'on raisonne plutôt à dix ans qu'à un mois et j'imagine que vous vous parlez de temps en temps. Comment a-t-on donc pu arriver à cette situation où les uns fabriquent des moteurs diesel et les autres ont une capacité de raffinage - je ne fais pas reposer les torts sur qui que ce soit et je ne blâme personne - visiblement inadéquate avec la production de ceux qui comptent quand même parmi leurs principaux clients ?

Cette question je la pose vraiment par curiosité intellectuelle et historique mais peut-être contient-elle des enseignements à tirer pour la suite...

Mes questions suivantes sont plus prospectives.

D'abord, sur ce débat concernant les carburants, j'avoue être encore dans un état d'assez grande perplexité. J'entends bien que les constructeurs ont misé sur le diesel, je comprends vos problèmes de capacité et le fait qu'il y ait des désaccords et un coût, y compris pour la collectivité. Si l'on reste sur le terrain de l'environnement, on entend dire par les tenants du diesel que ce dernier contribue moins à l'effet de serre et que le problème des particules va se trouver réglé alors que, pour votre part, vous nous avez dit - je schématise - que le supercarburant avait moins d'incidences sur le cancer du poumon et que sa consommation pourrait être réduite. J'aimerais que vous puissiez aller un tout petit peu plus loin sur ce sujet et tout en retenant votre idée de neutralité fiscale - après tout que le meilleur gagne ! - je suis désireux d'en savoir un peu plus.

Ensuite, j'aurai une question sur les normes communautaires en matière de pollution : pensez-vous que ces normes de plus en plus en plus sévères évoluent à un rythme satisfaisant ou au contraire que le rapport coût-avantages, par rapport à ce qu'il serait possible de faire contre la pollution dans d'autres domaines que les carburants automobiles, arrive aux limites du raisonnable ?

Enfin, vous n'avez pas abordé la question du GPL qui semble, à plus court terme que la voiture électrique, être une réponse possible à certains problèmes qui se posent aujourd'hui. Je souhaiterais donc avoir quelques commentaires sur l'attitude des raffineurs sur ce point.

M. Bernard CALVET : Sur l'historique, je dirai qu'il y a, bien sûr, eu des contacts entre l'industrie pétrolière et les constructeurs automobiles et que, depuis toujours, le débat n'est pas facile puisque chacun essaie d'obtenir de l'autre le maximum de souplesse et de perfectionnement.

D'abord aux Etats-Unis, puis en Europe, un effort a été mené en commun. Sur notre continent, cet effort a été accompli sous l'égide de la Commission européenne avec la participation de l'industrie automobile et de l'industrie pétrolière européenne, à travers un programme appelé " auto-oil ". Ce programme a également fait appel à une douzaine d'universités, à des consultants externes, à des spécialistes en matière d'environnement. Il a abouti aux projets de directives qui ont été présentés au Parlement européen en première lecture, qui ont ensuite fait l'objet d'un débat des ministres de l'environnement les 19 et 20 juin de cette année grâce auquel une position commune a été définie à l'unanimité. Ces textes vont maintenant être examinés en seconde lecture au Parlement européen à la fin de l'année.

Nous avons également, avec l'industrie automobile, établi une base de données scientifiques et techniques. A cet effet, en faisant appel à de très nombreux laboratoires, nous avons établi des corrélations complexes sur les émissions pour toute une série de couples moteur-carburant. Les résultats constituent une masse de données considérable transmises par environ 50 000 points de mesure et ont nécessité un traitement de statistiques compliqué. Là-dessus, nous sommes donc bien d'accord !

Par la suite, il a fallu définir l'optimum économique à atteindre. La Commission nous a fait savoir, comme cela était prévu dès le départ, qu'il ne nous appartenait pas de nous en occuper. Les consultants extérieurs choisis par la Commission ont donc essayé de dresser un bilan économique des avantages et des inconvénients des différents choix qui pouvaient être faits, tant sur les carburants que sur les moteurs.

Le résultat auquel nous sommes parvenus a montré qu'il y avait un certain nombre de mesures non techniques qui étaient très importantes : le renouvellement du parc automobile, les décisions relatives à la régulation de la circulation, à l'entretien des véhicules - les projets de directives ne sont pas sortis mais ces points sont très importants -.

Ces mesures devaient s'ajouter à toutes celles à réaliser tant dans le domaine des carburants que dans celui des moteurs. A ce moment-là, des divergences d'appréciation sont apparues. L'objectif que s'était fixé la Commission était de parvenir à rétablir la situation en 2010 par une diminution d'environ 70 % de l'ensemble des émissions de polluants - pour le moins de ceux qu'elle avait pris en considération. Cet objectif entraînait des dépenses que les constructeurs automobiles ont estimées peu équilibrées au motif qu'elles touchaient davantage les moteurs que les carburants et qu'une action sur les carburants aurait un effet immédiat. Or, construire une unité de raffinage demande au moins cinq ans entre les études préalables, l'obtention d'autorisations et du permis de construire et la construction physique de la raffinerie. On ne change pas des carburants, en investissant des milliards de francs, du jour au lendemain ! C'est totalement impossible !

Nous avions donc formulé de grands espoirs sur la possibilité de dégager un consensus entre les deux professions. On peut dire que nous y sommes parvenus à 80 % mais que la seule chose intéressante et qui pose problème, ce sont les 20 % qui restent.

M. le Rapporteur : Et qu'en est-il du GPL ?

M. Bernard CALVET : Pour ce qui a trait au GPL carburant, nous sommes très heureux des dispositions qui ont été prises. Nous pensons qu'elles sont tout à fait positives et je peux vous dire que, pour ma part, dès 1980, alors que j'étais directeur général de Butagaz, je me suis battu pour promouvoir le GPL carburant. Le processus s'est trouvé bloqué pour des raisons sur lesquelles il est probablement inutile de revenir mais dont les principales étaient l'absence de toute incitation fiscale et l'impossibilité d'avoir une bicarburation essence-GPL.

Le Parlement et la loi ont apporté des corrections à tout ce qui freinait le développement du GPL. Nous nous en réjouissons et nous essayons de tout faire pour développer son utilisation dans les flottes captives et pour multiplier les points de ravitaillement. Il y a eu une époque où nous avions 1 300 stations-service équipées pour le GPL. Comme le marché s'est trouvé bloqué, nous sommes retombés aux alentours de 600 ou 700. Nous menons un programme qui devrait nous amener à faire passer ce nombre à 900 d'ici à la fin de l'année et le rythme de croissance du GPL carburant est tout à fait encourageant. Nous soutenons à fond ce qui a pu être décidé à son propos. Nous ne faisons d'ailleurs que rattraper notre retard par rapport à d'autres pays, puisqu'il doit y avoir environ trois millions de véhicules qui circulent en fonctionnant au GPL à travers le monde, dont de nombreux taxis en Espagne, au Japon et à New York. La technologie est là, les moyens également et nous essayons d'aller aussi vite que possible : les professionnels du GPL développent le nombre des installateurs et il doit y avoir aujourd'hui environ 1 300 personnes capables de convertir des véhicules au GPL carburant.

En la matière, nous nous réjouissons surtout de voir que les constructeurs ont, cette fois, pris la décision de fabriquer en série des véhicules qui sont déjà équipés pour fonctionner au GPL carburant, car celui-ci constitue une très bonne réponse aux problèmes de pollution, en zone urbaine en particulier.

Vous m'avez également interrogé sur les normes communautaires. Je crois que ce qui a été décidé en la matière les 19 et 20 juin a été au-delà de ce qui ressortait des études de la Commission européenne sur la stricte base du rapport coût-efficacité. Cela étant dit, et pour ce qui concerne les décisions qui ont été prises, nous comprenons que la sensibilité aux problèmes peut varier selon les pays. Je crois que le résultat auquel nous sommes parvenus, même s'il va entraîner des investissements lourds pour la France, constitue pour l'an 2000 un compromis ; nous ferons tout pour le mettre en oeuvre et être en mesure de satisfaire la demande qui en résultera.

Pour 2005, nous ne disposons actuellement que de valeurs indicatives et nous souhaitons vivement, comme la Commission, qu'il y ait un deuxième programme de recherches auquel nous sommes prêts à participer et sur lequel certains de nos experts travaillent. Ce programme tiendra également compte des sources fixes d'émission de polluants et il fera bien davantage appel - puisque c'est peut-être le reproche que l'on faire au premier programme - dès le départ, au monde politique, aux parlements, aux organisations non gouvernementales, afin d'éviter de reprendre en première lecture au Parlement européen un certain nombre de questions qui auraient pu être traitées antérieurement.

En ce qui concerne l'effet de serre, ce que disent les constructeurs automobiles est naturellement vrai. Il est exact que, même après avoir opéré les corrections de densité, le véhicule automobile diesel va émettre moins de gaz carbonique - 10 % de moins - que le véhicule essence sauf progrès du genre de ceux qu'accomplissent actuellement les Japonais. Mais ce que nous prétendons, nous, c'est que pour ces problèmes qui ne sont pas de pollution localisée, il convient de raisonner " du berceau à la tombe " et donc de considérer ce qui se passe, non pas uniquement au niveau du moteur, mais sur toute la chaîne depuis la production de carburant jusqu'à l'émission finale des gaz d'échappement.

M. le Rapporteur : J'aurai, à propos du gazole, une question complémentaire dont vous devinerez bien à quelle arrière-pensée elle obéit : l'idée d'avoir un réseau de distribution pour l'automobile et un réseau de distribution réservé aux camions, avec des pompes différenciées puisque les prix ne seraient pas les mêmes, vous paraît-elle envisageable ou est-ce une vue de l'esprit ?

M. Bernard CALVET : C'est un sujet qui mérite d'être étudié. Je crois qu'à moins de supporter tous des coûts inutiles pour une période très limitée dans le temps, c'est une solution à laquelle on ne pourra réfléchir que le jour où le supercarburant plombé aura disparu, de façon à ne pas multiplier les types de carburants distribués dans les stations-service.

Il est indéniable que le jour où le supercarburant plombé aura disparu, donc normalement le 1er janvier 2 000, il y aura de nouvelles possibilités. Il faudra, alors, peser les avantages et les inconvénients. Nous y réfléchissons, car il faut savoir tout ce que cela entraîne. La différenciation se fera-t-elle par la couleur comme cela a été envisagé dans certains pays - on a parlé d'un gazole violet -, ira-t-elle plus loin et entraînera-t-elle des modifications plus en profondeur des caractéristiques des gazoles de façon à ce que certains soient adaptés spécifiquement aux poids lourds et d'autres aux véhicules automobiles ? Quelle sera la limite admise pour les véhicules pouvant utiliser ce gazole " dédié " :  20 tonnes, 3,5 tonnes ou 2,25 tonnes ? Il y a beaucoup de questions sur lesquelles nous devons travailler mais il n'y a pas de refus de principe.

Audition de MM. Jean-Pierre HENAUT,
Président du Conseil national des professions de l'automobile (CNPA),
Jacques CAPDEPONT, Roland GARDIN et Jean-Claude LENORMANT,
Vice-présidents du CNPA

(extrait du procès-verbal de la séance du 17 septembre 1997)

Présidence de M. Daniel PAUL, Président

M. Jean-Pierre HENAUT : Je vais, très rapidement, présenter notre organisation professionnelle. Qu'est-ce que le Conseil national des professions de l'automobile ? C'est une organisation professionnelle qui existe depuis le début de l'automobile et qui regroupe 17 métiers qui lui sont liés, depuis sa distribution jusqu'à sa fin de vie, à savoir les concessionnaires en voitures particulières, en véhicules industriels et tous ceux qui, de près ou de loin, participent à l'entretien, à la réparation des véhicules ainsi qu'à leur déconstruction.

En termes d'emploi, nous représentons un peu plus de 416 000 salariés. Nos préoccupations sont grandes dans ce domaine, mais nous y reviendrons !

Au nombre de nos missions, nous assurons la formation de tous les personnels qui concourent à la réparation, à l'entretien et au ravitaillement de l'automobile, dans le cadre de l'ANFA, structure dans laquelle nous occupons bien évidemment les postes importants, dont la présidence. Il s'agit d'une organisation paritaire qui forme l'ensemble de ces personnels, depuis le CAP jusqu'au diplôme d'ingénieur, à travers un certain nombre d'établissements répartis sur l'ensemble du territoire.

Nous avons également pour mission de conseiller nos adhérents et de leur apporter tous les renseignements dont ils ont besoin dans la vie quotidienne de leur entreprise. Une autre de nos missions consiste, paritairement, à écrire la convention collective nationale de la profession.

Nous avons surtout souhaité attirer votre attention sur les grandes difficultés que traversent actuellement le commerce et la réparation automobiles. Roland Gardin abordera plus tard, sous un angle un peu plus juridique, la question de nos relations avec les constructeurs et les importateurs mais il faut savoir que les immatriculations connaissent, depuis deux ans, une très forte décrue. En cette année 1997, il y a tout lieu de penser que le marché va plafonner aux alentours de 1 750 000 voitures, et cela dans l'hypothèse la plus optimiste !

Cela n'est pas sans conséquences pour l'ensemble des entreprises que nous représentons, en particulier celles du commerce et de la réparation automobiles. Une chute supérieure à 20 % ne permet pas d'imaginer que l'on puisse investir, maintenir des emplois, continuer à former du personnel, en un mot préparer l'avenir. La situation est très préoccupante : à l'heure où nous parlons, la quasi-totalité des réseaux de distribution automobile a une rentabilité qui se situe au-dessous de zéro et nous ne voyons pas comment, dans les quelques semaines qui nous séparent de la fin de l'année, nous pourrions redresser cette situation qui, à mon sens, est extrêmement périlleuse, après une année 1996 qui n'avait pas été des meilleures.

Cet état de choses est la conséquence des opérations menées au cours des deux années précédentes. En particulier, les reprises de véhicules accompagnées de primes ont considérablement dégradé la situation de l'ensemble des membres de nos réseaux.

Je souhaite revenir sur le nombre total des entreprises qui, de près ou de loin, s'intéressent à la distribution, la réparation et l'entretien de l'automobile en reprenant les chiffres issus des codes APE. On compte environ 88 000 entreprises, dont beaucoup sont de petites entreprises artisanales qui, hormis le patron, n'emploient que l'épouse de ce dernier et un apprenti. Les 4 700 concessionnaires de véhicules particuliers sont plus structurés. Nous vous remettrons des documents précis sur l'ensemble de ces entreprises.

Je vais maintenant passer la parole à Roland Gardin dont l'exposé traitera des problèmes liés à la distribution automobile.

M. Roland GARDIN : M. le Président, Mmes et MM. les députés, la vocation des constructeurs automobiles, qu'ils soient français ou étrangers, est de construire des voitures ; la vocation des réseaux de distribution automobile est d'assurer l'écoulement de ces voitures en les vendant dans le souci de l'intérêt bien compris des différentes parties qui sont le constructeur, le distributeur et le consommateur.

Je commencerai par présenter les différents intervenants dans la distribution automobile, avant de vous brosser le cadre juridique dans lequel ils évoluent et, enfin, de vous parler des enjeux et des risques pour la distribution automobile en France.

Le Président Hénaut a fait allusion aux 416 000 emplois que couvrent la réparation et la distribution automobiles. C'est dire l'importance de l'enjeu ! Les réseaux de marque emploient environ la moitié du personnel travaillant chez les concessionnaires et agents.

Quels sont les intervenants dans les réseaux ? Il y a, au premier niveau, trois types d'intervenants. D'abord, la filiale : société dont le capital est possédé pour plus de la moitié par le constructeur et qui est juridiquement distincte mais économiquement dépendante du constructeur. Les succursales, quant à elles, sont des établissements commerciaux créés par les constructeurs : elles n'ont ni autonomie juridique, ni autonomie économique. Le troisième volet de la première strate de la distribution automobile est composé des concessionnaires automobiles juridiquement indépendants : les constructeurs ne détiennent aucune part du capital ; la concession exclusive et sélective est une technique contractuelle de distribution par laquelle un constructeur, nommé le concédant, réserve la vente de ses produits sur un territoire donné à un distributeur, commerçant indépendant.

Quel est l'intérêt, pour le constructeur, d'avoir des concessionnaires ? Cela lui permet d'une part d'alléger ses investissements : ainsi, il y a pour les marques françaises 10 % de succursales et filiales et 90 % de concessionnaires ; d'autre part, de planifier à travers ce réseau, les livraisons et les actions promotionnelles ; enfin de sélectionner ses distributeurs en fonctions de critères qualitatifs : c'est ce que l'on appelle le critère de confiance.

Au-delà, il existe un second niveau qui est celui des agents. On en distingue plusieurs catégories qui ont néanmoins un point commun : ils ont - comme les concessionnaires - une indépendance juridique et financière mais ils sont dépendants du concessionnaire auquel ils sont liés par contrat.

Voilà ce qu'il en est des réseaux officiels. A côté d'eux, un certain nombre d'intermédiaires parallèles ont fait leur apparition à la suite, en grande partie, des règlements européens de la distribution automobile. Ces intermédiaires parallèles, toujours pour les voitures neuves, sont de deux types : le mandataire est un prestataire de services qui achète des véhicules neufs au nom et pour le compte d'un utilisateur final - il est donc un intermédiaire mandaté - ; le revendeur est un commerçant indépendant qui achète des véhicules neufs pour son compte propre et dans le but de les revendre à un utilisateur final.

Il faut également signaler l'existence des revendeurs de voitures d'occasion. Ils sont quelques spécialistes à ne s'intéresser qu'à l'occasion, à la différence des réseaux primaires - concessionnaires, filiales, succursales - qui sont aussi bien vendeurs de voitures d'occasion que de voitures neuves.

J'en arrive maintenant au deuxième point de mon exposé qui concerne le cadre réglementaire. Un réseau de marque est un regroupement de distributeurs ayant conclu un accord avec un constructeur pour distribuer les véhicules et les pièces de rechange de sa marque. Cet accord est matérialisé par un contrat de concessionnaire ou d'agent de marque qui prévoit certaines pratiques considérées comme anticoncurrentielles, notamment l'exclusivité territoriale. Les approvisionnements exclusifs sont, eux, tolérés par les contrats mais en fonction d'un règlement européen tout à fait précis.

Ce type d'accord tombe sous le coup de l'interdiction des ententes prévue à l'article 85 paragraphe I du traité de Rome qui interdit d'avoir un distributeur exclusif. Toutefois, au regard des nombreux avantages découlant de ce système, la Commission européenne a décidé de l'autoriser. A cette fin, elle a rédigé un règlement d'exemption spécifique à l'automobile qui était le règlement 123-85, cent vingt-troisième texte de l'année 1985, qui, puisqu'il a été promulgué pour dix ans, est devenu caduc en 1995 et a été renouvelé par un règlement 1 475-95 - vous voyez qu'il y a prolifération des textes puisque, à peu près à la même époque de l'année, 1 475 textes européens avaient déjà été adoptés - qui, lui, a été promulgué pour sept ans et qui fera l'objet d'un bilan en l'an 2 000.

Ces différents contrats, en contrepartie de l'exemption, ont amené la Commission, dans le but d'assurer une égalité des prix en Europe, à créer un nouveau métier qui est celui de mandataire. Il donne la possibilité à un utilisateur final d'acheter dans n'importe quel pays d'Europe et de se faire aider par quelqu'un qu'il a dûment mandaté, d'où le nom de mandataire. L'activité de mandataire est devenue pour certains une profession et les concessionnaires ne peuvent pas, dans le cas d'une vente à l'utilisateur final, refuser de l'approvisionner.

Les revendeurs non agréés sont apparus ensuite, profitant d'une disparité des prix sur laquelle j'aurai l'occasion de revenir. Ils achètent en leur nom propre pour revendre à un utilisateur final. Le règlement d'exemption permet les contrats de concessionnaires et prévoit donc que les constructeurs, dans leurs contrats, peuvent interdire cette revente à des intermédiaires non mandatés et à des personnes qui ne font pas partie du réseau : c'est le cas, à l'heure actuelle, de l'ensemble des contrats de concessionnaires des différentes marques pour toute l'Europe.

Je me suis proposé, dans la troisième partie de mon intervention, d'envisager quels étaient les risques et les enjeux pour la distribution automobile en France. Je citerai tout d'abord la stratégie des constructeurs. Pour l'instant, cette dernière ne représente pas un risque mais elle pourrait en engendrer un certain nombre. En effet, les constructeurs, après avoir mené une politique de réduction des coûts de fabrication, s'engagent maintenant nettement dans la réduction des coûts de distribution. On note, à cet égard, une tendance très forte à la concentration dans la distribution automobile et une diminution du nombre des concessionnaires, d'où des suppressions de concessions, des suppressions d'emplois et des disparitions d'entreprises.

Les transferts de charge rentrent également dans la stratégie des constructeurs puisque ces derniers, toujours dans le même souci de réduire les coûts, ont commencé à transférer un certain nombre de charges de publicité, de marketing, de communication, de modalités de paiement aux réseaux de distribution.

Concernant la dépendance économique des distributeurs, je rappellerai que le cadre général des contrats de distribution automobile est défini par le règlement européen : ce règlement offre, théoriquement, un certain nombre de libertés, dont la possibilité de représenter plusieurs marques et l'instauration de tiers arbitres pour, entre autres, la fixation des objectifs ; il permet l'approvisionnement en pièces détachées, réaffirme le principe de la possibilité pour un concessionnaire d'acheter chez un de ses collègues de n'importe quel pays d'Europe et augmente la durée des contrats avec des conditions plus favorables.

En réalité, on se rend compte que dans l'exercice quotidien de son activité, le concessionnaire peut rarement utiliser cet espace de liberté : il y a risque de rupture unilatérale (les contrats sont en principe des contrats soit à durée indéterminée, soit de cinq ans, avec un préavis de deux ans en cas de rupture). Bien évidemment, pour un constructeur ou un importateur, les indemnités qu'il aurait à payer en cas de rupture de contrat représentent peu de chose au regard de la situation du concessionnaire dont le contrat se trouve résilié.

Il est un autre point qui nous préoccupe beaucoup, ce sont les ventes directes. Les constructeurs et les importateurs se sont réservé un certain nombre d'entre elles. Les succursales qui devraient avoir les mêmes conditions de vente que les concessionnaires assurent aussi une fonction d'écoulement de la production et de la surproduction.

Nous comprenons fort bien que ce soit le cas pour les ventes à l'administration et à l'armée, notamment, puisque nous ne sommes pas outillés pour vendre des véhicules spéciaux. En revanche, la chose est différente pour les ventes aux flottes et aux grosses sociétés, notamment celles des loueurs tels qu'Avis et Hertz, qui achètent des volumes très importants, d'ailleurs généralement en " buy back " - le constructeur vend des véhicules pour quatre mois et les reprend pour les écouler sous forme d'occasions - et les ventes aux personnels par le biais des fameux avantages acquis que nous admettons également dans la mesure o˘ ils ne portent pas sur quatre véhicules par an. A ma connaissance, peu de familles ont besoin d'autant de voitures, si ce n'est pour une destination autre que leur utilisation personnelle.

La guerre des prix nous préoccupe également. Nous sommes dans un régime de surproduction automobile et cette concurrence entre les constructeurs a des répercussions très importantes sur les distributeurs : je dirai à la suite du Président Hénaut que le principe des primes Balladur ou Juppé, qui étaient des primes à la casse, ont causé une " dé-surenchère " puisqu'il y avait pour les constructeurs obligation d'accompagner ces primes. Cette guerre des prix a eu un effet très négatif, non seulement sur les marges des constructeurs, mais aussi sur celles des réseaux de distribution.

J'évoquerai enfin un dernier point qui, à nos yeux, est le plus important : les différences des prix au niveau européen. La commission mène deux enquêtes par an sur ces différences de prix et la dernière d'entre elles, publiée en juillet dernier, fait ressortir que les prix de vente sur les 75 modèles européens et japonais les plus vendus dans l'Union européenne n'ont jamais autant différé d'un Etat-membre à l'autre et que 43 types de véhicules sont vendus plus de 20 % plus chers dans certains Etats-membres. La France et l'Allemagne - avec une exception en Allemagne pour les véhicules diesel - sont les pays où le prix des véhicules est le plus élevé.

En conséquence, vous pouvez facilement acheter, notamment aux Pays-Bas, un véhicule du même type 20 ou 25 % moins cher que vous ne le feriez en France, ce qui pose problème.

Cette question des distorsions de concurrence a engendré l'activité, non pas des mandataires - les mandataires travaillent avec un mandat préalable bien que certains mandats soient parfois postérieurs à la livraison de la voiture - mais des revendeurs non mandatés, non autorisés par les constructeurs, qui font de ces différences de prix un véritable métier. Ils s'approvisionnent dans le pays le moins cher et revendent en prenant une marge très importante. Je me suis livré à un petit calcul et je peux dire que ces ventes qui représentent environ 8 % du marché français correspondent, pour le constructeur et pour le réseau de distribution, à un manque à gagner s'élevant à 1,2 milliard de francs dont 20 % de TVA, soit 240 millions de francs, ce qui n'est pas négligeable ! Si les prix sont quand même en train de se réajuster pour quelques modèles, des problèmes demeurent, notamment le non-paiement de la TVA, pour ne pas parler des revendeurs qui disparaissent avec les acomptes.

Une telle situation nous a conduits à demander qu'une proposition de loi soit présentée pour encadrer ces activités de négoce, étant précisé qu'un concessionnaire a la responsabilité civile et pénale de ce qu'il vend - le constructeur est bien sûr avec lui pour assumer cette responsabilité - y compris en ce qui concerne le paiement de la TVA. Vous mesurez tous les problèmes que cela peut poser aux consommateurs.

Une proposition de loi n° 2 983, relative à l'activité de mandataire en ventes de véhicules automobiles neufs, a donc été déposée par M. Gérard Larrat. Elle a été adoptée en première lecture à l'Assemblée nationale, puis présentée au Sénat le jour même de la dissolution de l'Assemblée nationale, ce qui a bloqué son examen.

Pour conclure, je voudrais préciser qu'un concessionnaire moyen, c'est-à-dire un concessionnaire de l'ordre de 500 véhicules, représente 40 à 50 emplois, un investissement de l'ordre de 10 millions de francs, un chiffre d'affaires bien supérieur à 50 millions de francs, ce qui pose quelques problèmes par rapport aux dispositions fiscales qui viennent d'être prises. Pour rester dans cet ordre d'idées, un mandataire qui vend 500 voitures n'a besoin que d'un bureau, de trois téléphones et d'une dactylo, ce qui explique le caractère très pénalisant de cette concurrence pour les réseaux : je vous ai cité le chiffre de 1,2 milliard de francs de manque à gagner, cette somme pourrait nous aider à améliorer nos marges ainsi que celles des constructeurs.

Ma concession Renault est située dans la région de Thionville. Je suis donc à trente kilomètres des frontières de la Belgique, du Luxembourg et de l'Allemagne et je peux vous dire que 20 % des voitures Renault neuves livrées sur mon territoire le sont par l'intermédiaire de revendeurs non autorisés. Vous mesurez ce que cela représente : mon entreprise qui employait 140 employés n'en emploie plus que 95 à l'heure actuelle !

Voilà ce que je tenais à dire, M. le Président, Mmes et MM. les députés, sur l'encadrement juridique et les problèmes généraux de notre profession.

M. Jean-Pierre HENAUT : M. Jacques Capdepont qui est président de la branche concessionnaires au sein du CNPA va vous présenter maintenant les quelques mesures de relance qui ont été imaginées dans ce secteur.

M. Jacques CAPDEPONT : M. le Président, Mmes et MM. les députés, je vais effectivement vous présenter un certain nombre de mesures de relance du marché automobile. Pour les formuler, nous nous sommes appuyés sur le marché des véhicules d'entreprise, des véhicules particuliers et des véhicules utilitaires.

Ce marché représente un peu plus de 5 millions de véhicules en France.

Je dois préciser que ces mesures ne font pas appel à des aides ou à des subsides
- surtout pas ! - et qu'elles permettront de relancer le marché sans apport de l'Etat.

Nous nous sommes d'abord attachés à l'amortissement des véhicules. La première mesure à prendre aujourd'hui, si l'on veut débloquer le marché, c'est le déplafonnement de l'amortissement. Son plafonnement n'a plus aucun sens de nos jours où le véhicule est un outil de travail, surtout en entreprise. C'est un non-sens qui bloque pour partie le marché des véhicules particuliers et des véhicules utilitaires d'entreprise.

Il nous paraît également essentiel d'appliquer un amortissement dégressif qui nous permettrait, à nous commerçants, - car nous sommes très proches du consommateur et nous savons à peu près ce qu'il attend de nous - d'aller voir un client au bout de deux ans pour lui faire savoir qu'il a amorti un peu plus de 60 % de son véhicule, qu'il entre donc dans des tranches de 10 à 15 % tout à fait inintéressantes, et qu'il aurait tout intérêt à racheter un véhicule pour entrer de nouveau dans un cycle d'amortissement qui est de 40 % la première année. C'est une évidence technique et nous pouvons vous dire qu'une telle mesure serait un formidable accélérateur du marché.

Il est une deuxième mesure que nous appelons de nos voeux : elle concerne la récupération de la TVA sur les véhicules particuliers d'entreprise. Aujourd'hui, en Allemagne, les entreprises récupèrent la totalité de la TVA sur les véhicules particuliers achetés en entreprise. Nous ne demandons pas, pour ce qui nous concerne, une récupération totale. Nous souhaitons une récupération de 2/5èmes. Comment ? Nous proposons que vous autorisiez la récupération de 1/5ème après une année d'utilisation, et d'un second cinquième après une deuxième année d'utilisation : le système s'arrête là ! Vous avez parfaitement compris qu'au terme de deux années d'utilisation, il nous sera alors très facile d'aller à la rencontre de nos clients pour leur démontrer que la troisième et la quatrième année leur coûteront au moins aussi cher que la première et la deuxième et, là encore, il s'agira d'un formidable accélérateur du marché. Par la suite, je vais démontrer que, loin de constituer un coût pour l'Etat, cette mesure entraînera pour lui une recette considérable.

Sur le dossier que nous vous remettrons, vous pourrez constater que nous envisageons une extension éventuelle de cette mesure à ceux que nous avons appelé " les assujettis occasionnels ", partant du principe que toutes les personnes qui empruntent leur voiture pour les besoins de leur métier, comme les membres des professions libérales ou certains collaborateurs indemnisés, pourraient bénéficier des mêmes avantages. Cette mesure est tout à fait à part et elle ne concerne pas les 5 millions de véhicules dont je vais parler.

Pour être tout à fait clair, que peuvent nous apporter ces deux mesures ? Je rappelle qu'aujourd'hui l'on compte 5,12 millions de véhicules d'entreprise. En 1996, il s'est vendu 624 902 véhicules. Si vous vous livrez à un rapide calcul, vous constatez que le rythme de rotation est d'à peu près 8 ans sur lesquels l'Etat perçoit 5/5èmes de TVA par véhicule. Si nous pouvions accélérer de manière systématique jusqu'à deux ans ces remplacements, mathématiquement, cela signifierait que l'Etat percevrait 3/5èmes tous les deux ans ce qui ferait 12/5èmes sur 8 ans. Cela nous semble un peu excessif mais nous pensons que l'Etat pourrait, sans aucun problème, percevoir au moins 6/5èmes ou 7/5èmes de TVA sur ce marché. Il est donc clair qu'il s'agirait là d'une recette et non pas d'une dépense pour l'Etat !

La dernière mesure que nous souhaitons, c'est la récupération de la TVA sur les véhicules d'occasion exportés. C'est une mesure qui a également cours aujourd'hui en Allemagne. Cela signifie que les Allemands ont, par exemple, toutes facilités pour exporter vers les pays de l'Est parce qu'ils ont un produit très compétitif. Pour ce qui nous concerne, nous pratiquons des prix qui sont au moins de 20 % plus élevés. C'est dommageable pour l'exportation et je pense que si, parfois, on peut reprocher à nos entreprises leur manque de dynamisme, il faut reconnaître qu'elles subissent là une pénalisation très importante.

Si toutes ces mesures étaient effectivement mises en place, quels en seraient les avantages ? Incontestablement, leur application équivaudrait pour nous, concessionnaires, à une relance mécanique du marché du véhicule neuf. Je dis " mécanique " parce que de telles mesures n'ont rien à voir avec les mesures précédentes du type Balladur ou Juppé, qui étaient des mesures conjoncturelles. Dans ce cas, tous les deux ans, nous sommes sûrs d'obtenir une accélération du marché : nous créons bien un marché nouveau.

Il est important également de considérer que cette accélération du marché qui interviendra tous les deux ans va alimenter le marché de véhicules d'occasion en lui apportant les véhicules en très bon état et à faible kilométrage qui lui font défaut à l'heure actuelle. Or, ce type de véhicule manque sur le marché, pour la bonne raison que les gens conservent volontiers leur voiture trois, quatre, voire cinq ans, compte tenu de sa fiabilité.

Enfin, si cette mesure de récupération de la TVA sur les voitures d'occasion était appliquée, elle permettrait de fluidifier le marché de l'occasion qui, à son tour, entraînerait une ré-accélération du marché du véhicule neuf.

En ce qui concerne l'Etat, nous avons trouvé trois avantages à ces mesures. D'abord, elles provoqueraient une relance de la consommation grâce aux marchés bisannuels qui vont se développer. On peut avancer le chiffre de 150 000 à 200 000 véhicules : sur 5,12 millions de véhicules, ce n'est pas faire preuve d'un optimisme excessif ! Par voie de conséquence, les recettes fiscales vont se trouver dopées puisque l'Etat va recouvrer au moins 6/5èmes à 7/5èmes de TVA, et non plus 5/5èmes comme c'est le cas aujourd'hui !

Ensuite, ces mesures favoriseront l'assainissement du parc automobile, puisque chaque fois que l'on met un véhicule neuf sur le marché, c'est un véhicule qui pollue un peu moins !

Enfin, de telles mesures sont importantes pour les entreprises et éventuellement les nouveaux assujettis, puisqu'elles diminueront le coût d'acquisition du véhicule et le prix de revient de leur parc. Cela contribuera à l'amélioration de leur trésorerie ainsi qu'à la dynamisation de l'exploitation et de la gestion de leur parc automobile par l'acquisition de matériels de plus en plus performants.

Les conséquences sont très claires ! Pour ce qui nous concerne, nous sommes assurés d'aller vers la création d'emplois, car si le marché augmente de 200 000 à 300 000 véhicules, nous retrouverons une certaine sérénité. Les conséquences se feront également sentir de manière sensible sur l'aménagement du territoire et sur la pollution.

Pour terminer, j'ajouterai que nous sommes en train de réfléchir aujourd'hui à une mesure de relance du marché pour les particuliers - vous savez que ce marché est de 25 millions de véhicules - qui porterait sur environ 4 millions de voitures. Il n'est pas question de mesures d'assainissement par une mise à la casse de véhicules anciens, car c'est un processus qui désorganise complètement la distribution. Il serait trop long aujourd'hui d'entrer dans les détails de la question ; aussi, nous aimerions pouvoir bénéficier ultérieurement d'une petite demi-heure pour vous présenter ce nouveau dossier.

Je vous remercie de m'avoir écouté.

M. Jean-Claude LENORMANT : M. le Président, Mmes et MM. les députés, je représente la branche des concessionnaires en véhicules industriels - camions et autocars -du CNPA. Cette spécialité regroupe un ensemble d'environ 450 entreprises qui emploient 20 000 salariés. Une concession camions compte une cinquantaine de salariés et fait un chiffre d'affaires d'à peu près 70 millions de francs.

Quand je parle de véhicule industriel, je parle d'un véhicule de plus de cinq tonnes. Il y a parfois confusion dans l'esprit des gens entre le véhicule utilitaire qui est un véhicule qui se conduit généralement avec un permis voiture et le véhicule industriel qui se conduit le plus souvent avec un permis spécial. Ce marché, en France, se situe aux alentours de 40 000 véhicules avec des phénomènes cycliques fortement prononcés puisqu'il peut très bien passer, en l'espace de trois ou quatre ans, de 30 000 véhicules à plus de 50 000 véhicules.

C'est un marché qui est assez difficile à maîtriser pour une entreprise petite ou moyenne, dans la mesure où des années faibles peuvent faire suite à plusieurs années fortes. Nos entreprises sont parvenues à s'adapter à ce marché cyclique, notamment en développant des activités de service et d'après-vente.

A la différence de ce qui se produit avec une concession voitures, une concession camions utilise plus des trois quarts de son personnel pour des opérations de maintenance et de vente de pièces de rechange, tandis qu'une minorité du personnel est employée à la commercialisation des véhicules neufs ou d'occasion.

Nous faisons apparemment le même métier que les concessionnaires de voitures, mais les différences sont importantes. La principale tient à ce que nos clients, qui ne sont pas des particuliers mais des entreprises, ont des problèmes tout à fait spécifiques qui ont si peu à voir avec les problèmes inhérents à la consommation que nous ne relevons d'ailleurs pas du droit de la consommation.

Malgré tout, un certain nombre des préoccupations qui ont été mises à jour cet après-midi sont également les nôtres, notamment en ce qui concerne la distribution et les relations avec les constructeurs, et nous les reprenons à notre compte.

Je souhaiterais, cependant, attirer votre attention sur un problème qui nous est propre, à savoir les difficultés financières rencontrées par les transporteurs, lesquels représentent l'essentiel de notre clientèle. A cet égard, je voudrais donc souligner qu'une hausse du prix du gazole risque, par contrecoup, de nous gêner considérablement en amoindrissant les marges de nos clients.

Je terminerai cette intervention par une suggestion qui pourrait peut-être être reprise par nos collègues de la voiture et qui concerne le code APE dont nous relevons : nous sommes assimilés, ainsi que nos collègues de l'automobile, à un code APE qui est un code des métiers du commerce en général, alors que, par ailleurs, nous faisons du service et, pour ce qui nous concerne, du service industriel. Une telle situation nous empêche de bénéficier d'un certain nombre d'aides qui sont allouées, par exemple, à de petits artisans qui relèvent de la chambre des métiers ou encore à des personnes qui exercent des activités de production, soit par les conseils généraux, soit par les conseils régionaux. Nous pensons qu'il serait souhaitable de considérer notre activité, tant pour ce qui concerne les voitures que les camions, comme une activité de production puisque nous produisons plus de services que de commercialisation, afin de nous permettre de toucher un certain nombre d'aides et de subventions.

M. Jean-Pierre HENAUT : Telles sont, M. le Président, les propositions que nous souhaitions vous soumettre. Nous nous tenons maintenant, bien entendu, à votre disposition pour répondre aux questions que vous nous poserez.

M. le Président : Tout d'abord, je vous remercie pour toutes ces précisions dont, pour une bonne part, j'avais pu prendre connaissance grâce aux documents que vous m'aviez fait parvenir. Avant de laisser la parole à M. le Rapporteur, j'aimerais vous faire quelques remarques.

Premièrement, pensez-vous, comme les deux constructeurs français, que nous sommes, en France, dans un marché de renouvellement et non pas dans un marché en extension ? J'ai cru comprendre à travers vos propositions, ou pour le moins vos analyses, que vous aviez le sentiment que le marché français était un marché en extension possible.

Deuxièmement, n'y a-t-il pas une contradiction difficile à gérer entre le fait que nos véhicules, quelles qu'en soient les marques, sont de plus en plus construits pour durer et le fait que vous proposiez d'accélérer le mouvement de rotation, le turn-over, si je puis dire ?

Troisièmement, le service après-vente, qui constitue un argument de vente depuis plusieurs années, tend à devenir un argument commercial de première importance. Globalement, les véhicules se valent même si, par goût personnel, je préfère les français. Qu'est-ce qui justifie donc ces différences importantes en matière de garantie, en matière de prises en charge diverses, entre les véhicules français et japonais, par exemple ? Cette situation ne relève pas obligatoirement de la responsabilité du distributeur, quel que soit son statut, mais personnellement, je considère qu'elle pose question.

M. Jacques CAPDEPONT : Si vous le permettez, M. le Président, je répondrai sur la question du marché. Incontestablement, le marché est un marché de renouvellement : nous sommes tous d'accord là-dessus !

Pour ce qui est de notre capacité à accélérer ce marché, elle ne fait aucun doute ! Nous allons réussir parce que si j'arrive à vous démontrer qu'en changeant de voiture tous les deux ans vous perdrez moins d'argent qu'en le faisant tous les quatre ans - et techniquement la chose est réalisable si l'on adopte nos mesures - je ne vois pas pourquoi vous ne le feriez pas !

M. le Président : Qui répondra à mes deux autres questions ?

M. Roland GARDIN : J'y répondrai, M. le Président.

Sur la durée des véhicules, il est vrai qu'ils sont de plus en plus fiables mais de plus en plus compliqués. Ils comportent des composants de plus en plus difficiles à réparer et à régler, ce qui explique que nous sommes passés dans une ère d'échanges standards : alors que pendant longtemps on ne pensait pouvoir changer que le moteur et la boite de vitesses, maintenant on change n'importe quoi !

La grande difficulté à ce niveau est d'établir le diagnostic de la panne : lorsque la panne est une panne de connectique - c'est-à-dire lorsque deux fils sont mal joints - il est évident, sachant qu'il y a globalement des kilomètres de fils sur un véhicule, qu'il est difficile de situer exactement la mauvaise connexion. Il faut disposer d'un matériel très sophistiqué et d'un personnel qualifié.

Les véhicules sont faits pour durer, mais il est plus difficile d'établir le diagnostic pour les réparer et je dirai même qu'on parvient parfois à des aberrations qui peuvent créer des pannes : alors que l'on vous dit actuellement qu'une voiture nécessite une vidange tous les 10 000 kilomètres - il faut savoir que certains constructeurs ont même mis au point des moteurs qui n'ont pas besoin de vidange - l'huile est néanmoins un produit qui s'use et qui disparaît ! En conséquence, quand on dit à un utilisateur qu'il doit vidanger tous les 10 000 ou 15 000 kilomètres, cela sous-entend qu'il doit, de temps en temps, vérifier son niveau d'huile, ce qu'il ne soupçonne souvent pas, d'où les réparations importantes qui peuvent s'imposer par la suite !

Il faut être tout à fait logique : à terme, le petit garagiste non spécialisé, c'est-à-dire n'appartenant pas à un réseau, qui fait un peu toutes les marques, sera appelé à ne s'occuper que de l'entretien, de la réparation tout à fait courante et ce sont les réseaux de marque qui vont devoir, de plus en plus, faire face à cette augmentation de la fiabilité et à sa contrepartie, qui est la complexité des réparations. D'où la nécessité de disposer de moyens financiers pour la formation des hommes - dans notre profession, le niveau V, c'est-à-dire le niveau CAP, n'est plus suffisant pour réparer et les jeunes doivent au moins sortir de formation avec un niveau IV, voire III pour l'encadrement ! Le président Hénaut mentionnait précédemment l'organisme de formation que nous cogérons, l'ANFA : le volume d'heures de formation qui y est dispensé est très important...

Notre métier est donc en train d'évoluer de manière très sensible, particulièrement dans le secteur de la réparation. Mais nous n'avons pas toujours les moyens de suivre, notamment au niveau de la facturation où nous nous situons nettement en dessous de nos voisins.

Enfin, je soulignerai un point de détail mais qui a son importance : les voitures roulent, elles roulent bien, mais il leur arrive de " taper ", ce qui nous conduit à intervenir sur la carrosserie : il y a, là encore, un marché de la réparation qui est important, pour lequel nous avons besoin de bons professionnels et de maintenir des emplois.

La différence de niveau entre les garanties que vous avez évoquée s'explique de façon très simple. Je demande très souvent à mon constructeur de passer à une garantie de trois ans et il me rétorque que ce n'est pas un argument commercial ! C'est une notion très importante : ce n'est pas un argument commercial ! Pourquoi, me direz-vous ? Je vous répondrai en reprenant l'argument de mon constructeur qui me dit : " mes voitures sont de plus en plus fiables et tiennent beaucoup plus que trois ans ! " Si les constructeurs accordent deux années supplémentaires, ils le font pour le marketing, pour enlever des parts de marché et l'on remarque d'ailleurs que, le plus souvent, ce sont des marques exotiques qui, les premières, ont lancé ce type de garanties. Je me dois quand même d'ajouter que, dans ces mêmes pays exotiques, il existe des barrières à l'entrée de voitures françaises ou européennes - en Corée, par exemple, tout achat d'une voiture étrangère entraîne systématiquement pour l'acquéreur un contrôle fiscal ...

L'argument de la garantie de trois ans prise comme élément de marketing nous gêne un peu ; les constructeurs nous ont fait savoir que, tant que leurs concurrents ne la proposeraient pas, ils feraient de même, mais qu'aussitôt que l'un des grands sur le marché français l'offrira, ils le suivront. Nous y sommes favorables.

J'ajoute que les constructeurs font également valoir qu'ils vendent des garanties complémentaires de deux ans. C'est un achat supplémentaire pour le consommateur et nous considérons qu'il vaut mieux la lui donner gratuitement, surtout si elle ne nous coûte pas trop cher. Il faut, en effet, préciser que la garantie nous coûte un peu d'argent dans la mesure où, lorsque nous réparons la voiture de l'utilisateur qui nous l'apporte, nous lui facturons pièces et main-d'oeuvre au tarif catalogue, alors qu'avec la garantie du constructeur nous vendons les pièces à notre prix d'achat et nous opérons une remise sur le prix de la main-d'oeuvre. Toutefois, nous considérons qu'avec la garantie nous fidélisons le client et c'est pourquoi nous y sommes tout à fait favorables.

M. le Rapporteur : Merci d'abord de vos exposés et de vos propositions sur lesquelles je reviendrai ultérieurement. Il y a quatre points que j'aimerais, si possible, vous voir développer.

Vous nous avez dit que 8% des véhicules arrivaient en France par des circuits divers, mais je n'ai pas très bien compris s'il s'agissait uniquement des revendeurs non autorisés ou des revendeurs non autorisés et des mandataires. Ma question est donc la suivante : est-ce que ce chiffre est stabilisé ? Après tout, le grand marché intérieur européen existe maintenant depuis quatre ou cinq ans. Ce chiffre est-il encore en croissance pour des raisons évidentes, fiscales ou autres ? En d'autres termes, pensez-vous qu'il y ait nécessité de convergence d'un certain nombre de caractéristiques, notamment d'ordre fiscal, entre pays européens, si l'on veut stopper le développement de ces circuits ?

Concernant la distribution, vous avez évoqué l'horizon 2 002 mais vous l'avez fait un peu comme si, après une directive de dix ans et une directive de sept ans, il allait y en avoir une troisième, ce dont je ne suis pas absolument sûr. En conséquence, j'aimerais savoir quels effets pourrait avoir sur votre profession l'absence de nouvelle directive.

Vous n'avez pas parlé du renforcement des contrôles techniques : ils peuvent engendrer un surcroît de réparations dans la mesure où les voitures sont davantage surveillées, mais aussi en faisant durer les véhicules, freiner la vente des voitures neuves. Quel est votre bilan sur cette question ?

Concernant l'hypothèse du remboursement de la TVA à l'exportation, je n'ai guère d'idée quant à l'augmentation du nombre de véhicules qu'elle pourrait entraîner. Elle représente un coût net pour le budget et il m'intéresserait donc de connaître une estimation, sans pour autant entrer dans le détail de cette mesure dont je vois bien quels effets en chaîne elle produirait. Je serais donc curieux, en qualité de parlementaire et de membre de la commission des finances, de disposer d'une évaluation du coût de cette proposition.

M. Roland GARDIN : Le problème des 8% de véhicules réimportés du marché est maintenant à peu près admis par les constructeurs et, bien sûr, par les distributeurs.

Faisons un peu d'histoire ! En 1985, un nouveau règlement européen libéralise la possibilité d'acheter dans un autre pays d'Europe. Nous avons été, nous frontaliers, les premiers à en faire les frais en tant que distributeurs français, puisque nos clients allaient directement au Luxembourg se procurer une voiture. C'était compliqué et les services des Mines ne se montraient pas trop libéraux pour l'obtention des papiers.

Le système s'est ensuite libéralisé, sous la pression d'ailleurs d'un certain nombre de députés qui ont défendu le pauvre consommateur et un peu moins les professionnels. Sachons quand même que dans tout professionnel il y a un consommateur qui sommeille et j'ai pour habitude de dire qu'à trop vouloir protéger le consommateur, on va créer une nouvelle sorte de clients qui ne pourront plus consommer parce qu'ils seront licenciés des entreprises qui les employaient et qui, elles, auront déposé leur bilan !

Par la suite, un certain nombre de mandataires ont découvert ce nouveau type de commerce et ont fait du vrai mandat. Faire du mandat est une chose compliquée car cela suppose de faire venir le client pour qu'il définisse exactement le produit qu'il veut, de contacter ensuite le concessionnaire étranger, de travailler au meilleur prix : c'est à cette définition que répond le travail du mandataire. Nous préférerions que les prix soient égaux partout en Europe, cela aurait le double mérite de les faire disparaître et de bien arranger et nos affaires et nos emplois !

Après ce premier travail artisanal, les mandataires ont pris conscience qu'il était plus intéressant pour eux d'aller discuter des prix quand ils achetaient les véhicules par camions de 8, de 20, voire de 40 véhicules et ils ont fait le travail des concessionnaires en offrant des voitures qu'ils se procuraient 20 à 25 % moins cher. Certains revendeurs non autorisés sont alors devenus des spécialistes : j'en connais un près de Thionville qui vend 2 500 voitures neuves par an et uniquement des voitures françaises. Globalement, les voitures françaises représentent 50 à 55 % du marché, les autres 45 % regroupant 15 ou 20 marques. Ce sont donc, à l'heure actuelle, les constructeurs et les distributeurs concessionnaires français qui sont les plus pénalisés en France.

Ces gens-là se sont donc organisés et leurs activités se développent. Certaines régions n'ont pas ce type de revendeurs, mais il est facile de faire passer une annonce : certains ont même mis au point des systèmes informatiques, en liaison directe avec des concessionnaires étrangers. Je crains que ce chiffre, non seulement ne soit pas stabilisé pour l'instant s'il n'y a pas rééquilibrage des prix entre les différents pays - c'est un autre problème mais je crois que votre mission aura certainement une action très forte à mener vis-à-vis des constructeurs français pour y parvenir -, mais encore qu'il ne croisse de façon exponentielle, puisque les revendeurs essaiment un peu partout en France et que de plus en plus de personnes estiment que c'est une activité simple. Il y a toute une gamme de revendeurs, depuis les professionnels qui revendent jusqu'à 2 000 voitures jusqu'aux petits intermédiaires qui n'en revendent que quelques dizaines... Je crains donc fortement que le chiffre de véhicules réimportés ne se stabilise pas à 8 % !

Pour ce qui a trait à la fiscalité, la voiture neuve supporte une TVA dans le pays où elle est importée, contrairement à l'ensemble des biens acquis dans d'autres pays. Dans le cadre de l'Union européenne, si vous achetez un poste de télévision à l'étranger, vous payez la TVA dans le pays où vous avez effectué l'achat et vous n'avez pas besoin d'acquitter la TVA française.

L'automobile neuve est exclue de ce dispositif pendant encore quelques années, ce qui fait que vous pouvez récupérer les taxes dans les différents pays, mais que vous devez acquitter la TVA française.

En France, nous avons la chance de ne pas avoir de taxes d'accise. Nous avons une TVA qui est conséquente, mais nous n'avons pas de taxes complémentaires, contrairement à d'autres pays : l'Espagne dont la TVA était de 28 % a décidé, il y a deux ans, de la ramener à 15 % mais en rajoutant une taxe d'accise de 13 % ; au Danemark, les taxes d'accise qui s'élèvent à 100 % s'ajoutent à la TVA.

En conséquence, lorsque le constructeur livre au Danemark - vous n'allez pas me dire que les Danois ont un pouvoir d'achat très supérieur à celui des Français - comme son client ne peut pas payer sa voiture deux fois le prix qu'il la payerait en France, il va vendre ses voitures hors taxe moins cher. En revanche, lorsque le mandataire ou l'intermédiaire va acheter une voiture au Danemark, il récupère 115 % de taxes et ne paie que 20 % de TVA, et encore quand il la paie.

Les Pays-Bas pratiquent un système différent : ils imposent la TVA, plus une taxe d'accise qui est variable en fonction du prix de la voiture. Que fait le constructeur ? Par exemple, vous avez un seuil qui est de 100 000 francs français, en couronnes bien évidemment, et une taxe d'accise dont le montant varie avec le prix de vente du véhicule : si vous êtes constructeur, pour pouvoir vendre vos voitures dans de meilleures conditions, vous allez fixer leur prix à 99 000 francs, d'où cette incitation à avoir des prix beaucoup plus bas ! Du fait de cette récupération des taxes d'accise et de la TVA, la concurrence se trouve totalement faussée, non seulement par les prix hors taxes moins chers, mais aussi par l'incidence de la TVA.

Comme les gens ont beaucoup d'imagination, les instances européennes ont défini une voiture d'occasion. La définition fiscale de la voiture d'occasion est la suivante : plus de six mois et plus de 6 000 kilomètres. En France, les voitures d'occasion doivent supporter une TVA sur la marge : j'achète 100 000 F une voiture à un client, je la revends 110 000 F et je dois payer la TVA sur la différence. En revanche, sur une voiture qui n'a pas payé la TVA - je pense aux retours loueurs, par exemple - que je paie 100 000 F et que je revends 110 000 F, je paie la TVA sur la totalité du prix. La différence est essentielle. Or, pour pouvoir bénéficier de la TVA sur la seule marge, il faut que la voiture ait supporté la TVA dans un autre pays de l'Union européenne. Comme il n'y a pas, à l'heure actuelle, de traçabilité de la TVA payée dans les différents pays d'Europe, vous imaginez la quantité de fraudes possibles !

Pour l'Etat français, cela représente des pertes importantes sur la TVA. C'est pourquoi il faut nous montrer très prudents.

Pendant longtemps, on a reproché à notre profession d'abaisser les compteurs sur les voitures d'occasion. Il paraît que c'était une pratique courante dans notre profession. Maintenant on voit des compteurs qui sont augmentés !

Pour ce qui concerne l'avenir, le règlement européen a été promulgué jusqu'en 2002 avec un examen de ses conséquences pour l'ensemble des différents partenaires
- consommateurs, distributeurs, constructeurs, équipementiers, fabricants de pièces de rechange - prévu pour l'an 2 000. A l'heure actuelle, l'hypothèse selon laquelle, au-delà de 2 002, il n'y aurait plus d'exemption au traité de Rome pour la distribution automobile ne me paraît pas plausible. La Commission a décidé d'examiner les exemptions qui existent dans d'autres domaines que celui de l'automobile : les contrats de franchise, par exemple, qui sont des contrats établis pour plusieurs métiers mais qui sont aussi des contrats d'exemption, ou les contrats spécifiques pour les bières ou les pétroles. En 2002, les dispositions spécifiques à l'automobile prendront donc fin. Deux solutions se présenteront alors : soit les différentes parties estimeront qu'elles étaient tout à fait valables et nous aurons une chance d'obtenir, comme en 1995, la reconduction d'un régime d'exemption propre à l'automobile ; soit la Commission mettra au point de nouvelles règles d'exemption. Elle examine à l'heure actuelle la question et étudie précisément l'évolution des différents contrats, non pas par branches, mais pour un ensemble de biens, comme par exemple dans la franchise. Elle a élaboré un " livre vert " sur la concurrence communautaire et les restrictions verticales. Nous pouvons donc penser qu'il y a aura encore des règlements d'exemption, même s'ils ne sont pas propres à l'automobile !

En outre, le droit communautaire accorde toujours la possibilité à un fabricant de dresser un contrat propre à son réseau de distribution et de le soumettre à titre individuel à la Commission. Elle vérifiera alors s'il ne comporte pas de clauses anticoncurrentielles et pourra l'autoriser à titre spécifique pour la marque, comme elle vient de le faire avec Smart. En effet, le groupe Smart bénéficie d'un contrat un peu hybride qui sera proposé aux seuls concessionnaires Smart, assorti d'un certain nombre de conditions puisque, après avoir refusé un premier contrat, la Commission a accepté le second qui faisait disparaître toute clause anticoncurrentielle.

Telle est la façon dont se présente l'avenir au-delà de 2002. Nous pensons qu'il y aura encore une distribution sélective. Si nous prenons l'exemple des pays comme les Etats-Unis, nous voyons qu'ils conservent des concessionnaires, et pourtant c'est la patrie du libéralisme.

M. Jean-Pierre HENAUT : Je répondrai si vous le voulez bien, M. le Président, au dernier point de votre question sur l'aspect du contrôle technique lié à l'évolution des activités de la réparation. Depuis 1990, on observe une légère tendance à la hausse dans le domaine de l'entretien et de la réparation automobile, mais nous n'avons pas la capacité de savoir si elle est liée aux contrôles techniques, car nous ne sommes pas en mesure d'identifier la réparation effectuée.

Nous avons des volumes globaux de pièces qui sont montées sur les véhicules mais, à l'intérieur de ces volumes, nous ne pouvons pas identifier les pièces qui sont montées sur un véhicule qui a, par exemple, subi le contrôle technique et qui s'est vu imposer quelques améliorations.

Il est clair, néanmoins, et vous l'avez indiqué tout à l'heure, que, globalement, la qualité moyenne des voitures qui seront mises en circulation et qui se présenteront aux contrôles techniques nécessiteront de moins en moins d'interventions pour être en état de conformité. C'est d'ailleurs déjà le cas depuis plusieurs années ...

M. le Rapporteur : Sauf usage particulier ...

M. Jean-Pierre HENAUT : Bien sûr, mais l'usager moyen circulant sur des routes bien entretenues ou sur des autoroutes, ne sera pas obligé de remettre son véhicule en conformité.

M. le Président : J'aimerais avoir une précision concernant ces véhicules achetés de l'autre côté de la frontière. Est-ce que le système se pratique dans les deux sens ?

M. Roland GARDIN : Non, pour la bonne raison que nous sommes un des deux pays qui pratiquent les prix les plus élevés : donc, presque automatiquement, personne n'a intérêt à venir acheter des voitures en France pour les réexporter de l'autre côté de la frontière.

M. le Rapporteur : J'aurai une question complémentaire : nous savons que les constructeurs étrangers vendent toujours moins cher à l'extérieur que chez eux, en conséquence, est-ce qu'il n'est pas intéressant pour des Allemands, par exemple, d'acheter des voitures Volkswagen en France et de les réimporter ?

M. Roland GARDIN : Un constructeur établit ses prix en fonction, non pas du marché, non pas du potentiel d'achat, non pas des possibilités de l'acheteur, mais en fonction de la concurrence.

Comme je posais la même question à mon constructeur, ce dernier m'a expliqué que, par exemple, lorsque Renault a lancé la Mégane, il l'a lancée simultanément dans les différents pays européens. Le prix a été fixé au-dessous du prix de la voiture qui était sa principale concurrente dans chaque pays : en France, la 306 qui était chère et, en Espagne, l'Opel Vectra qui était relativement bon marché. En conséquence, les constructeurs étrangers prennent, eux aussi, pour base les prix des voitures françaises en France et l'on constate que des voitures allemandes, par exemple, sont pratiquement aussi chères que les voitures françaises - elles le sont un peu moins maintenant - mais qu'elles sont très souvent plus chères, hormis en Allemagne, dans les autres pays de l'Union européenne. C'est le système du constructeur dans son pays qui se sent protégé par le cloisonnement des marchés, et c'est précisément contre ce phénomène que la Commission a voulu se battre pour permettre un nivellement des prix au niveau européen.

Nous sommes favorables à un prix unique pour un même modèle partout en Europe.

M. le Rapporteur : Quelqu'un peut-il répondre sur le coût de la mesure fiscale proposée ?

M. Jacques CAPDEPONT : Nous n'avons pas évalué son coût, mais nous allons le faire, c'est évident !

Dans l'instant, me viennent à l'esprit au moins trois raisons qui justifieraient cette mesure.

Premièrement, l'Allemagne l'applique déjà et pas nous. C'est un peu comme si deux entreprises n'avaient pas les mêmes règles du jeu. Aujourd'hui, nous nous trouvons dans l'incapacité de nous comporter comme nos voisins allemands et d'exporter.

Deuxièmement, nous n'exporterions certainement pas des véhicules très récents, mais plutôt des véhicules de trois, quatre, ou cinq ans d'âge. Or, il faut savoir que, pour ce qui nous concerne, nous ne pénétrons le marché des occasions qui représente, en France, environ 4 millions de véhicules, qu'à peu près à hauteur de 40 %, ce qui signifie que 60 % des transactions d'occasions nous échappent et échappent à la TVA.

Or, ce qui nous échappe particulièrement, c'est le marché des véhicules de quatre ou cinq ans, alors que c'est un marché que nous pourrions récupérer et sur lequel vous nous taxeriez bien sûr proportionnellement à la valeur ajoutée que nous encaisserions.

Troisièmement, si vous acceptiez la mesure de relance du marché des entreprises, nous serions amenés à nous intéresser à plus de 5 millions de véhicules, car en vous disant que nous allons " doper " le marché de 150 000 à 200 000 véhicules, sincèrement nous faisons preuve de pessimisme. Si vous acceptez également les mesures qui concernent les 4 millions de véhicules particuliers, ce sont encore, au minimum, 200 000 à 300 000 véhicules qui viennent s'ajouter aux précédents. Bon an mal an, cela revient à dire que ce sont 500 000 ou 600 000 véhicules que nous vous proposons d'amener sur le marché, qui seront, eux, taxés sans aucun problème et qui seront revendus à des gens qui ont des véhicules de trois ou quatre ans, car le processus de remplacement va s'accélérer dans le bon sens. Il faudra bien, à un moment donné, écouler tout ou partie de ces véhicules, notamment ceux de trois ou quatre ans, vers l'extérieur et, grâce à ces mesures, le marché sera donc considérablement fluidifié.

M. Bernard SCHREINER : Etant député d'Alsace, de la bande rhénane, j'ai été très fréquemment interpellé par des collègues, concernant ces importations de voitures par des mandataires dont certains, peu scrupuleux d'ailleurs, étaient en fait de véritables revendeurs. Des sanctions ont-elles déjà été prises à l'encontre de telles pratiques qui sont, en définitive, illégales et qui parfois entraînent aussi pour l'acheteur de sérieux problèmes, surtout en cas de défaut de construction ?

J'ajoute qu'il existe certaines pratiques qui veulent que l'Alsacien qui va du côté de Cologne y achète sur place un véhicule, qu'il le fasse immatriculer en Allemagne, qu'il roule pendant 6 ou 8 mois avec un numéro allemand tout en résidant en France, et qu'à la faveur de différentes mesures fiscales et conventions - ne me demandez pas de vous détailler la technique - il s'en sorte en payant 20 ou 25 % de moins ! Il y a là une illégalité qui se pratique au vu et au su de tout le monde : j'en suis témoin !

Par ailleurs, puisque votre syndicat englobe des métiers qui vont jusqu'à la " déconstruction ", est-ce que les filières maintenant en place pour la déconstruction de la voiture fonctionnent bien, tant en ce qui concerne la ferraille, que les plastiques ou les pneus ?

M. Roland GARDIN : Je vais commencer par répondre sur les sanctions : nous nous sommes, bien sûr, préoccupés de nous défendre sur le plan juridique face à ces revendeurs qui ne respectent ni les conditions de concurrence, ni les contrats et qui s'approvisionnent à l'extérieur. Je dirai d'abord que la justice est lente, ensuite que la preuve est difficile à apporter, ce qui fait que nous avons gagné un certain nombre de procès mais que nous en avons également perdu.

Concernant les sanctions, il y a, par exemple, actuellement un problème sur la TVA. Nous avons indiqué aux services fiscaux qu'il y avait une évasion de TVA importante et qu'il suffisait d'aller vérifier chez les importateurs de voitures d'occasion s'ils avaient bien supporté cette TVA quelque part : les services fiscaux ont, dans ma région, relevé des fraudes à la TVA qui, pour des petits revendeurs, atteignaient 2 millions de francs ! Or, il faut savoir que l'administration délivrait sur simple demande, pour l'immatriculation de ces voitures, un quitus fiscal jusqu'à ce que l'on attire son attention sur la question, il y a un an. Il ne figurait nulle part que la procédure était déclarative. En conséquence, à l'heure actuelle, les services fiscaux sont en train de procéder à des redressements mais, d'après mes informations, ils risquent d'être frappés de nullité parce que le quitus fiscal de l'administration ne portait pas la mention " le présent quitus fiscal a été délivré en fonction de la déclaration du demandeur ".

Le gros problème reste celui de la disparition de ces petits revendeurs. Lorsque c'est l'agent qui disparaît, le concessionnaire est là, quand c'est le concessionnaire, en règle générale le constructeur assume la livraison de la voiture ainsi que l'ensemble des responsabilités et le consommateur ne souffre d'aucune gêne. En revanche, lorsque le revendeur disparaît avec les acomptes, il s'évanouit dans la nature : certaines personnes ont payé la totalité de la voiture et ne l'ont jamais eue, d'autres ont eu la voiture mais pas les papiers car, bien sûr, le concessionnaire qui vend au revendeur non autorisé ne lui remet les papiers qu'au moment où celui-là lui reverse l'argent. Certaines personnes ont ainsi des voitures avec lesquelles elles ne peuvent pas circuler sauf à être en infraction...

Toutes ces questions posent un certain nombre de problèmes et c'est pourquoi nous nous sommes montrés très favorables à la proposition de loi de n° 2 983 de M. Gérard Larrat. Je pense qu'il serait tout à fait utile que votre mission s'y intéresse, car elle constitue un pas important pour la protection, non seulement du consommateur, mais également d'un métier et des emplois qu'il génère.

Sur la garantie, je dois préciser que les concessionnaires et agents interviennent sous garantie.

Il y a un autre phénomène qu'il est bon de mentionner : celui des rappels de voiture. Par exemple, le constructeur, à la suite d'une dizaine d'incidents itératifs, se rend compte qu'il faut rappeler une série de voitures qui présentent des risques. Il envoie à ses concessionnaires les numéros des voitures concernées, ces derniers retrouvent les propriétaires des voitures et les convoquent. Sur les voitures réimportées, il n'y a aucune possibilité de connaître les numéros, donc ces voitures ne sont pas rappelées. En tant que concessionnaire, je reçois, par exemple, de mon constructeur - cela s'est produit la semaine dernière - une liste de voitures de tel numéro à tel numéro. Certains numéros apparaissent sur les statistiques, mais nous ne les connaissons pas, parce qu'ils correspondent à des voitures qui sont parties pour un autre pays : cela représente quand même un risque non négligeable et je ne vous souhaite pas d'acheter une voiture qui ne puisse pas être rappelée, mais je pense que vous n'achetez pas de voitures chez des revendeurs non autorisés...

M. Jean-Pierre HENAUT : Je répondrai très rapidement, M. le député, à la partie de votre question qui concerne la profession de casseur, qui est en voie d'extinction : en effet, nous avons créé, avec l'aide des pouvoirs publics, une certification de services dans laquelle se sont engagés les démolisseurs et qui a pour objet de mettre en place les moyens de la filière de la déconstruction des véhicules, avec récupération de tous les fluides, de tous les polluants et leur destruction selon des règles précises.

Les pouvoirs publics ne délivrant plus actuellement d'autorisations d'installation de casses, nous pensons que dans les cinq à huit ans, la profession sera totalement assainie et que nous ne verrons plus, dans la nature, de casses sauvages avec des véhicules qui envoient dans la nappe phréatique de l'huile par leurs carters poreux. Il faut reconnaître qu'un très gros effort est fait par cette profession. Certains de nos démolisseurs doivent investir jusqu'à un million de francs puisqu'ils doivent s'équiper d'aires bétonnées de stockage avec des systèmes de récupération des fluides qui s'écoulent et de toute une chaîne de déconstruction qui a fait l'objet d'accords avec tous les partenaires de la filière de la démolition et de la récupération.

M. le Président : Y a-t-il encore un passage devant les services des mines pour les véhicules achetés à l'étranger ?

M. Roland GARDIN : Il existe maintenant, depuis deux ans, des procès-verbaux de réception communautaire qui rendent superflu ce passage. Pour les véhicules antérieurs, il reste obligatoire et concerne les véhicules fabriqués en Europe. En principe, il n'y a plus de passage aux mines, sauf dans certains cas spécifiques.

Audition d'une délégation du syndicat CGT

des personnels de Renault composée de MM. Yves AUDVARD
et Jean-Marie BOUSSET, Membres du comité central d'entreprise (CCE),
Jean-Pierre BUTTARD, Secrétaire adjoint du CCE,
et Guy FOUCAULT, Membre suppléant du CCE

(extrait du procès-verbal de la séance du 23 septembre 1997)

Présidence de M. Daniel PAUL, Président

M. Jean-Pierre BUTTARD : Tout d'abord, je vais présenter mes collègues : Jean-Marie Bousset qui vient de l'usine du Mans, Yves Audvard du centre de recherche de Rueil, et Guy Foucault de la succursale de Courbevoie. Nous avons préparé un dossier pour les groupes parlementaires et les journalistes.

La mission parlementaire auditionne aujourd'hui les salariés de Renault, dont nous sommes les représentants pour la CGT au comité central d'entreprise. Nous voudrions aborder quatre thèmes au cours de cette audition :

- les conditions de vie et de travail,

- la pyramide des âges,

- la maîtrise du savoir-faire,

-  la distribution.

Au cours des dernières réunions ordinaires du comité central d'entreprise (CCE) de Renault, nous avons déjà largement fait état de la dégradation des conditions de travail des salariés de l'automobile. Cette dégradation se traduit par la recrudescence des décès de salariés sur leur poste de travail et des maladies dues au caractère répétitif des tâches. Les remarques des élus, quelle que soit leur appartenance syndicale, n'ont pas été prises en compte. Dans cette grande entreprise nationale qu'est Renault, le CCE est devenu une chambre d'enregistrement.

La détérioration des conditions de vie et de travail provient en grande partie de la mise en place dans la quasi-totalité des usines d'accords d'aménagement du temps de travail très contraignants. Ils permettent une utilisation maximale des équipements dans un environnement concurrentiel très dur.

Le premier accord de flexibilité mis en place a concerné les salariés de Douai. L'accord date de 1992 et, depuis, les nombreux avenants ajoutés ont toujours exigé plus de flexibilité de la part des salariés. Actuellement, les salariés de Douai travaillent 35 minutes de plus par jour, une semaine par mois. Le temps de travail effectif hebdomadaire s'élève à 44 heures 30, ce qui implique l'instauration du samedi travaillé obligatoire. Cette augmentation du temps de travail est normalement compensée par 19 jours et demi de séances de récupération collective. Mais ces séances collectives de récupération sont fonction des besoins de production et donc laissées à la libre disposition de la direction.

Par ailleurs, l'accord sur l'aménagement du temps de travail de Douai institue le non-paiement des heures supplémentaires et du travail du samedi. En effet, il stipule que les variations de la durée hebdomadaire du temps de travail ne génèrent pas d'heures supplémentaires en période haute. L'horaire de référence servant au calcul des heures supplémentaires est de 44 heures 30. Seules les heures effectuées au-delà de cette durée sont payées au taux majoré.

Partout, ces accords se caractérisent par :

- une réduction du temps de présence à l'usine faisant croire aux salariés qu'ils travaillent moins longtemps ;

- un accroissement de la production grâce à une augmentation du temps de travail effectif.

La conjugaison des deux phénomènes - augmentation des temps journaliers de production et réduction du temps de présence à l'usine - est rendue possible par une diminution drastique des temps de pause et le report du temps de repas en fin de poste. Les salariés restent parfois 9 heures sans pouvoir prendre un repas chaud.

Une expertise demandée par la coordination des comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) de Cléon lors de la mise en place des nouveaux horaires a montré les dangers d'un tel projet pour la santé des salariés. Vous trouverez le compte-rendu de cette expertise dans le document que je vous remettrai.

Ces dangers sur la santé sont dûs :

- à de mauvaises conditions de récupération des salariés (notamment ceux qui travaillent dans des environnements physiques difficiles) à cause de la diminution des temps de pause et du report du temps de repas en fin de poste ;

- aux risques de maladies liées aux tâches répétitives. Les troubles musculo-squelettiques sont accentués par la réduction des pauses et le manque de récupération.

- à une mauvaise alimentation à cause du report du temps de repas en fin de poste. En effet, s'alimenter uniquement pendant les temps de pause ne permet qu'une alimentation fractionnée. Ces temps sont souvent insuffisants : 10 ou 15 minutes. Ils entraînent une vitesse excessive d'ingestion des aliments, ce qui réduit la pause à une activité intense et lui fait perdre sa valeur de repos. Les salariés mangent pendant leur pause au lieu de se reposer et, je le rappelle, peuvent rester 9 heures, voire 10 heures, sans prendre un repas chaud. Cette mauvaise alimentation génère également un manque de sommeil;

- à une organisation du travail qui déstabilise le personnel, toutes catégories confondues.

Des problèmes d'estomac, de plus en plus fréquents, sont recensés à Flins. Un cas de tuberculose vient d'être déclaré à Douai : le salarié concerné, apparemment, n'aurait pas pu se soigner comme il aurait dû.

La flexibilité des hommes comme réponse aux fluctuations de la demande et aux exigences de la production est inacceptable. Elle n'a pas montré son efficacité, comme le prouve l'exemple récent de la Scénic à Douai. En effet, dans une organisation industrielle rendue rigide par des capacités de production réduites au minimum et par une spécialisation des usines par type de véhicule, les hommes sont les tampons de l'activité. Les délais de fabrication de la Scénic, par exemple, sont de plus en plus long et son prix a été augmenté pour comprimer la demande. Douai est l'exemple le plus intéressant - c'est là que l'accord d'aménagement du temps de travail est le plus ancien -.Les accords d'aménagement du temps de travail n'y ont pas enrayé la chute de l'effectif en contrat à durée indéterminée. Cet effectif est passé, entre 1994 et 1997, de 6 073 à 5 955, soit une diminution de 2 %. En revanche, on constate une augmentation des emplois sous contrat à durée déterminée. Les intérimaires n'ont pas disparu et n'ont pas été intégrés à l'effectif. La gestion par le stress mise en place dans toutes les catégories, et notamment à Rueil et à Billancourt, dans les secteurs tertiaires, aboutit au même constat : les accords d'aménagement du temps de travail ont aggravé la précarité et ont dégradé les conditions de travail.

Dans ce contexte, on comprend pourquoi la direction de Renault, comme la direction de PSA, veut rajeunir la pyramide des âges en demandant au Gouvernement le départ de 40 000 salariés contre l'embauche de 14 000 jeunes. Seul un personnel jeune peut supporter l'intensification du travail liée à la mise en place de l'accord d'aménagement du temps de travail. L'exigence de meilleures conditions de travail dans l'automobile passe obligatoirement par des embauches en contrepartie de départs en retraite dès 55 ans ou après 37 ans et demi d'annuités de cotisations, ainsi que par une réduction, non pas annuelle, mais hebdomadaire du temps de travail à 35 heures, voire à 32 heures, sans perte de salaire.

Les gains annuels de productivité dans l'industrie automobile, particulièrement chez Renault, sont de l'ordre de 6 à 7 % ; ils ne doivent pas servir à supprimer des emplois, mais à répondre aux exigences des salariés de travailler moins et mieux. Nous sommes conscients de la nécessité de rajeunir la pyramide des âges qui a vieilli ces quinze dernières années à cause de l'utilisation massive de mesures d'âge telles que PRP (préretraites progressives) et FNE (Fonds national de l'emploi). Chaque départ doit être compensé par une embauche si l'on veut éviter que les salariés nouvellement recrutés ne soient usés prématurément.

Les syndicats CGT du groupe ont chiffré les besoins en emplois résultant des départs en retraite, de la réduction du temps de travail, d'un arrêt des heures supplémentaires et d'un allégement des charges de travail. Ce chiffre s'élève à 30 000 emplois. Ces besoins doivent être satisfaits et l'actionnaire principal, l'État, doit y contribuer. Cela peut en partie passer par un redéploiement de la politique d'apprentissage avec embauches à la clef - politique aujourd'hui abandonnée par Renault -.

Renault ne souffre pas de coûts salariaux trop élevés, - ils ne représentent que 12 % du chiffre d'affaires - mais d'un manque de création de richesses internes. Les réponses aux exigences des salariés passent par la maîtrise en interne d'une grande partie des activités actuellement sous-traitées. De plus en plus de salariés de Renault ont conscience que leur métier est en train d'être abandonné au profit de la sous-traitance. Or, alors que la plupart des grands constructeurs de l'automobile ont à leurs côtés de grandes filiales équipementières sur lesquelles ils peuvent s'adosser - c'est le cas de General Motors avec Delphi, de Toyota avec Nippondenso, de PSA avec ECIA - Renault continue sa politique de désintégration massive conduisant à ce que la valeur ajoutée créée au sein de l'entreprise ne représente qu'à peine 15 % du chiffre d'affaires.

Les derniers résultats semestriels publiés par Renault ne semblent pas inverser la tendance. Les résultats bénéficiaires sont en grande partie liés à des phénomènes ponctuels et, pour la plupart, financiers : la plus-value liée au retrait d'Elf Aquitaine, la cession de licences de moteurs et de boîtes de vitesses, une reprise de provisions liée à une créance d'impôts sur l'Etat due aux pertes de 1996, des fluctuations de parités monétaires et des baisses de taux d'intérêt.

La politique de réduction des coûts des achats impulsée par M. Ghosn porte en elle-même ses propres limites : elle somme les fournisseurs de répercuter leurs gains de productivité par des baisses de prix. Cela ne pourra durer indéfiniment. Les salariés des équipementiers ont aussi des exigences. Renault doit donc revoir ses relations avec les équipementiers. Nous ne nous opposons pas à la politique de réduction des coûts, seule garante de la baisse du prix des véhicules aujourd'hui trop chers; nous considérons qu'elle passe nécessairement par une maîtrise en interne d'activités industrielles et d'études, de la conception et de la fabrication, ce que nous ne faisons plus chez Renault.

C'est le cas également de la distribution automobile. Les coûts de distribution représentent environ 30 % du prix de vente d'un véhicule. L'externalisation de la distribution et l'appel à des concessionnaires privés ne permettra pas à Renault de maîtriser ses coûts de distribution. Les concessionnaires privés vendent les véhicules de marque leur apportant un gain maximum. Si, demain, Toyota propose à un concessionnaire Renault de lui vendre des véhicules 10 % moins cher, le concessionnaire acceptera l'offre, au risque de voir la marque Renault disparaître du territoire concerné. Renault doit maîtriser son réseau en interne pour être présent sur tout le territoire.

M. le Président : Il est beaucoup question de réduction et d'aménagement du temps de travail. On nous a aussi beaucoup parlé, au cours d'auditions précédentes, de l'optimisation de l'outil de production. Pensez-vous que ces différentes données soient conciliables ? Quelle est la position de la CGT à ce sujet ? Avez-vous des données chiffrées, soit sur un site, soit au niveau du groupe ?

M. Jean-Marie BOUSSET : On nous a effectivement beaucoup parlé de réduction et d'aménagement du temps de travail chez Renault. Cet aménagement ne se confond pas avec la discussion actuelle au niveau national, c'est-à-dire la réduction du temps de travail, payée ou pas, vers les 35 ou 32 heures. Il se dirige plutôt vers une proposition d'accord de la direction qui généraliserait le travail à temps partiel.

Sans vouloir dévoiler ce qui se fait chez Renault, un certain nombre de travaux démontrent qu'une partie des salariés pourrait travailler à temps partiel, ce qui permettrait de libérer des postes de travail. Cette possibilité concernerait surtout les femmes, les hommes d'un certain âge - les jeunes grand-pères, comme ils disent, ou des gens peu motivés par leur travail -.

Il est inconcevable de se diriger vers un accord de ce type. Oui, il y a nécessité de discuter de l'aménagement du temps de travail. Cela correspond à un besoin exprimé par le personnel. Mais nous le voulons sur la base du volontariat et avec des clauses de garantie de retour dûment énumérées.

Il reste l'autre question, qui est son pendant : l'optimisation de l'appareil de production. Il est évident que la réduction des coûts passe par une meilleure maîtrise de notre appareil de production. Mais meilleure maîtrise ne veut pas dire n'importe quoi. Renault investit beaucoup dans son appareil de production, et les gains de productivité sont importants : le temps de fabrication d'un véhicule est passé d'environ 20 heures à 12 heures. Les choses ont avancé et avanceront encore, heureusement.

Mais, en réalité, à qui ces gains ont-ils profité ? Aujourd'hui, quelles en sont les retombées sur le personnel ? Aucune, notamment en termes de réduction du temps de travail. C'est une question capitale dans un pays qui compte plus de trois millions de chômeurs. Les gens disent : " ce n'est pas le tout de concevoir et d'industrialiser des moyens de production qui sortent plus vite des véhicules moins chers, si nous, à la base de ce travail, n'en voyons pas les retombées  ". Il y a nécessité de débattre sur l'utilisation de ces gains de productivité.

M. Yves AUDVARD : Puisqu'il est question de temps de travail, j'aimerais faire une parenthèse concernant les catégories techniciens, agents de maîtrise, employés, qui ne sont pas directement liées à un outil de production et à un horaire. Je parle de tous les techniciens des bureaux d'études et des services méthode.

Nous sommes des militants des 35 heures. Mais nous trouvons certains discours surréalistes quand on connaît le temps de travail réel de beaucoup de gens. Nous sommes dans un système pernicieux : il n'est plus de mode de dire à quelqu'un : " tu viens samedi, ou tu viens plus tôt ce matin, ou tu restes plus tard ce soir ". On parle d'autonomie et de responsabilité, on parle d'objectif, on parle de jalonnement de projets, de passion pour le travail. D'ailleurs, la plupart du temps, lorsqu'on s'occupe d'un projet - et cette attitude concerne aussi nos militants - on se laisse petit à petit aller à venir un peu plus tôt le matin, à rentrer un peu plus tard le soir, à emporter l'ordinateur portable à la maison, et ainsi de suite... Pourquoi? Parce qu'il y a des sous-effectifs, et parce qu'on prend son travail à coeur.

Un rapport de l'INSEE évaluait le temps réel de travail des salariés à 41 heures et plus. Les données mensuelles délivrées dans le cadre du comité d'entreprise n'incluent pas le travail gratuit qui, aujourd'hui, se généralise et sur lequel les patrons comptent de plus en plus, et sans le demander. Aujourd'hui, dans l'industrie, règnent le non-dit et la pratique.

Le code du travail et les accords d'entreprise peuvent être très sophistiqués; à partir du moment où l'homme se sent impliqué dans un projet, avec l'obligation de le mener au bout et dans le temps imparti, la notion de temps de travail disparaît. Pendant ce temps, des jeunes diplômés attendent à la porte. Elu municipal d'une ville universitaire, j'en ai été témoin. Nous avons aidé l'université à former des techniciens et des ingénieurs; ils attendent à la porte pendant que des gens font 60 heures par semaine.

On n'en parle pas assez. Nous avons beaucoup de collègues qui vont en Allemagne : ils nous disent que les salariés, même les cadres, ne sont plus là à 16 h 30. J'interroge la représentation parlementaire sur ces questions parce qu'elle va se pencher sur le problème du temps de travail. Dans notre rapport, nous n'avons pas abordé ce sujet : d'autres syndicats interviendront, comme notre Coordination de la Fédération de la métallurgie.

M. le Rapporteur : Nous avons organisé nos travaux d'une manière telle que nous avons commencé par les responsables d'entreprise. Ils nous ont parlé - cela fait partie de leur rôle - de compétition, de productivité, de coûts de production. Avec votre délégation, nous passons de l'autre côté du miroir, nous regardons ce que ces mots signifient pour la vie des salariés.

Quelle que soit la hiérarchie qu'on établisse entre les soucis de rentabilité et les préoccupations relatives aux conditions de travail, nous sommes obligés d'intégrer cette notion de compétition.

Je voudrais vous poser quelques questions précises, d'abord sur les coûts de l'organisation actuelle. Chez Renault, dans certains établissements, il doit y avoir un certain chômage technique. Il est largement pris en charge par la puissance publique, ce qui permet d'externaliser des dépenses liées à l'organisation du travail. C'est une donnée qu'il nous intéresserait de connaître.

Ensuite, il y a quand même un accord au niveau des instances de l'entreprise sur la nécessité d'arriver à produire moins cher ou à accroître un peu la productivité. Cela nous intéresserait donc aussi de savoir, en regard des méthodes d'annualisation que vous évoquiez tout à l'heure, comment vous pensez y arriver. Je prends l'exemple de la fameuse pyramide des âges. Les propositions des constructeurs au gouvernement précédent étaient : vous payez pour le départ des salariés au-dessus de 50 ans et nous nous chargeons du reste. Compte tenu du coût et indépendamment de la couleur politique du gouvernement, la proposition n'était, de toute façon, pas très raisonnable. Selon vous, peut-on imaginer des réductions de durée du travail plus fortes pour les plus âgés ou des conditions de départ progressif ? Avez-vous des réflexions à ce sujet, des commentaires à présenter ?

J'ai entendu évoquer la question des heures supplémentaires. Indépendamment de ce qui se passe déjà à Douai, j'ai cru comprendre que vous n'étiez pas complètement opposés à l'idée d'échanger la réduction de la durée du travail contre une modification de la limite à partir de laquelle les heures travaillées devenaient heures supplémentaires. Que ce soit dans le cadre des négociations qui vont s'ouvrir le 10 octobre ou dans le cadre d'un dialogue interne à Renault, ou même probablement à chaque établissement, qu'est-ce qui vous apparaît négociable et qu'est-ce qui ne l'est pas ?

M. Jean-Marie BOUSSET : Concernant l'organisation actuelle, ce qui pêche chez Renault, et nous l'avons abordé dans notre déclaration liminaire, c'est la stratégie. Nous avons une politique essentiellement orientée vers un bilan et un résultat à présenter à des actionnaires, et non vers le développement d'une entreprise industrielle. A la différence d'une entreprise privée, Renault a un actionnaire principal, l'Etat, et elle a des droits et des devoirs vis-à-vis de lui. Même si des capitaux privés sont entrés dans le capital de Renault, le comportement et la stratégie de nos dirigeants sont inadmissibles. Que constate-t-on ?

Nous avons vécu des bradages et des essaimages à répétition qui nous ont fait perdre un savoir-faire inestimable. Nous nous retrouvons aujourd'hui terriblement dépendants.

Deuxième point, nous avons développé une politique de sous-traitance au prétexte de rechercher des coûts moindres de production. A y regarder de près, nous avons réussi le tour de force, dans certains cas, de réintégrer en catastrophe des fabrications, car celles-ci nous coûtaient, in fine, plus cher chez les sous-traitants. En attendant, on avait liquidé quelques centaines, voire un millier de salariés dans l'entreprise. Il faut s'attaquer directement à ces choix.

Le troisième élément tient à notre dépendance vis-à-vis des fournisseurs. Nous nous retrouvons pieds et mains liés aux volontés et aux desiderata de fournisseurs français, voire étrangers. Il y a donc un danger : ceux-ci peuvent privilégier à un moment donné une marque plutôt qu'une autre, un pays plutôt qu'un autre. Par exemple, pour les moteurs diesel - cela avait fait les " choux gras " des journaux - nous avons soudain éprouvé des difficultés pour les sortir : Bosch avait décidé de ne plus livrer Renault et PSA, car il voulait privilégier le marché allemand. Sans vouloir tout maîtriser, il y a nécessité d'évaluer exactement les abandons qui ont été faits et les possibilités de réintégrations et de développements internes. Cela aura des conséquences directes sur la vie quotidienne du personnel.

Le premier problème posé aujourd'hui est : comment mobiliser le personnel sur une stratégie d'entreprise? Pour cela, il faudrait qu'une stratégie et une perspective soient définies clairement. Or, quelle est la perspective que vivent les salariés ? Je vais vous donner un exemple : ce matin, lors d'une discussion sur les salaires, les représentants du personnel sont revenus avec zéro franc alors que la Régie vient d'annoncer un bénéfice de 1,6 milliard pour le premier semestre. Comment voulez-vous expliquer à des gens qu'il faut se mobiliser quand, dans le même temps, ils se rendent compte que leurs efforts ne leur bénéficieront jamais?

Je vous donne un deuxième exemple : le management par le stress. C'est quelque chose qui bloque chez Renault. Que ce soit dans l'encadrement, chez les techniciens ou chez les ouvriers, les gens en ont assez de cette pression permanente sur leur vie quotidienne. Dans les bilans sociaux, on constate que les maladies reprennent, qu'il y a une recrudescence forte des décès, y compris sur le poste de travail : récemment, au centre technique, un ingénieur de 29 ans s'est donné la mort parce qu'il en avait assez. Ces situations sont très mal vécues par le personnel qui exige d'avoir un juste retour de ses efforts.

Au sujet des réductions de coûts, il faut se rappeler que Renault a été bénéficiaire pendant des années. Et nous nous interrogeons : où est passé cet argent ? On arrive à en retrouver une partie : il a effectivement servi à créer, dans certains bassins d'emplois en difficulté, des établissements et des entreprises. Il a servi aussi à faire un essai aux Etats-Unis qui s'est soldé par un fiasco complet : le personnel, qui pourtant n'était pas favorable à cette expérience, en a payé les pots cassés. Aujourd'hui, les salariés veulent que les gains de productivité réalisés par l'entreprise ne passent pas en dividendes.

M. Jean-Pierre BUTTARD : La question de la pyramide des âges est un sujet extrêmement important. A Sandouville, nous avons une moyenne d'âge de 47 ans, à Cléon de 44 ans. Les autres usines se situent à peu près dans cette même fourchette. Si l'on n'agit pas, l'usine pourrait mourir de mort naturelle, faute de salariés en âge de travailler.

Nous avançons un certain nombre de propositions. Elles ne sont pas à prendre ou à laisser, mais on doit en discuter. Nous avançons la proposition de la retraite à 55 ans, notamment pour tous les gens en production qui vivent des conditions de travail de plus en plus difficiles. Nous avons des exemples où le père se lève à 3 heures et demie pour aller au travail - c'est la condition des gens qui habitent à 60 kilomètres de l'usine - alors que le fils reste au lit, bien qu'il soit en âge de travailler. C'est plutôt l'inverse qui devrait se faire. On marche sur la tête.

On finance les allocations chômage, c'est un bien; mais cet argent devrait payer la retraite des salariés âgés et permettre aux jeunes d'accéder à l'emploi. L'idée avancée du travail à mi-temps pour les salariés arrivés à un certain âge est à discuter : il faut voir aussi les compensations en salaire. Il ne suffit pas de travailler moins, il faut aussi avoir les moyens pour vivre. Les salariés à mi-temps refusent d'être rémunérés comme des RMistes.

Notre proposition d'une retraite à 55 ans a un grand impact chez le personnel, car elle correspond à un besoin. Revenons à notre revendication de la retraite dès 37 ans et demi de cotisations : parmi les gens en production aujourd'hui, beaucoup ont commencé à l'âge de 14 ans et totalisent les 37 ans et demi de cotisation, voire plus. Ils aspirent à partir, et c'est juste. Ils ont aussi le sentiment qu'ils peuvent faire de la place aux jeunes. Pourquoi pas un plan " emploi-jeune " dans l'automobile ? Nous pouvons trouver des financements qui pourraient bénéficier à de nombreux salariés, ceux qui partiraient en retraite comme ceux qui sont au chômage.

M. le Président : Avez-vous une idée du nombre de travailleurs qui totalisent 37 ans en et demi de cotisations, voire 40 ans ?

M. Jean-Pierre BUTTARD : Cela tourne autour de 15 000.

M. Jean-Marie BOUSSET : Tu es optimiste, mais nous pouvons vous les communiquer.

M. le Rapporteur : Il ne reste pas beaucoup de gens ayant plus de 55 ans.

M. Jean-Pierre BUTTARD : Ils les gardent jusqu'à 57 ans. Cela veut dire que ceux qui ont commencé à travailler à 14 ans sont encore nombreux.

M. Yves AUDVARD : Vous avez posé beaucoup de questions et j'en ai noté quelques-unes qui sont restées sans réponse.

Prenons la question des journées chômées. Elles sont liées aux modes de production chez Renault, mais aussi aux modes de fonctionnement. Actuellement, nous travaillons sur l'ingénierie, les produits, le process, notamment à Rueil, afin de rechercher le meilleur investissement dans l'outil industriel. Que constate-t-on ? Au nom du " juste-à-temps " et des fluctuations du marché, nos sites de production devraient systématiquement avoir certaines journées de plus de 24 heures et d'autres où les salariés pourraient rester à la maison.

Or, que constatons-nous en tant qu'élus dans les bilans qui nous sont donnés ? Aujourd'hui, l'Etat verse des sommes non négligeables pour indemniser ces journées de chômage; dans le même temps, les objectifs de nos plans de formation ne sont pas atteints, ceux à venir régressent. Dans des entreprises comme les nôtres, où les mutations technologiques rendent nécessaire la formation du personnel, toutes catégories confondues, nous proposons d'utiliser ces périodes de demande moins forte pour mettre en place des formations qui correspondent aux besoins des salariés et de l'entreprise. Et c'est là que le bât blesse ! Jusqu'à maintenant, à chaque fois que nous avons fait ces propositions concrètes en comité d'établissement, en comité central d'entreprise, nous nous sommes systématiquement heurtés à un mur. Or, une entreprise dont l'Etat est l'actionnaire majoritaire a un exemple à donner. Il y a des possibilités de faire autrement ? Eh bien, étudions-les ensemble ! Aujourd'hui, ce n'est pas le cas...

A propos des heures supplémentaires à répétition, il faut regarder si des tâches ne pourraient pas être reportées et effectuées lors des périodes basses, par exemple. Or, aujourd'hui, il y a là aussi un mur en face de nous.

M. Jean-Marie BOUSSET : Tout à l'heure, on a évoqué la concurrence dans notre secteur. C'est un fait : nos voitures ne sont pas vendues d'avance. Il y a nécessité de mobiliser le personnel autour des projets en cours. Pour que cette mobilisation puisse se réaliser, il faut un climat de confiance et des perspectives. Or, on assiste depuis plusieurs années à un chantage permanent.

Je m'explique. Je suis dans un site polyvalent où l'on fabrique des éléments d'automobile et des tracteurs. Cela fait 600 personnes réparties autour de la fabrication des tracteurs, de la fonderie, des transmissions, du département qui fait des trains, et de l'autre qui fait la mécanique. On nous dit : tout ce que vous faites, d'autres savent le faire ailleurs. On nous dit que nous sommes concurrençables partout dans le monde. En Pologne, par exemple, il n'y aura bientôt plus de barrières douanières et les salaires sont cinq fois moindres. C'est une course perpétuelle qui ne peut être gagnante : on ne part pas du même point et on n'a pas les mêmes outils. On se demande si l'on ne va pas "tirer tout le jus" des sites existants jusqu'au moment où l'on se heurtera à l'humain. On nous dira : " chers amis, nous avons bien travaillé ensemble, nous n'avons rien à vous reprocher, mais les Polonais sont moins chers et, comme ils ne sont pas plus bêtes qu'ailleurs, désolé ". C'est l'emploi qui se déglingue !

Il y a une ambiance à couper au couteau dans les usines. On vous a décrit d'une manière idyllique des usines à vivre, avec des unités autonomes de travail où les gens sont responsables. C'est la " vision pile ". La " vision face " : on cherche à créer une concurrence féroce entre les hommes. Dans certaines industries européennes, les unités de travail ne se voient pas ; elles sont simplement liées par le lien informatique de la relation client-fournisseur. L'idéal, c'est que les hommes ne se voient pas. Plus on parle d'usine à vivre, plus on voit des barrières, des caméras, des badges. L'idéal, c'est que l'homme arrive seul sur son parking, badge trois ou quatre fois avant d'aller à son bureau, et ne rencontre que les gens avec qui il doit travailler.

Nous qui travaillons sur des bases de solidarité, pour ne pas dire des bases de classes car c'est peut-être démodé - mais pas à notre avis -, nous avons l'impression de ne pas vivre dans le même monde. Nous mettons en garde : ce phénomène silencieux est en train de démolir les individus.

Je fais une parenthèse sur les libertés, sur la façon dont l'homme est traité dans l'entreprise, la façon dont les organisations syndicales représentatives sont traitées. Dans les instances officielles, nous avons l'impression de nous adresser à des murs. On ne négocie pas, on nous explique la seule option possible. Si nous développons un argument contraire, la direction discute un moment puis s'arrête parce qu'elle considère que nous sommes des antédiluviens.

Il y a également des stratégies d'isolement de nos militants. Ce n'est pas la violence qu'on connaissait dans les années cinquante, c'est plus sophistiqué. Toutes les instances où les élus peuvent s'exprimer (comité d'hygiène et de sécurité, délégués du personnel, comité d'entreprise) sont réduites à des coquilles vides. Au regard de la loi, on est en règle, mais on double ces instances par des structures internes liées au management. A terme, c'est la mort du syndicalisme. Aujourd'hui, le patronat, de manière féroce, veut faire disparaître le syndicalisme, comme dans le jeu de Go que les cadres vont apprendre : une stratégie d'élimination où l'autre existe encore, mais où il ne peut plus bouger.

Lorsque nos structures, qui sont chargées de traduire des choses parfois féroces, ne peuvent plus s'exprimer, lorsque l'on nous traite de guignols, excusez ces mots triviaux, les gens sont incités à la violence et à la révolte. Quand on ne peut plus se parler entre gens sérieux, qu'il n'y a aucune alternative, les gens encaissent pendant un certain temps. Puis, un jour, vous verrez surgir une violence totalement imprévue.

M. le Président : Nous aurons l'occasion de nous rendre sur un certain nombre de sites et de voir la façon dont s'organise la chaîne en 1997. Nous aborderons donc concrètement les conditions de la vie à l'usine.

M. le Rapporteur : Je vous poserai une question concernant les délocalisations. On nous a dit jusqu'à maintenant que l'industrie automobile était une industrie lourde, que les constructeurs européens ne délocalisent pas et que s'ils délocalisent, c'est pour servir des marchés où la production se rapproche de la consommation, etc... Or, un site Renault en Turquie fait un break Mégane, si j'ai bien compris. Apparemment, il va être exporté vers l'Europe de l'ouest, ce qui semble contredire le discours officiel. Je voulais savoir si vous aviez des informations à ce sujet, et comment vous réagissez à ce type de problème.

M. Jean-Pierre BUTTARD : Nous avons un site Renault en Turquie qui produit des véhicules depuis longtemps...

M. le Rapporteur : Théoriquement pour le marché local !

M. Jean-Pierre BUTTARD : Oui. Puis, quelques véhicules ont été réexportés, comme la Mégane break. En revanche, il y a une délocalisation pour le remplaçant du Trafic qui va être fait à Luton en Angleterre. C'est le fameux accord General Motors-Renault. On pouvait espérer que ce véhicule serait fabriqué en France, chez l'ex-Chausson, maintenant appelé ETG. La direction de Renault a décidé de le fabriquer en Angleterre avec General Motors. Il s'agit d'une première : la construction d'un véhicule hors de nos frontières pour être réimporté au niveau européen.

M. François LOOS : Je suis élu d'une région frontalière où se trouvent des usines de Mercedes, en Allemagne. Je rencontre beaucoup d'ouvriers de cette entreprise qui me disent, depuis quelque temps, que le climat social se dégrade. Ce qui me surprend, c'est que, selon eux, la productivité des ateliers Mercedes est moins bonne qu'il y a dix ans. Avez-vous aussi ce sentiment ?

M. Jean-Marie BOUSSET : Je n'ai pas de contacts avec Mercedes. Je ne peux donc pas répondre directement à votre question. Chez nous, au contraire, la productivité augmente : nous sommes passés de 19 heures environ par véhicule à environ 10 ou 12 heures.

Un autre aspect de la délocalisation : chercher des units complets chez des fournisseurs. Au lieu de faire un véhicule de A à Z, la partie Renault d'un véhicule ne représente plus, grosso modo, que 30 %. Par exemple, dans les sites de production, particulièrement les usines de montage, les fournisseurs nous amènent parfois un côté de caisse ou la porte arrière complète. Cela a un impact sur la productivité des usines de Renault : ce qui est fait à l'extérieur ne peut pas être compté chez nous. Comment trouver un ratio d'intégration raisonnable, sans tout réintégrer ni tout laisser dehors?

Sur les délocalisations, nous avons une position claire : nous soutenons Renault lorsqu'il choisit de s'implanter dans un pays pour conquérir des parts de marché dans la région. Si ces délocalisations conduisent à réimporter en France la production ainsi délocalisée, on dit non. La Turquie était une base qui devait nous permettre de conquérir des parts de marché, y compris dans les pays de l'Est. Aujourd'hui, on a fait le choix, sous prétexte que la main-d'oeuvre y est moins chère, d'y construire le break Mégane pour le réimporter en France. Nous ne pouvons pas être d'accord. Qu'on développe, en France, nos usines de carrosserie pour faire ce break!

M. Yves AUDVARD : Votre question fait ressortir l'inefficacité de beaucoup de nouvelles techniques de management et d'organisation. Certes, on peut détecter en fin de chaîne un gain de productivité, mais au prix d'une augmentation des rythmes de travail et de la désorganisation des vies personnelles à la suite d'accords de " moindre mal " souvent passés sous la contrainte. En revanche, en amont, dans toutes les superstructures, toutes les techniques de management basées sur le progrès continu débouchent sur une désorganisation perpétuelle. Nous sommes à peine arrivés à un " progrès " que nous passons déjà à autre chose. Les gens changent, les discours changent. Leurs arguments sont toujours imparables. Ce sentiment finit par nous atteindre au moral : ils savent tout.

Je vais faire une dernière parenthèse : je lisais dans le journal Marianne un article sur le néo-libéralisme, qui faisait le parallèle avec la pensée stalinienne des années trente. Ils ont parfaitement raison, et le malaise dont font état les gens de Mercedes n'est peut-être pas étranger à cela.

Audition d'une délégation du syndicat CFE-CGC
des personnels de Renault composée de
MM. René CANTELOUP, Membre du comité central d'entreprise (CCE),
Alain CHICHE, Membre du comité de groupe France,
Michel DORIS, Secrétaire adjoint du CCE,
et Gérard GONTHEY, Secrétaire du CCE

(extrait du procès-verbal de la séance du 23 septembre 1997)

Présidence de M. Daniel PAUL, Président

M. Gérard GONTHEY : Nous avons prévu un exposé en quatre parties :

- la conjoncture automobile ;

- les atouts et les opportunités de progrès de Renault ;

- les propositions de la CFE-CGC ;

- enfin, mon collègue prendra la parole sur le réseau commercial.

En ce qui concerne la conjoncture automobile en France, cela ne va pas tellement bien pour nous. Au premier semestre 1997, le marché des véhicules particuliers s'est inscrit en baisse de 23,7 % par rapport au premier semestre 1996, avec l'arrêt des mesures d'incitations gouvernementales en octobre 1996. Les perspectives de croissance du marché européen sont faibles, les économistes pensent qu'il ne croîtra plus de façon significative.

Dans un marché européen saturé avec 12 millions de véhicules, les capacités de production sont estimées à 18 millions de véhicules. Cette surcapacité s'accroîtrait avec l'installation d'usines japonaises, Toyota par exemple. De plus, les grands marchés automobiles sont en Europe, en Amérique du Nord et au Japon. Or, l'Europe est un marché ouvert à tous. En revanche, le marché américain est ouvert aux Japonais et aux Américains, et le marché nippon seulement aux Japonais.

Où seront les marchés de demain ? Les prévisionnistes pensent qu'en l'an 2010, la croissance ne se situera pas sur ces grands marchés, mais en Europe de l'Est, en Amérique Latine et en Asie.

De plus, nous assistons à une guerre des prix sans pareil depuis environ deux ans. Dans cette conjoncture, Renault a des atouts et des opportunités de progrès - j'ai voulu éviter de parler de handicaps -. Les atouts de Renault, c'est une gamme jeune, une capacité d'innovation, avec par exemple la Twingo, la Mégane Scénic, et maintenant le véhicule utilitaire Kangoo. C'est une qualité reconnue par les consommateurs. Son autre atout est son personnel attaché à l'entreprise et sachant se mobiliser dans les moments difficiles.

Nous avons retenu quatre opportunités de progrès : la croissance à l'international, la compétitivité au niveau des coûts, le contrôle de rentabilité des investissements et le rajeunissement de la population.

Croissance à l'international : pour l'instant, Renault est présent principalement en Europe et en France. Ces marchés européens et français sont stagnants.

Compétitivité au niveau des coûts : voici un extrait d'un document réalisé par le cabinet Syndex à la demande du comité central d'entreprise.

" Les nouvelles conditions concurrentielles depuis le début des années 90 accentuent les contraintes de prix de revient de fabrication des véhicules. Quatre axes stratégiques principaux ont été mis en oeuvre par nos concurrents : une meilleure intégration et une simplification dans le développement - cela concerne le produit et le process - ; une réduction du nombre de plates-formes, un développement des éléments communs, une animation de la compétitivité et de la participation des fournisseurs dans le processus de développement et les objectifs de réduction du prix de revient de fabrication ; un développement de l'internationalisation par zone afin d'accroître les économies d'échelle et de bénéficier des marchés des pays émergents ; une meilleure gestion économique de l'innovation et de la variété. La recherche d'économies d'échelle est au coeur de la réduction des prix de revient de fabrication, avec des évolutions organisationnelles adaptées (exemple : Toyota et Volvo).

Constructeur innovant, Renault est pénalisé par sa taille. L'échec de l'alliance avec Volvo pèse sur la recherche de marges de manoeuvre. Le développement des coopérations permet de partager les coûts, de trouver des économies d'échelle, de mieux utiliser les installations tout en élargissant la gamme des produits avec par exemple un 4x4, une vraie nécessité pour Renault ".

Enfin, le rajeunissement de la population : la pyramide des âges s'est déformée entre 1985 et 1996. Schématiquement, il y a dix ans, la plupart des gens avaient entre 35 et 39 ans, aujourd'hui ils ont entre 45 et 49 ans. C'est à l'usine de Sandouville que la situation est la plus frappante (on ne parle que des agents de production, mais c'est la même chose pour les chefs d'unité et les anciens contremaîtres). La moyenne d'âge des ouvriers dans cette usine est de 46 ans. Seulement 10 % des ouvriers ont moins de 40 ans. Personne n'a plus de 56 ans. Cela veut dire qu'il n'y aura aucune retraite normale à 60 ans avant plusieurs années. S'il n'y a pas de mesures de préretraite, nous serons dans une situation très difficile.

Le monde ouvrier et la maîtrise souffrent de plus en plus parce que tous les petits travaux effectués pour compléter le rendement sont donnés maintenant à l'extérieur.

A la CFE-CGC, nous proposons :

- premièrement, une table ronde sur l'automobile entre les partenaires suivants : les pouvoirs publics, les autorités européennes, les organisations syndicales et les constructeurs automobiles européens. Nous demandons cette réunion depuis longtemps et nous sommes donc très contents aujourd'hui d'être convoqués par les élus du peuple. Cette table ronde examinera l'opportunité d'ouvrir le marché européen alors que la réciprocité d'échanges, avec le Japon entre autres, est loin d'être acquise. Quand on veut s'implanter au Japon, ils nous font des difficultés, même sur nos plans de fabrication ! La moindre virgule de travers et le plan est renvoyé ! En Europe, nous ouvrons nos portes alors que le marché européen est en surcapacité. Soyons un peu moins naïfs et instaurons une vraie réciprocité dans nos échanges commerciaux.

- deuxièmement, nous avons un problème d'âge. Nous proposons un contrat inter-génération permettant l'embauche d'un jeune en contrepartie du départ d'un ancien. C'est à discuter. L'ancien ne partirait pas comme il est parti il y a dix ans, avec son savoir et son expérience : il assurerait un tutorat pour transmettre ses connaissances.

- troisièmement, nous proposons une recherche accrue de partenaires. Nous ne nous sommes toujours pas remis de notre divorce avec Volvo. Le bureau du comité central d'entreprise, à l'occasion d'une mission aux Etats-Unis, a constaté que nous étions très petits. Les constructeurs américains peuvent se permettre des intégrations et des économies d'échelle, par exemple sur les moteurs. Renault est trop petit.

Nous préconisons aussi une réduction du temps de travail. Cette réduction du temps de travail doit être négociée entre partenaires sociaux, mais après examen des organisations. D'habitude, on légifère puis on se creuse ensuite la tête pour y adapter les organisations, créant la désorganisation. Les partenaires sociaux ont leur mot à dire sur l'organisation des entreprises, même si cela ne plaît pas au patronat. Pour les populations que nous représentons, une réduction à la semaine, voire à l'année, s'impose. En revanche, la réduction des salaires ne nous paraît pas appropriée, car la perte de pouvoir d'achat a des conséquences très sensibles sur les produits comme l'automobile. Quand la population perd du pouvoir d'achat, elle peut encore s'acheter du pain; acheter des automobiles devient plus difficile.

M. Alain CHICHE : Je représente le réseau commercial. Vous avez entendu parler de l'industrie, des usines, de la production. Nous sommes chargés de vendre le produit.

Le réseau commercial a subi récemment une mutation importante. Nous dépendions originellement de Renault SA et nous sommes aujourd'hui une entité différente, Renault France Automobiles.

Entreprise industrielle et commerciale, Renault possède une Direction commerciale importante. Nous ciblerons particulièrement le territoire français et le réseau des succursales, l'une des composantes du réseau primaire - l'autre étant les concessionnaires privés -. Nous représentons essentiellement les succursales, réseau captif du constructeur. Nous préparons l'ouverture des frontières en 2002 aux concurrents, et nous voulons rester un réseau captif ne proposant qu'un seul produit dans ses vitrines, en l'occurrence Renault.

Depuis le 1er juillet 1997, Renault a filialisé son réseau de succursales malgré une forte opposition des salariés et un refus unanime des organisations syndicales de l'entreprise. Ce changement de statut n'a nullement réglé les problèmes importants à traiter dans l'intérêt des salariés et de l'entreprise tout entière. Sans une branche commerciale active, dans un contexte de guerre des produits et des prix, Renault est condamné dès le passage à l'an 2000, une des échéances dans le cadre de l'ouverture totale des frontières à la concurrence.

Il y a deux principaux problèmes à nos yeux :

- le vieillissement important des salariés dans la fonction commerciale, excepté dans la vente où les taux de licenciement très élevés sont appelés pudiquement " turn-over naturel ". Dans la vente automobile, les vendeurs ne font pas partie d'un plan social, ils sont remerciés gentiment pour manque de résultat ;

- l'adaptation difficile, voire impossible, des salariés aux qualifications demandées par la complexité des produits et la diversité des services offerts. Dans la branche commerciale France de Renault, il n'y a quasiment pas eu de plans sociaux permettant d'offrir des préretraites aux salariés que le métier expose sans cesse à la clientèle directe et au stress permanent. Ce stress - et l'entreprise en use beaucoup dans son mode de management -, l'adaptation aux nouveaux produits et une clientèle de plus en plus avertie, exigeante, dessinent les contours de la fonction commerciale.

S'il y a un secteur où il est urgent d'appliquer l'une des revendications essentielles de la CFE-CGC Renault, c'est bien celui du commercial direct : un départ en préretraite égale une arrivée d'un plus jeune. Pourquoi cette urgence ?

Les grands métiers du commercial automobile ont changé considérablement et vont encore évoluer.

Pour les métiers administratifs, je citerai les caractéristiques suivantes :

- forte implantation de micro-informatique avec des logiciels performants destructeurs d'emplois du tertiaire ;

- modification des métiers avec l'apparition du marketing direct et opérationnel ;

- changement de comportement du client ;

- réduction des frais généraux avec accroissement de la sous-traitance ;

- regroupement des activités comptabilité-marketing au sein de pôles, surtout dans les grandes villes. Quand le constructeur a souhaité filialiser son réseau commercial, il a voulu créer des pôles commerciaux rassemblant plusieurs succursales d'une même ville.

Pour les métiers de l'après-vente :

- augmentation de la fiabilité des automobiles ;

- mises au rebut des vieilles voitures, contrôles techniques et surtout primes gouvernementales ;

- émergence de réseaux concurrentiels " service rapide " (Midas, Speedy, Carglass, etc...), avec du personnel moins spécialisé ;

- évolution technologique des produits avec la présence en masse de l'électronique et de la matière plastique ;

- approche plus marketing de la clientèle (accueil, diffusion, accessoires, etc...).

Pour les métiers de la pièce de rechange :

- concurrence des supermarchés et des grands spécialistes (Feu vert, Norauto, etc...) ;

- gestion des stocks en zéro délai, zéro stock, véritable casse-tête permanent.

Enfin, dans les métiers de la vente :

- concurrence accrue des marques automobiles sur le marché français ;

- des clients dont la variété ne cesse d'augmenter sur un marché rétréci ;

- changement de comportement des clients qui acceptent de moins en moins le démarchage à domicile, d'où des risques forts sur l'emploi des vendeurs de secteurs (les commerciaux sont divisés en quatre catégories : les vendeurs de secteur qui contrôlent un territoire, les vendeurs plus sédentaires travaillant dans un magasin ; les vendeurs qui travaillent exclusivement avec les sociétés et des vendeurs de voitures d'occasion) ;

- l'arrivée d'Internet, puisqu'on pourra bientôt commander sa voiture sur Internet.

Ces quatre grands métiers, sans une prise de conscience rapide des pouvoirs publics, de l'entreprise et des organisations syndicales, sont directement menacés d'asphyxie, en particulier à cause du manque de renouvellement des générations. La formation continue extrêmement pauvre et le taux de licenciements secs important pour manque de résultats, ce qui est une cause de licenciement souvent abusive, contribuent à cette crise. Il faut rajeunir la moyenne d'âge et augmenter la qualification des salariés du commercial.

M. le Président : Quand nous avons reçu M. Schweitzer, il nous a dit son souhait de faire baisser le prix moyen des véhicules Renault de 3 000 francs. Partagez-vous cet objectif  ? Si oui, de quelle manière y parvenir ?

M. Gérard GONTHEY : M. Schweitzer l'a dit en comité central d'entreprise. Nous partageons cet objectif et nous avons même dit qu'on n'allait pas assez loin dans la réduction des prix. Comment est décomposé ce prix de revient ? Après examen avec nos experts économiques et l'expert-comptable du comité central d'entreprise, il apparaît que les plus grandes économies peuvent être faites sur les achats. Vous allez me dire que c'est déplacer le problème : au lieu de licencier des gens chez Renault, le gain de productivité se fera chez le fournisseur, comme les licenciements. C'est en partie vrai. Mais après examen de notre cahier des charges, nous pourrions, avec les fournisseurs, abaisser nos prix sans toucher aux frais de personnel. En effet, nous sommes trop diversifiés et nous effectuons des efforts de qualité superflus. Je vais prendre un exemple : quand on a fait des essais au mur, nous étions à 55 kilomètres/heure ; nos concurrents étaient à 50 kilomètres/heure. Un différentiel de 5 kilomètres/heure n'est pas négligeable pour le renfort des pièces. Or, il n'y a aucune raison de faire ces dépenses puisque nos concurrents ne sont pas réputés moins solides que nous. C'était donc de la qualité non perceptible par le client, mais payée par lui. Quand vous allez chez un fournisseur, vous reconnaissez facilement Renault. Vous avez deux chaînes : une chaîne pour les deux ou trois concurrents de Renault, et une chaîne pour Renault afin de répondre à la diversification de nos produits. Nous avons même eu des postes de radio spéciaux Renault. Tout cela n'est pas perceptible par le client et ne lui apporte rien. Il y a donc toute une remise en cause à faire par nos bureaux d'études, par nos ingénieurs, en liaison avec les fournisseurs, dont l'expérience peut nous aider à améliorer nos prix.

Sur les achats qui représentent de 50 % à 70 %  du prix de revient de fabrication, vous pouvez gagner énormément en ne touchant pas aux frais de personnel, qui représentent 12 % du prix de revient. Vaut-il mieux gagner 10% sur 12 % ou 3 % sur 70 % ?

Ensuite, il faut mobiliser le personnel en conjuguant l'intérêt général et l'intérêt particulier par un pacte social. La direction et les organisations syndicales doivent se mettre d'accord sur les critères et sur les indicateurs.

Il faut que nous baissions nos prix. Notre patron n'est ni l'Etat, ni le privé ; notre seul patron, c'est le client, à moins qu'on ait une astuce pour obliger les Français à acheter français ! C'est le client qui choisit.

Ne soyons pas naïfs et n'ouvrons pas l'Europe à tous vents et sans réciprocité alors que nous sommes dans une situation de surcapacité évaluée à 5 millions. Comme nous ne tournons pas à 100 % de nos capacités, la surcapacité est estimée globalement autour de 25 à 30 % en Europe. Nous en voyons les conséquences, par exemple avec la fermeture de l'usine de Vilvorde. Demandez, par exemple, aux ouvriers belges de partager l'intérêt général de l'entreprise !

Une mobilisation du personnel est donc nécessaire et il faut conclure un pacte social à l'intérieur des entreprises, tout en essayant de gagner de l'argent. Le pacte social, cela ne veut pas dire rester Renault toute sa vie. On a fait une expérience à Orléans au département soupapes, qui, sous réserve de bien surveiller les conditions d'alliance, peut être bénéfique aux gens. Certaines personnes préféraient travailler encore dans les soupapes à Orléans, même sous un autre nom que Renault plutôt que d'être d'anciens salariés licenciés par Renault.

M. le Rapporteur : Vous vous situez à mi-chemin entre le président-directeur général qui raisonne en termes de compétitivité et le salarié de production qui voit ses conditions de travail. Votre situation vous permet de tenir les deux bouts du raisonnement. L'objectif de productivité est de 2 000 à 3 000 salariés en moins chaque année, même si l'on préfère afficher l'objectif de 3 000 francs en moins par voiture, mais, derrière, il y a cette conséquence sur l'effectif. Notre mission recherche d'autres formules pour faire des progrès de compétitivité, comme la réduction et l'aménagement de la durée du travail. Vous avez évoqué les préretraites ; l'idée de tutorat me paraît intéressante. En effet, ces départs des plus âgés et des plus qualifiés doivent être progressifs.

Je voudrais vous rassurer  : je ne crois pas qu'il soit dans l'idée du gouvernement de faire voter une loi sur les 35 heures exécutable à partir du 1er janvier 1998 de façon uniforme, dans toutes les entreprises et dans tous les établissements. Même si l'on passe par une loi-cadre, il devrait être prévu des discussions par branche et, à l'intérieur des entreprises de la taille des vôtres, par établissement.

Comment améliorer l'efficacité de la production sans remettre en cause l'amélioration de l'organisation du travail chez Renault ? Nous avons entendu des discours contradictoires. La direction nous dit : " nous avons pratiquement déjà fait tout ce qui était faisable ", d'autres disent : " si c'est pour raccourcir encore les pauses, etc., ce n'est plus tolérable ". Avez-vous l'impression, s'il y a une réduction sensible de la durée du travail, qu'il pourra encore y avoir des gains de productivité ? A quels types d'organisation ces gains seraient-ils liés ? Ou alors pensez-vous que cela risque de bloquer, parce qu'il n'y a plus rien à gagner, et se posera alors le problème des salaires et des coûts ?

M. Gérard GONTHEY : Sur l'organisation, je pense qu'il y a encore à gagner. On confond temps de travail et temps d'écoulement des pièces. Or, c'est totalement différent du point de vue des délais.

Je vais prendre un exemple. A Orléans, des machines produisent des pièces en dix minutes. Nous avions trouvé une astuce qui nous permettait de descendre de dix à neuf minutes, soit 10 % de gain. Mais le temps d'écoulement moyen d'une pièce à l'entrée et à la sortie d'Orléans est de 25 jours. Nous nous étions creusé la tête pour trouver une minute sur les 25 jours.

Cela veut dire que nous avions beaucoup de stocks intermédiaires et de produits finis, d'ailleurs plus chers à financer, qui dormaient. Il y a des marges à gagner sur ce temps d'écoulement.

Le temps de fabrication est loin d'être le seul élément à prendre en compte. Dans certaines usines, sur les chaînes, le temps d'écoulement et le temps de fabrication correspondent exactement puisque la chaîne avance au rythme du pas (même s'il y a parfois des stocks intermédiaires).

Dans une usine de mécanique, le temps d'écoulement est énorme. Cela permet, quand vous connaissez la variation de votre temps d'écoulement, de pouvoir calibrer vos stocks. Je prends un exemple : vous avez 1 000 pièces en stock dans l'usine ; si vous vous apercevez que votre variation de temps d'écoulement pour la journée est de 200, le stock devrait aussi être de 200 (bien qu'en tant qu'anciens fabricants, on se mette toujours une petite sécurité). Nous ne sommes pas encore assez avancés, et pas autant que les Japonais, dans les temps d'écoulement et les temps de production. Nous avons des marges à gagner. Quand vous mesurez des temps d'écoulement, vous vous organisez totalement différemment dans votre production. Vous gagnez en temps et en délai, et aussi en argent parce que vous gagnez en stocks et en surface. Et c'est autre chose que d'abaisser le temps d'une machine d'une minute sur dix. Dans le temps d'écoulement, il faut regarder ce qui est prioritaire : si le temps de la machine ne représente que 10 % du temps d'écoulement, il vaut mieux s'attaquer aux 90 %. En termes d'organisation, nous en sommes loin. Cela peut dégager des personnels ; ainsi, dans cette affaire, on peut gagner des caristes, mais c'est une conséquence de l'organisation.

Il ne faut pas prendre le problème à l'inverse en disant : pour faire 6 % de productivité par an, 3 000 emplois en moins chaque année. C'est une autre manière d'aborder le problème ; nous proposons des pistes.

M. François LOOS : J'ai trois questions. Je suis frappé, quand je vois les modèles Renault, par la diversité qu'on peut obtenir par la personnalisation des voitures. J'ai une voiture Renault et une voiture japonaise. Quand on achète une voiture japonaise, on vous propose trois modèles avec à peu près toutes les options dessus. Quand on achète une voiture française, on vous interroge sur les options que vous voulez : cela augmente le délai de livraison et c'est plus cher. Est-ce une politique que vous soutenez ?

Par ailleurs, depuis quelques années, il y a une politique d'externalisation des fabrications de sous-produits. Cela vous paraît-il la bonne stratégie ? N'est-on pas allé trop loin dans ce sens ? Ce que vous venez de dire sur les délais de fabrication en interne est intéressant : même quand on prend le " just-in-time ", cela sert-il à quelque chose de gagner un jour sur un produit qui met 25 jours à être finalement livré ? Vos prédécesseurs, tout à l'heure, ont cité un exemple du même acabit, en disant que les gains de productivité n'étaient dus finalement qu'à une externalisation de la fabrication de pièces ou de parties d'automobiles. Ce n'est pas un vrai gain de productivité.

Troisième question : tout le monde parle des 40-56 ans. Je suis, depuis quelques années l'observatoire des retraites. Je sais qu'en 2015, il n'y aura plus de quoi payer les gens ou, en tout cas, on les paiera beaucoup moins. On peut prévoir la proportion des actifs par rapport aux retraités grâce à la pyramide des âges. Voulez-vous vraiment qu'on arrête de travailler à 55 ou 56 ans, étant donné l'espérance de vie actuelle et sachant que chaque actif devra payer pour un retraité ? Dites-vous cela pour qu'on embauche des jeunes ? Dans ce cas, pourquoi ne dites-vous pas simplement : " embauchons des jeunes " ? Faire partir des gens à 50 ans à la retraite aura un énorme effet d'annonce dans le pays. Lorsque cela a été fait pour les routiers, beaucoup m'ont dit qu'il n'y avait pas de raison qu'on ne le fasse pas pour les autres. Quand on regarde les chiffres, on réalise qu'on ne peut financer cette mesure de façon généralisée, même si l'on peut faire des exceptions. Que voulez-vous vraiment dans ce domaine ?

M. Gérard GONTHEY : Sur le " just-in-time ", je n'ai pas de religion. Il ne doit pas s'appliquer d'une façon dogmatique. Je vais prendre deux exemples.

Premièrement, quand vous voulez gagner du temps, vous abaissez, par exemple, en frappes de presse, le nombre de rafales ; plus vos rafales sont courtes, moins vous avez de pièces en stock ; en revanche, plus le nombre de camions qui doivent vous ravitailler augmente. C'est ensuite un calcul économique. Quand le prix de mes camions va-t-il croiser le prix des stocks ? Quand les deux courbes se croiseront, j'aurai le point économique. C'est un compromis.

Deuxièmement, sur les stocks, vous avez intérêt à être très bas en stock sur des pièces très chères. Mais ce serait stupide d'arrêter une chaîne de montage pour un boulon qui ne vaut pas cher. Ma réponse est donc différenciée en fonction de la nature du prix des stocks.

Maintenant pour la retraite, c'est le citoyen qui répondra. J'ai une fille à charge qui continue ses études. Mes deux enfants sont à la maison parce qu'ils ne trouvent pas de travail. En termes de pouvoir d'achat, à 50 ans, j'ai toujours mes deux enfants à charge. Je préfère, et c'est une discussion qui doit se faire au plan national, gagner un peu moins et voir mes enfants au travail parce qu'ils y auront au moins leur dignité. Cela ne peut être qu'un grand débat. Que veut-on aussi exactement ? Veut-on garder nos enfants à la maison ? Nous sommes une génération qui aura enfants et parents à charge. C'est une véritable question de société. A un moment donné, il y a des choix à faire. On n'a pas les mêmes besoins à 20 ans, 30 ans ou 40 ans, qu'à 50 ans ou à 60 ans. Je n'ai pas de réponse : si j'en avais, je la ferais payer, et j'écrirais un livre.

Sur la diversité, j'épouse votre point de vue. Peugeot est dans le même cas, ce qui ne me rassure pas. Chez les fournisseurs, nous avons, d'un côté, une chaîne pour le constructeur français et une chaîne pour tous les autres. Cela nous pénalise sur les coûts, et il n'est pas sûr que le client s'y retrouve.

Mme Marie-Thérèse BOISSEAU : Je partage, avec mon collègue François Loos, le souci des gens mis à la retraite à 55 ans. D'abord, parce que je trouve qu'à 55 ans, nous sommes de plus en plus jeunes et qu'on peut encore rendre service à la société ; deuxièmement, parce qu'il y aura un problème dramatique de financement des retraites. Vous dites qu'il faut mettre les personnes de 55 ans à la retraite pour laisser la place aux jeunes - je schématise - : il y a peut-être d'autres solutions. J'ai peur de voir se rétrécir la base de la pyramide : on passe des jeunes aux moins jeunes. On peut engager une réduction du temps de travail afin que se retrouvent au travail des jeunes de 20 ans, 25 ans - je partage avec vous le souci d'intégrer le plus vite possible les jeunes dans la société - et, peut-être à temps partiel, des gens de 55 ans, 60 ans, voire, demain, 65 ans. Cela pour des raisons de santé et de financement.

M. Gérard GONTHEY : Nous avons proposé un tutorat des anciens. Ce serait un passage progressif. On peut rendre de nombreux services dans de nombreuses associations. Mais il y a aussi tout un savoir à transmettre et nous avons posé comme condition ce tutorat à la mise en retraite de nos plus anciens. Ce n'est pas simple.

Mme Marie-Thérèse BOISSEAU : Vous élargissez donc la base. Pour moi, c'est un souci constant : dans notre société, aujourd'hui, une seule génération travaille. C'est mauvais, c'est malsain pour la société, pour les jeunes et pour les moins jeunes. Si vous acceptez le tutorat, cela veut dire que vous allez avoir à l'instant T des gens de 25 ans et des gens de 60 ans qui travailleront en même temps. Vous n'allez pas pouvoir les faire travailler 39 heures par semaine, parce des gains de productivité sont à faire pour arriver à l'équilibre financier de vos entreprises.

M. Gérard GONTHEY : C'est un problème financier. Cela dépend de la somme qu'on accepte pour être mis à la retraite. Quand je regarde les anciens sur le terrain de boules, je n'ai pas l'impression qu'ils soient malheureux. Je voudrais bien avoir une retraite comme cela.

M. Alain CHICHE : Je vais poser deux questions : quelle automobile Renault avez-vous ? Et quelle automobile japonaise avez-vous ?

M. François LOOS : J'ai une Safrane et une Toyota Previa : j'ai une grande famille et c'est la seule voiture où il y a huit places assises avec ceinture.

M. Alain CHICHE : Si vous achetez une Peugeot, vous aurez huit places assises aussi.

M. François LOOS : Nous étions huit dans la famille avant que Peugeot ne sorte son modèle.

M. Alain CHICHE : La Safrane est peut-être une voiture de service ?

M. François LOOS : Non, c'est une voiture que j'ai achetée de ma poche. Je le regrette d'ailleurs parce qu'elle consomme énormément.

M. Alain CHICHE : Puis-je vous demander l'âge de vos voitures ?

M. François LOOS : Elles datent respectivement de 1992 et de 1993.

M. Alain CHICHE : Vous avez souligné le fait qu'une voiture japonaise pouvait être mieux équipée qu'une voiture française. C'était valable en 1993. C'est la raison pour laquelle je vous demandais l'âge de vos voitures.

Cela fait quatre ans que vous n'êtes pas rentré dans un garage Renault. Il serait intéressant que vous demandiez leur avis à certains de vos collègues, qui ont des Safrane récentes : elles sont désormais quasiment toutes équipées de la climatisation en série, elles ont l'ABS en série - ce qui n'est pas le cas de toutes les voitures japonaises -, un airbag en série, y compris le premier modèle, et elles ont une technologie qui n'est pas identique à celle des voitures japonaises.

Les voitures japonaises ont une qualité exceptionnelle, mais lorsqu'on parle technologie, les voitures européennes sont meilleures. Si les voitures japonaises étaient si bonnes, beaucoup plus de professionnels de la route comme les auto-écoles ou les taxis en achèteraient. Pourtant, on ne leur fixe pas un quota de voitures françaises. Les voitures françaises ont évolué, les Renault en particulier. Le constructeur s'est efforcé de moins diversifier les modèles ; il n'y a plus que trois modèles dans chaque version.

Auparavant, il y avait dans chaque version une vingtaine de modèles et 200 variétés dans chaque modèle. Tout cela n'existe plus. Si l'on prend l'exemple de la Scénic, c'est un véhicule qui, dès le premier modèle, dispose de tous les équipements, sauf la climatisation.

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M. François LOOS : Mon sentiment datait ! ...

M. Alain CHICHE : Une évolution s'est faite, particulièrement chez Renault. C'était l'objectif du Président directeur général qui souhaitait rationaliser les modèles et réduire les coûts ou les prix. Quand on demande aux industriels de réduire les prix ou les coûts, c'est pour que nous, les commerçants en aval, puissions dépenser plus d'argent. Tous les clients discutent le prix et les commerçants doivent disposer d'une certaine marge de manoeuvre.

Nous parlions tout à l'heure de certains véhicules de la concurrence qui étaient moins chers que les nôtres, bien qu'ils soient des modèles européens. Je peux citer l'exemple de la Volkswagen Polo. Elle se comporte bien en termes de prix, parce qu'elle n'est pas fabriquée en Allemagne mais au Portugal. Il y a un choix à faire : le constructeur peut décider demain de faire toute la production d'un seul modèle dans un pays à salaires bas et devenir très compétitif. C'est peut-être la raison pour laquelle le constructeur essaye de réduire les coûts en amont plutôt que de décentraliser la fabrication de façon intensive. Notre fabrication est décentralisée, mais elle sert en même temps au pays où nous sommes décentralisés. Si nous produisons en Espagne, c'est parce que nous y sommes les premiers importateurs. Nous sommes premiers importateurs en Allemagne, mais on ne produit pas en Allemagne - et pourtant les Allemands sont très friands de Renault -.

Bref, si certaines voitures se vendent bien, bien équipées et à des prix compétitifs, c'est parce qu'elles sont fabriquées exclusivement dans des pays où la main-d'oeuvre est moins chère.

M. le Rapporteur : Avez-vous déjà visité une usine japonaise, au Japon ou en Europe ? Comment expliquez-vous que la fabrication de modèles comparables demande quelques heures de moins ? Certes, les technologies sont différentes ; mais que pensez-vous pouvoir transposer du modèle japonais pour soutenir la compétition internationale ? Et qu'est-ce qui n'est pas transposable ?

M. Alain CHICHE : Quand je parlais de technologie, je ne parlais pas de la technologie de fabrication. Je faisais allusion à la technologie de structure de voiture, de tenue de route, de suspension ou de moteur. En Europe du Nord, nous sommes plus avancés que les Japonais dans ces domaines.

M. Gérard GONTHEY : J'ai travaillé des années dans l'île Séguin. Nous avons encore à gagner sur les temps d'écoulement. J'ai visité Nissan aux Etats-Unis. Nous n'avons pas à rougir de notre taux de mécanisation et de notre robotique. En revanche, sur l'organisation, sur les temps d'écoulement et la capacité de réagir, nous avons encore beaucoup à apprendre. Nous avons des mentalités différentes. Les Asiatiques sont très impliqués dans le travail de groupe. Je schématise, mais ils ne savent pas ce qu'est un travail individuel. C'est l'équipe, c'est la famille, tout est axé sur la famille.

M. le Président : On parle aussi d'usines transplants en Europe et donc s'adressant à des Européens.

M. Gérard GONTHEY : Pour l'instant, il n'y en a qu'en Angleterre. Mais ils arrivent à inculquer cet esprit d'équipe - c'est ce que nous essayons de faire -. Je crois que le management doit être basé sur les équipes. Mais il n'est pas facile de changer les moeurs des gens.

Il y a, d'une part, toute une éducation des équipes et, d'autre part, toute une éducation des agents de maîtrise et des échelons de commandement. Je ne sais pas si notre système éducatif encourage le travail en équipe. Quand nous avons été éduqués à être compétitifs individuellement, il est difficile de mettre l'équipe au premier plan.

Audition d'une délégation du syndicat CGT-FO
des personnels de Renault composée de
MM. Jean BOCQUET, Membre du comité central d'entreprise (CCE),
Jean-Pierre LANGEVIN, Représentant syndical au CCE,
Jean-Marie RAVRY, Membre du CCE,
et Pierre VITRY, Délégué syndical central - réseau commercial

(extrait du procès-verbal de la séance du 23 septembre 1997 )

Présidence de M. Daniel PAUL, Président

M. Jean-Pierre LANGEVIN : Les implantations liées à l'industrie automobile, que ce soit Peugeot, Renault, Citroën ou les équipementiers, revêtent une importance capitale dans l'économie du pays. Aujourd'hui, les problèmes rencontrés dans l'automobile ne peuvent être abordés ni résolus localement. En effet, les stratégies industrielles dépassent largement le cadre régional, national ou européen : elles ont plutôt une dimension mondiale.

Pour nous, syndicalistes, la principale préoccupation dans cette branche est l'emploi. Nous l'avons vu récemment avec l'affaire de Vilvorde et, chaque année, avec les plans sociaux qui sont présentés. Rien ne laisse entrevoir que cela va s'arrêter, car nul doute pour les directions d'entreprise que la recherche des gains de productivité va continuer. Par ailleurs, on constate que l'Europe enregistre d'énormes surcapacités de production. En effet, les constructeurs automobiles européens, toutes marques et usines confondues, peuvent produire environ 18 millions de véhicules pour un marché actuel de 12 millions.

Si l'on ajoute pour Renault le traumatisme de l'échec de la fusion avec Volvo, cela fait beaucoup, d'autant qu'il n'y a pas actuellement de constructeur susceptible de faire l'objet d'un rapprochement. Il ne reste donc qu'à rechercher des accords ponctuels.

De tels constats ne sont pas sécurisants pour l'évolution de l'emploi en Europe. Chez les constructeurs automobiles et plus particulièrement chez Renault, les plans sociaux successifs mis en place par la direction ont, jusqu'à présent, permis de résorber les sureffectifs par des mesures dites douces, telles que les mesures d'âge dans le cadre du Fonds national de l'emploi (FNE). Notre syndicat a d'ailleurs veillé à ce qu'il n'y ait pas de drames sociaux ni de licenciements secs.

A la suite du refus des pouvoirs publics d'accéder aux demandes des constructeurs automobiles en ce qui concerne les mesures d'âge, Renault a, dans la précipitation, annoncé coup sur coup la fermeture de Vilvorde, un plan social conséquent et la filialisation de son réseau commercial. Dans le même temps, PSA rendait public un plan social portant sur 2 800 emplois.

De son côté, Force ouvrière n'a cessé d'alerter depuis plusieurs années les patrons de la branche automobile et les pouvoirs publics sur les mesures d'âge qu'il est indispensable de prendre afin de corriger la pyramide des âges. Ces mesures doivent s'accompagner d'une forte réduction du temps de travail pour assurer la pérennité de ce secteur industriel en sauvegardant l'emploi.

Pourtant dès 1991, le Commissariat général du plan, qui dépend directement du Premier ministre, avait mis sur pied un groupe de stratégie industrielle automobile où étaient représentés les différents ministères, les constructeurs, les équipementiers et les organisations syndicales. Dans le rapport remis au Gouvernement en mars 1992, il était dit : " L'Etat devra intervenir pour mettre en place un certain nombre de mesures dites sociales et pour les financer en complément de l'action des entreprises ; ces mesures devront s'inscrire dans un cadre spécifique à ce secteur industriel, intégrant un volet d'aide de la Communauté économique européenne. "

Une proposition intéressante avait été formulée par les organisations syndicales et plus particulièrement par Force ouvrière qui avait participé de manière active à l'élaboration de ce rapport ; retenue par tous les participants, elle visait à " créer un observatoire de suivi des emplois et des métiers, afin de permettre la mise en place d'une véritable gestion prévisionnelle de l'emploi. "

Enfin, le rapport appelait patronat et syndicats à engager rapidement une négociation nationale sur l'aménagement et la réduction du temps de travail dans l'automobile. Mais il préconisait aussi le rétablissement de l'équilibre de la pyramide des âges en favorisant l'embauche de jeunes.

Que sont devenues toutes ces recommandations ? Malheureusement, les gouvernements passent et les problèmes demeurent. Il est pourtant plus que jamais urgent d'agir dans l'automobile, si nous ne voulons pas voir apparaître d'autres " Vilvorde ", en France.

Ce problème reste donc entier, d'autant que les constructeurs automobiles élaborent maintenant des stratégies mondiales. Les prochains quotas d'importations de voitures japonaises vont être rendus publics, alors attention, danger ! Il faudra négocier avec les organisations syndicales et l'ensemble des acteurs, y compris les équipementiers, afin de préserver les intérêts des salariés et répondre aux souhaits du personnel travaillant dans l'automobile de bénéficier d'une préretraite bien méritée, permettant l'embauche de jeunes qui recherchent du travail. De même, il est urgent d'aborder le problème de l'aménagement du temps de travail et de sa réduction.

Cette négociation doit se traduire par des mesures concrètes et immédiates permettant :

- des départs autour de 55 ans, voire moins pour le personnel de fabrication en accentuant les mesures dites de préretraite progressive assorties d'embauches ;

- des embauches de jeunes pour rétablir l'équilibre de la pyramide des âges ;

- une forte réduction du temps de travail dans le cadre de l'aménagement des horaires qui pourrait se traduire dans ce secteur - pourquoi pas ? - par les 32 heures hebdomadaires en quatre jours ;

- de développer une formation qualifiante offrant la possibilité aux salariés, sur la base du volontariat, de se reconvertir et d'être mobiles.

De même, indépendamment de toutes ces mesures, la mise en oeuvre d'une gestion prévisionnelle de l'évaluation des emplois et des compétences est capitale. J'ajouterai que, dans le cadre de l'allocation de remplacement pour l'emploi (ARPE), il serait nécessaire de prévoir les départs des personnes ayant cotisé au moins quarante ans. C'est une des solutions.

Le résultat d'une telle négociation sur nos propositions devrait sortir les salariés de l'automobile d'un état de choc permanent. Il devrait lever les incertitudes incompatibles avec la motivation et les efforts continus de productivité qui leur sont demandés.

S'agissant de l'Europe, la décision de Renault d'arrêter Vilvorde a fait l'effet d'un coup de tonnerre dans l'opinion publique. Mais pour tous ceux qui s'intéressent au secteur automobile, c'est tout au plus un révélateur. Les constructeurs automobiles élaborent aujourd'hui des stratégies industrielles et commerciales mondiales. Les échanges internationaux s'intensifient et, par là-même, la concurrence s'accroît. Dans le même temps, de nouveaux pays se dotent d'une véritable industrie automobile nationale avec un taux d'intégration élevé et prennent progressivement une part active à la compétition internationale.

Derrière les grands constructeurs capables de développer une stratégie internationale, les autres tentent de se constituer des positions dominantes régionales. Dans un marché mondial en faible croissance, cette diversification entraîne des problèmes de surcapacité.

PSA et Renault sont essentiellement présents en Europe. La situation, bien que moins cloisonnée pour les équipementiers, est également insuffisante. Dans le cadre de l'usine de Vilvorde, plus que de mondialisation, il faut parler de régionalisation de l'économie. En l'occurrence, il s'agit d'une mesure à caractère intra-européen n'ayant rien à voir avec la mondialisation. Il s'agit avant tout d'une européanisation. C'est donc dans ce cadre qu'il faut poser le problème. Les accords et les alliances stratégiques peuvent être recherchés au niveau européen. Un partenariat encore plus actif est souhaitable avec les constructeurs spécialistes. Compte tenu du poids croissant de la micro-électronique dans l'innovation, la maîtrise et la disponibilité d'accès aux composants est un impératif. Il apparaît vital de voir se développer une coopération approfondie entre constructeurs, équipementiers automobiles, et constructeurs de composants électroniques européens.

Quant aux changements socio-techniques, les problèmes posés à l'industrie automobile seront pour partie traités et résolus au niveau de chaque entreprise. Les Etats devront néanmoins intervenir pour mettre en place un certain nombre de mesures dites sociales, et en abonder le financement en complément de celui des entreprises. Ces mesures devront s'inscrire dans un cadre spécifique à ce secteur industriel, intégrant un volet d'aide de la Commission européenne.

Je répète les mesures parce qu'elles sont sensiblement identiques à celles concernant l'ensemble du marché français :

- permettre les départs autour de 55 ans pour le personnel de fabrication ;

- promouvoir des activités de substitution pour les 50-55 ans ;

- offrir des possibilités de reconversion externe aux salariés volontaires autour de 45 ans ;

- embaucher des jeunes pour rétablir l'équilibre de la pyramide des âges ;

- négocier l'aménagement et la réduction du temps de travail jusqu'à 32 heures hebdomadaires en quatre jours ;

- développer la formation qualifiante et requalifiante.

Indépendamment de toutes ces mesures d'accompagnement, la mise en oeuvre d'une gestion prévisionnelle de l'évaluation des compétences est capitale. La première manifestation concrète doit être la création d'un observatoire du suivi des emplois et des métiers. Toute la filière, constructeurs, équipementiers, sous-traitants, professions de la vente et de la réparation, est concernée. Cette instance tripartite devrait être dotée d'une cellule pédagogique et ergonomique. Tous ces points doivent s'inscrire dans des propositions de solutions négociables claires.

S'agissant de la mondialisation, je voudrais insister sur cinq points :

la globalisation : dans ses formes actuelles, la compétition économique mondiale conduit les plus grandes entreprises à constituer de gigantesques réseaux de production transnationaux, dont la gestion se voit facilitée par les progrès de la télématique.

la transversalisation : sous la pression d'un marché de plus en plus exigeant, la nécessité d'un cycle de réponses de plus en plus rapide a généré des relations transversales entre les services. Organisée par projets, de la conception à la vente, la transversalisation permet de grouper sous une même autorité l'ensemble des services afin de parvenir à produire ce qu'on a vendu, au lieu de vendre ce qu'on a produit.

la disparité des changements : au sein d'un même secteur, d'une même branche, voire d'une même entreprise, peuvent co-exister des unités encore organisées à l'ancienne et d'autres qui sont déjà à la pointe de la nouvelle organisation. Trop souvent, les mutations organisationnelles ne sont pas effectuées en profondeur. Elles brouillent la compréhension des salariés, surtout lorsqu'elles débouchent sur une diminution d'effectifs. Le plus souvent, la conséquence inévitable est qu'une unité qui fonctionnait mal, fonctionnera encore plus mal avec un effectif réduit.

les progrès technologiques : nous constatons que ce sont les progrès technologiques, les gains de productivité, parfois même la délocalisation des sites de production, qui permettent aujourd'hui d'obtenir des produits de moins en moins chers à qualité égale, voire supérieure. Tout un chacun profite de cette évolution. La campagne de réduction des coûts, lancée à l'échelle mondiale, a conduit de façon irréversible à l'utilisation intensive des moyens informatiques. En utilisant la CAO, la CFAO, etc., les constructeurs réduisent considérablement leurs investissements en études et prototypes. Renault a réduit de 30 % ses dépenses au cours des deux dernières années. Ford a, par exemple, pour objectif, d'ici à l'an 2000, l'élimination de 90 % de ses prototypes ; il s'est équipé à cet effet d'un nouveau système intégré très puissant qui doit lui permettre de réaliser par simulation des tests de collision pour un coût de 200 dollars au lieu des 60 000 habituellement exigés pour étudier des pièces et des ensembles de pièces, faire réaliser des prototypes et procéder à des essais physiques. PSA et Renault passent désormais à la simulation d'emboutissage la quasi-totalité des pièces. Les informations sont obtenues cent fois plus rapidement qu'il y a à peine cinq ans. Renault a dévoilé, fin décembre 1996, un prototype réalisé sans dessin ni maquette, directement en trois dimensions sur ordinateur. Les données numérisées ont même servi à nourrir les commandes numériques des machines qui ont usiné les outillages permettant la réalisation des pièces constituant le véhicule.

- simplification et standardisation : à la puissance de l'informatique largement exploitée, viennent s'ajouter deux autres démarches génératrices de gains : la première conduit à une simplification des véhicules et la seconde à une standardisation d'éléments de sous-ensembles ou d'ensembles constituant les véhicules. Toujours pour l'exemple, Ford réduira d'ici 2004 le nombre d'éléments de base - les plates-formes - d'un véhicule de vingt-quatre à seize. Volskwagen, qui en dispose actuellement de seize, passera à quatre en 1998, en sachant que trois d'entre elles seront utilisées par les quatre marques du groupe. Chez Renault, les remplaçantes de la Laguna, de la Safrane, et de l'Espace quatrième génération, auront une plate-forme commune qui s'appellera plate-forme P5. Chez Citroën, le Berlingo a fait l'objet d'une standardisation poussée, et la plupart de la base roulante est issue de la ZX ou de la C 15. Sur l'ensemble de la valeur des pièces, 60 % proviennent de voitures déjà en circulation.

On pourrait citer bien d'autres évolutions : les flux tendus induits par le juste-à-temps, la recherche de certification, norme ISO 2000, le zéro stock, zéro délai, zéro défaut, la qualité totale, la réglementation, l'environnement, la sécurité, etc... Ces évolutions ont des effets si rapides depuis cinq ans qu'il est très difficile de les décrire et de les analyser. D'autant plus que les outils d'évaluation et d'analyse sont encore fondés sur des notions d'un ordre ancien dont la signification est maintenant brouillée.

Pour terminer, la mondialisation de l'économie doit avoir une finalité essentiellement humaine. Dès lors que tout le monde s'accorde sur le fait que le progrès social est lié au développement économique, l'accroissement du volume des échanges devrait aller de pair avec le progrès des droits de l'homme au travail. Les mutations technologiques, notamment dans le domaine des télécommunications, ont permis aux entreprises de mettre en oeuvre des stratégies globales au niveau mondial. La recherche de l'efficacité productive maximum est fonction de ce que chaque espace national et local peut leur offrir comme avantage spécifique. Parmi les conséquences négatives, il apparaît que l'intérêt des entreprises ne coïncide plus forcément, désormais, avec celui de la nation. Il nous faut donc mettre tout en oeuvre pour convaincre les chefs d'entreprise que leur activité s'inscrit dans un contexte plus large et qu'il en résulte pour eux une obligation globale, morale et économique ; morale, parce que la société finance une partie des éléments dont l'entreprise tire sa richesse et économique, parce qu'il est de l'intérêt de l'entreprise que la société fonctionne de manière satisfaisante.

M. le Rapporteur : Je crois que nous nous rejoignons sur le point de départ. Cette mission parlementaire a d'abord été créée avec le souci de l'évolution de l'emploi dans le secteur. Cela m'amène à poser, parmi beaucoup d'autres, deux questions.

La course à la productivité ne va pas s'arrêter parce qu'ici ou là des gens disent que c'est en contradiction avec le souci des conditions de travail. Vous avez évoqué comme compensation possible à la course à la productivité, une réduction forte de la durée du travail. Je crois que cette piste de réflexion retiendra toute notre attention. Mais une réduction forte de la durée du travail a des conséquences en termes de coût de production, en particulier si cela se traduit en embauches, ce qui est l'objectif prioritaire. Et cela conduit à ouvrir le débat sur l'organisation du travail. Y a-t-il encore, malgré la détérioration des conditions de travail de ces dernières années, des possibilités d'améliorer l'organisation du travail sans que cela se traduise sur le plan individuel par une vie encore plus difficile ? Sur la forme de réduction de la durée du travail, avez-vous réfléchi à des possibilités de départ progressif ou à des réductions fortes de la durée du travail qui ne seraient pas des préretraites à 55 ans ou à 53 ans, mais des mesures qui coûteraient moins cher pour la collectivité ? Cela aurait peut-être moins d'effets directs sur l'emploi mais serait peut-être plus réalisable. En d'autres termes, quelle contrepartie est encore éventuellement imaginable en termes d'organisation du travail, en échange d'une réduction forte de la durée du travail ? C'est une question large, et c'est la première des deux questions que je voulais poser.

La deuxième question concerne l'européanisation. Parmi les organisations syndicales que nous avons entendues jusqu'à maintenant, vous êtes celle qui a le plus insisté sur ce point. C'est un thème auquel je suis personnellement très sensible. M. Jacques Calvet nous a raconté à quel point faire vivre ensemble Peugeot et Citroën, sans parler de Talbot, lui avait posé problème. Quand on se compare avec les Américains et les Japonais, on se dit qu'il y a intérêt à avoir des séries de production plus longues, des effets d'échelle, et donc des rapprochements européens, et quand on discute avec les constructeurs au plus haut niveau, ils nous disent que les accords entre marques sont extraordinairement difficiles. Je voudrais savoir si vous avez des réflexions complémentaires à ce sujet.

M. Jean-Pierre LANGEVIN : Des solutions oui, mais s'il y avait " la " solution, je pense que cela se saurait. Il ne faut pas oublier non plus qu'il y a une part de propositions qui peuvent être faites par les syndicats, mais qu'il y a également une part politique dans tout cela.

Plutôt que d'européanisation, il faut parler aujourd'hui de mondialisation puisque même les constructeurs européens sont présents, pour la plupart, dans le monde entier. Il est vrai que Renault et PSA ont toujours eu beaucoup de difficultés à travailler ensemble. Ce n'est pas un reproche, c'est une constatation fondée sur des événements déjà anciens. Il est clair qu'il n'est plus question aujourd'hui de mariage puisque les places sont prises pour la plupart. Après l'échec de Volvo, il est certain que l'entreprise a mis un certain temps à réagir. Les solutions passeront, de toute façon, automatiquement par des coopérations ou des associations sur des véhicules assez particuliers, puisqu'il y a beaucoup de généralistes et peu de spécialistes en Europe. Les associations entre constructeurs sont bonnes à prendre mais, si l'on s'associe avec un concurrent présentant les mêmes gammes et des modèles similaires, on va obligatoirement à l'échec parce que chacun risque de cannibaliser ses propres véhicules. Force Ouvrière ne pense pas que la solution soit aujourd'hui dans une association Renault- PSA, bien que beaucoup de monde évoque cette éventualité.

En revanche, nous travaillons déjà avec PSA sur de nombreux points, en motorisation, sur des fonderies, etc... Quant à la solution, elle passera pour Renault, comme pour PSA, par l'association avec des constructeurs européens, voire des constructeurs américains ou japonais. A ce sujet, ce n'est pas aux syndicats de dire avec qui il faut se marier ou s'associer. Cela se fera en fonction des besoins et des disponibilités. Mais ce ce n'est pas toujours simple et nous nous en sommes aperçus avec Volvo.

Force Ouvrière estime que l'européanisation ne répond pas pleinement aux problèmes d'aujourd'hui. On connaît l'évolution actuelle du marché européen ; on ne peut donc pas se focaliser sur l'Europe ou la France. On sera bien obligé de s'ouvrir sur le monde et tous les grands constructeurs généralistes le feront parce qu'il faut développer d'autres marchés. Comme le marché européen est en surcapacité, il faudra bien, si l'on ne veut pas continuer à fermer des sites, trouver d'autres marchés pour vendre nos véhicules.

Il est vrai que nous avons déjà des accords de coopération avec d'autres constructeurs. Le problème de Renault n'est pas atypique et PSA le rencontre également. Une entreprise comme Renault comporte, d'une part, des usines d'assemblage de véhicules - du type Sandouville, Flins et Douai, ou comme l'était Vilvorde - mais aussi, d'autre part, des usines qui fabriquent des éléments comme les trains avant, les trains arrière, les moteurs, les boîtes de vitesse, etc.

Aujourd'hui, Renault achète toutes ses pièces sur des sites lui appartenant comme Le Mans ou Cléon ; mais ces sites sont considérés en quelque sorte comme des équipementiers. Une usine comme celle du Mans comporte plusieurs départements fabriquant des produits différents. Pour ces usines, il faudra, tout en restant des usines du groupe Renault, trouver des marchés qui ne seront pas nécessairement des marchés Renault. Pour certaines fabrications comme les transmissions, par exemple, on peut se poser la question. On sera obligé, de toute façon, de trouver des partenaires si l'on veut s'en sortir. Notre taille ne nous permet pas aujourd'hui de nous inscrire dans un schéma d'européanisation, et encore moins de mondialisation, si nous ne pouvons pas produire à des coûts moindres et à qualité égale par rapport à d'autres concurrents. Il y a beaucoup d'équipementiers en Europe et dans le monde qui fabriquent les mêmes éléments que nous. Et PSA est dans le même cas que nous.

Nous avons parlé d'une forte réduction du temps de travail parce que nous ne pensons pas qu'aller vers les 35 heures puisse résoudre le problème de l'emploi. A Force Ouvrière, nous insistons sur les 32 heures et la semaine de quatre jours. Vous m'avez parlé du coût que cela peut engendrer. C'est un problème à prendre en considération, mais il faut savoir que cette décision de réduire le temps de travail ne peut pas être prise isolément ; je pense qu'il faut l'associer à d'autres solutions, entre autres au problème de la pyramide des âges. Aujourd'hui, la population salariée de Renault vieillit : la moyenne d'âge est de 46 ans, et si l'on ne fait rien d'ici cinq à six ans, nous allons arriver à une moyenne d'âge dépassant 50 ans dans nos usines. Or, en Europe et dans le monde, la moyenne d'âge dans les usines les plus modernes est de 30 ans. Et je ne pense pas qu'une personne ait la même productivité à 30 ans et à 51 ans.

M. le Président : Vous partagez donc, d'une certaine manière, l'opinion des directions qui estiment nécessaire d'abaisser la moyenne d'âge pour avoir du personnel plus flexible, apte à appréhender les nouvelles technologies, à faire face à de nouvelles organisations du travail, bref, apte à s'adapter.

M. Jean-Pierre LANGEVIN : Oui, physiquement.

Mme Marie-Thérèse BOISSEAU : Intellectuellement aussi. Les neurones fonctionnent mieux à 25 ans qu'à 51 ans !...

M. Jean-Pierre LANGEVIN : Sans vouloir dévaloriser une personne de 50 ans, vous avez raison, particulièrement pour des gens qui ont commencé à travailler très jeunes. De plus, ces gens ont connu des horaires et des conditions de travail qui ne sont pas celles d'aujourd'hui. On ne peut pas nier que les conditions de travail se sont améliorées, même s'il y a encore beaucoup à faire.

Quant à la flexibilité, je n'aime pas trop le mot, mais appelons cela flexibilité. Il est certain que de nouveaux salariés seront plus facilement " flexibles ". Mais sous quelle forme ? On peut en discuter parce que la flexibilité est un vaste sujet, et travailler 32 heures peut être aussi dur que de travailler 39. C'est aussi le piège puisqu'il ne faudrait pas non plus que les patrons exigent des productions égales à celles du personnel qui travaillait, il y a encore quelque temps, 39 heures.

Cette solution des 32 heures est celle qui nous paraît la plus sensée pour relancer l'emploi dans l'entreprise. En effet, on parle du coût de la réduction du temps de travail, mais un chômeur a aussi un coût et donner un emploi représente une économie pour la collectivité. Oui, la réduction du temps de travail est une des solutions, mais elle ne doit pas se faire seule. Si l'on se dirige vers les 32 heures, il faudra effectivement parler flexibilité, car il ne faut pas être utopique. Il faudra également que l'entreprise s'adapte en cas de réductions importantes d'horaire.

Mme Marie-Thérèse BOISSEAU : Je vais reprendre un sujet qui m'est cher : vous parlez de réduction du temps de travail à 32 heures, mais l'entreprise Renault, comme toutes les usines automobiles, connaît un gain de productivité extraordinaire et, avec une meilleure organisation du travail, vous pouvez bien descendre, peut-être pas dans tous les secteurs, mais dans quelques-uns à 35 heures, voire à 32 heures, sans créer des emplois. C'est tout à fait possible. La réduction du temps de travail m'intéresse, personnellement, de manière secondaire. Ce qui m'intéresse, c'est la création d'emplois, c'est de faire en sorte que les 3 200 000 chômeurs que nous avons aujourd'hui en France, voire les 5 millions d'emplois précaires, soient réintégrés peu ou prou dans le monde du travail. Et l'industrie automobile m'intéresse évidemment au plus haut point parce que vous êtes un secteur gros consommateur de main-d'oeuvre. Mais je me fais l'avocat du diable : 32 heures n'est pas forcément synonyme de création d'emplois. Avez-vous un peu structuré votre pensée à ce niveau ? C'est ma première question.

Pour la deuxième question, je trouve, en revanche, que vous précisez trop les choses quand vous dites que vous voulez la semaine de quatre jours. Est-ce vraiment la meilleure formule ? Est-ce systématiquement la bonne formule, surtout dans un secteur économique présentant des variations d'activité très importantes sur six mois, sur un an, voire avec des cycles de dix-huit mois ? Ne vaudrait-il pas mieux, dans un souci de meilleure productivité et de meilleure compétitivité - ce qui n'est pas incompatible avec un certain confort humain, tout cela se négocie, tout cela se discute - être plus souple - je ne vais pas employer le terme de flexibilité puisque vous ne l'aimez pas - pour épouser au mieux la réalité ? Il me semble que partir d'entrée de jeu sur les 32 heures et les quatre jours de travail par semaine n'est peut-être pas la meilleure formule. Je vous provoque un peu à ce sujet.

Autre question dans un domaine que vous avez évoqué tout à l'heure : vous dites qu'il est difficile d'associer Renault et PSA. En revanche, il faut envisager des associations sur le plan européen, voire sur le plan mondial. Il me semble que le bon sens voudrait peut-être - je le dis sous forme de question - d'essayer de coopérer au maximum sur un plan français avant de vouloir chercher des alliances sur le plan européen ou le plan mondial.

M. Jean BOQUET : Je veux simplement apporter quelques précisions. Je travaille à l'usine de Sandouville qui n'emploie plus que 6 500 personnes alors que nous avons été jusqu'à plus de 12 000 sur ce site. Cela situe le débat sur l'emploi. Lorsqu'en 1964-1965, l'usine de Sandouville a été créée, nous avons employé du personnel jeune et qui travaillait déjà depuis l'âge de 14, 15 ou 16 ans. Ce personnel, sans qualification pour la majorité, mis aussitôt à la chaîne, a été immédiatement soumis à des cadences de plus en plus rapides. Il tenait des postes, dans les ateliers de tôlerie par exemple, nécessitant l'usage de pinces pesant 40 à 50 kilos. Ces postes ont donc déjà commencé par user physiquement le personnel. Ce personnel est toujours employé ; il a maintenant une cinquantaine d'années en moyenne. Comment ce personnel a-t-il évolué ? Il a évolué au travers de l'évolution technologique de l'automobile. Il a fallu qu'il suive cette évolution tant bien que mal puisque, comme je vous le disais, ce personnel était sans qualification, issu du milieu rural pour la plupart. Ces gens arrivent maintenant à la cinquantaine et sont physiquement tous usés, et c'est pour cela que nous insistons fortement sur les mesures d'âge.

M. Jean-Pierre LANGEVIN : Vous avez dit que les 32 heures n'étaient pas forcément créatrices d'emplois.

Depuis plus de dix ans maintenant, l'automobile - ne serait-ce que Renault - a perdu des milliers d'emplois. Les départs n'ont jamais été compensés. Il faut donc aujourd'hui qu'on embauche du personnel jeune. Il n'y a pas d'autre solution. Les 32 heures doivent donc se négocier en prenant en compte cet impératif. Mais je ne pense pas que ce soit l'automobile et les équipementiers qui vont résoudre à eux seuls le problème des trois millions et quelque de chômeurs.

Mme Marie-Thérèse BOISSEAU : Ce n'est pas ce que j'ai voulu dire. Mais je crois que l'industrie automobile ne peut pas faire l'économie de ce problème. C'est un des secteurs d'activité importants en France où l'on doit réfléchir à un aménagement, à une réduction du temps de travail, en contrepartie de créations d'emplois. Il faut, à mon avis, que les deux soient intimement associés.

M. le Rapporteur : Il y a quand même une relation entre la durée du travail et la création d'emplois. Cela pose un problème de coût, important lui aussi. Mais si l'on réduit d'une heure la durée du travail et qu'elle est immédiatement absorbée par des gains de productivité, ce n'est pas très utile.

M. Jean-Pierre LANGEVIN : C'est l'histoire du temps partiel. Aujourd'hui, pour Force ouvrière, le temps partiel peut être utilisé sur la base du strict volontariat. Cela peut répondre à des souhaits de travailler moins, pour une femme de se réserver le mercredi, par exemple, ou, pour un homme, de bénéficier d'un week-end de trois jours en travaillant à 80 %. Mais on ne peut pas dire aujourd'hui que cela va créer des emplois dans l'entreprise. Ou alors il faudrait que, dans un même secteur, dans une même activité, suffisamment de personnes recourent au temps partiel pour qu'il puisse y avoir une compensation en emplois à temps plein. Cela peut être une solution pour améliorer la qualité de la vie mais pas pour créer significativement des emplois.

M. Jean PRORIOL : Sur ce thème de la réduction du temps de travail, je sors d'une réunion au Palais des sports de Bercy. Cette réunion avait pour thème " déverrouiller l'emploi ". M. Blondel se trouvait à la tribune, et M. Schweitzer est intervenu par video-transmission. M. Schweitzer faisait remarquer que Volkswagen en Allemagne avait, à une certaine époque, réduit la durée du travail en passant de 39 ou de 40 heures à 35, pour, finalement la fixer à nouveau à 39 heures. Et il y a, paraît-il, deux pays au monde où l'on cherche à réglementer la durée du travail par la loi : la France et l'Allemagne. Quand l'Allemagne a baissé sa durée du travail, elle a quand même vu son taux de chômage augmenter puisqu'il est aujourd'hui de 11,5 %. Dans un contexte où tout le monde travaille beaucoup, je m'interroge sur la possibilité de passer demain matin à 32 heures facilement. Je m'interroge pour savoir si, en France, nous sommes plus malins que les autres pour résoudre nos problèmes de chômage par la diminution de la durée du travail.

M. Jean-Pierre LANGEVIN : L'exemple allemand est classique.

Premièrement, Volkswagen a une particularité : c'est Volkswagen et ce n'est pas Renault. Cela fait déjà une différence importante.

Deuxièmement, il est vrai que le personnel de Volkswagen a bénéficié d'une réduction du temps de travail mais celle-ci leur a coûté de l'argent. Ils n'avaient pas du tout les mêmes garanties que nous, en particulier en matière de salaire (treizième, quatorzième mois). Je ne crois pas qu'on puisse négocier aujourd'hui sur une perte de pouvoir d'achat comme ils avaient négocié à l'époque. En effet, nous subissons déjà cette perte de pouvoir d'achat depuis de nombreux années chez Renault.

De plus, Volkswagen est un groupe énorme comparé à Renault. Il a quand même absorbé trois constructeurs dans des délais assez restreints. Aujourd'hui, qu'il soit victime de son succès et qu'il soit obligé d'augmenter le temps de travail, c'est une chose, mais nous n'en sommes pas là. Je ne connais pas les propos tenus par M. Blondel à ce sujet mais je lui en laisse l'entière paternité.

M. Jean PRORIOL : Il en était quand même resté à 35 heures, mais il était pour la réduction du temps de travail, alors que M. Gandois était pour autre chose.

M. Jean-Pierre LANGEVIN : Je ne sais pas si l'on peut dire qu'il était pour les 35 heures.

M. Jean PRORIOL : Il l'était plutôt.

M. Jean-Pierre LANGEVIN : Mais l'action de M. Blondel couvre quand même un secteur plus large que l'industrie. Elle couvre aussi la fonction publique. Il faut donc replacer cela dans le contexte actuel de l'industrie automobile et des équipementiers. Les conditions de travail ne sont pas les mêmes ; je ne veux pas faire de faux débat. Nous avons insisté sur le caractère pénible des tâches qui existe dans l'industrie aujourd'hui, qui fait que la mesure des 32 heures peut être une solution. On n'a pas dit que c'était " la " solution, je le précise bien, c'est une des solutions qui pourrait effectivement ouvrir des perspectives.

M. Jean PRORIOL : Je dois dire que M. Blondel a d'abord répondu en disant : " réduisons les heures supplémentaires. " Y a-t-il des heures supplémentaires chez Renault ?

M. Jean-Pierre LANGEVIN : Oui, il y a énormément d'heures supplémentaires chez Renault, beaucoup trop. Mais je ne sais pas si la solution est aussi simple que certains l'exposent. Les heures supplémentaires sont dues à la saisonnalité de certaines activités. Il est vrai qu'il y a des abus. Il y a, parfois, un recours abusif aux heures supplémentaires, mais il y a aussi des situations où il n'y a pas d'autres solutions.

Mme Marie-Thérèse BOISSEAU : Vous disiez que les heures supplémentaires étaient dues à la saisonnalité : on doit pouvoir résoudre le problème si l'on va vers une annualisation. C'est une solution.

M. Jean-Pierre LANGEVIN : Oui, mais je ne sais pas si c'est une bonne solution.

Mme Marie-Thérèse BOISSEAU : C'est une solution.

M. Jean-Pierre LANGEVIN : Il faudra poser la question aux gens qui, aujourd'hui, sont embauchés à 80 %.

Mme Marie-Thérèse BOISSEAU : C'est autre chose. Mais il y a plus de souplesse dans l'organisation du travail à l'année, ou sur un cycle de dix-huit mois, tenant compte de la réalité de la production. On peut aussi réduire un certain nombre d'heures supplémentaires qui ne sont pas souhaitables. J'ai bien compris que vous proposiez les 32 heures ; les proposez-vous de manière autoritaire pour tous les salariés ou est-ce en fonction des établissements, des entreprises, de telle ou telle activité ? Comment le voyez-vous dans le cadre précis de Renault ?

M. Jean-Pierre LANGEVIN : Les problèmes de Renault se retrouvent aujourd'hui chez PSA et chez les équipementiers. On ne va pas imposer les 32 heures, même si elles peuvent être une solution pour l'emploi. Cela doit être discuté, afin de voir si cela peut effectivement apporter une solution en matière d'emploi. Cependant, j'insiste, la solution n'est pas isolée. Elle est liée au problème de la semaine de quatre jours et à la question de la pyramide des âges.

Mme Marie-Thérèse BOISSEAU : La base va s'élargir et c'est souhaitable.

M. Jean-Pierre LANGEVIN : Cela va aussi donner une opportunité à des gens, parce que nous avons parlé tout à l'heure de l'ARPE ; tout cela doit être lié, c'est clair. On ne peut pas dire que les 32 heures seront " la " solution ou que la semaine de quatre jours est " la " solution.

Mme Marie-Thérèse BOISSEAU : Ce n'est pas ce que je voulais dire. Mais vous proposez, comme hypothèse de travail, comme piste de réflexion pour l'avenir, la semaine de 32 heures. Dans votre esprit, serait-il souhaitable que cette mesure soit imposée ?

M. Jean-Pierre LANGEVIN : Je suppose que si l'on devait aller vers les 32 heures, cela ne se ferait pas du jour au lendemain.

M. le Rapporteur : De toute façon, je n'ai entendu personne, même parmi les plus radicaux des interlocuteurs que j'ai pu voir sur ce sujet, évoquer un passage aux 32 heures qui ne résulte pas d'une négociation, voire d'une négociation site par site, parce que les problèmes d'âge ne sont pas les mêmes, les problèmes de conditions de travail ne sont pas les mêmes. Comme vous le rappeliez tout à l'heure, il y a des usines de montage, des usines de production ; chez les équipementiers, certains exercent des activités de main-d'oeuvre, d'autres des activités très capitalistiques, etc... Ne nous lançons pas à ce stade dans ce qui semble être une polémique politique sur un sujet que personne ne propose.

Mme Marie-Thérèse BOISSEAU : M. le Rapporteur, vous interprétez mes propos, je n'avais absolument pas envie d'une polémique politique.

M. le Rapporteur : Quand vous demandez : " si vous êtes favorable à une réduction autoritaire ... "

Mme Marie-Thérèse BOISSEAU : Vous interprétez mes propos, je suis en train de réfléchir tout haut et j'essaie de tester notre interlocuteur, au bon sens du terme, sur ces problèmes. On a quand même parlé, ces dernier temps, d'une réduction générale du temps de travail et du passage de 39 heures à 35 heures de manière systématique et autoritaire. C'est quand même une idée qui a couru les mois derniers dans la société française. Il n'y a aucune polémique politicienne derrière.

M. le Président : Je ne pense pas qu'on puisse dire qu'il soit question de passer obligatoirement aux 35 heures, et encore moins aux 32 heures, pas dans ces termes en tout cas.

Mme Marie-Thérèse BOISSEAU : Les choses ont évolué, heureusement !

M. Jean-Pierre LANGEVIN : Cela doit être discuté et négocié. Soyons bien clairs, nous n'avons aucune intention de changer le monde. Il n'y a pas d'intention, chez nous, d'imposer quoi que ce soit. Ce sont des solutions, des pistes qui doivent être négociées par site. Renault est quand même relativement grand. Renault, ce sont les usines de fabrication et de montage, mais il y a aussi le réseau, bien qu'il soit filialisé ; il y a RVI, il y a le matériel agricole. Tous ces sites n'ont ni les mêmes activités, ni les mêmes besoins en personnel, et la question de la productivité y est posée en termes différents. Nous n'allons pas rentrer dans le détail d'une négociation, nous n'allons pas faire la négociation ici.

M. Jean BOQUET : J'ajouterai une chose. Marc Blondel a été cité tout à l'heure, et je rejoindrai ce que mon " patron " a pu dire : les 32 heures ou les 35 heures ne sont pas une priorité pour notre organisation syndicale. Notre priorité est que les personnes ayant cotisé pendant quarante annuités puissent quitter l'entreprise afin que l'on puisse résoudre le problème de pyramide des âges, problème très inquiétant chez Renault. La priorité, pour Force Ouvrière, ce sont les quarante annuités dans le cadre de l'ARPE, quel que soit l'âge du salarié.

M. Jean-Pierre LANGEVIN : Nous demandons justement que tout soit mis sur la table parce que l'industrie automobile est vaste. Nous avons tous nos problèmes particuliers, et c'est pour cela que nous ne faisons pas une priorité d'un point ou d'un autre. Il faut que tout soit mis sur la table, et c'est ce que nous demandons depuis plusieurs années. Il faut vraiment débattre aujourd'hui pour demain. Cela va venir très vite et, si l'on ne discute pas de ces problèmes aujourd'hui, va arriver le moment où l'on ne parlera plus d'association mais de rachat. Aujourd'hui, il est clair qu'il faut trouver des solutions ensemble, c'est-à-dire syndicats, partis politiques, pouvoirs publics, et patronat bien sûr, puisque le patronat a aussi ses problèmes et ses inquiétudes, nous le concevons.

Je voudrais revenir sur la question portant sur l'impossiblité d'un rapprochement entre Renault et PSA. Déjà, ce n'est pas nous, Force Ouvrière, qui décidons si c'est possible ou pas. S'il doit y avoir une décision ou une prise de position, elle sera politique. Je disais tout à l'heure que cela ne s'est pas toujours très bien passé entre PSA et Renault. Mais cela portait sur des choses particulières et cela ne remet pas en cause une association. Quant au mariage du type Volvo avec PSA, il faut être clair : PSA est un généraliste, comme Renault ; nous avons une gamme qui est complètement identique, alors je ne sais pas si ce serait une bonne solution pour l'emploi et pour conserver nos sites en France et en Europe que de s'associer entre deux généralistes. C'est notre avis, mais d'autres se sont sûrement penchés sur ce problème.

M. le Président : Vous rejoignez globalement ce que nous avaient dit M. Schweitzer et M. Calvet.

M. Jean-Pierre LANGEVIN : Je ne les ai pas consultés. Il est clair qu'aujourd'hui, si on réfléchit à la situation de l'automobile, si nous avons des gammes qui se cannibalisent, je n'en vois pas l'intérêt.

M. le Rapporteur : Nous sommes en train d'explorer différentes formes de concubinage qui se situent entre le mariage et la séparation!...

M. Jean-Pierre LANGEVIN : C'est ce que je disais aussi dans mon exposé préliminaire : il n'y a plus de constructeurs à marier aujourd'hui. Cela passera donc forcément par des associations.

M. Raymond DOUYERE : Lorsque vous évoquez la possibilité de départ en retraite avec quarante annuités, avez-vous fait le compte du nombre de personnes concernées chez Renault ?

Deuxièmement, lorsque vous préconisez de passer à 32 heures, le nombre de personnes qui partent avec quarante annuités est-il compensé par le nombre personnes supplémentaires qui peuvent rentrer dans l'entreprise ? Avez-vous fait une évaluation de la masse salariale pour voir quelle était l'incidence sur la compétitivité de l'entreprise ?

M. Jean BOQUET : Nous n'avons pas encore fait une étude " pointue " sur le sujet. Je vous dirai que les plans sociaux s'étant succédé les uns aux autres, avec les départs FNE à 55 ans à une époque, à 56 ans à une autre époque, ou encore à 57 ans et 2 mois, avec des dérogations à 56 ans à une troisième période, nous nous retrouvons chez Renault avec un pourcentage faible de personnes qui rentrent dans ce cadre. Quoique, pour prendre l'exemple de Sandouville, avec des gens ayant commencé à travailler à 14 ou à 15 ans, qui ont aujourd'hui 54-55 ans, avec les femmes mariées ayant eu des enfants, car cela peut leur donner quelques trimestres supplémentaires, on arrive quand même à un chiffre significatif. On n'atteint toutefois pas des proportions importantes.

M. Jean-Pierre LANGEVIN : Nous ne pouvons pas dire que les départs en FNE aient essentiellement servi à embaucher. Cela a surtout compensé un manque de productivité. Nous y avons gagné en productivité. Mais nous ne pouvons cependant pas être contre le fait de laisser partir des gens qui sont usés.

Vous m'avez interrogé sur l'économie de l'emploi par rapport aux 32 heures. Si vous embauchez un jeune aujourd'hui à 80 %, il va coûter moins cher qu'une personne ayant de l'ancienneté. Aujourd'hui, nous avons ces embauches à 80 % et nous sommes contre cela. Les salaires sont minimes et ne relanceront pas la consommation. Ces jeunes touchent 5 200 francs nets par mois, et encore je suis généreux. Je ne sais pas si, avec cela, ils vont vraiment relancer la consommation. Pour nous, l'embauche à 80 % au titre des accords que nous avons eus précédemment ne doit pas être une solution. Je ne parle pas de la réduction négociée sur les 32 heures. Ces jeunes ont pourtant une productivité à peu près égale à des personnes à plein temps, surtout dans les sites où l'âge moyen est élevé. J'ai la pyramide des âges du Mans, elle est significative, et encore, nous sommes bien placés puisque notre moyenne d'âge est de 43 ans et 8 mois, alors que la moyenne du groupe est de 46 ans. On peut quand même se poser des questions. La productivité d'une personne qui arrive au-delà de 50 ans est effectivement moins bonne. Mais ce n'est pas pour cela que l'on doit tuer des jeunes aujourd'hui, à produire autant. C'est pour cela qu'il nous semble important que les 32 heures soient une solution négociée, où tout le monde y retrouve son compte. Nous sommes conscients que le patron a des intérêts, mais il faut aussi que le salarié, que l'entreprise en général, que tout le monde y gagne. Ce n'est pas un sujet simple et c'est pour cela qu'il faut s'y prendre tôt.

Mme Marie-Thérèse BOISSEAU : Je suis d'accord.

Audition d'une délégation du syndicat CFTC des personnels de Renault composée de
MM. Daniel BRUNET, Délégué syndical central,
Jack DAUPHIN, Délégué syndical central adjoint,
Représentant syndical au comité central d'entreprise,
et Serge DEPRY, Délégué syndical central,
Secrétaire adjoint du comité de groupe européen

(extrait du procès-verbal de la séance du 23 septembre 1997)

Présidence de M. Daniel PAUL, Président

M. Serge DEPRY : Mesdames, Messieurs, mon intervention comprendra trois parties :

- d'abord, des informations générales sur Renault pour situer l'entreprise ;

- ensuite, des analyses des indicateurs de performance de Renault tirées du rapport Syndex ;

- enfin, nos propositions sur les problèmes de l'automobile.

Tout de suite, quelques comparaisons avec les chiffres d'affaires des premiers groupes automobiles mondiaux : le premier est General Motors avec 7 millions de véhicules. Fiat, Renault, PSA et Honda se situent au bas de l'échelle.

Les prévisions de marché faites par Renault me paraissent très intéressantes. Elles concernent le marché mondial des véhicules particuliers ainsi que des petits véhicules utilitaires à l'horizon 2010 par rapport aux volumes de 1995 : elles retiennent une hypothèse basse et une hypothèse haute.

Les chiffres pour l'Amérique du Nord, en 2010, pourront augmenter de 2,4 millions en hypothèse favorable. C'est donc un marché mature; les marques européennes aux Etats-Unis ne représentent d'ailleurs que 3 % du MTM (marché toutes marques).

En Europe de l'Ouest, c'est plus difficile à évaluer. En hypothèse basse, nous avons 1,8 million et en hypothèse haute, 4,7 millions.

Il y a, en Europe de l'Est, une possibilité d'évolution de 4,7 millions en hypothèse haute. Par contre, au Japon, en hypothèse basse, une progression négative à 2010 et une très faible progression en période haute sont probables. Cela traduit l'agressivité des constructeurs japonais.

C'est essentiellement en Asie hors Japon que la progression peut se produire : en hypothèse basse 5,7 millions et 15 millions en hypothèse haute.

En Amérique Latine, un développement de 1,3 à 3,7 millions de véhicules est envisageable.

Comment se situe Renault ? Vous voyez dans le document que nous vous remettons que le nombre d'usines de fabrication pour le marché européen passe de 20 en 1996 à 13 en 1998. En Turquie, - on connaît peu l'usine turque - la capacité de production en 1996 est excédentaire de 40 % : Oyak Renault n'a produit que 65 000 véhicules alors qu'elle pourrait en produire 200 000. Le break Mégane sera fait ici. La Slovénie est une petite unité de production - 89 190 véhicules - qui pourrait concurrencer la Turquie sur les marchés du sud de l'ancienne Union soviétique. Ces deux marchés sont intéressants. L'un, le marché turc, s'est écroulé depuis quelques années ; il vient de se redresser cette année. En Slovénie, nous avons des problèmes de logistique énormes : pour livrer des Clio et des R5 dans ces pays, il faut parfois faire 1 500 à 2 000 kilomètres.

Nous avons négocié une unité de fabrication au Brésil à partir de 1999, avec 120 000 Mégane produites à Curituba. Ceci pose problème, car il y a danger de surproduction au Brésil : Fiat, Ford, GM, Volkswagen et les Japonais y étant déjà implantés.

Autre problème : nous devons fabriquer au Brésil ou dans cette zone pour résister aux constructeurs déjà sur place.

Fait nouveau, dont nous allons discuter le 2 octobre en comité central d'entreprise : la création d'une filiale en Russie. Une unité assemblera des Mégane classiques et des Laguna, et une autre des R19. C'est un marché extrêmement intéressant.

Je ne vais pas revenir sur les difficultés de ce marché, je suppose que notre Président directeur général vous en a largement parlé. On a livré les moteurs à Moskvitch et on attendait d'eux un signe encourageant, c'est-à-dire qu'ils les paient. Ils ont livré un acompte et cela nous a permis de continuer les négociations. C'est peut-être risible, mais c'est un problème important en Union soviétique.

Renault avait d'ailleurs participé à la création des usines d'assemblage de Mosvitch. Leur état actuel est catastrophique. On fabrique des voitures qui ne roulent pas. On leur a fourni des moteurs, leurs Mosvitch roulent.

Quel constat ? Renault est un petit constructeur très européanisé. Le marché européen, comme les prévisions l'indiquent, est mature, ce qui signifie une faible progression du MTM. Il y a des surcapacités en Europe ; l'offre est supérieure à la demande. Ceci a déclenché une guerre structurelle des prix. Certains constructeurs l'ont prise en compte dès les premières années de la décennie 1990. Opel, avec M.Lopez, a largement anticipé la guerre des prix, et le succès de l'Opel Vectra l'a montré. Mais le balancier est allé de l'autre côté : c'était la meilleure voiture en qualité au niveau européen, elle est devenue la plus mauvaise à cause de la réduction des coûts. Bon nombre de constructeurs, y compris Fiat et Ford, avaient anticipé la guerre des prix.

Nous ne l'avions pas anticipée. A l'époque, nous avions, sous la direction du Président Lévy, mis l'accent sur la qualité totale. Mais la qualité ne fait pas tout. Je vous donne un exemple : la planche de bord de la Mégane coûte 150 francs plus cher que celle de la 306. 150 francs, ce n'est pas énorme, mais 150 francs multipliés par 1 400 véhicules par jour, cela pose problème.

Nous avons participé à la guerre des prix avec retard. Tous nos véhicules actuels et les prochains, y compris la remplaçante de la Laguna, sont conçus sur des critères de qualité ne prenant pas en compte la guerre des prix. C'est un handicap pour Renault. On sera donc en difficulté jusqu'en 2000-2005 du point de vue des coûts.

La gamme jeune, dynamique et innovante, comme la Mégane et ses quatre versions, nous permet de respirer. La direction a réagi par une brutale politique de réduction des coûts et par la simplification de l'appareil de production. Les mesures à court terme du management pour redresser les comptes 1996 et 1997 consistent à réduire :

- la masse salariale du siège de 10 % avant avril 1997 ;

- les frais de siège et les dépenses produit/process de 5 % ;

- les investissements de 1 milliard de francs dans la branche automobiles par rapport au budget ;

- le prix de revient de fabrication de 3 000 francs en moyenne par véhicule avant le 31 décembre 1997.

Même si les résultats s'améliorent, la branche poids lourds et la branche automobiles sont encore déficitaires.

Renault, dans sa lutte pour la réalisation d'économies d'échelle, a cultivé une politique d'alliances qui est un semi-échec. Nous avons eu l'histoire Volvo, nous avons eu l'histoire Skoda, nous avons eu l'histoire DAF (on vient de signer un accord avec DAF sur les éléments de construction de cabines de poids lourds); nous avons subi un échec avec Fiat. Nous avons une faible coopération avec PSA : nous n'avons actuellement des coopérations que sur des moteurs et des boîtes de vitesse. Il y a des accords de coopération avec ZF et MAN pour Renault Véhicules Industriels (RVI) - moteurs, organes mécaniques - ; avec GM pour le petit véhicule utilitaire (le remplaçant du Master) et avec Volvo (livraison de moteurs).

Quant à la coopération Renault-PSA, nous pensons, à la CFTC, quelle est trop faible. Un rapprochement serait nécessaire : premièrement, pour la conception et la réalisation d'organes ; deuxièmement, pour la recherche et le développement ; troisièmement, pour développer un véhicule haut de gamme qui puisse véritablement s'attaquer à ce marché.

A cause de la concurrence entre modèles français (XM, 605 et Safrane), aucun constructeur ne gagne de l'argent sur ces segments. Le restylage de la Safrane a permis d'augmenter nos ventes et le modèle commence à être rentable. Si l'on avait une base de roulement commune d'un haut de gamme Citroën, Peugeot, Renault, des économies d'échelle nous permettraient d'aborder autrement le marché français.

Nous parlons bien de coopération renforcée, et non pas de fusion. Nous sommes en concurrence sur l'ensemble de la gamme avec nos amis de PSA. Le rachat par Peugeot de Citroën et de Talbot fut riche d'enseignements. PSA a mis dix ans pour s'en remettre.

L'ensemble des constructeurs suit la même politique d'économies d'échelle : la réduction des plates-formes. Les objectifs annuels de production pour l'an 2 000 sont : 1 400 000 véhicules pour une plate-forme Toyota Corolla, autant pour la Golf de VW et, pour la Ford Fiesta, la Polo de VW et la Corsa de GM 1 000 000 de véhicules. Renault et Peugeot n'atteignent pas ces chiffres. On doit être à 426 000 véhicules par plate-forme. Le problème est de réduire le nombre de plates-formes par rapport au nombre de modèles.

L'indicateur IMVP est un nouvel indicateur de productivité physique sur une voiture du segment M1. Cet indicateur très théorique est délicat à suivre, car on n'a pas le taux exact d'intégration des sous-traitants et de l'ensemble de la fabrication-montage d'un véhicule pour les différents constructeurs. Un IMVP à 15 heures est l'objectif de Renault.

A Flins, Sandouville, Douai, RIB, MCA, Valladolid et Palencia, nous sommes à 25,6 en moyenne. En terme d'emplois, vous savez ce que cela veut dire.

Au Japon, le nombre d'heures d'assemblage par véhicules est passé de 15,6 en 1989 à 14,7 en 1994. Aux Etats-Unis, il est passé, pendant la même période, de 24,1 à 18,2 et en Europe de 37,8 à 26,5. Les nouveaux pays constructeurs sont à 29,6.

Vous trouverez également dans les documents que nous vous remettons des comparaisons des coûts de production en 1995 tirées du rapport Syndex. Renault comme PSA connaissent un problème de vieillissement de leur population active, particulièrement en fabrication.

Je vous présente la pyramide générale des âges de Renault, puis celle des usines de fabrication. La courbe est complètement déformée et posera un problème considérable dans cinq ans. Tel est notamment le cas à Grand-Couronne, Sandouville, Douai. A Flins, c'est meilleur grâce à la troisième équipe. Choisy-le-Roi est une usine qui souffre. Par contre, à Rueil-Guyancourt, où se trouve le Centre de recherche et de conception des véhicules, la pyramide est correcte parce qu'il y a eu des embauches importantes. Cependant, dans le cadre de la réduction des coûts, il n'y aura plus d'embauches à Guyancourt et Rueil.

Dans le réseau commercial, il y a aussi une politique d'embauches correcte. Dans les établissements MPR, c'est-à-dire pièces de rechange, commerce, la pyramide est relativement bonne, comme au siège.

Nous avons, chez Renault, un problème dans la fabrication. La situation est beaucoup plus favorable dans la conception et la recherche. Il faut donc nuancer la proposition de Renault et de PSA d'admettre de façon anticipée au bénéfice du Fonds national de l'emploi 40 000 personnes avec en contrepartie l'embauche de 14 000 jeunes. Le coût est énorme pour la collectivité.

La CFTC n'est pas favorable à cette solution. L'une des solutions que nous proposons peut apparaître comme un recul par rapport à la condition de quarante annuités de cotisation à la sécurité sociale. Nos personnels qui travaillent sur les chaînes ont une moyenne d'âge de 47,5 ans, par exemple à Flins, et réunissent vingt-cinq ans, voire trente ans d'ancienneté. Ils sont usés par la fabrication. Les conditions de travail se sont nettement améliorées, mais ce n'était pas un dîner de gala de travailler sur chaîne il y a vingt-cinq ans !

Deuxième observation : ce personnel est difficilement adaptable. Il a des problèmes de lecture, de comptabilité : un cariste, pour aller chercher en flux tendu le stock exact de pièces, doit savoir se servir d'un ordinateur. Ces personnes pourraient peut-être partir, sans condition d'âge, quand elles justifient de 37,5 annuités de cotisation. C'est une piste dont vous devriez évaluer le coût. Cela permettrait, à notre avis, de régler en partie le problème de l'adaptabilité de nos opérateurs.

Il y a aussi un autre problème : les anciens agents de maîtrise, liés au taylorisme, étaient bien souvent habitués à mettre la main à la pâte. Ils sont pratiquement hermétiques aux nouvelles méthodes de management. On les reclasse dans les filières techniques qui ont fondamentalement évolué - pensons à la CAO, à la DAO, et aux systèmes assistés par ordinateur...

Quant au débat sur les 35 heures, une telle mesure sans perte de salaire pour l'ensemble des salariés accroîtrait le coût de la masse salariale de 11,4 %. La masse salariale représente de 10 % à 12 % du prix de revient d'un véhicule. Cela augmente l'indice des coûts de production de Renault de 120 à 122. Voyons les indicateurs de performance des constructeurs européens. Au plus haut, à 150, on trouve BMW ; Mercedes et Volkswagen sont à 140, et nous sommes à 120 avec PSA. Les 35 heures donneraient un regain de productivité aux travailleurs sur chaîne ; cela permettrait un large appel à l'embauche, un rajeunissement et une amélioration de la pyramide des âges. Cela a donc un coût. Mais on est relativement bien placé en coûts de production par rapport à l'ensemble de l'Europe.

Comment faire ? Il faut une négociation-cadre à l'échelon central, déclinée dans les établissements. Le problème de l'aménagement et de la réduction du temps de travail est différent lorsque vous faites des Clio, des Twingo ou une Safrane.

D'autre part, le personnel sur chaîne est extrêmement interchangeable, à l'inverse du personnel de conception.

Il faut regarder très finement les mesures générales et vérifier si elles s'adaptent à tous. Elles doivent être un filet d'air pour l'entreprise et non un handicap.

Ensuite, il faut soutenir l'industrie automobile par une aide massive à la formation continue. Il faut que l'industrie automobile soit aidée dans ce cadre, mais aussi dans celui de la formation initiale en apprentissage et en alternance. Je m'adresse pour cela à vous qui votez le budget.

Ensuite, et je parle pour Renault mais je crois qu'il y a des problèmes équivalents à Sochaux : il faut faciliter l'accès aux grands centres de fabrication et de conception. Je l'ai déjà dit au conseil régional. Nous avons en Ile-de-France des problèmes de transports et de logement. S'il y a ici des députés de l'Ile-de-France, je tiens à leur exposer les problèmes de transport dans l'ouest parisien et les problèmes de logement pour les ouvriers, les ingénieurs et les cadres. En effet, le prix de l'accession à la propriété dans l'est parisien n'est pas du tout le même qu'à Guyancourt.

Le deuxième sujet de réflexion est la fiscalité. L'écologie n'est pas une idéologie, mais quelque chose de très technique. Il faut aller vers une harmonisation des fiscalités européennes, car la diversité des fiscalités handicape certains constructeurs. J'en viens à la fiscalité du diesel. Le graphique que je vous communique montre les conséquences des réformes fiscales sur la production de véhicules diesel ; nous sommes le pays européen où la motorisation diesel est la plus importante. Selon la fiscalité adoptée, on assistera soit à la progression du diesel, soit à son écroulement, ce qui aura des répercussions majeures sur l'emploi.

Les anciens diesels sont très polluants - je pense, par exemple, aux autobus datant d'une quinzaine d'années -. Mais dans les motorisations aux normes euro 2 et euro 3, la pollution diesel est nettement moindre. Il faut prendre une décision : on ne peut pas jouer sans arrêt avec les nerfs des futurs acheteurs d'automobile. Soit - et toute la presse s'en empare - on met le diesel au prix de l'essence, soit on l'augmente légèrement, soit on reste à la fiscalité actuelle. Cela influe sur les ventes et donc sur des emplois. Le débat doit être dépassionné. On ne peut pas brutalement élever les taxes sur le diesel : cela risque d'aboutir à des catastrophes.

Concernant l'implantation des Coréens ou des Japonais, il faut être attentif et s'interroger : a-t-on affaire à des créations ou à des déplacements d'emplois ? Je me mets à votre place d'élus : si Toyota me propose de venir sur mon territoire, je vais l'accueillir à bras ouverts. Mais pour combien de temps ? Combien cela va-t-il coûter ? Il va bien falloir que vous leur fassiez des conditions meilleures que celles offertes en Grande-Bretagne. Enfin, il faut vérifier, surtout pour les Coréens, leur solidité financière.

Il faudrait tenir, au niveau européen, une réunion entre constructeurs, États et syndicats, pour examiner les problèmes de l'automobile. Il faut mener une politique plus cohérente où la concurrence ne soit plus synonyme de chômage, mais prenne en compte la solidarité face à la mondialisation.

M. le Rapporteur : Vous avez fait des propositions assez précises. Je voudrais revenir sur deux d'entre elles. D'abord le renforcement de la coopération Renault-PSA. On a reçu les Présidents-directeurs généraux puis les organisations syndicales. On a interrogé notamment M. Calvet sur les leçons qu'il tirait de la " fusion " Peugeot-Citroën. Sa réponse était : " plus jamais ça ".

Vous êtes plus prudents dans votre approche en parlant de coopération sur des morceaux de voiture. Malgré tout, une hypothèse de même nature avec d'autres constructeurs européens vous paraît-elle imaginable et plus facile - il est parfois plus facile de s'entendre avec des gens moins proches - ?

Tout le monde reconnaît le problème de la pyramide des âges au niveau de la production. Il y a différentes pistes envisageables qui sont différentes de la proposition faite par les constructeurs l'année dernière - 40 000 départs contre 14 000 embauches et 30 ou 40 milliards de francs à la charge de l'État - qui ne paraît pas très raisonnable. Votre position est : 37,5 années de cotisations. A priori, je serais plutôt favorable à la prise en compte de plusieurs sortes de critères. Pour des gens qui ont commencé à travailler jeunes, il s'agit d'une préoccupation de justice sociale. Mais d'autres envisagent une réduction plus forte de la durée du travail à partir d'un certain âge. Ma question est la suivante : a-t-on une idée des effectifs réunissant, compte tenu de leur ancienneté dans l'entreprise, soit 40, soit 37,5 annuités de cotisation ?

J'ai une dernière question sur la réduction de la durée du travail. Cette réduction a un coût pour la production. S'il y a des négociations, il y aura des demandes de contrepartie. Je n'emploierai pas le mot désagréable de " flexibilité " mais on voit quelle sera la nature des contreparties proposées. Cela m'intéresserait de savoir ce qui vous paraît acceptable et inacceptable compte tenu des conditions de travail.

M. Serge DEPRY : Renault comme PSA sont en difficulté sur les volumes. Ils doivent coopérer pour les développer et dégager des économies d'échelle. Renault et Peugeot sont de vieux amants...

M. le Rapporteur : " Je t'aime moi non plus " !...

M. Serge DEPRY : " Je t'aime moi non plus "... : le Président Lévy avait autant de caractère que le Président Calvet ! Maintenant, les choses se sont améliorées. Cela fait trente ans qu'on travaille ensemble sur des projets communs. A Saint-Ouen, en outillage-carrosserie, jamais une voiture Renault n'a été totalement faite en carrosserie par Renault. L'inverse était vrai. Sur les moteurs, nous avons la Française de Mécanique. Nous avons les boîtes de vitesse. Nous savons travailler ensemble, mais il y a un point d'honneur à être le meilleur. On est très concurrentiel du point de vue de la gamme.

Pourquoi pas une plate-forme commune sur un haut de gamme? A Sevelnord, le 806 est fait en quatre carrosseries. Va-t-on continuer à avoir trois véhicules haut de gamme français vendus marginalement à Bruxelles et à Luxembourg? Les Allemands, eux, ont Audi, Mercedes et BMW. On peut faire des économies d'échelle et développer un véhicule haut de gamme à trois.

On livre même des moteurs à Volvo, à Mitsubishi et Nedcar en Hollande. Aux Etats-Unis, les " Big Three " travaillent avec les Japonais.

Il faut être très ambitieux et très volontariste dans le développement des coopérations. Je ne parle pas des fusions qui pourraient être une fausse bonne idée.

Je ne peux pas évaluer l'ordre de grandeur du coût de la solution à 37,5 ans. J'ai demandé à la direction générale qu'elle fasse tourner les ordinateurs.

M. le Rapporteur : Cela nous intéresserait que les résultats nous soient communiqués.

M. Serge DEPRY : L'annualisation et la flexibilisation : nous sommes une industrie saisonnière où, de mars à juin, on " tire à plein ", puis l'activité reprend en septembre-octobre. D'un point de vue pluriannuel, lorsqu'on lance un véhicule, pendant deux ou trois ans, nous travaillons à plein ; puis on va " decrescendo ". Il y a donc deux saisonnalités inévitables : l'une annuelle et l'autre sur la longueur de vie d'un modèle.

Je ne vis pas la question des 35 heures comme quelque chose d'idéologique. Sur chaîne, cela permettrait une embauche massive de jeunes qui pourraient nous ramener l'IMVP très près de celui des Japonais. Il faut être prudent vis-à-vis du personnel de conception, de vente et du siège social où les problèmes de pyramide des âges sont totalement différents. Je ne peux pas non plus envisager une réduction massive du temps de travail sans répondre aux demandes de souplesse nécessaire pour faire face à la concurrence.

Il faudra être très prudent sur le maintien d'une journée dominicale, c'est-à-dire avoir le samedi et le dimanche ou le dimanche et le lundi. Les journées de repos doivent être prises. Par exemple, à Douai, les horaires de travail ont atteint le maximum, on ne peut faire plus.

M. le Président : Ne pensez-vous pas que, dans le cadre d'une réduction du temps de travail, si les personnes réunissant plus de 37,5 ans de travail partent et sont remplacées par des jeunes - on peut le regretter mais lorsqu'on embauche un jeune de 20 ans, il coûte moins cher à l'entreprise que quelqu'un de 54 ou 55 ans -, l'augmentation du coût de la masse salariale, qui est de 11 % à 12 %, pourrait être moindre ? Cette baisse du coût salarial ne pourrait-elle pas annuler l'augmentation dont vous faites état, de 120 à 122, cette dernière augmentation étant liée au maintien des salaires pour les gens qui passent à 35 heures ? On pourrait arriver là, si je suis vos calculs et vos propositions, à une opération blanche pour Renault, qui aurait abaissé le temps de travail, fait partir un certain nombre de travailleurs pour résoudre le problème de la pyramide des âges et embauché du personnel. Etes-vous d'accord avec cette interprétation ?

M. Serge DEPRY : Ce ne serait pas une opération blanche, car on aurait rapidement des gains de productivité énormes.

Audition d'une délégation du syndicat CFDT
des personnels de Renault composée de
MM. Pierre ALANCHE, Administrateur représentant les actionnaires salariés,
Serge BOUTROU, Secrétaire adjoint du comité central d'entreprise,
Emmanuel COUVREUR, Délégué syndical central,
et Alain VETILLARD, Délégué syndical central-réseau commercial

(extrait du procès-verbal de la séance du 23 septembre 1997)

Présidence de M. Daniel PAUL, Président

M. Emmanuel COUVREUR : La CFDT souhaitait rencontrer les représentants politiques sur la situation et le devenir de Renault.

Nous nous proposons d'évoquer quatre sujets :

- l'emploi, tant au niveau industriel que social ;

- la réorganisation de la distribution ;

- la direction ingénierie véhicule et la direction de la mécanique ;

- le devenir de Renault, l'évolution de la structure du capital et la possibilité d'une deuxième phase de privatisation.

Les membres de la délégation vont se présenter.

M. Pierre ALANCHE : Je suis le représentant des actionnaires salariés.

M. Serge BOUTROU : Je suis secrétaire adjoint du comité central d'entreprise depuis juin 1997. Je travaille sur le centre technique de Lardy dans la division de la mécanique.

M. Alain VETILLARD : Je suis délégué syndical central sur le réseau commercial. Je dépends de la succursale du Mans.

M. Emmanuel COUVREUR : En ce qui concerne l'emploi, il est clair que Renault s'est aujourd'hui engagé dans un vaste processus de réorganisation de son système industriel qui a abouti à une fermeture de site en Belgique et pourrait conduire à d'autres fermetures de sites en Europe. La CFDT s'est farouchement opposée à la fermeture de Vilvorde en se fondant sur un certain nombre d'arguments d'ordre industriel et social. Les plans sociaux mis en place depuis un certain nombre d'années chez Renault ont abouti à des suppressions d'emplois. Je rappelle que, dans le cadre du plan social 1997, plus de 2 800 emplois ont été supprimés. Nous estimons que des alternatives industrielles et sociales existent et que la fermeture de sites n'est pas inévitable, même si le problème des capacités de production se pose.

A ce sujet, nous tenons à souligner que le dossier que nous avons élaboré à la suite du rapport d'expertise demandé par la direction de Renault à Mme Kaisergruber dans le cadre de la fermeture de Vilvorde conteste les comparaisons de capacités moyennes de production par site établies par Renault. Sur le site de Vilvorde en particulier, les comparaisons faites aujourd'hui entre les constructeurs européens montrent que Renault n'était absolument pas dans une position d'infériorité. Il est important que vous soyez conscient que les argumentations fondées sur les capacités moyennes de production ne nous apparaissent plus comme étant un élément déterminant justifiant les fermetures de sites.

S'agissant de la réorganisation du système industriel, la CFDT estime qu'il ne faut pas considérer uniquement l'outil industriel alors qu'il existe trois autres sources d'amélioration des performances chez Renault.

La première concerne l'ingénierie et tout ce qui touche à la conception, domaine où des gains de productivité importants sont possibles.

La deuxième concerne le partenariat entre les fournisseurs, les équipementiers et le constructeur ; à cet égard, il faut avoir en tête que plus de 50 % de notre chiffre d'affaires est réalisé à l'extérieur de Renault et que la part des fournisseurs et des équipementiers est prépondérante ; une véritable coopération, permettant de réels gains de performance où chacun gagne, et pas simplement le donneur d'ordre par les pressions exercées sur les équipementiers-fournisseurs, doit s'instaurer.

La troisième source d'amélioration des performances concerne le réseau commercial. Il est important que Renault retrouve une image offensive dans ce domaine. Il est inacceptable que Renault prévoie de réduire sa pénétration en France à 24 %, voire moins. De telles pertes de marché pèseront très lourd sur nos coûts et donc sur la compétitivité de Renault.

S'agissant de la réorganisation du système industriel, nous avons fait des propositions en ce qui concerne le véhicule 4 x 4 ; il existe aujourd'hui un marché porteur en Europe qui n'est pas occupé par Renault. 600 000 véhicules de ce type sont vendus en Europe alors que la capacité de production est aujourd'hui inférieure à ces ventes. Des potentialités de développement existent comme en témoigne l'évolution du marché aux Etats-Unis dont 30 % sont aujourd'hui occupés par des " light trucks " et des véhicules du type 4 x 4. Certaines coopérations sont possibles afin que Renault ne soit plus seul à affronter un certain nombre d'évolutions, à la fois dans le haut de gamme et le bas de gamme, en particulier le véhicule appelé à remplacer la Twingo.

Ces propositions figurent dans le dossier que nous vous remettrons concernant la réorganisation du système industriel.

Dans le domaine social, nous estimons qu'il faut cesser de mettre en place des plans sociaux successifs et qu'il est temps aujourd'hui de renouer, chez Renault, avec une autre approche allant dans le sens de ce que fait aujourd'hui IG Metall outre-Rhin, permettant de garantir l'emploi par une approche pluriannuelle axée sur :

- la réduction massive du temps de travail ; à cet égard, la CFDT est favorable aux 32 heures parce qu'il est important de dépasser le cap des 35 heures pour aller vers des cycles de production beaucoup plus performants ;

- la réduction de la vie au travail ; les mesures d'âge doivent être prises, en particulier pour le personnel dont l'âge est supérieur à 55 ans ; mais compte tenu des conditions de travail et des performances exigées actuellement, il apparaît aujourd'hui indispensable d'envisager des préretraites progressives, y compris pour des salariés n'ayant pas atteint l'âge de 55 ans ;

- le rajeunissement des effectifs est également indispensable quand on connaît les pyramides des âges aujourd'hui. L'âge moyen des opérateurs est de 47 ans, 48 ans sur les sites de production !

Ces questions nécessitent une approche d'ensemble permettant d'appréhender à la fois les alternatives industrielles et les alternatives sociales et débouchant sur une garantie pluriannuelle de l'emploi et non plus année après année.

M. Alain VETILLARD : En ce qui concerne la réorganisation du secteur commercial de Renault, la direction générale a décidé depuis le 1er juillet 1997 de filialiser l'ensemble des succursales. La CFDT a une approche différente qui prend en compte des évolutions prévisibles concernant la distribution, les services, le véhicule d'occasion pour lequel Renault est très mauvais, le véhicule neuf obérant l'activité véhicule d'occasion. On considère que l'activité véhicule d'occasion sera porteuse sur le marché français dans les décennies à venir.

Des évolutions sont également prévisibles dans le domaine des services. La demande de la clientèle est tout à fait nouvelle aujourd'hui. Les services liés à la distribution, qu'il s'agisse de la location ou des forfaits d'entretien des véhicules, devront être pris en compte par Renault s'il veut avoir des ambitions sur le marché français.

Les constructeurs devront aussi tenir compte d'un phénomène nouveau qui est le multi-marque ; les constructeurs vont être amenés, dans les années qui viennent, à intégrer la vente de véhicules d'autres marques et cela pose aujourd'hui un véritable problème d'adaptation aux services existants.

La CFDT estime également que l'entreprise doit investir pour assurer l'adaptation et l'évolution de l'organisation du travail qui nécessite l'association des salariés.

Nous sommes en désaccord avec l'approche de Renault qui consiste à isoler complètement le secteur commercial des autres secteurs d'activité. Ainsi la branche financière de Renault, la DIAC, n'a pas été intégrée dans les restructurations qui ont été engagées, alors que nous considérons que les financiers vont certainement avoir un rôle très important à jouer. Il en est de même pour le secteur " pièces de rechange " qui va faire l'objet, dans les années qui viennent, d'une certaine libéralisation, alors que la CFDT souhaitait qu'il fasse aussi partie intégrante des restructurations importantes qui vont être engagées dans le secteur commercial. La CFDT souhaite avoir des garanties sur le devenir du commercial, d'autant plus que la direction de Renault réaffirme aujourd'hui qu'elle souhaite posséder son réseau commercial, ce qui n'est pas le cas d'autres constructeurs.

Là encore se pose la question de l'emploi et celle de la pyramide des âges, qui est beaucoup plus jeune dans le secteur commercial. A cet égard, le traitement par les mesures d'âge ne permettra pas de répondre aux attentes qui sont les nôtres.

La CFDT est particulièrement sensible aux questions liées au statut des salariés et s'oppose à un système à deux vitesses dans lequel les salariés déjà présents dans l'entreprise ont des garanties dont ne bénéficient pas les jeunes qui rentrent dans les nouvelles filiales. Dès le mois de septembre, commence une phase de renégociation des accords collectifs, qui porte actuellement sur le droit syndical et concernera la couverture sociale ainsi que les systèmes de rémunération et la remise à plat des classifications.

Le secteur commercial ne relève plus de la convention collective de la métallurgie et est donc rattaché, à compter d'aujourd'hui, à la convention collective nationale des services automobiles. La filiale qui se nomme " Renault France automobile " représente aujourd'hui 10 000 salariés en tout, dont 8 600 pour les succursales, les autres étant rattachés aux vingt-quatre filiales existantes qui ont elles-mêmes leur propre autonomie.

M. Serge BOUTROU : S'agissant de l'ingénierie, je voudrais souligner que les secteurs d'études, que ce soit la division de la mécanique ou la direction ingénierie véhicules, sont bien entendu, eux aussi, concernés par les grands problèmes de l'heure de l'entreprise. On y parle également de réduction des coûts, on y parle encore plus de réduction des délais. Il faut sortir des modèles de plus en plus vite. Ce n'est pas propre à Renault. Renault a sa part d'effort à faire. Simplement, l'aspect nouveau pour ces deux directions est que, si nous avions jusqu'ici traversé les tempêtes à l'abri des plans sociaux des usines de fabrication, pour la première fois en 1997, les deux directions d'ingénierie sont concernées par le plan social et le seront par les plans à venir. Les informations que nous avons, qui sont très parcellaires, nous font craindre le pire...

En matière de réduction des coûts, l'entreprise a, certes, beaucoup d'efforts à faire, notamment en matière de conception comme le montrent les comparaisons qui ont été menées entre Peugeot et Renault. Malheureusement aussi, la réduction des coûts veut dire encore un peu plus de sous-traitance, un peu plus de précarisation ; les méthodes sont celles qu'évoquaient mes camarades et ne sont pas forcément les bonnes... A cet égard, il faut rappeler que la part salariale dans le produit automobile Renault est de moins de 11 %. Il faut savoir raison garder sur cet aspect des choses. Quand on constate un différentiel entre Renault et Peugeot de 800 F sur deux moteurs identiques, la part du salaire est ridicule ! Il y a donc d'autres problèmes...

Renault a fait une première réorganisation, il y a deux ans, en regroupant les services d'étude et les services de " process ", c'est-à-dire d'étude des moyens de fabrication. A ce titre, l'entreprise a une certaine avance. C'est une bonne chose, mais qui entraîne des conséquences sur les effectifs, d'autant plus qu'une deuxième vague vient d'être lancée, que l'on appelle chez nous la " réingénierie ", c'est-à-dire la remise à plat de tous les processus d'étude de nos véhicules, dans le but de réduire les délais et les coûts. L'impact de cette réingénierie sur les effectifs devrait être d'environ 10 %.

J'ajouterai une chose qui nous tient particulièrement à coeur au moment où le débat sur les 35 heures prend l'acuité qu'on connaît : c'est que nous nous sommes battus pour le respect de la durée légale actuelle du temps de travail. Or, quand l'entreprise dit qu'elle va réduire les temps d'étude, il s'agit bien d'une compression du calendrier mais pas forcément d'une compression du volume d'heures d'étude. Et ceci se traduit progressivement, depuis des années, par un dépassement de la durée légale du temps de travail pour 80 à 90 % des ingénieurs et cadres et plus de 30 % des techniciens. Au moment où nous abordons la question de la réduction du temps de travail, il n'est pas concevable de négocier sur les bases actuelles. Peut-on admettre qu'on commence à discuter sur une réduction du temps de travail et sur la question de la compensation, lorsqu'on sait qu'un tiers de l'effectif fait actuellement plus de 45, voire 50 heures par semaine ? Ce n'est malheureusement pas propre à Renault. Les relations intersyndicales que nous avons avec nos collègues d'autres entreprises de la métallurgie et d'autres branches, montrent que ce phénomène s'est accentué ces dernières années et que, pour l'instant, on ne voit pas comment y mettre fin.

M. Pierre ALANCHE : Je voulais évoquer la structure du capital de Renault que vous devez bien connaître mais qui a quand même fortement évolué ces derniers mois. L'Etat possède aujourd'hui de l'ordre de 47 % du capital, les groupements d'investisseurs américains entre 25 et 30 % du capital, le noyau stable 9 %, les salariés 2,5 %, le reste étant dans le public. Les salariés s'interrogent beaucoup sur ce que signifie un noyau stable aussi minoritaire, et se demandent qui pilote l'entreprise aujourd'hui. J'ai participé à deux conseils d'administration dans lequel les représentants de l'Etat étaient relativement silencieux. Quelle impulsion peut donner le conseil d'administration à une entreprise comme Renault ? Et, de fait, le pouvoir est effectivement totalement aux mains de la direction générale, le conseil d'administration étant sollicité au mieux pour faire valoir un droit de veto sur un certain nombre de décisions que je n'ai jamais vu utiliser. Il intervient plutôt comme une chambre d'enregistrement. On a pu le voir à l'occasion de Vilvorde et des péripéties qui ont précédé la fermeture. A qui appartient la détermination d'une stratégie industrielle offensive sur le plan de la performance de l'entreprise mais également offensive sur le plan social ?

M. Emmanuel COUVREUR : Notre objectif était de vous faire part de ces quatre préoccupations majeures :

- l'emploi qui reste pour nous, bien sûr, la priorité des priorités ;

- la réorganisation du commercial, sachant que le coût de distribution représente 30 % du prix de vente des véhicules ;

- les études et la conception qui constituent une véritable préoccupation dans la mesure où les effectifs de production de Renault deviennent aujourd'hui minoritaires, la part des salariés dans les secteurs techniques et tertiaires ayant pris une importance considérable, eu égard notamment à l'internationalisation de Renault. Celle-ci est un enjeu énorme, puisque 85 % des ventes de Renault sont réalisées sur le marché européen et 15 % seulement hors d'Europe, l'objectif étant d'atteindre 25 % à 30 %. Lorsqu'on sait que Volkswagen, avec un chiffre de 4 millions de véhicules par an, a une implantation en dehors de l'Europe de 40 %, il est évident que les études et l'internationalisation de la conception et de l'ingénierie, tant au niveau du produit que des process, sont capitales pour que Renault puisse s'implanter, se développer et retrouver ses parts de marché.

- enfin, le management de Renault est une véritable préoccupation aujourd'hui parce qu'il n'y a pas véritablement de noyau stable qui permette de décider un certain nombre de choix et d'orientations.

Il nous apparaît important que les responsables politiques, tant au niveau français qu'au niveau européen, aient leur mot à dire sur les conditions dans lesquelles se feront certaines implantations et certaines coopérations ainsi que sur la façon dont se passeront un certain nombre de partenariats, et qu'ils puissent exiger des garanties, tant en termes d'emplois que d'utilisation des fonds mis à leur disposition pour s'implanter et investir, afin d'éviter qu'ils ne soient des gouffres ou des trompe-l'oeil.

M. le Président : Je suppose que vous faites référence à l'éventualité d'une implantation évoquée dans la presse depuis quelques mois - baladeuse d'ailleurs puisqu'il a été question, pendant quelque temps, de son implantation dans l'estuaire de la Seine - ; je veux parler de Toyota ; avec en Europe 12 ou 13 millions de véhicules vendus pour une capacité de production de 18 millions, ne croyez-vous pas que l'arrivée éventuelle de Toyota, qui bénéficiera probablement d'un certain nombre de fonds publics, se fera au détriment de ce qui existe d'ores et déjà et introduira un loup supplémentaire dans la bergerie, compte-tenu des méthodes de gestion et d'organisation du travail de la firme ?

Lorsque nous l'avons reçu, M. Schweitzer nous a beaucoup parlé de la nécessité de faire des économies, de diminuer le coût des véhicules. Il a évidemment évoqué les méthodes qu'il pense utiliser, les niches qu'il pense pouvoir trouver. J'aimerais avoir votre avis là-dessus parce qu'il est vrai que l'automobile est dans un secteur concurrentiel et que le véritable patron dans l'automobile, c'est le client ; c'est lui qui achète. C'est donc un argument incontournable. Quel est l'avis de la CFDT sur l'objectif de M. Schweitzer d'une diminution du coût moyen des véhicules de 3 000 francs avec les conséquences qui en découlent ? Où trouver les moyens de diminuer les coûts ?

M. Emmanuel COUVREUR : En ce qui concerne les réductions de coût, on observe aujourd'hui que les concurrents mettent sur le marché des nouveaux véhicules à un prix moins élevé que les véhicules précédents. Dans un système de libre marché, il faut bien que Renault soit aussi compétitif que ses concurrents.

Mais il ne faut pas considérer que le réajustement passe forcément et uniquement par une réduction des effectifs, par une diminution des coûts de main-d'oeuvre. Il faut savoir que sur 100 francs du prix d'un véhicule, 50 francs d'équipement et de produits sont achetés, 20 francs correspondant à la valeur de transformation interne et 30 francs au coût de distribution commerciale. Dans les 20 francs, il y a 5 francs de main-d'oeuvre de production. Cela veut dire en fait que 95 % de nos coûts ne sont pas des coûts de main-d'oeuvre Renault. Il est clair cependant que dans les 50 francs achetés, il y a aussi une part de main-d'oeuvre.

J'ai indiqué tout à l'heure les postes sur lesquels pouvait porter la réduction des coûts : des progrès peuvent être réalisés dans la conception de nos produits, dans la standardisation, dans la décomplexification de nos modèles, dans la banalisation de nos plate-formes etc... à l'instar de ce que fait Fiat avec la Palio.

En second lieu, il faut renforcer la coopération avec les équipementiers et les fournisseurs : même si Renault a mis en place un projet " synergie 500 " qui vise à partager la productivité dégagée avec les fournisseurs et équipementiers, nous estimons que la coopération doit se faire à moyen terme et que Renault, comme les autres constructeurs
- en particulier les constructeurs français - a eu trop l'habitude de considérer les fournisseurs comme des Kleenex qu'on jetait lorsqu'on n'était pas satisfait ! Les constructeurs d'autres continents ont une politique à moyen terme de coopération, y compris dans les études et la conception des ensembles fabriqués, qui permet une synergie nettement plus forte et nettement plus profitable aux constructeurs.

Enfin, le réseau commercial doit être redynamisé et doit s'ouvrir à une autre vision du service au client qui ne se limite plus à la vente des véhicules.

Je voulais simplement rappeler que le coût de la fermeture de Vilvorde sera pour Renault de 5,3 milliards de francs : 2,8 milliards de plan social, 2,5 milliards de véhicules perdus dont le nombre est au minimum de 25 000. Encore, ces chiffres ne tiennent-ils pas compte du coût des investissements nécessaires dans les usines qui vont récupérer la production. Ils sont à rapporter aux 850 000 F par an d'économies annoncées par Renault pour la fermeture de Vilvorde. Il faudra quelques années pour récupérer la mise !

Si nous sommes d'accord pour la réduction des coûts et l'amélioration de la compétitivité de Renault, qu'il ne s'agisse pas, dans le même temps, d'alourdir l'ardoise avec des fermetures et des pertes inconsidérées comme celles engendrées par Vilvorde !

M. Pierre ALANCHE : S'agissant des nouvelles implantations, on sait aider à la création de nouveaux sites industriels en Europe, tels ceux de Ford, Volkswagen au Portugal, Sevelnord en France, pour PSA et Fiat dans le domaine des monospaces. La productivité de ces nouveaux sites est bonne, parce que les installations industrielles sont récentes, le personnel est jeune et recruté avec des critères extrêmement sélectifs. Mais on finance la création de nouveaux sites alors qu'on est déjà dans une situation de surproduction et qu'on ne parvient pas à aider à la restructuration des usines existantes et au rajeunissement de la population par les mesures d'âge, l'aide à l'embauche de nouveaux personnels dans ces usines. Il y a donc là quelque chose d'incompréhensible pour les salariés concernés ! C'est une solution de facilité de fermer une usine vieillissante et d'aller s'installer ailleurs en bénéficiant à la fois des aides pour s'installer et d'une population nouvelle pour travailler dans l'usine ! C'est un vrai problème qui mérite, à mon avis, une réflexion de fond parce que, pour parvenir à mener une véritable politique industrielle face à un marché dont on peut maintenant prévoir assez bien les perspectives, il faut savoir gérer l'existant. L'absence d'une telle politique dans le domaine automobile représenterait un grave échec de notre politique européenne.

M. Emmanuel COUVREUR : Nous ne sommes pas dupes quant à l'attitude de Toyota qui tente de spéculer entre une implantation en Pologne et une implantation en France, afin d'obtenir les meilleures conditions d'un côté ou de l'autre. Mais s'implanter dans un pays de l'Est, dans un marché en développement, n'a aucune commune mesure avec l'implantation dans un pays d'Europe occidentale !

On ne veut donc pas se laisser abuser par une espèce de chantage par rapport aux pays de l'Est ; Renault étant implanté en Slovénie, on sait que les salariés slovènes gagnent moins de 2 000 francs par mois et, à ce prix-là, avec des performances égales à celles des usines espagnoles et françaises, on peut continuer à jouer la concurrence exacerbée, le dumping au niveau des salaires...

M. le Rapporteur : Ma première question porte sur l'ensemble que constituent les mesures d'âge, la réduction de la durée du travail, etc.

Si je fais le bilan des propos de nos différents interlocuteurs aujourd'hui, quatre mesures sont évoquées :

- la mise à la retraite anticipée qui pourrait être avancée à 55 ans, voire même avant selon certains ;

- la mise à la retraite anticipée progressive, qui me paraît personnellement plus intéressante, la " progressivité " permettant éventuellement des encadrements de jeunes par certains anciens qui ont quand même un savoir-faire à transmettre ;

- les départs après 40 ans ou 37 ans et demi de cotisations ;

- les mesures de réduction de la durée du travail à 35 heures ou 32 heures par semaine.

Vous ne vous êtes pas exprimés sur ces propositions diverses. Je serais intéressé de connaître la position de la CFDT, sachant que les orientations retenues comporteront probablement un mélange de ces mesures.

En second lieu, je voudrais revenir sur la notion de masse salariale. Vous n'êtes pas les premiers à nous dire que, dans le prix de revient d'un véhicule, la masse salariale de Renault représente un peu plus de 10 %. Si l'on doit se lancer dans des opérations de réduction forte de la durée du travail, les mesures concerneront les branches et pas seulement le secteur de la construction automobile. Pour discuter d'éventuelles compensations, il faut avoir des bases de raisonnement incontestables. Or, il est clair que la part salariale dans le prix est nettement supérieure à 10 %.

S'agissant, en troisième lieu, de votre interrogation sur le rôle de l'État actionnaire dans le cas de Renault, j'ose espérer que, si des négociations sur les mesures que j'ai évoquées s'ouvrent, l'État actionnaire - c'est ma réponse personnelle - jouera quand même un rôle positif pour pousser dans certaines directions plutôt que dans d'autres, ne serait-ce que pour des raisons de coûts puisque l'Etat est à la fois actionnaire et payeur d'éventuelles mesures sociales.

J'aimerais enfin avoir le point de vue de la CFDT sur la dimension européenne en termes de rapprochements, de coopération.

A propos de Toyota, je voudrais dire, à titre personnel, que le choix n'est pas entre l'installation ou non de Toyota en Europe. La réalité est que, si cette installation n'a pas lieu en France, elle aura lieu dans un pays voisin. La question qui se pose par conséquent est de savoir si l'on cherche à avoir quelques emplois supplémentaires au risque d'introduire le loup dans la bergerie, sachant que de toute façon cette implantation se fera, éventuellement ailleurs, et que de nouvelles capacités de production seront créées.

M. Emmanuel COUVREUR : En ce qui concerne les mesures d'âge, nous estimons qu'on ne peut pas dissocier la mesure de réduction du temps de travail de celle de réduction de la vie au travail et du rajeunissement des effectifs. Il est nécessaire pour Renault, mais aussi pour PSA, d'avoir une approche regroupant Etat, constructeurs, équipementiers, partenaires sociaux, pour examiner l'ensemble du triptyque. Nous n'excluons pas la préretraite progressive en deçà de 55 ans. Il faut cependant faire quelques réserves sur le fonctionnement du tutorat, car l'expérience montre que les personnes en préretraite progressive sont généralement dans un emploi de " placard " et sont considérées comme improductives ou productives à certains moments de la semaine, de l'année ou du mois et ne jouent pas toujours le rôle de transmetteur de savoirs au niveau de l'entreprise. En revanche, il est vrai que l'allocation de remplacement pour l'emploi (ARPE) nous semble une bonne mesure qu'il faudrait étendre sans limite d'âge pour permettre une accélération du rajeunissement des effectifs. Les deux mesures sont complémentaires.

Les mesures d'âge ont selon nous pour objectif de permettre le rajeunissement des salariés, la réduction du temps de travail étant essentiellement affectée aux gains de productivité. La réduction de la durée du travail doit être massive si l'on ne veut pas qu'elle soit systématiquement absorbée par l'augmentation de la productivité dégagée. La CFDT serait favorable à un accord du type garantie de l'emploi chez Renault, parce que cela changerait complètement la manière d'aborder les choses.

Quant à la compensation salariale, la CFDT a fait des propositions axées sur une réduction du temps de travail compensée, avec des possibilités de modulation et de différenciation en fonction des niveaux de rémunération. Sur la base d'une réduction du temps de travail de 15 % et d'une augmentation de productivité annuelle de 5 %, nous avons proposé un barème de compensation dégressif en fonction des niveaux de rémunération sur une période assez longue dans le cadre de la " loi Robien ". Dans un cadre pluriannuel, on peut accepter une non-compensation intégrale différenciée, sachant qu'il y a, pour nous, des seuils au-delà desquels on n'acceptera pas de descendre : certains niveaux de rémunération ne doivent pas être affectés par la réduction du temps de travail.

La réduction du temps de travail doit être conçue comme un élément de garantie d'emploi, parce que les salariés ont trop souvent le sentiment que les gains de productivité scient la branche sur laquelle ils sont assis. Par conséquent, aller vers une réduction du temps de travail aujourd'hui de manière progressive et lente, c'est aussi permettre aux directions de poursuivre leurs plans sociaux.

Or, nous estimons qu'il faut arrêter les plans sociaux et avoir une démarche pluriannuelle visant à assurer la garantie de l'emploi, en intégrant les différentes mesures, mais en sachant que les mesures sociales ne se substitueront pas au développement industriel et commercial de Renault. Nous ne sommes pas défavorables à l'internationalisation de Renault, ni à sa modernisation et au maintien de sa compétitivité. Il faut associer les mesures sociales et les mesures industrielles.

M. Pierre ALANCHE : Pour reprendre le débat engagé à propos de Toyota, je crois effectivement qu'un certain nombre de choix sont quelque peu irréversibles. Mais la question que je me pose est celle de savoir comment ménager des conditions de concurrence équilibrées. Or, il n'y a pas de concurrence équilibrée entre de nouvelles implantations dont le personnel est jeune et les sites qui existent aujourd'hui. Il faut donc qu'on trouve des mesures d'aide à la restructuration pour rétablir des conditions de concurrence équilibrée, faute de quoi il faudra fermer toutes les usines dont le personnel a une moyenne d'âge de 45 ans.

S'agissant des mesures d'âge, il faut s'interroger sur les moyens de faire en sorte que les mesures d'amélioration de la productivité prises par les entreprises Renault et PSA ne se traduisent pas uniquement par la disparition d'emplois. Un certain nombre d'activités sont externalisées, mais on constate aujourd'hui que ces emplois partent malheureusement souvent à l'étranger. Je vais prendre un exemple : Renault fait une usine au Brésil : la totalité de la mise en place du process industriel est sous-traitée et achetée à Comau qui est une filiale de Fiat en Italie. On ne trouve pas d'industriel en France pour assurer un certain nombre d'activités de l'automobile, parce qu'on n'a pas su créer tout le tissu industriel d'accompagnement de l'automobile qui me paraît indispensable à la compétitivité de l'automobile française : il faut avoir un tissu local d'entreprises qui contribue à la productivité de l'industrie automobile nationale.

La restructuration doit être l'occasion de réfléchir aux moyens de créer des activités accompagnant l'automobile et de les développer en France.

Un élément important, qui a contribué à la productivité de l'industrie allemande et au rétablissement de celle de l'industrie automobile américaine, concerne le soutien à la recherche coopérative. Il existe en Allemagne une recherche pré-compétitive dont les frais de développement sont partagés par les constructeurs. Ce système a été copié aux Etats-Unis ; un certain nombre d'instituts de recherche ont été créés aux Etats-Unis qui n'ont pas d'équivalent en France. C'est aussi un des moyens de favoriser la compétitivité de l'industrie automobile nationale. C'est donc un des rôles de l'Etat de définir les conditions de coopération dans la recherche. Le système actuel de distribution d'aides à la recherche me paraît insuffisant. Le PREDIT est de la distribution d'argent, et non pas une aide à la création d'instituts de recherche coopératifs qui permettraient de créer une synergie entre l'industrie et la recherche, l'université.

Ce rôle que pourrait avoir l'État est complémentaire de celui qu'il doit avoir grâce à ses représentants dans le conseil d'administration, mais j'ai cru comprendre que vous alliez pousser dans la bonne direction, et j'espère qu'on en verra les effets...

M. Serge BOUTROU : Je voudrais revenir sur certains aspects des mesures sociales, et préciser d'abord que, concernant les retraites anticipées, sous quelque forme que ce soit, la CFDT, avec une certaine constance, à chaque fois qu'elle a été consultée, soit en comité central d'entreprise, soit dans les comités locaux, a signé les textes les concernant. Seulement, on commence à ne plus être du tout d'accord avec M. Schweitzer ! Chez Renault actuellement, il est de plus en plus question de réduire le temps de travail sans embaucher. On ne peut plus être d'accord avec cela, compte tenu de ce qu'on a dit tout à l'heure sur le problème des effectifs. J'en donnerai deux exemples :

- dans le secteur qui est le mien, qui comporte des installations lourdes d'essai, qui fonctionnent sur des horaires que je qualifierais de normaux, la direction envisage des négociations sur l'aménagement du temps de travail. Elle proposerait une réduction du temps de travail avec, en compensation, un aménagement du temps de travail, c'est-à-dire la flexibilité sur l'année sans aucune embauche. On ne peut pas être d'accord sur ce point, parce que la flexibilité poussée à son paroxysme conduit à la réduction des effectifs. Nous sommes donc très inquiets de l'orientation que semble prendre la direction actuelle.

- le deuxième exemple que je voudrais vous donner concerne le temps partiel. Une négociation sur ce sujet, dont nous avons été informés par la presse, s'est ouverte et est actuellement en cours. La CFDT n'a pas de position de principe sur le temps partiel ; elle sait qu'il correspond à des besoins et que les salariés sont demandeurs de temps partiel. Mais la CFDT estime qu'un accord-cadre sur ce sujet doit avoir un impact sur l'emploi. Or, dans l'état actuel des négociations, la direction s'y oppose, que ce soit sur un site ou sur l'entreprise.

Mme Marie-Thérèse BOISSEAU : Au départ, je vous ai trouvé bien gourmand dans votre demande d'une réduction massive du temps de travail à 32 heures, soit une diminution de 15 %. J'ai cru comprendre que vous l'assortissiez d'une augmentation de 15 % des effectifs, en application de la " loi Robien ", et je ne peux que vous encourager dans ce sens. Mais les mesures d'âge au-dessus de 55 ans, les préretraites progressives, l'ARPE, etc.... Cela fait beaucoup à mener de front !

J'ai évolué au cours de la discussion, compte tenu du fait que la part salariale représente moins de 11 %. C'est donc sur une petite partie des dépenses que vous voulez influer parce que si les mesures que vous préconisez coûtent cher, elles portent sur moins de 11 % du coût d'un véhicule et que des économies peuvent être réalisées dans la conception, le réseau commercial, etc., qui me paraissent importantes. Il me semble que cela peut être une chance pour Renault, puisque si l'entreprise se heurte à des obstacles et à des handicaps, le fait d'avoir une masse salariale qui représente moins de 11 % doit vous laisser une marge de manoeuvre relativement importante dans la restructuration des effectifs, dans la baisse du temps de travail, dans l'accueil supplémentaire de jeunes. Je comprends donc mal les réticences de M. Schweitzer que nous avons entendu dans le cadre de cette mission. Suis-je trop optimiste, est-ce schématique ?

M. Emmanuel COUVREUR : Il faut préciser les choses : nous n'avons pas dit que les 32 heures permettraient de créer 30 000 emplois chez Renault...

Mme Marie-Thérèse BOISSEAU : Je n'ai pas parlé de 30 000 emplois.

M. Emmanuel COUVREUR : Je veux simplement dire que la réduction du temps de travail doit aujourd'hui permettre le maintien des emplois et que les départs anticipés, sous quelque forme que ce soit - ARPE, préretraites progressives, diverses mesures d'âge -, doivent permettre un rajeunissement des effectifs, étant donné que la pyramide des âges dans certains sites est catastrophique. Il est absolument indispensable de conjuguer les deux types de mesures.

Un dossier vous sera remis qui comporte des chiffrages établis en fonction de l'évolution de la productivité escomptée (+5 % l'an pendant huit ans) et de la durée sur laquelle se pratiquent les exonérations de charges prévues par la " loi Robien ". Même si le dispositif de cette loi est modifié, certaines mesures seront sans doute conservées et d'autres aménagements proposés. Si nous ne défendons pas particulièrement la " loi Robien ", nous défendons l'outil qu'elle représente par rapport à l'emploi et le principe consistant à créer un lien entre la réduction du temps de travail, l'exonération des charges sociales et le maintien ou la création d'emplois là où c'est possible.

Notre document comporte également des dispositifs offensifs et défensifs. Ainsi, chez Renault à Douai, où est fabriquée la Scenic, nous avons proposé d'augmenter les effectifs pour augmenter la capacité de production.

L'intérêt du dispositif " de Robien " est sa souplesse qui permet de trouver des solutions adaptées à chaque site, voire au département à l'intérieur de sites, compte tenu de la nature de l'activité et des besoins du moment. Cette souplesse doit être maintenue, mais nous estimons que la réduction du temps de travail doit mettre un terme aux plans sociaux et aux suppressions d'emplois par tranches de 3 000 jusqu'en 2000/2002 ; il faut qu'à partir de 1998, le pouvoir politique en France prenne conscience qu'il y a des alternatives possibles, conjuguant à la fois la réduction du temps de travail, la réduction de la durée du travail et un rajeunissement des effectifs. Je pense que tout le monde ici présent sera d'accord pour dire que le chômage des jeunes...

Mme Marie-Thérèse BOISSEAU : Pas seulement les jeunes...

M. Emmanuel COUVREUR : ...oui, de l'ensemble de la population... Mais le rajeunissement des effectifs est une nécessité dont dépendent la compétitivité et les performances de l'entreprise.

Mme Marie-Thérèse BOISSEAU : Encore une fois, cela devrait être relativement facile chez Renault, dans la mesure où la masse salariale ne représente que 11 % du coût du produit.

M. Emmanuel COUVREUR : Renault est obsédé par les mesures d'âge. MM. Schweitzer et Calvet sont tombés d'accord pour proposer 14 000 embauches pour 40 000 départs en mesure d'âge. Vous voyez tout de suite le différentiel !

Renault a privilégié les mesures d'âge par rapport aux mesures d'accompagnement de la réduction du temps de travail, parce qu'elles permettent de procéder à un " dégraissage " beaucoup plus important des effectifs ; elles permettent effectivement de résoudre le problème de la pyramide des âges. Mais, s'agissant de l'aménagement du temps de travail, Renault le conçoit sans réduction de la durée du travail. Ce sujet fait l'objet d'un blocage avec la direction de Renault.

Mme Marie-Thérèse BOISSEAU : Vous avez dit qu'une réduction à 35 heures ne serait pas suffisante et qu'il faut descendre massivement, presque brutalement à 32 heures, compte tenu de gains de productivité de 5 % l'an prévus sur huit ans. Mais une réduction de 15 % du temps de travail serait compensée en 3 ans ?

M. Emmanuel COUVREUR : Oui, mais en ce domaine, il faut raisonner de manière internationale et non pas uniquement en fonction du marché France-Europe. Le marché européen est un marché de renouvellement et donc stagnant. Mais Renault peut se développer ailleurs. L'exemple allemand de Volkswagen, qui pratique des horaires de 28 heures sur les principaux sites en Allemagne montre que cela n'a pas remis en question la compétitivité de l'entreprise ni son niveau d'activité ; Volkswagen fait des gains de productivité. Son internationalisation lui permet de trouver des débouchés supplémentaires. L'internationalisation est source de progrès dans la conception, dans la commercialisation, mais aussi dans la fabrication d'un certain nombre d'ensembles et de sous-ensembles pour les véhicules. Renault doit avoir une vision beaucoup plus large que celle d'aujourd'hui axée sur un marché qui est européen à 85 %.

Mme Marie-Thérèse BOISSEAU : Tout à fait d'accord.

Audition de M. Noël GOUTARD,
Président-directeur général de VALÉO

(extrait du procès-verbal de la séance du 24 septembre 1997)

Présidence de M. Daniel PAUL, Président

M. Noël GOUTARD : M. le Président, je vous remercie de me donner l'opportunité de m'exprimer, au nom de Valéo, sur des questions importantes concernant l'automobile.

Entièrement dédiés à l'automobile, nous sommes, avec un chiffre d'affaires de 33 milliards de francs, le premier équipementier français. Nous enregistrons, depuis plusieurs années, une très forte croissance, puisque notre chiffre d'affaires a triplé en 10 ans, passant de 11 milliards de francs à 33 milliards de francs.

Cette croissance est particulièrement forte à l'étranger. En effet, alors que nous étions, il y a une dizaine d'années, un groupe essentiellement français - avec 75% de notre chiffre d'affaires réalisé en France - nous réalisons, aujourd'hui, 75 % de notre chiffre d'affaires à l'étranger.

Partisans de la croissance, nos investissements sont très importants puisqu'ils représentent cette année 3 milliards de francs, soit 8 % de notre chiffre d'affaires. Ces investissements portent sur les équipements industriels et les usines nouvelles. Nous consacrons en outre 2 milliards de francs à la recherche et au développement.

Notre groupe, qui disposait, voilà quelques années, d'une faible technologie, possède actuellement une très forte technologie. Je ne prendrai qu'un exemple : alors que nos ingénieurs et nos cadres ne représentaient que 4 % de nos effectifs, ils représentent aujourd'hui 15 % du personnel de Valéo. Nous recrutons chaque année 1 000 ingénieurs, dont 700 à 800 en France.

Notre croissance moyenne annuelle est de l'ordre de 3 à 4 % en France, alors qu'elle est de 20% à l'étranger. Notre progression à l'étranger ne s'est pas cantonnée à l'Europe, bien que nous soyons devenus un gros fournisseur de l'Allemagne, qui reste pour nous un marché essentiel en termes de volume mais également sur le plan de la technologie, domaine où l'Allemagne est un leader. En effet, nous nous sommes également intéressés aux marchés américains ; le marché de l'Amérique du Nord est, avec l'Europe, le plus grand marché mondial ; nous nous devions donc d'être présents aux Etats-Unis où notre chiffre d'affaires approche le milliard de dollars et où nous employons 3 000 ou 4 000 personnes.

Par ailleurs, en octobre 1989, la chute du mur de Berlin a permis l'ouverture des pays émergents et la libéralisation générale de l'économie mondiale, ce qui nous a donné la possibilité d'investir en Amérique du Sud et en Asie.

Il s'agissait là d'un impératif, car les constructeurs automobiles - les Français, comme les Allemands, les Américains ou les Japonais - sont aujourd'hui " mondiaux ", " globaux ", et souhaitent avoir à leur disposition des fournisseurs capables de leur procurer les mêmes équipements à travers le monde. Cette mondialisation de Valéo s'imposait et était une condition absolue de sa survie.

En ce qui concerne nos activités en France, vous avez pu noter que notre croissance y était plus faible qu'à l'étranger. La première raison est simple : nous avions moins de terrain à conquérir, puisque nous étions déjà fortement établis en France.

Deuxièmement, les constructeurs automobiles français, malheureusement, n'ont pas connu la même croissance que leurs homologues allemands ou japonais.

Troisièmement, l'innovation ne se situe pas au même niveau en France qu'en Allemagne. L'Allemagne possède des constructeurs de très haut niveau tels que Mercedes et BMW, alors que les Français brillent davantage dans le secteur des gammes moyennes et à faible prix pour lesquelles ils disposent d'une très bonne technologie, ce qui est favorable à Valéo.

Quatrièmement, nous avons pu noter, s'agissant des conditions de travail, des horaires et des charges sociales, les différences qui existaient entre la France et l'étranger et qui ont été défavorables à notre pays.

Je ne parle pas des pays lointains, car il est hors de question de comparer un salaire français, qui est de 100, à un salaire polonais qui est de 15 ou à un salaire chinois qui est de 5, et nos clients constructeurs préfèrent travailler avec des fournisseurs installés sur le même continent.

Plusieurs facteurs jouent contre notre pays : la fiscalité française est l'une des plus élevées, sinon la plus élevée des pays constructeurs automobiles : les impôts sur les bénéfices s'élèvent à 41,6 %, auxquels s'ajoutent plus de 2 % de taxes diverses.

En outre, les impôts confiscatoires appliqués aux cadres et aux dirigeants font que ces derniers acceptent volontiers les postes d'expatriation que nous leur offrons à travers le monde.

Les prélèvements fiscaux sont devenus tellement confiscatoires en France que l'on peut comprendre qu'un cadre ou un ingénieur qui gagne 500 000 ou 600 000 francs considère qu'il est préférable d'aller travailler dans un pays où les prélèvements sont moins lourds. La suppression récente de la fiscalité favorable des stock options a eu un effet qui dissuade les ingénieurs ou les cadres de travailler en France.

Nous nous heurtons également aux problèmes posés par les aides apportées en France à nos concurrents. Toute société étrangère d'équipements automobiles venant s'installer en France bénéficie d'une aide à l'installation. En revanche, si Valéo souhaite construire une nouvelle usine à deux kilomètres de l'ancienne, devenue obsolète, aucune aide ne lui sera accordée. Concrètement, cela veut dire que notre concurrent direct reçoit une aide considérable à l'investissement pour ouvrir une usine nouvelle, quand, par comparaison, Valéo est pénalisée de 20 à 30 % sur ses investissements.

C'est la raison pour laquelle, si nous désirons ouvrir une nouvelle usine, nous sommes obligés de prendre en considération l'aide que nous obtiendrions en Grande-Bretagne, notamment. Au pays de Galles, non seulement nos investissements seront financés jusqu'à 50%, mais les charges seront beaucoup moins élevées qu'en France. En effet, au Royaume-Uni, les salaires représentent 66 % des salaires français et les charges sont de 15 % contre 45 % en France. De même, en Espagne, le salaire est de 76 % de celui versé en France, et les charges sont de 33 % !

Très souvent, les constructeurs automobiles français eux-mêmes s'étonnent de nous voir reconstruire une usine en France ou lieu de le faire en Grande-Bretagne ou en Espagne, car nous pourrions alors leur transférer la moitié du bénéfice résultant de cette délocalisation.

Ils sont confrontés à la concurrence internationale et doivent, par conséquent, prendre en compte leurs intérêts objectifs.

Le groupe Valéo compte aujourd'hui 102 usines à travers le monde - contre 81 l'année dernière - dont 27 en France. Nous sommes donc de réels investisseurs. Nous sommes persuadés que le développement industriel et la recherche sont la clé du développement de tout groupe. En un an, nous n'avons créé que 2 sites en France, contre 4 dans le reste de l'Europe, 8 en Asie - et bientôt 15 -, 10 en Amérique du Sud et 4 en Amérique du Nord.

C'est dire qu'il faut avoir la foi pour continuer à investir en France ! Nous ne sommes pas de mauvais citoyens, mais nous sommes confrontés à une concurrence internationale dont nous devons tenir compte.

Nous devons également prendre en considération les énormes difficultés d'adaptation dans la gestion du personnel que nous rencontrons en France. L'industrie naît, vit, se développe et meurt. Cela est vrai pour les usines comme pour les technologies. Or les adaptations sont plus faciles dans n'importe quel pays de l'Union européenne qu'en France.

En effet, les rigidités françaises sont effrayantes ! Le code du travail est complètement inintelligible puisque les inspecteurs du travail, eux-mêmes, ne s'en sortent pas. La réglementation s'accumule depuis des années et il est très difficile, par exemple, de diminuer le personnel, en raison des obstacles réglementaires mais aussi parce que les lois et les règlements, étant illisibles et inapplicables en l'état, nécessitent, le plus souvent, de recourir au juge qui devient, ainsi, un véritable arbitre. Tout cela mène au conflit ; or une société doit vivre dans l'harmonie.

L'inévitabilité du conflit social n'est qu'une vue de l'esprit. En effet, lorsqu'on nous demande le " zéro défaut ", cela commence par la collaboration pleine et entière de l'ensemble du personnel. Tout le monde est important dans une entreprise. La qualité commence avec l'individu le plus humble, le plus modeste, à savoir l'homme de service ou l'opérateur machine. L'implication totale du personnel est impossible à obtenir si, lorsqu'on désire résoudre un problème existentiel dans une unité donnée, l'application de la législation conduit au conflit. Il s'agit là d'un problème qui n'encourage pas à travailler en France.

Telle est, en quelques mots, la situation. Je suis maintenant à votre disposition pour répondre à vos questions.

M. le Rapporteur : M. le Président, je vous remercie de votre introduction. Nous attendions un discours de chef d'entreprise, nous l'avons eu, ce qui est la règle du jeu dans des auditions de ce genre.

Les chefs d'entreprise que nous recevons nous parlent mondialisation et compétition, deux réalités que personne ne peut nier. Les salariés, eux, nous parlent différemment de ces mêmes réalités.

Je voudrais vous poser trois séries de questions.

La première concerne l'emploi, bien entendu, puisque l'évolution de l'emploi dans le secteur automobile nous intéresse au premier chef.

Je souhaiterais connaître l'évolution des effectifs de Valéo en France et dans l'Union européenne. Vous avez déjà partiellement répondu à cette question en indiquant le nombre d'établissements, mais nous serions intéressés de connaître l'évolution de l'emploi par zones géographiques, et particulièrement en France.

Par ailleurs, vous avez pris publiquement une position assez tranchée en ce qui concerne la réduction de la durée du travail. Si l'on considère qu'il existe des problèmes de productivité et que l'évolution des technologies entraîne des suppressions d'emplois, il existe plusieurs façons d'envisager le problème : les constructeurs ont proposé, voilà plus d'un an, de remplacer par des jeunes toutes les personnes ayant atteint un certain âge ; une autre méthode consiste à jouer sur la réduction de la durée du travail, ce qui implique une réflexion sur le fonctionnement même de l'entreprise : est-il encore possible de mieux utiliser les équipements ?

Je souhaiterais savoir si votre position sur la réduction de la durée du travail est totalement bloquée par principe, ou si la réduction de la durée du travail peut être un élément d'une négociation sur l'évolution des effectifs dans le temps ?

Ma deuxième série de questions concerne la productivité.

La dimension européenne en termes de marque ou d'entreprise continue à révulser les constructeurs automobiles, du moins les Français. Ainsi, M. Calvet nous racontait les difficultés du mélange, ou du non-mélange, entre Peugeot et Citroën et en était encore visiblement traumatisé. Je pense que pour des équipementiers le problème est différent, la mondialisation existante étant d'ailleurs un élément de réponse.

Je souhaiterais savoir s'il existe encore, pour Valéo, un niveau européen. Est-ce une dimension pertinente du fait de la convergence des législations et de la notion de marché unique, ou raisonnez-vous uniquement au niveau mondial ?

Je souhaiterais également savoir si vous fournissez les constructeurs japonais, en Europe ou au Japon.

Ma dernière série de questions concerne l'Europe.

Vous avez pris des positions fortes concernant l'euro, d'où il ressort que, malgré vos réticences initiales, vous estimez finalement qu'il vaut mieux aller jusqu'au bout du processus et en récolter les bénéfices.

Quelle est, selon vous, l'opinion des autres patrons d'entreprise d'équipements au niveau européen ?

Par ailleurs, s'agissant de la parité de l'euro par rapport aux autres devises, êtes-vous plutôt libéral ou estimez-vous qu'à partir du moment où l'euro est une réalité, la question de son niveau est importante, malgré l'évolution de l'implantation des entreprises que vous avez abordée ?

M. Noël GOUTARD : S'agissant de l'emploi chez Valéo, voici les chiffres : en juin 1997, 35 700 personnes étaient employées à travers le monde, dont un peu plus de 17 000 en France, 11 000 dans les pays européens, notamment les pays de l'Union, et 8 000 hors Europe.

L'évolution des effectifs est importante. Je constate, tout d'abord, que nous avons créé, entre 1992 et 1996, 11 300 emplois, pour moitié par croissance interne et pour moitié par acquisition. Valéo, effectivement, n'hésite pas à acquérir des sociétés souvent en perdition - dans lesquelles nous investissons - pour les intégrer dans son groupe.

La politique de croissance du groupe est donc intéressante, puisque nous sommes passés de 20 milliards de francs de chiffre d'affaires en 1992 à 33 milliards de francs en 1997, et que nous avons fait croître l'emploi.

La croissance s'est également manifestée en France, puisque nos effectifs, de 15 500 fin 1992, atteignaient 17 300 personnes en juin 1997. Cependant, il est vrai que notre croissance en France, qui est de l'ordre de 3 ou 4 %, est plus faible que notre croissance au niveau international. Dans les autres pays d'Europe, nous sommes passés d'un effectif de 6 600 personnes à 10 800, et, hors Europe, de 4 300 personnes à 7 600. Une entreprise qui dispose d'une forte stratégie est donc une entreprise qui crée de l'emploi, à des degrés divers selon les pays.

J'ajouterai que le personnel de Valéo est de plus en plus qualifié. Nous recrutons des personnes possédant, au minimum, le baccalauréat ; nos ingénieurs et nos cadres possèdent systématiquement un niveau bac + 5. Ainsi, Valéo est devenue une société disposant d'une haute technologie et qui, par conséquent, peut offrir des produits avancés à ses clients, ce qui contribue à sa croissance.

Notre objectif est de poursuivre notre croissance de 10 à 15 % par an, alors que la croissance mondiale de l'automobile est de 1 à 2 % par an. Nous arrivons à un tel résultat, non seulement en prenant des parts de marché, mais également en développant des produits nouveaux tel que le conditionnement d'air.

S'agissant de la durée du temps de travail, vous m'avez demandé si ma position était " bloquée ". Permettez-moi de réagir au mot " bloquée ", car il ne peut pas y avoir, sur la question de l'emploi, de théorie pour un industriel; nous devons être pragmatiques. Je ne puis me permettre, s'agissant de l'emploi, d'avoir une attitude bloquée. Je ne suis donc pas inspiré par je ne sais quelle idéologie sur la question.

En revanche, je puis vous affirmer que s'il était prouvé que la réduction du temps de travail était bénéfique pour les entreprises, elles l'auraient adoptée depuis longtemps. Il ne faut pas prendre les présidents et les dirigeants d'entreprise pour des sots ; l'organisation de chaque atelier est pour eux une préoccupation fondamentale. Et si nous étions sûrs que la réduction du temps de travail à 32 ou à 20 heures était une source d'efficacité, de motivation et de réduction des coûts, nous aurions déjà recouru à ce moyen.

Lorsqu'on parle de réduction du temps de travail, plusieurs éléments doivent être pris en compte. Tout d'abord, il faut souligner que nous sommes dans un système ouvert ; or je suis toujours étonné de constater que la France se croit isolée. Nous sommes en compétition avec des pays tels que la Grande-Bretagne et la Pologne où le coût horaire du travail est moins élevé - je le disais tout à l'heure - qu'en France. Le rapport entre les coûts du travail en France et à l'étranger doit rester correct. Or, que peuvent offrir les Français pour être compétitifs ? Davantage de temps pour maintenir leur compétitivité et leur pouvoir d'achat et non pas moins de temps !

En second lieu, je disais tout à l'heure que nous recrutions de plus en plus de personnels qualifiés, dans l'éducation desquels la communauté a investi. Or, penser que ces personnes doivent travailler moins pendant une période plus courte puisque nous travaillons environ 16 000 heures contre 18 000 ou 19 000 heures pour les Britanniques, ce qui reviendrait à mettre au chômage nos " cerveaux ", est quelque chose qui me dépasse, notamment quand la concurrence est rude !

Un troisième élément doit être pris en considération : le temps est effacé par l'informatique. Tout le monde travaille partout, dans les avions, les trains... Le temps est devenu flexible, il n'est plus spatial, il n'est plus lié à une présence physique donnée. La notion d'heure est aujourd'hui irréelle par rapport à l'informatique.

En outre, nous sommes une société mondiale travaillant pour des clients mondiaux sur plusieurs fuseaux horaires. Par exemple, notre usine à Blois, qui fournit le Japon en projecteurs pour la Civic de Honda, doit pouvoir être en contact avec le Japon à tout moment.

La planète est désormais un village, ce qui exclut l'exception française en matière d'horaires. Nous sommes dans un autre monde, et il est vrai qu'il est difficile, pour un élu du peuple, d'entrer dans cette vie réelle de l'entreprise et de se rendre compte que ce débat surréaliste concernant la réduction du temps de travail n'a absolument aucune connexion avec notre réalité quotidienne.

D'ailleurs, la réduction du temps de travail n'est pas réclamée par les intéressés parce que les salariés sont extrêmement intelligents - j'ai toujours été frappé par l'intelligence de l'homme de base dans une entreprise - et savent parfaitement qu'ils sont en communication à travers le monde, qu'ils sont sur informatique et que les données et les mémoires sont disponibles tout le temps. On ne pointe plus, l'ordinateur a en mémoire tous les éléments qui permettent un accès continu, 24 heures sur 24, et toutes ces notions " Zolaesque " - ces entrées et sorties massives de l'usine avec pointage à la grille - sont complètement dépassées. Il faut donc abandonner toute idéologie sur ce sujet et considérer avec pragmatisme la réalité de la vie industrielle.

Vous m'avez demandé, M. le Rapporteur, si nous étions Européens. Nous sommes, de toute évidence, des industriels européens. J'indiquais tout à l'heure que nous possédons un nombre d'usines en Europe - 61 - tout à fait considérable. Cependant, l'automobile est une industrie totalement mondiale : sur douze constructeurs installés en Europe, quatre sont Européens : Renault, PSA, Fiat et Volkswagen, auxquels on peut ajouter deux mineurs : Mercedes et BMW. Pour le reste, ce sont Ford, GM, Toyota, Honda, Nissan, dont la participation à la production européenne représente environ 40 ou 50 % du marché. C'est extraordinairement important.

Par ailleurs, les Européens ont, encore aujourd'hui, l'avantage de concevoir les " world cars ", à savoir les véhicules mondiaux. C'est effectivement à partir de la Corsa, qui est une voiture de GM conçue et fabriquée en Allemagne, ou de la Golf de Volkswagen, que l'on fabrique des véhicules qui sont vendus à travers le monde.

Nous sommes donc, certes, Européens, mais nos clients sont mondiaux et nous ne les voyons pas du tout sous un angle européen. Nous sommes au service de l'ensemble des constructeurs automobiles mondiaux, qu'ils soient Européens, Américains ou Japonais.

Il est important de couvrir l'ensemble des constructeurs automobiles parce que nos usines ont une spécialité, je dirais même une originalité : elles sont mono-produits, multi-clients.

En effet, nous fabriquons massivement, dans une usine Valéo, un produit donné - par exemple, des alternateurs ou des démarreurs - et pour avoir le volume qui est à la base même de la compétitivité des coûts, nous proposons nos démarreurs à l'ensemble de l'industrie mondiale. C'est ainsi, par exemple, que notre usine de démarreurs, près de Lyon, est un grand fournisseur, non seulement des Français et des Européens, mais également des Américains et des Japonais.

Vous me demandez si nous travaillons avec les Japonais : bien entendu, nous n'avons pas le choix, car ils ont pris des parts de marché importantes au cours des dernières années - 11 ou 12 % du marché européen - et nous ne pouvons donc pas les ignorer.

Je voudrais cependant préciser que la réciprocité n'existe pas entre l'Europe et le Japon. Nous, Européens, nous aidons par des subventions les constructeurs japonais à s'installer - il y aurait, par exemple, un projet Toyota en France - de même que les équipementiers japonais, bien que le marché japonais nous soit totalement fermé. Nous obtenons des contrats hors Japon, mais pas au Japon. Le seul contrat que nous ayons décroché - alors que je frappe aux portes du Japon avec assiduité depuis 1987 - concerne les projecteurs de la Civic avec Honda. Le Japon reste hermétique à toute intrusion étrangère.

M. Jean-Jacques WEBER : Si Valéo vient s'installer dans le Haut-Rhin, vous aurez des aides !

M. Noël GOUTARD : Si mon concurrent japonais vient dans le Haut-Rhin, il aura certainement des aides ; en revanche si je m'installe au Japon, je n'aurai ni contrat ni aide !

M. Jean-Jacques WEBER : Peut-être, mais si vous venez dans le Haut-Rhin vous en aurez !

M. Noël GOUTARD : Non, je ne le pense pas. J'ai expliqué tout à l'heure que je n'obtiendrai aucune aide de la part de l'Etat français pour des usines que je souhaite moderniser...

S'agissant de l'euro, il est exact que j'y étais hostile en raison du contexte de l'époque : en septembre 1992, brusquement, l'Angleterre, l'Italie et l'Espagne ont dévalué ; ce sont les soi-disant " dévaluations compétitives ".

A partir du moment où il n'y avait plus de solidarité autour d'un projet monétaire commun, il était évident que cela allait provoquer des dégâts fantastiques ; je puis dire que nous avons sacrifié une génération à cela : la France est restée accrochée au mark, c'est-à-dire à la surévaluation du franc français qui a été extraordinairement pénalisante et est l'une des raisons pour lesquelles nous souffrons de maux tels que le chômage.

Je me suis rendu compte que les usines françaises de Valéo étaient concurrencées extrêmement durement par les sites italiens, anglais et espagnols qui, en raison de dévaluations de 10, 15, voire 16 points, ont bénéficié pendant des années d'un avantage de coût évident.

Cependant, il serait dommage, maintenant que l'on a sacrifié une génération et que les dégâts ont été faits, de ne pas tirer les bénéfices naturels de l'euro qui sont incontestables dès lors que tout le monde se rejoint.

Les avantages compétitifs tirés par l'Angleterre de la dévaluation de 1992 se sont effacés, puisque la livre a monté, mais cela lui a tout de même donné un répit formidable de 5 ans, dont elle a profité. Il y a 5 ou 6 ans, l'industrie anglaise était au plus bas ; aujourd'hui, elle attire beaucoup plus d'investisseurs que l'industrie française. Cela a également été le cas pour l'Italie et l'Espagne, dont les monnaies ont été récemment réalignées.

S'agissant de l'euro, j'ajouterai que l'industrie automobile est dans une période d'énorme déflation, c'est-à-dire que les prix s'érodent constamment. Aujourd'hui, la consommation de la production automobile mondiale est de 51 millions de véhicules et la capacité de production est de 70 millions de véhicules. D'ici 10 ans, le nombre de véhicules achetés chaque année sera de 65 millions et la capacité de production sera de l'ordre de 80 à 90 millions de véhicules. Cette surcapacité de production se traduit par une énorme pression sur les prix de vente des constructeurs automobiles. Or, lorsque l'euro sera établi, au 1er janvier 1999, les consommateurs pourront comparer les tarifs et on assistera à un réalignement des prix de l'automobile par le bas, d'où une déflation aggravée.

Mme Marie-Thérèse BOISSEAU : Je partage tout à fait votre point de vue en ce qui concerne l'inintelligibilité du code du travail - je suis heureuse que vous en témoigniez - et la lourdeur des charges sociales, fiscales et parafiscales ; j'y ajouterai même les charges administratives qui sont excessives aujourd'hui et qui brident nos entreprises.

La réduction du temps de travail, telle que nous l'avons proposée - pour le moment il n'existe qu'une loi sur ce sujet, la loi dite " de Robien " -, n'est qu'un prétexte à une réorganisation de l'entreprise qui est toujours nécessaire, au développement du dialogue, à un allégement des charges - puisque la contrepartie de la réduction du temps de travail est un allégement des charges sociales substantiel - et à un apport de sang neuf puisque la loi fixe pour contrepartie à la réduction du temps de travail des créations d'emplois.

Or, étant donné la prospérité de votre entreprise, cet aspect offensif de la " loi Robien " pourrait vous intéresser : la réduction du temps de travail s'accompagnant de créations d'emplois vous donnerait la possibilité d'accueillir de nouvelles personnes, plus jeunes et plus qualifiées.

Vous estimez que les bac + 5 étant un investissement considérable, il faut, afin de profiter de leurs compétences, les faire travailler à temps plein et même davantage puisque les bac + 5 font rarement 39 heures, ce que je trouve regrettable.

Cependant, en 1998, du fait sans doute d'une politique mal maîtrisée, 250 000 bac + 5 vont sortir de nos universités, alors que notre société ne peut en accueillir - approximativement - que 40 000 dans le public et autant dans le privé. Le gaspillage est donc important, puisque ces bac + 5, pour lesquels la société a énormément investi, ne se voient offrir, royalement, que le chômage. Ma conclusion est donc la suivante : réduisez le temps de travail de vos ingénieurs et de vos cadres, et embauchez des jeunes diplômés qualifiés !

En revanche, je suis tout à fait d'accord avec vous lorsque vous dites que le temps de travail ne signifie plus rien, que pour beaucoup de salariés l'unité de lieu n'existe plus et qu'il est donc de plus en plus difficile de quantifier le travail. Notre société doit s'adapter à cette réalité.

Il n'empêche qu'il existe encore un nombre élevé de salariés postés ; c'est encore une réalité. La réduction de leur temps de travail, qui permettrait d'accueillir des jeunes, n'est pas incompatible avec la rentabilité de l'entreprise. En effet, certaines personnes peuvent travailler moins, mais l'entreprise peut, quant à elle, travailler plus.

J'ai bien compris la nécessité pour Valéo d'être présente 24 heures sur 24 du fait de la mondialisation, mais cela n'est pas non plus incompatible avec la réduction de la durée du travail.

Telles sont les réflexions que je voulais faire sur le sujet, en regrettant que vous ayez fermé la porte à la réflexion sur la réduction du temps de travail qui me semble pouvoir être, non pas la solution, mais une des solutions au chômage.

M. Noël GOUTARD : Je comprends bien, Mme la députée, votre position, et l'on ne peut s'empêcher de sympathiser avec vos arguments. Qui ne connaît, parmi ses proches, des chômeurs ? C'est la raison pour laquelle nous accueillons, dans notre groupe, le maximum de stagiaires, d'étudiants ou d'universitaires. Nous sommes une véritable école de formation.

Cependant, toute formule imposée par les pouvoirs publics me pose problème, car l'Etat-patron ne donne pas l'exemple. Pourquoi l'Etat se mêlerait-il de l'organisation des entreprises, alors qu'il n'est pas capable de gérer ses propres entreprises ? L'Etat, pour moi, n'a pas valeur d'exemple.

Par ailleurs, toute solution qui augmente les charges de l'entreprise ou l'impôt me paraît risquée et même déplorable ; la France croule sous les prélèvements obligatoires.

Aujourd'hui, les règles du jeu doivent être celles de la concurrence internationale, y compris en ce qui concerne l'organisation du travail. Cela n'implique pas de revenir à Zola. D'ailleurs, lorsque nous établissons des usines en Chine, nous appliquons, s'agissant de l'organisation du travail, les principes de Valéo.

Chaque entreprise a ses obligations. Elle est constituée de multiples cellules dans lesquelles l'organisation du travail est différente. Et cet esprit français consistant à standardiser des solutions est hors de propos.

Je n'ai pas attendu la loi sur la réduction du temps de travail pour accorder à un certain nombre de personnes - notamment à l'une de mes secrétaires - un temps partiel, mais cela se fait de façon décentralisée, selon les besoins, la fonction, etc.

En outre, les ingénieurs et les cadres sont organisés en fonction d'un projet. Lorsque le projet doit être prêt à une date déterminée, l'équipe, qui peut compter 150 personnes, est susceptible de travailler jour et nuit. Comment, dans un tel cas, appliquer les 32 heures ?

Je crois que les entreprises ont parfaitement compris que la motivation du personnel, son respect et son implication quotidienne dans l'entreprise sont les clés du succès. Jamais notre entreprise n'enregistrerait ce taux de croissance si nous n'avions pas cette conviction.

Pourquoi les pouvoirs publics ont-ils cette idée maladive de vouloir intervenir dans ce processus ? D'autant que cette idée émane, soit de personnes n'ayant aucune expérience en entreprise, soit de personnes qui ont une expérience de gestion, mais qui a produit des effets désastreux.

Mme Marie-Thérèse BOISSEAU : Je suis d'accord avec vos propos à 95 %.

Cependant, dans mon esprit, il ne s'agit nullement d'Etat-patron ; il s'agit de proposer aux entreprises des règles du jeu qu'elles pourront librement adapter selon leur réalité. Je ne vois pas, là, de démarche autoritaire.

Deuxièmement, il clair qu'il ne faut ni augmenter les charges des entreprises ni augmenter l'impôt, mais dans la mesure où l'on allège les charges des entreprises, cela permet d'embaucher des chômeurs.

Enfin, lorsque vous dites que vos ingénieurs peuvent travailler jour et nuit lorsqu'il y a un projet en cours, j'en suis parfaitement consciente. Une entreprise vit avec des pics et des moments de détente, et la loi doit tenir compte de cette réalité. Ce que nous proposons, c'est justement une annualisation. Le directeur des ressources humaines de Citroën nous confiait il y a quinze jours que, pour eux, les cycles étaient, non pas d'un an mais de 18 mois. Il nous faut donc une loi qui permettrait de travailler 18 heures sur 24 lorsqu'il y a des pics, puis d'avoir des semaines, voire des mois de récupération ; toutes les formules sont possibles.

Il me semble que le principe doit être étudié, car dans mon esprit il doit permettre davantage de souplesse et d'initiative dans chaque entreprise et ne relève pas d'une démarche autoritaire.

M. Christian CABAL : Vous nous avez indiqué des chiffres intéressants sur les différences importantes des coûts horaires de production suivant les sites en Europe et, a fortiori, dans le monde.

Si j'ai bien compris ce que nous avons entendu lors des auditions précédentes, les usines d'équipementiers sont, géographiquement parlant, tributaires des usines de montage.

Je sais que vous avez spécialisé chacun de vos sites dans un mono-produit destiné à être vendu à différents constructeurs, mais êtes-vous vraiment tributaire de ce différentiel de coût à partir du moment - à moins que cela ne soit pas le cas pour vous - où vous êtes amené à vous localiser dans une région proche de l'usine de montage ? Dans un tel cas, je ne comprends pas la différence de concurrence qui peut exister en termes de coût horaire de production.

Vous avez également évoqué les différences de traitement appliquées aux investisseurs étrangers venant s'installer en France, par rapport aux investisseurs français. J'avoue très franchement ne pas comprendre, parce que je ne vois pas très bien comment la loi le permettrait.

Je ne connais pas les aides dont vous avez pu bénéficier quand vous avez ouvert votre usine de démarreurs à Lyon, mais, effectivement, si les capacités sont identiques et s'il n'y a pas de réelles créations d'emplois, je ne vois pas pourquoi les usines qui se déplaceraient bénéficieraient d'aides particulières...

En ce qui concerne les monnaies, j'admets que certaines entreprises ont subi de plein fouet les dévaluations concurrentielles de l'Italie, l'Espagne et l'Angleterre, mais c'est justement parce que l'euro n'existait pas. Le jour où nous aurons une monnaie unique, il n'y aura plus ce différentiel ; par conséquent les données seront beaucoup plus claires.

J'observe d'ailleurs que Toyota va s'implanter dans un pays où l'euro sera mis en place le 1er janvier 1999, et non pas en Angleterre. Si l'absence de monnaie commune a eu des conséquences négatives sur l'emploi, alors espérons que l'euro soit institué le plus rapidement possible...

M. Noël GOUTARD : Sur ce dernier point, M. le député, j'ai été parfaitement clair. Nous avons souffert, nous avons eu notre traversée du désert et ce n'est pas au bout de cette traversée qu'il faut changer de cap. Je n'ai jamais dit que je n'étais pas partisan de l'euro tel qu'il est prévu pour 1999. Il est tout à fait clair que s'il y avait eu l'euro, il n'y aurait pas eu ces dévaluations compétitives. Je me suis simplement permis de déplorer la période intermédiaire.

En ce qui concerne les aides à l'investissement, je vais vous donner un exemple concret : nous avons une grande usine à Reims qui fabrique des radiateurs en cuivre. Or il s'agit d'une technologie totalement dépassée, les radiateurs étant désormais en aluminium. Alors que cette usine était destinée à disparaître, nous nous sommes adressés aux autorités régionales pour leur faire part de notre volonté de construire, à 5 kilomètres du site cuivre, une nouvelle usine d'aluminium pour minimiser l'impact sur l'emploi. On nous a répondu qu'il ne s'agissait pas d'une nouveauté, et donc qu'aucune aide ne pouvait nous être accordée. Or il convient de savoir que si nous nous installions dans une autre région ou en Angleterre, nous toucherions une aide substantielle de 70 millions de francs sur un investissement total de 300 millions !

M. Christian CABAL : Je crains qu'on ne vous ait mal informé, parce que je connais une situation à peu près identique à Saint-Etienne : GFI, qui avait une unité de 200 personnes totalement vétuste, a obtenu une aide à hauteur de 25 % de l'investissement immobilier, pour construire une nouvelle unité moderne. Or il n'y avait pas de créations d'emplois, mais simplement un nouveau procédé de fabrication.

M. Noël GOUTARD : Il faut distinguer la création d'emploi et la préservation de l'emploi. Or cette dernière notion est totalement incomprise en France.

Nous avons finalement reconstruit notre usine de Reims sans obtenir d'aide, mais 100 millions de francs, sur les 400 qui auraient dû servir à cette usine, ont été investis en Grande-Bretagne.

Vous m'avez demandé si les équipementiers devaient obligatoirement s'installer près des usines d'assemblage. Cette contrainte est relative et dépend des produits. Si vous êtes un fabricant de sièges, comme Bertrand Faure, vous devez, il est vrai, être tout près du constructeur, et vous devez même avoir une usine de montage à proximité de chaque site industriel.

En revanche, les démarreurs, par exemple, sont des produits très compacts qui s'expédient très facilement à trois mille kilomètres. Il en va de même pour les conditionnements d'air de Valéo qui sont des produits massifs, assez volumineux, mais qui peuvent être expédiés de notre usine de Nogent à Volkswagen - soit 1800 kilomètres - sans problème. En Chine, nous produisons à 4 000 kilomètres de Volkswagen et nous envoyons nos produits à la fois par bateaux et par camions.

M. le Président : Je souhaiterais savoir en premier lieu si votre croissance n'est pas due à un abandon de la fabrication de fournitures de la part d'un certain nombre de constructeurs. On a effectivement pu observer une croissance des équipementiers et une perte d'emplois dans l'automobile.

En second lieu, nous savons que les constructeurs français, qu'il s'agisse de M. Schweitzer ou de M. Calvet, font fortement pression sur les équipementiers, afin qu'ils réduisent leur prix. Cela vous pose-t-il un problème ? Subissez-vous la même pression de la part de constructeurs européens, américains ou asiatiques ?

M. Noël GOUTARD : Effectivement, les constructeurs automobiles doivent absolument s'adapter à ce problème de surcapacité, qui se traduit par une lutte acharnée sur les prix de vente. Il est d'ailleurs intéressant de voir que la Golf nouvelle génération qui vient d'être présentée au salon de Francfort, pèse 150 kilogrammes de plus que le modèle de 1972 en raison d'équipements supplémentaires tels que l'ABS, les freins à disques, le conditionnement d'air, mais coûte moins cher que ce premier modèle.

Cette pression sur les prix est donc importante et va s'intensifier avec la déflation provoquée par la généralisation de l'euro.

En outre, le fait qu'il y ait douze constructeurs en Europe et l'intensification des engagements d'investissement des Japonais ou des Coréens comme Daewoo en Roumanie et en Pologne ajoutent encore à la pression sur les prix.

Cette surcapacité mondiale de 20 millions de véhicules, qui devrait atteindre 35 millions, se trouve pour un tiers en Europe.

La solution pour les constructeurs automobiles, notamment français, est de se désengager de l'équipement. En effet, les équipementiers intégrés à un constructeur n'ont comme débouchés que les véhicules de leur groupe, tandis que Valéo, équipementier non intégré à un groupe automobile, dispose d'usines mono-produits, multi-clients. Nos productions sont donc imbattables en termes de coût.

Par ailleurs, étant donné que le volume permet des chiffres d'affaires plus importants, nous pouvons consacrer des ressources à la recherche et au développement plus élevées, ce qui contribue à donner à nos usines un niveau technique supérieur à celui des usines des constructeurs. La taille critique nécessaire à la rentabilité de la production d'équipements automobiles ne peut être obtenue qu'en vendant à l'ensemble des constructeurs. Il est donc tout à fait normal qu'il y ait un transfert des constructeurs aux équipementiers.

Ces derniers font de tels efforts en termes de recherche et de développement
- ainsi Valéo dépose 500 brevets en France, chaque année - que la technicité qu'ils intègrent dans chacun des systèmes ou des composants qu'ils fabriquent est sans commune mesure avec ce que peuvent produire les constructeurs automobiles !

Par ailleurs, en se " désintégrant " de leurs activités de composants et en les transférant aux équipementiers mondiaux, les constructeurs automobiles font des économies d'échelle et il y va de leur survie.

M. le Rapporteur : M. le Président, je voudrais revenir sur deux questions qui ont déjà été abordées, à savoir la réduction de la durée du travail et le Japon.

S'agissant de la réduction de la durée du travail, nous savons que le sujet est complexe. Il convient tout d'abord de distinguer de quel type de travail l'on parle. Selon qu'il s'agit d'un ouvrier posté ou d'un ingénieur qui doit rendre son projet à une date butoir, il est clair que les incitations à travailler de façon plus flexible ne sont pas les mêmes.

Au cours de nos auditions, nous avons reçu des responsables d'entreprise qui, tout comme vous, s'en tirent très bien sans l'intervention de la puissance publique, et d'autres qui, pour la réalisation de plans sociaux ou le changement de la pyramide des âges, font appel à l'Etat.

Apparemment votre entreprise peut raisonner par rapport à sa logique propre, mais dans d'autres domaines les pouvoirs publics doivent intervenir, car s'il y a des coûts pour l'entreprise, son comportement peut également en engendrer pour la collectivité. Ainsi, selon la solution que retiendra Renault ou PSA pour régler le problème de leur pyramide des âges, il pourra en coûter 15 à 35 milliards de francs à la collectivité. Les problèmes d'organisation du travail ne sont donc pas neutres et il est tout à fait normal que la puissance publique s'en préoccupe.

Enfin, à votre argument selon lequel il faut utiliser le plus possible un bac + 5, on peut répondre que, s'il faut des bac + 7 dans 10 ans, il conviendrait peut-être de donner plus de temps libre aux bac + 5 actuels pour leur permettre de se former et obtenir un bac + 6 ou 7, qui sera utilisable par l'établissement ultra-moderne que vous construirez pour remplacer une usine vétuste...

Si le sujet est extrêmement compliqué, il me semble que l'on ne peut pas l'éviter.

En ce qui concerne le Japon, vous avez parlé de l'absence de réciprocité. Ce problème appelle deux types de réponse : soit l'on fait confiance aux règles de l'Organisation mondiale du commerce pour obtenir cette réciprocité, soit l'on essaie d'établir un rapport de force favorable pour susciter des ouvertures.

A cet égard, l'Union européenne a un rôle potentiel à jouer pour poursuivre sous de nouvelles formes l'objectif de réciprocité ; je pense que les chances d'y arriver seront plus importantes s'il y a un partenaire de poids, capable de négocier avec le Japon.

M. Noël GOUTARD : On revient toujours, en ce qui concerne la réduction de la durée du travail, aux films de Charlie Chaplin, nous montrant une longue file de personnes travaillant le long d'une chaîne et faisant des gestes répétitifs.

Or, dans notre entreprise, l'ensemble du personnel d'usine et d'atelier est organisé en petits groupes de travail qui, tous les matins, se réunissent pendant 5 minutes pour se répartir le travail selon l'objectif du jour. Il ne faut pas croire que de nos jours l'initiative est limitée au personnel en col blanc ; elle est entrée dans les ateliers et concerne également les cols bleus. En outre, cette catégorie de personnel peut également être confrontée à un problème qui nécessitera une journée de travail plus longue que d'habitude ; une certaine flexibilité du travail est donc nécessaire, à partir du moment où l'organisation moderne du travail prend en compte l'individu.

Par ailleurs, il ne faut pas oublier que la France n'est pas une île ; nous devons adopter une organisation du travail compatible avec celles de nos voisins, d'autant que nos usines dépendent de fournisseurs étrangers : nous achetons 50 % de notre valeur ajoutée à l'extérieur ; nous travaillons avec 3 000 fournisseurs en Europe. Nous devons donc harmoniser, synchroniser notre travail avec eux.

Je n'en dirai pas plus, mais sachez que j'écoute les syndicats et les partenaires avec lesquels nous travaillons pour trouver les meilleurs compromis possible pour le bien de l'entreprise.

S'agissant du Japon et de la non-réciprocité d'ouverture, je ne désespère pas de m'implanter industriellement au Japon. Cependant, nous ne comptons pas sur l'Europe pour changer la détermination du Japon ; ce pays est hermétique, peut-être s'ouvrira-t-il, mais pas tout de suite.

Mme Marie-Thérèse BOISSEAU : Je voudrais revenir sur l'euro. Vous avez conclu tristement à sa nécessité en disant que sa mise en place allait s'accompagner d'un affaissement des prix. Peut-être pourrait-on voir l'arrivée de l'euro sous un angle plus optimiste ? Je me suis laissée dire qu'un certain nombre d'entreprises étrangères seraient attirées par une zone monétaire stable, ce qui pourrait redynamiser l'industrie française. Qu'en pensez-vous ?

M. Noël GOUTARD : Il est vrai que l'euro permettra de créer un énorme espace monétaire, à l'instar de ce qui existe aux Etats-Unis, et cela présente de grands avantages.

Cependant, une meilleure harmonisation des facteurs autres que monétaires, entre Européens, est indispensable. Nous allons être confrontés à des réalités extrêmement graves, telles que les disparités économiques et sociales prévalant au sein même de l'Union européenne. Il ne faut pas croire en effet que l'euro va automatiquement aplanir les difficultés ; il va aussi amener toutes sortes de problèmes, et je ne suis pas sûr que ce sera au profit des Français.

Comment peut-on espérer obtenir une zone monétaire stable s'il existe des disparités aussi importantes sur des problèmes fondamentaux tels que l'organisation du travail, les heures travaillées ou les charges sociales et fiscales ?

Je pense qu'il se passera la même chose qu'aux Etats-Unis quand l'industrie automobile a massivement fui Detroit. La persistance de grandes disparités régionales a entraîné un transfert de l'industrie dans le Sud - particulièrement dans l'Alabama - où les coûts, fiscaux notamment, sont moins élevés et où il n'y a pas de syndicats. A Detroit le coût du travail était de 40 dollars de l'heure, alors qu'il est de 11 dollars en Alabama, et ce pour des salariés américains !

Il ne faut pas croire que l'euro va protéger les Français des réalités économiques. Il n'empêchera pas les investissements d'aller dans les zones les plus compétitives dans le domaine fiscal, social et dans celui du coût du travail.

Audition de MM. Michel FREYSSENET, Directeur de recherches au CNRS,
Directeur du Groupe d'études et de recherches permanent sur l'industrie et les salariés de l'automobile (GERPISA),
Jean-Jacques CHANARON, Directeur de recherches au CNRS,
et Robert BOYER, Directeur de recherches au CNRS,
Directeur d'études à l'Ecole des hautes études en sciences sociales

(extrait du procès-verbal de la séance du 24 septembre 1997)

Présidence de M. Daniel PAUL, Président

M. Michel FREYSSENET : Nous sommes très honorés d'être reçus par votre mission d'information ; je crois que c'est la première fois que des chercheurs sont auditionnés par une mission d'information relative à l'industrie automobile.

L'industrie automobile est confrontée, à peu près tous les 10 ans, à de grands choix stratégiques et, à chaque fois, un certain nombre d'observateurs et d'experts tombent d'accord pour préconiser une orientation privilégiée que les firmes automobiles devraient suivre pour retrouver les performances qui leur font défaut.

A la fin des années 1970, il fallait privilégier l'automatisation qui devait à la fois permettre une plus grande flexibilité de l'outil de production et résoudre la crise du travail.

A la fin des années 1980, il convenait de regarder attentivement les méthodes japonaises et si possible de les adopter pour redevenir compétitif. A l'heure actuelle, un consensus s'instaure autour de la nécessité de mondialiser les structures des firmes automobiles.

Nous avons essayé, dans notre réseau international de recherche, le GERPISA, de parvenir à une compréhension et à un diagnostic plus affinés.

Nous vous proposons deux brefs exposés successifs. Je commencerai par vous présenter les principales conclusions de notre programme international de recherche sur l'émergence de nouveaux modèles industriels qui s'est achevé il y a un an. Jean-Jacques Chanaron vous présentera les principaux enjeux de l'industrie automobile à l'heure actuelle. Robert Boyer interviendra dans la discussion.

Nous sommes parvenus, au terme de notre programme international, à deux grandes conclusions.

La première est qu'il n'existe pas de voie unique vers la performance. Les firmes automobiles ont poursuivi, et poursuivent toujours, des stratégies de profit différentes.

Seconde conclusion : la performance d'une firme dépend d'abord de la pertinence de sa stratégie de profit dans l'environnement qui est le sien et de la cohérence des moyens qu'elle emploie pour mettre en oeuvre cette stratégie.

Ces deux conditions sont indispensables pour parvenir aux résultats et performances attendus.

Dans la période qui va de 1974 à 1992, seules trois firmes automobiles généralistes dans le monde n'ont pas connu de crise financière et ont été performantes durant toute cette période.

Or ces firmes - Volkswagen, Toyota et Honda - ont suivi des stratégies de profit différentes.

Volkswagen a su adapter à un contexte de faible croissance la stratégie que nous avons appelée " de volume et de diversité ". Elle consiste à offrir une gamme relativement large de modèles, mais en faisant en sorte que les modèles aient un maximum de pièces en commun. Volkswagen y est parvenu par croissance externe.

Toyota a poursuivi une stratégie de profit que nous avons appelée " de réduction des coûts à volume constant ".

Honda a choisi la stratégie de profit " innovation et flexibilité ".

En revanche, ces trois firmes ont pour particularité commune d'appartenir à des pays qui, déjà avant 1974, étaient orientés vers l'exportation et avaient un mode de fixation des salaires basé sur la compétitivité extérieure, et non pas, comme d'autres pays, sur les gains de productivité internes réalisés.

Lorsqu'est arrivée la période des changes flottants et le premier choc pétrolier, elles n'ont pas eu à remettre fondamentalement en cause la relation salariale qui était la leur. Elles ont pu s'adapter avec plus de facilité. Leurs stratégies de profit étaient pertinentes dans ce nouvel environnement.

Elles ont eu comme seconde particularité d'avoir employé des moyens cohérents avec les stratégies qu'elles poursuivaient. Toyota est parvenu à obtenir de ses salariés de participer à la réduction des coûts à volume constant grâce à deux éléments tout à fait essentiels dans son système : d'une part, la garantie de l'emploi, d'autre part, un système de salaires et de promotions qui conduisaient les salariés à s'impliquer en permanence dans la réduction des temps standards.

Inversement, Honda, que l'on a amalgamé à tort à Toyota dans un même modèle japonais, a mis en place un système de production complètement différent, privilégiant la créativité individuelle et l'expertise, se traduisant dans un système de salaires et de promotions totalement autre.

La direction de Volkswagen et IG Metall ont su passer un accord donnant la priorité à la préservation de l'emploi.

Ces firmes, qui ont été performantes pendant toutes ces années, ont rencontré les limites de leur propre modèle industriel au début des années 1990.

Les salariés de Toyota ont refusé, en pleine période de boom de la demande au Japon, d'accroître leur nombre d'heures supplémentaires qui était déjà tout à fait considérable.

En outre, Toyota a eu de grandes difficultés à recruter de la main-d'oeuvre. Cette firme a été contrainte d'abandonner son système de salaires et de modifier son système de production.

Volkswagen a également rencontré des limites en raison, notamment, de l'envolée de ses coûts de production.

Les autres firmes, celles qui ont connu au moins une crise financière durant cette période et qui ont eu un point mort - pour certaines d'entre elles constamment en-dessous de la valeur ajoutée - n'ont pas rempli au moins une des deux conditions énoncées tout à l'heure pour être performantes.

Les firmes généralistes américaines et européennes, à l'exception de Volkswagen, appartenaient à des pays, Etats-Unis, France et Italie, qui étaient essentiellement, avant 1974, autocentrés, avec des salaires évoluant en fonction des gains de productivité internes. Leurs stratégies de profit n'étaient plus pertinentes dans le contexte né du premier choc pétrolier.

Les firmes japonaise telles que Nissan, Mitsubishi et Mazda ont connu aussi des difficultés, soit parce que leur politique de produit n'était pas adéquate avec la stratégie suivie, soit parce que leur relation salariale était contradictoire avec leur organisation productive.

Elles ont toutes rétabli leur situation financière dans la seconde moitié des années 1980, mais il est important de bien apprécier la nature de ce rétablissement.

Elles y sont parvenues par un abaissement drastique du point mort, d'autant plus efficace qu'au même moment la demande automobile, amplifiée par la bulle financière, a fortement augmenté.

Certaines de ces firmes ont profité de cette opportunité pour changer de stratégie de profit et de système productif. Mais elles ne l'ont pas fait de manière suffisamment rapide et cohérente pour résister au retournement de la conjoncture du début des années 1990.

Le tournant des années 1990 peut se caractériser par trois points.

Premièrement, les modes de croissance nationaux et les firmes qui étaient en difficulté ont changé. Inversement, comme je l'indiquais tout à l'heure, les pays et les firmes qui avaient été performantes de 1974 à 1992, ont atteint leur limite. Les écarts de compétitivité se sont réduits, en conséquence.

Deuxièmement, la demande a changé qualitativement et quantitativement. La distribution des revenus étant devenue plus inégalitaire, la demande a évolué vers une certaine polarisation au détriment de la gamme moyenne supérieure et vers une conception plus utilitaire des véhicules particuliers.

Troisièmement, de nouveaux espaces économiques et politiques ont émergé, dont certains manifestent un réel dynamisme. Le marché automobile mondial en est modifié.

C'est pourquoi nombre de firmes automobiles cherchent à réduire les coûts de production par une plus grande mise en commun des pièces entre modèles et par une restructuration de la distribution, et à s'internationaliser commercialement et productivement, ce que l'on appelle à tort la " mondialisation ".

Quelle est, dans ce contexte, la situation des firmes françaises et européennes ?

Volkswagen est en passe de réussir son pari et d'incarner, dans ce nouveau contexte, une stratégie " de volume et de diversité " très efficace.

Renault semble être face à un choix stratégique. Il hésite entre une stratégie " de volume et de diversité " classique et une stratégie " d'innovation et de flexibilité ", qui nécessitent, pour être mises en oeuvre, des moyens tout à fait différents. La contradiction entre ces deux stratégies se manifeste par les difficultés qu'éprouve Renault à répondre à la demande des modèles innovants.

En ce qui concerne PSA, le problème est de savoir si une firme de cette taille peut, face à Volkswagen, poursuivre une stratégie " de volume et de diversité " sans passer d'alliances avec d'autres constructeurs.

Fiat a fait le pari, peut-être risqué, des pays émergents.

Voilà très rapidement tracé ce qui paraît ressortir de la situation actuelle.

M. Jean-Jacques CHANARON : Je procéderai, quant à moi, un peu différemment. En préparant notre intervention, nous avons décidé de ne pas nous attarder sur l'approche globale - c'est-à-dire la vision du passé et du présent - pour nous focaliser sur un certain nombre d'enjeux ou de variables clés. Je procéderai par " flash " - le temps nous est compté - sur ce qui nous paraît mériter une certaine attention.

Les sept enjeux majeurs sont les suivants : le prix du marché, la distribution, l'internationalisation des entreprises, les alliances, la recomposition du système industriel, les externalités et les technologies. Je ne parlerai pas de ces deux derniers thèmes.

Premièrement, les prix. Il nous semble que l'une des explications de la situation présente de l'industrie automobile réside dans l'inadaptation des niveaux de prix aux réalités actuelles du marché. On constate que les bas revenus sont pratiquement exclus de l'acquisition d'un véhicule - ou doivent passer par des véhicules d'occasion très anciens - et que les catégories à revenu moyen sont, de plus en plus, obligées de faire un choix entre le logement et l'automobile.

Il en résulte deux conséquences : l'une en matière de maîtrise des coûts sur l'ensemble du système, depuis la conception jusqu'à la distribution, voire jusqu'à l'après-vente, et l'autre en matière de conception de modèles adaptés à chaque catégorie de revenu.

Deuxièmement, la distribution. Tout constructeur réfléchit à cette question qui fait l'objet d'un programme international. Cependant, la recherche est modeste sur ce sujet car les chercheurs et les industriels ont des difficultés à s'intéresser à une partie de la filière qu'ils ont longtemps négligée, alors qu'elle pèse près d'un tiers du prix final.

On s'aperçoit, au début des années 1990, que la solution, pour les prochaines années, se situe dans l'amélioration et la simplification de la distribution et dans la réduction de son coût. Cette réduction du coût de la distribution passe vraisemblablement par des actions de rationalisation dans l'organisation, par la diminution des coûts de stockage des véhicules neufs et d'occasion, ainsi que par la diversification des activités de services associés, de type crédit ou financement.

Quelles sont les évolutions amorcées dans la distribution qui doivent retenir notre attention et amplifier notre réflexion ?

Tout d'abord, la distribution dite " allégée ", à savoir la réduction du délai de livraison entre le moment de la commande et la prise en main du véhicule par le consommateur. Cela demande des réorganisations et des changements dans les pratiques de vente.

Ensuite, la réduction du nombre de points de vente. Cette tendance a commencé et on peut prévoir, dans les prochaines années, une réduction drastique du nombre d'agents ; cela touchera également les garagistes réparateurs automobiles.

Puis, le développement de groupes multiconcessionnaires et multimarques qui, d'ailleurs, est en train de s'accélérer depuis quelques mois.

Enfin, l'émergence des " hard-discounters ", c'est-à-dire des bradeurs de véhicules neufs, qui ont percé aux Etats-Unis en deux ans et qui semblent désormais s'intéresser à l'Europe, et notamment à la France.

S'agissant de la distribution, trois questions sont importantes.

La grande distribution va-t-elle se lancer ? Comment ? Quel rôle tiendra-t-elle dans la chaîne ? Servira-t-elle de points de contact avec le public - sans véhicules - mettant ses forces et sa maîtrise au service de ce nouveau défi, les Français ayant, en la matière, une longueur d'avance sur leurs concurrents, y compris sur les Américains ?

La vente électronique va-t-elle se développer ? On en parle beaucoup, car tous les constructeurs ont des sites, mais je ne suis pas sûr qu'ils aient bien compris comment vendre des véhicules par Internet ou sur système vidéo relié directement à une centrale de commande.

Enfin, dernière question : quelle sera l'implication d'un découplage constructeur/distributeur ? Quel rôle restera aux constructeurs si des géants de la distribution s'emparent d'une partie du système ? Il s'agit là d'un point de réflexion important.

Troisième grand thème, l'internationalisation. Il paraît nécessaire d'internationaliser l'ensemble de la filière. Les constructeurs s'internationalisent, vont vers des pays nouveaux ; ils emmènent avec eux les équipementiers. La distribution va également s'internationaliser ; des grands groupes, notamment anglo-saxons, vendent déjà quelque 500 000 véhicules par an. Lorsqu'on les compare avec des petits concessionnaires qui, eux, en vendent 100 ou 200, on n'est plus dans le même monde, et il est vraisemblable que des rationalisations douloureuses devront intervenir.

Quatrièmement, les alliances. Vous n'êtes pas sans savoir qu'il y a très peu de constructeurs isolés dans la toile d'araignée que l'industrie automobile a tissée depuis 25 ou 30 ans au niveau mondial. Mais des opportunités ou des nécessités de concentration existent encore.

Certains constructeurs sont quelque peu isolés dans le mouvement de globalisation et il est clair que la nécessité d'atteindre la taille critique va générer un certain nombre de rapprochements.

On peut penser que les " méga-fusions ", les absorptions, sont peu probables, d'abord parce qu'il y a peu de bonnes affaires disponibles, ensuite, parce que cela représenterait un investissement énorme ; je ne suis pas sûr que même Toyota dispose des moyens financiers pour se lancer dans une OPA hostile.

S'agissant des alliances ponctuelles, elles sont déjà nombreuses et variées et pourraient sans doute se multiplier, soit sur des niches - c'est-à-dire des parties de la gamme qu'il vaut mieux partager - soit sur des composants, pratique que l'on connaît bien chez Peugeot et Renault, qui ne sont pas nouvelles et dont on reparle aujourd'hui avec intérêt.

M. Goutard a dû vous entretenir du mouvement de concentration dans le domaine des équipements automobiles, qui s'est accéléré depuis deux ans ; il n'y aura bientôt plus de secteur où seront présefnts plus de trois ou quatre acteurs majeurs, au niveau européen, voire mondial.

Le scénario le plus probable est celui d'alliances entre partenaires de taille relativement identique et à structures complémentaires, selon un axe qui privilégierait la variété de la gamme et le niveau de l'internationalisation. Je veux dire par là que les groupes qui auraient besoin de s'allier pour s'internationaliser devront le faire avec des groupes qui sont présents dans des pays où ils ne sont pas eux-mêmes présents ou sur des niveaux de gamme ou des segments de gamme où ils sont plutôt faibles.

Enfin, cinquième thème, la recomposition du système industriel.

Il s'agit là d'un thème qui nous est cher. On a longtemps considéré que l'industrie automobile était symbolisée par les constructeurs ; or, le poids de ces derniers dans l'ensemble de la chaîne représente aujourd'hui une part minoritaire, que vous le mesuriez en valeur ajoutée ou en emplois.

Par ailleurs, les interdépendances prévalant entre les différents éléments de la chaîne se sont renforcées. On sous-traite aujourd'hui de plus en plus d'éléments - je pense en particulier aux pièces plastiques - favorisant ainsi l'émergence de pôles et entraînant une perte de compétences pour les constructeurs.

Il y a donc créations d'emplois d'un côté et pertes d'emplois de l'autre ; mais un certain nombre de secteurs acquièrent une autonomie technologique et deviennent indispensables.

Nous avons beaucoup travaillé au niveau national et international - et même au niveau régional - sur ces effets de chaîne de valeur. Ce qui nous paraît très important, c'est que l'on ne peut plus parler de l'industrie automobile sans avoir un raisonnement systémique à deux niveaux. D'une part, au niveau géographique : on ne peut plus raisonner France sans raisonner Europe, on ne peut plus raisonner Europe sans raisonner Monde, ne serait-ce que parce que les systèmes de concurrence jouent sur des marchés qui ne sont plus nationaux, ou très peu, et que la globalisation fait que tout constructeur, tout équipementier - je dirai même toute PME -, se doit de replacer sa stratégie dans un contexte qui ressemble un peu au système des poupées russes : France, Europe, Monde - que l'on pourrait subdiviser en d'autres régions.

Le second niveau est celui des acteurs : les constructeurs sont tenus, comme les autres, de prendre en compte les stratégies des fournisseurs, du système aval, c'est-à-dire le commerce et la réparation automobile, ainsi que des consommateurs utilisateurs.

Il est clair que du fait de cette diversité de situations géographiques ou de positionnement dans le système, il n'y a pas de solution unique et il n'y aura pas d'évolution monolithique.

M. le Rapporteur : C'est effectivement la première fois que des chercheurs participent à une audition de ce genre, et cela résulte d'une volonté délibérée de la mission de sortir du cadre traditionnel en la matière.

Michel Freyssenet a eu une phrase sur la demande et l'évolution des inégalités sur laquelle je souhaiterais obtenir plus de détails. Dans la crise actuelle de l'automobile, il y a d'un côté la dimension " demande " - on parle de marchés saturés - et de l'autre côté, j'ai relevé l'expression " voitures populaires ". Il y a donc peut-être des produits qui, tout en restant dans le cadre de l'industrie automobile - je raisonne là pour les prochaines années -, nous écarteraient des sentiers battus.

Ma deuxième question s'adresse plus spécifiquement à Robert Boyer : allons-nous vers une organisation mondiale du travail ? D'après les exposés liminaires, il semble que la réponse soit négative, mais nous venons d'entendre un équipementier "globalisé" qui, lui, considère que l'on travaille partout de la même façon, que ce soit en Chine ou en région parisienne.

Troisièmement, que voulez-vous dire exactement, M. Chanaron, lorsque vous parlez de rapprochement entre groupes complémentaires ? Cette formule me laisse un peu perplexe, car on entend dire que l'on a deux groupes généralistes qui fabriquent effectivement quelques boites de vitesse ou diverses pièces ensemble, mais dont la complémentarité est loin d'être évidente.

M. Calvet nous a parlé du rapprochement entre Citroën et Peugeot et visiblement il ne s'en est pas remis ! Que veut donc dire le mot " complémentaire ", non pas théoriquement, mais appliqué dans le cas de deux groupes français.

Quatrième question : j'ai de plus en plus l'impression que les équipementiers, qui jouent un rôle de plus en plus important en termes de valeur ajoutée et de progrès techniques, font désormais la loi et sont les leaders. Qu'en pensez-vous ?

M. Michel FREYSSENET : En ce qui concerne la demande, on est en Europe depuis une quinzaine d'années dans un marché en renouvellement de 10-12 millions de véhicules.

Depuis le début des années 1990, on note une croissance de la gamme moyenne inférieure et du bas de gamme au détriment de la gamme moyenne supérieure, alors que le haut de gamme et certains véhicules de niche se développent. On a donc une sorte d'amorce de polarisation, qui tranche avec la structure antérieure du marché caractérisée par une relative hiérarchisation de la demande.

L'autre caractéristique majeure, très importante aujourd'hui en Amérique du Nord et tendant à se développer au Japon d'abord puis en Europe, est l'apparition d'un nouveau type de véhicule qui dispose de caractères à la fois utilitaires et récréatifs. Ces véhicules ont constitué une opportunité importante pour un certain nombre de firmes qui ont su anticiper ce type de demande. Chrysler a pu sortir de la situation difficile dans laquelle il se trouvait et adopter, depuis, une stratégie consistant à lancer régulièrement des véhicules innovants.

Cela a également été, on l'a vu, la stratégie de Honda. On peut se demander si Renault ne pourrait pas être à l'Europe ce que Chrysler est aux Etats-Unis et Honda au Japon. Il y a là une place à prendre qu'aucun constructeur européen n'occupe à l'heure actuelle ; de plus, cette stratégie, qui est viable à l'échelle européenne, ne nécessite pas forcément une vaste internationalisation.

M. Robert BOYER : Je prolongerai la réponse de Michel Freyssenet.

Il existe des relations subtiles entre le devenir de l'industrie automobile et la hiérarchie des revenus. Le modèle sloaniste supposait une hiérarchie parfaitement stable, prévisible : chaque fois qu'un salarié était nommé à un poste supérieur, il achetait un modèle de la gamme supérieure.

La polarisation du marché automobile, surtout aux Etats-Unis, résulte du fait qu'émergent de nouveaux pauvres qui doivent également se transporter. Bien sûr, il y a les véhicules d'occasion, mais cela laisse tout de même une niche complète à des véhicules de très bas de gamme.

Symétriquement, les nouvelles classes moyennes aspirent à des véhicules de plus en plus différenciés, ce qui offre un avantage énorme à ceux qui parviennent à créer un nouveau concept de véhicule.

Par ailleurs, les constructeurs tels que Mercedes ou BMW satisfont toujours une demande de différenciation très marquée, ce qui fait qu'ils ont été extrêmement prospères dans la période.

Les relations sont donc particulièrement subtiles. Or, j'ai l'impression que les firmes européennes et françaises tablaient sur une stabilité des revenus ; du coup, il y a danger : si l'Europe empruntait la voie américaine, la déstabilisation serait générale et affecterait même le modèle de Volkswagen.

S'agissant de la mondialisation, c'est le rôle des chercheurs de se méfier des concepts à la mode.

A ma grande surprise, on s'aperçoit que les relations intra-zones se sont densifiées aussi bien pour l'automobile que pour les composants, et qu'il y a des perdants et des gagnants. En Europe, les perdants sont le Royaume-Uni, malgré la présence des Japonais, l'Italie et la France, les gagnants étant l'Allemagne et l'Espagne.

Ne nous trompons pas de domaine : l'industrie automobile se redéploie en Europe, et là les pouvoirs politiques ont un rôle à jouer.

En ce qui concerne l'organisation du travail, les méthodes japonaises se sont-elle diffusées dans le monde entier ? Sommes-nous tous Japonais ?

Derrière le même nominalisme, derrière les mêmes machines, se cachent des procédures de mobilisation de la main-d'oeuvre qui vont générer des niveaux de productivité de 1 à 2, avec à peu près les mêmes équipements. Les relations professionnelles et les salaires et la couverture sociale demeurent très ancrés dans l'espace national.

Bien sûr, pour les hauts cadres, la gestion est intégrée, mais les firmes exploitent non seulement les opportunités de bas salaires, mais aussi les idiosyncrasies locales. Ainsi, les salariés espagnols étaient bien formés et, dans les années 1970 et 1980, ils ont aidé Renault dans sa recherche de flexibilité.

Notre vision de la mondialisation est donc la suivante : les firmes multinationales vont " pianoter " sur les différences nationales - de crédit, de fiscalité, de droit et de relations professionnelles - pour mieux valoriser leurs modèles productifs... et leurs modèles automobiles.

De ce fait, méfions-nous de la mondialisation pour deux raisons. La première c'est que l'hétérogénéité des espaces persistera - il faut souhaiter que les salaires de Toyota ne convergent pas vers les salaires chinois, ce qu'impliquerait la dynamique de la mondialisation - et réciproquement, faisons très attention aux redéploiements à l'intérieur des trois zones de la triade.

Dans tous les scénarios, les firmes sont face à une difficulté bien plus grande que dans les cas précédents. Après la seconde guerre mondiale, il était évident que l'on allait vers l'américanisation des méthodes de production ; les objectifs étaient clairs. Aujourd'hui, les firmes doivent décider d'une pluralité de modèles dans un contexte international où elles maîtrisent mal le rapport du yen avec l'euro, où elles anticipent mal les données de l'environnement économique et, surtout, où elles ont à faire le pari de l'ouverture à travers l'Organisation mondiale du commerce et l'abaissement des barrières. Imaginez que les zones évoluent indépendamment les unes des autres : les stratégies pourraient être prises en complet porte-à-faux.

Voilà pourquoi les scénarios sont si multiples. Chacune des firmes va essayer de trouver un espace favorable à sa stratégie de profit, alors que les règles du jeu international sont encore très incertaines. Il existe une politique européenne, une politique américaine. Mais que se passera-t-il en Asie ? Tout cela renouvelle complètement la dynamique des divers scénarios.

Les paris qui, aujourd'hui, paraissent extraordinairement astucieux, peuvent se révéler dans un autre contexte des erreurs abyssales !

Ne faisons pas l'histoire en regardant dans le rétroviseur ; je pense que ceux qui rêvent encore du modèle Toyota se trompent.

Dernier point : la première hypothèse futuriste est celle de la conception modulaire. On rationalise tellement aujourd'hui que l'innovation technique appartient aux équipementiers. Nous sommes frappés par la remontée de Nippondenso qui, en quelques années, maîtrise plus de technologie que Toyota et fournit les autres constructeurs, ce qui change complètement la dynamique du secteur. On pourrait, de ce fait, imaginer que le constructeur ne soit plus qu'un hall d'assemblage, la commercialisation et l'innovation technique étant laissées à d'autres.

Les véritables questions de ce scénario sont les suivantes. Qui contrôle ? Qui pilote le processus ? Qui engrange le surplus ? Comment les salariés vont-ils travailler avec quatre ou cinq employeurs dans la même usine ?

Le second modèle futuriste, qui est envisageable pour la fin du XXIe siècle, est le suivant : imaginons que l'on doive encore attirer des jeunes générations dans un système industriel productif dominé par un modèle d'intelligence du travail ; peut-on rendre le montage de l'automobile aussi amusant que l'usage pour le jeu de son ordinateur ou la réalisation d'un puzzle ? Ce serait l'idéal des sociétés sociales-démocrates dans un XXIe siècle finissant où l'on aurait enfin résolu, surtout en Europe, le problème du chômage.

M. Jean-Jacques CHANARON : Je répondrai, quant à moi, aux deux autres questions, concernant la complémentarité de gammes, d'une part, et l'internationalisation, d'autre part.

Premièrement, la complémentarité. Il est clair que si l'on décide de marier Peugeot et Renault, on passe à côté des deux critères que j'ai énoncés, car s'ils sont relativement complémentaires en gammes, ils sont également concurrents. En outre, en matière d'internationalisation, ils ne gagneraient rien, puisqu'ils sont présents sur les mêmes zones.

Des alliances sont étudiées - leurs dirigeants que vous avez reçus ont dû, sans trahir de secret d'Etat, vous le dire - mais cela prend du temps et met en jeu des sommes considérables et des relations de pouvoir. Qui va commander dans l'alliance ? Eternel problème.

Je n'ai pas amené les graphiques que nous avons produits, mais imaginez un premier graphique représentant le niveau d'internationalisation mesuré par le pourcentage des productions envoyées en dehors d'Europe, et, sur un second, la diversité mesurée par le nombre de plates-formes et le nombre de modèles ; on s'aperçoit que les mariages ne sont possibles qu'avec des étrangers se situant hors zones européennes.

En effet, pour que les Français soient présents en Asie ou en Amérique du Nord - qui sont les deux grandes zones où la présence des constructeurs français est assez faible - il convient d'envisager des mariages du type Renault-Honda.

S'agissant du renversement du " leadership industriel ", il est très difficile de faire de la prospective. Ce qui est certain, c'est que les constructeurs vont tout faire pour ne pas le perdre. Ils sont encore les architectes ; quand bien même ils transféreraient la conception ou l'innovation technologique aux équipementiers, ils resteraient les maîtres de l'image, les détenteurs de la marque.

Au sein de cette évolution - plus de poids pour les fournisseurs en amont et plus de poids pour la distribution - les constructeurs vont-ils rester les architectes ? Je pense que c'est le scénario le plus probable.

Toutefois, l'affrontement aura lieu et ira même en s'accroissant.

M. Philippe DURON : Vous évoquez les alliances possibles pour les constructeurs français et vous suggérez des alliances avec des constructeurs asiatiques, mais on a vu que ce type d'alliances avaient déjà existé entre des constructeurs américains et japonais au début des années 1980. Ces alliances sont toujours restées peu intégrées et elles ont même déçu un certain nombre des partenaires.

On imagine mal ce type d'alliances allant jusqu'à la fusion des entreprises. Comment les concevez-vous en termes de contrat ? Sont-elles liées à la conception de produits, au partage des marchés ou à la complémentarité des gammes ?

M. Jean-Jacques CHANARON : Sans doute l'expérience des fusions antérieures et celle citée par le rapporteur - je veux parler de Peugeot et Citroën - sont de bons exemples ; c'est une question d'apprentissage. Il ne faut pas, en la matière, accélérer le mouvement au-delà du raisonnable.

On l'a vu avec Renault et Volvo qui, pourtant, avaient collaboré pendant plusieurs années à rassembler les acheteurs, les designers, les manufacturiers, pour qu'ils apprennent à travailler ensemble ; or ce fut tout de même un échec.

Si l'on veut qu'une alliance aille plus loin, cela ne doit pas se faire par une fusion financière. Il convient de l'envisager sur du long terme avec des accords commerciaux, des partages de plates-formes et de niches, des échanges d'organes, bref, d'une manière strictement complémentaire et globale.

L'exemple Peugeot-Renault, c'était de l'économie d'échelle bien vue correspondant à un modèle très viable dans les années 1970. Aujourd'hui, il faudrait aller plus loin, avec des accords-cadres et une vision à long terme qui dépasse la simple conception d'un moteur commun.

A cette époque, la théorie économique elle-même était mal armée pour comprendre comment signer des accords de " joint venture " et les faire évoluer dans le temps.

Il est normal qu'une alliance entre deux constructeurs qui sont en concurrence sur les mêmes produits et les mêmes territoires frôle le divorce à plusieurs occasions. En revanche, je pense que si les deux firmes sont complémentaires, les frictions seront moindres.

M. Michel FREYSSENET : Je voudrais revenir sur les constructeurs américains.

La firme GM s'est associée à Toyota en créant une filiale commune simplement " pour voir ". Elle n'avait pas l'intention d'aller plus loin. Elle n'en a pas tiré, semble-t-il, de grands enseignements. En revanche, Toyota a compris qu'elle pouvait s'implanter seule aux Etats-Unis, adapter son système et le rendre performant.

Le cas de Ford est un peu différent. Cette firme a, depuis très longtemps, une participation dans Mazda. Elle tente désespérément de faire entrer ce constructeur japonais dans sa stratégie mondiale en essayant de le cantonner dans le bas de gamme - l'Europe étant spécialisée dans les gammes moyennes et les Etats-Unis dans les grandes voitures et les véhicules semi-utilitaires.

Chrysler s'est formidablement rétabli en adoptant une stratégie purement régionale et sans s'allier à d'autres.

En Europe, Volkswagen a réussi parfaitement ses absorptions. Cette entreprise a adopté une stratégie classiquement sloanienne de volume et de diversité dans un marché de renouvellement en recourant à la croissance externe.

Les difficultés de Peugeot d'absorption et d'harmonisation avec Citroën et Simca ont eu pour origine la stratégie de profit différente suivie par Citroën et la situation de Simca plus catastrophique que prévu. Citroën a du accepter la " commonalisation " des plates-formes de ses modèles avec ceux de Peugeot, et renoncer à sa stratégie antérieure d'innovation et de flexibilité.

Il est extrêmement difficile, à l'intérieur d'une même firme, de faire cohabiter deux stratégies. Mais cela était-il possible à l'intérieur d'un même groupe industriel ? Nous n'avons pas, à ce jour, d'exemple.

Pour adopter la stratégie " innovation flexibilité ", une grande indépendance financière est nécessaire, la prise de risques étant très importante. Honda a réussi à l'avoir. Contrairement aux autres firmes japonaises, Honda n'appartient pas à un groupe industriel ou bancaire et n'a pas constitué un réseau de fournisseurs dont il serait de fait plus ou moins dépendant. Honda a l'intelligence d'utiliser les fournisseurs des deux autres grands constructeurs japonais, Toyota et Nissan, ce qui lui permet de ne pas être lié à ses fournisseurs.

Toute une série de conditions à remplir est donc nécessaire pour mener à bien une telle stratégie, et l'on voit bien combien il est difficile - peut-être impossible - de faire cohabiter deux stratégies au sein d'un même groupe industriel.

M. Jean-Jacques CHANARON : Je souhaiterais faire une remarque complémentaire à propos des petites et moyennes entreprises.

On sous-estime beaucoup, me semble-t-il, le poids des entreprises de taille moyenne, dans l'ensemble du système, aussi bien en amont qu'en aval. M. Goutard a raison d'affirmer que la globalisation est incontournable pour les grands équipementiers ; mais combien sont-ils ? Une petite dizaine si l'on ne parle que du tissu français !

J'ai mené, il y a deux ans, à la demande du conseil régional Rhône-Alpes, une étude au cours de laquelle j'ai réalisé l'importance du nombre des petites entreprises - des centaines - dont le chiffre d'affaires dépendait, pour plus de 50 %, de l'industrie automobile. Je ne parle pas des garagistes-réparateurs, mais uniquement des fournisseurs en amont, de premier, deuxième, voire troisième rang.

On a longtemps négligé, à tort, ces petites entreprises ; on les connaît mal. Et je ne vous parle pas des autres pays ! En France, quelques études sont réalisées par les conseils régionaux, mais j'ai rarement vu d'études lancées par les Länder allemands.

Je tenais à faire cette remarque, car je ne suis pas sûr que les grands PDG vous en parleront.

M. le Président : M. Freyssenet, lorsque vous avez parlé des quatre constructeurs automobiles n'ayant pas connu de crise dans la période allant de 1974 à 1992, vous avez dit qu'au Japon, les constructeurs, notamment Toyota, n'avaient pas subi les différences monétaires, parce qu'ils avaient compensé par la masse salariale. Ai-je bien compris ?

M. Robert BOYER : Ce que l'on veut dire, c'est que l'industrie automobile survit et est compétitive à travers deux processus différents. Le premier, c'est la compétitivité propre de la firme, qui est essentielle. Cependant, il finit toujours par exister un taux de change qui arrive à annihiler la meilleure compétitivité ; c'est ce qui a failli arriver à l'Allemagne. Il existe toujours un taux de change du deutschmark, du yen ou du dollar auquel même la compensation par la qualité et le service ne peut empêcher que la firme arrive à ses limites et soit concurrencée.

En revanche - et il s'agit là d'un aspect très original -, dans toutes les entreprises florissantes, les salaires étaient articulés, de longue date, avec la compétitivité.

Par exemple, lorsque la demande se détériore au Japon, les salariés ont l'habitude d'ajuster leurs salaires par rapport à la productivité ; cela est automatique. Pour nous, dans les années 1970-1980, ce fut douloureux. Au Japon, cela va de soi : lorsque l'entreprise n'est pas compétitive, les salaires sont immédiatement ajustés. Il y a un mécanisme correcteur qui existe rarement ailleurs.

Ce mécanisme correcteur existe également pour la durée du travail : lorsque les commandes baissent, les heures ouvrées et les heures supplémentaires sont ajustées.

Comme tous les constructeurs automobiles, les Japonais dépendent du marché international, mais ils disposent de tous les instruments qui leur permettent de répondre à ses fluctuations. En France, on a " bricolé " les relations du travail - qui ne sont pas, de ce fait, stabilisées - et les firmes ne savent pas sur quel pied danser.

Or, dans le nouveau contexte qui se profile avec l'euro, il conviendra de tenir compte des prix relatifs et des salaires. Dans ce domaine, les constructeurs français sont assez en retard et tiennent leur coût surtout à travers la menace du chômage ; mais ce n'est pas de bonne guerre ni pour la qualité ni pour la compétitivité hors prix.

En résumé, la compétitivité est composée des éléments institutionnels de la zone dans laquelle la firme évolue et de la façon dont elle les articule pour répondre aux variations du marché. Le secret de la réussite du groupe VAG réside dans sa capacité à renégocier les accords salariaux et organisationnels lorsqu'il devient moins compétitif.

M. le Président : Il est donc clair que pour être compétitif, il convient d'avoir une plus grande flexibilité des horaires, des salaires etc., notamment dans un contexte de compétition mondiale et de mise en place d'une monnaie européenne unique. Sinon les groupes français disparaîtront...

M. le Rapporteur : Je voudrais revenir sur la question que je vous ai posée tout à l'heure
- et d'ailleurs votre début de réponse m'a rassuré - concernant la mondialisation du travail.

Tous les responsables d'entreprises que l'on a auditionnés jusqu'à présent, et qui ont des problèmes de flexibilité, de sureffectifs ou de pyramides des âges, viennent nous voir avec leurs difficultés, mais également avec leurs solutions - du type de celles qui avaient été envisagées par les constructeurs il y a quelques mois, et consistant à se débarrasser des personnes au-delà d'un certain âge pour les remplacer par des plus jeunes. Ils ont une idée précise du partage du travail selon leur logique propre, mais si on leur parle de la réduction de la durée du travail, ils réagissent tous de la même façon en affirmant que cela est impossible, car chaque entreprise doit faire face à des problèmes différents.

En général, on arrive à dépasser l'idée, que se font beaucoup de ces chefs d'entreprise, selon laquelle un gouvernement va proposer, pour le lundi suivant, une réduction sensible de la durée hebdomadaire du travail. Cependant, même une fois passé ce cap, la réponse est toujours la même: si cela marchait, on l'aurait déjà fait.

Quel est votre avis sur la réduction de la durée du travail ? Est-elle jouable ? Quels obstacles y voyez-vous dans le milieu automobile ? J'ai l'impression, après quelques semaines de dialogue, qu'il va être difficile de s'organiser à ce sujet.

M. Robert BOYER : Prenons l'exemple de Toyota.

Avant 1990, les salariés de Toyota étaient asservis dans leur temps de travail à l'impératif de livraison ; l'ouvrier pouvait apprendre, en arrivant le matin, qu'il ferait deux heures supplémentaires ou plus, le soir même. Actuellement, ce n'est plus le cas : il est interdit de faire plus d'une demi-heure supplémentaire.

Le modèle selon lequel le temps de travail serait totalement flexible, conformément aux desiderata des entrepreneurs, est un peu dépassé même dans le pays du Soleil levant.

La difficulté, dans la réduction du temps du travail, est de trouver un accord mutuellement avantageux.

Mon argument-clé - mais je n'arrive jamais à convaincre qui que ce soit ! - est le suivant : pour faire de bonnes réformes structurelles, il faut profiter des périodes de forte croissance. Si l'on réforme en période de croissance, les salariés ne verront que peu de différence, mais le compromis sera acquis et pourra jouer en période de " vaches maigres ".

Aujourd'hui, on a besoin de réduire le temps de travail pour lutter contre le chômage, mais c'est trop tard, on aurait dû le faire au moment du contre-choc pétrolier. A ce moment-là, une grande réforme des relations professionnelles aurait complètement changé les données. Les grandes réformes doivent être négociées avant que les problèmes arrivent.

Négocier parce que l'on est tenu par des échéances n'aboutit qu'à des accords mal taillés, non opérationnels, et dans lesquels aucune des parties ne trouve son intérêt. Par ailleurs, en France, où les rapports avec les partenaires sociaux sont tendus, il va être très difficile de trouver un accord dans le temps requis par l'intégration européenne.

M. le Rapporteur : Avez-vous des prévisions s'agissant de la croissance des trois prochaines années ?

M. Robert BOYER : Je vous surprendrai certainement, mais tout dépend de l'euro, dont le destin est encore incertain. Pour le rendre crédible, la Banque centrale européenne devra être plus royaliste que la Bundesbank.

Si l'on arrive à créer la même euphorie qu'avait créée M. Delors avec l'Acte unique, tout ira bien. Toutefois, je crains que les impératifs de courte période priment. Après l'établissement de l'euro, une nouvelle ère s'ouvrira, mais cela se fera sous l'observation des marchés et j'ai peur que l'on perde en croissance.

Dernier point : les deux constructeurs français sont très peu internationalisés. Or, même s'ils tentent de s'implanter à l'étranger, ils seront toujours victimes de la conjoncture et de la demande européennes, et les effets de l'internationalisation seront extrêmement mitigés ; l'intégration lèvera une incertitude politique qui pèse dans beaucoup de décisions, mais nous fera entrer dans une nouvelle ère qui laisse incertaine la règle de conduite de la Banque centrale européenne et plus encore l'adaptation des politiques nationales.

La théorie économique la plus moderne nous dit qu'il est indispensable d'instaurer la crédibilité de l'euro, et pour cela il faudra faire, au niveau européen, le difficile chemin qu'a parcouru la France depuis 1984. Or l'Europe n'a pas besoin de cela, et les impératifs de courte période ne doivent pas dissimuler l'urgence de la remontée technologique de l'Europe.

Lorsque la conjoncture n'est pas favorable, l'effort de recherche et développement se ralentit, on va voir ailleurs, les salariés se démoralisent, de jeunes diplômés restent sur le carreau et le pays perd structurellement en compétitivité.

C'est la raison pour laquelle un coup d'accélérateur des politiques technologiques intégrant l'espace européen serait un magnifique antidote à l'euro qui homogénéise les conditions de la concurrence, mais qui n'a pas nécessairement les effets de stimulation et d'innovation que l'on pourrait souhaiter.

M. Jean-Jacques CHANARON : L'industrie européenne dispose de quelques atouts en matière technologique, mais, en ce moment, elle ne les joue pas.

Chacun joue dans son coin sa partition et malgré tous les discours sur les alliances en matière de recherche et de développement, on passe davantage de temps à se surveiller qu'à chercher une solution commune aux problèmes d'environnement, de sécurité, de prix, etc.

M. le Président : Vous avez tout à fait raison. Il est bien dans la mentalité française - et même européenne - de ne pas vouloir mettre en commun les éléments qui nous permettraient d'être une grande force. Il y a un conservatisme dans ce domaine qui n'est plus acceptable.

M. Jean-Jacques CHANARON : Il y a également un problème d'analyse. Que se passe-t-il depuis deux ou trois ans dans le rapport des consommateurs avec leur véhicule ? Est-ce simplement la saturation ou bien plus que cela ? Y a-t-il un changement dans leur rapport à la propriété ?

M. le Président : Il y a aussi l'amélioration de la qualité.

M. le Rapporteur : Qui va occuper le marché couvrant l'Europe centrale, l'Europe orientale et l'ex-Union soviétique ? Les Japonais, les Coréens ou les Européens ? Il s'agit là d'une question ouverte.

Audition d'une délégation du syndicat CFDT
des personnels de PSA Peugeot Citroën composée de
MM. Vincent BOTTAZI, Délégué syndical central Peugeot,
Didier DUMONTIER, Délégué syndical central Citroën,
Jean-Paul EVEN, Délégué syndical Peugeot-Sochaux,
Membre du comité de groupe européen,
et François MERMET, Délégué syndical central ECIA,
Membre du comité de groupe européen

(extrait du procès-verbal de la séance du 7 octobre 1997)

Présidence de M. Daniel PAUL, Président

M. Vincent BOTTAZI : Je travaille au centre de production de Mulhouse, où est construite la Peugeot 106.

Nous remercions la mission de nous avoir invités. On imagine bien que ses travaux s'inscrivent dans la continuité des travaux de la commission d'enquête menés en 1992, de ceux du Commissariat général du plan, du groupe de sociologie industrielle, éventuellement du récent " rapport Cabaret ", sur lequel nous n'avons pas eu grand-chose à dire, puisque nous n'en avons pas même eu connaissance ! Merci d'autant plus de nous inviter aujourd'hui !

Pourquoi revenir si rapidement sur ce qui a déjà été écrit - et largement écrit ? Nous allons essayer de mettre en exergue les éléments qui nous semblent avoir évolué, de les comparer au constat établi par le rapport, sans pour autant avoir la prétention de tout maîtriser, loin de là !

Quatre évolutions nous semblent devoir être prises en compte.

Tout d'abord, le marché et la situation de l'automobile en général : nous constatons que sont intervenues une extension et une mondialisation du marché. L'Europe est devenue un lieu de concurrence toujours plus dur. On assiste à l'émergence de marchés plus porteurs en Asie et en Amérique latine, sur lesquels le groupe PSA connaît quelques difficultés, ce qui n'est pas sans expliquer sa situation actuelle. La guerre des prix en Europe est engagée par l'ensemble des constructeurs mondiaux, et l'Europe reste le terrain de prédilection de la guerre économique.

Face à cette situation, PSA compte des atouts et des handicaps.

Les atouts se mesurent en termes de marque, de gammes de véhicules unanimement reconnus pour leur qualité. Nous pensons que cette qualité a progressé après 1992, c'est-à-dire après la rédaction du rapport parlementaire qui évoquait à différentes reprises ce sujet. Aujourd'hui, tout le monde reconnaît qu'une 406 est une voiture d'une très grande qualité sur le plan de la fiabilité, des équipements, des choix, de la conception.

Par ailleurs, nos atouts résident dans notre capacité globale à concevoir et à réaliser des véhicules. La situation du groupe est relativement saine, l'autofinancement assuré. Les fonds propres de l'entreprise sont importants. C'est ce qu'on lit et ce qu'on entend dans les comités centraux d'entreprise.

Ces quelques éléments évoqués rapidement représentent des atouts qui illustrent la politique menée pendant quinze ans, une politique privilégiant les marges financières sur les volumes.

J'en viens aux handicaps qui ne sont pas sans conséquences, notamment au plan social.

Dans la mesure où la politique menée privilégie les marges sur les volumes, les gains de productivité s'opèrent au sein de l'entreprise sur des processus internes de production afin d'améliorer la valeur ajoutée interne.

Au plan des handicaps, on pointe également la quasi-absence d'innovations. C'est le constat que l'on tire, à la lecture de la presse, des propos du nouveau dirigeant du groupe. Nous enregistrons des échecs dans le haut de gamme - XM et 605 -, où, à investissement constant, les constructeurs concurrents de PSA tirent leur épingle du jeu beaucoup mieux que nous. Lorsque l'on construit trente-et-une XM et cinquante 605 pour des investissements et des capacités de production au départ de cinq cents, on devine les résultats en termes de rentabilité ! Aujourd'hui, l'Allemagne reste le premier marché en Europe. Même si nous y sommes présents, nous relevons - ce que nous disons depuis longtemps - la nécessité d'investir dans un réseau commercial digne de ce nom et dans un produit porteur sur le marché allemand. Or, ce produit n'existe pas dans l'ensemble de la gamme.

Nous pointons également une internationalisation trop faible de nos ventes. Même si les objectifs visent à passer de 12 à 25 %, les ventes à l'étranger restent d'un niveau relativement faible.

A cela s'ajoute une politique d'alliance avec d'autres constructeurs qui a vu la création de la Sevelnord en France et de la Sevelsud en Italie pour fabriquer un produit nouveau qui ne figurait pas dans la gamme. C'est, selon nous, une réussite au plan de l'amortissement des investissements, également parce que nous étions totalement absents du créneau que nous avions laissé à d'autres, ce qui illustre encore les choix retenus pendant des années.

Aujourd'hui, nous avons le sentiment que le groupe est étriqué, qu'il est parfois confiné dans une situation d'isolement. A ne pas diffuser largement ses produits, ses compétences, le groupe est obligé de puiser dans ses ressources internes, alors même que nous vivons dans l'entreprise des situations sociales difficiles et préoccupantes. Je rappelle qu'en 1991, la CFDT avait revendiqué fortement une convention sociale de l'automobile et avait donc déjà posé en amont les questions propres à PSA ainsi qu'à Renault - sans succès du reste -, questions qui portent en priorité sur l'emploi.

Depuis quinze ans, nous dressons le constat suivant, qui est, au demeurant, un choix fort du groupe : les variations d'activités ont été gérées par l'instauration d'heures supplémentaires en cas de pic de production et, en cas de sous-activité, de sous-charge, par un chômage partiel. Pour prendre l'exemple de Sochaux, on relève dans cet établissement des périodes de chômage partiel au cours de chacune des dix-sept dernières années, excepté en 1988 et 1989. Un tel état de fait pose question, y compris sur la notion de problème conjoncturel : peut-être le problème est-il d'une autre nature ? Nous avons vécu et nous vivons encore une succession de plans sociaux, dont on ne sait pas même définir le nombre, dans la mesure où certains sont partiels en termes de répartition géographique. Ils sont estimés à une vingtaine. Malgré leur importance, ces plans ne suppriment pas les problèmes liés à l'élévation de l'âge moyen dans l'entreprise, tant il est vrai que les départs n'ont pas été compensés par des flux d'embauches permettant d'améliorer la pyramide des âges.

Face à cela et en tenant compte de nos atouts et handicaps, nous pensons qu'il faut impérativement dresser des bilans - PSA est à l'heure des bilans - afin que soit insufflée une nouvelle politique.

Premièrement, une mise à plat des différentes aides publiques intervenues nous semble nécessaire, de la même façon qu'un bilan du coût du chômage partiel par centres et du coût des plans sociaux, car tout cela représente une quantité non négligeable d'aides. Il y a donc lieu d'étudier la question attentivement au moment où l'on débat de conventions particulières pour l'automobile, de plans, de réduction du temps de travail à l'échelon national et d'aménagement du temps de travail. Il nous semble nécessaire de savoir de quoi l'on parle en termes financiers globaux.

Deuxièmement, il y a lieu de vérifier la compatibilité des plans sociaux à venir avec un rajeunissement des effectifs. Nous constatons que ce problème perdure.

Nous vivons une situation particulière, peut-être propre à toutes les entreprises comptant une population âgée et recourant au fonds national de l'emploi (FNE) ainsi qu'à des mesures UNEDIC : il n'existe aucune harmonisation entre les mesures ARPE (allocation de remplacement pour l'emploi) et les autres. Les salariés les plus âgés ne sont pas forcément ceux qui partent les premiers ; de plus, ils s'en vont avec des primes différentes, qui baissent tendantiellement. Nous avons posé à l'entreprise la question d'une prise en charge, à laquelle elle ne répond pas, ou seulement très partiellement.

Que vivons-nous comme situations fortes ?

Les notions de coût et de délai ont pénétré tous les étages de l'entreprise, délai qui génère stress, maladies professionnelles, troubles musculo-squeletttiques chez une population dont la moyenne d'âge est relativement élevée. Au début des années 80, on mettait en avant le travail en équipe, le travail de groupe. Or, on constate aujourd'hui une retaylorisation des tâches au sein des équipes. Nous avons été de ceux qui déclaraient qu'il fallait revaloriser la fonction ouvrière. Beaucoup reste à faire et le débat progresse assez peu dans l'entreprise. Nous ne dirons pas que rien ne se passe dans l'entreprise. En effet, une prise en compte de la notion d'ergonomie transparaît fortement dans la charte de développement des produits, dans le travail en équipe-plateau, en équipe-projet, de même que dans la volonté de promouvoir cette logique d'anticipation. Et si l'on relève des évolutions sur les postes et sur les rythmes de travail, on assiste aussi à un appauvrissement des tâches, non à leur enrichissement. Des normes, des règles sur les rythmes, les temps de cycles, seraient à trouver, afin à ne pas user prématurément les salariés. Du reste, que ce soit des salariés âgés ou jeunes, les rythmes sont tels sur certains postes qu'ils engendrent des troubles musculo-squelettiques en l'espace de quelques mois.

Les réponses que nous souhaitons voir s'appliquer, au travers d'une négociation, tiennent compte des contraintes ; elles lient emploi, pyramide des âges, conditions et organisation du travail. Nous avons développé des revendications en faveur d'une réduction du temps de travail à 32 heures. La réduction du temps de travail dans le secteur de l'automobile - je le dis de manière forte - doit tenir compte des réalités. Il nous faudra un aménagement du temps de travail, mais aussi intégrer comme contrainte cette population vieillissante.

Les salariés craignent encore la compensation salariale, mais, au travers des enquêtes que nous avons effectuées à Sochaux ou à Mulhouse, il apparaît qu'ils sont prêts, moyennant un effet réel sur l'emploi, à un certain nombre d'aménagements, dès lors que la réduction du temps de travail entraîne une limitation des contraintes. A Sochaux, nous avions particulièrement développé une revendication : s'il y a réduction du temps de travail, disions-nous, il faut qu'elle bénéficie en priorité aux anciens, aux salariés âgés de plus de cinquante ans. Il s'agissait des 32 heures en priorité pour les plus de cinquante ans après plusieurs années de travail difficile. Aujourd'hui - des études allemandes notamment le montrent -, en interne, les stages ergonomiques pour la maîtrise font état d'une barrière physiologique se situant aux alentours de cinquante ans. Ce sont des éléments dont nous n'avons pas nous-mêmes la totale maîtrise. Nous n'avons pas posé le problème pour obtenir la seule réduction du temps de travail pour les salariés de plus cinquante ans ; nous avons posé le problème des salariés de plus de cinquante ans. Nous avons appris que ce type de mesures figuraient dans le " rapport Cabaret ". Nous l'avons lu dans la presse, faute d'avoir eu accès au rapport.

M. François MERMET : Je travaille à ECIA - équipements et composants pour l'industrie automobile -, filiale de PSA, et je suis membre du comité de groupe de PSA, délégué syndical central d'ECIA pour la CFDT.

Dans certaines entreprises, en particulier chez les constructeurs, notamment Peugeot-Sochaux et Citroën-Rennes, les salariés de fabrication chôment fréquemment ; or, dans le même temps, les plateaux techniques, les techniciens, les ingénieurs réalisent un " paquet d'heures " pas ou peu souvent comptées. Les uns ont peu de travail, les autres sont surchargés. Nous essayons de combattre cette situation depuis quelque temps. Le statut du forfait T, mis en avant dans le groupe PSA, comme dans d'autres d'ailleurs, freine considérablement la lutte et l'interprétation légale de la durée du travail pour toutes les catégories, mais, pour l'instant, nous n'atteignons que des résultats modestes. C'est pour signaler ce contraste entre les différentes populations d'une même entreprise et d'un même groupe que je suis intervenu.

M. Didier DUMONTIER : Je travaille à Citroën Saint-Ouen.

Je partage l'analyse de Vincent Bottazi sur sa description du groupe. On recense chez Citroën les mêmes problèmes et les mêmes réponses.

Je soulignerai deux aspects, à mes yeux de nature différente par rapport à Peugeot. D'une part, la persistance d'un faible niveau de qualification. Près d'un tiers de l'ensemble des salariés sont des ouvriers non professionnels, en-dessous du coefficient 180. Ils sont âgés. Les conséquences que Vincent Bottazi a décrites sur les conditions de travail me semblent majeures.

D'autre part et seconde différence, un climat social marqué par la présence ou la " survivance " de la CSL, qui, dans l'entreprise, empêche toute négociation de se structurer, de s'organiser ; s'il existe des négociations à l'échelon central, par exemple sur les salaires, sur le temps de travail, de telles négociations ne peuvent se développer dans les établissements. C'est là un phénomène qui nous bloque totalement.

M. Jean-Paul EVEN : Je siège au comité de groupe européen.

Aux propos tenus, j'ajouterai simplement une ou deux revendications liées au temps de travail. Nous réfléchissons sur le temps partiel choisi. On sait que le temps partiel intéresse certaines entreprises quand il est plus ou moins imposé au personnel. Nous pensons que le statut du temps partiel choisi pourrait être amélioré. Plus attractif, il répondrait à une demande de certaines catégories de personnel. Quand on parle de réduction du temps de travail, il ne faut pas non plus perdre de vue qu'entre centres et à l'intérieur de nos centres, les situations sont différentes ; des personnes chôment alors que d'autres accumulent des heures supplémentaires, dont on a d'ailleurs du mal à évaluer la durée réelle, par exemple dans les services d'études.

M. le Président : Les responsables tant de PSA que de Renault ont mis l'accent sur la différence de productivité entre les constructeurs. Selon eux, les salariés français sont nettement moins productifs que les autres, y compris européens. Avez-vous une réflexion à ce sujet ?

M. Vincent BOTTAZI : Ce sujet recouvrait un souci d'affichage très fort de M. Calvet, qui parlait de 12/13 % de gains de productivité annuels. Du reste, à la fin, il ne parlait plus de gains de productivité, mais de réduction des coûts. Si l'on examine ce qui se fait de mieux en termes de productivité, il y a des normes, des règles. L'usine de Melfi en Italie, qui travaille 42 heures par semaine sur six jours, avec une organisation de travail très structurée, des bâtiments d'une nature spécifique, des équipementiers à proximité et un pacte social dont on pourrait parler, obtient une productivité élevée et produit des voitures qui concurrencent les 106, telles les Punto. La difficulté réside en ceci : le niveau social crée en partie la différence.

Nous serions preneurs d'une réflexion sur la notion de productivité ; une amorce se profilait dans le rapport de 1992. Comparer la productivité sur un petit véhicule ou sur un grand n'est pas réellement possible, car nous ne disposons que de peu de références. Il faudrait des normes, pour que les comparaisons soient valables. Les consturcteurs français déclarent que leurs concurrents atteignent des niveaux de productivité différents. Il conviendrait d'opérer des comparaisons sur la base de modèles et d'organisations équivalents. De multiples facteurs entrent en jeu. Ma réponse est celle-là : nous n'avons pas de références.

De quoi parle-t-on ? Ceux qui ont visité des centres savent que sur des modèles très haut de gamme - Volvo, Saab - on travaille différemment : les temps de cycles sont différents, la vie au travail est différente, avec des temps de cycle de quinze secondes au cours duquel on se contente de mettre des pièces, d'appuyer sur un bouton et de remettre des pièces. La vie au travail est autre, de même que les responsabilités, la qualité de vie, ce qui n'empêche nullement une productivité très forte ; le constructeur peut répercuter un coût plus élevé sur son prix. Aujourd'hui, la difficulté consiste à répercuter l'enrichissement du véhicule sur les prix. C'est une difficulté en France. Douze pour cent de productivité ? Ils peuvent être gérés, dès lors que l'on intègre 6 % d'augmentation des prix et 6 % d'augmentation des rythmes. Mais rechercher des gains de productivité de 12 % quand on ne vend pas plus de volume engendre obligatoirement des conséquences internes. C'est ce que nous essayons de dire, car telle fut la politique menée, même si des évolutions se sont opérées.

Je réponds sous forme de question. Nous serions intéressés par un débat sur la notion de productivité, car nous y mettons énormément de choses.

M. Didier DUMONTIER : Dans les années 1989-1990, lorsqu'a eu lieu l'affaire Talbot et les 4x10, à l'époque, la CFDT était intervenue auprès de la direction de Peugeot pour présenter un contre-projet, car on sentait que c'était là un système qui ne pouvait fonctionner. Il était générateur de dysfonctionnements comme d'un turn-over très important. La CFDT d'alors n'avait pu se faire entendre. Elle mettait en avant dans son discours la réduction du temps de travail. Elle n'oubliait pas non plus la question d'une meilleure utilisation des équipements. Nous n'étions pas du tout opposés par exemple à la création d'une troisième équipe mais dans le cadre de la négociation et d'un compromis sur la question de la réduction du temps de travail. A l'époque, la direction n'en a pas voulu. Cette question n'en reste pas moins toujours d'actualité. En effet, nous avons toujours le souci, à travers nos revendications, de l'aménagement du temps de travail, d'une amélioration de l'utilisation des équipements.

M. Vincent BOTTAZI : Nos employeurs ont raison lorsqu'ils déclarent qu'il faut comparer ce qui est comparable. Les différences sont là. Gérer de multiples problèmes de maladies professionnelles, de reclassement des personnels vieillissants dans le cadre d'usines anciennes, a obligatoirement une incidence. Tout n'est pas aussi facile que dans une organisation relativement nouvelle où la moyenne d'âge des salariés est de vingt-huit ans. Mais il conviendrait de savoir ce que deviendra l'organisation dans vingt ans... à condition que ces personnels, aujourd'hui âgés de vingt-huit ans, soient encore là !

M. le Rapporteur : La mission est née essentiellement d'inquiétudes concernant l'emploi. Il est vrai qu'il existe des " scenarii catastrophes " qui rapprochent le secteur automobile de la fin des années quatre-vingt-dix de la métallurgie du début des années quatre-vingts. Nous souhaitons bien sûr que les choses se déroulent mieux, mais, en même temps, on ne peut pas escamoter le terme de productivité ; vous-même l'utilisez tant il est vrai que la concurrence existe, y compris au plan intra-européen. En effet, les Japonais et les Coréens produisent parfois dans les pays d'Europe de l'Est pour vendre sur notre marché. On ne peut en faire abstraction.

Je poserai trois questions.

La première tourne autour du couple réduction de la durée du travail / rajeunissement des effectifs. Des négociations nationales vont s'ouvrir où seront abordées les perspectives de la semaine de trente-cinq heures et de la semaine de quatre jours. Nous avons visité plusieurs sites et commencé à discuter avec les organisations syndicales. On acquiert le sentiment que le problème se pose, comme vous-même l'avez dit, différemment selon les tranches d'âge. Il convient notamment de prendre en compte, au moins pour les ouvriers de production, des phénomènes tels que l'usure physique ou le décalage par rapport aux nouvelles technologies, ce qui conduit à poser le problème de la durée du travail peut-être moins en termes hebdomadaires qu'en termes de durée de vie. L'examen des négociations menées chez Volkswagen montre que celles-ci sont sorties d'un cadre purement hebdomadaire pour aborder une perspective plus longue, induite, du côté patronal, par l'idée de cycles de vente, et qui inclut, du côté salarié, l'idée de changer d'activité au cours d'une vie. Par rapport au slogan de la semaine de trente-cinq heures, quelles modulations êtes-vous prêts à introduire dans le débat ? Plus j'avance dans notre enquête exploratoire et plus j'acquière la conviction personelle qu'il faut sortir d'une approche hebdomadaire.

De nos premières investigations, il semble ressortir une différence de stratégie entre Renault et PSA, notamment au plan de la gestion des sites. Selon Renault, la productivité reviendrait à un modèle par site - surtout que l'on ne mélange pas ! - et il y aurait trop de sites, tant de modèles induisant tant de sites. Je caricature à peine ! La réorganisation s'inscrit en ce sens. Nous avons visité le site d'Aulnay la semaine dernière. Le discours des responsables de Citroën se situait totalement à l'opposé. Selon eux, ils disposent d'un outil de production d'une certaine capacité et ils s'interrogent sur la méthode pour le faire tourner à plein. Compte tenu du cycle de vie d'un modèle, il faut donc, pensent-ils, disposer d'au moins trois modèles sur le même site afin d'utiliser de façon " optimale " les capacités de production existantes, ce qui suppose une flexibilité de l'outil, voire des salariés.

Je serais intéressé de vous entendre sur ce sujet, car, visiblement, les chefs d'entreprise ne partent pas dans la même direction alors qu'à l'origine j'avais le sentiment que leur opinion se rapprochait sur les logiques de réorganisation.

Ma troisième question porte sur la CSL. Il est peut-être difficile d'anticiper le début d'un " nouveau règne " qui pourrait voir le retour d'une conception syndicale plus normale. Pour faire évoluer une grosse machine comme PSA, mieux vaut disposer d'un interlocuteur représentatif qui n'est pas toujours d'accord qu'un syndicat toujours d'accord mais qui n'évite pas forcément les crises quand la situation devient trop difficile. Avez-vous le sentiment qu'une évolution peut se faire jour à cet égard ou que la pression demeure telle que rien ou presque n'évoluera dans les trois ou quatre années à venir ?

M. Vincent BOTTAZI : Les questions sont larges et appellent des commentaires. Sur la deuxième question, relative aux divergences de stratégie, il me semble que le point de départ n'était pas tout à fait le même en termes de diffusion du nombre de modèles par site. On trouvait, me semble-t-il, chez Renault une diffusion importante que nous n'avons jamais connue chez PSA. En effet, les sites de Mulhouse et d'Aulnay sont spécialisés dans les petits véhicules ; ceux de Rennes et de Sochaux sont dédiés aux véhicules plus importants. Poissy construit la 306. Aujourd'hui, nous n'avons pas le sentiment qu'un changement se profilerait chez PSA. Les questions de réorganisation restent liées à la politique menée par l'entreprise. Si les volumes enregistrés se révélaient suffisants, il est clair que la CFDT de Sochaux ne réclamerait pas un véhicule d'équilibre pour maintenir l'activité. Aujourd'hui nous jugeons nécessaire de compter dans la gamme un petit véhicule du segment A0, correspondant chez Renault à la Twingo, ou un véhicule utilitaire permettant de maintenir l'activité, évitant ainsi de nous laisser dans un chômage quasi-permanent.

A contrario, on entend des bruits selon lesquels ce petit véhicule qui viendrait à la fin du siècle ne serait pas monté à Sochaux ; on spécialiserait Mulhouse dans ce type de gamme. Je connais moins la répartition chez Citroën, mais il semble que la politique du groupe évite la présence des deux marques dans la totalité des segments. On le devine au travers des dires de la direction. Ce sont des constats et nous appelons de nos v_ux une politique plus innovante, afin d'être présents sur le marché, notamment en créant le goût de la clientèle, car aujourd'hui nous sommes un peu en panne d'innovation. Ainsi, l'appareil de production pourra-t-il tourner normalement, ce qui n'est pas le cas à l'heure actuelle. Telle est la revendication de Sochaux, centre historique du groupe, aujourd'hui en situation très difficile.

M. Didier DUMONTIER : Chez Citroën, on parle de flexibilité des moyens de production. C'est ce qu'on retrouve assez régulièrement dans les écrits. Or, je note que l'actuelle durée de vie d'une automobile avoisine cinq ans. La volonté de Citroën serait de répartir les charges sur ces cinq années. Le problème consistera à équiper les chaînes de montage, fussent-elles polyvalentes, et à former les hommes. Apprendre à connaître tous les deux ans de nouveaux gestes, de nouvelles pièces, être confronté à de nouvelles complexités soulèvent des difficultés. Je me demande si l'on ne se trouve pas en présence d'une vision idéaliste de la direction qui se heurtera à la réalité.

M. le Président : Ne s'achemine-t-on pas vers une réduction du nombre de modèles ? Nous sommes relativement riches en types de véhicules français. Les concurrents étrangers rentabilisent un certain nombre d'installations par un nombre plus restreint de types de véhicules.

M. Vincent BOTTAZI : Si l'on regarde la Mégane, qui représente aujourd'hui 9 % du marché, on s'aperçoit qu'il existe sous un même nom trois types de véhicules : le monospace, la berline et le coupé. Sur une même plate-forme, en étirant ou en rapetissant, on dispose de trois modèles. Au salon de Francfort, on a découvert des innovations non négligeables de la part des concurrents étrangers.

Allons-nous vers une réduction du nombre des modèles ? Je ne sais. Le segment H, celui des monospaces, est venu s'ajouter il y a quelques années et PSA ne compte pas de petits véhicules qui pourtant forment une part du marché avec la Ford Ka, la Cinquecento, la Twingo. On présente la 106 comme concurrente de la Clio, mais rien face à la Twingo !

Il conviendrait, nous semble-t-il, que le groupe prenne la mesure de la situation. Quand on est à 5 % du marché, on doit s'interroger sur la concurrence et sur la réaction envisageable. Au lancement de la Twingo, les responsables de PSA nous ont dit d'attendre et de voir. La Twingo s'est révélée être une réussite. Tant mieux pour Renault, mais nous aurions bien aimé disposer d'un modèle concurrent.

Sur la première partie de la question - sortir d'une approche trop hebdomadaire, modulation, 35 heures, rajeunissement des effectifs - il est clair qu'à examiner attentivement le contenu du travail et le temps de travail des salariés sur un site comptant de multiples fonctions, tel Sochaux, on s'aperçoit que tous les salariés ne sont pas dans la même situation. Appliquer d'une manière unilatérale une réduction du temps de travail de x heures à tous les salariés, entraîne, d'un côté, des effets purement mécaniques, d'un autre, pas d'effet du tout. Il convient donc de distinguer les types d'organisation du travail, la réalité des horaires effectués. L'impact d'une réduction du temps de travail sur un site où les salariés sont déjà à trente-deux heures est nul ! Sauf si l'on supprime, dans le même temps, tout chômage partiel. Entre nous, l'utilisation du chômage partiel est relativement confortable pour l'entreprise comme pour les salariés. La perte de salaire n'est pas considérable pour des rémunérations déjà peu élevées : 3 % en échange de temps libre, pourquoi pas ? Le fait de devoir chômer n'a jamais entraîné la révolution dans aucun atelier. Nous sommes contraints de dresser ce constat. Les enquêtes menées à Sochaux, à Mulhouse et ailleurs montrent une réelle aspiration à plus de temps libre.

Sur la notion de modulation, je rappelle que l'accord du 7 mai 1996, qui prévoit l'annualisation du temps de travail dans la métallurgie, signé par FO et la CGC, est qualifié de bon par notre direction du personnel. Nous avons jugé insuffisante la réduction du temps de travail obtenue en échange de l'annualisation. La réduction était trop faible au regard des contraintes ; voilà pourquoi la CFDT n'a pas signé l'accord. La prévision des modulations d'horaires pose problème. Concrètement, nous avons du mal à savoir si l'on chômera au mois de novembre. Il existe des prévisions, mais la direction ne sait pas dire ou ne veut pas nous informer sur le court terme. Elle est de plus en plus contrainte, précise-t-elle, par des effets de mode au plan commercial. Ce n'est pas qu'un discours ; la guerre des prix est vraiment devenue un élément essentiel. A partir de telle opération promotionnelle, on vend ; dès qu'elle cesse, c'est terminé : on ne vend plus la même voiture et c'est le concurrent qui investit le créneau. On ressent notamment un tel phénomène sur la 106.

Ensuite, se mesure l'effet de cycles à amplitude plus large que la simple conjoncture mensuelle ou hebdomadaire. Une voiture est lancée, ses ventes vont progresser et ensuite décliner. Les saisons existent aussi dans l'automobile. Enfin, des mesures réglementaires produisent des effets : en août, on reçoit beaucoup de commandes pour l'Angleterre. Tout cela peut théoriquement se prévoir, mais comment concrétiser en termes d'activité ? J'estime, à titre personnel, que si la direction ne souffrait pas d'une telle contrainte, elle en serait déjà venue à l'annualisation.

M. Didier DUMONTIER : L'idée du rajeunissement des effectifs est relativement séduisante quand elle consiste à faire partir les agents dès cinquante ans par exemple. Cela crée des emplois, tout au moins dans les usines de montage. Encore faut-il que les créations d'emplois aient bien lieu là où l'on constate les départs ; si l'on fait partir des ouvriers d'Aulnay, il faut que les embauches aient lieu à Aulnay, et non au siège. La seconde limitation au processus a trait aux heures supplémentaires qu'il faut éviter, car je ne sais dans quel état les actuels jeunes d'Aulnay seront quand ils atteindront l'âge de la retraite !

M. Jean-Paul EVEN : Je sais que vous viendrez à Sochaux ; j'aurai donc l'occasion de défendre la situation particulière de Sochaux et du pays de Montbéliard. Par rapport à ce que les organisations syndicales sont capables d'envisager en termes d'organisation, je crois que nous sommes surtout attentifs à l'attente des salariés qui ont d'abord besoin de perspectives. C'est ce qui leur fait défaut. Dans chaque centre, la même interrogation, parfois encore modérée, se révèle : va-t-on subsister ? La question s'est posée partout après Vilvorde : est-ce possible chez nous ?

De même, prévaut un besoin de transparence. La direction d'entreprise nous parle de productivité et nous refuse, sur le terrain, la communication d'indicateurs sur les temps de montage ! Dès l'instant où les salariés auront des perspectives et une transparence dans les discours, ils seront capables d'envisager des compromis, s'ils sont porteurs pour l'emploi : ce point est clair, j'y insiste et nous aurons l'occasion d'y revenir à Sochaux.

M. François MERMET : Je voudrais donner l'exemple d'une filiale du groupe : dès 1981, la CFDT a conclu un accord dans l'établissement principal des cycles Peugeot - près de Sochaux - pour la modulation en horaires annuels. Nous sommes allés, certaines années, jusqu'à douze jours de modulation dans le seul but d'éviter le chômage partiel. L'accord a été conclu et accepté par les salariés en fonction de cet objectif-là.

M. Didier DUMONTIER : Aujourd'hui sur la CSL, je ne vois pas les éléments qui l'orientent vers une conception syndicale plus normale.

Audition d'une délégation du syndicat CFE-CGC
des personnels de PSA Peugeot Citroën composée de
MM. Pierre BEVILACQUA, Délégué syndical central Peugeot,
Julien JUILLARD, Délégué syndical central adjoint, Représentant syndical
au comité d'établissement de Peugeot-Sochaux,
Fabrice PEUFLY, Représentant syndical au comité
d'établissement de Citroën-Aulnay,
et Mme Anne VALLERON, Déléguée syndicale centrale Citroën

(extrait du procès-verbal de la séance du 7 octobre 1997)

Présidence de M. Daniel PAUL, Président

Mme Anne VALLERON : Notre intervention s'articulera autour de trois axes : le contexte, les solutions actuelles et nos propositions pour aller plus loin.

Le contexte fait apparaître trois éléments.

En premier lieu, la situation de l'entreprise permet de constater que les efforts menés depuis vingt ans permettent à nos produits d'être compétitifs à la fois en qualité et en prix grâce aux efforts de chacun des salariés. Dieu sait si chacun d'entre nous a participé à l'amélioration du fonctionnement de l'entreprise et à sa progression, tant en prix qu'en qualité !

En second lieu, il apparaît que la pression de la concurrence s'accroît. Dans tous les pays, différents constructeurs disparaissent. En outre, dans le cadre de la construction de l'Europe et en raison de l'ouverture des frontières, on assiste à l'arrivée de constructeurs extérieurs.

Enfin, pour répondre à cette pression croissante, les réorganisations s'accélèrent afin de rationaliser les structures, ce qui conduit à une adaptation nécessaire des hommes et des femmes de l'entreprise. Aujourd'hui, l'on ne peut plus imaginer que chacun se contentera d'un seul métier dans sa vie.

Face à cette situation, les solutions mises en oeuvre depuis plusieurs années consistent en des mesures ponctuelles, négociées au coup par coup par chacun des gouvernements : Fonds national de l'emploi (FNE), allocation de remplacement pour l'emploi (ARPE), préretraite progressive (PRP), contrats de conversion, etc... Or, elles ne suffisent plus aujourd'hui pour traiter les problèmes du secteur automobile.

Pour aller plus loin, nous proposons une table ronde tripartite entre partenaires sociaux, constructeurs et pouvoirs publics, où seraient abordés le contrat intergénération que nous proposons déjà depuis longtemps, la réduction et l'aménagement du temps de travail. Nous réaffirmons notre opposition aux quarante-cinq heures payées trente-cinq heures.

M. Juillard évoquera les aides offertes aux constructeurs étrangers.

M. Julien JUILLARD : Je souhaiterais évoquer l'accord Union eurpéenne-Japon, qui, du reste, n'est pas un véritable accord faute d'avoir été signé ; néanmoins, il engagera au plan européen l'ensemble des constructeurs. En outre, son volet social n'a pas fait l'objet d'une négociation comme il en avait été convenu. C'est dire qu'il placera les constructeurs européens face à de grandes difficultés dans un délai très proche, puisque le marché devra être ouvert d'ici à la fin de cette décennie, fin 1999, et que les Japonais pourront dès lors s'implanter sur notre marché sans aucune difficulté. Loin de nous l'idée de vouloir rejeter les emplois que pourrait créer tel ou tel constructeur, mais il nous semble anormal que nos constructeurs ne puissent pas, au minimum, bénéficier des avantages accordés aux constructeurs étrangers sur le marché. Ainsi, Toyota procède actuellement à une enquête pour s'implanter sur le territoire de Belfort en Franche-Comté ou du côté de Valenciennes qui présente l'avantage d'être proche de l'Angleterre. Lorsque Toyota aura décidé de s'installer, ce groupe accédera aux aides liées à l'implantation des entreprises, à savoir des aides régionales, départementales, européennes. Il pourra embaucher alors des jeunes formés, performants, sans aucune des contraintes de structure d'âge ou de vieillissement que nous connaissons dans nos entreprises. Cette situation soulève un problème de fond : nos deux constructeurs doivent pouvoir bénéficier des mêmes avantages que Toyota ou toute autre entreprise.

Nous avons eu l'occasion de rencontrer différents ministres ces dernières années. Nous avions cru comprendre que le contrat intergénération faisait la quasi-unanimité et fournissait une solution concrète au problème du vieillissement. Malheureusement, à ce jour, excepté l'accord sur l'ARPE intervenu au niveau de l'UNEDIC, ce contrat intergénération n'a pas connu d'application. Ce contrat très important permet - dans le cadre d'une table ronde tripartite entre partenaires sociaux, responsables d'entreprises et pouvoirs publics - de définir dans de bonnes conditions les modalités de rajeunissement des effectifs dans nos entreprises pour l'ensemble des catégories de personnels. L'on sait aujourd'hui que les centres de production connaissent un taux de vieillissement très élevé et qu'il est indispensable de trouver des solutions afin de rester concurrentiels. Le contrat intergénération se traduit par un départ, une embauche. Les conditions de départ seraient à peu près identiques à celles prévues par l'accord ARPE, avec possibilité de formation et transfert de compétences en amont. Nos propositions se fondaient sur des départs à cinquante-cinq ans. Il faut reconnaître que, depuis, la situation s'est dégradée ; aujourd'hui, la moyenne d'âge dépasse les quarante-trois ans. Le Gouvernement propose aujourd'hui de nouvelles dispositions pour embaucher des jeunes ; elles ont certes le mérite d'exister. Nous, nous proposons un départ compensé par une embauche pour un emploi à durée indéterminée, avec une formation qualifiante dans le cadre de nos conventions collectives et des salaires conformes aux conventions des entreprises, ce qui nous semble important.

Budgétairement, le contrat intergénération mérite d'être financé. Lorsque l'on sait le coût économique et social actuel de l'exclusion - à une époque, il avait été calculé qu'une personne exclue coûtait 120 000 francs à la société -, force est de constater que le contrat intergénération revient moins cher.

Nous demandons par conséquent que des moyens financiers soient dégagés et qu'au lieu de les utiliser de manière passive pour financer l'exclusion, on les utilise positivement pour financer l'emploi.

M. le Rapporteur : La question de l'implantation d'usines japonaises n'est pas simple. S'il y avait un véritable gouvernement européen, il suffirait de lui demander de ne pas aider particulièrement les entreprises automobiles japonaises à venir s'implanter en Europe, compte tenu des surcapacités existantes. La réalité d'aujourd'hui est plus complexe et il convient probablement d'aller plus loin. N'est-il pas préférable d'accueillir, pour reprendre votre exemple, l'entreprise Toyota sur notre territoire que de la voir s'implanter en Europe de l'Est ou en Europe centrale, où elle bénéficierait en outre de coûts salariaux moindres dans la mesure où, de toute façon, elle vendra sa production chez nous ? Il convient de prendre en compte l'ensemble de ces considérations.

J'aimerais avoir votre opinion je m'exprime en mon nom propre, car nous ne sommes pas au terme de nos réflexions -, sur les suites qui peuvent être données à l'accord Union européenne-Japon qui expire fin 1999, sachant qu'il ne peut pas s'agir d'un accord informel du type de celui qui n'avait pas même été signé il y a quelques années, ainsi que vous le rappeliez, puisque, déjà, à l'époque, il contredisait des règles du marché mondial, lesquelles se sont, en outre, " libéralisées " depuis. Cela ne signifie pas que l'on ne puisse rechercher un prolongement. Les Américains ont négocié plus subtilement avec les Japonais, non sur la base du nombre de voitures importées, mais sur celle du pourcentage de pièces détachées fabriquées sur place... Peut-être faudrait-il faire preuve d'un peu plus d'imagination ? Des encadrements d'une autre nature, formelle ou informelle, avec telle ou telle contrepartie négociée, pourraient faire évoluer la problématique, de même que l'intérêt pour telle ou telle entreprise japonaise construisant un site supplémentaire. Mais si l'on commence par refuser les implantations et que les usines se construisent ailleurs, ce ne serait pas la meilleure solution, y compris pour les constructeurs automobiles français...

S'agissant du contrat intergénération, la réflexion se fonde généralement sur la réduction hebdomadaire du travail. Or, compte tenu des problèmes de pyramide des âges, de la nécessité de rajeunissement, je me demande - et je vous le demande - s'il ne serait pas intéressant d'envisager la question de façon plus ambitieuse et de raisonner non seulement en termes d'annualisation, synonyme de flexibilité, mais sur l'ensemble de la vie d'un salarié de l'automobile. Il semble que cette nouvelle conception apparaisse, notamment dans le cadre des négociations intervenues chez Volkswagen.

Compte tenu de l'état du syndicalisme, apparaît-il imaginable d'envisager cette réflexion longue, ce qui suppose, bien sûr, de parvenir à un équilibre entre les sacrifices consentis et les gains obtenus ?

M. Pierre BEVILACQUA : Avant de vous répondre, je me permettrai de préciser nos propos sur l'implantation des Japonais ou les transferts en France. Nous n'avons jamais dit qu'il fallait les refuser. Nous souhaitons simplement que les mêmes avantages soient donnés à tous les constructeurs. Sur ce point, l'unanimité est faite : nous ne pouvons qu'être tous d'accord pour créer des emplois en France.

Pour revenir à votre question, avec le contrat intergénération, nous raisonnons sur la base d'une carrière. Dans l'entreprise automobile, il existe différents types de salariés. Les personnels en ligne sont intéressés par une réduction immédiate de la charge de travail car le personnel de production, ouvrier, subit plus de contraintes physiques.

S'agissant de l'encadrement dans son ensemble, nous constatons une dérive depuis plusieurs années : on confie à une personne une mission ; à elle de l'assumer au mieux dans le temps qu'elle jugera nécessaire. Ainsi la personne habitée d'un tant soit peu de conscience professionnelle fera tout pour remplir sa mission et mettra le temps nécessaire pour l'assumer. Pendant longtemps, les gens étaient polyvalents. Or on assiste à une spécialisation. Des réorganisations sont en cours dans le groupe PSA ; elles ont pour objet de redéfinir des fonctions centralisées alors que, pendant dix ans, on a décentralisé. Dans l'usine où je travaille à Mulhouse, on a mis dix ans à décentraliser les organisations et à travailler en unités de production. Mulhouse comptait onze unités. Brutalement, depuis le début de l'année, une réorganisation qui consiste à créer une structure commune est en cours. Nous en ignorons les conséquences, mais c'est une révolution culturelle ! Tout le monde est un peu déstabilisé. Le technicien reste technicien, mais il est intégré dans un pool commun à tout le centre. Aujourd'hui, certaines fonctions pourraient être regroupées au niveau de PSA. Nous comptions déjà une structure " Études, méthodes et informatique " commune à l'ensemble du groupe PSA mais aujourd'hui, on veut modifier le schéma organisationnel de la qualité, du personnel, de la fabrication. Nous nous interrogeons, d'autant qu'il y a plus de dix ans est déjà intervenue une opération de centralisation dont on connaît les effets sur les effectifs. On restructurera de façon à réduire les effectifs dans la même fonction. C'est ce que nous craignons d'autant que nous ne disposons d'aucun chiffre. A l'époque, j'avais lu le rapport Cabaret...

M. le Président : Disposez-vous d'un exemplaire ?

M. Pierre BEVILACQUA : Oui, à Mulhouse.

Le nombre de 40 000 emplois a été évoqué par les médias. Il n'a pas été inventé ! Ce que nous découvrons aujourd'hui se trouvait dans les cartons des dirigeants des deux groupes français. Nous sommes au pied du mur. Je ne cherche pas à justifier les décisions de la Direction. Notre souci est de défendre le personnel que nous représentons. La réorganisation actuelle concerne directement le personnel d'encadrement. Il y a dix ans, le personnel de production était en cause ; aujourd'hui, on s'attaque à ce que les directions nomment communément " la main-d'_uvre indirecte ", à laquelle nous appartenons. Cela nous inquiète fortement. Pour répondre à votre question sur la durée du temps de travail, notre réflexion porte sur la carrière. Le personnel de production connaît des contraintes physiques. Les techniciens-cadres d'aujourd'hui sont entrés dans l'entreprise il y a trente ou trente-cinq ans. Ils ont fait leurs classes ; la moitié d'entre eux est sortie du rang et est issue des personnels de production, ouvriers. Ils ont aujourd'hui cinquante ans et plus.

Il faut aussi s'interroger sur les diplômés entrés à 22 ans et plus. Dans la mesure où il faut quarante ans pour accéder à une retraite complète, quel sera leur sort au cours des prochaines années ?

Le problème reste le même aux différentes périodes.

Des personnes sont entrées à quatorze ou quinze dans l'entreprise. Aujourd'hui âgées de 55-54 ans, voire moins, elles ont déjà 40 ans de cotisations. L'ARPE prend en compte les salariés âgés de 58 ans et ayant 40 ans de cotisations. Dans le contrat intergénération, nous proposons d'abaisser cette limite à 55 ans, ce qui restera insuffisant si nous en croyons les chiffres annoncés.

M. Julien JUILLARD : Mon collègue vous a exposé la manière d'appréhender le temps de travail tout au long de la carrière professionnelle qui fait l'objet du contrat intergénération. Pour autant, il ne faut pas écarter la réduction du temps de travail telle que nous pouvons la concevoir aujourd'hui.

En complément, nous formulons d'autres propositions depuis très longtemps. Il s'agit de la mise en place du compte épargne-temps qui s'adapte à une évaluation du temps de travail sur une durée annuelle ou pluriannuelle en fonction de la complexité des missions et des tâches. Des accords de ce type donnent à l'entreprise une certaine souplesse dans la fixation de l'horaire annuel, mais les salariés doivent y trouver une contrepartie. C'est pourquoi nous sommes opposés aux quarante-cinq heures payées trente-cinq ! Nous serons totalement hostiles à une baisse de salaire. Il est hors de question que l'encadrement, qui a aujourd'hui des charges de travail de plus en plus lourdes, accepte une baisse des salaires. C'est pourquoi nous attachons autant d'importance à une approche axée sur la carrière professionnelle et sur une durée annuelle ou pluriannuelle qui devrait faire l'objet d'une négociation à travers un compte épargne-temps. Mais il est tout aussi vrai qu'il faut une véritable prise en compte du temps de travail dans le cadre de la discussion actuelle qui devra donner lieu à un débat législatif et comporter des contreparties en faveur des entreprises qui s'engageront volontairement dans la procédure. Le contrat intergénération doit s'appliquer à l'ensemble des catégories professionnelles, cadres compris, afin de trouver une solution pour les centaines de milliers de jeunes diplômés aujourd'hui dans la rue et qui seront en plus grand nombre encore l'année prochaine ! Par ailleurs, la réduction du temps de travail ne doit pas mettre en difficulté l'entreprise ni imposer aux salariés des baisses de salaires et des charges de travail supplémentaires.

Nous voulons des règles clairement définies pour les salariés de ce pays. La réduction d'horaires ne doit pas s'appliquer à une seule catégorie de personnel, mais à toutes. On sait que, dans certaines branches, il est possible d'éviter les pertes de salaire ce qui n'est pas le cas dans d'autres secteurs. Nous craignons donc des disparités selon les branches professionnelles. La loi qui devrait intervenir devra tenir compte de ces contraintes, afin que les discussions qui auront lieu dans l'entreprise où parfois le syndicalisme est totalement absent, ce qui est le cas dans les PME-PMI, n'aboutissent pas à léser certains salariés. Il faudra aboutir à un consensus global.

M. le Rapporteur : Que pensez-vous de l'équilibre actuel entre robotisation et main-d'oeuvre ?

M. Julien JUILLARD : La question est difficile. Vous avez visité nos ateliers. Vous vous êtes rendu à Aulnay, vous viendrez à Sochaux. Vous pourrez ainsi avoir une vision concrète de ce qui se passe au plan industriel.

L'automatisation a permis de réduire les tâches pénibles. On ne peut que s'en féliciter. Mais dans les usines de tôlerie où elle est très forte, elle a conduit à réduire de 4/5èmes le nombre des salariés depuis 20 ans... Dans les lignes de montage, le taux d'automatisation avoisine les 9 %, ce qui est faible. Je n'entrevois pas une grande évolution en ce domaine. L'évolution est surtout sensible dans le domaine de la conception des véhicules. C'est dans ce secteur que les gains de productivité ont été les plus importants. Il existait autrefois différents outillages pour fabriquer le côté d'une voiture ; aujourd'hui, un seul coup de presse suffit pour réaliser l'ensemble du produit. C'est ce type d'évolution qui a conduit à supprimer nombre d'emplois...

Les constructeurs, que ce soit Renault ou PSA, ont également délocalisé l'activité dans des usines d'approche. Tous les constructeurs étrangers, y compris les Allemands, le font. L'ECIA s'implante chez BMW au sein de l'entreprise. L'équipementier doit être au plus près de l'entreprise et a une compétence de plus en plus importante. On assiste donc sinon à des pertes d'emplois, du moins à un déplacement de l'emploi.

Il faut également étudier l'incidence du coût de la main-d'oeuvre. Les délocalisations dans les pays asiatiques, rentables à une époque, le sont de moins en moins. Prenez l'exemple de la chaussure, des vêtements. Les coûts de production et de transport sont tels que nos entreprises commencent à devenir compétitives. Elles connaissent moins de difficultés qu'il y a une dizaine d'années.

Le coût de la main-d'oeuvre jouera de manière très forte dans les choix que vous évoquez. Dans la guerre des prix, quand une entreprise veut sortir un produit au moindre coût, elle est, à un moment donné, contrainte de trouver la solution la moins chère. Elle est alors obligée d'utiliser tous les moyens mis à sa disposition.

M. Fabrice PEUFLY : On parle souvent, s'agissant du produit automobile, de produits capacitaires de grand volume, mais la diversification de nos produits permet une gamme étendue de carrosseries, de véhicules que l'on appelle " véhicules niches ". L'intérêt de l'automatisation varie en fonction de ce que l'on appelle " le reste à produire ", c'est-à-dire le nombre de véhicules à réaliser. Autant il est intéressant d'automatiser la caisse standard cinq portes d'un véhicule de grande série, notamment les assemblages carrosseries, autant ce ne l'est pas pour les petites cadences.

M. le Président : Les deux constructeurs que nous avons rencontrés jusqu'à présent ont évoqué les problèmes de productivité. Les entreprises françaises seraient moins compétitives que leurs homologues étrangères. M. Calvet a évoqué cette question. Son successeur l'évoquera probablement lorsque nous le recevrons.

M. Pierre BEVILACQUA : Les salariés sont aussi des consommateurs. Si la revente d'un véhicule au bout de six mois, pour nous, présentait il y a quelques années un avantage, celui-ci est aujourd'hui pratiquement inexistant. La remise accordée aux salariés s'élève à 16 % ; or, actuellement les concessionnaires accordent des remises d'au moins 10 % sur les véhicules neufs, sans parler des réimportations ! Les consommateurs ont pris l'habitude de bénéficier d'une remise à l'achat. Je ne parle pas des primes Balladur et Juppé ! Nos marges se sont assez sensiblement rétrécies.

M. Fabrice PEUFLY : Plutôt que d'utiliser le terme de " productivité ", il faudrait parler d'abaissement du coût des véhicules. En effet, la productivité fait surtout référence à la masse salariale. Or il existe d'autres moyens d'abaisser les coûts, même si elle y participe. Les politiques d'achat des équipementiers, la conception du véhicule ont des incidences sur son coût. Il faut réduire le prix de revient des voitures. Cela passe par la diminution des amortissements industriels et des loyers industriels qui représentent une part énorme du coût des voitures. On en revient au problème de la robotisation. Le groupe PSA, pour ses deux marques, doit abaisser le prix de ses véhicules s'il veut demeurer sur le marché mondial.

M. Julien JUILLARD : Si des gains de productivité n'avaient pas été réalisés au cours des quinze dernières années, on ne serait pas là pour en discuter aujourd'hui. L'entreprise aurait disparu. Le problème qui se pose réellement est de savoir à quel prix nous serons capables demain de vendre nos voitures dans un cadre totalement concurrentiel. Il faut être les meilleurs pour exister demain. Si les gains de productivité ne sont pas réalisés pour obtenir le meilleur prix, il est évident que l'on n'existera plus.

Pour prendre une part de marché aujourd'hui, un constructeur ne lance pas une OPA afin d'en acheter un autre. Il lui suffit de baisser ses prix, de réduire ses marges, de contraindre ses concurrents à s'aligner. Jusqu'à présent, le marché européen est demeuré suffisamment important pour laisser un minimum de volume à l'ensemble des constructeurs. Dans un marché stagnant et si la guerre des prix continue, les marges diminuant toujours plus, un certain nombre de constructeurs vont disparaître dans les cinq ans à venir. Sachant que l'automobile génère 2,6 millions d'emplois induits dans le pays, on peut se demander si nous aurons la capacité et les moyens de défendre nos deux constructeurs pour conserver l'emploi dont nous disposons aujourd'hui. Y mettra-t-on les moyens ou continuera-t-on à s'interroger afin de savoir ce que nous ferons dans le domaine de l'automobile ?

Vous n'êtes pas la première commission à s'intéresser à l'industrie automobile et nous avons déjà été entendus à plusieurs reprises... Certes, il est intéressant de réfléchir aux solutions possibles, mais aujourd'hui il est urgent que des décisions interviennent !

M. Le Président : Nous sommes également convaincus qu'il est nécessaire de prendre des décisions rapidement.

M. Joseph PARRENIN : On évoque les gains de productivité, mais, hormis la baisse de la masse salariale, la baisse des effectifs, on ne nous a jamais bien expliqué quel autre domaine pourrait contribuer à abaisser le coût du véhicule produit. Je vais être un peu brutal : le capital est-il trop rémunéré ? Vos groupes ont-ils été insuffisamment performants ?

Le fait que les groupes français se limitent à l'activité automobile ne peut-il être considéré comme un handicap ? Fiat a élargi la sienne à des secteurs très variés depuis vingt ou trente ans, ce qui lui a ouvert des possibilités et donné une image de marque plus large.

J'aimerais savoir par quels moyens, mise à part l'action sur la masse salariale, on peut abaisser le coût des voitures. Vous en avez souligné la nécessité. Les consommateurs estiment également que la voiture française est de 10 % trop chère.

M. Julien JUILLARD : Il serait dommageable d'avoir une vision restreinte des possibilités de gains de productivité dans l'industrie automobile. Ils ont été et sont aujourd'hui réalisés sur la masse salariale. Des gains de productivité sont cependant possibles à la conception, à l'achat, dans la sous-traitance, engendrant des contraintes de plus en plus lourdes et fortes. Nous avons prévu d'abaisser nos coûts de 20 %. Ce n'est pas la masse salariale qui baissera de 20 % ; ce sera le résultat des améliorations intervenues sur nos lignes de montage, de la réorganisation des plateaux techniques, etc...

Pour la région de Montbéliard, vous savez qu'environ 3 000 emplois ont été créés à ECIA, entreprise qui produisait de petits moteurs électriques, de l'outillage. Aujourd'hui, ECIA représente 6 000 personnes et a augmenté ses effectifs, grâce à un transfert technologique sans précédent : quatre mille salariés faisaient du petit moteur électrique et, du jour au lendemain, ces techniciens sont devenus plasturgistes. Ces milliers d'emplois existent aujourd'hui dans le pays de Montbéliard grâce à des transferts d'activité du centre de production vers l'extérieur. Il y a dix ans, la planche de bord était assemblée sur les lignes de montage, alors qu'elle est façonnée aujourd'hui à ECIA. Les emplois ont été délocalisés. La productivité repose aussi sur une évolution des savoir-faire.

Les politiques protectionnistes n'étant plus possibles dans la conjoncture actuelle, la solution ouverte aux constructeurs consiste à produire des véhicules de meilleure qualité au meilleur prix. Cela implique l'engagement de l'ensemble du personnel, un effort financier important - cela a été démontré au cours des dernières années - et un engagement politique très fort. Vous avez évoqué le groupe Fiat. Il faut savoir que Fiat a enregistré 8 000 départs à 45 ans ; chez Seat, il y a eu des départs à 52 ans et, en Allemagne, 20 000 départs à 55 ans ont eu lieu l'année dernière. J'ai eu l'occasion de visiter des entreprises de Volkswagen, de Mercedes. La pyramide des âges y est homogène. Pourquoi ? Parce que les responsables ont appliqué des mesures d'âge sans précédent au cours des dix dernières années. Nous n'en avons jamais entendu parler ! Les Allemands consacraient 1,6 % du PIB au financement des départs contre 0,8 % en France. Pourtant, malgré cela, les entreprises allemandes sont encore confrontées à quelques difficultés.

M. Pierre BEVILACQUA : Nous n'avons jamais dit qu'il fallait réduire la main-d'oeuvre pour abaisser le coût des voitures. La main-d'oeuvre représente 10 % du prix de revient, les achats extérieurs et les frais financiers 65 %... Ce n'est donc pas en agissant sur ces 10 % que l'on révolutionnera le prix des voitures !

Mme Anne VALLERON : Vous posiez la question des moyens d'amélioration de la productivité. Une démarche est engagée pour rester au niveau des autres constructeurs en matière de délais de conception et de mise en route des nouveaux modèles. Plus on démarre tard une étude et plus on sait faire vite, plus on limite les frais financiers. On parle de baisser nos coûts. Tout le travail entrepris est un travail de fond agissant sur les structures. C'est dire que la pression pesant sur le personnel qui travaille sur les plates-formes
- techniciens, administratifs, encadrement - devient colossale. Il faut investir le plus tard possible, au dernier moment ; c'est le " just in time " permanent ! Des gains colossaux sont en jeu. Il faut également se poser la question de savoir s'il faut investir lourdement ou plutôt faire davantage appel à la main-d'oeuvre et à la flexibilité, car l'on sait bien que les marchés ne sont pas immobiles ; il faut, au contraire, sans cesse s'adapter à la demande. La flexibilité ne consiste pas à investir dans des moyens lourds et coûteux.

Audition d'une délégation du syndicat CGT-FO
des personnels de PSA Peugeot Citroën composée de
Mme Yvonne FONTAINE, Secrétaire du syndicat FO de Citroën-Rennes
et de MM.  Jean-François KONDRATIUK,
Secrétaire du syndicat FO de Peugeot-Poissy,
Michel LAUNEY, Responsable du syndicat FO de Citroën-Caen,
et Yvon MANZI, Secrétaire du comité central d'entreprise Automobiles Peugeot,
Secrétaire adjoint du comité européen de PSA

(extrait du procès-verbal de la séance du 7 octobre 1997)

Présidence de M. Daniel PAUL, Président

M. Jean-François KONDRATIUK : M. le Président, il y a cinq ans, une délégation de Force Ouvrière a déjà été reçue dans ce lieu par une commission parlementaire, dans le cadre d'un groupe de stratégie industrielle automobile.

Les conclusions du rapport disaient : " l'Etat devra intervenir pour la mise en place de mesures sociales, ainsi que pour leur financement, en complément de l'action des entreprises, ces actions devant s'inscrire dans le cadre spécifique de l'industrie automobile, intégrant un volet d'aides de la CEE ".

Des propositions des organisations syndicales, de Force Ouvrière en particulier, avaient été retenues, dont la création d'un observatoire des métiers permettant la mise en place d'une véritable gestion prévisionnelle de l'emploi et des compétences.

Ce rapport appelait patronat et syndicats à ouvrir rapidement une négociation nationale sur l'aménagement et la réduction du temps de travail dans l'industrie automobile, et soulignait la nécessité de rétablir la pyramide des âges - particulièrement déséquilibrée dans l'industrie automobile française - en favorisant l'embauche de jeunes. Cinq après, ces recommandations sont restées lettre morte.

Depuis un an, le marché automobile français s'effondre. Il est passé du deuxième au quatrième rang européen, dépassé par l'Angleterre et l'Italie.

Les constructeurs français souffrent plus que les autres, d'une part parce qu'ils sont surtout implantés en Europe sur un marché saturé de remplacement, et, d'autre part, en raison de coûts plus élevés en France que chez les constructeurs étrangers qui s'expliquent par l'âge élevé des salariés.

Renault et Peugeot ont annoncé leur plan de 29 000 suppressions d'emploi sur six ans, consistant à faire partir 43 000 salariés âgés et à embaucher 14 000 jeunes.

Aujourd'hui, nous nous retrouvons devant une nouvelle mission d'information qui, nous l'espérons, ne sera pas, cette fois, enterrée. Des dizaines de milliers d'emplois de la première industrie française sont en jeu : l'ouverture du marché européen aux constructeurs asiatiques dans deux ans ne nous permet plus d'attendre.

Vous, représentants du peuple, devez réellement prendre en compte nos demandes et nos réflexions.

Sur les 35 heures d'abord : il est utile de préciser que cette réduction du temps de travail ne créera pas d'emplois ; au mieux elle les maintiendra. En effet, les sites de production de PSA sont en surcapacité. La sous-activité est constante depuis plusieurs années ; malgré des plans sociaux successifs, le chômage partiel est permanent : en 1996, le centre de production de Poissy a chômé plus de 250 heures, soit l'équivalent de plus de 6 semaines de congés. Il en est de même pour Sochaux, Rennes, Madrid, etc.

Il faut en premier lieu permettre des départs après 40 ans de cotisation, compensés par l'embauche de jeunes. Par cette action, sans baisser les effectifs, nous obtiendrons une baisse mécanique des coûts de la main-d'oeuvre car l'ancienneté du personnel renchérit ce coût.

En second lieu, il faut prévoir des mesures dérogatoires pour les ouvriers ayant travaillé sur la chaîne toute leur vie, en particulier pour les travailleurs immigrés qui ne pourront jamais partir avant 65 ans.

En troisième lieu, il faut négocier l'aménagement et la réduction du temps de travail jusqu'à 32 heures hebdomadaires en 4 jours, seule mesure structurelle permettant la création d'emplois.

Par ailleurs, une meilleure harmonisation des relations constructeurs/éducation nationale est nécessaire afin d'intégrer les nouvelles techniques de conception des véhicules. Actuellement, les jeunes ne sont pas formés aux métiers auxquels on fait le plus appel. L'éducation nationale n'est plus en phase avec l'industrie automobile.

Les recommandations du rapport de 1992, parmi lesquelles la mise en oeuvre d'une gestion prévisionnelle et préventive de l'évaluation des compétences et d'un observatoire des métiers, doivent être mises en pratique.

Toute la filière - constructeurs, équipementiers, sous-traitants, profession de la vente et de la réparation - est concernée.

Enfin, afin d'éviter le dumping social qui a tendance à s'instaurer dans certains pays de la CEE, il importe de mettre en place des normes sociales minimales européennes.

En effet, comment se battre pour le temps de travail et l'emploi en France, pendant que la CEE subventionne des constructeurs s'installant dans des pays où les salariés travaillent 2 300 heures par an, 12 heures par jour ?

Je peux vous citer l'exemple de l'usine du Portugal, que la CEE a financée : l'écart de prix entre un monospace Volkswagen et un monospace Peugeot ou Fiat est de 10 000 francs par véhicule, uniquement du fait de la main-d'oeuvre.

D'ailleurs, nous avons l'intention, avec la fédération européenne de la métallurgie, d'engager au mois de juin, une grande action en Europe pour la mise en place de normes européennes minimales : baisse des heures supplémentaires, baisse du temps de travail - à savoir 1 800 heures, moins de 10 heures pas jour.

Votre rôle d'élu serait de soutenir ces propositions au niveau européen. En effet, il ne servirait à rien de se battre si, en Europe, notre argent sert à financer des constructeurs qui exploitent les travailleurs des autres pays.

M. le Président : Avant de passer la parole au Rapporteur, je vous poserai une question concernant les problèmes de compétitivité de l'entreprise.

Les constructeurs ont eu l'occasion, à plusieurs reprises, de parler du coût de la main-d'oeuvre, et ils affirment que nous avons plusieurs points de retard en matière de compétitivité par rapport à nos concurrents. On lit également, dans la presse - mais cela est lié à l'approche du 10 octobre, à savoir de la conférence nationale sur l'emploi - pas mal de choses à ce sujet.

Quel est votre avis sur cette question ?

Est-il envisageable de récupérer des points de compétitivité sur la masse salariale ? Existe-t-il des niches permettant d'évoluer plus favorablement en matière de compétitivité ?

M. Jean-François KONDRATIUK : Les constructeurs automobiles sont responsables de la situation actuelle, mais ce sont les salariés qui paient.

En 1976, lors de la reprise qui a suivi le premier choc pétrolier de 1973, les constructeurs étrangers ont investi et ne sont pas allés chercher de travailleurs immigrés. En revanche, la France a continué à faire appel à de la main-d'oeuvre étrangère, malléable et facile à exploiter. Nous sommes responsables des problèmes de main-d'oeuvre et du vieillissement des populations salariées.

S'agissant des coûts, il est faux d'affirmer que la main-d'oeuvre est trop chère ; j'en veux pour preuve l'installation de Mercedes en France et l'éventuelle venue de Toyota dans le nord de la France.

Par ailleurs, certaines études font état de la qualité de la main-d'oeuvre française qui n'est pas forcément plus chère qu'ailleurs.

Nous pensons que les coûts salariaux ne sont pas trop élevés. Si nos voitures sont chères, cela est dû non pas tant au coût de la main-d'oeuvre qu'à celui de la conception. Nos voitures sont de très bonne qualité, mais, il est vrai, coûtent très cher à la conception. Renault ou PSA ont annoncé des gains de productivité de près de 25 % jusqu'en l'an 2000, et l'on sait que l'on y arrivera.

Si nous prenons l'exemple de la 206, elle coûtera, en TA - temps alloué - moins cher qu'une 106, et sa remplaçante, la 306, coûtera encore moins cher qu'une 206. Cela est possible, car tout se fait à la conception. Le problème des coûts de main-d'oeuvre est donc un faux problème.

M. le Rapporteur : Ma première question concernera la réduction du temps de travail et les 35 heures.

Vous dites que la réduction du temps de travail à 35 heures ne créera pas d'emplois chez PSA. Que pensez-vous d'une mesure qui permettrait aux salariés de 55 ans et plus qui ont toujours travaillé en ligne, de faire 30 heures par semaine ou un mi-temps, moyennant en contrepartie des créations d'emplois ?

M. Jean-François KONDRATIUK : Nous disons que la réduction du temps de travail à 35 heures ne créera pas d'emplois - au mieux en maintiendra -, car, en moyenne, dans les centres de production, les salariés travaillent déjà moins de 35 heures ; or, malgré cela, on continue à supprimer des emplois !

M. Yvon MANZI : Prenez l'exemple de Sochaux où l'on chôme un jour par semaine : si l'on impose la semaine de 35 heures, on ne créera pas d'emplois!

M. le Président : A condition de baisser également le nombre d'heures supplémentaires ?

M. Yvon MANZI : Absolument, mais je vous parle du site de Sochaux, parce qu'il est moins concerné par les heures supplémentaires que celui de Mulhouse. En effet, à Mulhouse le paradoxe existe : ce site est divisé en deux ; or parfois le nord du site travaille en heures supplémentaires pendant que le sud chôme parce qu'il n'est pas directement lié au montage des voitures.

Depuis le début de l'année le site de Mulhouse, qui fabrique une voiture qui se vend beaucoup en Europe, a effectué des heures supplémentaires jusqu'au mois de septembre, mais le chômage est annoncé pour le mois d'octobre.

M. le Rapporteur : C'est donc plutôt l'approche hebdomadaire que vous trouvez relativement inefficace, compte tenu des situations concrètes. Mais pensez-vous que la mesure que je viens d'évoquer - proposer une semaine de 30 heures ou un mi-temps aux salariés de plus de 55 ans ayant travaillé toute leur vie en ligne - pourrait créer des emplois ?

M. Jean-François KONDRATIUK : La réduction du temps de travail à 30 heures par semaine pour cette catégorie d'ouvriers suppose la mise en place de temps partiels. La question qui se pose est la suivante : ces personnes peuvent-elles ou non accepter une baisse de rémunération, alors qu'elles perçoivent les plus faibles salaires de l'industrie automobile ?

M. le Rapporteur : Je n'ai pas parlé rémunération.

Mme Yvonne FONTAINE : Mais c'est indissociable.

M. Jean-François KONDRATIUK : Un sondage est paru dans la presse affirmant que 70 % des personnes interrogées accepteraient une réduction du temps de travail avec diminution de salaire. Je ne sais pas quelle catégorie de personnes a été interrogée - des députés ou des patrons ! -, mais les ouvriers, eux, ne sont pas favorables à une baisse de leur salaire.

M. le Rapporteur : Aucun d'entre nous ici ne parle de baisse de salaire, et ce n'est pas non plus dans le programme du Gouvernement.

M. Jean-François KONDRATIUK : Peut-être, mais je vous rappelle simplement que les ouvriers ne peuvent pas, aujourd'hui, se permettre d'accepter une baisse de salaire.

M. le Rapporteur : Si l'on part de l'hypothèse qui se trouve dans le " rapport Cabaret "
- dont tout le monde parle, mais que personne n'a lu -, on entre dans un système où l'Etat intervient car il y a quelque chose à payer.

Si l'on prévoit le maintien de la moitié du salaire et un processus de retraite, non pas progressif, mais avec une " marche d'escalier " à un moment donné, cela ne coûte par forcément plus cher que de mettre tout le monde à la retraite d'office à 57 ans.

M. Jean-François KONDRATIUK : Ce n'est pas ce que nous disons, et nous pensons que celui qui a travaillé toute sa vie à la chaîne mérite sa retraite à 55 ans. En revanche, d'autres catégories professionnelles peuvent, raisonnablement, partir à 60 ans ; nous devons pondérer l'âge des départs en fonction de la pénibilité du travail.

M. le Rapporteur : Vous avez évoqué le problème des travailleurs d'origine étrangère qui n'obtiendront jamais les 40 ans de cotisation. Avez-vous des mesures précises à proposer pour cette catégorie de travailleurs ?

M. Jean-François KONDRATIUK : Non, nous n'avons aucune mesure spécifique à proposer. En revanche, nous venons de parler de départs anticipés à 55 ans pour les personnes ayant travaillé toute leur vie sur la chaîne ; or les travailleurs immigrés font partie de cette catégorie.

M. le Rapporteur : Indépendamment des années de cotisation ?

M. Jean-François KONDRATIUK : Oui, mais il faudrait trouver des solutions de compensation ; les travailleurs immigrés ont rapporté beaucoup d'argent à la France, ne l'oublions pas.

M. le Rapporteur : Ma troisième question concerne la part des salaires dans le prix des voitures, dont vous n'êtes par les premiers à nous dire qu'elle est de moins en moins élevée - de l'ordre de 10 ou 12 % - ; je pense que la réalité est plus compliquée que cela.

Aujourd'hui, sur une ligne de montage, il y a de plus en plus de pièces déjà assemblées qui proviennent de fournisseurs et qui ont donc déjà intégré du travail salarié.

Mme Yvonne FONTAINE : Vous voulez parler des équipementiers ?

M. le Rapporteur : Oui, tout à fait.

Donc lorsqu'on dit que les salaires représentent 12 % de la valeur de la voiture pour le constructeur, ce n'est pas tout à fait juste, la part est en fait plus élevée.

Si l'on réfléchit au problème de l'effet d'une réduction du temps de travail, à salaire maintenu, sur le coût du travail, nous ne pouvons pas nous baser sur 12 % et devons rechercher un chiffre plus proche de la réalité, permettant de tenir compte du coût du travail incorporé dans les achats extérieurs. Avez-vous une idée de ce que cela représente ?

M. Yvon MANZI : Je peux vous citer quelques chiffres : la production représente 20 % du coût total, les achats 30 %, les frais généraux et financiers 10 % et les coûts de distribution 20 %.

Le gain ne peut pas se faire uniquement sur les salaires, car si l'on gagne 30 % de productivité sur les 20 % que représentent les salaires, cela ne fera que 6 % du total. Nous estimons donc qu'avec le travail qui est fait chez les équipementiers - puisque, en effet, les pièces arrivent assemblées - le coût du travail représente, effectivement, plus de 10 ou 12 %.

M. Jean-François KONDRATIUK : Je vais prendre un exemple et établir une comparaison entre une Horizon et une 306.

Le temps de fabrication d'une 306 aujourd'hui par rapport à une Horizon en 1976 a été réduit de moitié (sous-traitance intégrée).

Grâce à la conception nous avons pu réduire les coûts ; le coût de main-d'oeuvre a été réduit d'une vingtaine d'heures par véhicule. Il a fortement baissé, même en tenant compte de la sous-traitance.

De plus, n'oublions pas que les grands constructeurs, tels que PSA, sont propriétaires ou du moins actionnaires des équipementiers. PSA détient la moitié des actions de Roth Major qui fabrique les sièges de voiture pour Renault.

Les constructeurs automobiles gagnent beaucoup d'argent ; M. Calvet a remboursé 7 milliards de francs de dettes en 6 mois !

M. le Rapporteur : Ma dernière question est en fait un commentaire sur votre souhait d'obtenir une harmonisation des normes sociales européennes " vers le haut ".

M. Jean-François KONDRATIUK : Non, j'ai parlé de normes minimales, ce qui est différent, car le Smic n'est pas le plus haut salaire !

M. le Rapporteur : Normalement, l'un des acquis du nouveau traité européen - il n'y en a pas beaucoup - est l'intégration du fameux protocole social dans le traité. Cela va donc dans cette direction. Cependant, cela se fera progressivement, car on ne demandera jamais aux Portugais, par exemple, d'augmenter leur salaire minimum de 30 % en deux ans.

Mais je suis tout à fait d'accord avec vous et il faut aller vers ce que j'appellerai " une harmonisation vers le meilleur niveau à l'intérieur de l'Union européenne ".

M. le Président : Vous avez évoqué les relations avec l'éducation nationale. Vos camarades de Renault nous ont dit qu'il n'y avait plus, depuis quelques années déjà, d'embauches d'apprentis.

Qu'en est-il chez PSA ? Y a-t-il des écoles d'entreprise ?

Mme Yvonne FONTAINE : Citroën a, en effet, une école d'entreprise qui fonctionne d'ailleurs très bien. Cependant, il est vrai que le nombre d'apprentis diminue : alors que nous en avions une quinzaine chaque année sur les sites - ils étaient d'ailleurs pratiquement assurés d'avoir un emploi -, il est envisagé cette année de n'en prendre que deux.

M. le Président : Des apprentis sortant de l'école Citroën ?

Mme Yvonne FONTAINE : Non, je vous parle d'apprentis n'ayant pas fréquenté l'école Citroën.

M. Yvon MANZI : A Mulhouse nous formons également des apprentis, notamment des électrotechniciens et des fraiseurs ajusteurs, que nous embauchons par la suite. Actuellement on en compte entre 80 et 100. Cependant, lorsque ces jeunes seront embauchés, ils n'exerceront pas forcément leur spécialité et pourront être employés aux postes où l'on manque de personnel.

M. le Président : Leur qualification n'est donc pas reconnue ?

M. Yvon MANZI : Si, elle est reconnue, ils disposent d'un métier, mais selon les besoins de l'entreprise, ils sont susceptibles de travailler à un autre poste.

M. Jean-François KONDRATIUK : La qualification est obligatoirement reconnue en fonction du diplôme, par le biais des conventions collectives.

Je suis surpris que Renault ne fasse plus appel à des apprentis, car l'AFORP de Mantes - qui est une école professionnelle dépendante du GIM, où Renault a une vingtaine d'apprentis en CAP d'exploitation-installation industrielle (EII) - forme 40 apprentis qui devraient être embauchés à l'usine de Flins.

Simca avait une école professionnelle à Poissy qui est maintenant inadaptée, car elle formait des jeunes à des métiers dont on n'a plus besoin. Or cette école vient d'être reprise par l'AFORP de Mantes. De ce fait nous avons des apprentis dans différentes professions. Désormais, on forme les apprentis en fonction des besoins de demain, c'est ce que nous appelons la " gestion prévisionnelle " de l'emploi.

M. le Président : Pourtant, plusieurs syndicats de Renault nous ont affirmé qu'ils n'embauchaient plus d'apprentis...

M. Jean-François KONDRATIUK : Je peux vous affirmer que les jeunes qui sont à l'AFORP de Mantes ont un contrat d'apprentissage avec Renault et seront embauchés à Flins. Mais peut-être sur ce site la population est-elle beaucoup plus âgée qu'à Douai...

M. Yvon MANZI : S'agissant de Mulhouse, ce site subit probablement l'influence de l'Allemagne où l'apprentissage est très développé.

M. Jean-François KONDRATIUK : Je voudrais revenir sur la question de la semaine de 4 jours, car je crois que, structurellement, une telle mesure créera des emplois.

A Poissy, nous travaillons en " 5 et 4 ", c'est-à-dire 5 jours puis 4 soirs, soit, en moyenne, 4,5 jours par semaine. Nous ne sommes donc pas loin de la semaine de 4 jours.

Tout ce qui a été fait jusqu'à présent s'est révélé inefficace en termes d'emploi ; or, je pense que la semaine de 4 jours est créatrice d'emplois tout comme les " 4x10 ". A Poissy, la semaine des " 4x10 " avait été mise en place en vue d'augmenter la capacité de production ; nous avons tout de même embauché quelque 2 500 jeunes. En effet, la capacité de production ayant augmenté de 20 %, il a donc fallu embaucher 20 % de personnes supplémentaires.

De la même façon, si nous passons à la semaine de 4 jours alors que les centres continuent de travailler 5 jours, nous serons obligés d'embaucher 20 % de personnels supplémentaires, notamment en main-d'oeuvre directe.

M. le Rapporteur : Je suis convaincu qu'en réduisant par petites doses la durée du travail, les cadences augmenteront et il n'y aura pas d'embauches.

Si l'on veut que la réduction de la durée du travail crée des emplois, elle doit être assez importante pour obliger à une réorganisation de la production.

M. Jean-François KONDRATIUK : S'agissant des cadres, tout le monde sait qu'ils travaillent plus de 50 heures par semaine, notamment les cadres de production. Nous sommes persuadés que la semaine de 4 jours sera pour eux une réelle réduction de leur temps de travail, davantage en tout cas que le compte capital-temps ; un jeune ingénieur de 25 ans ne pense pas en effet, en épargnant son temps, à partir en retraite à 60 ans !

Mme Yvonne FONTAINE : Ma perception est un peu différente : si l'on diminue le temps de travail d'un ingénieur, il ne doit pas, à son retour, retrouver du travail sur son bureau ; dans ces conditions on ne créera pas d'emploi, car l'ingénieur travaillera deux fois plus à son retour. Si l'on veut que cette mesure soit efficace, il convient d'embaucher un autre ingénieur qui travaillera pendant que le premier prendra ses journées de récupération.

Nous n'avons pas encore parlé du rajeunissement de la pyramide des âges. Pourtant, je peux vous affirmer que les personnels de base sont tout à fait prêts à anticiper leur départ contre l'embauche d'un jeune : un contre un, d'autant plus qu'ils ont, en général, de longs temps de trajet quotidien pour se rendre à l'usine. Ils aspirent donc à partir plus tôt afin de voir leurs jeunes, qui sont au chômage, prendre le relais.

M. le Rapporteur : Un représentant syndical nous a dit, la semaine dernière, qu'Aulnay était un établissement dans lequel les salariés de 55 ans font des heures supplémentaires pour aider leurs enfants qui sont au chômage.

M. Yvon MANZI : En ce moment, à Mulhouse, un différend est créé par le plan social qui est mis en place et les départs dans le cadre de l'allocation de remplacement pour l'emploi (ARPE). Peugeot a demandé des départs en FNE (Fonds national de l'emploi), mais le nombre de bénéficiaires est inférieur aux demandes. Il a donc été décidé que les personnes âgées de 58 ans et ayant 40 ans de cotisation partiront en accord ARPE.

En tant que syndicalistes nous comprenons très bien cette mesure, cependant les personnes partant dans le cadre de l'ARPE sont mécontentes car elles touchent moins d'argent que celles partant en FNE.

L'avantage de l'ARPE, c'est l'embauche, et actuellement c'est le seul moyen d'embaucher des jeunes. A Mulhouse nous sommes passés d'un effectif de 16 000 personnes à 10 000, et une suppression de 2 000 emplois est prévue en l'an 2000. C'est affolant ! Le grand danger, dans l'industrie automobile, c'est bien la perte d'emplois.

M. le Rapporteur : S'agissant de la pyramide des âges, l'extension de l'ARPE
- c'est-à-dire sans limite d'âge - est une bonne façon de répondre à la préoccupation du rajeunissement.

Les mesures peuvent être différentes selon les sites : ARPE étendue, FNE, préretraite progressive, passage à mi-temps pour les personnes les plus âgées ayant travaillé à la chaîne toute leur vie, etc... On peut donc négocier, site par site, une combinaison de toutes ces mesures, l'important étant que les départs soient compensés par des créations d'emplois.

Mme Yvonne FONTAINE : Parmi ces mesures pourrait figurer le temps partiel, car je suis convaincue qu'il est créateur d'emplois.

M. le Rapporteur : Le problème est plus complexe car l'on parle de temps partiel " choisi " ; or il semblerait que les personnes qui travaillent à temps partiel ne l'aient pas toujours souhaité. Un temps partiel doit s'accompagner d'une garantie de passage à temps plein en cas de demande du salarié. Mais il est difficile de faire passer ce type de garantie dans les négociations.

Mme Yvonne FONTAINE : Cela s'est révélé très souvent inefficace.

M. Jean-François KONDRATIUK : Qui souhaite travailler à temps partiel ? Bien souvent ce sont les femmes, et si elles travaillent à la chaîne c'est, non pas par plaisir, mais parce qu'elles ont besoin d'argent.

S'agissant des heures supplémentaires, une secrétaire de notre fédération avait eu une idée judicieuse en affirmant que même si l'on adoptait une loi-cadre sur les 35 heures, il faudrait laisser l'horaire légal à 39 heures. En effet, si l'on baisse la durée légale à 35 heures, les patrons pourront de nouveau imposer des heures supplémentaires ; mais si elle reste à 39, les heures travaillées entre 35 et 39 heures ne pouvant être majorées, les salariés ne viendront pas travailler gratuitement, et il faudra, de ce fait, créer des emplois.

M. le Président : J'ai le sentiment que, dans l'hypothèse d'un abaissement de la durée du travail à 35 heures, quelles que soient les modalités retenues pour les rémunérations - je préférerais personnellement le maintien des salaires au niveau des 39 heures -, la question des heures supplémentaires ne pourra être résolue si le patron n'est pas pénalisé. Il faut qu'il ait avantage à embaucher, et nous ne pourrons arriver à ce résultat qu'en majorant les charges liées aux heures supplémentaires, au-delà d'un certain niveau qu'il faut négocier.

Mme Yvonne FONTAINE : Ou en ayant l'obligation de les récupérer.

M. le Président : Nous devons, en tout cas, trouver un moyen de dissuader les chefs d'entreprise de recourir aux heures supplémentaires.

M. Jean-François KONDRATIUK : Je suis persuadé qu'aujourd'hui deux tiers des heures supplémentaires effectuées ne correspondent pas à des besoins ponctuels mais ont un caractère permanent et concernent toujours les mêmes ateliers, dans les mêmes centres ; les 94 heures et les 130 heures sont toujours faites par les mêmes secteurs.

M. Yvon MANZI : A Mulhouse, les 5 syndicats ont signé un accord concernant le compte capital-temps. Les personnes qui effectuent des heures supplémentaires ont donc la possibilité, soit de se les faire payer, soit d'accumuler une réserve qui peut aller jusqu'à 50 heures.

Cela fonctionne très bien ; environ 20 % du personnel transforment les heures supplémentaires en banque d'heures ; or si 50 ou 60 % du personnel agissaient de cette façon, l'employeur serait obligé d'employer du personnel pour remplacer ceux qui prendraient leurs journées de récupération. En effet, actuellement, le problème est que l'on n'arrive pas facilement à libérer ces personnes afin qu'elles prennent leur congé.

Mme Yvonne FONTAINE : Nous avons évoqué l'apprentissage, mais nous n'avons pas abordé le problème du tutorat qui pourrait être une forme d'apprentissage sur le terrain. Cela ne vous semble pas cohérent ?

M. le Président : Il y a un certain nombre de sujets " lourds " que l'on aborde systématiquement avec tous les interlocuteurs - les 35 heures, les heures supplémentaires, la pyramide des âges, l'embauche des jeunes, la compétitivité - mais nous ne pouvons pas soulever tous les problèmes.

Un certain nombre de syndicats ont des propositions particulières, et c'est à eux de les aborder.

M. Yvon MANZI : Nous avons parlé du coût salarial dans le prix des voitures, mais nous n'avons pas parlé du prix de vente des voitures en France, en comparaison avec les pays étrangers.

M. le Rapporteur : Il y a, à ce sujet, beaucoup de choses à dire.

Tout d'abord, lorsque les constructeurs français vendent leurs voitures à l'étranger, la concurrence les oblige à pratiquer une politique de prix plus " agressive " ; en France, une sorte de rente de situation, d'image de marque fait que l'on peut vendre un peu plus cher.

Ensuite, il y a le problème de la fiscalité au niveau européen ; des propositions sont à faire dans ce domaine, afin d'achever l'harmonisation et d'éviter que certains constructeurs ne soient avantagés par rapport à d'autres.

M. Yvon MANZI : Il a fallu que les mandataires apparaissent pour que des constructeurs qui ne voulaient pas faire la guerre des prix, baissent enfin leur prix.

M. le Rapporteur : Certes, mais les mandataires ne sont pas toujours sûrs. Certains acheteurs - le mandataire ayant disparu - se retrouvent avec des voitures non garanties ou sans carte grise.

M. Jean-François KONDRATIUK : Nous avons parlé des personnes de plus de 55 ans et des jeunes, mais cela ne doit pas nous faire oublier les autres ! Les patrons de l'industrie automobile prévoient des plans de carrière, une gestion prévisionnelle de l'emploi pour les jeunes et les départs anticipés, mais il convient de ne pas oublier les personnes de 30 à 55 ans qui sont les plus nombreuses. Nous ne devons pas les sacrifier au nom de la productivité. Or on a tendance à les oublier, que ce soit au niveau des pouvoirs publics ou des patrons.

Chez Peugeot, l'ouverture de négociations sur un accord-cadre au niveau du groupe - qui sera affiné - destiné à la mise en place d'un observatoire social des métiers a été annoncée. Or, cet accord concernerait la formation des jeunes, mais pas les 30/50 ans.

M. Yvon MANZI : Je compléterai les propos de mon collègue en vous disant qu'il y a quelques années, lorsque sont apparus les centres d'usinage, on n'y affectait que des jeunes en formation ; les personnes de plus de 40 ans étaient, soi-disant, déjà trop âgées pour être formées.

Mme Yvonne FONTAINE : Avant de conclure, je souhaiterais aborder le problème de la " sur-robotisation ".

Il serait judicieux de taxer les robots, facteurs de suppression d'emplois et pas forcément de rentabilité sur certains postes.

M. le Rapporteur : Nous pouvons trouver un début de réponse dans le programme d'un des partis de l'équipe gouvernementale actuelle : l'idée serait d'asseoir sur la valeur ajoutée la part patronale des cotisations sociales sur les salaires.

M. Jean-François KONDRATIUK : Les patrons français ont la manie de vouloir singer les Asiatiques : à Rennes, pour copier les Japonais, nous avons décidé de démonter les portes de voitures. Mais les Japonais le faisaient pour des raisons pratiques, parce que leurs usines étaient trop petites. En France nous n'avions pas besoin de les démonter !

On a robotisé, parce que les Japonais ont robotisé. Les Japonais humanisent leurs usines, les Français humanisent également ; on copie les Japonais !

En France, il est de bon ton pour un cadre de faire beaucoup d'heures, alors qu'aux Etats-Unis, si un cadre effectue des heures supplémentaires, on en déduit qu'il est incapable de faire tout son travail en une journée, et qu'il s'agit donc d'un mauvais cadre ! Il y a aussi des mentalités à changer.

Audition d'une délégation du syndicat CTFC
des personnels de PSA Peugeot Citroën composée de
MM. Hubert DELACROIX, Représentant syndical au comité de groupe européen,
Théo GENDROT, Délégué syndical central Citroën,
et Jacques MERGEY, Délégué syndical central Peugeot

(extrait du procès-verbal de la séance du 7 octobre 1997)

Présidence de M. Daniel PAUL, Président

M. Jacques MERGEY : M. le Président, la CFTC de PSA rappellera ses deux priorités : d'une part, la réduction du temps de travail; d'autre part, le départ des salariés en retraite anticipée.

S'agissant de la réduction du temps de travail, la CFTC de PSA, quelques jours avant la conférence nationale sur l'emploi, insiste pour que celle-ci soit négociée par branche d'activité.

La réduction du temps de travail dans le secteur automobile est aujourd'hui impérative ; elle doit permettre non seulement l'embauche des jeunes mais également une profonde réorganisation du travail.

Cette réorganisation est nécessaire pour un meilleur partage des charges du travail. Nous sommes en effet, actuellement confrontés à un mauvais étalement de la production, tiraillés entre une surcharge de travail importante pour certains postes et de nombreux jours de chômage technique pour d'autres.

En ce qui concerne l'allocation de remplacement pour l'emploi (ARPE), la CFTC de PSA préconise un départ anticipé avec 37,5 années de cotisation, sans limite d'âge. Cette mesure corrigerait la pyramide des âges qui, dans le secteur de l'automobile, est particulièrement inquiétante. Avec une moyenne d'âge de 47 ans, l'industrie automobile va dans le mur. Elle doit très rapidement rajeunir ses effectifs pour garantir sa place sur les marchés mondiaux.

De ces deux mesures dépend l'avenir de l'industrie automobile ; la CFTC de PSA demande qu'elles soient examinées et appliquées.

M. le Rapporteur : Je vous poserai deux questions.

Tout d'abord, vous avez cité comme solution aux problèmes de pyramide des âges un mécanisme ARPE étendu. Que pensez-vous de l'idée selon laquelle, à partir d'un certain âge, on pourrait proposer aux salariés travaillant sur la chaîne de ne faire que 30 heures par semaine, ou un mi-temps, avec une embauche de jeunes à due concurrence ? Cette solution viserait à rajeunir l'ensemble des effectifs, tout en se préoccupant des salariés les plus anciens.

Peut-être pensez-vous qu'une séparation nette entre travail et non-travail serait préférable ?

Ma seconde question est plus brutale : le comité européen sert-il à quelque chose ? Et sinon, que faut-il faire pour qu'il serve ?

M. Hubert DELACROIX : Faire travailler les anciens à mi-temps est une proposition réalisable et très intéressante à condition de leur proposer un vrai mi-temps, c'est-à-dire une semaine sur deux. Il est impossible de faire travailler le lundi un jeune, puis le mardi un ancien.

Cela dit, cette idée est bonne. En effet, les anciens réclament des départs anticipés. Mais lorsqu'ils partent, ils pleurent presque : ils se retrouvent du jour au lendemain sans rien. Certains habitent dans des grands ensembles et n'ont pas d'occupations. Faire quelques années - pas dix ans! - à mi-temps serait donc une bonne solution: ainsi, ils partiraient progressivement, en douceur.

J'ai assisté au premier comité de groupe européen de PSA cet été. Aujourd'hui, tel qu'il est organisé, il ne sert à rien. Il s'agit d'une chambre d'information. Or, nous avions déjà les comités de groupe qui délivraient des informations intéressantes.

Le comité de groupe n'a pas de poids, il se réunit une fois par an. Il serait intéressant que les organisations syndicales puissent peser au niveau européen.

Le comité de groupe de PSA englobe les succursales. Or, nos problèmes ne sont pas identiques ; les vendeurs de voitures n'ont pas les mêmes sujets de préoccupation que les constructeurs. En revanche, la langue ne pose pas de problème, puisque nous avons des traducteurs.

M. le Rapporteur : Cela vous a-t-il permis de coopérer avec les représentations syndicales étrangères, afin de dégager des revendications communes ou d'éviter que le niveau central ne joue les uns contre les autres ?

M. Hubert DELACROIX : Cela serait tout à fait possible si nous nous réunissions plus d'une fois par an. Or, on ne se voit qu'au mois de juillet. Nous pourrions nous contacter au cours de l'année, mais nous n'avons ni le temps, ni le budget nécessaires.

Cet été, une journée préparatoire nous a permis de discuter entre nous. Nous pouvons avoir des revendications communes, les problèmes de charge de travail et de durée du travail étant très proches dans une usine anglaise, française ou espagnole. Peugeot avait mis une salle à notre disposition afin que nous fassions connaissance, mais nous avons manqué de temps. En effet, c'était notre première rencontre et nous sommes 6 représentations syndicales - les 5 syndicats représentatifs plus une organisation syndicale non représentative, cette dernière, non encadrée par une fédération nationale, étant importante chez PSA -.

M. le Président : Vous avez rapidement évoqué les questions de la pyramide des âges et des 35 heures. Sur le problème des 35 heures, de quelle façon, selon vous, une telle mesure pourrait créer ou maintenir des emplois, et à quelles conditions ?

Par ailleurs, quelles solutions préconisez-vous pour régler le problème de la pyramide des âges ?

Pourriez-vous, enfin, évoquer les problèmes de productivité ? J'ai vu que vous l'abordiez, dans le document que vous nous avez remis, dans le cadre des mesures sociales et du partage des gains de productivité.

M. Jacques MERGEY : Sur la pyramide des âges : chez PSA, bon nombre de salariés sont anciens et leur moyenne d'âge tourne autour de 47 ans. Peugeot en est, cette année, à son treizième plan social. Nous déplorons de la part du gouvernement l'absence d'un plan social de solidarité. Dans notre groupe, le rajeunissement de la pyramide des âges ne se fait que grâce à l'ARPE.

Nous déplorons qu'aucune mesure ne soit prise pour embaucher des jeunes dans ce nouveau plan social ; les personnes partent avec le Fonds national de l'emploi et ne sont pas remplacées. L'ARPE, à elle seule, ne peut rajeunir la pyramide des âges.

M. le Rapporteur : C'est la raison pour laquelle, outre l'extension de l'ARPE sans condition d'âge, j'évoquais la possibilité, pour les salariés les plus anciens - il restera à fixer un âge, site par site -, de terminer leur carrière en travaillant à mi-temps.

M. Hubert DELACROIX : Il y a eu, voilà deux ans, un plan de ce type, qui permettait aux ETAM de travailler à mi-temps. Cette mesure était réservée aux ETAM. Pour les ouvriers, il pourrait être plus difficile de gérer les équipes. Cependant, si le salarié concerné vient travailler une semaine sur deux, cela ne devrait poser aucun problème.

M. Théo GENDROT : S'agissant de la pyramide des âges, la situation, chez Citroën, est dramatique. En 1982, les moins de 25 ans représentaient 9 % des effectifs, ils ne représentent plus, aujourd'hui, que 2,6 % du personnel de la société dont l'effectif total est de 28.000 ; à Rennes, en 1982, les jeunes de moins de 25 ans représentaient 15,5 % du personnel ; aujourd'hui, ils ne sont plus que 19 pour un effectif de 11.000.

La situation est le résultat des effets pervers des plans sociaux qui permettent le départ des salariés avec les allocations spéciales du fonds national de l'emploi (AS-FNE) sans embauche en contrepartie. Nous réclamons donc des plans sociaux qui prévoient systématiquement l'embauche de jeunes.

Voici d'autres chiffres significatifs concernant l'ancienneté du personnel : en 1982, 4 700 personnes avaient moins de 5 ans d'ancienneté ; aujourd'hui ils ne sont plus que 1 100. A Rennes, alors qu'ils étaient 2 500 en 1982, ils ne sont plus que 23 personnes. Cela veut dire qu'aucune embauche n'est intervenue depuis 1994 ! C'est dramatique!

M. le Rapporteur : S'agissant de la robotisation, pensez-vous que le groupe PSA soit arrivé à un palier ou qu'il va la poursuivre dans des domaines nouveaux ?

M. Théo GENDROT : Chez Citroën, la robotisation stagne, car ils se sont aperçus que l'on ne pouvait plus produire dès lors qu'un robot était en panne.

Par ailleurs, la population étant vieillissante, il a fallu "recaser" les salariés plus âgés. Or cela s'est révélé difficile, car avaient été supprimés tous les postes de travail qui existaient autour des chaînes. C'est la raison pour laquelle on revient aujourd'hui en arrière et que l'on replace des postes de préparation destinés aux salariés les plus âgés.

Nous sommes tout à fait favorables à la robotisation des postes durs, mais on a robotisé des postes de travail absolument pas pénibles, que l'homme pouvait très bien assurer.

M. le Rapporteur : Lorsqu'on examine les chiffres livrés par certains experts, on constate qu'il faut encore quatre heures de plus à une usine française, par rapport à une usine japonaise, pour fabriquer une voiture équivalente.

La course à la productivité est, de ce fait, loin d'être achevée. Que va-t-il arriver, selon vous, dans les années qui viennent ?

M. Hubert DELACROIX : L'objectif actuel est de faciliter le montage ; plus les véhicules sont faciles à monter, plus on les monte rapidement et moins cela pose de problèmes. Pour être compétitifs, nous devons donc, non pas faire travailler davantage les salariés, mais faciliter le montage.

S'agissant de la robotisation, je pense que l'on robotisera encore, notamment les tâches les plus pénibles, et nous trouvons cela intéressant. Les tâches en peinture, soudure ou assemblage de caisse sont non seulement pénibles mais dangereuses. Nous ne pouvons donc pas être contre leur suppression. Cependant, il est vrai que si l'on automatise une descente de caisse, on supprime au moins 10 personnes par ligne de montage.

S'agissant des 35 heures, il y a longtemps que nous les faisons chez Peugeot ! Nous les faisons d'une autre manière, certes, mais nous les faisons quand même. Les anciens ne s'en plaignent d'ailleurs pas vraiment, puisqu'ils reçoivent des indemnités pour les jours chômés, leur pouvoir d'achat est donc garanti ; en revanche, les jeunes qui débutent ne comprennent pas pourquoi ils se lèvent à 4 heures du matin pour 5 000 francs par mois.

Il y a là un réel problème et l'on devrait y regarder à deux fois avant de baisser les charges des employeurs. Peugeot réalise de grosses économies au niveau des charges patronales mais ne crée pas d'emplois.

M. le Rapporteur : Nous avons visité le site d'Aulnay la semaine dernière où nous avons rencontré l'ensemble des organisations syndicales. Tout le monde s'accordait à dire qu'il était naturel de faire un minimum d'heures supplémentaires et d'engager des intérimaires, compte tenu de la fluctuation de la production, mais qu'il y en avait tout de même beaucoup trop.

Ce point de vue est-il partagé dans l'ensemble du groupe ?

M. Hubert DELACROIX : Chez Peugeot, il y a très peu d'intérimaires. C'est une solution d'attente lorsqu'il y a un pic ; mais nous voulons qu'ils soient, par la suite, embauchés, car ils bénéficient ainsi d'un apprentissage du métier.

M. le Président : Vous préférez l'intérim au chômage partiel ?

M. Hubert DELACROIX : Embaucher des jeunes intérimaires permet de leur faire découvrir la vie d'une société automobile. Cette solution n'est pas mauvaise, car en général les jeunes qui sortent des écoles ne connaissent pas du tout le travail. Il existe un décalage énorme entre un jeune qui passe un CAP et la réalité du terrain.

S'agissant des heures supplémentaires, seuls certains services bien spécifiques en font encore. Les grands ateliers de montage ne font plus d'heures supplémentaires depuis longtemps, sauf pour l'entretien ou la mise au point d'une machine particulière.

M. Théo GENDROT : Chez Citroën, en revanche, nous faisons des heures supplémentaires au moment de la sortie d'un nouveau véhicule. A Aulnay, le personnel a travaillé, l'année dernière, presque tous les samedis des mois d'octobre, novembre, décembre, janvier et février.

Cette année, à Rennes, il y a déjà eu deux samedis travaillés en septembre et un au mois d'octobre, et nous avons travaillé 15 minutes supplémentaires chaque jour.

Les heures supplémentaires varient selon les sites. Nous préférerions que Citroën embauche des intérimaires, afin de leur permettre de découvrir le monde de l'entreprise.

M. le Rapporteur : Vous avez un nouveau président. Avez-vous une idée des inflexions qu'il pourrait apporter ? Y a-t-il eu une communication interne ?

M. Jacques MERGEY : Nous n'avons pas encore eu l'occasion de rencontrer notre nouveau président. Peut-être cela se fera-t-il dans les semaines ou les mois qui viennent.

M. Hubert DELACROIX : On a eu un mot de l'ancien président. Nous avions un économiste, un financier, nous avons maintenant un industriel ; il devrait nous faire travailler un peu plus et suivre une politique de rentabilité de l'outil de production - du moins nous l'espérons.

M. le Rapporteur : Quel est votre sentiment sur l'évolution de la gamme Peugeot par rapport à celle de Citroën ? Actuellement, il y a un seul groupe mais un parallélisme assez grand des modèles.

M. Hubert DELACROIX : Les véhicules sont différents, mais disposent des mêmes bases : les mêmes planchers, les mêmes moteurs, seule la silhouette change.

Un gain de productivité serait obtenu en rapprochant les services d'études. En effet, les véhicules sont si semblables qu'il serait ridicule de continuer à avoir deux services d'études distincts. Le nouveau président pourrait accentuer ce rapprochement.

M. le Président : Je voudrais revenir sur les heures supplémentaires, notamment à Rennes. Y en a-t-il beaucoup ? La situation est-elle la même que dans les autres usines du groupe ?

M. Théo GENDROT : Jusqu'en février 1997, on a fait du chômage partiel. Actuellement, on lance la Xsara. A partir du mois de septembre, on a travaillé deux samedis supplémentaires plus 15 minutes supplémentaires par jour et par équipe.

Nous ne savons pas très bien pendant combien de temps nous allons travailler à ce rythme : un seul samedi a été travaillé en octobre. Nous allons peut-être revenir bientôt à un régime normal.

Nous souhaitons l'embauche des intérimaires - mais la direction ne l'entend pas de cette oreille - et la suppression des heures supplémentaires.

M. le Rapporteur : Les salariés sont-ils tous d'accord pour ne plus faire d'heures supplémentaires ? Cela leur apporte tout de même un complément de revenu.

M. Théo GENDROT : Certains salariés, notamment les plus anciens, touchent des allocations qui leur permettent de compenser la perte de salaire due aux jours chômés. Il est vrai que, pour les autres, les heures supplémentaires représentent un appoint important.

M. Hubert DELACROIX : Ce qui est dommage, c'est que nous faisons des heures supplémentaires uniquement pour le lancement. Ce que nous souhaitons, c'est la répartition de la production : lorsque Rennes effectue des heures supplémentaires, Sochaux chôme 6 jours.

M. Théo GENDROT : Je citerai un exemple concret : aujourd'hui, pour équilibrer Aulnay et Rennes, on ferre et on emmène les caisses ferrées de la Xsara et la ZX Break d'Aulnay à Rennes, alors que le site de Rennes dispose d'un outil de ferrage qui ne ferre que la Xantia et la XM.

Imaginez le coût du transport, du déchargement par petits chariots de 8 véhicules ! Cela fait travailler d'autres personnes, mais le coût de cette opération doit tout de même être élevé.

M. Hubert DELACROIX : Voilà une bonne dizaine d'années que l'automobile ne va pas très bien. C'est la première année où les choses bougent réellement. Nous avons été reçus par l'ancienne majorité, et nous nous félicitons que cette mission se poursuive sous la nouvelle majorité.

Cela dit, il faudrait que quelque chose de concret en sorte.

M. le Président : C'est ce que nous souhaitons également.

La plupart des députés qui composent cette mission ont des sites automobiles dans leur circonscription, et sont donc très sensibles à ce problème. De plus, nous sommes tous conscients que quelques deux millions de personnes vivent de l'industrie automobile. Au-delà des sensibilités des uns et des autres, nous savons que l'on ira dans le mur si rien n'est entrepris de manière déterminée.

Bien sûr, on peut éventuellement diverger avec les organisations syndicales - et les organisations syndicales entre elles - sur les mesures à prendre, mais tout le monde s'accorde à dire que la situation ne peut pas rester en l'état.

Depuis des années, les plans sociaux ont permis à des travailleurs âgés de prendre leur retraite, mais sans embauche de jeunes. Je suis effaré par les chiffres que vous citez dans votre document : à Citroën-Rennes seules 19 personnes ont moins de 25 ans !

M. Théo GENDROT : C'est tout à fait exact, d'ailleurs ce sont des chiffres communiqués par la direction.

M. le Président : Et toujours à Citroën-Rennes, je vois que 6 personnes ont plus de 60 ans. Ce qui veut dire qu'à quelques unités près, il y a autant de salariés de plus de 60 ans que de salariés de moins de 25 ans.

Si nous regardons les chiffres concernant les moins de 30 ans et les plus de 50 ans, le déséquilibre est évident - sans pour autant jeter la pierre aux salariés de plus de cinquante ans -. Nous devons sortir de ce problème, non seulement humain, mais également économique. Cela ne se fera sans doute pas sans douleur.

L'objet de la mission est d'aplanir les divergences afin de proposer le meilleur plan possible aux yeux des différents acteurs.

M. le Rapporteur : J'ajouterai simplement que, mis à part le problème de l'emploi dans l'industrie automobile, nous avons une obligation d'action supplémentaire : que faire à l'arrivée à échéance de l'accord Union européenne-Japon ?

Nous proposerons certainement quelque chose d'autre à la place, mais qui sera certainement moins strict, car les règles du jeu du commerce international se sont encore libéralisées; la marge de manoeuvre sera donc plus étroite.

Nous devons donc préparer à cette échéance l'industrie automobile, non seulement pour des raisons sociales, mais également pour des raisons de compétitivité mondiale.

Le Gouvernement, qui avait hésité à créer, de son côté, une cellule de réflexion à ce sujet, pourra utiliser les résultats de nos travaux.

M. Hubert DELACROIX : Il faut être conscient que si le site Peugeot-Sochaux fermait ses portes, aux alentours de Montbéliard, tout le reste fermerait aussi. En effet, toute la région du Doubs vit de l'automobile.

M. le Rapporteur : Je ne veux pas avoir l'air exagérément pessimiste. Je ne crois pas que la situation de l'automobile aujourd'hui soit celle du textile il y a 10 ans. L'industrie automobile en Europe survivra. Le problème est de savoir quelle part la France conservera dans l'industrie européenne. Il n'y a pas de menace de disparition.

M. Hubert DELACROIX : Personnellement, je pense que l'industrie automobile française est menacée. Les constructeurs coréens et américains vont venir nous concurrencer avec des véhicules intéressants.

M. Théo GENDROT : En effet, il existe des projets d'implantation en France d'usines japonaises et coréennes. Nous devons donc être prudents quant à ces implantations.

M. le Rapporteur : La question n'est pas simple, car si elles ne s'implantent pas en France, elles iront dans un pays européen proche, et cela ne résoudra pas notre problème.

Audition d'une délégation du syndicat CGT
des personnels de PSA Peugeot Citroën composée de
MM. Jean-Claude CONET et Jo CUSSONNEAU,
Membres du comité de groupe européen,
Loris DALL'O, Délégué syndical central Peugeot,
et Joël MOREAU, Représentant syndical au comité central d'entreprise

(extrait du procès-verbal de la séance du 7 octobre 1997)

Présidence de M. Daniel PAUL, Président

M. Loris DALL'O : Nous nous félicitons d'être reçus par la mission, car il est important, au-delà des discours patronaux que l'on connaît tous, que l'on entende la voix des salariés. Cependant, je suis un peu déçu de constater, la commission étant composée de 45 membres, qu'il en manque un peu plus de 40 aujourd'hui. Cela n'enlève rien, bien entendu, à ceux présents, mais dénote un manque de sérieux.

M. le Président : Le plan emploi-jeunes passe actuellement en deuxième lecture, en séance plénière, à l'Assemblée nationale.

M. Loris DALL'O : Je sais bien que cela est important, mais ce n'est pas moi qui ai fixé la date de la réunion d'aujourd'hui. Par ailleurs, j'ai moi-même quitté une importante réunion - relative à la conférence sur l'emploi - pour pouvoir assister à cette audition.

Cela étant dit, nous avons l'habitude, depuis 1848 avec la journée de 12 heures
- je ne vous retracerai pas l'historique du mouvement ouvrier - d'entendre les patrons crier à la faillite. C'est encore le cas aujourd'hui, même si M. Gandois, qui combat les 35 heures, applique les 34 heures dans son usine de Belgique. Les larmes des patrons, nous connaissons, et nous ne sommes pas là, aujourd'hui, pour les expliquer.

Nous sommes là pour parler de la situation que connaissent les salariés du groupe PSA. Je sais que vous avez également reçu les autres syndicats ; je sais aussi que certaines choses se disent à certains endroits mais pas à d'autres. Cependant, vous aurez la position de la CGT, l'un des syndicats les plus influents de l'entreprise.

Nous insisterons, au cours de cette audition, sur le niveau des salaires, les conditions de travail, la retraite et l'embauche des jeunes. Toutes nos revendications aboutissent au thème de l'emploi, thème dont le nouveau Gouvernement veut faire sa priorité.

Nous sommes inquiets que MM. Calvet et Schweitzer continuent de demander la suppression de 40 000 emplois ; même si 15 000 emplois seront créés, le déficit est énorme. Depuis le début des années 1980, de nombreux plans de licenciement, dits " sociaux ", sont financés par l'Etat et n'aboutissent qu'à des suppressions d'emplois. Ils ne règlent pas le problème de la pyramide des âges et créent des conditions très difficiles pour ceux qui restent.

Nous sommes là, aujourd'hui, pour essayer de vous expliquer qu'il serait temps de changer de politique, c'est-à-dire de mettre un coup d'arrêt à cette politique du tout profit, afin de placer l'homme au centre de toutes les décisions.

M. Joël MOREAU : Je voudrais souligner que la direction de PSA se retranche systématiquement derrière le problème de la réduction des coûts, évoquant le prix trop élevé de ses voitures et la nécessité de le réduire.

Depuis 1983 - je parle de Peugeot Mulhouse, mais la situation est la même dans toutes les usines du groupe - des efforts importants de productivité ont été réalisés dans les usines ; depuis deux ans, la productivité a progressé de 13 %. Comment se fait-il que le prix des voitures a continué à augmenter, alors que, nous disait-on à l'époque, il fallait réaliser des gains de productivité pour réduire les coûts et donc pour abaisser le prix des voitures ? Aujourd'hui, on s'aperçoit que, d'une part, ce n'est pas le cas et, d'autre part, qu'il n'y a pas de surcapacité de production.

Aujourd'hui, le constat est clair : les salariés ne peuvent plus acheter de voiture ; 10 millions de véhicules ont plus de 10 ans d'âge. Si l'on embauchait et si l'on augmentait le pouvoir d'achat des salariés, on vendrait des voitures. Or les salariés doivent travailler plus d'heures qu'il y a 15 ans pour acheter une voiture. Contrairement à ce qui a été dit, les gains de productivité n'ont pas été mis au service des hommes.

M. Jo CUSSONNEAU : Pour abonder dans ce sens, je voudrais vous donner un exemple concret : à Rennes, il y a deux ans, 4 000 voitures étaient vendues au personnel de l'entreprise, contre 1 700 aujourd'hui. Cela veut dire que deux fois moins de salariés peuvent s'acheter une voiture neuve. Cela a une relation évidente avec les salaires ; si l'on veut vendre des voitures, il faut augmenter les salaires des ouvriers.

La vente de voitures neuves est d'autant plus importante que l'on parle aujourd'hui du problème de la pollution : les nouveaux modèles polluent nettement moins que ceux d'il y a 10 ans. Un renouvellement du parc automobile français permettrait non seulement l'acquisition de voitures neuves, mais également une diminution de la pollution.

S'agissant de la pollution, je rappellerai les effets de la politique des flux tendus suivie par les constructeurs. A l'heure actuelle, des milliers de camions sillonnent tous les jours les environs de Rennes, de Mulhouse, de Sochaux ou de la région parisienne ; ce sont des stocks ambulants qui ne contribuent pas à réduire la pollution. Par ailleurs, ils gênent considérablement les automobilistes et aggravent leur insécurité - on connaît tous les conditions de travail des chauffeurs routiers qui sont mis sous pression par les donneurs d'ordres que constituent les grands groupes automobiles. Il y a, là aussi, un effort à faire en ce qui concerne l'application de la réglementation.

S'agissant des conditions de travail, il faut savoir que dans nos usines, des centaines de milliers d'heures supplémentaires sont réalisées chaque année, pendant que des centaines de jours sont chômés dans d'autres usines. Jours chômés qui sont financés, en partie, par les fonds publics. Il faut que cela cesse.

A Rennes, nous avons fait circuler un questionnaire pour préparer la réunion d'aujourd'hui : la majorité des salariés réclament une augmentation des salaires, une réduction du temps de travail et le départ anticipé à la retraite pour tous ceux qui ont 30 ou 35 ans de maison - chaque départ étant remplacé par une embauche. A l'heure actuelle, quelque 1 000 intérimaires travaillent à Rennes, mais ils seront au chômage dès le mois de décembre.

Toujours concernant les intérimaires, il faut savoir que ces personnes ne sont pas formées et sont donc laissées pour compte. Elles travaillent dans des conditions difficiles
- par rapport aux anciens - ce qui augmente les arrêts maladies et les accidents du travail. Il n'y a jamais eu autant de suicides dans les usines du groupe.

La CGT considère que les pouvoirs publics ont une part de responsabilité dans cette situation. En effet, les inspecteurs du travail dressent des procès-verbaux aux entreprises que la préfecture s'empresse d'annuler ; j'en veux pour preuve le travail du dimanche que certaines préfectures autorisent alors que les inspecteurs du travail ont dressé des procès-verbaux pour infraction à la législation.

Cela est d'autant plus choquant que les grands groupes automobiles bénéficient de fonds publics relativement importants. Prenons l'exemple des cotisations d'accidents du travail et de trajet qui représentent, dans une usine comme Rennes, une ristourne d'environ 300 millions de centimes chaque année.

Par ailleurs, les fonds publics financent le chômage partiel, ce qui aboutit à réduire, non seulement les salaires, mais également le montant des cotisations sociales que l'employeur devrait verser à l'Etat, dans la mesure où les salaires sont inférieurs à 130 % du Smic.

M. Jean-Claude CONET : Je voudrais insister, quant à moi, sur les conditions de travail que l'on rencontre dans nos entreprises.

Actuellement, à Poissy, on met en place un énième plan social, c'est-à-dire, un plan de suppression d'emplois. Or, si ce plan social intéresse légitimement les anciens, qui ont travaillé toute leur vie sur la chaîne, il intéresse également les jeunes, ce qui est, en revanche, inquiétant.

Ces jeunes nous disent clairement que pour 20 000 francs, ils sont prêts à quitter l'entreprise. A une époque, le directeur de l'entreprise soutenait que si les jeunes, qui travaillaient alors en " 4x10 ", ne restaient pas longtemps dans l'entreprise, c'était parce qu'ils avaient peu de besoins matériels. Mais cela fait cinq ans que l'on ne travaille plus en " 4x10 " ; les jeunes, à qui l'on avait promis une carrière, se rendent compte qu'ils n'ont rien à espérer et veulent partir. Il est temps de s'intéresser aux conditions de travail qui nous sont imposées.

Je voulais également insister sur le fait que les jeunes ménages se déchirent. Tous les jours j'apprends que des jeunes couples se sont séparés.

Par ailleurs, il faut le savoir, l'industrie automobile produit des handicapés de moins de trente ans ! Je peux vous transmettre des dossiers concernant des personnes de moins de trente ans qui sont dans l'entreprise depuis quelques années et déjà handicapées. Telle est la réalité.

De plus, on rencontre les pires difficultés pour faire reconnaître une maladie professionnelle par la sécurité sociale. PSA a une influence dans le milieu médical : des consignes sont données à la sécurité sociale pour ne pas reconnaître les maladies professionnelles.

Autre inquiétude : actuellement, il se met en place, dans les usines du groupe, le modèle d'organisation du travail de Sevelnord, usine qui emploie 3 000 salariés dont la moyenne d'âge est de 27 ans. Une hiérarchie courte est mise en place et, dans toutes les catégories professionnelles, on note un gain de productivité.

Nos dirigeants, en parallèle aux futurs 700 départs, mettent en place une nouvelle organisation du travail. Lorsqu'ils parlent de déroulement de carrière, il faut plutôt comprendre une " formation à la polyvalence " destinée à adapter le personnel à tous les postes de travail - souvent contre l'avis des salariés - que ce soit à la tôlerie, au montage ou à la peinture.

M. Loris DALL'O : On n'a pas voulu vous citer de chiffres, toutefois je vais vous en donner un, assez parlant : au départ de M. Jacques Calvet, après 13 ans de " règne ", la différence entre le SMIC brut et le taux brut mensuel à 170 points chez Peugeot - qui est le taux d'embauche - est de 36,33 francs bruts. Un salarié de Peugeot touche donc 36,33 francs bruts de plus que le SMIC. De quoi, manifestement, mettre l'entreprise en péril !

Par rapport à ce que disaient mes camarades, il est évident que tout cela dépasse le cadre de PSA et concerne également les fournisseurs sous-traitants. Proche de Peugeot-Sochaux, une succursale de General Motors, qui produit notamment des câbles, a un effectif dont la moyenne d'âge est de 25 ans : il s'agit surtout de femmes qui connaissent déjà des maladies périarticulaires. D'après les médecins du travail, dans l'atelier " habillage-caisse " de Peugeot-Sochaux, qui est un atelier assez nouveau, puisqu'il date de 1989, 90 % des postes sont jugés à risque !

Notre région est sinistrée. Les immeubles sont des blocs où les préretraités côtoient quelques retraités - peu, car ils meurent assez tôt - et des chômeurs ; la situation est explosive. En 1980, l'effectif de Sochaux était de 42 000 personnes, nous sommes aujourd'hui 19 500 et la moyenne d'âge est toujours de plus de 43 ans.

Une étude a été réalisée il y a 4 ou 5 ans à Sochaux : elle montrait que les 35 heures - sans améliorer les conditions de travail - appliquées d'un seul coup créeraient sur ce site 3 955 emplois. Jamais la direction n'a discuté nos chiffres. Aujourd'hui cette étude n'est plus valable puisque, de fait, nous travaillons 30,8 heures par semaine ; au mois d'octobre, on a chômé 6 jours.

Le personnel s'est accommodé des conditions de travail et travaille de plus en plus dur. Mais les anciens, qui se lèvent à 4 heures du matin pour aller travailler en ligne, restent le vendredi au lit. Il y a vraiment un grave problème.

On parle beaucoup de droits nouveaux, mais nous aimerions, avant tout, que l'on respecte nos droits, tout simplement. Dans l'entreprise nous ne sommes plus citoyens. Le mur de Berlin est tombé, reste celui de Sochaux ! C'est la discrimination à tout niveau.

Le groupe PSA a déjà été condamné à six reprises pour discrimination syndicale. Mais le bilan inégalités homme/femme - je ne fais pas de lapsus, je parle bien " d'inégalités " - en ce qui concerne la promotion, les salaires, etc..., est impressionnant. Les femmes sont victimes d'une discrimination. Et je ne parle pas de la discrimination envers les malades : les malades sont licenciés, non pas parce qu'ils sont malades, mais parce qu'ils sont trop souvent absents du fait de leur maladie ! Certains d'entre eux se sont mêmes suicidés.

Que l'on soit syndicaliste ou non, on reste des hommes, et je ne supporte plus ce type de situations, je ne supporte plus le malheur des autres. Il y a une atteinte grave à l'intégrité physique et mentale des salariés.

Je veux bien que l'on discute des comptes de PSA : le premier semestre n'est pas mauvais, et il y a 400 000 francs de réserve par salarié ; on peut discuter. Sur la pollution, on peut également discuter. Mais je voudrais que l'on parle aussi des hommes et des femmes de cette entreprise : chez PSA, on meurt de plus en plus tôt au nom du " tout profit ". Cela doit cesser. Les nouvelles technologies doivent permettre à tous de travailler mieux, moins longtemps et de moins souffrir.

M. Joël MOREAU : Je voudrais revenir sur les plans de suppression d'emplois, les plans dits " sociaux ". Aujourd'hui, vous êtes en train de discuter, à l'Assemblée nationale, de l'emploi des jeunes, notamment de la création de 350 000 emplois dans la fonction publique.

Aucun gouvernement, qu'il soit de droite ou de gauche, ne pourra combattre le chômage s'il continue à laisser les entreprises privées qui se portent bien, telle PSA, supprimer des emplois. Prenons l'exemple de Peugeot-Mulhouse : en 1983, nous étions 16 000 personnes ; nous sommes, en 1997, 10 500. Or ce n'est pas uniquement un problème de vente de voitures, puisqu'en 1983 on fabriquait 800 voitures par jour et qu'on en produit 1 500 aujourd'hui, avec 5 500 personnes de moins.

Il est clair que si l'on n'arrête pas ces plans sociaux, le chômage continuera de progresser. On ne peut plus laisser les entreprises qui réalisent des profits importants supprimer des emplois.

Second point : la majorité des salariés de l'industrie l'automobile travaillent en équipe. Ils se lèvent tous les matins à 3 heures et demie ; la plupart d'entre eux ont commencé à travailler à 14 ans et ont, à 54 ans, 40 ans de cotisation. Si l'on permettait à ces personnes de partir en retraite anticipée à 55 ans - voire avant pour ceux qui ont 40 ans de cotisation - cela permettrait, rien que sur le site de Peugeot-Mulhouse, de dégager 3 500 à 4 000 emplois pour les jeunes. Au lieu de payer des chômeurs, on donnerait ainsi la possibilité aux jeunes de travailler et aux anciens de prendre leur retraite.

M. Jo CUSSONNEAU : On parle beaucoup de l'emploi des jeunes - PSA d'ailleurs se gargarise de ses opérations jeunes - mais dans une usine comme Rennes, où il y a 11 000 salariés - en 1990 il y avait 14 000 emplois stables -, on ne compte que 19 jeunes de moins de 25 ans ! En 1978, on en comptait 3 700. Il existe donc un grand fossé entre le discours et la réalité.

En ce qui concerne les conditions de travail, on assiste à l'heure actuelle à une invasion de la technocratie et de la bureaucratie. A l'époque, les conditions de travail étaient différentes, les ateliers étaient sales et les chefs étaient de petits chefs, souvent anciens militaires, qui ne faisaient pas de cadeau aux militants CGT, mais c'étaient des hommes. Maintenant ce sont, non pas des hommes, mais des ordinateurs ambulants. Les chefs de service ne descendent même plus dans les ateliers, ils sont sur leur ordinateur à calculer des ratios.

A cette époque les salariés avaient un travail physique dur, mais également des libertés ; ils pouvaient faire une pause, fumer une cigarette. Aujourd'hui, nous n'avons plus de libertés, tout est contrôlé électroniquement, nous n'avons ni le droit de parler, ni celui de fumer. Les anciens regrettent le temps où c'était certainement plus dur, mais également plus humain.

Je tenais à vous dire tout cela, à vous parlementaires, car ce ne sont pas les rapports qui vous sont faits qui en font état. Tel est le quotidien des salariés de l'automobile et d'ailleurs.

M. le Rapporteur : Nous ne sommes pas nés parlementaires ! Il y a des choses que l'on connaît, heureusement pour nous et pour les autres, sinon nous ne ferions que des rapports très éloignés de la réalité.

La première raison pour laquelle la mission a été créée est la préoccupation de l'emploi. Mais on ne peut pas faire abstraction de la concurrence mondiale ; nous devons créer le maximum d'emplois durables et de meilleure qualité.

Vous avez souligné un point important, à savoir la relation qui existe entre la situation économique générale et l'achat d'une voiture. Tout ce qui est fait en direction d'une meilleure répartition du pouvoir d'achat sera favorable aux ventes de voitures.

Le prix des voitures a augmenté, certes, mais nous n'avons pas affaire aux mêmes voitures qu'il y a dix ans : il est vrai que les gains de productivité n'ont pas eu l'effet escompté sur les prix des voitures, mais aujourd'hui les voitures sont plus complexes, plus élaborées et plus performantes.

Je voudrais revenir sur le problème de la pyramide des âges. De nombreuses solutions ont été envisagées en dehors des plans sociaux - qui, eux, se traduisent par des départs non compensés par des embauches - telles que l'ARPE généralisée ou la semaine de 30 heures à partir de 55 ans, avec une contrepartie en termes d'embauche.

Parmi toutes ces modalités, certaines vous paraissent-elles préférables à d'autres ?

Par ailleurs, PSA emploie de nombreux travailleurs étrangers ou d'origine étrangère pour lesquels la question des 40 ans de cotisation ne se pose pas parce qu'ils n'ont pas commencé à travailler à 15 ans ; avez-vous des propositions particulières à formuler en ce qui les concerne ?

M. Loris DALL'O : Chez Peugeot, la principale demande est le départ à la retraite dès 55 ans ou après 37,5 ans de cotisation.

L'ARPE est une mesure qui n'est pas comparable avec le FNE : elle a un avantage considérable, puisque le principe est un départ contre une embauche, mais elle a aussi un désavantage considérable car les personnes qui partent en retraite dans le cadre de l'ARPE perdent de l'argent par rapport à celles qui partent en FNE. Cela pose également d'autres problèmes : certaines personnes partent avant d'autres qui sont plus âgées et qui ont plus d'ancienneté.

Nous sommes favorables à une réunion tripartite - Gouvernement, syndicats, patronat - sur les trois sujets suivants - je ne parle même pas de l'augmentation des salaires, tant cette revendication me paraît évidente - : un système permanent, de départ en retraite dès 55 ans ou après 37,5 ans de cotisation dans de bonnes conditions financières, la réduction du temps de travail à 35 heures et l'embauche des jeunes.

Sur ces trois points, nous sommes demandeurs depuis 1989. Cette proposition, qui est partie du groupe PSA, est aujourd'hui reprise par les camarades de Renault et de l'automobile en général.

Vous dites que les voitures ont changé ; les télévisions et les ordinateurs aussi, et pourtant leur prix a diminué ! Si le prix de certaines pièces de voiture a augmenté, c'est parce qu'on a laissé partir leur fabrication à l'étranger ; on a vendu l'ingénierie, notamment aux Américains. On a tout vendu et aujourd'hui les monopoles nous le revendent. C'est ce qu'on appelle " la désintégration ".

Par ailleurs, il ne faut pas oublier que les mandataires vendent les mêmes voitures 10 000 ou 15 000 francs moins chères ! Il en est de même dans les pays étrangers où nos voitures sont vendues à un prix bien plus intéressant. En France, les salariés n'ont pas les moyens de s'acheter une voiture neuve.

PSA affirme à ses salariés que le groupe ne gagne que 500 francs sur une voiture ; il faut cesser de dire de telles choses, ce n'est pas vrai, tout le monde le sait. PSA ne se porte pas trop mal !

S'il n'y a pas de volonté politique, nous n'y arriverons pas. Quand le SMIC a été augmenté de 4 %, les travailleurs ont pensé que leurs salaires allaient également augmenter de 4 % ; or nos augmentations ne dépassent pas 1 ou 1,5 % par an, depuis longtemps ! A une époque, lorsqu'il y avait 13 % d'inflation, on avait 13 ou 14 % d'augmentation ; 1 % ne correspond à rien.

Nous payons, sur nos salaires, 25 % de cotisations sociales : sur un salaire de 10 000 francs bruts, il ne nous reste déjà plus que 7 500 francs. Or un salarié qui travaille sur une chaîne - qui se lève à 4 heures du matin - touche 6 500 francs au bout de 20 ou 30 ans d'ancienneté. Ce n'est pas avec cela qu'il va consommer !

S'agissant des personnes étrangères ou d'origine étrangère, si l'on met en place un système de départ en retraite tel qu'on l'a évoqué, la question ne se pose pas. Il y a eu le départ OMI ; les premiers départs se sont relativement bien passés, mais ils ont eu des répercussions catastrophiques sur l'économie de la région : écoles et magasins ont fermé. Les immigrés ne veulent plus partir dans de telles conditions. En outre, à chaque fois, nous devons combattre une campagne raciste.

Les derniers immigrés ne partiront plus ; s'ils ne sont pas encore Français, leurs enfants le sont.

De toute façon, je crois que la solution doit être la même pour tout le monde ; nous ne devons pas prendre des mesures pour les Français et d'autres spécifiquement pour les étrangers. Ces derniers travaillent dans l'industrie automobile, la plupart du temps à des postes qui ne sont pas enviables, et ils méritent leur retraite.

L'ARPE est une mesure intéressante, mais elle n'est pas assez souple, car une personne qui a cotisé 40 ans ne peut pas en bénéficier avant l'âge de 57,5 ans. En outre, certaines personnes qui ont 41 ans de cotisation ne veulent pas partir dans le cadre de l'ARPE, parce qu'elles toucheraient 30 000 francs de moins que si elles partaient en FNE.

M. Joël MOREAU : Je voudrais revenir sur le prix des voitures. S'il n'y avait pas le marché européen, ce serait, pour PSA, une catastrophe. Cela veut dire qu'en France - sur le marché français - les pertes sont importantes.

Vous dites, et vous avez raison, que les voitures ne sont plus les mêmes qu'il y a 10 ans, qu'elles sont plus performantes et plus complexes. Je vais prendre un exemple : la 405 de base, qui valait environ 85 000 francs, a été remplacée par la 406 qui en vaut 120 000. Or les salaires n'ont pas suivi. A chaque fois que nous changeons les modèles, nous surévaluons leur prix.

N'oublions pas non plus qu'à l'époque la TVA est passée de 33 % à 18,6 % ; certains ont dû bien en profiter !

M. Jean-Claude CONET : Je voudrais revenir sur les retraites. Les entreprises automobiles, et les entreprises françaises en général, gagnent beaucoup d'argent
- 1 300 milliards de francs en 1996. Un salarié cotise à hauteur de 25 % de son salaire brut. Si l'on appliquait le même taux de cotisation aux revenus financiers, on trouverait certainement de l'argent pour financer des mesures sociales.

S'agissant des nouvelles voitures, il est vrai qu'elles sont différentes des modèles d'il y a 10 ans, mais nous n'avons pas non plus la même productivité. Les gains de productivité se font en grande partie " sur le dos " des gens, qui n'en profitent pas.

On ne peut pas traiter le problème de l'emploi sans traiter celui des conditions de travail. Il est clair qu'en faisant des handicapés à 30 ans, cela va coûter cher à la société. Il n'est plus acceptable de travailler dans de telles conditions.

M. Jo CUSSONNEAU : Je voudrais maintenant aborder le problème des taxes sur l'automobile, notamment sur les carburants.

On parle beaucoup de la pollution, mais il existe des solutions performantes, telles que les voitures GPL ou les voitures électriques. Les pouvoirs publics sont responsables de ce problème et pourraient donner un coup de pouce, notamment en matière de transports publics. Bien sûr, cela ne pourra pas se faire du jour au lendemain - ce sont des investissements relativement importants - mais on sait que ce que l'on investira aujourd'hui aura des effets dans les années qui viennent. A trop traîner, l'addition risque d'être lourde.

Concernant l'achat d'automobiles, nous avons fait, au niveau de la CGT, et depuis longtemps, une proposition : tout comme il existe un livret épargne-logement, ne serait-il pas judicieux de mettre en place un livret épargne-automobile ? Il s'agit d'une mesure qui ressort directement de la responsabilité des élus.

M. le Président : En ce qui concerne le livret épargne-automobile, c'est une des premières propositions de loi que j'ai signées en arrivant au mois de juin.

M. Loris DALL'O : Encore faut-il ne pas faire comme pour le plan d'épargne logement (PEL). Comme le disait M. Pasqua l'autre jour à la télévision : à quoi cela sert de le taxer, puisque ceux qui construisent un château n'ont pas besoin de PEL ? Ils ne sont donc pas touchés par ce genre de mesure. Or il faut prendre l'argent là où il est, et non pas chez les petits épargnants.

M. le Président : Un compte épargne serait un bon moyen, pour ceux qui ne gagnent pas beaucoup d'argent, d'accéder à un véhicule. Dans mon quartier, il y a 4 700 logements et la moyenne des salaires est de 6 650 francs ; une famille sur deux n'a pas de voiture. Le compte épargne-automobile s'adresse en priorité à ce type de famille. Ensuite, il faut espérer qu'elles " achètent français ", mais c'est là un autre problème.

M. Loris DALL'O : On ne peut pas évoquer les surcapacités et en même temps aider Toyota à s'installer en France. Que Toyota s'installe dans une région où il n'y a pas de travail et crée 2 000 emplois ne me dérange pas. Mais le parc français est tout de même composé de 10 millions de véhicules qui ont plus de 10 ans d'âge. Les changer serait une bonne chose pour ceux qui les utilisent - ils seraient plus en sécurité - et contribuerait à diminuer la pollution.

La finalité de toutes ces mesures, c'est l'emploi, mais le passage obligé - et je crois que tous les syndicats sont d'accord sur ce point - ce sont les salaires. Redresser l'économie passe par une augmentation du pouvoir d'achat. Je pense qu'il faut le dire.

J'espère que la mission aura bien entendu tous les syndicats. Cela étant, même si j'ai critiqué le fait que vous n'étiez pas nombreux aujourd'hui, je vous remercie de l'écoute que vous nous avez accordée et je souhaite sincèrement que cette mission débouche sur de réelles mesures.

Si, ensemble, nous pouvons faire évoluer la situation, personne n'aura perdu son temps.

M. le Président : Il s'agit là d'une bonne conclusion, dans laquelle je me retrouve assez bien.

Vous êtes le syndicat qui a mis le plus l'accent sur le problème des conditions de travail, or je suis personnellement sensible à cet aspect. Le rapporteur le disait tout à l'heure, " on ne naît pas parlementaire ", on le devient !

J'habite dans le même immeuble qu'une dizaine de travailleurs de Renault Sandouville avec lesquels je m'entretiens ; je connais donc un peu les conditions de travail de l'industrie automobile. Bien sûr, Renault n'est pas Peugeot, Peugeot n'est pas Citroën, mais les conditions doivent tout de même être plus ou moins comparables.

Cette mission va-t-elle déboucher sur quelque chose ? Je l'espère, car, d'une part, nous avons la volonté de proposer des mesures concrètes et efficaces - et l'aide des entreprises nous sera nécessaire - d'autre part, la réalité nous contraint à agir.

La situation qui existe actuellement sur un certain nombre de sites est telle que le pouvoir politique est obligé de prendre des mesures qui sont, maintenant, ciblées.

La première - le pouvoir d'achat - nous échappe en peu. L'objectif n'est pas uniquement d'augmenter le pouvoir d'achat des salariés de l'industrie automobile pour qu'ils achètent des voitures ; s'il n'y a qu'eux pour en acheter, cela n'ira pas bien loin.

La deuxième - la pyramide des âges - a été évoquée de façon très claire : l'idéal serait d'embaucher un jeune pour chaque départ en retraite. Mais il est vrai que nous devons prendre en compte le fait que la personne qui part en retraite dans le cadre de l'ARPE perçoit moins d'argent que si ce départ avait lieu sans une embauche en contrepartie. Cela n'est évidemment pas normal, et nous sommes là pour réfléchir au dispositif.

Troisième mesure, les 35 heures. Comment se diriger vers les 35 heures tout en faisant en sorte que cela se passe le mieux possible, notamment pour les salariés ? Cette mesure sociale ne doit pas se traduire par des difficultés supplémentaires.

Cela dit, il est également de notre responsabilité de défendre l'industrie automobile française à l'extérieur de nos frontières. Nous devons tenir compte de la concurrence et faire en sorte que ses règles ne s'exercent pas à notre détriment. Je rejoins là vos propos, messieurs, lorsque vous dites qu'il est bon de regarder comment cela se passe chez un certain nombre d'autres constructeurs qui crient " au loup ", alors qu'il n'y a pas peut-être pas autant de raisons que cela de le faire.

Il convient également de revoir les plans sociaux et le problème des heures supplémentaires, afin que, même si notre rapport ne règle pas tout, il aille dans le bon sens.

M. Loris DALL'O : Je terminerai en vous disant encore deux mots sur les 35 heures. A Sochaux, nous avons eu beaucoup d'échanges avec des travailleurs de pays étrangers, pas seulement européens. Les travailleurs allemands nous ont dit : " vous avez raison de demander les 35 heures d'un seul coup. Nous, nous n'avons pas eu les embauches souhaitées, parce que les gains de productivité ont tout avalé ".

M. le Rapporteur : Effectivement, s'il n'y a pas une réduction de la durée du travail assez forte pour amener une réorganisation de la production, cela ne conduira pas à des embauches.

Audition de M. François MICHELIN,
Associé commandité et gérant de la Société Michelin

(procès-verbal de la séance du 8 octobre 1997)

Présidence de M. Daniel PAUL, Président

M. François MICHELIN : Je considère comme un devoir d'avoir répondu à votre invitation ; nous aimons tous notre pays, par conséquent tout ce qui peut l'aider à sortir de la crise actuelle est important. Cependant, je ne sais pas si ce que je vais dire vous aidera.

Par ailleurs, de nombreuses choses que je connais sur l'industrie automobile relèvent du secret professionnel ; c'est la raison pour laquelle j'ai demandé que les journalistes ne soient pas présents à cette audition.

Vous m'avez demandé de faire un exposé liminaire, mais je préférerais que vous me posiez directement des questions, car je ne saurais pas par où commencer : par la maison Michelin, la manufacture, la fabrication de voitures ?

M. le Président : Habituellement, nous écoutons d'abord notre invité, puis nous lui posons des questions.

M. François MICHELIN : Le sujet est tellement vaste ! Ce qui m'intéresse ce sont les questions que vous allez me poser, et que je replacerai dans le contexte général.

M. le Président : Quelle est la part détenue par Michelin dans la première monte des voitures françaises ?

M. François MICHELIN : Chez Citroën, c'est 100 % ; chez Peugeot, de l'ordre de 50 % ; chez Renault, un peu plus ; enfin, chez RVI, c'est de l'ordre de 80 %. Cela dépend en fait des véhicules, car nous sommes plus présents sur certains modèles que sur d'autres.

Le pneumatique tient une place importante dans le comportement du véhicule. Tout ce qui concourt au comportement du véhicule est soumis à un examen sévère de la part des constructeurs automobiles. Il s'agit donc d'un défi permanent.

M. le Président : Depuis quelque temps, on se demande comment faire des économies de carburant ; or le type de pneumatique qui est mis en place - sa structure - peut être un élément permettant de faire des économies de carburant.

Où en êtes-vous à ce sujet, sans entrer dans les secrets professionnels de la fabrication ?

M. François MICHELIN : La notion fondamentale, dans le domaine du pneumatique, est ce que l'on appelle " l'effort à l'avancement " qui est généralement chiffré en kilogrammes par tonne.

Imaginons une voiture qui pèse une tonne, avec 4 pneus de l'ancienne formule, il fallait à peu près 10 ou 11 kilogrammes pour la faire rouler. Aujourd'hui, l'effort à l'avancement n'est plus que de 9 kilogrammes. Cela se traduit par une économie de carburant de l'ordre de 5 %, ce qui est considérable.

Quelle est l'origine de cette innovation ? M. Le Floch-Prigent, alors qu'il présidait Rhône-Poulenc, m'a parlé d'une silice particulière qui pouvait certainement être utilisée dans la fabrication des pneumatiques. Nous avons donc fait des essais et nous ne comprenions pas pourquoi, compte tenu de la nature de la silice, nous n'obtenions pas de résultats exceptionnels. La raison était simple, la silice ne se mariait pas bien avec la gomme.

Après avoir résolu ce problème, nous avons donc pu obtenir une diminution considérable de l'effort à l'avancement et faire par conséquent des économies d'énergie. De plus, nous n'avons rien perdu en durée sur usure ni en qualité de freinage.

Il s'agit là d'un progrès substantiel, et je pense que nous n'avons pas encore mesuré toutes ses conséquences dans le domaine du pneumatique. Alors que nous pensions vendre 6 ou 7 millions de pneumatiques les deux premières années, nous en avons vendu 30 millions. En fait, les constructeurs de voitures se sont rapidement aperçus que cela apportait un " plus " considérable. Certains fabricants nous ont même dit que ce pneu
- dans l'objectif de réduire la consommation d'énergie - leur avait évité de changer le moteur et le carburateur.

Sur cette lancée, on continue les recherches et les progrès sont substantiels. De plus, ces pneus sont adaptables aux poids lourds, ce qui permet aux transporteurs de faire des économies considérables, le poste " carburant " étant le deuxième poste de dépense pour une société de transport.

M. le Rapporteur : Je vous poserai deux questions.

La première concerne les perspectives d'évolution de l'emploi. La société Michelin a connu, comme d'autres grandes industries, une diminution tendancielle de l'emploi : quelles sont vos perspectives à court et moyen terme ?

Seconde question : si l'environnement changeait, à travers des incitations diverses à la réduction de la durée du travail, comment réagiriez-vous ?

M. François MICHELIN : Il convient de savoir que les fournisseurs d'accessoires, dont le pneumatique fait partie, participent à hauteur de 50 à 60 % du prix d'une voiture. Or Renault et Peugeot ont toujours pensé que le maximum d'accessoires devait être fabriqué en France, espérant une prise de conscience des hommes politiques en général et du Gouvernement en particulier sur le fait qu'il convient d'arriver à un équilibre du coût entre l'essentiel des produits fabriqués en France et les produits que l'on peut trouver à l'étranger.

Je vous donnerai un exemple : pour pouvoir payer 100 francs de salaire dans les entreprises françaises - en tout cas dans la nôtre - en France, il faut demander 183 francs au client ; en Angleterre, il faut demander 128 francs, et en Allemagne, 162 francs. Il est donc nécessaire de faire des efforts de productivité considérables pour que les fabricants de voitures n'aient pas envie d'aller acheter des produits à l'extérieur. Or il s'agit d'une tendance qui, malheureusement, ne s'améliore pas et qui, dans certains cas, nous fait douter de savoir si l'on a eu raison de ne pas délocaliser.

En France, les véhicules du type 106, ZX ou bas de gamme de Mégane, Clio, Twingo constituent la très grande majorité du parc automobile français ; dans d'autres pays, cette part est beaucoup plus faible, car les salariés peuvent acheter des voitures d'une gamme supérieure. Ce constat est dommageable pour la France, car une voiture fabriquée en grande série fait travailler moins de monde qu'une voiture plus complexe.

Il suffit d'analyser les statistiques pour s'apercevoir que la production des voitures haut de gamme est relativement faible et que l'on peut être facilement attaqué, sur ces marchés, par des voitures venant de l'extérieur.

Je dois vous dire - ce sont des statistiques que nous détenons, car nous livrons des pneumatiques dans le monde entier pour les grosses voitures - que nous sommes les témoins de la qualité exceptionnelle des voitures françaises et de la gestion des entreprises françaises, en termes de flexibilité, de qualité de fabrication, de régularité, etc.

Depuis quatre ou cinq ans, les fabricants de voitures ont réalisé des efforts extraordinaires, et les voitures françaises, en termes de qualité, sont très bien placées dans les sondages.

Mais le prix d'une voiture est un facteur déterminant. Et là il y a un problème de fond. Le marché des voitures d'occasion en France est important, car les Français ne peuvent pas s'acheter de voitures neuves.

M. le Président : Ceux qui ont un faible pouvoir d'achat pourraient acheter des véhicules neufs à bas prix. Or en France, l'on constate que le parc automobile est composé de 10 millions de voitures anciennes. Cela est peut-être dû à la qualité exceptionnelle des voitures françaises qui, de ce fait, ont une durée de vie extraordinaire !

M. François MICHELIN : On voit ce que sont obligés de faire les fabricants de voitures françaises pour vendre leurs voitures en Allemagne, en Italie ou en Angleterre ! Ils sont alors aisément concurrencés par des personnes qui vont acheter des voitures à l'étranger pour les importer en France ; il s'agit d'un problème redoutable. Si ce problème était résolu, je suis convaincu qu'il permettrait de relancer l'emploi en France et nous éviterait de délocaliser.

M. le Président : Je voudrais revenir sur vos propos, lorsque vous avez dit qu'il fallait demander, en France, 183 francs au client pour payer 100 de salaire. Vous avez annoncé qu'en Allemagne, il fallait demander 162 francs ; or le coût du travail en Allemagne est supérieur à celui de la France. Est-ce à dire que lorsqu'un équipementier affirme se fournir ou produire en Allemagne, il produirait en réalité ailleurs, afin de réduire ses coûts ?

M. François MICHELIN : Ils sont, en effet, très tentés d'agir ainsi. Un de nos concurrents, Continental, qui fabrique des pneus de poids lourds, a dû faire un choix : soit il s'installait en Turquie, soit il demandait au personnel de l'usine d'Hanovre d'accepter une augmentation du temps de travail et une baisse des salaires - ce qui a été fait.

M. le Président : Cela ne va pas tout à fait dans le sens de la question du Rapporteur !

M. François MICHELIN : Peut-être, mais une telle solution évite la délocalisation de l'usine, avec tout ce que cela implique en termes de licenciements.

M. le Rapporteur : S'agissant des équipementiers, nous avons rencontré différents types de chefs d'entreprise, certains sont restés " bien de chez nous ", d'autres, et je pense notamment à Valéo, raisonnent au niveau mondial et localisent leurs activités sur la base de considérations exclusivement économiques.

La société Michelin est, quant à elle, restée relativement française : quelle évolution tendancielle envisagez-vous, compte tenu des considérations que vous venez de présenter et quel que soit le sentiment national que vous avez manifesté en commençant cet entretien ?

M. François MICHELIN : Il convient de tout faire pour maintenir le maximum d'emplois en France. Les évolutions prévisibles, si les coûts ne sont pas maîtrisés, nous obligeront à faire face à des problèmes d'emploi redoutables. L'évolution de l'emploi est fonction des conditions dans lesquelles nous travaillons actuellement ; c'est maintenant qu'il faut prendre des décisions pour éviter cette érosion dramatique.

Le marché français de Michelin représente 18 % de notre marché total, mais la Manufacture française produit deux fois plus que cela et exporte donc 50 % de ses produits à l'étranger. Il y a 20 ans, le marché français représentait 70 % du marché total.

Pourquoi une telle baisse ? Parce que les constructeurs automobiles étrangers n'ont accepté de monter nos pneus sur leurs voitures qu'à condition que l'on s'installe chez eux ; c'est le cas, par exemple, de l'Allemagne où nous avons des usines.

Nous avons grandi en Europe, dans le cadre de pays autonomes et avec des barrières douanières ; aujourd'hui, l'Europe se faisant, il faut que l'on arrive à rationaliser nos usines. C'est ce que nous faisons : au lieu d'avoir des usines polyvalentes qui fabriquent une dizaine de produits, nos usines n'en fabriquent plus que deux ou trois. Cela simplifie la production et diminue le prix de revient.

On doit toujours s'interroger sur ce que nous devons faire pour que la France continue à se développer au maximum. Dans certains cas, nous avons ramené des productions d'Allemagne, d'Italie ou d'Angleterre en France, dans cet objectif. Mais souvent l'on se retrouve devant des impératifs de coût qui sont extrêmement pénalisants.

M. le Rapporteur : Je voudrais revenir sur le débat de la réduction du temps de travail. Il existe des entreprises, parce qu'elles avaient un marché très porteur, qui, en passant d'une équipe de 8 heures à deux équipes de 6 heures, ont réussi, à la fois à augmenter la production, à embaucher et à réduire la durée du travail, et ce dans des conditions salariales acceptables.

Compte tenu de l'organisation du travail actuelle chez Michelin et des perspectives de débouchés, est-ce un exemple qui vous paraît intéressant ou décalé par rapport à votre réalité ?

M. François MICHELIN : Nous avons déjà dans plusieurs usines des horaires inférieurs à 35 heures et payés 39. Pourquoi avons-nous pu faire cela ? Parce que faire fonctionner une usine 7 jours sur 7 est une contrainte pour le personnel qu'il faut compenser mais en contrepartie, on obtient des prix de revient pratiquement équivalents, parce que les machines travaillent beaucoup plus longtemps et dans un feu continu.

Pour fabriquer des pneumatiques, l'investissement en capitaux est très lourd ; je pense que seule la sidérurgie a des contraintes plus lourdes, mais nous n'en sommes pas loin en termes d'investissement.

L'industriel a deux réflexes de fond : tout d'abord, ne rien faire qui détruise la qualité, et tout faire pour l'améliorer ; puis, ne rien faire qui augmente le prix de revient. Si vous augmentez le prix de revient, un jour ou l'autre un concurrent va venir sur le marché et vous poser de gros problèmes.

Bien sûr, il faut y mettre du coeur et le maximum d'humanité. Une usine ne tourne pas sans personnel, il faut donc trouver les conditions de travail les moins pénibles. Mais passer brutalement de 39 heures à 35 heures - je parle là des ateliers ou des services - aura pour conséquence une augmentation du prix de revient de l'ordre de 11,4 %.

M. le Rapporteur : Sauf s'il y a une utilisation maximum des équipements.

M. François MICHELIN : Certes, mais il faut que le personnel accepte. Un de nos centres de production, la SMTG, a pu tourner uniquement parce que l'on a trouvé des volontaires pour travailler le dimanche. On ne peut pas forcer les gens à travailler 7 jours sur 7. Il faut de plus qu'il y ait le marché.

Mme Odile SAUGUES : M. Michelin, je vous poserai plusieurs questions.

La première concerne la politique de l'entreprise qui a été suivie ces dernières années. La firme a créé de nouvelles unités de petite taille très automatisées.

Dans le contexte actuel, et alors que le premier semestre 1997 s'est traduit par une hausse de 47 % du résultat net par rapport au premier semestre 1996, je souhaitais savoir si la manufacture entendait poursuivre cette logique et si d'autres unités automatisées verraient le jour en France ?

M. François MICHELIN : Il s'agit d'un procédé entièrement nouveau que l'on appelle le " C3M " et qui a demandé 12 ans de mise au point. On pourrait installer une telle machine dans cette pièce, il suffirait d'apporter les matières premières pour fabriquer des pneus. Normalement une usine de pneumatiques demande une série de gros ateliers.

M. le Rapporteur : Nous sommes donc les Japonais du pneu !

M. François MICHELIN : J'espère que l'on est mieux qu'eux !

Ce procédé est donc, effectivement, très automatisé. L'automatisation en soit n'est pas un but, car cela induit des problèmes d'emploi considérables. Cette machine permet de faire des pneus que l'on ne peut pas faire autrement, car le procédé de fabrication est radicalement différent. C'est la raison pour laquelle on le développe. On pourra faire, par exemple, pour les voitures de haut de gamme, des pneus personnalisés en fonction des voitures, ce qui est difficile à faire avec des machines de grandes séries.

M. le Président : Cette machine qui, finalement, détruit l'emploi, ne serait donc utilisée que pour la fabrication de pneus qu'il serait difficile de fabriquer en grande série ? Il n'est pas question de faire intervenir cette machine pour la fabrication des pneus de ZX ou de 406 ?

M. François MICHELIN : Non, il s'agit d'un outil extraordinaire qu'il faudra utiliser en fonction des besoins. Nous avons ouvert une usine en Suède et le plus difficile a été de construire le bâtiment.

M. le Président : C'est un danger public pour l'emploi cette machine, non ?

M. François MICHELIN : Non, ne dites pas cela. Le gros danger pour l'emploi, c'est le coût des objets. Il faut 10 francs pour transporter un pneu de 10 kilogrammes de Séoul à Paris ; c'est un fait, on n'y peut rien, mais quand on apprend cela, ça nous fait froid dans le dos ! Que faut-il faire pour résoudre ce problème ?

Puis interviennent dans le prix du pneu, les charges de tout genre. Compte tenu de la manière dont sont prélevées les charges sociales en France et le moment où elles sont prélevées, quand on fait des calculs d'amortissement on s'aperçoit qu'ils sont totalement erronés.

Les pneus que nous avons en stock contiennent les salaires des personnes qui les ont fabriqués et les charges sociales ; donc nous payons aussi un intérêt sur les charges sociales relatives aux pneus en stock, ce qui me pose un problème. Je ne suis pas convaincu que le moment où nous payons les charges sociales soit le moment idéal.

Mme Odile SAUGUES : Ma deuxième question concerne l'emploi. Au cours de ces dernières années - en particulier de 1983 à 1990 - l'industrie automobile a connu une croissance soutenue. Pour autant, on constate que l'entreprise Michelin n'a pas profité de cette période pour procéder au nécessaire rajeunissement de son personnel ; cela nous ramène aux auditions précédentes, et nous avons pu constater que l'industrie automobile s'est trouvée, elle aussi, confrontée à ce problème.

Au 31 décembre 1993, 83 % de l'effectif était âgé de plus de 35 ans et les moins de 26 ans représentaient moins de 2 % de l'effectif. Comptez-vous procéder au renouvellement de la main-d'oeuvre de production en France ?

M. François MICHELIN : Tout d'abord, sachez que lorsque vous avez un plan de réduction d'effectifs touchant des tranches d'âge supérieur, vous n'avez pas le droit d'embaucher des jeunes.

M. le Président : Cela dépend de quelle manière vous résolvez le problème.

M. François MICHELIN : Il y a toutes sortes de réglementations qui nous empêchent d'embaucher des jeunes. Par exemple, dans certains cas nous ne pouvons pas embaucher des jeunes en stage, parce que nous sommes assujettis aux règles des plans de réduction d'effectif en cours. Cela est dommageable, car on perd du temps et les jeunes se découragent.

Cependant, nous connaissons des expériences de tutorat exceptionnelles dans notre usine de Vannes. Le dévouement des gens dans les ateliers est extraordinaire ; ils ont réussi à intégrer des jeunes qui étaient complètement " paumés ", en marge de la société, et qui se tiennent, maintenant, droits comme des " i ".

M. le Rapporteur : Je prolongerai votre raisonnement, en évoquant l'ARPE, qui est une mesure permettant à une personne ayant cotisé 40 ans, de prendre sa retraite à 57,5 ans avec, en contrepartie, l'embauche d'un jeune.

Parmi les pistes auxquelles nous réfléchissons, on peut imaginer une extension de ce dispositif, soit en abaissant l'âge de départ à 55 ans, soit en abaissant le nombre d'années de cotisation. Ce type de dispositif vous intéresserait-il, en tant qu'employeur, pour rajeunir l'âge moyen de vos salariés ?

M. François MICHELIN : Le problème est-il réellement celui-là ? Est-ce bien la bonne solution ? Que peut-on faire avec ces 40 années de cotisation ? On s'aperçoit qu'elles ne couvrent que les 7 ou 8 premières années de vie après la retraite. Par conséquent, la retraite par répartition pèse très lourd sur les actifs. Il y a là quelque chose qui n'est pas sain et qui augmente considérablement le poste " exploitation " des entreprises.

L'autre forme de retraite est la retraite par capitalisation ; mais qu'est-ce que cela veut dire ? Qu'il vaut mieux planter un grain de blé pour en avoir 30 ou 40, plutôt que de prendre un grain de blé pour nourrir les autres ?

Je me souviens d'avoir discuté avec M. Mauroy du problème des fonds propres. Les entreprises ont besoin de fonds propres pour faire face aux à-coups de la vie économique et éviter les emprunts.

Le vrai capitalisme est celui qui permettait d'accumuler de l'argent pour aider les entreprises à supporter les à-coups de la conjoncture et préparer les retraites, celles-ci seraient payées une fois que la richesse serait créée ; or la richesse n'est créée que lorsque les produits fabriqués sont vendus, et non avant. Lorsque vous fabriquez un pneumatique, vous faites une " graine de richesse ", mais tant qu'il n'est pas acheté par votre client, il n'est rien.

M. le Président : Notre objectif est de trouver toutes les niches permettant de créer des emplois, même celles qui n'ont pas encore été explorées jusqu'à présent.

Le discours que nous entendons, aujourd'hui, des constructeurs ou des équipementiers, est toujours le même : les effectifs de nos entreprises ont une moyenne d'âge très élevée. Ensuite, ils nous disent que cela est source de difficultés, parce que la productivité du personnel âgé n'est pas suffisante, n'est pas adaptée aux nouvelles contraintes de production et aux à-coups de production, et qu'ils souhaitent donc pouvoir faire partir ce personnel à la retraite, avant les 40 années de cotisation, et éventuellement dès 55 ans, voire plus tôt.

Un dispositif existe - l'ARPE - obligeant l'entreprise, lorsqu'elle se sépare de 1 000 salariés, d'embaucher 1 000 jeunes. En termes de coûts salariaux, à ma connaissance, 1 000 jeunes de moins de 25 ans coûtent moins cher que 1 000 personnes de 55 ans : en termes de flexibilité ou de capacité à faire face à des à-coups de production, c'est également plus simple. J'ai entendu dire que dans certaines entreprises japonaises, la moyenne d'âge était de 27 ans.

L'intérêt pour nous, est de voir une entreprise comme Michelin - qui est un partenaire important de l'industrie automobile -, se positionner sur un projet tel que celui-là : des départs compensés par des embauches - je ne parle pas des 35 heures.

Cette philosophie, qui fait de l'entreprise un élément permettant, non seulement de développer l'emploi, notamment des jeunes, mais également d'offrir aux anciens une retraite anticipée, vous intéresse-t-elle ? Ce type de dispositif vous convient-il ?

M. François MICHELIN : Bien sûr. Simplement, je ne suis pas certain que l'on puisse faire du " 1 pour 1 ". Il s'agit là d'un problème d'ergonomie aussi. Certains postes qui sont occupés par trois personnes, tourneront bien mieux avec deux personnes plus jeunes, simplement parce qu'elles sont moins fatiguées.

Si l'on veut à la fois assurer les gains de productivité nécessaires et créer de l'emploi, je ne suis pas sûr que l'on puisse faire du " 1 pour 1 ". De plus, cela ne doit pas se traduire par une augmentation des charges destinées à payer la retraite de ces personnes ; le vrai problème c'est de calculer le prix de revient tout compris pour pouvoir nous battre sur les marchés étrangers. Il est donc tout à fait possible d'étudier ces mesures d'une façon précise, mais il faut le faire dans un cadre global.

Mme Odile SAUGUES : C'est toute une politique de l'emploi qui est à développer ; c'est d'abord l'embauche des jeunes et peut-être la reprise du plan qui avait été prévu - le dispositif d'adaptation permanente des effectifs - il y a quelques années quand l'entreprise Michelin était en difficulté. Depuis, elle est devenue la première mondiale et son chiffre d'affaires a progressé de 10 %. Telles sont les caractéristiques qui font que l'on se demande si le plan d'adaptation des effectifs est encore à l'ordre du jour et si, effectivement, on ne pourrait pas, par l'une des mesures dont il a été fait état, rajeunir les effectifs qui composent cette entreprise et redonner un élan à ce site clermontois.

Vous êtes, sans aucun doute, persuadé de la nécessité de cet apport de sang neuf dans l'entreprise, mais avez-vous réellement l'intention de participer à ces nouvelles propositions qui peuvent être faites aux entreprises d'embaucher des jeunes ? Comptez-vous aller dans ce sens d'une façon efficace ?

M. François MICHELIN : Pour une raison simple et presque égoïste : si nous ne le faisons pas, l'entreprise risque de disparaître. Nous avons un intérêt commun avec la ville de Clermont-Ferrand et les jeunes qui y travaillent : l'avenir de notre maison. Il y a des choses que l'on ne peut pas toujours faire, mais l'intention est là. Et vous savez qu'avec la SIDE, la société de développement économique qui a été fondée, nous avons créé et sauvé environ 4 000 emplois dans cette région.

Sur le fond, je suis entièrement d'accord avec vous, mais nous devons trouver des solutions qui ne nous mettront pas en porte à faux avec les sociétés de pneus étrangères. Et j'avoue que la manière dont le GATT a été signé me chiffonne énormément.

M. Maurice ADEVAH-POEUF : Avez-vous un avis sur les effets pervers de la fiscalité sur le parc des véhicules individuels ? Ne pensez-vous pas qu'il est dangereux qu'une discrimination positive en faveur d'un type de carburant - en l'occurrence le diesel - aboutisse à profiler un parc de manière complètement anormale par rapport au marché européen ?

Ma seconde question rejoint celle de Mme Saugues : tout faire pour la qualité, ne rien faire qui augmente les prix de revient. Vous avez tout de même une entreprise très atypique qui explique cette relation un peu extra-économique entre l'entreprise et l'Auvergne. Vous avez une stratégie nationale, sans aucun doute ; vous avez une stratégie mondiale, ce qui est normal puisque vous êtes une multinationale ; avez-vous une stratégie auvergnate ? Et si un jour l'entreprise atypique se banalise, aura-t-elle encore une stratégie auvergnate ?

M. François MICHELIN : Qu'entendez-vous par atypique ?

M. Maurice ADEVAH-POEUF : Et bien, je ne vous appelle pas M. le Président-directeur général !

M. François MICHELIN : Ce n'est pas suffisant comme explication !

Premièrement, on ne peut à la fois accuser la Maison d'être trop importante ni omniprésente à Clermont et dans la région et en même temps lui reprocher une attitude extra-économique à l'Auvergne. D'autant que se développe de plus en plus une attitude hostile au transport par route. Atypique : cet " adjectif " vient probablement de l'importance majeure que nous donnons à l'existence de la toute puissance de nos clients depuis toujours. Heureusement cette notion du client devient de plus en plus reconnue et du coup nous rentrerons dans le rang.

Pour ce qui est du diesel, deux choses : c'est, effectivement le carburant le moins cher, mais également celui avec lequel on fait le plus de kilomètres.

M. Maurice ADEVAH-POEUF : Oui, mais la consommation massive est à peu près équivalente, car le volume de pétrole nécessaire à la fabrication d'un litre de gazole est plus importante que la masse nécessaire pour faire un litre d'essence avec ou sans plomb.

M. François MICHELIN : C'est exact, mais il n'empêche que pour l'usager, cela est plus avantageux ; par ailleurs, il y a moins de gaz qui sortent d'un pot d'échappement d'une voiture diesel que d'une voiture à essence.

Les carburants verts sont des carburants extrêmement complexes, difficiles à fabriquer et qui nécessitent des pots catalytiques qui coûtent très cher - sur une 406 cela coûte 4 000 francs - et augmentent la consommation de carburant.

Par ailleurs, le diesel a une autre fonction : le transport routier.

Il est vrai que le diesel dégage des particules nocives, mais je ne suis pas convaincu que l'on ne puisse pas trouver, un jour ou l'autre, une solution à ce genre de problème. Le plus ennuyeux c'est ce que l'on appelle les NOx, c'est-à-dire les oxydes d'azote.

Mais lorsqu'on connaît les progrès qui ont été réalisés dans la carburation à essence et si l'on applique - c'est d'ailleurs ce qui est en train de se faire - les mêmes réflexions, les mêmes possibilités, à la carburation diesel, il est probable que l'on arrivera à un taux de réduction considérable de tous les effluents qui sortent d'un pot d'échappement d'une voiture diesel.

M. Maurice ADEVAH-POEUF : Nous avons une avance technique en matière de petit diesel. Neutralisons le secteur des poids lourds et des transports en commun, où il n'existe pas de solution alternative ; moi, je parle du parc des véhicules particuliers.

La fiscalité a favorisé, en France, une structure de parc qui est complètement anormale : pratiquement 50 % des véhicules particuliers fonctionnent au diesel. Quel est votre avis : cette situation est-elle bonne et saine pour nos constructeurs ?

M. François MICHELIN : D'où vient-elle cette situation ? Elle vient du fait qu'à l'origine les voitures diesel étaient plus chères que les voitures à essence.

M. Maurice ADEVAH-POEUF : N'est-il pas dangereux d'entretenir un tel différentiel ? Cela pose des problèmes dans le raffinage : on est obligé d'exporter de l'essence sans plomb ; alors que les pétroliers ont investi 5,2 milliards de francs dans le raffinage, on importe du gazole ! La consommation d'essence baisse de 3 % par an.

Il y a là un véritable problème : les constructeurs internes vont avoir des spécialités dont seul le marché français constituera un vrai débouché.

M. François MICHELIN : Je ne suis pas sûr que les marchés allemand et américain ne viennent pas au diesel, pour toutes sortes de raisons, en particulier, parce que lorsque vous faites le plein en gazole, il y a beaucoup moins de particules nocives qui s'échappent dans l'atmosphère que lorsque vous faites un plein d'essence, le diesel étant moins volatil.

Mais je suis mal placé pour vous en parler. Ce que nous faisons, chez Michelin, ce sont des pneus qui permettent une économie d'énergie. Trouver la meilleure carburation est un autre métier.

M. Maurice ADEVAH-POEUF : Vous devez bien avoir des avis techniques ?

M. François MICHELIN : Nous avons un bureau d'études très important, pour étudier, par exemple, l'influence des trains avant des voitures et des suspensions sur l'usure des pneumatiques.

M. Maurice ADEVAH-POEUF : Même sur le tramway de Mexico !

M. François MICHELIN : Mais c'est notre métier de base. Il suffit de voir comment les personnes usent leurs talons de chaussures pour savoir comment est faite leur malléole !

Mais sur le diesel, il y a des personnes plus compétentes que moi pour vous répondre.

Cependant, il y a un autre facteur : la France a beaucoup investi dans les moteurs diesel, c'est tout le discours de PSA ; or on ne peut pas, par un coup de fiscalité, mettre des gens au chômage et demander à PSA d'investir ailleurs.

Le drame de l'industrie automobile française, et de la réglementation en général, c'est que l'on ne sait jamais quelles vont être les règles du jeu dans les années qui viennent ; cela est extrêmement paralysant.

L'autre jour, nous avons reçu un ingénieur de Toyota avec lequel nous avons discuté de ces problèmes de pollution et de réglementation. S'agissant des normes européennes réglementant les émissions polluantes, il a été très étonné que l'on n'ait pas pu en discuter avec Bruxelles, les ingénieurs de l'automobile et toutes les personnes intéressées. Il se demande comment notre pays peut fonctionner s'il n'y a pas de discussions possibles entre le Gouvernement, les industriels et ceux qui fixent les normes, notamment Bruxelles.

M. Jean PRORIOL : Je vous poserai plusieurs questions.

Tout d'abord, vous êtes très modeste s'agissant de la partie technologie et recherche de votre entreprise ; pouvez-vous nous en dire davantage ? Quel pourcentage du chiffre d'affaires consacrez-vous à cette partie recherche, et que représente-t-elle en termes d'emplois en France ? Y a-t-il pérennisation de ces emplois ? Le secteur " recherche " à Clermont-Ferrand est très développé et il me semble même qu'il s'agit de l'un des points forts de la société.

Ma deuxième question concerne la formation professionnelle. Vous aviez des écoles Michelin, vous en avez fortement réduit le nombre. Les relations avec l'éducation nationale peuvent-elles contribuer, en ce domaine, à faciliter les débouchés vers d'autres sociétés ?

Troisième question : les relations avec vos clients sont-elles des relations avec des révisions de prix régulières, s'agit-il de marchés à long terme, ou y a-t-il une incertitude sur votre fonds de commerce ?

Je voulais vous poser une question concernant les tramways, puisque vous vous y intéressez, mais Mme Saugues est plus compétente que moi en ce domaine.

M. François MICHELIN : Sur l'ensemble du groupe, la recherche représente entre 5 et 7 % du chiffre d'affaires, ce qui est considérable.

Dans l'industrie du pneumatique, nous touchons à peu près à toutes les disciplines : la métallurgie, la chimie lourde, la chimie fine et la chimie des élastomères
- les élastomères sont des caoutchoucs synthétiques obtenus par polymérisation -. Le caoutchouc naturel est ce qu'il est, mais dans certains cas il est insuffisant en adhérence sur sol mouillé ou en durée sur usure ; grâce à la chimie des élastomères, on arrive à faire des gommes qui, mélangées à d'autres produits, tels que la silice, donnent des résultats exceptionnels.

Un pneumatique n'est jamais neuf - il s'use dès qu'il roule - et doit durer longtemps ; or il est soumis à toutes sortes d'agressions. Je peux vous citer l'exemple d'une personne qui, tous les samedis, nettoyait sa voiture ainsi que ses pneus. De ce fait, elle extrayait du pneu un certain nombre de produits nécessaires pour éviter les agressions du soleil, de l'ozone et donc les craquelures. Nous avons donc dû trouver des antioxydants particuliers capables de résister aux détergents.

Un pneumatique, c'est rond, mais il se met à plat sur le sol : lorsque vous roulez à 130 kilomètres/heure la déformation du pneu se fait dans un temps extrêmement court. Il faut donc que les différents composants du pneu, qui sont " collés " les uns aux autres, résistent à cet effort de déformation.

La recherche touche aussi au problème de la géométrie des trains avant ; il est là aussi important de savoir comment le pneu se comporte sur la route ; la manière dont les amortisseurs travaillent a également une importance considérable.

Je prendrai l'exemple de l'ABS. Ce système fonctionne dès qu'il détecte une accélération ou un ralentissement de la roue ; les freins sont alors un peu relâchés, ce qui fait que le pneu vibre - bien sûr vous ne le sentez pas -. Or on s'est aperçu que sur certains types de voitures possédant un ABS, il fallait une sculpture particulière. En effet, avec les anciennes sculptures, la vibration pouvait produire des usures anormales et affecter, par conséquent, le comportement du véhicule.

La recherche est donc importante et nous avons effectivement à Clermont-Ferrand, un centre de recherche performant. Mais nous devons encore faire des efforts en ce domaine, compte tenu de la concurrence japonaise et américaine.

Nous avons également un centre de recherche aux Etats-Unis, car nous avons dû répondre rapidement aux demandes des fabricants de voitures avec qui nous sommes en collaboration très étroite.

Nous avons également, dans le domaine de la recherche, un centre d'essai à Almeria, dans le sud de l'Espagne, ce qui nous permet de rouler toute l'année, sans problème de pluie, de vent ou de neige.

Nous sommes en train de développer un centre de recherche au Japon, avec le même objectif, c'est-à-dire de pouvoir répondre directement aux demandes des fabricants de voitures, ce qui nécessitera un petit laboratoire et des pistes pour rouler.

Le centre de recherche des Etats-Unis fonctionne beaucoup par des échanges entre personnels français et américains. L'usage des satellites permet aussi aux chercheurs d'Amérique d'interroger les ordinateurs de Clermont-Ferrand.

Nous étudions particulièrement les gommes synthétiques ; sans pour autant avoir la " grosse tête ", je puis vous affirmer que nous sommes les meilleurs dans ce domaine
- cela représente vingt ans d'études -.

Notre objectif est vraiment de rester en France, mais il ne faut pas oublier que notre fiscalité fait fuir nos cadres ; en outre, sachez que les frais de recherche en Angleterre sont deux fois moins élevés. On constate également - je change de sujet - que dans le milieu de la finance, les meilleurs " golden boys " sont, non pas à Paris, mais à Londres.

Savez-vous combien il y a d'ingénieurs français dans la Silicon Valley ? Quarante mille ! Quatre années de formation ! Et ceux qui sont là-bas sont les meilleurs. En France, c'est plus difficile pour eux, car ils ne bénéficient pas des mêmes conditions. Nous éprouvons souvent de la peine, du fait des problèmes fiscaux, à faire revenir les ingénieurs français chez nous. Il y a donc un problème de fiscalité important qui nous empêche de garder les cadres de valeur en France.

Savez-vous que l'inventeur du C3M nous a demandé de quitter la France parce qu'il ne pouvait plus supporter les syndicats qui étaient prêts à faire venir les experts
- conformément aux " lois Auroux " - pour vérifier que son travail était bien fait ?

En ce qui concerne nos relations avec l'éducation nationale, elles s'améliorent considérablement et nous avons de nombreux échanges.

L'objectif d'une entreprise est d'évoluer, par conséquent il est difficile de déterminer à l'avance quel type de formation il convient de donner. Ce qu'il nous faut, ce sont des personnes qui ont le sens de l'observation, de l'émerveillement et le caractère nécessaire pour dire " pourquoi faites-vous comme cela, il faudrait faire autrement ".

Savez-vous combien il y a de docteurs ès sciences inscrits à l'ANPE à Clermont-Ferrand ? Cent ! J'ai eu l'honneur de discuter avec un certain nombre d'entre eux, et ils sont tous surpris, car on leur avait dit qu'ils auraient forcément un emploi et ils ignoraient totalement la nature réelle d'une entreprise.

Par ailleurs, nous essayons de faire passer le message suivant : les diplômes, c'est bien, il faut avoir des connaissances, mais l'expérience, l'apprentissage sur le terrain, c'est aussi très important.

S'agissant des écoles que nous avons fermées, il est vrai que tous les ans je me fais " attraper ", car les parents appréciaient ce type de formation. Ce que l'on essaie de faire, c'est de mettre les personnes de l'éducation nationale en contact avec les réalités de l'entreprise. Il ne faut pas dire aux étudiants qu'ils sont assurés de trouver un emploi, pas plus que je ne suis assuré d'avoir des clients ! Ce n'est pas vrai.

J'en viens à votre troisième question, à savoir, les relations qu'entretient Michelin avec ses clients. Ce sont d'abord des amis, parce que sur le fond, une voiture peut se passer de pneus, mais un pneu sans voiture ne sert à rien !

Il y a deux choses, pour une voiture, que l'on ne peut pas changer : d'une part, la nature de la route, et, d'autre part, l'homme - avec sa colonne vertébrale, ses cervicales, etc... Par conséquent, il a fallu trouver, entre la route et le conducteur, un système - que l'on appelle les suspensions - qui corresponde à l'optimum de la tenue de route, du freinage, de la durée sur usure, de la consommation d'énergie et qui ne coûte pas cher. Il y a une interaction profonde entre le type de suspension, la géométrie du train avant et les amortisseurs.

Comment travaillent les constructeurs ? Ils disent qu'ils vont construire une voiture qui pèse 1 400 kilogrammes, qui roulera à 160 kilomètres/heure - quand il n'y a pas de radar ! - qui aura telle puissance et qui portera 4 personnes ; ensuite ils nous demandent quels pneus ils doivent mettre, compte tenu de tous ces critères.

Le pneu, c'est aussi une roue ; dans le langage pneumatique, il y a la jante et l'enveloppe. Les constructeurs automobiles se sont aperçus qu'il valait mieux en discuter avec nous dès la conception de la voiture, plutôt que de nous imposer une solution, à la fin ; de ce fait, ils sortiront leur voiture plus tôt, avec un minimum de frais.

Puis, il y a le problème du prix. Comme vous le savez, une voiture est composée de 60 à 80 % de produits achetés à l'extérieur. Or les fournisseurs d'accessoires se surveillent les uns les autres : si nous demandons une hausse de prix - pour des raisons justifiées - les fabricants de voitures sont ennuyés car, nous disent-ils, " si nous vous l'accordons, cela va faire boule de neige ". Il y a donc un équilibre extrêmement subtil et délicat.

Nous sommes soumis en permanence à des questions de baisse des prix. Nous devons prendre les choses telles qu'elles sont et voir ce que l'on peut faire, mais cela a sûrement une incidence au niveau de la productivité des entreprises.

M. le Rapporteur : Vous avez exprimé tout à l'heure une inquiétude ou un mécontentement - ou les deux - à l'égard de l'évolution des règles du commerce international - le passage du GATT à l'OMC, etc... On a le sentiment que les fabricants de pneumatiques sont moins dépendants de ces règles que les constructeurs automobiles. Je serais donc intéressé de savoir ce qui motivait votre réflexion, car nous devons réfléchir à l'avenir de l'accord Union européenne/Japon.

M. François MICHELIN : Vous êtes sûrement au courant du fait que l'on parle beaucoup de dumping social et qu'il faut trouver un moyen d'augmenter les salaires des pays dits " sous-développés " pour éviter de fabriquer des produits dans ces pays à un coût extrêmement faible.

Un salaire, quel qu'il soit, fait, dans un pays, partie d'un ensemble extrêmement complexe. Je prendrai un exemple ancien : lorsque nous avons construit notre usine de câbles métalliques à Vannes, nous avions réalisé une enquête sur les salaires : les salaires qui se pratiquaient à Vannes étaient de 10 % inférieurs à ceux de Clermont-Ferrand. Nous avons donc pensé qu'il fallait s'adapter et proposer des salaires légèrement supérieurs, mais pas trop, afin de ne pas créer de drame.

Les syndicats ont protesté et nous avons été obligés de verser des salaires relativement élevés. Résultat : des entreprises ont fermé, parce qu'elles ne pouvaient pas augmenter leur prix de vente pour payer des salaires plus élevés. C'est redoutable.

Je pense que la vraie réponse au dumping social est de savoir ce qui se fait dans les entreprises étrangères pour pouvoir participer aux échanges internationaux sans créer des drames.

A propos de l'emploi, il y a aussi un autre problème, je veux parler de la taxe professionnelle : plus vous investissez, plus vous payez. Or à mon avis, on paie des sommes au mauvais moment. Une taxe sur le chiffre d'affaires, qui serait généralisable à l'ensemble de l'activité importée, serait préférable à une taxe professionnelle.

La taxe professionnelle avait pour objet d'arriver à une espèce de cogestion entre les municipalités et les entreprises. Au fur et à mesure que l'on ouvre le pays aux importations internationales, on s'aperçoit que les villes ne peuvent vivre que sur les entreprises françaises et non pas sur le chiffre d'affaires importé des entreprises étrangères. Quand il y a 80 % de voitures françaises, on peut s'offrir ce luxe, mais quand il y a 50 % de voitures importées, on ne peut plus.

M. le Président : Quelle est la part de la taxe professionnelle ?

M. François MICHELIN : Pour l'usine de la Roche-sur-Yon, elle est de 21 millions de francs, soit 2 ou 3 % de la masse salariale.

M. le Président : Seriez-vous partisan d'une modification de l'assiette ?

M. François MICHELIN : Totalement et même de son principe.

M. le Rapporteur : Sur le chiffre d'affaires ou la valeur ajoutée ?

M. François MICHELIN : Je ne sais pas, mais actuellement ce qui est aberrant c'est que l'on pénalise l'investissement.

M. le Président : Ainsi que l'emploi. Toute mesure qui allège les charges de ce type-là - je parle non pas des charges sociales, mais des " quatre vieilles  " - ne devrait pas interférer avec l'emploi. Au contraire, tout ce qui irait dans le sens d'une relation entre les " quatre vieilles " et l'embauche serait favorable.

M. François MICHELIN : Evidement. Actuellement, on prend l'argent avant que la richesse ne soit créée. Imaginons que nous n'arrivions plus à vendre nos pneumatiques, si je mettais dans l'enveloppe de paye un morceau de pneumatique à la place des salaires, que feraient les salariés ? Je ne me vois pas aller chez le boucher acheter de la viande avec un morceau de pneumatique !

En revanche, une fois que la richesse est créée, on peut prélever les charges. Je pense même que l'on pourrait, sans perturber la vie économique, prélever plus d'argent qu'on ne le fait actuellement.

M. le Président : Je suis de ceux qui souhaitent une modification - peut-être pas dans le même sens que vous - de la fiscalité locale. Il est vrai que cet état de fait dure depuis des années et que l'on n'arrive pas à le maîtriser ; or cela pose des problèmes pour les entreprises qui ont beaucoup de main-d'oeuvre.

M. François MICHELIN : Même pour les autres !

Je voudrais revenir sur la recherche. Nous avons été très inquiets, après l'enquête qui avait été menée par l'inspection du travail dans le secteur aérospatial ; des personnes sont venues vérifier le temps de travail des ingénieurs, trouvant inadmissible que des ingénieurs travaillent 40 ou 45 heures par semaine. Or en termes de valeur ajoutée, un cerveau qui travaille et qui est le seul à connaître un problème particulier, est irremplaçable.

Vous avez parlé de 35 heures dans les ateliers, à condition qu'il y ait un équilibre et que cela n'augmente pas le prix de revient ; mais dans le domaine de la recherche, si vous voulez appliquer une telle mesure, vous allez créer un exode des cerveaux. J'en suis convaincu.

M. le Président : Il est vrai que les syndicats de cadres n'ont pas demandé les 35 heures ; mais ils n'ont pas non plus demandé à travailler 45 heures en étant payés 35 !

M. le Rapporteur : Il est nécessaire, en effet, de faire une distinction entre les différents types de métiers et d'activités.

Mme Odile SAUGUES : Je voudrais avoir des précisions sur le marché du remplacement. L'entreprise était faible sur ce marché mais a lancé un produit, le " classic ", qui permettait d'accéder à la qualité connue de Michelin, mais à un prix nettement moins élevé.

Que représente ce pneu dans l'entreprise ? A-t-il apporté quelque chose ? Peut-il aider au maintien des différentes unités clermontoises et autres ? Quelle est la part du " classic " dans la fabrication française de pneumatiques ? Est-il également fabriqué à l'étranger ?

M. François MICHELIN : L'opération " Classic " n'a été possible que parce qu'au même moment on a sorti le pneu vert, à faible consommation d'énergie. Le pneu " Classic " a une excellente adhérence et une image de marque différente.

Le MXT, qui n'était pas un " pneu vert ", avait une sculpture extrêmement bonne, c'est pourquoi on a eu l'idée de lui mettre les gommes permettant d'obtenir un pneu " faible effort à l'avancement ". Mais ces gommes étant plus chères, on risquait de perdre des clients. C'est la raison pour laquelle on a trouvé un autre pneu et une autre sculpture qui nous permettent d'attaquer le marché des voitures d'occasion, voitures qui n'ont pas besoin d'un pneu exceptionnel.

Cela a donc été fait et a rendu un service considérable à l'entreprise ; si nous n'avions pas sorti le pneu " classic ", je ne serais pas là pour en parler.

Cela correspond aussi à une évolution du marché du pneumatique. Les voitures se généralisent, mais les acheteurs ne sont pas forcément des gros rouleurs et n'ont pas besoin d'un pneu qui dure longtemps et qui soit cher. Nous avions donc intérêt à trouver un pneu de haute qualité à bas prix.

Cela va continuer : déjà aux Etats-Unis nous avons fabriqué un pneu équivalent pour les poids lourds. Il s'agit d'une évolution du marché liée à ce que l'on peut appeler " la démocratisation " de l'automobile.

Enfin, un dernier mot, si vous me le permettez : ne rapprochez pas Renault et Peugeot.

Audition de MM. Jean PERRET, Président du Syndicat national du décolletage (SNDEC), Claude MORISSEAU, Secrétaire général du SNDEC,
Jean-François DUSSAIX, Président du Centre technique du décolletage (CTDEC),
et Roger BONHOMME, Directeur général du CTDEC

(extrait du procès-verbal de la séance du 15 octobre 1997)

Présidence de Mme Annette PEULVAST-BERGEAL, Vice-présidente

M. Jean PERRET : Le décolletage est issu de l'industrie horlogère, dont les origines remontent au XVIIIè siècle, du moins pour ce qui concerne la Haute-Savoie. C'est le nom donné à une technique d'usinage par enlèvement de matière sur un tour automatique à partir d'une barre.

Cette activité a donné son nom à une industrie moderne qui fournit aujourd'hui des composants mécaniques - en petites, moyennes et grandes séries - de haute précision, pour de nombreux secteurs industriels, tant en France qu'à l'étranger.

Le syndicat du décolletage a été créé en 1897, sous la dénomination de " chambre syndicale des tourneurs décolleteurs fabricants de vis cylindriques ". Le SNDEC est l'interlocuteur officiel des différentes instances internationales, nationales, régionales, départementales et locales. Ses missions sont principalement économiques, représentatives et promotionnelles dans les domaines suivants : juridique, formation, exportation, environnement.

L'industrie du décolletage, c'est 1 000 entreprises qui regroupent 17 000 salariés - l'effectif moyen par entreprise est inférieur à 20 personnes - et un chiffre d'affaires supérieur à 10 milliards de francs.

Les tonnages transformés sont les suivants : acier, 190 000 tonnes ; laiton, 33 000 tonnes ; métaux légers, 3 100 tonnes. Le taux d'exportation directe est proche de 20 %. Sur le marché de l'automobile, l'exportation directe et indirecte représente 50 %, ce qui veut dire que nous avons une implication importante dans l'industrie automobile.

Nous avons à disposition 25 000 tours automatiques - ou tours numérisés - et autant de machines de reprise pour effectuer diverses opérations.

La part des charges salariales est de 28 à 32 %, et notre taux d'investissement
- très supérieur à la moyenne des services industriels - est de 15 %. Enfin, la valeur des pièces décolletées dans une voiture est de 630 francs.

L'industrie du décolletage est présente dans de nombreux départements et plus particulièrement dans la vallée de l'Arve - la " Technic Vallée " se situe entre Genève et le Mont-Blanc - qui regroupe la plus forte concentration mondiale d'entreprises dans cette activité, et où les deux tiers du chiffre d'affaires sont réalisés. D'autres régions sont également représentatives, telles que la Picardie maritime - pour le secteur de la robinetterie -, la Franche-Comté, la Loire ou la région lyonnaise ; les décolleteurs du Centre sont, quant à eux, un peu moins impliqués dans la production de pièces pour l'automobile.

Il s'agit d'une profession très dynamique, qui a toujours su résister aux crises, notamment à celle de 1993 ; lorsque certains disent que la profession du décolletage va mal, nous répondons : ce n'est pas notre profession qui va mal, mais notre économie nationale, européenne, voire mondiale.

Notre industrie est un indicateur intéressant, car nous travaillons pour tous les secteurs - automobile, aéronautique, armement, électroménager, etc... - et il n'y a pas un jour de votre vie où vous ne manipulez pas un ustensile composé d'une pièce produite par notre profession.

M. Jean-François DUSSAIX : Le CTDEC - centre technique du décolletage - a été créé en 1962, à l'instigation de la profession du décolletage et appartient au COREM
- organisme collecteur de la taxe parafiscale.

Ce centre est composé de 90 personnes, dont une moitié d'ingénieurs, et ses compétences sont multiples : il fait de la recherche appliquée - notamment des études d'intérêt général - et possède des laboratoires de métrologie et de métallurgie qui sont à la disposition des ressortissants. Ces laboratoires ont différentes habilitations : BNM, COFRAC... En outre, le CTDEC est le premier centre de mécanique à avoir été agréé ISO 9001.

Le centre technique apporte également une assistance technique aux ressortissants, au travers d'essais de coupe sur les matériaux. Une de ses missions fondamentales est le transfert de technologies. Il participe également à l'observatoire stratégique de la sous-traitance mis en place dans le bassin d'emplois de la vallée de Cluses.

Par ailleurs, le CTDEC est responsable de la formation aux métiers du décolletage. Il existe sept contrats de qualification différents ; en 1996, le centre technique a organisé 400 stages différents pour 2 200 stagiaires.

M. Roger BONHOMME : Plus précisément, il y a eu plus de 95 000 heures de formation à travers 400 stages. Dans ce domaine, le CTDEC mène deux opérations principales, à savoir la formation continue à l'intention de l'ensemble du personnel - compte tenu des mutations dont nous allons vous parler dans un instant - et la recherche de personnes qualifiées.

La profession manque, en effet, de personnels qualifiés. C'est la raison pour laquelle nous faisons tous les efforts nécessaires - par annonces à la radio et à la télévision, notamment - pour accueillir des techniciens et les former à l'industrie du décolletage. Malheureusement, nous avons un déficit très important de techniciens et nous ne pouvons pas, actuellement, satisfaire toutes les demandes.

Pour continuer notre présentation, je vous parlerai, maintenant, des quatre grandes mutations que la profession a subies sous la pression de l'industrie automobile.

L'industrie automobile s'est restructurée : les constructeurs sont devenus des concepteurs-assembliers et des vendeurs de véhicules ; ils ont fait appel à des équipementiers qui eux-mêmes se sont regroupés pour former de grandes firmes et qui doivent désormais fabriquer des ensembles prêts à être montés sur les véhicules de façon très rapide, cela dans un objectif de réduction des coûts.

Ces mêmes équipementiers ont fait appel à des décolleteurs principaux, c'est-à-dire aux plus grands décolleteurs de la profession, qui eux-mêmes sous-traitent à des petits décolleteurs les pièces très simples ; ces décolleteurs principaux commencent à faire des sous-ensembles.

L'objectif principal de l'industrie automobile, à notre endroit notamment, est la réduction des coûts. Pour atteindre cet objectif, la première mutation concerne tous les problèmes d'assurance qualité.

Nous fabriquons des pièces en très grande série, nous ne pouvons donc pas, de façon unitaire, contrôler chaque pièce, ce qui nous amène à livrer des pièces qui ne sont pas bonnes. L'assurance qualité a mis tous les process de fabrication sous contrôle statistique ; de ce fait, les pièces ont été améliorées ainsi que la qualité des automobiles.

M. Dussaix, notre Président, vous dira quelles ont été, dans ce domaine, les exigences de l'industrie automobile.

M. Jean-François DUSSAIX : Ses exigences étaient diverses et se sont rapidement transformées en effet d'accompagnement : nos clients nous ont aidés de par leurs compétences.

Les outils principaux que nous utilisons sont des outils statistiques, tels que la MSP et le SPC. Parallèlement, pour être reconnu en tant que fournisseur à part entière, il a fallu obtenir des certifications ; aujourd'hui la plupart des entreprises de décolletage sont reconnues par leurs clients - qui, à un moment donné, avaient tous leurs référentiels, que ce soient Valéo ou les constructeurs français - au travers de l'EAQF (évaluation d'aptitude qualité fournisseur) 94 ; depuis quelque temps, à ces reconnaissances s'est substituée la reconnaissance ISO 9002 qui concerne essentiellement des sociétés de décolletage qui ne font pas ou peu de conception. Aujourd'hui, certains clients étrangers, tels que General Motors, exigent que nous nous préparions à la certification QS 9000.

M. Roger BONHOMME : Cette première mutation - en matière de qualité - fait qu'aujourd'hui les automobiles durent plus longtemps et la fiabilité des véhicules s'est améliorée.

L'industrie automobile, toujours dans son objectif de réduction des coûts
- deuxième mutation - a exigé qu'en matière de logistique il n'y ait plus de stock de pièces terminées ; ainsi, on livre les pièces avec deux ou trois jours d'avance. Les magasins ont disparu, une logistique s'est mise en place de façon à satisfaire très rapidement les livraisons, par des méthodes issues parfois du Japon et des Etats-Unis, pour réduire des frais financiers importants.

M. Jean-François DUSSAIX : Je dois aussi souligner l'exigence de certains clients de mettre en place des stocks de sécurité dont l'importance n'est pas négligeable ; c'est le cas de la Sogedac - la centrale d'achat de PSA - qui exige un stock de sécurité de l'ordre de cinq à dix jours, suivant le type de produit. Renault, en revanche, n'exige pas de stock de sécurité, mais demande une garantie de livraison en cas de problème.

D'autres clients équipementiers nous font livrer nos pièces sur des plates-formes dites " avancées " ; ce sont des plates-formes qui sont à proximité de leurs chaînes de montage et qui leur permettent, en fonction des fluctuations de leur consommation, d'accélérer le cas échéant l'approvisionnement de leurs chaînes. Il s'agit là d'une gestion nouvelle à laquelle nous nous sommes habitués.

Par ailleurs, pour la maîtrise de toute cette logistique qui s'est accélérée, nous avons, bien entendu, mis en place des outils informatiques, tels que la réception des ordres de livraison par télétransmission - EDI.

Simultanément, lorsque nous livrons nos produits, ces derniers partent avec des bons de livraison, mais nous devons informer le client par moyens informatiques, toujours par télétransmission. Enfin, nous facturons également de façon informatisée.

Tout cela a raccourci le délai d'acheminement des informations liées à la logistique.

M. Roger BONHOMME : La troisième évolution, pour laquelle les donneurs d'ordres ont conduit la profession du décolletage à s'adapter, concerne le domaine des sous-ensembles
- l'industrie automobile s'étant restructurée -. Actuellement une mutation s'effectue dans le décolletage, et je voudrais vous faire mesurer cet effort important des usineurs qui deviennent des sous-ensembliers.

Il s'agit là d'une véritable mutation du métier. Les donneurs d'ordres souhaitent recevoir des pièces - des sous-ensembles - qui sont déjà des pré-montages à leurs montages ; cela, toujours dans un objectif de réduction des coûts.

La quatrième mutation concerne les gains de productivité. Cet accroissement de la productivité a tout d'abord un effet sur l'organisation des ateliers de fabrication.

Traditionnellement, l'industrie du décolletage était composée de quatre secteurs : le décolletage, la reprise, le contrôle et l'expédition. Or, cette mutation nous a obligés, de façon à livrer en quelques jours, à mettre des machines en ligne et à recevoir des ordres par EDI.

M. Jean-François DUSSAIX : Il a également fallu réorganiser nos flux. Cette mutation, il faut bien le dire, a complètement bouleversé nos organisations.

Dans notre région, nos ateliers sont souvent en étages ; il a fallu mettre en place des organisations horizontales, afin d'organiser des lignes de production et des îlots.

Pour réorganiser tout cela, nous nous sommes fait aider par différents organismes qui nous assistent au travers des diagnostics de productivité. Nous avions beaucoup de mal à nous situer par rapport à nos principaux concurrents français et étrangers ; ces ratios de comparaison nous manquaient pour pouvoir nous étalonner, puis progresser.

Hier encore, j'ai assisté à une commission du GIE ICARE -, qui est une émanation de la FIEV et de la Commission compétitivité de la filière automobile - auquel de nombreux équipementiers et fournisseurs de deuxième rang ont adhéré ; nous sommes donc, maintenant, aidés par des personnes compétentes qui connaissent bien le monde automobile et, surtout, nous connaissons les ratios de nos concurrents français et étrangers, ce qui nous permet de nous situer.

M. Roger BONHOMME : Telles sont les quatre mutations importantes qu'a subies l'industrie du décolletage. Vous vous doutez bien qu'elles ont des conséquences non négligeables sur le personnel, la masse salariale par rapport au chiffre d'affaires étant, je le rappelle, de 28 à 32 %.

Notre profession, qui connaît un déficit de main-d'oeuvre qualifiée et qui a dû aider le personnel en place à s'adapter à ces mutations, a lancé une opération importante et sans précédent dans l'industrie du décolletage - l'opération " 1 000 techniciens " - qui avait pour but de faire venir dans la profession 1 000 techniciens en dix ans et de les former à travers sept contrats de qualification ; parallèlement, le CTDEC a réalisé des stages de formation pour permettre les évolutions nécessitées par ces quatre mutations.

Aujourd'hui, huit ans après le début de cette opération, on obtient un résultat supérieur à celui initialement fixé, puisque nous avons intégré dans la profession plus de 800 personnes - dont 500 ont été formées par le biais de l'un des sept contrats de qualification - et que 100 % de ces techniciens ont un emploi en contrat à durée indéterminée. Il n'y a pas de chômeur décolleteur, et si vous pouvez nous aider à trouver des décolleteurs, nous en serons heureux !

A ce titre, je signale que nous sommes contraints de payer 15 000 ou 25 000 francs notre participation à des forums au cours desquels nous pouvons rencontrer des techniciens.

Ce déficit de techniciens est dû au fait qu'il n'existe pas de possibilités suffisantes de formation de base à notre métier et ce, malgré les très bonnes relations que nous entretenons avec l'éducation nationale. L'opération " 1 000 techniciens " s'est traduite par 600 000 dépliants envoyés dans 800 établissements avec l'accord de 14 recteurs d'académie. Aujourd'hui, nous poursuivons nos efforts pour pallier ce manque de main-d'oeuvre dans la profession.

M. Morisseau vous parlera des relations qu'entretient, aujourd'hui, le Syndicat du décolletage avec l'ensemble du système éducatif. En ce qui nous concerne, l'inspecteur de l'enseignement technique a été nommé le 6 octobre dernier comme personnalité au troisième collège de notre conseil d'administration ; c'est vous dire à quel point nous souhaitons avoir des liens avec l'éducation nationale, afin de faire former en France de plus en plus de décolleteurs.

M. Claude MORISSEAU : Effectivement, nos liens sont très étroits avec le monde de l'éducation nationale, au travers de nos relations avec un certain nombre de lycées, de notre implication dans les centres de formation d'apprentis de notre profession, des forums scolaires auxquels nous participons, souvent conjointement, et des PRDF - les plans régionaux de développement de la formation des jeunes - auxquels nous prenons part, notamment au niveau de la région Rhône-Alpes, puisque notre profession y est particulièrement implantée.

Notre profession fait tous les efforts nécessaires pour répondre aux besoins du marché automobile, des constructeurs et des équipementiers, et pour les accompagner dans la mondialisation.

Aujourd'hui, notre profession sait travailler avec l'automobile, mais tout comme les constructeurs ou les équipementiers, nous devons faire face aux difficultés de la mondialisation.

Ces difficultés, nous les ressentons de la manière suivante : les constructeurs ont réalisé de gros efforts pour réduire leur panel au travers d'une sélection très intensive des fournisseurs. Nous avons, les uns et les autres, dans nos entreprises, subi ces réductions de panel et aujourd'hui tous les efforts qui ont été fournis dans les domaines de la qualité et de la technique sont désormais acquis. Ces efforts ont été intéressants parce qu'ils ont fait progresser notre profession - comme d'autres professions de sous-traitance - mais ils ont entraîné un certain nombre de contraintes.

Il faut savoir que la part des achats extérieurs de composants d'un véhicule représente 70 % du prix de revient industriel. Il est donc évident que la pression des constructeurs pèse sur leurs fournisseurs.

Aujourd'hui, dans le secteur de l'automobile et dans notre profession, le seul critère qui reste pour faire face à la concurrence mondiale est le prix, les critères de qualité et de technicité étant désormais considérés comme acquis. Or, nous sommes confrontés à une concurrence qui s'internationalise ; nous nous heurtons notamment à des concurrents européens fortement aidés par l'Union européenne et dont les coûts salariaux sont 2,5 à 3 fois inférieurs aux nôtres sur nos métiers ; en ce sens, il s'agit de concurrences que l'on pourrait qualifier de déloyales.

Notre profession est très atomisée ; or, pour rester près de nos clients automobiles, nous devons les accompagner à l'exportation. Les accompagner à l'exportation, c'est pouvoir répondre à des marchés émergents de l'automobile qui ne sont pas forcément proches de la France ou de l'Europe : l'Asie, le Mercosur.

On ne peut pas concevoir, aujourd'hui, que les automobiles qui vont être vendues dans ces régions ne soient pas fabriquées sur place. Il est vrai qu'il s'agit d'un inconvénient pour une profession comme la nôtre, car il n'est pas évident pour une PME d'accompagner un constructeur vers ces marchés.

Il y a une notion de très haut risque ; nous connaissons tous des expériences qui n'ont pas très bien réussi : ce n'est pas évident, lorsqu'on est une PME de 20, 30, 40, 50, voire 100 personnes d'accompagner les constructeurs automobiles sur ces marchés. Le coût d'investissement est très élevé et il est très difficile pour une PME d'y faire face.

Malgré tout, notre profession a toujours exporté. Nous l'avons dit tout à l'heure, notre taux d'exportation directe est de 20 % et, dans l'industrie automobile, l'exportation directe et indirecte représente 50 %.

Les entreprises du décolletage exportent également dans beaucoup d'autres domaines, quelle que soit leur taille. Je vous montrerai tout à l'heure des pièces d'une entreprise qui emploie, je crois, 13 personnes et qui réalise 70 à 80 % de son chiffre d'affaires à l'exportation, y compris dans des pays tels que les Etats-Unis ou le Japon.

Face aux problèmes de la mondialisation, nous nous sommes interrogés sur ce que pouvait être l'avenir de notre profession avec l'industrie automobile ; il s'agit de notre client principal, il est donc normal que nous soyons prêts à l'accompagner dans cette mondialisation.

En revanche, il existe deux grandes tendances que nous souhaitons voir se développer afin de répondre aux besoins du marché automobile.

D'une part, nous souhaitons une intensification du partenariat entre les constructeurs, les équipementiers et les sous-traitants. La construction automobile ne peut pas vivre sans l'industrie du décolletage. Il y a un certain nombre de pièces que l'on ne peut pas remplacer : peut-être, dans une dizaine d'années d'autres technologies apparaîtront-elles, mais aujourd'hui notre profession est totalement indispensable. Nous avons donc besoin de développer ce partenariat quelle que soit la taille de nos entreprises.

Nous souhaitons avoir, avec les constructeurs, une participation plus intensive et plus active au niveau de la conception, car nous pensons que la réduction des coûts ne doit pas s'opérer uniquement par des effets de productivité à l'intérieur de l'entreprise, mais doit également se développer par des efforts de technologie au niveau des pièces. Or nous pensons que chacun dans sa profession - et nous-mêmes dans le décolletage - peut apporter beaucoup à l'industrie automobile pour permettre des réductions de coût à cet égard.

Ces partenariats devront déboucher sur une plus forte fidélisation. Nous avons besoin, si nous voulons développer des processus de recherche dans nos PME, d'une fidélisation sur des marchés sur lesquels nous sommes présents.

Les investissements en matière de recherche ou autre sont extrêmement importants, vous le savez, et lorsqu'ils touchent une PME, ils sont difficilement supportables. Cela ne peut se gérer que si nous avons une fidélisation sur les marchés.

On a évoqué tout à l'heure les problèmes de gains de productivité ; or les gains de productivité, aujourd'hui, sont réalisés pour répondre à la mondialisation du marché et à une concurrence internationale exacerbée. Les gains de productivité, dans l'automobile, nous les donnons ; nous les donnons en intégralité et nous les donnons même souvent par anticipation. Il est, en effet, très fréquent de voir les constructeurs ou les équipementiers nous dire : " cette année, vos prix c'est moins cinq ou moins dix, et vous allez faire en sorte de retrouver cela en productivité ".

Il est vrai que, depuis un certain nombre d'années, les entreprises de décolletage ont beaucoup travaillé sur la productivité ; il y a eu des gains dans ce domaine, mais ce n'est pas inépuisable. Je ne dirai pas que les sources de productivité sont taries, mais les courbes descendent petit à petit. Cela veut dire que demain, si nous sommes contraints de réaliser de nouveaux gains de productivité, nous risquons d'attaquer nos marges - qui sont de l'ordre de 3 % - et donc de remettre en cause le processus d'investissement.

D'autre part, nous souhaitons qu'au niveau des PME, notamment, l'on puisse créer l'environnement économique, social et fiscal leur permettant d'accompagner le marché automobile. On l'a vu, il y a des phénomènes importants à gérer dans la mondialisation ; nous devons donc développer un certain nombre d'actions qui permettent de créer cet environnement, non seulement en facilitant la tâche des PME dans leur métier par le biais des simplifications administratives, mais également en encourageant leurs investissements, notamment dans les domaines des nouvelles technologies et de la recherche.

Il convient, par ailleurs, de rendre les entreprises plus compétitives pour leur faire regagner des parts de marché. Si nous reprenons des parts de marché à la concurrence, nous pourrons ainsi pérenniser nos investissements et créer de l'emploi.

Aujourd'hui, malgré les difficultés qu'elles rencontrent pour recruter, les PME de notre secteur sont tout à fait prêtes à créer des emplois, mais elles ont besoin du marché nécessaire à la création de ces emplois, alors même que les exigences de la productivité ont plutôt des effets inverses.

Enfin, nous souhaitons qu'au niveau européen, les harmonisations soient plus fortes. Je citerai un exemple : nous avons rencontré, il y a quelques mois, des confrères de huit pays - les Etats-Unis et sept pays européens - ; lorsque nous avons évoqué les problèmes de mise en conformité des machines - qui nous coûte environ 30 000 francs par salarié -, les Anglais nous ont affirmé que toutes leurs machines étaient conformes. Je dois vous avouer que nous nous sommes interrogés sur la mise en conformité qui leur est imposée par rapport à nous !

M. le Rapporteur : Quelle est la part de l'industrie automobile, qui est votre premier client, dans votre chiffre d'affaires ?

M. Claude MORISSEAU : L'industrie automobile représente 50 % de notre chiffre d'affaires.

M. le Rapporteur : Travaillez-vous beaucoup pour les constructeurs étrangers ?

M. Jean-François DUSSAIX : Nos deux principaux clients français sont Renault et PSA pour lesquels nous sommes fournisseurs de premier rang. L'entrée en relation directe avec les constructeurs étrangers est plus difficile ; en revanche, nous travaillons beaucoup avec des équipementiers qui, eux-mêmes, sont liés à ces constructeurs étrangers.

M. Claude MORISSEAU : Nous avons, très récemment, souhaité participer à une mission Fiat ; or, aucun décolleteur n'a été accepté.

M. le Rapporteur : Un risque de délocalisation existe-t-il pour votre industrie ?

M. Claude MORISSEAU : Nous avons reçu, il y a trois semaines, la WDA - la Welsh development agency - qui, compte tenu de ses anciennes activités, l'acier et le charbon, souhaite reconvertir son industrie . Elle propose aux décolleteurs qui souhaiteraient s'implanter au Pays de Galles, une aide, non seulement à l'investissement et à l'implantation, mais également sur les marchés et sur la formation professionnelle.

Si nous désirons aller au Pays de Galles, on nous tend les bras ; cependant, ce serait de l'emploi perdu pour la France.

M. le Rapporteur : Il s'agit donc davantage d'un risque de délocalisation vers d'autres pays européens que vers des pays à bas salaire sud-méditerranéens, asiatiques ou autres ?

M. Claude MORISSEAU : Les risques existent également. Ce qui fait notre force, c'est notre technicité, notre savoir-faire. Les risques de délocalisation existent aujourd'hui pour les pièces simples : certains pays sont tout à fait capables de produire, à moindre coût par rapport à nous, des pièces qui ne sont pas encore très techniques, par exemple la république tchèque, mais sans doute maîtriseront-ils bientôt la fabrication de pièces plus complexes.

M. Jean-François DUSSAIX : En ce qui concerne les risques de délocalisation, ils sont, en réalité, indirects, puisque nous sommes souvent fournisseurs de deuxième rang. Ainsi, nous livrions des pièces à certains équipementiers intallés en France qui ont brutalement déplacé leurs chaînes d'assemblage en Tchéquie et en Turquie. Au début, nous avons continué à livrer nos pièces dans ces pays, puis nous avons perdu le marché.

M. le Rapporteur : Quels sont vos principaux concurrents, y compris dans le haut de gamme ?

M. Claude MORISSEAU : Ce sont les Allemands, les Italiens, les Suisses, les Britanniques, les Etats-Unis ; nous sommes fortement concurrencés.

M. le Rapporteur : L'industrie du décolletage est composée de 1 000 entreprises ; quelle est la part des dix ou vingt plus grandes ?

M. Claude MORISSEAU : Je vous citerai deux chiffres : 9 % des entreprises produisent 40 % du chiffre d'affaires de la profession, tandis que 50 % des entreprises ne produisent que 11 % du chiffre d'affaires. Il s'agit, comme vous le constatez, d'une profession extrêmement atomisée avec de toutes petites entreprises.

M. le Rapporteur : Pouvez-vous nous donner des exemples de sous-ensembles que vous livrez ?

M. Claude MORISSEAU : Voici un accoudoir de siège de pilote d'Airbus - il n'est pas complet, car nous n'avons pas le droit de le montrer complet -. Il s'agit d'une pièce qui est assemblée à partir de 80 pièces - pas toutes décolletées - dans une entreprise de décolletage, une PME de 30 ou 40 personnes, qui assemble tous les accoudoirs des sièges de pilote d'Airbus.

M. le Rapporteur : Une des raisons d'être de cette mission est le problème de l'emploi, l'emploi à long terme en intégrant les problèmes de compétition et de productivité.

Concernant la réduction de la durée du travail - compte tenu des machines, de la main-d'oeuvre et des commandes dans votre secteur - pouvez-vous envisager, par exemple, de faire travailler deux équipes de six heures plutôt qu'une équipe de huit heures ?

M. Jean PERRET : S'agissant de nos deux entreprises, qui sont composées d'environ 150 personnes, il est clair que l'on rentre dans le surcoût des 11 %. Nous ne sommes pas hostiles à l'idée selon laquelle il faudrait partager le travail, mais cela a des effets qui compliquent notre système et ne pourra créer que 17 emplois.

Si ces emplois créés se limitent à du montage, effectivement cela ne sera pas un problème important à résoudre ; mais, en général, cela ne se traduit pas de cette manière. Devant chaque personne que nous employons, nous devons mettre une machine, il y a donc un surcoût de salaire d'environ 10 % et, en plus, il faut investir.

M. le Rapporteur : Vos machines ne travaillent certainement pas 24 heures sur 24 ; la même machine peut sans doute être utilisée par plusieurs personnes.

M. Jean PERRET : Certes, cela est possible, mais il nous faut créer un encadrement nouveau. Par ailleurs, les personnes nouvellement employées doivent répondre à des critères bien précis ; on ne peut pas employer des personnes non qualifiées. On ne peut pas confier une machine à commandes numériques d'un million de francs à une personne non qualifiée.

Le vrai problème est que nous sommes déjà confrontés à un déficit de techniciens dans notre profession ; créer de l'emploi est donc difficilement envisageable pour nous.

J'ajouterai, sans faire de polémique, qu'une croissance, un investissement ou un emploi, ne se décrète pas ! C'est une conséquence du marché qui nous oblige et l'on ne peut pas dire : " demain, on fera 35 heures ". De plus, j'estime qu'on aurait pu nous consulter avant.

Imaginons que dans deux ans il y ait une autre majorité qui fasse campagne pour une réduction de la durée du travail à 25 heures payées 39 ! Non, s'agissant de notre profession, ce n'est pas possible ! Pourtant, croyez-moi, nous sommes très sensibles au problème de l'emploi.

Nous sommes prêts à embaucher 200, 300, voire 400 personnes si vous nous aidez, mais il faudrait un coup de baguette magique pour que les jeunes s'intéressent à notre profession !

M. le Rapporteur : Une partie de votre réponse m'a convaincu - j'ai bien pris note du déficit de techniciens qui existe dans votre profession - l'autre moins. Il faut savoir que deux ans sont prévus pour les négociations, et il y aura certainement, je n'en doute pas, une négociation propre à la profession du décolletage.

M. Claude MORISSEAU : Il faudrait trouver les moyens, au travers de la formation initiale, de régler le problème de cette désaffection des jeunes pour les métiers de la mécanique. Aujourd'hui, ces métiers sont porteurs d'emplois : toute personne formée à notre métier est automatiquement embauchée en contrat à durée indéterminée.

En revanche, nous voyons arriver dans nos entreprises des jeunes - notamment de jeunes ingénieurs qu'il n'est pas toujours facile d'employer à leur juste valeur - qui se sous-évaluent dans leur curriculum vitae pour qu'on les embauche car nos besoins se situent plutôt aux alentours du niveau bac, bac +2. On a mené des jeunes vers des formations qui ne correspondent ni aux besoins industriels du moment ni à ceux des années à venir. Ce déficit chronique que nous connaissons dans notre profession ne date pas d'hier ; cela fait un certain nombre d'années que l'on se bat pour le résorber.

M. le Rapporteur, vous avez parlé tout à l'heure d'organisation nouvelle du travail, avec des passages en équipe. Nous l'avons évoqué, cela poserait effectivement des problèmes d'encadrement, mais également des problèmes de dimension de marché ; lorsque vous changez l'organisation d'une entreprise pour la mettre en équipe, vous créez des coûts supplémentaires importants. Aujourd'hui, par le coût du travail et nos coûts d'investissement, nous ne sommes pas forcément compétitifs par rapport à nos concurrents dans le monde.

Or, nous voulons devenir compétitifs au niveau du prix ; mais lorsque vous luttez à armes inégales, vous pouvez faire tous les efforts de productivité ou autre, vous n'arriverez jamais à concurrencer des pays dont les coûts de main-d'oeuvre, par exemple, sont deux à trois fois moins chers.

Mme la Présidente : Vous avez souligné que votre profession était une profession dynamique, puis nous avons décelé un certain nombre d'inquiétudes ou de dérives possibles.

Comment envisagez-vous, à court terme, l'évolution de votre production ?

M. Claude MORISSEAU : Tout d'abord, nous la voyons avec confiance, grâce au dynamisme et à l'atomisation de notre profession. En effet, notre profession est extrêmement réactive - nos chefs d'entreprise sont très créatifs - et très bien accompagnée au niveau de ses salariés - il y a un fort attachement des salariés à notre industrie - ; nous ne sommes donc pas spécialement inquiets.

En revanche, nous ne maîtrisons pas les fluctuations du marché. Cette année, nous sommes à un niveau d'activité intéressant, puisque nous enregistrons, au premier semestre, un accroissement d'activité de 10 % par rapport à l'an dernier, et ce, malgré un marché automobile très morose en France en ce qui concerne la vente.

Nos inquiétudes portent sur notre compétitivité future, si le critère du prix prédomine ; en revanche, sur le plan des innovations techniques, nous devrions pouvoir faire la différence par rapport à la concurrence mondiale, dès lors que l'on nous y aidera.

M. le Rapporteur : Je terminerai par quelques remarques. Parmi les problèmes que vous avez évoqués, certains dépendent, non pas des pouvoirs publics, mais des relations que vous entretenez avec les constructeurs automobiles ; je veux parler, par exemple, de votre volonté d'intensifier le partenariat entre les constructeurs, les équipementiers et les sous-traitants et du problème de la fidélisation.

En revanche, deux domaines peuvent faire l'objet d'une intervention de la puissance publique : d'une part, l'aide à l'investissement - pour que les entreprises de décolletage puissent accompagner les constructeurs sur de nouveaux marchés - et, d'autre part, la formation.

Il y a déjà eu plusieurs dispositifs relatifs à l'aide à l'investissement des PME ou à la recherche. Si vous avez des propositions précises à formuler, communiquez-les nous et nous les étudierons.

S'agissant de la formation, nous sommes également intéressés par les propositions que vous pourriez formuler ; cependant, les délais de réaction seront plus longs.

M. Roger BONHOMME : M. le Rapporteur, il peut y avoir des effets très rapides ; nous l'avons prouvé par l'opération " 1 000 techniciens ".

Concrètement, il suffit de construire un bâtiment, d'y installer des machines et de faire venir des jeunes dans l'industrie du décolletage, ce que nous avons démontré en huit ans. Il y a suffisamment de techniciens sur le marché du travail pour les orienter vers l'industrie du décolletage.

M. le Rapporteur : Pourquoi cela ne se fait-il pas ?

M. Roger BONHOMME : Parce qu'il s'agit d'un métier méconnu. Il est méconnu parce qu'il concerne la fabrication de composants ; on connaît les trains, les voitures, la télévision, mais on ne connaît pas les pièces décolletées qui se trouvent dans tous ces produits.

La vallée de l'Arve travaille un peu à la façon des districts italiens ; il y a 22 dépôts d'acier à Cluses auxquels s'ajoutent de nombreux métiers induits - des fabricants d'outils, des traitements thermiques, des traitements de surfaces -. Il s'agit d'une mono-industrie qui génère près de 60 000 emplois. Il peut donc y avoir des réactions rapides. Simplement, faisons les efforts nécessaires pour inciter les personnes à aller vers les métiers de la mécanique.

M. Claude MORISSEAU : Lorsqu'on interroge les jeunes sur ce qu'ils souhaitent faire demain, plus de la moitié répondent qu'ils veulent être fonctionnaires ! Nous n'avons rien contre les fonctionnaires - soyons bien clairs à ce sujet - mais le socle de notre économie est tout de même son industrie.

S'agissant de la formation, nous avons évoqué l'opération " 1 000 techniciens " - opération spécifique à notre métier -, mais nous essayons également de faire évoluer, au sein de nos entreprises, un certain nombre de salariés dont le niveau de qualification est très faible, de façon à ce que demain ils ne soient pas exclus.

Nous avons mis en place une action originale de formation de ces bas niveaux de qualification, dans le cadre d'un contrat de bassin. Cette action, qui a bien démarré, se heurte actuellement à de multiples problèmes : gestion de l'EDDF, fonds européens, fonds nationaux, etc... En fait, toute action territoriale se heurte à des contraintes administratives, françaises ou européennes.

M. Jean-François DUSSAIX : Le décolletage est un métier qui, à l'origine, fabriquait des produits très simples. Compte tenu de la montée en puissance de nouvelles technologies, telles que le frittage, la frappe à froid ou les plastiques, nous nous sommes ouverts progressivement à des produits beaucoup plus techniques - nous connaissons cette évolution depuis une quinzaine d'années -. Le fait de produire des pièces terminées, que nos clients mettent en place directement sur les chaînes, est très important.

Autre point qui n'a pas été mentionné : dans notre métier, 50 % des effectifs sont tenus par des opérateurs qui sont, pour la moitié, des femmes ; concernant la réduction du temps de travail, cela pourrait être une piste, car beaucoup d'entre elles souhaiteraient travailler à temps partiel. D'autant que lorsqu'on essaie de mettre en place une troisième équipe, nous n'avons pas forcément la charge suffisante.

M. le Rapporteur : Je précise, parce que votre dernier exemple est important, que la plupart des personnes ont une vision rigide des 35 heures, alors que notre idée est de réduire la durée du travail de 10 %.

Pour un ouvrier à la production, cela pourrait se traduire par une nouvelle équipe ou une équipe à mi-temps, notamment pour les femmes qui souhaiteraient ce niveau d'activité ; pour des cadres, cela pourrait se traduire en une ou deux journées supplémentaires de congé par mois. En outre, des négociations sur l'année seraient tout à fait possibles.

Ne prenez pas au premier degré tout ce qui a été dit à ce sujet jusqu'à maintenant : nous ne voulons pas imposer les 35 heures à tout le monde dans toutes les entreprises !

Audition de M. Régis MAITENAZ,
Président du Groupement automobile de la plasturgie

(extrait du procès-verbal de la séance du 15 octobre 1997)

Présidence de Mme Annette PEULVAST-BERGEAL, Vice-président

M. Régis MAITENAZ : Aujourd'hui Président du Groupement automobile de la plasturgie, j'ai travaillé pendant trente ans dans le groupe Sommer Allibert que j'ai quitté il y a peu, tout en conservant cependant une activité au sein de la profession.

La plasturgie française est une industrie jeune, conquérante et se situe désormais au niveau des meilleurs standards internationaux. Elle occupe le quatrième rang mondial derrière les USA, le Japon et l'Allemagne et réalise en France un chiffre d'affaire supérieur à 120 milliards de francs.

Le Groupement automobile de la plasturgie regroupe les principaux fournisseurs d'équipements et de composants livrés aux constructeurs. Au total environ 300 entreprises françaises, dont 80 % de petites entreprises employant moins de 50 salariés, travaillent pour l'automobile pour un chiffre d'affaires d'environ 24 milliards de francs et un effectif de 28 500 salariés.

Il faut préciser que ces chiffres sont approximatifs, car nous ne disposons pas de statistiques nationales très fines pour notre profession.

Vous avez eu l'occasion d'entendre le Président du Fretay au titre de la Fédération des industries des équipements pour véhicules qui vous a présenté la situation des équipementiers. En tant que représentants de la plasturgie, nous partageons totalement les propos de M. du Fretay. Je m'attacherai donc aujourd'hui à vous parler des spécificités de la plasturgie.

Les matériaux plastiques ont contribué peut-être plus que tout autre à l'évolution de l'automobile au cours des vingt dernières années. De 60 à 70 kilos en 1975, le poids des matières plastiques atteint aujourd'hui 130 à 140 kilos par véhicule. C'est là une forte progression qui se poursuit à un rythme qui sera sans doute moins rapide dans les années à venir, car si l'habitacle est déjà totalement acquis aux pièces plastiques, le compartiment moteur et la carrosserie réservent encore beaucoup d'applications possibles.

Les matériaux plastiques présentent des avantages importants. Je ne citerai que la légèreté, la liberté des formes et des couleurs, les propriétés mécaniques, les qualités de toucher et d'aspect, l'anticorrosion. Ces avantages contribuent de façon évidente au confort, à la sécurité des passagers, mais aussi à la protection de l'environnement.

Les fournisseurs de l'automobile peuvent être classés en deux grandes catégories :

- d'une part, les grands équipementiers, fournisseurs de systèmes ou d'ensembles relativement complexes, ayant une présence internationale forte, parmi lesquels on trouve entre autres Sommer Allibert et Plastic Omnium qui font partie des leaders mondiaux et dont le développement se fait aujourd'hui hors de nos frontières ;

- d'autre part, des équipementiers de taille petite ou moyenne, fournisseurs de composants stratégiques, mais aussi de pièces relativement simples. Pour ces derniers, l'internationalisation est beaucoup plus difficile ; leur développement risque, dans le contexte concurrentiel actuel, d'être beaucoup plus aléatoire.

Pour faire face aux demandes des donneurs d'ordres que sont les constructeurs, notre profession a engagé des actions pour aider les entreprises de la plasturgie dans différents domaines, notamment celui des ressources humaines, de l'innovation, de l'environnement.

En ce qui concerne les ressources humaines, la profession se fondant sur les recommandations du " rapport Givry " intitulé " Comment relever les défis des années 1990 ? " qui dressait un constat de l'état du secteur de l'équipement automobile, a développé des outils pour accélérer la mise en oeuvre d'une politique sociale relativement innovante afin d'améliorer la compétitivité par l'implication des hommes, grâce à de nouvelles organisations, à de nouvelles compétences et à la formation.

La compétitivité d'une entreprise se caractérise par son aptitude à répondre à l'évolution des besoins de son marché. Dans le domaine automobile, l'organisation " au plus juste " a remplacé une organisation traditionnelle hiérarchisée et spécialisée, taylorienne.

Aujourd'hui, l'organisation est plus participative et responsable ; chacun se sent impliqué à son niveau. Pour répondre à de telles exigences, la profession a conduit une politique volontaire et anticipatrice en concluant un accord sur l'aménagement du temps de travail dès le mois d'octobre 1995, avant qu'un accord interprofessionnel n'intervienne.

Ces nouvelles organisations nécessitent des compétences nouvelles adaptées au travail en équipe et aux objectifs de qualité et de flexibilité que se fixent les entreprises et que nous réclament nos clients. Le développement de ces nouvelles compétences s'inscrit dans la recherche de meilleures performances pour l'entreprise. En effet, aujourd'hui, le personnel doit, non seulement être polyvalent, mais aussi polycompétent, c'est-à-dire assurer différents postes de travail tout en étant capable d'intégrer des notions de gestion, de qualité en plus de son travail effectif. On lui demande d'avoir une plus grande autonomie et, par conséquent, d'être plus responsable.

Les entreprises doivent aujourd'hui préparer leur personnel à des métiers sans cesse en évolution et l'adapter aux nouvelles techniques et aux nouveaux modes d'organisation. A ce titre, notre profession a engagé une politique d'emploi-formation active, en se fondant sur un contrat d'études prévisionnelles, qui a permis d'identifier les emplois de demain et de déterminer les moyens à mettre en place pour adapter le potentiel humain aux mutations.

La formation est de nos jours un élément déterminant de la stratégie de nos entreprises. Elle a pour objectif de combler l'écart entre les compétences acquises par les individus et les compétences requises afin d'anticiper l'évolution rapide des métiers. Pour ce faire, la profession a élaboré un répertoire des métiers et a mis en oeuvre des actions originales en liaison étroite avec les partenaires sociaux, dans le cadre d'un observatoire des métiers.

Je citerai, pour exemple, le développement de l'apprentissage qui permet à des salariés formés, des tuteurs, d'accueillir dans de bonnes conditions les apprentis.

Nous avons, en outre, créé des certificats de qualification professionnelle dans le domaine de la formation continue qui permettent d'adapter et de former le personnel beaucoup mieux qu'auparavant.

Nous avons mis en place des actions de développement de compétences qui ont une incidence sur l'emploi, car elles permettent de former à nos métiers des salariés sans qualification et des demandeurs d'emploi. La réinsertion des personnes qui passent par ces modules de formation varie de 50 à 80 %.

Enfin, nous avons créé un centre d'innovation jumelé avec une grande école d'ingénieurs : le Pôle Européen de Plasturgie.

Toutes ces initiatives au service d'une politique de branche axée sur la performance des hommes se sont révélées très positives : en effet, nous sommes passés de 70 % de personnes non qualifiées à moins de 40 % en 10 ans. Il convient de souligner le partenariat très étroit avec l'Éducation nationale.

Sur le plan social, il faut souligner que dans notre industrie manufacturière, le coût du travail est le problème majeur et que toute mesure qui l'aggrave est nuisible à l'emploi.

Le second domaine dans lequel nous avons essayé d'aider les entreprises concerne la recherche et le développement.

Face à une concurrence exacerbée, à la mondialisation et au transfert du développement des constructeurs vers les équipementiers, l'innovation est un enjeu vital. Peu présente dans nos entreprises, elle est devenue véritablement un atout nécessaire et considérable. C'est l'une des raisons de la création, au début des années 90, du Pôle Européen de Plasturgie qui regroupe sur un même lieu un centre technique et une école d'ingénieurs et qui accueillera ultérieurement une technopole.

L'innovation ne conduit pas seulement à la création de nouveaux produits ou de nouvelles technologies ; elle est aussi le support indispensable à la réduction des coûts qui est capitale.

La diversité des matériaux et des technologies mis en oeuvre dans la plasturgie permet de penser que les matières plastiques vont continuer leur pénétration des véhicules à un rythme soutenu. Il faut savoir que les coûts de recherche et de développement des grands équipementiers sont passés de 2 % du chiffre d'affaires en 1990 à 5, voire 6 % en 1996. Ce taux élevé est nécessaire mais n'est cependant pas encore atteint dans la plupart des petites et moyennes entreprises et cela constitue un risque important de fragilisation à l'avenir.

Le troisième domaine important pour la plasturgie est l'environnement. La prise en compte de l'environnement fait désormais partie de la stratégie de nos entreprises. Un atout en matière de protection de l'environnement est l'allégement des véhicules. Il permet une diminution sensible des consommations de carburant et, par conséquent, d'émission de gaz polluants. Cet allégement provient pour une part importante du remplacement des matériaux traditionnels que sont l'acier ou d'autres matériaux métalliques par des matières plastiques dans de nombreuses parties du véhicule, y compris sous le capot moteur et dans la carrosserie. D'une façon générale, on considère que, dans une automobile, 100 kilos de plastique remplacent 200 à 300 kilos de matériaux traditionnels, entraînant des économies importantes de ressources non renouvelables. Lorsque l'on parle d'environnement, il convient de distinguer ce qui relève de la gestion des sites industriels, que toute entreprise doit gérer, et ce qui est propre aux produits en fin de vie.

Concernant les sites de production, l'industrie de la plasturgie en tant que technologie de transformation est assez propre et peu polluante. Souhaitant renforcer cet avantage, la profession a mis en place avec l'aide du Fonds social européen un programme dit " ADEGE " - action de développement de la gestion environnementale des sites industriels de la plasturgie. Ce programme a pour objet la mise en place de diagnostics dans les entreprises et d'un véritable système de management environnemental adapté à la plasturgie.

Concernant la vie des produits, il faut garder en mémoire que 80 % de l'énergie consommée aujourd'hui par une automobile le sont lors de son utilisation et seulement 20 % dans ses matières premières, sa fabrication et son élimination après usage. L'allégement possible grâce aux matières plastiques apparaît comme une priorité pour l'économie des ressources naturelles, même si ces matières peuvent ensuite poser des problèmes de recyclage. Dans un véhicule, les matériaux plastiques ne constituent en fait que le tiers des 25 % non recyclés. Les déchets majoritairement mis en décharge commencent à être valorisés, soit par des procédés de recyclage, soit par des procédés de valorisation énergétique. En 1993, nous avons signé l'accord-cadre français sur le retraitement des véhicules hors d'usage ; la plasturgie est très attachée aux principes définis au mois de juillet 1996 par la DG XI en matière de politique communautaire pour le traitement des déchets et notamment à la recherche de la meilleure solution du point de vue de l'environnement. Cette meilleure solution doit s'accompagner d'un bilan économique des solutions envisagées. Par ailleurs, l'évaluation de l'impact d'un produit ou d'un procédé sur l'environnement doit s'effectuer sur l'ensemble des phases de son cycle de vie et pas seulement sur l'une de ces phases. En juillet 1997, une nouvelle proposition de directive risque de remettre quelque peu en cause la cohérence d'une telle démarche en privilégiant les moyens de recyclage, notamment par la hiérarchisation des modes de valorisation.

Notre industrie est, bien sûr, prête à s'engager sur une obligation de résultats, exprimée sous la forme d'un objectif de réduction de mise en décharge des déchets automobiles tel qu'énoncé dans l'accord français. En revanche, nous nous opposerons à toute obligation de moyens pour atteindre ce résultat. Le choix pertinent des modes de valorisation entre le recyclage matière ou la valorisation énergétique doit être laissé à l'appréciation des opérateurs industriels, car la fixation a priori d'une hiérarchie des procédés et de quotas par mode de valorisation, non seulement n'est pas justifiée, mais pourrait même se révéler contraire à l'objectif recherché de protection de l'environnement.

En conclusion, les équipementiers plasturgistes français doivent être compétitifs par rapport à leurs concurrents étrangers, car le marché n'est même plus européen, il est mondial.

La plasturgie est une industrie de transformation dans laquelle le coût du travail est important. Il est à craindre que certaines dispositions législatives ne viennent alourdir encore ce coût qui est déjà parmi les plus élevés d'Europe.

On peut être certain que cette jeune profession, qui compte beaucoup d'atouts, est prête à se battre, mais que, pour gagner, elle doit avoir les meilleures armes. De ce point de vue, peut-être pouvez-vous nous aider à les obtenir...

M. le Rapporteur : Vous avez indiqué que le Groupement de la plasturgie représentait un chiffre d'affaires de 24 milliards de francs pour l'automobile. J'imagine que les constructeurs français ne sont pas vos seuls clients. Quelle est la part des constructeurs non-français ou, si vous préférez, quel est le chiffre d'affaires relatif à l'exportation ?

M. Régis MAITENAZ : J'aurai quelque peine à vous livrer un chiffre précis. On peut estimer à un tiers la part du chiffre d'affaires réalisé non seulement à l'exportation, mais aussi par des entreprises françaises implantées à l'étranger. N'oubliez pas que certaines entreprises ont leur siège en France et des filiales à l'étranger. Le montant de 24 milliards de francs n'est pas uniquement réalisé en France à destination des constructeurs français et des constructeurs étrangers ; une partie peut être générée dans des pays étrangers.

M. le Rapporteur : Qu'entendez-vous par " étrangers " ?

M. Régis MAITENAZ : Essentiellement l'Europe, mais de plus en plus des pays lointains, notamment l'Amérique du Sud, voire les États-Unis ou l'Asie. Mais il s'agit principalement de l'Europe avec, depuis un ou deux ans, un démarrage modeste sur le continent américain.

M. le Rapporteur : Est-ce lié aux perspectives de construction ?

M. Régis MAITENAZ : Cela tient naturellement au fait que les constructeurs - que ce soit Volkswagen, Renault ou PSA - demandent à leurs équipementiers traditionnels de les suivre dans un certain nombre de pays : en Argentine, au Brésil, au Mexique.

M. le Rapporteur : Il s'agit donc d'un suivi pour une production locale et non pour la réimportation.

M. Régis MAITENAZ : Cela peut arriver. J'ai en tête l'exemple d'un équipementier qui a réalisé des investissements élevés au Portugal pour la fabrication par Ford et Volkswagen de véhicules ensuite acheminés à travers l'Europe. L'implantation n'était pas destinée au marché local portugais. C'est différent pour les pays émergents, où les constructeurs s'installent pour prendre des parts de marché.

M. le Rapporteur : Nous reviendrons sur les coûts salariaux que vous avez évoqués à plusieurs reprises. Quelle est la part des salaires dans le coût global ?

M. Régis MAITENAZ : Si l'on se réfère à un compte d'exploitation, la part des salaires se situe en général entre 25 et 30 %.

M. le Rapporteur : Y a-t-il des tentatives de délocalisation pour rechercher de bas salaires ou cela dépend-il des activités ?

M. Régis MAITENAZ : Notre profession présente une grande diversité. Une première contrainte est liée à la taille et au volume des pièces. Le coût du transport de grandes pièces plastiques est un élément important du prix de revient. En général, les constructeurs demandent à leurs équipementiers de s'installer à proximité des usines d'assemblage. C'est vrai pour les grandes pièces, beaucoup moins pour les pièces plus petites. Aujourd'hui, certains de nos concurrents portugais réalisent des performances économiques bien meilleures que les nôtres en France. Cela ne s'applique qu'à une part des pièces pour lesquelles la question du transport n'est pas discriminante.

M. le Rapporteur : Vous avez parlé de recherche. Est-elle due à votre initiative ou à celle des constructeurs qui souhaiteraient, par exemple, telle pièce 15 % moins cher et une fois et demie plus petite ?

M. Régis MAITENAZ : J'ai évoqué le montant de la recherche-développement, qui est de l'ordre de 6 % du chiffre d'affaires chez les grands équipementiers. Cet aspect intègre ce que l'on peut appeler la recherche proprement dite sur les procédés, les technologies, les matériaux. Elle intègre aussi toute la partie " développement ", c'est-à-dire la conception des sous-ensembles que nous demandent les constructeurs. C'est cette partie qui a connu un grand essor au cours des quatre ou cinq dernières années. Ce développement s'est opéré, bien évidemment, sur la base d'objectifs de performance et de prix fixés par nos clients, les constructeurs. Ainsi que vous pouvez le lire dans la presse, un nouveau produit qui sortira sur le marché dans deux ou trois ans devra coûter 20 à 30 % moins cher que le produit existant dans le véhicule d'aujourd'hui, ce qui n'est pas toujours très simple. Cela nécessite force imagination et parfois nous n'arrivons pas à atteindre les objectifs fixés par nos constructeurs.

M. le Rapporteur : Nous avons reçu les représentants de l'industrie du décolletage. Ils semblaient préoccupés par des problèmes de fidélisation. Il est vrai que les entreprises interchangeables sont plus nombreuses dans ce secteur que dans la plasturgie. Rencontrez-vous le même type de problèmes ?

M. Régis MAITENAZ : Le décolletage ou les petites entreprises qui n'ont pas véritablement une activité ou un poids suffisant vis-à-vis des constructeurs sont très fragiles. Ces petites entreprises qui fournissent souvent, non seulement les constructeurs, mais aussi les grands équipementiers que sont Sommer Allibert, Valéo, Bertrand Faure, sont très sensibles aux prix, car l'offre est grande sur le marché et la fidélisation difficile. C'est un peu moins vrai sans doute pour les grandes entreprises qui possèdent un savoir-faire et dont les relations de partenariat établies avec les constructeurs limitent le risque de se voir délocalisées ou déprogrammées. Mais ce risque existe indiscutablement pour les petites entreprises.

M. le Rapporteur : Vous avez évoqué un événement de l'actualité récente...

M. Régis MAITENAZ : Je l'ai cité sans le préciser. Il s'agit bien entendu du projet visant à abaisser les horaires légaux à 35 heures au 1er janvier de l'an 2000. Dans le monde automobile, et en particulier pour les fournisseurs, une décision de cette nature est très préoccupante, dans la mesure où les constructeurs établissent un panel européen, voire mondial, de fournisseurs, même si ce n'est pas tout à fait vrai des constructeurs français ; je pense en tout cas aux constructeurs européens comme Volkswagen, ou américains comme Ford et General Motors. Lorsque vous fournissez Ford, vous êtes dans le panel mondial de Ford ; vous n'êtes pas seulement fournisseur d'une usine en Europe, mais vous devez suivre le constructeur là où il souhaite que vous alliez. Vous vous trouvez en compétition avec des équipementiers issus du monde entier. Or, Ford n'en retiendra qu'un seul pour un produit donné. Si notre performance se détériore ou si un handicap sérieux se profile, il est clair que nous serons très mal armés face à ces grands groupes, voire vis-à-vis de Peugeot ou de Citroën qui, d'un autre côté, ont à faire face à la concurrence de Ford, de General Motors ou de Volkswagen. Ils feront fortement pression sur les prix pour rester compétitifs.

Tout progrès de notre productivité est rendu franc pour franc, voire au-delà au constructeur. Même si la réduction d'horaires était compensée par des gains de productivité et ne modifiait pas sensiblement les ratios économiques, les constructeurs étrangers continueraient de demander que cette amélioration de la productivité qui prévaut aujourd'hui chez les équipementiers leur soit rendue. Si nous devons garder les gains liés à cette productivité pour nous permettre d'arriver à 35 heures, nous aurons grand mal à le faire comprendre à la plupart des grands constructeurs mondiaux. Je ne dis pas que certaines solutions ne permettent pas des réductions d'horaires. Un investissement lourd peut parfois être mieux utilisé. La flexibilité, l'utilisation pendant le week-end des équipements permet sans doute d'aller vers une plus grande flexibilité et donc la réduction d'horaires. En revanche, lorsqu'il s'agit d'une industrie où l'assemblage est essentiellement manuel, les compensations à la réduction d'horaires me semblent difficiles à trouver.

M. le Rapporteur : Je reprends votre exemple relatif au panel mondial de Ford. L'élément déterminant est le coût unitaire de production, qui comprend un coût salarial et, ainsi que vous venez de l'indiquer, une série d'autres composantes. Vous précisez que, pour certaines fabrications, on espère mieux utiliser les équipements, ou encore améliorer la souplesse de l'organisation du travail ce qui pourrait permettre de gagner encore quelques points de productivité. Le projet annoncé le 10 octobre prévoit une aide publique ; du reste, je n'aime guère le terme, car, en réalité, il s'agirait plutôt d'une contrepartie, dans la mesure où un Gouvernement peut considérer qu'une diminution du nombre de chômeurs implique une réduction des indemnités de chômage, davantage de rentrées de cotisations sociales et qu'une partie de ces avantages pourrait être reversée à des entreprises pour les aider dans des mutations de ce type. Une discussion devrait s'engager entreprise par entreprise, dont les conclusions ne seront pas nécessairement les mêmes ; les effets sur les coûts peuvent être différents. Ce qui me conduit à vous poser la question de la nature des entreprises - vous avez cité un nombre ...

M. Régis MAITENAZ : Oui, 300 entreprises françaises plasturgistes travaillent dans le secteur de l'automobile, dont environ 250 emploient moins de cinquante salariés. Il s'agit vraiment de petites entreprises.

M. le Rapporteur : L'angle d'approche consistant à utiliser davantage des équipements n'est peut-être pas habituel ?

M. Régis MAITENAZ : La transformation des matières plastiques utilise des technologies de base. Je ne citerai que la technique de l'injection, la plus répandue : on introduit des granulés dans une presse ; on chauffe la matière pour la rendre visqueuse et on l'envoie ensuite sous pression dans un moule qui permet d'obtenir la pièce. Cette technique fait appel à des équipements lourds si l'on considère la valeur du produit réalisé par rapport à l'ensemble de l'équipement. C'est l'exemple type où travailler dans des conditions de flexibilité optimum sept jours par semaine présente un intérêt indiscutable. Pour des applications de cette nature, on peut trouver des éléments de compensation à une réduction d'horaires par une meilleure utilisation et une plus grande flexibilité des horaires de travail.

Cela étant, l'activité d'injection ne représente que 20 ou 30 % de la valeur ajoutée que ces entreprises apportent au produit. Derrière, il y a des opérations d'assemblage, de peinture, de soudure et de perçage, opérations où la qualité manuelle reste très importante et où l'investissement correspondant est relativement modeste par rapport au coût du travail. Aujourd'hui, les ateliers d'injection travaillent déjà en 3 x 8 pour commencer le lundi et s'arrêter le samedi matin. En revanche, les ateliers d'assemblage travaillent à la journée. C'est dire que la nature même de l'investissement n'a rien à voir avec celle de l'injection. Or, la composante " coût du travail " est beaucoup plus difficile à compenser par des changements d'organisation ou par une plus grande flexibilité d'utilisation des équipements, dans la mesure où l'élément déterminant est le coût horaire et le coût de la personne.

M. le Rapporteur : Supposons une augmentation, au pire, de 10 % du coût salarial, soit, sur 30 % du prix, 3 %, une contrepartie d'aide publique à hauteur de 1 %, et des gains de productivité à hauteur de 1 % selon les activités. La situation ne serait pas si dramatique...

M. Régis MAITENAZ : Mais cette amélioration de la productivité, nous y sommes de toute manière acculés par les constructeurs. Nous la rendons aux constructeurs. Il faut savoir que chaque année, à produit constant, le montant des fournitures pour les constructeurs automobiles baisse de 3 à 6 %. Peut-être Renault et PSA penseront-ils qu'ils sont en France et que, compte tenu de la loi sur les 35 heures, ils accepteront de ne gagner que 2 %. Mais les autres continueront à demander la même prestation. La compensation sera prise dans la poche des entreprises, car, pour être compétitives vis-à-vis des Italiens, des Espagnols ou des Anglais, elles devront continuer à donner les 3 ou 4 % au constructeur. Il importe de comparer avec ce qui se passera chez des équipementiers concurrents en Espagne, en Angleterre ou en Allemagne - bien que l'Allemagne ne soit plus, pour notre profession, le pays où l'on trouve le plus de concurrents ; en effet, les coûts de la plasturgie n'y sont pas suffisamment compétitifs pour une industrie dont la qualification moyenne est encore modeste et ce secteur a décliné. Nous sommes aujourd'hui confrontés à des entreprises basées en Espagne, au Portugal, en Angleterre. Le risque existe d'être amenés à baisser nos marges de 3 %. Or nombre d'entreprises qui livrent l'automobile n'ont pas cette marge bénéficiaire.

L'automobile est pour moi un exemple assez frappant de la mondialisation et de l'internationalisation qui s'est produite au cours des cinq dernières années. On n'a plus le droit de raisonner en avançant que l'on est fournisseur de Renault et de Peugeot et que tout va bien. Nous sommes tenus, au même titre d'ailleurs que Renault et Peugeot, de raisonner sur un plan, non plus européen, mais mondial. C'est sans doute ce qui sera le plus dangereux et le plus difficile à intégrer si la mise en place des 35 heures s'opère trop autoritairement et impose des surcoûts qui ne pourront être supportés, comparés à nos concurrents étrangers. C'est le plus dramatique.

Mme la Présidente : Je me suis laissé dire que, de plus en plus, les grands constructeurs avaient tendance à demander aux équipementiers de venir eux-mêmes poser leurs produits dans les chaînes. Est-ce vrai ?

M. Régis MAITENAZ : Tout à fait vrai. J'ai moi-même expérimenté cette évolution en Tchéquie avec Skoda. Sommer Allibert y avait installé un atelier le long de la chaîne de montage de Skoda pour assembler le cockpit, c'est-à-dire la planche de bord avec les instruments, la colonne de direction, sous la responsabilité de l'équipementier.

Mme la Présidente : Je me fais l'avocat du diable : si l'on pousse jusqu'au bout cette méthode de travail, les grandes marques automobiles ne finiront-elles pas par " louer " leurs chaînes aux équipementiers, ceux-ci ayant la responsabilité de réaliser le travail ?

M. Régis MAITENAZ : Il ne faut pas aller trop loin mais lorsque l'on raisonne en termes de chaînes de montage, donc de flux de production au plus juste avec un minimum de stock et la plus grande clarté dans le process de production, les constructeurs ont tendance à se limiter à la chaîne de montage, à partir d'ensembles pré-assemblés soit par les fournisseurs qui fabriquent ces sous-ensembles chez eux et le livrent juste à temps, modèle par modèle, soit, si ce n'est pas possible, par l'installation du fournisseur à côté de la chaîne de montage. C'est ce qui se passe pour le cockpit et d'autres ensembles comme le bloc avant. Le fournisseur français qui livre à Audi en Allemagne et réalise l'assemblage du bloc avant, c'est-à-dire le radiateur, les phares, le support de cet ensemble et le pare-choc, le fait chez Audi. Pour des sous-ensembles de cette nature, les constructeurs demandent à leurs équipementiers d'effectuer ce travail à proximité de leurs chaînes de montage et se déchargent de cette responsabilité, avant tout d'ordre logistique. Au lieu d'acheter cinquante ou cent éléments différents, les constructeurs n'ont plus à se procurer qu'un seul élément. Cette tendance se généralise ; elle a été initiée il y a quelques années par M. Lopez qui a disparu du monde automobile, mais a laissé quelques idées, dont celles-ci.

Mme la Présidente : Cela induit une réduction des emplois traditionnels sur la chaîne.

M. Régis MAITENAZ : Tout à fait. La guerre que se livrent les constructeurs sur leur prix de vente est telle que tout élément permettant de réduire leur prix de revient est prioritaire ; l'emploi passe au second plan par rapport au fait d'économiser un, deux ou trois francs sur un véhicule. On en est là !

Si l'on jette un regard sur les dix ou quinze dernières années, le coût d'une voiture en termes d'heures de main-d'oeuvre a été réduit de manière astronomique ! En effet, si l'on additionne le temps passé par les constructeurs et les équipementiers, le temps de main-d'oeuvre a dû être divisé par deux en l'espace de dix ou quinze ans.

M. le Rapporteur : L'on n'a pas du tout abordé la dimension européenne jusqu'à maintenant. En matière de gains de productivité, du moins pour certaines productions, il peut y avoir des effets de taille. L'idée d'une concentration plus grande, de création de plasturgistes européens mérite-t-elle réflexion ?

M. Régis MAITENAZ : Cela mérite réflexion. En France, nous avons aujourd'hui la chance d'avoir deux des plus grandes entreprises européennes, sinon les deux plus grands européens que sont Sommer Allibert et Plastic Omnium. L'on peut s'interroger sur cette réussite. Le mérite en revient-il aux responsables de ces entreprises ? Probablement en partie. En outre, l'Allemagne n'a jamais eu, dans le domaine de la plasturgie pour l'automobile, de grands plasturgistes, car les constructeurs étaient très intégrés pendant longtemps, alors que les Français ont sous-traité beaucoup plus tôt les pièces plastiques.

Aujourd'hui nous avons donc la chance de compter deux entreprises en bonne santé qui connaissent une progression du chiffre d'affaires régulière à deux chiffres depuis sept ou huit ans. Ce sont des entreprises qui font aujourd'hui référence auprès des constructeurs sur le plan mondial. Malheureusement, un fossé s'est creusé derrière ces deux entreprises et les places sont difficiles à prendre. L'on voit parallèlement apparaître un autre phénomène : les grands Américains ont connu une période faste sur leur propre marché et des rentabilités exceptionnelles. A la demande de Ford ou de General Motors, ils prospectent en Europe pour devenir fournisseurs mondiaux de ces grands constructeurs. Leur première tentation est de venir " faire leur marché " auprès des entreprises européennes pour acquérir, soit des parts de marché, soit de la technologie. Sans doute le danger est-il très présent. On l'a vu au travers d'opérations comme le rachat de la société Roth par Johnson Controls en France ou comme Lear Corporation, fournisseur de sièges et de pièces intérieures de véhicules. Les Américains rachètent pratiquement tous les trois mois une société en Europe, de la Suède à l'Italie. Citons également la société Magna qui a fait ses " emplettes " en Allemagne et en Autriche - encore peu en France, il est vrai. Nous avons eu de la chance !

Hormis les quelques grands européens - deux entreprises françaises, deux ou trois en Allemagne -, l'évolution de la plasturgie n'est pas aussi simple et certaines entreprises risquent de passer aux mains de groupes étrangers.

M. le Rapporteur : Dans la période actuelle, difficile pour les constructeurs du fait de la concurrence et donc indirectement pour vous puisque vous leur donnez tous vos gains de productivité sinon plus, - ce qui, j'imagine, n'est pas facile à vivre -, qu'attendez-vous éventuellement d'une intervention publique nationale ou européenne ?

M. Régis MAITENAZ : Il est un aspect que j'ai évoqué et que nous n'avons pas repris. Il s'agit des problèmes liés à l'environnement. A cet égard, les matériaux plastiques sont, de manière générale, mis en accusation. Dans l'automobile, au contraire, ils ont apporté globalement un progrès si l'on se réfère à ce que consomme une voiture et à ce que représente le coût énergétique lié à la production des matériaux que l'on y met. Nous avons intérêt à continuer à utiliser des matériaux plastiques. Les directives qui se mettent en place à l'heure actuelle méritent une plus grande attention des pouvoirs publics afin d'éviter de se fourvoyer dans des voies qui ne seraient pas économiquement viables à terme en matière de recyclage ou de revalorisation. Une attention particulière doit être apportée au domaine des matériaux plastiques, dans l'automobile comme dans d'autres secteurs.

Le second point, que nous avons largement évoqué, est d'éviter de rigidifier et de créer des contraintes supplémentaires par des mesures législatives en matière de flexibilité et d'horaires, car je pense que nous avons beaucoup à y perdre et peu à gagner.

Tels sont les deux points qui nous préoccupent aujourd'hui et qui pourraient induire une action, ou du moins une réflexion qui pourrait nous aider.

M. le Rapporteur : En matière d'environnement, j'ai le sentiment que la recherche communautaire organisée autour du programme " Auto Oil " prend en compte les préoccupations économiques " coût/avantages ". Avez-vous le sentiment d'une possibilité de dérapage dans le cadre de ce qui se prépare maintenant ?

M. Régis MAITENAZ : Les États, notamment l'Allemagne, ont une volonté très forte d'aller vers le recyclage. Il faut savoir que les matériaux plastiques présentent à cet égard un handicap important, car le produit obtenu à partir de plastiques mélangés entre eux est tout à fait inutilisable. On sait recycler des pare-chocs ou des batteries, mais non une planche de bord ou un panneau de porte, qui compte sept ou huit matériaux plastiques différents. Les directives, sous l'influence allemande, visent plutôt à un recyclage important alors que nous pensons, dans le secteur automobile en particulier, que la valorisation énergétique est plus simple et tout aussi efficace, car les matériaux plastiques sont avant tout du pétrole transformé. Si donc on les utilise pour retrouver de l'énergie, ce n'est pas plus mal. Un équilibre reste à trouver, afin de ne pas aller trop loin dans la segmentation des modes de récupération.

Audition d'une délégation de la Fédération générale
des mines et de la métallurgie (FGMM) - CFDT composée de
MM. Pascal AUDINET, Délégué syndical central Valéo,
Marcel GRIGNARD, Secrétaire national de la FGMM - CFDT,
responsable de la branche automobile,
Jean-Marc GURDIN, Délégué syndical central Bosch,
et Daniel RICHTER, Délégué syndical central adjoint Renault

(extrait du procès-verbal de la séance du 21 octobre 1997)

Présidence de M. Daniel PAUL, Président

M. Marcel GRIGNARD : Notre propos liminaire sera relativement bref.

Nous commencerons par brosser un état des lieux de l'industrie automobile.

La situation de ce secteur nous paraît caractérisée par un certain nombre de handicaps structurels forts. Les constructeurs sont des généralistes de taille modeste trop centrés sur le marché national et européen. Les équipementiers sont quasi-quotidiennement confrontés à des restructurations, des achats, des regroupements, des évolutions. Les sous-traitants, pour une part importante, sont dans des situations extrêmement fragiles : à titre d'exemple, la situation actuelle du groupe Valfond.

Sur le plan social, les conséquences sont connues. Le point le plus noir se traduit par une tendance continue à la baisse des effectifs, à temps de travail constant, les gains de productivité étant très largement supérieurs aux évolutions en volume de la production. D'où un vieillissement important des populations, en particulier chez les deux principaux constructeurs. Enfin les conditions d'organisation du travail conjuguant dans des proportions variables pénibilité physique et stress méritent un traitement en profondeur, car on a affaire à un problème de société extrêmement grave. Je ne m'appesantis pas, dans la mesure où ce sont là des éléments aujourd'hui bien connus et dont la presse a fait souvent état.

Face à cette situation, la branche automobile de la Fédération de la métallurgie CFDT souhaite présenter quelques pistes sur le plan industriel et une proposition de mode de traitement au plan social.

Sur le plan industriel, nous entrevoyons quatre pistes qui appellent une action forte pour que l'industrie automobile française, dans une Europe qui se construit industriellement, ait sa place demain.

Le premier point - pour nous d'évidence - tient en la nécessaire recherche de coopérations, d'alliances entre constructeurs français, avec des constructeurs européens, voire même au-delà. Ces coopérations, ces alliances peuvent concerner pratiquement tous les segments de véhicules, la recherche, la conception, peut-être même la construction des organes mécaniques, tout ce qui ne relève pas de l'assemblage.

Nous pensons aussi que ces coopérations peuvent aider les constructeurs et les équipementiers français à développer leur présence internationale, en Europe et au-delà. Nous constatons, sur ce terrain, un retard par rapport aux concurrents étrangers. La présence à l'international coûte cher, d'autant plus que nous sommes en retard, et comporte des risques. Il nous semble qu'en ce domaine, des coopérations peuvent permettre plus d'efficacité et une limitation des risques.

Le deuxième axe tourne autour de la relation constructeurs / équipementiers / sous-traitants, autrement dit la capacité pour l'industrie automobile française de créer de véritables filières techniques en ne se limitant pas à des relations exclusivement guidées par des considérations de coûts, de délais, et en prenant en compte l'ensemble des conditions sociales des différents acteurs.

Le troisième axe consisterait à explorer un peu plus avant tout ce qui tourne autour des nouvelles filières de l'automobile, et même, plus largement, celles des transports. Je pense notamment au véhicule électrique, dont le développement reste très inférieur à celui escompté, mais peut-être serait-il opportun de poursuivre aussi les recherches dans d'autres domaines. Il faut aussi réexaminer l'articulation entre les transports en commun et les transports individuels. Il me semble que l'État, les collectivités locales peuvent jouer un rôle d'impulsion extrêmement fort et que, faute d'impulsion, les industriels demeureront extrêmement frileux.

Le quatrième axe porte sur la construction européenne et la construction d'une industrie automobile à dimension européenne avec en particulier la nécessité de définir les nouvelles règles d'encadrement de ce marché qui va s'ouvrir à la fin du siècle. Nous avons au plan européen l'expérience soit de coopérations industrielles, comme dans l'aéronautique, soit de maîtrise et de régulation d'un marché en situation difficile, comme à travers la Communauté européenne du charbon et de l'acier, la CECA. Ces expériences ne doivent pas être copiées à l'identique, mais elles peuvent inspirer de nouveaux outils de régulation pour l'industrie automobile européenne.

Sur le plan social, il nous semble que se présentent cinq axes de travail.

Le premier est une forte réduction du temps de travail. C'est le moyen de maintenir le maximum d'emplois compte tenu des évolutions actuelles dans l'automobile. C'est aussi un moyen de permettre un réel flux d'embauches de jeunes. C'est enfin le passage obligé si l'on souhaite que les constructeurs et les équipementiers du secteur automobile mettent en oeuvre des organisations leur permettant d'édifier une industrie aussi efficace et compétitive que celle des voisins européens, tout en repectant les conditions de travail et de vie des personnes.

Le deuxième axe comporte une réduction du temps de travail plus forte pour les salariés les plus âgés, au-delà de cinquante ans par exemple, et la nécessité de maintenir un certain nombre de mesures d'âge, faute de quoi on ne voit pas bien comment améliorer la pyramide des âges, en particulier chez les constructeurs.

Le troisième axe tourne autour des évolutions de carrière. Il faut développer la formation, moyen d'adaptation aux évolutions techniques, pour offrir à l'ensemble des salariés de cette branche de véritables perspectives de carrière.

Le quatrième axe a trait à l'organisation et aux conditions de travail. Il est manifeste que l'évolution des conditions de travail que nous connaissons dans les industries automobiles à l'échelle mondiale conduit à ce que les salariés, à partir d'un certain âge, deviennent quasiment inaptes à l'emploi. Face à cette situation, nous avons la responsabilité de trouver des réponses. Peut-être faut-il réfléchir à l'opportunité d'édicter au niveau européen des règles, des repères, évitant que des conditions de travail trop détériorées ne deviennent des éléments déterminants de la concurrence d'un pays à l'autre.

Enfin, le dernier axe concerne l'intégration des jeunes. Nous avons évoqué la nécessité d'un redressement de la pyramide des âges. Il ne suffit pas d'embaucher des jeunes ; encore faut-il que leur soit donnée une véritable place dans l'entreprise lorsqu'ils y accèdent.

Le dernier élément que nous voulons évoquer, qui nous semble peut-être le plus important, a trait à la méthode. Au cours des dernières années, les entreprises, notamment les constructeurs automobiles, ont reçu, d'une manière ou d'une autre, les unes après les autres, des aides de l'État : Fonds national de l'emploi (FNE), mesures dérogatoires, mesures diverses de soutien à l'industrie. On raisonne au cas par cas et la négociation a lieu entre la direction de l'entreprise et l'État, mettant hors jeu les organisations syndicales ; au mieux, dans quelques entreprises, s'engage " un bout " de négociation sur les conséquences sociales. Nous pensons nécessaire d'inverser complètement la tendance et de faire en sorte que toutes les aides adressées aux industriels, quelle qu'elles soient, le soient sous condition sociale. Nous imaginons un processus commençant par une négociation et aboutissant à la conclusion d'un accord-cadre au niveau du secteur de l'automobile. L'existence de cet accord-cadre conditionnerait les aides publiques aux entreprises. Il ne serait pas un carcan, mais la référence adaptable et utilisable, en tant que de besoin, dans les entreprises confrontées à telle ou telle situation de conditions de travail, à telle ou telle situation d'effectifs...

Cette proposition nous semble être le moyen d'obliger les entreprises, qu'il s'agisse de Peugeot, de Valéo, de Bosch, de Renault, ou d'autres encore, à réserver à leurs salariés le même traitement social, parce que financé par la collectivité publique. Cela permettrait aux organisations syndicales, aux industriels et à l'État de mettre en oeuvre une véritable dynamique et de sortir d'un traitement qui, jusqu'à ce jour, n'a été qu'une succession de traitements conjoncturels, soit à travers les aides décidées à un moment, arrêtées à un autre, puis reconduites, soit par des mesures de FNE négociées chaque année lorsque les entreprises déposent leurs plans sociaux.

M. le Rapporteur : Je souhaiterais approfondir certains points que vous avez abordés. Au titre des propositions industrielles, vous avez évoqué la recherche d'alliances et de coopérations sur tous les segments. Lorsqu'on dialogue avec les dirigeants des deux grandes entreprises françaises de construction automobile, on obtient la même réponse : un constructeur automobile, c'est d'abord une marque, une image. S'ils acceptent à la rigueur de construire une boîte de vitesses à plusieurs, l'idée d'un rapprochement plus significatif n'emporte guère leur adhésion. Vous avez mentionné la nécessité de coopérations et d'alliances hors assemblage, ce qui j'imagine recouvre quelque peu cette objection.

Par ailleurs, vous avez évoqué la dimension européenne de l'industrie automobile. Intellectuellement, cela me paraît tout à fait justifié. Peut-être l'émergence de la concurrence coréenne fera-t-elle basculer les choses, mais il ne semble pas que les constructeurs automobiles éprouvent le même sentiment d'urgence que dans le domaine de l'aéronautique. Vous êtes à la fois de l'intérieur et de l'extérieur en tant que fédération professionnelle. La nécessité de rapprochements entre firmes pour allonger des séries d'éléments significatifs d'une automobile est-elle, selon vous, une urgence ressentie ou non ?

M. Marcel GRIGNARD : D'un point de vue général, nous ne ressentons pas chez les constructeurs une volonté farouche de s'engager dans de véritables coopérations. On se dirige vers une succession de coopérations ciblées sur une partie des produits plutôt que vers des coopérations fortes, qui concerneraient des ensembles. Probablement, nécessité fait loi. La volonté de coopération d'un constructeur ne suffit pas à faire une coopération, il faut au moins être deux, l'un et l'autre ayant intérêt à la coopération. Au-delà de ce qui paraît être, d'un point de vue purement intellectuel, une nécessité impérieuse, d'autant plus évidente après les échecs frappants des dernières années, on ne sait si ces préoccupations sont partagées par les industriels.

M. Daniel RICHTER : Les constructeurs français ont tenté des extensions. C'est évident pour Renault. Ce le fut aussi pour PSA d'une autre façon : avec la reprise de Talbot, PSA croyait pouvoir avoir trois marques ; finalement, elles se sont réduites à deux.

L'entreprise Renault a donc eu cet objectif. Mais elle a connu plusieurs échecs tant avec AMC aux États-Unis qu'avec Volvo, Skoda et DAF pour le véhicule utilitaire léger. Renault a discuté au cours des trois dernières années aussi bien avec Mercedes qu'avec Fiat. Renault a rompu les discussions avec Fiat au sujet des filiales fonderie des deux constructeurs, car Fiat proposait un échange réciproque du capital et donc l'amorce d'une alliance que Renault n'a pas acceptée, la jugeant inopportune.

Ainsi, on ne peut pas dire que la préoccupation n'existait pas chez Renault : des opportunités se sont présentées mais elles se sont traduites par des difficultés et des échecs.

Aujourd'hui, il existe un créneau commun entre PSA et Fiat, de la même manière qu'entre Renault et General Motors sur le véhicule utilitaire léger. Les constructeurs ont tendance à dire qu'ils attendent une opportunité. Mais des éléments peuvent venir troubler leur stratégie. C'est le cas de l'opération intervenue entre Renault et Daewoo sur les moteurs : Renault a vendu des licences de moteurs à venir, qui n'existent pas encore. On dit que l'arrivée des constructeurs coréens ou japonais suscitera une prise de conscience. Il n'est pas impossible que la logique de la concurrence conduise, au fur et à mesure, à des alliances ou à des partenariats très diversifiés. Ce qui peut sembler assez contradictoire.

Reste à savoir si les constructeurs français sont en mesure de conclure une alliance pour réaliser des plate-formes communes sans pour autant nuire à leur marque. C'est ainsi que l'on parviendrait au maximum d'économies d'échelle que réalisent d'autres constructeurs. La comparaison entre Renault et Volkswagen est assez éclairante. Il en est de même pour PSA. Partant d'un nombre de véhicules équivalent il y a une quinzaine d'années, on arrive aujourd'hui à des différences extrêmement importantes.

M. le Rapporteur : S'agissant des filières constructeurs/sous-traitants, on se trouve devant une alternative. Les constructeurs sont tentés de se tourner vers les équipementiers pour leur demander de baisser leur prix sans se préoccuper des moyens dont ils disposent pour y parvenir. Mais on sent aussi que si l'on veut se rapprocher des Japonais en termes de productivité, une intégration dès la conception est nécessaire. La dernière usine qui vient d'ouvrir ses portes marque - même si c'est davantage du côté allemand que malheureusement du côté français - ce souci de filière que vous décrivez. Cela renvoie à la dernière partie de votre propos : sans doute peut-on utiliser le levier des aides comme incitation.

Sur la filière du transport, nous pouvons être d'accord.

La question de la régulation commerciale au sein de l'Europe est d'importance et la sortie de l'accord Union européenne-Japon pose problème.

S'agissant des propositions sociales, je suis content que nous nous rencontrions aujourd'hui après la conférence du 10 octobre, qui apporte un cadrage plus précis à notre discussion.

Des différentes visites de sites auxquelles nous avons procédé jusqu'à maintenant, nous tirons le constat que les situations sont très variées. Il est des sites où les questions d'âge sont la première préoccupation, d'autres où la question est moins cruciale. Certains sites sont en période de forte production, comme à Douai, d'autres se demandent ce qu'ils feront l'année prochaine.

Je souhaiterais savoir comment vous envisagez la réduction du temps de travail. Il me semble qu'on s'est un peu laissé enfermer pour des raisons médiatiques dans la référence aux 35 heures. La semaine de trente-cinq heures ou éventuellement de quatre jours est une image forte politiquement. Pour ma part, je préfèrerais parler de la diminution de 10 % de la durée du travail. Vous-même, quand vous parlez de retraite progressive, semblez aller un peu en ce sens. Je souhaiterais que vous détailliez les différentes formes de la durée du travail selon les établissements, la fonction occupée, production ou non.

M. Marcel GRIGNARD : Nous sommes d'accord avec vous : l'état des lieux est extrêmement diversifié. Il ne saurait y avoir un schéma unique réglant partout les problèmes de la même manière. De plus, certaines entreprises se sont déjà engagées dans cette voie, contrairement à d'autres. A l'heure actuelle, parmi les grandes entreprises, PSA est sans doute la plus en retard ; Renault a fait un peu plus, mais pas beaucoup, alors que certains équipementiers ont déjà fait des efforts importants, même s'ils restent à poursuivre.

Autre élément important : il faut que nous puissions mettre en oeuvre des formes extrêmement différentes de réduction du temps de travail. En effet, on ne pourra traiter de la même manière un bureau d'études et une chaîne de montage. On ne traitera pas de la même manière une population jeune et une autre vieillissante, ni non plus une usine qui produit un modèle en démarrage ou en pleine croissance - vous avez cité Douai - et une usine qui produit un modèle finissant. Les caractéristiques sont donc extrêmement diverses. La durée du travail annuelle n'est pas toujours significative, puisque les cycles sont pluriannuels. Nous militons pour une forte réduction du temps de travail, autour de 10 %, voire un peu plus. Nous pensons que, dans l'industrie automobile, sur les chaînes de montage, il convient plutôt de viser les 32 heures autour de modules de huit heures unitaires permettant ainsi une plus grande variété dans l'utilisation et la fluctuation des outils compte tenu de la vie des modèles, du marché, etc. Lorsque nous disons vouloir un cadre, c'est bien un cadre définissant un certain nombre d'outils possibles de réduction du temps de travail afin de pouvoir tenir compte des situations des entreprises, des situations des individus. A partir de ce cadre, les acteurs sociaux pourront, en fonction de la réalité dans l'entreprise, procéder aux adaptations nécessaires. Mais, faute du cadre général, on sera confronté à une diversité de situations telle que certaines entreprises voudront mettre en place des flexibilités extrêmes en tentant de ne pas réduire le temps de travail par diverses formules, y compris en défalquant le temps des pauses. Elles expliqueront qu'elles sont déjà en dessous des trente-cinq heures et que la réduction du temps de travail est déjà en place et non à venir. D'autres joueront le jeu et considéreront qu'une contrainte supplémentaire appelle une compensation pour le salarié.

Au total, le volume du temps dégagé doit être suffisant pour faire face aux problèmes d'emploi et de pyramide des âges auxquels nous sommes confrontés.

M. le Rapporteur : Le dispositif préconisé pourrait consister en un cadre en termes de réduction de la durée du travail et une sorte de boîte à outils avec une liste de méthodes possibles : retraite FNE, préretraites progressives qui pourraient par exemple commencer avec une réduction du temps de travail du quart ou du tiers pour arriver à la moitié, éventuellement un tutorat pour une dernière partie ; et toute autre mesure de la plus traditionnelle à la plus novatrice.

Il convient donc de présenter une gamme d'outils. S'il en est auxquels personne n'avait encore pensé, pourquoi pas ? Ensuite, chaque site, voire chaque métier sur le site, s'adapterait pour atteindre l'objectif de réduction de 10 ou 15 %. Vous évoquez l'idée de réduire davantage le temps de travail sur la chaîne. Tout dépend de ce que l'on comptabilise. Nous avons engagé cette discussion au cours des différentes visites que nous avons effectuées sur les sites. Qu'appelle-t-on durée du travail ? Est-ce la durée de présence, la durée du travail hors pause ?... Il y a là matière à débat, y compris à certaines tensions, autour de la référence que l'on retient.

L'objectif est d'aboutir, par la réduction du temps de travail, à la création d'emplois. On peut tomber assez rapidement d'accord sur la dizaine de méthodes possibles, éventuellement en combinant l'ensemble des propositions présentées, et sur le fait de se fixer un objectif global pour ensuite ouvrir des négociations site par site, afin que l'on puisse retenir parmi ces outils ceux qui paraissent adaptés à la situation locale, négociations à conclure dans un certain délai. Une telle présentation entrerait-elle dans votre manière de voir les choses ?

M. Marcel GRIGNARD : Sur le contenu, oui. Au plan de la méthode, nous expliquions préalablement que nous ne croyons pas du tout à la génération spontanée d'accords sociaux dynamiques dans l'ensemble des entreprises du secteur. Pourtant, celles-ci sont confrontées aux mêmes réalités et sont dépendantes les unes des autres. Vous citiez sans la citer la Smart. On voit bien, quand on rassemble sur un même site le constructeur et les équipementiers, combien l'interactivité est forte, mais on voit aussi tous les jours comment les décisions des constructeurs et la performance des équipementiers font ou ne font pas l'industrie automobile de ce pays. Nous voudrions absolument arriver à obtenir un traitement de l'emploi au niveau du secteur. Jusqu'à présent, les demandes des industriels ont essentiellement émané de deux entreprises, qui n'ont d'ailleurs réussi à se mettre d'accord que sur le fait de formuler une demande conjointe. Si, demain, nous sommes renvoyés à nos études dans chacune des entreprises, la culture de chacune d'elle conduira peut-être à des solutions extrêmement disparates. Nous insistons fortement sur la nécessité d'un cadre, d'un passage obligé pour pouvoir prétendre à des aides publiques, lesquelles sont très nombreuses. On a cité le FNE. Vous connaissez aussi bien que nous le coût des mesures FNE. Nous pourrions également rappeler combien coûte le chômage partiel. Au-delà, on pourrait aussi évoquer le coût des restructurations industrielles pour les collectivités locales et, d'une manière générale, pour les bassins d'emplois lorsqu'ils sont confrontés à des mono-industries. Nous sommes sur ce point assez fermes car, sans cadre général, nous ne voyons pas comment parvenir à un traitement social harmonisé des problèmes auxquels nous sommes confrontés dans ce secteur d'activité. Encore une fois, il faut raisonner pour le secteur d'activité ; c'est la performance de l'ensemble des acteurs qui induit la performance globale.

M. le Président : Est-ce dans ce cadre que vous situez la création de la filière englobant les équipementiers ? Vous avez classé cet aspect des choses sous le chapitre relevant du plan industriel. Nous nous situons en l'occurrence sur le plan social. J'ai cru comprendre qu'en ayant cette vision globale, vous situiez l'interdépendance des entreprises au niveau de la filière.

M. Marcel GRIGNARD : Je me situais au plan du traitement social et de la nécessité de son harmonisation. Précédemment, nous parlions de filières industrielles. C'est le fait. Des essais ont été tentés. Mais on constate que certains secteurs industriels de l'automobile sont quasiment en déshérence, faute d'un véritable acteur industriel, parce que les relations entre les donneurs d'ordres et les sous-traitants sont des relations essentiellement économiques et non de partenariat technique, industriel, de recherche, de formation, etc...

Je citais d'entrée la situation du groupe Valfond, spécialisé essentiellement dans la fonderie automobile et en partie dans l'emboutissage, qui représente environ 9 000 salariés en France. Il existe un actionnaire unique qui défraye un peu la chronique, mais non de véritables opérateurs industriels, ni de liens industriels forts entre ce secteur d'activité, les équipementiers et les constructeurs.

M. le Rapporteur : Je voudrais terminer par un accord clair qui, je pense, rencontre l'assentiment du Président de la mission. Il n'est pas question d'envisager que l'Etat accorde des aides sans contrepartie de la part des entreprises. L'idée d'un lien entre la négociation et l'aide publique telle que vous l'avez exprimée me semble essentielle. On perçoit les tensions qui peuvent surgir dès lors qu'une négociation sur la réduction de la durée du travail s'ouvre. Flexibilité, annualisation, pluriannualisation, jusqu'où ? Vous avez évoqué l'idée de minima européens. Je ne sais si c'est une réponse sur laquelle on peut compter à court terme, mais c'est quelque chose qu'il faut avoir à l'esprit. Dans une négociation de ce genre, il faut une condition, ensuite une vérification. Les accords enregistrés doivent être de véritables accords et non des décisions unilatérales. Sur cette approche des choses, nos points de vue semblent concorder.

M. Joseph TYRODE : Considérez-vous la filière automobile par rapport à un constructeur ou par rapport à un groupe de constructeurs ? Il me semble dangereux que la filière automobile ne dépende ou ne soit proche que d'un constructeur car il y aurait risque d'hégémonie dudit constructeur. Peut-être serait-il plus intéressant d'avoir une filière plus générale ?

Vous évoquiez les liens entre transports en commun et transports individuels. Quelles sont les liaisons ou les interactions que vous percevez à cet égard ?

M. Marcel GRIGNARD : Je partage totalement votre point de vue s'agissant de la première question. J'en veux pour preuve qu'au cours des dernières années, les équipementiers se sont plutôt mieux sortis de la situation parce qu'ils étaient fournisseurs de constructeurs européens, et pas uniquement hexagonaux. On ne peut dire qu'il faut être présent sur le marché mondial de l'automobile et, en même temps, restreindre cet aspect de la filière. Cela s'inscrit dans le sens que vous expliquiez.

Pour ce qui est de l'articulation entre les moyens de transports individuels et en commun, nous n'avons pas de projet " tout ficelé ". Nous établissons toutefois quelques constats simples. Les problèmes de pollution, la question des véhicules propres sont posés de manière récurrente chaque fois que l'été est trop beau et le vent trop faible. Parallèlement, il n'existe pas de véritable engagement pour développer des filières. Je citais le cas du véhicule électrique, qui a atteint à peu près 10 % du développement escompté. Ni les collectivités locales, ni l'État ne donnent de signes très clairs aux industriels en ce qui concerne le marché des véhicules propres. On sait pertinemment qu'à un horizon non encore déterminé la présence des véhicules individuels dans le centre des villes sera de plus en plus difficile, si l'on en reste à la conception que la puissance publique en a aujourd'hui. Autant certains domaines ont connu des évolutions techniques extrêmement fortes, autant sur ces questions d'articulation et de recherche sur les véhicules de demain, on est resté extrêmement modeste. Il y aurait très certainement lieu de développer de véritables programmes de recherche - probablement au niveau européen, car nous ne sommes pas seuls concernés par ces questions - pour imaginer des solutions intelligentes, plutôt que de se cantonner à un discours visant à savoir si le diesel est propre ou non.

M. le Rapporteur : Il y a demain et après-demain !...

Pour demain, j'ai le sentiment que l'on pourrait impulser assez rapidement quelque chose d'assez fort sur le GPL (gaz de pétrole liquéfié) ou le GNV (gaz naturel pour véhicules). En revanche, pour ce qui concerne le véhicule électrique, j'ai l'impression d'une certaine stagnation à l'heure actuelle : en dehors de l'usage par quelques collectivités locales pour des missions bien précises, un pallier technique est à dépasser avant d'arriver à la généralisation à laquelle on pouvait rêver il y a une dizaine d'années.

Le véhicule d'après-demain reste un beau terrain pour les programmes de recherches européens : rails autoroutiers, autoguidages, véhicules intelligents... Il y a là beaucoup de choses à imaginer. J'ignore jusqu'où nous pourrons aller dans le rapport. Nous sommes partis d'une préoccupation liée à l'urgence des problèmes d'emploi. Le rapport sortira d'ailleurs probablement en deux parties, la première portant sur les réponses à apporter à ces questions : vieillissement, menaces sur l'emploi... Ensuite, il faudra continuer et voir jusqu'où aller dans la réflexion.

Je ne sais si votre avis rejoint le mien au sujet des véhicules fonctionnant à l'électricité et au GPL.

M. Daniel RICHTER : La question qui reste posée est celle des incitations. Soit une orientation est prise, soit il n'y en a pas.

A l'heure actuelle, au niveau mondial, les constructeurs attendent des signes tangibles. Si une perspective de développement se faisait sentir, les recherches iraient certainement en s'accélérant. En attendant, chacun regarde ce que fait l'autre en restant sur la marge. Nombre de facteurs interviennent qui vont dans le sens du maintien des modes de propulsion tels qu'ils existent à l'heure actuelle, du moins en partie.

D'un autre côté, sur la question de l'articulation des transports en commun et des voitures individuelles, on vendra de plus en plus du service et du kilomètre plus que des véhicules. Les deux interféreront. L'expérience tentée, à une petite échelle, par Renault à Saint-Quentin est significative. Des personnes prennent le train, ensuite un véhicule sur une distance relativement courte et le ramènent. C'est un système de louage. Ce modèle d'organisation se diffusera, à condition qu'il soit soutenu. Il offre nombre de perspectives, dès lors qu'il devient un élément facilitant l'existence et les déplacements. Des choix collectifs sont en jeu. C'est vrai pour le GPL comme pour la voiture électrique.

Audition d'une délégation du Collectif national auto de la Fédération des travailleurs de la métallurgie-CGT composée de
MM. Daniel SANCHEZ, Secrétaire fédéral, responsable de la branche automobile,
Norbert BOULANGER, Délégué syndical central Valéo,
Gérard GIRARDON, Délégué syndical central Perfect circle Europe
Hervé GUIHAIRE, Délégué syndical central Bertrand Faure,
Fabrice NODET, Délégué syndical central Allied Signal,
Daniel PELLET-ROBERT, Délégué syndical central Renault Véhicules Industriels

(extrait du procès-verbal de la séance du 21 octobre 1997)

Présidence de M. Daniel PAUL, Président

M. Daniel PELLET-ROBERT : M. le Président, MM. les parlementaires, vous avez déjà visité plusieurs sites et entendu de nombreuses délégations, notamment des salariés des constructeurs. La composition de la délégation d'aujourd'hui prend en compte cet état de fait et souhaite aborder d'autres sujets en s'appuyant, bien sûr, sur les éléments nouveaux intervenus depuis la conférence nationale sur l'emploi du 10 octobre dernier.

La première question que nous souhaitons vous poser est la suivante : quelles dispositions compte prendre le Gouvernement pour développer l'ensemble de la filière automobile et le véhicule industriel en France ?

Nous affirmons que l'industrie automobile dans son ensemble peut être créatrice d'emplois si l'on prend des mesures permettant de relancer la consommation. Nous ne pouvons accepter le débat sur les gains de productivité dans lequel veulent nous enfermer les dirigeants de nos entreprises respectives ; jamais les bilans des entreprises n'ont été aussi florissants et les profits aussi importants, dans l'ensemble de la filière ; ils vont encore " exploser " cette année, et ce, malgré la chute des marchés.

L'industrie automobile est confrontée aux mêmes problèmes que les autres entreprises françaises à partir des résultats de la conférence nationale du 10 octobre. Quelle part de la richesse créée va revenir aux salariés et comment va-t-elle contribuer à créer des emplois ?

Les besoins en termes de renouvellement sont énormes. Les évolutions technologiques devraient permettre de tirer le marché et, par ailleurs, de réduire la pollution. Or, malgré les mesures du type " juppette " ou " balladurette ", le parc a continué à vieillir.

Ces mesures ont été inopérantes, puisque le marché vieillit. Nous n'avons jamais autant progressé technologiquement, et jamais les Français n'ont acheté aussi peu de voitures. Il y a donc bien un besoin crucial de renouvellement du parc.

La question que se pose l'ensemble des salariés est la suivante : où va l'argent qui est distribué gracieusement à l'industrie automobile ? Allons-nous continuer à exonérer les patrons d'un certain nombre de charges, ou aider au renouvellement du parc ?

Trois exemples nous démontrent, dans le marché européen, que l'argent bien utilisé peut aider l'industrie automobile : en Italie et en Espagne, les primes de renouvellement permettent de tirer le marché ; en Allemagne, les salaires sont plus élevés qu'en France et le marché est en hausse. Tous les autres marchés européens sont en baisse.

Autre question : comment allons-nous pousser les capacités de production avec les 35 heures, voire 32 heures chez nous ? De même, nous sommes conscients du problème du vieillissement des salariés dans nos entreprises, mais il est imputable à nos directions qui n'ont pas embauché depuis des dizaines d'années !

Ne devrait-on pas mettre en place un accord ARPE (allocation de remplacement pour l'emploi) spécifique à l'automobile, avec un départ à 55 ans ou après 37,5 ans de cotisation et une embauche pour chaque départ ?

Auparavant, les constructeurs perdaient des effectifs alors que les équipementiers et les sous-traitants voyaient augmenter les leurs. Aujourd'hui, les effectifs diminuent dans l'ensemble de la filière automobile.

Une gigantesque restructuration est engagée et pilotée par les équipementiers, notamment américains et japonais et, dans une moindre mesure, allemands. On entre, aujourd'hui, dans une situation de monopole, ce qui pose la question de la maîtrise nationale de l'industrie automobile dans son ensemble.

Je vous donne un exemple : Renault Véhicules Industriels avait conçu un système d'injection électronique, qu'il a vendu à Nippondenso ; de ce fait, aujourd'hui, nous sommes totalement dépendants de Bosch.

Autre problème : la suppression des transports collectifs. Il est nécessaire, alors que des efforts doivent être réalisés pour réduire la pollution, de remettre en place des transports collectifs dans l'ensemble des établissements : le personnel des entreprises y est très attaché.

Par ailleurs, nous souhaiterions que soient mis à plat tous les dispositifs de flexibilité qui sont actuellement mis en place dans l'ensemble des établissements. Les dirigeants réclament plus de flexibilité, afin qu'il y ait moins d'attente pour le client ; or, dans le groupe Renault, où 130 accords de flexibilité ont déjà été conclus, le délai d'attente est toujours le même.

Enfin, je voudrais évoquer le problème des libertés. De nombreux salariés s'interrogent aujourd'hui sur la multiplication des atteintes aux libertés qui se développent dans l'ensemble des établissements.

Nous avons discuté avec les salariés avant notre venue devant cette mission, et la question la plus fréquemment posée est la suivante : comment le Gouvernement compte-t-il promouvoir une rupture avec le passé ?

Il y a des responsabilités et des réponses à assumer, telles une meilleure complémentarité et un rajeunissement du parc. Il nous semble important d'organiser une table ronde avec le Gouvernement, qui détient encore 46 % du groupe Renault, sur les 35 heures et le problème de l'ARPE. Cela aurait valeur d'exemple pour l'ensemble du pays.

Tels sont les éléments que nous voulions vous présenter. Dans une seconde partie, chacun d'entre nous interviendra sur sa propre activité et, pour ma part, j'interviendrai sur le véhicule industriel.

M. le Président : Messieurs, vous représentez les salariés d'entreprises partenaires des constructeurs. Vous avez relevé le pilotage effectué par les gros équipementiers internationaux, mais tous ne sont pas des gros ; comment envisagez-vous les relations entre les équipementiers et les constructeurs ?

M. Daniel PELLET-ROBERT : Je ne suis pas d'accord avec vous lorsque vous dites que " tous ne sont pas des gros ". Nous sommes en train d'assister à un " coup de tabac " dans l'industrie automobile, c'est-à-dire à des regroupements gigantesques pilotés, notamment, par les Américains, les Japonais et les Allemands.

En ce qui concerne les véhicules industriels, je peux vous affirmer qu'ils sont en train de " vendre la société par appartement ", en concluant des accords dans tous les domaines avec des équipementiers ou des sous-traitants mondiaux, notamment américains. Je peux vous donner un exemple : Renault Véhicules Industriels vient de passer un accord avec ZF, entreprise allemande de boîtes de vitesses.

Par ailleurs, il y a un projet de vente de la filiale Comela - qui fabrique des réservoirs de véhicules industriels - à l'Américain Nelson et un projet de filialisation de l'activité autocars et autobus avec l'Italien Iveco.

Or il faut savoir que derrière toutes les sociétés avec lesquelles nous passons des accords, il y a les fonds de pension américains qui se trouvent dans les capitaux de ces différentes entreprises. Dans le groupe Renault, le deuxième actionnaire après l'Etat est représenté par les fonds de pension américains.

M. Fabrice NODET : Comment envisageons-nous les relations entre les équipementiers et les constructeurs ?

Tout d'abord, je pense qu'il n'est pas bon que les groupes se fassent une concurrence dure, car ils vont, a priori, dans le même sens ; des coopérations, en vue d'un développement social pour relancer la machine, seraient donc plus utiles.

Je prendrai l'exemple d'Allied Signal - anciennement Valéo - qui est une entreprise fabriquant des plaquettes de frein et des segments poids lourds.

Dans les années soixante-dix, nous étions 2 500 salariés, aujourd'hui, nous sommes 940 ; par ailleurs, il est question d'un plan de restructuration qui pourrait supprimer jusqu'à 50 % du personnel. Quelle en est la raison ? La baisse des coûts.

On nous affirme que baisser les coûts permet de vendre les voitures moins cher ; or cela est totalement faux : la Clio a augmenté de plus de 20 000 francs, hors taxes, en 10 ans. La baisse des coûts salariaux ne se traduit pas par une baisse du prix de vente.

Nous pensons qu'il faut relancer la consommation et réduire la flexibilité. Actuellement, nous sommes au summum de la flexibilité : nous travaillons postés en 2 x 8, de nuit et le week-end et on nous aménage le temps de travail avec des modulations d'horaires - tels les horaires variables et le juste à temps -.

Aujourd'hui, nous ne disposons plus de stocks dans les entreprises, ils sont sur les routes dans les poids lourds. Or on nous parle des problèmes de pollution ; il serait peut-être intéressant de revenir à un réseau rail/route.

Nous sommes dans une région, la Normandie - on a beaucoup parlé de la ligne Paris-Granville - où nous n'avons plus rien. D'ailleurs, ils veulent même, maintenant, s'attaquer au transport de voyageurs !

Autre problème : l'autoroute qui doit passer par Alençon et qui donne lieu à débat. Nous pensons qu'il est utile d'avoir un réseau routier, pas spécialement une autoroute, une route à quatre voies suffirait. Quoi qu'il en soit, ce n'est pas cela qui va résoudre le problème de l'emploi dans notre région, où de nombreuses délocalisations ont lieu alors que les salaires sont les plus bas de France.

On recourt de façon excessive aux intérimaires : notre entreprise emploie 940 salariés et 200 intérimaires. Certains intérimaires ont 7 ans d'ancienneté en intérim et ne sont toujours pas embauchés ; on laisse ces personnes dans une situation de précarité qui n'est pas acceptable.

Par ailleurs, on fait partir des personnes pour " inaptitude ". On a travaillé l'amiante et maintenant on invoque cette raison pour faire partir les salariés sans les remplacer ; les travailleurs âgés de 54 ans et plus sont usés et ne refusent pas de partir, mais il s'agit, en réalité, d'une solution qui évite les plans dits " sociaux ".

J'en viens aux heures supplémentaires. Il est effectué, dans mon entreprise, avec les intérimaires, 5 000 heures supplémentaires par mois. La France est la cinquième puissance économique mondiale et certains patrons n'hésitent pas à nous traiter de fainéants ; le niveau des heures travaillées et des heures supplémentaires, la richesse qui est créée, démontrent le contraire.

Je souhaite que l'on réoriente l'argent qui est distribué au patronat ; il serait bon de mettre en place une politique de relance ; les profits augmentent sans cesse, on le voit à la bourse où, en 1996, 7 700 milliards de francs ont été échangés, c'est-à-dire l'équivalent du PIB.

M. le Rapporteur : Je voudrais revenir sur la première question qui nous a été posée : que va faire le Gouvernement ? Nous n'en savons rien. Pour l'instant, il a décidé de laisser la mission d'information parlementaire travailler.

Cette mission a été créée avec comme première préoccupation l'emploi, et l'emploi durable. On ne peut pas réfléchir à la situation de l'automobile en ignorant la concurrence internationale, les différences de productivité avec les Japonais, etc...

Vous avez posé trois questions précises, sur lesquelles je vais revenir.

Premièrement, les primes de renouvellement. Il est vrai que les primes " Juppé " et " Balladur " ont permis, pendant un temps, la vente de voitures, mais aujourd'hui il y a un creux ; il ne s'agissait donc pas d'une réponse satisfaisante.

Peut-on envisager une mesure visant à éliminer les véhicules les plus anciens ? Nous sommes en train de réfléchir à ce problème ; si vous avez une proposition à nous faire, je serai heureux d'avoir votre sentiment. Il s'agit de faire mieux que ce qui a été fait jusqu'à présent.

Deuxièmement, de meilleurs salaires. Je suis convaincu que de nombreuses personnes n'ont pas les moyens de s'acheter une voiture neuve, qu'il existe une forte corrélation entre la croissance du pays, l'augmentation du pouvoir d'achat des Français et les commandes de voitures.

Troisièmement, concernant le rajeunissement de la pyramide des âges par des mécanismes tels que l'ARPE étendue, je pense que nos propositions vont effectivement aller dans ce sens, car il est clair que nous devons réduire la durée de cotisation exigée. Cependant, les discussions pourront ne pas avoir la même conclusion selon les sites, car le problème du vieillissement des salariés ne se pose pas partout avec la même acuité.

L'ARPE a un avantage certain, puisque chaque départ en retraite est compensé par une embauche. Mais il s'agit d'une mesure radicale et l'on pourrait envisager des préretraites progressives à partir d'un certain âge - sachant que le problème est différent pour un cadre et pour une personne ayant travaillé toute sa vie sur une chaîne -. Avez-vous des idées autres que celle de l'ARPE concernant des mesures plus souples ?

M. Daniel PELLET-ROBERT : Nous estimons que la grande majorité des gros établissements - qu'ils soient équipementiers ou constructeurs - rencontre ce problème d'âge.

Je me souviens qu'à une époque, chez les constructeurs, les personnes de plus de 50 ans ne restaient pas sur les chaînes, mais étaient affectées à des travaux moins durs qui leur permettaient de mieux vivre. Aujourd'hui, parce qu'il y a un manque criant de personnel, les anciens sont de nouveau sur les chaînes.

Les effectifs ont été tellement réduits que nous ne sommes plus en mesure de répondre aux demandes. Nous sommes confrontés à deux problèmes : d'une part, les anciens sont fatigués et, d'autre part, il n'y a plus d'embauches, les effectifs étant renforcés par des intérimaires, ce qui entraîne également des problèmes de qualité.

Par ailleurs, dans certains sites - où les comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) jouent leur rôle - une politique de prévention se développe, car de nombreux salariés ont un cancer après avoir travaillé pendant de longues années dans des conditions déplorables : dans les fonderies ou dans des usines qui contenaient de l'amiante, par exemple.

Les conditions de travail, aujourd'hui, sont encore inacceptables ; il n'est donc pas étonnant qu'un salarié ayant passé 25 ans sur une chaîne soit complètement usé et éprouve des difficultés à suivre les rythmes imposés.

Il convient donc, en prenant en compte les conditions de travail qui sont imposées aux salariés, de trouver des mesures adaptées permettant de renouveler les effectifs.

M. Hervé GUIHAIRE : Dans mon entreprise, nous travaillons actuellement en 2 x 8, de nuit et le week-end. Les heures supplémentaires sont trop importantes et il faut les supprimer, même s'il est vrai que de nombreux salariés en font pour arrondir leurs fins de mois. Les salaires devraient être plus décents.

A Flers, nous employons 300 intérimaires sur un effectif de 1 500 personnes.

La richesse n'a jamais été aussi importante ; mon entreprise a réalisé plus de 7 % de bénéfices au cours du premier semestre 1997.

Nous subissons des augmentations de cadence pour répondre aux commandes. Il serait bon de stopper la flexibilité pour permettre une application correcte des 35 heures. Pourquoi ne pas revenir aux stocks ?

Par ailleurs, sachez qu'un regroupement se profile avec ECIA.

Le parc automobile est composé pour une grande part de voitures ayant 10 ans d'âge : pourquoi ne pas favoriser son renouvellement, plutôt que de favoriser le patronat ?

M. Christian CABAL : Dans la mesure où il existe une certaine mondialisation des ventes et des productions et où les investissements sont considérables, est-il possible qu'une société comme le groupe Renault puisse investir dans tous les produits ?

Il a été fait allusion à la filialisation du site de Bouthéon et à sa reprise par ZF qui, paraît-il, répond à la préoccupation de disposer de boîtes de vitesses pouvant s'adapter sur toute la gamme de Renault ainsi que sur celle d'autres constructeurs. Or on nous a cité des précédents qui semblent des réussites au regard de l'emploi - en dehors de l'aspect productivité -, je veux parler de la Société Mécanique d'Irigny (SMI).

Il s'agissait, là aussi, d'une société qui dépendait de Renault, qui a été filialisée
- rachetée par une filiale de Toyota - et qui a acquis une dimension mondiale dans le domaine des directions électriques, puisque ses marchés sont maintenant considérables et que SMI a, me semble-t-il, quadruplé ses effectifs par rapport à la période où elle dépendait de Renault.

Etes-vous totalement hostiles à l'idée de filialisation dans un grand groupe, ou cela vous semble-t-il possible si, par ailleurs, l'ensemble des travailleurs de l'industrie automobile ont, au travers des conventions collectives, les mêmes capacités de se défendre ?

M. Daniel PELLET-ROBERT : S'agissant de SMI, j'ai lu dans la presse que l'on envisageait de quadrupler les effectifs, mais pour l'instant ce n'est absolument pas le cas.

M. Christian CABAL : Ils ont tout de même doublé !

M. Daniel PELLET-ROBERT : Ils ont peut-être doublé, mais certainement pas quadruplé !

Je reviendrai maintenant sur la filialisation de l'établissement de Bouthéon telle qu'elle s'est opérée avec ZF.

Dans l'industrie automobile, nous sommes tout à fait favorables à des accords et au travail en commun. D'ailleurs, nous travaillons sur des projets communs avec Elf, Alsthom et bien d'autres. Cependant, il nous semble complètement inutile de procéder à des partenariats du type de celui que l'on est en train de passer avec ZF ; il nous semble que ce type de partenariat hypothèque l'avenir.

L'établissement de Bouthéon est le premier atelier flexible en France qui possède une capacité d'innovation. Aujourd'hui on a supprimé à Bouthéon toute la conception, c'est-à-dire tout ce qui était en amont du département études et recherches. Il en résulte une conséquence grave : nous n'avons plus, aujourd'hui, de capacité d'innovation dans le domaine des boîtes de vitesses.

Pourquoi avons-nous passé cet accord avec ZF ? Parce que cette entreprise avait un manque important sur un créneau de boîtes de vitesses appelé " le milieu de gamme " que nous avions étudié avec Volvo et qui a été breveté.

Si nous avions gardé la possibilité de développer cette boîte de vitesse, cela nous aurait permis d'en avoir une pour l'ensemble des gammes. Par ailleurs, les investissements en vue de sa réalisation avaient déjà été effectués et des prototypes avaient été réalisés.

On ne comprend pas. On nous parle d'investissements, de besoins en investissement ; là, les investissements étaient réalisés et nous pouvions produire. Or la direction a préféré passer un accord avec ZF.

Il s'agit là de quelque chose de grave, y compris pour l'industrie nationale, car si l'on continue à agir ainsi, on ne maîtrisera plus nos produits. En outre, on devient un fournisseur au même titre que n'importe quel autre fournisseur du groupe ZF.

Par ailleurs, on se demande ce que ZF, qui a déjà une entreprise implantée dans la Loire, va faire de ses deux activités ; ne va-t-on pas assister à un regroupement ? Que vont devenir les salariés ?

Nous sommes favorables, je le répète, à la réalisation de projets communs. Je peux, à ce titre, vous citer l'exemple d'une cabine réalisée par le " club des quatre " : chacun produisait une cabine, pour un créneau donné, pour l'ensemble des quatre constructeurs.

Ce genre d'accord fonctionne très bien. Mais pourquoi passer des accords dont la finalité est la vente de l'établissement ? Cela nous semble totalement aberrant !

M. Norbert BOULANGER : Je suis très satisfait d'être là aujourd'hui, M. le Président, car je vous ai écrit le 17 juillet dernier pour attirer votre attention sur la situation du groupe Perfect Circle et l'établissement de Liancourt, dans l'Oise, qui est appelé à fermer à la fin du mois de novembre. Nous nous trouvons donc dans une situation dramatique.

Le site de Liancourt n'est d'ailleurs pas le seul à se trouver dans une telle situation, mais tout le groupe Perfect Circle Europe - détenu par le groupe américain Dana Corporation - qui comprend 1 200 salariés ; un plan de restructuration, portant sur 400 emplois, soit un tiers des salariés, est prévu.

Vous avez dit, M. le Président, que tous les équipementiers n'avaient pas de grosses entreprises. On assiste, aujourd'hui, à une mondialisation et donc à une restructuration mondiale de tous les équipementiers. Voici trois exemples : Dana Corporation vient de racheter le groupe Silet Power, numéro 1 américain en fabrication de segments pour piston ; Rheinmetall vient de racheter Kolbenschmidt, numéro 2 européen en fabrication de pistons ; enfin, Federal Mogul vient de racheter le groupe anglais T&N, qui lui, détient Goetze, premier fabricant européen de segments. On a donc bien affaire à de grosses restructurations.

Aujourd'hui, avec le rachat de Silet Power par le groupe Dana, c'est le groupe Perfect Circle, qui a perdu 350 millions de francs depuis cinq ans, qui est en danger et qui risque de disparaître à court terme, puisqu'il est en situation de dépôt de bilan et de cessation de paiement.

Les Américains ont exploité le créneau de la fabrication des pistons pendant 27 ans, sans jamais investir. Maintenant que l'on a perdu toutes nos parts de marché chez Renault et le groupe PSA, ils nous jettent à la corbeille !

Quelles sont les relations entre les équipementiers et les constructeurs automobiles ? Dans les années 1980, des constructeurs automobiles ont mis en place des classifications : la catégorie A est composée des premiers fournisseurs, qui peuvent participer au développement de moteurs futurs ; la catégorie B représente les fournisseurs de second rang, qui n'ont pas de rôle à jouer dans le développement pour le futur ; enfin, ceux qui sont classés dans la catégorie C ne sont plus sur le panel des équipementiers fournisseurs de l'automobile.

Aujourd'hui, non seulement il faut être classé A ou B pour être retenu, mais il faut, en plus, avoir la certification ISO 9000. L'établissement dans lequel je travaille est le seul du groupe qui possède la classification A et qui est certifié ISO 9002. Or c'est celui-là que l'on ferme, car on a décidé, pour des raisons non pas financières, mais de stratégie industrielle, de rayer cette partie de la production du groupe américain et de jeter 220 personnes à la rue.

Il faut savoir que, dans cet établissement, la moyenne d'âge est de 44 ans et l'ancienneté moyenne de 25 ans ; cela veut dire que lorsque ces personnes perdront leur travail, si elles n'en retrouvent pas immédiatement dans le créneau de l'automobile, elles n'en retrouveront jamais.

Je dirai un dernier mot sur la question des pièces de rechange. Que ce soit sur la pièce de rechange ou sur celle de première monte, on a affaire à une concurrence déloyale ; les grands équipementiers européens et mondiaux vont s'approvisionner dans des pays où le coût de la main-d'oeuvre est extrêmement faible - au Maroc, en Turquie, en Pologne ou en Tchéquie -.

Si demain, s'il n'y a pas une loi anti-délocalisation, nous ne nous en sortirons pas. Les constructeurs français doivent, en priorité, se fournir sur le territoire français.

M. Gérard GIRARDON : Le groupe Valéo est un groupe qui a des résultats inégalés et qui fait mieux chaque année. En revanche, les effectifs n'augmentent pas et le travail est de plus en plus pénible.

Depuis les dernières élections législatives, Valéo a accéléré les négociations relatives à l'aménagement du temps de travail ; il y a eu des promesses électorales et la direction craignait un certain nombre de choses qui se sont vérifiées le 10 octobre dernier. Depuis six mois, nous assistons donc à une remise en cause de tous les acquis : les temps de pause, la pause déjeuner, tout est remis en cause de manière à arriver aux 35 heures, si elles deviennent obligatoires. Cette réalité ne correspond pas aux propos du Président Goutard, lorsqu'il affirme que les 35 heures conduiront à délocaliser la production.

Il a fait la même chose lorsque le site d'Evreux a été fermé. Il y a eu une riposte, mais elle n'a pas été suffisante, et les 350 salariés de ce site sont, aujourd'hui, tous à l'ANPE, seuls 10 ayant été reclassés chez Valéo.

L'équipement représente 70 % du véhicule ; le rôle des équipementiers et des sous-traitants est donc devenu très important.

Par ailleurs, on essaie d'opposer les salariés des équipementiers à ceux des constructeurs ; si l'on perd un marché chez Renault ou PSA, c'est parce qu'ils n'ont pas été compréhensifs ou parce que l'on n'a pas été suffisamment bon en qualité ; bref toutes les raisons sont valables.

Valéo préfère les partenariats avec Siemens ou Seiko, et non pas avec Renault ou PSA, avec qui l'on est à couteaux tirés.

On en est réduit, chez Valéo - ce groupe est composé de 30 000 personnes, dont 15 000 en France - à ne réaliser que moins de 50 % de notre activité avec les constructeurs français. Je sais bien que les équipementiers accompagnent les constructeurs dans les pays étrangers, mais Valéo est, de toute façon, prêt à délocaliser.

Je parlais de flexibilité à outrance, mais la précarité, on connaît aussi, avec les contrats à durée déterminée, les intérimaires ou les stagiaires ; il n'y a plus un service où l'on ne travaille pas avec les stagiaires.

Je travaille à Valéo-climatisation, c'est-à-dire dans un centre, non pas de production, mais d'études et de recherches ; en effet, toutes les études sont réalisées en France, alors que la valeur ajoutée est réalisée à l'étranger. De ce fait, 60 à 65 % de notre résultat est réalisé à l'étranger. On mène les recherches en France, puis l'on transfère l'outil à l'étranger ; tout ce qui est intéressement ou participation nous échappe donc. Cependant, il ne s'agit pas là de notre revendication première : ce que l'on veut, ce sont de meilleurs salaires.

Les cadres de Valéo-climatisation - ils sont près de 80 % - travaillent entre 12 et 17 heures par jour : nous l'avons fait constater par l'inspection du travail. Naturellement, sur les chaînes il est impossible de travailler 12 heures par jour, mais cette catégorie de personnel est également usée.

On trouve encore mieux à l'Isle d'Abeau, dans la région lyonnaise, où l'on fait du chômage technique par anticipation : on augmente la cadence en début de mois et l'on prévoit de fermer une, deux, voire trois journées en fin de mois, alors que les commandes ne manquent pas ; mais de ce fait, c'est l'Etat qui paie, donc le contribuable. Et je pourrais multiplier ce genre d'exemples.

Le travail de nuit des femmes est maintenant entré dans les moeurs et des équipes de volontaires sont formées pour travailler le week-end ; chez Valéo, on travaille 24 heures sur 24, 7 jours sur 7.

Aujourd'hui, on nous parle des 35 heures. Les équipes, avec la pause déjeuner, font déjà 35 ou 36 heures ; appliquer les 35 heures sera donc tout à fait possible en supprimant les pauses !

M. le Président : Il s'agit d'une modification de la signification de la journée de travail ; en dehors des temps de pause, on arrive à moins de 35 heures.

M. le Rapporteur : Lorsqu'on parle de 35 heures de travail par semaine, cela doit être le résultat, non pas d'un diktat, mais d'une négociation.

M. le Président : L'application de la loi dépendra de vous !

M. Daniel PELLET-ROBERT : Elle dépendra de nous tous !

M. le Président, nous savons que la mission doit rendre son pré-rapport à la fin de l'année ; celui-ci est-il bien avancé ?

M. le Président : M. Fuchs devait le rendre au printemps, mais, pour diverses raisons, de premières conclusions seront rendues publiques avant Noël.

M. Daniel PELLET-ROBERT : J'aurais souhaité intervenir sur le véhicule industriel, mais je n'en ai pas eu le temps. La visite sur le site de Vénissieux a-t-elle été annulée ?

M. le Président : Non, elle n'était pas prévue dans la première partie des travaux, mais nous pouvons toujours l'envisager dans la seconde.

M. Daniel PELLET-ROBERT : Je vous pose cette question, parce que des choses importantes se passent. Le comité central d'entreprise de Renault Véhicules Industriels a été reçu par le chef de cabinet de M. Strauss-Kahn cet après-midi et a fait usage du droit d'alerte sur l'activité de RVI.

Audition de M. Shemaya LEVY,
Président-directeur général de Renault Véhicules Industriels

(procès-verbal de la séance du 22 octobre 1997)

Présidence de M. Jacques MASDEU-ARUS, Vice-président

M. Shemaya LEVY : M. le Président, M. le Rapporteur, mesdames, messieurs, je vais vous présenter, dans un exposé rapide, Renault Véhicules Industriels, son environnement, ses points forts et ses points faibles, ainsi que les enseignements que nous en tirons dans nos objectifs, à la fois à court terme et à moyen terme.

Pour appuyer mon exposé, j'ai sélectionné un certain nombre de transparents que je vous commenterai, afin de mieux situer RVI.

(Présentation d'un document sur les chiffres du groupe RVI en 1996) (18)

Le chiffre d'affaires du groupe RVI, en 1996, est de 30,5 milliards de francs ; nous avons produit 64 020 véhicules et notre effectif est de 26 049 personnes.

En d'autres termes, avec 30,5 milliards de francs -dont deux tiers sont réalisés par la branche européenne et un tiers par la filiale américaine Mack Trucks - le chiffre d'affaires du groupe RVI représente environ 16 % de celui du groupe Renault.

L'effectif, de 26 049 personnes se répartit approximativement comme suit : 16 000 personnes en France, 5 000 personnes dans les autres pays européens et 5 000 personnes aux Etats-Unis.

(Présentation d'un document sur les résultats financiers de RVI) (19)

En 1996, le chiffre d'affaires a baissé d'environ 10 % par rapport à 1995
- année pour laquelle il était de 33,522 milliards de francs -, cette baisse étant due principalement à la branche européenne, c'est-à-dire au recul des marchés en Europe.

Alors que le résultat d'exploitation de 1995 avait été largement positif
- 1 009 millions de francs -, celui de 1996 est négatif, avec moins 672 millions de francs ; 100 % de cette perte doivent être attribués à nos activités européennes - avec un résultat négatif de 819 millions de francs -, notre filiale américaine, Mack Trucks, étant restée positive en 1996, à hauteur de 147 millions de francs.

L'essentiel de nos pertes, en 1996, peut être attribué à deux causes.

La première cause est la dégradation de l'environnement en Europe tant en ce qui concerne les volumes que les prix. La dégradation continue des niveaux de prix pratiqués sur l'ensemble des marchés européens affecte de manière importante nos marges.

La seconde cause est constituée par un certain nombre de dépenses que nous appelons " non récurrentes ", c'est-à-dire les frais engagés en 1996 pour des études et le lancement des nouvelles gammes, notamment une gamme de camions qui doit représenter plus de 60 % de nos ventes de camions en Europe, mais dont le coût de lancement a représenté près de 300 millions de francs en 1996.

Il s'agit là d'un aspect positif pour l'avenir, puisque ce sont des dépenses qui ne sont pas renouvelées en 1997 et qui doivent être génératrices de progrès pour l'entreprise.

Comment se présente l'année 1997 ? La conjoncture reste très bonne et très porteuse aux Etats-Unis. On constate, depuis le début de l'été, une amélioration de l'environnement sur l'ensemble des marchés européens, dans le domaine du poids lourd ; les volumes de commandes sont en légère croissance par rapport à ceux de 1996.

Dans le domaine du camion, il existe des décalages très importants entre les prises de commandes, les livraisons et les immatriculations ; il ne faut donc pas considérer les immatriculations, mais plutôt les entrées de commandes et les facturations du constructeur, les décalages entre les facturations et les immatriculations pouvant être de plusieurs mois.

Cependant, malgré cette amélioration de la conjoncture en Europe, la pression sur les prix reste extrêmement forte.

Du fait du maintien d'une très bonne conjoncture aux Etats-Unis et d'une amélioration des volumes de ventes au niveau européen, nous constatons également une amélioration progressive des résultats du groupe RVI par rapport à 1996. Ainsi, s'il est vrai que nous avons connu des pertes au premier semestre 1997, elles ont été très sensiblement inférieures à celles du deuxième semestre 1996 ; au deuxième semestre 1997 cette tendance favorable devrait se poursuivre. Nous devrions rester dans le rouge en 1997, mais avec un progrès significatif par rapport à 1996 qui nous permet de penser que le retour à l'équilibre de nos comptes en 1998 est tout à fait possible si les premiers éléments positifs que je vous indique se confirment.

Pour mieux situer le groupe, je vous donnerai quelques éléments sur l'environnement à l'intérieur duquel nous opérons.

(Présentation d'un document sur les marchés mondiaux
de véhicules industriels de plus de 5 tonnes) 
(20)

Il est important de constater que le marché des véhicules industriels de plus de cinq tonnes, qui représente 1.112.800 véhicules en 1996, est très fortement concentré sur l'Amérique du Nord et l'Europe : plus de 50 % du marché du véhicule industriel est réalisé en Amérique du Nord et en Europe de l'Ouest.

En outre, la part des véhicules de haut de gamme - qui représente le chiffre d'affaires le plus important et le marché qui se développe le plus - représente plus des deux tiers des marchés d'Amérique du Nord et d'Europe de l'Ouest.

Ce marché de 1 112 800 véhicules représente un chiffre d'affaires mondial de 350 milliards de francs. Cela veut dire qu'avec 30,5 milliards de francs de chiffre d'affaires, le groupe RVI représente environ 10 % du chiffre d'affaires mondial.

Par ailleurs, les deux tiers de ce chiffre d'affaires mondial sont réalisés par des groupes détenus par des capitaux européens, 20 % par des groupes détenus par des capitaux nord-américains et moins de 15 % par des groupes japonais. Il s'agit là d'une donnée importante qui nous distingue assez fortement de la voiture particulière. L'industrie mondiale du camion est donc dominée par des groupes européens.

(Présentation d'un document sur les marchés
d'Europe et Amérique du Nord de véhicules de plus de 16 tonnes) 
(21)

La deuxième caractéristique concerne le marché des véhicules de haut de gamme, qui représente, je le rappelle, l'essentiel du marché du poids lourd et est en croissance, tant en Europe qu'en Amérique du Nord, ce qui n'est pas le cas des véhicules de gamme intermédiaire, entre cinq et quinze tonnes, dont le marché est déclinant ; ce sont des véhicules de distribution courte distance, périurbains.

Que voit-on sur ce graphique ? Qu'en Europe comme en Amérique du Nord, le marché est en légère croissance ; cette tendance est encore plus marquée, pour l'Amérique du Nord, à partir des années 1984/1985. Cela correspond à une situation où l'évolution de l'environnement en Amérique du Nord a été plus porteuse qu'en Europe.

Nous pouvons constater le caractère très fortement cyclique de ces marchés. En Europe, on oscille entre des niveaux qui peuvent approcher les 100 000 véhicules, en 1982/1983 et 1993, et des niveaux approchant les 200 000 véhicules en 1989/1990.

Les oscillations sont encore plus fortes en Amérique du Nord où l'on a produit moins de 100 000 véhicules en 1982/1983 contre 250 000 véhicules de haute gamme en 1995.

Il s'agit là de variations extrêmement fortes de conjoncture qui nécessitent, pour les constructeurs, des adaptations et des moyens importants pour y faire face.

La troisième caractéristique du marché est la baisse des prix de vente en monnaie constante. Que ce soit en Europe ou en Amérique du Nord, il s'agit d'une tendance lourde des 20 dernières années qui, selon nous, se poursuivra au cours des années à venir.

Le graphique qui illustre cette tendance est relatif au marché français.

(Présentation d'un document sur l'encaisse France - francs constants) (22)

Ce graphique permet de constater, sur la période qui va du début des années quatre-vingts au début des années 2000, une décroissance des prix en monnaie constante de 2 % par an. Avec une inflation aujourd'hui inférieure à 2 % par an, cela veut dire qu'il y a une décroissance en francs courants malgré la modernisation concomitante des produits, l'amélioration de leur confort et leur adaptation aux obligations réglementaires relatives aux émissions et au bruit intervenues à partir de 1990.

(Présentation d'un document sur la concentration Europe/Etats-Unis) (23)

La quatrième caractéristique du marché est la forte concentration entre l'Europe et les Etats-Unis. Au cours de la période qui s'est écoulée, on constate que quatre grands groupes se sont implantés des deux côtés de l'Atlantique : le groupe Mercedes, qui a racheté Freightliner et qui vient de racheter Ford-Véhicules Industriels ; Volvo, qui a repris l'activité " camion " de General Motors ; Renault Véhicules Industriels, qui détient aujourd'hui 100 % de Mack Trucks ; enfin, le groupe américain Paccar, qui a racheté Daf, le constructeur néerlandais.

Ces quatre groupes euro-américains réalisent plus de 50 % du chiffre d'affaires mondial du véhicule industriel.

La cinquième caractéristique concerne les progrès techniques et l'évolution des types d'utilisation des produits auxquels nous avons dû faire face au cours de ces dernières années.

(Présentation d'un document sur le transport de marchandises en Europe de l'Ouest) (24)

La part de la route dans le transport de marchandises atteint 75 % en milliards de tonnes/Km et près de 90 % en valeur.

(Présentation d'un document sur l'évolution des performances d'un tracteur maxi-code) (25)

Nous avons choisi l'exemple d'un tracteur maxi-code, c'est-à-dire d'un tonnage représentant le maximum autorisé en France et en Europe.

Ce graphique fait apparaître l'évolution de la vitesse et de la consommation moyennes de ce tracteur : dans les années soixante-dix, ce véhicule avait une puissance inférieure à 200 chevaux, pesait 35 tonnes, avait une vitesse moyenne de 40 à 50 kilomètres/heure et consommait plus de 50 litres/100 km ; aujourd'hui un tracteur maxi-code pèse 40 tonnes, a un niveau de puissance compris entre 400 et 450 chevaux, consomme 30 litres/100 km et roule à une vitesse de 75 kilomètres/heure.

Il y a donc eu une évolution technique et technologique des produits extrêmement importante qui illustre de manière encore plus aiguë la difficulté de gérer la situation de tension sur les prix que j'évoquais tout à l'heure, d'autant plus que des normes d'émissions et de bruit ont été introduites en 1990, 1993 et 1996. Ces normes concernent, par exemple, la réduction des émissions d'oxyde d'azote, d'hydrocarbures et de particules. De nouvelles normes vont d'ailleurs être introduites au début de l'an 2000.

Telles sont les caractéristiques de l'évolution de notre environnement.

Je parlerai, maintenant, de Renault Véhicules Industriels, de ses points forts et de ses points faibles.

(Présentation d'un document relatif à la production mondiale
de véhicules industriels de plus de 16 tonnes en 1996) 
(26)

Sur une production mondiale de 1.112.800 véhicules, le haut de gamme représente près de 600 000 véhicules. Dans ce marché, le groupe RVI se situe au quatrième rang mondial, après le groupe Mercedes-Benz Freightliner, Paccar-Daf et Volvo-General Motors. Ces quatre groupes européens, implantés aux Etats-Unis, se situent donc en tête des producteurs de véhicules lourds. En dehors de Mercedes, qui a un niveau élevé de production du fait de ses implantations non seulement en Europe et en Amérique du Nord, mais également en Asie et en Amérique latine, il n'existe pas de différence notable de taille entre Paccar-Daf, Volvo-General Motors et RVI.

Le premier point fort de RVI est donc l'absence de handicap de taille par rapport à ses concurrents, fabricants de véhicules industriels de haut de gamme. Sa taille est, en effet, suffisante pour faire face aux défis des années 2000 et au-delà. Cela est également illustré par ce que représentent nos parts de marché dans le domaine du camion.

(Présentation d'un document sur la production mondiale
de véhicules industriels de 5 à 16 tonnes en 1996) 
(27)

Comme vous pouvez le constater sur ce graphique, nous produisons 11 % des véhicules de plus de cinq tonnes et près de 12 % des véhicules de seize tonnes, en Europe comme en Amérique du Nord.

Le marché des autocars et autobus est un marché de plus petite taille - il concerne à peine 20 000 véhicules - dont RVI détient 9 % des parts. Le prix d'un autocar étant de l'ordre d'un million de francs, ce marché n'est pas négligeable : il représente entre 15 et 20 % du chiffre d'affaires de RVI.

Les 9 % de parts de marché que nous détenons sont réalisés, pour l'essentiel, grâce à nos positions fortes en France - avec des parts de marché dans les autocars de 45 % et de 50 % dans le domaine des autobus -, celles-ci étant beaucoup plus faibles dans les autres pays européens.

C'est la raison pour laquelle nous cherchons à nous développer en Europe. Nous le faisons avec un certain succès en Belgique, en Espagne et en Italie ; nous le faisons également par un déploiement de nos implantations à l'Est, avec l'acquisition, notamment, de 51 % du capital de Karosa - constructeur tchèque - qui réalise l'essentiel du marché en Tchèquie et qui exporte vers un certain nombre de pays d'Europe centrale.

Le deuxième point fort de RVI résulte du renouvellement de l'ensemble des gammes, que ce soit dans le domaine des autocars et autobus ou dans celui des camions, avec l'introduction de la gamme Prémium dans ses versions route et chantier, fin 1996, début 1997.

RVI a donc réalisé un effort très important en préservant ses dépenses de préparation de l'avenir pour renouveler l'ensemble de ses gammes. Sachant que nous codistribuons avec Renault Automobiles la gamme de véhicules utilitaires qui vient d'être renouvelée, nous pouvons dire aujourd'hui que l'essentiel du travail de renouvellement des gammes a été réalisé, même s'il reste encore certains points à étudier, notamment en ce qui concerne les nouveaux véhicules au gaz ou électriques, dans le domaine du transport des personnes.

Le troisième point fort de RVI est d'être l'un des seuls groupes mondiaux implanté des deux côtés de l'Atlantique ; notre filiale, Mack Trucks, est dotée d'un réseau solide et d'une image de marque extrêmement forte. En effet, malgré les difficultés très importantes qu'elle a connues au début des années quatre-vingt-dix en descendant à 10 % du marché nord-américain, notre filiale a reconquis des parts de marché pour se situer, en 1997, à 12,5 % de ce marché.

Le quatrième et dernier point fort du groupe RVI est son appartenance au groupe Renault. Appartenir à un grand groupe mondial tel que Renault est, sans aucun doute, un atout indiscutable. Cela permet également de mettre en oeuvre un certain nombre de synergies dans différents domaines tels que la politique d'achat, la recherche avancée ou les véhicules utilitaires, puisqu'il y a une répartition des tâches et des missions entre Renault Automobiles et Renault Véhicules Industriels, Renault Automobiles diffusant l'ensemble des véhicules utilitaires jusqu'à 3,5 tonnes, RVI diffusant les véhicules industriels de plus de 3,5 tonnes.

Au chapitre des points faibles, cinq caractéristiques doivent être évoquées.

Notre premier point faible concerne la structure de notre implantation géographique.

Certes, nous sommes implantés des deux côtés de l'Atlantique, mais au sein du continent européen nous sommes trop fortement dépendants des marchés français et espagnol : 15 % de notre chiffre d'affaires sont réalisés par les ventes à la grande exportation, un tiers est réalisé en Amérique du Nord et un peu plus de 50 % en Europe ; or, sur ces 50 %, la France et l'Espagne représentent 40 %, alors que les autres marchés européens ne représentent que 10 %. Nous réalisons plus de 40 % du marché en France, plus de 20 % en Espagne, 4 % en Grande-Bretagne et 15 % en Allemagne, qui sont deux grands marchés européens. Il nous faudra donc faire un effort important de renforcement des réseaux et de notre présence sur l'Europe du Nord, où l'Allemagne représente entre 25 et 30 % du marché européen.

En Allemagne, l'ensemble des constructeurs non-allemands représente à peine plus de 10 % du marché du camion, alors que les constructeurs étrangers représentent presque 60 % du marché français.

Le deuxième point faible concerne notre taille pour la gamme intermédiaire et celle des autocars et des autobus.

Nous devons prendre en compte ce handicap dans notre stratégie : il s'agit de secteurs d'activité dans lesquels nous devons établir un certain nombre de partenariats stratégiques parce que nous voulons être et rester généralistes.

Le troisième point faible concerne notre image qui n'est pas à la hauteur de celle de nos grands concurrents nordiques, qu'ils soient Scandinaves ou Allemands.

L'image de Renault, dans le domaine du poids lourd n'est pas au niveau de celle de Volvo, de Scania ou de Mercedes, même si l'image de Mercedes a fortement baissé au cours de ces dernières années.

L'image est importante lorsqu'il s'agit de constituer des réseaux de distribution et d'attirer des PME pour devenir concessionnaires de notre marque, dans des pays d'Europe du Nord en particulier. Pour pénétrer ces marchés il convient, malgré la tendance à la décroissance continue des prix, de faire des efforts en termes de moyens commerciaux et d'aides à nos réseaux.

Le quatrième point faible est la décroissance de l'activité militaire ; elle représentait plus de 2 milliards de francs de chiffre d'affaires pour le groupe RVI, voilà quelques années, mais à peine plus de 500 millions de francs en 1996, et je ne vois pas comment elle pourrait progresser...

Le cinquième point faible concerne notre pyramide des âges. Face aux mutations et aux évolutions qu'implique le caractère fortement cyclique de ce marché, notre pyramide des âges n'est pas optimale.

(Présentation d'un document sur la pyramide d'âge
des effectifs ouvriers de RVI France au 31.12.96) 
(28)

Parmi la population des agents de réalisation, qui représente un effectif de 8 325 personnes, 25 % ont plus de 50 ans, 50 % ont plus de 46 ans et 75 % ont plus de 41 ans ; la moyenne d'âge est de 44,6 ans.

Pour conclure, j'évoquerai les objectifs du groupe RVI.

Le groupe RVI dispose des atouts suffisants pour faire partie des grands constructeurs mondiaux après l'an 2000. Une politique à court et moyen terme doit permettre d'y parvenir.

Le groupe RVI doit rester ouvert à des alliances qui peuvent être globales après l'an 2000. Mais il faut qu'il le fasse - le panorama pouvant changer de manière significative dans la prochaine décennie - en ayant tiré avantage de ses atouts au niveau, non seulement de ses résultats financiers, mais également de son implantation géographique, notamment en Europe. En effet, s'il doit s'allier au cours de la prochaine décennie, il devra le faire dans des conditions qui lui garantissent que cette alliance se fera de manière équilibrée et non pas à son détriment.

Pour cela, que faut-il faire et qu'allons-nous faire ?

Tout d'abord, nous devons, à court terme, retrouver nos grands équilibres, notamment financiers. Je vous disais tout à l'heure que l'année 1997 devrait marquer une amélioration significative par rapport à 1996, 1998 devant nous permettre de retrouver nos grands équilibres. Pour cela, nous avons lancé, depuis le milieu de l'année 1996, un programme rigoureux de réduction de nos coûts de 5 % par an, sur 1998, 1999 et 2000.

Une telle mesure est indispensable pour nous permettre de restaurer nos grands équilibres, en intégrant la tendance à la décroissance des prix en francs constants, et peut-être même en francs courants.

Une fois nos grands équilibres retrouvés, nous devrons poursuivre l'action que nous avons engagée sur le moyen terme, afin de doter le groupe RVI, non seulement d'un niveau de rentabilité suffisant, mais également des conditions qui lui permettront d'assurer un développement suffisant de l'entreprise.

Notre stratégie sur le moyen terme est simple ; elle est orientée autour de trois axes. Le premier consiste à accentuer notre développement commercial en Europe et à l'international.

(Présentation d'un document sur la grande exportation, le total des ventes véhicules industriels de la branche européenne) (29)

Comme le montre ce document, nous exportons à partir de l'Europe, plus de 5 000 véhicules industriels en dehors du continent européen ; si l'on y ajoute les 3 000 véhicules que Mack Trucks exporte en-dehors de l'Amérique du Nord, cela fait un total supérieur à 8 000 véhicules qui sont vendus à la grande exportation.

Nous travaillons sur des projets de développement en Asie et en Amérique centrale - à partir de notre base nord-américaine -, notamment au Mexique où nous pensons que Mack Trucks doit s'implanter, du fait des accords qui existent entre le Mexique, les Etats-Unis et le Canada. Des pays comme l'Inde ou la Chine peuvent, sans aucun doute, présenter des opportunités intéressantes et importantes pour le groupe RVI.

Toutefois, nous avons d'ores et déjà assuré une pérennité de notre implantation à la grande exportation, en modifiant fondamentalement la structure de nos ventes à l'international. Vous pouvez voir sur le graphique que près de 80 % de nos ventes à l'international étaient réalisées en Afrique en 1990, continent qui ne représente pas le débouché des années 2000 le plus porteur !

En 1996, l'Afrique représentait moins de 40 % de nos ventes à la grande exportation, cette évolution s'étant effectuée au profit de nos ventes en Europe centrale et orientale et dans la zone pacifique qui représentent, respectivement, un tiers et 12 % de nos ventes à l'international.

Le deuxième axe de notre stratégie consiste à poursuivre et développer les synergies que nous avons commencées à mettre en oeuvre entre l'Europe et les Etats-Unis.

Nous sommes un groupe euro-américain ; il faut que nous tirions tous les avantages de cette présence sur les deux continents. Nous le faisons en ne mettant en place qu'une seule direction des affaires internationales pour l'ensemble du groupe RVI, ensuite, en mettant en place une direction des achats unique pour l'ensemble du groupe.

Nous considérons, en effet, dans nos négociations commerciales et dans la politique de partenariat que nous mettons en oeuvre avec nos grands fournisseurs, que le fait d'avoir une direction des achats unique est un élément important, sachant que les grands équipementiers - c'est le cas de Michelin, Bosch ou Valéo - s'implanteront eux aussi des deux côtés de l'Atlantique ; il convient, de ce fait, d'avoir à leur égard une ligne unique et une présence globale pour l'ensemble des deux continents.

Par ailleurs, ce partenariat avec nos grands fournisseurs mondiaux s'appuiera sur des synergies " produits " entre l'Europe et les Etats-Unis que nous mettons en place. Aujourd'hui, il n'y a plus qu'une seule gamme de moteurs pour l'ensemble du groupe RVI, c'est-à-dire que l'ensemble des moteurs de moins de 400 chevaux sont conçus et produits en France et que les moteurs de plus de 400 chevaux, également assemblés en France, sont de conception Mack Trucks, ce dernier disposant sans aucun doute du moteur le plus compétitif.

Nous sommes convaincus qu'il y aura une convergence mondiale, non seulement dans le domaine des composants mécaniques, mais également dans un certain nombre de fonctions du véhicule, tels la suspension et le freinage. C'est la raison pour laquelle des développements doivent être faits en commun entre les équipes européennes et américaines.

Le troisième axe vise la mise en oeuvre d'un certain nombre de partenariats.

Une alliance globale pour le groupe RVI n'est pas à l'ordre du jour mais cela ne veut pas dire que le groupe doit être refermé sur lui-même ; au contraire, le groupe RVI doit être ouvert sur l'extérieur en établissant des partenariats stratégiques.

Devant les défis qui se présentent à nous, la priorité est d'assurer notre développement commercial. Nous ne pourrons pas, à l'avenir, être les porteurs des composants qui constituent l'ensemble de nos produits de cinq tonnes à quarante-quatre tonnes et pour l'ensemble des autocars et autobus. Il nous faut donc établir un certain nombre de partenariats forts.

Cela est possible, sans remettre en cause la pérennité de nos sites ; c'est ainsi que nous avons un projet de joint venture avec le fabricant de boîtes de vitesses ZF, pour coproduire, avec lui, l'ensemble des boîtes de vitesses du groupe RVI. Le site de Bouthéon sera spécialisé dans la fabrication d'un certain modèle de boîtes de vitesses et nous achèterons à ZF nos autres modèles.

Dans le domaine des autocars et autobus, nous travaillons sur un véhicule de transport hybride électrique/diesel sur site propre - le Civis - avec Matra Transport International. Bien entendu, il y a probablement d'autres choses à faire dans le domaine du transport de personnes avec le développement des technologies nouvelles et il serait bon de partager cet effort avec d'autres.

Dans le domaine de la gamme intermédiaire nous avons déjà un projet d'accord avec le groupe Paccar-Daf pour mettre en commun un certain nombre de composants.

Nous poursuivrons dans cette voie, car elle est garante de notre compétitivité interne et permettra de générer les ressources dont nous avons besoin pour notre développement.

M. le Président : Vous avez décelé cinq points faibles ; j'en retiendrai trois qui me paraissent importants : l'implantation géographique, la taille et l'image.

J'observerai tout d'abord que si le groupe RVI s'était associé à Volvo, la production qui en résulterait serait égale à celle de Mercedes. Or il est difficile, aujourd'hui, de trouver un autre partenaire de la taille de Volvo.

Quelles leçons tirez-vous de ce retrait de Volvo ?

M. Shemaya LEVY : Le projet d'alliance avec Volvo avait, sans aucun doute, des vertus indiscutables. Il permettait d'associer un constructeur européen du Sud implanté en Amérique du Nord et un groupe, Volvo, implanté plus fortement que nous en Europe du Nord et possédant une image forte. Le projet d'alliance avec Volvo était donc très intéressant.

Nous avons tiré de cette expérience, un certain nombre d'enseignements, tels que la nécessité de nous développer au plan international ; nous avons également pris conscience des atouts dont nous disposions ; je veux parler, notamment, du renouvellement des gammes de tous nos véhicules. Vous avez souligné les points faibles, permettez-moi de rappeler, parmi nos points forts, que le renouvellement de nos gammes devrait nous permettre de nous développer à l'international.

Cependant, s'il il y avait peut-être un ensemble de facteurs très particuliers à Volvo et à Renault tels que la communauté de vue qui existait entre les dirigeants de l'époque et un ensemble d'éléments extrêmement favorables à un projet d'alliance, sa réalisation aurait néanmoins suscité un certain nombre de difficultés culturelles et techniques. Les difficultés culturelles sont évidentes. Les difficultés techniques tiennent, en ce qui concerne l'activité " camion ", au contexte dans lequel nous vivons aujourd'hui qui est caractérisé par des tensions concurrentielles extrêmement fortes sur les marchés, beaucoup plus marquées qu'il y a trois ou quatre ans ; ce regroupement aurait peut-être aiguisé cette agressivité concurrentielle que nous sentons.

Le groupe RVI-Volvo camions aurait été un groupe important et fort, mais se serait trouvé au coeur d'une bataille extrêmement dure à affronter.

Je vous dis cela, non pas pour revenir sur le passé, mais parce que je constate
- et mon point de vue est partagé dans mon milieu professionnel - que, dans le contexte actuel, un grand projet d'alliance et de fusion comporte des risques et présente des difficultés telles que personne n'y semble disposé. Il y aurait un réel danger de déstabilisation commerciale et d'aggravation du contexte concurrentiel, non seulement pour RVI, mais également pour son partenaire.

Nous devons en tirer la conséquence suivante : RVI n'ayant pas de handicap de taille dans ce qui est l'essentiel de sa gamme, il doit résolument s'engager pour établir des partenariats stratégiques forts afin de réduire ses points faibles - notamment dans la gamme intermédiaire et les cars et bus - et être un grand groupe après l'an 2000.

M. le Président : Pour être concret, vous voulez dire que l'agressivité du groupe n °1 aujourd'hui serait bien pire encore si un regroupement de deux constructeurs voyait le jour ?

M. Shemaya LEVY : J'en suis convaincu.

M. le Rapporteur : Ma première série de questions concerne le marché même du véhicule industriel ; d'une part, vous estimez que ce marché est un marché de renouvellement. D'autre part, la courbe d'évolution du volume transporté par route est assez fortement croissante.

J'aimerais donc que vous complétiez votre analyse et m'indiquiez si les perspectives de vente doivent être considérées comme stagnantes.

S'agissant des véhicules particuliers, il y a une forte corrélation entre le niveau de consommation des ménages et le niveau de vente des voitures. Cette corrélation est-elle aussi forte en ce qui concerne les véhicules industriels ?

M. Shemaya LEVY : Nous sommes, en effet, dans un marché de renouvellement, mais à l'intérieur de celui-ci il y a des évolutions structurelles. Les marchés qui se sont développés jusqu'à présent et qui continueront de le faire concernent la gamme haute, la longue distance et la distribution urbaine - les petits véhicules utilitaires et industriels jusqu'à six tonnes. En revanche, les véhicules de moyen tonnage représentent un marché stagnant, voire légèrement déclinant.

Quelles sont les perspectives de vente ? Nous sommes, pour l'essentiel dans un marché de renouvellement sur longue période. Il y aura des opportunités de croissance de ce marché liées, notamment, à l'accroissement des échanges. Il est clair, par exemple, qu'à moyen ou long terme, les échanges entre l'Union européenne et les pays d'Europe centrale et orientale, la Russie notamment, vont se développer, offrant ainsi des opportunités de croissance du marché du transport.

C'est la raison pour laquelle, le développement international est essentiel ; c'est pour cela aussi qu'il y aura des périodes pendant lesquelles le marché des véhicules de longue distance croîtra.

La croissance du marché des véhicules industriels sera favorisée par la croissance économique. Nous constatons aujourd'hui que le marché du véhicule industriel est, sans aucun doute, beaucoup plus favorable, tant au niveau des volumes que des prix, aux Etats-Unis qu'en Europe en raison d'un environnement économique plus porteur.

Si nous abordons une phase de croissance économique plus forte en Europe, que ce soit en termes de PIB ou de consommation des ménages, cela se traduira par un accroissement des ventes de véhicules ; cependant, sur une longue période, nous sommes sur un marché qui est, pour l'essentiel, de renouvellement. Par ailleurs, des restructurations très importantes ont déjà eu lieu aux Etats-Unis et sont en cours en Europe, dans le secteur du transport.

Pour illustrer par un indicateur très simple le caractère très fortement cyclique du marché, je prendrai l'exemple des marchandises transportées par un parc de 100 véhicules ayant dix ans d'ancienneté.

Si l'accroissement de la demande des marchandises transportées est de 5 % en 1998, l'accroissement du nombre de véhicules nécessaires devrait s'élever à 5. Ce 5 doit être rapporté au nombre d'achat de véhicules pendant la période concernée, à savoir 1997/1998. Cela devient donc du cinq sur vingt, soit une augmentation de la demande de véhicules de 25 % sur ces deux années-là. Le coefficient multiplicateur du besoin instantané de véhicules peut produire des accélérations par rapport au besoin de renouvellement, qui est la tendance lourde.

M. le Rapporteur : Ma deuxième série de questions concerne la mondialisation.

Comme pour les constructeurs de véhicules particuliers, la marque est très importante et réunir les marques - sauf peut-être d'un continent à l'autre - pose problème.

Votre politique, si j'ai bien compris, est d'améliorer la productivité des séries en développant des accords qui portent sur certaines parties du véhicule non identifiées à l'extérieur : vous avez parlé des boîtes de vitesses, mais nous savons qu'il y a d'autres exemples d'accords, de " mariages " qui sont envisagés.

Il s'agit d'une démarche industriellement logique, mais qui peut poser des problèmes d'emploi. Or, l'une des raisons d'être de cette mission d'information est justement de s'intéresser à l'avenir de l'emploi dans l'industrie automobile. Quelles seront, sur l'emploi et notamment l'emploi en France, les conséquences de ces opérations d'externalisation ?

M. Shemaya LEVY : Au-delà même des stratégies qui nous sont propres, le marché de renouvellement et la tension qui existe sur les prix sont des contraintes sur nos coûts. Si nous n'intégrions pas ces contraintes dans notre politique, notre compétitivité se trouverait remise en cause et nous connaîtrions des difficultés qui deviendraient peut-être insupportables.

Nous devons donc mener une politique d'amélioration de notre compétitivité et de réduction de nos coûts par l'amélioration de notre efficacité. Pour cela, nous devons établir des politiques de partenariat avec nos fournisseurs ; en effet, pour que nos sites soient plus compétitifs et produisent des éléments de véhicule ou des véhicules capables de concurrencer les autres marques sur tous les marchés, ils doivent être de plus en plus spécialisés sur les fabrications et produire des volumes plus importants.

C'est surtout pour la gamme intermédiaire que cette politique est nécessaire car c'est précisément sur ces segments que nos volumes sont relativement faibles, dans un contexte de mondialisation et d'ouverture des marchés. Aujourd'hui nous le savons, les constructeurs asiatiques, par exemple, sont beaucoup plus présents dans le domaine des véhicules de petit et de moyen tonnage que dans les véhicules de gros tonnage. C'est dans ce domaine que la concurrence asiatique risque de devenir plus aiguë, plutôt que dans celui de la gamme haute.

Il s'agit donc, grâce à ces partenariats, d'obtenir des économies d'échelle ; c'est le sens de nos discussions avec le groupe Paccar-Daf concernant l'utilisation d'une même cabine - qui devrait être conçue par RVI - ou la mise au point des cabines qui seront utilisées en Amérique du Nord, des cabines à capot.

L'exemple que j'évoquais tout à l'heure, concernant les boîtes de vitesses, est un bon exemple de la stratégie que nous comptons mettre en oeuvre. Cela ne remet pas en cause la pérennité de Bouthéon ; au contraire, en le dotant d'un outil important de compétitivité, c'est-à-dire en l'adossant à ZF, l'un des plus grands fabricants mondiaux de boîtes de vitesses - qui sera la meilleure garantie de son avenir - on assure sa pérennité.

C'est au travers de cette spécialisation des sites et de ces partenariats que nous assurerons le meilleur " mariage " possible entre les contraintes et les objectifs que nous évoquons : pérennité, rentabilité, développement de l'entreprise, création d'emplois, étant entendu que nous sommes dans un secteur qui n'est pas créateur d'emplois.

M. le Rapporteur : Nous prenons bonne note de l'évolution du site de Bouthéon ; on nous a parlé d'une politique d'externalisation concernant les soupapes ou les câblages. Cela a-t-il la même importance pour vous ?

M. Shemaya LEVY : M. le Rapporteur, vous faites là, je suppose, référence à ce qui est évoqué à Blainville sur les faisceaux électriques ? Je puis vous affirmer que la pérennité de cette activité à Blainville n'est pas remise en cause.

Nous travaillons à des développements de nouvelles gammes, notamment de la gamme intermédiaire ; il est donc clair que, dans le domaine des faisceaux électriques, nous procédons à des consultations extérieures. Nous pensons, en effet, que la contrainte de coût sur cette nouvelle gamme est telle qu'il convient de réaliser des études et probablement d'aller vers un fournisseur extérieur. Mais, à ce jour, aucun élément ne me conduit à penser que cela remettrait en cause l'activité " faisceaux " de Blainville.

M. le Rapporteur : Ma troisième série de questions concerne la politique sociale du groupe RVI.

La pyramide des âges, que vous avez évoquée, n'est pas satisfaisante ; nous avons cependant vu pire lors des auditions et visites précédentes !

Il vous est proposé d'engager une politique de réduction de la durée du travail, ce qui peut être l'occasion de rajeunir la moyenne d'âge des salariés de production. Comment réagiriez-vous si l'on vous demandait de réduire la durée du travail de 10 %, en faisant abstraction de l'idéologie et des débats politiques ?

M. Shemaya LEVY : Il est un peu tôt, je crois pour réagir sur ce projet, qui n'est pas encore arrêté. J'attendrai donc, en ce qui me concerne, d'avoir une meilleure visibilité du cadre légal à l'intérieur duquel nous nous trouverons et une idée plus précise de la façon dont seront entamées les négociations.

Néanmoins, je dirai quelques mots, en ce domaine, sur ce qui me paraît important.

En premier lieu, nous sommes tout à fait favorables aux mesures d'âge. En effet, dans un secteur d'activité comme le nôtre, confronté à un marché de renouvellement où la création d'emplois est difficile, recruter des jeunes passe par des mesures permettant de renouveler notre personnel.

En second lieu, je suis convaincu que des aménagements sont possibles en ce qui concerne l'organisation du travail et la réduction du temps de travail et qu'ils peuvent être discutés dans une optique gagnante à la fois pour l'entreprise et pour ses salariés. Cependant, il convient de garder à l'esprit la contrainte de coût, sinon l'industrie du camion se trouverait en péril.

Enfin, il faut prendre en compte une donnée qui est encore plus marquée dans le secteur du camion et des autocars et autobus que dans les autres secteurs d'activité : le caractère très cyclique de notre activité ; nous sommes confrontés à des cycles pluriannuels.

M. Maurice ADEVAH-POEUF : M. le Président, je vous ai écouté avec attention, et je vous trouve bien optimiste. Je ne le suis pas autant que vous.

Il faut que tout le monde ait bien conscience que RVI joue son avenir dans les cinq ans qui viennent. Un avenir que l'on peut regarder, certes, avec confiance car il s'agit d'une société qui a une histoire, une identité, une technicité, mais qui comporte aussi des zones d'ombre : vos marges sont " dévorées " par la guerre des prix ; vos prix de revient ne peuvent que croître du fait de l'application de normes plus sévères concernant l'environnement, ou telles que la ceinture de sécurité sur les cars ; il existe un courant d'opinion assez fort dénonçant le déséquilibre rail/route et les problèmes de sécurité qu'il pose. L'ouverture des marchés, les pays d'Europe centrale et orientale, le cabotage et les incertitudes du climat social concernant le transport de marchandises, pèsent également sur les perspectives de la société RVI.

Votre actionnaire - qui est l'un de vos points forts - pourrait se lasser de votre déficit structurel si l'on excepte l'exercice 1995.

Vous avez une stratégie lisible, mais que je trouve faible sur un point : l'état d'avancement de vos projets de partenariat, mais peut-être ne nous avez-vous pas tout dit...

L'aventure Volvo n'a pas eu lieu et l'on voit mal quel autre partenaire pourrait le remplacer. Les partenariats techniques sur les boîtes de vitesses ou sur les cabines avec Paccar-Daf, c'est très bien. Avec Matra, il s'agit d'une coopération qui ne portera, au mieux, que sur du moyen terme.

Or, je ne vois pas comment, si vous ne trouvez pas un partenariat commercial, vous arriverez en trois ou quatre ans à pénétrer les marchés difficiles, même en Europe, et à vous développer dans les années qui viennent.

Pouvez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet ?

M. Shemaya LEVY : Votre question déborde le cadre et la situation propre de RVI.

Il est vrai qu'aujourd'hui le développement des transports, leur rentabilité et leur compétitivité, non seulement pour les constructeurs, mais également pour les entreprises de transport elles-mêmes font l'objet d'interrogations.

M. Maurice ADEVAH-POEUF : Vous n'allez pas devenir le Vilvorde du poids lourd !

M. Shemaya LEVY : Aujourd'hui le développement des échanges est absolument incontournable, le " juste à temps " est devenu quelque chose de quasiment systématique. Or la route est le mode de transport le plus flexible et le plus adapté, ce qui ne veut pas dire qu'il ne faut pas prêter une attention particulière - et nous le faisons - aux éléments relatifs à l'évolution de l'environnement et de la sécurité.

Des progrès considérables ont été réalisés dans ce domaine : aujourd'hui, un camion fait dix fois moins de bruit qu'il y a vingt ans, et ce bruit provient, non pas de la mécanique, mais du frottement des pneus sur la route. S'agissant du transport collectif, chaque accident et chaque mort sont, bien entendu, à déplorer, mais il faut savoir qu'en 1996, on n'a compté que huit victimes d'accident d'autocar en France.

Il s'agit là de données objectives, mais qui se heurtent à un certain nombre d'éléments d'ordre psychologique. Les évolutions réglementaires et techniques dans le domaine des autocars et autobus - que ce soit par le développement du gaz, de l'électrique ou des véhicules en site propre - permettent de répondre aux attentes du public.

Pour que cette politique du transport collectif de personnes puisse se mettre en place - et là je me tourne vers vous - il convient que les arbitrages soient faits en conséquence.

On ne peut pas vouloir une chose et son contraire. Peut-être n'y aura-t-il plus besoin d'autobus dans les villes ou disparaîtront-ils si l'on ne prend pas les dispositions nécessaires. Mais dans un tel cas, le problème sera d'ordre général et non propre à RVI. Les questions que vous avez évoquées ont un impact sur RVI, mais également sur l'ensemble des fournisseurs et des clients de RVI.

En ce qui concerne les " mariages ", je constate avec plaisir que vous partagez mon point de vue sur le fait que les " mariages globaux " posent des problèmes. La question porte donc, pour l'essentiel, sur la crédibilité et la pertinence de la stratégie pour assurer et pérenniser le développement du groupe RVI.

S'agissant de la gamme haute et de la mise en place de synergies entre l'Europe et les Etats-Unis, nous sommes le deuxième producteur mondial de moteurs de haut de gamme, après Mercedes. Nous sommes les seuls à concevoir, à fabriquer et à vendre des moteurs de haut de gamme des deux côtés de l'Atlantique. Les autres constructeurs de haut de gamme aux Etats-Unis ne sont pas motoristes, ils achètent leurs moteurs.

Avec 12 % de parts de marché en Europe et aux Etats-Unis dans le domaine du haut de gamme, nous avons la taille, les moyens et les capacités de faire face aux défis des prochaines années.

Il est clair que, dans le domaine du transport de personnes, nous aurons à établir un partenariat fort ; RVI a une présence forte sur le marché français, ainsi qu'en Europe de l'Est, avec Karosa. Il s'agit donc de trouver un partenariat commercial fort, ce qui sera plus aisé pour les autocars et autobus car il s'agit de ventes directes aux clients ; la concurrence entre des réseaux commerciaux, de concessionnaires ou de succursales, est moins importante.

Renault Véhicules Industriels a la volonté de mettre en oeuvre un partenariat stratégique fort dans le domaine des autocars et autobus pour garantir, non seulement la rentabilité et la pérennité de cette activité, mais également son développement international.

M. Maurice ADEVAH-POEUF : Avec qui comptez-vous mettre en place ce partenariat ?

M. Shemaya LEVY : Je ne peux pas me permettre, monsieur le député, de citer des noms, les discussions étant en cours.

Dans les autres domaines, nous avons également des discussions en cours : j'ai évoqué les boîtes de vitesses ; c'est également le cas pour les moteurs de gammes intermédiaires, c'est-à-dire inférieurs à 300 chevaux.

M. le Rapporteur : Je voudrais revenir sur le problème du transport collectif de personnes, tout en admettant que la balle est davantage dans le camp des politiques que des constructeurs.

S'il y avait un engagement français ou européen - je préférerais bien sûr un engagement européen - en faveur de solutions alternatives au trafic routier, ce qui vous créerait des problèmes, mais pourrait être compensé par un accroissement des transports de personnes interurbains, il serait souhaitable, en tant que constructeur que vous soyez prêt à assumer une inflexion de ce genre.

M. Shemaya LEVY : J'ai tendance à penser que les deux problèmes sont indépendants l'un de l'autre.

M. le Rapporteur : Certes, mais vous êtes présent sur les deux créneaux ; si vous êtes en difficulté sur le transport routier, vous auriez une opportunité dans le domaine des transports en commun.

M. Shemaya LEVY : Il y a une logique du développement du transport collectif de personnes et nous travaillons à des solutions innovantes en la matière ; nous avons commencé à mettre à l'essai des véhicules urbains au gaz naturel - au GNV - et nous travaillons sur le projet Civis.

Pour que cela avance et représente des volumes significatifs, des actions correspondantes doivent être entreprises.

Dans le domaine du transport de marchandises, il y a des problèmes d'environnement sur certains axes routiers qui connaissent une saturation à laquelle il faut savoir remédier ; mais, aujourd'hui, le débat entre les modes de transport est un débat largement dépassé, à partir du moment où, en Europe, plus de 75 % des tonnes/kilomètres sont réalisés par camion et que plus de 90 % de la valeur des marchandises transportées le sont par camion. Il est essentiel que cela puisse se faire d'une manière acceptable et acceptée par la population.

Il convient donc de continuer à travailler dans le domaine de la sécurité et de la réduction des émissions ; des améliorations importantes ont déjà été réalisées dans ce domaine et les évolutions qui vont avoir lieu avant 2001 vont les conforter.

En revanche, il convient de ne pas aller vers le gigantisme, c'est-à-dire vers des véhicules du type de ce que l'on peut voir dans certains pays éloignés... La réglementation européenne existe, elle est définie au niveau européen, il faut la stabiliser.

Enfin, nous sommes favorables à la coopération entre la route et le rail par le développement du transport combiné sur longue distance ; en revanche, nous ne croyons pas au ferroutage.

M. le Rapporteur : Pourtant, le ferroutage pourrait correspondre, d'ici 15 ans, à une réponse pour 4 ou 5 parcours européens. Qu'est-ce qui motive votre scepticisme ?

M. Shemaya LEVY : Le transport combiné me paraît être une bonne solution pour la longue distance. Le ferroutage représente un coût, pour la collectivité, qui ne me paraît pas raisonnable au regard de ce qu'il apporterait en termes d'environnement pour la population.

M. le Rapporteur : Les Suisses et les Autrichiens - je ne sais pas s'ils ont tort ou raison - réfléchissent, quant à eux, à ce genre de solution...

M. Shemaya LEVY : Il est vrai que certains y réfléchissent, mais, honnêtement, je n'en perçois pas les avantages au plan économique.

M. Philippe DURON : Vous avez évoqué, tout à l'heure, le cloisonnement de ce marché du poids lourd en Europe et la difficulté pour le groupe RVI d'être très présent sur d'autres marchés que les marchés français et espagnol, et vous souhaitez aider vos services commerciaux à vous implanter plus largement sur les autres marchés.

Comment pensez-vous attirer les acheteurs sur un marché où le protectionnisme culturel est très fort, comme en Allemagne ?

Vous avez beaucoup parlé des marchés dominants en Amérique du Nord et des marchés émergents en Asie, moins du marché d'Europe centrale et orientale. Comment le voyez-vous évoluer dans les quatre ou cinq ans qui viennent ?

Votre seule réponse est-elle votre filiale Karosa en Tchèquie ou comptez-vous satisfaire ce marché avec votre gamme franco/européenne ?

M. Shemaya LEVY : S'agissant du marché d'Europe centrale et orientale, notre politique va au-delà de l'implantation industrielle dans le domaine du transport de personnes avec Karosa - qui nous permet, effectivement, d'être présents sur le marché des autobus en Tchèquie, qui est un marché important en Europe centrale. Karosa exporte des véhicules vers un certain nombre de territoires qui n'étaient pas accessibles, en termes économiques, aux véhicules produits en France.

En dehors de Karosa, notre approche est surtout commerciale ; nous avons créé une filiale commerciale en Hongrie et une en Pologne. Un tiers de nos ventes, en dehors de l'Europe de l'Ouest, est réalisé en Europe centrale et orientale. En outre, nous vendons des tracteurs routiers en Russie et en Ukraine.

Il y a donc un développement commercial des ventes, avec un effort soutenu qui porte ses fruits et qui nous apporte plus de satisfaction à ce jour que tous les efforts que nous fournissons depuis de nombreuses années sur le marché allemand.

En effet, le marché allemand reste hermétiquement fermé, que ce soit dans le domaine du transport de personnes ou du camion ; la simple comparaison d'appels d'offres européens publiés en France par rapport au nombre d'appels d'offres européens en Allemagne en est une illustration. Mais il faut faire avec !

Nous n'aspirons pas à prendre 15 ou 20 % du marché allemand ; néanmoins il convient de monter à un niveau de pénétration suffisamment significatif pour apporter un service aux clients qui iront en Allemagne ou qui y transiteront.

Notre présence en Europe du Nord doit être suffisante pour nous doter de la crédibilité, notamment en matière de services, qui nous est nécessaire pour notre développement européen.

Pour clarifier ma position sur l'Europe du Nord, sachez que je n'attends pas du développement de nos ventes en Allemagne ou dans les pays scandinaves des volumes mirifiques ; je crois qu'il faut travailler beaucoup plus à l'international en général, vers l'Europe centrale et orientale, la présence en Amérique du Nord restant une présence relativement modeste. Cependant, il faut qu'elle soit solide, rentable et qu'elle s'appuie sur un réseau de services qui soit crédible aux yeux des utilisateurs.

Je pense sincèrement que le transport sera de plus en plus international, en tout cas à l'intérieur de l'Union européenne de demain.

M. Philippe DURON : Je voudrais vous poser une dernière question concernant la concurrence asiatique, qui porte davantage sur le bas de gamme et la moyenne gamme. Pensez-vous que les Asiatiques vont s'en tenir là ou qu'ils vont également s'intéresser au haut de gamme ?

M. Shemaya LEVY : On ne peut jamais rien exclure, et je crois qu'effectivement des constructeurs asiatiques, tels que les Japonais et les Coréens, s'intéresseront au haut de gamme.

Le code de la route et l'infrastructure de ces pays sont tels qu'ils n'ont pas encore éprouvé le besoin, pour leur marché domestique, de développer des véhicules de haut de gamme.

En outre, ils éprouvent déjà quelques difficultés à se développer dans le domaine de la voiture particulière ; leur arrivée sur le marché des véhicules utilitaires ou de moyen tonnage ne paraît pas être un risque à prendre en compte dans la stratégie que j'essaie de vous décrire pour les prochaines années.

M. le Président : Dernier point, M. le Président : les grandes sociétés de cars ou de transport qui roulent dans toute l'Europe, ont un problème d'assistance sur place ou dans les pays qu'ils traversent, où la présence de Renault est très faible. La solution à un tel problème serait la recherche d'un partenariat.

Avez-vous déjà songé à avoir des partenaires dans différents pays permettant aux routiers de trouver une assistance en cas d'incident ?

M. Shemaya LEVY : Vous revenez là, M. le Président, sur la question des partenariats commerciaux.

Les problèmes que vous évoquez devraient s'atténuer avec l'évolution des systèmes de services et de distribution.

Les nouvelles technologies qui se mettent en place, la fiabilisation du matériel qui permet de prévenir plutôt que de guérir, les technologies d'information et de communication, les systèmes logistiques que vont mettre en place les grandes entreprises de transport et les systèmes de service que nous pouvons imaginer à l'avenir ne passeront pas nécessairement par la constitution de maillages denses, devant faire appel à des investissements lourds sous forme de succursales ou de recrutement de concessionnaires privés.

Il nous faut donc transformer notre faiblesse en avantage et mettre en place des solutions nouvelles de partenariat avec certains grands équipementiers ou des collègues plutôt que d'appliquer les solutions mises en oeuvre dans le passé par certains de nos concurrents.

annexe 1annexe2annexe3annexe 4annexe 5annexe6annexe7annexe8annexe9annexe10annexe11annexe12Audition de M. Jean-Martin FOLZ,
Président du directoire du groupe PSA Peugeot Citroën

(procès-verbal de la séance du 28 octobre 1997)

Présidence de M. Daniel PAUL, Président

M. Jean-Martin FOLZ : M. le Président, M. le Rapporteur, Mmes et MM. les députés, je mesure l'importance des travaux de la mission et encore plus des décisions qui pourront être prises sur la base de vos conclusions. C'est pourquoi je vous suis très reconnaissant de m'accueillir aujourd'hui et de me donner l'occasion de vous exposer mon point de vue.

Vous m'avez demandé de vous faire un exposé liminaire : il sera très bref, car je préfèrerais laisser plus de temps pour les questions afin d'être certain de répondre à vos préoccupations.

Je serai d'autant plus bref que la mission a déjà entendu de nombreux orateurs qui sont venus lui parler du secteur automobile, de sa taille, de son rôle dans l'économie européenne, spécialement dans l'économie française, et de tout ce qu'il apporte en termes d'emplois directs et indirects.

C'est en effet un secteur essentiel pour notre économie, mais c'est un secteur fragile : fragile par nature et fragile du fait de l'évolution de son marché.

C'est un secteur fragile par nature, parce que l'industrie automobile a les points faibles de nombreux autres secteurs industriels, mais n'a jamais leurs points forts.

L'industrie automobile est d'abord une industrie lourde. Vous mesurez en effet l'importance des dépenses en capital nécessaires pour constituer un outil industriel automobile. C'est une industrie lourde, mais sans la contrepartie de la rente que confère à d'autres industries lourdes la barrière du capital. Nous sommes complètement exposés sans avoir la possibilité de ménager nos marges.

C'est une industrie " high tech ", de haute technologie. Vous connaissez l'importance des études que nécessite la préparation de nouveaux projets automobiles, vous connaissez l'importance des automatismes dans nos usines, vous connaissez surtout la très grande sophistication du produit automobile, le nombre de calculateurs présents dans une voiture. C'est donc sans aucun doute une industrie de haute technologie, mais qui n'est pas capable de retrouver, au moment où elle lance des innovations, les périodes courtes de marge très élevée que connaissent par exemple certaines industries électroniques. Nous sommes une industrie " high tech ", mais sans la capacité de moissonner par la rentabilité les coûts très importants de nos développements.

Industrie lourde, industrie de haute technologie, nous sommes aussi une industrie de main-d'oeuvre, d'autant plus que nous sommes globalement une industrie encore très intégrée. Il y a 140 000 personnes dans le groupe PSA et nous sommes une industrie de main-d'oeuvre essentiellement européenne, et surtout française ; autrement dit, nous sommes très peu délocalisés par comparaison avec d'autres industries de main-d'oeuvre.

Nous sommes une industrie lourde, une industrie de haute technologie, une industrie de main-d'oeuvre et une industrie qui, in fine, fournit au consommateur un produit grand public. Ce produit, qui a coûté beaucoup d'argent à développer, beaucoup d'argent en investissements industriels, sur lesquels nous avons pris énormément de risques et sur lesquels des dizaines de milliers de personnes en prennent aussi, est finalement un produit qui plaît ou ne plaît pas, un produit de mode ; le risque est d'autant plus grand que, si dans d'autres secteurs, un consommateur qui change de marque revient dans le magasin trois ou quatre jours après, dans le secteur automobile, un client perdu ne retourne acheter une autre voiture que trois ou quatre ans plus tard.

Donc, c'est une industrie particulièrement fragile par nature. Elle est aussi fragile du fait de l'évolution de son marché.

Le marché européen, qui est le principal marché de PSA et au demeurant le principal marché de l'ensemble des constructeurs européens, est un marché qui a encore une faible croissance. Il est alimenté par une certaine progression du taux d'équipement des ménages, mais ce taux d'équipement n'augmentera plus beaucoup. Face à cette faible progression, l'accroissement de la longévité des véhicules automobiles vient diminuer d'autant le flux de renouvellement de voitures neuves et limiter la croissance du marché.

Alors que ses perspectives de développement sont réduites, le marché européen connaît dès maintenant de très importantes surcapacités. Tout le monde est convaincu que les capacités de l'outil industriel dépassent de loin les capacités d'absorption du marché et que cette surcapacité est vouée à l'augmentation dans les années à venir. Il suffit d'observer les nombreux projets qui sont en préparation.

Ce marché en faible croissance, surcapacitaire, est par ailleurs un marché dans lequel les concurrents non européens peuvent entrer pratiquement en totale liberté, donc venir nous concurrencer avec des structures de coût largement différentes des nôtres.

Pour toutes ces raisons de surcapacité, de faible croissance, de totale concurrence, ce marché connaît une guerre des prix particulièrement dure, une guerre de prix qui sera durable et qui marquera pour longtemps encore l'automobile.

Dans ce secteur très fragile, PSA est un groupe particulièrement sensible aux décisions qui sont prises en France, aux décisions que vous allez proposer.

En effet, PSA a fait, à plusieurs reprises, tout au long son histoire, le choix de la France et de l'Europe. Nous sommes un groupe européen, mais essentiellement un groupe français, puisque plus de 85 % de notre main-d'oeuvre se trouve en France.

Ce matin, la presse relate l'inauguration d'une nouvelle usine en France et à ce propos, je voudrais vous rappeler que la précédente création d'usine dans notre pays remonte à quatre ans : PSA, en liaison avec Fiat, ouvrait à Valenciennes-Hordain une nouvelle usine qui produit aujourd'hui notamment la Peugeot 806 et la Citroën Evasion. A l'époque où nous avons fait ce choix d'investir et de produire en France, certains de nos concurrents européens faisaient le choix d'investir et de produire en Pologne ou en Tchéquie.

Nous avons également fait le choix de prendre des fournisseurs européens et des fournisseurs français. Je pense que peu de groupes ont autant que nous une base française dans leurs approvisionnements : 95 % de nos approvisionnements sont européens, pas loin de 90 % de nos approvisionnements sont français. Cette position nous différencie d'un certain nombre de nos concurrents qui, eux, ont fait le choix du " global sourcing " c'est-à-dire de faire appel à des pays à faible coût pour certaines de leurs fournitures.

Il y a ainsi une sensibilité très forte de PSA au contexte européen et surtout au contexte français. Une sensibilité d'autant plus grande que notre situation financière ne nous permet pas d'encaisser des coups. Certes, notre situation nette est élevée, certes, notre endettement est faible, mais je voudrais que vous soyez conscients que l'activité automobile de PSA ne gagne en fait pas d'argent et que notre rentabilité ne peut être considérée comme acceptable. L'année dernière, nous avons eu un résultat net de quelque 700 millions de francs : cela fait beaucoup, bien sûr, mais cela représente 0,4 % de notre chiffre d'affaires. Or, des groupes comme Fiat, Ford, ou Toyota ont une rentabilité sur chiffre d'affaires égale ou supérieure à 3 %. Nos vrais concurrents sont huit à dix fois plus rentables que nous ne le sommes.

Certes, nous dégageons une marge brute d'autofinancement importante de 10 ou 11 milliards de francs, mais la totalité de cet autofinancement est consommée par nos investissements en France et en Europe ; autrement dit, nous ne sommes pas en état, actuellement, de dégager des ressources nous permettant d'autofinancer une croissance dans d'autres pays du monde.

Enfin, notre rentabilité intrinsèque n'est pas suffisante si l'on rapporte notre résultat avant impôts à nos immobilisations. Le ratio entre le résultat avant impôts que nous dégageons et les capitaux que nous avons immobilisés est de 1,8 % en 1996. Dans le même temps, Volkswagen affiche 10 %, Toyota 17 % et je n'ose indiquer les chiffres de nos concurrents américains.

L'entreprise PSA, qui est très française, très dépendante des décisions prises en France est également une entreprise très sensible, car elle n'a pas la capacité d'encaisser des coups trop importants. C'est sur cette hyper-sensibilité que je voulais attirer votre attention, afin d'éviter certaines décisions trop lourdes de conséquences sur nos volumes ou sur nos coûts.

Tel est le point liminaire que je souhaitais faire ; je suis bien entendu à votre disposition pour répondre à des questions précises sur PSA mais mon prédécesseur avait déjà largement informé votre mission.

M. le Président : Vous avez mis l'accent sur l'outil industriel surdimensionné : si l'on y ajoute un certain nombre d'éléments que vous avez évoqués concernant la fragilité de PSA et d'autres groupes...

M. Jean-Martin FOLZ : C'est le secteur qui est fragile !

M. le Président : Votre collègue M. Schweitzer nous a dit à peu près la même chose.

Comment voyez-vous l'avenir d'un outil surdimensionné ? Comment mieux le dimensionner ? Est-ce en augmentant le pouvoir d'achat des Français, afin qu'ils achètent plus de voitures françaises ? Est-ce en supprimant un certain nombre de sites, en diminuant le nombre de salariés, en réduisant le temps de travail sans baisser les salaires ?

M. Jean-Martin FOLZ : L'avenir de notre industrie est dans les produits que nous sommes capables d'offrir. Autrement dit, le premier gage de l'avenir et du développement du groupe PSA sera notre aptitude à proposer au marché des produits attractifs, des produits technologiquement évolués, des produits innovants et des produits dont le coût leur permette de se positionner favorablement par rapport à la concurrence.

Si j'ai mentionné le surdimensionnement de l'outil industriel, qui est, je crois, un fait reconnu, c'est pour vous convaincre que dans une telle situation, tous les constructeurs ont un penchant à chercher par tous les moyens comment augmenter leur part de marché et que ce penchant se traduit par une très forte pression sur les prix de vente.

Si je l'ai mentionné, c'est pour vous persuader que nous étions durablement dans une situation de guerre des prix dans laquelle nous devrions, nous constructeurs, être particulièrement attentifs à tous les éléments de notre prix de revient.

Il est clair que notre développement se fera par l'introduction de nouveaux modèles, de nouvelles technologies, par le développement de nouvelles voitures. Il se fera aussi pour partie en dehors du marché européen ; mais ce développement en dehors du marché européen n'apportera pas de solution satisfaisante au problème d'emploi que l'on connaît en Europe.

Aujourd'hui, les trois quarts des voitures neuves vendues dans le monde le sont en Amérique du Nord, en Europe et au Japon. En dehors de ces trois grandes zones industrielles, le reste du monde représente un peu moins du quart des automobiles neuves. En outre, la quasi-totalité des marchés en fort développement se trouvent dans des pays où les pouvoirs publics locaux considèrent que la création d'un secteur automobile national est une priorité absolue et où l'introduction de nos produits ne peut se faire qu'à condition d'y développer une industrie complète.

Donc, ces implantations internationales représentent une voie importante dans notre recherche de volumes pour asseoir nos coûts de développement sur un nombre plus grand de voitures, mais elles ne sont pas, hélas, une réponse à l'état de surcapacité que nous connaissons aujourd'hui en Europe.

M. le Rapporteur : Notre mission a, comme premier souci, l'avenir de l'emploi dans l'industrie automobile au sens large. Il ne s'agit pas simplement de l'avenir de l'emploi pour 1998, mais de l'avenir de l'emploi à plus longue échéance et, par conséquent, la question de notre productivité comparée à celle de nos concurrents est un élément essentiel de la réflexion que nous conduisons et des propositions auxquelles nous souhaitons aboutir.

Mes premières questions concerneront les aspects internationaux : vous m'avez, d'une certaine manière, " tendu la perche " quant au choix du sujet, mais peut-être vous demanderai-je d'aller plus loin dans les réponses.

Considérez-vous que PSA est d'une taille suffisante dans le marché mondialisé tel qu'il l'est aujourd'hui ?

Sinon, comment comptez-vous éventuellement vous développer, ne serait-ce que pour bénéficier des effets de série que vous venez de mentionner, en particulier comment envisagez-vous une diversification, un élargissement en dehors de l'Europe, compte tenu des contraintes financières que vous avez rappelées, c'est-à-dire de résultats significatifs à une certaine échelle mais que vous présentez comme mesurés en fin de parcours ?

M. Jean-Martin FOLZ : Est-ce que le groupe PSA a une taille suffisante pour perdurer ?

Je réponds oui sans beaucoup hésiter. Nous produisons à peu près 2 millions de véhicules automobiles sur un marché mondial qui est un peu inférieur à 50 millions ; donc nous représentons 4 % du marché mondial. Mais nous sommes le neuvième constructeur mondial et le rapport entre PSA et le plus grand des constructeurs est de un à trois environ. Autrement dit, je ne crois pas qu'il y ait aujourd'hui un désavantage de taille qui porterait en lui une sorte de condamnation intrinsèque du groupe. Le groupe PSA a un certain nombre d'atouts. Je considère que sa taille n'est certainement pas un handicap aujourd'hui et que nous avons les moyens de perdurer tels que nous sommes actuellement. Je n'imagine pas, en particulier, que le nombre de constructeurs automobiles puisse, dans un avenir que l'on sait regarder, se réduire au point qu'il y ait moins de dix constructeurs automobiles au monde.

Comment élargir potentiellement le groupe ?

Il est clair que nous n'avons pas dans notre stratégie l'idée de fusionner ou de nous regrouper avec un autre groupe automobile et nous en avons d'autant moins le souhait que PSA a, plus que la plupart de ses concurrents, une longue histoire de regroupements. Je vous rappelle en effet que le groupe est issu de la reprise par Automobiles Peugeot, d'Automobiles Citroën en 1974/1976, puis par l'ensemble ainsi formé des activités de Chrysler en Europe - SIMCA en France - en 1978.

Donc, nous mesurons bien les chances, mais aussi les difficultés que comporte ce type de regroupement et nous n'avons certainement pas le souhait, dans le contexte actuel de faible croissance des marchés automobiles, de nous lancer dans une aventure de ce type.

Ceci ne veut pas dire que nous fassions preuve d'un isolationnisme absolu. Je dirai même que PSA est probablement l'un des groupes les plus impliqués dans des coopérations industrielles. Bien sûr, nous coopérons en matière d'organes - je pense que M. Schweitzer vous a entretenus des coopérations existantes entre PSA et Renault-. Nous coopérons également en matière de véhicules : nous avons avec Fiat deux coopérations importantes, l'une en Italie, avec l'usine de Sevelsud, pour la production d'utilitaires, les Peugeot Boxer et les Citroën Jumper, et l'autre en France, que j'ai déjà mentionnée, près de Valenciennes, à Hordain, pour la production de monospaces Peugeot 806 et Citroën Evasion, mais aussi d'utilitaires de taille moyenne, Expert pour Peugeot et Jumpy pour Citroën .

Il y a très peu d'exemples dans le monde automobile de coopération sur un même véhicule entre deux constructeurs. A ma connaissance, il n'y en a actuellement qu'une, d'un peu d'importance, qui fonctionne, c'est celle de Ford et Volkswagen pour la production de monospaces au Portugal dont sont issus les produits Galaxy de Ford et Sharan de Volkswagen. Cette coopération, si j'en crois certains échos, ne fonctionne pas très bien et n'est pas destinée à perdurer.

Nous sommes plutôt à la pointe des constructeurs mondiaux en matière de coopération et nous avons bien l'intention de continuer à saisir toutes les opportunités que nous trouverons pour, sans renier notre personnalité ni notre âme, répartir un certain nombre de dépenses entre plusieurs constructeurs.

J'en arrive maintenant à notre diversification, ou plutôt notre élargissement hors d'Europe, car il n'est pas question pour nous de faire autre chose que des automobiles. Je lis souvent des critiques plus ou moins fortes sur la stratégie des constructeurs automobiles. Je reconnais volontiers que le groupe PSA est moins présent qu'il ne serait souhaitable en dehors de l'Europe, mais dire que nous ne sommes pas présents est largement exagéré.

Nous ne sommes pas un groupe franco-français : nous sommes très largement français par notre outil de production ; en revanche, nous sommes d'abord et avant tout un groupe européen, puisque la France représente à peine plus de 30 % de nos ventes d'automobiles. Nous faisons plus de 80 % de notre chiffre d'affaires en Europe.

Nous sommes présents à la grande exportation, et la lecture récente de la presse vous aura tenu informés de ce que nous y faisons. Je prendrai deux exemples. Le premier est celui du marché chinois sur lequel nous sommes le deuxième constructeur européen présent : le premier est Volkswagen, mais le second est Citroën qui dispose à Wuhan d'une usine très moderne et performante, dont la production est en augmentation car nos ventes augmentent de façon satisfaisante grâce à la création de réseaux commerciaux sur place.

Le second exemple est l'Amérique du Sud - le Mercosur - où nous multiplions les initiatives, d'une part, en réinvestissant en Argentine où nous développons avec un partenaire local une série de nouveaux véhicules, d'autre part, au Brésil où nous n'avons pas encore finalisé notre implantation, mais la partie brésilienne l'annonce avec une telle régularité qu'il serait étonnant qu'elle ne se fasse pas.

En fait, PSA va s'implanter au Brésil, mais nous ne prendrons une décision irrévocable que lorsque seront effectivement réunies toutes les conditions préalables ; certaines d'entre elles ne le sont pas encore, mais c'est une question de semaines.

Nous sommes soucieux de nous développer en dehors d'Europe, mais nous le faisons à notre rythme et au rythme que nous permet notre rentabilité actuelle qui n'est pas florissante du tout.

M. le Rapporteur : Nous allons arriver, d'ici deux ans, au terme de l'accord Union européenne-Japon. Certains constructeurs s'y sont préparés en essayant d'être aussi compétitifs que possible ; d'autres se sont beaucoup battus pour essayer d'en obtenir un prolongement, même sous une forme différente, compte tenu des contraintes résultant de l'Organisation mondiale du commerce.

Je souhaiterais savoir dans laquelle de ces deux catégories vous vous situez et comment vous vous positionnez par rapport à l'échéance du 1er janvier 2000. Par ailleurs, il y a un problème coréen qui semble aussi redoutable sinon plus que le problème japonais.

M. Jean-Martin FOLZ : Pour le Japon, je dirais volontiers que nous sommes dans les deux catégories. Nous nous préparons, nous n'arrêtons pas de nous préparer, en matière d'innovation et de productivité, à subir un choc complémentaire de la part des constructeurs japonais qui représentent déjà une part considérable du marché européen, largement supérieure à 10 % actuellement.

Je ne voudrais pas que vous fassiez une dichotomie entre les constructeurs qui se modernisent et qui luttent pour leur rentabilité et ceux qui essaient d'élever des remparts contre les constructeurs japonais. Nous ne sommes en tout cas pas dans la seconde catégorie, même si nous ne considérons pas que le fonctionnement actuel de l'accord soit satisfaisant.

La Commission a négocié en 1991 un accord avec le Japon. J'imagine qu'elle considérait effectivement que l'arrivée des constructeurs japonais sans précautions particulières sur le marché européen était un véritable sujet de préoccupation. Je ne crois pas que l'on puisse dire que cet accord a été respecté, puisque la logique de l'accord était en fait d'accorder aux constructeurs japonais une part très significative de la croissance du marché européen. Le problème, c'est que le marché européen a décru.

La lecture même de cet accord montre qu'aujourd'hui il y a un " trop importé " ou un " trop produit " sur le marché européen par les constructeurs japonais.

Je ne suis pas prêt à le passer sous silence ou par pertes et profits. Un engagement a été pris de part et d'autre entre l'Europe et le Japon : il faut dire que cet engagement n'a pas été tenu par la partie japonaise et que la partie européenne l'a toléré
- on ne peut que le déplorer -, mais on ne peut pas dire que cet accord arrive à terme en 1999 puisque ses termes n'ont pas été respectés.

PSA militera avec force pour qu'il soit tenu compte de cette situation après l'an 2000. Cela dit, je ne voudrais pas que vous ayez le sentiment que notre seul système de défense, ou notre seul système d'attaque, soit dans l'élévation de barrières douanières. Pas du tout !

M. le Rapporteur : Vous envisagez une prolongation : selon vous, qu'elle forme pourrait-elle prendre ?

M. Jean-Martin FOLZ : Dans cette affaire, PSA peut avoir des souhaits, mais nous savons que c'est une question qui concerne l'Union européenne : ce sera une décision communautaire. Nous serons d'autant plus forts en tant que constructeurs automobiles pour faire passer notre message auprès des autorités communautaires que nous aurons nous-mêmes une position conjointe sur cette question. Je ne suis pas certain qu'en l'état actuel des choses l'ensemble de mes collègues partage complètement le point de vue que j'ai défendu devant vous.

Cela dit, si l'on en reste au point de vue de PSA, on ne peut pas considérer qu'une étape s'est bien déroulée et tourner la page en passant sous silence l'introduction en excès par rapport à l'accord de 3,5 millions de véhicules japonais à ce jour sur le marché européen.

Donc, nous souhaitons que, quelle que soit la forme des relations entre l'Europe et le Japon après l'an 2000, l'existence de ce " carry forward " ne soit pas complètement passée sous silence et que les autorités européennes mettent les Japonais devant le simple constat que les choses ne se sont pas passées comme il était convenu.

La Corée est un nouveau péril : aujourd'hui, les industriels coréens font preuve d'un très grand dynamisme au plan des investissements et d'une très grande agressivité au plan des prix de vente.

Vous le savez, la plupart des constructeurs coréens multiplient des investissements importants en matière automobile dans des pays dont ils considèrent qu'ils ont, ou vont avoir, des relations privilégiées avec l'Union européenne. Ils ont donc massivement investi, notamment en Pologne, en Roumanie et ils ont différents projets au Maghreb. Il y a donc une volonté, sinon d'entrer industriellement dans le marché européen, du moins de se placer dans des pays dont ils ont le sentiment qu'ils bénéficieront d'une entrée privilégiée sur le marché européen.

Nous ne pouvons que regarder cela avec une certaine préoccupation, comme nous regardons avec une certaine préoccupation la politique de prix très agressive menée par ces constructeurs.

La véritable question est de savoir si, réellement, les entreprises coréennes ont les moyens de soutenir cette politique d'investissement et cette politique de prix. Des événements très récents touchant un des principaux constructeurs coréens montrent que les règles de l'économie de marché ne paraissent pas s'appliquer intégralement dans ce pays ; nous craignons donc d'être en butte à la concurrence de constructeurs qui ne sont pas soumis aux mêmes règles que nous. Nous serons vigilants pour, le cas échéant, appeler l'attention sur ces disparités.

M. le Rapporteur : L'Europe est mieux armée à cet égard que précédemment, mais y a-t-il la volonté d'utiliser les armes en question ?

M. Jean-Martin FOLZ : En tout cas, les constructeurs ont la volonté de les voir utilisées.

S'agissant du Japon, les constructeurs européens ont certes une position plus nuancée que celle que j'exprimais, mais s'agissant de la Corée, je crois pouvoir dire que les constructeurs nord-américains, comme les constructeurs européens, sont fermement résolus à faire en sorte que les constructeurs coréens ne puissent utiliser les spécificités coréennes pour venir semer un désordre excessif sur le marché.

M. le Rapporteur : Cela nous ramène au prix de vente d'un véhicule en Europe. Certains pensent qu'une partie du recul des constructeurs français sur leur marché tient à la question du prix - je suis d'accord avec vous qu'il faut raisonner en termes de marché européen autant que marché français -.

Quelles sont, selon vous, les méthodes que vous pouvez utiliser, soit en interne par rapport à PSA lui-même, soit en externe par rapport aux fournisseurs de PSA, pour essayer, sans porter atteinte à la qualité, d'exercer sur les prix la pression maximale ?

Il y a une semaine, nous avons visité en Ecosse l'usine d'un constructeur japonais - Nissan - qui semble avoir une politique de relations très contractuelles et très riches avec ses fournisseurs... Je cite cet exemple, sans pour autant porter de jugement de valeur à cet égard.

Pouvez-vous développer votre point de vue par rapport au problème des prix en interne et en externe ?

M. Jean-Martin FOLZ : S'agissant de la formation des prix de vente et des disparités qui existeraient à cet égard en défaveur des constructeurs français, je crois que ce sujet a déjà été abordé devant votre mission : je veux bien y revenir, mais je ne dirai pas des choses différentes de celles indiquées par mon prédécesseur.

Les constructeurs français ont enregistré une certaine réduction de leur part de marché au plan national et, dans le même temps, une progression de leurs parts de marché dans les autres pays européens. Il y a sans aucun doute là une européanisation des ventes d'automobiles qui me paraît à tous points de vue salutaire.

Cela ne veut pas dire pour autant que PSA soit, pour sa part, résigné à voir sa part de marché continuer à baisser en France : un objectif majeur de notre entreprise est de stopper cette évolution et d'entamer la reconquête de notre place sur le marché français.

Cette reconquête passe non seulement par les prix, mais aussi - et beaucoup - par la qualité des produits, par l'innovation, par une capacité d'offrir des concepts et des services automobiles nouveaux. Dans ce domaine, nous n'avons pas peur de la concurrence et nous espérons continuer à produire des véhicules qui rencontrent le succès. Il me suffit de mentionner ici la réussite du coupé 406 de Peugeot, ou du véhicule Berlingo de Citroën, pour montrer que les constructeurs français ont la capacité de produire des véhicules qui rencontrent un franc succès en France et en Europe.

Qu'il y ait des disparités de prix entre pays pour le même véhicule, c'est indéniable, encore que les statistiques que publie régulièrement la Commission européenne doivent être sur ce point lues avec attention.

D'une part, certaines disparités importantes étaient la conséquence des errements monétaires, des errements de change des dernières années : il fallait, pour maintenir notre part de marché, pour maintenir en vie nos réseaux, que nous tenions compte des dévaluations sauvages d'un certain nombre de monnaies ; de ce fait, une certaine convergence monétaire en Europe sera la bienvenue pour mettre un terme à ces errements.

D'autre part, pour le consommateur, la simple comparaison des prix de vente n'est pas forcément déterminante. En effet, et ceci est peu mentionné dans les comparaisons, il existe des différences très importantes entre les pays européens en matière de fiscalité portant sur l'automobile (vignette, TVA, etc...) et ces différences sont partiellement corrigées par les constructeurs qui ajustent leurs prix de vente en conséquence.

J'en resterai là à propos des prix, sinon pour observer que le prix de vente des automobiles n'a commencé à baisser que récemment. Pendant assez longtemps, il n'a pas baissé, non pas que les constructeurs n'aient pas fait de gains de productivité, non pas que les constructeurs aient conservé pour eux ces gains de productivité, mais parce que le contenu des automobiles s'est enrichi. On a vu, au cours des dix dernières années, une évolution constante du contenu de l'automobile qui, à prix à peu près équivalent, s'est trouvée dotée progressivement de direction assistée, d'airbags, de boîte automatique, de climatisation, de radio...

Nous sommes maintenant entrés dans une spirale autrement plus préoccupante où, même enrichie en équipements, la voiture verra son prix baisser en raison de la situation de surcapacité et de concurrence sur notre marché.

Comment faire face à cette situation ? Par l'innovation, par de nouveaux produits, mais aussi par la maîtrise des coûts. Or, quels sont nos coûts ?

Dans le prix de revient d'une automobile, il y a des amortissements liés aux investissements considérables que nous devons faire, il y a un coût salarial important
- mais je pense que nous aurons l'occasion d'y revenir tout à l'heure -, il y a, également pour une part importante, les achats aux fournisseurs.

Dans ce domaine, PSA a mené une politique de " dé - intégration " moins résolue que certains de ses concurrents : je veux dire par là que nous avons souhaité - et nous continuons de le souhaiter - conserver la maîtrise au sein de notre groupe de diverses activités que nous considérons comme essentielles pour la maîtrise du produit automobile. C'est un choix industriel inspiré par notre souci d'être plus qu'un assembleur de pièces, d'être un véritable constructeur automobile, mais c'est un choix qui nous expose à des coûts salariaux calculés aux normes européennes et françaises.

Pour le reste, le constructeur fait confiance à ses fournisseurs. Vous savez que dans notre cas plus de 60  % du prix de revient industriel d'une voiture correspond à des achats à des fournisseurs, mais, là encore, deux choix sont envisageables.

Le premier est celui d'une délocalisation complète. Vous avez parlé de mondialisation. Cette fois-ci ce n'est pas le constructeur qui délocalise, mais il demande à ses fournisseurs de le faire. Je veux croire que votre mission s'intéressera à la localisation de l'emploi non seulement des constructeurs mais aussi de leurs fournisseurs. Que PSA choisisse de fabriquer lui-même un composant ou d'en confier la fabrication à un fournisseur n'a pas d'impact sur l'emploi, dès lors que la fabrication reste en France ; en revanche, confier ce composant à un fournisseur qui le fera réaliser au Maroc, en Thaïlande ou en Chine aura un impact sur l'emploi.

Le second est celui de la localisation européenne des fournisseurs et notre politique a été inspirée par le souci d'avoir des fournisseurs sûrs en termes de délais de livraison et de qualité. Il est clair également que nous devons avoir les moyens financiers de soutenir cette politique qui a un coût. Ceci renvoie aux propos que je tenais précédemment.

M. le Rapporteur : J'en arrive aux questions concernant l'emploi.

Nous sommes à peu près convaincus, après les diverses visites que nous avons effectuées, que pour toutes sortes de raisons tenant au niveau de formation à l'embauche ou aux capacités physiques, entre une entreprise où la moyenne d'âge est de 21 ans et une autre où elle se situe autour de 45 ans, la concurrence est inégale.

Par rapport à cela, il y a eu dans les années passées, sans beaucoup de résultats semble-t-il, des demandes diverses des constructeurs. De façon un peu caricaturale, je dirai qu'il existe une méthode que j'appellerai FNE - fonds national de l'emploi - où l'on va demander à l'Etat de payer un certain nombre de départs ; cela peut fonctionner pour certains sites où l'âge est encore élevé et cela fonctionne moins pour d'autres où les mesures d'âge déjà prises font qu'il ne reste plus grand monde au-delà de 56 ans.

Il y a aussi une méthode que je qualifierai de type ARPE - allocation de remplacement pour l'emploi - selon laquelle des travailleurs âgés s'en vont, mais avec, en contrepartie, l'embauche de jeunes, ce qui n'est pas sans intérêt pour l'entreprise pour des raisons tenant au salaire et au niveau de formation.

C'est un premier point sur lequel j'aimerais avoir votre sentiment.

Mon deuxième point concernera les effectifs et ce qu'on appelle les 35 heures.

Je dis " ce qu'on appelle ", parce que l'on peut aussi penser à une réduction de 10 %, voire plus, de la durée du travail, avec des modalités différentes selon les types d'emplois. Pour un cadre, une réduction de 10 % peut représenter un jour de liberté de-ci de-là, pour un ouvrir sur une chaîne qui travaille déjà 35 heures, cela peut être 32 heures. Je mesure bien par rapport à cela votre préoccupation en termes de coûts de production.

Si l'on essaie de réfléchir avec sérénité, ce qui me paraît devoir être notre cas, à ce double souci des coûts de production et de réduction de la durée du travail pour intégrer davantage de salariés ou en maintenir davantage dans un processus productif, il y a trois types de contreparties envisageables :

- d'une part, l'organisation du travail : à cet égard, pensez-vous que d'autres formes d'organisation du travail peuvent permettre de compenser pour une part une réduction de la durée du travail à salaire maintenu ?

- d'autre part, pensez-vous qu'une discussion sur une évolution pluriannuelle des salaires peut conduire à définir un partage des gains de productivité absorbant une partie du surcoût ?

- enfin, - bien que ce domaine soit plutôt du ressort du Gouvernement que des constructeurs - il y a des aides publiques qui me paraissent légitimes, si l'on raisonne en termes de coût social, dans la mesure où des chômeurs en moins signifient également en moins toute une série d'aides passives aux chômeurs ; il peut donc sembler concevable, en termes de calcul économique global, national ou européen, d'avoir des compensations de ce type sans qu'elles apparaissent pour autant comme des subventions à caractère discutable.

Je vous demande quelques commentaires sur ces deux points.

M. Jean-Martin FOLZ : Vous avez posé à juste titre la question de la pyramide des âges du personnel de PSA et, plus généralement, des constructeurs français, puisque c'est un point sur lequel Renault et PSA ont introduit à plusieurs reprises des demandes communes en alertant simultanément les pouvoirs publics sur la difficulté de leur situation.

Je voudrais d'abord rappeler que, certes, nous avons une pyramide des âges qui n'est pas favorable : d'ici quelques années, la moitié de notre personnel de production aura plus de 50 ans, ce qui est une forme de handicap compte tenu des efforts qui sont encore demandés dans nos usines. Mais, je ne voudrais pas laisser le sentiment que nous n'embauchons pas. Je lis avec tristesse des déclarations selon lesquelles nous ne faisons que mettre dehors le personnel qui atteint un certain âge. Or, je tiens à vous rappeler que PSA recrute régulièrement des jeunes.

Nous avons embauché l'année dernière 3000 jeunes de moins de 30 ans, et 3 760 il y a deux ans ; donc nous avons un flux continu de jeunes de moins de 30 ans et l'entreprise s'efforce par tous les moyens d'insuffler du sang neuf dans son personnel.

Elle est limitée pour ce faire par une considération forte que vous n'avez pas mentionnée, sans doute volontairement, quant à la situation de nos effectifs. C'est que si nous avons une pyramide des âges qui n'est pas favorable, nous avons aussi une évolution de nos volumes et de notre productivité qui fait que notre effectif direct de production ne pourra que décroître.

Il faut faire ce constat sous réserve de la réduction du temps de travail, mais il faut le garder présent à l'esprit. Le secteur secondaire en Europe connaît et connaîtra des gains de productivité permanents : nous ferons et nous continuerons à faire des gains de productivité. J'entends par là que nous mettrons moins de travail dans les produits que nous fabriquons afin de pouvoir continuer à baisser leur prix et à pouvoir les vendre.

Cette évolution est d'autant plus préoccupante que nos volumes ne croîtront plus beaucoup dans l'avenir et que, face à des volumes stables, les gains de productivité, qui sont l'histoire de l'industrie, ne pourront se traduire que par une diminution de l'effectif direct de production.

Notre souci de diminuer l'effectif direct de production répond à celui de faire face à nos gains de productivité à volumes constants ; on verra tout à l'heure comment on peut jouer autrement, mais cette notion de volumes de production constants est un point-clef pour parler de la réduction du temps de travail. Pour résorber les excédents de personnel que génèrent des gains de productivité inéluctables qui font partie de notre métier et pour améliorer la pyramide des âges, les constructeurs automobiles avaient présenté l'année dernière un plan qui était non pas seulement destiné à faire partir les plus anciens de nos usines, mais aussi à compenser pour une part leurs départs par un flux d'entrées de jeunes.

Ce plan n'a pas été retenu, mais - je le répéterai en conclusion sur la réduction du temps de travail - ce problème demeure et il faudra d'une façon ou d'une autre que nous y fassions face dans les années à venir.

J'aborde maintenant la réduction du temps de travail. Dans la situation où nous sommes aujourd'hui, dans l'univers concurrentiel actuel, toute mesure qui se traduirait d'une façon ou d'une autre par une hausse du coût du travail aurait un impact catastrophique.

M. le Rapporteur : J'ai dit des coûts unitaires de production, ce n'est peut-être pas tout à faire pareil ?

M. Jean-Martin FOLZ : Une mesure qui se traduirait par une hausse des coûts unitaires de production, aurait un impact catastrophique : à prix de vente constant, nous dégraderions nos résultats d'un poids qui ne serait pas acceptable et si nous augmentions nos prix de vente de la hausse du coût du travail nous perdrions des volumes et l'emploi s'en ressentirait.

Plus généralement, la pression à la réduction de ses coûts qui pèse sur tout industriel et qui se traduit par soit plus d'automatisation, soit plus de délocalisation
- pression à laquelle nous résistons avec toute l'énergie dont nous sommes capables - ne pourra qu'être augmentée par toute hausse du coût du travail. Je crois qu'il faut en être conscient, ce n'est pas un chantage de ma part, c'est un simple constat.

Cela dit, le Gouvernement a annoncé son intention de proposer au Parlement des dispositions législatives en la matière ; nous aurons donc à étudier, à négocier une réduction du temps de travail.

Si nous devons le faire, et nous devrons apparemment le faire, nous le ferons en essayant de respecter deux considérations spécifiques de l'industrie automobile.

La première est la taille de nos équipements. Nous avons des outils de production très lourds. Toute mesure de réduction de la durée du travail qui se traduirait par une diminution du taux d'utilisation de nos capacités, une réduction de la durée d'ouverture de nos usines, aurait un effet catastrophique.

La seconde est peut-être moins connue des observateurs. Nous avons une industrie saisonnière et fluctuante. A la différence d'autres secteurs industriels qui produisent de façon constante du 1er janvier au 31 décembre, l'automobile connaît des cycles annuels forts, des cycles saisonniers : on vend plus de voitures au printemps qu'en novembre et décembre ; dans certains pays, des mesures fiscales ou règlementaires font que, comme en Angleterre, 40 % des voitures neuves sont vendues au mois d'août. Nous avons donc des à-coups importants dans la demande.

Par ailleurs, l'automobile est un produit de mode et la sortie des nouveaux modèles a un impact sur nos ventes. Nous avons des à-coups importants dans la vie du produit, puisque toutes les usines ne font pas toutes les automobiles et que la charge d'une usine dépend du cycle de vie des modèles que l'on y construit. Un modèle automobile démarre plus ou moins rapidement, il connaît une apogée qu'on espère la plus haute et la plus longue possible et il y a une période de déclin. La charge de l'usine varie donc.

Tout ceci veut dire que nous aurons à coeur, dans les négociations que nous devrons engager, de pouvoir utiliser nos équipements le plus longtemps possible et de disposer d'une certaine souplesse - j'évite le mot " flexibilité " qui, apparemment, est un mot grossier ! - d'une part, de disposer d'une base de temps la plus longue possible pour calculer la durée du travail, d'autre part ; je ne parlerai pas non plus d'annualisation, mais ce n'est à l'évidence pas sur la semaine qu'il faut mesurer cette réduction du temps de travail.

Avant de vous dire un mot sur les conditions dans lesquelles nous pourrons entrer dans une négociation, je voudrais répondre à une remarque que vous avez faite et en ajouter une seconde.

Je m'inscris en faux sur votre remarque concernant les gains de productivité.

Il y a des gains de productivité dans l'industrie et il y a des industries qui arrivent à conserver ces gains de productivité et qui peuvent se pencher sur la répartition de ces gains entre le profit, l'investissement et les salaires.

Ce n'est pas le cas des industries de biens de consommation, et ce n'est certainement pas le cas de l'industrie automobile. Autrement dit, les gains de productivité que nous avons faits, que nous ferons demain, seront intégralement restitués au consommateur. Nous faisons des gains de productivité et nos concurrents également. Nous sommes environ une quinzaine de constructeurs importants sur le marché européen : il y en a toujours un qui restitue les gains de productivité au client et tout le monde est conduit à en faire autant.

Je ne sais pas si cela existe dans d'autres secteurs, mais penser pouvoir tirer un chèque sur les futurs gains de productivité me paraît être une vision, hélas, trop optimiste de ce qu'est notre métier. Nous n'avons pas de gains de productivité que nous conservons : le gain est donné au consommateur.

M. le Rapporteur : Vous avez bien eu des hausses de salaire réel depuis vingt ans ?

M. Jean-Martin FOLZ : Nous avons eu des hausses de salaire réel chez PSA depuis vingt ans et nous avons aussi eu une évolution de nos résultats depuis vingt ans qui a traduit largement le succès où le non-succès de nos produits. Un constructeur automobile se porte bien quand il produit beaucoup de véhicules qui se vendent bien. Autrement dit, je ne crois pas que la bonne santé soit liée à la seule prise en compte de considérations macro-économiques au sein de l'entreprise ; elle est en fait très directement liée au succès des modèles produits.

La seconde observation que je voudrais faire, avant d'arriver aux conditions d'une négociation, c'est que la main-d'oeuvre a en fait un impact extraordinairement important sur notre structure de coût. Je lis parfois que, pour les constructeurs automobiles, ce n'est pas un problème parce que les coûts de main-d'oeuvre ne représentent qu'une partie relativement faible de la structure de coût. Ce n'est d'abord pas tout à fait exact : nous avons 35 milliards de masse salariale chargée, sur 172 milliards de chiffre d'affaires, cela fait déjà 20 %.

Mais surtout, nous sommes acheteurs d'équipements qui pèsent pour une très large part sur notre prix de revient et ces équipements que nous achetons ont un coût en main-d'oeuvre.

Sous ces deux réserves, et quoi qu'on fasse en matière de réduction du temps de travail, nous n'aurons pas, ou très partiellement, résolu le problème lancinant des gains de productivité et de la pyramide d'âge de notre industrie. Bien entendu, PSA se prépare à entamer avec ses partenaires sociaux une discussion sur la réduction du temps de travail. En revanche, il n'est pas dans l'intention de notre entreprise de s'engager dans une discussion sans que le cadre en soit clairement posé.

Je ne vous cache pas que je suis très préoccupé actuellement de lire des déclarations, certes, ministérielles, mais de n'avoir encore aucune indication précise de la date à laquelle nous devrons réduire la durée du temps de travail, de l'importance de cette réduction, de la base de temps sur laquelle nous la calculerons, de ne pas connaître non plus d'autres éléments essentiels pour l'organisation de l'entreprise, en particulier cette fameuse flexibilité en matière d'heures supplémentaires ou de chômage partiel sans laquelle nous ne savons pas en France faire fonctionner des usines automobiles, et enfin de ne pas savoir si et comment des contreparties économiques - vous parliez de contreparties publiques - à ces mesures seront apportées au surcoût que nous aurons à supporter.

Dans ces domaines, les échéances que nous lisons aujourd'hui dans les déclarations ministérielles me troublent beaucoup et je ne vois pas comment nous pourrions entamer sérieusement une discussion sans que le cadre complet de celle-ci ne soit clairement défini.

Il n'est guère concevable de négocier avec les partenaires sociaux pour ensuite constater que les résultats de cette négociation ne rentrent pas dans le cadre qui nous serait préparé.

Je souhaite vivement, et je pense n'être pas le seul dans mon cas, que les pouvoirs publics prennent leurs responsabilités, soumettent au Parlement des dispositions complètes sur la base desquelles nous sachions à quel jeu nous jouons.

Je souhaite que le Parlement, lui aussi, prenne ses responsabilités, nous dise dans quel cadre il entend nous voir agir et, à ce moment, nous essaierons, en toute bonne foi croyez-le bien, de trouver, avec nos partenaires sociaux, des solutions permettant de respecter la loi et de ne pas plonger PSA dans une situation catastrophique.

M. le Rapporteur : J'ai cru comprendre que le Parlement serait saisi de ce cadre au début de l'année prochaine, donc, cela permettrait d'avancer plus clairement.

M. Jean-Martin FOLZ : Je souhaite que ce soit le cadre complet et pas la moitié du cadre ! Cette notion de demi-cadre m'inquiète beaucoup...

M. Patrice MARTIN-LALANDE : Quel est, selon vous, M. Président, l'atout majeur de PSA face à ses concurrents ?

Quelle est la mesure la plus déterminante pour l'avenir de notre industrie automobile que vous attendez, d'une part, de l'Etat et, d'autre part, de l'Union européenne ?

Que pensez-vous de l'aide européenne apportée à la création de capacités nouvelles de construction alors qu'il y a une surcapacité de 5 millions de véhicules en Europe ? Je pense par exemple à Ford et Volkswagen au Portugal.

M. Jean-Martin FOLZ : Vous me permettrez de trouver plusieurs atouts majeurs à PSA.

Le premier est notre taille. Nous avons une bonne taille pour survivre sur le marché mondial de l'automobile.

Le second est que nous avons deux marques. C'est quelquefois source de difficultés, mais je pense que nous savons bien, et que nous saurons encore mieux demain, les gérer. Le fait d'avoir deux marques fortes généralistes, complémentaires, est un véritable atout pour PSA.

Le troisième est que nous savons faire des automobiles. Ce n'est pas donné à tout le monde. Il n'y a pas tant de constructeurs aujourd'hui au monde. On en voit plus disparaître que naître et si l'on cherche à compter les pays dans lesquels se trouvent des constructeurs automobiles, c'est-à-dire des sociétés capables de concevoir, dessiner, projeter, produire, vendre des automobiles, on voit que le nombre de ces pays va plutôt en décroissant. Il y a sans aucun doute les Etats-Unis, la France, l'Italie, l'Allemagne. Nous avons lu dans la presse qu'il n'y avait plus l'Angleterre depuis que Rolls-Royce, le constructeur survivant, est en vente et je ne vois pas qu'il puisse être acheté par un constructeur britannique, puisqu'il n'y en a plus. Il y a sans aucun doute la Suède, il y a certainement le Japon et il y a probablement la Corée, encore que nous n'ayons pas encore vu de voitures spécifiquement coréennes. Celles que nous voyons actuellement circuler sont plus des clones de véhicules japonais que des véhicules de création coréenne. Les premières créations coréennes arrivent et il sera intéressant de voir comment elles se comportent sur le marché mondial. Faire des voitures n'est donc apparemment pas si facile et, non sans immodestie, je dirai que nous savons en faire.

Le quatrième atout est qu'à côté d'une activité de constructeur automobile, qui est le coeur de notre métier, nous avons deux autres activités qui sont très proches de l'automobile. L'une est une activité financière, bancaire. Nous avons des sociétés de financement qui financent nos réseaux de concessionnaires et les acheteurs de véhicules automobiles. L'autre est une activité industrielle proche de l'automobile, essentiellement dans le transport de véhicules et dans la fabrication d'équipements, par sa filiale Ecia, PSA est aussi un grand équipementier. Ces deux activités - proches de l'automobile mais non directement automobiles - nous aident à supporter les difficultés que nous traversons.

Le cinquième atout est celui de la situation financière forte et saine que nous avons aujourd'hui. Nous avons des résultats qui ne sont pas satisfaisants, mais notre situation nette est bonne et notre endettement très faible.

Le sixième est notre actionnariat. PSA a la chance d'avoir un actionnaire de référence, la famille Peugeot, actionnaire vraiment industriel qui a montré, et qui montre, son attachement à l'entreprise dans sa durée. Nous ne sommes pas soumis à des pressions permanentes d'amélioration à tout prix du résultat - ce qui ne favoriserait pas une stratégie à long terme de la société -, même si nous nous devons d'assurer une meilleure rémunération à l'ensemble de nos actionnaires.

Le septième est d'avoir un personnel dont la qualité et le dévouement à l'entreprise représentent une grande force. Nous avons la chance d'avoir chez PSA 140 000 collaborateurs qui ont tous un fort attachement à l'entreprise et le souhait de la voir progresser et réussir encore plus qu'aujourd'hui.

Ces atouts nous permettent d'envisager l'avenir et, pour ma part, je suis optimiste moyennant un certain nombre d'évolutions que nous devrons connaître.

La seconde question que vous m'avez posée concernait ce que nous attendions comme mesure déterminante de l'Etat et de l'Union européenne.

Je dirai plutôt, de façon négative, que nous attendons avec confiance, mais malheureusement résignation, que l'Etat français et l'Union européenne ne viennent pas nous mettre un poids de plus sur le dos : le mieux qu'ils puissent faire est de ne pas s'occuper de nous et de nous mettre dans une situation équivalente à celle dont bénéficient l'ensemble de nos concurrents.

Ce que j'entends sur la réduction du temps de travail d'une part, sur tel ou tel projet fiscal ou tel ou tel type de véhicules de l'autre, ne me paraît pas relever de ce souci de laisser les constructeurs automobiles donner libre cours à leurs talents sur un marché mondial. Mon voeu le plus cher est que l'on ne nous charge pas de contraintes exagérées, pas plus en tout cas qu'aujourd'hui.

Enfin, je déplore comme vous que de l'argent communautaire vienne encourager la création de nouvelles capacités. Je pense que vous partagez mon sentiment sur le fait que la production européenne ne croîtra plus beaucoup même si nous faisons preuve d'un dynamisme plus considérable à l'exportation car ce ne sont pas des véhicules montés à Sochaux ou Rennes que nous vendrons au Brésil ou en Inde, mais des véhicules qui seront construits localement ; cette situation de surcapacité est donc destinée à croître. J'ajoute même qu'elle est probablement bien plus grave que ce que laissent penser les rapports, puisque les calculs de capacité sont faits sur la base de deux équipes par jour travaillant cinq jours par semaine.

Si nous voulons compenser une réduction du temps de travail, comme le suggère M. le Rapporteur, par d'autres modes d'organisation, tels qu'une meilleure utilisation de l'outil de travail, et d'autres mesures sur le coût unitaire - ce qui est intéressant sur le plan économique - je vois mal comment nous pourrons le faire tant que nos volumes n'augmenteront pas ou tant que le nombre de nos usines n'aura pas diminué.

Etant donné que je ne souhaite pas poursuivre dans cette dernière voie, étant donné que je ne vois pas bien comment augmenteront de façon sensible nos volumes en Europe, je crains que nous ayons durablement à vivre avec ces surcapacités et je constate, avec une certaine tristesse, que la puissance publique d'une façon générale - je n'en veux particulièrement ni à l'Union européenne, ni au gouvernement français - a une très grande facilité à donner de l'argent pour créer des capacités supplémentaires et une très grande réluctance à soutenir les efforts que nous faisons pour diminuer les surcapacités qui apparaissent dans le même temps.

Des propos que j'entendais tout à l'heure sur le coût du départ de nos effectifs excédentaires vont dans ce sens. Chaque fois que l'on crée une nouvelle capacité de production, on augmente les sureffectifs dans une autre usine : il y a là un choix qui est probablement très difficile à faire.

M. Maurice ADEVAH-POEUF : Il n'y a pas que l'argent communautaire qui finance les surcapacités, les collectivités territoriales se battent pour subventionner la création d'une plate-forme supplémentaire !

Vous évoquiez tout à l'heure votre filiale Ecia qui est peu connue du grand public. Vous en avez une autre avec Citroën. L'une et l'autre ont pris 17,3  % de participation chez Bertrand Faure qui est un équipementier de premier rang bien connu.

Quelles sont vos intentions ? Envisagez-vous d'augmenter votre participation dans Bertrand Faure ? Si oui, jusqu'à en prendre la majorité et si oui, est-ce que cela veut dire que vous allez intégrer progressivement des équipementiers de premier rang, voire d'autres à terme ?

Ma deuxième question porte sur Citroën.

C'est un point fort que la complémentarité sur des gammes complètes : complémentarité, parfois peut-être concurrence, double réseau commercial aussi...

Quel est le devenir de Citroën à moyen terme, sachant qu'il n'y a pas chez Citroën de cabriolet, pas de coupé, pas d'équivalent de la 206 l'année prochaine, mais une Saxo et une Xsara qui font plutôt descendre le centre de gravité de la gamme ?

Il y a une interrogation sur le remplacement de la XM et, si l'on décline la problématique à l'international, on s'aperçoit que Peugeot, en difficulté en Chine avec la fermeture de l'usine de Guangzhou, s'appuie sur Citroën et son usine de Wuhan pour surmonter cette difficulté.

Sur le marché japonais, Peugeot a connu une bonne réussite commerciale, pas extraordinaire mais bonne par rapport aux autres et pas seulement aux autres français ; en revanche, Citroën ne débouche pas et Peugeot ne sert pas à Citroën pour s'introduire sur ce marché.

Est-ce que Citroën n'est pas appelé progressivement à devenir un complément ou à rester un complément de plus en plus de bas de gamme ?

Enfin, vous êtes des " hexagonaux ", votre prédécesseur indiquait même, me semble-t-il, que le groupe PSA était nationaliste. Nous en avons discuté librement. Nous savons que vous avez des collaborations anciennes avec Renault, ou nouvelles pour les boîtes de vitesse automatiques, pour les moteurs, nous savons aussi que cette collaboration a parfois été un combat. Envisagez-vous des rapports plus confraternels avec l'autre grand constructeur français et envisagez-vous de développer les coopérations dans de nouveau domaines ?

M. Jean-Martin FOLZ : Concernant nos activités d'équipement automobile, Ecia est un équipementier de premier rang, important : c'est le leader européen dans le domaine des échappements automobiles et il joue dans le domaine des applications plastiques, notamment des boucliers avant et des planches de bord, un rôle considérable. Sa stratégie est de développer son activité en dehors du groupe PSA, tout en restant un fournisseur important de notre entreprise et il y réussit parfaitement puisque Ecia a multiplié, au cours des récents trimestres, des contrats importants avec de grands constructeurs allemands, notamment Volkswagen et Audi.

Concernant les relations d'Ecia avec Bertrand Faure, vous me permettrez de ne pas vous donner de réponse sur les intentions de PSA. C'est un sujet sur lequel la place, et notamment la place boursière, suppute beaucoup, et je pense que je serais malvenu d'évoquer une quelconque intention dans ce domaine. Je me bornerai donc à dire que, c'est vrai, Ecia, associé à Trèves et à Tramico, a repris une participation importante dans le capital de Bertrand Faure. Le but premier de cette prise de participation était de favoriser un dialogue entre les deux entreprises, dans la mesure où Bertrand Faure a une position très importante dans le domaine du siège automobile, alors que Ecia a développé une expertise dans d'autres domaines de l'intérieur du véhicule (les planches de bord, divers équipements de sécurité). Nous avons souhaité, par cette prise de participation, trouver les voies et les moyens d'un dialogue plus sûr et plus permanent avec Bertrand Faure.

Concernant les relations entre Peugeot et Citroën, je crains que vous n'ayez peut-être été abusé par un interlocuteur dans la maison et je ne crois pas qu'il y ait entre les deux marques du groupe une rivalité plus importante qu'une confraternelle émulation.

Il est vrai qu'il n'y a, à ce jour, ni coupé ni cabriolet dans la ligne de produits que commercialise Citroën, mais il y a une offre importante. J'ai cru entendre que vous envisagiez une sorte de décroissance de Citroën, on peut dire au contraire, sans refaire l'histoire de l'automobile française, que jamais au cours des vingt ou trente dernières années, Citroën n'a présenté une offre de produits aussi large que celle qu'elle a actuellement, puisque Citroën dispose de berlines et de breaks dans tous les segments du marché.

Je voudrais également ne pas laisser dire sans réagir que Saxo et Xsara tireraient vers le bas la gamme Citroën. Au contraire, Xsara reçoit en France et en Europe un excellent accueil. Xsara est un produit qui tire vers le haut. L'ensemble des observateurs s'accordent à penser que ce produit est positionné au-dessus de la ZX qu'il remplace.

Je voudrais dire ici que ma volonté - je l'ai affirmé très clairement aussi bien en interne que vis-à-vis de nos réseaux - est de faire perdurer au sein du groupe PSA deux marques qui soient des marques fortes, des marques généralistes, des marques dotées d'une véritable personnalité, même si ces personnalités doivent être de plus en plus complémentaires et tel est en effet notre but, et des marques qui ont toutes les deux une ambition mondiale, ce qui ne veut pas dire pour autant qu'elles doivent être chacune présentes dans tous les pays du monde.

Sur ce point, je ne crois pas qu'il y ait de malédiction particulière d'une marque dans un pays au détriment d'une autre. Il est vrai que Citroën a bien réussi en Chine et que Peugeot y a connu, au cours des deux dernières années, une passe difficile qui nous a amenés à ne pas développer plus avant la coopération que nous avions avec la municipalité de Guangzhou. Mais on ne peut pas dire que ce soit une sorte de main tendue de Citroën au malheureux Peugeot. Citroën va bien en Chine, y dispose d'une usine importante et pourra, le cas échéant, si nous le souhaitons, mettre sa capacité de production excédentaire à la disposition de Peugeot.

Notre stratégie n'est certainement pas de minorer ou marginaliser la marque automobile Citroën. Au contraire, comme je le soulignais précédemment, c'est un atout pour le groupe que d'avoir deux marques fortes et notre intention est de tout faire pour conserver ces deux marques fortes. Nous n'envisageons nullement une marque secondaire par rapport à une marque principale.

La troisième question concerne nos relations avec Renault.

Notre groupe coopère avec plusieurs groupes industriels, en particulier avec Fiat dans le domaine des véhicules et avec Renault dans celui des organes ; il s'agit de coopérations qui durent depuis longtemps et par là, je ne veux pas dire qu'elles font partie du passé, au contraire puisqu'elles ont connu un renouveau important au cours des deux dernières années ; nous avons ainsi lancé l'année dernière un nouveau produit commun avec Renault et cette année encore un autre.

Dans ce domaine, la volonté de PSA et, j'en suis persuadé, celle de Renault, est d'explorer et d'exploiter systématiquement toutes les possibilités de coopération qui pourront se faire jour. Je puis vous dire que l'état d'esprit des deux groupes n'est certainement pas celui de l'animosité, ou de la combativité et nous avons le souci commun de valoriser nos atouts. Tel est mon souhait personnel et je suis persuadé que M. Schweitzer le partage.

Cela dit, il ne peut s'agir d'une coopération dans tous les domaines, et en particulier d'une coopération dans le domaine des véhicules, parce que coopérer sur un véhicule veut dire sortir le même véhicule aux marques Renault, Citroën et Peugeot, ce qui serait certainement très malheureux, compte tenu du fait que nos marchés sont largement les mêmes, particulièrement en France.

En revanche, dans tout ce qui ne se voit pas mais qui coûte très cher en développement, notamment dans le domaine des organes mécaniques - boîtes de vitesse, moteurs -, la volonté de PSA et celle de Renault est d'exploiter toutes les possibilités de coopération.

M. Jacques MASDEU-ARUS : Vous avez employé les termes d'annualisation du temps de travail : je voudrais avoir votre avis parce que, personnellement, je pense que cela pourrait apporter dans l'industrie automobile une certaine flexibilité, peut-être une certaine réduction d'heures de travail, notamment lors des pointes de production et des renouvellements de modèles, et éviter un certain nombre d'heures supplémentaires quand il y a un réel besoin de fabriquer plus pour suivre la demande.

Je vous poserai aussi une question sur le diesel. J'aurais tendance à dire que vous avez gagné la première manche, puisque la surtaxe n'a pas été appliquée par le Gouvernement. Il y a eu discussion au sein de la majorité pour taxer ou non le gazole. Vous êtes l'un des premiers constructeurs européens et mondiaux dans le domaine du diesel, surtout sur le moteur diesel moyen. Donc, si malheureusement on arrivait un jour à une surtaxe, est-ce que cela ne mettrait pas en péril la stratégie globale développée par PSA depuis de nombreuses années dans ce domaine ? Aujourd'hui on voit que les Japonais eux-mêmes s'intéressent au diesel et je crois savoir que Peugeot est en négociation avec eux pour leur vendre un nombre important de moteurs diesel.

Enfin, j'aimerais connaître votre stratégie dans le domaine de la mondialisation et vos intentions concernant PSA. Vous avez parlé de la Chine, du Mercosur. C'est bien, mais c'est loin. Aujourd'hui, on voit une forte poussée des Japonais et des Coréens concernant des implantations non négligeables : on parle de 300 000 voitures/an et même plus notamment en Europe de l'Est. Est-ce qu'on ne va pas laisser échapper un marché qui est à nos portes pour aller dans des pays beaucoup plus lointains ?

M. Jean-Martin FOLZ : M. le Député, je partage votre sentiment sur l'annualisation. Plus nous arriverons à allonger la base de temps sur laquelle nous calculons la durée effective du travail, plus nous arriverons à trouver des souplesses qui sont nécessaires à notre industrie.

Je vous expliquais tout à l'heure les fluctuations importantes de charge que nous avons. Il est souhaitable à tous points de vue que nous arrivions à y faire face en ayant le moins possible recours à des mesures lourdes et coûteuses. Si nous avons la capacité d'obtenir de notre personnel qu'il accepte de travailler plus de jours ou plus d'heures sur une période donnée et moins sur une autre, sans que ceci génère des surcoûts supplémentaires considérables, nous aurons fait un grand progrès.

J'observe que dans les pays où l'on a parlé de réduction du temps de travail
- je pense à nos concurrents en Allemagne - c'est bien un surcroît de flexibilité qui constituait entre autres une contrepartie. Je n'ai pas évoqué Volkswagen à Wolfsburg mais je suis à votre disposition pour en parler.

Je lisais dans la presse espagnole de la semaine dernière les déclarations du Président de Seat selon lesquelles il avait bon espoir de convaincre son personnel d'accepter des mesures de flexibilité, d'annualisation, suffisamment importantes pour qu'une nouvelle voiture du groupe Volkswagen soit construite, non pas dans les usines de Volkswagen en Allemagne, mais dans les usines de Seat en Espagne. C'est dans cette voie que nous pourrons trouver des modes de fonctionnement de nos entreprises générant des économies permettant de compenser d'éventuelles augmentations du coût du travail.

Une chose est le coût de l'heure, une autre est le montant du salaire perçu. J'espère que l'on raisonne en termes de salaire, de revenus complets de la personne au travail : si l'on fait moins d'heures, il faut bien accepter que le revenu agrégé des heures directes travaillées soit plus faible, mais il y a peut-être des possibilités de trouver des solutions en envisageant des bases de temps différentes.

Je voudrais maintenant aborder le sujet du diesel non pas pour crier au péril que courrait PSA, mais pour crier au péril que courraient le Parlement et le Gouvernement de ce pays s'ils poursuivaient dans la voie où ils se sont engagés.

Je pense en effet que nous sommes sur une mauvaise voie en matière de diesel.

Il existe deux types de moteurs thermiques les plus utilisés : le moteur essence et le moteur diesel. Ces deux moteurs présentent l'un et l'autre des avantages et des inconvénients.

Le moteur diesel est intrinsèquement moins polluant qu'un moteur à essence sur un certain nombre de points, et notamment sur les rejets de monoxyde de carbone, sur les rejets d'hydrocarbures, et tout particulièrement sur les cycliques, les aromatiques, le benzène - dont, curieusement, on ne parle plus depuis un certain temps, mais qui est quand même un sujet de préoccupation -. A l'inverse, le moteur diesel produit actuellement plus de particules que le moteur à essence.

Il n'y a donc pas un bon et un mauvais moteur, et les moteurs diesel des véhicules particuliers, qui ne représentent au demeurant qu'une faible part de la consommation de gazole, présentent des caractéristiques de rejet tout à fait comparables à celles des moteurs à essence.

J'ajoute que le potentiel d'amélioration du moteur diesel est autrement plus important que celui du moteur à essence : nous avons des perspectives de progrès considérables - tels que catalyseurs " De Nox " et injection directe diesel - qui viendront encore réduire les émissions du moteur diesel.

A ces avantages et inconvénients qui, à mes yeux, se contrebalancent, s'ajoute un avantage énorme du moteur diesel qui est son rendement thermodynamique.

La thermodynamique plaide en faveur du diesel d'une voix qui ne s'est malheureusement pas suffisamment fait entendre ; de par sa nature même, le moteur diesel consomme moins que le moteur à essence. Le moteur diesel consomme environ 20 % de moins en volume et, en masse, en grammes de CO2, ses rejets sont de 10 à 12 % inférieurs à ceux d'un moteur à essence. Nous n'y pouvons rien. Le moteur à essence ne peut pas combler un tel retard sur le moteur diesel, retard qui est lié à un taux de compression plus élevé dans le moteur diesel, qui entraîne un rendement thermodynamique plus fort. Et donc, sur le point-clef, que sont les rejets de CO2 et donc la prévention de l'effet de serre, le moteur diesel présente un avantage considérable, irrécusable, par rapport au moteur à essence.

Il faut également mentionner l'impact sur les raffineries d'une moindre production de carburant. Je crois donc pouvoir dire, sans être contredit par qui que ce soit, qu'un moteur diesel rejette intrinsèquement de 15 à 17 % de moins de gaz carbonique qu'un moteur à essence.

15 % de moins, c'est l'objectif que l'Union européenne s'est fixé en matière de réduction de ses émissions de CO2 en vue de la conférence de Kyoto. Une bonne solution serait donc de remplacer l'ensemble des moteurs à essence par des moteurs diesel ! Je n'irai pas jusque là, mais j'observe que c'est une solution que sont en train d'adopter l'ensemble des pays du monde.

Au salon de Francfort, la semaine dernière, l'ensemble des constructeurs européens ont mis en avant le développement de motorisations diesel. Nos collègues et concurrents de Fiat viennent de signer avec leur ministre de l'environnement un accord par lequel ils s'engagent à faire passer le taux de diésélisation de 10 à 40 % en Italie. Les constructeurs japonais diésélisent leurs modèles ; bien plus, le Vice-président des Etats-Unis, M. Al Gore, chantre de l'écologie et des nouvelles technologies Outre-Atlantique, a officiellement demandé à l'industrie automobile américaine de hâter la diésélisation de ses moteurs.

S'il y a une spécificité française, ce n'est pas dans un goût immodéré pour le diesel, mais au contraire dans une sorte de réluctance particulière qui s'est développée tout récemment et que, je l'avoue, je comprends très mal.

Je ne voudrais pas que cette question soit considérée en termes de péril pour le groupe PSA. Je voudrais qu'elle soit considérée en termes de bon sens : l'ensemble du monde constate que la motorisation d'avenir, et la motorisation qui permet de résoudre les problèmes de l'effet de serre, c'est le moteur diesel. Or, il s'agit d'un secteur dans lequel les deux constructeurs français sont plutôt mieux placés que d'autres. Il serait dommage que des décisions annihilent prématurément cet avantage.

Je voudrais mettre en garde la mission parlementaire sur l'importance des signaux fiscaux qu'elle pourrait être tentée de donner. Vous savez que le marché sur-réagit aux signaux fiscaux et que le fait de dire qu'on va faire une petite correction dans un domaine est susceptible d'entraîner des conséquences beaucoup plus larges que la valeur relative de la petite correction en question.

Je pense qu'il serait dommage de faire basculer brutalement le taux de diésélisation du marché français des véhicules particuliers qui, aujourd'hui, n'est au demeurant pas exceptionnel : des pays comme la Belgique, l'Autriche, ont plus de diesel que la France.

Par ailleurs, je voudrais faire observer que les personnes qui ont acheté des véhicules à motorisation diesel en fonction d'une espérance d'économie sur leurs dépenses ultérieures de carburant, ne manqueraient pas de reprocher à la puissance publique de ne pas tenir ses engagements si l'écart de taxation venait à être modifié.

Enfin, le procès qui est fait me paraît injuste, dans la mesure où, sans revenir sur les éléments objectifs dont j'ai fait précédemment état, je pense que l'on confond trop souvent les rejets révoltants d'un poids lourd, d'un bus, ou d'un camion-poubelle mal réglés, avec les rejets effectifs du pot d'échappement d'un véhicule diesel catalysé. Je vous mets au défi, en suivant une voiture dans la rue, de savoir si elle est équipée d'un moteur à essence ou d'un moteur diesel catalysé.

Je conclus avec la question sur la mondialisation : on voit les Japonais et les Coréens se bousculer en l'Europe de l'Est ; est-ce que ce n'est pas aussi pour nous une opportunité à saisir ?

C'est effectivement une opportunité que de nous développer commercialement en Europe de l'Est : Peugeot et Citroën y augmentent très sensiblement leurs parts de marché. En revanche, y construire des usines serait, je crois, commettre une lourde imprudence : dans la mesure où les raisons pour lesquelles nos concurrents asiatiques y vont sont probablement exactes, c'est-à-dire que ces pays sont appelés, dans un avenir relativement proche, à rejoindre directement ou indirectement l'Union européenne, y investir reviendrait à aggraver potentiellement la surcapacité européenne.

M. Joseph  PARRENIN : Je crois que vous avez suffisamment répondu sur le diesel, M. le Président ; je souhaite quand même que notre mission puisse entendre des chercheurs dans ce domaine.

J'ai appris - je ne sais pas si mon information est bonne - que l'on n'avait jamais vraiment fait de recherches sur la granulométrie des poussières rejetées par le diesel. Par là-même, on n'a aucune affirmation fondée sur le fait que ces poussières pourraient être cancérigènes ou non. C'est le directeur d'un laboratoire de recherches du CEA de Grenoble, que j'ai rencontré par hasard, qui me l'a fait observer.

Je souhaite qu'on vérifie, M. le Président, ce point particulier, parce que je crois qu'il serait dommage qu'on s'amuse à scier la branche sur laquelle nous sommes assis !...

M. Jean-Martin FOLZ : Je n'avais pas utilisé cet argument, car je ne souhaitais pas ouvrir une polémique dans ce domaine. Néanmoins, je souligne que la toxicité des émissions diesel est contestée par une partie aussi importante de la communauté scientifique que celle qui y voit un risque.

Comme pour beaucoup de dossiers, c'est un sujet de débat plus que de certitudes et, une fois de plus, nous projetons inconsciemment l'image désolante de poids lourds diesel en mauvais état sur l'ensemble d'une motorisation qui, elle, par contre, représente de véritable atouts pour l'avenir.

Il faut bien voir qu'aujourd'hui les deux tiers du gazole consommés en France le sont par des véhicules utilitaires et industriels. Les trois quarts correspondent à un usage professionnel. On focalise sur une utilisation qui reste minoritaire du moteur diesel et l'on prétend appliquer des critères qui sont pour une large part subjectifs.

M. Joseph  PARRENIN : Le lancement récent de la Smart m'amène à vous demander, non pas ce que vous pensez de ce type de voiture de façon précise, mais si vous pensez, de façon plus générale, qu'il va évoluer dans les dix ou vingt ans à venir compte tenu des conditions de circulation et de pollution notamment.

Je vous poserai une autre question à propos d'un secteur que nous connaissons bien, M. Tyrode et moi-même, - celui de Sochaux-Montbéliard - qui a connu dans ses plus belles années jusqu'à 43 000 salariés.

Le site est revenu à 19 000 salariés auxquels il faut ajouter quelques milliers qui sont passés de la production même des automobiles Peugeot chez les sous-traitants.

Ce secteur a été fortement affecté par les restructurations et je crois pouvoir vous dire qu'il y demeure parmi la population, comme parmi les décideurs en général, toutes tendances confondues, quelques inquiétudes parce que passer de 43 000 salariés à 19 000 n'a pas été sans poser un certain nombre de problèmes au niveau local.

M. Jean-Martin FOLZ : Concernant la Smart, c'est l'usage et la règle de ne pas se prononcer sur les véhicules des concurrents, le marché décidera.

S'agissant de l'inauguration de l'usine où sera construit ce véhicule, je citerai le Chancelier Kohl qui a tenu hier des propos que je ferais volontiers miens et que je souhaiterais que d'autres fassent leurs en France. Selon ces propos, " l'automobile et l'environnement ne sont pas du tout hostiles, ni antithétiques ; au contraire, nous avons besoin de bonnes automobiles et d'un bon environnement et les deux vont de pair ".

Je partage ce point de vue et souhaiterais qu'un plus grand nombre de personnes, y compris au Parlement, ne considèrent pas l'automobile comme l'ennemi de l'environnement ou l'environnement comme l'ennemi de l'automobile mais plutôt reconnaissent que nous aspirons tous à l'amélioration de notre environnement, comme nous aspirons tous individuellement, même si parfois nous le nions collectivement, au développement de l'usage de l'automobile. Il faut considérer que ces deux ambitions ne sont ni antithétiques, ni contradictoires, comme certains voudraient nous le faire croire.

Sur l'évolution des voitures, je serai tenu par une certaine réserve sur les projets de Peugeot et Citroën. Je vous dirai simplement que je souscris à votre propos implicite quant à l'apparition d'un nombre croissant de nouveaux concepts automobiles. Nous assistons à une floraison de nouvelles voitures, de nouvelles idées, de nouveaux concepts.

Je pense que la demande automobile va continuer à se diversifier, qu'il y aura des réponses appropriées, et d'autres moins. Je ne voudrais pas qu'on voie là une allusion au début de ma réponse, mais je peux vous rassurer sur le fait que, dans leurs réflexions et leur stratégie, les deux marques du groupe PSA entendent bien proposer au marché aujourd'hui et demain des véhicules innovants et qui répondent à de nouvelles demandes, y compris à des demandes en matière d'environnement. Je vous rappelle en particulier que le groupe PSA est de loin le premier constructeur mondial de véhicules électriques.

Notre production a représenté l'année dernière plus de la moitié du marché mondial du véhicule électrique ; c'est flatteur apparemment, mais cela n'en fait malheureusement pas beaucoup. Notre groupe reste fermement déterminé à développer ce véhicule, quelles que soient les inquiétudes que nous nourrissons devant sa difficile percée sur le marché.

Concernant Montbéliard, je dirai simplement que le coeur de Peugeot bat à Sochaux. Nous continuerons à tout faire pour maintenir sur le site de Sochaux une activité non seulement industrielle, mais aussi une activité de développement et de création qui fasse perdurer à Sochaux un site automobile majeur.

M. le Président : Sur le diesel : une remarque. Nous sommes probablement l'un des principaux producteurs de moteurs diesel et de voitures diesel et l'un des derniers producteurs de gazole, mais c'est un autre problème qui ne relève pas du groupe PSA...

M. Jean-Martin FOLZ : ... Mais sur lequel je dirai un mot ! Notre pays produit des moteurs diesel, et c'est l'emploi non seulement chez Renault - qui est également un producteur important de moteurs diesel - et PSA, mais aussi chez nos fournisseurs qui est en cause, puisqu'un très grand nombre de fournisseurs européens d'équipements pour les moteurs diesel, constatant la force des constructeurs français, ont choisi de placer leurs implantations européennes en France. Il y a donc un impact important en termes d'emplois.

Concernant le procès fait au sujet du raffinage, j'entends que le raffinage français serait déficitaire en gazole et excédentaire en essence. Je n'en doute pas un seul instant, mais j'observe que, dans le même temps, le marché européen étant excédentaire en gazole, l'Europe en exporte ; donc nous avons encore des ressources disponibles en gazole. C'est probablement plus dans des choix d'investissement, peut-être malheureux, faits par les raffineurs français que dans des notions liées à la chimie du pétrole que se trouvent leurs préoccupations.

M. le Président : J'ai la faiblesse de penser que plutôt que d'importer du gazole, il vaut mieux le produire chez nous et préserver ainsi nos raffineries !

M. Jean-Martin FOLZ : Loin de moi l'idée d'attaquer les raffineries françaises ! Mais l'économie pétrolière est européenne, voire mondiale, et je ne crois pas que le déséquilibre des raffineries françaises par rapport à la raffinerie européenne type constitue pour elles une menace.

Il est vrai que la structure des raffineries françaises ne correspond pas à la moyenne européenne. On peut avoir différentes analyses de cette situation. Mais il y a assez de gazole en Europe ; et si les raffineurs français ont fait un certain choix de structure de raffinage, ce n'est pas pour autant qu'ils doivent l'imposer aux consommateurs français.

M. le Président : M. Bernard Calvet était ici avant vous, il y a quelques semaines : selon lui, un risque pouvait exister pour plusieurs raffineries françaises, compte tenu de la situation du raffinage en France. C'est dans ce sens que je disais que je préfère avoir une production en France de gazole plutôt qu'une importation dès lors que le niveau global de la production reste aussi important.

M. Jean-Martin FOLZ : Je ne me permettrai pas de porter un jugement sur la pertinence des menaces ou du chantage qui a été fait devant vous. Je dirai simplement que votre mission réfléchit en termes d'emplois : je vous invite à compter les emplois dans l'industrie automobile d'une part, et dans le raffinage d'autre part.

M. le Président : C'est pour cela que je souhaite préserver le diesel qui est source d'emplois. Je souhaite aussi préserver le raffinage, en particulier dans la Basse-Seine, en Normandie, où l'on a une forte présence du raffinage, mais pas de gazole.

M. Jean PRORIOL : On a beaucoup parlé d'automobiles, mais on n'a jamais parlé des cycles et des petits moteurs pour motos françaises. Que pouvez-vous apporter à ceux qui se lancent dans la fabrication d'une moto française notamment ?

Compte tenu des turbulences de la bourse, il m'a semblé que, dans les semaines précédentes, il y avait eu un certain nombre d'opérations sur de grandes sociétés, de type OPA : est-ce que Peugeot est opéable ? Si je ne me trompe, un journal titrait hier qu'après tout Peugeot pourrait être facilement rachetable un jour. C'était une hypothèse ; est-ce qu'il y a des dangers dans ce domaine ?

M. Jean-Martin FOLZ : Concernant la première question, vous savez que le groupe PSA n'est présent dans le cycle que dans le domaine du scooter et du motocycle. Il existe sur le marché des vélos Peugeot, mais en l'occurrence nous avons cédé la marque et nous ne sommes plus producteurs de vélos.

Nous sommes, à travers PMTC, Peugeot motocycles, un producteur de scooters et de petites motos et nous avons encore récemment, au Salon du motocycle, montré notre capacité à revenir sur ce marché en présentant des scooters modernes, et en particulier un scooter électrique dont nous espérons qu'il connaîtra un succès plus rapide que celui de la voiture électrique, et de petites motos.

Nous sommes prêts à examiner des coopérations en matière de moteurs avec des entreprises qui ne seraient pas directement et totalement concurrentes, mais il est clair que nous ne sommes pas aujourd'hui un producteur majeur de motos.

S'agissant des OPA, toute société est opéable. Je dirai que les arguments que j'indiquais tout à l'heure, en réponse à la question sur l'intérêt de regrouper plusieurs entreprises automobiles, montrent bien que faire une OPA est une chose, mais en tirer le profit et le bénéfice en est une autre.

Etant donné la faible croissance du marché de l'automobile, il est certainement difficile pour un groupe de ce secteur qui en acquerrait un autre par voie d'OPA de trouver facilement et rapidement les gains de productivité et les diminutions de coûts et d'effectifs qui viendraient justifier une dépense forcément élevée.

Peut-être par aveuglement, je ne suis pas certain qu'une OPA soit un scénario crédible à court et moyen terme dans l'industrie automobile européenne ; cela dit, en soi ce n'est pas un mot grossier et je pense que si un investisseur ayant dûment fait ses calculs estime qu'il peut le faire, s'il a le sentiment qu'il peut suffisamment améliorer une marque et un produit pour justifier un investissement aussi important, ce serait un constat de notre incapacité, mais pourquoi pas ?

M. le Rapporteur : Je souhaiterais terminer avec trois questions.

La première concerne votre évaluation des aides qui ont été apportées dans les années précédentes, en France ou dans des pays voisins, avec le souci de relancer la consommation automobile.

J'ai le sentiment que les expériences passées ont, chez nous, décalé la demande plutôt que créé une demande supplémentaire. Mais je reste assez convaincu que, même dans un marché de renouvellement, il y a une certaine relation entre le taux de croissance de l'économie, l'augmentation du pouvoir d'achat et la disponibilité pour acheter un véhicule et qu'il y a donc quelques pistes à explorer.

Est-ce que, sur ce premier point, il y a une réflexion de votre groupe et éventuellement des pistes que vous souhaiteriez, en toute indépendance respective, bien sûr, voir explorées par la mission parlementaire ?

Ma deuxième question revient sur le gazole sous un autre angle.

Je me sens personnellement, et comme politique, et comme ex-scientifique, incapable d'arbitrer entre un risque de réchauffement de la planète et un risque de cancer du poumon, sachant que, dans aucun des deux cas, personne n'est capable, à ma connaissance, de faire des évaluations précises. J'ai envie de dire : créons des conditions de concurrence à peu près égales et avançons comme cela.

Cela suppose, par rapport à la situation actuelle où l'on privilégie un carburant plutôt qu'un autre, une certaine évolution.

J'ai bien mesuré les risques de sur-réaction à des signaux donnés d'une façon qui ne serait pas suffisamment précise ou qui ne concerneraient pas suffisamment le long terme, mais c'est une question que l'on se pose, donc je vous la pose.

Ma troisième question concerne les véhicules électriques. J'apprécie l'effort que vous faites dans ce domaine, et j'ai l'impression que l'on est arrivé à une espèce de pallier : si l'on n'arrive pas à le dépasser, on aura du mal à déplacer les chiffres de production que vous évoquiez implicitement dans l'une de vos dernières interventions.

Pensez-vous que ce pallier, qui se traduit en termes d'autonomie limitée, par conséquent de véhicules à usage spécifiquement urbain, peut être dépassé dans un avenir prévisible ? Sinon, n'y a-t-il pas d'autres carburants propres comme, par exemple, le GPL ? En d'autres termes, si l'on veut favoriser les carburants propres, faut-il se concentrer uniquement sur le véhicule électrique ?

Je terminerai par une remarque personnelle. J'ai beaucoup apprécié le dialogue que nous avons eu. J'ai beaucoup apprécié le fait que, face à un problème posé, vous étiez prêt à en discuter, mais en même temps j'ai relevé avec un peu de surprise une phrase que vous avez utilisée, selon laquelle " le mieux que l'Etat puisse faire est de ne pas s'occuper de nous ".

Si cette phrase était dite en référence à la question de la réduction du temps de travail, je peux comprendre le point de vue d'un chef d'entreprise, encore que j'ai noté que vous étiez prêt à vous inscrire dans un cadre qui serait précisé. J'ai quand même eu connaissance non sans difficulté du " rapport Cabaret " et, à sa lecture, j'ai eu le sentiment que les constructeurs français étaient éventuellement intéressés à formuler, en direction de l'Etat, des demandes précises aux implications financières non négligeables.

Donc, cette phrase m'a un peu surpris et je m'étonne de cette prise de position que j'ai trouvée radicale.

M. Jean-Martin FOLZ : J'aborderai d'abord les évaluations des aides apportées à la consommation.

Il est vrai que les aides, tant qu'elles ont été versées, ont considérablement stimulé le marché français. Elles ont entraîné ensuite un fort effondrement, plus important que celui auquel nous nous attendions. Il faudra en faire le bilan complet sur une longue période pour savoir si, réellement, il y a eu création d'un marché complémentaire ou non. Je pense aujourd'hui qu'il y a eu création d'un nouveau marché des voitures, c'est-à-dire qu'il y a des tranches de clientèles qui achetaient d'occasion et sont passées au neuf.

Cela dit, je conviens volontiers que ce type d'intervention présente suffisamment d'inconvénients pour qu'on ne le recommande pas en tant que tel pour l'avenir.

Je pourrais suggérer à la mission de prendre le problème " par l'autre bout ", c'est-à-dire ne pas se pencher sur l'aide à l'achat de véhicules neufs mais sur l'aide au retrait des véhicules anciens.

Vous savez que les véhicules anciens sont à l'origine de la plus grande partie de la pollution atmosphérique dont nous avons parlé. On fait toujours référence à un rapport 80/20 et en l'occurrence que les 20 % de véhicules les plus anciens engendreraient 80 % de la pollution. C'est en fait plus que cela, puisque les émissions unitaires des véhicules ont été divisées par dix ou quinze au cours des dernières années. L'essentiel des problèmes de pollution atmosphérique est dû non pas aux véhicules diesel catalysés, mais aux vieux véhicules, essence et diesel, qui circulent encore sans pot catalytique.

D'autre part, quels que soient les efforts faits par leur propriétaire pour les maintenir en état, je pense que l'on peut dire que les véhicules anciens présentent, sur le plan de la sécurité, moins d'atouts que les véhicules les plus récents.

Donc, toute mesure tendant à accélérer la sortie du parc des véhicules les plus anciens est une mesure massivement positive sur le plan de l'environnement en termes de coût/efficacité ; on dépense bien plus d'argent pour gagner 10 % de pollution sur les véhicules neufs que pour enlever un véhicule ancien qui pollue dix fois plus. Ce serait aussi une mesure favorable sur le plan de la sécurité. Ce serait enfin une mesure qui concourrait à l'amélioration du marché automobile ; si l'on élargit la bonde d'une baignoire, au bout d'un certain temps il faut bien ouvrir le robinet pour rétablir le niveau et une accélération du retrait des véhicules les plus anciens devrait entraîner à un moment ou à un autre, mais pas nécessairement instantanément, une certaine relance du marché des véhicules neufs.

Je vois bien l'objection possible : les véhicules les plus anciens sont ceux que possèdent les catégories les moins favorisées de notre société. C'est la raison pour laquelle je ne vous propose pas de mesures coercitives consistant en un contrôle systématique des voitures et une mise au pilon de celles qui ne sont pas jugées bonnes. Mais plutôt que de soutenir l'achat de véhicules neufs, il faut réfléchir au soutien que l'on pourrait apporter au retrait de véhicules anciens détenus par les catégories les moins favorisées de notre société.

C'est une piste qui mérite d'être explorée, car elle comporte de multiples avantages.

J'ajoute qu'en dépit des " jupettes " et des " balladurettes ", l'âge moyen du parc automobile français a crû et nous avons aujourd'hui des véhicules plus anciens qu'il y a trois ou quatre ans.

Second point : le gazole. Vous nous dites en quelque sorte, M. le Rapporteur, qu'on ne sait pas mesurer s'il vaut mieux mourir de la peste ou du choléra et qu'il faut donc les traiter de la même manière !

M. le Rapporteur : Aujourd'hui, il y a une moindre pression fiscale de la TIPP (taxe intérieure de consommation sur les produits pétroliers) sur le gazole que sur les autres carburants.

M. Jean-Martin FOLZ : Je reconnais volontiers que la pression fiscale est moindre sur le gazole que sur l'essence, mais elle l'est pour des raisons historiques qui ne sont pas propres à la France. L'ensemble des pays européens ont avantagé d'une façon ou d'une autre le gazole et ils l'ont fait essentiellement au titre des économies d'énergie, c'est-à-dire pour la raison même pour laquelle je souhaite que l'on maintienne une préférence au moteur diesel : non pas que l'économie d'énergie soit un sujet populaire - plus personne ne pense malheureusement que c'est un sujet important - mais parce que consommer plus d'énergie signifie rejeter plus de gaz carbonique et donc concourir à l'effet de serre.

Je trouve normal qu'un avantage soit donné au moteur qui, sur le plan des équilibres écologiques à moyen et long terme, présente le risque le plus faible.

M. le Rapporteur : Je rappelle qu'a priori cet avantage est plus grand en France que parmi la moyenne de nos partenaires européens.

M. Jean-Martin FOLZ : Je connais certains des arguments qui sont avancés. Le gazole n'est pas moins cher en France que chez nos partenaires européens, il est plutôt plus cher. Il est vrai que l'essence est particulièrement chère en France. Mais ce n'est pas réellement un avantage ; si je ne soutiens pas totalement les thèses de M. Bernard Calvet sur les risques que ferait peser le développement du diesel sur les raffineries françaises, je citerai sans hésiter son propos quand il dit que la bonne solution consiste à baisser le montant de la TIPP sur l'essence, c'est une voie que je ne saurais trop vous encourager à explorer.

Quant au véhicule électrique, il est vrai qu'il ne se développe pas aussi rapidement que nous l'aurions souhaité.

L'une des raisons de ce faible développement tient à son rayon d'action qui reste limité aujourd'hui. Les véhicules de Peugeot et Citroën ont une autonomie de 70 ou 80 Km et ils sont rechargeables, soit en quelques heures, soit en quelques minutes avec des prises de recharge rapide. Mais ce manque d'autonomie est un frein et condamne la voiture électrique comme véhicule toutes fonctions d'un ménage.

A cette difficulté, il y a deux réponses. La première est le progrès technique. Nous avons en perspective un certain nombre de progrès en matière d'autonomie des voitures ; d'ailleurs, PSA a annoncé hier, avec ses partenaires de la région Poitou-Charentes où se trouve une grande partie de l'activité industrielle liée au véhicule électrique, un nouveau prototype d'une 106 électrique à batterie lithium-ion qui représente un réel progrès technologique puisque nous pensons approcher les 200 km d'autonomie, et que de tels véhicules seront disponibles dans quelques années ; c'est bien là l'avenir prévisible que vous mentionnez.

Cependant, il y a un fort risque que tout cet effort soit tué dans l'oeuf par le trop lent développement actuel, par le fait que si nous-mêmes sommes résolus à poursuivre, nos partenaires fournisseurs hésitent, aussi bien Sagem, que Saft, que Leroy-Somer, car ils constatent que les investissements qu'ils ont faits ne sont pas utilisés à des niveaux permettant de les justifier.

Alors, et c'est le deuxième élément de réponse, il faut que nous fassions vivre le véhicule électrique aujourd'hui et évitions qu'il disparaisse. Pour cela, il faut que nous fassions tout pour que ses handicaps soient surmontés ou plutôt pour que ce véhicule soit utilisé en dépit de son handicap d'autonomie.

Or, il existe un grand nombre de véhicules qui font moins de 60 km par jour ; si ce ne sont pas les premiers véhicules des ménages, ce sont des véhicules de flottes urbaines, qui font 40 ou 50 km par jour, et qui sont des cibles toutes trouvées pour le développement du véhicule électrique.

Force est de constater que ces parcs de véhicules sont souvent liés aux collectivités locales et aux services publics ou para-publics et c'est là la clientèle que nous devrions cibler prioritairement ; nous avons pour ces marchés une offre satisfaisante, comme le montre l'expérience d'EDF qui gère plusieurs centaines de véhicules et est capable de montrer que c'est économiquement intéressant.

Le groupe PSA va introduire de nouveaux véhicules électriques sur le marché au début de l'année prochaine : nos petits utilitaires - Berlingo et Partner - seront à propulsion électrique et pourront équiper les flottes urbaines. Nous souhaitons que les responsables de ces flottes urbaines, souvent administratives ou para-publiques, veuillent bien faire le geste de soutien que le véhicule électrique mérite.

Dans un autre domaine, je ne crois pas que le GPL puisse constituer une alternative réelle au véhicule électrique. Le GPL est un carburant intéressant. Aussi bien Peugeot que Citroën ont mis sur le marché des véhicules GPL spécifiquement réglés et calibrés pour ce carburant, ce qui n'est pas le cas d'un certain nombre de véhicules adaptés de façon plus précaire et dont les performances écologiques sont plus discutables. Mais je voudrais appeler votre attention sur le fait que les quantités de GPL disponibles dans notre pays sont très limitées. On doit produire à peu près 3,5 millions de tonnes de GPL en France. Trois millions de tonnes sont consommées par l'industrie et par le chauffage dans certaines zones du territoire français où les gazoducs ne passent pas. Les quantités de GPL disponibles pour l'automobile sont de l'ordre de 500 000 tonnes, à comparer à 25 millions de tonnes brûlées en essence et gazole. On pourra donc équiper 2 ou 3 % des véhicules. C'est beaucoup, mais ce n'est pas énorme.

Nous ferions donc fausse route en ayant une stratégie " tout GPL " qui ne correspond pas à la réalité de ce que peut apporter ce carburant propre, même si le GPL peut constituer une excellente solution à des problèmes de pollution locale.

Enfin, vous avez évoqué mon attitude paradoxale à l'égard de l'Etat. Je vais nuancer mon propos.

Je ne connais pas le rapport de M. Cabaret : M. Cabaret nous a entendus, mais il a remis son rapport au seul Gouvernement et je suis heureux de voir qu'il vous a été communiqué...

M. le Rapporteur : Mais vous connaissez l'offre à laquelle il répondait !

M. Jean-Martin FOLZ : Tout à fait ! Il est exact que PSA et Renault - comme je crois l'avoir mentionné précédemment - avaient présenté de concert en 1996 un programme pluriannuel - auquel vous avez fait allusion, M. le Rapporteur - dans lequel, avec le concours de l'Etat, nous aurions pu faciliter des départs anticipés d'une partie de notre population ouvrière et les compenser partiellement par des embauches de jeunes. Je disais précédemment que ce problème existait et qu'il faudrait le traiter d'une façon ou d'une autre dans les années à venir.

Je ne prétends bien entendu pas que nous ne voulions aucun concours de la part de la puissance publique. Je répondais tout à l'heure à la question paradoxale de M. Martin-Lalande en disant de façon peut-être un peu outrageante mais pas tant que cela, que le meilleur service qu'on pouvait nous rendre était de ne pas nous alourdir exagérément face à nos concurrents.

Nous sommes bien entendu prêts et nous attendons avec impatience les aides et les concours que votre mission proposera pour l'industrie automobile française qui en a besoin ; mais, dans un premier temps, je souhaite ici que ces propositions n'alourdissent pas les charges de cette industrie, comme on pourrait parfois le redouter.

M. le Président : M. le Président, je vous remercie de ces réponses. Je rejoindrai M. Fuchs en disant que le dialogue a été franc, serré, et je souhaite qu'il en soit toujours ainsi.

M. Jean-Martin FOLZ : Je suis à la disposition de la mission, et plus largement des parlementaires, s'ils souhaitent être éclairés sur un point ou comprendre la position des constructeurs automobiles.

Je crois que nous avons tout à gagner à ce qu'il y ait le moins d'incompréhension, de malentendus entre nous et je serai toujours très heureux de vous répondre.

M. le Président : Pour ma part, je pense que notre rôle ne consiste pas tellement à faire acheter des voitures aux Français, mais à faire produire par les constructeurs français en France des véhicules achetés par les Français et les étrangers.

M. Jean-Martin FOLZ : Plaise au ciel que vous réussissiez largement et rapidement !

Audition de MM. Jacques AUXIETTE,
Président du Groupement des autorités responsables de transport (GART)
Jean-Pierre LAPAIRE, Vice-président du SIVOM
de l'agglomération orléanaise, chargé des transports,
membre du conseil d'administration du GART,
Jean-Louis SCHNEITER, Président du district urbain de Reims,
Premier adjoint au maire de la ville-centre,
membre du conseil d'administration du GART,
et de Mme Pascale PECHEUR, Secrétaire générale du GART

(procès-verbal de la séance du 29 octobre 1997)

Présidence de M. Gérard FUCHS, Rapporteur

M. Jacques AUXIETTE : Tout d'abord, je tiens à vous remercier de nous recevoir, car, pour notre part et contrairement aux autres personnes auditionnées, nous n'avons rien à vendre...

M. le Président : Rien, hormis des idées ...

M. Jacques AUXIETTE : Espérons-le !

Nous sommes donc des élus locaux ayant compétence spécifique en tant qu'autorités organisatrices de transports publics, tant au niveau des agglomérations que des régions et des départements : nous représentons les trois niveaux institutionnels.

Nous sommes des élus politiques et nous siégeons ès qualités au sein de cette association d'élus. Nous sommes donc, comme c'est le cas pour tous les élus, même si nous avons une attention et une compétence particulières en matière de transports dans les collectivités locales où nous occupons des responsabilités, des généralistes pour lesquels l'emploi constitue une préoccupation essentielle.

Je dirai quelques mots d'introduction pour définir en quoi notre approche diffère de celle des personnes que vous avez précédemment auditionnées.

En ce qui concerne le constat, je préciserai que le " marché des déplacements " est un marché en croissance dont on peut globalement estimer qu'il se répartit de la façon suivante : 80 % pour l'automobile et 20 % pour les transports collectifs, ces données variant bien entendu en fonction des lieux et des contextes.

Devant une telle situation et les difficultés que suscite l'organisation des déplacements, notre objectif, au sein du GART, est de faire en sorte que la liberté des déplacements soit assurée, de même que le droit aux transports ainsi que le prévoit la loi d'orientation sur les transports intérieurs, la LOTI. Si je voulais être quelque peu provocant en ce début d'audition, je pourrais même ajouter, comme certains constructeurs l'ont eux-mêmes exprimé, que les transports collectifs devraient être considérés comme le principal allié de l'automobile ou de l'automobiliste.

Les récents problèmes rencontrés en France ont mis à l'ordre du jour la congestion urbaine ainsi que les pollutions locales et planétaires, jusqu'alors considérées comme autant de préoccupations marginales, et démontré qu'elles sévissaient également à l'intérieur de nos frontières. Dans le dossier que nous venons de vous remettre, vous trouverez une récente enquête de la SOFRES, réalisée à l'occasion de la journée des transports publics du 16 octobre et qui fait état de l'évolution de l'opinion sur les problèmes de déplacement, notamment de déplacement urbain.

Par rapport à l'objectif que s'est fixé votre mission, je commencerai par suggérer deux ou trois démarches, même si elles sont relativement modestes quant à leurs conséquences industrielles.

Nous pensons tout d'abord que les constructeurs doivent poursuivre et amplifier l'effort modeste qu'ils ont jusqu'alors consenti en faveur des véhicules propres
- véhicules électriques et à gaz - tout en sachant qu'il ne réglera pas les problèmes de déplacements urbains, notamment ceux qui sont liés à la congestion urbaine.

Nous estimons ensuite que les études en cours devraient aboutir à une évolution de l'usage de l'automobile en milieu urbain, notamment à une distinction entre la propriété du véhicule et l'usage qui en est fait, conduisant au développement de nouvelles formes d'utilisation comme le libre-service ou la location : des expériences récentes, y compris en France, ont prouvé que, dans ce domaine, des évolutions étaient effectivement possibles.

Néanmoins, je ne m'étendrai pas plus sur cet aspect des choses, car il me semble que c'est en mettant l'accent sur la filière industrielle du transport collectif dans notre pays que notre contribution à votre réflexion peut être la plus significative.

Cette filière représente actuellement un peu plus de 450 000 emplois - directs et indirects, industriels et d'exploitation -. On recense aujourd'hui, pour répondre aux besoins, 90 projets sur dix ans, répartis sur l'ensemble du territoire, y compris la région Ile-de-France, et chiffrés à 90 milliards de francs. Au-delà des motivations classiques, toujours mieux connues et appréciées de l'opinion publique - des évolutions très sensibles se sont fait sentir ces derniers temps -, c'est sur les possibilités de reconversion que pourrait offrir l'industrie des transports publics à l'industrie automobile que nous souhaiterions insister devant vous.

Actuellement, les besoins existent, la justification de ces investissements est reconnue de tous, y compris des représentants d'agglomération ici présents, et la France, dans ce domaine industriel, se trouve extrêmement bien placée puisqu'une bonne partie des entreprises qui produisent ces matériels ou les équipements nécessaires à leur fonctionnement sont proches de l'industrie automobile, notamment les grands constructeurs de cars ou de bus. Si la chose est moins vraie pour les matériels de type Val, tramway ou métro, il n'en demeure pas moins exact que l'industrie française est extrêmement performante dans ce secteur et que les besoins d'équipements concernent également des marchés d'exportation très importants : nous en avons des exemples notoires.

Bien évidemment, cette politique et ces investissements qui s'avèrent nécessaires et qui correspondent à un programme à engager sur une dizaine d'années se trouvent pratiquement dans l'incapacité de recueillir des financements. Contrairement à l'automobile qui a bénéficié d'aides publiques pour le renouvellement d'une partie du matériel privé, notamment par le biais de primes, actuellement, en France, le matériel roulant pour le transport collectif n'obtient, pour sa part, aucun financement direct de l'Etat et cela depuis 1985 ; en effet, l'Etat n'intervient au niveau de l'investissement, pour la province notamment, qu'à hauteur de 16% en moyenne du coût total de l'investissement ; seules les infrastructures sont pour partie subventionnées et non le matériel.

Nous nous trouvons donc dans une situation où le parc de véhicules vieillit. Nous disposons d'un parc de 40 000 autocars et de 18 000 autobus dont la moyenne d'âge est supérieure à 10 ans. Contrairement à ce qui se passe dans d'autres pays, comme l'Allemagne, où des efforts importants sont faits pour renouveler ce matériel avec des aides directes à l'investissement, en France, cette possibilité n'existe pas.

Voilà donc un programme et des perspectives !

A notre connaissance, il y a peu de filières qui peuvent se prévaloir de volumes d'investissement comparables, répartis sur l'ensemble du territoire national, et qui génèrent ensuite des créations d'emplois dans les entreprises exploitant ce matériel. Il faut, en effet, savoir que la filière des transports collectifs a chaque année créé 1 % d'emplois supplémentaires, à la différence de celle que vous étudiez actuellement.

Je terminerai cette intervention liminaire en abordant un dernier point : il concerne les problèmes de financement de la filière des transports collectifs. Elle est actuellement essentiellement financée par la fiscalité locale, l'Etat, comme je l'ai précédemment mentionné, n'intervenant dans notre pays qu'à hauteur de 16 % pour tout ce qui concerne l'investissement hors matériel roulant .

Si, actuellement, nous voulons donc développer cette filière industrielle qui est indispensable, non seulement pour assurer le développement des agglomérations, mais aussi pour aménager le territoire puisque dans les compétences des différentes collectivités locales figure aussi bien le réseau interurbain pour les départements, que les transports express régionaux pour les régions, il nous faut trouver des financements complémentaires. Notre démarche consiste donc à les rechercher sur la base du principe pollueur-payeur, notamment à travers les écotaxes dont il est question aujourd'hui.

Un tel objectif ne va pas forcément dans le sens de la réflexion que vous conduisez pour le développement de l'usage automobile ; mais j'estime qu'en la matière, on se heurte à des contradictions extrêmement fortes que vous avez dû vous-mêmes constater à la lecture des documents que vous avez entre les mains, puisqu'une grande partie de la fiscalité, aussi bien de l'Etat que des collectivités locales, s'appuie sur l'usage de l'automobile et que, par conséquent, tout ce qui tendrait à le limiter dans les agglomérations va, selon nous, à l'encontre des intérêts de l'Etat, voire de certains intérêts des collectivités locales. Une telle situation suppose donc qu'en matière fiscale et financière, d'autres solutions soient trouvées.

L'Etat a régulièrement, et sous tous les gouvernements, augmenté sensiblement la TIPP (taxe intérieure de consommation sur les produits pétroliers) sans faire aucun lien entre cette taxe, l'usage de l'automobile et, éventuellement, des mesures susceptibles de lutter contre la pollution, notamment celles qui favorisent le développement du transport collectif. Nous déplorons une telle situation ; aussi, conformément au principe pollueur-payeur, nous suggérons depuis 1980 qu'une part de la TIPP soit affectée à cette action.

J'espère que cet exposé introductif aura été suffisamment court pour permettre à mes collègues de répondre à vos questions.

M. le Président : Si vos collègues le souhaitent, je les invite à compléter dès à présent vos propos.

M. Jean-Pierre LAPAIRE : Je partirai d'une citation du Président Georges Pompidou : " la ville doit s'adapter à l'automobile ".

En fait, cette option nous mène droit dans le mur et l'opinion publique en devient bien consciente. Les coûts de voirie sont d'autant plus insupportables qu'ils aboutissent à construire des autoroutes et des ponts autoroutiers à l'intérieur même de la ville qui entraînent sa défiguration par des percées tangentielles de pénétrantes. Une telle situation a motivé le refus catégorique de nos concitoyens de voir la ville détruite par l'automobile. Il nous faut donc, aujourd'hui, abandonner ce modèle qui était plus ou moins californien et privilégier un modèle mieux adapté à notre culture et à l'espace même de nos villes.

Ce modèle existe déjà en Europe sous la forme de ce que l'on peut appeler " le modèle rhénan ". Il s'agit d'un système où la propriété de l'automobile est au moins aussi répandue que dans notre pays - il me semble même que la Suisse et l'Allemagne comptent plus d'automobiles par habitant que la France - mais où il est néanmoins impossible d'accéder au centre-ville par d'autres moyens de transport que les transports en commun. Il établit donc une harmonie entre l'usage de la voiture individuelle et la protection de la ville par le biais de transports publics adaptés.

Il est permis de dire aujourd'hui que la voiture particulière n'aura plus, dans un avenir proche, - et c'est déjà le cas dans un certain nombre d'agglomérations françaises - sa place en ville au sens où nous l'entendons aujourd'hui encore, c'est-à-dire en tant que véhicule bénéficiant d'un impérialisme absolu lui permettant d'envahir tout l'espace, y compris les trottoirs et les espaces verts que l'on a vu progressivement transformés en places de stationnement. A cet envahissement de l'espace public s'ajoute l'asphyxie, aussi bien en termes de blocage de la circulation qu'en termes de santé publique.

J'ajouterai que tout cela constitue un handicap économique majeur pour la France dans la compétition internationale. A cet égard, un chiffre m'a frappé qui figure, je crois, dans le " rapport Carrère " et qui concerne la totalité des heures payées non travaillées du fait de l'asphyxie de la circulation : en Ile-de-France, il équivaut à celui de la totalité des heures travaillées dans une agglomération comme celle de Lyon.

Tel est, selon moi, le résultat d'une démarche qui a été adoptée sans grande réflexion !

Evidemment, les constructeurs automobiles et tous ceux qui travaillent dans ce domaine se tournent vers la recherche technologique comme une forme de réponse à la situation actuelle. En fait, il faut dire et affirmer que cette recherche comporte des limites. Le ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement envisage d'attribuer une pastille verte aux véhicules peu polluants, en particulier à ceux qui sont pourvus d'un pot catalytique, et de leur permettre de circuler y compris durant les périodes de pics de pollution. Mais quelle est la réalité ? La réalité, c'est qu'environ 85 % des déplacements urbains se font sur une distance insuffisante pour que le pot catalytique soit chaud et puisse entrer en action. Les distances parcourues sont inférieures aux quelque 7 ou 8 kilomètres indispensables pour que cet équipement ait une quelconque efficacité !

En conséquence, nous avons vendu aux consommateurs qui en ont supporté le coût, un accessoire qui n'a aucune utilité en dehors des trajets périurbains ou interurbains, donc non urbains !

Si l'on évoque les carburants dits propres, nous savons que la loi sur l'air a imposé l'adjonction d'oxygénants, en particulier de diester, pour les carburants, notamment le diesel. Or, dans la région d'Orléans, nous avons conduit pendant trois ans une expérience, suivie par une école d'ingénieurs spécialisés dans les moteurs, sur vingt bus d'une même série de fabrication. Dix d'entre eux ont fonctionné au diesel et dix autres ont fonctionné au diesel augmenté de 30 % de diester de colza. Le bilan de l'expérience a été mauvais, tant sur le plan énergétique puisque la consommation de carburant a été accrue, que sur le plan écologique puisque les effets ont été nuls, les petites améliorations enregistrées ici étant compensées par des aggravations ailleurs ! Cette voie nous apparaît donc, elle aussi, complètement fallacieuse.

Par ailleurs, si nous prenons l'exemple du GPL, nous admettons qu'il est à coup sûr préférable au diesel ; mais ce n'est que du gaz de pétrole liquéfié, ce qui revient à dire que c'est un hydrocarbure, qu'il a les mêmes caractéristiques polluantes que l'essence et qu'il ne présente quasiment aucune perspective d'amélioration, ce qui n'est pas le cas, en dépit de ce que peut dire le lobby pétrolier, du GNV (gaz naturel pour véhicules), étant précisé qu'il arrive à de hautes autorités de commettre des lapsus et de parler de l'un pour l'autre.

Le gaz naturel et l'électricité semblent être des voies plus sûres et représentent un avenir pour les bus si nous tenons à impliquer ces derniers dans une politique de réduction de la pollution.

A ce propos, les conclusions que tirait le citoyen des pics de pollution de niveau 3 enregistrés en région parisienne, paraissaient assez étranges puisque, aussi bien d'un reportage consacré à l'intéressante expérience de ville sans voitures menée à La Rochelle, que des propos du directeur général de la RATP, un seul message ressortait : " le bus pollue ! " C'est le bus qui était désigné comme le responsable de la pollution urbaine.

Or, la réalité aujourd'hui, c'est que 85 % de la pollution des agglomérations est le résultat de la circulation automobile et que celle qui est produite par les bus et qui doit être rapportée au nombre de déplacements, donc de voyageurs, est 20, 40, voire cent fois inférieure - tout est fonction du nombre de passagers transportés par le bus - à celle de tout autre véhicule automobile, y compris à essence. Il convient donc de bien faire passer ce message, puisque, objectivement et indiscutablement, il n'y a pas de comparaison possible !

La voiture électrique dans la ville est, elle aussi, présentée comme la panacée de demain. Elle résoudra, à coup sûr, un certain nombre de questions, mais il en est qu'elle ne réglera pas puisque, du fait de son volume - même si les modèles électriques ont tendance à être plus petits que les véhicules à moteur thermique - sa capacité d'occupation de l'espace est la même pour circuler, embouteiller et stationner.

Mes propos ne s'inscrivent pas contre l'automobile : les transports en commun n'excluent, bien évidemment, ni l'usage, ni la propriété des voitures particulières, y compris dans les agglomérations. En effet, sans revenir sur le modèle rhénan que j'évoquais tout à l'heure, dans tous les pays qui ont conduit une politique de développement des transports en commun et, parallèlement, des politiques de restriction de l'accès à l'hypercentre par des plans de circulation adaptés, on constate que la fluidité de la circulation pour les véhicules particuliers qui doivent impérativement circuler - je pense aux taxis, aux ambulances ou aux voitures particulières qui ont une nécessité professionnelle absolue de libre circulation en ville - s'est trouvée améliorée.

Pour ce qui est de la voiture particulière, il est indéniable qu'elle est adaptée à un certain nombre de déplacements périphériques et naturellement interurbains.

Voilà ce que je souhaitais dire dans un premier temps, mais je pourrai revenir sur un certain nombre de points si vous en manifestez le désir.

M. Jean-Louis SCHNEITER : Du fait de mes fonctions, mon propos sera sans doute un peu moins brutal que celui de mon collègue Lapaire, étant donné que j'ai à gérer les deux aspects de la question.

Je crois que la ville de Reims, en dépit de l'incident dont elle a souffert concernant les transports en commun en site propre - nous avions un projet de tramway qui a capoté pour de multiples raisons - est une ville où le réseau de transports en commun, qui est uniquement un réseau de surface, est l'un des meilleurs qui existent à l'heure actuelle sans qu'il y ait, à ce jour, un réel conflit avec la circulation automobile.

Pour autant, je n'en souscris pas moins aux propos de M. Lapaire concernant l'occupation de la chaussée par les véhicules automobiles, d'autant qu'il y a surtout occupation de la chaussée pour le stationnement. C'est en effet ce qui pose le plus grand nombre de problèmes : si les voitures étaient uniquement faites pour rouler, je crois qu'elles pollueraient davantage pendant qu'elles roulent, mais qu'elles n'encombreraient plus nos chaussées lorsqu'elles sont à l'arrêt, ce qui leur arrive le plus clair de leur temps...

Cela étant dit, je crois qu'il ne faut pas, non plus, être trop certain de l'adhésion de nos concitoyens à notre démarche. J'en rencontre beaucoup, je discute avec eux et s'ils s'accordent individuellement à reconnaître qu'il faut moins de voitures, ils pensent surtout à supprimer celles des autres et rarement les leurs. D'une conversation un peu approfondie, quelle que soit la catégorie sociale et professionnelle à laquelle ils appartiennent, il ressort que leur raisonnement est plutôt le suivant : " s'il y a moins de voitures, je roulerai mieux avec la mienne.. "

Pour ma part, je considère qu'il devient indispensable de mener une politique cohérente au niveau de l'Etat. Les collectivités locales ou les établissements publics chargés en particulier des transports en commun se trouvent un peu démunis, dans la mesure où ils n'ont qu'un pouvoir d'imagination au niveau local et peu de soutien national par rapport aux décisions qu'ils peuvent prendre, car ce qui se fait ici ne se fera pas ailleurs. Cette pratique correspond peut-être à l'esprit de la décentralisation et à l'imagination française mais, selon moi, elle manque un peu de cadre par rapport à un certain nombre d'obligations qu'il faudra bien, un jour ou l'autre, mettre en place.

La ville de Reims, qui est balayée par les vents, est peu polluée et ses habitants sont loin de connaître des pics 3 puisqu'ils ne connaissent pas même encore le pic 2. Il n'en reste pas moins que la pollution y fait quand même sentir ses effets : on peut le constater sur les monuments historiques, notamment sur la cathédrale, ce qui à l'évidence ne va pas sans poser un certain nombre d'interrogations.

Pour ma part, je pense que l'une des solutions à ce problème - ou plus exactement l'une des résolutions de ce problème -, devrait passer par une meilleure cohésion dans l'aménagement du territoire. Il faut reconnaître qu'à partir du moment où l'on a laissé - peut-être parce qu'il était impossible de faire autrement - les périphéries grandir de façon extraordinaire et les centres-ville se vider d'un certain nombre d'activités, il nous est politiquement difficile de faire admettre à ceux qui sont dans la ville-centre une interdiction ou une modulation de la circulation automobile : trop d'intérêts entrent en jeu, parfois peut-être infondés d'ailleurs. Tout comme les expériences tentées dans certaines villes - celle de La Rochelle m'apparaît intéressante mais n'a pas été assez longue pour permettre d'en tirer des conclusions sur la vie économique des centres-ville - le récent pic de pollution a été accueilli dans la bonne humeur en raison de sa brièveté sans que l'on puisse en déduire que tel serait le cas s'il devait perdurer.

Personnellement, je considère qu'il faut progresser à petits pas. Dans la ville de Reims, nous conduisons maintenant une politique de recherche de sites propres qui commence à avancer : la preuve en est que sur un secteur d'un quartier important de la ville qui représente une population d'environ 30 000 habitants, pour installer un site propre, qui pour le moment sera un site propre bus, mais qui " pincera " la circulation automobile et permettra d'avoir une circulation piétons et une circulation vélos, nous avons reçu un accord de subventions de la part de l'ancien ministre Jean-Claude Gaudin, qui, il y a de cela quinze jours, nous a été confirmé par Mme Aubry, ce qui signifie bien que les choses se pérennisent et qu'il n'y a pas eu, là, de hiatus...

Nous allons donc, comme je crois qu'il faut le faire, reconquérir petit à petit l'espace des transports en commun, sans pénaliser brutalement la circulation automobile et notamment la circulation automobile vers les centres. Néanmoins, comme le disaient précédemment mes deux collègues, il faut absolument se pencher sur d'autres formes de circulation automobile. A partir du moment où les modèles qui nous sont proposés actuellement, même s'ils changent quelque chose à la pollution, ne modifient en rien l'encombrement de la chaussée, je dirai même plus, ne peuvent, pour des raisons de vitesse ou de sécurité qu'engluer un peu plus la circulation, ils ne constitueront pas une solution. Je pense que l'on doit s'orienter, même si cela prend du temps, vers la fongibilité d'un parc automobile de centre-ville, complémentaire alors des transports en commun, et qui demanderait à être géré de façon non pas individuelle mais collective.

Sur les points d'éclatement de nos lignes, - celles des bus sont immuables dans leur tracé, mais on peut y déplacer les arrêts, ce qui n'est pas le cas pour les lignes de transports en commun à infrastructure lourde - il faut, en bout et en milieu de ligne, trouver des moyens complémentaires, que l'on connaît déjà puisqu'un certain nombre de constructeurs ont montré qu'ils savaient faire des bornes compatibles avec des cartes de crédit ou des tickets pour disposer d'une voiture et la rapporter ; il faut aussi trouver le moyen de gérer ce parc, que ce soit directement par les collectivités, par un concessionnaire ou quelqu'un d'autre... C'est une expérience qu'il faudrait absolument tenter : elle laisserait la place aux constructeurs automobiles qui remplaceraient les véhicules qu'ils vendent aujourd'hui par d'autres véhicules dans les centres-ville et elle diminuerait radicalement à la fois la pollution et l'engorgement.

Je crois que l'on peut également ajouter que dans nos villes - personnellement je parle pour la ville et le district de Reims - la seule entreprise qui soit réellement créatrice d'emplois, c'est l'entreprise de transports publics. C'est elle qui, tous les ans, réalise des embauches tout à fait significatives qui ne relèvent ni des emploi-jeunes, ni des contrats de ville ancienne formule, mais qui sont de réelles créations d'emplois. C'est la seule entreprise qui crée des emplois parce que, petit à petit, elle apporte des services nouveaux.

Je souscris totalement aux déclarations de mes deux collègues. Je pense qu'il ne faut surtout pas prendre le développement des transports en commun comme une action de lutte anti-automobile, mais qu'il faut une adaptation de ces deux moyens de transport et en convaincre nos concitoyens. Ils prennent peur de temps en temps et sont très prompts à s'effrayer mais, en réalité, l'imagination française reprend chez eux vite le dessus et ils trouvent toujours le moyen de se débrouiller pour se rendre là où ils veulent aller avec leur propre voiture, comme on le constate quotidiennement en région parisienne.

Il est donc absolument indispensable qu'un certain nombre de mesures soient prises. Dans cet ordre d'idées, lorsque nous faisons des investissements importants dans nos cités, qu'ils soient gérés par la région, le département, l'Etat, le district ou la communauté urbaine dans un certain nombre d'autres cas, bref, quel que soit le maître d'ouvrage, il faudrait parvenir à ce que l'Etat assortisse l'aide qu'il apporte aux maîtres d'ouvrage locaux d'une obligation de " pincement " de la circulation en centre-ville. Cela revient à dire qu'à partir du moment où l'on crée une rocade, il faudrait conjointement " pincer " la circulation à l'intérieur de la ville, de façon à ce qu'elle se reporte progressivement vers l'extérieur. Je pense, en effet, que si l'Etat assortissait ses aides, qui sont parfois conséquentes, d'une telle obligation, on parviendrait, peu à peu, à délivrer la ville de ses voitures.

En outre, j'estime que les constructeurs qui voudraient s'adapter y trouveraient sinon des bénéfices, du moins l'assurance de leur pérennité, car l'autobus permet de faire tourner une usine d'une manière aussi importante que la voiture automobile. Certes, la production est moindre mais elle représente une valeur ajoutée bien supérieure à celle d'une voiture et il y aurait sûrement une façon de calculer les choses de façon à ne mettre en péril ni l'emploi, qui est de toute façon bien menacé dans le secteur automobile, ni le chiffre d'affaires que les uns et les autres peuvent souhaiter réaliser.

Tels sont, globalement, les arguments que désirais défendre. J'adhère totalement aux propos de mes collègues mais je voulais apporter cette vision personnelle : je ne crois pas que l'on réussira une politique locale d'organisation - pour ne pas employer un terme trop brutal -, et de séparation des chaussées pour l'utilisation des voitures et des transports en commun sans une incitation de l'Etat qui peut passer, comme l'a rappelé Jacques Auxiette, par des aides sur les investissements lourds, mais également par une incitation à mieux utiliser les voiries et à réaliser des voiries de contournement plutôt que de pénétration à l'intérieur des villes.

M. le Président : Je vous remercie pour ces trois plaidoyers : chacun dans son style exerçait la pression dans le même sens !

Je voudrais, d'abord, relever amicalement une petite phrase de M. Jacques Auxiette et préciser que notre mission est sur l'automobile et non pas pour l'automobile. Je veux dire par là que nous n'avons pas d'a priori quant au fait, pour reprendre les données qui figurent dans votre dossier, qu'il y ait un coût externe ou un coût social - peu importe la manière dont on l'appelle - aux encombrements, à l'usage immodéré de la voiture en centre-ville, etc... Par conséquent, madame, messieurs, n'ayez surtout pas l'impression de comparaître devant des auditeurs a priori hostiles ou inattentifs !

Ensuite, je précise que notre conception du maintien de l'emploi ne s'applique pas à la seule année 1998, mais aux dix prochaines années, même si la perspective peut paraître ambitieuse, et que nous savons bien - nous le souhaitons d'ailleurs - que la situation ne sera pas la même au terme de ce délai qu'aujourd'hui.

Nous allons donc partir du transport en commun tel qu'il existe. Vous avez souligné le vieillissement du parc : pensez-vous que des mesures pourraient être prises pour encourager, à l'occasion du rajeunissement de ce parc, d'autres types de carburants que le diesel, qui certes, pollue moins pour un bus que la voiture individuelle, par rapport au nombre de passagers transportés, mais qui n'est quand même pas le carburant le plus propre ? A cet égard, j'ai été surpris par le caractère un peu abrupt de votre jugement sur le GPL, par rapport à ceux que nous avons pu entendre jusqu'alors.

M. Jacques AUXIETTE : Nous avons évoqué le sujet avec les cabinets de MM. Gayssot et Pierret.

Pour ce qui concerne les bus, c'est la solution du gaz naturel qui est le plus souvent mise en avant, étant entendu que des problèmes techniques se posent, notamment en ce qui concerne l'approvisionnement et la pression, qui rendent difficile l'usage de ce gaz pour des véhicules particuliers. C'est la raison pour laquelle on établit une différence entre les deux gaz, l'un étant préféré pour les transports collectifs et les flottes captives, l'autre pour les véhicules particuliers.

Nous avons clairement dit au ministre chargé de l'industrie et aux membres de son cabinet qu'actuellement le surcoût est de l'ordre de 20 % et que, par conséquent, une aide publique permettrait à la fois de faciliter le rajeunissement et le renouvellement du parc et de développer du matériel plus propre. Je rappelle qu'à ce jour, cette mesure de financement direct par l'Etat ou d'aide de l'Etat pour les véhicules roulants est exclue de façon explicite des possibilités que l'Etat lui-même s'accorde. Il faudrait, pour que la situation évolue, une inflexion forte en la matière qui prenne à la fois en compte la modernisation du parc, l'incitation à l'innovation sur de nouveaux moteurs et l'encouragement en faveur d'une politique industrielle : cela constituerait une forme de " jospinette ", si j'ose dire, en direction des transports roulants collectifs.

M. le Président : Puisque l'on parle plus souvent, à tort ou à raison, du GPL que du gaz naturel, avez-vous le sentiment que les constructeurs de bus peuvent s'orienter vers des moteurs à gaz naturel ?

M. Jean-Pierre LAPAIRE : En fait, des expériences sont déjà menées à Poitiers et à Lille ainsi qu'à Lyon et Marseille. Certains exemplaires de bus au GNV circulent donc déjà. Renault-Véhicules Industriels est parfaitement capable de développer cette filière qui est déjà largement exploitée aux Etats-Unis mais qui présente une difficulté et une seule : les stations sont relativement chères puisqu'il faut compter 3 millions de francs environ pour une station de remplissage, ce qui suppose de se situer dans une perspective d'équipement de toute une flotte et non pas seulement dans une perspective d'expérimentation.

M. le Président : Quels avantages trouvez-vous au gaz naturel par rapport au GPL puisque l'observation chimiquement juste que vous faisiez sur le GPL s'applique aussi bien au gaz naturel ?

M. Jean-Pierre LAPAIRE : Non, car il s'agit de méthane et il semble qu'en termes de pollution, le bilan est radicalement favorable. Mais la difficulté technique, à laquelle faisait allusion le Président Auxiette, qui s'oppose à en faire bénéficier les véhicules privés explique surtout que l'on parle du GPL même si le saut qualitatif que l'on franchit avec le GNV est important.

L'autre piste qui existe dans le monde, bien qu'elle soit peu exploitée en France, fait appel à l'électricité. Nous avons deux bus qui circulent sur batteries, actuellement, à Montmartre, mais le système qui est actuellement développé, à la fois par les constructeurs allemands et américains, consiste à doter les bus d'un tout petit moteur, de la taille de celui d'une camionnette, qui fait fonctionner un générateur, les batteries n'étant que des batteries-relais. C'est ainsi que l'électricité est produite dans le bus lui-même, ce qui permet à ce dernier d'avoir un petit moteur, certes, mais qui tourne à régime régulier et donc ne pollue pas dans les mêmes conditions que ceux des autres véhicules qui sont pris dans des embouteillages, qui doivent stationner, redémarrer, etc...

Les technologies existent donc mais, comme le disait le Président Auxiette, ces sociétés qui créent des emplois et qui investissent beaucoup, puisque nombre de collectivités organisatrices investissent dans des modes de transport du type tramways, métro, etc... se trouvent dans l'incapacité de faire face en même temps à ces surcoûts pour les autobus.

En Allemagne, à la différence de la France, elles perçoivent des subventions d'Etat sur les autobus et le matériel roulant tramway : il y a donc là un déséquilibre extrêmement important !

Par ailleurs, en termes d'emplois, on peut ajouter, à titre d'exemple, qu'à la suite de la diminution de ses commandes de TGV, une usine de La Rochelle va se consacrer essentiellement à la fabrication des tramways, ce qui revient à dire qu'elle va travailler pour les besoins des agglomérations.

En conséquence, l'hypothèse, qui peut se confirmer, d'une reconversion de certains sites automobiles dans la production d'autocars, mériterait d'être étudiée de façon approfondie.

M. le Président : Vous avez évoqué les expériences de véhicules en propriété collective que l'on prend à un endroit pour les laisser ailleurs : des villes se sont-elles déjà prêtées à des expériences de ce genre ? A quel horizon un tel système pourrait, selon vous, connaître un développement significatif ?

Mme Pascale PECHEUR : Une expérience fonctionne aujourd'hui à Saint-Quentin en Yvelines. Elle a été inaugurée le 16 octobre, à l'occasion de la journée du transport public. Elle présente un certain nombre de véhicules en libre-service avec un système de paiement, que l'on appelle " mains libres " et qui est inspiré de celui qu'expérimente actuellement la RATP.

L'implantation d'une telle expérience s'explique par la proximité du site industriel de Renault, de Serge Dassault et d'un certain nombre d'industriels qui ont concentré là leurs efforts.

L'expérimentation est très fortement financée par le PREDIT, le Programme de recherche sur les transports terrestres. Un autre constructeur automobile développe également, avec d'autres industriels, une filière baptisée Liselec : il cherche des villes, en particulier en province, qui soient aptes à accueillir ce système. L'expérience de Saint-Quentin en Yvelines a pour objectif de voir s'il est économiquement viable.

M. Jacques AUXIETTE : Les collectivités sont prêtes à se lancer dans cette forme d'expérimentation.

J'ai eu l'occasion, l'autre jour, de discuter avec les responsables du programme : un projet est avancé concernant La Rochelle ; sur l'Ouest, une recherche débutera dans les mois qui viennent ; l'expérimentation ne pose donc aucun problème !

M. le Président : Il y a un aspect économique, mais également culturel.

Il est peut-être un peu tôt pour en parler, mais l'expérience rencontre-t-elle du succès auprès du public ?

Mme Pascale PECHEUR : Je n'ai pas d'indications à vous fournir à ce sujet puisque l'opération fonctionne depuis moins de quinze jours.

L'objectif en l'occurrence est d'attirer les visiteurs d'un site industriel qui constituent un public a priori plus sensibilisé à la question. Je ne sais donc pas si nous pourrons réellement tirer des enseignements de cette expérimentation, même si elle est ouverte aux personnes résidant à Saint-Quentin...

Aujourd'hui, on peut dire qu'il s'agit d'un système dont le coût est extrêmement élevé. Le calcul - il est vrai très approximatif - auquel nous nous sommes livrés, en tenant compte du fait que les investissements sont lourds au départ, a fait apparaître que le coût supporté, soit par l'industriel qui développe le système, soit par l'Etat ou la collectivité, était d'environ 400 francs par déplacement, le coût pour l'usager étant de 20 ou 30 francs.

Il y a donc un énorme décalage par rapport au coût des transports publics. On change d'ordre de grandeur !

M. le Président : On n'en est encore qu'au prototype... Ce sont des circuits en boucle fermée où il faut ramener le véhicule là où il a été pris ?

Mme Pascale PECHEUR : Il y a plusieurs stations dans la ville, l'objectif étant d'en avoir suffisamment pour ne pas contraindre l'utilisateur à revenir à son point de départ.

En tout état de cause, il est impossible de l'abandonner n'importe où sur la voie publique...

M. le Président : Une expérimentation a été lancée en Ile-de-France concernant le covoiturage. Quel est votre sentiment sur le sujet ?

Mme Pascale PECHEUR : Le covoiturage donne l'impression de ne fonctionner qu'en situation de crise, c'est-à-dire en cas de circulation alternée ou de grève des transports publics. D'après les enquêtes qui ont été réalisées, il semblerait qu'il n'est pas considéré, à l'inverse de ce qui passe aux Etats-Unis, comme un mode de transport habituel.

Il faut préciser qu'à l'inverse également de ce qui se passe aux Etats-Unis, il ne bénéficie pas d'avantages significatifs par rapport à l'usage normal de la voiture, alors que là-bas des voies lui sont réservées ainsi que des places de stationnement situées juste à côté de l'entrée de l'entreprise alors que les aires de parking sont très étendues. En outre, il est dispensé du paiement des péages... Il y a donc outre-Atlantique des incitations fortes qui n'existent pas chez nous.

Actuellement, des opérations-tests sont réalisées chez Nestlé en Ile-de-France, mais on n'en a pas encore les résultats.

M. le Président : Pour en revenir à l'emploi, si l'on développe le transport collectif en site propre, les constructeurs français ou européens vous paraissent-ils en mesure de répondre à la demande ?

M. Jacques AUXIETTE : Tout à fait, à cent pour cent, surtout compte tenu de l'effort qui vient d'être consenti pour diminuer les coûts de ces matériels et les rendre plus abordables pour les villes grandes et moyennes : la ville d'Orléans en est un exemple puisque qu'elle vient de se prononcer en faveur de ce type d'équipement.

Il reste sans doute encore des efforts à fournir pour que l'on obtienne des matériels encore moins chers et plus petits, afin qu'ils puissent être exploités dans des villes moins importantes, mais également dans les grandes villes en complément du dispositif existant.

J'insiste sur le fait que l'industrie française, dans ce secteur, est performante, aussi bien au niveau des exploitants que des équipementiers : c'est une des filières d'excellence en France.

M. le Président : Je crois pourtant me souvenir que lors de l'achat des tramways de Strasbourg, pour des raisons qui échappent à ma mémoire, ce n'était pas la solution française qui avait été retenue...

M. Jacques AUXIETTE : Les choses ont évolué depuis et l'expérience malheureuse de Strasbourg a été tout à fait bénéfique pour l'ensemble des constructeurs français.

De toute façon, vous vous placez dans le cadre d'une réflexion européenne qui est indispensable en matière de politique industrielle et c'est l'Europe qui a gagné à Strasbourg !

M. le Président : C'est une façon de voir les choses, mais enfin, bien que je sois un Européen convaincu, la question de l'emploi national ne peut pas me laisser indifférent.

M. Jean-Pierre LAPAIRE : Pour répondre aux préoccupations que vous manifestez, vis-à-vis d'autres grands constructeurs, en Extrême-Orient, par exemple, je dirai que la conquête des marchés se fait en sens inverse puisqu'aussi bien Singapour que Hongkong se fournissent en matériels français, ou européens selon les cas, dans le domaine des sites propres.

Le prix de la rame de trente mètres est passé de 16 ou 17 millions de francs à 10,5 millions de francs. Actuellement, en France, la limite inférieure - à condition qu'il y ait un axe avec 45 000 voyageurs/jour - doit se situer aux alentours de 150 000 habitants pour s'équiper de tramways. Il y a donc une évolution extrêmement sensible qui ouvre des horizons d'autant plus nouveaux que d'autres matériels, pour lesquels les Français sont également bien placés - à savoir une nouvelle génération de trolley-bus guidés qui pourraient être exploités en site propre mais qui seraient sur pneus et à traction électrique par définition, donc de conception routière -, permettraient de répondre à tous les corridors et sillons de 30 000 voyageurs/jour. Cela permet d'envisager l'ouverture de lignes supplémentaires, non seulement dans les très grandes agglomérations ou les agglomérations moyennes, mais également dans les plus petites.

Encore une fois, dans ce domaine, l'industrie française est remarquablement placée et en le disant, je pense notamment à Civis.

M. le Président : J'ai cru remarquer, M. le Président, que votre secrétaire générale souhaitait réagir sur l'équipement de Strasbourg.

Mme Pascale PECHEUR : Non, ce n'était pas sur Strasbourg que je souhaitais réagir parce que, dans cet exemple précis, il y a eu aussi de la sous-traitance dans les industries françaises.

En revanche, je souhaitais faire le point sur les nouvelles gammes de véhicules qui existent entre le tramway, qui s'est beaucoup allégé à la suite de la mauvaise expérience strasbourgeoise, et les nouveaux véhicules, de type tramway sur pneus, comme le TVR qui va être mis en service à Caen aux alentours de 2001. Le TVR est un véhicule routier, guidé, avec un rail central, des pneus et une alimentation électrique mais qui peut également avoir une alimentation autonome diesel en bout de ligne.

Juste en-dessous, on trouve le modèle développé par Matra et Renault-Véhicules Industriels, Civis, qui lui est plutôt issu d'un matériel type bus haut de gamme. Il s'agit, en quelque sorte, d'un trolleybus du futur, qui peut également être guidé par optique grâce à des technologies de pointe, et qui permet un accostage à l'aplomb des quais pour favoriser l'accès des personnes à mobilité réduite. Il y a donc une alimentation électrique, mais aussi un moteur thermique en relais pour les bouts de ligne, ce qui réduit les infrastructures.

Enfin, Renault-Véhicules Industriels ainsi que d'autres constructeurs français
- dont Heuliez bus - et européens - dont certains produisent en France notamment à Angers et en Lorraine - développent des véhicules avec un aspect moderne, un confort très poussé incluant la climatisation et des véhicules hybrides alimentés par des moteurs diesel avant de produire à terme peut-être des modèles qui fonctionneront avec une pile à combustible comme Mercedes en a récemment présenté : on peut penser que, d'ici dix ans, ce type de véhicules pourrait voir le jour dans certaines villes françaises.

L'industrie du bus s'étend donc de plus en plus vers la gamme du tramway avec des technologies de pointe.

M. le Président : Je vous ai sentis un peu réticents sur l'usage de la voiture électrique en ville.

Il y a là des choix à faire : si on met l'accent sur la pollution, elle constitue une solution attirante, si on le met sur l'encombrement, on ne peut guère vous contredire...

Pourriez-vous commenter plus largement cette question ?

M. Jacques AUXIETTE : Je crois que vous avez exprimé la réalité des choses telles qu'elles sont. Malgré tout, nous sommes tout à fait favorables à une possibilité d'expérimentation et de développement, afin de permettre à ceux qui doivent se rendre dans les centres-ville de s'y déplacer avec un véhicule particulier. Le véhicule électrique peut s'inscrire dans " le marché des déplacements " et offrir aux entreprises de transport ou aux collectivités locales - mais je crois que cela relève de la compétence des entreprises de transport - la possibilité de diversifier leur offre.

Actuellement, les difficultés des transports collectifs tiennent à leur incapacité de pouvoir s'adapter aux besoins des usagers aussi bien que les véhicules particuliers. Les problèmes se posent dans les centres-ville en raison de la pollution, mais également dans les zones d'habitat diffus où des expérimentations demandent à être développées, car les transports collectifs n'y sont pas satisfaisants et les équipements lourds n'y représentent pas une solution.

Je crois qu'il y a donc là tout un marché à conquérir.

Vous me permettrez d'ajouter deux observations. Elles concernent la préparation du XIIème plan.

Dans les plans précédents, la part des investissements routiers a été extrêmement forte et l'Etat a imposé aux différents niveaux de collectivités territoriales - souvent d'ailleurs à leur demande - des participations aux investissements routiers, notamment pour le contournement des agglomérations. Or, au cours des plans précédents, il n'a jamais été possible de contractualiser le développement des transports collectifs. Le ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement a évoqué ce sujet. Nous l'avons également abordé avec M. Gayssot. En effet, il nous apparaît essentiel, compte tenu des orientations que l'on semble percevoir en faveur du développement des transports collectifs, d'inclure dans le XIIème plan cette possibilité de contractualisation.

Par ailleurs, j'en reviens à ce que disait précédemment mon collègue concernant la situation de l'industrie ferroviaire notamment : actuellement, compte tenu des retards et des ralentissements des investissements relatifs au TGV, s'il n'y avait pas les tramways, les TER avec les nouveaux automoteurs et les investissements des régions en matière de modernisation de matériel ferroviaire, la crise que traverserait l'industrie ferroviaire du matériel roulant serait extrêmement grave !

En conséquence, le XIIème Plan peut permettre d'amplifier ces formes de contractualisation à condition, là aussi - et je reviens sur un point que nous avons évoqué tout à l'heure - que la réflexion sur la ressource à affecter à cet effort soit prise en compte, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui;

M. le Président : Vous avez évoqué la complémentarité entre le véhicule individuel et les transports collectifs. Dans un schéma idéal de déplacements urbains, de déplacements longue distance, ou en zones d'habitat diffus, cette complémentarité ne poserait pas de problèmes. Mais que suggérez-vous pour faciliter cette différenciation dans les modes de transport ?

M. Jean-Pierre LAPAIRE : En fait, nous vivons avec des systèmes tels que la gestion du stationnement et celle des transports publics sont assurées par des autorités souvent différentes et par des sociétés à coup sûr différentes. Il en résulte des politiques contradictoires.

Depuis quelque temps, dans un certain nombre d'agglomérations, on constate qu'une volonté d'accéder à une politique globale des déplacements s'affirme.

On enregistre des succès remarquables avec les systèmes de parcs-relais qui permettent de laisser son automobile et de bénéficier, contre un prix modique, de billets gratuits sur le système de transports en commun pour autant de personnes qu'en transporte la voiture. Je pense que le système de demain sera cette intermodalité qui permet l'intégration de systèmes de déplacement extrêmement variés. J'ai pris l'exemple du véhicule particulier, du parking-relais et du tramway ou du bus, mais le trajet peut se poursuivre, à l'intérieur du centre-ville, par un parcours à bicyclette, sur des cycles collectifs avec une transposition du " global localisation system " qui permet de retrouver le vélo grâce à une pastille intégrée au cadre.

Marche, vélo, véhicule individuel, transport en commun, tous ces modes de transport doivent être gérés de façon globale ! Il faut considérer une chaîne de déplacements et oublier les réflexes individualistes qui nous font aller en voiture particulière de notre domicile à notre bureau. En Californie, on supprime pratiquement les parcs de stationnement sur les lieux de travail, on subventionne à la fois la disparition de ces parkings et le covoiturage, pour tenter de réduire l'encombrement et la pollution, mais il s'agit d'une politique volontariste de l'Etat de Californie...

M. Jean-Louis SCHNEITER : Je voulais souligner un autre point concernant le plan d'occupation des sols et les permis de construire.

Doit-on continuer à exiger, à l'occasion de la construction de bureaux ou d'unités de ce genre, un quota de places de stationnement ?

Si quelqu'un souhaite, demain, construire un cinéma en centre-ville, il ne va pas pouvoir mener son projet à bien parce qu'on va exiger de lui un certain nombre de places de stationnement alors qu'à Berne, par exemple, pour inciter les gens à se déplacer par d'autres moyens que la voiture, vous pourrez d'autant plus facilement construire des bureaux que vous ne prévoirez pas de parking.

On conduit encore en France une politique de soutien à l'automobile puisque, en lui permettant de stationner, on lui permet d'accéder : il y a là une contradiction ! Je connais peu de collectivités qui autoriseraient aujourd'hui des promoteurs à bâtir sans parking bien que certains préféreraient pouvoir le faire pour éviter d'avoir des garages invendus ou inoccupés.

Ces règles strictes qui imposent un nombre de places de stationnement proportionnel aux mètres carrés de construction sont un formidable aspirateur à voitures en centre-ville : à partir du moment où vous avez votre place de stationnement réservée, il est évident que vous n'allez pas prendre les transports en commun...

Je pense, que dans ce domaine également, il y aurait des mesures à prendre !

M. le Président : J'ai retenu un mot que je n'avais encore jamais entendu employer dans cette acception : " pincer " la circulation. Si je comprends bien, il faudrait également " pincer " le stationnement...

M. Jean-Louis SCHNEITER : Le terme est d'origine suisse...

M. le Président : Dans les 400 francs du coût de l'expérience tentée à Saint-Quentin en Yvelines, le manque à gagner des transports publics est-il inclus ?

Mme Pascale PECHEUR : Cette somme est le résultat d'un calcul " de coin de table " que les constructeurs pourraient contester, car il est très approximatif : mieux vaudrait ne pas s'y arrêter !

M. le Président : Pouvez-vous nous en dire plus sur le GPL et le GNV ?

Mme Pascale PECHEUR : Les industriels français - et en particulier Renault-Véhicules Industriels - ont fait le choix du GNV poussés, il y a quelques années, par un certain nombre de villes et de pouvoirs publics qui souhaitaient le tester dans la mesure où aux Pays-Bas, en Belgique, en Suède, au Luxembourg et en Italie, une grande partie du parc fonctionnait déjà au GNV. Ils sont donc, aujourd'hui, opérationnels en la matière.

Cependant, nous nous trouvons apparemment confrontés à des problèmes de réglementation au niveau du ministère chargé de l'industrie : les véhicules au GNV ne peuvent pas, par exemple, emprunter de tunnels et il y a toute une série de contraintes qui pèsent sur leurs utilisateurs.

M. le Président : Est-ce qu'on ne pourrait pas résumer la situation en disant que le GNV convient aux transports collectifs et que le GPL s'accorde mieux aux véhicules individuels et aux taxis, par exemple ?

Mme Pascale PECHEUR : C'est apparemment l'option qu'a retenue le ministère chargé de l'industrie en orientant les véhicules collectifs ou certaines flottes captives vers le GNV et en recommandant l'usage du GPL pour les véhicules individuels de petit gabarit.

M. Jacques AUXIETTE : Cela suppose qu'il y ait une clarté et une continuité dans la politique fiscale sur ce type de carburants...

Nous sommes en situation de monopole par rapport à Gaz de France. Or, nous avons pris un certain retard, car Gaz de France n'avait pas annoncé le prix de vente de ce combustible. Il était donc difficile de prévoir un plan d'amortissement et d'utilisation pour les véhicules de ce type, dans la mesure où le prix et la fiscalité n'étaient pas assis de façon certaine et durable.

Mme Pascale PECHEUR : Je reviens un instant sur le GPL, car certains industriels étrangers mettent aujourd'hui sur le marché des véhicules de transport public qui l'utilisent. Pour le moment ce n'est pas le cas en France !

Le moins que l'on puisse dire, concernant le GPL, c'est que les messages ne sont pas clairs et les bilans écologiques non plus...

M. le Président : Nous parvenons au terme de nos échanges. Avez-vous quelque chose à ajouter ?

M. Jacques AUXIETTE : Puisque la préoccupation de votre mission est quand même l'emploi, je reviens sur ce que j'ai dit précédemment, à savoir que nous recherchons aussi un peu partout des filières industrielles créatrices d'emplois en termes d'investissement et d'exploitation ; or, à notre connaissance, il y a peu de filières qui pèsent 90 milliards de francs sur dix ans et sur l'ensemble du territoire, et cela sans incitations particulières. Celle que nous défendons aujourd'hui devant vous, qui est voisine de la filière automobile, nous paraît, non seulement se situer dans l'air du temps, mais encore ouvrir des perspectives intéressantes, tant pour l'économie intérieure que pour l'exportation.

M. Jean-Pierre LAPAIRE : Pour rester dans le domaine de l'emploi, j'ajouterai que, outre les emplois de la filière, il y a ceux que génèrent les grands travaux comme la réalisation d'un réseau de tramways dans une agglomération de 250 000 habitants. Dans le cas de la ville d'Orléans, et sans prendre le ratio de la Fédération nationale du bâtiment qui m'amènerait à des chiffres plus élevés, nous considérons que nous allons investir environ 4 milliards de francs sur les deux lignes, ce qui correspond à 1 000 emplois pendant dix ans sur le site, sans parler des emplois de fabrication du matériel roulant : je pense que c'est une donnée qui doit également être présente à l'esprit.

Audition d'une délégation de la Fédération

Force ouvrière de la métallurgie composée de

MM. Michel HUC, Secrétaire général de la Fédération,

et Jean-François KONDRATIUK, Secrétaire du syndicat FO de Peugeot-Poissy

(extrait du procès-verbal de la séance du 4 novembre 1997)

Présidence de M. Gérard VOISIN, Secrétaire

M. Michel HUC : La Fédération Force ouvrière de la métallurgie se félicite que l'Assemblée nationale se soit saisie du problème de l'industrie automobile en France et en Europe. En effet, cette industrie est, dans notre pays, capitale sur le plan de l'emploi puisqu'elle concerne près d'un million de salariés. Pour la Fédération FO de la métallurgie, ce sont les salariés des constructeurs, des équipementiers automobiles, mais également des garages et industries connexes.

Ces trois secteurs qui relèvent de notre fédération représentent plus de 600 000 salariés. On peut les décomposer ainsi : 115 000 chez les constructeurs - nous sommes la première organisation syndicale chez Peugeot, avec 25 % des suffrages, et la deuxième chez Renault avec 20 % des suffrages - ; 380 000 salariés dans les garages, où nous sommes la première organisation syndicale, avec 35 % des suffrages ; 110 000 salariés chez les équipementiers et secteurs connexes (auto-écoles, experts auto, récupération, contrôle technique, etc...).

Il convient donc d'examiner aujourd'hui le problème des constructeurs puisque celui-ci est posé très clairement aux pouvoirs publics et cela depuis maintenant près de deux ans.

A la suite des différents plans sociaux et des réductions d'effectifs qui ont marqué cette industrie dans notre pays, celle-ci se trouve confrontée à une pyramide d'âge qui, si elle venait à ne pas changer pourrait, dans certains cas extrêmes, conduire à la fermeture de sites, ne serait-ce qu'en raison des départs naturels en retraite.

Ce phénomène est dû à l'absence d'embauches depuis de nombreuses années consécutives, aux plans sociaux, mais aussi à la modification de l'organisation du travail et des systèmes de montage des véhicules qui engendrent aujourd'hui moins d'emplois que par le passé. On peut d'ailleurs s'inquiéter pour l'avenir quand on voit l'exemple de la Smart en Lorraine où seuls, parmi les 2 000 employés, 800 salariés dépendent du constructeur.

Cette forme d'organisation du travail existe dans d'autres pays, en Amérique du Sud par exemple, mais est également en train de se mettre en place dans les usines qui sont créées en Chine et aux Etats-Unis.

Cela implique donc qu'il y aura moins d'emplois chez les constructeurs en tant qu'assembleurs et davantage chez les équipementiers qui effectuent dorénavant des montages complets en sous-ensembles et en assureront sous peu la garantie et l'après-vente.

La deuxième caractéristique de l'industrie automobile française est son éclatement dans le pays. Ainsi, contrairement à Volkswagen qui a un site quasiment unique en Allemagne à Wolfsburg, ou à l'industrie américaine à Detroit, en France les constructeurs ont des établissement répartis sur notre territoire. Cela résulte d'ailleurs, bien souvent, de choix politiques liés en particulier à l'aménagement du territoire.

Donc, les solutions que nous avons à rechercher ne peuvent pas être totalement copiées sur ce qui se fait à l'extérieur mais doivent répondre à nos spécificités.

Ainsi, s'agissant de la réduction du temps de travail dont on parle beaucoup, il est évident que lorsque Volkswagen réduit le temps de travail à Wolfsburg, où est fabriquée la quasi-totalité de ses modèles, il peut agir sur les postes de chacun des salariés en fonction de la charge de chaque modèle. La réduction du temps de travail n'a cependant pas empêché Volkswagen de réduire ses effectifs de 120 000 à 80 000.

En France, diminuer le temps de travail dans un établissement n'a aucun impact sur l'emploi des autres établissements puisqu'il s'agit chaque fois de fabrications de modèles différents, sur des marchés différents. On l'a bien vu, hélas! avec l'affaire de Vilvorde.

Je formulerai quelques remarques sur les mesures envisagées par les constructeurs en 1996.

La production représente à peine 20 % du coût total du véhicule, les achats, 30 %, les frais généraux et financiers, 10 % et les coûts de distribution, 20 %. Par conséquent, les gains de compétitivité sur les salaires ne portent que sur 30 % du prix du véhicule et une amélioration de 20 % ne représente que 6 % du coût total des véhicules.

Les propositions des constructeurs se limitent au temps partiel. Ils n'ont pas de politique pluriannuelle des effectifs et ne proposent que des mesures d'âge.

Quelles sont nos revendications ?

Nous estimons nécessaire l'établissement d'un pacte pour l'emploi comprenant la négociation d'un accord-cadre, non seulement avec les deux constructeurs Renault et Peugeot, mais aussi, pour des mesures spécifiques, avec les équipementiers, car ils seront immédiatement concernés par les mesures que nous prendrons avec les constructeurs. Il devra s'agir d'un accord de six ans, puisque les constructeurs estiment avoir besoin de six ans pour corriger la pyramide d'âge et remettre en ordre les établissements.

Nous approuvons les mesures d'âge telles que celle du fonds national de l'emploi (FNE), la dispense d'activité pour les travaux pénibles, l'allocation de remplacement pour l'emploi (ARPE), avec une possibilité d'extension après quarante ans de cotisations sans condition d'âge.

Nous souhaitons que soient étudiées les conditions de formation, dans un cadre pluriannuel d'évolution des effectifs en amont de l'embauche et celles de la mobilité professionnelle ; il conviendrait de prévoir la mobilité lors de l'embauche et d'examiner quelles garanties peuvent être apportées aux salariés.

Nous demandons, naturellement, la réduction du temps de travail à trente-cinq heures avec maintien du salaire. Je tiens à souligner, au nom de ma Fédération, que le salaire moyen des ouvriers est de 7 300 à 7 500 francs par mois dans l'automobile. Nous ne tiendrions peut-être pas le même raisonnement pour d'autres industries relevant également de la Fédération.

Nous voudrions voir étendu le temps partiel aux " co-productifs ", c'est-à-dire aux salariés non liés directement à la production.

Nous souhaitons que des formules autres que le temps partiel soient étudiées pour les ateliers de montage, avec un développement de la polyvalence et un déroulement de carrière.

Nous demandons des mesures spécifiques pour les salariés travaillant sur chaîne depuis trente ou trente-cinq ans, âgés de plus de 50 ans et qui, en raison de la difficulté de leur tâche, de l'évolution des technologies, ne souhaitent pas s'inscrire dans les nouvelles organisations du travail, lorsqu'elles impliquent l'utilisation de l'informatique par exemple.

Il n'existe pas de réel accord sur la mobilité professionnelle chez les constructeurs, alors que ceux-ci ont des établissements dispersés sur le territoire. Nous souhaitons que des mesures soient prises pour favoriser la mobilité.

Nous souhaitons que soient engagées des actions autres que celles portant sur les salariés : l'achat, la sous-traitance, la qualité, le commercial, les frais généraux. L'effort doit porter sur la totalité de l'entreprise.

Il faut examiner comment, dans le cadre des nouvelles organisations du travail, qui sont, qu'on le veuille ou non, destructrices de postes, envisager des réductions du temps de travail au-delà des trente-cinq heures, avec compensations.

Nous souhaitons la mise en place d'un observatoire des métiers et de leur évolution. Il faut examiner le programme de réindustrialisation et, en particulier, le transfert de production vers les équipementiers et des équipementiers vers les usines d'assemblage, en fonction des stocks zéro et des flux tendus.

L'ensemble de ces revendications nécessite parfois l'aide des pouvoirs publics. C'est le prix à payer pour préserver la place et la compétitivité des constructeurs français.

Certes, l'arrivée de nouveaux constructeurs en France favorise l'emploi sur le lieu géographique concerné - on peut penser à la Smart et à Toyota -, mais ceux-ci bénéficient également d'aides locales, régionales, voire européennes, qui portent en germe un déséquilibre en termes de compétitivité qui doit être d'une manière ou d'une autre compensé.

Par ailleurs, les surcapacités existant en Europe - dix-huit millions de véhicules pour un marché stable de douze millions - et les gains de productivité annoncés par les producteurs de l'ordre de 25 % en trois ans, ne feront qu'aggraver la situation des salariés et de leur emploi.

Nous insistons pour que les propositions spécifiques que nous formulons soient retenues par les pouvoirs publics et que des mesures soient annoncées pour faciliter la négociation.

Vous, parlementaires, avez, à cet égard, un rôle prépondérant pour le devenir des emplois dans cette industrie.

M. le Rapporteur : Effectivement, la mission d'information a été créé pour réfléchir sur l'avenir de l'emploi dans l'automobile, - et pas seulement chez les constructeurs -, mais on ne peut pas nier les problèmes de productivité et de compétitivité que nous pose la concurrence internationale.

Vous vous êtes présentés comme la première organisation syndicale chez Peugeot. J'ouvrirai mon propos par une petite anecdote. J'ai bien compris comment vous l'êtes devenu, hier, à Sochaux, car à notre arrivée, les représentants de FO nous ont fait signer une pétition sur l'ARPE à quarante ans d'ancienneté sans condition d'âge, proposition que nous reprendrons certainement !

Vous êtes les premiers à nous dire que les équipementiers pourraient assurer dans un avenir proche le service après-vente des parties intégrées de plus en plus importantes qu'ils fabriquent. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur le sujet ?

En ce qui concerne les mesures d'âge, il a été envisagé dans des périodes antérieures - je pense au " rapport Cabaret " - de recourir aux mesures FNE. Nous essayerons de proposer des mesures du type ARPE étendue, de façon à garantir la compensation des départs par des embauches. On n'ira probablement pas jusqu'à un remplacement nombre pour nombre, mais un contrôle devra être exercé. J'ai retenu votre idée de pacte pour l'emploi. Selon nous, il ne s'agira pas simplement d'accorder des milliards de francs en échange d'un nombre donné de licenciements et d'une hypothétique promesse d'embauches, mais de prévoir des dispositions négociées site par site.

J'admets que négocier site par site est réducteur, mais nous retirons tous l'impression de nos visites que les situations sont très différentes selon les sites. Entre le site de Douai où la question qui se pose est de savoir s'il convient de créer une demi-équipe ou une équipe de plus et un site comme Sochaux où il s'agit de maintenir les effectifs, par toutes sortes de mesures, y compris de chômage partiel, dans l'espoir de jours meilleurs, les problèmes sont différents. Nous approuvons le principe d'un accord-cadre, mais j'ai le sentiment qu'il arrive un moment où il faut discuter site par site. Pouvez-vous revenir sur le sujet ?

Ma troisième série de questions concerne la réduction du temps de travail.

Manifestement, cela sera particulièrement compliqué dans l'automobile, ne serait-ce que parce que tout le monde n'a pas la même conception de la notion de "temps de travail". A Sochaux, on nous a dit que le temps de travail était de vingt-huit heures trente et que les trente-cinq heures ne les concernaient pas. Il faut se mettre d'accord sur le concept. Il faut aussi distinguer selon l'activité sur le site. Sans établir une distinction entre personnel productif et non productif, la situation n'est pas la même quand on est sur la chaîne et quand on est dans un bureau et les formes de réduction de la durée du travail ne sont pas nécessairement les mêmes.

Je pense qu'on n'échappera pas à la notion de contrepartie. Si, l'on veut, pour des raisons de concurrence internationale, éviter une répercussion excessive sur les coûts de production, il faudra des compensations. Certaines viendront de la puissance publique. Cela paraît logique dans la mesure où il y aura embauche, puisque cela diminuera les charges collectives. D'autres pourront venir d'un certain nombre d'éléments d'assouplissement dans l'organisation du travail. Vous avez cité l'exemple de Volkswagen. J'aimerais que vous alliez un peu plus loin sur ce dernier point. Jusqu'où pensez-vous raisonnable de discuter dans cette direction ?

M. Michel HUC : S'agissant du développement de l'après-vente par les équipementiers, le mouvement a été initié par les constructeurs qui, concernant les sous-ensembles de plus en plus complets qui leur étaient confiés, ont commencé à demander aux équipementiers de faire eux-mêmes la recherche. Dans ce cadre, les constructeurs demandent aux équipementiers de réaliser des gains de productivité et de compétitivité en leur fixant des gains de 10 % à réaliser sur trois ans tout en leur apportant leur aide, dans un premier temps.

Aujourd'hui, les constructeurs ont regroupé les équipementiers. Ils se sont beaucoup impliqués pour conforter l'industrie des équipementiers par des mariages et des regroupements. Cela n'est pas propre à la France, et existe en Europe et sur le plan international. Dans la mesure où un certain nombre d'ensembles leur échappent totalement, puisque la conception, la recherche et le développement des produits ne sont pas assurés par les constructeurs, ils considèrent de plus en plus qu'ils n'ont pas à assurer la garantie d'un matériel qu'ils ne fabriquent pas ou d'un système qu'ils ne contrôlent pas. Ils estiment que c'est à ceux qui les fabriquent d'en assurer eux-mêmes la garantie.

On voit déjà des équipementiers sur le site de construction de la Smart. En Argentine, la première usine de camions Volkswagen n'a que trois cents salariés Volkswagen. Tous les autres sont des salariés d'équipementiers qui montent eux-mêmes les ensembles sur les plates-formes. Pour certaines parties du véhicule, le constructeur n'intervient même plus pour le montage et la garantie est assurée par celui qui réalise les études, la fabrication et le montage sur la plate-forme. C'est une évolution inévitable chez tous les constructeurs.

Vous préférez l'ARPE au FNE. Nous aussi, mais il n'y aura pas autant de départs que d'embauches. Les constructeurs disent qu'ils embaucheront 13 000 ou 14 000 salariés ; je pense qu'avec les trente-cinq heures, on pourra même aller au-delà, cela relève de la négociation et il faudra des engagements précis. Le système ARPE est intéressant pour les constructeurs dans la mesure où les nouveaux embauchés n'ont pas l'ancienneté ni le déroulement de carrière de ceux qui partent à la retraite. Nous souhaitons bien sûr son développement, sans condition d'âge, ce qui se justifie pour certains métiers. La Fédération considère qu'une personne ayant travaillé trente-cinq ou quarante ans sur les chaînes peut s'en aller. Ce système de départ repose sur le volontariat : le salarié doit en faire la demande et l'employeur ne peut la refuser qu'une fois. Mais il est évident que le système ARPE ne peut répondre aux 40 000 suppressions d'emplois en six ans envisagées par les constructeurs.

Nous sommes d'accord avec vous pour demander l'application de ce système, d'autant qu'il répond à une revendication de la fédération FO de la métallurgie depuis le congrès de Dunkerque en 1992 ! Nous sommes favorables à son extension, tout en étant conscients que cela ne répond pas à la totalité du problème. Il faudra trouver un certain nombre de mesures, en particulier pour des salariés âgés qui ont travaillé longtemps sur les chaînes. En ce cas, le FNE ou une formule similaire peut s'appliquer.

La négociation doit-elle s'effectuer site par site ou doit-elle être globale ? Au départ, elle ne peut être que globale pour définir les grands axes, pour fixer un catalogue de mesures. Il est évident qu'ensuite, on les négociera et on les appliquera site par site. Vous avez raison de dire que la situation est totalement différente d'un site à l'autre.

J'indiquerai toutefois que cette situation est évolutive. Je rappellerai l'exemple de Flins où il fallait prévoir deux, voire trois équipes, lorsque le modèle Clio se vendait bien, alors qu'aujourd'hui on est descendu à deux, voire une équipe. Chaque site assemble un modèle et chaque modèle a une vie. On est dans une organisation cyclique. Je ne rappellerai pas Poissy avec les fameuses " quatre dix " dont on a beaucoup parlé à un moment donné, qui avaient entraîné l'embauche de près d'un millier de salariés...

Nous sommes favorables à l'application site par site, mais puisque nous acceptons la mobilité, il convient de prévoir aussi des mesures de solidarité. Si telle ou telle mesure ne correspond pas au besoin d'un site donné, mais si des salariés sont volontaires pour l'accepter et d'autres sont volontaires pour la mobilité, il serait dommage de s'en priver.

Concernant la réduction du temps de travail, c'est un problème compliqué ! L'horaire conventionnel, l'horaire affiché et le temps de travail effectif sont trois notions totalement différentes. Dans les entreprises, on discute de l'horaire affiché et du temps de travail effectif. L'horaire conventionnel est discuté dans le cadre des conventions collectives.

Dans le cadre des trente-cinq heures, nous souhaitons d'abord un accord de branche qui fixe le cadre, puis des négociations d'entreprises, voire d'établissements. Compte tenu de la différence entre les catégories de salariés au sein d'un même établissement et entre les établissements, il faudra bien descendre au plus près du terrain. Mais il faut tout de même fixer un cadre.

Nous pensons que le cadre doit être le plus général possible, car c'est un élément de compétitivité et de dumping entre les entreprises. Nous ne voulons pas que la réduction du temps de travail permette à celui qui fait le moins d'effort de gagner. Cela serait inacceptable. C'est un élément de la concurrence.

On vous a parlé de vingt-huit heures. Dans le travail en équipe, fréquent dans le secteur de l'automobile, la durée du travail est proche des trente-cinq heures, surtout si on retranche la pause casse-croûte : selon nos accords, pour du travail en continu, sept jours sur sept, la durée du travail est inférieure à 35 heures et elle est de 36 heures pour du travail en semi-continu. Comme vous, j'ai entendu les patrons parler de "pause physiologique". Je me suis interrogé, car c'est un terme nouveau que nous ne connaissions pas. On m'a répondu que c'était le quart d'heure nécessaire pour satisfaire à un certain nombre de besoins naturels toutes les quatre heures en moyenne. Nous ne sommes pas tout à fait d'accord sur ce point avec les patrons...

Les trente-cinq heures auront forcément une application, mais une application différenciée et posent un problème avec les forfaitaires. Tout cela doit faire l'objet de négociations, de contreparties, d'accords et nous considérons effectivement qu'on ne peut pas appliquer la réduction du temps de travail de la même manière à tout le monde.

M. le Rapporteur : Quelle est votre position sur les compensations?

M. Michel HUC : Dans la métallurgie, nous sommes signataires d'un accord qui prévoit l'annualisation du temps de travail avec le maintien des salaires et l'obtention de six jours de congés supplémentaires. Dans la dernière réunion de nos instances, nous avons même indiqué, au titre de la fédération, que nous continuions dans le fil des accords que nous avons signés, qui prévoient l'annualisation, sauf que les quarante-cinq semaines et demie multipliées par trente-sept heures et demie seront multipliées par trente-cinq heures, soit 1 592 heures travaillées par an.

C'est possible, à condition de pouvoir en discuter et de contrôler les horaires afin de s'assurer au niveau syndical que cela apporte quelque chose aux salariés. Si nous ne pouvons pas contrôler les horaires à l'année, on fera faire autant d'heures qu'on voudra...

M. le Président : Vous avez parlé de surcapacités en Europe. Jusqu'à présent, les questions du rapporteur ont porté sur la négociation, la réduction du temps de travail, la solidarité, mais les usines automobiles sont faites pour produire, et produire bien pour bien vendre.

Que pensez-vous des méthodes d'exportation de nos produits automobiles ? Seriez-vous favorable à l'instauration d'une nouvelle prime à l'acquisition de véhicules ? Que pensez-vous des réseaux de commercialisation automobile en France ? Comment voyez-vous leur évolution, puisque vous avez dit tout à l'heure que des membres de votre organisation travaillent dans les garages ?

M. Michel HUC : La surcapacité en Europe est d'environ un tiers, avec dix-huit millions de véhicules pour un marché de douze millions. Cette surcapacité a diminué grâce aux suppressions d'emplois chez tous les constructeurs en Europe. Au total, l'addition de toutes les diminutions d'emplois dans ce secteur équivaut à la disparition d'un constructeur. Il ne disparaîtra pas de constructeur en tant que tel en Europe, mais la chute du nombre d'emplois revient à réduire les capacités existantes.

Chaque pays a ses constructeurs, les soutient, les aide. Je sais que cela ne paraît pas très européen, mais c'est la réalité actuelle à laquelle nous sommes confrontés et dont les organisations syndicales discutent entre elles, en Europe. L'objectif reste, dans chaque pays, le maintien de l'emploi.

S'agissant de l'exportation, je pense que les constructeurs français étaient trop européens. Ils commencent à se préoccuper de leur implantation à l'étranger. On ne fera pas beaucoup de grande exportation, car cela coûte cher. Qu'un véhicule soit livré par bateau ou sur un parking, son coût de stockage et d'immobilisation est identique. On s'oriente vers des implantations industrielles dans d'autres régions du monde : en Amérique du Sud - on ne reviendra sûrement pas aux Etats-Unis, compte tenu des nombreux succès qui ont couronné toutes nos tentatives !... -, en Europe de l'Est où des contrats viennent d'être signés, en Chine, dans les pays du Sud-Est asiatique, y compris sous forme de joint-ventures. Pourquoi ne pas envisager que des constructeurs français s'entendent pour tel ou tel marché dans une région du monde ? Tout est possible.

Les organisations syndicales sont peu impliquées dans cette activité. Nous sommes informés par les directions quand elles le veulent bien, car elles souhaitent garder confidentielles certaines informations ; cela fait partie de la guerre commerciale.

Nous ne fabriquerons pas en France une importante quantité de voitures pour la grande exportation. Nous exporterons vers les pays proches : Grande-Bretagne et pays de l'Europe des Quinze. En Europe de l'Est, notamment dans la CEI, les constructeurs envisagent plutôt d'implanter des usines. Les constructeurs préfèrent produire sur place plutôt que de faire de la grande exportation, qui est une activité difficile. Les Japonais qui s'y sont essayés pendant longtemps l'ont abandonnée au profit de l'implantation d'usines, y compris en France, où ils amènent avec eux leurs équipementiers. Les Français devraient d'ailleurs faire de même. Nous savons que les équipementiers vont s'installer en Chine ou en Argentine pour suivre tel constructeur qui souhaite les avoir avec lui en raison de leurs bonnes relations. Nos constructeurs souhaitent que leurs principaux équipementiers les accompagnent.

Nous ne sommes pas favorables à l'instauration d'une nouvelle prime à l'acquisition d'un véhicule, même si plusieurs pays y ont eu recours. L'acquisition de véhicules est une question de pouvoir d'achat. Sans augmentation du pouvoir d'achat, on n'achètera pas davantage de véhicules. Comme le marché européen est un marché de remplacement et non d'expansion, la création d'une prime à l'acquisition - qui peut se comprendre pour faire face à une période difficile - permet d'anticiper mais ne crée pas un marché supplémentaire. Cela a permis d'accélérer le rythme de remplacement des véhicules. Les effets ont été limités, puisque la moyenne d'âge des véhicules en France est de six ans - identique, à un an près, à celle des Etats-Unis dont le marché est, dit-on, très dynamique - ce qui prouve qu'il existe un problème de pouvoir d'achat.

Cela est lié à la commercialisation et au réseau, problème que les constructeurs étudient après avoir connu quelques déboires. Lorsqu'un constructeur ne soutient plus une succursale ou un concessionnaire, le garagiste, pour assurer sa survie, représente une marque étrangère qui souhaite installer un réseau en France. C'est aussi simple que cela. Le réseau est essentiel. Celui qui achète un véhicule veut trouver quelqu'un qui puisse le réparer vite et bien.

Si des efforts portant sur le changement de convention collective des salariés des réseaux sont actuellement réalisés par les constructeurs, on doit reconnaître que l'emploi dans le réseau ne croîtra pas non plus. Notre réseau de services automobiles est d'un bon niveau, comparable au réseau européen. Des établissements disparaîtront, d'autres apparaîtront, mais le nombre des garages restera stable. Nous sommes mêmes convaincus que le nombre d'emplois diminuera puisque l'évolution actuelle conduit les équipementiers à assurer la garantie d'ensembles. On demandera au mécanicien de remonter ces ensembles dont le constructeur n'assurera plus la garantie. C'est pourquoi l'on ne doit pas s'attendre au développement des emplois qualifiés dans ce secteur.

M. Jean-François KONDRATIUK : Les primes à la casse ont engendré du chômage dans le secteur du service automobile, car ce sont les vieilles voitures qu'on répare et non pas les voitures neuves. Cela a provoqué beaucoup de dégâts.

Les réseaux traditionnels ont de bonnes conventions collectives, alors que de nouvelles chaînes de services font appel à des salariés payés au smic, auxquels on accorde des primes d'intéressement. Ces chaînes font beaucoup de tort aux services de l'automobile où les salaires et les garanties sociales sont plus élevés que dans ces filiales de grandes surfaces.

A cela s'ajoute le fait que la voiture est devenue très sophistiquée. L'injection, les calculateurs, l'électronique nécessitent d'importants investissements, une bonne formation, de sorte que beaucoup de petits garagistes n'arrivent plus à suivre. Des petits agents vont faire réaliser leurs révisions, leurs contrôles et leurs mises au point dans des stations électroniques comme Facom. De nombreux garagistes déposent leur bilan, parce qu'ils n'arrivent plus à former le personnel et à investir.

M. Michel HUC : Les équipementiers étant appelés à devenir des ensembliers, je préciserai que les chaînes que l'on voit s'installer, adhèrent, en fait, aux conventions collectives, mais n'ont pas besoin de personnel qualifié, puisqu'elles ne remplacent qu'un type de produits. Il en résulte une déqualification et une baisse des salaires.

En outre, la déréglementation européenne conduira, d'ici peu de temps, à la fin des privilèges sur le réseau en France. Cela signifie que n'importe qui pourra acheter n'importe où, ce qui remettra en cause l'existence d'un certain nombre de garages. Nous avons combattu les mandataires. Pour les combattre, on va déréglementer, mais il n'est pas certain que cela aboutisse, en fin de compte, à davantage d'emplois.

M. Joseph TYRODE : Dans un secteur où règne la surcapacité, où l'on travaille à peine trente heures par semaine et où le personnel est en surnombre, ne faut-il pas avoir une volonté très forte de vendre à l'étranger, en particulier en Europe ? Ne pensez-vous pas qu'il existe un manque de dynamisme dans les entreprises pour vendre à l'étranger, alors que les Coréens vont venir s'implanter et déverser bon nombre de véhicules sur l'Europe ?

Vous êtes des syndicalistes, mais vous êtes aussi des acheteurs. Vous êtes-vous interrogés sur les conséquences d'une législation européenne stricte qui ne nous permet pas de différencier un certain nombre de produits. Pourquoi, au moment des "balladurettes" et des " juppettes ", n'a-t-on pas fait preuve de plus de "nationalisme" pour l'acquisition de véhicules ? Il y a probablement là une activité à développer sur le plan syndical.

M. Michel HUC : Notre mouvement syndical est profondément européen. Vous avez raison de dire qu'il aurait fallu conduire des actions plus ciblées, mais les Italiens et les Espagnols n'ont pas fait mieux que nous. Leurs mesures s'appliquent à l'ensemble des véhicules.

Cependant, il faut respecter certaines règles. Quand on dit que les Coréens et les Japonais, Daewoo, Toyota, et la Smart vont s'implanter, j'observe que les aides dont bénéficient ces constructeurs pour s'installer dans notre pays et les moyens qu'on va leur fournir - terrains parfois gratuits, aide à l'investissement, aide à l'embauche, aide à la recherche -, contribuent à casser la concurrence. N'oublions pas que ces usines que l'on attire en France, vendront en France et en Europe. Elles ne vendront pas en Chine, aux Etats-Unis, au Japon ou ailleurs. Je comprends qu'une région touchée par le chômage soit intéressée par la création de 2 500 emplois par un constructeur étranger. Mais nous savons que les 2 500 emplois obtenus là seront perdus ailleurs, parce que globalement, le nombre de véhicules ne croîtra pas au rythme des implantations en cours. Je ne dis pas qu'il ne croîtra pas légèrement, car je me bats pour améliorer le pouvoir d'achat et permettre de remplacer les véhicules plus souvent.

On est en train de casser la concurrence. N'oublions pas qu'on embauche des jeunes sans ancienneté, pour lesquels les conventions collectives s'appliquent peu.

Cela étant dit, je reconnais que certains constructeurs français ont pris un peu de retard sur les implantations à l'étranger. Ils doivent faire preuve d'un peu plus de dynamisme pour gagner des parts de marché et réaliser ainsi des bénéfices plus importants dont la péréquation peut avoir des incidences sur les salaires en France.

Il nous est difficile de formuler un jugement sur nos ventes en Europe. Nous ne suivons pas tous les commerciaux de chaque constructeur. Nous observons toutefois que notre balance commerciale automobile est excédentaire. Je crois même que nous approchons maintenant les 60 %. Nous vendons beaucoup à l'étranger. Pourrait-on monter à 70 % ? Peut-être, mais les autres pays ne se laisseront pas faire.

M. le Rapporteur : Je partage votre réaction. Les concurrents de nos constructeurs ont bénéficié non seulement de la "juppette", mais aussi de l'"aznarette" et de la "prodette". Le bilan est difficile à réaliser.

M. Michel HUC : En Espagne aussi, nous en avons bénéficié !

M. le Rapporteur : En revanche, je marquerai mon opposition au fait que, malgré les surcapacités que tout le monde reconnaît, l'on subventionne au niveau européen, même pour des raisons d'aménagement du territoire intra-européen, des implantations de constructeurs, en particulier japonais. Cela touche à l'absurde ! C'est un point sur lequel nous nous exprimerons.

M. Michel HUC : Une telle pratique aura des conséquences. Regardez ce qui s'est passé pour le site de Chausson.

Audition d'une délégation de la Fédération de la métallurgie CFE-CGC
composée de MM. Jean-Pierre CHAFFIN, Président de la Fédération,
Pierre BEVILACQUA, Délégué syndical central Peugeot,
et Robert MALHERBE, Délégué syndical central Renault

(extrait du procès-verbal de la séance du 4 novembre 1997)

Présidence de M. Gérard VOISIN, Secrétaire

M. Jean-Pierre CHAFFIN  : Je résumerai notre position concernant ce secteur important de l'économie française. Après les auditions auxquelles vous avez procédé et les visites que vous avez effectuées, vous connaissez parfaitement le secteur de l'automobile.

Certains problèmes sont communs à l'ensemble des constructeurs en Europe, d'autres sont plus spécifiquement français.

L'industrie européenne de l'automobile se caractérise par l'existence d'un marché saturé qui sera totalement ouvert à la concurrence à partir du début du siècle prochain, par une internationalisation croissante de la plupart des constructeurs, vitale pour leur devenir et, depuis une quinzaine d'années, par une poursuite accélérée de l'extériorisation de la production de sous-ensembles de plus en plus complexes. On peut d'ailleurs observer que certains équipementiers ont mieux réussi leur internationalisation que nos deux constructeurs automobiles.

L'Europe est marquée par d'importantes surcapacités de production. Alors que le marché est de l'ordre de 12 à 13 millions de véhicules, la capacité de production est de 18 millions. Sans rencontrer le même type de problème que la sidérurgie, cette situation ne peut manquer d'avoir des incidences importantes.

Dans les quatre à cinq ans à venir, on devrait connaître une exacerbation sans précédent de la concurrence. Les années qui sont devant nous seront beaucoup plus difficiles que les années passées. Par conséquent, les syndicalistes s'attendent à une aggravation des problèmes sociaux, conséquence des restructurations à venir.

Dans un contexte où vont s'affronter tous les constructeurs européens, où les Américains sont présents depuis la Libération, où les Asiatiques sont moins présents mais renforcent leur position et continueront de le faire, quelles sont les spécificités des constructeurs français ?

Nous constatons un retard dans le domaine de la présence internationale qui caractérise les grands constructeurs mondiaux généralistes, notamment européens. Notre organisation a regretté l'échec de la fusion de Renault avec Volvo qui aurait procuré un vecteur possible d'internationalisation et une complémentarité utile. Nous n'avons pas su privatiser assez vite l'entreprise. On connaît la suite qui fut donnée aux accords préparés avec Volvo...

Renault et PSA sont marqués par une rentabilité qui ne les situe pas dans le peloton de tête des constructeurs européens. Leur capacité financière est insuffisante ou pose problème pour assurer l'avenir, ce qui les rend plus sensibles à la guerre des prix qui va s'accentuer dans les années qui viennent.

Nos deux groupes sont uniquement présents sur le terrain de l'automobile, et du poids lourd pour Renault, contrairement à des groupes comme Fiat, Daimler-Benz.

Nous estimons avoir une excellente maîtrise technique, mais notre capacité d'innovation pour développer notre présence sur les marchés doit encore être améliorée.

Enfin, le groupe Volkswagen qui a bien tiré son épingle du jeu, ces dernières années, l'a fait en extériorisant non seulement sa propre production vers les équipementiers et les fournisseurs, mais aussi vers l'ex-Allemagne de l'Est, la Tchécoslovaquie, la Turquie. Il sait faire des voitures moins chères. Il a une politique de volume qui le place en excellente position, alors qu'il y a quelques années, sa stratégie était critiquée, d'aucuns prévoyant un échec.

Les problèmes qui se posent à l'industrie automobile française n'ont jamais été aussi sérieux. Leurs conséquences sociales ne seront pas faciles à traiter.

Nous pensons être arrivés au bout de l'utilisation des outils sociaux habituels, pratiquée depuis quinze ans de manière répétée. Cela est mauvais pour le climat des entreprises. De plus, les pyramides d'âges des différents établissements automobiles suffisent à illustrer les limites de la façon dont on a traité les problèmes sociaux de l'automobile. C'est la raison pour laquelle nous insistons depuis tant d'années sur le contrat de générations. J'y reviendrai tout à l'heure.

Je ne terminerai pas sans avoir évoqué la vente et la réparation automobile. Un forte pression s'exerce actuellement sur les réseaux, tant de la part des constructeurs français que de la part des constructeurs étrangers. Chacun a ses spécificités, mais nous notons là une source importante de problèmes sociaux pour les années à venir. Ils feront peut-être moins parler d'eux médiatiquement, car s'ils concernent, certes, 300 000 salariés, ceux-ci sont répartis dans des entreprises de taille relativement modeste. Nous pensons que l'emploi dans les réseaux de distribution automobile est également un problème pour notre pays.

Les propositions de la Fédération de la métallurgie CFE-CGC  vous ont déjà été exposées par nos intervenants de Renault et de PSA. Je reviendrai donc brièvement sur quelques points importants.

Avant la dernière alternance politique, nous avions proposé au gouvernement de M. Juppé d'organiser une conférence sur la base du rapport Cabaret, de façon à envisager la façon de traiter les problèmes sociaux de l'automobile dans les années à venir. Celle-ci n'a pas eu lieu. Je ne sais pas ce qu'est devenu le rapport Cabaret, car nous ne l'avions obtenu que par indiscrétion. Aujourd'hui, il nous paraît urgent d'organiser une telle concertation sur la base du rapport de votre mission.

L'Etat pourrait consacrer les sommes tirées de la vente des actions qu'il possède encore chez Renault, d'une valeur d'environ 20 milliards de francs, pour aider au financement des mesures sociales spécifiques que requiert le secteur automobile.

A très court terme, le secteur automobile exige une utilisation poussée de ce que nous appelons le contrat de générations. Ayant son origine dans nos sections de l'automobile, chez Peugeot comme chez Renault, il est très vite devenu une position de notre groupe automobile, puis une position confédérale sur des problèmes plus larges que ceux de l'automobile.

Un tel outil doit à la fois servir l'emploi des jeunes et apporter un début de solution important au redressement des histogrammes d'âges de l'appareil de production des deux constructeurs ainsi que des réponses à l'inadaptation d'une partie des salariés qui ont débuté très jeunes.

Nous défendons cette idée depuis cinq ans. Nous sommes satisfaits de la voir reprise par d'autres organisations syndicales. M. Blondel ne manque pas une occasion de rappeler qu'il faut s'occuper des gens qui ont commencé à travailler à quatorze ans. Cet outil peut être extrêmement utile pour le secteur automobile, plus encore que pour d'autres, même si nous le soutenons sur le plan général. Il a le mérite de poursuivre ses effets pendant quatre ou cinq ans et de s'éteindre ensuite progressivement. Macro-économiquement, on ne peut pas user en permanence des mesures d'âge, mais il y a aujourd'hui une manière intelligente de les appliquer, et on sait qu'on n'y échappera pas.

Nous insistons donc fortement sur le contrat de générations. C'est d'ailleurs une position qui nous faisait soutenir l'intervention de MM. Calvet et Schweitzer auprès du gouvernement Juppé, l'été dernier, même si les chiffres qu'ils présentaient nous paraissaient insuffisants. J'espère que M. Schweitzer et M. Folz n'ont pas fondamentalement changé d'idée sur l'utilisation de cet outil.

Si nous les rejoignions sur cet aspect, en revanche, nous avons toujours eu un différend important avec les dirigeants de l'automobile sur l'utilisation du temps de travail.

Nous vous avons fourni des annexes. L'une est un texte rédigé pour notre rentrée sociale à la Mutualité, le 30 septembre dernier, et intitulé : "Donner un vrai travail aux jeunes et reconnaître leur qualification". Il rejoint le contrat de générations. L'autre, intitulé : "Travailler mieux mais travailler moins, travailler autrement en travaillant plus nombreux", pose la problématique non du partage du travail existant, mais de la façon dont, dans notre pays, nous pouvons essayer de commencer à résorber la fracture sociale. Depuis vingt ans que nous gérons des restructurations industrielles, c'est la méthode du tout ou rien qui a été appliquée à l'égard des hommes et des femmes qui travaillent, provoquant le chômage et l'exclusion.

C'est pour nous un débat intéressant. Après l'échec de la conférence nationale du 10 octobre, nous pourrons progresser seulement lorsque le CNPF aura retrouvé un nouveau patron et que Gouvernement et patronat seront parvenus à renouer le dialogue, à la condition que nous puissions décider en commun de travailler sérieusement sur un certain nombre de sujets clés, tels que les relations entre l'économie de notre pays et le traitement des problèmes industriels et sociaux dans un secteur comme celui de l'automobile.

Au-delà d'une "grand-messe", cette conférence doit déboucher sur un travail approfondi et non sur des crises nerveuses ou une situation de blocage comme celle que nous connaissons aujourd'hui. La capacité de recréer un dialogue approfondi au début de 1998 dépend des positions respectives du Gouvernement et du patronat. Les organisations syndicales seront présentes, mais elles n'ont ni le pouvoir économique ni le pouvoir politique. Si l'on parvient à réouvrir le débat sur les problèmes d'organisation du travail, il est possible, petit à petit, de faire des choses intelligentes. Tous les acteurs doivent montrer qu'ils sont prêts à faire un pas vers l'autre.

Nous sommes favorables aux outils du type " loi Robien " ou celle qui la remplacera au début de 1998 et qui donnera corps à ce qui a été annoncé le 10 octobre dernier. Cette loi a permis pour la première fois de développer des négociations d'entreprises.

Il convient toutefois d'examiner ce qui s'est fait. Cette loi a été en partie utilisée pour des raisons d'opportunité : si vous avez un carnet de commandes qui se remplit de nouveau et si vous pouvez embaucher moins cher, je ne vois pas pourquoi vous vous en priveriez. Dans d'autres cas, les partenaires sociaux se sont interrogés sur les problèmes d'organisation, pour accompagner des progrès de productivité dont les effets ne se limitent pas aux effectifs.

Nous sommes favorables à l'existence de ce genre d'outils, mais nous estimons qu'ils seraient beaucoup plus crédibles si l'on ne donnait pas l'impression qu'il s'agit de chômage partiel un peu luxueux. Pour cela, il faudrait qu'à terme - puisque tout le monde reconnaît que les prélèvements obligatoires sont élevés, en tout cas relativement plus élevés que chez nos grands concurrents européens - le Gouvernement accepte de baisser d'un demi-point par an pendant plusieurs années les prélèvements et l'ensemble de la dépense publique. Cela mettrait un terme aux critiques du patronat à l'encontre de la " loi Robien " ou de celle qui va la remplacer.

Avoir des négociations intelligentes ne sera pas facile, mais comme nous sommes plutôt optimistes, nous y croyons. Nous pensons que cela pourrait avoir lieu au début de 1998. Si l'on ne parvient pas à rétablir un dialogue, je crains que nous ayons des négociations en ordre dispersé et le développement d'une attitude de blocage, au prétexte d'attendre la loi de 1999 pour savoir comment on passera des trente-neuf aux trente-cinq heures, connaître les effets de cette disposition et de la baisse des heures supplémentaires. Si l'on veut progresser, ces blocages doivent être levés dès le début de l'année 1998.

Il serait souhaitable de parvenir à donner davantage de marge financière aux entreprises et de mettre en oeuvre un dialogue plus construit, et je crois que beaucoup d'autres organisations syndicales le souhaitent aussi. Car faire discuter l'ensemble des organisations syndicales sur les problèmes d'organisation du travail n'est pas facile. On y vient souvent trop tard, après l'annonce de licenciements collectifs importants ou du dépôt de bilan. Les partenaires sociaux doivent pouvoir s'attaquer beaucoup plus tôt au problème de l'organisation du travail. C'est le rôle du comité d'établissement et du comité central d'entreprise. Ils devraient nourrir la négociation en permanence, ce qui n'est généralement pas le cas, actuellement. Si l'on pouvait transformer l'obligation annuelle d'examen de la politique salariale et de l'aménagement du temps de travail en un débat permanent au sein du comité d'entreprise, nous permettrions aux entreprises de mener à bien des discussions sur l'organisation et le temps de travail.

J'évoquerai pour terminer ce que nous attendons du débat européen.

La concurrence entre les constructeurs va être exacerbée. Chaque pays a une culture sociale différente. Si nous n'avons pas le souci de contrôler l'équité des mesures qui seront prises par les différents gouvernements des quatre ou cinq grands pays constructeurs d'automobiles, on fera la démonstration que l'Europe ne sert pas encore à grand-chose. Nous souhaitons que l'Europe dispose d'un outil capable de garantir l'équité des mesures que prendront la France, l'Allemagne, l'Italie, l'Angleterre pour aider à résoudre des problèmes sociaux de nature différente d'un pays à l'autre. Ceux de la France, en tout cas, sont assez préoccupants.

Nous attendons aussi du débat européen une clarification de l'utilisation des systèmes d'aide. Nous ne sommes pas contre la concurrence. Si demain un Japonais a suffisamment d'argent pour acheter un constructeur français ou européen, pourquoi pas ? On n'empêchera pas Toyota ou un autre de s'installer en Europe s'il le souhaite. Mais nous considérons que favoriser des implantations qui donneront un avantage comparatif momentané à un constructeur étranger - comme pour Toyota, à Valenciennes, qui bénéficierait d'aides du Gouvernement, du conseil régional et de la municipalité -, provoquera, à terme, chez l'ensemble des constructeurs européens un déficit d'emplois à peu près équivalent au nombre d'emplois créés.

Nous souhaiterions donc une clarification du débat sur les aides et estimons nécessaire d'imposer un certain nombre de règles pour chaque catégorie d'aides.

M. Joseph TYRODE  : Vous semblez très pessimiste à l'égard de l'évolution du secteur de l'automobile en France. Ne pensez-vous pas qu'il existe un manque de stratégie dans ce secteur ? Après avoir été un objet de prestige ou de faire-valoir, l'automobile est devenue un produit de consommation nécessaire. Les constructeurs n'ont-ils pas insuffisamment réagi par rapport aux phénomènes de mode ?

M. Jean-Pierre CHAFFIN  : Les constructeurs ont sans doute commis des erreurs, comme tous les autres groupes européens. Toutefois, l'évolution de certains constructeurs, au cours des dernières années, et la relative stagnation des nôtres, ont permis d'identifier les défauts de stratégie. Proviennent-ils d'un manque de moyens ou d'erreurs stratégiques ? Probablement des deux.

Mes collègues de Renault ou de PSA vont pouvoir vous faire part de leur point de vue.

M. Pierre BEVILACQUA  : Le nouveau président de PSA, M. Folz, a reconnu le manque d'innovation de la société qu'il vient de prendre en main.

Les résultats de vente de Renault et de PSA se sont toujours croisés en France et en Europe. Tantôt PSA passe devant Renault, tantôt c'est l'inverse. Renault a des niches que nous n'avons pas. Mais bien qu'ayant beaucoup plus innové que PSA ces dernières années, il a tout de même été confronté à des difficultés. Avec deux stratégies différentes, les difficultés sont analogues.

Il est vrai que l'on a mis du temps à doter nos véhicules de série de tous les équipements et accessoires qui plaisent à la clientèle. Nous le regrettions nous-mêmes en tant que consommateurs, car nous n'arrivions plus à revendre nos véhicules. On a évolué sur ce point.

M. Robert MALHERBE  : Tant que nous étions sur notre propre marché, les marques françaises en ont profité, comme l'ont fait toutes les marques à l'intérieur de leurs propres frontières.

Nous ne sommes pas pessimistes quant à l'évolution du secteur de l'automobile en France. C'est un produit de consommation nécessaire. A un moment donné, on a tenu compte des tranches d'âge qui cherchaient à se différencier. Combien de gens ont voulu posséder une voiture qui n'était pas celle de M. Tout-le-monde ? Dès lors, un certain nombre de constructeurs ont fait en sorte de développer des véhicules de "niche". Les Japonais avaient tenté de nous mettre sur cette voie, puis ils l'ont abandonnée pour revenir à des véhicules de fabrication massive.

De son côté, Renault a développé des petits véhicules : la 4L, la Super Cinq, la Clio et la Twingo. Permettez-moi de vous dire, messieurs les parlementaires, que les jeunes, qui ont le droit de consommer, ont mieux à faire que de monter dans les "poubelles" de Fiat, en particulier la Fiat Panda ! Il est donc intéressant de pouvoir offrir à ces consommateurs des véhicules d'aussi bonne qualité que ceux de leurs parents ou grands-parents.

Puisque nous avons la chance d'être reçus par votre mission, nous voulons crier : "Au secours !". Je disais dernièrement à l'Agence France presse que nous nous dirigions vers du sang et des larmes, mais chez Renault, nous nourrissons l'espoir que votre mission fournisse rapidement des indications aux pouvoirs publics.

Notre espoir est notamment fondé sur le contrat de générations, qui permettrait à de nombreux jeunes d'apporter leur dynamisme, leurs connaissances. Vous avez devant vous un homme qui a commencé à l'âge de quatorze ans. Après bientôt quarante ans de travail dans l'entreprise, on est usé. Le dynamisme que l'on voudrait mettre au service de l'entreprise et du client, nous ne l'avons plus.

M. le Rapporteur  : La méthode retenue après le 1er juin et acceptée par le Gouvernement est celle de la mission d'information parlementaire qui rendra un rapport public. Il sera critiqué, fera ou non l'objet d'un suivi, mais il est clair que d'ici la fin de l'année, un certain nombre de choses seront mises sur la table qui permettront, à la différence du rapport Cabaret, d'avoir des éléments de discussion et de négociation. C'est dans cet esprit que nous travaillons. Il ne s'agit pas seulement de faire une analyse du secteur, mais de déboucher sur des propositions précises.

Concernant les questions de volume, je ne reviendrai pas sur l'échec de l'accord Renault-Volvo. Je ne suis pas sûr que la nature du capital de Renault soit seule en cause. Je poserai de nouveau une question iconoclaste. Puisque vous représentez nos deux constructeurs et que le président de PSA vient de changer, imaginez-vous qu'il puisse y avoir une plus grande coopération entre nos deux constructeurs ? On nous a expliqué qu'il n'était pas question de fusionner des marques. Je suis prêt à accepter ce discours. Cependant, il me semble qu'il pourrait être fait bien davantage, ce qui permettrait des progrès de compétitivité, compte tenu des effets de séries et de volume.

Concernant les contrats de générations, l'ARPE, chaque organisation indiquera son degré de paternité sur les propositions susceptibles d'être retenues.

M. Jean-Pierre CHAFFIN  : L'ARPE n'est qu'un début !

M. le Rapporteur  : Ou ARPE étendue...

Ce mécanisme donne la certitude d'une sortie et d'une entrée, même si toutes les sorties ne sont pas compensées par des entrées. C'est une façon de contrôler un processus.

M. Jean-Pierre CHAFFIN  : C'est notre position de départ.

M. le Rapporteur  : C'est aussi la mienne. On peut envisager que tout départ ne serait pas obligatoirement compensé par une embauche, même si d'autres scénarios peuvent éviter les chiffres du rapport Cabaret...

S'agit-il pour vous du seul mécanisme possible ou accepteriez-vous une espèce de " boîte à outils " de mesures, avec des préretraites à mi-temps pour les gens de la chaîne à partir d'un certain âge ou justifiant d'une certaine ancienneté ? Plusieurs dispositifs ont été évoqués. Je pense à un panel de mesures dans lequel choisir, site par site, en fonction des situations de production.

Nous sommes d'accord sur le principe des contrats inter-générations ou de l'ARPE étendue. Pour autant, j'ai envie de mettre d'autres choses dans la boîte à outils. Est-ce une philosophie que vous partagez ?

Enfin, s'agissant de la réduction de la durée du travail, j'aborderai un point précis. Nous saurons dans un an si le 10 octobre a été un échec ou un traumatisme libérateur d'énergie. De toute façon, pour l'automobile, la réduction de la durée du travail sera utilisée, quelle que soit l'attitude du CNPF.

S'agissant de l'encadrement, on nous a répété sur tous les sites un slogan fort : "Non aux quarante-cinq heures payées trente-cinq". Vous seriez plutôt favorable à un jour supplémentaire de congé, selon des modalités d'application qui restent à discuter. Peut-on réfléchir à une réduction du temps de travail créatrice d'emplois pour l'encadrement, compte tenu du rythme de travail de cette catégorie dans de grosses entreprises. Si l'on s'oriente vers une telle formule de réduction du temps de travail, sous quelles formes auront lieu les embauches ? On voit bien ce que donne le vendredi-samedi-dimanche sur une ligne, mais en terme d'encadrement, je doute que la formule fasse recette.

M. Pierre BEVILACQUA  : Sur le premier point, des coopérations se pratiquent déjà, notamment pour la boîte de vitesses automatique et certains groupes moteurs, mais elles sont relativement limitées. Avant de renforcer la coopération avec Renault, il faudrait déjà que PSA essaie de s'organiser par plates-formes. C'est en cours. Le Président Folz vient de l'annoncer. Il faudrait déjà harmoniser ce qui peut l'être entre Citroën et Peugeot. On s'engage dans une restructuration importante que je qualifierai même de révolution.

Notre nouveau président vient d'annoncer son intention de réorganiser l'ensemble Peugeot-Citroën autour de quatre plates-formes, à l'instar de ce qui existe chez Volkswagen. Cela donnera lieu à des grincements de dents, puisque le regroupement des directions des deux constructeurs pour la fabrication, la qualité et le personnel - c'était déjà le cas pour les études, les méthodes et l'informatique -, non seulement produira des effets de volume, mais révélera des doublons et des sureffectifs structurels. Nous sommes très inquiets de ce qui va être annoncé à la fin de l'année et au début de l'année prochaine.

M. Robert MALHERBE : Effectivement, avant d'envisager une coopération avec Renault, les deux marques doivent essayer de coopérer au maximum. Nous y sommes tout à fait favorables. Elle existe déjà pour la boîte de vitesses automatique et pour le moteur à essence.

Il pourrait y avoir des coopérations importantes pour les moteurs. Investir sur un moteur diesel de 1,4 ou 1,5 litres représente un coût de 3 à 5 milliards de francs. Si Renault a besoin de ce moteur, il est inutile qu'il investisse seul cette somme.

Les grandes coopérations sont souhaitables, sauf pour la plate-forme du véhicule qui détermine la stratégie de l'entreprise et les futurs modèles et pour laquelle un minimum de confidentialité doit être préservée. D'ailleurs, les directions d'achat fonctionnent déjà ensemble et réalisent des synergies dans leurs relations avec les équipementiers. Dans l'ingénierie aussi, des travaux sont effectués en commun. Les deux anciens présidents MM. Lévy et Calvet n'étant plus à la tête des entreprises, on peut penser que les deux nouveaux présidents seront capables de s'entendre mieux.

En revanche, j'appellerai l'attention sur le fait qu'il ne faut surtout pas limiter les coopérations aux trois constructeurs français. Il faut déborder nos frontières, car nous avons beaucoup à apprendre des autres, même si copier est aussi une source de diminution d'emplois.

Il y a une dizaine d'années, on coopérait moins entre Renault et Peugeot, même à la CFE-CGC.

M. Jean-Pierre CHAFFIN : Il est vrai que j'avais plus de peine à les faire dialoguer.

J'ajouterai que les coopérations de demain ne seront pas forcément franco-françaises. PSA peut créer un véhicule en commun avec Fiat. Il est difficile de savoir jusqu'où iront ces coopérations, car en cinq à dix ans, le paysage de la production automobile a fondamentalement changé. J'ai parlé d'extériorisation de la production. Des sous-ensembles de plus en plus importants sont confiés aux équipementiers, les procédures de fabrication se transforment, de sorte que le paysage industriel sera peut-être différent. On pourrait voir demain des types de regroupements industriels qui ne correspondent pas nécessairement à ceux que l'on imagine. En tout cas, il est certain que les coopérations vont se poursuivre et s'amplifier.

En ce qui concerne les mesures d'âge, la coexistence de l'ARPE et d'autres mesures d'âge dans le cadre du FNE crée des situations inéquitables entre salariés. Il conviendrait d'harmoniser les conditions de départ à un certain âge, afin d'éviter des inéquités de nature à semer le trouble, à créer un mauvais climat.

Il est clair que nous sommes aussi favorables à des mesures intermédiaires du type des préretraites progressives. Il nous faut une "boîte à outils" riche pour traiter demain les problèmes de l'automobile. L'ARPE ou l'ARPE étendue ne résoudront pas tous nos problèmes. Nous sommes tout à fait ouverts à des formules progressives qui assureraient les passerelles nécessaires selon les âges des personnels considérés.

En ce qui concerne la durée du travail, notre premier objectif syndical est de revenir à des situations plus normales. Même s'il ne se passait rien dans les entreprises à la suite de la prise de position du Gouvernement, nous aurions ce débat, parce que nous intentons des actions en justice, dans des entreprises pourtant renommées, pour lutter contre certains abus en matière de temps de travail, en particulier pour l'encadrement. Pendant les vingt années de restructuration industrielle que nous avons connues, on a laissé se dissocier le temps de travail d'une grande partie de l'encadrement de celui de la moyenne du temps de travail des salariés, ce qui a créé des situations qui doivent aujourd'hui être corrigées.

Nous avons pris pour mot d'ordre la semaine de quatre jours. Cela ne veut pas dire que nous demandions que le travail soit systématiquement organisé par périodes de quatre jours par semaine. D'ailleurs, dans la métallurgie, nous nous sommes engagés sur un accord d'annualisation. Les médias présentent l'annualisation du temps de travail comme un synonyme de la réorganisation du travail. C'est totalement faux. C'est un paramètre parmi cinquante. C'est pourquoi il faudrait approfondir le dialogue social et reprendre la conférence du 10 octobre au début de 1998.

Nous sommes favorables à la semaine de quatre jours. Nous avons toujours dit que nous étions prêts à traiter de la notion d'annualisation et même de pluriannualisation. Quand des équipes, pendant un an ou dix-huit mois, travaillent beaucoup plus que la normale pour lancer une nouvelle usine, nous voulons que, même quand les gens sont payés au forfait, le travail supplémentaire accompli soit récupéré. Si l'on diminue de 10 % le temps de travail, on ne passera pas pour autant à la semaine de quatre jours. Chez Eurocopter, par exemple, les gens se sont très bien habitués à travailler un vendredi sur deux, parce que cela était nécessaire pour maintenir les emplois.

On peut toujours travailler mieux en travaillant autrement. En ce qui nous concerne, nous ne parlons jamais de nombre d'heures par semaine car les gens que nous représentons ne se reconnaissent pas derrière trente-deux heures, trente-cinq heures ou trente-neuf heures. Notre problème n'est pas là. Nous parlons en nombre de jours travaillés à l'année, une mesure sur laquelle il faudra bien se mettre d'accord un jour. L'ensemble des ingénieurs conventionnés, y compris les ingénieurs et cadres de la convention de la métallurgie, qui sont souvent des gens à haute responsabilité, doivent être intégrés dans la réflexion sur le temps de travail, mais pas en parlant de nombre d'heures par semaine ou par jour.

Audition d'une délégation de la Fédération nationale CFTC
des syndicats de la métallurgie composée de
MM. Jacques DESESPRINGALLE, Président fédéral,
Valère JUNG, Secrétaire général,
et Francis CLERBOUT, Secrétaire général adjoint

(extrait du procès-verbal de la séance du 4 novembre 1997)

Présidence de M. Gérard VOISIN, Secrétaire

M. Jacques DESESPRINGALLE : M. le Président, messieurs, nous sommes très heureux aujourd'hui de pouvoir vous présenter une synthèse de nos positions. Je laisserai le soin à notre secrétaire général, M. Jung, de développer nos réflexions et nos propositions.

M. Valère JUNG : M. le Président, messieurs les députés, le mois dernier, vous avez reçu ici-même nos représentants centraux des groupes Renault et PSA. Aussi, nous n'allons pas revenir sur leurs propos, mais approfondir leurs réflexions, présenter ici sans complaisance les atouts, les difficultés, les faiblesses de nos groupes automobiles, ainsi qu'un bilan de la situation sans équivoque des relations et rapports sociaux dans leurs entreprises.

Souhaitant être partenaire à part entière au sein de ces dernières, la Fédération de la métallurgie CFTC élargit son domaine d'investigation au-delà de son rôle social.

De même, cette audition serait incomplète si elle ne prenait pas en considération la situation des entreprises sous-traitantes et autres fournisseurs des constructeurs automobiles.

Nous vous proposons d'aborder ces différents sujets comme suit : les constructeurs d'automobiles, les sous-traitants et les fournisseurs, avant d'en venir à nos propositions.

Concernant les constructeurs d'automobiles, malgré les pertes de parts de marchés à l'interne dues en partie au contrecoup des primes automobile, mais aussi à une politique commerciale partiellement inadaptée à l'évolution de la clientèle nationale et de la concurrence étrangère, les constructeurs français voient leur chiffre d'affaires ainsi que leur bénéfice en net progrès grâce à l'exportation, tout en investissant fortement à l'étranger.

Ils proposent une large gamme de modèles, des innovations technologiques intéressantes - des concepts nouveaux - une qualité en nette hausse, une image de marque améliorée comptant aujourd'hui parmi les meilleures en Europe.

Mais ils ont aussi des faiblesses, surtout structurelles, par rapport à la concurrence internationale.

Ils ne proposent pas de modèle d'attaque à bas prix reprenant des critères de qualité et d'équipement corrects.

L'équipement des véhicules est insuffisant par rapport aux attentes de la clientèle et aux propositions de la concurrence.

Ils disposent d'un réseau commercial n'ayant pas l'efficacité de certains concurrents. La législation commerciale française présente des lacunes par rapport à certains pays concurrents.

Le manque d'alliances techniques ne leur permet pas d'avoir un ensemble de moteurs aux technologies de pointe à disposition.

Les relations sociales sont souvent tendues, du fait d'une politique salariale démotivante et parfois provocante, alors que la valeur ajoutée ne représente plus que 12 à 15 % du prix initial d'une voiture.

Nous constatons aussi une détérioration des relations entre différentes catégories de personnel, des difficultés dues à la flexibilité du temps de travail à outrance, à une politique d'emploi faisant appel à l'intérim, aux contrats à durée déterminée, au temps partiel, à la forfaitisation.

La pyramide des âges est inquiétante pour l'avenir des entreprises concernées, s'il n'y a pas de changement rapide de la politique de l'emploi.

Nous constatons aussi un manque de stratégie ambitieuse et dynamique en matière de formation professionnelle, celle-ci étant à ce jour insuffisante par rapport aux enjeux et inadaptée aux évolutions individuelles des salariés.

S'agissant des sous-traitants, ils ont une situation fréquemment précaire lorsqu'ils sont liés uniquement aux constructeurs français. Souvent filialisés à ces derniers, ils sont tributaires de leur politique de baisse des prix de fournitures pour des productions qu'ils avaient réalisées eux-mêmes précédemment.

Du fait de leurs origines et de leurs relations de dépendance vis-à-vis des constructeurs locaux, spécialisés sur leurs productions, ils n'ont presqu'aucune marge d'évolution vers une certaine diversification de produits et de clients, et souffrent donc d'un manque d'autonomie et de moyens d'extension.

La situation sociale dans ces entreprises est parfois dramatique. Certaines sont en état de sous-effectif latent, leurs emplois sont en majorité précaires - contrat à durée déterminée, intérim - ; elles abusent des possibilités offertes par le législateur en matière d'organisation du temps de travail, au travers du temps partiel obligatoire et de la flexibilité à outrance. Les conditions de travail, d'hygiène et de sécurité sont déplorables dans la plupart de ces entreprises, les salaires du personnel limités au strict minimum législatif, quand ils n'y sont pas inférieurs. Nous y constatons un recours abusif aux heures supplémentaires parfois non rémunérées.

Il va sans dire que la représentation des salariés dans ces entreprises est tout juste tolérée si les militants syndicaux ne sont pas trop dérangeants, ou tout simplement refusée, par des pressions directes ou indirectes allant jusqu'à mettre en cause l'intégrité des personnes et de leurs familles.

En ce qui concerne la formation professionnelle, elle se limite au strict minimum légal, quand il est respecté.

Quant aux fournisseurs automobiles, ils ont su diversifier leurs productions et l'élargir à d'autres secteurs d'activités tant en France qu'à l'étranger. De ce fait, ils ont une totale autonomie vis-à-vis de tel ou tel constructeur et obtiennent des résultats intéressants.

Cependant ils restent soumis à une forte concurrence. De ce fait, ils sont en évolution constante et ont pour certains, tendance à délocaliser leurs productions à haute valeur ajoutée.

Leur bilan financier est largement positif malgré certaines difficultés sectorielles.

Les relations sociales sont diverses au sein de ces entreprises : souvent tendues pour les unes, à cause de problèmes de délocalisation, de politique salariale minimaliste ou de flexibilité à outrance, elles peuvent aussi, dans d'autres cas, être qualifiées de correctes, principalement dans les entreprises à technologie de pointe.

J'en viens à nos propositions.

Pour la Fédération de la métallurgie CFTC, trois dispositions principales doivent être mises en oeuvre rapidement.

1) D'abord, une concertation des organisations syndicales représentatives d'employeurs et de salariés avec les pouvoirs publics, sous l'égide du ministre chargé du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle, afin que :

- soit clairement définie la situation économique de l'industrie automobile française et de son environnement dans le contexte mondial, européen et national ;

- des conclusions en soient tirées sur l'emploi, notamment en ce qui concerne la réorganisation du temps de travail ;

- puissent être fixés les axes de politique industrielle à mettre en oeuvre pour atténuer les conséquences des mesures qui devront nécessairement intervenir - alliances et coopérations techniques franco-françaises, voire européennes - et éviter les échecs ou les difficultés tels que ceux qu'ont connus dans le passé Renault ainsi que PSA ;

- soient déterminées les actions nationales, régionales et locales à promouvoir pour maintenir les équilibres socio-économiques.

2) Ensuite, une négociation doit être engagée entre les organisations syndicales représentatives des salariés et les employeurs de la filière automobile (constructeurs, équipementiers, sous-traitants, réparateurs).

Cette négociation pourrait avoir lieu au niveau de l'Union des industries minières et métallurgiques - UIMM -, avec comme objectif d'aboutir à un accord-cadre prenant en compte la situation économique de ces secteurs et permettant de déterminer les stratégies à mettre en oeuvre pour assurer, dans les meilleures conditions possibles, les actions à mener en matière sociale, notamment dans le domaine de l'emploi : embauche de personnel grâce à une réorganisation du travail, réduction du temps de travail à trente-deux heures hebdomadaires sans perte de salaire net et instauration de la semaine de quatre jours.

Ce projet, financé par une baisse généralisée de certaines charges salariales et patronales compressibles, devra permettre l'augmentation des effectifs salariés de plus de 18 %, à la fois sans surcharge financière pour les employeurs - mais avec une baisse des charges sociales et du coût horaire du travail -, sans augmentation de la facture sociale des pouvoirs publics et sans remise en cause de l'équilibre financier des caisses de couverture sociale. Une obligation de récupération totale des heures supplémentaires en heures compensatoires majorées est inévitable.

La réorganisation du temps de travail découlant de ce projet doit impérativement prendre en compte le maintien du repos dominical à l'ensemble des salariés et l'amélioration de leurs conditions de vie et de travail.

Cette négociation devrait aussi permettre des mesures d'âge telles que la mise en place d'une préretraite progressive à partir de trente-cinq années de travail pour le personnel ayant exercé dans certaines conditions de pénibilité (travail posté) et un retour aux trente-sept ans et demi de cotisation pour les autres catégories de personnel concerné.

3) Elle devrait enfin permettre la recherche de nouveaux concepts de travail mieux adaptés aux hommes - nous avons eu l'occasion de visiter certaines entreprises étrangères et avons pu constater que de larges possibilités étaient ouvertes à cet égard - ainsi que la mise en place d'une stratégie de formation professionnelle beaucoup plus ambitieuse et adaptée aux évolutions futures des salariés, des technologies et de l'environnement économique.

M. Michel MEYLAN : Estimez-vous que les mesures que vous proposez soient de nature à faire vendre davantage d'automobiles ?

Vous avez dit que la politique commerciale était partiellement inadaptée à l'évolution de la clientèle nationale et vous avez évoqué un réseau commercial n'ayant pas l'efficacité de certains concurrents, la législation commerciale française présentant des lacunes. Quelles sont ces inadaptations et ces lacunes ?

M. Valère JUNG : Vous faites sans doute allusion à la proposition de réduction du temps de travail sans perte de salaire net, figurant dans le projet que nous avons adressé à tous les députés en 1996 et que nous allons renvoyer prochainement à tous les organismes concernés. Celle-ci tend à réduire certaines charges patronales et salariales que nous appelons compressibles, ce qui permet d'abaisser à la fois le salaire brut et le salaire global des personnels ouvriers. Il est ainsi possible de maintenir un salaire net identique avec un coût horaire réduit d'environ 18,8 %. Une telle réduction permet en outre l'embauche d'un sixième salarié pour cinq salariés ou de maintenir l'emploi en cas de sureffectif.

Il faut souligner que cette opération n'entraînerait aucune surcharge pour les entreprises ni pour l'Etat, sauf peut-être pour ce dernier lors de la mise en route du processus.

Par ailleurs, nous avons constaté, par nos militants et par notre vécu, que les réseaux commerciaux des entreprises françaises souffraient de sérieuses lacunes. Quand vous vous présentez dans une concession de marque française, il n'est pas rare que l'on vous demande de revenir le lendemain ou le surlendemain. Si vous entrez dans une concession Ford, Volkswagen, Toyota ou autre, vous êtes reçu à bras ouverts et vous ressortez au volant d'une voiture. Cela est regrettable.

Nous nous faisons un devoir de vous traduire ce vécu. Nous l'avons signalé aux constructeurs qui ont reconnu l'existence de problèmes dans leurs réseaux commerciaux. Cela a certainement fait perdre de nombreuses parts de marché aux constructeurs automobiles français.

Enfin, les constructeurs eux-mêmes nous ont indiqué que leur marge commerciale sur les voitures vendues en France était de 20 à 30 %. Quand on sait que les véhicules commercialisés en France ont un équipement incomplet par rapport aux véhicules d'origine étrangère, cette marge est étonnante. Lorsqu'un consommateur a acheté une voiture étrangère dont il a été satisfait, il revient vers la même enseigne. Cela signifie qu'il faut se battre doublement pour récupérer les voitures perdues par les constructeurs français, sachant que, dans le même temps, on constate une très nette amélioration de la qualité et des prestations qu'ils fournissent. Des équipements tels que l'air-bag, l'ABS, la climatisation se trouvent maintenant dans le bas de gamme de la concurrence européenne. Le fait de ne pas les intégrer dans l'exploitation commerciale des produits nous paraît aberrant.

M. Jacques DESESPRINGALLE : Chacun s'accorde à dire que les charges sociales en France sont trop élevées. Il suffit de lire et d'entendre les discours publics pour savoir que les employeurs réclament à cor et à cri une baisse des charges. C'est pourquoi, dans la mesure où il existe un nombre important de demandeurs d'emploi, d'exclus et de salariés en difficulté, ils nous est apparu nécessaire d'articuler nos propositions autour de l'abaissement des charges "compressibles", c'est-à-dire certaines charges salariales qui figurent sur la fiche de paie, et d'y associer des charges patronales. Car les aides qui peuvent être apportées aux employeurs en matière d'allégements fiscaux ou de charges ne profitent en aucune façon à l'emploi des salariés.

Notre proposition permet de répondre à votre préoccupation. Si les charges salariales et patronales compressibles sont abaissées, sans modification du salaire, le pouvoir de consommation en France sera relancé. Actuellement, la consommation interne est très faible. Les "juppettes", "balladurettes", etc... n'ont été que des artifices qui n'ont pas entraîné de regain d'activité et ont seulement permis aux familles aisées d'acheter une deuxième voiture. De plus, les constructeurs étrangers proposent des véhicules mieux équipés que les nôtres, et les acheteurs considèrent les accessoires comme un élément important.

Aujourd'hui, nos représentants syndicaux dans les établissements de Renault, Peugeot ou Citroën, sont dans l'incapacité de connaître le prix de revient exact d'une voiture. Il est extrêmement difficile voire impossible de déterminer le prix de revient salarial de la Clio ou de la 306 à partir du bilan et du compte d'exploitation de la société. Par conséquent, nous ne pouvons pas apprécier la marge commerciale dégagée par le constructeur pour faire ses propositions.

A titre d'exemple, j'étais récemment sur le point de changer de voiture. J'ai trouvé sur le marché une Renault, la Laguna, très bien équipée, à un prix de base commercialement appréciable, très concurrentiel par rapport aux voitures étrangères. Lorsque Renault intègre sur un modèle l'ensemble des équipements et le met sur le marché à un prix intéressant, personne ne me fera croire que le constructeur ne fait pas de bénéfices, mais nous ignorons aujourd'hui quelles sont ses marges.

En outre, le réseau, les succursales de Renault ou Peugeot, ont aussi des marges. On peut estimer que le prix de vente d'une voiture permet d'assurer une marge commerciale de 40 à 50 %. Nous pensons qu'il existe là une possibilité de concurrencer les fournisseurs étrangers.

Il est donc nécessaire, sur le plan des rapports sociaux, de tout mettre sur la table pour avoir une connaissance précise des situations. Aujourd'hui, avec les investissements, les provisions, les chaînes mises en application, les fiascos rencontrés avec la 605, la XM et d'autres voitures de haut de gamme, qui ont nécessité des investissements très lourds et dont la production n'est pas recentrée en un même lieu afin d'améliorer la productivité, il est évident que nous rencontrons des difficultés à apprécier les marges de man_uvre des constructeurs vis-à-vis du public.

C'est la raison pour laquelle, alors que nous savons que la valeur ajoutée d'une voiture représente globalement 10 à 12 % du résultat, personne ne peut nous faire croire que Renault, Peugeot et Citroën ne peuvent pas intégrer une réduction du temps de travail ayant pour effet d'augmenter les charges de 11,4 %. Avec une valeur ajoutée de 10 %, cela représente un coût supplémentaire de seulement 1,4 %.

Derrière cela, il y a des enjeux importants qui ne nous autorisent pas à donner aux constructeurs français des notations positives sur leur façon d'apprécier leurs difficultés.

Notre proposition évoque le maintien d'équilibres socio-économiques. Je rappellerai que certaines régions, après avoir subi le déclin du secteur charbonnier et du secteur textile, se sont tournées vers l'industrie automobile qui représente leur principale activité : elles se trouvent aujourd'hui à la merci d'une faillite de cette industrie.

M. Valère JUNG : Je n'ai pas parlé des lacunes législatives. J'ai eu l'occasion, l'an passé, de me rendre dans le Sud-Est asiatique et notamment en Malaisie. A ma grande surprise, j'ai constaté que les voitures françaises y étaient frappées de taxes majorées de 100 à 150 %, alors que les voitures étrangères vendues en France n'ont que 7 % de taxes de plus que les voitures françaises. Nous appelons cela une lacune. Des équilibres doivent être maintenus. Dans une société, il faut des règles.

M. Jacques DESESPRINGALLE : J'ajouterai deux points essentiels.

Nous considérons que la situation du secteur automobile est très grave. Son avenir est menacé par la suppression des quotas en l'an 2000 et l'immersion dans le marché national.

A ce sujet, j'évoquerai le projet d'implantation de Toyota dans une région qui connaît des difficultés en termes d'emploi. Si cette entreprise s'installe en France, ce sera au détriment de l'automobile française. Certes, cela apporterait trois à quatre mille emplois et des activités de sous-traitance dans une région, mais cela induirait aussi une concurrence directe.

Comment comprendre que des entreprises japonaises ou allemandes, comme Mercedes, puissent venir s'implanter en France, alors que tous nos employeurs affirment qu'ils ne peuvent pas joindre les deux bouts ? N'auraient-elles pas bien plus de possibilités, de résultats financiers en allant s'installer dans des pays de l'Est ou ailleurs ? Si elles choisissent la France, c'est sans doute qu'elles estiment y avoir une carte à jouer commercialement.

Nous avons fait savoir par écrit au ministre chargé de l'industrie que nous ne souhaitions pas que des efforts particuliers soient faits en faveur des entreprises étrangères qui voudraient s'installer sur le territoire français. Nous ne sommes pas favorables au protectionnisme, car la concurrence permet de faire évoluer la technologie, mais nous ne voulons pas que l'on donne l'argent des contribuables à des entreprises étrangères qui demain risquent de créer des difficultés aux entreprises françaises.

Enfin, les plans sociaux ne sont pas tout à fait comparables chez Renault et chez PSA, compte tenu des différences d'état d'esprit entre ces deux entreprises. Néanmoins, nous ne souhaitons pas que l'on continue à leur accorder des aides à travers les plans sociaux destinés à corriger la pyramide des âges. Ce ne sont pas les salariés qui ont créé cette situation. Il relève de la responsabilité des employeurs de pourvoir à l'équilibre socio-économique au sein de l'entreprise. La demande conjointe de PSA et de Renault de remplacer des salariés âgés par des jeunes nous paraît devoir être considérée avec attention, afin que demain les charges de la collectivité nationale ne soient pas aggravées.

M. le Rapporteur : En ce qui concerne Toyota, nous partageons votre souci. Mais il faut bien voir qu'au lieu de s'installer en France, Toyota pourrait, par exemple, s'installer en Allemagne, ce qui ne nous serait pas favorable. Ce qu'il faut, c'est éviter que soit apportée une aide européenne pour des investissements dans un secteur en surproduction reconnue.

Nous devons aussi pouvoir faire pression sur les pays candidats à l'entrée dans l'Union européenne pour qu'ils ne fassent pas ce que nous ne faisons pas. Une implantation en Pologne plutôt qu'en France ne serait pas une meilleure solution.

J'essaie de savoir, moi aussi, quelle est la part des salaires y compris dans les achats du constructeur automobile. La part des achats ayant augmenté ces dernières années, on a l'impression que la part des salaires a diminué, mais comme il y a des salaires dans les achats, si l'on raisonne en termes de réduction du temps de travail à salaire maintenu, on doit prendre en compte non seulement la situation du constructeur, mais aussi celle des fournisseurs. Il est vrai que c'est assez difficile à obtenir.

Vous avez évoqué des fournisseurs qui délocalisaient des productions à haute valeur ajoutée. A quoi faisiez-vous précisément allusion ?

Les préretraites progressives sont un mécanisme que peut-être nous pourrions retenir dans notre rapport. Toutefois, je m'interroge sur deux variantes. En effet, deux critères peuvent être utilisés : celui que vous avez évoqué, à savoir la durée d'activité passée à la chaîne, ou l'âge du salarié. Ils se recoupent en partie : ainsi, vous avez évoqué 35 ans de cotisation, ce qui, pour des personnes ayant commencé à travailler à 15 ans, peut se traduire par 50 ans d'âge. Avez-vous un commentaire à ce sujet ?

Par ailleurs, vous vous êtes placé dans l'hypothèse d'une réduction forte de la durée du travail : indépendamment de la gestion des charges un peu particulière que vous avez évoquée et d'une compensation publique qui n'a pas vocation à être éternelle mais qui paraît logique dans la mesure où, s'il y a embauches, il y a des économies de charges pour la collectivité à des titres divers, il y a aussi le problème des compensations internes à l'entreprise. Qu'êtes-vous prêt à accepter de négocier dans le cadre de l'aménagement du temps de travail ?

M. Valère JUNG : Concernant la délocalisation, nous avons connu récemment le problème du rachat du groupe CEAC par Exide. Il y a deux ans, nous avions déjà tiré la sonnette d'alarme. Aujourd'hui, 480 salariés se retrouvent sur le carreau, victimes d'un licenciement sec. Et cela n'est pas terminé.

Valéo veut aussi délocaliser une partie de ses activités. Vous en entendrez certainement parler prochainement. Valéo-Sens est condamné.

M. le Rapporteur : Pour aller où ?

M. Valère JUNG : En Pologne.

Pour CEAC Exide, c'est-à-dire les batteries Fulmen, il y a eu, soi-disant, un recentrage en France, mais les éléments dont nous disposons montrent que 40 % de la production sont partis au Portugal. Pourtant, comme Renault-Vilvorde, Nîmes dégageait le meilleur rapport qualité/prix de tout le groupe. Quand on voit fermer de telles usines pour des raisons de stratégie à court terme, cela nous pose énormément de problèmes.

S'agissant des préretraites, nous sommes ouverts à la discussion. Nous avons annoncé des chiffres. L'âge de cinquante ans nous conviendrait parfaitement. Les emplois durs, répétitifs et postés, de nuit, laissent des traces sur les personnes, surtout si elles ont commencé de travailler à quatorze ou quinze ans. De même que certains constructeurs, nous sommes contre l'abaissement de l'âge de la retraite. Nous préférerions une retraite à soixante-cinq ans, à condition qu'à soixante-cinq ans, les personnes soient en état de profiter de leur retraite. Le fait de devoir quitter le travail à cinquante ou cinquante-cinq ans n'est pas une situation normale. Notre projet de réduction du temps de travail va dans ce sens. Nous sommes entièrement d'accord pour travailler plus, à condition que trois à sept millions de Français ne soient pas exclus du travail.

Concernant les réductions de charges, nous vous avons montré qu'une des contreparties consistait dans la baisse du coût horaire du travail avec embauche. Une voiture produite à un million d'heures de travail qui peut l'être avec une heure de travail 18 % moins chère et plus de salariés, c'est déjà une belle contrepartie ! Mais il y en a d'autres. Vous faisiez sans doute allusion à la flexibilité.

M. le Rapporteur : Je n'ai pas voulu employer le mot.

M. Valère JUNG : Nous ne sommes pas contre la flexibilité, à condition de fixer des règles précises. Elle doit donner lieu à du donnant-donnant. Les entreprises doivent s'y retrouver, mais aussi les salariés. Exemple : les journées dégagées par les amplitudes étant uniquement à la disposition de l'entreprise. Qu'un salarié doive demander des journées de congé sur ses amplitudes six mois à l'avance et que l'on puisse les lui retirer au dernier moment est inacceptable ! A l'inverse, l'employeur peut, d'une minute à l'autre, demander à un salarié de rester plus longtemps. Il y a donc des contreparties évidentes. Nous souhaitons notamment qu'il y ait au moins une journée supplémentaire le week-end, le samedi ou le lundi, afin que le salarié puisse toujours disposer de quarante-huit heures articulées autour du dimanche. C'est une question de repère.

M. Francis CLERBOUT : La CFTC défend la vie de famille. Les propositions d'accord qui nous ont été faites dans les différentes chambres patronales - IUMM, services automobiles ou autres - donneraient aux patrons le droit de dire aux gens trois jours à l'avance s'ils doivent venir travailler le dimanche ou le samedi. Si nous voulons une réduction du temps de travail, c'est certes pour améliorer la productivité des entreprises par l'aménagement du temps de travail, mais c'est aussi pour favoriser la vie de famille des agents qui, malheureusement, ne peuvent généralement voir leurs enfants que le samedi et le dimanche, puisque le reste de la semaine, ceux-ci vont à l'école.

Voilà pourquoi nous sommes réservés sur la flexibilité, au vu de la mise en place de la modulation résultant de la loi quinquennale.

M. Jacques DESESPRINGALLE : Je voudrais lancer un appel. Bien que ce soit une obligation, nous n'arrivons jamais à réunir autour d'une même table, dans le cadre de la Commission nationale de l'emploi, les représentants des constructeurs français et les partenaires sociaux au niveau national. Nous souhaiterions que vous examiniez les possibilités d'organiser ce genre de rencontres, qui nous semblent très importantes. En effet, nous sommes persuadés que si nous ne trouvons pas, entre Renault et PSA, des points de convergence sur le plan commercial, technique, de la recherche ou des bureaux d'étude, pour sauvegarder l'ensemble du patrimoine automobile français, ces deux constructeurs disparaîtront. Sur l'échiquier mondial, nos deux constructeurs ne sont pas en position favorable, sachant qu'à terme, on se dirige vraisemblablement vers un seul constructeur européen.

Il nous paraît urgent que la mission demande l'organisation de cette rencontre que nous attendons depuis quelques années et que nous redemandons en vain à l'IUMM à chaque réunion nationale, la réponse étant toujours que les constructeurs refusent de venir discuter.

Audition de Mme Dominique VOYNET,
Ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement

(extrait du procès-verbal de la séance du 5 novembre)

Présidence de M. Daniel PAUL, Président

M. le Président : Mme la Ministre, je suppose que les embarras de la circulation, rue de l'Université, retardent l'arrivée de nos collègues...

Mme Dominique VOYNET : Je commencerai par une brève remarque. Si les encombrements peuvent être responsables du retard des très nombreux collègues que vous attendez, je suis, quant à moi, venue à pied. Cela prouve que l'automobile n'est pas, en tout temps, en tout lieu et pour tous les types de déplacement, le meilleur moyen d'aller d'un point à un autre. Je pense que je n'avais pas besoin de formuler cette remarque pour vous convaincre de la validité de la thèse.

J'ai déjà eu l'occasion de m'exprimer sur le thème de l'industrie automobile.

J'ai été amenée à intervenir beaucoup plus souvent sur la nécessité de reconquérir la qualité de l'air que nous respirons, compte tenu des impacts croissants du secteur des transports, que sur l'industrie automobile en tant que telle. Cela dit, c'est un aspect que je ne méconnais pas, non seulement parce que je suis ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement, mais aussi parce qu'il me revient, dans certaines enceintes, de défendre des positions relatives à la santé et à la qualité de l'industrie automobile elle-même.

Je dresserai, tout d'abord, le constat de l'évolution de ce secteur industriel.

Le marché automobile connaît, depuis plusieurs années, en Europe, une transformation profonde.

Du point de vue du consommateur, l'allongement de la durée de vie des véhicules est à la fois une performance technique et industrielle et la conséquence d'un prix d'achat élevé des véhicules. Cette caractéristique est importante lorsque l'on s'interroge sur le renouvellement de ce parc, compte tenu du fait que les véhicules les plus anciens sont aussi les plus polluants.

L'équipement des véhicules a fait des progrès fulgurants, sans doute davantage que les caractéristiques des véhicules eux-mêmes. L'apparition de nouvelles technologies, l'intégration de technologies existantes, comme l'électronique, constituent de réelles avancées sur les performances de ces véhicules et leur consommation.

Ainsi, cette tendance a engendré un certain déplacement du centre de gravité du secteur, des constructeurs automobiles vers les sous-traitants. Ceux-ci se voient transférer une part croissante de la valeur ajoutée des produits et sont de plus en plus impliqués en amont, dans le développement même des technologies ou des applications. C'est particulièrement le cas pour les équipementiers qui représentent la moitié des ventes de la sous-traitance, en France.

Enfin, accentuée par l'allongement de la durée d'usage des automobiles, la situation de surcapacité touche l'ensemble de l'Europe: une capacité de production évaluée à 18 millions de véhicules par an face à une demande de 13 millions de véhicules, seulement. Il nous faudra tous anticiper, et non plus subir, les conséquences industrielles de cette situation.

De ces divers éléments, je retire le sentiment d'un éclatement du jeu industriel, de l'établissement de liaisons de plus en plus fortes entre donneurs d'ordres et sous-traitants. C'est un constat qui pèse sur le développement de bassins d'emploi et sur les outils à mettre en _uvre.

Par ailleurs le secteur ne peut rester indifférent face aux attentes du public, tour à tour contribuable et utilisateur de l'automobile - on pourrait ajouter citoyen subissant les effets néfastes de l'automobile - et doit apporter des solutions concrètes à des questions qui le sont tout autant.

En particulier, pour des utilisations spécifiques mais qui iront croissant, l'automobile n'est pas uniquement un produit, mais est aussi un service de déplacement.

Sur la base de ces quelques réflexions, le secteur automobile doit, plus que tout autre, considérer l'environnement non seulement comme une contrainte mais aussi comme une opportunité. L'Etat doit fixer le cadre de cette évolution et l'accompagner, se placer résolument dans un contexte de développement durable et développer, à l'international, les attraits de notre pays pour les acteurs de ce secteur.

J'insisterai sur les impacts du secteur automobile.

La protection de l'environnement et de la santé est une préoccupation de tous et de tous les instants.

Dans ce domaine, les effets directs du secteur des transports en général et de l'automobile en particulier sont bien connus.

Ils concernent les sites - gestion des déchets, rejets, émissions gazeuses et notamment de composants organiques volatiles, etc. -, mais aussi les véhicules eux-mêmes.

Il s'agit, tout d'abord, des émissions de polluants et contributions aux pollutions locales ou globales, comme l'effet de serre. Le secteur des transports représente désormais, au plan national, les deux tiers des émissions d'oxydes d'azote, qui constituent un précurseur puissant de la pollution photochimique, et le tiers de nos émissions de gaz carbonique.

Les pollutions induites, entraînées vers les ressources en eau ou infiltrées dans les sols sont à prendre en compte. L'évaluation faite en Allemagne, à défaut de données disponibles pour la France, estime le coût de cette " contribution " à 2,5 milliards de DM, encore ne prend-elle pas en compte les nouveaux Länder.

Les consommations - et pertes - d'énergie et de matériaux (métaux et alliages, plastiques, verre, etc.), sont à considérer. Le secteur des transports représente le quart de la consommation d'énergie en France, dont 80 % pour le transport par la route et dépasse, depuis 1990, l'industrie. De même, l'efficacité énergétique du véhicule particulier se révèle, pour le transport de voyageurs, près de quatre fois plus faible que celle du rail.

Sept à huit millions de personnes habitent en France un logement exposé à un niveau moyen de bruit, dont les transports sont la première cause.

Enfin, je soulignerai l'incidence du secteur sur le volume des déchets : 400 000 tonnes de déchets industriels spéciaux et 280 000 tonnes de pneumatiques usagés sont produits chaque année.

L'occupation de surface, les atteintes au patrimoine naturel et aux paysages, notamment en raison de la réalisation d'infrastructures de transport, sont des effets supplémentaires sur lesquelles je ne m'étendrai pas. Ils sont difficiles à évaluer. Il s'agit de pertes de confort, de beauté, de patrimoine naturel et culturel très difficiles à chiffrer.

A cette longue liste, j'ajouterai l'insécurité routière: neuf mille personnes sont tuées chaque année. S'il est facile de donner un chiffre, il est difficile de concevoir avec précision ce que cela représente en termes de souffrance humaine et de dislocation de familles.

Un tel catalogue n'est pas fait pour discréditer ce secteur qui représente, comme beaucoup d'orateurs ont dû vous l'expliquer avec davantage de précisions que je ne le ferai, un potentiel d'emplois directs et indirects important : 2,7 millions d'emplois seraient concernés, dont 770 000 pour les seules activités industrielles.

Cette liste constitue simplement l'énumération des multiples questions qui sont posées chaque jour par nos concitoyens au Gouvernement ou aux élus que vous êtes et auxquelles il faut répondre, en concertation avec les industriels du secteur. L'industrie française ne peut s'y soustraire.

Aujourd'hui, une bonne partie des effets du développement de l'automobile est gérée, supportée et payée par la collectivité, ce qui me semble contraire à tout principe élémentaire d'équité. La poursuite d'une telle tendance ne me semble pas soutenable, au niveau mondial comme au plan français.

On compte, dans le monde, six cents millions de véhicules, dont les deux tiers dans les pays de l'OCDE. Les deux cents millions restant se trouvent dans les pays en développement, où la plus forte croissance est attendue. Selon certains scénarios, le parc automobile pourrait totaliser, en 2010, et dans ces seuls pays en développement, cent millions de véhicules supplémentaires, générant une croissance de 50 % de la demande en produits pétroliers. Je vous laisse imaginer les conséquences de ces prévisions dans les grandes métropoles d'Asie du Sud-Est ou d'Amérique du Sud.

A cet égard, je vous rappellerai un épisode de ma toute jeune carrière. Il y a quelques années, j'avais beaucoup fait rire de moi en disant que la plus grande catastrophe écologique imaginable serait que chaque Chinois possède une Mobylette. L'impact sur le climat planétaire en serait très important. Il serait, bien entendu, encore plus important si chaque Chinois achetait un véhicule automobile.

En France aussi, on ne peut continuer à faire supporter par le contribuable le double coût des infrastructures permettant le développement de l'offre et celui des nuisances qu'il engendre, sans se poser les questions de l'ajustement des projets aux besoins réels et de la réduction de ses effets nuisibles.

On ne peut maintenir une fiscalité qui n'intègre pas les priorités environnementales, voire encourage certaines dérives. On ne peut continuer à consacrer des ressources insuffisantes à l'étude des impacts ou à leur surveillance.

Afin d'éviter une réaction de rejet ou de mise en cause directe de l'action publique, il faut, à mon sens, adopter une démarche active et offensive.

Celle-ci devrait s'articuler autour de quelques principes simples.

La réduction des effets nocifs des véhicules peut constituer un avantage concurrentiel pour les industriels qui sauront en profiter.

La mise en place de nouvelles solutions de déplacement est de nature à réconcilier nos concitoyens avec l'automobile et à faire apparaître, face à un marché saturé, de nouveaux besoins et de nouvelles perspectives. Je rappellerai que 40 % des déplacements en voiture concernent des trajets inférieurs à deux kilomètres.

A cet égard aussi, la vérité et la transparence doivent être établies sur les coûts et les charges qui pèsent sur la collectivité.

Je dois mentionner ici mon intérêt pour une internalisation des coûts, dans ce domaine comme dans tous les autres. J'ai cru comprendre hier, lors de l'examen du projet de budget du ministère de l'aménagement du territoire et de l'environnement, que des parlementaires partageaient cette aspiration à disposer d'outils permettant l'intégration des coûts environnementaux et des coûts sociaux dans les comptes de la nation, afin d'éclairer différemment leurs choix.

Je proposerai quelques éléments en vue de conduire une politique industrielle supportable et durable dans ce secteur.

Tout d'abord, un constat: les moyens traditionnels d'intervention de l'Etat, sous forme d'incitations aveugles à la production ou à la vente, ou de directives d'organisation de la production, sont en voie de disparition dans l'ensemble de l'Europe. Néanmoins, l'Etat et les collectivités locales possèdent encore nombre de leviers qui leur permettent d'infléchir ou d'orienter les choix industriels, en fonction des intérêts collectifs qu'ils défendent.

Je prendrai pour premier exemple la réduction des limites autorisées de vitesse. Elle évite des morts et des blessés, réduit les consommations des véhicules, permet leur allégement - largement motivé par les soucis de sécurité - en entraînant une réduction supplémentaire des consommations.

La politique de reconquête de la qualité de l'air me semble constituer une approche particulièrement pertinente pour vous décrire les actions que j'entends mettre en _uvre et promouvoir au sein de ce Gouvernement.

Par analogie avec le secteur de l'énergie, la " maîtrise de l'automobile "
- passant parfois par de nécessaires restrictions de circulation - me semble constituer un axe structurant pour l'industrie qui développe ces véhicules. J'en veux pour preuve la course à la voiture propre que se livre l'ensemble des constructeurs mondiaux, dont on a pu constater l'intensité au dernier salon de Tokyo, il y a quelques semaines.

Les orientations que j'ai exposées au conseil des ministres, le 8 octobre dernier, visent à lutter activement contre la pollution atmosphérique, avec le souci de la justice sociale et de l'efficacité économique.

Ce programme repose essentiellement sur une approche de moyen et de long terme, seule capable d'assurer une amélioration significative et permanente de la qualité de l'air. Le "pic" de pollution n'est que le symptôme. Le mal provient des déséquilibres entre les modes de transport et de la trop grande place laissée à l'automobile en ville.

Les actions à venir seront orientées en ce sens.

En premier lieu, il faut réduire les émissions des véhicules. Une négociation, dans le cadre communautaire, s'est déjà traduite, le 19 juin dernier, par une position commune, adoptée à l'unanimité, sur les futures spécifications des carburants et des émissions des véhicules particuliers. Il s'agit du programme Auto-oil. Les caractéristiques des carburants pour l'an 2000 ont été arrêtées par les Etats membres et je me réjouis que cette position ait été confirmée au dernier conseil d'environnement d'octobre.

En second lieu, il convient de développer l'efficacité énergétique des véhicules, domaine dans lequel je constate que nos constructeurs sont particulièrement bien placés: environ 7 litres aux 100 km pour les parc Renault-PSA, contre 9 litres en moyenne pour leurs concurrents américains et 8 litres pour les constructeurs allemands. Ce point sera essentiel dans la discussion à venir sur les changements climatiques, à Kyoto, en décembre prochain, et je formule le v_u que nous saisissions la chance qui nous est ainsi offerte. Cette compétitivité énergétique constitue un avantage pour l'exportation, si nous savons en tirer profit.

En troisième lieu, il importe de développer l'utilisation des véhicules moins polluants, au GPL, au gaz naturel ou électriques, notamment. Il convient également de promouvoir l'équipement des flottes publiques en véhicules moins polluants, comme le prévoit la loi, d'industrialiser les produits et de les adapter aux exigences de l'utilisateur.

Il faut enfin développer les transports collectifs, en zones urbaines, péri-urbaines ou en inter-urbain, en améliorant leur desserte et leur attractivité, notamment par la multiplication des itinéraires protégés.

Je souligne à cette occasion que la fluidité et le confort des déplacements en autobus ont un impact favorable direct sur les comptes d'exploitation du transport en commun. Cent millions de francs de charges d'exploitation seraient économisés chaque année par la RATP si la flotte d'autobus gagnait 1 km/h en vitesse commerciale.

Il s'agit aussi de favoriser les investissements de création ou de renouvellement de parcs - autobus propres, tramways, par exemple - et de moderniser l'exploitation de ce type de transports. Les contrats de plan Etat-régions et les schémas régionaux des transports constitueront des outils privilégiés pour la mise en _uvre de cette action.

Il faut également, et cela n'est pas du tout hors sujet, rééquilibrer le transport de marchandises de la route vers le rail, en priorité sur les longues distances et le transit, compte tenu des pollutions régionales d'ozone troposphérique, créées par les émissions d'oxydes d'azote. La révision de la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire sera l'occasion de traduire cette politique pluri-modale dans les schémas de services.

Il faut organiser les déplacements pour traduire la priorité donnée aux transports collectifs, notamment dans les plans de déplacements urbains, aux moyens de locomotion non polluants - vélo, marche - et inciter au covoiturage, etc.

Nous poursuivrons les recherches pluriannuelles menées notamment dans le cadre du programme Primequal-Predit - programme de recherche inter-organismes pour une meilleure qualité de l'air à l'échelle locale et programme de recherche et de développement des industries du transports - : développement industriel des nouveaux modes de locomotion par des études sur les carburants, les moteurs, les équipements de post-traitement ou de régulation, mais également organisation des transports, effets des émissions et des polluants, etc...

Il faut intégrer les priorités environnementales dans la fiscalité de l'achat et de l'usage des véhicules, y compris des carburants. Les travaux concernent notamment la vignette automobile. Vous avez pu aussi, à mon grand plaisir, vous exprimer sur le niveau souhaitable de TIPP (taxe intérieure de consommation sur les produits pétroliers) sur le GPL. Je vous encourage à poursuivre dans cette voie sur l'ensemble de ces carburants nouveaux. Je vous invite également à vous manifester sur les carburants classiques, essence et gazole.

J'ouvrirai une parenthèse sur la situation du gazole. Il bénéficie aujourd'hui d'une fiscalité particulièrement avantageuse qui a entraîné des dérives sur lesquelles je ne m'étendrai pas : impact des particules fines sur la santé, diésélisation sans équivalent du parc automobile, avec les risques d'impasse industrielle que cela peut impliquer pour nos constructeurs, promotion et subvention excessive du transport de passagers et de marchandises par la route, au détriment des autres modes de transport, au moment où nous constatons tous, dans le transport routier, des difficultés de tous ordres, notamment social, que nous devons résoudre.

Je rappellerai la conclusion du rapport sur l'utilisation du gazole, transmis par le Gouvernement précédent au Parlement, à l'automne dernier : " Les effets respectifs des deux types de véhicules, essence et diesel, sur la santé et l'environnement ne justifient pas aujourd'hui l'existence d'avantages fiscaux pour la motorisation diesel ". `

Je n'ai entendu aucun argument qui remette en cause le bien-fondé de cette conclusion. Les industriels eux-mêmes le reconnaissent. Si l'un d'entre eux souhaite que cet avantage perdure, c'est avec une conscience assez aiguë des évolutions nécessaires dans ce secteur.

Les prochaines échéances françaises et communautaires nous fourniront l'occasion d'aborder cette question en gérant de manière adaptée les enjeux, notamment sociaux, qui lui sont parfois rattachés.

J'insisterai ici sur l'ambiguïté de notre position. Si les intérêts du secteur automobile sont souvent avancés pour justifier la pérennisation des avantages accordés au gazole, il faut regarder en face les difficultés affrontées par le secteur du raffinage français, en raison même de ce choix. Celui-ci a réalisé d'énormes efforts pour moderniser ses installations et produire de l'essence sans plomb, qu'il n'est pas capable d'écouler en totalité sur le marché français, alors qu'il doit importer du gazole en raison de la structure du parc automobile, ce qui lui coûte cher et n'est pas sans poser des questions de dynamisme industriel et d'environnement.

J'en reviens à l'automobile.

L'automobile doit s'adapter à l'être humain et non l'inverse, comme avait cru pouvoir l'affirmer Georges Pompidou, qui souhaitait adapter la ville à la voiture. Tout ce que je viens de vous indiquer en trace les perspectives.

J'ai parlé de la course au "véhicule propre", du programme Auto-oil, qui prévoit également l'incorporation obligatoire de systèmes de diagnostic embarqué du dispositif de traitement des gaz d'échappement, à compter du début des années 2000.

L'évolution des consommations énergétiques des climatisations constitue aussi un enjeu de taille. La consommation des véhicules est augmentée de façon significative par le recours à la climatisation, dont vous conviendrez avec moi qu'il relève davantage de l'argument de vente et du confort pendant quelques jours de l'année que d'une nécessité fondamentale dans un pays tempéré comme le nôtre.

La maîtrise des cycles industriels doit également intégrer le souci d'assurer des modes de gestion adaptés pour les produits en fin de vie, les véhicules hors d'usage. Il s'agit de mettre en place, outre les organisations qualité, des systèmes de management environnemental qui traversent l'ensemble de la chaîne, depuis les constructeurs jusqu'aux sous-traitants de dernier rang. La labellisation " verte " des produits, à l'intérieur de laquelle je place la fameuse pastille verte qui fournira aux véhicules moins polluants des conditions privilégiées de circulation et de stationnement, constituera l'un des facteurs d'attraction pour le consommateur.

J'ai l'intime conviction que ces points constitueront des éléments-clés de succès ou d'échec pour préparer la prochaine génération de véhicules.

Les industriels, l'Etat et les collectivités locales ont les moyens de mettre en place dès à présent ces orientations. Ils peuvent aussi préparer l'avenir, non seulement en matière de recherche et développement, mais aussi dans l'organisation du tissu industriel.

A l'heure où des projets d'implantation très importants sont examinés, où nous venons d'inaugurer en Lorraine une installation qui préfigure ce que pourrait être l'industrie automobile de demain, nous devons réfléchir sérieusement sur ces questions. C'est d'ailleurs le but de votre mission.

Nous n'avons pas à rougir des atouts et des attraits de notre territoire et de la qualité de ses professionnels. La présence d'une quarantaine d'équipementiers américains nous le prouve.

Il s'agit de soutenir ou de conforter des projets qui s'inscrivent dans les perspectives que je viens de décrire et non pas de porter à bout de bras des secteurs vieillissants, incapables d'anticiper des évolutions non seulement inéluctables mais souhaitables pour notre santé, notre environnement et la compétitivité de ce secteur.

M. le Rapporteur : Notre mission n'écarte pas une réflexion sur la place de l'automobile dans la société, à court et à long terme. Qu'il s'agisse de la notion de développement " soutenable " ou de l'automobile comme service de déplacement, nous retenons les idées sur lesquelles vous avez appuyé votre exposé introductif.

Ma première question concerne le renouvellement du parc. Les différentes primes que nous avons connues dans le passé, ou que nous voyons mises en place dans des pays voisins, tendent, d'une part, à la promotion de la vente de véhicules neufs et, d'autre part, à la disparition des véhicules les plus polluants, puisque 20 % d'entre eux, les plus anciens, sont à l'origine de 80 % de la pollution automobile. Le premier objectif a donné lieu à de nombreuses discussions. Les jugements sont plutôt négatifs: anticiper des consommations n'est pas accroître des consommations. Le second, aider au retrait de la circulation de véhicules très polluants, me paraît demeurer pertinent. Une telle proposition recevrait-elle votre soutien ?

Concernant le gazole et le carburant sans plomb, il est difficile d'arbitrer entre le réchauffement de la planète et l'augmentation du nombre des cancers du poumons... On peut considérer que c'est un argument pour une plus grande neutralité de la fiscalité. Un rapprochement avec la moyenne en matière de fiscalité européenne vous paraîtrait-il suffisant ou bien avez-vous des ambitions plus radicales ?

L'Etat de Californie s'est doté d'objectifs plus ou moins contraignants et chiffrés en pourcentages, quant au nombre de véhicules propres, soit individuels, soit pour les flottes collectives ou captives. Cette expérimentation vous paraît-elle mériter d'être reprise en compte ?

Ma dernière question est très technique. Il subsiste quelques restrictions à l'usage du GPL en tissu urbain en matière de parking et d'aires de distribution. Elles sont en train d'être levées, mais nous avons du mal à faire le bilan exact de ce qui reste à accomplir pour permettre la multiplication de points de vente de GPL et de GNV. Je serais heureux que vos services nous aident à préciser la situation juridique sur ce problème.

Mme Dominique VOYNET : Je suis extrêmement dubitative sur l'intérêt des primes au renouvellement du parc. Ou plutôt, je préciserai dans quelles conditions elles pourraient être ponctuellement acceptables.

Vous avez eu raison de souligner qu'il s'agissait non seulement de dynamiser les ventes de ce secteur, mais aussi de permettre le renouvellement des véhicules les plus polluants, parce que les plus anciens.

Cela dit, ces primes ont des effets pervers. Si elles accélèrent le renouvellement à un certain moment, elles sont généralement suivies d'une profonde dépression après leur abandon ; par ailleurs, il semblerait que la plupart des consommateurs aient un budget automobile. Quand une prime permet d'alléger la facture, ils en profitent pour monter en gamme ou pour améliorer les équipements d'accompagnement de leur véhicule et non pas simplement pour le remplacer. Enfin, pour les usagers les plus désargentés, la prime ne permet pas, de toute façon, d'assumer le coût d'un véhicule neuf. Des effets pervers sont à prendre en compte, notamment en ce qui concerne le marché de l'occasion.

Si une prime devait être décidée, elle devrait être ciblée sur les petits utilitaires
- véhicules de livraison, camionnettes - souvent très polluants et anciens. Les artisans, les commerçants, les livreurs qui utilisent ce type de véhicules n'ont pas souvent les moyens d'être vertueux sur le plan environnemental. Elle pourrait aussi concerner l'achat spécifique de véhicules GPL, dont le surcoût reste important. Cela pourrait intéresser certaines flottes captives comme celle des taxis.

Cela dit, je le répète, je ne pense pas que ce soit une bonne approche du problème de l'industrie automobile.

Pour lutter contre le réchauffement de la planète, je ne crois pas qu'on puisse donner un avantage définitif à tel ou tel type de carburation. Les productions de CO2 sont à peu près équivalentes pour les moteur diesel et pour les moteurs à essence. Le moteur diesel est responsable d'émissions d'oxydes d'azote plus importantes. Tout dépend du nombre de véhicules, du climat, des vents, etc.

En revanche, il me semble intéressant de développer des programmes d'étude sur l'impact des différents types de carburation, les éléments dont nous disposons sur ce sujet étant encore relativement épars, en qui concerne non seulement le cancer du poumon et la santé, mais aussi le réchauffement de la planète et le climat.

Le programme Auto-oil et l'engagement pris par les différents pays de la Communauté de réduire de 15 % leurs émissions de gaz à effet de serre à l'horizon 2010 me paraissent pouvoir être tenus avec des mesures de bon sens qui ne devraient pas avoir des conséquences considérables sur le secteur. D'ailleurs, les discussions sur la position française lors de l'élaboration du programme Auto-oil ont été menées en harmonie avec Peugeot et Renault. Elles ont été difficiles avec Peugeot qui était dans une logique plus défensive que Renault sur cette question, mais les deux constructeurs ont compris que l'évolution du secteur était inéluctable et qu'il fallait l'accompagner et l'utiliser comme un élément de dynamisme économique des entreprises.

Vous avez évoqué l'expérience californienne. Dans bien des pays du monde, on est sorti de la phase d'expérimentation. A Tokyo, par exemple, les flottes captives de taxis, d'ambulances, de véhicules de ramassage des ordures ménagères fonctionnent d'ores et déjà au GPL, au gaz naturel véhicules ou à l'électricité. D'après M. Christian Sautter, Secrétaire d'Etat au budget, c'était le cas des véhicules de ramassage des ordures ménagères dans les années 50, dans la banlieue parisienne : il semblerait que les bennes aient circulé à l'électricité.

Le moment est venu de lancer non plus des expérimentations, mais de grands programmes en direction des flottes captives publiques - celles de La Poste, de l'éducation nationale, de l'équipement - et privées.

Certaines solutions pourraient passer assez rapidement au stade industriel pratique si nous décidions de les encourager. Je pense tout particulièrement, après en avoir discuté avec M. Bailly, Président de la RATP, qu'il y a beaucoup à attendre du développement de moteurs mixtes gazole-électricité, l'idée étant de limiter les impacts néfastes des moteurs diesel en gommant les modifications de régime dues aux côtes, aux freinages et aux redémarrages fréquents. Il s'agit de faire fonctionner le moteur diesel comme un générateur de courant électrique pour obtenir un couple optimal, ce qui limite une bonne partie des nuisances, qu'il s'agisse des fumées ou du bruit.

Je serais tout à fait disponible pour que mon ministère contribue au développement de programmes de ce genre et à des expérimentations à grande échelle. Cela me paraît d'autant plus important que la loi nous y oblige. Nous devrions, avant la fin de l'année 1998, avoir un taux de "verdissement" des flottes publiques atteignant 20 %, et nous en sommes très loin.

A propos des restrictions concernant le GPL et le GNV, une grande partie des limitations au stationnement des véhicules dans les parkings ou à l'installation de stations-service dans les agglomérations ne correspond pas à la réalité du risque. Nous avons d'ores et déjà donné aux préfets des instructions précisant que rien n'interdit la présence d'un véhicule au GPL dans un parking souterrain, par exemple.

Nous sommes disposés à préciser davantage les instructions en la matière qui ont fait l'objet d'une circulaire ancienne puisque datant de 1987.

M. Gérard VOISIN : Mme la Ministre, je comprends les changements fondamentaux que vous sollicitez. Votre exemple des véhicules mixtes au Japon doit s'appliquer en France, dans un futur aussi proche que possible. Si nous ne voulons pas être inondés par des produits extérieurs, nos constructeurs européens, notamment français, doivent mettre en oeuvre des technologies nouvelles.

Vous ne voulez plus de voitures dans les villes, du moins tant qu'elles n'auront pas changé de carburant. Cela pose nécessairement des problèmes, car les villes ne peuvent être alimentées que par des véhicules particuliers et collectifs. On ne peut pas évacuer tous les véhicules particuliers des villes. On s'en aperçoit dans les villes moyennes où les périphéries, notamment avec la grande distribution, sont en train de tuer les centres-villes.

Il faut donc trouver des moyens pour limiter la pollution. En France, nous sommes en avance avec le carburant sans plomb. C'est au Gouvernement de trouver des solutions permettant d'inverser les courbes de vente du gazole et de l'essence sans plomb. Le carburant sans plomb est encore trop cher, il suffit de baisser son prix.

Je me réjouis de la possibilité que vous avez évoquée consistant à aider les constructeurs à concevoir des modèles intelligents pour le troisième millénaire à moteur mixte.

M. Michel MEYLAN : Mme la Ministre, nous avons entendu de nombreuses personnes nous expliquer comment vendre davantage d'automobiles, mieux faire tourner l'industrie, créer des emplois. Je vous poserai une question simple. En tant que ministre chargée de l'aménagement du territoire, subventionnerez-vous l'implantation de sociétés étrangères en France, par les primes avec lesquelles vous pouvez agir ? En particulier, votre ministère soutiendra-t-il l'installation de Toyota ?

Vous voulez moins d'automobiles un peu partout. Je ne suis pas loin de partager votre point de vue. Il faut rendre la ville aux gens et non l'abandonner aux véhicules. Par contre, dans les campagnes, on est obligé d'utiliser l'automobile, parce qu'il n'y a plus de trains.

Mme Dominique VOYNET : M. Meylan, vous m'offrez l'occasion de dire quelque chose que j'ai oublié d'indiquer : naturellement, je ne suis ni contre l'industrie automobile ni contre l'automobile, je suis favorable à l'usage de chacun des modes de transport pour ce qu'il permet de faire le mieux. S'il est évident que pour relier des villages isolés entre eux ou des villages à des petites villes, l'automobile demeure irremplaçable, ce n'est pas le cas en ville, et je vais m'employer à le démontrer.

D'ailleurs, la plupart des véhicules ne se déplacent pas en ville mais viennent de la périphérie pour se garer en ville et ne plus bouger. A Paris et dans quelques très grandes villes, 97 % de l'espace urbain sont occupés par la voiture. C'est considérable. Cela n'a pas seulement un impact territorial ; cela a aussi un impact sur le régime d'écoulement des eaux. On imperméabilise des surfaces tellement considérables qu'il en résulte des inondations inconnues il y a quelques années et dont le coût doit être pris en charge par la collectivité.

S'il est normal d'admettre l'usage de la voiture pour les liaisons entre les zones rurales et les zones urbaines ou au sein des zones rurales, ou dans le cas d'une infirmière qui prend son service à 5 h 30 le matin et a droit à la sécurité et au confort que procurent l'usage de sa voiture, nous n'en avons pas moins la responsabilité de faire en sorte que cet usage soit raisonné et maîtrisé.

Le jour de la circulation alternée, la fluidité a beaucoup contribué au confort des automobilistes, à la qualité et la sécurité de l'usage de la voiture. La suppression d'une partie relativement modeste du trafic - 15 à 20 % de véhicules en moins - a apporté beaucoup de confort en plus.

S'agissant de l'implantation d'usines étrangères en France, la ministre de l'aménagement du territoire est, bien entendu, disposée à les financer. Cette décision pourrait être prise avec le plein accord de PSA et de Renault. Conscients des problèmes d'emploi, les deux constructeurs ne voient pas de différence significative entre la présence de Toyota à Valenciennes ou à Longwy et la présence de Toyota de l'autre côté de la frontière, en Belgique ou en Allemagne. Nous en avons déjà discuté ensemble.

Ce type d'installation est également générateur d'une émulation importante dans toute la filière, émulation d'ailleurs revendiquée par M. Schweitzer. Je ne citerai pas M. Folz, car je ne l'ai pas encore rencontré, mais je ne manquerai pas de le faire dès que j'en aurai l'occasion.

M. Voisin, vous avez insisté sur la nécessité de baisser le prix du carburant sans plomb. Je ne pense pas qu'on puisse affirmer qu'il est trop cher sans dire par rapport à quoi. En application du principe très simple: pollueur payeur, j'ai tendance à penser que la bonne démarche consisterait à internaliser les coûts de l'usage des différents modes de transport. Des travaux réalisés par le ministère de l'Equipement, des transports et du logement ont montré qu'il faudrait relever de 1 F à 1,70 F le prix du gazole pour que ce type de carburant paie l'ensemble des coûts sociaux générés par son usage. Cela est considérable et je ne prétends pas proposer une augmentation de ce type à brève échéance, mais il nous faut dresser le bilan économique complet du choix du tout automobile.

Je voudrais dire ma perplexité devant la tentation de développer le véhicule électrique. Je l'ai déjà utilisé. C'est confortable, amusant et séduisant...

M. Gérard VOISIN : J'ai parlé de véhicules mixtes.

Mme Dominique VOYNET : Il me semble que ce véhicule, dont l'autonomie reste limitée et dont les batteries continuent à poser des problèmes, devrait être réservé à des situations très particulières. J'ai évoqué le cas des centres-villes anciens où il importe d'éviter des émissions polluantes susceptibles de dégrader rapidement, outre les poumons de nos concitoyens, les bâtiments publics dont le ravalement est extrêmement coûteux. Cet usage me paraîtrait justifié dans le cas de flottes captives, de petits taxis de centre-ville, par exemple. Par contre, je ne pense pas que ce soit l'alternative au moteur à explosion.

Il conviendrait également de développer des programmes concernant des véhicules différents. Je pense à des véhicules plus petits, sachant que les usagers sont majoritairement seuls dans leur voiture. C'est le concept développé par la Smart, dont l'usine a été inaugurée par deux présidents auxquels leur gabarit interdisait quasiment d'entrer dans ce véhicule. Je pense aussi à des petites voitures suffisamment courtes pour être garées perpendiculairement au trottoir. C'est un concept développé par un fabricant breton. Le concept de véhicule urbain, aux antipodes de la tendance actuelle à l'augmentation des motorisations, du poids et des équipements, ne me paraît pas du tout ridicule.

M. Gérard VOISIN : Il faut deux véhicules !

Mme Dominique VOYNET : C'est le cas dans beaucoup de familles qui ont une berline confortable avec laquelle elles partent en vacances avec les enfants et le chien et un petit véhicule pour tous les jours. Ce dernier pourrait être très léger, circuler plutôt à basse vitesse, avoir une consommation réduite et permettre ainsi de résoudre les problèmes de sécurité, car on ne se comporte pas de la même façon au volant d'un gros véhicule ayant une dynamique de char d'assaut et au volant d'un véhicule léger.

Mme Michèle RIVASI : La conception de l'automobile développée par le lobby des constructeurs, n'a guère évolué depuis quarante ou cinquante ans, sinon du point de vue de la forme, du confort et de la sécurité.

M. Patrice MARTIN-LALANDE : Et de la consommation !

Mme Michèle RIVASI : Récemment seulement.

Les consommateurs, eux, ont évolué. Très sensibles aux problèmes liés à la pollution de l'air, ils seraient prêts à acheter d'autres types de voitures.

Plutôt que de réfléchir sur la crise de l'automobile, sur le fait que les Français n'en achètent plus, que le marché est en train de s'effondrer, mieux vaudrait se demander comment inciter les industriels à fabriquer des automobiles faibles consommatrices d'énergie ou à carburation mixte GPL/essence.

Il existe actuellement un décalage entre le point de vue industriel et le point de vue des consommateurs. Pour le réduire, il faudrait un coup de pouce du Gouvernement afin d'inciter les industriels à concevoir des voitures très peu polluantes et en assurer la diffusion par une bonne politique de communication en relation avec les constructeurs d'automobiles. On pourra ainsi développer un nouveau marché. Que la France soit promoteur d'autres voitures serait un bon symbole de l'accord PS-Verts.

Par ailleurs, les transports en commun urbains ne sont pas du tout équipés en GPL ou en gaz naturel. Quelle impulsion entendez-vous donner afin que tous les transports en commun soient équipés, de façon à être les moins polluants possible ? A Paris, les chauffeurs de taxis seraient tout à fait prêts à adopter ce type de carburant, dès lors qu'il y aurait des incitations financières. Un tel ensemble de mesures permettra de réduire la pollution de l'air et de susciter l'acceptation des consommateurs, si on leur propose un changement, ce qui n'est pas le cas actuellement.

Enfin, je soulignerai que si l'on augmentait d'un million de nombre des voitures électriques, il faudrait construire cinq réacteurs nucléaires supplémentaires. Je suis donc tout à fait d'accord avec vous: la voiture électrique s'adresse à un marché captif.

M. Gérard VOISIN : Pourquoi ?

Mme Michèle RIVASI : Parce que les batteries doivent être rechargées à l'électricité. Pour augmenter le nombre des voitures électriques, il faut construire davantage de réacteurs nucléaires. Compte tenu des difficultés que nous rencontrons avec les déchets radioactifs, je préférerais que l'on développe des voitures au GPL que des voitures électriques dont, en outre, l'autonomie ne répond pas, pour l'instant, à la demande.

M. Raymond DOUYERE : Envisagez-vous de demander une augmentation des crédits de l'Etat pour la création de transports en site propre ?

Pensez-vous accorder des aides pour le covoiturage ?

Il existe actuellement une taxe sur le bruit provoqué par les aéroports. Les automobiles créent d'importantes nuisances sonores, notamment dans les agglomérations et les collectivités ont de grandes difficultés à financer des équipements pour les réduire. Seriez-vous favorable à la création d'une taxe unique sur l'achat de l'automobile, permettant d'alimenter un fonds qui servirait à la mise en place de dispositifs visant à atténuer le bruit dans les agglomérations ?

Mme Dominique VOYNET : Mme Rivasi a insisté sur le lobby des constructeurs et des conducteurs. On est dans une espèce de cercle vicieux, puisque les constructeurs forment le goût des conducteurs, par la publicité, et les conducteurs font pression sur les constructeurs. Cela conduit, par l'usage de concepts tels que la virilité, la force, l'agressivité, la compétition, la performance, à développer des voitures toujours plus grosses et toujours plus polluantes.

Peut-être serait-il intéressant de développer plutôt le confort de conduite, la sécurité et la vertu écologique, qu'il s'agisse de la production et du choix des matériaux, de la consommation et du choix des modes de propulsion ou, en aval, du recyclage des composants des voitures. En résumé, il faudrait remplacer une logique de publicité par une logique d'information faisant appel au sens des responsabilités du consommateur-citoyen-conducteur, qui est d'ailleurs de plus en plus souvent une conductrice.

Je ne voudrais pas donner à penser que le GPL m'apparaisse comme étant la solution de remplacement. C'est un résidu de l'industrie pétrolière qui représente environ 5 % du total des carburants. On ne disposera pas de suffisamment de GPL pour alimenter tout le parc automobile.

Vous avez évoqué la pollution générée par les flottes d'autobus. Une affaire récente a ému l'opinion : le président de la RATP s'apprête à passer commande de près de mille bus à motorisation diesel. Certes, ces véhicules sont considérablement moins polluants que les vieux autobus Chausson qui circulent encore ça et là dans nos banlieues, mais on aurait pu imaginer qu'à l'occasion d'une commande aussi importante, la RATP ferait l'effort de recourir davantage à d'autres types de carburants.

Je crois savoir qu'il est difficile actuellement de trouver des matériels qui répondent aux demandes de la RATP. La RATP semble décidée à s'engager sur l'achat à moyen terme d'environ deux cent bus alternatifs. On n'aura peut-être rien changé en matière d'effet de serre si les vieux bus de la RATP sont revendus dans des pays en voie de développement ; ce qui est considéré comme trop polluant ici roule encore à Madagascar. Pour la planète, le bilan n'en serait pas amélioré.

Le transport en site propre est un thème qui m'intéresse. Nous sommes convenus, M. Jean-Claude Gayssot et moi-même, de dynamiser l'offre de transport collectif à l'occasion de la renégociation des contrats de plan Etat-région. Le ministre chargé des transports a passé contrat avec une dizaine d'agglomérations pour la réalisation de tramways en site propre.

Je ne suis pas favorable à une aide au covoiturage, parce qu'en y ayant recours, on dépense déjà moins d'argent, on a le droit de circuler quand d'autres n'ont pas le droit et on économise du temps, de l'argent et du carburant. Les entreprises doivent s'engager davantage dans le développement du covoiturage en prenant l'initiative d'enquêtes au sein de leur personnel sur les heures et les lieux des déplacements, pour mettre en relation ceux qui demandent et ceux qui offrent. A ce sujet, je dirai que si une écrasante majorité de gens sont disposés à offrir une place dans leur voiture, rares sont les conducteurs qui acceptent de laisser le volant pour monter dans celle de leur collègue. C'est une des limites culturelles au développement du covoiturage.

La mise en _uvre d'une taxe sur le bruit ne me paraît pas difficile, si tous les véhicules y sont assujettis. Toutefois, on dénonçait hier, à l'Assemblée, une tendance lourde à la multiplication des taxes en tous genres... Un groupe de travail sur la fiscalité écologique associant le ministère de l'économie et des finances, le ministère de l'aménagement du territoire et de l'environnement et le ministère de l'équipement, du logement et des transports a été mis en place. C'est une initiative qui mériterait d'être examinée dans le cadre de ce groupe de travail.

M. Gérard VOISIN : Sous tous les gouvernements, l'automobile est une " vache à lait ", par le biais de la fiscalité sur les carburants. Votre Gouvernement, qui sera peut-être plus performant que les autres, ne devrait-il pas trouver d'autres sources de recettes pour l'Etat que celles prélevées depuis des décennies sur ce secteur ? L'automobile coûterait ainsi moins cher, serait améliorée du point de vue technologique et pourrait être davantage vendue à l'étranger.

Mme Dominique VOYNET : Je ne crois pas que la solution que vous préconisez soit la bonne. Moi qui suis depuis longtemps utilisatrice des transports collectifs, et notamment du train, qu'il s'agisse des lignes régionales ou du TGV, j'ai toujours eu conscience, en payant mon billet, de payer aussi les infrastructures que j'utilisais, ce qui n'est pas le cas des automobilistes.

Audition de MM. Philippe CHARTIER, Directeur scientifique,

et Alain MORCHEOINE, Directeur des transports
à l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME)

(extrait du procès-verbal de la séance du 5 novembre 1997)

Présidence de M. Daniel PAUL, Président

M. Philippe CHARTIER : Je rappelle que l'ADEME est un établissement public placé sous la tutelle des trois ministères chargés de l'environnement, l'industrie et la recherche. Quatre au moins de nos missions concernent les transports et l'automobile. Elles portent sur la pollution atmosphérique, l'énergie y compris l'effet de serre et les problèmes de gaz carbonique (CO2), les déchets et le bruit.

Pour couvrir ces missions, l'établissement s'est structuré par rapport aux secteurs d'utilisation concernés (transport, industrie, bâtiment et collectivités). S'agissant du sujet qui vous préoccupe, l'essentiel de notre activité est réalisée au sein de la Direction des transports, dirigée par mon collègue Alain Morcheoine. Une activité spécifique est en outre conduite par la Direction agriculture et bioénergie. Elle concerne les bio-carburants.

Quels sont nos modes d'intervention ?

Il s'agit d'abord de porter le message énergie et environnement dans tous les secteurs touchant aux transports. Nous le faisons au travers de notre expertise et de nos crédits d'intervention.

Cette intervention porte à la fois sur la recherche et sur la diffusion des technologies matures auprès des utilisateurs. A cette fin, nous utilisons, pour la partie recherche, le budget civil de recherche et de développement, aussi bien pour la partie énergie-CO2, que pour la partie environnement local. Nous espérons pouvoir financer un effort plus soutenu sur la pollution automobile en ville à travers une dotation spéciale associée à la loi sur l'air qui n'existe pas encore aujourd'hui.

Les trois axes principaux sur lesquels nous intervenons dans le domaine des transports sont le véhicule propre et autonome, les déplacements urbains et les problèmes de marchandises.

En ce qui concerne la recherche, l'ensemble de notre activité s'inscrit dans le cadre du PREDIT (Programme national de recherche et d'innovation dans les transports terrestres), dont nous sommes l'un des acteurs et l'un des financeurs.

Le groupe énergie-environnement traite des thèmes suivants : les émissions des automobiles en ville et leur impact sanitaire ; les batteries et les piles à combustible dans la perspective du développement des véhicules électriques, à court et à long terme ; la chaîne carburant-moteur-émission de gaz polluants.

Nous intervenons aussi au titre de l'expertise dans un certain nombre d'autres groupes du PREDIT qui s'intéressent à la gestion des déplacements urbains, au transport des marchandises ou à la monétarisation de la pollution.

Mon collègue vous indiquera ce que nous faisons en matière de véhicule électrique, de GNV et de GPL.

Pour les moteurs thermiques, l'accent est mis sur quelques points particuliers. Nous pouvons vous décrire le travail réalisé sur la climatisation, par exemple. En bref, la climatisation devient un équipement classique sur les véhicules haut de gamme. Lorsque les véhicules sont soumis aux normes UTAC de consommation, tous les accessoires sont mis hors circuit, y compris la climatisation. Ce n'est pourtant pas un accessoire anodin, puisqu'il affecte d'une manière significative la consommation et les émissions. Nous ne sommes pas contre la climatisation, mais il ne faudrait pas réaliser à la fois un travail de pointe sur le moteur pour gagner quelques points de performance et négliger l'efficacité de tels équipements. Nous sommes très attachés à la prise en compte de ce type d'accessoires.

Nous intervenons ensuite sur la mobilité en ville et sur les problèmes de l'urbain. Il s'agit de fournir aux acteurs les moyens de mesurer l'impact environnemental et énergétique des plans de déplacements urbains qu'ils proposent. Nous savons bien que ce ne sont ni l'énergie ni l'environnement qui déterminent la mobilité, mais nous voudrions qu'à chaque fois qu'un programme de mobilité est défini, il soit apprécié du point de vue de son impact environnemental.

Cet ensemble d'actions est mis en perspective à partir des considérations suivantes.

En matière de pollution urbaine, la question est de savoir jusqu'où il est possible d'améliorer la qualité des émissions des véhicules thermiques. Vous connaissez l'évolution des différentes normes et réglements. Elles ont beaucoup progressé au cours des vingt dernières années.

Compte tenu de l'évolution du parc, nous faisons des estimations sur les concentrations de NOx et de CO2 à l'horizon 2005 ou 2010. A partir de là, nous nous demandons s'il faut aller plus loin. Nous estimons que la réponse tient largement à l'amélioration des connaissances sur les impacts sanitaires de ces concentrations. Le programme que nous développons sur les émissions automobiles en ville et les impacts sanitaires dispose des moyens nécessaires pour clarifier cette question.

Nous nous intéressons aussi aux problèmes de gaz carbonique, en relation avec les négociations de Kyoto. Dans le cadre du plan, un travail de prévision des émissions de CO2 et de consommation d'énergie à l'horizon 2010-2020 est réalisé. Le mot "prévision" n'est d'ailleurs pas juste, car il s'agit plutôt de scénarios. Or nous constatons que même dans les scénarios les plus volontaristes du point de vue de l'environnement, les émissions de CO2 dues aux transport croissent d'une manière considérable. On n'y échappe pas. D'où les problèmes qui peuvent naître des engagements internationaux qui peuvent être pris, en ce domaine.

Nous nous intéressons également aux problèmes d'énergie. Au plan mondial, nous estimons qu'à l'horizon 2030, 2040, 2050, le trafic routier de la Chine sera équivalent à celui de la France en 1940 ou 1950, ce qui nécessitera une production de pétrole égale à 1,5 fois la production actuelle. Il en résulte qu'un effort majeur doit être réalisé en vue de la diversification des ressources énergétiques dans le domaine des transports, en particulier dans l'automobile, à un horizon pas très éloigné.

L'analyse du trafic et de ses conséquences sur la consommation d'énergie, les émissions de CO2 et les polluants conduit également à être attentif aux choix à effectuer. Elle montre clairement que les deux postes les plus préoccupants sont la voiture en ville et le camion sur les routes. Dans ces conditions, il faut trouver, sur ces deux postes-là, des solutions.

Nous prenons souvent l'image de la poupée russe : les solutions s'emboîtent les unes dans les autres.

Le premier niveau concerne l'action sur le module de transports. Peut-on améliorer la voiture et le camion d'une manière suffisante pour améliorer globalement la situation ? Pour nous, la réponse est " oui ".

Le deuxième niveau est l'amélioration de la fluidité du trafic. Qu'il s'agisse des émissions de polluants ou de la consommation d'énergie, les conséquences de la plus ou moins grande fluidité du trafic sont significatives.

Le troisième niveau est celui tout à fait majeur du choix modal. Les effets sont différents selon que vous utilisez les transports collectifs ou des système individuels. La disposition en vigueur dans la plupart de nos villes qui impose de prévoir une place de parking par employé de bureau influe sur le choix du mode de transport. Nos études montrent que l'on peut agir sur le choix modal d'une manière très importante.

Le quatrième niveau concerne les facteurs qui déterminent la mobilité. Il convient de les examiner dans l'aménagement des villes à des échelles différentes ; à cet égard, la comparaison entre des villes américaines et Tokyo est éloquente.

Pour en revenir au module, des progrès sont possibles sur le véhicule thermique classique. Les progrès les plus significatifs portent sur trois points totalement liés : la baisse de teneur en soufre des carburants, afin de permettre aux systèmes de dépollution d'être efficaces ; le passage à l'injection directe essence ; la capacité du pot catalytique à réduire les oxydes d'azote en milieu oxydant. Si l'on n'utilise que l'injection directe, on ne peut pas utiliser le pot catalytique classique puisqu'on est en milieu oxydant. De plus, on ne peut pas utiliser le carburant classique car, trop chargé en soufre, il endommage le catalyseur. Il est possible d'optimiser ces différents éléments à un horizon relativement proche ; cela permettrait d'obtenir pour les véhicules à essence des gains de performance de 20 à 25 %, c'est-à-dire les plaçant au même niveau que le diesel.

L'emploi du diesel pose deux questions. La première concerne les oxydes d'azote. Il faut un pot catalytique capable de réduire les oxydes d'azote en milieu oxydant. Ce qui est bon pour l'injection directe est bon pour le gazole, puisque cette carburation s'opère en milieu oxydant. Si l'on résout ce problème, on trouvera une solution pour le gazole, à condition, là encore, de réduire le niveau de soufre. La seconde concerne les particules. Pour l'instant, les perspectives ne sont pas très claires et ce type de polluant constitue un handicap sérieux du moteur diesel.

Par conséquent, il existe des perspectives pour le véhicule thermique, eu égard aux contraintes énergétiques et environnementales.

S'agissant de la diversification, c'est-à-dire du passage au véhicule électrique, au véhicule à gaz, au GPL, voire aux biocarburants, nous pourrons vous fournir quelques précisions sur ce que l'on peut en attendre à l'horizon de quinze ans.

Il y a ensuite une vision à très long terme, pour tenter de savoir ce qui se dessine à l'horizon de vingt, trente ou quarante ans.

J'ai participé, ces deux derniers jours, à une réunion de l'Agence internationale de l'énergie. Tous les pays industriels essaient de se situer dans la perspective de la conférence de Kyoto.

Pour à peu près tout le monde, dans un délai à définir, la solution de la pile à combustible à hydrogène se dégage nettement. L'hydrogène viendra de toutes les sources possibles, qu'il s'agisse de renouvelable, du nucléaire, voire du charbon avec piégeage du CO2. Dans une perspective à moyen terme, l'hydrogène est un vecteur intéressant, puisqu'il s'affranchit de toute limite quantitative des ressources, ne produit que de la vapeur d'eau, ce qui limite grandement l'effet de serre et est très peu polluant. De plus, la pile à combustible présente la particularité de garder des niveaux de performance très élevés quelle que soit la charge, ce qui n'est pas le cas des moteurs thermiques classiques.

M. le Président : A quelle échéance estimez-vous possible le développement de la pile à combustible ?

M. Philippe CHARTIER : Pas avant 2020 pour une pénétration massive des marchés.

M. Alain MORCHEOINE : Tout dépendra des secteurs de marché. La pile à combustible devrait apparaître sur les véhicules légers après 2010 ou 2015. Dans certaines niches de marché, notamment pour les autobus, elle pourrait être utilisée beaucoup plus vite.

Balard, société canadienne de Vancouver, met d'ores et déjà sur le marché sa troisième génération de bus à pile à combustible à hydrogène. On compte encore ces véhicules sur les doigts de la main, mais sur les cinq dernières années, on constate une forte accélération des progrès technologiques et de l'industrialisation de ce concept sur les autobus, qui ne présentent pas les mêmes contraintes de volume et de place du groupe motopropulseur - pile, électronique, moteur - que les voitures particulières.

J'estime qu'un marché significatif pourrait exister sur ce segment aux alentours de 2005.

M. le Rapporteur : J'ai le sentiment, en tant que citoyen, qu'après la grande crainte du manque d'énergie des années 70 et les premières alertes environnementales des années 80, on a un peu perdu de vue le souci de l'économie d'énergie.

En tant que responsables de l'ADEME, avez-vous le sentiment que le souci d'économie d'énergie reste suffisant de la part des constructeurs ou des autorités politiques, ou bien estimez-vous que cet argument doit être utilisé en priorité pour expliquer la nécessité d'orientations nouvelles en matière de carburants et de moteurs ?

S'agissant du débat gazole-essence sans plomb, nous avons entendu beaucoup de choses, chacune connotée par la provenance de l'orateur. Est-il exact que, pour deux véhicules fonctionnant l'un à l'essence sans plomb, l'autre au gazole, sur le même parcours effectué à la même vitesse, le second produira moins de gaz carbonique que le premier ?

On connaît les limites du véhicule électrique actuel en termes d'autonomie. On parle moins souvent du recyclage des batteries usagées. En admettant que des progrès puissent être réalisés dans la capacité de charge des batteries, le recyclage vous paraît-il susceptible de progrès intéressants d'ici la mise en oeuvre de la pile à combustible ?

M. Philippe CHARTIER : En ce qui concerne les économies d'énergie, on constate une démobilisation qui n'est pas spécifique à la France.

Certes, il est peu probable que, sauf difficultés géopolitiques au Moyen-Orient, l'on ait à subir de graves difficultés dans les dix prochaines années. Mais structurellement, les pays du Sud-Est asiatique et d'Amérique latine qui sont en train de décoller, ont une forte élasticité entre la consommation d'énergie, la consommation de pétrole et la croissance économique. A notre niveau de développement, il y a une certaine dématérialisation de l'économie et, par conséquent, un découplage entre la croissance économique et la consommation d'énergie. Cela n'est pas le cas dans les pays en développement, dont la croissance entraîne une augmentation de la consommation d'énergie. Il en résulte une demande de ces pays en pétrole, ressource la plus mobilisable, dont l'effet cumulatif risque de devenir inquiétant. Si l'opinion et les médias ne sont pas sensibilisés à ces questions, il faut savoir que ces problèmes vont survenir.

D'autant que, malgré le discours stratégique apaisant des pétroliers, qui disent avoir plus de réserves qu'hier, je constate que l'on exploite plus à fond les gisements existants, tandis qu'il y a, depuis quinze ans, une chute spectaculaire du nombre de découvertes de grands gisements. Je ne suis pas du tout certain que l'on en découvrira encore beaucoup. C'est pourquoi nous estimons qu'il faut être prudent.

Cela dit, les économies d'énergie peuvent bénéficier de l'importance accordée à la pollution automobile en ville. Certes, il existe une contradiction concernant l'émission d'oxyde d'azote, puisque la performance énergétique induit une plus forte production de NOx, et que plus on émet de CO2, plus on produit de NOx. Un moteur qui tourne bien produit une température élevée dans certains points des cylindres. Or les NOx résultent d'une réaction avec l'azote de l'air à haute température. Mais si l'on parvient à résoudre cette contradiction par la catalyse en milieu oxydant, tout ce que l'on fera pour réduire la pollution sera bon pour l'énergie et pour le CO2.

De même, si la réunion de Kyoto aboutit à un accord international sur le CO2, il aura mécaniquement un effet sur la consommation d'énergie.

Même si l'énergie en tant que telle n'est pas en jeu, ces deux conséquences permettront de progresser. Quand on a une vision à long terme du développement durable qui conduit à un contrôle des ressources et des rejets, peu importent les prétextes qui permettent d'avancer dans la bonne direction. Actuellement, on ne manque pas de bonne raisons de faire des économies d'énergie.

M. Alain MORCHEOINE : Des événements récents ont montré à quel point une économie de pays développé est dépendante des performances de son système de transport. Je vous renvoie aussi aux récoltes de pommes de terre russes, il y a quatre ou cinq ans. C'est dire si le problème se pose moins en termes de pénurie de pétrole qu'en termes de risques d'approvisionnement et de concentration des réserves dans les zones à risque. D'où l'intérêt d'avoir plusieurs fers au feu dans ce secteur stratégique et d'avoir des solutions de substitution, soit directement avec d'autres combustibles, soit par une autre organisation du système de transport, moins dépendante du pétrole.

Quel carburant, de l'essence ou du gazole, induit le plus d'effet de serre ? La réponse comporte trois niveaux.

En premier lieu, à modèles équivalents, la version diesel réalise de meilleurs performances que la version essence en terme de volume de consommation et d'émission de gaz à effet de serre sur la filière complète raffinage-utilisation.

En second lieu, la comparaison des ventes de véhicules diesel et de véhicules à essence montre que les acheteurs de diesel choisissent des voitures plus puissantes, ce qui diminue de moitié les gains que j'évoquais.

Il faut enfin tenir compte des conséquences de la fiscalité applicable au gazole. Les enquêtes montrent que, toutes choses égales par ailleurs, un ménage qui remplace sa voiture à essence par une voiture diesel parcourt annuellement plus de distance, tout en économisant 3 500 à 4 000 francs. Il consacre un tiers ou la moitié de ses gains à rouler plus. En fin de compte, la contribution de ce ménage à l'effet de serre et à la pollution est plus importante qu'avant.

Le débat gazole-essence met en lumière deux éléments fondamentaux : les performances de la machine-outil et l'activité. Il convient d'examiner si les gains de performances réalisés sur les modules de transport ne sont pas annihilés par la croissance de l'activité. C'est l'enjeu du débat pour les années 2005-2010.

M. Philippe CHARTIER : Le rapport des émissions de CO2 n'est pas égal au rapport des consommations volumétriques, puisque le gazole contient plus de carbone. Mais cela ne suffit pas à annuler le gain sur le module unitaire dans les mêmes conditions.

M. le Rapporteur : Vous êtes le premier à établir une telle distinction, ce qui nous aide.

M. Alain MORCHEOINE : S'agissant du problème du recyclage des batteries des voitures électriques, j'emploierai une formule lapidaire : une voiture électrique n'est pas une perceuse portable. On n'abandonne pas deux cents kilos de batteries louées en bord de champ. On les rapporte, comme les bouteilles de butane. L'hypothèse d'une fuite de déchets n'est donc pas très crédible.

En outre, il faut savoir que le recyclage des batteries nickel-cadmium, qui défraient la chronique à cause du cadmium, s'effectue actuellement à hauteur de 99  %. J'ajoute que le cadmium est un produit fatal du zinc et qu'à tout prendre, il vaut mieux l'intégrer dans des batteries dont on maîtrise la filière de recyclage que le laisser dans la nature.

Enfin, à l'avenir, d'autres couples électro-chimiques sont envisageables. On entend parler du nickel-métal-hydrures que l'on trouve déjà dans les batteries de micro-ordinateur, mais il est probable que ces hydrures sont trop chères par rapport aux coûts espérés des couples lithium-carbone et lithium-polymères. Cela autoriserait des autonomies non plus de l'ordre de 100 km, mais de 150 à 250 km. Les filières de recyclage sont les mêmes que pour le nickel-cadmium, c'est-à-dire que le module de batteries est consigné et recyclé par les fabricants.

Je rappellerai enfin que le volume de déchets des batteries de démarrage des véhicules thermiques représente sept millions d'unités par an, recyclées à 80 %. L'équivalent en modules-batteries des véhicules électriques supposerait un nombre de 500 000 véhicules électriques, alors qu'on n'en est actuellement qu'à 3 000.

Mme Michèle RIVASI : Si l'on portait à 500 000 ou à 1 000 000 le parc des voitures électriques, quelle augmentation du besoin en électricité en résulterait ? Combien de nouveaux réacteurs nucléaires faudrait-il construire?

M. Alain MORCHEOINE : Nous avons fait ce calcul sur une hypothèse très optimiste de développement du parc électrique. Un million à un million et demi de voitures particulières, plus un million de petits véhicules utilitaires, plus les deux-roues et quelque 4 000 bus représentent un besoin en électricité équivalent à la production nocturne de 1,3 tranche de 1 350 MW de centrale nucléaire. Or nous en avons vingt-cinq qui exportent de l'électricité la nuit. Par conséquent, le développement massif du véhicule électrique n'obligerait pas à construire des centrales nucléaires supplémentaires. Cela équivaudrait au doublement éventuel de la consommation électrique des transports ferrés.

M. le Rapporteur : Vous venez d'évoquer les deux-roues. Quel est leur effet sur la pollution ?

M. Alain MORCHEOINE : C'est un problème que nous avons étudié récemment. La pollution des deux-roues est essentiellement de type urbain et résulte des produits de mauvaise combustion, c'est-à-dire de monoxyde de carbone et d'hydrocarbures non brûlés. Cela comprend l'effet deux-temps.

Les émissions des deux roues ne sont pas encore réglementées, mais vont l'être très prochainement.

Un cyclomoteur équivaut à 450 voitures catalysées pour les émissions d'hydrocarbures imbrûlés et de monoxyde de carbone. Il n'y en a pas encore beaucoup, mais le parc est en croissance rapide, notamment en raison de la congestion urbaine. C'est pourquoi nous y sommes attentifs. C'est loin d'être la première source de pollution urbaine, mais elle se développe.

Mme Michèle RIVASI : Quel est votre point de vue en ce qui concerne le gaz naturel et le GPL pour les transports en commun ?

M. Alain MORCHEOINE : Le GPL nous semble être un combustible particulièrement adapté au moteur à allumage commandé, c'est-à-dire aux petits véhicules utilitaires ou aux flottes de taxis. C'est une filière extrêmement intéressante pour la réduction potentielle d'émissions.

Encore faut-il que les choses soient faites convenablement. Nous avons réalisé des évaluations sur une flotte d'une soixantaine de véhicules GPL qui ont donné des résultats surprenants. Certains véhicules sont plus polluants quand ils fonctionnent au GPL que lorsqu'ils fonctionnent à l'essence. L'analyse montre qu'il s'agit essentiellement d'un problème de contrôle de la qualité des transformations, et notamment de la deuxième monte. Nous sommes en discussion avec les constructeurs et le Centre français du butane-propane pour qu'ils y mettent un peu d'ordre.

En première monte, avec une motorisation GPL conçue et mise en _uvre par les constructeurs sur leurs chaînes, le potentiel de dépollution est très élevé.

Néanmoins, nous avons un problème de limitation des ressources. Les pétroliers estiment dans un premier temps pouvoir produire 500 000 tonnes par an à l'horizon 2000, puis 1,5 million de tonnes, mais pas davantage ensuite. Une des raisons avancées est que le GPL servira à enrichir les carburants classiques en hydrogène.

Si l'on a des ressources en GPL carburant limitées par les autres usages, il vaut mieux les utiliser au bon endroit, à savoir dans les agglomérations ou les bassins de vie. Or, on assiste actuellement à une explosion de la demande de GPL par les VRP qui circulent assez peu en milieu urbain.

Quant au gaz naturel, il nécessite des stations de compression assez capitalistiques. Il est donc envisagé de faire démarrer la filière par des flottes de véhicules lourds, notamment celles des autobus et des bennes à ordures ménagères, dont les volumes sont suffisants pour permettre l'amortissement d'investissements élevés en stations de compression - il n'est pas exclu que Gaz de France fasse un effort dans ce domaine -, qui pourraient être utilisées, dans un deuxième temps seulement, par des véhicules légers de flottes d'entreprises.

C'est pourquoi nous sommes assez défavorables à l'utilisation du GPL pour les bus, car nous considérons qu'en termes de substitution énergétique, nous ne pouvons pas nous dispenser d'une filière. Et si l'une tue l'autre dans son secteur de prédilection, nous perdrons sur l'optimum global.

M. le Rapporteur : Quel serait, selon vous, pour les dix ans qui viennent, l'usage idéal de l'automobile ? Compte tenu des études que vous brassez quotidiennement, des expériences étrangères dont vous avez eu connaissance, quelles sont les deux ou trois actions que vous souhaiteriez voir réalisées ?

M. Philippe CHARTIER : Nous sommes préoccupés par la place de la voiture en ville et des camions sur les autoroutes. Tout dispositif qui, sous une forme ou sous une autre, permettra de parvenir à un équilibre plus favorable aux transports collectifs, nous paraît positif. En particulier, la mise en oeuvre de plans de déplacements urbains, reposant sur une très bonne évaluation des impacts environnementaux et énergétiques, nous semble capitale.

En ce qui concerne les véhicules, il nous paraît important de passer à l'injection directe essence d'une manière propre, à un horizon raisonnable.

M. Alain MORCHEOINE : Le problème cardinal est celui de la place de la voiture en ville. Une des voies possibles est le développement d'un véhicule urbain de petite taille, que l'on voit déjà poindre sur le marché, mais cela n'évitera pas les embouteillages de petites voitures. Il existe un véritable problème de rééquilibrage des différents modes de transports en ville.

Il faut aussi souligner que si les citoyens votent, les paquets ne votent pas. C'est pourquoi la gestion du transport de marchandises en zone urbaine est un secteur en jachère, pour ne pas dire en deshérence. Il faut s'en occuper de manière urgente, car on ne peut pas faire fonctionner une ville sans l'approvisionner ou éliminer ses déchets. Il faudra se pencher non seulement sur les organisations, mais aussi sur les réglementations et sur les engins.

La réglementation des livraisons en ville consiste en substance à autoriser " entre onze heures et onze heures quinze " les véhicules d'une surface au sol inférieure à dix mètres carrés, c'est-à-dire à laisser un quart d'heure pour livrer la ville " à la petite cuillère ", parce que les marchandises sont censées encombrer la voirie et congestionner la circulation.

La comparaison entre une organisation rationnelle, avec des véhicules plus importants effectuant des tournées de livraisons, et celle qu'engendre ce type de réglementation, montre que cette dernière est toujours plus consommatrice d'espace public que la première, et dans un rapport de deux à quatre. Les élus ont mis en place des réglementations contre-performantes par rapport au but recherché.

Je pense, comme Philippe Chartier, que les voitures de demain seront dotées de moteur à essence ou diesel, à injection directe, équipées de catalyseurs et consommeront du combustible à très basse teneur en soufre. Je pense aussi que le prochain pas technologique consistera à constuire des véhicules hybrides, qui permettront de réduire assez fortement les consommations et les pollutions. Cela dit, de même que les robots Marie hachent mal la viande et battent mal les oeufs en neige, les véhicules hybrides sont moins efficaces que les véhicules électriques purs en ville, et que les véhicules thermiques purs à la campagne. Mais ils peuvent offrir un compromis intéressant dans l'attente de la pile à combustible.

Audition de M. Jean-Claude GAYSSOT,
Ministre de l'équipement, des transports et du logement

(procès-verbal de la séance du 12 novembre 1997)

Présidence de M. Daniel PAUL, Président

M. Jean-Claude GAYSSOT : M. le Président, je vous remercie de l'occasion qui m'est aujourd'hui donnée de vous faire part de quelques réflexions sur la situation et les perspectives de l'industrie automobile en France et en Europe. Le sujet est important, large et complexe.

En tant que ministre en charge du secteur des transports, je voudrais simplement aborder devant vous quelques sujets qui me paraissent pouvoir contribuer à la réflexion que vous avez engagée.

Mon introduction à la discussion portera sur quatre points: l'usage des transports et les pratiques de déplacement de nos concitoyens ; l'environnement, notamment en ville ; la sécurité et les perspectives d'évolution dans ce domaine ; enfin, partant du constat que la construction automobile subit, depuis plusieurs années, un recul de l'emploi, je ferai état de quelques éléments relatifs aux perspectives d'évolution dans le domaine des services liés à l'usage de la voiture et, plus généralement, au secteur des transports.

La circulation quotidienne de nos concitoyens continue d'augmenter, mais considérer ce seul aspect ne permettrait pas de voir qu'elle se transforme. Je brosserai ici un tableau de ces évolutions, tel qu'il apparaît au travers des recensements de 1975, 1990 et des enquêtes sur les transports menées par l'INSEE et l'Institut national de recherche sur les transports et leur sécurité (INRETS).

Le nombre de déplacements recensés en semaine croît très peu, moins que la population. Nos concitoyens effectuent moins de trajets pour leurs démarches grâce aux moyens modernes de télécommunication. Ils se déplacent moins pour leurs achats, mais fréquentent davantage les centres commerciaux. Ils pratiquent la journée continue. En revanche, ils se déplacent plus pour les loisirs et les visites. Il n'y a pas régression de la vie sociale, mais une certaine rationalisation des tâches routinières, étant entendu que ce rapide tableau doit être nuancé selon les catégories sociales.

Des transformations profondes ont lieu dans l'usage des modes de transport.

L'usage de la marche et des deux-roues a régressé fortement, celui des transports publics est globalement stable et l'usage de l'automobile n'a cessé de progresser.

Cette évolution s'explique par les effets de la concurrence modale, ainsi que par ceux liés aux transformations de la ville et des modes de vie : péri-urbanisation, étalement des services publics dans toute la ville-centre, offre de stationnement sur les lieux de travail et de consommation.

En outre, l'usage de la voiture s'étend au-delà des conducteurs. On pourrait ainsi dire que c'est chez les enfants du primaire que l'usage de l'automobile - en tant que passager - a le plus augmenté : quatre enfants sur dix sont aujourd'hui accompagnés à l'école en voiture.

La mobilité vers les centres-villes n'est plus que faiblement croissante, tandis que celle entre banlieues, ainsi que celle entre milieu rural et milieu urbain augmentent rapidement.

Il résulte de toutes ces évolutions que si le nombre des déplacements stagne, en revanche, les distances parcourues par jour et par personne ne cessent de croître. Elles ont été multipliées par deux en vingt ans et avoisinent aujourd'hui, en moyenne, sur la population française de six ans et plus, trente kilomètres par jour et par personne.

Pourtant, cet accroissement des distances s'est effectué avec un temps moyen de déplacement pratiquement inchangé. En province, nos concitoyens consacrent toujours un peu moins d'une heure à leurs déplacements quotidiens. La moyenne est d'un peu plus d'une heure dans l'agglomération parisienne. La situation est très voisine dans les autres pays développés.

Ainsi, malgré la congestion accrue de la circulation, nous nous déplaçons toujours plus vite.

Dans le budget des ménages, le poste carburant diminue du fait de la baisse des cours internationaux du pétrole et de la diminution des consommations, à laquelle la diésélisation du parc a notamment contribué. Pour l'ensemble des déplacements, le budget automobile total, comprenant l'achat du véhicule, le carburant, les réparations, l'assurance, etc., enregistre une hausse de 19 % en francs constants sur douze ans, alors que, dans le même temps, la circulation automobile s'est accrue de 40 %. La dépense kilométrique globale a chuté de 15 %, celle des carburants, de 30 %.

Malgré le développement de la motorisation, le poids de l'automobile dans le budget des ménages régresse de 15,8 %, à 14,6 %. Il est intéressant de comparer cette évolution à celle des dépenses concernant le logement, où la situation est différente.

La suprématie de l'automobile dans la mobilité des citoyens est donc très importante. Toutes sortes de facteurs y contribuent allant des qualités de l'automobile, avec les nombreuses évolutions technologiques dont elle a bénéficié, au développement des infrastructures et à l'étalement de l'urbanisation, en passant par l'évolution des modes de vie.

On peut faire des constats similaires pour le transport des marchandises.

En France, pour la période 1970-1995, le trafic, mesuré en tonne/kilomètre, a augmenté de 19 %, le transport ferroviaire a chuté de 28 %, tandis que le trafic routier était multiplié par deux. La part relative du rail est passée de 39 à 23 % dans l'ensemble du trafic marchandises, tandis que celle de la route passait de 38 à 63 %. Pour la même période, on constate des évolutions semblables dans l'ensemble des pays européens.

Plusieurs tendances ont nourri cette évolution ; la modification des structures de production, avec le déclin des branches industrielles classiques lourdes, la croissance des industries légères et de la distribution, les méthodes de gestion par flux tendus, ainsi que les conditions de la concurrence, ont été déterminants.

Ces modifications de l'usage des transports et des pratiques de déplacement s'accompagnent d'une préoccupation croissante vis-à-vis de l'environnement. C'est le deuxième point que je souhaitais aborder devant vous.

Nous ne pouvons plus regarder sans inquiétude le développement du trafic routier. Qu'il s'agisse de la pollution, les transports étant devenus une des premières causes de la pollution atmosphérique, qu'il s'agisse des problèmes de coût et d'usage des infrastructures, de bruit, de sécurité, la poursuite, dans les années à venir, des évolutions que je viens de rappeler, ne pourrait conduire qu'à l'aggravation des problèmes et des déséquilibres. Cette situation nous impose, en particulier à la représentation nationale et au Gouvernement, de réfléchir à un nouveau type de développement.

Les effets sur l'atmosphère des activités humaines liées au transport sont devenus objet d'un débat de société. Ce débat est d'autant plus vif que les enjeux sont multiples et que la diversité des échelles d'analyse en complique fortement l'appréhension.

La pollution atmosphérique résulte de la combustion des combustibles fossiles, et notamment des hydrocarbures et des additifs qu'ils comportent. Leurs impacts sur les organismes vivants - l'espèce humaine, mais aussi la faune et la flore - sont directs (et les effets sur la santé sont évidents) ou indirects (avec la modification de la composition de l'atmosphère, affectant le climat). Dans le premier cas, c'est la concentration locale qui importe, dans le second, il faut raisonner à l'échelle du globe.

S'agissant de la pollution atmosphérique, deux polluants apparaissent préoccupants pour la santé. Les oxydes d'azotes - NOx -, entraînent notamment, par la production d'ozone, des phénomènes de troubles respiratoires dont les principales victimes sont les asthmatiques, les personnes affectées de bronchite chronique et les individus les plus vulnérables. Ce polluant n'est pas responsable de ces affections, mais il en aggrave les conséquences, pouvant provoquer une surmortalité ou une mortalité précoce.

Les spécialistes de la santé publique distinguent la pollution de fond des phénomènes de pointe. La première est moins fluctuante, plus facilement prévisible que la seconde, qui est liée très souvent à la météorologie. La première peut être à l'origine de pathologies chroniques, alors que la seconde peut être la cause de troubles pouvant aller jusqu'au décès d'individus fragiles.

La pollution de fond de nos villes, tous polluants et sources confondus, est sans doute plus faible qu'il y a vingt ou trente ans, mais on ne peut se satisfaire de ce constat. Notre société n'a pas les mêmes exigences qu'autrefois. C'est bien le rôle de la médecine d'identifier et de prévenir des problèmes de santé publique jusqu'alors ignorés.

Dans l'attente d'une meilleure connaissance de la responsabilité de la pollution atmosphérique sur la santé, les mesures prises, notamment dans le cadre de la loi sur l'air, comme la sévérisation des normes d'émission des véhicules, apparaissent raisonnables, en tant que mesures préventives ou prises au nom du principe de précaution.

L'opinion publique, très sensibilisée aux questions de santé publique, se montre à juste titre globalement très réceptive à des mesures telles que l'expérimentation faite dans la région parisienne, le 1er octobre.

S'agissant de l'impact global de la pollution à l'échelle de la planète, le gaz carbonique - CO2 -, le méthane - CH4 -, et d'autres composés hydrocarbonés résultant de l'utilisation des hydrocarbures, contribuent à la modification de la composition de l'atmosphère.

Les scientifiques sont aujourd'hui quasiment certains que l'accroissement de la quantité de CO2 dans l'atmosphère depuis un siècle a contribué à un réchauffement de la planète. Cet effet de serre se superpose aux variations cycliques du climat qui, sur une longue durée, sont de plus grande ampleur.

Le principe de précaution justifie l'importance qu'on accorde aujourd'hui à la limitation de l'émission des gaz à effet de serre d'origine humaine, ne serait-ce que parce qu'un réchauffement, même limité, pourrait être à l'origine de déséquilibres de plus grande ampleur dans le couple océan-atmosphère, avec des conséquences imprévisibles sur le climat.

Il convient, de plus, de souligner l'inertie importante du phénomène qui implique une action rapide si l'on veut préserver les intérêts des générations futures.

La croissance de l'activité des transports dans tous les pays et la part prépondérante prise par les véhicules routiers, qui sont les moins performants en termes de consommation d'énergie d'origine fossile, est le premier facteur qui explique la part croissante du secteur des transports dans la pollution.

Parallèlement, mais de manière variable selon les pays, la contribution des autres activités à la pollution a décru. Dans les pays développés, les mutations industrielles, le passage du charbon au pétrole, la désulfuration des combustibles, le progrès dans l'isolation thermique des bâtiments ont contribué à cette décroissance. Elle a été particulièrement forte en France avec l'augmentation de la production d'électricité d'origine nucléaire bon marché. A l'inverse, les pays en voie de développement rapide consomment de plus en plus d'énergie, principalement d'origine fossile.

De manière générale, la question de la production de gaz à effet de serre, qui sera au centre du prochain sommet mondial de Kyoto, dépasse largement le seul domaine des transports et reste, pour l'avenir, une préoccupation majeure. On sait, sur ce point, le désaccord qui nous oppose à certains autres pays développés, et tout particulièrement aux Etats-Unis.

Si les véhicules automobiles et les poids lourds sont responsables de la majeure partie de la pollution due aux transports, il convient toutefois de noter que des progrès très sensibles ont été accomplis pendant cette période pour réduire les émissions de nombreux polluants, pour l'essentiel grâce aux catalyseurs, qui compensent, et au-delà, la croissance du trafic. Il n'en est pas de même pour la consommation d'énergie qui a continué de croître
- + 7 % de 1990 à 1995 - et avec elle la production de déchets ultimes que constitue le CO2, principal gaz à effet de serre.

A noter que la disparition des émissions du fait des catalyseurs augmente nécessairement celles de CO2.

Pour ce qui concerne les pollutions locales, avec le renouvellement du parc automobile et l'efficacité croissante des catalyseurs, on constate qu'en dépit d'un développement de la mobilité automobile, le niveau de pollution de fond nuisible à la santé humaine est en voie de stabilisation, y compris par les oxydes d'azote.

Pour l'avenir, il apparaît possible de ramener à un niveau acceptable pour la santé humaine, c'est-à-dire compatible avec un développement durable, les émissions de polluants d'origine automobile. Cela ne peut être, toutefois, que le résultat d'un ensemble cohérent d'actions.

J'évoquerai maintenant dans cet esprit les avancées technologiques réalisées dans la dernière décennie.

Comme je viens de le noter, les progrès technologiques réalisés sur les véhicules et les carburants incitent plutôt à l'optimisme. Ils seront accélérés avec l'entrée en vigueur des normes Euro 2, en 1996. Des progrès ultérieurs sont en vue avec les normes Euro 3, qui prévoient, pour la période 1998-2000, une division par deux des émissions de particules et une diminution de 30 % des émissions de NOx.

Si la plupart des simulations faites pour les prochaines années montrent un plafonnement des progrès en matière d'émissions vers 2005, c'est probablement qu'elles n'anticipent pas de nouveaux progrès technologiques qu'il faut pourtant encourager fortement.

Ainsi, les nouvelles exigences pour les moteurs diesel ou les moteurs à essence à mélange pauvre constituent des objectifs prioritaires pour la recherche.

Des projets sont en cours qui visent, par exemple, à développer des systèmes d'injection directe pour moteur à essence, en association avec les constructeurs automobiles et les équipementiers, ou de nouveaux systèmes de catalyseurs pour les moteurs diesel, notamment ceux de poids lourds, proposés par Renault Véhicules Industriels. Une initiative concertée entre constructeurs est en cours de préparation pour développer un véhicule urbain à faible consommation.

Le recours à des énergies alternatives constitue une deuxième voie. Dans ce domaine, le Gouvernement est décidé à engager rapidement les expérimentations et les évaluations nécessaires pour clarifier la politique qui doit être suivie. Ce sont plusieurs pistes intéressantes qu'il convient de mieux explorer et de développer en fonction de leurs atouts spécifiques.

Le véhicule électrique à batterie, dont l'emploi est aujourd'hui limité du fait de son autonomie relativement faible, peut être une bonne solution dans des zones denses comme les centres-villes que l'on veut épargner de toute pollution. Le doublement de cette autonomie, qui serait portée à deux cents kilomètres, est probable à moyen terme et pourrait permettre des usages péri-urbains de ces véhicules, notamment grâce aux nombreux projets lancés en France sur les batteries lithium-carbone.

Les véhicules hybrides constituent également une piste très intéressante sur laquelle travaillent tous les constructeurs, tant pour les voitures particulières que pour les autobus et les utilitaires.

A plus long terme, la pile à combustible peut apporter une solution satisfaisante mais, en dépit d'annonces récentes de Chrysler ou de Mercedes, nous sommes encore loin de maîtriser cette technologie du point de vue des coûts, des risques liés à l'hydrogène, etc.

Le recours au gaz, avec le GPL et le GNV comme carburants, est également une solution séduisante. De ce point de vue, on peut notamment penser à l'équipement des bus urbains. Plusieurs expérimentations sont en cours ou sur le point d'être engagées, tant en province qu'à Paris.

Enfin, n'oublions pas les carburants mixtes, qui visent à combiner les avantages des carburants classiques et des carburants d'origine agricole.

Des actions sont également à mener sur la composition des carburants classiques. On connaît déjà les carburants sans plomb, on sait aussi qu'il existe sur le marché des diesels à faible teneur en soufre.

Tout cela a amené le Gouvernement à décider de mettre en place un groupe de travail pour réaliser une étude approfondie des évolutions qui, dans ce domaine, apparaissent possibles et souhaitables, y compris pour le court et le moyen terme.

S'agissant de l'importante question des gaz à effet de serre, j'ajouterai que nos deux constructeurs automobiles ont pris, en septembre 1996, l'engagement de réduire la moyenne pondérée des émissions de CO2 des voitures particulières neuves immatriculées en 2005, à un montant inférieur ou égal à 150 g/km. Leur objectif est de conforter la position de la France, alors même que notre marché de véhicules neufs est celui dont l'émission de CO2 est la plus basse des grands pays européens, avec 162 g/km. C'est une démarche offensive qui participe à la compétitivité de nos industries.

On le voit, la liste des questions scientifiques ou techniques actuellement en chantier est longue.

Dans le cadre du programme interministériel de recherche dans les transports terrestres - PREDIT 1996-2000 - les appels d'offres lancés cette année portent sur l'amélioration des connaissances des phénomènes de pollution à l'échelle locale, et notamment des effets sur la santé, la monétarisation des effets externes des transports, l'amélioration des combustions dans les moteurs, le développement de nouveaux carburants, les composants des piles à combustible et l'amélioration des carburants actuels.

J'insisterai sur un point essentiel pour nos constructeurs: excessives ou non, les inquiétudes de l'opinion nationale et internationale auront des effets sur le développement de l'industrie automobile. La pression peut accélérer l'émergence de nouvelles technologies. Certains de nos concurrents, notamment le Japon, semblent déjà s'y préparer, afin de prendre une avance sur le marché automobile mondial. Il faut donc se garder d'attitudes frileuses ou défensives.

Développer notre effort de recherche avec les coopérations que cela peut impliquer et veiller à ce que nos industries soient à la pointe des performances que nécessite la mise en place d'un nouveau type de développement économique doit être notre ambition.

J'en viens au troisième aspect, la prévention, avec la complémentarité entre les modes de transport.

Il est clair que la prévention des effets nocifs de la circulation automobile sur l'atmosphère passe par une politique volontariste, en particulier en milieu urbain, visant à une meilleure complémentarité entre modes de transport. A l'évidence, cette politique doit être décentralisée. Elle suppose aussi une réflexion collective sur la ville et l'évolution que nous souhaitons pour le développement de nos agglomérations.

Nous devons regarder hors de nos frontières où plusieurs expériences montrent qu'il existe des alternatives acceptées au " tout automobile ".

En France, à l'initiative de l'Etat et d'un certain nombre de collectivités locales, des expériences intéressantes ont déjà été lancées, à La Rochelle ou à Strasbourg, par exemple. Elles ont été généralement bien accueillies par les riverains et les usagers. Elles apportent une nouvelle preuve de l'évolution profonde des mentalités qui est en cours. Elles doivent être suivies, encouragées, généralisées, le cas échéant, avec les adaptations nécessaires aux différents contextes locaux.

Cette politique volontariste doit s'appuyer sur plusieurs éléments que je rappellerai brièvement.

Le premier consiste en un partage de la voirie plus favorable aux transports collectifs. Les plans de déplacement urbain - PDU - initiés par la loi d'orientation des transports intérieurs (LOTI) et repris par la récente loi sur l'air, vont dans ce sens et sont désormais une obligation pour toutes les agglomérations de plus de cent mille habitants. Il faudra d'ailleurs ensuite réfléchir à l'évolution de ces mesures.

Ces plans dont les collectivités territoriales et les autorités organisatrices sont maîtresses d'_uvre, mais pour lesquels l'Etat, et en particulier mon ministère, entend s'engager, doivent viser à repenser le fonctionnement des agglomérations autour de la complémentarité de la voiture et des transports collectifs, mais aussi de la marche à pied et de l'usage des deux-roues.

Ils doivent également s'attacher à intégrer différentes fonctions indispensables dans cette démarche d'ensemble, telles que l'organisation et la politique du stationnement et l'importante question des livraisons. Dans ce domaine, dont les effets sur la pollution urbaine ne doivent pas être sous-estimés, des expérimentations sont en cours, notamment à Arras, La Rochelle et Bordeaux, qui visent, par une organisation plus rationnelle de ces activités, à mieux concilier dynamisme économique et respect du cadre de vie. Ces expériences, là encore, doivent être encouragées et développées.

Cela me conduit à évoquer la nécessité d'une démarche volontariste en faveur d'une politique plus dynamique de transports collectifs, qui doit pouvoir s'appuyer sur des systèmes de financement adaptés. Je ne m'attarderai pas sur cette question qui fera prochainement l'objet d'une réflexion et d'une concertation approfondies avec l'ensemble des parties intéressées. Néanmoins, il s'agit d'une question importante et nombre des discussions que j'ai avec les élus et les responsables des collectivités locales portent sur ce point.

Pour encourager ce transfert modal de la voiture vers les transports collectifs en ville, nous devons aussi améliorer la qualité de service des transports collectifs, encourager la baisse des coûts des systèmes afin de faciliter leur achat par les collectivités locales et améliorer la conception d'ensemble du système de transport.

C'est le sens des projets menés pour développer une offre industrielle crédible de systèmes de transport dits intermédiaires, adaptés aux agglomérations de plus de cent mille habitants ou aux zones péri-urbaines.

Je note que les constructeurs traditionnels de bus, tel RVI, se sont investis avec d'autres industriels dans la préparation de ces nouveaux matériels intermédiaires entre le bus classique et le tramway.

Il ne s'agit donc pas de chasser l'automobile de la ville, mais plutôt de redéfinir progressivement sa place, en complémentarité avec celle des transports collectifs, qui doit être plus centrale, plus structurante.

Les constructeurs, ainsi que les opérateurs de transports, l'ont bien compris, par l'intermédiaire de réalisations ou de projets qui tiennent compte de ces évolutions. Cela concerne, par exemple, les efforts engagés par différents constructeurs pour produire des mini-véhicules urbains. Cela concerne aussi des projets de véhicules " partagés " ou de véhicules électriques en libre-service conçus pour les centres-villes ou, au contraire, en périphérie, pour le rabattement sur les axes lourds de transports, tel le système Praxitèle, expérimenté à Saint-Quentin-en-Yvelines, ou d'autres systèmes reposant sur des principes voisins.

Ces nouveaux systèmes nous amènent également à réfléchir et à progresser dans la conception et l'organisation de lieux d'échange entre modes de transport, afin de réduire au maximum le caractère pénible de ce que l'on a coutume d'appeler la rupture de charge.

C'est également dans la mise en _uvre effective d'une pratique plus intermodale des déplacements que doivent, à mon sens, s'orienter les nouveaux services d'information des usagers.

L'exploitation commerciale de certains de ces services a commencé, cet automne, en région parisienne. Ces nouveaux services offrent une information sur les conditions de circulation. Je souhaite que des expérimentations soient menées pour intégrer dans ce type de système une information véritablement multimodale, permettant aux usagers de choisir le mode de transport le plus adapté.

Cette approche intermodale doit également s'appliquer au transport de marchandises, grand sujet qu'illustre l'actualité récente. Le transport combiné est une solution compétitive, au-delà de cinq cents kilomètres de distance. Il conviendrait, à mon avis, d'abaisser ce seuil par des actions visant à l'amélioration de l'efficacité des chantiers de transbordement et de la compétitivité du transport ferroviaire.

On peut ainsi s'attacher à définir progressivement un véritable réseau ferroviaire à caractéristiques fret - M. Paul, le président de la mission, doit penser aux ports de l'Ouest - qui permette de faire circuler plus rapidement des trains de marchandises plus longs et plus lourds en minimisant les nuisances.

Toutefois, pas plus qu'il ne s'agit de chasser la voiture de la ville, le développement du rail n'implique la fin des véhicules utilitaires ou des transports routiers. J'évoquais tout à l'heure les livraisons, pour lesquelles le transport routier est irremplaçable, même si un effort d'adaptation des véhicules et d'organisation est, lui aussi, indispensable.

Je note, en outre, qu'en France, 56 % des trafics routiers s'opèrent à moins de cinquante kilomètres et les trois quarts des marchandises, tous modes confondus, ne franchissent pas les frontières d'une région, un quart seulement du trafic routier s'accomplissant à plus de cent cinquante kilomètres. Il y a donc place pour le transport routier, qu'il ne s'agit absolument pas de contester. Le transport routier a son efficacité et ses atouts propres, comme chacun des modes de transport. C'est dire qu'il conserve, à l'évidence, une place importante dans notre vision du devenir du système de transport. Cela renforce encore notre volonté de lui permettre progressivement de se moderniser, pour s'inscrire plus pleinement dans une perspective d'avenir.

J'en viens au troisième grand point : la sécurité routière comme priorité.

Sans doute, des progrès ont été accomplis, mais ils sont nettement insuffisants. Avec environ 8 000 tués et 170 000 blessés par an, la France reste à la traîne de la plupart de ses partenaires européens, dans ce domaine. Une politique plus déterminée permettrait d'éviter des morts et des blessés.

On ne peut absolument pas se satisfaire de bilans aussi dramatiquement lourds, malgré l'amélioration de la qualité des infrastructures, de l'équipement, de l'entretien des véhicules. C'est pourquoi notre politique doit être fondée sur la formation et la responsabilisation des conducteurs. Cet effort doit tendre à l'adoption de comportements plus civiques, c'est-à-dire plus respectueux des autres.

Il doit s'articuler autour de deux axes majeurs : le renforcement de la prévention des accidents - il s'agit de convaincre en mettant l'accent sur l'éducation, la formation et la sensibilisation des conducteurs et des usagers - et la bonne application des règles existantes. Il s'agit moins d'étendre un dispositif réglementaire déjà bien étoffé que de chercher à mieux l'appliquer, tout texte nouveau devant, en priorité, chercher à simplifier l'arsenal existant ou à couvrir un secteur traité de façon insatisfaisante.

Renouant avec une pratique qui avait été quelque peu perdue de vue, un comité interministériel se réunira d'ici la fin de l'année 1997, pour faire le point sur notre politique de sécurité routière et en définir les orientations pour les prochaines années. Cela a d'ailleurs fait l'objet de ma première intervention au conseil des ministres, en juin dernier.

D'une façon générale, la question de la sécurité - je l'ai clairement indiqué en présentant le budget de mon département ministériel - constituera une priorité de mon action, aussi bien pour les choix d'investissement en matière d'infrastructures que pour les démarches engagées en direction des constructeurs.

De ce point de vue, une tendance découlant des évolutions technologiques amène à renforcer de manière importante les équipements électroniques à bord des véhicules. J'ai évoqué tout à l'heure les systèmes d'information embarqués. Au-delà de l'action générale pour une évolution des comportements de conduite, il convient de faire en sorte que ces systèmes électroniques ne soient plus de simples gadgets, mais des systèmes liés à la fonction de sécurité.

Trois grands objectifs peuvent être assignés à ces systèmes de sécurité "intelligents", qu'ils soient mis en _uvre de façon indépendante ou qu'ils soient associés à des équipements d'infrastructure.

Le premier objectif est de fournir au conducteur des données ou des aides nouvelles facilitant ses tâches permanentes en l'aidant à mieux maîtriser à tout instant son mouvement, et en contribuant à une meilleure sécurité immédiate. Le second objectif vise à favoriser les conditions de l'harmonisation du trafic par des liaisons entre équipements embarqués, renforcés ou non par des équipements fixes : c'est le concept de la conduite coopérative. Enfin, le troisième objectif est de rechercher la meilleure utilisation des infrastructures disponibles par le guidage du conducteur et de contribuer à l'optimisation de la gestion des services liés aux déplacements.

D'importants efforts de recherche ont été menés depuis 1986, tant par les constructeurs que par les équipementiers, les exploitants d'autoroute et les centres de recherche à ce sujet. Ces travaux concernent notamment l'alerte avant et après l'accident et la gestion des incidents et des accidents. Le premier résultat des projets menés sur ce thème montre que l'effet d'une information transmise par l'utilisation de panneaux à messages variables permet de réduire de 30 % le nombre de collisions à l'arrière et de 80 % le nombre d'accidents par temps de brouillard. L'utilisation d'appels d'urgence par l'emploi conjoint des technologies de téléphone mobile et de positionnement par satellite - GPS - peut réduire le temps d'intervention de 40 % et, par voie de conséquence, améliorer le taux de survie.

Les constructeurs ont créé une première génération de systèmes de contrôle d'allure autonome et anti-collision . Leur rôle consiste à agir directement sur la commande des gaz en fonction de l'intervalle des temps séparant, dans la même file, le véhicule équipé du véhicule précédent. Ils sont activés lorsqu'un véhicule est détecté en aval, mais peuvent être débrayés à tout instant, en cas d'urgence. On estime qu'ils contribueront non seulement à renforcer le confort et la tranquillité des conducteurs équipés, mais aussi à rendre plus paisible le trafic de faible et moyenne densité.

L'étude d'une deuxième génération comprenant des systèmes asservissant simultanément accélérateur et frein, quelles que soient la densité et la vitesse du trafic, est en cours. Elle permettra de s'approcher de la stabilisation des écoulements en file. Ce sont naturellement là, comme l'ensemble des programmes de recherche autour du concept de route automatisée, dans lesquels la France est engagée, des perspectives pour le moyen et le long terme.

Ma préoccupation est, au-delà de l'effort partenarial de recherche qui se poursuit, notamment dans le cadre du PREDIT, que l'introduction progressive de ces innovations serve effectivement la sécurité et conforte un comportement de conduite apaisé et respectueux d'autrui.

Pour être efficaces, ces progrès doivent être accessibles au plus grand nombre. Non seulement ces systèmes ne doivent être introduits que lorsque leur fiabilité et leur utilité sont avérées, mais il ne faudrait pas que leur coût n'en permette l'usage qu'aux seuls véhicules haut de gamme, ce qui non seulement serait injuste mais ne serait pas souhaitable du point de vue de la sécurité. Si tous les conducteurs placés dans la même situation n'ont pas les mêmes éléments d'information, cela peut avoir des effets contraires à la sécurité. La cohabitation de conducteurs ne disposant pas des mêmes moyens de prévention introduirait, en effet, un facteur de risque supplémentaire. Par conséquent, je souhaite que, dans ce domaine aussi, le progrès soit partagé par tous.

La dernière question que je voudrais évoquer devant vous est bien sûr celle de l'emploi.

A l'évidence, cette question doit être examinée dans un cadre global. Il faut, là encore, aller au-delà d'une approche fondée sur une vision exclusivement modale.

Une récente étude du PREDIT évalue à environ 1,9 million le nombre d'emplois directs et indirects dans les transports, en France, de la construction des véhicules et des infrastructures aux services publics du transport collectif, soit 8,5 % de l'emploi total.

En douze ans, l'emploi dans le ferroviaire et la construction automobile s'est réduit respectivement de 2,8 % et 2 %. En revanche, l'emploi s'est accru de 1,9 % dans le transport routier de marchandises, de 0,9 % dans le transport routier de voyageurs et de 1,2 % chez les auxiliaires de transport, notamment dans la logistique.

Le rééquilibrage intermodal en faveur du rail et la modernisation du transport routier sont potentiellement créateurs d'emplois dans chacun de ces secteurs. Le développement des services qu'appelle une démarche plus résolument intermodale doit également créer de nouvelles opportunités. C'est vrai dans le secteur des marchandises et du fret pour toutes les activités logistiques, c'est également vrai dans le secteur des déplacements de personnes. J'en veux pour preuve les nombreux opérateurs qui se positionnent dans le secteur des systèmes d'information à l'usage des automobilistes.

Il convient également d'être conscient qu'en amont de ces systèmes d'information, l'équipement des grandes infrastructures en systèmes de recueil et d'analyse des données concernant le trafic, qui tendent à se généraliser, génère des débouchés nouveaux pour les métiers de l'ingénierie et de l'exploitation routière.

Le développement systématique du transport collectif en ville peut aussi être créateur net d'emplois, puisqu'il ne fait que remplacer les activités de conducteurs individuels qui ne sont pas des emplois. Il permettra aussi de créer de nouvelles activités: nouvelles dessertes, nouveaux services aux voyageurs, présence humaine dans les réseaux, reprise de l'innovation technologique dans un domaine qui a pris un sérieux retard par rapport à l'automobile.

Le prochain lancement, dans le cadre du PREDIT, d'un large appel à de nouveaux services aux usagers devrait permettre de générer toute une série d'initiatives associant opérateurs de transport et industriels, qui permettront de mieux cerner les gisements d'emplois dans ce domaine.

En revanche, s'agissant de la politique industrielle, les défis auxquels l'industrie automobile doit faire face sont nombreux et redoutables. La concurrence mondiale est déjà très forte, et elle risque d'augmenter encore à terme.

En Europe, selon toutes les indications, la capacité de production dépasse les besoins du marché. Les problèmes environnementaux posés par l'usage de l'automobile sont complexes et sensibles pour nos concitoyens.

Pour ma part, je pense qu'il faut sortir d'une vision trop défensive de la politique industrielle.

Comme je le disais en abordant la question de la pollution, il faut transformer les contraintes en leviers. La sévérisation des normes antipollution doit être l'occasion de faire valoir nos points de vue et de mieux valoriser la qualité de notre recherche, plutôt que de se limiter à une bataille d'arrière-garde.

La politique favorable à l'innovation qu'entend conduire le Gouvernement ne peut être qu'un point d'appui important pour notre industrie automobile: innovation dans les produits pour mieux s'adapter aux besoins et aux nécessités d'un développement durable, innovation dans l'articulation et l'usage des différents modes, innovation dans les services.

Dans ce contexte, le rôle d'un programme de recherche et de développement tel que le PREDIT, qui associe l'ensemble des acteurs du domaine des transports terrestre, me paraît primordial. L'amélioration des connaissances sur l'énergie et l'environnement, les recherches sur l'amélioration de la sécurité, le développement de nouveaux véhicules plus propres et plus sûrs, de moyens de transport collectifs moins chers et plus performants, l'expérimentation de nouveaux systèmes de transports, notamment ceux qui intègrent les nouvelles technologies de l'information et des télécommunications, doivent figurer parmi les priorités majeures de ce programme.

L'apport du ministère chargé des transports se monte à 650 millions de francs sur cinq ans. J'ai eu l'occasion, en juin dernier, lors du premier carrefour du PREDIT, d'exprimer mon soutien à cet effort, au nom du Gouvernement.

Je rappelle que ce programme a été lancé au début des années 80. Nous entendons, non seulement le poursuivre, mais nous employer à essayer de mieux articuler les résultats des recherches et leur application industrielle, pour répondre pleinement aux innovations en cours dans le monde des transports.

M. le Président : Merci, M. le Ministre. J'ai apprécié, en effet, les mots que vous avez prononcés concernant le transport ferroviaire de fret.

M. le Rapporteur : M. le Ministre, cette mission a été créée avec, en arrière-plan, la situation de l'emploi dans le secteur automobile. Il était évident pour nous, dès le départ, qu'elle ne pouvait pas se borner à l'automobile tout court, et encore moins l'automobile d'aujourd'hui. Votre intervention nous apporte de nombreux éléments d'appréciation de nature à élargir le cadre de nos réflexions, qu'il s'agisse des dimensions intermodales ou des perspectives d'évolution technologique et des nouveaux véhicules.

Vous avez tracé beaucoup de pistes, répondu par avance à nombre de questions que nous avions envie de vous poser. Dans trois domaines, cependant, je voudrais vous inciter à aller un peu plus loin, de façon à nous aider dans notre réflexion.

Le premier concerne la place de l'automobile en ville. Tout le monde s'accorde à dire que celle-ci doit être diminuée. Vous avez fait allusion au partage de la voirie et à l'amélioration des transports en commun. Je vous poserai une question un peu plus difficile, parce que plus politique, qui concerne le degré de volontarisme que vous envisagez pour aller dans cette direction ?

Vous avez parlé d'expérimentations. Je les approuve entièrement, mais une fois les expérimentations effectuées, il faut songer à les généraliser. Avez-vous déjà une idée de calendrier ou bien pensez-vous que, dans l'immédiat, il faut se limiter à l'expérimentation ?

S'agissant des transports publics urbains, vous avez aussi tracé des pistes, notamment une qui a déjà retenu notre attention lors d'auditions précédentes, à savoir le recours à des véhicules sortant des schémas habituels de carburants ou de motorisation. Nous avons l'impression que beaucoup de gens réfléchissent dans ces directions, mais que de nombreuses collectivités locales commencent à renouveler leur parc sans tenir compte de ces préoccupations. Quelle est votre réaction à cette situation ? Je ne suis pas sûr que le renouvellement de la flotte d'autobus de la ville de Paris intègre les arguments qui nourrissent nos intéressants débats...

Enfin, s'agissant de l'équilibre rail-route, vous avez cité des distances à partir desquelles le rail retrouve une certaine raison d'être. Beaucoup parlaient à une époque, de ferroutage ; on parle actuellement davantage de transport par containers qui permet de passer, de façon plus souple, du support camion au support rail. Vous avez cité des pourcentages de partage du fret entre les deux systèmes de transport. Quelles sont dans ce domaine les perspectives à 10 ou 15 ans ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : En ce qui concerne l'automobile, il y a plusieurs manières de voir les choses. Pour réduire la présence de l'automobile en ville, certains suggèrent de renforcer les interdictions de stationnement. Ces pratiques existent dans d'autres pays. Je ne partage pas cet a priori. Je préfère commencer par renforcer l'offre de transport. S'il n'existe pas de transports collectifs ou s'ils ne sont pas suffisamment attrayants, du point de vue du prix, du confort, du sentiment de sécurité, etc..., on ne peut pas demander aux gens de les emprunter,

L'exemple de la région parisienne est à cet égard significatif. Plus de 60 % des déplacements intra-muros sont effectués par les transports collectifs, alors que 80 % des déplacements inter-banlieue sont effectués en automobile. La raison n'est pas qu'en banlieue, on méprise le transport collectif, mais qu'il y est inexistant.

Dans mon département, on a mené bataille pour la réalisation de la ligne de tramway Bobigny-Saint-Denis. A l'époque, certains affirmaient que c'était un moyen de locomotion dépassé; aujourd'hui, plus personne ne le dit. Partis d'une perspective de 40 à 45 000 voyageurs par jour, nous en sommes à 65 000 ! De même, pour le tram Val-de-Seine inauguré il y a deux mois, les chiffres de fréquentation prévus sont déjà dépassés !

Le trafic inter-banlieue s'effectuant à 80 % en automobile faute d'une offre de transport collectif, quel type de transport collectif faut-il promouvoir ? Il convient de se garder d'une vision figée. Dans certains endroits, il vaut mieux prolonger une ligne de métro. Mais si l'on considère que le coût d'un kilomètre de métro est cinq fois plus élevé que celui d'un kilomètre de tramway, on est tenté de privilégier ce mode de transport relativement plus léger, qui s'intègre mieux à la ville et donne un sentiment de sécurité, parce qu'il évolue en surface. Je considère que pour les XIIe et XIIIe plans, deux cents kilomètres de tramways peuvent être réalisés dans différentes villes de notre pays. Ce n'est pas un chiffre excessif.

Vous avez évoqué les bus parisiens. Certes, quand on roule derrière un bus qui émet de la fumée noire, on est effrayé par la pollution qu'il provoque. Mais voyons honnêtement les choses ! Les bus ne participent que pour 3 à 4 % à la pollution totale de la région parisienne et un bus induit cinq fois moins de pollution que n'en provoqueraient ses passagers dans leurs propres voitures. En outre, alors que la loi sur l'air prévoit que 20 % des nouveaux véhicules collectifs doivent fonctionner avec du carburant propre, il a été décidé que plus de 30 % des 1 500 bus parisiens à renouveler sur un parc de 4 000, dont 300 l'an prochain, seraient des véhicules de type nouveau, notamment à carburation GPL et GNV.

Le fonds d'investissement des transports terrestres et des voies navigables est en augmentation de près d'un milliard de francs cette année, grâce à l'abandon du projet de canal Rhin-Rhône. Cela se traduira par une augmentation de 33 % des crédits alloués au rail, de 23 % aux voies navigables et de 20 % en faveur de la route, ce qui montre une volonté d'infléchissement.

Quand je participe au somment franco-italien, la question de la traversée des Alpes n'est pas posée uniquement pour les voyageurs, mais aussi pour le fret. Quand je discute avec les représentants du gouvernement espagnol de la traversée des Pyrénées, il n'est pas uniquement question du TGV voyageurs, mais aussi de mettre des marchandises sur le rail. Il existe une détermination qu'il faut encourager sur le plan financier.

M. Gérard VOISIN : Nous sommes ici pour essayer de trouver des solutions techniques, économiques, pour remédier aux difficultés du secteur de l'automobile et à ses conséquences sur l'emploi.

En France, sous tous les gouvernements, l'automobile est une " vache à lait ". Les taxes perçues par l'Etat représentent 76 % du prix des carburants, un pourcentage considérable qui ne retourne pas à l'automobile. Cela permettrait pourtant de développer les avancées technologiques, puisque nos constructeurs savent si bien faire des véhicules moins polluants, plus solides, plus performants que les étrangers nous en achètent beaucoup plus que nous n'en vendons. Ce Gouvernement entend-il trancher sur les autres et faire en sorte que l'apport financier considérable de l'automobile dans le budget de l'Etat soit beaucoup plus utilisé en direction de ce secteur ?

Notre rapporteur a estimé que la place de l'automobile devait être diminuée dans les centres-villes. Je préfère dire que la place de l'automobile doit être aménagée, y compris dans les centres-villes, ce qui est très différent et mériterait un vrai débat.

Sans vouloir sous-estimer l'intérêt de l'aménagement des transports en commun, j'estime que notre mission ne doit pas se tromper de cible. Nous sommes ici pour promouvoir la construction automobile de qualité, en France et à l'exportation.

Il faudrait corriger la situation en utilisant les charges qui pèsent sur l'automobile en faveur de ce secteur, ne serait-ce que pour les infrastructures routières, les parkings. Votre collègue, Mme Voynet, m'a répondu qu'en achetant un billet de train, elle avait le sentiment de participer aux infrastructures de notre pays. Ce mode de réflexion est également valable pour les déplacements en automobile. Il y va aussi de certaines avancées.

On peut également s'interroger sur les raisons pour lesquelles un litre de carburant propre, c'est-à-dire d'essence sans plomb, coûte encore plus de six francs, alors qu'un litre de gazole est beaucoup moins cher. Pourquoi, avec la qualité des catalyseurs, ne consomme-t-on pas davantage de carburants propres, que les pétroliers savent très bien faire. Des lobbies ne nous empêchent-ils pas d'avancer ?

M. Patrice MARTIN-LALANDE : M. le Ministre, on nous a répété qu'il existait, en France et en Europe, une surcapacité de production d'automobiles. Sur le plan social et sur le plan de l'aménagement du territoire, comment envisagez-vous sa résorption ?

Par ailleurs, le journal "Le Monde" vient d'annoncer que Renault a dans ses cartons une voiture, la P55, concurrente de la Smart, qui pourrait être fabriquée par Matra Automobile, à Romorantin, ce qui me conviendrait parfaitement. La Smart a été aidée d'une certaine manière. Peut-on compter sur l'Etat pour accompagner la réalisation d'un tel véhicule, de manière à maintenir un équilibre en matière d'aménagement du territoire et de conditions de production ?

Vous avez évoqué les évolutions auxquelles on a assisté en matière de sécurité routière. Depuis une vingtaine d'années, un important effort de réduction des risques a été réalisé, mais les moyens mis en _uvre ne donnent que des résultats progressifs. Il y a encore beaucoup trop de morts et de handicapés. Avez-vous une idée pour progresser plus rapidement qu'avec les moyens classiques ?

Qu'entendez-vous conserver et que voulez-vous ajouter au système d'aide à l'innovation existant actuellement pour franchir un pas supplémentaire ?

Enfin, quel est, selon vous, l'avenir du réseau de concessionnaires qui a permis au système automobile français de s'enraciner durablement et d'apporter une qualité qui n'est pas étrangère à l'implantation de nos producteurs nationaux sur notre marché ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : M. Voisin a dit : il vous faut faire tout ce que nous n'avons pas fait. Vous m'accorderez que l'on ne peut pas tout changer d'un seul coup !

Mais, je vous assure que le changement est dans mon esprit.

M. Gérard VOISIN : Tant mieux !

M. Jean-Claude GAYSSOT : La taxation des produits pétroliers est un sujet important qu'il convient de situer dans son contexte, afin de ne pas laisser croire que seule la France est concernée. En réalité, nous sommes à peu près dans la moyenne des taxations européennes, légèrement au-dessus, je vous l'accorde. En tout cas, je vous ai dit que les dépenses des ménages au titre de l'automobile étaient en légère diminution.

Dans une société de liberté, je crois à la nécessité et aux qualités exceptionnelles de l'automobile. On ne me fera pas dire que l'automobile est l'aspect négatif d'une société de développement. Je vous le dis pour que vous sentiez dans quel état d'esprit je suis.

M. Gérard VOISIN : J'ai compris !

M. Jean-Claude GAYSSOT : Cela dit, de même que pour le transport routier qui possède des qualités indiscutables, laisser les choses aller au fil de l'eau serait nuisible. C'est vrai pour le transport de marchandises comme pour la vie urbaine. Quand des gens sont pris dans des kilomètres de bouchons, parce que, faute d'autres moyens de se déplacer, ils sont obligés de prendre leur voiture, est-ce favorable à l'automobiliste et à la liberté ?

Mon souci est d'intégrer à la fois la question de la pollution et les pertes de temps et d'énergie provoquées par la saturation. Je préfère prendre le problème ainsi, plutôt que d'opposer la liberté de l'automobiliste et le transport collectif. C'est pourquoi je n'ai pas parlé uniquement de l'offre quantitative de transport collectif, mais aussi de sa qualité.

Je suis de ceux qui sont opposés à une augmentation excessive du prix du gazole. Vous voulez augmenter le prix du diesel...

M. Gérard VOISIN : Je n'ai pas dit cela !

M. Jean-Claude GAYSSOT : J'avais cru le comprendre.

M. Gérard VOISIN : J'ai simplement dit que les carburants propres étaient trop chers en France.

M. Jean-Claude GAYSSOT : Bien sûr ! Mais nous ne voulons pas d'étatisme. Peut-être en voulez-vous, moi, non !

M. Gérard VOISIN : C'est une plaisanterie, M. le Ministre !

M. Jean-Claude GAYSSOT : Ceux qui se prétendent les plus grands défenseurs de l'économie de marché sont souvent les premiers à nous donner des leçons d'administration et de gestion. Je considère que l'industrie automobile doit faire face à ses propres responsabilités en ce domaine. Il faut veiller à faire en sorte qu'en matière d'offre, les carburants les plus propres soient valorisés, notamment par le prix.

On a parlé de surcapacités : à l'échelle de l'Europe quand j'entends ce que disent les industriels, mais je ne pense pas qu'en France nous soyons en surcapacité, et surtout pas en surcapacité d'emplois ! D'ailleurs, le Gouvernement a une idée à ce sujet: il propose l'instauration des trente-cinq heures.

M. Patrice MARTIN-LALANDE : Nous en avons entendu parler !

M. Jean-Claude GAYSSOT : Cela participera à la solution de ce problème. Mais allons plus loin, plutôt que de polémiquer !

Qu'il s'agisse du prix des voitures, de leur conception, de l'innovation technologique, ou qu'il s'agisse du renouvellement, il y a un vrai travail d'activité industrielle à mener.

Il est certain que les réseaux de concessionnaires sont une des qualités de notre système. Il n'y a pas, d'un côté, la production, et de l'autre, le client. Une infrastructure de services est indispensable pour prendre en compte l'évolution des sociétés modernes.

Pour ce qui est de la forme des réseaux de concessions, sans vouloir me substituer aux constructeurs et aux équipementiers, je partage votre souci de ne pas voir remis en cause le système actuel. Il faut, au contraire, l'améliorer, en fonction des besoins nouveaux.

S'agissant des mesures destinées à promouvoir l'innovation, le niveau d'aide est déjà important. Il faut non seulement le maintenir, mais examiner quel partenariat entretenir avec l'industrie elle-même, de façon à valoriser nos propres capacités industrielles.

Il doit être possible de valoriser des centres de recherche publics et d'accroître la synergie avec la recherche industrielle. Le développement du transport intermodal, de l'offre de transport collectif, ne signifie pas le déclin de l'automobile. C'est ainsi également que nous défendrons notre place au sein de l'Europe et à l'égard du reste de la planète.

Bien entendu, il faut promouvoir la prise en compte de l'environnement, du développement durable, dans l'ensemble de notre réflexion sur l'automobile et les différents modes de transport.

M. Patrice MARTIN-LALANDE : La P55 sera-t-elle aidée de la même manière que la Smart ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : Je n'entrerai pas dans ce débat...

M. le Président : Nous auditionnons aujourd'hui le ministre des transports, pas le ministre de l'industrie !..

M. Jean-Claude GAYSSOT : J'ai compris que vous teniez absolument à ce qu'il y ait un développement dans votre ville.

M. Patrice MARTIN-LALANDE : Que l'on maintienne ce qui existe et qui a fait ses preuves !

M. Jean-Claude GAYSSOT : Ma démarche consiste à essayer de dissiper toutes les menaces de fermeture ou de liquidation, où que ce soit.

M. Patrice MARTIN-LALANDE : Il n'y aura pas de distorsion de concurrence par rapport à Mercedes, par exemple ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : Je me bats avec le Gouvernement pour une Europe sociale qui ne soit pas fondée uniquement sur la liberté de circulation des capitaux, la concurrence des peuples. Plus nous serons nombreux à le faire, mieux cela vaudra.

Audition de M. Philippe GUEDON,
Président-directeur général de Matra Automobile

(procès-verbal de la séance du 18 novembre 1997)

Présidence de M. Daniel PAUL, Président

M. Philippe GUEDON : Matra Automobile est une filiale du groupe Lagardère issue en 1964 de la reprise d'un tout petit constructeur, René Bonnet. Je passe rapidement sur l'historique, bien que celui-ci me soit cher puisque je l'ai pratiquement accompagné. La société ayant été fondée en 1964 et y étant moi-même entré en 1965, je peux considérer que je connais à peu près le parcours historique de l'entreprise.

Nous avons fait pendant dix ans des voitures de course. Nous avons créé l'image de Matra Automobile - et en partie du groupe Matra - en remportant de grands succès, en particulier en gagnant trois fois les 24 heures du Mans. Cela s'est déroulé de 1965 à 1974 mais, parallèlement à l'activité de compétition, et dès le début, à la demande de M. Lagardère, nous avons souhaité créer progressivement une entreprise industrielle qui fabrique des voitures " différentes ". Déjà en 1965, il était évident qu'on ne nous attendait pas pour faire des voitures en Europe.

Nous sommes nés avec un désir de différenciation, qui s'est accentué avec le temps, qui nous a fait démarrer avec des voitures sportives ou para-sportives et, peu à peu, par exploration commerciale, nous en sommes arrivés à faire des voitures différentes, ce qu'on appelle parfois des voitures " de niche ", encore que le terme pourrait être discuté car je n'aime pas cet aspect exotique de la voiture " de niche ". Cependant nous faisons des voitures de niche, qui ont tendance à devenir des parties de marché.

Après des tentatives plus ou moins réussies, l'Espace, qui est né en 1984, a été
- je le dis sans modestie - la réussite complète de ce qui n'était qu'un concept : un petit constructeur ou un constructeur de taille moyenne était en mesure de faire apparaître des véhicules annonciateurs de l'avenir, de les proposer, de les vendre, de les fabriquer et, de ce fait, était en mesure d'annoncer des changements de comportement de la clientèle.

L'Espace est né en 1984 avec un objectif de fabrication de 45 voitures par jour. Aujourd'hui, nous en fabriquons 350 malgré de nombreux concurrents qui nous ont copiés.

Je ne suis pas venu pour hisser l'étendard de Matra Automobile, mais c'est une entreprise dont le nombre de salariés est passé en trente ans de 40 personnes - effectif total de l'entreprise lorsque j'y suis entré - à environ 3 000 personnes aujourd'hui, sans compter les salariés sous contrat à durée déterminée.

Cette réussite de l'Espace est une des choses dont nous sommes le plus fiers, d'autant que cette voiture se vend très bien à l'étranger : plus de 50 % de la production est exportée, notamment en Europe. Elle est donc pourvoyeuse de devises.

Telle est l'activité actuelle de l'entreprise.

Notre centre d'études et de développement de Trappes, à côté de Versailles, emploie 450 personnes et nous avons des unités industrielles dans le Loir-et-Cher, la principale à Romorantin sous forme de deux usines : une usine de carrosserie très moderne dite Romo III et une usine d'assemblage final de la voiture, plus ancienne puisqu'elle est incluse dans une ancienne usine " historique " de la ville de Romorantin, qui accueillait autrefois " Les tissages normands ". Nous avons également à Theillay, à 25 kilomètres de ces deux sites, une usine qui fabrique le matériau composite de nos carrosseries. Nous sommes le seul constructeur mondial en mesure de fabriquer aujourd'hui plus de 350 carrosseries en plastique composite par jour.

Vous me faites l'honneur de me demander mon opinion sur l'industrie automobile française : je vous la donnerai avec quelque réserve puisque je me dois d'être modeste, sachant que vous avez auditionné d'autres professionnels et notamment les grands constructeurs. Mais mon point de vue est peut-être plus libre que celui des grands patrons, dans la mesure où je n'ai pas à couvrir ou à défendre une énorme superficie et où je n'ai pas un poids social considérable, ce qui oblige à être mesuré dans ses propos.

Nous sommes actuellement en Europe devant une situation que vous connaissez aussi bien que moi : une industrie automobile capable de fabriquer 18 millions de voitures par an pour un marché de l'ordre de 12 à 13 millions de véhicules, c'est-à-dire équivalent à celui des Etats-Unis, en très forte surcapacité.

Il est inutile de disserter sur les raisons qui ont conduit à cette surcapacité. Elle est là. Elle oblige chaque jour un peu plus les constructeurs à accroître leur productivité, ce qui se traduit immanquablement par des restrictions dans le domaine de l'emploi. Cette difficulté pèse surtout sur les constructeurs pris dans la grande bataille des voitures relativement standard qui ont chacune huit à dix concurrents européens, coréens ou japonais. Or, aujourd'hui, pour cinq cents francs, la clientèle change de camp. Pour des voitures du niveau de la Ford Corsa, de la Fiat Uno ou de la Peugeot 106, la bagarre se joue sur cinq cents francs !

Ces voitures étant comparables, il y a là une contrainte d'ordre économique. L'amélioration globale de la qualité est une excellente chose sur un plan moral, mais elle a introduit dans l'esprit de tous que toutes les voitures se valent. Ce n'était pas le cas il y a vingt ou trente ans où même des gens qui n'étaient pas très compétents en automobile établissaient des distinctions entre telle marque, tel moteur, telle suspension, etc. Moi qui suis dans le métier depuis longtemps, j'ai connu l'époque où l'on distinguait les tractions avant des propulsions arrière, des moteurs arrière, des roues indépendantes. Aujourd'hui, cela n'intéresse plus personne. On considère le style, on a une idée sur l'image et on se préoccupe surtout du prix !

Dès lors, pour ceux qui fabriquent ce que l'on appelle familièrement de la " grosse cavalerie ", il est difficile d'échapper à cette contrainte économique et à la recherche d'une super-productivité, laquelle impliquera, de plus en plus, des accords.

Pour ma part, je ne crois pas beaucoup en la disparition de marques, ou de façon anecdotique et rare. Je pense, au contraire, que c'est une grande richesse que d'avoir plusieurs marques. L'expérience prouve que lorsque des constructeurs fondent deux marques en une, ils perdent des ventes parce que le nom, l'image, le réseau, le style, les habitudes créent des particularismes et plus on a de marques, plus on répond à ce particularisme.

En revanche, des efforts d'augmentation de production sur les investissements lourds que sont les composants mécaniques - moteur, boîte de vitesses, train, etc. - sont payants. Là-dessus, les Français sont très en retard. Je dis cela un peu brutalement...

Ainsi, le groupe Volkswagen, qui a un poids comparable à celui de Renault et Peugeot réunis et possède quatre marques, Volkswagen, Audi, Seat et Skoda, - ce qui lui permet de balayer très astucieusement toute la gamme, de la voiture relativement modeste à la voiture la plus prestigieuse - utilise dix types de moteurs, en particulier dans les voitures moyennes. Renault et Peugeot en ont vingt. Quand on connaît les investissements gigantesques que demandent les moteurs, on voit bien qu'il y a là un poids financier monstrueux, que le client admet de moins en moins.

L'acheteur de Ferrari sait parfaitement que son moteur est un V12, quatre arbres à cames en tête, etc. parce que cela fait partie du plaisir ou de son caprice. Mais l'acheteur d'une Clio ou d'une Uno se moque totalement de la façon dont le moteur est fabriqué ou disposé. Il est d'ailleurs fabriqué et disposé absolument de la même manière sur toutes voitures.

Le premier souhait que l'on peut formuler, et que les nouveaux présidents des deux compagnies françaises partagent selon moi, est de faire un gros effort d'unification des composants. Je dis bien des composants et non des plates-formes. En effet, on entend souvent dire dans le métier qu'il faut réduire le nombre de plates-formes. La plate-forme, c'est le plancher de la voiture, et tout ce qu'il y a dedans : les liaisons au sol, les transmissions, les suspensions et le moteur. Unifier les plates-formes, c'est comme si l'on voulait construire toutes les maisons individuelles selon deux rectangles. C'est extrêmement réducteur du point de vue de l'efficacité commerciale.

Comme ce qui coûte cher dans une plate-forme, ce sont le moteur, la boîte de vitesses, la direction et les suspensions, il est préférable d'unifier les composants plutôt que les plates-formes. Ce point de vue est partagé par le vice-président technique de Chrysler, M. François Castaing, un homme remarquable dont la réussite est mondialement reconnue. Je pense que son audition pourrait vous intéresser. Ingénieur des Arts et Métiers - je le dis avec plaisir parce que j'en suis moi-même -, il est devenu le directeur technique de Chrysler. Etant donné la percée que Chrysler a effectuée, c'est une référence !

Je reviens à mon propos. Les constructeurs français ont beaucoup à gagner en faisant un énorme effort dans l'unification des composants. Je pense d'ailleurs, pour le peu que j'en ai parlé avec eux, qu'ils en ont clairement conscience. Dans la mesure où les pouvoirs publics peuvent y contribuer, c'est une bonne bataille.

Ma deuxième observation concerne le manque d'ouverture mondiale des constructeurs français. Indiscutablement, la présence de nos constructeurs dans les pays émergents est relativement modeste par rapport au " forcing " des Allemands, des Japonais et des Coréens.

C'est un retard historique, presque chronologique. Nous nous sommes fait bouter hors d'Afrique où Peugeot avait pourtant des positions extrêmement fortes. Aujourd'hui
- je l'ai dit à M. Schweitzer - nous pratiquons une politique un peu impérialiste dans la mesure où nous avons tendance à proposer aux pays émergents nos voitures et surtout nos méthodes de fabrication alors qu'il n'est pas sûr que nos concepts correspondent à leurs besoins. Ainsi, leurs routes ne sont pas comparables aux nôtres. De même, la plupart de ces pays ne cherchent pas de gros investissements avec peu d'emplois mais exactement le contraire : ils ont en général une surpopulation active et sont plutôt enclins à faire des voitures avec beaucoup d'heures de travail et des investissements légers, parce qu'ils ont du mal à trouver des devises. Venir leur proposer nos méthodologies paraît pour le moins prématuré.

En allant avec humilité contacter plusieurs de ces pays, on peut parfaitement intéresser des entreprises qui sont en train de naître. Matra Automobile l'a fait très modestement puisque nous sommes parvenus à un accord avec une société indonésienne
- dont je vous donnerai pas les détails parce que le groupe n'a pas décidé de communiquer sur ce sujet pour l'instant. Notre groupe a cédé la licence de la précédente version de l'Espace, celle que nous avons arrêtée, à un groupe indonésien qui va nous acheter les anciens outillages et construire cette voiture. Il a particulièrement apprécié nos méthodologies qui ne sont pas toutes fondées sur la disparition de l'emploi.

En résumé, nous pouvons souhaiter pour l'industrie automobile française une plus grande cohérence au niveau des investissements de composants et une action extrêmement déterminée sur l'exportation.

De plus - cela ne vous étonnera pas de quelqu'un qui a la responsabilité de Matra Automobile - je pense qu'il n'est pas interdit d'essayer de faire des voitures différentes. Il faut attacher un grand prix à la créativité, à l'innovation. C'est une manière de se distinguer et, comme je le dis souvent, la créativité, c'est le seul carburant qui est éternel et gratuit. Il faut s'en servir !

M. le Rapporteur : Je voudrais revenir sur la question des marques et des grandes séries.

Visiblement, dans la construction automobile, il y a une certaine relation entre le coût de fabrication et la longueur de la série. En même temps, quand on rappelle cette évidence à nos deux constructeurs nationaux, ils nous expliquent comme vous, ce dont je suis convaincu, que si l'on mélange des marques, on perd des parts de marché.

A cet égard, je voudrais que vous nous donniez des précisions sur l'expérience que vous avez vécue entre Matra et Renault. Finalement, vous avez construit un objet. Il faudrait faire un sondage d'opinion pour demander aux Français, y compris aux clients, qui de Renault ou de Matra est à l'origine de cette " niche ", mais il me semble bien que vous avez réussi à lancer un produit qui mélangeait deux marques et qui a réussi. Pourriez-vous commenter les raisons de cette réussite ?

M. Philippe GUEDON : Je vais commencer par dire une vérité peut-être désagréable pour le groupe PSA. Lorsque Matra a eu l'idée de cette voiture, nous l'avons proposée au groupe PSA qui n'en a pas voulu. Il n'en a pas voulu parce que c'était un véhicule à risque, par définition. Mais quelle est l'industrie aujourd'hui qui peut vivre sans risque ?

M. Lagardère et moi-même avons eu, ensuite, la chance de rencontrer chez Renault, M. Bernard Hanon, son président, qui avait l'oeil " américain ", si je puis dire. Il a tout de suite senti que ce projet représentait une évolution plus forte qu'une simple évolution technique, en rapport avec la sociologie et la psychologie des gens.

M. Hanon, pour qui j'ai la plus grande estime, nous a dit dès le premier jour qu'elle ne s'appellerait pas Matra mais Renault. A mon avis, il a eu raison, parce qu'en fait, dans le commerce automobile, les messages qui passent, ce sont les messages simples. Associer deux marques - nous l'avions fait précédemment avec Matra Simca pour la Bagheera - introduit dans l'esprit des gens une confusion du style " la poule qui a couvé un oeuf de canard ". Le concessionnaire ne se sent qu'à moitié impliqué, le réseau ne fonctionne pas. M. Bernard Hanon a donc estimé qu'il fallait que ce soit une Renault pour que tout le monde y croie et que cela marche.

Nous l'avons accepté sans satisfaction et sans plaisir mais, maintenant, avec le recul, je suis convaincu qu'il avait totalement raison. Il ne faut pas qu'il y ait confusion des images. C'est comme si l'on faisait des Peugeot, des Citroën et une nouvelle marque : Peugeot-Citroën. Ce serait une erreur. Quand on voit l'embouteillage du monde publicitaire et médiatique, c'est une règle à laquelle il faut se tenir.

Nous avons travaillé en très bonne intelligence avec Renault. Renault s'est dit que c'était une opération très intéressante, qui allait leur permettre de tester un nouveau marché avec des risques modérés, puisque c'était Matra qui avait financé l'investissement de la voiture.

En réalité, nous avons rencontré un succès très supérieur à ce que Matra espérait et à ce que Renault pensait. Depuis, nous gérons la situation.

Il y a donc eu deux phases dans nos relations. L'une où nous étions en état d'infériorité et l'autre où, sans être en état de supériorité, il nous faut gérer une réussite qui a dépassé les prévisions. Il vaut mieux cela que le contraire. Mais, pour éviter toute langue de bois, je dirai que l'industrie automobile n'est pas une industrie où l'on accepte facilement les idées des autres.

M. Maurice ADEVAH-POEUF : Comme dans toutes les industries !

M. le Rapporteur : Ce véhicule s'est appelé Renault mais vous n'avez quand même pas mal joué, puisque tout le monde l'associe malgré tout à Matra !

M. Philippe GUEDON : Et je dois dire, parce que nous sommes dans un monde économique, que nous avons très bien gagné notre vie. Renault également. Dans ce métier, finalement, la consécration, c'est le profit qui résulte d'une idée et d'une opération industrielle. Ces gains nous ont permis de faire de Matra Automobile, qui était une petite société en 1984, non pas une grosse société mais une société plus charpentée, plus structurée et plus solide sur le plan technique.

M. le Rapporteur : Pour l'instant, la marque est Renault, le constructeur Matra. Nous allons vers la quatrième mouture de l'Espace. Les relations vont-elles rester les mêmes ?

M. Philippe GUEDON : Nous arrivons à un point qui était prévisible dès lors que cette voiture a suscité la concurrence que l'on connaît. Actuellement, en Europe, nous comptons quatorze concurrents directs. D'autres voitures s'en approchent mais nous nous reconnaissons quatorze concurrents, dont le plus important est l'association Volkswagen-Ford, qui a fait l'objet d'une aide honteuse, contre laquelle nous avons ferraillé à Bruxelles - ce qui m'a coûté beaucoup d'argent car c'est moi qui ai payé les avocats - et nous avons complètement échoué. L'Europe a subventionné une entreprise américaine et la plus grosse entreprise allemande d'automobiles alors que Matra, qui a montré en partant de zéro ce qu'elle savait faire, n'a pas eu un centime. C'est quand même scandaleux !

A plusieurs reprises, nous avons eu des contacts à différents niveaux. M. Martin-Lalande est au courant. A ce jour, notre contestation de l'aide apportée à Volkswagen qui représente, selon nos calculs, un avantage par voiture compris entre 5 000 et 10 000 francs, n'a pas abouti. A la limite, nos concurrents peuvent vendre leur voiture nettement moins cher que nous sans que cela leur coûte rien, ce qui est particulièrement efficace par les temps qui courent.

Nos démarches nous ont appris que le Loir-et-Cher n'était pas " éligible " au sens européen du terme. C'est la raison pour laquelle nous n'avons obtenu aucune aide. Nous avons donc " fait sans " ; cela ne nous empêche pas de fabriquer 350 voitures par jour !

Pour le futur, M. le Rapporteur, il est évident que les données du problème vont changer parce que, aujourd'hui, quand un constructeur lance un nouveau véhicule ou une nouvelle implantation, la première de ses préoccupations est de savoir où aller en Europe pour être aidé. C'est ainsi que la Corsa est fabriquée en Espagne, ainsi que la Fiesta, que la Smart est subventionnée par le gouvernement français, etc.

Malheureusement, l'Espace aura une fin car cette niche est devenue peu à peu un segment de marché et sera l'objet d'une bataille à outrance. Je fais parfois des comparaisons militaires : nous sommes passés de la guerre révolutionnaire à l'artillerie lourde, l'aviation et les blindés. Dès lors, il est non seulement normal mais salutaire que Matra arrête de fabriquer l'Espace. C'est une question d'appréciation stratégique qui doit nous laisser lucide : il y a des combats que l'on ne doit pas accepter, parce que l'on sait qu'on les perdra.

Jusqu'en 2001-2003, l'accord Renault-Matra continuera autour de la voiture que vous connaissez, sortie il y a un an, laquelle va évidemment évoluer en restant cependant dans la définition actuelle. Sans être une sécurité absolue pour notre entreprise, c'est un acquis important que d'avoir une activité sur une aussi longue durée. Je connais beaucoup d'entreprises qui travaillent avec moins de perspectives ! Au-delà de cette production, nous ferons à nouveau une ou deux voitures innovantes et novatrices. C'est cela notre métier : dans l'Europe automobile de demain, on n'attend pas d'une société comme Matra Automobile qu'elle recopie la Peugeot 306 ou la Fiat Uno, faute de quoi nous serions morts. On attend de notre société qu'elle continue à faire évoluer les produits, sans forcément qu'ils soient ultra-révolutionnaires. Nous avons donc avec Renault des conversations assez avancées pour un futur véhicule différent et nous en avons également sur un autre projet avec Renault et d'autres constructeurs européens.

Deux perspectives s'offrent à nous : soit continuer avec Renault sur deux autres véhicules, soit continuer avec Renault sur un véhicule et sur un deuxième avec un autre constructeur, étant bien entendu que, si c'est le cas, cette coexistence ne devra pas être conflictuelle. C'est une discussion qui est ouverte de façon tout à fait claire, en particulier avec M. Schweitzer.

M. le Rapporteur : Comptez-vous reprendre la " guerre révolutionnaire " sur la micro-voiture urbaine ?

M. Philippe GUEDON : C'est un sujet extrêmement intéressant. Je vais vous répondre de manière plus générale, mais je vais vous répondre.

Quand on se mêle, ce qui est notre vocation et notre prétention, de faire des voitures différentes annonciatrices de l'avenir, il faut d'abord avoir une lecture de l'avenir.

Je vais vous donner un exemple qui m'a frappé. L'an dernier, une publicité annonçait Paris-Toulouse en avion pour 295 francs. C'était peut-être artificiel, il fallait peut-être choisir le jour, mais les progrès du TGV et la baisse des billets d'avion montrent qu'il y a là le début d'une mutation automobile considérable dont il faut absolument tenir compte dans la conception des voitures du futur.

Qu'était la voiture de prestige il y a trente ans ou quarante ans ? C'était, en général, une grosse berline très motorisée susceptible d'emmener quatre à cinq personnes avec des bagages sur Paris-Nice. C'était la Talbot, la Delahaye, les prestigieuses voitures d'après-guerre...

Aujourd'hui, les gens qui ont un pouvoir d'achat important ne prennent plus depuis longtemps la voiture pour aller à Nice ! Ils prennent l'avion et louent des voitures. Ce sont évidemment des modes de vie de privilégiés mais qui sont appelés à se généraliser.

La première perspective dans laquelle on doit s'inscrire est donc celle de la voiture " court courrier " pour utiliser un terme de l'aviation. L'automobile est encore, même si ce n'est pas tous les jours facile, imbattable entre zéro et deux cent cinquante kilomètres, mais pour aller à Lyon, il est vraisemblable que nous prendrons le TGV ou l'avion, pas la voiture.

A cette constatation s'en ajoute une autre, en particulier depuis la célèbre journée durant laquelle il a fallu rouler avec des plaques paires ou impaires. Nous assistons indiscutablement à une sensibilisation chaque jour plus grande aux problèmes de l'environnement et de la pollution. C'est une tendance lourde dans laquelle il va falloir s'inscrire. Cette difficulté donne des opportunités tout à fait nouvelles à saisir.

Dès lors qu'on se préoccupe de faire des véhicules différents, on ne peut être indifférent à ce qui va de la voiture fonctionnant au GPL à la voiture électrique et éventuellement aux piles à combustible. Je pense que cela se terminera par la voiture électrique fonctionnant avec des piles à combustible, seule manière de concilier les approvisionnements existants en termes de livraison de carburant et la non-pollution de moteurs électriques. Il s'agit d'échéances de quinze à vingt ans, mais, d'ici là, il y aura de nombreuses solutions intermédiaires sur lesquelles il y aurait lieu de mener des réflexions sur le plan législatif. A mon avis, le " flop " actuel de la voiture électrique repose sur deux raisons. L'une est l'insuffisance de l'autonomie des batteries, flagrante aujourd'hui mais qui est en train d'évoluer puisque les nouvelles piles au lithium vont permettre une autonomie de 200 à 250 kilomètres à l'échéance de 2001 ; pour la deuxième voiture familiale, cela commence à devenir crédible. L'autre raison est qu'il ne faut pas limiter la créativité à la conception de la voiture : il ne faut pas hésiter à en faire preuve également dans le domaine de l'usage, du branchement, de la réparabilité, etc.

Si toutes les entreprises qui offrent un parking à leurs collaborateurs les équipaient de branchements électriques, ceux-ci partiraient le soir avec le " plein " d'électricité. Nous avons fait le calcul dans notre entreprise et nous pourrions même donner l'électricité au personnel car cela représente une somme absolument ridicule à la fin de la journée.

M. Maurice ADEVAH-POEUF : Je ne connais pas très bien votre société et à vous écouter, je le regrette. Je vous prie d'excuser mes questions de béotien mais je souhaiterais connaître la nature juridique de vos rapports avec Renault.

J'ai connu un petit constructeur, qui a disparu, qui faisait sur les plates-formes et les motorisations de 4L des " tous chemins " du type Méhari...

M. Philippe GUEDON : Qui a aussi fait une voiture électrique sur la fin...

M. Maurice ADEVAH-POEUF : En effet, elle s'est vendue sur les aéroports puis a complètement disparu.

La nature de leurs relations juridiques avec Renault était tout à fait particulière puisqu'ils s'engageaient à acheter, avec des délais de paiement courts, les plates-formes et les moteurs. En revanche, Renault ne s'engageait pas sur un montant de vente de leurs produits dans son réseau.

Je me doute que vous n'avez pas une relation juridique de cette nature...

M. Philippe GUEDON : Non. La nature de notre relation avec Renault est relativement simple.

Premièrement, nous restons l'un et l'autre indépendants : Renault n'a pas de participation dans Matra Automobile et Matra n'en a pas dans Renault. M. Lagardère a été nommé il y a déjà plusieurs années membre du conseil d'administration de Renault, au titre des personnalités qualifiées. Il siège sans représenter un capital. Depuis, le groupe Lagardère a dû acheter 1,5 % du groupe Renault, mais ce n'est pas significatif.

Le contrat de coopération est simple : nous avons en charge tout ce qui relève de la technique : la conception, le développement, la mise au point, les homologations, la fabrication, la qualité ; Renault a en charge tout ce qui relève du commercial : la publicité, la promotion, la vente et l'après-vente de la voiture.

M. Maurice ADEVAH-POEUF : Chacun à ses risques et périls ?

M. Philippe GUEDON : Non. Chaque fois que nous lançons un modèle, nous déterminons ce que l'on appelle un " reste à produire ", ce qui, dans le métier automobile, veut dire le volume complet de ce que l'on fabriquera. Par exemple, on s'engage sur 300 000 voitures avec une certaine cadence, année par année : la première 30 000, la deuxième 55 000, la troisième 65 000, etc... Ce sont des valeurs dites nominales.

Si nous dépassons le nominal, c'est-à-dire si Renault vend les voitures mieux que prévu, nous baissons nos prix. S'il les vend moins bien, il nous assure à partir d'un certain seuil, des compensations sur nos frais généraux.

Ce n'est pas parfait, mais cela résiste à l'usage depuis douze ans. Cela paraît convenable, mais il faut dire que jusqu'à présent Matra a financé les investissements, ce qui représente un avantage considérable par rapport à un petit constructeur.

Honnêtement, c'est assez équilibré.

M. Maurice ADEVAH-POEUF : Vous évoquiez tout à l'heure les aides publiques massives accordées à Volkswagen-Ford. Dans un domaine qui est devenu hyper concurrentiel, ce n'est pas une première. Il y a quelques années, nous avions ferraillé sur l'affaire Chrysler en Autriche avec un peu plus de succès sans qu'il soit total.

Quelles positions pourrions-nous soutenir, selon vous, au niveau communautaire, pour mettre un terme à ces pratiques, qui ne concernent pas que le monospace.

Faire financer par des fonds publics,..

M. Philippe GUEDON : Toyota...

M. Maurice ADEVAH-POEUF : Mais pour Toyota, on n'est pas sûr qu'il y ait des fonds communautaires. Si ce sont des fonds nationaux, c'est un problème que nous avons à régler entre nous.

Avez-vous des propositions à suggérer pour bloquer ce genre de pratiques qui sont conformes aux politiques structurelles de l'Union européenne mais qui aboutissent, avec de l'argent public, à créer des désordres dans un marché qui n'en a déjà pas besoin ?

M. Philippe GUEDON : Si j'avais des idées, nous aurions connu un meilleur succès dans notre contestation auprès de Bruxelles...

M. Maurice AVEDAH-POEUF : Etes-vous pour une interdiction pure et simple des aides communautaires dans un certain nombre de domaines industriels, même au titre des politiques structurelles, dans la mesure où cela aboutit à créer des surcapacités et des distorsions de concurrence ?

M. Philippe GUEDON : Je n'irai pas jusque là parce qu'elles peuvent avoir des aspects vertueux. Il faut bien que l'Europe se défende par rapport aux pays émergents et si nous ne progressons pas en productivité, nous le paierons tôt ou tard.

Je regrette qu'en France il y ait de telles disparités suivant les zones. Nous avons pendant un temps caressé le projet d'implanter une usine à Montluçon qui bénéficiait d'aides considérables, dans le même pays, à 200 kilomètres à peine de Romorantin. Je ne comprends pas cela !

M. Maurice ADEVAH-POEUF : Ce sont des critères spécifiques de pertes d'emplois, etc.

M. Philippe GUEDON : J'ai la chance que l'entreprise dont je suis responsable fonctionne depuis douze ans. Je ne vis donc pas cela dans la douleur, mais nous avons des contacts actuellement avec un constructeur européen pour un éventuel nouveau projet sur lequel nous sommes, au point de vue économique, extrêmement contraints...

M. Maurice ADEVAH-POEUF : C'est donc un méditerranéen ?

M. Philippe GUEDON : Non. Mais vous finirez par trouver !

Nous sommes contraints et nous nous sommes rendus compte que la décision dépendait de l'aide possible pour la construction des bâtiments. Il se trouve que le dossier n'est pas assez avancé pour contacter les pouvoirs publics.

Quand nous les avions contactés - le ministre chargé de l'aménagement du territoire était alors M. Pasqua -, on nous avait objecté que le projet devait être arrêté. Fort de cette expérience, nous attendons d'avoir un dossier précis, mais je suis absolument convaincu qu'une nouvelle affaire avec un nouveau constructeur passera presque obligatoirement par un examen des aides auxquelles nous pouvons prétendre parce que la guerre économique actuelle nous y oblige : il y a vingt ans, construire le bâtiment et l'amortir ou pas n'aurait pas été déterminant. Aujourd'hui, ce le sera.

Dans la mesure où Matra a démontré qu'il était un constructeur créatif, dans la mesure où il existe des aides à la création de nouveaux produits et de nouveaux matériaux, il devrait pouvoir être aidé pour la création de nouveaux produits innovants.

M. Patrice MARTIN-LALANDE : Vous avez évoqué la surcapacité européenne, le fait que Matra n'a pas vocation à produire de grandes séries et à se mettre en concurrence avec de gros producteurs ; cela veut-il dire que dans les années à venir la production de l'Espace pourrait ne plus se faire sur Romorantin et aller à Sandouville ?

M. Philippe GUEDON : On peut le craindre.

M. Patrice MARTIN-LALANDE : Ce transfert de charge serait-il compensé par la mise en oeuvre des deux projets que vous avez évoqués ? Y aurait-il une continuité dans l'utilisation de ce site de production de Sologne ?

M. Philippe GUEDON : Ma réponse précédente répond à une certaine logique parce que je pense qu'au-delà de 2002-2003, les monospaces seront entrés dans un cycle de sur-concurrence dans lequel nous n'aurons plus notre place. Vouloir rester pour rester et couler avec le bateau en uniforme de grand amiral, ce n'est pas notre objectif ! C'est à la fois inéluctable et logique.

Si Renault prend cette décision et j'aimerais mieux que ce soit M. Schweitzer que moi-même qui vous le dise, elle ne me paraîtrait pas être une injure à notre société.

Peut-on envisager une ou deux voitures de remplacement ? Bien entendu. Les responsables de Matra sont là pour que l'entreprise perdure, sinon se développe.

Je pense, en revanche, qu'il serait malséant et erroné sur le plan stratégique de vouloir faire un " petit gros ". Disons que des productions variant de 200 à 350 voitures par jour correspondent au bon étiage pour garder une certaine légèreté industrielle et un certain attrait pour les autres constructeurs.

Il est en revanche possible d'accroître l'activité d'ingénierie que nous avons, en particulier dans les pays en voie de développement qui cherchent des aides nombreuses auprès de bureaux d'études comme Porsche. Comme vous le savez, Porsche est très réputée dans ce domaine, mais Matra Automobile commence à l'être pour une raison simple, c'est que non seulement nous étudions les voitures mais nous les fabriquons. C'est, pour l'interlocuteur, la garantie d'avoir en face des gens relativement réalistes.

Le futur de Matra Automobile, ce sont des productions toujours créatives, si possible sur deux, voire trois modèles pour répartir les risques, et une activité d'ingénierie développée. Pour me permettre une autre comparaison, je dirai que l'Espace c'est un peu comme le prix Goncourt. C'est formidable, mais, en général, c'est au deuxième roman que l'on attend l'écrivain. Il vaut donc mieux en écrire deux, la prochaine fois, qu'un seul.

M. Patrice MARTIN-LALANDE : En ce qui concerne la créativité dont vous avez dit qu'elle était finalement le meilleur remède pour conserver sa place et même l'agrandir, comment voyez-vous dans le système fiscal et social français actuel, les moyens d'améliorer cette créativité ? Certains handicaps pourraient-ils être levés ?

M. Philippe GUEDON : Pour promouvoir la créativité, il faut consacrer des sommes importantes à la recherche-développement, pouvoir former des gens, en embaucher. Nous appliquons une formule dont je crois être l'auteur chez Matra Automobile : nous avons toujours, même dans les périodes de vaches maigres, des études libres.

M. Patrice MARTIN-LALANDE : Quelle part de votre chiffre d'affaires consacrez-vous à la recherche-développement ?

M. Philippe GUEDON : Entre 7 et 8 % . A cela s'ajoute la question de la qualité. Il faut faire 8 % de qualité. J'y suis extrêmement attentif.

Je dirai d'ailleurs que si, dans une usine automobile, il y a quelque chose de confidentiel, ce ne sont pas les modèles nouveaux, mais les méthodes par lesquelles on entretient la créativité. Si celle-ci n'est pas impulsée aux tout premiers niveaux de l'entreprise, elle ne reste qu'un mot. La créativité ne s'exige pas. Ce sont les conditions qui se créent, c'est une certaine nature de dialogue social, une certaine curiosité, une certaine tolérance, une certaine écoute, une ouverture, une culture. Cela ne se décrète pas mais se vit tous les jours.

Pour vous donner un chiffre relatif aux études libres - Matra Automobile a trente-deux ans et, comme nous ne sommes pas des gens très compliqués, nous numérotons nos projets par Pn, le premier étant P1 - nous en sommes à P70 aujourd'hui. Nous avons donc étudié, pas toujours complètement, soixante-dix véhicules différents en trente-deux ans, ce qui est un rythme considérable. Là-dessus, nous avons fabriqué sept voitures, les autres, nous les avons soit gardées, soit vendues, soit stockées. Actuellement, nous avons quatre véhicules en pré-étude.

M. Patrice MARTIN-LALANDE : Dont la P55 !

M. Philippe GUEDON : Dont la P55, vous avez de bonnes lectures !

Non seulement c'est important pour le futur, mais c'est important pour le moral des troupes car il est nécessaire que les gens qui travaillent dans la société sentent, au travers de cela, la volonté d'exister de l'entreprise.

M. le Rapporteur : Existe-t-il encore aujourd'hui une interaction entre la recherche et développement de Matra Automobile et le reste de Matra ?

M. Philippe GUEDON : Pas au niveau automobile stricto sensu, mais au niveau scientifique - parce que n'étant pas partageurs, nous estimons que dans le domaine de l'automobile, nous sommes ceux qui nous y connaissons le mieux -, au niveau des laboratoires, de l'informatique, des calculs, des essais, nous avons affaire à des gens d'une très haute compétence, assez supérieure à celle de notre entreprise, en particulier issus du spatial.

M. le Rapporteur : Le fait de ne pas faire uniquement de l'automobile a son charme ?

M. Philippe GUEDON : Cela a son charme et cela reprend la remarque que je faisais tout à l'heure en disant que les gens de l'automobile ont du mal à écouter. A Matra Automobile, c'est un peu plus facile parce qu'il y a des courants d'air !

M. Patrice MARTIN-LALANDE : Vous disiez que cette créativité était pour l'essentiel une question culturelle. Il n'y a donc rien, dans les domaines relevant des pouvoirs publics, qui puisse concourir à l'émergence de ces bonnes conditions de créativité ?

M. Philippe GUEDON : Il faudrait en discuter dans le détail avec des gens très compétents mais je pense notamment que la collaboration avec les universités et les organismes de formation n'est pas bonne. Nous-mêmes ne sommes pas bons.

M. Patrice MARTIN-LALANDE : Je reviens également à l'autre piste que vous avez évoquée tout à l'heure, celle de l'unification des composants. Est-ce le mouvement naturel de l'évolution des entreprises notamment françaises, qui résoudra le problème ou les pouvoirs publics pourraient-ils prendre des initiatives pour favoriser cette unification des composants ?

M. Philippe GUEDON : Je pense que c'est de la responsabilité des deux patrons français. C'est à eux de le faire. Ils l'ont compris.

Quelqu'un d'assez compétent, dont j'ai oublié le nom, a dit qu'il devrait y avoir dans l'industrie automobile comme cela existe dans l'industrie aéronautique, des fabricants de moteurs. C'est une théorie qui pourrait se discuter. Mais il faudrait réunir des gens de très haute compétence.

M. le Président : Le développement d'un nouveau modèle vous coûte-t-il plus près de 4 milliards ou de 8 milliards ?

M. Philippe GUEDON : La dernière version de l'Espace, qui est de loin celle qui nous a coûté le plus cher, a représenté 2,3 milliards de francs. Avec cela, nous fabriquons 350 voitures par jour.

Je ne peux pas m'empêcher de dire une méchanceté sur mes honorables collègues, mais si vous cumulez les investissements de la XM, de la 605 et de la Safrane, ...

M. le Président : La 605, c'est déjà 7 milliards !

M. Philippe GUEDON : C'est une addition que je vous laisse faire et que je livre à votre appréciation.

C'est pourquoi j'insiste sur ce que je disais tout à l'heure : il ne faut pas faire de Matra un " petit gros ".

M. le Président : Comment expliquez-vous cela? Par des économies d'échelle ?

M. Philippe GUEDON : Nous travaillons avec des méthodologies plus simples et nous ne faisons pas de l'extrapolation des voitures antérieures, comme le font les grands constructeurs.

Je pourrais vous citer des exemples. Dans la grande production, quand on fabrique 2 000 voitures par jour, on ne peut pas tolérer un arrêt de cinq minutes sur une chaîne parce que c'est une catastrophe. Alors, on double, on triple les moyens.

Quand on travaille en série moyenne, on peut prendre un certain nombre de risques. On peut arrêter la chaîne dix minutes, cela ne fera pas sauter l'entreprise. Cela représente des économies dans le choix des outillages et la dimension des matériels.

L'usine Romo III, que je me ferai un plaisir de vous montrer - nous l'avons fait visiter pratiquement à toute l'Europe automobile pour différentes raisons techniques que je vous montrerai comme la galvanisation -, nous a coûté 220 millions. L'état-major de Volkswagen était persuadé que nous nous étions trompés d'un zéro quand nous le leur avons dit parce que dans des entreprises comme la leur, il existe des normes : les poutres doivent résister au vent du Nevada, aux pluies de Chine, etc. Donc, on construit partout dans le monde suivant ces normes-là !

M. Patrice MARTIN-LALANDE : Y a-t-il dans d'autres pays des entreprises qui jouent le même rôle que vous ?

M. Philippe GUEDON : Pas exactement, mais certaines s'en rapprochent.

Porsche est une société de très haute technologie qui fabrique, comme nous, mais n'a jamais recherché une performance dans la création de nouveaux produits. Elle exploite une image extrêmement forte, qui est celle des voitures de sport. Pininfarina en Italie fabrique des voitures dérivées, mais qui n'ont pas vocation à être annonciatrices de véhicules.

Nous avons donc la prétention de penser que notre démarche est particulière. Quand un grand patron de l'automobile pense à Pininfarina, il pense cabriolet ; il associe Porsche à la voiture de sport ; pour Matra, il se demande ce que nous allons lui sortir. Cette image, il faut l'accepter, il faut la vivre.

M. le Rapporteur : Surtout quand elle est positive !

Audition de MM. Jean-Pierre CHOMETTE, Directeur de la conjoncture,
Aimé LANAU, Directeur des entreprises,
et de Mme Annie SAUVÉ, Économiste à la Direction des entreprises
à la Banque de France

(procès-verbal de la réunion du bureau du 19 novembre 1997)

Présidence de M. Daniel PAUL, Président

M. Jean-Pierre CHOMETTE : M. le Président, M. le Rapporteur, je rappellerai tout d'abord brièvement ce que nous faisons en matière d'étude sur les entreprises et les liens que nous avons avec elles, étant précisé que les relations des entreprises avec les banques centrales sont à la fois nécessaires et relativement succinctes.

Toutes les banques centrales, quel que soit leur degré d'indépendance, doivent connaître les comportements des agents économiques et les évolutions macro-économiques, qui représentent pour elles des agrégats significatifs. Vous le savez, l'agrégat est un élément fondamental pour une banque centrale.

Nous ne faisons pas exception à la règle, mais en matière monétaire, la France présente deux particularités, résultant de circonstances historiques.

La première est la technique de l'escompte qui, depuis la création de la Banque de France, a été son mode de refinancement prioritaire. La monétisation des créances privées a été un élément fondamental pour la Banque de France.

La seconde est l'existence d'un réseau de succursales extrêmement dense : il s'est densifié à la fin du XIXe siècle, à la demande du Trésor de l'époque, qui souhaitait que le "numéraire" fût largement répandu dans le public et que le "négoce" fût financé par la Banque de France.

La Banque de France présente donc des caractéristiques particulières par rapport aux autres banques centrales : nous avons avec les entreprises des liens anciens, étroits, denses, fondés sur une réalité historique très forte.

Cela a deux conséquences.

Si, en amont du processus monétaire, toutes les banques centrales réalisent des enquêtes de conjoncture, les nôtres sont plus étoffées du fait de la richesse de nos relations et de la densité de notre réseau. Par conséquent, non seulement nous sommes capables, comme toutes les banques centrales, de connaître les comportements des agents économiques et d'anticiper à très court terme les évolutions macro-économiques dans une perspective de marché de capitaux, mais nous pouvons aussi fournir une information très riche aux entreprises que nous interrogeons.

L'autre conséquence est l'importance du papier privé, c'est-à-dire des créances commerciales, dans le processus monétaire. Celui-ci repose sur la technique de la cotation, que nous avons développée au fil des années et qui est fondée sur l'analyse du risque d'insolvabilité du débiteur final dans le cadre de la sécurité de la banque détentrice de ces créances. Cette cotation doit être précise, rigoureuse et fréquente, puisque cette garantie est à la base de l'acceptation par les banques et la banque centrale d'un système de refinancement.

J'évoquerai aussi l'existence d'une centrale des bilans extrêmement riche, puisqu'elle comprend plus de trente mille adhérents, qui fournit une information très abondante et complexe pour la Banque et pour ses adhérents.

Nous avons donc la capacité de travailler sur des ensembles macro-économiques, comme toutes les banques centrales, mais également celle de fournir des informations en termes sectoriels et en termes individuels.

Cela explique pourquoi nous sommes capables de mener à bien des études sur les stocks, comportant une analyse tirée du bilan et sur les flux par des enquêtes sur les variations à court terme des secteurs considérés, qui entrent dans l'ensemble de l'étude de conjoncture que nous menons.

En ce qui concerne l'automobile, la banque centrale considère que ce secteur mérite d'être suivi, compte tenu de son poids dans les agrégats de l'économie réelle.

J'évoquerai l'importance, à nos yeux, de quelques paramètres essentiels.

Sur la base des données fournies par les comptes nationaux de 1996, la part du secteur de l'automobile dénommé " automobile et transports terrestres " - ATT -, dans la production des produits manufacturés, est de 11 %. La part de l'automobile dans la valeur ajoutée des produits manufacturés est de l'ordre de 8 %. Elle atteint 19 % dans la consommation de produits manufacturés par les ménages et 5 à 6 % dans la consommation finale des ménages.

S'agissant du commerce extérieur, le secteur dégage un excédent d'environ 30 milliards de francs, dont 29 milliards de francs pour les équipementiers et 1 milliard de francs pour les constructeurs.

Dans les prix, cible finale d'une banque centrale, le secteur entre pour 3,3 % dans l'indice des prix à la consommation.

Enfin, le secteur emploie un peu plus de 300 000 personnes, soit 10 % de l'emploi manufacturier et 8 % de l'emploi industriel.

Ce bref rappel était destiné à indiquer quelle est, de notre point de vue, l'importance du secteur et, par conséquent, pourquoi nous le suivons et pourquoi nous faisons des analyses relativement détaillées.

M. Lanau va maintenant exposer notre analyse en termes de stocks, c'est-à-dire de centrale des bilans, puis j'évoquerai l'évolution récente du secteur en termes qualitatifs, à partir des enquêtes de conjoncture.

M. Aimé LANAU : Nous avons, en termes de centrale des bilans, une excellente représentativité, puisque le taux de couverture de nos adhérents (représentant 24 entreprises) par rapport à l'exhaustif INSEE est de 95 % en ce qui concerne le secteur de la construction automobile et de 52,3 % pour la fabrication d'équipements. Malgré un taux de représentativité de 51 %, je parlerai moins de la fabrication de carrosserie et remorques, car c'est un sous-secteur assez marginal.

Quelles caractéristiques avons-nous pu dégager pour 1996 ?

On constate, au travers de la globalisation des bilans, que l'activité a légèrement progressé après la récession de 1993, avec un certain redressement du chiffre d'affaires depuis 1994, mais vous n'êtes pas sans savoir que celui-ci dépend des mesures prises par le gouvernement Balladur, puis par le gouvernement Juppé. Par contre, l'impact est beaucoup moins important en 1996. Dans le même temps, on observe une importante baisse du prix de vente des véhicules automobiles, due à la forte concurrence qui existe dans ce secteur.

L'évolution est différente chez les équipementiers avec une progression soutenue des ventes en 1995 et une légère contraction en 1996.

Il convient de signaler que c'est un secteur où le taux d'exportation est élevé, puisque 40 % de la production de la construction automobile sont exportés, contre 32 % pour l'ensemble de l'industrie.

En revanche, on observe une baisse de la valeur ajoutée dégagée par les entreprises de construction automobile, due indiscutablement à l'âpreté de la concurrence internationale, qui a obligé les constructeurs d'automobiles français à procéder à une contraction des marges.

On constate également un recours accru à la sous-traitance. La construction automobile utilise de plus en plus les sous-traitants ou les équipementiers pour produire des sous-ensembles. Alors que jusqu'à une période relativement récente, les équipementiers fournissaient une pièce, aujourd'hui on leur demande d'aller plus loin et de faire _uvre de constructeur automobile en fournissant des sous-ensembles. Les travaux réalisés chez les équipementiers échappent à la construction automobile, ce qui entraîne une baisse de la valeur ajoutée.

Il y a une contraction des effectifs dans la construction automobile, alors qu'on trouve une stabilité des effectifs chez les équipementiers. D'après nos informations, cette diminution a été de 3,6 % en 1993, 5,5 % en 1994, à la suite de plans sociaux. En 1995, par suite de mesures de restructuration, on enregistre une légère augmentation, de 1,2 %, des effectifs, avant un nouveau repli en 1996.

Chez les équipementiers, au contraire, on a procédé à de nouvelles embauches. Les effectifs ont progressé de 2,5 % en 1994, de 4,7 % en 1995. Ils sont restés stables en 1996. Le mouvement est vraisemblablement imputable, pour une part non négligeable, au fait que les sous-traitants interviennent davantage dans l'_uvre de construction.

Le secteur est caractérisé par un très grand dynamisme des investissements. Le taux d'investissement productif s'élève à environ 20 %, alors qu'il n'est que de 13 ou 14 % dans l'industrie en général. Ce taux d'investissement important a pour objet de renforcer la compétitivité, en permettant d'augmenter la productivité et d'intégrer de plus en plus d'innovations.

En outre, des sommes importantes sont investies en recherche et développement. Les modèles sont produits et mis sur le marché beaucoup plus rapidement que précédemment. La concurrence oblige chaque constructeur à investir en recherche et développement.

Dans le même temps, on observe un allègement des besoins en fonds de roulement. Ce besoin est passé de seize jours de chiffre d'affaires en 1992 à huit jours en 1996. Cela est dû à une meilleure gestion des stocks liée au recours de plus en plus important aux flux tendus, ainsi qu'au fléchissement ou à la stagnation de l'activité.

Le ralentissement de l'activité a pesé sur les résultats. Nous constatons un affaiblissement des marges d'exploitation en 1996. Le taux de marge brute d'exploitation était de 5,8 % dans la construction automobile, contre 7,3 % dans le secteur manufacturier. Cette baisse de 1,5 point est importante.

Un autre constat qui n'est pas très favorable au secteur est le déclin de la part de l'autofinancement dans la valeur ajoutée. Si l'on examine la répartition de cette dernière entre les différents participants à l'entreprise, on note une augmentation de la part revenant aux salariés, qui représente 72 % de la valeur ajoutée globale, notamment en raison de la progression des charges sociales. La part distribuée aux associés est en contraction chez les constructeurs et en progression chez les équipementiers. Les intérêts versés aux prêteurs sont en diminution, d'une part en raison de la diminution du besoin en fonds de roulement, puisque les entreprises de construction automobile ont moins besoin de capitaux pour financer leur activité à court terme, et, d'autre part, en raison de la baisse des taux.

Néanmoins, durant cette période, les entreprises ont amélioré leur structure financière, avec un renforcement des structures de bilan.

Je vous ai dit que la lecture des bilans faisait apparaître une diminution de l'endettement, mais nous avons aussi une centralisation des risques, puisque les banquiers nous déclarent les crédits qu'ils accordent aux entreprises. En croisant un certain nombre d'informations, nous avons constaté une légère diminution des crédits accordés à la construction automobile, de mars 1994 à mars 1997.

Il y a donc manifestement, dans le secteur de la construction automobile, des traits marquants qui divergent quelque peu de l'évolution de l'industrie en général.

M. Jean-Pierre CHOMETTE : Je commenterai le graphique intitulé "Immatriculations de voitures particulières neuves en France" et le tableau intitulé "Evolution résumée" (30), qui portent sur les cinq dernières années.

D'un coup d'_il, on perçoit que l'évolution des immatriculations a été heurtée, voire chaotique. Jusqu'en 1993, celle-ci suivait un rythme moyen. En 1993, année de récession, on a assisté à des mouvements irréguliers. Les années 1994, 1995, 1996 et 1997 correspondent à une période sous influence - nous verrons laquelle. En 1998, nous commençons à envisager le retour à un rythme normal.

Il y a d'abord eu une modification spontanée du marché français, avec, du côté de la demande nationale, un changement dans le comportement des consommateurs lié à la crise de 1993. D'une façon générale, mais plus encore dans l'automobile, le consommateur français est devenu plus volontariste. La consommation est devenue moins ostentatoire et s'est orientée vers la recherche d'équipements et de sécurité. Pour les trois quarts des achats, c'est un marché de renouvellement. Comme pour la plupart des biens des ménages, le temps de détention des automobiles s'est allongé progressivement. Le prix est devenu déterminant.

Pour les ménages, l'automobile est devenue l'équivalent d'un bien d'équipement pour une entreprise. Par conséquent, on peut en différer l'achat, soit parce que le revenu attendu semble insuffisant, soit parce que des craintes diffuses face à l'avenir stimulent l'épargne de précaution.

Cette modification de la demande a conduit les constructeurs et les équipementiers à adapter leur offre sur le court terme, d'une part en multipliant les rabais et promotions diverses pour dynamiser la demande, et, d'autre part, en cherchant à réduire les coûts de fabrication, au moyen des éléments traditionnels comme la délocalisation des productions, l'externalisation des processus, la gestion en flux tendus, etc.

Il en est résulté un décalage entre les immatriculations et la production, une recherche des débouchés externes de plus en plus aiguë et un souci d'allègement des stocks. Cela s'est traduit aussi par des difficultés de trésorerie, des besoins de financement à court terme et un recul global de la part de marché des constructeurs nationaux.

Dans ce contexte, est apparue une intervention exogène: les deux primes gouvernementales, la première dite "à la casse", de février 1994 à juin 1995, la seconde, dite "à la qualité", d'octobre 1995 à septembre 1996. L'idée était d'encourager la demande et de rajeunir le parc, en limitant au maximum l'impact budgétaire par une mesure dite "self liquidating".

Le résultat a été une augmentation du nombre des immatriculations globales
- les pics apparaissent clairement sur le graphique. 700 000 primes ont été accordées pour la première mesure et 600 000 pour la seconde, avec respectivement 400 000 et 250 000 véhicules supplémentaires par rapport à la tendance normale du marché.

Cependant, le système a présenté un double inconvénient : d'une part, une orientation des véhicules vers le bas de gamme qui a réduit les marges des constructeurs et des concessionnaires, ce que l'on retrouve dans l'étude de la centrale des bilans, et, d'autre part, une augmentation de la sensibilité de l'automobile aux effets prix, en raison des effets d'aubaine.

En outre, la mise en oeuvre dans le temps a été mauvaise. Si la première prime a favorisé directement les constructeurs nationaux, en revanche, la seconde a favorisé nettement les firmes étrangères, qui s'étaient adaptées à cette évolution et offraient des véhicules de bas de gamme. En 1996, dernière année concernée, on a vu une augmentation des ventes totales de 10,5 %, mais l'augmentation des ventes françaises a été de 4 % et celle des ventes étrangères de 20 %. La part des constructeurs étrangers sur le marché est passée de près de 40 % en 1994 à 45 % en 1996.

La fin de la période jusqu'à 1998 fait apparaître une sorte de paradoxe. Nous n'avons pas encore les chiffres pour la fin de l'année, mais nous savons que le marché français accusera un repli considérable. Par contre, les exportations progressent fortement, puisque, au premier semestre, les ventes ont augmenté de 16 % en volume, de même que les marges, notamment grâce à un effet de change avantageux. Cette année, on aura donc un record dans les deux sens: négatif sur le marché national et positif sur les marchés étrangers.

L'année 1998 devrait, d'après ce que nous savons, être caractérisée par un retour à la normale, avec un rythme d'immatriculations plus dépendant des déterminants habituels de la consommation : une amélioration du pouvoir d'achat du revenu disponible, une fiscalité pénalisant davantage l'épargne que les années précédentes et favorisant donc indirectement la consommation, une amélioration de l'emploi, des conditions de crédit à la consommation avantageuses et surtout un renouvellement des acquisitions anciennes, antérieures à 1993.

Par conséquent, le marché devrait être mieux orienté, avec un niveau satisfaisant de ventes à l'exportation, mais aussi une concurrence extrêmement forte, d'où des prix de vente faibles et des marges unitaires comprimées.

Telle est la façon dont nous voyons, en coupe, par la centrale des bilans, et en évolution, le secteur de l'automobile.

M. le Président : Vous avez dit que le poids de l'automobile dans le budget des ménages représentait 19 % de la consommation de biens industriels et 5 à 6 % de la consommation finale. Pourriez-vous nous fournir des indications sur l'évolution de ces paramètres au cours des dernières années ? Le poids de l'automobile dans la consommation des ménages est-il en augmentation ou en diminution ?

M. Jean-Pierre CHOMETTE : Le tableau intitulé "Evolution résumée" (31) fait apparaître une augmentation de la consommation totale des ménages de 1,7 % en 1995, 2,1 % en 1996, 0,8 % en 1997. L'augmentation prévue pour 1998 est de 2,6 %. L'évolution de la consommation hors automobile est différente. Selon les années, la variation de l'automobile par rapport à l'ensemble de la consommation est tantôt positive et tantôt négative.

D'une façon générale, compte tenu de son poids et de son caractère irrégulier, sur un marché de renouvellement, l'automobile joue un rôle très important, dans la mesure où elle constitue une variable d'ajustement de la consommation. L'ensemble des biens durables fait l'objet d'arbitrages dans les budgets des ménages français, étant entendu que depuis un certain nombre d'années, la consommation est relativement peu tonique. A certaines époques, le taux d'épargne augmente dans des proportions considérables, et à d'autres, il revient sur un trend plus naturel, c'est-à-dire d'environ 13 %.

Il est très difficile de déterminer la part de l'automobile dans les variations de consommation car les ménages procèdent à des arbitrages instantanés pour l'utilisation de leur revenu disponible.

Quoi qu'il en soit, on peut tirer de cette période la conclusion qu'il serait souhaitable, pour l'avenir, d'obtenir une évolution moins chaotique du marché, étant entendu que les facteurs déterminants de la consommation automobile, et notamment le coût du crédit, ne sont pas dissuasifs actuellement.

M. le Rapporteur : Le capital des constructeurs d'automobiles se caractérise par une atomisation croissante et une influence grandissante des fonds de pension, généralement américains. Avez-vous une opinion sur la fragilité de la propriété même de ces entreprises ? Compte tenu des évolutions enregistrées, des concentrations sur le marché des capitaux, peut-on imaginer se réveiller un jour en apprenant que PSA est victime d'une OPA ? C'est encore improbable pour Renault qui conserve un bloc important de participations publiques. Intégrez-vous ces hypothèses dans vos analyses de risques ?

M. Jean-Pierre CHOMETTE : J'ai essayé de montrer que notre objectif était d'éclairer le choix des décideurs monétaires. Ceux-ci ont besoin d'une tendance nationale. Nous pouvons aller très au-delà de ce que font les autres banques centrales grâce aux relations très fortes que nous avons avec les entreprises. Mais notre objet social n'est pas de gérer le patrimoine national.

Cependant, on peut observer que le secteur automobile français présente un certain nombre de faiblesses. La construction est trop centrée sur l'Europe, les coûts salariaux sont élevés par rapport aux concurrents de l'Europe du Sud - Italie, Espagne, etc. Or nous entrons dans une période où l'on ne pourra plus "s'abriter" derrière les variations de change.

J'ajouterai une autre faiblesse, d'ordre structurel, concernant les effectifs des constructeurs français qui sont très importants et présentent une pyramide des âges très défavorable.

Nous avons des prix de vente élevés sur des marchés très concurrentiels. Par conséquent, il y a un problème fondamental d'écoulement des modèles, compte tenu des prix pratiqués.

Quant aux équipementiers, ils sont plus "pointus", mais ils sont atomisés. Il y a beaucoup de petites entreprises. D'où une dépendance naturelle. A part quelques-uns qui ont une dimension internationale, ils sont à la merci à la fois des donneurs d'ordre interne et des " prédateurs " extérieurs.

Ces faiblesses font que l'on peut envisager pour l'avenir la nécessité pour nos constructeurs et, sans doute, pour nos équipementiers, soit de faire face à un besoin de fonds propres qui pourrait justifier l'intervention de l'étranger, soit de prendre des mesures plus larges pour leur permettre d'être plus concurrentiels. Les constructeurs pourraient mettre en place une sorte de vaste plan de réduction des effectifs pour les amener à un niveau comparable à celui des constructeurs étrangers. Le dossier que nous vous avons remis contient un état comparatif de l'âge moyen du personnel des différents constructeurs qui est assez accablant pour la France.

M. Aimé LANAU : Nous n'avons pas d'informations sur la structure du capital des entreprises. Nous nous préoccupons de l'ajustement entre les capitaux disponibles et l'activité de l'entreprise.

Il y a une dizaine d'années, une abondante littérature indiquait que les constructeurs automobiles français devraient opérer des regroupements au niveau européen ou autre. Dans cet esprit, Renault avait voulu passer un accord avec Volvo. Renault sentait bien qu'il n'atteignait pas la taille critique pour faire face au marché de demain.

Que les constructeurs nationaux attirent la convoitise de capitalistes ou d'autres constructeurs automobiles, ou qu'eux-mêmes aient des visées sur des constructeurs, ici ou là, c'est presque dans la nature des choses...

L'atomisation du capital rend plus difficile une prise de participation majoritaire ou une participation minoritaire importante que lorsque des blocs sont à vendre et que des gens peuvent être tentés par la vente de leurs actions.

M. le Rapporteur : Les profits financiers des constructeurs mais aussi de certains gros équipementiers sont rarement évoqués. A certaines périodes, durant lesquelles les taux d'intérêt étaient un peu élevés, l'activité productrice de Renault, correspondant à sa raison d'être, était déficitaire, tandis que sa branche financière, au travers du crédit ou de placements divers, permettait d'atteindre un résultat positif ou de s'en approcher. Compte tenu de la baisse des taux d'intérêt, dont on ne peut que se féliciter, cette situation va disparaître, mais cela peut aussi révéler des fragilités que vous avez peut-être été conduits à analyser...

M. Aimé LANAU : Une de nos équipes travaille actuellement sur le thème de l'endettement et du placement. Nous nous sommes aperçus, au cours des dernières années, qu'au fur et à mesure que l'endettement des entreprises du secteur industriel diminuait, celles-ci réalisaient souvent une partie non négligeable de leurs bénéfices au travers de leurs placements financiers.

Jusqu'à une période récente, et même jusqu'en 1996, un des grands constructeurs automobiles français a gagné de l'argent grâce à sa branche financière soit au travers de placements sur le marché, soit au travers des financements qu'il propose pour l'acquisition de ses véhicules : cette dérive devrait s'atténuer fortement, compte tenu de la baisse des taux : les placements vont devenir de moins en moins intéressants et l'on peut penser que les industriels reviendront à leur mission première.

M. le Rapporteur : Cette évolution ne vous paraît-elle pas de nature à révéler des situations structurelles particulièrement difficiles ?

M. Aimé LANAU : Nous attribuons une cotation aux bilans des entreprises.

Or la cotation moyenne du secteur automobile est plus favorable que celle de l'ensemble de l'industrie. Cela signifie que sur le plan financier, ce secteur n'a pas de fragilité ou est, en tout cas, moins fragile que l'ensemble du secteur industriel.

Mme Annie SAUVÉ : Cette situation de l'ensemble automobile est surtout due aux équipementiers. En ce qui concerne la construction de véhicules automobiles, les résultats sont un peu plus faibles.

M. le Président : C'est un peu surprenant... J'étais persuadé de la très grande fragilité du secteur automobile.

M. Aimé LANAU : Non. Vous verrez la répartition des cotes dans le secteur de l'industrie. Pour vous donner une idée de notre barême, nous cotons 3 les entreprises excellentes, qui ont une bonne rentabilité et une structure financière qui ne nous procurent aucune inquiétude. Ce sont des entreprises pour lesquelles la Banque de France, le cas échéant, accepte de refinancer les autres banques. Or, nos statuts nous interdisent de prendre du papier de mauvaise qualité.

La cote 4 est un peu intermédiaire. Elle s'applique à des entreprises qui ont, à un moment donné, une rentabilité qui décroît ou une fragilité momentanée de leur structure financière, parce qu'elles ont procédé à des investissements importants. Cela ne veut pas dire que nous considérons que l'entreprise est en péril. Nous donnons simplement un signal au chef d'entreprise afin qu'il prenne des dispositions pour enrayer cette légère dégradation. Les banquiers prennent encore ce papier. La cote 4 signifie que l'entreprise n'est pas en péril.

Nous avons ensuite deux cotes péjoratives : la cote 5 et la cote 6. La cote 5 s'applique aux entreprises présentant des déséquilibres qui commencent à devenir graves et qui n'ont plus de rentabilité. La cote 6 concerne les entreprises accusant des déséquilibres financiers très graves, qui n'ont plus de rentabilité et qui se signalent souvent par des impayés.

Il y a davantage de cotes 3 chez les équipementiers que dans la construction de véhicules automobiles mais, globalement, l'attribution d'une cote favorable (cote 3) est plus fréquente dans le secteur automobile au sens large (constructeurs, équipementiers et carrossiers) que dans les firmes de l'industrie manufacturière.

Cette situation est normale s'agissant d'entreprises ayant besoin d'investissements lourds et d'un renouvellement d'investissements rapide ; elles doivent par conséquent avoir des structures financières parfaitement saines si elles veulent obtenir de l'argent à bon marché.

M. le Président : Par rapport aux autres groupes, que vous n'avez pas étudiés mais dont vous connaissez peut-être la situation, on a coutume de penser que nos entreprises ont une assise financière beaucoup plus faible, qui ne les met pas à l'abri d'aléas - on a parlé de risque d'OPA sur certaines d'entre elles. Diriez-vous que, malgré leur situation apparemment saine, nos entreprises restent des nains par rapport à d'autres du même secteur ? Cela ne risque-t-il pas, dans les années qui viennent, de leur causer quelques difficultés ?

M. Aimé LANAU : J'évoquais tout à l'heure le rapprochement manqué de Renault avec Volvo.

M. le Président : Un rapprochement pourrait aussi avoir lieu avec une entreprise extérieure au secteur de l'automobile ?

M. Aimé LANAU : Oui, mais cela serait plus difficile. Ou bien il s'agit d'un rapprochement économique avec des synergies, ou bien d'un placement financier. Or celui qui devient le patron d'une entreprise en faisant un placement financier cherchera à rentabiliser son capital.

M. le Rapporteur : Vous avez évoqué la nécessité pour nos deux constructeurs de s'intéresser davantage aux marchés émergents. Quand on en discute avec eux, ils disent qu'il leur faut de l'argent pour le faire. Les expériences brésiliennes sont inspirées par une recherche de partenaires locaux qui peut avoir des justifications industrielles ou commerciales tout à fait défendables, mais elles ont aussi, semble-t-il, des justifications financières. Compte tenu de la structure des groupes, les sentez-vous capables de se lancer dans de telles opérations d'établissement hors d'Europe ?

M. Aimé LANAU : Je n'ai pas d'informations précises sur ce sujet. Je vous ferai une réponse de bon sens, fondée sur la situation de la construction automobile française.

Le secteur exporte déjà beaucoup, en Europe et hors d'Europe. Pendant longtemps, les entreprises françaises en général ont été moins exportatrices qu'un certain nombre d'entreprises de pays voisins, en particulier l'Allemagne, parce que pendant longtemps notre empire colonial a fourni un débouché naturel. Les constructeurs automobiles français sont venus relativement tard à la grande exportation, mais dans ce domaine, même s'ils ont connu quelques échecs, faute d'expérience, ils ne se débrouillent pas si mal.

Je noterai tout de même qu'un de nos constructeurs a perdu la position forte qu'il occupait en Afrique, tout simplement parce qu'il n'équipait pas d'origine ses véhicules de la climatisation, alors que les Japonais le faisaient, y compris sur les petits modèles. Ces automobiles, qui étaient réputées en Afrique et qui le sont encore parce qu'elles ont une qualité que n'ont pas toujours les voitures japonaises, y ont perdu des parts de marché importantes faute d'avoir vu venir le danger.

Une nouvelle expérience vient d'être lancée au Brésil. Attendons d'en connaître les résultats. Je pense que nous avons des parts de marché à gagner et que nos constructeurs automobiles sont aussi bien armés que les étrangers, dans ce domaine.

M. Jean-Pierre CHOMETTE : J'ajouterai que dans l'ensemble, les équipementiers sont des entreprises modernes, très bien implantées à l'étranger. Elles ont une bonne image de marque et sont bien intégrées géographiquement sur les marchés porteurs.

Du côté des équipementiers et des constructeurs, il existe une capacité d'adaptation et de progrès très importante. Il est possible que des faiblesses en termes de rentabilité empêchent de saisir des opportunités ou de conquérir des marchés. Si les Français parviennent, dans les prochaines années, à augmenter la productivité du travail, ils sont tout à fait capables de tenir tête à n'importe quel constructeur dans le monde.

M. le Rapporteur : Quel est votre sentiment sur la fragilité de l'industrie automobile, au sens large, par rapport aux fluctuations monétaires ? On nous a montré des courbes comparant l'évolution du yen et des monnaies européennes et la manière dont les Japonais développaient transplants ou exportations directes. Sans revenir sur le problème italien et britannique de dévaluations internes à la zone européenne qui devrait disparaître, je souhaiterais connaître votre point de vue sur la politique de change de l'Union européenne par rapport aux compétiteurs extérieurs, américains, japonais ou coréens.

J'ai toujours été surpris de l'existence de grandes négociations mondiales pour réduire les droits de douane de 3 à 4 %, dans un univers où les taux de change évoluent en dizaines de points entre le 1er janvier et le 31 décembre. Avez-vous étudié ces questions en fonction du niveau qui sera fixé à l'euro par rapport à d'autres devises ?

M. Aimé LANAU : L'euro va constituer un marché beaucoup plus vaste que le marché financier des différentes monnaies nationales aujourd'hui.

L'euro commence à attirer un certain nombre de regards. Des responsables de fonds de pensions japonais se sont informés à Bruxelles pour savoir quand ils pourraient placer les économies de leurs épargnants en euro. Cela signifie qu'une partie des placements aujourd'hui effectués aux Etats-Unis s'orienteront vers l'euro.

Je pense que l'euro deviendra rapidement une monnaie internationale importante. Nos entreprises auront de moins en moins de mal à libeller leurs contrats en euro, c'est-à-dire en monnaie nationale. Aujourd'hui, quand on libelle un contrat en dollar, on gagne ou on perd de l'argent en fonction de l'évolution du dollar. Cette question est beaucoup évoquée pour Airbus, mais c'est la même chose pour la plupart des entreprises qui exportent.

On peut souhaiter que l'euro devienne une monnaie internationale demandée. Si les Japonais placent leurs yens sur le marché européen, je vois mal comment ils pourraient ne pas accepter des contrats libellés en euro. On ne peut pas faire confiance à une monnaie pour des placements et ne pas lui faire confiance pour les échanges commerciaux.

Je pense que les contrats libellés en euro seront beaucoup plus nombreux que les contrats libellés en francs aujourd'hui. Ce sera une protection supplémentaire pour les entreprises européennes et françaises.

M. le Rapporteur : C'est la moitié du problème. Selon la parité euro/yen ou euro/dollar, l'industrie automobile sera dans des conditions plus ou moins difficiles. L'exemple de l'aéronautique est éloquent. On sait à peu près quelle valeur du dollar permet de gagner ou de perdre de l'argent en vendant un avion. Pour l'automobile, c'est plus compliqué, mais le secteur est sensible à la courbe des changes. L'avez-vous étudiée ?

M. Aimé LANAU : L'industrie japonaise a atteint un très haut degré de productivité. Par ce seul gain de productivité, elle a la possibilité d'envahir les marchés. Si, en plus, on fait bouger la parité du yen... Cela dit, cette monnaie évolue peu. Elle fluctue en cas d'accident, mais ce n'est pas une monnaie affectée en permanence de mouvements de yoyo.

M. le Rapporteur : Des mouvements de yoyo, non, mais sur les sept ou huit dernières années, la corrélation entre le taux de change du yen et le fait que les Japonais exportent à partir de chez eux ou à partir de leurs usines européennes est évidente, ce qui est logique.

M. Aimé LANAU : Les Japonais ont utilisé une méthode beaucoup plus astucieuse. Ils ont implanté des usines en Europe. Ainsi, l'Europe leur est ouverte et ils évitent les contingents. Là, le yen n'est plus en cause. Les usines installées en Angleterre vendent leurs productions en livre sterling. Vous me direz qu'à une époque, la livre sterling a connu un décrochement par rapport aux autres monnaies européennes...

C'est le jeu de la concurrence mondiale. Si l'on peut éviter que les fluctuations monétaires ne viennent l'accentuer, ce sera une bonne chose. Pour le reste, un constructeur peut toujours décider de ne pas gagner d'argent, voire d'en perdre sur un marché qu'il veut conquérir. Les constructeurs automobiles français agissent de même. Sinon, comment expliquer qu'une automobile achetée par un Français en Belgique lui coûte moins cher qu'en France ?

M. le Rapporteur : La Banque de France a-t-elle réalisé des études comparatives avec l'industrie automobile d'autres pays européens ?

M. Aimé LANAU : Le seul travail que nous avons fait a consisté à comparer la structure du capital des entreprises françaises en général à celle des entreprises allemandes. Nous avons eu la surprise de constater que les entreprises françaises ne sont pas sous-capitalisées par rapport aux entreprises allemandes. Les très grandes entreprises le sont, notamment à cause des fonds de pension qu'elles gèrent pour le compte de leurs salariés. En revanche, les PME françaises sont plutôt mieux capitalisées que les PME allemandes.

Nous avons fait ces travaux avec nos collègues allemands, dans le cadre des rencontres européennes des centrales de bilan, à partir de la base BACH, qu'alimentent la plupart des pays européens, ainsi que les Etats-Unis et le Japon, et qui est gérée par la Commission européenne, à Bruxelles.

Annexe 1 : " immatriculation de voitures particulières neuves en France "

Annexe 2 : " Evolution résumée "

Audition de MM. Loïc CAPÉRAN,
Directeur commercial et marketing de Fiat Auto,
et Giorgio FRASCA, Président-directeur général de Fiat France

(procès-verbal de la séance du 26 novembre 1997)

Présidence de M. Daniel PAUL, Président

M. Loïc CAPÉRAN : Avant de vous livrer les quelques éléments que nous avons rassemblés, nous souhaiterions nous présenter. Je suis le directeur commercial et marketing de Fiat Auto, en charge pour le monde des trois marques - Fiat, Alfa Romeo et Lancia - basées à Turin dans le Piémont, en Italie.

Je travaille dans le secteur automobile depuis maintenant 28 ans. Après avoir passé 25 ans chez Renault, j'ai décidé il y a trois ans et demi de rejoindre le groupe Fiat. Directeur commercial pour la France de Renault, séduit notamment par les projets de globalisation et de développement de Fiat, j'ai rejoint à Turin un groupe en pleine expansion.

M. Giorgio FRASCA : Je suis Président-directeur général de Fiat France, qui est le " corporate " du groupe en France. Pour vous donner une idée de l'importance de notre activité, le groupe Fiat représente en France aujourd'hui 28 milliards de francs de chiffre d'affaires.

Loïc Capéran vous parlera tout à l'heure de l'activité automobile. Nous sommes également présents dans le secteur du poids lourds avec la marque Iveco qui représente environ 20 % du marché français, ainsi que dans les matériels agricoles avec la marque New Holland qui est le premier groupe en France et y détient plus de 20 % des parts de marché.

Nous sommes également présents dans les composants automobiles avec la marque Magneti Marelli, qui est un pôle de composants international et produit pour Fiat et d'autres marques, y compris Peugeot et Renault.

Nous sommes présents dans de multiples secteurs. Nous sommes, par exemple, le fournisseur du combustible solide pour Ariane Espace et participons au noyau dur de Rhône-Poulenc, avec qui notamment nous avons des activités communes à Lyon.

Fiat France est le groupe qui représente aujourd'hui pour Fiat le plus gros marché après l'Italie ; il est comparable à celui de l'Amérique du Sud.

Pour ma part, je suis à l'origine banquier. J'ai travaillé à Paris chez Lazard et dans une banque internationale française. J'étais responsable des intérêts du holding de la famille Agnelli à l'étranger. Puis, après avoir été président de Fiat aux Etats-Unis, j'ai rejoint la France en 1980, lorsque Fiat était une société dont le chiffre d'affaires était de 6 milliards de francs. Aujourd'hui, nous frôlons les 30 milliards.

La France est donc un pays auquel nous attachons une grande importance stratégique.

M. Loïc CAPÉRAN : Nous n'avons pas l'intention de donner de leçons à quiconque. Les constructeurs français sont largement capables de faire passer seuls leurs messages dans leur pays. Mais nous sommes convaincus que nous, latins, avons un certain nombre de problèmes communs et que l'Europe et l'euro donnent de l'intérêt au point de vue d'un constructeur italien. Nous avons une communauté d'intérêts, surtout vis-à-vis des pays d'Europe du Nord. Face au géant allemand VAG et aux américano-allemands Ford et GM, sans parler des Japonais et des Coréens, nous avons, pays de l'Europe du Sud, des intérêts communs à défendre.

Je vais résumer notre position sur les sujets que nous allons traiter, c'est-à-dire, premièrement, les marchés français et européen, deuxièmement, les perspectives de l'euro et, troisièmement, la globalisation.

Tout ce que je présenterai est en réalité placé sous le signe de la globalisation parce que, pour les constructeurs européens, le marché européen est devenu le marché domestique.

Situation des marchés en Europe et en France

Le transparent n° 1 concerne l'évolution des ventes en Europe  (32).

Le marché européen a connu une croissance continue ces dernières années. En 1992, il était au plus bas. De 1993 à 1997, il a connu une reprise et, cette année, a atteint 13 250 000 véhicules.

Certains parlent de marché de renouvellement - je fais allusion à une réflexion de votre Président à l'occasion d'une réunion avec le CNPA -, mais c'est un marché qui peut être en extension puisqu'il est passé de 11 150 000 à 13 250 000 véhicules en l'espace de cinq ans.

Ce marché européen présente une particularité : les pays latins sont beaucoup plus erratiques. Sur le transparent n°2, on constate que la France, dopée en 1994-1995-1996 par les " opérations Balladur et Juppé ", se situe dans la bande d'oscillation acceptable, matérialisée en pointillés (33). Puis, en 1997, et je le crois aussi en 1998, elle sort de cette zone pour entrer dans une zone à risque pour l'emploi, pas uniquement pour le producteur et le constructeur, mais aussi pour les opérateurs de la distribution.

L'Italie connaît une histoire très contrastée puisqu'elle avait atteint ses records en 1991 et 1992. Puis, de 1993 à 1996, le marché est devenu étale avant l'" opération Prodi " qui propulse le marché à 2 400 000 véhicules. Le Sénat italien a prorogé ce dispositif jusqu'à fin juillet 1998, sous une autre forme.

Les marchés du Sud de l'Europe  - France, Italie, Espagne, Portugal et Grèce - connaissent tous des fluctuations très importantes.

La fiscalité est forte dans tous les pays européens, mais il existe un clivage Nord-Sud. Le Sud de l'Europe, concernant les ventes de véhicules aux sociétés et le financement de véhicules, a des fiscalités archaïques ; les réglementations sur les véhicules d'occasion sont complètement dépassées. Les normes, en particulier pour le contrôle technique, sont appliquées avec énormément de rigueur en Grande-Bretagne ou en Allemagne ; elles sont à peine appliquées dans le Sud de l'Europe. Contrairement à ce que déclarait récemment le ministre chargé des transports, je puis vous affirmer que la France n'échappe pas à cette situation.

L'effet d'un contrôle technique réel sur des marchés comme ceux de la France ou de l'Italie est de l'ordre de 100 000 voitures neuves par an. C'est considérable, beaucoup plus que ce que l'on a pu dire. Je salue l'avènement proche de la vignette verte. Nous sommes très favorables à ce type de dispositions.

Je rappelle - transparent n°3 - que les parcs automobiles sont vieillissants (34). En Italie, le parc est plus ancien d'une demi-année qu'en France. L'effet des " primes Balladur et Juppé " n'a pas ralenti le vieillissement du parc. L'âge moyen du parc a augmenté tous les ans. Il a légèrement régressé en 1996, mais marquera probablement en 1997 une nouvelle croissance. La " loi Prodi " a eu un effet de rajeunissement momentané en Italie, mais je crois que comme en France le vieillissement reprendra.

Quinze millions de véhicules en France n'ont pas de pot catalytique. On pouvait imaginer que ces mesures devaient rajeunir le parc, mais cela a eu l'effet d'une goutte d'eau dans un océan.

Le plus préoccupant, pour le client, ce sont les prix TTC. En France, les prix sont trop élevés. La différence à payer pour acheter un véhicule neuf ou un véhicule d'occasion récent, qui passe encore le contrôle technique sans trop de difficulté, est trop importante. Une réforme des systèmes de financement pourrait être bénéfique.

L'énorme ponction fiscale sur l'automobile est un élément important du budget public. Cela fait partie des problèmes à prendre en compte dans toute réforme.

La pollution, notamment dans les grandes villes, est également une préoccupation très importante.

Pour de nombreux constructeurs, la rentabilité des marchés européens est extrêmement faible, pour ne pas dire négative. Je rappelle que le groupe VAG, avec 17 % de pénétration en Europe, a connu sur les dix dernières années un résultat global de 1,5 % du chiffre d'affaires. Vous imaginez ce que cela veut dire en matière de rentabilité !

Elle se situe très en dessous de celle des constructeurs japonais, qui est supérieure à 5 %, ou américains. J'ai pris l'extrême, bien entendu, mais Ford, sur son activité européenne, a connu une rentabilité moyenne de 1,3% sur les dix dernières années, et Renault une rentabilité de 2,1 %. De plus, il faut savoir que ces taux de rentabilité - c'est le cas de VAG - intègrent d'autres activités.

Les fluctuations des marchés sont terribles pour l'emploi - les constructeurs ont des positions frileuses vis-à-vis de l'emploi -. Ces fluctuations des marchés du Sud affectent d'abord les deux constructeurs français et Fiat. Nous avons donc des intérêts communs.

Sur le plan des distributeurs, comme l'a présenté le CNPA, les résultats financiers sont très bas. La profession est en complète restructuration. Il y a un rendez-vous important : le bilan en l'an 2000 que doit tirer la Commission européenne. Les coûts de distribution sont trop élevés (30 % ou 35 % dans le secteur de l'automobile), largement supérieurs à tous les systèmes de distribution dans tous les autres secteurs. Il faut une réforme qui permettra de diminuer les prix.

Que faire ? Le " trend " à rejoindre

J'ai essayé de résumer ce qui peut être entrepris très rapidement pour préparer l'horizon 2003 et proposer ensuite des formules d'intérim. L'Etat, les constructeurs, les distributeurs et les clients doivent être gagnants.

Il faut à l'horizon 2003 appliquer strictement le contrôle technique. Il faudrait pouvoir lire sur la plaque, comme en Allemagne, les dates des prochain et dernier contrôles. On devrait faire des contrôles puis, le cas échéant, faire payer des amendes et enlever des points sur le permis de conduire.

Dans la vente de privé à privé - qui représente 60 % des ventes en France -, il n'y a pas de TVA payée sur la différence de prix, ce qui est une anomalie flagrante. Par ailleurs, les professionnels français ne peuvent pas récupérer la TVA sur les véhicules d'occasion qu'ils exportent, ce qui les met en situation difficile par rapport à certains de leurs concurrents comme les Allemands qui bénéficient d'une telle possibilité.

Il faut mentionner les financements modernes aux personnes privées. C'est, en particulier, la possibilité de systèmes de leasing, de location longue durée, formules développées par les Américains ou les Anglais.

L'autre point extrêmement important - sur lequel a insisté le CNPA - concerne la législation sur les véhicules de société à travers le financement, les amortissements et les déductions fiscales.

Je conclurai sur la protection renforcée du consommateur. Le système doit protéger le consommateur en indiquant sur la voiture dans un show-room la marge appliquée par le distributeur sur ce véhicule. Cela permet d'éviter la vente à perte, qui est interdite dans les systèmes de commerce moderne. Cela se fait aux Etats-Unis.

Que faire d'ici 2003 pour tendre vers ce système ? Phase d'intérim

Il faut d'abord une application et une sévérisation progressive du contrôle technique, étape par étape.

Il faut appliquer la réglementation sur les véhicules d'occasion. Le CNPA vous a parlé de ces faux véhicules d'occasion. Le véhicule doit avoir acquitté la TVA dans un pays, encore faut-il le vérifier. Or, à ce jour, on ne sait absolument rien sur ce véhicule, en dehors du fait que la définition européenne - plus de six mois et 6000 kilomètres - est extrêmement sujette à caution.

Il faut réaménager le financement. Nous ne demandons pas des mesures coûteuses pour l'Etat mais l'aménagement des lois existantes. Je ne demande pas plus de lois, il faut plutôt les faire évoluer pour obtenir une stabilité du marché, comme c'est le cas dans le Nord de l'Europe.

Les propositions du CNPA sur les véhicules de parcs de sociétés nous conviennent également.

Il est nécessaire de maintenir un plan pour les véhicules de plus de huit ans. On s'est trompé en France avec la sortie abrupte du système. Les constructeurs français en ont le plus pâti, puisqu'on leur demandait de livrer le maximum de véhicules après le mois d'août, mois où ils ferment leurs portes.

Les sorties du système en Italie sont beaucoup plus graduelles - encore n'en avons-nous aucune preuve pour l'instant puisque la loi est votée jusqu'à la fin du mois de juillet. Nous apprécions le plan Prever espagnol, qui, après les plans précédents similaires aux français et aux italiens, touche maintenant les véhicules de plus de dix ans en prévoyant une déduction de TVA - je simplifie - d'environ 5 %. Aider les personnes à se débarrasser de véhicules non catalysés pour acheter des véhicules catalysés pourrait être une formule intéressante.

J'en viens à l'euro. L'euro n'est pas un problème administratif ou de logistique monétaire et informatique. L'euro, dans le secteur automobile, pose un problème d'homogénéisation pour aller vers le prix unique européen, ou au moins, vers des fourchettes de prix, toutes taxes comprises, de l'ordre de cinq à dix pour cent.

Cela signifie qu'il faut aligner les fiscalités et donc consentir des efforts énormes. Au niveau des fiscalités directes, il existe des différences selon les pays. En Espagne, vous avez une TVA de 15 % et une accise de 13 %, soit au total une taxation de 28 % sur le véhicule ; le Danemark, lui, a carrément une taxe de 115 % avec une TVA de seulement 15%. Il existe des fiscalités hors TVA qui font que les prix ne sont pas comparables. Il faut donc comparer les prix hors taxes.

Pour Fiat, sur le prix hors taxe, sur les segments B, C et D (35), il y a des différences entre le Portugal, qui est notre marché le plus bas, à 102, et le pays le plus cher, l'Allemagne, à 120.

Chez Citroën, sur ces mêmes segments, le marché le plus bas apparaît à 103 et le marché français à 127. L'écart est très important.

Si les constructeurs doivent parvenir à des fourchettes de 5 à 10 %, certains devront faire des efforts colossaux.

Le document suivant (36), qui concerne la position des marques françaises sur les segments B, C et D, met en évidence ce phénomène. La base est 100, c'est-à-dire le prix le plus bas dans l'ensemble des segments pour une marque déterminée dans différents pays d'Europe. Sur le segment C, Citroën a un marché en France à 129, en Autriche à 100. Pour parvenir à une fourchette comprise entre 5 et 10 %, il faudra pratiquer des baisses de prix très importantes en France ou des augmentations en Autriche.

L'euro et l'homogénéisation des prix auront un coût pour les constructeurs et leurs réseaux. Il faudra aussi réformer la TVA et les accises.

La globalisation

Quant à la globalisation, notre démarche s'est basée sur une constatation : les aires de croissance dans le monde se situent dans les pays émergents. En 1990, 13,6 % du marché automobile mondial se situent sur les marchés émergents ; en 1996, 20 % ; en 2001, on prévoit 26 % et en 2006, 30 %.

Prenons l'exemple du Brésil (37), où nous ne sommes pas seuls présents. En 1993, il y avait quatre constructeurs, dont Fiat. En 1997, Honda s'installe comme producteur. Renault et Toyota arrivent en 1998. D'autres constructeurs, dont Audi et Mercedes, arriveront en 1999.

Ces marchés font déjà l'objet d'une concurrence très importante (38). Dans les années à venir, de nouveaux modèles devraient y être lancés, des modèles venant du Mercosur - d'Argentine ou du Brésil - ou de l'extérieur - Mexique, Europe, Etats-Unis. Fiat Auto n'est pas le seul à avoir mondialisé ses productions.

Le transparent qui vous est présenté (39) illustre notre présence dans le monde. Nous avons choisi d'aller dans des pays où notre présence est ancienne, de développer notre présence dans les pays émergents et de faire une impasse sur le continent nord-américain. Ce dernier représente 15 millions de véhicules par an, mais il fallait faire des choix.

Nous avons choisi d'implanter une présence industrielle dans ces pays parce que l'on ne peut pas y être présent en y envoyant des voitures fabriquées en Europe. Il faut fabriquer des voitures sur place et chercher l'intégration maximale. A 85 % d'intégration, vous ne gagnez pas d'argent en Inde. A 95 % d'intégration et plus, vous en gagnez.

Nous avons déjà défini une voiture mondiale : la Palio, déjà lancée dans de nombreux pays en cinq carrosseries différentes. Elle est fabriquée en Amérique du Sud, sous diverses carrosseries au Brésil, en Argentine et montée au Venezuela. Elle est maintenant fabriquée et vendue en Pologne. Elle l'est également en Italie et bientôt dans tous les pays européens sous le nom de Palio Weekend, le break Palio. Elle sera fabriquée en Turquie au premier semestre 1998, ainsi qu'au Maroc, en Inde, en Afrique du Sud et en Chine dans un futur très proche.

Nos ventes en 1996 sont illustrées sur le transparent suivant (40). En 1996, Fiat Auto a vendu 2 350 000 véhicules dans le monde ; cette année, elle en vendra plus de 2 700 000. Notre présence se répartit de façon assez homogène entre l'Italie, le reste de l'Europe et le reste du monde.

Iveco a une présence inférieure en Italie, 18 %, plus forte en Europe avec 36 % et beaucoup plus élevée sur le reste du monde.

New Holland, notre société de matériels agricoles et d'engins de travaux publics, qui ne représente que 8 % en Italie et 22 % sur le reste de l'Europe, est en revanche très présent dans le reste du monde.

Notre internationalisation consistera à tout calquer progressivement sur le modèle New Holland et Iveco. Notre internationalisation sera beaucoup plus marquée avec des synergies entre ces sociétés : en Chine, New Holland et Fiat Auto vont rejoindre Iveco.

En l'an 2006, nos objectifs de présence dans le monde se répartissent sur quatre zones. En 1993, notre présence était de 50 % en Italie, 29 % sur le reste de l'Europe et très peu sur le reste du monde - 8 % en Amérique du Sud et 3 % sur les autres pays du monde. En 1996, c'est " un tiers, un tiers, un tiers ". En 2006, si tout se passe bien, ce sera " un quart, un quart, un quart, un quart ". Nous aurons une présence équilibrée, dont 50 % en Europe (41).

Il faut une moralisation, une éthique de la globalisation. Comme ce fut nécessaire avec les Japonais en Europe, il faut se préoccuper de la présence de certains constructeurs comme les Coréens dans le monde entier et, en particulier, en Europe. A l'examen de leurs comportements, il me semble souvent que ces constructeurs n'ont pas exactement la même déontologie professionnelle que nous, Européens.

M. le Rapporteur : Je partage avec vous le sentiment qu'il faut raisonner en termes de marchés européen et mondial.

Notre mission a été créée pour répondre à deux préoccupations : l'industrie automobile française et européenne et l'emploi.

Ma première question porte sur la conséquence de la mondialisation. Vous la décrivez en pourcentages de production du groupe Fiat. Si les évolutions de l'emploi suivent les évolutions des pourcentages, cela ne peut qu'être inquiétant pour les responsables politiques ou sociaux européens. Pourriez-vous accompagner ces clés de répartition de commentaires sur l'évolution de l'emploi dans les quatre quarts en question ?

Vous avez analysé les différences entre " prodette " et " balladurette ", " juppette ", " aznarette ", et autres. Vous avez insisté sur la sortie du dispositif. Tous les constructeurs français ont été assez traumatisés par le coup d'accordéon qu'a connu leur production. Sous réserve de ce problème de sortie, ce type de mesure vous paraît-il avoir un effet positif sur le niveau de la production en fin de période, même si la période est longue ? Ou, même en adoucissant la sortie, n'est-ce qu'un étalement des ventes dans le temps ?

Ma troisième question concerne les accords entre Fiat et les autres constructeurs. Pensez-vous garantir une taille critique et une rentabilité suffisante uniquement à travers une globalisation de Fiat ou imaginez-vous une diversification d'accords, sans mettre en cause la marque, mais en fabriquant avec d'autres partenaires un pourcentage croissant de ce que peut représenter un véhicule aujourd'hui ?

M. Loïc CAPÉRAN : C'est en tant que constructeur français que je vous répondrai. Je ne sais lequel d'entre vous est le député de Valenciennes ou de Bourbon-Lancy, mais je sais que de nombreux représentants de places fortes de l'automobile française sont membres de cette mission.

Nous sommes associés à Sevelnord à 50-50 avec PSA. Nous y fabriquons les gammes de monospaces et de véhicules utilitaires. Notre présence à Bourbon-Lancy est historique et bien connue, puisque nous y développons en site unique de production pour le monde la gamme du Daily, l'une des gammes qui a le plus de succès chez Iveco.

Selon moi, la globalisation n'a aucun effet sur l'emploi. Mais la capacité des producteurs à améliorer leur productivité en a. Ces véhicules que nous fabriquons au Brésil ou que nous fabriquerons en Russie ou en Inde, nous ne les vendrions pas si nous les fabriquions en Europe.

La globalisation permettra de créer des emplois dans le secteur tertiaire, parce que les sites de conception sont à Turin. La voiture mondiale, le projet 178 devenu Palio, est un projet coordonné et développé depuis Turin. Bien sûr, il y a aussi des ingénieurs dans les sites de production et dans les pays qui vendront ces véhicules, mais la plate-forme de définition du projet est en Italie.

Nous attendons énormément de bénéfices de productivité de cette globalisation mais, au-delà, pour ce qui concerne la production en Europe, je ne vois pas de danger. Nous importons la Palio Weekend, mais nous exportons aussi des véhicules en proportion équivalente.

En ce qui concerne les mesures d'incitation et leur sortie, vous avez perçu mon message. Tout est dans la sortie. En ce qui me concerne, j'imagine une mesure structurelle, de l'ordre de cinq ans.

La phase d'intérim doit permettre à des clients qui possèdent des véhicules sans pot catalytique d'acheter un véhicule d'occasion récent ou un véhicule neuf. Sinon, c'est un cercle infernal : plus leur véhicule vieillit, moins ils ont de chances de pouvoir racheter un véhicule neuf ou récent.

Nous étions, comme le président de PSA, favorables à la poursuite de telles mesures, à condition qu'elles soient bien organisées. La mesure espagnole, le plan Prever, est une mesure intelligente. Tout le monde gagne : le marché espagnol représentera cette année plus d'un million de véhicules et revient à ses records historiques d'avant la crise.

Si Fiat a gagné l'année dernière en France une part de marché supplémentaire grâce aux " mesures Juppé ", cette année, les marques françaises ont particulièrement bien gagné en pénétration sur le marché italien.

En ce qui concerne les accords entre constructeurs pour l'instant, nous n'envisageons pas de croissance externe; nous pensons plutôt à des accords en amont. Nous avons des accords depuis de nombreuses années déjà avec PSA. Le dernier en date est celui de Valenciennes. Mais le premier, Sevelsud, fonctionne très bien : nous fabriquons en Italie avec PSA des véhicules utilitaires que nous distribuons dans toute l'Europe et dans le monde. C'est une fabrication qui marche bien, dont la qualité et la rentabilité donnent satisfaction aux clients et aux deux constructeurs.

M. Giorgio FRASCA : Il faut ajouter aussi que dans certaines voitures diesel de Renault, le moteur est construit par SOFIM, société contrôlée par Iveco.

De plus, il faut mentionner l'intégration d'équipementiers. Les accords entre les sociétés d'équipement et les constructeurs sont tout à fait à l'ordre du jour.

Comme le disait M. Capéran, si l'on a pu étudier des rapprochements entre des groupes - notre président M. Agnelli avait dit qu'en Europe, il y avait peut-être trop de constructeurs -, tout le monde est en train de revoir sa stratégie. A cause de la globalisation et de la taille critique atteinte, nous excluons pour le moment un processus d'intégration entre groupes différents. En revanche, nous recherchons toutes les formes de collaboration entre les différents constructeurs.

M. Gérard VOISIN : Votre analyse sur la " loi Prodi " et le plan Prever me satisfait tout à fait. Je souhaiterais savoir si vous pourriez développer vos idées sur la réforme des financements.

Vous avez parlé de coûts de distribution trop élevés. Vous recherchez des formes nouvelles de distribution des véhicules neufs, ce qui posera certainement des problèmes aux réseaux. Fiat - mais peut-être est-ce une médisance - a choisi des réseaux de réparation parallèles, du type Speedy, abandonnant ainsi son réseau habituel de concessionnaires et d'agents.

Puis, peut-être pourriez-vous prolonger vos propos sur la moralisation que vous avez souhaitée. On sait que les pays asiatiques, notamment la Corée, ont des méthodes particulières.

Je témoigne tout à fait, étant député de Saône-et-Loire, de l'aspect français de Fiat Iveco à Bourbon-Lancy.

M. Loïc CAPÉRAN : Je ne suis pas un spécialiste des financements. C'est un sujet extrêmement technique. Je vous suggérerai donc de rencontrer par exemple des responsables de Renault Crédit International, ou notre président de Fiat Financement, M. Chiarle.

Le marché américain, qui avait connu de grandes fluctuations dans les années passées, a été régulé en partie grâce à une batterie de produits financiers. La créativité des sociétés de financement a permis de développer des produits modernes et particulièrement adaptés.

Les privés représentent 75 %. Beaucoup d'entre eux utilisent le véhicule pour un usage professionnel ; gros consommateurs d'automobiles, ils souhaitent renouveler leur véhicule tous les deux ou trois ans.

D'une part, il y a les véhicules de plus de huit ans qui ont deux problèmes à régler : le problème économique et celui de la pollution. D'autre part, il y a les sociétés, grosses consommatrices d'automobiles. La possibilité de jouer sur deux segments du marché permettrait de mieux réguler les marchés français, italiens ou espagnols.

Il faut donner la possibilité aux gens qui utilisent leur voiture d'une manière professionnelle, aux " grands rouleurs ", ou à ceux qui souhaitent une rotation rapide et qui ont le pouvoir d'achat suffisant, de changer de véhicule au bout de deux ans avec des formules financières basées sur un paiement mensuel et un engagement de reprise du véhicule. Cela correspond aussi au désir d'une grande partie de ces clientèles : on paie un loyer mensuel " tout compris ".

Ce sont des formules de location longue durée pour les particuliers, sur deux ou trois ans, ou des formules de leasing. Il me semble que d'autres instances étudient la réforme du leasing en France. Au Royaume-Uni, et même en Italie, nous avons une formule de financement qui correspond à 15 % de nos ventes. Nous vendons au client sur 18 mois, 24 mois ou 36 mois des voitures avec un prix mensuel. Au bout du contrat, le véhicule est repris à un prix prévu d'avance. C'est une location.

Il existe en France des formules un peu similaires, telles que le LOA, qui a eu énormément de succès. Le LOA présentait un avantage fiscal : c'était une mesure anormale, mais son abrogation du jour au lendemain fut un désastre pour le marché automobile français. Les LOA approvisionnaient le marché français du véhicule d'occasion avec des véhicules très récents, ayant un, deux ou trois ans.

J'attribue aux systèmes de financement une contribution importante à la régulation des marchés allemand et britannique.

Les coûts de distribution sont trop élevés. Nous ne sommes pas dans la grande distribution de produits alimentaires, nos produits sont plus sophistiqués. Le concessionnaire reçoit une marge sur le véhicule, plus les marges supplémentaires qu'il reçoit du constructeur. Il a aussi un engagement de " service public ", dans la mesure où il doit avoir en stock toutes les pièces lui permettant de réparer les véhicules.

Le coût de la distribution dans le secteur automobile est, de toute façon, plus élevé que dans la grande distribution. Mais la moyenne est trop élevée, et je ne parle pas de la France en particulier, ni d'un constructeur en particulier (il est évident que dans leur pays d'origine, les constructeurs ont des coûts de distribution inférieurs, ne serait-ce que pour des raisons de taille et d'importance).

Nous avons peu ou pas de succursales, et nous les supprimons. Nous passons uniquement par nos concessionnaires.

Nous voulons tenir la promesse que nous faisons aux clients d'une distribution à 100% de tous les services qui accompagnent la vente de l'automobile à travers nos réseaux. Nous sommes persuadés que l'avenir de nos réseaux ne passe pas uniquement par la vente d'un véhicule neuf avec 30 % de coût de distribution. Il faut baisser ce taux pour pouvoir abaisser les prix en Europe.

Nos réseaux ne pourront pas survivre sans rentabilité supplémentaire apportée par les activités de service.

Premièrement, la vente de véhicules d'occasion peut être une source de rentabilité. C'est la raison pour laquelle le CNPA vous demandait de l'aider dans le domaine de la fiscalité du véhicule d'occasion. La vente de véhicule d'occasion est une activité sérieuse qui doit être garantie. Seuls les professionnels doivent la faire, et en France aujourd'hui 50 % des ventes sont des ventes de privé à privé.

Aux Etats-Unis aujourd'hui, 40 % de la rentabilité des réseaux viennent du véhicule d'occasion, 30 % de l'ensemble des autres services et seulement 30 % du véhicule neuf. En Europe, la rentabilité provient encore pour 70 à 80 % du véhicule neuf.

Fiat a décidé, en créant il y a deux ans la société Targa Service, avec les financements, avec la distribution d'assurances, de produits de mobilité, d'engager nos réseaux vers la distribution des services.

Fiat n'a pas l'exclusivité de cette démarche. D'autres constructeurs sont en train de le faire. Il faut apporter à nos réseaux des marges supplémentaires grâce aux activités de service pour diminuer les coûts de distribution sur le véhicule neuf. Sinon, ce ne sera pas possible.

Avec Speedy, nous n'avions que l'intention d'apporter à nos réseaux existants la capacité de développer une activité de service rapide. Cela leur permettait d'avoir une rentabilité supplémentaire et de pouvoir regagner des parts de marché dans le service rapide qui échappe de plus en plus aux réseaux des marques. Cela ne s'est pas fait.

Sur la deuxième question, sur la moralisation dans l'industrie, il faudrait une moralisation internationale. Nous avons tous vécu l'époque des Japonais. La Commission a pris en main cette affaire et aujourd'hui, on n'entend plus parler de la présence sauvage des Japonais en Europe parce qu'elle a été réglementée.

Je lisais hier que le contingent des Japonais, qui n'a d'ailleurs jamais été utilisé depuis cinq ans, a été augmenté pour l'année 1998. Tout se passe d'une manière très douce.

Il est souhaitable de faire ainsi pour les constructeurs qui arrivent. Je pense surtout en termes de globalisation, je ne pense pas seulement à l'Europe, car en Europe, si les Coréens font des déclarations tonitruantes, ils ne représentent que 2 % du marché européen. Ils accroissent énormément leur pénétration chaque année mais, pour l'instant, ils sont plus gênants pour les constructeurs japonais que pour les Européens.

En revanche, en ce qui concerne des pays qui connaissent des difficultés terribles, comme la Roumanie, l'Ukraine ou la Pologne, ils se conduisent mal en termes de respect du droit international commercial. Il serait nécessaire que cessent ces pratiques, car il n'est pas possible de faire une globalisation en promettant tout et en ne tenant rien.

Lorsque nous avons investi il y a cinq ou six ans en Pologne, nous avons promis un certain nombre de choses au gouvernement polonais, auquel nous rachetions la société nationale FSM. Nous avions fait des promesses sur l'emploi, nous les avons tenues. Nous avions promis de fabriquer dans le pays un certain nombre de voitures, nous avons tenu nos plans de fabrication.

L'éthique est au centre de nos préoccupations en tant que constructeur. Mais les gouvernements et les organismes internationaux comme la Cour internationale de La Haye ont un rôle à jouer à cet égard.

M. le Président : J'ai entendu prononcer le mot " diesel ". En France, le débat public a tendance à faire porter au diesel tous les péchés en matière d'environnement. Nous avons l'impression que dans d'autres pays - l'Allemagne, l'Italie - le sentiment existe qu'un peu plus de diesel présenterait quelque intérêt. Je voudrais connaître votre vision, à la fois sur le marché italien et d'un point de vue global.

Ma seconde question concernerait un autre mot que vous avez prononcé : " Japon ". L'accord avec le Japon a permis de contenir la pénétration japonaise, même si personne ne saura jamais ce qui se serait passé en son absence. Faut-il le prolonger d'une manière ou d'une autre ou - c'est un peu l'impression que vous m'avez donnée en constatant que les Japonais ne remplissaient même pas leur quota, y compris en comptant les transplants - avez-vous le sentiment que la moralisation de la conduite des Coréens doit être une préoccupation plus importante?

M. Loïc CAPÉRAN : Bien que nous ne soyons pas le champion du diesel, nous avons une position extrêmement libérale sur le sujet. On brûle ce que l'on a adoré, c'est une erreur.

Il y a des campagnes médiatique récurrentes sur ce sujet. Le grave problème des particules intéresse les scientifiques, mais aussi les normes européennes. Les constructeurs sont tenus de piéger toujours plus les particules émises par les moteurs diesel. L'évolution des normes anti-pollution sur les moteurs essence ou diesel a été particulièrement drastique ces dernières années. Un camion pollue cinq grammes quand il en polluait cent il y a trente ans. On a réussi à réduire de 95 % la pollution sur les émissions de moteurs diesel de gros poids lourds.

Entre-temps, on a mis en évidence la nocivité des particules. Je ne sais pas quelle en est la réalité scientifique, et il demeure des controverses dans ce domaine.

Sans un pourcentage élevé de moteurs diesel, nous n'arriverons pas à réduire la consommation du parc moyen en Europe comme désire le faire la Communauté dans ses plans pour les nouvelles normes au-delà de 2002.

Il faut faire confiance aux scientifiques et aux ingénieurs qui préparent des normes avec Bruxelles, mais il ne faut pas développer trop de réglementation.

Mes propos sont désintéressés puisque Fiat n'est pas le champion du diesel en Europe comme le sont les constructeurs français. La particularité du marché français tient au pourcentage important de ces moteurs diesel, ce qui a donné satisfaction aux clients pendant de nombreuses années. Je ne vois pas pourquoi changer quelque chose qui marche, sachant que demain, on devra utiliser de plus en plus le diesel pour diminuer la consommation.

L'important en matière d'émissions et de pollution, c'est la masse qui sort des pots d'échappement. Si les voitures consomment en moyenne quatre ou cinq litres au lieu d'en consommer sept ou huit, tout le monde est gagnant. Si le problème des particules, inhérent au diesel, est réglé à travers des pièges à particules sophistiqués, tout le monde sera gagnant.

Je constate que les Allemands ont le même point de vue : récemment, le président du directoire de Volkswagen disait que sans diesel, ce ne serait pas possible. Nous comprenons donc très bien le lobby des constructeurs français.

En ce qui concerne le Japon, l'accord me semble particulièrement exemplaire. D'ailleurs, on n'entend plus parler de grands débats sur le partage des parts du marché européen entre les Japonais et les constructeurs européens. Les choses se sont organisées.

En revanche, s'agissant des Coréens, la situation parait très préoccupante. Personne n'a pénétré la marché coréen, alors que sur le marché japonais, PSA annonce 9 000 à 10 000 voitures cette année, nous 7 000, Volkswagen 60 000 pour l'ensemble du groupe, etc. J'espère que nous arriverons à nous adapter au Japon pour y exporter un plus grand nombre de voitures.

Le marché coréen est, lui, hermétiquement fermé. C'est la première anomalie.

La deuxième, c'est leur présence sur un grand nombre de marchés et leurs annonces " publicitaires " de présence. Regardez ce qui s'est passé en Pologne et en Roumanie... Qu'adviendra-t-il de l'automobile coréenne avec les secousses que connaît actuellement l'économie de ce pays ?

Voyons donc si l'on peut faire quelque chose pour réglementer la présence des Coréens au niveau européen !

M. le Président : Et Toyota ?

M. Loïc CAPÉRAN : La venue de Toyota sur le marché européen se fera comme celle de Nissan dans le nord de l'Angleterre. Quand les Japonais s'installent en Europe, ils sont confrontés à des problèmes comparables aux nôtres.

Je ne sais pas s'ils créeront des emplois, c'est le danger de ces usines " tournevis " qui présentent peu d'intégration. Mais l'histoire a prouvé que les usines japonaises s'intègrent finalement assez bien. Honda en Grande-Bretagne a su créer des emplois et s'appuyer sur des réseaux de fournisseurs créateurs d'emplois. Avec les Japonais, les chances sont plus égales.

M. le Président : En leur accordant des aides ?

M. Loïc CAPÉRAN : On ouvre là le chapitre des aides européennes.

M. Giorgio FRASCA : Le cas de Toyota, analysé dans un cadre global, montre que la délocalisation peut créer des emplois en France. C'est la raison pour laquelle nous, qui évoluons dans un système libéral mondial, nous devons la considérer comme une forme de compétitivité mondiale. Nous acceptons qu'une société honorable comme Toyota vienne en France.

En revanche, nous ne sommes pas d'accord lorsque des entreprises utilisent sur notre marché des méthodes incorrectes et qui peuvent fausser la concurrence.

En ce qui concerne les aides européennes, elles doivent être sous surveillance et n'être accordées qu'en cas de nécessité absolue d'intervention, sur des secteurs profondément touchés. Dans le passé, des opérations n'ont pas été conformes à cette philosophie ; mais, aujourd'hui, nous sommes confiants. Les organes de tutelle seront très attentifs pour qu'aucune aide ne vienne fausser la concurrence.

M. Gérard VOISIN : Vous avez parlé de l'essence, du diesel. Que pense Fiat des voitures électriques ou mixtes ?

M. Loïc CAPÉRAN : Nous sommes engagés dans la course aux voitures électriques, sachant qu'il faudra attendre la croissance du marché pour amortir nos investissements. Nous aurons une voiture quatre places conçue dès le début comme une voiture électrique : la Seicento. Nous sommes à la pointe du progrès dans ce domaine, mais la réalité commerciale est nulle actuellement.

Nous avons déjà gagné un concours avec la Seicento avant même sa sortie. Cette voiture circulera dans cinq grandes villes européennes. C'est pour l'instant un pari que les constructeurs font dans ce domaine, parce qu'il n'existe aucune infrastructure. La technologie ne permet pas de faire des voitures assez compétitives pour qu'elles puissent intéresser les clients. Il existe vraiment un problème économique qui ne justifie pas aujourd'hui l'achat d'une voiture électrique.

Cet achat peut se concevoir dans certains centres-villes, dans des processus expérimentaux, dans des flottes captives d'aéroports, par exemple. Mais il y a un problème de coût. Vous connaissez la fameuse anecdote : " Achetez ma voiture au prix coûtant. Non, je préfère vous l'acheter au prix catalogue ! "

M. Giorgio FRASCA : Ce n'est pas un problème technique. Aujourd'hui, tous les constructeurs sont capables de faire de magnifiques voitures électriques. C'est un problème de coût. Ce sont les municipalités qui peuvent, pour des raisons d'infrastructures, utiliser ces véhicules. C'est un problème de masse.

M. Loïc CAPÉRAN : Nous croyons beaucoup plus au gaz. Le même moteur à explosion consomme moins, s'use et pollue moins lorsqu'il utilise le gaz.

Nous avons d'ailleurs sorti une première voiture de chaîne : la Fiat Marea " Bipower " au méthane. Nous pensons aussi à toute la gamme des produits Fiat au GPL.

M. Raymond DOUYÈRE : La technologie des joints de transmission évolue. Fiat s'approvisionne-t-il en interne ou passe-t-il des contrats avec d'autres ? On parle de l'arrivée d'un Japonais ou d'un Américain en Europe sur les joints de transmission.

M. Giorgio FRASCA : Nous fabriquons nous-mêmes certains joints de transmission, mais les groupes comme le nôtre vont chercher leurs équipements là où ils sont les meilleurs.

Nous sommes, par exemple, clients pour la partie peinture d'une grande société américaine, la PPG.

On doit conjuguer qualité et bas prix.

M. Loïc CAPÉRAN : Cela m'amène à parler d'une préoccupation très présente dans notre management : l'" outsourcing ". Nous sommes des adeptes de l'" outsourcing " : garder le " core business " et évacuer le plus possible les tâches qui n'ont pas directement d'intérêt stratégique ou que d'autres sont capables de faire mieux et à moindre coût.

Nous avons par exemple sous-traité la gestion de nos magasins de pièces de rechange et de leur transport à un groupe, australien à l'époque, aujourd'hui hollandais, qui s'appelle la TNT : 3 500 personnes sont passées du jour au lendemain de Fiat à TNT.

Nous sous-traitons actuellement notre comptabilité. Ainsi, chez New Holland, 500 personnes sont passées dans une société du groupe Andersen.

Nous sommes convaincus que ne doivent rester à l'intérieur de la société que les éléments à forte valeur ajoutée ou les éléments du coeur de l'activité de l'entreprise.

Pour l'instant, ce que nous achetons à l'extérieur est largement supérieur à 50 %. Nous devrions arriver à des chiffres de l'ordre de 60 % à 65 %.

M. le Président : De grands groupes internationaux comme le vôtre deviendront simplement des assembliers...

M. Loïc CAPÉRAN : Assemblier est restrictif dans la mesure où nous pouvons aussi sous-traiter à des carrossiers. Nous sommes surtout concepteurs. Nous aurons encore des usines, puisqu'une partie des économies et de la qualité se situe au niveau de l'assemblage.

M. le Président : N'y a-t-il pas le risque qu'un gros équipementier, aggloméré à une autre activité avec une assise financière plus importante que la vôtre, devienne plus puissant ? N'y a-t-il pas risque mortel pour les constructeurs à vouloir ainsi externaliser leur production, pour ne conserver que ce qui vous procure, selon vos propres paroles, que le maximum de valeur ajoutée ?

M. Loïc CAPÉRAN : On voit déjà chez les fournisseurs des groupes extrêmement puissants, avec des valeurs ajoutées et des résultats financiers supérieurs à ceux des constructeurs automobiles : il y a Valéo, Bosch, et à l'intérieur du groupe Fiat, nous avons Magneti Marelli. Nous avons Teksid dans le domaine des aciers et Comau qui est, dans l'ingénierie automobile, un bureau de robotique très connu.

Nous voulons être présents chez nos fournisseurs pour les contrôler. Nous avons donc considéré que Magneti Marelli est " core business " et nous l'avons largement développé et conservé. Nos fournisseurs nous suivent dans notre développement mondial, de façon à être à côté de nos usines en " global sourcing " et en alimentation en temps réel.

Votre question est largement fondée mais nous n'en sommes pas là. Je peux vous rassurer. Chacun fait son travail, le fait bien, avec beaucoup de compréhension. J'entendais M. Ghosn, le numéro deux de Renault, rappeler la croisade de la baisse des coûts de Renault. Ce sont les fournisseurs qui font en grande partie les baisses des coûts.

M. Giorgio FRASCA : En ce qui concerne la distribution et les services, nous atteignons peut-être la structure qu'auront les grands constructeurs automobiles de demain. Les grands constructeurs automobiles, ce sont, d'une part, la recherche, l'idée, l'assemblage, le " core business " qui se trouve dans la voiture et, d'autre part, la gestion d'un système commercial de distribution, d'un système de services et de composants. C'est la raison pour laquelle on peut déjà constater chez les équipementiers une concentration très importante.

On va vers ce phénomène. Aujourd'hui, les constructeurs se préoccupent de la distribution, de ses nouvelles formes, ainsi que de services et de fournisseurs qui fassent partie intégrante du système.

M. Gérard VOISIN : Messieurs, vous êtes des managers internationaux. L'automobile rapporte beaucoup d'argent aux fiscalités nationales, notamment en France. Existe-t-il des Etats qui bénéficient autant de recettes fiscales apportées par l'automobile que notre pays ?

M. Loïc CAPÉRAN : L'Italie, l'Espagne ont des fiscalités particulièrement oppressantes pour l'automobile, car elles touchent tout le système qui gravite autour de celle-ci.

L'Allemagne et l'Angleterre ont des fiscalités moins lourdes que celle de la France et de l'Italie.

A l'inverse, les Etats-Unis ont une fiscalité peu présente : seulement 6 % d'équivalent TVA par rapport à nos 20 % en moyenne.

Il convient de réfléchir sur ce sujet. La dépendance des budgets des Etats envers le monde automobile est extrêmement forte. C'est la raison pour laquelle les mesures que vous propose la profession ne consistent pas à abaisser la ponction globale ; les budgets des Etats dépendent trop directement de la fiscalité.

Nous avons donc cherché des systèmes qui, en jouant sur le niveau du marché, permettront à l'Etat de retrouver à peu près les mêmes recettes mais d'une autre façon, et en ayant, à la longue, un effet bénéfique sur les effectifs des constructeurs ou des distributeurs et sur le client final. Notre grande préoccupation est que le parc automobile rajeunisse, que les clients aient accès à des véhicules neufs ou plus récents. Il faut mettre en place, pour le financement de la voiture, des systèmes qui ne soient pas oppressants pour le budget du ménage.

Il faut rechercher l'équilibre. Les systèmes d'incitation ont des effets positifs lorsqu'ils ne se sont pas appliqués de manière trop abrupte. Il faut des systèmes graduels, des mesures allant progressivement vers un système de dérégulation, qui est le système que je propose pour 2003.

M. Gérard VOISIN : Le problème est que les gains se feront sur les 30 % de la distribution. Vous broyez ainsi un certain nombre d'emplois et d'entreprises. Vous oubliez tout le reste.

M. Loïc CAPÉRAN : Non, je pense que le raisonnement doit être tenu dans le contexte de l'euro, des fiscalités, et ne peut être fait que progressivement.

Nous irons vers plus de concentration, vers plus de " megadealers ", plus de " dealers " qui investissent. Nous assisterons probablement à une restructuration et il faut qu'elle se passe sans traumatismes. La nouvelle organisation ne devrait pas trop affecter le niveau des emplois.

En revanche, les constructeurs doivent avoir une bonne couverture territoriale et cela nécessite le maintien de points en grand nombre. Il y a des règles d'or : le client ne doit pas faire plus de vingt minutes de voiture ou plus d'une trentaine de kilomètres jusqu'au point le plus proche pour acheter un véhicule de son constructeur ou le faire réparer.

La fiscalité doit être profondément réformée. Certains pays sont plus confrontés à ce problème que d'autres, comme le Danemark avec sa fiscalité où le droit d'accise est de 100 % avec une TVA seulement à 15 %.

La France, avec sa TVA à 20 %, est l'un des pays entrant dans l'euro avec une TVA la plus importante. Il faut trouver un point d'équilibre autour de 18 %.

L'Etat doit faire sa part, sinon nous n'arriverons pas à entrer dans une bande de 5 à 10 %, c'est-à-dire un prix unique pour toute l'Europe comme l'ont fait les Américains. Aux Etats-Unis, le prix est unique sur tout le territoire national. Il est d'ailleurs exprimé hors taxe. Puis vient la taxe locale qui varie entre 4 % et 6 % selon les endroits.

On peut imaginer en Europe une évolution progressive. Tout le monde se préoccupe du 1er janvier 1999 et du paiement en euro. Mais l'important, c'est d'arriver à un prix unique.

Nous sommes disposés à y travailler, nous commençons à le faire avec nos distributeurs. Nos concessionnaires, les associations de concessionnaires, le CNPA en France, ont compris ce qui allait arriver. Ils savent qu'il est nécessaire de changer et ils sont prêts à en discuter avec leurs constructeurs. Ils savent bien aussi qu'il y a un problème de fiscalité évident.

Il y a avant tout les anomalies à corriger, comme la situation du véhicule d'occasion qui est un petit scandale. Ces dernières années, des véhicules d'occasion espagnols peuvent arriver en France en ayant prétendument acquitté les droits de TVA dans le pays d'émission, alors que la plupart du temps ce n'est pas le cas. Ce sont finalement des véhicules qui échappent à la TVA dans tous les pays, bénéficiant ainsi d'un avantage de 20 %.

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Audition de MM. Jürgen PETERS,

Secrétaire général d'IG Metall Hanovre,

et Bernd OSTERLOH, Président des représentants syndicaux chez Volkswagen

(procès-verbal de la séance du 28 janvier 1998)

Présidence de M. Daniel PAUL, Président

M. Jürgen PETERS : M. le Président, mesdames et messieurs, nous vous remercions vivement de nous permettre de vous dire quelques mots sur la crise de l'emploi et ses solutions envisageables.

La Basse-Saxe est très marquée par Volkswagen, groupe de 242 000 salariés et présent dans le monde entier.

Volkswagen AG emploie actuellement 100 000 personnes dans les six sites couverts par les conventions collectives dont nous sommes responsables : Emden, Braunschweig, Hannover, Salzgitter, Kassel et Wolfsburg. Il y un site supplémentaire à Mosel, en Allemagne de l'Est.

En ce qui concerne la Basse-Saxe, Volkswagen fournit 15 % des emplois, réalise 26 % du chiffre d'affaires de l'industrie, 20,5 % des investissement industriels, 5,4 % de la production intérieure brute et 45 % des exportations.

Volkswagen est une entreprise de poids dans la région. Si l'on se livre à une comparaison, la part des emplois dans le secteur automobile est de 0,8 % aux Etats-Unis, de 1,3 % au Japon, de 3,1 % en Allemagne. En Allemagne, ce pourcentage atteint 5,2 % en Bade-Wurtemberg et 5,6 % en Basse-Saxe.

La situation du marché automobile est caractérisée par ses surcapacités. D'après nos calculs, il y a une capacité, au niveau mondial, de 39 millions de véhicules, pour un besoin de 29 millions seulement. Ces 10 millions de surcapacité entraînent, sur le marché, certaines distorsions.

D'autres capacités sont en cours de construction, puisque le Japon, notamment, envisage de réaliser à moyen terme, en Europe, environ 1,5 million d'unités ; on imagine la situation dans laquelle nous pourrions nous retrouver.

Par ailleurs, l'Allemagne connaît une crise de l'emploi de plus en plus flagrante, qui se développe indépendamment de la conjoncture. A la page 6 de la brochure que nous vous remettons, " Die Zeit müssen wir uns nehmen ", un graphique illustre la situation de l'emploi dans notre pays. Si chaque crise augmente le chômage, chaque reprise ne permet pas de revenir au niveau d'emploi antérieur comme l'on veut nous le faire croire. Bien au contraire, le niveau de chômage est de plus en plus élevé.

Sur la même page 6, une seconde courbe extrêmement intéressante, qui retrace la situation de l'emploi de 1960 à 1993, traduit une tendance qui se poursuivra. Le volume de travail, exprimé en heures, est resté relativement constant sur toute la période, alors que le nombre d'heures travaillées par salarié a baissé en raison de la réduction de la durée hebdomadaire de travail ; on observe, parallèlement, une croissance extrêmement forte de la productivité. Cette dernière détruit les emplois.

Lorsque Volkswagen envisage, à moyen terme, sur cinq ou six ans, d'augmenter la productivité de 35 %, cela signifie, automatiquement, s'il n'y a pas plus de production et si le nombre des pays producteurs n'augmente pas, une réduction supplémentaire du volume de l'emploi.

La page 7 représente les perspectives pour l'avenir, toutes défavorables à l'emploi.

Ces schémas sont peut-être anciens, mais on peut en conclure que l'industrie automobile sera probablement l'équivalent du " secteur de l'acier " dans les années 1990.

En 1993, nous avons affronté directement ce problème : 30 000 salariés devaient perdre leur emploi à moyen terme, 20 000 être immédiatement licenciés. La question qui se posait pour Volkswagen et les représentants des salariés était la suivante : pouvait-on utiliser les méthodes traditionnelles de licenciements de masse, ou existait-il d'autres possibilités ?

Nous avons négocié la garantie des emplois chez Volkswagen et nous nous sommes mis d'accord sur un système extrêmement complexe. L'entreprise s'engage à ne pas licencier pour des raisons de production : pas d'autorisations de licenciements en raison de la situation de l'entreprise.

Nous nous sommes engagés à ce que tous les salariés baissent leur durée de travail à 28,8 heures : c'est la semaine de quatre jours. Vous trouverez dans la seconde brochure des informations sur ce système " Altersteilzeit - Das Modell der IG Metall bei Volkswagen ". Cet accord a engendré toute une série de mesures énumérées en page 12 et qui définissent la semaine de quatre jours.

Le deuxième élément-clé est que l'entreprise s'engage à employer de manière durable ceux qu'elle a formés et, inversement, ceux qui ont bénéficié de la formation de l'entreprise acceptent de réduire leur durée de travail si nécessaire.

Nous avons, de surcroît, négocié d'autres réductions de la durée de travail pour les salariés âgés. A l'époque, nous pensions pouvoir constituer plusieurs groupes : les jeunes qui entreraient progressivement, les plus âgés qui partiraient progressivement.

Nous avons également donné notre accord à un temps de travail réduit, à un chômage partiel, à des mesures de souplesse. Nous avons toujours essayé de réduire les heures supplémentaires. Nous ne voulions pas que la réduction de la durée hebdomadaire de travail entraîne des heures supplémentaires, qui devaient être forfaitisées et compensées par du temps libre.

Selon moi, le bilan de ces accords est le suivant.

Depuis 1994, il n'y a pas eu de licenciement chez Volkswagen.

Ensuite, des mesures favorables à l'emploi ont été prises. D'une part, chaque année, il faut former environ mille jeunes. Après avoir réussi leur examen, ils bénéficient d'un emploi à durée indéterminée. D'autre part, nous avons convenu qu'il y aurait des embauches lorsque le volume de production dépasserait un certain niveau.

Il s'agit, bien sûr, d'une bataille permanente. Pour ce qui nous concerne, représentants des syndicats et représentants du personnel IG Metall, nous souhaitons agir immédiatement, alors que la direction veut attendre. Globalement, on a procédé à 4000 recrutements de ce type. Je dois avouer qu'il ne s'agit effectivement pas d'emplois à durée indéterminée, mais, dans un premier temps, d'emplois à durée déterminée. L'essentiel de ces emplois s'est transformé en emplois à durée indéterminée en raison du volume de production, heureusement élevé.

Nous avons, parallèlement, maintenu plus de 20 000 emplois tout en réduisant très fortement les coûts. A la page 10 de la brochure apparaissent les 2,3 milliards de marks qu'aurait coûté un licenciement de masse. Ils correspondent aux indemnités de chômage, à l'impôt non perçu, aux charges sociales non payées et à l'assurance maladie.

Avec la semaine de quatre jours, les coûts sont bien inférieurs : environ 600 millions de marks. Naturellement, cela signifie une perte sur le plan fiscal, sur les charges sociales et l'assurance maladie. Mais, globalement, le secteur public a économisé 1,7 milliard grâce aux mesures que nous avons prises. C'est une statistique admise par tous, même si chacun en tire des conclusions un peu différentes.

Concernant le bilan de l'accord Volkswagen, nous pensons qu'il est positif pour les six sites allemands de Volkswagen.

D'ailleurs, la direction de Volkswagen ne conteste pas le système, qui fait l'objet d'une convention collective de durée indéterminée avec, néanmoins, des possibilités de résiliation chaque année.

Après la dernière phase de discussion, nous avons négocié de nouvelles conditions d'emploi que nous appelons " le temps partiel pour les salariés âgés ". Cette année, l'entreprise a renoncé à demander la résiliation de l'accord et a même reconnu publiquement que le système avait fait ses preuves. M. Piëch a déclaré qu'il était préférable que les personnels travaillent quatre heures avec efficacité plutôt que dix heures sans.

Par ailleurs, si une entreprise veut tirer le maximum de ses employés, elle doit donner des assurances : aucun salarié ne fera des propositions de rationalisation ou d'amélioration si elles doivent déboucher sur son licenciement. Volkswagen en a tenu compte.

L'expérience de Volkswagen a naturellement une influence sur le nombre des salariés. En 1993, plus de 100 000 personnes travaillaient dans l'entreprise. Nous en comptons un peu plus aujourd'hui, mais il y a eu de nombreux mouvements internes de personnel. Je pense qu'un tiers des salariés a fait l'objet de transferts résultant de la réduction hebdomadaire de travail, de l'entrée de jeunes et de la sortie de salariés âgés. J'évalue au moins à 40 000 le nombre des mouvements intervenus.

La phase la plus difficile a été de régler le problème suivant : la diminution de 20 % du nombre d'heures travaillées se traduisait par une diminution proportionnelle des salaires, ce que personne ne pouvait admettre ! Certaines prestations et augmentations liées aux conventions collectives ont été transformées en réductions des horaires travaillés, afin que les revenus des salariés soient maintenus au niveau le plus élevé possible.

Nous ne sommes pas parvenus à compenser sur l'ensemble de l'année : chaque salarié enregistre une perte annuelle de 10,5 % à 11 % de son salaire.

Nous nous sommes efforcés, dans tous les cas, de conserver les revenus mensuels et de les compenser sur les prestations annuelles.

Les conditions de travail ont naturellement dû être modifiées et de nouvelles organisations du travail ont été élaborées sur la base des 28,8 heures.

Quant à l'éventualité d'une généralisation de " l'expérience Volkswagen " à d'autres secteurs de l'économie, cette question est décisive. L'expérience, même si elle ne pourrait pas être transposée au détail près, pourrait être généralisée dans son principe. La possibilité existe pour les grands groupes. Je suis furieux de constater qu'en Allemagne, les grandes entreprises continuent de travailler sans imagination et préfèrent les licenciements à d'autres mécanismes de régulation.

L'expérience Volkswagen a-t-elle une influence ? Oui ! Dans la branche de la métallurgie, nous avons essayé de modifier les conventions collectives afin d'y introduire un système reprenant largement certains éléments de cette expérience.

Pour ce qui est de l'âge des salariés au montage à Wolfsburg, il est en moyenne de trente ans. Les autres sites du groupe emploient des salariés beaucoup plus âgés.

Avec le système de la retraite anticipée, le Gouvernement fédéral part de l'hypothèse que chacun, à l'avenir, devra travailler jusqu'à 65 ans. Il y aura donc deux classes d'âge supplémentaires dans notre entreprise et, en conséquence, deux classes d'âge de jeunes ne pourraient pas y être intégrées, perspective politique tout à fait inacceptable !

L'alternative, selon le Gouvernement fédéral, serait le travail à temps partiel pour les salariés âgés, ce qui permettrait de revenir à la situation antérieure mais dans des conditions plus mauvaises.

Nous tentons, actuellement, d'obtenir des conditions plus favorables pour le temps partiel des salariés âgés dans nos conventions collectives. Chez Volkswagen, à partir de 55 ans, on peut travailler à mi-temps durant une période de 5 ans, puis à partir de 60 ans, on peut prendre une retraite anticipée. Cependant, la loi prévoit, dans ce cas, une telle réduction des retraites qu'aucun salarié ne peut se la permettre. Chez Volkswagen, où nous avons divisé par deux cette minoration de la retraite, elle reste assez importante pour que le salarié se pose la question de savoir s'il peut accepter une retraite anticipée.

Ce problème suscite actuellement de grands conflits dans la métallurgie en Basse-Saxe : lundi, nous n'avons pas pu nous mettre d'accord parce que le patronat a proposé des conditions que nous jugeons inacceptables. J'espère que nous parviendrons à régler ce problème dans les mois qui viennent.

Un débat sur la création d'une agence de travail temporaire interne s'est effectivement instauré chez Volkswagen. L'entreprise a voulu reprendre les idées des syndicats pour les utiliser à sa manière.

En Basse-Saxe, nous nous sommes demandé si, dans cette région comme dans d'autres, il serait possible de lutter contre le chômage en créant une agence interentreprises de programmation d'emploi des personnels. En effet, certaines entreprises ont des heures supplémentaires qui se poursuivent parfois durant plusieurs semaines. Nous avons voulu savoir s'il ne serait pas possible de les attribuer à d'autres dans le cadre de ce réseau. Ce système nécessite l'accord des entreprises ; malheureusement, tel n'a pas été le cas ! L'idée n'est pas totalement enterrée. Nous allons essayer d'en rediscuter à Wolfsburg. Volkswagen a fait cette tentative pour s'écarter des conventions collectives de Volkswagen et passer à celles de la métallurgie.

Le " titre de valeur de temps de travail " est un thème intéressant et nouveau, mais pas encore largement représenté chez nos camarades.

L'idée de base se trouve en page 21 de la brochure. Les durées de travail ne sont pas toujours égales, harmonieuses et équilibrées. C'est la raison pour laquelle nous avons négocié avec l'entreprise une plus grande souplesse. Il existe des heures et des équipes supplémentaires : nous souhaitons qu'elles ne soient pas rémunérées financièrement mais qu'elles rémunèrent un compte de travail dans lequel chacun serait libre, par la suite, de puiser des heures libres sur des durées relativement longues, ce qui permettrait de recruter des personnels sous contrat à durée déterminée.

Nous nous sommes demandé s'il n'était pas possible de faire un décompte global de toutes les durées de travail en fin de carrière et d'utiliser le système pour le temps partiel des salariés âgés. Le problème est, bien sûr, de se garantir contre l'insolvabilité de l'entreprise.

C'est une formule que Volkswagen continue à étudier.

Les durées de travail représentant une somme importante, Volkswagen ne veut pas la mettre en réserve sans l'utiliser et souhaite la faire travailler sous la forme de " titres de temps de travail ". On se demande quel pourrait être ce titre et quelle pourrait être sa rémunération.

Le questionnaire que vous m'aviez adressé portait également sur les horaires hebdomadaires de travail. Ils peuvent être différents mais, en moyenne, nous devrions parvenir aux 35 heures. La question est de savoir dans quel délai nous parviendrons à l'équilibre. Au Bade-Wurtemberg, on l'estime, par exemple, à deux ans. Les avantages sont visibles, mais je crois que l'évolution dépendra de l'adaptation à la réduction du volume de travail.

Nous avons exigé que le système s'intègre dans un cadre limité : il est impossible d'envisager de faire travailler du personnel pendant 60 ou 70 heures pendant une semaine et plus du tout pendant la semaine suivante : personne ne pourrait accepter un tel régime !

Page 21, un graphique indique que la moyenne du temps de travail est de 28,8 heures.

L'avantage n'est pas seulement de prendre en compte les variations des commandes et de la conjoncture : si nous acceptons une certaine marge de manoeuvre, cela peut faire quasiment disparaître les heures supplémentaires et leurs coûts, ce qui constituerait un avantage pour l'industrie automobile, qui est une industrie saisonnière. Pour sécuriser les emplois, nous étions disposés à accepter ce régime.

Dans l'industrie automobile nous enregistrons une augmentation de l'emploi à durée indéterminée et, dans une large mesure, également des emplois à durée déterminée. Le législateur a d'ailleurs même accepté la possibilité de plusieurs contrats successifs à durée déterminée (auparavant, l'engagement à durée déterminée se transformait en contrat à durée indéterminée).

Il est difficile de répondre à l'une des questions que vous nous avez transmises concernant les effets de l'euro sur l'industrie automobile allemande. L'euro entraînera une égalisation des prix. Vous avez dû comprendre que cela répond au désir de Volkswagen, qui souhaite vivement que les réductions de prix appliquées à l'étranger ne soient pas reprises en Allemagne. Cette attitude critiquée par la Commission a donné lieu à un contentieux.

En conséquence, je crains que le niveau élevé des prix en Allemagne ne puisse être maintenu. Il faudra procéder à un équilibrage qui aura certainement des effets sur l'emploi. Comme vous en avez fait l'expérience, la pression sur les prix se répercute d'abord sur les salaires puis sur l'emploi.

En ce qui concerne le site industriel représenté par l'Allemagne, beaucoup, pour des raisons idéologiques, abordent ce sujet afin de réduire les salaires des conventions collectives. Mais maintenant, les chefs d'entreprise eux-mêmes ne sont plus d'accord lorsqu'on dénigre le site industriel allemand. Un ministre-président d'un Land a dit à ses chefs d'entreprise : " Si vraiment l'ambiance ne vous plaît plus, allez ailleurs ! "

Notre site a des salaires relativement élevés, nous en sommes fiers. Cela ne veut pas dire que nous ne sommes pas productifs. Volkswagen est une des entreprises où les salaires sont les plus élevés. Pourtant, il a été possible d'y sécuriser l'emploi.

M. Lopez est certainement un nom qui vous est connu. Maintenant, sur tous les sites, on ne pratique pas le " out sourcing " comme disent les Américains, mais le " in sourcing " : nous engageons du personnel. Aujourd'hui, avec une productivité qui augmente annuellement de 6 à 8 % et qui nuit à l'emploi, il faut parvenir à maintenir l'emploi : c'est pourquoi nous appliquons actuellement un vaste programme de " in sourcing ". Les grandes entreprises sont d'ailleurs confrontées à des problèmes de qualification de leurs personnels.

Un grand groupe, lorsqu'il doit s'adapter, le fait là où c'est le moins douloureux pour lui. Cette adaptation se fait donc au niveau des équipementiers, des filiales, mais souvent au niveau des fonctions importantes comme la recherche et le développement, qui se réalisent ailleurs. Pour Volkswagen, cela constitue une évolution extrêmement dangereuse, avec des conséquences à long terme.

En Basse-Saxe, nous menons actuellement des discussions avec Preussag qui veut vendre son département acier à une autre aciérie. Nous y sommes défavorables, car lorsqu'un centre de décision disparaît, des fonctions de management disparaissent aussi. Il ne reste alors que des employés, et ce sont les salariés qui doivent supporter la totalité des charges.

D'après General Motors, 25 % du personnel d'Opel doivent être licenciés. J'ignore s'il s'agit d'une menace, mais à Bochum et à Rüsselsheim, les personnels ont fait d'énormes concessions pour éviter que le site soit démantelé.

Je suis convaincu que les constructeurs allemands porteront leurs efforts sur le diesel. Il est possible d'arriver à trois litres avec une motorisation diesel ; pour les véhicules lourds à 6 cylindres, voire à 8 cylindres, il faudrait utiliser le diesel.

J'en arrive maintenant à la partie de votre questionnaire consacrée à l'Europe.

En ce qui concerne le choix de Toyota de s'implanter dans le Nord de la France, tous les constructeurs automobiles savent pertinemment qu'ils ne vont pas livrer des voitures en Europe sans disposer de leurs propres sites de production.

Il est très difficile de répondre à votre question sur la suite de l'accord Europe-Japon : cela dépendra en effet des majorités politiques.

Le règlement transitoire a été beaucoup critiqué par les différents pays européens. Le Japon interprète cet accord différemment concernant la " règle des 75 % ". Quelle est la base de ces 75 %?

Il existe déjà un litige sur ce qu'il est possible de livrer en Europe. Il y a d'autres problèmes : je pense notamment aux tubes dont le Japon, qui a déjà livré dès la première année toute la quantité autorisée, continuera sans doute l'écoulement dans les trimestres qui viennent, mais " au noir ".

Je suis d'avis qu'il faudrait un marché réglementé pour éviter une concurrence dommageable pour l'Europe.

Vous nous demandez enfin si, selon nous, des rapprochements entre grands constructeurs sont possibles. Ils sont possibles, mais peu vraisemblables. Les grands vont essayer d'augmenter leurs propres parts de marché ; il est probable que les " joint ventures " entre constructeurs ne seront pas de longue durée. Je sais que les usines communes ne marchent pas très bien, ni au Brésil, ni au Portugal.

M. le Rapporteur : Nous connaissons la vie de syndicaliste. Chacun est tenté de se consacrer à ce qui se passe dans son propre pays. En même temps, nous parlons d'Europe sociale : si nous voulons la réaliser, les rencontres comme celles d'aujourd'hui -  où vous venez nous expliquer comment vous luttez pour que les progrès de productivité ne soient pas préjudiciables à l'emploi - sont indispensables, comme il est indispensable que nos représentants syndicaux se rendent à l'étranger pour faire part de leur expérience.

Je vous remercie donc infiniment d'avoir effectué ce déplacement.

Deux sujets nous intéressent particulièrement : votre expérience de réduction du temps de travail et la dimension européenne des problèmes de l'automobile.

Ma première question concerne l'évolution des salaires. Vous avez évoqué, en tout cas pour Volkswagen et Wolfsburg, une baisse réelle des rémunérations annuelles de l'ordre de 10 %, même si le salaire mensuel sur la feuille de paye, hors autres avantages, est conservé.

Je voudrais savoir si, dans votre calcul, vous tenez compte de la quasi-disparition des heures supplémentaires, et donc si cette baisse de 10 % s'applique vraiment à la totalité des revenus. Il s'agit d'un point important puisque, d'une part, nous allons nous-mêmes engager au cours des mois qui viennent des discussions où la première préoccupation des salariés sera de maintenir le salaire et que, d'autre part, cette notion de " nombre d'heures supplémentaires-rémunérations complémentaires " ouvre une plage de discussion, mais suscite une certaine inquiétude.

Ma deuxième question concerne la dimension européenne. L'un des arguments entendus lors du débat sur la réduction du temps de travail en France consiste à dire qu'un pays, compte tenu de ses exportations et de ses échanges, ne peut pas, tout seul, l'appliquer.

Dans le domaine automobile, j'avance un chiffre approximatif : on peut estimer à 75 % les productions des usines en Europe destinées au marché européen. En termes de compétition entre constructeurs, cela signifie, si nous parvenons, au niveau des pays européens, même par des méthodes très différentes - compte tenu des traditions sociales de nos pays, elles le demeureront et c'est d'ailleurs très bien comme cela ! - à marcher dans la même direction, au même rythme, que tous les arguments de pression sur les salaires perdront de leur pertinence.

Il existe une Confédération européenne des syndicats, mais je pense que l'action commune et la coordination des démarches sont assez largement en dessous - je parle à titre personnel - de ce qui devrait exister. J'aimerais connaître votre sentiment sur ce point.

Enfin, j'ai deux questions qui sont plus liées à la politique européenne.

Concernant les aides de l'Union européenne pour favoriser l'implantation de nouveaux sites industriels automobiles, nous avons, au sein de la mission, le sentiment que, dans ce secteur industriel où il y a d'évidentes surcapacités de production, elles ne devraient pas exister, même pour des régions en difficulté. En tout cas, elles ne devraient pas être allouées aux constructeurs extra-européens. On ne sait exactement ce qui s'est passé pour Toyota, mais on peut imaginer que l'on a mis en place un certain nombre de mécanismes de ce genre.

Vous avez précisé tout à l'heure que les choses dépendaient des majorités politiques. Mais ces majorités se font et se défont, et cela dépend donc d'un mouvement d'opinion, à la fois politique et syndical. Comment réagissez-vous à la suggestion de supprimer les aides aux implantations extérieures dans des secteurs en forte surcapacité ?

Ma dernière question concerne l'accord Union européenne-Japon.

Selon la base de référence, on peut effectivement considérer que l'accord n'a pas été respecté. En même temps, le taux de pénétration japonais en Europe reste aujourd'hui dans les limites envisagées au moment de la signature de l'accord. Notre inquiétude porte sur ce qui se passera après le 1er janvier 2000 et sur les suites à donner à cet accord dans le respect des règles nouvelles du commerce international.

D'abord, au niveau du principe, l'idée d'accords réciproques et informels, comme il en existe entre les Etats-Unis et le Japon, recueillerait-t-elle le soutien d'IG Metall ou du DGB ?

En France, a priori, nous redoutons le saut dans le vide que peut représenter la disparition de tout accord à partir du 1er janvier 2000 : entre le respect des contraintes et rien du tout, il y a place pour imaginer quelque chose. C'est pourquoi nous essayons de savoir comment nos différents partenaires européens réagissent à l'idée d'une continuation de certaines méthodes.

M. Jürgen PETERS : En ce qui concerne la réduction des horaires de travail, je me réfère à la page 9 de la brochure qui fait état d'une réduction des horaires de travail de 20 %, ce qui signifiait, dans un premier temps, une diminution du salaire de 20 %.

Il s'agissait, en fait, d'un chômage partiel ; personne n'aurait accepté de renoncer à 20 % de salaire. Nous avons essayé de " gratter " absolument partout. Nous n'avons pas pu maintenir le revenu annuel, mais nous avons pu maintenir le salaire mensuel dont dépendent les dépenses mensuelles des ménages. Nous avons transformé en heures de travail toutes les augmentations éventuelles. Nous avons capitalisé toutes les heures de travail ; l'employeur a apporté sa contribution pour pouvoir maintenir le salaire mensuel.

Le volume d'emplois, à l'époque, baissait. Il n'y avait plus d'heures supplémentaires, donc ce problème ne s'est pas posé. Personne n'en tenait compte comme un élément obligatoire de son salaire.

C'est pour cette raison que nous avons aussi convaincu le patronat. En effet, si nous prenions les 1,7 milliards d'heures supplémentaires en Allemagne et que nous y appliquions le système que nous avons prévu, cela permettrait de réinsérer dans le circuit du travail 100 000 chômeurs. Ces 100 000 personnes ne seraient plus payées par les caisses de chômage, elles acquitteraient l'impôt, ce qui ferait baisser les contributions sociales. Il y aurait globalement une amélioration significative si chacun jouait le jeu, mais je crains qu'un certain nombre d'entreprises ne veuillent pas le faire, leur seul problème étant de payer leurs contributions à l'assurance chômage.

Je voudrais revenir, encore une fois, sur les effets de cette mesure.

En page 8 de la brochure, à gauche, figure un graphique réalisé par mon collègue qui a essayé de résoudre les délicats problèmes des revenus et de l'acceptation des solutions par les salariés.

Il a expliqué à l'entreprise ce que signifierait l'inverse des mesures proposées. Nous avons illustré la situation en représentant 20 % de sièges non occupés, de sorte que chacun pouvait imaginer quelle serait son opinion s'il était directement concerné.

Le problème qui se pose est de savoir si Volkswagen peut se permettre de faire cavalier seul. Vous me pardonnerez d'être un peu polémique, mais tous les malheurs du monde ont leur sens !

En page 15 de la seconde brochure, nous avons représenté un phénomène qui n'est pas nécessairement lié à l'introduction de la semaine de quatre jours.

Sur un graphique " Volkswagen sur la voie du succès ", on constate qu'entre 1990 et 1993, Volkswagen enregistre une baisse de ses recettes. Nous ne prétendons pas que la semaine de quatre jours a permis de redresser la situation, mais nous avons constaté que grâce à la garantie d'emploi, les salariés étaient plus disposés à travailler pour l'entreprise. Il doit exister une concordance entre les deux phénomènes, et personne n'envisage de revenir sur l'organisation de la semaine de quatre jours.

M. Bernd OSTERLOH : En 1994, à Wolfsburg, après la semaine de quatre jours, nous avons mis en oeuvre les 28,8 heures de travail en 140 organisations de travail ou " modèles ".

Ces modèles sont différents selon les unités ; dans certaines unités de production, nous sommes devenus encore beaucoup plus souples. Nous sommes partis des huit heures, douze heures, quatorze heures de travail pour, notamment, des modèles de 4 fois 6 heures. Nous avons réduit les horaires journaliers. Au lieu de commencer à 5 heures 30, nous avons commencé à 7 heures, ce qui signifie une durée de travail réduite, mais avec des salariés plus performants. Le fait que la dernière équipe ne finissait plus à 23 heures 30 mais à 19 heures a été bien accueilli.

Globalement, la réduction des horaires de travail n'a pas entraîné une rigidité dans l'entreprise. En fait, la flexibilité n'a pas été affectée. Nous avons 140 types d'organisation de la durée du travail dans un seul site. La flexibilité était maintenue avec un travail qui terminait à une heure du matin le samedi matin, ou à minuit ou onze heures le vendredi soir. L'entreprise bénéficiait d'une souplesse accrue.

J'ai apporté quelques documents qui illustrent certains modèles d'organisation : l'un est celui de la semaine de quatre jours, le cinquième jour étant libre ; l'autre présente des modèles de blocs " trois semaines de travail - une semaine de congés " ou " quatre semaines de travail - une semaine de congés ". Certains modèles comprennent une réduction journalière des horaires de travail, la durée hebdomadaire étant de 28,8 heures sur cinq jours.

A l'époque, nous avons pu proposer un modèle de durée du travail qui permettait, au lieu d'attribuer des heures supplémentaires, de réduire les horaires de travail. Auparavant, lorsqu'on travaillait jusqu'à une heure du matin, on était payé pour une équipe complète ; maintenant, au lieu de travailler pendant la durée prévue précédemment, on travaille en équipe de 5 heures seulement pour la dernière équipe. Cette formule bien accueillie n'est pas actuellement mise en pratique en raison de la très forte demande que connaît Volkswagen. Ce modèle sera mis en oeuvre si la conjoncture le demande.

M. Jürgen PETERS : Vous comprenez pourquoi nous parlons d'une entreprise vivante. Grâce à ces formules, l'entreprise, vit et respire au fur et à mesure de ces durées établies en fonction de ses besoins.

Si nous pouvions mesurer le degré de satisfaction, je crois qu'il serait plus important qu'avant la mise en place de ces dispositifs ! Un degré de satisfaction supérieur se traduit par une motivation plus élevée du personnel. Cela signifie une bonne compétitivité.

Si vous vous penchez sur l'évolution du cours de l'action, qui figure à la page 16, vous constatez une hausse extrêmement sensible. Nous n'affirmons pas qu'elle est liée à la réduction des horaires de travail mais nous pensons néanmoins qu'elle a un certain sens : cette réduction a marqué un tournant et l'entrée dans une ère tout à fait nouvelle.

Page 17, vous voyez comment on travaillait en 1987 dans les différentes usines de la marque avec leurs durées moyennes de travail. Ces durées ont en partie été comptabilisées sur les comptes horaires de l'année et pour certaines heures supplémentaires, elles ont été payées.

Votre question sur les aides allouées aux régions en difficulté est délicate.

Les régions en difficulté doivent être aidées par l'Etat. Il faut leur trouver des conditions plus favorables. Nous sommes, en revanche, très réticents à ce que les aides soient assorties de conditions, à ce qu'elles soient accordées, par exemple, uniquement pour les technologies d'avenir (cela pose le problème de la définition), ou si la branche considérée ne souffre pas de surcapacités.

Avant d'occuper mon poste, j'ai longtemps travaillé dans la sidérurgie. Si la sidérurgie le voulait, elle pouvait très bien faire état de ses surcapacités ; si elle s'y refusait, il lui suffisait de dire qu'elle n'en avait pas. Aucune usine, je dis bien aucune, ne peut travailler à 100 % de ses capacités ! La capacité nominale est de 100 % mais dans le monde entier, dans toutes les usines, il y a des surcapacités. On ne pourra pas régler le problème en se basant sur les surcapacités.

Si l'on accepte de compenser les handicaps d'une région, on n'y parviendra pas en subordonnant cette compensation à des conditions précises, sauf, bien sûr, si l'on voit les choses uniquement sur le plan de l'emploi et du chômage. Nous sommes d'accord pour reconnaître qu'il n'y aucun sens, dans une région qui souffre de problèmes d'emploi, à implanter des technologies de pointe qui ne produiront pas de travail. Tout cela reste très difficile à fixer : quels sont les chiffres, à quoi se référer ? A l'échelle européenne, dans la situation actuelle et compte tenu du niveau de la concurrence, personne ne serait favorable à des mesures de ce type.

Jusqu'à présent, je n'ai pas estimé que l'on n'avait pas le droit de verser des aides pour des industries répondant à certaines caractéristiques, par exemple, de surcapacités. Il est extrêmement difficile, en Europe, de reconnaître ces surcapacités ou d'admettre qu'elles pourraient créer une crise.

Il faudrait trouver un système qui fasse l'unanimité au niveau européen, ce qui, de toute façon, serait impossible puisqu'il y a au moins un pays qui s'y opposerait. Sur ce point, j'émets donc des réserves.

M. le Rapporteur : Puisque vous avez l'expérience de la métallurgie, vous savez que la même discussion a eu lieu dans ce secteur voilà une quinzaine d'années. La notion de surcapacité a été définie : l'idée avait été admise que ne pouvaient être créées de nouvelles capacités modernes que si des volumes correspondants, plus anciens, disparaissaient. Certes, il n'y avait pas de concurrence étrangère et aucun producteur étranger d'acier n'envisageait de s'installer en Europe.

Concernant les aides à apporter aux régions en difficulté, je suis totalement d'accord avec vous. Ma question visait des aides à des implantations extra-européennes. Pour être clairs, devons-nous aider les Japonais et les Coréens à s'installer dans des régions en difficulté ?

M. Jünger PETERS : Personnellement et instinctivement, je partage votre sentiment. Une telle attitude revient à donner de l'argent à quelqu'un. Le problème est le suivant : si vous avez une région en difficulté, et si vous faites une demande, elle s'applique à tous !

Si vous trouvez une solution qui permettrait de prendre comme échelle la performance d'une entreprise pour éviter que l'on ne perde pas trop d'argent en lui donnant une somme supérieure à celle dont elle a besoin, cela me conviendrait beaucoup mieux. Mais je suis certain que, politiquement, ce n'est pas défendable.

Toyota a également fait acte de candidature en Allemagne. Il y eut une concurrence active entre les différents maires, chacun pouvant octroyer des exonérations fiscales ou prendre toute autre mesure. Cette concurrence entre les Etats mène chacun d'eux à sa perte. Regardez ce que la Hongrie a fait avec Audi, c'est une catastrophe au niveau national ! Il y a eu des réductions fiscales importantes. On a alloué des aides supplémentaires à un groupe extrêmement rentable.

Je ne veux pas de systématisation. Vous avez dit : l'Europe, oui, l'extra-européen, non ! Pour moi, c'est une distinction qui n'est ni logique, ni cohérente ! Je sais que c'est justifié parce que le Japon se protège et continuera à se protéger après 1999, et que les Etats-Unis, eux aussi, vont construire une barrière protectrice. Mais c'est autre chose que de dire, en matière de politique structurelle, qu'on pose des conditions et que seuls peuvent être candidats ceux qui les remplissent. Je suis, pour le moment, assez réservé.

M. Philippe DURON : Je voudrais savoir si la réduction d'horaires s'applique indifféremment aux agents de production et à l'encadrement.

M. Jürgen PETERS : Question difficile... En principe, la réduction des horaires s'applique à tous, de la base jusqu'à la tête de l'entreprise. Cela n'aurait en effet pas de sens que les petits la subissent et pas les grands. En fait, les cadres dirigeants, à partir d'un certain niveau, sont priés de travailler un peu plus longtemps et c'est un souhait auquel il leur est difficile de résister : leur contrat de travail stipule que leur rémunération ne couvre pas une tranche horaire précise.

Sur un plan formel, tout le monde a 28,8 heures hebdomadaires, mais il est évident que les cadres dirigeants en effectuent plus ! J'ignore combien de personnes sont concernées. Le contrat des cadres prévoit un certain nombre d'heures supplémentaires qui sont incluses dans la rémunération et qui ne sont pas payées de manière particulière. Les dirigeants bénéficient d'autres avantages : cela a commencé par la voiture de service, puis la seconde voiture de service pour l'épouse du dirigeant... Ces avantages sont une forme de compensation : dans ce cas-là, il faut avoir une femme ! (Rires.)

M. Michel MEYLAN : Nous avons actuellement un débat sur les 35 heures. Il y a quelques semaines, on pouvait lire dans un journal allemand que si la France adoptait cette politique, ce serait bon pour l'Allemagne. Qu'en pensez-vous ?

M. Jürgen PETERS : Un congrès international sur le durée du travail s'est tenu récemment au Japon. Nous avons essayé de convaincre nos collègues japonais qu'eux aussi devraient apporter leur contribution à la lutte contre le chômage dans les pays du monde entier.

Ce que vous proposez est exemplaire. En Allemagne, il y a des tendances à augmenter la durée du travail. Le Gouvernement lui-même irait dans ce sens. En même temps, tout le monde s'accorde à reconnaître que Volkswagen est un modèle réussi : personne n'explique comment sortir de cette contradiction !

Nous estimons que le passage à la semaine de 35 heures est indispensable dans tous les pays qui ont un certain niveau de production. Les taux de productivité de l'industrie, en effet, ne seront pas compensés par les taux de croissance et les gains de productivité, notamment dans le domaine des services, ne créeront pas suffisamment d'emplois pour assurer une compensation.

La répartition du travail doit se faire sur la base d'une échelle unique. Chez nous, le passage aux 32 heures sera discuté dans des branches importantes.

En Basse-Saxe, nous avions entamé des discussions de ce type que Gesamt metall a bloquées. Nous avions proposé à titre expérimental que les salariés - ou une partie d'entre eux - passent entièrement à 29 heures, en contrepartie de recrutements. C'est possible, non pas dans toutes les branches, mais dans un grand nombre d'entre elles.

Le patronat, au niveau régional, était prêt à réfléchir à cette solution et à expérimenter ce modèle. Mais Gesamt metall s'y est opposé. Nous verrons si, en 1999, ce problème reviendra à l'ordre du jour.

Tous les pays ont un problème de productivité : les taux de croissance ne seront pas suffisamment élevés pour rattraper les gains de productivité.

En Allemagne, aucun économiste ne conteste le chiffre de 3% de croissance économique pour maintenir constant le taux de chômage. Même si la République fédérale pouvait organiser une telle croissance, il conviendrait de se demander : " une croissance, pourquoi ? " La question de la qualité de la vie se pose.

Nous continuerons donc en Allemagne à réfléchir à la manière la plus judicieuse de partager le travail.

La réduction du travail a été admise, même par les conservateurs, puisque, en fait, la réduction des horaires pour les salariés les plus âgés, c'est bien cela ! Le Gouvernement réclame davantage de temps partiel, ce qui équivaut à demander la réduction du temps de travail pour les personnes qui peuvent se le permettre - ce qui n'est pas le cas de la majorité des salariés.

Les conventions collectives réglementent le temps partiel mais il est impossible de tenir avec un revenu aussi faible. Le temps partiel, c'est une question de revenus. La réduction globale des horaires de travail, c'est autre chose. La charge doit être supportée par tous. On peut demander à tous de le faire pour aider les chômeurs. De toute façon, c'est moins cher : nous en avons apporté la preuve avec Volkswagen.

Aujourd'hui, les entreprises qui ont licencié hier se plaignent de ne pas avoir de personnel qualifié ! Il faut donc requalifier les chômeurs, ce qui est extrêmement coûteux. Si le chômeur était resté dans l'entreprise et si tout le monde avait réduit sa durée de travail, il aurait continué à se qualifier en permanence et n'aurait pas été coupé du monde de l'entreprise.

La situation est pire en ce qui concerne les jeunes : tout le monde parle du chômage des jeunes et de ses conséquences terribles, notamment la criminalité. En Basse-Saxe, les entreprises ont été prêtes à proposer 10 % d'emplois de formation pour les jeunes. Il faut les féliciter, même si c'est très peu de chose et que cela a une valeur surtout symbolique.

C'est une responsabilité sociale que doivent prendre les entreprises. C'est un appel que nous leur lançons !

M. le Président : Je voudrais vous remercier. Les préoccupations que vous venez d'évoquer rejoignent celles de tout le monde ici, même si les réponses que l'on peut y apporter sont différentes.

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N° 1064.- Rapport d'information de M. Gérard Fuchs, au nom de la mission d'information commune sur la situation et les perspectives de l'industrie automobile en France et en Europe (2ème partie et auditions).

() Cf. annexe 1.

() Cf. annexe 2.

() Cf. annexe 3.

() Cf. annexe 4.

() Cf. annexes 5, 6 et 7.

() Cf. annexe 8.

() Cf. annexe 9.

() Cf. annexe 10.

() cf. annexe 1.

() cf. annexe 2.

() cf. annexe 3.

() cf. annexe 4.

() cf. annexe 5.

() cf. annexe 6.

() cf. annexe 7.

() cf. annexe 8.

() cf. annexe 9.

() Cf. annexe 1

() Cf. annexe 2.

() Cf. annexe 3.

() Cf. annexe 4.

() Cf. annexe 5.

() Cf. annexe 6.

() Cf. annexe 7.

() Cf. annexe 8.

() Cf. annexe 9.

() Cf. annexe 10.

() Cf. annexe 11.

() Cf. annexe 12.

() Cf. annexes 1 et 2.

() Cf. annexe 2.

() cf. annexe 1.

() cf. annexe 2.

() cf. annexe 3.

() cf. annexe 4.

() cf. annexe 5.

() cf. annexe 6.

() cf. annexe 7.

() cf. annexe 8.

() cf. annexe 9.

() cf. annexe 10.