N° 1384

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale 10 février 1999

RAPPORT D'INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l'article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES FORCES ARMÉES (1)

sur les relations entre la Nation et son armée,

ET PRÉSENTÉ

PAR M. Bernard GRASSET,

Député.

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(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

Défense.

La commission de la défense nationale et des forces armées est composée de : M. Paul Quilès, président ; MM. Didier Boulaud, Jean-Claude Sandrier, Michel Voisin, vice-présidents ; MM. Robert Gaïa, Pierre Lellouche, Mme Martine Lignières-Cassou, secrétaires ; MM. Jean-Marc Ayrault, Jacques Baumel, Jean-Louis Bernard, André Berthol, Jean-Yves Besselat, Bernard Birsinger, Jacques Blanc, Jean-Marie Bockel, Loïc Bouvard, Jean-Pierre Braine, Philippe Briand, Jean Briane, Antoine Carré, Bernard Cazeneuve, Gérard Charasse, Guy-Michel Chauveau, Alain Clary, Charles Cova, Michel Dasseux, Jean-Louis Debré, François Deluga, Claude Desbons, Philippe Douste-Blazy, Jean-Pierre Dupont, François Fillon, Christian Franqueville, Roger Franzoni, Yves Fromion, Robert Gaïa, Yann Galut, René Galy-Dejean, Roland Garrigues, Henri de Gastines, Bernard Grasset, Elie Hoarau, François Hollande, François Huwart, Jean-Noël Kerdraon, François Lamy, Pierre-Claude Lanfranca, Jean-Yves Le Drian, Georges Lemoine, François Liberti, Jean-Pierre Marché, Franck Marlin, Jean Marsaudon, Christian Martin, Gilbert Meyer, Michel Meylan, Jean Michel, Charles Miossec, Alain Moyne-Bressand, Arthur Paecht, Jean-Claude Perez, Robert Poujade, Michel Sainte-Marie, Bernard Seux, Guy Teissier, André Vauchez, Alain Veyret, Philippe de Villiers, Jean-Claude Viollet, Pierre-André Wiltzer, Kofi Yamgnane.

INTRODUCTION 5

I. - LE LIEN ENTRE LA NATION ET SON ARMÉE 7

A. LA GENÈSE DU LIEN ARMÉES-NATION 7

B. LA CÉSURE INDUITE PAR LA PROFESSIONNALISATION 10

C. L'IMPACT DES RESTRUCTURATIONS 13

D. L'AFFAIBLISSEMENT DE LA CONSCIENCE CITOYENNE FACE À L'ÉVOLUTION DU CONCEPT DE DÉFENSE NATIONALE 15

E. LE CARACTÈRE PEU ATTRACTIF DES CONCEPTS STRATÉGIQUES 17

F. LE RISQUE DE REPLI SUR SOI DE L'INSTITUTION MILITAIRE 19

II. - CONFORTER LE LIEN NÉCESSAIRE ENTRE LA NATION ET SON ARMÉE 21

A. RAPPROCHER LA NATION DE SON ARMÉE 21

1. Mieux faire connaître l'institution militaire 22

a) Former aux questions de Défense 22

b) Multiplier les contacts entre l'institution militaire et la société civile 24

2. Favoriser l'insertion des militaires dans leur environnement civil 27

a) Associer les militaires à la vie de la Cité 27

b) Consolider la présence de militaires dans le tissu associatif 28

c) Les personnels civils et la sous-traitance constitueront un trait d'union avec la société civile 29

3. Insister sur le lien entre défense et citoyenneté 31

a) Impliquer le citoyen dans la vie de l'institution militaire 31

b) Eviter le dessaisissement du politique au profit d'experts 31

B. RAPPROCHER L'ARMÉE DE LA NATION 33

1. Une formation ouverte sur la citoyenneté 34

a) Les dispositifs visant à sensibiliser les militaires aux valeurs républicaines 35

b) La formation initiale et continue des militaires 38

c) Maintenir la formule originale du Service militaire adapté dans les D.O.M. - T.O.M. 39

2. Une institution ouverte sur la société civile 40

a) rénover les modes d'expression des militaires 41

b) promouvoir une mobilité professionnelle entre civils et militaires 42

c) Permettre une meilleure insertion des militaires dans les activités civiles 42

d) Accentuer la féminisation des armées 43

3. Une gestion prévisionnelle des fins de carrières pour faciliter la réinsertion professionnelle 44

CONCLUSION 45

QUARANTE-HUIT PROPOSITIONS POUR RENFORCER LE LIEN ENTRE LA NATION ET SON ARMÉE 47

EXAMEN EN COMMISSION 57

ANNEXE : LA NATION, QUELQUES DÉFINITIONS 65

MESDAMES, MESSIEURS,

La professionnalisation des armées et son corollaire, la suspension du service militaire, peuvent-elles avoir pour conséquence inéluctable la disparition des liens entre la Nation et son armée ?

Cette question est aujourd'hui au centre des réflexions qui animent non seulement la communauté militaire, mais aussi toutes celles et tous ceux pour qui la sécurité et la paix dans le monde constituent un réel sujet de préoccupation, ou qui, le plus souvent, s'interrogent sur les conséquences pour la démocratie, d'une telle éventuelle séparation.

La Nation -encore conviendrait-il d'expliciter ce concept- risque-t-elle de se désintéresser d'une armée, moins présente sur le territoire en raison de son format réduit ? Ce risque sera-t-il plus grand dès lors qu'elle ne sera plus irriguée par le flux des conscrits. La défense, si présente hier, alors que pesait sur nos frontières directes et sur les relations internationales le poids d'un affrontement Est-Ouest, deviendra-t-elle apparemment moins utile compte tenu de la disparition d'une menace géographiquement précisée ? L'engagement de nos armées dans des opérations extérieures aux contours incertains, pouvant, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui, faire l'objet de controverses dans l'opinion publique, sera-t-il de nature, demain encore, à susciter l'adhésion des citoyens dans une société où se développe individualismes et particularismes pouvant nuire à la cohésion de la collectivité. La défense des intérêts vitaux du pays, notion complexe dont le sens échappe souvent à la compréhension des Français, est-elle à même, à défaut de compréhension suffisante de ces concepts, de mobiliser en faveur des armées une conscience citoyenne qui admet difficilement qu'en temps de paix l'Etat consente à sa défense les moyens conséquents ?

L'armée, isolée dans ses casernes et ses bases, coupée du reste du pays, ne risquerait-elle pas, si tel était le cas, de se refermer sur elle-même, avec le risque, comme le soulignent d'ailleurs quelques militaires, soit d'inadaptation à la société moderne et à ses enjeux, soit de tentation extrémiste, comme on l'entend ici ou là ? L'armée ne risquerait-elle pas, non plus, de se considérer comme l'ultime gardienne de valeurs et d'un intérêt national qui transcenderaient les structures démocratiques du pays ? Cette éventualité ne parait pas être aujourd'hui une réelle menace ; cependant le maintien d'un lien étroit entre la Nation et son armée apparaît certainement comme l'un des meilleurs remparts à une telle dérive.

C'est à cette problématique que tendent de répondre un grand nombre d'articles, de colloques et de séminaires. Le phénomène n'est pas seulement français et se retrouve dans la plupart des pays européens confrontés à la fin de la conscription (Espagne, Italie, Allemagne).

L'objet de ce rapport que m'a confié votre Commission de la Défense nationale et des Forces armées, est de tenter, si ce n'est d'apporter des réponses précises à toutes ces interrogations, de présenter plutôt un certain nombre de solutions pragmatiques, voire de recettes, susceptibles sinon de "refonder", terme cher à l'armée de Terre, du moins d'entretenir le lien nécessaire entre la Nation et ses armées.

L'élaboration de ce rapport a été l'occasion de rencontrer de nombreux acteurs de la société non seulement militaire, officiers, sous officiers et militaires du rang, mais aussi civile, responsables consulaires et élus ; leur connaissance et leur pratique quotidienne des relations entre les armées et la Nation m'ont non seulement permis d'enrichir mes réflexions, mais aussi de constater que s'il est certes possible et souhaitable de resserrer le lien entre la Nation et son armée, celui-ci est une réalité qui plonge ses racines au plus profond de la citoyenneté. Qu'ils en soient tous remerciés.

Ma gratitude va aux administrateurs de la commission de la Défense nationale, et tout particulièrement à Philippe Pelletier, dont l'amicale et fructueuse coopération m'a été infiniment précieuse.

I. - LE LIEN ENTRE LA NATION ET SON ARMÉE

L'histoire des relations entre la Nation et son armée ne peut être détachée de la conscience citoyenne qui suppose que la population accepte de consacrer un effort individuel et collectif à la défense des intérêts nationaux, en particulier celle du territoire national, et adhère pleinement à ces objectifs.

Depuis la Révolution, cette adhésion populaire a connu de nombreuses fluctuations, liées notamment à la perception des diverses menaces pesant sur le pays et à celle que le citoyen se faisait de l'armée de la Nation, à laquelle il était étroitement associé par l'accomplissement du service militaire, jusqu'à sa suspension le 1er janvier 1998, suite à l'annonce par le Président de la République le 22 février 1996 de sa décision de professionnaliser les forces armées françaises.

Face à cette mutation sans précédent de l'appareil de défense français, nombreuses sont les interrogations portant sur la réaction de l'opinion publique qui s'était accordé jusqu'à présent en faveur d'un mouvement consensuel national sur les questions de Défense. La suspension de la forme militaire du service national provoque une rupture dans la connaissance que les Français ont de l'institution militaire. Ils n'auront plus ce vécu commun qui, au-delà de l'individu, a pu rassembler ceux qui ont partagé des expériences similaires dans un milieu particulier. L'ensemble de la Nation était concerné par l'appel sous les drapeaux du contingent, que ce soient les appelés, leur entourage familial et amical et les professionnels. Cette nouvelle donne conduit naturellement à s'interroger sur l'avenir du lien entre la Nation et son armée.

A. LA GENÈSE DU LIEN ARMÉES-NATION

Le lien entre la Nation et son armée est, manifestement, plus d'ordre mythique qu'historique ; l'expression " Armée-Nation " ne prend d'ailleurs naissance qu'à la fin des années 1970, alors que la notion de " défense nationale " est apparue progressivement à partir de la fin du siècle dernier, par extension d'un concept d'origine militaire, soulignant la dimension de résistance militaire de l'ensemble de la Nation face à une agression extérieure du territoire national.

Les soldats de Valmy étaient des professionnels et des volontaires, et non des conscrits ; sans doute convient-il de souligner qu'à cette période de l'histoire, le sentiment du public à l'égard de la guerre est fondamentalement différent de celui qui prévaut aujourd'hui. La recherche et le maintien de la paix et non l'esprit de conquête ou de revanche sont progressivement devenus un objectif assigné à l'ensemble de la classe politique, tant au plan national qu'international.

La conscription ne fut d'ailleurs réellement établie qu'en 1798. Elle devait être supprimée peu de temps après son instauration, en 1814. Le tirage au sort remplaçait alors la conscription et la hantise du " mauvais numéro " qu'on pouvait vendre à plus pauvre que soi, augurait mal du patriotisme de nos concitoyens.

Les débuts de la IIIème République sont marqués par une méfiance réciproque entre la jeune démocratie et son armée : se mêlent les souvenirs de la défaite de 1870, la sanglante répression de la Commune, les interventions de l'armée dans les conflits du travail, l'affaire des congrégations, et, à un moindre degré l'affaire Dreyfus, dont les enseignements n'apparaîtront que plus tard.

Le principe de la nation en armes, magnifié par le mythe de l'an II, et par la réécriture partielle de l'Histoire de France, tient surtout à la réponse apportée par la France citoyenne au conflit franco-prussien de 1870. Bien que les raisons en soient complexes, la loi de 1905 sur le service militaire universel ne rencontra pas de fortes oppositions (Jaurès, quant à lui, aurait préféré un système de milices populaires qui, d'ailleurs, sera utilisé beaucoup plus tard, par des pays en lutte pour leur indépendance).

L'idée de la nation en armes ne fut réelle qu'entre 1905 et 1940 ; elle ne fut acceptée par tous que jusqu'à la Grande Guerre.

L'année 1918 connut la victoire d'une nation à dominante paysanne, conduite au feu par des sous-lieutenants le plus souvent instituteurs ou normaliens : le mythe était alors à son apogée. Il passait sous silence les tueries inutiles, le manque d'imagination des états-majors et l'efficacité de la supériorité technique due à l'entrée en guerre des Etats-Unis aux cotés des armées du vieux continent qui n'avaient pas hésité d'ailleurs à recourir à leurs colonies pour accroître les besoins toujours grandissants en effectifs nécessités par une guerre meurtrière, qui laissa exsangues vainqueurs et vaincus.

Déjà perçait l'idée d'une " armée de métier ", a priori plus efficace, moins coûteuse en vies humaines, en un mot plus intelligente aux yeux de ses promoteurs.

L'Allemagne sut greffer sur l'armée de son peuple la supériorité technique et stratégique, plus encore sans doute que le fanatisme militaire ou nazi qui bien qu'accepté sans grande résistance, fut cependant minoritaire. L'Europe allait, pendant près de cinq longues années, éprouver les conséquences de l'avantage stratégique dont avait su se doter son belliqueux voisin, face au camp passéiste des dirigeants politiques et de l'Etat-major français.

La guerre de mouvement imposée par les Allemands, en 1940, donnait cruellement raison aux conceptions innovantes du Colonel de Gaulle qui avait tenté de faire prévaloir, sans succès, ses vues quant à l'indispensable mobilité du corps de bataille.

L'Armée française qui devait par ailleurs gérer les suites des hécatombes et les séquelles de la guerre de 14-18 allait être confrontée à de nouveaux revers de popularité à l'issue de la première phase de la Seconde guerre mondiale qu'elle avait entamée sans grand enthousiasme. La signature d'un armistice dont les chefs militaires cherchèrent à faire supporter la responsabilité par le pouvoir politique, ne put empêcher une perte de confiance de la population dans l'armée et dans ses dirigeants.

Les combats de la Résistance auxquels prirent part nombre d'officiers, les batailles conduites par les Forces Françaises Libres aux cotés des alliés, gommèrent la mauvaise impression laissée par l'armée de la débâcle. Le plus bel exemple de cette véritable " refondation " de nos armées réside, sans conteste, dans " l'amalgame " réalisé par le Général de Lattre de Tassigny entre les 200 000 combattants d'Afrique du Nord et les 130 000 maquisards de la 1ère Armée Française. Son rôle dans la libération de la France et l'écrasement du nazisme a, sans aucun doute, largement contribué à la réhabilitation de l'armée dans l'opinion publique française.

La guerre froide, la décolonisation, le conflit d'Indochine, puis celui d'Algérie transformèrent profondément la perception qu'avait la population française de son armée, comme ils affectèrent celle qu'avaient les militaires de la société civile. Les frustrations et l'amertume nées de la guerre d'Indochine éclairent les attitudes du conflit algérien, du 13 mai 1958 au putsch des généraux. La guerre avait-elle été gagnée sur le terrain, si tant est qu'une guerre d'indépendance se gagne ou se perde uniquement sur le terrain ?

L'accession à l'indépendance de l'Algérie marquait une étape importante dans l'histoire des relations entre la nation et l'armée. Une page décisive se tournait ; à partir de 1963, l'Armée allait connaître une profonde et salutaire réorganisation.

Les restructurations de l'outil militaire français et sa modernisation lui permirent de rejoindre efficacement le camp occidental dans sa lutte contre la menace est-européenne, représentée par les armées du Pacte de Varsovie, et qui constituait alors l'objectif prioritaire assigné à l'ensemble des forces des pays membres de l'Alliance atlantique. Dans un même temps, le Général de Gaulle développait les signes politiques et les instruments technologiques de l'indépendance nationale.

Dans ce contexte politico-militaire complexe, l'armée est devenue progressivement une institution acceptée et reconnue, non seulement par l'essentiel des composantes politiques, mais aussi par une large partie de la population -sans doute, la personnalité charismatique du Chef de l'Etat qui affichait volontiers son appartenance à l'institution militaire n'y est-elle pas totalement étrangère- la défense faisait désormais l'objet d'un consensus pouvant être diversement interprété. Les principes de la dissuasion nucléaire, sur lesquels devaient dogmatiquement camper nos stratèges, paraissaient acceptés de tous. Les liens entre les armées et la Nation se matérialisaient notamment par le service militaire auquel les jeunes Français devaient se plier. Il permettait ainsi à une armée qui profitait d'un certain confort matériel, fonction de l'importance de sa mission face à la menace à l'est, de conserver un lien réel et permanent avec le pays.

L'armée de conscription qui, parce qu'elle constituait l'ultime recours de la dissuasion, trouvait une place fondamentale dans la stratégie française, était alors devenue l'un des socles idéologiques du dispositif national de défense.

B. LA CÉSURE INDUITE PAR LA PROFESSIONNALISATION

Les bouleversements géostratégiques induits par la chute du mur de Berlin et par la dislocation de l'Union soviétique allaient considérablement modifier les données de la conscription. Le service national ne répondait, dés lors, plus qu'imparfaitement aux besoins de la défense et ses imperfections apparaissaient plus criantes, ce qui posait avec acuité la question de son maintien en l'état.

L'implosion du monde soviétique, les risques de balkanisation, les guerres civiles et les conflits ethniques que ne contrôlaient plus les deux grands et dans lesquels l'Organisation des Nations Unies a très vite montré ses limites, ainsi que la sophistication permanente des armes développées, sans parler du déploiement de systèmes de renseignements d'origine spatiale s'affranchissant des normes juridiques internationales, démontraient à l'envie la pertinence du passage de l'armée mixte à une armée professionnelle.

Les nouveaux impératifs de sécurité, définis notamment par le Livre Blanc sur la Défense, mettaient en évidence la caducité du système de défense français. La multiplication des conflits régionaux, éventuellement sources de menaces pour les intérêts nationaux et auxquelles la France est susceptible de s'intéresser, y compris dans le respect de ses engagements internationaux, ne pouvait que conduire à une profonde réorganisation de son outil de défense conventionnel. Les exigences de disponibilité et de mobilité auxquelles doit désormais répondre une armée moderne, de même que la complexité des missions confiées aux forces armées conduire naturellement à envisager d'apporter par la professionnalisation une réponse adaptée à la nécessaire évolution de l'armée française.

Qui plus est, les conditions dans lesquelles les jeunes Français étaient appelés à remplir leurs obligations militaires ne répondaient plus aux principes d'égalité et d'universalité qui auraient dû présider à l'accomplissement du service national. Les hasards des affectations et les nombreuses interventions auxquelles elles donnaient lieu, la multiplication des formes civiles conduisaient, de fait, à faire perdre peu à peu au service national son double rôle de lien entre la Nation et son armée et de brassage social. Les critères de sélection requis pour effectuer l'une des nombreuses formes civiles, qui représentaient en 1996 environ 15,5 % du contingent, excluaient les jeunes les plus défavorisés qui perdaient ainsi une ultime possibilité d'insertion, alors que le service national constituait pour beaucoup un facteur de qualification et de formation professionnelle.

C'est dans ce contexte particulier qu'est intervenue la décision du Président de la République de professionnaliser les forces armées. Logiquement, après l'annonce faite aux Français par le Président Jacques Chirac, le législateur a été conduit à suspendre l'exercice de la forme militaire du service national. Cette mesure aura pour conséquence, à court terme, une raréfaction de la proportion de citoyens ayant été en contact direct avec ce qui pose avec une acuité accrue la question d'une évolution des relations entre la Nation et son, ou plutôt, ses armées.

Bien que décrié pour son caractère inégalitaire, l'appel sous les drapeaux du contingent permettait, chaque année, à une proportion non négligeable de jeunes gens d'être confrontés au milieu militaire. Sans doute, la durée relativement courte d'un service militaire, ponctué, chaque semaine, par les départs en permission ne permettait-elle pas la nécessaire immersion des jeunes conscrits dans le monde militaire. Nombreux aussi étaient ceux qui considéraient que les quelques mois passés à accomplir leurs obligations militaires pouvaient s'apparenter à du temps perdu, mais il convient toutefois de se souvenir, aujourd'hui, du rôle social et intégrateur que pouvait également jouer le service militaire. Relisons " le rôle social de l'officier " de Lyautey. En effet, l'accomplissement des obligations militaires s'est révélé être le moment privilégié au cours duquel un certain nombre de nos compatriotes ont acquis, grâce à la participation de l'institution à la lutte contre l'analphabétisme et l'illettrisme, ces rudiments de la langue française, indispensables non seulement à l'insertion professionnelle, mais aussi à l'intégration sociale.

Le processus de professionnalisation des armées, entamé désormais depuis quelques années, sera-t-il de nature à induire un desserrement du lien entre la Nation et son armée ?

Les réformes en cours, institution d'une journée d'appel de préparation à la défense (A.P.D.), sensibilisation aux questions de défense dans les collèges et lycées, mais aussi dans les différentes structures de l'enseignement supérieur, rénovation des différentes préparations militaires, création d'un volontariat dans les armées, maintien sous une forme renouvelée du service militaire adapté dans les Départements et Territoires d'outre-mer et rénovation des réserves, permettront-elles de conserver un vivier suffisant de personnes en contact avec l'institution militaire et susceptibles de servir de trait d'union entre la société militaire et la société civile et d'être en quelque sorte les ambassadeurs entre le sous ensemble de la Nation que constitue la communauté de Défense et l'ensemble plus global que représente cette dernière.

La professionnalisation des forces armées a également pour conséquence d'accroître de façon particulièrement sensible le nombre des personnels civils et militaires servant dans les armées, personnels qui ne pourront, par conséquent, qu'être sensibilisés aux questions de Défense, dans la mesure où elles auront connues l'institution militaire de l'intérieur. Cet accroissement des effectifs aura pour conséquence directe une augmentation de la population ayant une approche réelle, et plus approfondie, des affaires de défense.

Le retour à la vie civile des militaires en fin de contrat constitue une question d'une importance capitale. Les conditions dans lesquelles s'effectuera ce changement d'état prescriront la nature des messages qu'ils délivreront sur la forme particulière de servir la Nation qui aura été la leur pendant leur présence dans les armées de la République. Pour peu que l'expérience professionnelle acquise pendant leur carrière militaire, leur formation et les valeurs qui leur auront été transmises soient à même de constituer de sérieuses références, ils devraient être en mesure de devenir des vecteurs efficaces de l'esprit de défense, sous réserve que leur passage, plus ou moins long, au sein de l'institution et leur reconversion se révèlent des expériences positives.

Les difficultés que connaissent actuellement les forces armées à pourvoir, dans des conditions optimales, leurs besoins en personnels civils pourraient, si elles devaient connaître des prolongements durables, faire peser une hypothèque sérieuse sur la capacité de ces personnels et de leur entourage à constituer, elles aussi, un relais efficace entre la Nation et son armée. Ces vacances de postes constituent souvent une source d'interrogations pour les populations des bassins d'emploi concernés qui comprennent mal les raisons administratives réelles qui conduisent le ministère de la Défense à ne pas autoriser le recrutement d'une main d'oeuvre locale, alors que celle-ci est à la recherche d'emplois.

C. L'IMPACT DES RESTRUCTURATIONS

La réduction de format, induit, tant par l'évolution du contexte géostratégique que par la décision de professionnaliser les forces armées, a conduit le Gouvernement à mettre en oeuvre une nécessaire et ambitieuse politique de restructuration de l'appareil de Défense. Elle concerne l'ensemble de l'outil français de Défense, qu'il soit militaire ou industriel, que ce soit l'implantation des diverses unités militaires sur le territoire national que l'outil industriel chargé de fournir en matériels modernes des forces armées qui se doivent de disposer d'équipements en rapport avec le rôle et les missions que la France entend leur confier

Aux termes de la loi de programmation militaire 1997-2002, les effectifs de l'ensemble des personnels de la Défense, civils et militaires confondus, devraient enregistrer une diminution importante, puisqu'ils passeront de 573 081 en 1996 à 440 206 à l'horizon 2002, soit une déflation de 23,2 %. Cette baisse conséquente des effectifs nécessita d'opérer corrélativement une profonde réorganisation de la répartition territoriale des unités des trois armées, de la Gendarmerie et des services de soutien, se traduisant par des mesures de dissolutions de régiments, de regroupements et de transferts d'unités.

Les conséquences de ces réorganisations pèseront différemment sur les différentes composantes de la Défense et sur les régions françaises ou se sont développées historiquement des activités centrées autour de la présence ou des besoins militaires.

Malgré les efforts déployés pour prendre en compte les contraintes liées à l'aménagement du territoire, les restructurations des forces auront inévitablement pour effet d'accroître la " furtivité " des militaires dans l'environnement quotidien de la population ; phénomène qui pourra localement instituer de véritables zones démilitarisées. Les habitants de ces déserts militaires n'auront plus alors qu'une perception virtuelle et inévitablement déformée de l'armée et de ses missions à travers les retransmissions télévisées du défilé du 14 juillet, les reportages événementiels des journaux audiovisuels, les spots publicitaires vantant les mérites de l'engagement, d'ailleurs concurrentiel entre les différentes armées, ou encore les films, pour la plupart portant sur des armées étrangères, mettant en scène des versions romancées de la vie et des actions militaires.

Ce dernier point ne saurait être précipitamment écarté. En effet le développement et le rôle joués par l'information dans notre société moderne conduisent à accorder une attention particulière à la place réservée aux médias dans la perception des armées et de la société militaire par la population. La propension naturelle des médias à sacrifier à l'événementiel et au caractère accrocheur de l'information pourrait, à terme, véhiculer une image tronquée des réalités de la défense. Chacun a en mémoire les images chocs retransmises par une chaîne télévisée américaine sur les frappes chirurgicales opérées lors du conflit avec l'Irak, le débarquement des forces américaines de l'ONUSOM sur une plage à proximité de Mogadiscio, images qui s'apparentaient beaucoup plus à des campagnes de promotion internationale de l'Etat qui les avait mises à la disposition de l'Organisation des Nations Unies qu'à une information objective des opinions publiques. N'y a-t-il pas lieu de s'interroger sur les éventuelles possibilités de désinformation ou de manipulation des populations en faveur ou en défaveur de l'armée dans des situations de crise.

L'armée de Terre, parce qu'elle accueillait la majorité des appelés du contingent, est au premier chef concernée par le vaste mouvement de restructurations de l'outil de défense. Les forces terrestres, bien qu'historiquement concentrées dans la partie orientale, étaient géographiquement implantées sur la quasi-intégralité du territoire national. Les réorganisations qui affectent sa structure et son format conduiront à une raréfaction de la présence militaire, certaines zones se transformant d'ailleurs en de véritables déserts militaires. Bien que moins touchées par ce phénomène, car plus professionnalisées, la Marine et l'armée de l'Air auront également une présence moindre au contact direct des populations.

Il en va différemment de la Gendarmerie. Bien qu'elle relève, au même titre que les trois autres armées du ministère de la Défense, force est de constater qu'elle n'est pas perçue comme telle par l'ensemble de la population. Par ailleurs, ses missions la contraignent à être présente, malgré ses propres réaménagements, en de multiples points du territoire, ce qui en fait un élément permanent de la présence militaire auprès des populations. Enfin, à la différence des trois autres armées et des services de soutien, le processus de professionnalisation conduira à un accroissement non négligeable de ses effectifs, répondant ainsi à une attente des Français pour lesquels la sécurité constitue une préoccupation majeure.

Parallèlement, la forte diminution des crédits consacrés aux dépenses d'équipement des forces armées, alors que se confirme le rétrécissement des marchés à l'exportation, confrontés à une concurrence accrue, affecte directement un secteur industriel traditionnellement important dans l'économie française : celui des industries de défense, réparties en de nombreux sites sur le territoire national et présentes principalement dans cinq régions françaises.

Les difficultés rencontrées aujourd'hui par les entreprises opérant dans ce secteur industriel les ont bien souvent conduites à réduire fortement leurs personnels. L'impact économique et social sur les bassins d'emploi de ces restructurations ne peut laisser indifférent une population déjà sensibilisée aux problèmes du chômage. Dans ces régions, le plus souvent de monoculture industrielle liée aux activités militaires, malgré les mesures prises pour accompagner localement les regroupements d'entreprise, quand ce n'est pas la fermeture de sites industriels, force est de constater que ces restructurations toucheront l'ensemble des acteurs concernés, qui avaient, en travaillant plus ou moins directement pour la défense, une perception plutôt positive de celle-ci.

D. L'AFFAIBLISSEMENT DE LA CONSCIENCE CITOYENNE FACE À L'ÉVOLUTION DU CONCEPT DE DÉFENSE NATIONALE

Le possible relâchement du lien entre la Nation et son armée apparaît avec d'autant plus de force que l'évolution stratégique au cours des dix dernières années est à même d'entraîner une démobilisation, ou à tout le moins une mobilisation moindre, de la vigilance du citoyen pour ce qui touche aux questions liées à la Défense. Cette baisse d'attention pourrait, plus ou moins rapidement, s'y l'on y prend garde, se muer en baisse d'intérêt, hypothèse d'autant plus plausible que le discours officiel accompagnant les modifications ayant affecté les relations internationales se veut rassurant : le Chef de l'Etat, chef des armées, a pu déclarer que : " la France ne connaissait plus de menace directe à ses frontières ".

On peut s'interroger également sur le rôle protecteur et, par certains aspects, démobilisateur de l'arme nucléaire, stratégique ou tactique.

La menace qui était jusqu'alors clairement identifiée à l'Est de l'Europe s'est d'une part éloignée des frontières directes de la France et, d'autre part, diluée en risques difficilement perceptibles. A l'hypothèse d'un conflit majeur supposant la confrontation entre deux alliances militaires en centre-Europe, se sont substitué des risques d'affrontements dispersés, voire des guerres ethniques fratricides auxquelles l'opinion publique ne pourrait accorder qu'un intérêt proportionnel à la couverture médiatique de l'horreur des massacres qu'elles sont susceptibles de déclencher.

Il convient à ce stade de s'interroger également sur la capacité mobilisatrice en direction d'une défense très coûteuse de citoyens, qui sont aussi des contribuables, dés lors que l'armée de leur pays doit s'engager, serait-ce pour des motifs humanitaires, dans l'apaisement de conflits dont ils ne mesurent pas toujours les conséquences sur les équilibres régionaux ou mondiaux. Dans ces conditions, sans toutefois aller jusqu'à considérer que l'absence de menace pourrait nuire au maintien de l'esprit de défense, d'être particulièrement attentif à ce que n'émerge progressivement un désintérêt de la population pour sa défense.

Cette dérive ne doit pas être écartée. En effet, le citoyen, qui n'aura plus été soldat, acceptera-t-il, alors que ses préoccupations le conduisent à se concerter sur la défense de son emploi, la sûreté de son environnement et sa sécurité individuelle et familiale, que l'Etat consacre une part importante de ses ressources budgétaires, donc des impôts qu'il acquitte, à la défense collective. Cette hypothèse parait d'autant plus vraisemblable, qu'il n'a plus qu'une conscience diffuse de la collectivité à laquelle il appartient et envers laquelle il a le sentiment, plus ou moins fondé, d'exercer d'ores et déjà une part de solidarité.

Face à l'inéluctable évolution de notre société occidentale, dans laquelle le travail, inégalement réparti, perd peu à peu de ses vertus fondatrices de l'identité et de la position sociale de l'individu, l'appartenance au corps social et à la Nation, qu'elle induit traditionnellement, ne risque-t-elle pas de s'estomper pour céder la place à une sorte d'égocentrisme forcené qui ne laissera, à l'avenir, que peu de place à la défense des intérêts communs d'un groupe difficilement identifiable et auquel il semblera de moins en moins opportun de tenter de s'agréger ?

Cette situation pourrait se compliquer d'autant plus que le citoyen cernerait avec une difficulté croissante les contours d'une identité nationale qui se dilue lentement dans le double phénomène d'édification européenne et de mondialisation. A fortiori, le concept de défense nationale est-il encore capable de recouvrir un sens, dès lors que celle-ci voit certains de ses fondements s'estomper face à l'émergence tantôt d'une architecture européenne de défense et de sécurité qui s'édifie laborieusement, tantôt d'une alliance transatlantique soumise à des élargissements incessants et incertains et à l'hégémonie américaine.

Force est de constater que nombre de Français comprennent, aujourd'hui, avec difficulté la volonté affichée par leurs responsables politiques de faire en sorte que la France occupe dans le monde de demain, la place et le rôle qui étaient traditionnellement les siens, alors que tout semble se décider ailleurs et sans que leur pays paraisse y jouer un rôle déterminant. Bien qu'indispensable à l'institution d'espace de sécurité, la multiplication d'organisations internationales qui y sont dédiées, ne permet pas une lecture facilement assimilable des efforts déployés pour y parvenir. La complexité des articulations entre ces différentes instances, quand ce n'est pas les rivalités qui les opposent, compliquent, s'il en était besoin, les grands équilibres stratégiques dont les enjeux ne peuvent, dans ces conditions, qu'apparaître obscurs et éloignés des préoccupations quotidiennes.

Qui plus est, si la population accepte volontiers, pour l'instant, de voir les soldats français engagés, sous la bannière de l'Organisation des Nations-Unies, dans des opérations extérieures pour des motifs humanitaires, rien ne permet de penser que la générosité qui dicte aujourd'hui cette attitude se perpétuera à l'avenir. Bien que ces engagements constituent une motivation profonde pour les militaires français qui exercent ainsi le métier qu'ils ont choisi, dans des coalitions où ils sont au contact de forces armées étrangères, il n'est pas impossible qu'émergent dans l'opinion publique, voire dans une certaine partie de la classe politique, des comportements proches de ceux existant outre-Atlantique et qui visent à critiquer le coût et l'opportunité de telles actions.

E. LE CARACTÈRE PEU ATTRACTIF DES CONCEPTS STRATÉGIQUES

La structure de notre outil de défense et son dimensionnement dépendent étroitement des missions dévolues aux forces armées. Ces dernières découlent directement des approches définies par les stratèges qui s'efforceront face à des scénarios prédéfinis de tenter d'apporter les réponses adéquates à des situations de crises ou de conflits auxquels le pays pourrait être confronté et tenté, voire obligé, de répondre militairement.

Le Livre Blanc sur la Défense de 1994 a, face à l'évolution géopolitique, voulu apporter un renouvellement de la stratégie française reposant désormais sur une complémentarité entre les moyens dissuasifs et l'action, donnant ainsi naissance au concept de D 3P, alliant le concept de Dissuasion " à ceux plus conventionnels de Prévention ", de Projection " et de Protection ".

Si le sens de ces concepts apparaît clairement à toute personne familiarisée avec la chose militaire, il échappe à l'entendement commun, qui n'y voit, bien souvent, qu'une succession terminologique destinée à justifier de manière absconse l'utilisation de ressources importantes et l'existence d'une armée dont il perçoit mal la finalité.

Il convient également de s'interroger ici sur le rôle particulier qu'a pu aussi jouer l'existence de la dissuasion nucléaire sur l'intérêt porté par les Français à la défense. Le changement de dimension apporté par l'irruption du possible recours à l'arme nucléaire dans un éventuel conflit, son caractère dévastateur apparaissent comme autant de facteurs ayant pu créer une distanciation entre le citoyen et la défense.

La complexité de la doctrine française de dissuasion du faible au fort, et le flou indispensable à sa crédibilité qui l'accompagne, n'ont, sans doute, pas milité en faveur d'une mobilisation de l'opinion publique sur les questions de défense. Tout laisse à penser, au contraire, que l'arme nucléaire, par le sentiment de sécurité quasi-absolue qu'elle a pu générer, a donné à nos concitoyens la sensation qu'une partie de leur destinée leur échappait, dés lors qu'elle était prise en charge par d'autres. Ce sentiment s'est vraisemblablement trouvé renforcé, d'une part, parce que la décision du recours ultime à l'arme a été naturellement concentrée entre les mains du Chef de l'Etat et que son élection au suffrage universel direct permettait ainsi un transfert naturel de responsabilité sur le premier magistrat du pays, et, d'autre part, par l'émergence d'un consensus politique sur l'existence du nucléaire militaire.

Si le concept de prévention parait facilement assimilable dans son acception normale, il l'est sans doute beaucoup moins dès lors qu'il y est fait référence dans un cadre géostratégique. Ce constat semble d'autant plus étayé que la mise en oeuvre de la prévention fait naturellement appel à des domaines imprécisément connus ou fantasmagoriques, que ce soient les méandres compliqués de la diplomatie, comme le monde mythique et, par conséquent, romancé du renseignement.

Certes, les nombreuses opérations extérieures dans lesquelles les forces françaises ont été engagées au cours de ces dernières années permettent de mieux appréhender la concrétisation de ce que peut être la projection. Toutefois, si l'objectif de missions humanitaires ou consistant à assurer la sécurité ou le rapatriement de ressortissants dont la vie pourrait être exposée à un quelconque danger est admis, la justification de l'engagement de forces pour répondre au respect de traités internationaux parait moins facilement acceptable aux yeux de l'opinion publique. Les choses ne peuvent que se compliquer lorsque l'on accole au terme de projection l'expression mobilité stratégique, qui combine l'aptitude des forces à l'intervention lointaine et l'existence d'une capacité de transport suffisante, alors que dans un même temps les moyens budgétaires nécessaires à la création de cette dernière semblent difficiles à mobiliser.

Que la protection du territoire national et de ses approches représente une mission permanente des forces et un objectif constant de la politique de défense de la France ne semble aujourd'hui contesté par personne. Toutefois, le sens commun ne peut admettre que difficilement que les moyens classiques dont disposent les forces armées soient adaptés à des menaces balistiques, chimiques ou bactériologiques, dont il perçoit mal les conditions de mise en oeuvre, si ce n'est à travers le risque terroriste contre lequel il sent confusément la vanité d'une prévention active des forces armées. La lutte contre toutes formes de prolifération parait, a priori, relever plus de l'action internationale que des moyens militaires nationaux.

F. LE RISQUE DE REPLI SUR SOI DE L'INSTITUTION MILITAIRE

Face au risque fort de désaffection du citoyen vis-à-vis de l'armée et du système de défense, les hommes et les femmes qui le constituent peuvent être tentés de se replier sur eux-mêmes.

Parce qu'elle est l'armée de la République, l'institution militaire s'est révélée, au-delà de l'attitude de tel ou tel de ses responsables, profondément attachée aux valeurs de républicaines de liberté, d'égalité et de fraternité. Elle a toutefois développé des valeurs propres qui, bien souvent, sont également celles de la Nation : le patriotisme et la solidarité. Sans doute convient-il de s'interroger sur la manière dont ces diverses valeurs peuvent être déclinées au sein des différentes armées et des différentes unités lorsque l'on sait combien la force des traditions peut être prépondérante dans la vie et la cohésion des régiments.

Au nom de ces valeurs dérivées et compte tenu de l'existence de malaises au sein de la communauté militaire (crise identitaire liée à la professionnalisation, réduction du format et ses incidences sur le nombre d'emploi de commandement, compression des crédits d'équipement...) pourraient apparaître des interprétations divergentes, voire opposées, de ces valeurs symboles.

Ce phénomène pourrait conduire ainsi l'institution militaire qui, à tort ou à raison, ne passe pas pour un symbole d'ouverture sur le monde qui l'environne, à être tentée de se couper de la société civile, accentuant de la sorte un mouvement de distanciation entre la Nation et son armée. Les conséquences d'une telle dérive pourraient à terme se révéler profondément préjudiciable à la Nation même, car elles paraissent en mesure de remettre en cause une parfaite adéquation des moyens aux objectifs.

Au nom d'une Nation préexistante à la démocratie et se croyant investis d'une mission messianique face à un peuple supposé avoir perdu ses repères et à un corps politique discrédité, certains responsables militaires peuvent-ils être tentés de franchir le Rubicon. La crainte exposée parait se nourrir plus de considérations historiques que d'actuelles réalités.

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Face à cette situation pour le moins complexe, il convient de tout mettre en oeuvre pour que la Nation ne s'éloigne pas de son armée et que l'armée ne se coupe pas de la Nation. Les différentes actions, susceptibles d'être conduites en ce sens, doivent donc être dirigées tant vers l'institution militaire que vers les diverses composantes de la Nation.

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II. - CONFORTER LE LIEN NÉCESSAIRE ENTRE LA NATION ET SON ARMÉE

Face aux risques de distanciation entre la Nation et l'une de ses composantes, il ne s'agit pas de maintenir un lien " Armée-Nation " qui serait celui de deux entités égales en poids et en légitimité, mais bien de conforter le lien nécessaire et indispensable entre la Nation et son armée.

Il ne s'agit pas non plus de réduire une éventuelle opposition entre la société civile et la société militaire (au demeurant limitée à la seule société des officiers) et entre les valeurs supposées antagonistes qu'elles pourraient véhiculer.

Il s'agit là, au contraire, de conforter pragmatiquement, par une série de propositions simples et concrètes, les liens entre la Nation et son armée, et non de les refonder théoriquement.

A. RAPPROCHER LA NATION DE SON ARMÉE

Afin de faciliter un rapprochement entre la Nation et son armée, il importe, en tout premier lieu, de faire en sorte qu'au cours des différentes étapes de sa vie, le citoyen apprenne à mieux appréhender, non seulement le sens de l'intérêt commun que représente la défense de la Nation, les missions qui en découlent pour les forces armées et la vie quotidienne des personnels de la défense au sein de l'institution militaire. Partant du principe, maintes fois vérifié, selon lequel l'intérêt que l'on porte généralement à un sujet est directement proportionné à la connaissance que l'on peut en avoir, c'est donc tout naturellement par des actions de communication et de formation qu'il convient de faire en sorte que le citoyen puisse s'intéresser aux questions de défense auxquelles il aura été sensibilisé.

La connaissance du milieu militaire par l'ensemble de la société civile passe également par une meilleure insertion du militaire dans son environnement économique et social. Aussi faut-il envisager de faciliter les contacts entre les militaires et les différentes composantes de la société civile par une incitation à leur participation, au demeurant déjà forte, dans le milieu associatif et dans la vie de la Cité.

La Défense, au même titre que la Justice et la Sécurité intérieure, que l'Emploi et le Travail, que la Protection sociale et la solidarité, en résumé, de la juste application des principes fondamentaux républicains de Liberté, d'Egalité et de Fraternité, doit demeurer au centre des préoccupations du politique, en ce sens qu'elle participe de l'expression naturelle de la conscience citoyenne. Il importe donc de rappeler le principe selon lequel la Défense est l'affaire de tous et faire en sorte qu'elle demeure parmi les questions faisant l'objet du débat public national.

1. Mieux faire connaître l'institution militaire

Malgré des décennies de service militaire obligatoire, les questions de défense demeurent largement mal connues de la population française, même si celle-ci a une opinion plutôt positive de la Défense, si l'on en croit les résultats des différentes enquêtes conduites par la Délégation à l'information et à la communication de la Défense (DICOD). Les mesures prévues par la réforme du service national, notamment la mise en place d'un enseignement de défense et l'Appel de Préparation à la Défense, devraient être à même de sensibiliser une plus grande partie de l'opinion publique aux réalités et aux nécessités de la défense et des structures qui la servent. Ces connaissances demeureront toutefois assez sommaires, aussi apparaît-il indispensable de les compléter par une politique volontariste de formation ultérieure et par une information permanente et transparente portant, tant sur les questions géopolitiques et géostratégiques, que sur tous les aspects de la vie de l'institution militaire, aspects humains et matériels.

a) Former aux questions de Défense

La formation constituera un premier enjeu, que ce soit dans les écoles, les collèges et les lycées. Conformément aux dispositions de la loi n°97-1019 du 28 octobre 1997 portant réforme du service national, les principes et l'organisation de la défense nationale et de la défense européenne devraient faire l'objet d'un enseignement obligatoire dans le cadre des programmes des établissements d'enseignement du second degré des premiers et second cycles. L'intention du législateur n'a cependant pas encore reçu une application satisfaisante. Sans doute faut-il y voir plus des difficultés dans l'élaboration du contenu des programmes que, comme voudraient le laisser croire quelques voix mal intentionnées, une réticence de l'institution scolaire. En tout état de cause, même en l'absence d'instructions précises sur le contenu de l'enseignement à dispenser, les cours d'instruction civique peuvent, d'ores et déjà, comprendre un volet de sensibilisation aux questions de défense. Cette approche, même imparfaite, permettra de donner aux futurs citoyens un aperçu de la place et du rôle de l'armée dans le fonctionnement institutionnel et international de l'Etat.

Cette nouvelle mission, confiée à l'Education nationale, semble trouver sa légitime inscription dans le rôle que peuvent jouer les membres du corps enseignant dans la formation aux valeurs civiques et républicaines des futurs citoyens que constituent les enfants pendant leur scolarité, dans la mesure où elle participera, ainsi, à la mise en germe des fondements de la citoyenneté, dont fait tout naturellement partie l'esprit de défense.

L'implication de l'institution scolaire dans la formation de l'esprit de défense ne constitue d'ailleurs pas une nouveauté. En effet, depuis 1982, trois protocoles ont été conclus entre les ministères de l'Education nationale et de la Défense, ayant notamment pour objectif de faire travailler ensemble ces deux vecteurs de l'intégration républicaine. Qui plus est, le fait que cette initiation aux questions de défense débute dés le secondaire, à une période où pratiquement toute la classe d'âge est scolarisée, devra permettre de toucher l'ensemble de la jeunesse du pays qui constituera, plus tard, les forces vives de la Nation.

L'un des défis majeurs qu'il appartient aux pouvoirs publics de relever est sans conteste celui de la formation des membres du corps enseignant qui seront chargés de l'instruction civique et citoyenne dont fait partie l'enseignement de défense. Il apparaît souhaitable qu'à l'avenir une unité de valeur soit consacrée à cet enseignement dans les Instituts Universitaires de Formation des Maîtres et dans les épreuves du Certificat d'Aptitude Professionnelle à l'Enseignement Secondaire. Toutefois, en attendant la mise en place de ce dispositif, sans doute conviendrait-il de confier à l'Institut des Hautes Etudes de la Défense Nationale, la mission et les moyens matériels et humains de dispenser par le biais de stages attrayants une formation permanente destinée en priorité aux professeurs ayant en charge cette matière.

Il convient, ici, de rappeler également le rôle fondamental qui reviendra à la Commission nationale Défense-Education nationale. Elle constituera, au même titre que la Commission Armée-Jeunesse, l'un des organes de dialogue et de concertation entre les deux institutions, puisqu'elle est plus particulièrement chargée d'étudier et d'apporter des propositions de solutions aux problèmes communs à l'armée et à l'école, ainsi que du suivi des mesures mises en oeuvre.

La journée d'Appel de Préparation à la Défense constituera alors la phase ultime de cette période de sensibilisation de la jeunesse aux questions de Défense. D'emblée conçue comme le complément de l'enseignement des principes de la défense nationale et européenne, cette journée obligatoire d'information spécifique est organisée pour tous les jeunes Français, entre leur recensement et leur dix-huitième anniversaire. Alors que le service national antérieur ne touchait que les jeunes gens, l'A.P.D. s'adresse, elle, à l'ensemble de la population d'une classe d'âge puisqu'elle concerne aussi bien les jeunes filles que les jeunes gens. C'est donc un public beaucoup plus large que précédemment qui est ainsi appelé à recevoir une sensibilisation aux questions de défense. Au cours de cette journée, les jeunes Français non seulement consolident leur sentiment d'appartenance à la communauté nationale, mais ont également l'opportunité de se familiariser avec les missions et les activités des armées qui, elles ont celle de leur présenter les possibilités de participer à la défense de leur pays.

Ces premières approches de la Défense seront utilement complétées, d'une part par une réactivation des préparations militaires, plus spécialement destinées à celles et ceux qui souhaiteront se familiariser concrètement avec l'institution militaire et ses missions, et d'autre part par les différents cycles d'enseignement de défense organisés par l'enseignement supérieur de défense, que ce soit l'I.H.E.D.N (sessions consacrées aux jeunes, sessions régionales et nationales) qu'il conviendra de développer et de rendre moins " élitiste ", ou des organismes comme le Centre des Hautes Etudes de l'Armement dont il conviendra d'ouvrir et de démultiplier les actions de formation spécialisée.

Enfin, force est de constater que le monde universitaire, malgré quelques unités de recherche spécialisées, en troisième cycle, débouchant sur des diplômes d'enseignement supérieur spécialisé ou des doctorats, n'éprouve plus pour les questions militaires l'intérêt qui pouvait être le sien par le passé. C'est ainsi que les philosophes et les théoriciens de sciences politiques qui comme Raymond Aron s'interrogeaient souvent sur le sens de la guerre semblent avoir délaissé les interrogations propres à la pensée politico-militaire. On ne saurait confondre la pertinence de telles études avec la publication hâtive de documents médiatico-politiques. Sans doute, appartient-il au ministère de la Défense de réactiver les recherches fondamentales en la matière en encourageant, ou en suscitant l'organisation de séminaires de réflexion, rôle autrefois dévolu à la Fondation pour les Etudes de Défense Nationale.

b) Multiplier les contacts entre l'institution militaire et la société civile

Le maintien du lien entre la Nation et les armées passe par une meilleure connaissance de l'institution militaire par la population. Parallèlement à la diffusion de formations théoriques de sensibilisation, il paraît indispensable d'ouvrir plus largement les portes de l'institution aux membres de la société civile.

Les trois Armées et la Gendarmerie ont, d'ores et déjà, entamée une politique active en ce sens par l'organisation de " journées portes ouvertes " dans leurs différentes unités, ainsi que lors des baptêmes de promotions dans les diverses écoles militaires. Toutefois, les casernes constituent, aujourd'hui encore, un univers clos, prêtant ainsi le flanc à une interprétation qui relève trop souvent du fantasme ; ce dernier étant très largement alimenté par un souci, souvent poussé à l'extrême de la confidentialité qui s'abat systématiquement comme une chape de plomb sur les activités militaires. Sur ce dernier point, il convient de se féliciter des initiatives récentes prises par la Commission de la défense qui, formalisant les réflexions de son Président, s'est attelée à démythifier quelque peu une confidentialité qui a beaucoup perdu de son intérêt stratégique avec la disparition de la menace à l'Est. En instillant plus de transparence dans le fonctionnement de l'institution militaire, celle-ci ne pourra qu'être mieux perçue par l'ensemble de la société civile.

L'existence, dans un avenir proche, de véritables " déserts militaires " résultant du processus de restructuration de l'outil de Défense, aura pour effet de supprimer les contacts fréquents entre les armées et la population de ces régions. Afin de pallier cet inconvénient, il paraîtrait judicieux d'instituer des visites organisées des installations militaires au profit des collégiens et des lycéens qui en seront éloignés. Ces initiatives pourraient utilement être complétées par l'organisation de cycle de conférences données dans les établissements scolaires par de jeunes officiers, de tables rondes réunissant enseignants, cadres et officiers d'active ou réservistes, tout comme il importe de multiplier la présence de représentants de l'institution militaire dans les différents forums sur l'emploi organisés par de nombreuses institutions.

La participation d'équipes militaires aux différentes manifestations sportives locales permettra une meilleure connaissance du milieu militaire par les adolescents et les responsables des clubs sportifs de la région où sont implantées les unités. Les installations militaires, généralement de bonne facture, pourraient, dans le cadre de protocoles être mises occasionnellement à la disposition des associations pour accueillir des manifestations regroupant dans le cadre de tournois les équipes locales, l'unité d'accueil par le soutien logistique qu'elle serait à même de déployer à cette occasion, permettrait à l'ensemble de la population locale concernée d'apprécier le sens de l'organisation des militaires, ce qui rejaillirait sur l'ensemble de l'institution.

Sur un tout autre plan, la Délégation à l'information et à la communication de la Défense, qui a pris la relève du Service d'information et de relations publiques des armées aura un rôle capital à jouer dans la propagation d'une image valorisante des armées dans l'opinion publique. Pour être totalement crédible la politique de communication qu'elle mettra en oeuvre se devra d'assurer la promotion de l'image des armées, en évitant soigneusement l'écueil d'une propagande qui se révélerait contreproductive, mission délicate qu'elle a su concrètement assumer jusqu'à ce jour.

Il revient à cet organisme de tout mettre en oeuvre pour valoriser les actions que les militaires français peuvent accomplir au service de la Nation, que ce soit dans l'exercice des missions qu'elles sont appelées à remplir tant sur le territoire national qu'à l'occasion d'opérations extérieures lorsqu'elles participent, sous mandat international, au maintien ou au rétablissement de la paix. A cette fin, il conviendrait d'instituer le principe d'une journée de la Défense et des forces armées, journée qui serait l'occasion de créer un vaste mouvement de solidarité en direction des personnels de la Défense servant loin de leur pays, de leurs familles et de leurs amis.

Les réservistes constituent également un vecteur important susceptible de renforcer le lien entre la Nation et son armée. Alors que le Parlement s'apprête à examiner une réforme des réserves tendant à les rendre compatibles avec les missions d'une armée professionnelle, il est utile de rappeler ici le rôle fondamental que jouent les réservistes dans la propagation et le maintien de l'esprit de défense. Ceux-ci seront, en effet, recrutés parmi les anciens militaires de carrière ou sous contrat, les volontaires du service national, les stagiaires de la préparation militaire et parmi des spécialistes volontaires dont l'expertise et la qualification paraîtront indispensable à l'institution. Leur implication plus active que par le passé dans les activités militaires fera d'eux des relais d'opinion capables de répandre, en dehors de l'institution, leurs connaissances de l'outil militaire.

L'armée remplit souvent des missions de service public, dont la population n'a pas toujours connaissance. Si la participation des armées au plan " Vigipirate " est connue et reconnue de nos compatriotes, force est de constater que les interventions des militaires dans le secours aux populations victimes de catastrophes naturelles ne sont qu'insuffisamment mises en valeur, et, par conséquent vite oubliées par la partie de la population qui n'a pas partagé les difficultés que l'action des militaires a permises de rendre moins insupportables. Dans ces cas particuliers, sans doute conviendrait-il de faire en sorte d'instituer des liens de parrainage entre la ville ou la région touchée par la catastrophe et les unités ayant dépêché des secours sur place.

La Gendarmerie et les Brigades de sapeurs pompiers de Paris ou encore les Marins pompiers de Marseille constituent des exemples concrets d'unités militaires au contact permanent de la population. Leur présence quotidienne et rassurante en fait des ambassadeurs appréciés, mais non reconnus comme appartenant aux armées. Il conviendrait, à l'évidence, de s'employer à mieux faire connaître leur appartenance à l'institution militaire, tout en soulignant leurs particularités. Dans un même esprit, le Service de santé des armées est à même d'accueillir, dans certaines limites liées aux contraintes opérationnelles, des civils dans ses hôpitaux. Cette possibilité est en général peu connue, alors que ces structures hospitalières dispensent des soins de qualité.

Sans doute faut-il également -à mesure que s'éloignent les souvenirs des années noires de 1940-1945 et qu'en disparaissent les témoins- refonder ce qu'il est convenu d'appeler aujourd'hui " le devoir de mémoire ", c'est-à-dire le sacrifice de ceux et de celles qui sont tombés pour que nous disposions d'espaces de liberté dont nous ne connaissons plus le prix.

2. Favoriser l'insertion des militaires dans leur environnement civil

Parce qu'il est avant tout un citoyen, le militaire ne peut se désintéresser de la vie de la Cité et de la Nation. Toutefois, compte tenu de ses sujétions professionnelles, il ne peut s'impliquer personnellement dans la vie politique. En effet du fait de la mobilité géographique à laquelle les expose l'exercice de leur métier, et de leur nécessaire devoir de réserve, il serait vain d'autoriser les militaires à se présenter, alors qu'ils sont en activité, à des élections municipales. Il importe donc de développer diverses formes de partenariat de proximité entre les unités, et les militaires qui les composent, et leur environnement humain, économique et social.

a) Associer les militaires à la vie de la Cité

Bien que délicate et faisant l'objet de controverses passionnées, voire de polémiques, la question du droit d'expression des militaires d'active, quel que soit leur rang, mérite, ici, d'être soulevée. S'il n'entre pas dans les intentions de votre Rapporteur de trancher en faveur d'une quelconque solution, il ne lui parait pas souhaitable de l'éluder en feignant de l'ignorer. Son appartenance incontestable à la Nation fait individuellement du militaire un citoyen comme un autre. A ce titre, il peut naturellement se prévaloir des droits reconnus par la Nation à celles et à ceux qui la composent. Toutefois, ce citoyen a fait le choix de se mettre à son service en exerçant une profession particulière qui le place dans une situation où l'Etat lui impose en contrepartie des sujétions, elles-mêmes, particulières, notamment celles d'observer une discrétion professionnelle et un devoir de réserve, supérieurs à celles qu'elle attend de la majorité de ses autres agents.

Au cours des déplacements dans les unités effectués dans le cadre de la préparation de ce rapport, il m'a été donné l'occasion de constater que, dans leur immense majorité , officiers et sous-officiers, bien que conscients de la nécessité d'être associés à la vie de la commune dans laquelle, leurs familles vivaient, repoussaient dans leur immense majorité l'idée de se porter candidat à une consultation électorale. Par contre, il m'apparaît nécessaire d'organiser, dans chaque commune où est installée une unité militaire, une structure mixte, dont la formule est encore à préciser, associant les élus (majorité et opposition) aux militaires choisis par leurs pairs : les civils connaîtraient mieux ainsi les problèmes rencontrés par les militaires dans leur vie quotidienne et seraient mieux à même d'apporter une aide substantielle aux questions qui se posent aux militaires et à leurs familles (recherche de travail pour le conjoint ou le compagnon, places en crèche, garde des jeunes enfants, scolarisation des enfants, recherche de logements, accès aux équipements collectifs). Pour mieux associer les habitants de la collectivité d'implantation de l'unité, les comptes-rendus de ces réunions, ouvertes au public, seraient publiés.

b) Consolider la présence de militaires dans le tissu associatif

Par leur expérience de la vie en collectivité, les militaires ont une propension naturelle à tisser des liens forts avec ceux qui les entourent et à pratiquer spontanément une certaine forme de solidarité. La formation qu'ils ont reçue les prédispose à posséder un réel sens de l'organisation, tout comme la variété des enseignements qu'ils ont pu recevoir leur permet de jeter sur ce qui les entoure un regard emprunt de curiosité et d'analyse constructive. Autant de qualités qui se révèlent de nature à les faire apprécier par la population de la région où est implantée leur unité et qui devraient permettre une totale intégration dans la variété de son tissu associatif. Il apparaît donc souhaitable que celui-ci s'efforce de s'ouvrir en direction des personnels de la Défense, qui sont trop souvent considérés par les acteurs locaux comme des étrangers de passage dans leur ville, entre deux affectations.

Il serait souhaitable que les sociétés savantes, les associations sportives, les clubs de service accueillent systématiquement des militaires d'active dans leurs rangs ; la participation, déjà forte, des militaires dans les mouvements associatifs locaux constituent un important facteur d'intégration dans la vie locale. Peut-être conviendrait-il que les statuts d'associations telles que le " Rotary-club " ou les " Lions-clubs " prévoient l'accueil d'un officier de l'unité présente localement.

S'il est fréquent que les sous-officiers apportent leur concours aux différentes activités de la vie locale, il est plus rare que les officiers, en raison d'une mobilité professionnelle plus importante aient véritablement le temps de s'y impliquer. La gestion des carrières des officiers les soumet à de nombreux changements d'affectation qui les conduisent bien souvent à ne résider que deux années consécutives dans la même ville. Sans doute conviendrait-il que la gestion des ressources humaines du ministère de la Défense, à défaut de pouvoir allonger les temps de passage dans une unité, s'efforce de fidéliser la présence des mêmes officiers dans une même ville. Une telle proposition si elle était retenue, permettrait de tisser dans le temps des liens forts entre les officiers et la population locale.

La participation des militaires aux activités sportives de la ville ou de la région dans laquelle sont implantées les unités, sont également de nature, notamment auprès d'une partie dynamique de la population de favoriser la création d'un capital de sympathie propre à faire apprécier les qualités non seulement physiques mais surtout morales enseignées dans les armées. L'exercice partagé d'une activité physique permet d'établir des complicités fortes qui seront de nature à faciliter l'osmose entre les unités et les clubs sportifs locaux, et partant la place dans la cité des militaires.

c) Les personnels civils et la sous-traitance constitueront un trait d'union avec la société civile

La professionnalisation a un double corollaire :

- d'une part, la création et le recrutement de nombreux civils dans les établissements de la Défense,

- d'autre part, l'externalisation d'un certain nombre de tâches qui, jusqu'à présent, étaient confiées à des appelés du contingent.

Cette situation nouvelle a constitué, un temps, un réel motif d'inquiétude dans la population militaire qui y voyait un risque de déstabilisation d'une institution soumise à une stricte observation du règlement. Une réflexion plus approfondie démontre, au contraire, que cette révolution culturelle et dérangeante présente, de fait, moins d'inconvénients qu'il n'y paraissait à première vue. Elle constitue, plutôt, un élément positif au regard du renforcement du lien entre la Nation et son armée.

Parce que leur vie les conduira à vivre dans la cité, les personnels civils de la Défense qui rempliront, à l'intérieur de la caserne, des missions autrefois dévolues aux militaires du contingent s'agrégeront nécessairement à la population de la ville où est implantée l'unité dans laquelle ils travailleront. Alors que leurs collègues militaires sont soumis à une obligation de mobilité, ils ne pourront que constituer un point d'ancrage permanent entre l'institution militaire et la population locale.

S'il advenait que les personnels militaires de leur garnison soient appelés à servir à l'extérieur du territoire, les personnels civils de l'unité constitueront l'indispensable trait d'union entre la population de la commune et les militaires en opérations, apportant ainsi, à distance un soutien psychologique fort, à celles et ceux qui seront soumis aux dures contraintes du métier militaire.

Contrairement aux personnels militaires de passage, plus ou moins long, dans la commune, les personnels civils, par leur sédentarité, constitueront des agents économiques permanents, contribuant ainsi de façon durable au développement d'une région dans laquelle ils pourront faire souche et prendre diverses responsabilités, représentant, de la sorte, indirectement l'institution militaire, pour peu que celle-ci leur accorde la place qui leur revient en son sein. Leur participation à la vie de la Cité favorisera l'implantation effective de l'unité, et plus globalement de l'institution militaire, dans l'environnement local.

La professionnalisation des forces armées a également pour conséquence de développer l'externalisation de certaines fonctions essentielles à la vie quotidienne des unités. C'est ainsi que l'entretien des espaces verts, la collecte des ordures ménagères, différents travaux d'entretien... seront désormais confiées à des entreprises locales, tâches qui ne leur étaient, jusqu'à un passé récent, qu'exceptionnellement attribuées. Il ne fait nul doute que ce nouveau mode de gestion de l'institution militaire aura un effet bénéfique sur le bassin d'emplois et un impact dynamisant sur la vie économique locale. Par ailleurs, la présence des personnels de ces entreprises extérieures à l'intérieur de la caserne permettra l'établissement de contacts réels avec la population militaire, phénomène qui aura forcément des incidences sur la nature des relations et des échanges entre militaires et civils.

En raison de leurs compétences ou de leurs formations, il était fréquent que des appelés du contingent exercent à l'intérieur du régiment des activités qui relèvent, dans la vie civile, de l'exercice d'une activité libérale. C'était notamment le cas dans le domaine de la santé. A l'avenir, il appartiendra aux responsables de l'unité de développer des partenariats avec les médecins et chirurgiens-dentistes de la ville de garnison, de manière à assurer en permanence la vigilance sanitaire indispensable au maintien en condition opérationnelle physique des personnels militaires de leur unité, tout comme il leur reviendra de faire bénéficier les personnels civils d'une médecine du travail garantie par la législation. De même, il conviendrait d'organiser des permanences juridiques avec la participation des membres des professions judiciaires (avocats, conseillers juridiques, notaires). Les membres des professions libérales concernées auront, elles aussi, un contact fréquent avec la population militaire et constitueront un point d'ancrage supplémentaire de l'institution militaire dans la société civile.

Enfin, la professionnalisation rajeunira la population des armées. Celle-ci sera plus exposée aux difficultés de la vie quotidienne, ce qui nécessitera l'intervention plus fréquente de travailleurs sociaux. Il paraîtrait judicieux de faire en sorte que les personnels de l'Action sociale des armées travaillent le plus fréquemment possible en liaison avec leurs homologues civils (Bureaux d'aide sociale, Caisses d'Allocations familiales, ...).

3. Insister sur le lien entre défense et citoyenneté

La Défense figure au nombre des missions régaliennes de l'Etat. Depuis la Révolution, elle est devenue l'affaire de la Nation, et, par voie de conséquence, elle concerne l'ensemble des citoyens. Jusqu'en 1996, cet intérêt commun trouvait en quelque sorte une concrétisation dans la conscription ; celle-ci constituait une obligation nationale touchant une large partie de la population par l'intermédiaire d'une forme d'imposition sur le temps, affectée à l'intérêt commun.

La définition des grands principes de l'organisation de notre défense relève constitutionnellement de la compétence du Parlement. Il convient de veiller à ce que face à la complexité croissante des affaires de défense, la Représentation nationale ne soit partiellement dessaisie de ses prérogatives au profit d'une communauté artificielle, composée d'experts, de stratèges et d'officiers d'états-majors.

a) Impliquer le citoyen dans la vie de l'institution militaire

La suspension de la forme militaire du service national et le processus de professionnalisation des armées pourraient créer une sorte de rupture sociologique et politique, pouvant conduire une distanciation entre le citoyen et la Défense et, par voie de conséquence, présenter le risque d'un dessaisissement collectif des questions de défense. Cette rupture pourrait, si rien n'est entrepris, générer un transfert de responsabilités du citoyen vers l'institution militaire, celle-ci, lui apparaissant composée d'experts et organisée de façon à garantir sa sécurité contre les aléas internationaux. Cette hypothèse, si elle se réalisait, ne manquerait pas d'avoir des conséquences fâcheuses et préjudiciables sur le fonctionnement démocratique du pays.

b) Eviter le dessaisissement du politique au profit d'experts

Parce qu'elle est nationale, la Défense ne saurait être confisquée ou intégralement déléguée, au risque d'être détournée de ses fondements démocratiques et des missions qui en découlent. Si l'institution militaire est au coeur du dispositif de défense, la Défense ne saurait être l'affaire des seuls militaires. Ceux-ci ne sont que les dépositaires de l'outil, ils ne peuvent en être les propriétaires. Il leur appartient d'optimiser cet outil pour faire en sorte que la Nation dispose en tous temps des moyens d'assurer sa sécurité collective, selon les orientations qu'elle aura, par ses représentants, préalablement définies.

Dans cette perspective, il convient de mieux sensibiliser l'opinion publique aux questions de défense. A ce titre, il conviendra que le Parlement organise annuellement, en dehors du seul débat budgétaire, un débat sur les grandes orientations de la politique de défense ; de même que tout engagement des forces armées françaises à l'extérieur du territoire devra également être débattu, selon des règles à édicter, par la Représentation nationale.

La complexité des questions de défense et les multiples préoccupations quotidiennes des élus ne doivent pas conduire le Politique à se dessaisir de ces questions au profit d'une minorité constituée d'experts, de stratèges et d'officiers de l'état major. Il doit au contraire marquer nettement son intérêt pour la Défense, pour éviter ainsi toute tentation de dérive technocratique qui trouverait une justification d'une part, dans l'intrication des différentes structures internationales et, d'autre part, dans l'évolution technologique de l'outil militaire.

Cet intérêt du Politique pour les questions de défense et, par conséquent pour l'institution militaire, se doit toutefois d'éviter l'écueil du discours d'ascription identitaire. En effet, force est de constater que les femmes et les hommes de la défense ont, compte tenu des particularités du métier qu'ils ont choisi, tendance à se retrouver dans un phénomène d'identification communautaire qui se concrétise dans la notion d'institution militaire. Il convient alors de conserver toujours présent à l'esprit que cette terminologie recouvre, en elle-même, la notion d'institution de la République et non la reconnaissance implicite d'une communauté aspirant à une reconnaissance propre porteuse de droits imprescriptibles. Ces membres ne sont que partiellement dépositaires des missions qui leur sont confiées, par la Nation et, à ce titre, ne sauraient en aucun cas être autorisés à se l'approprier. Il convient donc, à un moment où certaines valeurs républicaines font l'objet d'interprétations partisanes et subjectives, d'être particulièrement attentif à ce que le débat de défense demeure fermement ancré dans le respect de la citoyenneté.

La Commission de la Défense de l'Assemblée nationale s'est, d'ores et déjà, résolument placée dans cette optique en multipliant les initiatives afin d'instituer plus de transparence dans la gestion des affaires militaires et en ouvrant au maximum le débat politique sur les questions de défense. Son rôle et ses actions doivent encore se développer de façon à traduire l'intérêt que la Représentation nationale porte au sujet. C'est la raison pour laquelle il apparaît nécessaire que ses membres, éventuellement accompagnés de membres d'autres commissions, rendent systématiquement visite aux unités. Ces missions permettront d'établir un contact permanent avec les personnels de la défense -officiers, sous-officiers, militaires du rang et personnels civils- démontrant ainsi l'attachement des représentants de la Nation non seulement à l'institution militaire mais aussi à celles et à ceux qui la servent.

De la même manière, il serait utile d'organiser pour les personnels civils et militaires de la défense des visites de l'Assemblée nationale et du Sénat, et plus généralement de l'ensemble des institutions qui concourent à la vie républicaine du pays. Ces visites seraient ainsi l'occasion de leur en expliquer le fonctionnement et de mettre en évidence le rôle des commissions spécialisées dans les questions de défense, tout en faisant connaître le travail qu'elles peuvent accomplir en faveur de la sécurité du pays.

B. RAPPROCHER L'ARMÉE DE LA NATION

L'armée professionnelle, privée de la conscription, ne saurait s'isoler. Il en va du maintien de nos institutions comme de l'efficacité de notre appareil militaire. Tout doit être conduit pour éviter que la suspension du service militaire n'occasionne le creusement d'un fossé entre les armées et la Nation.

Les initiatives susceptibles d'être mises en oeuvre, à cet effet, devront s'adresser à l'ensemble des personnels de la Défense, de leur entrée dans l'institution à leur retour à la vie civile, de manière à renforcer, s'il en était besoin, tout au long de leur carrière, leur conscience citoyenne d'appartenance à la Nation. Cette ouverture sur la société civile parait d'autant plus importante que la durée de leur appartenance à l'institution militaire sera, du fait de la professionnalisation, sensiblement différente de ce qu'elle est aujourd'hui, en raison du recours plus fréquent aux carrières courtes résultant de l'augmentation du nombre de militaires du rang.

Par ailleurs, les membres de l'institution militaire n'ont bien souvent, votre Rapporteur a pu le constater au cours de ces déplacements dans les unités, qu'une perception virtuelle, et parfois incomplète, de l'organisation politique, économique et sociale de la société dans laquelle ils vivent et de la Nation qu'ils servent. Sans doute convient-il de favoriser une plus grande complémentarité entre une formation spécialisée et un enseignement plus général.

1. Une formation ouverte sur la citoyenneté

L'institution militaire présente la particularité d'offrir à ses personnels, dés leur recrutement initial et jusqu'à leur sortie des cadres, un système de formation alliant une formation initiale appropriée à une formation continue efficace, en lien direct avec le métier militaire, que ce soit le maniement des armes comme le commandement et son corollaire le respect du règlement. Si le système de formation mis en place par les armées semble dans son ensemble répondre aux besoins militaires tels qu'ils apparaissaient avant la professionnalisation, sans doute convient-il de réfléchir à son adéquation au rôle et à la place du militaire et de l'institution dans la société de demain.

Globalement, ces formations, bien que comportant des matières propres à développer l'acquisition d'un minimum de culture générale, demeurent, aujourd'hui encore, principalement orientées sur un enseignement dont le contenu présente une dominante professionnelle, justifiée par les spécificités du métier militaire. Il s'agit moins de remettre en cause cette spécialisation dont le caractère indispensable apparaît clairement, que d'insister sur un non moins indispensable développement des matières de culture générale, appliquant en cela les réflexions du Général de Gaulle qui considérait que : " la véritable école du commandement est...la culture générale ".

Qui plus est, ces moments privilégiés que constituent les périodes consacrées à l'apprentissage des connaissances peuvent être l'occasion de diffuser les valeurs républicaines que l'institution et ses membres se doivent de respecter. Parallèlement, leur acquisition permettra aux personnels militaires de mieux comprendre leur environnement civil et de mieux s'y intégrer, facilitant de la sorte, grâce à une meilleure compréhension entre civils et militaires, le renforcement du lien entre la Nation et son armée auquel contribue, certes de façon limitée, l'existence d'établissements scolaires militaires du second degré.

Toutefois, il faut reconnaître que dans cette période de transition, correspondant à la mise en place de la professionnalisation, les armées semblent, ce qui est logique, plus préoccupées par l'instauration de filières d'orientation préalables visant à satisfaire l'accroissement des recrutements rendu nécessaire par la réforme que par le développement de la conscience citoyenne des futurs militaires.

a) Les dispositifs visant à sensibiliser les militaires aux valeurs républicaines

La professionnalisation des forces armées, malgré la réduction du format des forces, a pour conséquence :

- d'une part, la création de nombreux emplois de militaires du rang, du fait de la suspension du service militaire et de la disparition de la ressource que constituaient les appelés du contingent ;

- d'autre part, la multiplication des carrières courtes des cadres d'active, de façon à assurer une plus grande disponibilité des unités pour satisfaire aux nouvelles missions confiées aux armées dans le cadre de la projection.

Les armées qui ont une mission permanente à assurer se trouvent aujourd'hui confrontées à l'obligation de procéder à de vastes recrutements qui se doivent de pourvoir, qualitativement et quantitativement, en personnels les forces. Ces impératifs d'une gestion totalement nouvelle et au demeurant inconnue ont conduit à la mise en place de filières qui se veulent originales, parallèlement à celles déjà existantes. Il semble aujourd'hui prématuré de tirer un enseignement concernant des dispositifs encore inopérants et qu'il conviendra sans doute d'adapter dans le futur ; votre Rapporteur ne peut que regretter que le contenu de ces filières soit actuellement essentiellement tourné vers l'acquisition de connaissances militaires de base.

·  Les établissements scolaires militaires du second degré

Le ministère de la Défense accueille dans six lycées militaires près de 4 100 élèves, de la sixième aux classes préparatoires. Quatre de ces établissements scolaires relèvent de l'armée de Terre (les lycées d'Autun, d'Aix en Provence et de Saint-Cyr l'Ecole, ainsi que le Prytanée militaire de la Flèche), de la Marine (le lycée naval de Brest) et l'armée de l'Air (l'école des Pupilles de l'air à Grenoble).

Ces établissements scolaires dispensent un enseignement conforme aux programmes définis par l'Education nationale. Ils répondent toutefois à une double vocation éducative :

- une aide à la famille pour le second cycle de l'enseignement secondaire, en accueillant les enfants de fonctionnaires, et par priorité les enfants de militaires ;

- une aide au recrutement des officiers pour les classes préparatoires, ouvertes à tous les jeunes français.

La totalité des élèves suivant une scolarité dans ces établissements est soumise, filles et garçons, au régime de l'internat, et la discipline est celle des grands lycées d'Etat, adaptée au caractère spécifique d'un établissement militaire.

Ces établissements scolaires, s'ils correspondent à un besoin réel lié à l'exercice même de la profession militaire qui suppose une mobilité des parents et à la nécessité de donner aux enfants des personnels de la défense une stabilité dans leur cursus scolaire, posent toutefois la question de l'existence de classes préparatoires dirigées directement vers les recrutements des écoles d'officiers des différentes armées.

Sur ce dernier point, il convient de s'interroger sur le niveau des recrutements qui pourvoient à ces grandes écoles, peut-être conviendrait-il d'aller plus loin dans la réforme déjà mise en oeuvre, en favorisant d'avantage la filière qui permet de les intégrer après obtention d'une maîtrise de l'enseignement supérieur ou d'un diplôme d'ingénieur à l'instar des pratiques allemandes.

Il apparaît nécessaire d'ouvrir aujourd'hui un débat sur l'opportunité de créer des classes préparatoires, scientifiques ou littéraires, qui ouvrent l'accès à un certain nombre de grandes écoles (Polytechnique, Normal Sup, Centrale, Ecoles militaires...) sans qu'il soit systématiquement nécessaire d'avoir recours à des " Corniches ". Le risque existe -même s'il est parfois démesurément grossi- de voir un esprit malsain s'emparer des classes préparatoires. Ce risque est d'ailleurs largement aussi grand, si ce n'est plus, dans les établissements civils, d'où la nécessité " d'aérer " au maximum les classes de préparation.

S'il convient de se féliciter de la présence d'enseignants mis à disposition par l'Education nationale dans ces établissements, il apparaît souhaitable, pour le corps enseignant lui-même, que la durée de l'affectation des enseignants civils dans les établissements militaires soit limitée dans le temps et n'excède pas une durée maximale de cinq ans. En effet, les conditions d'exercice de leur profession, face à des élèves disciplinés et dans un univers sécurisé, pourraient les conduire à perdre contact avec la réalité extérieure et altérer à terme la qualité de l'enseignement délivré.

·  La rénovation des préparations militaires

La suspension du service militaire fait de la rénovation des préparations militaires un volet important de la réforme en cours de l'outil militaire. Celles-ci constitueront, à l'avenir, un trait d'union privilégié entre la société civile et l'institution militaire.

Chaque candidat à la préparation militaire pourra, en effet, découvrir au cours de cette période de volontariat la vie quotidienne des armées, puisqu'il y recevra une formation militaire de base lui permettant d'accéder à la réserve ainsi qu'une information sur les volontariats, de même qu'il pourra y puiser un maximum d'informations sur les diverses carrières militaires.

Cette rénovation devrait toutefois conserver le principe d'une préparation répartie en deux niveaux, une préparation élémentaire et une préparation supérieure, destinées à deux publics différents ; là aussi, les impératifs de gestion paraissent imposer une solution qui ne présente pas que des avantages au regard de l'égal accès des citoyens aux informations et orientations vers un éventuel volontariat dans les armées. Il apparaîtrait plus satisfaisant de soumettre tous les candidats à une préparation militaire de base qui constituerait un critère de sélection ouvrant aux plus méritants la voie à une préparation militaire supérieure.

La préparation militaire de base pourrait, au-delà d'une formation militaire élémentaire, être l'occasion de délivrer la formation nécessaire à l'obtention de l'attestation de formation aux premiers secours, permettant ainsi à ceux qui en seraient titulaires de valoriser dans le monde civil un enseignement dispensé par l'institution militaire.

L'un des objectifs de la préparation militaire de base réside dans faciliter le recrutement des engagés volontaires postulant un emploi de militaire du rang. Ce recrutement doit faire l'objet d'une attention particulière, de façon à ne pas privilégier exclusivement le " fanatisme militaire ".

·  La réforme des réserves

Le projet de loi portant organisation de la réserve militaire complète l'ensemble du dispositif législatif relatif à la professionnalisation des forces. En soulignant ainsi la place et le rôle des réserves dans l'appareil de défense, les pouvoirs publics réaffirment leur attachement au maintien d'un lien fort entre la défense et la Nation et font des réservistes l'un des brins essentiels de cette amarre

La nouvelle réserve militaire sera composée, pour l'essentiel, de Français volontaires dont la demande aura été agréée par l'autorité militaire. Comme le précise, d'ailleurs, l'exposé des motifs du projet de loi, " l'expression de ce volontariat, qui traduit l'adhésion aux valeurs de service et de sacrifice au profit de la communauté nationale, constitue un véritable acte de citoyenneté ".

La présence de réservistes aux cotés de militaires d'active constitue, à l'évidence, un élément d'ouverture sur l'extérieur de l'institution militaire. Venant de la société civile, ils seront à même de véhiculer auprès de leurs collègues une vision et une approche différentes du monde contemporain, due notamment à leur connaissance vécue des structures de la société civile. A travers leur présence, c'est un peu de la vie quotidienne de la Nation qui pénétrera dans les casernes et les unités et permettra de diversifier une monoculture militaire.

Parallèlement, les réservistes constitueront un relais d'opinion de choix pour faire connaître à l'extérieur de l'institution militaire les réalités de la Défense, notamment dans leurs entreprises qui seront associées dans un véritable partenariat avec la Défense.

·  L'enseignement supérieur de Défense

L'enseignement supérieur de défense doit allier au maximum les composantes civiles et militaires de la Nation.

A l'image de l'Institut des Hautes Etudes de la Défense Nationale (IHEDN), les contacts entre les composantes civiles et militaires de la société doivent être démultipliées et les actions de l'IHEDN gagneraient en efficacité en faisant une place moins large à des recrutements moins élitistes comme elle le fait actuellement en organisant des sessions destinées aux élus locaux... Elle pourrait notamment être chargée de préparer et d'organiser des cycles de conférences dans les facultés et dans les instituts universitaires technologiques, voire les classes préparatoires aux grandes écoles.

Enfin, il est également possible d'envisager la création d'une " Académie de Défense " au sein de laquelle siégeraient des officiers généraux et des spécialistes des questions militaires et dont les séances seraient ouvertes au public. Ses travaux feraient l'objet de publications, permettant de la sorte d'assurer aux réflexions des militaires sur leur institution une publicité, rendant plus libre leur expression.

b) La formation initiale et continue des militaires

L'enseignement militaire accorde, d'ores et déjà, une place non négligeable à la culture générale, notamment dans les écoles d'officiers. Celle-ci fait généralement l'objet de conférences animées par des intervenants civils, ou des militaires ayant suivis un cursus universitaire. Sans doute conviendrait-il d'accroître le volume de ces ouvertures vers l'extérieur, dans la mesure où la professionnalisation des forces contraindra les futurs cadres d'active à posséder une meilleure connaissance de l'environnement institutionnel, administratif, économique et social.

L'externalisation d'un certain nombre de fonctions nécessitera des gestionnaires des unités un minimum de connaissances sur le fonctionnement des divers circuits administratifs et commerciaux avec lesquels l'enseignement qu'ils recevront pendant leur formation se devra de les familiariser.

Le Collège interarmées de défense et le Centre des hautes études militaires, qui dispensent un enseignement uniquement destinés aux militaires d'active, devraient pouvoir accueillir parmi leurs stagiaires des réservistes en nombres limités, à raison d'un réserviste par armée. Parallèlement, au cours de leur scolarité, il paraîtrait judicieux que les élèves du Collège interarmées de défense effectuent un stage d'une durée comprise entre deux à six mois, soit dans une administration, soit en entreprise. Les futurs cadres de l'armée seraient ainsi à même d'élargir leurs connaissances de la société civile et de la réalité de leur environnement.

Il conviendra également d'encourager les militaires d'active, quels que soient leurs niveaux hiérarchiques, à suivre, dans le cadre de la formation professionnelle continue, des études complémentaires auprès d'organismes de formation extérieurs à l'institution militaire, tout comme il paraîtrait utile que les organismes de formation propres à l'institution puissent également former des personnels n'ayant pas de liens directs avec la Défense. A cette fin, des partenariats pourraient être développés, tant avec les organismes consulaires qu'avec l'Education nationale.

c) Maintenir la formule originale du Service militaire adapté dans les D.O.M. - T.O.M.

Conformément aux v_ux exprimés par le Président de la République, le Service militaire adapté (SMA) n'a été théoriquement qu'affecté à la marge par la réforme du service national. Nombreuses étaient, en effet, les raisons qui militaient en faveur de la prorogation d'un dispositif particulier mis en place pour assurer la mise en valeur des départements, territoires et collectivité locales d'outre-mer, l'exécution des plans de défense et la création des conditions d'une bonne formation professionnelle.

Cette forme particulière d'accomplissement des obligations nationales permet, outre une formation militaire, civique et morale de base, permet de préparer les appelés à une meilleure insertion dans la vie active civile, par une formation professionnelle adaptée puisqu'ils consacrent 30 % de leur temps à des activités militaires et 70 % à la formation professionnelle. Cette formation est particulièrement adaptée aux conditions locales du marché de l'emploi, adaptation qui fait d'ailleurs l'objet de réajustements permanents, grâce à l'implication des acteurs économiques et administratifs locaux.

En fin de cycle de formation, les stagiaires reçoivent une attestation validant leur passage dans les centres du SMA et, chaque fois que possible, passent un examen pratique. Outre ses aspects d'ouverture sur la vie professionnelle, le Service militaire adapté constitue un outil d'intégration indispensable pour des départements et territoires connaissant un fort taux de natalité et un habitat dispersé.

Dans le nouveau dispositif mis en place par la loi portant réforme du service national, le SMA est désormais fondé sur le volontariat. Il conserve tout à la fois son identité militaire et son caractère formateur. Toutefois, ce changement de statut a un coût, et il convient de veiller à ce que des considérations budgétaires n'altèrent l'efficacité d'un système original qui a, par ailleurs, fait largement les preuves de son intérêt, tant pour les collectivités territoriales que pour leurs populations.

2. Une institution ouverte sur la société civile

Il est souvent fait reproche à l'institution militaire d'être trop repliée sur elle-même, de ne pas assez pratiquer l'ouverture vers l'extérieur et de vivre en vase clos, tout en jetant sur le fonctionnement de la société civile un regard critique, si ce n'est réprobateur. S'il est évident que l'observation scrupuleuse du règlement de discipline générale des armées ne favorise pas nécessairement une parfaite compréhension des rapports humains reposant sur des règles moins strictement appliquées, cette appréciation semblera pour le moins excessive à tous celles et à tous ceux qui ont fait l'effort d'approcher les militaires.

Si, dans l'ensemble, leur connaissance de l'organisation de la société civile connaît quelques approximations, elle semble toutefois supérieure à celle que la société civile peut avoir de l'institution militaire. C'est donc en développant une osmose entre la société civile et l'institution militaire qu'il sera possible de créer les conditions nécessaires à l'indispensable symbiose qui doit s'établir entre la Nation et son armée.

Il appartient, au premier chef, aux personnels militaires et à leur administration de tutelle de faire en sorte que les échanges entre militaires et civils soient plus nombreux et surtout plus fructueux. Pour cela, il ne suffira pas de chercher à aménager des pratiques antérieures, mais au contraire de s'efforcer de trouver des solutions originales, faisant table rase des héritages du passé et remettant parfois en cause des traditions et des comportements bien établis.

a) rénover les modes d'expression des militaires

C'est dans cet esprit qu'il conviendra de réfléchir, non seulement à l'expression externe des militaires, mais aussi aux modes de concertations internes aux armées. Ce chantier est plus important qu'il n'y parait. Le droit d'expression des militaires d'active constitue bien souvent l'un des angles d'attaque privilégiés par les détracteurs de l'institution et ce n'est pas céder au chant de leurs sirènes que de vouloir oser l'aborder. Les restrictions apportées à la libre expression des militaires ne semblent plus cohérentes avec l'image de compétence et le sens des responsabilités que l'institution voudrait par ailleurs donner de ses cadres. Il conviendra donc de remettre en cause les règles applicables aujourd'hui pour laisser aux intéressés la possibilité d'exprimer leurs points de vue en conservant présent à l'esprit qu'ils sont capables d'accorder leurs propos au devoir de réserve qui est le leur.

De même si le fonctionnement des différents Conseils de la fonction militaire semble donner satisfaction à la hiérarchie, la lecture des comptes-rendus de ces derniers laisse transparaître des échanges emprunts d'un formalisme peu compatible avec le style qui préside généralement à des conversations franches et directes. Sans doute, le fait que ces réunions se déroulent fréquemment en présence du Chef d'état-major de l'armée concernée ou de son Major général, ne facilite-t-il pas la liberté d'expression de militaires habitués aux rapports hiérarchiques. Ce mode de concertation interne a constitué lors de sa création, il y a une dizaine d'années, un progrès considérable, mais il ne semble pas certains qu'il correspondra demain encore aux besoins d'une armée professionnalisée, ayant recruté ses personnels dans un contexte socio-politique différent.

A l'intérieur des unités, l'actuel mode de concertation qui fait appel notamment à la médiation des présidents de sous-officiers ne parait pas devoir être remis en cause, dans la mesure où il semble fonctionner à la satisfaction générale dans les unités déjà professionnalisées.

Toutefois, il conviendrait aujourd'hui de s'interroger sur les possibilités de dialogue direct qu'offrent les techniques modernes de communication et de voir dans quelles mesures elles pourraient faciliter l'instauration d'échanges plus directs et moins marqués par les pesanteurs hiérarchiques, sans que soit pour autant remis en cause le respect que se doivent mutuellement les militaires. Cette nécessité de réfléchir à la nature du dialogue social dans les armées semble d'autant plus d'actualité que celles-ci accueilleront un nombre croissant de civils qui n'accepteront sans doute pas de se plier aux procédures en vigueur, tout comme la multiplication des échanges entre les milieux militaires et civils rendra cette réflexion indispensable.

b) promouvoir une mobilité professionnelle entre civils et militaires

Pour vaincre ce qui pourrait devenir son isolement, il importe que l'institution militaire soit plus perméable aux membres de la société civile, tout comme il lui appartiendra de faciliter les activités extérieures civiles de ses personnels.

Dans cet esprit, il convient de développer une mobilité réciproque entre civils et militaires. C'est ainsi que l'accès à certains grades pourrait être subordonné à l'accomplissement d'une mobilité externe à l'institution, que ce soit dans une administration ou dans une entreprise agréée par le ministre de la Défense. Bien évidemment, l'armée d'origine serait tenue d'accepter en retour la présence, pour une durée équivalente, d'un fonctionnaire ou d'un salarié de l'entreprise qui serait liée à la Défense par un accord de partenariat. Ce système présenterait le double avantage, d'une part, de donner aux militaires une approche concrète du fonctionnement de la société civile et, d'autre part, de permettre une meilleure connaissance du milieu militaire par des membres de la société civile.

Ce type de mobilité pourrait également être étendu en direction du monde associatif, notamment sportif, sans que celui-ci donne, dans ce cas précis, systématiquement lieu à réciprocité.

c) Permettre une meilleure insertion des militaires dans les activités civiles

Le développement chez les militaires de la sensation de leur appartenance à la Nation et l'exercice d'une entière citoyenneté passe également par un exercice moins contraignant du droit d'association par les militaires. Ceux-ci devraient pouvoir prendre plus facilement des responsabilités dans le mouvement associatif, notamment sans avoir à en avertir préalablement leur hiérarchie et que le veto que celle-ci peut opposer soit motivé et passible de recours.

On fait souvent reproche aux officiers et aux sous-officiers de ne pas s'insérer dans la vie quotidienne de la Cité. Force est de reconnaître qu'il n'est pas aisé de s'insérer réellement et profondément dans une ville où l'on ne passera que deux années de sa vie professionnelle. Ne faudrait-il pas étudier le principe de séjours d'une durée supérieure, sur la base d'un minimum de trois ans.

Comment également faire reproche aux conjoints de militaires, essentiellement des épouses aujourd'hui, du fait des lenteurs avec lesquelles l'institution militaire se féminise, de ne pas s'intégrer ? Le temps n'est plus où leur métier était celui de mère de famille. Fonctionnaires et notamment enseignantes, elles sont soumises aux aléas des mouvements nationaux. Cadres ou salariées du secteur privé, elles hésitent à quitter leur emploi, dans la situation actuelle du marché, pour suivre leur mari. Comment assurer au mieux leur obligation de mobilité ? Comment rompre l'isolement des plus jeunes ? Comment éviter leur enfermement au sein d'associations ad hoc constituées pour l'essentiel d'épouses de militaires ?

La vie quotidienne des unités devra s'intégrer au mieux dans leur environnement local, que ce soit par des opérations de parrainage des régiments par leurs villes d'accueil, des partenariats pour l'utilisation d'installations collectives, des conventions avec la municipalité pour la mise à disposition de logements pour les militaires et leur famille, la participation des militaires aux manifestations de la commune, du département ou de la région.

d) Accentuer la féminisation des armées

Les professions militaires demeurent, aujourd'hui encore, l'un des derniers bastions masculins, malgré une tardive et timide ouverture aux femmes. Si celles-ci voient désormais leur proportion s'accroître dans les effectifs, on ne peut que constater qu'elles forment les gros bataillons des personnels subalternes, trop souvent cantonnées dans des tâches d'exécution ou de secrétariats dans les états-majors ou dans les professions médicales ou paramédicales.

Cette situation faite aux personnels féminins des armées est sans commune mesure avec l'évolution constatée dans le monde du travail. Si de profondes inégalités persistent encore dans l'accès aux postes de responsabilité dans la société civile, force est de constater que le taux de femmes officiers demeure inférieur à celui des femmes cadres dans les administrations et dans les entreprises, malgré une récente et substantielle amélioration ces dernières années.

De même, les armées, en particulier l'armée de Terre, manifestent de très fortes réticences à la présence de militaires du rang ou de sous-officiers féminins dans les forces. Il serait excessif de ne voir dans cette attitude qu'un réflexe " machiste " de la part des militaires, dans la mesure où l'exercice du combat rapproché fait, il faut bien le reconnaître, appel à des capacités physiques au nombre desquelles la force est prépondérante. Toutefois cet argument ne saurait justifier que l'on écarte, définitivement et radicalement, les femmes de tous postes dans les unités combattantes où leurs qualités et leurs capacités pourraient être d'une réelle utilité.

La féminisation des armées doit être développée de telle sorte que le taux de femmes dans l'institution et leur répartition dans les différents emplois tendent vers un rapprochement avec la situation constatée dans la société civile. Il faudra, certes, dans un premier temps, s'efforcer de définir les postes qui pourront leur être facilement accessibles, tout en ménageant les susceptibilités, de façon à ne pas déstabiliser des armées déjà soumises à une profonde réforme.

3. Une gestion prévisionnelle des fins de carrières pour faciliter la réinsertion professionnelle

La réforme de l'outil de défense aura, sous peu, pour conséquence d'augmenter le nombre de militaires devant quitter à un âge relativement jeune l'institution. Ceux-ci devront, lors de leur retour à la vie civile s'intégrer dans la vie civile. Les conditions dans lesquelles ce retour s'effectuera, ne manqueront pas d'influer, d'une part sur le contenu du message qu'ils pourront délivrer sur les structures qu'ils auront fréquentées, d'autre part, sur la perception par leur environnement, notamment professionnel, de ce que peut être la défense et de ce qu'elle peut incarner.

Il sera, par conséquent, particulièrement important que ces personnels, qui auront effectué des carrières courtes au sein des armées, ne soient pas en situation d'échec professionnel et qu'ils conservent de leur temps passé à servir la Défense des impressions positives, même s'ils n'y ont pas réalisé les carrières qu'ils escomptaient initialement.

C'est la raison pour laquelle il importe que les différentes campagnes publicitaires tendant à promouvoir l'image des armées et à valoriser les professions qu'elles peuvent offrir ou auxquelles elles peuvent préparer, doivent impérativement éviter tout excès susceptible d'induire en erreur les populations visées. De tels errements, s'ils se produisaient, se révéleraient vite contreproductifs et nuiraient à terme à la crédibilité de l'institution.

Le dispositif d'aide à la reconversion, récemment mis en place et instituant un congé spécifique destiné à faciliter la réinsertion professionnelle des militaires sous contrat lorsqu'ils arrivent en fin de carrière, devrait leur permettre d'aborder une deuxième expérience professionnelle dans des conditions optimales. Il s'agit là d'un défi majeur que les différentes directions des ressources humaines ont l'obligation de relever avec succès. La formation dispensée, en liaison avec les organismes de formation permanente, devra donner aux militaires concernés de réelles qualifications qui, alliées aux qualités éthiques acquises au cours du parcours militaire, permettront de faire apprécier dans la société civile les apports que peut constituer une expérience professionnelle dans les armées.

CONCLUSION

Il en va des relations entre la Nation et son armée comme de toute relation binaire. Chacun, tour à tour, éprouve le besoin d'être rassuré sur les intentions de l'autre. Il est clair que, face aux bouleversements géostratégiques et à la disparition d'une menace nettement identifiée à l'est du continent, l'institution militaire s'est trouvée brusquement désorientée, privée de ses repères traditionnels.

Ebranlée par le forfait soudain d'un partenaire depuis longtemps identifié, l'armée, confrontée à une profonde réforme touchant tout à la fois ses missions, ses structures, son organisation, son format et ses moyens financiers, en proie à la révolution culturelle induite par la suspension du service militaire, traverse une crise identitaire qui la conduit à l'interroger sur ses fondements.

Ses interrogations et ses inquiétudes peuvent, à plusieurs titres, paraître compréhensibles ; elles ne sauraient pour autant être totalement justifiées, car il revient à la Nation et à ses représentants d'analyser et de mener cette quête et de conduire l'institution à relativiser ce malaise, différemment perçu, ou plutôt ce mal être et cette recherche de la refondation d'une nécessaire et vitale identité.

En dépit de ses inquiétudes et malgré l'absence de menaces clairement identifiées, les enquêtes d'opinion démontrent que les Français sont attachés à leur armée ; la solidarité de la population envers ses armées s'est maintes fois manifestée à l'occasion des mouvements de restructuration de l'outil de défense et des opérations de transfert ou de dissolution d'unités. Les protestations des élus ont relayé les inquiétudes exprimées par l'opinion publique face aux projets de réorganisation des forces de police et de gendarmerie, qui visaient à modifier les implantations des brigades de gendarmerie sur le territoire.

En se rendant sur le terrain, auprès des unités, votre Rapporteur a pu mesurer l'ampleur de l'osmose existant entre les régiments et leur ville d'accueil ; combien les liens qui s'étaient noués au fil du temps étaient solides et combien l'histoire de l'unité et de la collectivité locale était la même.

Le questionnement permanent sur de saines et fructueuses relations entre la Nation et son armée est nécessaire. Sa disparition, voire son atténuation, seraient lourdes de conséquences, car elles signifieraient la disparition de ces liens indispensables dans une démocratie.

Il appartient au Politique d'être attentif et de veiller à ce que les valeurs et les institutions de la République demeurent solides, reconnues et défendues par l'immense majorité de nos concitoyens. C'est l'unique garantie contre des dérives mortelles, d'où qu'elles viennent. C'est pour notre Armée la certitude d'être comprise, respectée et aimée.

QUARANTE-HUIT PROPOSITIONS
POUR RENFORCER LE LIEN ENTRE
LA NATION ET SON ARMÉE

Suite aux bouleversements géostratégiques intervenus au cours de la décennie écoulée, la France a largement entamé une nécessaire et ambitieuse réforme de son outil de Défense. Celle-ci a entraîné de profondes modifications, tant des missions que des structures et de l'organisation de l'institution militaire.

La suspension de la forme militaire du service national a conduit à la professionnalisation des forces armées et à une modification sensible de leur format qui -il serait illusoire de ne pas vouloir le constater- s'apparentent par bien des côtés à une véritable révolution culturelle, tant pour l'opinion publique que pour l'institution militaire. Cette brusque évolution peut se révéler de nature à modifier les mentalités et les comportements ce qui ne serait pas sans conséquence sur la nature du lien unissant la Nation à son armée.

Afin de renforcer ce lien indispensable, votre Rapporteur a souhaité établir une série de propositions simples, dont l'application pourra être étalée dans le temps. S'adressant tant à la société civile qu'à l'institution militaire, elles se veulent constructives, même si quelques unes d'entre elles peuvent apparaître dérangeantes. Elles sont le fruit des nombreux entretiens qu'il a eus avec des représentants de l'ensemble des composantes de la Nation concernées et impliquées dans cette noble mission qu'est la défense de la Nation.

RAPPROCHER LA NATION DE SON ARMÉE

- Mieux faire connaître l'institution militaire :

· Adapter les programmes scolaires

Depuis la réforme du service national, les principes et l'organisation de la défense doivent faire l'objet d'un enseignement dans les établissements du second degré; il convient donc d'être attentif à l'adaptation permanente des programmes scolaires aux évolutions de la défense.

· Assurer la formation des personnels enseignants

Il apparaît souhaitable d'instaurer des unités de valeurs consacrées à la défense dans l'enseignement supérieur, notamment dans celui dispensé par les Instituts universitaires de formation des maîtres.

· Associer des officiers à l'enseignement de défense

La présence d'officiers d'active ou de réserve, en binôme avec un enseignant permettrait d'illustrer utilement l'enseignement de défense.

· Développer les actions de l'IHEDN

Les actions décentralisées de l'IHEDN devront être développées pour toucher un public plus large et sensibiliser ainsi une plus grande partie de la population aux questions stratégiques et de défense.

· Réactiver la pensée de défense

Il serait souhaitable de soutenir, voire de susciter les initiatives qui pourraient conduire à une réactivation de la pensée de défense dans des cercles extérieurs à l'institution militaire.

· Multiplier les journées portes ouvertes dans les unités

Il s'agit d'ouvrir au maximum l'institution militaire au public de façon à ce que la population ait une approche plus réaliste de la vie quotidienne des unités.

· Organiser des visites d'unités

Afin de pallier les coupures avec la population des régions touchées par les restructurations des forces qui seront exposées à une désertification militaire, il conviendrait d'organiser des déplacements d'élus et de décideurs locaux dans les unités.

· Engager des sportifs militaires dans des compétitions civiles

La participation d'équipes militaires aux différentes manifestations sportives, régionales ou nationales, serait de nature à faire mieux connaître les armées et leurs qualités morales par la jeunesse.

· Promouvoir les armées par une communication objective

La nouvelle Délégation à l'information et à la communication de défense devra s'employer à livrer des informations dont la neutralité ne pourra pas être mise en cause, afin de ne pas exposer les armées aux critiques de subjectivité ou de tentatives de manipulation.

· Aménager les règles de confidentialité des informations militaires

Trop d'information concernant la défense font l'objet de classification faisant peser sur les activités militaires des soupçons de dissimulation. L'évolution du contexte géostratégique devrait permettre de revoir les règles de confidentialité.

· Instituer une journée de la Défense et des forces armées

Cette journée pourrait être l'occasion de rappeler que des militaires français sont engagés, parfois loin du territoire national et dans des conditions difficiles, pour maintenir ou rétablir la paix.

· Valoriser les missions de service public des armées

Il importe de faire savoir à l'opinion publique que les forces armées sont souvent mises à contribution lors de la survenance de catastrophes ou qu'elles peuvent être conduites à renforcer les forces de sécurité.

· Réaffirmer l'appartenance aux armées de la Gendarmerie

L'appartenance de la Gendarmerie et de certaines unités de Sapeurs et Marins-pompiers aux forces armées est insuffisamment connue, or leurs personnels sont généralement appréciés, et leur bonne réputation pourrait servir l'ensemble des armées ont une image.

· Refonder le devoir de mémoire

Il serait utile de rappeler, notamment à l'occasion de la journée de la Défense où lors de manifestations commerciales touchant le grand public, que les espaces de liberté qui s'offrent à nous ont un prix que certains ont acquitté au sacrifice de leur vie, notamment sur les champs de bataille, soit par des conférences, soit par des entretiens avec des lycéens et des étudiants, soit par la présentation de stands documentés.

- Favoriser l'insertion des militaires dans leur environnement civil :

· Instaurer une structure mixte de concertation élus-militaires dans les villes de garnison

L'association des militaires à la vie de la Cité suppose qu'ils puissent sous une forme spécifique, non politisée, entretenir des contacts constructifs avec les responsables de la vie locale.

· Inciter les associations locales à accueillir des militaires

L'insertion des militaires dans l'animation de la vie locale passe par une participation active aux activités associatives, il serait donc souhaitable que, dans la mesure du possible, les associations s'ouvrent d'avantage aux militaires.

· Fidéliser la présence des militaires dans les villes ou les régions

Afin de faciliter une réelle implantation des militaires dans le contexte local, sans doute faudra-t-il s'efforcer de faire en sorte que leur carrière les appelle à occuper des postes dans une même région.

· Pourvoir rapidement les emplois civils dans les unités

La loi de programmation prévoit une sensible augmentation des emplois civils dans les armées, or il apparaît que les recrutements correspondant souffrent un léger retard. Dans la mesure où les personnels civils participeront à l'établissement de contacts avec la population locale, il revient de remédier à cette situation.

· Recourir à l'externalisation des tâches d'entretien

La suspension du service militaire privera les armées d'une main d'oeuvre partiellement employée à des tâches d'entretien. Le recours à des entreprises extérieures aura pour effet de dynamiser le tissu économique local et, par conséquent, d'habituer ses acteurs à entretenir des liens avec l'institution.

· Organiser des permanences juridiques, sanitaires et sociales en partenariat avec les acteurs civils locaux

Les militaires connaissent des problèmes identiques à ceux de la population civile, aussi conviendra-t-il, en partenariat avec les acteurs civil locaux, de leur offrir la possibilité d'obtenir des conseils de la part de professionnels.

- Insister sur le lien entre défense et citoyenneté :

· Organiser annuellement un débat au Parlement sur les grandes orientations de la politique de défense

Il s'agit de montrer que la Défense figure parmi les questions importantes dont le pays a à débattre et que le Parlement ne saurait se contenter du seul examen des questions budgétaires et de démontrer ainsi que les questions de défense sont l'affaire de tous les citoyens.

· Multiplier les contacts entre les élus et le milieu militaire

Il importe que les responsables institutionnels, qu'ils soient élus locaux ou nationaux aient une connaissance réelle de l'institution militaire et de favoriser ainsi l'osmose entre la société civile et la société militaire.

· Instituer une consultation systématique du Parlement sur l'engagement de forces françaises dans des opérations extérieures

Il parait indispensable que le Parlement soit appelé à se prononcer sur tout engagement des forces armées nationales à l'extérieur du territoire. Cette consultation pourrait être systématisée, dés lors que la durée de cet engagement sera supérieure à une dizaine de jours.

· Eviter le dessaisissement du Politique au profit des experts militaires

La complexité de la situation géostratégique et des affaires militaires ne doivent pas conduire les responsables politiques à dépendre trop étroitement de comités d'experts sans prise directe avec la réalité.

· Renforcer les échanges entre le Parlement et le milieu militaire

Il parait souhaitable que les représentants de la Nation effectuent des visites plus fréquentes dans les unités, tout comme il conviendrait que les commissions compétentes du Parlement accueillent des délégations militaires.

· Relayer les travaux parlementaires dans la communication interne aux armées.

Il est pour le moins étonnant que les revues de communication interne à la défense limitent bien souvent leur relation des travaux du Parlement aux seules interventions du Gouvernement. Exposer les préoccupations des parlementaires permettraient aux militaires de constater l'intérêt porté par le monde politique à l'institution militaire.

RAPPROCHER L'ARMÉE DE LA NATION

- Assurer une formation ouverte sur la citoyenneté :

· Favoriser les recrutements de diplômés de l'enseignement supérieur dans les écoles d'officiers

Il apparaît indispensable de prolonger les effets de la réforme déjà entamée dans le recrutement des élèves officiers, de manière à mieux diversifier la population des écoles militaires supérieures, en multipliant les candidatures provenant de postulants ayant une formation universitaire.

· Réduire les durées d'affectations des personnels enseignants des lycées militaires

Les conditions d'exercice de leur profession par les enseignants dans les établissements militaires, face à des élèves disciplinées et dans un univers sécurisé, pourraient les conduire à perdre le contact avec la réalité extérieure et, à terme, altérer la qualité de l'enseignement délivré.

· Rénover les préparations militaires

Dans la suite logique de la réforme du service national, il conviendra de rénover les préparations militaires. La préparation élémentaire sera l'occasion pour tous les volontaires d'acquérir une formation de base diversifiée à des activités qui ne soient pas exclusivement militaires et qui devrait ouvrir l'accès à une préparation militaire supérieure.

· Accélérer la réforme des réserves

Le Gouvernement a récemment déposé le projet de loi portant organisation des réserves. Après son examen et son adoption par le Parlement, celui-ci devra être rapidement mis en application, pour permettre aux nouveaux réservistes d'être activement le trait d'union entre l'institution militaire et la société civile.

· Créer une Académie de Défense

Composée d'universitaires et d'officiers, des responsables politiques passés ou actifs, cette Académie pourrait être un lieu d'échanges et de réflexion sur les questions politico-stratégiques. Ses travaux pourraient faire l'objet d'une large publication.

· Accueillir de nouveau un militaire de haut rang à l'Académie française

Où sont les maréchaux bénéficiant jadis d'une élection de... maréchal... Mais il n'y a plus de maréchaux !

· Accueillir des réservistes dans l'enseignement supérieur
de défense

Par leur présence, même en nombre limité, les réservistes permettraient à leurs homologues d'active de conserver un contact avec la société civile.

· Introduire des stages en entreprise ou dans les administrations dans la scolarité du Collège interarmées de défense

Les élèves du CID auront ainsi la possibilité d'acquérir une expérience complémentaire et enrichissante en exerçant des missions administratives ou industrielles en dehors de l'institution militaire.

· Maintenir dans de bonnes conditions le SMA dans les DOM-TOM

La réforme du service national a maintenu le service militaire adapté sous la forme d'un volontariat. Compte tenu de son importance sociale et économique dans les collectivités d'outre-mer, il est indispensable que ses actions ne soient pas pénalisées par le passage au volontariat.

· Renoncer au principe des compagnies tournantes dans
les DOM-TOM

L'armée de Terre a institué un système de compagnies tournantes dans les régiments d'outre-mer pour tenter de rendre plus attractif l'engagement de professionnels. Vouloir séduire par l'exotisme me semble plus correspondre, d'une part, à l'évolution d'une société dans laquelle la satisfaction de ce goût est devenue plus accessible et, d'autre part, aux missions réelles des forces armées, qui ne sauraient se transformer en annexe de club de voyage. La connaissance de milieux géographiques plus contraignant (et dont la dangerosité est parfois exacerbée) est à mettre en balance avec les risques d'incompréhension entre les compagnies tournantes et les populations des DOM-TOM.

· Eviter une première affectation en métropole des nouvelles recrues originaires des DOM-TOM

Compte tenu du particularisme des DOM-TOM, il paraît important que les régiments présents dans ces parties du territoire comprennent dans leurs rangs une proportion non négligeable de personnels locaux. Il serait souhaitable que les jeunes recrutés par l'institution effectuent les premières années de leur engagement dans leur département ou territoire d'origine avant d'être soumis à l'obligation de mobilité, de façon à mieux arrimer les unités à la collectivité territoriale.

- Propager dans l'institution militaire des méthodes de fonctionnement de la société civile :

· Aménager le droit d'expression des militaires

La société du XXIème siècle sera marquée par le développement de la communication. Il serait pour le moins paradoxal que les militaires demeurent la seule composante se voyant imposer réglementairement l'obligation d'obtenir une autorisation expresse de leur hiérarchie pour s'exprimer dans des revues spécialisées.

· Rendre moins formalistes les sessions des Conseils de la fonction militaire

Les Conseils de la fonction militaire doivent devenir le lieu d'échanges francs et directs sans que le poids de la hiérarchie se fasse sentir. Cette évolution parait d'autant plus nécessaire que la professionnalisation modifiera substantiellement la composition de la population militaire.

· Favoriser le dialogue direct dans les unités

L'irruption des nouvelles technologies de la communication devrait être l'occasion de créer des réseaux intérieurs aux unités, facilitant ainsi le dialogue direct entre les différents niveaux hiérarchiques tout en conservant les règles de courtoisie les plus élémentaires.

· Promouvoir une mobilité professionnelle entre civils et militaires

L'institution militaire gagnerait à ce que soit instaurée une mobilité professionnelle entre la société civile et la société militaire. Celle-ci pourrait faire l'objet de partenariats fixant des règles de réciprocité.

· Assouplir les contraintes pesant sur l'adhésion des militaires au mouvement associatif

La participation des militaires au mouvement associatif constitue un moyen essentiel de leur intégration dans leur environnement civil, aussi convient-il de faire en sorte qu'ils puissent adhérer sans contraintes excessives aux associations locales.

· Faire des militaires des justiciables de droit commun

En temps de paix, l'appartenance citoyenne des militaires suppose qu'ils soient soumis au droit commun en matière pénale.

· Multiplier le parrainage des unités par les collectivités locales

La bonne intégration des unités dans leur ville et leur région devrait conduire, dans la mesure du possible, leurs chefs à rechercher le parrainage des régiments par les collectivités locales, ce qui créerait des liens supplémentaires avec celles-ci.

· Accentuer la féminisation des armées

Bien que lente, la féminisation des armées est en cours. Celle-ci doit être accélérée et doit tendre vers un taux comparable à celle observée dans le monde du travail civil, tout en évitant, dans la mesure du possible, de maintenir au sein des forces des bastions masculins.

- Faciliter la réinsertion professionnelle des militaires :

· Appuyer l'action des associations d'anciens

Les associations d'anciens des unités constituent des relais importants. Elles interviennent souvent, à travers les réseaux qu'elles ont développés dans le pays, dans l'aide au reclassement des militaires qui quittent l'institution. Les unités pourraient mettre des moyens à leur disposition.

· Préparer la reconversion professionnelle des militaires à leur sortie de l'institution

La professionnalisation a pour conséquence une augmentation des carrières courtes et par conséquent du volume des militaires qui quitteront l'institution bien avant l'âge de la retraite. Leur reconversion vers des professions civiles et leur réinsertion professionnelle doivent impérativement être réussies.

· Favoriser l'implantation des anciens militaires dans le bassin d'emploi de l'unité

Afin de dynamiser les relations entre le régiment ou l'établissement militaire et la collectivité d'implantation, il serait souhaitable que les militaires quittant l'unité puissent s'insérer dans la vie et l'économie locale.

EXAMEN EN COMMISSION

Lors de la réunion de la Commission du 10 février 1999, M. Bernard Grasset a présenté son rapport d'information sur les relations entre les armées et la Nation.

M. Bernard Grasset a tout d'abord précisé qu'il avait retenu les termes de " relations entre la Nation et son armée " pour définir l'objet de son rapport. Il a ensuite indiqué qu'il avait, pour la préparation de ce rapport, rencontré de nombreux militaires dont beaucoup servaient avec enthousiasme dans des unités opérationnelles. Il a alors présenté les termes de la problématique qui avaient guidé ses réflexions : la professionnalisation des armées et son corollaire, la suppression du service militaire, ont-elles pour conséquence inéluctable la disparition du lien entre la Nation et son armée ? La Nation se désintéressera-t-elle d'une armée moins présente sur le territoire, en raison de la dimension de son format, et qui ne serait plus irriguée par le flux des conscrits, mais aussi apparemment moins utile compte tenu de la disparition d'une menace géographiquement précisée ? Si l'armée venait alors à être coupée du reste du pays, ne risquerait-elle pas de se refermer sur elle-même ? En réponse à ces questions, M. Bernard Grasset entend proposer une série de propositions simples et pragmatiques, susceptibles, sinon de refonder, du moins d'entretenir le lien nécessaire entre la Nation et son armée.

Il a estimé qu'aujourd'hui l'expression " Armée-Nation " avait fini par être galvaudée après avoir fait partie, avec la dissuasion nucléaire, des thèmes essentiels de la réflexion stratégique. Pourtant, les interrogations sur le lien de la Nation avec son armée ont, pour une part leur origine dans la dissuasion nucléaire. Avec l'apparition de cette dernière, la défense des intérêts vitaux des pays n'était plus le fait de la Nation en armes. Il a souligné que les soldats de Valmy étaient des professionnels et des militaires, et non des conscrits, et que l'idée de Nation en armes n'a connu son âge d'or qu'au cours de la première guerre mondiale. Dès 1945, malgré l'amalgame réalisé par le Général de Lattre de Tassigny entre les combattants d'Afrique du Nord et les maquisards, la guerre froide, la décolonisation, les conflits d'Indochine et d'Algérie ont profondément transformé la perception qu'avait la population française de son armée.

Evoquant la rupture géostratégique provoquée par effondrement de l'URSS et la disparition de l'ennemi désigné, M. Bernard Grasset a estimé qu'elle permettait de comprendre la décision du Président de la République de professionnaliser les armées. Cette mesure aura pour conséquence une raréfaction de la proportion de citoyens ayant été en contact direct avec l'institution militaire, ce qui pose avec une acuité accrue la question de l'évolution des relations entre la Nation et son armée. Cette interrogation apparaît d'autant plus pertinente que l'évolution géostratégique pourrait entraîner une démobilisation de la vigilance du citoyen.

M. Bernard Grasset a considéré qu'il convenait de tout mettre en _uvre pour que la Nation ne s'éloigne pas de son armée et que l'armée ne s'éloigne pas de la Nation, précisant qu'il ne s'agissait pas de maintenir un lien " Armée-Nation ", qui serait celui de deux entités égales en poids et en légitimité, mais bien de conforter le lien nécessaire entre la Nation et son armée. Il a présenté plusieurs propositions concrètes à cette fin.

Les premières d'entre elles ont pour objectif de rapprocher la Nation de son armée.

Ce rapprochement passe, notamment, par une meilleure connaissance de l'institution militaire par la population. A cet effet, il conviendra d'assurer une meilleure formation scolaire et universitaire sur les questions de défense, de multiplier les contacts entre l'institution militaire et la population, en organisant de façon active des journées portes ouvertes, des visites d'amitié et une journée de la Défense et des forces armées, en accentuant la communication objective de défense, en refondant le devoir de mémoire.

Le rapprochement entre la Nation et son armée passe également par une meilleure insertion des militaires dans leur environnement civil ; à ce titre, il faudrait instaurer une structure mixte élus-militaires dans les villes où sont implantées des unités, pourvoir rapidement aux emplois civils vacants, recourir à l'externalisation de certaines tâches et développer des partenariats avec les acteurs économiques, sanitaires et sociaux des collectivités locales.

Enfin, il convient d'insister sur le lien entre Défense et citoyenneté, notamment par l'organisation, chaque année, d'un débat au Parlement sur la politique de défense, de multiplier les déplacements d'élus dans les forces et d'accueillir plus fréquemment des visites de militaires dans les institutions concourant à la vie démocratique, d'instituer une consultation systématique du Parlement sur les engagements de forces françaises en opérations extérieures et d'éviter le dessaisissement du Politique au profit des experts de défense.

M. Bernard Grasset a ensuite proposé une série de mesures visant à rapprocher l'armée de la Nation.

Il a estimé qu'il convenait à cet effet d'assurer une formation destinée aux militaires, qui soit ouverte sur la citoyenneté, en favorisant le recrutement de diplômés de l'université dans les écoles d'officiers, en rénovant les préparations militaires, en accélérant la réforme des réserves, en créant une académie de défense, en introduisant des stages en entreprises ou dans les administrations dans la scolarité du Collège interarmées de défense, en maintenant dans de bonnes conditions le service militaire adapté et en renonçant au principe des compagnies tournantes dans les DOM-TOM.

Il s'agit également de propager dans l'institution militaire des méthodes de fonctionnement s'inspirant de celles de la société civile par un aménagement du droit d'expression des militaires, en favorisant le dialogue direct dans les unités, en développant la mobilité professionnelle entre civils et militaires et en accentuant la féminisation dans les armées.

Enfin, il paraît nécessaire de faciliter la réinsertion professionnelle des militaires à leur sortie d'activité, en appuyant l'action des associations et réseaux d'anciens, en préparant la reconversion professionnelle des militaires en fin de contrat de courte durée et en favorisant l'implantation des anciens militaires dans le bassin d'emploi de l'unité.

En conclusion, M. Bernard Grasset a insisté sur l'importance du lien entre la Nation et son armée, estimant qu'il convenait d'être attentif à sa préservation même si, dans l'immédiat, il n'était pas menacé. Il a également souligné qu'en veillant à ce que les valeurs républicaines demeurent solides, reconnues et défendues par nos concitoyens, le Politique pouvait donner à notre armée la certitude d'être comprise, respectée et aimée.

Remerciant le rapporteur pour la qualité et l'utilité de son travail, dont il a estimé que certains aspects restaient d'ailleurs à approfondir, le Président Paul Quilès s'est félicité de la méthode de travail adoptée, fondée sur des témoignages et des propositions formulées par les acteurs de la défense eux-mêmes.

Après avoir à son tour remercié le rapporteur pour son effort de recherche et de proposition, ainsi que pour l'analyse exhaustive et intéressante qu'il avait proposée, M. René Galy-Dejean a jugé particulièrement utile la proposition d'une journée portes ouvertes dans les infrastructures liées à la défense, évoquant notamment l'intérêt qu'avait suscité dans le public la visite du porte-avions Clémenceau au moment de son retrait du service.

S'agissant de la coupure entre l'armée et la Nation, née de la dissuasion nucléaire, il a jugé que ce constat était plus vrai aujourd'hui que par le passé et souligné à cet égard que, dans le Livre Blanc sur la défense de 1972, la conscription était présentée comme partie prenante à la dissuasion. Le Livre Blanc sur la défense de 1994, en ne faisant plus figurer la dissuasion parmi les missions de la conscription, affaiblissait son lien avec la Nation. Il a jugé que ce problème était appelé à évoluer encore dans l'éventualité de la mise en place d'une dissuasion concertée.

Il a ensuite interrogé le rapporteur sur le déroulement effectif, l'efficacité et l'utilité de la journée d'appel de préparation à la défense et s'est inquiété de la circonspection, voire de la grande réserve, des chefs d'établissement et des enseignants à l'encontre de l'enseignement des principes de la défense.

Soulignant l'ampleur du sujet traité, M. Charles Cova a regretté que le rapporteur ait manqué de temps pour examiner la situation particulière de chacune des armées. Il a estimé qu'il y avait là une lacune à combler. Il a ensuite évoqué la journée d'appel de préparation à la défense, rappelant l'intérêt qu'elle suscitait parmi les jeunes, qui jugent insuffisante sa durée actuelle. Puis il a fait allusion à l'intérêt qu'aurait eu, du point de vue sanitaire, l'instauration d'une visite médicale lors de cette journée. S'agissant de la question des compagnies tournantes, il s'est déclaré en plein accord avec le rapporteur, jugeant que l'envoi de ces compagnies en opérations extérieures était un non-sens, alors que les troupes de marine et la Légion sont préparées à servir outre-mer. Il a enfin regretté que ne lui ait pas été donnée l'occasion de faire part de son expérience à M. Bernard Grasset dans la confection de son rapport.

M. Georges Lemoine s'est interrogé sur la composition des jurys des concours d'entrée dans les écoles militaires, estimant qu'ils étaient caractérisés par une trop grande permanence et qu'un renouvellement régulier de leurs membres serait souhaitable.

Il a, par ailleurs, souligné la dimension européenne de la problématique du lien entre les armées et la Nation. Il a considéré que cette articulation de notre système de défense dans un cadre international mériterait des développements particuliers.

Enfin, il s'est fait l'avocat du mécanisme des compagnies tournantes, moyen de permettre aux militaires français de découvrir concrètement l'étendue du territoire qu'ils ont à charge de défendre.

M. André Vauchez a observé que la fin de la conscription était à l'origine des interrogations actuelles sur le lien entre l'armée et la Nation. Remarquant que la seule existence de la conscription permettait à chaque citoyen de s'interroger sur l'utilité de l'institution militaire, quand bien même il n'y était pas assujetti, il s'est demandé quelle image la Nation allait désormais conserver de son armée. Il s'est inquiété de la difficulté, dans ces conditions nouvelles, de justifier l'existence et l'exigence de crédits considérables pour la défense. Il a estimé que la légitimité des besoins des armées ne pouvait être comprise et reconnue que grâce à un travail éducatif réalisé dès l'adolescence. Il a souligné à cet égard que le service public de l'Education nationale, plus encore que l'appel de préparation à la défense, était le mieux à même de sensibiliser les plus jeunes aux problèmes stratégiques et de sécurité nationale.

Après avoir rappelé le caractère passionnant et passionnel du lien armée-Nation, M. Guy Teissier a regretté que le rapporteur n'ait pas assez insisté sur la question des réserves qui lui est apparue essentielle. Il a fait valoir que les cent mille personnes qui les composeraient, immergées tout à la fois dans la vie civile et la vie militaire, constitueraient un des meilleurs liens entre l'armée et la Nation.

Il a également regretté que la vie associative n'ait pas été davantage mise en valeur, suggérant que des associations d'officiers et de sous-officiers délèguent certains de leurs membres dans les écoles pour favoriser l'enseignement de défense. Il a ensuite insisté sur la nécessité de développer les liens entre l'armée et les collectivités locales. Citant les exemples du 11ème Régiment de Cuirassiers, basé à Marseille, qui assure la logistique du semi-marathon Marseille-Cassis, ou des remises de fourragères organisées dans sa circonscription, il a invité l'armée à multiplier les actions de communication comme les journées portes ouvertes ou l'accueil des jeunes dans les casernes ou sur les navires.

Enfin, il s'est déclaré en désaccord avec ceux de ses collègues opposés aux rotations d'unités outre-mer ou dans les pays qui ont conclu des accords de coopération avec la France. Rappelant le rôle de creuset joué par l'armée française, il s'est opposé à la sélection des unités appelées à stationner hors de métropole et a rappelé la contribution au rayonnement de la France qu'apportent les unités basées dans les pays défavorisés.

M. Antoine Carré a regretté la brièveté de la durée de l'appel de préparation à la défense. Faisant état de son souci de ne négliger aucun effort pour resserrer le lien entre l'armée et la Nation, il a préconisé le développement des relations entre les unités et les collectivités locales, précisant qu'il convenait de préserver les moyens financiers mis à la disposition des formations militaires pour assurer ces relations. Il a insisté sur le rôle essentiel de l'enseignement pour rapprocher l'armée de la Nation et a regretté que le principe de la visite médicale lors de la journée d'appel de préparation à la défense n'ait pas été retenu. Il a conclu en soulignant l'intérêt du service militaire adapté qui permet aux jeunes gens issus de l'outre-mer de pouvoir effectuer le service national dans leur collectivité.

Félicitant le rapporteur pour la qualité de son exposé, M. Robert Poujade a estimé que le débat sur le lien entre la Nation et son armée prenait aujourd'hui un sens alors que, dans le système de la conscription, ce lien était une évidence théorique et que sa description s'apparentait à une tautologie. Il a jugé que, dans un tel contexte, il convenait de ne pas répéter à l'infini sur ce sujet les débats anciens, souvent superficiels, soulignant qu'aujourd'hui, il s'agissait pour la Nation d'apprendre à connaître une armée qui ne lui était plus consubstantielle. Il a ajouté que ce nouveau débat devait être mené à partir de deux constatations : d'une part, que le métier militaire était différent des autres, les militaires ayant la charge de défendre leurs compatriotes et de mourir pour eux, d'autre part, que les militaires étaient aussi des hommes comme les autres, malgré leurs servitudes particulières. Il a ajouté que l'armée devait, dans ce contexte, répondre aux trois exigences d'ouverture, de transparence et de déontologie.

S'agissant des compagnies tournantes, il a mis en doute l'opportunité de généraliser un tel système dans une armée faite pour la spécialisation, corollaire de la professionnalisation. Souhaitant nuancer les observations du rapporteur, il s'est enfin déclaré frappé de la très bonne intégration des militaires dans leur ville d'affectation et de leur connaissance de la vie et des procédures parlementaires.

M. Guy-Michel Chauveau a estimé que le premier tournant dans la relation entre les militaires et la Nation avait eu lieu en 1984-1985, lors de la publication du rapport sur la condition militaire qui avait vu, pour la première fois, les armées s'expliquer sur les problèmes de leur fonctionnement interne au même titre que d'autres institutions. Il a jugé qu'une deuxième étape devait maintenant être franchie, même si chacun constatait les progrès considérables de l'immersion des militaires dans le monde associatif ou dans le milieu sportif.

Après avoir souligné la profonde évolution des missions militaires, il a regretté que ce point ne donne pas véritablement lieu à débat. Il a à ce propos exprimé son étonnement sur l'absence de présentation par les médias de la force d'extraction en Macédoine et émis le v_u que les enseignants trouvent, dans le cadre de leurs cours, l'occasion de traiter des questions de sécurité dans les Balkans. Il a jugé qu'un plus grand intérêt des médias ou de l'Education nationale pour les questions de défense contribuerait au renforcement du lien entre la Nation et son armée.

Exprimant son accord avec les propos de M. Guy-Michel Chauveau, le Président Paul Quilès a constaté, pour le regretter, l'apparent désintérêt du public à l'égard d'une question d'actualité aussi brûlante que la crise du Kosovo et fait remarquer que les médias accordent une place plus importante à ce sujet aux Etats-Unis qu'en France, ce qui peut paraître paradoxal. Il a estimé opportun que de telles questions soient évoquées dans les collèges et les lycées, lors des cours d'histoire notamment. Il a jugé que l'instauration de débats sur les graves crises internationales au sein de l'école permettrait non seulement de former des citoyens, mais également de faire comprendre aux jeunes Français comment, pourquoi et dans quelles circonstances une nation pouvait prendre la décision, particulièrement grave, de participer à des opérations militaires. Il a estimé qu'abandonner une telle décision au seul pouvoir exécutif, voire à une seule personne en son sein, non seulement heurtait le sentiment démocratique, mais allait également à l'encontre de l'efficacité. Une décision aussi grave devrait être démocratiquement ratifiée. Il a ainsi souligné l'importance de la question du lien entre l'armée et la Nation, vers laquelle convergent des problématiques politiques de premier plan.

M. Robert Gaïa a réaffirmé le caractère primordial du rôle de l'Education nationale, estimant qu'elle devait prendre en charge, de manière institutionnelle, un enseignement de défense sur la base de programmes scolaires identiques et obligatoires pour tous. Il a ajouté que la possibilité d'engagements courts (de 8 ans environ), doublée du mécanisme des compagnies dites tournantes (tous les 7-8 mois) avait pour conséquence d'empêcher toute intégration locale des militaires et de leurs familles. Ce faisant, le lien entre l'armée et la société, notamment dans les DOM-TOM, se trouve menacé.

M. Jean Briane a estimé que la seule IHEDN n'était pas en mesure de cultiver l'esprit de défense. Il s'est alors demandé si une partie de la solution ne résidait pas dans une pédagogie adaptée et progressive des questions de défense, commençant dès l'enseignement élémentaire. Il a ajouté que cette suggestion valait aussi bien pour l'ensemble des questions touchant à la citoyenneté ou à la vie en société comme l'instruction civique ou la connaissance des problèmes d'environnement.

Répondant aux différents intervenants, M. Bernard Grasset a souligné que l'esprit de défense reposait désormais pour une large part sur l'éducation des futurs citoyens. Il a estimé que les enseignants n'y étaient pas hostiles, pour peu que les choses soient présentées sous l'angle de l'actualité. Il a par ailleurs reconnu la pertinence du débat sur les compagnies tournantes. Après avoir émis le v_u d'une meilleure communication des armées, il s'est prononcé en particulier pour une plus grande liberté de parole des responsables militaires et a reconnu que la construction de l'Europe de la défense modifiait les données du problème des relations entre l'armée et la Nation. Même si les opérations extérieures des armées françaises sont bien perçues par l'opinion publique, rien ne permet de considérer qu'il en serait de même au cas où un drame se produirait. Certes, l'expérience du Liban a montré que l'opinion publique admet les risques encourus par son armée. Néanmoins, l'internationalisation des crises et des conflits et la multiplication des interventions françaises pourraient, à terme, modifier cet état de fait. M. Bernard Grasset a enfin souhaité rendre hommage aux épouses d'officiers et de sous-officiers dont la vie professionnelle est souvent rendue difficile par la mobilité de leurs conjoints.

Après s'être félicité de la qualité des propositions contenues dans le rapport, le Président Paul Quilès s'est déclaré favorable à ce que la Commission en fasse le bilan avant la fin de l'année.

La Commission a alors autorisé la publication du rapport d'information, conformément à l'article 145 du Règlement.

ANNEXE

LA NATION, QUELQUES DÉFINITIONS

" Le peuple français est un composé, c'est mieux qu'une race, c'est une nation ". (Bainville)

" Une nation est une âme, un principe spirituel. Deux choses qui, à vrai dire, n'en font qu'une, constituent cette âme, ce principe spirituel. L'une est dans le passé, l'autre est dans le présent. L'une est la possession en commun d'un riche legs de souvenirs, l'autre est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l'héritage qu'on a reçu indivis.

" Une nation est donc une grande solidarité, constituée par le sentiment des sacrifices qu'on a faits et de ceux qu'on est disposé à faire encore. Elle suppose un passé ; elle se résume pourtant dans le présent par un fait tangible : le consentement, le désir clairement exprimé de continuer la vie commune ". (Renan)

" L'idée même de nation en général ne se laisse pas capturer aisément... Le fait essentiel qui constitue les nations, leur principe d'existence, le lien interne qui enchaîne entre eux les individus d'un peuple, et les générations entre elles, n'est pas, dans les diverses nations, de la même nature. Tantôt la race, tantôt la langue, tantôt le territoire, tantôt les souvenirs, tantôt les intérêts instituent diversement l'unité nationale d'une agglomération humaine organisée ". (Valéry)

" Les nations, qui sont à l'égard de tout l'univers ce que les particuliers sont dans un Etat, se gouvernent, comme eux, par le droit naturel et par les lois qu'elles se sont faites ". (Montesquieu)

" Dans la doctrine française, telle qu'elle a été exprimée dans nos constitutions de l'époque révolutionnaire et de 1878, la nation est le titulaire originaire de la souveraineté. La nation est une personne avec tous les attributs de la personnalité, la conscience et la volonté. La personne nation est, en réalité, distincte de l'Etat ; elle lui est antérieure ; l'Etat ne peut exister que là où il y a une nation, et la nation peut subsister même quand l'Etat n'existe plus, ou n'existe pas encore ". (Duguit)

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N° 1384. - Rapport d'information de M. Bernard Grasset, déposé en application de l'article 145 du Règlement par la commission de la défense, sur les relations entre la Nation et son armée.