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N° 1701

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 16 juin1999.

RAPPORT D'INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l'article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES (1)

sur la réforme de la coopération appliquée

au Tchad et à la Centrafrique

ET PRÉSENTÉ

PAR MM. YVES DAUGE, JEAN-CLAUDE LEFORT ET MICHEL TERROT

Députés

--

(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

Affaires étrangères

La Commission des Affaires étrangères est composée de : M. Jack Lang, président ; MM. Georges Hage, Jean-Bernard Raimond, Roger-Gérard Schwartzenberg, vice-présidents ; M. Roland Blum, Mme Monique Collange, M. René Rouquet, secrétaires ; Mmes Michèle Alliot-Marie, Nicole Ameline, M. René André, Mmes Marie-Hélène Aubert, Martine Aurillac, MM. Edouard Balladur, Raymond Barre, Dominique Baudis, François Bayrou, Henri Bertholet, Jean-Louis Bianco, André Billardon, André Borel, Bernard Bosson, Pierre Brana, Jean-Christophe Cambadélis, Hervé de Charette, Yves Dauge, Jean-Claude Decagny, Patrick Delnatte, Jean-Marie Demange, Xavier Deniau, Paul Dhaille, Mme Laurence Dumont, MM. Jean-Paul Dupré, Charles Ehrmann, Laurent Fabius, Jean-Michel Ferrand, Georges Frêche, Jean-Yves Gateaud, Jean Gaubert, Valéry Giscard d'Estaing, Jacques Godfrain, Pierre Goldberg, François Guillaume, Jean-Jacques Guillet, Robert Hue, Mme Bernadette Isaac-Sibille, MM. Didier Julia, Alain Juppé, André Labarrère, Gilbert Le Bris, Jean-Claude Lefort, François Léotard, Pierre Lequiller, François Loncle, Bernard Madrelle, René Mangin, Jean-Paul Mariot, Gilbert Maurer, Charles Millon, Mme Louise Moreau, M. Jacques Myard, Mme Françoise de Panafieu, MM. Etienne Pinte, Marc Reymann, Mme Chantal Robin-Rodrigo, M. Gilbert Roseau, Mme Yvette Roudy, MM. Georges Sarre, Henri Sicre, Mme Christiane Taubira-Delannon, MM. Michel Terrot, Joseph Tyrode, Michel Vauzelle, Aloyse Warhouver.

SOMMAIRE

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INTRODUCTION 5

I - UNE COOPÉRATION TRADITIONNELLEMENT IMPORTANTE QUI DEMEURE DÉCISIVE POUR L'AVENIR DU TCHAD
ET DE LA CENTRAFRIQUE
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A - DEUX PAYS FRAGILISÉS AVEC DES RISQUES D'EXPLOSION. 9

1) Des situations politiques fragilisées 7

2) Des situations économiques inquiétantes 10

B - UNE COOPÉRATION ESSENTIELLE DANS LE PASSÉ ET POUR LE FUTUR 12

1) Une aide importante en valeur absolue 12

2) Une aide essentielle par la diversité et le nombre de projets 13

II - UNE COOPÉRATION EN QUÊTE DE NOUVELLES BASES 19

A - LES CONDITIONS D'UN PARTENARIAT EFFICACE 19

1) Trouver un partenaire 19

2) Adapter les instruments 20

B - LES AMÉLIORATIONS À APPORTER 22

1) La prise en compte de la durée 22

2) La prise en compte de la multiplicité des partenaires 22

CONCLUSION 22

EXAMEN EN COMMISSION 22

ANNEXES 33

Les annexes seront mises en ligne sur le site ultérieurement.

Mesdames, Messieurs,

Vous vous en souvenez certainement, il y a quelques mois, MM. Jean-Pierre Brard et Jean-Claude Lefort avaient déposé, avec les membres du groupe communiste, une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête chargée de faire le bilan de l'action de la France en République centrafricaine (RCA) et de dégager les orientations nouvelles à apporter à cette action.

Dans son rapport sur cette proposition de résolution (rapport n° 423, onzième législature, M. Yves Dauge avait estimé préférable que la Commission des Affaires étrangères se saisisse directement de ce sujet dans le cadre d'une mission d'information créée en son sein. Cette proposition avait recueilli l'aval de l'ensemble des commissaires présents d'autant que, sous l'impulsion du Président Jack Lang, il avait été décidé de constituer des petits groupes de travail de députés pour les spécialiser sur diverses régions du monde. C'est dans ce contexte qu'une mission d'information a été créée par la Commission des Affaires étrangères, comprenant MM. Yves Dauge (PS), Jean-Claude Lefort (PC) et Michel Terrot (RPR) afin d'étudier les orientations de notre coopération au Tchad et en RCA.

Cette mission d'information s'est rendue au Tchad et en RCA du 22 au 30 mars 1999. Elle a rencontré les dirigeants de ces pays mais également les acteurs français de la coopération et a visité les principales réalisations auxquelles la France a contribué financièrement.

Le choix du Tchad et de la RCA s'explique par l'identité des problèmes auxquels sont confrontés ces deux pays qui possèdent un certain nombre de caractéristiques communes : un enclavement au c_ur du continent africain ; une économie perturbée par les guerres civiles ; des relations étroites, mais souvent ambivalentes et tendues, avec la France.

Le présent rapport d'information s'inscrit dans un contexte plus général de réforme de la coopération française, qui a fait l'objet de nombreux débats au sein de notre Commission. Les objectifs recherchés étaient triples  : une meilleure efficacité des institutions en charge de la Coopération, l'établissement de relations fraternelles - et non paternelles - avec les pays aidés, une meilleure association de la société civile au travail de définition et de mise en _uvre de la coopération. Des réformes institutionnelles et administratives ont été lancées : formation d'un pôle diplomatique unique Affaires étrangères-Coopération, définition d'une zone de solidarité prioritaire (ZSP), dont font naturellement partie la RCA et le Tchad, création d'un comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID), mise en place d'un Haut conseil de la coopération internationale à la présidence duquel a été récemment porté notre collègue M. Jean-Louis Bianco, et dont la fonction principale est d'associer les représentants de la société civile.

Ce rapport sera donc aussi l'occasion de faire un premier bilan de l'accueil réservé à la réforme, et de son application sur le terrain.

I - UNE COOPÉRATION TRADITIONNELLEMENT IMPORTANTE QUI DEMEURE DÉCISIVE POUR L'AVENIR DU TCHAD ET DE LA CENTRAFRIQUE

Vos Rapporteurs ont été très frappés au cours de leurs différentes rencontres au Tchad et en RCA, par l'attente éperdue, à la fois des populations et des dirigeants, à l'égard de la France. « Nous ne nous en sortirons pas si la France ne nous aide pas. La France doit nous aider », tel est le leitmotiv que nous avons le plus souvent entendu. Lors d'une audition avec le Premier ministre centrafricain, M. Anicet Dologuélé, ce dernier s'est même excusé avec humour de faire un exposé en forme de « shopping list ».

Les liens tissés par l'histoire ont créé à l'évidence des rapports passionnels entre la France et ces deux pays. Certaines réactions ne peuvent être comprises qu'à travers ce prisme des sentiments fondés sur la peur et la colère de se voir abandonné.

Il est donc indispensable que la réforme de la coopération soit expliquée et comprise pour ne pas être perçue comme une politique de désengagement alors qu'elle veut être au contraire une occasion d'approfondissement.

A - Deux pays fragilisés avec des risques d'explosion.

1) Des situations politiques fragilisées

● « Je n'apporte aux Tchadiens ni eau ni argent mais la liberté ». Cette déclaration d'Idriss Déby au lendemain de sa prise de pouvoir le 1er décembre 1990, grâce à une offensive éclair dirigée contre le Président Hissène Habré, avait suscité de nombreux espoirs. Alors que la violence et les guerres civiles avaient prévalu durant les trente années ayant suivi l'indépendance, causant des milliers de morts et empêchant tout développement durable du pays, la population aspirait à la stabilité et la démocratisation.

Neuf années plus tard, le bilan est contrasté. Incontestablement, des efforts de démocratisation ont été accomplis : adoption par référendum d'une nouvelle constitution en mars 1996 ; dans la foulée, première élection présidentielle pluraliste, en été 1996, remportée par M. Idriss Déby avec 69% des suffrages ; enfin, élections législatives, plusieurs fois reportées, mais finalement tenues en février 1997, qui consacrent la victoire du parti du Président : le Mouvement patriotique du salut (MPS), auquel est attribuée la majorité absolue des sièges.

Mais au fil des années, le pouvoir s'est concentré entre les seules mains du Président. La construction d'un Etat de droit demeure imparfaite : des institutions prévues par la Constitution (Cour constitutionnelle, Conseil supérieur de la magistrature...) n'ont pas été mises en place et trop souvent encore les forces armées semblent plus une menace pour les citoyens qu'une réelle protection.

L'opposition parlementaire est peu critique toutefois à l'exception notable du député de Moundou, M. Ngarlejy Yorongar, qui a payé de quelques mois de prison sa dénonciation pour corruption du chef de l'Etat et du Président de l'Assemblée nationale. Le gouvernement, en proie à d'incessants remaniements - en moyenne, trois par an - et à des luttes internes semble avoir pour fonction accessoire le débauchage des opposants. Il faut sans doute y voir l'application de l'aphorisme populaire tchadien selon lequel une bouche qui mange ne parle pas.

L'actuel Premier ministre, M. Nassour Ouaidou Guelengdouksia, n'a pas caché lors d'un entretien avec la mission, que l'une de ses principales préoccupations était de maintenir la stabilité politique du Tchad.

Depuis quelque temps toutefois, des signes de craquements apparaissent ça et là et nombreux sont ceux qui craignent le retour aux errements des années passées. Les spéculations vont bon train sur l'état de santé du Président Idriss Déby - que n'a pas rencontré la mission - ce qui tend à relancer les tensions entre les divers clans et tribus qui l'ont aidé à prendre le pouvoir et qui spéculent sur une éventuelle succession. Le calme reste précaire dans le sud du pays, dont les populations supportent difficilement la tutelle politique du nord, et où l'exploitation prochaine des ressources pétrolières attise les convoitises. Au Nord, depuis septembre 1998, un front rebelle, mené par un ancien ministre du Président Déby, M. Youssouf Togoïmi, tient tête dans le Tibesti aux forces gouvernementales.

● En RCA, la situation politique apparaît également très fragile. Nous ne reviendrons pas dans le présent rapport sur les trois mutineries successives qui ont éclaté en 1996, causant de nombreuses victimes, destructions et pillages. Le rapport de M. Yves Dauge cité ci-dessus a longuement décrit ces événements qui ont incité les forces françaises, alors stationnées à Bangui et à Bouar, à intervenir pour assurer la sécurité des ressortissants français et étrangers, ainsi que pour faciliter les négociations entre les mutins et les autorités centrafricaines. Une médiation régionale dirigée par l'ancien Président du Mali, le général Amadou Toumani Touré, avait conduit à la création en février 1997 d'une Mission interafricaine de suivi des accords de Bangui (MISAB) relayée depuis avril 1998 par une Mission des Nations Unies en République centrafricaine (MINURCA) dont le mandat a été prolongé à trois reprises, mais qui doit finalement se terminer en novembre 1999. Les 200 militaires français, qui avaient été mis à la disposition de la MINURCA dans un but de soutien logistique et médical, ont été remplacés à la fin de février 1999 par un contingent égyptien et seuls demeurent désormais quelques éléments aux côtés de l'Ambassadeur pour assurer sa sécurité.

L'une des raisons principales au prolongement de la MINURCA a été l'absence de majorité législative nette issue des élections législatives qui se sont déroulées en novembre 1998. A l'issue du scrutin, l'opposition avait remporté 55 sièges sur 109, mais cette courte majorité avait été renversée par le passage d'un député d'un camp à l'autre, dans des circonstances donnant lieu à polémiques. Les partis politiques d'opposition regroupés au sein de l'Union des forces acquises à la paix et au développement (UFAP), rencontrés par la mission, ont évoqué à ce propos « des conditions où se mêlaient à la fois la pression, l'intimidation et l'appât financier ».

La situation politique actuelle est dominée par la préparation de l'élection présidentielle qui doit se tenir en septembre 1999. Premier chef d'Etat de la République centrafricaine élu au suffrage universel, en septembre 1993, le Président Ange Félix Patassé a vu progressivement s'éroder sa popularité, en raison notamment de la dégradation de la situation économique et sociale. Révélant une tendance préoccupante à dénoncer des complots imaginaires d'opposants, parfois appuyés selon lui par des Français, M. Patassé a favorisé la mainmise de son parti, le Mouvement de libération du peuple centrafricain (MPLC), sur l'administration. Se méfiant des forces armées centrafricaines, composées en majorité d'éléments de l'ethnie Yacoma fidèle au général Kolingba, son prédécesseur et rival malheureux, il a considérablement renforcé les moyens d'une garde rapprochée, appelée Force de sécurité et de défense des institutions de la République ( FORSDIR), dont le nombre a été estimé devant nous à 700 par le Ministre de la Défense et que d'autres sources chiffrent à 1000 ou 1200 hommes.

Au cours de l'audience qu'il a accordée à la mission, le Président Ange Félix Patassé est apparu très serein, se disant prêt à accepter démocratiquement une défaite. Dans les faits, M. Patassé apparaît aujourd'hui comme le favori de la prochaine élection présidentielle en raison des divisions de l'opposition et de l'incapacité des partis qui la composent à présenter un candidat d'union.

● Au total, nous voyons bien les similitudes dans les situations politiques du Tchad et de la Centrafrique : un régime très présidentialisé, une opposition qui a du mal à exister, des forces militaires considérées par le pouvoir à la fois comme un soutien et une menace, de nombreuses zones d'insécurité en dehors de la capitale. Les incertitudes sont toutefois d'ordre différent : au Tchad, elles portent sur le sentiment de vivre la fin d'une époque ; en République centrafricaine, elles concernent la capacité du Président Patassé à résoudre demain les problèmes qu'il n'arrive pas à maîtriser aujourd'hui.

Notons enfin que dans les deux pays, la presse est assez libre, et que les articles irrévérencieux à l'égard du pouvoir sont relativement fréquents. En revanche, la télévision, dont l'audience est beaucoup plus importante, demeure sous le contrôle étroit des gouvernements.

2) Des situations économiques inquiétantes

Selon le dernier rapport du PNUD sur le développement humain, le Tchad se situe au 164ème rang sur un total de 175 pays. Ce classement, qui prend en compte des indices économiques et sociaux (taux de scolarisation, espérance de vie...) illustre l'extrême pauvreté de ce pays sahélien, l'un des plus enclavés d'Afrique. Le réseau routier est inférieur à 400 kilomètres - pour un territoire qui fait trois fois la France - , et lors de la saison des pluies, certaines régions sont coupées du reste du pays.

L'agriculture représente à elle seule près de 40% du produit intérieur brut et fait vivre 75% de la population. Le coton et l'élevage en sont les postes les plus importants ; ils représentent à eux deux près de 85% des exportations. Les activités industrielles (20% du PIB) sont essentiellement constituées d'entreprises agro-alimentaires. Le secteur tertiaire est pour l'essentiel commercial mais il est concurrencé par un secteur informel qui a pris une ampleur telle que selon certaines estimations, ce dernier représenterait entre 50 et 60% du PIB, entraînant pour l'Etat des pertes fiscales considérables.

Depuis juillet 1995, le Tchad est engagé avec l'aide du FMI dans un programme d'ajustement structurel qui a pour but de favoriser l'émergence d'un secteur privé. Des réformes ont été engagées : refonte du système fiscal, désengagement des organismes publics... Des résultats ont été obtenus dans le domaine de l'augmentation des recettes fiscales (+ 15% en 1998), de la maîtrise de l'inflation ( voisine de 3%)... Mais ils demeurent fragiles et dépendent étroitement des variations de la pluviométrie et de celles des cours du coton et du sucre. On estime encore aujourd'hui que 30% du budget de fonctionnement de l'Etat et 90% de celui d'investissement proviennent des aides extérieures, bilatérales ou multilatérales. La croissance prévue pour 1999 est inférieure à 1%.

De grands espoirs sont placés dans la mise en exploitation, régulièrement annoncée par les autorités, des gisements de pétrole découvert dans le sud, dans la région de Doba. Selon les estimations actuelles du consortium Exxon-Shell-Elf en charge de l'exploitation, la production pourrait atteindre 200 000 barils par jour, de quoi procurer d'importantes royalties et desserrer la contrainte énergétique qui pèse sur le Tchad. La production ne commencera toutefois au plus tôt qu'à partir de 2002. Le Premier ministre nous a indiqué que 10% de ces revenus pétroliers seront bloqués sur un compte pour 20 ou 30 ans au profit des générations futures.

● Avec un PIB par habitant un peu supérieur à celui du Tchad (310 dollars contre 210), la République centrafricaine est elle aussi confrontée à de sérieux handicaps structurels (enclavement, faible densité démographique) et doit de surcroît affronter une sérieuse crise économique et financière. Le secteur primaire représente 60% de l'activité du pays ; lors de l'audition qu'il a accordée à la mission, le Président Patassé a regretté que cette agriculture demeure encore trop archaïque bien que des efforts de mécanisation soient en cours. L'industrie est peu développée et subit la concurrence du secteur informel. Les exportations sont constituées pour plus de 50% de diamants, pour 30% de bois, de café et de coton. Ainsi que la mission a pu le constater lors d'un déplacement sur le site d'un barrage, l'une des richesses de la Centrafrique tient en la densité de son réseau hydrographique qui permet une production nationale d'électricité.

Au cours de notre entretien avec le Premier ministre, M. Dologuélé, ancien cadre de la Banque des Etats d'Afrique centrale, ce dernier a exprimé les difficultés qu'il rencontrait pour percevoir les recettes fiscales, notamment les impôts indirects et les droits de douane. Il a souligné que la réussite de tout programme de redressement économique passait au préalable par une sécurisation des recettes de l'Etat et une réforme de l'administration financière pour laquelle il a demandé l'aide de la France.

La RCA a signé en juillet 1998 un nouveau plan d'ajustement structurel avec le FMI, qui prévoit une meilleure maîtrise des finances publiques et la privatisation des principales entreprises du secteur public : eau, énergie, électricité... Cette dernière perspective a réduit les investissements de maintenance dans lesdites entreprises dont les infrastructures ont tendance à se dégrader, ce qui rend d'autant plus difficile le dialogue avec les repreneurs potentiels. Mais l'incertitude du climat politique, et les liens étroits entre les sphères du pouvoir et de l'économie sont autant d'obstacles à l'application des réformes.

Au total, que ce soit pour le Tchad et la RCA, les programmes d'ajustement structurel du FMI, qui reposent essentiellement sur le diptyque maîtrise des finances publiques et libéralisation, promettent des recettes bien dérisoires au regard des besoins à moyen terme des populations. Comment de tels programmes pourraient-ils réussir dans des pays où les cadres administratifs manquent cruellement de formation et où le ministère des finances est incapable de fonctionner normalement, sans l'aide d'experts étrangers, et notamment français, pour seconder les chefs de services ? La rigueur fiscale exercée sur le secteur privé contraste avec le laxisme dont on fait preuve vis-à-vis d'un secteur informel en pleine expansion. La faillite du secteur public due notamment à des ingérences du pouvoir dans leur gestion (nominations de complaisance, augmentation des salaires à la veille des consultations électorales...) augure mal du succès de leur privatisation ; les repreneurs, de plus en plus réticents à s'engager dans des entreprises déjà moribondes, se font rares. Le redressement social et économique exige des actions de plus long terme et passe obligatoirement par la mise en place d'une aide en argent et en hommes. C'est à quoi s'emploie la France depuis l'indépendance de ces deux pays en 1960.

B - Une coopération essentielle dans le passé et pour le futur

1) Une aide importante en valeur absolue

L'aide publique française au Tchad, en forte diminution depuis trois ans, représente en 1998 297 millions de francs , contre 522 millions en 1993. Cette réduction s'explique par la diminution du nombre d'assistants techniques - tombé de 177 en 1993 à 110 en 1999 - mais surtout par la réduction du volume des subventions d'ajustement structurel, passé entre 1993 et 1998 de 108,5 à 20 millions de francs. Cette aide publique française continue à représenter néanmoins pour le Tchad la plus importante des aides extérieures, avec celles de l'Allemagne et de l'Union européenne.

Pour la période 1993-1998, l'aide française au Tchad s'est décomposée de la manière suivante : 39% pour l'aide-projet, 26% pour la coopération militaire, 16% pour l'assistance technique, 16% pour les subventions d'ajustements structurels, 2% pour les bourses (des stages de courte durée dans les trois quarts des cas).

● L'aide à la Centrafrique a connu une évolution similaire puisqu'elle a chuté de près de moitié en trois ans, passant de 308 millions en 1996 à 160,5 en 1998. Les raisons de cette chute sont, comme au Tchad, la baisse des effectifs de l'assistance technique passés de 200 postes ouverts en 1996 à 147 en 1998 mais surtout la diminution de l'aide budgétaire. Néanmoins, malgré cette baisse, la France demeure le premier bailleur d'aide à la RCA et notre importance relative croît d'autant plus que les autres partenaires se désengagent progressivement, découragés par la situation critique de l'économie et des finances centrafricaines.

2) Une aide essentielle par la diversité et le nombre de projets

Les principaux secteurs bénéficiaires de notre coopération au Tchad sont : l'éducation et la formation, la santé, le secteur rural et l'environnement.

La proportion d'enfants scolarisés est officiellement de 1 sur 2 pour les garçons et de 1 sur 4 pour les filles. Dans les faits, les chiffres sont encore inférieurs. La situation, selon un récent rapport commandé par le ministère de la coopération, est particulièrement difficile, surtout pour le primaire, et tout particulièrement en milieu rural : classes surchargées pouvant atteindre plus de 100 élèves, maîtres en nombre insuffisant et insuffisamment qualifiés. Ces résultats sont décevants pour un secteur qui absorbe le quart de notre aide technique et le cinquième de l'aide FAC.

Notre coopération en matière de santé, il faut le reconnaître, n'a pas amélioré de manière satisfaisante la situation sanitaire du Tchad. La mortalité maternelle et infantile demeure très forte : 1 enfant sur 5 meurt avant 5 ans. La couverture vaccinale (10% des enfants) est l'une des plus basses du continent africain. Selon le rapport précité commandé par le ministère de la coopération, seulement 200 médecins et un seul chirurgien tchadiens exerceraient dans leur pays, la majorité d'entre eux à N'Djamena et dans les centres villes. Une centaine de médecins tchadiens seraient demeurés en France, après leur formation. On constate également la persistance de grandes endémies et la progression du sida.

La France a choisi d'intervenir prioritairement dans les deux plus gros hôpitaux du pays, N'Djamena et Moundou. La mission parlementaire a visité l'hôpital de Moundou, et a pu constater le dévouement sans faille et l'énergie déployés par les coopérants sur place, chirurgien et infirmières, qui dans des conditions de pénurie de matériels et de personnel formé, arrivent à faire fonctionner l'hôpital de manière satisfaisante. Leurs efforts sont soutenus par une coopération avec l'hôpital de Poitiers, qui a permis notamment de réhabiliter des locaux. L'ensemble du projet est porté par la mission de coopération, dont la responsable du secteur santé fait preuve d'un dynamisme à toute épreuve. La mission parlementaire regrette de n'avoir pas rencontré le Ministre de la santé - qui n'est pas venu au rendez-vous initialement prévu - pour avoir une idée plus précise des besoins et des actions à mener en faveur du plus grand nombre.

L'action de la France apparaît en revanche très largement positive en matière de développement rural et d'environnement. M. Mahamat Nouri, ministre de l'élevage, s'est réjoui de l'efficacité des actions menées par la France en faveur de l'hydraulique villageoise et pastorale (réalisation de points d'eau), d'amélioration des conditions sanitaires du troupeau et de sécurisation des transhumances. L'Agence française pour le développement (AFD) ne nous a pas caché l'importance des difficultés qu'elle rencontrait pour démarrer certains projets ayant fait l'objet de décisions de financement. Les procédures d'appel d'offres et de passation de marché pour le choix des opérateurs et des entreprises s'avèrent en effet extrêmement longues et elles sont souvent appliquées sans volonté constructive d'aboutir. Ainsi des projets décidés en 1996 ou 1997, comme les programmes d'hydraulique dans la zone soudanienne (l'une des trois zones agro-climatiques du Tchad) et dans la région de Kanem, ou encore le programme d'appui aux producteurs de la zone soudanienne n'avaient pas encore, lors de notre séjour au Tchad, un début d'exécution.

La mission a pu se rendre compte de l'importance des problèmes auxquels est confrontée la capitale, N'Djamena. Alors que la ville regroupe déjà près de la moitié de la population urbaine du pays, l'accroissement démographique (6% par an) provoque l'extension de la ville vers les zones inondables et aggrave les problèmes liés au traitement des déchets urbains, au drainage, à l'accès à l'eau potable et à l'électricité. Les problèmes en termes de salubrité publique sont d'autant plus importants que la ville est dépourvue de réseau d'assainissement. L'urgence d'un plan d'aménagement global de la capitale apparaît à l'évidence pour régler l'ensemble de ces problèmes, et ceux liés à l'habitat. C'est la raison pour laquelle l'AFD a décidé de consacrer 30 millions de francs à un programme de réhabilitation de N'Djamena.

La mission parlementaire a pu visiter quelques réalisations menées grâce au concours de l'AFD : réhabilitation du marché à mil et du marché central (avec une partie justement laissée à l'initiative individuelle dans le cadre d'une autoconstruction et la mise en place d'une gestion décentralisée avec les commerçants), création d'une gare routière, construction de caniveaux et renforcement des berges du Chari.

La ville de Toulouse a apporté son aide à la mairie de N'Djamena pour la formation de responsables et de cadres communaux et contribue aujourd'hui à un important plan d'action pour la gestion durable des déchets urbains et de l'assainissement. Cette action illustre l'importance et la réussite d'actions de coopération décentralisée, qu'il convient d'encourager et faire connaître.

Le Tchad constituant avant tout pour la France un enjeu de nature géopolitique, la coopération militaire française était traditionnellement très importante, du moins jusqu'en 1996. A compter de cette date, l'enveloppe a été considérablement réduite. Alors que l'effectif des coopérants militaires se montait à 250 en 1994, ce chiffre a progressivement diminué jusqu'à 66 pour 1999. Durant cette même période, le budget d'aide directe de la Mission d'aide militaire a été divisé par quatre. M. Oumar Kadjallami, ministre de la défense nationale, ne nous a pas caché qu'il souhaitait une relance de cette coopération. En dépit de ces réductions toutefois, le Tchad arrive toujours en tête des pays les mieux dotés en matière de coopération militaire.

L'objectif principal de cette coopération militaire est la restructuration des forces armées afin de favoriser la stabilisation du pays, l'instauration d'un Etat de droit et l'émergence d'une situation sécuritaire favorable au développement institutionnel, économique et social. Le programme de déflation conclu entre la France et le Tchad s'est traduit par le départ effectif de 17 000 hommes de l'armée tchadienne entre 1992 et 1996.

Dans les faits, les forces armées tchadiennes semblent rencontrer beaucoup de difficultés à remplir leur mission en raison d'un manque de formation, d'une forte démotivation due notamment à des salaires irrégulièrement versés et d'une pénurie de moyens, pour l'essentiel réservés aux corps d'élites comme la FORSDIR déjà évoquée ci-dessus. L'aide française, qui fournit à l'armée nationale tchadienne l'essentiel de son carburant et de son matériel (hors armes), demeure un soutien indispensable à son fonctionnement. La montée en puissance d'une coopération libyenne centrée sur les unités d'élite du régime représente cependant une modification notable du contexte de notre coopération.

Nous rappellerons enfin pour mémoire, même si ce dispositif est indépendant de la coopération proprement dite et en conséquence du champ de notre étude, la présence au Tchad du dispositif Epervier devenu, depuis la fermeture des bases centrafricaines, l'un des trois points d'appui, avec Libreville et Djibouti, de notre dispositif militaire en Afrique. Cette présence, constituée de 840 hommes depuis 1986, garantit au Tchad une certaine protection, assure la sécurité de la communauté française, fournit un appui logistique à l'armée nationale tchadienne, et vient en aide, si nécessaire, aux populations locales en difficulté (aide médicale gratuite). On a estimé à 150 millions de francs les dépenses effectués sur place par le dispositif Epervier, ce qui permet de voir que son poids dans l'économie locale est loin d'être négligeable.

La visite du dispositif Epervier a permis à la mission d'en apprécier la remarquable organisation qui se caractérise par le regroupement sous un même commandement - celui de l'air - de l'ensemble des forces.

● En RCA, les mutineries de 1996 et 1997 se sont accompagnées de la disparition des capacités de fonctionnement de l'administration, de la quasi-disparition de l'investissement industriel, du développement des circuits spéciaux et des versements occultes, de la chute des recettes ainsi que du développement du brigandage en milieu rural. La fin de cette période de crise ouverte n'a pas mis fin pour autant au délabrement des administrations, à la déshérence des finances publiques et à l'insécurité croissante. La priorité pour la coopération française, qui a même été interrompue pendant quelques mois, a constitué à appuyer le retour à un fonctionnement normal des institutions et à l'émergence d'un Etat.

Le premier objectif de la coopération avec la RCA a été de conforter l'Etat dans ses missions régaliennes (sécurité publique, justice, finances publiques). Le Premier ministre, M. Anicet Dologuélé, a réaffirmé devant la mission, l'urgence de cette priorité afin notamment de restaurer la capacité de l'Etat à assurer les rentrées fiscales. Pour ce faire, un renforcement de l'appui technique au Ministère des finances et du budget  a été mis en place. Cette aide s'est révélé décisive pour la poursuite du dialogue avec les institutions financières internationales, ce qui a permis à la RCA de bénéficier d'une facilité d'ajustement structurel de la part du FMI (avec une contribution de 20 millions de francs de la part de la France) et d'un réaménagement de sa dette par le Club de Paris. Des progrès considérables restent encore à accomplir pour le rétablissement des recettes (impôts et douane), le suivi des dépenses, la collecte de statistiques cohérentes et la gestion informatique.

Des appuis spécifiques ont été également apportés dans le cadre d'un programme « d'appui au renforcement de l'Etat de droit » en faveur des services de sécurité publique et civile (police judiciaire, sapeurs pompiers...) ainsi que des magistrats et des auxiliaires de justice (renforcement des moyens de l'Ecole nationale d'administration et de magistrature de Bangui...).

L'aide au développement économique, aux infrastructures, aux transports et au secteur privé est le domaine prioritaire d'action de l'AFD. La mission a pris la mesure de l'important programme de travaux mené à Bangui. D'importants travaux de réhabilitation et de creusement de collecteurs de drainage ont été lancés à partir de 1992, de même que des actions de rénovation et de reconstruction des marchés de Bangui. Depuis 1993, neuf marchés ont pu être ainsi réhabilités pour un montant total d'investissements de 7,5 milliards de francs CFA.

Comme à N'Djamena, la nécessité d'un plan d'aménagement et d'action d'ensemble apparaît indispensable. Cette question a d'ailleurs été évoquée au cours de l'entretien avec le Président Patassé, qui a reconnu là une priorité. Par la suite, une rencontre s'est tenue à la Résidence de l'Ambassadeur avec le Ministre de l'Urbanisme, au cours de laquelle il a été suggéré qu'une délibération du Conseil des ministres centrafricains adopte un tel plan et demande l'aide de la France pour ce projet.

Il serait nécessaire qu'un tel plan prenne en compte l'aspect patrimonial pour rendre à Bangui, cette ville magnifique du fait notamment de son architecture coloniale et de sa structure végétale, son ancien surnom pleinement justifié de « Bangui la coquette ».

Dans les domaines sociaux et éducatifs, les besoins sont considérables. Le Ministre de l'éducation nationale nous a exprimé son inquiétude devant le déficit en enseignants locaux qui empêche une bonne scolarisation des enfants. Un projet d'appui au système éducatif centrafricain, qui devrait prendre fin à l'été 1999, s'est donné pour objectif la formation d'enseignants du primaire, du secondaire général et de l'enseignement technique. De son côté, le Ministre de la santé ne nous a pas caché son inquiétude devant la dégradation continue du système de santé publique, comme en témoigne la forte présence du sida (qui toucherait selon le ministre 15% de la population, et principalement les élites), de la tuberculose, du paludisme et autre pandémies.

En matière de coopération culturelle, le Centre culturel français, qui avait été totalement détruit lors des mutineries de mai 1996, a été remplacé par une Alliance française, structure jugée plus souple, mieux adaptée au contexte local et à des actions de partenariat. Depuis juillet 1998, cette nouvelle structure dispose d'un vaste centre de 1400 mètres carrés, qu'il importe de réhabiliter, de restructurer et d'équiper rapidement. L'Alliance devient progressivement un lieu de rencontre, de diffusion du français ainsi que de l'usage de nouvelles technologies de l'information.

Enfin, la tendance de notre coopération militaire était jusqu'à maintenant globalement à la diminution. Le président Patassé réserve aujourd'hui l'essentiel des moyens militaires et financiers du pays à sa garde présidentielle et avait clairement fait valoir son souhait que la France ne participe pas à la restructuration des Forces armées centrafricaines (FACA). Il est vrai que le départ des éléments français d'assistance opérationnelle (EFAO), environ 1400 hommes répartis entre Bangui et le camp de Bouar, a été très mal vécu. Le retrait de ces forces, présentes en RCA depuis 1979, a été achevé le 15 avril 1998 suite à la décision prise par le gouvernement français d'alléger notre dispositif militaire en Afrique. Le Président Patassé nous a confié à quel point il avait été blessé d'être mis devant le fait accompli et de ne pas avoir été consulté préalablement à la décision française de retirer ses troupes. Il a souhaité toutefois devant la mission, que la France participe plus activement à l'équipement (véhicules, matériel de transmissions, paquetage) et à la formation des FACA.

Ce qui a profondément frappé vos rapporteurs au cours de cette mission, c'est l'ambivalence et la complexité des liens entretenus par la France et ces deux pays, le Tchad et la RCA. D'un côté, sont mis en avant des liens historiques et affectifs au nom desquels toute demande apparaît justifiée. De l'autre, les récriminations sont fréquentes (du bruit des avions d'Epervier à la dénonciation de certains comportements qualifiés de néo-colonialistes) et les équipes en place et une certaine tendance à attribuer à la France toutes les difficultés rencontrées.

Il était donc devenu nécessaire de rechercher les nouvelles bases d'un dialogue résolument tourné vers l'avenir et la définition d'actions communes. C'est l'objet de la réforme de la coopération voulue par le Président de la République et le Gouvernement français.

II - UNE COOPÉRATION EN QUÊTE DE NOUVELLES BASES

Nous avons rappelé en introduction les principaux axes de la réforme de la coopération. Un mot pourrait résumer son esprit : partenariat. Mais la mise en _uvre de ce concept se heurte à de nombreuses difficultés.

Pour être appliquée, une réforme doit être acceptée, c'est-à-dire comprise. Les administrations centrales, en dépit de l'importance des bouleversements de structures et malgré quelques interrogations légitimes, ont engagé leur réorganisation dans le cadre d'une direction générale qui apparaît a priori bien lourde, et dont la lisibilité extérieure de l'organigramme pose encore problème.

En revanche, la mission parlementaire a été très frappée par les inquiétudes, voire l'angoisse, qui s'exprimaient sur le terrain de la part de nos coopérants. A l'évidence, il existe à ce niveau un défaut de compréhension, imputable sans doute à un manque de dialogue et d'explications. Ceci crée des malentendus qu'il importe de lever rapidement par un travail de communication très actif et personnalisé auprès des coopérants. Ce message a été parfaitement entendu par M. François Nicoullaud, le directeur de la nouvelle direction générale

A - Les conditions d'un partenariat efficace

1) Trouver un partenaire

La mission a pu constater que notre action de coopération se heurtait tant au Tchad qu'en RCA à des difficultés similaires pour mener des actions de partenariat. Ces difficultés, que l'on retrouve dans de nombreux pays africains, sont de quatre ordres.

En premier lieu, force est de constater la faiblesse et le peu d'appétence des systèmes politiques, minés par une crise générale de confiance et d'autorité, pour élaborer et mettre en _uvre des réformes. Les résistances sont nombreuses, notamment de la part de ceux qui bénéficient d'un certain nombre d'avantages perçus comme la contrepartie légitime de leur soutien au pouvoir en place.

En deuxième lieu, l'organisation administrative de ces pays est à l'évidence déficiente. En RCA, ce problème se trouve encore accentué en raison de l'accumulation des arriérés de salaire, du blocage des recrutements et du très faible niveau de formation des cadres. Le Premier ministre, M. Anicet Dologuélé, a regretté devant nous ce qu'il a appelé « l'hyperpolitisation de l'administration » et le mot d'ordre qui semble parfois selon lui l'animer : « ne pas trop travailler ». A titre d'exemples, il a précisé que la RCA comptait aujourd'hui 200 douaniers, dont certains peu professionnels, alors qu'il en faudrait entre 500 et 600, parfaitement fiables et formés, pour que la RCA puisse maîtriser ses flux commerciaux et les rentrées fiscales qui y sont liées. De nombreux coopérants ont comparé les administrations centrafricaines à des branches mortes sur lesquelles ils ne pouvaient s'appuyer.

La troisième difficulté tient à la fragilité de l'unité nationale de ces deux pays. Au Tchad comme en RCA, les tensions politiques et ethniques restent très vives. Au Tchad, les nominations au sein de l'administration et de l'armée traduisent un favoritisme marqué en faveur des populations du nord, notamment Arabes et Zaghawa-Bideyat, et dans une moindre mesure Toubou. Ce n'est pas non plus un hasard si la garde rapprochée du Président Patassé, la FORSDIR, est composée pour l'essentiel de militaires appartenant à l'ethnie Sara, celle dont est issu le Président. Ces rivalités ne facilitent pas la gestion rationnelle des recrutements et des projets.

Enfin, dernier élément, l'insécurité à l'intérieur de ces pays, en dehors de la capitale, renforcée de surcroît par les conflits qui sévissent dans les autres pays de la sous-région, complique singulièrement la mise en _uvre des projets, tout particulièrement en zones rurales. Par exemple, au Tchad, un projet d'appui à la formation de techniciens agricoles a été abandonné en milieu de réalisation, car il était implanté à une heure de route de Bangui, et que la sécurité n'apparaissait pas assurée.

La mission voudrait rappeler certaines évidences que l'on a tendance à oublier : une coopération se fait à deux, et la compétence de l'un est inutile sans l'adhésion de l'autre, et sa volonté d'identifier et de remédier à ses faiblesses. Il est donc particulièrement préoccupant de constater, ainsi qu'un coopérant au Tchad nous l'a confié, « l'implication insuffisante de nos interlocuteurs, la disponibilité relative des homologues et leur absence de vision à moyen terme ».

2) Adapter les instruments

L'existence d'un réseau d'assistants techniques a été pendant très longtemps l'un des axes majeurs de notre coopération avec les jeunes Etats africains. Depuis une dizaine d'années toutefois, l'effectif total des assistants techniques diminue régulièrement et fortement ; cette diminution n'est donc pas liée à la réforme. Le projet de loi de finance pour 1999 prévoyait encore la suppression de 170 postes sur un total de 2593.

Cette évolution s'explique officiellement par la volonté de transformer une aide de substitution, où les coopérants enseignent, soignent, aménagent, construisent... , en une aide d'expertise et de conseil où les coopérants n'interviennent plus directement ; ces derniers peuvent dès lors être moins nombreux à condition d'être plus qualifiés et expérimentés.

Dans les faits, le volume de l'assistance technique a semblé tout autant avoir varié en fonction des nécessités d'économie budgétaire que d'une analyse précise et rationnelle sur son nombre et ses fonctions. De surcroît, aucune indication n'a été donnée sur l'arrêt de cette diminution bien que les rapporteurs budgétaires de l'Assemblée nationale aient à de nombreuses reprises indiqué que le nombre des assistants techniques avait atteint un plancher en dessous duquel nos actions de coopération serait affectées. Une mission a finalement été confiée sur ce sujet à M. Jean Nemo, ancien directeur général de l'ORSTOM.

L'arrivée de la réforme avec sa rhétorique - à but pédagogique mais parfois maladroite - de rupture avec la coopération d'autrefois, a été la goutte d'eau qui a fait déborder le vase, et beaucoup de coopérants l'ont ressentie comme une remise en cause de leur identité et de leur utilité.

Certes, cette coopération et ces coopérants avaient besoin d'être interpellés et repositionnés, voire redynamisés. Les coopérants nous ont semblé être prêts à accepter et comprendre la nécessité d'une telle remise en question, dès lors qu'une perspective politique plus claire sera affichée et que des garanties sur les postes, les statuts et les carrières seront explicités. Il ne peut exister de bonne politique sans une bonne gestion des ressources humaines.

La mission qui a eu, tant au Tchad qu'en RCA, des dialogues très francs avec les coopérants techniques, a été très surprise par l'ampleur des inquiétudes exprimées. Les assistants techniques ont à l'évidence le sentiment que leur travail n'est plus ni reconnu ni pris en compte. Une action de communication à leur égard apparaît aussi urgente que nécessaire pour expliquer la place et le rôle qui sont prévus pour eux dans le cadre de la réforme.

La coopération technique apparaît aujourd'hui encore comme une nécessité. Il faut se garder de poser le problème assistance de substitution / assistance de conseil, en termes trop dichotomiques. Les actions de coopération peuvent s'inscrire dans la durée sans pour autant que les coopérants deviennent des permanents qui, immanquablement, se sclérosent et s'isolent.

Au Tchad par exemple, dans le secteur de la santé, la formation de cadres médicaux et paramédicaux nécessitera encore plusieurs années d'accompagnement, et la mise à disposition de moyens financiers et humains conséquents. Nos assistants techniques, nous l'avons constaté à l'hôpital de Moundou, exercent tout à la fois un triple rôle de conseil, de formation et de thérapeutes. Cela n'empêche pas de faire de la suppression des postes en substitution un objectif à terme et de la nomination de médecins locaux (généralistes à former, spécialités de chirurgie, pédiatrie et pharmacie) une des conditions préalables au déblocage des fonds.

L'appui institutionnel a tendance à se développer. La mission adhère au jugement porté par le chef du service de coopération et d'action culturelle au Tchad qui écrit dans une note interne : « par leur connaissance du milieu, leur expérience et leur bonne insertion dans les structures auprès desquelles ils sont placés, les assistants techniques constituent, pour l'instant, un relais indispensable pour le suivi des projets (...) Face à une aide publique au développement de plus en plus critiquée par notre opinion publique, lasse de la corruption, des détournements et de la mauvaise utilisation des fonds publics en Afrique, la présence d'une assistance technique constitue incontestablement une garantie, même si elle n'est pas parfaite ».

La mission a pu en effet constater tant au Tchad qu'en RCA que les assistants techniques devenaient avant tout des conseillers et des concepteurs et que placés près des décideurs - ministres et hauts fonctionnaires - ils pouvaient jouer un rôle essentiel dans l'analyse des atouts et des contraintes, l'élaboration des stratégies et la coordination des aides. Mais encore faut-il, ce qui n'est pas toujours le cas dans un environnement institutionnel peu performant, que leurs conseils soient demandés et appliqués.

B - Les améliorations à apporter

Le but de notre coopération n'est pas d'expier le colonialisme mais de tirer les pays aidés vers le développement durable. Cela veut dire que la France ne peut simplement s'autoféliciter d'être le deuxième contributeur mondial au développement. Elle doit rendre des comptes, à la fois aux Français et aux populations des pays aidés, de l'efficacité de cette aide. Elle ne peut se cantonner dans des séries d'actions traditionnelles et ponctuelles, sans beaucoup de liens entre elles et en dehors de toute coordination avec les autres bailleurs de fonds.

L'efficacité de notre coopération dépendra de sa capacité à définir sur le terrain des stratégies globales. Ces stratégies devront prendre en compte deux éléments fondamentaux, l'un technique, l'autre politique : premièrement, le renforcement de la coopération en faveur de l'amélioration des capacités de gestion financière des Etats ; deuxièmement, l'exigence de la démocratisation.

1) La prise en compte de la durée

L'inscription d'une action de coopération dans la durée est une condition indispensable à la réussite d'une politique de développement.

La principale force de notre réseau de coopération tient à sa capacité d'intégration et à sa faculté à obtenir une forte adhésion du partenaire. Les missions d'experts internationaux se révèlent bien souvent peu productives en raison de leur inscription dans une courte durée, leur méconnaissance du pays et des hommes, leur faculté à se satisfaire d'engagements dont le respect ne fera pas l'objet d'un suivi régulier et d'évaluations systématiques.

Un dialogue continu, des engagements réciproques et tenus, des règles d'intervention plus transparentes sont les premières conditions d'un partenariat réel.

La formation de professionnels, la constitution d'équipes efficaces au sein des administrations ou de la société civile constituent le second groupe de conditions. La continuité d'un projet ne peut reposer simplement sur quelques hommes mais doit se fonder sur des services ou des réseaux.

Enfin, la durée exige des programmes de développement cohérents et viables, qui accordent les intentions aux possibilités, qui évitent à la fois l'éparpillement et le double emploi. Un tel objectif ne sera atteint qu'à deux conditions.

En premier lieu, l'ambassadeur, dont l'autorité est renforcée par la réforme, doit devenir le grand ordonnateur de la politique de développement dans le pays où il est en fonction. Nous avons pu constater, en rencontrant MM. Alain de Boispéan, ambassadeur de France au Tchad, et Jean-Marc Simon, ambassadeur de France en RCA, que la fonction d'un ambassadeur pouvait dépasser le rôle traditionnel - mais toujours indispensable - d'observateur et de représentant de la France pour endosser celui de rassembleur et d'animateur de toutes les énergies disponibles unies pour faire avancer les priorités d'actions dégagées en partenariat.

Chaque ambassadeur en poste dans un pays de la ZSP devrait se comporter en professionnel d'une stratégie volontariste du développement et disposer des moyens de mener à bien une telle politique. Il devrait bénéficier d'une volonté réelle de décentralisation à son niveau de responsabilités. Tout cela permet d'éclairer d'un jour nouveau les méthodes d'élaboration et les contenus des travaux des commissions mixtes.

En second lieu, poour renforcer encore l'esprit de la réforme, l'ensemble de nos actions au sein d'un pays devrait s'inscrire dans un programme cadre déterminé, véritablement construit en partenariat. La mission a été très impressionnée tant par la qualité du personnel de la coopération que de celui de l'AFD, ce qui permet de penser que l'exercice proposé est réalisable. Elle s'interroge toutefois sur une relative absence de vision globale de l'environnement dans lequel s'inscrivent les actions menées.

La mission prône donc un double mouvement : d'une part, une très forte décentralisation en faveur des ambassadeurs, d'autre part une plus forte intégration des projets tant de la coopération que de l'AFD dans une réflexion plus globale et plus stratégique.

Enfin, la mission constate que si le pôle diplomatique de la coopération - Affaires étrangères / Coopération - a entrepris de s'engager dans cette réforme, il faudrait que son pôle financier accepte à son tour cette discipline de globalité et de décentralisation.

2)La prise en compte de la multiplicité des partenaires

Les acteurs de l'aide au développement sont désormais multiples : Etats, collectivités locales, Union européenne, organisations internationales gouvernementales, ONG, secteur privé ...Cette multiplicité peut être source d'inefficacité, de contradictions, d'incohérence ou au contraire de synergies, de valorisation, d'effets leviers. Il nous apparaîtrait souhaitable que dans chaque pays de la ZSP, la France joue un rôle plus actif de coordination entre l'ensemble de ses partenaires, y compris pour le montage des projets financiers.

CONCLUSION

L'aide au développement est à la fois une composante essentielle et une spécificité forte de la diplomatie française. La réforme initiée en 1998 était nécessaire. Mais elle n'est pas une fin en soi et doit au contraire enclencher une dynamique nouvelle en faisant des notions de partenariat et de responsabilité la clef de voûte d'un développement durable. C'est à cette seule condition qu'elle pourra être qualifiée d'ambitieuse. Sa réussite sera fonction de sa capacité à changer les pratiques et méthodes et à respecter de nouvelles exigences.

Le groupe "Front patriotique pour le progrès" nous a remis une note écrite dont le contenu est partagé, la mission l'a constaté au cours de ses entretiens, par l'ensemble des groupes parlementaires : «Le sentiment général au niveau de la classe politique africaine, notamment d'opposition, est que la politique africaine de la France est partagée entre rupture et continuité. Cela ne contribue guère à faciliter une perception claire du message que souhaitent transmettre nos amis français (...). Aujourd'hui, un véritable partenariat fait de respect et d'estime mutuels constitue le seul choix possible et raisonnable, dans l'intérêt de la France comme dans celui des pays africains. La rupture avec les pratiques du passé serait enfin un signe fort adressé aux dictateurs qui foisonnent sur notre continent, alimentant des guerres civiles par-ci, appauvrissant des populations civiles par-là,... »

La réforme de la coopération va précisément dans ce sens et demande à être mieux expliquée si l'on ne veut pas qu'elle soit assimilée - à tort- à une politique de désengagement, à la fois par nos amis africains et par les Français qui, quotidiennement, _uvrent pour la coopération. M. Nicoullaud nous a dit être prêt à prendre son bâton de pèlerin. Les ministres, MM. Hubert Védrine et Charles Josselin, chaque fois qu'ils en ont l'occasion, font eux aussi _uvre de missionnaires. L'adhésion et la motivation des hommes seront la clef de la réussite de la réforme en cours.

La politique de développement ne doit plus être comparée ni à une tapisserie de Pénélope, sans cesse recommencée, ni à une peau de chagrin, qui se rétrécirait chaque année sous l'effet de la baisse rapide des moyens budgétaires. Les efforts menés depuis de nombreuses années ont porté en partie leurs fruits. Il importe encore de progresser pour que la coopération réponde mieux aux besoins des populations locales.

Nous avons acquis, au cours de cette mission, la certitude que les objectifs affichés par la réforme ne pourront être atteints sans que cesse l'érosion du budget de la coopération. Les besoins et les attentes sont très fortes, les savoir-faire immenses. Sachons maintenir notre capacité à répondre aux premiers et à utiliser les seconds.

EXAMEN EN COMMISSION

La Commission a examiné le présent rapport d'information au cours de sa réunion du mercredi 16 juin 1999, sur la présentation de M. Yves Dauge.

M. Yves Dauge a tout d'abord rappelé les circonstances de la création de la mission d'information. MM. Jean-Pierre Brard et Jean-Claude Lefort avaient déposé une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête chargée de faire le bilan de l'action de la France en République centrafricaine (RCA). Cette proposition faisait suite à la série de mutineries qui avait ébranlé la République Centrafricaine. La Commission des Affaires étrangères avait préféré créer en son sein une mission d'information chargée d'étudier les orientations de la coopération française au Tchad et en RCA. Il s'agissait de constituer des groupes de travail de députés spécialisés dans le suivi de zones géographiques afin d'éviter des déplacements dispersés. Les travaux de la mission d'information sur le Rwanda terminés, MM. Yves Dauge, Jean-Claude Lefort et Michel Terrot se sont rendus au Tchad et en RCA du 22 au 30 mars 1999.

Le Tchad et la RCA font partie des pays les plus pauvres du monde et ils connaissent une situation politique très instable. Pour cette raison, certains voudraient mettre fin à notre politique de coopération dans ces deux pays et attendre une normalisation de la situation politique pour mettre en place les nouveaux instruments de coopération.

Ayant constaté le peu de moyens dont disposent les parlements africains qui se sont peu à peu mis en place, M. Yves Dauge a estimé nécessaire que le budget français de la coopération comporte une ligne de crédits destinée au bon fonctionnement des institutions parlementaires. L'Assemblée nationale française y contribue dans la mesure de ses moyens.

La situation politique dans la RCA se caractérise par la concentration croissante du pouvoir entre les mains du Président Ange-Félix Patassé. L'opposition avait remporté les élections législatives à une majorité de sièges mais la défection de l'un de ses membres, à la suite de pressions, a fait basculer la majorité en faveur du camp de M. Patassé. Actuellement, la division de l'opposition l'empêche de présenter un candidat unique susceptible de l'emporter sur M. Patassé aux prochaines élections présidentielles.

Au Tchad, les membres de la mission ont eu l'occasion de rencontrer la quasi-totalité du gouvernement et l'ensemble des forces politiques. Ils n'ont pas rencontré M. Idriss Déby. Le chef de l'Etat semble s'isoler de plus en plus du peuple et du gouvernement et s'est entouré d'une véritable garde prétorienne. De plus, le pays est confronté à une rébellion dans le Nord, ce qui renforce l'impression d'assister à la fin d'un cycle.

L'importance de la coopération militaire française est reconnue, notamment dans le domaine de la formation de la gendarmerie où la demande d'assistance est très forte. Cependant, la coopération militaire française doit être plus attentive aux risques d'utilisation politique de l'armée par les chefs d'Etat. Il convient en effet de prévoir ces dérives car la France doit participer à la formation d'une armée nationale et non d'une garde présidentielle pour éviter d'être considérée comme partisane en cas de crise.

La situation économique du Tchad et de la RCA est très préoccupante. Le développement incontrôlé de l'économie parallèle entraîne une perte de recettes considérable pour les deux Etats. Les ministres des Finances du Tchad et de la RCA apprécient pleinement le soutien apporté par la France pour mettre en place des administrations fiscales et douanières efficaces. L'aide apportée par le FMI s'inscrit, en revanche, dans une toute autre logique et paraît déconnectée des besoins réels du pays. Cet écart entre les méthodes du FMI et celles de la coopération française est la preuve que cette dernière a un bel avenir devant elle car elle apparaît plus adaptée à la réalité humaine des pays en voie de développement.

La coopération reste donc un instrument indispensable. Sa réforme est tout aussi nécessaire. Ainsi, le volet consacré au développement de l'Etat de droit constitue une novation importante. Cependant, cette réforme est diversement accueillie par les acteurs de la coopération sur le terrain. En effet, ceux-ci considèrent que cette réforme conduit à remettre en cause l'assistance technique dont l'importance est soulignée par tous. La réduction des crédits et la diminution des postes d'assistants démotivent les équipes qui sont sur place. Certes, cette réforme a sa raison d'être, mais sa mise en _uvre doit être expliquée et aménagée pour éviter de déstabiliser les coopérants. La mission a fait part de ses observations à M. Nicoullaud, directeur général de la coopération internationale et du développement, qui a reconnu la nécessité de l'expliquer davantage encore sur le terrain.

Il est certain que l'ambassadeur est le grand gagnant de la réforme de la coopération. Il se trouve, en effet, placé à la tête du dispositif. Mais la fonction d'ambassadeur doit accompagner cette évolution : de simple observateur, il doit également devenir un acteur du développement local et mener un vrai travail de partenariat avec les pouvoirs publics locaux ainsi qu'avec la société civile. Les projets doivent s'inscrire dans la durée et être élaborés à partir des manques et des besoins constatés sur place. Des projets comme ceux élaborés par la commission mixte franco-tchadienne, qui ne s'était pas réunie depuis dix ans, semblent encore trop déconnectés des réalités.

Les membres de la mission sont conscients que la mise en _uvre de la réforme de la coopération doit être constamment évaluée. Les parlementaires doivent donc mener une réflexion approfondie sur cette question. Ils doivent être en mesure d'apporter des éléments qui peuvent faire de cette réforme un succès.

Les instruments de la coopération devront s'adapter. Il suffit de prendre un exemple : celui de l'urbanisme. Les opérations d'assainissement ou de réfection des marchés ne se suffisent pas à elles-mêmes ; il faut regretter l'absence totale de plans d'urbanisme dans les villes comme Bangui et N'Djamena. La coopération peut jouer un rôle important dans ce domaine mais son action doit répondre à un engagement local.

En conclusion, M. Yves Dauge a estimé que la coopération constituait un outil indispensable mais qui devait être rénové. Il a souhaité que cette rénovation fasse l'objet d'une évaluation et d'un suivi attentifs de la part de la Commission des Affaires étrangères.

Intervenant à la suite de l'exposé de M. Dauge, M. Michel Terrot a tenu à souligner l'aspect souvent irrationnel des relations qu'entretiennent les pays africains avec la France. Ce sont en effet des relations fondées sur la passion. Les peuples et les dirigeants attendent beaucoup de la France, d'autant que les autres pays de l'Union européenne sont quasiment absents de la région.

Le dévouement et la qualité du travail des coopérants ont fortement impressionné les membres de la mission d'information. Et pourtant, ces hommes et ces femmes travaillant au bout du monde, dans des pays peu visités par les ministres français sont laissés dans l'ignorance pour tout ce qui touche à la réforme de la coopération. Le ministère doit donc entreprendre de toute urgence un travail d'explication sur les tenants et aboutissants de cette réforme.

Enfin, la coopération ne pourra être efficace que si elle dispose des moyens nécessaires. Les déclarations de bonnes intentions ne suffisent pas. Pour que la coopération passe de l'aide de substitution à une aide d'expertise et de conseil, les crédits destinés à cette action doivent être maintenus à leur niveau actuel, voire augmentés. Cette exigence ne répond pas à des revendications corporatistes. Elle est le gage de la pérennité de la politique française de coopération.

M. Pierre Brana a souligné que la rébellion au Nord, toujours active, représentait un risque important de déstabilisation du Tchad. Il a demandé, dans le cas où cette rébellion gagnerait N'Djamena où stationnent 1 000 soldats français, si ces troupes seraient utilisées pour défendre le Président Déby. M. Pierre Brana a estimé, pour sa part, que l'intervention des troupes françaises dans cette hypothèse doit être formellement exclue, ne serait-ce que pour éviter toute similitude avec l'expérience rwandaise. La France n'a pas à jouer le rôle de gendarme de l'Afrique.

En RCA, il est nécessaire d'affirmer haut et fort que la coopération française sera d'autant plus active que des progrès seront accomplis en matière de démocratie et de droits de l'Homme. La coopération elle-même devrait abandonner de plus en plus une politique de fonds structurels, peu efficace, au profit de l'augmentation de l'aide projet. La coopération doit résolument se réorienter vers le développement local et l'intérêt des populations.

M. Yves Dauge a rappelé que la mission du dispositif Epervier présent à N'Djamena n'était pas de jouer le rôle d'une garde présidentielle. Il a estimé que le problème principal auquel se heurtait notre politique de coopération en Afrique était de gérer la contradiction entre la nécessité de la durée et d'une stratégie globale d'une part, et l'existence d'un système politique aléatoire d'autre part. L'aide ne peut concerner des projets qu'il faudrait reprendre à zéro périodiquement.

Mme Marie-Hélène Aubert a retrouvé dans l'exposé du Rapporteur les impressions recueillies lors de sa récente mission au Tchad pour étudier la question pétrolière. Elle a estimé que la France, en échange de son aide, pourrait exiger davantage des gouvernements africains en matière de démocratisation. Le refus affiché d'ingérence contraste hypocritement avec l'influence de fait de la France dans ces pays.

Mme Marie-Hélène Aubert a estimé que l'on devrait mieux aider les assemblées parlementaires. Elle a rappelé par ailleurs que le gouvernement tchadien exerçait une sorte de chantage sur la France : maintien du dispositif Epervier contre davantage d'aide.

M. Yves Dauge a rappelé que la France s'était engagée à aider la RCA à organiser les prochaines élections présidentielles.

Le dispositif Epervier, même s'il est totalement autonome de son environnement, apporte une aide certaine aux populations tchadiennes, notamment par le biais de son antenne chirurgicale et le poids économique qu'il représente. Il a rappelé à quel point le départ des troupes françaises de RCA avait été mal ressenti.

M. Michel Terrot a convenu qu'il existait bien une petite opération de chantage de la part des autorités tchadiennes sur Epervier mais que la France y restait insensible. Il a estimé que l'importance de la rébellion au Nord, au demeurant traditionnelle, ne devait pas être surestimée et que la France veillait à ne pas être impliquée.

Il a souligné à quel point le retrait des troupes françaises de RCA avait été mal ressenti, à la fois par les dirigeants et la population.

La gendarmerie jouera un rôle essentiel dans le bon déroulement des prochaines élections et ce corps devrait être davantage aidé pour être préparé à remplir sa mission.

La démocratie en Afrique est plus importante qu'on ne le croit généralement. Si la télévision est fermement contrôlée par les Etats, la presse est le plus souvent libre, et parfois très virulente. Les partis d'opposition s'expriment librement.

M. Pierre Brana a contesté une telle appréciation. La presse n'est pas menacée parce que son influence est très faible en Afrique du fait de l'analphabétisme. En revanche, la télévision, dont l'audience est importante, est tenue sous contrôle.

M. Pierre Brana a rappelé par ailleurs le séjour en prison du député tchadien, M. Yorongar, pour insulte à l'égard du chef de l'Etat.

M. Michel Terrot a répondu qu'il fallait rompre avec ces vues parisiennes de populations africaines aisément manipulables. Les dernières élections législatives en RCA, quasiment remportées par l'opposition, montrent que la réalité est plus complexe.

En application de l'article 145 du Règlement, la Commission a décidé la publication du rapport d'information

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N°1701. - RAPPORT D'INFORMATION de MM. Yves DAUGE, Jean-Claude LEFORT et Michel TERROT déposé en application de l'article 145 du Règlement par la commission des affaires étrangères sur la réforme de la coopération appliquée au Tchad et à la Centrafrique.