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N° 1781

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 7 juillet 1999.

RAPPORT D'INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l'article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DES FINANCES, DE L'ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU PLAN (1) en conclusion des travaux d'une mission d'évaluation et de contrôle constituée le 3 février 1999 (2),

ET PRÉSENTÉ

PAR M. DIDIER MIGAUD,

Rapporteur général,

Député.

--

ANNEXE N° 2


LA GESTION DES EFFECTIFS ET DES MOYENS
DE LA POLICE NATIONALE

Rapporteur spécial : M. Tony DREYFUS

Député

(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

(2) La composition de cette mission figure au verso de la présente page.

Parlement.

INTRODUCTION 5

I.- LES ÉLÉMENTS PRÉCÉDEMMENT MIS EN ÉVIDENCE 7

A.- LE RAPPORT CARRAZ-HYEST A MIS EN ÉVIDENCE L'INADAPTATION
DE LA LOCALISATION DES EFFECTIFS DE SÉCURITÉ À LA CARTE
DE LA DÉLINQUANCE.
7

B.- LE RAPPORT DE LA COUR DES COMPTES SUR LA GESTION
DE LA PRÉFECTURE DE POLICE DE PARIS, A POINTÉ L'IMPORTANCE DES EFFECTIFS DE POLICIERS AFFECTÉS À DES TÂCHES NON POLICIÈRES ET LES DÉFICIENCES DE LA GESTION ADMINISTRATIVE
8

C.- LE RAPPORT ROCHÉ A MIS EN ÉVIDENCE LA DIVERSITÉ DES RÉGIMES DE TRAVAIL AU SEIN DE LA POLICE 9

D.- LA NOTE D'ALAIN BAUER A MIS EN ÉVIDENCE LA DISTORSION ENTRE LES EFFECTIFS THÉORIQUES ET LES EFFECTIFS RÉELLEMENT SUR
LE TERRAIN
10

II.- LES CONFIRMATIONS APPORTÉES PAR LES AUDITIONS DE LA MISSION D'ÉVALUATION ET DE CONTRÔLE 13

A.- LA POLICE NATIONALE APPARAÎT SOUS-ADMINISTRÉE 13

B.- LES POLICIERS SONT ACCAPARÉS PAR UN CERTAIN NOMBRE
DE TÂCHES INDUES
16

C.- LA RÉALITÉ DES RÉGIMES DE TRAVAIL EST DIFFICILE À SAISIR 17

D.- LE RÉGIME INDEMNITAIRE A PERDU UNE GRANDE PARTIE DE
SON RÔLE INCITATEUR
19

E.- L'APPEL AUX EMPLOIS-JEUNES PREND UNE PLACE GRANDISSANTE 21

CONCLUSION 23

· La police doit être administrée 23

· Certaines tâches de gestion doivent être externalisées 24

· Les horaires de travail des policiers doivent être contrôlés 24

· Le paiement des heures supplémentaires doit prendre le pas sur les récupérations 25

· Le régime indemnitaire doit être mieux ciblé 25

· Les projets de redéploiement entre la police et la gendarmerie et la restructuration des différents services de police doivent être poursuivis 26

· Le recours aux adjoints de sécurité doit être maîtrisé 26

AUDITIONS :

1.- M. Didier Cultiaux, Directeur général de la police nationale, accompagné de M. Jacques Laisné, Directeur de l'administration de la police nationale (18 mars 1999) 29

2.- Mme Nadia Chelgoum, Commissaire de police à Vaulx-en-Velun et de M. Lucien Perret, Directeur départemental de la sécurité publique de l'Essonne (18 mars 1999) 53

3.- M. Philippe Massoni, Préfet de police de Paris, accompagné de M. Michel Delpuech, Directeur du cabinet (25 mars 1999) 67

4.- M. Pierre Guinot-Delery, Préfet délégué à la sécurité
de la région Rhône-Alpes (25 mars 1999) 97

5.- M. Jean-Pierre Chevènement, Ministre de l'Intérieur (20 mai 1999) 109

Mesdames, Messieurs,

Les raisons ne manquaient pas à la Mission d'évaluation et de contrôle pour choisir le dossier de la gestion des effectifs de la police nationale parmi ses premiers sujets d'études.

D'une part, la sécurité constitue l'une des priorités affirmées du Gouvernement, dans la droite ligne des travaux du colloque qui s'est tenu à Villepinte en octobre 1997. En y rappelant que « tout citoyen, toute personne vivant sur le territoire de la République a droit à la sécurité », le Premier ministre soulignait la valeur permanente des principes affirmés par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, sur le « droit à la sûreté » et sur la nécessité d'une force publique pour la garantie des droits des citoyens.

D'autre part, l'effort que la Nation consacre à la sécurité n'est pas négligeable, tant en termes d'effectifs employés que de crédits budgétaires. Selon le projet de loi de finances pour 1999, les effectifs de la police nationale atteignent 142.496 personnes, qui se répartissent entre les personnels actifs (113.104), les personnels administratifs (12.657), les policiers auxiliaires (8.325) et les adjoints de sécurité (8.250). Les crédits consacrés aux dépenses de personnel devraient atteindre 24,2 milliards de francs en 1999, soit 83 % d'un budget total de la police nationale qui s'élève à 29,1 milliards de francs.

L'importance de cet effort conforte le bien-fondé de l'intérêt que porte la Mission sur ce dossier. D'ailleurs, lors de son audition par elle, le Ministre de l'Intérieur en a reconnu la légitimité : « la police nationale est attachée aux prérogatives qu'elle exerce au nom de l'État républicain, mais elle sait aussi que pour pouvoir continuer à les exercer, elle doit justifier son emploi et les moyens qui lui sont consacrés. Je suis très conscient qu'il y a 28 milliards de francs pour la police. Cela doit se justifier par des performances qui soient à la hauteur des attentes de nos concitoyens. »

Au-delà du Ministre lui-même et des responsables nationaux que sont le Directeur général de la police nationale et le Préfet de police de Paris, la Mission d'évaluation et de contrôle a souhaité pouvoir entendre des responsables policiers aussi proches que possible du terrain. C'est ainsi qu'elle a successivement auditionné le Préfet délégué pour la sécurité et la défense de la région Rhône-Alpes, le Directeur départemental de la sécurité publique de l'Essonne et la Commissaire de police de Vaulx-en-Velin.

Elle a aussi pu s'appuyer sur des commentaires oraux des travaux de la Cour des comptes, qui devraient être publiés à l'automne, ainsi que sur un certain nombre de documents, officiels ou non, publiés au cours des derniers mois.

I.- LES ÉLÉMENTS PRÉCÉDEMMENT MIS EN ÉVIDENCE

La question de la gestion des effectifs de la police nationale est, depuis plusieurs mois, sur le devant de l'actualité au travers du dossier du redéploiement police/gendarmerie, des observations de la Cour des comptes relatives à la gestion de la préfecture de police de Paris ainsi que de certains éléments figurant en annexe du rapport de M. Roché sur le temps de travail dans la fonction publique. S'y ajoute la publication d'une note rédigée par un expert indépendant, M. Alain Bauer, vivement contestée par le ministère de l'Intérieur.

A.- LE RAPPORT CARRAZ-HYEST A MIS EN ÉVIDENCE L'INADAPTATION DE LA LOCALISATION DES EFFECTIFS DE SÉCURITÉ À LA CARTE DE LA DÉLINQUANCE.

Ce rapport, remis au Premier ministre en avril 1998, porte sur « une meilleure répartition des effectifs de la police et de la gendarmerie pour une meilleure sécurité publique ». Il a mis en évidence l'inadaptation de la localisation des effectifs de sécurité et de la carte actuelle de répartition du territoire entre zones de police et zones de gendarmerie. C'est ainsi que les 10 départements où la délinquance de voie publique est la plus élevée ont un taux de délinquance 2,5 fois plus élevé que celui des 10 départements les moins touchés, alors qu'ils ont un ratio policiers / population à peine plus favorable.

Au-delà des propositions concernant le redécoupage des zones de police et des zones de gendarmerie, le rapport attirait l'attention sur la nécessité pour la police nationale de réformer ses modes d'organisation (notamment en ce qui concerne le déroulement des carrières) et ses méthodes de travail.

A cet égard, le rapport soulignait les « défauts du mode actuel de gestion des ressources humaines ». Il relevait que, à l'issue des concours de recrutement, les nouveaux policiers, souvent originaires de province, sont affectés en région parisienne et qu'ils déposent, dès leur première affectation, des demandes de mutation pour rejoindre leur région d'origine, demandes qui ne peuvent être satisfaites que plusieurs années plus tard. Comme le relevaient les auteurs, « ce système a beaucoup d'inconvénients : il génère le mécontentement des intéressés et nuit à leur intégration dans le tissu urbain de leur lieu de travail ». Surtout, il provoque de grandes disparités dans l'âge moyen des policiers selon les régions (celui-ci est trop bas en région parisienne mais trop élevé en province, notamment dans le Midi) et incite un certain nombre de policiers à capitaliser et à bloquer leurs compensations horaires et à vivre ainsi une « double vie », c'est-à-dire une vie dans leur département d'origine et une vie professionnelle en région parisienne, parfois dans des conditions minimales de logement.

Le rapport notait également que « les modes d'organisation de la police (fonctionnement 24 heures sur 24, système de récupération des heures assurées la nuit, les week-ends ou les jours fériés) ainsi que ces contraintes (tâches de police judiciaire, tâches de gestion, escortes de détenus) font qu'il n'y a aucune commune mesure entre les effectifs d'une circonscription et les effectifs effectivement présents sur la voie publique. De ce fait, si le potentiel horaire théorique moyen par policier peut être évalué à 1.580 heures par an, le nombre d'heures réellement effectuées se situe entre 1.250 et 1.300. »

B.- LE RAPPORT DE LA COUR DES COMPTES SUR LA GESTION DE LA PRÉFECTURE DE POLICE DE PARIS, A POINTÉ L'IMPORTANCE DES EFFECTIFS DE POLICIERS AFFECTÉS À DES TÂCHES NON POLICIÈRES ET LES DÉFICIENCES DE LA GESTION ADMINISTRATIVE

Dans son rapport public 1998, la Cour des comptes a fait part de ses réflexions sur la gestion de la préfecture de police de Paris.

En ce qui concerne la gestion des personnels, la Cour note que la préfecture ne dispose pas d'un tableau de répartition des effectifs budgétaires au sein des différentes directions, estimant qu'elle n'est, dès lors, pas «  en mesure d'apprécier la répartition des ressources humaines au regard des charges de travail, ni d'entreprendre une gestion prévisionnelle des emplois et des effectifs ».

La Cour a d'abord noté que de nombreux fonctionnaires de police, environ 2.800, demeurent affectés à des tâches non policières. Parmi ceux-ci, elle a évoqué : les 1.300 secrétaires d'état-major, affectés à des tâches de soutien logistique, 80 % des 1.280 agents affectés à la direction de la logistique, la direction des services vétérinaires (34 policiers actifs), les fourrières de la préfecture (130 policiers actifs), les unités de prestige de la préfecture (environ 200 dans l'équipe de gymnastique, l'équipe d'acrobatie motocycliste et la musique des gardiens de la paix) ainsi que des associations gravitant autour de la préfecture (association sportive de la police de Paris, fondation Louis-Lépine - plus d'une centaine de policiers actifs). Surtout, la Cour relève que « ces personnels, souvent dégagés de toute tâche opérationnelle, perçoivent néanmoins l'ensemble des rémunérations liées à leur statut de fonctionnaires actifs de la police nationale, notamment la prime dite du SGAP de Paris ou la prime de fidélisation pour les zones difficiles ».

La Cour juge que le contrôle de l'activité des personnels est insuffisant. Elle cite l'exemple des ateliers qui assurent l'entretien et les petites réparations courantes des locaux de la préfecture : le taux d'absentéisme y atteint, pour certains d'entre eux, entre 34% et 60% selon les périodes de l'année et les fonctionnaires de la préfecture consacrent une partie de leur temps à des activités privées (ainsi, dans le garage central, il y a eu, au cours du premier semestre 1997, en moyenne 3 interventions quotidiennes sur des véhicules privés appartenant parfois à des personnes extérieures à la police).

C.- LE RAPPORT ROCHÉ A MIS EN ÉVIDENCE LA DIVERSITÉ DES RÉGIMES DE TRAVAIL AU SEIN DE LA POLICE

Le rapport Roché sur le temps de travail dans les trois fonctions publiques a été remis en janvier 1999 au Ministre de la Fonction publique, de la réforme de l'État et de la décentralisation. Il décrit, dans ses annexes, l'organisation du travail des personnels de la police en évoquant les horaires de travail et les modes de compensation des horaires atypiques et des heures supplémentaires.

Comme le rappelle le rapport, le règlement général d'emploi distingue deux grands types de régimes horaires :

· le régime hebdomadaire, qui concerne 55 % des agents, est calqué sur la semaine civile ; il est calculé sur la base de 40h30 par semaine au lieu des 39 heures, ce qui donne droit à dix jours de repos supplémentaires par an, dits « jours d'hiver » ;

· le régime cyclique s'applique aux unités nécessitant un service effectif 7 jours sur 7 et, éventuellement, 24 heures sur 24, soit environ 45 % des agents ; il en existe plusieurs modalités mais, depuis 1997, le régime dit 4/2 (4 jours de travail et 2 jours de repos) a été largement généralisé.

Le rapport Roché précise, en outre, que la durée réelle du travail des agents travaillant en régime cyclique est inférieure aux 39 heures hebdomadaires en raison des compensations liées aux horaires atypiques. En effet, les heures travaillées de nuit (entre 21h et 6h) et le dimanche ouvrent droit à un repos de pénibilité spécifique (calculé sur la base d'un coefficient de 0,1 pour la nuit et de 0,4 pour le dimanche), repos qui peut être pris sous la forme d'une réduction de la durée de la vacation. En outre, les agents concernés bénéficient d'un crédit férié annuel forfaitaire compensant le travail les jours fériés.

Le rapport relève que « le régime actuel privilégie la récupération sur l'indemnisation, bien que les textes permettent indifféremment les deux types de compensation ».

En effet, les agents du corps de maîtrise et d'application bénéficient des compensations liées à leur régime horaire et d'indemnités horaires pour travail de nuit ou le dimanche ou les jours fériés, les heures supplémentaires donnant lieu à repos compensateur suivant des taux définis par les textes. Cependant, le rapport relève que, dans la pratique, seuls les CRS bénéficient du paiement des heures supplémentaires.

D.- LA NOTE D'ALAIN BAUER A MIS EN ÉVIDENCE LA DISTORSION ENTRE LES EFFECTIFS THÉORIQUES ET LES EFFECTIFS RÉELLEMENT SUR LE TERRAIN

L'étude du consultant Alain Bauer, rendue publique en début d'année et publiée dans la Gazette des communes, est intitulée : « Où sont les policiers ? ».

Son auteur arrivait à la conclusion que « l'équivalent fonctionnaire présent globalement sur le terrain pour cette mission sur la voie publique est d'environ 20.000 policiers, à répartir selon les cycles et les congés, soit environ 5.000 agents disponibles à un moment donné de la journée ».

Ces chiffres résultent de soustractions successives : aux effectifs territorialement affectés de la direction centrale de la sécurité publique et à la préfecture de police de Paris (67.944) sont déduits 14.175 emplois indisponibles par nature (agents affectés à d'autres tâches, détachés et mis à disposition, absents médicaux, agents effectuant des tâches indues, agents remplissant des tâches de maintien de l'ordre), environ 30.000 emplois assurant l'ouverture et le fonctionnement des commissariats et près de 4.000 agents en formation.

Cette étude a été immédiatement contestée par le ministère de l'Intérieur, le ministre la qualifiant de « caricaturale ». Pour sa part, la direction centrale de la sécurité publique publiait ses propres estimations, selon lesquelles « à un instant t de la journée, 20.000 fonctionnaires de sécurité publique sont en service et 2.000 dans le ressort de la préfecture de police de Paris ».

Devant la Mission, le Ministre de l'Intérieur a réitéré ses critiques à l'encontre des conclusions de M. Bauer. Après avoir rappelé que celui-ci avait bénéficié de la collaboration des services de son ministère, il a jugé que M. Bauer « a exercé son raisonnement dans des conditions, à mon sens, complètement défectueuses. C'est l'esprit de géométrie : il a procédé par déduction, par soustraction, pour arriver à ce chiffre, qui ne correspond à rien, de 5.000 policiers présents sur la voie publique. Chiffrage très contestable parce qu'il a oublié les policiers qui contribuent aussi à la sécurité quotidienne des Français, ceux des BAC (3.500), des compagnies d'intervention (2.500), des compagnies de circulation routière et les motocyclistes (2 à 3.000). Il a chiffré à 30.000 le nombre des policiers qui resteraient dans les commissariats à ne rien faire. Cela n'a pas de sens ».

Le Ministre reconnaissait cependant que cette note avait contribué à sensibiliser « l'opinion, au-delà de ce qui est raisonnable, à la nécessité de mettre davantage de policiers sur la voie publique ».

LAISSER CETTE PAGE BLANCHE SANS NUMÉROTATION.

II.- LES CONFIRMATIONS APPORTÉES PAR LES AUDITIONS DE LA MISSION D'ÉVALUATION ET DE CONTRÔLE

Les auditions auxquelles la Mission a procédé n'ont pas apporté de grandes révélations. Les propos tenus devant elle ont surtout constitué des confirmations, confirmations qui ont d'autant plus de prix qu'elles émanent des principaux responsables de la police nationale, au premier rang desquels le Ministre lui-même.

A.- LA POLICE NATIONALE APPARAÎT SOUS-ADMINISTRÉE

Le Ministre de l'Intérieur l'a lui-même reconnu devant la mission : « Les tâches d'administration de la police sont très largement confiées à des policiers, ce qui manifeste le fait que la police est sous-administrée. Le total des emplois administratifs, techniques, de service, atteint 13.000, effectif très inférieur aux pays voisins. En Allemagne, une infrastructure administrative beaucoup plus importante dégage des moyens pour la police proprement dite ».

Le Directeur général de la police nationale, M. Didier Cultiaux, rappelait, pour sa part, des chiffres en effet édifiants. « Actuellement, nous avons, pour l'équivalent des effectifs de l'armée de terre, 4 700 agents administratifs stricto sensu. Si j'y ajoute les divers agents de service, les ingénieurs, les techniciens, les aides techniques, les personnels de laboratoires, sans compter les personnels contractuels, nous arrivons à environ 13.000 personnes. Je le répète, 4.700 administratifs alors que je pense qu'il nous en faudrait environ 10.000. C'est la mesure des choses. Je rappelle benoîtement que la loi d'orientation et de programmation sur la sécurité de 1995 avait prévu 5.000 emplois administratifs. Actuellement, nous en avons obtenu 1.800 et nous en attendons 3.200. L'année 1999 est une année zéro et si les temps sont bons, nous en aurons peut-être 700 l'an prochain ».

Une telle situation a plusieurs conséquences dommageables.

D'une part, elle détourne des tâches spécifiquement policières un grand nombre de policiers actifs. L'ampleur du phénomène apparaît difficile à évaluer. La Cour des comptes a estimé qu'au minimum ce phénomène concernait 5.000 agents, le ministère de l'Intérieur parlant plus volontiers de 10.000 personnes. Une chose est sûre : la France est loin des ratios observés chez nos principaux voisins européens, où la part des agents administratifs dans les effectifs totaux est d'environ 30 %. Avec un taux proche de 10 %, la France est dans une situation plus défavorable. Comme on imagine mal que les « besoins » de gestion de la police française soient très différents de ceux des autres polices européennes, on en déduit que c'est sans doute 10 % des effectifs de la police, voire 20 %, qui sont utilisés à des tâches purement ou principalement administratives, soit 10 à 20.000 policiers actifs.

D'autre part, cette situation présente un coût budgétaire considérable. « Un poste administratif coûte beaucoup moins cher qu'un poste de policier, de l'ordre d'un bon tiers. Par ailleurs, la durée de formation d'un administratif est de 7 à 8 mois, alors que pour recruter et former un policier, il faut compter deux ans » a noté le Ministre de l'Intérieur lors de son audition.

Dès lors, il est possible de se livrer à une estimation, très grossière certes, de l'économie que pourrait générer le remplacement de 10.000 policiers actifs par 10.000 agents administratifs. Si l'on prend les chiffres du budget voté pour 1999, les crédits inscrits pour la rémunération des 113.057 emplois de personnels actifs de la police nationale (rémunérations principales, indemnités et allocations diverses) s'élèvent à 20.861,3 millions de francs, soit une dépense moyenne de près de 185.000 francs par emploi, à comparer au coût d'un agent administratif affecté dans les services actifs de la police, soit près de 127.000 francs. Dès lors, cette transformation de 10.000 emplois, intellectuellement envisageable dans le contexte de départs massifs à la retraite dans les toutes prochaines années, procurerait une économie budgétaire annuelle d'environ 580 millions de francs.

La police nationale est-elle prête à une telle mutation ? La question mérite d'être posée.

On observe, en effet, qu'elle cultive volontiers ses spécificités et cherche à s'auto-administrer. S'il est vrai que les principaux postes de gestion - en administration centrale, dans les secrétariats généraux pour l'administration de la police (SGAP) ou dans les départements - sont occupés par des membres du corps préfectoral, il n'en demeure pas moins que les corps administratifs présents dans la police sont de création récente (1994 pour le corps des secrétaires administratifs et 1995 pour le corps des attachés de police) et ne sont pas des corps interministériels mais des corps propres à la police. De plus, on peut se demander si ces postes administratifs occupés par des policiers actifs ne constituent pas un moyen commode de gestion des déroulements de carrière des policiers ayant une forte ancienneté. M. Jacques Laisné, Directeur de l'administration de la police nationale, ne soulignait-il pas, en effet, que « certains personnels actifs ont peut-être tendance à trouver que les métiers administratifs sont plus confortables que la voie publique » ?

Ce souci d'auto-administration conduit également à faire réaliser par du personnel fonctionnaire, et principalement par des policiers actifs, des tâches de gestion qui pourraient être réalisées à l'extérieur.

Il semble, sur ce point, qu'une prise de conscience ait lieu. Lors de son audition, M. Jean-Pierre Chevènement a précisé qu'il s'agissait d'une de ses préoccupations : « j'aimerais pouvoir procéder à un certain nombre d'externalisations de fonctions logistiques : garages automobiles, maintenance informatique. Tout cela est évidemment possible si l'on peut avoir recours à des sociétés privées qui peuvent faire ce travail mieux que les policiers eux-mêmes ».

Propos qui confirment ceux tenus par le Directeur général de la police nationale, qui a indiqué vouloir « externaliser un certain nombre de nos tâches, notamment des tâches techniques de maintenance de véhicules dans les garages, ainsi que, car cela va de mal en pis, des tâches informatiques ». Il a même chiffré les conséquences budgétaires d'une telle orientation en précisant que « la demande de crédits correspondants présenté par le ministre de l'intérieur au secrétaire d'Ėtat chargé du budget est de 200 millions de francs ». Le Directeur de l'administration de la police nationale se montrait plus précis : « nous avons engagé, en application de la décision du conseil de sécurité intérieure, tout un ensemble d'actions actuellement en cours. La première consiste à externaliser les fonctions logistiques. Une circulaire en cours de signature va permettre de passer des contrats, sous l'autorité des préfets de départements, pour diminuer les personnels affectés aux tâches de gestion, de réparation, et de maintenance automobile. La Cour des comptes a chiffré leur nombre aux environs de 1.200, mais je ne suis pas sûr qu'il ne soit pas sous-évalué. Il y a un nombre excessif d'agents qui font de la réparation automobile dans des garages. Nous avons nous-mêmes trouvé des exemples parfaitement scandaleux de doublons, notamment à Lyon où instruction a été donnée de fermer un garage de la direction de la sécurité publique occupant 20 fonctionnaires actifs.

« Des crédits vont être dégagés par redéploiement au sein de notre programme d'emploi des crédits de 1999, pour fournir aux directions actives de police, au plan local, des moyens de faire entretenir et réparer un nombre accru de véhicules dans le secteur privé. Je ne vois pas pourquoi les berlines normales de la police nationale ne seraient pas entretenues par les concessionnaires garagistes locaux.

« Nous allons essayer d'engager une deuxième action du même genre pour la maintenance informatique. Il est clair que la diffusion massive, depuis 12 ans, de l'informatique dans tous nos commissariats, qui a apporté une productivité accrue dans la gestion, a aussi stérilisé des effectifs qui sont plus facilement devant leur ordinateur que sur la voie publique. Là aussi, nous allons encourager par des moyens budgétaires le recours aux sociétés privées de maintenance. Mais tout ceci a un coût. Le problème est que le budget de fonctionnement et d'équipement de la police nationale (3,5 milliards) stagne depuis un grand nombre d'années ».

Devant la Mission, le Préfet de police de Paris tenait un discours analogue, même s'il appelait légitimement à une certaine prudence : « il convient de rechercher l'externalisation de travaux actuellement confiés aux ateliers de la direction de la logistique. En particulier, la réparation des voitures peut être confiée, dans certains cas, à des ateliers extérieurs sur la base de marchés publics. Encore qu'il faille, là aussi, avoir présent à l'esprit que nous mettons ainsi dans les mains de personnes extérieures, bénéficiaires des marchés, des véhicules de police comportant à leur bord des dispositifs particuliers, notamment des radios, qu'il serait nécessaire de démonter avant qu'ils ne partent en atelier ». Il précisait, en outre, qu' « il est évident que si l'on mettait à ma disposition les crédits correspondants, que nous avons évalués à 91 millions de francs, nous pourrions externaliser des fonctions de réparations, actuellement assurées par la direction de la logistique dans l'ensemble de ses ateliers, et réaliser ainsi une économie de quelque 130 fonctionnaires de police qui pourraient être redéployés sur le terrain, selon des modalités à trouver ».

B.- LES POLICIERS SONT ACCAPARÉS PAR UN CERTAIN NOMBRE DE TÂCHES INDUES

La problématique des tâches indues exercées par la police est très ancienne. Déjà, la loi du 21 janvier 1995 d'orientation et de programmation relative à la sécurité, et notamment son annexe, abordait le sujet et prévoyait des solutions. Au fil des auditions réalisées par la Mission, ce sont les tâches liées à la justice ou à l'administration pénitentiaire qui sont principalement visées, tant en ce qui concerne la ponction qu'elles entraînent sur les effectifs de police que sur la désorganisation qu'elles induisent dans la gestion des services par leur caractère inopiné.

Comme l'expliquait M. Pierre Guinot-Delery, Préfet délégué à la sécurité pour la région Rhône-Alpes, les tâches liées à tous les mouvements de présentation aux juges, les extractions, les transferts de détenus ont représenté en 1998 « quelque deux mille missions, ce qui est quand même très important. Si vous me demandez combien de fonctionnaires cela représente, c'est un peu difficile à chiffrer. Si je multipliais le nombre de missions par le nombre de fonctionnaires qui y sont employés, on arriverait à un effectif équivalent à celui des effectifs de la circonscription de police de Lyon ce qui serait absurde. Grosso modo, cela mobilise à chaque fois un ou deux fonctionnaires de police ».

De même, M. Lucien Perret, Directeur départemental de la sécurité publique de l'Essonne, estimait pour sa part que « les missions parajudiciaires, en 1998, ont représenté 9.000 heures-fonctionnaires. Lorsqu' un détenu doit être gardé dans un hôpital, la circonscription d'Evry, qui compte 160.000 habitants, est bien souvent obligée de déséquiper une, voire deux patrouilles. Parfois, on prenait des ilôtiers, mais je l'ai interdit ».

Cette préoccupation est évidemment partagée au niveau de l'administration centrale. M. Didier Cultiaux a également évoqué les « transferts judiciaires journaliers, qui sont à l'initiative unilatérale des magistrats, tous les transferts pénitentiaires qui ne sont pas forcément des transferts judiciaires stricto sensu et je pense à un certain nombre d'autres missions, notamment dans les établissements hospitaliers.

« Quand je vois que dans certains commissariats moyens, on arrive à avoir 25 % des effectifs gelés par des transferts pénitentiaires et judiciaires, je considère qu'il y a un vrai problème pour nous. Nous préférerions très clairement dire à nos amis magistrats : nous vous donnons un dixième de nos effectifs, le président du tribunal en prend la responsabilité et les allées et venues et les audiences sont programmées de sorte que nous ne soyons pas sollicités comme nous le sommes. Si chacun, à son niveau, fait des efforts, nous aurons de meilleurs résultats ».

Cette piste de réflexion apparaît intéressante. Rappelons en effet que l'annexe à la loi du 21 janvier 1995 indiquait que « le Gouvernement a mis à l'étude la possibilité de transférer à l'administration pénitentiaire la charge des prévenus et des détenus dès qu'ils sont remis à la justice, et de lui laisser ainsi le soin d'assurer les transfèrements, extractions et comparutions, qui sont aujourd'hui à la charge de la police nationale et de la gendarmerie nationale ». Or, cette étude a été réalisée et a fait ressortir qu'un tel transfert représenterait un coût budgétaire exorbitant.

C.- LA RÉALITÉ DES RÉGIMES DE TRAVAIL EST DIFFICILE À SAISIR

La durée effective de travail est évidemment au c_ur d'une réflexion sur la gestion des effectifs de la police nationale. Les dispositions réglementaires ont été abondamment développées devant la Mission, confirmant les éléments figurant, comme on l'a vu, dans le rapport Roché relatif à la durée du travail dans les trois fonctions publiques.

Pourtant, d'autres estimations circulent. Les enquêteurs de la Cour des comptes ont évoqué des durées effectives proches de 27 ou 29 heures hebdomadaires. D'ailleurs, rappelons que le rapport Carraz-Hyest évoque un nombre d'heures réellement effectuées se situant entre 1.250 et 1.300, soit entre 24 et 25 heures par semaine.

Le Ministre de l'Intérieur a contesté devant la Mission de tels chiffres. « Je crois franchement que ce n'est pas exact » a-t-il dit. De même, M. Didier Cultiaux a rappelé qu'il avait démenti de telles informations.

Le Ministre a donc rappelé les règles en vigueur. « Pour le régime hebdomadaire, l'horaire est fixé à 40 heures 30 par semaine. Du fait des 39 heures, un crédit d'heures se traduit par 10 jours de repos en année pleine, c'est ce qu'on appelle les jours d'hiver. Mais cela aboutit à 1.782 heures. Pour le régime cyclique, on aboutit à des chiffres inférieurs. Le Premier président de la Cour des comptes a sans doute raison d'évoquer ce problème : les personnels des brigades de nuit travaillent 1.454 heures ».

Il convient d'observer, cependant, qu'il tempérait immédiatement ses propos en précisant qu'il fallait « bien tenir compte de la pénibilité du travail de nuit. Dans la mesure où nous n'avons pas les crédits pour payer les heures supplémentaires, elles s'accumulent sous la forme de droits à repos compensateurs. Ce qui fait, finalement, qu'au moment du départ à la retraite, ces congés peuvent représenter en moyenne de 100 à 200 jours ».

En poste sur le terrain, M. Pierre Guinot-Delery prenait les mêmes précautions oratoires en indiquant qu' « on ne peut pas donner sur ce point une réponse homogène et raisonner en moyenne. Les récupérations tiennent à des horaires particuliers de travail, soit la nuit, soit les jours fériés. De plus, quand des fonctionnaires font des heures supplémentaires ou quand ils font l'objet de rappels en service, ils effectuent, à ce moment-là, des tâches qui sont effectivement des tâches de police, que ce soit pour des services d'ordre ou des manifestations particulières, etc. Il faudrait presque rentrer dans un décompte individuel car il n'y a pas de règle générale. Il est vrai qu'en fonction des deux coefficients de récupération qui existent - 0,1 ou 0,4 - selon la période du jour pendant laquelle a eu lieu la récupération, on va aboutir probablement, en termes de travail réel, sensiblement en-dessous des chiffres (théoriques) ».

Cette multiplicité des régimes horaires selon les différentes unités, comme l'indiquait le Directeur de cabinet du Préfet de police de Paris, contribue fortement à cette opacité. D'autant plus que la gestion de ces régimes horaires semble, selon certaines informations recueillies par la Mission, être particulièrement délicate malgré la mise en place d'un logiciel spécifique, baptisé « Géopole », qui ne serait pas totalement opérationnel et semble particulièrement contesté par les policiers et leurs syndicats.

Cette situation est aggravée par le fait que, comme l'indiquait abruptement le Directeur général de la police nationale, confirmant une constatation du rapport Roché, « nous ne sommes pas dans une logique de paiement des heures supplémentaires ».

C'est un point essentiel. M. Didier Cultiaux poursuivait, en effet : « si nous allions vers une telle logique, je ferai observer, premièrement, que son coût budgétaire se chiffrerait en centaines de millions de francs - mais c'est un choix politique qui ne nous appartient pas - et deuxièmement, énorme avantage pour nous, qu'elle nous apporterait évidemment davantage de flexibilité et de souplesse dans l'usage des policiers, en permettant notamment des horaires décalés sur la voie publique ».

D.- LE RÉGIME INDEMNITAIRE A PERDU UNE GRANDE PARTIE DE SON RÔLE INCITATEUR

Le régime indemnitaire de la police est particulièrement disparate. Le Ministre de l'Intérieur a lui-même reconnu qu'il pouvait paraître « touffu ». Il ne s'agit pas ici de s'interroger en détail sur l'ensemble de ce système. La question se pose cependant de savoir si les primes ne sont pas versées de manière trop large, perdant ainsi leur justification initiale.

L'exemple de l'indemnité de fidélisation a été particulièrement évoqué devant la Mission. Il faut dire que le rapport de la Cour des comptes sur la préfecture de police de Paris, pointant le fait que les policiers affectés à des tâches administratives percevaient cette prime au même titre que leurs collègues remplissant des tâches actives de police, justifiait un tel intérêt.

Il convient de rappeler que l'indemnité de fidélisation en zone difficile est versée, depuis 1995, aux policiers travaillant dans des zones urbaines particulièrement difficiles. Il s'agit des policiers affectés depuis 5 ans dans le ressort des SGAP de Paris et de Versailles (à l'exception d'un petit nombre de circonscriptions) et à ceux affectés dans le ressort de certaines circonscriptions de sécurité publique, quel que soit le service de rattachement (Lyon, Givors, Marseille, Vitrolles, Lille, Roubaix, Tourcoing, Creil, Dreux, Rouen, Le Havre, Amiens et Beauvais).

Le régime de cette indemnité présente deux inconvénients majeurs, l'exigence d'une durée d'affectation d'au moins 5 ans pour l'obtenir, d'une part, l'absence de prise en compte réelle de la difficulté de la tâche exercée, d'autre part.

Les effets pervers du versement au bout de 5 ans seulement ont été soulignés par M. Lucien Perret qui a fait observer à la mission que « la durée de présence administrative dans un département d'Ile-de-France est relativement courte : à l'heure actuelle, dans l'Essonne, elle est en moyenne d'environ quatre ou cinq ans ». Dès lors, bien que l'Essonne fasse partie des zones difficiles, de nombreux policiers qui y sont affectés ne peuvent bénéficier de cette indemnité. Ce phénomène s'observait ailleurs puisque M. Jacques Laisné confirmait que « le taux de rotation de la grande couronne était, en effet, tellement rapide que le pourcentage de fonctionnaires qui bénéficiaient de la prime dite de fidélisation dans les Bouches-du-Rhône était supérieur à celui observé dans les Yvelines, ce qui était totalement paradoxal ».

Le problème se pose également quand un policier est muté d'une zone difficile à une autre, puisqu'il doit à nouveau attendre cinq années pour percevoir l'indemnité, comme le soulignait M. Pierre Guinot-Delery.

Dès lors, on ne peut que se féliciter qu'une réforme soit prochainement mise en _uvre, selon laquelle la prime commencera à être versée, par tranche, dès la deuxième année d'affectation dans les zones éligibles.

L'absence de prise en compte des difficultés réelles des tâches exercées a été également plusieurs fois évoquée. Comme le faisait remarquer M. Lucien Perret, « tout le monde perçoit à peu près le même traitement », ajoutant qu'« entre être gardien de la paix à Corbeil ou être gardien de la paix à Mende, le choix est vite fait et on peut le comprendre ».

Cette question se pose même dans les zones concernées par l'indemnité de fidélisation. Celles-ci sont parfois trop vastes et les conditions de travail y sont très variables. Mme Nadia Chelgoum, Commissaire à Vaulx-en-Velin le soulignait en ce qui concerne l'agglomération lyonnaise : « à côté de Vaulx-en-Velin, il y a une commune beaucoup plus calme, Caluire. La plupart des agents touchent la même prime, qu'ils travaillent au commissariat de l'une ou de l'autre commune, alors qu'ils ne subissent pas du tout les mêmes difficultés dans les conditions d'intervention ».

M. Pierre Guinot-Delery a proposé devant la Mission une piste de réflexion pour la réforme de cette indemnité : « l'on pourrait imaginer une déconcentration, au niveau du directeur départemental de la sécurité publique ou du préfet, qui permettrait de mieux cibler, à l'intérieur d'une même circonscription de police, les zones réellement difficiles. Même dans une agglomération où la délinquance est globalement relativement importante, il est très facile d'identifier la douzaine de quartiers ou de secteurs où le travail de police est vraiment difficile ».

E.- L'APPEL AUX EMPLOIS-JEUNES PREND UNE PLACE GRANDISSANTE

Le ministère de l'Intérieur est, avec celui de l'Éducation nationale, le ministère qui a le plus recours aux emploi-jeunes. L'objectif fixé est celui du recrutement de 20.000 adjoints de sécurité (ADS) d'ici à la fin de l'an 2000. Le recrutement et l'utilisation de ces ADS constituent l'un des aspects essentiels de la politique de développement de la police de proximité, actuellement mise en _uvre par le gouvernement.

Devant la Mission, le Directeur général de la police nationale a insisté sur cet aspect des choses :

« Concernant les adjoints de sécurité, personne n'a relevé ce qui était quand même un petit exploit, le recrutement, après répartition sur le territoire et sous l'autorité des préfets, de 8.250 adjoints de sécurité l'année dernière. Cette année, alors que nous avons l'autorisation du Gouvernement d'en recruter 8.200, nous nous en tiendrons plutôt à 7.660, parce qu'à partir du 1er septembre, nous allongerons de 15 jours la formation de ces adjoints de sécurité.

« J'ajoute que nous avons donné des instructions très précises pour qu'en première affectation ces adjoints de sécurité reçoivent, dans le cadre de la formation continue, une formation complémentaire reprenant en partie leur formation initiale.

« J'observe également l'extrême enthousiasme de ces îlotiers, le peu de personnes qui ont abandonné leurs missions et pris l'initiative de rompre le contrat et, d'un autre côté, le peu de personnes que nous avons eu à remercier.

« J'ajoute que nous solderons le recrutement massif d'adjoints de sécurité l'an prochain, ce qui est extrêmement important pour la police nationale, non seulement en termes de représentativité sociologique et en termes quantitatifs, mais également, et on l'oublie, en termes de lissage des courbes démographiques. Il va nous falloir, en effet, renouveler la bagatelle de 25 000 policiers en 5 ou 6 ans. Comment le faire sans avoir une forme de pré-recrutement et de vérification sur le terrain de la motivation des jeunes ? »

Cette politique volontariste de recrutement des ADS, si elle n'est pas à proprement parler contestée, suscite un certain nombre d'interrogations qu'ont exprimées plusieurs membres de la Mission, à commencer par M. Louis Mermaz, Rapporteur pour avis des crédits de la police pour la commission des lois, faisant état de plusieurs scènes de rue parisiennes concernant de jeunes ADS quelque peu dépassés par les événements.

L'inquiétude principale est de voir les ADS remplacer les policiers professionnels sur la voie publique. « Il est vrai que c'est eux que l'on voit sur le terrain. Pratiquement, on ne voit plus qu'eux » faisait observer notre collègue Francis Delattre au Ministre de l'Intérieur.

Si M. Didier Cultiaux indiquait que « l'idéal, pour nous, est un titulaire pour trois ADS », force est de constater que, comme il le reconnaît d'ailleurs lui-même, la situation n'est pas toujours satisfaisante sur le terrain.

Mme Nadia Chelgoum, Commissaire à Vaulx-en Velin, indiquait en effet : « je dispose actuellement au sein de mon commissariat de 104 fonctionnaires, comprenant à la fois du personnel en tenue, du personnel en civil, du personnel administratif et 21 adjoints de sécurité ». Elle faisait ensuite remarquer que « 104 fonctionnaires, c'est bien entendu ce que j'appellerai l'effectif théorique. En réalité, sur le terrain, c'est-à-dire sur la voie publique, il y a, en moyenne, dans une journée, 10 policiers actifs et 9 adjoints de sécurité », ce qui témoigne d'un ratio ADS / policiers actifs préoccupant. Cette proportion ne concerne pas seulement la ville de Vaulx-en-Velin mais l'ensemble de l'agglomération lyonnaise, puisque M. Pierre Guinot-Delery indiquait à la Mission que « dans la circonscription de police de Lyon, c'est-à-dire la ville de Lyon plus un certain nombre de communes périphériques, le tout représentant 900.000 habitants, nous comptions, à la fin du mois de février, environ 290 îlotiers, dont 125 ADS, donc pas tout à fait la moitié ».

L'existence de tels chiffres et l'examen des conditions concrètes d'utilisation des ADS dans certaines circonscriptions conduisent à s'interroger : le recours, aux policiers auxiliaires hier et aux ADS aujourd'hui, ne constituerait-il pas, avant tout, un moyen commode de surmonter les lourdeurs de l'organisation policière, qu'il s'agisse de l'inadéquation grandissante de la localisation géographique des effectifs ou des pesanteurs des rythmes de travail effectif des policiers ?

*

* *

CONCLUSION

Le Ministre l'a indiqué à la Mission et ses propos rejoignent les préoccupations des élus et de nos concitoyens : le développement d'une police de proximité, et donc l'accroissement du nombre de policiers présents sur la voie publique, constituent l'orientation majeure de la politique qu'il entend mener.

La plus grande visibilité des policiers, et donc leur plus grande disponibilité, constituent, en effet, un enjeu essentiel pour répondre aux attentes de la population et combattre un fort sentiment d'insécurité.

Cela suppose que les policiers ne soient pas accaparés par des tâches non policières et que leur répartition sur le territoire soit mieux adaptée à l'évolution de la délinquance. Cela suppose aussi, avant tout, que la police repense les modalités de la gestion de ses personnels

Une telle orientation est possible. Les prévisions de départs à la retraite au cours des prochaines années ouvrent une période particulièrement propice à cette évolution. A l'évidence, cette chance ne doit pas être gâchée.

S'ils semblent conscients de ces nécessités, les responsables de la police ont néanmoins trop tendance à mettre en évidence les coûts supplémentaires que suppose la mise en _uvre de telles réformes. Faut-il, pour autant, prendre en considération ces revendications budgétaires récurrentes ? La réponse à cette question ne peut pas être entièrement positive. Les propos tenus devant la Mission et les informations déjà présentes dans des documents officiels démontrent qu'il existe des marges de « productivité » et d'amélioration de l'efficacité du travail de la police non négligeables qui permettraient de gager l'essentiel, voire la totalité, des dépenses supplémentaires.

· La police doit être administrée.

Pour que les graves lacunes constatées dans la gestion et l'administration de la police soient rapidement comblées, il importe qu'à l'avenir les tâches policières stricto sensu soient distinguées des tâches purement administratives.

Cela suppose de renforcer les effectifs d'agents administratifs présents dans la police nationale.

Le respect de l'engagement pris en 1995 par la loi d'orientation et de programmation relative à la sécurité - la création de 5.000 emplois administratifs et techniques de 1995 à 1999 - peut être tenu sans que cela n'entraîne un surcoût budgétaire. En profitant des départs à la retraite attendus au cours des prochaines années, les différences de coûts salariaux évoquées précédemment permettent, en effet, de gager la création des 3.200 emplois administratifs manquants par la transformation de seulement 2.200 emplois de policiers actifs. A budget constant, une telle transformation permettrait donc d'affecter un millier de policiers supplémentaires dans les zones prioritaires.

Si l'on raisonne au niveau de l'État dans son ensemble, le renforcement de l'appareil administratif de la police peut également être recherché par l'affectation dans la police d'agents provenant d'autres ministères et qui y seraient en situation de sureffectifs.

· Certaines tâches de gestion doivent être externalisées.

La police, on l'a vu, a eu tendance à faire elle-même ce qui pourrait l'être sans doute dans de meilleures conditions et à moindre coût par des entreprises extérieures. La réparation des automobiles et la maintenance informatique, ainsi que certaines activités assurées par les SGAP, sont les domaines qui viennent spontanément à l'esprit.

Des études chiffrées précises doivent être rapidement menées pour évaluer les économies qui résulteraient d'une telle externalisation. Dès lors qu'elles sont positives, leurs conclusions doivent être mises en _uvre. Si certaines précautions doivent naturellement être prises, l'évocation nostalgique des évènements de 1968 n'est plus guère de mise pour retarder cette évolution.

Là aussi, les dépenses supplémentaires occasionnées par ce recours à des prestations extérieures peuvent être aisément gagées par la suppression d'une partie des emplois ainsi rendus inutiles.

· Les horaires de travail des policiers doivent être contrôlés.

Les travaux de la Mission ont mis en évidence le « maquis » que constituent les régimes de travail des policiers, dont la multiplicité n'a d'égal que l'opacité. Indéniablement, il existe dans les différents services de police et en matière d'horaires de travail des comportements auxquels il convient de mettre un terme.

La mise en place d'un contrôle effectif des horaires est, à cet égard, impérative. L'utilisation effective de toutes les potentialités des outils informatiques qui commencent à être mis en place, notamment l'utilisation de cartes magnétiques compatibles avec le logiciel Geopol, constitue une première mesure qui peut être mise en _uvre aisément.

· Le paiement des heures supplémentaires doit prendre le pas sur les récupérations.

Le choix prioritaire effectué implicitement en faveur de la récupération des heures supplémentaires induit des conséquences sur l'organisation des services sans commune mesure avec les économies apparentes qu'il procure.

Les responsables de la police chiffrent le coût d'une indemnisation des heures supplémentaires à environ 200 millions de francs. Cette charge supplémentaire représente ainsi le coût annuel d'environ un millier de policiers (soit moins de 1 % des effectifs), mais permettrait de supprimer les absences des 10 à 15 %, selon les estimations, des policiers en récupération.

Parce qu'il est donc aisément gageable, le paiement des heures supplémentaires doit être préféré aux mécanismes de récupération. Un plan pluriannuel, destiné à apurer le stock actuel des heures supplémentaires effectuées, doit être mis en place sans tarder.

· Le régime indemnitaire doit être mieux ciblé.

La Mission a relevé que le régime indemnitaire ne permettait aucune modulation des primes en fonction de la manière de servir de chaque policier.

Ce caractère « aveugle » du régime indemnitaire n'est sans doute pas une spécificité de la police nationale. Pourtant, le caractère disparate des tâches remplies y est sans équivalent dans d'autres administrations, à l'exception peut-être de l'Éducation nationale.

Votre rapporteur mesure bien les difficultés d'une révision du régime indemnitaire, surtout dans un contexte de rigueur budgétaire qui limite l'importance des sommes qui peuvent être redistribuées. Elle est pourtant indispensable pour mobiliser les policiers, notamment ceux qui acceptent de servir dans les zones les plus difficiles.

A cet égard, l'indemnité de fidélisation en zones difficiles devrait être versée dès la prise de fonction dans les zones concernées, sous réserve que celles-ci fassent l'objet d'une redéfinition. La référence à des ressorts entiers de SGAP ou de circonscriptions de police (comme celle de Lyon) doit être bannie au profit d'un redécoupage plus fin, reflétant mieux les difficultés d'exercice par les policiers de leur mission.

· Les projets de redéploiement entre la police et la gendarmerie et la restructuration des différents services de police doivent être poursuivis.

L'objectif prioritaire qui doit guider les responsables de la police est simple : les policiers, comme les gendarmes, doivent être déployés là où la délinquance est la plus élevée.

Dès lors, il importe de relancer les projets de redécoupage entre les zones de police et les zones de gendarmerie. Ceux-ci ont souffert, à l'évidence, d'une insuffisance de concertation et d'explication préalables et ont donc pris un retard que le ministre n'a pas nié. Rappelons que les mesures proposées par le rapport Carraz-Hyest permettraient de redéployer, sans coût supplémentaire, 3.000 policiers au bénéfice des zones urbaines des départements les plus sensibles.

Le projet de fidélisation d'une partie de la réserve générale (CRS et gendarmes mobiles), tel que le Ministre l'a décrit devant la Mission, participe d'une même volonté de revoir l'implantation des effectifs de sécurité et doit donc être mené à bien. A cet égard, une étude précise sur le coût réel de l'utilisation des CRS s'avérerait sans nul doute fort instructive sur le bien-fondé d'une telle orientation et sur la nécessité d'un reformatage des CRS.

· Le recours aux adjoints de sécurité doit être maîtrisé.

Nul ne peut nier l'intérêt que constitue l'institution des ADS, en termes d'ouverture de la police à des populations qui en étaient éloignées, ou de perspectives de sélection de recrues ultérieures.

Il importe pourtant de veiller aux conditions d'emploi de ces jeunes gens, à la clarification des missions qui peuvent leur être confiées et à la formation qui leur est dispensée, éléments d'autant plus importants qu'ils se sont vus confier une arme.

Surtout, une attention particulière doit être apportée à leur encadrement, tant en ce qui concerne la compétence de leurs tuteurs que du taux réel d'encadrement. A cet égard, le taux de 1 à 3, présenté comme idéal par le Directeur général de la police nationale, doit impérativement être respecté.

*

* *

Ce n'est que par la mise en _uvre de chacune de ces orientations que la police nationale sera en mesure de remplir la mission qui est la sienne et de répondre aux attentes légitimes de nos concitoyens.

Elle confirmera ainsi les propos tenus par M. Jean-Pierre Chevènement devant la Mission : « la police est une institution qu'il faut faire bouger. Elle a commencé à bouger et prend conscience de la nécessité de bouger. Elle sait que c'est pour elle un grand défi ».

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AUDITIONS

1.- AUDITION DE M. DIDIER CULTIAUX, DIRECTEUR GÉNÉRAL DE LA POLICE NATIONALE ET DE M. JACQUES LAISNÉ, DIRECTEUR DE L'ADMINISTRATION DE LA POLICE NATIONALE

(Extrait du procès-verbal de la séance du jeudi 18 mars 1999)

Présidence de M. Philippe Auberger, Président

A l'invitation du Président, MM. Didier Cultiaux et Jacques Laisné sont introduits. Le Président lui rappelle les règles définies par la mission pour la conduite des auditions : pas d'exposé introductif, échange rapide des questions et des réponses. Il donne ensuite la parole, pour une première question, à M. Tony Dreyfus, rapporteur spécial de la commission des Finances, de l'Économie générale et du Plan sur les crédits de la Sécurité.

M. Tony Dreyfus, rapporteur spécial : Toutes les études paraissant sur le sujet indiquent que la France connaît un ratio des effectifs de sécurité, policiers et gendarmes réunis, par rapport à la population, parmi l'un des plus élevés d'Europe : 1 pour 251 habitants. Il n'y a que l'Espagne qui fait mieux que nous avec 1 pour 205. Pensez-vous que les effectifs globaux de la police nationale ont atteint un niveau suffisant ? Comment expliquez-vous, M. le directeur général, l'existence d'un tel ratio ?

M. Didier Cultiaux : C'est l'expression de notre histoire avec un système dual, où police nationale et gendarmerie ont des zones respectives de compétences. Effectivement, l'addition donne le ratio que vous indiquez. Nous n'avons jamais pensé qu'il fallait faire toujours plus en termes d'effectifs, sauf sur un point sur lequel je vais venir. En revanche, il existe un vrai problème d'adéquation entre la démographie, singulièrement urbaine aujourd'hui, et la répartition des forces de police au sens large du terme, et leur bon usage.

La seule réserve que je fais concerne la sous-administration de la police : celle-ci doit être davantage administrée par des administrateurs formés en tant que tels, et au demeurant moins coûteux que les policiers, que majoritairement par des policiers, comme c'est la tendance actuellement. Il ne s'agit pas tant de soustraire 3.000 à 3.500 emplois administratifs de l'effectif global, mais d'ajouter ces emplois à des policiers dûment déployés et dont l'activité est vérifiée.

M. Louis Mermaz, rapporteur pour avis de la commission des Lois sur les crédits de la police : Tout le monde se pose la question : où sont les policiers ? Le rapport Bauer est alarmant ; en le lisant, je pensais au sketch de Fernand Raynaud au terme duquel il n'y avait plus que Fernand Raynaud qui travaillait. Quand on nous dit qu'il n'y a que 5.000 policiers disponibles à une heure donnée, on s'inquiète. Les chiffres du ministère de l'Intérieur sont plus optimistes, mais il y a quand même un problème : je m'aperçois, où que l'on aille, que l'on voit de moins en moins de policiers dans la rue.

Les policiers que l'on voyait auparavant étaient souvent des jeunes qui faisaient leur service national. Pas plus tard qu'hier soir, je voyais, au milieu de la place de la Concorde, deux jeunes sympathiques adjoints de sécurité avec le liséré bleu, n'ayant eu que quelques semaines de formation, vraiment perdus au milieu des voitures. Cela a créé un embouteillage monstre. Donc, où sont les policiers ?

Question un peu plus technique. Quels sont les rythmes de travail mis en place à partir de 1997 ? Problème concomitant : qu'en est-il des récupérations des policiers ? Quand on va dans les commissariats et que l'on parle avec un commissaire de police, on s'aperçoit qu'entre les gens qui sont au travail et les effectifs théoriques, il y a un gouffre.

M. Didier Cultiaux : Dans votre question, il y en a plusieurs. Tout d'abord, le fait de dire qu'il y a moins de policiers dans la rue a un caractère subjectif parce que dans un certain nombre de villes, d'autres élus estiment que leur présence, si elle n'a pas été accrue, n'a pas été réduite.

J'observe que ce que l'on appelle le rapport Bauer n'est pas un rapport car il n'a pas été commandé à M. Bauer. C'est l'étude d'un universitaire qui, grâce au souci de transparence et de bonne volonté de la police nationale, a eu accès à nos sources et les a interprétées.

Je rappelle au passage que la « maison » police nationale emploie pratiquement 140.000 personnes réparties en 468 circonscriptions, y compris les policiers auxiliaires qui sont en diminution et les ADS dont le nombre progresse, les grands bataillons de la sécurité publique regroupant environ 66.000 personnes. Ces circonscriptions sont d'ailleurs très hétérogènes : celle de Lyon compte plus de 1.000 personnes alors que les plus petites circonscriptions regroupent une trentaine de policiers et posent d'ailleurs des problèmes de fonctionnement.

A propos de l'interprétation faite par M. Bauer de la notion de présence policière, nous pourrions poser une question très simple : lorsque les brigades anticriminalité (BAC) travaillent la nuit entière et patrouillent en repérant les malfrats, n'est-ce pas du travail de voie publique ? Lorsque nous avons à répondre au 17 et à envoyer les personnels de police secours, n'est-ce pas de la voie publique ? En clair, est-ce que la voie publique doit se résumer à l'îlotage?

Il est vrai, et cela pose un grave problème pour l'avenir, que l'îlotage est trop souvent une variable d'ajustement. Nos directeurs départementaux de la sécurité publique et nos chefs de circonscriptions ont tendance, lorsqu'ils manquent d'effectifs sur d'autres postes, à réduire les îlotages. Nous combattons cela. Nous sommes en train de faire passer les effectifs d'îlotiers de 6.000 à 10.000 policiers pour la fin de cette année et nous souhaitons sur ces îlots, à la fois augmentés et élargis, un encadrement systématique par des titulaires. Nous savons d'ailleurs qu'il y a des problèmes ici ou là. L'idéal, pour nous, est un titulaire pour trois ADS ; le ratio de 1 à 6 ou 7 relevé à certains endroits, nous paraît un mauvais ratio. D'où la nécessité de redéployer un certain nombre de policiers sur la voie publique pour avoir un meilleur encadrement et arriver à une sectorisation ou une fidélisation territoriale de la police.

Les personnels de la police nationale, vous le savez sans doute, sont soumis à deux régimes de travail : le régime hebdomadaire, où la durée du travail est de 41 heures 30, et le régime cyclique où elle est de 39 heures. La réforme appliquée depuis trois ans, comporte une dominante qui est le cycle 4-2 : 4 jours de travail suivis de 2 jours de repos. L'existence des récupérations est liée à la caractéristique particulière de la police, qui est de travailler 24 heures sur 24 et 365 jours sur 365 : arriver à une telle présence suppose pratiquement un roulement sur 5 unités. Si nous défalquons les récupérations, nous pouvons dire, notamment dans le régime cyclique, que nous sommes pratiquement et objectivement à 35 heures.

M. Philippe Auberger, co-président : Vous avez dit qu'il n'y avait pas de rapport Bauer.

En revanche, y a-t-il un rapport Roché ? J'ai sous les yeux ce rapport qui parle, à propos de la police, de 40 heures 30. Vous-même venez de parler de 41 heures 30. Où est la vérité ?

M. Didier Cultiaux : Je ne suis pas dans le jeu de la vérité. C'est moi qui ai fait une erreur, car il y a eu effectivement 41 heures 30, puis avec la réduction de la durée légale du travail, nous sommes passés à 40 heures 30.

M. Philippe Auberger, co-président : Vous validez donc le rapport Roché ?

M. Didier Cultiaux : Je le valide là-dessus. J'ai donné le chiffre antérieur à la réduction de la durée légale.

M. Tony Dreyfus, rapporteur spécial : M. le directeur général, je vous ai entendu dire qu'il fallait cinq unités pour couvrir les 24 heures continues. Or, les commissaires de police que l'on interroge, ici ou là, disent qu'il faut 7 ou 8 personnes pour couvrir 24 heures. Dans certaines villes, on nous dit qu'il faut jusqu'à 11 personnes pour assurer la continuité du service public.

Selon les conclusions du rapport Roché, en raison des contraintes budgétaires, on a donné la préférence aux récupérations de toutes natures et ainsi, on a été dispensé du paiement des heures supplémentaires : or, quand il y a récupération, il y a absence sur le terrain. On peut, dès lors, mieux comprendre les contraintes des responsables de la police.

M. Didier Cultiaux : Sur le premier point, il est clair qu'il faut raisonner non pas seulement en jours, mais également en semaines, en mois, et en années. Je crois comprendre que dans la police, on prend aussi des congés et que l'on a un droit à la formation.

Par conséquent, je souligne, notamment après les assises nationales de la formation, le grand problème que nous avons à résoudre : concilier les impératifs du service actif et la nécessité de la formation continue de nos policiers.

Sur le deuxième aspect de votre question qui est en même temps une observation, je ne peux que vous donner raison. Jusqu'à présent, la politique menée par le ministère de l'Économie et des Finances nous a amenés à privilégier la récupération, puisque nous ne sommes pas dans une logique de paiement des heures supplémentaires. Si nous allions vers une telle logique, je ferai observer, premièrement, que son coût budgétaire se chiffrerait en centaines de millions de francs - mais c'est un choix politique qui ne nous appartient pas - et deuxièmement, énorme avantage pour nous, qu'elle nous apporterait évidemment davantage de flexibilité et de souplesse dans l'usage des policiers, en permettant notamment des horaires décalés sur la voie publique.

M. Louis Mermaz, rapporteur pour avis : Vous avez parlé de la BAC. Ce sont des policiers de grande qualité, d'après ce que j'en sais et ce que j'en ai vu dans ma propre région.

Dans les effectifs d'îlotiers qui passent, avez-vous dit, de 6 000 à 10 000, comptez-vous les ADS ? Ils font tout ce qu'ils peuvent, mais ils n'ont pas la formation des policiers professionnels, ce qui me renvoie à la question de savoir où sont les policiers professionnels.

Comment envisagez-vous le redéploiement de vos forces de police sur le territoire national ? Je sais qu'il y a un grand débat police-gendarmerie.

Envisagez-vous d'avancer vers une certaine régionalisation du recrutement, afin que nous n'ayions pas seulement dans nos provinces des policiers au milieu de leur carrière ? A 45 ou 50 ans, ils n'ont pas forcément le dynamisme des jeunes, même s'ils ont une certaine expérience.

M. Didier Cultiaux : Trois questions, trois réponses.

Concernant les adjoints de sécurité, personne n'a relevé ce qui était quand même un petit exploit, le recrutement, après répartition sur le territoire et sous l'autorité des préfets, de 8 250 adjoints de sécurité l'année dernière. Cette année, alors que nous avons l'autorisation du Gouvernement d'en recruter 8 200, nous nous en tiendrons plutôt à 7 660, parce qu'à partir du 1er septembre, nous allongerons de 15 jours la formation de ces adjoints de sécurité.

J'ajoute que nous avons donné des instructions très précises pour qu'en première affectation ces adjoints de sécurité reçoivent, dans le cadre de la formation continue, une formation complémentaire reprenant en partie leur formation initiale.

J'observe également l'extrême enthousiasme de ces îlotiers, le peu de personnes qui ont abandonné leurs missions et pris l'initiative de rompre le contrat et, d'un autre côté, le peu de personnes que nous avons eu à remercier.

J'ajoute que nous solderons le recrutement massif d'adjoints de sécurité l'an prochain, ce qui est extrêmement important pour la police nationale, non seulement en termes de représentativité sociologique et en termes quantitatifs, mais également, et on l'oublie, en termes de lissage des courbes démographiques. Il va nous falloir, en effet, renouveler la bagatelle de 25 000 policiers en 5 ou 6 ans. Comment le faire sans avoir une forme de prérecrutement et de vérification sur le terrain de la motivation des jeunes ?

Concernant le redéploiement, il y a deux niveaux...

Mme Nicole Bricq : Excusez-moi, M. le directeur général, mais vous n'avez pas répondu à la première question de M. Louis Mermaz, à savoir si l'effectif de 6.000 îlotiers, et bientôt de 10.000, comprenait les adjoints de sécurité. Vous avez dit que l'idéal était un taux d'encadrement d'un titulaire pour trois adjoints de sécurité, alors que dans certains endroits, vous aviez un titulaire pour six adjoints. Vous devriez être en capacité de nous dire la part des ADS.

M. Didier Cultiaux : Je vais vous répondre, Madame. Actuellement, les titulaires affectés aux îlots sont de l'ordre de 3 200 dans la police nationale et le solde est formé, soit par des policiers auxiliaires, soit par des adjoints de sécurité.

Je rappelle au passage que les policiers auxiliaires sont au nombre de 4.000. Si nous suivons le ministère de l'économie et des finances, il n'y en aurait plus l'an prochain. Je me bats pour qu'ils soient encore 2.000 afin de lisser les courbes et pour que nous conservions cette ressource de jeunes très motivés.

Concernant le redéploiement, il y a deux horizons. Le premier horizon est fixé par la décision prise par le conseil de sécurité intérieure du 27 janvier dernier, qui fait une obligation à la police et la gendarmerie de redéployer, chaque année pendant trois ans, 1 900 personnes dans les endroits les plus sensibles. Pour ce qui concerne la police nationale, le nombre de redéploiements sera de 1.200 multiplié par 3. Nous sommes en train de nous livrer à cet exercice qui consiste à réduire en 3 ans de 10 % les effectifs de la police nationale en administration centrale ; à réorienter les « sorties d'écoles » vers les départements sensibles et très sensibles ; à stabiliser, et non pas à réduire pour l'instant, les CRS qui ont un problème de rajeunissement ; à réduire les gardes statiques, ce qui amène à passer des contrats avec les préfectures et les sous-préfectures pour privilégier la vidéosurveillance.

Il s'agit également de réviser les petits postes de la police aux frontières et des Renseignements généraux, et enfin, d'externaliser un certain nombre de nos tâches, notamment des tâches techniques de maintenance de véhicules dans les garages, ainsi que, car cela va de mal en pis, des tâches informatiques. La demande de crédits correspondants présenté par le ministre de l'Intérieur au secrétaire d'État chargé du budget est de 200 millions de francs.

Le deuxième horizon du redéploiement, beaucoup plus ambitieux, est lié à la police de proximité. Nous y travaillons actuellement avec le ministre. Il aura forcément des conséquences sur la répartition géographique, interdépartementale et intra-départementale, des effectifs.

J'ajoute, c'est une idée personnelle, que je suis relativement favorable à une certaine déconcentration et à une gestion plus souple, au niveau des directeurs départementaux de la sécurité publique, du bon usage des effectifs au plan local. Je ne souhaite pas les rendre « prisonniers » par des affectations définitives auprès de tel ou tel commissariat. Je crois que c'est un vrai sujet sur lequel il faudra travailler et discuter.

Sur le recrutement régional, notre opinion est la suivante : autant le recrutement régional sur le secteur de Paris-Versailles a son intérêt et ses vertus, autant, pour le reste de la France, il n'apporte pas les résultats attendus, ou ne les apporterait pas.

M. Jacques Laisné : Fonctionnent aujourd'hui, à la satisfaction générale, deux types de concours déconcentrés qui sont organisés dans le SGAP de Paris, pour Paris et la petite couronne, et dans le SGAP de Versailles, pour la grande couronne. Ces concours déconcentrés sont organisés parce que nos recrutements sont globalement insuffisants dans la grande région Ile-de-France.

En revanche, sur le reste du territoire national, un recrutement de corps actifs ne soulèverait naturellement pas de difficulté puisque la demande est forte. Mais, le nombre de candidats étant très important, il stériliserait et gèlerait dans des conditions très difficiles les perspectives de mutation des fonctionnaires affectés il y a déjà quelques années dans la région parisienne. Cela compliquerait beaucoup l'exercice. D'autant qu'en l'état actuel du droit de la fonction publique, on ne peut pas empêcher un candidat qui ne réside pas dans un ressort territorial de se présenter à un autre concours, et qu'enfin, les droits à mutation demeurent les mêmes, quel que soit son type de recrutement.

C'est la raison pour laquelle nous n'envisageons pas pour l'instant de développer ces concours déconcentrés, même si le problème du vieillissement de certains corps urbains est un problème grave et qui nous préoccupe.

Dans notre perspective actuelle, non seulement nous faisons fonctionner un mouvement général recentré sur les 26 départements très sensibles, comme l'a décidé le conseil de sécurité intérieure, mais également, dans un certain nombre de départements, où nous avons des difficultés de recrutement, nous affectons des sorties d'écoles en province, dans des villes comme Lyon, Rouen, le Havre, pour lesquelles il n'y a pas de liste d'attente importante.

Enfin, dans les départements très sensibles, lorsqu'il apparaît que la moyenne d'âge devient anormalement élevée, nous commençons à insérer, de façon raisonnable, une certaine dose de jeunes sortis d'écoles.

M. Louis Mermaz, rapporteur pour avis : Je ferai deux remarques sur ce que vous avez dit, M. Cultiaux. Vous n'êtes en fonctions que depuis un an, ne prenez donc pas contre vous ce que nous disons, car on ne peut pas changer les choses en un an. Il n'en reste pas moins que nous constatons que la part des professionnels dans l'îlotage, qui devient un problème ultrasensible, est excessivement faible. Vos propos d'ailleurs le confirment.

Très récemment, dans un quartier de Paris, je voyais deux jeunes adjoints de sécurité parlant avec un marchand de journaux qui avait été cambriolé dans la nuit. Ils étaient sympathiques, ils faisaient ce qu'ils pouvaient, mais ils n'étaient pas encore des professionnels et le marchand de journaux était plus opérant qu'eux. C'est très bien, ces ADS, ils vont donner un vivier pour les prochains recrutements, mais il ne faut pas nous dire qu'ils remplacent les policiers professionnels.

Si les policiers professionnels ne sortent pas davantage des commissariats, on va connaître des problèmes. Il faut les faire bouger. Dans le cadre de la préparation de mon rapport budgétaire, la principale préoccupation des commissaires auxquels je rendais visite, était que je ne trouve pas les policiers dans le commissariat mais dans la rue.

A propos des recrutements, je vois bien qu'on ne va pas bloquer à Paris tout ceux qui sont à Paris ou en Ile-de-France, mais vous pouvez quand même engager une transition. Beaucoup de jeunes, notamment d'ADS, pourraient être intéressés par une carrière dans la police à condition, quand ils sont à Perpignan, de ne pas se retrouver pendant 10 ans dans la banlieue parisienne. On pourrait les astreindre à une certaine mobilité. On peut mixer les deux systèmes, sinon vous aurez de plus en plus de policiers âgés dans toutes les régions en dehors de la région parisienne. Il faut inventer quelque chose.

M. Didier Cultiaux : Je ne sais pas si nous inventons ; nous essayons de prouver le mouvement en marchant, en pratiquant progressivement un certain mixage. Je vous fais cette observation pour avoir occupé un certain nombre de postes territoriaux : quand des policiers sont revenus au pays et sont revenus par d'heureux hasards, quinze ans avant la retraite, je constate, premièrement, que leur mobilisation n'est pas excessive et deuxièmement, que cela ne les empêche pas de demander leur retraite anticipée. J'observe actuellement que deux tiers des policiers qui partent en retraite partent en retraite anticipée. Cela me paraît être un sérieux problème.

M. Pierre Méhaignerie : Placés sous les feux permanents du pouvoir exécutif, du pouvoir médiatique, et du pouvoir syndical, vos marges d'action sont fatalement très limitées. Cette mission n'est pas un tribunal mais le lieu d'une recherche d'une plus grande efficacité de l'État, dans laquelle les parlementaires ont aussi leur part de responsabilité, sur les difficultés du redéploiement nécessaire des forces de police.

Mes questions sont de deux types.

Comme les États sont en compétition, il faut que les systèmes publics le soient aussi : premièrement, avez-vous des éléments de comparaison sur les horaires de travail des policiers dans les différents pays européens ?

Deuxièmement, tout le monde reconnaît aujourd'hui, et les deux rapporteurs viennent de le dire, que les politiques de proximité sont en général plus efficaces. Est-ce qu'on ne pourrait pas expérimenter, non pas la déconcentration, mais la décentralisation et placer la police, à titre expérimental, dans deux ou trois villes de France sous la responsabilité et l'autorité du maire, comme cela existe dans beaucoup de pays dans le monde ?

M. Didier Cultiaux : Le premier point est un sujet extraordinairement complexe sur lequel, d'ailleurs, l'Institut des hautes études de sécurité intérieure travaille, notamment parce qu'il existe en Europe de très grande différences d'organisations entre systèmes duaux - police et gendarmerie - systèmes unitaires et systèmes fédéraux.

Mais je voudrais surtout intervenir sur le deuxième point. La question que vous posez est une question politique. Ce n'est pas le sujet que l'on m'a demandé de traiter. Quand j'ai pris le poste de directeur général de la police nationale, on m'a demandé de travailler dans le cadre d'une police nationale unitaire, plus efficace, modernisée et déconcentrée ; parallèlement, une loi sur les polices municipales est en cours de discussion. J'ajouterai que j'ai appris, à l'école, quelque petites choses du genre : « qui paie contrôle ».

En ce qui concerne des expérimentations de police de proximité telles que vous les imaginez, j'observe que rien n'empêche des municipalités de créer leur propre police municipale : mais s'il y a 12 000 policiers municipaux, les polices municipales comportant une centaine d'agents sont relativement rares. En revanche, suivant la mission qui nous a été impartie, nous aurons lancé, d'ici le mois de juin, dans le cadre de la police nationale, police d'État, plus de 40 expérimentations de police de proximité dans plus de 30 départements, dont les quatre cinquièmes seront des départements très sensibles, et, pour le solde, des départements sensibles, et un département qui serait, sinon tranquille, du moins pas trop perturbé.

Voilà la voie vers laquelle nous nous dirigeons. Pour le reste, la question ne peut pas s'adresser à un haut fonctionnaire placé sous l'autorité du Gouvernement.

M. Philippe Auberger, co-président : Vous nous avez dit que les policiers occupaient trop de tâches administratives dans les commissariats et qu'il fallait envisager de les décharger. Pouvez-vous préciser quelle va être l'évolution dans ce domaine et comment vous allez réussir à dégager les policiers de leurs tâches administratives ?

M. Didier Cultiaux : Je dirai tout d'abord, puisque c'était un élément de dialogue fructueux avec la Cour des comptes, que nous devons certainement mieux tendre à définir ce qu'est un emploi administratif, comme nous devons aussi le faire pour les emplois techniques ou scientifiques. N'oublions pas qu'une grande police nationale est une police qui dispose aussi d'emplois techniques et scientifiques en nombre et qualité. Nous devons faire des efforts sur la définition des postes. Un travail a déjà été accompli en la matière, mais il est peu poursuivi.

Cela n'est pas si difficile. On connaît assez rapidement, en administration centrale, les endroits où des policiers actifs occupent des emplois administratifs. On les connaît aussi dans des états-majors des unités de police, que ce soit la sécurité publique, les Renseignements Généraux ou les CRS. Bien évidemment, on le sait très bien au niveau de la sécurité publique, notamment quand on voit des policiers gérant la dotation globale budgétaire.

Actuellement, nous avons, pour l'équivalent des effectifs de l'armée de terre, 4 700 agents administratifs stricto sensu. Si j'y ajoute les divers agents de service, les ingénieurs, les techniciens, les aides techniques, les personnels de laboratoires, sans compter les personnels contractuels, nous arrivons à environ 13.000 personnes. Je le répète, 4.300 administratifs alors que je pense qu'il nous en faudrait environ 10.000. C'est la mesure des choses. Je rappelle benoîtement que la loi d'orientation et de programmation sur la sécurité de 1995 avait prévu, 5.000 emplois administratifs. Actuellement, nous en avons obtenu 1 800 et nous en attendons 3.200. L'année 1999 est une année zéro et si les temps sont bons, nous en aurons peut-être 700 l'an prochain.

M. Jacques Laisné : On parlait tout à l'heure de comparaisons européennes. Elles sont souvent difficiles, en matière d'horaires, du fait des différences d'organisation. L'une des certitudes qui résultent des comparaisons européennes est que la police nationale française a le plus faible pourcentage d'administratifs par rapport à ses personnels actifs. En tenant compte des attachés, secrétaires administratifs ou adjoints, la proportion est inférieure à 5 ou 6 % de l'effectif. Il a donc été inévitable que les tâches administratives soient effectuées localement par des personnels actifs détournés de leur mission. C'est un problème très ancien auquel de nombreux gouvernements ont essayé de répondre. Dans ce domaine, il faut sans arrêt renouveler le travail, ne serait-ce que parce que certains personnels actifs ont peut-être tendance à trouver que les métiers administratifs sont plus confortables que la voie publique.

Nous avons engagé, en application de la décision du conseil de sécurité intérieure, tout un ensemble d'actions actuellement en cours. La première consiste à externaliser les fonctions logistiques. Une circulaire en cours de signature va permettre de passer des contrats, sous l'autorité des préfets de départements, pour diminuer les personnels affectés aux tâches de gestion, de réparation, et de maintenance automobile. La Cour des comptes a chiffré leur nombre aux environs de 1.200, mais je ne suis pas sûr qu'il ne soit pas sous-évalué. Il y a un nombre excessif d'agents qui font de la réparation automobile dans des garages. Nous avons nous-mêmes trouvé des exemples parfaitement scandaleux de doublons, notamment à Lyon où instruction a été donnée de fermer un garage de la direction de la sécurité publique occupant 20 fonctionnaires actifs.

Des crédits vont être dégagés par redéploiement au sein de notre programme d'emploi des crédits de 1999, pour fournir aux directions actives de police, au plan local, des moyens de faire entretenir et réparer un nombre accru de véhicules dans le secteur privé. Je ne vois pas pourquoi les berlines normales de la police nationale ne seraient pas entretenues par les concessionnaires garagistes locaux.

Nous allons essayer d'engager une deuxième action du même genre pour la maintenance informatique. Il est clair que la diffusion massive, depuis 12 ans, de l'informatique dans tous nos commissariats, qui a apporté une productivité accrue dans la gestion, a aussi stérilisé des effectifs qui sont plus facilement devant leur ordinateur que sur la voie publique. Là aussi, nous allons encourager par des moyens budgétaires le recours aux sociétés privées de maintenance. Mais tout ceci a un coût. Le problème est que le budget de fonctionnement et d'équipement de la police nationale (3,5 milliards) stagne depuis un grand nombre d'années. Parmi les demandes du ministre de l'Intérieur, figure une dotation spécifique pour 2000 afin d'externaliser ces fonctions.

Par ailleurs, des instructions très précises sont données aux différents chefs de service pour réduire leur structure d'état-major. Ces structures, au fil des années, se sont progressivement engraissées. C'est de la responsabilité de chaque directeur de réduire ses états-majors, et des comptes-rendus de mise en _uvre leur seront demandés.

C'est donc un travail permanent, difficile à faire, mais qui doit être impérativement poursuivi et qui est maintenant entrepris.

Mme Nicole Bricq : Monsieur le Directeur, ma question porte sur les 26 départements prioritaires, puisque leur choix a été annoncé il y a plusieurs mois. Je voudrais vous interroger sur ce que devrait être la traduction quantitative de ce choix, car il semble que, dans ces départements, - en tout cas, je prends l'exemple du mien que vous connaissez bien - on n'ait pas une exacte information de cette traduction quantitative, et je souhaiterais qu'à un moment donné de notre travail, nous puissions l'obtenir.

Quelle est l'affectation des personnels : adjoints de sécurité, agents de médiation, aides éducateurs, et personnels professionnels ?

Quelles mesures sont prises pour la sécurité dans les transports, puisqu'un plan spécifique a été établi pour remettre des agents dans les gares, en Ile-de-France notamment ?

Quel est le nombre de fonctionnaires affectés pour améliorer le taux d'élucidation et qui viendront renforcer les sûretés départementales ?

Quels sont les effectifs consacrés à l'îlotage, sur le nombre des affectations à la police de proximité des agents sortis d'écoles ?

Quelles sont les mesures de maintien sur place ? Nous connaissons en effet exactement, dans ces départements prioritaires, le problème inverse de celui que rencontrent certains autres départements : comment affecter des agents expérimentés dans les zones prioritaires et ralentir les départs à la retraite ?

Ces questions, j'en ai bien conscience, sont très précises, mais je peux vous assurer que personne, aujourd'hui, n'est capable de traduire, en termes quantitatifs, les annonces faites concernant les départements prioritaires.

M. Didier Cultiaux : Je ne vais pas vous donner tous les chiffres, je ferai quelques observations. Sur les 8 250 adjoints de sécurité recrutés l'année dernière, nous en avons affecté 78 % à la préfecture de police de Paris et aux 26 départements très sensibles. M. le Préfet de police ne manquera pas de rappeler, avec d'ailleurs les élus de Paris, que, compte tenu du taux de délinquance à Paris, il y avait un effort, effectivement, à faire dans ce domaine.

J'observe qu'il y a aussi à faire un effort de redéploiement interdépartemental et intradépartemental et que la préfecture de police n'en est pas exonérée, notamment en ce qui concerne les services techniques évoqués tout à l'heure et, à la fois, le redéploiement et l'externalisation.

M. Jacques Laisné : Le redéploiement, tel qu'il a été décidé par le Gouvernement, porte déjà, pour la première année 1999, sur 1 200 fonctionnaires, redéployés dans les 26 départements très sensibles.

La priorité a été donnée à la grande couronne parisienne pour les sorties d'écoles. C'est elle aujourd'hui qui pose le plus de difficultés. Étant donnée la faiblesse des distances dans la petite couronne, il y est en effet beaucoup plus facile de mobiliser plusieurs véhicules en cas d'incident, ce qui n'est pas le cas dans la grande couronne. Parmi les sorties d'écoles de 1999, 910 gardiens de la paix stagiaires iront directement dans la grande couronne parisienne, ce qui se traduira, pour celle-ci, par un supplément net, après enregistrement des mouvements de mutation ou de départ à la retraite, de 312 fonctionnaires avant la fin de l'année.

Vous avez dit, Madame, avec juste raison, que le problème était aussi de fidéliser un certain nombre de fonctionnaires qui souhaitaient quitter les régions difficiles de l'Ile-de-France pour, très souvent, retourner au pays. C'est en effet, l'une des difficultés majeures auxquelles nous sommes confrontés.

Au fil des années, plusieurs mesures ont été prises, notamment des mesures indemnitaires, au profit des fonctionnaires qui travaillent dans les SGAP de Paris et de Versailles. Actuellement, une modification du régime de la prime dite de fidélisation, qui n'était versée qu'au bout de cinq ans de présence continue dans les zones difficiles, a été décidée par le gouvernement : la prime commencera à être versée par tranches à partir de la deuxième année de présence. Le taux de rotation de la grande couronne était, en effet, tellement rapide que le pourcentage de fonctionnaires qui bénéficiaient de la prime dite de fidélisation dans les Bouches-du-Rhône était supérieur à celui observé dans les Yvelines, ce qui était totalement paradoxal.

Nous espérons que ce mécanisme budgétaire incitera les fonctionnaires à rester davantage dans la grande couronne.

Par ailleurs, les échelons exceptionnels d'avancement, les postes de brigadiers, de brigadiers majors, vont être progressivement recentrés sur les départements difficiles, et notamment la grande couronne, de façon à offrir aux fonctionnaires des perspectives de carrière plus attrayantes. On ne peut pas faire en sorte que la sécurité dans les départements de la région Ile-de-France soit uniquement entre les mains de jeunes sortis d'écoles. Ils ont besoin d'un encadrement expérimenté. Il faut convaincre cet encadrement expérimenté de rester plusieurs années, non pas par des mesures autoritaires qui ne donneraient rien, mais par des mesures incitatives de carrière et d'indemnités que nous sommes en train de mettre en _uvre.

M. Didier Cultiaux : Je voudrais insister sur la sécurité dans les transports en commun et sur la police judiciaire de terrain.

Pour la sécurité dans les transports en commun, l'effort est poursuivi. Il est considérable et il est de trois ordres :

- premièrement, renforcement, au sein de la police des frontières, de la brigade des chemins de fer avec près d'une centaine de personnes supplémentaires ;

- deuxièmement, nous sommes sur le point de signer un accord avec la SNCF pour la réouverture de 10 postes de police sur des lignes SNCF, ce qui représentera une soixantaine de policiers. ;

- troisièmement, depuis un an, deux unités mobiles dans la région parisienne sont affectées en permanence à la sécurité des transports en commun, quand ce n'est pas, certains jours, 3,5 unités.

La police judiciaire de terrain, est un point clé. Nous n'aurons pas une police de proximité réussie si nous n'avons pas la fiabilité judiciaire avec des policiers bien préparés aux procédures et qui les mènent à bien. Cela suppose non seulement une vulgarisation et une diffusion de la police scientifique et technique - et là, la police judiciaire fait de gros efforts au regard de la sécurité publique -, mais aussi des officiers de police judiciaire en nombre et qualité suffisants. Sur ce chapitre, la réorganisation des corps dans la police nationale amène une déflation du corps des officiers et, parallèlement, une augmentation du corps de maîtrise et d'application. Une loi récemment votée permet maintenant d'accorder une qualification d'OPJ à des fonctionnaires de ce corps ; il va falloir les former en nombre et qualité.

Notre inquiétude est que nous allons connaître, avec le renouvellement des générations, une déflation relative des effectifs pendant 3 ou 4 ans avec, si nous n'arrivons pas à lisser mieux les courbes, un creux en 2002-2003. Parallèlement, nous devons éviter que cette déflation atteigne les officiers de police judiciaire. Or actuellement, parmi les personnes partant en retraite anticipée, il y a beaucoup d'officiers de police judiciaire. Si nous voulons réussir, il faudra que dans une police sectorisée et fidélisé territorialement, il y ait des OPJ qui puissent mener à bien l'ensemble des procédures judiciaires. C'est un grand enjeu.

M. Jean-Jacques Jegou : J'ai un sentiment mitigé quant aux réponses de notre interlocuteur qui n'ont pas, à mon sens, été peut-être aussi loin qu'on le souhaiterait dans cette mission d'évaluation et de contrôle, surtout après les questions des rapporteurs. Où sont les policiers ? M. Pierre Méhaignerie a posé une question sur les heures effectivement faites par les policiers, M. Didier Cultiaux vient de parler de 39 heures, alors que l'on entend plutôt parler de 27 ou 28 heures.

M. Didier Cultiaux : Je l'ai démenti, Monsieur.

M. Jean-Jacques Jegou : Au fil de vos réponses, vous avez plutôt tendance à revendiquer des moyens financiers accrus, pour l'informatique, les personnels administratifs - après nous avoir dit d'ailleurs que les policiers « administratifs » étaient payés comme les policiers actifs.

Tout d'abord, il faut que vous nous précisiez les horaires effectifs des policiers dans les commissariats. Nous sommes des députés, mais aussi élus locaux. Comme élus locaux nous savons bien que depuis 15 ans, dans la petite couronne, ce sont les communes qui se sont substituées à la police nationale pour, avec leur police municipale ou avec les moyens du bord, assurer la sécurité des écoles, prendre en charge les cartes d'identité, les changements de domicile, les passeports et d'autres tâches administratives, le stationnement...

Pardonnez-moi cette réflexion simple : nous avons le sentiment que la police nationale s'est perdue dans la nature et que nous n'en avons pas pour notre argent. Au travers de vos réponses, vous avez dit, par petites touches, qu'il y a des réformes à faire. Vous avez dit que le ministre vous a fixé des missions sur le fonctionnement de la police. Mais quelles sont vos possibilités réelles ?

M. Pierre Méhaignerie évoquait les fortes pressions médiatiques et syndicales. Comment peut-on faire évoluer les choses dans le sens d'un meilleur fonctionnement autrement que par une augmentation des moyens de fonctionnement ?

M. Didier Cultiaux : Sur l'augmentation des dépenses de fonctionnement, je vous ferai observer qu'en cinq ans, le budget exécuté de la police nationale a augmenté de 50 millions de francs sur un total de moins de 3,5 milliards. Où est l'augmentation ?

M. Jean-Jacques Jegou : C'est l'augmentation des salaires.

M. Didier Cultiaux : Non, les salaires ne font pas partie des crédits de fonctionnement. Nous appliquons les accords salariaux. Lorsque les crédits de la police nationale augmentent de 2,7 % et que plus 2,3 % sont imputables à l'augmentation des rémunérations, où est la marge de manoeuvre pour le reste ? Où est-elle en matière d'équipement, lorsque nous sommes dans le rouge chaque année de 120 à 240 millions de francs pour les véhicules ? Lorsque nous avons, dans nos cartons, pour un milliard de projets immobiliers ?

Quand on me dit qu'il y a une augmentation des frais de fonctionnement de la police et qu'on n'en a pas pour son argent, il me faut souligner que la police a fait des efforts considérables de redéploiement des crédits qui lui sont assignés.

Je donnerai pour exemple, l'année dernière, la stabilisation et le contrôle complet des frais de transport, des frais de déplacement, des frais de mission, des frais de téléphone. Ce sont de petites victoires de tous les jours dont on ne parle pas, mais dont nous devons rendre compte. Ce sont les efforts des fonctionnaires sur le terrain avec un sens de la responsabilité que nous tenons à maintenir et à développer.

Vous avez estimé que la police se serait perdue dans la nature. La police ne s'est pas perdue dans la nature. Qu'il n'y ait pas sur la voie publique le nombre de policiers que l'on souhaite, c'est un fait, mais il faudra à ce moment-là réfléchir à plusieurs niveaux. Je vous ai indiqué tout à l'heure le niveau des effectifs de la sécurité publique (66.000 policiers) et celui des autres personnels de la police nationale et les missions qui lui sont assignées. Or, j'ai le sentiment que sur un certain nombre de missions qui nous sont assignées, notamment par la loi d'orientation et de programmation sur la sécurité, nous faisons face ; c'est le cas pour la lutte contre la criminalité organisée ou le contrôle des flux migratoires.

Il y a là des arbitrages à faire. Je considère que nous avons des efforts à accomplir, mais nous pouvons dire où sont nos policiers et ce qu'ils font. Au regard des attentes de la population, il faut certainement une autre présence sur le terrain. C'est la raison pour laquelle le gouvernement insiste sur la nécessité d'une police de proximité ; c'est pourquoi nous sommes en train de préparer des réformes en la matière.

En tant que membre du corps préfectoral, je veux vous dire ce que je pense avec ma raison et mon c_ur. Bien entendu, si nous avons pu progresser dans un certain nombre de domaines en matière de sécurité publique, c'est grâce à la compréhension mutuelle et à la bonne entente avec les élus locaux. Nous ne pouvons pas oublier que des municipalités ont pris à leur charge un certain nombre de missions que nous appelions indues.

Je voudrais également signaler que la loi d'orientation a déclaré indues d'autres missions et que celles-ci nous restent toujours à charge : je pense notamment aux transferts judiciaires journaliers, qui sont à l'initiative unilatérale des magistrats, à tous les transferts pénitentiaires qui ne sont pas forcément des transferts judiciaires stricto sensu et je pense à un certain nombre d'autres missions, notamment dans les établissements hospitaliers.

Quand je vois que dans certains commissariats moyens, on arrive à avoir 25 % des effectifs gelés par des transferts pénitentiaires et judiciaires, je considère qu'il y a un vrai problème pour nous. Nous préférerions très clairement dire à nos amis magistrats : nous vous donnons un dixième de nos effectifs, le président du tribunal en prend la responsabilité et les allées et venues et les audiences sont programmées de sorte que nous ne soyons pas sollicités comme nous le sommes. Si chacun, à son niveau, fait des efforts, nous aurons de meilleurs résultats.

En ce qui concerne les horaires de travail, je laisse la parole à M. Jacques Laisné.

M. Jacques Laisné : Les fonctionnaires de la police nationale sont soumis à deux types d'horaires : le régime hebdomadaire et le régime cyclique. Dans le premier, la durée légale du travail est de 39 heures. Dans la police nationale, pour des raisons de gestion, la durée hebdomadaire de la semaine de travail est fixée à 40 heures 30 ; l'heure et demie supplémentaire est compensée par dix jours de repos dits « d'hiver » : voilà le système qui aboutit, selon les calculs techniques, à 1.782 heures de travail. Compte tenu des congés annuels des fonctionnaires, notre estimation de la durée réelle du travail est de 38 heures 44. Le chiffre est d'ailleurs confirmé par le rapport Roché qui montre que la police nationale n'est pas, contrairement à ce qui se dit, l'administration la plus laxiste en ce domaine.

Le régime cyclique concerne les fonctionnaires qui travaillent 24 heures sur 24 avec la compensation des samedis, dimanches, et jours fériés, qui comptent pour davantage que l'heure réellement travaillée et, par ailleurs, la récupération du travail de nuit qui, conformément à la règle également observée dans les administrations ou entreprises privées, donne lieu à une récupération - majorée, cela va de soi. Il y a trois types d'horaires. Le cycle actuellement retenu, le plus fréquent aujourd'hui dans la sécurité publique, est le cycle 4-2 mis en _uvre il y a quelques années, c'est-à-dire 4 jours de travail suivis de 2 jours de repos. Cela donne sur l'année, en fonction de l'organisation locale et du nombre de brigades, en fonction des endroits où il y a des brigades de nuit et des brigades de jour, des temps de travail qui varient entre 1.526 et 1.582 heures par an.

Pour ces régimes cycliques en trois ou quatre brigades, selon l'organisation, le temps de travail est donc compris entre 33 heures 10 et 34 heures 23. Il est aujourd'hui contrôlé par le système informatique « Géopole » qui introduit, dans ce domaine, un certain nombre de certitudes et de garanties.

Parmi les cycles horaires spécialisés, ceux de la Préfecture de police, par exemple 6-1 ou 6-2, entraînent, compte tenu des particularités de l'institution, des temps de travail différents, qui sont, suivant les cas, de 1.472 heures ou de 1.530 et qui se traduisent par des temps de travail effectifs variant entre 32 heures et 33 heures 15.

Tout ceci, bien évidemment, tient compte notamment du problème majeur des rappels et du temps récupéré en conséquence. Dans beaucoup de circonscriptions, petites et moyennes, quand il y a un événement local qui n'est pas d'ampleur telle que l'on puisse appeler des unités mobiles, les fonctionnaires dépassent leurs horaires de travail et, ensuite, les récupèrent. Tout l'intérêt de la mise en place du système informatique Géopole, encore perfectible, est d'avoir des certitudes en la matière. Les stocks d'heures à récupérer s'additionnent et grèvent réellement le potentiel disponible dans les commissariats. Nous aurions préféré avoir un système d'indemnisation et, non pas de récupération, de ces heures supplémentaires. Mais nous nous heurtons à des contraintes budgétaires évidentes, le système d'indemnisation ne fonctionnant que pour les CRS pour lesquels il est évident que la durée réelle du travail ne peut être modulée, lorsqu'ils sont sur un service d'ordre.

M. Philippe Auberger, co-président : Merci. Vous démentez donc absolument ces horaires hebdomadaires de 28 heures ou autres évoqués ici ou là ?

M. Jacques Laisné : Tout à fait.

M. Daniel Feurtet : Je voudrais d'abord indiquer que je considère que le métier de policier est un métier difficile, encore plus difficile peut-être aujourd'hui. Je crois, par ailleurs, à l'entière responsabilité de l'État en matière de sécurité publique et non pas à la dilution de l'autorité dans ce domaine.

Comment appréciez-vous actuellement le niveau de confiance entre la population et la police nationale ? C'est à mon avis une question extrêmement importante.

J'aimerais connaître un peu plus votre opinion sur ce qu'on appelle la police de proximité dans ses trois dimensions : la formation des policiers, les pratiques de la police et les moyens humains et techniques nécessaires aujourd'hui ?

M. Didier Cultiaux : En réalité, ce sont des questions difficiles, en tout cas pour la première. En effet, comment mesurer la confiance ? Nous avons beaucoup de sondages très variés qui font apparaître des contrastes selon les moments et les régions.

Il nous semble que si nous allons de plus en plus vers une police de proximité, il faudra que nous ayons des indicateurs normalisés et négociés avec toutes les parties, à partir d'une photographie de la situation réelle, tant en ce qui concerne le sentiment d'insécurité, le sentiment d'impunité et tout ce qui a trait à l'accueil des victimes. Il en résulterait des indicateurs d'objectifs, une meilleure affectation de ressources dans un cadre de plus en plus responsabilisé et un suivi des résultats.

Notre système statistique actuel est parfaitement homogène, malgré la diversité des institutions (sécurité publique, préfecture de police, gendarmerie nationale). Il donne cependant une vision trop quantitative qui n'arrive pas à appréhender cet élément de confiance. Nous pensons prendre des initiatives aussi dans ce domaine et nous y réfléchissons actuellement avec l'ensemble de nos équipes.

En ce qui concerne les jeunes, nous pensons qu'il serait bon de mieux faire valoir auprès d'eux ce que sont les métiers de la police nationale. Pour les jeunes qui voudraient venir vers nous -  la police nationale est parmi les corps de la fonction publique, l'un de ceux où la promotion sociale est la plus forte -, il y aurait une chance de développer une meilleure compréhension et d'accroître notre pouvoir d'attraction. Pour ceux qui n'entreront pas dans la police nationale, mieux faire connaître les métiers, leurs difficultés, les impératifs du service public, constitue aussi un moyen de renforcer cette confiance.

L'élément premier de la confiance est le fait de se connaître et se comprendre. Pour ce faire, il faut être connu et reconnu. Pour être connu et reconnu, il faut être présent sur le terrain. Les relations privilégiées de tel ou tel chef de circonscription avec les élus, le bon fonctionnement d'un conseil communal de prévention de la délinquance, les travaux de diagnostic, d'élaboration et de signature des contrats locaux de sécurité ne suffisent pas. Il faut vraiment cette présence au jour le jour.

Pour répondre à votre deuxième question, les assises de la formation ont fait apparaître que l'une de nos priorités doit être de changer les programmes de formation. Nous sommes en train d'examiner les programmes pour les agents du corps de maîtrise et d'application, c'est-à-dire nos gardiens de la paix, afin de mieux doser ce qui est théorique et pratique et mieux leur faire comprendre, au-delà de ce que sont les statuts, les missions et le cadre juridique de la police nationale, sa place au sein de la nation et ce que les citoyens peuvent légitimement en attendre. Une refonte des programmes interviendra pour la fin de l'année, dans la cadre d'un schéma directeur de formation que nous voulons établir à la demande du ministre.

Vous avez ensuite évoqué les moyens et les pratiques.

Pour ce qui concerne les moyens, nous travaillons sur deux horizons. Le premier est de respecter strictement, et probablement de dépasser, les orientations du dernier conseil de sécurité intérieure et donc de parvenir à un redéploiement de 3.600 emplois sur 3 ans. Le second est de réorganiser en profondeur la police de sécurité publique afin qu'elle soit davantage une police de proximité. Il y a une relation évidente entre les personnes mises à disposition, les missions et les pratiques. A quoi bon assigner de nouvelles missions aux personnes si elles n'introduisent pas de nouvelles pratiques et une nouvelle culture ?

On ne dirige pas à la godille un grand paquebot comme la police nationale. On lui fixe un cap de moyen terme et elle va vers ce cap avec tout ce que cela représente de puissance, d'organisation, et de fiabilité. Je suis persuadé que, dans les trois années à venir, nous pouvons introduire des évolutions quantitatives, territoriales et psychologiques substantielles. Il faut tenir compte d'une immense chance qui ne se représentera pas de si tôt, même si c'est aussi un défi redoutable : le renouvellement de 25.000 policiers en cinq ou six ans.

M. Didier Migaud, rapporteur général : De nombreux documents, que ce soient des notes ou des rapports, établissent que de nombreux policiers affectés à la sécurité publique sont accaparés par des tâches de maintien de l'ordre. Quelle est l'estimation que vous faites de ce phénomène ?

Tout à l'heure, vous avez évoqué les missions de la police. Y a-t-il des missions qui vous paraissent indues ? Si oui, par qui devraient-elle être effectuées ?

M. Didier Cultiaux : Sur le premier point, il faut être clair : on ne peut pas opposer une police d'ordre et une police de proximité. Toute la chaîne doit fonctionner : de la présence à la prévention, jusqu'à l'intervention et, si nécessaire, la répression. L'expression « ordre public », sous-entend à la fois les éléments dits de tranquillité publique et les éléments dits de maintien de l'ordre.

Si nous parlons de maintien de l'ordre stricto sensu, c'est-à-dire de rétablir l'ordre là où il y a des troubles manifestes - allant des violences urbaines jusqu'à des phénomènes d'émeutes et des manifestations graves - nous avons deux méthodes d'intervention. La première méthode, bien connue, est celle de la réserve gouvernementale, qui comprend 61 compagnies républicaines de sécurité et 123 escadrons de gendarmerie : sur un effectif global d'environ 16.000 CRS, environ 9.500 sont constamment affectés à ces tâches. Par ailleurs, 2.200 policiers se trouvent actuellement, dans quelques départements, en compagnies départementales d'intervention et en sections d'intervention. Et ce chiffre de 2.200 agents doit être rapproché de l'effectif global de 66.000 déjà évoqué.

Les tâches et les missions indues ont été énumérées par la loi d'orientation et de programmation sur la sécurité. Nous constatons que ces charges nous sont actuellement maintenues. On comprend d'ailleurs l'administration pénitentiaire. Je suis actuellement en discussion pour trouver le moyen de garder les unités interrégionales d'hospitalisation représentant 101 lits ; c'est d'ailleurs un dossier que j'ai personnellement débloqué alors que cela fait deux ans que des crédits ont été ouverts pour créer 7 unités interrégionales destinées à l'hospitalisation des détenus dangereux hospitalisés. Il est clair que, pour le reste, l'administration pénitentiaire n'a pas du tout envie de créer les 10.000 ou 12.000 emplois qui seraient nécessaires pour remplir les missions que nous exerçons actuellement.

M. Philippe Auberger, co-président : Vous estimez donc à 10.000 ou 12.000 le nombre de policiers affectés à ces tâches ?

M. Didier Cultiaux : Absolument, mais il ne faut évidemment pas raisonner en temps plein. La difficulté pour l'administration pénitentiaire serait la suivante : si elle créait les effectifs nécessaires à ces transferts, elle serait obligée de les utiliser à temps plein ou, sinon, à des gardes pénitentiaires. Alors que nous, nous n'assumons pas ces services à temps plein. C'est d'ailleurs le problème : nous devons assurer ces missions seulement certains jours et à certaines heures. Vous m'accorderez qu'il n'est pas facile à un chef de circonscription, quelle que soit son habileté personnelle, d'organiser de manière intelligente un travail de police de proximité avec de tels aléas.

Le Président Augustin Bonrepaux, : Vous nous avez parlé de la réduction des structures d'états-majors. Quand est-ce que vous l'envisagez ? Comment envisagez-vous de procéder ?

Par exemple, pensez-vous regrouper certains commissariats dans certains départements ?

Quelle est exactement la part des renseignements généraux dans le rôle de prévention et de sécurité ? Est-ce que vous envisagez de l'accentuer ?

M. Didier Cultiaux : Sur le premier point, il y a toutes sortes d'états-majors. Vous avez évoqué la sécurité publique. Je ne crois pas qu'il y existe des marges de man_uvre considérables. Il faut plutôt porter notre attention au niveau des commissariats, afin de limiter la présence dans leurs locaux, tout en veillant à la nécessité de maintenir un commandement 24 heures sur 24 - il faut qu'un responsable puisse en permanence recevoir des informations et diriger les équipes -  et l'existence de services de quarts.

En revanche, dans d'autres domaines, nous pouvons faire un effort. J'en donne un qui m'est cher, celui des groupements des compagnies républicaines de sécurité. Actuellement, je suis en train d'envisager, sur ce chapitre et sur celui des unités autoroutières, un plan de récupération de 600 agents sur trois ans. Je crois que si l'on veut, on peut, mais à condition également, je le souligne, de prévoir une part d'externalisation des tâches et un recrutement d'agents administratifs qui nous permette sans doute de travailler mieux avec moins de monde et moins cher. Sur le marché du travail, se trouvent actuellement des jeunes diplômés qui ont été formés à l'administration moderne et qui n'attendent qu'une chose : avoir un emploi pour faire leurs preuves.

Quant aux Renseignements généraux, ils ont, depuis 1990, mis au rang de leurs priorités la vie sociale dans les cités et les banlieues. Un service a d'ailleurs été créé à cette fin. Il utilisera, entre autres, l'échelle établie par Bui-Trong qui a donné une nouvelle analyse quantitative des violences urbaines. L'année dernière, nous avons créé 63 postes complémentaires dans les Renseignements généraux pour renforcer les équipes de lutte contre les violences urbaines, conformément à la circulaire ministérielle du 11 mars 1998. Nous allons renforcer cette politique cette année par une action interservices et interministérielle de lutte contre l'économie souterraine.

Sur tous ces chapitres, les Renseignements généraux nous apportent des compléments tout à fait utiles, à condition évidemment qu'au plan local, sous l'autorité des préfets, l'ensemble des services soient bien articulés. Nous nous en donnons la peine puisque, deux fois par an, nous réunissons les préfets et tous les chefs de service concernés dans les départements ainsi touchés, essentiellement les 26 départements très sensibles.

M. Tony Dreyfus, rapporteur spécial : Des critiques ont été faites sur le nombre des détachements et de mises à disposition. Vous nous avez en partie répondu, M. le directeur général, en ce qui concerne la relation avec l'institution judiciaire. Est-ce que des progrès sont à attendre ? Espérez-vous récupérer des effectifs ?

M. Didier Cultiaux : C'est une question importante. Je rappelle que les mises à disposition consistent à mettre à disposition un fonctionnaire de police tout en continuant à le payer. Par exemple, les policiers placés auprès de la Déléguée interministérielle à la sécurité routière ou du Délégué interministériel à la ville, sont en situation de mise à disposition. Nous serons amenés à une révision des mises à disposition, ne serait-ce que pour le corps des commissaires, car, les effectifs de ce corps étant en déflation, nous ne pouvons pas couvrir toutes ses autres missions.

Le deuxième chapitre, celui des détachements est sensiblement différent car les personnes détachées sont effectivement prises en charge par le service ou l'établissement de détachement. Nous sommes en train de « revisiter » les lieux et de voir quels sont les détachements utiles et ceux qui seraient éventuellement futiles.

Il reste un autre élément qu'on ne peut pas négliger : les mutuelles et associations et les décharges syndicales.

Il existe dans la police, actuellement, un fort mouvement mutualiste et de nombreuses associations, y compris des fédérations sportives. 190 personnes sont mises à disposition à plein temps.

Pour les décharges syndicales, en dehors des décharges partielles qui ont été évaluées par la Cour des comptes, les décharges pleines correspondent à 218 agents. Nous sommes là dans un domaine beaucoup plus délicat, puisque des ratios ont été établis avec les syndicats représentatifs ; or le syndicalisme policier est catégoriel et donc relativement éparpillé.

Au total, l'enjeu porte sur 1.628 personnes. Nous estimons que dans les redéploiements et la recherche d'efficacité, il n'y a pas de sujet tabou et que nous pouvons probablement faire un effort de l'ordre de 200 personnes dans les deux années à venir.

M. Philippe Auberger, co-président : Quand vous dites 1.628, s'agit-il de l'ensemble des mises à disposition et des détachements de toute nature ?

M. Didier Cultiaux : De toute nature et à temps plein.

M. Philippe Auberger, co-président : Il ne me reste plus qu'à vous remercier d'être venus et d'avoir répondu aux différentes questions qui ont été soulevées.

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2.- AUDITION DE MME NADIA CHELGOUM, COMMISSAIRE DE POLICE À VAULX-EN-VELIN ET DE M. LUCIEN PERRET, DIRECTEUR DÉPARTEMENTAL DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE DE L'ESSONNE

(Extrait du procès-verbal de la séance du jeudi 18 mars 1999)

Présidence de M. Philippe Auberger, Président

A l'invitation du Président, Mme Nadia Chelgoum et M. Lucien Perret sont introduits. Le Président leur rappelle les règles définies par la mission pour la conduite des auditions : pas d'exposé introductif, échange rapide des questions et des réponses. Il donne ensuite la parole, pour une première question, à M. Tony Dreyfus, rapporteur spécial de la commission des Finances, de l'Économie générale et du Plan sur les crédits de la Sécurité.

M. Tony Dreyfus, rapporteur spécial : Madame, la situation a nécessairement évolué dans la commune au sein de laquelle est situé votre commissariat. Dans la période récente, les effectifs dont vous avez disposé et l'organisation de votre commissariat ont-ils évolué ?

Deuxièmement, comment faites-vous la nuit ? C'est pour nous, en tant qu'élus, une question essentielle. On parle de service 24 heures sur 24, mais la nuit on s'aperçoit qu'il y a des vides.

Mme Nadia Chelgoum : Commissaire de police depuis environ huit ans, je suis affectée à Vaulx-en-Velin depuis trois ans.

Je dispose actuellement au sein de mon commissariat de 104 fonctionnaires, comprenant à la fois du personnel en tenue, du personnel en civil, du personnel administratif et 21 adjoints de sécurité. Depuis mon arrivée, l'évolution des effectifs s'est traduite par la perte d'un ou deux policiers. Aujourd'hui, je suis donc au même niveau qu'il y a trois ans, à mon arrivée dans la commune.

M. Philippe Auberger, co-président : Et comment la délinquance a-t-elle évolué ?

Mme Nadia Chelgoum : Depuis mon arrivée à Vaulx-en-Velin, la délinquance baisse. C'est une chance pour tout le monde. Nous avons une baisse de 2 % de la délinquance, qui s'élève à 4.759 faits constatés.

104 fonctionnaires, c'est bien entendu ce que j'appellerai l'effectif théorique. En réalité, sur le terrain, c'est-à-dire sur la voie publique, il y a, en moyenne, dans une journée, 10 policiers actifs et 9 adjoints de sécurité. A partir de 18 heures 30, fin du service des îlotiers, nous disposons de deux équipages de Police secours, chacun de ces deux équipages étant constitué de deux policiers, et un équipage que je qualifierai d'îlotiers un peu plus opérationnels. C'est une unité que j'ai constituée lors de mon arrivée à Vaulx-en-Velin : elle est composée de 9 policiers qui travaillent en tenue de maintien de l'ordre et qui font essentiellement de la sécurisation en fin d'après-midi et la nuit, les horaires allant jusqu'à 3 heures du matin. Ce qui fait un total, la nuit, de 7 policiers sur le terrain, soit trois patrouilles qui tournent sur la commune. Je parle là des effectifs dont je dispose au niveau du commissariat de police de Vaulx-en-Velin : en effet, nous sommes un commissariat d'arrondissement et nous bénéficions, si besoin est, du renfort des unités centrales.

M. Didier Migaud, rapporteur général : Vous avez parlé de 10 policiers actifs le jour - c'est un chiffre que l'on peut rapprocher des 104 fonctionnaires dont vous avez parlé - et de 9 adjoints de sécurité par rapport à 21 adjoints de sécurité. Comment expliquez-vous la différence ?

Mme Nadia Chelgoum : Nous avons 21 adjoints de sécurité, mais nous avons actuellement 5 îlotiers pour encadrer ces adjoints de sécurité. Pour les rendre opérationnels, nous ne pouvons qu'en utiliser 9, puisque 5 îlotiers théoriques, compte tenu des stages et des congés, éventuellement des maladies, cela fait 3 îlotiers présents tous les jours sur la commune de Vaulx-en-Velin.

M. Didier Migaud : 9 sur 21, je trouve cela plutôt bien. C'est plutôt les 10 par rapport aux 104 qui m'interpellent.

Mme Nadia Chelgoum : Le chiffre de 104 agents représente l'effectif total du commissariat de police. L'effectif de police-secours doit être divisé en brigades de roulement, pour assurer une couverture 24 heures sur 24 et 365 jours par an. Une brigade de jour est composée de 8 policiers : ce sont les gardiens de la paix en tenue. Avec deux gardiens en congés, cela fait 6 policiers présents dans une journée. Ensuite deux policiers se trouvent à l'intérieur du commissariat de police pour assurer la sécurité des locaux, et il arrive à Vaulx-en-Velin que ce soit nécessaire, et un policier gère les appels 17. Il reste donc 4 policiers dehors.

M. Philippe Auberger, co-président : Pour réprendre la question de M. Didier Migaud, 104 moins 10, cela fait 94. Que font, pendant ce temps-là, les 94 autres policiers ?

Mme Nadia Chelgoum : Parmi eux, il y a 50 % d'agents en congés pour les personnels civils, 30 % pour les personnels en tenue. Des personnels travaillent à l'intérieur du commissariat et non pas à l'extérieur ; je vous ai donné le nombre de policiers sur la voie publique. Les autres policiers traitent les procédures judiciaires, assurent l'accueil du public, gèrent les gardes à vue (nous avons 350 gardes à vue à gérer). Cela fait donc seulement une dizaine de policiers disponibles sur la voie publique, auxquels il faut ajouter un équipage de la brigade des stupéfiants, composé de 3 ou 4 policiers qui tournent dans des véhicules banalisés en civil. Ce qui offre pour la population, il est vrai, une faible visibilité.

M. Philippe Auberger, co-président : Pour être concret, quels sont, en moyenne, les effectifs que l'on trouve dans le commissariat, mais qui n'ont pas vocation à aller sur la voie publique un jour ordinaire comme aujourd'hui ? 20 ? 25 ?

Mme Nadia Chelgoum : Environ une vingtaine en comptant le personnel administratif et le personnel chargé de la gestion.

M. Louis Mermaz, rapporteur pour avis : Je suis heureux de vous revoir puisque nous sommes allés vous rendre visite pour la préparation du rapport budgétaire. Pourriez-vous nous expliquer de quelle façon vous avez commencé et comment s'organise l'îlotage ? Pouvez-vous nous dire si vous avez des besoins insatisfaits ?

Il est très intéressant pour nous de comparer ce que vous nous dites, vous qui êtes sur le terrain, avec les propos du Directeur général de la police nationale qui, lui, est en haut de la hiérarchie.

M. Philippe Auberger, co-président : Combien de policiers au commissariat de police sont présents, physiquement, chaque jour, sans avoir vocation à aller sur la voie publique ?

Mme Nadia Chelgoum : Quand je suis arrivée à Vaulx-en-Velin, nous avions vécu des événements assez difficiles. C'est la zone considérée comme la plus difficile de l'agglomération lyonnaise, avec 45 000 habitants dont 40 % d'origine étrangère. La proportion de personnes vivant en-dessous du seuil de pauvreté est importante dans cette commune. Il est certain que les relations avec la police n'étaient pas et ne sont, d'ailleurs, toujours pas très bonnes. C'est une situation assez semblable à celle que vous pouvez connaître en région parisienne.

Mon premier objectif a été la reconquête du territoire afin qu'il n'existe aucune zone de non droit. Pour aller faire de l'îlotage dans certains quartiers de Vaulx-en-Velin, encore fallait-il pouvoir y pénétrer. Le premier moyen d'y pénétrer était de reconquérir le territoire par des unités un peu plus sécurisantes. A mon arrivée, une dizaine de policiers supplémentaires sont arrivés dans l'agglomération lyonnaise ; ils ont été affectés, compte tenu de l'état de la délinquance et la réalité des phénomènes de violence urbaine, dans ma commune. Avec cet effectif, j'ai décidé de créer un îlotage opérationnel, ce que l'on appelle une unité de jour : c'est une unité composée d'un brigadier et de 8 gardiens de la paix.

Premier point, la tenue. J'estimais, en raison de la connaissance que j'avais de ces banlieues, que la tenue classique du gardien de la paix n'était pas un moyen de reconquérir le territoire parce qu'elle n'inspire aucun respect. De plus, d'un point de vue pratique, elle n'est pas opérationnelle. Quand vous allez à pied dans les quartiers, le soir, il est plus pratique de porter une tenue de maintien de l'ordre qu'une tenue de gardien de la paix. J'ai donc décidé de mettre cette unité en tenue de maintien de l'ordre.

Deuxième point : j'ai procédé à un recrutement interne en fonction du profil du poste. Je tenais absolument à choisir des policiers qui connaissent bien la commune et qui y sont depuis un certain nombre d'années. L'objectif était que les jeunes de cette banlieue connaissent les policiers et réciproquement.

A la suite de ce recrutement, j'ai arrêté plusieurs principes.

Le premier a été celui de la variabilité des horaires en fonction du climat dans les secteurs et de la demande des multiples partenaires.

Un autre principe a été de placer cette unité hors réquisition. En effet, quand vous êtes sans arrêt sollicité pour répondre à des appels Police secours, vous n'êtes pas sur le terrain et vous n'avez pas le temps de développer un dialogue avec la population que vous côtoyez, notamment la nuit. Il faut savoir que la nuit, à Vaulx-en-Velin, les seules personnes qui sont dehors sont les délinquants. La nuit, les honnêtes gens ne sortent pas trop à Vaulx-en-Velin. C'est une réalité : il faut le dire !

Nous avons donc institué des systèmes d'horaires très variables : les équipes d'après-midi font 12 heures-20 heures et une équipe de nuit fait 19 heures-3 heures. Ces équipes sont territorialisées. Elles tournent à pied et en véhicules sérigraphiés.

L'objectif est de reconquérir le territoire et de redonner l'habitude aux honnêtes gens d'une part, et aux délinquants, d'autre part, de revoir la police en tenue au sein même d'un quartier considéré par eux comme une zone de non droit dans laquelle la police, ou les autres institutions, n'a pas à être.

Parallèlement, il fallait maintenir un îlotage classique : dans le cadre de la police de proximité, il est important d'avoir des îlotiers qui connaissent la population, les commerçants, l'environnement de leur îlot. Je dispose actuellement de cinq îlotiers, ce qui me paraît insuffisant. Maintenant que nous avons depuis deux ans reconquis le territoire, on peut, dans ces quartiers aussi, mettre des îlotiers en tenue classique qui tournent avec des adjoints de sécurité.

Ainsi deux types d'îlotage fonctionnent actuellement sur la commune.

M. Philippe Auberger, co-président : Pour être plus précis, est-ce que vous pouvez nous indiquer les tâches exactes que vous confiez à vos îlotiers ?

Mme Nadia Chelgoum : Pour les îlotiers qui tournent essentiellement en fin d'après-midi et la nuit, le premier principe est de répondre à toutes les demandes de la population et des différents partenaires. Auparavant, ces demandes n'obtenaient aucune satisfaction car les équipes de police secours n'avaient pas le temps, par exemple, de passer dans les entrées d'immeubles.

A Vaulx-en-Velin, il y a 14 bailleurs sociaux et 70 % du parc est constitué de logements sociaux. Nous sommes énormément sollicités par les bailleurs sociaux à cause des bandes de jeunes qui traînent à l'intérieur et devant les immeubles. Rassurer les bailleurs et les occupants de ces immeubles est l'une de nos missions prioritaires.

Il y a également, pour ces îlotiers, une nécessité de rassurer la population, d'où le développement de patrouilles à pied, y compris en fin de nuit. Cela peut se faire dès lors que les policiers sont en nombre suffisant, c'est-à-dire 5, 6 policiers. Les gens les voient.

Les missions des îlotiers traditionnels sont classiques : contact avec la population, recueil de renseignements, patrouilles dans l'îlot, relations avec les commerçants, ...

M. Jean-Jacques Jegou : Pour poursuivre la question du Président sur le travail des îlotiers, je suppose qu'ils sont munis d'appareils radio pour donner l'alerte en cas d'agression, car j'imagine qu'ils sont parfois agressés.

Mme Nadia Chelgoum  : Oui, cela arrive régulièrement.

M. Jean-Jacques Jegou : Est-ce que Vaulx-en-Velin dispose d'une police municipale ? Si oui, comment travaillez-vous avec cette police municipale ?

Mme Nadia Chelgoum : La commune a mis en place une police municipale composée de 10 policiers. Actuellement, la mairie connaît beaucoup de difficultés pour recruter, comme la police nationale : elle ne trouve pas beaucoup de volontaires pour venir travailler à Vaulx-en-Velin. Les policiers municipaux, à Vaulx-en-Velin, commencent à développer une sorte d'îlotage, mais il est certain que pour eux, aller dans les quartiers vraiment difficiles est hors de question. L'une de leurs missions essentielles consiste dès lors à récupérer les véhicules abandonnés ou incendiés.

La police nationale couvre en priorité un certain nombre d'îlots, ceux des quartiers sensibles et du centre-ville. Les îlots situés un peu plus à l'extérieur, en zone industrielle, font l'objet d'une répartition avec la police municipale de façon que chacun, en fonction de ses moyens et de ses compétences, puisse répondre à la demande.

M. Jean-Jacques Jegou : Êtes-vous reliés entre vous ?

Mme Nadia Chelgoum : C'est en cours. Nous avons une antenne installée sur le commissariat depuis quelques mois. J'ai sollicité l'installation d'un moyen de radio direct. C'est essentiel car nous avons une spécialité à Vaulx-en-Velin : les bandes de jeunes cagoulés qui circulent à bord de grosses BMW. Cela nous permet de nous prévenir réciproquement du passage de ces bandes de jeunes.

Mme Nicole Bricq : Ma question peut s'adresser à nos deux invités. Elle porte sur un problème que j'ai rencontré souvent et qui offre un peu un parallèle avec l'Éducation nationale, notamment dans la situation des chefs d'établissement que je compare un peu aux commissaires de police. Quelle est exactement l'étendue de votre pouvoir hiérarchique ? Je ne parle pas de l'organisation du travail, mais de la capacité à vraiment avoir du poids sur tels ou tels agents, non pas dans leur organisation du travail, mais dans leur fonctionnement sur le terrain. C'est un peu lié à des problèmes évoqués précédemment, comme celui des horaires.

Personnellement, j'ai constaté une certaine faiblesse du dispositif, à savoir que l'on a un empilement de hiérarchies qui sont finalement plus des corps que des vraies hiérarchies. C'est ce que j'ai constaté, mais peut-être me direz-vous le contraire.

M. Lucien Perret : Manifestement, ma collègue préfère que ce soit moi qui réponde. Je suis commissaire divisionnaire à l'échelon fonctionnel. Je suis depuis le mois de juin directeur départemental de la sécurité publique de l'Essonne, mais j'ai fait une très longue partie de ma carrière en Seine Saint-Denis, où j'ai passé une quinzaine d'années.

Vous avez posé une question, Madame, sur le contrôle du travail du fonctionnaire par la hiérarchie. Je ne sais pas sur quoi vous fondez l'impression que vous avez exprimée, mais la hiérarchie est très présente dans la police nationale et le contrôle du travail est un contrôle effectif.

Si l'on évoque, ensuite, le pouvoir de sanctionner, positivement ou négativement, le travail d'un fonctionnaire, on entre dans un domaine un peu plus difficile. Sanctionner négativement est possible jusqu'à un certain niveau. Les premières sanctions, l'avertissement et le blâme, sont du niveau du préfet qui, en général, délègue au directeur départemental : quand il faut sanctionner dans le département de l'Essonne, c'est moi qui prends la décision, si elle concerne les gradés et les gardiens de la paix. Dès que vous passez aux officiers et aux commissaires, vous ne pouvez que proposer et le conseil de discipline est obligatoirement saisi. La décision, effectivement, nous échappe.

Pour la sanction positive, on est là aussi un peu limité parce que, si l'avancement au mérite existe, il n'est pas la règle. La règle est l'avancement au mérite pour une partie et l'avancement à l'ancienneté pour le reste. Je suis cependant persuadé que celui qui est mauvais n'avance pas, ce qui est déjà une bonne chose.

Par ailleurs, les bons avancent. Quand les bons avancent, cela gêne parfois beaucoup certaines personnes, notamment les élus, parce que les bons vont ailleurs. Quand un commissaire de police est bon, en général, il ne traîne pas longtemps. Mais je veux réaffirmer la position de la hiérarchie et la présence de la hiérarchie. Du moins, c'est ainsi que je conçois l'organisation du travail dans la police nationale.

M. Tony Dreyfus, rapporteur spécial : Est-ce que vous constatez, Monsieur le Directeur, une certaine mobilité dans vos effectifs ? Autre question qui intéresse l'élu de Paris que je suis, avez-vous l'impression qu'un certain nombre de délinquants dont vous avez la charge se dirigent facilement vers Paris ?

M. Lucien Perret : A la première question, je répondrai oui, mais c'est un problème partagé par toute l'Ile-de-France. Le recrutement est national, même si on commence à essayer d'obtenir un recrutement régional. Le recrutement est national et la première chose que fait le fonctionnaire de police qui arrive en Ile-de-France est de demander sa mutation pour retourner chez lui. La durée de présence administrative dans un département d'Ile-de-France est relativement courte : à l'heure actuelle, dans l'Essonne, elle est en moyenne d'environ quatre ou cinq ans.

Cela a d'énormes conséquences car on ne peut pas commencer une politique à long terme, notamment dans le cadre de la police de proximité, avec des fonctionnaires qui ne font que passer.

Vous avez parlé de l'exportation des délinquants vers Paris. Certes, on les exporte vers Paris, les Hauts-de-Seine, certaines contrées du Val-de-Marne, avec la facilité qu'ils ont de se déplacer. Vous prenez le RER à Cergy et, sans changer, vous arrivez à Evry. On exporte un peu partout. Je crois que Paris exporte aussi un peu chez nous.

M. Louis Mermaz, rapporteur pour avis : Vous avez la réputation de vous être beaucoup occupé de prévention. Il serait intéressant que vous nous disiez comment vous vous y prenez. Quand la police intervient, c'est que beaucoup de choses ont échoué en amont. Nous aimerions vous entendre sur ce sujet.

M. Lucien Perret : Si vous permettez, je rectifierai. Il est vrai que l'on me colle, depuis quelque temps, l'étiquette de commissaire préventif...

M. Louis Mermaz, rapporteur spécial : Ce n'est pas mal.

M. Lucien Perret : ... et de commissaire «laxiste».

M. Louis Mermaz, rapporteur spécial  : La prévention n'est pas le laxisme.

M. Lucien Perret : Je sais bien, mais chez nous, quand on est préventif, on est obligatoirement laxiste. Personnellement, j'ai toujours pensé que, comme j'avais deux mains, j'avais deux leviers à ma disposition, la prévention et la répression.

Contrairement à certains collègues, je suis opposé aux uniformes particuliers. Je n'aime pas voir des fonctionnaires travailler en tenue de maintien de l'ordre ou en tenue particulière. Je trouve que copier ce qui se fait outre-Atlantique n'est pas forcément une bonne chose.

Deuxièmement, s'il n'y a pas de fermeté derrière, il ne peut pas y avoir de dialogue. Je veux bien dialoguer autant qu'il le faut, mais quand je m'aperçois que le dialogue n'est plus possible, je passe à un stade ultérieur.

A mon arrivée dans l'Essonne, j'ai trouvé la cité des Tarterets, à Corbeil. Cette cité est emblématique. Les policiers y entraient casqués et bottés, comme je ne les aime pas pour ce type de mission. Mais quand il faut casquer et botter, je sais faire aussi ! On nous avait fichus dehors, il n'y a pas d'autres termes. Si j'ai un défaut, c'est que je n'admets pas qu'on mette dehors la République. J'ai alors dit : on va revenir. Nous avons préparé le terrain. Je suis arrivé en juin, nous avons passé les mois de juin et juillet à discuter, en externe, avec la mairie, l'opposition municipale, les associations, l'éducation nationale et la magistrature. Si on n'a pas le soutien de la magistrature, c'est voué à l'échec. Ensuite, nous avons discuté en interne car il a fallu expliquer aux fonctionnaires que l'on pouvait aller aux Tarterets avec une casquette et un blouson et déambuler comme tout citoyen : nous avons mis cela en place au mois d'août. J'ai fait un grand effort de communication pour expliquer que je n'étais pas provocateur mais que, si l'on essayait de mettre les îlotiers hors des Tarterets, je réinvestirais les Tarterets autrement. Cela fonctionne depuis huit mois.

La semaine dernière, une rumeur, qui s'est révélée fausse, a circulé sur une éventuelle implication d'un directeur d'école des Tarterets dans des violences sexuelles à l'encontre d'un mineur de cinq ans. La première nuit, un incendie a éclaté dans une classe de cette école. Grâce à cette cellule informelle de veille, à force de réunions, de discussions, d'interventions des îlotiers, pour l'instant, nous n'avons eu que cela. Il y a deux ans, cela aurait sans doute mis les Tarterets à feu et à sang.

Pour résumer, on fait une police normale et quand on ne peut pas faire une police normale, il faut que le dernier mot reste quand même à la République.

M. Philippe Auberger, co-président : Merci. Y a-t-il des zones dans lesquelles vous n'allez pas, ou peu, ou pour lesquelles vous prenez des précautions très spéciales ? Considérez-vous d'un côté, que toutes les parties de la commune, et de l'autre, toutes les parties du département, sont suivies par la police de façon sinon égalitaire, du moins continue, sans difficulté particulière ?

Mme Nadia Chelgoum : A Vaulx-en-Velin, nous allons partout, de jour comme de nuit. Bien sûr quelques précautions sont nécessaires, essentiellement la nuit ou en début de matinée : entre 4 et 6 heures du matin, nous avons affaire aux voitures-béliers dans les magasins,. A Vaulx-en-Velin, la délinquance s'exporte assez aisément, tant dans l'agglomération lyonnaise qu'à l'extérieur, y compris en Suisse et en Allemagne ; généralement, nous croisons les équipes au départ ou à l'arrivée. Nous allons partout parce que nous avons mis en oeuvre une politique de reconquête du territoire. Nous pouvons aujourd'hui dialoguer. Nous étions dans le cadre d'un rapport de forces et nous avons démontré que dans ce cadre, nous représentions la République, les institutions, et que c'est donc nous qui décidions. Aujourd'hui, nous pouvons faire de la prévention.

Par exemple, la semaine dernière, j'ai fait visiter mon commissariat de police par une dizaine de jeunes originaires du LEP le plus difficile de Vaulx-en-Velin. Parmi eux se trouvaient deux ou trois jeunes qui, au cours des semaines précédentes, avaient été placés en garde à vue ! Ils avaient plus peur de venir au sein du commissariat que nous de les recevoir. C'est un grand pas.

M. Lucien Perret : Pour ce qui concerne l'Essonne comme la Seine Saint-Denis, il n'y a pas de zone de non droit. Si les policiers font une intervention dans les Tarterets à 22 heures, 23 heures, ou minuit, pour interpeller des voleurs de voitures, parfois cela se passe bien, comme cela a été le cas avant-hier où deux voleurs ont été interpellés dans la cité, parfois cela se passe mal : il y a quelques mois trois fonctionnaires ont été blessés.

Je voudrais revenir sur la police de proximité et sur l'îlotage. Il est vrai que nous manquons d'effectifs, notamment pour l'encadrement des ADS et des stagiaires. Les effectifs vont manquer pour être présents sur une plage plus longue et faire face à cette mission primordiale car je pense que le fait d'aller vers les citoyens peut résoudre beaucoup de problèmes, et je ne distingue pas parmi ceux-ci.

M. Philippe Auberger, co-président : Ne trouvez-vous pas que les adjoints de sécurité sont un peu jeunes, en dehors des problèmes de maturité, et que leur crédibilité vis-à-vis de l'opinion est quand même plus faible que celle d'un policier chevronné ?

M. Lucien Perret : Tout d'abord, je pense que l'arrivée des adjoints de sécurité est une bonne chose. C'est l'ouverture de la police vers l'extérieur et notamment vers les jeunes.

Mais, votre remarque est pertinente. C'est la raison pour laquelle il faut coupler les adjoints de sécurité avec des fonctionnaires titulaires. On se heurte là à la fidélisation. On ne peut pas avoir d'anciens ; ils s'en vont tout de suite parce qu'on ne peut pas les récompenser s'ils restent. Un texte prévoit bien que lorsqu'un fonctionnaire travaille dans une zone difficile, son avancement est favorisé et qu'il prend de l'ancienneté, mais il n'a toujours pas reçu de mesures d'application.

Dans les endroits difficiles, il existe une prime de fidélisation que vous n'obtenez qu'au bout de cinq ans. Dans l'Essonne, je l'ai dit, la moyenne de présence est à peine supérieure à quatre ans. Celui qui arrive n'a donc rien, puis il s'en va.

Ajoutez à tout cela le fait que tout le monde perçoit à peu près le même traitement. Entre être gardien de la paix à Corbeil ou être gardien de la paix à Mende, le choix est vite fait et on peut le comprendre.

Dans les endroits difficiles où l'on va être obligé de développer la police de proximité, on manque de personnes pour cet encadrement. Or, il va y avoir un nombre important de fonctionnaires à former. On commence à faire de la formation en alternance pour les gardiens. Des élèves gardiens arrivent donc dans le département : on ne peut pas les lâcher comme cela, il faut les encadrer.

M. Pierre Méhaignerie : A partir de votre expérience, quelles sont vos attentes les plus fortes qui permettraient d'améliorer vos conditions d'exercice et la qualité du service ?

M. Lucien Perret : Je viens, en partie, de répondre à votre question. C'est, déjà, avoir la possibilité de récompenser celui qui s'investit. Je sais que c'est une tarte à la crème de parler d'avancement au mérite, de reconnaissance du mérite. On devrait peut-être avoir, au plan local, un peu plus de latitude pour récompenser les gens et leur permettre d'avancer.

Ensuite, c'est le renforcement des effectifs sur le terrain au niveau du corps de maîtrise et d'application.

M. Pierre Méhaignerie : Pensez-vous convaincre le pouvoir syndical sur la possibilité de faire varier ce système de primes ?

M. Lucien Perret : Il ne m'appartient pas de convaincre le pouvoir syndical. Ce n'est pas dans mes attributions. Quand la parité syndicale me dit qu'Untel est trop jeune pour avancer, je dis que je tiens absolument à ce qu'Untel avance : cela, c'est mon rôle. On trouve alors parfois un modus vivendi.

Mme Nadia Chelgoum : Il existe des endroits où la question ne se pose même pas, y compris pour les syndicats. Dans l'agglomération lyonnaise, on a beaucoup de mal à avoir des volontaires pour venir travailler à Vaulx-en-Velin. A côté de Vaulx-en-Velin, il y a une commune beaucoup plus calme, Caluire. La plupart des agents touchent la même prime, qu'ils travaillent au commissariat de l'une ou de l'autre commune, alors qu'ils ne subissent pas du tout les mêmes difficultés dans les conditions d'intervention.

Il faudrait plutôt donner compétence au directeur départemental de la sécurité publique pour qu'il puisse décider, concrètement, que tel fonctionnaire, dans tel service, peut percevoir une prime supérieure.

M. Jean-Jacques Jegou : Ma question peut s'adresser à nos deux interlocuteurs. Nous avons beaucoup parlé de formation et d'encadrement. Concrètement, dans une journée, quand un véhicule part, avec les effectifs prévus, quelle est la part d'initiative laissée entre les consignes que vous leur donnez et l'appréciation du terrain ?

Les effectifs de police ne sont-ils pas découragés de faire toujours la même chose, c'est-à-dire d'arrêter toujours les mêmes et de les revoir, dans les mêmes conditions, et, parfois, de plus en plus triomphants devant l'inefficacité de leur travail ?

M. Lucien Perret : Pour les missions, tout d'abord, tout dépend de l'effectif qui part. Si c'est une brigade anticriminalité, sa mission est de lutter contre la criminalité. Si le travail est bien fait à la base, quand la brigade prend son service, elle doit avoir ciblé la délinquance des trois ou quatre jours précédents. Sa mission étant le flagrant délit, elle tourne pour « faire » du flagrant délit.

Le cas d'une patrouille de police ordinaire est différent car c'est plutôt la lutte contre l'insécurité routière, les interventions à la demande, les problèmes de circulation, etc. La mission est totalement différente.

La BAC a une latitude très grande puisqu'elle ne peut être jugée qu'a posteriori. Au bout de six mois, on dresse son bilan d'activité, le nombre d'arrestations, de gardes à vue et le nombre de mandats de dépôt. Mais là, je rejoins votre deuxième question, cela dépend énormément de la magistrature.

C'est une remarque éternelle : la police arrête et la justice met dehors.

J'ai toujours eu cette position simple: je suis payé pour faire un travail, je travaille pour les citoyens. Mon rôle est d'interpeller les auteurs d'infractions et, comme le dit le code de procédure pénale, de les mettre à disposition du procureur de la République. Après, ce que fait celui-ci, ce n'est plus mon problème. En Seine Saint-Denis, on avait des magistrats très efficaces avec lesquels le dialogue était permanent. Le problème ne se pose pas avec les magistrats du parquet, mais avec les magistrats du siège : le parquet requiert, mais le juge décide en son âme et conscience. Avant d'arriver dans l'Essonne, on m'avait décrit une situation apocalyptique. Depuis lors, je dois dire que j'ai vu ce que je souhaitais voir, c'est-à-dire une aide réelle des magistrats dans la politique que je mène. Si nous avons un soupçon de réussite dans notre démarche, nous le devons à cet appui de la magistrature.

M. Didier Migaud, rapporteur général : Dans les études comparatives qui sont réalisées, il apparaît que la France a plutôt un bon ratio de policiers et de gendarmes par rapport à la population. Quand on va un peu plus loin, on voit que la police, en tant que telle, remplit des tâches qui ne sont pas directement opérationnelles. Aussi bien dans votre département, Monsieur, qu'au niveau de votre commissariat, Madame, quelle est la part des tâches que vous estimez ne pas être du ressort de la police ?

M. Lucien Perret : Les missions qui pèsent le plus sur la police et qui ne devraient pas être de son domaine sont les missions parajudiciaires. Dans l'Essonne, les missions parajudiciaires, en 1998, ont représenté 9.000 heures-fonctionnaires. Lorsqu' un détenu doit être gardé dans un hôpital, la circonscription d'Evry, qui compte 160 000 habitants, est bien souvent obligée de déséquiper une, voire deux patrouilles. Parfois, on prenait des ilôtiers, mais je l'ai interdit.

Concernant les tâches administratives, les multiples plans successifs ont permis des progrès. L'un d'eux prévoyait de remettre les fonctionnaires de police sur la voie publique et de recruter 5.000 agents administratifs. A ma connaissance, on a dû en recruter au moins 1 500 ; théoriquement, il en reste donc 3 500 à recruter.

Aujourd'hui, on triche, on ne détache plus de fonctionnaires titulaires sur ces tâches administratives, mais on puise parmi les adjoints de sécurité.

Mme Nadia Chelgoum : Au commissariat de Vaulx-en-Velin, les missions indues sont essentiellement les gardes statiques. Conformément à la répartition faite au niveau de l'agglomération lyonnaise pour trouver des policiers et les rapatrier en centre-ville,je suis obligée de déséquiper un équipage de police-secours : cela fait donc un équipage en moins sur la voie publique.

M. Philippe Auberger, co-président : Merci, Madame le Commissaire, Monsieur le Directeur, pour vos réponses.

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3.- AUDITION DE M. PHILIPPE MASSONI, PRÉFET DE POLICE DE PARIS, ET DE M. MICHEL DELPUECH, PRÉFET, DIRECTEUR DU CABINET DU PRÉFET DE POLICE

(Extrait du procès-verbal de la séance du jeudi 25 mars 1999)

Présidence de M. Augustin Bonrepaux, Président

A l'invitation du Président, MM. Philippe Massoni et Michel Delpuech sont introduits. Le Président leur rappelle les règles définies par la mission pour la conduite des auditions : pas d'exposé introductif, échange rapide des questions et des réponses. Il donne ensuite la parole, pour une première question, à M. Tony Dreyfus, rapporteur spécial des crédits de la police.

M. Tony Dreyfus, rapporteur spécial : A titre d'introduction, voici ma première question. Les élus de Paris ont constaté une soudaine inversion de tendance dans l'évolution de la délinquance dans la capitale. Auriez-vous un début d'explication à nous soumettre ?

M. Philippe Massoni : En préambule, je voudrais dire que nous sommes honorés d'être reçus par votre commission, M. Delpuech, préfet, directeur de mon cabinet, et moi-même. M. Delpuech sera à même de compléter certaines réponses techniques. Pour ma part, je répondrai aussitôt à la question de M. Dreyfus.

Nous avons été, effectivement, préoccupés par l'évolution de la délinquance dans la capitale. Celle-ci avait baissé d'environ 6 % en 1995 comme en 1996 ; en revanche, elle n'a diminué que de 1 % en 1997. Quelles en sont les raisons ? Une étude attentive, conduite notamment par la direction de la police judiciaire et mon cabinet, a permis de constater que déjà des tendances négatives étaient apparues avant 1998 : ainsi, par exemple, dès 1993, les vols avec violence augmentent ; les destructions et les dégradations progressent et ce, à peu près régulièrement depuis dix ans.

En simplifiant les choses, on peut dire que toutes les conditions étaient donc réunies pour une remontée de la petite et de la moyenne délinquance, même si de bons chiffres avaient été enregistrés sur les délits de voie publique qui avaient sensiblement baissé entre 1994 et 1997.

En 1998, année particulière marquée par la Coupe du monde de football, nous avons observé une forte poussée des vols à la tire. Ce sont des délits commis par des malfaiteurs itinérants, souvent des équipes étrangères, dont beaucoup viennent d'Amérique du sud. Les vols à la tire ont été responsables d'environ la moitié de l'augmentation de la délinquance en 1998.

M. Tony Dreyfus, rapporteur spécial : Combien y a-t-il actuellement de fonctionnaires dans la rue à Paris ?

M. Philippe Massoni : C'est une question délicate et fondamentale, et il importe de bien faire les distinctions nécessaires. A la préfecture de police comme dans l'ensemble de la police nationale, les horaires et les régimes de travail varient selon les services, les corps et les statuts, ainsi qu'en fonction de l'affectation. Dans certains services, nous constatons des dépassements d'horaires, des rappels à domicile pour des retours en service, des permanences de nuit, de dimanches, de jours fériés, etc.

Les choses sont simples dès lors qu'il s'agit d'effectifs en civil, qui font un travail de bureau avec un horaire hebdomadaire. Ma réponse sera peut-être davantage dans la ligne de votre question dans la mesure où elle portera sur la présence des effectifs en uniforme dans les rues de la capitale, à l'instant où nous sommes.

Il faut rappeler, en préambule, que ces effectifs en uniforme travaillent selon des régimes différents : par exemple, des brigades de jour prennent leur service le matin à 6 heures 30, l'après-midi à 12 heures et en soirée à 17 heures ; une brigade de nuit prend le sien à 23 heures 30. Les compagnies de circulation suivent des régimes cycliques qui couvrent des plages horaires particulières, entre 7 heures et 20 heures. Ces plages sont adaptées à la circulation parisienne et nous allons d'ailleurs améliorer cette adaptation dans le cadre de la réforme de la préfecture de police.

Les horaires des compagnies d'intervention sont adaptés aux événements qu'elles doivent maîtriser ; le service de protection et de surveillance du métropolitain travaille aux heures du métro ; enfin, il existe une brigade anti-criminalité de nuit.

Dans la perspective de ma venue, je me suis fait communiquer la feuille de journée de la direction de la sécurité publique pour le jeudi 25 mars : je pourrai la laisser à votre commission si elle le souhaite. Des brigades prennent leur service le matin, l'après-midi, en soirée et la nuit. Par exemple, pour la brigade du matin qui travaille de 6 heures 30 à 13 heures, les effectifs sont de 1 499 sur l'ensemble de la capitale. Nous avons une plage de recouvrement car une autre brigade comptant 1.609 personnes prend son service à 12 heures. A 15 heures, il existe un cycle particulier : nous aurons 1.782 personnes, un certain nombre de personnes employées ayant par ailleurs terminé leur service. A 17 heures, nous aurons 2.657 personnes, en soirée à 19 heures, 1.502 personnes et la nuit, 852 personnes.

Ces effectifs du matin, de l'après-midi, de la soirée et de la nuit proviennent évidemment de tous les services de la préfecture de police : les compagnies d'arrondissement, les îlotiers spécifiques, les policiers auxiliaires, les compagnies d'intervention, les brigades d'intervention de voie publique, les BAC d'arrondissement, les BAC de district, la BAC de nuit, le service de protection et de sécurité du métro, etc.

Nous avons fixé des objectifs quantifiés de présence obligatoire de l'ensemble de ces effectifs, aux différentes heures de la matinée, de l'après-midi et de la soirée. Pour les brigades du matin, l'effectif a été fixé à 70 % de l'effectif normal théorique, le reste étant soit en repos hebdomadaire, congé annuel, congés de maladie, en récupération ou en absence régulière... Pour l'après-midi et le soir, le taux de présence exigé est de 70 % et, la nuit, de 65 %.

Telles sont précisément les règles appliquées aux différentes forces de la sécurité publique.

M. Louis Mermaz, rapporteur pour avis des crédits de la police : Monsieur le préfet, je voudrais passer du quantitatif au qualitatif. La semaine dernière, je voyais place de la Concorde, à midi, des adjoints de sécurité, c'est-à-dire de jeunes gens portant une casquette à liséré bleu, cernés par les voitures et apparemment quelque peu perdus. Leur seule préoccupation semblait de ne pas se faire accrocher par les voitures, moyennant quoi les automobilistes se querellaient dans un embouteillage monstre. A quelques mètres de là, de sympathiques policiers discutaient ensemble. Il ne faudrait quand même pas que les ADS, sympathiques supplétifs, remplacent les policiers professionnels.

Comme lors des précédentes auditions, nous nous posons la question : où sont les policiers ? Vous nous donnez des chiffres sur les effectifs existants, mais est-on vraiment sûr de la répartition ? Les magistrats de la Cour des comptes nous ont indiqué que personne ne savait où étaient les policiers, à la différence de Napoléon qui savait qu'à telle heure, on faisait du latin dans tous les lycées de France...

M. Pierre Joxe nous a dit que la police était sous-encadrée et sous-administrée. Dès lors, comment faites-vous pour vérifier que les policiers sont bien à tel endroit et pas à un autre, et comment pouvez-vous contrôler votre maison ?

M. Philippe Massoni : Le contrôle est assuré par la hiérarchie, sous le regard et le commandement du préfet de police. Celui-ci est personnellement responsable devant le Gouvernement de la manière dont les choses se passent dans la capitale, et, avec des aménagements particuliers, dans les trois départements de la couronne et dans l'ensemble de la zone de défense de Paris, c'est-à-dire les huit départements de l'Ile-de-France.

Pour revenir sur la question précédente, j'estime que 60 % des effectifs assignés aux brigades du matin, de l'après-midi et de soirée sont présents sur la voie publique, à un moment donné. Mais il est vrai qu'ils ne s'y maintiennent pas en permanence. En effet, les gardiens de la paix sont tenus de se rendre éventuellement au bureau de police pour y rédiger les procès verbaux relatifs aux affaires qu'ils traitent. La procédure est écrite en France, ce qui est une garantie pour les citoyens, alors qu'elle est orale dans d'autres pays : tout constat doit donner lieu à l'établissement soit d'un rapport administratif, soit d'un procès-verbal, ce qui écarte pour un temps le policier de la voie publique.

Pour évoquer les conditions d'emploi des forces, je reprendrai l'exemple de la place de la Concorde que le président Mermaz a évoqué dans sa question.

La place de la Concorde est l'un des points les plus sensibles de Paris, que ce soit pour la circulation ou pour la sécurité. Dix mille voitures par heure y circulent. On y trouve l'Hôtel de Crillon, que l'on peut considérer à certains égards comme l'un des hôtels de la République, puisque des chefs d'État et de gouvernement qui viennent en France y descendent. L'ambassade des États-Unis est également un point sensible, particulièrement depuis l'enlèvement de M. Ocalan au Kenya. De l'autre côté du pont, se trouve l'Assemblée nationale.

Pour traiter l'ensemble formé par la place et les bâtiments sensibles voisins, il faut évidemment spécialiser les effectifs. Certains effectifs de police de Paris sont spécialisés dans la présence au Crillon : il n'est pas rare d'y voir des motocyclistes de la préfecture de police, en attente d'un départ pour accompagner une personnalité officielle. Vous verrez également, sur la place de la Concorde, des escadrons de gendarmes mobiles qui assurent, sous l'autorité du préfet de police et selon un roulement déterminé, la protection de l'ambassade des États-Unis, et du Consulat, au débouché de la rue de Rivoli sur la place de la Concorde. D'autres effectifs contrôlent les véhicules qui pénètrent dans la rue Boissy d'Anglas toute proche, de manière à éviter qu'une voiture en stationnement ne soit abandonnée par son conducteur et que l'on s'aperçoive ensuite, de la manière qu'on peut imaginer, qu'elle transportait des explosifs.

A ces missions diverses correspond le regroupement sur cette place d'effectifs de nature différente. Cela dit, Monsieur le Président, vous avez raison d'indiquer - et je m'y rallie totalement - qu'il faut rationaliser l'emploi des effectifs. Nous y parviendrons dans le cadre de la réforme de la préfecture de police, dont je vous dirai un mot si vous le souhaitez, et sur laquelle je pourrai mettre un rapport étoffé à la disposition de votre mission. Cette réforme placera l'ensemble des forces de police de l'arrondissement sous la seule autorité du commissaire central. Elle permettra un commandement plus clair, une meilleure visibilité pour les Parisiens et un meilleur emploi des forces. Tout au moins, nous l'espérons.

M. Louis Mermaz, rapporteur pour avis  : Vos premières réponses sont très intéressantes et je les ai écoutées avec un vif intérêt. Toutefois, je n'ai pas réellement obtenu de vous celle que je souhaitais, pas plus que je ne les avais obtenues de M. Cultiaux d'ailleurs. N'assistons-nous pas actuellement, à Paris comme en province, au remplacement progressif d'une partie des policiers professionnels par des adjoints de sécurité, tant sur la voie publique que pour l'îlotage ? Je sais que se posera, dans quelques années, le problème des départs en retraite et que les ADS peuvent être une pépinière de recrutement des futurs policiers.

Je voudrais également que vous nous parliez de l'intervention des CRS. Vous êtes responsable de la sécurité des grands bâtiments publics et, si jamais l'Assemblée nationale était envahie, votre responsabilité serait engagée. Toutefois, quand vingt personnes de plus de 60 ans portant de petites pancartes se retrouvent, face à une armée de CRS qui les observe, n'y a-t-il pas là un usage abusif ? (Rires). Je sais bien qu'il faut faire attention, qu'on ne peut prévoir tant ce qui va arriver... Cependant, mon impression est, qu'entre les RG et les CRS, la synchronisation n'est pas toujours parfaite.

D'où mes deux questions : les ADS ne vont-ils pas remplacer les policiers professionnels ? Par ailleurs, l'emploi des CRS n'est-il pas parfois trop lourd ?

M. Philippe Massoni : Les ADS représentent la Nation, les jeunes. Le Gouvernement consent un effort important pour donner à ces jeunes un emploi qui pourra ensuite être pérennisé selon des modalités particulières d'accession aux concours de la fonction publique, notamment aux concours de gardiens de la paix qui sont importants pour nous.

M. Louis Mermaz, rapporteur pour avis : Ils n'ont reçu que six semaines de formation.

M. Philippe Massoni : Vous avez raison. Ce temps sera porté à huit semaines. De plus, la coutume à la préfecture de police est de délivrer une formation complémentaire, notamment sur le maniement des armes. C'est essentiel puisque les ADS portent une arme. Ce mode d'irruption de la Nation dans la police est, à mes yeux, très important, de la même manière que j'avais considéré comme très positive, la présence de policiers auxiliaires, issus du contingent, dans la police nationale. C'est une idée que je défends depuis fort longtemps.

En second lieu, nous avons à faire face à des baisses d'effectifs qui se confirment au fil des années. Depuis 1989, les effectifs de police active de la préfecture ont baissé de 1.700 fonctionnaires, tous corps et statuts confondus.

En troisième lieu, il a été prescrit que les ADS seraient employés à des tâches de police de proximité. Nous les engageons essentiellement dans la rue, de manière qu'ils soient visibles et que, par leur présence, leur mobilité, leurs allées et venues, les contacts qu'ils peuvent prendre, les citoyens soient, autant que faire ce peut, rassurés.

En quatrième lieu, nous les faisons encadrer par des policiers professionnels, gardiens de la paix ou gradés, lors de leurs déplacements dans les rues et auprès des commerçants. C'est ainsi qu'on peut observer dans Paris des groupes de deux à quatre adjoints de sécurité conduits par un policier professionnel : il s'agit de leur faire connaître la topographie de la capitale. En effet, bien que nous privilégions à Paris un recrutement local et régional, beaucoup de jeunes ne connaissent ni les rues, ni les stations de métro. Ils doivent être totalement familiarisés avec leur arrondissement et avec leur quartier.

On peut craindre, mais je ne partage pas du tout ce sentiment, de voir les adjoints de sécurité remplacer, au fil des années, les policiers professionnels. Ce ne serait pas une bonne chose. Il convient de rester, dans ce domaine, dans des limites raisonnables qui permettent de travailler efficacement.

Je récapitule ces quatre grands thèmes :

1) Oui aux adjoints de sécurité.

2) Priorité à la police professionnelle.

3) Utilité des adjoints de sécurité dans le contexte de l'érosion des effectifs que nous constatons depuis quelques années et de la préparation à un futur métier de policier professionnel.

4) Nécessaire évolution du statut des adjoints de sécurité.

J'ajoute, sur ce dernier point, que les conditions d'emploi des ADS dans le cadre de la police de proximité sont sans doute trop restrictives. J'ai proposé au cabinet du ministre de l'Intérieur et au directeur général de la police nationale, de faire évoluer leur statut, de manière à ce qu'ils puissent accéder à des responsabilités différentes, proches de celles des gardiens de la paix. Ils pourraient ainsi libérer des fonctionnaires de police professionnels pour d'autres missions plus importantes.

Si l'on pouvait faire évoluer le statut des adjoints de sécurité de manière qu'ils puissent, par exemple, assurer des gardes statiques, on libérerait autant de policiers professionnels pour qu'ils soient dans la rue, dans un esprit de police de proximité et de lutte contre la petite et la moyenne délinquance.

Je ne sais pas si j'ai bien répondu à votre question...

M. Louis Mermaz, rapporteur pour avis : Mieux que votre prédécesseur...

M. Tony Dreyfus, rapporteur spécial : Selon le rapport de la Cour des comptes, 2 800 fonctionnaires actifs seraient affectés à des tâches non policières. Pourriez-vous nous apporter quelques précisions sur ce point ?

M. Philippe Massoni : Nous sommes, sur cet aspect des choses, extrêmement vigilants. J'ai évidemment travaillé avec les magistrats de la Cour des comptes et leur ai fourni d'innombrables éléments d'information qu'ils ont bien voulu, ensuite, synthétiser et porter à la connaissance du public, dans un rapport qui est un peu notre guide et dont nous mettons en _uvre les recommandations d'une manière rigoureuse et fidèle.

Toutefois, les observations de la Cour des comptes doivent être, en ce domaine, nuancées. La Cour fait allusion à la direction de la logistique, qui emploie un nombre assez important de policiers dans des tâches de logistique. Or, cette direction dispose aussi d'un département de police administrative et judiciaire qui ne peut, par définition, être mis en oeuvre que par des policiers ; il regroupe notamment la brigade fluviale, la base air de Paris stationnée à Issy-les-Moulineaux, l'unité de contrôle technique employant plus de 80 fonctionnaires, etc.

D'autre part, une autre nuance est à apporter. Le nombre de secrétaires d'état-major à la préfecture de police s'élevait au 1er juillet 1997 à 538 et non pas à 1 338, comme l'a indiqué la Cour. En outre, la nature de leurs missions les conduit à travailler selon un rythme horaire de 24 heures sur 24, contrainte qui peut difficilement être imposée à des fonctionnaires non policiers. En termes opérationnels, il est important d'avoir, dans les salles de commandement, où se prennent des décisions qui engagent la vie des hommes et des femmes qui forment la police mais aussi la vie des citoyens, des gens rompus à l'appréciation policière des choses. Les secrétaires d'état-major, bien qu'ils se trouvent dans les salles de commandement, en secrétariat opérationnel, ont un rôle tout à fait éminent à remplir pour la sécurité des citoyens et des fonctionnaires de police. Ces fonctions ne peuvent donc être, dans bien des cas, assumées que par des policiers.

Nous pouvons considérer que 1 300 des 2 800 agents mentionnés par le rapport sont chargés, à la direction de la logistique, de l'exécution de missions de soutien aux activités opérationnelles.

Une étude que nous avons menée en 1995 concluait à la possibilité de confier immédiatement une centaine de postes, dans divers ateliers, à des agents techniques. Toutefois, 253 emplois administratifs et techniques de la police nationale ont été supprimés depuis 1996, ceci - je le souligne - en contradiction flagrante avec l'objectif fixé par la loi d'orientation et de programmation relative à la sécurité, qui prévoyait, au contraire, un renforcement de ces agents techniques et administratifs.

Ce contexte nous offre des possibilités de redéploiement relativement restreintes. Il reste que par principe et pour la qualité des relations entre services, il faut qu'il y ait un noyau dur de policiers à la direction de la logistique. Je rappellerai à cet égard qu'en 1968, au coeur des événements dont nous avons gardé le souvenir, c'est la direction des services techniques de la préfecture de police, aujourd'hui direction de la logistique, qui a permis à l'appareil gouvernemental de fonctionner en réparant les voitures, en livrant l'essence, en allant la chercher par bateaux accompagnés par des forces de police. Il faut, dans la capitale, un noyau dur de forces de police qui assure la logistique de la préfecture de police et qui permette, si besoin est, le fonctionnement de l'appareil gouvernemental.

Par ailleurs, on peut aller, et c'est tout à fait légitime et indispensable, dans le sens du remplacement de policiers, dans ces tâches de logistique, par des fonctionnaires spécialisés, ouvriers d'État par exemple. Le coût de cette mesure est chiffré.

Ensuite, il convient de rechercher l'externalisation de travaux actuellement confiés aux ateliers de la direction de la logistique. En particulier, la réparation des voitures peut être confiée, dans certains cas, à des ateliers extérieurs sur la base de marchés publics. Encore qu'il faille, là aussi, avoir présent à l'esprit que nous mettons ainsi dans les mains de personnes extérieures, bénéficiaires des marchés, des véhicules de police comportant à leur bord des dispositifs particuliers, notamment des radios, qu'il serait nécessaire de démonter avant qu'ils ne partent en atelier.

Les idées sont excellentes et nous ne demandons qu'à les appliquer. Nous souhaitons que des personnels administratifs et techniques remplacent les policiers professionnels. Toutefois, nous observons que le mouvement a été inverse, que la loi d'orientation et de programmation relative à la sécurité, votée par le Parlement en janvier 1995, n'a pas été appliquée. Les forces administratives et techniques que nous attendions ne nous ont pas été accordées. Il était prévu que 5.000 agents administratifs seraient affectés sur le plan national, ce qui permettait des compensations et des échanges avec du personnel policier professionnel. Seuls mille quatre cents postes ont été créés au niveau national.

M. Michel Delpuech : La préfecture de police avait, à l'époque, chiffré ses besoins à un peu plus de 840 fonctionnaires. Les recrutements se sont limités à 80.

M. Philippe Massoni : Il y a là un effort complémentaire à faire qui nous permettra de mieux réemployer la police professionnelle sur le terrain.

M. Louis Mermaz, rapporteur pour avis : Je m'aperçois que le préfet de police n'a pas répondu à ma question relative à l'emploi des CRS ou des compagnies d'intervention.

Par ailleurs, combien avez-vous de musiciens, de sportifs, de garagistes, d'informaticiens, d'agents en position de détachement, y compris les détachements syndicaux ? Nous disposons des chiffres nationaux, mais pas de ceux de la préfecture de police. Combien avez-vous de logements de fonction ? A quel type de personnes sont-ils attribués ? Parallèlement, où en est l'effort entrepris pour la constitution de contingents de logements sociaux, attribués notamment aux jeunes gardiens venant de province et qui sont parfois obligés d'aller se loger loin de Paris ?

Comment se fait la répartition entre les heures supplémentaires et les récupérations ? Comme la Cour des comptes, nous nous demandons combien d'heures réelles effectuent les policiers ? Voulez-vous que je reprenne ?

M. Philippe Massoni : Nous pouvons répondre à tout, monsieur le Président ...

M. Louis Mermaz, rapporteur pour avis : Il vaut mieux ... (Rires). On peut répondre à tout de façon précise, si possible.

M. Philippe Massoni : Pour l'emploi, dans la capitale, des forces mobiles des compagnies républicaines de sécurité et des escadrons de gendarmerie mobile, nous avons des charges particulières et très importantes qui tiennent au statut de Paris, ville capitale.

Aujourd'hui, 25 mars 1999, nous employons, outre les forces de la préfecture de police, dont je vous ai cité les effectifs précédemment, onze escadrons de gendarmerie mobile et dix compagnies républicaines de sécurité. Les onze escadrons de gendarmerie mobile sont employés à de nombreuses missions en réserve aux abords du Palais Bourbon, de manière à faire face à un événement qui pourrait concerner l'Assemblée ; dans le cadre de Vigipirate et des mesures particulières prises à la suite de l'arrestation de M. Ocalan ; dans le cadre des diverses manifestations qui ont lieu dans la capitale, étudiants, chimie-énergie... Par exemple, j'ai pris hier soir un arrêté interdisant une manifestation dénommée par ses organisateurs « Droits de la Serbie » : nous sommes évidemment obligés de prendre des mesures fortes pour éviter qu'elle ne se concrétise malgré tout.

Les compagnies républicaines de sécurité, au nombre de dix, sont employées en garde statique, en surveillance spéciale, en surveillance de métro, de bus, etc. et elles donnent également la main aux forces de la préfecture de police pour les différentes manifestations d'aujourd'hui, qui sont tout à fait considérables.

Voici la liste de tous les événements ayant lieu ce jour dans la capitale. (M. Massoni montre un document). Il y en a seize pages de toute nature : des déplacements de hautes personnalités, des activités parlementaires - ces dernières nous posent peu de problèmes de sécurité, sinon aux abords des assemblées elles-mêmes où il faut toujours être vigilant ; de même quand le Conseil régional d'Ile-de-France se réunit, nous veillons à ce que des délégations n'importunent pas les travaux des conseillers régionaux. Ensuite, nous avons toute une série de manifestations : l'éducation, la chimie et l'énergie, l'hôpital Jean Verdier de Bondy, France Télécom, la manifestation interdite sur la Serbie, des étudiants en IUT qui selon les évaluations, seront de trois à cinq cents, des agriculteurs qui peuvent être de cinquante à cent éventuellement, sur un certain nombre d'objectifs potentiels, les autonomistes de l'ETA... Je vous passe les détails.

Tel est exactement le programme d'emploi de la préfecture de police pour aujourd'hui.

Par ailleurs, nous devons disposer de forces rassemblées susceptibles d'intervenir. Je sais qu'aux yeux des Parisiens et des élus, il peut paraître irritant de voir une compagnie stationner de temps à autre à l'intersection Champs-Elysées Marigny. On se demande ce qu'elle y fait, et on dit qu'elle serait mieux employée en étant sur le terrain pour lutter contre la petite et moyenne délinquance.

Selon une formule qui a cours à la préfecture de police, l'ordre public se paye cher et comptant, et il faut donc se donner les moyens d'intervenir rapidement, avec des forces de renfort, des forces prépositionnées, si des événements, au cours de la journée, justifient qu'on doive les utiliser. Sur le premier point, il y a certainement des rationalisations d'emplois à faire, mais nous sommes obligés de constituer des réserves, visibles aux yeux du public et dont les missions, parfois, peuvent ne pas être immédiatement comprises.

Nous allons faire évoluer ces choses dans le cadre de la police de proximité puisque les tâches de police urbaine de proximité, c'est-à-dire de lutte contre la petite et moyenne délinquance, dans un souci de présence et de visibilité aux yeux du public, vont être distinguées, d'une façon très précise, des tâches de maintien de l'ordre public et de police de la circulation.

C'est d'ailleurs le fondement même de la réforme que de faire apparaître ces deux concepts. Dans ce cadre, j'ai demandé la réalisation d'une étude sur les moyens d'un meilleur emploi des forces de l'ordre. En particulier, j'ai demandé que l'on évalue, selon une échelle à huit degrés que d'aucuns appellent «l'échelle de Massoni», l'état de la manifestation à gérer, de façon à pouvoir proportionner les forces de police au regard du risque que comporte cette manifestation.

Par ailleurs, cette ventilation sera faite d'une manière encore plus rigoureuse par la direction des renseignements généraux de la préfecture de police, dont la mission principale s'articule autour de la lutte contre le terrorisme et du contrôle des événements de voies publiques. Il sera demandé aux fonctionnaires des renseignements généraux de suivre et de prévoir, avec encore plus de finesse, le nombre de manifestants susceptibles de participer aux manifestions qu'ils annoncent et le caractère de ces manifestations.

Voilà ce que je pouvais dire sur l'emploi des forces. S'agissant des taux de présence, notamment des détachements syndicaux, le directeur de cabinet pourrait vous apporter quelques éléments.

M. Michel Delpuech : L'effectif des musiciens est de 130 fonctionnaires : ce ne sont pas des policiers s'adonnant à la musique, mais des musiciens ayant le statut de policier, puisqu'ils sont recrutés sur des critères musicaux, à partir des succès qu'ils ont pu obtenir dans les conservatoires.

La compagnie sportive compte 178 fonctionnaires. Dans le cadre de la réforme à venir des services actifs de la préfecture de police, elle est clairement rattachée au futur 2e district d'ordre public et de la circulation, et participera donc régulièrement à des tâches de maintien de l'ordre.

Je n'ai pas ici le nombre exact d'informaticiens. Ils sont rattachés, au sein de la direction de la logistique, à la sous-direction de l'informatique et des télécommunications. On a là des policiers qui sont effectivement impliqués dans des tâches d'informatique ou de transmission. Cela tient au fait que, dans le SGAP de Paris, n'existent pas, comme en province, les services zonaux des transmissions et de l'informatique. Aucun personnel de la direction des transmissions et de l'informatique n'est mis à disposition de la préfecture de police ; les informaticiens sont donc, soit des personnels de statut parisien ou de statut d'État, provenant de la direction générale de l'administration du ministère de l'Intérieur, soit des fonctionnaires administratifs ou actifs de police.

De mémoire, le nombre d'informaticiens est d'environ 80. Nous sommes tout à fait favorables, dans ce domaine comme dans l'ensemble des domaines où cela est possible, à la substitution progressive des personnels actifs de police par des professionnels de la spécialité intéressée. Malheureusement, ce n'est pas le cas. Par exemple le réseau ACROPOL en cours de déploiement dans le SGAP de Paris - c'est une opération de grande ampleur - , ne fonctionne aujourd'hui que grâce à des personnels actifs de police, faute d'informaticiens ou de techniciens des transmissions mis à notre disposition.

En ce qui concerne les garagistes, l'effectif est d'environ 230. Il convient de distinguer les fonctionnaires qui sont dans les garages stricto sensu de ceux affectés au service de l'exploitation, c'est à dire qui conduisent les véhicules.

Le Président Augustin Bonrepaux : Envisagez-vous de tenir compte de la recommandation de la Cour des comptes qui relève des problèmes d'absentéisme dans les garages et qui recommande de les faire gérer autrement ?

M. Philippe Massoni : Nous appliquons d'une manière extrêmement rigoureuse et fidèle les prescriptions de la Cour des comptes. Nous espérons, tout d'abord, avoir pu anticiper certaines critiques qui nous sont faites et si nous ne l'avons pas fait, nous veillons, de manière très stricte et par l'intermédiaire des directeurs auxquels j'ai donné des consignes très particulières, à porter remède aux dysfonctionnements et errements qui nous ont été signalés. D'ailleurs, chaque mois, un comité de pilotage examine, soit sous ma présidence, soit sous celle du directeur de cabinet, ce que nous avons pu faire pour progresser dans le sens qui nous a été prescrit par la Cour des comptes.

M. Philippe Auberger, co-président : Cela signifie-t-il que vous fermerez des garages ?

M. Philippe Massoni : Non, pas du tout.

M. Philippe Auberger, co-président : Quelles mesures concrètes seront-elles prises ?

M. Philippe Massoni : Comme je vous l'indiquais précédemment, la direction de la logistique de la préfecture de police a pour mission de maintenir en état opérationnel les forces de police qui interviennent non seulement à Paris, mais dans les trois départements de la couronne, regroupés dans le Secrétariat général pour l'administration de la police de Paris.

En second lieu, il est tout à fait possible d'envisager qu'un certain nombre d'emplois, qui sont aujourd'hui tenus par des policiers professionnels, notamment dans le domaine de la réparation automobile, soient dans l'avenir assumés par des agents administratifs, des ouvriers d'État par exemple. Mais, nous observons que nous ne sommes pas du pourvus en ouvriers d'État et en personnels administratifs et que nous ne pouvons donc opérer ces remplacements.

Enfin, il est essentiel, pour l'État et pour la police nationale, qu'un noyau dur de policiers, rompus à des tâches de logistique, soit maintenu en permanence à la préfecture de police, de façon à assurer, dans des périodes particulières, le fonctionnement de l'appareil gouvernemental.

Nous ne fermerons aucun garage. Au contraire, nous rapprochons la logistique des utilisateurs, c'est-à-dire des policiers. Je vous en donne un exemple. Lorsque j'étais directeur des services techniques de la préfecture de police de 1981 à 1986, ces services livraient l'essence à tous les postes de police et commissariats d'arrondissements, à Paris et en banlieue. Il est apparu plus judicieux que cette essence soit prise à partir des pompes ouvertes au public et à partir de marchés nationaux ou régionaux souscrits avec les compagnies pétrolières. Il y a donc une évolution du service vers l'appel à des prestataires privés.

La préfecture de police dispose de trois garages principaux. Le garage central de la rue Jules Breton fonctionne pour l'ensemble des forces de police de Paris intra-muros. Le garage du parc nord, à la porte de la Villette, est essentiellement spécialisé sur le parc lourd. Le garage du parc sud, sur l'aire de Rungis, fonctionne pour tout le département du Val-de-Marne et assure également la maintenance et la mise en oeuvre des moyens particuliers, par exemple les camions lance-eau, dont une grande partie y est stationnée tout en restant prête à intervenir ainsi que les tracteurs anti-barricades, dont on trouve également des exemplaires au parc nord.

Il n'est pas question de fermer des garages. Tout au contraire, l'objectif est de rapprocher le service de l'utilisateur.

Mais il est évident que si l'on mettait à ma disposition les crédits correspondants, que nous avons évalués à 91 millions de francs, nous pourrions externaliser des fonctions de réparations, actuellement assurées par la direction de la logistique dans l'ensemble de ses ateliers, et réaliser ainsi une économie de quelque 130 fonctionnaires de police qui pourraient être redéployés sur le terrain, selon des modalités à trouver.

M. Michel Delpuech : S'agissant des logements de fonction, ainsi que la réponse du ministre de l'Intérieur à la Cour des comptes le faisait valoir, un travail de remise à plat complète a été mené au cours des douze derniers mois, conformément au droit commun qui permet de distinguer les concessions pour nécessité absolue de service et celles pour utilité de service. Nous appliquons très strictement les orientations d'une circulaire de 1996, en ce qui concerne les fonctionnaires actifs de police, tels que les commissaires d'arrondissement, les chefs de district ou les chefs de secteur dans le cadre de la police urbaine de proximité. La Cour des comptes avait signalé le cas d'un certain nombre de logements accordés à un personnel ouvrier ou d'entretien. Un travail très complet et très minutieux a été mené. Il a permis globalement de dégager et de remettre à disposition pour d'autres utilisations l'équivalent de trois mille mètres carrés de surface.

M. Louis Mermaz, rapporteur pour avis : Combien de logements au total ont-ils été dégagés ?

M. Michel Delpuech : - Je n'ai pas les chiffres précis ici.

M. Philippe Massoni : Une distinction est à faire entre les logements de fonction. Les membres du corps préfectoral sont, par nature, obligés de loger sur place : le préfet et son cabinet sont par obligation logés à la préfecture de police. C'est une première catégorie de logements de fonction.

Une deuxième catégorie de logements de fonction avait été attribuée aux personnels ouvriers, c'est-à-dire à des spécialistes de niveau hiérarchique faible ou moyen, voire parfois à des ingénieurs. Par empilement au fil de dizaines d'années, l'habitude avait été prise de loger sur place un certain nombre de fonctionnaires qui avaient à remplir des tâches de sécurité ou des tâches d'intervention rapide dans l'électricité, la plomberie, le chauffage.

Il a été considéré par la Cour des Comptes que les attributions de ces logements n'étaient pas fondées au regard des missions qu'assuraient réellement les intéressés. Le parc de ces logements de fonction d'une nature particulière s'élevait, de mémoire, à quelque 60 ou 70 petits appartements, de faible qualité immobilière. Ils ont été progressivement libérés après que j'ai pris des mesures sociales particulières de façon à reloger, dans les meilleures conditions possibles, sur le parc social de Paris, dans la capitale ou à l'extérieur de celle-ci, des fonctionnaires qui, selon la prescription qui nous a été faite, devaient les quitter. Cela se passe bien, puisque cela a été étalé sur de nombreux mois.

Toutefois, cette procédure a concerné, essentiellement, des fonctionnaires de faible niveau hiérarchique, des agents d'exécution de la préfecture de police. Il convient donc de corriger, ou du moins de nuancer, le mythe de l'appartement de fonction. Pour le moment, l'application de cette mesure ne suscite, à notre connaissance, aucune difficulté particulière en raison du contact social qui a été maintenu avec les organisations syndicales d'une part, et avec les intéressés eux-mêmes de l'autre.

M. Louis Mermaz, rapporteur pour avis : Vous aviez commencé à me répondre quant à l'attribution des logements sociaux aux jeunes gardiens de la paix qui viennent de province. Quelles sont vos statistiques sur les programmes de construction engagés pour que les gardiens n'aillent pas habiter à quarante ou cinquante kilomètres de Paris ?

M. Michel Delpuech : Le chiffre global de logements sociaux gérés par la sous-direction des affaires sociales de la préfecture de police est de l'ordre de 9.500 logements. Un effort tout à fait considérable a été mené au cours des dix ou quinze dernières années, avec une montée en charge progressive. Chaque année, environ 80 à 100 millions de francs de crédits sont ouverts dans la loi de finances initiale au titre des réservations auprès des opérateurs, ce qui allège ensuite le coût du loyer pour les fonctionnaires.

A l'origine de ce programme, les logements se trouvaient assez loin de Paris et étaient parfois regroupés dans des zones quelque peu difficiles. Progressivement, année après année, on s'efforce de rapprocher les programmes nouveaux de la capitale et de la petite couronne. Le rapprochement du chiffre de 9.500 logements de celui des effectifs de la préfecture de police permet de voir que, de la sorte, un service très apprécié est rendu à tous nos jeunes policiers. Chaque fois que nous accueillons une nouvelle promotion de gardiens de la paix stagiaires qui sortent des écoles, notamment des écoles de province, il est systématiquement adressé à chacun d'eux un dossier préparé par la sous-direction des affaires sociales, pour lui expliquer toutes les possibilités de logements qu'on sera en mesure de lui offrir. Des sessions d'accueil sont organisées à la préfecture de police et, chaque fois, nous logeons directement environ 60 % des jeunes stagiaires par l'intermédiaire de notre service.

M. Louis Mermaz, rapporteur pour avis : Ma question portait aussi sur les heures supplémentaires et les heures récupérées, mais les membres de la mission vont peut-être la reprendre.

M. Jean-Jacques Jegou : Tout à fait, Monsieur le Rapporteur. Monsieur le préfet, si nos questions peuvent vous apparaître insistantes, c'est que notre une mission d'évaluation et de contrôle a la volonté de vérifier l'efficacité de la dépense publique. Nous nous sommes rendu compte, au fur et à mesure des auditions, que la police était sous-administrée. Dans vos réponses, vous indiquez même que c'est le manque de moyens financiers, l'insuffisance des recrutements des personnels administratif ou technique qui vous empêche de remettre un certain nombre de policiers actifs dans la rue.

Nous avons déjà un certain nombre d'éléments pour apprécier l'efficacité de la police. Si je prends l'effectif théorique des policiers de nuit, 1.152, auquel j'applique le taux de 65 % de présents, et, au chiffre ainsi obtenu, le taux de présence théorique dans la rue, soit 60 %, j'arrive à seulement 470. Par ailleurs il existe de multiples régimes horaires et il est difficile d'imaginer comment il est possible d'en vérifier le respect. On nous a indiqué également que les policiers qui réparent des voitures ou qui remplissent des tâches administratives reçoivent les mêmes primes que ceux qui sont dans la rue, qui travaillent le dimanche... On s'aperçoit même que, ceux qui travaillent le dimanche, dont on nous disait la semaine dernière qu'il n'y avait pas d'argent pour leur payer des heures supplémentaires, ont, en outre, des compensations et qu'en réalité, il y a à la fois et compensations horaires et paiements de primes de sujétion.

Alors, comment savoir si les moyens dont vous disposez déjà et dont on veut nous dire, ici et là, qu'ils sont insuffisants, sont globalement bien utilisés, alors que nous savons qu'il y a sous-administration et une sorte de bienveillance généralisée quant aux primes distribuées, aussi bien aux policiers actifs qu'à ceux qui sont affectés à des tâches non policières ?

M. Didier Migaud : Vous nous avez dit, tout à l'heure, Monsieur le Préfet, que vous étiez attentif aux observations de la Cour des comptes. Or, comme l'a rappelé notre collègue, M. Jegou, la Cour des comptes fait un certain nombre de constats sévères sur l'absence de gestion des services de la police. A propos des moyens logistiques, on peut lire, dans le rapport, avec un peu d'inquiétude d'ailleurs, qu'il n'y a pas d'inventaire des matériels et notamment pas d'inventaire physique des armes dans la police parisienne.

Pour prolonger la question de notre collègue Jegou sur les primes, pouvez-vous confirmer ou infirmer le fait que les primes sont versées indistinctement ainsi, sans tenir compte de la difficulté des tâches. Il semblerait que la prime de fidélisation soit, ainsi, versée à l'ensemble des policiers, y compris les musiciens, les sportifs ou les garagistes. Pourriez-vous nous apporter un certain nombre de précisions à ce sujet ?

M. Marc Laffineur : Selon ce que nous avons entendu depuis quinze jours, il faut dix policiers en effectif théorique pour en avoir un dans la rue. Comment faites-vous pour contrôler, vous assurer que les policiers respectent leurs horaires de travail ? Pour aller également dans le sens de mes collègues, pouvez-vous nous indiquer les rémunérations d'un gardien de la paix, d'un brigadier, d'un commissaire, primes comprises ?

M. Philippe Massoni : Comment vérifier les horaires des policiers ? D'une manière simple, par l'intervention de la hiérarchie. Actuellement, celle-ci est la suivante : avant la réforme et plus encore après celle-ci, le 18 avril, il y a un préfet de police, des directeurs de services actifs de police, des chefs de district, des commissaires de voie publique, des commandants, des officiers, des gradés et des gardiens. Il appartient à chacun d'entre eux de vérifier comment travaillent les effectifs qu'il a sous son autorité. Concrètement, les brigades du matin, d'après-midi, etc. prennent leurs services à une heure donnée et sont réunies pour un appel dans la salle du poste de police. Lors de cette réunion, on fait effectivement l'appel, on donne des instructions générales concernant le service de la journée ou de la vacation et on porte à la connaissance des personnels un certain nombre d'informations, etc. Un contact a donc ainsi lieu entre les officiers et leurs personnels au moment de la prise de fonction.

Ensuite les différents fonctionnaires de police partent sur le terrain pour assumer des tâches d'îlotage, de surveillance particulière d'une petite manifestation de voie publique... Ceci est contrôlé sous l'autorité de la hiérarchie. Les fonctionnaires reviennent obligatoirement au commissariat d'arrondissement en fin de service, de manière à rendre compte. Parfois ils y sont même revenus avant s'ils ont un procès-verbal à établir.

Dans la journée, ils ne sont évidemment pas lâchés, la bride sur le cou, dans les rues de la capitale. Des patrouilles de brigadiers circulent, soit à pied, soit en véhicule, et contrôlent l'exécution des tâches. Des officiers et le commissaire de police, chef de l'arrondissement, sont également en mesure de contrôler l'exécution du travail réalisé par leurs hommes.

Depuis toujours, ce contrôle s'effectue dans un esprit très hiérarchisé, à la préfecture de police comme ailleurs dans la police nationale.

M. Michel Delpuech : Une question a été posée sur la prime de fidélisation et, de manière générale, le versement des primes aux fonctionnaires de police. Nous appliquons, purement et strictement, les textes, les lois et les décrets qui organisent ces primes.

La notion de prime de fidélisation peut être appréciée de deux manières. Tout d'abord, elle peut correspondre à la nécessité de fidéliser des fonctionnaires de police dans des zones géographiques où le coût de la vie, les temps de transport pour se rendre au travail créent des difficultés particulières. C'est notamment le cas à Paris et dans le SGAP de Paris, où, d'ailleurs, chaque année, plus de mille fonctionnaires de la préfecture de police veulent rejoindre une affectation en province. La fidélisation s'applique à des territoires où l'exercice du métier de policier est plus contraignant pour toute une série de raisons. Dans ce cas, la politique des logements sociaux peut être considérée comme un appui. On peut également rattacher la notion de fidélisation non à une zone géographique donnée mais à une catégorie de tâches exposées en secteur ou en zone difficile.

La conception actuelle de la prime de fidélisation relève plutôt de la première approche : elle est versée après cinq années de présence sur un territoire concerné. Un projet de réforme envisage le paiement anticipé de la prime en prenant en compte la logique des secteurs et des emplois difficiles : ce projet conduit à distinguer les policiers qui pourront avoir droit au paiement anticipé et ceux qui n'y auront pas droit en fonction des missions exercées par chacun.

M. Didier Migaud, rapporteur général : Sur les primes, vous n'avez pas totalement répondu. Tout le monde touche-t-il la même chose, que ce soient les musiciens, les garagistes ...?

M. Philippe Massoni : Nous appliquons les textes législatifs et réglementaires. Un policier est affecté à un service particulier et il bénéficie, en raison de son statut, d'une série d'avantages liés aux inconvénients très lourds de la fonction qu'il assume. Ceux que l'on appelle parfois des « policiers de bureau » remplissent eux aussi, de manière éminente, des fonctions opérationnelles. Les secrétaires d'état-major à l'état-major de la sécurité publique, ou dans la salle de commandement de circulation, ou dans la salle de police secours où sont reçus annuellement quatre cent mille appels de Parisiens, remplissent des fonctions éminemment opérationnelles et bénéficient naturellement des primes de sujétion puisqu'ils travaillent selon des horaires d'une pénibilité évidente.

M. Didier Migaud, rapporteur général : Vous ne répondez toujours pas à la question. Y a-t-il une politique de primes différenciées selon les risques que peut connaître le policier ? Le policier musicien a-t-il le même régime de primes et les mêmes primes que le policier qui va sur le terrain ?

M. Michel Delpuech : Cela dépend des régimes de primes. J'ai essayé de répondre en ce qui concerne la prime de fidélisation, qui obéit à une logique territoriale. Elle est liée à la localisation de l'affectation du fonctionnaire, quel que soit le service qui l'emploie. Qu'il appartienne à une brigade de roulement du service général, à la compagnie sportive ou à la direction de la logistique, il touchera cette prime parce qu'il y a droit en fonction des textes en vigueur.

M. Pierre Méhaignerie : Y a-t-il des solutions ? Certains, autour de cette table, ont exercé des responsabilités ministérielles. Il y a dix ans, j'entendais les mêmes questions et dans dix ans, nous les entendrons encore. Nous parlons bien des horaires faits et non pas des horaires théoriques. Les conclusions sévères de la Cour des comptes sur la méconnaissance des effectifs montrent que l'État n'est pas géré - un État trop centralisé l'est encore moins - parce qu'il est faible. Chaque fois qu'un problème se pose, il cède...

Les contraintes multiples auxquelles doit faire face l'ensemble des responsables de l'exécutif - contraintes syndicales, contraintes multiples liées à la complexité de l'administration, contraintes liées à l'impossibilité de motiver les hommes par des systèmes variables de primes - ne vous conduisent-elles pas à vous poser des questions ? Certains pays rapprochent l'autorité de commandement du personnel de l'autorité politique décentralisée, au nom du contrôle nécessaire des électeurs sur l'efficacité de l'action des structures administratives. Les résultats de ces pays en matière de sécurité sont meilleurs que ceux des États centralisés, qui rendent tous l'âme l'un après l'autre. Quel est votre sentiment à ce sujet ?

Le Président Augustin Bonrepaux : Monsieur le préfet, je vous rappelle que vous n'avez pas répondu à la question de M. Didier Migaud sur l'inventaire du matériel et des armes.

M. Philippe Massoni : Tout à fait et je le fais volontiers. C'est moi qui ai provoqué l'inventaire des armes, puisqu'après ma prise de fonctions j'ai constaté qu'il n'avait pas été fait. J'ai demandé à l'inspection générale des services de procéder à un audit sur l'armurerie et j'ai fait procéder à un inventaire physique des armes. Un certain nombre de dysfonctionnements, s'étalant sur des dizaines d'années, ont pu être constatés. Je prends la responsabilité d'avoir prescrit cet inventaire.

Sans vouloir présenter ici un bilan de gestion, j'indiquerai que, depuis ma prise de fonctions, il y a quelques années de cela, je me suis efforcé de faire évoluer la préfecture de police selon quatre axes prioritaires : les modes d'action, les conditions de travail et d'exercice des missions, les procédures de gestion et les structures.

Au titre des modes d'action, je citerai la création de la brigade anti-criminalité de nuit en 1993. Le 21 juin 1993, alors que la fête de la musique se déroulait dans les rues de la capitale, je n'avais à ma disposition que 60 hommes pour essayer de contenir ceux qui tentaient de prendre d'assaut le commissariat des Halles. J'ai même envisagé de fermer les commissariats d'arrondissement, où se trouvaient présents les agents du service général, pour former des compagnies de marche qui iraient au secours des fonctionnaires du commissariat des Halles.

Cette expérience m'a conduit, dans les jours qui ont suivi, en concertation avec les organisations syndicales, à créer la BAC de nuit. C'est un élément fondamental de l'évolution de la sécurité dans la capitale.

L'évolution des modes d'action s'est également traduite par un fort développement de l'action de communication de la préfecture de police, dans un esprit de transparence et de proximité, avec la création de plusieurs outils au service de nos concitoyens : minitel, serveur vocal, brochures d'information, revue Liaisons, etc. Les conditions d'accueil du public ont été également améliorées, mais il faut aller encore plus loin.

Nous avons ensuite fait évoluer les conditions de travail et les modalités d'exercice des missions. Si votre mission le souhaite, je la recevrai très volontiers dans les salles de commandement de la préfecture de police, dont le responsable de la police de New York m'a dit qu'il n'avait pas l'équivalent dans sa ville. M. le président Mermaz a bien voulu les visiter. C'est donc une évolution technique considérable au bénéfice de la sécurité de nos concitoyens. D'autre part, il y a cinq ans, il n'y avait que six cents postes de travail informatiques à la préfecture de police : il y en quatre mille à la fin 1997. Des choses ont donc été faites.

Dans le domaine de l'évolution des procédures de gestion, anticipant les observations de la Cour des comptes, nous avons développé une approche prospective et prévisionnelle. L'activité de la préfecture de police consistait dans une large mesure à gérer l'événement au quotidien. Il a fallu développer une approche « anticipatrice ». Nous avons essayé d'apprécier toutes les tendances lourdes sur les vingt ans à venir. En particulier, j'ai demandé à un cabinet spécialisé, en mai 1994, d'évaluer en collaboration avec nous ce que serait la police en 2015, en prenant en considération les mutations de la société française, les menaces qui pourraient s'abattre sur elle, en particulier à Paris et dans sa région.

Dans le domaine immobilier, nous avons également prolongé l'effort par des programmes, qui ont concerné essentiellement la brigade des sapeurs-pompiers de Paris, et par des schémas directeurs immobiliers qui ont atteint un degré de précision jamais obtenu depuis très longtemps. Dans l'informatique, dans la radio, dans le téléphone, dans l'automobile, nous avons également progressé.

Désirant recourir à des visions extérieures, autres que l'audit interne ou l'audit conduit par l'inspection générale des services, j'ai également demandé à des consultants privés, sélectionnés dans des conditions financières qui convenaient, une étude sur les modes de fonctionnement de la préfecture de police. Nous avons pu, avec leur concours et avec le concours des services d'audit de l'inspection générale des services, réaliser la fusion de l'informatique et des transmissions, fusion qui n'avait jamais pu être accomplie notamment pendant les six ans où j'ai été directeur des services techniques. Nous avons également pris un certain nombre de mesures pour maîtriser la dépense, notamment en matière de téléphone ou d'énergie.

Ces indications témoignent de notre volonté d'améliorer notre gestion, volonté renforcée par les observations tant générales que particulières de la Cour des comptes.

A la question de M. le ministre Pierre Méhaignerie, je répondrai au plan de la capitale. Il ne m'appartient pas de raisonner en termes politiques et je ne me prononcerai pas sur le fait de savoir si, au niveau national, la décentralisation peut être maintenue ou accentuée et si elle peut s'accompagner d'un transfert de responsabilités de l'État aux collectivités territoriales.

On peut se demander pourquoi on ne transférerait pas au maire de Paris les attributions du préfet de police, dans certains domaines tels que la circulation, le stationnement... On entend classiquement dire que cela permettrait à la police parisienne de se consacrer davantage à la lutte contre la délinquance. J'apporterai des réponses précises et claires que je n'ai pas fournies au Conseil de Paris, parce que cela ne m'avait pas été demandé en ces mêmes termes, mais qu'un certain nombre de ministres de l'Intérieur ont exprimées à diverses reprises.

D'une part, à Paris, les questions de sécurité et d'ordre public n'ont pas la même signification et la même portée qu'ailleurs. D'autre part, la sécurité de la capitale est un tout. Nous y comptons annuellement sept mille manifestations, visites officielles, événements de voie publique et environ mille à mille cinq cents manifestations revendicatives qui regroupent de cent à trois cent mille personnes.

La demande de transfert des pouvoirs de l'État, plusieurs fois formulée, a toujours été écartée par le Gouvernement et par le Parlement, notamment lors de toutes les réformes législatives du statut de la capitale, y compris les plus récentes (1964, 1975, 1982 et 1986). Cela a été le cas également, sous la précédente législature, lors de l'examen du projet de loi d'orientation et de programmation sur la sécurité, puisque l'Assemblée nationale a alors rejeté, le 6 octobre 1994, un amendement visant à abroger l'arrêté du 12 Messidor en VIII (1er juillet 1800). Le 25 novembre 1996, M. Jean-Louis Debré, alors ministre de l'Intérieur, s'est exprimé, devant les membres du conseil de Paris, en sa qualité d'adjoint au maire de Paris, pour faire état de son opposition à toute remise en cause des pouvoirs de l'État dans la capitale. Tout récemment, à l'occasion de l'examen du projet de loi relatif aux polices municipales, l'Assemblée nationale a de nouveau rejeté, en première lecture, le 28 avril 1998, et en deuxième lecture, le 28 janvier 1999, plusieurs amendements qui avaient pour objet de transférer les pouvoirs de police au maire de Paris.

Une remise en cause de l'autorité de commandement dans la capitale serait porteuse de risques graves pour le bon fonctionnement des institutions. Elle se traduirait, dans Paris, par une diminution de l'efficacité opérationnelle et par la création à terme d'une police municipale, puisque la loi ne saurait, en effet, interdire, au maire de Paris de recruter les personnels dont il estimerait avoir besoin pour mettre en oeuvre ses ambitions dans les domaines de la circulation et du stationnement qui lui aurait été concédés.

Ma réponse pour Paris diffère de celle que je ferais pour la province. En province, j'admettrais volontiers que des polices municipales puissent exister. J'ai été moi-même préfet de l'Aube, de l'Oise et de la région Auvergne ; et j'ai vu fonctionner ces polices. Elles agissent dans le cadre précis que leur fixe la loi et selon des conventions passées entre l'État, représenté par les préfets, et les autorités territoriales. Mais, dans la capitale, ma réponse est non.

Est-il imaginable de transférer les pouvoirs de commandement de l'État aux autorités territoriales ? Fonctionnellement, philosophiquement, opérationnellement, je ne crois pas ce transfert souhaitable. Nous avons une «culture à la française», avec des modes de fonctionnement administratif et des hiérarchies qui sont les nôtres, et je ne pense pas qu'il soit envisageable, dans un esprit d'accentuation de la décentralisation, de transférer des responsabilités régaliennes à des autorités municipales, départementales ou régionales, au delà de ce qui est actuellement fait.

Monsieur le Ministre, je vous ai donné avec sincérité mon point de vue sur cette question. Je m'excuse par avance auprès de certains d'entre vous que j'aurais pu choquer par une réponse aussi précise.

M. Philippe Auberger, co-président : Si j'ai bien compris, le seul moyen dont disposent les responsables hiérarchiques pour vérifier les horaires de travail des agents de police et des brigadiers est l'appel dans les commissariats, aux différentes heures de prises de fonction.

Je voudrais savoir quel est le taux d'absentéisme moyen, correspondant chaque jour aux personnes qui ne répondent pas à l'appel alors qu'elles devraient y répondre. Combien y a-t-il d'instances disciplinaires, chaque année, pour non respect des horaires de travail ?

Ma deuxième question porte sur les garages. Tout d'abord, connaissez-vous le coût horaire des garages et savez-vous s'ils ont déjà été comparés aux coûts horaires des garages dans le secteur privé ? Par ailleurs, quels sont véritablement les arguments qui militent en faveur de leur maintien ? Vous les avez esquissés, mais j'avoue que je n'ai pas été très convaincu. Pourrait-on les préciser ? Mai 68, évidemment, est une référence, mais, grâce au ciel, les risques potentiels de ce type ne sont pas suffisamment fréquents pour justifier le maintien des garages.

M. Philippe Massoni : Le directeur de cabinet va répondre sur les aspects de discipline, puisqu'il a lui-même présidé le conseil de discipline en sa qualité de préfet, secrétaire général du SGAP, pendant de nombreux mois.

M. Michel Delpuech : En ce qui concerne l'aspect disciplinaire, il est clair que tout manquement d'un fonctionnaire actif de police, notamment du corps de maîtrise et d'application, à ses obligations de présence (arrivée en retard au service et, a fortiori, absence sans justification) donne lieu à sanction disciplinaire.

Il existe une échelle de sanctions. Le premier manquement, s'il est léger, peut donner lieu à un avertissement ; ensuite on passera au blâme, puis au conseil de discipline. Dans le SGAP de Paris, compétent pour la préfecture de police et les départements de la petite couronne, le conseil de discipline se réunit une fois par semaine en moyenne et examine chaque fois cinq ou six cas, en prenant le temps nécessaire à une procédure contradictoire. De manière générale, cette instance, qui fonctionne de façon paritaire, fait preuve de beaucoup de responsabilité, notamment de la part des représentants syndicaux, pour sanctionner comme il se doit les manquements les plus graves des fonctionnaires actifs à la déontologie et à leurs obligations.

Deux cent cinquante à trois cents dossiers passent devant le conseil de discipline chaque année, et un nombre à peu près équivalent fait l'objet, sans passage en conseil de discipline, d'un blâme ou d'un avertissement.

M. Philippe Massoni : Je ne peux vous donner à l'instant la réponse sur le coût horaire des garages, mais il a été calculé. Je la communiquerai à votre mission.

Je ferai en revanche remarquer que l'obligation de service et d'intervention de jour comme de nuit doit être mise en balance avec le coût horaire et que les véhicules comportent un certain nombre d'aménagements spéciaux qui ne peuvent être livrés à des garages extérieurs, sans que la sécurité du véhicule, d'abord, et des fonctionnaires par la suite n'encoure de risques.

M. Philippe Auberger, co-président : Que voulez-vous dire exactement ? Craignez-vous que si l'on remplace des plaques de freins, elles ne soient pas remplacées correctement dans un garage privé ? Ou pensez-vous aux radios ?

M. Philippe Massoni : Installer une radio munie de toutes les fréquences de la préfecture de police et de la région de Paris, et demain ACROPOL, prend du temps. Transférer un véhicule équipé d'une telle radio vers un garage privé, c'est donner à ce garage la possibilité d'écouter les fréquences de la préfecture de police. Ces fréquences, demain, seront codées, elles ne le sont pas aujourd'hui : dès lors, avec un scanner que l'on trouve pour moins de 2.000 francs, on peut écouter tous les échanges la police à Paris. Il y a là un risque pour la sécurité. Par ailleurs, une permanence dans l'intervention sur les véhicules doit être également assurée.

Comme je vous le disais précédemment, si nous obtenons une dotation financière de 91 millions de francs, nous pouvons, selon un système progressif, remettre sur la voie publique deux cents fonctionnaires de police, actuellement affectés aux garages, pour les employer à des tâches plus classiquement policières. Je n'ai donc pas d'opposition philosophique, ni, sous les réserves que je viens d'exprimer, d'opposition opérationnelle à l'externalisation. Mais il faut dégager les moyens budgétaires qui nous permettent de réaliser ces opérations. Je vous indiquais tout à l'heure que la loi d'orientation et de programmation relative à la sécurité de janvier 1995 nous avait apporté beaucoup d'espérances qui n'ont pas été, pour le moment, concrétisées.

Le Président Augustin Bonrepaux : Avez-vous pris des mesures pour réduire l'absentéisme, évalué aux environs de 50 % dans le rapport de la Cour des comptes, et l'exercice d'activités privées dans les garages de la police ?

M. Michel Delpuech : Avant de répondre à cette question, Monsieur le Président, je voudrais souligner le fait que l'évaluation du coût de l'externalisation de la fonction garage, à 91 millions de francs découle d'un travail de comptabilité analytique à partir du nombre d'heures de travail fournies par les garages. Il est à rapprocher du budget de fonctionnement de la préfecture de police qui est de 350 millions de francs : c'est dire l'importance de l'effort. Il est hors de question de pouvoir le faire à ressources constantes.

A propos des pratiques évoquées par la Cour des comptes, le préfet de police a donné des instructions très fermes, par note adressée à tous les intéressés, afin qu'il soit mis fin aux agissements constatés. Je peux vous affirmer que l'application de ces instructions est régulièrement contrôlée et que, effectivement, ces pratiques n'ont plus cours.

M. Gilbert Gantier : J'ai écouté avec beaucoup d'intérêt les réponses apportées par M. le préfet et M. le directeur de cabinet aux questions fondamentales posées sur la sécurité et d'autres problèmes tout à fait essentiels.

Toutefois, je voudrais rappeler à M. le préfet que l'élu de Paris que je suis, depuis bientôt trente ans, reçoit énormément de courriers sur des problèmes d'assez triviaux, mais qui ont leur importance, telle que la prostitution. Dans certains quartiers de Paris, une prostitution importante fait l'objet d'un grand nombre de plaintes. Je me permets d'ailleurs de vous en transmettre souvent et je reçois une lettre type que je retransmets aux personnes qui m'ont écrit. Un autre problème, trivial également mais qui a son importance, concerne la propreté de Paris. La loi en vigueur permettrait, dans certains cas, d'infliger des amendes, mais elle n'est jamais appliquée. Je reçois des lettres très nombreuses à ce propos.

S'agissant de la circulation, il a été envisagé d'aménager la place de la Concorde de façon plus piétonnière. Je me demande, personnellement, comment cela est possible étant donné le nombre de voitures qui y transitent. Je ferai la même observation pour la place de l'Etoile. Il me semble que, dans ces noeuds de circulation, on ne peut trouver de solutions. Près de la place de la Concorde, il a été possible de construire un souterrain en bordure de la Seine, mais on ne peut le faire ailleurs en raison du métro. Avez-vous une réponse à ce sujet ?

Le Président Augustin Bonrepaux : Monsieur le Préfet, veuillez répondre rapidement. Notre mission a pour objet l'évaluation de l'efficacité des crédits, je le rappelle à mes collègues.

M. Philippe Massoni : Sur la prostitution, nous appliquons les textes législatifs et réglementaires. Nous ne pouvons pas contrôler la prostitution, mais nous contrôlons et réprimons le proxénétisme. Par conséquent, nous ne sommes en mesure que de constater des délits d'exhibition sexuelle (NB : nouveau nom d'outrages publics à la pudeur) ou des attentats à la pudeur : nous n'avons pas de moyens d'intervenir, sinon en tentant de «fluidifier» les choses.

La propreté de Paris est l'une de nos préoccupations, à Monsieur le Maire de Paris et à moi-même, chacun dans son domaine de responsabilités. Il faut rendre hommage à la Ville dont le service de la propreté est d'une valeur exceptionnelle et est admiré et visité par les responsables du monde entier.

Nous avons des efforts en commun à faire, en particulier, comme nous en débattions récemment au conseil de Paris, dans le domaine des déjections canines.

La circulation dans Paris est ce qu'elle est. Elle s'améliore un peu au fil des années. La place de la Concorde est l'un des trois axes majeurs de croisement des flux de circulation dans la capitale. Il faut certainement faire quelque chose pour redonner à cette place le lustre qu'elle a perdu au fil des années. Il faut aller dans le sens que souhaitent les Parisiens et les élus de la capitale, mais il faut le faire, et nous en sommes convenus avec M. le maire de Paris, d'une manière raisonnée, mesurée, étudiée, en conduisant en amont des études en commun et, éventuellement, des modélisations qui nous permettront de prendre la meilleure décision possible.

Mme Nicole Bricq : Je souhaiterais faire un petit constat : il y a plusieurs méthodes pour ne pas répondre aux questions posées. Ce n'est pas forcément parce que l'on ne veut pas répondre à la question, mais parce qu'on n'a pas la réponse. Il me semble plus honnête de dire que l'on ne sait pas plutôt que d'essayer soit de se réfugier dans un discours général, soit dans un discours statistique, car on sait que les statistiques ne sont comprises, et encore, que par ceux qui les font !

Je voudrais revenir sur deux choses importantes que vous avez dites. Tout d'abord, vous avez indiqué que 60 % des effectifs étaient « dans la rue ». Je voudrais que vous précisiez cette notion. Par ailleurs, êtes-vous en mesure à ce jour, avant la réforme dont vous nous avez parlé et dont je ne doute pas qu'elle produise des effets positifs, de croiser ces chiffres avec le concept de police de proximité ? Je voudrais savoir ce que vous mettez « dans la rue » : y comptez-vous les effectifs en planque dans les voitures, ceux qui font de la garde statique devant les immeubles...? Car c'est ce concept de police de proximité que nous attendons tous de voir traduit sur le terrain. Ma question est d'ailleurs valable non seulement pour Paris, mais également pour tout autre département de France. Etes-vous en mesure, statistiquement et, pour le coût, quantitativement, de nous dire comment ce concept se décline en véritables effectifs de proximité ?

M. Philippe Massoni : L'ensemble des effectifs présents dans la rue à une heure donnée comprennent les compagnies d'arrondissement, les îlotiers, les policiers auxiliaires, les compagnies d'intervention, les brigades d'intervention de voie publique (c'est-à-dire la police en civil dépendant d'une direction en uniforme mais exerçant, dans la majeure partie des cas, sa mission en civil de manière à faire un petit renseignement de voie publique), les brigades anti-criminalité d'arrondissement, les brigades anti-criminalité de district, la brigade anti-criminalité de nuit, le service de protection et de sécurité du métro, les compagnies de circulation, les compagnies de motocyclistes, la compagnie de garde et des services, la compagnie de l'hôtel préfectoral et la compagnie du dépôt. Selon les prescriptions de la direction de la sécurité publique, le taux de présence obligatoire, pour l'ensemble de ces formations, est de 70 % des effectifs réels.

Par exemple, sur les 1.500 fonctionnaires de la police en uniforme qui prennent leurs fonctions à 6 h 30, 60 % d'entre eux sont dans la rue à un moment donné. Je précise immédiatement qu'ils ne sont pas dans la rue tous en même temps. Tout d'abord, ils ont des missions diverses qui font que, parfois, on ne les voit pas. Si on les voit aux côtés des élèves quand ils assurent un point d'école, au contraire, on ne les observe peut-être pas précisément quand ils assurent une garde statique. D'autre part, dans le cadre normal de leurs missions, ils ont parfois à retourner au poste de police, puisque les règles de la procédure écrite française les conduisent à établir des documents administratifs ou judiciaires, rapports ou procédures.

J'espère que ma réponse est suffisamment précise. J'examinerai de façon plus attentive votre question et j'apporterai une réponse par écrit au président de votre commission, afin que celle-ci vous soit communiquée.

Mme Nicole Bricq : Il faut d'abord se mettre d'accord sur ce que l'on appelle police de proximité. Vous me faites une description de tous les effectifs qui ne sont pas au commissariat. Par déduction, 60 % des effectifs sont dans la rue parce qu'ils ne sont pas dans les commissariats... Ils sont ailleurs.

M. Philippe Massoni : Il faut aussi prendre en compte l'idée que les forces de police, à Paris et en province, travaillent 365 jours par an, le samedi, le dimanche, les jours fériés, dans la journée et dans la nuit. Elles ne peuvent donc pas être présentes toutes au même moment, quand on souhaiterait les voir sur le terrain. Elles sont réparties en fonction des jours de la semaine et des horaires. On dit effectivement qu'il y a beaucoup d'effectifs, mais qu'on ne les voit pas beaucoup. C'est tout simplement parce qu'il faut étaler cette présence sur 365 jours par an et, contrairement à ce qui se passe dans les activités administratives et commerciales, tenir compte du travail le samedi, le dimanche et la nuit.

M. Marc Laffineur : Combien d'heures les policiers travaillent-ils ?

M. Michel Delpuech : Le régime horaire hebdomadaire à Paris est établi sur une base de 40 heures 30.

M. Marc Laffineur : Je parle des heures effectives.

M. Michel Delpuech : Il y a en réalité des régimes différents selon les unités, avec des modes de compensation d'un certain nombre de phénomènes de pénibilité, notamment pour les compagnies de circulation, exposées durant toute la durée de leur vacation sur la voie publique, à la pollution et au flux de véhicules. Nous avons des éléments plus précis sur les horaires que nous pouvons vous remettre.

M. Jean-Jacques Jegou : Monsieur le préfet, tout à l'heure, vous ne m'avez pas réellement répondu ; je complète ici les propos de Mme Nicole Bricq. Vous avez dit que sur un effectif global de 1.152 fonctionnaires, 65 % étaient présents, dont 60 % sur la voie publique : de 1.152, on passe à 470. Et vous dites que les 470 ne sont pas tous à un moment donné dans les rues de Paris. Cela signifie qu'il y a le moins de policiers au moment où se passe le plus de choses. Cela pose quand même problème.

M. Philippe Massoni : Dans la vacation de 6 h 30, le chiffre de 1.499 policiers est celui des policiers effectivement présents. On peut estimer que deux tiers sont présents dans la rue, avec les modalités d'application pratiques que j'évoquais tout à l'heure, et un tiers aux postes de commandement pour assurer leurs missions, ou en rédaction de rapports, de procès-verbaux, ou en pause réglementaire.

M. Michel Delpuech : La réforme à venir de la préfecture de police se traduira par une répartition des effectifs des différentes unités entre, d'un côté, la direction de l'ordre public et de la circulation, et de l'autre, la direction de la police urbaine de proximité. Sur les 1.499 présents évoqués tout à l'heure, environ un millier relèvera de la police urbaine de proximité et cinq cents de la direction de l'ordre public et de la circulation (compagnies motocyclistes, compagnies de circulation, compagnies d'intervention...)

M. Philippe Massoni : Je voudrais revenir sur la question de Mme Nicole Bricq. Nous avons effectivement constaté, comme vous, que beaucoup d'effectifs étaient utilisés à des tâches qui ne concernaient pas la police de proximité, au sens où la conçoivent les citoyens. Tous les effectifs de la préfecture de police, quelque seize à dix-sept mille fonctionnaires, sont aujourd'hui placés sous une autorité unique de commandement, le directeur de la sécurité publique. Par ailleurs, la prééminence était, comme toujours à la préfecture de police et comme toujours dans les capitales, donnée à la police d'ordre public, c'est-à-dire au contrôle des manifestations et à la gestion des mouvements revendicatifs sur la voie publique. En troisième lieu, l'ordre public étant prioritaire dans l'esprit de la direction de la sécurité publique et de la préfecture de police, au fil des années, on puisait à l'envi dans les effectifs du service général et les effectifs des arrondissements afin de constituer des services d'ordre riches, lourds et sûrs. Nous avons procédé, à la demande du ministre de l'Intérieur, à une évolution structurelle qui permet, conceptuellement, de distinguer la police d'ordre, en y rattachant la circulation, de la police urbaine de proximité, chacune de ces deux missions étant placées sous l'autorité d'un directeur, lui-même sous le commandement du préfet de police.

La réforme va se traduire dans les faits par la mise à la disposition, réalisée du 18 avril au 3 mai environ, de la police urbaine de proximité, sous l'autorité de son directeur et du préfet de police, de quelque douze mille fonctionnaires en tenue, portant à l'épaule, un écusson « police urbaine de proximité » et par la mise à la disposition du directeur de l'ordre public et de la circulation de cinq mille deux cents fonctionnaires qui porteront, à l'épaule, un écusson « ordre public et circulation ». Le public verra ainsi d'une manière concrète et visible à qui il a affaire. Certes, il est tout à fait évident que les fonctionnaires relevant de l'ordre public pourront également, par leur présence dans la rue, assumer en tant que de besoin des tâches de police de proximité. Par exemple, avec un ouvrage répertoriant les rues de Paris, un policier pourra renseigner les passants. Cette tâche mineure de police de proximité pourra être assumée par un fonctionnaire de l'ordre public et de la circulation.

Nous avons la volonté de progresser. La restructuration permet de rééquilibrer les missions en rééquilibrant les autorités de commandement. Il n'y aura plus une seule autorité, qui prélève à l'envi sur les effectifs du service général des missions destinées à l'ordre public, mais deux qui, sous l'autorité du préfet de police, en remontant si nécessaire à son arbitrage, réaliseront, nous l'espérons, la police de proximité à laquelle aspirent les Parisiens. L'évolution des structures sera bien évidemment complétée, dans un certain délai, par une amélioration de l'accueil, par un développement de l'îlotage et par un traitement judiciaire en temps réel : quel que soit le commissariat où l'on se présentera, on sera accueilli, la plainte sera prise et les affaires judiciaires initiées.

Mme Nicole Bricq : Ferez-vous cette réforme à budget constant ?

M. Philippe Massoni : Nous la ferons à budget constant avec des appuis particuliers. Par exemple, une enveloppe de 65 millions de francs nous a été accordée spécialement par le ministère de l'Intérieur pour l'immobilier et les transmissions. Il faut mesurer l'ampleur de cette réforme : nous allons réaliser un redéploiement des effectifs de la préfecture de police qui, en dix ans, ont diminué de quelque mille sept cents fonctionnaires de police en uniforme.

Le Président Augustin Bonrepaux : Vous avez dit que les horaires de travail étaient de 40 heures, mais l'évaluation de la présence effective par la Cour des comptes est de 27 heures ce qui est, je crois, beaucoup plus proche de la réalité. Vous ne le démentez pas ?

M. Philippe Massoni : Sur ce point, Monsieur le président, nous allons vous faire une réponse écrite, si vous le voulez bien. Nous allons noter la question et vous répondre d'une manière précise et particulière. En attendant, je peux vous remettre ce petit dossier.

Le Président Augustin Bonrepaux : Vous pouvez nous le remettre. Les rapporteurs l'étudieront. Nous attendons toutes les réponses complémentaires que vous pourrez nous faire parvenir. Je vous remercie.

M. Philippe Massoni : Merci, Monsieur le Président.

4.- AUDITION DE M. PIERRE GUINOT-DELERY, PRÉFET DÉLÉGUÉ POUR LA SÉCURITÉ ET LA DÉFENSE DE LA RÉGION RHÔNE-ALPES

(Extrait du procès-verbal de la séance du jeudi 25 mars 1999)

Présidence de M. Augustin Bonrepaux, Président

A l'invitation du Président, M. Pierre Guinot-Delery est introduit. Le Président lui rappelle les règles définies par la mission pour la conduite des auditions : pas d'exposé introductif, échange rapide des questions et des réponses. Il donne ensuite la parole, pour une première question, à M. Louis Mermaz, rapporteur pour avis des crédits de la police.

M. Louis Mermaz, rapporteur pour avis des crédits de la police : Monsieur le préfet, je vous poserai deux questions. Quels sont les moyens dont vous disposez pour la police de proximité, plus précisément pour l'îlotage, à la fois à Lyon et dans sa banlieue ? Quel est le rapport entre le nombre de policiers professionnels affectés à ces tâches et les ADS ? En effet, comme à Paris, nous constatons une tendance à voir les policiers professionnels s'effacer au bénéfice des ADS.

Par ailleurs, de combien de compagnies de CRS disposez-vous et à quoi les affectez-vous ? Personnellement, je pense qu'elles sont plus efficaces dans des tâches d'interception sur les routes que dans les quartiers. Quelle est votre expérience ? Comme le disait récemment le directeur de cabinet du ministre de l'Intérieur, lorsque les CRS sont envoyés dans les quartiers à titre préventif, l'effet est généralement assez désastreux, car ils ne sont pas adaptés à ces missions. N'avez-vous pas trop de CRS et qu'en faites-vous ? Vous vous doutez bien que nous posons cette question à d'autres hauts fonctionnaires.

M. Pierre Guinot-Delery : Pour répondre à votre première question sur l'îlotage, dans la circonscription de police de Lyon, c'est-à-dire la ville de Lyon plus un certain nombre de communes périphériques, le tout représentant 900 000 habitants, nous comptions, à la fin du mois de février, environ 290 îlotiers, dont 125 ADS, donc pas tout à fait la moitié.

Pour répondre à votre seconde question, nous bénéficions, depuis un an, de façon quasi-permanente dans la circonscription de police de Lyon, de deux compagnies de CRS. Il arrive qu'en raison d'événements extérieurs, l'une ou l'autre soit absente mais, globalement, elles sont disponibles à 95 % du temps. Elles sont d'abord affectées à ce que l'on appelle les missions de sécurisation, c'est-à-dire qu'elles circulent par patrouille d'en général trois fonctionnaires, dans le centre ville de Lyon. En effet, la tendance ces dernières années a été plutôt à un déplacement de la délinquance vers le centre ville, notamment les zones très commerçantes de la presqu'île lyonnaise.

Par ailleurs, des sections, c'est-à-dire des groupes de quinze à vingt fonctionnaires, sont également utilisées chaque semaine dans tel ou tel quartier sensible de la périphérie, entre midi et 23 heures.

Je vous avoue que je ne partage pas tout à fait votre sentiment sur leur efficacité. En l'occurrence, l'atout de ces deux unités est, d'abord, leur visibilité. En effet, que ce soit de la part des élus, des commerçants ou d'autres représentants du monde socio-économique, j'entends une forte demande de visibilité des forces de police sur le terrain. Or, l'utilisation de ces sections représente un apport d'une bonne cinquantaine de fonctionnaires de police supplémentaires présents dans la rue en plus des effectifs normaux de la circonscription, notamment dans les secteurs particulièrement sensibles.

Par ailleurs, les compagnies de CRS ont un effet dissuasif non négligeable. Les avis peuvent être partagés sur cet aspect, mais il ressort d'échanges avec les commissaires de police et les fonctionnaires de terrain, que les CRS, ne serait-ce que parce qu'ils travaillent en tenue dite de maintien de l'ordre qui se distingue de celle des fonctionnaires de police ordinaires, restent relativement craints par les plus jeunes, du moins les moins aguerris dans la délinquance.

Nous aurions donc plutôt tendance à nous féliciter de pouvoir disposer de ces deux unités de CRS en permanence. Il me semble qu'elles ont joué un rôle assez efficace de dissuasion dans des périodes plus tendues, notamment en fin d'année où il y a un grand afflux de population au centre ville, mais aussi dans certains quartiers dans d'autres périodes également difficiles.

M. Louis Mermaz, rapporteur pour avis : Je vous remercie, monsieur le préfet, de la précision de vos réponses. 125 ADS sur 290 îlotiers : la proportion des ADS est considérable. Mais vous n'y pouvez rien, vous faites avec ce que vous avez. Les deux questions que je posais sont liées. Un grand nombre de maires ont mentionné que, pour éviter d'en être réduit à faire venir des CRS en sécurisation, il faut pouvoir mettre le maximum sur l'îlotage. Le gouvernement ne cesse, d'ailleurs, de tenir des colloques et des conférences à ce sujet.

Le fait que des CRS circulent dans les rues commerçantes de Lyon ne pose pas de problème. Par contre, il n'en va pas de même pour ceux qui circulent dans les cités : ne serait-ce que par l'uniforme et surtout par le fait qu'ils ne sont là que par moments, lorsqu'on pressent un risque particulier. Je les ai observé dans ma propre ville de Vienne : lorsque les CRS sont repartis, les jeunes ont repris leurs aises. Par trois fois, nous avons fait appel aux CRS pour des missions de sécurisation. Soyez certain que dès leur départ, il a fallu ressortir peinture et pinceaux en raison des tagages. L'appréciation est donc diverse.

Je persiste à penser que, plutôt d'en être réduit à utiliser les CRS à des missions de sécurisation, il serait préférable de disposer d'une véritable police de proximité préventive. Ce sont des policiers qu'il faudra tout particulièrement former. Il faut qu'ils soient respectés, qu'ils aient de l'autorité et qu'ils ne soient pas agressifs vis-à-vis des jeunes.

M. Pierre  Guinot-Delery : Il est vrai qu'on envoie les CRS dans les quartiers quand on sent monter une tension ou lors d'incidents particuliers, mais ce n'est pas dans cette seule perspective. On connaît à l'intérieur de chaque commune de la circonscription de police des secteurs réputés difficiles depuis longtemps. J'ai employé le terme « dissuasif », mais je pourrais aussi employer celui de « préventif », car cela fait partie aussi de leur mission.

Par ailleurs, la population délinquante, y compris jeune, n'est pas homogène dans sa réaction vis-à-vis de l'uniforme. La situation lyonnaise, en matière de délinquance, est celle de toute agglomération importante mais se caractérise aussi, en dehors de tensions larvées permanentes dans certains secteurs, par des phénomènes de violence spectaculaires (par exemple casse à la voiture-bélier dans une artère très commerçante du centre-ville un samedi matin à 11 heures au mois de décembre). Il nous faut donc être en capacité d'apporter une réponse adaptée à chaque cas de figure. Lors de son audition la semaine dernière, la commissaire de Vaulx-en-Velin vous a sans doute expliqué qu'elle avait finalement créé une unité à mi-chemin entre l'îlotage traditionnel et l'utilisation qu'on peut faire des CRS. Cette unité, qu'elle appelle « unité de jour » et qui n'est pas constituée de CRS, est habillée en tenue de maintien de l'ordre. Même si cette remarque renvoie à des débats qui dépassent en partie mes compétences, si l'on souhaite insister sur la nécessité du rappel à la loi et du respect de l'autorité, j'aurais plutôt tendance à considérer que les CRS ou toute unité de police ayant une apparence laissant à penser qu'elle a un entraînement, une formation, des moyens d'action peut-être un peu plus renforcés que ceux de la police habituelle, ont leur utilité, mais évidemment en complément du reste.

Il ne s'agit, en aucune manière, de conférer à ces unités des missions qui auraient un caractère agressif. Nous avons une palette de délinquants d'âges, de comportements, de psychologies extrêmement variables. Il est donc nécessaire d'avoir également, y compris dans le cadre d'une politique de proximité dont la sécurisation fait partie, une palette d'unités de police relativement diversifiée.

M. Tony Dreyfus, rapporteur spécial des crédits de la police : La Cour des comptes a mis en évidence le système de la prime de fidélisation dans la police de Paris, accordées à tous, y compris à ceux détachés dans des tâches non directement policières. Dans votre ressort, en est-il de même ?

M. Pierre  Guinot-Delery : Le système de la prime de fidélisation est identique. Elle est accordée au bout de cinq ans de présence aux fonctionnaires qui sont dans la circonscription de Lyon. De ce point de vue, je ferai deux remarques. Lorsqu'un policier venant de la région parisienne est affecté à Lyon, il doit y passer cinq ans avant de percevoir à nouveau la prime de fidélisation. Cela peut être un handicap et cela peut, à la limite, expliquer pourquoi Lyon a la caractéristique d'être, pour beaucoup de personnels de police, un lieu de passage. En effet, on connaît bien la grande tendance à redescendre du nord vers le sud : de ce point de vue, Lyon, dont le potentiel d'accueil est important, joue en partie le rôle de zone d'attente avant l'affectation souhaitée ailleurs.

L'on pourrait imaginer une déconcentration, au niveau du directeur départemental de la sécurité publique ou du préfet, qui permettrait de mieux cibler, à l'intérieur d'une même circonscription de police, les zones réellement difficiles. Même dans une agglomération où la délinquance est globalement relativement importante, il est très facile d'identifier dans la douzaine de quartiers ou de secteurs où le travail de police est vraiment difficile.

M. Tony Dreyfus, rapporteur spécial : A propos de la réforme des cycles de travail, il avait été prévu de récupérer 90 heures annuelles par agent. Cet objectif est-il en phase d'être atteint ?

M. Pierre  Guinot-Delery : Vous me pardonnerez mais, sur ce point, je n'ai pas de chiffres suffisamment précis.

M. Louis Mermaz, rapporteur pour avis : Votre région comprend plusieurs départements (l'Ain, le Rhône, la Loire, l'Isère...). Comment se fait la coordination entre les divers services de police de ces départements et la gendarmerie ? Quel est votre rôle dans cette coordination, car vous couvrez Lyon, le Rhône et le sud-est ?

M. Pierre  Guinot-Delery : Ma responsabilité en matière de sécurité s'arrête au département du Rhône. Pour le reste, qu'il s'agisse de la zone de défense ou du SGAP, ma responsabilité est un peu différente.

La coordination police-gendarmerie se fait sous mon autorité : toutes les semaines, je tiens une réunion dite «de police», à laquelle participe le colonel commandant le groupement de gendarmerie. Chacun entend les préoccupations de l'autre et quand des événements, ce qui est fréquent, se produisent sur des zones frontières, il y a des possibilités d'harmonisation des mesures prises.

Il existe un exemple relativement récent : nous avons eu, dans le courant de l'année 1998, quelques soucis liés à des manifestations autour du conseil régional Rhône-Alpes, qui est en zone de gendarmerie ; les manifestants, se rassemblaient dans le centre de Lyon et, ensuite, se dirigeaient vers l'assemblée régionale. Ce sont des choses qui se règlent parfaitement au quotidien sans grande difficulté.

En revanche, au niveau interdépartemental, c'est un peu plus difficile. Dans un région traversée par de nombreux axes de communication très faciles, la délinquance lyonnaise a tendance à « s'exporter » relativement loin. Certaines équipées peuvent aller jusqu'à Mulhouse ou Dijon, en l'espace d'une seule nuit. Si on arrive à les suivre, de façon relativement fiable, à travers les zones de gendarmerie, les zones autoroutières contrôlées par les CRS ou en zones de police, cela ne signifie pas que l'on puisse toujours les intercepter.

C'est un sujet où nous avons sans doute des progrès à faire. Dès lors qu'il y a un maillage de contrats locaux de sécurité dans tout le secteur, l'idée pourrait être, dans ce cadre, d'essayer de repérer, de façon plus précise, les flux de la délinquance ; cependant, il me semble un peu tôt pour le faire.

Pour en revenir à votre question initiale, la coordination police-gendarmerie, au quotidien, se déroule de façon très satisfaisante et le fait que l'autorité préfectorale joue un rôle prééminent à cet égard n'est sans doute pas étranger à ce constat.

M. Jean-Jacques Jegou : Je voudrais revenir sur un certain nombre de mystères portant sur les horaires de travail des policiers, mystères qui restent bien présents dans l'esprit des membres de la mission. Que me répondez-vous si je vous demande l'horaire hebdomadaire des policiers ? Allez-vous me répondre comme tout le monde 40,3 heures ou 27 heures comme le dit la Cour des comptes, ou bien encore citerez-vous un chiffre intermédiaire en fonction des différents régimes puisqu'il y en a un grand nombre ? Comme on nous dit que la police est sous-administrée, on se demande alors comment tout cela peut être géré et on a du mal à s'y retrouver. On en vient à se demander si les policiers ne sont pas totalement libres pour apprécier l'intérêt de venir au travail ? Lors de nos auditions, nous avons entendu des propos différents et nous avons pu faire des rapprochements dans nos circonscriptions. Quand on dit qu'il faut cinq ou six policiers pour avoir un policier dans la rue, j'ai l'impression que ce serait plutôt dix policiers en effectif théorique pour un policier dans la rue.

Par ailleurs, le rapporteur spécial a parlé de la prime de fidélisation. S'agissant des primes de sujétion, sont-elles identiques pour tous, que les policiers soient dans la rue, en mission difficile ou en îlotage dans des quartiers sensibles ou au contraire effectuent des horaires et des tâches de bureau ou des travaux de réparation dans les garages ?

M. Pierre  Guinot-Delery : Sur les horaires, pour les fonctionnaires qui travaillent en roulement, avec ce système de quatre-deux, le chiffre auquel j'arrive est d'environ 39 heures pour ceux qui travaillent essentiellement de jour et d'environ 36 heures pour ceux qui travaillent de nuit. Je vous avouerai franchement que lorsque j'ai pris mes fonctions, je ne connaissais pas particulièrement le système policier et j'avais du mal à recouper les différents éléments.

En réalité, la difficulté vient du fait que l'on raisonne sur des cycles de six jours, ce qui impose de prendre en compte les 61 cycles que compte l'année. Si vous multipliez les 61 cycles de six jours par 33 heures de travail par cycle et que vous redivisez par 52 semaines, vous parvenez bien aux environs de 39 heures pour les personnels de jour et de 36 heures pour les personnels de nuit.

Dans les quatre circonscriptions de police du Rhône, je n'ai aucune raison de penser que les fonctionnaires de police seraient spectaculairement en dessous de ce volume horaire et qu'ils puissent, à leur convenance, ne pas satisfaire à leurs observations horaires.

M. Louis Mermaz, rapporteur pour avis : Les récupérations posent partout un problème : le policier qui récupère est chez lui. Donc, en réalité, quelle proportion de policiers avez-vous sur la voie publique, le jour, la nuit, etc., en sécurisation ?

M. Pierre  Guinot-Delery : Dans l'agglomération lyonnaise, on dénombre sur la voie publique, en dehors des CRS, environ 360 policiers actifs de la police nationale sur les principales plages horaires de la journée. Sur les plages nocturnes, on oscille entre 130 et 160. Cela étant, même si l'approche en termes de policiers sur le terrain est évidemment incontournable, elle me semble un peu réductrice par rapport à ce que sont, d'une façon générale, les missions de la police et ce que doit être aujourd'hui la lutte contre la délinquance : celle-ci, à mon sens, ne repose pas uniquement sur les fonctionnaires qui sont sur le terrain.

M. Jean-Jacques Jegou : Quel est le ratio ?

M. Pierre  Guinot-Delery : Les personnels actifs sur l'agglomération lyonnaise sont 2 400 ; le ratio doit se situer aux alentours de 15 %.

M. Didier Migaud, rapporteur général : Vous n'avez pas tout à fait répondu quant aux problèmes des horaires. Que représentent les 39 heures que vous évoquiez par rapport aux 40,3 heures et aux « entre 25 et 28 heures » que l'on peut lire ici ou là ? Pourriez-vous nous apporter des précisions ?

M. Pierre  Guinot-Delery : Le chiffre de 39 ou 36 heures auquel j'arrive résulte du calcul que je vous ai décrit tout à l'heure, prenant en compte les 61 cycles et non les 52 semaines.

M. Jean-Jacques Jegou : Oui, mais les 39 heures sont théoriques.

Le Président Augustin Bonrepaux : Sur les 39 heures, combien y a-t-il de récupération ?

M. Pierre  Guinot-Delery : On ne peut pas donner sur ce point une réponse homogène et raisonner en moyenne. Les récupérations tiennent à des horaires particuliers de travail, soit la nuit, soit les jours fériés. De plus, quand des fonctionnaires font des heures supplémentaires ou quand ils font l'objet de rappels en service, effectuent, à ce moment-là, des tâches qui sont effectivement des tâches de police, que ce soit pour des services d'ordre ou des manifestations particulières, etc. Il faudrait presque rentrer dans un décompte individuel car il n'y a pas de règle générale. Il est vrai qu'en fonction des deux coefficients de récupération qui existent - 0,1 ou 0,4 - selon la période du jour pendant laquelle a eu lieu la récupération, on va aboutir probablement, en termes de travail réel, sensiblement en-dessous des chiffres que j'indiquais.

Il me parait très difficile de faire une moyenne pour les 2.400 policiers actifs sur la circonscription de police de Lyon. Dans certaines unités, les rappels sont plus fréquents que dans d'autres, notamment dans les compagnies départementales d'intervention. L'amplitude assez large qui apparaîtra probablement n'est pas forcément significative. C'est pourquoi j'ai préféré dire que le socle du volume horaire est proche de la durée légale du travail.

M. Jean-Jacques Jegou : Qu'en est-il des primes de sujétion ?

M. Pierre  Guinot-Delery : Il n'y a pas uniquement la prime de sujétion, mais également la prime de fidélisation et la nouvelle bonification indiciaire (NBI). Je vous accorde volontiers que la prime de sujétion est probablement la moins discriminatoire. Mais ce n'est pas le cas de la NBI.

M. Jean-Jacques Jegou : Ce qui signifie que tout le monde la perçoit, quelle que soit l'activité...

M. Pierre Guinet-Delery : Oui.

M. Francis Delattre : J'aurais trois questions. Vous avez dit que la région lyonnaise est un lieu de passage pour les fonctionnaires de police. Or, pour essayer de remédier à cet état de fait, en région parisienne comme dans les grandes agglomérations, il avait été imaginé il y a deux ou trois ans de mettre en place des recrutements par concours régionaux. Cela a-t-il été mis en place dans votre région ou bien les policiers qui sortent des écoles proviennent-ils toujours de toute la France ?

L'un des moyens d'éviter le nomadisme, c'est par ailleurs d'avoir une politique de logement adaptée aux fonctionnaires de police. De combien de logements disposez-vous par an ? Quelle est votre politique en ce domaine ? Le non-respect de l'obligation de résidence, notamment en raison des loyers, entraînent des dysfonctionnements : parce qu'ils habitent à cent kilomètre, parfois même plus loin les fonctionnaires de police concentrent leurs heures de travail sur seulement deux ou trois jours. Que faites-vous pour éviter ces écueils ?

Enfin, vous disposez, dans la région lyonnaise, du système ACROPOL. Comment a-t-il été accepté par les fonctionnaires de police ? Donne-t-il toute satisfaction et est-il rentré dans les méthodes de travail courantes ?

M. Pierre  Guinot-Delery : Il n'y a pas de concours régionalisés en Rhône-Alpes. Les deux voies pour arriver en Rhône-Alpes sont donc, soit l'affectation sur un poste ouvert à la sortie de l'école, soit les mouvements de mutation nationaux.

Pour le logement des fonctionnaires de police, nous avons commencé au cours des deux dernières années à développer une offre de logements. D'abord, nous avons réalisé avec des offices HLM des opérations immobilières sur des immeubles où une quarantaine ou cinquantaine de logements sont réservés en priorité à des fonctionnaires de police, notamment à ceux arrivant sur l'agglomération lyonnaise et souhaitant accéder plus facilement à un logement. Ensuite, nous avons élaboré, une convention - pas encore totalement en application - avec la confédération des administrateurs de biens, en raisonnant cette fois sur l'ensemble du parc immobilier locatif disponible dans Lyon et sa région, prévoyant, de la part des gestionnaires de biens, une offre de logements locatifs qui corresponde à nos besoins en taille, en localisation et en loyer...

M. Francis Delattre : Le loyer est-il ou non garanti ?

M. Pierre  Guinot-Delery : Oui, parce que ce dispositif bénéficie d'une subvention de la part du ministère. Cela étant, je suis obligé de constater, à ma grande surprise d'ailleurs, que nous avons connu quelques difficultés pour remplir le dernier immeuble offert à la location à la rentrée 1998. En définitive, pour arriver à remplir les logements offerts et éviter que le système ne soit pénalisant pour l'État, nous les avons ouverts non seulement aux titulaires, mais également aux ADS. Comme vous le voyez, les fonctionnaires de police ne se précipitaient pas vers ces logements.

ACROPOL est effectivement un système maintenant bien en place, qui présente l'immense avantage de ne plus pouvoir être, du moins pour l'instant, écouté par des personnes extérieures à la police. Il est vrai que nous avons encore quelques petites difficultés techniques, mais je pense qu'elles se résoudront : par exemple, quand des policiers sont en patrouille dans le métro lyonnais, le système ACROPOL ne passe pas. Mais globalement, cela a été incontestablement ressenti comme un progrès réel.

M. Didier Migaud, rapporteur général : Dans son rapport sur la police parisienne, la Cour des comptes a fait le constat qu'il n'y avait pas de gestion, à proprement parler, de la police en tant que telle. Elle a notamment souligné, dans la gestion des moyens logistiques et scientifiques, un grand nombre de carences, telles que le manque d'inventaire des matériels et plus particulièrement des armes.

Tout à l'heure, le préfet de police de Paris nous a indiqué que, depuis son arrivée, il avait tenu compte des observations de la Cour des comptes et que, désormais, il avait donné des instructions pour que la hiérarchie connaisse parfaitement l'inventaire des matériels, notamment des armes. Qu'en est-il à Lyon ?

M. Pierre  Guinot-Delery : Nous n'avons pas reçu la visite de la Cour des comptes. En revanche, lorsque l'inspection générale de l'administration du ministère de l'Intérieur est venue, à l'automne dernier, examiner les budgets et les moyens de la direction de la sécurité publique du Rhône, ce point n'a pas été soulevé. Toutefois, ce sont des choses auxquelles on peut facilement remédier et qui s'expliquent assez facilement. Notre gestion budgétaire est, dans une large mesure, avant tout une gestion purement comptable, sans véritable stratégie budgétaire. C'est ce qu'a relevé l'inspection générale de l'administration et cette critique est justifiée. Elle est peut-être liée au fait que les hauts fonctionnaires de la police qui, dans une circonscription comme celle de Lyon, ont en charge la gestion matérielle, budgétaire, mobilière et immobilière de leurs services, n'ont peut-être pas eu, surtout s'ils arrivent en fin de carrière, la sensibilisation ou la formation appropriée en matière de gestion prévisionnelle. En tout état de cause, dans le suivi des matériels et des moyens, à Lyon, il n'y a pas d'anomalies.

M. Jean-Jacques Jegou : Avez-vous un inventaire ?

M. Pierre  Guinot-Delery : Oui.

M. Philippe Auberger, co-président : Le besoin d'îlotage est très vivement ressenti, notamment par les élus locaux. Le manque de disponibilité, assez général, des services de police pour l'îlotage ne contribue-t-il pas au développement des polices municipales ? Quelle est la situation à Lyon et dans sa région, à cet égard ? Comment se passe la coordination des activités d'îlotage entre la police d'État et la police municipale ?

M. Pierre  Guinot-Delery : Dans le département du Rhône, dix-sept communes, sur plus de deux cents, disposent d'une police municipale. Elles sont toutes essentiellement concentrées dans l'agglomération lyonnaise, à commencer par la ville de Lyon elle-même. Sur les dix-sept, seules quatre communes ont des policiers municipaux armés.

Quant à la coordination, elle se fait maintenant d'une manière qui sera sans doute beaucoup plus rationnelle et quotidienne, à travers les contrats locaux de sécurité. En effet, les neuf contrats locaux de sécurité signés dans le Rhône prévoient une coordination entre la police municipale et la police d'État en ce qui concerne la présence et les missions sur le terrain.

M. Louis Mermaz, rapporteur pour avis des crédits de la police : Vous nous avez parlé du socle de 39 heures de jour et de 36 heures de nuit. Quelle est la répartition entre les heures supplémentaires payées et les récupérations correspondantes ? Deuxième question : quelle est la répartition entre les tâches strictement policières de vos fonctionnaires et les tâches périphériques ?

M. Pierre  Guinot-Delery : Je n'ai pas ici d'informations précises sur la première question.

Les tâches périphériques, non directement policières, sont relativement nombreuses. Encore faudrait-il s'entendre sur ce que la population attend parfois de la police ; ce sujet me laisse parfois un peu perplexe. Certains fonctionnaires sur le terrain, comme les équipages de police secours, passent parfois un temps important, à la demande du public, sur des missions qui me paraissent extrêmement marginales par rapport à leurs missions principales.

Je vois deux grandes catégories de tâches périphériques. La première se rapporte aux gardes de bâtiments publics, tels que les deux sites d'implantation des services préfectoraux ou les deux palais de justice, ou la garde des détenus hospitalisés ; celà représente environ, de mémoire, 160 fonctionnaires, regroupés au sein de l'unité de gardes et de services.

Viennent ensuite toutes les tâches non spécifiquement policières, liées notamment à tous les mouvements de présentation aux juges, les extractions, les transferts de détenus, etc. En 1998, cela a représenté quelque deux mille missions, ce qui est quand même très important. Si vous me demandez combien de fonctionnaires cela représente, c'est un peu difficile à chiffrer. Si je multipliait le nombre de missions par le nombre de fonctionnaires qui y sont employés, on arriverait à un effectif équivalent à celui des effectifs de la circonscription de police de Lyon ce qui serait absurde. Grosso modo, cela mobilise à chaque fois un ou deux fonctionnaires de police.

Pour le reste, c'est le débat que j'avais esquissé tout à l'heure : la question est de savoir si seuls les fonctionnaires de police sur la voie publique participent réellement à des missions de sécurisation. Dans certains services qui ne sont pas des services de la sécurité publique, des fonctionnaires jouent un rôle extrêmement important dans le domaine de la lutte contre la délinquance, notamment la moyenne et grande délinquance. Les services de la police judiciaire et des renseignements généraux sont désormais totalement impliqués aux côtés de la sécurité publique dans la collecte du renseignement et l'observation de la délinquance, ce qui parait fondamental dans une agglomération comme de Lyon.

De plus, à l'intérieur de la direction de la sécurité publique, une partie du personnel chargé d'investigations fait le même type de travail. Le travail accompli par ces fonctionnaires n'est pas toujours visible. Ce ne sont pas des policiers que l'on voit sur la voie publique en uniforme, mais le travail de fond qu'ils effectuent dans la durée permet, ensuite, soit préventivement, soit en réponse à des faits délictueux, de procéder à des interpellations. J'hésite donc un peu à les mettre complètement en dehors du dispositif policier de voie publique.

M. Louis Mermaz, rapporteur pour avis des crédits de la police : Sur les récupérations, avez-vous une idée des chiffres ? Elles réduisent évidemment l'effectif réel de policiers présents à un moment donné. On le voit avec les dimanches : c'est terrible.

M. Pierre  Guinot-Delery : Je n'ai pas de ratios.

M. Louis Mermaz, rapporteur pour avis : Il faudrait, pour pouvoir opérer une comparaison avec Paris, connaître le stock d'heures supplémentaires dont dispose le préfet de police de Lyon, pour pouvoir payer aux policiers la rémunération correspondant à leur présence. A partir de quand les heures supplémentaires sont-elles payées ? Dix minutes dépassant l'heure, cela fait-il une heure supplémentaire ?

M. Pierre  Guinot-Delery : Peut-être pas dix minutes... En général, lorsqu'on est rappelé sur un service, c'est forcément sur un service de plusieurs heures : la question ne se pose donc pas dans ces termes. Mais la première heure commencée est due.

M. Louis Mermaz, rapporteur pour avis : Même si elle n'a duré que dix minutes ?

M. Pierre Guinot-Delery : Cette préoccupation est présente à l'esprit des commissaires et de l'encadrement : quand on sent qu'on commence à entamer le volume d'heures supplémentaires, on ne prolonge pas un service au-delà du nécessaire.

Je peux vous donner le chiffre du volume global d'heures à récupérer aujourd'hui par un certain nombre de policiers à Lyon. Actuellement, dans la circonscription de police de Lyon, ce nombre d'heures dues par fonctionnaire est d'environ 136 heures. C'est une moyenne et cela ne signifie pas que tous les fonctionnaires ont 136 heures à récupérer.

M. Louis Mermaz, rapporteur pour avis : Comment les payez-vous ? Plutôt lors d'un départ en retraite...

M. Pierre  Guinot-Delery : Oui, par exemple. Mais il convient de distinguer selon les services. Pour le groupe d'intervention de la police nationale, qui concerne peu de fonctionnaires et qui a une compétence qui dépasse Lyon, le stock d'heures dues par fonctionnaire est de 1 246 heures. Ceci montre bien l'inégalité qui existe en fonction des services. Il est clair qu'ils ne le récupéreront pas, sauf, effectivement, le jour où, par exemple, ils changeront d'affectation.

5.- AUDITION DE MONSIEUR JEAN-PIERRE CHEVÈNEMENT, MINISTRE DE L'INTÉRIEUR

(Extrait du procès-verbal de la séance du jeudi 20 mai 1999)

Présidence de M. Augustin Bonrepaux, Président

A l'invitation du Président, M. Jean-Pierre Chevènement est introduit. Le Président lui rappelle les règles définies par la mission pour la conduite des auditions : pas d'exposé introductif, échange rapide des questions et des réponses. Il donne ensuite la parole, pour une première question, à M. Tony Dreyfus, rapporteur spécial de la commission des Finances, de l'Économie générale et du Plan et M. Louis Mermaz, rapporteur pour avis de la commission des Lois.

M. Tony Dreyfus, rapporteur spécial : Monsieur le Ministre, ma question sera brève. Toutes les études démontrent, aujourd'hui, que la France a le ratio effectifs de sécurité (policiers et gendarmes) par rapport à la population, le plus élevé d'Europe. Pensez-vous toutefois que ces effectifs globaux soient suffisants ou qu'ils doivent atteindre éventuellement un autre niveau ? En tant qu'élus, chacun d'entre nous entend les réactions des citoyens : il manque de policiers. Qu'en pensez-vous ?

M. le Ministre de l'Intérieur : Merci, Monsieur le Rapporteur, de me poser cette question qui en effet s'impose avant toute réflexion préalable.

Les comparaisons faites d'un pays à l'autre ne tiennent pas compte d'un certain nombre de réalités qui sont parfois des réalités matérielles. La France est un grand pays, notamment par sa surface : avec 550.000 km², elle a une superficie double de l'Italie et supérieure d'un bon tiers à celle de l'Allemagne fédérale. A ceci il faut ajouter que la gendarmerie est en charge des zones rurales qui représentent près de 95 % du territoire national.

Il faut aussi tenir compte du fait que les organisations ne sont pas partout les mêmes. La gendarmerie, en France, a aussi des tâches militaires qui représentent entre 10 et 15 % de son utilisation. J'observe qu'on ne déduit jamais des effectifs de la gendarmerie ce qu'elle consacre, notamment, à la protection d'un certain nombre de points sensibles, à la mobilisation des réserves et à des tâches directement liées à la défense.

En outre, il faut tenir compte de tâches qui sont assumées, en France, par la police et par la gendarmerie et, dans d'autres pays, par exemple, par l'administration pénitentiaire. Ainsi, en Italie, la délinquance des mineurs est traitée par un institut de la protection pénale qui relève à la fois de l'administration pénitentiaire et de l'équivalent de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). En France, ce problème est traité par la PJJ, bien sûr, mais la police intervient aussi dans le traitement de ce problème de plus en plus préoccupant qu'est la délinquance des mineurs.

Parmi les missions indues, incombant, en France, à la police, il faut citer la garde des détenus hospitalisés, mission qui relève dans d'autres pays de l'administration pénitentiaire.

Enfin, on néglige le fait qu'en France, les tâches d'administration de la police sont très largement confiées à des policiers, ce qui manifeste le fait que la police est sous-administrée. Le total des emplois administratifs, techniques, de service, atteint 13.000, effectif très inférieur à ce qu'il est dans les pays voisins. En Allemagne, une infrastructure administrative beaucoup plus importante dégage des moyens pour la police proprement dite.

Je voudrais ajouter que l'organisation est très différente d'un pays à l'autre. Ainsi, l'Allemagne dispose d'une police qui relève pour l'essentiel des Länder, mais il y a aussi des police municipales. Celles-ci peuvent atteindre, dans certains pays, des effectifs tout à fait considérables. Alors qu'en France, nous avons 13.000 policiers municipaux, certains de nos voisins en ont jusqu'à 50.000, voire davantage.

Il n'est donc pas facile de faire des comparaisons qui soient tout à fait exactes. L'Espagne, d'après les ratios que l'on me donne - mais encore une fois, je ne les manie qu'avec précaution - aurait un ratio élevé d'un « policier » pour 205 habitants. Il est vrai que c'est aussi un grand pays. La France en aurait un pour 252 et l'Italie, un pour 283. Nous trouvons la France, la Belgique, le Portugal, l'Autriche et l'Italie à l'intérieur d'une fourchette d'un policier pour 250 à 300 habitants.

Un autre élément à prendre en considération, lorsque l'on se livre à des comparaisons internationales, est la place plus ou moins grande faite, au-delà des polices municipales, aux vigiles privés. La Grande-Bretagne, et les pays anglo-saxons en général, recourent beaucoup plus aux sociétés de sécurité privée. Le ratio de un policier pour 464 habitants, au Royaume-Uni ne tient compte ni des polices municipales ni des sociétés de sécurité privées. Il faudrait en outre, pour rendre ces comparaisons réellement pertinentes, introduire un autre élément qui est le nombre total des délits et des crimes. En France, celui-ci oscille depuis le début de la décennie autour de 3,5 millions et en Grande-Bretagne est autour de 4,5 millions.

Chaque pays a donc son histoire, ses spécificités, et la mesure n'est quand même pas d'une exactitude formidable.

Bien évidemment, il faut essayer d'utiliser au mieux les moyens dont nous disposons, mais il ne faut pas non plus considérer, comme on le fait souvent - et il y a là un pont aux ânes rebattu mais qui ne correspond pas à la réalité - , que la France serait un pays super-policier. Ce n'est pas exact.

M. Louis Mermaz, rapporteur pour avis : Vous avez raison, Monsieur le Ministre, de dire que l'affaire ne se juge pas au kilo de policiers disponibles, c'est-à-dire au nombre.

Vous avez une expression qui nous intéresse d'autant plus que M. Pierre Joxe, votre prédécesseur, l'employait récemment devant notre instance, à savoir que la police était sous-administrée et sous-encadrée. Il serait intéressant que vous nous donniez des précisions.

Les problèmes de société sont de plus en plus épais, la crise est profonde, des problèmes d'intégration aigus se posent dans notre pays, et on n'a pas forcément l'impression que la police est parfaitement adaptée à des données tout à fait nouvelles, apparues depuis ces dernières années.

Ceci me conduit à poser une autre question. Entre le budget que nous votons et celui qui s'exécute, il y a souvent une grande différence, parfois même un gouffre : la régulation, le gel des crédits, etc. Nous nous battons à vos côtés pour améliorer le budget du ministère de l'Intérieur, et notamment celui de la police. Etes-vous satisfait de l'exécution budgétaire ? Obtenez-vous de Bercy les crédits que nous votons ou souffrez-vous de gels et de régulation budgétaire ?

L'exécutif ne peut pas voter des dépenses, mais peut geler ce que nous votons, ce qui évidemment amoindrit considérablement le pouvoir parlementaire.

M. le Ministre de l'Intérieur : Il est clair que le ratio d'administratif par rapport au nombre de policiers est, en France, très inférieur à ce qu'il est dans la plupart des pays voisins. Le rapport est pratiquement de un à trois.

La loi d'orientation pour la sécurité, de janvier 1995, avait prévu la création de 5.000 postes administratifs. 1.200 ont été créés en 1995 et 1996. Aucune création n'est intervenue ni en 1997, ni en 1998 ni en 1999. J'ai demandé - et le Conseil de sécurité intérieure du 27 janvier dernier a pris acte de ma demande sans y apporter, dans l'immédiat, une réponse tout à fait claire - que soit créé cette année l'équivalent de 700 postes administratifs. Un poste administratif coûte beaucoup moins cher qu'un poste de policier, de l'ordre d'un bon tiers. Par ailleurs, la durée de formation d'un administratif est de 7 à 8 mois, alors que pour recruter et former un policier, il faut compter deux ans.

C'est d'ailleurs cet effet mécanique qui fait qu'il faut deux ans pour former des policiers qui soient à même de prendre la place de ceux qui partent en retraite, ce qui explique que les effectifs opérationnels dont dispose la police sont toujours sensiblement inférieurs à l'effectif théorique. J'ai demandé au Premier Ministre et obtenu, dans une certaine mesure, la création de postes en surnombre afin de pouvoir anticiper les départs à la retraite qui, vous le savez, vont s'accélérant, puisqu'il est prévu que 23.000 départs en retraite interviennent dans les cinq prochaines années.

Pour gérer ces départs, la solution est clairement de renforcer la composante administrative de la police. Beaucoup de ceux qui parlent de la police oublient que le travail de policier est, pour une part importante, un travail de procédure. Nous sommes dans un État de droit et, pour agir, il faut faire des procédures. Cela prend évidemment beaucoup de temps, il faut remplir de la paperasse, mais c'est la condition d'une bonne administration de la police et, ensuite, de la justice. Tout cela est assez lourd.

J'aimerais, en outre, pouvoir procéder à un certain nombre d'externalisations de fonctions logistiques : garages automobiles, maintenance informatique. Tout cela est évidemment possible si l'on peut avoir recours à des sociétés privées qui peuvent faire ce travail mieux que les policiers eux-mêmes. C'est un premier élément de réponse.

Par ailleurs, les gardes statiques font l'objet d'un peignage pour les supprimer autant que possible, mais cela suppose que l'on puisse acheter des matériels de vidéosurveillance. Dans les préfectures, nous avons 500 policiers immobilisés pour des gardes statiques. On va essayer de réduire ce nombre autant qu'on le pourra mais cela suppose quelques frais d'équipement.

J'en viens à votre deuxième question.

L'adaptation de la police aux tâches nouvelles est un sujet sur lequel nous avons beaucoup réfléchi, notamment à l'occasion de colloque de Villepinte. Nous ne sommes plus, qu'on le déplore ou que l'on s'en réjouisse, à l'époque des grandes grèves, des mouvements de masse. Tout cela appartient à une autre époque. L'espérance révolutionnaire est en déshérence et nous sommes dans une situation où le plus préoccupant est la délinquance de masse, ces 3 millions et demi de délits de toutes sortes : vols de voiture, dégradations, agressions, vols. Vous le savez, on met dans ce chiffre global des choses très différentes. Les vols représentent plus des deux tiers de la délinquance. Il y a en France 900 homicides par an. C'est beaucoup mais c'est bien inférieur à New-York où ce chiffre était de 2.400 il y a quelques années. Même s'il est à présent tombé à 700, cela reste élevé par rapport à la population, la conurbation new-yorkaise étant cinq fois moins peuplée que la France.

Nous ne souffrons pas d'une insécurité comparable à celle qui existe d'ores et déjà outre-Atlantique. Nous sommes encore dans un pays - je dis encore car je crois malheureusement que nous nous rapprochons de la situation américaine - dans un pays où les formes de délinquance sont d'une autre nature. Elles n'en sont pas moins insupportables, rendent la vie très difficile et contribuent à créer un climat extrêmement lourd dans certains quartiers qu'on ne peut pas décrire comme des zones de non droit, mais où, effectivement, l'insécurité est dans les mentalités. Il y a un sentiment d'insécurité qui parfois dépasse l'insécurité proprement dite, mais qui a quelque chose à voir avec des conditions de vie très dégradées et des comportements déviants par rapport aux règles d'une vie civilisée.

Le principal défi pour la police est cette délinquance au quotidien, d'où l'orientation en faveur de la police de proximité que j'ai prise. Elle se traduit par 64 expérimentations, dont le bilan sera tiré à la fin de cette année et au début de l'année prochaine par des assises nationales de la police de proximité. La police de proximité entraîne toute une réorganisation, dans chaque commissariat, de l'organigramme lui-même, du maillage territorial, de la responsabilisation par secteur, quartier, îlot, rue. C'est la volonté de mettre sur la voie publique davantage d'effectifs, de créer une présence policière visible avec des métiers plus valorisants, des métiers de généralistes comportant une partie de « petit judiciaire », bien entendu un travail de contact, un travail d'action partenariale avec tous les responsables locaux identifiés.

Cela implique d'ailleurs, de la part de la police, une mentalité nouvelle. Notre police, il faut le dire, avec toutes ses qualités, sa solidité, son bon niveau de formation, est encore trop une police d'ordre au service des institutions ou une police réactive qui intervient quand il y a des violences. On envoie la brigade de roulement, la brigade de jour,
la brigade anti-criminalité (BAC) ou la compagnie départementale d'intervention (CDI), quand cela tourne mal, mais une autre conception de la police ferait qu'elle soit plus présente, plus visible, et puisse intervenir plus tôt, soit pour dissuader soit pour circonscrire l'incendie à sa naissance.

Cela ne veut pas dire que l'on va abandonner la police d'intervention. Il faudra toujours des brigades anticriminalité, des forces d'intervention, un certain nombre d'unités qui puissent prêter main forte à des policiers présents sur le terrain. Tout une organisation va se mettre sur pied et la généralisation se fera au lendemain des assises nationales de la police de proximité, en mars 2000, en trois vagues successives : mars-octobre 2000, de la fin de l'an 2000 jusqu'à octobre 2001, et d'octobre 2001 jusqu'à la fin du premier semestre 2002.

Ensuite, on pourra dire que le paysage de la police aura changé, étant entendu qu'on ne pourra pas adopter partout les mêmes règles d'organisation. La situation est différente à Lille, Roubaix, Tourcoing, de ce qu'elle est à Aubusson.

Cela implique des redéploiements : 7.000 sont prévus dans les trois années qui viennent avec les effectifs dont nous disposons et 1.900 vont intervenir, dont 1.200 policiers, dès cette année.

Par ailleurs, j'ai entrepris de fidéliser 10 % de la réserve générale. On appelle réserve générale le total des compagnies républicaines de sécurité et des escadrons de gendarmerie mobile qui interviennent dans des circonstances diverses : mouvements chez les agriculteurs, les chasseurs, mouvements de rue, manifestations. Ces interventions peuvent aussi concerner des mouvements très limités par le nombre d'acteurs. Je pense à l'affaire dite, à tort d'ailleurs, des « sans-papiers » où à des occupations de caisses ASSEDIC. Ces manifestations ne regroupent que quelques centaines, voire quelques dizaines de personnes, qui procèdent à des occupations, mais compte tenu de la manière dont on gère ces événements, c'est-à-dire avec beaucoup de précaution, cela mobilise des milliers de policiers.

Nous sommes en face de formes nouvelles d'expression. On ne voit plus guère de grands défilés de 50.000, 100.000, voire un million de personnes. Nous avons affaire à une agitation médiatique. Ces gens qui s'agitent ont lu Bourdieu et savent que la présence d'une caméra est plus importante que l'effectif réel des manifestants qu'eux-mêmes n'hésitent pas à gonfler en le multipliant par un facteur 5 ou 10. La presse, en général, choisit la médiane, de sorte que dans la société de communication où nous sommes, on finit par perdre de vue ce que sont réellement les nécessités de maintien de l'ordre.

On aura toujours besoin d'une police d'ordre, d'une police d'intervention, mais on doit aller de plus en plus vers cette police de proximité, plus attentive aux attentes de la population, davantage tournée vers les citoyens que vers les institutions. Ce qui implique, par exemple, que les préfets recourent dans des proportions moindres aux unités de forces mobiles, et ce qui implique aussi une diminution des gardes statiques. C'est une autre utilisation de la police.

7.000 redéploiements auxquels s'ajoutent 3.000 forces fidélisées, à égalité pour les CRS et la gendarmerie mobile, cela fait déjà 10.000 policiers supplémentaires présents sur le terrain. Ce n'est pas mal et cela permet de mettre les moyens dont nous disposons là où ils sont le plus utiles. J'ai identifié 26 départements très sensibles. On en ajoute encore 7 qui sont considérés comme sensibles. Ce sont au total 33 départements où les effectifs seront renforcés.

Cette orientation a été clairement donnée. C'est un immense chantier qui va nous prendre un peu de temps, mais on ne fait pas tourner un grand bateau comme la Police nationale en quelques semaines. Il y a tout d'abord des expérimentations et celles qui sont faites sont un succès. Je suis frappé par la motivation des policiers. Cela implique aussi une organisation de terrain : des bureaux de police, des matériels légers, des vélos, des cyclomoteurs et des matériels de transmission. Tout une adaptation est en cours.

Cette politique doit être liée aux contrats locaux de sécurité (CLS), au recrutement d'adjoints de sécurité (ADS). Nous en avons actuellement 10.000. Cette réorganisation met en ordre de façon coordonnée, ordonnée, avec une certaine progressivité dans le temps parce que c'est le plus grand changement qu'aura connu la Police nationale depuis une bonne quarantaine d'années. Je laisse de côté les grands chantiers législatifs qui sont un autre aspect. C'est là un grand changement au niveau de la doctrine.

J'aborde à présent votre dernière question sur les régulations budgétaires. Cette année, un contrat de gestion, qui vise à nous faire reporter sur l'année prochaine un certain nombre de crédits prévus pour cette année, est en discussion avec le ministère des Finances. Nous discutons pour savoir à quel volume de crédits ce contrat de gestion pourrait s'appliquer.

Les régulations budgétaires sont toujours difficiles dans un ministère qui, croyez-en mon expérience, n'est pas le plus riche. C'est une litote. Visitant certains commissariats, j'ai parfois un peu honte des conditions dans lesquelles s'effectue le travail des policiers. Même pour le contact avec la population, cela ne facilite pas les choses car certains locaux sont à la limite de l'indignité : les locaux de gardes à vue, par exemple.

M. Tony Dreyfus, rapporteur spécial : Dans les discussions entre élus, il est très souvent fait état du nombre des mises en retraite au cours de la période récente. Vous en avez certainement tenu compte. Premièrement, est-ce que le ministre des Finances en a tenu compte dans la préparation du budget ? Deuxièmement, envisageriez-vous éventuellement de modifier les conditions de mise à la retraite des policiers ?

M. le Ministre de l'Intérieur : L'on attend 23.000 départs à la retraite dans les 5 prochaines années. C'est un vrai problème. Les policiers partent à la retraite entre 50 et 55 ans et, souvent, plus près des 50 que des 55 ans. On doit donc s'interroger sur la politique à conduire en la matière.

Deux points de vue s'expriment. Le premier met l'accent sur l'opportunité de former davantage de policiers, conformément aux exigences de la nouvelle politique, en particulier de la police de proximité, en insistant sur un certain nombre d'éléments : les technologies nouvelles, l'adaptation au terrain, la connaissance de la population, l'approche déontologique du métier de policier, la dimension internationale qui joue un rôle sans cesse croissant. Bref, la formation est aussi une chance et elle a fait l'objet d'une relance, une direction a été ainsi créée en février dernier, après les assises nationales sur la formation et la recherche.

Le deuxième point de vue considère qu'il est regrettable de se priver de policiers compétents qui peuvent jouer un rôle important, notamment dans le domaine de l'encadrement, à un moment où nous faisons un effort pour recruter 8.300 ADS supplémentaires (c'est le chiffre fixé pour 1999).

Nous nous sommes arrêtés à l'idée qu'il fallait essayer de freiner le départ à la retraite. Des dispositions sont actuellement discutées avec le ministère du Budget pour permettre à un certain nombre de policiers d'accéder à l'échelon exceptionnel à 52 ans en prolongeant jusqu'à 54 ans et demi leur séjour dans la Police nationale, ce qui leur permettrait d'accéder au grade de brigadier ou de brigadier-major.

Les conséquences sur les indices et les rémunérations peuvent amener une proportion importante de policiers à arbitrer en faveur du maintien en activité. Tout cela doit encore être finalisé. Nous sommes dans la période de la discussion du budget et il faudra donc mettre le curseur au bon endroit.

M. Louis Mermaz, rapporteur pour avis : Une question qui revient sans cesse. C'est un problème financier. On a du mal à savoir combien d'heures travaillent les policiers. On connait le problème des heures supplémentaires et des heures récupérées. Avez-vous la possibilité de mettre un peu d'ordre dans ce système ? Bien souvent, on se demande où sont les policiers. En outre, l'existence des congés de récupération permet de cesser toute activité un an avant l'âge de la retraite grâce au cumul de récupérations non utilisées. C'est très complexe et c'est une sacrée pagaille.

M. Pierre Joxe nous disait tout à l'heure qu'on arrivait à 25 heures de travail par semaine pour des policiers. Quel est votre point de vue ?

M. le Ministre de l'Intérieur : Je crois franchement que ce n'est pas exact. Tous les textes qui régissent le paiement des heures supplémentaires sont des textes relativement anciens qui datent, je parle de mémoire, de 1950, 1975, 1978. Ils n'ont d'ailleurs pas fait l'objet de réformes et ont été consacrés par le règlement général d'emploi de 1996. Nous travaillons donc sur des règles très anciennes. Vous savez à quel point il est difficile de remettre en cause un certain nombre de règles auxquelles les gens sont habitués depuis une génération, sinon deux.

Quel est le problème ? Il vient de ce que les heures supplémentaires sont rémunérées, pour le travail de nuit, à hauteur de 110 % et, pour le dimanche, à hauteur de 140 %. Effectivement, cela peut se traduire, pour les gens qui travaillent en régime cyclique, par un nombre d'heures inférieur à celui effectivement travaillé par les gens qui travaillent sous le régime hebdomadaire.

Pour le régime hebdomadaire, l'horaire est fixé à 40 heures 30 par semaine. Du fait des 39 heures, un crédit d'heures se traduit par 10 jours de repos en année pleine, c'est ce qu'on appelle les jours d'hiver. Mais cela aboutit à 1.782 heures annuelles de travail.

Pour le régime cyclique, on aboutit à des chiffres inférieurs. Le Premier président a sans doute raison d'évoquer ce problème : les personnels de brigade de nuit travaillent 1.454 heures, mais il faut cependant bien tenir compte de la pénibilité du travail de nuit. Dans la mesure où nous n'avons pas les crédits pour payer les heures supplémentaires, elles s'accumulent sous la forme de droits à repos compensateurs. C'est ce qui fait finalement, qu'au moment du départ à la retraite, ces congés peuvent représenter en moyenne de 100 à 200 jours. Parler d'un an est toutefois excessif.

D'une manière générale, il faut bien comprendre que le temps de travail réel dépend des conditions de rémunération des heures supplémentaires.

Je voudrais insister sur le fait qu'on ne peut pas demander trop de choses à la fois. L'instauration du nouveau régime dit 4/2, c'est-à-dire 4 jours travaillés pour 2 jours de repos, qui a pris la suite de l'ancien système dit 3/2, trois jours travaillés pour 2 jours de repos, se traduit, selon des estimations qu'il est toujours difficile de vérifier, par un surcroît de travail de 10 %. Cette réforme est entrée en vigueur en 1996 et 1997, suite à la loi d'orientation pour la sécurité. Quand j'ai pris mes fonctions, j'ai décidé de ne pas revenir sur ces nouveaux horaires. Cela a d'ailleurs provoqué quelques tensions mais j'ai réussi à faire accepter par les syndicats le fait qu'on ne pouvait pas revenir sur une réforme déjà engagée. D'autant que si j'avais voulu revenir sur cette réforme, j'aurais été amené à reposer le problème des heures supplémentaires et des repos compensateurs ; on ne peut pas tout demander à la fois.

En même temps, on parle des 35 heures qui, évidemment, devraient être transposées dans la police. Dans certains cas, on observe que le temps réellement travaillé n'est pas de 35 heures, mais il faut rappeler que cela tient aussi aux conditions dans lesquelles les horaires sont effectués.

Nous sommes en présence d'un système ancien, codifié, que mes prédécesseurs connaissent bien, y compris d'ailleurs le Président Joxe. Tout cela se gère avec un minimum de précautions. "Le papier souffre tout, la peau humaine est plus délicate"; c'est ce que disait déjà Catherine de Russie à Diderot.

M. Pierre Méhaignerie : Monsieur le Ministre, nous mesurons parfaitement la grande difficulté d'un ministre de l'Intérieur. Nous sommes cependant dans une mission d'évaluation et de contrôle. La première question que l'on se pose est la suivante : pour améliorer la qualité du service attendu par nos compatriotes quelle est la voie qui vous apparaît la meilleure  : l'augmentation du budget pour la police ou l'amélioration de la productivité ?

Tous les témoignages que nous avons entendus montrent qu'il y a des marges dans l'amélioration de la productivité, même si je reconnais qu'il est très difficile de les mettre en application. Par exemple, une femme commissaire nous a dit qu'elle aimerait bien avoir des marges d'initiative permettant de récompenser l'effort et de pénaliser les laisser-aller. Je pense que les horaires rapportés par la Cour des comptes sont exacts.

Dans la réforme que vous engagiez, que certains d'entre nous soutenaient, d'une réorganisation entre la police et la gendarmerie, il n'était pas facile d'expliquer à nos collègues élus qu'un gendarme seulement remplaçait deux policiers. On pouvait en tirer des conclusions sur les marges de productivité.

Premièrement, estimez-vous que, plutôt qu'une augmentation du budget, il est possible de dégager des moyens supplémentaires en jouant sur les marges de productivité ?

Deuxièmement, ne pensez-vous pas qu'il serait possible d'expérimenter dans quelques villes, une délégation de gestion directe des questions de sécurité à des autorités élues ? Je dis bien à titre expérimental sans que ceci porte atteinte à l'État républicain.

M. le Ministre de l'Intérieur : Monsieur le Ministre, je vais essayer de répondre à votre question. Tout d'abord, il est difficile de définir un ratio de productivité. J'ai demandé que l'on essaye de définir un certain nombre de critères, mais ce n'est pas très simple. Il est très difficile de mesurer la sécurité. Chacun d'entre vous est conscient de la difficulté d'interpréter les statistiques relatives à la délinquance.

La délinquance économique et financière, en Corse, avait été multipliée par deux en 1998. Cela ne faisait que traduire une beaucoup plus grande activité des services. Tout cela mérite donc d'être interprété avec précaution.

Je ne crois pas non plus qu'on puisse dire qu'un gendarme équivaut à deux policiers. D'ailleurs, on a vu aux réactions qui se sont manifestées, quand il s'est agi de faire passer des zones de police en zones de gendarmerie, que les élus n'avait pas l'air de le croire vraiment.

M. Pierre Méhaignerie : C'est pourtant ce qu'on nous proposait.

M. le Ministre de l'Intérieur : Il est vrai que les gendarmes comme militaires soumis à un régime d'astreinte, (même si celles-ci sont aujourd'hui moins lourdes qu'hier), sont peut-être plus disponibles. En outre, il n'y a pas de syndicat dans la gendarmerie, alors qu'il y en a dans la police, même si les policiers ne peuvent pas faire grève. Dans la police, il y a aussi des instances paritaires nombreuses et à tous les niveaux, qui rendent indispensable une concertation syndicale.

Je tiens à rendre hommage à l'esprit de responsabilité des syndicats de la police. Ils ont un sens du service public qui ne se retrouve pas toujours ailleurs. Je m'efforce d'y contribuer aussi, mais je peux dire qu'ils apportent un véritable soutien à la politique qui vise à mettre la Police nationale à la hauteur de ses responsabilités. Pour la police de proximité par exemple, il n'y a pas de réticences sur le fond. Il y a certes des discussions sur les modalités, mais la ligne générale est bien comprise et bien acceptée. Les syndicats contribuent aussi à faire accepter cette réorientation globale de la Police nationale.

Il existe bien entendu des marges de productivité. Je m'efforce de réduire le nombre de gardes statiques. Un dossier est en cours de constitution pour réduire les charges indues qui pèsent aussi bien sur la gendarmerie nationale que sur la Police nationale. Mais cela impliquerait notamment que l'administration pénitentiaire prenne à son compte un certain nombre de tâches comme la garde des détenus hospitalisés.

J'essaie de faire en sorte que le régime des mises à dispositions ou des décharges, qui remonte à des textes de 1982 ou 1985 soit géré plus strictement. D'ailleurs, nous obtenons certaines améliorations.

On ne peut cependant pas tout mettre dans le même sac. Par exemple, les effectifs en formation ne sont pas des effectifs soustraits à la police active. Il faut bien former nos policiers. Cela fait 4.000 personnes en formation auxquelles il faut ajouter un bon millier de formateurs.

De même, j'essaie de réduire les effectifs en administration centrale. Nous allons diminuer de 10 % l'effectif du service de sécurité du ministère de l'Intérieur et de 10 % également le service central automobile. Un certain nombre de redéploiements s'effectuent. Certaines fonctions logistiques de la préfecture de police vont être transférés à des sociétés privées. Tout un travail se fait dans le cadre du redéploiement que j'évoquais tout à l'heure.

Il y a donc des marges de productivité. On peut bien sûr gagner davantage, mais nous sommes quand même dans un service public, où l'essentiel est le sens du devoir.

Je tiens à rendre un hommage aux policiers. Savez-vous qu'il y a eu, l'an dernier, plus de 9.000 blessés en service ? Voilà un chiffre qu'on ne cite jamais. On ne parle que de tel ou tel comportement sans doute répréhensible, encore que quelquefois il faudrait faire la lumière sur les conditions dans lesquelles tel ou tel comportement s'est effectivement produit ; on oublie de dire qu'il y a eu 9.000 blessés en service et plusieurs dizaines de tués. C'est un dur métier qui vous met en contact avec les franges les plus difficiles de la population. Bien souvent, un policier doit payer de sa personne. Il m'arrive fréquemment de leur remettre un certain nombre de distinctions et je vois des gens capables de désarmer des malfaiteurs au péril de leur vie, parfois blessés, voire tués.

Il faut avoir une approche plus humaine de ces choses en sachant qu'on demande beaucoup aux policiers. Il faut avoir un langage qu'ils puissent aussi comprendre. On ne peut pas leur parler simplement de ratio de productivité. Il faut leur montrer le rôle éminent qui est le leur dans la société, dans le maintien de ses équilibres, dans la défense de la démocratie et de nos libertés, selon un code déontologique très strict. Mais il faut tenir compte du fait que la « pâte humaine » est la « pâte humaine ».

Peut-on déléguer une partie de la sécurité à des maires ? Les maires ont des pouvoirs de police municipale : c'est la tranquillité publique. Les prérogatives de la police municipale ont été étendues dans des conditions importantes, notamment pour tout ce qui touche le code de la route. Leurs facultés d'intervention, à travers notamment le recueil d'identité, se sont trouvées élargies. La loi qui règle les problèmes entre les polices municipales et la Police nationale vient d'être votée, quasiment à l'unanimité.

Ce chantier paraissait véritablement impossible à conclure puisqu'il avait donné lieu à trois projets de loi : tout d'abord, celui déposé par M. Paul Quilès, puis celui déposé par M. Charles Pasqua, finalement repris par M. Jean-Louis Debré. Or finalement, cette loi a été votée et va s'appliquer. Tous les textes seront publiés avant l'été et les conventions de coordination vont être conclues partout. Un bon équilibre va s'instaurer de la sorte.

Il me paraît important de garder à l'esprit qu'en dernier ressort, la sécurité est une compétence régalienne et qu'il faut faire en sorte qu'elle soit mieux assurée qu'elle ne l'est sur toute l'étendue du territoire national ; d'où les renforcements que j'évoquais tout à l'heure et un certain nombre de redéploiements nécessaires en direction des zones les moins bien pourvues. Je pense en particulier à la grande couronne parisienne ou alors à des zones qui, sur 10 ans, ont été curieusement pénalisées : par exemple, la région Rhône-Alpes ou le pourtour méditerranéen, particulièrement Provence-Alpes-Côte-d'Azur.

Il y a en revanche des départements où l'on voit que l'effectif a augmenté. Il s'agit généralement de départements ensoleillés avec des petits commissariats. Il y a là un tropisme dont je crois percevoir la cause profonde. Le régime des mutations étant ce qu'il est, la perspective de terminer sa carrière à Villeneuve sur Lot ou à Pamiers est évidemment une perspective à laquelle rêvent beaucoup de policiers.

M. Gilles Carrez : Monsieur le Ministre, j'approuve tout à fait votre intention de développer les missions de police de proximité et de présence sur la voie publique. Mais force est de constater, qu'il existe sur le terrain - et je vais parler en particulier de mon expérience de maire dans le Val-de-Marne - de fortes réticences pour développer ce type de missions. On les ressent dans la hiérarchie et encore plus fortement chez les gardiens de la paix.

J'ai le sentiment qu'actuellement deux causes risquent de renforcer ces réticences. C'est tout d'abord le fait que le niveau de recrutement et de formation des gardiens de la paix augmente et qu'ensuite, ils considèrent que ce sont d'abord des tâches d'investigation, d'enquête, des tâches d'interpellation qui sont les véritables tâches pour lesquelles ils doivent être appelés. Ils vont de plus en plus se concentrer sur leur rôle d'officiers de police judiciaire. Ce phénomène risque d'être accentué par le fait qu'interviennent maintenant des recrutements d'adjoints de sécurité (ADS) et que l'on voit apparaître une sorte de séparation des tâches. Ainsi, les ADS se verraient, pour l'essentiel, confier des tâches de médiation sociale et de présence sur la voie publique, alors que les policiers titulaires se réserveraient les tâches « nobles ».

Dans ma propre commune, quand on demande la venue de policiers, aux moments des sorties d'écoles, on vous oppose une circulaire récente que vous avez vous même signée. Le fond du problème est qu'à travers cette présence sur le terrain...

M. le Ministre de l'Intérieur : Que dit cette circulaire ?

M. Gilles Carrez : Qu'il n'y a pas à se porter sur les points écoles. Or l'aspect patrouille, îlotage, est très important quand les policiers se portent sur les points écoles. Si cet aspect disparaît, nous allons entrer dans un système qui n'est pas sans doute celui que vous souhaitez, où les gardiens de la paix resteront cantonnés à l'intérieur du bureau de police.

Dès lors, sur ces questions d'organisation de tâches sur lesquelles les élus eux-mêmes sont très mobilisés, n'y a-t-il pas moyen de mieux faire appel aux maires ? Ne pourraient-ils pas avoir davantage de responsabilités ?

Quand on pose la question en ces termes, on vous renvoie de plus en plus sur les ADS, et aussi sur la police municipale. On vous dit que vous n'avez qu'à recruter des agents municipaux. C'est un peu la philosophie des contrats locaux de sécurité.

Cependant, les communes, en tout cas en région parisienne connaissent de considérables inégalités de situation. Certaines, et parfois cela coïncide avec les zones les plus difficiles, sont financièrement incapables de recruter des polices municipales.

Si l'on doit s'acheminer vers une sorte de partage des tâches, il faut prendre en compte cette inégalité des collectivités locales dans la capacité de financer ce type de mission.

M. le Ministre de l'Intérieur : Vous avez raison de dire que si rien n'était fait, ce serait probablement la tendance : les policiers du service actif, bien formés, se consacreraient aux tâches dites d'investigation, de recherche ou d'intervention. Mais cela correspond justement à une conception de la police que j'estime dépassée et que les policiers eux-mêmes, dans leur grande masse, n'approuvent plus. C'est en effet, d'une certaine manière, une conception démobilisatrice, par le fait qu'elle implique de longues périodes d'attente au commissariat et ne correspond pas à ce que nos concitoyens peuvent exiger. Les personnels comprennent spontanément que la Police nationale doit s'adapter à ces tâches.

D'ailleurs, je ne me souviens pas avoir signé une circulaire disant que les points écoles ne devaient pas faire l'objet d'une surveillance attentive. Au contraire, s'agissant notamment des violences scolaires, dans la circulaire relative aux contrats locaux de sécurité, j'ai insisté sur l'étroite liaison qui devait se faire avec les responsables d'établissements scolaires. Si vos policiers vous disent que vous n'avez qu'à recruter des policiers municipaux, c'est tout à fait contraire à la directive générale qui veut que la Police nationale réponde aux besoins de sécurité de la population au service de laquelle se trouve.

Naturellement, il y a une marge d'action pour les élus municipaux. C'est une faculté et non une obligation de recruter une police municipale. J'en ai créé une à Belfort, qui n'est pourtant pas une ville riche, mais elle a des fonctions et un effectif limités. C'est une appréciation qui relève un peu de choix démocratiques.

Tout l'effort de réforme de la police, aujourd'hui, tend, au contraire de ce que vous dites, à mettre davantage de policiers sur le terrain et, surtout, à valoriser la fonction du policier de proximité qui est un généraliste auquel on va demander de faire beaucoup de « petit judiciaire ». Le développement du service de quart, la qualification d'OPJ 16 pour les agents du corps de maîtrise et d'application, qui vont toucher une prime particulière, une prime de qualification, et qui pourront avoir un contact plus étroit avec la population, vont dans ce sens.

Ce contact avec la population, c'est la noblesse du métier. Je leur dis souvent qu'ils doivent se comporter comme des députés, c'est-à-dire aller au devant des gens, leur serrer la main. De cette façon, ils prendront conscience de ce que sont leurs préoccupations. Vous le savez bien : les gens vous parlent de choses très diverses et ont un degré de préoccupation très différent.

Je dis aux policiers : votre modèle est le député, vous allez au devant des gens, vous leur serrez la main, vous leur parlez - ils sont d'ailleurs très contents -, c'est un métier de contact que vous devez avoir. Beaucoup de problèmes peuvent être dédramatisés par la parole, le dialogue, et vous pouvez faire régner une bien meilleure sécurité et créer une meilleure ambiance.

Je l'ai observé dans certaines expérience à l'étranger. J'ai vu comment se comportaient certains policiers, par exemple, dans une ville de Hollande. J'ai été frappé de voir des grands malabars, constellés d'insignes
- on aurait pu croire des amiraux ou des généraux cinq étoiles - qui, cheminant sur les voies piétonnières, apostrophaient le loubard et faisaient régner un climat qui contrastait beaucoup, d'après une vieille dame que j'ai interrogée, avec l'atmosphère de laisser-aller qui prévalait deux ou trois ans auparavant.

Un policier qui comprend qu'il instaure, par sa présence et son activité, une société de droit, une société civilisée, c'est une révolution mentale. C'est sur ce point que l'accent est mis dans les programmes de formation sur la norme comportementale.

Je vais vous raconter cette histoire qui vous fera rire. Dans les concours de recrutement des gardiens de la paix, j'ai repéré le sujet suivant : "Commentez la phrase de Montesquieu: quand l'État est fort, il nous opprime, quand il est faible, nous périssons". Quand on veut recruter une police qui soit à l'image de la population, les faire plancher là-dessus c'est se tromper complètement. On essaie de les recruter pour l'ENA mais pas pour un concours de gardien de la paix.

L'accent va être donc mis sur les normes comportementales et on va revoir complètement la formation de ces policiers pour essayer de faire en sorte qu'ils correspondent au modèle de police vers lequel nous voulons aller. Tout cela ne se fait pas en un claquement de doigts.

M. Francis Delattre : Une observation d'abord sur les régulations budgétaires. Si l'on continue de réguler le budget de la police, de la façon dont on le fait depuis 10 ans, on va, à mon avis, à la catastrophe.

Qu'est-ce qu'on enlève du budget la plupart du temps ? Ce qu'il y a finalement de plus intéressant pour la modernisation de la police, pour l'évolution de la formation, des missions et des équipements. Cela a des effets très négatifs sur le moral des troupes : ils sont sur le terrain et ils sont là souvent à nous quémander des moyens. Ce n'est pas normal et ils le vivent mal.

Tous les programmes d'équipement, de modernisation, de la police scientifique ont été touchés. Par exemple, le programme Acropol. Tout le monde sait que toutes les communications de la police peuvent être interceptées. Si vous n'en êtes pas convaincu, Monsieur le Ministre, interrogez un des anciens directeurs généraux, M. Guéant qui vous expliquera ce qui lui est arrivé à Orléans, en visite d'inspection : un truand, au fond de son lit, appelait le directeur pour lui dire qu'il n'était pour rien dans le « casse » qui venait d'avoir lieu, qu'il avait la grippe, était au fond de son lit et qu'il entendait y rester. Il avait appris le « casse » en écoutant les communications de la police !

Le programme Acropol a été testé dans le département de l'Aisne, a servi à un G7 à Rome, et votre prédécesseur avait prévu que la France serait couverte pour la Coupe du monde de football, l'an dernier. Voyez le retard que l'on a pris puisqu'on parle maintenant de 2006 ou 2008. Ce n'est pas normal parce que dans la valorisation du métier de policier, cette déshérence, la pénurie de moyens, les commissariats peu reluisants, n'incitent pas à cette mobilisation que nous souhaitons tous.

Si l'on veut que cette mission serve à quelque chose, il faut dire que cette situation doit cesser et que l'on ne peut, en l'absence de marges de manoeuvres sur les crédits de personnel, qui sont des crédits de récmunération, continuer, comme on le fait depuis au moins 10 ans, à taper sur les programmes de modernisation. Voilà le genre de recommandation que la mission pourrait faire.

Concernant les effectifs, je suis de ceux qui pensent que les effectifs, aujourd'hui, sont grosso modo suffisants, même si, c'est vrai, il faut manier les comparaisons internationales avec prudence.

Le fond du problème, aujourd'hui, n'est pas tellement la police en tant que telle. Participent aux mêmes missions la Police nationale, la gendarmerie, les polices municipales et maintenant les douaniers. On s'aperçoit qu'on a donné à un certain nombre de personnels la possibilité d'intervenir, voire le statut d'OPJ. Tout ceci donne l'impression d'un grand cafouillage à la population et à nous-mêmes. Si le règlement d'utilisation des policiers, mis en place il y a trois ans, redéfinit à peu près bien les choses pour la police, il est évident que pour les autres catégories de personnels, c'est loin d'être le cas. Ceci amène des doublons et un désordre que tout le monde connaît.

J'aimerais à présent poser quelques questions plus précises.

Certains de mes collègues ont insisté sur la nécessité d'une meilleure coordination, non seulement au niveau des autorités élues, mais même au niveau des départements. L'idée d'avoir un directeur ou un "patron" était une bonne idée. J'ai toujours dit que c'était une erreur d'avoir arrêté le processus de départementalisation. Au moins, au niveau des départements, il y aurait eu un patron capable de coordonner. Quelle est votre position sur ce point ?

Deuxième question. Tout le monde sait que parmi les missions de la police, aujourd'hui, un certain nombre d'entre elles pourraient être traitées ailleurs. Pour les secrétariats généraux pour l'administration de la police (SGAP), on parle toujours des voitures, mais on fait aussi des bottes dans les SGAP. Au prix auquel reviennent les bottes pour les motards, fabriquées dans les SGAP, on pourrait en acheter quatre paires chez Hermès. Pourrait-on avoir, au niveau des SGAP, un système d'audit interne plus performant ?

On nous dit que la police est sous-administrée et, par définition, l'administration est le rôle de SGAP, mais il faut savoir qui sont les gens qu'on y envoie. On y envoie des sous-préfets qui ne voient pas forcément leur nomination à la tête d'un SGAP comme une promotion. Il faudrait à mon avis changer un certain nombre d'habitudes dans la gestion même des outils de gestion.

L'obligation de résidence existe, paraît-il, dans les textes. Nous ne la voyons jamais mise en oeuvre. Soit elle n'existe plus, soit elle n'est pas respectée. A mon avis, cela emporte des comportements pervers. Pourquoi ? Que voit-on en banlieue ? On voit nos policiers qui, dans les brigades, essaient de regrouper le plus de nuits possibles, si possible trois, et de disparaître ensuite une semaine. Ils louent un studio à 8 ou 10 et vivent en réalité à 200 kilomètres de là. Il y avait une politique intelligente qui consistait à aider les policiers à obtenir dans de bonnes conditions des possibilités de logement. Les élus locaux ont tous fait des efforts. Je peux vous indiquer que, dans mon département, on a construit des résidences pour eux. On a vu arriver majoritairement des agents des préfectures, mais pas des policiers.

L'obligation de résidence est très importante parce que quand le dimanche, il y a de gros problèmes sur la dalle d'Argenteuil, la police est bien en peine de mobiliser 100 policiers sur le secteur. Il y a le strict minimum en service, mais il n'y a pas moyen de regrouper, pour un fait majeur exceptionnel, un nombre suffisant de policiers parce qu'ils habitent trop loin.

Je suis allé, il n'a pas si longtemps, dans un restaurant dans la Somme. J'ai été très surpris d'être servi par le « trois galons » qui, travaille dans la BAC et vient, de temps en temps, me rendre compte de ce qui se passe dans ma ville.

Ce non respect de l'obligation de résidence induit, en outre, des effets pervers comme le travail au noir. On nous dit que les policiers sont maintenant recrutés au niveau « bac plus trois » et que le travail au noir, c'est fini. Cela dure encore un peu, Monsieur le Ministre.

Ma dernière question porte sur les adjoints de sécurité. Il est vrai que c'est eux que l'on voit sur le terrain. Pratiquement, on ne voit plus qu'eux : c'est la réaction de tous les maires. Je suis d'accord avec ce que vous dites, Monsieur le Ministre, mais entre votre discours et ce que nous vivons sur le terrain, il y a un décalage.

La police de proximité, politiquement, est un très bon angle d'attaque. Cependant, quand le Préfet Lacroix que vous venez d'envoyer en Corse dit au directeur : « A telle gare, je veux que vous mettiez un îlotier». Huit jours après, je reçois le commissaire qui me dit : « les îlotiers, on en parle beaucoup, mais c'est comme les épouvantails à moineaux dans les jardins : les deux premiers jours, cela fait un peu d'effet et, le troisième, on se pose dessus ».

Personnellement, je crois à l'îlotage, mais voilà comment dans la pratique, si on ne veut pas faire trop la langue de bois, cela se passe.

Comment faire, aujourd'hui, pour que cette redéfinition des missions puisse concrètement s'appliquer et qu'on ne voie pas dans nos rues exclusivement les adjoints de sécurité ?

M. le Ministre de l'Intérieur : Je vous écoute avec beaucoup d'intérêt car vous mettez le doigt sur des problèmes de la vie quotidienne.

Tout d'abord, le problème des transmissions. Je rappelle que le programme Acropol a été lancé en 1993. Au rythme prévu quand je suis arrivé en 1997, la généralisation sur tout le territoire national dans la zone de police n'aurait pas été atteinte avant 2014. J'ai donc demandé à M. Strauss-Kahn qu'on accélère. Nous nous sommes mis d'accord sur le scénario médian qui est une généralisation à l'horizon 2007. Cela peut paraître une échéance éloignée mais il s'agit d'un programme d'équipement qui porte sur 4,5 milliards de francs. 400 millions de francs sont prévus chaque année. C'est notablement plus que les 190 millions de francs que j'ai trouvés dans le budget de 1997.

Je suis obligé de dire que 400, c'est mieux que 190, et moins bien que 600, mais il y a maintenant un rythme qui a été fixé. L'objectif d'équipement à l'échéance de la Coupe du monde de football, ne concernait que le seul département de la Seine-Saint-Denis.

M. Francis Delattre : Non ! Il avait même été prévu, la première année, de mettre un milliard. Mais peu importe.

M. le Ministre de l'Intérieur : Je n'ai jamais vu que l'on ait fixé comme objectif la généralisation en 1998, sauf peut-être en 1993, dans les derniers mois de M. Paul Quilès, mais c'était alors au niveau d'une vague esquisse car le programme Acropol a été revu à plusieurs reprises. Objectivement, nous n'étions pas du tout sur cette échéance, mais sur une échéance 2014. Nous en sommes maintenant à 2007. Comme vous le savez, deux régions sont actuellement « acropolisées » : Rhône-Alpes et la Picardie. La petite couronne de la région parisienne est en train de l'être. La priorité sera donnée à une bande allant de Dunkerque à Marseille et après on fera les ailes. A partir de là, nous pouvons espérer une amélioration de notre système de transmission.

Sur l'immobilier, il m'arrive d'avoir honte en voyant l'état de certains commissariats. J'ai donné comme priorité que l'on édifie des commissariats de taille petite ou moyenne dans les quartiers dits sensibles ou très sensibles ou dans les villes dans lesquelles il y a un haut niveau de délinquance. La priorité, en matière immobilière, est la proximité. Naturellement, les grands hôtels de police, qui peuvent coûter jusqu'à 200 ou 250 millions de francs, risquent d'en souffrir quelque peu, mais il faut faire des choix.

M. Didier Migaud, rapporteur général : Vous avez pu obtenir des crédits supplémentaires au moment du collectif, ce qui a amélioré votre budget sur 1998/99. Sur le programme immobilier, on compare souvent les commissariats avec les gendarmeries. Il est vrai que les gendarmeries sont souvent dans un bien meilleur état, mais il y a participation des collectivités locales.

Comme on dit beaucoup que la police de proximité intéresse les élus, avez-vous envisagé, dans le cadre de contrats avec des collectivités, éventuellement de les associer financièrement à un programme immobilier ?

M. le Ministre de l'Intérieur : Oui, Monsieur le Député. Une convention va être passée avec la région Ile-de-France. Ce sera une première. Elle permettra de hâter la réalisation de commissariats, notamment dans toutes les villes moyennes de la banlieue parisienne. Un gros effort sera fait en liaison avec le conseil régional d'Ile-de-France qui va contribuer à hauteur de 28 % de la dépense. Comme c'est une zone prioritaire du point de vue de la Police nationale, le coup d'accélérateur va être donné.

Je voudrais vous rappeler les chiffres dont je dispose, en 1999, pour les crédits immobiliers de police : 600 millions de francs en autorisation de programmes, 400 millions de francs en crédits de paiement. Ma demande est un peu supérieure, puisqu'en crédits de paiement, je demanderai de passer de 400 à 700 millions de francs. Cela fait l'objet de la discussion budgétaire. Je considère que c'est le seul moyen d'accompagner la transformation de la Police nationale, car cette transformation ne peut pas se faire seulement avec les petites dépenses que j'évoquais tout à l'heure. Il faut aller beaucoup plus loin. Ce sont parfois des hôtels de police qui doivent être sortis de leur extrême médiocrité. Le montant de cette demande de crédit supplémentaire doit être relativisé. Je ne veux pas évoquer telle ou telle expédition plus ou moins lointaine, mais dont le coût mensuel dépasse ce que je demande pour les commissariats de proximité. Il est évident qu'il faut savoir où l'on met la sécurité du pays. Pour ma part, je la met davantage à Romainville qu'au Baloutchistan. Il y a là une prise de conscience nécessaire.

S'agissant de la départementalisation, c'était une bonne réforme dans son principe, mais elle bousculait beaucoup d'habitudes et elle a été interrompue par un de mes prédécesseurs, M. Charles Pasqua. Je ne sais pas s'il y avait accordé l'attention suffisante car elle avait des justifications. Je pense qu'il est impossible de faire accepter à la police trop de réformes à la fois. La réforme des corps est une grande réforme avec ses trois grands corps : de conception et de direction - les commissaires -, de commandement et d'encadrement - les officiers - et de maîtrise et application - les gardiens et gradés. Tout cela aboutit à une déflation des deux premiers corps, commissaires et officiers, et à une augmentation du nombre de gardiens et gradés, auxquels il faut donner la qualification d'officiers de police judiciaire ce qui implique un programme de formation. Cette formation prend au moins un an.

Le problème de la départementalisation reste posé. A mon sens, on pourrait trouver un équilibre, au moins pour les petits et moyens départements. Pour les grands départements, cela peut se discuter davantage parce qu'on se trouve en face d'effectifs très importants et qu'il y a d'autres directions de police : la police aux frontières, les renseignements généraux et la police judiciaire qu'il n'est pas question de mettre dans la départementalisation.

C'est une vraie question. J'estime ne pas être en état, aujourd'hui, d'y répondre convenablement.

Sur les SGAP, c'est aussi une bonne question. Je vais faire procéder à un audit, comme vous me l'avez suggéré. Les sous-préfets ne sont pas mauvais non plus et il ne faut pas les critiquer par principe. Est-ce qu'il faut introduire des gestionnaires venus du privé ou bien des gens spécialement formés à la gestion ? J'ai plutôt privilégié cette dernière solution avec une meilleure utilisation des ressources humaines et une meilleure formation à la gestion.

L'obligation de résidence existait avant 1789 : les serfs n'avaient pas le droit de quitter la terre où ils étaient assignés à résidence. Pour assurer une proximité entre les personnels et leur application, un effort est fait au niveau du logement. Par exemple, 13.000 policiers sont logés sur la région parisienne. Nous avons un parc immobilier de plus d'un million de mètres carrés.

Comment empêcher un policier qui travaille à Creil d'habiter dans le Pas-de-Calais, ou qui travaille en Seine-Saint-Denis, d'habiter dans le Nord, alors que les moyens de communication sont très rapides ? Le vouloir vivre au pays est général. J'étais à la CRS de Toulouse, il y a peu de temps, et j'ai vu des policiers qui m'expliquaient qu'ils étaient de Saint-Gaudens. Pour eux, l'idée d'aller vivre ailleurs paraissait impossible. L'idée qu'ils habitent Saint-Gaudens est inscrite dans leur tête. Ils sont à la CRS de Toulouse et pour le reste, on les emploie 160 jours par an en région parisienne ou en Corse. Notre pays est ainsi fait. Il est très difficile de faire bouger les gens.

M. Francis Delattre : Le recrutement régionalisé est une bonne chose.

M. le Ministre de l'Intérieur : Il est à la CRS de Toulouse, il sera régionalisé et habitera Saint-Gaudens. La régionalisation s'est imposée pour les SGAP de Paris et de Versailles parce que c'est là qu'il y avait là le plus gros déficit et donc la rotation de personnels la plus importante. Cette régionalisation qui existe depuis 1996 donne de bons résultats puisque le nombre de candidats est allé de 10 pour un poste ouvert au concours en 1996 (6 à 1 en 1997 et 4 à 1 pour l'année dernière). Il y a donc pas mal de candidats, contrairement à ce que l'on avait pu craindre à un moment, et l'on va pourvoir les postes disponibles en Ile-de-France avec des franciliens, ce qui évitera cet exode déterminé par l'héliotropisme et que j'ai observé absolument partout. Ainsi, alors que j'étais ministre de l'Éducation nationale, le Président de la République me dit un jour : "je tiens ce qu'on puisse répondre à la demande légitime de rapprochement des conjoints, vous avez 15 jours pour le faire". Je lui ai proposé au bout de 15 jours un système où tous les rapprochements seraient satisfaits, mais également en direction de la Picardie. Croyez-moi, on a vu les limites de l'amour conjugal. L'héliotropisme est un instinct beaucoup plus fort. C'est vrai dans tous les grands ministères gestionnaires d'effectifs (Éducation nationale, armée...). C'est vrai aussi dans la police. Notre pays a des climats variés et certains sont plus attractifs que d'autres.

Vous me posez une question sur le travail au noir. En principe, ce n'est pas autorisé. Je suis très surpris. Vous m'indiquerez le nom de votre serveur !

Concernant les ADS, il faut que le taux d'encadrement soit accru, mais tout l'objet de la police de proximité est de faire en sorte que les fonctionnaires du service actif soient sur le terrain avec les ADS. On va avoir 20.000 ADS, il faut mettre sur le terrain un nombre de gardiens et de gradés équivalent.

Je pense que le commissaire de police qui vous a dit que les îlotiers étaient des épouvantails à moineaux n'est pas dans la ligne. Vous m'indiquerez également son nom. Je considère que ce commissaire ne comprend absolument pas ce qui lui est demandé.

M. Jean-Jacques Jegou : Voilà près d'une heure et demie que nous vous entendons. C'est très agréable. Vous êtes quelqu'un de compétent et vous avez surtout rendu un hommage à la police, ce qui me paraît tout à fait normal en tant que ministre de l'Intérieur. Il vrai que le métier de policier n'est pas un métier comme les autres, au même titre par exemple que des professions hospitalières.

Je voudrais rappeler, comme l'a parfaitement dit mon ami Pierre Méhaignerie, que nous sommes au sein d'une mission d'évaluation et de contrôle. Je n'ai pas beaucoup entendu ce matin - et ce sera ma première question - ce que vous avez pensé du rapport de la Cour des comptes, où un certain nombre de choses ont été avancées.

Je suis un commissaire aux finances déterminé. Par exemple, dans la formation professionnelle, pour ce qui concerne l'AFPA, on m'a rendu raison deux ou trois ans après des remarques que j'avais faites et, pourtant, je ne vois toujours pas d'amélioration.

On nous raconte des histoires qui ne sont pas forcément que des histoires. Vous répétez tous, à commencer par vous-même, que la police est sous-administrée, c'est-à-dire qu'elle n'est pas gérée. Les heures supplémentaires, l'organisation du travail des policiers dans les commissariats, les petits cahiers d'écoliers tenus à la main, raturés, etc. Tout ceci n'est pas au niveau d'un pays moderne.

Vous avez parlé tout à l'heure de vidéo, de caméras qui pourraient remplacer un certain nombre de policiers qui manqueraient dans les effectifs sur le terrain.

Il y a tout de même dans vos propos une sorte de plainte qui consiste à dire : je ne serai pas un bon ministre parce que je ne demanderai pas une augmentation de mon budget. Or, nous sommes ici pour nous assurer de l'efficacité de la dépense publique.

Même si vous avez un budget que vous considérez comme famélique par rapport à ceux que vous avez connus - je pense en effet que vous avez connu mieux à l'Éducation nationale - n'y a-t-il pas tout de même un problème de rapport qualité/prix dans la gestion de la police ? Vous avez parlé d'Aubusson : 5.546 habitants, 37 policiers, soit un policier pour 150 habitants. Dans mon commissariat de la proche couronne et qui n'est pas spécialement facile, un peu comme celui de M. Delattre, nous avons un policier pour 640 habitants.

Tout cela nécessite une volonté de redéploiement, d'accroissement de l'efficacité. J'aimerais bien vous entendre faire quelques propositions pour améliorer cette gestion, ce qui permettrait de faire ce que vous ne pouvez pas faire actuellement.

La productivité, en matière humaine, et singulièrement l'efficacité policière, j'entends bien qu'elle est difficile à évaluer. Mais il y a de tels errements dans la gestion de la police que l'on pourrait vraisemblablement dégager une partie des sommes nécessaires pour investir dans des moyens modernes et améliorer ainsi les services rendus à la population.

M. le Ministre de l'Intérieur : Beaucoup de questions qui m'ont été posées reprenaient un certain nombre d'observations de la Cour des comptes. Par conséquent, en répondant à ces questions...

M. Jean-Jacques Jegou : Vous n'avez pas parlé des nombreuses mises à dispositions, y compris dans des associations. Cela a été effleuré mais je n'ai pas entendu votre réflexion personnelle.

M. le Ministre de l'Intérieur : Ces mises à disposition sont de l'ordre de quelques centaines. Elles font partie, il faut le dire, d'un certain contrat social qu'on ne peut faire évoluer que dans la durée.

Si je prends les statistiques dont je dispose sur cinq ou six ans, j'observe que le nombre de ces mises à disposition a diminué. Il y a aussi des institutions sociales, des mutuelles, des syndicats. Sans doute faut-il y mettre un peu plus de clarté. J'ai demandé au directeur de l'administration de la Police nationale de reprendre, point par point, les observations de la Cour des comptes pour essayer d'y apporter des réponses.

J'observe notamment que le décompte des décharges et des heures de décharge n'est pas centralisé. Il n'y a pas une vision homogène des décharges accordées à différents niveaux pour des réunions syndicales ou des réunions d'instances paritaires. J'entends qu'il y ait une gestion plus stricte dans ce domaine. Mais, on ne gère pas cela sans y mettre un peu de salive.

Je pense que les observations de la Cour des comptes sont prises en compte par mon administration. Nous nous efforçons d'y répondre. Mais, il y a des observations trop générales. On ne peut pas additionner les mises à disposition dans les syndicats ou les associations, et, par exemple, les emplois dans la musique. Il y a deux musiques, celle de la préfecture de police et celle de la Police nationale. Ce n'est pas énorme.

Il y a peut-être, au sein de la police, un peu trop de sportifs de haut niveau. C'est possible. Cela fait partie des choses que j'ai demandé que l'on regarde. Mais il ne faut pas s'attendre à une remise en ordre excédant des effectifs de quelques dizaines. Si j'arrive à 100, j'aurai des problèmes avec Mme Buffet car, malgré tout, ils font partie d'un dispositif d'ensemble qui nous permet d'obtenir parfois des médailles.

Je ne pense pas que l'on puisse définir un bon ministre comme étant celui qui obtient une augmentation de son budget, même si celle-ci est préférable parce qu'elle facilite certains redéploiements. En toute hypothèse, les redéploiements sont en cours. Je tiens à vous dire que 1.200 policiers redéployés cette année, 1.200 l'année prochaine et 1.200 l'année suivante, cela fait mal.

Par ailleurs, la fidélisation de 10 % de la réserve générale, ne va pas non plus de soi. Le fait de parvenir à faire passer une réforme de cette importance est essentiel. L'adhésion des trois corps de la Police nationale à l'objectif de la police de proximité - même si j'en crois M. Delattre, certains commissaires n'ont pas encore compris la direction dans laquelle il faut aller - est également un point important.

Rien n'est facile. Vous avez cité Aubusson. C'est la petite ville emblématique puisqu'elle a 5.000 ou 6.000 habitants.

Je vous rappelle les effectifs du redéploiement en cours. Le redéploiement qui se fait par amaigrissement d'états-majors, externalisation de fonctions logistiques, cela fait 7.000 sur trois ans, dont 3.600 pour les policiers, le reste se faisant par d'autres moyens. La fidélisation, c'est 3.000. Les transferts de commissariats en zone de gendarmerie, et parfois de gendarmeries en zone de police, devaient permettre d'économiser, à l'horizon de 7 ou 8 ans, 3.000 personnes. Voilà trois réformes qui devraient permettre le redéploiement à terme de 13.000 policiers.

Quand on a voulu passer à l'application de ces réformes, il est vrai que je venais d'avoir une péripétie qui est maintenant derrière moi, on a assisté à une levée de boucliers. Quand je suis revenu, le rapport Fougier était là et concluait que le rapport qualité/prix, comme vous dites, n'était pas fameux. Sans renoncer à cette réforme, nous avons décidé d'opérer autrement et d'adopter la méthode dite du cas par cas. Actuellement, nous étudions une vingtaine de modifications, en concertation avec les élus et les syndicats, parce que les policiers doivent aussi pouvoir retrouver une affectation dans un commissariat pas trop éloigné de leur lieu de résidence.

Tout cela pour vous montrer, même s'il n'est pas très facile de réformer, que ces réponses seront mises en oeuvre. Simplement on ne pourra pas procéder à la totalité des transferts en trois ans, comme cela avait été initialement prévu. La concertation n'avait peut-être pas été idéale. C'est seulement quand les réformes seront mieux concertées que les choses pourront se faire dans la souplesse.

M. Didier Migaud, rapporteur général : Dans les rapports de la Cour des comptes, certaines questions sont soulevées à propos des compagnies de CRS utilisées pour des missions dites de sécurisation pour lesquelles elles ne paraissent pas toujours adaptées, et intervenant dans des conditions de coûts budgétaires très défavorables. Que pensez-vous de ces observations ? Est-ce que vous réfléchissez à une réforme des règles d'emploi des CRS ?

On nous fait observer que le régime indemnitaire, le régime des primes, est souvent trop général et ne tient pas compte de l'effectivité ou de la pénibilité du travail. Est-ce que, là aussi, une réflexion est engagée pour faire en sorte que ceux qui sont vraiment sur le terrain puissent bénéficier d'un régime plus favorable que ceux qui ne rencontrent pas les mêmes difficultés d'exercice du métier ?

Dernière question, car on nous ferait le reproche de ne pas l'évoquer ici : comment M. Bauer a-t-il pu conclure sur un effectif aussi peu nombreux de policiers présents sur le terrain ? Je sais que vous avez vous-même contesté ce chiffre, mais comment un universitaire a priori sérieux a-t-il pu produire une telle note ?

M. le Ministre de l'Intérieur : J'ai lu avec attention tout ce que la Cour des comptes a pu dire de l'emploi des CRS. C'est un document que j'ai trouvé très instructif qui date de janvier 1997. Après l'avoir lu, j'ai été amené à proposer un certain nombre de modifications tenant notamment à la fidélisation : 1.500 CRS vont être fidélisés dans un certain nombre d'agglomérations (Toulouse, Lyon, Marseille, Lille) et dans certains départements de la région parisienne. Au lieu d'être affectés à des tâches de sécurisation pendant généralement un mois, ils vont se trouver pour une durée d'au moins 6 mois, et continûment, dans une agglomération donnée, appelés très largement à remplir les fonctions qui sont celles, aujourd'hui, des compagnies départementales d'intervention.

Nous aurons des unités qui devront répondre à ce qu'est la demande aujourd'hui, c'est-à-dire la lutte contre la délinquance au quotidien. Cela pose le problème de la gestion de ces forces. Il est prévu de leur demander un effort supplémentaire, qui pourra être partiellement compensé par une indemnité d'astreinte, de sorte qu'elles ne perdent pas trop par rapport aux unités non fidélisées qui continueront à remplir des missions de maintien de l'ordre public et bénéficieront, à ce titre, de l'indemnité journalière d'absence temporaire (IJAT). L'IJAT est très recherchée, y compris à la sortie des écoles, parce qu'elle permet de mettre un peu de beurre dans les épinards, mais en même temps, elle indemnise une certaine pénibilité. Les gardiens de CRS envoyés en région parisienne ou en Bretagne quand il y a un problème avec les éleveurs de porcs, sont séparés de leur famille et touchent l'IJAT. Pour ceux qui ne toucheront plus l'IJAT un régime spécial est en train d'être discuté avec les syndicats et le ministère du Budget. Nous essayons de trouver un équilibre satisfaisant.

On fait donc évoluer les CRS. Cette évolution, nous en vivons un moment important puisque, dès le 1er octobre de cette année, 900 CRS vont être fidélisés et 750 gendarmes mobiles devront être employés autant que possible dans les zones où la délinquance sévit le plus. Cela implique d'ailleurs la conclusion de protocoles, soit entre la direction générale de la gendarmerie et la direction centrale de la sécurité publique, soit au niveau local.

Le régime indemnitaire est en effet complexe, mais il répond à des nécessités diverses. Tout d'abord s'agissant des différents corps, chacun a son régime. Ensuite, il y a des indemnités spécifiques, comme l'IJAT, des indemnités particulières de pénibilité pour des zones difficiles, ou de fidélisation dans la région parisienne. Tout cela peut paraître touffu. On ne peut pas y remettre de l'ordre facilement car cela fait partie des droits acquis dont la religion est aussi bien établie aujourd'hui que la religion traditionnelle. On peut faire bouger ce système et essayer de le cibler davantage. Je m'y efforce.

En ce qui concerne le rapport Bauer, j'ai été surpris car je connaissais un peu M. Bauer. Il a bénéficié d'ailleurs du concours d'un certain nombre de services de police au moins pour présenter un certain nombre d'agrégats sur la base desquels il a exercé son raisonnement dans des conditions, à mon sens, complètement défectueuses. C'est l'esprit de géométrie : il a procédé par déduction, par soustraction, pour arriver à ce chiffre, qui ne correspond à rien, de 5.000 policiers présents sur la voie publique. Chiffrage très contestable parce qu'il a oublié les policiers qui contribuent aussi à la sécurité quotidienne des Français, ceux des BAC (3.500), des compagnies d'intervention (2.500), des compagnies de circulation routière et les motocyclistes (2 à 3.000). Il a chiffré à 30.000 le nombre des policiers qui resteraient dans les commissariats à ne rien faire. Cela n'a pas de sens. Il est vrai que les services d'investigation et de recherche représentent 8.500 policiers, mais la police est aussi un travail éminemment juridique et administratif. Encore une fois, nous sommes dans un État de droit, il faut faire des relevés de plaintes, d'infractions, etc. Tout cela est assez lourd. Je voudrais bien que ce soit plus léger, mais si c'était trop léger, nous ne serions plus dans un État de droit.

J'ajoute que beaucoup de policiers sont à la disposition de la justice, et pas seulement la police judiciaire. Il y a des activités de recherche au niveau des sûretés départementales. Il faut tenir compte de tout cela et ne pas se limiter à ce chiffre restrictif de 20.000 qu'on divise par 4, parce qu'on ne compte que les brigades de roulement, au nombre de trois, tout en créant artificellement une quatrième qui correspondrait aux maladies et indisponibilités diverses. C'est en divisant 20.000 par 4 qu'on arrive à dire qu'il y a 5.000 policiers présents sur la voie publique. Cela est totalement absurde !

Les chiffres que je peux vous donner, ce sont au moins 20.000 policiers à tout moment de la journée, dans la zone de sécurité publique, plus 2.000 pour la préfecture de police, sans compter les adjoints de sécurité, dont les deux tiers sont sur la voie publique. Si on prend en compte également les directions spécialisées (police judiciaire, police aux frontières, renseignements généraux), il y a sur la voie publique, à un moment donné de la journée, en réalité au moins 25.000 policiers. Les chiffres que je vous donne sont au moins 4 ou 5 fois supérieurs à ceux auxquels a abouti, par un étrange raisonnement, M. Bauer qui, je le rappelle, est un consultant privé.

Compte tenu du dossier qui lui a été fourni, je pense qu'il n'a pas bien travaillé. En même temps, il sensibilise l'opinion au-delà de ce qui est raisonnable à la nécessité de mettre davantage de policiers sur la voie publique. De ce point de vue, il rejoint mon intention, mais je procède de manière ordonnée avec une institution qui comporte ses règles, ses textes, ses commissions paritaires, ses syndicats et que je ne peux pas faire bouger sur un simple claquement de doigts.

M. Louis Mermaz, rapporteur pour avis : En ce qui concerne les adjoints de sécurité, des informations nous reviennent de partout. Nous constatons, nous aussi, qu'il y a un risque de glissement de les voir remplacer les policiers professionnels. J'ai cité ici un exemple vécu : il y a quelques semaines, place de la Concorde, j'ai vu deux jeunes en casquette bleue, complètement perdus au milieu des voitures alors que, à 200 mètres de là, trois policiers professionnels devisaient gentiment. Je l'ai dit en présence du Préfet Massoni.

Il ne faut pas que les supplétifs remplacent les professionnels. Un autre exemple : sur le boulevard Saint-Michel, à la suite d'un cambriolage d'un kiosque à journaux, j'ai vu trois jeunes gens à qui le vendeur expliquait qu'on a essayé de lui faire la caisse. Les jeunes n'étaient pas formés à cela. C'est un problème auquel il faut faire attention.

Par ailleurs, il y a le problème de l'accueil. Il y a encore trop de commissariats où le citoyen est reçu comme un chien dans un jeu de quilles. J'étais dernièrement dans la région de Naples. Je ne demande pas que l'on en arrive là, mais voir des policiers qui se mettent en quatre pour faciliter la circulation dans un sens interdit d'un automobiliste malheureux est étonnant. Cela ne se passe pas comme cela chez nous. Il faut que les policiers apprennent à parler aux gens. Ils ne savent pas le faire.

M. le Ministre de l'Intérieur : S'agissant de Paris, je ne vais pas vous parler de la place de la Concorde, où l'embouteillage n'est pas permanent. Vous avez été spectateur d'une scène de rue. La préfecture de police a fait un gros effort auquel je tiens à rendre hommage parce qu'elle a mené d'emblée, en accompagnant quasiment le colloque de Villepinte, une réflexion ayant débouché sur la réforme qui vient de prendre effet pour aboutir à une grande simplification. Il y a maintenant une pyramide de commissariats qui relèvent les uns des autres. Les commissariats de quartiers ne sont plus comme auparavant des commissariats de police judiciaire, alors que les commissariats d'arrondissements étaient des commissariats de sécurité publique. Tous les commissariats de Paris sont, en quelque sorte, dans la même ligne hiérarchique, celle d'une direction de la police urbaine de proximité qui regroupe plus de 10.000 policiers de proximité.

Nous aboutissons ainsi à ce qu'il y ait, à Paris, 33 commissariats ouverts jour et nuit, 24 heures sur 24, alors qu'ils n'étaient que 20 dans l'ancienne formule. Cette réforme va progressivement prendre effet. Il faut aller vers un maillage toujours plus fin de la capitale.

Les adjoints de sécurité doivent être encadrés. Deux à trois adjoints de sécurité doivent être encadrés dans des missions de surveillance générale par au moins un gardien de la paix. C'est le ratio minimal à mes yeux.

Je considère par conséquent que ce sont les fonctionnaires actifs, et pas les ADS, qui doivent avoir la responsabilité de tel quartier, îlot, secteur, rue dans la réforme de la police de proximité. J'estime, en outre, que les intervenants de la police de proximité doivent être reliés grâce aux nouveaux moyens de communication. Vos jeunes n'avaient peut-être pas le portable qui leur permettait de signaler au commissariat voisin que l'on venait de faire la caisse de votre kiosque à journaux. C'est un problème de moyens de communication et cela fait partie des demandes, très modestes que je fais à la direction du Budget pour doter cette police présente sur le terrain des moyens de communiquer, de se déplacer, de réagir vite aux situations les plus imprévues.

La Police est une institution qu'il faut faire bouger. Elle a commencé à bouger et prend conscience de la nécessité de bouger. Elle sait que c'est pour elle un grand défi. La Police nationale est attachée aux prérogatives qu'elle exerce au nom de l'État républicain, mais elle sait aussi que pour pouvoir continuer à les exercer, elle doit justifier son emploi et les moyens qui lui sont consacrés.

Je suis très conscient que le budget de la police représente 28 milliards de francs. Cet effort doit se justifier par des performances à la hauteur des attentes de nos concitoyens. C'est ce travail que nous sommes en train de faire.

Quant à l'accueil, la préfecture de police a fait des efforts : partout où vous irez, vous verrez des chartes de l'accueil. La sensibilisation à l'accueil est l'un des axes d'effort de la police de proximité. Il s'agit tout d'abord de l'accueil des plaignants, mais aussi la démarche qui consiste à aller au devant des victimes potentielles que nous sommes tous plus ou moins : interroger les gens, connaître leurs besoins, leurs craintes. Il y a trop de gens qui n'osent même plus dire à la police ce qu'ils voient. Il faut créer une ambiance de confiance. Ce rapport entre la police et la population est le facteur déterminant. La police et la population doivent être en confiance et le rapport ne doit pas être un rapport stéréotypé ou manichéen, tel qu'il est souvent décrit dans des films à succès, qui font que l'on aurait d'un côté les jeunes - expression que je trouve inacceptable pour désigner les délinquants - et de l'autre la police. Il y a les délinquants et il y a les jeunes, cela n'a rien à voir. Il y a aussi des délinquants qui sont moins jeunes. Il n'en reste pas moins qu'on ne peut pas procéder à ce type d'assimilation où l'on aurait d'un côté les jeunes et de l'autre la police. Tout cela est absurde !

Il est temps de revenir à des perceptions plus élaborées. Il est vrai que cela ne va pas avec la simplification du discours médiatique. Mais je compte aussi sur les médias pour nous aider à comprendre que le policier est au service de la population et qu'il doit y avoir un rapport de proximité entre la police et la masse de nos concitoyens. Le policier doit être dans la population comme un poisson dans l'eau.

M. Tony Dreyfus, rapporteur spécial : Vous avez employé une très bonne expression : le policier doit se comporter comme un député, c'est-à-dire qu'il doit être immergé dans le milieu. La réforme de la préfecture de police que vous avez entreprise est en train de se réaliser. Cela se passe bien. Je parle en tant que maire d'un arrondissement. A l'évidence, les changements d'hommes sont intervenus.

La seule suggestion que je me permettrai de vous faire est la suivante : ces hommes doivent être formés à la communication car aujourd'hui, le principal problème, dans les grandes villes, est un problème d'incivilité généralisée qui pousse à l'exaspération et se transforme en climat d'agression. A ce moment-là, il faut que ces hommes soient un peu préparés. Il y a des cours de communication. Ne serait-il pas possible que le ministère de l'Intérieur ou la préfecture de police, disposent d'une cellule de communication qui, sur le terrain, vienne expliquer aux fontionnaires de police qu'il ne s'agit pas de rester dans son commissariat ou dans sa voiture et qu'il faut parfois circuler à côté de la voiture ?

La deuxième question que posent les citoyens, parce qu'on parle de CRS, de policiers, est la suivante. ne serait-il pas possible d'unifier les services de police ? Mais non, ce n'est pas possible. Ils ont leur raison d'être, leur histoire, qu'elle soit géographique ou institutionnelle. Cela étant, il y a sûrement un effort d'explication à faire pour justifier la spécificité et l'identité de chacun de ces services. C'est une suggestion que je me permets de vous faire.

M. le Ministre de l'Intérieur : Vous avez raison de mettre le doigt sur le problème de la communication interne et externe insuffisamment développée dans la police. C'est un vrai problème. Quand je compare avec l'armée et le rôle du SIRPA, nous avons devant nous un énorme travail de communication interne, même s'il est vrai qu'il peut y avoir des effets pervers.

J'ajoute que la communication se fait aussi avec la population. De ce point de vue, le développement d'une politique partenariale, avec les contrats locaux de sécurité, et tout ce que cela implique de réunions de suivi ou de réunions de quartiers, va amener le policier à s'immerger davantage dans le milieu social. Les élus que vous êtes sont souvent sur le terrain et peuvent d'ailleurs très souvent utilement interpeller les responsables, les commissaires de police. On a cité certains cas tout à l'heure, mais vous pouvez parfois leur demander, non pas des comptes, mais comment ils emploient leurs moyens.

Vous avez souligné le fait qu'il y a plusieurs polices dans la police. Il y a, tout d'abord, la police judiciaire qui travaille sous le contrôle des juges. Il y a, ensuite, les renseignements généraux qui jouent un rôle de veille, de phare, et permettent au Gouvernement d'être informé, quelques jours à l'avance, de ce qui va se passer. Quand on n'est pas prévenu, on voit ce qui peut se passer. Je pense au saccage du bureau d'une de mes collègues : il y a eu un petit défaut, puisqu'on n'avait pas branché le fax dans un bureau d'une direction départementale des renseignements généraux. L'information n'était donc pas passée.

Il y a par ailleurs la police aux frontières, de plus en plus nécessaire. La France accueille 100 millions de visiteurs par an. A l'aéroport de Roissy-Charles de Gaulle, le trafic progresse très rapidement et il faut sans cesse y augmenter le nombre de policiers : il y en a 1.000 aujourd'hui. L'essentiel de l'effectif des fonctionnaires de police est quand même affecté à des tâches de sécurité publique et à la préfecture de police. Si on fait le total, ce sont 90.000 policiers sur 130.000 si on compte les ADS. Le problème est beaucoup plus de faire travailler ensemble tous ces services que de mettre en place des moyens supplémentaires. Je m'y efforce en les réunissant fréquemment et en faisant en sorte que sur des projets ciblés, chacun y mette du sien.

Par exemple, les renseignements généraux sont maintenant mis à contribution dans le domaine des violences urbaines. C'est l'axe principal de leurs efforts aujourd'hui.

On peut imaginer d'autres réformes et nous en avons évoqué tout à l'heure. Elles peuvent redevenir d'actualité dans l'avenir. Comme je l'ai dit tout à l'heure, on ne peut pas infliger à une institution trop de réformes simultanément, sinon elle finit par s'y perdre.

Le Président Augustin Bonrepaux : S'il n'y a pas d'autres questions, Monsieur le Ministre, il me reste à vous remercier d'avoir répondu avec tant de précision à ces nombreuses questions.

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N° 1781.- Rapport d'information de M. Didier Migaud, Rapporteur général, déposé en application de l'article 145 du Règlement par la commission des finances, en conclusion des travaux d'une mission d'évaluation et de contrôle constituée le 3 février 1999.- Annexe 2 : la gestion des effectifs et des moyens de la police nationale.- Rapporteur spécial : M. Tony Dreyfus.