N° 2109

--

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 25 janvier 2000.

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

AU NOM DE LA DÉLÉGATION AUX DROITS DES FEMMES ET A L'ÉGALITÉ DES CHANCES ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES (1) SUR LA PROPOSITION DE LOI (n° 735), ADOPTÉE PAR LE SÉNAT, relative à la prestation compensatoire en matière de divorce.

PAR Mme Marie-Françoise CLERGEAU,

Députée.

--

(1) La composition de cette Délégation figure au verso de la présente page.

Voir les numéros :

Sénat : 151, 400 (1996-1997), 20, 309 et T.A. 87 (1997-1998).

Assemblée nationale : 735.

Etat civil.

La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes est composée de : Mme Martine Lignières-Cassou, présidente ; Mmes Muguette Jacquaint, Chantal Robin-Rodrigo, Yvette Roudy, Marie-Jo Zimermann, vice-présidentes ; Mme Marie-Thérèse Boisseau, M. Michel
Herbillon, secrétaires ; M. Pierre Albertini, Mmes Nicole Ameline, Martine
Aurillac, Roselyne Bachelot-Narquin, M. Patrick Bloche, Mme Danielle Bousquet, M. Philippe Briand, Mme Nicole Bricq, M. Jacques Brunhes, Mmes Odette
Casanova, Nicole Catala, MM. Richard Cazenave, Henry Chabert, Mme Marie-Françoise Clergeau, MM. Jean-Pierre Defontaine, Jean-Claude Etienne, Jacques Floch, Claude Goasguen, Patrick Herr, Mmes Anne-Marie Idrac, Conchita Lacuey, Jacqueline Lazard, Raymonde Le Texier, M. Patrice Martin-Lalande, Mmes Hélène Mignon, Catherine Picard, MM. Bernard Roman, André Vallini,
Kofi Yamgnane.

INTRODUCTION 5

I.- LA PRESTATION COMPENSATOIRE : DES PRINCIPES À LA PRATIQUE 6

A. LES CARACTÉRISTIQUES ET LES MODALITÉS DE LA PRESTATION COMPENSATOIRE DÉFINIES PAR LA LOI DU 11 JUILLET 1975 6

B. EN PRATIQUE, L'EXCEPTION EST DEVENUE LA RÈGLE 7

C. LA RÉVISION DE LA RENTE DEMEURE EXCEPTIONNELLE 8

II.- LES INITIATIVES PRISES PAR LES PARLEMENTAIRES 8

A. LA PROPOSITION DE LOI ADOPTÉE PAR LE SÉNAT 8

B. LES PROPOSITIONS DE LOI RELATIVES À LA PRESTATION COMPENSATOIRE DÉPOSÉES À L'ASSEMBLÉE NATIONALE DEPUIS LE DÉBUT DE LA XIÈME LÉGISLATURE 9

III.- LES PROPOSITIONS DE LA DÉLÉGATION TENDANT À FAVORISER L'ÉQUITÉ ENTRE DÉBITEUR ET CRÉANCIER D'UNE PRESTATION COMPENSATOIRE 11

A. RÉAFFIRMER LE PRINCIPE DU VERSEMENT DE LA PRESTATION COMPENSATOIRE SOUS FORME DE CAPITAL 11

B. AUTORISER LA RÉVISION DES MODALITÉS DE PAIEMENT ÉCHELONNÉ DU CAPITAL, SANS MODIFICATION DE SON MONTANT 12

C. PRÉCISER LE RÉGIME JURIDIQUE DE LA PRESTATION COMPENSATOIRE VERSÉE SOUS FORME DE RENTE VIAGÈRE AINSI QUE LES MODALITÉS DE SA RÉVISION 12

D. PERMETTRE AUX HÉRITIERS DU DÉBITEUR DÉCÉDÉ D'EXERCER UNE ACTION EN RÉVISION 12

RECOMMANDATIONS ADOPTÉES PAR LA DÉLÉGATION 16

Mesdames, Messieurs,

Votre Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a été saisie, sur sa demande, par la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, de la proposition de loi relative à la prestation compensatoire en matière de divorce, adoptée en première lecture par le Sénat le 25 février 1998 (n° 735).

Instituée par la loi n° 75-617 du 11 juillet 1975 portant réforme du divorce la prestation compensatoire n'a pas atteint les objectifs que le législateur lui avait assignés.

Remplaçant la pension alimentaire entre ex-époux, sauf en cas de divorce pour rupture de la vie commune, la prestation compensatoire devait régler de manière définitive les conséquences pécuniaires du divorce, éviter le contentieux de l'après-divorce, très important en matière de pension alimentaire du fait de leur non-paiement et des demandes fréquentes de révision dont elles faisaient l'objet, et permettre de rompre tout lien entre les époux.

Mais les caractéristiques et les modalités de la prestation compensatoire définies par le législateur dans ce but ont été infléchies par la pratique.

Les propositions de loi, déposées à l'Assemblée nationale ou au Sénat, tendent à mettre un terme aux situations dramatiques, parfois inéquitables, qui tiennent aux modalités de la prestation compensatoire - notamment à sa forme et à sa durée - ainsi qu'à ses conditions de révision.

I.- LA PRESTATION COMPENSATOIRE : DES PRINCIPES À LA PRATIQUE

A. LES CARACTÉRISTIQUES ET LES MODALITÉS DE LA PRESTATION COMPENSATOIRE DÉFINIES PAR LA LOI DU 11 JUILLET 1975

_ La prestation compensatoire a un caractère indemnitaire.

« Destinée à compenser, autant qu'il est possible, la disparité que la rupture du mariage crée dans les conditions de vie respectives » (article 270 du code civil), elle « est fixée selon les besoins de l'époux à qui elle est versée et les ressources de l'autre en tenant compte de la situation au moment du divorce et de l'évolution de celle-ci dans un avenir prévisible » (article 271 du code civil). Le juge tient compte dans la détermination des besoins et des ressources d'une série d'éléments énumérés non limitativement par l'article 272 du code civil (âge et état de santé des époux ; temps consacré à l'éducation des enfants ; qualifications professionnelles et disponibilité pour de nouveaux emplois ; droits existants et prévisibles ; perte éventuelle de leurs droits en matière de pensions de réversion ; patrimoine des époux après liquidation du régime matrimonial).

En principe, la prestation compensatoire prend la forme d'un capital (articles 274 à 275-1). Toutefois, « à défaut de capital ou si celui-ci n'est pas suffisant, la prestation compensatoire prend la forme d'une rente. » (article 276 du code civil).

« La rente est attribuée pour une durée égale ou inférieure à la vie de l'époux créancier. Elle est indexée ; l'indice est déterminé comme en matière de pension alimentaire. Le montant de la rente avant indexation est fixé de façon uniforme pour toute sa durée ou peut varier par périodes successives suivant l'évolution probable des ressources et des besoins. » (article 276-1 du code civil).

Cependant, le versement sous forme de rente ne modifie pas le caractère indemnitaire de la prestation et ne lui confère pas un caractère alimentaire.

_ Ces règles ne sont pas applicables en cas de divorce sur demande conjointe, où les montants et modalités de la prestation sont fixés conventionnellement par les époux (articles 278 et 279 du code civil).

_ Par ailleurs, il résulte de l'article 273 du code civil que « la prestation compensatoire a un caractère forfaitaire. Elle ne peut être révisée même en cas de changement imprévu dans les ressources ou les besoins des parties, sauf si l'absence de révision devait avoir pour l'un des conjoints des conséquences d'une exceptionnelle gravité ».

_ En outre, « à la mort de l'époux débiteur, la charge de la rente passe à ses héritiers. » (article 276-2 du code civil).

B. EN PRATIQUE, L'EXCEPTION EST DEVENUE LA RÈGLE

L'analyse statistique des 117.913 jugements de divorce prononcés en 1996, réalisée par le ministère de la justice (1), fournit bon nombre d'enseignements sur la réalité pratique de la prestation compensatoire. Ainsi, pour cette année :

_ seuls 14 % des divorces prononcés ont été assortis d'une prestation compensatoire (soit 16.120 divorces) : celle-ci intervenant après les durées de mariage les plus longues ;

_ 97 % des prestations compensatoires ont été accordées à l'épouse ;

_ La rente mensuelle fixe est la forme privilégiée de la prestation compensatoire. En effet, la rente mensuelle fixe seule apparaît dans 61 % des jugements attribuant cette prestation (soit dans 9.797 jugements), alors que le capital seul n'apparaît que dans 20 % des jugements (soit 3.233 jugements). « Cette pratique très marquée, note le ministère de la justice, va à l'encontre du souhait du législateur qui, en 1975, prévoyait l'attribution d'un capital, et à défaut seulement d'une rente, avec l'idée sous-jacente de régler définitivement cette conséquence financière du divorce au moment de son prononcé. Le choix permettait à la fois de limiter les hypothèses de révision, et de rompre tout lien entre les ex-époux. »

_ Dans le cas du versement d'une rente mensuelle fixe à l'épouse, la pratique la plus courante est celle d'une durée limitée dans le temps (69 % des cas). Sur 10.796 rentes mensuelles fixes, 6.780 (63 %) sont versées durant un nombre d'années déterminé, 3.336 (31 %) pendant la vie du créancier et 680 (6 %) jusqu'à ce qu'un événement aléatoire vienne interrompre le versement.

L'âge de l'épouse au moment du divorce est un facteur déterminant pour la durée du versement de la rente mensuelle fixe. A partir de cinquante ans, le versement à vie prend une part prépondérante.

C. LA RÉVISION DE LA RENTE DEMEURE EXCEPTIONNELLE

_ L'application de l'article 273 du code civil (relatif à la révision de la prestation compensatoire) par la jurisprudence est, dans l'ensemble très restrictive ; les tribunaux exigent en effet la preuve d'une circonstance particulièrement grave, qui ne peut être invoquée que par celui qui la subit, comme par exemple une diminution de ses revenus (chômage, précarité), une maladie, des charges de famille supplémentaires. En revanche, le débiteur ne peut invoquer l'amélioration de la situation matérielle du créancier pour obtenir une diminution de la prestation.

_ Les situations inéquitables, et parfois dramatiques, qui résultent de cette pratique ont amené les parlementaires à s'interroger à de très nombreuses reprises.

Il est arrivé, en effet, que certains débiteurs de prestation compensatoire, affectés par des événements imprévisibles (tels que le chômage, la précarité ou la maladie), aient dû poursuivre leurs versements au moment même où la situation du créancier s'améliorait du fait de promotion ou de reconversion professionnelles, de remariage...

Dans le même sens, le principe de la transmission aux héritiers du débiteur décédé de la charge de la rente a été également vivement critiqué.

II.- LES INITIATIVES PRISES PAR LES PARLEMENTAIRES

A. LA PROPOSITION DE LOI ADOPTÉE PAR LE SÉNAT

_ Dans ce texte, la révision de la prestation compensatoire est assouplie : sans remettre en cause le caractère forfaitaire de cette prestation, les sénateurs ont considéré qu'elle ne pourrait être révisée qu'en cas de changement substantiel dans les ressources ou les besoins des parties (article premier).

En outre, les héritiers du débiteur de la rente pourraient demander la révision de la rente dans les mêmes conditions (article 2 bis).

_ Le versement de la prestation compensatoire sous forme de capital serait facilité :

- Les possibilités de versement en capital seraient élargies : l'abandon de biens en nature, meubles ou immeubles, limité actuellement à l'usufruit, pourrait être également réalisé en pleine propriété ou pour l'usage et l'habitation (article premier ter) ;

- Le débiteur ou le créancier d'une prestation compensatoire sous forme de rente pourrait demander au juge sa conversion en capital (article premier quater).

_ Les modalités de versement de la rente seraient précisées :

- La durée de la rente pourrait être temporaire ou viagère, la charge de la rente disparaissant au décès du créancier (article 2).

- Le principe de la transmission de la charge de la rente aux héritiers du débiteur serait maintenu. Toutefois, elle pourrait être révisée en cas de changement substantiel dans les ressources ou les besoins des parties (article 2 bis)

- Les garanties de paiement de la rente seraient élargies. Ainsi, le juge pourrait-il imposer à l'époux débiteur de souscrire un contrat garantissant le paiement de la rente (article 2 ter).

_ Ces nouvelles dispositions seraient applicables aux rentes en cours (article 4).

B. LES PROPOSITIONS DE LOI RELATIVES À LA PRESTATION COMPENSATOIRE DÉPOSÉES À L'ASSEMBLÉE NATIONALE DEPUIS LE DÉBUT DE LA XIÈME LÉGISLATURE

A l'Assemblée nationale, plusieurs propositions de loi ont été déposées sur ce sujet.

Celles de M. André Gérin et des membres du groupe communiste et apparentés (n° 156), de M. Pierre-André Wiltzer et plusieurs de ses collègues (n° 579) et de M. Michel Hunault (n° 1989) ont pour objet d'assouplir les conditions de révision de la prestation compensatoire.

La proposition de loi de M. Michel Hunault (n° 1989) vise également à limiter la durée de la rente et prévoit qu'au décès du débiteur, la charge de celle-ci est transmise à ses héritiers après révision.

La proposition de loi de M. Yves Nicolin et plusieurs de ses collègues (n° 1900) tend à substituer à la prestation compensatoire une indemnité de séparation entre époux divorcés. Cette indemnité de séparation prendrait la forme d'un capital dont le montant serait fixé par le juge. Elle pourrait prendre la forme d'une rente temporaire qui ne pourrait excéder dix ans. Elle serait révisable et intransmissible.

La proposition de loi présentée par M. Jean-Marc Ayrault et les membres du groupe socialiste et apparentés (n° 2098) pose le principe selon lequel la prestation compensatoire prend la forme d'un capital, dont le montant est fixé par le juge, mais prévoit néanmoins un régime dérogatoire de prestation compensatoire versée sous forme de rente viagère.

- Alors qu'actuellement le capital doit être versé en trois annuités au plus, il est proposé que le juge puisse fixer d'autres modalités de paiement, sous forme de versements mensuels ou annuels dans la limite de six ans.

Le débiteur pourrait se libérer à tout moment du solde du capital restant dû.

Seules les modalités de paiement pourraient être révisées en cas de changements notables dans la situation du débiteur de la prestation compensatoire.

La charge du solde débiteur serait transmise à ses héritiers qui pourraient également demander la révision des modalités de paiement.

- A titre dérogatoire, la prestation compensatoire pourrait prendre la forme d'une rente viagère, les rentes temporaires étant exclues.

La rente viagère serait fixée par le juge en considération de l'âge ou de l'état de santé du créancier, ainsi que des autres éléments d'appréciation énumérés par l'article 272 actuel du code civil, auxquels serait ajoutée la durée du mariage.

La révision de la prestation compensatoire sous forme de rente viagère serait possible « en cas de changement important dans les ressources ou les besoins des parties ».

La charge de la rente viagère passerait aux héritiers du débiteur, déduction faite de la pension de réversion du chef du conjoint décédé ; et les héritiers pourraient également demander la révision de la prestation compensatoire sous forme de rente.

La capitalisation de la rente viagère pourrait être demandée par le débiteur ou le créancier d'une prestation compensatoire.

Enfin, à titre transitoire, les dispositions relatives à la révision des prestations compensatoires versées sous forme de rente viagère seraient applicables aux rentes en cours.

III.- LES PROPOSITIONS DE LA DÉLÉGATION TENDANT À FAVORISER L'ÉQUITÉ ENTRE DÉBITEUR ET CRÉANCIER D'UNE PRESTATION COMPENSATOIRE

A. RÉAFFIRMER LE PRINCIPE DU VERSEMENT DE LA PRESTATION COMPENSATOIRE SOUS FORME DE CAPITAL

Compte tenu des difficultés résultant du versement des prestations compensatoires sous forme de rente, votre Délégation estime souhaitable de réaffirmer le principe selon lequel la prestation compensatoire prend la forme d'un capital dont le montant est fixé par le juge et d'en faciliter le paiement :

_ en permettant un versement fractionné du capital, sous forme de versements mensuels ou annuels, pour une durée limitée. Cette solution permettrait de tenir compte des faibles ressources dont disposent certains débiteurs de prestation au moment de leur divorce.

Toutefois, votre Délégation considère que cette durée ne doit pas être trop brève afin d'éviter d'imposer au débiteur des versements d'un montant trop élevé : une telle situation pouvant conduire à des demandes de révision ou à la fixation par le juge d'un capital minoré, en rapport avec la brièveté des délais.

Par ailleurs, il conviendrait que le juge fixe ces modalités de paiement par une décision spécialement motivée.

_ en modifiant le régime du divorce, afin de lier les opérations de fixation des modalités de la prestation compensatoire et de liquidation du régime matrimonial.

Ceci devrait permettre de fixer dans de meilleures conditions un montant de prestation compensatoire en capital qui soit adapté aux possibilités financières du débiteur.

_ en reconsidérant les règles fiscales applicables en cas de versement de la prestation compensatoire sous forme de capital afin de favoriser cette forme de prestation.

Le caractère « dissuasif » de la fiscalité applicable à la prestation compensatoire en capital a été évoqué par Mme Irène Théry dans le rapport « Couple, filiation et parenté aujourd'hui, le droit face aux mutations de la famille et de la vie privée (mai 1998) ».

Le rapport du groupe de travail présidé par Mme Françoise Dekeuwer-Defossez, intitulé « Rénover le droit de la famille : propositions pour un droit adapté aux réalités et aux aspirations de notre temps » (septembre 1999) précise qu' « à l'heure actuelle, le versement de la prestation sous forme de rente est tellement attractif fiscalement que l'on a vu des versements en capital déguisés en rente ! ».

B. AUTORISER LA RÉVISION DES MODALITÉS DE PAIEMENT ÉCHELONNÉ DU CAPITAL, SANS MODIFICATION DE SON MONTANT

Les aléas de la vie, imprévisibles par nature, tels que le chômage, la précarité ou la maladie, peuvent mettre l'époux débiteur d'une prestation compensatoire sous forme de capital dans une situation critique.

Votre Délégation considère que de telles situations devraient être prises en considération en prévoyant une révision de l'échéancier des versements en cas de changement notable et imprévu de la situation du débiteur de la prestation compensatoire.

C. PRÉCISER LE RÉGIME JURIDIQUE DE LA PRESTATION COMPENSATOIRE VERSÉE SOUS FORME DE RENTE VIAGÈRE AINSI QUE LES MODALITÉS DE SA RÉVISION

_ En raison de son caractère exceptionnel, la prestation compensatoire sous forme de rente viagère devrait être fixée par une décision spécialement motivée du juge.

Outre l'âge ou l'état de santé du créancier et les éléments d'appréciation énumérés par l'article 272 actuel du code civil, auxquels pourrait être ajoutée la durée du mariage, votre Délégation considère qu'il est nécessaire que le juge prenne également en considération les ressources et les besoins des deux parties.

_ Par ailleurs, votre Délégation estime que des conditions de révision spécifiques devraient être prévues pour la rente viagère, notamment en cas de changement important et imprévu dans les ressources du débiteur ou les besoins du créancier.

D. PERMETTRE AUX HÉRITIERS DU DÉBITEUR D'EXERCER UNE ACTION EN RÉVISION

Votre Délégation propose d'accorder aux héritiers du débiteur de la prestation compensatoire le droit de demander la révision de la prestation compensatoire sous forme de rente viagère ou, lorsqu'elle est fixée en capital, de ses modalités de paiement.

Il lui paraît en outre nécessaire, lorsque le créancier de la prestation compensatoire perçoit une pension de réversion du chef du conjoint divorcé décédé, que le montant de cette pension soit déduite de la charge du paiement du solde du capital ou de la rente viagère.

*

* *

Lors de l'examen du présent rapport, plusieurs membres de la Délégation sont intervenus après l'exposé de la rapporteure.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente, a évoqué les difficultés rencontrées par les auteurs de ces propositions qui visent à réparer des injustices mais doivent également préserver des droits acquis par certaines femmes. Elle a rappelé que la loi de 1975, bonne dans son principe, n'avait pas été appliquée dans la pratique. Elle a souligné que les propositions de la rapporteure réaffirmaient le principe de la fixation de la prestation compensatoire sous forme de capital, dont la durée de versement pouvait être aménagée, la fixation sous forme de rente viagère devenant exceptionnelle. Elle a considéré que ces propositions devaient prendre en compte deux logiques différentes : la première visant à compenser la perte de statut de la femme mariée résultant du divorce, par le versement d'un capital « pour solde de tout compte », la seconde, s'apparentant davantage à l'ancienne pension alimentaire et prenant la forme d'une rente viagère.

Mme Danielle Bousquet a considéré que le caractère alimentaire de la prestation compensatoire était discutable et que le versement sous forme de capital représentait la solution la plus appropriée. Elle a souhaité que la rente viagère, nécessaire dans certains cas, demeure exceptionnelle sur le plan des principes. Elle a enfin considéré que la plupart des femmes exerçant désormais une activité professionnelle, une prestation à caractère alimentaire serait maintenant humiliante.

La Présidente a indiqué que la proposition de loi dont la Délégation était saisie, avait pour objet de régler des situations difficiles liées à l'application qui avait été faite de la loi de 1975, mais qu'à l'avenir, de telles situations seraient moins fréquentes dans la mesure où les femmes seront plus nombreuses à travailler.

Elle a insisté sur la nécessité de préciser les règles fiscales susceptibles de favoriser le versement de la prestation compensatoire sous forme de capital, ainsi que le régime juridique de la rente viagère.

Mmes Hélène Mignon et Chantal Robin-Rodrigo ont estimé que la transmission de la charge du solde du capital ou de la rente viagère aux héritiers du débiteur était discutable. Mme Robin-Rodrigo s'est également interrogée sur les modalités de paiement de la prestation en cas de difficultés du débiteur.

Mme Conchita Lacuey a contesté le principe même de la prestation compensatoire versée sous forme de rente viagère ainsi que son caractère transmissible ; elle a demandé si les rentes en cours seraient révisables selon les nouvelles dispositions fixées par le législateur.

M. Richard Cazenave a estimé que les critiques portant sur la prestation compensatoire tenaient essentiellement à sa fixation sous forme de rente viagère et à son caractère inéquitable lorsque le créancier se trouvait dans une situation matérielle plus favorable que celle du débiteur ou de ses héritiers. Il a considéré qu'il fallait rechercher un équilibre sur ce point, en élaborant une solution qui soit juste pour le débiteur et pour le créancier et qui prévoie des modalités de révision de la rente. Il s'est toutefois interrogé sur la notion de « changement important » visée par la proposition de M. Jean-Marc Ayrault.

Mme Raymonde Le Texier, après avoir rappelé que la prestation compensatoire n'a pas un caractère alimentaire, a estimé que la rente ne devait être révisée qu'à la baisse. Elle a par ailleurs considéré que la rente viagère visait à prendre en compte la situation des femmes qui n'avaient jamais travaillé, mais qu'à l'avenir, du fait de l'autonomie des femmes acquise grâce à l'éducation, une telle disposition ne devrait plus être nécessaire.

En réponse aux différents intervenants, la rapporteure a rappelé que le principe retenu en matière de prestation compensatoire était la fixation d'un capital dont le paiement pourrait être aménagé, et qu'il était normal qu'en cas de décès du débiteur, cette dette figure au passif de la succession. Elle a souligné que la rente viagère constituerait une exception et qu'elle serait fixée, à titre dérogatoire, pour les femmes répondant à certains critères, notamment d'âge, de santé ou d'activité.

Elle a précisé qu'en cas de difficultés rencontrées par le débiteur, le montant du capital ne serait pas révisable, seuls les versements pouvant être étalés pour une durée limitée. En revanche, la rente viagère serait révisable en cas de changement important et imprévu des ressources du débiteur et des besoins du créancier, ce qui relèvera de l'appréciation du juge. Sur le plan fiscal, elle a indiqué qu'une discussion était en cours avec le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie. Elle a également précisé que les rentes en cours seraient révisables dans les mêmes conditions que la rente viagère.

A propos de la transmission de la charge de la prestation compensatoire aux héritiers du débiteur, la rapporteure a rappelé que le montant de la pension de réversion versée au créancier du fait du conjoint divorcé prédécédé devrait être déduit du solde du capital restant dû ou du montant de la rente viagère.

La Délégation est ensuite passée à l'examen des recommandations :

Les première et deuxième recommandations ont été adoptées dans le texte proposé par la rapporteure.

Après les interventions de M. Richard Cazenave, de Mmes Danielle Bousquet, Hélène Mignon, Odette Casanova, Raymonde Le Texier et Conchita Lacuey, de la Présidente et de la rapporteure, la Délégation a adopté la troisième recommandation sous réserve d'une modification rédactionnelle proposée par la Présidente, ainsi que la quatrième recommandation dans le texte de la rapporteure.

RECOMMANDATIONS ADOPTÉES

PAR LA DÉLÉGATION

1. Le principe du versement de la prestation compensatoire sous forme de capital doit être réaffirmé et sa mise en _uvre facilitée.

Des modalités de paiement du capital sous forme de versements mensuels ou annuels pour une durée limitée mais suffisamment longue doivent être prévues.

La prestation compensatoire doit être fixée parallèlement à la liquidation du régime matrimonial.

Les règles fiscales applicables à la prestation versée sous forme de capital doivent être reconsidérées afin de favoriser ce mode de versement.

2. Le montant du capital fixé par le juge ne doit pas être révisable. Seules ses modalités de paiement pourraient être modifiées en cas de changement notable et imprévu de la situation du débiteur.

3. A titre exceptionnel, le versement de la prestation compensatoire sous forme de rente viagère pourrait être admis par une décision spécialement motivée fondée sur des considérations tenant notamment à l'âge, à l'état de santé du créancier, à la durée du mariage, aux besoins et ressources des parties.

La rente viagère serait révisable en cas de changement important et imprévu dans les ressources du débiteur ou les besoins du créancier.

4. Au décès du débiteur de la prestation compensatoire, ses héritiers pourraient engager une action en révision : l'éventuelle pension de réversion versée au créancier du chef du conjoint divorcé prédécédé devant être déduite de la charge du paiement du solde du capital ou de la rente viagère qui leur est transmise.

() Etudes et statistiques Justice n° 14.