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N° 2418

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 25 mai 2000.

RAPPORT D'INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l'article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES,

FAMILIALES ET SOCIALES(1)

sur

les musées

et prÉsentÉ

par M. Alfred Recours,

Député.

___

(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

Musées.

La commission des affaires culturelles, familiales et sociales est composée de : M. Jean Le Garrec, président ; MM. Jean-Michel Dubernard, Jean-Paul Durieux, Jean-Pierre Foucher, Maxime Gremetz, vice-présidents ; Mme Odette Grzegrzulka, MM. Denis Jacquat, Patrice Martin-Lalande, secrétaires ; MM.  Bernard Accoyer, Mme Sylvie Andrieux, MM. André Aschieri, Gautier Audinot, Mme Roselyne Bachelot-Narquin, MM. Jean-Paul Bacquet, Jean-Pierre Baeumler, Pierre-Christophe Baguet, Jean Bardet, Jean-Claude Bateux, Jean-Claude Beauchaud, Mmes Huguette Bello, Yvette Benayoun-Nakache, MM. Serge Blisko, Patrick Bloche, Mme Marie-Thérèse Boisseau, MM. Jean-Claude Boulard, Bruno Bourg-Broc, Mme Christine Boutin, MM. Jean-Paul Bret, Victor Brial,  Yves Bur, Alain Calmat, Pierre Carassus, Pierre Cardo, Mme Odette Casanova, MM. Laurent Cathala, Jean-Charles Cavaillé, Bernard Charles, Michel Charzat, Jean-Marc Chavanne, Jean-François Chossy, Mme Marie-Françoise Clergeau, MM. Georges Colombier, François Cornut-Gentille, René Couanau, Mme Martine David, MM. Bernard Davoine, Bernard Deflesselles, Lucien Degauchy, Marcel Dehoux, Jean Delobel, Jean-Jacques Denis, Dominique Dord, Mme Brigitte Douay, MM. Julien Dray, Guy Drut, Nicolas Dupont-Aignan, Yves Durand, René Dutin, Christian Estrosi, Michel Etiévant, Claude Evin, Jean Falala, Michel Françaix, Mme Jacqueline Fraysse, MM. Michel Fromet, Germain Gengenwin, Mme Catherine Génisson, MM. Jean-Marie Geveaux, Jean-Pierre Giran, Michel Giraud, Gaëtan Gorce, François Goulard, Jean-Claude Guibal, Jean-Jacques Guillet, Mme Paulette Guinchard-Kunstler, MM. Francis Hammel, Pierre Hellier, Michel Herbillon, Guy Hermier, Mmes Françoise Imbert, Muguette Jacquaint, MM. Serge Janquin, Jacky Jaulneau, Armand Jung, Bertrand Kern, Christian Kert, Jacques Kossowski, Mme Conchita Lacuey, MM. Jacques Lafleur, Robert Lamy, Edouard Landrain, Pierre Lasbordes, Mme Jacqueline Lazard, MM. Michel Lefait, Maurice Leroy, Patrick Leroy, Gérard Lindeperg, Patrick Malavieille, Mmes Gilberte Marin-Moskovitz, Jacqueline Mathieu-Obadia, MM. Didier Mathus, Jean-François Mattei, Pierre Menjucq, Mme Hélène Mignon, MM.  Pierre Morange, Hervé Morin, Renaud Muselier, Philippe Nauche, Henri Nayrou, Alain Néri, Yves Nicolin, Bernard Outin, Dominique Paillé, Michel Pajon, Jean-Pierre Pernot, Mme Geneviève Perrin-Gaillard, MM. Bernard Perrut, Pierre Petit, Mme Catherine Picard, MM. Jean Pontier, Jean-Luc Préel, Alfred Recours, Gilles de Robien, Mme Chantal Robin-Rodrigo, MM. Marcel Rogemont, Yves Rome, Joseph Rossignol, Jean Rouger, Rudy Salles, André Schneider, Bernard Schreiner, Patrick Sève, Michel Tamaya, Pascal Terrasse, Gérard Terrier, André Thien Ah Koon, Mme Marisol Touraine, MM. Anicet Turinay, Jean Ueberschlag, Jean Valleix, Alain Veyret, Philippe Vuilque, Mme Marie-Jo Zimmermann.

SOMMAIRE

-

Pages

INTRODUCTION 7

Un droit des musées obsolète 7

Une diversité croissante des établissements 7

La renaissance des musées dans les années 80 8

Intégrer le musée à la ville et à la vie 9

Plus d'une année de travaux 10

Trois axes de proposition 10

1.- FAIRE DU MUSÉE UN ACTEUR À PART ENTIÈRE DE LA DÉMOCRATISATION CULTURELLE 13

Qu'est-ce qu'un musée ? 13

Une fonction patrimoniale 14

Une fonction sociale et pédagogique 15

Mieux connaître le public 15

Atteindre les " non-publics " 16

Collaborer avec les autres institutions culturelles 20

Le musée " hors les murs " 20

Intégrer le public dans le projet scientifique et culturel du musée 21

De nouveaux moyens pour les services de publics 22

Une formation adaptée des personnels 23

Pour ou contre la gratuité ? 25

2.- LES MUSÉES DE LA DÉCENTRALISATION, UN NOUVEL OUTIL D'AMÉNAGEMENT CULTUREL DU TERRITOIRE 29

L'émergence d'une politique patrimoniale des collectivités territoriales 29

Les progrès insuffisants de la déconcentration 31

D'une logique régalienne à une logique contractuelle 32

Développer les réseaux de musées 33

Faciliter la circulation des _uvres... 34

... et des hommes 35

Le label " musées de France " 36

3.- TRANSPARENCE, RESPONSABILITÉ ET SOLIDARITÉ POUR LES MUSÉES NATIONAUX 37

Une gestion encore très centralisée 37

Clarifier le rôle complexe de la Réunion des musées nationaux 38

Renforcer la transparence de gestion 39

L'exemple néerlandais 40

L'exception des établissements publics 42

Des musées nationaux autonomes et responsables 44

Généraliser le statut d'établissement public administratif 44

La Réunion des musées nationaux, prestataire de services
pour les musées 45

L'inaliénabilité des collections : jusqu'où ? 46

Les difficultés des musées hors tutelle du ministère de la culture 47

Un mécénat insuffisant 48

CONCLUSION 53

TRAVAUX DE LA COMMISSION 55

ANNEXES 83

Le présent rapport résulte des travaux d'une mission d'information créée par la commission des affaires culturelles, familiales et sociales et composée de M. Alfred Recours, Président et rapporteur et de MM. André Aschiéri, Bruno Bourg-Broc, Jean-Paul Bret, Mme Catherine Génisson, M. Michel Herbillon, Mme Muguette Jacquaint, MM. Christian Kert, Patrice Martin-Lalande, Marcel Rogemont.

Les membres de la mission adressent leurs plus sincères remerciements à toutes les personnes qu'ils ont rencontrées, en France et en Europe, pour les informations qu'elles ont bien voulu leur communiquer.

INTRODUCTION

_ Un droit des musées obsolète

En décembre 1998, le Bureau de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales a souhaité créer une mission d'information sur un thème proprement culturel, afin de rééquilibrer une activité largement consacrée aux questions sociales.

Ce sont les musées qui ont retenu son attention, principalement en raison de l'obsolescence des textes les régissant depuis 1945. Le cadre normatif actuel se limite à une ordonnance prise le 13 juillet 1945, maintes fois modifiée et portant " organisation provisoire " des seuls " musées des beaux-arts ". Ce texte est aujourd'hui devenu un cadre juridique à la fois beaucoup trop étroit par rapport au développement de l'activité muséale depuis une vingtaine d'années et mal adapté aux avancées de la décentralisation. Il a perdu sa cohérence et son application est devenue malaisée.

Depuis 1945, le schéma d'organisation est demeuré d'une grande simplicité : il existe d'une part un certain nombre de musées " nationaux " appartenant à l'Etat et d'autre part, les autres musées, soumis au contrôle scientifique de l'Etat, qui peut leur allouer des subventions et, éventuellement (pour les musées classés), y affecter des personnels de conservation. A côté des 33 musées nationaux (liste présentée en annexe), 1078 musées " classés ou contrôlés ", selon l'appellation officielle, sont aujourd'hui recensés sur le territoire national.

_ Une diversité croissante des établissements

Au delà de l'uniformité de la dénomination, règne cependant désormais une totale diversité :

- diversité des types de musées (on peut dénombrer 535  musées spécialisés : 116 musées archéologiques, 243 musées ethnographiques ou de sciences et techniques, 71 musées d'histoire, 33 musées d'art contemporain, 72 musées des beaux-arts, qui sont donc loin d'être majoritaires et 543 musées polyvalents),

- diversité des statuts (musées municipaux ou départementaux, gérés la plupart du temps en régie directe, mais aussi parfois par une société d'économie mixte, une association, ou encore dotés d'un statut d'établissement public ou de groupement d'intérêt public ; musées privés gérés par une association ou une fondation),

- diversité des qualités scientifiques des collections et des modalités de conservation,

- diversité des animations culturelles.

Au sein même des musées nationaux, le statut n'est plus uniforme puisque si la gestion directe par l'Etat demeure la règle, certains établissements ont été élevé au rang de services extérieurs à caractère national et quelques autres se sont vu accorder le statut d'établissements publics (le Louvre, Versailles).

Depuis le début des années quatre-vingt dix, le ministère de la culture envisage de réformer ces textes, sans jamais être parvenu à atteindre le stade ultime de l'examen au Parlement, souvent pour des raisons politiques, mais également à cause de dissensions entre les ministères. Il a donc semblé intéressant, face à l'annonce du dépôt d'un nouveau projet de loi, que la commission compétente se penche, pour une fois par anticipation, sur la matière à réformer afin de se forger sa propre opinion.

_ La renaissance des musées dans les années 80

Jusque dans les années soixante-dix, les musées étaient perçus comme des conservatoires poussiéreux et sans vie, désertés par le public et incapables de suivre l'évolution des pratiques culturelles et de transmettre, tout à la fois, la mémoire du patrimoine, le goût de l'art vivant et l'élan des créateurs. Depuis vingt ans cependant, ces institutions ont connu une nouvelle vie et un réel engouement du public, si bien que l'on n'a pas hésiter à parler de " fièvre des musées " dans les années quatre-vingts.

Plusieurs éléments ont joué en faveur de ce regain de dynamisme et ont contribué à faire de cette décennie une période de prolifération et de prise de conscience : la place considérable donnée à la culture dans le discours politique et l'action publique grâce à l'intervention personnelle du président Mitterrand, les premiers effets de la décentralisation (même si rien n'était spécifiquement prévu en matière de musées) et les balbutiements de la déconcentration (le décret sur l'organisation et les attributions des directions régionales des affaires culturelles date de 1986), la multiplication des projets de développement et de rénovation d'établissements et l'émergence de nouveaux domaines d'interventions, plus ou moins ignorés jusque-là, comme l'art moderne et contemporain, l'ethnologie, les sciences et techniques, l'histoire.

Au début des années quatre-vingt dix, cette phase d'explosion a peu à peu laissé la place à une volonté de structurer l'existant, afin de mieux répondre aux besoins et exigences nouvellement apparus. La direction des musées de France a été réorganisée pour prendre en compte le rôle croissant des directions régionales des affaires culturelles et de nouveaux modes de fonctionnement et de gestion ont été recherchés pour répondre aux attentes du public et aux nouvelles missions culturelles des musées. Parallèlement, les politiques culturelles des collectivités locales se sont organisées et institutionnalisées.

Au total, en quinze ans, le nombre des visiteurs dans les musées nationaux est passé de 9 à 15 millions, 8 milliards de francs ont été consacrés par l'Etat à la création ou à la réhabilitation de ces établissements et plus de deux cent cinquante chantiers, répartis sur tout le territoire, ont été dénombrés. En 1999, 45 millions de personnes ont visité les musées de France, dont 30 millions les musées territoriaux, soit environ 1,5 % de plus qu'en 1998.

_ Intégrer le musée à la ville et à la vie

Tout n'est cependant pas acquis. A l'euphorie, a succédé un temps de déconvenues : depuis le milieu des années quatre-vingt dix, le resserrement du budget de la culture a révélé la lourdeur des coûts de fonctionnement de certains établissements, la décentralisation n'a pas tenu toutes ses promesses et les analyses des statistiques de fréquentation ont fait tomber bien des illusions quant à un hypothétique élargissement des publics.

C'est pourquoi il semble nécessaire d'aller plus loin et de chercher à toujours mieux intégrer le musée à la ville et à la vie. Pour cela, il convient bien sûr de réfléchir à la rénovation de son statut juridique, mais également à ses possibilités d'évolution et d'ouverture vers tous les citoyens et toutes les cultures. Travailler, en quelque sorte, à passer du musée imaginaire au musée idéal, du musée rêvé au musée réel.

_ Plus d'une année de travaux

La mission d'information a commencé ses travaux en janvier 1999. Depuis cette date, elle a auditionné trente et une personnes, effectué sept visites dans des établissements parisiens, deux déplacements en province, dans le Nord et à Lyon, et quatre déplacements, à Amsterdam, Berlin, Londres et en Espagne, à Madrid et Bilbao (la liste des personnes rencontrées et les programmes des déplacements sont présentés en annexe).

La mission avait décidé d'organiser sa réflexion à partir de trois questions :

- Comment définir le musée et garantir sa qualité et son niveau d'exigence scientifique et artistique, sans pour autant l'enfermer dans un statut par trop rigide ?

- Comment vitaliser et développer l'action en direction du public et l'ouverture vers l'extérieur, afin de donner aux musées toute leur place dans une politique de démocratisation culturelle ?

- Comment insérer le musée dans la décentralisation et en faire un vecteur dynamique d'aménagement culturel du territoire ?

_ Trois axes de proposition

Après plus d'une année de travail, ces axes de réflexion ont dans l'ensemble été validés. La question de la définition de l'institution muséale s'est fondue dans les deux suivantes, la relation au public et l'intégration des musées dans la décentralisation, pour laisser la place à un troisième thème, profondément lié aux deux précédents, à savoir les statuts et les modalités de gestion choisis pour les musées nationaux.

L'ensemble des perspectives ouvertes par ces questionnements sont retracées dans ce rapport, assorties de propositions d'évolution tour à tour législatives, réglementaires, politiques et institutionnelles.

1.- FAIRE DU MUSÉE UN ACTEUR À PART ENTIÈRE DE LA DÉMOCRATISATION CULTURELLE

_ Qu'est-ce qu'un musée ?

Pour faire vivre la démocratisation culturelle dans les musées, il convient avant tout de replacer le public au centre des missions de ces institutions. Celles-ci ont pendant trop longtemps donné la priorité aux collections, à leur conservation et à leur inventaire. La médiation n'était qu'une préoccupation de second rang, alors qu'elle fait partie des missions fondamentales d'un musée.

Dans l'histoire sans fin de la transmission, le musée, lieu de présentation et de restitution de la mémoire collective, tient une place singulière. Il s'agit tout autant de conserver scientifiquement le passé, l'héritage, que de conduire une démarche de médiation nourrie d'un aller-retour entre réalité de terrain et réflexion, d'inventer des rendez-vous au croisement des cultures mais aussi, en tant que service public, de participer à la lutte contre les inégalités, l'exclusion, l'isolement, d'aider à l'intégration et au développement de solidarités en cohérence avec la politique de la ville, et de renforcer le sentiment d'appartenance à une même collectivité. " (Marie-Laure Alma, responsable de l'action culturelle et de la communication au musée d'art et d'histoire de Saint Denis, colloque de la direction des musées de France " Musée et services des publics " des 14 et 15 octobre 1999).

Tout au long des auditions et des rencontres, les membres de la mission ont retrouvé cette nature duale des musées désormais vécue, dans la plupart des cas, comme une évidence.

La révolution culturelle opérée par les musées sur ce sujet est parfaitement illustrée par l'évolution de la définition du musée donnée par l'ICOM (Conseil international des musées, organisme dépendant de l'UNESCO). En 1946, l'article 3 de ses statuts dispose que " L'ICOM reconnaît la qualité de musée à toute institution permanente qui conserve et présente des collections d'objet de caractère culturel ou scientifique à des fins d'étude, d'éducation et de délectation. ". En 1974, le musée est devenu " une institution permanente, sans but lucratif, au service de la société et de son développement, ouverte au public et qui fait des recherches concernant les témoins matériels de l'homme et de son environnement, acquiert ceux-là, les conserve, les communique et notamment les expose à des fin d'étude, d'éducation et de délectation ". En trente ans, le public est devenu, pour l'ICOM, la priorité voire la raison d'être des musées, les collections et la recherche scientifique étant, en quelque sorte, mises au service de son éducation et de son plaisir.

Pour sa part, la mission a retenu la définition des musées proposée en 1999 par la Museums association britannique : " Les musées mettent les collections à la disposition des publics pour la connaissance, l'éducation et le plaisir. Ce sont des institutions qui collectent, préservent et rendent accessibles les _uvres et les objets qui leurs sont confiés par la société ". Cette définition, rédigée de façon simple, présente en effet l'intérêt de placer le public au c_ur de l'institution muséale et d'exposer, sur un plan d'égalité, ses activités scientifiques (collecter et préserver) et ses missions culturelles (rendre accessible).

_ Une fonction patrimoniale

Le musée répond incontestablement à des objectifs patrimoniaux. Ses activités sont essentiellement organisées autour de collections (sauf pour des musées originaux comme la Cité des sciences et de l'industrie, qui ne fonctionne que par expositions temporaires longues) et il est investi, par rapport à elles, d'une mission d'enrichissement, d'étude, de conservation et de transmission.

Le musée a reçu ces objets des générations précédentes et doit les transmettre aux générations futures dans les meilleures conditions possibles. Pour ce faire, il est non seulement tenu de les entretenir et les enrichir, mais également de travailler à leur meilleure connaissance et leur meilleure présentation par le biais d'études et de recherches.

_ Une fonction sociale et pédagogique

Les tableaux sont dans les musées parce qu'ils nous concernent collectivement ; ils appartiennent à tous et à personne " : ainsi s'exprimait un visiteur du Louvre dans une récente émission de La Cinquième (" Les visiteurs du Louvre ", documentaire d'Olivier Horn diffusé le 15 février 2000) et telle est, en effet, la raison d'être profonde des musées. Le patrimoine dont ils sont dépositaires doit rester la propriété de tous et ne doit pas être détourné de sa fonction de témoin et de mémoire.

Les musées constituent un formidable outil d'éducation populaire qui doit pouvoir être accessible au plus grand nombre. L'Association générale des conservateurs des collections publiques de France est la première à considérer que le rôle du musée dans la socialisation des groupes défavorisés doit être réaffirmé et que l'institution " est le reflet démocratique du rôle de l'individu dans la société et de ses rapports à son environnement ".

Au carrefour des loisirs et de l'éducation, entre " délectation " et apprentissage, le musée s'adresse à des visiteurs tous différents, ce qui implique une attitude d'ouverture à leurs attentes et une capacité d'adaptation dans l'offre pédagogique qui peut leur être présentée.

_ Mieux connaître le public

C'est pour répondre à cette nécessaire adaptation que la direction des musées de France s'est lancée, depuis 1991, dans une politique d'évaluation des visiteurs avec la mise en place de l'Observatoire permanent des publics.

Il s'agit d'une enquête effectuée par sondage auprès des visiteurs d'un musée, tous les jours de son ouverture, au moyen d'un questionnaire remis à l'entrée à une personne sur cinq, sur dix ou sur quinze. Tous les visiteurs sont concernés, à l'exception des groupes scolaires et des personnes qui ne peuvent être interrogées pour des raisons linguistiques. Six grands thèmes sont abordés dans ces questionnaires : les antécédents, circonstances et mobiles de la visite, l'appréciation des différentes parties visitées, le niveau de satisfaction et les attentes, les dispositions à revenir et les mobiles éventuels, les caractéristiques socio-démographiques et enfin l'origine géographique du visiteur.

Plus de cent établissements ont choisi de participer à cet observatoire, dont les résultats constituent autant d'instruments d'aide à la décision pour les responsables de musées et les tutelles (Etat et collectivités territoriales). Ils permettent notamment d'infléchir les choix en matière tarifaire et de communication et de mieux adapter l'offre culturelle en fonction des besoins exprimés. Certains musées, comme le musée du Louvre ou le musée d'art et d'histoire du judaïsme à Paris ont même choisi de créer leur propre service d'évaluation des publics, afin de disposer d'un outil " sur mesure ".

Si la connaissance des publics qui fréquentent les musées a donc beaucoup progressé, " notre ignorance est grande à l'égard des publics potentiels et des moyens à mettre en _uvre pour les faire venir. C'est en direction de ce " non-public " que nos efforts devraient se mobiliser " (Gérard Guillot-Chêne, conservateur en chef du musée de l'ancien Évêché à Evreux, colloque précité sur " Musée et services des publics ").

_ Atteindre les " non-publics "

En effet, selon le département des études et de la prospective du ministère de la culture, la fréquentation évolue lentement : en 1973, 27 % des Français déclaraient être allés au moins un fois au musée dans l'année précédente ; ils sont 33 % aujourd'hui... Dans la population française de plus de quinze ans, on peut en fait distinguer quatre sous-ensembles : 25 % ne sont jamais entrés dans un musée de leur vie, 25 % sont des visiteurs exceptionnels, 40 % constituent un public occasionnel à bon potentiel de développement et 10 % sont des visiteurs réguliers, " habitués " des pratiques culturelles.

Lors d'un récent colloque au Louvre sur l'avenir des musées (23 et 24 mars 2000), Mme Claude Fourteau, chef adjointe du service culturel du musée du Louvre, dressait un constat peu réconfortant : " Il y a intensification des rythmes de visites des publics en place plutôt que conquête de nouveaux publics ". Il est donc difficile de voir dans le développement de la fréquentation des musées observé depuis quinze ans la traduction d'un élargissement des publics. Cet élargissement semble plutôt lié au développement du tourisme international (dont l'effet reste concentré sur les grands équipements), à un accroissement de l'offre (qui touche surtout le public déjà habitué à fréquenter les musées) et à une évolution de la structure socioculturelle de la population française (les catégories les plus susceptibles d'être attirées par les visites de musées ayant proportionnellement plus augmenté que les autres). Les écarts entre milieux sociaux ne sont par contre pas comblés, les visiteurs étant toujours définis comme aisés et urbains.

Doit-on en conclure que les musées ont réussi en terme de fidélisation mais échoué en matière de démocratisation ? Et comment faire, alors, pour aller à la conquête de ces " non-publics " ?

Pour de très nombreuses personnes, et pas uniquement celles que l'on a coutume de considérer comme " en difficulté ", le musée est encore bien trop souvent synonyme de sanctuaire, de lieu de culture sacralisé dans lequel on n'ose pas pénétrer. " En entrant au Louvre, le visiteur sait qu'il pénètre dans le saint des saint de l'art. Comment pourrait-il se permettre d'avouer son ennui devant telle ou telle " merveille " ? Cette distance instaurée d'office n'incite pas à tisser des liens intimes et libres avec les _uvres, mais plutôt à venir constater la présence de trésors " (Bruno Nassim Aboudrar, auteur de " Nous n'irons plus au musée ", entretien publié dans le Télérama n° 2619 du 22 mars 2000).

La présentation muséographique est trop souvent destinée à ceux qui disposent déjà d'une culture artistique, d'une grille de lecture personnelle. La " délectation " recherchée par les auteurs de l'ordonnance de 1945 exige un effort, un apport personnel, et la synergie entre connaissance intellectuelle, émotion et imagination, nécessaire pour prendre plaisir au spectacle des _uvres, n'est pas donnée à tous.

Pour ceux qui sont dépourvus de ces outils culturels, le musée apparaît comme un sanctuaire inaccessible. Pour les enfants scolarisés en zone d'éducation prioritaire, pour les populations immigrées ou habitant dans des quartiers difficiles, pour toutes les personnes en situation d'échec et d'exclusion sociale, le musée est une cité interdite qui ne fait pas partie de leur univers. Entre la banlieue et le musée, il y a plus qu'un trajet de bus ou de RER : il y a tout à la fois un monde et un vide, souvent impensable à traverser, impossible à combler.

La familiarisation, bien évidemment, doit commencer dès l'école, et la France a ici plus d'un siècle de retard à rattraper en matière d'enseignement, de sensibilisation et de pratiques artistiques en milieu scolaire. Mais pour tous ceux qui n'ont plus l'âge d'aller à l'école, ou n'ont jamais pu tirer profit de ses enseignements, le relais doit, notamment, être pris par les musées eux-mêmes.

Les actions de grande ampleur ne sont pas toujours envisageables : les tarifs préférentiels, les guides, l'aide à la visite et l'information des visiteurs ne suffisent plus ; il s'agit de prévoir des actions sur mesure, susceptibles de dédramatiser la relation à l'institution et d'aider celui qui s'en sent exclu à apprivoiser les _uvres et à se familiariser avec des références historiques, des critères esthétiques, des systèmes symboliques qui lui sont étrangers. Une telle démarche peut nécessiter le recours à des " outils " originaux, qui parlent aux nouveaux visiteurs et s'adaptent à leur sensibilité et à leur culture propres.

Le musée national du Château de Pau a ainsi décidé de mener une action spécifique en matière d'intégration en développant un projet d'alphabétisation en collaboration avec une association travaillant à l'émancipation des femmes de nationalités étrangères par des activités sociales et culturelles. La démarche d'accès à l'écriture s'appuie sur la découverte d'une pratique culturelle puisqu'elle consiste en la rédaction d'un guide du musée, dans les langues des différentes communautés représentées.

Les associations d'amis et les comités d'usagers des musées, pour lesquels la relation au public et la conquête de " non publics " sont une priorité, peuvent être d'un grand secours pour l'organisation de telles actions, forcément ciblées et ponctuelles.

Ainsi, sous l'impulsion et avec le soutien financier de la Fédération des Amis des musées du Nord-Pas-de-Calais, les musées d'Arras, de Calais, de Villeneuve-d'Ascq et de Valenciennes se sont ouverts aux aveugles et aux malvoyants grâce à l'opération " le musée au bout des doigts ". Il s'agit de mettre en place un parcours tactile autonome autour de sculptures sélectionnées pour leurs qualités plastiques et leur état de conservation, grâce à l'installation d'un plan tactile à l'entrée du musée et de cartels et de mains courantes en braille dans les salles. Ce parcours est associé à un cycle de visites-ateliers destinées à développer une pédagogie du toucher qui permettra au visiteur d'avoir une certaine autonomie dans sa visite. L'association du musée d'Arras « muses, musons, musée » organise également des nombreuses manifestations destinées à mettre le musée à portée de tous et a, par exemple, célébré le passage à l'an 2000 par un réveillon destiné aux personnes en situation d'exclusion sociale et préparé, dans les salles d'exposition, avec le Secours populaire et le Secours catholique.

Aux Pays-Bas, une réflexion a été menée afin de mieux intégrer le public hollandais d'origine étrangère et de le conduire vers une culture qui n'a rien de commun avec la sienne. Le choix a été fait de multiplier les projets multiculturels, de recruter des personnels d'accueil d'origines culturelles différentes et d'intégrer ces cultures dans les conseils de surveillance des musées.

_ Collaborer avec les autres institutions culturelles

Cette politique de " conquête " doit être menée en collaboration avec les acteurs du terrain - associations, entreprises, écoles, institutions sociales, voire judiciaires - ainsi qu'avec les autres institutions culturelles présentes dans la ville ou le quartier. Le musée doit devenir un lieu de culture et d'échange, intégré dans une politique globale de développement culturel. Le musée des beaux arts de Lyon, récemment rénové, accueille ainsi régulièrement des concerts dans son tout nouvel auditorium et les musées d'Aix en Provence célèbrent par une " nuit des musées ", agrémentée de différents concerts, la fin de l'année universitaire.

Il est par ailleurs important de systématiser le croisement des publics des différents musées (des beaux-arts, de sciences, d'histoire, de société) avec ceux d'autres institutions culturelles (bibliothèques et maisons des jeunes notamment) et, pour cela, de se décider à faire sortir les _uvres des musées.

_ Le musée " hors les murs "

Les expériences de musée " hors les murs " ne doivent pas être un concept d'opportunité mais bien un nouveau mode d'action pour les musées. " Très souvent, l'institution (quelle qu'elle soit) fait peur et intimide parce qu'elle est méconnue et anonyme. Il faut donc lui donner un visage (ou un nom), la démythifier et montrer qu'elle peut être un outil au service de tous, permettant d'accéder à la connaissance et d'apporter des réponses à leurs questionnement. " (Gabriel Diss, conservateur du musée Barrois à Bar-le-Duc, colloque précité sur " Musée et service des publics ").

On ne peut plus se contenter d'attendre que les populations en difficulté franchissent seules les obstacles symboliques, et pas seulement financiers comme on le pense trop facilement, qui les coupent des musées. C'est donc la confrontation, à l'extérieur, avec les exigences d'un public différent qui permettra à ces institutions d'évoluer et de modifier leur politiques de publics.

Ainsi, le musée Barrois à Bar-le-Duc a décidé d'aller à la rencontre des publics et de se déplacer sur le terrain de leurs pratiques et de leurs vie en s'associant à des partenaires institutionnels (comités de quartiers, centres sociaux) ou en travaillant avec des réseaux plus informels (comme celui des femmes turques). Les actions menées cherchent à valoriser les singularités des personnes visées en insistant sur les échanges et les coproductions (ateliers pratiques, expositions à thèmes, conférences-débats).

Pour le Musée national d'art moderne, les travaux de rénovation du Centre Pompidou ont été l'occasion de développer, beaucoup plus fortement qu'auparavant, une politique d'expositions hors les murs. Selon les termes mêmes de Jean-Jacques Aillagon, président du Centre, il s'agissait pour celui-ci d'un " enjeu de service public, celui d'exercer toute l'étendue de sa mission de diffusion de la culture moderne auprès du plus grand nombre. Etablissement national, il se doit d'assumer cette responsabilité à l'égard de la totalité du territoire de notre pays (...) " (Avant-propos au catalogue de l'exposition Giacometti à Saint-Etienne).

Pendant plus de deux ans, près de 1300 _uvres des collections du Musée national d'art moderne ont ainsi voyagé dans toute la France pour quinze expositions au total (dont une exposition Kandinsky à Nantes, " Abstraction France " à Colmar, Cubistes à Villeneuve d'Ascq, Matisse à Lyon, etc...) et ont rencontré auprès du public un succès considérable.

_ Intégrer le public dans le projet scientifique et culturel du musée

La politique des publics est destinée à faire du musée un outil de citoyenneté, un lieu pour apprendre à vivre ensemble, un vecteur de découverte, d'éducation, d'ouverture, de prise en charge individuelle mais aussi de respect de l'autre, de sa culture et de son héritage. Elle doit contribuer à l'épanouissement des esprits et, pour cela, rendre le musée accessible physiquement et intellectuellement.

La relation au public, sa prise en compte dans la définition du projet d'un musée doit donc être réaffirmée comme essentielle. Dans les musées canadiens, l'organisation des expositions part toujours des conditions de présentation des collections au public. Ce point est la pierre angulaire de la réflexion muséale ; le reste (conservation, enrichissement des collections, publications...) en découle.

Un souci comparable devrait se retrouver clairement dans les projets scientifiques et culturels des établissements français. Ces documents, réservés aux Maisons de la culture jusqu'en 1991, visent à définir la politique globale d'un musée en matière de conservation des collections et de diffusion auprès des publics. Leur élaboration permet aux musées et aux conservateurs, y compris dans les musées nationaux, de mener une réflexion essentielle sur leurs priorités, leur projet de développement et leur insertion dans la vie culturelle locale. Ces documents permettent également aux établissements d'expliquer les orientations retenues aux collectivités publiques qui les financent (Etat et collectivités locales) et de définir les moyens nécessaires à leur mise en _uvre. Ils constituent un outil de gestion prospective adapté aux nouvelles missions des musées, plus complexes et plus diversifiées qu'il y a vingt ans, en leur permettant de s'organiser pour concilier leurs objectifs de conservation, d'éducation, de connaissance et de recherche, mais également de gestion et d'accès aux savoirs ainsi produits par des moyens appropriés.

Le développement de cette pratique est cependant encore assez lente puisque seuls cent à cent cinquante musées disposent aujourd'hui d'un document écrit utilisable, élaboré la plupart du temps à l'occasion de la rénovation de l'établissement.

_ De nouveaux moyens pour les services de publics

Sur les 1108 musées classés ou contrôlés référencés, 871 disposent aujourd'hui d'un service éducatif et culturel proposant au moins des visites guidées. Les actions éducatives et culturelles réalisées par ces services contribuent incontestablement à faire des musées des lieux de transmission, de savoir, d'éducation et d'intégration sociale et la majorité des responsables de musées fait clairement preuve aujourd'hui d'une volonté de conquête des publics et d'une nette conscience des insuffisances de leur action dans ce domaine.

Si un certain nombre d'établissements est encore dépourvu de services des publics, c'est donc plus souvent en raison d'un manque de moyens et d'effectifs que d'une manque de volonté ou de prise de conscience. De plus, les services d'action culturelle et de relations avec les publics sont la plupart du temps sous-dotés et n'interviennent qu'en aval des projets, puisqu'ils ne sont considérés que comme des services commerciaux chargés de " vendre " un produit ou une manifestation sur lesquels ils n'ont pas été consultés.

Enfin, les services de publics sont mobilisés à 99 % par les actions en direction des scolaires, alors que cela ne peut être leur seul domaine d'action. Les adultes, les handicapés, les " non-publics " doivent également faire l'objet d'une réflexion et de propositions.

Il est donc absolument nécessaire que les musées se donnent - et surtout reçoivent - les moyens financiers et humains (en effectifs, en savoir-faire) pour construire une véritable politique de médiation. Les services éducatifs doivent devenir de véritables services d'action culturelle, accessibles à tous les publics et pratiquant une distinction positive en faveur des personnes exclues ou les plus en difficulté. La formation des personnels d'accueil et de médiation constitue, dans cet esprit, une véritable priorité.

_ Une formation adaptée des personnels

L'Ecole nationale du patrimoine a été créée en 1990 pour former les conservateurs du patrimoine (d'Etat et territoriaux) à un métier de plus en plus complexe. Différentes spécialités sont prévues : l'archéologie, les archives, les bibliothèques du patrimoine, l'inventaire général, les monuments historiques et les musées. Ecole d'application professionnelle, elle propose à des étudiants disposant déjà d'une solide formation scientifique des compétences complémentaires destinées à les aider dans leur futur métier.

Selon la directrice de l'Ecole, Mme Geneviève Gallot, les nouveaux entrants sont tout particulièrement attirés par la complexité du métier qu'il ont choisi. C'est justement la coexistence de la dimension scientifique et patrimoniale et de l'action culturelle de conquête des publics qui les intéresse. Ils sont bien conscients du fait qu'un conservateur n'est pas uniquement un scientifique ou un gestionnaire, mais bien, aussi, un médiateur. Cette troisième dimension est d'ailleurs fortement présente dans le cursus de l'Ecole.

Les promotions annuelles sont cependant relativement limitées, faute de moyens budgétaires pour des créations de postes. Lors du concours 1997 des conservateurs territoriaux, sur neuf postes pourvus, six ont concerné la spécialité musées ; lors du concours 1998 de conservateurs d'Etat, sur douze postes pourvus, quatre seulement étaient destinés aux musées. Le taux de renouvellement des cadres n'est donc pas très élevé...

On déplore par ailleurs souvent l'absence de professionnalisme des services de publics dans les musées. Cela s'explique notamment par les manques de la fonction publique d'Etat dans ce domaine. Pour les musées nationaux, seuls existent des postes de conservateurs (qui sont avant tout des scientifiques), d'agents de surveillance ou de techniciens. Cela ne permet pas d'employer sur des postes de titulaires des responsables de services culturels, formés à la médiation. Ceux-ci sont donc nécessairement recrutés par mise à disposition ou détachement de l'Education nationale ou encore par voie contractuelle.

Fin 2000 cependant, un premier concours d'ingénieur culturel va être ouvert, avec une option " accueil des publics ". Six postes sont prévus pour les musées nationaux. Ce concours sera accessible à tous les détenteurs d'un diplôme bac + 3, et donc pas uniquement aux diplômés de l'Ecole du Louvre.

Les musées territoriaux sont un peu mieux lotis puisque le cadre d'emploi de la fonction publique territoriale prévoit, pour les attachés de conservation (poste de catégorie A), une option " médiation culturelle ". Pourtant, en province également, l'absence de qualification des personnels et les lacunes des politiques de recrutement ont été évoquées devant la mission à de nombreuses reprises. Pour les personnels d'accueil notamment, la filière culturelle de la fonction publique territoriale n'est que rarement utilisée, les collectivités territoriales ayant souvent recours à des emplois-jeunes. Il est en tous cas très difficile de savoir combien d'attachés de conservation spécialisés dans la médiation culturelle sont aujourd'hui en fonction : les évaluations varient entre 105 et... 250 !

Il y a donc ici un véritable effort à effectuer, tant de la part de l'Etat que du côté des collectivités gestionnaires de musées.

_ Pour ou contre la gratuité ?

Les obstacles financiers pour accéder au musée ne sont pas les plus insurmontables mais existent néanmoins. L'effort de modération et de modulation de la politique tarifaire est d'ailleurs une constante pour l'ensemble des responsables de musées. L'harmonisation au sein des établissements d'une même ville, la mise en place de " passeports " permettant de circuler d'une institution à une autre, voire d'une activité culturelle à l'autre, restent cependant encore bien souvent à imaginer et à mettre en place.

Le dispositif de carte d'accès aux musées pratiqué aux Pays-Bas pourrait à bien des égards être pris en exemple. Cette carte donne gratuitement accès à tous les musées publics néerlandais pendant un an. Son coût est de 50 florins (150 francs) mais la carte est souvent offertes à leurs clients par les entreprises qui participent à son financement au titre du mécénat (banques, chemins de fer néerlandais par exemple). Le mécanisme de fonctionnement est simple : les musées décomptent les entrées accordées gratuitement sur présentation de la carte et obtiennent ensuite un remboursement équivalent à 60 % de la valeur de ces entrées. Le remboursement est assuré par un fonds national alimenté par les contributions d'entreprises mécènes. L'impact de cette carte sur la fréquentation est difficile à évaluer mais on estime que 20 % des visites dans les musées néerlandais se font par ce biais. Au Rijksmuseum, en 1997, 37 % des visiteurs hollandais sont entrées gratuitement grâce à cette carte et les entrées sur présentation de la carte (190 435 visiteurs) ont représenté 50 % du total des entrées gratuites et 17,5 % des entrées totales (un million environ).

Le débat sur la gratuité est en fait extrêmement ancien, mais a été relancé par l'instauration de la gratuité dans les musées de Grande-Bretagne et les quatre grands musées nationaux américains. C'est en fait un débat assez idéologique puisque, selon les cultures et les traditions nationales, la gratuité est plus ou moins valorisée.

En France, un certain nombre de visiteurs a d'ores et déjà accès aux musées gratuitement, sur critère d'âge (les moins de dix-huit ans dans tous les musées nationaux par exemple) ou critères sociaux (chômeurs, allocataires du RMI, familles nombreuses, personnes âgées, etc...).

L'expérience d'une gratuité pour tous le premier dimanche de chaque mois menée au Louvre depuis 1996 a néanmoins permis d'évaluer l'impact d'une mesure plus générale : la fréquentation s'est en moyenne accrue de 60 % les dimanches gratuits et la nature socioprofessionnelle du public s'est légèrement déplacée. Les analyses tendent à montrer que les visiteurs des dimanches gratuits sont plus franciliens (le dimanche gratuit est le seul jour du mois où les Français sont majoritaires au Louvre), moins habitués du musée, plus familiaux et plus jeunes que ceux des dimanches payants.

Reste à savoir si une gratuité généralisée permettrait d'amplifier ces effets, ce que les études actuellement disponibles ne permettent pas d'affirmer. Il semblerait que l'effet d'incitation du dimanche gratuit soit très fort parce que l'événement est à la fois régulier et exceptionnel.

L'application de cette mesure à l'ensemble des musées nationaux depuis le 1er janvier 2000 devrait avoir pour effet de permettre à des personnes éloignées des musées d'en prendre le chemin, et peut-être d'en devenir des visiteurs réguliers. Dans la mesure où, pour l'ensemble des musées nationaux, la proportion de visiteurs dits " de proximité " (originaires de la même région pour les musées d'Ile-de-France, et du même département pour ceux de province) est légèrement supérieure à ce qu'elle est au Louvre (24% contre 22%), ce public bénéficiera de l'essentiel de l'impact de la mesure. On attend une augmentation minimale de 2 % de la fréquentation annuelle, soit environ 200 000 visites supplémentaires.

L'expérience des trois premiers mois est en tout cas incontestablement positive, puisque les dimanches 2 janvier, 6 février et 5 mars 2000 ont vu respectivement une augmentation de 60 %, 36 % et 73 % de la fréquentation par rapport aux mêmes dates de 1999. Il semble que cette augmentation soit souvent plus forte, en valeur relative, pour les petits établissements ou ceux de taille moyenne (la fréquentation de l'atelier Delacroix, à Paris, a été multipliée par huit, celle des Antiquités nationales, à Saint-Germain-en-Laye, par quatre et demi et celle du Musée de la Renaissance, à Ecouen, par quatre).

Ce phénomène d'engouement pour les musées a été confirmé par le grand succès du Printemps des musées qui s'est déroulé le dimanche 2 avril dernier. L'accès libre à huit cents musées de France s'est traduit par une hausse moyenne de fréquentation de 30 % par rapport à la première édition de cette opération en 1999. 8 320 personnes ont ainsi visité le Musée des beaux-arts de Lyon au lieu de 700 en moyenne (hors expositions temporaires) ; 8 200 se sont rendues à celui de Lille au lieu de 800 ; 5 450 à celui de Valenciennes contre 350 ; les six musées de Strasbourg ont totalisé 10 370 visites au lieu de 700 en moyenne. L'augmentation de fréquentation a été logiquement moins importante dans les 33 musées nationaux. Le Musée d'Orsay a cependant vu sa fréquentation progresser de 25 % par rapport au 5 mars, et de 95 % par rapport à un dimanche moyen de 1999. Au Louvre, l'augmentation est de 10 % par rapport au 5 mars et de 15 % par rapport à la première édition du Printemps des musées.

La réflexion sur la politique tarifaire et la gratuité doit par ailleurs continuer au niveau des musées territoriaux pour parvenir, si possible, à une harmonisation. Il en est de même pour les heures d'ouverture, qui devraient être élargies afin de permettre un accès aux musées aux heures où les visiteurs sont disponibles (déjeuner, soirée).

2.- LES MUSÉES DE LA DÉCENTRALISATION, UN NOUVEL OUTIL D'AMÉNAGEMENT CULTUREL DU TERRITOIRE

La décentralisation n'a pas joué, d'un point de vue juridique, un rôle très important en ce qui concerne les musées. Les lois de décentralisation ont simplement affirmé le maintien d'un contrôle technique de la direction des musées de France sur les musées territoriaux, qu'ils soient classés ou inscrits (l'article 62-1 de la loi n° 83-663 du 22 juillet 1983 précise que l'activité des musées de collectivités locales " est soumise au contrôle technique de l'Etat ") ainsi que d'un droit à subvention. Mais aucune précision supplémentaire n'a été apportée au texte de 1945.

Par contre, dans le cadre de la déconcentration du ministère, les conditions d'exercice de ce contrôle et celles de l'assistance financière, c'est à dire l'octroi de subventions, ont été nettement modifiées puisque la majorité des décisions n'est plus directement le fait de la direction des musées de France mais de ses services déconcentrés, les directions régionales des affaires culturelles.

_ L'émergence d'une politique patrimoniale des collectivités territoriales

En vingt ans, les politiques culturelles des collectivités territoriales se sont affirmées et des institutions comme des directions d'affaires culturelles dans les grandes villes ou des conservations départementales ont fait leur apparition, traduisant une volonté d'organiser et de dynamiser l'action culturelle locale. Depuis les années quatre-vingt, le patrimoine est devenu pour les collectivités territoriales un outil de développement de première importance. Cette politique a été menée de façon transversale et intègre aujourd'hui les musées aux autres composantes de l'action patrimoniale que sont le patrimoine architectural et mobilier, l'archéologie ou l'ethnologie.

Une enquête récente de l'Association des maires de grandes villes montre que 78 % des maires interrogés considère que leurs musées participent d'une bonne manière à l'image de leur ville ; ils contribuent au développement local et justifient les crédits d'investissement qui leur ont été consacrés. En général, les musées territoriaux bénéficient aujourd'hui d'un soutien plutôt solidaire de leur tutelle. Les objectifs qui leurs sont fixés sont prioritairement d'ordre culturel et pédagogique : accroissement de la fréquentation, meilleure connaissance et diversification des publics, participation à des actions communes avec les autres institutions culturelles, mise en réseau avec les musées de la région. Viennent ensuite des objectifs sociaux et économiques.

Dans les grandes villes, les différents musées sont de plus en plus souvent encadrés par une direction municipale, chargée de donner cohérence et dynamisme au projet muséal de la ville et de l'intégrer dans sa politique culturelle. Ainsi, les trois musées municipaux de Nantes (musée des beaux-arts, musée du château d'Anne de Bretagne et muséum d'histoire naturelle) sont gérés depuis 1993 par une direction municipale des musées. Celle-ci est chargée de définir les grandes orientations muséographiques, scientifiques et budgétaires afin de garantir à chaque établissement le développement le plus harmonieux possible. Elle est dotée d'un service des publics commun aux trois musées.

L'effort financier des collectivités locales en direction de ces établissements est cependant encore difficile à chiffrer. Les deux exemples qui suivent, qui rapprochent les niveaux de fréquentation des subventions de fonctionnement allouées en 1999 permettent cependant d'avoir une idée de cet effort. Ainsi, les neuf musées de l'agglomération strasbourgeoise, qui bénéficient de la fréquentation la plus importante constatée dans les musées de grandes villes avec 390 500 visiteurs par an, ont un coût de fonctionnement global de 11,5 millions de francs. La ville de Toulouse a quant à elle reçu 370 000 visiteurs dans ses cinq musées, pour une subvention totale de 42 millions de francs.

Du point de vue de la politique culturelle, la décentralisation a donc eu un impact considérable qui n'a pas toujours été pleinement pris en compte par l'administration des musées.

_ Les progrès insuffisants de la déconcentration

La loi n° 92-125 du 6 février 1992 relative à l'administration territoriale de la République a fait de la déconcentration dans le cadre régional le principe de droit commun de l'organisation des services de l'Etat et du préfet de région l'organe intermédiaire obligatoire entre l'administration centrale et les services déconcentrés. Cette évolution a eu à son tour pour conséquence de développer le rôle des agents spécialisés placés auprès du préfet de région et notamment, dans le domaine des affaires culturelles, celui des directeurs des affaires culturelles, eux-mêmes assistés de conseillers spécialisés et d'organes collégiaux comme les fonds régionaux d'acquisition des musées ou les fonds régionaux d'art contemporain.

C'est désormais aux directions régionales des affaires culturelles qu'il revient de gérer une part croissante des crédits de subventions de fonctionnement et d'intervention autrefois directement alloués par la direction des musées de France. Les préfets de région se voient simplement indiquer les priorités que le ministère entend voir retenues au titre de la cohérence de sa politique sur l'ensemble du territoire. Ces consignes sont fixées par le biais de circulaires annuelles.

Face au processus de décentralisation, l'administration déconcentrée de l'Etat a fait d'incontestables efforts d'adaptation et de modernisation. Pour autant, les relations entre la direction des musées de France, les directions régionales des affaires culturelles, les collectivités locales et les musées de province demeurent encore aujourd'hui assez largement improvisées, lacunaires et fluctuantes, faute notamment d'une base légale et réglementaire adaptée.

Le contrôle et l'expertise de l'Etat, par nature sectoriels, doivent évoluer dans leur fondement et leur application pour s'adapter au développement des politiques patrimoniales territoriales et à des institutions qui ont désormais, pour la plupart, atteint l'" âge adulte ".

_ D'une logique régalienne à une logique contractuelle

Dans ce nouveau contexte, les liens entre la direction des musées de France, les directions régionales des affaires culturelles et les musées territoriaux doivent désormais relever d'une logique de conseil et d'expertise, fondée sur la passation de véritables contrats pluriannuels. La réussite d'une politique partenariale entre les différentes autorités publics (Etat, régions, départements, villes) est à ce prix.

L'échelon central peut désormais se consacrer à une action d'impulsion et de contrôle (ou plus exactement de validation) dans les domaines scientifiques, techniques et politiques, afin de définir des orientations générales de programmation et de gestion. Son effort doit donc porter sur ce qui, demain, rassemblera tous les musées de France, quel que soit leur statut, à savoir les principes généraux applicables en matière d'acquisition, de conservation, de mise en valeur des établissements et des collections et de relations au public.

Les directions régionales des affaires culturelles, qui devraient toutes comprendre un conseiller musée (ce qui n'est pas le cas aujourd'hui), sont quant à elles appelées à devenir l'interlocuteur privilégié des acteurs territoriaux dans le domaine des musées, qu'il s'agisse des élus, des responsables d'établissements ou des partenaires éducatifs, économiques et sociaux. C'est à elles que revient désormais la charge de traduire sur le terrain les orientations générales définies par la direction des musées de France et de les mettre en _uvre par des moyens diversifiés, tels que la subvention, l'expertise, le conseil, l'évaluation et la contractualisation.

Elles devraient également être missionnées pour mieux coordonner les activités des différents services de l'Etat (en liaison avec les collectivités locales), pour la mise en _uvre et le développement, à partir des patrimoines et des institutions culturelles locales, de politiques d'activités communes dans les musées et les diverses institutions d'une même région (expositions temporaires notamment).

_ Développer les réseaux de musées

Tous les intervenants de la table ronde organisée par la mission d'information le 9 décembre 1999, qui réunissait six responsables de musées territoriaux, se sont accordés sur l'importance des réseaux de musées, qu'il s'agisse de réseaux entre établissements d'une même ville, d'un département ou d'une région. Et ils ont tous également regretté la faiblesse de leur développement.

Pourtant, la construction de tels réseaux est un véritable enjeu et la clé d'un développement harmonieux de la vie culturelle, dont tous les secteurs sollicitent également l'attention des élus et les soutiens financiers. Elle permet d'utiliser les établissements ayant le plus grand succès touristique pour orienter les visiteurs vers les autres institutions et de mutualiser, sinon les financements, tout au moins les savoir-faire et les compétences, les musées locaux manquant de moyens pour disposer d'un spécialiste par type de collection.

Le réseau des musées du Nord Pas-de-Calais est un excellent exemple de l'apport positif d'un rapprochement entre conservateurs de différentes institutions d'une même zone géographique. Créée en 1975, l'Association des conservateurs des musées du Nord-Pas-de-Calais regroupe près de cinquante conservateurs et attachés de conservation travaillant dans une trentaine de musées de la région. Depuis sa création, cette association organise des actions destinées à faire connaître la richesse et la diversité des collections (exposition, catalogues, etc...) et aborde les problèmes les plus actuels des musées : publics, animation, tourisme, information, diffusion. Participant au développement culturel, social et touristique de la région, elle est reconnue et soutenue par l'ensemble des partenaires politiques et institutionnels. Maître d'_uvre pour l'informatisation des collections des musées, l'association a entrepris une campagne d'inventaire, de protection et de restauration, ainsi que de valorisation des fonds photographiques conservés dans les musées de la région. Dans le cadre de ce projet, une quinzaine de musées du Nord-Pas-de-Calais participent à la réalisation d'un site Web " grand public " offrant à tous les amateurs d'art et professionnels les richesses du patrimoine artistique de la région (www.musenor.org).

Cette mise en réseau doit également pouvoir, selon les situations locales, être étendue aux autres institutions culturelles de la ville ou du bassin de vie, afin d'encourager le croisement et la rencontre des publics évoqués précédemment. Le musée des beaux-arts de Valenciennes participe ainsi à un réseau multimédia appelé " l'Anneau Citoyen Valenciennois " et réunissant les sites intranets des différentes institutions publiques et culturelles de la ville (musée, médiathèque, théâtre, hôtel de Ville...) pour mieux faire connaître les richesses patrimoniales et culturelles aux habitants de la ville et de ses environs.

La ville d'Agen encourage quant à elle depuis 1992 le développement de partenariats et de projets communs entre les différentes institutions culturelles municipales : musée, théâtre, centres musicaux, centre culturel et bibliothèque. L'objectif est de faire de tous ces lieux culturels des facteurs d'intégration pour les populations des quartiers et les nouveaux arrivants dans la ville ainsi que des partenaires de développement local pour les milieux économiques.

_ Faciliter la circulation des _uvres...

Les dépôts des musées nationaux dans les musées territoriaux (classés en général) se font en principe avec l'objectif de combler un " trou " d'une collection. Près de 7000 _uvres appartenant au musée du Louvre sont ainsi déposées dans des musées territoriaux, dans certains cas depuis plus d'un siècle. Aujourd'hui, la direction des musées de France cherche surtout à développer une politique de dépôts d'_uvres significatives dans les grands musées régionaux, susceptibles de faire l'objet d'une exposition-dossier.

La durée de ces dépôts est variable. Elle peut être courte, de quelques mois à un an, comme pour les Bergers d'Arcadie, de Poussin, prêtés par le Louvre au musée des beaux-arts de Lyon ou le Port de mer au soleil couchant, du Lorrain, prêté par le même Louvre au musée des beaux-arts de Nancy. Les prêts peuvent également être plus abondants ou plus longs : le Musée national d'art moderne a déposé au Musée de Grenoble un ensemble de sculptures de Hajdu, reçues en dation ; le Portrait de Berthe Morisot à l'éventail, de Manet, a gagné le musée des beaux-arts de Lille et un polyptyque de Maurice Denis sera exposé à Montpellier, sans date précise de retour dans leur établissement d'origine, le musée d'Orsay.

Une telle évolution, si elle se prolonge, devrait permettre d'instaurer des relations beaucoup actives entre les musées nationaux et les établissements en région.

_ ... et des hommes

Quant au renforcement de la mobilité des personnels de conservation, qui est hautement souhaitable si l'on veut faciliter les échanges entre musées nationaux et musées territoriaux et favoriser une ouverture des esprits et des collections, celui-ci ne pourra s'organiser que dans un cadre statutaire mieux harmonisé entre fonction publique d'Etat et fonction publique territoriale.

Si les principes fondamentaux de la décentralisation semblent s'opposer à la constitution d'un corps unique de conservateurs, cette harmonisation tirerait néanmoins profit d'une unification de la scolarité à l'Ecole nationale du patrimoine (le choix de la fonction publique d'affectation se faisant à la sortie et non plus à l'entrée) et de l'institution d'une obligation de mobilité en cours de carrière entre les deux filières, comme cela existe dans bien des corps administratifs. Pour être envisageables, ces deux réformes devraient néanmoins être assorties de la création d'un grade de conservateur général dans le corps des conservateur territoriaux. L'absence actuelle de ce dernier échelon dévalorise cette filière dès l'entrée à l'Ecole nationale du patrimoine.

_ Le label " musées de France "

Le champ de la législation et de la réglementation sur les musées doit donc aujourd'hui être actualisé afin de l'adapter et de l'ouvrir aux différents types d'institutions.

La hiérarchie entre musées classés (créés après la guerre, dans une période de déficit de personnels, pour gérer les dépôts d'Etat dans les musées de province) et musées contrôlés ne se justifie plus aujourd'hui et pourrait être abandonnée au profit de la fixation de règles générales applicables à l'ensemble des musées, quels que soit leur type et leur statut.

Ces règles devraient concerner les missions et responsabilités scientifiques et culturelles, les conditions de conservation et d'enrichissement des collections, les politiques de public, les tarifs, les objectifs de diffusion et de démocratisation, la formation et la qualification des personnels, l'insertion du musée dans une réseau local ou régional. A l'image de ce qui s'est fait pour le spectacle vivant, il serait souhaitable que ces règles soient symboliquement regroupées dans une Charte de service public des musées de France.

Le respect de cette Charte, mise en _uvre par un contrat d'objectifs et de moyens passé entre la direction régionale des affaires culturelles et l'établissement (via sa tutelle) conditionnerait l'octroi d'un label " musées de France " garantissant au public la qualité scientifique et culturelle de l'établissement et accordant au musée le bénéfice du soutien, tant technique que financier, de l'Etat, ainsi que le droit à obtenir la mise à disposition de conservateurs d'Etat.

3 - TRANSPARENCE, RESPONSABILITÉ ET SOLIDARITÉ POUR LES MUSÉES NATIONAUX

Trente-trois musées sont aujourd'hui des musées nationaux, c'est-à-dire des musées directement placés sous l'autorité de l'Etat. Leur gestion est assurée de façon duale par la direction des musées de France, organe administratif classique du ministère de la culture, qui se consacre aux domaines administratif et financier, et la Réunion des musées nationaux, institution à vocation économique disposant, depuis 1990, d'un statut d'établissement public industriel et commercial. L'originalité de cette organisation est que les deux structures sont dirigées par la même personne : le directeur des musées de France.

_ Une gestion encore très centralisée

La plupart des musées nationaux sont directement gérés par la direction des musées de France. Ils sont financés sur crédits budgétaires et n'ont pas la maîtrise de leurs ressources propres ; leurs personnels sont des fonctionnaires directement rémunérés par le ministère de la culture. Jusqu'à une période récente, leur gestion administrative et financière était extrêmement centralisée.

Cette situation est désormais en voie d'évolution tant pour des raisons techniques de bonne gestion que pour la mise en _uvre de la politique de déconcentration de l'administration d'Etat. Les principaux musées nationaux ont ainsi été institués en services extérieurs à caractère national du ministère de la culture par un décret du 21 septembre 1989 et leurs chefs d'établissement déclarés ordonnateurs secondaires de leurs dépenses et recettes de fonctionnement. Ces musées fonctionnent donc, d'un point de vue budgétaire, comme une direction du ministère et disposent à ce titre d'une relative autonomie de gestion.

La plupart des musées nationaux restent cependant dépourvus de personnalité juridique distincte et soumise, non seulement à l'autorité administrative et financière de la direction des musées de France mais également à la « tutelle » économique et commerciale de la Réunion des musées nationaux.

_ Clarifier le rôle complexe de la Réunion des musées nationaux

Les musées nationaux reversent en effet la quasi-intégralité de leurs recettes propres (billetterie, librairie, produits dérivés) à la Réunion des musées nationaux. Ces ressources sont mutualisées et servent à financer la politique d'acquisition et d'exposition de l'ensemble des musées nationaux. En plus de cette fonction de mutualisation, la Réunion des musées nationaux a développé une activité de prestataire de services pour l'organisation et la gestion de librairies-boutiques dans les musées.

Fortement déficitaire en 1996 (- 85,9 millions de francs en résultat d'exploitation), la Réunion des musées nationaux a fait l'objet d'un plan de redressement sur trois ans (1997-1999) destiné à reconstituer les réserves de l'établissement et son fonds de roulement au niveau de 1993  et à rationaliser l'activité commerciale pour qu'elle parvienne au minimum à équilibrer son exploitation en 1999. Les résultats d'exploitation de la Réunion des musées nationaux ont été meilleurs que prévus puisque, sur les années 1997 et 1998, le résultat d'exploitation cumulé s'établit à 108,6 millions de francs contre 38,5 millions de francs escomptés par le plan d'action.

Grâce à une meilleure fréquentation des musées nationaux (9,57 millions de visiteurs payants, en 1998, soit 7,1 % de plus qu'en 1997), la Réunion des musées nationaux a recueilli 195,2 millions de francs au titre de la perception des droits d'entrée en 1998. Comme les années précédentes, les principaux contributeurs nets ont été le musée du Louvre (54,5 millions de francs), le musée d'Orsay (75,5 millions de francs), le musée du château de Versailles (23,3 millions de francs), le musée Picasso (9,8 millions de francs) et le musée de l'Orangerie des Tuileries (8,3 millions de francs).

Les crédits consacrés aux acquisitions ont ainsi pu être revalorisés : après 43,6 millions de francs en 1996 et une chute à 26,5 millions de francs en 1997, les achats ont retrouvé, avec 54,5 millions de francs, leur niveau de 1995. L'organisation des expositions temporaires, déficitaire depuis 1996, fait toujours l'objet d'un plan de maîtrise des coûts. La Réunion des musées nationaux a organisé vingt-quatre expositions temporaires en 1998 (plus d'un million de visiteurs), dont huit en collaboration avec des musées en région ou de musées étrangers. Enfin, une rationalisation plus grande des activités éditoriales et commerciales a permis un retour à l'excédent en 1998. Les espaces commerciaux des musées et des Galeries Nationales du Grand Palais ont réalisé un chiffre d'affaires de 336 millions de francs (soit 69,4% du chiffre d'affaires total), en hausse de 12 % par rapport à 1997.

Pour l'actuelle directrice des musées de France et présidente de la Réunion des musées nationaux, Mme Françoise Cachin, il n'est pas souhaitable que ces deux organes soient séparés. Même si son statut peut apparaître comme une anomalie, la Réunion des musées nationaux est faite par et pour les musées nationaux. Toutes les fonctions qui ne sont pas directement liées à la gestion des collections (comme les activités commerciales) sont destinées à assurer leur enrichissement ou/et leur promotion : elles correspondent donc également à une mission de service public.

Si l'on comprend bien l'intérêt pratique que peut représenter la souplesse de fonctionnement (et de recrutement) de la Réunion des musées nationaux pour une administration chargée de gérer des structures ayant inévitablement des activités de nature commerciale, la complexité, l'opacité et le caractère peu motivant du système choisi restent néanmoins regrettables et devraient faire l'objet d'une révision. Il ne s'agit pas ici, bien sûr, de remettre en cause le principe de solidarité existant pour l'acquisition des _uvres, mais de donner aux musées nationaux une plus grande responsabilité de gestion à travers une plus grande maîtrise de leurs ressources.

_ Renforcer la transparence de gestion

Un musée est un service public, pas une entreprise destinée à gagner de l'argent : il n'y a pas d'ambiguïté sur ce point. Ce n'est pas un lieu où l'on se contente de regarder des collections avant de passer à la boutique ou au restaurant, mais une institution qui se doit également de valoriser et de faire évoluer ses collections, de former le visiteur, de l'aider à se poser des questions et de rencontrer les publics.

Pour autant, l'objectif d'une gestion saine, transparente et responsable doit être réaffirmé. On ne peut donc pas se satisfaire du fait que les budgets des musées soient quasiment impossibles à établir avec précision lorsqu'il ne s'agit pas d'établissements publics indépendants. Si les directeurs de musées, qui sont tous des conservateurs, ont parfois du mal à citer d'autres masses budgétaires que les traditionnels crédits d'acquisition ainsi que la dotation déconcentrée qu'ils reçoivent, c'est qu'ils ne sont pas tous encore formés pour cela mais aussi qu'ils ne voient pas toujours l'utilité d'un chiffrage budgétaire précis.

_ L'exemple néerlandais

La mission a, sur ces questions, été particulièrement intéressée par l'expérience de " désétatisation " qu'ont vécue les musées néerlandais entre 1988 et 1994. Pour résoudre les problèmes de fonctionnement et de gestion rencontrés par ces établissements, directement rattachés au ministère chargé de la culture et soumis à une organisation jugée trop administrative, il a été décidé de les détacher de la tutelle de l'Etat. La loi sur l'autonomie des musées nationaux a été adoptée à l'unanimité en juin 1993 ; elle a formulé un certain nombre de conditions impératives définissant le cadre général du processus d'autonomie :

- les collections dont l'Etat est propriétaire ou qui ont été confiées aux soins de l'Etat (comme la collection Van Gogh au musée national Vincent Van Gogh) ne pourront être ni grevées, ni aliénées ;

- les édifices qui appartiennent au patrimoine national resteront propriétés de l'Etat ;

- le ministère de la culture demeurera responsable du financement du fonctionnement des musées ;

- le personnel en place passera à la nouvelle entité en conservant ses droits et ne subira pas de baisse de sa rémunération nette ;

- l'opération devra être neutre pour le budget de l'Etat.

Il ne s'est donc pas agit, comme cela a parfois été dit, d'un désengagement de l'Etat, mais plutôt d'une concentration de son action sur ses fonctions essentielles de financement et de protection du patrimoine, alors même que les musées, confrontés à de nouvelles obligations de gestion et de résultats, devaient opérer une remise en question et construire un véritable projet de développement.

Les vingt-et-un musées " désétatisés " ont été constitués sous la forme d'une fondation de droit privé. Chaque musée a élaboré son statut à partir du statut type annexé à la loi, qui rappelle les dispositions évoquées ci-dessus. La fondation est dirigée par un directeur, lui même nommé par un conseil de surveillance dont les membres sont désignés par le ministre et qui a des compétences comparables à celles d'un conseil d'administration. Le directeur est responsable du fonctionnement du musée ; il le représente juridiquement. Lors du renouvellement des conseils de surveillance, le ministre effectue les nominations sur proposition du conseil sortant et après consultation du directeur. L'objectif est donc d'assurer la constitution d'une équipe solidaire et cohérente.

Les collections demeurent propriété de l'Etat ; seule leur gestion a été transférée aux musées. La durée de placement en gestion de la collection est de trente ans. En ce qui concerne les prêts d'_uvres, le musée est tenu de préciser à l'avance les objets qu'il entend prêter pour une période supérieure à un an. Depuis 1949, les Pays-Bas disposaient d'une inspection nationale des objets mobiliers historiques chargée de la surveillance des objets et collections appartenant à l'Etat mais cette inspection, jusqu'à la loi d'autonomie des musées, n'était pas compétente pour les collections des musées nationaux. Les nouvelles fondations font désormais partie de son champ d'action, ce qui est un changement remarquable car, pour la première fois depuis leur existence, les musées vont ainsi être soumis à un contrôle externe de leurs collections.

Le ministère chargé de la culture est intégralement responsable des subventions à accorder aux vingt-et-un musées et services devenus autonomes. Au total, ce budget est estimé à environ 152 millions de florins pour 1997, soit environ 450 millions de francs ; à titre de comparaison, le budget de la direction des musées de France s'est élevé cette même année à environ un milliard de francs en dépenses ordinaires et autorisations de programmes. Le lancement du projet d'autonomie s'est accompagné d'une nouvelle méthode de financement pour les musées nationaux. Ceux-ci sont passés d'un système dans lequel ils se voyaient octroyer, chaque année et a priori, des moyens matériels et en personnels, à un mode de financement pluriannuel sur projet. Les établissements présentent désormais un plan d'actions à l'Etat, qui, en retour, après avoir approuvé les résultats à atteindre, leur accorde un budget pour quatre ans qu'ils sont libres d'utiliser comme bon leur semble, à condition d'atteindre les résultats convenus. En sus de cette subvention, les musées disposent des recettes tirées de la billetterie et de l'exploitation de leurs services commerciaux ainsi que des aides apportées par des tiers (mécènes notamment). Les recettes supplémentaires réalisées pendant la période ne sont pas déduites de la subvention si les résultats sont atteints.

L'autonomie conférée à ces vingt-et-un musées et services a permis d'assurer une gestion plus dynamique de ces institutions et conduit le ministère chargé de la culture à se recentrer sur les grandes lignes de la politique relative au musée.

_ L'exception des établissements publics

Pour ce qui concerne la France, seuls deux grands musées
- le Louvre et Versailles - possèdent aujourd'hui une autonomie plus ou moins comparable, le musée national d'art moderne disposant d'un statut spécifique du fait de son intégration dans le Centre Pompidou. Pour le musée du Louvre, le passage de la gestion directe par la Réunion des musées nationaux au statut d'établissement public administratif en 1992 a tout à la fois permis une responsabilisation des personnels, une meilleure autonomie en matière tarifaire et de financement et de véritables gains de temps en ce qui concerne le processus de décision. Le Louvre rend tout à la fois beaucoup plus de comptes à la tutelle et, en même temps, a plus d'aisance pour entreprendre. Le bilan est donc pour lui tout à fait satisfaisant.

Le musée a été doté des moyens nécessaires pour asseoir son autonomie : il s'est vu remettre un vaste ensemble de biens (le musée mais également le domaine, c'est à dire tout son entourage immédiat) ; il bénéficie d'une définition étendue de ses missions (conservation, protection, restauration, étude scientifique des collections, accueil du public et accroissement de la fréquentation, contribution à l'éducation, la formation et la recherche dans le domaine de l'histoire de l'art, gestion et programmation de l'auditorium, préservation, gestion et mise en valeur des immeubles) ; il dispose de moyens d'action juridique (possibilité de concéder certaines activités, de délivrer des autorisations d'occupation du domaine public, d'assurer des prestations à titre onéreux, de réaliser des opérations commerciales, etc...) ; enfin, sur le plan financier, des dispositions spéciales ont été prévues pour limiter les contraintes liées au principe de l'annualité budgétaire et au strict cloisonnement des recettes et des dépenses. L'établissement a par ailleurs été placé directement sous la tutelle du ministre de la culture (et non plus sous l'autorité du directeur des musées de France) : les rapports entre l'administration des musées et le Louvre s'en sont forcément trouvés modifiés.

Le Louvre continue néanmoins à verser 45 % de ses droits d'entrée à la Réunion des musées nationaux, soit environ 60 millions de francs par an. Par le biais des dotations pour les acquisitions et les expositions temporaires, il récupère environ un tiers de ces versements. La Réunion des musées nationaux assure par ailleurs la gestion des boutiques et reverse une redevance annuelle au musée.

_ Des musées nationaux autonomes et responsables

De façon plus générale, dans les années à venir, la contradiction entre l'existence de la Réunion des musées nationaux, établissement public industriel et commercial centralisateur, compétent pour la quasi-totalité des musées nationaux et la montée en puissance d'établissements publics administratifs comme le Louvre ou Versailles va s'accroître. Ces derniers voudront très certainement conquérir leur autonomie pleine et entière et chercheront donc à négocier leurs relations avec la Réunion des musées nationaux, qui lui sont aujourd'hui imposées. D'autres musées, d'ampleur comparable, tenteront d'acquérir eux aussi un statut d'établissement public. Ces négociations remettront forcément en cause l'équilibre actuel des financements et des mécanismes de gestion interne du secteur.

Une réorganisation des relations entre les musées nationaux, la direction des musées de France et la Réunion des musées nationaux semble donc nécessaire, non pas pour supprimer le principe de solidarité mais pour mieux garantir la transparence et l'efficacité des modalités de gestion et de développement.

_ Généraliser le statut d'établissement public administratif

La plupart des musées nationaux devraient en pratique pouvoir être transformés en établissements publics administratifs afin de leur garantir un budget défini et autonome, alimenté tout à la fois par leurs ressources propres (droits d'entrée principalement) et une dotation publique. En effet, les musées nationaux et leurs collections appartiennent à la puissance publique : il semble donc logique que celle-ci, par le biais de la subvention, assume le coût de leur fonctionnement, le budget de l'Etat étant, par définition, le premier des instruments de péréquation. Quant aux musées les plus petits, pour lesquels une gestion totalement autonome se révélerait trop lourde, un rattachement à un établissement plus grand, à la préoccupation scientifique et artistique voisine, pourrait être décidé.

Ce rattachement permettrait également de créer un certain nombre de pôles scientifiques et fonctionnels, constitués autour d'un musée " chef de file ", qui seraient tout désignés pour établir des liens privilégiés avec les réseaux de musées constitués dans les régions. Une telle évolution ne pourrait que vitaliser les échanges et la circulation des _uvres, bien trop souvent jalousement conservées et retenues par leur " maison mère ".

_ La Réunion des musées nationaux, prestataire de services pour les musées

Le rôle de la Réunion des musées nationaux serait redéfini en fonction de cette nouvelle autonomie des musées nationaux.

A côté d'une direction des musées de France, recentrée sur ses missions d'orientation, de conseil et de contrôle, elle continuerait tout d'abord à jouer un rôle de caisse de mutualisation pour les acquisitions et l'organisation d'expositions communes, son alimentation étant assurée par une cotisation - forfaitaire ou proportionnelle aux recettes - négociée avec chacun des établissements.

Comme l'y invite son statut d'établissement public industriel et commercial, la Réunion des musées nationaux deviendrait par ailleurs prestataire de services (privilégié mais non exclusif) pour toutes les activités commerciales des musées (visites guidées, librairies, carteries, produits dérivés, etc...), que ceux-ci soient nationaux ou territoriaux.

Les rapports avec les musées nationaux s'établiraient ainsi sur une base véritablement contractuelle, négociée de façon équilibrée et modulable selon les moyens et les besoins de l'établissement.

Cette clarification fonctionnelle et institutionnelle permettrait par ailleurs de mieux délimiter les champs de compétences respectifs de la direction des musées de France et de la Réunion des musées nationaux et donc de définitivement distinguer les fonctions de direction des deux entités.

_ L'inaliénabilité des collections : jusqu'où ?

La mission a pu constater à de nombreuses reprises l'attachement de la profession des conservateurs au principe d'inaliénabilité des collections publiques, qu'il considèrent comme un garde-fou contre des tentations de dilapidation du patrimoine national.

En tout état de cause, comme le faisait justement observer M. Henri Loyrette, directeur du musée d'Orsay, vendre des _uvres conservées dans les réserves pour financer de nouveaux achats est une solution tout à la fois difficile et de portée limitée. Difficile car il n'est jamais aisé d'estimer la valeur historique et potentielle d'une _uvre et de ne pas se tromper. Il y a quinze ans, on aurait ainsi très certainement choisi de se défaire de tableaux de peintres académiques (" pompiers ") du XIXème siècle, alors qu'ils connaissent aujourd'hui un regain d'intérêt de la part du public et des spécialistes. De plus, une bonne partie des collections provient de dons qui, la plupart du temps, sont inaliénables. Enfin, une telle disposition serait finalement de portée limitée car les réserves des musées renferment en réalité peu de trésors méconnus dont la vente permettrait de réunir des sommes considérables.

Par contre, il serait intéressant d'envisager, de façon contrôlée, le transfert de la propriété d'_uvres depuis longtemps déposées par des musées nationaux dans les musées territoriaux. Cette clarification permettrait notamment de lever les doutes sur les questions de propriété des droits de reproduction.

Par ailleurs, la notion d'inaliénabilité se rattache principalement aux musées de beaux-arts. Pour des musées d'un autre type, histoire naturelle, archéologie, sociologie, on pourrait donc imaginer des règles de conservation différenciées.

De la même manière, on peut se demander si l'octroi du caractère inaliénable ne pourrait pas être précédé d'un délai de latence de vingt ou trente ans pour les _uvres contemporaines. Dans certains pays scandinaves, les musées peuvent même se dessaisir, à l'issue d'un délai de dix ans, d'une partie de leurs collections contemporaines. Dans ce dernier cas en effet, il est certain que l'inaliénabilité des collections limite les possibilités nouvelles d'acquisition (problèmes matériels de place dans les réserves et les espaces d'exposition, coût de l'entretien et de la restauration des _uvres) et fige, d'une certaine façon, les collections et la réactivité des musées par rapport à la création.

_ Les difficultés des musées hors tutelle du ministère de la culture

La France n'a jamais connu une loi ou une administration unique en matière de musées. Dès leur apparition officielle dans la législation de l'époque révolutionnaire, trois institutions distinctes se sont dégagées :

- le Muséum d'histoire naturelle (1793), qui entraînera le rattachement de tous les musées de ce type à l'administration de l'éducation nationale,

- le Conservatoire national des arts et métiers (1794), auquel seront plus tard rattachés les musées de sciences et techniques,

- et le musée du Louvre (1793), musée des beaux-arts par excellence.

Cette division tripartite a été conservée jusqu'à aujourd'hui, même si elle a pu conduire à des situations catastrophiques. La plupart du temps, les établissements hors ministère de la culture sont en effet plutôt considérés par leur administration de tutelle comme des outils de recherche que comme des instruments culturels ; ce sont donc des musées de spécialistes qui ne bénéficient pas de l'apport muséographique et culturel que reçoivent les musées rattachés au ministère de la culture. La Grande galerie de l'évolution du Muséum d'histoire naturelle ou la toute récente rénovation du musée du Conservatoire national des arts et métiers, outre que des années d'abandon ont été nécessaires pour rendre ces rénovations inévitables, constituent les rares exceptions à cette règle. Le Muséum d'histoire naturelle, pour ne citer que lui, est aujourd'hui dans un état de délabrement inacceptable tant pour la conservation de ses collections et de son patrimoine immobilier que pour la sécurité de ses agents.

Un transfert de ces musées (ou de certains d'entre eux) au ministère de la culture devrait donc être envisagé, le budget du ministère devant, du même coup, être abondé des crédits nécessaires à leur rénovation et leur fonctionnement. Pour le moins, il serait souhaitable d'utiliser le savoir-faire de la direction des musées de France et de l'Ecole nationale du patrimoine pour assurer le développement de ces établissements. De même, la Réunion des musées nationaux pourrait y jouer un rôle de prestataire de services.

_ Un mécénat insuffisant

Il existe dans les musées un forme de mécénat individuel plein de vitalité grâce aux associations d'amis, qui non seulement soutiennent, par leurs dons, les politiques d'acquisition et de restauration mais contribuent également, grâce à leurs bénévoles, à la création et au développement d'actions éducatives et culturelles en direction des publics.

Le mécénat d'entreprise fait par contre aujourd'hui figure de laissé pour compte, surtout lorsque l'on compare la situation française à celle prévalant à l'étranger, aux Etats-Unis ou en Grande Bretagne notamment.

De façon générale, même si les entreprises qui font du mécénat en France ne le font pas pour des motifs fiscaux, mais pour des raisons stratégiques ou de communication qui leurs sont propres, elles ne sont cependant pas des associations philanthropiques et rencontrent aujourd'hui la limite de leurs capacités en la matière.

Le dispositif fiscal actuel est principalement constitué, outre la loi de 1990 relatives aux fondations d'entreprises :

- de l'article 238 bis du code général des impôts, qui donne la possibilité aux entreprises de déduire de leur bénéfice imposable les dons faits à des _uvres d'intérêt général dans le domaine culturel, dans la limite de 2,25 pour mille,

- et de l'article 238 bis-0 A, qui permet quant à lui aux entreprises de déduire de leur bénéfice imposable, dans la limite de 3,25 pour mille, la valeur d'acquisition d'_uvres d'art qu'elles se seraient engagées à donner à l'Etat dans un délai maximum de dix ans, ces _uvres devant, durant ce délai, être exposées au public.

Ce système, soumis à un plafonnement global de déduction égal à 3,25 % du bénéfice imposable, est tout à la fois d'une grande complexité et peu motivant. Il s'est, de surcroît, parfois révélé risqué du fait des marges d'appréciation importantes laissées à l'administration fiscale.

L'article 17 de la loi de finances pour 2000 constitue néanmoins une première avancée sur ces questions puisqu'en modifiant l'article 238 bis du code général des impôts, il permet désormais aux entreprises de déduire leurs dons de leur résultat, qu'il soit bénéficiaire ou déficitaire (et non plus de leur bénéfice imposable) et d'associer leur raison sociale aux opérations qu'elles soutiennent, sans pour autant être exclues du bénéfice du dispositif. Une instruction fiscale, préparée en collaboration avec l'Association pour le développement du mécénat industriel et commercial (ADMICAL), devrait prochainement préciser les modalités d'application de cette disposition et autoriser l'existence de contreparties au mécénat - jusqu'ici formellement interdites par les services fiscaux - " à condition qu'il existe une disproportion marquée entre les sommes données et la valorisation de la prestation rendue ".

La réforme de l'article 238 bis et l'instruction fiscale évoquées ci-dessus constituent une première avancée, importante mais non pas suffisante. En effet, si l'on souhaite que le mécénat se développe, et même si une telle demande peu paraître un v_ux pieux au regard de la ligne de conduite adoptée par le ministère des finances depuis de nombreuses années en matière de culture, il reste hautement souhaitable de proposer aux entreprises un système fiscal plus simple, plus sûr et plus incitatif.

En ce qui concerne les dispositions déjà existantes, plusieurs évolutions sont envisageables :

- la rédaction de l'article 238 bis devrait être définitivement clarifiée dans la loi afin de ne pas soumettre les entreprises aux aléas de l'application par les différents centres des impôts de la circulaire d'interprétation ; la nature des contreparties acceptables devrait notamment être précisée ;

- le dispositif de l'article 238 bis-0 A devrait être révisé afin, d'une part, de relever le plafond de la limite de déduction des achats d'_uvres et, d'autre part, de permettre à l'entreprise de conserver l'_uvre dans ses locaux jusqu'à sa donation à l'Etat, à condition par exemple que celle-ci puisse être vue par les salariés, les fournisseurs et les clients. Ce dispositif, ainsi révisé, devrait pouvoir encourager la constitution de collections d'entreprises, aujourd'hui quasiment inexistantes en France ;

- enfin, le régime des fondations d'entreprises devrait être assoupli, notamment en ce qui concerne les conditions juridiques de modification du programme d'action pluriannuel, qui nécessite actuellement une réforme des statuts déposés, même lorsqu'il s'agit d'accroître les investissements programmés.

De façon plus novatrice, et pour viser plus spécifiquement les musées et l'enrichissement des collections publiques, de nouvelles aides fiscales pourraient être envisagées comme :

- la création d'une taxe parafiscale sur la Française des jeux et/ou sur les casinos, qui serait versée sur un compte d'affectation spéciale destiné à compléter les crédits d'acquisitions des musées, nationaux et territoriaux, pour l'acquisition de trésors nationaux soumis à une interdiction provisoire d'exportation ;

- l'extension du mécanisme de déduction fiscale des dons faits aux associations caritatives ou reconnues d'utilité publique aux sommes versées au titre d'une participation à une souscription nationale pour l'achat d'_uvres d'art destinées à enrichir le patrimoine national.

Enfin, outre les évolutions fiscales, les musées tireraient incontestablement profit d'une évolution des mentalités et des pratiques face aux entreprises susceptibles de les soutenir. Il y a vingt ans, les musées ont été un des premiers secteurs culturels à bénéficier du mécénat d'entreprise. Puis celui-ci s'est développé, organisé, professionnalisé et, en conséquence, diversifié. Le monde des musées n'a pas toujours saisi qu'il ne disposait pas d'un droit acquis aux aides des entreprises et qu'ils fallait faire quelques efforts pour les attirer, les persuader... et conserver leur soutien. Dans l'autre sens, les exigences présentées et la faiblesse des contreparties proposées ont parfois découragé certaines entreprises, qui ont préféré se tourner vers des secteurs moins difficiles ou plus ouverts, comme le spectacle vivant ou l'art contemporain.

La nouvelle génération des conservateurs a compris l'intérêt d'un partenariat avec les entreprises et accepte désormais l'idée d'une nécessaire contrepartie au soutien financier (prêt d'espaces, par exemple). Certains musées (comme le musée d'art contemporain de Villeneuve d'Ascq ou le musée des beaux-arts de Lyon) ont même su provoquer la mise en place d'un mécénat collectif, ce regroupement de plusieurs entreprises autour d'une institution permettant de développer une véritable pédagogie du mécénat.

CONCLUSION

L'ensemble, ou tout au moins la plupart des interrogations et des pistes de réflexion qui viennent d'être évoquées pourraient trouver une réponse et un aboutissement, direct ou indirect, dans un projet de loi de modernisation du droit des musées, annoncé par Mme Catherine Tasca, ministre de la culture et de la communication, pour le début 2001.

Celui-ci permettrait de rénover un cadre juridique trop étroit, de l'ouvrir à tous les types de musées et aux préoccupations autres que scientifiques, tout en réorganisant les relations entre l'Etat et les collectivités territoriales, afin de donner aux musées toute leur place au sein de la démocratisation culturelle et de l'aménagement culturel du territoire.

Le reste est avant tout affaire de pratique et d'état d'esprit. Durant ses mois de travaux, la mission a partout rencontré des personnes passionnées par leur travail et profondément impliquées dans le devenir et le perfectionnement de leur établissement.

Il s'agit donc aujourd'hui de mettre en mouvement ces talents et ces énergies pour faire du musée un véritable outil de démocratisation culturelle.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

La commission a examiné le présent rapport d'information au cours de sa réunion du mercredi 24 mai 2000.

M. Jean Le Garrec, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.- Je souhaite tout d'abord remercier l'ensemble des personnes auditionnées ou rencontrées par la mission d'information qui sont présentes aujourd'hui. Il me revient de vous exposer les raisons qui ont pu présider à la création d'une mission d'information sur les musées. La commission que je préside dispose de compétences très larges, et est saisie de très nombreux textes qui concernent des sujets aussi divers que le domaine social, l'éducation, la communication ou le sport. La culture n'est certes pas négligée, j'en veux pour preuve le passage en séance publique au cours de la nuit dernière d'un texte relatif à l'archéologie préventive, mais n'est cependant pas toujours une préoccupation prioritaire. Ceci est une des premières raisons qui m'a conduit à souhaiter la création d'une mission d'information sur un sujet spécifiquement culturel.

La mission d'information sur les musées, créée en décembre 1998, a réuni dix parlementaires : M. Alfred Recours, son président et rapporteur, et MM. André Aschieri, député des Alpes-Maritimes, Bruno Bourg-Broc, député de la Marne, Jean-Paul Bret, député du Rhône, Mme Catherine Génisson, députée du Pas-de-Calais, M. Michel Herbillon, député du Val-de-Marne, Mme Muguette Jacquaint, députée de la Seine-Saint-Denis, MM. Christian Kert, député des Bouches-du-Rhône, Patrice Martin-Lalande, député du Loir-et-Cher et Marcel Rogemont, député d'Ille-et-Vilaine. Leur travail a été non seulement actif mais encore passionné.

Mais pourquoi avoir choisi les musées ?

Tout d'abord en raison de l'obsolescence de l'ordonnance provisoire de 1945, qui est encore aujourd'hui le seul dispositif légal organisant les musées, et qui correspond désormais à un cadre trop étroit au regard du développement de l'activité des musées depuis vingt ans ainsi que des effets induits par la décentralisation.

En raison, également, de l'« explosion » des musées depuis vingt ans, et notamment de leur très fort développement en région. A titre d'exemple, je veux citer la région Nord-Pas-de-Calais qui possède aujourd'hui une des plus belles chaînes de musées d'Europe. A cette occasion, me revient à l'esprit une discussion que j'ai eue en 1977 avec M. Pierre Mauroy au cours de laquelle il affirmait que la solution des problèmes économiques de la région passait par un fort développement culturel.

Enfin, le rôle de démocratisation de l'accès à la culture que peuvent jouer les musées est apparu comme particulièrement important. Le mot  « conservateur » est beau, mais il ne saurait occulter la dimension de partage qui est caractéristique de l'idée de musée. A cet égard, me vient à l'esprit le livre d'André Malraux « Le musée imaginaire ». Le musée est un lieu de partage du plaisir, de la culture et de l'histoire. Il doit donc être un vecteur de compréhension de l'art par son environnement. J'en veux pour preuve l'exposition de photographies sur la Commune, actuellement présentée au Musée d'Orsay aux côtés de tableaux de Gustave Courbet : nombre de ces _uvres ne se comprennent qu'à la lumière de leur contexte historique, et le rapprochement est tout à fait passionnant.

Les travaux de la mission se sont déroulés sur dix-huit mois à travers diverses problématiques telles la définition du statut des musées, le rôle des musées dans la démocratie culturelle, leur place dans la déconcentration culturelle et l'aménagement du territoire. Ces thèmes, parmi d'autres, ont fait l'objet d'une réflexion collective approfondie au sein de la mission. Ce matin, après l'exposé du président de la mission M. Alfred Recours, trois débats, hélas trop courts, seront engagés, chacun étant introduit par des intervenants extérieurs que je remercie de leur présence.

M. Alfred Recours, président et rapporteur de la mission d'information.- La première chose à dire pour présenter les travaux de la mission d'information, c'est que celle-ci s'est volontairement limitée dans son propos et a renoncé à aborder l'ensemble des problèmes liés aux musées. De même, l'exercice de ce matin, vu la durée limitée qui m'est impartie, sera forcément schématique et parcellaire. Trois axes prioritaires ont été retenus, et ce choix a impliqué le renoncement à certaines questions telles le statut des personnels, l'économie des musées, l'intégration dans l'économie et l'aménagement du territoire. Pour guider son travail, la mission s'est référée à la définition du musée donnée par l'association des musées britanniques : « Les musées mettent à la disposition du public pour son éducation et son plaisir les _uvres mises à leurs disposition par la collectivité ».

Nombreux ont été les ministres de la culture, MM. Jack Lang, Jacques Toubon, Philippe Douste-Blazy et Mme Catherine Trautmann, à avoir souhaité réformer l'ordonnance de 1945 - caractéristique de ces textes provisoires de la République dont l'application perdure dans le temps - sans réussir à obtenir de résultats concrets. L'objectif de la mission était donc d'obtenir un tel résultat, soit sous la forme d'une proposition de loi d'origine parlementaire, soit sous celle d'un projet de loi, appelé à être enrichi par les travaux et les réflexions des parlementaires. Je pense que Mme Catherine Tasca, ministre de la culture, nous en dira un peu plus, tout à l'heure, sur ce point.

Différents thèmes ont donc retenu l'intérêt et l'attention de la mission.

Il s'agit tout d'abord de tout ce qui a trait au public, à son élargissement et à sa fidélisation. Avec des initiatives telles que les journées gratuites dans les musées nationaux, l'élargissement sociologique de la fréquentation des musées se consolide. Il est néanmoins plus que jamais nécessaire d'intégrer davantage qu'on ne le fait aujourd'hui le public dans la conception des projets scientifiques et culturels des établissements. Une telle idée a encore parfois du mal à se faire une place en France, alors qu'il s'agit d'une conception assez largement répandue dans d'autres pays européens et occidentaux.

Deuxième axe de réflexion et d'intérêt : la décentralisation culturelle et le rôle que peuvent désormais y jouer les musées. De plus en plus de collectivités locales ont pris des initiatives en la matière, en l'absence même de textes leur en donnant la compétence. La politique culturelle décentralisée s'en est trouvée enrichie de façon régulière. Face à cette évolution, le comportement de l'administration de l'Etat doit également évoluer : il est temps de passer d'une logique régalienne à une logique contractuelle. L'instauration du label « Musées de France » peut d'ailleurs y contribuer car, dans l'esprit de la mission, l'obtention de celui-ci devra être la résultante d'accords conclus entre l'Etat et les collectivités locales, pour le développement de leurs musées.

Les réseaux entre les musées doivent également se renforcer afin de faciliter la circulation des _uvres entre les établissements, mais également la circulation des hommes. En effet, il n'apparaît pas souhaitable que des conservateurs demeurent dans le même poste pendant la quasi-totalité de leur carrière. Un minimum de mobilité institutionnelle doit être mise en place. Une difficulté se pose en la matière ; elle tient dans les différences de statut entre les conservateurs dépendant de la fonction publique territoriale (conservateurs territoriaux) et ceux ressortant de la fonction publique d'Etat. Les passerelles entre les deux corps doivent être encore améliorées. Des postes de conservateurs généraux des musées territoriaux pourraient opportunément être proposés à ces personnels, et l'organisation du cursus de formation initiale au sein de l'Ecole nationale du patrimoine devra être revu en conséquence.

Troisième axe de travail retenu par la mission : la gestion des musées nationaux. Il nous a semblé ici que davantage de transparence était nécessaire. La gestion de ces établissements est encore très centralisée et, de ce fait, certains conservateurs n'ont pas toujours en tête toutes les données budgétaires propres à leur musée. Pour améliorer cette prise de conscience et donner plus de responsabilités aux chefs d'établissements, le statut d'établissement public administratif, accordé au musée du Louvre par exemple, devrait être étendu à bon nombre d'autres musées nationaux. Une telle démarche permettrait de redéfinir le rôle et les missions de la Réunion des musées nationaux (RMN), qui constitue un exemple de mutualisation des efforts et des initiatives très appréciable.

Je citerai pour terminer quelques autres points, toujours relatifs à la gestion des musées, qui ont plus particulièrement interpellé notre mission.

Lors des visites qu'elle a pu effectuer in situ dans des musées à Paris comme en province, celle-ci n'a pu que déplorer l'état de délabrement dans lequel se trouvent certains établissements ne dépendant du ministère de la culture, mais de ceux de l'agriculture ou de l'éducation nationale par exemple. Ce manque d'entretien plaide pour le rattachement à l'administration de la culture, afin qu'ils puissent bénéficier de l'expertise et du savoir-faire de la direction des musées de France et de la Réunion des musées nationaux. Il convient de relever que les musées dépendant du ministère de la défense bénéficient traditionnellement d'une véritable attention du fait notamment de la mission de mémoire confiée à cette administration.

La question de l'inaliénabilité des _uvres se pose par ailleurs avec une acuité accrue. Même si personne ne remet en cause le principe lui-même, on pourrait préconiser une « respiration » de cette notion, pour ce qui concerne les collections dites d'études faites d'objets ethnologiques et biologiques ou encore en matière d'acquisition des _uvres d'art contemporain. Toutes les _uvres n'auront manifestement pas le même intérêt à terme dans l'histoire de l'art. A cet égard des visites de réserves de musées seraient intéressantes à effectuer.

Enfin, la question du mécénat constitue également un sujet de préoccupation. Les règles d'exonérations fiscales adoptées par le législateur se trouvent fréquemment dénaturées ou inappliquées à la suite de circulaires du ministère de l'économie et des finances particulièrement interprétatives et restrictives. L'administration fiscale considère en effet qu'une exonération ne peut être accordée à une entreprise recevant des contreparties à ses actions de mécénat. Or les entreprises concernées peuvent vouloir développer une stratégie de communication autour de leur action de mécénat. Dans le contexte actuel du marché de l'art international, le niveau du mécénat reste en France encore trop faible. Il faudrait précisément s'attacher à le développer au lieu de le contraindre de toutes parts. Une taxe parafiscale sur les jeux pourrait être créée comme en Grande-Bretagne ; des souscriptions d'intérêt national par l'intermédiaire d'associations pourraient en outre être lancées.

M. Jean Le Garrec, président.- Je vais maintenant donner la parole aux membres de la mission qui souhaiteraient commenter ou compléter l'exposé du rapporteur.

M. Michel Herbillon.- Je voudrais d'abord saluer la qualité du travail qui a pu être effectuée dans le cadre de la mission. Tous les membres ont, quelle que soit leur tendance politique, cherché à participer de façon constructive à cette démarche novatrice intervenant en amont d'un éventuel texte législatif - que nous appelons de nos v_ux - sur les musées. Cela ne préjuge cependant pas des prises de position des uns et des autres lors du débat sur ce texte.

Les musées sont aujourd'hui confrontés à une double exigence : assumer les tâches traditionnelles de conservation mais également de nouvelles missions en lien avec l'accueil et les demandes du public. Quelques pistes de réflexion intéressantes ont été dégagées par la mission autour de ce caractère dual : il convient de travailler à l'adaptation de leur statut, à la nécessaire transparence de leur gestion, à la question des moyens financiers encore insuffisants et du développement souhaitable du mécénat et enfin à la nécessité d'accroître la mise en réseau des musées entre eux en lien avec d'autres institutions culturelles.

M. Bruno Bourg-Broc.- Je m'associe aux propos qui viennent d'être tenus et m'exprime également au nom de M. Patrice Martin-Lalande. Je confirme que les conclusions présentées ce matin reflètent une approche des problèmes commune à tous les membres de la mission. Je ferai simplement quelques observations personnelles, à titre complémentaire.

Il convient de s'entendre tout d'abord sur la définition du musée : celui-ci ne doit être ni un lieu de spectacle ni un centre commercial. La conquête de nouveaux publics s'avère par ailleurs indispensable lorsque l'on sait qu'environ deux Français sur trois ne passent jamais la porte d'un musée. Les mesures qui ont été prises au cours des dernières années ont en fait surtout permis de conforter ceux qui avaient déjà pris l'habitude de fréquenter les musées. Si les manques de l'éducation nationale sont importants en matière d'enseignement artistique, la responsabilité du musée en la matière est cependant incontournable. Face à cette nouvelle exigence, le conservateur doit devenir un éducateur, un médiateur au service du public. Dans cette conception rénovée, la circulation des _uvres comme celle des hommes méritent également d'être améliorées. Enfin, des mesures fiscales adaptées restent à mettre en place si l'on souhaite encourager un développement du mécénat.

M. Marcel Rogemont.- Je retiendrai pour ma part trois idées fortes de cette mission d'information :

- la vitalité et la force des initiatives prises en matière de musées, en France et à l'étranger, qui ont permis, depuis vingt ans, l'éclosion de projets d'une grande richesse ;

- la haute qualité de la muséographie française, qui se place parmi les premières au monde qui s'est imprégnée du souci de s'adresser à tous les publics ;

- la nécessaire singularité de gestion des musées, qu'ils soient ou non musées nationaux. Ces derniers doivent en effet être plus autonomes et plus responsables qu'ils ne le sont aujourd'hui, dans le respect, bien entendu, de leurs missions. L'Etat doit également approfondir sa réflexion sur les moyens d'animer les fonctions de service public des musées de manière plus innovante et plus active.

Premier débat : les conservateurs doivent-ils rendre le musée au public ?

Propos introductif de M. Pierre Rosenberg, président-directeur du Musée du Louvre.- La fréquentation croissante des musées est un phénomène nouveau de dimension internationale. Hier jugés passéistes, les musées sont aujourd'hui « à la mode » et fréquentés par des artistes et des publics nombreux. Je dois dire que les conservateurs ont sans aucun doute joué un rôle déterminant dans cette évolution, et je m'en félicite. Mais ce phénomène de mode est fragile et il faut donc s'interroger sur les moyens de maintenir et de consolider cet engouement pour les musées. Un récent colloque organisé au Louvre sur l'avenir des musées a été l'occasion de présenter de nombreuses réflexions ou propositions. Ainsi, d'aucuns pensent que les nouvelles technologies videront les musées de leurs visiteurs, tandis que d'autres proposent de substituer à l'unicité de la localisation géographique d'un musée un ensemble d'antennes de celui-ci dans différentes villes parmi lesquelles les _uvres circuleraient : c'est ce que pratique aujourd'hui la fondation Guggenheim.

Je puis en tout cas vous assurer que la question de la popularité et de la fréquentation des musées est quelque chose qui préoccupe beaucoup les conservateurs. Ils s'interrogent tous, non pas sur la possibilité de rendre le musée « au public », mais plutôt sur la possibilité de rendre heureux tous « les publics », car la diversité des personnes reçues est extrêmement grande, comme le montrent des statistiques très précises. Le problème est de concilier les attentes du touriste, visiteur d'occasion, en lui donnant l'envie de renouveler sa visite, et les attentes des visiteurs plus réguliers et plus avertis. A cet égard, le rôle de l'éducation nationale est primordial. Les études démontrent en effet que la fréquentation des musées par les adultes est directement liée à l'initiation à l'art donnée dès l'école. Le caractère très averti du public italien constaté au musée du Louvre montre sans aucun doute que l'école peut jouer un grand rôle dans le développement du goût des _uvres d'art et dans la familiarité avec celles-ci.

Enfin, je remercie M. Marcel Rogemont qui a rappelé l'avance française en matière de muséographie, mais je dois dire que celle-ci fait désormais l'objet d'une vive concurrence à l'étranger, en particulier en Grande-Bretagne, avec l'ouverture de la nouvelle Tate et en Allemagne, à Berlin. Il faut donc poursuivre les efforts pour maintenir la France au tout premier rang.

Propos introductif de Mme Wanda Diebolt, administrateur général du Musée du Louvre.- En complément de ce que vient de dire M. Pierre Rosenberg, je me permettrai tout d'abord de souligner le caractère volontairement provocateur du titre donné à ce débat : en effet, alors qu'il peut laisser penser que les conservateurs se sont appropriés les musées qu'ils ont en charge, ceux-ci éprouvent souvent, au contraire, un sentiment de dépossession, car ils ont de moins en moins d'emprise sur la politique des musées. A titre d'exemple, au musée du Louvre, le service culturel et celui chargé de la muséographie ne comprennent pas de conservateurs. Ils ont même parfois le sentiment que leurs activités scientifiques sont désormais menacées par les exigences économiques ou d'animation culturelle, et ils s'en inquiètent légitimement. Car la fonction de conservateur, comme le prévoit explicitement le décret portant statut des conservateurs, possède un caractère scientifique indéniable. Il appartient donc aux tutelles de donner les moyens aux conservateurs de mieux concilier les pôles scientifiques et techniques de leur fonction.

Par ailleurs, tout le monde est d'accord pour considérer que le débat sur l'opposition entre fréquentation des musées par une élite et fréquentation de masse est désormais complètement dépassé. La masse touristique permet en outre de remplir l'objectif de développement des ressources propres qui est désormais assigné aux musées. Il serait toutefois paradoxal de vouloir assujettir les musées constitués sous forme d'établissements publics à la fiscalité sur les sociétés, procédé qui reviendrait à reprendre par l'impôt ce qui peut leur être alloué sous forme de subventions.

Mme Françoise Cachin, directrice des musées de France.- Même si l'on considère qu'il y a encore et toujours beaucoup à entreprendre pour mieux faire connaître les musées, les chiffres de fréquentation sont plutôt flatteurs pour la France. Si je me réfère à la dernière synthèse du dispositif Muséostat publié en avril 2000 par la direction des musées de France, on constate que les musées de France ont reçu 65 millions de visites en 1997, ce qui est un chiffre considérable. Sur ces 65 millions, 22 millions sont des visites de touristes et 43 millions des visites de Français. Parmi ceux-ci, 17 millions correspondent à des visites « de proximité » et 9 millions à des visites d'enfants et de jeunes de moins de quinze ans, dont 4 millions des visites scolaires.

M. André Loechel, chargé de mission à la direction de l'action régionale de la Cité des sciences et de l'industrie.- La mission et la commission des affaires culturelles entendent-elles apporter une réponse à la question relative au développement des musées virtuels ? De nombreux musées territoriaux développent des projets pour la mise en ligne de leur patrimoine, avec l'aide bien sûr des collectivités territoriales, et il me semble important d'appréhender cette évolution des musées et de réfléchir aux modalités d'utilisation des nouvelles technologies de l'information pour élargir les publics.

M. Marc Goujard, président de la fédération des écomusées et des musées de société.- Je regrette que les musées associatifs, qui représentent 50 % des écomusées, soient absents de la réflexion conduite par la mission. Pourtant, le développement des territoires passe par leur développement culturel et l'élargissement des publics par un travail d'éducation populaire que ces musées qui sont visités par 4 millions de personnes et représentent 1 500 emplois, effectuent incontestablement. La mission s'est surtout intéressée aux musées dans les villes, mais le monde rural doit également pouvoir bénéficier de sites culturels, quitte à organiser ceux-ci en réseau pour leur donner plus de force.

Je souhaiterais par ailleurs une clarification des compétences en ce qui concerne les tutelles s'exerçant sur les musées : L'Europe, l'Etat, les régions, les structures intercommunales (EPCI) et les collectivités locales sont autant d'instances dont les attentes ne sont pas toujours convergentes et qui rendent extrêmement difficile, pour un établissement, la construction d'un projet cohérent. Il serait indispensable de simplifier les procédures et d'assurer une meilleure coordination de leurs compétences respectives.

Je ferai, pour terminer, quelques observations ponctuelles : je constate tout d'abord que les lois de décentralisation ont eu pour conséquence d'instaurer des inégalités culturelles entre les régions et les départements, auxquelles il conviendrait de remédier en rétablissant, notamment par le travail en réseau, une certaine cohérence nationale. D'autre part, la défiscalisation appliquée en France n'est pas assez attractive pour encourager efficacement le mécénat. Pourquoi ne pas s'inspirer du système britannique qui réduit l'impôt au lieu du chiffre d'affaire ? Enfin, la gestion des musées est manifestement trop corporatiste. Qu'on le veuille ou non, le musée est aussi une entreprise culturelle dont il faut prendre en compte les différentes missions et fonctions.

M. Dominique Viéville, inspecteur général des musées.- J'estime que la politique de rénovation des musées contrôlés, conduite en application la loi programme de 1978, sous l'impulsion des collectivités locales, a réellement permis de restituer au public les richesses qu'ils n'étaient pas en mesure d'exposer auparavant. Quand une toiture fuit, un conservateur n'a pas vraiment le temps de se consacrer à développer une politique des publics !

La restitution des collections aux publics est au c_ur de la diversification des missions des musées que l'on constate depuis une dizaine d'années. Parmi ces nouvelles missions, le rôle éducatif est devenu essentiel. Les musées doivent en effet être des lieux d'apprentissage de la notion du temps, des connaissances et du savoir.

M. Alfred Recours, rapporteur.- Je suis tout à fait d'accord pour dire que l'ambition des musées n'est pas d'atteindre un public déterminé mais de s'adresser à tous les publics, dans leur spécificité et leur diversité. Les données statistiques relatives à la fréquentation des musées français qui viennent d'être citées confirment la position de la France en Europe dans ce domaine. Je me réjouis de ces résultats, même si ceux-ci ne doivent pas pour autant nous autoriser à relâcher notre effort.

La question des musées virtuels et du transfert des musées sur les réseaux électroniques nécessiterait à elle seule un prolongement de la mission. Je ne crois pas, pour ma part, que l'on cesse d'aller visiter les musées si l'on peut y accéder de façon virtuelle. Le problème sera le même que pour la retransmission d'épreuves sportives à la télévision : il continuera d'y avoir des gens dans les musées, comme il y en a dans les stades, car la vision et le contact direct avec les _uvres procurent un plaisir inégalable.

La question des écomusées et de l'inégalité entre établissement ou entre régions déborde également assez largement du cadre que s'était fixé la mission d'information : elle relève en fait du débat général sur la décentralisation. Fondée sur le principe de l'autonomie de décision des collectivités locales, la décentralisation recèle inévitablement le risque que les choix politiques effectués dans les différents domaines de compétence décentralisés soient différents d'une région à l'autre. Chacun doit donc prendre ses responsabilités et les identifier clairement.

Je souhaite pour finir que l'on différencie nettement les rôles de l'éducation nationale et des musées en matière d'éducation artistique. Réservons à l'éducation nationale l'éducation artistique et l'initiation à l'histoire de l'art en milieu scolaire, et aux musées les actions éducatives et culturelles développées in situ : je souhaite donc que ces dernières missions ne soient plus assurées par des personnels détachés de l'Education nationale mais par des personnels relevant des musées.

Deuxième débat : La mise en réseau, passage obligé pour les musées territoriaux ?

Propos introductif de M. Roland May, conseiller pour les musées à la direction régionale des affaires culturelles de la région Rhône-Alpes.- La question des réseaux est une question essentielle car si les musées contrôlés sont les grands oubliés de l'ordonnance de 1945, leur importance numérique est réelle puisqu'ils représentent plus d'un millier d'établissements.

Je me contenterai aujourd'hui d'aborder la mise en réseau sous son aspect gestion structurelle, en laissant provisoirement de côté la mise en ligne via Internet ainsi que la collaboration de caractère purement scientifique.

Cette mise en réseau est intimement liée aux notions de territoire et de population et recouvre deux cas de figure, selon que les musées mis en réseau appartiennent ou non à une même collectivité locale. Dans la première hypothèse, assez bien identifiée par les villes de Strasbourg, Saint-Etienne ou Bordeaux, la préoccupation centrale tend davantage vers une optimisation des moyens de gestion et des structures que vers une véritable politique culturelle. Il s'agit pour l'essentiel de mettre en cohérence les calendriers et manifestations afférents à divers établissements, mais aussi de développer, à travers la création de services communs, des axes en matière de politique des publics. La mise en réseau n'est donc pas, dans cette optique, un passage obligé et les contre-exemples des villes de Lyon ou de Toulouse, où les établissements ont conservé leur autonomie, en est la meilleure preuve.

Il en va différemment lorsque les musées relèvent de collectivités différentes. Dans ce second cas, le phénomène de mise en réseau est apparu il y a une trentaine d'années, c'est-à-dire avant les lois de décentralisation. Il s'est d'abord développé de manière quelque peu anarchique aussi bien en milieu rural qu'en milieu « rurbain » avant de toucher les musées contrôlés dans les années 80, lorsque les collectivités territoriales ont souhaité dynamiser leur politique culturelle et touristique. Il s'agit le plus souvent d'établissements de taille modeste appartenant à des communautés elles-mêmes modestes, ce qui témoigne de la singularité de l'activité muséale en regard d'autres établissements culturels, tels les théâtres ou les opéras, qui sont exclusivement installés en milieu urbain, et traduit leur rôle en matière d'aménagement du territoire. Les conseils généraux ont la volonté d'aider à ces mises en réseaux comme le montre l'augmentation du nombre des conservations départementales (de 10 à 35), alors même que les lois de décentralisation ne donnent pas expressément compétence au département en ce domaine.

Je voudrais pour terminer lancer un certain nombre de questions qui sont au c_ur de ce débat :

- Quelle est l'utilité de la mise en réseau en terme de politique patrimoniale et de politique des publics ?

- Quel doit être le rôle de l'Etat à l'égard de ces réseaux ?

- Quel développement de la politique contractuelle ces mises en réseau doivent-elles entraîner ?

- Quel doit être le statut des collections des musées territoriaux ?

- Comment encourager ces politiques en liaison avec les politiques d'archéologie et d'inventaires ?

M. Jean-Michel Raingeard, secrétaire général de la fédération française des amis des musées (FFAM).- Notre fédération, qui regroupe 290 associations, souhaite participer plus activement à la politique d'aménagement du territoire qui sous-tend la mise en réseau. Il s'agit pour nous d'une préoccupation constante avec comme crainte récurrente l'idée que cette politique ne se traduise par une réappropriation de nature jacobine. Les statuts du futur établissement culturel local concentrent donc toute notre attention. Il est à cet égard important que les futurs projets législatifs comportent la reconnaissance de cette diversité du système muséal et de la nécessaire écoute de la société civile.

Enfin je ne peux que déplorer que les deux principaux établissements publics culturels, le Louvre et Versailles, ne comprennent pas de membre de la FFAM au sein de leur conseil d'administration.

Mme Annick Nautter, conservatrice du musée des beaux-arts d'Arras, vice-présidente de l'association des conservateurs du Nord-Pas-de-Calais.- Je souhaite mettre l'accent sur une forme différente de mise en réseau que constituent les associations régionales de conservateurs. Cette mise en réseau des personnes permet en effet de dépasser les barrières traditionnelles et institutionnelles. L'association des conservateurs du Nord-Pas-de-Calais, dont le statut devra évoluer pour des raisons de gestion, a permis depuis plus de vingt-cinq ans de développer des initiatives en matière d'expression, de publication, de politique touristique et de proximité et plus récemment pour la mise en ligne sur l'Internet.

M. Didier Schulman, conservateur du musée national d'art moderne.- Je voudrais parler d'un autre aspect de la mise en réseau que l'ancrage territorial qui a déjà été évoqué. Il s'agit de la mise en réseau sur une base thématique qui a eu, notamment pour les collections du XXème siècle, des effets spectaculaires en direction du public. En ce domaine, la circulation des _uvres d'art entre le Musée national d'art moderne et les musées territoriaux est une constante dont je me félicite.

M. Alfred Recours, rapporteur.- Je voudrais faire quelques observations à ce stade du débat. De notre point de vue, la mise en réseau est à développer sous les formes les plus diversifiées et en tous lieux. On doit pouvoir concilier réseaux verticaux, par thème ou par connexion informatique et réseaux horizontaux à l'échelon territorial. Il s'agit, dans tous les cas, de possibilités d'enrichissement supplémentaires pour tous les publics.

En ce qui concerne la circulation des _uvres, la mission a entendu des avis fort divergents selon que les conservateurs interrogés recevaient les _uvres ou les mettaient en dépôt. Nous sommes en tout cas tous d'accord pour affirmer la nécessité absolue de la mobilité des collections.

Enfin, je voudrais dire que la labellisation des musées peut être la pire ou la meilleure des choses. Lorsqu'on s'inscrit dans une logique contractuelle, ce qui est notre démarche, et non plus dans une logique régalienne, il n'y a aucune raison de s'inquiéter du cloisonnement. A condition qu'elle n'aboutisse pas à la dynamitation des musées, la labellisation ne peut être source de dynamisation.

M. Marcel Rogemont.- Il faut se demander avant tout pourquoi veut-on faire des réseaux. Le dialogue des musées dans un même espace géographique est nécessaire. Il doit permettre de proposer un parcours au public dans un espace de vie ou bien sur une thématique particulière, avec si possible l'association d'autres intervenants culturels. La mise en réseau doit aussi se faire au niveau international, y compris sur les contenus, par exemple sur le modèle de la fondation Guggenheim qui développe des musées territoriaux « franchisés » dans différents pays, comme le musée de Bilbao que la mission a visité.

Mme Françoise Cachin, directrice des musées de France.- Je tiens toutefois à souligner que les collections du Guggenheim sont louées par la ville de Bilbao et « tournent » régulièrement : le musée Guggenheim est en fait l'exemple même d'un « non-musée ».

M. Alfred Recours, rapporteur.- La « chaîne Guggenheim » - pourquoi ne pas l'appeler comme cela ?- est en réalité constituée de belles réalisations architecturales payées par les collectivités locales pour bénéficier de la rotation des _uvres et du savoir-faire de la fondation. C'est un autre système que celui des musées traditionnels et il a le droit d'exister, même si l'on ne peut que constater la pauvreté des collections présentées.

M. Michel Herbillon.- Pour en revenir à la question des réseaux, il me semble que les _uvres ne tournent pas assez et qu'elles dorment dans les réserves des musées nationaux, alors que de nombreux musées territoriaux en auraient besoin pour valoriser leurs collections et attirer du public. Je me souviens à cet égard du succès de la politique « hors les murs » du Centre Georges Pompidou.

Mme Françoise Cachin, directrice des musées de France.- Il faut que le mythe des réserves des musées nationaux tombe, car la réalité est tout autre. Il n'y a pas de chefs d'_uvre dans les réserves. Que diraient les musées territoriaux si les musées nationaux leur déposaient les _uvres dont ils ne veulent pas ?

Troisième débat : quel avenir pour la Réunion des musées nationaux  ?

Propos introductif de Mme Irène Bizot, administrateur général de la Réunion des musées nationaux.- Je suis entrée il y a plus de trente ans à la Réunion des musées nationaux et je peux affirmer sans hésitation que les musées tels que je les ai connus comme jeune conservateur n'avaient aucun rapport avec les musées aujourd'hui. La croissance et la modernisation des musées nationaux ont été accompagnés par la Réunion des musées nationaux qui a joué un rôle essentiel dans le bouleversement du rapport entre le musée et les publics tant par la politique des expositions menée depuis les années soixante que par le développement de ses activités d'édition et de diffusion des produits des musées (livres, images, moulages, gravures, produits dérivés).

Aujourd'hui, la Réunion des musées nationaux représente une très grande force de mutualisation pour les musées nationaux (pour les acquisitions, les expositions, les activités d'édition et de diffusion) et, depuis quelques années, à l'égard des musées de région qui la sollicitent. Elle assure un équilibre entre les activités de service public (agence photos, visites, conférences, ateliers de chalcographie et de moulage) et les activités plus rémunératrices (catalogues d'expositions, guides, cartes postales). Ainsi, les expositions à succès font souvent l'objet de coproductions internationales qui permettent ensuite de réaliser des expositions nécessaires mais à moins grand public. L'extension de son activité à certains musées territoriaux l'a également conduite à mettre en place un réseau décentralisé d'édition en région qui réalise des productions spécialement adaptées aux expositions des musées territoriaux.

La participation de la Réunion des musées nationaux à la recherche de nouveaux publics se fait notamment à travers le soutien à de nouveaux produits tarifaires, comme la carte intermusées de la région Ile-de-France ou des Alpes-maritimes, qui sont des produits d'appel touristiques, ou encore la carte Sésame pour l'accès aux expositions du Grand Palais. La Réunion des musées nationaux s'est par ailleurs investie dans le secteur des nouvelles technologies en développant des produits ludo-culturels, du type CD-Rom et DVD-Rom sur les collections. Elle a également participé à la réalisation d'un service en ligne (l'histoire par l'image) et de sites Internet pour les musées nationaux, élaborés en collaboration avec la direction des musées de France. Enfin, toujours pour aller à la rencontre de nouveaux publics, elle a organisé des expositions-ventes de moulages et de gravures des ateliers du Louvre dans les magasins Carrefour d'une cinquantaine de villes en France et maintenant en Asie.

La Réunion des musées nationaux mène aussi une action européenne et internationale reconnue. Ainsi, elle possède une filiale en Italie qui a développé des activités d'édition, dispose d'une concession de librairie-boutique à la Galerie d'art moderne de Rome et assure des prestations de service à l'Etablissement public de Pompéi. Malgré la petite fréquentation du musée d'art moderne de Rome, sa librairie est considérée par les Romains comme la meilleure librairie d'art moderne de la ville. Une filiale japonaise sert par ailleurs de relais à des expositions des collections de musées régionaux au Japon et permet d'obtenir de véritables mécénats. La Réunion des musées nationaux mène également des opérations de coopération et de coédition avec les musées tchèques et roumains et réalise des expositions avec les pays africains et océaniens. Enfin, elle participe à un groupe d'une cinquantaine de musées organisateurs d'expositions dans le monde qui réfléchissent ensemble aux modalités d'organisation de ces manifestations et mettent en place des règles communes.

Rien de tout cela n'aurait été possible et ne serait envisageable sans le principe de mutualisation qui a justifié la création de l'établissement il y a un siècle.

Propos introductif de M. Philippe Durey, directeur du musée des beaux-arts de Lyon.- J'évoquerai pour ma part l'avenir de la Réunion des musées nationaux, dont je me réjouis de prendre bientôt la direction. Comme l'a souligné Mme Irène Bizot, ce qui caractérise cet établissement, c'est la grande diversité de ses actions. J'ai le désir de m'y engager, même si c'est une mission difficile, en tirant parti de mon expérience de conservateur de musée en région.

Quand j'ai pris, il y a quatorze ans, mes fonctions au musée de Lyon, celui-ci était une caricature du musée de province poussiéreux. Le comptoir qui tenait lieu de librairie ne vendait que quelques cartes postales, les catalogues étaient vieillots, c'était un exemple de « non savoir-faire ». Dès lors que la mairie de Lyon a accepté mon idée de concéder la librairie à la Réunion des musées nationaux, tout a changé, on a assisté à une professionnalisation. Très vite, j'ai pu constater que nos catalogues et nos objets dérivés étaient en vente au Louvre et à Orsay, ce qui a donné au musée des beaux-arts de Lyon une visibilité nationale : un grand pas a été franchi à ce moment là. L'antenne éditoriale de Lyon publie aujourd'hui trente-cinq titres par ans, alors qu'elle n'emploie que trois personnes. Elle est en relation avec quinze musées de la région Rhône-Alpes, ce qui lui permet d'adapter son action à la réalité locale.

L'avenir de la Réunion des musées nationaux passe par le développement des partenariats, en utilisant au maximum sa capacité opérationnelle et la souplesse de son statut. Les trois axes prioritaires de son action doivent être la recherche de la qualité, le pragmatisme et la mutualisation, qui ne signifie pas seulement une mise en commun des moyens, mais aussi une communauté de pensée au service du public.

M. Marcel Rogemont.- De manière un peu provocatrice, je dirai que mutualisation et Réunion des musées nationaux ne sont pas synonymes, car pour cette dernière, la mutualisation est la conséquence d'un choix de gestion de l'Etat et non pas un objectif. La première des mutualisations, c'est la subvention : elle relève de l'Etat, et pas de l'une de ses subdivisions.

L'avenir de la Réunion des musées nationaux peut se concevoir de deux manières : on peut choisir d'en faire la tête d'un réseau de musées « franchisés », ce qui entraînera un renforcement et une extension de son rôle, ou bien de la mettre au service des musées, selon un principe de subsidiarité.

A l'heure actuelle, même dans le cadre d'une mutualisation, on peut se demander si la Réunion des musées nationaux n'est pas déresponsabilisante pour les musées.

Mme Françoise Cachin, directrice des musées de France.- La Réunion des musées nationaux réunit les 33 musées « nationaux », c'est-à-dire que, même si elle est appelée à travailler de plus en plus au profit des musées de régions, elle est surtout orientée vers les premiers. Il n'est donc pas question qu'elle devienne une tête de réseau des musées en région.

M. André Desvallées, vice-président de l'Association nationale des conservateurs des collections publiques de France.- La nouvelle version du rapport de la mission est plus précise que la précédente, en particulier sur la définition du musée. Je me demande cependant pourquoi la commission a retenu la définition de la British museum association plutôt celle du Conseil international des musées (ICOM), qui a l'avantage d'être plus précise et d'affirmer de façon forte le caractère non lucratif des musées.

M. Jean Le Garrec, président.- Je tiens à rappeler que la précédente version n'était qu'un rapport d'étape.

M. Alfred Recours, rapporteur.- Si certaines questions restent aujourd'hui sans réponse, ces réponses viendront et le Parlement jouera pleinement son rôle de législateur au moment de l'examen du texte qui nous est annoncé. En attendant, les travaux de la mission d'information pourraient également être utilement poursuivis au sein d'un groupe d'études qui bénéficierait du substrat documentaire déjà constitué.

Je me félicite, en tout cas, qu'un éventuel projet de loi, non encore déposé, ait fait l'objet d'une réflexion en amont aussi large, sur un an et demi. Les réflexions de la mission seront prises en compte dans ce projet, dont la responsabilité incombe au Gouvernement. Les travaux ont associé l'ensemble des groupes de l'Assemblée nationale, y compris l'opposition, et ils ont permis d'entendre l'ensemble des catégories intéressées de la société civile.

M. Jean Le Garrec, président.- Il convient maintenant de préparer rapidement un texte. Les travaux de la mission permettent d'échapper à une vision réductrice du rôle du Parlement. Ce n'est pas la première fois que la commission des affaires culturelles, familiales et sociales crée une telle mission en amont d'un projet de loi. On peut ainsi citer les travaux de la mission sur la décentralisation du système de santé. C'est, en revanche, la première fois qu'elle le fait dans le secteur culturel. En outre, je rappelle que la commission a désormais le souci, après l'adoption de chaque loi importante, de désigner en son sein un rapporteur qui en suit l'application.

Je vais maintenant passer la parole à Mme Catherine Tasca, ministre, qui nous a rejoints à l'issue du Conseil des ministres et qui a accepté de conclure nos travaux.

Mme Catherine Tasca, ministre de la culture et de la communication.- L'initiative qui a été prise par la commission des affaires culturelles, familiales et sociales et son président de constituer une mission d'information sur les musées est très opportune dans un contexte où ces institutions sont devenues, pour nos concitoyens, le premier équipement culturel qu'ils fréquentent.

Les chiffres vous sont connus : 33 % des Français déclarent avoir visité un musée et cette estimation sera très prochainement revue à la hausse, grâce à la décision de mon prédécesseur, Mme Catherine Trautmann, d'offrir la gratuité chaque premier dimanche du mois. Il nous faut néanmoins redoubler nos efforts pour accroître la fréquentation du public en particulier pour celles et ceux qui ne se sentent pas encore concernés par ces mesures.

Je souhaite, avant de vous faire part de mes intentions sur l'utilité d'une loi musée, exprimer toute ma reconnaissance au président de la mission, M. Alfred Recours ; le travail qu'il a engagé, avec ses collègues, depuis plusieurs mois, sa capacité d'écoute et sa maîtrise des sujets patrimoniaux ont contribué à enrichir notre propre réflexion. Car la méthode et l'approche qui furent les vôtres ont stimulé les services de l'administration et l'ensemble des partenaires associés à cette étude prospective. J'approuve cette méthode de travail en commun du Gouvernement et du Parlement et j'en souhaite le renouvellement.

Le dynamisme des musées nationaux et territoriaux ces dernières années montre à l'évidence que ces institutions sont devenues désormais des outils premiers de l'aménagement culturel du territoire, de l'intégration sociale et de la constitution des collections patrimoniales de notre pays.

Depuis près de dix ans, les pouvoirs publics ont envisagé de donner aux musées une assise juridique renforcée qui tienne compte de l'évolution des enjeux culturels. Je ne reviendrai pas sur les raisons du retard accumulé pour la mise en _uvre d'une telle réforme considérée aujourd'hui, tant par la Représentation nationale que par le Gouvernement, comme indispensable. Après la loi sur la protection des trésors nationaux et celle sur les ventes publiques aux enchères, je confirme devant vous ma ferme volonté de déposer très rapidement un projet de loi sur les musées.

Je me félicite à cet égard des propositions de votre commission. Elles portent tout d'abord sur la définition même du musée : la question mérite en effet d'être posée compte tenu de l'ampleur et de la profondeur des évolutions en cours. Placer le public au c_ur de l'institution muséale, comme vous le souhaitez, est devenu un objectif incontournable : les collections ne prennent tout leur sens que par rapport à celles et ceux qui les regardent. C'est pourquoi le projet de loi intégrera les éléments d'une véritable politique des publics. J'ai l'intention d'introduire des obligations nouvelles pour l'ensemble des musées qui seront labellisés, comme par exemple la gratuité obligatoire pour les jeunes de moins de 18 ans et la généralisation de la gratuité pour tous les Français un jour par mois. Comme l'a justement souligné M. Pierre Rosenberg, la démarche des publics vers les musées doit être accomplie le plus tôt possible et le rôle d'appui du système scolaire est déterminant.

Le rapport montre bien l'utilité de la gratuité limitée, certains jours de l'année, pour attirer un nouveau public de proximité qui, pour des raisons économiques ou personnelles, n'effectuait pas la première démarche pour participer aux activités des musées. Ce ne sont pas là les seules actions pour mobiliser les publics. Les expositions hors murs engagées par le Centre Georges Pompidou et d'autres institutions ont aussi prouvé leur pertinence.

Si les missions scientifiques des musées permettent de préserver les collections et de les étudier, il est clair que le développement des actions culturelles est d'autant plus nécessaire que son impact déterminant sur la fréquentation est aujourd'hui démontré. La conquête du public reste encore trop lente, les mesures que je viens d'évoquer peuvent nous permettre d'aller plus vite et plus loin. Elles ne sont pas suffisantes et on pourrait également envisager l'obligation de prévoir la création de services en direction des publics, soit par le musée lui-même, soit au niveau départemental ou régional, au titre à la fois de la mise en réseau et de la solidarité des départements pour les petites communes.

La croissance de la « demande » en matière de musées résulte essentiellement de l'amélioration de l'offre selon deux axes :

- le premier concerne la rénovation des bâtiments : 250 chantiers ont été ouverts depuis les années quatre-vingts, de grands programmes sont en cours, avec parallèlement la restauration des collections. Je poursuivrai cet effort ;

- le second est celui du développement des actions de médiation et de formation qui supposent des moyens humains et financiers. J'ai la ferme intention d'en faire une priorité pour les années à venir.

Nous devons aussi nous interroger sur la définition et le statut du musée du XXIème siècle.

Chacun reconnaît la nécessité de donner un cadre législatif conforme aux réalités du musée d'aujourd'hui alors même que les textes sont issus d'une ordonnance de 1945. Je partage à ce sujet les analyses de votre mission qui préconisent un statut garantissant la qualité et l'exigence scientifique, sans être rigide et l'instauration d'un label fédérateur impliquant la suppression de la catégorie dite des musées classés. Le label ne doit pas reposer exclusivement sur des critères patrimoniaux, il doit nécessairement intégrer des critères relatifs aux actions pour les publics.

C'est une dimension nouvelle du partenariat contractuel à laquelle, je le sais, les élus sont très attachés. C'est aussi à ce niveau que nous devons préciser les rapports entre l'Etat et les collectivités en considérant la logique prioritaire de conseil et d'expertise de l'Etat, telle que définie dans le cadre des lois de décentralisation ; elle doit s'appliquer pleinement aux musées. Pour ce faire, il convient de renforcer les moyens à l'échelon déconcentré, en particulier auprès des directions régionales des affaires culturelles.

Dans le même esprit, votre commission estime nécessaire d'engager une concertation entre les musées nationaux afin d'étudier la possibilité d'identifier, en certains domaines, un musée comme chef de file qui faciliterait la mise en réseau des établissements. L'exemple du musée d'Orsay auquel sont rattachés le musée Gustave Moreau et le musée Hennert illustre votre propos. Je ne suis pas opposée, bien au contraire, à une organisation de cette nature à condition que celle-ci ne vienne pas limiter l'autonomie propre des musées du réseau national qui bénéficient déjà pour la plupart du statut de service à compétence nationale.

Sur le rôle et la mission de la Réunion des musées nationaux, je pense qu'il convient de maintenir, comme vous le précisez dans votre rapport, le principe de la mutualisation mais il faut trouver parallèlement un juste équilibre pour à la fois ne pas contraindre l'autonomie des deux établissements publics, le Louvre et Versailles, et par ailleurs, garantir des ressources aux autres musées nationaux. La nomination récente de M. Philippe Durey, que je salue parmi nous, comme administrateur général de la Réunion des musées nationaux, succédant à Mme Irène Bizot dont l'action remarquable a contribué à faire de cet établissement une institution internationale exemplaire, répond à cette attente. M. Philippe Durey connaît parfaitement le réseau des musées nationaux et celui des collectivités locales, je n'ai pas besoin de rappeler l'excellence de sa direction au musée des beaux-arts de Lyon. Il saura contribuer à la redéfinition des rapports entre les établissements ; c'est aussi un des enjeux de développement des politiques des publics tant à l'échelon national que territorial.

Notre souci commun concerne aussi la formation des conservateurs et la mise en _uvre d'une réelle mobilité. Je suis très favorable à l'idée de création d'un grade de « généralat » pour les conservateurs territoriaux en parallèle avec le corps d'Etat. De même, nous nous devons d'amplifier la mobilité des agents, favoriser les passerelles entre les corps et par ailleurs accentuer la réforme en cours de l'Ecole nationale du patrimoine.

La loi nouvelle doit aussi prévoir des dispositions particulières pour les collections, de nombreux aspects sont évoqués à cet égard dans votre rapport. Le premier d'entre eux pose le problème de l'inaliénabilité des _uvres.

Loin d'en contester le principe, vous suggérez l'étude d'assouplissements dans certains domaines notamment l'archéologie, l'ethnologie et l'art contemporain. Je suis assez favorable à ce que la loi prenne en compte d'une manière générale les collections dites d'études comme celles de l'archéologie et l'ethnologie. Je ne suis pas convaincue de la nécessité de rendre aliénables les oeuvres d'art contemporain. C'est un sujet qui dépasse très largement la politique des musées, il concerne aussi et surtout les fonds régionaux d'art contemporain (FRAC).

J'estime néanmoins nécessaire d'engager une réelle collaboration entre les musées et les FRAC, notamment en favorisant des dépôts d'oeuvres patrimoniales majeures de leurs collections dans les musées. Les FRAC pourront ainsi mieux soutenir la création et remplir pleinement leur mission initiale de diffusion de l'art contemporain sur tout le territoire régional.

J'ai entendu votre demande de poursuivre et d'accroître la politique de dépôt d'_uvres des musées nationaux auprès des musées de région, c'est un acquis indéniable. C'est aussi la reconnaissance de la grande compétence des conservateurs d'Etat et territoriaux qui dirigent et font vivre nos musées. Ils ne ménagent pas leurs efforts pour faire découvrir ou redécouvrir leur collection. Dans cet esprit, je souhaite que l'on étudie le principe de transfert de propriété de l'ensemble des dépôts anciens de l'Etat au bénéfice des collectivités locales dont les établissements auront été labellisés. Je pense, en particulier, aux fonds constitutifs de 1811 de la plupart de nos musées en région, mais aussi des acquisitions de l'Etat antérieures à 1910, date de la première réglementation des dépôts de l'Etat. Cette proposition pourrait concerner de très nombreuses _uvres, dont des chefs d'_uvre et permettrait aussi d'émanciper les musées territoriaux du poids que représente le contrôle de ces dépôts anciens par les institutions d'Etat.

Un autre point évoqué dans votre rapport concerne l'enrichissement des collections publiques. Il s'agit bien sûr d'une des priorités de l'Etat et des collectivités locales. J'ai eu l'occasion de m'exprimer à ce titre lors d'un récent débat sur la protection des trésors nationaux. Il reste que pour l'amplifier, il est utile de bénéficier de fonds privés ; à cet égard, la contribution du mécénat individuel ou collectif demeure trop faible dans notre pays. J'examinerai donc avec la plus grande bienveillance les propositions que vous avez formulées à ce sujet.

Je n'ai pas répondu, Monsieur le président, à l'ensemble des conclusions de votre rapport, mais vous l'aurez compris, Mesdames, Messieurs, ma détermination est grande pour que le projet de loi sur les musées soit l'occasion d'affirmer le rôle et la mission qui est la leur pour l'éducation, la formation, le plaisir des publics ainsi que pour la conservation de notre patrimoine.

Ces établissements constituent les outils essentiels d'une politique culturelle, régionale, nationale et internationale. Il faut leur donner les moyens de se développer et d'être en mesure de poursuivre leur mission patrimoniale non dans le but de thésauriser mais pour que ces richesses puissent être vues par le plus grand nombre de nos concitoyens.

Il nous reste un important travail à engager ; je remercie toutes celles et ceux qui y contribuent. J'ai noté avec satisfaction votre décision, Monsieur le président, de créer un groupe d'études. Je remercie donc les parlementaires, les élus locaux, les personnels scientifiques mais aussi les services de l'Etat en DRAC et ceux de l'administration centrale, en particulier la direction des musées de France. Je veux souligner devant vous la grande capacité de travail et la force de conviction dont ont fait preuve Mme Françoise Cachin, directeur des musées de France, et toute son équipe.

Je souhaite que ce dialogue constructif se poursuive pour que nous réunissions notre défi commun d'une culture partagée par le plus grand nombre des Français.

M. Jean Le Garrec, président.- Je remercie tous les participants au débat de ce matin. Madame la ministre, j'ai retenu votre lecture attentive du rapport parlementaire et votre engagement pour qu'un projet de loi soit déposé aussitôt que possible. Nous nous attacherons à ce qu'il soit inscrit à l'ordre du jour de notre assemblée.

La commission a décidé, en application de l'article 145 du Règlement, le dépôt du rapport d'information en vue de sa publication.

A N N E X E S

PERSONNES AUDITIONNÉES À L'ASSEMBLÉE NATIONALE

· M. Guy AMSALEM, chef de la délégation aux arts plastiques

· M. Yann BARON, responsable de l'Ecomusée de Montfort-sur-Meu en Ille et Vilaine

· Mme Annick BOURLET, présidente de la Fédération française des sociétés d'amis des musées

· Mme Françoise CACHIN, directrice à la Direction des musées de France, présidente de la Réunion des musées nationaux

· M. David CAMÉO, conseiller au cabinet de Mme Catherine Trautmann pour les musées, les arts plastiques et les enseignements artistiques

· M. Denis CORDONNIER, président de l'Association des musées d'Arras

· M. Christophe DEGUEURCE, conservateur du musée Fragonard à l'école vétérinaire de Maisons-Alfort

· M. Olivier DONNAT, département des études et de la prospective du ministère de la culture

· M. Bruno ELY, conservateur du musée des Tapisseries et du Pavillon Vendôme à Aix-en-Provence

· M. Robert FORH, directeur du service de la communication à la Direction des musées de France

· Mme Dominique FÉRRIOT, directeur du Musée des arts et métiers

· Mme Geneviève GALLOT, directrice de l'Ecole nationale du patrimoine

· M. Bernard GINS, président de la Fédération des écomusées et des musées de société

· M. GUILLOT-CHENE, conservateur du musée d'Evreux

· M. Pierre ICKOWICZ, conservateur du musée de Dieppe

· M. Philippe IFFI, délégué général de la Fédération des écomusées et des musées de société

· Mme Marie-Hélène JOLLY, conservateur en chef du patrimoine

· M. Robert LECAT, inspecteur général de l'administration des affaires culturelles

· M. Henri de LUMLEY, directeur du Muséum national d'histoire naturelle

· M. Jacques MAIGRET, conservateur en chef au muséum d'histoire naturelle, président de l'Association générale des conservateurs des collections publiques de France

· M. Jean-Michel RAINGEARD, secrétaire général de la Fédération française des sociétés d'amis des musées

· M. Jean-Pierre RAVAUX, onservateur du musée de Châlons en Champagne

· Jean Bernard ROY, conservateur du musée archéologique de Nemours

· M. Jacques SALLOIS, ancien directeur des musées de France, Doyen de la 3ème Chambre de la Cour des Comptes

· M. Bernard SCHOTTER, directeur-adjoint à la Direction des musées de France

· M. DIDIER SCHULMAN, directeur-adjoint du Musée national d'art moderne du Centre Georges Pompidou

· M. Werner SPIES, directeur du Musée national d'art moderne du Centre Georges Pompidou

· M. Germain VIATTE, ancien directeur du Musée national d'art moderne de Beaubourg, Responsable du projet muséographique du Musée du Quai Branly

· M. Dominique VIÉVILLE, inspecteur des Musées de France

· Mme Françoise WASSERMAN, chargée de la politique des publics à la Direction des musées de France

LISTE DES PERSONNES RENCONTRÉES

LORS DES DÉPLACEMENTS EN FRANCE

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Déplacement dans le Nord-Pas de Calais

· M. Antoine BREJON, conservateur du Musée des Beaux-arts de Lille

· Mme Aude CORDONNIER, responsable des musées des Beaux Arts de Dunkerque

· M. Michel DELEBARRE, président de la région Nord - Pas-de-Calais et maire de Dunkerque

· M. André DUBUC, directeur du Centre historique minier de Lewarde

· Mme Annick NOTTER, conservatrice du musée des Beaux Arts d'Arras

· Melle Agnès PARIS, conservatrice du Centre historique minier de Lewarde

· Mme Joëlle PIJAUDIER, conservatrice en chef du Musée d'art moderne de Villeneuve d'Ascq

Rencontre au Musée Jacquemart André

· Mme Axelle GÉVAUDAN, administratrice du musée

· M. Bruno MONNIER, PDG de Culture Espaces

Rencontre au Musée d'Orsay

· M. Henri LOYRETTE, directeur du musée

· Mme Catherine FAGARD, secrétaire général

· Mme Nicole SAVY, chef du service culturel

· Mark GORE, chef du service de l'auditorium

Rencontre à la Cité des sciences

· M. Bernard BACHMAN, directeur du secteur muséologie et société

· M. Gérard MÉTOUDI, directeur général de la Cité (actuel directeur de cabinet de Mme Tasca)

· M. Simon MONEREY, directeur de la valorisation nationale et de l'action régionale

· Mme Elisabeth VATBOT, responsable du département promotion

Rencontre au Musée du Louvre

· M. Pierre COURAL, responsable des actions audiovisuelles et multimédia

· Mme Wanda DIEBOLT, administrateur général du musée

· M. Jean GALARD, chef du service culturel

· M. Pierre ROSENBERG, président-directeur

Visite du Muséum national d'histoire naturelle

· M. Henri de Lumley, directeur du Museum

visite du Musée Picasso

· M. Jean-Pierre CHAUVET, responsable du service des relations extérieures

· M. Gérard RÉGNIER, Directeur du musée

· M. Jean QUENTRIC, secrétaire général du Musée

déplacement à Lyon et Villeurbanne

· Mme Simone BLAZY, conservateur du Musée Gadagne

· M. Philippe DUREY, conservateur du Musée des Beaux Arts

· M. Jean-Louis MAUBANT, directeur de l'Institut d'Art Contemporain de Villeurbanne

· M. Roland MAY, conseiller pour les musées à la DRAC Rhône Alpes

· M. Pierre SIGAUD, directeur adjoint direction régionale des affaires culturelles (DRAC) Rhône Alpes

Visite des réserves du musée du Conservatoire national des arts et métiers

· Mme Élise PICARD, responsable des réserves

Programme du déplacement aux Pays-Bas

(17 - 18 mars 1999)

Mercredi 17 mars 1999

- Déjeuner à la résidence de l'Ambassadeur M. Bernard de Montferrand, à La Haye, en présence de :

- M. Willem Bloemberg, responsable du patrimoine au ministère de la culture et Mme Margaret Leemhuis,

- M. Franz Kaiser, conservateur du Haagsche Gemeentemuseum,

- Mme Emke Raassen-Kruimel, directeur du musée Singer à Laren,

- M. Karel Weeda directeur du Zuiderzee Museum,

- Gemeentemuseum : entretien avec M. Franck Kaiser, chef du secteur expositions

- Départ pour Amsterdam

Jeudi 18 mars 1999

- Rijkmuseum : rencontre avec le Dr Robert Anderson, directeur et M. Theo Schoenmaker, responsable du service éducation et formation

- Van Gogh Museum (actuellement en rénovation) : entretien avec M. John Leighton, directeur, puis visite du chantier

- Stedelijk Museum : entretien avec M. Martin Bertheux, Directeur adjoint

Programme du déplacement à Berlin

(24 - 25 juin 1999)

Jeudi 24 juin 1999

- Deutsches Historisches Museum : entretien avec le Dr. Christoph Stözl, Directeur

- Visite de l'exposition « Einigkeit und Recht und Freiheit » consacrée au cinquantenaire de la République Fédérale d'Allemagne

- Visite du Hamburger Bahnof (Musée d'Art contemporain)

- Fondation du Patrimoine Prussien : rencontre avec le Professeur Klaus-Dieter Lehmann, Président

- Visite de la « Gemälde Galerie »

Vendredi 25 juin 1999

- Entretien avec M. Lutz von Pufendorf, Secrétaire d'Etat à la Culture pour le Land de Berlin (Affaires culturelles)

- Visite du Musée égyptien

- Jüdisches Museum : visite du bâtiment et entretien avec M. Tom Freundenheim, Directeur-adjoint

- Déjeuner de travail à la Résidence du Ministre délégué, M. Gérard Pruvost

Programme du déplacement à Londres

(3 - 4 novembre 1999)

Mercredi 3 novembre 1999

- Hayward Gallery : Rencontre avec Mme Fiona Bradley, conservateur et visite de Exposition temporaire Lucio Fontana

- Tate Gallery : Rencontre avec M. Sandy Nairme, director of national programmes et visite de l'Exposition temporaire the Turner Price

Jeudi 4 novembre 1999

- British Museum : Visite avec Dr Morris Bierbrier puis rencontre avec le directeur, Dr Robert Anderson

- Design Museum : Rencontre avec M. Eric Kenpley, senior curator

- Museum Gallery commission : Rencontre avec Mme Valerie Bott, directeur délégué

- Victoria and Albert Museum :  rencontre avec Dr Deborah Swallow, senior chief curator et Eitne Nightingale, Head of adult and community education, sur la politique cultutrelle du musée, puis avec Gwyn Miles, Head of major projects, sur l'influence culturelle des British Galleries, actuellement en rénovation, et le futur rôle de nouveau bâtiment « Spiral »

Programme du déplacement en Espagne

(15 - 17 mars 2000)

Mercredi 15 mars 2000

- Déjeuner avec M. Rodrigo Uria, président par intérim du conseil de surveillance du musée du Prado, membre du conseil de surveillance du musée Thyssen

- Musée Reina Sofia : entretien avec M. José Guirao, directeur et Mme Mercedes Morales, administrateur général puis visite des collections du musée

- Dîner de travail à la résidence de l'Ambassadeur en présence de

- M. Antonio Bonet Correa, directeur de l'Accademia de Bellas Artes de San Fernando,

- Mme Asuncion Cabrera, Directrice de la salle d'exposition de la Caixa,

- M. Carlos Fernandez de Henestrosa, Administrateur général du Musée Thyssen,

- M. Alvaro Martinez Novillo, directeur du Centre Culturel Conde Duque,

- M. Rafael Rodriguez-Ponga, directeur général de la coopération et de la communication culturelle au ministère de l'éducation et de la culture.

Jeudi 16 mars 2000

- Musée Archéologique : entretien avec Mme Marina Chinchilla, directrice et Mme Maria Aranzazu Echanove, Sous-directrice des musées publics au ministère de l'éducation et de la culture, puis visite du musée

- Prado : visite des collections avec un conservateur

- Musée Thyssen : visite des collections

- Départ pour Bilbao

- Dîner de travail offert par le Consul général

Vendredi 17 mars 2000

- Entretien avec M. Inaki Azcuna, maire de Bilbao

- Musée Guggenheim : entretien avec M. José Ignacio Vidarte, Directeur puis visite du musée

- Déjeuner avec par M. José Maria Munoa, responsable des relations extérieures du Gouvernement basque

Liste des musées nationaux

(Décret n° 86-329 du 7 mars 1986)

· Le musée du Louvre

· Le musée de l'Orangerie des Tuileries (collection Walter Guillaume et Nymphéas de Claude Monet)

· Le musée des thermes et de l'hôtel de Cluny (arts et techniques du Moyen Âge et de la Renaissance)

· Le musée de la céramique à Sèvres

· Le musée Guimet (arts de l'Extrême-Orient)

· Le musée des monuments français

· Le musée des arts et traditions populaires

· Le musée des châteaux de Versailles et de Trianon

· La salle du Jeu de Paume à Versailles (annexe du musée des châteaux de Versailles et de Trianon)

· Le musée des carrosses (annexe du musée des châteaux de Versailles et de Trianon)

· Le musée des antiquités nationales au château de Saint-Germain-en-Laye

· Le musée des châteaux de Malmaison et de Bois-Préau

· Le musée de la maison Bonaparte à Ajaccio (annexe du musée de Malmaison)

· Le musée du château de Compiègne

· Le musée de la voiture et du tourisme à Compiègne (annexe du musée du château de Compiègne)

· Le musée du château de Fontainebleau

· Le musée du château de Pau

· Le musée du château de Blérancourt (musée de la coopération franco-américaine)

· Le musée Gustave Moreau

· Le musée d'Ennery

· Le musée Rodin

· Le musée J.J. Henner

· Le musée Magnin à Dijon

· Le musée Adrien Dubouché à Limoges

· Le musée des deux-victoires (musée Clémenceau et de Lattre-de-Tassigny) à Mouilleron-en-Pareds

· Le musée napoléonien et le musée africain de l'île d'Aix, fondation Gourgaud (annexe du musée de Malmaison)

· Le musée Fernand Léger à Biot

· Le musée Message biblique Marc Chagall à Nice

· Le musée des arts africains et océaniens

· Le musée Eugène Delacroix

· Le musée de Vallauris (La guerre et la paix de Picasso)

· Le musée des granges de Port-Royal à Magny-les-Hameaux

· Le musée de préhistoire des Eysies-de-Tayac

· La maison natale du maréchal de Lattre-de-Tassigny à Mouilleron-en Pareds

· Le musée de la Renaissance au château d'Ecouen

· Le musée Hébert

· Le musée Picasso à Paris

· Le musée d'Orsay

2418 - Rapport d'information de M. Alfred Recours sur les musées (commission des affaires culturelles)