graphique

N° 2452

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 31 mai 2000.

RAPPORT D'INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l'article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES (1)

sur la mission effectuée par une délégation de la Commission

au Kosovo

ET PRÉSENTÉ

PAR Mme YVETTE ROUDY,

MM. RENÉ ANDRÉ et RENÉ MANGIN,

Députés

--

(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

Affaires étrangères

La Commission des Affaires étrangères est composée de : M. François Loncle., président ; MM. Gérard Charasse, Georges Hage, Jean-Bernard Raimond, vice-présidents ; MM. Roland Blum, Pierre Brana, Mme Monique Collange, , secrétaires ; Mmes Michèle Alliot-Marie, Nicole Ameline, M. René André, Mmes Marie-Hélène Aubert, Martine Aurillac, MM. Edouard Balladur, Raymond Barre, Dominique Baudis, Henri Bertholet, Jean-Louis Bianco, André Billardon, Maxime Bono, André Borel, Bernard Bosson, Pierre Brana, Jean-Christophe Cambadélis, Hervé de Charette, Yves Dauge,  Patrick Delnatte, Jean-Marie Demange, Xavier Deniau, Paul Dhaille, Mme Laurence Dumont, MM. Jean-Paul Dupré, Charles Ehrmann, Jean-Michel Ferrand, Raymond Forni, Georges Frêche, Jean-Yves Gateaud, Jean Gaubert, Valéry Giscard d'Estaing, Jacques Godfrain, Pierre Goldberg, François Guillaume, Robert Hue, Mme Bernadette Isaac-Sibille, MM. Didier Julia, Alain Juppé, André Labarrère, Jean-Claude Lefort, Guy Lengagne, François Léotard, Pierre Lequiller, Alain Le Vern, Bernard Madrelle, René Mangin, Jean-Paul Mariot, Gilbert Maurer, Jean-Claude Mignon, Charles Millon, Mme Louise Moreau, M. Jacques Myard, Mme Françoise de Panafieu, MM. Etienne Pinte, Marc Reymann, François Rochebloine, Gilbert Roseau, Mme Yvette Roudy, MM. René Rouquet, Georges Sarre, Henri Sicre, Mme Christiane Taubira-Delannon, MM. Michel Terrot, Mme Odette Trupin, MM. Joseph Tyrode, Michel Vauzelle, Philippe de Villiers, Jean-Jacques Weber.

SOMMAIRE

INTRODUCTION 5

I . JUIN 1999 : UNE PROVINCE SINISTRÉE PAR DIX ANS DE CONFLITS 7

A - L'ENCHAÎNEMENT DE LA VIOLENCE 7

1) Les prémisses d'une guerre : la perte de l'autonomie 7

2) L'internationalisation du conflit 9

B - L'AMPLEUR DES DESTRUCTIONS 10

1) Une population traumatisée 10

2) Des infrastructures vétustes et une situation économique précaire 12

C - L'ABSENCE D'INSTITUTIONS LÉGALES : UN FACTEUR AGGRAVANT 12

II . UN AVENIR INCERTAIN MALGRÉ DES AVANCÉES 15

A - LE RÉTABLISSEMENT DE LA SÉCURITÉ INTÉRIEURE 15

1) Des points de tension persistants et des forces de police insuffisantes 15

2) L'absence de liberté de circulation des Serbes obère leur éventuel retour 16

3) Les prisonniers et les disparus, un problème grave 18

B - L'ABSENCE DE RÉGLEMENTATION, FACTEUR DE CRIMINALITÉ ET
FREIN AU DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE
18

C -STATUT DE LA PROVINCE ET MISSION
DES ORGANISATIONS INTERNATIONALES
19

1) La question du statut du Kosovo 19

2) Un cadre complexe d'intervention ouvrant la voie
à la co-administration du Kosovo 21

3) La préparation des élections municipales, un enjeu 24

III - DE REMARQUABLES EFFORTS DE RECONSTRUCTION À SOUTENIR 27

A - DES EFFORTS DE RECONSTRUCTION VISIBLES 27

1) Une réelle dynamique de reconstruction 27

2) La création d'un cadre légal 28

B - UN SOUTIEN À LA RECONSTRUCTION À ACCROÎTRE 28

1) L'attitude des Etats-Unis 28

2) L'action de l'Union européenne 28

3) L'aide de la France 29

CONCLUSION 31

EXAMEN EN COMMISSION 33

ANNEXE 1 : RÉSOLUTION 1244 DU CONSEIL DE SÉCURITÉ DE L'ONU 37

ANNEXE 2 : PROGRAMME DE LA MISSION 45

ANNEXE 3 : AUDITION DE M. IBRAHIM RUGOVA 47

ANNEXE 4 : ORGANIGRAMME SRSG 53

ANNEXE 5 : AUDITION DE M. ROGER FAUROUX 55

ANNEXE 6 : CARTE DU KOSOVO 61

Mesdames, Messieurs,

La Commission des Affaires étrangères a décidé d'envoyer une délégation au Kosovo, conduite par votre Rapporteur, et composée de M. René André, député RPR de la Manche et de M. René Mangin, député socialiste de la Meurthe-et-Moselle, afin de réunir des éléments d'information sur l'évolution de la situation dans cette région un an après les frappes de l'OTAN et le vote de la résolution 1244 du 10 juin 1999 du Conseil de sécurité (annexe 1).

Déjà en 1992, la Commission des Affaires étrangères s'était préoccupée de la situation dans la région et y avait envoyé une délégation. Après les événements de Mars 1998, une mission d'information composée de MM. Pierre Brana, François Loncle et René André s'était rendue à Belgrade, Podgorica, Pristina et Skopje, du 30 mars au 4 avril 1998 ; elle avait publié un rapport d'information au titre prémonitoire : "Une nouvelle crise dans les Balkans : la guerre au Kosovo ?" Cette guerre a finalement eu lieu, du 24 mars au 10 juin 1999. Comment la situation de la province et de ses habitants a-t-elle évolué ? Quel est l'impact du travail accompli par la communauté internationale et les diverses organisations qui la composent ? Quelles sont les perspectives d'avenir ?

Pour tenter de répondre à ces interrogations, la délégation s'est rendue à Pristina, Mitrovica, Gracanica, Pec, Prizren et Skopje. Elle a rencontré les dirigeants de la Mission intérimaire des Nations Unies au Kosovo (MINUK) et de la force militaire internationale (KFOR), notamment M. Kouchner, représentant spécial du Secrétaire général des Nations Unies au Kosovo, le Général Ortuño, commandant en chef de l'Eurocorps, le Général Wirth, représentant de la France au sein de la KFOR et le Général Saqui de Sannes, commandant de la Brigade multinationale Nord, M. Nash, administrateur régional de la zone nord, M. Le Roy, administrateur régional de la zone est, des représentants de la communauté serbe : le Père Sava, conseiller de Mgr. Artemije, évêque orthodoxe de Prizren et observateur au Conseil transitoire du Kosovo, Mme Trajkovic, membre du Conseil national serbe, observatrice au Conseil administratif intérimaire, des représentants des forces politiques albanaises : M. Rugova, président de la Ligue démocratique du Kosovo (LDK), M. Thaci, président du parti pour la prospérité démocratique du Kosovo, M. Hyseni, vice-président du mouvement démocratique unifié, des représentants de la société civile comme M. Demaci, ancien président du parti parlementaire du Kosovo, M. Shala, éditeur du journal Zeri, Mgr Sopi, évêque catholique de Prizren, et de nombreux responsables d'ONG, notamment le Dr. Brasseur, représentant du Fonds des Nations Unies pour la population. Lors de cette mission, M. Sturm, chef du Bureau de liaison de la France au Kosovo, et son équipe, furent d'une aide précieuse (le programme figure en annexe 2).

La délégation a constaté que le Kosovo était gravement sinistré par dix années de conflits de tous types ; l'avenir de la province est obéré par les problèmes de sécurité intérieure et de statut. Il reste que, malgré les difficultés à mobiliser toute l'aide internationale promise, de remarquables efforts de reconstruction ont été accomplis grâce à l'action conjuguée de la MINUK, de la KFOR et des Kosovars eux-mêmes.

I . JUIN 1999 : UNE PROVINCE SINISTRÉE

PAR DIX ANS DE CONFLITS

A - L'enchaînement de la violence

1) Les prémisses d'une guerre : la perte de l'autonomie

La guerre en ex-Yougoslavie commença en 1989 au Kosovo ; y finira-t-elle ? La guerre n'a pas commencé le 24 mars 1999, quand les premières bombes de l'OTAN sont tombées. Comme le montre le rapport précité de M. Pierre Brana, l'affrontement entre les populations d'origine serbe et albanaise du Kosovo s'inscrit dès 1987 dans la stratégie politique de M. Slobodan Milosevic. Alors qu'il n'est que président de la Ligue communiste de Serbie, il fait du Kosovo son cheval de bataille et amplifie le mouvement de protestation des habitants serbes contre les Albanais qui, majoritaires, maîtrisent les institutions de la province.

Utilisant la peur et le nationalisme, l'histoire vraie ou supposée, M. Milosevic a attisé la haine dès 1989 entre les communautés. Lors de son discours au Champ des Merles, pour commémorer le 600ème anniversaire de la bataille qui consacra la domination de l'empire ottoman sur la Serbie, il rassemble près d'un million de Serbes et contribue ainsi à asseoir son pouvoir.

Dès 1989, M. Milosevic décide de supprimer l'autonomie dont le Kosovo jouissait depuis 1974 au sein de la République fédérale de Yougoslavie. En mars 1989, il amende la Constitution de Serbie, en juin 1990, l'Assemblée serbe suspend le gouvernement et l'assemblée du Kosovo. Le 2 juillet 1990, un référendum constitutionnel ratifie ces initiatives, auxquelles les Albanais répliquent par des manifestations. Les députés de l'Assemblée du Kosovo proclament l'indépendance, ce qui amène la Serbie à dissoudre cette Assemblée. Ces initiatives et la répression serbe provoquent la première crise ouverte au sein de la Ligue communiste de Yougoslavie et de la présidence collégiale. Les Slovènes et les Croates se désolidarisent de la politique serbe. La crise du Kosovo constituera le point de départ de l'éclatement de la fédération yougoslave.

A cette offensive politique, les Albanais du Kosovo répondent en organisant un référendum clandestin sur l'indépendance : avec une participation de 87%, le "oui" l'a emporté avec 99% des suffrages. Le 24 mai 1992, un nouveau parlement et un Président, M. Ibrahim Rugova, sont élus clandestinement.

A partir de 1992, la Serbie intensifie sa pression et décide de contrôler le Kosovo, qu'elle appelle "Kosovo Metohija" ou région du Kosmet. Les Albanophones du Kosovo, qui représentent à l'époque plus de 80% d'une population de 2 millions d'habitants subissent une guerre larvée et un régime de quasi-apartheid, conduisant nombre d'entre eux à l'exil ; de 1989 à 1992, près de 300.000 Kosovars d'origine albanaise émigrent, pour des raisons politiques et économiques. Les programmes d'enseignement serbes, notamment d'histoire et la langue serbe sont imposés dans les écoles. Ils ont pour effet le licenciement des professeurs qui refusent cette politique et la fermeture des écoles primaires et secondaires albanaises. Les étudiants albanais quittent l'université de Pristina. Police, justice et administration sont serbisées par des licenciements collectifs. Il en est de même dans l'économie de l'Etat.

Ces mesures engendrent la terreur parmi les Albanophones du Kosovo. Ils évitent, par exemple, de recourir aux services de santé serbes, et plusieurs dizaines de milliers de jeunes émigrent chaque année, généralement pour les pays européens. Cette situation est confortée par la stratégie de désobéissance civile adoptée par la Ligue démocratique du Kosovo. La consigne est de refuser toute soumission aux administrations serbes. Une société parallèle s'est ainsi mise en place, subventionnée par la diaspora albanaise.

Dans un premier temps, la population albanophone, conduite par M. Rugova, président de la Ligue démocratique du Kosovo, répond par la résistance passive, organisant son propre système d'enseignement et son propre système de santé, ainsi que des élections. A partir de 1996, l'armée de libération du Kosovo (UCK), mouvement plus radical prônant le recours aux armes et l'indépendance de la province, apparaît. Elle mène quelques opérations armées, alors que les forces serbes poursuivent dans la province une répression rampante, et alignent plusieurs dizaines de milliers d'hommes sur le terrain. En mars 1998, la police serbe utilise les chars et l'artillerie lourde contre les villages et les hameaux où ils sont censés opérer contre l'UCK ; ils font près de 2000 victimes, brûlent des dizaines de villages et provoquent l'exode de 250.000 à 300.000 réfugiés. Pendant l'été et l'automne 1998, Occidentaux et Russes s'efforcent d'amener le Président Milosevic à négocier. Un régime de sanctions économiques spécifiquement liées à l'affaire du Kosovo est instauré le 8 juin 1998 contre la Serbie par l'Union européenne et les Etats-Unis.

2) L'internationalisation du conflit

Le 23 septembre 1998, le Conseil de sécurité vote la résolution 1199 exigeant le retrait des forces serbes du Kosovo, et le 24 octobre 1998, la résolution 1203, autorisant l'OTAN à prendre des mesures appropriées pour contraindre le Président Milosevic à respecter ses engagements. En octobre 1998, le Président Clinton envoie M. Holbrooke à Belgrade pour convaincre le Président serbe de réduire ses forces, d'arrêter les combats et d'accepter des observateurs internationaux. Le 13 octobre 1998, sous la pression de l'OTAN, un accord est conclu sur le retrait des forces serbes et l'envoi au Kosovo d'une mission de l'Organisation pour la sécurité et la Coopération en Europe (OSCE). 2000 vérificateurs se déploient sans armes au Kosovo. Dans un premier temps, Belgrade retire quelques troupes et le retour des réfugiés s'amorce.

L'UCK ne s'estimant pas lié par l'accord d'octobre auquel elle n'était pas associée, mène une stratégie de conflit. Fin décembre 1998, Belgrade renforce ses positions et les affrontements reprennent ainsi que l'exode des civils. En janvier 1999, plusieurs massacres sont perpétrés, notamment à Racak, le 15 janvier, où une quarantaine de corps d'hommes, de femmes et d'enfants sont découverts. Mme Arbour, procureur du Tribunal international pour l'ex-Yougoslavie (TPY), se voit refuser l'entrée au Kosovo pour enquêter. Du 6 au 23 février 1999, les négociations reprennent à Rambouillet, mais la n'aboutissent pas car l'UCK ne se contente pas de l'autonomie proposée pour le Kosovo et les Serbes refusent le déploiement d'une force internationale dans la province. Du 15 au 19 mars, une ultime tentative de négociation échoue : seuls les Kosovars acceptent le plan de paix, Belgrade refuse et lance une nouvelle offensive le 21 mars. Le 24 mars 1999, les frappes de l'OTAN commencent et seront suspendues le 8 juin 1999. Inculpé de crimes contre l'humanité par le TPY, M. Milosevic accepte le plan de paix. Entre temps, près de 800.000 Kosovars albanophones ont fui la province pour s'entasser dans des camps de fortune en Albanie ou en Macédoine avant de trouver un pays d'accueil. A ces derniers s'ajoutent à l'intérieur même de la province 500 000 personnes ayant quitté leur foyer.

Un an après les frappes de l'OTAN, certains s'interrogent sur l'ampleur, voire la réalité des exactions et des massacres commis par les forces serbes. La lecture, sur dix années, des rapports de l'OSCE et de l'ONU comme celle de la FIDH d'Amnesty International, qui ont recoupé des témoignages peuvent donner à penser qu'ils ont été plus importants que certains le prétendent aujourd'hui. Quoi qu'il en soit et quelles qu'en soient les causes, personne ne peut nier sérieusement le déplacement ou la déportation massive de 800 000 albanophones sur quelques semaines.

Selon les estimations du TPY, le nombre des victimes albanophones du conflit s'élèverait à 11.000. Comme Mme Véronique Nahoum Grappe (Libération du 9 mai 2000) : "On peut s'étonner que des faits énormes, presque déments, comme la déportation massive de 800.000 personnes en quelques semaines, se trouvent gommés" par certains.

Quel que soit le jugement que l'on porte sur la manière dont la guerre a été engagée et conduite par l'OTAN, elle était difficilement évitable. Pouvait-on en effet ne rien faire et laisser pourrir une situation inacceptable sur le plan humanitaire et dangereuse pour la stabilité de la région ?

B - L'ampleur des destructions

Au cours de ces entretiens, la délégation a rencontré des responsables d'ONG présentes depuis 1999 et des Kosovars restés sur place, qui ont décrit la situation dans la province vidée d'une partie de ses habitants. Quand M. Le Roy, administrateur régional de Pec, est arrivé, en juillet 1999, la ville, très animée aujourd'hui, était pratiquement sans commerces, et avait été vidée, fin mars 1999, de ses habitants ; 70% des immeubles avaient été détruits.

Le rapport du Secrétaire général sur la mission d'administration intérimaire des Nations Unies au Kosovo du 12 juillet 1999 dresse un lourd bilan de la situation de la population après le retrait de l'armée yougoslave et des forces de sécurité serbes.

1) Une population traumatisée

a) des personnes déplacées ou disparues

Sur une population estimée en 1998 à 1,7 million d'habitants, en 1999, près de la moitié (800.000) se sont réfugiés dans les régions voisines de l'Albanie, de l'ex-République yougoslave de Macédoine et du Monténégro. Les estimations varient, mais le nombre de personnes déplacées aurait atteint 500.000. Beaucoup de réfugiés et de personnes déplacées à l'intérieur de la province ont été marqués psychologiquement et physiquement. Au 8 juillet 1999, plus de 650.000 réfugiés étaient rentrés au Kosovo, les uns spontanément et les autres avec l'aide du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) ; on estimait qu'il resterait 150.000 personnes dans les pays et régions voisins, 90.000 évacués dans des pays tiers et un nombre inconnu de demandeurs d'asile. A l'intérieur du Kosovo, on ne savait pas encore combien de personnes n'avaient pas regagné leur domicile. Des familles étaient séparées, des hommes avaient été enlevés. Les incertitudes sur leur sort ne sont pas encore levées.

b) l'exode des Serbes

En juillet 1999, dès l'arrivée des troupes de l'OTAN, deux populations se croisent : les albanophones commencent à revenir, les Serbes fuient vers le Monténégro et la Serbie, où, d'après la Croix Rouge yougoslave, environ 58 000 personnes déplacées se sont fait immatriculer pour recevoir une aide.

c) des problèmes de santé

D'après le Dr. Olivier Brasseur, représentant du Fonds des Nations Unies pour la population (FNUAP) et Mme Blayo, professeur de démographie à l'institut d'études démographiques de Bordeaux, huit années de conflits larvés et deux années de violence et de destruction ont eu des répercussions graves sur la santé de la population kosovare albanaise. Le niveau de formation n'est pas bon car les albanophones ont été exclus d'un système éducatif qu'ils contestaient parce que serbe.

Selon les statistiques qu'ils sont en train d'établir, car il n'en existait pas, le taux de mortalité infantile s'est élevé à 35 °/oo en 1999, contre 25 °/oo auparavant, taux qui reste important. 59 % de la population a bougé ; la guerre est responsable, direct ou indirect, d'au moins 9000 décès. La pyramide des âges montre que 50% de la population a moins de vingt ans, mais que 25% des hommes sont à l'étranger. Le chômage atteint la moitié de la population ; 36% des Kosovars vivent grâce à l'aide d'un parent travaillant à l'étranger.

L'avortement est le seul moyen de contraception ; il n'y a jamais eu de politique de santé à l'égard de la mère et de l'enfant. L'équipement des maternités est très insuffisant (manque de chauffage, de matériel et surtout de personnel formé) ; 20% des femmes accouchent à la maison. Cette pratique s'était accrue dans les populations albanophones pour ne pas déclarer les enfants aux autorités serbes et échapper ainsi aux contrôles policiers. On compte six personnes par ménage et plusieurs générations cohabitent sous le même toit. Il y a peu d'orphelins ; le système de famille élargie voire de clan prend en charge les enfants qui ont perdu leurs parents.

La question des femmes violées a été évoquée à maintes reprises avec les ONG rencontrées. D'après le Dr. Brasseur, il est difficile de leur apporter un soutien psychologique, car très peu acceptent de parler de peur d'être rejetées par leur famille, voire d'être victimes de représailles. Les associations de femmes albanaises rencontrées à Pec ont fait état de viols et de la détresse des victimes.

Les représentants de Pharmaciens sans frontières ne se sont pas plaints de pénurie de médicaments, mais de difficultés à soigner la population en raison de ses habitudes antérieures.

2) Des infrastructures vétustes et une situation économique précaire

En juillet 1999, quand la MINUK commence à opérer, elle constate que la plupart des services publics du Kosovo sont hors d'état de fonctionner, à la suite de négligences et d'absence de personnel compétent, les Kosovars albanophones ayant été licenciés à partir de 1992 et leurs remplaçants serbes étant partis de peur des représailles. Aucune des deux centrales électriques du Kosovo ne fonctionne, la province dépend, pour son approvisionnement en énergie électrique, de ses raccordements avec les réseaux de la Serbie. Pristina est alors en proie à de terribles problèmes de distribution d'eau par manque d'entretien, non-paiement des salaires et manque d'électricité pour faire fonctionner les stations de pompage. Les lignes téléphoniques sont coupées, les écoles fermées et il n'y avait pratiquement pas de transports en commun. Les ordures ménagères n'avaient pas été enlevées depuis mars 1999 et les puits et autres sources d'eau sont largement pollués.

Une grande partie des terres agricoles du Kosovo est en jachère, ce qui est grave pour un territoire dépendant largement de l'agriculture pour sa subsistance. Le secteur industriel et manufacturier est sérieusement paralysé par un manque d'investissements qui perdure, et par les dégâts causés par le conflit. Il n'y a plus ni système bancaire ni système de paiement.

C - L'absence d'institutions légales : un facteur aggravant

Aux termes de l'accord technico-militaire du 9 juin 1999 signé par le Général Jackson au nom de l'OTAN et les représentants de la République fédérale de Yougoslavie, l'armée yougoslave et les forces de sécurité serbes se sont retirées du Kosovo tandis que la KFOR s'est déployée. En juillet 1999, il n'y avait pas d'institutions capables d'assurer l'ordre. Le risque de développement mafieux était réel en l'absence d'état-civil et de plaques d'immatriculation des véhicules. Les réfugiés Kosovars avaient été privés de leurs papiers d'identité lors de l'exode de 1998 et les plaques d'immatriculation des véhicules avaient été arrachées. Les incidents entre Serbes et Albanophones se sont multipliés, provoquant le départ des Serbes de villes comme Pec et Prizren alors que Mitrovica et Orahovac sont rapidement découpées en secteurs correspondant aux groupes ethniques. Ainsi, dès le début de sa mission, la KFOR se heurte au refus des populations de cohabiter.

Le retrait rapide des forces militaires ou paramilitaires yougoslaves et serbes du Kosovo, à la demande de l'OTAN, a eu comme conséquence de créer un vide en termes de maintien de l'ordre public dans la région. Cela a été exploité par des éléments de l'UCK pour asseoir leur pouvoir localement et par une grande majorité de la population albanophone pour se venger sur les Serbes restants et aussi sur d'autres minorités (Roms, Turcs, Bosniaques par exemple). Ainsi, les Serbes qui ne sont pas partis du Kosovo se sont concentrés dans des enclaves, dont ils n'osent et ne peuvent plus du tout sortir sans protection militaire ; la grande majorité des Tziganes s'est réfugiée en Macédoine et les autres groupes essaient de trouver un modus vivendi avec les Albanophones avec un succès relatif selon les zones du territoire.

L'absence de structures administratives, autres que celles mises en place par les Albanophones eux-mêmes dont une partie existait de manière clandestine depuis la fin de l'autonomie du Kosovo en 1989, a largement compliqué, dès juillet 1999, la mission des institutions internationales.

II . UN AVENIR INCERTAIN MALGRÉ DES AVANCÉES

A très court terme, l'avenir de la province du Kosovo est lié à l'amélioration de la sécurité intérieure et très rapidement, la question de son statut se posera inévitablement à la communauté internationale.

A - Le rétablissement de la sécurité intérieure

Un an après l'opération "forces alliées" dont l'objectif était de mettre un terme aux violations des droits de l'Homme commises par les autorités yougoslaves, la situation sur le terrain donne lieu à des interprétations diverses en ce qui concerne la sécurité. Or, la bonne tenue en octobre prochain des élections municipales, que M. Kouchner et le Général Ortuño Commandant en chef de la KFOR estiment nécessaires et utiles dès cette date, dépend largement de la gestion de la sécurité des minorités serbes mais également tziganes et turcs.

1) Des points de tension persistants et des forces de police insuffisantes

Le rapport sur la MINUK du Secrétaire Général des Nations Unies du 3 mars 2000 reconnaît que les conditions de sécurité se sont détériorées en début d'année même si le nombre de morts a diminué : attentat contre un bus du HCR transportant des Serbes, violence récurrente à Mitrovica, assassinat de Serbes isolés, etc.

La situation est préoccupante dans la vallée partiellement albabophone de Presevo qui jouxte la Serbie. Les actions de déstabilisation ont été menées par des groupes armés albanophones en provenance du Kosovo qui se réclame de l'armée de libération de Presevo. Pour le Général Reinhardt qui a commandé la KFOR jusqu'au 17 avril 2000, cette menace de tension à la frontière administrative entre le Kosovo et la Serbie était sérieuse. La tension semble être retombée grâce au renforcement du dispositif de contrôle de la KFOR. Mais pour combien de temps ?

Selon le Général Ortuño Commandant en Chef de la KFOR, la situation est relativement calme, la tension devrait progressivement retomber avec l'amélioration de la situation économique. C'est donc actuellement que le besoin de troupes est le plus élevé car l'établissement de la coexistence entre les communautés prendra du temps. Progressivement il conviendra de réduire la présence militaire et la remplacer par des policiers formés.

D'après le Général Wirth, représentant de la France au sein de la KFOR, la situation est mouvante. Le Kosovo a franchi une étape, il a été pourvu à l'urgence humanitaire. Pour le Général Saqui de Sannes commandant de la Brigade multinationale Nord à Mitrovica comme M. Nash, administrateur régional, le calme à Mitrovica est précaire. La violence est surtout générée par des extrémistes des deux bords. La cohabitation entre les populations d'origine serbe et albanaise dans la ville n'est possible qu'en présence de forces de la KFOR. Concrètement, cela implique l'installation sous protection militaire permanente des familles albanophones dans la zone nord de la ville, d'où elles furent chassées, et inversement de familles serbes au Sud. Ainsi, dans Mitrovica, des immeubles sont en permanence gardés par la KFOR parce que des familles minoritaires dans la zone y logent.

C'est à Mitrovica que l'ambiguïté du rôle de la KFOR est la plus perceptible car les missions de sécurité actuelles couvrent le maintien de l'ordre et de la sécurité publics, y compris le contrôle de manifestations de foules hostiles, couramment appelé "contrôle des foules". Le cas des manifestations violentes de foules aux alentours du pont sur l'Ibar séparant les quartiers nord des quartiers sud en est l'exemple le plus fréquent.

Mais faut-il confier aux militaires la responsabilité du maintien de l'ordre au cours d'opérations de maintien de la paix ? Au Kosovo le choix s'est opéré par défaut. Alors qu'initialement le nombre de policiers prévus pour le Kosovo était fixé à 4 718 par les Nations Unies, en avril 2 886 policiers seulement étaient présents alors que les risques de dérives mafieuses sont très sérieux. On ne peut que saluer la manière dont la KFOR pallie les carences en policiers et le rôle des contingents français en son sein.

Le désarmement de l'UCK s'est poursuivi, mais il est permis de s'interroger sur sa réalité et son ampleur tant la circulation des armes reste importante et les saisies et confiscations quotidiennes. La formation d'un corps de police du Kosovo multi-ethnique a commencé. Ce corps compte actuellement entre 500 et 600 personnes ; 10% des places y sont réservées aux membres des minorités.

2) L'absence de liberté de circulation des Serbes obère leur éventuel retour

Les Kosovars serbes restés sur place ne peuvent se déplacer sans escorte hors des enclaves où ils résident. Les membres du Conseil national serbe que la délégation a rencontrés à Pec et Gracanica vivent reclus dans une atmosphère de forteresse assiégée. Il est impossible pour un Serbe de se déplacer sans escorte, hors des enclaves. Il faut des points de contrôle à l'entrée des villages minoritaires pour éviter les dérapages. Toutes les ONG rencontrées ont confirmé ces dires et précisé que les communautés serbes et albanaises qui se craignent mutuellement sont prêtes à s'affronter au moindre incident. Elles n'hésitent pas à provoquer les forces de la KFOR comme à Mitrovica et dans le Sud du Kosovo.

Confinés dans leurs enclaves, les Serbes vivent prostrés et ont peur. Ils peuvent être manipulés par des extrémistes comme c'est le cas à Mitrovica. Ils dépendent économiquement pour survivre du régime de Belgrade. Même si certains membres du Conseil national serbe ont pris depuis leurs distances avec le régime de Milosevic, la dépendance économique des Serbes du Kosovo reste un handicap.

Selon M. Demaci, la peur des Serbes est compréhensible. Ils furent manipulés et endoctrinés par M. Milosevic et les jouets de ce régime toujours hégémonique à l'égard des Albanophones. La communication entre les deux communautés est difficile. Certains religieux, notamment Mgr Sopi, sont prêts à faire le lien. Mais selon lui il faudra beaucoup de temps pour rétablir un minimum de confiance.

Dans ces conditions, le retour massif des Serbes est difficilement envisageable pour le moment. Certains dirigeants des partis politiques albanais, M. Rugova (LDK) comme M. Hyseni (vice-président du mouvement démocratique unifié) sont conscients de ce problème. MM. Shala et Suroi, respectivement éditeurs de "Zeri et "Koha Dittore" considèrent que l'avenir d'un Kosovo démocratique dépend de la manière dont les minorités seront traitées. Mais chacun convient qu'il faudra du temps pour apaiser les tensions entre communautés et que la justice passe.

D'après M. Le Roy, administrateur régional de Pec, sur 32 000 Serbes avant la guerre, il en reste 1 300 dans la région. Ils vivent dans des villages protégés par l'armée et les populations albanophones s'opposent à leur retour car elles ont presque toutes été touchées, Pec ayant été une zone de combat.

Les responsables religieux, notamment Mgr Artemije, évêque orthodoxe de Prizren, son homologue catholique Mgr Sopi ou l'imam Bouya qui se rencontrent hors du Kosovo, pourraient par des actions symboliques communes contribuer à apaiser les tensions. Mais, selon Mgr Sopi, il faudrait que la confusion des rôles entre chefs religieux et dirigeants politiques cesse au sein de l'église orthodoxe et que les Serbes prennent conscience et acceptent que le retour à la situation d'avant-guerre est impossible.

Mgr Sopi, comme la plupart des interlocuteurs rencontrés, se sont inscrits en faux contre l'idée d'une montée de l'intégrisme musulman au Kosovo. La pratique religieuse y est peu développée et l'Islam Kosovar a une tradition de tolérance. Les autorités religieuses orthodoxes, musulmanes et catholiques pourraient donc jouer un rôle positif.

3) Les prisonniers et les disparus, un problème grave

L'ouverture prochaine de nouvelles fosses communes, comme la question des disparus et des prisonniers en Serbie risquent d'aggraver les tensions.

La campagne d'ouverture des fosses a commencé, sous l'égide du TPY qui a identifié 529 fosses et en a examiné 195. A Pec et à Prizren, cette campagne risque de raviver les tensions. A Pec, les ONG albanaises auditionnées par la délégation ont insisté sur cette question et ont édité un ouvrage sur "le génocide". Elles estiment que nombre de massacres sont le fait de Serbes du Kosovo. Le nombre de disparus varie selon les estimations entre 3000 et 7000 personnes.

La question des prisonniers kosovars albanophones en Serbie hante la population. Il seraient plus de 4000, dont 1400 répertoriés par le CICR. A Pristina, et dans d'autres villes des manifestations avaient lieu pendant le séjour de la délégation pour exiger leur libération. La solution de ce problème est essentiel pour assurer la coexistence des deux communautés au Kosovo. La nomination envisagée d'un envoyé spécial pour les personnes disparues serait utile.

B - L'absence de réglementation, facteur de criminalité et frein au développement économique

L'absence de réglementation fiscale, douanière, de droit de propriété, la disparition de l'état-civil et des pièces d'identité, comme de plaques d'immatriculation de véhicules ont fait du Kosovo un lieu propice aux activités criminelles et au développement de réseaux mafieux.25 % environ des véhicules ont une plaque d'immatriculation actuellement au Kosovo.

L'absence de perspectives économiques et sociales profite à la criminalité organisée qui a contribué au financement de l'UCK. Or,une partie des cadres de cette organisation sont devenus les interlocuteurs obligés des autorités en place. Cette criminalité, si elle est bien réelle, est difficilement quantifiable. Il a été impossible de vérifier si véritablement elle avait l'ampleur que lui prêtait la presse. Sur l'existence de trafic de drogue ou de trafic d'êtres humains, les responsables rencontrés comme les ONG ne détiennent pas de données précises. La perméabilité des frontières en particulier avec l'Albanie facilite la contrebande, criminalités mafieuses et inter-ethniques se superposent. Selon la MINUK, de nombreuses actions de prévention contre la traite des femmes et des jeunes filles seraient en cours. Un avant-projet de loi concernant les "mesures pour combattre la traite des personnes au Kosovo" criminalise la traite des personnes et offre des protections essentielles aux victimes tels qu'un hébergement provisoire, une assistance dans les domaines de la santé et de la sécurité sociale, le rapatriement dans le pays d'origine et la présence d'un avocat. Dans tout le Kosovo, la police mène actuellement des enquêtes sur la traite ainsi que sur les établissements suspectés d'héberger des femmes destinées à la prostitution.

Selon M. Suroi, éditeur de Koha Dittore, il convient de réorganiser une société demeurée neuf mois sans loi, sans règlement ni définition de l'économie, ce qui a généré le développement d'une criminalité inconnue auparavant. Pour M. Shala, éditeur de Zeri, l'absence de cadre juridique est grave et pèse lourdement sur l'économie. Une loi de privatisation est nécessaire. Dans un tel contexte, il est difficile d'espérer des investissements étrangers de grande ampleur. Or, le développement économique de la province est un élément capital pour rétablir la sécurité.

C -Statut de la province et mission des organisations internationales

1) La question du statut du Kosovo

S'il est un point d'accord entre la société civile et les dirigeants politiques kosovars albanophones, c'est bien l'indépendance du Kosovo. Le statut d'autonomie substantielle accordé à la province par la résolution 1244 leur paraît dépassé ; les massacres et les déportations qui ont précédé la guerre et celle-ci ont, selon eux, changé la donne. MM. Thaci et Rugova comme MM. Shala et Suroi ou Demaci sont tous d'accord sur ce point. M. Rugova l'a solennellement affirmé le 24 mai dernier lors de son audition devant la Commission des Affaires étrangères (annexe 3).

Force est de reconnaître quand on est sur place que faire vivre les Kosovars albanophones au sein d'une République fédérale de Yougoslavie dirigée par M. Milosevic peut paraître pour le moment relever de l'utopie. La séparation entre les populations a eu lieu dans les faits et avant même l'installation de la MINUK. La monnaie locale est le Deutsche Mark ; quant aux emblèmes utilisés par les Kosovars, c'est l'aigle albanais quand ce n'est pas la statue de Skanderberg, le symbole du nationalisme albanais qui trône dans le bureau de M. Thaci.

Selon ce dernier, l'autonomie substantielle du Kosovo est une notion d'avant-guerre, si on force les Kosovars à faire partie de la Serbie, ils descendront dans la rue car ils ne veulent pas du retour de policiers serbes au Kosovo. Une nouvelle constitution ou une nouvelle résolution des Nations Unies est nécessaire. Pour M. Thaci, l'indépendance est inévitable même si on est conscient qu'elle ne sera pas immédiate. Il est possible de créer au Kosovo une société tolérante mais le principe d'une société multi-ethnique ne le convainc pas.

La réunification avec l'Albanie pour constituer une "Grande Albanie" n'est pas, à leurs dires, l'objectif poursuivi par les dirigeants politiques albanais. M. Rugova a pris clairement position sur ce point ; M. Thaci est plus nuancé. Tous deux considèrent que l'indépendance est un moyen d'intégrer l'Union européenne, ce qui leur conférerait protection et assurance de développement. Pour M. Rugova, l'indépendance du Kosovo serait un facteur de stabilité du Kosovo de nature à apaiser les Albanais de la région et notamment les kosovars albanophones et à favoriser la réintégration des minorités.

Les raisons qui s'opposent à l'indépendance du Kosovo sont connues : la crainte de participer à une purification ethnique en donnant une prime à des forces nationalistes dans la région, et de provoquer des réactions en chaîne : éclatement de la Macédoine, dont le tiers de la population est d'origine albanaise, fragilisation de l'édifice de Dayton en Bosnie, voire répercussion dans le reste des Balkans. Cependant le statu quo pourrait susciter la manipulation par M. Milosevic des points de tension (Presevo, Mitrovica).

Comme le montre M. Jacques Rupnik dans Libération du 21 mars 2000 : "Entre une Yougoslavie à jamais impossible et une indépendance à court terme improbable, une troisième option transitoire pourrait se dessiner : un protectorat évolutif réduit au minimum et un "autogouvernement" maximum (le temps de mettre en place une justice, une police, une administration). Après la séparation de fait avec Belgrade, ce serait l'indépendance de fait à trois conditions : garanties internationales des frontières de tous les voisins du Kosovo ; veto sur tout projet de Grande Albanie ; respect du droit des minorités. Ne pas respecter ces conditions serait s'exposer au retrait de l'OTAN, laissant les Kosovars seuls face à l'armée serbe, c'est-à-dire la reprise de la guerre. Les respecter, c'est s'ouvrir à l'intégration régionale et européenne. L'intégration par le conflit, c'est aussi la perspective de ceux qui, comme Veton Suroi, le directeur du quotidien Koha Dittore, font avec humour de nécessité vertu : "Depuis un an le Kosovo est entré dans l'OTAN, avant la Suède. Avec le deutsche mark il a rejoint la zone "euro" avant la Grèce".... Sur ce point la délégation a constaté que MM. Thaci et Shala rejoignent M. Suroi.

Dans un tel contexte l'action de la communauté internationale au Kosovo s'efforce de répondre aux ambiguïtés de sa mission et de créer des institutions appropriées de co-administration.

2) Un cadre complexe d'intervention ouvrant la voie à la co-administration du Kosovo

La résolution 1244 du Conseil de sécurité des Nations Unies décide du déploiement au Kosovo "sous l'égide des Nations Unies et de présences internationales civiles et de sécurité dotées du matériel et du personnel appropriés". Cette présence internationale intérimaire est assurée sur le plan de la sécurité par la force internationale au Kosovo (KFOR) et sur le plan civil par la mission intérimaire des Nations Unies au Kosovo (MINUK).

a) Les attributions de la KFOR et de la MINUK

Aux termes de la résolution 1244, il appartient à la KFOR d'apporter un soutien à la MINUK de démilitariser les groupes armés, d'établir un environnement sûr pour que les réfugiés puissent rentrer chez eux et que les organisations internationales puissent opérer, et d'assurer le maintien de l'ordre et la sécurité publics jusqu'à ce que la MINUK puisse s'en charger.

Actuellement, la KFOR est à effectifs pleins avec 45.000 hommes. Près de 39.000 hommes venant de 35 pays sont déployés au Kosovo ; 6000 autres les soutiennent grâce aux contingents basés dans l'ex-République yougoslave de Macédoine, en Albanie et en Grèce. Jusqu'au 8 octobre 1999, le Corps de réaction rapide de l'OTAN (ARRC - Allied Rapid Reaction Corps) a assuré la direction de la KFOR sous le commandement du Général de corps d'armée Sir Jackson. A cette date, le quartier général des forces terrestres alliées au Centre Europe (LANDCENT) a repris le commandement de la KFOR avec le Général allemand Reinhardt. L'Eurocorps a pris le commandement de la KFOR le 17 avril dernier. Au total, 350 officiers de l'Eurocorps, soit le tiers des effectifs du quartier général de la KFOR sont à Pristina. Le général Ortuño a remplacé le général Reinhardt.

Au niveau interne, le Kosovo a été divisé en cinq zones de responsabilités par la KFOR : une zone nord, autour de Mitrovica, occupée par la brigade multinationale nord sous commandement français (8500 hommes) ; une zone sud, autour de Prizren, occupée par la Brigade multinationale sud sous commandement allemand (8932 hommes) ; une zone ouest, autour de Pec, occupée par la Brigade multinationale ouest sous commandement italien (8227 hommes) ; une zone est, autour de Gnjilane, occupée par la Brigade multinationale est, sous commandement américain (7703 hommes) ; une zone centre, autour de Pristina, occupée par la Brigade multinationale centre sous commandement britannique (8681 hommes).

La KFOR assure de façon transitoire certaines des tâches confiées à la MINUK. Il s'agit, en particulier, de celles touchant à la sécurité publique et au déminage. Sur un plan plus général, la KFOR doit fournir un soutien à la MINUK dans l'exercice de ses responsabilités.

La MINUK doit faciliter l'instauration d'une autonomie et d'une auto-administration substantielle au Kosovo, en attendant un règlement définitif, exercer les fonctions administratives civiles de base en tant que de besoin, organiser et superviser la mise en place d'institutions provisoires pour une auto-administration autonome et démocratique, transférer les responsabilités administratives à ces institutions, à mesure qu'elles auront été mises en place, faciliter un processus politique visant à déterminer le statut futur du Kosovo, maintenir l'ordre public, notamment en mettant en place des forces de police locales et, dans cette attente, en déployant des policiers internationaux.

La MINUK a calqué son implantation géographique sur le découpage territorial de la KFOR en cinq zones. Sur le plan fonctionnel, elle est composée de quatre piliers, respectivement confiés à l'ONU pour l'administration civile intérimaire, au HCR pour les affaires humanitaires, à l'OSCE pour la création des institutions et à l'Union européenne pour la reconstruction.

Le pilier ONU a développé une importante activité normative dans tous les secteurs de la vie publique (administration, santé, justice). Cependant, la mise en place du système judiciaire est lente et les effectifs de la police insuffisants. Confié au HCR, le pilier humanitaire a bien fonctionné. Il a permis aux plus démunis de passer un hiver dans des conditions décentes. Il lui appartient aussi de créer les conditions d'un retour d'environ 235.000 réfugiés Kosovars encore à l'étranger. Les retours devraient s'accentuer pendant la période estivale. Le pilier OSCE se consacre principalement à la formation des fonctionnaires, notamment des policiers et à la préparation des élections municipales prévues pour octobre prochain. Chargé de la reconstruction, le pilier Union européenne s'investit dans la remise en état des infrastructures, des moyens de transport et des réseaux de distribution de l'énergie, car les installations sont vétustes.

Les délais de versement des aides et d'envoi de personnels compétents, notamment de policiers, n'ont pas facilité le fonctionnement de ces instances.

b) La mise en place de la co-administration

La mise en _uvre du pilier ONU chargé de l'administration au Kosovo s'est heurtée à des difficultés en matière de constitutions des effectifs, notamment de police et de justice et sur le plan financier, car il lui faut assumer la rémunération de 55.000 fonctionnaires recrutés localement. Ce manque de moyens structurels complique le processus d'implantation de la MINUK qui s'est heurté aux structures parallèles mises en place par les mouvements politiques kosovars. Ces structures sont dissoutes depuis le 31 janvier.

Face à cette situation, et de façon à impliquer davantage les Kosovars dans la gestion des affaires, un accord a été signé, le 15 décembre 1999, entre M. Kouchner et MM. Thaci, Rugova et Qosja, pour mettre en place une administration intérimaire conjointe. Ce système de co-administration comporte vingt départements et associe fonctionnaires internationaux et Kosovars. Il préserve la prééminence de la MINUK ; M. Kouchner reste le décideur en dernier ressort. Il prévoit la représentation des minorités (notamment de la minorité serbe). Il repose sur différentes institutions.

Un conseil administratif intérimaire (IAC) est créé au niveau central rassemblant, sous l'autorité de M. Kouchner, quatre responsables de la MINUK et quatre représentants kosovars (MM. Thaci, Rugova, Qosja) ; un siège est également prévu pour un Serbe, mais ces derniers, à ce stade, n'ont pas accepté de participer. Le conseil transitoire consultatif, établi au cours de l'été 1999 avec les principaux responsables kosovars (albanais, serbes, bosniaques) a été élargi à des représentants de l'ensemble de la société kosovare et comporte 35 membres. L'échelon local, des conseils d'administration conjoints ont été mis en place dans chacune des 29 municipalités (voir organigramme en annexe 4). La mise en place de l'administration conjointe est un succès pour M.  Kouchner.

Les Serbes ont boycotté les institutions conjointes pendant plusieurs mois. Mgr. Artemije et M. Trajkovic ont quitté le Conseil consultatif transitoire en septembre 1999 pour protester contre la création du Kosovo Protection Corps (KPC), corps de sécurité civile constitué à partir de l'UCK. Puis, le Conseil national serbe de Gracanica a décidé le 2 avril de désigner des représentants ayant le statut d' "observateurs" dans les structures de la co-administration. Mme Trajkovic a participé pour la première fois à une réunion du conseil administratif transitoire le 11 avril et a siégé aux côtés de MM. Thaci, Rugova et Qosja et le père Sava, MM. Nojkic et Velic au conseil consultatif transitoire ; M. Nikolic est proposé comme co-président du département de l'agriculture, qui est l'un des deux départements administratifs réservés aux Serbes du Kosovo. Mais les Serbes viennent de se retirer de ces instances, début juin, pour protester contre la violence dont est victime leur communauté.

Les Serbes de Mitrovica, notamment M. Ivanovic, numéro deux du Conseil national serbe de Mitrovica, avaient d'ailleurs rejeté la décision du Conseil national serbe de Gracanica et condamné la participation de Mme Trajkovic au Conseil administratif transitoire.

Selon Mme Trajkovic et le père Sava, la décision de participer comme observateur n'avait pas été facile à prendre, car les Serbes modérés étaient isolés et considérés comme des traîtres par le régime de Belgrade. Dépourvus d'accès aux médias, ils n'ont pu justifier leur décision auprès des Kosovars d'origine serbe, d'autant plus soumis à la propagande du Président Milosevic qu'ils en dépendent financièrement. Le Conseil national serbe de Gracanica avait fixé un certain nombre de conditions à la décision de maintenir les observateurs avec un statut de plein droit, ou de les retirer définitivement, l'arrêt de la violence contre les Serbes, l'évaluation de la conformité des actes de la MINUK avec la résolution 1244, mesures pour la protection des Serbes qui sont menacés ...

3) La préparation des élections municipales, un enjeu

Les opérations d'enregistrement de la population ont commencé sous l'égide de l'OSCE mais sont compliquées par l'absence de coopération de Belgrade. Le scrutin devrait se tenir le 8 octobre, date qui a paru réaliste aux responsables de la MINUK et de la KFOR. M. Kouchner a signé le règlement créant la Commission centrale électorale chargée notamment de l'enregistrement des électeurs qui a déjà commencé.

Les trois principaux partis politiques rivaux des Albanais du Kosovo, la Ligue démocratique du Kosovo, dirigée par M. Rugova, la coalition du mouvement démocratique unie, présidée par M. Qosja et le parti du progrès démocratique du Kosovo, de M. Thaci, c'est-à-dire les signataires des accords de Rambouillet, se préparent aux élections municipales. D'autres formations, issues de scissions de l'UCK, se créent. On en compte plus de vingt.

D'après M. Fischer, chef de la mission conjointe ONU/OSCE, les opérations d'enregistrement on un double but : reconstituer l'état civil et confectionner des listes électorales. L'enregistrement s'effectue à partir de 16 ans et l'âge pour voter est fixé à 18 ans, un système informatisé d'empreintes digitales doit éviter les doubles votes. Pour permettre l'enregistrement des réfugiés, des bureaux seront ouverts à cet effet en Albanie, Macédoine, Hongrie, etc. mais pas en République fédérale de Yougoslavie, les autorités de Belgrade refusant pour l'instant de coopérer. Les opérations ont commencé et fonctionnent sur 200 sites. Elles devraient être terminées le 15 juillet, la date des élections étant fixée au 8 octobre 2000.

Pour l'instant, le Conseil national Serbe de Gracanica est dans une position d'attente. Il considère à juste titre que les conditions de sécurité et de liberté de déplacement ne sont pas réunies pour participer au scrutin et posent des conditions quant au retour des Serbes. Cependant les Serbes peuvent refuser de participer à un enregistrement qui démontrerait que même dans des conditions optimales ils sont très minoritaires. Ils se plaisent à expliquer sans la moindre preuve que 200 000 Albanais d'Albanie seraient rentrés au Kosovo depuis l'arrivée des troupes de l'OTAN. Or la réalité est autre. Le statut de minorité leur paraît très défavorable.

Selon M. Suroi, les Serbes du Kosovo n'ont pas intérêt à se tourner vers Belgrade dont ils n'ont rien à attendre ; ils devraient tenter de communiquer avec la société civile, d'essayer d'organiser une ouverture culturelle et multi-concessionnelle, leur participation aux élections municipales serait un signe positif.

b) Le débat sur l'opportunité d'organiser les élections

Les responsables de la MINUK et de la KFOR estiment possible l'organisation des élections municipales en octobre 2000, la date du 8 octobre est avancée, pour conférer une légitimité démocratique aux maires et avoir une vision plus précise des personnalités politiques en présence.

Les principaux dirigeants politiques kosovars sont favorables à l'organisation rapide d'élections. Pour M. Thaci, elle constituent une avancée vers l'indépendance, pour M. Rugova, les Kosovars, qui sont habitués à voter, participeront massivement aux élections qui permettent indirectement d'évoquer la question du statut du Kosovo. Selon lui, les Serbes du Kosovo devraient participer aux élections, car, progressivement, leur situation s'améliorera. Pour les dirigeants politiques ce scrutin est une étape vers des élections nationales.

M. Suroi reconnaît, quant à lui, que toutes les conditions pour des élections démocratiques ne sont pas réunies ; l'insécurité, l'incertitude sur le mode de scrutin et les compétences et attributions des élus municipaux encore inconnus, sont autant de points négatifs pour une population qui a le sens de la normalité. Cependant, ce scrutin aura, selon lui, le mérite de légitimer les acteurs et les partis politiques en soulignant leurs différences. On constate d'ailleurs que les partis politiques se multiplient, il y en aurait près d'une trentaine, 4000 signatures doivent être réunies pour créer un parti politique. Toutefois, les sondages démontrent une forte mobilisation en faveur de la LDK de M. Rugova.

Pour M. Demaci, qui a passé vingt-huit ans dans les prisons yougoslaves, il est trop tôt pour organiser des élections qui devraient avoir lieu à la fin et non au début du processus de reconstruction du Kosovo. Le niveau politique du Kosovo est, selon lui, trop bas : mieux vaut attendre trois ou quatre ans et éviter d'élire des dirigeants incompétents ou malhonnêtes, de plus la criminalité qui règne au Kosovo lui fait craindre que des élections prématurées ne permettent à des candidats malhonnêtes d'accéder au pouvoir aux côtés de candidats honnêtes. Ces derniers hypothéqueraient gravement l'action de la MINUK. En outre, selon lui, c'est trop tôt pour l'oubli et les Serbes auront des difficultés à participer à ces élections.

c) Les efforts de la presse

Le statut futur du Kosovo comme la perspective des élections municipales ou le sort de la minorité Serbe font l'objet de débats dans la presse kosovare. Selon M. Shala, éditeur de Zeri, son journal a ouvert ses colonnes aux Serbes. Le Père Sava s'y est exprimé. Quand un bus serbe a été attaqué, Zeri a condamné l'attaque, la considérant comme de la terreur et n'a pas enregistré de protestation.

III - DE REMARQUABLES EFFORTS DE RECONSTRUCTION
À SOUTENIR

La reconstruction du Kosovo a commencé. Elle doit être soutenue par un système d'aides plus performant, rapide et ciblé.

A - Des efforts de reconstruction visibles

La délégation regrette de n'avoir pas rencontré M. Dixon, responsable au nom de l'Union européenne du pilier IV de la MINUK chargé de la reconstruction et développement économique qui n'a pas trouvé le temps de la recevoir.

Le dynamisme de la reconstruction a frappé la délégation mais l'absence de cadre légal aux activités aux activités économiques reste un frein.

1) Une réelle dynamique de reconstruction

La reconstruction des maisons détruites a largement commencé, les chantiers fleurissent partout. L'agriculture semble avoir repris, les champs sont cultivés. L'activité micro économique est dans une phase dynamique. Le rôle des ONG de développement à cet égard doit être souligné. On assiste à une reprise surprenante au regard des destructions passées alors que près de 70 % des entreprises auraient subi des dommages. Cependant le chômage persiste et frappe environ 50 % de la population active. L'économie kosovare est largement sous perfusion, dépendante de l'aide de la communauté internationale et des Kosovars travaillant à l'étranger.

Des efforts importants sont nécessaires dans certains secteurs. L'état des routes est déplorable et démontre l'absence d'investissement pendant plus de dix ans. Les passages frontières sont une épreuve. Il faut trois jours et plus d'attente aux postes frontières avec la Macédoine ; le trafic ferroviaire n'a pas repris. Le problème du ramassage et du traitement des déchets n'est pas encore résolu, les décharges et les carcasses de véhicules à l'abandon sont très nombreuses.

La relance des grands complexes industriels, notamment celui de Trepca qui est extrêmement vétuste et doit être rénové, est problématique faute de réglementation d'autant que la Serbie s'en estime propriétaire. Les Kosovars attendent sa réouverture avec impatience car ils considèrent que Trepca est un fleuron de leur économie.

2) La création d'un cadre légal

Des progrès ont été réalisés par la MINUK pour mettre en place le cadre macro économique nécessaire à une relance de l'activité : monnaie et budget sont en place, mais l'absence de système bancaire constitue un handicap à tout investissement. Toutes les transactions s'effectuant en Deutsche Mark liquide, ce qui peut favoriser bien des dérives. Un effort de réglementation est nécessaire car pour l'instant les bases du fonctionnement de certaines activités sont étranges. Il est urgent d'établir des procédures tranchant la question des droits de propriété, l'ancienne réglementation étant issue du système communiste de l'ex Yougoslavie, et de mettre en _uvre un plan de privatisation pour assainir l'économie.

La reprise des activités économiques au Kosovo doit être soutenue par un système cohérent d'aides ciblées et adaptées

B - Le soutien à la reconstruction à accroître

La communauté internationale risque de devoir rester de longues années au Kosovo. L'attitude des Etats-Unis est parfois ambiguë. L'Union européenne qui s'est engagée à tous les niveaux (politique, sécurité, économie) ne peut pas se permettre d'échouer, elle y perdrait en crédibilité.

1) L'attitude des Etats-Unis

Le récent débat au Congrès des Etats-Unis sur le "partage du fardeau" au Kosovo est éclairant. Certes l'amendement Byrd Warner soumettant le maintien de la présence et de l'aide américaine au Kosovo à des objectifs de déboursements de l'Union européenne n'a pas obtenu la majorité au Sénat mais il est révélateur. On peut s'interroger sur le sens à moyen terme de l'attitude américaine qui d'un côté paraît crédibiliser M. Thaci et de l'autre, encourage un retour rapide des Serbes

2) L'action de l'Union européenne

Le Conseil Européen de Lisbonne a critiqué le manque de visibilité de l'action dans l'Union européenne dans les Balkans. De fait, entre M. Petritsch, haut représentant en Bosnie, M. Hombach, coordinateur du pacte de stabilité dans les Balkans et le pilier IV de la MINUK au Kosovo, les initiatives de l'Union européenne dans les Balkans s'enchevêtrent, et ce jeu croisé pèse sur la procédure budgétaire déjà lourde, lente et complexe.

L'assistance promise par l'Union a été massive, mais la prolifération de cadres et d'instruments d'intervention qui ne sont pas bien coordonnés les uns avec les autres nuit à l'efficacité et à la rapidité de l'action. Ainsi la délégation a eu à connaître le cas de quatre locomotives diesel expédiées à grands frais au Kosovo par l'Union européenne qui soit ne fonctionnaient plus, soit étaient inadaptées. Or le Kosovo en a un besoin urgent et la venue de techniciens pour la faire fonctionner n'était pas prévue. La SNCF vient de réagir à ce problème en envoyant sur le terrain des spécialistes avec des pièces de rechange.

Depuis 1999, date de l'action de l'Union européenne dans les Balkans, si les 378 millions d'euros prévus pour l'aide humanitaire ont effectivement été payés -mais 101,7 millions seulement à destination du Kosovo, le reste étant réparti dans les autres pays de la zone-, les 127 millions inscrits pour la reconstruction demeurent pour l'essentiel en caisse. Seuls 65,7 millions ont fait l'objet d'un contrat, et 34,1 millions ont été dépensés. Pendant ce temps l'exercice 2000 a débuté, avec ses 360 millions d'euros prévus pour l'année et a permis de débloquer 30 millions pour la MINUK, dont les deux tiers pour l'achat d'électricité.

3) L'aide de la France

L'action de la France au Kosovo est importante. Elle détient des responsabilités très importantes tant au sein de la MINUK que de la KFOR. De plus avec le commandement de la brigade multinationale Nord de la KFOR qui compte 5 200 français sur 8 500 hommes, les Français opèrent non sans succès dans une des régions où la situation est la plus tendue.

Dès juin 1999 les ONG françaises étaient sur place. En outre, au sein des forces françaises, le système d'actions civilo militaires s'est révélé très performant pour une première remise en état des infrastructures, notamment les routes et les ponts. Ces actions ont contribué au bon déroulement de la rentrée scolaire et à la bonne coordination des aides d'urgence. Leur utilité est évidente. L'envoi d'experts dans le domaine de l'équipement et de l'environnement pour participer à ces actions serait utile, d'autant que le taux de retours en France des contrats de première urgence, environ 30 %, a été supérieur à celui de Bosnie.

Compte tenu des moyens mis en _uvre par la France au sein de la KFOR, on peut s'étonner de la faiblesse de ceux du Ministère des Affaires étrangères. Le Bureau de liaison France de Pristina ne compte que trois personnes et est à peu près dépourvu de logistique (véhicules, moyens de télécommunications adaptés, etc. ).

Le montant des aides françaises s'élevait en 1999 à 2 588 millions de francs dont 402 millions de francs en bilatérale. L'assistance bilatérale française au travers de l'Agence française de développement, s'est notamment portée sur la construction du pont de Mitrovica, l'entretien des routes, etc.

Mais la France manque de moyens financiers. Sur le terrain plusieurs projets ont été identifiés mais leur réalisation s'avère impossible. Le système de mise en _uvre de ces aides est trop complexe, il convient de procéder à des simplifications. M. Fauroux, président de la mission interministérielle pour l'Europe du sud-est, a d'ailleurs regretté, lors de son audition devant la Commission des Affaires étrangères le 7 juin dernier, le manque de visibilité et les pesanteurs administratives qui entravent l'action de la France au Kosovo (le compte rendu de son audition figure en annexe 5). Comme le suggérait M. Rugova et M. Le Roy des aides modestes mais bien ciblées à de petites unités de production sont très utiles pour la reconstitution du tissu économique. La coopération décentralisée paraît très adaptée, encore faut-il faire savoir aux maires quels sont les besoins et leur indiquer la marche à suivre de façon précise.

CONCLUSION

L'action internationale au Kosovo est entrée dans une nouvelle phase. Il a été pourvu à l'urgence humanitaire. La reconstruction se poursuit, la vie reprend. A cet égard, la délégation souhaite rendre un hommage appuyé à l'action menée par M. Kouchner, représentant spécial du Secrétaire général des Nations Unies et au travail remarquable accompli par la MINUK et la KFOR.

Avec l'été le retour des Kosovars réfugiés en Europe va se poursuivre, celui des Serbes reste problématique sauf à constituer des enclaves protégées. Aussi, un an après la guerre, des choix difficiles doivent-ils être faits par la communauté internationale. Il ressort des déclarations émanant de l'opposition serbe que même si celle-ci arrivait au pouvoir, il ne peut être question d'indépendance pour l'ensemble du Kosovo, quant à l'autonomie, même substantielle, elle est rejetée par l'ensemble des Kosovars modérés et extrémistes. Dans un tel contexte, il faudra des moyens financiers et des garanties de sécurité pour le Kosovo et les Etats voisins qui abritent des minorités albanaises avant de pouvoir trouver une solution durable.

Stabiliser la région, apaiser les peurs et les frustrations, limiter les réflexes nationalistes et ethniques exigera du temps même si l'exemple de la Bosnie-Herzégovine est encourageant. On ne peut pas trouver de solution pour le Kosovo sans tenir compte de l'environnement politique, économique, social, culturel et régional qui demeure instable et nécessite une importante présence internationale. L'Union européenne restera très longtemps impliquée dans cette région. La France, qui assurera la présidence de l'Union européenne, doit être consciente de l'importance de l'enjeu.

EXAMEN EN COMMISSION

La Commission a examiné le présent rapport d'information au cours de sa réunion du mercredi 31 mai 2000, sur le rapport de Mme Yvette Roudy.

Mme Yvette Roudy a rappelé que, comme en 1992 et 1998 la Commission des Affaires étrangères avait décidé d'envoyer une délégation au Kosovo, du 25 au 28 avril dernier, délégation composée de MM. René André, René Mangin et elle-même, pour informer sur l'évolution de la situation un an après les frappes de l'OTAN et le vote de la résolution 1244. La mission s'est rendue à Pristina, Mitrovica, Gracanica, Pec, Prizren et Skopje et a rencontré les dirigeants de la Mission intérimaire des Nations Unies au Kosovo (MINUK) et de la force militaire internationale (KFOR), des représentants de la communauté serbe, des forces politiques albanophones et de la société civile.

Mme Yvette Roudy a évoqué l'enchaînement de la violence qui conduisit à la suppression de l'autonomie du Kosovo en 1989 et les circonstances de l'échec de la négociation de Rambouillet en mars 1999, qui entraîna la guerre et les frappes de l'OTAN. Elle a décrit la situation après le retrait de l'armée yougoslave et des forces de sécurité serbes, en juin 1999 : sur une population estimée en 1998 à 1,7 million d'habitants, en 1999, 800 000 étaient réfugiés dans les Etats voisins. Le nombre de personnes déplacées avait atteint 500 000 à l'intérieur du Kosovo. Selon les statistiques en cours d'élaboration, en 1999 59 % de la population a bougé. Le taux de mortalité infantile est passé de 25 pour 1000 en 1998 à 35 pour 1000. La guerre serait responsable d'au moins 9000 décès. Nombre de viols de femmes, utilisés comme arme de guerre, ont été commis et les victimes se taisent de peur d'être rejetées par leur famille voire d'être victimes de représailles.

Quand la MINUK commence à opérer, en juillet 1999, elle constate que la plupart des services publics du Kosovo sont hors d'état de fonctionner. A la fin de la guerre le 9 juin 1999 le retrait rapide des forces militaires ou paramilitaires yougoslaves et serbes du Kosovo, à la demande de l'OTAN, a créé un vide en termes de maintien de l'ordre public qui a été exploité par des éléments de l'UCK pour asseoir leur pouvoir localement et par une partie considérable de la population albanophone pour se venger sur les Serbes restants et aussi sur d'autres minorités (Roms, Turcs, Bosniaques etc.).

Un an après l'opération "forces alliées", l'ambiguïté du rôle de la KFOR est perceptible notamment à Mitrovica où les missions de sécurité actuelles couvrent le maintien de l'ordre et de la sécurité publique, y compris le contrôle de manifestations de foules hostiles, fonction assez neuve pour des militaires. Faut-il confier aux militaires la responsabilité du maintien de l'ordre au cours d'opérations de maintien de la paix ? Au Kosovo le choix s'est opéré par défaut en l'absence de la moitié du nombre de policiers prévus. On ne peut que saluer la manière dont la KFOR pallie les carences en policiers et le rôle des contingents français en son sein est remarquable.

Cependant, les Serbes restés sur place ne peuvent se déplacer sans escorte hors des enclaves où ils résident et vivent dans une atmosphère de forteresse assiégée. L'ouverture prochaine des fosses communes, comme la question des disparus et des prisonniers en Serbie risquent d'aggraver les tensions. Les ONG albanaises estiment que nombre de massacres sont le fait de Serbes du Kosovo. Le nombre de disparus, difficile à évaluer, varie selon les estimations entre 3000 et 7000 personnes. La situation des prisonniers kosovars albanais en Serbie hante la population, qui manifeste régulièrement à ce sujet.

L'absence de réglementation fiscale, douanière, de droit de propriété, la disparition de l'état-civil et des pièces d'identité, comme de plaques d'immatriculation de véhicules ont fait du Kosovo un lieu propice aux activités criminelles et au développement de réseaux mafieux. 25 % seulement des véhicules ont une plaque d'immatriculation actuellement au Kosovo. Cette criminalité est difficilement quantifiable. Sur l'existence de trafic de drogue ou de trafic d'êtres humains, de filières de prostitution, les responsables rencontrés comme les ONG sont restés silencieux, mais ont reconnu que la perméabilité des frontières, en particulier avec l'Albanie facilitait la contrebande.

Sur le plan politique, la société civile et les dirigeants politiques kosovars albanais sont tous favorables à l'indépendance du Kosovo, comme l'a montré l'audition par la Commission de M. Rugova. Le statut d'autonomie substantielle accordé à la province par la résolution 1244 leur semble dépassé ; la guerre a, selon eux, changé la donne. Les raisons qui s'opposent à l'indépendance du Kosovo sont connues. Mais le statu quo pourrait conduire à la manipulation par M. Milosevic des points de tension. Force est de reconnaître quand on est sur place que faire vivre les Kosovars albanophones au sein d'une République fédérale de Yougoslavie dirigée par M. Milosevic semble relever de l'utopie. La séparation entre les populations a eu lieu dans les faits et avant même l'installation de la MINUK.

Un système de co-administration comportant vingt départements et associant à parité fonctionnaires internationaux et Kosovars - dont un Serbe - a été mis en place ; mais ces derniers, à ce stade, n'ont pas accepté de participer ce qui est un succès pour M. Kouchner car les Serbes, qui boycottaient les institutions conjointes depuis plusieurs mois, ont pour certains décidé le 2 avril dernier de désigner des représentants ayant le statut d' "observateurs" dans les structures de la co-administration.

En vue de préparer les élections municipales qui devraient avoir lieu le 8 octobre, les opérations d'enregistrement de la population ont commencé sous l'égide de l'OSCE. Pour permettre l'enregistrement des réfugiés, des bureaux seront ouverts à cet effet en Albanie, Macédoine, Hongrie, etc. mais pas en Serbie, les autorités de Belgrade refusant pour l'instant de coopérer. Mais les Serbes refusent de s'enregistrer.

Sur le plan économique, les efforts de reconstruction sont très visibles, ce qui est surprenant au regard de l'ampleur des destructions (70 % des entreprises auraient subi des dommages). Cependant le chômage frappe environ 50 % de la population active et l'économie kosovare est largement sous perfusion, dépendante de l'aide de la communauté internationale et des Kosovars travaillant à l'étranger. L'état des routes est déplorable, le trafic ferroviaire n'a pas repris. Le problème du ramassage et du traitement des déchets n'est pas encore résolu. La relance des grands complexes industriels, notamment celui de Trepca est problématique faute de réglementation.

Des progrès ont été réalisés par la MINUK : monnaie et budget sont en place, mais l'absence de système bancaire constitue un réel handicap à tout investissement. Un effort de réglementation, notamment en matière de droits de propriété, est nécessaire car pour l'instant les bases du fonctionnement de certaines activités sont pour le moins étranges.

L'action de la France au Kosovo est très visible. Elle détient des responsabilités très importantes tant au sein de la MINUK que de la KFOR. De plus avec le commandement de la brigade multinationale Nord de la KFOR, les Français opèrent non sans succès dans une des régions où la situation est la plus tendue et le système d'actions civilo-militaires qu'ils ont mis en _uvre s'est révélé très performant pour la remise en état des infrastructures, notamment les routes et les ponts.

L'action internationale au Kosovo est donc entrée dans une nouvelle phase. Il a été pourvu à l'urgence humanitaire. La vie a repris. Les magasins semblent approvisionnés ; les Albanophones circulent (il n'y a plus de couvre-feu). La dynamique de reconstruction est partout visible ; on ne peut que s'en féliciter, mais pour résoudre les tensions entre Kosovars, la communauté internationale devra sans doute rester longtemps au Kosovo.

Le Président François Loncle a remercié Mme Yvette Roudy pour la clarté de ses explications.

Approuvant la teneur de l'exposé, M. René André a déploré que les dossiers fournis aux députés par le ministère des Affaires étrangères ne soient pas à la hauteur de ceux transmis par le ministère de la Défense. Il a tenu à souligner que la Délégation avait pu rencontrer tous les responsables des grandes organisations opérant sur place, à l'exception des représentants de l'Union européenne.

M. Pierre Brana a souhaité connaître le nombre de Kosovars emprisonnés en Serbie. Il a demandé des précisions sur la nature et l'origine des destructions.

Mme Bernadette Isaac-Sibille s'est enquise de l'ampleur des destructions commises par l'OTAN.

Mme Yvette Roudy a précisé qu'il y avait des incertitudes sur le nombre de prisonniers en Serbie, qui s'élèverait à 4000 personnes, dont 1400 répertoriées par le CICR.

S'agissant des destructions, des villages entiers ont été incendiés et détruits, provoquant l'exode des populations vers les villes, et une surpopulation urbaine. Les destructions provoquées par les bombardements sont plus réduites et touchent des infrastructures routières ou des équipements militaires. La reconstruction a partout largement commencé. D'après M. Le Roy, administrateur régional de la MINUK à Pec, cette ville offrait un spectacle de désolation à son arrivée en juillet 1999. Actuellement, les destructions y sont moins visibles.

M. René André a expliqué que Serbes et Albanais s'étaient tour à tour livrés à des destructions dont l'ampleur, notamment à Pristina, a été exagérée par la presse, les régions de Pec et Prizren ayant davantage souffert.

Le Président François Loncle, évoquant la remarque de M. René André sur les dossiers fournis aux députés, a indiqué qu'il en sera fait état au ministère des Affaires étrangères.

En application de l'article 145 du Règlement, la Commission a décidé la publication du présent rapport d'information.

ANNEXE 1

Résolution 1244 (1999)

Adoptée par le Conseil de sécurité à sa 4011ème séance,

le 10 juin 1999

Le Conseil de sécurité,

Ayant à l'esprit les buts et les principes consacrés par la Charte des Nations Unies, ainsi que la responsabilité principale du Conseil de sécurité pour le maintien de la paix et de la sécurité internationales,

Rappelant ses résolutions 1160 (1998) du 31 mars 1998, 1199 (1998) du 23 septembre 1998, 1203 (1998) du 24 octobre 1998 et 1239 (1999) du 14 mai 1999,

Déplorant que les exigences prévues dans ces résolutions n'aient pas été pleinement satisfaites,

Résolu à remédier à la situation humanitaire grave qui existe au Kosovo (République fédérale de Yougoslavie) et à faire en sorte que tous les réfugiés et personnes déplacées puissent rentrer chez eux en toute sécurité et liberté,

Condamnant tous les actes de violence à l'encontre de la population du Kosovo ainsi que tous les actes de terrorisme, quels qu'en soient les auteurs,

Rappelant la déclaration du 9 avril 1999 dans laquelle le Secrétaire général a exprimé sa préoccupation devant la catastrophe humanitaire qui sévit au Kosovo,

Réaffirmant le droit qu'ont tous les réfugiés et personnes déplacées de rentrer chez eux en toute sécurité,

Rappelant la compétence et le mandat du Tribunal international pour l'ex-Yougoslavie,

Accueillant avec satisfaction les principes généraux concernant la solution politique de la crise du Kosovo adoptés le 6 mai 1999 (S/1999/516; annexe 1 à la présente résolution) et se félicitant de l'adhésion de la République fédérale de Yougoslavie aux principes énoncés aux points 1 à 9 du document présenté à Belgrade le 2 juin 1999 (S/1999/649; annexe 2 à la présente résolution), ainsi que de son accord quant à ce document,

Réaffirmant l'attachement de tous les États Membres à la souveraineté et à l'intégrité territoriale de la République fédérale de Yougoslavie et de tous les autres États de la région, au sens de l'Acte final d'Helsinki et de l'annexe 2 à la présente résolution,

Réaffirmant l'appel qu'il a lancé dans des résolutions antérieures en vue d'une autonomie substantielle et d'une véritable auto-administration au Kosovo,

Considérant que la situation dans la région continue de constituer une menace pour la paix et la sécurité internationales,

Résolu à assurer que la sécurité du personnel international soit garantie et que tous les intéressés s'acquittent des responsabilités qui leur incombent en vertu de la présente résolution, et agissant à ces fins en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies,

1. Décide que la solution politique de la crise au Kosovo reposera sur les principes généraux énoncés à l'annexe 1 et les principes et conditions plus détaillés figurant à l'annexe 2 ;

2. Se félicite de l'adhésion de la République fédérale de Yougoslavie aux principes et conditions visés au paragraphe 1 et exige de la République fédérale de Yougoslavie qu'elle coopère sans réserve à leur prompte application ;

3. Exige en particulier que la République fédérale de Yougoslavie mette immédiatement et de manière vérifiable un terme à la violence et la répression au Kosovo, entreprenne et achève le retrait vérifiable et échelonné du Kosovo de toutes les forces militaires, paramilitaires et de police suivant un calendrier serré, sur la base duquel il sera procédé au déploiement synchronisé de la présence internationale de sécurité au Kosovo ;

4. Confirme qu'une fois ce retrait achevé, un nombre convenu de militaires et de fonctionnaires de police yougoslaves et serbes seront autorisés à retourner au Kosovo pour s'acquitter des fonctions prévues à l'annexe 2 ;

5. Décide du déploiement au Kosovo, sous l'égide de l'Organisation des Nations Unies, de présences internationales civile et de sécurité dotées du matériel et du personnel appropriés, en tant que de besoin, et accueille avec satisfaction l'accord de la République fédérale de Yougoslavie relatif à ces présences ;

6. Prie le Secrétaire général de nommer, en consultation avec le Conseil de sécurité, un représentant spécial chargé de diriger la mise en place de la présence internationale civile et le prie en outre de donner pour instructions à son représentant spécial d'agir en étroite coordination avec la présence internationale de sécurité pour assurer que les deux présences poursuivent les mêmes buts et s'apportent un soutien mutuel ;

7. Autorise les États Membres et les organisations internationales compétentes à établir la présence internationale de sécurité au Kosovo conformément au point 4 de l'annexe 2, en la dotant de tous les moyens nécessaires pour s'acquitter des responsabilités que lui confère le paragraphe 9 ;

8. Affirme la nécessité de procéder sans tarder au déploiement rapide de présences internationales civile et de sécurité efficaces au Kosovo et exige des parties qu'elles coopèrent sans réserve à ce déploiement ;

9. Décide que les responsabilités de la présence internationale de sécurité qui sera déployée et agira au Kosovo incluront les suivantes :

a) Prévenir la reprise des hostilités, maintenir le cessez-le-feu et l'imposer s'il y a lieu, et assurer le retrait des forces militaires, policières et paramilitaires fédérales et de la République se trouvant au Kosovo et les empêcher d'y revenir, si ce n'est en conformité avec le point 6 de l'annexe 2;

b) Démilitariser l'Armée de libération du Kosovo (ALK) et les autres groupes armés d'Albanais du Kosovo, comme le prévoit le paragraphe 15;

c) Établir un environnement sûr pour que les réfugiés et les personnes déplacées puissent rentrer chez eux, que la présence internationale civile puisse opérer, qu'une administration intérimaire puisse être établie, et que l'aide humanitaire puisse être acheminée;

d) Assurer le maintien de l'ordre et la sécurité publics jusqu'à ce que la présence internationale civile puisse s'en charger;

e) Superviser le déminage jusqu'à ce que la présence internationale civile puisse, le cas échéant, s'en charger;

f) Appuyer le travail de la présence internationale civile selon qu'il conviendra et assurer une coordination étroite avec ce travail;

g) Exercer les fonctions requises en matière de surveillance des frontières;

h) Assurer la protection et la liberté de circulation pour elle-même, pour la présence internationale civile et pour les autres organisations internationales ;

10. Autorise le Secrétaire général, agissant avec le concours des organisations internationales compétentes, à établir une présence internationale civile au Kosovo afin d'y assurer une administration intérimaire dans le cadre de laquelle la population du Kosovo pourra jouir d'une autonomie substantielle au sein de la République fédérale de Yougoslavie, et qui assurera une administration transitoire de même que la mise en place et la supervision des institutions d'auto-administration démocratiques provisoires nécessaires pour que tous les habitants du Kosovo puissent vivre en paix et dans des conditions normales;

11. Décide que les principales responsabilités de la présence internationale civile seront les suivantes :

a) Faciliter, en attendant un règlement définitif, l'instauration au Kosovo d'une autonomie et d'une auto-administration substantielles, compte pleinement tenu de l'annexe 2 et des Accords de Rambouillet (S/1999/648);

b) Exercer les fonctions d'administration civile de base là où cela sera nécessaire et tant qu'il y aura lieu de le faire;

c) Organiser et superviser la mise en place d'institutions provisoires pour une auto-administration autonome et démocratique en attendant un règlement politique, notamment la tenue d'élections;

d) Transférer ses responsabilités administratives aux institutions susvisées, à mesure qu'elles auront été mises en place, tout en supervisant et en facilitant le renforcement des institutions locales provisoires du Kosovo, de même que les autres activités de consolidation de la paix;

e) Faciliter un processus politique visant à déterminer le statut futur du Kosovo, en tenant compte des Accords de Rambouillet;

f) À un stade final, superviser le transfert des pouvoirs des institutions provisoires du Kosovo aux institutions qui auront été établies dans le cadre d'un règlement politique;

g) Faciliter la reconstruction des infrastructures essentielles et le relèvement de l'économie;

h) En coordination avec les organisations internationales à vocation humanitaire, faciliter l'acheminement de l'aide humanitaire et des secours aux sinistrés;

i) Maintenir l'ordre public, notamment en mettant en place des forces de police locales et, entre-temps, en déployant du personnel international de police servant au Kosovo;

j) Défendre et promouvoir les droits de l'homme;

k) Veiller à ce que tous les réfugiés et personnes déplacées puissent rentrer chez eux en toute sécurité et sans entrave au Kosovo ;

12. Souligne qu'il importe que des opérations de secours humanitaires coordonnées soient entreprises et que la République fédérale de Yougoslavie permette aux organisations à vocation humanitaire d'accéder librement au Kosovo et coopère avec elles de façon à assurer l'acheminement rapide et efficace de l'aide internationale ;

13. Encourage tous les États Membres et les organisations internationales à contribuer à la reconstruction économique et sociale ainsi qu'au retour en toute sécurité des réfugiés et personnes déplacées, et souligne, dans ce contexte, qu'il importe de convoquer, aux fins énoncées au paragraphe 11 g), notamment, une conférence internationale de donateurs qui se tiendra à une date aussi rapprochée que possible;

14. Exige que tous les intéressés, y compris la présence internationale de sécurité, apportent leur entière coopération au Tribunal international pour l'ex-Yougoslavie ;

15. Exige que l'ALK et les autres groupes armés d'Albanais du Kosovo mettent immédiatement fin à toutes opérations offensives et satisfassent aux exigences en matière de démilitarisation que le responsable de la présence internationale de sécurité aura définies en consultation avec le Représentant spécial du Secrétaire général ;

16. Décide que les interdictions énoncées au paragraphe 8 de la résolution 1160 (1998) ne s'appliqueront ni aux armements ni au matériel connexe à l'usage de la présence internationale civile et de la présence internationale de sécurité ;

17. Se félicite du travail que l'Union européenne et les autres organisations internationales accomplissent en vue de mettre au point une approche globale du développement économique et de la stabilisation de la région touchée par la crise du Kosovo, y compris la mise en oeuvre d'un pacte de stabilité pour l'Europe du Sud-Est avec une large participation internationale en vue de favoriser la démocratie, la prospérité économique, la stabilité et la coopération régionale ;

18. Exige que tous les États de la région coopèrent pleinement à l'application de la présente résolution sous tous ses aspects ;

19. Décide que la présence internationale civile et la présence internationale de sécurité sont établies pour une période initiale de 12 mois, et se poursuivront ensuite tant que le Conseil n'en aura pas décidé autrement ;

20. Prie le Secrétaire général de lui rendre compte à intervalles réguliers de l'application de la présente résolution, y compris en lui faisant tenir les rapports des responsables de la présence internationale civile et de la présence internationale de sécurité, dont les premiers devront lui être soumis dans les 30 jours qui suivront l'adoption de la présente résolution ;

21. Décide de rester activement saisi de la question.

 

Annexe 1

Déclaration publiée par le Président de la réunion des ministres

des affaires étrangères du G-8 tenue au Centre de Petersberg

le 6 mai 1999

Les ministres des affaires étrangères du G-8 ont adopté les principes généraux suivants pour un règlement politique de la crise du Kosovo :

__Cessation immédiate et vérifiable de la violence et de la répression au Kosovo;

__Retrait du Kosovo des forces militaires, de police et paramilitaires;

__Déploiement au Kosovo de présences internationales civile et de sécurité effectives, endossées et adoptées par l'Organisation des Nations Unies, capables de garantir la réalisation des objectifs communs;

__Mise en place d'une administration intérimaire pour le Kosovo, sur décision du Conseil de sécurité de l'Organisation des Nations Unies, pour garantir les conditions permettant à tous les habitants du Kosovo de vivre en paix une existence normale;

___Retour en toute sécurité et liberté de tous les réfugiés et personnes déplacées et accès sans entrave au Kosovo des organisations d'aide humanitaire;

__Processus politique menant à la mise en place d'un accord-cadre politique intérimaire prévoyant pour le Kosovo une autonomie substantielle, qui tienne pleinement compte des Accords de Rambouillet et des principes de souveraineté et d'intégrité territoriale de la République fédérale de Yougoslavie et des autres pays de la région, et la démilitarisation de l'ALK;

__Approche globale du développement économique et de la stabilisation de la région en crise.

Annexe 2

Il convient de conclure un accord sur les principes suivants afin de trouver une solution à la crise du Kosovo :

1. Un arrêt immédiat et vérifiable de la violence et de la répression au Kosovo.

2. Retrait vérifiable du Kosovo de toutes les forces militaires, paramilitaires et de police suivant un calendrier serré;

3. Déploiement au Kosovo, sous l'égide de l'Organisation des Nations Unies, de présences internationales efficaces, civile et de sécurité, agissant tel que cela pourra être décidé en vertu du Chapitre VII de la Charte et capables de garantir la réalisation d'objectifs communs.

4. La présence internationale de sécurité, avec une participation substantielle de l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord, doit être déployée sous commandement et contrôle unifiés et autorisée à établir un environnement sûr pour l'ensemble de la population du Kosovo et à faciliter le retour en toute sécurité de toutes les personnes déplacées et de tous les réfugiés.

5. Mise en place, en vertu d'une décision du Conseil de sécurité de l'Organisation des Nations Unies et dans le cadre de la présence internationale civile, d'une administration intérimaire pour le Kosovo permettant à la population du Kosovo de jouir d'une autonomie substantielle au sein de la République fédérale de Yougoslavie. L'administration intérimaire sera chargée d'assurer l'administration transitoire tout en organisant et en supervisant la mise en place d'institutions d'auto-administration démocratiques provisoires propres à garantir des conditions permettant à tous les habitants du Kosovo de vivre en paix dans des conditions normales.

6. Après le retrait, un effectif convenu de personnel yougoslave et serbe sera autorisé à revenir afin d'accomplir les tâches suivantes :

__Assurer la liaison avec la présence internationale civile et la présence internationale de sécurité;

__Baliser les champs de mines et déminer;

__Maintenir une présence dans les lieux du patrimoine serbe;

__Maintenir une présence aux principaux postes frontière.

7. Retour en toute sécurité et liberté de tous les réfugiés et personnes déplacées sous la supervision du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés et libre accès des organismes d'aide humanitaire au Kosovo.

8. Un processus politique en vue de l'établissement d'un accord-cadre politique intérimaire prévoyant pour le Kosovo une autonomie substantielle, qui tienne pleinement compte des Accords de Rambouillet et du principe de la souveraineté et de l'intégrité territoriale de la République fédérale de Yougoslavie et des autres pays de la région, et la démilitarisation de l'ALK. Les négociations entre les parties en vue d'un règlement ne devraient pas retarder ni perturber la mise en place d'institutions d'auto-administration démocratiques.

9. Une approche globale du développement économique et de la stabilisation de la région en crise. Il s'agira notamment de mettre en oeuvre un pacte de stabilité pour l'Europe du Sud-Est avec une large participation internationale en vue de favoriser la démocratie, la prospérité économique, la stabilité et la coopération régionale.

10. La suspension des opérations militaires impliquera l'acceptation des principes énoncés ci-dessus ainsi que des autres conditions, déjà recensées, qui sont rappelées dans la note de bas de page ci-dessous. Un accord militaro-technique sera alors rapidement conclu, en vue notamment de définir des modalités supplémentaires, y compris les rôles et fonctions du personnel yougoslave/serbe au Kosovo.

Retrait

Procédures concernant les retraits, y compris un calendrier détaillé et échelonné et la délimitation d'une zone tampon en Serbie au-delà de laquelle les forces se retireront;

Retour du personnel

__Équipement du personnel autorisé à revenir;

__Mandat définissant les responsabilités fonctionnelles de ce personnel;

__Calendrier concernant le retour de ce personnel;

__Délimitation des zones géographiques dans lesquelles le personnel est autorisé à opérer;

__Règles régissant les relations de ce personnel avec la présence internationale de sécurité et la présence internationale civile.

ANNEXE 2

Programme de la mission au Kosovo de Mme Yvette Roudy,

MM. René André et René Mangin du 25 au 28 avril 2000

Mardi 25 avril 2000

15 h Arrivée à Pristina -Accueil par M Sturm, chef du Bureau de liaison de la France

16 h Entretien avec M. Fischer, chef de la mission conjointe ONU/OSCE au Kosovo

17 h Entretien avec M.Thaci, président du Parti pour la prospérité démocratique du Kosovo, vice président du Conseil administratif intérimaire

17 h 45 Visite au Comité d'aide médicale et rencontre avec des ONG françaises

18 h 30 Accueil au REPFRANCE : présentation de l'Etat major et des actions civilo-militaires

Dîner offert par le Général Wirth, représentant de la France au sein de la KFOR, en présence de M. Kouchner, représentant spécial du Secrétaire général des Nations Unies au Kosovo.

Mercredi 26 avril

9 h Départ pour Mitrovica

Rencontre avec la Brigade Nord et des ONG

9 h 45 Entretien avec le Général de brigade Pierre de Saqui de Sannes, commandant de la Brigade multinationale Nord

10 h Point de situation à l'Etat-major. Actions civilo-militaires

11 h Rencontre avec les responsables des ONG françaises

12 h 15 Entretien avec M. Nash, administrateur régional de la MINUK

12 h 45 Déjeuner à la Brigade, suivi d'une visite de la ville

15 h 30 Entretien à Gracanica avec le Père Sava, conseiller de Mgr Artemijo de Prizren, l'évêque et observateur au Conseil transitoire du Kosovo et Mme Trajkovic, observatrice au Conseil administratif intérimaire et membres du conseil national serbe

18h Entretien avec le Docteur Brasseur, représentant du Fonds des Nations Unies pour la population

19h Entretien avec M. Demaci, ancien Président du Parti parlementaire du Kosovo

20 h 00 Dîner offert par M. Tarran adjoint au chef du Bureau de liaison France au Kosovo

Jeudi 27 avril 2000

9 h Entretien avec le Général Ortuño Commandant de l'Eurocorps, Commandant de la KFOR

10 h Entretien avec M. Suroi, éditeur du quotidien "Koha dittore" (le temps quotidien)

11 h Entretien avec M. Ibrahim Rugova, président de la Ligue démocratique du Kosovo (LDK)

11 h 45 Entretien avec M. Shala, éditeur du journal "Zeri" (la voix)

12 h 30 Déjeuner avec M. Hyseni, vice-président du Mouvement démocratique unifié (LBD) et co-chef du département des affaires des non-résidents

15 h Départ pour Pec

16 h 30 Accueil par M. Le Roy, administrateur régional, suivi d'une table ronde avec M. Ceku (PPK, ex UCK) président du conseil administratif de Pec, maire-adjoint, M. Muhaxheri (LDK), les représentantes du Forum des femmes et les représentants de la Ligue des droits de l'Homme

18 h 30 Rencontre avec le père Peter et des représentants de l'église orthodoxe au Patriarcat de Pec

19 h 30 Promenade en ville puis dîner avec des représentants français du HCR et des ONG françaises

22 h Départ pour Pristina

Vendredi 28 avril

7 h 00 Départ pour Prizren

8 h 30 Entretien avec Mgr. Sopi, évêque catholique du Kosovo

9 h 30 Départ pour Skopje

11 h 30 Entretien avec M. Terral, ambassadeur de France en Macédoine

13 h Décollage pour Paris, via Zurich

ANNEXE 3

Audition de M. Ibrahim Rugova, Président de la ligue démocratique du Kosovo, par la Commission des Affaires étrangères le 24 mai 2000

Le Président François Loncle s'est déclaré très honoré d'accueillir le fondateur et le Président de la Ligue démocratique du Kosovo, M. Ibrahim Rugova, dont la grande réputation de pacifisme a marqué le parcours politique. C'est une chance d'entendre une personnalité qui parle parfaitement le français, et qui a étudié à la Sorbonne. Elu Président du Kosovo en 1992 lors d'élections clandestines, il a été réélu dans les mêmes conditions en 1998.

Le Président François Loncle a évoqué sa première rencontre avec M. Ibrahim Rugova à Pristina en 1998 où il avait pu mesurer sa volonté d'éviter la guerre tout en répondant aux aspirations des Kosovars. Maintenant de nouvelles perspectives s'ouvrent : reconstruction, mise en place de nouvelles institutions, organisation des élections municipales.

Remerciant la Commission des Affaires étrangères de son accueil, M. Ibrahim Rugova s'est félicité de pouvoir s'exprimer devant des députés français car le Kosovo a eu une expérience parlementaire. Deux parlements ont été élus et n'ont pu ni se réunir ni travailler. Il a rappelé que l'Assemblée nationale française fut une des premières institutions étrangères qui dès 1991 a suivi la situation du Kosovo.

Désormais, grâce au monde occidental, à l'OTAN, le Kosovo est libre. Le travail de reconstruction au sens politique, économique et social exigera du temps et de la patience mais en moins d'un an de grands progrès ont été accomplis dans tous les domaines de la vie quotidienne.

Grâce à la KFOR et à la MINUK, les conditions de sécurité se sont améliorées même s'il y a encore des incidents et des frustrations. La co-administration avec la MINUK fonctionne : vingt départements ont été créés pour prendre en charge l'organisation de la Province. Déjà ceux du budget, de la justice, de l'éducation, du commerce et de l'industrie fonctionnent.

La préparation des élections municipales, et notamment l'enregistrement de la population a déjà commencé. Ce scrutin constitue une étape avant des élections générales, elles permettent de constituer un pouvoir local élu et légitime qui fonctionne. Il conviendra d'organiser des élections nationales pour renforcer la légitimité nationale et locale.

Selon lui, c'est l'indépendance du Kosovo avec intégration et garantie pour tous les autres groupes ethniques Serbes, Turcs, Roms, Bosniaques qui ramènera la paix dans la région aussi bien en Albanie, en Macédoine qu'en Serbie. Un premier pas a déjà été accompli par la communauté internationale, il faut continuer. On doit améliorer les conditions de sécurité : de grands progrès ont été accomplis pendant onze mois, mais on entend nombre de critiques à ce sujet et la population souhaite des progrès. La reconstruction a commencé, de grands progrès ont été réalisés depuis la victoire de l'OTAN au niveau économique et politique.

M. Pierre Brana a souhaité savoir si les positions de M. Rugova avaient évolué depuis leur dernière rencontre, en avril 1998, quant au rattachement éventuel d'un Kosovo devenu indépendant à l'Albanie, une évolution qui ne rencontrait pas à l'époque son accord. Il a demandé des précisions sur le rôle actuel de l'UCK au Kosovo et sur les perspectives ouvertes par les prochaines élections municipales.

Mme Nicole Ameline a demandé comment M. Rugova jugeait la présence actuelle de l'Union européenne au Kosovo et ce qu'il en attendait.

Evoquant la récente mission qu'il a effectuée au Kosovo avec Mme Yvette Roudy et M. René André au nom de la Commission M. René Mangin s'est déclaré moins pessimiste que la presse sur la situation du Kosovo. Il s'est informé de la situation économique au Kosovo qui est actuellement une région sous « tente à oxygène ». Il a souligné le rôle important, selon lui, des autorités religieuses dont la rencontre au grand jour constituerait un signe symbolique fort. Dans la perspective de l'organisation des élections municipales, il s'est enquis de la possibilité d'instituer des quotas pour les minorités. Il a estimé que la ville de Pec était celle qui avait le plus souffert du conflit. Les Serbes commencent à y revenir, cela peut-il poser un problème de sécurité ?

M. Charles Ehrmann a loué la qualité et la modération de M. Rugova, ainsi que sa maîtrise de la langue française, mais il a exprimé la crainte qu'il ne soit un peu isolé dans un milieu surtout constitué d'extrémistes, ce qui va rendre difficile la solution des problèmes. Il est donc nécessaire d'aider M. Kouchner qui est un homme remarquable mais qui a besoin d'argent et de gendarmes.

Mme Yvette Roudy a souligné que les membres de la Commission, qui suivent avec beaucoup d'intérêt l'évolution de la situation au Kosovo et y effectuent régulièrement des missions, sont très heureux d'accueillir M. Ibrahim Rugova. Lors de la visite à laquelle elle a participé en avril dernier, les députés français ont été frappés par le problème des enclaves serbes, et ont constaté que des Serbes sont contraints de vivre surveillés, encadrés par la KFOR, et ne pouvant sortir qu'accompagnés par elle. Les personnes rencontrées avaient alors déclaré refuser de s'inscrire sur les listes électorales. Qu'en est-il aujourd'hui ? Elle a demandé à M. Ibrahim Rugova s'il envisageait d'accomplir des actes forts et symboliques, comme d'accompagner lui-même des Serbes à l'extérieur des enclaves. La mission parlementaire avait eu par ailleurs la satisfaction de constater que la reconstruction avançait à grands pas, et que l'économie semblait connaître un nouveau départ, bien que sur des bases un peu étranges.

M. Hervé de Charette a observé que les propos de M. Ibrahim Rugova plaident pour l'indépendance du Kosovo. Cependant une telle éventualité suscite en France, mais aussi en Europe, des réticences, des doutes et aussi des oppositions. Depuis la chute du Président Tito, la France s'est engagée dans la crise des Balkans en prenant de nombreux risques, notamment en vies humaines, et en y consacrant des engagements financiers très importants. Elle ne l'a pas fait pour soutenir les nationalismes des uns contre ceux des autres, mais au nom de principes tels que le rétablissement de la démocratie, le développement et la croissance économique au service de la population, le respect des minorités et la recherche de solutions permettant de faire vivre ensemble les uns et les autres. C'est dans ce sens que l'Europe a actuellement besoin des meilleurs des siens. On atteindra ces objectifs peu à peu, et même si cela semble impossible aujourd'hui, on estime généralement que toute autre solution aurait pour effet de remplacer une crise par une autre, une humiliation par une autre.

M. Xavier Deniau s'est enquis du sort des membres de l'ancien Gouvernement que dirigeait M. Ibrahim Rugova, ainsi que des parlementaires élus à cette époque. Il a souhaité savoir quelles étaient les langues enseignées alors, et quelles sont celles enseignées à présent.

Le Président François Loncle a fait observer que la position des Européens et celle de la France se fonde sur la résolution 1244 des Nations Unies qui accorde une autonomie substantielle au Kosovo. Mais le débat sur l'avenir du Kosovo est ouvert dans toutes les familles politiques, ici comme là-bas.

Puis il a rappelé qu'en 1998 il avait constaté lui-même que les albanophones étaient exclus de l'Université de Pristina. Evoquant la présence en France de réfugiés de la guerre du Kosovo qui souhaiteraient éventuellement regagner leur pays mais qui s'interrogent sur leur avenir et la situation sur place, il s'est enquis du message que M. Rugova souhaitait leur adresser.

M. Ibrahim Rugova a répondu aux intervenants.

Approuvant M. François Loncle, il a considéré que la porte est ouverte en ce qui concerne l'avenir du Kosovo. Il se déclare favorable à l'indépendance car elle contribuerait à calmer les Albanais, et à apporter une plus grande stabilité dans les Balkans. Toutes les autres combinaisons ont échoué, et les populations ont payé très cher ces échecs et s'inquiètent actuellement de leur avenir. L'indépendance du Kosovo est de nature à résoudre un certain nombre de problèmes, y compris pour la Serbie. Il a rappelé que son parti n'a pas formulé de demandes fantaisistes comme par exemple la réunification du Kosovo à l'Albanie qui ne pourrait qu'ouvrir de nouveaux conflits et entraîner de nouvelles tragédies, en raison notamment de la dispersion des populations albanaises. Il a émis l'idée que la France pourrait diriger un processus d'indépendance.

L'UCK s'est transformée en force de protection civile du Kosovo et ses membres ont rejoint divers groupes politiques qui veulent s'intégrer dans le nouveau jeu démocratique. Il faut tout faire pour favoriser cette intégration. Il n'existe pas aujourd'hui à proprement parler de partis de droite, de gauche ou du centre ; cela viendra sans doute un jour. Tous ces partis politiques, d'idéologie différente, ont en commun de croire à la démocratie. Ils se multiplient - on en compte aujourd'hui plus de vingt-cinq - même s'il est demandé 4000 signatures pour leur enregistrement. Le mode de scrutin retenu est un système mixte, majoritaire et proportionnel pour favoriser la formation de majorité stable.

L'Union européenne est très présente au Kosovo et participe activement à la reconstruction en soutenant des programmes de développement très concrets sur le plan économique et démocratique. Ces actions sont très positives même si parfois on souhaiterait qu'elles soient plus efficaces. L'avenir du Kosovo passe par son intégration dans l'Union européenne et un dialogue direct avec Bruxelles plutôt que par de nouvelles combinaisons au niveau local et régional.

Sur la situation économique, M. Ibrahim Rugova a insisté sur l'importance des privatisations, tout en écartant une stratégie de thérapie de choc. En tout état de cause, il faut d'ores et déjà favoriser le redémarrage de l'industrie moyenne, qui occupe une place importante, notamment pour l'emploi. Il est également nécessaire de réactiver l'industrie lourde. Enfin, il est à noter qu'une petite économie privée fonctionne déjà dans certains secteurs comme la restauration ou l'agriculture. Pour réussir cette relance de l'économie, le pays a besoin de moyens, d'investissements et de créer des relations économiques avec les pays étrangers.

Selon lui, les représentants religieux font un travail utile et bénéfique au Kosovo où il y a une tradition de tolérance. Ils aident à la réconciliation, ils participent à des conseils de transition. : l'évêque orthodoxe Mgr Artemije par exemple a choisi la voie de l'intégration dans la société kosovare.

Evoquant le retour des Serbes, il a tout d'abord rappelé que sur les 200 000 Serbes présents au Kosovo avant la guerre, 100 000 d'entre eux sont partis et que 100 000 autres sont restés. Les membres de l'administration, gérée par les Serbes de Serbie, sont partis, ce qui est logique ; pour ceux qui veulent rentrer, il convient de faire tous les efforts pour assurer leur protection. Jusqu'à la guerre, les Serbes du Kosovo ont été très corrects, mais malheureusement, pendant la guerre, certains d'entre eux ont participé aux massacres. Il a souligné l'existence d'une tradition de tolérance au Kosovo et donc peu de tendance à l'extrémisme, mais les événements ont créé des frustrations.

A Mitrovica, la situation s'améliore, mais il faudra réactiver le complexe minier de Trepca pour réactiver l'économie de la région. Les bases pour vivre ensemble existent, mais on doit rester prudent. Les provocations de Belgrade sont à craindre, en particulier à Mitrovica.

Par ailleurs, il est incontestable que le Kosovo ne dispose pas d'un contingent normal de policiers car la police kosovare se constitue lentement. Il est vrai que la communauté internationale s'est déjà beaucoup engagée militairement ou en matière d'aide économique, mais la question du nombre de policiers est centrale et il faut aider M. Kouchner sur ce point car il manque la moitié du contingent promis.

En ce qui concerne l'inscription des Serbes Kosovars sur les listes électorales, on assiste à une évolution. Un effort d'information doit être fait pour que cette partie de la population effectue les démarches nécessaires, notamment pour obtenir des documents d'identité. Les responsables de la communauté albanaise n'ont pas l'intention d'ignorer les Serbes Kosovars, et espèrent que cette communauté participera aux élections municipales. Si elle ne le fait pas, les places de leurs représentants resteront vides en attendant qu'ils acceptent de siéger, comme cela a été le cas pour l'administration intérimaire dans laquelle ils ont désormais accepté des postes d'observateurs.

M. Ibrahim Rugova serait prêt à mener des actions concrètes et symboliques, mais il souhaite en priorité assurer la circulation de tous en sécurité, et aussi créer les conditions d'une vie publique où tous les Kosovars pourront participer au débat. L'objectif est de faire en sorte que les Serbes puissent sortir des enclaves, car il s'agit d'une situation très difficile, que les Albanais ont connue pendant dix ans. Les Serbes ont déjà effectué un pas en avant en se joignant aux institutions intérimaires existantes, d'autres avancées sont attendues d'eux, comme le fait de demander pardon pour les crimes qu'ils ont commis.

De nombreux membres de l'ancien Gouvernement suspendu le 1er février dernier, lorsqu'il a été décidé d'établir une administration placée sous l'égide de la MINUK, se trouvent au Kosovo, où ils travaillent au sein de partis politiques ou de l'administration. Les écoles fonctionnent à présent normalement et l'enseignement y est fait en albanais. Quelques facultés ont pu rouvrir, l'une d'elles, à Mitrovica, enseigne en albanais et en serbe. L'anglais, l'allemand et le français sont enseignés à l'Université. Lorsqu'il dirigeait le Gouvernement, l'enseignement avait lieu en principe en deux langues, mais les Albanais ayant été exclus des écoles, l'enseignement en albanais a été donné dans des écoles « parallèles » installées dans des maisons, ainsi la pratique de la langue a été préservée. L'on essaie à présent de rétablir l'enseignement en serbe.

Selon M. Ibrahim Rugova, 80 % des réfugiés de la guerre sont revenus. La plupart de ceux qui restent à l'étranger et notamment en Suisse et en Allemagne sont des anciens réfugiés (environ 200 000 personnes) de la période 89-92. La Suisse et l'Allemagne prévoient des aides à leur retour. Quand les réfugiés restent trop longtemps hors de chez eux, il leur est plus difficile de revenir ; il convient donc de favoriser un système de retour graduel en utilisant des aides économiques pour la reconstruction des maisons détruites, l'organisation de petites productions et de petits programmes agricoles.

M. François Loncle a tenu, comme M. Charles Ehrmann, à saluer le courage de M. Bernard Kouchner, représentant spécial du Secrétaire Général des Nations Unies au Kosovo, et a remercié M. Ibrahim Rugova des informations très utiles qu'il avait transmises à la Commission, que ce soit sur l'avenir institutionnel du Kosovo ou sur ses perspectives d'intégration à l'Union européenne qui ouvrent des pistes de réflexion.

ANNEXE 5

Audition de M. Roger Fauroux, président de la mission interministérielle pour l'Europe du Sud-Est, le 7 juin 2000

Le Président François Loncle a remercié très vivement M. Roger Fauroux, président de la mission interministérielle pour l'Europe du Sud-Est qui, depuis sa nomination en juillet dernier, accomplit avec professionnalisme un travail remarquable, sans grands moyens. Observant combien la question des Balkans occupe une place considérable dans la politique étrangère et de sécurité commune de l'Union européenne, il a souhaité savoir quel était le sens et le déroulement de cette mission.

M. Roger Fauroux a expliqué que le statut imprécis de sa mission lui conférait une grande liberté, et lui permettait de se rendre au moins une fois par mois sur le terrain et de rencontrer de manière informelle des responsables politiques et des représentants de la société civile.

Malgré le nombre et la proximité des frontières (en une journée de route, on traverse la Bosnie, le Monténégro et le Kosovo), les habitants des Balkans ne sont concernés que par leur propre pays et ne regardent pas les uns vers les autres. Ainsi, sur les 560 kilomètres de frontière entre la Roumanie et la Bulgarie, matérialisée par le Danube, on ne compte qu'un seul pont, le deuxième devant être construit par l'Union européenne dans le cadre du Pacte de stabilité des Balkans.

Moins visible que les Etats-Unis, l'Union européenne est surtout représentée dans cette zone, par la Grèce, véritable puissance régionale. L'Allemagne y joue également un rôle actif ; les transactions se font en deutsche marks - c'est-à-dire en euros - et toutes les voies d'accès aux grandes villes des Balkans passent soit par l'Allemagne soit par l'Autriche. Il n'y a pas de lien direct avec la Grande-Bretagne et la France. Notre pays dépense beaucoup mais souffre d'un manque de visibilité malgré ses atouts politiques.

Les séquelles des conflits récents pèsent sur la zone. Un tiers du territoire de la Bosnie-Herzégovine est encore miné et il faudra près d'un siècle pour que ces terres redeviennent sûres. A Sarajevo, trois enfants ont été tués récemment par des mines. Le problème des réfugiés se pose avec acuité. Près de Sarajevo, des familles bosniaques vivent depuis 8 ans dans des baraquements ; leur maison, située en République serbe, est occupée par des réfugiés serbes chassés par des Croates. Cependant, 8000 réfugiés sont revenus en Bosnie-Herzégovine en 1999, et, pour 2000, ce chiffre est déjà atteint.

Au Kosovo, lors de l'enterrement d'une famille serbe assassinée par des Albanophones, le pope lui-même a été pris à partie parce qu'il collaborait avec la Mission intérimaire des Nations Unies pour le Kosovo (MINUK). Le retour annoncé de Serbie de 2000 réfugiés est, dans ce contexte, un sujet d'angoisse, même si c'est une bonne nouvelle. L'enregistrement en vue des élections municipales se passe paisiblement, même si l'on peut s'interroger sur sa signification.

Dans les Balkans, la situation économique est difficile à apprécier. Les statistiques révèlent un effondrement complet de la production, en contradiction avec l'aspect des rues, des magasins, voire avec le mode de vie de la population. La réalité se trouve à mi-chemin. Les études en cours font apparaître que la vérité souterraine est en contradiction avec l'officielle. Le niveau des échanges dans la zone reste imprécis ; pourtant, des échanges s'effectuent entre la Serbie et la Republika Srpska, entre la Croatie et la Bosnie-Herzégovine, entre la Macédoine et l'Albanie, etc. Les habitants de la région souhaitent s'en sortir. Les Kosovars se veulent des Européens énergiques, même si cette énergie s'exprime au travers de trafics plus ou moins avouables. Toutefois, il leur est difficile de passer du stade de l'entreprise artisano-familiale à celui de véritable entreprise, qui implique l'embauche de salariés, l'augmentation du risque de racket et la fiscalisation.

La lenteur avec laquelle l'aide européenne s'est mise en place pose problème : la somme de 180 millions d'euros qui devait être engagée à partir de juin 1999 ne pourra l'être que cette année. On peut estimer que l'aide totale de 2,5 milliards d'euros n'atteindra son plein régime qu'à partir de juin 2001, soit trois ans après son annonce.

M. Roger Fauroux ne voit pas de solution politique immédiate à la situation au Kosovo. Un journaliste kosovar modéré, rencontré récemment, a donné sa vision d'un futur pays balkanique composé de 7 millions d'Albanais et d'à peu près autant de Serbes. Mais comment imaginer que la Serbie, puissance habituée par son histoire à gouverner, accepte une telle évolution ? La politique illustrée par Bernard Kouchner est la plus raisonnable et la plus adaptée, car tous les mots sont explosifs et souvent contradictoires. Ainsi, les Kosovars parlent d'indépendance et d'autonomie, mais se sentent fragiles et demandent, pour longtemps encore, la présence des forces et de l'administration multinationales.

La politique française sur la question du Kosovo est claire. Toutefois, la démarche française vis-à-vis des Balkans et du Kosovo présente des insuffisances. Or, la situation de cette province risque de se reproduire à travers le monde à intervalles réguliers. Ainsi la période de l' "après-Milosevic" sera suivie de remous et on est mal préparé à cette éventualité. A ce genre de situation d'urgence doit répondre un effort intégré : il faut envoyer sur place à la fois des policiers, des juges, des administrateurs, des douaniers et des agronomes. La communauté internationale se voit étrangement investie du pouvoir d'établir l'Etat de droit. Or, les administrations françaises sont peu adaptées, lentes, non intégrées, chacune ne manifestant pas le désir de collaborer avec une autre.

M. Roger Fauroux a rendu hommage aux ONG, bien coordonnées, ainsi qu'aux armées, qui savent mobiliser dans un court délai - 15 jours à un mois - des réservistes volontaires, spécialistes dans différents domaines. Malheureusement, le domaine civil ne peut répondre de la même façon, et le besoin de spécialistes et d'experts est grand. Notre administration, qui possède une grande réserve de compétences et beaucoup de volontaires, ne dispose pas de l'organisation qui permettrait de les mobiliser, alors que les Allemands, les Britanniques, les Suédois ou les Hollandais y parviennent beaucoup mieux et plus rapidement. De même, les procédures nationales d'engagement des crédits ne permettent pas de répondre à une situation d'urgence, comme réparer un pont ou verser notre quote-part au dispositif de dépollution d'une mine très polluante. En outre, la visibilité de notre aide laisse toujours à désirer, alors qu'il ne serait pas si difficile de poser un panonceau aux couleurs nationales indiquant que telle route ou tel pont a été réparé par la France.

Les fonctionnaires français détiennent autant de savoir-faire que leurs homologues étrangers mais sont moins bons pour le faire savoir. Le niveau de nos contributions comme nos procédures de décaissement sont souvent à revoir car ils ne correspondent ni à la grandeur de notre pays, ni à ses ambitions. Il apparaît donc plus que jamais nécessaire de bâtir pour le futur, un dispositif plus adapté à ce type de crise.

Le Président François Loncle a remercié M. Roger Fauroux pour sa franchise.

M. Gérard Charasse s'est étonné du chiffre de 2000 réfugiés serbes qui voudraient revenir au Kosovo. Son sentiment était plutôt que les Serbes du Kosovo cherchaient à partir. Si ce retour se concrétise, les précautions ont-elles été prises pour éviter qu'il ne déstabilise le fragile équilibre actuel entre Serbes et Kosovars ? Il a demandé par ailleurs si les militaires américains et français étaient en train de s'installer durablement au Kosovo, comme certains équipements le laisseraient croire.

M. Roger Fauroux a confirmé que la MINUK attendait effectivement le retour de réfugiés serbes qui souhaitent revenir au Kosovo en raison des conditions déplorables dans lesquelles ils vivent aujourd'hui en Serbie. M. Bernard Kouchner a créé un Comité de coordination des réfugiés, qui s'efforce de les répartir dans des zones où ils seront en sécurité. On estime à 250 000 le nombre de Serbes ayant quitté le Kosovo au moment des frappes de l'Otan. Sur ce nombre, selon la MINUK, 100 000 seraient susceptibles de rentrer. Il est vraisemblable que M. Milosevic encourage ces retours non seulement pour soulager la Serbie mais aussi pour provoquer un peu de pagaille au Kosovo.

Il est probable que les militaires occidentaux sont là pour longtemps et les Américains s'efforcent de s'adapter à cette perspective même si de nombreuses voix aujourd'hui aux Etats-Unis souhaitent leur retrait rapide.

M. Pierre Brana a souligné que la bureaucratie internationale était source d'évaporation des aides, comme l`a illustré le précédent de la Bosnie-Herzégovine. Il a estimé que la France devrait effectivement développer une aide bilatérale et en assumer la visibilité, au Timor, au Kosovo ou ailleurs. Il a souhaité connaître l'avis de M. Fauroux sur l'avenir de la Bosnie-Herzégovine. L'élection d'un nouveau président en Croatie, plus ouvert que son prédécesseur, et la limitation de l'influence de M. Milosevic ne sont elles pas de nature à réduire le fossé entre les communautés en Bosnie-Herzégovine et à encourager à la création d'une nation ?

M. Roger Fauroux a estimé que l'argent serait mieux employé au Kosovo, justement en raison du précédent de la Bosnie-Herzégovine. Il est vrai que dans ce dernier pays la situation s'améliore. Aux dernières élections municipales, un parti non ethnique a pour la première fois remporté des municipalités, dont celle de Sarajevo. Parmi les Croates, certains mouvements prônent désormais une plus grande neutralité ethnique ; c'est le cas par exemple de «renouveau croate», même si la présence de l'adjectif recèle une ambiguïté. C'est donc la première fois que l'on peut parler de patriotes bosno-herzégoviniens. Par ailleurs, la Républika Srpska a fait part de son intention de collaborer avec le Tribunal pénal international. Ce dégel politique sera ou non confirmé en septembre prochain, à l'occasion des prochaines élections locales.

M. Charles Ehrmann, évoquant les discussions passionnées sur les Balkans au Conseil de l'Europe, s'est demandé si cette région ne demeurait pas la « poudrière » de l'Europe. Il a fait remarquer que sans l'Euro, l'Europe du Mark serait aujourd'hui fort étendue. Il a observé que les réfugiés kosovars posent des problèmes, notamment de délinquance, pour les pays d'accueil ; en Suisse, ils sont 47 000. La question des Balkans est un problème insoluble qui ne peut que faire regretter l'Empire austro-hongrois.

M. François Loncle a estimé qu'il ne fallait pas surestimer les problèmes posés par les réfugiés du Kosovo. Sept familles se sont installées dans sa circonscription, elles se comportent très bien. Ces réfugiés ont généralement le désir de rentrer au Kosovo, mais sont freinés par des difficultés matérielles, le Gouvernement doit donc développer les aides au retour, ce qui coûterait d'ailleurs moins cher que s'ils restaient en France.

M. Pierre Brana a précisé que l'Union européenne avait décidé très récemment d'instituer une aide au retour pour les réfugiés kosovars.

M. Roger Fauroux a indiqué que personne ne se rend compte au Kosovo que la monnaie utilisée est en fait l'Euro. Cependant, il s'agit d'une victoire de l'Europe.

Il est inacceptable de considérer la situation comme insoluble ; la géographie nous oblige à nous préoccuper des Balkans : les trafics et les désordres sont contagieux. Ainsi, nous sommes intervenus au Kosovo pour des raisons morales, mais aussi parce que le canal d'Otrante ne sépare l'Italie des Balkans que de 70 kilomètres. L'Europe doit être en mesure de trouver une solution pour cette région proche qui ne compte que 20 millions d'habitants. Certes, les 80 000 soldats présents représentent un coût non négligeable, mais moins élevé qu'une guerre. La responsabilité de l'Europe est grande.

M. Charles Millon s'est interrogé sur la place relative des nations, des minorités et des Etats dans les Balkans, problème qui se retrouve en Afrique d'ailleurs. Il serait souhaitable de dénationaliser l'Etat et de désétatiser la nation. L'Europe devrait entamer une réflexion sur la mise en place d'une nouvelle organisation étatique et d'une meilleure prise en compte des nations, comme l'a fait la Hongrie, pays où les minorités sont relativement fortes et qui a essayé de déconnecter l'appartenance à la nation et à l'Etat. L'Empire austro-hongrois avait réussi cette conciliation car précisément c'était un empire.

Il a mis en parallèle l'émergence des nations avec la mondialisation, qui réveille les enracinements provinciaux. L'Europe doit être à même de proposer une structure politique originale qui réponde à ce double phénomène, notamment par le respect du principe de subsidiarité.

M. Roger Fauroux a estimé que, tant que subsistera la tache noire de la Serbie, il sera seulement possible d'envisager des embryons de visions futures dans la région, notamment la mise en place d'une confédération. On ne peut faire l'impasse sur la Serbie, pays de 10 millions d'habitants, industrialisé et à la très riche histoire. Lorsque la Serbie aura réglé ses problèmes, on sera en mesure d'évoquer la déconnexion de la nation et de l'Etat. Pour l'heure, ce pays reste trop replié sur lui-même, il est donc indispensable de favoriser des contacts entre parlements, des invitations de journalistes ou d'intellectuels, l'octroi de bourses pour les étudiants. Le pacte de stabilisation des Balkans a trop insisté sur la reconstruction des infrastructures au détriment du développement de contacts directs.

Le problème dans les Balkans est aussi économique. Lorsque les gens ont du travail, ils sont moins focalisés par les questions politiques. Il y a dans cette région une saturation de politique qu'il faut compenser par un développement économique.

Il a rappelé la réconciliation franco-allemande et celle entre les espagnols. Ces petits miracles peuvent servir de modèle. Il convient de trouver un système subtil qui n'existe pas dans la réalité.

M. Charles Ehrmann a observé que les populations kosovares albanophones avaient plus d'enfants que les populations d'origine serbe, ce qui n'est pas sans conséquences.

M. Roger Fauroux a récusé la vision apocalyptique d'un Kosovo ou d'une Bosnie-Herzégovine islamiste. Au contraire, la pratique religieuse y est peu développée, et la population est plutôt laïque. La démographie se rapproche du schéma européen. Il est bien difficile de distinguer un Serbe d'un Bosniaque ou d'un Kosovar albanophone.

Le Président François Loncle a vivement remercié M. Roger Fauroux pour le caractère très précis et direct de son intervention, et s'est déclaré préoccupé par la "balkanisation" de l'administration française et par les blocages financiers qui en résultent. Evoquant l'exemple de la Bulgarie qui, touchée par la guerre du Kosovo, avait élaboré des projets simples et ciblés et se heurte à des blocages financiers et administratifs, il a estimé que les parlementaires avaient un rôle à jouer pour exiger qu'on y remédie.

___________

N°2452.- Rapport d'information de Mme Yvette Roudy et MM. René André et René Mangin, déposé en application de l'article 145 du Règlement par la commission des affaires étrangères, sur la mission effectuée par une délégation de la commission au Kosovo.