graphique

N° 2533

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 4 juillet 2000.

RAPPORT D'INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l'article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DE LA PRODUCTION ET DES ÉCHANGES (1)

sur les transports en France et en Europe,

ET PRÉSENTÉ

PAR M. ANDRÉ LAJOINIE,

Député.

(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

Transports

SOMMAIRE

INTRODUCTION 5

REDONNER TOUTE SA PLACE A CHAQUE MODE DE TRANSPORT, EN ENRAYANT PLUS PARTICULIÈREMENT LE DÉCLIN DU RAIL ET DU FLUVIAL 8

A. - RÉÉQUILIBRER LES RAPPORTS RAIL-ROUTE 11

1. Résoudre le sous-investissement patent en infrastructure et matériel du rail 12

2. Lutter contre le dumping social dans le transport routier 18

3. Favoriser l'harmonisation technique entre les différents réseaux ferroviaires européens, la cohérence des politiques tarifaires et l'émergence de structures de coopération communes 21

4. Stimuler la croissance du transport combiné 23

5. L'atout de la régionalisation 26

6. Maîtriser les déplacements urbains et valoriser les transports collectifs 28

B. - LA VOIE D'EAU : UNE DYNAMIQUE DE RECONQUÊTE A ENCOURAGER 31

1. Le renouveau du transport fluvial 32

2. Des efforts à amplifier pour développer les infrastructures 33

C. - SOUTENIR LE DÉVELOPPEMENT DE LA FLOTTE ET DES PORTS FRANÇAIS, FAVORISER LE CABOTAGE EN EUROPE, EN DONNANT LA PRIORITÉ À LA SÉCURITÉ 37

1. Renforcer en priorité la sécurité maritime 39

2. Agir contre le dumping social dans le transport maritime 43

3. Assurer l'essor du cabotage 44

D. - JUGULER L'ENCOMBREMENT DU CIEL EUROPEEN 46

1. Une véritable explosion du trafic aérien 46

a) Un ciel parmi les plus « actifs » d'Europe 47

b) Une conséquence de la déréglementation du transport aérien 47

2. Les retards dans le transport aérien : un prétexte pour une libéralisation du contrat aérien 48

a) Vers la déréglementation du contrôle aérien en Europe ? 49

b) Les retards ne peuvent servir d'alibi à une fuite en avant libérale 51

c) Répondre aux problèmes des retards 52

3. Vers la saturation des plates-formes aéroportuaires : l'urgence d'une décision. 53

E. - IMPULSER UNE POLITIQUE DES TRANSPORTS MULTIMODALE 55

1. Privilégier la complémentarité 55

2. Créer un observatoire communautaire des transports 56

EXAMEN EN COMMISSION 57

AUDITIONS (Les auditions sont présentées dans l'ordre chronologique des séances tenues par la Commission [la date de l'audition figure ci-dessous entre parentèses]) 71

- Monsieur Jean-Claude BERTHOD, président de Novatrans (24 novembre 1999) 73

- Monsieur Pierre FUMAT, président du Groupement national des transports combinés (24 novembre 1999) 101

- Monsieur Konstantinos HATZIDAKIS, président de la commission politique régionale, des transports et du tourisme du Parlement européen, sur la politique des transports (1er décembre 1999) 111

- Monsieur Louis GALLOIS, président de la SNCF (21 décembre 1999) 129

- Monsieur Claude MARTINAND, président de Réseau ferré de France (22 décembre 1999) 167

- Monsieur Claude GRESSIER, directeur du transport maritime, des ports et du littoral (26 janvier 2000) 199

- Monsieur Marc CHEVALLIER, président du comité central des armateurs de France, et de Monsieur Edouard BERLET, délégué général (26 janvier 2000) 227

- Monsieur Pierre GRAFF, directeur général de l'avication civile (5 avril 2000) 241

- Monsieur Hubert du MESNIL, directeur des transports terrestres (26 avril 2000) 271

- Contribution de Voies navigables de France : le transport fluvial et fluvio-maritime à l'horizon 2020 293

La croissance des déplacements de personnes et de marchandises est une donnée fondamentale des sociétés modernes. En vingt-cinq ans, les déplacements de personnes ont doublé en Europe occidentale alors que le transport de marchandises a augmenté de 80 % (en tonnes/kilomètres). De 1980 à 1996, le taux de croissance annuel du transport de passagers (+ 3,1 %) et de fret (+ 2,4 %) a été, dans un cas comme dans l'autre, supérieur à celui du PIB (+ 2,1 %).

Les bouleversements de l'économie mondiale ont placé la circulation des biens et des informations au c_ur des logiques industrielles. L'épuisement du modèle taylorien d'une production de masse standardisée ainsi que la tendance à se recentrer sur les métiers de base incitent les entreprises à être beaucoup plus réactives et à développer des méthodes de flux tendus. La gestion des stocks a ainsi été remplacée par la gestion des flux. La logistique devient alors une fonction stratégique du processus productif. Dans le même temps, la prestation de transport est de plus en plus externalisée. Le transport est, dans ces conditions, considéré comme une source de gains de productivité potentielle et soumis à une très forte pression sur les prix de la part des donneurs d'ordre. Parallèlement, une démocratisation partielle du tourisme alliée à une mobilité plus grande des individus contribue à doper la demande de transport.

Sur fond de concurrence intermodale, le secteur routier s'est taillé la part du lion de ce marché florissant. Profitant de l'absence de régulation et des insuffisances des politiques publiques, il est devenu largement dominant : 88 % des déplacements de voyageurs et 75 % du transport de marchandises en Europe se font par la route. Cette suprématie est croissante et tous les pays industrialisés sont concernés. Dans les pays de l'Est européen où l'économie administrée avait permis de conserver au ferroviaire une place importante, la route rattrape rapidement son retard. La souplesse et la liberté qu'autorise le mode routier expliquent largement son attrait. Il permet en effet de relier n'importe quel point du territoire à n'importe quel autre sans rupture de charge ni contrainte d'horaires.

Cette hégémonie de la route au détriment des autres moyens de transport est très préoccupante. Elle risque d'aboutir à une thrombose qui ne peut être acceptée par la société. Elle génère nombre de nuisances à la charge de la collectivité. Si les impacts sanitaires, environnementaux et économiques du transport routier sont diffus, ils n'en sont pas moins importants. En termes de consommation des espaces, de congestion des zones urbaines et périurbaines, de pollution atmosphérique ou sonore et d'insécurité, ce mouvement induit des coûts masqués ou ignorés. Par ailleurs, le respect des engagements pris par l'Union européenne à Kyoto de diminuer les émissions de gaz à effet de serre est incompatible avec cette prédominance de la route même si les progrès technologiques permettent de réduire les rejets des moteurs à combustion. Alors qu'avec 1 kilogramme équivalent pétrole consommé un camion transporte une tonne de marchandises sur 50 kilomètres, par le fer la distance parcourue est de 130 km et de 275 km par convoi fluvial à grand gabarit. Il est indispensable, pour cette raison également, de privilégier des modes de transport à hauts rendements énergétiques.

Le maillage des réseaux fluviaux et ferroviaires, mais aussi maritimes doit être valorisé afin de délester le réseau routier. Il s'agit en premier lieu de rompre avec le déséquilibre observé entre les modes de transport mais surtout de privilégier la recherche de complémentarité au détriment de la concurrence. Si cet objectif n'est pas nouveau, les actes ne sont pas à la hauteur des enjeux. A ce jour, les responsables politiques ont alimenté une inflation des crédits affectés au développement des infrastructures routières sans jamais réussir à contenir la croissance démesurée du trafic routier. La volonté de mieux maîtriser ces investissements est restée lettre morte. Le libéralisme appliqué dans certains pays et la déréglementation recommandée par les instances européennes n'ont pas apporté de réponses satisfaisantes.

La vétusté et l'inefficacité du système ferroviaire en Grande-Bretagne, tragiquement mises en lumière par la catastrophe de Paddington en octobre 1999, les problèmes de sécurité maritime illustrés par le récent naufrage de l'« Erika », et le dumping social dans les transports routiers sont quelques unes des conséquences d'un parti pris libéral. En aucun cas, cette orientation n'a permis de dessiner une alternative au « tout-routier » et d'adapter l'offre de transport aux exigences sociales et environnementales.

C'est en ayant à l'esprit ce besoin d'un « développement soutenable des transports » que le bureau de la commission de la production et des échanges a souhaité, à ma demande, que dans le cadre d'une mission d'information notre commission procède à un examen approfondi et trace des perspectives d'avenir. La commission a auditionné des dirigeants d'entreprises de transport, le président de la politique régionale des transports et du tourisme du Parlement européen, le directeur général de l'aviation civile, le directeur du transport maritime, des ports et du littoral ainsi que celui des transports terrestres au ministère de l'équipement, des transports et du logement.

Dans ce rapport synthétique, votre rapporteur ne vise pas l'exhaustivité. Il a pour ambition de mettre en lumière les écueils auxquels sont confrontés les modes alternatifs à la route et de formuler des propositions pour sortir de l'impasse tragique dans laquelle se trouvent aujourd'hui les transports en France et en Europe.

REDONNER TOUTE SA PLACE A CHAQUE MODE DE TRANSPORT, EN ENRAYANT PLUS PARTICU-LIÈREMENT LE DÉCLIN DU RAIL ET DU FLUVIAL

Connaissant une croissance continue des transports, la France et l'Europe sont confrontées à des défis pour préserver l'environnement, assurer la sécurité des personnes et garantir un aménagement du territoire harmonieux. Un des moyens les plus efficaces de résoudre ces problèmes consiste à faire évoluer le partage modal, à rééquilibrer les modes de transport entre eux, en faveur notamment du rail et du fluvial.

En France, le transport routier n'a cessé d'accroître son emprise depuis 30 ans, tant dans le déplacement des personnes (80,4 % en 1970 à 84,3 % en 1997) que dans l'acheminement des marchandises (33 % en 1960 ; 62 % en 1985 et 73,6 % en 1997). Dans ce dernier domaine, le transport par voie d'eau est devenu marginal (de 10 % en 1960 à 2,6 % en 1997) tandis que le rail SNCF a perdu plus de la moitié de ses parts de marché (57 % en 1960 à 23,8 % en 1997, pour tomber à 17 % en 1999, selon le chiffre livré par M. Louis Gallois, président de la SNCF).

Ce mouvement de déclin du rail est général en Europe.

En 1997, en Allemagne, les parts de marchés du chemin de fer sont de 7,3 % côté voyageurs et de 19,6 % en matière de marchandises.

Quant au Royaume-Uni, en pointe dans la libéralisation de ses activités ferroviaires, il se situe en queue de peloton avec seulement 4,8 % du trafic voyageurs et 7,8 % du fret assuré par les chemins de fer.

Le constat de distorsion dans la captation des marchés entre modes de transport est flagrant :

Tandis que de 1980 à 1996, le taux de croissance moyen annuel du transport de passagers et du transport de marchandises a atteint respectivement + 3,1 % et + 2,4 % en Europe, le transport routier de fret a capté l'essentiel (+ 3,3 %) tandis que le fluvial stagnait (- 0,3 %) et que le rail fléchissait encore (- 0,8 %) dans ce domaine.

L'écart continue donc de s'accroître. La situation est à ce point paradoxale que le rail ne capte que 5 à 6 % du trafic fret international (secteur où les longues distances représentent pourtant un atout pour lui) et résiste mieux en matière de trafic national (environ 20 % de parts de marché en France).

Globalement le trafic de marchandises en France va, sur les dix ou douze prochaines années, doubler. Est-ce que le chemin de fer y maintiendra sa part ? C'est-à-dire est-ce que le trafic ferroviaire de fret sera, sur les dix ou douze prochaines années, multiplié par deux ?  C'est l'objectif que s'est fixé le Gouvernement par l'intermédiaire du ministre de l'équipement, des transports et du logement, M. Jean-Claude Gayssot. Une ambition au reste modeste quand on sait, par exemple, que, à ce jour, seulement 8 % des volumes de marchandises échangées par la France avec ses autres partenaires européens sont assurés par le rail. Il ne s'agit pas de déplacer massivement le trafic de la route sur le chemin de fer, mais d'éviter que tout transite par la route dans des conditions que personne ne sait contrôler, qu'il s'agisse de la saturation du réseau routier et autoroutier, de la pollution dans un certain nombre de zones, ou de la sécurité des circulations.

Ce déséquilibre est devenu socialement et financièrement insupportable pour la collectivité, en particulier pour les pays de transit comme la France.

Le livre vert de la Commission européenne, intitulé « Vers une tarification juste et efficace des transports » et publié en décembre 1995, rendait compte d'une étude évaluant les coûts externes du transport (accidents, bruit, pollution atmosphérique, changements climatiques ...), dans 17 pays européens, à 272 milliards d'écus en 1991. Or, 92 % de ces coûts, qui représentent 4,6 % du PIB, sont générés par le trafic routier, seulement 1,7 % par le trafic ferroviaire. Encore, ce bilan n'intègre-t-il pas les coûts d'encombrement routier évalués par l'OCDE à 120 milliards d'écus chaque année pour l'Union européenne (2 % du PIB).

En France, une étude de la direction des affaires économiques du ministère chargé des transports, publiée en mars 2000, évalue à 151,4 milliards de francs en 1997 les coûts environnementaux (congestion du réseau, accidents, pollution) générés par les trafics routiers qui viennent s'ajouter aux 101 milliards de francs dépensés pour l'entretien, la construction et l'exploitation des infrastructures. Ces charges pour la collectivité, en hausse de 10,2 milliards par rapport à 1990, sont certes « compensées » en partie par les 196,3 milliards de recettes perçues sur les usagers de la route, par le biais des péages et de la fiscalité. Toutefois, la majeure partie de ces versements est assurée par les voitures (133,2 milliards), les poids lourds ne participant qu'à hauteur de 30,3 milliards de francs. Aussi, les auteurs de l'étude relèvent-ils que, tous réseaux confondus, le déficit « du compte des poids lourds » - c'est-à-dire la différence entre les paiements fiscaux ou de péages et ce que coûte (tout confondu) le mode de transport considéré - s'élève à environ 20 milliards de francs au coût complet et à 8 milliards selon le calcul au coût marginal social.

A. - RÉÉQUILIBRER LES RAPPORTS RAIL-ROUTE

La nécessité d'une revitalisation du rail est une préoccupation unanimement reconnue à l'échelle européenne y compris par la Commission de Bruxelles.

Pour cette dernière cependant, la réponse passe, a priori, par une libéralisation du secteur, avec la possibilité d'une mise en concurrence entre opérateurs (pas seulement des entreprises ferroviaires) via des gestionnaires d'infrastructures indépendants. Cette orientation est conçue, pour l'essentiel, en s'appuyant sur les réseaux les plus « porteurs » en Europe. Mais la preuve de la pertinence de ce postulat reste à démontrer (quelle est l'efficacité de la directive 91/440 du 29 juillet 91 sur la séparation infrastructure - exploitation et les suivantes sur l'accès à l'infrastructure ?)

L'exemple de la Grande-Bretagne, où British Rail a été démantelé et totalement privatisé en 1993, ne plaide pas en faveur d'une déréglementation accrue et invite plutôt à la prudence. En effet, si les multiples sociétés qui gèrent désormais les chemins de fer outre-Manche (Railtrack, nouveau propriétaire des voies, les cinq entreprises de fret, les vingt-cinq franchises régionales de transport de voyageurs et les trois firmes de matériel roulant) ont engrangé un résultat cumulé de 10,72 milliards de francs en 1998, elles n'ont aucunement résolu le lourd déficit d'investissement dont souffre le rail depuis de longues années.

Le bilan des réformes appliquées est amer pour l'usager : tarifs deux fois plus élevés qu'en France en moyenne, retards chroniques (en hausse de 5 % sur douze mois et de 8,2 % sur deux ans au 31 juillet 1999), trains bondés en raison d'une infrastructure saturée.

La collision de Paddington, en plein c_ur de Londres, qui a fait une quarantaine de morts et une soixantaine de blessés en octobre 1999, a mis en lumière l'état désastreux d'un réseau incapable de supporter la hausse de 17 % du trafic en deux ans.

Au manque de fiabilité, s'ajoute un manque d'efficacité. La revue « Rail Magazine », a ainsi établi qu'il faut aujourd'hui quinze minutes de plus qu'en 1978 pour rallier par le train le port de Swansea, au pays de Galles, à partir de Londres. La libéralisation, expérimentée par les Anglais, a montré toutes ses limites et ses carences. Le redressement du rail ne peut se contenter de copieuses valorisations boursières, fussent-elles aussi séduisantes que les 65 milliards de francs atteints par Railtrack après avoir été mis sur le marché pour 25 milliards en mai 1996.

1. Résoudre le sous-investissement patent en infrastructure et matériel du rail

Côté route, la longueur du réseau autoroutier en Europe a triplé en 26 ans (1970 - 1996), le réseau classique progressant de 22 %.

Sur la même période, la longueur du réseau ferroviaire exploité a diminué de 8 %, quatre pays concentrant les deux tiers du réseau (Allemagne, France, Royaume-Uni, Italie). En France, la SNCF a abandonné 4 350 km de lignes entre 1970 et 1996, tandis que 5 000 km d'autoroutes supplémentaires étaient mis en service.

En matière de moyens de transport, le parc de camions européen a progressé de 147 % entre 1970 et 1996 (176 % pour les remorques et semi-remorques ; 52 % pour les bus et autocars, 172 % pour les voitures), tandis que le parc de locomotives a régressé de 22 % (- 33 % pour les rames voyageurs, - 61 % pour les wagons marchandises où s'est développé cependant le système de location).

Dans ce contexte, la France s'est singularisée en maintenant son parc de locomotives et de voitures-voyageurs à un niveau équivalent (respectivement aux alentours de 7 000 et 15 000 unités). Mais le nombre de wagons marchandises a été divisé par trois et au rythme actuel des investissements, il faudra cent ans pour assurer leur renouvellement.

Parallèlement, l'accroissement des trafics et la montée en puissance des transports urbains et régionaux autour des grandes métropoles, a créé des goulets d'étranglement sur certains grands axes ferroviaires. C'est le cas, par exemple, des agglomérations parisienne, lyonnaise, bordelaise ou toulousaine.

Au niveau européen, un plan de résorption de ces points de congestion du réseau a été annoncé, avec 200 millions d'euros inscrits sur la ligne budgétaire infrastructures pour 2000.

La France, pays de fort transit, peut espérer bénéficier de cette manne. Cependant, Réseau ferré de France (RFF) a proposé au Gouvernement un programme de 8 à 10 milliards de francs qui, échelonné sur 6 ou 7 années, permettrait de résorber la plupart des goulets d'étranglement tels qu'ils sont identifiés en commun par RFF et la SNCF.

L'investissement nécessaire à l'opération de contournement de Nîmes et de Montpellier s'élèverait à lui seul à près de 5 milliards de francs. Au-delà de ces interventions sur les points de saturation du réseau, il convient également d'apporter des solutions aux problèmes de différenciation de vitesse entre les différents trains, en multipliant, par exemple, les possibilités de dépassement.

Face à une exigence de ponctualité de plus en plus grande des clients et usagers des transports (« c'est donc l'exigence de délai qui devient prédominante en fonction de l'augmentation de la valeur ajoutée du produit », a souligné M. Jean-Claude Berthod, président de Novatrans devant la commission), le rail doit aussi moderniser son équipement roulant et disposer du personnel compétent en conséquence. « Nous n'échapperons pas, si nous voulons doubler le trafic, à des investissements considérables », a insisté le président de la SNCF, M. Louis Gallois, lors de son audition.

Des investissements supplémentaires et spécifiques sont donc indispensables si l'on veut restaurer les atouts du rail ; des efforts « à la hauteur d'un plan Marshall », selon M. Jean-Jacques Filleul, membre de la commission et président du Conseil supérieur du service public ferroviaire.

Les Réseaux transeuropéens de transport, dont la mise en _uvre a été lancée par le conseil d'Essen en décembre 1994 avec le choix de 14 projets prioritaires, se focalisent surtout sur les réalisations de TGV ou de nouvelles liaisons autoroutières.

A ce jour, seuls trois projets prioritaires ont été achevés. Pour la période 1996-97, l'investissement total dans les réseaux transeuropéens de transport s'est élevé à 38,4 milliards d'écus, dont seulement 30 % ont été couverts par des fonds communautaires et la Banque européenne d'investissement (BEI).

En outre, 39 % de l'ensemble des investissements au cours de la période concernée ont été consacrés au rail, 38 % à l'infrastructure routière et 15 % aux aéroports.

La Commission européenne a proposé de dégager 5 milliards d'écus (environ 30 milliards de francs) sur la période 2000-2006 pour les 14 projets prioritaires. Ceci équivaut à 5 milliards de francs par an. A titre de comparaison, la France, pour le seul développement du rail, a prévu de consacrer 120 milliards sur 10 ans, soit une moyenne annuelle de 12 milliards de francs en intégrant les dépenses de RFF, de l'Etat et des collectivités publiques. Présupposer, à l'instar de la Commission, que des financements privés viendront compléter ces efforts, est aléatoire. Par ailleurs, les restrictions budgétaires imposées aux Etats membres freinent les dépenses publiques.

L'Europe doit s'engager plus activement et plus résolument dans un vaste programme de financement pour moderniser mais aussi régénérer les infrastructures. A terme, les pays de transit ne pouvant plus absorber la forte croissance du transport routier, on risque d'aboutir à une situation de paralysie, nuisible à l'ensemble des partenaires. Chaque membre doit donc participer en conséquence, selon le principe d'une mutualisation des coûts, afin de résoudre un problème commun à l'ensemble des membres de l'Union européenne.

De plus, il serait souhaitable que soit réalisé un emprunt à grande échelle, sur le très long terme, par le biais notamment de la BEI.

La politique de crédit de cette dernière mériterait d'ailleurs d'être révisée. M. Claude Martinand, président de RFF, a rappelé ainsi qu'il ne peut emprunter en euros qu'à 12 ou 15 ans, dans des « conditions qui ne sont pas vraiment plus avantageuses » que sur les marchés en devises anglaises ou suisses.

Dans le même temps, la politique européenne des transports ne doit plus reposer exclusivement sur des critères d'amélioration de la rentabilité des entreprises.

Auquel cas, comme on le constate au travers des projets actuels (réseaux transeuropéens) seules les liaisons reliant des zones géographiques compétitives, donc attractives pour d'éventuels capitaux privés, sont privilégiées, au détriment d'un maillage homogène et étendu du territoire.

Pour dynamiser le rail, on ne peut se reposer, comme le suggère la Commission de Bruxelles, sur les prétendues vertus intrinsèques d'une libéralisation et d'une privatisation du secteur ferroviaire. Certes, un certain nombre d'investissements peuvent être l'occasion d'une association privé/public, mais il faut convenir que l'infrastructure ferroviaire a un intérêt socio-économique qui dépasse largement sa rentabilité financière. « Nous aurions pu trouver un financement privé pour des lignes rentables, comme celle du TGV sur le trajet Paris-Lyon, pas sur Paris-Strasbourg. Peut-être sur Paris-Bruxelles, mais seulement à moyen terme. Il s'agit là de tranches assez limitées », a commenté le président de la SNCF.

Dans la perspective de la révision des réseaux transeuropéens de transport, les orientations européennes en matière de développement des infrastructures méritent d'être redéfinies en intégrant les impératifs d'un aménagement du territoire respectueux des intérêts des populations, construit sur une croissance économique partagée et soucieux du respect de l'environnement.

Dans les massifs montagneux, telles les Alpes ou les Pyrénées, il est nécessaire de répondre aux besoins en infrastructures ferroviaires. Actuellement, seuls 5 % du trafic de marchandises qui traverse les Pyrénées transitent sur le rail.

Pour augmenter les capacités du chemin de fer dans ces zones de franchissement, il faut recourir à des modes de financement particuliers, sollicitant davantage de crédits européens (la participation maximale ne dépasse pas 10 % actuellement) tout en mettant également à contribution le secteur routier.

Il faut affirmer plus nettement la possibilité de faire financer le mode ferroviaire par le mode routier, à l'exemple de l'expérience suisse. Le Gouvernement helvétique a décidé de lever progressivement son interdiction de transit pour les camions de plus de 28 tonnes tout en augmentant la taxe de passage. La traversée de la Suisse en camion coûtera l'an prochain environ 730 francs en moyenne contre 170 actuellement. Puis les taxes seront portées à 1 240 francs en 2005 et à 1 375 francs en 2008, année de l'ouverture du nouveau tunnel ferroviaire du Loetschberg qui sera financé par ces recettes.

Pour favoriser l'essor, à l'échelle de chaque Etat, des moyens de transport les plus économes en énergie et les moins polluants, il convient d'harmoniser les fiscalités en privilégiant la création de recettes (soit à partir des taxes sur les produits pétroliers, telle la TIPP en France, soit d'autres formes d'écotaxe) qui soient précisément et durablement affectées au développement des modes de transport les moins coûteux et les moins nuisibles, à terme, pour la collectivité.

Actuellement, la forte disparité des taux de taxe intérieure entre les pays membres contribue à creuser des écarts importants du prix des carburants au sein de la Communauté. En 1999, le prix moyen du gazole, hors TVA, a atteint 6,28 francs au Royaume-Uni (dont 4,35 francs de taxe intérieure), 4,60 francs en Italie (dont 2,56 francs de taxe intérieure), 4,21 francs en France (2,45 francs), mais seulement 3,56 francs au Luxembourg (1,66 franc de taxe intérieure), 3,48 francs en Espagne (1,77 franc), 3,45 francs en Grèce (1,66 franc) et 3,08 francs au Portugal (1,61 franc).

Le Fonds d'investissement des transports terrestres et des voies navigables (FITTVN), créé en France pour favoriser une redistribution intermodale et qui a permis à l'Etat d'injecter 1,9 milliard de francs dans le transport ferroviaire et combiné en 1999 (450 000 francs ont été consacrés en outre aux voies navigables), est un outil appréciable. Ce fonds a été institué à compter du 1er janvier 1995 et comporte deux taxes, l'une due par les concessionnaires d'autoroutes à raison du nombre de kilomètres parcourus par les usagers, l'autre due par les titulaires d'ouvrages hydroélectriques concédés d'une puissance maximale brute supérieure à 4 500 kW implantés sur les voies navigables à raison du nombre de kilowattheures produits. Le FITTVN doit être préservé, son efficacité étant susceptible d'être améliorée par une prise en compte particulière du trafic des poids lourds dans la base de calcul de la taxe sur les autoroutes. Le principe de ce dispositif pourrait être généralisé en Europe.

2. Lutter contre le dumping social dans le transport routier

Le transport routier est un mode utile qui répond à des besoins de souplesse et de réactivité, principalement sur les courtes distances.

Cependant les retards accumulés dans le domaine du droit du travail, qui entraînent un véritable dumping social, ne sont plus acceptables, tant pour les salariés de ce secteur, que du point de vue de la sécurité routière.

Les Français et, plus largement les Européens, ne sont pas les seuls à se préoccuper de la réglementation du temps de conduite et des conditions de travail dans le transport routier. Le Gouvernement américain, pourtant peu enclin à brider le libéralisme, vient de proposer une réforme de sa législation, laquelle permet, en l'état, au camionneur de demeurer au volant pas moins de 16 heures pendant 24 heures. Parmi les options avancées, l'une d'elle réduit la durée de travail à 12 heures de service par 24 heures en incluant des périodes de repos obligatoire entre minuit et six heures. Le but affiché par les autorités américaines est de renforcer la sécurité et de mieux respecter les rythmes naturels des chauffeurs.

Un projet de directive européenne sur l'exercice du transport routier de marchandises, rédigé en 1997 à l'initiative de la France, prévoit, pour sa part, l'instauration d'une durée maximale du temps de travail hebdomadaire fixée à 48 heures.

Dans la pratique, et selon les Etats, elle dépasse actuellement les 60 heures de moyenne.

« Vous lisez régulièrement dans la presse le récit des accidents provoqués par des conducteurs qui ont largement dépassé les normes admissibles de temps de conduite », a tenu à souligner M. Hubert du Mesnil, directeur des transports terrestres devant la commission. « Je dois vous dire par exemple que les deux tiers des infractions constatées sur les routes, sont des infractions à la réglementation sociale. Il s'agit de conducteurs qui dépassent les temps de conduite autorisés, soit par période de 4 heures 30, soit par journée, soit par semaine. Lorsqu'on atteint ces proportions, il est plus que temps d'en faire un objectif prioritaire. »

Un premier pas vers une harmonisation sociale et vers un renforcement des règles dans le secteur du transport routier doit être franchi lors de la présidence française qui aura l'opportunité de mettre ce projet de directive à l'ordre du jour.

Au-delà de la durée hebdomadaire de travail, il semble urgent qu'un véritable taux de salaire horaire soit déterminé dans chaque Etat.

Ces mesures qui tendent vers une tarification sociale obligatoire permettraient de progresser vers une plus grande vérité des coûts dans la concurrence entre modes de transport.

Rappelons, à ce sujet, comme il a été souligné au début de ce rapport, que le secteur routier ne prend en charge qu'une partie des investissements d'infrastructures et des coûts environnementaux qu'il génère.

Des pays de l'Union européenne envisagent ou ont décidé de prélever des redevances sur le transport routier afin de financer les prestations que leurs collectivités consacrent aux routes.

Pour la France une telle hypothèse n'est pas à écarter, notamment pour les camions en transit qui n'empruntent pas les autoroutes à péages.

En outre, on ne peut éluder un nouveau phénomène de dumping social qui tend à se développer en Europe : l'utilisation par des sociétés de transport routier communautaires, via des filiales, de conducteurs originaires d'Europe centrale, de Bulgarie ou de Roumanie notamment, qui sont embauchés à des salaires inférieurs de moitié à ceux pratiqués dans l'Union européenne et soumis à des conditions de travail inadmissibles. Ainsi, la firme allemande Willi Betz emploie 4 000 chauffeurs bulgares pour un coût salarial mensuel de 11 000 francs par personne, contre 25 000 francs, par exemple, pour un conducteur français. Cet avantage salarial représente, sur un an, près de 16 % des 4,7 milliards de francs de chiffre d'affaires de la compagnie dont le centre opérationnel est situé près de Stuttgart.

Un groupe de travail paritaire européen sur la situation des conducteurs ressortissants des pays tiers a été constitué pour formuler des propositions propres à lutter contre ce dumping social.

La mise en place d'une licence conducteur, attestant que le chauffeur est bien employé régulièrement dans le pays où se trouve son employeur, figure au premier plan des solutions évoquées lors des premières réunions du groupe.

Des mesures s'imposent afin que les conducteurs d'origine extra-communautaire, lorsqu'ils travaillent dans des entreprises qui opèrent à l'intérieur de l'Europe, soient embauchés et employés dans les mêmes conditions que les salariés des pays où ils exercent leur activité.

3. Favoriser l'harmonisation technique entre les différents réseaux ferroviaires européens, la cohérence des politiques tarifaires et l'émergence de structures de coopération communes

De l'avis de M. Louis Gallois, président de la SNCF, assurer l'inter-opérabilité au niveau européen est un chantier gigantesque :

« S'il s'agit de mettre le même système de signalisation et de sécurité sur tous les réseaux, je peux vous dire que des dizaines de milliards, il va en falloir. Nous-mêmes, nous avons déjà dépensé, pour mettre en place nos systèmes de signalisation et de sécurité, des sommes importantes. Il faut savoir que depuis 20 ans, chaque réseau a développé son système de sécurité informatique, qui est totalement incompatible avec le réseau du voisin. Ainsi, l'inter-opérabilité a diminué sur les vingt dernières années très sensiblement, à coups d'investissements de modernisation massifs ; c'est de cette situation qu'il faut maintenant que l'on reparte pour redéfinir l'inter-opérabilité. »

Le plan arrêté par les ministres européens à l'issue du Conseil des 9 et 10 décembre 1999 pour favoriser l'inter-opérabilité entre les Etats membres et aboutir à terme à un réseau transeuropéen de fret doit être activé par des financements conséquents.

En s'associant, les entreprises ferroviaires des différents Etats membres ont l'occasion de coordonner leurs investissements, en particulier dans les matériels roulants. La SNCF et son homologue allemande réfléchissent à un type de locomotive diesel fret européenne. Outre les économies résultant de l'effet de masse des commandes, ces projets communs concourent à une meilleure homogénéité technique.

Les liens entre entreprises ferroviaires des différents Etats membres permettent de créer un réseau d'alliances. Des structures vont prendre corps. A terme, se posera la question de savoir si elles deviendront de véritables entreprises ferroviaires, et si Eurostar, par exemple, deviendra propriétaire de ses propres rames, ce qui n'est pas le cas actuellement.

Comment répondre ainsi aux besoins de coopération entre compagnies ferroviaires des différents Etats, sans s'en remettre à la « main invisible » du marché qui aurait pour conséquence un écrémage de l'offre et un repli sur quelques sillons suffisamment rentables en termes de retour sur investissement ?

Il est souhaitable de réfléchir, dans le domaine des transports, et particulièrement dans le rail, à la définition d'un cadre institutionnel pour asseoir l'existence d'entreprises publiques européennes permettant une mutualisation des coûts, des expériences et des compétences, mettant en _uvre des mécanismes de péréquation entre les lignes rentables et les lignes non rentables et soucieuses de garantir l'égalité d'accès pour les usagers et le développement équilibré des territoires.

La création de gestionnaires d'infrastructures indépendants, soumis aux contraintes d'équilibre de leur compte d'exploitation, tend, en l'absence d'intervention publique, à imposer des péages prohibitifs aux entreprises ferroviaires. Cette situation accroît les conditions de concurrence déloyale entre le rail et la route, les sociétés de poids lourds n'étant confrontées à aucun bilan de compte d'infrastructure qui leur ferait supporter l'intégralité des charges induites par l'entretien et le développement du réseau routier. Or, le règlement horizontal relatif aux aides d'Etat sera prochainement refondu.

Il concerne, pour les transports, les conventions de service public prévues par l'ancien article 77 du Traité de Rome, qui est d'ailleurs le seul article où l'on parle de service public. Il est tout à fait légitime que des conventions de service public prévoient explicitement des aides de l'Etat ou des collectivités territoriales pour garantir les objectifs de service, de fréquence et de tarif, que l'autorité organisatrice souhaite atteindre. Les transports combinés sont eux aussi concernés puisque c'est un des domaines pour lesquels l'Union européenne reconnaît la légitimité d'un certain nombre d'aides publiques, légitimité reconnue aussi pour l'infrastructure qui est une affaire qui concerne d'abord les pouvoirs publics.

Les conditions d'amortissement des infrastructures ferroviaires par l'entreprise qui les utilise doivent être fixées en tenant compte de sa capacité contributive. Le niveau de péages exigé par le gestionnaire d'infrastructure commence à être très significatif, puisqu'en France, par exemple, leur produit représente actuellement le cinquième, environ, des recettes commerciales de la SNCF.

Il faut affirmer le statut particulier des gestionnaires d'infrastructures, leur donnant droit de bénéficier d'aides publiques suffisantes pour que la participation des entreprises ferroviaires soit établie selon leurs capacités contributives au regard du marché, et non en fonction de la totalité des coûts.

4. Stimuler la croissance du transport combiné

Le transport combiné, et particulièrement le transport combiné rail-route (par caisses mobiles), est devenu un enjeu majeur de la politique des transports en France et en Europe. Dans de nombreuses régions des projets se développent pour dynamiser ce nouveau mode qui s'avère plus respectueux de l'environnement et constitue une des solutions alternatives à « l'hégémonie routière » et à l'engorgement des réseaux. Même s'il a connu une récente embellie avec des taux de croissance élevés, le transport combiné n'est pas la panacée universelle qui, automatiquement, va inverser la tendance à lui seul.

Le transport combiné rail-route ne représente encore qu'une faible part de l'ensemble des transports en France réalisés à 150 km et plus : environ 4 %, mesurés en tonnes, et 7,5 % mesurés en tonnes/km.

Après une hausse de plus de 11 % en 1997, les tonnages transportés en mode combiné ont stagné en 1998. Néanmoins, leur part au sein des transports ferroviaires à 150 kilomètres et plus est constante, de l'ordre de 20 % des tonnages et de 26,5 % en tonnes/km.

Le transport combiné se compose à 41,5 % de tonnages transportés dans un cadre national, à 22,5 % d'échanges internationaux et à 36 % de flux en transit.

L'un des premiers freins au développement du mode combiné réside dans la disparité des politiques menées par les différentes entreprises ferroviaires.

Ainsi, les efforts déployés par la SNCF pour valoriser le mode combiné se heurtent aux conceptions de gestion opposées mises en _uvre par des pays limitrophes. Tandis que la société nationale française a maîtrisé ses tarifs pour soutenir le trafic combiné, ses homologues allemandes et italiennes ont augmenté leurs prix dans des proportions considérables. Du coup, pratiquement plus aucun train de transport combiné ne va vers l'Allemagne. A l'échelle de l'Union européenne, il apparaît donc indispensable de progresser vers une harmonisation des tarifs, tant en matière de péages des infrastructures que de transport combiné.

La clé du transport combiné a, jusqu'à présent, été souvent recherchée dans la dimension technique et organisationnelle. Or, l'utilité des plates-formes de transport combiné de taille considérable, extrêmement coûteuses (de l'ordre de 500 à 600 millions de francs) n'est pas toujours prouvée. Dans la région Ile-de-France ou dans le Nord, où l'on peut prévoir des concentrations de trafic considérables à échéance de dix ans, le besoin de plate-forme est manifeste.

Mais dans les autres zones, il convient de réfléchir en veillant à mettre en adéquation l'offre avec la demande.

D'autres pays de l'Union européenne ont conduit des expériences instructives en créant des plates-formes de transport combiné beaucoup plus frustes, qui fonctionnent avec des grues mobiles et des installations assez sommaires mais convenables, demandant des investissements moins considérables.

Il faut privilégier la réalisation de chantiers de transport combiné, à savoir d'espaces relativement réduits sur lesquels sont installées deux ou trois voies ferroviaires, d'environ 750 mètres de long, et équipés de plusieurs grues. Ces chantiers, voués essentiellement au transbordement, représentent des infrastructures moins complexes qu'une plate-forme multimodale de grand gabarit, pour un coût dix fois moindre, et un délai de construction ramené à un an contre sept à huit ans pour les gros projets.

On peut aussi moderniser un certain nombre de plates-formes existantes, par exemple en allongeant les quais.

Le choix du site s'avère malgré tout primordial. Il est préférable que le lieu d'implantation soit suffisamment éloigné des principaux pôles économiques et urbains, tout en étant susceptible de profiter d'un important volume d'échange. Car il ne suffit pas de créer une plate-forme logistique pour susciter des trafics et les terrains retenus sont inadaptés s'ils ne permettent pas l'utilisation de sillons ferroviaires convenables.

Par ailleurs, d'aucuns recommandent aujourd'hui la création d'« autoroutes roulantes », c'est-à-dire de sillons dédiés au transport de camions directement embarqués sur des trains. Ce système, en principe, est séduisant. Mais, il implique des aménagements de voie spécifique, des travaux considérables pour adapter le réseau, notamment les tunnels, au gabarit particulier qu'exige ce mode. Globalement, on évalue l'investissement nécessaire à 50 millions de francs du kilomètre, un coût qui semble excessif en comparaison de l'utilisation escomptée. D'autant que les opérateurs de transport combiné, défavorables à cette option, en critiquent le coût de fonctionnement puisqu'au prix du transport ferroviaire vient s'ajouter la charge salariale du conducteur qui voyage avec son camion.

Si séduisants soient-ils, les projets d'autoroute roulante apparaissent aujourd'hui extrêmement onéreux par rapport à leur intérêt. Toutefois, il est possible et nécessaire de les concrétiser dans des situations particulières comme la traversée de la Manche ou des Alpes par exemple, où il existe un obstacle naturel à franchir sur une courte distance.

5. L'atout de la régionalisation

A des rythmes et selon des modalités différentes, les pays de l'Union européenne structurent leurs services régionaux de transports ferroviaires. En 1997, une expérimentation a été lancée en France qui confie aux régions des pouvoirs d'autorité organisatrice, la SNCF demeurant l'opérateur exclusif.

Le projet de loi relatif à la solidarité et au renouvellement urbains, actuellement examiné par le Parlement, tend à généraliser, à compter de janvier 2002, un dispositif dont les résultats, dans les sept régions pilotes, sont positifs.

Le trafic a ainsi augmenté dans les régions expérimentales de 4,4 % entre 1996 et 1997 et de 2,4 % de 1997 à 1998, tandis que dans les autres régions les progressions n'ont atteint respectivement que 1,9 % et 1,5 %.

La mise en _uvre d'un programme de modernisation des équipements, portant sur un montant total de 6 milliards de francs, a déjà permis la rénovation de 10 % du matériel roulant de ces régions test. Ce progrès ouvre des perspectives dynamiques quand on sait que la distance moyenne parcourue journellement pour les matériels TER neufs s'élève à 400 km alors qu'elle n'est que de 250 km sur la totalité du parc.

Enfin, autre élément d'appréciation, les parcours totaux en trains kilomètres des six premières régions expérimentales se sont accrus de 6,2 % alors que le matériel ne progressait que de 4 % soit une amélioration de la productivité du matériel de 2 % environ.

Cette dynamique permet aux chemins de fer de jouer un rôle toujours plus important dans l'accroissement de l'offre de transport collectif indispensable pour résorber la congestion des axes routiers autour des métropoles urbaines.

Au demeurant, la réussite du processus de régionalisation suppose de doter les régions de ressources financières nouvelles, de garantir l'unicité du réseau national de chemin de fer et de conserver, sous la responsabilité de l'Etat, une politique de développement du service public qui veille au respect de l'intérêt collectif et à la promotion d'un aménagement du territoire harmonieux.

Les propositions de la Commission de Bruxelles conduisant à ouvrir les réseaux régionaux à des candidats autorisés, ne disposant pas du statut d'entreprise ferroviaire, ne semblent pas de nature à répondre aux exigences de sécurité, de continuité du service et d'unité tarifaire. Il convient d'ailleurs d'éviter la mise en place de concurrence entre les régions, source de gâchis et de doublons, et de favoriser au contraire les péréquations et les coopérations entre autorités organisatrices de transport.

Pour l'entretien et la modernisation des équipements, il s'agit d'envisager la possibilité d'instaurer des « pools » interrégionaux, en relation avec la SNCF, pour coordonner les programmes et en partager les coûts.

6. Maîtriser les déplacements urbains et valoriser les transports collectifs

L'urbanisation croissante et l'étalement des villes ont profondément modifié les besoins et les pratiques de déplacement. Depuis une trentaine d'années, on assiste à une péri-urbanisation croissante de la population, entraînant une augmentation des fréquences et des distances des trajets pour des motifs variés (travail, mais aussi commerce et loisirs). Le recours massif à des modes de transport motorisés individuels, au premier rang desquels l'automobile, engendre cependant des nuisances importantes dans la plupart des grandes agglomérations européennes : pollution atmosphérique et sonore, encombrement de l'espace, accidents.

Une étude, portant sur 57 agglomérations européennes dans le cadre du projet SESAME, évalue à 47,8 % la part moyenne de la voiture dans les déplacements des habitants de la ville-centre. Cette proportion varie toutefois de 27,1 % à Barcelone, où les transports collectifs sont historiquement très implantés, à 33,9 % à Amsterdam, où le vélo a été érigé en priorité, avant même la marche, pour atteindre souvent plus de 50 % comme à Saarbrück (56 %), Bristol (57,6 %), Dunkerque (58,8 %) ou encore Leicester (69,3 %).

Les pouvoirs publics, locaux ou nationaux, tentent bien de contrôler, ou de limiter, les effets indésirables de cette évolution, mais sans que les résultats soient toujours significatifs.

L'enjeu est pourtant crucial pour l'avenir de nos sociétés. Car si l'on se réfère aux indications livrées par le dernier recensement de la population française, en 1999, la situation risque bientôt de devenir insupportable pour les populations et incontrôlable pour les élus. Depuis 1990, 677 nouvelles communes ont ainsi été classées urbaines alors que 20 sont redevenues rurales. La tendance à l'étalement urbain, amorcée depuis les années 60, s'est donc poursuivie par l'inclusion dans les zones urbanisées de communes auparavant rurales, et au peuplement moins dense. Au total, la France métropolitaine compte 5 944 communes urbaines qui regroupent 75,5 % de la population sur 18,4 % du territoire. Le territoire urbain, ensemble des communes urbaines, occupe en effet 100 000 km² en 1999, en extension de 10 000 km² par rapport à 1990.

Face à cette mutation, le projet de loi sur la solidarité et le renouvellement urbains, présenté au Parlement par le Gouvernement, propose de mieux maîtriser l'espace urbain, d'harmoniser davantage les politiques de déplacement et de coordonner les réseaux de transport collectif.

Il convient, en effet, de promouvoir en priorité une politique d'aménagement du territoire économe en espace, s'attachant à rapprocher les services et les emplois des lieux où résident ceux qui en ont besoin en vue de réduire les motifs de déplacement. Cet objectif implique une amélioration de la qualité de vie dans les proches périphéries des métropoles, notamment en rétablissant une bonne fluidité de circulation, en revalorisant les services proposés aux habitants des communes de petite couronne (emploi, commerce, transport en commun, formation ...) et en s'attaquant à une ségrégation sociale croissante.

En outre, l'alternative au « tout-automobile » et la satisfaction des besoins en déplacement urbain, de banlieue à banlieue en particulier, passe par un développement de l'offre et de l'attractivité des transports collectifs. Nombre d'expériences ont montré les limites des actions coercitives (interdiction de stationnement) mises en _uvre pour contraindre les conducteurs à délaisser leur voiture.

En revanche, on enregistre le plus souvent une hausse de l'utilisation des transports en commun lorsque des politiques expansives sont privilégiées, qu'il s'agisse de la création de nouvelles dessertes ou de l'adoption d'horaires adaptés aux attentes des usagers, de la modernisation des véhicules et de l'augmentation de la vitesse commerciale (à l'exemple des nouvelles lignes de tramway ou de bus en site propre), du renforcement de la présence de personnel sur le réseau ou encore du recours à des tarifs abordables et incitatifs.

Rappelons qu'en Ile-de-France, en 1996, les dépenses de transport, tous modes confondus, représentaient 201 milliards de francs, dont 42 milliards consacrés aux transports collectifs. Sur ce dernier montant, 10 milliards de francs sont payés par les usagers, 14 milliards par les employeurs et 18 milliards par des fonds publics issus de l'impôt. Les dépenses franciliennes d'investissement se montent à 2 milliards de francs par an pour la route et à 3 milliards de francs pour les transports en commun.

En sus des travaux courants, ces crédits permettent chaque année la construction de 1 km de voie express, de 1 km de métro (ou 5 km de tramway) et l'amélioration des voies et des trains de la SNCF. Or, la seule réalisation des orientations du schéma directeur d'aménagement induit un doublement de ces investissements.

On peut ainsi mesurer l'étendue du chemin à parcourir.

Pour avancer dans cette voie, il faut affecter de nouvelles ressources financières aux autorités organisatrices de transport.

A l'instar des Länders allemands, qui perçoivent une part des taxes sur les produits pétroliers pour soutenir leurs investissements dans les transports collectifs, il est nécessaire d'instaurer des dispositifs de solidarité intermodale, les recettes créées par la fiscalité sur les modes polluants devant servir au développement des moyens les plus économes en énergie et les plus respectueux de l'environnement. De plus, il convient d'étendre et de rendre plus efficaces les systèmes mettant à contribution les entreprises, grandes bénéficiaires de transport tant par l'acheminement des marchandises que par le déplacement des salariés.

B. - LA VOIE D'EAU : UNE DYNAMIQUE DE RECONQUETE A ENCOURAGER

Le transport fluvial a un rôle important à jouer dans l'objectif de rompre avec le tout routier. Alors que montent dans la société les préoccupations sur les conséquences du transport routier, la voie d'eau présente des atouts à valoriser afin de diversifier les alternatives crédibles à la route. C'est un mode de transport économe possédant d'importantes réserves de capacités à développer. Il est en effet possible de multiplier par 5 le trafic sur la Seine et par 8 ou 9 sur le Rhône avant de parvenir à une saturation de ces axes.

Le regain d'intérêt évident, observé depuis quelques années pour le transport fluvial, mérite d'être souligné, mais également encouragé par une politique volontariste de création de nouvelles infrastructures répondant aux exigences des transporteurs.

1. Le renouveau du transport fluvial

Le trafic fluvial français a atteint son apogée en 1970 avec 12,7 milliards de tonnes/kilomètres (Tkm) transportées. Il a ensuite fortement décliné jusqu'en 1994 (5,6 milliards de Tkm). La reprise d'abord timide s'est nettement accélérée ces deux dernières années. Ainsi une progression de son activité de plus de 20 % en deux ans a permis au transport fluvial, pour la première fois depuis de nombreuses années, de gagner des parts de marché sur la route et le chemin de fer.

Si ce renouveau est en partie porté par le dynamisme retrouvé de marchés traditionnels du fluvial comme les secteurs du bâtiment, des combustibles ou agricoles, il importe de noter la conquête de nouveaux marchés. L'augmentation marquée des trafics en produits chimiques et manufacturés illustre la réussite de l'effort de diversification des acteurs de ce secteur et les possibilités de croissance pour ce mode de transport. Ces nouveaux marchés profitent au trafic des conteneurs qui a connu une forte croissance. Ainsi, depuis la mise en place, en 1998, de trois rotations hebdomadaires de porte-conteneurs, le trafic entre Le Havre et Gennevilliers a cru de 50 %.

Ces taux de croissance à deux chiffres marquent une inversion de tendance remarquable. Il faut toutefois noter que le transport fluvial reste marginal en France. Alors que le trafic routier de marchandises était en 1999 de 177 milliards de tonnes/kilomètres, il atteignait sur la voie d'eau 6,8 milliards. Si les taux de croissance de ce mode représentent, depuis 2 ans, plus du double de ceux du trafic de marchandises, la part du fluvial dans l'ensemble des modes a atteint tout juste 3 % en 1999 contre 2,7 % en 1997. En comparaison, cette part est de 7,2 % dans l'Europe communautaire, de 12 % en Belgique, de 14 % en Allemagne et de 43 % aux Pays Bas.

La modestie du chiffre (3 %) ne rend qu'imparfaitement compte de la place de ce mode de transport en France. L'hexagone n'est, en effet, irrigué par des voies navigables que sur la moitié du territoire où le transport fluvial réalise 8 % des échanges en moyenne. De plus, le trafic est concentré sur les portions du réseau à grand gabarit (1 760 km au gabarit européen pour un total de 8 500 kilomètres de voies navigables). Ainsi la part modale de la voie d'eau est significative dans les régions traversées par les grands axes fluviaux. Elle est entre 10 et 15 % dans le bassin de la Seine et entre 15 et 20 % dans le bassin du Rhin et de la Moselle.

2. Des efforts à amplifier pour développer les infrastructures

Ces constats illustrent le principal obstacle auquel doit faire face le transport sur voie d'eau en France. L'absence de maillage du réseau et ses caractéristiques insuffisantes expliquent la faiblesse relative de ce mode de transport en France. En effet la compétitivité de la voie fluviale s'affirme sur des distances de 300 à 1000 km qui permettent d'absorber les surcoûts des manutentions terminales qu'elle nécessite. Ceci montre bien le handicap du système français où le trajet moderne le plus long, l'axe Rhône/Saône, ne mesure qu'environ 420 km.

Le réseau français à grand gabarit est réduit. Par ailleurs il n'est pas unifié. Seuls 4 réseaux (Seine et Oise ; Nord - Pas de Calais ; Rhône et Saône ; Moselle et Rhin), isolés les uns des autres, permettent la navigation des flottes modernes de grandes tailles. L'interconnexion ne peut être réalisée que par des bateaux plus petits. La liaison avec les grandes voies fluviales européennes n'est assurée que pour le Rhin et le canal de Dunkerque à Valenciennes. Ainsi la Seine et le Rhône sont des bassins fermés.

Afin de stopper le déclin du transport fluvial il a fallu d'abord restaurer et moderniser les voies existantes après une longue absence de volonté des pouvoirs publics d'investir dans ce mode et d'entretenir le réseau. La création de Voies navigables de France (VNF) fut certainement l'expression de la prise en compte des besoins dans ce domaine. Mais la modestie de ses moyens a limité son action.

En 1997, la voie d'eau bénéficiait d'un budget de 370 millions de francs, 20 au titre du plan économique et social de la batellerie et 350 pour le FITTVN.

Depuis cette date les choses ont évolué. En 2000 la dotation du FITTVN affectée aux voies navigables a atteint 500 millions de francs. M. Jean-Claude Gayssot s'est engagé à ce que «cet effort soit poursuivi et intensifié dans les années à venir. » C'est indispensable. Parallèlement à ce mouvement les contrats de plan pour 2000-2006 marquent incontestablement un tournant dans le financement public de ce mode. En effet, par les engagements conjugués de l'Etat, des collectivités et de VNF (au titre des contrats de plan ou de conventions spécifiques) le niveau d'investissement devrait atteindre sur la période pratiquement 4,2 milliards de francs, soit cinq fois plus que les 830 millions de la période 1994-1999. Grâce à ces moyens la modernisation du réseau pourrait être globalement achevée à la fin du XIIème plan.

Parallèlement à ces interventions, il convient d'améliorer l'intégration du transport fluvial dans la chaîne logistique. L'amélioration des interfaces entre le fluvial et les autres modes doit être une priorité. L'exemple des grands ports d'Europe du Nord montre combien la desserte fluviale est déterminante pour leur compétitivité et par conséquent pour l'essor du transport sur la voie d'eau. Le choix de réaliser un terminal consacré au fluvial dès la première phase du projet « Port 2000 » au Havre illustre les efforts effectués dans ce domaine.

Ces efforts portent sur des améliorations fondamentales mais de nature essentiellement qualitative. Une telle politique ne peut avoir que des effets limités et de court terme. Le développement du réseau à grand gabarit doit compléter cette politique de restauration afin de rééquilibrer l'offre au profit de ce mode de transport.

Ce point de vue est confirmé par une récente analyse prospective à l'horizon 2020 menée par VNF. Ce travail montre que la poursuite de la politique de fiabilité du réseau permettrait un accroissement annuel moyen de 1,9 % du trafic d'ici à 2020. Afin d'atteindre des niveaux de croissance plus importants, il apparaît capital de capter de nouveaux trafics par des actions de modernisation visant à étendre ponctuellement le réseau à grand gabarit. Ainsi VNF estime qu'il est possible que le taux de croissance annuel atteigne 4 %. Il est à noter qu'une partie des aménagements prévus dans ce scénario sont déjà inscrits aux contrats de plan Etat-régions 2000-2006.

Au-delà de ces investissements, l'aménagement complet de la liaison à grand gabarit Seine-Nord est la suite logique de la volonté de relance du transport fluvial. On peut se féliciter que M. Jean-Claude Gayssot ait annoncé que « le principe d'un aménagement progressif de la liaison nouvelle entre Compiègne et le canal Dunkerque-Escaut va être inscrit dans le schéma de services de transport de marchandises ». Mais sans attendre, dans la période 2000-2006 couverte par les contrats de plan, sera engagé l'aménagement des extrémités nord et sud de cette liaison. La réalisation d'un nouveau canal à grand gabarit devant relier le bassin de la Seine au réseau du nord de la France et à l'Europe du Nord doit générer environ 2,4 milliards de tonnes/km en 2020. Le trafic par voie d'eau pourrait alors connaître une croissance annuelle de 4,7 %, selon VNF.

Au-delà des chiffres, dans une conjoncture tendue d'augmentation du transport de fret à longue distance, ce projet, en reliant le réseau français de voies à grand gabarit au reste de l'Europe, permet de rompre l'isolement du bassin de la Seine et de renforcer la compétitivité des ports français en favorisant leur desserte fluviale et en élargissant leur hinterland.

Le projet Seine-Nord n'est pas le seul envisagé pour développer le réseau. Deux autres pistes existent. Il s'agit de Seine-Est reliant la Seine à la Moselle et au Rhin et de Moselle-Saône visant à faire un axe Nord-Sud à grand gabarit connectant le Rhône aux réseaux Nord-européens. Ces deux projets sont de long terme. La réalisation d'un seul des deux ne pourrait intervenir avant 2020. Il est impossible aujourd'hui de hiérarchiser ces projets même s'il semble de premier abord que l'axe Nord-Sud doit être développé afin de rompre l'isolement du bassin du Rhône. En tout état de cause des études sont nécessaires. Elles doivent être engagées. Les études de cadrage menées sur la seule liaison Seine-Moselle sont à compléter par des études sur Moselle-Saône afin de prendre en compte les effets de synergies entre les deux projets.

Les efforts à effectuer pour créer une infrastructure fluviale apte à faire de la voie d'eau un élément participant au rééquilibrage de l'offre de transport au profit de modes alternatifs à la route sont importants. Ils sont la conséquence du désengagement de l'Etat de ce secteur depuis plusieurs décennies. Si l'on veut faire du fluvial un moyen de diversifier les modes de transport, il est nécessaire de rattraper ce retard en adaptant les voies navigables aux besoins des industries clientes.

Le FITTVN peut être un outil au service de cette ambition si la part réservée au fluvial en son sein continue de croître. Comme pour le ferroviaire, le mode routier doit contribuer au financement du développement des voies fluviales. Le FITTVN donne l'occasion d'une redistribution vers les modes alternatifs à la route.

L'Union européenne doit s'engager auprès du Gouvernement français dans cet effort. L'objectif des infrastructures à réaliser est de connecter le réseau fluvial français aux grands axes européens. S'il s'agit d'une question française, elle n'en a pas moins un intérêt européen indéniable. Aussi convient-il de mobiliser les possibilités de financement à ce niveau (budget dédié aux réseaux transeuropéens de transport, fonds structurels). La redéfinition des orientations en cours pourrait être l'occasion de mettre en acte la volonté de donner une place plus importante au fluvial.

C. - SOUTENIR LE DEVELOPPEMENT DE LA FLOTTE ET DES PORTS FRANÇAIS, FAVORISER LE CABOTAGE EN EUROPE, EN DONNANT LA PRIORITE A LA SECURITE

Le transport maritime demeure un pilier essentiel du commerce extérieur de la France, comme de l'Union européenne. A l'échelle mondiale, il affiche un taux de croissance annuel moyen de 5 % en volume depuis dix ans. La moitié du commerce international de la France, en volume, import et export confondus, emprunte la voie maritime. Ce taux atteint 90 % pour les échanges avec les partenaires extra-européens. En 1998, près de 26 % des 261 millions de tonnes de marchandises échangées avec les quatorze autres partenaires européens ont été acheminés par mer (56 % par la route, seulement 8 % par le rail). Ce trafic est demeuré stable par rapport à 1997. Hors Union européenne, la voie maritime représente plus de 80 % des tonnages à l'importation (+ 5,4 % par rapport à 1997) et 75 % à l'exportation (+ 4,7 % après une progression de 11 % en 1997). Pour l'Union européenne, 90 % de ses relations commerciales avec le reste du monde s'effectuent également par mer. « Je cite toujours un chiffre, qui n'est qu'une estimation mais qui frappe un peu les esprits, a déclaré M. Claude Gressier, directeur du transport maritime, des ports et du littoral, lors de son audition devant la commission, la SNCF transporte 55 milliards de tonnes/km ; pour le commerce international de la France par voie maritime, il s'agit de 750 milliards de tonnes/km. Aujourd'hui, bien que le pavillon français ait beaucoup régressé, il en assure encore un peu moins de la moitié, soit 40 %, ce qui n'est pas négligeable ».

Toutefois, la France avec 210 navires de charge et de croisière sous son pavillon (auxquels s'ajoutent 90 bateaux sous pavillon tiers et une soixantaine affrétés sur une longue durée), n'occupe que le 28ème rang mondial dans le classement des armements. Il y a une vingtaine d'années, la France occupait le 8ème rang. En outre, un récent rapport de la Cour des comptes, analysant les trafics des ports français entre 1991 et 1997, constate que ces ports ont perdu des parts de marchés par rapport à leurs voisins européens.

De 1991 à 1993, voire au début de 1994, on constate effectivement une érosion des parts de trafic. Mais si l'on prend les trafics entre 1994 et 1998, on s'aperçoit qu'ils ont augmenté dans les ports autonomes français de 25 millions de tonnes alors que le trafic d'ensemble des ports majeurs européens, dont les ports autonomes français font partie, n'a cru que de 13 millions de tonnes.

Tant du côté des armateurs que des gestionnaires des activités portuaires, les opérateurs français évoluent dans un marché fortement déréglementé où la concurrence intra-européenne comme extra-européenne est particulièrement vive. La pression du dumping social est très sensible.

Certains pays, à l'intérieur même de l'Union européenne, adoptent des fiscalités extrêmement faibles, voire nulles. « C'est le problème de la fiscalité, des charges sociales et celui du régime des congés qui posent problème. En Hollande, l'exonération des charges sociales est totale, en Espagne et en Italie aussi », a témoigné devant la commission M. Marc Chevallier, président du Comité central des armateurs de France.

Par ailleurs, nombre d'armateurs utilisent aujourd'hui des navires sous normes, en employant des équipages sous-rémunérés, insuffisamment formés, qui embarquent sur des bateaux en mauvais état ou pas entretenus.

« La concurrence des navires sous normes est déloyale pour les armateurs français, a relevé M. Marc Chevallier. Toutes les actions qui pourront nous permettre de lutter contre eux seront les bienvenues, parce qu'il s'agit aujourd'hui de rémunérer le transport maritime à sa juste valeur (...). Des navires sous normes sont capables d'offrir des prix dont les affréteurs profitent. Il faut faire la police chez les armateurs, les affréteurs, les assureurs, dans les chantiers et auprès des sociétés de classification. »

Le naufrage du pétrolier « Erika », en décembre 1999, qui a provoqué de considérables dégâts écologiques et sociaux sur 400 kilomètres du littoral atlantique français, met en évidence les dérives du marché du transport maritime, l'insuffisance des réglementations ainsi que l'application très imparfaite des normes internationales et communautaires qui régissent ce mode de transport.

1. Renforcer en priorité la sécurité maritime

La catastrophe de « l'Erika » montre l'urgence d'un renforcement de la sécurité maritime. Le ministre des transports a réuni des tables rondes et a formulé des propositions, transmises à la Commissaire européenne, Mme Loyola de Palacio, ainsi qu'à l'organisation maritime internationale (OMI). Sa démarche doit être soutenue pour trouver des traductions, pendant et après la présidence française de l'Union européenne.

Actuellement, en théorie, un contrôle très renforcé des navires a lieu tous les cinq ans, un contrôle léger tous les ans, un contrôle intermédiaire plus approfondi tous les deux ans et demi, mais pas nécessairement en cale sèche. Les navires qui ont un double fonds connaissent un phénomène d'électrolyse dû à la présence d'eau salée dans les ballasts, à côté de produits chauffés. En cas de négligence, la tôle s'abîme. Il est absolument indispensable, au minimum tous les deux ans, d'effectuer des radiographies des tôles et des inspections très détaillées afin de vérifier si l'épaisseur de tôle diminue.

Il faut donc à la fois un renforcement des contrôles et les pratiquer obligatoirement en cale sèche pour les pétroliers et les chimiquiers, tous les deux ans et demi.

Néanmoins, les inspections à quai, dans un port où l'eau est calme, semblent peu adaptées aux navires de charge, comme l'a souligné M. Daniel Paul, membre du bureau de la commission.

Aussi, est-il recommandé que des contrôles complémentaires aient lieu en pleine mer et à pleine charge afin que des techniciens compétents puissent enregistrer les réactions du bateau aux coups de boutoirs de la mer, en fonction de la répartition des marchandises dans les cales.

Il faut en outre instaurer un système de contrôle des contrôleurs, c'est à dire une vérification de la qualité des contrôleurs des différents Etats ou des sociétés de classification par des experts agréés aux plans européen et mondial.

Dans une proposition de directive, la Commission européenne suggère plusieurs séries de mesures : le renforcement du contrôle des navires, par l'Etat du port ; l'assujettissement des sociétés de classification à une procédure d'agrément centralisée et harmonisée ; l'introduction accélérée des prescriptions relatives à la double coque. Pour éviter que les pétroliers à simple coque, bannis des eaux américaines à partir de 2005, ne continuent de naviguer dans les eaux européennes, la Commission européenne entend aligner les limites d'âge des navires et les échéances prévues par la convention internationale pour la prévention de la pollution par les navires - dite MARPOL - sur celles de la législation américaine. Ces mesures, si elles prenaient effet, constitueraient autant de progrès incontestables, mais ne suffiraient pas à modifier le paysage maritime en profondeur.

On ne peut ainsi évacuer le problème de la responsabilité des Etats qui délivrent des pavillons de complaisance. Certains pays, dont plusieurs sont candidats à l'entrée dans l'Union européenne comme Chypre (cinquième flotte mondiale), Malte (septième flotte mondiale) ou les Etats baltes, acceptent en effet que leur pavillon soit mis sur un bateau sans se préoccuper de la surveillance.

Il convient que les Etats du pavillon soient dotés d'une administration capable d'assurer les contrôles et de faire respecter les normes internationales. La réflexion sur le projet de création d'un registre communautaire ne doit pas être abandonnée. Ce projet, baptisé Euros, a pour objet de réserver le cabotage communautaire aux navires inscrits à ce registre et dont les officiers, ainsi que la moitié au moins du reste de l'équipage, doivent être des ressortissants des Etats membres.

Le renforcement des contrôles et des normes de sécurité doit s'accompagner d'une politique de prévention des risques en direction de tous les intervenants de la chaîne de transport.

Il est souhaitable de renforcer le système d'assurance et d'élever les plafonds qui sont actuellement relativement bas (80 millions de francs seulement pour l'Erika) pour engager la responsabilité du chargeur, du réceptionnaire et du propriétaire de la marchandise.

En matière de politique maritime, l'Union européenne, pour le moment, se contente d'interventions trop timides. Il y a, certes, quelques directives sur les sociétés de classification. Elles mériteraient d'être renforcées. Il existe aussi le projet « Equasis » d'initiative française, soutenu par l'Union européenne, qui permettrait de disposer d'un fichier central répertoriant toutes les caractéristiques de sécurité des navires. Mais il est indispensable de progresser plus avant.

Il fut question, pendant un temps, de créer un pavillon européen. Ce projet a échoué devant l'opposition de plusieurs Etats membres. Malgré cet échec, il apparaît urgent de poursuivre les efforts d'harmonisation des administrations maritimes des différents Etats en privilégiant les critères de sécurité les plus élevés et en se dotant d'un dispositif de surveillance cohérent.

Dans le contexte actuel, l'Union européenne a vocation à former un « pôle d'excellence » dans l'application des règles sociales et de sécurité définies par les organisations internationales (OMI-OIT), rôle qu'elle joue déjà, bien qu'insuffisamment, avec les dispositifs de contrôle de l'Etat du port et l'application obligatoire des recommandations de l'OMI.

Ce rôle d'exemplarité, s'il est effectivement rempli, peut avoir des répercussions considérables sur l'ensemble du transport maritime, compte tenu du poids commercial d'une Europe élargie qui contraindra l'essentiel des armateurs à relever leurs standards sociaux s'ils souhaitent conserver l'accès au principal marché mondial.

Au demeurant, il ne suffit pas d'améliorer la législation.

Le mémorandum de Paris prévoit que 30 % des navires faisant escale dans les ports français soient contrôlés à cette occasion. Cependant, le manque de personnel d'inspection ne permet de remplir cet engagement qu'à hauteur de 13 % des bateaux en transit.

Il faut se doter des moyens suffisants pour assurer un contrôle et une prévention efficaces. La création d'une taxe de sécurité maritime, assise sur les marchandises transportées, pourrait dégager des fonds affectés à ces missions.

Ces orientations n'excluent d'ailleurs pas la mise en _uvre d'actions de solidarité et de coopération à l'échelle internationale. La liste des contrôles effectués par les pays du Mémorandum de Paris montre que les pavillons les plus mauvais sont ceux de pays comme le Honduras, Belize, le Cambodge, la Syrie, autant d'Etats qui souffrent, pour la plupart, d'un sous-développement et d'une sous-administration endémiques.

Pour ne pas se contenter de réponses à caractère uniquement répressif, il est souhaitable d'élaborer un vaste programme d'aide spécifique au développement et à la modernisation du secteur maritime des pays les plus défavorisés.

2. Agir contre le dumping social dans le transport maritime

Dans un marché du transport maritime très internationalisé et libéralisé, les armateurs utilisent les services de navigants originaires de pays à bas coûts de main d'_uvre, donc moins coûteux en termes de salaires et de protection sociale. Un cinquième des personnels embarqués sur les mers du globe est philippin. Selon une étude de l'International Chamber of Shipping (ISF) les écarts de coût pour l'armateur entre un marin européen et un marin asiatique sont de l'ordre de 1 à 7. Les salaires mensuels d'un commandant britannique et philippin étaient respectivement de 5.800 dollars (environ 34.800 francs) et 2.430 dollars (environ 14.580 francs) en 1998.

Parallèlement, plusieurs pays de l'Union européenne, comme l'Espagne, la Hollande ou l'Italie ont adopté des mesures d'exonération totale des charges sociales et de défiscalisation partielle des salaires en faveur des compagnies d'armateurs.

De même, au sein de l'Union européenne, les régimes de congés et de temps de présence à bord appliqués sont plus ou moins souples selon les Etats.

Il faut avancer vers une harmonisation sociale et fiscale qui s'attache à garantir des droits élevés pour les salariés et à développer l'emploi. Aujourd'hui, chacun s'accorde à reconnaître que le transport maritime est sous-rémunéré.

Il ne s'agit donc pas de céder davantage encore à la pression des affréteurs qui tirent les prix à la baisse, sans considération pour les normes sociales ou de sécurité.

3. Assurer l'essor du cabotage

Le transport maritime à courte distance, le cabotage, connaît une croissance sensible en Europe, pour l'essentiel dans le nord du continent et en Scandinavie. On distingue deux créneaux essentiels : l'un appelé « feedering », consiste à décharger la cargaison de grands porte-conteneurs arrivée dans des ports majeurs (Rotterdam, Anvers, Le Havre, voire Marseille) pour la répartir sur des navires de plus petite envergure qui assureront la liaison vers d'autres ports plus modestes (Brest, Lorient, La Rochelle, Bordeaux, etc.) ; l'autre s'articule autour des « trafics rouliers », c'est-à-dire des semi-remorques, avec ou sans tracteur et chauffeur, qui sont embarqués sur un bateau pour parcourir une certaine distance par mer plutôt que d'emprunter la route de bout en bout.

Ce mode est économe en énergie et préserve l'environnement quand toutes les conditions de sécurité sont remplies. Il offre une alternative d'avenir à l'encombrement des routes par le surplus de poids lourds. D'autant que l'Europe, et tout particulièrement la France, possède une façade maritime très étendue, dotée d'une multitude de ports.

Toutefois, le cabotage ne connaît, jusqu'alors, qu'un faible essor dans le sud de l'Europe, son activité se réduisant au fret automobile, à une liaison - économiquement fragile - entre Bayonne et Southampton, et à une ligne entre l'Espagne et l'Italie.

Pour lui ouvrir des perspectives plus florissantes, il convient de lever en priorité trois obstacles.

En premier lieu, le transport maritime à courte distance, à l'instar du transport combiné par le rail, ne peut affronter la concurrence tarifaire imposée par la route sans bénéficier d'une aide au démarrage. En l'occurrence, il s'agit de permettre la prise en charge par les pouvoirs publics d'une partie du déficit d'exploitation de la première année. Ce type de soutien est autorisé par la Commission européenne qui, elle-même finance, grâce à un programme PADTC (programme d'aide au transport combiné), des actions similaires. Cependant, l'attribution de telles aides doit être conditionnée à des engagements en matière d'emplois et de garanties sociales.

En deuxième lieu, la réussite de tout projet de cabotage passe par la réalisation au préalable d'une étude de marché approfondie et d'une démarche de coordination en direction des clients potentiels.

Enfin, le transport maritime de courte distance a besoin, pour être performant, de ports équipés d'un solide réseau logistique. Il doit pouvoir aussi s'appuyer, au-delà du site d'amarrage, sur des dessertes terrestres de qualité, en priorité par rail et par voie d'eau.

D. - JUGULER L'ENCOMBREMENT DU CIEL EUROPÉEN

Dans un contexte de forte croissance du trafic aérien mondial depuis quinze ans, la décennie 90 se clôt en France par une véritable explosion du nombre de passagers transportés par avion.

Ce mouvement non maîtrisé dans un espace aérien restreint génère des retards, une dégradation de la qualité de vie des riverains des plates-formes aéroportuaires et accélère la perspective de saturation des infrastructures. Sur chacun de ces points des décisions rapides doivent être prises au niveau national comme européen.

1. Une véritable explosion du trafic aérien

En 1999, selon la Direction générale de l'aviation civile (DGAC), le trafic aérien en France a profité largement du dynamisme des économies européennes. Le nombre de passagers transportés a augmenté de 8,7 % par rapport à 1998 et de 16 % sur la base 1997. Le nombre de vols commerciaux a cru, quant à lui, de 7 % à un rythme très proche de celui de 1998. Cette croissance dépasse celle attendue au niveau mondial (+ 6 %) et représente presque un doublement de la tendance observée il y a moins de 5 ans.

a) Un ciel parmi les plus « actifs » d'Europe

La situation de la France explique en partie l'importance du trafic dans son espace aérien. Au carrefour des axes européens, le ciel français est un des plus chargés d'Europe : un vol européen sur quatre est contrôlé par la France. Pour une raison géographique évidente, l'augmentation du trafic européen contribue fortement à l'encombrement du ciel français. Le « transit » d'avions dans le ciel français a augmenté en 1999 de 10,4 % alors que les vols intérieurs n'ont progressé que de 2 %. Ainsi la part des vols empruntant l'espace aérien français sans fréquenter nos aéroports est croissante (35 % en 1997, 37 % en 1999).

b) Une conséquence de la déréglementation du transport aérien

Depuis le 1er avril 1997, la déréglementation est totale en Europe. Ce contexte de mise en concurrence a incité les compagnies à accroître leurs offres.

Ainsi ont-elles cherché à augmenter les vols et, en cohérence avec la stratégie des hubs, à les concentrer sur des plages horaires du matin et du soir. La multiplication des « navettes » sur les lignes rentables avec des appareils de taille plus petite participe à ce mouvement d'encombrement du ciel européen. Comme le faisait remarquer M. Pierre Graff, directeur général de la DGAC devant la commission : « Si cela peut paraître attrayant aux usagers, cela pose des problèmes d'encombrement quasiment insolubles pour gérer l'axe en question. On peut se demander si en termes d'utilité sociale, des vols à intervalle de vingt minutes sur Paris-Toulouse sont vraiment indispensables ».

La déréglementation a laissé toute liberté aux compagnies aériennes pour proposer de nouvelles lignes à leurs clients, à charge pour les organismes publics de gestion du trafic de s'organiser rapidement. Le caractère difficilement prévisible des initiatives commerciales des compagnies entre en contradiction avec le besoin de temps pour bâtir les systèmes nécessaires à la régulation des vols. Ainsi l'inadéquation entre les initiatives des compagnies aériennes, la rapide croissance du trafic et les réponses données par les Etats en termes d'infrastructures ont induit des phénomènes de saturation engendrant des retards importants.

2. Les retards dans le transport aérien : un prétexte pour une libéralisation du contrat aérien

Selon l'Union européenne, un vol sur trois en Europe n'arrive pas à l'heure. Le retard moyen est de 20 minutes et peut atteindre plusieurs heures en période de pointe dans l'espace aérien européen. Au-delà de la gêne occasionnée pour les passagers, le préjudice subi par l'économie de l'Union européenne s'élèverait à plus de 5 milliards d'euros.

Pour la France, la ponctualité du trafic aérien s'est notoirement dégradée en 1999 par rapport à 1998. Le retard moyen en minutes calculé par la DGAC dû au seul contrôle aérien est passé de 2,97 à 4,04 soit une augmentation de 36 %. Cette forte altération s'explique par le fait qu'au-delà de la croissance du nombre de vols, 1999 a été une année singulière. En février la mise en _uvre du nouveau réseau européen de routes aériennes a provoqué des retards d'adaptation jusqu'en avril, mois où l'ouverture du conflit du Kosovo a perturbé profondément la gestion du trafic. Les vols militaires se sont en effet multipliés alors que l'espace aérien français a dû accueillir un surplus de vols commerciaux détournés des espaces aériens interdits ou réservés.

L'augmentation importante des retards en 1999 a conduit, l'été dernier, certaines compagnies aériennes et leurs représentants, à considérer que la cause des retards provenait d'un problème d'organisation et à préconiser la « libéralisation » des services de contrôle aérien en Europe. La Commission européenne et en particulier Mme Loyola de Palacio ont repris à leur compte ces thèmes et ont érigé la création d'un ciel unique au rang d'objectif politique.

a) Vers la déréglementation du contrôle aérien en Europe ?

Une communication de la Commission au conseil et au parlement européen du 1er décembre 1999 expose clairement les intentions bruxelloises sur ce sujet :

« La congestion de l'espace aérien exige la mise en _uvre à court terme de mesures autres que techniques afin de prévenir une nouvelle situation de crise. Elle exige également la mise en _uvre de réformes structurelles pour permettre la création d'un ciel unique grâce à une gestion intégrée de l'espace aérien et au développement des nouveaux concepts et procédures de gestion du trafic aérien ».

Les réformes structurelles envisagées sont résumées dans le point 16 de la communication :

« La recherche d'efficacité dans les fonctionnements respectifs du régulateur et du prestataire de service implique la séparation de ces deux activités aussi bien dans les Etats membres qu'au sein d'EUROCONTROL. Par ailleurs l'application des principes fondamentaux du Traité relatifs à la prestation de services et à la concurrence, peut contribuer à améliorer la qualité des services tout en garantissant un haut niveau de sécurité. »

Les réflexions qui ont induit ces conclusions s'appuient sur une analyse de la rentabilité des services de gestion du trafic. Ainsi est-il remarqué que :

« Les utilisateurs de l'espace aérien ont clairement exprimé leurs doutes quant à la capacité des prestataires de services de la circulation aérienne (ATS) à fournir (sic) rentablement dans le cadre organisationnel actuel. La Commission a émis les mêmes réserves dans son Livre blanc sur la gestion du trafic aérien. L'origine du problème réside certainement dans le caractère de service public de cette activité où les prestataires de services ont longtemps été une administration publique chargée d'assurer la sécurité des mouvements aériens comme une tâche réglementaire. Ils se considéraient dès lors plus comme des instances réglementaires que comme des prestataires de services orientés vers la clientèle. »

La perspective ouverte par la commission conduit à terme à mettre en concurrence des opérateurs de contrôle aérien en distinguant les fonctions de régulateur, de celles de prestataire de service sur l'ensemble de l'espace aérien européen en s'affranchissant de la souveraineté des pays.

On entend par régulateur, l'autorité qui a en charge l'aspect réglementaire du contrôle et du transport aérien. L'opérateur ou prestataire de service utilise ces règlements pour rendre le service dont il a la charge, en l'occurrence le contrôle aérien. Actuellement les redevances payées par les compagnies financent les deux fonctions. En les séparant et en préconisant la mise en concurrence des opérateurs, le but avoué est de baisser le coût de ce service au profit des compagnies.

b) Les retards ne peuvent servir d'alibi à une fuite en avant libérale

Face à cette offensive libérale, il convient de noter en premier lieu que les causes du retard sont multiples. Le contrôle aérien ne saurait servir de bouc émissaire. Les aéroports et les compagnies aériennes elles-mêmes se partagent des responsabilités. Selon la DGAC, 32 à 35 % des retards incombent directement au contrôle aérien. Si on prend en compte les effets en chaîne, cette proportion atteint à peine 50 %. Ainsi même si Mme Loyola de Palacio pouvait supprimer tous les retards dus au contrôle aérien, le passager continuerait à subir ceux imputables à d'autres causes. La commissaire européenne souhaite d'ailleurs que les compagnies aériennes s'engagent volontairement à aider les passagers confrontés à des retards, soulignant ainsi implicitement leur rôle dans les dysfonctionnements.

Le caractère de service public du contrôle aérien permet de faire prédominer la sécurité sur l'ensemble des autres facteurs. Son indépendance vis-à-vis des compagnies le met à l'abri des pressions financières et lui permet un traitement non discriminatoire des compagnies aériennes. Ce statut est un gage de sûreté, il est à conserver.

De plus, ce service a su démontrer son efficacité. En effet, grâce aux mesures techniques mises en _uvre en France par la DGAC début 2000, au mois de février dernier, les retards ont baissé de 30 % par rapport à 1999 malgré une croissance du trafic de 7,31 %. Ces délais d'attente sont, par ailleurs, inférieurs à ceux constatés en février 98 et 97. Ces chiffres illustrent la capacité d'apporter des réponses aux problèmes des retards tout en refusant catégoriquement les propositions de la commission.

c) Répondre aux problèmes des retards

Comme l'a souligné M. Jean-Pierre Blazy, membre de la commission : « L'on ne peut pas la suivre (Mme Loyola de Palacio) sur certaines de ses propositions par trop idéologiques, il faut être pragmatique ».

Afin de limiter les retards dans le transport aérien des solutions techniques au plan national et européen sont préconisées. M. Pierre Graff les a amplement développées lors de son audition. Trois priorités se dégagent :

- Il apparaît indispensable de développer la coopération à l'échelle d'une Europe élargie afin de garantir une planification collective des routes et de l'espace aérien.

- Au-delà des premières mesures prises en France, il est important de renforcer partout en Europe les moyens techniques et humains à la disposition des services de gestion du trafic aérien. A ce titre un programme de recrutement pluriannuel doit être établi en fonction des prévisions de croissance du trafic. N'est-il pas également envisageable que l'Union européenne participe financièrement à cet effort par le biais de ses deux budgets spécifiques (le programme communautaire de Recherche et Développement et les fonds des réseaux transeuropéens) ?

- Par ailleurs, il est indispensable d'accélérer les négociations avec le ministère de la défense afin que soit libéré de l'espace aérien militaire au profit du trafic civil.

Ce problème est délicat en France. Les espaces aériens militaires sont en effet nombreux et mal placés. Ainsi l'un deux est situé au-dessus du Nord-Pas-de-Calais au c_ur d'une zone délimitée par Heathrow, Roissy, Schiphol et Bruxelles qui est sans doute l'un des endroits les plus encombrés d'Europe. Cet effort peut se faire au niveau national mais doit surtout être envisagé à l'échelle de l'Europe. Les possibilités sont en effet limitées au-dessus du territoire national alors que M. Pierre Graff a indiqué qu'« il y a de la place au nord et au sud de l'Europe. Aussi doit-on envisager d'aller vers une mutualisation des espaces militaires d'entraînement en Europe. Il est souhaitable que l'on puisse avancer dans cette direction. »

3. Vers la saturation des plates-formes aéroportuaires : l'urgence d'une décision.

La croissance du trafic aérien va rapidement se heurter à la saturation des infrastructures aéroportuaires. M. Pierre Graff a souligné devant notre commission ces problèmes :

« Nous buterons sur des goulets d'étranglement aéroportuaires avant d'avoir mobilisé toutes les ressources du trafic aérien. A terme, l'élément limitant du trafic ne sera pas la navigation aérienne, mais bien la capacité des aéroports. On ne peut pas agrandir à l'infini les plates-formes aéroportuaires ; il n'est pas possible d'ajouter trois pistes à Roissy ou quatre à Toulouse. Ce n'est pas faisable. L'aéroport deviendrait gigantesque, ingérable ; les approches ne seraient plus tenables et les populations riveraines ne l'accepteraient pas. Des goulets d'étranglement importants limiteront donc la structure du trafic avant même la navigation aérienne. »

Par ailleurs, Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement, et M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement se sont engagés à fixer à terme la capacité de l'aéroport de Paris-Charles-de-Gaulle à 55 millions de passagers avec quatre pistes, sous la condition d'un niveau global de bruit ne dépassant pas celui atteint en 1997. La capacité d'Orly est limitée à 250.000 créneaux horaires attribuables par an. Il est prévu que cette plate-forme ne dépasse pas 30 millions de passagers annuels.

Dans ces conditions, la limite de capacité des plates-formes parisiennes pourrait être atteinte d'ici dix à quinze ans. Il est donc nécessaire de trouver une solution. Le déficit de capacité, à cet horizon, sera d'environ 25 à 30 millions de passagers. Si cette demande n'était pas satisfaite en France, les plates-formes étrangères bénéficieraient de cette incapacité ainsi que les compagnies fortement implantées sur ces aéroports.

Toutes les solutions doivent être examinées : le développement des aéroports de province, le redéploiement des plates-formes de fret et la création d'un troisième aéroport international dans le bassin parisien.

Les aéroports de province disposent de capacités disponibles. Elles doivent être utilisées. A cette fin, il convient d'inciter les compagnies aériennes à leur confier un rôle plus important et de développer une intermodalité entre le rail et la route afin de faciliter le pré et le post acheminement par le train. Toutefois s'il y a des capacités inutilisées, elles ne correspondent pas aux besoins parisiens, surtout lorsque l'on constate la difficulté qu'il y a à étendre les capacités existantes comme c'est le cas en ce moment à Lyon.

L'utilisation de plates-formes en province par le fret pourrait participer au désengorgement des aéroports parisiens. L'accord de partenariat entre Aéroports de Paris et l'aéroport de Châteauroux ouvre des possibilités. Cela étant, la tendance à une concentration du trafic fret sur les aéroports parisiens est loin d'être inversée. Aujourd'hui ces plates-formes accueillent 83 % du fret de l'ensemble des aéroports métropolitains.

En tout état de cause, ces solutions ne permettent de faire face qu'à quelques années supplémentaires de progression du transport aérien en région parisienne. Il apparaît donc nécessaire de s'engager vers la création d'un troisième grand aéroport dans le bassin parisien. Ce projet doit être multimodal en veillant à une accessibilité rapide de cette plate-forme principalement par le rail. M. Pierre Graff estime que la desserte par rail ne peut excéder une demi-heure. Il doit de plus bénéficier à ses alentours d'espaces aériens non encombrés susceptibles d'accueillir un trafic nouveau.

Trois études complémentaires ont été diligentées à la demande du ministre, afin d'affiner l'analyse des stratégies aéroportuaires possibles. Elles portent respectivement sur les potentialités de l'intermodalité air/rail, sur les capacités de développement des aéroports de province et sur les stratégies prévisibles à moyen terme des compagnies aériennes au regard de l'évolution de l'offre aéroportuaire. Les résultats de ces études permettront de débattre des conditions de réalisation de cet équipement. Il apparaît souhaitable qu'après des concertations approfondies une décision, à propos de la création du troisième aéroport, soit rapidement annoncée.

E. - IMPULSER UNE POLITIQUE DES TRANSPORTS MULTIMODALE

On ne peut se satisfaire de la mise en concurrence sauvage des modes de transport entre eux.

Une diversification de l'offre, conçue dans l'unique souci d'encourager une guerre des prix, ne peut conduire qu'à une réduction drastique des coûts opérée au détriment de la sécurité, du respect de l'environnement et des garanties sociales.

1. Privilégier la complémentarité

Il convient donc d'apporter des réponses cohérentes à l'émergence des besoins, en choisissant de développer prioritairement tel ou tel mode, non seulement au regard des critères économiques mais aussi et surtout en fonction d'impératifs sociaux et environnementaux.

A une conception d'opposition entre moyens de transport et de cloisonnement sectoriel, doit se substituer une orientation privilégiant l'alliance et la coopération.

L'émergence d'une politique de complémentarité entre les modes de transports passe par la mise en place à l'échelle des Etats membres, comme de l'Union européenne, de directions des transports à vocation multimodale.

2. Créer un observatoire communautaire des transports

Les pouvoirs publics, qui engagent de lourds financements, en particulier en matière d'infrastructures, doivent agir pour contrôler l'efficacité des investissements et la cohérence des activités.

D'autant que les réformes impulsées ces dernières années à l'échelle européenne montrent leurs limites. A l'occasion de l'audition, par la commission, le 17 décembre 1998, de M. Neil Kinnock, alors commissaire européen en charge des transports, M. Jean Proriol, vice-président de la commission, s'était étonné que ne soit jamais abordée la question de l'évaluation de la performance des directives européennes qui sont nombreuses en matière de transport. Cette préoccupation est légitime et demeure d'actualité.

Un observatoire communautaire pourrait être créé qui analyserait objectivement le développement des trafics et les effets de la libéralisation engagée dans les différents secteurs du transport.

EXAMEN EN COMMISSION

Lors de sa réunion du 4 juillet 2000, la commission de la production et des échanges a examiné le rapport d'information de M. André Lajoinie sur la politique des transports en France et en Europe.

M. André Lajoinie a rappelé que la mission d'information qui lui avait été confiée avait permis à la commission de la production et des échanges d'auditionner les principaux acteurs du secteur des transports en France, ainsi que le président de la commission chargée de cette activité au Parlement européen. Il a souhaité présenter les grandes lignes de ses conclusions, qui sont autant de propositions à l'occasion du début de la présidence française de l'Union européenne.

Il a indiqué que, face à la croissance très rapide du volume des transports de personnes et de marchandises, accélérée par les perspectives d'élargissement et l'approfondissement du marché unique de la Communauté, il convenait d'envisager un développement soutenable dans ce secteur. La France, qui a été longtemps le premier pays de transit européen, est actuellement rejointe dans ce domaine par l'Allemagne. A l'occasion d'une récente rencontre avec des représentants de la commission des transports du Bundestag allemand, les parlementaires de ce pays voisin ont exprimé une certaine inquiétude face à l'expansion du trafic routier en provenance et à destination des pays de l'Europe de l'Est. Les autorités fédérales réfléchissent aujourd'hui à l'imposition d'une redevance pour le transit des camions de ces pays, afin de compenser la gratuité de l'utilisation des infrastructures autoroutières allemandes. Si une telle mesure fiscale était acceptée par les instances communautaires, la France pourrait tirer avantage de ce précédent en assujettissant les camions des pays tiers à une redevance similaire pour l'utilisation des réseaux non concédés de notre pays.

M. André Lajoinie a rappelé que la croissance, plus rapide que pour les autres modes, du transport routier, risquait d'aboutir à une hégémonie qui accroîtrait considérablement les nuisances et les coûts supportés par la collectivité publique, les charges d'infrastructures n'étant pas répercutées sur les transporteurs. Il n'est pas possible de laisser cette situation inacceptable s'aggraver. Il a annoncé qu'il souhaite organiser une réunion de l'ensemble des présidents des commissions des transports des parlements nationaux de la Communauté, avec le ministre français présidant le Conseil des transports et la commissaire européenne chargée du secteur, afin d'examiner ensemble les moyens d'éviter l'asphyxie de nos réseaux.

Indiquant que le libéralisme n'avait pas apporté de réponses satisfaisantes au problème du développement des transports, le rapporteur a souhaité que la place de chaque mode soit préservée et confortée, notamment s'agissant de la voie ferrée et du transport fluvial.

Observant que les estimations concordaient pour prévoir un doublement du transport de marchandises au cours des dix prochaines années, il a rappelé que le Gouvernement s'était fixé, conjointement avec la SNCF et Réseau ferré de France, l'objectif du maintien de la part du transport ferroviaire de marchandises au cours de cette même période. Il ne s'agit nullement d'empêcher le transport routier, mais d'éviter, par un partage plus équilibré entre route et fer, la thrombose du pays. Il faut tout d'abord, pour atteindre cet objectif, internaliser les coûts du transport routier. Il est également nécessaire de mettre rapidement un terme au sous-investissement en matière d'infrastructures ferroviaires. Cela exige des investissements massifs qui ne pourront être financés qu'en recourant à une pluralité de ressources. L'Union européenne devra d'ailleurs s'engager plus résolument qu'elle ne le fait aujourd'hui pour contribuer à développer les réseaux européens de transport. Ces investissements qui portent sur des périodes de plusieurs dizaines d'années, ne doivent pas être financés au cours d'une seule génération. C'est pourquoi, il convient d'envisager des systèmes d'emprunt à long terme, par exemple au travers de la Banque européenne d'investissement.

M. André Lajoinie, rapporteur, a également insisté sur la nécessité, afin de rééquilibrer la concurrence entre fer et route, de lutter contre le dumping social qui se pratique en Europe dans ce dernier secteur. Cette lutte passe nécessairement par une harmonisation « par le haut » des conditions de travail et de rémunérations.

Il a en outre estimé que le fonds d'investissement des transports terrestres et des voies navigables (FITTVN) était un instrument financier et budgétaire utile, puisqu'il permet de transférer certaines recettes de la route au profit des autres modes de transport. Il a souhaité que soit favorisée l'interopérabilité entre réseaux ferroviaires européens et recherchée une cohérence entre les politiques tarifaires des différents Etats.Il a estimé qu'il était nécessaire de stimuler la croissance du transport combiné, qui constitue une forme moderne de transport, hélas victime du dumping de la route. Cela nécessite de poursuivre les efforts d'adaptation et de modernisation des chantiers de transbordement multimodal adaptés aux besoins, par un accroissement de l'aide publique. S'agissant des « autoroutes roulantes », il a indiqué que leur développement ne pouvait répondre à l'ensemble des problèmes posés par la croissance de la demande de transports. Cette technique doit être notamment utilisée pour résoudre les problèmes de franchissement d'obstacles naturels, particulièrement dans les Alpes et les Pyrénées.

Abordant la question du transfert aux régions de la compétence en matière de transport express régional, il a estimé qu'il s'agissait d'une bonne mesure, qui nécessitait cependant des compensations financières appropriées et la garantie du maintien de l'unicité du réseau. S'agissant des déplacements urbains et péri-urbains, il a considéré qu'il convenait d'encourager le développement des transports collectifs, qui pourrait être financé par un prélèvement sur la taxe intérieure sur les produits pétroliers.

Abordant le secteur du transport fluvial, il a noté un léger redressement du trafic de marchandises sur les voies navigables. Relevant toutefois que la France souffre d'un manque d'infrastructures de canaux à grand gabarit il s'est prononcé en faveur de la réalisation des axes Seine-Nord, Seine-Est et Saône-Moselle. Il conviendrait également d'améliorer le traitement des ruptures de charges entre le transport fluvial, le rail et la route. Là encore, l'Union européenne devra contribuer au financement de l'interconnexion de la France avec les voies navigables à grand gabarit en Europe.

S'agissant des ports maritimes, il s'est prononcé en faveur du développement du cabotage maritime, tout en donnant la priorité à la sécurité de ce mode de transport. L'Union européenne dispose d'une très vaste façade maritime insuffisamment utilisée, il faut donc moderniser les ports et assurer des liaisons terrestres avec leur hinterland.

Concluant sur la partie terrestre et maritime de son exposé, il a considéré qu'il ne s'agissait nullement de poser le problème en termes de concurrence et de pénaliser le transport routier, mais d'inciter au développement d'autres modes moins polluants et plus sûrs. Cette politique exige de contribuer et de soutenir le démarrage des activités de transports alternatifs qui, face à la concurrence de la route, ne peuvent pas être rentables au cours des premières années d'exercice.

M. André Lajoinie a ensuite abordé la question du transport aérien, secteur qui a connu une explosion de son activité depuis sept ou huit ans. Les problèmes liés à l'encombrement du ciel européen et à la sécurité requièrent une harmonisation des procédures entre autorités de contrôle aérien. Cette mesure doit s'accompagner d'une meilleure coopération entre autorités civiles et militaires de l'aviation. Il serait également souhaitable que soit libérée une partie de l'espace aérien militaire au profit du trafic civil.

Afin de lutter contre la saturation des aéroports en région parisienne, il a proposé que soient mieux utilisés les aéroports de province, ainsi que la plate-forme de fret de Vatry. Il faut également, a estimé M. André Lajoinie, se prononcer clairement en faveur de la construction d'un troisième aéroport international dans le bassin parisien.

Il a enfin suggéré la mise en place d'un observatoire communautaire des transports, dont le principe a déjà été admis par le Conseil des ministres des transports de l'Union. Cet observatoire aura notamment pour but d'évaluer les besoins et les problèmes et d'informer tous les acteurs du secteur des transports.

M. Jean-Jacques Filleul a déclaré partager les grandes lignes du rapport présenté par M. André Lajoinie concernant le bilan de la situation des transports en France et en Europe, qu'il a jugée « terrible ».

Il a insisté sur l'urgence absolue, aux yeux de l'opinion publique, d'une régulation des divers modes de transport, notamment pour reporter une partie du trafic de la route vers le rail mais aussi vers les voies fluviales. Il a souligné la nécessité de développer le cabotage, rappelant à cet égard l'amendement introduit dans la loi n° 99-533 du 25 juin 1999 d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire.

Une régulation du trafic de la route vers le rail est d'autant plus nécessaire que la France compte de nombreux goulets d'étranglement. Cela tient à sa place centrale dans la grande plate-forme multimodale que constitue l'Europe et que se partagent les réseaux européens. La France, seule, ne pourra développer ses infrastructures sans que l'Union européenne ne mette en _uvre un plan d'urgence en sa faveur.

Par ailleurs, comme l'indiquera un rapport à venir du Conseil supérieur du service public ferroviaire, il convient de porter les efforts sur la « route roulante », comme cela est le cas en Italie, où 17 poids lourds peuvent être chargés sur un train. Il est toutefois regrettable que les services du matériel de la SNCF éprouvent des réticences à avoir recours à des constructeurs autres qu'Alstom. Il conviendrait également de mieux utiliser certaines voies ferroviaires notamment dans les Alpes.

S'agissant des effets de l'accident survenu dans le tunnel du Mont-Blanc, on constate que les transporteurs routiers n'ont aucunement reporté leur trafic sur le rail ; les conséquences ont donc été nulles pour le transport combiné. S'il faut donc une volonté politique, il convient également d'aider le transport combiné, qui doit pouvoir lutter à armes égales avec son concurrent direct. Une implication financière des pouvoirs publics sera donc nécessaire.

L'invocation d'un « plan Marshall » pour les infrastructures de transport vise à marquer les esprits. Il est nécessaire de conduire au niveau européen une action de coordination et d'impulsion, par exemple pour organiser un réseau européen efficace et performant de transport de fret. Cela nécessitera des sources de financement multiples qui doivent inclure de grands emprunts européens.

La nécessité de conduire une réflexion globale en matière de transports est également évidente. Elle montrerait la sous-utilisation regrettable des voies d'eau.

Le projet de rapport contient de nombreuses propositions intéressantes et aborde des questions qu'on ne peut pas esquiver, telle celle du troisième aéroport desservant Paris.

L'urgence est réelle. Dans les dix ans à venir, le trafic des poids lourds dans notre pays devrait doubler. Comment le franchissement des Alpes sera-t-il alors possible alors que douze ans seront nécessaires à l'achèvement du tunnel ferroviaire Lyon-Turin ?

Ce rapport vient donc à point nommé car il importe que la présidence française de l'Union soit l'occasion de réorienter la politique européenne des transports. La position de la Commission européenne qui continue de privilégier une démarche de libéralisation en matière de transports ferroviaires n'est en effet pas satisfaisante. Les textes communautaires en préparation sont d'ailleurs très inquiétants. M. Jean-Jacques Filleul a pour conclure appelé de ses v_ux une véritable coordination ainsi qu'une coopération au niveau européen.

Mme Odile Saugues a estimé que le rapport comportait tous les éléments de réflexion indispensables. Aussi, a-t-elle demandé que les parlementaires passent à présent aux actes. Dans l'ensemble, les députés sont d'accord sur les constats, notamment les effets de la politique européenne des transports actuelle sur la sécurité, l'environnement et la santé des personnes ; les responsabilités sont, sur ce plan, partagées par les responsables politiques aussi bien des Etats membres que de l'Union européenne. A cet égard, elle a fait observer qu'il était important de rencontrer les homologues des parlements nationaux pour agir plus vite et de manière mieux coordonnée.

Elle a constaté que la difficulté, en matière de politique des transports, tenait à faire des choix et à les mettre en _uvre. Il conviendrait d'harmoniser les initiatives des élus, des administrations et du Gouvernement, qui décident des investissements.

Mme Odile Saugues a ensuite fait valoir qu'en matière de transport public, l'éducation des citoyens et des élus restait à faire. La ville s'asphyxie ; les déplacements sont trop longs et trop nombreux. Une nouvelle organisation de l'espace urbain et des transports plus efficace est donc indispensable.

Elle a conclu qu'il convenait d'éviter l'écueil, dans lequel était tombée la Commission européenne, de la libéralisation sauvage du transport européen à l'instar du Royaume-Uni. Cette politique a été faite au détriment de la sécurité et du développement social. Elle a souligné qu'il était en effet indispensable de tenir compte de la situation des salariés du secteur en matière de politique des transports.

M. Jean-Michel Marchand a indiqué que les transports constituaient un des problèmes majeurs de l'Europe. S'il ne partage pas toutes les propositions émises par le rapporteur, il est toutefois d'accord sur la nécessité d'engager une politique visant à transférer le fret routier vers le rail. Le doublement du trafic au cours de la prochaine décennie aboutira, si aucune décision n'est prise dans ce sens, à un engorgement des voies routières et autoroutières. Un choix politique doit donc être fait en s'interrogeant sur la réaction qu'auraient nos concitoyens si, suite à une attitude attentiste des pouvoirs publics, ils apprenaient brusquement qu'il devenait nécessaire de doubler le réseau autoroutier.

Il s'est réjoui du fait que les contrats de plan État-régions aient connu une première inflexion en faveur du développement du transport ferroviaire et a partagé l'inquiétude des commissaires sur les effets de la libéralisation des transports ferroviaires.

Les transports collectifs doivent être développés. Les plans locaux d'urbanisme, en imbriquant les lieux d'habitation, de travail et de chalandise, devraient contribuer à cette évolution.

Il a partagé l'avis du président André Lajoinie sur la nécessité de renforcer les transports fluviaux, transports peu polluants par excellence, mais a marqué son désaccord sur l'idée de créer une liaison fluviale Rhin-Rhône, celle-ci se heurtant à un double écueil technique et politique et pouvant être remplacée par le cabotage maritime entre Mer du Nord et Méditerranée.

S'agissant du troisième aéroport, M. Jean-Michel Marchand a indiqué qu'il approuvait les constats du rapport mais n'était pas d'accord avec les solutions envisagées. Selon lui, il importe de désengorger les aéroports d'Ile-de-France du transport de marchandises, de promouvoir le TGV pour limiter les déplacements aériens intérieurs et de ne plus concentrer les lignes internationales sur les plate-formes parisiennes.

M. Alain Marleix a estimé ce rapport à la fois opportun et pragmatique, arrivant à un moment où le « paquet ferroviaire » européen est en négociation. Il a également souligné l'effort de propositions, celles-ci étant souvent intéressantes. Certaines lacunes, notamment en ce qui concerne le transport aérien et la question de la privatisation d'Air France, sont toutefois à regretter même si le rapport ne pouvait prétendre à l'exhaustivité.

En ce qui concerne le « paquet ferroviaire », M. Alain Marleix a exprimé son accord avec les objectifs soulignés par le rapport. L'Europe ferroviaire est un énorme chantier où les différences de statut entre les sociétés rendent difficile toute harmonisation. Le rapport a le mérite de sortir du débat idéologique et de retenir des objectifs pertinents :

- un réseau européen de transport de fret doit être mis en place ;

- la conclusion d'alliances entre les grandes sociétés ferroviaires doit être accélérée, M. Louis Gallois, président de la SNCF, ayant d'ores et déjà négocié avec ses partenaires allemand et italien ;

- la croissance du transport combiné doit être stimulée.

S'agissant de la régionalisation des transports de voyageurs, M. Alain Marleix a rappelé que cette réforme avait été introduite, sous forme expérimentale, à l'occasion de la création de Réseau ferré de France par le gouvernement de M. Alain Juppé en 1997. Cette expérimentation qui a été une réussite est généralisée par le projet de loi relatif à la solidarité et au renouvellement urbains. Il conviendra toutefois de ne pas oublier les régions qui disposent de faibles moyens financiers. M. Alain Marleix a par ailleurs noté que M. André Lajoinie et lui-même avaient des vues proches concernant la finalité de la réforme de la SNCF. Cette dernière doit rester un service public et la réforme menée en 1997 avait bien pour but d'adapter ce service public.

Abordant la question des transports aériens, M. Alain Marleix a estimé que ce secteur se trouvait à un tournant difficile, du fait notamment de l'explosion du trafic, de l'ordre de 7 à 9  % par an. La France accueillant un vol européen sur quatre, la gestion de ce trafic se révèle particulièrement délicate et préoccupante. Il conviendrait donc de créer de nouveaux instruments. M. Alain Marleix s'est réjoui que M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement ait eu le courage de décider la construction d'une quatrième piste à l'aéroport de Paris-Charles-de-Gaulle. Pour autant, cette initiative n'est pas suffisante et il sera nécessaire de créer un troisième aéroport international dans le bassin parisien. Le choix du site devra être rapidement fait par le Gouvernement, dans le cadre d'un débat démocratique. Si le « hub » de Paris-Charles-de-Gaulle est un des meilleurs d'Europe, il ne suffira pas à absorber le trafic à l'échéance de dix ou vingt ans.

M. Alain Marleix a toutefois relevé certaines lacunes dans le rapport présenté par M. André Lajoinie. Il a estimé que l'ouverture du capital d'Air France constituait une solution « batarde » et que le statut mal défini de cette société ne lui permettait pas d'atteindre ses objectifs. Il a notamment regretté que le cours de l'action d'Air France n'ait pas augmenté et qu'il ne reflète pas ses bons résultats. Concernant les stratégies de regroupements, il a cité l'absorption de la compagnie AOM par Swissair et s'est déclaré défavorable à une politique de « laisser-faire » et de libéralisme effréné. Pour autant, il s'est inquiété des effets préjudiciables que pourrait avoir l'absence de décisions des pouvoirs publics sur les compagnies.

M. Jean-Pierre Dufau a tout d'abord souligné le contraste qui oppose le XIXème siècle, qui a su valoriser et encourager les « voies » de communication, et le XXème siècle, ère des « moyens » de communication. L'efficacité accrue des outils de prise de décision et l'extension des possibilités offertes par la technique, vont de pair avec une grande modestie dans les progrès réalisés en matière de voies de communication. Il convient donc de se mobiliser aujourd'hui en faveur de celles-ci et d'une meilleure intégration des actions en faveur de l'environnement au sein de la politique des transports.

M. Jean-Pierre Dufau a ensuite salué les orientations du rapport, dont il a loué la pertinence sur le problème du rééquilibrage entre rail et route, sur la réaffirmation des missions de service public de la SNCF ou le soutien aux transports collectifs.

Il a souscrit à l'essentiel des conclusions du rapport en ce qui concerne les voies d'eau, notamment en matière d'équilibre écologique.

Il a estimé que le développement portuaire, le cabotage et les transports maritimes constituent désormais des dossiers majeurs pour l'opinion publique.

S'agissant du transport aérien, il a souhaité réaffirmer le caractère de service public qui s'y trouve attaché et souligné que les progrès de la libéralisation emportaient indiscutablement des conséquences préjudiciables. Si le souci de voir les transports se développer de manière diversifiée et équilibrée est largement partagé, l'implantation du troisième aéroport en région parisienne se heurte à de nombreuses hostilités locales. Il convient donc, dans l'impossibilité d'imposer des solutions non négociées et afin d'éviter une confiscation de ce dossier par des intérêts particuliers, de mettre en place un véritable débat démocratique qui s'appuiera sur des études et des enquêtes diffusées dans la plus grande transparence.

M. Daniel Paul déclarant partager l'esprit du rapport a souligné qu'une attention particulière doit être portée au développement exponentiel de la mobilité des marchandises : ainsi, le volume transitant par le port du Havre passera, au cours des prochaines années, de 1,5 million de conteneurs à près de 3 millions, sans véritable modification des réseaux routiers ou ferroviaires de liaison. Ce doublement des transactions représente un véritable défi car le port se trouve aujourd'hui concurrencé par ceux d'Anvers et de Rotterdam : ces derniers attirent en effet plus de clients français que n'en retient le Havre.

Le développement de la coopération au sein de l'Union revêt donc une importance majeure, car le seul jeu des lois du marché risque d'aboutir à une croissance sans mesure du trafic routier et des risques de dumping social qui lui sont attachés.

En matière de fret, il convient que des initiatives soient prises au niveau européen afin de coordonner les efforts des États. Il apparaît en effet manifeste que la destination des marchandises transitant par un port comme le Havre, se porte plus vers les pays d'Europe centrale et orientale et la ville hongroise de Sopron. Par voie de conséquence, la coordination entre le transport maritime et le transport ferroviaire apparaît cruciale.

Les investissements nécessaires pour se doter d'un réseau de canaux performant ne pourront être amortis que sur de longues périodes. Les carences observées aujourd'hui ne sont d'ailleurs que la conséquence du sous-investissement d'hier. Il a donc souligné son souci de voir les canaux Seine-Est et Saône-Moselle faire l'objet d'une véritable mobilisation de nature à éviter l'isolement du bassin rhodanien.

Enfin, il a déploré le faible intérêt des pouvoirs publics en matière de cabotage, observant que le terme ne figurait qu'à deux reprises dans le contrat de plan État-région signé avec la région Haute-Normandie. Il a souhaité une prise en charge des études mais aussi du déficit, inévitable les premières années d'exploitation.

M. Serge Poignant a abordé la question du rééquilibrage entre le transport par route et par fer. Il a déclaré partager l'avis selon lequel le fret ferroviaire devait être développé, mais dans l'Ouest les élus demandent que les axes routiers, notamment vers le centre de l'Europe, soient également améliorés. Il a jugé que les deux modes de transport devaient plutôt être considérés comme complémentaires que mis en opposition.

L'Ouest a également développé le cabotage maritime, et Nantes-Saint-Nazaire a le rang d'un port international.

En matière de contrôle aérien, M. Serge Poignant a précisé ne pas être ultra-libéral et a jugé qu'il ne fallait pas « contrer l'offensive libérale européenne » mais l'organiser. Peut-être, a-t-il admis, un troisième aéroport international parisien est nécessaire, mais il faudrait avant tout mettre l'accent sur le développement des aéroports de province non éloignés de Paris, notamment ceux de l'Ouest où l'accès par la mer réduit les problèmes de nuisance.

En réponse aux différents intervenants, M. André Lajoinie a apporté les précisions suivantes :

- les propos des commissaires démontrent, au-delà de leur diversité, que les membres de la commission de la production et des échanges partagent largement un point de vue commun sur le devenir de la politique des transports en France et en Europe ;

- s'agissant du troisième aéroport international M. André Lajoinie s'est déclaré convaincu par les propos du directeur général de l'aviation civile sur la nécessité d'utiliser les disponibilités des aéroports existants. Il a également rappelé que, du fait de la limitation du trafic d'Orly et de la prochaine saturation de Roissy, il était nécessaire de prévoir la construction d'un troisième aéroport dans la région parisienne, faute de quoi cette réalisation se ferait à l'étranger. Le TGV est certes un concurrent de l'avion sur les destinations intérieures mais la croissance globale du trafic impose à l'État de prendre ses responsabilités car la construction d'un aéroport nécessite environ quinze ans ;

- la situation économique d'Air France est globalement satisfaisante et même enviable à plus d'un titre. Elle permet à la compagnie nationale de s'engager dans des alliances diversifiées. Le fait que le capital de l'entreprise soit majoritairement public comporte des avantages, notamment celui d'éviter d'exposer l'entreprise à une OPA ;

- il ne s'agit pas d'inverser le rapport entre modes de transport ferroviaire et routier, mais d'éviter les effets pervers de l'hégémonie de la route. Ainsi, des investissements importants sont encore nécessaires sur le réseau routier, notamment pour renforcer la sécurité des trafics ;

- le rapport n'a pas visé à l'exhaustivité. Il a cherché à établir un diagnostic de la situation des différents modes de transport afin notamment d'éclairer l'opinion publique sur les risques et les conséquences d'un laisser aller dans le domaine de la politique des transports.

La commission a ensuite autorisé, en application de l'article 145 du règlement et dans les conditions prévues à l'article premier de l'instruction générale du Bureau, la publication du rapport d'information.

A U D I T I O N S

Audition de M. Jean-Claude BERTHOD,

président de Novatrans

(extrait du procès-verbal de la séance du 24 novembre 1999)

Présidence de M. André Lajoinie, Président

M. André Lajoinie, président : M. le président, vous êtes président d'une entreprise qui est attachée au transport combiné, transport que nous croyons d'avenir.

Je ne vous cacherai pas que notre commission est assez préoccupée par la croissance de la part de la route, dans le transport du fret, par rapport au rail. Nous sommes bien convaincus que les choses ne peuvent pas continuer ainsi car nous ne pouvons pas assister dans l'indifférence à cette évolution, avec toutes les nuisances qui en résultent, tels les accidents. On peut citer la catastrophe récente dans le tunnel du Mont Blanc, ou encore le blocage de l'autoroute du sud par la neige avec à chaque fois la présence de camions. Or nous assistons en même temps à une relative stagnation du transport fret ferroviaire.

Nous savons bien que la route apporte une souplesse, point à point, qu'il faut prendre en compte, mais il nous semble que nous pouvons trouver cette souplesse avec le rail. Nous croyons tout d'abord que si on ne fait rien ce sera le blocage du transport fret. Si on excepte le transport par les voies navigables, la mer et l'aérien, le transport terrestre risque d'être bloqué, la croissance continue du transport routier aboutissant inexorablement à une thrombose qui ne peut pas être acceptée par la société.

Nous sommes tout à fait convaincus que l'avenir est dans le transport combiné. Vous qui êtes spécialiste dans ce domaine, nous souhaitons connaître votre opinion. Pourquoi le transport combiné ne progresse-t-il pas, ou en tout cas pas assez ? Ce n'est pas seulement le cas en France et, puisque c'est à peu près pareil partout, on ne peut pas accuser tel ou tel protagoniste français.

Où se situent les blocages ? Quels sont les obstacles ?

Il me semble qu'on ne trouvera pas de solutions tant que le transport routier bénéficiera d'autant d'avantages puisque les transporteurs routiers ne payent pas ou très peu les infrastructures, alors que le transport ferroviaire utilise des infrastructures qu'il paye.

Le Gouvernement et la SNCF se sont fixés comme objectif un doublement du transport fret ferroviaire en dix ans. C'est un objectif important, ambitieux et modeste en même temps ; raisonnable disons, puisque le transport fret routier aura probablement lui aussi doublé au cours de la même période. La proportion n'aura donc pas bougé. On peut le supposer, bien qu'on ne puisse pas prédire l'avenir car il est possible que des blocages modifient la situation.

Qu'est-ce qui permettra d'atteindre cet objectif ?

M. Jean-Claude Berthod : Je vous remercie d'abord d'avoir bien voulu m'inviter pour vous parler de la situation des transports en France et dans son contexte international. J'aurais quelques corrections à apporter sur certains points abordés par le président Lajoinie parce que je ne suis pas tout à fait d'accord avec lui. La fantastique croissance du transport routier et la stagnation des chemins de fer posent un vrai problème. Tout le monde est conscient de ce problème, y compris les transporteurs routiers. La Fédération nationale des transports routiers, lors de son dernier congrès du mois d'octobre 1999, a pris l'engagement d'augmenter le transport combiné sur l'axe nord-sud d'au moins 20 % dans les deux ans qui viennent, sous réserve que la SNCF apporte la qualité de service permettant ce transfert. Le transport combiné est un substitut ou une solution alternative au transport routier. Il doit présenter les mêmes avantages pour être compétitif.

Mon exposé sera peut-être un peu long et je ne répondrai pas tout de suite à votre question, M. le président, parce que je voudrais faire un exposé général sur la situation, car on ne peut pas parler d'un point particulier sans évoquer son contexte. J'aborderai successivement la situation globale des modes terrestres, les problèmes propres à chacun des modes, c'est-à-dire le ferroviaire, le combiné et le routier et, troisièmement, les bouleversements au niveau de l'offre et l'évolution de la demande de transport. Pour conclure, je tâcherai d'évoquer les handicaps et les atouts de la France dans ces domaines.

Quelle est la situation globale des transports aujourd'hui ? En termes de parts de marché ou en tonnes kilométriques, la route représente 80 % du transport. Si on prolonge les tendances, et selon les actions politiques qui pourraient être menées, en 2020, la part de marché de la route pourrait être située entre 81 et 87 %. Le fer, qui est à 18 % aujourd'hui, pourrait évoluer entre 17 et 11 %. Et le fluvial qui est aujourd'hui à 2 % pourrait s'établir entre 1,4 % et 0,8 %. La croissance prise comme hypothèse se situe à environ 2 % l'an.

Je précise que ces chiffres ont été donnés par le ministère de l'Équipement aux différents préfets pour servir de base à l'élaboration des schémas de services collectifs de transport de voyageurs et de marchandises. Ce sont donc des chiffres officiels.

Le chemin de fer représentait 35 % de part de marché en 1970. On constate donc une tendance lourde de déclin du chemin de fer et une progression de la route. C'est un phénomène européen.

Dans l'Union européenne, c'est en France que la part du chemin de fer est la plus importante ; plus qu'en Allemagne où la part du fluvial est assez importante, puisque le réseau est évidemment tout à fait différent du nôtre. A l'international, malgré les distances plus importantes qui donnent normalement un avantage supplémentaire au chemin de fer, la situation n'est guère meilleure que pour le trafic national. Il y a donc un vrai problème.

La route représente 91 % du chiffre d'affaires du transport et le chemin de fer 8 %. Pourquoi ce déclin ? Il y a d'abord des raisons techniques, les mutations structurelles qu'a subies le tissu industriel : on transporte beaucoup moins de charbon, beaucoup moins d'acier, pas plus d'engrais qu'avant, et les marchés de prédilection du chemin de fer sont donc en déclin.

Par ailleurs, les implantations industrielles sont maintenant de plus en plus dispersées, ce qui favorise évidemment le transport routier à cause du maillage des infrastructures routières.

Il y a ensuite une modification dans les méthodes de gestion industrielle qui conduit à des réductions de stocks et donc à une fragmentation des envois. Les envois de petite importance favorisent évidemment le transport routier au détriment du chemin de fer. Ce sont des raisons qu'on constate, on n'y peut rien, c'est une tendance économique générale.

Il y a ensuite des raisons de compétitivité entre les différents modes de transport. Les éléments de choix d'un chargeur, c'est-à-dire du client qui a des trafics à remettre, se fondent sur plusieurs paramètres : le prix, le délai, la fiabilité et la réactivité.

Le prix : on ne peut pas dire, en gros, que le transport routier soit moins cher que le transport ferroviaire.

Les délais : le transport routier est indiscutablement assez performant dans ce domaine.

La fiabilité : c'est la garantie du délai convenu.

Et la réactivité : c'est la possibilité de répondre à des demandes impromptues d'industriels, en cas de retards de commandes par exemple ou de chargement sur un navire déterminé pour l'exportation.

Un autre élément intervient, ce sont les prestations annexes qu'on peut demander aux prestataires de transport.

Danzas dont j'étais le PDG il y a quelques années, a mené, il y a trois ans, une enquête en Europe, aux Etats-Unis et dans le Pacifique auprès d'un certain nombre de chargeurs pour savoir quels paramètres ils prenaient en considération et quelles étaient leurs exigences prioritaires. On a constaté que tous ces paramètres que je viens d'indiquer, c'est-à-dire prix, délais, fiabilité et réactivité, sont considérés comme ayant la même importance. Autrement dit, l'élément prix n'est pas déterminant. C'est un point très important qui est évidemment un élément à prendre en compte si on veut mener une politique de relance du ferroviaire.

Pourquoi cet élément prix est-il moins important ? Parce que les produits industriels sont plus légers et incorporent plus de valeur ajoutée que naguère. C'est donc l'exigence de délai qui devient prédominante en fonction de l'augmentation de la valeur du produit. Cette politique de délai entraîne un fractionnement et une fréquence plus grande des envois. Elle favorise donc le développement de la messagerie et de l'express.

Face à ces évolutions, la route offre un service quasi universel en tous lieux, à tous moments, pour tous produits et vers toutes destinations. Et pourquoi a-t-elle cette forte capacité de réactivité ? D'une part, c'est dû à l'esprit très commerçant des entreprises de transport routier, d'autre part, le transport routier est caractérisé par une surcapacité structurelle, c'est-à-dire que le parc de véhicules correspond au moment où la demande est la plus forte dans l'année, il y a donc des véhicules disponibles en période creuse.

La situation est toutefois un peu plus délicate en ce moment car la croissance économique se poursuit et la demande est importante. Les transporteurs routiers ont, par conséquent, quelques difficultés à satisfaire la demande.

En outre, le climat social conflictuel au sein de la SNCF diminue la fiabilité de ses services. Au moment où je vous parle, il y a des grèves et nous avons dû, chez Novatrans, téléphoner à nos clients pour leur dire de ne pas nous remettre de fret. La grève a commencé hier, elle continue aujourd'hui et on ne sait pas encore si elle va s'arrêter. Il s'agit des problèmes d'application des 35 heures. La possibilité que les chargeurs, qui délaissent aujourd'hui le transport combiné du fait des grèves à la SNCF, reviennent au ferroviaire, est très hypothétique, puisqu'il s'agit d'un changement de stratégie et qu'on ne change pas de stratégie facilement et rapidement.

Mon souhait est de développer l'activité ferroviaire. Je suis pourtant vice-président de la Fédération nationale des transports routiers mais j'ai été également président du G.N.T.C, le Groupement national des transporteurs combinés, et je suis administrateur de Réseau ferré de France. Comme vous le voyez, j'ai des casquettes multiples mais je m'y retrouve très bien car le problème des transports n'est pas un problème de conflit entre modes. C'est un peu la tendance en France de croire cela, parce qu'il existe une presse non spécialisée qui mélange les problèmes. Chaque mode a son domaine de pertinence et les transferts de mode à mode sont finalement beaucoup plus difficiles à réaliser qu'on ne le croit.

Quand on veut développer quelque chose, il ne faut pas seulement prolonger les tendances ou les courbes, il faut essayer d'examiner les possibilités de rupture dans ces courbes et il y en a, heureusement. Il y en a, d'abord parce que le marché unique favorise l'allongement des distances pour les transports de marchandises et le chemin de fer bénéficie, en principe, d'un avantage fort sur les longues distances. Il y a ensuite une sensibilité de l'opinion publique à l'égard des problèmes environnementaux qui se développe et qui favorise évidemment les modes moins polluants. Or, le chemin de fer est moins polluant que la route.

Le chemin de fer devrait, au minimum, maintenir sa part de marché. Dans les chiffres que j'indiquais (entre 11 et 17 %), l'objectif maximal de cette fourchette est raisonnable.

Le ministre a donné un objectif plus fort puisqu'il a parlé de doublement en dix ans. C'est un peu un discours d'homme politique. Il faut mobiliser les troupes et indiquer des chiffres simples qui frappent l'opinion, mais je les trouve très ambitieux.

Que peut-on espérer pour que la SNCF, le chemin de fer en général, puisse progresser ?

Il faut d'abord donner ses chances au fret en cessant de donner systématiquement la priorité au trafic de voyageurs. C'est un vrai problème qu'on rencontre de plus en plus souvent avec la prolifération des TER qui bloquent les acheminements de trains de marchandises et rendent le transport combiné moins compétitif car il doit attendre que certains trains soient passés.

Cette priorité concerne trois éléments. Tout d'abord, le matériel : il faut que les locomotives disponibles soient affectées au fret et pas systématiquement aux voyageurs ; il en va de même pour les conducteurs ; il faut enfin que de bons sillons soient attribués au fret. Un sillon, c'est un espace kilométrique de voie mis à disposition d'un train pour une période donnée. Un sillon à une mauvaise heure, surtout en transport combiné, n'est pas très incitatif pour les transporteurs routiers.

Il faut une meilleure gestion des infrastructures, c'est-à-dire qu'il faut utiliser, quand il y en a, les voies pour ce qui est le plus rentable pour la SNCF et ce qui est le plus conforme à l'intérêt socio-économique. J'évoque encore ici le problème des TER.

Il faut réaliser des infrastructures ; des investissements importants sont à faire. Il ne faut pas privilégier le tout TGV. C'est une des fautes commises durant ces dernières années. Il y a des contournements à faire : région parisienne, région lyonnaise, Nîmes-Montpellier, etc., car ces goulets d'étranglement sont particulièrement nuisibles à la fiabilité et à la vitesse des trains.

Par ailleurs, c'est un fait nouveau et c'est bien que ce soit la France qui soit à l'origine de cette initiative, le ministre des transports, M. Jean-Claude Gayssot, a lancé l'idée au conseil des ministres du 6 octobre 1999 d'un réseau transeuropéen de fret ferroviaire. On a beaucoup entendu parler des corridors ; il s'agissait d'accords entre compagnies de chemin de fer pour faire circuler des trains sur des voies considérées comme des axes intéressants pour le trafic européen, mais ceci supposait un accord entre compagnies de chemin de fer qui, il faut l'avouer, ne sont pas très tentées par la collaboration parce qu'il y a une espèce de défense de la souveraineté de chacune de ces compagnies de chemin de fer et une certaine méfiance l'une à l'égard de l'autre.

La décision relative aux réseaux transeuropéens de fret ferroviaire serait prise par les États qui affecteraient des lignes bien déterminées à un réseau européen. Cela supposerait que les compagnies, sur la pression des États, harmonisent les tarifications d'infrastructures, élargissent les droits d'accès aux services de frets internationaux, développent l'interopérabilité, les services de fret internationaux, etc.

Ce point est donc très important. Il faudrait que la France aborde cette question avec un esprit d'ouverture car accepter la concurrence intra-modale est incontestablement un des facteurs de développement du ferroviaire. Les cheminots ne seraient peut-être pas tout à fait de mon avis mais je crois à la vertu de la concurrence quand on veut s'améliorer.

Un autre moyen de développer le transport ferroviaire, c'est le développement du transport combiné. On parle beaucoup du transport combiné, et on emploie souvent des termes qui ne sont pas tout à fait ceux qui conviennent. Il y a ce qu'on appelle le ferroutage. Ce sont des semi-remorques, des caisses mobiles ou des containers transportés sur un wagon. Ce transport se fait sur des voies classiques, sans problèmes particuliers.

En revanche, on parle aussi de « l'autoroute roulante ». Il s'agit de camions sur les trains. Cela fait très bien dans les discours, mais ce système nécessite une voie spécifique, un gabarit ferroviaire spécifique et il faut, en gros, 50 millions de francs du kilomètre au minimum pour construire ce genre de voies, c'est-à-dire le prix d'une autoroute à deux fois quatre voies. Or le débit d'une autoroute ferroviaire serait celui d'une autoroute à deux fois une voie.

D'un point de vue économique, un tel investissement a assez peu de chance d'être accepté, ne serait-ce que par Réseau ferré de France. L'article 4 de la loi, qui a créé Réseau ferré de France impose un retour d'investissement de 8 %, ce qui n'est pas prêt de se réaliser avec une autoroute ferroviaire.

Le transport combiné représente aujourd'hui 25 % du fret de la SNCF et même un peu plus, 27 à 28 % normalement cette année, mais il faut être prudent car les chiffres du combiné sont en baisse en ce moment par rapport à l'année dernière.

Il y a deux opérateurs : la CNC, la Compagnie nouvelle des conteneurs, filiale à 90 % de la SNCF, et Novatrans. Novatrans est une société qui a été créée par les transporteurs routiers dont le capital est à hauteur de 60 % entre les mains d'entreprises de transport routier et pour 40 % du groupe ferroviaire. Je me suis toujours efforcé qu'aucune entreprise de transport routier ne puisse dépasser un montant supérieur à 3 ou 4 % du capital de façon que cette société, qui est en fait une espèce de « coopérative », ne soit pas dominée par un client particulier.

Le rôle des opérateurs est de constituer des trains. Ils achètent la traction du train à la SNCF, mais dans des conditions particulières. Le train est acheté au même prix qu'il soit rempli aux trois quarts ou au dixième. Il est possible d'annuler un train mais cela doit être fait au moins trois mois avant le départ, le risque financier est donc considérable. La SNCF ne s'est pas mal débrouillée sur ce point.

Les opérateurs doivent ensuite vendre ces trains à leurs clients, à la caisse, c'est-à-dire que le client remet des caisses ou des semi-remorques et paye un prix considéré comme compatible avec la concurrence routière.

Leur rôle consiste aussi à gérer les chantiers c'est-à-dire les endroits où se passent les opérations de transbordement entre les camions et les wagons. Les opérateurs achètent donc des terrains, ou les louent, souvent à la SNCF, quelquefois à une Chambre de commerce, comme on vient de le faire à Bayonne. Ils doivent les aménager et fournir des matériels de manutention, notamment les portiques. Un portique coûte autour de 8 millions de francs. Il ne s'agit pas d'opérations insignifiantes en matière d'investissement.

Les opérations de manutention sur les chantiers et la fourniture de wagons pour des trains relèvent des opérateurs. Novatrans est ainsi propriétaire de 1 500 wagons. Bien entendu la responsabilité juridique de l'opération de transport à l'égard des clients incombe à l'opérateur.

Notre trafic chez Novatrans se partage à égalité entre le trafic national et le trafic international. Nous avons des filiales à l'étranger, au Royaume-Uni, en Italie, en Espagne, en Belgique, et même en Roumanie maintenant, car les pays de l'Est s'intéressent assez fortement au transport combiné. Novatrans pratique le système classique, pas celui de « l'autoroute roulante », qui est le système des caisses mobiles et semi-remorques sur wagons. Nous sommes tout à fait défavorables à « l'autoroute roulante » parce qu'elle nous paraît anti-économique, même si nous considérons qu'elle est tout de même valable sur des parcours courts comme la traversée de la Manche ou la traversée des Alpes, lorsqu'il existe un obstacle naturel de courte distance.

Autre argument que j'ai oublié de fournir à propos de « l'autoroute roulante » : ce qui n'est pas bon dans ce système, c'est de mettre sur un wagon un camion et un conducteur qui coûtent cher car on ajoute au coût ferroviaire, qui est déjà très élevé puisqu'il faut une voie spécifique, l'essentiel du coût routier. C'est vraiment une formule journalistique et non pas économique. La SNCF dit souvent, et ce n'est pas bien qu'elle le dise parce que les cheminots le retiennent et, du coup, ils n'ont pas toujours une attitude très positive à l'égard du combiné- que le combiné ne rapporte pas, qu'il lui fait perdre de l'argent et que s'il représente 25 % des volumes, il ne représente que 13 % de ses recettes. La SNCF oublie qu'on ne peut pas comparer un train de combiné à un train normal car nous fournissons les wagons, nous achetons le train complet, nous prenons le risque commercial. Un train commence à être rentable au bout d'un an et demi environ. Il s'agit donc d'une opération relativement audacieuse surtout pour une société de taille moyenne comme Novatrans.

Les problèmes du combiné, ce sont les problèmes de la SNCF. Une mauvaise plaisanterie court dans le milieu du transport combiné et même à la SNCF : "Le drame du transport combiné, c'est qu'il y a un parcours ferroviaire".

Nous sommes évidemment complètement déterminés par la qualité de l'acheminement ferroviaire. Je vous ai parlé des saturations sur certaines lignes, des goulets d'étranglement, de la priorité aux voyageurs, du climat social qui n'est pas toujours excellent. La solution alternative au transport routier n'est donc pas forcément très excitante pour les transporteurs routiers.

Novatrans n'a comme clients que des transporteurs routiers. Nous ne traitons pas en direct avec les chargeurs. Nous avons décidé -  c'est une stratégie qui remonte avant ma présidence  - que nous ne voulons pas concurrencer nos clients. Nous les aidons à traiter les affaires mais nous ne pouvons pas nous situer sur le même marché. Il faut qu'ils aient confiance en nous en quelque sorte.

A l'international, un problème se pose, celui de la fluidité aux frontières. Il n'y a plus de douanes mais il subsiste toujours ce problème de la nationalité des compagnies de chemin de fer, ce qui fait qu'un train attend, en gros, trois heures aux frontières. Il faut changer de locomotive, de conducteur, il faut vérifier les wagons, etc., un peu comme lorsque vous prenez une voiture en location et qu'on vérifie que vous la rendez en bon état.

En outre, les politiques des compagnies de chemin de fer ne sont pas forcément cohérentes. Un exemple : la SNCF a accepté, l'année dernière, de ne pas augmenter ses tarifs vers l'Italie mais les chemins de fer italiens ont augmenté leurs tarifs de 17 %. Il est évident que le trafic sur l'Italie a chuté, alors que 25 % des trains arrivent avec 24 heures de retard minimum. L'affaire du Mont Blanc n'a pas changé la situation ; nous ne transportons pas une tonne supplémentaire depuis la fermeture du tunnel.

Notre activité dans le combiné est donc essentiellement conditionnée par la qualité de service et la fiabilité. Un exemple : l'année 1997 a été bonne, c'est la meilleure historiquement. La progression a été de plus de 10 % en trafic national et de plus de 20 % à l'international. La grève de la SNCF d'avril 1998 a stoppé cette progression. En novembre 1998, blocage à la SNCF : trafic en chute ; mars 1999, grève à la SNCF : stabilisation de la chute sur les neuf premiers mois de 1999, le trafic national régresse de 6 % et l'international de 8 %.

La SNCF fait des efforts considérables pour améliorer la qualité. En octobre 1999 par exemple, 1 % seulement des trains avait un retard supérieur à 2 heures. Je peux dire que c'est très bien par rapport à ce qu'on a connu. Mais à l'international c'est 15 % de trains qui subissent un retard de plus de 24 heures.

Nous ne faisons aucun trafic avec l'Allemagne, aucun, pas une tonne. On a essayé de monter des trains sur Francfort, la vitesse commerciale d'un train, compte tenu de l'arrêt aux frontières, était de 28 km/heure, comme celle d'un coureur cycliste !

Participant à de nombreuses réunions internationales avec toutes les compagnies de chemin de fer d'Europe, y compris celles des pays de l'Est et avec les homologues de Novatrans dans les autres pays, je dois dire que la SNCF est plus constructive et plus volontariste sur la qualité et les prix que les autres compagnies. En Allemagne par exemple, le trafic national a baissé de 40 % l'année dernière car les chemins de fer allemands ont augmenté leurs tarifs d'une façon ahurissante notamment pour le retour des caisses vides.

Nous avons en ce moment beaucoup de problèmes pour agrandir les chantiers, à Avignon par exemple. La coopération entre Novatrans, la SNCF, Réseau ferré de France, la direction des transports terrestres, la CNC et le G.N.T.C. dont vous verrez le président tout à l'heure, M. Pierre Fumat, est bonne.

Il y a un point sur lequel je voudrais insister parce qu'il se trouve que je suis, au Conseil national des transports, l'animateur d'un groupe de travail sur les schémas de services collectifs de transport, marchandises et voyageurs. J'ai eu l'occasion de pouvoir lire un certain nombre des contributions des régions (pas toutes parce qu'elles ne sont pas toutes arrivées) et je suis un peu effrayé. Au départ, l'idée de la ministre de l'aménagement du territoire portait sur des schémas de services collectifs de transport. Les pouvoirs publics n'ont pas tellement à intervenir en matière de services mais plutôt sur les infrastructures. Les élus locaux, qui sont assez réalistes -  peut-être plus que les ministres  - ont bien compris le message et toutes leurs propositions portent finalement sur des infrastructures.

Je disais à l'instant que certaines de ces contributions m'inquiètent.

Dans les infrastructures proposées, il y a les plates-formes logistiques. Le terme « plate-forme logistique » fait partie des mots à la mode. On ne peut plus dire « transport », il faut dire « logistique », cela fait plus sérieux. Le brave transporteur qui fait Paris-Orléans avec sa camionnette et qui mettra « transport logistique » sur son camion fera, en fait, des livraisons comme il en faisait auparavant.

Qu'est-ce qu'une plate-forme logistique ? C'est une zone dans laquelle sont exercées, par différents opérateurs, des activités relatives au transport et à la logistique. Il devrait s'y trouver en principe les différents modes de transport : le fer, la route, un chantier de transport combiné et peut-être même un aéroport et un port fluvial. Des quais servent au passage et au tri des marchandises, et des entrepôts à leur stockage.

Cette notion de plate-forme logistique reflète une conception idéale et irréaliste du monde des transports. Parmi les plates-formes logistiques souvent citées, je pense à Garonor et à Sogaris dans la région parisienne. Je connais bien Garonor puisque, quand j'étais patron de Danzas, j'y ai acheté un terrain pour construire une installation, et je sais très bien comment fonctionne cette plate-forme. Il y a une voie ferrée dont j'ai moi-même décidé la remise en état ; Danzas a dépensé cent mille francs pour rien, et même beaucoup plus, car cette voie ferrée ne sert à rien, la desserte ferroviaire n'étant pas bonne. Qu'est-ce que Garonor ? C'est une zone industrielle dans laquelle des transporteurs routiers sont installés, point. Ils ne font aucun transport ferroviaire et ils ne travaillent même pas entre eux ; ils ont chacun leur petite ligne. Et quand on parle de plate-forme logistique, on nous parle de la réussite de Garonor !

On est en train de faire, dans un certain nombre de régions, à Toulouse, Champigneulles, Châlons-sur-Saône etc., des plates-formes logistiques qui coûtent une fortune, qui bloquent les projets de chantiers de transport combiné qu'on devrait construire et qui vont finalement être financées par le contribuable avec à l'issue un échec total. On prévoit à Dourges, près de Lille, un chantier absolument extraordinaire où les transporteurs ont peu de chance d'aller.

Pourquoi parle-t-on tout le temps de ces plates-formes logistiques ? Parce qu'on est persuadé que c'est un outil d'aménagement du territoire, une source de développement économique, qu'elles favorisent les transferts entre modes de transport, la rationalisation et la distribution dans la zone concernée.

En réalité, elles ne sont pas favorables à un aménagement rationnel du territoire national car :

1. elles concentrent sur un point donné une multitude de véhicules, ce qui n'est pas tellement souhaitable pour les riverains ;

2. elles ne sont pas source de développement économique car le transport ne crée pas de trafic, il gère ce qui existe. Ce n'est donc pas en créant une plate-forme logistique qu'on suscite des trafics ;

3. les transferts de mode à mode se réalisent n'importe où dans des installations appropriées sans difficulté ; les entreprises le font depuis longtemps sans intervention de la puissance publique et sans subventions. Je ne vois pas pourquoi on financerait les entreprises pour faire du stockage et de la distribution, à une époque où on veut réduire les dépenses publiques ;

4. si l'aide attribuée à ces plates-formes logistiques a pour objectif le développement du transport combiné rail-route, autant rechercher des terrains appropriés permettant l'utilisation de sillons ferroviaires convenables.

Les élus locaux sont souvent intéressés par ces plates-formes, poussés par des promoteurs, poussés par des consultants qui ne connaissent rien au transport. On interroge quelquefois les transporteurs mais, un transporteur auquel on demande s'il serait intéressé par une plate-forme logistique à côté de chez lui peut répondre oui, car on ne sait jamais. Mais il faut aussi lui demander, si on en construit une, s'il s'engage à prendre une surface en location à tel prix, dans telles conditions, etc. Sans un tel engagement, il vaut mieux ne pas construire, mais malheureusement on le fait quand même.

J'ai la chance d'avoir travaillé dans une société multinationale et donc d'avoir beaucoup voyagé à l'étranger. En Italie, l'Etat italien a développé douze plates-formes logistiques. C'est un échec complet, ces plates-formes coûtent une fortune et ne sont pas utilisées.

Le monde change et le monde des transports également. On assiste à l'émergence des services postaux : la poste néerlandaise et la poste allemande vont devenir les plus gros transporteurs et transitaires du monde. La Poste a aussi racheté Danzas et Air Express International qui est le plus gros transitaire aérien du monde, ainsi que la plus grosse affaire de messageries d'Espagne, la deuxième britannique, etc. Le développement de la poste allemande est considérable et sa stratégie, tendue vers le développement mondial en disposant d'une palette de produits assez vaste, tout à fait claire. La poste néerlandaise fait la même chose mais en se limitant aux paquets et aux petits colis.

Ceci entraînera, à mon avis, une transformation des structures de la profession. C'est d'ailleurs une raison supplémentaire de ne pas se lancer dans les plates-formes logistiques. Il faut éviter de créer des rigidités parce que les stratégies des entreprises sont en pleine mutation. Par ailleurs le commerce électronique fait sont entrée dans les entreprises de transport les plus performantes. Il représente déjà 20 % du chiffre d'affaires d'une entreprise comme U.P.S., qui est la grande entreprise de messagerie et d'express aux Etats-Unis. Or, la vague touche en général ensuite la France et l'Europe.

Quels sont les handicaps de la France ?

1. il n'y a pas eu de politique globale des transports pendant longtemps. Il en existe une aujourd'hui mais qui n'est pas très efficace, car elle sous-estime le rôle du marché et la mondialisation. Que ces réalités plaisent ou non, elles existent ;

2. on constate une certaine frilosité à l'égard de la concurrence ;

3. l'addition des projets sans véritable priorité entraîne un véritable saupoudrage.

Ainsi par exemple, il ne faudrait pas que se reproduise avec les aéroports ce qu'on a fait avec les ports. Je me souviens que le patron du port de Rotterdam me disait : « nous n'avons pas de mérite, nous n'avons qu'un seul port ». Il faut en plus reconnaître que les Pays-Bas sont l'énorme plate-forme logistique de l'Europe ; ils en ont fait une priorité de leur politique des transports. C'est aussi un pays extraordinairement bien situé ;

4. l'absence d'harmonisation sociale européenne du transport routier est un autre handicap. La France est à cet égard en avance sur les autres pays, les temps de mise à disposition sont pris en compte dans le temps de travail alors que seuls les temps de conduite le sont dans tous les autres pays d'Europe où les temps d'attente chez les clients, dans les usines, etc., ne sont pas considérés comme des temps de travail.

Vous savez que le cabotage est libre, c'est-à-dire qu'un étranger, un non résident, peut faire du transport intérieur en France, et réciproquement bien sûr. On risque de constater une prédominance des transporteurs étrangers sur le territoire français si on ne parvient pas à une harmonisation sociale européenne. Vous voyez sur les routes beaucoup de camions Willy Betz qui est une entreprise allemande mais qui a installé une filiale en Pologne et qui emploie des chauffeurs roumains, bulgares et polonais payés, en gros, le tiers de ce que gagne un chauffeur français ;

5. autre handicap : nous sommes des latins, ce qui signifie que le verbe nous donne parfois davantage de satisfaction que l'action. Plutôt que des colloques et des discours sur le transport combiné, il faudrait agir beaucoup plus ;

6. enfin, il ne faut pas croire que les écotaxes entraîneront des transferts du trafic routier vers le trafic par chemin de fer. Je vous ai dit tout à l'heure que le prix devient un élément secondaire ; en cas d'augmentation du prix du transport routier, les clients préféreront payer pour avoir fiabilité et respect des délais.

Il ne faut pas oublier par ailleurs que 86 % des camions que vous voyez effectuent un parcours quotidien inférieur à 150 km dans l'Union européenne. C'est un problème mentionné dans le document de la Commission « Pour un développement durable ».

J'en viens maintenant aux atouts de notre pays.

On prend conscience de la nécessité d'une politique globale des transports qui prenne en compte les problèmes environnementaux. Les infrastructures routières et autoroutières sont à compléter mais elles sont de bon niveau ; même chose pour les infrastructures ferroviaires, elles sont aussi en assez bon état. Il y a des points à corriger mais c'est faisable sans dépenser des fortunes. Par ailleurs, l'infrastructure est correcte pour le combiné. Certains chantiers sont à agrandir ou à transférer mais c'est à la portée de nos moyens.

En outre, nous disposons avec l'aéroport de Paris-Charles-de-Gaulle d'un atout extraordinaire. Nous sommes le seul pays d'Europe à avoir un aéroport non saturé, et j'espère que les règles édictées récemment seront assouplies de façon à repousser la notion de saturation.

Fedex, qui est le plus grand transporteur américain avec U.P.S., a choisi l'aéroport Charles-de-Gaulle et installé une plate-forme de tri de 77 000 m² qui emploie 800 personnes pour le traitement du fret aérien : mono-colis ou petits envois traités par cette société dans le monde.

Nos ports sont bons, mais trop nombreux ; des sélections sont à faire.

La France est un pays de transit, ce qui présente des avantages mais aussi des inconvénients, il serait intéressant d'y réfléchir et de définir une politique. Il s'agit en effet d'une situation positive dans le cas du transport aérien mais en général pas lorsqu'il s'agit de transport routier. En matière de transport ferroviaire, c'est un élément favorable lorsque les infrastructures sont sous-utilisées mais pas si cela rend nécessaire des investissements lourds. Une étude serait à mener sur ce sujet.

Nous avons aussi la chance que la politique européenne de transport qui préconise le développement du fret ferroviaire, corresponde aux intérêts français.

M. André Lajoinie, président : Merci, monsieur le président. Je vais donner la parole à ceux qui le souhaitent.

M. Léonce Deprez : Nous sommes sensibles à la franchise et à la sincérité de vos propos. Ce n'est pas de la langue de bois et cela fait choc.

Je suis cependant préoccupé par ce que vous avez dit dans la dernière partie de votre intervention au sujet des plates-formes. J'ai été président de la commission plan et aménagement du territoire de la région Nord-Pas-de-Calais pendant six ans durant lesquels on m'a complètement endoctriné pour me faire comprendre qu'il fallait à tout prix que la plate-forme de Dourges soit considérée comme la véritable clef de nos problèmes de transport futurs, comme un atout d'aménagement du territoire et un moyen d'assurer les liaisons dans le Nord-Pas-de-Calais. Considérée comme un élément considérable pour l'avenir, cette plate-forme avait d'ailleurs un coût correspondant à l'impact qu'on voulait lui donner.

Vous avez des raisons de douter et d'être prudent. A la veille de la finalisation des contrats de plan Etat-régions 2000-2006, je me demande si des expériences comparables à celle de Dourges ont été faites à travers la France. On entend constamment dire qu'il n'y a pas assez de crédits pour les six années qui viennent pour réaliser tout ce qui est nécessaire en matière d'équipement, surtout dans des régions comme le Nord qui ont besoin de poursuivre leur reconversion. Ce que vous dites sur les plates-formes est-il fondé sur des expériences, à l'étranger ou en France ? Faut-il aller au bout de la démarche aboutissant à un investissement considérable à Dourges ou faut-il modifier le projet dans un sens réaliste et dans une optique européenne ?

M. Jean-Claude Berthod : Dourges est un emplacement intéressant pour faire un chantier de transports combinés ; quant à y construire une plate-forme logistique, je répète qu'on va dépenser une fortune pour rien compte tenu de ce que j'ai vu à l'étranger, notamment en Italie, en Allemagne ou dans le reste de la France, et je ne connais pas de transporteur qui se soit engagé à s'installer à Dourges et à se lancer dans une aventure pareille sans avoir la certitude que d'autres transporteurs iront. Cela me paraît fou.

M. Léonce Deprez : Dont acte.

M. Jean-Michel Marchand : Vous venez de nous brosser un tableau sombre, pour ne pas dire noir, de la situation. J'avais cru comprendre dans les propos de M. Jean-Claude Gayssot que c'était globalement le transport qui allait doubler dans les dix ans et qu'il fallait que le fret ferré puisse lui aussi doubler, ce qui n'était que le maintenir au niveau où il se trouve.

J'avais cru comprendre aussi - vos propos en témoignent - qu'il nous fallait des sillons réservés si on voulait ne pas être partout tributaire du transport voyageurs. Je constate que l'axe rhodanien étant plus que saturé, on envisage d'autres axes secondaires ou de doubler la ligne Paris-Bordeaux pour faire circuler un peu plus de TGV, ce qui ne fera pas obligatoirement passer plus de trains de marchandises.

Je croyais aussi que la vitesse de circulation des trains n'était pas un véritable problème. Les chefs d'entreprise que j'ai rencontrés me disent qu'il leur suffit que leurs marchandises arrivent à l'heure, que cela roule à 28 km/heure, à 15 ou à 50. C'est peut-être un problème pour votre société, pour les sociétés de transport, mais pas pour les entreprises qui réceptionnent les marchandises.

Concernant les plates-formes multimodales, celles-ci ont fait l'objet d'un des grands débats de la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire, en particulier lors de la discussion sur l'article relatif aux schémas de services collectifs de transports voyageurs et fret. J'avoue que ce que vous énoncez ne me rassure pas du tout.

Je sais aussi que les conditions de sécurité risqueraient d'être différentes si on spécialisait les voies et si l'on spécifiait à Réseau ferré de France et à la SNCF que les conditions de sécurité ne sont pas les mêmes pour le transport voyageurs et pour le transport fret. Je constate qu'il nous reste des kilomètres et des kilomètres de lignes dites secondaires sur le territoire et qu'ici ou là, on les vend morceau par morceau pour faire du petit train touristique. C'est agréable et gentil, mais peut-être serait-il plus judicieux de les utiliser pour le fret.

Je prends un exemple : dans le Maine-et-Loire, lorsque les carrières ont livré des cailloux pour le tunnel sous la Manche, les trains à vide revenaient par des voies secondaires. Il y a donc là des potentialités à ne pas négliger.

Pour prendre un autre exemple, une ligne arrêtée depuis un certain nombre d'années a été rouverte il y a quelque temps pour transporter des céréales.

Je suis un peu inquiet. Ce n'est peut-être pas le bon endroit pour poser la question mais je m'en suis déjà entretenu à la fois au ministère, avec le directeur de la SNCF et le directeur de Réseau ferré de France. Il me semble que des décisions sont à prendre maintenant sur des projets qu'on mènera sur les dix ou quinze ans qui viennent.

M. Jean-Claude Berthod : Je n'ai pas cherché à être pessimiste ou optimiste mais je suis un ardent défenseur du ferroviaire ; la culture est complètement pluri-modale chez Danzas, entreprise que je dirigeais naguère : on transporte des marchandises par avion, par bateau, par train, par camion. Danzas a une filiale propriétaire de 2 500 wagons. C'est vous dire qu'on a pris des engagements forts dans ce domaine.

Mais si je viens ici, c'est pour vous parler franchement. Si je suis effectivement un peu « carré », c'est peut-être parce que j'ai toujours travaillé dans des entreprises. C'est comme cela qu'on fonctionne ; il faut aller vite. Donc je dis ce que je pense en toute sincérité de citoyen parce qu'il est important que je vous dise des choses exactes. Je ne fais pas de lobbying. J'ai été président du Groupement national des transporteurs combinés en 1980 et j'ai consacré pas mal de mon temps en faveur du combiné, donc du ferroviaire. C'est bien parce que j'ai cette image qu'on m'a nommé administrateur de Réseau ferré de France.

Je pense d'abord que le trafic global ne va pas doubler en dix ans car cela voudrait dire qu'il augmente de plus de 8 % par an, alors qu'on raisonne généralement sur 3 %. Le ministre souhaite que le trafic ferroviaire double, afin qu'augmente sa part de marché. C'est ambitieux mais l'ambition n'est pas un défaut et je dirais même que c'est son devoir d'être ambitieux. Il faut simplement aller vite parce que l'hystérésis est forte dans ce domaine. Pour les grandes lignes, il faut compter dix ans entre le moment où l'on décide de faire des travaux et la mise en service, le délai est de cinq ans pour les autres lignes. C'est un vrai problème.

Vous disiez aussi que les clients se moquaient un peu de la durée, que c'était la fiabilité qui les intéressait, c'est-à-dire l'arrivée dans le délai prévu. Vous faites probablement allusion à un client du ferroviaire. Les clients du ferroviaire se moquent des délais. Ce que je dis est méchant mais c'est le problème. Il faut que leur train arrive à telle heure ou tel jour. On ne parle plus en termes de jours quand il s'agit du choix routier. L'express par exemple, c'est la livraison le lendemain de la remise par le client, avant midi, dans le monde. Il faut livrer à Helsinki ou à Madrid. Cela demande une organisation extrêmement pointue - on l'a chez Danzas -, avec du personnel très performant.

La notion de délai est vraiment fonction de la nature de la marchandise. S'il s'agit de ballast ou de matériel de ce genre, ce n'est pas très important qu'il mette huit jours pour arriver dès lors qu'il est sur le chantier au moment où on a besoin de le poser.

S'agissant des lignes inemployées, de temps en temps, le conseil d'administration de RFF prend des décisions sur la cession de lignes secondaires. Nous avions récemment un « gros dossier » à traiter avec 15 km de voies ! Je précise qu'aucun train n'avait circulé depuis 1936 sur cette ligne située entre Paimpol et je ne sais plus où. Mais il s'agit généralement de 1 500 mètres ou 2 kilomètres, par exemple, pour aménager une voie cycliste.

Les abandons de lignes ferroviaires sont vraiment minimes. La mise à la casse de voies ferrées se fait avec beaucoup de soin. Il faut l'accord de la SNCF, l'accord de RFF et c'est ensuite le ministre qui décide. C'est fait avec beaucoup de pertinence.

M. Léonce Deprez : J'ai un exemple à 40 kilomètres.

M. Jean-Claude Berthod : C'était un gros dossier.

M. André Lajoinie, président : Vous avez raison de nous parler avec franchise. Cela nous fait réfléchir et il nous faudra en tirer toutes les conséquences, notamment s'agissant des plates-formes.

Lorsque vous avez cité tout à l'heure parmi les obstacles la priorité accordée aux transports régionaux de voyageurs (TER), il ne faut pas oublier l'implication actuelle des régions dans le transport ferroviaire, dont certaines versent des sommes considérables. Même notre région Auvergne, qui est un peu en retard, vient de décider d'acheter 30 autorails. Imaginez-vous que ces autorités régionales, après avoir acheté 30 autorails, accepteront une concurrence entre eux et les trains de marchandises ? Non, jamais, sinon elles n'achèteront plus d'autorails.

Il faut être franc et réaliste. Il ne faut pas croire qu'on va changer ce qui ne peut pas être changé. Les régions s'impliquent dans le ferroviaire, et il faudra respecter cet engagement, sinon elles cesseront de le faire car rien ne les y contraint. Aucune loi pour le moment n'oblige les régions à investir dans le ferroviaire. Elles le font parce que les électeurs souhaitent que ce mode de transport se développe. C'est la raison pour laquelle les régions achètent des matériels roulants ou contribuent à améliorer telle ou telle ligne.

Je ne conteste pas votre argument selon lequel la priorité donnée aux voyageurs freine le transport du fret ferroviaire ; il faut imaginer autre chose car on n'empêchera pas le TER de fonctionner. Il faudra peut-être mettre en service d'autres lignes. On sera bien obligé d'utiliser les lignes secondaires dont parlait M. Jean-Michel Marchand sinon on n'y arrivera pas. Vous avez raison de dire que la mise en service de ces lignes nouvelles coûtera très cher.

M. Jean-Claude Berthod : En disant que les lignes nouvelles coûteraient très cher, je pensais à la ligne pour les « autoroutes roulantes » qui est une voie spécifique, style TGV, avec des fondations extrêmement fortes, le train étant très lourd puisqu'il transporte des camions en charge. Je suis d'accord avec vous pour dire qu'il y a des priorités. La priorité voyageurs est forte sur le plan économique et politique, mais il faut voir si c'est un TER avec 30 passagers ou avec 500. Les TER de la région Nord-Pas-de-Calais par exemple sont une grande réussite.

M. André Lajoinie, président : On ne peut pas affirmer "vous avez fait une grande réussite", et dire "arrêtez les TER pour faire passer des lignes commerciales".

M. Alain Cacheux : Les gens diront non.

M. Jean-Claude Berthod : On ne vous le demande pas parce qu'il n'y a pas de saturation pour les marchandises dans le Nord. Le problème se pose essentiellement dans la région Rhône-Alpes avec le contournement de Lyon qui est une priorité. On n'arrête pas de parler de priorités, et je n'ose plus employer le terme. C'est vraiment fondamental si on veut que le chemin de fer puisse retrouver une plus grande vitalité, quel que soit le coût, et le coût n'est d'ailleurs pas énorme. Mais il faut aller vite.

M. Gabriel Montcharmont : Que pensez-vous de l'opinion émise par le préfet Carrère, dans un rapport il y a déjà quelques années, sur le fait que le transport n'est pas payé à son prix et que ce qui n'est pas payé à son prix dans une économie de marché est gaspillé ? Ne transporte-t-on pas à l'heure actuelle un peu n'importe quoi, n'importe où, à n'importe quel prix et dans n'importe quelles conditions ?

Par ailleurs, n'arrivons-nous pas à un moment où les populations situées sur les grands axes de transport ne supporteront plus les nuisances nées de ces transports, tout en sachant d'ailleurs que la prospérité de leur région est née de cette situation ? Peut-on penser que la vallée du Rhône pourra écouler tout le trafic méridien de l'Europe qui s'y engouffre ? Je ne le crois pas. La preuve de cette sorte de gaspillage du transport est le développement, très considérable à mon avis, de la vente par correspondance. On pouvait penser, il y a encore 30 à 35 ans, que la vente par correspondance avait vécu ses heures de gloire avec la fin de la société rurale, le développement de l'automobile, de la mobilité des individus. Or, chacun d'entre nous reçoit chaque jour plusieurs offres de vente par correspondance, soit sous pli simple, soit sous petit catalogue, et on a atteint des limites de tolérance dans certaines régions.

J'ai l'impression qu'on vit sur les hypothèses des physiocrates du XVIIIème siècle selon lesquelles il faut laisser passer et que l'on n'a pas à réfléchir à leur bien-fondé.

M. Jean-Claude Berthod : Il y a pas mal d'années, j'étais directeur commercial de Danzas avant d'en être PDG. J'ai effectivement vécu avec beaucoup de regret le fait que le transport ne soit pas payé à son prix. Les marges sont faibles dans les entreprises de transport, et elles sont quelquefois négatives. Il y a un problème de surcapacité structurelle ; c'est une surcapacité qu'on ne peut pas changer mais c'est vrai aussi bien dans le transport aérien que dans le transport maritime. C'est un peu la loi du genre.

Les bas prix du transport entraînent-ils plus de transport qu'il n'en faudrait ? Je ne crois pas qu'un industriel fasse circuler ses produits pour le plaisir.

M. Jean-Michel Marchand : Mais il peut acheter très loin des pièces dont il a besoin parce que le coût du transport est faible.

M. Jean-Claude Berthod : Oui, mais ce n'est pas cela qui crée des saturations.

M. Gabriel Montcharmont : Y compris en France.

M. Jean-Claude Berthod : Non, parce que les prix sont les mêmes en France, que ce soit à 200 kilomètres ou à 500 kilomètres. On établit des prix moyens. La distance importe peu. Ce n'est d'ailleurs pas la distance qui coûte cher dans le transport, ce sont les opérations administratives et les opérations de manutention au départ et à l'arrivée. Le prix du transport proprement dit est de l'ordre de 30 à 40 % du total, pas plus.

Personne ne peut nier les nuisances liées au transport routier, c'est évident, et avoir des camions qui passent sous ses fenêtres la nuit ne doit pas être très drôle. La région des Alpes pose effectivement un vrai problème. Il faudrait constituer un groupe de travail sur le transit parce qu'il faut avoir une politique du transit. La Suisse en a une consistant à transférer les inconvénients chez le voisin. Il faut donc peut-être éviter d'être le voisin dans ce cas particulier. On risque effectivement, avec la politique des Suisses en matière de transport routier de voir les camions prendre la vallée du Rhône pour aller en Italie et cela peut devenir un vrai problème. Je partage donc votre souci.

Sur la vente par correspondance, je crois que la mobilité des personnes et des biens résulte de la croissance économique et du besoin de bien-être des gens. C'est un signe d'évolution positive de notre société.

Je ne vois pas comment on peut dire qu'il faut freiner le déplacement des marchandises. Je ne crois pas que ce soit une bonne chose et je crains que ce ne soit le transport des personnes qui soit freiné à son tour. Je précise que je ne suis pas transporteur de voyageurs.

M. Gabriel Montcharmont : C'est l'objection à la liberté ?

M. Jean-Claude Berthod : Un peu, oui.

M. Gabriel Montcharmont : Vous savez comme moi qu'on dit que la liberté s'arrête là où commence celle des autres.

M. André Lajoinie, président : Votre idée de la nécessité d'une réflexion sur le transit nous préoccupe également. Nous allons d'ailleurs recevoir le président de la commission des transports du Parlement européen. Celui de la commission des transports du Bundestag allemand devrait venir nous rendre visite prochainement, nous avons en effet des problèmes communs, nous sommes les deux principaux pays de transit de l'Union européenne.

M. Jean-Claude Berthod : Ils sont plus saturés que nous.

M. André Lajoinie, président : Vous confirmez. Nous avons des problèmes communs auxquels il faut faire face en faisant preuve d'imagination car il s'agit de problèmes nouveaux.

M. Patrick Rimbert : Je voudrais revenir sur ce que disait le président André Lajoinie et sur ce que vous avez dit à propos de la démarche initiée par la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire. Vous dites qu'on revient finalement, après toute une réflexion, à une politique de l'offre. La démarche de la LOADDT au contraire, partait de la demande - qu'elle soit de fret ou de voyageurs - afin de voir comment les deux demandes pouvaient se concilier ou, s'il y avait contradiction, quelle offre pouvait rendre les deux compatibles. Le droit des voyageurs à se déplacer est aussi important que le droit de circulation des marchandises.

Je suis élu de Nantes ; entre Nantes et Paris par exemple, on met en service chaque année trois ou quatre TGV de plus alors que Saint-Nazaire, qui est un port important, a besoin d'avoir des débouchés par le chemin de fer. A Nantes, nous avons mis en place une navette toutes les heures. L'augmentation de la demande des voyageurs est importante et doit être confrontée à celle du fret. Une infrastructure qui répondra le mieux aux deux demandes doit être mise en place. Un arbitrage et une stratégie seront nécessaires pour répondre à ces demandes.

Je voudrais parler aussi d'un certain laxisme. Alors qu'autrefois les livraisons en ville étaient interdites au-delà de 10 heures et limitées aux camions de moins de 10 tonnes, aujourd'hui des camions de 35 tonnes entrent dans les centre-villes. On sent monter une forte réticence vis-à-vis de l'organisation actuelle du transport routier pour l'utilisation des routes pénétrantes vers les centre-villes.

Les périphériques (comme celui de Nantes par exemple), décidés il y a vingt ans, qui étaient faits pour contourner et pour joindre les villes le plus vite possible, sont aujourd'hui à 90 % consacrés au trafic intra-urbain et à 10  % au trafic inter-urbain. De plus, l'urbanisation a conduit à ce que les périphériques soient aujourd'hui dans les villes.

Les trafics de voyageurs et de fret vont augmenter (je ne veux pas discuter pour savoir si c'est de 3 ou 8 %), ce qui va créer des contraintes. Il sera difficile de construire des infrastructures supplémentaires ferroviaires ou routières.

Je pourrais résumer votre intervention en disant qu'il n'y a pas beaucoup de problèmes, qu'il ne faut pas perdre notre temps à faire des plates-formes multimodales parce que personne n'en veut, qu'il vaut mieux faire des douches pour les routiers et des parkings pour les camions sur les routes. Vous êtes relativement optimiste quant aux réactions potentielles de l'environnement, tant au niveau de la demande qu'au niveau de la capacité à construire une offre vraiment globale.

Pour aborder un autre sujet, il faut constater qu'il est finalement paradoxal que le déplacement routier soit un déplacement de faible distance. Vous qui êtes un entrepreneur, un spécialiste, ne faudrait-il pas avoir un type d'organisation pour les transports autour de 150 km et une approche européenne pour le transport sur longue distance ? Ne faudrait-il pas dissocier les deux pour mieux appréhender les problèmes ?

Un point un peu plus particulier, c'est le fait qu'on voit se mettre en place des normes, notamment pour les conteneurs ; une ligne est notamment à l'étude entre Cherbourg et les Etats-Unis pour des conteneurs de gabarit élevé.

La région dont je suis originaire s'est mise au gabarit ; tout juste au gabarit et on ne peut pas passer au-dessus de Paris, ce qui est une grave et importante entrave au développement de notre port et de notre activité. Ne va-t-on pas avoir un problème de compétitivité entre les régions qui ont un problème de gabarit et celles qui n'en ont pas. Tout le trafic s'est concentré dans le Nord où le terrain est plat, où il n'y a pas de problèmes de gabarit parce qu'il n'y a pas d'ouvrages d'art, tout le reste de la France étant désavantagé.

Dernière question : je voudrais savoir d'où provient le chiffre selon lequel U.P.S. tire 20 % de son chiffre d'affaires du commerce électronique.

M. Jean-Claude Berthod : C'est eux qui me l'ont dit.

M. Patrick Rimbert : Je sais que l'INSEE cherche à calculer le pourcentage.

M. Jean-Claude Berthod : Mais il s'agit du chiffre de ce type de ventes aux Etats-Unis, pas en France où il est quasi nul.

Vous avez posé de nombreuses questions mais on se pose tous les mêmes et je ne suis pas plus malin que les autres. Je vais essayer de répondre mais les réponses ne sont pas évidentes.

Les schémas de services collectifs de transport s'appuyaient, au départ, sur la demande plutôt que sur l'offre mais il faut être conscient que les infrastructures jouent un rôle important dans le transport et qu'elles dépendent de la puissance publique. C'est l'histoire de l'_uf et de la poule. C'est la puissance publique qui doit faire les infrastructures et ces infrastructures sont ensuite exploitées au mieux des besoins et de la demande. Je crois que la ministre de l'aménagement du territoire ou ses services avaient une vue un peu abstraite quand cette loi a été faite.

Il y a une solution à l'essai que je n'ai pas évoquée mais qui est intéressante, c'est le cabotage maritime déjà pratiqué par Bordeaux, Dunkerque et Le Havre. Mais quand un bateau part, on ne sait pas s'il va aller à New-York ou à Dunkerque. Il y a par conséquent des opérations de douanes et on retombe dans les problèmes de délai. Il est évident qu'il est préférable de prendre la route Bordeaux-Dunkerque si le bateau est obligé de rester au port pendant cinq heures avec de la marchandise à bord.

Il existe des possibilités mais une révolution culturelle est tout de même à faire un peu partout, même chez les professionnels.

Pour répondre par ailleurs à une autre de vos questions, je ne vois pas beaucoup de solutions au problème des rayons courts.

Les plans de déplacements urbains ont été quelque chose d'astucieux. Ils ont permis de vrais contacts, quelquefois dans les fédérations professionnelles localement, entre pouvoirs publics, commerçants, associations, etc. C'est pour cela que je suis surpris quand vous dites qu'on voit des camions de 35 tonnes au c_ur des villes. Je crois au contraire qu'on va vers une discipline assez forte. D'abord, les maires ont le droit de faire ce qu'ils veulent dans ce domaine, et généralement ils ne s'en privent pas.

Novatrans s'intéresse au dossier de Cherbourg. Des contacts ont eu lieu au ministère vendredi 19 novembre à ce sujet. Nous éprouvons beaucoup de méfiance quant à la capacité financière des opérateurs américains dans cette affaire. En gros, ce seraient des gens qui n'ont pas d'argent et qui cherchent à se faire financer l'opération. Nous sommes très perplexes. Nous avons déjà un train Cherbourg-Italie et nous hésitons à nous lancer à nouveau dans cette opération mais nous l'étudions.

M. Patrick Rimbert : Et les normes de gabarit ?

M. Jean-Claude Berthod : Le problème des gabarits relève aussi de la géographie ; il est plus facile de faire passer une voie ferrée en Picardie que dans le département de l'Ain.

M. André Lajoinie, président : La France est un petit pays, on ne peut pas se mettre à partager le territoire en petits morceaux. C'est peut-être un peu différent aux Etats-Unis. Ce serait hasardeux de se lancer dans deux catégories de conteneurs.

M. Jean-Claude Berthod : Ce sera tout le problème du Gouvernement quand il fera ses arbitrages, le problème se posera de savoir si on favorise Paris qui a de gros besoins et si on laisse de côté la province. Va-t-on favoriser les régions qui sont défavorisées ou améliorer la compétitivité de celles qui sont plutôt favorisées ? Le choix entre solidarité et compétitivité se posera. On touche en fait à tous les problèmes de la société dès qu'on parle de transport. Le transport est un phénomène de société.

M. Jean-Claude Etienne : Je souhaite vous poser deux questions.

Même si vous dites que vous n'êtes pas plus malin que les autres, vous en savez quand même beaucoup plus que la plupart.

Ce débat tombe aujourd'hui à point nommé car on est en pleine discussion des contrats de plan État-régions et on sent tous, même si ce n'est pas toujours argumenté, que tout ce qu'on peut faire passer de la route sur le rail constitue une bonne évolution.

Les régions ont déjà une petite expérience en matière de voyageurs ; elles sentent ce qu'il faut faire, notamment avec les TER. Pour en avoir débattu, je sais qu'elles ont aussi des idées en matière de fret ; elles savent qu'on allège les nuisances en favorisant le fret rail. On voit trop souvent ces trains de camions sur tout un côté de l'autoroute, notamment la Champagne-Ardennes, région dont je suis un élu et on se demande ce que devient le fret ferroviaire français face à la concurrence étrangère. J'aimerais savoir quel rôle peuvent jouer les régions dans la création de réseaux transeuropéens de fret ferroviaire qui a été décidée le 6 octobre dernier ? Le fret est un gisement possible en termes d'emplois et de dynamique économique alors que les régions ne savent pas très bien comment appréhender le problème alors qu'on a la chance, je le reconnais, d'avoir pour la première fois un volet ferroviaire aux contrats de plan État-régions ?

Deuxième question plus courte et précise : vous avez dit que la France avait comme atout d'être un pays de transit. C'est peut être un handicap pour les routes et pour le fer mais c'est peut-être une occasion à ne pas manquer pour le fret aérien. Il se trouve qu'un aéroport vient d'être monté dans notre secteur "garanti pur fret".

J'aimerais votre opinion sur ce point.

M. André Godin : Vous aviez déjà été auditionné dans le cadre de la mission d'information commune sur « l'après canal Rhin-Rhône ». Ces problèmes de transit et de concurrence avaient justement été évoqués. Nous sentons bien, en tant qu'élus, la demande des voyageurs. Pour le reste, tout le monde est d'accord pour estimer que le fret ferroviaire peut être maintenant concurrentiel par rapport au routier, à partir de 500 ou 600 km. Il s'agit là, d'une dimension nationale et internationale.

Il est bien que nous ayons pris l'initiative d'auditionner des partenaires européens de manière à poser ces véritables problèmes. Le ferroviaire ne se négociera pas au niveau des régions. On n'est pas sur la même échelle et il ne faut pas qu'on se trompe de combat.

M. Léonce Deprez : Une seule question qui se relie à celle de notre collègue : il a été décidé de conclure les contrats de plan Etat-régions avant d'établir les schémas régionaux d'aménagement et de développement du territoire et ces fameux schémas de services collectifs, d'où le malaise que nous ressentons.

Il aurait été cohérent de tracer les grandes lignes des schémas régionaux, en liaison avec les schémas de services collectifs nationaux, avant les contrats de plan, quitte à reporter ceux-ci de six mois. Je pense qu'on a mis, dans nos régions, la charrue avant les b_ufs. On a demandé de l'argent avant de faire les schémas régionaux. Ce que je dis ne mérite-t-il pas une réflexion au niveau national ? Une démarche de ce type n'aurait-elle pas été préférable pour favoriser l'intermodalité et le ferroviaire ?

M. Jean-Claude Berthod : Vous m'avez posé une question très générale. Je suis d'accord avec vous, il faut essayer de transférer du trafic routier vers le chemin de fer, mais je vous ai indiqué pourquoi cette perspective reste modeste.

Il faut arriver à traiter le trafic routier en sachant qu'il est incontournable d'une façon qui le rende plus acceptable par les citoyens. C'est le problème des routes, des déviations, des horaires. Quand on a voulu à nouveau autoriser la circulation des camions le dimanche sous l'influence de la Finlande et du Danemark - on parlait là du transit, ce sont les camions espagnols qui traversaient la France -, la France s'y est opposée. M. Jean-Claude Gayssot a été extrêmement ferme avec l'appui des fédérations patronales et syndicales du transport routier car tous les transporteurs français s'y opposaient. Le front était commun sur ce point. Les Allemands y sont défavorables aussi. Le risque est normalement écarté. Il faut toutefois rester vigilant. Ce ne sont pas les transporteurs routiers qui réclament l'autorisation de rouler le dimanche, ce sont plutôt les chargeurs qui ne veulent qu'une chose : que leurs marchandises arrivent.

Il faut faire attention aux risques de dérive. Il faut que le trafic routier soit maîtrisé de façon intelligente et concertée, mais ce n'est pas simple.

Vous m'avez parlé de l'aéroport de Vatry, dans le département de la Marne. Je suis personnellement perplexe en ce qui concerne cette infrastructure.

J'étais président de la commission des transports du MEDEF il y a encore six mois et j'avais fait venir M. Alain Falque, directeur de la stratégie d'Aéroports de Paris. Il a déclaré qu'Aéroports de Paris n'était pas intéressé par cette plate-forme ; il y était même opposé. En revanche, Aéroports de Paris a pris des intérêts dans l'aéroport de Liège, parce que Liège est une place extrêmement intéressante notamment pour ses accès routiers. Aéroport de Paris a une compétence technique très forte reconnue dans le monde entier.

M. Falque a employé une expression à propos de Vatry : "Le fret ne vient pas de nulle part et, à Vatry, il n'y en a pas".

Pour que le fret arrive par l'air, il faut de nombreuses rotations d'avions et des correspondances parce que le fret vient d'un pays pour aller dans un autre et donc je ne vois pas l'avenir de Vatry avant longtemps.

Alors y aura-t-il un jour une saturation de Paris-Charles-de-Gaulle ?

On disait tout à l'heure que le fret ferroviaire ne pouvait pas être traité au niveau régional. Je dirais même qu'il ne peut pas aujourd'hui être traité au niveau national, il doit l'être au niveau européen.

Je me suis personnellement occupé des schémas de services collectifs de transport, ce qui demande du travail parce qu'il faut organiser des réunions ; il y a 40 personnes, il faut les écouter, faire une synthèse, les associations d'écologistes partent en claquant la porte, ou à peu près, dès qu'on parle d'infrastructures, etc. Ce n'était donc pas simple. Mais je ne suis pas persuadé que ce qu'on a fait servira à grand-chose parce que les schémas de services collectifs ne sont pas financés.

Nous sommes dans une période où ce sont les effets d'affichage qui comptent, ce qui n'est malheureusement pas spécial à la France, mais on aime bien et, comme le grand public confond trop souvent discours, décision et réalisation, ça marche.

M. André Lajoinie, président : Vous êtes totalement pessimiste.

M. Jean-Claude Berthod : Ce n'est pas très bien élevé de dire cela à des hommes politiques mais je le dis gentiment.

Les schémas auraient-ils dû être établis avant les contrats de plan ? Quel est le plus sérieux des deux ? Je n'en sais rien finalement. Et puis il n'y a pas d'argent pour réaliser les schémas.

M. André Lajoinie, président : Ce n'est pas si simple. Il ne suffit pas de claquer les doigts pour organiser les transports mais on ne peut pas non plus laisser faire.

M. Jean-Claude Berthod : Il faut quand même que ce soit l'État qui décide au niveau national. Je suis un peu jacobin à cet égard.

M. André Lajoinie, président : Je vous remercie.

Audition de M. Pierre FUMAT,

président du Groupement national des transports combinés

(extrait du procès-verbal de la séance du 24 novembre 1999)

Présidence de M. André Lajoinie, Président

La commission a entendu M. Pierre Fumat, président du Groupement national des transports combinés (GNTC).

M. André Lajoinie, président : Je remercie M. Pierre Fumat, président du Groupement national des transports combinés, d'être ici. Je vous propose de présenter un exposé liminaire pour indiquer votre conception sur ce grand problème du transport ferroviaire et routier, nos commissaires vous interrogeront ensuite.

M. Pierre Fumat : Le Groupement national des transports combinés représente l'ensemble des transporteurs routiers qui utilisent la technique du transport combiné rail-route. Nous sommes des professionnels du transport et avant tout des routiers qui font confiance à la technique ferroviaire et à la SNCF.

Nos entreprises sont aujourd'hui confrontées à une situation assez difficile car elles se heurtent à deux problèmes :

Premièrement, le marché du transport de marchandises est maintenant concurrentiel et très compétitif. Le prix du transport est dominé par la route puisque c'est pratiquement la route qui établit le prix du marché. Il faut donc que nous arrivions à pouvoir donner à nos clients chargeurs une prestation de transport combiné compatible et concurrentielle avec celle de la route.

Deuxièmement, nous avons un fournisseur unique qui est la société SNCF, via Novatrans, l'opérateur auquel nous confions l'ensemble de notre trafic.

Nous devons donc faire progresser cette technique du transport combiné en obtenant de la SNCF, dans le respect du prix du marché, une qualité de service permettant de répondre à la demande des chargeurs et des clients.

Le transport combiné a vécu une phase très difficile au premier semestre de l'année 1999 à cause des grèves de la SNCF des mois d'avril et mai, époque à partir de laquelle le transport combiné a régressé.

A partir des mois de juin et juillet 1999, la SNCF a fait des efforts significatifs pour retrouver une certaine qualité de service qui est à peu près redevenue normale. Le combiné a pu reprendre peu à peu son activité.

Hélas, depuis quelques jours des grèves de la SNCF perturbent à nouveau le trafic. Nous sommes obligés d'abandonner à ce moment-là la technique rail-route pour revenir au transport routier avec toutes les conséquences que cela représente.

Notre groupement considère que, pour développer le transport combiné rail-route, il faut convaincre les transporteurs routiers d'utiliser cette technique pour les suppléments de trafic et pour répondre à la croissance du transport qui est inévitable. Lorsque le ministre préconise le doublement du transport combiné d'ici à dix ans, cela veut dire de façon très précise qu'il souhaite que le combiné conserve sa part de marché. On est bien dans ce contexte de croissance.

Nous devons néanmoins constater que, pour les raisons exposées, nous rencontrons des difficultés pour convaincre nos confrères routiers d'utiliser le transport combiné en raison de la qualité du service.

Il nous semble par ailleurs absolument indispensable que la SNCF fasse des gains de productivité comme le transport routier en a réalisés depuis dix ans. Ceux-ci sont mesurables : premièrement, les charges utiles sont passées de 24 à 26 ou 27 tonnes dans tous les ensembles semi-remorques ou camions ; deuxièmement, les camions sont passés d'une consommation de 42 litres à 35 litres ; troisièmement, les véhicules font maintenant 1 million de kilomètres sans réparation et les fréquences des vidanges sont passées de 10 000 à 40 000 ou 50 000 kilomètres. Les transports routiers ont donc pu baisser leurs prix sous la pression des chargeurs, tout en gardant la compétitivité qu'ils avaient.

La SNCF n'a fait de son côté que très peu de gains de productivité. Il y a dix ans, il fallait pour le combiné 8 heures 30 pour faire Paris-Toulouse ; il faut 8 heures 35 aujourd'hui. On n'a pas gagné une minute et les prix de revient n'ont pas baissé d'un centime. Ils ont au contraire augmenté tous les ans.

Or, il faut que la SNCF abaisse ses coûts de manière significative pour garder un potentiel de concurrence par rapport à la route. Pour cela, nous proposons depuis plusieurs années à la SNCF des solutions techniques autour des points suivants :

- sur l'ensemble du réseau ferroviaire, donc du schéma ferroviaire, il faut des sillons à priorité fret, non pas des sillons complètement réservés au fret mais à priorité fret. C'est un discours que nous tenons depuis pas mal de temps et qui semble maintenant être entendu par la SNCF ;

- depuis des années, nous demandons des moyens de traction pour le fret, des locomotives faites pour tirer les trains de fret et non des machines sophistiquées avec trois, quatre ou cinq courants ;

- il faut du personnel spécialisé pour le fret, plus performant, et qu'il ait des rotations plus efficaces ;

- il faut également que les capacités des trains de fret soient augmentées. Au lieu de trains de 750 mètres avec 30 wagons, il faudrait des trains, sur ces sillons à priorité fret, qui fassent 1 000 ou 1 200 mètres. On gagnerait immédiatement 20 ou 30 % de productivité sur ces sillons.

Autre élément qui me semble aussi particulièrement indispensable, nos chargeurs exigent une continuité de service, sauf cas exceptionnels (intempéries ou grèves quand elles sont vraiment exceptionnelles).

La SNCF doit enfin nous assurer un service minimum de façon à ce qu'on puisse offrir une prestation minimum aux transporteurs qui font confiance au transport combiné, au moins pour la partie du fret indispensable pour conserver notre clientèle.

Voilà toutes les pistes que nous avons indiquées à la SNCF. C'est en travaillant dans ces directions qu'on arrivera à améliorer le transport combiné.

Pour faire du transport combiné, il est indispensable d'avoir des chantiers de transport combiné. Il est donc nécessaire de développer un programme dans ce domaine.

Le rapport Daubresse avait préconisé des programmes dans lesquels il y aurait à la fois de grandes plates-formes multimodales et des chantiers de transport combiné. Le GNTC a indiqué très clairement sa préférence pour des programmes de petits chantiers de transport combiné qui coûtent moins cher. En juin 1997, nous avions créé un groupe de travail avec la CNC, Novatrans, la direction du fret de la SNCF, la direction des transports terrestres du ministère des transports et nous avions proposé un programme de cinq chantiers de transport combiné qui étaient des chantiers légers, dont les chantiers de Vaire, de Perpignan et de Lhomme. Ce programme de chantiers légers de transport combiné représentait un investissement d'environ 150 ou 200 millions de francs au total.

L'arrivée de Réseau ferré de France (RFF) a perturbé un peu le processus car RFF est maintenant responsable des chantiers. On a perdu deux à trois ans mais les chantiers sont en _uvre. Pour vous donner un exemple, on ne peut plus remplir aujourd'hui un seul train à Lille et on refuse du fret de transport combiné à Lille Saint-Sauveur car le chantier est complètement saturé. C'est un peu paradoxal alors que l'on souhaite développer le transport combiné.

M. André Lajoinie, président : Quelle est la différence entre les chantiers de transport combiné et les plates-formes logistiques ?

M. Pierre Fumat : Un chantier de transport combiné est un espace relativement réduit sur lequel il y a deux ou trois voies ferroviaires, si possible de 750 mètres, avec quelques grues. Les camions arrivent, on charge et les trains repartent. C'est un chantier léger avec une activité uniquement consacrée au transbordement des marchandises. La plate-forme multimodale est un ensemble beaucoup plus complexe dans lequel on va trouver un chantier de transport combiné mais, en plus, une zone logistique avec des zones de stockage, d'échange, de fret, des magasins généraux. Il s'agit donc d'une plate-forme beaucoup plus large et d'investissements beaucoup plus lourds.

La plate-forme multimodale de Dourges coûterait environ 800 millions de francs, le chantier de transport combiné de Vaire environ 40 millions. Pour le transport combiné, nous avons besoin de chantiers. Ce n'est pas incompatible avec les plates-formes multimodales, c'est mieux si le chantier se trouve dans une plate-forme multimodale, mais l'argent est de plus en plus rare et nous avons un problème de délai et de temps. La construction de projets du type de celui de Dourges ou de grands chantiers prend huit ou neuf ans. Or, il nous faut, notamment dans la région de Lille, un chantier de transport combiné dans les douze mois qui viennent.

Nous avons aujourd'hui un problème avec l'Italie. L'accident du tunnel du Mont Blanc a été dramatique. Tous les routiers passent aujourd'hui par le tunnel du Fréjus et paradoxalement les trains de transport combiné entre Paris et Milan, qui sont affrétés par Novatrans, sont remplis seulement à moitié de leur capacité. On pourrait multiplier les transports par trois très rapidement, et nous avons donc plusieurs fois demandé au ministère de faire un effort pour essayer de relancer le transport combiné sur cet axe alpin, en partant de la région de Paris ou de la région de Lille pour aller sur Milan où la technique combinée non accompagnée serait une réponse tout à fait pertinente pour diminuer le nombre de camions sur la route et donc limiter les passages par le Fréjus. C'est, hélas, un peu dommage mais nous n'avons pas été écoutés et rien n'est fait, et Novatrans a supprimé, la semaine dernière encore, deux trains parce qu'ils étaient vides et que nous n'arrivons pas à offrir à nos clients un prix compétitif par rapport à la route.

Cela illustre le problème du transport combiné d'aujourd'hui. Tout le monde veut en faire, on en parle beaucoup, mais il y a une loi économique et c'est le transport routier qui prendra le marché si le transport combiné n'est pas suffisamment compétitif.

M. André Lajoinie, président : C'est le prix ?

M. Pierre Fumat : Il y a une question de prix.

M. André Lajoinie, président : Parce que M. Jean-Claude Berthod nous disait tout à l'heure que le prix n'était pas l'essentiel pour le choix du mode de transport par rapport au service. Maintenant vous dites que c'est le prix, et que le prix est basé sur celui de la route.

M. Pierre Fumat : C'est aujourd'hui la route qui dicte le prix du marché. Ceci étant, nous n'avons plus un seul train, depuis trois jours, partant vers l'Italie, à cause des grèves et des perturbations. Il y a là aussi une question de qualité de service, c'est-à-dire que si nous disons à nos chargeurs que nous ne pourrons pas livrer de marchandise en utilisant le rail-route pendant trois jours, ils exigeront que nous assurions le transport par la route pour acheminer coûte que coûte leurs marchandises. Le président Jean-Claude Berthod a raison de dire que la qualité est une condition sine qua non pour les chargeurs. Par ailleurs, les problèmes liés aux prix, à la compétitivité et à la productivité de la SNCF se posent avec acuité.

M. Léonce Deprez : Je pense qu'il est utile de vous entendre. Vos propos, concis et clairs, sont complémentaires de ceux de votre prédécesseur.

Je voudrais vous poser une question qui revêt une importance considérable pour certaines régions. Je n'arrive pas à comprendre, après vous avoir entendu ainsi que l'orateur précédent, pourquoi ne s'est-on pas limité à faire ce que vous appelez « les petits chantiers de transport combiné » car ces chantiers semblent répondre à des logiques de bon sens, aux besoins des professionnels, leurs coûts étant compatibles avec les ressources limitées des régions. Comment a-t-on pu en arriver, avec tous les experts, à concevoir, depuis dix ans, des plates-formes logistiques aussi lourdes que celle de Dourges et à investir des sommes aussi considérables alors que vous dites vous-même, vous, l'exploitant, que les petits chantiers sont beaucoup plus pratiques ? M. Jean-Claude Berthod disait tout à l'heure qu'on s'engageait dans un gouffre avec la formule de la plate-forme multimodale.

Après vous avoir entendu, on ne va pas engager dans le Pas-de-Calais, dans le contrat de plan Etat-région des dépenses de l'ordre de 800 millions de francs, sans étude d'impact et sans s'être préoccupé des exigences pratiques du transport combiné.

M. Pierre Fumat : Nous sommes l'utilisateur des chantiers, ce n'est pas nous qui avons le pouvoir de décision. Nous avons présenté nos arguments.

L'exemple un peu caricatural de ce genre de situation est celui du chantier d'Ourcade. Le chantier de Bordeaux sur lequel travaillent la CNC et Novatrans n'est pas saturé aujourd'hui. Une région a pris la décision politique d'investir sur des chantiers dont les professionnels n'ont pas un besoin particulier. Je regrette de le dire crûment mais c'est la réalité.

M. Jean-Michel Marchand : Je suis content de prendre la parole juste après mon collègue Léonce Deprez parce que je ne suis pas tout à fait d'accord avec lui. Il n'y a pas complémentarité entre les deux discours que nous venons d'entendre. J'ai dit tout à l'heure que le ciel me paraissait sombre sinon noir ; j'ai l'impression que vous nous offrez un peu de ciel bleu et j'en suis plutôt satisfait.

J'ai quand même bien noté les points que vous mettez en avant pour que se développe réellement le transport combiné, ainsi que les évolutions que vous estimez nécessaires à la SNCF, à moyen et long termes. Augmenter les capacités des trains, pour en avoir discuté avec le président de la SNCF, est un problème très technique, qu'on sait résoudre mais qui coûte très cher. C'est un problème de freinage nous a-t-on dit. En revanche, le discours a évolué sur les sillons à priorité fret. On parlait à un moment donné de sillons réservés fret. Les sillons priorité fret sont bien plus intéressants parce que cela veut dire qu'on pourra continuer à faire circuler des voyageurs dessus. La question du personnel dédié au fret est également intéressante. Il y a sans doute une possibilité d'engagement de la SNCF, de contracter avec celui qui est chargé de faire le transport.

Je souhaiterais également que vous précisiez ce que vous nous avez dit tout à l'heure au sujet du transport fret vers l'Italie. Vous venez de dire que cela ne marche pas parce qu'on n'a pas fait les efforts demandés. Qu'attendiez-vous exactement ? On nous dit qu'un certain nombre de trains circulent à demi-capacité de remplissage ou qu'on est obligé de les annuler. On nous dit qu'il faut réserver les trains trois mois à l'avance. On nous dit enfin que, même dans des conditions aussi difficiles que celles que nous connaissons maintenant avec le tunnel du Fréjus, il n'y a pas d'effet positif sur le ferroviaire. Je fais abstraction des difficultés momentanées dont vous parliez mais on aurait dû globalement voir se développer ce transport de manière quasiment exponentielle. Je voudrais que vous nous expliquiez là où cela accroche afin que l'on puisse en tirer des leçons pour l'avenir.

M. Pierre Fumat : Nous avions évoqué le problème spécifique de l'Italie avec nos opérateurs Novatrans ainsi qu'avec la direction des transports terrestres. Nous l'avons fait de façon beaucoup plus précise et beaucoup plus formelle suite à un entretien que nous avons eu avec M. Jean-Claude Gayssot au mois de juillet dernier. Nous lui avons dit que ce n'était pas un problème de circonstances et rappelé que des démarches avaient été formulées en janvier sur l'axe France-Italie, nous avons aujourd'hui un différentiel de prix entre le rail et la route qu'on estime à environ 100 euros, par caisse mobile. Nous avons demandé au ministre de faire un effort de 100 euros au départ de Paris sur Milan pour revenir au prix du marché. A partir de ces conditions, Novatrans serait capable de trouver 4 ou 5 sillons disponibles entre Paris et Milan, comme entre Lille et Milan, et de garantir environ cinq trains de plus. Ce n'est pas énorme mais cela représente quand même 150 camions qui ne passeraient plus par le tunnel du Fréjus. Une lettre a été expédiée au ministre le 20 juillet. Nous avons relancé, depuis, le ministère des transports et nous n'avons eu aucune réaction et aucun retour de la part de la SNCF.

M. André Lajoinie, président : Pouvez-vous préciser l'effort que vous demandiez ?

M. Pierre Fumat : Un effort financier de 100 euros. Je dirige une entreprise de transport routier qui fait 90 % de son chiffre d'affaires avec le transport combiné rail-route. Lorsque je vais voir mon client pour lui vendre un transport, il me dit qu'il y a 600 francs de trop dans mon prix mais je ne peux pas m'aligner, je n'y arrive pas, sinon je perds de l'argent. Nos entreprises sont des entreprises privées et ne peuvent pas perdre de l'argent pour des raisons économiques simples. Nous avons dit à la SNCF et à Novatrans, l'opérateur, de faire un effort financier, d'essayer de s'aligner sur le prix de la route afin que nous puissions développer le combiné.

L'effort de 100 euros que nous avions demandé me semblait raisonnable par rapport à l'enjeu portant sur le Mont Blanc ou au discours sur ce sujet. La réponse du ministère a été la mise en place d'une navette entre Lyon et Turin destinée au transport combiné. Il y a 10 wagons par jour qui circulent mais l'objectif n'est pas du tout atteint.

M. Jean-Claude Etienne : Les plates-formes multimodales de logistique sont chères, il faut huit ou neuf ans pour les faire, et en plus, on s'interroge sur leur utilité.

Par ailleurs, vous faites référence à une programmation de petits chantiers de transport combiné qui rendraient service, qui ont comme avantage d'être dix à vingt fois moins cher et d'avoir un coût qui est compatible avec les ressources des régions. En plus, ils sont montés en une douzaine de mois. Il s'agit peut-être là d'un outil qui pourrait être pris en compte dans les contrats de plan Etat-régions, par les régions qui souhaitent favoriser le fret ferroviaire. Mais on ne va pas faire des chantiers de transport combiné n'importe où.

Il faut donc connaître les besoins pour déterminer les choix. En outre, si les régions interviennent, ce sera en vue de créer des emplois, ce que rend possible un développement du trafic. Quels sont les critères qui doivent être retenus pour définir le lieu d'implantation d'un chantier de transport combiné ?

M. Alain Cacheux : Une question très simple : l'effort qu'il faudrait faire sur Lille-Milan serait de 100 euros. C'est 100 euros par tonne, par wagon, par train ?

M. Pierre Fumat : Par unité, par caisse mobile, par conteneur. C'est environ 650 francs par transport, donc par unité, l'équivalent camion ou semi-remorque.

M. Alain Cacheux : Deuxièmement, qu'est-ce qui vous empêche d'aller à Lomme puisque vous parliez de la saturation de la plate-forme de Saint-Sauveur à Lille ?

M. Pierre Fumat : Lomme n'existe pas. Il n'y a pas de chantier, pas de grue, il n'y a pas de possibilité d'amener un camion qui a une caisse mobile pour la mettre sur le train.

Depuis maintenant un an, les professionnels, les opérateurs, c'est-à-dire Novatrans et CNC, leurs clients, ont proposé à RFF, qui est chargé des chantiers, une liste de zones où nous avons besoin d'avoir ces chantiers, où il y a du fret. Lomme fait partie de la liste prioritaire. Le conseil d'administration de RFF a voté, il y a déjà maintenant un an, les fonds nécessaires pour le chantier de Lomme. Lomme est en train de se faire mais son ouverture n'est prévue qu'en 2001. Il faut attendre ; on a ainsi perdu un an et demi.

Les professionnels avaient défini une liste de sept chantiers qui leur paraissaient répondre à un besoin économique et au souci de développer le transport combiné, et où ils disposeraient des espaces en accord avec la SNCF.

M. André Lajoinie, président : Je vous remercie. Vous avez fait des remarques et des propositions qui complètent la précédente audition. Tout le monde dans ce pays veut transférer le fret de la route sur le rail, mais on s'aperçoit que ce n'est pas si simple à faire.

M. Pierre Fumat : On le veut nous aussi. Sachez que nous y tenons, nous y sommes très attachés. Nous ne sommes plus que trois transporteurs routiers à faire à 90 % du combiné rail-route. Nous sommes un peu désespérés, on baisse un peu les bras. Si la SNCF n'arrive pas à nous donner une qualité de service, nous serons contraints et forcés de transférer le fret sur la route. On le regrette énormément parce que nous avons beaucoup investi dans cette technique et nous y croyons. Elle est formidable quand elle marche, mais il faut que les cheminots soient un peu moins souvent en grève.

M. André Lajoinie, président : Ce n'est pas le seul problème.

Audition de M. Konstantinos HATZIDAKIS,

président de la commission de la politique régionale, des transports et du tourisme du Parlement européen,

(extrait du procès-verbal de la séance du 1er décembre 1999)

Présidence de M. André Lajoinie, Président

M. André Lajoinie, président : Je souhaite la bienvenue à M. Konstantinos Hatzidakis, président de la commission de la politique régionale, des transports et du tourisme du Parlement européen. Nous allons solliciter son avis plus particulièrement sur les transports.

M. le président, notre commission est préoccupée par l'évolution des transports, au niveau national évidemment, mais aussi au niveau européen. Tous les modes doivent être étudiés : routier bien sûr, mais également ferroviaire, aérien, maritime, fluvial. Le point crucial est celui de la relation entre transport routier et transport ferroviaire. Nous assistons en France, pays de transit, à une croissance extraordinaire du transport routier, notamment de marchandises. L'augmentation du trafic qui en découle a des conséquences lourdes que vous connaissez : pollutions, accidents. La situation va en s'aggravant. Les transports de marchandises sur rail ont tendance à diminuer ou en tout cas à stagner et nous n'arrivons pas à obtenir un transfert de fret de la route vers le rail.

Manifestement, il existe une sorte de concurrence déloyale entre la route et le rail. La route bénéficie d'une souplesse intrinsèque, permettant d'aller de point à point sans rupture de charge. Par ailleurs, elle bénéficie d'avantages concurrentiels avec lesquels le chemin de fer ne peut rivaliser. Il faut savoir, par exemple, que les conditions sociales des travailleurs de la route ne sont pas unifiées en Europe. Il existe des phénomènes de « dumping » tant de la part des artisans que des salariés. Vous avez sans doute entendu parler des transports Willy Betz qui emploient des salariés des pays de l'Est, de Bulgarie par exemple, qu'ils rémunèrent deux fois moins que des travailleurs français.

Il est clair que cette situation fausse toutes les relations. Par ailleurs, moderniser le rail pour qu'il puisse transporter les marchandises convenablement exige des investissements considérables. Dans tous les pays, on retrouve cet obstacle d'investissements énormes à réaliser tant pour les infrastructures que pour le matériel roulant. Les progrès demeurent insuffisants. Quelle solution adopter ? Des hypothèses ont été avancées. Nous avons reçu l'an dernier le commissaire européen aux transports, M. Neil Kinnock et nous écouterons la commissaire qui lui a succédé, quand elle nous rendra visite.

La création d'une « eurovignette », au moins pour les camions en transit, permettant de dissuader le transport routier sans l'interdire et fournissant des ressources pour moderniser les infrastructures a été envisagée, ainsi que le lancement d'un emprunt communautaire destiné aux infrastructures ferroviaires. Pour le moment, aucune des mesures examinées ou projetées ne s'applique. Nous souhaiterions que vous nous présentiez les réflexions de votre commission et éventuellement, ses projets sur ces problèmes.

M. Konstantinos Hatzidakis, président de la commission de la politique régionale, des transports et du tourisme du Parlement européen : Je vous remercie de votre invitation qui m'offre l'occasion à titre personnel et au nom du Parlement européen de nouer des contacts avec les députés nationaux, notamment français. Ces contacts sont importants car nous travaillons pour atteindre le même but : la construction d'une Europe des citoyens.

(Les propos suivants de M. Hatzidakis sont traduits du grec).

Je voudrais tout d'abord rappeler que la politique des transports est historiquement l'un des deux premiers domaines de compétence européenne. Elle date des débuts de la Communauté européenne et est contemporaine de la politique agricole, du moins en théorie. Les bases de la politique des transports ont ainsi été décidées il y a quarante ans.

Le processus a cependant été très lent puisque jusqu'en 1982, rien de substantiel n'avait été réalisé. A cette date, une plainte du Parlement européen a été déposée auprès de la Cour de justice contre le Conseil pour procédures lentes et une certaine inertie dans le domaine des transports. En 1985, la Cour de justice a condamné le Conseil ; c'est alors qu'une véritable politique des transports a démarré.

Actuellement, le secteur des transports représente 5 % du PIB de l'Union européenne et environ 9 % des emplois.

Après ce bref rappel, j'aborderai maintenant les objectifs de la politique des transports que conduit le Parlement européen. Nous voulons notamment des moyens de transport efficaces qui respectent l'environnement, bien évidemment, dans un marché où règne la concurrence et dans lequel sont créés de nouveaux emplois.

J'insisterai tout particulièrement sur les quatre buts prioritaires de cette politique :

- la poursuite des opérations de libéralisation de ce marché pour arriver à un marché unique européen des transports ;

- la recherche de l'efficacité, supposant l'amélioration de la qualité des infrastructures et des véhicules ;

- l'effort en faveur de la mobilité durable en donnant la priorité aux chemins de fer, aux voies fluviales, au cabotage maritime et aux transports combinés en général ;

- la recherche d'une politique sociale des transports, c'est-à-dire respectueuse de l'environnement, mais aussi soucieuse des conditions de travail, ainsi que de la sécurité, qui est un élément important.

Je vous rappelle que le Parlement européen sort renforcé de la conclusion du traité d'Amsterdam, dans le domaine des transports. Celui-ci relève désormais de la procédure de co-décision : le Conseil et le Parlement européen doivent donner leur avis avant toute décision dans ce domaine. Le Parlement européen pourrait dorénavant ainsi occuper une plus grande place dans la politique des transports et ne plus être ignoré.

Les défis nés de la mondialisation de l'économie et des moyens de transports sont les suivants :

- la création d'un cadre de coopération avec les pays tiers. J'insiste particulièrement sur la coopération avec les pays de l'Europe centrale et orientale, surtout pour le transport maritime et aérien ;

- la cohésion sociale : les régions périphériques de l'Europe ne doivent pas être oubliées et des prix trop élevés ne doivent pas éloigner certaines régions ou certains citoyens de l'accès aux transports européens ;

- l'environnement, que je n'oublie pas ;

- le plus grand de ces défis est la libéralisation du marché. Le Parlement européen y est favorable, mais bien sûr sous conditions et dans le cadre d'une réglementation. Nous ne devons pas remplacer un système de transports inefficace, ne proposant pas un véritable service aux citoyens, par la « jungle ». Il faudrait édicter des règles plus précises pour la préservation de l'environnement, pour une utilisation rationnelle de l'énergie et pour tout ce qui est social. Cette libéralisation doit être établie sous certaines conditions économiques et sociales.

J'en viens à un sujet très cher au c_ur des Français : le transport ferroviaire. Je sais qu'il vous intéresse tout particulièrement. Ce mode retient également toute l'attention de notre commission des transports au Parlement européen, qui étudie actuellement particulièrement ce secteur ainsi que le problème des retards des transports aériens. Nous pensons que le transport ferroviaire est efficace et qu'il respecte l'environnement. Nous estimons donc que notre politique doit le soutenir.

Je voudrais cependant être clair et parler franchement de la situation du transport ferroviaire. Elle est dramatique en Europe, comme le démontrent les chiffres suivants qui concernent l'Europe entière. En 1970, environ 32 % du total des marchandises étaient acheminés par les chemins de fer. Cette proportion est de seulement 10 % en 1998. En 1970, 14 % des voyageurs prenaient le train. En 1998, ce taux n'est plus que de 6 %. Cela veut dire que le transport par route a augmenté et que la pollution et les conditions d'écoulement du trafic s'aggravent. Le coût de cette congestion des routes, selon les chiffres de l'OCDE, s'élève à 2 % du PIB européen.

Les chiffres dont nous disposons pour les marchandises en France sont les suivants : alors qu'en 1960, 39 % des marchandises étaient transportés par train, en 1995, elles ne représentaient plus que 17 %. 76.500 emplois ont été perdus dans ce secteur au cours de la même période.

J'ai lu un rapport d'un de vos collègues, M. Paul Chollet relatif à la répartition intermodale du transport de marchandises en Europe. Il écrivait en 1994 : « Nous ne devons pas choisir entre le statu quo et un changement, mais entre la disparition et une évolution ». Je ne dis pas que la SNCF se trouve dans une situation dramatique. Les quinze pays européens connaissent des problèmes similaires et en Grèce, la situation est pire que chez vous. C'est pourquoi la question doit être examinée globalement au niveau européen.

Nous avons des estimations officielles. Si nous réussissions à améliorer le fonctionnement des compagnies ferroviaires et à les amener au niveau de celles qui fonctionnent le mieux en Europe, nous pourrions réduire les coûts de 20 %, c'est-à-dire 100 milliards de francs par an, ce qui représente pour la France une économie de 15 milliards de francs.

Nous pouvons réussir si nous essayons d'améliorer globalement la situation, par conséquent le fonctionnement des compagnies ferroviaires. Cela peut découler d'une libéralisation, mais pas uniquement. Celle-ci doit s'accompagner d'une formation du personnel, de davantage de sécurité, d'une interopérabilité des moyens de transport favorisant le développement des transports combinés, en respectant bien sûr les règles de la concurrence.

Il ne faut pas oublier le côté bénéfique, au plan social et environnemental du transport ferroviaire. Chaque tonne transportée par le chemin de fer diminue de 70 % les émissions de dioxyde de carbone. C'est très important, surtout après la conférence de Kyoto, car nous savons que ces émissions de dioxyde de carbone constituent à peu près 26 % des émissions totales polluant l'atmosphère.

Quelle est concrètement la stratégie du Parlement européen face à la libéralisation des transports ferroviaires ? Le paquet de propositions de directives européennes de l'année dernière a indiqué certaines priorités. Nous allons suivre en gros la même démarche que pour les transports aériens et maritimes, c'est-à-dire une libéralisation, mais par étapes et sous certaines conditions. La priorité porte sur les transports internationaux de marchandises ; viennent ensuite les transports des marchandises au niveau national et les transports internationaux des voyageurs.

Je connais la position de la France. Je sais que le ministre français a une vue différente à l'égard de la libéralisation. C'est une des raisons pour lesquelles celle-ci avance très lentement. Cependant, je sais aussi qu'un certain rapprochement au dernier Conseil des ministres, le 6 octobre, s'est produit.

M. André Lajoinie, président : Les expériences de libéralisation du transport ferroviaire n'ont pas été concluantes, notamment en Grande-Bretagne. Elles ne nous ont pas totalement convaincus. La libéralisation a conduit à une obsolescence des chemins de fer, illustrée dramatiquement par un accident dont la responsabilité incombe aux dirigeants, puisque n'ont pas été effectuées les mêmes modernisations qu'en France.

M. Konstantinos Hatzidakis : C'est la raison pour laquelle je dis qu'il ne faut pas avancer vers la libéralisation sans tenir compte des autres éléments sociaux et techniques, comme la sécurité, la formation professionnelle, etc.

Dans l'ensemble, la majorité des Etats membres et des députés européens, pour les raisons que j'ai évoquées, sont en faveur de la libéralisation sous certaines conditions.

M. André Lajoinie, président : Bien précises...

M. Konstantinos Hatzidakis : Nous sommes contre un marché transformé en « jungle ». C'est pourquoi des discussions ont lieu au sein du Conseil. Un certain progrès a été réalisé. Je pense qu'en décembre, lors de la réunion des ministres des transports, un accord interviendra concernant les transports ferroviaires et le paquet de directives.

La Commission après le Conseil des ministres du mois d'octobre, a présenté des propositions, prenant en compte la position française. L'Europe ne peut pas avancer sans la France, d'abord parce que celle-ci y occupe une position géographique stratégique et parce qu'elle est un grand pays fondateur de l'Union européenne.

Ce paquet de propositions de directives de la Commission reflète donc certaines priorités, notamment la constitution d'un réseau transeuropéen pour les marchandises avec certains couloirs prioritaires pour les terminaux et les ports. Il s'agit d'une première étape vers la libéralisation, respectant pleinement les réserves de la France.

Une autre position très forte du Parlement porte sur la distinction institutionnelle entre la gestion des infrastructures et l'usage de ses services.

J'insiste sur la formation professionnelle qui est très importante. La libéralisation doit être organisée, de façon à ce qu'elle n'implique pas de conséquences néfastes sur la sécurité.

Une proposition de directives concernant l'interopérabilité du transport ferroviaire sera présentée. Il existe dans chaque pays des systèmes différents qui nécessitent des changements onéreux. Nous continuons de subir aux frontières des problèmes techniques importants et très coûteux.

La force de l'Europe et de l'Union européenne est d'arriver à un consensus ; si un pays essaie d'imposer sa volonté, toute l'Europe y perd.

Nous sommes conscients au Parlement européen que la libéralisation ne résout pas tous les problèmes. Nous continuons à nous intéresser à l'interopérabilité, à la formation professionnelle, à la sécurité et à la promotion des réseaux transeuropéens.

Les réseaux ferroviaires occupent une place très importante dans la politique européenne des transports. 62 % du budget des réseaux transeuropéens sont consacrés aux chemins de fer et ce, sur la pression du Parlement. Il s'agit d'un montant de 4,6 milliards d'euros pour la période 2000-2006. Il est évident que le Parlement européen a essayé d'obtenir plus, mais il faut respecter la discipline budgétaire. 15 % seulement sont destinés à la route et 14% à l'amélioration du trafic.

J'aimerais évoquer deux points qui, je pense, vous intéressent particulièrement. Il s'agit de l'interdiction de circulation des véhicules lourds pendant les week-ends et de la directive concernant le temps de travail.

S'agissant de l'harmonisation de l'interdiction de circuler le week-end, je comprends tout à fait votre position. La France est un pays particulièrement concerné par les transports routiers. Je comprends la raison pour laquelle vous dites non à l'harmonisation. Je suis sûr que si j'étais Français, Allemand ou Néerlandais, je partagerais votre point de vue.

Je ne suis pas Français. Je viens d'un pays périphérique dont vous connaissez la position. Les premières propositions de la Commission étaient très proches de celles des pays périphériques. Un changement est intervenu et de nouvelles propositions vont être présentées par la Commission, du fait des positions très éloignées entre les pays de l'Europe centrale et ceux plus périphériques. Je pense qu'un consensus sera trouvé.

Les dernières propositions de la Commission incluent un point concernant l'annonce des restrictions. Ainsi, les Etats membres devraient dorénavant annoncer à l'avance quelles seront les limitations à la circulation. Evidemment, une exception sera prévue pour certains véhicules transportant des marchandises sensibles ou périssables.

Je voudrais évoquer enfin la question du temps de travail. Une directive existe dans ce domaine depuis 1993 mais elle exclut le secteur des transports. Une solution doit être trouvée. La Commission a fait certaines propositions, qui visent les salariés, mais également les conducteurs des pays tiers et les indépendants. La position du Parlement européen est la même que celle de la France. Nous voulons que la directive couvre également les indépendants. Nous en sommes à la deuxième lecture. Il existe une divergence de vue entre le Parlement européen et le Conseil et nous allons tenter dans les prochaines semaines de rapprocher les deux points de vue.

En conclusion, je sais que vous n'êtes pas tous d'accord avec l'ensemble de mes propos. C'est néanmoins la politique européenne. D'ailleurs, je ne suis pas venu ici pour vous être agréable, ni bien entendu pour me disputer avec vous. Il est très intéressant de discuter, d'écouter l'opinion des parlementaires nationaux, surtout d'un grand Parlement comme le celui de la France et de pouvoir transmettre votre opinion à mes collègues du Parlement européen. En tant que président de la commission des transports du Parlement européen, je suis obligé par ma fonction de rechercher des consensus, d'établir des rapprochements et de trouver une cohésion.

Si je raisonnais en tant que député hellénique, je vous dirais que la directive existante est parfaite, mais la politique européenne ne peut pas fonctionner avec des veto, sinon nous n'avancerions jamais en Europe.

Nous nous trouvons aujourd'hui face à une mondialisation, nous devons renforcer l'Europe et la rendre plus compétitive. Nous devons, par conséquent, créer un marché unique dans les transports, sinon nous ne pourrons jamais renforcer l'Union. Je pense également que les résultats catastrophiques que nous connaissons dans le domaine ferroviaire découlent d'un déficit de la politique européenne.

Je ne prétends pas détenir la vérité sur le paquet de propositions qui sera soumis en décembre au Conseil. Je pense qu'il existe peut-être des aspects moins bons que d'autres. Je voudrais vous écouter. C'est seulement de cette façon que nous avancerons et changerons ce qui doit l'être.

Il est aujourd'hui certain que la politique des transports en Europe rencontre d'énormes difficultés. Les solutions ne peuvent pas tomber du ciel. Elles doivent se fonder sur une logique simple, ce qui manque très souvent à la politique européenne.

M. André Lajoinie, président : Merci, monsieur le président. Je vais donner la parole à ceux qui la demandent, en les invitant à être brefs.

M. Paul Patriarche : Vous avez abordé essentiellement le mode ferroviaire, pour lequel je partage votre point de vue. Permettez à l'insulaire que je suis d'évoquer le problème de l'aérien et du maritime, qui constituent pour les îles comme la Corse par exemple, un service public.

Vous avez mentionné quatre priorités, en particulier celle accordée au social par rapport à la libéralisation des marchés. Lorsque vous avez évoqué ce domaine, je ne vous ai pas entendu citer le mot « emploi », seulement les mots « sécurité » ou « formation ».

Dans le cadre de l'Europe sociale, je voudrais vous poser une question. Nous sommes actuellement dans le cadre du renouvellement des conventions sur l'aérien et bientôt sur le maritime. Pour ce dernier mode, une compagnie nous est chère. Il s'agit de la SNCM, qui dessert depuis de longues années l'île dans laquelle j'habite. Celle-ci emploie 1 400 personnes, dont 800 résident en Corse.

Pour le transport aérien, un renouvellement est également en cours qui concerne une compagnie régionale, qui emploie plus de 500 personnes ainsi que 200 membres du personnel d'Air France au sol.

Nous lançons actuellement un appel d'offres ; une compagnie est nettement moins disante. Cependant, nous ne sommes pas sûrs que demain, si elle obtient le marché pour trois ans, elle va perdurer et ne pas tuer l'outil de production existant. Certes, la loi « Sapin » et la réglementation européenne nous obligent à choisir le « moins » ou le « mieux disant ». Mais comment peut-on, au niveau de l'emploi, défendre une compagnie par rapport à l'importance qu'elle occupe dans le cadre du « mieux disant » ?

M. Konstantinos Hatzidakis : Je suis très content que vous soyez corse, moi je suis crétois. Je viens aussi d'une île, je comprends tout à fait les particularités qui en découlent.

Concernant l'emploi et le chômage, j'ai abordé le thème de l'emploi quand j'ai évoqué les priorités et l'aspect social. J'ai même dit que selon nos chiffres, ces dix dernières années, des dizaines de milliers d'emplois avaient été perdus à la SNCF à cause de ce recul du transport ferroviaire.

La libéralisation n'a en aucun cas pour but de réduire les emplois. En Grèce, par exemple, quand on a procédé à la libéralisation du transport aérien, de nouvelles compagnies ont pu être créées, donc également des emplois. Nous visons le modèle d'une libéralisation créatrice d'emplois.

Cependant, les régions lointaines connaissent des problèmes particuliers nécessitant peut-être un cadre spécifique, notamment pour les ports et les aéroports. La politique européenne doit évidemment prendre en compte les problèmes spécifiques de ces régions.

M. Gérard Voisin : Quand on parle du canal Rhin-Rhône en France, à savoir la jonction fluviale Mer du Nord-Méditerranée, il semble que l'on mène un combat d'arrière garde. Je voudrais connaître votre avis en tant que président de la commission des transports du Parlement européen, sur cet abandon éventuel et sur une substitution consistant à relier la Saône au Rhin, via la Moselle. Il me semble que, dans vos priorités, vous avez annoncé une mobilité durable supposant bien entendu l'amélioration du chemin de fer, mais aussi des voies fluviales.

M. Konstantinos Hatzidakis : Je n'aimerais pas entrer dans des choix que je qualifierais de nationaux. En général au Parlement européen nous sommes favorables à ce genre de transports que j'appellerais alternatifs, c'est-à-dire le cabotage maritime, les voies fluviales ou les transports combinés.

Ces moyens de transport sont d'un faible coût économique et respectent l'environnement. Nous examinons d'ailleurs au Parlement européen, des directives sur ce sujet. Le Parlement européen a toujours soutenu des initiatives de ce type.

M. Léonce Deprez : Je me demande si nous nous comprenons. Pour nous, le but est le développement des moyens de transport notamment ferroviaires et non la libéralisation. Vous donnez le sentiment que celle-ci est l'objectif. Elle peut être un moyen pour servir le but. Or, on a le sentiment que c'est le contraire dans l'esprit des membres du Parlement européen. Avons-nous donc le même projet ?

Le développement des transports ferroviaires, surtout des marchandises, est d'un intérêt national, européen et citoyen. N'est-ce pas d'abord une affaire de coopération entre Etats, c'est-à-dire entre ceux qui gouvernent, pour ce qui concerne les infrastructures, la réglementation de la sécurité, et pour qu'existe une politique de transports transeuropéens et de réseaux européens ? Ne faut-il pas donner la priorité à un accord entre les Etats avant de se battre pour une mise en concurrence, parce que la libéralisation peut faciliter la baisse des coûts ?

Renforcer la réglementation sur les routes, ne relève-t-il pas des Etats ainsi que la durée du temps de travail, les disciplines de circulation pendant le week-end ? Sans une intervention dans ces domaines, on n'atteindra pas le but du développement du transport ferroviaire, notamment des marchandises.

M. Konstantinos Hatzidakis : Si vous avez compris que notre but était la libéralisation, ce n'est pas le cas : c'est un moyen. Notre but est d'avoir des transports compétitifs pour améliorer le service aux voyageurs, pour que les transporteurs puissent véhiculer les marchandises et pour la protection de l'environnement.

M. André Lajoinie, président : Avouez qu'il est un peu « court » de croire que la libéralisation va tout résoudre. Vous ne nous avez pas convaincus. De plus les sommes en jeu sont considérables.

M. Konstantinos Hatzidakis : Nous sommes des hommes politiques, M. le prési-dent, qui peuvent avoir chacun leur avis.

M. Gérard Voisin : Nous sommes d'accord avec vous.

M. André Lajoinie, président : La preuve n'a pas été apportée. Vous en avez été incapable. Vous en avez eu le pouvoir et vous ne l'avez pas fait. 

M. Gérard Voisin : Cela viendra.

M. André Lajoinie, président : Les faits sont les faits, ils sont têtus.

M. Konstantinos Hatzidakis : Je réponds à votre seconde question concernant le fonctionnement. Vous devez savoir que depuis 1991, cette politique intergouvernementale existe. Quels en sont les résultats ? La coopération existe parmi les Etats, mais elle n'est pas efficace. Si nous poursuivons la même politique, la situation ne changera pas. C'est pourquoi nous en proposons une autre.

Voyez, par exemple, comment les Etats-Unis règlent certains problèmes. Ils constituent évidemment un pays unique et je ne propose pas que l'Europe devienne un seul pays. Nous, nous avons des systèmes différents mais cela crée des difficultés, d'où des coûts supplémentaires. Si une compagnie a des frais trop élevés, cela aussi a des conséquences sur l'emploi. Nous le constatons tous les jours.

Nous essayons de résoudre ces problèmes, de simplifier et diminuer ces différences entre les divers systèmes. Le domaine des transports devait donner lieu à une politique communautaire depuis 1957. La Commission devrait donc avoir des pouvoirs dans le domaine des transports. Je pense que la communautarisation de la politique améliorera la situation.

Mon point de vue personnel, en tant que Grec, c'est que la libéralisation ne changera rien pour notre pays ; nous sommes complètement isolés. Nous avions une connexion avec le reste de l'Europe par l'ex-Yougoslavie, mais les guerres successives nous ont complètement isolés. Même dans le cadre de cette libéralisation, rien ne changera pour notre pays.

La façon dont les Etats-Unis règlent leurs problèmes montre qu'avec une politique unique et communautaire, certains problèmes actuels pourraient être facilement dépassés.

En aucun cas, je ne voudrais proposer des solutions allant contre les intérêts de la France. En tant que Grecs, nous nous sentons très proches des Français. C'est un pays avec lequel nous entretenons des relations plus qu'amicales. En aucun cas, l'Europe ne devrait prendre des décisions contraires aux intérêts de votre pays, mais la coopération en Europe n'est pas évidemment toujours facile.

En tant que président de la commission des transports, j'essaie de trouver des solutions, des compromis pour obtenir des moyens de transport plus compétitifs, créant des emplois et offrant un service de qualité aux citoyens européens.

M. Daniel Paul : Je rejoins ce qu'a dit notre collège Léonce Deprez. La cohésion est assez large sur ce sujet à la commission de la production et des échanges, même si nous rencontrons bien évidemment un certain nombre de divergences.

Vous avez dit être favorable à un réseau de fret avec des couloirs prioritaires, mais vous avez omis, volontairement sans doute, de parler de coopération non pas entre Etats, mais entre systèmes ou entre sociétés ferroviaires. On n'introduit pas dans ce cas la concurrence sur le territoire, mais on vise à pousser au maximum la coopération entre les différents systèmes ferroviaires.

Considérez-vous, compte tenu de la position de la France, que la coopération qu'elle défend sera un jour dépassée et que nous irons vers une libéralisation, une déréglementation plus importante ?

Ma deuxième remarque porte sur le leitmotiv de votre propos, au sujet de la libéralisation, j'ai bien entendu qu'elle n'était pas le but, mais le moyen. D'autres moyens ont-ils été expérimentés pour rechercher une entente ? Laisse-t-on la voie ouverte à d'autres possibilités que la libéralisation, dont on connaît les conséquences, en particulier sur l'emploi ?

On entend beaucoup dire que la mise en concurrence crée in fine des emplois. Les exemples, jusque là et pas uniquement dans le domaine des transports, mais dans celui des télécommunications par exemple, montrent qu'on détruit des emplois. Ceux maintenus ou éventuellement créés sont moins rémunérés.

Vous avez évoqué, à propos de la circulation des poids-lourds le week-end, la position des pays périphériques. Pouvez-vous l'expliquer rapidement ?

M. Konstantinos Hatzidakis : J'ai évoqué ces quatre points, car ils concernent les nouvelles propositions de la Commission faites le 25 novembre. Elles seront présentées au Conseil des ministres. Je pense que le Gouvernement français, comme les autres gouvernements, pourra ajouter ou retirer certains points. J'ai juste essayé de vous présenter ces nouvelles propositions et leur contenu. J'ai voulu vous indiquer le résultat des votes qui ont eu lieu au sein de la commission des transports, ainsi qu'à la réunion plénière du Parlement européen. Il ne s'agit pas de mon opinion, mais de celle de la majorité, qui ressort des débats et des votes du Parlement européen.

Vous avez parlé de l'emploi. Vous pensez que la libéralisation créerait moins d'emplois ou en ferait perdre. D'après les statistiques dont je dispose et mon expérience dans mon pays, je pense au contraire que la libéralisation peut créer des emplois. Dans certains domaines par exemple, comme la télévision ou les télécommunications, les statistiques et les chiffres montrent que de nouveaux emplois ont été créés par une décision de ce type.

Un service moins coûteux du fait de la concurrence peut offrir des emplois et proposer un meilleur service aux consommateurs. Vous n'êtes pas d'accord avec moi, c'est pour cette raison que nous faisons de la politique, que nous vivons dans des pays démocratiques, et que nous discutons et dialoguons notamment au sein des parlements. Je vous donne mon opinion, la libéralisation peut créer des emplois. Nos citoyens nous écoutent et choisissent à la fin. Ils ont aussi leur opinion.

Vous avez évoqué les pays périphériques. Si je voulais défendre uniquement la position de mon pays, j'aurais pu me satisfaire du premier paquet de propositions défavorable aux restrictions que veulent imposer les pays de l'Europe centrale.

La Grèce n'est pas un pays de transit, elle n'a pas un problème aussi prononcé que la France ou certains pays d'Europe centrale. Quand, sur un sujet aussi important, il n'existe pas de consensus, nous ne considérons pas notre intérêt particulier, nous essayons de trouver un compromis. C'est pourquoi je parle de nouvelles propositions peut-être plus éloignées de l'intérêt des pays périphériques, de mon pays, mais plus proches de l'intérêt général.

M. Didier Boulaud : Je ne suis pas membre de la commission et je remercie M. André Lajoinie de m'y accueillir. J'ai présenté au nom de la délégation pour l'Union européenne un rapport sur les transports ferroviaires, en particulier sur les propositions de directives « Kinnock ». Je vous remettrai la résolution adoptée par l'Assemblée nationale à la quasi-unanimité, seul le groupe Démocratie libérale ne l'avait pas votée, et sur laquelle le Gouvernement français a pu s'appuyer lors du Conseil des ministres des transports en juin.

M. André Lajoinie, président : Il est plus récent que le rapport « Chollet ».

M. Didier Boulaud :  Une observation me paraît importante. Il faut comparer ce qui est comparable. A chaque fois que nous rencontrons les chantres du libéralisme européen, ils font une comparaison entre le transport aérien et le transport ferroviaire. En particulier, ils disent que la libéralisation dans le transport aérien fonctionne ; ce qui reste à prouver, étant donné les retards accumulés par les avions dans les différentes compagnies en Europe. D'ailleurs, des chiffres viennent d'être publiés sur les résultats financiers de celles-ci. Une s'en sort bien et nous en sommes ravis, c'est Air France, les autres sont moins satisfaites.

Quand on compare les libéralisations des transports ferroviaires et aériens, je souhaiterais une explication. La concurrence conduit à faire passer sur une voie plus de trains, mais matériellement comment est-ce possible ? Faire passer plus d'avions dans des couloirs aériens, je peux le comprendre, mais sur des rails... Ce n'est pas aussi facile à faire qu'à dire. Comparons donc ce qui est comparable.

Aux Etats-Unis également, en matière de transports ferroviaires, ce qui s'y passe n'a rien à voir avec la situation du reste du continent européen. Les Américains ont abandonné depuis longtemps les transports de voyageurs, ils ne transportent plus que des marchandises. Ils peuvent donc consacrer leurs réseaux au transport de fret. Il faut, en France et dans les pays du centre de l'Europe, continuer à faire passer les voyageurs.

Au Japon, il n'y a plus de transports de marchandises, ils ont donc fait des choix qui peuvent faire apparaître des résultats différents, mais en Europe nous avons une contrainte : faire passer à la fois des voyageurs et des marchandises. A mon avis, il faut être très prudent en matière de comparaison.

Enfin, vous avez évoqué le problème des pays périphériques. Dans la discussion sur les transports ferroviaires, la différence entre ces pays et ceux du centre de l'Europe doit être prise en compte. Il est bien de vouloir à tout prix augmenter par la concurrence le transport sur les voies ferrées, mais les pays comme la France, l'Allemagne, les Pays-Bas ou la Belgique sont des pays de transit. Les problèmes ne seront pas simples à gérer.

Que les Britanniques voient cette situation d'un bon _il, habitant une île, cela se conçoit car ils ne subissent pas de contraintes de transport européen. Les Irlandais non plus, à plus forte raison.

Il faut être extrêmement prudent quant aux conséquences de la concurrence. Sur le réseau ferré français, elle posera de véritables problèmes, pas forcément simples à régler sur le plan technique. On l'observe déjà avec les engorgements qu'essaye de supprimer M. Jean-Claude Gayssot, ministre des transports.

M. Konstantinos Hatzidakis : Concernant les retards dans les transports aériens, je ne pense pas qu'ils découlent uniquement de la libéralisation. Celle-ci a été réalisée sans garantie et le centre de contrôle aérien d'Eurocontrol repose sur 68 sous-systèmes en Europe. C'est pourquoi le problème est plus complexe.

D'ailleurs, nous avons voté une résolution au Parlement européen à ce sujet, demandant que ce contrôle soit exercé en Europe de façon centralisée. Nous allons la soumettre à la conférence gouvernementale, afin de réduire ces retards grâce à un contrôle aérien plus efficace.

J'en viens à la libéralisation des transports ferroviaires. Je ne répéterai jamais assez que la situation actuelle est inacceptable tant pour le transport des marchandises que des voyageurs. Nous constatons une diminution nette dans les deux secteurs et pas de solution. Les coûts sont trop élevés. Les difficultés techniques subsistent aux frontières pour les transporteurs. Sachant que la vitesse moyenne actuelle pour le transport des marchandises est de 16 km/heure, il est clair que le maintien du statu quo est intenable. On dit toujours que des problèmes techniques se posent et chacun a une solution technique. Alors qu'il est question de biotechnologie, de sociétés de haute technologie et d'informatique, ne me dites pas qu'il n'est pas possible de trouver des systèmes compatibles pour les chemins de fer. Ces problèmes peuvent être réglés à des coûts acceptables. Je suis par conséquent optimiste.

Si j'ai bien compris, la France, au dernier Conseil des ministres, a plus ou moins accepté une solution. Elle n'est peut-être pas idéale, ni pour vous ni pour moi, mais elle rendra la vie plus facile aux Européens.

M. André Lajoinie, président : En effet, au Conseil des ministres d'octobre, la France a accepté l'interopérabilité. Je pense que notre pays a trop tardé, mais les autres pays aussi. Les locomotives s'arrêtent aux frontières, alors que les camions passent à 80 km/h. Il est temps de trouver la solution, elle est très facile. En revanche, il est beaucoup plus difficile de croire qu'en libéralisant, c'est-à-dire en établissant la libre concurrence, on va régler les problèmes.

On en connaît un, par exemple, avec les transports de voyageurs dans les régions. Celles-ci se sont impliquées et achètent du matériel roulant. Parce qu'elles ont payé, les régions veulent que les voyageurs arrivent à l'heure. C'est normal. Elles disent donc que le transport des marchandises attendra.

Où est la solution ? Ce n'est pas la libéralisation qui réglera ce problème. La solution est de moderniser, créer d'autres voies et offrir plus de moyens aux chemins de fer. Tout le reste est de l'idéologie.

On ne fait pas une réforme avec de l'idéologie, mais en prenant les problèmes à bras le corps et en essayant de les résoudre. Je tiens à vous dire que notre commission ne se laissera pas embarquer par l'idéologie, toutes opinions confondues. A la commission, nous connaissons globalement un consensus sur ce thème.

Nous ne sommes pas en Amérique, nous savons bien que tous nos voyageurs n'utiliseront pas l'avion. Nous sommes un petit pays. En Amérique, tout le monde voyage en avion ; peut-être que cela ne durera pas, car cela crée des engorgements.

Nous voulons faire coexister les transports de voyageurs et les transports de fret, mais pas sur les routes. Nous sommes un pays de transit. Vous avez de la chance d'habiter en Crète. J'habite quant à moi le centre de la France ; pour les gens sur les bords des routes cela ne peut plus durer parce qu'ils sont menacés de mort. Ils réagiront en conséquence et il faut les comprendre. Tous les camions de l'Europe ne vont pas traverser notre pays. Ils détruisent nos maisons, nos routes, et sont à l'origine d'accidents souvent graves. Ce n'est pas viable.

Vous êtes un élu, M. le président, vous savez bien que cela ne durera pas. Vous n'aurez pas les moyens d'empêcher les gens de se rebeller. Il faut mener une politique acceptable, sinon cela ne s'appelle pas de la politique. Je tiens à le dire pour le procès-verbal, parce que nous sommes en train de réfléchir, nous n'allons pas nous embarquer dans des idéologies sans vérification.

Aucun bilan des premières expériences de libéralisation de chemin de fer n'a été établi. On n'a pas tiré les enseignements de la privatisation en Grande-Bretagne. Les voyageurs paient lourdement les retards et ce pays s'oriente vers la reconstitution d'un monopole non pas public, mais privé. La majorité de notre commission ne veut pas que nous allions dans cette direction.

Vous avez voulu connaître nos opinions, nous vous les indiquons franchement. Nous vous remercions également de votre franchise. Vous êtes le porte-parole de la majorité actuelle du Parlement européen. Nous vous remercions d'être venu, mais il ne faut pas d'incompréhension dans nos relations. Nous avons une opinion bien nette sur ces sujets.

M. Konstantinos Hatzidakis : Vous avez évoqué la modernisation. Elle est souhaitée par tout le monde. Cependant, elle a des limites.

Parlons du transport aérien, par exemple. Un avion moderne, s'il est géré de façon monopolistique, n'améliore pas le service pour le citoyen. Celui-ci peut payer très cher, même si l'avion est moderne. Il faut une modernisation, mais aussi une libéralisation du marché, pour bénéficier d'un coût plus faible.

Le marché unique dans les transports n'existe pas actuellement en Europe. On parle de la libre circulation des marchandises, des personnes et des biens, mais dans les trains elle n'existe pas du fait de nombreuses entraves. Le marché unique a pour but de rendre plus de services aux citoyens et aux entreprises européennes. Sinon, pourquoi le créer ?

J'aimerais conclure en vous remerciant de votre franchise et de la discussion que nous avons pu avoir.

Audition de M. Louis GALLOIS,
président de la SNCF,

(extrait du procès-verbal de la séance du 21 décembre 1999)

Présidence de M. André Lajoinie, Président

M. André Lajoinie, président : Notre commission a entrepris une réflexion sur l'ensemble de la politique des transports en France mais aussi en Europe. Nous abordons l'examen du transport ferroviaire et c'est avec plaisir que nous vous recevons aujourd'hui, M. Louis Gallois. Vous êtes particulièrement qualifié pour nous apporter des informations utiles sur le sujet.

M. Louis Gallois : Merci, M. le président, de me donner une nouvelle fois l'occasion de m'exprimer devant votre commission.

Si vous le permettez, je ferais un point sur la situation de la SNCF en cette fin d'année avant de traiter quatre sujets majeurs. Les trois premiers seront le fret, l'Europe, et la régionalisation. Je conclurais en vous entretenant ensuite du projet industriel de la SNCF.

En ce qui concerne la situation de la SNCF, nous terminons l'année avec de très bons niveaux de trafics, aussi bien voyageurs que fret. Je vous ai apporté quelques-unes des planches que nous distribuons au conseil d'administration ; vous y noterez que sur les trois trafics principaux, qui sont les trafics de wagons, c'est-à-dire les tonnes/kilomètres, les trafics de voyageurs hors Ile-de-France et sur le réseau Ile-de-France, les tendances sont très bonnes. Elles sont excellentes pour ce qui concerne les voyageurs grandes lignes et j'observe que cette évolution favorable ne se dément pratiquement pas depuis 1995-1996, avec des pentes fortes.

Pour le trafic des wagons, vous constaterez que c'est un peu plus « les montagnes russes », mais que la tendance reste néanmoins bien orientée. Là aussi, même si nous restons marqués par les difficultés que nous avons rencontrées au cours de l'année passée, la hausse est réelle et la fin d'année elle-même est bonne.

Enfin le trafic que nous appelons « transilien » (c'est notre nouvelle terminologie pour l'Ile-de-France) est orienté à la hausse depuis 1996-1997 alors qu'il avait malheureusement pris l'habitude de baisser. L'ensemble des résultats enregistrés est donc encourageant.

Je ne suis bien entendu pas en mesure de vous communiquer les résultats financiers de la SNCF pour l'année qui s'achève. Toutefois, je peux d'ores et déjà vous indiquer que les bons chiffres de la fin de l'année nous aident à atteindre l'objectif d'équilibre des comptes que nous nous étions fixé pour 1999, hors provision pour le SERNAM.

2000 sera une année plus difficile pour nos comptes, parce que nous allons supporter le surcoût des 35 heures dans sa totalité, alors que les bénéfices que nous pouvons attendre d'une présence humaine plus importante, les gains de productivité qui peuvent résulter d'une meilleure organisation du travail, ou les effets de la modération salariale ne se feront sentir que progressivement. Le budget pour l'exercice 2000 n'est d'ailleurs pas totalement établi, puisque je ne le présenterai qu'en janvier au conseil d'administration.

Quant à la situation sociale, je voudrais l'apprécier avec l'indicateur le plus simple qui est celui de la conflictualité. A cette aune, en 1999, on a constaté une accalmie considérable par rapport à 1998. J'ajoute que cette année a été celle de la signature de l'accord sur les 35 heures, le 5 juin, par les deux principales organisations syndicales de l'entreprise, la CGT et la CFDT, ainsi que par le syndicat des cadres supérieurs. Nous avons mené pendant l'automne les négociations et les concertations locales ; actuellement, ces dernières sont achevées et nous procédons au vote dans les comités d'établissement régionaux et les comités d'établissement propres à chacune des directions. Ces votes seront achevés à la fin de la semaine et les premiers résultats sont plutôt encourageants, puisque sur un total de 15 scrutins clos, il y a eu 9 votes positifs, 2 votes équilibrés et 4 votes négatifs, ce qui est assez représentatif de la situation telle qu'elle résultait de la consultation organisée auprès de l'ensemble des personnels. J'ai le sentiment que cet accord sur les 35 heures, à la fois par la méthode de négociation et par son contenu (la SNCF va être créatrice d'emplois entre 1999 et 2001, après avoir été très longtemps en perte d'effectifs) a évidemment joué un rôle important dans la réduction des tensions sociales dans l'entreprise. Ceci ne veut pas dire pour autant que tous nos problèmes soient résolus.

Après ce bref point sur la situation d'ensemble de la SNCF, j'aborderai le premier thème de mon intervention, qui porte sur le fret. Nous savons que nous sommes face à un problème de société. Globalement le trafic de marchandises en France va, sur les dix ou douze prochaines années, doubler. Est-ce que le chemin de fer y maintiendra sa part ? C'est-à-dire est-ce que le trafic ferroviaire de fret sera, sur les dix ou douze prochaines années, multiplié par deux ? C'est l'objectif que nous a fixé le Gouvernement par l'intermédiaire du ministre des transports. C'est un objectif très ambitieux par rapport à ce que nous savons faire ; pourtant c'est un objectif dont je dirai qu'il est raisonnable par rapport à la répartition des trafics, il ne prévoit en effet qu'un simple maintien de notre part de marché globale, à quelques pourcentages près.

Il ne s'agit donc pas de déplacer massivement le trafic de la route sur le chemin de fer, mais seulement d'éviter que tout ne transite par la route dans des conditions que personne ne sait d'ailleurs contrôler, qu'il s'agisse de la saturation du réseau routier et autoroutier, de la pollution dans un certain nombre de zones, ou de la sécurité des circulations.

Nous sommes donc face à un problème de société. Quand on parle à la SNCF de ce type de problèmes, elle est saisie et pétrifiée, mais elle doit essayer de faire face. Nous avons clairement des problèmes liés à la qualité de notre prestation fret par rapport à la qualité de la prestation routière, ainsi que des problèmes de capacités.

S'agissant des problèmes de qualité, ceux-ci relèvent, je le crois, de la SNCF. J'ai d'ailleurs le sentiment, et c'est une philosophie que j'essaie d'inculquer à l'intérieur de l'entreprise, que si elle veut pouvoir demander en toute légitimité des investissements sur le réseau ferroviaire, il faut qu'elle ait fait elle-même les efforts nécessaires pour les justifier, en utilisant au mieux l'instrument dont elle dispose d'ores et déjà, avant de demander que l'on accroisse les capacités.

C'est pourquoi nous sommes engagés dans une réflexion très globale sur notre mode de production ; nous cherchons à déterminer quel est celui qui nous permettra d'écouler le plus de trafic possible. Il faut savoir que les trafics, non seulement augmentent en quantité, mais se transforment en qualité. Les trains de fret roulent maintenant de jour et non plus de nuit, puisqu'une partie de ce trafic est internationale. Or, quand vous faites rouler un train de Valence en Espagne à Dunkerque, il y a nécessairement un moment où il roule de jour. En outre, dans les « étoiles » des grandes villes, le développement des circulations régionales entraîne des effets de saturation des installations. Par ailleurs, l'accroissement des différenciations de vitesses entre les différents trains a pour effet de saturer et de réduire les capacités, car un train rapide, comme un train qui va très lentement, a un effet de saturation de la capacité de l'infrastructure sur laquelle il roule. Ce qui est important en effet c'est la différence de vitesse entre les trains qui circulent sur la même infrastructure.

J'ajoute que les exigences de nos clients en matière de fret se sont très sensiblement accrues. Quand nous transportions du charbon ou du minerai de fer, un retard de 24 heures n'était pas dramatique. Actuellement, la ponctualité d'une partie de nos trafics doit être respectée au quart d'heure. Les exigences de qualité et de ponctualité sont donc complètement différentes d'autrefois ; c'est tout cela que nous devons assumer et je pense que la SNCF doit réfléchir à une modification profonde de ses modalités de production si elle souhaite être en mesure d'accueillir ces trafics, et de les accueillir en qualité.

Ceci nous conduit à affecter des moyens propres, en hommes et en matériels, à chacune des activités, au fret en particulier. Ceci nous oblige également à organiser nos circulations, c'est-à-dire répartir nos sillons (les sillons sont les kilomètres de train pendant certaines tranches horaires) de telle manière que chacun puisse passer, ce qui veut dire que sur certains itinéraires nous donnons clairement des priorités au fret, par exemple sur l'axe Dunkerque/Metz, qui passe quand même à travers l'agglomération lilloise, entrant en conflit évident avec les TER. L'axe Metz/Dijon/Lyon et la rive droite du Rhône sont des axes sur lesquels nous accordons également clairement des priorités au fret.

Nous souhaitons que dans toutes les tranches horaires le fret puisse trouver des espaces disponibles pour circuler, parce que si un train de fret perd son sillon, c'est-à-dire s'il prend du retard, il ne pourra pas le rattraper si dans la tranche horaire qui suit il n'y a pas de place pour ce type de train. Or, ce qui se passe actuellement, c'est que lorsqu'un train de fret perd son horaire, il ne retrouve de la place que 4, 5 ou 6 heures après, produisant des effets cumulatifs de désorganisation. Il faut donc que nous soyons capables de structurer les circulations.

Dernier point qui concerne des problèmes d'organisation de la SNCF, il existe 23 postes de commandement et il est clair que cela morcelle notre vision du trafic, si nous voulons par exemple utiliser des itinéraires alternatifs. Si nous souhaitons pouvoir régler des situations perturbées, il faut qu'il y ait des endroits où l'on ait une vision globale et synthétique des circulations. C'est pour cela d'ailleurs que nous venons de créer à la gare Saint-Lazare un centre national des opérations totalement informatisé qui reçoit l'ensemble des informations relatives au réseau, afin de pouvoir traiter, en temps réel et au niveau national, ces situations perturbées.

C'est un travail considérable, qui supposera une concertation approfondie avec les agents, car beaucoup d'entre eux sont concernés. Tout cela est très compliqué : dédier des locomotives, c'est simple, mais affecter des agents de conduite pendant une certaine période à certaines activités c'est déjà beaucoup plus difficile. Les postes de commandement sont des lieux où se trouvent de nombreux agents, il faut leur expliquer que leur travail va évoluer. Nous avons donc à accomplir un très important et très long travail d'organisation de nos méthodes de production.

Cela étant dit, une fois que nous aurons balayé devant chez nous, ce qui me paraît nécessaire, il n'en restera pas moins que nous aurons besoin d'investissements. Vous recevez demain Claude Martinand (président de Réseau ferré de France, ndlr). Je ne sais pas si je suis là pour introduire son propos mais, pour ce qui me concerne, je crois que nous n'échapperons pas, si nous voulons doubler le trafic, à des investissements considérables. Nous avons établi quelques chiffrages. Je ne veux pas en faire état aujourd'hui, car ils sont encore un peu faits « sur un coin de table », ce sont des dizaines de milliards de francs qui sont en jeu. Mais si ces investissements n'étaient pas consacrés au rail, il faudrait les faire sur la route, car le trafic doit bien passer quelque part.

Ce sont d'abord des investissements en matériels roulants : il va falloir que nous achetions des locomotives. Nous en avons déjà acquis 150 en 1998 ; nous sommes en train de réfléchir avec nos amis allemands à un type de locomotive diesel fret européenne, soit que nous achèterions ensemble pour bénéficier de l'effet de masse de notre commande, soit que nous demanderions aux industriels de développer ensemble.

Il faut ensuite se préoccuper des plates-formes. Les constructions des chantiers sont menées à un rythme qui me paraît insuffisamment rapide. Il y a des urgences qui sont la plate-forme de Lomme près de Lille, je crois que celle-ci est en bonne voie de réalisation ; d'autres, telles la plate-forme de Vaires, ou la plate-forme de Champfleury à Avignon, soulèvent chacune des problèmes complexes mais permettront de satisfaire des besoins extrêmement forts. D'autres devront suivre. Par ailleurs, il y a aussi des investissements de capacités sur le réseau à réaliser.

Je ne peux pas dire que rien ne se fait, car beaucoup de choses se réalisent. M. Claude Martinand et moi-même, avons proposé au ministre que la moitié au moins des investissements de Réseau ferré de France ne soit pas consacrée au réseau TGV. Le ministre a accepté cette proposition, ce qui permet évidemment de dégager des enveloppes importantes pour ces investissements de capacités.

L'augmentation extrêmement forte de la part ferroviaire des contrats de plan Etat-régions permettra de réaliser un certain nombre d'investissements de désaturation. Je dois rendre ici hommage aux assemblées régionales qui ont accepté d'inscrire dans les contrats de plan des investissements de désaturation qui ne sont pas des investissements « politiquement » très visibles (quand vous désaturez la gare Matabiau à Toulouse, doublez ou quadruplez les voies au nord de Bordeaux, entre Bordeaux et Senon, il n'y a pas d'inauguration très médiatique à organiser) mais qui n'en sont pas moins des investissements indispensables et très lourds. Il en est de même pour l'Ile-de-France, où se trouve le fameux « n_ud d'Ermont » où toutes les voies se croisent, dans une étoile à cinq branches, et où les difficultés sont encore multipliées lorsque, chaque matin, il convient de gérer, en plus du fret, les trains de voyageurs. Le conseil régional d'Ile-de-France a lui aussi accepté de consacrer des investissements à la désaturation de ce point.

Je note également que dans le cadre du réseau transeuropéen de fret ferroviaire, la Commission européenne a accepté d'inscrire 200 millions d'écus sur l'année 2000 pour la désaturation ferroviaire. Tout cela est important ; je pense toutefois qu'il faudra aller plus loin au cours des prochaines années, à la fois pour désaturer, mais aussi pour créer des lignes nouvelles de fret, peu nombreuses, mais dont certaines me paraissent au moins devoir être étudiées. Ainsi, il serait important qu'une ou deux lignes nouvelles de fret nous permettent d'évacuer une partie du trafic de transit, notamment entre le tunnel sous la Manche et l'Allemagne, sinon des phénomènes de saturation nous empêcherons de valoriser cet outil que représente le tunnel.

Quant à l'Europe, je ne reviendrai pas sur le fait qu'elle me paraît être le vrai domaine de pertinence pour le chemin de fer, l'Europe est configurée pour le chemin de fer, et constitue un espace de développement évidemment important. Ceci ne veut pas dire que l'on ne doive plus s'intéresser à la dimension nationale : il est clair que nous ne pourrons partir à l'assaut ou à la conquête des trafics européens que si nous avons une base nationale qui fonctionne bien. L'essentiel de notre activité restera évidemment nationale, il n'en demeure pas moins que les trafics européens constituent un champ de développement. Permettez-moi de vous donner un seul exemple. Le trafic transfrontalier entre la France et l'Allemagne, depuis la frontière luxembourgeoise jusqu'à la frontière suisse est assuré à 98,5 % par la route et à 1,5 % par le chemin de fer. Est-ce normal ? Notre part de marché est ridiculement basse dans ce trafic alors qu'il existe des migrations très importantes entre les régions concernées. Il y a là une possibilité de croissance élevée.

Je voudrais dire un mot de la nouvelle donne institutionnelle. Un Conseil européen des ministres des transports s'est tenu les 9 et 10 décembre derniers. Il a confirmé les orientations prises au cours du conseil précédent du 6 octobre, c'est-à-dire la constitution d'un réseau transeuropéen de fret ferroviaire constitué des principaux axes sur lesquels circulent les trains de fret en Europe. Les entreprises ferroviaires y bénéficieraient de garanties d'accès, dans des conditions dont chaque pays resterait maître, selon le principe de réciprocité. Parallèlement, des conditions d'interopérabilité seraient assurées sur ce réseau transeuropéen, les péages devant être harmonisés afin de permettre une fluidité des trafics. Des investissements de désaturation seraient effectués, grâce à l'enveloppe de 200 millions d'écus que j'évoquais précédemment. En outre, des normes de sécurité européennes devraient être adoptées. Tel sont les principes.

Cette idée présentée par M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement le 6 octobre, est extrêmement intéressante, à la fois sur le fond, car il s'agit vraiment des axes sur lesquels s'effectue l'essentiel du trafic fret mais aussi politiquement car cela a permis de faire cesser un débat absolument stérile opposant ceux qui étaient favorables à la libéralisation et ceux qui étaient contre. On discutait plus de savoir s'il fallait libéraliser ou pas que de savoir si cela développerait le trafic ou non. En outre, il est clair que ce débat sur la libéralisation apparaissait à toutes les entreprises ferroviaires comme totalement académique, déconnecté de la réalité du terrain, et ne plaçait pas la France dans la meilleure situation.

Nous sommes désormais dans un schéma qui recueille l'accord de la Commission et du Conseil des ministres, c'est-à-dire dans une situation où non seulement la France n'est pas menacée d'isolement, mais au contraire, a un rôle d'initiative et a réussi à obtenir un quasi-consensus européen. On ne parle plus désormais des aspects idéologiques, mais on s'intéresse concrètement aux conditions de circulation des trains. Je dois vous dire, qu'aussi bien au sein de la communauté des chemins de fer dont je vais prendre la présidence, à partir du premier janvier, que dans les discussions bilatérales que j'ai eues la semaine dernière avec mes homologues belges et allemands, on se réjouit de pouvoir désormais se consacrer à des affaires sérieuses.

Il y aura une directive sur l'interopérabilité, mais il faut savoir que l'interopérabilité n'est pas uniquement une affaire de directive ; c'est également une affaire d'argent. Excusez-moi d'en parler à nouveau, mais quand il s'agit d'utiliser le même courant électrique sur plusieurs réseaux, ou d'avoir des machines qui soient bi, tri ou quadri-courant, c'est évidemment une question d'argent. Lorsqu'il s'agit d'harmoniser les systèmes de signalisation pour que les trains puissent circuler d'un pays à l'autre sans aucun problème, que les conducteurs puissent conduire sur un réseau ou sur un autre, c'est également une question d'argent. Donc, derrière l'interopérabilité, il ne faut pas se faire d'illusion, il y a des investissements significatifs.

Concernant les goulets d'étranglement, s'il est prévu, comme je l'ai indiqué, 200 millions d'écus pour 2000, nous souhaitons que la Commission s'engage dans un véritable plan pluriannuel.

S'agissant de l'harmonisation des péages, nous restons un peu sur notre faim car il est clair que dans la discussion les Allemands, qui ont les péages les plus élevés, ont quelque peu conditionné leur accord général sur cette affaire au fait qu'on ne remette pas en cause leur tarification de péages. L'harmonisation des péages n'est donc citée que comme une possibilité. Les Allemands vont engager, ce qui est assez courageux, un débat public sur les péages ferroviaires dans leur pays. Il sera intéressant de voir comment ce débat public, auquel nous serons associés, va se dérouler.

Le dernier point sur lequel il semble important d'insister, est la concurrence intermodale. Les mêmes conditions doivent être assurées aux différents modes de transport dans cette compétition. Je sais bien que nous sommes complémentaires de la route, mais nous sommes aussi concurrents et nous souhaitons donc que soient tranchées les questions décisives relatives au financement de l'infrastructure, au code de la route à appliquer, aux conditions de sécurité mises en _uvre ou au statut social des personnels qui travaillent dans les différents modes de transport. Le mode de transport ferroviaire du fret ne pourra se développer que si des conditions de concurrence intermodales équitables sont mises en _uvre. Ce point de vue est celui exprimé par toutes les entreprises ferroviaires, notamment par la Deutsche Bahn, qui subit de fortes pressions de la part de certains transporteurs routiers qui détournent les règles communautaires et cassent le marché. Il faut savoir que Willy Betz, le grand camionneur allemand, qui utilise des chauffeurs roumains, bulgares, etc. fait passer à la frontière espagnole un camion environ toutes les quatre minutes , et ce 20 heures par jour ! C'est pour vous dire que nous sommes soumis à une certaine pression.

Je viens de dessiner le paysage européen institutionnel. Nous devrons travailler pour mettre la SNCF en situation de jouer véritablement son rôle en Europe. Notre stratégie est d'abord de cultiver notre propre jardin, c'est-à-dire d'être bons en France notamment afin d'éviter que d'autres n'aient la tentation de venir chez nous.

Deuxièmement, nous voulons utiliser le groupe SNCF car dans le domaine du fret nous devons passer du statut de transporteur ferroviaire à celui d'opérateur français de logistique européenne ; nous devons aller aussi loin que possible dans l'organisation logistique de nos clients et traiter cette demande au niveau européen ; c'est un des axes prioritaires de notre stratégie fret. Dans le domaine des voyageurs, nous voulons devenir un opérateur multimodal, certes à dominante ferroviaire, capable d'articuler les modes de transport entre eux, notamment dans les grandes agglomérations, entre le ferroviaire lourd, le ferroviaire léger (tram, train), le métro et la route. C'est le sens de nos acquisitions récentes : ERMEWA, wagonnier et un opérateur logistique suisse, et Via-Gti en France.

Troisièmement, nous voulons tisser un réseau d'alliances afin de consolider les trafics que nous gérons sur le plan international en offrant, avec nos voisins, des solutions de qualité. C'est ainsi que dans le domaine des voyageurs, nous avons fait Eurostar, Thalys ; nous venons de créer une société pour les trafics italiens avec les FS. Avec la Suisse, nous créons également un outil qui permettra de gérer le TGV franco-suisse de manière optimale. Pour le fret, nous tissons aussi des liens avec l'Espagne et l'Italie pour le trafic sidérurgique, avec l'Espagne pour l'agro-alimentaire, avec l'Italie pour les céréales et dans le domaine du transport combiné avec les Belges. Nous allons également coopérer avec les Allemands sur un certain nombre de trafics. Nous voulons ainsi tisser un réseau de structures communes avec nos voisins, qui nous permette de fidéliser notre clientèle et d'assurer dans de bonnes conditions les différents trafics.

Il faut savoir que ces alliances, ces structures, vont prendre des formes de plus en plus fortes. A terme, se posera la question de savoir si ces structures deviendront de véritables structures ferroviaires, et si Eurostar, par exemple, deviendra propriétaire de ses propres rames, ce qui n'est pas le cas actuellement. C'est un pas que nous n'avons pas décidé de franchir, mais il y aura un débat certainement, d'ici deux ou trois ans, sur des questions de ce type. Nous risquons d'ailleurs d'y être conduits par la Commission européenne qui peut vouloir de nous obliger à créer des opérateurs ferroviaires dont nous serions les actionnaires et qui seraient en quelque sorte nos filiales.

Quatrièmement, nous prenons des initiatives bilatérales pour aller plus loin sur les coopérations et sur le matériel commun ; c'est le sens de ce que nous avons fait avec les Allemands la semaine dernière sur le TGV de nouvelle génération, au-delà de 2010, et sur la locomotive fret.

Je serai beaucoup plus bref sur la régionalisation car c'est un sujet qui vous est plus familier. Je crois que c'est un succès, à la fois en termes d'offre de services - matériels, gares, dessertes - que de trafics et de relations entre les autorités organisatrices et la SNCF. Cela fait beaucoup évoluer la SNCF et a conduit les autorités organisatrices à véritablement définir le service public, ce qui est à mon avis leur rôle essentiel, et à en assumer les conséquences. La régionalisation a influé positivement sur la motivation des personnels de la SNCF car ils ont vu que nous étions partis à la reconquête de trafics qu'ils considéraient comme abandonnés dans le passé. Je pense qu'il y a eu sur ce point un changement d'attitude des cheminots.

Notre souhait est évidemment la généralisation de la régionalisation. Puisqu'il s'agit d'une loi de décentralisation, c'est une affaire qui relève du pouvoir politique. Ce n'est donc pas à moi de fixer les calendriers, mais je souhaiterais que nous ne restions pas trop longtemps dans une situation où nous aurions simultanément des régions expérimentales bénéficiant d'une dynamique, d'une croissance, de matériels nouveaux, etc., et des régions qui seraient à la traîne, car cela introduirait des différences de plus en plus difficilement acceptées. Nous avons également pour mission d'assurer une qualité de service comparable sur l'ensemble du territoire, même si on ne peut pas garantir qu'elle soit exactement la même dans une région extrêmement peuplée, comme la région Nord-Pas-de-Calais, et dans une région beaucoup plus rurale, comme Champagne-Ardennes ou le Limousin. Nous avons donc un souhait, c'est que cette dynamique de la régionalisation ne s'essouffle pas, qu'elle garde son rythme, mais encore une fois, nous avons conscience que la question du calendrier est une question extrêmement difficile pour le Gouvernement. C'est pourquoi je ne souhaite pas m'exprimer plus avant sur ce sujet.

Nous avons un certain nombre de problèmes à résoudre, au premier rang desquels la transparence comptable, avant la généralisation de la régionalisation. Nous devons être capables de produire un compte TER reconnu par nos partenaires régionaux. Nous y travaillons beaucoup et voulons que les comptes pour l'exercice 2000 soient attestés par des commissaires aux comptes, de telle manière qu'ils puissent véritablement être pris en compte comme base de la généralisation de la régionalisation. Nous menons ces opérations de transparence en relation avec l'Association des régions de France. Pour qu'il y ait décentralisation, il doit y avoir transfert de ressources. J'ai compris que certaines régions souhaitaient pouvoir disposer d'une ressource aussi pérenne que possible. Nous avons à résoudre des problèmes de tarifs, mais c'est là un problème de gestion quotidienne, car la SNCF essaie d'articuler le tarif national et les tarifs régionaux pour assurer une certaine égalité de traitement sur l'ensemble du territoire national, et les régions sont tentées au contraire d'articuler le tarif régional avec le tarif local, pour assurer l'intermodalité dans les grandes agglomérations. Nous devons tenir compte de ces deux éléments et trouver des solutions de compromis.

Nous devrons également évoquer avec les régions les problèmes des conflits de circulation qui peuvent apparaître entre le TER, le fret et les grandes lignes ; je dois dire que je trouve chez elles un intérêt réel pour ces sujets. Elles sont parfaitement conscientes de la nécessité de faire passer tous les trafics ; nous en débattrons avec elles, dans la plus grande franchise afin qu'elles comprennent nos impératifs, qui sont de ne pas opposer les trafics les uns aux autres mais de les faire tous passer en assurant les compromis nécessaires.

Enfin, il y a le problème des tarifs sociaux. C'est une affaire qui relève du Gouvernement que de savoir comment compenser les tarifs sociaux nationaux qui s'appliquent aux TER, c'est une question de technique, mais liée également à d'importantes questions d'argent. Je sais qu'elle est évoquée par certains présidents de région.

En conclusion, je voudrais vous dire que nous sommes en période de préparation de la deuxième étape du projet industriel de la SNCF 2000-2002. Nous avons le sentiment d'avoir, au cours de la première étape, établi les fondations de la maison, d'une nouvelle SNCF qui ne fait pas fi du passé mais qui vise l'avenir, et que la deuxième étape doit être celle où nous concrétiserons un certain nombre de nos ambitions. Ces ambitions sont le doublement du trafic fret en dix ans, la poursuite de la croissance des trafics voyageurs ; les courbes que j'ai distribuées vous montrent ce que représente pour nous la poursuite de cette tendance. Il s'agit enfin de réussir la généralisation de la régionalisation et d'être capables de devenir un grand opérateur européen.

Nous allons insister dans cette deuxième étape du projet industriel, à la fois sur les fondamentaux de la production, la sécurité des circulations, la régularité et la fiabilité. Nous considérons qu'il nous faut également, au cours de cette deuxième étape, aller vers le client. Nous allons, comme je l'ai indiqué, modifier assez profondément nos méthodes de production et notre mode de fonctionnement interne. L'entreprise doit ainsi fonctionner de plus en plus par activités. Enfin, nous devons assurer l'équilibre financier sur les trois prochaines années, car je crois que la SNCF n'assurera sa pérennité que si elle est capable d'équilibrer ses comptes dans le cadre financier qui lui est tracé. En dernier point, j'aborderai la question du dialogue social qui, dans une entreprise de 175.000 agents, est un élément absolument décisif, sans lequel on ne peut rien faire. Il faut que tout ceci rencontre la compréhension et si possible l'adhésion et la participation active des personnels. Il faut donc qu'ils se sentent associés à toutes ces démarches. Je souhaite également que cela permette d'engager le dialogue social sur des voies plus constructives ; je ne dis pas de le développer en quantité, car il est hyper-développé de ce point de vue, mais il était peu constructif. Je pense que nous avons fait quand même depuis un an ou dix-huit mois d'assez sérieux progrès, mais nous devons les poursuivre de telle manière que nous débouchions sur une situation qui permette le développement de l'entreprise, ce qui est évidemment ce que souhaite à la fois la collectivité nationale qui nous confie ce magnifique outil, les personnels et la direction de l'entreprise.

M. André Lajoinie, président : Nous allons passer aux questions. Je vais tout d'abord donner la parole à notre rapporteur pour avis sur les transports terrestres, M. Jean-Jacques Filleul, qui est également président du Conseil supérieur du service public ferroviaire.

M. Jean-Jacques Filleul : J'adhère globalement aux grandes orientations que vous avez formulées ici, qui doivent permettre de redonner au rail, en France et en Europe, toute sa place. Simplement parfois, quand on voit l'immensité de l'effort qu'il va falloir réaliser, en particulier dans le domaine des transports de marchandises, et la petite implication financière de l'Europe, je me demande s'il ne faudrait pas que les ministres des transports européens mettent en place un plan Marshall pour la reconquête du fret ferroviaire, qui est véritablement un problème majeur. Vous avez eu raison d'en parler prioritairement, car si nous ne sommes pas en mesure de donner au fret, qui représente environ 10 % des transports de marchandises, une place forte dans les transports en France ...

M. Louis Gallois : Non, c'est plus que cela.

M. Jean-Jacques Filleul : 17 % ?

M. Louis Gallois : Oui, 17 %.

M. Jean-Jacques Filleul : Il est évident que si nous ne sommes pas capables de le faire les citoyens nous le reprocheront. Il y a là un effort considérable à fournir que nous ne pourrons pas faire en France sans aide européenne, vous l'avez rappelé tout à l'heure : l'interopérabilité, les problèmes de sécurité, tous les problèmes de signalisation représentent des investissements considérables. Je vous ai entendu parler un jour du coût de la mise aux normes identiques en Europe de tous les réseaux de signalisation qui est énorme, et pourtant, il faudra bien y arriver.

Je n'irai pas plus loin sur ce sujet, pour laisser à mes collègues le soin de poser leurs questions, mais je souhaitais vous interroger sur ce point : êtes-vous personnellement favorable à une très forte implication de l'Europe, et à quel niveau, dans cette reconquête du transport de marchandises européen ?

Par ailleurs, vous avez indiqué tout à l'heure que le transport combiné faisait évidemment partie du transport de marchandises. On sait qu'il faut l'organiser ; dans quelles conditions ?

La SNCF est très impliquée dans le réseau transilien, vous l'avez juste évoqué. J'ai toujours considéré que la régionalisation a été un élément décisif pour la reconquête des trafics, y compris pour les grandes lignes. Il me semble donc que vous devriez nous indiquer les éléments sur lesquels vous comptez vous fonder pour développer le réseau d'Ile-de-France, en qualité, en ponctualité et en sécurité. C'est très important aujourd'hui.

En même temps, je m'interroge sur les capacités actuelles de la SNCF, étant donné les pressions financières liées au projet, déjà très avancé, de TGV Est. Il va entraîner pour l'entreprise que vous dirigez d'importants investissements en matériels. Avez-vous les moyens d'y faire face ?

Une question sur la régionalisation : vous avez tout à l'heure expliqué qu'il était important que la SNCF fournisse des efforts en matière de transparence financière, c'est décisif, me semble-t-il. Je suis personnellement favorable à la régionalisation et surtout à l'extension rapide de cette régionalisation pour éviter, si possible, qu'il y ait trop d'inégalités sur le territoire national en matière de transport ferroviaire. Mais, vous le savez bien, il semblerait que les régions qui ne sont pas aujourd'hui organisatrices de transport ferroviaire se heurtent à un problème financier. Il faut donc tout d'abord que les comptes soient clairs et précis. Disposez-vous des chiffres relatifs à l'équilibre ou au déséquilibre des comptes dans les sept régions qui font partie de l'expérimentation en cours ?

Dernier point : vous avez annoncé que les comptes pour l'exercice 2000 seraient difficilement équilibrés compte tenu de l'application de l'accord sur les 35 heures. Nous sommes intervenus à l'Assemblée à différentes reprises sur ces sujets pour interroger le Gouvernement ; quelles sont les évaluations financières du coût des 35 heures en année pleine, avez-vous trouvé dans la loi de finances un certain nombre de réconforts sur ce sujet ?

M. Léonce Deprez : Nous avons apprécié la clarté de votre exposé. Je voudrais vous poser brièvement quatre questions. Quand M. Jean-Claude Gayssot est venu devant notre commission, il a annoncé qu'il fallait 20 milliards de francs pour l'adaptation du réseau ferré. Etes-vous d'accord avec ce chiffre ? D'autre part, sur combien d'années porte-t-il ?

Deuxièmement, vous venez de dire que, pour adapter la SNCF au fret, des dizaines de milliards de francs étaient nécessaires. Qu'en pense le ministre ? La SNCF et RFF sont-ils d'accord sur les sommes nécessaires à cette adaptation ?

L'Europe représente une chance considérable, avez-vous dit, pour le fret ; or, il y a eu récemment une réunion du conseil des ministres des transports à Luxembourg, dont « la vie du rail » a fait état ...

M. Louis Gallois : Si vous lisez « la vie du rail », je n'ai plus aucun secret pour vous.

M. Léonce Deprez : « La vie du rail » a effectué un relevé des lignes fret, notamment partant du Tunnel sous la Manche. Les ambitions exprimées dans ce plan devraient se traduire par des investissements conséquents dans les contrats de plan Etat-régions. La ligne tunnel sous la Manche, Abbeville, Amiens, devrait notamment être électrifiée.

M. Louis Gallois : Ligne pour laquelle vous avez un certain attachement !

M. Léonce Deprez : C'est une question importante ; la modernisation et l'électrification de cette ligne, dite maintenant « flèche picarde et d'Opale » pourraient, d'une part, nous aider à régler le problème des voyageurs, et, d'autre part, permettre la participation de la SNCF au développement de l'économie touristique. C'est une proposition que j'ai faite voici déjà trois ou quatre ans.

Notre commission a auditionné des autorités importantes qui ont fait état d'erreurs dans la conception d'équipements qui ne seraient pas utilisés. Comme cela va coûter très très cher, je m'informe auprès de vous : est-ce que la SNCF partage le point de vue selon lequel les grandes plates-formes logistiques, comme celle de Dourges, sont inutiles et coûteuses ?

M. Louis Gallois : Quel ordre de grandeur ?

M. Léonce Deprez : Est-ce que ces grandes plates-formes justifient l'argent que les régions veulent leur consacrer, alors qu'on nous a dit que des petits chantiers étaient plus adaptés ?

Dernière question, axée sur le tourisme. Quand on entend M. Jean-Claude Gayssot, ministre des transports, de l'équipement et du logement, et Mme Michelle Demessine, secrétraire d'Etat au tourisme, venir nous entretenir ici de l'importance du développement, à long terme, de l'économie touristique, je voudrais savoir si la SNCF est prête à s'engager pleinement pour que la sécurité soit assurée et pour favoriser l'accessibilité au temps libre et aux vacances de toutes les catégories sociales.

M. Paul Patriarche : Je sortirai du cadre métropolitain ; dans la région qui est la mienne, l'île de Corse, nous n'avons pas la prétention d'avoir un TGV mais nous avons ce que nous appelons chez nous, en traduisant en français, « le petit train ».

M. Louis Gallois : C'est le CFC, chemin de fer corse.

M. Paul Patriarche : Oui, le CFC ; c'est le « le petit train » qui fait partie de notre patrimoine. Nous y tenons beaucoup, et élu sans interruption depuis la décentralisation, en 1982, à l'Assemblée de Corse, j'ai vécu le passage du CFC à la SNCF et je dois dire que cela a été une très bonne chose. Tout à l'heure on parlait des transferts vers les régions ; nous, nous bénéficions d'un transfert de compétences et de crédits, et en parfaite entente avec la SNCF en Corse, nous avons réalisé des travaux importants de remise en état du réseau, au niveau de la signalisation et de la sécurité. Le maintien de ce chemin de fer auquel beaucoup de gens ne croyaient pas voici seulement 20 ans, a permis de préserver les emplois.

Je voudrais rappeler que la Corse n'a certes que 250 000 habitants, mais présente un relief accidenté. De surcroît, l'été nous recevons 1,5 million de touristes. Ce train a plusieurs fonctions ; la première est bien sûr, durant l'année, d'assurer le transport de voyageurs, et souvent, il est le seul mode de transport entre Bastia et Ajaccio, puisque les cols sont enneigés, c'est donc intéressant du point de vue de la sécurité. En outre, il existe des navettes entre Bastia et le Sud, qui est une région peuplée. En dehors de la période estivale, son rôle est important car il y a une université à Corte ; et dans la région où j'habite, la Balagne, une deuxième ligne dessert des cités balnéaires, complétée par des navettes qui sont très prisées par les touristes.

Ceci étant dit, je pense que pour le moment, les gens n'ont pas encore compris l'intérêt du fret ferroviaire. Il y a quatre jours, à la Préfecture de Haute-Corse, j'ai proposé, dans le cadre du schéma d'enlèvement des ordures ménagères que le train puisse servir pour ces transports, car il n'y aura qu'une ou deux stations de traitement pour toute la Corse.

Tout à l'heure, j'ai beaucoup apprécié que vous souligniez les efforts que font beaucoup de régions ; la nôtre est pauvre mais nous avons proposé deux variantes dans le cadre de l'élaboration du nouveau contrat de plan.

M. Louis Gallois : Je connais bien le sujet.

M. Paul Patriarche : La première affirme et conforte l'existant, avec une petite extension au sud de Bastia ; la deuxième peut paraître utopique, mais elle me semble ambitieuse et plutôt réaliste. Il s'agirait de rétablir la fameuse ligne de la plaine orientale qui a disparu à la suite de la dernière guerre mondiale, et qui desservirait, je parle au conditionnel, la micro-région qui est à mon avis la plus peuplée, la plus agricole et une des plus touristiques, qui en outre sert de pont entre la Toscane et la Sardaigne, puisque beaucoup d'Italiens empruntent cette voie pour rejoindre la Sardaigne, cette solution étant plus économique et plus rapide pour eux.

Nous avons donc établi un cahier des charges. Je souhaite que l'élaboration des conventions se fasse dans de meilleures conditions que pour le transport aérien. Ma question est la suivante : vous avez affirmé que la moitié des investissements ne serait pas destinée aux TGV donc, si l'Etat nous prête son concours, que pensez-vous de cette deuxième variante qui peut paraître ambitieuse et de notre politique des transports ?

M. Jacques Rebillard : Tout d'abord, croyez-vous vraiment que le débat sur l'ouverture à la concurrence sera abandonné au profit de celui sur les réseaux européens ? Je pense par ailleurs que vous aurez du mal à doubler le trafic d'ici dix ans, compte tenu des problèmes de qualité qui se posent et des difficultés liées à l'affectation des personnels dédiés.

J'ai également compris que vous étiez limités dans vos projets par vos capacités d'investissements, même en comptant sur l'aide de l'Etat et de l'Europe, on constate que les montants nécessaires sont très importants. Vous avez cité des liaisons entre la Manche et l'Allemagne, on pourrait rajouter la traversée de l'Italie. Pourquoi n'a-t-on pas recours à des investissements privés, à des fonds privés ? On l'a bien fait pour les autoroutes à péages ; quel obstacle idéologique s'oppose à ce que l'on puisse bénéficier d'investissements privés sur des infrastructures, voire sur des équipements ?

Pour en avoir discuté avec un certain nombre de vos clients importants, j'ai noté que ceux-ci se plaignent des prix élevés du fret en France, pas simplement par rapport à la route, mais aussi par rapport à vos concurrents européens. Je doute que l'on puisse abaisser vos prix au niveau de ceux du fret routier, mais je souhaiterais savoir s'il existe un échéancier de diminution de vos tarifs fret dans les années à venir, afin de rendre le fret ferroviaire concurrentiel.

M. Daniel Paul : En matière de fret, nous avons une obligation de résultat. Si tous les trafics maritimes, pour m'en tenir à ceux-là, arrivaient à raison d'une entrée sur le territoire français tous les kilomètres de côte, cela faciliterait sans doute les choses, mais la concentration se fait en quelques points du territoire et entraîne une massification importante sur deux ou trois endroits en France.

Les investissements qui sont en cours actuellement dans les ports maritimes visent en gros à doubler le nombre de conteneurs arrivant dans un certain nombre de ports ; c'est le cas au Havre, c'est le cas sans doute à Dunkerque. Je lisais ce matin qu'à Anvers, la construction d'un bassin et des quais attenants va amener 3 millions de conteneurs supplémentaires par an, ce qui justifie des investissements énormes. Si la SNCF, pour ce qui nous concerne, n'a pas la capacité de faire face à cet afflux soudain et massif dans les toutes prochaines années, il est certain que les chargeurs se tourneront vers d'autres. Quand vous êtes à Singapour ou à Honk-Kong et que vous voulez expédier un conteneur à Genève, il vous importe peu qu'il passe par Marseille, Dunkerque, Rotterdam ou Hambourg ; votre problème est qu'il arrive ensuite le plus rapidement possible à Genève. Et là, vous entrez directement en concurrence avec les transporteurs routiers qui ont souvent les pratiques sociales que vous avez décrites tout à l'heure avec l'exemple de cette entreprise allemande et ses chauffeurs, bulgares ou autres, ce qui empêche bien souvent le ferroviaire de pouvoir rivaliser à armes égales.

Je pense que l'on peut très bien se retrouver dans la même situation que les compagnies maritimes voici quelques années, qui ont fait progressivement passer leurs porte-conteneurs de navires portant 3 000 ou 4 000 boîtes, à 5 000 ou 6 000, puis actuellement à 7 000 ou 8 000. Nous avons la perspective, dans les dix prochaines années, de voir arriver dans les principaux ports européens capables de les accueillir, des porte-conteneurs portant 10 000 ou 12 000 boîtes. Ma question est donc la suivante : en plus des opérations de remise en état des voies, n'est-il pas nécessaire de modifier le type de train que nous avons en France et en Europe ? Actuellement, à ma connaissance, les trains en France sont limités à 750 mètres de long pour des raisons liées à la longueur des quais tout simplement.

M. Louis Gallois : Et au freinage.

M. Daniel Paul : Et au freinage sans doute. Vous dites que vous allez doubler le trafic fret mais c'est insuffisant, vous l'avez dit vous-même, car cela signifie que vous ne ferez que conserver votre part de marché. Si vous voulez permettre à notre société d'évoluer vers un environnement meilleur, c'est plus qu'un doublement qu'il faut réaliser. Si vous ne doublez pas, cela voudra dire que vous régressez en parts. Donc, en plus des investissements supplémentaires de voiries, qui ont leurs limites sur les lignes principales dédiées fret (en particulier celles qui partent des principaux ports pour desservir les zones d'éclatement), n'est-il pas nécessaire de prévoir la mise en service d'une nouvelle génération de trains et de locomotives diesel, des trains éventuellement doubles de ce qu'ils sont actuellement ? Ya-t-il une réflexion au niveau européen, au moins pour une partie du continent, sur des trains à étage, nécessitant évidemment que l'on évite totalement les tunnels ? Je crains sinon que nous ne puissions pas faire face dans les dix, quinze ou vingt ans à venir, à l'explosion prévisible du trafic fret sur le continent.

M. Claude Billard : M. le président, vous avez brossé à grands traits, mais néanmoins avec beaucoup de précision, les grands objectifs que vous assignez à l'entreprise que vous dirigez pour devenir un grand opérateur européen, ce que je crois possible. Mais vous nous avez également expliqué qu'il y avait un certain nombre de contraintes et que pour atteindre ces objectifs, cela supposait évidemment des investissements, des moyens, notamment financiers, et l'organisation de partenariats dans le domaine des structures comme dans celui des matériels ; comment entendez-vous concilier ces deux points ? Vous nous avez parlé de la récente rencontre que vous avez eue, vendredi dernier, à Strasbourg, avec votre homologue des chemins de fer allemands. Les deux entreprises ont décidé d'envisager à la fois la construction d'une locomotive capable de tracter ces trains de fret et, par ailleurs, la future génération de trains à grande vitesse ; pourriez-vous nous préciser comment va s'effectuer cette coopération, si vous avez déjà progressé en ce sens au niveau des études, entre la SNCF et la Deutsche Bahn.

Troisième question, lorsque la recherche-développement aura abouti, c'est-à-dire lorsque vos besoins auront été définis, comment voyez-vous vos rapports avec les constructeurs potentiels que sont le franco-britannique Alstom, et les allemands Siemens et Adtrans ?

M. François Dosé : Veuillez excuser la marginalité de mes deux questions par rapport aux interventions préalables, mais elles me concernent et elles concernent la SNCF.

Tout d'abord imaginons la création d'un TGV, celui vers l'Est, imaginons la multiplicité des partenaires, l'Etat, RFF et les collectivités territoriales et enfin la SNCF : pouvez-vous me dire qui, in fine, va décider de l'implantation de telle gare ou du tracé de la ligne ? Sincèrement on ne sait plus très bien ; or nous devons avoir la réponse pour pouvoir _uvrer avec pertinence. Chacun a de bons arguments, je ne suis pas un professionnel, mais qui donc est le professionnel, avec cette fameuse idéologie rampante de qui commande paie, ou qui paie commande ?

Deuxième question : vous ne faites pas que du transport ferroviaire, vous avez réalisé une très grosse opération en rachetant Via-Gti. Il semble que ce rachat de transports urbains et interurbains concerne beaucoup de nos territoires et il y aura ensuite une deuxième phase. Certains disent, par exemple, qu'un certain nombre de filiales de Vivendi rachèteraient maintenant les parts que vous aviez vous-même acquises ; c'est un peu le désarroi dans les territoires ; pouvez-vous nous dire quelques mots pour nous aider à clarifier ce dossier ?

M. Jean-Claude Daniel : Je vais ajouter mes propos à ceux qui viennent d'être tenus concernant le doublement du transport ferroviaire du fret ; actuellement, quand 6 tonnes sont transportées, vous en transportez une ; dans dix ans, quand 12 tonnes seront transportées, vous en transporterez 2 ; la proportion, je ne me trompe pas, est bien de 17 %, mais ce qui est significatif ...

M. Louis Gallois : Peut-être une tonne sur 5 ou une sur 6, cela dépend comment on calcule.

M. Jean-Claude Daniel : 17 %, une sur six. En tout cas, ce qui est significatif, ce n'est pas tant le relatif mais l'absolu, c'est-à-dire la différence, cela veut dire que c'est le nombre de tonnes que vous ne transportez pas qui me paraît, à moi, vraiment très important car les tonnes que vous ne transportez pas sont sur la route. Cela signifie qu'il faut mesurer le poids de ce que représente l'accroissement du fret globalement par rapport aux infrastructures, qu'elles soient ferrées ou routières ; je pense que l'ambition de doubler le fret transporté par la SNCF est sans doute insuffisante. Je le dis parce que je le pense, le différentiel restera beaucoup trop important et va être très coûteux.

Cela me pousse d'ailleurs à poser quelques questions complémentaires. Tout d'abord le transport à très grande vitesse des voyageurs est-il pertinent aujourd'hui ? Un développement massif du transport du fret n'est-il pas pertinent ? Sur des voies ferrées qui sont saturées, quel trafic est prioritaire ?

Je vais reposer la question autrement. On connaît tous les grandes vallées saturées, les grands axes sur lesquels il faut que passent le fret et les voyageurs ; l'axe nord/sud en est un, il concerne la Champagne-Ardenne ; c'est la ligne qui va de Reims, Châlons, vers Dijon et Lyon, elle passe au c_ur de ce tuyau saturé et transporte fret et voyageurs, son débit est insuffisant, elle n'est pas non plus suffisamment bien conditionnée ; que fera-t-on pour cette voie ?

Mais je vais tout de suite élargir le problème. Il me semble que l'on devrait aller, c'est ce que vous avez signalé tout à l'heure et cela me convient, vers un réseau européen à plus gros débit pour le transport de fret. Comment fait-on les pontages en cas de thrombose, autrement dit, comment se raccrochera ce réseau au réseau ferré existant ? Lorsque sur un des axes on ne passe plus, parce que cela peut arriver, alors, c'est tout le transport massif de fret qui se trouve arrêté. Nous avons un problème de fonctionnement global du réseau, il faut donc que vous puissiez nous répondre sur les améliorations nécessaires de certains axes existants. Je viens de signaler l'axe nord/sud pour Champagne-Ardenne, je pourrais parler de l'axe est/ouest qui est celui du Paris-Bâle, axe important pour le fret et peut-être surtout pour le fret. Comment développer ces axes et comment les relier à un réseau permettant le grand débit ? Sans grand débit européen, la réponse que vous voulez donner à l'objectif du doublement du fret sera tout à fait inefficace.

Pour tirer tout cela, il faut effectivement des machines et de l'énergie, laquelle utiliser ? Electricité ou diesel ? Quels types de machine met-on pour le fret et pour les voyageurs ? La réponse à ces questions conditionne naturellement les stratégies nationales et régionales. Nous discutons des contrats de plan, mais sans cette vision globale, régionale, nationale et extra-nationale, il est difficile de définir les priorités, et pourtant, c'est tout à fait nécessaire.

Un dernier point : on a beaucoup parlé du fret, mais sans distinguer le vrac et le conteneur ; ce n'est pas tout à fait la même chose, le même portage, la même logistique. Il serait intéressant que l'on puisse distinguer les stratégies possibles pour l'un comme pour l'autre.

M. Jean-Claude Etienne : Vous souhaitez doubler la part du fret transporté par la SNCF ce qui nécessitera des investissements très importants qui imposent de définir des modes de financement adaptés.

Quand il s'est agi en France de réaliser des autoroutes, alors que nous n'en avions pas, qu'a-t-on fait ? Nous avons concédé ces voies. Aujourd'hui nous sommes tous d'accord sur la nécessité de transférer une grosse part du trafic routier sur le rail. On sent qu'il faut faire en termes d'investissements quelque chose d'absolument nouveau, sans cela, on ne sera pas à la hauteur de l'ambition que nous nous sommes assignée. Ainsi, par exemple, pour le TGV Est, Alstom, EDF pourraient s'impliquer financièrement. Nous proposons un recours à de tels fonds privés pour les aménagements ferroviaires, si on peut effectivement parler de fonds privés en ce qui concerne EDF et Alstom.

M. le président : Pour Alstom, oui.

M. Jean-Claude Etienne : Mais peu importe ; trouvons l'argent.

Deuxième aspect, la place des régions. Très concrètement, les régions sont toutes, et vous le savez, d'accord pour intervenir dans ce domaine qui est prometteur. Mais les régions, qu'elles expérimentent ou non la régionalisation du transport ferroviaire, surtout celles qui ne participent pas à cette expérience, ne savent pas comment s'y prendre. On a parlé de la construction de la plate-forme multimodale de Dourges, c'est un investissement du niveau du milliard de francs. En revanche, ici même, on nous a expliqué que les petites plates-formes combinées, ces petits bijoux opérationnels, avaient un coût de l'ordre de 10 millions de francs, ce qui n'a rien à voir avec le milliard et que nous, régions, pouvons financer. Seulement voilà, il ne faut pas nous faire croire qu'il faut des plates-formes logistiques sous prétexte que c'est dans l'air du temps et qu'il en faudrait dans toutes les régions. Pouvez-vous nous dire, compte tenu de ce que vous savez de l'évolution des flux, où il est nécessaire de réaliser de tels équipements. Il faut que la SNCF sollicite les régions pour qu'elles investissent s'il y a lieu. La pire des choses serait d'investir « à côté de la plaque ». Nous sommes complémentaires dans ce domaine car vous avez une connaissance que nous n'avons pas.

Pour les machines, une question se pose. Une partie du réseau est électrifiée et une autre ne l'est pas. Or quand on transporte du fret, vous l'avez fort bien dit, c'est sur de grandes distances. On va donc passer tantôt sous des caténaires, tantôt pas. La question du mode de traction se pose donc afin d'éviter les ruptures de charge et le changement de machine. A-t-on une chance de connaître à moyen terme la bimotorisation? On nous dit qu'il faudra peut-être attendre 5 ou 6 ans, alors qu'à l'étranger la bimotorisation existe ; pourquoi ne pas s'en inspirer ?

Enfin, je souhaite aborder la question des créations de lignes nouvelles de fret. Vous avez raison là encore, il faut créer de telles lignes pour que le fer ait sa part de marché dans le fret, mais il faudrait savoir lesquelles. Aujourd'hui, les régions qui sont prêtes à investir, ne savent pas si le trafic peut passer par chez elles ou s'il doit passer à côté ; c'est comme le furet du bois joli, tantôt il passe par ici, tantôt il passe par là.

Je terminerai par une observation, vous avez raison de dire que le réseau fret français ignore dans sa superbe le fret européen. Les accords de l'été 1998 sont de ce point de vue redoutables et inquiétants ; ils risquent de laisser l'hexagone un peu de côté. Il nous faut donc aller vite.

M. André Lajoinie, président : Je constate beaucoup de passion, ce dont je me réjouis ; nous sommes passionnés par le ferroviaire.

M. Alain Marleix : J'écoutais le président Louis Gallois avec beaucoup d'intérêt ; trois ans après, il faut le dire quand même, c'est l'illustration du bien-fondé de la réforme initiée en 1996 et qui a été votée, rappelons-le, en 1997. Quand on écoute l'exposé fort intéressant du président Louis Gallois, on s'aperçoit qu'il est vrai qu'au plan de la situation financière, comme à celui des développements des trafics fret et voyageurs ou de l'image de la société nationale et de la mobilisation des personnels, comme au niveau de la régionalisation où l'on passe maintenant de l'expérimentation à une généralisation voulue, de façon consensuelle me semble-t-il, on assiste à un redressement global de la société nationale. Je le dis avec plaisir, et je crois que la SNCF, qui était la société malade des chemins de fer de l'Europe, est maintenant assez exemplaire au point de vue européen, tant pour son dynamisme, ses équipements et son développement ; pourquoi ne pas s'en féliciter, de façon consensuelle ?

Ce qui m'a le plus intéressé dans les propos du président Louis Gallois, c'est la perspective du doublement du fret à 10 ou 12 ans, avec d'abord la confirmation de ce que le ministre, M. Jean-Claude Gayssot, nous avait annoncé au mois d'octobre, qui s'est, concrétisé au conseil des ministres des transports de Luxembourg, les 9 et 10 décembre, à savoir un début d'investissements européens sur le fret. Vous avez parlé de deux choses : il y a les grands vecteurs traditionnels, les grands axes ferroviaires, qui pourront donc faire l'objet d'investissements, si je vous ai bien compris et vous avez parlé, cela m'a beaucoup intéressé, des lignes nouvelles de fret. Vous avez évoqué deux lignes, l'une qui relie le tunnel sous la Manche et l'Allemagne, mais vous n'avez pas précisé les contours de la seconde ; il m'intéresserait de les connaître.

Je voudrais savoir également, mais vous savez où je veux en venir, si la ligne préférée du ministre, autrement dit le Paris/Béziers, a une chance d'être incluse dans la modernisation des lignes existantes. Vous parlez de lignes nouvelles, très bien, tout le monde est d'accord sur la nécessité de créer ces lignes nouvelles et notamment la ligne indispensable entre la Manche et l'Est, l'Allemagne ; mais ne pourrait-on pas utiliser ces investissements européens potentiels à la modernisation des axes qui existent, ce qui éviterait d'un point de vue environnemental et écologique d'ouvrir des chantiers qui seront mal perçus d'une partie de la population. Pourquoi créer des axes nouveaux, alors que nous avons des axes anciens, qu'il faut certes restructurer, moderniser, mais qui peuvent constituer une base de départ à des grands travaux, notamment pour les liaisons nord/sud qui sont à l'origine du développement du fret ferroviaire en Europe, me semble-t-il.

M. Félix Leyzour : Lorsque l'on parle de l'objectif de doubler le fret, les gens croient que l'on va dégager la circulation sur la route, ce qui n'est pas le cas.

M. Louis Gallois : Partiellement si ; je me permettrais de vous l'expliquer par une petite incidente. Ce point doit être bien compris : il faut savoir que 80 % du trafic routier portent sur des distances de moins de 150 kilomètres, c'est-à-dire que sur ces 80 % le chemin de fer n'est pas pertinent, sauf exception, par exemple, pour certains trafics de minerais, ou autres. Mais nous ne sommes pas vraiment pertinents sur cette distance où le trafic routier répond mieux à la demande. Cela explique aussi la part de 80  % du trafic routier. Donc, lorsque nous doublons notre trafic fret, nous le doublons sur les 20 % restants, ce qui peut en réalité représenter nettement plus. Notre part globale de marché ne s'accroît pas, et je vous avertis, vous aurez de gros embouteillages dans vos villes à cause des trafics de très courte distance, pour lesquels le fret ferroviaire est en position difficile ; en revanche, sur le trafic de longue distance, j'espère bien que nous contribuerons à dégager un certain nombre d'autoroutes.

M. Félix Leyzour : Cette précision est tout à fait intéressante. A mon avis, pour atteindre l'objectif qui a été fixé, il y a deux conditions. La première dépend de vous, l'autre dépend à la fois de vous et de RFF. Quelle est la démarche commerciale de la SNCF pour, à réseaux constants, améliorer le fret ? Ensuite, il faut des investissements nouveaux. Nous avons eu un débat important dans le cadre de l'examen du projet de loi d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire, sur le point de savoir si les investissements actuels suffisent, ou bien s'il faut aussi des investissements nouveaux. Nous avons été un certain nombre à penser qu'il faut à la fois tirer le meilleur parti des infrastructures existantes mais qu'il faut aussi réaliser des infrastructures nouvelles.

S'agissant des infrastructures nouvelles, vous avez évoqué la désaturation mais on nous dit souvent qu'il vaut mieux utiliser ce qui existe. Il y a des contournements d'agglomérations à améliorer. J'aimerais bien que vous nous précisiez quels sont les besoins, car il est souhaitable de se fixer des objectifs qui ne découragent pas ceux qui veulent entreprendre quelque chose.

J'aimerais que vous expliquiez en quoi consiste la désaturation. Est-ce que cela suppose également la construction de nombreuses lignes nouvelles ? Nous savons très bien qu'il est plus difficile de réaliser une ligne de chemin de fer que de réaliser une route ; je suppose que les contraintes ne sont pas les mêmes. Est-ce que, dans les fuseaux actuels, il existe des possibilités de doubler les trafics, en tout cas de les améliorer ? J'aimerais bien que vous nous apportiez ces précisions, car nous avons l'impression d'être devant des difficultés considérables et il ne sert à rien d'évoquer les problèmes si l'on n'est pas en mesure de commencer à les résoudre.

M. Louis Gallois : M. Félix Leyzour, je suis très sensible à ce que vous venez de dire et vous me permettrez de repartir de votre intervention. Il ne faut pas se décourager en disant « de toute façon, si c'est uniquement pour doubler et que cela n'améliore pas la part de marché, est-ce que cela vaut vraiment le coup ? ». En fait, cela porte sur une partie du trafic, qui est tout le trafic au delà de 150 kilomètres où notre impact est beaucoup plus significatif et où nous pouvons opérer de véritables transferts de la route sur le rail.

M. Jean-Jacques Filleul, vous avez évoqué les moyens de l'Europe, nous avons devant nous une échéance, qui est celle du deuxième semestre 2000, avec la présidence française. On constate que parmi les décisions prises les 9 et 10 décembre, certaines fixent des échéances pendant cette présidence française : la directive interopérabilité, les travaux sur la sécurité, la définition précise du réseau transeuropéen et les investissements à effectuer. Je pense donc qu'en matière de transport ferroviaire, la présidence française sera une présidence clef, comme l'a été, je le reconnais, la présidence finlandaise, qui a utilement travaillé. Les Finlandais ont trouvé une issue, non pas en affirmant que la concurrence était gelée, il y aura de la concurrence, il y en a déjà, mais ce n'est plus le seul débat, on se concentre également sur d'autres sujets.

Vous avez posé la question du transport combiné et j'ai senti que derrière votre intervention, il y avait l'exposé, que j'ai lu avec beaucoup d'intérêt, de M. Jean-Claude Berthod devant votre commission. Je n'ai pas la liberté de ton de M. Jean-Claude Berthod, car j'ai quand même quelques mandants auxquels il faut que je rende compte, mais les problèmes évoqués par M. Jean-Claude Berthod me paraissent réels et j'ai d'ailleurs retrouvé dans certains de vos propos des questions soulevées par lui, notamment sur les plates-formes logistiques et sur la taille des chantiers de transport combiné.

Je pense, comme M. Jean-Claude Berthod, que nous devons étudier de près l'utilité des plates-formes de transport combiné de taille considérable, extrêmement coûteuses. Nous aurons besoin d'une grande plate-forme en région parisienne, où se trouvent des concentrations de trafics considérables à échéance de dix ans, peut-être aussi une dans le Nord. Mais nous devons aussi regarder ce qui se fait dans d'autres pays : ce sont des plates-formes de transport combiné beaucoup plus frustes, qui fonctionnent avec des grues mobiles et des installations assez sommaires mais convenables et qui nécessitent des investissements beaucoup moins coûteux. Je ne crois pas qu'on puisse s'en tenir à 10 millions de francs, mais on peut construire une plate-forme pour 70 ou 75 millions de francs, ce qui est sans comparaison avec une plate-forme à 500 ou 600 millions de francs. On peut aussi améliorer un certain nombre de plates-formes existantes, par exemple en allongeant des quais, ou d'autres opérations de ce type, qui ne sont pas extraordinairement coûteuses et permettent d'améliorer nettement le trafic.

D'autre part, il faut que chaque région réfléchisse : faut-il faire une plate-forme logistique à 7 kilomètres d'une plate-forme de transport combiné, comme on s'apprête à le faire dans une région ? Il y a peut-être un problème, car il se trouve que les deux projets ont progressé parallèlement et que personne n'a arbitré. Une telle situation me paraît dommageable, même si c'est près d'une très grande ville et qu'il existe peut-être un fort potentiel de croissance.

En tout cas, le transport combiné est pour nous un transport essentiel. Le problème du transport combiné, M. Jean-Claude Berthod l'a d'ailleurs expliqué dans son intervention, c'est que nous n'avons pas augmenté les tarifs ; nous avons essayé de soutenir ce trafic et d'ailleurs, actuellement, il se porte bien. Mais nos voisins n'ont pas du tout pratiqué de la même manière. Les Allemands et les Italiens ont augmenté leurs prix dans des proportions considérables ; comme une grande partie du transport combiné est international, nous ne faisons pratiquement plus passer un train de transport combiné en Allemagne actuellement, nous nous arrêtons à la frontière, car les tarifs de ce pays sont excessifs. Il y a une réflexion internationale à mener si nous voulons développer ce trafic, qui est celui qui a le plus grand effet substitutif de la route vers le rail. Même si c'est un trafic difficile à équilibrer financièrement, c'est celui qui a le plus d'intérêt pour ce transfert de la route vers le rail.

Vous avez évoqué le réseau transilien, c'est effectivement pour nous un chantier considérable. Nous avons un réseau extrêmement dense en Ile-de-France, qui est peut-être un des plus denses du monde. Nous avons un réseau d'une qualité moyenne, sinon médiocre, aussi bien quant à l'état de nos gares, de notre matériel roulant, qu'aux performances de régularité. Je ne parle pas de la sécurité des personnes, pour laquelle nous avons un véritable souci. Plus de la moitié de notre trafic voyageurs se fait en Ile-de-France, c'est un des endroits où notre mission de service public est la plus évidente. Je pense donc que c'est un trafic auquel il faut que nous portions maintenant une attention extrêmement forte.

Nous avons engagé cette réforme transilienne. Nous avons rafraîchi toutes les gares d'Eole, plus une quinzaine de gares depuis le lancement de cette opération en septembre. Nous achevons ces travaux au rythme d'une ou deux gares par semaine. Même si on aurait pu souhaiter aller plus vite, je pense que notre effort est significatif. Nous allons créer des comités d'axes, pour essayer de susciter un débat démocratique permettant aux différents acteurs du chemin de fer de s'exprimer sur la manière dont cela se passe sur certains trajets. Je pense que nous aurons l'appui de la région pour un plan de renouvellement du matériel. Je ne voudrais pas m'exprimer à la place de M. Jean-Paul Huchon, président du conseil régional d'Ile-de-France, mais il m'a indiqué son intérêt pour un tel plan, car nous sommes en train de prendre du retard par rapport à un certain nombre de régions expérimentales. Et puis, il y a les grands problèmes d'infrastructures qui sont abordés dans le contrat de plan. Le contrat de plan Etat-région en Ile-de-France est un contrat de plan ambitieux. Nous souhaitons, nous, qu'il établisse un bon partage entre les infrastructures nouvelles et l'amélioration de la qualité de l'existant ; nous avons un urgent besoin de cette amélioration de la qualité.

Il faut savoir que nous avons amélioré la régularité de la ligne C du RER grâce à 500 millions de francs d'investissements dans le tunnel entre Austerlitz et le Champ de Mars. Je pense que ce sont des investissements de ce type, peu spectaculaires, qui permettent d'améliorer la qualité des circulations. Or, il faut le savoir, 95 % de ceux qui circuleront dans dix ans circuleront sur le réseau existant actuellement. Il faut donc entretenir ce réseau et en améliorer la qualité. Nous souhaitons qu'il y ait un bon équilibre entre cette amélioration et de nouvelles réalisations, il n'y a pas de raison qu'il n'y en ait pas en Ile-de-France, notamment pour sa partie périphérique, car il y a des flux de populations tangentielles que nous ne captons pas.

Sur le TGV Est, nous nous posons deux questions : c'est un très gros investissement pour la SNCF, qui va mettre plus d'argent dans ce projet que RFF : nous avons à construire les gares et à acheter le matériel roulant. C'est un investissement qui va dépasser 4,5 milliards de francs ; vont s'y ajouter des péages dont on nous dit qu'ils vont être très significatifs. Vous recevrez demain M. Claude Martinand, président de RFF. Je me permets donc à travers vous de lui poser quelques questions : quelle est notre capacité contributive sur ces lignes en matière de péages ? Il faudra que tout le monde soit réaliste. Ainsi les premières esquisses sur le TGV Méditerranée entre Valence et Marseille faisaient apparaître des péages pour plus d'un milliard et demi de francs par an, avec un tel versement, nous ferions circuler les voyageurs uniquement pour RFF et nous serions incapables d'amortir le moindre investissement ou la moindre exploitation. Heureusement, on est en train de revenir à des tarifs plus réalistes.

Réseau ferré de France a ses problèmes ; sans les minimiser, je dirais qu'il s'agit plutôt d'un problème plus général dont RFF est seulement l'instrument, mais les conditions d'amortissement des infrastructures ferroviaires par l'entreprise qui les utilise doivent être fixées en tenant compte de sa capacité contributive. Nous atteignons un niveau de péages qui commence à être très significatif, puisqu'ils représentent actuellement le cinquième à peu près de nos recettes commerciales, ce qui n'est absolument pas négligeable, même si nous recevons pour une petite partie une compensation.

Vous avez évoqué la transparence financière en matière de régionalisation, c'est un point tout à fait important sur lequel, nous le savons, nous sommes attendus par les régions et par l'Etat, avec des objectifs d'ailleurs contradictoires. L'Etat souhaite que nous limitions au plus juste le déficit prévisionnel, puisqu'il va avoir à payer ; les régions souhaitent qu'au départ, l'enveloppe soit importante pour ne pas avoir de mauvaises surprises dans l'avenir. Nous sommes donc pris dans une sorte d'étau, entre un Etat qui souhaite que le déficit de départ soit aussi faible que possible et des régions qui veulent que le transfert de ressources corresponde véritablement à la charge. Je ne voudrais pas que nous soyons dans la situation fort désagréable du dindon mis entre les deux !

Sur les 35 heures, je l'ai indiqué, le coût en année pleine est de l'ordre de 1,3 milliard de francs pour la SNCF ; ce coût est compensé par une modération salariale, par une organisation du travail plus efficace, par le surcroît de trafic que peut générer une présence humaine, meilleure, mieux organisée, de meilleurs services apportés à nos clients, et des éléments « de réconfort ». Vous avez employé le terme ; je ne peux pas en parler, car on ne sait pas très bien ce que sont ces éléments « de réconfort ». Est-ce que l'aide au transport combiné fait partie du réconfort ? Oui, mais en même temps, il y a un déficit à couvrir sur le simple transport combiné. Tout ceci n'est pas très simple et je ne serai pas extrêmement prolixe aujourd'hui sur cette question.

M. Léonce Deprez, vous voulez savoir quels sont les chiffres. M. Jean-Claude Gayssot a évoqué un montant de 20 milliards de francs pour l'adaptation du réseau ferré sur les dix prochaines années. Je ne voudrais pas « sanctifier » ce chiffre, mais les investissements d'infrastructures de décongestion nous paraissent être de cet ordre. Ce n'est pas inaccessible sur dix ans. Quand je parlais de dizaines de milliards de francs, c'est ce qu'il s'agit d'investir pour assurer l'interopérabilité au niveau européen. S'il s'agit de mettre le même système de signalisation et de sécurité sur tous les réseaux, je peux vous dire que des dizaines de milliards, il va en falloir ! Nous-mêmes, nous avons déjà dépensé pour mettre en place nos systèmes de signalisation et de sécurité des sommes importantes. Il faut savoir que depuis vingt ans, chaque réseau a développé son système de sécurité informatique, totalement incompatible avec le réseau du voisin. Ainsi, l'interopérabilité a diminué sur les vingt dernières années très sensiblement, à coup d'investissements de modernisation massifs ; c'est de cette situation qu'il faut maintenant que l'on reparte pour redéfinir l'interopérabilité.

Sur la ligne de fret partant de Calais, j'avais envisagé, M. Léonce Deprez, une ligne nouvelle qui écoule du trafic, mais je n'ignore pas que certains pensent à la ligne Calais-Dunkerque et ensuite retour sur l'axe nord-est, et d'autres à Calais-Boulogne-Abbeville-Amiens. C'est un débat que nous avons avec RFF ; je pense qu'il faudra que vous posiez la même question à M. Claude Martinand, qui n'est pas loin de penser qu'il est intéressant d'examiner votre itinéraire. Ceci étant dit, c'est un débat naturel entre RFF et nous ; chaque solution a ses avantages et ses inconvénients, regardons-les de manière calme. Nous n'avons aucune attitude dogmatique à l'égard d'une solution ou de l'autre.

Le tourisme est pour nous essentiel et même des produits qui paraissent être des produits « hommes d'affaires », de type Thalys ou Eurostar, sont à 60 % remplis par des touristes. Il faut donc que nous attirions ce tourisme, et pour cela, il faut un service, des tarifs, mais aussi se préoccuper de ce qu'on trouve aux deux destinations car les gens voyagent pour se rendre vers une destination attractive.

M. Paul Patriarche, je ne vais pas m'étendre sur le chemin de fer corse, je peux seulement vous dire que la SNCF sera candidate à sa succession et que nous déposerons donc une offre dans le cadre de l'appel d'offres. Je ne peux pas aller beaucoup plus loin pour des raisons, non pas de désintérêt vis-à-vis de votre question, mais parce que, dans le cadre de la procédure d'appel d'offres, nous avons convenu de ne pas nous exprimer publiquement tant que nous n'aurions pas remis notre offre. Je peux vous dire que nous remettrons celle-ci dans les trois scénarios qui nous sont proposés, celui à 100, celui à 150 et celui à 700 millions de francs. Il s'agit des investissements d'infrastructures accompagnant les différents schémas, les différents scénarios que M. Paul Patriarche a évoqués, plus ou moins ambitieux. Notre réponse arrivera en temps et en heure, et elle sera complète, avec le désir de gagner, car nous sommes satisfaits de notre expérience en Corse où pensons-nous existe un vrai potentiel.

M. Jacques Rebillard a évoqué la concurrence ; il ne faut pas dire que l'on a mis la concurrence « au réfrigérateur ». D'abord, parce que lorsque j'ai parlé d'accès aux entreprises ferroviaires sur la base de réciprocités, cela veut dire qu'il pourra y en avoir. Nous craignions par dessus tout la concurrence de ce que l'on appelait les demandeurs autorisés, c'est-à-dire les gens qui n'assumaient aucune responsabilité de sécurité, aucune responsabilité d'investissements, qui se contentaient de louer des sillons, des locomotives, des wagons et de faire circuler les trains sans prendre aucun risque. Des trains de la Deutsche Bahn en France, il y en a, il y en aura de plus en plus, mais je sais que l'on raisonne dans le même cadre, que l'on a les mêmes contraintes. Ils nous demanderont vraisemblablement de tirer leurs trains, ce sera plus commode pour eux, de mettre nos locomotives et nos agents de conduite devant les trains, devant leurs wagons. Ceci, nous le faisons en Allemagne, ils le font en France.

D'autre part, je crois que la SNCF en ce qui concerne le fret ne vit pas dans un univers idyllique. La concurrence, nous l'affrontons tous les matins. Nous avons abondamment parlé de la concurrence routière, elle est farouche et à mon avis relativement inéquitable, et de plus, le contournement de la France se fait maintenant de manière très naturelle. Nos amis de la RENFE (chemins de fer espagnols), avec lesquels j'entretiens les meilleures relations, organisent pour les automobiles par exemple, des liaisons par bateaux à partir de Bilbao ou Barcelone vers l'Angleterre, vers le nord de l'Europe ou vers Gènes, pour nous mettre en concurrence. Cette concurrence existe, je peux vous dire qu'elle est assumée.

Quant aux prix de fret élevés, non, les prix de fret ne sont pas élevés, nous nous alignons sur la route, sinon nous serions morts, nous ne transporterions pas une tonne si nos prix n'étaient pas alignés sur ceux de la route. Notre problème est précisément là ; ce n'est pas nous qui fixons les prix, c'est la route qui les fixe. Je ne dis pas que l'on n'essaie pas de « gratter » deux centimes ici ou là, mais si nos prix étaient plus élevés que ceux de la route, il est évident qu'aucun industriel ne nous confierait ses marchandises.

Vous vous plaignez des camions sur les autoroutes, mais nous sommes un des pays les moins saturés en termes de trafic routier ; l'Allemagne est infiniment plus saturée que nous. Il y a encore de la place pour les camions sur nos autoroutes. Nous subissons donc cette concurrence et nous essayons de vivre avec elle.

Quant aux investissements privés évoqués par M. Jean-Claude Etienne et M. Jacques Rebillard, il faut pour les attirer leur assurer une rentabilité, car ils ne viennent pas pour la beauté de l'art. Nos investissements ne sont pas exagérément rentables ; nous ne sommes pas dans les télécoms. On voit, par exemple, que pour construire le TGV Est, sur 20 milliards de francs, on arrive à amortir 2 milliards d'investissements en empruntant aux conditions du marché, soit 10 % ! Ils sont apportés par RFF qui emprunte et investit comme une banque le ferait. Le problème n'est pas là, le problème est que sur une opération de ce type, on ne rentabilise que 10  % du volume de l'investissement. Il faut se souvenir que lorsqu'on a voulu faire appel à un financement entièrement privé pour le tunnel sous la Manche, on a fait faillite.

Je ne dis pas que sur un certain nombre d'investissements on ne puisse pas trouver une association privé/public. Ce n'est pas du tout impossible, il faudra peut-être la rechercher dans un certain nombre de cas, mais il faut savoir que l'infrastructure ferroviaire a un intérêt socio-économique qui dépasse largement sa rentabilité financière. Nous sommes dans des secteurs où nous ne ferons jamais florès. Il ne faut pas se faire d'illusions ; notre souci est d'arriver à l'équilibre, de dégager des marges, de manière suffisante pour que sur le long terme nous ne soyons pas soumis à des risques excessifs. Mais je ne m'attends pas à ce que nous soyons capables de gagner beaucoup d'argent. Nous aurions pu trouver un financement privé pour des lignes rentables, comme celle du TGV sur le trajet Paris-Lyon, pas sur Paris-Strasbourg. Peut-être sur Paris-Bruxelles, mais seulement à moyen terme. Vous voyez qu'il s'agit là de tranches assez limitées.

M. Daniel Paul a évoqué les ports : il est vrai que les ports sont des lieux de massification du trafic et nous nous en réjouissons. Nous avons besoin de trafics massifiés ; nous ne sommes pas bons pour les trafics très diffus. Il faut donc que nous nous mettions à l'heure des ports. C'est une responsabilité du système ferroviaire français, pour RFF comme pour nous, de nous mettre au diapason des ports français, mais nous ne pouvons oublier Anvers. Cela suppose donc que nous soyons présents, que nous offrions des prix, que nous ayons des installations performantes, que nous puissions avoir des lignes désaturées qui évacuent les marchandises. C'est pour cela que je crois à Nantes/Lyon pour le port de Nantes. C'est un avis qui n'est pas très largement partagé à la SNCF, mais je pense que des investissements sont nécessaires sur cet axe. Sur le Havre, il faudra regarder le contournerment de Paris par Amiens et Ternier, soit en passant par Rouen, soit même en évitant Rouen au nord, parce que le Havre, pour trouver son développement, ne peut pas se concentrer uniquement sur Paris, même s'il est le premier port de Paris. Là aussi, je crois que des investissements doivent être réalisés, mais la SNCF doit également offrir des commodités de service.

Sur la longueur des trains, nous sommes limités à 750 mètres actuellement, mais nous allons expérimenter à partir du début de l'année prochaine des trains de 1 000 mètres. Nous avons un problème avec les trains de cette longueur car si le système de freinage est encore fiable, par contre nous n'avons pas de garage pour des convois de cette longueur. En cas de problème de circulation, il arrive que l'on gare des trains ; or, nous ne pourrons pas, vu leur longueur, garer ceux-là. Cela veut dire que lorsque nous lâcherons ces trains sur le réseau il faudra s'assurer qu'ils peuvent aller sans encombre jusqu'au bout. Nous sommes prêts à pousser un certain nombre d'investissements d'allongement de garages (ce ne sont pas des investissements colossaux) qui nous permettent de garer des trains de 1 000 mètres ou de 1 500 mètres. Pour arriver à dépasser 1 000 mètres, il faut un système de freins électroniques, c'est-à-dire un système dans lequel tous les wagons freinent en même temps, alors qu'actuellement, c'est un système pneumatique. L'impulsion est donnée à partir de la locomotive et les wagons freinent les uns après les autres. Il y a 30 secondes entre le freinage du premier wagon et le freinage du dernier ; donc, au delà de 1 000 mètres maximum, c'est trop long. Le freinage électronique n'existe pas sur les trains de fret et est complexe à mettre en _uvre, puisqu'un train de fret n'arrête pas d'être démantibulé : on sort les wagons, on les remet, on les trie, etc. ; il faut que cela fonctionne. Il faut également que nous regardions si nous mettons une locomotive au milieu du train avec une télécommande de cette locomotive à partir de la première locomotive. Ce sont des études que nous réalisons avec les Allemands et nous sommes en train d'aboutir. Les obstacles ne sont plus techniques, ils vont être maintenant de savoir si en termes de sécurité, nous pouvons faire circuler des trains de 1 000 ou 1 500 mètres sur nos voies. En tous les cas, nous le souhaitons car c'est un des moyens de désaturer le réseau.

M. Claude Billard a évoqué la coopération avec la Deutsche Bahn ; comme je le disais ce matin au conseil d'administration de la SNCF, c'est une coopération fondée sur le principe de la confiance et de la vigilance. La confiance parce que je m'entends bien avec eux, je pense que l'on peut faire beaucoup de choses, que ce que nous faisons est bien, mais la vigilance également car tout de même, il ne faut pas non plus que nous nous laissions séduire sans examen. Je peux vous dire que nous avons décidé, et j'y crois vraiment, de réfléchir ensemble à ce que doit être la prochaine génération de TGV, non pas celle du TGV Est, mais celle de 2010. Je crois fondamentalement que l'on est train de créer un réseau à grande vitesse au niveau européen. Va-t-on développer à grands frais trois ou quatre types de trains différents, difficilement interopérables, difficilement associables dans des dessertes communes, qui subiront évidemment les coûts de trois ou quatre développements, avec des séries plus courtes chacun, ou est-ce que l'on va vers des trains qui pourront être réaménagés différemment selon les réseaux ? Evidemment, nous ne sommes pas obligés d'avoir la même couleur de moleskine, mais il faut qu'ils puissent être interopérables, qu'ils aient des standards de qualité communs, des spécifications techniques communes, qui permettent de réduire les coûts, d'allonger les séries. C'est vraiment pour nous une question absolument centrale ; cela l'est encore plus pour les Allemands qui paient extrêmement cher leur ICE. Il existe un réseau européen, essayons de nous grouper pour définir les spécifications de ce nouveau matériel. Ce sera à l'industrie de répondre, nous allons leur poser la question de savoir comment les différentes entreprises européennes de construction de matériel roulant peuvent s'entendre. Pourquoi n'y arriveraient-elles pas ? Et ce n'est pas uniquement une démarche SNCF/DB ; nous avons besoin des Italiens, des Espagnols, qui sont en train de développer un réseau à grande vitesse, des Belges, des Néerlandais. Ce sera une affaire européenne ; sur ce point, c'est absolument nécessaire, et je n'ai eu aucune difficulté à promouvoir cette idée.

La même démarche existe pour la locomotive diesel, car nous avons les mêmes besoins. Nous voulons donc regarder si nous pouvons, soit acquérir ensemble une locomotive diesel « sur étagères » pour diminuer les coûts, soit définir les spécifications d'une nouvelle locomotive diesel. Je serais plutôt pour l'acquisition parce que nous sommes un peu pressés, nous avons besoin d'une locomotive diesel qui complète les remotorisations diesel que nous allons devoir opérer. Le diesel est absolument indispensable pour la fluidité du trafic ; le fret est un très gros consommateur de diesel et continuera à l'être dans l'avenir.

M. François Dosé souhaitait savoir qui choisissait le tracé de la ligne du TGV Est. C'est l'Etat. Posez ces questions demain à M. Claude Martinand. Pour la place de la gare, je n'ai qu'une revendication, c'est que la gare lorraine se trouve en correspondance avec Metrolor et pas à 5 kilomètres, à un endroit où il n'y a pas de correspondance avec l'axe nord/sud. Sur le reste, c'est une discussion que nous aurons. Les gares, nous en payons une grosse partie ; c'est donc une discussion que nous aurons avec RFF et l'Etat, mais c'est l'Etat qui fixe le tracé des grandes infrastructures dans notre pays.

M. François Dosé : Je parlais surtout des gares.

M. Louis Gallois : Pour les gares, c'est une discussion dont l'Etat ne peut pas se désintéresser, entre RFF et nous-mêmes ; RFF pour les quais et pour l'implantation générale et nous pour les bâtiments voyageurs. Tout cela n'est pas d'une simplicité extrême, je vous l'accorde. Il faut être un spécialiste, un « bénédictin du chemin de fer » pour s'y retrouver dans certains cas ; mais comme je suis un bénédictin du chemin de fer, cela va, je m'y retrouve.

Nous avons racheté Via-Gti avec la CGEA ; mais comme nous ne pouvons pas rester associés dans Via-Gti, nous sommes obligés de nous répartir les contrats de cette dernière. Mais pour cela, il faut l'accord des collectivités locales concernées et la discussion est en cours sur un certain nombre de ces contrats. Nous sommes dans une phase où les collectivités locales s'interrogent.

M. François Dosé : Quelle échéance donnez-vous ?

M. Louis Gallois : C'est une affaire de deux à trois mois, maximum, non pas pour finaliser tout, mais pour que le dispositif soit clairement délimité.

M. Jean-Claude Daniel, je vous trouve sévère pour le TGV ; il ne faut pas oublier que le TGV fait vivre la SNCF ; actuellement, il représente 60 % du trafic voyageurs et si l'on supprimait le TGV en France, je peux vous dire que cela ferait du dégât, car il faudrait d'abord développer des infrastructures aéroportuaires importantes. D'autre part, il serait quand même un peu dommage de réaliser des infrastructures de ce prix pour faire circuler des trains de fret à 150 km/h . Nous commençons à faire circuler les trains de fret la nuit sur le réseau TGV, afin de mieux l'utiliser, mais ce n'est pas très commode car c'est précisément pendant la nuit, normalement, que l'on entretient le réseau à grande vitesse. Pour le TGV, le trafic a augmenté de 8  % au cours des douze derniers mois par rapport à 1998 qui était une excellente année, qui succédait elle-même à 1997 qui était aussi une excellente année. Nous maintenons donc des croissances de trafic extrêmement fortes. Je sais bien qu'il ne faut pas tomber dans le tout TGV et nous avons à faire un effort novateur pour reconquérir la clientèle du train classique ; ceci étant dit, je ne peux pas passer sous silence le fait que nous vivons du TGV.

Vous avez évoqué un réseau européen à grand débit. Le réseau qui va être dessiné est un réseau européen constitué des voies qui existent, sur lesquelles passe beaucoup de trafic fret. De là à dire qu'il est à gros débit, avec des capacités de croissance illimitées, non ; il faudra faire un certain nombre d'investissements pour accroître ses capacités de trafic. Paris-Bâle pour le fret ? Oui, pourquoi pas ! Cela supposera dans l'état actuel de la ligne du diesel, car Paris-Bâle n'est pas (faut-il que je dise « pas encore » ?) électrifié.

Vous avez raison de dire que la stratégie conteneurs et la stratégie hors conteneurs sont assez différentes. Le transport combiné, c'est-à-dire les conteneurs, est un produit dans lequel la SNCF est en complémentarité totale avec la route. Tout le problème, c'est l'accrochage très étroit entre la route et le transport combiné ; d'où l'importance des plates-formes et de la nature des opérateurs qui offrent la globalité du transport, avec un problème de partage de marges entre le segment routier et le segment ferroviaire.

Pour les autres trafics qui sont extrêmement variés : vrac, pièces détachées automobiles, trains entiers d'automobiles, etc., le contact avec le client est plus fort que pour le conteneur. Nous souhaitons nous impliquer dans sa logistique, c'est-à-dire lui offrir des solutions qui prennent en charge l'intégralité de ses problèmes, soit en amont, c'est-à-dire ce qui lui permet de faire fonctionner ses installations, soit en aval, c'est-à-dire ses livraisons vers les clients.

M. Jean-Claude Etienne, j'ai indiqué un certain nombre d'éléments sur le financement privé, les plates-formes. Vous me demandez de solliciter les régions, je l'ai noté en lettres d'or, je pense que nous allons le faire. D'ailleurs, nous avons quelques discussions avec la région Champagne-Ardenne sur ce sujet. Je souhaite qu'elles puissent avancer ; en tout cas vous pouvez compter sur la SNCF pour faire en sorte qu'il en aille ainsi. Sur les lignes nouvelles, que créer ? J'ai parlé d'une ligne nouvelle entre Calais et l'Allemagne ; si elle se réalisait un jour, elle traverserait Champagne-Ardenne ; je ne vois pas très bien comment elle pourrait l'éviter. Je ne sais pas à quelle hauteur, mais elle traverserait cette région.

Vous avez parlé du contournement, oui, nous sommes soumis à des risques de contournement et à des réalités de contournement. C'est normal, cela fait partie de la vie, on ne peut pas empêcher les Espagnols de ne pas regarder uniquement en direction de la France. Ce que je souhaite, c'est leur offrir une qualité de service qui fasse qu'ils choisissent de passer chez nous.

S'agissant des règles à appliquer en matière de tarifs sociaux, c'est une question qu'il faudra poser à M. Jean-Claude Gayssot. C'est une question qui relève de la compétence de l'Etat. J'ai compris que M. Michel Delebarre, (président du conseil régional du Nord-Pas-de-Calais, ndlr) avait été le porte-parole des régions pour plaider leur dossier, et qu'il avait obtenu certaines assurances, mais je préférerais que ce soit l'autorité qui a donné ces assurances qui les confirme, et non pas moi.

M. Louis Gallois : Quel est l'avenir de Paris/Béziers? Nous avons fait avec M. Jean-Claude Gayssot le voyage entre Saint-Flour et Millau et nous avons rencontré le comité pluraliste à Millau. Un certain nombre d'investissements vont être réalisés sur cet axe et j'ai indiqué qu'ensuite la SNCF en tiendra compte pour développer le trafic. Il faut savoir que cette ligne sera, pour ce qui concerne le fret, plutôt dédiée à des trafics assez spécifiques, soit des trafics qui desservent l'axe, que ce soit le bois ou des produits sidérurgiques, soit des trafics ouvrant Clermont-Ferrand vers le sud de la France et l'Espagne. Cette ligne pourrait encore accueillir des trafics légers, par exemple le transport d'automobiles qui peuvent remonter par là, bien, comme vous le savez , qu'il y ait de fortes pentes, ce qui nous contraint à privilégier les trafics légers.

M. Félix Leyzour, vous m'avez posé une question très difficile sur le fret : dans le doublement de ce trafic, quelle est la part qui relève en gros de l'amélioration des conditions de travail de la SNCF et qu'elle est la part qui nécessite des investissements ? Je voudrais indiquer un chiffre, un peu intuitif, dont je souhaite qu'il ne vous donne qu'un ordre de grandeur et ne soit pas pour vous immuable. Je pense que la SNCF, qui est actuellement à 52 milliards de tonnes/kilomètres, peut, sur son réseau actuel, sans investissements atteindre les 60 milliards de tonnes/kilomètres. A partir de 60, il faut commencer à faire des investissements relativement significatifs. On n'est pas obligé de tracer des lignes nouvelles pour passer de 60 à 70 milliards, mais des investissements comme ceux que j'ai cités sont indispensables pour accroître les capacités de l'existant, ainsi le contournement de Nîmes/Montpellier, la désaturation du nord de Bordeaux jusqu'à Senon, la quatrième voie au nord d'Orléans jusqu'à Etampes, la gare Matabiau, l'aménagement du contournement de Dijon et des investissements sur le contournement de Paris. Encore une fois, je suis entièrement d'accord avec vous et j'ai beaucoup apprécié votre propos. Il ne s'agit pas de dire qu'il faut 50 milliards de francs sinon on ne ferait rien. On peut faire des progrès pas à pas et il n'est pas nécessaire d'avoir une capacité de 100 milliards de tonnes/kilomètres, si l'on n'est capable de n'en faire passer que 52 car les clients ne veulent pas venir. Je pense que nous avons à démontrer que nous sommes capables d'améliorer la qualité avec l'existant, ou que nous sommes capables d'absorber une certaine croissance du trafic avec l'existant, et qu'ensuite, les investissements viendront et le trafic se développera. Je pense aussi que, si nous sommes capables de démontrer que nous prenons effectivement du trafic, que nous servons à désengorger un certain nombre d'autoroutes, la collectivité nationale comprendra que l'effort n'est pas vain et cela pourra avoir un effet d'exemplarité. Je ne pense pas du tout que nous devions assommer les gens par des chiffres monumentaux. Il faut que nous progressions, le XIIème plan est une première étape. Il y aura un XIIIème plan et il faut savoir que celui-ci pourra peut-être être sur ce point plus ambitieux que le précédent. Mais, il ne s'agit pas de sommes absolument inaccessibles.

M. André Lajoinie, président : Lorsque vous parliez des différences entre la France et l'Allemagne en matière de circulation des camions sur les autoroutes, je n'ai pas voulu vous interrompre. Vous avez raison de dire qu'il y a plus de camions sur les autoroutes allemandes que sur les autoroutes françaises. Mais je ne crois pas que, du point de vue du transit, nous soyons bien différents, pour une raison bien simple : nous avons des autoroutes à péages et nous assistons à des contournements des autoroutes à péages, dans notre pays ; les camions vont sur les routes nationales où ils saccagent tout ! Paradoxalement le péage en France sur les autoroutes, cela peut être surprenant de le dire maintenant, nous avantage vis à vis des Allemands. Car, alors que l'on refuse l'instauration d'une euro-vignette que j'ai réclamée à M. Neil Kinnock et que je réclamerai à Mme Loyola de Palacio qui, à la Commission européenne est désormais en charge des transports, une telle taxe sur les camions de transit permettrait d'équilibrer la concurrence sur les routes. Dans ma région, ce problème de contournement des autoroutes par les camions en transit est évident.

M. Louis Gallois : Il y a aussi un élément, M. le Président, c'est que la densité d'agglomérations et de populations de l'Allemagne est plus importante que celle de la France, il se produit donc une concentration des voitures sur les autoroutes allemandes. Les autoroutes gratuites ne font qu'encourager ce phénomène ; en cela vous avez tout à fait raison.

M. Jean-Claude Etienne : Et les signalisations !

M. Félix Leyzour : Vous n'avez pas parlé du pendulaire.

M. Louis Gallois : Je ne peux pas parler de tout !

M. Félix Leyzour : J'aurais bien aimé que vous disiez un petit mot là-dessus ; y a-t -il toujours des recherches dans ce domaine, où en est-on ?

M. Louis Gallois : Nous avons actuellement à titre de rame de démonstration une rame TGV en pendulation que nous sommes d'ailleurs en train de démonter, car les essais ont été faits et nous ont permis de valider un certain nombre de solutions techniques, qui montrent que l'on peut faire penduler les rames de TGV Atlantique, par exemple, dès lors que l'on réalise un certain nombre d'investissements.

Ceci me paraît intéressant, mais pas sur les lignes nouvelles. J'ai lu dans le journal « Libération », à propos du TGV, qu'avec la pendulation on pourrait atteindre 300 kilomètres à l'heure sur une ligne classique. Je déconseille formellement de monter dans le train qui ferait du 300 à l'heure sur une ligne classique, même avec la pendulation. La pendulation n'améliore pas la sécurité, c'est-à-dire que l'on ne peut pas passer plus vite grâce à la pendulation. Cela n'améliore que le confort. Je crois que le TGV pendulaire peut avoir un intérêt lorsque, au delà de la ligne à grande vitesse, où la pendulation n'est pas utile, il y a un long chemin à faire en ligne classique. Je pense notamment à la Bretagne, où la densité de population assure du trafic jusqu'à Brest et jusqu'à Quimper.

M. Léonce Deprez : Quand vous parliez de l'électrification, vous pensiez à la pendulation ?

M. Louis Gallois : Je vais y venir ; cela, c'était pour le TGV. J'en viens maintenant tout à fait à l'autre bout au transport régional. Je me suis rendu de Montereau à Melun, avec le nouveau X-TER, c'est-à-dire notre nouvel automoteur TER que certaines régions ont déjà acquis. Nous avons mis une rame en pendulation ; c'est une expérience intéressante. J'avais invité un certain nombre d'élus à cette visite, ils ont pu voir que la pendulation apportait effectivement des éléments de confort sur une voie assez sinueuse. Ce matériel me semble parfaitement adapté pour améliorer la performance par exemple sur Clermont-Ferrand/Lyon, où nous n'envisageons en tous cas pas de dépasser 160 à l'heure. Il ne faut pas oublier que les règles de sécurité de la SNCF ne permettent pas de dépasser cette vitesse sur des voies avec passages à niveau. Nous sommes actuellement à 120, nous pourrions monter à 140 ou 150 et avec des investissements de caractère important, mais pas démesuré, nous aurions une amélioration extrêmement sensible de la qualité de la desserte entre Clermont-Ferrand et Lyon. Celle-ci serait accrue si l'on faisait en plus le court-circuit de Saint-Germain-des-Fossés ; ce sujet suscite aujourd'hui un certain débat, notamment, à la SNCF.

On trouve ensuite l'intermédiaire c'est-à-dire le train grande ligne pendulaire, nous y réfléchissons actuellement sur Paris/Toulouse. La configuration est assez complexe, parce qu'on nous demande de faire un pendulaire, de confort grande ligne, capable ensuite d'aller sur des lignes à grande vitesse pour atteindre Roissy, donc susceptible de vitesses de l'ordre au moins de 250 kilomètres à l'heure pour ne pas saturer la ligne à grande vitesse en allant trop lentement. C'est quand même un mouton assez compliqué que l'on nous demande de concevoir. Nous avons lancé un appel d'offres à ce sujet, nous sommes en train de le dépouiller, c'est un matériel très coûteux ; il faudra peut-être essayer de voir si l'on ne peut pas trouver des solutions un tout petit peu moins ambitieuses, qui fassent jouer la pendulation, mais qui n'obligent pas à mettre sur le même matériel toutes les innovations, à la fois de la très grande vitesse, de la pendulation, etc.

Nous avons la même question sur Clermont-Ferrand/Paris posée par le président de la région Auvergne qui souhaite un nouveau matériel. Il faut que nous y réfléchissions. Les matériels existent en Europe, il faut que nous soyons capables d'en assurer le financement, sachant que le nombre de rames achetées sera limité.

M. André Lajoinie, président : Si l'on pouvait faire un pool européen ?

M. Louis Gallois : Il faudrait un pool européen, mais là, les spécifications techniques risquent d'être assez différentes ; c'est une question qu'il faudra examiner. Actuellement, lorsqu'on commande 5 rames sur Paris-Toulouse, le coût de la rame est assez dissuasif.

M. Jean Launay : Vous venez d'évoquer la ligne Paris-Toulouse, mais en passant par où ? Par Bordeaux ?

M. Louis Gallois : Non, celle-là passe par Orléans, Limoges ...

M. Jean Launay : Et jusqu'à Brive et ensuite, pour le Nord et le reste du département du Lot ? C'était la première question que je voulais vous poser. Vous avez évoqué aussi, très rapidement, une question que j'avais soulevée lors de la discussion budgétaire sur le fret. J'ai été un peu étonné de votre réponse tout à l'heure quand vous avez dit qu'il n'était pas possible de s'éloigner des prix de la route pour votre offre de transport ferroviaire. Nous avons la chance d'avoir dans la région dont je suis l'élu, le dernier chantier de traverses bois, à Biares/Serres ; cela me paraît un peu symbolique de ce recul du fret ferroviaire ...

M. Louis Gallois : On le transportait par route !

M. Jean Launay : ... que ces traverses de chemin de fer, justement, aussi bien pour rentrer et maintenant pour sortir, soient transportées par route ; derrière la reconquête qui est affichée, dont vous avez donné de nombreux signes, il y a aussi une part symbolique forte. A l'intérieur de la maison que vous dirigez devrait quand même exister la volonté de faire mieux.

M. Louis Gallois : C'est une question qui m'a été posée, peut-être par vous-même. J'ai demandé que l'on regarde évidemment cette affaire avant de répondre à cette question. Il y a des trafics sur lesquels le chemin de fer n'est pas pertinent ; cela dépend des quantités. Mais s'il s'agit d'accrocher deux wagons, de faire venir une locomotive, d'utiliser un agent de conduite pendant deux heures pour faire remonter deux wagons ...

M. Jean Launay : On est au-delà des 150 kilomètres dans le cas d'espèce.

M. Louis Gallois : Mais même si on peut être au delà de 150 kilomètres, il s'agit de voir tout de même quelle est la taille du trafic en cause ; je dois aussi gérer une entreprise dans des conditions économiques sévères. En plus, des problèmes de saturation sont posés car nous avons des installations qui sont parfois chargées avec des circulations comportant peu de wagons ... Un train de mille mètres ou un train de deux wagons utilisent la même capacité. Je vais donc vous répondre de manière précise mais je fais aujourd'hui une réponse un peu générale. Tout trafic ne relève pas du chemin de fer, de manière évidente. S'il s'agit d'un trafic suffisamment massifié, sur une voie accessible facilement par le chemin de fer, pourquoi pas, et même au contraire.

M. André Lajoinie, président : Merci ; votre audition a beaucoup intéressé notre commission et nous en tirerons le meilleur profit.

M. Louis Gallois : Merci de m'avoir reçu.

Audition de M. Claude MARTINAND,

président de Réseau ferré de France,

(extrait du procès-verbal de la séance du 22 décembre 1999)

Présidence de M. André Lajoinie, Président

M. André Lajoinie, président : Nous sommes en fin de session, et nos collègues sont, pour la plupart, repartis puisque les questions au Gouvernement ont été supprimées. Nous avons toutefois le plaisir de recevoir aujourd'hui M. Claude Martinand, président de Réseau ferré de France.

Notre commission, M. le Président, est engagée dans une réflexion sur l'ensemble des transports en France et en Europe. Mais évidemment, nous sommes plus particulièrement préoccupés par l'avenir du système ferroviaire, qui pour des raisons diverses est important et fondamental pour l'avenir. Comme vous êtes un des acteurs essentiels du mode ferroviaire, nous sommes très heureux de vous recevoir.

Après votre exposé, les commissaires vous poseront des questions s'ils le souhaitent.

M. Claude Martinand, président de Réseau ferré de France : J'ai beaucoup de plaisir à revenir devant votre commission, surtout pour traiter un tel sujet : la politique des transports en Europe et en France dans la perspective de la présidence française de la Communauté européenne au deuxième semestre 2000.

En premier lieu, si je pars des orientations qui ont été affichées par le Gouvernement français, nous sommes particulièrement concernés par l'élargissement de l'Europe qui rend nécessaire la création de grands corridors, notamment ferroviaires, vers l'Europe centrale et orientale. Le projet d'un corridor reliant Londres à Sopron, situé à la frontière entre l'Autriche et la Hongrie, a déjà été entériné. Ce sera certainement le cas d'autres, surtout si, comme Louis Gallois, président de la SNCF, l'espère, cette société arrive à prendre pied dans les chemins de fer polonais, qui sont le deuxième transporteur ferroviaire de fret en Europe, derrière l'Allemagne et avant la France. Pouvoir se tourner vers l'Europe centrale et orientale constitue un enjeu considérable. Nous ne serons pas directement concernés, excepté pour ce qui a trait à ces corridors.

En deuxième lieu, le secteur des transports est un secteur créateur net d'emplois, d'autant plus qu'il croît au moins aussi vite que le PIB.

Les préoccupations des citoyens constituent le troisième point. Elles concernent en priorité les transports urbains, et le rôle des transports dans la ville, dans la perspective du projet de loi qui sera prochainement soumis au Parlement par M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement.

Le quatrième point consiste à renforcer le rôle de l'Europe dans la régulation internationale. Ce sujet est aujourd'hui au premier plan. On sent bien que, si dès l'origine, le traité de Rome mentionne une politique commune des transports, c'est parce qu'il ne s'agit pas d'un secteur ordinaire. Il doit être régi par l'action publique et pas seulement par les forces du marché. Toute la difficulté d'une politique des transports est alors d'articuler le marché et la régulation publique, l'action publique.

Je pense d'ailleurs qu'au-delà de l'Europe centrale et orientale, compte tenu du rôle que la France souhaite jouer dans le bassin méditerranéen, la question du prolongement des transports vers la Méditerranée occidentale et vers le Maghreb nous intéresse également, que ce soit à travers la péninsule ibérique ou l'Italie, en développant évidemment des modes combinés avec le transport maritime.

Dans le secteur des transports, on peut dire que la question de la route est clairement centrale. En termes de sécurité, c'est dans les transports routiers que le nombre d'accidents mortels et de blessés est le plus important. En termes de conditions de travail, je passe sur le transport maritime qui est malheureusement tellement dérégulé qu'on ne sait plus comment traiter les questions des conditions de travail et de la sécurité, c'est dans les modes terrestres que les conditions de travail sont le plus souvent inacceptables ; mais il s'agit aussi du plus gros créateur net d'emplois dans les transports.

La concurrence dans le système des transports est totalement conditionnée par la concurrence insuffisamment maîtrisée qui existe dans le transport routier. D'ailleurs, les premiers à pâtir de cette concurrence déloyale et mal maîtrisée sont les routiers eux-mêmes, qu'il s'agisse de petits patrons ou de salariés.

Dans un processus qui a démarré avec l'Acte unique et qui a permis le vote à la majorité qualifiée de textes qui étaient restés pendants durant des dizaines d'années, nous avons vu la dérégulation gagner progressivement l'ensemble du système de transports et comme toujours, l'harmonisation n'a pas suivi : elle est évidemment beaucoup plus difficile à mettre en _uvre . On trouve plus facilement des majorités qualifiées pour déréguler que pour mettre en place un certain nombre de règles minimales qui concernent notamment le social et la sécurité.

La présidence française peut, à juste titre, mettre au premier rang de ses préoccupations l'harmonisation sociale et technique pour tirer les conditions de travail et la sécurité vers le haut et non pas vers le bas, car il y aura toujours de nouveaux conducteurs routiers qui seront payés encore moins cher que les moins bien payés ou les moins bien traités de l'Europe. C'était le cas hier avec l'Espagne et le Portugal, c'est aujourd'hui le cas avec les pays de l'Europe centrale. Nous avons vu comment les failles de la législation européenne permettent à un Willi Betz qui a d'ores et déjà 5.000 camions, de casser les prix en pratiquant des conditions sociales et techniques qui ne sont satisfaisantes pour personne. Il est évident que le meilleur moyen de rééquilibrer le rail et la route, consiste à harmoniser les conditions de travail dans le transport routier et notamment la durée du travail, pas seulement pour les salariés, mais évidemment aussi pour les artisans ou les faux artisans, donc pour l'ensemble des conducteurs routiers. Il est absolument essentiel d'arriver à ce qu'il y ait des règles minimales aussi satisfaisantes que possible pour améliorer le fonctionnement de ce mode de transport.

S'agissant de l'harmonisation sociale et technique, le deuxième point concerne l'interopérabilité du rail classique (puisqu'il existe déjà une directive sur l'interopérabilité du rail à grande vitesse). L'action de la présidence française du Conseil transports, concernera vraisemblablement les problèmes de sécurité, déjà évoqués à l'occasion des conditions de travail, car il existe un lien très direct entre les conditions de travail dégradées du transport routier et une partie de l'insécurité routière.

Par ailleurs, suite au conseil des ministres des 9 et 10 décembre 1999, l'élaboration d'un projet de directive sur la sécurité ferroviaire mérite un traitement tout à fait attentif et particulier, compte tenu de la complexité des rapports entre l'infrastructure, les systèmes de signalisation ou de régulation techniques et les mobiles, les locomotives, les convois. Dans l'esprit de ce qui a été décidé au plan politique le 10 décembre (à 5 heures du matin !), il s'agit de mettre au point une directive qui permette à l'ensemble des compagnies ferroviaires de rouler progressivement sur l'ensemble du réseau transeuropéen de fret ferroviaire, tout en garantissant un très haut niveau de sécurité, ce qui reste quand même la caractéristique et l'atout premier du rail.

En France, le ministre de l'équipement, des transports et du logement a demandé, voici quelques mois, à trois inspecteurs généraux du ministère de rédiger un rapport sur les problèmes de sécurité, sur l'état de la question en France et sur l'organisation qu'il y aurait lieu de préconiser pour notre pays ou les évolutions souhaitables. Je pense que nous disposons ou disposerons d'études assez précises sur ce sujet.

Le troisième sujet à traiter est l'environnement et le développement durable ou plus généralement, la mise au point d'un plan d'action intégrant transports et environnement, dans une perspective de développement durable. On retrouve à nouveau le fait qu'un des moyens les plus efficaces de résoudre les problèmes d'environnement liés au transport, consiste à faire évoluer le partage modal, donc à rééquilibrer entre eux les modes de transport, notamment en faveur des deux modes majeurs que sont le fret ferroviaire, mais également les transports collectifs, urbains et périurbains.

Un livre vert de la Commission sur l'internalisation des coûts externes sera-t-il porté par la présidence française ? Je n'en suis pas sûr, car ces questions sont assez complexes et ce n'est pas forcément en augmentant le coût du gazole que l'on rééquilibrera immédiatement le partage du trafic entre le rail et la route. L'amélioration des conditions de travail dans le transport routier, qui aurait pour conséquence de renchérir un peu le coût de ce mode, serait un premier moyen d'aborder la question de l'harmonisation et de ses coûts externes.

Le dernier point consiste évidemment à faire progresser ce qui s'appelle dorénavant « le paquet rail » et non plus « le paquet infrastructures ferroviaires ». Cela signifie que nous ne sommes plus dans la logique du paquet de M. Neil Kinnock, mais dans la logique des deux conseils d'octobre et de décembre. La procédure suivra son cours. Comme le Parlement européen ne procèdera pas à deux lectures cela peut aller relativement vite. Sous la présidence portugaise, il est possible qu'une position commune soit adoptée sur les trois directives rénovées ferroviaires. De toute façon sous la présidence française, il faudra continuer à avancer, notamment en matière de réseau transeuropéen de fret ferroviaire et plus généralement de révision du schéma de réseau transeuropéen de 1996. A cette occasion, nous pourrons intégrer complètement le réseau transeuropéen de fret ferroviaire dans le champ d'application du chapitre du traité de Maastricht sur les réseaux transeuropéens. Il existe actuellement quelques difficultés, certaines liaisons n'étant pas éligibles à la ligne budgétaire concernant les infrastructures car elles ne figuraient pas dans le seul document qui permette de l'être, qui est le schéma de 1996.

Ce réseau transeuropéen a l'avantage de mettre en évidence les goulets d'étranglement et les points de congestion du réseau. Cela vaut notamment en matière de fret, mais aussi en matière de TER et de grandes lignes. C'est l'ensemble des activités qui souffre des difficultés de passage dans un certain nombre de n_uds du réseau.

Il a été décidé de mettre en oeuvre un programme pluriannuel de résorption de ces goulets avec 200 millions d'euros compris dans la ligne budgétaire infrastructures pour 2000 (il ne s'agit pas d'un supplément). La France étant le pays de transit par excellence, nous pouvons espérer avoir plus que notre pourcentage traditionnel. Hier Réseau ferré de France (RFF) a proposé au ministre de tutelle un programme de 8 à 10 milliards de francs qui pourrait être réalisé au cours des six à sept prochaines années et qui permettrait de résorber la plupart des goulets d'étranglement tels qu'ils sont identifiés en commun par RFF et la SNCF. 4 à 5 milliards de francs seraient portés sur toute une série d'opérations, petites, moyennes ou grosses, et une très grosse opération de contournement de Nîmes et de Montpellier, s'élèverait à elle seule à près de 5 milliards de francs. Il s'agirait en réalité de créer une ligne nouvelle en prolongeant la ligne nouvelle actuelle et en lui donnant une vocation mixte transport de fret et grande vitesse voyageurs.

La directive relative à l'interopérabilité des réseaux classiques devrait également avancer. C'est un sujet très difficile, car on voit bien que lorsqu'on a quatre types de courants, quatre types de signalisations, des gabarits de tunnels variables, etc., vouloir modifier l'existant dans un délai rapide est une gageure. Pour autant, il ne faut pas renoncer à se fixer pour objectif une plus grande harmonisation des caractéristiques techniques des réseaux. La directive sécurité que j'ai évoquée devrait également progresser.

Par ailleurs, le règlement horizontal relatif aux aides d'Etat sera refondu. Il concerne, pour les transports, les conventions de service public prévues par l'ancien article 77 du Traité de Rome, qui est d'ailleurs le seul article où l'on parle de service public. Il est tout à fait légitime que des conventions de service public prévoient explicitement des aides de l'Etat ou des collectivités territoriales pour garantir les objectifs de service, de fréquence et de tarif, que l'autorité organisatrice souhaite mettre en _uvre.

Les transports combinés sont eux aussi concernés puisque c'est un des domaines pour lesquels l'Union européenne reconnaît la légitimité d'un certain nombre d'aides publiques, légitimité reconnue aussi pour l'infrastructure qui, comme il a été conclu lors du débat national de 1996, est une affaire qui concerne d'abord les pouvoirs publics. En France notamment, la réforme ferroviaire a eu pour effet d'augmenter sensiblement les besoins de concours publics pour développer le réseau ferroviaire.

Sont également menées des réflexions sur l'ensemble des modes qui concernent à la fois la tarification et le financement des infrastructures ; cela recoupe en partie le problème précédent. Nous sommes favorables à ce que l'on puisse, comme les Suisses, monter des systèmes de financement solidarisant la route et le rail, par exemple pour les traversées alpines ou les traversées pyrénéennes. Nous devrons être très attentifs à cette question, car il serait fâcheux, si les gestionnaires de tunnels routiers souhaitent participer au montage de tunnels ferroviaires, que des règles européennes s'y opposent.

Le fret ferroviaire a été au centre des préoccupations de la construction européenne au cours des derniers conseils et le sera encore. Je ne parle pas des entreprises ferroviaires qui seront soumises à une plus grande concurrence ; c'est un processus que je ne juge pas et ne commente pas. En revanche, je sais que les gestionnaires d'infrastructures ont seuls sur leur territoire la responsabilité de réaliser le réseau, de l'entretenir et de l'exploiter au mieux. Une coopération nettement renforcée entre ces gestionnaires d'infrastructures sera donc nécessaire pour réaliser des investissements de manière coordonnée dans les programmes, dans la continuité des axes, pour réaliser ces désaturations et cette interopérabilité.

Je prends un exemple : le sillon mosellan est saturé. Or, il est possible d'utiliser un axe plus à l'ouest, qui ne passe pas par Bettembourg au Luxembourg, mais par Athus. Cela intéresse beaucoup les Belges et le port d'Anvers, évidemment cela agace sérieusement les Luxembourgeois. Mais en réalité les Luxembourgeois ne perdront pas de trafic puisque c'est pour écouler un trafic très supérieur que l'on a besoin de développer cet axe de délestage en arrière du sillon mosellan.

Autre question : comment réaliser des itinéraires alternatifs ou de délestage qui soient pertinents à l'échelle de toute l'Europe ? Si tel pays opte pour tel itinéraire et n'a pas de correspondant de l'autre côté, on n'arrivera pas à travailler efficacement.

La tarification d'infrastructures est devenue une question centrale car si, comme malheureusement le Conseil ne l'a pas tranché nettement, les Allemands continuent à avoir une tarification d'infrastructures très élevée, 5 ou 6 fois supérieure à la nôtre pour le fret, ils mettent en réalité en échec le projet de directive, car il s'agit d'une barrière à l'entrée et d'une discrimination grossière. Je pense d'ailleurs qu'il y aura des recours contre cette politique tarifaire allemande, que ce soit de la part des Danois, voire des Néerlandais ou d'autres. Je pense que devant la Cour de Justice, ils ne pourront pas durablement maintenir leur position qui est contraire aux règles du Traité, même si, pour le moment, ils ont réussi à éviter d'avoir à la remettre en cause.

Il convient également de traiter la question de la gestion coordonnée des sillons si l'on veut disposer de bons sillons, de bons acheminements pour le fret avec des vitesses d'acheminement moyennes suffisantes. C'est une des conditions pour que le fret ferroviaire redevienne compétitif à l'échelle de trajets longs, depuis l'Ecosse jusqu'au sud de l'Italie, ou à celle des trajets Est-Ouest de longue portée. Cet élément est vital pour nos ports si l'on veut qu'ils aient un arrière-pays suffisant. L'arrière-pays du Havre par exemple ne doit pas se limiter à Metz, mais atteindre le c_ur de l'Allemagne et aller même au-delà.

La question de la gestion coordonnée des capacités d'infrastructures, des priorités à l'intérieur du réseau, notamment pour le fret qui jusqu'à présent a quand même souvent souffert d'un manque de visibilité et de priorité, nécessite que nous nous rapprochions et que nous travaillions avec nos voisins européens de manière très régulière et intensive. Nous nous sommes déjà rapprochés de DB-NETZ, c'est-à-dire la partie infrastructures de la DB-AG allemande. Nous nous sommes également rapprochés des Italiens qui ont entrepris une réforme similaire à la réforme allemande, des Espagnols, du GIF notamment pour réaliser la liaison franco-espagnole Perpignan/Figueiras, etc. Cette situation est nouvelle ; on parle beaucoup des entreprises ferroviaires qui devront à la fois cogérer et se concurrencer ou qui nouent des alliances du type de celle qui a été conclue entre le fret allemand et le fret hollandais. On parle moins des gestionnaires d'infrastructures qui eux, n'ont pas du tout à être en compétition, ils ont au contraire à coopérer de manière extrêmement intense. Cela veut dire qu'il nous faudra relever ce défi majeur dans un délai rapide.

Nous avons commencé à travailler avec nos partenaires sur les corridors qui étaient l'ancienne formule préconisée par la Commission. Nous avions des corridors à la française, « freightway » ; ils fonctionnent mais ne sont pas un succès total : 2.000 trains en deux ans représentent 3 ou 4 trains par jour, c'est-à-dire 7,5 % des sillons que l'on a offerts sur ces corridors, notamment sur le principal, Anvers-Italie-Espagne. Ils fonctionnent mieux que les corridors en freeway qui ne marchent pas du tout, mais on ne peut pas dire que cela fonctionne parfaitement : si l'on a offert des dizaines de sillons et que seulement trois par jour sont utilisés, ce n'est pas extraordinaire. Mais il faut continuer à essayer de progresser sur ce point et sur l'ensemble des sujets évoqués : l'harmonisation, l'environnement, la sécurité, dont dépend l'augmentation de la part du fret ferroviaire dans les transports de marchandises.

Je peux maintenant répondre aux questions.

M. André Lajoinie, président : Je vais donner la parole à notre rapporteur pour avis des transports terrestres, qui est en même temps, vous le savez, président du Conseil supérieur du service public ferroviaire.

M. Jean-Jacques Filleul : M. le Président Claude Martinand, je souhaite à travers votre intervention mettre en lumière un certain nombre d'aspects majeurs du développement du mode ferroviaire aujourd'hui. Plus personne ne considère le ferroviaire comme un élément mineur des transports en France et en Europe. Cependant, au fur et à mesure que nous découvrons (ce qui n'est pas votre cas, car vous êtes un fin technicien et connaisseur du ferroviaire), et que nous entrons dans le détail de cette industrie, nous observons beaucoup de choses. En particulier, comme on l'a bien vu lors du dernier sommet des transports européens les 9 et 10 décembre derniers, l'effort financier à consentir pour faire en sorte que le transport, en particulier du fret, soit pertinent au niveau européen, me semble considérable et presque du niveau d'un plan Marshall.

Les problèmes d'interopérabilité nécessitent des investissements importants en matière de génération électrique, de sécurité, ou de signalisation, puisque tout est différent ; les histoires des réseaux remontent au début du siècle et c'est donc bien normal. Ces montants financiers sont bien loin de ce que les gestionnaires d'infrastructures, comme RFF, peuvent investir sur le terrain, mais vous nous le préciserez.

C'est à mes yeux un problème majeur aujourd'hui, pour vous aussi sans doute. J'aimerais que vous nous disiez comment vous appréciez cet effort. Vous avez évoqué un certain nombre d'éléments, et posé en même temps des questions. Il me semble que nous devons tous travailler à régler ce problème, sans cela, on continuera d'en parler, mais pendant ce temps, le transport dérégulé, c'est-à-dire le transport routier, continuera d'exister. On sait très bien qu'aujourd'hui, la population surveille ce que l'on fait. Les citoyens de ce pays nous diront le moment venu que nous n'avons pas été efficaces et que nous n'avons pas su trouver les meilleurs moyens pour régler ce problème.

J'en reviens plus spécifiquement à la France : vous avez à gérer des lignes, une infrastructure, des sillons. Il semblerait que les directives européennes tendent à ce que l'attribution des sillons favorise plutôt les gestionnaires d'infrastructures, ce que vous nous confirmerez peut-être. C'est important car cela va en sens inverse des vieilles habitudes qui existent dans notre pays depuis fort longtemps. Il est évident qu'il faut que tout cela se passe dans les meilleures conditions possibles. On constate aussi dans notre pays la nécessité de débloquer un certain nombre de lignes. Etes-vous favorable à des lignes dédiées spécifiquement au fret, et si oui, lesquelles ? Vous avez évoqué les corridors qui ont leur utilité et sont très importants. J'ai en particulier à l'esprit la vallée du Rhône, où se posent beaucoup de problèmes. J'étais partisan de l'ouverture de la ligne de Neussargues-Béziers, comme le ministre, mais elle ne sera pas suffisante. Même si la direction des routes est plutôt favorable à une autoroute, je pense qu'une ligne ferroviaire est préférable.

Par ailleurs, vous n'avez pas parlé de la régionalisation et pourtant le projet de loi, annoncé par M. Jean-Claude Gayssot qui traitera de l'urbanisme et des déplacements devrait normalement la prévoir. J'espère que la régionalisation sera étendue à toutes les régions françaises car il s'agit d'une vraie nécessité territoriale, même si les négociations ne sont pas faciles avec certains présidents de région. Par ailleurs, le décret d'application de la loi créant RFF a donné un cadre très strict aux investissements que cette structure peut réaliser, ainsi les investissements ne doivent pas entraîner de pertes supplémentaires puisque RFF est chargé de gérer une dette très importante. Cela pose problème, quand les régions organisatrices, pour ne parler que d'elles, souhaitent développer les services régionaux. Cela passe par un outil, c'est-à-dire le rail, plus moderne, et suppose un effort d'investissement plus important en matière d'infrastructures ferroviaires. Dans quelle mesure pouvez-vous satisfaire les demandes des régions ?

M. Léonce Deprez : Nous serions heureux d'obtenir de vous des éclaircissements car vous êtes un de ceux qui connaissez le mieux l'ensemble des conditions du développement des moyens de transports.

Premièrement, disposez-vous maintenant de marges de man_uvre vous permettant de faire des propositions compte tenu de la stabilisation de la dette ? Jusqu'à présent, vous n'étiez pas en position d'infériorité, mais vous vous sentiez d'abord obligé de stabiliser la dette et vous portiez le poids du passé. Maintenant, vous sentez-vous en mesure de mieux maîtriser le futur, puisque vous avez stabilisé cette dette ?

C'est une précision qu'il faudrait d'ailleurs exprimer clairement pour qu'on le sache au-delà du petit cercle de la commission de la production et des échanges car c'est important pour l'opinion publique.

Deuxièmement, êtes-vous bien en phase avec le ministre ? J'ai rappelé hier, devant le président de la SNCF que celui-ci nous avait fixé des objectifs en matière d'adaptation du réseau ferré. L'adaptation est un terme large et c'est vous d'ailleurs qui pouvez préciser ce que ce terme recouvre, car vous êtes le technicien, le ministre étant le politique. Cette adaptation devrait coûter plusieurs dizaines de milliards de francs, et, m'a-t-on précisé, devrait courir sur une dizaine d'années. Etant ici la personne qui maîtrise le mieux le sujet, vous pourrez certainement nous apporter des précisions sur ce point.

La troisième question est importante pour nous et pour les différentes régions. Si je comprends bien, RFF est devenu, en ce qui concerne le réseau ferré, le maître d'ouvrage ; c'est RFF qui est porteur des projets, ce n'est pas un autre, pas un autre que nous écoutions hier ni le ministre, c'est RFF.

M. Jean-Jacques Filleul : C'est aussi l'Etat.

M. Léonce Deprez : Oui, mais c'est RFF qui est le maître d'ouvrage. La question se pose en termes d'initiative. Si RFF a un pouvoir d'initiative, quelle est sa capacité, en tant que maître d'ouvrage, de donner suite aux perspectives de développement européen ? J'ai évoqué hier, mais je l'évoque encore plus aujourd'hui, la réunion du 6 octobre à Luxembourg. Est-ce RFF qui, dans la perspective de développement du fret transeuropéen, fera des propositions ?

Je souhaite également soulever un point auquel je suis tout particulièrement sensible en tant qu'élu du Nord-Pas-de-Calais. Compte tenu de ce qui a été évoqué à Luxembourg, dans une perspective de développement du fret, la ligne Tunnel sous la Manche-Boulogne-Abbeville-Amiens est-elle incluse dans vos perspectives ?

Ce sont les trois questions que je souhaitais vous poser, en vous demandant de nous éclairer sur la part que vous prendrez dans les contrats de plan Etat-régions qui sont en cours de négociation. Qui peut avoir le poids nécessaire pour peser sur les décisions finales ? C'est à mon sens RFF, pour adapter le réseau, le moderniser, l'électrifier parfois ou le compléter quand il est insuffisant. Ce rôle est important, pouvez-vous nous éclairer sur votre capacité à le jouer ?

M. Félix Leyzour : Nous avons la chance d'avoir entendu hier le président de la SNCF et d'entendre aujourd'hui le président de RFF. Je ne traiterai pas de l'ensemble des questions ferroviaires, mais les questions que je poserai recouperont celles que j'ai posées hier à M. Louis Gallois. L'objectif qui a été fixé par le Gouvernement, notamment par le ministre des transports, est bien sûr de développer le trafic de voyageurs, mais surtout et c'est là-dessus que je voudrais intervenir, de doubler dans les dix ans qui viennent le fret ferroviaire. Doubler le fret ferroviaire, cela veut dire aussi le doubler dans le cadre du doublement du trafic, qui continuera évidemment de progresser. Nous aurons l'impression que rien n'aura changé, puisque le trafic aura doublé, et à l'intérieur de ce doublement, on aura doublé le fret. Je crois que ce n'est pas tout à fait la réalité. Nous en avons débattu hier et en fait, les choses auront changé, pour deux raisons : si on ne double pas le fret, la situation sur la route sera plus que catastrophique ; et deuxièmement, le doublement du fret donnera lieu à un dégagement de la route pour la partie du trafic le plus lourd et à plus grande distance. Par conséquent, les répercussions seront sans doute plus intéressantes qu'un doublement « brut » ; de ce point de vue, c'est intéressant.

Mais pour atteindre cet objectif, il convient d'intervenir dans deux domaines ; l'un concerne la SNCF et l'autre RFF. Le premier aspect a trait à l'amélioration de la démarche commerciale de la SNCF. Imaginons qu'à réseaux constants, infrastructures constantes, la SNCF ait une démarche commerciale plus dynamique ; il est évident, comme nous l'a dit M. Louis Gallois hier, que la part du fret ferroviaire augmenterait.

Et il y a le deuxième aspect, celui de l'amélioration des infrastructures. Dans ce domaine, il y a évidemment beaucoup à faire. J'ai entendu mon collègue M. Jean-Jacques Filleul, qui parlait d'une sorte de plan Marshall concernant les infrastructures. Cela signifie en fait que le secteur nécessite des investissements considérables. Alors, en ayant pour but des infrastructures rénovées, modernisées, la grande question est de savoir comment nous avancerons et à quel rythme.

Considérons le plan national : nous sommes aujourd'hui dans un cadre bien précis, on ne discute pas « hors du temps ». Nous entrons aujourd'hui dans la période des contrats de plan Etat-régions qui porteront sur sept ans, de 2.000 à 2.006. Dans les contrats qui lient l'Etat et les régions, le volet ferroviaire est beaucoup plus important que par le passé, c'est donc un point extrêmement positif.

M. Claude Martinand : Dix fois !

M. Félix Leyzour : C'est considérable.

M. André Lajoinie, président  : Il était faible.

M. Félix Leyzour : Bien sûr, on trouvera toujours des gens pour dire que epsilon multiplié par dix reste epsilon, mais je crois que cette multiplication par dix est considérable. Cela ne veut d'ailleurs pas dire qu'il n'y a pas des choses à faire en ce qui concerne la route ; dans le cadre des contrats de plan, le volet ferroviaire portera sur la désaturation d'un certain nombre de gares, sur des opérations de contournement, ou sur des améliorations au niveau de passages à niveau. De nouvelles lignes ou des doublements seront-ils créés ?

J'aimerais en outre que vous nous indiquiez quelles sont les grandes opérations relevant d'une stratégie nationale qui, comme j'ai cru le comprendre, peuvent être traitées en dehors des contrats de plan.

Sur le plan national, il me semble également intéressant d'avoir une idée sur l'état de la dette et la manière dont on la réduira.

Deuxièmement, au plan européen, quels sont les types de financements dont on peut bénéficier pour améliorer le réseau ? Il existe des fonds européens ; peut-on imaginer un emprunt européen ? Car il y a énormément à faire dans ce domaine ; donc, parallèlement à la réalisation de nouvelles infrastructures, il y aura aussi le problème de l'harmonisation, dont vous avez parlé précédemment. C'est dans ce cadre que je vois les choses. Nous en avons discuté hier avec M. Louis Gallois. Il ne suffit pas de se donner des objectifs ambitieux ; la grande question est de savoir comment les atteindre. Car même en fixant des objectifs considérables, ils sont tellement considérables que l'on peut parfois décourager ceux qui veulent avancer pour les atteindre. Cette démarche est certes pragmatique, mais elle tient compte des réalités du terrain.

M. Jean-Claude Etienne : Beaucoup ont parlé ici d'un plan Marshall pour réussir l'opération fret, même dans son simple doublement. Effectivement, des investissements considérables seront nécessaires. Mais si l'on parle de plan Marshall, j'ai envie de vous demander : « où sont vos Américains » ? Qui paiera ? L'Etat donnera sa part, probablement ; mais RFF est encadré dans ses investissements puisque ceux-ci doivent parvenir à une certaine rentabilité. Que peut-on attendre des Européens ?

On sait que parfois, au moins dans le domaine de l'électrification, des entreprises comme EDF proposent leurs services mais c'est peut-être vous qui disposez. Alstom se propose également ; y a-t-il une place pour ces entreprises dans la cohorte d'investisseurs potentiels mais pas toujours retenus ?

Ma deuxième question concerne la régionalisation. Autant dans les contrats de plan nous voyons à peu près ce que nous pouvons faire en matière de trafic de voyageurs, autant il est évident qu'il n'est pas possible à une région, quelle qu'elle soit, de définir seule une stratégie de trafic de fret. En effet, le fret ne concerne pas seulement des transports sur de petites distances où précisément le rail n'est pas le mode le plus compétitif mais aussi les grandes distances et par définition, sur les grandes distances, il faut compter avec nos voisins et nos partenaires les plus lointains. Pour que les régions puissent élaborer une stratégie d'investissement dans le transport ferroviaire du fret, elles doivent pouvoir se situer par rapport à la toile générale que vous entendez tisser, non seulement à l'échelon de l'hexagone, mais aussi à l'échelon européen. Plus particulièrement, pour des lignes comme le Paris-Bâle, (veuillez m'excuser du détail), comment voyez-vous les choses ?

M. Claude Martinand : Le budget prévisionnel pour 2000 de RFF a été adopté la semaine dernière. Je l'ai présenté à des journalistes, mais il y a malheureusement beaucoup d'erreurs dans ce qui est repris dans les journaux ... Ce sont des sujets difficiles.

On peut dire aujourd'hui que nous avons une bonne visibilité, qui nous a été assurée par des décisions sur trois ans du Gouvernement en matière de dotations en capital et d'évolution des redevances d'infrastructures . On peut prévoir que la dette sera certainement stabilisée en 2001. Les premières années, cette dette augmentait encore de 6 milliards de francs et même 8 milliards de francs en 1998. Elle a augmenté de 3,3 milliards de francs cette année et cette hausse sera de 1,1 milliard de francs l'an prochain. On atteint donc l'asymptote. Cela signifie que RFF empruntera moins que ce qu'il remboursera, c'est-à-dire qu'il atteindra la même situation que la dette de l'Etat qui va peut-être commencer à essayer de réduire sa propre dette.

Comme notre dette est souvent assimilée à de la dette d'Etat, les critères de Maastricht ont amené le Gouvernement à choisir cette solution. C'est satisfaisant, c'était le premier objectif que l'on nous avait fixé.

Nos comptes gardent évidemment assez mauvaise allure, car nous avons encore une dizaine de milliards de francs de pertes annuelles. Mais, dans ces 10 milliards de francs, plus de 9 milliards de francs sont dus aux frais financiers de la dette. Notre résultat d'exploitation, qui traduit notre activité économique, se rapproche de zéro ; notre excédent brut d'exploitation a triplé depuis 1997 et est positif, supérieur à 3,7 milliards de francs. Un certain nombre d'indicateurs économiques montrent donc que nous apurons le passé. Pour autant, nous n'avons pas, comme certains le craignaient, investi de manière insuffisante. Certes, vous pourrez constater qu'en 2000, nous connaîtrons un point bas, qui est dû à l'achèvement du TGV Méditerranée et au fait que les travaux du TGV Est ne commenceront véritablement qu'en 2001 et 2002. En outre, les contrats de plan, qui représentaient une part relativement limitée de nos investissements jusqu'à présent, monteront relativement en charge, mais la durée de cette montée en charge nous mène plutôt en 2001 ou 2002. En 2000 les investissements s'élèveront à 10,2 milliards de francs mais ils atteindront 12 milliards de francs en 2001 et plus de 13 milliards de francs en 2002 et ceci avec une part de financement sur fonds propres de RFF qui sera réduite à 7 milliards de francs.

C'était le deuxième objectif que nous avait fixé le Gouvernement : dans les investissements de RFF, la part d'autofinancement ou de fonds propres doit être plafonnée à 7 milliards de francs. Malgré cette contrainte, dès 2001 et 2002 nous remonterons les investissements à des niveaux supérieurs à ceux que nous avons trouvés quand nous sommes arrivés et ceci de manière saine, c'est-à-dire avec des financements publics suffisants pour assurer le renouveau du transport ferroviaire et préparer l'avenir. Essentiellement grâce à l'effort considérable du Gouvernement, nous avons pu à la fois réaliser l'apurement du passé et préparer le développement du transport ferroviaire. L'ensemble des milieux socio-économiques et des pouvoirs politiques considèrent maintenant comme une nécessité le renouveau de ce mode de transport si l'on ne veut pas aller vers le « trop routier ». Le mode routier gardera évidemment un rôle très important et même prépondérant, mais je crois que le rééquilibrage apparaît à la majorité des gens comme indispensable.

Cet effort financier en matière d'investissements sera-t-il suffisant ? Compte tenu de la deuxième enveloppe de la part de l'Etat dans les contrats de plan qui s'élève à plus de 8 milliards de francs et compte tenu de ce que l'on voit s'esquisser de la part des régions et d'autres collectivités territoriales, (car des conseils généraux ou des agglomérations participeront financièrement à un certain nombre d'opérations qui les intéressent), près de 20 milliards de francs de crédits publics seront inscrits dans les contrats de plan Etat-régions, sans compter les TGV et quelques opérations qui feront l'objet de contrats particuliers parce qu'elles chevaucheront deux plans ou parce qu'elles ne sont pas encore totalement au point et seront donc hors contrat de plan Etat-régions.

On peut noter en revanche que, à l'exception d'une opération dont la rentabilité stricte et la capacité d'autofinancement apparaissent plausibles, qui est la liaison directe Paris Gare de l'Est-Roissy pour les usagers du transport aérien, aucune opération ne peut être financée entièrement par les opérateurs ferroviaires, c'est-à-dire qu'il y aura cofinancement et donc codécision. Si nous sommes amenés à engager des moyens financiers dans les contrats de plan à hauteur de 15 à 20 %, un peu plus ici parce qu'il y a de la régénération, un peu moins là car les opérations ne génèrent pas de recettes supplémentaires pour RFF, nous pourrons difficilement imposer nos vues à ceux qui fourniront au moins 80 % des financements. RFF joue donc son rôle en essayant de bien éclairer les choix publics et de préciser les possibilités mais ce sont l'Etat et les régions qui font les choix principaux.

Dans ce cadre où nous sommes certes le maître d'ouvrage, beaucoup de choix qui sont d'intérêt général relèvent des pouvoirs publics, soit de l'Etat seul quand celui-ci met au point une déclaration d'utilité publique, soit de l'Etat et des collectivités territoriales lorsqu'ils cofinancent les opérations, ce qui est le cas pour la plupart d'entre elles.

Quand j'ai entamé les discussions, la plupart des régions estimaient que le fret n'était pas leur affaire mais celle de l'Etat, de RFF et de la SNCF. Nous leur avons fait comprendre que le développement des transports régionaux de voyageurs nécessitait de permettre simultanément le développement du fret. Elles sont donc très directement concernées par la question du fret, au-delà de l'intérêt économique que ce dernier peut avoir pour un certain nombre d'entre elles qui disposent de grands ports, de grandes plates-formes logistiques ou de grands chantiers de transports combinés. La liste d'opérations que j'ai transmise hier au cabinet du ministre, à la direction des transports terrestres et à Bruxelles via notre organisation commune des chemins de fer, montre que la plupart des opérations nécessaires à une première étape de la désaturation du réseau sont inscrites dans les contrats de plan.

De premiers travaux de désaturation sont entrepris dans la plaine d'Alsace ; en Lorraine, des travaux sont menés à la fois sur le sillon mosellan actuel et sur la voie de délestage en arrière de ce sillon. En direction de l'ouest et de la Haute Normandie, nous entamons l'itinéraire de contournement de la région parisienne par Amiens vers Reims et Metz. Nous voulons, nous aussi, et nous avons obtenu, que l'on inscrive dans le réseau transeuropéen la liaison Tunnel sous la Manche-Boulogne-Amiens pour rejoindre ce grand itinéraire de contournement. L'artère Nord Est ne deviendra pas inutile car il est évident que la majorité du fret continuera à passer par cet axe qui est la grande artère industrielle du temps des mines de charbon et des mines d'acier. Mais comme elle sera extrêmement saturée par le développement des TER de la région Nord-Pas-de-Calais, nous y ferons d'importants investissements ; il faut en même temps qu'existent des possibilités d'itinéraires bis.

Le ministre a obtenu au cours du Conseil des ministres que l'on puisse jouer sur la tarification d'infrastructures pour rendre compétitifs ces itinéraires qui sont en général un peu plus longs et un peu moins bien équipés. Par le jeu de la tarification, les transporteurs ferroviaires peuvent avoir intérêt à les utiliser malgré tout, y compris dans certains cas en instaurant un péage nul, comme nous l'avons proposé dès l'origine sur la ligne Clermont-Ferrand/Béziers.

On peut peut-être dire que le niveau d'investissement reste malgré tout insuffisant. Pourquoi ? Parce que l'essentiel des efforts consiste à financer différemment de la situation antérieure un niveau d'investissements comparable. En revanche, c'est le redéploiement des priorités qui est très important : moins de lignes nouvelles, plus d'investissements sur le réseau classique, aussi bien pour le fret que pour les transports urbains, périurbains et les grandes lignes. Si je prends l'exemple de la Bretagne, nous avons, d'une part, évidemment poussé le réseau transeuropéen jusqu'à Rennes, c'était le minimum ; je ne pense pas qu'il y ait un problème de saturation majeur jusqu'à Brest ou Quimper. D'autre part, pour le développement et l'amélioration de la desserte pour les voyageurs de Quimper et de Brest, la part de RFF dans les financements a été mise au point la semaine dernière avec les responsables de la région. Notre part, significative, permettra à terme, lorsque le TGV sera arrivé à Rennes en ligne nouvelle, l'aménagement de la ligne pour des TGV pendularisés jusqu'à Quimper et Brest. On atteindra ainsi le seuil des 3 heures fatidiques. La mise en _uvre de ce projet prendra certainement plus de six ans, mais je pense que dans un délai de deux plans, nous aurons atteint l'objectif souhaité par les Bretons, surtout ceux qui sont le plus loin dans le Finistère.

M. Félix Leyzour : Il est intéressant de ne pas attendre que le TGV arrive à Rennes pour gagner du temps entre Rennes et l'extrémité de la Bretagne car le temps gagné pour aujourd'hui l'est aussi pour demain.

M. Claude Martinand : C'est ce qui est prévu. Dès le XIIème Plan, nous débuterons les aménagements de manière assez substantielle, 400 millions de francs étant dédiés à la ligne nord est et 400 millions de francs à la ligne sud, sans compter l'aménagement Rennes/Saint-Malo. Le contrat de plan sera assez consistant et j'espère que la région Bretagne commencera à développer ses propres services régionaux qui, jusqu'à présent, n'ont pas fait l'objet d'efforts considérables ; c'est un euphémisme ! On constate une attitude positive et d'ailleurs consensuelle en Bretagne, sur ces questions.

Nous dépasserons donc les 12 milliards de francs annoncés par le ministre, soit 120 milliards de francs sur dix ans ; en effet, compte tenu du niveau des contrats de plan, je pense que nous risquons de dépasser cette somme, compte tenu des TGV, même si tous ne se concrétiseront pas avant la fin du plan. Cela dépendra des négociations que l'on engagera au fur et à mesure de l'avancement des différents projets concernés.

Il est sûr que j'ai beaucoup de mal à expliquer les règles que l'on nous a imposées (le fameux article 4 qui nous interdit de financer des opérations susceptibles de dégrader nos comptes) qui sont pourtant une protection nécessaire. Si l'on veut éviter les erreurs antérieures, il faut élever une barrière très stricte, sans être toutefois obligé de s'y conformer de manière trop rigide. Mais il est vrai que lorsque j'explique à certains interlocuteurs que telle opération ayant pour RFF une rentabilité nulle au plan financier on ne peut pas y contribuer financièrement, c'est un peu difficile. Heureusement, sur d'autres opérations, nous pouvons financer à hauteur de 20 à 30 %, voire plus dans certains cas. J'essaie actuellement d'achever les discussions avec l'ensemble des présidents de régions ou leurs services de manière à leur préciser le montant que RFF pourra dégager pour chaque contrat.

Prenons l'exemple du Nord-Pas-de-Calais, le président Delebarre a déclaré : « je donne un franc pour un franc de l'Etat, de RFF et de la SNCF ». En effet, la SNCF investit également dans les gares, ou un certain nombre d'autres équipements. La réponse à la question est vitale pour terminer les tours de table de ces contrats de plan. Plus on investit, plus cela me réjouit, d'une certaine manière, car plus nous contribuons au développement du transport ferroviaire, et plus la région Nord-Pas-de-Calais investira.

M. le président Etienne, en région Champagne-Ardenne, les discussions devraient bientôt porter sur l'étoile Reims, Epernay, Châlons en Champagne. La fameuse ligne Paris-Troyes-Bâle est un sujet plus difficile ; je ne suis pas sûr qu'EDF et Alstom puissent apporter l'argent nécessaire à cette opération, ils peuvent fournir un certain nombre d'idées en ce qui concerne la conception ou le montage, qui méritent l'attention. Nous allons d'ailleurs lancer cette semaine une consultation sur la desserte à haute tension de la ligne TGV Est, à laquelle EDF et Alstom répondront conjointement. Nous verrons s'ils apportent un « plus ». Mais ne pensez pas que ce sont des philanthropes ; ils sont engagés dans des développements internationaux considérables, et ont besoin de beaucoup de capitaux, ils ne subventionneront pas votre opération. Ceci dit, on peut regarder si leur intervention apporte dans le montage un « plus » par rapport à un montage classique. Je répondrai à votre courrier dans les prochains jours.

J'ajoute qu'un de nos efforts majeurs consiste à essayer, pour un montant donné d'investissements, de choisir les investissements et de les optimiser, de manière à atteindre l'efficacité la plus grande possible. Dans un certain nombre de régions, la méthode que nous avons impulsée a conduit à des résultats notables. Si je prends l'exemple de l'axe Paris-Limoges-Toulouse, le coût initial des infrastructures était de 2 milliards de francs. Nous avons ramené l'évaluation à 600 millions de francs pour un projet qui atteint 95 % de l'objectif qui était assuré par 2 milliards de francs ; je crois que c'est quand même spectaculaire. Nous avons énormément à faire pour essayer de phaser les investissements et choisir par quels investissements il est le plus efficace de débuter. Si l'on sait que telle minute gagnée coûte tant d'argent, il vaut mieux commencer par les minutes gagnées les moins chères que par les plus chères. Et peut-être qu'à un moment donné, il faut s'arrêter, car la minute gagnée supplémentaire devient hors de prix. C'est ce genre de chose, très simple, que nous faisons, en étroite liaison avec la SNCF, afin d'essayer de faire plus avec moins. Mais il n'y a pas de miracle, le niveau d'investissements ferroviaires doit être suffisant. Peut-être n'avons-nous pas atteint le niveau des Allemands, qui dépensent trois fois plus que nous. Mais il est vrai qu'ils avaient moins de lignes nouvelles et qu'ils essaient de rattraper leur retard ; en outre, les investissements sur l'ancienne Allemagne de l'Est sont extrêmement lourds.

S'agissant de la gestion des capacités, d'après les textes existants, nous sommes aujourd'hui décideurs des sillons des nouveaux entrants, ce qui nécessite évidemment de faire instruire le dossier par la SNCF, puisqu'il y a une interaction complète entre ses sillons et ceux d'un éventuel nouvel entrant. Pour le moment, il n'y a pas eu de demande ; la directive de 1991 n'a eu aucun effet. Peut-être que la nouvelle manière dont la France a proposé de reprendre le dossier conduira enfin à ce qu'il se passe quelque chose, car l'enjeu est de développer le fret ferroviaire. Il ne s'agit pas de libéraliser pour libéraliser, il faut qu'il se passe quelque chose effectivement sur le terrain.

Dans les nouvelles directives telles qu'on arrive à les comprendre, car souvent elles ne sont encore qu'en anglais et les traductions ne sont pas précises, ce qui s'est passé les 9 et 10 décembre n'est pas encore totalement clarifié. Chacun interprète les textes à sa façon, et peut-être y aura-t-il des écarts entre le texte final et ce que les uns et les autres en diront. Il est probable que le gestionnaire des infrastructures soit le gestionnaire des capacités, sauf à créer un troisième acteur qui serait exclusivement un régulateur ; je ne sais pas si cela profiterait à la France et au chemin de fer.

Finalement, la solution française est assez originale : si RFF a le pouvoir de décision, en réalité, la SNCF est aussi fortement impliquée. Il faut réussir à démontrer qu'elle n'est pas juge et partie dans l'attribution de sillons à ses concurrents et que la décision finale ne relève pas d'elle et en même temps maintenir l'unité d'approche au sein d'une entreprise qui garde une certaine intégration, notamment pour des questions de sécurité. Je pense que la solution française se situe dans l'esprit communautaire et est originale ; aucune autre en effet ne lui ressemble. Il nous faut convaincre nos partenaires de l'intérêt de cette solution qui laisse la sécurité opérationnelle à l'opérateur ferroviaire, mais permet à des entités extérieures de garantir que la décision sera prise de manière non discriminatoire et aussi objective que possible. Cette solution est meilleure que celle consistant à avoir « Rail Track » d'un côté, les opérateurs de l'autre. Cette question de la gestion des capacités mérite aussi de ne pas être séparée de celle des investissements de désaturation, car il y a un lien très étroit entre la gestion des capacités, les investissements de désaturation et la tarification de l'infrastructure si on veut faire jouer à cette dernière un rôle d'incitation.

J'estime qu'il est plus efficace de lier ces trois questions plutôt que de les distinguer ; leur traitement par des acteurs distincts nous ferait perdre en efficacité. En revanche, il faut maintenir le rôle central de la SNCF dans le fonctionnement opérationnel et quotidien du système car toute séparation excessive conduirait, me semble-t-il, à de grandes difficultés.

Il est certain que doubler le fret sur la partie des trafics pouvant être transférée sur le rail n'aboutirait qu'à un maintien de la part de marché de ce mode. Mais, depuis 1974, la part de marché du fret ferroviaire ne cesse de diminuer ; son doublement infléchirait totalement la courbe ; peut-être même qu'au moins dans un certain nombre de cas, doubler le fret n'est pas assez ambitieux. Mais essayons déjà d'atteindre cet objectif qui est un défi majeur, dont je dirai qu'il dépend avant tout de la qualité de service, c'est-à-dire du système de production de la SNCF et de sa démarche commerciale plus que des infrastructures, même si des choses restent à faire dans ce domaine. En effet si la SNCF offre une qualité de service et des prix compétitifs, elle n'aura pas de mal à vendre ses produits. Après, il faudra régler un certain nombre de problèmes d'infrastructures ainsi que la question majeure des priorités à l'intérieur du réseau.

Doubler le fret, n'est pas si ambitieux que cela, effectivement, notamment pour les traversées pyrénéennes. On parle toujours des traversées alpines mais savez-vous qu'il passe plus de poids lourds à travers les Pyrénées qu'à travers les Alpes françaises ? Les gens n'ont pas encore perçu cela. La part du fer à travers les Pyrénées est dérisoire, elle est de 5 % ; à travers les Alpes, elle est quand même beaucoup plus importante. Allons à Modane, nous verrons le nombre de trains qui passent et il peut en passer deux fois plus en réalisant les premiers investissements prévus, qui démarreront dès l'année prochaine.

M. André Lajoinie, président : Qu'est-il prévu pour débloquer cette situation dans les Pyrénées ?

M. Claude Martinand : Des moyens ont été inscrits dans le contrat de plan Aquitaine pour la zone Bayonne-Irun. Une gestion coordonnée permettra d'accroître sensiblement les capacités. Un certain nombre d'investissements limités à Bayonne-Irun sont prévus. Surtout, le Perpignan-Figueiras qui est mixte, (fret et voyageurs) doublera la capacité de passage, à l'autre extrémité. Le président Malvy a organisé récemment un colloque sur le sujet de la traversée centrale des Pyrénées. La prospective est nécessaire ; personne ne peut dire si dans quinze ans ou vingt ans, il ne faudra pas réaliser un autre tunnel, ce qui fait un peu peur, car plus de 50 kilomètres, représentent encore quelques dizaines de milliards de francs. Nous avons déjà du mal à savoir comment financer le Lyon-Turin ; mais en même temps, dans une projection à 20 ans, il n'est pas forcément inutile d'envisager un tel projet.

M. Léonce Deprez : A la lumière de tout ce que vous nous avez expliqué sur la stabilisation de la situation et dans la perspective du développement européen du fret, avez-vous aujourd'hui planifié sur une carte vos possibilités d'interventions, qu'il s'agisse de modernisation, d'électrification, ou de lignes nouvelles, pour que l'on voie clair dans votre politique à travers le territoire français, sur dix ans ? Ce problème est peu perçu au niveau des régions, ces dernières n'étant guère sensibles au fret. En revanche, le fret peut faciliter le trafic des voyageurs dans la mesure où sa progression peut permettre une évolution favorable au trafic voyageurs sur les mêmes lignes. Une visibilité de vos projets sur dix ans serait un élément appréciable.

M. Claude Martinand : Nous attendions de connaître les montants des enveloppes des contrats de plan pour savoir ce qu'elles contiendraient pour les 7 ans qui viennent et au-delà. Il faut comprendre que nous avons un gros handicap par rapport à la route : la route a un stock d'études prêtes et de procédures terminées. Si on appuie sur le bouton, on rajoute une tranche de 1 milliard, cela part tout de suite. Malheureusement, comme les cheminots eux-mêmes avaient fini par ne plus croire à des investissements sur le réseau classique, peu de nos projets sont prêts et peu de procédures sont engagées. Nous avons donc, avec Louis Gallois, un défi considérable à relever. Nous ne devons pas décevoir les élus qui voteront ces crédits ferroviaires, nous devons montrer que nous engageons le maximum d'opérations le plus rapidement possible, d'autant plus qu'à mi-plan nous en ferons le bilan. Si nous n'avons pas largement engagé le contrat de plan, on dira « vous n'êtes pas sérieux, nous redéployons les crédits en faveur du rail et vous ne les consommez pas ! ». Nous en sommes vraiment conscients. Il est donc nécessaire de mettre en place des moyens d'études, des moyens de conduire des procédures souvent complexes à une vitesse tout à fait différente de celle du passé, y compris en faisant appel à la sous-traitance, etc., pour relever ce défi majeur et pour répondre à l'attente des populations, car il y a des urgences absolues. Ainsi, nous avons résolu le problème du financement du « n_ud de Bordeaux », et la région Aquitaine est pressée car elle ne peut pas développer les TER vers Périgueux et Saint-André-de-Cubzac car on ne passe plus ; il est donc urgent de désaturer le nord de Bordeaux, refaire la passerelle, etc.

Dans chaque région, des n_uds saturés existent comme à Toulouse, la gare Matabiau. On ne réalisera pas le contournement fret de Lyon durant le XIIe Plan, car rien que pour mener les études et les procédures d'enquête d'utilité publique nécessaires il faudra au minimum douze ans. Avec tous les ennuis que nous aurons certainement et les travaux, nous sommes contraints de faire des propositions qui puissent être mises en _uvre dans les trois ou cinq ans. Cela ne veut pas dire que l'on renonce à réaliser un contournement fret de Lyon, bien au contraire. Nous proposerons comme d'ailleurs l'avait proposé M. Jacques Rebillard, député de Saône-et-Loire, de réutiliser une ligne qui a un assez bon profil en long et qui passe à l'ouest de Lyon, à Paray-le-Monial et à Lozanne, pour aboutir sur la ligne dédiée au fret de la rive droite de la vallée du Rhône. Ce n'est pas la panacée, mais cela donnera au moins une possibilité de délestage pendant un certain nombre d'années avant que ne soient trouvées des solutions beaucoup plus conséquentes, mais à un horizon de dix ou quinze ans. Il existe là une dynamique.

Que peut-on faire à court terme ? Des dispositions permettent d'améliorer la situation, simplement en gérant différemment les circulations ou en évacuant des circulations parasites aux heures de pointe, etc. Par ailleurs des investissements limités, de l'ordre de 100 à 200 millions de francs permettront également de fluidifier le trafic. C'est ce que nous ferons sur Dijon-Modane, à Modane, à la gare de Culoz, à la gare d'Ambérieu, à Dijon, au shunt de Pérrigny, etc. A Lyon, si le shunt de Saint-Fons est réalisé, nous éviterons que tous les trains de fret qui viennent du sud retraversent la partie saturée de Lyon, remontent à Ambérieu pour redescendre à Chambéry et aller à Modane, c'est-à-dire passent dans une zone extrêmement chargée. Si l'on arrive grâce au shunt de Saint-Fons à dévier une partie du fret celui-ci ne transitera plus par cet axe saturé mais passera directement au-delà de Chambéry par d'autres liaisons.

Comme vous le voyez, il faut utiliser l'ensemble du réseau. Pour mieux utiliser l'existant, il est vital de maintenir les investissements de régénération du réseau pour que celui-ci fonctionne le mieux possible, qu'il soit aussi disponible que possible et qu'il y ait le moins d'incidents possible. Cela suppose toute une série d'investissements comme le renforcement de l'alimentation électrique que nous essayons de programmer en commun avec la SNCF pour apporter des réponses rapides et efficaces aux problèmes et éviter les délais trop importants.

Nous disposons effectivement de cartes, mais nous ne les avons pas rendues publiques tant que les projets n'étaient pas encore définitifs. Ces cartes nous permettent de visualiser les opérations qui intéressent les grandes lignes, celles qui intéressent les TER, les opérations de fret ou les opérations mixtes. Je vous communique la liste des opérations de désaturation de fret que nous avons proposées hier, avec des montants et des délais de mise en _uvre (indicatifs). Vous pourrez l'annexer au compte rendu et nous essaierons de vous envoyer des cartes assez vite, car effectivement, une carte vaut mieux qu'un long discours.

Je terminerai avec la régionalisation. Nous ne sommes qu'indirectement concernés, mais je constate que les régions voudraient avoir la garantie que la politique tarifaire ne bouleversera pas l'économie de leurs contrats avec la SNCF et n'ira pas à l'encontre des principes de la décentralisation selon lesquels il n'y a pas de transfert de charges sans transfert des ressources correspondantes.

Dans le code général des collectivités territoriales, il est disposé en gros que « tout bouleversement des conditions dans lesquelles s'est effectuée la décentralisation, même plusieurs années après, doit donner lieu à rediscussion ». Peut-être un article du projet de loi bientôt présenté par M. Jean-Claude Gayssot renforcera-t-il cette règle. J'ajoute que l'on modifiera la tarification, en barème, pas en montant, à l'occasion de la régionalisation, de manière à rationaliser ce barème qui est pour le moment  un peu « baroque ». Pourquoi ? Parce qu'il est totalement conditionné par la situation de l'Ile-de-France, où la tarification est faite au coût complet, alors qu'ailleurs, elle est plutôt au coût marginal. Nous allons remettre cela en ordre, en garantissant qu'au transfert de responsabilité, seront associées les ressources correspondant au péage à l'instant t.

Les péages évolueront-ils brutalement ? Tout d'abord, ce n'est pas à RFF, mais à l'Etat d'approuver les péages ; il faut bien avoir à l'esprit que RFF n'a qu'un pouvoir de proposition. Il est important de proposer, mais je ne crois pas à un bouleversement du niveau des péages à un horizon prévisible. Nous sommes très proches au fond de l'esprit des projets de directive européenne sur la tarification, puisque nous facturons à peu près au coût marginal. La prise en compte, dans cette tarification, des aspects sociaux et du coût du développement, relève d'un autre débat : fait-on financer une partie du développement par les usagers quand il y a saturation ? Sans doute, mais sans abus.

Je ne crois donc pas à un bouleversement des péages. J'ajoute qu'aux termes de la directive, la somme du niveau des péages et des contributions aux charges d'infrastructures votées dans le budget et versées à RFF ne doit pas excéder le coût complet de la gestion du réseau, ce qui constitue pour nous une barrière infranchissable. Il n'y a donc en définitive aucune raison d'accroître brutalement les péages un jour.

En revanche, je fais la proposition suivante à un certain nombre de présidents de régions : si les péages sont très bas, comme c'est le cas actuellement sur l'essentiel du réseau (le péage actuel s'élève à 1,50 franc le train/kilomètre, c'est-à-dire à peine plus qu'un seul poids lourd sur autoroute), et si l'on est amené à faire des investissements lourds, le péage étant très bas, notre rentabilité est très faible ; s'ils veulent que nous augmentions notre part d'autofinancement dans l'investissement, nous leur proposons de contribuer davantage tout de suite, en échange d'annuités plus élevées pour eux après la mise en service. Ce marché est transparent. S'ils le refusent, nous nous inclinerons. Mais un certain nombre de présidents de région ont dit « oui, nous pensons qu'il faut changer de catégorie de tarification car l'effort que l'on fera en termes d'investissements justifie que l'on soit à un niveau de tarification un peu plus élevé ».

C'est la seule chose que l'on puisse faire dans le cadre des règles qui nous ont été fixées.

M. Jean Proriol : J'aurais aimé vous poser deux ou trois questions ; j'ai lu dans la Tribune ce matin un titre choc, je ne sais pas si tout le monde l'a lu « RFF a perdu 1,5 milliard d'euros ».

M. Claude Martinand : Il était infidèle.

M. Jean Proriol : Je n'ai pas lu le fond de l'article. C'était tellement gros que je vous pose la question ; c'est la première. Voilà la deuxième : nous avons parlé de régionalisation ; vous savez que la capitale de l'Auvergne est mal desservie, le trajet Paris-Clermont-Ferrand s'effectuant en 3 heures et quart. Cette ligne fait-elle partie de vos priorités ? On nous dit que la SNCF préfère la ligne Clermont-Lyon ; on nous dit que le ministre des transports préfère la ligne Clermont-Béziers, d'autres Clermont-Nîmes, d'autres encore Clermont-Vierzon. Je suis récemment allé à l'hôtel de ville de Montluçon, où on m'a beaucoup parlé de cette petite ligne Clermont-Vierzon-Bourges-Paris. Quelle est votre position, notamment sur la ligne Clermont-Béziers en fret ?

M. Claude Martinand : Vous vous souvenez que la SNCF, en 1995 ou 1996, enregistrait 15 milliards de francs de pertes et même en réalité 17 milliards de francs car l'opération « Télécom développement » avait diminué de 2 milliards de francs cette perte. Nous avons donc débuté notre activité alors que le système ferroviaire enregistrait des pertes considérables. Ce déficit n'a pas disparu, il ne s'est pas évaporé par l'opération du Saint-Esprit, vous vous en doutez. Mais la SNCF est proche de l'équilibre, elle clôturera même ses comptes à l'équilibre, avec ou sans le SERNAM, je n'en sais rien. Mais elle terminera l'année avec d'excellents résultats en matière de trafics et c'est tant mieux. Cela ne nous rapporte rien de plus, car ce qui compte pour nous ce sont les circulations et non pas le nombre de voyageurs ou de tonnes/kilomètres. Mais si on parle de pertes proches de 10 milliards de francs c'est qu'elles sont déjà passées de 15 à 10 milliards de francs. J'expliquais que sur ces 10 milliards de francs, les pertes d'exploitation ne représentent qu'un milliard de francs ; c'est-à-dire que le résultat d'exploitation n'est plus négatif que de 1 milliard, alors que l'excédent brut d'exploitation a triplé, pour s'élever à plus de 3,5 milliards de francs. Ces deux indicateurs, résultat d'exploitation et excédent brut d'exploitation, ont évolué très favorablement. Le Figaro a d'ailleurs récemment publié un graphique à ce sujet et titré : « RFF sur la voie du redressement ».

En revanche, si vous y ajoutez les frais financiers qui pèsent sur nos épaules avec près de 160 milliards de francs de dettes, vous expliquez les 9 autres milliards de francs de pertes. Vous voyez qu'il n'y a pas non plus  de miracle ! L'Etat a décidé de nous transférer les deux tiers de la dette de la SNCF, pour des raisons tout à fait compréhensibles, qui tiennent à l'ordonnance budgétaire de 1959. Celle-ci dispose que l'Etat aurait dû, l'année où il aurait éventuellement repris la dette, l'inscrire totalement en déficit budgétaire. Aucun gouvernement n'augmenterait le déficit budgétaire de 50  % sur une année de bon c_ur, car c'est quand même un peu lourd à supporter, au moins visuellement. Cela ne change rien en réalité, car de toute façon, les dotations en capital que l'Etat devra verser à RFF sont durablement d'un ordre de grandeur de 10 milliards de francs.

Ce que l'on constate en revanche, c'est qu'un certain nombre de facteurs évoluent positivement et que l'on n'a pas sacrifié les investissements pendant cette période. Nous les avons légèrement diminués mais nous atteindrons un niveau d'investissements raisonnable sur fonds propres de RFF, de l'ordre de 7 milliards de francs pour progressivement remonter à 12 ou 13 milliards de francs. C'est cela qui est intéressant et qui paraissait une gageure, l'énorme effort de l'Etat nous permet d'avoir des perspectives satisfaisantes. Nous gérons de la dette perpétuelle.

L'héritage de la dette comportait une petite bombe à retardement : entre 2001 et 2006, les remboursements s'élèveront à 14 milliards de francs au lieu de 7 ou 8 milliards de francs la première année ; c'était insupportable pour RFF ou pour l'Etat, ce qui est à peu près la même chose. Cette année, RFF a donc constitué un portefeuille d'actifs d'une vingtaine de milliards de francs que nous avons acquis pour lisser cette dette entre 2001 et 2006 et la faire descendre en dessous de 10 milliards de francs en empruntant à 28 ou à 30 ans, à des taux avantageux.

Concernant les financements disponibles européens, nous bénéficions de crédits du FEDER dans un certain nombre de nos zones éligibles, notamment pour le fret, pour l'électrification des Vosges ou pour d'autres opérations. Sur la petite opération chère à Félix Leyzour, il me semble que le FEDER est intervenu, selon les anciennes règles et les anciennes conditions d'éligibilité. Celles-ci vont à l'avenir devenir un peu plus sévères.

Par ailleurs, il faut prendre en compte la ligne de dotations « infrastructures », celle des réseaux transeuropéens, qui ne peut être appliquée que sur les réseaux transeuropéens, en priorité sur les 14 projets et dorénavant depuis le dernier conseil des ministres sur les opérations de désaturation fret. Nous espérons pouvoir également utiliser les fonds d'épargne de la Caisse des dépôts et consignations, sur des opérations très ciblées et contrôlées par Bruxelles, car il ne faudrait pas créer des distorsions de concurrence avec le système bancaire, ou faire subventionner des opérations dans des conditions peu claires. Des crédits issus des livrets de Caisse d'épargne, gérés par la Caisse des dépôts et consignations devraient être dégagés, notamment pour le fret, permettant de financer sur prêts bonifiés des opérations, ce qui permettrait d'en réaliser davantage ou d'accroître notre participation à due concurrence de la différence de taux.

La décision de principe a été prise en juillet ; il faut maintenant la « mettre en musique ». Je pense que cela concernera d'abord et surtout des opérations sur la politique de la ville, mais cela peut concerner également ces grandes opérations de fret. Nous nous efforçons donc de faire avancer ce dossier.

Sinon, il y a aussi la BEI, qui prête dans des conditions qui ne sont pas vraiment plus avantageuses que ce que l'on peut trouver en devises à Londres ou en Suisse. Le seul avantage de la BEI est qu'elle prête à très long terme ; vous savez qu'en euros, RFF ne peut actuellement guère emprunter à plus de 12 ou 15 ans maximum, malgré notre triple « A ». Nous ne pouvons donc emprunter aujourd'hui à 28 ou 30 ans que sur le marché du sterling ou du franc suisse, ou sur d'autres marchés plus lointains.

M. Jean-Claude Etienne : La BEI offre des prêts sur de telles échéances ?

M. Claude Martinand : Effectivement, mais à des taux qui ne sont pas excellents.

M. Léonce Deprez : La participation possible du FEDER aux opérations ferroviaires est-elle limitée aux objectifs 1 et 2 ou aux zones éligibles ?

M. Claude Martinand : Cela dépend des zones éligibles et de la nature des investissements.

M. André Lajoinie, président : Les anciennes zones classées ne disparaîtront pas d'un seul coup, il y a ce que l'on appelle la sortie en biseau qui durera trois ou quatre ans.

M. Claude Martinand : Concernant la ligne Paris-Clermont-Ferrand, je l'ai toujours mise personnellement sur le même plan que la ligne Paris-Limoges-Toulouse. Vous ne pouvez pas mettre en _uvre une liaison pendulaire sur Paris-Limoges-Toulouse et ne pas faire quelque chose d'équivalent sur Paris-Clermont. Il se trouve que la SNCF, à juste titre, envisage aussi une telle opération sur Lyon-Clermont car les caractéristiques de cette ligne sont telles que le pendulaire est beaucoup plus avantageux que sur les lignes qui sont déjà assez bien aménagées comme Paris-Clermont. Mais sur Paris-Clermont, nous avons proposé des solutions à 300 millions de francs, à 500 millions de francs, ou à 700 millions de francs (à votre bon c_ur !). Nous n'investissons pas énormément, car il n'y aura guère plus de desserte ou de fréquence, on gagnera simplement un certain nombre de minutes.

Mais je conçois difficilement que l'Auvergne puisse ne pas investir dans l'électrification de la ligne Clermont-Issoire, car dans la ligne Clermont-Neussargues, on trouve une desserte banlieue de Clermont-Issoire qui est intéressante en soi, indépendamment de ce qui se passe après. Mais on peut difficilement imaginer ériger la liaison Clermont-Neussargues en priorité si on n'investit pas sur la ligne Paris-Clermont, ce que j'ai toujours dit.

M. Jean Proriol : Tout à fait.

M. Claude Martinand : Il se trouve d'ailleurs que les négociations portant sur la liaison Clermont-Neussargues-Béziers ont conduit le Premier ministre à recevoir votre président de région, me semble-t-il.

M. Jean Proriol : Cela ne s'est pas encore passé, il s'agissait d'un entretien téléphonique.

M. Claude Martinand : Pas encore ? Je l'avais pourtant lu sur le Bulletin quotidien. Le cabinet de M. Gayssot a reçu M. Pierre-André Périssol récemment sur ce sujet. Nous sommes constants dans cette affaire et soulignons que la ligne Clermont-Lyon a effectivement beaucoup d'intérêt. Pour la région Auvergne, au plan politique, il est difficile de donner à cette ligne la priorité sur la liaison Clermont-Paris. RFF essaie à la fois de mener une analyse économique des options les plus intéressantes et de réfléchir en termes d'équité territoriale. Comme nous savons que le vote des contrats de plan, surtout quand il n'y a que des majorités relatives, est assez difficile et qu'il faut que tout le monde soit satisfait, nous anticipons ce genre de raisonnement et nous en tenons le plus grand compte.

Par exemple, en Champagne-Ardenne, M. le président Etienne rencontre des difficultés car le TGV intéresse Reims, le Nord ; la population de Troyes, et du Sud, de la Haute-Marne, demande « et nous ? ». Ceci dit, je ne sais pas si l'on peut investir 2 milliards de francs dans l'électrification de la ligne Paris-Troyes dans un délai court, ou s'il ne faut pas, pour commencer, permettre un arrêt à Fontenay-sous-Bois, qui permettrait de gagner de nombreuses minutes ?

M. Jean Proriol : 20 minutes !

M. Claude Martinand : 20 minutes gagnées pour quelques poignées de millions de francs ; et du matériel roulant X 73.500, des automoteurs, vous permettront de gagner en confort.

M. Jean Proriol : On a vu hier qu'ils pouvaient être pendulables.

M. Claude Martinand : Oui, peut-être.

Le communiqué du ministre élaboré en concertation avec vous, a mis en perspective l'électrification, qui sera donc faite, mais il faut trouver des solutions plus rapides. Il faut également penser à la pollution de la gare de l'Est due aux vieux diesels SNCF.

M. Jean-Claude Etienne : On ne demande pas mieux que de participer à la dépollution.

M. Claude Martinand : A la gare de l'Est, Eole assure une bien meilleure desserte qu'auparavant avec des possibilités très élargies d'accès.

M. Léonce Deprez, nous avons une relativement bonne idée de ce que nous ferons pendant le plan ou juste après le plan. Nous n'avons pas encore eu le temps de reprendre à fond des analyses sur l'avenir de telle ligne, ou tel axe, et les investissements qu'il faudra réaliser d'ici vingt ans, car cela nécessite des analyses beaucoup plus fines, conduites avec la SNCF, qui intègrent à la fois l'état de la voie et d'autres équipements. Quand faudra-t-il les renouveler ? En profitera-t-on pour améliorer le tracé, supprimer les passages à niveau, ce qui coûte quand même cher et reste long et difficile ? Avoir une vue d'ensemble à moyen et long termes nous paraît un objectif à poursuivre dans les mois qui viennent. Nous avons été extrêmement surchargés : que répondre en effet sur les contrats de plan, sur les opérations proposées par les conseils régionaux ?

M. André Lajoinie, président : Hier, le président Louis Gallois disait qu'il ne fallait pas exclure la construction de lignes nouvelles, y compris de lignes dédiées au fret ; mais des commissaires ont fait observer qu'une ligne nouvelle posait beaucoup de problèmes, notamment de lenteur des procédures et même d'opposition dans certains cas.

Il faudrait se mettre d'accord sur le fait que si l'on veut vraiment progresser, un effort sur les lignes existantes est indispensable. Nous avons beaucoup de lignes existantes, qui ne sont pas toutes de très bonne qualité. Je connais bien la ligne Bordeaux-Lyon par Montluçon, qui nécessite des travaux, d'abord pour le transport de voyageurs, qui a certes perdu un peu de son intérêt économique, mais qui existe et assure un cabotage extrêmement utile pour les populations, mais aussi pour le fret.

M. Louis Gallois a parlé de la ligne Nantes-Lyon, qui est assez intéressante, mais ce n'est pas tout à fait la même. Les deux peuvent avoir un intérêt conjugué, la ligne Bordeaux-Lyon pouvant être intéressante pour le transport du fret.

M. Claude Martinand : Il y aura des lignes nouvelles dédiées au fret ou plutôt des lignes nouvelles mixtes, puisque le tunnel Perpignan-Figueiras est une ligne mixte. Le contournement de Nîmes et de Montpellier est d'abord destiné à faire passer le fret et secondairement des TGV directs. Ceci dit, cela crée de nouvelles difficultés de financement : car quelle sera la tarification pour le fret sur de telles lignes ? Les convois de fret pourront rouler jusqu'à 160 kilomètres à l'heure sur ce type de voie, donc, avoir des acheminements extrêmement performants, quasiment identiques à ceux du fret express ou de la messagerie. J'entends M. Toubol (directeur du fret de la SNCF, ndlr) me disant « je ne peux pas payer ». Je crains que si le fret ne se met pas en situation de pouvoir payer un peu plus ses infrastructures, on n'aie des difficultés, car sans péage, il n'y a pas d'autofinancement, des crédits publics sont nécessaires, et on bute alors sur le niveau des enveloppes de crédits publics. L'enveloppe actuellement la plus contrainte est celle du FITTVN ; je pense d'ailleurs que le Parlement sera amené à examiner dans quelles conditions les engagements pris dans les deux enveloppes des contrats de plan peuvent être tenus avec le FITTVN tel qu'il existe.

Le Gouvernement a pris des engagements, mais il faudra trouver les « tuyauteries » pour alimenter le système car les moyens sont insuffisants en l'état actuel des ressources du FITTVN.

Concernant les lignes existantes, ou les lignes anciennes, notre état d'esprit est d'essayer de définir un réseau de service dont certaines lignes seraient à priorité fret ou dédiées au fret. Cela passe parfois par la réouverture ou la réactivation d'un certain nombre de lignes ; par exemple, de Culmont-Chalindrey à Gretz-Saint-Jean-de-Losne, une ligne peut être réactivée, ce que nous avons d'ailleurs proposé.

M. André Lajoinie, président : Pour Lyon ?

M. Claude Martinand : Pour le grand axe lotarhingien, qui est très chargé, nous ouvrirons le débat public prévu par la « loi Barnier » au printemps sur la branche sud du TGV Rhin-Rhône, la vraie branche du TGV Rhin-Rhône car, comme son nom l'indique, il va du Rhin au Rhône et non pas du Doubs à Paris. Pour cette branche sud, nous entamerons le débat d'une manière très ouverte, pour identifier l'état du réseau, les besoins en matière de fret, de TER, de grandes lignes et de TGV. C'est ce genre de question qu'il faut poser en priorité, plutôt que celle du tracé. Evidemment, les gens sont intéressés aussi par le tracé mais il faudra d'abord que l'on démontre que l'on a impérativement besoin d'une ligne nouvelle, dans un délai rapide, ce qui ne va pas de soi. Ce n'est pas parce que c'est inscrit au schéma directeur que l'on va dire « oui, une ligne nouvelle, une ligne nouvelle » ! Il faut le démontrer car les gens sont de plus en plus critiques sur ces questions.

Une fois que l'on aura montré, ce que je pense, qu'il faut une ligne nouvelle, car on sait bien qu'il y a saturation, même avec la ligne de la Bresse, la PLM ou la ligne nouvelle, il faudra une ligne supplémentaire à l'horizon de dix ou quinze ans. Quelle est la vocation de cette ligne ? Doit-elle permettre d'aller au plus court pour une liaison Strasbourg-Lyon ou Allemagne-Espagne ? Ou est-ce qu'au passage, nous devrions tenir compte de la Lorraine, car des trains viendraient également par Dijon, par cette ligne Culmont-Chalindrey-Saint-Jean-de-Losne, y compris pour le fret. Construit-on une gare située entre Louhans et Lons-le-Saulnier ? Il paraît difficile d'aller jusqu'à Lons-le-Saulnier compte tenu du relief, mais construira-t-on encore une gare en rase campagne ? Je n'aime pas trop cela, mais il y a des cas où l'on ne sait pas bien comment faire autrement.

Il y aura un vrai débat, qui durera trois mois. Nous-mêmes n'avons pas d'idées arrêtées ; nous voulons voir comment les gens réagissent, ce qu'ils disent. Une commission particulière des débats suivra au jour le jour les informations et les réponses aux questions qui seront posées. Il est probable que nous aurons une ligne mixte. Le Lyon-Turin est une ligne mixte, et même plus une ligne dédiée au fret qu'une ligne TGV dans l'esprit des gens qui s'intéressent au sujet.

Vous voyez bien qu'il y a eu depuis quelques années un glissement complet : avant, on ne faisait que des lignes à grande vitesse, on était obnubilé par la minute gagnée. Ce n'est plus le cas maintenant. Quand le trajet dure trois heures ou trois heures et demie, les hommes d'affaires prennent l'avion, il n'y a pas photo. Les familles, les touristes ne sont pas à cinq minutes près, ce n'est pas vrai. Ne soyons donc plus obnubilés par le seul gain de minutes et voyons quelles sont les solutions qui sont respectueuses de l'environnement. C'est d'ailleurs comme cela qu'est relancée l'étude du TGV Côte d'Azur, des voies ou des trouées existantes peuvent éventuellement être réutilisées. Nous n'avons pas d'a priori, nous examinerons les réactions, les tracés occasionnant le moins de dégâts. Il est normal de se préoccuper de cette liaison car il y a énormément de besoins sur la Côte d'Azur.

M. André Lajoinie, président : Concernant le Paris-Clermont, se pose la question des passages à niveau. La ligne est très bonne, puisque c'est une ligne droite, une ligne de plaine, mais il y a des passages à niveau. Tant qu'on ne les supprime pas, on est limité.

M. Claude Martinand : On est limité à 160 kilomètres heure.

M. Jean Proriol : 170 ?

M. Claude Martinand : Non, 160.

M. André Lajoinie, président : Je crois qu'il existe un fonds spécial pour les passages à niveau.

M. Claude Martinand : Un fonds a été créé après l'accident de Port-Sainte-Foy, mais qui vise en priorité à supprimer les passages à niveau les plus préoccupants, pour ne pas dire les plus dangereux ; moyennant quoi, l'expérience prouve que les conseils généraux sont souvent les plus impliqués dans les suppressions de passages à niveau, car ils concernent surtout des voies départementales ; dans le cas des voies communales, les communes ne sont en général pas en mesure de résoudre seules le problème.

Pour la ligne Paris-Clermont, il est sûr que le problème est d'abord une question de passages à niveau, et en second ordre d'amélioration de la voie.

Sur les lignes Bordeaux-Lyon, Nantes-Lyon, il y a des retournements à Saincaize. Cela coûte 50 ou 60 millions de francs, et on gagne 10 à 20 minutes. Il n'y a pas beaucoup d'investissements en France qui permettent de gagner 20 minutes en dépensant 50 ou 60 millions de francs, quoi qu'en pensent les cheminots, car ils ont peur qu'à cette occasion les emplois de manutention, de changements de locomotives, ou de retournements soient supprimés. Mais s'il n'y a plus de trafic, il n'y aura plus d'emplois du tout ; il vaut donc mieux redynamiser le trafic car il y aura des emplois, certes globalement, et peut-être pas ponctuellement à tel endroit.

M. Félix Leyzour : Vous avez parlé de la suppression des passages à niveau ; il y en a énormément en France.

M. Claude Martinand : 17 000.

M. Félix Leyzour : Quand on connaît le coût des travaux pour supprimer un passage à niveau, il est illusoire d'imaginer qu'en quelques années, à supposer qu'on puisse les supprimer tous, on ait les moyens financiers de le faire. Mais j'ai observé aussi, pour avoir eu à traiter cela sur notre voirie départementale, que les contraintes du point de vue de la sécurité sont considérables ; cela coûte très cher. Ne pourrait-on pas, sur telle ou telle ligne, au lieu de traiter les choses une par une, avoir une sorte de programme groupé, avec un appel d'offres groupé, qui permettrait avec les techniques d'aujourd'hui d'avoir par le précontraint, des types de gabarits qui permettraient de supprimer les passages à niveau à moindre coût ?

M. Claude Martinand : Vous avez raison ; sur la ligne Paris-Limoges-Toulouse, les principaux passages à niveau sont dans l'Indre, il y en a 17. Nous avons discuté avec le président du conseil général, M. Pinton, qui est tout à fait prêt, à prendre la direction de cette opération groupée et à en avoir la maîtrise d'ouvrage. Car n'oubliez jamais qu'un passage à niveau, c'est d'abord une affaire routière. Il se trouve qu'on culpabilise toujours le chemin de fer, alors que ce sont quand même des voitures qui brûlent des feux. Les accidents de passage à niveau, ce sont des poids lourds ou des voitures qui brûlent des feux ou des stops, ce n'est rien d'autre.

A Port-Sainte-Foy, on comptait 10 à 12 bris de barrière par an, ce qui est quand même énorme. Cela veut dire que ce passage à niveau était intrinsèquement dangereux, bien qu'on ait fait déjà beaucoup d'aménagements. On ne supprimera pas 17 000 passages à niveau, il est d'ailleurs inutile d'aller si loin. Mais 100 à 200 passages à niveau sont particulièrement dangereux et il faut essayer de les supprimer vite. Par ailleurs, des passages à niveau doivent être supprimés pour des raisons de fonctionnement urbain. M. Louis Besson précisait que deux passages à niveau sont fermés à Chambéry la moitié du temps, parce que des trains man_uvrent à côté de la gare ; c'est absolument intolérable. Ce n'est pas un problème de sécurité, en première ligne, c'est un problème de fonctionnement urbain.

Le drame, c'est que les passages à niveau occasionnent « seulement » 60 à 80 morts par an. Ce n'est pas un sujet de sécurité routière, car ce n'est pas suffisant ; si on tient cette comptabilité macabre, ce n'est pas significatif. Jamais la direction de la sécurité routière, ou la direction des routes n'ont mis en priorité la suppression des passages à niveau. C'est donc le chemin de fer qui est amené à prendre les initiatives, sachant qu'il est fort long de mettre au point des projets. Il y a eu un accident voici plus de dix ans à Saint-Pierre-du-Vauvray, mais on n'y a toujours pas supprimé le passage à niveau, car les responsables n'ont pas encore réussi à se mettre d'accord sur la solution à mettre en _uvre. Je touche du bois, j'espère qu'il n'y aura pas un nouvel accident à cet endroit, ce serait vraiment scandaleux.

C'est donc un sujet très difficile.

M. Félix Leyzour : La direction des routes ne se sent pas concernée, puisqu'il s'agit de routes départementales et communales.

M. Claude Martinand : Exactement.

M. André Lajoinie, président : Avez-vous d'autres questions à poser ? M. le président, je vous remercie.

Audition de M. Claude GRESSIER,

directeur du transport maritime, des ports et du littoral,

(extrait du procès-verbal de la séance du 26 janvier 2000)

Présidence de M. André Lajoinie, Président

M. André Lajoinie, président : M. Claude Gressier, je vous souhaite la bienvenue. Notre commission est engagée dans une réflexion d'ensemble sur les transports en France et en Europe, tous transports confondus. Nous voulons « mettre à plat » l'ensemble des problèmes posés par les transports en vue de faire des propositions et d'encourager les modes de transport qui nous semblent les plus efficaces, les moins polluants et les moins dangereux.

Parmi ceux-là, nous croyons que le transport maritime, et notamment le cabotage, sont des moyens de transport intéressants. Vous vous occupez du transport maritime et des ports, étant entendu que la liaison des ports avec le réseau intérieur nous préoccupe également. Votre opinion est donc importante pour nous.

M. Claude Gressier : Merci M. le Président de m'avoir convié pour discuter de ces problèmes importants. Je vais faire une courte présentation et répondrai ensuite à vos questions.

Je dirai tout d'abord deux mots sur le transport maritime en général, avant d'aborder le point particulier du transport maritime à courte distance.

Je ne vais pas vous dire que le transport maritime est stratégique, il est tout simplement vital. 50 % en volume du commerce international de la France empruntent la voie maritime, 90 % pour le commerce international de la France avec les pays extra-européens. Pour l'Union européenne, c'est également 90 % de ses échanges en volume avec le reste du monde qui s'effectuent par la voie maritime. Dès lors, la question qu'on peut se poser est la suivante : peut-on toujours confier l'acheminement de notre commerce extérieur à n'importe quel navire et n'importe quel pavillon ? C'est l'une des raisons pour lesquelles nous essayons de développer une politique en faveur des armements français et du pavillon français.

Je vais en dire quelques mots avant d'aborder la question du transport à courte distance. Nous avons beaucoup reculé dans le classement des armements et du nombre de navires sous pavillon français. Leur nombre, stable depuis quelques années est de 210 navires, dont plus de la moitié sous le registre des terres australes et antarctiques françaises, qui a permis de continuer à faire du transport international sous pavillon français.

Outre ces 210 navires sous pavillon français, on compte 90 navires sous pavillon tiers, et encore une soixantaine d'autres affrétés sur une longue durée. Cela représente donc environ 360 navires qui sont à la disposition des armateurs français.

Parmi les armateurs français, je voudrais en signaler quelques-uns qui sont véritablement dans la course mondiale ou européenne :

- d'abord, le groupe CMA/CGM qui, après des difficultés juridiques complexes, a réussi sa fusion l'année dernière et qui a trouvé un dynamisme tout à fait remarquable. Il vient d'acheter 8 grands porte-conteneurs, 4 sous pavillon français et 4 sous pavillon tiers, qui vont s'ajouter à sa flotte déjà importante ;

- le groupe BOLLORÉ, spécialiste des relations entre la France, l'Union européenne et l'Afrique ;

- le groupe DREYFUS spécialiste des vraquiers ;

- le groupe BOURBON spécialisé dans les activités de services : remorquage, desserte des plates-formes pétrolières, etc. ;

- de nouveaux arrivés : on trouve des armateurs qui se lancent dans le transport maritime en rachetant éventuellement d'autres sociétés. C'est le cas de M. Patrick Molis qui a racheté l'ancienne compagnie méridionale et la compagnie nationale de navigation aux Belges qui l'avaient eux-mêmes rachetée précédemment.

On pourrait en citer d'autres sans oublier, bien entendu, le fait que notre pays est l'un des premiers pour les navires de passagers avec ses trois grandes compagnies qui connaissent peut-être chacune quelques difficultés, mais qui sont trois belles sociétés : la Société nationale Corse Méditerranée, SeaFrance et Britanny Ferries, sans oublier Emeraude lines ou un certain nombre d'autres.

Ces armateurs pourraient sans doute disposer de plus de navires sous pavillon français. Il faudrait pour cela poursuivre et amplifier la démarche amorcée, notamment depuis le Comité interministériel de la mer du 1er avril 1998, qui a permis à la fois le remboursement d'une partie des charges sociales de l'ENIM, lorsque les navires étaient soumis à concurrence internationale et a instauré le GIE fiscal, c'est-à-dire une défiscalisation partielle des navires s'ils restent sous pavillon français pendant 8 ans. Les résultats ont été satisfaisants en 1999, puisque 10 dossiers pour 15 navires ont été retenus pour des porte-conteneurs, des vraquiers, des câbliers, permettant de renouveler une partie de la flotte française.

Je cite toujours un chiffre, qui n'est qu'une estimation mais qui frappe un peu les esprits. La SNCF transporte 55 milliards de tonnes/km ; pour le commerce international de la France par voie maritime, il s'agit de 750 milliards de tonnes/km. Aujourd'hui, bien que le pavillon français ait beaucoup régressé, il en assure encore un peu moins de la moitié, soit 40 %, ce qui n'est pas négligeable.

Dans le prolongement des mesures prises lors du Comité interministériel de la mer du 1er avril 1998, le ministre, M. Jean-Claude Gayssot, réfléchit à une certaine rénovation de nos registres. Il a confié à deux inspecteurs généraux : MM. Hamon et Dubois, une mission de concertation avec les armateurs et les organisations syndicales pour examiner les moyens d'améliorer nos registres et trouver la voie étroite permettant de jumeler le bien-être social des marins et des officiers avec une meilleure compétitivité de notre pavillon. Leur rapport devrait être remis d'ici 2 ou 3 semaines et ses conclusions devraient être discutées sinon au prochain Comité interministériel de la mer de fin février qui sera essentiellement consacré au problème de sécurité maritime, suite à l'accident de l'Erika, du moins au Comité interministériel de la mer qui suivra d'ici quelques mois.

Une réforme d'importance pourrait s'accompagner éventuellement - et c'est à discuter au niveau gouvernemental - de mesures fiscales ou autres dans le cadre des lignes directrices adoptées par Bruxelles, de façon à rendre le pavillon français plus compétitif.

Dans ce cadre général que je viens brièvement de tracer, il faut faire une place particulière au transport maritime à courte distance. Ce dernier se développe actuellement très bien sur certains créneaux et avec difficultés sur d'autres.

Sur quels créneaux se développe-t-il bien ? Sur deux créneaux essentiels, l'un étant le « feedering » c'est-à-dire l'opération qui consiste lorsqu'un grand navire porte-conteneurs arrive dans un port majeur, Rotterdam, le Havre, Marseille à décharger une partie de ses conteneurs sur des porte-conteneurs plus petits qui vont desservir des ports de taille plus modeste : Brest, Lorient, La Rochelle, Bordeaux.

Le cas de Brest où n'existait pas de trafic de conteneurs jusqu'à il y a environ un an et demi est frappant. Un armateur a essayé de desservir Brest en « feedering » à partir de Nantes ou du Havre et, très rapidement, s'est créé un trafic relativement important de 10 000 conteneurs, ce qui n'est pas mal pour une première année de démarrage.

Ce trafic de transbordement en « feedering » à partir des grands ports vers les ports plus petits se développe très bien.

Un deuxième type de trafic qui se développe bien est le trafic de voitures neuves, notamment entre l'Espagne, le Portugal, la France, voire l'Allemagne ou la Grande Bretagne, pays où il y a de grandes usines de fabrication d'automobiles. Les transporteurs de voitures, que ce soit la société de transport de voitures automobiles, filiale du groupe SNCF, ou GEFCO, filiale du groupe Peugeot/Citroën, ont considéré que le transport maritime pouvait être un maillon important du transport de voitures.

Il existe par ailleurs actuellement de nombreux projets d'autres types de transport maritime à courte distance, notamment des « trafics rouliers », constitués par des semi-remorques, avec ou sans tracteur et chauffeur, qui montent sur un navire et qui parcourent une certaine distance par mer au lieu de le faire par la route de bout en bout. Mais on se heurte à des problèmes, car les décideurs sont nombreux. En effet, à l'inverse du transport de voitures neuves où les groupes GEFCO ou STVA décident avec l'appui de leurs quelques clients constructeurs automobiles, il existe pour les « trafics rouliers » une multitude de transporteurs routiers ou de commissionnaires de transport qui doivent choisir de prendre ou non, pour une partie du parcours, la voie maritime. Cela fait donc un grand nombre de clients rendant difficile tout démarchage.

Il existe de nombreux exemples où, au bout de quelques mois, l'expérience a échoué et la ligne a dû fermer : ainsi la liaison au départ de St-Nazaire vers l'Espagne ou le Portugal.

Une initiative intéressante a failli échouer, il s'agit d'une liaison entre Bayonne et Southampton, soit une très grande distance. Les camions français ou espagnols, venant juste de franchir les Pyrénées, et avant d'avoir traversé la Nationale 10 et l'agglomération bordelaise, montent sur un navire pour aller jusqu'à Southampton. Est-ce faute d'un marketing suffisant ? La ligne a failli fermer. Grâce à l'énergie du président de la chambre de commerce et d'industrie de Bayonne qui a trouvé un nouvel opérateur, elle est en train de redémarrer, mais c'est difficile.

Souvent, les transporteurs routiers réagissent et, pour faire face à la concurrence de la voie maritime, abaissent les prix et continuent à faire du routier de bout en bout.

Le transport maritime à courte distance va pouvoir se développer malgré tout, mais deux conditions essentielles doivent notamment être réunies :

- la première est que toute opération soit précédée d'études de marché suffisantes et de démarches très précises avec les différents clients.

Je dois signaler d'ailleurs à ce propos qu'il vient de se créer en France un bureau de promotion du transport maritime à courte distance : BPSS (Bureau de Promotion du Short Site). Il va rassembler non seulement les acteurs maritimes : le comité des armateurs, mais aussi les commissionnaires, TLF (Fédération des industries de transport et logistique de France), les chargeurs dans le cadre de la ITF (Fédération internationale des ouvriers de transports), mais aussi la Fédération nationale des transporteurs routiers dont l'entrée dans le BPSS me paraît extrêmement importante ;

- la deuxième condition du développement du transport maritime à courte distance réside dans une aide au démarrage, c'est-à-dire la prise en charge par les pouvoirs publics d'une partie du déficit de la première année. Cette aide est autorisée par la Commission européenne. Elle-même finance, grâce à un programme PADTC (programme d'aide au développement du transport combiné), ce type d'aide au démarrage.

Nous voudrions accompagner l'action de l'Union européenne à l'échelle nationale et régionale en respectant, bien sûr, les règles européennes de façon à véritablement aider au démarrage. Il ne s'agit pas de pérenniser ces aides car les pouvoirs publics ne sont pas là pour faire fonctionner les entreprises à la place des armateurs ou des professionnels, mais seulement d'aider au démarrage, car les clients mettent un certain temps à prendre la décision de choisir le transport maritime, c'est quelque chose d'un peu nouveau pour eux.

Ces aides à la fois aux études et au démarrage sont importantes. Bien entendu, ce transport maritime se développera d'autant mieux que le coût du transport routier de bout en bout sera élevé et que les règles qui doivent s'y appliquer seront effectivement appliquées. C'est le problème bien connu du contrôle de ce mode de transport.

Voilà ce qui me semble être la problématique actuelle de ce transport maritime à courte distance.

J'ai cité de nombreuses initiatives sur l'Atlantique, mais il y en a aussi en Méditerranée. Une ligne fonctionne déjà entre l'Espagne et l'Italie. Des armateurs veulent créer des lignes entre la France et l'Italie, mais cela nécessite les deux types d'aides, dont je viens de parler.

Je dirai quelques mots sur les ports, et tout d'abord sur les ports français. Les ports s'intègrent de plus en plus dans des chaînes logistiques européennes, voire mondiales. Il est important pour eux d'être véritablement positionnés sur ces chaînes logistiques qui vont devenir grosso modo des émetteurs de frets vers les réceptionnaires. Avec le développement des transports terrestres, ces chaînes logistiques peuvent concerner des ports français ou d'autres ports européens.

Quelques conditions doivent être réunies pour réussir :

1°) une me paraît tout à fait essentielle : la fiabilité, c'est-à-dire le fait pour un port de travailler en continu, de façon prévisible et sans à-coups techniques ou sociaux importants. Vu de Tokyo, de Singapour ou même de Londres, on reproche à nos ports de manquer de fiabilité, parfois à tort, mais les opérateurs ont la mémoire longue. Il suffit d'incidents un peu importants qui durent une semaine, comme c'est arrivé au Havre récemment ou même à Marseille il y a plus longtemps, pour qu'on s'en souvienne pendant fort longtemps.

Pour résoudre ce problème de fiabilité il faut engager des discussions avec l'ensemble des partenaires sociaux afin que chacun y trouve son compte. Il faut que les ouvriers portuaires constatent le retour de la croissance des trafics, qu'on leur explique la situation et qu'ils entrent dans cette démarche de fiabilité. Cela est possible et a été couronné de succès dans un certain nombre de ports français ;

2°) une excellente desserte terrestre. En effet, un port ne doit plus seulement bien faire son travail de chargement et de déchargement des navires et offrir les services dont ceux-ci ont besoin dans l'enceinte portuaire, mais il doit aussi s'inscrire de bout en bout dans certaines logistiques et donc travailler avec les transporteurs terrestres pour que les délais et les conditions commerciales soient totalement satisfaisants pour l'armateur et les chargeurs.

Cela suppose un partenariat de qualité avec les transporteurs routiers mais surtout, et de plus en plus, avec la SNCF et ses filiales. Lorsqu'on essaie de développer un projet portuaire, il faut prendre en compte non seulement le projet lui-même, mais la façon dont il va fonctionner et la façon dont vont être assurées les dessertes terrestres.

Pour prendre un exemple concret, le projet « Port 2000 » au Havre n'est pas un projet de béton, c'est un projet qui prend en compte l'environnement, mais c'est aussi un projet qui concerne l'organisation de l'ensemble portuaire et qui comporte nécessairement les dessertes terrestres. Dans ce cadre, des améliorations importantes de la desserte par chemin de fer sont prévues. Des investissements très importants sont programmés à la fois à l'intérieur du projet et aussi dans le cadre du contrat de plan entre l'Etat et la région Haute-Normandie pour l'amélioration de la desserte ferroviaire et de la desserte fluviale.

Mais les investissements ne suffisent pas. Derrière ceux-ci, on doit trouver une qualité de services, des engagements de la SNCF et de ses filiales, contrebalancés par des engagements de la part de la place portuaire sur des volumes, et bien entendu des tarifs, valables sur plusieurs années, quitte à les indexer sur l'évolution des coûts ;

3°) la compétitivité. Il va de soi que tous les maillons de la chaîne portuaire doivent être aussi productifs et compétitifs que possible, qu'il s'agisse du port lui-même, des services aux navires, des services à la marchandise, de la manutention, etc., tout le monde doit être partie prenante du combat en faveur de la compétitivité ;

4°) l'action commerciale qui doit être coordonnée au niveau de la place portuaire, vis-à-vis de l'ensemble des chargeurs et des armements ;

5°) une cinquième condition qui me paraît très importante, concerne le positionnement des ports dans les chaînes logistiques mondiales qui se fera d'autant mieux que les enceintes portuaires intégreront des développements de logistiques.

Dans ce but, nous organisons demain une journée sur les zones logistiques portuaires qui sera clôturée par M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement, à laquelle participe notamment M. Daniel Paul, ici présent, au cours de laquelle les logisticiens, les chargeurs, les armateurs discuteront des conditions de développement de ces zones. Lorsque des entrepôts logistiques sont implantés dans un port, une fidélisation de la clientèle se fait automatiquement, alors que si ces entrepôts sont en région parisienne, il est possible de prendre ensuite le chemin d'Anvers plutôt que celui du Havre ou de Marseille.

Je souhaiterais faire part de quelques réflexions concernant les ports et la flotte. Si le nombre de navires sous pavillon français a baissé considérablement depuis un certain nombre d'années, le phénomène est aujourd'hui stabilisé et nous avons heureusement des armateurs dynamiques qui ne demandent qu'à aller de l'avant. Pour les ports il ne faut pas non plus, même s'il y a beaucoup de choses à faire, battre sa coulpe et se flageller.

Regardons la réalité. Récemment, la Cour des comptes a remis un rapport intéressant sur les ports. Dans la présentation faite, la Cour a repris les trafics des ports français entre 1991 et 1997, en constatant que ces ports avaient perdu des parts de marché par rapport aux ports européens. C'est tout à fait exact, compte tenu des mouvements qui ont précédé et suivi la réforme de la manutention portuaire en 1992. De 1991 à 1993, voire au début 1994, on constate effectivement des pertes de trafic. Mais si l'on prend les trafics entre 1994 et 1998, on s'aperçoit qu'ils ont augmenté dans les ports autonomes français de 25 millions de tonnes alors que le trafic de l'ensemble des ports majeurs européens, dont les ports autonomes français font partie, n'a cru que de 13 millions de tonnes ; c'est-à-dire que les ports majeurs français ont connu une croissance beaucoup plus rapide que celle de l'ensemble des ports européens.

En examinant les trafics portuaires de ces trois dernières années, on constate des hausses de trafic tout à fait remarquables, notamment en conteneurs, en trafic de marchandises diverses ; pour les produits pétroliers, cela va et vient au gré des fermetures ou des réparations d'un certain nombre d'usines et de centrales nucléaires. Il y a une dispersion plus importante, mais nous assistons en fait depuis 1996, même un peu avant, à une augmentation continue du trafic de nos ports et à un regain de parts de marché par rapport à nos concurrents.

L'an dernier par exemple, le trafic de rouliers a augmenté de 6 %, celui des conteneurs sur l'ensemble des ports a augmenté de 7 %. Certains ports, comme Nantes ou Dunkerque, ont vu leur trafic de conteneurs augmenter de 10 % ou 20 %, ce qui constitue des performances tout à fait satisfaisantes.

Un autre point à prendre en compte concerne l'adaptation des ports, et surtout de nos deux grands ports pour lesquels ce type de transport est fondamental, c'est-à-dire Le Havre et Marseille, aux conditions modernes de développement du trafic de conteneurs et en particulier à la taille des porte-conteneurs.

Jusqu'à récemment, on pensait que les porte-conteneurs allaient, sauf exception, plafonner à 4 500 conteneurs. Aujourd'hui, les 8 navires porte-conteneurs, commandés par le groupe CMA/CGM, sont rapides, ils font plus de 23 n_uds, et contiennent 6 500 conteneurs. Les autres armements ont aussi de plus en plus de navires de 6 500 conteneurs, ce qui signifie que l'escale est intéressante si l'on peut accueillir le navire mais aussi si l'on charge ou l'on décharge un nombre suffisant de conteneurs. J'en reviens à l'importance de l'hinterland, des dessertes terrestres, du transbordement.

Autour de ces notions de transbordement et de « feedering », ainsi que d'élargissement de l'arrière-pays, notamment grâce à des navettes ferroviaires de qualité, se trouvent des enjeux importants au moins pour nos deux grands ports à conteneurs que sont Le Havre et Marseille.

Tous les ports - pas seulement les grands - doivent aussi faciliter le transport maritime à courte distance. Les armateurs et les ports ont un rôle à jouer. L'action des pouvoirs publics doit également faciliter ce transport maritime à courte distance.

Deux actions vont de pair : attribuer des quais au transport maritime à courte distance et alléger les formalités car s'il s'agit de trafics à l'intérieur de l'Union européenne sans droits de douane.

Le problème est que lorsqu'un navire est en mer, les douanes ne savent pas s'il fait ou non du trafic intra-européen et effectuent donc des formalités et vérifications. On pourrait améliorer cette situation grâce aux moyens de transmission modernes. Par ailleurs, en affectant un quai dédié au transport maritime à courte distance les ports pourraient promouvoir ce type de transport.

Je ne serais peut-être pas complet, M. le Président, tout en n'ayant peut-être pas encore tout à fait décrit tout ce qui reste à faire, si je ne mettais pas l'accent sur quelques points qui montrent tout ce qui a été fait depuis quelques années.

Les contrats de plan en cours de signature sont extrêmement porteurs pour l'ensemble des ports, puisque nous y avons inclus les grosses réparations nécessaires, faute peut-être que des crédits d'entretien suffisants aient été dégagés depuis un certain temps sur des grandes infrastructures. Il y a deux volets dans ces contrats de plan : un volet réhabilitation-rénovation des infrastructures de base et un volet développement. Le total représente 1,4 milliard de francs de fonds d'Etat, plus les fonds régionaux et locaux, et la participation des ports eux-mêmes, ce qui va représenter un programme considérable et un triplement des crédits.

Ainsi, les montants contractualisés sur sept ans représentent en fonds d'Etat trois fois ce qui a été fait sur six ans au cours du contrat de plan précédent qui, il est vrai, comportait moins de grosses réparations. Ceci ne comprend pas les dotations de l'Etat pour « Port 2000 » au Havre qui viennent s'ajouter aux 1,4 milliard de francs dont j'ai déjà parlé. Les contrats de plan sont donc très positifs pour le développement de nos ports.

Le budget pour 2000 s'inscrit dans le même axe, puisqu'il est en augmentation par rapport à celui de l'année précédente de 30 %, notamment grâce à l'opération « Port 2000 » qui devrait démarrer à la fin de cette année. Ceci est important et répond déjà aux critiques de la Cour des comptes sur l'insuffisance des budgets portuaires.

Nous avons essayé, pour les contrats de plan, avant même les recommandations de la Cour des comptes, de sélectionner les investissements, de ne pas faire de saupoudrage, mais au contraire d'essayer de centrer les dotations de l'Etat, là où le trafic était le plus porteur.

Je terminerai en évoquant les décrets du 9 septembre qui vont permettre une certaine rénovation de la manutention portuaire, une déconcentration des prises de participation des ports dans des activités connexes (informatique portuaire, opérations de transport terrestre,...), la création pour les ports d'intérêt national, gérés généralement par les chambres de commerce, d'un comité stratégique rassemblant l'Etat, les collectivités locales et le concessionnaire, qui va permettre de discuter dans ces enceintes de la stratégie portuaire et des perspectives d'investissement.

Après ces propos introductifs, je suis prêt à répondre à vos questions.

M. Daniel Paul : En matière de sécurité en mer, il revient bien entendu au pouvoir politique de prendre les décisions qui s'imposent après la catastrophe de l'Erika. Ne pensez-vous pas que le moment est venu de franchir un pas significatif dans la mise en place de dispositions rigoureuses à l'égard d'un certain nombre d'armements, et d'aller vers une politique maritime européenne ?

Ma première remarque sera la suivante : après le naufrage de l'Exxon Valdès, on voit les Etats-Unis imposer sur leur territoire une rigueur accrue, qu'ils n'acceptent pas toujours de voir mise en place chez les autres ; c'est ainsi qu'ils interviennent à l'ONU pour que ce qui se fait chez eux ne se fasse pas ailleurs.

Peut-on envisager d'aller vers une plus grande sécurité à travers des dispositions plus contraignantes ?

Tout pays, qui accepte que son pavillon soit à la poupe d'un navire ne devrait-il pas avoir une administration maritime ?

Tout Etat candidat à l'adhésion à l'Union européenne, qui ne disposerait pas d'une telle administration maritime, ne devrait-il pas se voir refuser le statut même de candidat ?

Je pense à un certain nombre d'Etats comme Malte, Chypre, la Turquie ou les Etats baltes, mais aussi à des Etats qui sont d'ores et déjà membres de l'Union européenne comme la Grèce et le Luxembourg qui est devenu un pays maritime.

Ma deuxième remarque concerne le cabotage. Notre territoire national ne s'arrête pas à nos côtes. S'agissant du transport, ce territoire déborde au moins jusqu'aux eaux territoriales où le cabotage peut s'effectuer de façon plus aisée. Comment faciliter les opérations de transbordement, dès lors que les douanes viennent s'enquérir de la destination et des modalités chaque fois qu'un bateau quitte un port ?

La France est un pays de transit, si l'on ne prend pas de façon volontaire un certain nombre d'orientations dans le domaine du transport, on sera totalement asphyxié. Or, nous avons avec le nombre important de ports qui jalonnent nos côtes, du nord au sud, la possibilité de mettre en place un schéma de services de transport et de constituer une filière. Vous avez rappelé qu'on rassemble autour de cette idée, un certain nombre de partenaires, l'Etat devrait peser pour que cela aboutisse.

Ma troisième remarque porte sur les ports : le statut des ports autonomes date de trois quarts de siècle. La refonte du statut n'est-elle pas en germe dans ce débat ? Non pas que j'y sois favorable, mais c'est le sentiment que nous avons, en voyant la politique portuaire s'organiser, sur le plan national et international.

S'agissant des quais dédiés, dans le cadre de l'opération « Port 2000 », une mise en concurrence est-elle obligatoire pour l'occupation de ces quais ? Si oui, pourquoi n'est-ce pas une obligation partout ?

Pourquoi le port de Rouen octroie-t-il à un manutentionnaire belge, sans appel à la concurrence, les quais de Port Jérôme, alors que les quais du Havre devraient eux être mis en concurrence ?

Ne devrait-on pas favoriser la mise en place d'une filière de manutention française apte à résister aux offensives d'Anvers ou de Rotterdam, où se trouvent les groupes les plus puissants dans ce domaine et qui, si nous ne faisons pas attention, pourraient s'offrir demain les quais de Marseille et du Havre ? La mise en place d'une filière de manutention serait de nature à renforcer le savoir-faire français. Dans ce domaine, nous n'avons rien à envier aux Belges ou aux Néerlandais.

Par ailleurs, l'intoxication existe. Vous avez évoqué les mouvements sociaux dans les ports français. On en parle souvent, mais on oublie de relater ceux aussi importants, dans les ports belges ou hollandais. Mais en Belgique ou aux Pays-Bas, les intéressés règlent leurs problèmes entre eux, et veillent à ne pas trop les mettre sur la place publique. J'ai le sentiment que nous prenons un malin plaisir en France, pour des raisons qu'il serait intéressant d'approfondir, à faire état des difficultés qui existent parfois dans nos ports.

Un autre handicap entrave l'activité des ports français rendant nécessaire une attention accrue à la question de leur desserte terrestre. La quasi totalité de nos ports, à l'exception de Dunkerque, est située en dehors de la « banane bleue », zone partant du Bénélux, passant par l'ouest de l'Allemagne, pour descendre vers l'Italie du nord et qu'on retrouve à Barcelone. C'est là que se concentrent les grands lieux de consommation de produits que l'Europe importe. Tous les ports situés près de Rotterdam et Anvers sont dans cette « banane bleue » où l'industrie de transformation, la logistique sont bien évidemment favorisées.

Les ports de Marseille ou du Havre sont, eux, handicapés. Les marchandises doivent parcourir quelques centaines de kilomètres, parfois couverts dans des conditions insatisfaisantes par la SNCF, le réseau autoroutier et le réseau fluvial, avant d'arriver dans une zone de la « banane bleue ».

Comment faire pour créer une chaîne de qualité entre le moment où un conteneur arrive dans un port et celui où il parvient dans sa zone de consommation ou d'utilisation ?

Comment créer, par la concertation et le dialogue, une véritable entreprise portuaire qui ne soit pas une simple juxtaposition de services différents ?

Les armateurs ne s'intéressent pas à la façon dont les choses se passent en amont ou en aval, ignorent comment se déroule la manutention, ne voient que les résultats, éventuellement les difficultés. Actuellement, le sentiment profond est qu'on utilise le même outil, mais que les objectifs sont parfois différents.

M. Jean-Claude Lemoine : Pour le développement de certains ports, l'encombrement que l'on constate, en particulier dans la Manche, est-il un handicap ?

Par ailleurs, n'y a-t-il pas un problème de rapidité du transport, de temps de trajet, de transbordement ?

Il existe un projet de transport rapide entre les Etats-Unis et le port de Cherbourg qui s'appelle « fast ship ». Pensez-vous que Cherbourg ait des chances de succès ? Où en est ce projet ?

M. Albert Facon : Un port doit être alimenté par la mer mais aussi par la voie ferrée.

Le Gouvernement a décidé de construire une plate-forme logistique dans le bas de Calais (la plate-forme de Dourges ou plate-forme Delta 3) représentant 860 millions de francs d'investissements dans un premier temps. Les appels d'offres ont eu lieu, les travaux ont commencé et la livraison est prévue en 2003. La plate-forme est située sur un canal à grand gabarit, une voie ferrée, près de l'autoroute A1, à quelques kilomètres de la Belgique. L'investissement est assuré par le conseil régional du Nord-Pas-de-Calais ainsi que par les deux départements. Je crains que cette plate-forme qui représente un investissement important, ne profite à Rotterdam. Comment faire pour qu'elle participe à la relance de l'activité des ports de la région Nord-Pas-de-Calais, Dunkerque, Calais, Boulogne ?

Depuis un certain temps, la SNCF se montre très frileuse et ne s'engage pas sur le transport combiné rail/route, comme je le souhaiterais à l'instar de beaucoup de Français. Nous avons deux ou trois ans pour y réfléchir. Pourriez-vous nous donner votre sentiment sur ces dossiers ?

M. Alain Gouriou : Je voudrais soulever quelques problèmes de réglementation et de sécurité en partant d'un fait concret. Il y a plus d'un an, un cargo sous pavillon lituanien chargé d'ammonitrates est arrivé dans un petit port breton, le port de Tréguier. Le bateau était dans un état tellement lamentable que les affaires maritimes lui ont interdit de reprendre la mer, et il est toujours sur place actuellement. L'équipage est laissé totalement à l'abandon, ne percevant plus de salaire. Plusieurs membres de l'équipage ont des problèmes de santé tellement graves que certains doivent être hospitalisés et pris en charge. Le bateau pourrit sur place, présentant des risques de pollution graves sur l'estuaire du cours d'eau. Face à cette situation, les autorités locales sont laissées à l'abandon.

Il est impossible de trouver un interlocuteur auprès des autorités de tutelle pour s'occuper d'un tel cas : équipement, affaires maritimes, préfecture maritime, direction des ports. Les interlocuteurs sont tellement nombreux et variés qu'il est impossible de trouver une solution convenable.

Aujourd'hui, ce bateau est débité en morceaux par une société de ferraillage, après une procédure de déchéance de propriété qui a duré des mois. Les opérations de destruction de ce bateau sont à la charge des collectivités locales : le département ou la chambre de commerce qui gère le port.

Ne pensez-vous pas que ces problèmes devraient être abordés en amont ? Comment des bateaux dans cet état sont-ils autorisés à aborder les ports français ?

L'Etat de l'Alaska aux Etats-Unis a pris des mesures rigoureuses : tout bateau présentant quelque risque que ce soit est abordé à la limite des eaux territoriales américaines et n'est pas autorisé à faire route sur les ports.

Nous avons dans un certain nombre de ports français (au Havre, à Nantes, à Tréguier) des bateaux à l'abandon qui aujourd'hui occupent encore nos quais. Personne ne trouve la bonne procédure ou la bonne décision à prendre. Il serait intéressant de combler ce vide.

M. André Capet : En complément de l'intervention de mon collègue sur la plate-forme de Dourges, il me paraît important de souligner différents aspects.

Sur la côte d'Opale, façade maritime du littoral du Nord-Pas-de-Calais, nous avons trois grands ports : Calais, Boulogne, Dunkerque. J'aimerais que vous nous fassiez part de votre sentiment sur la nécessaire complémentarité entre ces trois ports, détenant une place au niveau national non négligeable. Pour les passagers, Calais est le premier port français et le deuxième port mondial ; Dunkerque est remarquablement situé en quatrième position nationale ; Boulogne est classé en première zone pour l'agro-alimentaire.

Je m'interroge sur la place de notre façade maritime par rapport à la « banane bleue ». Sur la Manche nous voyons des bateaux attendre leur entrée dans les ports, notamment belges, et attendre les marées pendant des heures alors que les ports de la façade maritime française ne demanderaient qu'à les accueillir rapidement.

Il faut mettre fin à cette légende surfaite du problème de la fiabilité de nos ports lié à des conflits sociaux car force est de constater que ces trois ports sont devenus performants, notamment Dunkerque où un accord cadre exemplaire a été signé.

J'espère, M. le directeur, que dans la mesure de vos possibilités vous appuierez l'axe de développement Seine-Nord et que la plate-forme de Dourges trouvera sa complémentarité sur la façade littorale.

Entre Dunkerque et Calais, une plate-forme multimodale subsidiaire va bientôt être raccordée au fer. Elle est déjà raccordée au port de Calais par une rocade maritime et directement raccordée à l'A16 et l'A26 ainsi qu'au réseau nord. Voilà un axe majeur, d'autant que nous avons les capacités de le développer. J'ai remarqué que les conditions que vous posez pour le développement des ports : compétitivité, action commerciale, desserte terrestre, développement logistique... sont remplies par les ports de la façade maritime Nord-Pas-de-Calais.

En clair, pourriez-vous nous dire comment vous voyez l'unité des ports, leur développement dans leur complémentarité, le développement de l'axe Dourges-Calais-Dunkerque, et le développement de SeaFrance ?

Nous disposons de moyens financiers importants, notamment d'origine européenne. Or, je viens d'apprendre que nous risquons de perdre les financements européens prévus au titre de la compensation de pertes de trafic liées à la disparition des zones à risques, faute de présenter des projets substantiels.

C'est un enjeu fantastique, d'autant que les parts de marché au point de vue fret sont en augmentation exponentielle, 8 % de moyenne de plus ces dernières années, 13 % pour 1999.

SeaFrance, faute de disposer d'une capacité de man_uvre pour sa flotte, est en perte de marché de 4 % sur le fret alors que c'était hier son fleuron.

Certes, nous allons avoir le cinquième bateau demandé au titre des compensations mais il faudra deux ans pour l'obtenir. Si nous attendons les deux années de construction et que SeaFrance ne dispose pas immédiatement d'un bateau pour reconquérir des parts de marché de fret, le pavillon français sera sérieusement menacé, alors que curieusement deux lignes étrangères se développent à Dunkerque. J'en suis très satisfait pour Dunkerque, là n'est pas l'enjeu, mais je suis surpris que ce soit des pavillons étrangers qui viennent reprendre des parts de marché existantes en fret sur Calais ; SeaFrance est en perdition tandis que ses parts de marché partent sous un pavillon étranger. S'il avait été français, on aurait très bien pu examiner avec les équipages SeaFrance comment assurer une complémentarité.

Il s'agit d'objectifs majeurs, soutenus par une volonté de la région et des conseils généraux du Nord-Pas-de-Calais soucieux d'assurer une cohérence de la façade maritime.

M. Gérard Grignon : La marine marchande française est en déclin, nous nous situons au 28ème rang mondial, or nous avons 150 navires immatriculés sous pavillon étranger de complaisance.

Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement, déclarait dans un grand journal il y a peu de temps que la France avait aussi ses pavillons de complaisance (Kerguelen, Saint Pierre-et-Miquelon...). Il n'existe pas de pavillon de complaisance, c'est la loi française qui s'applique, sauf en matière de fiscalité. A propos de Saint-Pierre-et-Miquelon, j'ai déposé il y a peu de temps une proposition de loi, visant à y créer un registre d'immatriculation des navires.

Aujourd'hui, la marine marchande est en déclin, parce que la compétition internationale est trop forte. Les armateurs ne peuvent pas lutter contre la concurrence, compte tenu des charges qui pèsent sur eux.

Du fait du statut particulier que confère à la collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon la loi de 1985, le conseil général a la maîtrise totale de la fiscalité pour les impôts sur le revenu des personnes physiques, les impôts indirects, les impôts sur les sociétés etc. Cela lui permettrait de répondre aux souhaits des armateurs français : exonération d'impôt des personnels navigants, taxation forfaitaire des bénéfices etc.

Saint-Pierre-et-Miquelon a une administration maritime moderne, une solide tradition maritime et un système de télécommunications très développé. A mon sens, nous pourrions répondre aux demandes des armateurs français et permettre au pavillon français de reconquérir sa place sur les mers.

Quel peut être le sort, M. le directeur, d'une telle proposition de loi ? Elle était déjà déposée sous la législature précédente, et avait été inscrite à l'ordre du jour de notre Assemblée le 23 mai 1997. Vous connaissez le sort qui lui a été réservé du fait de la dissolution. Depuis, je suis intervenu auprès des services du ministère de l'équipement et j'attends toujours une réponse. Je vais de nouveau intervenir la semaine prochaine auprès du ministre pour connaître sa position sur cette question.

Quel sort peut-on donner à ma proposition de loi ? Pensez-vous qu'elle apporte une solution crédible aux problèmes que rencontre actuellement notre marine marchande ?

M. Jean-Pierre Dufau : Pourriez-vous me donner des informations plus précises sur la reprise de la ligne Bayonne/Southampton alors qu'elle avait été pratiquement abandonnée ? Je suis très heureux que cette reprise puisse avoir lieu.

En ce qui concerne la sécurité en mer, ne faut-il pas saisir l'occasion de la présidence française de l'Union européenne au second semestre 2000 pour qu'une réponse européenne soit enfin trouvée à ces questions ?

Par ailleurs, ne serait-il pas utile dans les zones à risques de doter quelques ports des équipements spécifiques pour héberger les navires en difficulté ? Lorsqu'un navire est en difficulté : soit on l'éloigne au large, et on écarte le problème mais je ne suis pas sûr que ce soit la meilleure solution; soit on essaie de le rapatrier dans une zone où on peut le réparer. Peut-on envisager que des bassins spécifiques, particulièrement équipés et complètement étanches, puissent traiter les bateaux subissant des fuites de carburant ?

Après le naufrage de l'Erika, la France doit faire des propositions dans le cadre de sa prochaine présidence de l'Union européenne et recueillir l'accord des autres Etats membres.

M. Claude Gressier : En réponse à vos questions, je vais commencer par les problèmes de sécurité. Des accords internationaux, qui ont parfois un caractère insuffisant, régissent cette question.

Au sujet du Baltisky immobilisé dans le port de Tréguier, je suis désolé si les autorités locales ont le sentiment d'être laissées à l'abandon mais les interlocuteurs normaux, dans un tel cas, sont à Paris, c'est-à-dire dans ma direction, peut-être n'a-t-elle pas fait son travail ainsi que sur place les services maritimes et des affaires maritimes.

Les ammonitrates en dehors du pétrole sont mon angoisse car, depuis mon entrée en fonction en février 1998, tous les navires « poubelles » venus dans un état lamentable dans nos ports sont des navires chargés d'ammonitrates. « Le City of London » et le « Zahoris Toianou » à Marseille, le « Baltitsky » à Tréguier, et le « Junior M » toujours pour le moment à Brest sont tous des navires qui transportaient des ammonitrates.

Je compte réunir prochainement les importateurs d'ammonitrates pour leur dire que, dorénavant, indépendamment des accords internationaux, je demanderai aux services des affaires maritimes de contrôler leurs bateaux dès qu'ils arrivent dans un port.

Quand ce type de bateau est dans nos ports, nous devons faire face au problème des délais de déchéance qui sont relativement longs.

S'agissant des marins, un groupe de travail a débouché sur un rapport intéressant, que la France a transformé en une proposition d'accord international dans le cadre de l'organisation maritime internationale. La négociation est en cours et parallèlement des mesures sont prises au plan national.

Pour les problèmes de déchéance, les réglementations prévoient qu'on retrouve l'armateur ou que celui-ci abandonne le navire. Parfois l'armateur est connu et affirme qu'il va s'occuper du bateau, et dans ce cas l'administration ne peut rien faire. Si l'armateur abandonne le bateau il doit le signifier. Ensuite, il y a ou non une compagnie d'assurances ; en effet l'assurance n'est pas encore obligatoire, sauf dans le cas du transport de produits chimiques et de produits pétroliers.

Si l'armateur abandonne son navire, il n'est redevable de rien et les frais sont à la charge des autorités nationales, en l'occurrence les ports qui pourraient éventuellement se faire aider par l'Etat, mais pour le moment, il n'y a pas de fonds prévu à cette fin. Je milite pour qu'un fonds permette de faire face à ce type de situations.

Les accords internationaux fixent des délais incompressibles pour que le navire soit déclaré abandonné. Une fois qu'il est abandonné, il faut un appel d'offres pour qu'il soit découpé. Le ferrailleur se paie sur la ferraille, sinon on est obligé de le rémunérer.

Si l'on prend l'exemple du « Junior M » à Brest, c'est pire encore car il s'agit d'une matière dangereuse. Il a fallu attendre un certain délai avant de le décharger. Il y avait un armateur, un propriétaire de la marchandise et un acquéreur en France, mais ce dernier acquiert les marchandises au prix du marché. Vu les difficultés de déchargement, c'est ma direction qui a financé le marché passé par les services maritimes de Brest pour décharger ce navire, opération qui est donc à la charge du Gouvernement français.

Y a-t-il moyen de faire autrement ? Il y a la prévention et les contrôles.

Le « Junior M » allait de St-Pétersbourg au Maroc, donc il n'allait pas en France ; il y a eu une tempête, il était en mauvais état, il s'est mis dans la baie de St-Brieuc et le préfet maritime a demandé qu'il rentre au port de St-Malo. Le commandant de bord s'y est opposé, on m'a saisi et j'ai estimé que c'était de la folie.

Je pouvais donner deux réponses, soit je ne voulais pas de ce bateau dans les ports français et il devait être coulé ailleurs, mais il fallait sauver l'équipage et le bateau risquait d'occasionner une pollution avec ses soutes bien remplies puisqu'il allait jusqu'au Maroc.

Bien qu'il s'agisse d'un transport d'ammonitrates en vrac très dangereux, je me suis dit que cela n'allait pas exploser, même si c'était arrivé en 1947 à Brest. J'ai décidé de l'amener à Brest et d'essayer de le faire décharger. J'ai pesé les risques et essayé le plus vite possible de faire en sorte qu'il puisse être déchargé et de trouver un acquéreur pour la marchandise. Le bateau pouvait être amené en cale sèche et être réparé si l'armateur le souhaitait. J'ai choisi Brest car s'y trouvent tous les équipements nécessaires pour le réparer.

Vous voyez que nous sommes dans des situations juridiques assez difficiles.

Si l'on prend le problème sur un plan plus général, il est vrai que la situation est complexe et la sécurité insuffisante. La catastrophe de l'Erika doit être l'occasion de renforcer la sécurité maritime.

Le ministre a déjà réuni des tables rondes et formulé des propositions qu'il va transmettre à Mme Loyola de Palacio, membre de la Commission européenne, chargée des transports, ainsi qu'à l'organisation maritime internationale sur un certain nombre de thèmes qui tournent autour du renforcement des contrôles, notamment ceux en cale sèche tous les deux ans et demi pour les pétroliers et chimiquiers de plus de 15 ans.

Actuellement, un contrôle très renforcé a lieu tous les cinq ans, un contrôle léger tous les ans, un contrôle intermédiaire plus approfondi tous les deux ans et demi, mais pas nécessairement en cale sèche. Il faut donc à la fois un renforcement des contrôles et les pratiquer obligatoirement en cale sèche pour les pétroliers et les chimiquiers tous les deux ans et demi.

Il faut en outre mettre en place un système de contrôle des contrôleurs, c'est-à-dire une vérification de la qualité des contrôleurs des différents Etats ou des sociétés de classification par des experts au niveau européen ou au niveau mondial. C'est un point tout à fait essentiel.

Il faut renforcer le système d'assurance, et élever les plafonds qui sont actuellement relativement bas, ainsi pour l'Erika celui-ci n'est que de 80 millions de francs, et mettre en _uvre la responsabilité du chargeur, réceptionnaire et propriétaire de la marchandise.

Des améliorations et précisions sont donc nécessaires au plan juridique. Une autre idée s'apparente davantage à ce que font les Etats-Unis : il s'agit de demander à un navire, dès qu'il entre dans une zone économique exclusive, et non dans les eaux territoriales qui sont beaucoup trop réduites, de décliner à l'administration maritime la plus proche tous les éléments de sécurité le concernant pour qu'elle prenne les dispositions adaptées.

L'empêcher de rentrer est juridiquement difficile, compte tenu de la convention internationale sur le droit de la mer, dont nous avons été signataires ainsi que tous les pays européens. Les Etats-Unis n'en sont pas signataires et peuvent l'interdire, mais la convention internationale sur le droit de la mer donne le libre passage, notamment dans le Pas-de-Calais. Mais, on pourrait vraisemblablement exiger, dans le cadre d'un accord international à élaborer, d'un navire d'indiquer ses références précises en matière de sécurité afin qu'il soit éventuellement possible de lui interdire de venir, en tout cas de prendre les mesures nécessaires et lui intimer l'ordre d'aller dans le port le plus proche pour une vérification approfondie.

C'est autour de ces quelques idées : renforcement des contrôles, contrôle des contrôleurs, responsabilité des chargeurs et prévention en essayant de faire montrer « patte blanche » au navire qui rentrerait dans la zone économique exclusive, que le ministre est en train de réfléchir.

Tout ceci nécessite des accords internationaux, dans le cadre de l'organisation maritime internationale ou dans le cadre de l'ONU, mais un certain nombre de choses peuvent également se faire dans le cadre de l'Union européenne.

En matière de politique maritime, l'Union européenne, pour le moment, n'a pas fait grand chose. Il y a bien quelques directives sur les sociétés de classification, qui devraient être renforcées et le projet « Equasis » soutenu par l'Union européenne, d'initiative française qui va permettre de disposer d'un fichier central avec toutes les caractéristiques de sécurité des navires. On pourrait toutefois aller plus loin.

Il faut profiter de la catastrophe de l'Erika, car dans l'Union européenne tous les pays ne sont pas nécessairement du même avis. La politique maritime n'a jusqu'à présent pas été davantage développée pour deux raisons fondamentales.

La première c'est l'Histoire. L'histoire du milieu maritime est une histoire totalement internationale depuis des millénaires avec une accentuation au 19ème siècle. Ainsi, vous pouvez aller d'un pays européen à un autre, avec tout navire battant n'importe quel pavillon de n'importe quel pays du monde.

Il avait été question de créer un pavillon européen. Ce projet a échoué car un certain nombre de pays n'en voulaient pas. On observe de grandes différences entre les administrations maritimes des différents Etats de l'Union européenne. Actuellement, il y a place pour une politique maritime renforcée au plan de la sécurité.

Le Gouvernement en est conscient et c'est avant même le début de la présidence française qui commence au 1er juillet, qu'il faut essayer de faire avancer certains dossiers. La sécurité maritime sera à l'ordre du jour de la prochaine réunion du conseil des ministres des transports qui aura lieu en mars.

Il y a beaucoup à faire, mais tout n'est pas complètement noir.

Il faudrait que les Etats du pavillon aient une administration maritime capable d'assurer les contrôles. C'est effectivement un dossier auquel l'Union européenne est attachée, qu'elle a déjà commencé à pré-négocier avec les Etats demandeurs d'entrer dans l'Union. A Chypre, on constate déjà un certain nombre d'améliorations du registre. Pour Malte, ce n'est pas encore vraiment commencé. Pour l'Estonie, la Lituanie, il reste beaucoup à faire. L'Union européenne est tout à fait consciente de cette nécessité.

Cette préoccupation doit être appuyée par le contrôle des contrôleurs et par un minimum d'administration communautaire. Il ne s'agit pas de faire le travail à la place des Etats, mais de vérifier que les administrations maritimes des différents Etats font leur travail, et que les sociétés privées de classification, qui parfois d'ailleurs travaillent pour le compte des assureurs et des armateurs mais parfois par délégation des Etats, font elles aussi leur travail.

De nombreux problèmes portuaires ont été soulevés.

La Cour des comptes s'est interrogée sur la question du statut des ports. Il faut y réfléchir mais je ne suis pas certain que ce soit fondamental. Le port autonome présente cette caractéristique particulière de gérer pour le compte de l'Etat les infrastructures et d'être maître d'_uvre des superstructures, soit en les gérant lui-même dans certains cas, soit en confiant à des opérateurs privés tel ou tel terminal, ou telle ou telle gestion d'outillage.

On peut se demander, lorsqu'un port atteint une taille suffisante, s'il ne devrait pas bénéficier d'un statut équivalent, dans lequel il gérerait à la fois les infrastructures pour le compte de l'Etat et aurait la responsabilité de l'organisation de l'ensemble des superstructures.

Lorsque les ports sont plus petits, le système actuel où l'Etat gère les infrastructures avec une concession d'outillage donnée en général aux chambres de commerce, me paraît relativement bien fonctionner.

Pour rejoindre la préoccupation de M. André Capet, il me paraît essentiel au-delà de la sélectivité des investissements, d'avoir une vision stratégique de l'ensemble des ports d'une façade. Bien sûr il ne m'appartient pas de dire aux armateurs où ils doivent travailler.

En revanche, on peut sur le plan des investissements, et dans le cadre de la sélectivité de ces investissements, ne pas favoriser un terminal conteneurs à tel endroit, si on estime par exemple que ce n'est pas la vocation du port mais plutôt les céréales, les engrais.

Je ne peux pas décider cela de Sirius, mais rien n'interdit aux collectivités locales et à l'Etat, en concertation, de définir une stratégie portuaire, en prenant en compte la stratégie des ports voisins dans une certaine complémentarité. Effectivement, nous en avons de plus en plus besoin de façon à ne pas disperser les crédits. Nous avons essayé de le faire dans le cadre des contrats de plan qui sont en cours de signature, dans lesquels les élus régionaux ont bien perçu ce rôle de sélectivité et de complémentarité des investissements.

Par exemple, en Basse-Normandie, indépendamment de Cherbourg, il y a Caen et Honfleur. On a demandé au conseil régional ce qu'il privilégiait. La Basse-Normandie a choisi le port de Honfleur pour certains trafics. On va donc construire un nouveau quai à Honfleur, notamment pour le trafic du bois, et on modernisera Caen sur d'autres trafics afin de ne pas créer de doubles emplois.

Dans le Nord-Pas-de-Calais, cette nécessaire complémentarité est encore plus évidente qu'ailleurs. Les modalités sont à définir, notamment avec la région et son président. Le ministre a confié, à l'ingénieur général Jean Smagghe une mission de réflexion et de concertation avec l'ensemble des acteurs concernés pour examiner ce qu'il est possible de faire en vue d'institutionnaliser la complémentarité entre les ports.

Faut-il favoriser une filière de manutention portuaire française ? La réponse est oui.

De même que je crois qu'il faut favoriser le pavillon français des armateurs français, de même si nous avions toutes nos billes dans des paniers de manutentionnaires belges, néerlandais, de Singapour ou de HongKong, sans manutentionnaires français, ce serait dangereux. Encore faut-il que les manutentionnaires décident de devenir de vrais industriels de la manutention. Il y en a dans ce pays, on devrait pouvoir s'appuyer sur eux.

Faut-il des appels d'offres ? Ils sont chaudement recommandés par l'Union européenne. Ce sera même une obligation en contrepartie de la demande française visant à exonérer de la taxe professionnelle les équipements spécifiques de manutention. C'est un dossier du Comité interministériel de la mer, que nous avons mis un an et demi à faire aboutir par la Commission des communautés européennes. La décision a été prise à la fin de l'année dernière, nous n'avons pas encore le texte définitif.

Dans le cas du Havre et de Dunkerque, s'il y a augmentation de capacité, il ne pourrait y avoir suppression de la taxe professionnelle que s'il y a mise en concurrence.

Comment juge-t-on la mise en concurrence ? Non pas sur les tarifs, mais sur les capacités techniques, les capacités d'investissement, la fiabilité, la solidité, la technicité des manutentionnaires. Ce n'est pas vraiment un appel d'offres tel qu'on le conçoit pour les marchés publics, mais plutôt un appel à candidatures dans lequel on examinera toutes les caractéristiques, la fiabilité et les engagements pris dans la perspective d'une augmentation des trafics.

C'est indiqué dans le décret du 9 septembre, dans l'article sur les conventions de gestion de terminaux. Il y a une obligation de résultat afin qu'aucun manutentionnaire français ou étranger ne stérilise tel ou tel port.

Si cette obligation n'est pas remplie, on peut retirer au manutentionnaire l'exclusivité du quai qui lui est affecté et même supprimer la convention à ses risques et périls sans aucune indemnité s'il ne remplit pas ses objectifs. C'est très important, cela fait partie de la régulation que doivent jouer les établissements portuaires, même si les investissements privés sont de plus en plus importants, afin d'aider au dynamisme commercial de nos places portuaires.

Sur nos places portuaires, je suis formel, que ce soit pour les dessertes terrestres ou pour le commerce, ce n'est pas l'établissement portuaire qui fait tout lui-même, ni le manutentionnaire ou l'agent ou l'armateur, mais c'est vraiment la place portuaire.

Si parfois dans ce pays, on manque d'une bonne gestion à tel ou tel maillon de la chaîne, on manque parfois encore plus d'une bonne coordination, d'une bonne unicité, d'une bonne stratégie commune de la place portuaire. Un des premiers travaux des présidents et des directeurs de ports sera de réaliser une bonne stratégie commune de cette place portuaire pour remporter le marché face aux concurrents qui sont nombreux et qui sont prêts.

On a dit que le Pas-de-Calais pouvait être un handicap pour le Havre et que cela pouvait poser un problème de rapidité du transport. Je ne le dirai pas ainsi, il y a le Pas-de-Calais et son encombrement, et surtout l'encombrement en transports terrestres du Bénélux. On commence à voir que ce n'est pas un handicap pour le Havre, mais pour les ports du Bénélux : Anvers et Rotterdam qui sont de grands ports, qui se portent bien mais qui sont complètement saturés.

Sortir de Rotterdam en camion un soir de semaine est difficile. Les gens commencent à s'en rendre compte et c'est l'une des raisons pour laquelle nous avons de plus en plus de demandes de logisticiens pour s'installer au Havre. Le Bénélux est bien placé, c'est plus près de la Ruhr, de la « banane bleue », mais il y a un problème d'encombrement.

Ce problème d'encombrement ne touche pas le Havre, qui est le premier grand port à l'entrée ou à la sortie du Pas-de-Calais. Pour les grandes escales des porte-conteneurs qui vont vers l'Extrême-Orient, le Havre est généralement la première escale lorsqu'ils rentrent avant d'aller à Rotterdam, Anvers, Hambourg, ou la dernière lorsqu'ils sortent. Cela lui donne une position assez privilégiée à condition qu'il puisse la mettre en valeur, notamment grâce à un transport terrestre de qualité.

Les Américains et les Norvégiens, qui sont à l'origine du projet Fastship, ont choisi Cherbourg pour :

- ne pas aller dans le Pas-de-Calais et ne pas avoir d'encombrement ;

- les qualités nautiques tout à fait remarquables de Cherbourg ;

- parce qu'à Cherbourg, ils étaient les « rois du coin » alors qu'au Havre ils n'auraient été qu'un client parmi d'autres. Leur concept logistique est très intéressant, car il ne s'agit pas d'arriver dans un port et de se faire décharger ; ils organisent sur 7 jours un porte à porte entre l'Est des Etats-Unis et l'Europe. Cela signifie 3 jours et demi de navigation et un jour et demi à terre de chaque côté. C'est un concept intéressant et une vraie performance en même temps.

Le projet va-t-il voir le jour ? Le Gouvernement français a fait en sorte que la chambre de commerce puisse, après avoir pris les précautions d'usage, signer le contrat définitif avec Fastship, mais actuellement il manque deux éléments importants. Tout d'abord, l'opérateur du terminal n'est pas trouvé. Fastship pensait faire affaire avec une filiale de la Cogema, mais sa nouvelle présidente a estimé que ce n'était pas au c_ur des activités de l'entreprise, ce qui est objectivement vrai. Ceci oblige Fastship à chercher un autre opérateur, qui pour le moment n'est pas trouvé.

Ensuite, ils n'ont pas bouclé leur tour de table financier aux Etats-Unis. Une grande partie des fonds va leur être apportée par des prêts garantis par l'administration maritime des Etats-Unis, puisque celle-ci garantit 87,5 % du coût de construction des navires construits dans un chantier américain. Il leur faut encore trouver en plus 175 millions de dollars. Un investisseur pressenti a en définitive estimé que c'était trop pour lui. C'est un projet intéressant, mais je ne peux pas dire aujourd'hui quand il verra le jour.

Quelques mots sur la plate-forme de Dourges. Je n'ai pas grand chose à dire sur la plate-forme elle-même, puisqu'elle a été décidée. Il n'est pas trop tard pour travailler avec le port de Dunkerque afin de déterminer dans quelles conditions la plate-forme peut profiter à ce port : nombre de navettes, définition des priorités, tarifications.

La SNCF, et dans une moindre mesure sa filiale la compagnie nouvelle de conteneurs (CNC), pourront intervenir ; un schéma d'exploitation à destination des ports du Nord-Pas-de-Calais, à partir de Dourges a du reste été élaboré.

La façon dont les ports vont tirer parti de ces plates-formes est à imaginer. La SNCF n'a pas toujours le réflexe de desservir suffisamment les ports. J'y ai veillé lors de la confection des contrats de plan. J'ai participé à des réunions avec les directions régionales de l'équipement très en amont, pour que les investissements ferroviaires et routiers soient pris en compte en même temps que les investissements portuaires dans les contrats de plan qui sont en cours de signature. Cela se passe assez bien, notamment au Havre.

Mais il n'y a pas que les investissements, il y a également toute l'exploitation et là, on sent des tiraillements. Rien ne sert de rentrer en guerre contre la SNCF et la CNC. Il faut s'arrêter de vouloir faire de la commercialisation à la place de la CNC car cela entraîne un affrontement direct. Il faut passer un marché avec elle pour qu'elle joue son rôle de commissionnaire de transport à la clientèle et en contrepartie s'engage sur des qualités de services, sur des tarifs, sur la promotion du produit et qu'elle prenne aussi ses risques.

Si vous lui demandez d'être simplement transactionnaire, elle vous fera tout payer. Si vous lui demandez de faire de la commercialisation, elle prendra une partie du risque. C'est mieux que d'avoir des affrontements infinis avec elle. Mais cela ne signifie pas pour autant que, dans l'esprit de la SNCF au quotidien, il soit véritablement rentré dans les m_urs de faire vraiment attention à la qualité de service et à la tarification de la desserte des ports français. Nous nous y employons et nous y travaillons beaucoup avec mon collègue Hubert du Mesnil, directeur des transports terrestres, mais nous ne sommes pas au bout du problème. Nous tenons des réunions de plus en plus fréquentes pour essayer d'apaiser les conflits avec la direction du fret de la SNCF et avec la CNC.

Pour le cabotage, si l'on veut aller au-delà des activités actuelles de feedering et de transport de voitures, il faudra prendre des décisions, relatives, d'une part, à des aides financières au démarrage et, d'autre part, il faudra faire respecter les règlements routiers, c'est-à-dire regarder si la concurrence est loyale ou non.

Vu le nombre de nos ports, le cabotage est tout à fait possible. Peut-on faire une sorte de schéma directeur ? C'est peut-être un peu prématuré. En tout cas, des initiatives sont prises, non seulement par le bureau de promotion du cabotage mais également le président du conseil économique et social de la région des Pays de la Loire, M. Gilles Bouyer qui essaye de réunir les trois présidents des régions de la façade Atlantique. Il faut coordonner ces initiatives, sinon nous n'arriverons à rien.

J'ai parlé des registres et de la nécessité de les moderniser, notamment de trouver une voie entre les préoccupations sociales des marins et la compétitivité, ceci d'autant plus que beaucoup de pays de l'Union européenne - et c'est important pour le cabotage - vont modifier considérablement leurs registres dans les deux à trois années à venir. Nous sommes en pleine réflexion sur ce sujet, puisqu'une mission importante a été confiée à deux inspecteurs généraux.

A la question particulière : un tel registre doit-il être localisé à St-Pierre-et-Miquelon ou à Wallis et Futuna ? Honnêtement, je ne peux pas répondre à cette question, il me paraît aujourd'hui prématuré de choisir telle ou telle formule, dans l'état actuel de nos réflexions, un rapport va être remis dans deux ou trois semaines au ministre qui décidera ensuite d'un certain nombre d'orientations.

Je ne peux pas répondre à cela, je peux simplement dire que c'est une préoccupation importante :

- pour le long cours, il est important que nous ayons un savoir-faire français, des pavillons français, des armateurs français pour une partie significative de notre commerce international ;

- nous devons avoir notre place dans le cabotage européen qui va se développer de toute façon, en tant que marins français avec un savoir-faire français ;

- pour les ferries, ce ne sont pas des problèmes d'armement qui sont en cause, même s'il faut faire très attention à la concurrence que généreront les projets de directives européennes.

Nous avons aussi une carte à jouer en matière de croisière. Actuellement, nous avons un navire de croisière sous pavillon français, « Le Mistral », qui navigue dans nos eaux, plusieurs autres naviguent très loin.

Je ne suis pas entièrement satisfait du registre Wallis et Futuna, nous devons faire un peu mieux.

Sur le marché des ferries, c'est moins un problème d'armement qu'un problème de marché, de compétitivité : il faut y être attentifs car pour les appels d'offres pour les liaisons entre la France continentale et la Corse, des pavillons d'autres pays de l'Union européenne peuvent entrer en concurrence avec les nôtres. On a déjà un navire sous pavillon italien qui navigue vers Nice. Nous devons donc être vigilants.

Un décret a été signé au début de l'année dernière. En ce qui concerne l'Union européenne nous appuyons les projets de directives, sur les équipages par exemple. Pour les services réguliers de transport de passagers, quel que soit le pavillon, ils doivent obéir aux règles d'un des pays entre lesquels se font ces services réguliers de passagers. Pour le moment, nous sommes peu nombreux à soutenir ce projet. Peut-être qu'en améliorant ce projet de directive en y introduisant des considérations relatives à la sécurité, nous pourrions attirer à nous d'autres pays qui jusqu'ici ont été réticents.

M. André Lajoinie, président : Je vous remercie de vos réponses qui ont été complètes. Nous ferons éventuellement à nouveau appel à vous en cas de besoin car cette question évolue vite et a une importance considérable pour la France. La présidence française de l'Union européenne au second semestre 2000 va nous aider à progresser mais il faudra recueillir l'accord des autres pays. A chaque chose, malheur est bon ; le naufrage de l'Erika devrait nous permettre d'agir plus efficacement. Je suis très sensible à la question des pavillons, cette situation ne peut pas durer, il n'est pas normal que la France n'occupe pas sa place et nous devons y travailler.

Audition de M. Marc CHEVALLIER,

président du comité central des armateurs de France

et de M. Edouard BERLET,

délégué général,

(extrait du procès-verbal de la séance du 26 janvier 2000)

Présidence de M. André Lajoinie, Président

M. André Lajoinie, président : Mes chers collègues, nous allons procéder à l'audition de M. Marc Chevallier, président du comité central des armateurs de France et de M. Edouard Berlet, délégué général. Notre commission se livre à une étude sur les transports en France et en Europe en vue de définir des priorités. Parmi les transports les moins polluants, les plus sûrs nous n'oublions pas la navigation. Nous voulons savoir ce qu'il serait possible de faire pour encourager ce mode de transport extrêmement intéressant.

M. Marc Chevallier : Merci M. le président. Je précise que la flotte française regroupe aujourd'hui 210 navires de charge et de croisière, elle est très polyvalente. Elle se situe malheureusement au 28ème rang mondial seulement. Il y a une vingtaine d'années, la France occupait le 8ème rang. Nous contrôlons en outre 150 navires sous pavillons tiers.

La France, aujourd'hui, reste une place maritime importante, car elle a un savoir-faire reconnu dans le monde entier. Outre les armateurs, nous avons des assureurs, des courtiers, des professions portuaires, des chantiers navals, tous renommés. Cette communauté maritime vit de la mer et représente un atout important pour la France. Je le précise avec conviction, parce que je crois, en tant qu'armateur et président du CCAF, que la France a besoin d'une marine marchande pour avoir la maîtrise de ses importations, de ses exportations et de ses transports de produits stratégiques.

Je rappelle qu'au moment de la guerre du Golfe des navires de charge français avaient été affrétés par le ministère de la défense pour transporter des troupes et du matériel à destination du Koweït. Des transports militaires sont effectués régulièrement par des navires français ainsi que l'acheminement des aides alimentaires. Je rappelle encore que la fusée Ariane est transportée par un navire français. Il existe une stratégie et une volonté de maintenir une marine marchande française.

Sur le plan économique, son activité représente aujourd'hui environ 23 milliards de francs de chiffre d'affaires, 9.000 emplois de navigants, 6.000 salariés à terre, plus les emplois induits. La balance commerciale est très excédentaire et le fret souvent payé en devises.

Sur le plan social, l'intérêt de la marine marchande n'est pas négligeable car elle représente beaucoup d'emplois dans les sociétés de classification, les chantiers navals, les compagnies d'assurances, sans parler des pilotes, des lamaneurs, des remorqueurs, etc.

Cette communauté maritime a besoin d'une flotte marchande. Tous les armateurs français ont leurs sièges sociaux en France, la localisation des entreprises en France étant un atout majeur pour cette communauté maritime.

Nous espérons beaucoup retrouver un peu de compétitivité pour nos pavillons. Nous avons besoin d'une flotte française, c'est important sur le plan économique, stratégique et social, et il faut faire en sorte de la maintenir et de la développer alors que nous nous heurtons à un problème de compétitivité auquel le ministre de l'équipement, des transports et du logement, M. Jean-Claude Gayssot, s'est beaucoup intéressé.

Lors du Comité interministériel de la mer du 1er avril 1998, M. Jean-Claude Gayssot avait obtenu le remboursement de la taxe professionnelle pour les bateaux français situés dans les ports français, celui d'une partie des charges sociales patronales et la mise en place d'un système de GIE fiscal. Ces trois dispositions sont appliquées. J'ouvre une parenthèse sur le GIE fiscal : en 1999, 16 navires ont fait l'objet d'un agrément de GIE, ce qui signifie que ce système fiscal fonctionne. La taxe professionnelle est remboursée normalement et les charges sociales aussi, mais le système est très lourd. Nous souhaiterions plutôt bénéficier d'une exonération que d'un remboursement.

Nos confrères et concurrents européens ont poursuivi leur route et ont trouvé des solutions pour être de plus en plus compétitifs. Aujourd'hui, nous sommes un peu dépassés dans cette compétition puisque les Hollandais, les Italiens, les Belges, les Luxembourgeois, les Portugais, pour ne citer qu'eux, sont très largement plus compétitifs que nous.

Qu'ont-ils fait ? Ils ont pris des mesures sociales et fiscales. Ils ont exonéré les armateurs de charges sociales. Sur le plan fiscal, ils ont trouvé un système très connu de notre administration pour défiscaliser les salaires des marins à partir du moment où ils effectuent 180 jours de navigation en dehors des eaux territoriales et ils ont par ailleurs autorisé la taxation des navires au tonnage. En début d'année, l'armateur est taxé sur la jauge nette de ses navires et paie une taxe annuelle. Quels que soient ses résultats, ses bénéfices ou ses plus-values, il n'acquitte que cette taxe.

Il existe une différence importante entre le coût d'exploitation d'un navire français et d'un navire hollandais. Nous avançons peu et les Hollandais ont entré 150 navires en flotte en deux ans. Les Britanniques qui étaient en retard ont mis en place l'été dernier la taxation au tonnage et le grand armateur P&O (Peninsular & Oriental) a déclaré qu'il allait entrer en flotte 50 navires.

Le comité central des armateurs de France est prêt à répondre à l'appel de la Commission européenne qui souhaite l'expansion du transport maritime, et notamment du cabotage. Le transport maritime est, statistiques en mains, considéré comme le moyen de transport le plus économique et le moins polluant. J'en parle d'autant plus volontiers que le problème de l'Erika est très présent dans les esprits. Il apporte une solution au problème de l'encombrement des routes et à l'impossibilité de doubler le réseau ferroviaire très rapidement.

Le transport maritime fait l'objet de beaucoup d'attention de la part de la Communauté européenne.

En Scandinavie, et en Europe du Nord en général, le cabotage maritime s'est beaucoup développé. En revanche, nous sommes en retard. Quelques projets sont en cours, un ou deux sur l'Atlantique et un ou deux en Méditerranée.

Notre souci concerne la capacité d'autofinancement des entreprises maritimes françaises, leurs résultats étant assez maigres.

Je reviens à la compétitivité du pavillon, puisque c'est le nerf de la guerre. Nous avons remis à M. Jean-Claude Gayssot, notre ministre, le Livre blanc des armateurs - il vous est distribué - au mois d'octobre dernier. Nous demandons certaines mesures qui reprennent celles qui ont déjà été adoptées par nos partenaires européens : assouplissement des règles d'armement, exonération des charges sociales, taxation au tonnage et défiscalisation des salaires des marins.

Une commission, composée de deux inspecteurs généraux, a été nommée par le ministre pour procéder à une étude de fond et formuler des propositions. Elle devrait en principe remettre son rapport fin janvier ou courant février avant le prochain Comité interministériel de la mer qui devra décider des actions à entreprendre pour répondre au besoin de compétitivité laquelle, j'insiste beaucoup, est absolument vitale pour l'avenir de notre pavillon.

J'ai parlé du GIE fiscal, c'est un avantage à l'investissement, mais en contrepartie, l'armateur français s'engage à maintenir son bateau sous pavillon national pendant huit ans. Le gain au départ est en grande partie perdu par le surcoût du pavillon. L'objectif des armateurs français, dans leur ensemble, est un retour à la compétitivité. Dans ce cas, nous sommes certains de pouvoir entrer des bateaux en flotte et de créer des emplois. Or, notre objectif est bien celui-là. Nous ne pouvons le faire qu'en augmentant la flotte. Sinon, nous irions petit à petit decrescendo.

Voilà, succinctement, la présentation de notre armement.

M. André Lajoinie, président : Merci. Nous pouvons interroger nos invités.

M. Aimé Kerguéris : Nous ne pouvons pas ne pas parler des transports pétroliers. Le système des quirats, abandonné, avait donné une impulsion à la construction et à l'acquisition de bateaux sous pavillon français. Je voudrais demander au président du CCAF de faire une comparaison entre le système des quirats et le GIE fiscal. Peut-il nous confirmer ce que nous avons lu dans la presse, que les 8 porte-conteneurs que souhaite acquérir la CGM seraient bien hors pavillon français ?

Comme cela a été demandé à Nantes à M. Thierry Desmarest (président directeur général de Totalfina) qui déclarait avoir des difficultés pour trouver des bateaux de moins de 20 ans, notamment dans les tonnages moyens pour le transport des produits pétroliers, alors qu'il y a une dizaine d'années, les compagnies pétrolières disposaient de leur propre pavillon, ne faut-il pas faire en sorte qu'elles en aient un à nouveau?

M. Marc Chevallier : Je rappelle que le régime quirataire, qui a tenu seize mois, avait permis d'immatriculer 58 navires en France, dont une partie de remorqueurs. Ce système était très attractif et donnait une plus-value supérieure de 10 % au régime du GIE fiscal d'aujourd'hui. Il n'a pas duré longtemps et il n'a pas été véritablement remplacé.

A propos de la catastrophe de l'Erika, il y aurait beaucoup à dire. Nous rejoignons M. Jean-Claude Gayssot sur le besoin d'une sécurité maritime revue et corrigée.

Dans les différentes propositions remises, nous avons indiqué que la sécurité maritime était importante et devait être contrôlée, mais que la responsabilité devait être partagée entre les armateurs et les affréteurs, pour plusieurs raisons.

Si nous voulons remettre un peu d'ordre dans la « maison », il faut faire la chasse aux navires sous normes, mais pas spécialement aux vieux navires ou aux navires de complaisance. Je rappelle, au risque de vous surprendre, que certains navires sous pavillon de complaisance sont très bons. Personnellement, je connais des armateurs norvégiens qui exploitent des navires sous pavillon de complaisance transportant des produits chimiques très dangereux ; ils ont une flotte extrêmement moderne, avec des équipages compétents. Ce sont de très bons professionnels.

Il faut donc faire une différence entre le navire de complaisance et celui sous normes. Il est possible d'avoir un navire sous pavillon tiers avec un équipage formé, un armateur de haute qualité et un entretien de première classe. La complaisance n'est pas un mal en soi sur ce plan-là, tandis que des bateaux tiers sont exploités par des armateurs qui emploient des équipages sous-rémunérés, insuffisamment formés et qui gèrent des navires en mauvais état ou pas entretenus (c'est peut-être le cas de l'Erika).

En France, nous ne sommes pas compétitifs. Je l'ai dit à plusieurs reprises. La concurrence des navires sous normes est déloyale pour les armateurs français. Toutes les actions qui pourront nous permettre de lutter contre eux seront les bienvenues, parce qu'il s'agit aujourd'hui de rémunérer le transport maritime à sa juste valeur.

Si nous vivons dans le système que vous venez d'évoquer, c'est parce que le transport maritime n'est pas rémunéré. Pourquoi ? Parce que des navires sous normes sont capables d'offrir des prix dont les affréteurs profitent. Il faut faire la police chez les armateurs, les affréteurs, les assureurs, dans les chantiers et auprès des sociétés de classification.

Je vous précise enfin que sur les 8 bateaux commandés par la CGM, 4 seront français dans le cadre de l'investissement GIE fiscal.

M. Paul Patriarche : Je voudrais poser une question sur les écarts importants entre les coûts d'équipage, plus particulièrement sur les car-ferries et les cargos mixtes. Vous parlez d'un surcoût de 50 % et plus s'il y a des passagers. Je serai plus précis, parce que je pense au problème du renouvellement des conventions, en particulier dans les services publics insulaires. Par rapport à la loi Sapin et aux règles européennes, les Etats membres de l'Union européenne ont-ils à craindre la concurrence de pays tiers en cas d'appel d'offres ? Les coûts d'équipage sont-ils plus bas d'une façon générale ou sont-ils proches de la moyenne interna-tionale ?

M. Marc Chevallier : Ce n'est pas le salaire payé à l'officier ou au marin qui est en cause, à partir du moment où nous considérons que les armateurs ne sont pas des « marchands d'hommes ». J'exclus les navires sous normes. C'est le problème de la fiscalité, des charges sociales et celui du régime des congés qui posent problème. En Hollande, l'exonération des charges sociales est totale, en Espagne et en Italie aussi. Nous demandons leur suppression pour être à parité avec nos voisins.

La différence n'est pas entre les salaires des officiers français à 20.000 F par mois, belges ou italiens. Elle existe en revanche sur la durée de la présence à bord.

M. André Lajoinie, président : Dans le secteur du textile, les aides dites « Borotra » ont permis d'abaisser les charges sociales sur les bas salaires. La Communauté nous a sanctionnés et ces aides doivent être remboursées. Il faudrait aboutir à une harmonisation en vue de supprimer le dumping social.

M. Paul Patriarche : Nous sommes dans un cadre européen. Une harmonisation est annoncée, ainsi qu'une Europe sociale. Or certains Etats membres sont exonérés de charges sociales et d'autres ne le sont qu'à moitié et on constate qu'une de nos compagnies nationales (la SNCM), dans le cadre d'une convention qui dure depuis 25 ans, risque de mettre demain au chômage 700 ou 800 marins à cause du poids des charges sociales.

M. Marc Chevallier : Le problème se pose bien sur le plan de l'harmonisation sociale et fiscale en Europe. Si nous voulons être à parité avec nos partenaires et concurrents européens, il faut effectivement parvenir à cette harmonisation, d'autant plus que la Communauté européenne le souhaite et a donné des directives en ce sens. C'est une question de volonté. Notre ministre, M. Jean-Claude Gayssot, l'a bien compris et cherche des solutions sur ces bases-là. Nous voulons simplement être à parité avec les autres.

M. Edouard Berlet : Par rapport au secteur que vous avez évoqué, nos propositions relatives aux charges sociales et fiscales sont parfaitement conformes aux règles européennes. La Commission, il y a trois ans, a adopté des lignes directrices suggérant aux Etats membres des mesures comme la suppression des charges sociales, l'instauration de la taxe forfaitaire au tonnage, et la défiscalisation des salaires des navigants. De plus en plus d'Etats membres adoptent ce type de mesures, une harmonisation de fait est en cours, en dehors de toute directive ou règlement européens.

Je précise la réponse du président Chevallier à M. Aimé Kerguéris concernant les quirats : 58 navires ont été agréés par le ministère des finances au titre de ce régime, pour une dépense fiscale de l'ordre de 1,5 milliard de francs. En comparaison, le système du GIE fiscal sur l'année 1999 donne les résultats suivants : 16 navires agréés pour une dépense fiscale de 700 millions de francs. Cela concerne l'ensemble des secteurs d'activité de la marine de commerce, c'est-à-dire porte-conteneurs, vrac, pétroliers, chimiquiers, transports de passagers, croisières, etc.

M. Gérard Grignon : J'ai déposé une proposition de loi qui vise à créer à Saint-Pierre-et-Miquelon un registre d'immatriculation. La discussion que nous avons n'est pas nouvelle, je l'ai entendue il y a une dizaine d'années, la situation de notre marine marchande ne s'étant pas améliorée dans l'intervalle. Dans votre Livre blanc vous préconisez notamment la défiscalisation du salaire du personnel navigant, la taxation forfaitaire, la simplification de certaines normes administratives, la possibilité de mieux contrôler l'état des navires.

Je pense que Saint-Pierre-et-Miquelon offre un terrain privilégié pour réaliser ce que vous proposez. Une loi de 1985 a doté l'archipel d'un statut particulier qui donne à son conseil général la maîtrise de l'impôt sur le revenu des personnes physiques, de la fiscalité indirecte ou de l'impôt sur les sociétés. Le système institutionnel et juridique est tout prêt pour créer ce régime d'immatriculation qui permettrait à la marine marchande française d'être compétitive. Je vais à nouveau interroger M. Jean-Claude Gayssot sur ce dossier car je pense qu'il faut avancer dans cette voie pour trouver des solutions rapides.

Je rappelle que cette proposition de loi, déjà déposée en 1995, avait été inscrite à l'ordre du jour des travaux de l'Assemblée nationale, mais elle n'a pas pu aboutir pour des raisons que vous connaissez tous.

M. Daniel Paul : Le problème réside en effet dans la qualité des navires, la cohérence et la compétence des équipages, plus que dans le principe des pavillons. L'Amoco-Cadiz était un navire appartenant à une compagnie pétrolière. Beaucoup de bateaux appartenant à des compagnies pétrolières auraient pu avoir des problèmes dans le passé mais à l'époque les navires ne faisaient pas 300 000 tonnes. L'affaire de l'Amoco-Cadiz a mis en lumière l'ignorance d'une partie des officiers du droit maritime international. Il faut s'assurer que les personnes se trouvant sur des navires de ce type-là, avec de telles cargaisons, sont bien au fait de leurs droits et de leurs devoirs. Le respect des règles qui régissent la navigation est indispensable.

Seriez-vous d'accord pour responsabiliser davantage les Etats du pavillon et faire en sorte que les organisations internationales puissent sanctionner ceux qui acceptent que leur pavillon soit mis sur un navire sans se préoccuper de la surveillance ? C'est le cas de Malte.

Sommes-nous d'accord pour aller jusqu'à retirer le statut de candidat à l'Union à un pays qui ne satisferait pas à cette condition ? Par exemple Malte, Chypre, la Turquie, les Etats baltes ? Ils n'entreraient dans l'Union européenne que lorsqu'ils auraient mis en place des administrations maritimes dignes de ce nom et à partir du moment où ils accepteraient d'être responsables de l'état des navires qui portent leur pavillon.

A ma connaissance, le Président de la République, lors de sa visite en Bretagne il y a quelques jours, est allé dans ce sens.

Seriez-vous d'accord pour que les contrôles soient faits par d'anciens officiers de la marine marchande, ce qui pose le problème de leur rémunération ?

S'agissant de navires de charge, je ne crois pas beaucoup à une visite à l'abri des quais, dans un port où l'eau est calme. Ce n'est pas là que sont ressenties les tensions s'exerçant sur les tôles. Seriez-vous d'accord pour que ce contrôle ait lieu en pleine mer et à pleine charge, afin que des personnes compétentes puissent se rendre compte de ce qui se passe ? Ces contrôles s'ajouteraient à ceux proposés par le ministre en cale sèche tous les deux ans, afin de savoir comment réagit le navire aux coups de boutoir des vagues, en fonction de la répartition des charges dans les cales.

Vous proposez de défiscaliser totalement la profession de marin. Je ne sais pas si c'est la solution pour préserver l'emploi maritime en France, peut-être. Dans ce cas, il faudrait au moins une négociation forte avec les armateurs et les responsables des compagnies, afin qu'en échange, des emplois soient créés. S'il s'agit de s'aligner purement et simplement sur la façon d'agir de certains armateurs, ce serait un marché de dupe.

Ma dernière question concerne le cabotage. Etes-vous favorable à un développement très volontariste du cabotage, de façon à faire vivre l'ensemble de nos ports et à soulager un peu les transports terrestres qui risquent de se retrouver totalement saturés.

M. Marc Chevallier : Responsabilité de l'Etat du pavillon, je réponds avec un grand oui. Aujourd'hui, nous sommes dans une impasse totale. Si nous voulons réellement légiférer, il faut pouvoir obtenir des sanctions, vous l'avez dit vous-même. Le Président de la République, au Croisic, a déclaré textuellement : « Si les Turcs veulent entrer dans la Communauté, il faut que sur le plan maritime, ils accomplissent de gros progrès sur la sécurité ».

Nous ne pouvons pas accepter que les Français aient adhéré aux règles de l'OMI et notamment au fameux Code ISM sur la sécurité maritime concernant tous les navires de transport de passagers et de produits dangereux, ce dispositif qui existe depuis deux ans a un coût très élevé, puisqu'il s'agit de mettre par écrit toutes les procédures de contrôle, d'entretien et d'exploitation des navires.

Un homme est chargé de la sécurité dans chaque compagnie, voire deux. Tout cela est totalement inexistant chez l'armateur de l'Erika. C'est un élément de la concurrence déloyale évoquée tout à l'heure.

Oui, il faut absolument pouvoir sanctionner un pays qui serait en quelque sorte complaisant sur la sécurité maritime de son pavillon.

En ce qui concerne les contrôles, nous sommes dans une situation un peu particulière en France. Le Mémorandum de Paris prévoit que nous contrôlions dans nos ports français 30 % des navires faisant escale (navires français ou étrangers) mais nos effectifs permettent de n'en contrôler que 18 %.

M. Daniel Paul : 13 %.

M. Marc Chevallier : Les affaires maritimes n'ont pas les moyens humains de répondre à ce souci de contrôle des navires. Il faut donc aider l'administration à s'en doter. Si nous n'avons pas de contrôle chez nous alors que nous sommes pollués par les autres, c'est la fin de tout...

Les candidatures sont difficiles. Vous proposez les officiers de la marine marchande, je n'ai rien contre eux, bien au contraire. A priori, ils sont compétents, ils ont été bien formés, et ils sont en général bilingues. S'il est possible d'allonger leur carrière pour le faire, très bien, mais il ne faudrait pas les retirer des compagnies pour assurer le contrôle des bateaux, sinon, le sous-effectif s'accentuerait.

Le contrôle à pleine charge est plus compliqué. Je vais parler des tankers, qu'ils soient chimiques ou pétroliers, ils peuvent polluer. Il s'agit avant tout d'un problème de structure. Les navires qui ont des doubles fonds connaissent un phénomène d'électrolyse dû à la présence d'eau salée dans les ballasts, à côté de produits chauffés. Si on n'est pas très prudent, la tôle s'abîme. Il est absolument indispensable, au minimum tous les deux ans, d'effectuer des radiographies des tôles et des inspections très détaillées, afin de vérifier si l'épaisseur de la tôle diminue. D'ailleurs, le Bureau Veritas vient régulièrement, en cale sèche, pour une inspection. Les contrôleurs vont dans les doubles fonds et passent leurs machines sous la coque et à l'intérieur, pour vérifier les tôles.

Quand nous saurons que l'épaisseur de tôle d'un navire de 20 ou 25 ans est normale, nous pourrons être rassurés. Si on ne connaît pas l'état de la structure du navire, on pourra toujours faire des tests en mer, tant que ça ne casse pas, on ne sait rien.

Les tôles de l'Erika étaient probablement très abîmées, le mauvais temps aidant, il s'est certainement produit des cassures dans une des cuves, qui ont provoqué une fuite de pétrole dans les cuves latérales. Le commandant a redressé la gîte en effectuant un transfert, mais son assiette n'était plus bonne. Le bateau, sur une vague plus importante, a connu un phénomène de contre-arc et s'est cassé.

Avant de vérifier l'état des navires en mer ou leur capacité à affronter les vagues et le mauvais temps, il faut d'abord contrôler les structures et la coque. Les contrôles portuaires sont indispensables, car beaucoup de règles de sécurité ne sont pas suivies suffisamment ou systématiquement. De nombreux navires qui passent en France ou à Rotterdam sont arrêtés par les contrôleurs, parce qu'un groupe électrogène est incapable de démarrer automatiquement, parce qu'une pompe à incendie ne fonctionne pas, etc. Le contrôle dans le port est important pour être sûr que le bateau est entretenu et que le Code ISM fonctionne.

Je crains qu'en cas de mauvais temps, la vérification du navire en mer soit extrêmement difficile, faute d'être équipé pour le faire. Lorsqu'on est sûr des structures du navire, on peut affirmer qu'il ne se cassera pas. Je ne suis pas certain qu'il existe des moyens techniques pour savoir s'il se plie, se tord ou se déforme quand le pont est recouvert d'eau.

M. Daniel Paul : Cette proposition m'a été faite par un commandant de tanker.

M. Marc Chevallier : Je ne sais pas répondre à cette question, car je ne sais pas si des mesures peuvent être effectuées par mauvais temps et un vent de force 10, le pont étant recouvert par 2 mètres d'eau.

M. Daniel Paul : Etes-vous favorable à la généralisation des navires à double coque pour le transport des produits dangereux ?

M. Marc Chevallier : Il existe beaucoup de navires à double coque aujourd'hui, même anciens. Il y a un grand débat entre les techniciens français et américains sur l'intérêt de la double coque pour les produits dangereux. Les ingénieurs disent que la double coque est adaptée en cas d'avarie ou de collision à 4 ou 5 n_uds maximum. Au-delà de cette vitesse, la coque centrale crève, ce qui provoque une fuite de produit dangereux dans le double fond, génère un phénomène de gaz et un risque d'explosion.

Les chantiers de Saint-Nazaire avaient présenté un projet de pétrolier qui répondait à ce critère de sécurité mais ce n'est pas encore clair pour les techniciens.

M. Edouard Berlet : A partir du moment où les Américains ont imposé la double coque avec un calendrier d'application, les armateurs les plus importants et les plus sérieux, ne pouvant se priver de l'accès au marché américain, progressivement, équipent leurs navires de double coque. Même si le débat technique existe, il est économiquement dépassé, compte tenu de l'exigence des Etats-Unis, qui n'ont pas l'intention de revenir sur leur décision, et qui a créé une situation de fait sur le marché du pétrole.

M. Marc Chevallier : J'ajoute qu'il faut se demander s'il n'y a pas mieux que la double coque.

Aux questions sur les charges sociales et la défiscalisation totale, je réponds que si nous demandons la suppression des charges, c'est pour nous mettre à parité avec les Européens. Nous n'avons pas d'autres demandes pour améliorer notre compétitivité. Nous sommes demandeurs de bonnes idées. Comment faire pour réduire ce coût du pavillon français ?

Vous avez dit : « Il ne s'agit pas de défiscaliser et de ne rien faire ». Je vous répondrai qu'à l'exemple des Hollandais, si le pavillon redevient compétitif, nous créerons de l'emploi. Les Italiens, comme les Hollandais, le prouvent aujourd'hui. Ils ont entré plusieurs dizaines de navires. L'Allemagne en a 1 200, la Hollande plus de 1 000 et nous en sommes à 210. Nous avons de bons armateurs, les équipages les mieux formés du monde, une grande façade maritime, nous sommes parmi les premiers exportateurs. Qu'est-ce qui ne va pas ? C'est pourquoi il faut une vraie volonté politique maritime, le débat le prouve.

Combien de députés assistent à nos séances d'information sur la marine ? Une quinzaine au maximum.

Pour promouvoir l'image maritime, il faut que nous apportions notre pierre à l'édifice. C'est vous, sur le plan politique, qui arriverez à faire avancer la situation ; sous forme de défiscalisation ou de suppression des charges sociales, peu importe ! Nous avons de bons armateurs, de bons courtiers, de bons assureurs, de bons chantiers, de bons équipages. Pourquoi n'avons-nous pas de flotte ?

La dernière question portait sur le cabotage. J'en ai déjà parlé. Je suis convaincu que nous avons une carte à jouer pour son expansion. C'est une volonté très forte de Bruxelles. Il y a des projets et des réalisations importantes en Scandinavie et dans le nord de l'Europe, quelques-uns en Atlantique ; il faut démarrer en Méditerranée.

Nous confirmons que le transport maritime est le plus économique, le plus écologique. Il peut permettre un désencombrement de la route et du fer. C'est vraiment une voie à explorer, il faut des projets pour le développer en France.

M. Aimé Kerguéris : Ma question concerne le service public du transport maritime. Certains départements comme le Morbihan, le Finistère, la Vendée ont en charge des transports maritimes. Nous devons maintenant lancer des appels d'offres européens. Nous craignons que des compagnies maritimes viennent écrémer pendant la saison estivale et nous laissent, nous collectivités, avec la charge de ce qui n'est pas rentable hors saison estivale. Que penserait le comité central des armateurs de France d'une disposition obligeant les entreprises qui voudraient soumissionner à un minimum d'obligations de service public ? Cela éviterait la situation que connaissent actuellement les départements qui doivent investir énormément sur des bateaux, mais avec des déficits croissants.

M. Marc Chevallier : Cela va de soi. On ne peut pas imaginer qu'un armateur vienne ramasser la mise en trois mois d'été et disparaisse pendant les neuf mois d'hiver ou de demi-saison où « il n'y a rien à gagner ». Il faut que le cahier des charges soit bien clair dans l'appel d'offres.

M. Aimé Kerguéris : C'est en même temps un appel au gouvernement que je lance.

M. Daniel Paul : Au Havre, nous sommes confrontés au problème de la volonté de mise en concurrence du remorquage avec un « cavalier » qui arrive en disant : « Je vais faire mieux que les autres, je serai moins cher, je supprime un homme à bord. J'ai l'appui de certains armements. Je ne vois pas pourquoi les Abeilles auraient chasse gardée ». Quelle est la position du CCAF ?

M. Marc Chevallier : Il ne peut être que neutre dans un débat entre spécialistes, entre armateurs ou remorqueurs. C'est une réponse personnelle. Je crois que nous sommes dans un monde ouvert, le cabotage l'est aussi. Les transports se mondialisent, il me paraît difficile de maintenir les monopoles. De toute façon, l'ouverture à la concurrence se fera.

M. Daniel Paul : Si le port du Havre faisait trois fois plus de trafic, il y aurait place, probablement, pour plusieurs entreprises viables.

Le naufrage de l'Erika incite à beaucoup de prudence et met en évidence la nécessité d'avoir dans les ports des compagnies qui ont des services de remorquage ou de pilotage extrêmement efficaces. La longévité de ces compagnies doit être assurée pour que les investissements dans la formation et la sécurité soit rentabilisés, ce que la concurrence permet peu. Certes dans un grand port comme Rotterdam, il y a place pour deux ou trois, mais il ne faut pas oublier que chaque compagnie de remorquage, à Rotterdam, fait plus à elle seule que toutes les Abeilles au Havre. Si on laisse la place à deux compagnies de remorquage au Havre pour se partager les 67 millions de tonnes de trafic, je ne suis pas sûr que ce soit rentable.

M. André Lajoinie, président : Les pouvoirs publics ont la responsabilité de la sécurité. Si les mesures d'économie en question la mettaient en cause, la responsabilité de l'Etat serait engagée. La concurrence ne pourrait être envisagée qu'à compétence égale.

M. Marc Chevallier : Il n'est pas question pour nous d'arbitrer un tel débat. L'Etat a prouvé qu'il souhaitait maintenir la sécurité. Tout le monde sera d'accord pour suivre une ligne extrêmement stricte en matière de sécurité.

M. André Lajoinie, président : Les temps ne sont pas à la diminution de la sécurité. Le naufrage de l'Erika vient de nous rappeler qu'il s'agit de fausses économies.

M. Edouard Berlet : Un complément de réponse à la première question de M. Daniel Paul concernant les sanctions à l'égard des Etats d'immatriculation qui ne font pas respecter les règles. Je crois qu'il faut effectivement les accentuer. La liste des contrôles effectués par les pays du Mémorandum de Paris montre que les pavillons les plus mauvais sont ceux de pays comme le Honduras, Belize, le Cambodge, la Syrie. Ce ne sont pas les plus grands comme le Panama, le Liberia, Malte ou les Bahamas. Les plus mauvais sont manifestement des petits pays sous-développés. Cette situation n'est jamais que le reflet d'une sous-administration endémique, du sous-développement, de la corruption, etc.

Je me demande s'il n'y aurait pas matière à élaborer une sorte de programme d'aide au développement spécifique au secteur maritime, afin de ne pas traiter cette question simplement sous l'angle de la répression, mais aussi dans la perspective du développement.

M. Aimé Kerguéris : Que pense le CCAF de l'état de la flotte grecque ? Au Parlement européen, nos collègues parlementaires grecs sont très énergiques pour éviter qu'on prenne des dispositions qui les gêneraient économiquement.

M. Marc Chevallier : Elle n'est pas dans l'état de la flotte française, puisque les contrôles en Grèce ne sont vraisemblablement pas les mêmes qu'en France. La flotte grecque est considérable. Il y a certainement un pourcentage plus important de navires qui ne sont pas aux normes souhaitées. A l'intérieur de l'Europe, il faut peut-être « remettre les pendules à l'heure » et effectuer des contrôles. Il n'est pas normal que la société de classification italienne ait fermé les yeux - si c'est le cas, l'enquête le dira - sur les structures de l'Erika ou donné un certificat de navigation là où les autorités françaises ne l'auraient pas fait. Il faut, en France, mais aussi à l'intérieur de la Communauté européenne, d'abord faire un peu la police.

M. André Lajoinie, président : Quelle est l'ampleur de la flotte grecque ?

M. Edouard Berlet : Elle représente 50 % de la flotte européenne, essentiellement spécialisée dans le pétrole et la croisière. La Grèce est un des rares pays où il y a encore des armateurs familiaux pour une raison simple : très souvent, des jeunes de 25 ou 30 ans se lancent dans le métier en achetant des vieux navires, ils commencent ainsi. Sous la protection des générations anciennes, progressivement, ils se développent et achètent des navires neufs. Cela permet la régénération du tissu maritime grec. Je ne sais pas si c'est un mal ou un bien, mais il existe un phénomène de régénérescence de la population d'armateurs. En Europe, il y a deux pays où il existe encore des armateurs familiaux : la Norvège et la Grèce.

Pour se développer dans le maritime, il faut beaucoup de capitaux, pour cela, il faut chercher l'argent là où il se trouve, c'est-à-dire auprès des groupes financiers.

M. André Lajoinie, président : Notre échange a été extrêmement utile et plaide en faveur d'une réorientation de la politique du transport maritime dans le souci du respect des normes de sécurité et afin de favoriser le redressement du pavillon français et l'emploi.

M. Marc Chevallier : Nous avons, grâce au naufrage de l'Erika, peut-être une possibilité de rebondir. Notre slogan, aujourd'hui, est « sécurité maritime, pavillon français, même combat ».

M. André Lajoinie, président : Merci.

Audition de M. Pierre GRAFF,

Directeur général de l'aviation civile,

(extrait du procès-verbal de la séance du 5 avril 2000)

Présidence de M. Pierre Ducout, vice-président

M. Pierre Ducout : Je rappelle tout d'abord que M. André Lajoinie, président de la commission de la production et des échanges, a été à l'initiative de la création, au sein de notre commission, d'une mission d'information sur les transports en Europe. Dans ce cadre, nous avons déjà eu l'occasion d'aborder plusieurs thèmes, dont le transport routier, le transport maritime et le rail. Il était naturel de se pencher sur le transport aérien en France dans une perspective européenne, compte tenu des enjeux économiques importants de ce secteur.

Nous accueillons donc M. Pierre Graff, directeur général de l'aviation civile, qui pourra nous éclairer sur l'évolution de ce secteur en termes de trafic et de structure du marché, compte tenu de la mise en place d'un espace aérien communautaire. Il serait également intéressant d'aborder la question de la soutenabilité de la croissance du trafic sur les plates-formes aéroportuaires parisiennes et d'avoir quelques éléments d'information sur les projets que le Gouvernement entend mener pour améliorer leur desserte et éviter leur saturation.

Plusieurs collègues de la commission travaillent sur tous ces sujets, en se préoccupant en particulier des aspects environnementaux, dont vous pourrez également nous dire quelques mots.

Je vous donne la parole.

M. Pierre Graff : M. le président, MM. les députés, le sujet que vous avez évoqué est très vaste puisqu'il englobe des aspects à la fois techniques, juridiques et commerciaux. Je ferai de mon mieux pour aborder l'ensemble de ces thèmes.

En matière d'aviation civile, notre pays reste un grand pays aéronautique, reconnu comme tel au plan international. Cette position s'explique par le fait que des éléments constitutifs de base, comme notre construction aéronautique compétitive, font notre force ; c'est le cas notamment du succès d'Airbus.

Par voie de conséquence, nous avons de nombreux autres points forts : une recherche, des écoles de formation, un savoir-faire, des ingénieurs de pointe. Tout cela constitue un atout hors pair et entraîne également une reconnaissance internationale. La construction d'avions nous amène également à les certifier, ce qui nous assure là aussi une reconnaissance internationale en matière de sécurité.

Notre système aéroportuaire est très riche - certains disent même trop riche - et reste globalement bien géré - on y reviendra sans doute - malgré les interrogations qui demeurent. Il a su faire face aux besoins, même si son mode de gestion, qui date quelque peu et remonte à l'après-guerre et à la reconstruction de la France, est sans doute inadapté face aux contraintes actuelles.

Notre maillon le plus faible était de loin celui des compagnies aériennes. Heureusement, Air France se porte mieux après avoir frôlé le chaos en 1994-1995. La compagnie possède aujourd'hui une puissante plate-forme de correspondance à Roissy. Elle rénove sa flotte, a réussi à acquérir un calme social suffisant pour travailler, a fait d'énormes progrès de productivité et a complètement repensé son réseau. Elle a en outre bénéficié des accords bilatéraux en matière de transport aérien et a réussi à nouer une liaison avec Delta. Air France dégage aujourd'hui des bénéfices, même s'ils sont encore fragiles.

Nous possédons donc les trois éléments essentiels pour rester un pays aéronautique de pointe. Nous menons en outre une action internationale, reconnue comme telle tant au niveau européen qu'au niveau international, sachant que le domaine de l'aviation est concentré au siège de l'organisation de l'aviation civile internationale (OACI) à Montréal. La France fait partie de son conseil et en est un des membres influents avec les Etats-Unis et la Grande-Bretagne.

Ce tableau étant brossé, quels sont nos points de faiblesse ? Que va-t-il se passer ?

Le ciel européen est encombré, le trafic se développe extraordinairement vite et nous avons apparemment quelques difficultés à le gérer, avec pour conséquence immédiate des retards imposés aux usagers.

Cela nous renvoie aussi à des questions plus institutionnelles. Ce point de faiblesse très médiatisé préoccupe considérablement la Commission européenne puisque Mme Loyola De Palacio, la nouvelle commissaire européenne en charge de ce dossier, en a fait le point essentiel de sa réflexion.

Que se passe-t-il en matière de retard ?

D'abord - et hélas - ce phénomène est récurrent. Nous avons eu à faire face ces dernières années à une véritable explosion du trafic aérien due à plusieurs facteurs, parmi lesquels une demande extrêmement vive du consommateur. On achète du transport aérien. Cela va de pair avec la mondialisation de l'économie et le développement d'une certaine forme de tourisme. Tout cela est exponentiel.

Il est vrai que les mesures de libéralisation du trafic aérien en Europe, avec le « troisième paquet » mis en place à partir de 1994 et achevé en 1997, ont libéré les énergies. De nombreuses initiatives ont émergé et ont entraîné cette explosion du trafic.

Il y cinq ans seulement, le taux d'augmentation du trafic était de l'ordre de 4 à 5 % par an ; nous en sommes aujourd'hui à des tendances de 7 à 8 %, voire plus par an, en nombre de vols, avec une grande disparité géographique, certains secteurs européens progressant de 12 à 23 % dans le sud de la France.

Ce trafic, dont la croissance est extrêmement rapide mais difficilement prévisible, est complètement lié aux initiatives des compagnies aériennes, qui sont des partenaires économiques libres. Face à ces compagnies aériennes, les Etats doivent bâtir des infrastructures et des systèmes, progressivement, année après année. Il y a donc inadéquation entre les initiatives immédiates et extrêmement rapides prises par les compagnies aériennes et les réponses données par les Etats en termes d'infrastructures.

Ce phénomène est européen. Pour l'anecdote, le président de la Crossair nous a fait part de son souhait de mettre en place un hub à Bâle-Mulhouse ; 3 semaines après, il était prêt à faire partir 30 avions à la demi-heure. Il a fallu lui expliquer que c'était physiquement impossible. Certes, nous avions le savoir-faire, mais il fallait d'abord embaucher des contrôleurs, leur trouver une salle de contrôle, modifier l'espace aérien entre la Suisse et la France. A terme, il aurait fallu une deuxième piste à Bâle-Mulhouse. Toutes ces actions prennent 12 à 18 mois de délai. Cela n'a pas empêché le président de la Crossair de mettre en place son hub. Evidemment, les avions sont en retard.

Nous avons beaucoup de mal à nous adapter à des stratégies très rapides. A Clermont-Ferrand, une compagnie a mis en place un hub ; il a fallu immédiatement renforcer tous les systèmes d'alimentation de Clermont-Ferrand. Si ce hub était modifié - ce que je ne pense pas - dans quelque temps, les embauches et les infrastructures nouvelles pourraient être largement surdimensionnées.

Nous avons donc de véritables difficultés à nous adapter à une demande souvent anarchique.

Autre phénomène très difficile à résoudre : les stratégies de compagnies aériennes qui, face à une concurrence accrue, se battent pour conserver à tout prix des parts de marché. C'est le cas d'Air France qui accroît ses fréquences pour conserver ses parts de marché sur les liaisons qu'elle estime fondamentales. Il en résulte un vol sur Paris-Toulouse toutes les vingt minutes. Si cela peut paraître attrayant aux usagers, cela pose en tout cas des problèmes d'encombrement quasiment insolubles pour gérer l'axe en question. On peut se demander si, en termes d'utilité sociale, ces vols à intervalle de vingt minutes sur Paris-Toulouse sont vraiment indispensables.

Ces exemples ont pour objet de vous montrer la nature des difficultés auxquelles nous devons faire face : non seulement la tendance à la croissance du trafic est extrêmement forte, mais en outre, la structure du trafic est très complexe, avec des stratégies qui sont le résultat normal du libre jeu de la concurrence et sont donc extrêmement difficiles à anticiper.

A cela s'ajoute un phénomène plus français qu'européen. La structure du trafic aérien de notre pays est plus complexe que celle des autres pour une raison géographique simple : la France est située au milieu de tous les grands courants de trafic aérien qui se croisent pour une grande part dans notre ciel. Par conséquent, contrairement à des pays comme le Portugal ou la Suède, dont le trafic aérien est simple, car linéaire ou terminal, notre territoire est situé sous un enchevêtrement de lignes aériennes source de points de conflits difficiles à gérer. La France étant également plus étendue que les autres pays européens, ces avions survolent plus longtemps notre territoire, ce qui constitue une contrainte lourde en matière de contrôle aérien.

Face à cela, que se passe-t-il ? Les retards ont connu une pointe très forte. Quelle est la nature de ces retards ?

Les causes de retard sont multiples et proviennent soit du contrôle aérien, soit des aéroports, soit des compagnies aériennes elles-mêmes. Il n'est pas aisé de distinguer qui est à l'origine d'un retard. Grosso modo, on peut dire que le contrôle aérien est à l'origine de 32 à 35 % des retards. Mais si l'on ajoute les effets générés indirectement par le contrôle aérien - c'est-à-dire qu'un retard sur un avion du matin, perdurera toute la journée sans pouvoir être comblé - cette proportion s'élève à 50 %.

Il est important d'avoir ce chiffre en tête. En effet, si Mme Loyola De Palacio découvrait la panacée pour supprimer tous les retards dus au contrôle aérien, je ne suis pas sûr que le passager constaterait une grande différence, du fait qu'il reste encore 50 % de retards ayant d'autres causes.

Par conséquent, si l'on veut offrir un meilleur service à l'usager, il faut que l'ensemble des partenaires s'attelle aux causes des retards et pas seulement dans le contrôle aérien, mais aussi dans les aéroports et dans les compagnies.

La comptabilité des retards est délicate ; elle est fondée sur les statistiques internationales élaborées à Bruxelles par Eurocontrol. Ces statistiques sont quelque peu « injustes », mais nous n'en avons pas d'autres. On compte le nombre de minutes de retard générées par un centre de contrôle aérien en prenant sur une route aérienne donnée, celui pour lequel le nombre de minutes de retard est le plus grand. Par exemple, sur la liaison Paris-Francfort, si Paris enregistre 14 minutes de retard et le centre de Reims 15 minutes, on imputera les 15 minutes de retard au centre de Reims.

Le jour où Reims aura résolu son problème, pour autant, celui-ci ne sera pas entièrement résorbé puisque demeureront 14 minutes imputables à Paris. Le retard dû à ce centre restera néanmoins masqué tant que Reims n'aura pas résolu son problème, laissant ainsi l'impression que Paris fonctionne bien. Ces statistiques ne sont donc pas d'une totale justice, mais elles ont le mérite d'être internationales et donc relativement peu critiquées.

On mesure les retards en nombre de minutes par vol ; cet indicateur a peu de sens, mais il est commode puisqu'il permet de comparer les pays entre eux et les années entre elles. En 1995, on se situait à 4,85 minutes de retard par vol ; en 1996, 1997 et 1998, les choses s'étaient améliorées, ces retards étant tombés à 2,5 minutes pour remonter à 4,04 minutes en 1999, ce qui est très mauvais. Pour 2000, les choses vont mieux mais l'année est loin d'être finie ; nous sommes revenus à 1,68 minute, c'est-à-dire un niveau excellent, inférieur aux chiffres des meilleures années intermédiaires.

Que s'est-il passé en 1999 ? Beaucoup de choses. Début 1999, nous avons mis en place de nouvelles routes aériennes destinées à améliorer la capacité d'écoulement du trafic. Dans un premier temps, il a fallu que les pilotes et les contrôleurs s'habituent ; on a donc restreint le nombre d'avions circulant sur ces routes pendant un mois. Durant tout le mois de mars 1999, on a donc volontairement restreint le trafic, ce qui n'a pas amélioré la situation en termes de retards.

Début avril, alors que nous commencions à tirer le bénéfice de ces nouvelles routes, la guerre du Kosovo a profondément perturbé le trafic européen. Non seulement, il a fallu accueillir un trafic militaire prioritaire, mais surtout, il a fallu fermer l'espace aérien des Balkans. Tous les vols passant au-dessus de cette zone ont été rejetés sur la périphérie, notamment sur le secteur sud de la France, avec des pointes de trafic de + 23 à + 25 % à Aix-en-Provence.

Evidemment, cette affluence a entraîné des retards. C'était assez mécanique. Dès que l'espace aérien des Balkans a pu être réouvert en août 1999, le niveau des retards a chuté et nous sommes revenus à un niveau à peu près normal fin 1999, comparable à celui de l'année 1998, qui n'était pas excellente mais d'un niveau acceptable, avec 2 minutes.

En ce début d'année 2000, un certain nombre de mesures ont été prises et nous sommes, pour l'instant - la haute saison n'ayant pas débuté - à un niveau honorable, malgré des hétérogénéités. En effet, si en moyenne, le niveau est satisfaisant, il reste des « points chauds ». En Europe et en France, il s'agit essentiellement de l'accès par l'ouest de Paris et du sud de la France le week-end. En Europe, les points chauds sont la Suisse, Londres, un certain nombre d'aéroports allemands, le Portugal et la Grèce, de façon moindre.

Que peut-on faire face à ces retards ?

Le débat sur les mesures à prendre est pollué par un débat idéologique. Il existe deux écoles, dont la première estime que le problème étant technique, les solutions sont techniques. C'est la tendance de la France. Certes, de telles solutions existent pour résorber ces retards, mais jusqu'à un certain point seulement : les problèmes d'environnement se superposent ; en outre, ces mesures techniques doivent être prises dans un cadre international. Des mesures techniques strictement françaises n'auraient aucun intérêt. Il faut une approche européenne, voire supra-européenne si l'on veut une quelconque efficacité.

La seconde école de pensée est celle de la commissaire européenne Mme Loyola De Palacio : la technique n'est pas le champ d'action que privilégie la Commission et il appartient aux ingénieurs de trouver des solutions. Pour franchir un grand pas et traiter le problème à fond, il faut revoir profondément les institutions et créer une autorité unique capable de réguler le système et de le gérer. Cette autorité unique supranationale serait soit communautaire soit supra-communautaire. Il faut donc sans doute s'affranchir de la souveraineté des Etats sur leurs espaces aériens, des éventuels effets de frontières, des égoïsmes nationaux, des éventuelles différences de rythme dans les investissements et de traitement des personnels, ainsi que des différentes politiques en matière de gestion des zones militaires.

Ces deux écoles ne sont pas totalement incompatibles. Reste à savoir dans quel ordre procéder et comment s'y prendre.

Sur le plan technique, que peut-on faire ? Comment le contrôle aérien fonctionne-t-il ? Le contrôleur guide l'avion ; ce dernier est capable de se déplacer par ses propres moyens et soit dispose à son bord de ses propres moyens de navigation, soit s'aide à partir de balises au sol. En revanche, l'avion étant aveugle, il doit être absolument protégé de toute collision avec d'autres avions. C'est le rôle du contrôle aérien ; le seul et unique rôle du contrôleur est de séparer les avions et de s'assurer qu'aucun conflit ne risque de survenir notamment à l'approche d'un aéroport ou d'une balise de navigation. Il est en quelque sorte les yeux de l'avion.

Comment est-ce organisé ? Il y a d'abord un contrôle d'aérodrome. Il s'agit de contrôleurs qui guident les avions sur les pistes. Ensuite, intervient le contrôle d'approche où le contrôleur guide l'avion au décollage ou à l'atterrissage dans un rayon de vingt kilomètres autour de l'aérodrome. Puis interviennent les contrôleurs en route qui guident les avions volant à leur altitude de croisière. Soit un total de trois catégories de contrôleurs exerçant trois métiers notablement différents.

Ces contrôleurs travaillent par portion d'espace. On a découpé l'espace en volumes élémentaires auxquels sont affectées des équipes de deux à trois contrôleurs. Au sein de l'espace dévolu, les contrôleurs doivent s'assurer qu'à aucun moment, un risque de collision ou de rapprochement excessif ne peut survenir, quelles que soient les trajectoires.

Comment procèdent-ils ? Généralement, ils ont un écran radar pour savoir où se trouvent les avions. On touche alors au problème de la précision quant à la position de l'avion et à son report sur l'écran radar, d'où la nécessité de prendre des marges de sécurité. Ils disposent d'une radio pour communiquer avec le pilote selon des codes précis et des phraséologies types pour éviter toute perte de temps ; ils disposent également d'une assistance à la décision par ordinateur et d'un réseau pour dialoguer avec les autres contrôleurs qui gèrent d'autres portions d'espace.

Sur le plan technique, la contrainte est la suivante : un binôme de contrôleurs aériens chargé de contrôler un espace aérien donné ne sait pas traiter plus de quinze à vingt avions simultanément, sachant qu'il doit à la fois concevoir les trajectoires qui permettent d'éviter tout risque et dialoguer avec les pilotes et les contrôleurs voisins.

Toutes les recherches en matière d'amélioration dans les retards ont pour objectif de repousser cette contrainte de capacité. Une première méthode consiste à diviser un secteur en deux dès que l'on atteint vingt avions par secteur pour obtenir deux secteurs de dix avions chacun. Cela a aussi une limite parce que, si les secteurs deviennent trop petits, il faut retrouver des fréquences radio qui manquent cruellement, les bonnes fréquences étant prises par les Télécoms.

Il faut aussi embaucher. Sachant que cinq ans sont nécessaires pour former les contrôleurs, il faut le prévoir largement à l'avance. Il faut également les entraîner, et donc disposer de simulations de la nouvelle découpe du secteur. En outre, on ne peut pas diviser les secteurs à l'infini, au risque d'amener le contrôleur à passer plus de temps à transférer l'avion à ses confrères adjacents qu'à gérer les conflits. Il y a donc une limite à l'exercice. Cela dit, c'est une méthode que nous avons pratiquée sur le nord de la France en janvier, à l'initiative de M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement, et qui peut porter des fruits. C'est la méthode la plus simple.

Une deuxième famille de mesures consiste à répartir les charges entre les centres. Le centre d'Aix-en-Provence est saturé, le trafic de Bordeaux est moindre ; on essaie donc de transférer des secteurs complets d'Aix-en-Provence vers Bordeaux, ce qui permet de mieux répartir les efforts des équipes et d'alléger le travail.

Une troisième mesure simple serait d'améliorer les outils du contrôleur, notamment grâce à des radars plus précis et à des outils d'aide à la décision, ce qui leur permettrait d'accélérer leur prise de décision et donc de gérer davantage d'avions simultanément.

On peut même aller plus loin. Une recherche en cours étudie un système informatique suffisamment sophistiqué pour sélectionner les avions présentant un risque dans la minute ou les deux minutes suivantes. L'avion ne présentant pas de risques serait éliminé de l'écran radar de sorte que le contrôleur pourrait se concentrer sur les avions à risques et en traiter davantage. L'ordinateur « réinjecterait » alors les avions sans risque et qui deviendraient à risque au fur et à mesure que ce risque apparaîtrait. Cette méthode est probablement féconde mais n'est pas appliquée pour l'immédiat.

Il y a donc un nombre limité d'outils au plan national pour améliorer le système. En la matière, la dernière possibilité consiste à mieux répartir l'espace entre civils et militaires. Ce problème est assez délicat en France, les espaces militaires étant extrêmement nombreux et mal placés : un espace militaire est situé sur le Nord-Pas-de-Calais, dans la zone délimitée par Heathrow, Roissy, Schiphol et Bruxelles. C'est sans doute l'endroit le plus encombré d'Europe, voire du monde. Ce n'est donc pas très judicieux.

L'Alsace et la Lorraine sont également couvertes par l'espace militaire, ainsi qu'une grande partie du Massif Central, du sud de la France à partir d'Istres ; toutes ces zones sont extrêmement pénalisantes. Cela dit, je ne peux pas vous apporter de réponse à ce problème aujourd'hui. Il est nécessaire que les forces aériennes s'entraînent. La solidarité européenne consistant à imaginer des espaces sur l'ensemble de l'Europe qui permettraient aux troupes de s'entraîner n'est pas encore suffisamment aboutie. Pour l'instant, il n'y a donc pas vraiment de réponse et année après année, les civils rognent de petits morceaux de zones aériennes militaires. Là encore, l'exercice a ses limites.

Il serait possible de mieux se coordonner : lorsque les militaires n'utilisent pas leurs zones, nous pourrions en être informés plus rapidement afin de pouvoir les utiliser. Encore faut-il en être informés suffisamment tôt pour que les compagnies aériennes s'organisent. Nous pouvons mieux nous coordonner de contrôleur à contrôleur. Mais en France, on se heurte très vite à des problème sociaux de rapport entre contrôleurs civils et militaires.

Ce phénomène, lié à la culture de ces professionnels est pénalisant.

Voilà les outils dont nous disposons au niveau national et que l'on utilise tous. Au niveau international, d'autres actions sont possibles : nous pouvons revoir complètement la structure du réseau. Cela n'aurait pas de sens de modifier le réseau uniquement en France. En revanche, à l'échelle de l'Europe ou d'une Europe élargie, nous pouvons revoir le réseau de routes pour l'optimiser, faire en sorte que les routes présentent moins de points de conflit, qu'il y ait des sens giratoires pour que les avions puissent aborder les approches les plus saturées, etc.

C'est ce qui est fait dans le cadre d'Eurocontrol et une troisième génération de routes européennes se met en place. J'espère qu'une quatrième verra le jour assez rapidement.

Au niveau international, nous pouvons aussi revoir les espacements entre avions. Ce sera fait en 2002 puisque l'espacement vertical entre avions qui est aujourd'hui de 2000 pieds passera à 1 000 pieds. Là encore, nous sommes tributaires de la précision des instruments de mesure. 1 000 pieds équivalent 300 mètres, soit la hauteur de la Tour Eiffel ; c'est très peu pour des avions que se croisent dans l'espace. Il faut donc être certain de la précision des instruments et ne pas commettre des erreurs de l'ordre de 150 mètres qui se cumuleraient. C'est une décision qui n'est pas à prendre à la légère, mais elle reste réaliste. Nous la prendrons en 2002 parce que la technologie le permet.

Concernant toujours le plan international, nous pouvons aussi accroître le nombre de fréquences. Nous prenons progressivement des mesures en ce sens.

L'accroissement de ces fréquences a été concrétisé à l'automne dernier. Les fréquences espacées de 25 Khtz ont été séparées en trois pour obtenir des fréquences séparées de 8,33 Khtz, ce que permet la technologie. Il a donc fallu changer les instruments de bord des avions. Tout cela est très coûteux, mais permet de disposer de fréquences supplémentaires pour la navigation aérienne, de sorte que les Français ont pu créer des secteurs de contrôle supplémentaires et donc accroître les capacités.

Voilà grosso modo, sur le plan technique, quels sont les instruments qui permettent d'envisager sur les moyen et long termes de pouvoir faire face à un accroissement de l'ordre de 40 à 50 % en moyenne du trafic.

M. Pierre Ducout : Sur combien d'années ?

M. Pierre Graff : Sur une dizaine d'années.

Nous disposons donc de marges de man_uvre grâce à ces instruments et à ceux à venir.

Pour autant, des goulets d'étranglement demeureront : je pense notamment à la région parisienne ou à la région londonienne. Très vite, nous serons confrontés à la saturation des aéroports, sur laquelle je reviendrai.

En matière de retard aérien, l'approche de la commissaire européenne, Mme Loyola De Palacio, est beaucoup plus politique et consiste à dire que si cela va mal, c'est en raison des frontières et du fait que tous les Etats membres n'ont pas le même système. Selon elle, il faut donc mettre en _uvre le ciel unique (single sky). Sachant que le marché unique a été créé, puis la monnaie unique, elle veut créer le "ciel unique".

Cette approche est en grande partie fausse ; l'effet de frontière existe, mais il est de second ordre. Il existe certes des différences d'équipement, mais les Etats européens se concertent depuis longtemps pour ne pas faire déboucher une autoroute sur un chemin de terre de l'autre côté de la frontière ! Il y a également belle lurette que les images radars entre la France et l'Allemagne sont interconnectées. L'effet de frontière est donc extrêmement faible. Il y a donc une grande part de slogans en provenance notamment des compagnies aériennes concernant cet effet.

Au plan communautaire, nous gagnerions en revanche réellement à mettre en _uvre un meilleur processus de décision. En effet, aujourd'hui, les processus de décisions sont lents, dans la mesure où ils sont consensuels au sein d'Eurocontrol où l'unanimité prime. Peut-être qu'un processus de décision plus musclé, plus structuré avec un vote à la majorité, comme cela est le cas dans les instances communautaires, permettrait d'accélérer la prise de décisions fondamentales. Je prendrai pour exemple la séparation verticale à 1000 pieds : s'il faut attendre que le dernier Etat ait donné son accord, cela peut prendre du temps ; un processus de décision majoritaire nous permettrait d'être plus rapides.

La commissaire n'a donc pas tout à fait tort de dire qu'il y aurait intérêt à réorganiser le processus de décision et à _uvrer soit dans une enceinte communautaire, soit dans l'enceinte actuelle d'Eurocontrol qui dépasse largement la Communauté, pour accélérer nos processus. Dans un tel domaine où la sécurité est en jeu, il sera néanmoins extrêmement difficile de contraindre tel ou tel système de contrôle à adopter une route ou une disposition technique qu'il ne sait pas gérer.

Il faut donc bien voir la limite d'une décision majoritaire sur un problème qui touche à la sécurité. Si, en dernier ressort, un contrôleur aérien déclare qu'il ne sait pas gérer ce qui a été décidé par d'autres, et donc qu'il ne le gérera pas, s'il pose son casque et ne laisse pas passer les avions pour des raisons évidentes de sécurité - et parce que c'est sa responsabilité qui est engagée en cas d'accident -, je ne vois pas ce que l'on pourra faire.

Le processus de décision est peut-être séduisant sur le papier, mais sur des sujets qui touchent à la sécurité et à la responsabilité des Etats qui sont garants de cette sécurité et des personnes qui la mettent en _uvre, il faudra trouver un compromis pour parvenir, malgré tout, à l'accord de tous les partenaires.

Mme Loyola De Palacio estime également qu'il faut séparer l'opérateur du régulateur. Les opérateurs du contrôle aérien devraient être des entités indépendantes de la régulation, et donc de l'Etat en général. Mais elle ne nous dit pas en quoi consisterait cette indépendance. S'agit-il d'indépendance juridique, hiérarchique ? Sur ce point, sa pensée est encore peu précise.

Elle envisage peut-être également, cette séparation étant faite, un système de concurrence entre les différents fournisseurs de services. Certes, elle exclut toute privatisation du système ; c'est un sujet qu'elle ne peut d'ailleurs pas évoquer en vertu de l'article 295 (ex-222) du Traité de l'Union européenne qui lui interdit d'émettre une opinion sur la structure du capital des éventuelles sociétés qui gèrent le contrôle aérien.

En revanche, elle parle de concurrence. Elle estime qu'à terme, il serait possible de mettre en concurrence les systèmes de contrôle français, allemand, britannique par exemple. Ainsi, le système britannique, qu'elle postule très performant, pourrait gérer la Bretagne, ce qui permettrait à la France de reporter les moyens bretons sur l'est de l'Europe. Tous les cinq ans, le service du contrôle aérien pourrait alors être concédé par appel d'offres.

Tout cela est sans doute innovant, mais totalement illusoire dans l'état actuel de la technique, dans la mesure où les contrôleurs ne sont pas interchangeables. Un contrôleur est formé sur un secteur et il ne peut en changer ainsi, sauf après un an de travail. La concurrence ne pourrait donc porter que sur le gestionnaire du service, c'est-à-dire en pratique sur les frais généraux.

Mme Loyola De Palacio l'a d'ailleurs bien compris et envisage maintenant de mettre en concurrence des services annexes. Par exemple, si le service lui-même a structurellement une forme monopolistique, les fournisseurs d'images radars pourraient être des entités indépendantes qui pourraient donc être mises en concurrence. Il en est de même des fournisseurs de communications ou de logiciels de traitement des plans de vol.

Mme Loyola De Palacio a d'ailleurs raison de l'envisager car c'est déjà le cas en pratique : on ne choisit pas un fournisseur de logiciels informatiques de gré à gré. On utilise déjà des procédures de mise en concurrence, y compris internationales.

Tel est le débat aujourd'hui. La commissaire européenne semble hésiter entre plusieurs voies et découvre la complexité du sujet. De plus, elle n'a pas de réponse aujourd'hui à la question lancinante des zones aériennes dévolues aux militaires. Elle se rend compte qu'elle n'a pas de compétence institutionnelle dans ce domaine ; elle ne peut donc pas passer outre et formuler de quelconques propositions.

Elle s'aperçoit également que les armées de l'air européennes ont des approches différentes et qu'avant de pouvoir mener une politique européenne intégrée dans ce domaine, il faudrait au préalable avoir réfléchi à une politique commune de défense et notamment à des objectifs communs d'entraînement des forces armées. Pour ce faire, on ne peut que passer par des discussions multilatérales. Elle en est donc tributaire et cela n'ira pas très vite. D'autre part, nos armées de l'air sont très différentes : l'Angleterre et la France ont des armées de l'air plus puissantes que les autres Etats.

Mme Loyola De Palacio évoquera sans doute des problèmes juridiques en notant qu'en France, c'est l'armée de l'air qui dispose de l'espace alors que dans les autres Etats, c'est le ministre des transports. Le rapport de force est donc inversé et elle nous proposera probablement de nous aligner sur les normes européennes. Pourquoi pas ? J'observe une évolution dans ce sens à l'état-major de l'armée de l'air.

Cela dit, sur le fond du dossier, la commissaire européenne n'a pas beaucoup de prise dans la mesure où elle ne dispose ni de compétences institutionnelles ni de compétences d'expertise. Excusez-moi d'avoir été long sur la question des retards qui, étant fortement médiatisée, méritait d'être approfondie.

Concernant les aéroports, se posent des questions techniques et de principe. Sur le plan technique, les plates-formes d'Orly et de Paris-Charles-de-Gaulle seront saturées dans un avenir de cinq à sept ans environ. M. Jean-Pierre Blazy pense que cela se fera avant, mais je reste prudent.

Pourquoi ? Parce qu'à Orly, le nombre de créneaux horaires est plafonné à 250 000 et le restera durablement. En outre, concernant Paris-Charles-de-Gaulle, l'Etat s'est engagé, lors de la construction des deux pistes supplémentaires, d'une part, à ce que l'énergie sonore globale reste au niveau de celle de 1997 et, d'autre part, à ce que le nombre de passagers se limite à 55 millions. Nous en sommes à 45 millions aujourd'hui, c'est-à-dire pas très loin, sachant que l'augmentation a été de 13 % en 1999 par rapport à 1998.

Les aéroports de province ne disposent pas non plus de beaucoup de capacités disponibles, sauf certains. Quand on considère la situation des aéroports de province, on observe que la plupart auront du mal à faire face à leur propre croissance dans les dix à quinze ans qui viennent et donc à accueillir un déversement de la demande venant de Paris. Ce n'est pas le cas de tous : certains aéroports peuvent, à terme, si on parvient à les agrandir, disposer de réserves de capacité. Il s'agit de Lyon, de Bordeaux ainsi que de Nantes si l'on y construit un nouvel aéroport. Il y aurait là des réserves de capacité, mais absolument pas à l'échelle des besoins parisiens. Le seul aéroport qui pourrait avoir des réserves de capacité à l'échelle des besoins parisiens est celui de Lyon. Cela dit, à Lyon - il suffit de lire le journal -, on se heurtera à un refus extrêmement fort des riverains et des populations. Je joue les Cassandre et je prends le risque de dire que nous ne parviendrons pas à construire les quatre pistes prévues.

Ces pistes sont prévues en avant-projet, mais j'ai la conviction qu'elles ne seront pas toutes construites et qu'il faudra bien prendre en compte l'équilibre sociologique de la région lyonnaise. En toute conscience, je ne peux donc pas vous affirmer qu'il y a une réserve de capacité à Lyon permettant de faire face à tous les besoins nationaux. Ce n'est pas vrai ; l'affirmer serait un tour de passe-passe.

Face à cette situation, une décision évidente devra être prise s'agissant de la gestion des aéroports : mobiliser toutes les capacités qui peuvent l'être en province, à chaque fois que cela est possible et accepté socialement et politiquement. Il faudra également transférer tout ce que l'on peut sur le rail, à supposer que ce mode dispose de capacités suffisantes.

Malgré cela, sur l'ensemble du territoire et essentiellement sur la région parisienne, à l'horizon 2015 - 2020, le déficit de capacité, c'est-à-dire la demande non satisfaite, sera d'environ 25 à 30 millions de passagers !

A ce stade, on peut décider de ne pas répondre à cette demande qui sera alors satisfaite ailleurs. Un Toulousain allant à New York peut aussi bien prendre une liaison Toulouse-Paris-New York que Toulouse-Heathrow-New York ou Toulouse-Madrid-New York. On peut donc décider de ne pas satisfaire cette demande et faire en sorte qu'elle se répartisse ailleurs ; il y aura des réponses.

On peut également faire le choix inverse et décider d'apporter des réponses françaises, auquel cas cela passera par la construction d'une infrastructure supplémentaire. Lyon eût été un bon choix, mais je ne crois pas que ce soit réaliste. L'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, au nord de Nantes, qui sera lancé à l'initiative des collectivités locales, est un choix intéressant mais ne peut pas constituer un hub international. Un hub ne remplit les avions qu'à 40 %, ce qui nécessite une région suffisamment dense dans sa demande propre pour remplir les 60 % restants.

Je crains donc que l'on n'ait pas beaucoup d'autre choix que d'envisager une plate-forme supplémentaire dans le Bassin parisien. Je prends le risque de le dire car nous sommes loin d'avoir terminé les études ; peut-être que des études fouillées démontreront le contraire. Je me serais alors trompé. Cela dit, de ce que je sais à ce jour, on a beau prendre le problème dans tous les sens, on ne voit pas bien comment l'éviter, sauf à adopter une stratégie inverse consistant à ne pas réaliser cet aéroport et à jouer sur les initiatives des opérateurs qui trouveront d'autres solutions. Pour l'usager terminal, cela est parfaitement possible ; en termes de choix économique français, c'est un autre débat. Voilà pour ce qui concerne les plates-formes aéroportuaires.

J'ai beaucoup parlé des retards et de la saturation du système de contrôle aérien. Je vous ai dit qu'il y avait du grain à moudre ; il faut le moudre. Je suis convaincu que nous buterons sur des goulets d'étranglement aéroportuaires avant d'avoir mobilisé toutes les ressources du trafic aérien. A terme, l'élément limitant du trafic ne sera pas la navigation aérienne, mais bien la capacité des aéroports. On ne peut pas agrandir à l'infini les plates-formes aéroportuaires ; il n'est pas possible d'ajouter trois pistes à Roissy ou quatre à Toulouse. Ce n'est pas faisable. L'aéroport deviendrait gigantesque, ingérable ; les approches ne seraient plus tenables et les populations riveraines ne l'accepteraient pas. Des goulets d'étranglement importants limiteront donc la structure du trafic avant même la navigation aérienne.

Je prends également le risque de dire que, au-delà de la vague actuelle de libéralisation, une troisième vague de re-réglementation sera nécessaire. Nous serons amenés, au cas par cas, finement, avec des mesures adaptées, à engager une certaine forme de régulation soit réglementaire, soit économique. On peut ainsi imaginer des redevances modulées pour inciter certaines pratiques, ainsi que des pénalités pour les compagnies qui se comportent de manière anarchique ou qui perturbent le système. De nombreuses réglementations sont envisageables.

Ma conviction profonde est que l'on y reviendra. En juin prochain, se tiendra à l'OACI un débat international sur le sujet. Et malgré la primauté de la pensée libérale dans ces instances, je suis certain que des propos de ce genre seront tenus en insistant davantage sur les incitations économiques que réglementaires. Cela se situe bien dans l'esprit d'une organisation comme l'OACI ou comme les institutions européennes.

M. Pierre Ducout : La parole est à M. Jean-Pierre Blazy.

M. Jean-Pierre Blazy : M. le directeur, je suis de ceux qui pensent que, s'agissant de l'avenir du transport aérien en France et en Europe, il faut poser le problème en termes de développement durable. Il est clair que l'on assiste aujourd'hui, suite à la libéralisation du transport aérien et du ciel européen en particulier, à une formidable explosion du trafic. En termes économiques, tout cela est sans doute positif ; personne ne le conteste.

En revanche, aujourd'hui - votre exposé le montre bien - l'impératif environnemental doit être pris en considération. L'avenir du transport aérien doit intégrer trois données : les deux premières sont assez anciennes, à savoir l'impératif commercial et l'impératif de la sécurité qui aujourd'hui redevient une préoccupation importante ; enfin, l'impératif environnemental.

Dans quelques mois, la France présidera l'Union européenne. Il serait intéressant que notre pays puisse prendre des initiatives pour faire progresser la question dans cette voie notamment concernant la question des retards. Des dispositions annoncées le 26 janvier ont été prises.

Concernant le niveau européen, vous avez indiqué les orientations proposées par Mme Loyola De Palacio. Il est vrai que l'on ne peut pas la suivre sur certaines de ses propositions par trop idéologiques et qu'il faut être pragmatique. Néanmoins, il faut rechercher une gestion plus collective du ciel au niveau européen. C'est indispensable. Il faut diminuer les retards des vols qui sont au plan économique et commercial, pénalisants pour les compagnies, pour les passagers mais aussi pour l'environnement et source de nuisances supplémentaires pour les populations riveraines.

Bref, il y a là un problème à régler. De ce point de vue, s'agissant des rapports avec les militaires, vous avez indiqué qu'en France, l'état-major de l'aviation militaire évoluait. J'ai discuté avec certains de ses représentants et j'ai également pu observer cette évolution. A mon sens, elle doit intervenir également dans l'aviation civile afin de rechercher une meilleure coopération entre civils et militaires, dont l'insuffisance demeure pour l'instant un problème. Nous nous heurtons à des difficultés avec le contrôle aérien ou certaines parties de la profession - peut-être les organisations syndicales - où existe un blocage culturel. Il faut faire progresser les choses sur ce plan en prenant toutes les précautions nécessaires et avec la pédagogie qui s'impose. En tout cas, au niveau français, nous pourrions progresser. C'est important pour la sécurité, pour l'environnement et au plan commercial. Il est vrai que les retards en France sont quand même fréquents.

Par ailleurs, il me semble important qu'au niveau de l'Union européenne, nous progressions dans les débats, ainsi qu'à l'OACI, avec les Américains, notamment concernant le problème des hushkits. Il s'agit d'atténuateurs de bruit qui permettent de reclasser dans la catégorie du chapitre 3, c'est-à-dire celle des avions non bruyants, les avions du chapitre 2. Cela pose un véritable problème environnemental. Face au chantage des Américains, je crains que l'on n'applique pas l'excellente directive européenne qui règle cette question.

J'aimerais que vous nous donniez quelques éclaircissements sur l'état actuel des discussions. Dans sa première phase, cette directive européenne devrait être appliquée dès le mois prochain. Où en sommes-nous sur ce point ?

Le dernier point de mon intervention portera sur l'éventuel troisième aéroport parisien dans le contexte de la saturation des aéroports. Comme je l'ai dit à M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement, à l'occasion de la discussion en séance publique du projet de loi relatif à la compagnie Air France, il faut que l'engagement pris il y a 3 ans soit tenu. Avec 13 % d'augmentation du trafic en 1999 pour l'aéroport de Paris-Charles-de-Gaulle, on arrive à 43 millions de passagers, l'engagement étant de ne pas dépasser 55 millions de passagers. Vous avez chiffré à 25, voire 30 millions de passagers les capacités qu'il nous faut satisfaire très rapidement au niveau du Bassin parisien.

Il faut bien que les choix soient faits. Je m'inquiète des retards pris en la matière. Il est impératif que la réponse intervienne dans le cadre de l'élaboration des schémas de services collectifs de transport dans les mois qui viennent, car s'il faut décider de la création d'une nouvelle plate-forme, nul doute que cela prendra beaucoup de temps. Les 55 millions de passagers sur Roissy seront rapidement atteints et l'engagement du Gouvernement ne serait pas respecté, ce qui serait insupportable et inacceptable.

Dernière question : l'autorité de contrôle des nuisances sonores aéroportuaires (ACNUSA), a été mise en place et commence à travailler. Dans quel délai sera-t-elle saisie du dossier concernant l'élaboration des nouveaux indicateurs de bruit, très attendu par les associations de riverains et les élus ?

M. Pierre Cohen : Je vous remercie pour vos propos francs et transparents qui ne me rendent pas pour autant optimiste. Je suis assez inquiet concernant l'avenir. Quand vous posez le problème au plan technique, on constate que les perspectives seront relativement restreintes. Sur le plan politique, les enjeux sont tels qu'une force peut être aussi une faiblesse. Ce serait notamment le cas s'il nous fallait mettre en cause un certain nombre d'atouts pour parvenir à un marché unique et une instance unique qui nous ôterait toute possibilité de maîtriser notre stratégie et toute indépendance. L'enjeu me paraît manifeste au regard de l'Europe.

Il me semble que l'évolution du transport aérien va dans le mauvais sens : d'une part, le confort de l'usager est dégradé et les retards participent beaucoup à cette dégradation.

D'autre part, si on le compare au transport ferroviaire qui permet de travailler sur toute la durée d'un parcours de trois heures par exemple, le transport aérien n'est pas adapté à ceux qui souhaiteraient l'utiliser comme outil de travail. Depuis l'arrivée à l'aéroport jusqu'à l'atterrissage voire même à bord de l'avion, il est quasiment impossible de consacrer un peu de temps au travail et la perte de temps est importante.

Cela signifie donc déjà une certaine dégradation ou insatisfaction en période normale. On imagine aisément ce que cela peut représenter en période de perturbations comme en 1999 où les retards étaient importants. Il y avait là une vraie difficulté.

Vous avez évoqué le mécontentement très fort des riverains qui exercent une pression importante auprès des préfets. Cette action collective constitue un frein positif au développement dans le sens où plus personne n'est disposé à laisser faire n'importe quoi. Mais nous avons du mal à trouver d'autres solutions. A Toulouse par exemple, nous rencontrons quelques difficultés à développer l'aéroport. Or, envisager un autre aéroport ne sera pas aisé. Il y a donc des impasses.

Par ailleurs, pourquoi l'A3XX, avion gros porteur, constitue-t-il une réponse satisfaisante dans le territoire asiatique, alors qu'en Europe ou en France, on nous rétorque que ce n'est absolument pas envisageable ? Il me semble qu'il pourrait apporter d'importantes améliorations en termes de confort et qu'il réduirait très sensiblement, si l'on y mettait les moyens, le nombre d'atterrissages, de décollages et donc de vols. Pourquoi essuie-t-on un refus systématique ?

D'après vous, le recours à de tels gros porteurs peut-il être envisagé ?

M. Pierre Ducout : La parole est à M. Pierre Micaux.

M. Pierre Micaux : Je voudrais traduire ici ma satisfaction après avoir appris ce matin que l'aéroport de Lyon-Satolas sera débaptisé pour s'appeler Saint-Exupery.

Pour entrer dans le vif du sujet, que vous a apporté, en bien ou en mal, l'aéroport de Vatry nouvellement mis en place ? Cela vous a-t-il gêné ou cela peut-il vous aider dans l'avenir ?

Le second point concerne le futur aérodrome, inévitable à mon sens, dans la région parisienne. Le projet à Chartres est-il définitivement enterré ? Ce n'est pas vous qui en déciderez mais vos arguments seront prépondérants et pèseront. Vous orienteriez-vous plutôt vers un aéroport dans le nord de Paris en accompagnant cette démarche d'une desserte ferroviaire souterraine ?

M. Pierre Ducout : La parole est à M. Jacques Rebillard.

M. Jacques Rebillard : M. le directeur, je souhaiterais avoir quelques informations sur les services d'exploitation de la formation aérienne et vous demander où en sont vos réflexions quant à l'évolution de ce service. On parle de la mise en place d'un groupement d'intérêt économique entre le service d'exploitation de la formation aéronautique (SEFA) et d'autres écoles de pilotage. J'aimerais que vous nous donniez quelques informations sur ce dossier.

M. Pierre Ducout : M. Daniel Boisserie qui a dû s'absenter souhaitait vous poser une question sur les petits aérodromes comme Brives et Périgueux, notamment concernant le problème des prix et des éléments de péréquation. Merci de répondre à toutes ces questions.

M. Pierre Graff : Monsieur Jean-Pierre Blazy, vous avez débuté votre propos par les impératifs commerciaux et de sécurité. Concernant la sécurité, celle-ci n'est pas assez évoquée parce que les impératifs commerciaux et la vague de libéralisation l'ont occultée dans les discours dominants.

On a l'impression que la sécurité est un acquis, qu'elle va de soi. Or, prendre l'avion n'est pas un acte naturel : c'est un transport qui ne sera jamais comme les autres et qui en soi est un défi. Il est très compliqué de placer 150 à 300 personnes dans un engin qui vole à 10.000 mètres d'altitude à 800 km/heure. Cela ne va pas de soi ! Or, la sécurité est excellente aujourd'hui, mais on n'imagine pas le professionnalisme, les redondances et les précautions que ce transport nécessite.

Je me permets d'insister sur ce point car il est tout à fait occulté. Cela est irritant d'entendre un certain nombre de groupes de pression - compagnies aériennes et autres - qui protestent avec véhémence contre les retards. Certes, il y a des retards ; ils sont infiniment regrettables. Nous devons tous y mettre du nôtre pour améliorer la situation. Mais ces retards résultent également de ce que, à aucun moment, aucun système de contrôle ou aéroport n'a fait la moindre impasse sur la sécurité. Même aux pires moments de la guerre au Kosovo, la sécurité a été maintenue au niveau des standards internationaux.

La sécurité ne va pas de soi ; elle se gagne tous les jours. Et plus on complexifie les choses et plus les réponses sont compliquées.

Vous avez parlé de retard et d'environnement. Je ne nie pas que les retards puissent être une agression à l'environnement puisque les moteurs tournent, mais ils tournent au sol. Je ne l'ai peut-être pas clairement explicité dans mon exposé préliminaire : pour l'ensemble de l'Europe, les vols sont régulés par une cellule centrale située à Bruxelles où un gros ordinateur central « digère » tous les plans de vols déposés par les compagnies aériennes.

Cet ordinateur vérifie, sur une route aérienne donnée, si la totalité des plans de vol des avions qui doivent passer dans un créneau horaire dans un espace donné est compatible avec les capacités de contrôle disponibles. Si c'est compatible, on laisse partir les avions ; si ce n'est pas compatible, on retarde les avions au sol. D'où les retards.

Si l'on ne procédait pas ainsi, les avions attendraient et tourneraient en l'air. D'une part, la sécurité serait compromise et d'autre part, on gaspillerait beaucoup de kérosène et on ferait beaucoup de bruit. Les avions attendent donc au sol, soit moteurs éteints soit moteurs allumés.

Les retards dans le transport aérien tels qu'ils sont gérés n'ont pas un impact considérable sur l'environnement.

Un commissaire : Des avions tournent quand même autour de l'aéroport de Londres.

M. Pierre Graff :  En effet, parce que nos amis britanniques ne respectent pas les créneaux de Bruxelles pour des raisons commerciales. C'est pourquoi j'insiste : il y a un antagonisme, une guerre permanente entre les impératifs commerciaux et les autres. C'est pourquoi, il faudra revenir à une régulation un peu plus autoritaire.

Effectivement, les avions en Angleterre tournent autour de Heathrow, ce qui est source de pollution. Mais si les règles du jeu sont respectées, les avions attendent au sol.

Vous avez également abordé la question des relations avec les militaires. Vous avez raison, il y a trois niveaux pour améliorer la situation entre l'aviation civile et l'aviation militaire.

Le premier niveau est pompeusement baptisé de stratégique. A savoir, où doit-on situer les zones d'entraînement militaire pour qu'elles gênent le moins possible le trafic civil ? Le sujet est très complexe : il faut laisser de l'espace aux militaires, en l'occurrence moins de zones mais plus vastes, du fait de la rapidité de leurs avions qui montent également plus haut. L'entraînement des Rafales implique des chandelles qui montent très haut, etc. Ils ont réellement besoin de place et ont besoin de s'entraîner, car ils sont au seuil limite de l'entraînement. Ce problème n'est pas résolu aujourd'hui parce que nous ne savons pas quels secteurs leur réserver. Si nous les envoyons trop loin de leurs bases, cela entraîne des coûts considérables ou nécessite de construire d'autres bases. Ils ne peuvent pas voler au-dessus de la mer pour des raisons de sécurité, etc.

Pour ma part, je ne vois pas d'avenir convaincant autre qu'une solidarité européenne. Il y a de la place au nord et au sud de l'Europe, encore faudrait-il que cette solidarité européenne puisse jouer et qu'il y ait une véritable communauté d'entraînement. Cela dit, tant que l'on restera sur le territoire français, je ne suis pas persuadé que cela fonctionne très bien et que l'on fasse des progrès considérables.

Il faudrait supprimer la zone aérienne de Tours si on veut utiliser à plein la quatrième piste de Roissy. C'est une vraie complication pour les militaires.

M. Jean-Pierre Blazy : La question est posée.

M. Pierre Graff :  En effet.

Il y a un autre niveau, tactique, qui est celui de l'optimisation des relations entre civils et militaires pour l'usage de ces zones. Cela signifierait que certains vendredis, les militaires ne s'entraîneraient pas en raison de l'importance du trafic civil, que certains créneaux horaires dans la journée leur seraient interdits parce que cela perturbe la pointe du hub d'Air France en entraînant des retards récurrents de proche en proche tout au long de la journée ; ou encore que les militaires nous préviennent lorsque telle zone militaire ne sera pas utilisée tel jour pour que nous puissions en faire bénéficier les compagnies civiles. Nous faisons de gros progrès à cet égard.

Le troisième niveau est celui de la coordination directe de contrôleur à contrôleur. Le contrôleur militaire ne travaille pas comme le contrôleur civil ; il n'a pas un espace à gérer en évitant les collisions. Il prend en charge un ou deux avions, ou une escadrille, et les guide jusqu'à la zone d'entraînement. Ce contrôleur militaire doit donc guider l'avion militaire à travers les vols civils pour qu'il puisse rejoindre la zone d'entraînement depuis sa base. Ce contrôleur militaire est responsable en cas de collision, et non pas le contrôleur civil ; c'est le militaire qui doit éviter les avions civils.

Le contrôleur militaire a donc besoin de beaucoup de renseignements. Il voit les avions civils sur son écran. En revanche, il ne connaît pas les intentions de contrôle. Tel Airbus d'Air France va-t-il monter, tourner, descendre etc. ? Comment s'y prendre pour le faire croiser avec le Mirage 2000 ? Il a besoin de dialoguer avec le contrôleur civil.

Ce dialogue est compliqué parce que si le militaire téléphone toutes les deux minutes, le civil ne peut plus faire face. Il faut donc absolument avoir une communication automatisée, informatisée et extrêmement commode entre le militaire et le civil. En appuyant sur un bouton, le contrôleur militaire doit pouvoir poser sa question au civil qui doit pouvoir lui répondre en appuyant sur un autre bouton. Cela peut se faire à des milliers de kilomètres de distance mais cela ne doit prendre qu'un minimum de temps, sinon c'est impossible à gérer.

Ce système de communication informatisé et sophistiqué entre les deux contrôleurs est en cours d'élaboration. Il sera au point en 2002.

Au-delà, se pose une question subsidiaire mais importante : faut-il que les contrôleurs militaires soient physiquement en contact avec les contrôleurs civils, sachant que leur communication peut se faire à des milliers de kilomètres de distance ? Je suis de ceux qui pensent que cette solution n'est pas la plus mauvaise. Ils apprendront à se connaître et à se respecter. Les militaires estiment que c'est très bien ; nous sommes apparemment tous d'accord, sauf les syndicats des contrôleurs civils qui refusent, pour des raisons que nous avons parfois du mal à comprendre. Le dernier congrès du syndicat majoritaire des contrôleurs aériens s'est tenu il y a un mois ; la motion qui y a été votée est la suivante : "Nous refuserons par tous les moyens possibles, la co-implantation".

Il nous faut donc traiter ce phénomène plus culturel que rationnel en dialoguant. Aujourd'hui, le dialogue n'est pas simple.

A propos des hushkits, la situation est très claire : le règlement communautaire doit être mis en application le 4 mai 2000.

Ce règlement comprend deux parties. La première partie traite des avions communautaires et précise que ne pourront plus être enregistrés sur les registres communautaires les avions hushkités ; seuls les avions anciennement hushkités pourront y rester. On pourra passer d'un registre à l'autre mais pas enregistrer de nouveaux avions hushkités. Il s'agit d'une règle de non-addition et de gel qui s'applique aux avions communautaires.

En revanche, concernant les avions des pays tiers non communautaires, la date d'échéance est fixée à 2002 ; les avions des pays tiers hushkités ne pourront alors plus venir en Europe, sauf s'ils y venaient déjà dans une certaine période.

Le règlement entre en application le 4 mai, mais en pratique, uniquement pour sa partie concernant les avions communautaires puisque le reste entrera en application en 2002. L'ouverture de Mme Loyola De Palacio aux Américains consiste à appliquer le règlement le 4 mai, en étant disposée à discuter des modalités de la deuxième partie concernant les avions des pays tiers en 2002. La condition est la suivante : les Américains doivent suspendre la plainte déposée à l'OACI contre la Communauté - où nous serions battus puisque nous serions minoritaires - et renouveler par écrit leur engagement de travailler avec nous au sein de l'OACI à l'élaboration de normes internationales permettant de déboucher, d'une part sur un nouveau standard plus ambitieux que le chapitre 3 actuel - un chapitre 4 - et d'autre part, sur un retrait progressif des avions les plus bruyants du chapitre 3.

Les Américains n'ont pas dit s'ils acceptaient cette proposition. Mon sentiment est qu'ils vont refuser. Nous aurons sans doute une crise le 4 mai.

Sur le fond, vous avez dit que le règlement hushkit est excellent. Il a été voté par la France, j'aurais du mal à dire le contraire. Cela dit, on peut faire plus ambitieux dans la mesure où il s'agit d'un règlement de non-addition. De mon point de vue, nous avons intérêt à essayer d'obtenir une règle internationale permettant d'améliorer les standards actuels qui sont assez « vieillots ». D'où l'intérêt d'un travail avec les Américains au sein de l'OACI, car sans les Américains, nous ne disposons pas de majorité pour faire passer un standard plus ambitieux.

M. Jean-Pierre Blazy : Quid de l'Autorité de contrôle des nuisances sonores aéroportuaires (ACNUSA) ?

M. Pierre Graff : S'agissant des nouveaux indicateurs de bruit, je pense que ce problème sera traité pour cet automne.

M. Pierre Cohen a posé la question du confort de l'usager. Vous avez raison, on n'est pas toujours à l'aise dans le transport aérien, même s'il est rapide. Il y a deux causes à cela : d'une part, il y a une tradition pendant le transport proprement dit consistant à s'occuper du passager, à lui offrir une collation, etc. C'est très agréable sur des moyens et long-courriers ; ce n'est pas forcément ce que recherchent les clients sur un vol très court qui souhaiteraient plutôt consacrer un peu de temps à leur travail. C'est une réflexion que les compagnies doivent entreprendre ; elles y réfléchissent. Elles suivent les indices de satisfaction de leurs passagers, ce qui signifie qu'une majorité de clients s'accommode de la formule en vigueur.

Cela dit, il est vrai que la petite heure de vol métropolitain est pratiquement inutilisable, alors que dans le TGV, on peut travailler.

D'autre part, nous essayons de limiter les attentes en aérogare, mais on retombe sur le fait que le transport aérien n'est pas un transport comme les autres. Les protections à prendre en matière de sûreté et de prévention des attentats resteront, quoi que l'on fasse, extrêmement pénalisantes. On ne pourra jamais se dispenser du contrôle par rayons X, voire de la fouille, du contrôle des bagages, etc.

Les indications que nous donnent les services spécialisés concernant le risque d'attentats aériens ne sont pas rassurantes ; la menace ne baisse pas, au contraire. On ne peut pas baisser la garde, même sur les vols intérieurs et même si les vols internationaux sont plus exposés que d'autres. On ne fera donc jamais de miracle dans ce domaine.

Puis, se posent les problèmes d'intendance, de politique aéroportuaire. Peut-on concevoir des aérogares plus spacieux, plus confortables, plus silencieux ? Cela peut sans doute être amélioré, mais fondamentalement, une procédure d'accès à l'avion sera toujours inévitable et plus désagréable que ce que l'on connaît dans le TGV. Hélas pour l'avion !

Concernant le mécontentement des riverains, comme vous, je suis convaincu qu'il s'agit d'un phénomène de fond. Ceux qui nous disent qu'ils ne sont pas représentatifs, se trompent. Il faudra compter avec l'opinion des riverains et l'on ne pourra pas développer les plates-formes n'importe comment.

Pourquoi pas l'A3XX en Europe, à supposer qu'on le lance ? Cet avion, dans ses versions les plus basses, comportera 550 places pour atteindre 600, 650 passagers. J'espère qu'il sera conçu avec les meilleurs standards de bruit et que l'on ira au-delà du futur chapitre 4 qui n'a pas encore été abordé à l'OACI. Pour autant, cet avion n'est pas vraiment recherché par les compagnies de transport européennes ou américaines, parce que leur stratégie commerciale est fondée sur des plates-formes de correspondance, afin d'offrir le maximum de destinations et de fréquences à leurs passagers.

Selon ces compagnies, ce que veulent les passagers réguliers, c'est pouvoir choisir un horaire et un prix. Je ne parle pas ici des vols charters dont la clientèle est assez différente. Un homme d'affaires qui veut se rendre à New York a différentes contraintes ; il a besoin d'arriver tôt avant une journée de travail, ou d'arriver très tard pour se reposer et reprendre sa journée de travail le lendemain. Les contraintes sont diverses ; il veut pouvoir choisir et il n'accepte pas qu'on lui impose de ne partir que sur un seul vol à 12 heures 30 sans autre possibilité.

Dès lors que cette stratégie a été adoptée par les concurrents américains, il faut que l'offre européenne soit de même nature. Nous sommes donc embarqués dans la multiplication des fréquences. On voit bien que les compagnies américaines et européennes utilisent à fond les accords bilatéraux pour remplir au maximum les fréquences.

J'ajouterai que la politique du hub consiste à alimenter par de petits avions une plate-forme qui dessert ensuite toutes les directions. Là encore, la multiplicité des directions et des fréquences ne se prête pas à l'utilisation des gros porteurs. Aujourd'hui, dans les études de marché, la plupart des compagnies aériennes sont amenées à remplacer leurs vieux Boeing 747 par un Boeing 777 ou par un Airbus A 340 - je préfèrerais ! -, surtout l'A 340 500-600.

On s'aperçoit aujourd'hui que parfois les concurrents commerciaux du Boeing 747 - c'est une donnée à considérer pour l'A3XX - dans les pays européens, sont l'Airbus A340 500-600 et le Boeing 777. C'est pourquoi les compagnies occidentales ne sont pas, pour l'instant, complètement convaincues de savoir utiliser, de façon rentable, un A3XX. D'autant que l'on n'achète pas un seul exemplaire de l'avion, mais une flotte.

En revanche, ce que je dis là ne sera plus vrai dans cinq ou dix ans, parce que, en raison de la saturation, les compagnies devront adopter de nouveaux modes de gestion, même si, comme le souhaite M. Jean-Pierre Blazy, nous construisons un jour un troisième aéroport. Il faudra prendre le temps de le construire. Plusieurs années s'écouleront entre le moment où Paris sera saturé et celui où de nouvelles capacités seront disponibles ; années au cours desquelles les compagnies aériennes devront ajuster leurs stratégies. Il est possible qu'alors, elles soient contentes, sur un nombre limité de liaisons, d'avoir un très gros porteur.

Le Boeing 747 étant un avion démodé, et obsolète, le marché de l'A3XX sera excellent. Pour les compagnies européennes, l'A3XX arrive un peu tôt. Le phénomène n'existe pas sur des liaisons complètement saturées comme Tokyo-Sydney, Osaka-Bangkok, etc. Le contexte y est complètement différent. D'ores et déjà, les compagnies peuvent se lancer.

Voilà la réponse donnée aujourd'hui par la profession. Quant à moi, je reste très optimiste quant à l'usage de cet avion, non pas demain, mais un peu plus tard compte tenu de ce que sera la saturation des liaisons Europe - Amérique ou Europe - Asie.

M. Pierre Micaux a posé la question de l'aéroport de Vatry. Pour l'instant, il n'a rien apporté puisqu'il n'y a pas d'avions. Vous en connaissez l'histoire : l'Etat a toujours tenu un seul discours vis-à-vis de Vatry en estimant que c'était une initiative intéressante. Le conseil général de la Marne en assume la totalité du financement et de la responsabilité. Très bien. L'Etat ne le financera donc pas ; en revanche, il fera le maximum pour faciliter les procédures et permettre l'ouverture de la plate-forme.

Cela a été fait : la plate-forme a été ouverte ; reste à trouver un marché. Je suis convaincu que nous serons très contents d'avoir Vatry à terme et qu'il y a un espace pour le développement du fret. Le fret aérien explose. Pour l'instant, les grands opérateurs de fret vont à Roissy où ils trouvent des chaînes intégrées. Là aussi, Vatry a été créé un peu tôt, mais nous serons contents d'avoir une plate-forme suffisamment éloignée pour éviter toute nuisance et capable d'accueillir des trafics difficilement acceptables ailleurs.

Quand il y aura saturation à Roissy, nous serons sans doute très satisfaits de découvrir que, pour le fret au moins, des réponses existent à proximité.

En revanche, l'insertion de Vatry dans l'espace aérien n'est pas aisée, l'aéroport étant situé en plein milieu des espaces militaires. La capacité de cet aéroport sera limitée dans le temps. On est cependant très loin de la mobiliser puisqu'il n'y a pratiquement pas de trafic.

Vous me demandez ensuite si le projet d'un futur aérodrome de Chartre est enterré et s'il faut aller dans le nord de Paris. Je ne peux pas vous répondre à ce stade, je ne sais pas si la décision sera prise, et si elle est prise je ne sais pas si le site sera mis en cause ou pas.

En tout cas, je peux vous dire que d'un point de vue technique, il faut prendre en compte des critères lourds. Pour implanter un aérodrome de cette capacité, il faut tout d'abord choisir un endroit approprié à l'espace européen. Ce n'est pas la peine de se battre sur les retards si, volontairement, on crée un aérodrome qui multipliera les retards.

Deuxièmement, il faut choisir un endroit plat, dont la météo est connue et qui soit susceptible de nuire au moins de riverains possible et dont les sols soient faciles à protéger alentour. Enfin, cet endroit doit bénéficier d'une desserte terrestre réalisable au moindre coût et performante ; la desserte par le rail doit être inférieure ou égale à une demi-heure et une desserte routière est également nécessaire. Cela limite le choix parce que les investissements routiers et ferroviaires sont lourds.

M. Jacques Rebillard a posé la question de la formation au pilotage, à travers le cas de l'école publique du service d'exploitation de la formation aéronautique (SEFA). La formation au pilotage est un vrai défi national. Effectivement, aujourd'hui, les compagnies aériennes veulent former leurs pilotes rapidement et au moindre coût. Pour ce faire, elles ont le choix des écoles. Elles peuvent notamment choisir une école irlandaise, américaine ou japonaise pour une formation en dix-huit mois la moins chère possible. Les syndicats de pilotes essaient quant à eux d'inciter les compagnies à conserver des filières, soit françaises pour la France, soit a minima européennes.

Cela implique que l'Europe et singulièrement la France, soient capables d'avoir des écoles compétentes répondant aux nouveaux standards européens ou internationaux et capables de former des pilotes pour les compagnies aériennes.

Il se trouve qu'en France, le réseau des écoles est faible. On compte une école publique - le SEFA - qui a une vieille tradition et est possédée par l'Etat. Elle était et est encore en sous-activité compte tenu de la chute des recrutements ces dernières années. On compte également l'ancienne école d'Air France, l'Ecole de pilotage Amaury de la Grange (EPAG) qui était propriété d'Air France autrefois, et qui appartient aujourd'hui à la chambre de commerce et d'industrie de Hazebrouck et qui a un vrai savoir-faire. Nous avons en outre quelques petites écoles de-ci de-là, sachant que la plupart d'entre elles sont la propriété de compagnies aériennes - comme l'Ecole supérieure des métiers de l'aéronautique (ESMA) à Montpellier, propriété d'Air Littoral et donc dans l'orbite du groupe Swissair - mais ces écoles ne forment des pilotes que pour les besoins propres des compagnies.

Il faut savoir qu'un pilote se forme d'abord avec un tronc commun, et ensuite avec une qualification sur la machine. Ces écoles de compagnies aériennes n'assurent souvent que le dernier tronçon.

Enfin, il y a une multitude de toutes petites écoles qui forment au pilotage essentiellement des pilotes privés, voire quelques pilotes professionnels qui peuvent faire du travail aérien mais pas de transport public.

Nous essayons, à l'issue de multiples tables rondes avec les représentants des écoles et les syndicats de pilotes, de structurer ce tissu. Les petites écoles qui forment les pilotes privés ou professionnels pour le travail aérien existent et "vivotent" - ce sont des petites et moyennes entreprises - et on ne peut guère y faire grand-chose ni réguler la demande.

Les écoles qui appartiennent à des compagnies aériennes et qui forment à des qualifications ont un avenir. Il s'agit de qualifier les pilotes sur une machine donnée. On s'aperçoit que de nombreuses compagnies aériennes achètent des machines analogues. Air France, par exemple, qualifie sur ses Boeing et Airbus. Cela dit, il existe toute une flotte d'avions ou de jets régionaux brésiliens, canadiens ou autres, pour lesquels il n'est pas facile d'avoir les simulateurs et les avions pour former et qualifier les pilotes.

Il y a là un vrai marché. Il est envisagé ainsi avec l'école de Britt'Air, un groupement d'intérêt économique entre SOFRE AVIA (qui sous-traiterait des prestations au SEFA) et Icare pour offrir au niveau national et européen une école performante très professionnelle sur ce marché. On ne fait pas de concurrence à d'autres parce que l'offre française n'existe pas.

D'autre part, concernant le segment de formation de tronc commun de pilote de transport public professionnel, il n'existe pas beaucoup de formations. Le SEFA forme les élèves pilotes de ligne recrutés par concours, l'école d'Air France forme les pilotes ab initio ouverte suite aux accords sociaux que M. Spinetta a passés avec ses pilotes. C'est tout. Pour le reste, les autres pilotes suivent des formations fractionnées en acquérant des diplômes par ci ou par là et qui, mis bout à bout, finissent par leur donner le cursus approprié.

Là encore, nous étudions un rapprochement, sous la forme d'un groupement d'intérêt économique entre le SEFA et l'EPAG pour créer une formation complète ab initio ouverte au marché français, européen et international en offrant ce que l'on sait faire de mieux en France.

Dans un premier temps, le SEFA formerait les pilotes de ligne, et l'école d'Air France formerait ses pilotes cadets. Nous pourrions atteindre une certaine synergie, mon but étant que, moyennant ce rapprochement, l'on puisse capter les marchés étrangers. Nous avons déjà capté le marché indochinois ; il y en a d'autres. Nous serions alors capables de minimiser les dépenses. Nous avons des hommes compétents ; l'école d'Air France possède des simulateurs que nous avons en moins grand nombre. Tout cela peut permettre de minimiser les dépenses pour être compétitifs quant à l'offre que nous pourrons proposer.

En contrepartie, j'espère obtenir des engagements fermes d'Air France sur des recrutements d'élèves pilotes de ligne, et donc accroître significativement l'activité du SEFA. Voilà quelles sont les perspectives à l'étude.

Paradoxalement, ma difficulté n'est pas de convaincre M. Spinetta, mais le personnel. D'une part, les pilotes ou du moins le syndicat majoritaire, le SNPL, sont assez partisans de cette formule. D'autre part, les autres personnels et syndicats restent vigilants devant tout changement. La difficulté sera de convaincre.

Du côté de l'école d'Air France, il faudra aussi convaincre le conseil d'administration que ceci peut être une bonne chose.

En revanche, le projet envisagé avec Icare concernant la formation à la qualification sur machine est beaucoup plus avancé et plus facile à réaliser.

Concernant la péréquation des petits aérodromes, deux systèmes fonctionnent bien aujourd'hui en France : la péréquation des lignes et celle des aéroports. Quand le marché ne satisfait pas spontanément un besoin de transport public - par exemple une liaison Paris-Agen - si un certain nombre de conditions fixées dans un règlement communautaire sont remplies, il est toujours possible de décider de l'instauration d'obligations de service public sur cette ligne. Les collectivités locales peuvent ainsi demander un avion de telle taille tel ou tel jour et peuvent même fixer le prix maximum du billet. Dans ce cas, une fois que les obligations de service public ont été publiées au niveau européen, soit un transporteur exploite spontanément la ligne, soit il n'en vient pas. Dans le dernier cas, on lance un appel d'offres. Le transporteur choisi bénéficie alors d'une subvention d'équilibre pour exploiter la ligne et de l'exclusivité de la ligne pendant trois ans. C'est une façon de satisfaire une absence de réponse du marché.

Cette subvention est versée à partir d'un fonds de péréquation alimenté par une taxe sur le billet, la taxe de l'aviation civile dont une partie est affectée à l'équilibre de ces lignes d'aménagement du territoire.

Cette péréquation fonctionne. Nous sommes passés en 1995 du système - qui a explosé - où Air Inter faisait sa propre péréquation en exploitant des lignes déficitaires équilibrées par les lignes bénéficiaires à ce système-là. On a beaucoup craint de perdre des lignes ; en pratique, tel n'a pas été le cas. Elles ont toutes été conservées, certaines ont été ajoutées, le prix moyen du billet a baissé et la fréquence a augmenté. Il n'y a donc pas eu de perte en matière d'aménagement du territoire par rapport à la situation qui prévalait avant la libéralisation.

La deuxième péréquation pratiquée porte sur les dépenses régaliennes qui incombent aux aéroports. Le conseil d'Etat a décidé que certaines dépenses relatives à la sûreté, à la sécurité incendie et autres ne devaient pas être payées par les redevances d'aéroport mais prises en charge par l'Etat.

Messieurs les députés, fin 1990, vous avez voté une loi instaurant ce système et vous avez autorisé les aéroports à percevoir une taxe, un impôt, pour financer ces dépenses régaliennes. Pour les petits aéroports qui, avec le produit de la taxe, ne peuvent pas faire face aux dépenses, a été instauré un fonds de péréquation, financé sur la même ressource de la taxe de l'aviation civile. Ce fonds de péréquation permet en quelque sorte de « boucher les trous » pour les tout petits aéroports qui ne peuvent faire face aux dépenses régaliennes.

Ce fonds a été mis en place récemment. Son comité de gestion s'est réuni il y a un mois. A ma connaissance, tous les aéroports recevront la dotation dont ils ont besoin pour faire face à leurs besoins, sachant que, curieusement, on trouve parmi les bénéficiaires les petits aéroports, mais aussi quelques cas particuliers comme Lyon et Cayenne qui ont besoin de bénéficier de ce fonds de péréquation. Ce système se rôdera au fur et à mesure. A ma connaissance, pour l'instant, toutes les demandes exprimées par les aéroports ont été satisfaites par ce fonds de péréquation.

M. Pierre Ducout : Merci à vous et aux collègues qui ont suivi de bout en bout cette réunion sur un sujet important.

Audition de M. Hubert du MESNIL,

directeur des transports terrestres,

(extrait du procès-verbal de la séance du 26 avril 2000)

Présidence de M. Pierre Ducout, vice-président

M. Pierre Ducout : Je suis très heureux d'accueillir aujourd'hui M. Hubert du Mesnil, directeur des transports terrestres, à l'occasion de son audition devant la commission de la production et des échanges. Cependant, les circonstances qui me conduisent à présider cette réunion ne sont pas particulièrement heureuses, puisque, vous le savez probablement, le président André Lajoinie, qui est à l'origine de cette audition, a été victime d'un accident qui le retient en dehors de notre Assemblée.

A partir du premier juillet prochain, soit dans deux mois, la France sera appelée à présider pour six mois les instances de l'Union européenne. Le président André Lajoinie a donc souhaité que la commission de la production et des échanges procède à un large tour d'horizon des acteurs du secteur des transports pour nourrir la réflexion du Parlement sur les enjeux de cette présidence, dans ce domaine essentiel de l'économie communautaire. C'est dans ce cadre que nous avons déjà notamment reçu ici des dirigeants d'entreprises de transport, le comité central des armateurs de France et le directeur des ports maritimes au ministère de l'équipement et des transports.

Nous vivons une période caractérisée par la domination des perspectives libérales dans le secteur des transports : dérégulation, ouverture des marchés à la concurrence, en particulier.

Dans la branche du transport ferroviaire qui est votre compétence principale, la Commission européenne projette de créer une séparation obligatoire entre l'opérateur historique de transport ferroviaire et l'autorité chargée d'attribuer les sillons offerts à d'autres transporteurs. D'autres enjeux, tout aussi importants, et plus consensuels, concernent la mise en _uvre de l'interopérabilité des réseaux ferroviaires européens, condition indispensable pour permettre au chemin de fer de doubler en dix ans le volume du fret transporté et même de gagner des parts de marché sur la route. Car l'Europe a besoin, tant pour des raisons environnementales que pour des motifs de simple sécurité, de maîtriser la croissance du transport de marchandises.

Il est notamment clair que l'hégémonie de la route ne doit pas perdurer, particulièrement sur les trajets de plus de 500 kilomètres et pour la traversée des obstacles naturels, notamment les massifs montagneux.

Nous attendons tous que vous nous éclairiez sur les principaux enjeux qui attendent la France au cours de sa présidence. Nous souhaitons également connaître les grandes lignes des orientations que notre pays défendra au cours de cette période sur les propositions de directives et de règlements en cours d'élaboration.

M. Hubert du Mesnil : Merci Monsieur le président de votre accueil.

Permettez-moi d'abord d'exprimer des souhaits de rétablissement au président de votre commission, M. André Lajoinie, que je rencontre souvent dans différentes instances et notamment au conseil d'administration de la SNCF ; j'espère qu'il pourra rapidement reprendre sa place. Je sais d'ailleurs qu'il n'est pas complètement absent et qu'il suit vos travaux.

Nous sommes donc à quelques semaines maintenant de la présidence française ; j'ai envie de dire que nous y sommes déjà, car en réalité, si formellement cette présidence prend effet à compter du 1er juillet, comme vous le savez, elle se prépare, en réalité, plusieurs mois à l'avance. Il existe une sorte de mouvement glissant qui consiste, d'ores et déjà, avant même le début de la présidence, à exprimer certains objectifs, des priorités, prendre des contacts et engager même des travaux préparatoires ; on peut donc dire que nous y sommes déjà. Cette présidence est très courte, 6 mois, dont d'ailleurs plusieurs semaines de congés ; je crois en conséquence qu'il faut, compte tenu du fonctionnement institutionnel de l'Europe, tel qu'il est aujourd'hui et au vu de ces circonstances, avoir de la modestie et du réalisme car à l'échelle de la construction de l'Europe, tenir les rênes pendant six mois c'est en réalité très court. Mais il faut aussi, peut-être a fortiori, avoir beaucoup d'ambition pour que ce temps soit le mieux utilisé possible et donc savoir très précisément ce que l'on veut et consacrer toute notre énergie aux choix prioritaires établis par le Gouvernement. Au niveau des différentes directions, sous l'autorité des ministres, nous sommes en train de nous préparer à cet exercice, pour y consacrer bien sûr le meilleur de nous-mêmes.

Concernant les domaines de réflexion et les enjeux principaux, je me contenterai bien sûr du secteur des transports terrestres qui est celui dont j'ai la charge au sein du ministère de l'équipement et des transports en tant que directeur des transports terrestres. Je ne parlerai évidemment donc pas des secteurs aérien et maritime ; j'aborderai en revanche le secteur routier, même si ce n'est que de manière partielle car je ne peux pas laisser ce sujet de côté.

Je crois qu'en ce qui concerne le domaine des transports terrestres, les grands sujets de la politique des transports menée par le Gouvernement croisent les grandes orientations européennes, dans la mesure où l'on ne peut plus maintenant isoler notre action et nos priorités nationales de l'environnement européen. Le domaine des transports est devenu tellement européen qu'il n'est plus possible de constituer deux zones, l'une qui serait celle de l'action nationale et l'autre qui serait celle de l'action européenne.

Il me semble que le domaine des transports terrestres est dominé par trois grands sujets, à la fois de préoccupation nationale et de priorité européenne ; je les cite sans ordre, car ils interfèrent les uns avec les autres.

Il y a le sujet du ferroviaire, par lequel vous avez commencé, qui a fait l'objet déjà de nombreux travaux ces derniers mois, et auquel nous serons particulièrement attentifs, je vais y revenir.

Je voudrais parler aussi du transport routier et notamment de ce qui constitue pour nous la grande priorité : l'harmonisation sociale dans ce secteur.

Je voudrais également dire un mot du financement des infrastructures, sujet à caractère intermodal et qui à l'échelle des grandes infrastructures en tout cas, ne peut être traité indépendamment des orientations européennes.

A propos du ferroviaire, il s'agit d'un sujet à l'ordre du jour de l'Europe depuis de nombreuses années, marqué à la fois par un intérêt grandissant de la quasi-totalité des Etats européens, et en même temps par une extraordinaire difficulté à trouver des points de convergence. C'est l'un des sujets sur lesquels les divergences restent très fortes et elles ne sont sans doute pas près de disparaître.

Je rappellerai simplement l'étape importante qui a été franchie en décembre dernier au conseil des ministres. Nous avions eu l'occasion à cette époque, dans plusieurs enceintes, et particulièrement au sein du Conseil supérieur du service public ferroviaire, présidé par M. Jean-Jacques Filleul, de marquer l'engagement de la France et son extrême attention sur ce qui était à l'époque en discussion. Ce qui a été décidé au conseil des ministres de décembre dernier constitue une étape que nous avions jugée à l'époque équilibrée, dans une perspective de développement volontariste du transport ferroviaire à l'échelle de l'Europe, avec une priorité affichée dans le domaine du fret ; nous avons adopté une approche assez globale et équilibrée entre le fonctionnement du réseau, l'harmonisation de la tarification des infrastructures, les conditions d'exploitation et d'ouverture du réseau, mais aussi des questions plus techniques comme l'interopérabilité ou la gestion de la sécurité.

Cette approche globale nous paraissait aller dans le bon sens et être de nature à soutenir utilement le marché européen du ferroviaire. Comme vous le disiez, le ferroviaire, qui est particulièrement performant au-delà de 500 kilomètres, trouve tout naturellement une zone de développement possible à l'échelle de l'Europe.

Nous avions adopté ce que nous avons appelé à l'époque « le paquet infrastructures », c'est-à-dire un ensemble de dispositions, de textes, qui depuis a continué à progresser, notamment sur le sujet très important de l'interopérabilité dont vous avez rappelé qu'il était relativement consensuel, encore qu'il faille se méfier de ces consensus de principe, car quand on entre dans le détail, on s'aperçoit qu'il subsiste beaucoup d'intérêts divergents. En tout cas, on a bien avancé depuis le mois de décembre sur ce sujet de l'interopérabilité, qui doit permettre au train et à sa locomotive de circuler d'un réseau à l'autre, sans s'arrêter à chaque frontière. Parallèlement, le reste du « paquet » qui avait été adopté en décembre a été transmis au Parlement européen et y fait l'objet d'un examen par les commissions compétentes. Celui-ci a prévu de rendre son avis au début du mois de juillet. Nous nous situons sur un terrain plus sensible, parce que le Parlement européen a toujours eu sur le sujet ferroviaire une approche assez libérale, et là où nous avions, non sans mal, obtenu au conseil des ministres de décembre, une approche assez réaliste et assez modérée sur le sujet de l'ouverture des réseaux, le Parlement européen semble, en tout cas dans l'état actuel de ses travaux, souhaiter émettre un avis qui peut-être va relancer des discussions que nous avions espéré terminer au mois de décembre dernier.

Nous allons suivre avec beaucoup d'attention l'avis du Parlement qui sera rendu le 4 juillet prochain ; si cet avis diverge de manière assez substantielle par rapport aux décisions adoptées par le conseil des ministres de décembre, une procédure de conciliation sera mise en _uvre, que nous aurons à piloter, il s'agira sans doute d'une affaire sensible et délicate pour le deuxième semestre, donc pour notre présidence.

Il me semble que l'on peut dire à ce stade, et c'est la position du ministre, que ce qui a été construit avec beaucoup d'efforts avec le soutien de la commissaire, Mme Loyola de Palacio, en décembre, constitue un équilibre politique et j'imagine mal, en ce qui me concerne, que nous puissions sensiblement nous en écarter. S'il fallait, après demande du Parlement, remettre sur la table ce dossier, je crois que ce serait extrêmement regrettable et constituerait probablement un retour en arrière, alors que nous avions, je pense, franchi fin 1999 un pas important pour la relance du transport ferroviaire en Europe.

J'observe d'ailleurs au passage que cette relance du transport ferroviaire est une ardente nécessité. Pour ne prendre qu'un exemple, je voudrais souligner qu'en 1999, qui a été comme chacun sait, une année de croissance économique dans toute l'Europe, avec des taux de croissance qui ont été tout de même assez forts, nous avons constaté une progression très sensible du transport routier, y compris en France, d'ailleurs, et pratiquement dans toute l'Europe une régression du transport ferroviaire en valeur absolue. Je ne parle même pas de part relative, c'est-à-dire de part de marché, mais en valeur absolue ; cela veut dire qu'une année de croissance économique de 2 à 3 % dans la plupart des pays s'est traduite par une diminution du transport ferroviaire. Cela montre qu'il reste du chemin à parcourir et qu'il est plus que temps de créer un environnement ferroviaire européen qui permette à ce mode de transport de retrouver quelques performances. Ce n'est pas une condition suffisante pour rééquilibrer les parts modales, mais c'est certainement une condition nécessaire, ce qui implique aussi que les entreprises ferroviaires disposent d'un environnement plus favorable. Quand j'évoquais tout à l'heure la question de l'interopérabilité, c'est évidemment pour nous l'un des sujets les plus essentiels. Le transport ferroviaire ne sera pas performant tant que les trains rouleront à 30 ou 40 kilomètres/heure en moyenne, parce qu'ils sont obligés de s'arrêter pendant des heures et des heures aux frontières, parce qu'il faut changer de locomotive, changer de conducteur, etc. Cet objectif est déterminant, bien qu'il ne soit pas le seul, pour permettre de créer cet environnement ferroviaire européen.

Ce cadre a été fixé, nous souhaitons nous y tenir fidèlement ; nous espérons que les discussions avec le Parlement européen nous permettront de continuer à progresser et non pas à rouvrir indéfiniment le débat idéologique sur la libéralisation du transport ferroviaire. Je rappelle d'ailleurs que dans cette affaire, la France a pris une position pragmatique consistant à dire que chaque pays peut, s'il le souhaite, adopter des politiques différentes ; il appartient à chacun d'apprécier, dans son autonomie et sa souveraineté, s'il souhaite, pour lui-même et à l'intérieur de ses frontières, franchir ou non des étapes de libéralisation.

J'indique par exemple que la Finlande vient de faire connaître par la voix de son ministre, M. Olli-Pekka Heinonen, qui présidait d'ailleurs l'Europe l'année dernière, que cet Etat ne souhaitait pas avancer davantage vers la libéralisation, alors que nous avions eu l'impression, voici quelque temps, que ce pays, qui est assez ouvert, avait adopté une orientation nettement libérale. La Finlande estime que l'on ne peut pas aller plus loin aujourd'hui dans le domaine de la libéralisation ferroviaire, parce que cela constituerait un risque pour la sécurité du réseau et créerait un contexte peu favorable au développement du trafic. Vous voyez donc que la France n'est pas le seul pays à souhaiter gérer son réseau dans un esprit d'ouverture vis-à-vis de l'Europe, mais non pas dans un esprit d'ouverture au sens où on l'entend d'habitude en termes de concurrence.

Je voudrais maintenant vous dire un mot du transport routier. En ce qui nous concerne, le ministre a fait le choix très net d'une priorité en faveur de l'harmonisation sociale. Le transport routier, comme vous le savez, est complètement libéralisé ; le débat est dépassé, puisque la libéralisation est totale ; le transport international est complètement libre ; le cabotage national est lui-même libre, dès lors que les entreprises remplissent les conditions qui ont été définies pour accéder à la profession, c'est-à-dire les conditions de compétence, de capacité financière et d'honorabilité ; elles sont titulaires d'une licence de transport européen et avec cette licence, elles peuvent circuler librement partout.

Cette libéralisation est donc déjà faite ; en revanche, l'harmonisation, elle, c'est le moins qu'on puisse dire, est loin d'être achevée. Elle a été partiellement réalisée en ce qui concerne les normes techniques des véhicules. Elle est très partiellement (on peut même dire fort peu) réalisée en ce qui concerne la fiscalité ; pour ne prendre qu'un exemple, la fiscalité du gazole, qui est un élément très important dans le coût du transport routier, est loin d'être harmonisée. Il y a bien une directive qui fixe des minima mais ceux-ci sont tellement bas que le faisceau est très ouvert entre les pays qui ont le gazole le moins cher et ceux qui ont le gazole le plus cher ; les prix varient du simple au double. On ne peut donc pas dire qu'il y ait une harmonisation du coût du gazole, alors que celui-ci représente 20 % du prix de revient du transport routier.

Puisque l'on ne peut pas tout faire pendant cette présidence, nous allons nous consacrer entièrement à l'harmonisation sociale dont on peut dire qu'elle est pratiquement en panne depuis deux ans. Nous souhaitons aborder le problème de manière globale, c'est-à-dire simultanément maîtriser et encadrer le temps de travail des conducteurs routiers, mais aussi leur fixer des normes minimales de formation, mettre au point un dispositif de contrôle et de sanctions qui soit plus rigoureux et enfin, traiter un problème qui est en train de prendre une grande ampleur, l'entrée en masse de conducteurs extra-communautaires, venant essentiellement d'Europe centrale.

Harmoniser les conditions sociales du transport routier, c'est faire en sorte que les travailleurs de ce secteur, quel que soit leur statut, soient soumis à un minimum de règles communes concernant leurs conditions de travail, leur niveau de qualification et leurs conditions d'emploi. Je ne parle évidemment pas de l'harmonisation de leur rémunération, puisque vous savez que ce sujet n'est pas, si je puis dire, encore à l'ordre du jour. Mais si, déjà, indépendamment des rémunérations, nous pouvions rapprocher les conditions d'emploi et de travail, nous aurions fait _uvre utile.

Concrètement, dans cette approche que nous appelons « le paquet social », l'idée est de parvenir à l'adoption de textes qui définissent des normes de temps de travail et de temps de repos, fixent des objectifs de compétence, de qualification et de formation, règles qui, à défaut d'être communes, réduisent un peu les écarts que nous constatons aujourd'hui.

Nous ne partons pas de rien, puisque cela fait plusieurs années que nous plaidons ce dossier. Des propositions ont été faites à plusieurs reprises et je dois dire d'ailleurs qu'en France, patronat et organisations syndicales du transport routier ont une vision assez largement consensuelle sur ce sujet. Nous espérons donc que, appuyés par ce consensus national du patronat et des syndicats, nous pourrons « mettre le paquet », c'est le cas de le dire, au niveau de l'Europe, essayer de faire bouger les choses et obtenir à la fin de l'année, au minimum, un accord politique même si nous savons que tous les textes ne pourront pas être mis au point. L'objectif serait donc d'obtenir un accord politique qui permettrait de progresser en matière de réduction des temps de conduite et d'amélioration des conditions de travail.

Lorsque nous disons cela, nous poursuivons bien sûr un objectif à caractère social, quant aux conditions de travail des conducteurs eux-mêmes, mais nous poursuivons aussi un objectif de sécurité ; vous lisez régulièrement dans la presse le récit des accidents provoqués par des conducteurs qui ont largement dépassé les normes admissibles de temps de conduite. Je dois vous dire par exemple que les deux tiers des infractions constatées sur les routes, sont des infractions à la réglementation sociale. Il s'agit de conducteurs qui dépassent les temps de conduite autorisés, soit par période de 4 heures 30, soit par journée, soit par semaine ; lorsqu'on atteint ces proportions, il est plus que temps d'en faire un objectif prioritaire.

Il faut donc améliorer les conditions de travail des conducteurs, améliorer la sécurité, mais aussi, bien entendu, harmoniser les conditions de concurrence, car vous imaginez bien qu'entre un conducteur qui travaille, qui conduit 60 heures par semaine et un autre qui est limité à 48 heures, le premier représente évidemment un avantage compétitif pour son employeur par rapport à l'autre. Nous visons ce troisième objectif de convergence ou au moins de rapprochement des conditions de concurrence.

Je voudrais revenir rapidement sur le point que j'évoquais tout à l'heure c'est-à-dire l'entrée des conducteurs extra-communautaires. C'est un phénomène qui est apparu voici quelque temps, qui vient du fait qu'il existait dans les pays d'Europe centrale des entreprises nationalisées de transports routiers qui, après le changement intervenu dans ces pays, ont été privatisées. Ces entreprises ont pendant quelque temps développé leur activité dans les pays de l'Europe centrale ou avec les pays de la CEI et un jour, on les a vues partir vers l'ouest et venir sur notre territoire. Moyennant des montages assez sophistiqués, très habiles d'ailleurs, comportant des détachements de main-d'_uvre ou des prêts de filiale à filiale, on voit des conducteurs de ces pays détachés auprès d'entreprises communautaires et qui travaillent dans des pays différents, au sein même, toujours, de l'Europe.

Donc, ce phénomène est en train de prendre des proportions telles, qu'il provoque une réelle inquiétude dans la profession et dans plusieurs Etats. La Commission est en train de préparer des propositions à ce sujet.

Je voudrais tout de suite préciser qu'il ne s'agit pas pour nous d'interdire aux conducteurs de ces pays d'Europe centrale de venir travailler sur le territoire communautaire ; il ne s'agit pas d'empêcher le développement de ces pays, ni même la possibilité pour ces personnes de trouver du travail. Il s'agit pour nous, lorsqu'elles travaillent dans des entreprises qui opèrent à l'intérieur de l'Europe, de faire en sorte que ces conducteurs soient embauchés et employés dans les mêmes conditions que ceux du pays où ils travaillent ; c'est-à-dire que si un conducteur bulgare est embauché dans une entreprise autrichienne et prêté à une entreprise allemande, il faut qu'il soit utilisé dans des conditions qui soient ou bien celles de l'Autriche, ou bien celles de l'Allemagne mais pas celles de la Bulgarie. C'est un objectif assez simple à définir ; si on ne fait rien il n'y aura bientôt plus de conducteur français en transport international.

Je voudrais, pour terminer sur ce sujet du transport routier, ajouter que la bataille sera extrêmement difficile, parce que nous avons peu d'alliés, il faut le reconnaître, dans un domaine où, pour des raisons différentes, les pays n'ont pas jusqu'à présent mesuré l'intérêt d'une telle approche, soit parce que ce sont des pays très libéraux qui considèrent qu'il faut laisser les entreprises et les conducteurs se débrouiller tout seuls, soit parce qu'ils ont un intérêt (notamment parce qu'ils ont beaucoup d'artisans chez eux) à laisser ces situations perdurer. Nous allons donc être confrontés à des difficultés sérieuses, je pense qu'il faut être conscient de la difficulté de l'exercice.

Et pourtant, il nous semble qu'il faut jouer cette partie maintenant, parce que l'approche de l'élargissement constituerait une menace pour tout le monde si nous ne fixions pas des normes sociales communes aux 15 avant d'accueillir dans l'Europe élargie ces nouveaux pays. Le risque serait plus grand encore que celui que j'évoquais tout à l'heure avec ces prêts de main-d'_uvre d'Europe centrale vers l'Europe communautaire, puisque les entreprises d'Europe centrale pourront librement circuler sur la totalité de l'Europe élargie. Pour écarter cette menace, il faut d'urgence que l'Europe se dote de normes sociales précises, qui bien entendu s'appliqueraient obligatoirement aux nouveaux pays rentrant lors de l'élargissement.

En faisant cela, nous poursuivons également l'objectif que j'évoquais précédemment, c'est-à-dire le développement du transport ferroviaire. Nous sommes tout à fait convaincus que le transport ferroviaire ne pourra pas se redresser, quels que soient les textes, les directives et les règlements que l'on peut établir dans ce domaine, que l'on libéralise ou pas le réseau ferroviaire, si le transport routier continue à être pour lui un concurrent livré à sa liberté et à son anarchie, permettant à n'importe qui de créer une activité de transport routier, avec des conditions d'emploi et des coûts qu'on ne peut admettre. La persistance d'une telle situation ouvre la voie à un déséquilibre durable voire même aggravé du transport routier par rapport au transport ferroviaire. La condition de la réussite de ce rééquilibrage est bien sûr que l'on progresse sur l'Europe ferroviaire et en même temps que l'on mette de l'ordre dans l'Europe routière.

Pour terminer, je voudrais évoquer la question du financement des infrastructures pour dire que les infrastructures routières se développent et se financent assez bien, même s'il faudra changer les règles de leur financement, comme vous le savez certainement. Je veux parler du financement des infrastructures ferroviaires : pour poursuivre cette politique de rééquilibrage, il reste des infrastructures ferroviaires à réaliser, je pense plus particulièrement à celles dans les zones sensibles comme les zones de montagne et bien entendu, je pense aux Alpes et aux Pyrénées. Il s'agit d'infrastructures qui sont très coûteuses ; pour obtenir ce rééquilibrage dans ces zones sensibles, il faut augmenter la capacité des infrastructures ferroviaires et il faut les financer dans des conditions qui soient compatibles avec les forces en présence, si je puis dire, et le prix de chacun des modes.

Nous ne parviendrons pas à financer ces grandes infrastructures si l'on n'invente pas de nouveaux modes de financement. Les Suisses ont ouvert la voie, avec une approche audacieuse qui, voici quelques années peut-être, faisait sourire ; on considérait que c'était sans doute lié au caractère spécifique de ce pays décidément très différent de nous, mais il me semble que, plus le temps passe, plus l'approche helvétique est ressentie comme d'avant-garde et ne résultant pas uniquement de l'imagination locale. C'est une approche audacieuse, car ce pays s'engage dans un programme d'infrastructures extraordinairement coûteuses, de plus de 120 milliards de francs et ce dans une approche très intermodale, tant en ce qui concerne les modalités de financement, en acceptant que des prélèvements fiscaux sur le secteur routier financent des investissements ferroviaires, qu'en ce qui concerne l'organisation.

Nous avons devant nous de grands investissements ferroviaires, je pense bien sûr au projet du Lyon/Turin, le ministre en a parlé voici quelques jours ; nous avançons sur la définition de ce projet, pour permettre aux deux gouvernements, français et italien, de prendre position d'ici la fin de l'année et de lancer officiellement ce projet qui revient à près de 70 milliards de francs en valeur d'aujourd'hui. On peut s'attendre à ce que ce soit plus important que cela encore. Il va de soi que l'on ne pourra pas réaliser des projets de cette nature si l'on ne met pas au point des modalités de financement adaptées.

Ce sujet peut sembler surtout national. Il est en réalité européen et même doublement européen. D'une part, pour la route comme pour le fer, on ne peut pas financer les ouvrages d'infrastructures comme on le veut, du fait des normes européennes de financement et de tarification d'infrastructures. Même si nous avons actuellement une petite marge de man_uvre, ce sujet va devoir être traité, sans doute, au niveau européen. D'autre part, en ce qui concerne les subventions, des projets de cette importance, qui intéressent la circulation du trafic à l'échelle de l'Europe, méritent sans doute d'être financés avec des crédits européens plus qu'ils ne le sont aujourd'hui, le maximum étant de 10 %. Il s'agit d'ailleurs d'un financement théorique car en réalité, les enveloppes ne nous permettent pas d'atteindre ce niveau. On pourrait souhaiter que l'Europe s'engage davantage dans ces financements pour des maillons transfrontaliers de cette échelle.

M. Pierre Ducout : Merci Monsieur le directeur ; nous avons tous été frappés par vos explications sur les difficultés des transporteurs routiers, qui sont confrontés à une dure concurrence et aux difficultés de l'harmonisation. Un certain nombre d'entreprises risquent, dans la mesure où elles ne se sont pas assez performantes en logistique, de ne pas pouvoir supporter la concurrence européenne, compte tenu de l'embauche de chauffeurs extra-communautaires, faiblement payés. Nous sommes très attentifs à tous les efforts qu'il va falloir déployer dans le cadre européen. Je pense par exemple à la traversée des Alpes et des Pyrénées où l'on ne peut évidemment travailler qu'à une échelle européenne.

Je passe la parole à notre rapporteur pour avis des crédits des transports terrestres, M. Jean-Jacques Filleul.

M. Jean-Jacques Filleul : Monsieur le directeur, vous avez évoqué les sujets qui vont être débattus pendant la présidence française. Personnellement, je souscris à votre analyse. Le Gouvernement a décidé de travailler sur des points qui sont essentiels pour le développement du transport dans notre pays et en Europe. On ne peut pas développer le transport ferroviaire sans résoudre les problèmes de la concurrence avec la route. L'Europe jouera, à cet égard, un rôle majeur, nous sommes d'accord avec vous.

J'ai beaucoup apprécié la décision prise par l'un des derniers conseils européens des transports qui a affirmé l'importance du réseau trans-européen des transports de marchandises, épine dorsale du développement du fret en Europe. En même temps, cette affirmation étant énoncée, étant écrite dans nombre de documents et tracée sur les cartes, ce qui m'ennuie beaucoup, c'est que j'ai l'impression que la Commission européenne considère que désormais il appartient aux Etats membres de gérer cette question. A mon sens, la Commission européenne, sans être le chef d'orchestre de l'interopérabilité de ce nouveau réseau trans-européen du transport de marchandises, devrait jouer un rôle majeur dans sa mise en _uvre.

Tel ne semble pas être le cas et je le regrette. J'espère que ce problème sera mis à l'ordre du jour au cours de la présidence française. Sans cela, vous l'avez laissé entrevoir dans votre intervention, on va retomber dans les individualismes et les intérêts particuliers, alors que l'on sait fort bien aujourd'hui que n'existera pas en Europe un système de fret de bonne qualité sans investissements publics, tant pour le fonctionnement que pour les infrastructures. En laissant les pays intervenir, la Commission européenne se dégage en fait du financement, alors que je pense sincèrement que pour réaliser l'interopérabilité de l'ensemble de ces réseaux, il faut trouver des financements supplémentaires ; il faut un véritable plan Marshall. Il ne s'agit pas de réaliser une voie qui va d'un pays à un autre, mais un maillage de voies qui irrigue les territoires européens. Les machines doivent passer les frontières avec un seul mode de courant, les signalisations êtres identiques et l'harmonisation des systèmes d'informatique effectuée. Il faut circuler en Europe dans les conditions les meilleures, pour gagner du temps, pour dépasser les 16 kilomètres à l'heure de moyenne de transport du fret dans notre pays.

Je voudrais maintenant évoquer les problèmes de franchissement des zones sensibles, comme les Alpes ou les Pyrénées. Il serait bon que le Gouvernement français, au cours de cette présidence, puisse annoncer sa volonté forte de mettre des camions sur les trains et de faire la liaison Lyon-Turin. Il s'agit d'un grand projet dont la réalisation serait étalée sur douze à quinze ans, pour un coût de plus de 70 milliards de francs au mieux. On peut toutefois craindre des difficultés, en particulier dans les vallées italiennes dont la population n'a pas vraiment envie de voir se multiplier le trafic. Nous, les Français, pourrions démontrer que la « route roulante » n'est pas une utopie suisse ou italienne comme c'est le cas actuellement, mais un vrai projet de transport, qui concerne, bien sûr, les axes relativement importants, mais aussi des axes plus courts afin d'éviter de multiplier le nombre de camions sur les routes.

Je rappelle que le tunnel du Fréjus, a enregistré le passage de 1 549 000 camions au cours des 12 derniers mois. Il est urgent de prendre des dispositions bien avant la construction du Lyon-Turin.

Je limiterai mes questions à ces deux points importants ; on pourrait en aborder bien d'autres, mais mes collègues le feront certainement.

M. Léonce Deprez : Vous avez souligné le contraste, Monsieur le directeur, entre la croissance économique de 3 à 4 % par an, et le déclin du trafic ferroviaire, c'est un élément qui doit nous faire réfléchir et agir. La croissance va se poursuivre, et, si on ne fait rien, l'activité ferroviaire de fret, elle, va stagner, creusant l'écart existant avec la route.

Pourquoi est-on arrivé à ce type d'évolution ? Pas pour des raisons de coûts, mais pour des raisons structurelles. Ce sont les structures mêmes des lignes ferroviaires qui entraînent cette stagnation et ce retard qui s'accentue par rapport à la route. La route évolue et les structures ferroviaires, elles, n'évoluent pas.

J'avais cru comprendre que le schéma du transport ferroviaire de fret, qui a fait l'objet de la décision du conseil des ministres européen qui a d'ailleurs un nom tout à fait précis ...

M. Hubert du Mesnil : Le réseau trans-européen de fret ferroviaire.

M. Léonce Deprez : Ce serait la solution. La décision est prise mais que va-t-il se passer maintenant ? C'est la question.

Y a-t-il une politique spécifique hors des contrats de plan Etat-régions, pour mettre en _uvre le réseau trans-européen de fret ferroviaire ? Je ne le sais pas, merci de nous le dire.

Lorsque j'ai vu que la liaison Calais-Paris, figurait dans le schéma trans-européen de fret ferroviaire, je me suis dit « bravo ! », et m'en suis entretenu avec le président de RFF, que nous devons aider dans sa tâche. Je me suis inquiété de savoir, dans le contrat de plan Etat-région Nord-Pas-de-Calais si les crédits, pour cette liaison Paris-Calais étaient prévus ; cela ne me paraît pas être le cas. S'il n'y a pas de cohérence entre les décisions européennes et les décisions nationales, on ne rattrapera jamais le retard ; il y aura de plus en plus de camions sur l'autoroute A1 si on ne rend pas le trafic ferroviaire plus compétitif.

Le Gouvernement a-t-il la volonté d'inscrire les crédits nécessaires dans les contrats de plan ?

La France va prendre la présidence de l'Union européenne. Il faut saisir cette occasion pour exprimer une volonté française et la faire partager par les autres pays européens.

Vous avez évoqué la question du dumping social dans le secteur du transport routier qui génère une concurrence déloyale. Il convient d'apporter une solution à cette question dans le cadre de l'Union européenne. Avons-nous la volonté politique de subordonner l'élargissement au règlement de ce problème et à celui d'autres de même nature. Il n'y a d'ailleurs pas que pour les transports terrestres que se pose la question. Avant de parler d'élargissement, il faudrait régler les questions en suspens entre les 15, notamment pour les transports. Pouvons-nous, à l'occasion de notre présidence faire avancer l'idée d'européaniser le réseau ferroviaire de fret ?

Le problème de la libéralisation du transport ferroviaire ne se pose pas entre nous, la question est de savoir si l'on va vraiment créer les structures ferroviaires adaptées. Or seuls les Etats ou l'Europe peuvent le faire. Il faut une volonté d'Etat, mais aussi une volonté politique européenne. Européaniser le transport ferroviaire de fret nous offre un moyen d'européaniser les esprits en choisissant un secteur dans lequel s'impose une politique dépassant les problèmes nationaux et les spécificités nationales.

M. Eric Doligé : Vous avez, monsieur le directeur, évoqué les problèmes de financement, vous avez parlé des transports terrestres et jeté peut-être un voile pudique sur le financement des routes et autoroutes. J'ai quelque peu le sentiment, bien que ce domaine ne soit pas de vos compétences, que parfois, nous sommes un peu « menés en bateau » en la matière.

Nous avons très souvent questionné le ministre au sujet du financement des autoroutes. L'adossement n'est plus autorisé dans le cadre de la réglementation européenne, il subsistait une petite niche qui permettait encore de passer, fin 1998, mais on n'a pas voulu la saisir sur un certain nombre de dossiers, peut-être pour des questions internes, franco-françaises, toujours est-il que des dossiers n'ont pu aboutir et qu'ils ont été reportés en attendant maintenant la décision de Bruxelles.

On nous dit que Bruxelles finalement, verrait d'un _il assez favorable des propositions françaises, que le ministère de l'équipement, des transports et du logement entreprend des démarches auprès de la direction compétente, que les choses vont avancer très vite. Cela fait déjà un certain temps que les choses doivent se débloquer rapidement et que les échéances qui nous avaient été annoncées sont dépassées. Pour un dossier que je connais bien, on nous avait dit que l'appel d'offres pourrait être lancé à Pâques 2000 et nous avons passé de quelques jours Pâques 2000. On nous avait dit également que la loi française devait être modifiée avant fin 1999 et aujourd'hui, rien n'a été fait. Nous sommes quelque peu inquiets car on nous a envoyé sur le terrain un ingénieur général des ponts et chaussées, qui est venu nous voir pour nous dire que pour ce projet d'autoroute qui est prêt depuis longtemps sur le papier, l'échéance était 2004, mais dans la conversation très gentiment on entendait « je pense qu'en 2010, on devrait arriver à régler le problème », donc on nous ajoute six ans d'un seul coup.

Est-ce que six ans à partir d'aujourd'hui, c'est la durée de la négociation nécessaire, pour obtenir de Bruxelles quelques arrangements ? Est-ce qu'en matière de financement, sachant que les sociétés concessionnaires nous disent qu'elles n'ont aucune difficulté à équilibrer l'opération, compte tenu du trafic prévisible, qui, on le sait, est très largement supérieur aux prévisions très pessimistes qui avaient été données par la direction des routes à l'époque, nous allons aboutir ? Le but n'est pas de gêner le fer, de faire de la concurrence au fer. Il est de faire face aux augmentations de trafic sur certains endroits en respectant les impératifs de sécurité. Les DUP ont été obtenues. Nous avons presque le sentiment qu'aujourd'hui, l'Europe est une excuse aux retards. Pensez-vous que ce dossier pourra être réglé durant les six mois de présidence européenne ? Je parle de l'autoroute A19 dont on nous a dit que c'était « la prioritaire des prioritaires ».

M. François Dosé : D'immenses travaux de recherche sont effectués actuellement sur les énergies motrices pour tout ce qui est routier : pile à combustible, gaz naturel, diesel, batteries. Cette question fait-elle partie des urgences ? La présidence française permettra-t-elle d'accélérer la mise en _uvre de ces alternatives au carburant d'aujourd'hui ?

M. Claude Gatignol : Je m'arrêterai, comme beaucoup de mes collègues, au problème des infrastructures. Le port de Cherbourg est la tête de pont d'une autoroute maritime qui draine du trafic à la fois vers l'Irlande et toute la Grande-Bretagne de l'ouest. Il passe par Cherbourg beaucoup de passagers avec leurs voitures et de nombreux camions qui se dirigent ensuite vers l'Europe du sud. Or, cette Région n'est desservie par aucune autoroute, et nous ne voyons rien venir, sauf de vagues projets sur la transformation de la partie Cherbourg-Caen en véritable autoroute.

Au-delà de l'autoroute maritime transManche, je voudrais évoquer le projet transatlantique, dont la réalisation entraînerait une augmentation de fret considérable, car le trafic concernerait l'Europe entière.

Cherbourg aura-t-il la possibilité de traiter cet accroissement de fret soulageant ainsi le trafic dans la Manche ? Si ce n'était pas le cas, c'est un port hollandais qui recueillerait le trafic. Il faut préciser que le fer ne possède ni la capacité, ni la rapidité nécessaires pour évacuer à lui seul tout le supplément de trafic ; les grands projets de ce type ont-ils été programmés à l'échelon français ? Peuvent-ils s'inscrire dans un programme européen ?

Il faudrait prévoir des crédits d'études de ce projet car les enquêtes préliminaires sont longues. Il faudra recueillir de nombreux d'avis car ces infrastructures traverseront vraisemblablement une zone sensible ou un parc naturel. On ne nous donne pas beaucoup d'espoir quant à la réalisation de toutes ces infrastructures.

J'ajoute que ces questions ont été évoquées dans le cadre de la préparation des contrats de plan Etat-régions mais il faut qu'un projet ait reçu un label européen, par exemple, ou que les pouvoirs publics fassent savoir qu'il s'agit là d'un dossier prioritaire pour que cela aboutisse.

M. Lucien Guichon : Je vous ai écouté avec beaucoup d'attention et je partage votre souci concernant la position du fret routier par rapport au fret ferroviaire.

Dans mes anciennes fonctions, j'ai travaillé avec des transporteurs et avec la SNCF. Si cette dernière a perdu une grosse part du marché, ce n'est pas une question de prix, mais une question de délais. Ainsi, par exemple, lorsque nous envoyions de la marchandise du département de l'Ain, elle mettait entre 4 jours et trois semaines pour arriver dans les Deux-Sèvres. Dans ces conditions, il arrive un moment où l'on abandonne le fer au profit de la route.

Est-il possible ou non de respecter les délais pour le transport de marchandises par fer ? Tout le problème est là ; à partir du moment où les délais seront respectés, vous verrez que le transport ferroviaire reprendra le dessus.

M. Hubert du Mesnil : Je vais sans doute vous décevoir, car il me faut reconnaître que je n'ai pas dans mes compétences celles relatives aux infrastructures routières, qui relèvent, comme vous le savez peut-être, de la direction des routes. Je m'abstiendrai donc d'en parler. Je suis quand même avec intérêt la réforme autoroutière en cours de négociation avec Bruxelles dans des conditions difficiles. L'objectif est de terminer rapidement la négociation. Il faut d'ailleurs souhaiter que celle-ci soit achevée avant la présidence française, car la fonction de président nous oblige à respecter un certain nombre de règles de comportement et je ne suis pas sûr que ce serait un avantage de devoir traiter cette question après le 1er juillet. Certains indices me font penser que l'on est peut-être sur le point d'aboutir.

En matière autoroutière, il n'y a pas de problème de financement car la route dégage suffisamment de trafic pour générer des recettes suffisantes pour s'auto-financer. Le problème est de financer les autoroutes à faible trafic et par ailleurs, de ne pas faire de « cadeau d'autoroutes » là où il y a beaucoup de trafic, et où elles sont déjà amorties. Il faut organiser une structure financière de péréquation de l'ensemble. Au total, je n'ai pas d'inquiétude sur la possibilité d'autofinancer les autoroutes, malheureusement c'est presque trop facile quand on voit la tendance naturelle au développement du trafic.

En revanche, bien sûr, la question du mode ferroviaire ne se pose pas dans les mêmes termes.

Vous avez abordé la question des infrastructures ferroviaires. Les contrats de plan qui ont été négociés ont réservé une place aux investissements ferroviaires qui est tout de même assez remarquable : 8 milliards de francs, c'est tout de même bien, surtout que s'y ajoutent les grands programmes TGV en cours, comme par exemple le TGV Est ou le TGV franco-espagnol.

Je crois qu'il faut prendre acte qu'il y a eu, pratiquement dans toutes les régions un engagement admis assez largement, des collectivités régionales avec l'Etat, pour développer les investissements ferroviaires. Ceci était effectivement nécessaire car, dans certains endroits, existent de véritables problèmes de capacités.

Si vous allez à Lyon, par exemple, vous voyez dans la gare des trains de marchandises qui passent au milieu des quais de voyageurs, qui se suivent les uns derrière les autres, on voit bien que cela ne fonctionne pas. Il existe un certain nombre de n_uds, de zones denses, je pense aussi à l'Ile-de-France, où on constate des concentrations de trafics. Vous pouvez avoir par ailleurs de nombreuses voies disponibles, certaines pratiquement pas du tout utilisées, mais il nous faut traiter les bouchons.

Il me semble que cette priorité a été suffisamment affirmée, d'ailleurs par tout le monde, RFF, SNCF, l'Etat, les régions et qu'un large consensus existe maintenant pour traiter cette question dans les prochaines années. Les financements qui ont été mis en place me paraissent pouvoir permettre d'aller de l'avant.

Je voudrais aussi vous indiquer que sans attendre de traiter ces questions de capacités et de n_uds, il y a encore de quoi faire. Je vais prendre l'exemple qui me paraît le plus frappant, le tunnel du Fréjus. Certes, il faut avancer sur le grand projet Lyon-Turin, qui coûtera 70 milliards de francs. Mais, il existe à Modane aujourd'hui un tunnel ferroviaire qui est utilisé à la moitié de sa capacité alors que le tunnel routier, lui, est saturé, puisque le tunnel du Mont-Blanc est fermé. Voilà donc au même endroit un tunnel routier qui est tellement chargé que l'on est obligé de réguler le trafic, de prendre des précautions exceptionnelles pour éviter de nouveau un accident, tout cela dans un contexte local et une émotion que vous connaissez bien. Au même endroit, vous avez un tunnel ferroviaire qui, lui, dans son état actuel, est utilisé à moitié de sa capacité. Donc, sans investir, on pourrait faire circuler aujourd'hui deux fois plus de trains, là où par ailleurs la route est déjà surchargée.

Vous voyez donc que même s'il existe des problèmes de capacité, d'investissements qu'il faut traiter à la fois au niveau national, régional, mais aussi au niveau européen, il y a tout de suite et d'abord un problème de qualité, un problème d'exploitation, un problème de temps de parcours ; cela a été évoqué tout à l'heure. Le problème primordial n'est pas celui de la capacité, mais celui du fonctionnement de l'entreprise SNCF et de la mobilisation de toutes ses forces pour développer cette activité, alors que jusqu'à présent, et je crois qu'il faut avoir l'honnêteté et la lucidité de le reconnaître, ce n'était pas une priorité pour l'entreprise SNCF qui consacrait ses forces à d'autres sujets, où elle a d'ailleurs fort bien réussi, comme le TGV.

Il faut absolument refuser l'attitude qui consisterait à se renvoyer la balle, les pouvoirs publics disant « la SNCF n'a qu'à s'organiser pour bien travailler », ou la SNCF disant aux pouvoirs publics « vous n'avez qu'à d'abord me financer de nouveaux tunnels ». Il n'y aura de progrès dans le transport ferroviaire que s'il y a, sans attendre, un engagement complet et simultané des pouvoirs publics dans le financement des infrastructures et de l'entreprise SNCF pour faire du transport de fret un vrai métier, qui puisse se comparer au concurrent qui s'appelle la route. Se comparer avec la route, cela implique de ne pas faire passer les trains de fret uniquement lorsqu'il y a de la place, et ne pas les faire circuler quand les TGV sont tous passés ; cela veut dire ne pas attendre d'avoir un conducteur qui soit disponible, quand il l'est, pour faire passer son train, cela veut dire au contraire s'engager dans le service que l'on rend à son client, s'engager sur une date, s'engager sur une qualité, s'engager sur un prix, et s'en donner les moyens.

Il faudrait que le transport de marchandises soit traité avec autant d'exigence que le transport de voyageurs. Quand un train TGV arrive en retard, la SNCF considère qu'elle doit dédommager ses clients. Vous savez que vous pouvez dans ce cas vous faire rembourser votre ticket ou avoir un bon pour un autre voyage. Je pense qu'il faut faire aussi bien pour le fret. A l'instar du transport routier, un contrat avec une entreprise ferroviaire, devrait garantir la livraison à J plus 1 avant midi, comme disent les messagers, quel que soit l'endroit. Il me semble qu'il devrait être toujours possible de traverser la France en moins de 24 heures en train.

Il faut organiser des liaisons Lille-Marseille, Lille-Perpignan ou Strasbourg-Bordeaux sur lesquelles la SNCF s'engage sur un résultat vis-à-vis de ses clients. Lorsque le transport de fret par fer aura changé de nature, qu'il se sera établi en véritable métier et qu'il proposera des performances équivalentes à celles de la route, la SNCF pourra effectivement vraiment changer, changer de ton, changer de nature dans cette activité, avec en vue l'objectif qui a été fixé par le ministre, de doubler son activité de fret en une dizaine d'années.

Cela veut dire changer fondamentalement l'organisation interne et l'affectation des moyens. Vous avez peut-être déjà vu dans la presse que l'entreprise s'apprête à commander de très nombreuses locomotives, parce qu'elle n'a aujourd'hui ni les moyens ni l'organisation pour satisfaire cette ambition.

Chacun a vraiment sa part dans cette lutte. Il faut que la SNCF sente bien que tout le pays, et notamment tous les élus, attendent d'elle qu'elle s'engage résolument vers la réalisation de cet objectif. Les pouvoirs publics et les collectivités prendront leur part de cet effort. Je crois qu'il faut vraiment que chacun se sente complètement engagé dans cette grande affaire.

Au sujet du transport routier dans le contexte de l'élargissement de l'Union européenne, vous avez raison, on ne devrait pas se lancer dans cette belle aventure de l'élargissement en étant inconscient des risques que l'on prend. Je suis allé à plusieurs reprises en Europe centrale, ces derniers temps, parce que nous coopérons avec ces pays et principalement avec la Pologne pour les aider à adopter les mêmes règles pour le transport routier que nous. Il ne suffit pas de dire que c'est dangereux pour nous d'accueillir les pays d'Europe centrale. Le mieux est de les aider à se mettre au même niveau que nous. Nous avons passé un contrat avec la Pologne et des fonctionnaires s'installent là-bas pour les aider à adopter les mêmes règlements que nous.

Quand on va dans les pays de l'Est, on est frappé de voir les risques que nous courons. Ces pays avaient un transport ferroviaire très puissant, une économie planifiée, administrée. Les gouvernements avaient décidé que le fer était le mode de transport dominant et cela marchait. Ces pays changent d'économie et apparaissent un démantèlement et un déclin très rapides du transport ferroviaire et l'irruption du transport routier à une vitesse foudroyante. En Pologne par exemple : les nombreux ouvriers mis au chômage par l'industrie lourde ont leur permis de conduire, trouvent un camion à bon prix et se mettent sur le marché du travail. Des milliers de conducteurs sont en train de se lancer dans cette aventure, parce que c'est pour eux la reconversion la plus facile et la plus tentante. Le commerce de ces pays avec toute l'Europe augmente et c'est très bien comme cela ; il va de soi que ce marché est à la portée de leurs mains et n'importe qui peut entrer dans ce jeu.

Si l'élargissement de l'Europe continue à se dérouler ainsi, je nous promets à tous beaucoup de soucis. Il faut être tout à fait conscient que le volet « transports » n'est pas le plus facile ni le plus agréable de l'élargissement. C'est peut-être un de ceux où les risques de déstabilisation sont les plus grands. Il ne faut pas refuser de regarder cela en face, il faut au contraire être tout à fait lucide et agir. Cela veut dire établir des normes européennes exigeantes, les imposer aux pays d'Europe centrale comme un préalable à leur entrée dans l'Union européenne et les aider à les adopter en allant là-bas mettre au point avec eux les règles, les normes, les conditions de formation des conducteurs, et faire tout ce qu'il faut pour que, se mettant aux mêmes normes que nous, ils trouvent leur place en utilisant, encore, le plus possible, leurs transports ferroviaires et en refusant cette tentation de facilité qui consisterait à foncer « tête baissée » dans le transport routier.

Pour terminer sur les énergies nouvelles, je voudrais évoquer le volet de la normalisation et celui de la fiscalité.

Sur la normalisation, les normes européennes de pollution des moteurs ont été améliorées par phases successives : normes EURO 1, 2 et 3. En matière de rejets, des progrès tout à fait substantiels ont été réalisés. Les nouveaux véhicules, qu'il s'agisse des camions, des autobus, ou des autocars, ont des rejets qui sont maintenant bien moindres. La technique industrielle va de l'avant, poussée par cette normalisation qui est, je crois, la bienvenue. Reste le problème du stock des véhicules anciens, et notamment dans les pays de l'Est où de nombreux véhicules sont loin de répondre aux normes EURO 3.

La fiscalité quant à elle, est utilisée pour inciter les transporteurs à utiliser les carburants nouveaux, dans différents pays européens et en particulier en France. C'est là une préoccupation qui est assez largement partagée par beaucoup de pays qui ont une sensibilité environnementale assez forte. L'industrie est bien rentrée dans ce jeu et a fait de gros progrès. Les entreprises de transport sont disposées à accompagner cette politique car elles y trouvent un certain nombre d'avantages. Souvent, en s'engageant en faveur de l'environnement et des énergies nouvelles, elles améliorent en même temps globalement leur fonctionnement interne. La rentabilité du transport est au total encore suffisante pour permettre ce genre d'efforts.

Les transporteurs routiers font valoir qu'ils progressent beaucoup sur les questions d'environnement et que l'on a tort de les désigner comme étant des grands pollueurs. Le transport demeure toutefois le secteur qui « crache » le plus de gaz à effet de serre. Même si de gros progrès sont réalisés sur les normes de pollution des carburants, le volume du transport augmente tellement vite qu'au total, les quantités de gaz rejetées continuent à augmenter et par conséquent, nous n'avons pas encore atteint l'engagement pris par la France de stabiliser ces émissions de gaz. Il reste donc de quoi faire.

Les progrès techniques existent, il faut le reconnaître et ils sont les bienvenus, mais ils ne peuvent pas à eux seuls permettre d'atteindre l'objectif, s'il n'y a pas en même temps un rééquilibrage intermodal. Il faut être également très lucide sur ce point.

Je ne reviendrai pas sur le franchissement de zones sensibles et l'intérêt de s'engager dans des recherches nouvelles de liaisons de transports combinés ou de ferroutage. Nous croyons beaucoup à la constitution de ce réseau européen de fret. L'idée n'est pas de disperser nos forces car nous n'avons pas besoin de faire circuler des marchandises internationales sur la totalité des réseaux. Il y a de grands axes du réseau européen par où passent les grands flux de marchandises, ces axes partent notamment des ports, car les grands trafics internationaux sont encore assez largement maritimes.

Nous avons conçu ce réseau comme cela. Pour reprendre le propos de M. Jean-Jacques Filleul, après avoir bien démarré, la commission européenne a contribué à instaurer un certain flottement en laissant à chaque Etat le soin de définir son réseau un peu comme il le voulait. Nous avons l'intention de montrer que la France, dans cette affaire, n'a pas cherché à garder son approche nationale. Nous avons résolument pris le parti d'un réseau européen. Il ne faudrait pas, qu'après avoir dessiné ce réseau européen sur une carte, chacun se replie sur lui-même.

M. Léonce Deprez : Est-ce que le réseau européen aura un financement européen suffisant ?

M. Hubert du Mesnil : Le problème n'est pas seulement d'établir une carte, il est surtout d'admettre que sur ce réseau, on organise une exploitation européenne, un financement européen et une gestion qui pourrait aller jusqu'au rapprochement des entreprises ferroviaires et à la constitution de filiales. Vous savez que c'est déjà en train de se faire, ce qui permet d'avoir une unité de commandement et de gestion bien au-delà de nos frontières. Je suis convaincu que pour gagner, il faudra quelques entreprises ferroviaires de dimension européenne qui maîtriseront des trafics d'un bout à l'autre de l'Europe. Si l'on ne s'engage pas résolument avec une vision complètement européenne, on peut craindre le pire pour le transport de fret.

Il faut profiter de ce deuxième semestre pour soutenir cette idée, qui progresse. Le directeur général des transports de la commission européenne, M. Lamoureux, qui est un Français comme vous le savez, disait avec raison, que si nous n'avons pas assez vite une inversion de tendance et des résultats qui passent du « moins » au « plus », c'est toute la politique européenne qui sera mise en doute. Si dans les deux ans ou trois ans qui viennent, on n'assiste pas à une augmentation réelle, un début de redressement, alors que toutes les forces sont mobilisées sur ce sujet, ce sera un échec aux conséquences considérables.

Je dois vous dire d'ailleurs que les résultats pour 1999 de la SNCF n'étaient pas du tout satisfaisants de ce point de vue. Certes, depuis la fin de l'année dernière, on constate un changement tout à fait remarquable, mais il faut que cela continue. Nous enregistrons des taux de croissance de 5, 7, 8, 11 % dans le transport combiné depuis 4 mois. Par rapport à la croissance économique actuelle, il faut avoir pour objectif une croissance du fret comprise entre 5 et 10 % en tendance continue. Ce n'est pas quelque chose d'exorbitant, car c'est un taux régulièrement atteint dans le transport routier. Il faut donc que le transport ferroviaire augmente au moins autant sinon il continuera à régresser en part relative.

C'est bien cela le grand défi. Il faut que tout le monde prenne bien conscience de ce qui nous attend. Si l'on ne prend pas ce cap, la situation continuera à se dégrader, et plus la conjoncture économique globale sera bonne, plus la situation se dégradera.

M. Pierre Ducout : Je vous remercie Monsieur le directeur ; la France est en position géographique centrale et a donc des responsabilités particulières. Nous suivrons ce dossier de près.

2533 - Rapport de M. André Lajoinie sur les transports en France et en Europe (commission de la production)