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N° 2901

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 31 janvier 2001.

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

AU NOM DE LA DÉLÉGATION AUX DROITS DES FEMMES ET A L'ÉGALITÉ DES CHANCES ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES (1) SUR LA PROPOSITION DE LOI (n° 2709), DE M. Gérard GOUZES ET LES MEMBRES DU GROUPE SOCIALISTE ET APPARENTÉS, relative au nom patronymique.

PAR Mme Yvette ROUDY,

Députée.

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(1) La composition de cette Délégation figure au verso de la présente page.

Etat civil.

La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes est composée de : Mme Martine Lignières-Cassou, présidente ; Mmes Muguette Jacquaint, Chantal Robin-Rodrigo, Yvette Roudy, Marie-Jo Zimmermann, vice-présidentes ; Mme Marie-Thérèse Boisseau, M. Michel Herbillon, secrétaires ; M. Pierre Albertini, Mmes Nicole Ameline, Roselyne Bachelot-Narquin, M. Patrick Bloche, Mme Danielle Bousquet, M. Philippe Briand, Mmes Nicole Bricq, Odette Casanova, Nicole Catala, MM. Richard Cazenave, Henry Chabert, Mme Marie-Françoise Clergeau, MM. Jean-Pierre Defontaine, Patrick Delnatte, Jean-Claude Etienne, Jacques Floch, Claude Goasguen, Patrick Herr, Mmes Anne-Marie Idrac, Conchita Lacuey, Jacqueline Lazard, Raymonde Le Texier, MM. Patrick Malavieille, Patrice Martin-Lalande, Mmes Hélène Mignon, Catherine Picard, MM. Bernard Roman, André Vallini, Kofi Yamgnane.

INTRODUCTION 5

I - L'ATTRIBUTION DU NOM DE L'ENFANT EST MARQUÉE, EN DROIT POSITIF, PAR LA PRÉÉMINENCE PATERNELLE 6

1. Le principe patronymique gouverne l'attribution du nom de l'enfant légitime 6

2. L'attribution du nom de l'enfant naturel est régie par un principe de priorité chronologique, tempéré en faveur du nom du père. 8

3. Le nom de l'enfant adopté n'échappe pas non plus à cette prééminence paternelle. 9

II - LE PRINCIPE PATRONYMIQUE EST UNE SÉQUELLE DE LA SOCIÉTÉ PATRIARCALE ET CONDUIT À L'APPAUVRISSEMENT DU PATRIMOINE ANTHROPONYMIQUE FRANÇAIS 10

1. Les arguments traditionnels justifiant le principe patronymique s'affaiblissent peu à peu 10

2. Parallèlement, les arguments juridiques nouveaux en faveur d'une réforme se développent 10

3. L'avenir à long terme du "patrimoine anthroponymique" français est menacé d'appauvrissement s'il n'y a pas d'évolution de la législation 11

III - LA RÉFORME DU PRINCIPE PATRONYMIQUE 13

1. Une première étape : le nom d'usage 13

2. La proposition de loi relative au nom patronymique présentée par M. Gérard Gouzes et les membres du groupe socialiste et apparentés (n° 2709) 13

3. Les propositions de votre rapporteure : pour un libre choix parental du nom qui sera transmis 14

TRAVAUX DE LA DÉLÉGATION 17

RECOMMANDATIONS ADOPTÉES PAR LA DÉLÉGATION 19

Mesdames, Messieurs,

La Délégation aux droits des femmes a été saisie par la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République de la proposition de loi relative au nom patronymique (n° 2709) présentée par M. Gérard Gouzes et les membres du groupe socialiste et apparentés.

L'histoire du nom, en droit français, nous montre que les règles régissant son attribution se sont fondées, de manière coutumière, sur l'institution familiale qui constitue un intermédiaire naturel entre l'individu et la société.

Ces règles reposent sur une conception patriarcale de la famille : chaque personne physique est identifiée et individualisée par un nom "patronymique" (étymologiquement "nom du père" ou nom de famille) qui indique le rattachement de celle-ci à la famille qui le porte ; dans ce cadre, prééminence est donnée à la famille paternelle.

Ce principe patronymique est toutefois la séquelle d'une société patriarcale qui a beaucoup de mal à disparaître. Aujourd'hui, un tel principe ne paraît plus fondé en fait et en droit.

En outre, il contribue dans la pratique à appauvrir le patrimoine anthroponymique français.

C'est pourquoi, se fondant sur le principe de parité entre les hommes et les femmes, la proposition de loi de M. Gérard Gouzes vise à réformer les règles qui régissent l'attribution du nom de famille.

I - L'ATTRIBUTION DU NOM DE L'ENFANT EST MARQUÉE, EN DROIT POSITIF, PAR LA PRÉÉMINENCE PATERNELLE

Les règles régissant l'attribution du nom de l'enfant ont été fixées au début du XIXème siècle par deux textes généraux qui n'affirmaient pas une prééminence du nom du père et qui, dans leur souplesse, pouvaient tout aussi bien conduire à l'attribution à l'enfant du nom de la mère ou de celui des deux parents.

La loi du 6 fructidor an II a proclamé, dans son article premier, qu' "aucun citoyen ne pourra porter de nom ni de prénom autres que ceux exprimés dans son acte de naissance : ceux qui les auraient quittés seront tenus de les reprendre". Quant à l'article 57 du code civil, il énonce simplement que l'acte de naissance doit préciser les noms des père et mère.

1. Le principe patronymique gouverne l'attribution du nom de l'enfant légitime

En droit, le principe de l'attribution du nom du père à l'enfant légitime a été affirmé par la jurisprudence du début du XXème siècle, puis reconnu par la loi.

· L'analyse des décisions de jurisprudence rendues à cette époque révèle que les juges se sont référés, pour motiver leurs décisions en faveur de l'attribution du nom du père à l'enfant légitime :

- soit à la coutume ;

- soit à la qualité de chef de famille du père ;

- soit à la loi du 6 fructidor an II ou à l'article 57 du code civil, qui sont pourtant muets sur ce point ;

- soit à l'ancien article 321, alinéa 3, du code civil, qui ne citait que le nom du père parmi les éléments de la possession d'état d'enfant légitime.

En application de ces règles, les juges ont estimé que l'enfant ne pouvait porter que le nom de son père à l'exclusion de celui de sa mère (Cass. 1ère civ., 10 novembre 1902) alors même que la famille serait connue sous le nom réuni des deux époux (C.A. Paris, 21 janvier 1903).

En fait, cette jurisprudence traduisait une conception du lien matrimonial fondée sur la prééminence du mari, sur la subordination de la femme et sur une conception de l'unité de la famille qui ne pouvait qu'aboutir à une transmission du nom du père aux enfants du couple.

· Ce n'est qu'à une époque récente que l'attribution du nom du père à l'enfant légitime a été consacrée par le législateur.

Ainsi, l'article 333-5 qui fut inséré dans le code civil par la loi n° 72-3 du 3 janvier 1972 sur la filiation dispose que "si la légitimation par autorité de justice a été prononcée à l'égard des deux parents, l'enfant prend le nom du père".

De même, la légitimation par mariage entraîne également une modification du patronyme de l'enfant mineur ; et, si le mineur porte le nom de sa mère, ce patronyme sera automatiquement remplacé par celui de son père sans que le consentement de l'enfant soit exigé (art. 332-1 du code civil).

· Cette consécration législative de la prééminence paternelle et son maintien encore aujourd'hui ont un caractère paradoxal compte tenu de la réforme du droit de la famille amorcée par la loi n° 65-570 du 13 juillet 1965 portant réforme des régimes matrimoniaux qui allait se poursuivre au cours des décennies suivantes.

Ainsi la loi n° 70-459 du 4 juin 1970 relative à l'autorité parentale substituait la notion d'autorité parentale à celle de puissance parentale qui n'était jusque-là exercée que par le père.

La loi n° 75-617 du 11 juillet 1975 portant réforme du divorce instituait un nouveau mode d'attribution de l'exercice de l'autorité parentale par convention.

La loi n° 85-1372 du 23 décembre 1985 relative à l'égalité des époux dans les régimes matrimoniaux et des parents dans la gestion des biens des enfants mineurs constituait un progrès en permettant à toute personne majeure d'ajouter à son nom, à titre d'usage, le nom de celui de ses parents qui ne lui a pas transmis le sien, cette faculté étant mise en _uvre pour les enfants mineurs par les titulaires de l'autorité parentale.

La loi n° 87-570 du 22 juillet 1987 sur l'exercice de l'autorité parentale tendait à accroître la collaboration des parents désunis dans l'éducation de leurs enfants communs.

Enfin, la loi n° 93-22 du 8 janvier 1993 relative à l'état civil, à la famille et aux droits de l'enfant et instituant le juge aux affaires familiales érigeait l'égalité parentale en principe.

Néanmoins, ces textes qui consacraient progressivement l'égalité juridique des sexes n'ont pas conduit à imposer l'égalité entre le père et la mère dans la transmission du nom aux enfants.

2. L'attribution du nom de l'enfant naturel est régie par un principe de priorité chronologique, tempéré en faveur du nom du père

· Le principe de priorité chronologique est posé par l'article
334-1 du code civil qui dispose que "l'enfant naturel acquiert le nom de celui de ses deux parents à l'égard de qui sa filiation est établie en premier lieu."

· Mais, pour donner à l'enfant légitimé une apparence patronymique de légitimité, chaque fois que cela est possible, le même article précise que l'enfant naturel acquiert "le nom de son père, si sa filiation est établie simultanément à l'égard de l'un et de l'autre".

· De même, les textes en vigueur permettent d'écarter dans certains cas la règle chronologique et organisent un changement de nom de l'enfant naturel.

- Ainsi, l'article 334-2 du code civil permet-il aux parents de remplacer d'un commun accord, par déclaration conjointe devant le greffier en chef du tribunal de grande instance, le nom maternel par celui du père, sous condition que l'enfant naturel soit mineur et qu'il y consente s'il est âgé de plus de treize ans.

- Dans le même sens, une substitution contentieuse, régie par l'article 334-3 du code civil, permet également de procéder au remplacement du nom paternel ou du nom maternel donné à l'enfant naturel, notamment dans le cas où l'accord des volontés des parents n'a pu se faire.

Il convient d'ailleurs de souligner que, dans une telle hypothèse, les juges du fond avaient estimé qu'il était possible d'accorder à des enfants naturels un nom constitué des patronymes accolés des père et mère (C.A. Paris 4 février 1977, 15 mai 1979, T.G.I. Nanterre 6 mai 1980, C.A. Paris 25 novembre 1981) : pour parvenir à cette solution, les juges s'étaient référés à l'intérêt de l'enfant et à la possession de ce double nom. Mais, gardienne du droit, la Cour de cassation a considéré que "si l'article 334-3 permet au tribunal d'autoriser, sur requête, l'enfant naturel à substituer, non seulement le nom de son père à celui de sa mère, comme le prévoit l'article 334-2 en cas de déclaration conjointe des parents de l'enfant mineur, mais encore éventuellement le nom de sa mère à celui de son père, il ne saurait permettre à l'enfant d'ajouter un des noms à l'autre ; sauf le cas d'adoption simple, le nom patronymique découlant de la filiation est seulement celui d'un seul des parents et, en l'absence de précision formelle des textes, on ne peut ouvrir à l'enfant naturel une possibilité qui n'appartient pas à l'enfant légitime" (Civ. 1ère, 16 novembre 1982).

- Enfin, le nom de l'enfant naturel peut être modifié par dation du nom du mari de la mère. En effet, l'article 334-5 du code civil permet au mari de la mère, en l'absence de filiation paternelle établie, de conférer son propre nom par substitution à celui de l'enfant, aux termes d'une déclaration conjointe avec son épouse. Une telle procédure exprime encore le souci du législateur de voir l'enfant naturel porter le nom du mari de la mère, comme c'est le cas pour l'enfant légitime.

3. Le nom de l'enfant adopté n'échappe pas non plus à cette prééminence paternelle

· L'adoption plénière a pour effet de conférer à l'enfant le nom de l'adoptant.

Aussi, en cas d'adoption conjugale, l'article 357, premier alinéa du code civil, décide-t-il que l'enfant adopté portera le nom du mari.

Mais, lorsqu'un enfant fait l'objet d'une adoption individuelle et que l'adoptant est une femme mariée, le tribunal peut néanmoins décider que l'adopté portera le nom du mari de celle-ci (art. 357, dernier alinéa du code civil).

· Quant à l'adoption simple, elle confère le nom de l'adoptant à l'adopté en l'ajoutant au nom de ce dernier. Cette adjonction de deux patronymes est spécifique à l'adoption simple (cf. art. 363, premier alinéa du code civil) ; elle est le reflet de la double appartenance familiale de l'adopté simple.

Mais, dans ce cas encore, la substitution de nom est également possible et le tribunal peut, à la demande de l'adoptant, décider que l'adopté ne portera que le patronyme de l'adoptant.

En outre, en cas d'adoption simple, l'article 361 du code civil (qui renvoie au dernier alinéa de l'article 357 : cf. supra) organise aussi la dation de nom du mari de l'adoptante.

II - LE PRINCIPE PATRONYMIQUE EST UNE SÉQUELLE DE LA SOCIÉTÉ PATRIARCALE ET CONDUIT À L'APPAU-VRISSEMENT DU PATRIMOINE ANTHROPONYMIQUE FRANÇAIS

1. Les arguments traditionnels justifiant le principe patronymique s'affaiblissent peu à peu

· Un des arguments traditionnels en faveur de ce principe reposait sur le fait que la femme, bien qu'aucune loi ne l'y obligeât, en se mariant acquerrait le nom de son mari qui était en conséquence le seul nom susceptible d'être transmis à l'enfant légitime.

Mais cet argument n'est plus fondé dès lors qu'il a été admis que la femme en se mariant n'acquérait que l'usage du nom de son mari et conservait son patronyme.

· L'attribution du nom du père reposait également sur un fondement psychologique et social : il constituait une "marque" de paternité, laquelle reste plus difficile à prouver que la maternité. Mais le renforcement des techniques scientifiques de preuve de la paternité et leur fiabilité ont réduit cette présomption à peu de chose. A cet égard, la Cour de cassation a récemment considéré que l'expertise biologique est de droit en matière de filiation, sauf s'il existe un motif légitime de ne pas y procéder (Cass. 1ère, 28 mars 2000).

· Enfin, l'égalité des parents qui se développe depuis plusieurs dizaines d'années au sein de la structure parentale ne justifie plus d'un point de vue psychologique, sociologique et juridique le maintien d'un principe intimement lié à une conception patriarcale ou "patrilinéaire" de la famille.

2. Parallèlement, les arguments juridiques nouveaux en faveur d'une réforme se développent

· Ainsi, dans l'arrêt "Burgharz c/Suisse" rendu le 22 février 1994, la Cour européenne des droits de l'Homme - se fondant sur l'article 8-1 (droit au respect de la vie privée et familiale) combiné avec l'article 14 (la jouissance des droits et libertés reconnus dans la Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe ...) de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales - a-t-elle condamné la position du tribunal fédéral suisse qui avait rejeté la demande d'un mari tendant à faire précéder le patronyme de sa femme - nom de la famille - du sien propre dans son identification personnelle.

· Dans le même sens, l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a adopté en 1995 la recommandation 1271 relative aux discriminations entre les hommes et les femmes pour le choix du nom de famille et la transmission du nom des parents aux enfants, qui :

"rappelle que le nom est un élément qui caractérise l'identité des personnes et dont le choix revêt à ce titre une importance considérable. La perpétuation de discriminations entre les hommes et les femmes dans ce domaine est donc inacceptable...".

En outre, l'Assemblée parlementaire "recommande au Comité des Ministres du Conseil de l'Europe de recenser ceux des Etats membres qui maintiennent des discriminations sexistes et de leur demander de prendre les mesures appropriées :

"_ pour établir une égalité stricte entre le père et la mère pour la transmission du nom aux enfants ;

"_ pour assurer une égalité stricte en cas de mariage pour le choix éventuel d'un nom de famille commun aux deux époux ;

"_ pour supprimer toute discrimination dans le régime juridique de l'attribution de nom entre enfant légitime et enfant naturel.

"L'Assemblée recommande également au Comité des Ministres de demander à chacun des Etats membres qui serait signataire de la convention des Nations Unies de 1979 et qui ne se serait pas mis en conformité de préciser s'il envisage de le faire et, si oui, d'indiquer dans quel délai et selon quelles modalités".

3. L'avenir à long terme du "patrimoine anthropo-nymique" français est menacé d'appauvrissement s'il n'y a pas d'évolution de la législation

· Enfin, sur le problème de fond posé par la dévolution du nom de famille, il convient de rappeler que, dans une communication faite à ses collègues, le 29 novembre 1979 lors du vingtième anniversaire de la société française d'onomastique, M. Michel Tesniere, spécialiste dans ce domaine, décrivait ainsi les trois phases de l'histoire des noms :

"_ Création

"Une première phase est celle de la création, celle de la formation des noms. Elle se situe pour l'essentiel entre le XIIIème siècle et le XVIème siècle. Le nom de famille correspond à un besoin social de désignation des personnes hors du groupe familial. Il n'y a pas au début de contrainte extérieure.

"_ Fixation

"La deuxième phase est celle de la fixation du nom de famille, celle de la stabilisation de l'ensemble du système anthroponymique. Les jalons les plus importants sont l'apparition des registres paroissiaux, l'interdiction faite par Louis XI de changer de nom sans une autorisation royale (1474), l'ordonnance de Villers-Cotterets par François Ier (1539) et surtout la fameuse loi du 6 fructidor an II qui est le pilier de la législation actuelle.

"_ Disparition

"La troisième phase est celle de la disparition des noms. C'est une lapalissade de dire qu'elle commence dès qu'on entrave la création, le changement ou la transmission des noms. A cet égard, il y a un chevauchement de plusieurs siècles entre la deuxième et la troisième phase. Actuellement, il n'y a pratiquement plus de création spontanée de noms de famille. Les changements sont difficiles, la transmission limitée au nom patronymique. Voici les trois causes essentielles de la diminution irrémédiable des noms de famille."

M. Michel Tesniere concluait que le mode de transmission patronymique était le responsable principal de la diminution inévitable du nombre des noms de famille et estimait, qu'en 200 ans, 210 000 des 250 000 patronymes français risquaient de disparaître.

Afin de parer à une telle évolution, il préconisait d'ouvrir largement notre législation actuelle sur le nom de famille et de permettre de relever les noms qui disparaissent ou sont menacés de disparaître.

· Ultérieurement, en 1991, une étude menée par le laboratoire d'anthropologie physique du Collège de France aboutit à une conclusion similaire. Le docteur Jacques Ruffié, membre de l'Institut, professeur au Collège de France souligne que : "Ce capital culturel s'effrite tous les jours, lentement, mais de façon inexorable. La loi peut encore le préserver, en acceptant que les nouveau-nés puissent porter le nom du père ou celui de la mère. Souhaitons que nos gouvernements interviennent en cette fin de siècle, avant que, dans un avenir prévisible, tous les Français de souche ne s'appellent Martin".

III - LA RÉFORME DU PRINCIPE PATRONYMIQUE

La réforme proposée a été précédée, il y a une quinzaine d'années, d'une première étape visant à introduire le nom d'usage en France.

1. Une première étape : le nom d'usage

Un amendement présenté par Mme Denise Cacheux, rapporteure de la commission des lois, et M. Jean-Pierre Michel a conduit à l'adoption des dispositions de l'article 43 de la loi n° 85-1372 du 23 décembre 1985 relative à l'égalité des époux dans les régimes matrimoniaux et des parents dans la gestion des biens des enfants mineurs qui dispose :

"Toute personne majeure peut ajouter à son nom, à titre d'usage, le nom de celui de ses parents qui ne lui a pas transmis le sien.

"A l'égard des enfants mineurs, cette faculté est mise en _uvre par les titulaires de l'exercice de l'autorité parentale".

Ainsi, depuis le 1er juillet 1986 (date d'entrée en vigueur de ces dispositions), les parents ont-ils pu décider de faire usage d'un nom double, pour eux-mêmes et pour leurs enfants mineurs.

Cependant, ce nom double n'est pas transmissible et ne peut figurer sur les actes de l'état civil ou le livret de famille.

En revanche, le nom d'usage peut figurer dans les documents administratifs, tels que la carte nationale d'identité, le passeport, le permis de conduire ou la carte de sécurité sociale.

2. La proposition de loi relative au nom patronymique présentée par M. Gérard Gouzes et les membres du groupe socialiste et apparentés (n° 2709)

Cette proposition de loi repose sur deux principes.

Le premier, fondé sur l'égalité des père et mère, conduit à affirmer que tout enfant doit pouvoir porter légitimement le nom de son père suivi du nom de sa mère, mais que, par nécessité pratique, chaque parent ne peut transmettre qu'un seul des noms composant son propre nom.

Le second principe, fondé sur l'unité familiale, conduit à imposer que les enfants issus du même père et de la même mère portent un nom identique.

A cette fin, l'article premier de la proposition de loi modifie l'article 57 du code civil relatif à l'acte de naissance.

Les articles 2 à 5 de la proposition de loi adaptent le principe du double nom au cas de l'enfant naturel.

Enfin, il est proposé d'abroger les dispositions relatives au nom d'usage.

3. Les propositions de votre rapporteure : pour un libre choix parental du nom qui sera transmis

· Votre rapporteure est favorable au principe du double nom ; néanmoins, le caractère automatique de cette attribution, tel qu'il résulte de la proposition, lui paraît trop restrictif. C'est pourquoi elle présente plusieurs recommandations permettant d'assouplir la solution proposée.

· Le libre choix parental paraît être, en effet, une solution préférable.

Une réforme limitée au principe du double nom risquerait, dans les premiers temps d'application, d'avoir un effet discriminant pour l'enfant naturel dont la filiation n'est établie qu'à l'égard d'un seul parent : cet enfant ne pouvant pas porter (sous forme de nom double) le nom de ses deux parents.

En outre, une véritable traduction de l'égalité des parents au sein de la structure familiale devrait permettre aux parents d'opter :

- soit pour une dévolution du matronyme (le nom de la mère) ou du patronyme (le nom du père) ;

- soit pour une dévolution du double nom constitué du nom du père et du nom de la mère accolés l'un à l'autre.

En cas d'option des parents pour un double nom, le parent dont le nom serait composé de deux noms accolés ne pourrait transmettre qu'un seul de ses noms à ses enfants.

· Par ailleurs, votre rapporteure a été sensible au risque d'appauvrissement anthroponymique français, et par voie de conséquence de notre patrimoine historique ; aussi vous propose-t-elle que les parents puissent disposer d'une troisième option consistant à choisir le nom qu'ils transmettront à leurs enfants parmi les noms de leurs ascendants dans la ligne maternelle ou paternelle.

Cette proposition, qui reste fondée sur la règle de transmission du nom par l'effet de la filiation, permettrait d'éviter l'extinction de certains noms, et constituerait une voie complémentaire à la procédure de changement de nom prévue par l'article 61, alinéa 2 du code civil qui dispose que "la demande de changement de nom peut avoir pour objet d'éviter l'extinction du nom porté par un ascendant ou un collatéral du demandeur jusqu'au quatrième degré".

· Néanmoins, cette liberté de choix ne doit pas être un facteur d'instabilité du nom au sein de la famille, qu'elle soit légitime ou naturelle : les enfants ayant les mêmes père et mère doivent porter un nom identique.

Aussi, le nom qui sera transmis doit-il être déterminé par les époux de manière solennelle au moment du mariage.

Ce choix entre le nom du père, celui de la mère, un nom double ou le nom d'un ascendant, devrait être proposé également aux père et mère d'un enfant naturel lorsque la filiation de ce dernier est établie simultanément à l'égard de l'un et de l'autre (article 334-1 du code civil) ou lorsque la filiation n'aura été établie qu'en second lieu à l'égard du père (article 334-2 du code civil) ; ce choix s'imposerait pour la dévolution du nom des enfants qui naissent ultérieurement, afin de faire respecter le principe selon lequel les enfants issus des mêmes père et mère portent un nom identique.

· De même, en cas d'adoption plénière, les deux époux devraient pouvoir choisir entre les trois options comme dans les autres modes de filiation (cf. article 357, premier alinéa du code civil).

En revanche, en cas d'adoption simple, il ne paraît pas opportun de modifier le droit en vigueur, dans la mesure où l'adopté porte en principe un double nom : celui de sa famille d'origine, en laquelle il est maintenu et celui de sa famille, en laquelle il entre (cf. article 363, premier alinéa du code civil).

· Enfin, la légitimation de l'enfant naturel peut entraîner la modification de son patronyme. Aussi, en cas de légitimation par mariage, les parents doivent-ils pouvoir, au moment de leur mariage, déterminer le nom de leurs enfants mineurs en application des nouveaux principes (article 331-2 du code civil).

En revanche, il résulte de l'article 333-5 du code civil, que "si la légitimation par autorité de justice a été prononcée à l'égard des deux parents, l'enfant prend le nom du père".

Votre rapporteure estime que cette dernière règle serait inadaptée dans le nouveau contexte juridique créé par l'adoption de la proposition de loi et propose une recommandation afin que les conséquences de la légitimation d'un enfant par autorité de justice prononcée à l'égard des deux parents soient examinées au regard des nouvelles règles de dévolution du nom.

*

* *

TRAVAUX DE LA DÉLÉGATION

La Délégation s'est réunie, le mardi 30 janvier, sous la présidence de Mme Martine Lignières-Cassou, pour examiner le présent rapport d'information.

La rapporteure en a présenté les grandes lignes et a donné lecture de ses propositions de recommandations.

Plusieurs membres de la Délégation sont ensuite intervenus.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente, a souligné qu'il était effectivement important que les enfants ayant les mêmes père et mère portent un nom identique afin de ne pas décomposer les fratries.

Elle a également observé qu'il conviendrait de prendre en compte les situations antérieures à la réforme envisagée et a proposé une nouvelle recommandation en ce sens.

M. Patrick Delnatte a estimé que la réforme proposée portait sur des questions de filiation et s'est inquiété des risques d'instabilité qu'elle risquait de susciter au sein de la famille. Il a considéré que la transmission du nom devait s'opérer dans le cadre de la parenté.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente, a observé qu'il était choquant que l'adopté perde son nom d'origine, en cas d'adoption plénière. Ce que, pour sa part, la rapporteure a estimé compréhensible, compte tenu du comportement des parents biologiques.

A M. Patrick Delnatte qui s'interrogeait sur l'état d'esprit des enfants qui porteraient le nom d'un autre ascendant que leur parent, la rapporteure a répondu que le port de prénoms ridicules pouvait avoir des conséquences bien plus préjudiciables pour l'enfant.

M. Patrick Delnatte a également fait observer que le choix du nom de l'enfant par les parents était susceptible de créer des conflits au sein du couple et qu'il convenait de prendre en considération la situation du parent le plus faible, le droit ayant vocation à prendre prioritairement en considération ce dernier.

A cet égard, la rapporteure a rappelé les propos de Lacordaire : "Entre le fort et le faible... c'est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit."

La Délégation est ensuite passée au vote des recommandations, auquel M. Patrick Delnatte n'a pas souhaité prendre part.

Les quatre premières recommandations ont été adoptées dans le texte proposé par la rapporteure.

La Délégation a adopté la cinquième recommandation après une modification rédactionnelle proposée par Mme Marie-Françoise Clergeau.

Une sixième recommandation proposée par la présidente, portant sur l'assouplissement de la procédure de changement de nom d'une personne majeure souhaitant reprendre le nom de l'un de ses parents ou ascendants qui ne lui a pas été transmis, a été adoptée par la Délégation.

RECOMMANDATIONS ADOPTÉES

PAR LA DÉLÉGATION

1. Afin de respecter le principe d'égalité des parents au sein de la structure familiale et d'enrayer l'appauvrissement du patrimoine anthroponymique, inéluctable dans le cadre de la législation en vigueur, le nom de l'enfant inscrit dans l'acte de naissance doit être déterminé librement par les parents qui doivent pouvoir choisir :

- soit le nom de la mère (matronyme) ou celui du père (patronyme) ;

- soit le nom de chacun des parents (matronyme et patronyme) accolés l'un à l'autre dans un ordre qu'ils fixent ensemble.

Dans ce cas, le parent dont le nom est composé de deux noms accolés ne devrait pouvoir transmettre qu'un seul de ses noms à ses enfants.

- soit le nom d'un ascendant dans la ligne maternelle ou paternelle de l'un des parents.

2. Les enfants ayant les mêmes père et mère doivent porter un nom identique : le nom qui sera attribué aux enfants légitimes doit être déterminé solennellement par les époux au moment du mariage.

3. Les père et mère des enfants naturels dont la filiation est établie simultanément à l'égard des deux parents doivent pouvoir déterminer le nom de leurs enfants selon les mêmes principes. L'option prise pour le nom du premier enfant doit s'imposer pour la dévolution du nom des enfants qui naîtront ultérieurement, sous réserve de l'établissement de leur double filiation.

Il en est de même pour le nom des enfants mineurs, dont la filiation est établie en second lieu à l'égard du père : ce nom devrait pouvoir être déterminé par les parents dans une déclaration conjointe devant le greffier en chef du tribunal de grande instance.

4. En cas d'adoption plénière d'un enfant par deux époux, ces derniers doivent pouvoir déterminer selon les mêmes principes le nom qui sera porté par cet enfant.

5. Les conséquences patronymiques de la légitimation d'un enfant par autorité de justice prononcée à l'égard des deux parents doivent résulter des nouvelles règles de dévolution du nom.

6. La procédure de changement de nom d'une personne majeure souhaitant reprendre le nom de l'un de ses parents ou ascendants qui ne lui a pas été transmis, doit être assouplie.

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2901 - Rapport d'information de Mme Yvette Roudy relatif au nom patronymique (délégation aux droits des femmes)