graphique

N° 2918

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 7 février 2001.

RAPPORT D'INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l'article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES (1)

sur la mission effectuée par une délégation de la Commission

en République du Congo

ET PRÉSENTÉ PAR

M. GÉRARD CHARASSE,

MME MONIQUE COLLANGE ET M. MICHEL TERROT

Députés

--

(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

Affaires étrangères

La Commission des affaires étrangères est composée de : M. François Loncle, président ; M. Gérard Charasse, M. Georges Hage, M. Jean-Bernard Raimond, vice-présidents ; M. Roland Blum, M. Pierre Brana, Mme Monique Collange, secrétaires ; Mme Michèle Alliot-Marie, Mme Nicole Ameline, M. René André, Mme Marie-Hélène Aubert, Mme Martine Aurillac, M. Édouard Balladur, M. Raymond Barre, M. Henri Bertholet, M. Jean-Louis Bianco, M. André Billardon, M. André Borel, M. Bernard Bosson, M. Jean-Christophe Cambadélis, M. Hervé de Charette, M. Yves Dauge, M. Patrick Delnatte, M. Jean-Marie Demange, M. Xavier Deniau, M. Paul Dhaille, Mme Laurence Dumont, M. Jean-Paul Dupré, M. Charles Ehrmann, M. Jean-Michel Ferrand, M. Raymond Forni, M. Georges Frêche, M. Michel Fromet, M. Jean-Yves Gateaud, M. Jean Gaubert, M. Valéry Giscard d'Estaing, M. Jacques Godfrain, M. Pierre Goldberg, M. François Guillaume, M. Jean-Jacques Guillet, M. Robert Hue, Mme Bernadette Isaac-Sibille, M. Didier Julia, M. Alain Juppé, M. André Labarrère, M. Gilbert Le Bris, M. Jean-Claude Lefort, M. Guy Lengagne, M. François Léotard, M. Pierre Lequiller, M. Alain Le Vern, M. Bernard Madrelle, M. René Mangin, M. Jean-Paul Mariot, M. Gilbert Maurer, M. Jean-Claude Mignon, M. Jacques Myard, Mme Françoise de Panafieu, M. Étienne Pinte, M. Marc Reymann, M. François Rochebloine, M. Gilbert Roseau, Mme Yvette Roudy, M. René Rouquet, M. Georges Sarre, M. Henri Sicre, Mme Christiane Taubira-Delannon, M. Michel Terrot, Mme Odette Trupin, M. Joseph Tyrode, M. Michel Vauzelle.

SOMMAIRE

___

INTRODUCTION 5

I - UNE SITUATION AUJOURD'HUI STABILISÉE
APRÈS UNE GUERRE CIVILE FÉROCE
7

A - L'ÉCHEC DE LA TRANSITION DÉMOCRATIQUE 7

1) 1992-1997 : de la démocratie à la guerre civile 7

2) 1997-1999 : une transition heurtée 9

B - UN RETOUR RELATIF À LA PAIX 9

1) La fin des combats 9

2) Un retour progressif à la normale 10

C - LE RÔLE DE LA FRANCE 11

1) Une place qui reste privilégiée 11

2) Le "double refus de l'ingérence et de l'indifférence" 13

II - UN RETOUR A LA DÉMOCRATIE QUI S'ANNONCE DIFFICILE 15

A - LA QUESTION DU « DIALOGUE NATIONAL SANS EXCLUSIVE » 15

1) Un climat intérieur pacifié 15

2) La difficile question des « exilés » 16

B - UN PAYS QUI A PERDU SES STRUCTURES ET SES REPÈRES 17

1) L'éclatement de la société congolaise 17

2) L'absence de vision à long terme du développement 17

C - UN CONTEXTE RÉGIONAL INQUIÉTANT 18

1) La peur d'une contagion des troubles de la RDC 18

2) Un rôle régional à jouer 19

CONCLUSION 21

EXAMEN EN COMMISSION 23

ANNEXE : programme de la mission 27

Mesdames, Messieurs,

Le Congo-Brazzaville est sorti en décembre 1999 d'une période quasi ininterrompue de guerre civile commencée en 1993. En dépit de la gravité de la situation, cette dernière a souvent été occultée en Europe par les problèmes de son puissant voisin avec lequel il partage le nom « Congo », la République démocratique du Congo. Pourtant, le conflit au Congo-Brazzaville a été particulièrement sanglant, faisant des milliers de morts et des centaines de milliers de réfugiés, dans un pays traditionnellement très lié à la France.

Aussi, la Commission des Affaires étrangères a décidé d'envoyer une mission d'information au Congo afin d'évaluer la situation un an après la signature des accords de Brazzaville qui ont mis fin à la guerre civile et trois ans après le retour au pouvoir de Denis Sassou Nguesso. Cette délégation, conduite par M. Gérard Charasse, et également composée de Mme Monique Collange et de M. Michel Terrot, s'est donc rendue au Congo entre le 11 et le 15 décembre 2000. Elle a eu, à Brazzaville et à Pointe-Noire, un programme particulièrement riche.

L'un des principaux objectifs de la mission était de rendre compte de l'état de la transition démocratique au Congo alors que la période intérimaire qui a fait suite à la prise du pouvoir par M. Sassou s'achève avec le retour de la paix intérieure, l'ouverture annoncée du « dialogue national sans exclusive » et la mise en place d'institutions démocratiques. En conséquence, la délégation a souhaité rencontrer l'éventail le plus large possible de responsables politiques congolais. Elle a tout d'abord été longuement reçue en audience par le Président de la République, M. Denis Sassou Nguesso. Dans les cercles proches de ce dernier, elle a également rencontré le Ministre des affaires étrangères, M. Rodolphe Adada, et le Secrétaire général du Parti congolais du travail, M. A. Noumazalaye. Nous avons également eu des entretiens intéressants avec les personnalités parlementaires du Conseil national de transition, au premier rang desquelles son Président, M. Justin Koumba, et les membres de la Commission des Affaires étrangères avec lesquels nous avons eu une séance de travail.

Nous avons aussi rencontré des personnalités qui, tout en reconnaissant le nouveau pouvoir, n'appartiennent pas à la famille politique de M. Sassou Nguesso. Citons tout particulièrement M. Martin Mberi, ministre de la construction et président de l'UPADS de l'ancien Président Pascal Lissouba, M. Jean-Pierre Thystere Tchikaya, ancien maire de Pointe-Noire et président du RDPS, M. Banguissa, directeur de cabinet de M. Michel Mampouya, ministre de l'environnement qui a pris en main sur le sol congolais le MCDDI de l'ancien Premier ministre en exil Bernard Kolelas. Par ailleurs, nous avons pu également nous entretenir avec des membres du comité de suivi des accords de Brazzaville comme le médiateur Mouambengua ou des anciens « rebelles » du Comité national de la résistance. Enfin, pour être complets, précisons que nous avions rencontré à Paris, avant notre départ, des membres du MCDDI international restés fidèles à Bernard Kolelas et donc fermement opposés au régime actuel.

Avoir une vue complète de la situation exigeait également d'avoir des contacts avec la société civile et les milieux économiques. A cet égard, nous avons obtenu des informations intéressantes de la part des représentants des églises (catholique et protestante), des organisations humanitaires (Médecins sans frontières, Caritas, HCR...) ou auprès de la communauté française, notamment dans le domaine économique.

La qualité de l'accueil qui nous a été réservé par les personnalités congolaises témoigne de la force de l'amitié qui unit la France et le Congo. Elle est également révélatrice de l'influence de notre pays et des attentes, parfois difficiles à satisfaire, qu'il suscite. En effet, dans la période tragique qu'a connue le Congo, la France a mené une politique qui s'est voulue équilibrée et utile, notamment grâce à la compétence de notre Ambassadeur à Brazzaville, M. Hervé Bolot.

I - UNE SITUATION AUJOURD'HUI STABILISÉE
APRÈS UNE GUERRE CIVILE FÉROCE

A - L'échec de la transition démocratique

1) 1992-1997 : de la démocratie à la guerre civile

Au début des années 1990, dans le droit fil de la Conférence de La Baule, un mouvement de démocratisation s'est instauré en Afrique subsaharienne. Au Congo, le Président Sassou Nguesso, au pouvoir depuis 1979, a lui-même organisé la transition du pays d'un régime marxiste-léniniste à un régime de multipartisme, par la convocation d'une Conférence nationale souveraine en février 1991. Le 15 mars 1992, la nouvelle Constitution est adoptée, elle met en place des institutions fortement inspirées du régime « semi-présidentiel » de la Vème République.

En août 1992, lorsque le Président Sassou Nguesso est battu au cours d'une élection présidentielle libre, dès le premier tour, par l'opposant Pascal Lissouba, ancien Premier ministre de 1964 à 1966, mais exilé depuis lors, et intellectuel de renom, on peut croire que la transition démocratique congolaise est partie sur de bonnes voies. En outre, le Président sortant a appelé à voter au second tour pour M. Lissouba contre Bernard Kolelas. Mais l'affrontement permanent, passant par de continuels renversements d'alliance entre les trois principaux hommes politiques congolais, va considérablement affaiblir le système politique du pays. En effet, celui-ci ne va pas pouvoir se fonder sur des distinctions idéologiques, se contentant donc d'être le champ d'ambitions politiques opposées.

Comme ce fut malheureusement trop souvent le cas en Afrique, les institutions démocratiques ont été dévoyées par deux phénomènes : « l'ethnicisation » de la politique et la privatisation de l'Etat. Autrement dit, la politique était devenue un enjeu de rapport de forces entre ethnies et d'enrichissement personnel. Dans ce contexte, une vie politique sereine était impossible. D'ailleurs, encore aujourd'hui, nombreux sont les hommes politiques qui craignent de futures élections, certains n'hésitant pas à dire que l'organisation d'élections signifierait le retour de la guerre civile. Ce constat pourrait être considéré comme un moyen de conserver le pouvoir le plus longtemps possible s'il venait des milieux les plus proches du pouvoir. Or au contraire, le parti du Président, le Parti congolais du travail (PCT) est le seul qui se dit prêt pour des élections. La crainte de l'organisation de ces dernières vient de partis qui sont plus éloignés du pouvoir, ce qui signifie que ce constat n'est pas seulement fondé sur des considérations d'opportunisme.

Ainsi, dès les élections de 1992, la vie politique congolaise s'est organisée autour de trois pôles : l'UPADS (union panafricaine pour la démocratie sociale) de M. Lissouba, majoritaire dans le sud du pays, le PCT de M. Sassou Nguesso, originaire du Nord, et le MCDDI (mouvement congolais pour la démocratie et le développement intégral) de M. Kolelas, considéré comme le parti de l'ethnie Lari très présente dans le Pool (sud-est du pays) et à Brazzaville. Si de nombreux interlocuteurs nous ont décrit cette division ethnique du paysage politique congolais, considérée comme une donnée qu'il serait vain de nier, d'autres estiment que ce clivage ethnique est parfois exagéré, ou ne recouvre en fait que des clivages régionaux. Toujours est-il que ce clivage se retrouve même à l'intérieur des grandes villes ; pendant les événements de 1997 et de 1998/99 les affrontements politiques se sont transformés en affrontements ethniques. D'autant qu'en l'absence de conscience nationale forte et de distinction entre l'intérêt général et les intérêts particuliers, un inquiétant phénomène de privatisation de la violence a été mis en _uvre par les principaux protagonistes de la vie politique congolaise. Ainsi, chaque camp a mis en place une milice, les Cocoyes pour M. Lissouba, les Ninjas de M. Kolelas et les Cobras de M. Sassou Nguesso.

A partir de là, les renversements constants d'alliances conduisant à de nouvelles coalitions débouchent nécessairement sur des affrontements armés. La première guerre civile de 1993 éclate ainsi à la suite de la rupture de l'alliance entre le Président Lissouba et M. Sassou Nguesso, lequel se retourne alors vers M. Kolelas, ce qui aboutit à de nouvelles élections législatives en 1993, contestées par M. Kolelas. Les troubles qui en découlent enracinent le phénomène des milices dans la vie politique congolaise. Par la suite, elle reste gangrenée par des affrontements perpétuels, qui rendent tout à fait illusoire l'enracinement de la démocratie. De fait, quelques mois avant l'élection présidentielle de 1997, le Président Lissouba envoie des blindés encercler la résidence de M. Sassou Nguesso : la deuxième guerre civile a commencé. Les milices se combattent à l'arme lourde à l'intérieur même de Brazzaville, et la situation est d'autant plus confuse que M. Kolelas, pourtant opposant historique de M. Lissouba devenu médiateur national, accepte le poste de Premier ministre et met ses « ninjas » à la disposition du Président.

La guerre civile de 1997 fait de 25 à 30 000 morts, elle s'achève par la victoire des « cobras » de Denis Sassou Nguesso, grâce à l'appui déterminant des forces armées angolaises. Le 25 octobre 1997 M. Sassou peut s'installer en tant que Président de la République.

2) 1997-1999 : une transition heurtée

Le nouveau régime a pour base juridique un « Acte fondamental » promulgué le 24 octobre 1997 qui prévoit une transition de « trois ans flexibles » pour le retour à un régime démocratique. Peu après, un « forum national pour l'unité, la démocratie et la reconstruction du Congo » est convoqué en janvier 1998, il réunit 1000 délégués issus des partis politiques et de la société civile. Le forum désigne un Conseil national de transition, organe qui joue le rôle de Parlement du nouveau régime. Dans le même temps, M. Sassou Nguesso met en place un Gouvernement comprenant des ministres issus du MCDDI de Kolelas, comme Michel Mampouya, ou de l'UPADS de Lissouba, comme Martin Mberi, que la délégation de la Commission a pu rencontrer. Cependant, ce Gouvernement ne pouvait pas réellement être considéré comme un gouvernement d'union nationale dans la mesure où une grande partie de la classe politique congolaise était partie en exil et où de nombreux « rebelles » armés réunis dans un Conseil national de la résistance (CNR) continuaient à contester le nouveau régime.

En conséquence, la relative unanimité du début de la période de transition ne permet pas une véritable restauration de l'Etat congolais. En l'absence de désarmement des milices, le pays reste sous la menace de la guerre civile et des troubles fréquents sont observés. Ainsi, la guerre civile reprend en décembre 1998. Suite à l'infiltration de miliciens ninjas, encouragés à distance par B. Kolelas, dans les quartiers sud de Brazzaville, à dominante Lari, les forces fidèles à Sassou entreprennent une répression sévère et disproportionnée. Les conséquences sont terribles : Brazzaville subit de nombreuses destructions et 2 à 3000 personnes sont tuées, plus de 200 000 personnes d'origine Lari fuient dans la région du Pool. La résidence de l'Ambassadeur de France doit même subir plusieurs attaques, dont l'une cause la mort d'un gendarme français le 21 janvier 1999. Les rebelles contrôlent un moment une partie du Pool et de la vallée du Niari. Aidées par l'Angola, les troupes de Sassou reprennent une partie du terrain perdu, mais il semble évident, suite à cette brutale reprise de la violence, qu'une solution militaire ne peut seule permettre le retour à la paix. Celui-ci doit en effet passer par une ouverture politique plus grande et par des discussions avec les insurgés.

B - Un retour relatif à la paix

1) La fin des combats

La nouvelle stratégie politique d'ouverture est le thème principal du discours du chef de l'Etat à l'occasion de la fête nationale le 14 août 1999. D'un côté des contacts se nouent avec les exilés, de l'autre des négociations sont menées, sous l'égide du président gabonais, Omar Bongo, avec les « rebelles » du Conseil national de la résistance.

Les résultats de cette nouvelle politique sont assez satisfaisants. Certains hommes politiques rentrent au Congo, comme l'ancien Ministre Mouambenga, ou l'ancien Maire de Pointe-Noire, M. Thystère-Tchicaya. Cependant, c'est sur le volet intérieur que les avancées les plus notables sont obtenues. Le gouvernement et les factions armées arrivent à un accord de cessation des hostilités, établissant un cessez-le-feu général, le ramassage des armes et la réinsertion des combattants. Grâce à la médiation du Président Bongo, les négociations sont finalisées par la signature des accords de Pointe-Noire le 16 novembre 1999 et des accords de Brazzaville le 29 décembre 1999. Parallèlement, le Conseil national de transition vote le 15 décembre 1999 une loi d'amnistie pour les combattants ayant déposé leurs armes avant le 15 janvier 2000. Enfin pour suivre l'application des accords, un Comité de suivi des accords de Brazzaville, présidé par le président Bongo, est mis en place.

Les dates de notre mission au Congo ont coïncidé avec la remise au Président Sassou puis au Médiateur Bongo du rapport final du comité de suivi des accords. Il en résulte que la majorité des factions s'est démobilisé, sauf certaines troupes regroupées autour du « pasteur » Ntoumi, et que 13 000 armes ont été collectées. Pour autant, de larges problèmes demeurent non résolus, comme celui de la réintégration dans l'armée régulière des membres des anciennes factions, qui nous a semblé être la revendication majeure des représentants des anciens rebelles présents au sein du comité de suivi des accords de Brazzaville. Il faut cependant reconnaître que le retour à la paix est réel, ce qui est un résultat très encourageant en seulement douze mois, après huit ans pendant lesquels le Président Sassou a noté que le peuple congolais n'a jamais vécu plus d'une année sans affrontements armés. D'ailleurs le Président congolais, lors de l'audience qu'il nous a accordée, nous a fait part de sa « fierté » quant à cette approche nationale et intérieure de pacification, « sans intervention en tant que telle de la communauté internationale », dont il souligne d'ailleurs, citant le cas de la Sierra Leone, de l'Angola, de la Somalie ou du Liberia, que les interventions en faveur de la paix ont généralement échoué.

2) Un retour progressif à la normale

Le Congo a donc vécu une décennie de guerre civile pratiquement continue, ce qui a grandement hypothéqué l'appareil économique par les destructions provoquées et par la complète désorganisation qui en a résulté. Fort heureusement, l'outil pétrolier a été totalement préservé, même si cet atout naturel n'a que très peu profité à la population. Par ailleurs, la fin des hostilités semble pouvoir permettre une réelle reprise de l'activité économique au Congo, pays qui n'est pas victime, en temps « normal », d'une insécurité endémique comme d'autres pays d'Afrique. La délinquance n'est pas un problème majeur, le Président Sassou a par exemple tenu à nous préciser qu'il n'existait pas au Congo de « coupeurs de route ».

Avec le retour à la paix, la vie quotidienne des Congolais a pu retrouver une certaine normalité, même s'il faut préciser que la hausse des prix du pétrole a beaucoup fait pour l'amélioration de la situation. Des signes concrets peuvent en effet être signalés. Tout d'abord, depuis le début de l'année 2000, le Gouvernement paie régulièrement les salaires des fonctionnaires. Il a en outre entrepris un ambitieux programme d'infrastructures, indispensable pour le redémarrage économique du pays. D'ores et déjà, le dragage du port de Pointe-Noire, seul port en eau profonde de la région a été réalisé, plusieurs projets routiers ont été lancés et le chemin de fer Congo océan, qui permet les relations économiques entre la capitale administrative Brazzaville et la capitale économique Pointe-Noire, a repris son activité. Malheureusement, le 10 janvier dernier, un grave accident a révélé la vétusté des équipements ferroviaires, faisant plus de 45 victimes. La mauvaise qualité de la voie ferrée, dont certaines portions datent d'avant la deuxième guerre mondiale, nous avait d'ailleurs été signalée. Compte tenu de l'importance pour l'économie congolaise de ce type d'infrastructures, une coopération ciblée sur le secteur des transports aurait de considérables effets positifs.

Un point important à souligner est que ces efforts de reconstruction ont été entièrement réalisés sur fonds propres dégagés par le gouvernement congolais, bien aidé il est vrai par la hausse des cours du pétrole. En effet, le pays n'avait plus, jusqu'à la fin 2000, de relations avec le FMI et la Banque mondiale. Le retour à la paix, accompagné d'un respect scrupuleux des échéances de remboursement de la dette congolaise, a permis de renouer des liens avec la communauté financière internationale. A ce sujet, le Président Sassou a tenu à nous dire l'importance de l'appui de la France.

C - Le rôle de la France

1) Une place qui reste privilégiée

Les anciennes colonies françaises d'Afrique subsaharienne ont généralement conservé des liens très forts avec la France. Au Congo, ce phénomène est particulièrement développé, il revêt non seulement un caractère politique et économique mais aussi un aspect plus sentimental. Les Congolais n'oublient en effet pas que Brazzaville, qui n'a pas été rebaptisée à l'indépendance, a été la capitale de l'Afrique équatoriale française et surtout, en 1940, celle de la France libre. Nous avons d'ailleurs pu constater que la dévotion à la personne du Général de Gaulle reste forte. Ainsi, dans tous nos entretiens avec des personnalités congolaises, nous avons senti ce sentiment non seulement d'amitié entre les deux pays, mais d'une histoire commune qui n'est pas du tout reniée, bien au contraire. La France reste une référence, toujours citée, encore admirée mais parfois critiquée pour ne pas répondre suffisamment aux appels des Congolais.

La présence française au Congo reste d'ailleurs considérable. Sur le plan économique, la France est de loin le premier partenaire commercial du pays, lui fournissant environ un tiers de ses importations. Mais surtout, les entreprises françaises au Congo, qui sont au nombre de 100, représentent plus de la moitié de la masse salariale de l'ensemble du secteur privé. Sur un autre plan, la vie culturelle du pays repose largement sur l'activité des deux centres culturels français du pays, en l'absence de structures étatiques dans le domaine culturel et artistique. Enfin, en dépit des années de guerre civile, la communauté française reste forte, elle s'élève à 3200 ressortissants contre 5000 en 1997.

En effet dans ses relations avec l'ancien colonisateur, le Congo ne met jamais en avant le principe de la non-ingérence dans ses affaires domestiques. A l'inverse, c'est bien souvent à nous Français de rappeler aux Congolais qu'ils sont indépendants et qu'il nous est impossible de jouer le rôle qu'ils voudraient que nous jouions. Ainsi, tous les interlocuteurs que nous avons rencontrés, qu'ils soient proches du pouvoir ou non, estiment que la France doit avoir un rôle central dans l'organisation du dialogue national et de la transition démocratique, aspect qui relève pourtant de la seule vie politique congolaise. Le ministre Mberi, président de l'UPADS de Pascal Lissouba, considère que la France doit « donner des béquilles » pour la mise en place du dialogue national. Des représentants des ex-rebelles du Conseil national de la résistance nous ont fait part de leur désir que la France s'implique davantage pour « donner une solution » au Congo. On constate ainsi que la thèse selon laquelle la France aurait tout fait pour le retour de Sassou au pouvoir n'est pas dominante sur le terrain. Nombreux sont ceux qui pensent qu'une présence militaire massive de la France au Congo-Brazzaville aurait empêché l'embrasement généralisé.

Pour autant, le discours de l'attachement à la France n'est pas neutre politiquement, il comporte une part importante de volonté d'instrumentalisation. A tort ou à raison, chacun pense que pour exister sur la scène politique congolaise, l'appui de la France est indispensable.

2) Le « double refus de l'ingérence et de l'indifférence »

Compte tenu de la place particulière de la France au Congo, il était particulièrement difficile de mettre en _uvre une attitude équilibrée face aux drames qu'a connus le Congo. Si la France avait pris des initiatives, y compris militaires, toutes ses actions auraient été interprétées et elle aurait été accusée de jouer le jeu de telle ou telle faction. A l'inverse, réduire la présence de la France dans un Congo en proie à la guerre civile aurait été considéré comme un abandon. La nouvelle politique africaine de la France, que l'on peut résumer par la formule « ni ingérence, ni indifférence » a donc connu au Congo à partir de 1997 un intéressant terrain d'expérimentation. Atteindre l'équilibre que suppose cette politique est en effet très difficile. Contrairement à la grande majorité de la communauté internationale, la France a en effet fait le choix de faire confiance au nouveau régime de M. Sassou Nguesso lorsqu'il est revenu au pouvoir en 1997. Certes elle a réduit sa coopération, mais elle est restée, presque seule, présente au Congo, ce qui a pu être interprété politiquement. Mais la complexité de la situation que nous avons pu observer et l'unanimité qui existe sur l'impérieuse nécessité d'en finir avec la violence politique et de reconstruire le pays ont conduit la France à accepter de travailler avec le nouveau régime, bien que celui-ci soit arrivé au pouvoir par les armes et avec l'appui de troupes étrangères, angolaises.

Une autre option a été prise par beaucoup de nos partenaires, l'Allemagne, le Royaume-Uni ou les Etats-Unis par exemple, et par les organisations multilatérales, qui ne voulaient pas accepter le fait accompli et conditionnaient la reprise de relations normales à des efforts sur le plan du retour à la démocratie. Cette position tout à fait compréhensible d'un point de vue théorique pouvait difficilement être reprise par la France, bien plus impliquée au Congo. Nous avons pu observer au Congo que tout le monde craint l'organisation des élections et estime qu'elles ne seront possibles que lorsque la situation sera stabilisée. Dans ce contexte, abandonner le Congo aurait eu pour conséquence de l'enfoncer un peu plus dans le désordre et la guerre civile.

Ainsi, le rôle de la France pour sortir le Congo de son isolement diplomatique est reconnu. Le Président Sassou nous a dit sa reconnaissance pour « le soutien constant de la France dans les périodes difficiles dans lesquelles on reconnaît les vrais amis ». Il est vrai que ce soutien a eu des conséquences concrètes : la France s'est ainsi fait l'avocat du Congo auprès du FMI et de la Banque mondiale qui ont repris leurs relations avec Brazzaville, notamment par l'adoption d'un programme post-conflit le 17 novembre 2000. De même, au plan européen, la Commission envisage de reprendre ses programmes d'infrastructures sur financement FED (Fonds européen de développement) et d'apporter son appui au processus électoral. D'ores et déjà, en dépit du gel des financements du FED, le Congo a pu recevoir des fonds non utilisés et disponibles des 7ème et 8ème FED. Enfin, notre coopération bilatérale, centrée depuis 1997 sur la reconstruction des structures du pays, notamment dans le domaine juridique, est très appréciée. Ainsi, la France participe à la consolidation de l'Etat de droit (justice, police, gendarmerie), qui contribue à la sécurisation générale, de même que la coopération militaire, par des actions de formation, fondamentale dans un pays où l'absence de véritable armée nationale a été à l'origine de tant de drames. En outre, dans le contexte d'une situation humanitaire particulièrement préoccupante, la France a mené une action appréciée en faveur des conditions de vie des populations (santé publique...).

Incontestablement, la politique menée par la France était risquée et une dégradation de la situation aurait pu valoir à la France des critiques fortes. Mais la France a fait le choix de ne pas abandonner un pays dont tout le monde se désintéressait, à la différence par exemple de son gigantesque voisin, la République démocratique du Congo. L'amélioration de la situation, la réintégration du pays dans la communauté internationale - la reprise des relations diplomatiques avec les Etats-Unis est très révélatrice à cet égard - montrent que l'attitude de la France était probablement la bonne.

II - UN RETOUR A LA DÉMOCRATIE
QUI S'ANNONCE DIFFICILE

A - La question du « dialogue national sans exclusive »

1) Un climat intérieur pacifié

D'après « l'acte fondamental » du 24 octobre 1997, la transition « flexible » devait durer trois ans. En raison du retour de la guerre civile en 1998-1999, on peut comprendre que cette échéance n'ait pas été respectée. Mais avec le retour de la paix civile et la remise au médiateur Bongo du rapport du comité de suivi des accords de Brazzaville, le dialogue national doit maintenant pouvoir commencer ainsi que l'installation des nouvelles institutions. Ainsi, le Président Sassou nous a dit sa détermination de soumettre le projet de Constitution, qui a déjà été examiné par le Conseil des ministres, au Conseil national de transition lors de sa prochaine session à partir du 2 mars 2001. Il serait ensuite soumis à référendum et sur cette base des élections pourraient alors être organisées. Ce processus sera cependant assez long : un immense chantier reste à mener pour le recensement administratif, l'établissement des cartes d'identité et la confection des listes électorales. Les Congolais attendent beaucoup de la coopération internationale pour les aider, de la France notamment, mais pas uniquement, la Chine s'est ainsi engagée à fournir du matériel électoral... En outre, le projet de Constitution devra au préalable être discuté dans les villages et les régions.

Sur le contenu de la future Constitution, beaucoup semblent vouloir éviter de revenir à un système qui a échoué entre 1992 et 1997, même si l'UPADS défend toujours la Constitution semi-présidentielle de 1992. En fait, tout le monde souhaite retrouver des institutions démocratiques mais craint les conséquences de l'organisation d'élections pour la paix civile. Le plus probable est donc un régime présidentiel. Certains, comme J-P Thystere Tchikaya, souhaitent l'existence d'un vice président, qui serait issu du Sud du pays, et une décentralisation afin « d'occuper les leaders dans leur fief ». En effet, le débat constitutionnel ne tourne pas autour de questions relatives à l'efficacité du système qui sera mis en place, le seul objectif est d'éviter que l'affrontement politique ne se transforme en affrontement militaire. Le retour à la paix intérieure ne doit donc pas tromper, la peur d'une rechute est omniprésente. Cela explique le difficile débat auquel est confronté aujourd'hui le Congo : il lui faut maintenant retrouver le chemin de la démocratie pour achever la transition, mais beaucoup craignent que l'organisation des élections ne soit à l'origine de nouvelles tensions.

2) La difficile question des « exilés »

Si une relative unanimité existe donc sur la nécessité d'un dialogue national, d'ailleurs prévu par les accords de Brazzaville, la question de l'identité des débatteurs est cruciale dans un pays où l'éclatement de la guerre civile a d'abord tenu à des rivalités de personnes. On l'a dit, c'est par des gestes d'ouverture que le Président Sassou a pu obtenir le retour de la paix intérieure ; ainsi de nombreux hommes politiques en exil sont retournés au Congo, la presse est libre, même si le directeur du journal Le Flambeau, proche de B. Kolelas, a été interpellé par la police et retenu trois jours en prison début janvier 2001.

Une question est pourtant omniprésente au Congo aujourd'hui : qu'entend le pouvoir par « dialogue national sans exclusive » ? En toute logique cette expression signifie que tout le monde doit se retrouver, y compris donc Bernard Kolelas et Pascal Lissouba. L'UPADS de M. Mberi ainsi que le MCDDI en exil sont sur cette position. M. Mberi souhaite ainsi l'organisation d'une sorte de cérémonie pénitentielle entre les différents chefs car leur présence serait une nécessité sociologique incontournable et pour faire comprendre à chacun que la guerre est finie. Une deuxième tendance, très présente au PCT, à l'inverse, consiste à stigmatiser les deux leaders en exil, considérés comme des criminels recherchés par la justice. Enfin, une ligne intermédiaire, probablement dominante dans la société civile, s'en tient d'abord au réalisme. Selon celle-ci, ce sont les incessants changements d'alliances et les promesses non tenues des trois principaux leaders qui ont conduit le pays à la guerre civile, une réconciliation factice, semblable à celles de 1992 ou de 1995, où un « forum pour la culture de la paix » avait été organisé, ne pourrait donc conduire qu'aux mêmes conséquences, d'autant que les plaies sont encore vives. Cet état d'esprit ne signifie pas forcément chez ceux qui le tiennent un ralliement à la personnalité de Sassou, ils admettent seulement que la présence de ce dernier est un fait, mais que le pays n'aurait rien à gagner au retour de ses anciens adversaires, lesquels d'ailleurs sont largement discrédités auprès de leurs anciens fidèles. Certes, cette approche de la question favorise incontestablement la position de Sassou.

Une certitude se dégage cependant des différents entretiens que nous avons eus, celle du sentiment partagé par tous qu'il faut absolument éviter un retour à la situation de 1992-1997, à savoir une vie politique coupée en trois pôles politico-militaires. Ainsi, paradoxalement, le rejet du passé profite au Président Sassou qui a pourtant dirigé le pays de 1979 à 1992.

B - Un pays qui a perdu ses structures et ses repères

1) L'éclatement de la société congolaise

L'une des particularités de la guerre civile du Congo-Brazzaville est qu'elle a concerné directement les populations. Les combats ont lieu à l'intérieur même des villes, les milices ont recruté de jeunes adolescents en manque de repères, les destructions et pillages, « raclages » dans le vocabulaire congolais, ont touché de plein fouet les populations. Ces phénomènes n'ont donc pas concerné uniquement les combattants ; le pays a vécu en situation d'anarchie de fait et tout sens de l'autorité a disparu. Aujourd'hui, il faut reconstruire une société congolaise déstructurée, plus divisée que jamais par les clivages ethniques, et ce à l'intérieur même des villes.

Dans ces conditions, les carences traditionnelles de la société congolaise sont encore plus criantes. Parmi celles-ci, la plus inquiétante est probablement le naufrage de son système éducatif. Ce dernier n'a cessé de se dégrader depuis la nationalisation de 1965. En l'absence de tout programme de formation des maîtres, sans réel soutien de l'Etat ni en investissements ni en équipements pédagogiques, il se heurte même désormais au désintérêt des parents. Le délabrement du système éducatif explique d'ailleurs probablement l'attrait qu'a constitué pour une partie de la jeunesse l'appartenance aux milices.

2) L'absence de vision à long terme du développement

En dépit de cette situation, un des constats les plus inquiétants, résultant des nombreux entretiens que nous avons eus, est l'absence quasi totale de prise en compte des questions économiques et de développement. Autant les représentants de la société civile que nous avons rencontrés, au premier chef les représentants des grandes religions, ont mis en avant les enjeux liés au développement, la nécessité de réformer l'économie et surtout l'éducation, autant les hommes politiques, à l'exception du Président Sassou, semblent uniquement préoccupés par l'organisation des élections et le dialogue politique. Le plus inquiétant est que l'on parle donc beaucoup de politique au Congo, mais jamais sur une base programmatique. Nombreux parmi nos interlocuteurs sont ceux qui ont admis, avec une franchise qu'il faut leur reconnaître, que les élections se gagnent au Congo sur une logique ethnique et non sur une vision du développement.

Pourtant, les carences béantes d'un pays dont les potentialités sont si grandes exigeraient un effort sans précédent pour sortir du sous-développement. Le Congo a la chance d'avoir une population peu nombreuse, des ressources naturelles - pétrole bien sûr, mais aussi le bois, encore trop peu exploité -, un approvisionnement en eau abondant... Pourtant, les handicaps au redémarrage économique du pays sont nombreux : la culture du collectivisme est bien ancrée dans les mentalités et il reste à construire un véritable secteur privé, en dehors des entreprises étrangères. De plus, les infrastructures sont dans un état déplorable. Cette situation est d'autant plus inquiétante que la rente pétrolière ne sera pas éternelle, ce dont personne ne semble se rendre compte à Brazzaville. En effet, d'après le directeur général d'Elf Congo, il ne reste plus, dans l'état actuel des réserves, que 6 à 7 ans de production. Or, depuis la mise en service des gisements de Tchibeli et Likalala l'année dernière, portant la production annuelle à 13,8 millions de tonnes par an, aucune autre nouvelle découverte n'a été faite. Un investissement considérable a par exemple été fait pour l'aménagement de la barge du gisement de Nkosa, que nous avons visitée. Or s'il s'agit d'une réussite technique exceptionnelle, économiquement le constat est plus mesuré, le gisement étant beaucoup moins productif qu'espéré.

C - Un contexte régional inquiétant

1) La peur d'une contagion des troubles de la RDC

Alors que la situation intérieure est en voie de pacification, le contexte régional, et singulièrement la crise en République démocratique du Congo, sont un sujet d'inquiétude dans tous les milieux.

En effet, au-delà de l'appellation Congo que les deux pays partagent, la communauté de destins qui lient les deux Congo est évidente pour tout visiteur qui se rend à Brazzaville. Cette dernière et Kinshasa sont les deux capitales les plus proches du monde, seulement séparées par le fleuve Congo. Ainsi, depuis la Résidence de l'Ambassadeur de France, la « case de Gaulle », on distingue parfaitement le palais présidentiel où Laurent-Désiré Kabila a été assassiné.

Mais cette relation entre les deux pays se caractérise par sa disproportion : Kinshasa à elle seule compte deux fois plus d'habitants que la République du Congo, près de 10 fois plus que Brazzaville, en quelque sorte simple rive droite d'une gigantesque agglomération. Les tensions dans une RDC qui compte plus de 50 millions d'habitants, contre 2,6 pour le Congo, sont un puissant sujet d'inquiétude pour le gouvernement de Brazzaville. Celui-ci se sait impuissant face à un éventuel déplacement important de populations qui déstabiliserait les infrastructures et l'économie de la capitale, laquelle peine déjà à répondre aux besoins de sa propre population. Les habitants de Brazzaville sont également très inquiets de la dégradation de la situation économique et sociale des Kinois ; pour eux le terme « Zaïrois » reste en effet synonyme de voyou.

De même dans le Nord du pays, la région qui longe l'Oubangui a dû accueillir près de 120 000 réfugiés en provenance de l'ex-Zaïre, déstabilisant ainsi complètement une région qui a vu sa population doubler. En outre, cette situation provoque des tensions entre les deux pays, des attaques étant menées par des rebelles en RDC depuis le territoire du Congo. Certes, les représentants des ONG que nous avons rencontrés estiment que la situation humanitaire des réfugiés est sous contrôle, mais cela s'explique par la faible population des zones concernées. Si de nouveaux événements conduisaient à des afflux de populations en provenance de RDC à Brazzaville et dans la région du Pool, la situation deviendrait difficile à gérer.

Si les autorités congolaises, au premier rang desquelles le Président Sassou et le Ministre des Affaires étrangères Raphaël Adada se montrent très vigilants, il leur semble que tel n'est pas le cas de la communauté internationale. Il leur semble ainsi incompréhensible de nommer « question des grands lacs » un conflit interne à un pays dont la capitale se trouve à des milliers de kilomètres desdits grands lacs mais à moins d'un kilomètre de la capitale du Congo, pays généralement mis de côté dans les tentatives de règlement de la situation en RDC.

2) Un rôle régional à jouer

Cette mise à l'écart du Congo du règlement de la « question des grands lacs » est non seulement injuste, mais aussi inefficace. En effet, le Congo a l'avantage, nous a dit son Président, « de ne pas être directement partie au conflit en RDC et de pouvoir discuter avec tous les protagonistes de la crise ». Il a ainsi eu récemment des entretiens très poussés avec le Président ougandais Museveni et le président zimbabwéen Mugabe. En outre on sait les excellentes relations qui le lient au président angolais Dos Santos. Le Ministre Adada nous a dit ne pas croire aux grandes médiations internationales, l'échec des accords de Lusaka suffirait à le montrer. Pour lui, le règlement de la crise passera par une prise en compte des liens personnels. Dans cette optique, le Président Sassou, de même que le Président gabonais Bongo, dont le pays commence aussi à recevoir des réfugiés en provenance de RDC, auraient incontestablement un grand rôle à jouer.

Il peut sembler paradoxal de voir le chef d'Etat d'un petit pays de 2,6 millions d'habitants, déjà bien occupé par la pacification de sa situation intérieure, chercher à occuper un rôle de premier plan sur la scène régionale. Mais il est incontestable que dans cette région la distinction entre situations intérieure et extérieure est assez artificielle.

CONCLUSION

Avec la remise du rapport du Comité de suivi des accords de Brazzaville, une période s'achève, celle de la « pacification interne ». Mais celle qui démarre aujourd'hui, la mise en place du « dialogue national », s'annonce difficile et incertaine dans ses conséquences.

Ainsi, le Conseil des ministres du 2 février 2001 a établi le calendrier du dialogue national, lequel se déroulera au Congo, et donc en l'absence des opposants les plus résolus du Président Sassou Nguesso, qui eux parlent d'un « dialogue escamoté et fragile ». De plus, il ne faudrait pas croire qu'il se déroulera dans un climat d'unanimisme. Il est prévu du 1er au 15 mars une phase préparatoire du « dialogue national sans exclusive », comprenant des débats décentralisés dans les régions et communes et une « cérémonie de paix » avec un bûcher pour détruire les armes. Puis du 11 au 14 avril se tiendra une Convention pour la paix et la réconciliation du Congo. Enfin, le projet de constitution pourra être finalisé à la fin avril, et il pourra par la suite être soumis à référendum. L'ensemble du processus sera supervisé par le Médiateur international, Omar Bongo.

La délégation estime souhaitable que la France apporte sa contribution au processus de stabilisation politique, préalable indispensable à la mise en _uvre d'une réflexion sur le développement économique en particulier, seconde étape dans laquelle elle aura encore un rôle déterminant à jouer.

EXAMEN EN COMMISSION

Au cours de sa réunion du mardi 6 février 2001, la Commission a entendu le compte rendu d'une mission au Congo-Brazzaville.

M. Gérard Charasse a rappelé que le Congo-Brazzaville est sorti en décembre 1999 d'une période quasi ininterrompue de guerre civile commencée en 1993, ce qui a incité la Commission des Affaires étrangères à envoyer une mission d'information dans ce pays. Cette délégation, qu'il présidait, était également composée de Mme Monique Collange et de M. Michel Terrot ; elle s'est rendue au Congo entre le 11 et le 15 décembre 2000 où elle a eu, à Brazzaville et à Pointe-Noire, un programme particulièrement riche avec des personnalités politiques de tous les horizons, dont le Président de la République Denis Sassou Nguesso, des représentants de la société civile et des milieux économiques...

La délégation a pu constater que la situation sécuritaire est stabilisée suite aux accords de Brazzaville de décembre 1999 signés sous l'égide du Président Bongo du Gabon avec les rebelles armés de l'intérieur. Aujourd'hui, la majorité des factions est démobilisée, des dizaines de milliers d'armes ont été récoltées, même si beaucoup restent cachées, la vie quotidienne a retrouvé une certaine normalité et de nombreux projets de reconstruction sont mis en _uvre.

Dans ce contexte, la France a voulu avoir un rôle équilibré, qui ne soit ni de l'ingérence, ni de l'indifférence. Elle a ainsi plaidé la cause du Congo auprès des institutions financières internationales et de nos partenaires européens. Dans le même temps, il est très difficile de satisfaire les attentes presque illimitées des Congolais à l'égard de la France.

M. Gérard Charasse a estimé que le retour à une véritable démocratie sera difficile. Un point d'achoppement réside dans la question du retour ou non de l'ancien président Lissouba et de l'ancien Premier ministre Kolelas. Chacun a en effet une conception différente du « dialogue national sans exclusive ». Il reste que ces débats sur l'organisation des élections et le partage du pouvoir sont omniprésents, ce qui contraste avec l'absence presque totale de vision à long terme du développement et des questions économiques.

Enfin, la situation régionale, notamment en RDC, est un sujet d'inquiétude particulièrement grand au Congo-Brazzaville, lequel se sait concerné directement par ses conséquences, tout en se sentant exclu des tentatives de mise en place d'un processus de paix.

Mme Monique Collange a souligné l'amitié particulièrement forte que ressentent les Congolais pour la France et les Français. Elle a également ressenti une prise de conscience de la nécessité d'organiser rapidement des élections, mais une certaine inquiétude sur les conséquences de la mise en _uvre d'un processus électoral. En effet, les membres de la classe politique semblent avant tout préoccupés par le partage du pouvoir et peu concernés par le sort de leur peuple. Il en résulte que la guerre civile pourrait repartir à n'importe quel moment.

En ce qui concerne l'action de la France, l'Ambassadeur de France fait un travail remarquable qui lui vaut une certaine popularité. Il est à souhaiter que la France développe sa coopération dans le secteur éducatif qui manque cruellement d'enseignants.

M. Michel Terrot s'est déclaré tout à fait d'accord avec le compte rendu de M. Gérard Charasse. Il a également apprécié le dynamisme de l'Ambassadeur de France dans une région difficile. Il s'est félicité que la France n'ait pas attendu le retour à un régime parfaitement démocratique pour s'intéresser de nouveau au Congo-Brazzaville. En effet, il était indispensable de ne pas favoriser un retour de la guerre civile en se montrant trop exigeant en matière de critères démocratiques. D'ailleurs, on note qu'au Congo, les milieux proches de l'opposition ne sont pas pressés de retourner rapidement aux urnes.

Il a aussi insisté sur la nécessité d'assurer un suivi des demandes suscitées dans ce type de missions en matière de coopération parlementaire. Les attentes sont en effet très fortes et il faudrait réfléchir sur la meilleure manière d'y répondre.

Enfin, il a souligné l'émotion ressentie dans ce pays en raison de son attachement à la France. Le Congo a été la première colonie à rejoindre la France libre, d'ailleurs la personnalité du Général de Gaulle est très ancrée dans la population. De tous les pays d'Afrique, le Congo est probablement celui qui a gardé les liens les plus proches avec la France.

Le Président François Loncle a fait remarquer que depuis plusieurs années la coopération parlementaire s'est beaucoup développée, d'abord en direction des pays d'Europe centrale et orientale, mais aussi vers l'Afrique, avec par exemple en 1998 l'envoi de matériel au Togo et la formation de fonctionnaires parlementaires de ce pays. Mais il est effectivement important de développer cette coopération.

M. Pierre Brana a rappelé que le Président Lissouba avait déclaré que le Président Sassou Nguesso avait gagé les ressources pétrolières du pays jusqu'en 2002 et que réciproquement ce dernier avait accusé le premier de les avoir hypothéquées jusqu'en 2006. Qu'en est-il en vérité ?

Le Ministre de la Défense congolais a prétendu que tous les mercenaires avaient quitté le pays mais il semblerait, selon certaines informations, que ceux-ci se sont regroupés dans le Nord du pays. Là encore, la mission a-t-elle obtenu des informations complémentaires ?

Le Président François Loncle a demandé si la fin de la guerre civile avait entraîné le retour des réfugiés qui avaient quitté le pays et dont certains s'étaient installés en France. Il a souhaité connaître l'opinion du Président Sassou Nguesso sur les conflits qui agitent la région des Grands lacs.

M. Gérard Charasse a précisé qu'une des difficultés de la coopération parlementaire avec le Congo est que son Parlement, le Conseil national de transition, est un organe nommé, ce qui lui vaut par exemple de ne pas être reconnu par l'Assemblée parlementaire de la francophonie.

La délégation a évoqué la question du pétrole gagé sans obtenir d'éléments vraiment nouveaux. Mais ce genre de problèmes ne doit pas faire oublier que la ressource en pétrole est limitée et qu'il est d'abord indispensable d'utiliser à bon escient les revenus qu'elle procure.

Sur la question des mercenaires, principalement angolais et rwandais, il semble qu'il en reste effectivement encore, même s'il y a une controverse sur leur nombre, d'autant que certains auraient obtenu la nationalité congolaise.

Avant même la fin de la guerre civile, beaucoup d'hommes politiques réfugiés en France ou ailleurs sont rentrés au Congo. Ce mouvement s'est accéléré depuis la signature des accords de Brazzaville, même s'il ne concerne pas encore les opposants les plus résolus au Président Sassou.

Face à la situation régionale, le Président Sassou est très inquiet car il est réaliste et donc conscient des conséquences possibles sur son pays d'un éclatement de la RDC. Il possède cependant l'avantage d'avoir des liens avec tous les protagonistes du conflit, de disposer d'une certaine ancienneté et d'un véritable sens politique, ce qui devrait donc lui permettre de jouer un rôle dans les tentatives de règlement de la crise de la RDC.

En application de l'article 145 du Règlement, la Commission a décidé la publication du rapport d'information.

ANNEXE

Programme de la mission d'information au Congo

Mardi 12 décembre 2000

10 h 00 Entretien avec M. Rodolphe Adada, ministre des Affaires étrangères

11 h 00 Entretien avec M. Justin Koumba, président du CNT

12 h 00 Réunion avec la Commission des Affaires étrangères du CNT

13 h 00 Déjeuner avec les autorités religieuses

17 h 00 Audience du Président de la République

20 h 00 Dîner officiel à la résidence de l'Ambassadeur de France avec les autorités politiques et judiciaires congolaises

Mercredi 13 décembre 2000

7 h 30 Petit déjeuner avec les organisations humanitaires (HCR, CICR, Caritas ...)

9 h 00 Visite du Lycée Saint Exupéry

9 h 30 Entretien avec M. Eugène Banguissa, secrétaire permanent du MCDDI

11 h 15 Entretien avec M. Ambroise Noumazalaye, ancien Premier ministre, secrétaire général du Parti congolais du Travail

16 h 30 Départ pour Pointe-Noire

17 h 30 Entretien avec M. Jean-Pierre Thystere-Tchicaya, président du RDPS, ancien député-maire de Pointe-Noire

19 h 00 Entretien avec M. Martin Mberi, ministre de la Construction, de l'Urbanisme et de l'Habitat, chargé de la réforme foncière et président par intérim de l'UPADS

20 h 30 Dîner avec les conseillers du Commerce extérieur

Jeudi 14 décembre 2000

8 h 15 Visite de la barge de Nkossa (Elf Congo)

11 h 00 Visite du Lycée Charlemagne

12 h 00 Déjeuner avec les délégués au CSFE et des coopérants

15 h 00 Retour à Brazzaville

15 h 30 Entretien avec des membres du Comité de suivi des accords de Brazzaville (M. Mouambenga, Colonel Bouesse) et du Comité national de la Résistance (Colonels Boukanda et Moussounda)

17 h 30 Visite d'adieux au Président du CNT

18 h 30 Point de presse au centre culturel français

________________

N° 2918.- Rapport d'information de M. Gérard Charasse, Mme Monique Collange et M. Michel Terrot, au nom de la commission des affaires étrangères, sur la mission effectuée par une délégation de la commission en République du Congo.