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N° 3111

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 6 juin 2001.

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

AU NOM DE LA DÉLÉGATION AUX DROITS DES FEMMES ET A L'ÉGALITÉ DES CHANCES ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES (1) SUR LA PROPOSITION DE LOI (n° 3074) de M. Jean-Marc AYRAULT, M. Marc DOLEZ, Mme Christine LAZERGES ET LES MEMBRES DU GROUPE SOCIALISTE ET APPARENTÉS relative à l'autorité parentale.

PAR Mme Chantal ROBIN-RODRIGO

Députée.

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(1) La composition de cette Délégation figure au verso de la présente page.

Famille.

La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes est composée de : Mme Martine Lignières-Cassou, présidente ; Mmes Muguette Jacquaint, Chantal Robin-Rodrigo, Yvette Roudy, Marie-Jo Zimmermann, vice-présidentes ; Mme Marie-Thérèse Boisseau, M. Michel Herbillon, secrétaires ; M. Pierre Albertini, Mmes Nicole Ameline, Roselyne Bachelot-Narquin, M. Patrick Bloche, Mme Danielle Bousquet, M. Philippe Briand, Mmes Nicole Bricq, Odette Casanova, Nicole Catala, MM. Richard Cazenave, Henry Chabert, Mme Marie-Françoise Clergeau, MM. Jean-Pierre Defontaine, Patrick Delnatte, Jean-Claude Etienne, Jacques Floch, Claude Goasguen, Mme Cécile Helle, M. Patrick Herr, Mmes Anne-Marie Idrac, Françoise Imbert, Conchita Lacuey, MM. Patrick Malavieille, Patrice Martin-Lalande, Mmes Hélène Mignon, Catherine Picard, MM. Bernard Roman, André Vallini, Kofi Yamgnane.

INTRODUCTION 5

I - LES PROFONDES MUTATIONS SOCIOLOGIQUES DE LA FAMILLE CONDUISENT À UNE NOUVELLE RÉFLEXION SUR L'AUTORITÉ PARENTALE 6

A. LES ÉVOLUTIONS SOCIOLOGIQUES 6

1. Les faits 6

2. Une nouvelle réflexion sur les relations parents-enfants 6

B. POUR UNE AUTORITÉ PARENTALE MIEUX DÉFINIE ET UNE AFFIRMATION DE LA COPARENTALITÉ 8

1. Finalité et bien-fondé de l'autorité parentale 8

2. Le principe de coparentalité 9

II - UNE AUTORITÉ PARENTALE PLUS SOUCIEUSE DE L'INTÉRÊT DE L'ENFANT 11

A. PLUS DE SOUPLESSE DANS LE CHOIX DE LA RÉSIDENCE DE L'ENFANT 11

1. Le problème sensible du choix de la résidence de l'enfant 11

2. La pacification des conflits par la médiation 12

B. UNE MEILLEURE PRISE EN COMPTE DE L'INTÉRÊT DE L'ENFANT 14

1. Dans les décisions le concernant 14

2. Une évaluation nécessaire des conséquences sur le développement de l'enfant 15

TRAVAUX DE LA DÉLÉGATION 17

RECOMMANDATIONS ADOPTÉES PAR LA DÉLÉGATION 25

Annexe : Comptes rendus des auditions de la Délégation 29

Mesdames, Messieurs,

La Délégation aux droits des femmes a été saisie par la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République de la proposition de loi (n° 3074) relative à l'autorité parentale, dont le but est de conforter les droits et devoirs de chacun des parents à l'égard de l'enfant, de promouvoir l'égalité des père et mère dans le respect de ces droits et devoirs par la coparentalité, d'affirmer la finalité et le fondement de l'autorité parentale qui est l'intérêt de l'enfant.

La proposition de loi comporte des avancées juridiques d'importance en consacrant l'exercice conjoint de l'autorité parentale, quel que soit le statut des parents (mariés, séparés, divorcés ou concubins) et en établissant une égalité de traitement entre tous les enfants, qu'ils soient légitimes ou naturels.

Les nouvelles modalités d'exercice de l'autorité parentale, notamment la possibilité de fixer la résidence de l'enfant au domicile de l'un de ses parents ou en alternance chez chacun d'eux, permettront désormais aux parents, comme au juge, de choisir avec plus de souplesse le partage de l'hébergement. Un meilleur équilibre devra ainsi s'établir dans le partage des droits et des devoirs entre le père et la mère, car c'est en général à la mère que le juge confie encore aujourd'hui la garde des enfants.

Ce nouveau partage des responsabilités correspond aux profondes mutations sociologiques de la famille (près de 40 % des enfants naissent hors mariage), à la nouvelle attitude des pères qui veulent assumer leurs droits et devoirs et aussi aux souhaits des femmes, qui de plus en plus impliquées dans leur vie professionnelle, demandent une meilleure répartition des rôles et des tâches.

I - LES PROFONDES MUTATIONS SOCIOLOGIQUES DE LA FAMILLE CONDUISENT À UNE NOUVELLE RÉFLEXION SUR L'AUTORITÉ PARENTALE

A. LES ÉVOLUTIONS SOCIOLOGIQUES

1. Les faits

Familles séparées, recomposées, familles monoparentales, familles hors mariage. Le modèle de la famille légitime unie, sur lequel le droit de l'autorité parentale a été construit, s'effrite peu à peu.

- Les données INED 1994 font état d'un nombre de 280 000 mariages et de 120 000 divorces annuels, soit plus de 40 %.

- Le nombre de familles (couple avec enfants) s'élève à 7 442 000 couples et 14 214 000 enfants de moins de 25 ans, dont 660 000 familles recomposées avec 1 459 000 enfants et 1 084 000 familles monoparentales avec 1 698 000 enfants.

- La très grande majorité des enfants de moins de 18 ans dont les parents sont séparés vivent avec leur mère, et pour la moitié d'entre eux ne voient leur père que moins d'une fois par mois ou jamais.

Ce sont les mères qui dans plus de huit cas sur dix assument la charge des enfants après la séparation, les pères éprouvant de nombreuses difficultés à assumer leur rôle, soit en raison d'un engagement professionnel trop intense, soit en raison de difficultés économiques dues au chômage ou à la précarité.

Cette situation conduit à repenser la place des père et mère, dans un souci d'égalité à l'intérieur de la famille, de meilleur partage des responsabilités et d'une meilleure prise en compte de l'intérêt de l'enfant.

2. Une nouvelle réflexion sur les relations parents-enfants

Le travail des femmes qui s'est généralisé dans les années 70, la maîtrise par les femmes de leur fécondité avec la diffusion de la contraception et la légalisation de l'avortement, la remise en cause de toute autorité, en particulier de l'autorité paternelle, à la suite du mouvement de mai 1968, ont été des éléments déterminants dans l'effritement du rôle paternel.

Les juges ont entériné cette situation en attribuant généralement à la mère le droit de garde des enfants.

Des réactions à cette tendance sont apparues ces dernières années. Des associations de pères se sont créées en défense de la condition paternelle, contestant les décisions des juges. De leur côté, les mères au travail, assumant la "double journée" appellent à un meilleur partage des tâches.

Le législateur s'est efforcé de suivre cette évolution :

- la loi du 4 juin 1970 substitue à la notion de puissance paternelle celle d'autorité parentale commune au père et à la mère ;

- la loi du 22 juillet 1987, dite loi Malhuret, institue la possibilité d'une autorité parentale commune en cas de divorce, sous réserve de l'intervention du juge qui fixe la résidence habituelle de l'enfant ;

- la loi du 8 janvier 1993 crée le juge aux affaires familiales, institue une autorité parentale commune de plein droit sous certaines réserves et intègre des avancées de la convention internationale relative aux droits de l'enfant (droit de l'enfant à être élevé par ses deux parents, droit de l'enfant à être entendu dans les procédures le concernant).

La commission d'enquête présidée par M. Laurent Fabius dans son rapport "Droits de l'enfant, de nouveaux espaces à conquérir" formulait, compte tenu des principes posés par la convention, un certain nombre d'analyses et de propositions visant à refonder l'autorité parentale.

Parallèlement les travaux de nombreux professeurs, juristes et magistrats ont permis ces dernières années de faire avancer la réflexion sur le droit de l'autorité parentale, notamment les travaux dirigés par Mme Irène Théry (1) et les travaux de la commission présidée par Mme Françoise Dekeuwer-Defossez (2), sur lesquels s'appuie la réforme du droit de la famille proposée par Mme Ségolène Royal, ministre déléguée à la famille et à l'enfance.

B. POUR UNE AUTORITÉ PARENTALE MIEUX DÉFINIE ET UNE AFFIRMATION DE LA COPARENTALITÉ

La proposition de loi constitue une forte avancée juridique en prenant acte de ces profondes évolutions sociologiques.

Le texte proposé conforte la notion d'autorité parentale, précise sa finalité, définit le principe de coparentalité et les nouveaux modes d'exercice de l'autorité parentale, fait intervenir la médiation dans la solution des conflits parentaux, enfin prend davantage en compte les droits et l'intérêt de l'enfant.

1. Finalité et bien-fondé de l'autorité parentale

Les nouvelles dispositions de l'article 371-1 du code civil, qui se substituent à l'énoncé impératif de l'ancien article 371-1 introduit par la loi du 2 juillet 1970, refondent, consolident et redéfinissent l'autorité parentale.

L'intérêt de l'enfant est désormais le fondement et la finalité de l'autorité parentale.

Elle est partagée entre le père et la mère à égalité : c'est la coparentalité.

Elle a pour but de protéger l'enfant dans sa sécurité, sa santé, sa moralité, d'assurer son éducation et permettre son développement, dans le respect dû à sa personne.

Le terme d'''autorité" a pu parfois être critiqué, comme désuet ou porteur d'autoritarisme. Mais comme l'a souligné Mme Ségolène Royal, le 4 avril dernier, dans son intervention sur le droit de la famille, "l'autorité est ce par quoi les parents sont reconnus dans la société, et se reconnaissent eux-mêmes comme auteurs de leurs enfants". Cette autorité permet à l'enfant en devenir de former et de structurer sa personnalité.

La proposition de loi établit l'égalité entre tous les enfants vis-à-vis de l'autorité parentale. Les distinctions entre enfants légitimes et naturels sont supprimées et la finalité de l'autorité parentale est reconnue pour tous.

Cette disposition s'adapte à la réalité démographique et sociologique, sachant qu'en 1998 40 % environ des naissances avaient lieu hors mariage, taux en progression constante depuis une vingtaine d'années.

2. Le principe de coparentalité

_ Le principe de coparentalité, qui est assurément le principal apport de la proposition de loi, est clairement énoncé dès le nouvel article 372 du code civil : "Les père et mère exercent en commun l'autorité parentale". Elle s'exerce en commun, quel que soit le statut des parents, qu'il s'agisse de familles constituées dans le mariage ou de familles hors mariage.

Le principe de coparentalité n'est plus lié à celui de la conjugalité. L'intérêt de l'enfant dont les parents se séparent n'est pas d'être confié à l'un d'entre eux, mais de conserver dans toute la mesure du possible son père et sa mère.

L'autorité parentale est exercée automatiquement en commun, dès lors que la filiation de l'enfant est établie à l'égard de ses deux parents.

L'exigence de vie commune, requise précédemment pour les parents de l'enfant né hors mariage, est supprimée.

· Pourtant, ce principe de coparentalité peut susciter des approches différentes. Certaines associations de parents estiment que la coparentalité implique une notion de couple parental, la recherche d'un équilibre entre deux parents coresponsables et le maintien d'une famille parentale stable.

Cette approche paraît cependant difficile à concrétiser, divorce ou séparation entraînant automatiquement rupture du couple conjugal, avec les désaccords qui s'ensuivent, même si les parents peuvent rester coopérants.

L'essentiel serait que chacun des parents garde la place qui doit être la sienne aux côtés de l'enfant, comme l'indique l'exposé des motifs, chacun respectant ses droits et devoirs envers l'enfant, comme envers l'autre parent.

_ En ce qui concerne l'exercice commun de l'autorité parentale par les parents non mariés, dans le cas où la reconnaissance est établie plus d'un an après la naissance, des conditions strictes sont requises.

"L'autorité parentale pourra néanmoins être exercée en commun en cas de déclaration conjointe devant le greffier en chef du tribunal de grande instance ou sur décision du juge aux affaires familiales".

Le désintérêt du parent - du père ou de la mère - vis-à-vis de l'enfant, en cas de reconnaissance tardive, justifie de telles conditions. Il s'agit de ne pas bouleverser la vie de l'enfant et de permettre au parent qui exerçait seul l'autorité parentale de continuer à le faire.

Toutefois, la reconnaissance tardive peut aussi résulter d'un manque d'information sur les procédures de reconnaissance de l'enfant, s'agissant de couples jeunes encore peu stables. Dans ce cas, ces conditions peuvent paraître lourdes.

En tout état de cause, la Délégation a estimé important que la mère, dont la filiation a été établie dès la naissance soit informée de la reconnaissance de l'enfant par le père. Certes, l'article 57-1 du code civil prévoit que l'officier d'état-civil doit, par lettre recommandée, aviser l'autre parent de la reconnaissance d'un enfant naturel mentionné dans l'acte de naissance. Mais, ces dispositions ne semblent pas toujours appliquées et suivies d'effet.

_ La coparentalité implique pour chacun des parents le respect de droits et de devoirs vis-à-vis de l'enfant et vis-à-vis de l'autre parent, indépendamment du versement de la pension alimentaire. Or, souvent, des pères versant régulièrement leur pension alimentaire, se croient de ce fait déliés de tous devoirs vis-à-vis de l'enfant. Il arrive aussi que des mères refusent de présenter l'enfant au père.

Comment faire respecter par un parent défaillant, les règles établies par convention parentale homologuée ou par décision du juge (droit de visite, entretien, etc...), ou les droits et devoirs généraux de l'autorité parentale (sécurité, santé, éducation, relations personnelles avec l'enfant) ?

A cet égard, rien n'est prévu dans la proposition de loi, même si le juge doit prendre en considération avant de statuer "l'aptitude de chacun des parents à assumer ses devoirs et respecter les droits de l'autre".

Sans aller jusqu'à évoquer des sanctions, qui ne seraient qu'inopérantes, des moyens d'intervention devraient être envisagés, afin de rappeler le parent absent à ses devoirs, par exemple une "admonestation" du juge, selon les termes employés par Mme Martine Lignières-Cassou, présidente de la Délégation, lors des travaux préparatoires.

_ La coparentalité doit se travailler, mûrir, bien en amont de la séparation ou du divorce, dès la naissance de l'enfant.

Comme l'a souligné Me Claire Hocquet, entendue par la Délégation, la coparentalité s'organise très tôt, avec la reconnaissance de congés parentaux pour les pères et la réorganisation des tâches à l'intérieur du couple. Elle permettra ainsi de faciliter la séparation ou le divorce et d'obtenir avec moins de difficultés à un accord parental.

II - UNE AUTORITÉ PARENTALE PLUS SOUCIEUSE DE L'INTÉRÊT DE L'ENFANT

A. PLUS DE SOUPLESSE DANS LE CHOIX DE LA RÉSIDENCE DE L'ENFANT

L'assouplissement des modalités d'exercice de l'autorité parentale, notamment en ce qui concerne le choix de l'hébergement de l'enfant est conçu comme un moyen de renforcer la coparentalité, d'éviter les conflits et de mieux tenir compte de l'intérêt de l'enfant.

1. Le problème sensible du choix de la résidence de l'enfant

D'après l'exposé des motifs de la proposition de loi, les articles 372-3 et 372-4 du code civil reconnaissent la garde partagée puisque "la résidence de l'enfant au domicile de l'un des parents ou en alternance chez chacun d'eux" est reconnue, comme un mode d'exercice possible de l'autorité parentale, que son principe soit retenu par les parents dans une convention ou qu'il soit décidé par le juge.

Dans la convention établie par les parents, ceux-ci auront toute latitude pour élaborer le mode d'hébergement de l'enfant : soit une résidence habituelle de l'enfant chez l'un d'eux, soit un partage de l'hébergement qu'ils acceptent d'assurer, le juge veillant à ce que la solution retenue soit bien conforme à l'intérêt de l'enfant.

Ce partage ne devra pas avoir un caractère strict, comme on l'imagine habituellement, selon la formule 1-3-5, c'est-à-dire un week-end sur deux attribué au père pour la garde de son enfant, mais répondre, selon toutes formules envisageables, aux besoins de l'enfant et des père et mère.

Ces dispositions raisonnables, qui favorisent l'accord entre les parents, devraient permettre de faire évoluer les décisions des juges, jusqu'à présent majoritairement en faveur de la résidence habituelle de l'enfant chez la mère, mais aussi de faire évoluer l'attitude des pères.

Selon l'article 287 du code civil, le choix de la résidence habituelle appartient aux père et mère. Le juge n'intervient qu'en cas de désaccord, ou si le choix des parents lui paraît contraire à l'intérêt de l'enfant.

Une enquête effectuée par le Centre de droit de la famille de Lyon sur les décisions rendues en 1994 et 1995 à Lyon et à Nanterre, citée par le professeur Hugues Fulchiron (3), montre que dans la grande majorité des cas -  86,3 % -, la résidence habituelle est fixée chez la mère, contre 11,7 % chez le père.

L'enquête a montré également que les demandes concurrentes des parents sont très rares. Dans 85 % des cas étudiés, les mères demandaient que la résidence de l'enfant soit fixée auprès d'elles, et dans 66,8 % des cas les pères ne s'y opposaient pas. Seulement 15,7 % des pères sollicitaient auprès d'eux la fixation de la résidence habituelle, une partie probablement pour des raisons tactiques, pour avoir un plus large droit de visite et d'hébergement.

De même, on constate que plus l'enfant est grand, plus il est (relativement) souvent confié à son père, conformément en général aux demandes des parents : rares sont les pères qui demandent à prendre en charge leurs jeunes enfants.

A l'évidence, conclut l'enquête, c'est donc moins l'attitude des juges que celle des pères sur laquelle il conviendrait de faire porter l'analyse.

Toutefois, il convient de noter que la résidence habituelle est parfois assortie d'un droit de visite et d'hébergement si large, qu'il y a en fait partage de l'hébergement, et donc en réalité une véritable résidence alternée.

L'action de certaines associations de parents, qui prônent la résidence alternée paritaire a le mérite de dénoncer la situation actuelle. Cependant, cette forme de garde conçue de manière trop systématique risque de ne pas forcément tenir compte au mieux de l'intérêt de l'enfant, apprécié par le juge lorsqu'il aura à statuer en cas de désaccord, et de s'imposer à l'un des parents contre son gré.

2. La pacification des conflits par la médiation

Le nombre de divorces et de référés conduisent chaque année plus de 300 000 couples environ devant les tribunaux. Les procédures, lourdes et coûteuses, sont presque toujours source d'amertume et de souffrance.

Actuellement le divorce pour faute représente encore 40 % des procédures. Comme le soulignait Mme Maryse Lebranchu, Garde des Sceaux, ministre de la justice, dans sa présentation de la réforme du droit de la famille, le 4 avril dernier, "les époux se trouvent bien souvent engagés malgré eux, dans une véritable bagarre juridique, dont personne ne sort indemne et dont les effets désastreux persistent bien au-delà du prononcé du divorce".

Aussi, la proposition de loi, afin de renforcer la coparentalité, valorise-t-elle les accords entre les parents et introduit-elle la médiation comme mode de solution des conflits, complémentaire à l'intervention du juge et sous réserve de l'intérêt de l'enfant.

· L'homologation des accords parentaux permettra d'établir les modalités d'exercice de l'autorité parentale, en faisant appel à la responsabilité des parents, qui devront s'entendre et coopérer dans l'intérêt de l'enfant. Cette possibilité qui n'existait précédemment que pour les seuls parents divorçant sur requête conjointe est étendue à tous les parents organisant les conséquences de leur séparation.

Pour parvenir à ces accords, en amont de l'homologation par le juge, les parents devraient pouvoir, avant divorce ou séparation, faire appel à la médiation familiale dans une démarche spontanée, avec l'aide de travailleurs sociaux, d'associations, dans des lieux d'accueil et d'écoute, et à distance des professionnels de la justice. Ces structures informelles, encore peu développées dans notre pays, mais efficaces quand elles interviennent, devraient être soutenues et développées, car elles permettent d'éviter les conflits les plus graves, qui conduisent les couples devant le juge.

· En cas de désaccord parental, et "à l'effet de faciliter la recherche par les parents d'un exercice consensuel de l'autorité parentale", le juge peut proposer une mesure de médiation. Il peut aussi "leur enjoindre de rencontrer un médiateur qui les informera sur l'objet et le déroulement de cette mesure".

_ L'introduction de la médiation, à l'article 372-4 du code civil, à l'initiative du juge paraît tout à fait positive dans la recherche d'une pacification des conflits entre les parents. Elle n'est pas imposée mais conseillée. En cas de conflit grave, le juge peut "enjoindre de rencontrer un médiateur". Il ne s'agit pas de contraindre les parents à une médiation, difficile à envisager s'il y a un profond désaccord, mais de leur demander d'effectuer une première démarche d'information.

Il conviendra cependant de bien préciser comment est envisagé le recours à cette médiation, entre incitation et obligation.

_ Rien n'est indiqué en ce qui concerne la suite du recours à la médiation. Le juge doit-il prendre une décision, sans attendre le résultat de la médiation ? La Délégation a estimé souhaitable que, pour éviter l'allongement des procédures et rappeler les parents à leurs responsabilités, le juge, en cas de désaccord persistant, puisse les reconvoquer dans le délai maximum d'un mois. Comme l'a souligné Me Claire Hocquet, lors de son audition par la Délégation, si le juge peut enjoindre aux parents d'aller voir un médiateur, on doit le contraindre à respecter un délai pour revoir ceux des parents qui n'ont pas souhaité poursuivre la démarche de médiation.

_ Le rôle et le contenu de la médiation devront être mieux définis et les personnels chargés de la mettre en _uvre mieux reconnus.

La médiation ne doit pas intervenir dans la décision du juge. Elle est un moyen de résoudre les difficultés entre les parents, de rechercher un accord. Elle nécessite l'intervention de professionnels, compétents et formés, bénéficiant d'un véritable statut.

B. UNE MEILLEURE PRISE EN COMPTE DE L'INTÉRÊT DE L'ENFANT

1. Dans les décisions le concernant

L'intérêt supérieur de l'enfant dans les décisions qui le concernent, est clairement pris en compte :

- par l'article 371-1 : "Les parents associent l'enfant aux décisions qui le concernent, selon son âge et son degré de maturité" ;

- par l'article 375-5 : "Le juge prend notamment en considération... 2° les sentiments exprimés par l'enfant mineur dans les conditions prévues à l'article 388-1."

L'article 388-1 du code civil, introduit par la loi du 8 janvier 1993, prévoit que dans toute procédure le concernant, le mineur capable de discernement peut être entendu par le juge ou la personne désignée par le juge à cet effet.

Ces dernières dispositions ne peuvent évidemment pas concerner les jeunes enfants qui n'ont pas atteint la faculté de discernement.

La décision du juge est lourde à prendre. L'enquête sociale, qui a pour but - selon la nouvelle rédaction - de recueillir des renseignements "sur la situation de la famille et les conditions dans lesquelles vivent et sont élevés les enfants" ne paraît pas suffisante, particulièrement en cas de grave conflit entre les parents, pour évaluer l'impact psychologique et psychique chez le jeune enfant des modalités de la résidence à retenir.

Aussi, la Délégation a-t-elle estimé souhaitable que le juge, avant de statuer, puisse recueillir l'avis d'un pédopsychiatre.

2. Une évaluation nécessaire des conséquences sur le développement de l'enfant

D'une manière plus générale, l'intérêt de l'enfant dans les modalités d'exercice de l'autorité parentale, en particulier dans le choix de la résidence, demeure posé. Les effets à long terme sur le développement du jeune enfant de la résidence alternée sont diversement évalués par les spécialistes de la petite enfance.

Votre rapporteure, qui a consulté des pédopsychiatres, n'est pas persuadée que ce système de garde convienne nécessairement aux très jeunes enfants. Les décisions les concernant devront être prises avec la plus grande attention, en tenant compte des rythmes proposés, de l'âge et des besoins de repères de l'enfant. En effet, l'enfant a besoin d'une continuité, de confiance affective, de repères avec des personnes privilégiées. Un passage trop rapide de l'un à l'autre parent, et donc des changements de repères peuvent être déstabilisants, entraîner des troubles, une indifférenciation de l'enfant.

Le partage à égalité de la résidence, estime le professeur Philippe Jammet, pédopsychiatre, au cours de son audition par votre rapporteure, est un problème d'adulte. L'enfant a besoin plutôt d'une complémentarité des rôles, qui ne peut se quantifier. Plus que le quantitatif dans le temps, c'est la qualité du lien qui compte. A cet égard, l'alternance hebdomadaire, selon le professeur Jammet, est trop brève pour un jeune enfant, qui a besoin de continuité pour fixer ses repères et établir son territoire.

Nous manquons, en France, de recul pour évaluer les effets à long terme sur le développement de l'enfant des modes de garde retenus par les parents ou par les décisions des juges. La Délégation a estimé à cet égard que des recherches scientifiques approfondies devraient être conduites, afin d'évaluer depuis la loi de 1993 les effets de ces situations nouvelles sur le développement de l'enfant.

*

* *

TRAVAUX DE LA DÉLÉGATION

La Délégation s'est réunie, le mardi 5 juin 2001, pour examiner le présent rapport d'information.

La rapporteure a d'abord rappelé que les profondes mutations sociologiques de la famille au cours des dernières décennies ont entraîné une nouvelle réflexion sur la relation parents-enfants.

Les dernières données démographiques révèlent en effet que, pour 280 000 mariages par an, on compte plus de 40 % de divorces et que plus de 20 % de l'ensemble des familles sont des familles recomposées ou des familles monoparentales. Dans plus de huit cas sur dix, les mères assument la charge des enfants après la séparation et la moitié environ de ces enfants n'ont plus que des liens très distendus avec leur père.

Le droit s'efforce, avec retard, de suivre l'évolution des m_urs qui imposent maintenant de nouvelles initiatives juridiques en matière d'autorité parentale, après les lois de 1970, de 1975, de 1987 et de 1993.

La rapporteure a ensuite présenté les grandes lignes de la proposition de loi, basée sur l'affirmation de nouveaux principes :

- le bien-fondé et la finalité de l'autorité parentale ;

- la reconnaissance de la coparentalité ;

- le recours à la médiation entre les parents ;

- de nouveaux modes d'exercice de l'autorité parentale ;

- la priorité reconnue aux droits et à l'intérêt de l'enfant.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente, a souligné, le nombre élevé d'enfants nés hors mariage.

La rapporteure, après avoir rappelé les auditions auxquelles elle a procédé (magistrats, juristes, avocats, sociologues, pédopsychiatres, psychologues, associations de parents), tant à l'Assemblée nationale qu'en circonscription, a estimé que la proposition de loi constituait une forte avancée juridique. Elle a ensuite présenté quinze propositions de recommandations, regroupées en plusieurs chapitres, qui ont donné lieu à débat au sein de la Délégation.

Mieux affirmer les droits de l'enfant

- La première recommandation suggère de prendre en compte la notion de "l'intérêt supérieur" de l'enfant dans l'exercice de l'autorité parentale et dans l'intervention du juge, notion qui figure dans la convention internationale relative aux droits de l'enfant, ainsi que d'instaurer, à titre symbolique, dans l'article 371 du code civil, une véritable réciprocité dans l'"honneur" et le "respect" que doivent se porter mutuellement parents et enfants.

Sur le premier point, Mme Martine Lignières-Cassou, présidente, a fait remarquer que la notion d'intérêt de l'enfant figurant dans le code civil correspondait à cette notion d'"intérêt supérieur", tandis que Mme Marie-Thérèse Boisseau, sur le deuxième point, a approuvé le principe de réciprocité.

Renforcer la médiation

- La deuxième recommandation concerne la médiation familiale, qui, avant l'intervention du juge, permet de favoriser la recherche entre les parents d'une convention susceptible d'être homologuée.

- La troisième recommandation porte sur les conditions de la médiation judiciaire, le rôle du juge à cet égard, incitatif ou contraignant, et le renforcement nécessaire des structures de cette médiation. Elle prévoit également qu'"en cas de refus des parents d'accepter la médiation, ceux-ci devront être convoqués à nouveau devant le juge dans le délai maximum d'un mois pour la poursuite de la procédure".

La rapporteure a rappelé l'utilité de la médiation familiale qui permet d'éviter un divorce sur trois et favorise la conclusion d'accords parentaux. Mise en _uvre par des associations, elle a besoin d'être soutenue et développée.

En ce qui concerne la médiation proposée par le juge, son but est de faciliter la recherche d'un exercice consensuel de l'autorité parentale. Le juge, le plus souvent, homologue la convention soumise par les parents.

La rapporteure a souligné par ailleurs qu'il n'existait pas toujours de structure de médiation auprès du tribunal et qu'il conviendrait de remédier au plus vite à cette carence, si l'on veut que la loi soit appliquée.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente, a estimé qu'il conviendrait de bien préciser le rôle de la médiation familiale. Celle-ci intervient en amont de l'intervention du juge, en favorisant un accord spontané entre les parents, qui pourra être homologué par le juge. S'il n'y a pas accord, le juge peut proposer une médiation judiciaire. La médiation familiale permet en outre au parent qui subit le divorce de mieux comprendre, par l'écoute, les raisons de la séparation et de mieux l'accepter.

Mme Marie-Thérèse Boisseau s'est interrogée ensuite sur le rôle du juge dans l'incitation à la médiation et sur les personnes qui exercent les fonctions de médiateur.

Mme Danielle Bousquet a indiqué que les médiateurs ne sont pas des professionnels, mais en général des travailleurs sociaux que le juge a toute liberté, semble-t-il, pour désigner. Il conviendrait à cet égard de leur conférer un véritable statut.

Mme Marie-Jo Zimmermann a estimé que ce rôle de médiateur devrait être confié, en tout état de cause, à des professionnels afin de garantir l'objectivité dans la procédure.

Mieux prendre en compte l'intérêt de l'enfant dans la décision du juge

- La quatrième recommandation vise à ce que l'intérêt de l'enfant soit mieux pris en compte dans les décisions du juge. Après homologation d'une convention entre les parents, ou décision sur les modalités de l'exercice de l'autorité parentale, le juge peut ordonner qu'une enquête sociale dans le délai d'un an soit diligentée en vue de s'assurer du bien-fondé de la décision quant aux conséquences sur le développement de l'enfant. Dans le même souci, le juge, avant de statuer sur les modalités de l'exercice de l'autorité parentale, peut se faire assister par un pédopsychiatre, s'agissant d'enfants trop jeunes pour exprimer leurs sentiments dans les conditions prévues à l'article 388-1 du code civil.

La rapporteure a estimé, après avoir recueilli des témoignages de pédopsychiatres et d'avocats, que les effets de la garde alternée, notamment hebdomadaire, n'étaient guère favorables aux enfants les plus jeunes. Une enquête sociale rediligentée par le juge dans le délai d'un an permettrait de constater les effets sur le développement de l'enfant des modalités de garde retenues, tandis que l'appui du pédopsychiatre aiderait le juge à mieux statuer, s'agissant d'enfants petits qui en aucun cas ne peuvent exprimer leurs sentiments.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente, s'est montrée favorable à l'intervention d'un pédopsychiatre, mais a estimé, en ce qui concerne l'enquête sociale diligentée par le juge, qu'il ne convenait pas d'imposer de délai, car les modalités de garde peuvent convenir ou non, à n'importe quelle étape du développement de l'enfant.

Dans le même sens, pour Mme Marie-Jo Zimmermann, fixer un délai d'un an pour l'enquête sociale n'apparaissait pas opportun, les dommages subis par un jeune enfant pouvant être considérables très rapidement.

Mme Marie-Thérèse Boisseau a rappelé que, lors de débats précédents, un consensus était apparu sur la nécessité d'éviter les ruptures d'hébergement aux jeunes enfants, alors qu'en acceptant maintenant la garde alternée, on allait à l'encontre de l'intérêt de l'enfant qui a besoin essentiellement de stabilité.

En conséquence, avec l'accord de la rapporteure, la Délégation a supprimé la condition du délai pour l'intervention d'une enquête sociale diligentée par le juge.

Affirmer la coparentalité

- La cinquième recommandation préconise la plus grande souplesse dans le choix des modalités de l'hébergement partagé de l'enfant entre les parents.

La rapporteure a considéré que la parité, voire l'égalité dans la garde alternée, telle que la revendiquent certaines associations, n'est pas forcément la panacée. Il appartiendra au juge, dans l'intérêt de l'enfant, de décider des modalités d'hébergement.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente, a estimé que le système souvent retenu de garde alternée sur la semaine devait être dépassé pour retenir d'autres solutions sur le mois, l'année, ou tout autre rythme convenant à l'enfant et aux deux parents.

- La sixième recommandation propose :

· que le juge, avant de statuer, prenne en considération non seulement "l'aptitude de chacun des parents à assumer ses devoirs et respecter les droits de l'autre", mais aussi l'aptitude de chacun des parents à favoriser et à respecter, au quotidien, la place de l'autre parent dans la vie de l'enfant ;

· et que pour plus d'égalité entre les parents, "tout changement de résidence de l'un des parents, dès lors qu'il modifie les modalités d'exercice de l'autorité parentale" doit faire l'objet non seulement d'une information, mais aussi d'un accord préalable de l'autre parent.

La rapporteure, sur le premier point, a considéré important que chaque parent, dans la vie quotidienne, puisse faire respecter et valoriser auprès de l'enfant la place de l'autre parent, afin d'éviter son rejet par l'enfant. Cette attitude devrait être prise en compte par le juge avant de statuer.

Sur le deuxième point, Mmes Marie-Thérèse Boisseau, Marie-Jo Zimmermann et Danielle Bousquet ont exprimé leur désaccord, estimant que l'accord préalable de l'autre parent serait difficile à obtenir pour des raisons pragmatiques, notamment de mutations professionnelles, et que l'information préalable telle que prévue à l'article 373 devrait suffire.

La Délégation, avec l'accord de la rapporteure, a supprimé ce deuxième point de la sixième recommandation.

- En ce qui concerne la septième recommandation, selon laquelle le juge doit rappeler aux parents leurs devoirs vis-à-vis de l'enfant (visite, suivi de la santé, de l'éducation, entretien ...) indépendamment du paiement d'une pension alimentaire, la rapporteure a précisé que la pension alimentaire ne dispensait aucunement des devoirs attachés à l'autorité parentale.

- La huitième recommandation précise qu'à la naissance de l'enfant, les parents, en particulier le père, devront être informés de leurs droits et devoirs au titre de l'autorité parentale et de la nécessité préalable de reconnaître l'enfant pour établir la filiation. En tout état de cause, la mère devra être informée de la reconnaissance de l'enfant par le père.

Mmes Martine Lignières-Cassou, présidente, et Danielle Bousquet ont approuvé ces dispositions et souligné l'importance pour la mère d'être informée de la reconnaissance du père, s'il n'y a pas eu de reconnaissance conjointe.

Valoriser la place des tiers

- La neuvième recommandation vise à une meilleure reconnaissance de la place du tiers qui prend l'enfant en charge, lors d'une délégation totale ou partielle de l'autorité parentale.

La rapporteure a indiqué qu'elle avait ainsi souhaité que soit mieux reconnu, lorsqu'il y a reconstitution d'un foyer, le rôle du beau-père qui souvent élève l'enfant depuis la séparation des parents.

Mmes Martine Lignières-Cassou, présidente, et Danielle Bousquet ont souhaité que le tiers qui peut faire l'objet d'une délégation de l'autorité parentale soit bien précisé.

Mme Marie-Thérèse Boisseau a relevé qu'au cours de la vie de l'enfant, plusieurs beaux-pères pouvaient se succéder.

La rapporteure a répondu qu'il appartiendrait alors au juge de décider éventuellement de nouvelles délégations.

Mieux soutenir la nouvelle autorité parentale par des mesures d'accompagnement

- La onzième recommandation attire l'attention sur les coûts économiques des nouvelles modalités d'exercice de l'autorité parentale. La société doit réfléchir aux moyens de mieux prendre en charge ces conséquences économiques et sociales, qui pèsent principalement, selon la rapporteure, sur les couples modestes. La mise en _uvre de la résidence en alternance a un coût et profite actuellement davantage aux couples aisés.

- Selon la douzième recommandation, les conséquences psychologiques sur l'enfant impliquées par les nouveaux modes d'exercice de l'autorité parentale, notamment le choix de la résidence, doivent être étudiées. Des recherches scientifiques approfondies devraient être conduites, afin d'évaluer, depuis la loi de 1993, les effets de ces situations nouvelles sur le développement de l'enfant.

- La treizième recommandation suggère l'établissement de barèmes indicatifs de référence, calculés à partir des revenus du débiteur de la pension alimentaire, qui devrait aider les parents à mieux répartir entre eux les charges de l'entretien et de l'éducation des enfants, et permettre plus facilement d'aboutir à des accords entre parents susceptibles d'homologation.

La rapporteure a constaté en effet que le niveau des pensions alimentaires peut varier du simple au double d'un département à l'autre. Une unification des procédures d'évaluation des pensions serait une mesure de justice.

- Par la quatorzième recommandation, la rapporteure a voulu conférer à la mission d'éducation confiée à l'autorité parentale, un rôle d'insertion de l'enfant dans la société, complétée par une mission de préparation à la citoyenneté.

La rapporteure a accepté une modification rédactionnelle de cette recommandation, tout en maintenant une sensibilisation à la citoyenneté.

- La quinzième recommandation insiste sur la nécessité de mettre en place, de façon décentralisée, une formation des parents à la parentalité, à la vie familiale, à l'éducation de l'enfant et à son intégration dans la cité.

La Délégation, tenant compte des observations faites et des modifications proposées a adopté l'ensemble des recommandations. Mme Marie-Thérèse Boisseau n'a pas pris part au vote. Mme Marie-Jo Zimmermann, tout en étant globalement favorable aux recommandations, n'a pas pris part au vote, souhaitant se laisser un temps de réflexion.

RECOMMANDATIONS ADOPTÉES
PAR LA DÉLÉGATION

Mieux affirmer les droits de l'enfant

1. La convention internationale relative aux droits de l'enfant devrait faire l'objet d'une meilleure insertion dans notre droit interne, et certains principes qu'elle énonce repris dans le code civil, comme la prise en compte de la notion de "l'intérêt supérieur" de l'enfant dans l'exercice de l'autorité parentale et dans l'intervention du juge.

Dans le même esprit, il faudrait instaurer, à titre symbolique, dans l'article 371 du code civil, une véritable réciprocité dans l'"honneur" et le "respect" que doivent se porter mutuellement parents et enfants.

Renforcer et préciser la médiation familiale et la médiation judiciaire

2. Le rôle de la médiation familiale doit être précisé. Cette médiation doit être favorisée et encadrée dans la recherche d'une convention entre les parents susceptible d'homologation par le juge. Les missions et la formation des personnels qui en sont chargés doivent être mieux définies.

3. Le recours à la médiation judiciaire doit être précisé, et levée l'ambiguïté entre une simple incitation à la médiation ou une obligation que pourrait imposer le juge en cas de désaccord des parents.

En cas de refus des parents d'accepter la médiation, ceux-ci devront être convoqués à nouveau devant le juge dans le délai maximum d'un mois pour la poursuite de la procédure.

Les structures de la médiation judiciaire doivent être mises en place de toute urgence auprès des tribunaux où elles n'existent pas. En tout état de cause, elles doivent être soutenues et renforcées.

Mieux prendre en compte l'intérêt de l'enfant dans la décision du juge

4. Dans le souci de l'intérêt de l'enfant, après homologation de la convention ou décision du juge sur les modalités de l'exercice de l'autorité parentale, celui-ci peut ordonner qu'une enquête sociale soit diligentée en vue de s'assurer du bien-fondé de la décision quant aux conséquences sur le développement de l'enfant.

Dans le même souci, le juge, avant de statuer sur les modalités de l'exercice de l'autorité parentale, peut se faire assister par un pédopsychiatre, s'agissant d'enfants trop jeunes pour exprimer leurs sentiments dans les conditions prévues à l'article 388-1 du code civil.

Affirmer la coparentalité

5. Le principe de l'exercice en commun par le père et la mère de l'autorité parentale - la coparentalité - n'implique pas, comme solution au choix de résidence de l'enfant, la seule alternative entre une résidence de l'enfant au domicile de l'un des parents et une stricte résidence en alternance chez chacun d'eux. La plus grande souplesse doit être recherchée dans les modalités d'hébergement partagé de l'enfant entre les deux parents.

6. Afin de promouvoir le principe de coparentalité, le juge prend en considération avant de statuer, non seulement "l'aptitude de chacun des parents à assumer ses devoirs et respecter celui des droits de l'autre", mais aussi l'aptitude de chacun des parents à favoriser et à respecter, au quotidien, la place de l'autre parent dans la vie de l'enfant.

7. Il appartient au juge de rappeler aux parents leurs devoirs vis-à-vis de l'enfant (visite, suivi de la santé, de l'éducation, entretien...), indépendamment du paiement d'une pension alimentaire.

8. A la naissance de l'enfant, les parents, en particulier le père, devront être informés de leurs droits et devoirs au titre de l'autorité parentale et de la nécessité préalable de reconnaître l'enfant pour établir la filiation. En tout état de cause, la mère devra être informée de la reconnaissance de l'enfant par le père.

Valoriser la place des tiers

9. La délégation, totale ou partielle, de l'autorité parentale devra s'accompagner de l'élaboration d'une meilleure reconnaissance de la place du tiers qui prend l'enfant en charge, afin notamment de favoriser la collaboration entre parents et tiers, élargir les possibilités de prise en charge de l'enfant par le tiers, par exemple en cas de décès de l'un des parents, assouplir en cas de séparation les conditions d'octroi d'un droit de visite et d'hébergement.

10. Le droit de l'enfant à entretenir des relations personnelles avec ses grands-parents, ainsi qu'avec ses frères et s_urs doit être affirmé.

Mieux soutenir la nouvelle autorité parentale par des mesures d'accompagnement

11. La séparation et les nouvelles possibilités d'organiser l'exercice de l'autorité parentale, notamment la résidence en alternance, ont un coût, qui pèse davantage sur les milieux modestes. La société doit réfléchir aux moyens de mieux prendre en charge les conséquences économiques et sociales de la séparation, du point de vue du logement, de la sécurité sociale, des transports, de l'éducation et des pratiques administratives et fiscales.

12. Les conséquences psychologiques sur l'enfant impliquées par les nouveaux modes d'exercice de l'autorité parentale, notamment le choix de la résidence, doivent être étudiées. Des recherches scientifiques approfondies devraient être conduites, afin d'évaluer, depuis la loi de 1993, les effets de ces situations nouvelles sur le développement de l'enfant.

13. L'établissement de barèmes indicatifs de référence, calculés à partir des revenus du débiteur de la pension alimentaire, devrait aider les parents à mieux répartir entre eux les charges de l'entretien et de l'éducation des enfants, et permettre plus facilement d'aboutir à des accords entre parents susceptibles d'homologation.

14. La mission d'éducation de l'enfant confiée à l'autorité parentale doit être complétée dans une perspective d'insertion citoyenne de l'enfant dans la société.

15. Parallèlement à la formation des professionnels de la petite enfance, doit se mettre en place, de façon décentralisée, une formation des parents à la parentalité, à la vie familiale, à l'éducation de l'enfant et à son intégration dans la cité.

--____--

ANNEXE

COMPTES RENDUS DES AUDITIONS
DE LA DÉLÉGATION

 

Personnalités auditionnées par la Délégation

   

Pages

29 mai

- M. Philippe Troncin, président de l'association "Allo papa - Allo maman" et Mme Marie-Luce Iovanne-Chesneau, présidente de l'association "L'enfant et son droit"

33

 

- M. Hugues Fulchiron, professeur à l'université Jean-Moulin, Lyon III, directeur du Centre de droit de la famille

45

 

- Me Claire Hocquet, avocate à la cour d'appel de Paris

59

 

- M. Michel Yahiel, inspecteur général des affaires sociales

75

 

Personnalités auditionnées par la rapporteure (*)

 
   

30 mai

- Me Muriel Laroque-Ruelle, avocate à la cour d'appel de Paris

 
 

- M. Alain Bruel, ancien président du tribunal pour enfants de Paris

 
 

- M. Benoît Bastard, sociologue au CNRS

 
 

- Professeur Philippe Jammet, pédopsychiatre à l'Institut
mutualiste Montsouris

 
 

(*) Ces auditions n'ont pas fait l'objet de comptes rendus.

 

Audition de représentants des associations "Allo papa - Allo maman" et "L'enfant et son droit"

Réunion du mardi 29 mai 2001

Présidence de Mme Martine Lignières-Cassou, présidente

Mme Martine Lignières-Cassou : Nous avons le plaisir d'accueillir aujourd'hui des représentants des associations "Allo papa - Allo maman" et "L'enfant et son droit" : M. Philippe Troncin, président de l'association "Allo papa - Allo maman", M. Bertrand Lequien, secrétaire général, Melle Marlène L'Hostis, ainsi que Mme Marie-Luce Iovanne-Chesneau, présidente de l'association "L'enfant et son droit", M. Louis-Albert Steyaert, vice président, et Mme Soaze Le Bras, adhérente.

Je voudrais préciser que Mme Chantal Robin Rodrigo sera rapporteure de la Délégation sur la proposition de loi relative à l'autorité parentale déposée le 18 mai dernier par le groupe socialiste.

M. Philippe Troncin : Nous sommes honorés de pouvoir vous exposer nos propositions en faveur de l'égalité parentale et de la coparentalité en matière familiale.

Notre objectif est de vous convaincre aujourd'hui des bienfaits, de la nécessité, voire de l'urgence d'inscrire dans la loi la résidence paritaire, si au moins l'un des parents la demande ou souhaite l'appliquer, ainsi que d'inscrire son corollaire : la médiation familiale.

Pour mémoire, la médiation familiale a pour but, d'une part, la pacification des conflits qui apparaissent souvent lors des séparations et, d'autre part, l'élaboration d'un protocole d'accord fondé sur la mise en place du plan de vie de l'enfant par les parents, et le cas échéant avec l'enfant. En somme, de faire en sorte que la parentalité demeure après rupture de la conjugalité.

La résidence paritaire a pour objet de permettre aux enfants d'être élevés et éduqués par leurs deux parents, comme l'édictent les traités internationaux, notamment la convention internationale des droits de l'enfant.

Le partage équitable du temps de l'enfant avec ses deux parents pourrait même servir de modèle pour les couples, chaque parent pouvant s'occuper de son enfant de façon équilibrée avec une juste répartition des tâches. A fortiori, ces dispositions permettent à la parentalité de s'exercer quant cesse la conjugalité.

Ainsi, la résidence paritaire permet d'être en accord avec les chartes nationales et internationales qui ne sont pas toujours appliquées dans ce pays.

Notre association est paritaire avec 30 % de femmes et 70 % d'hommes. Son objectif, c'est que l'enfant garde le lien avec ses deux parents.

Notre mouvement est issu initialement d'un mouvement lancé par les papas dans les années soixante ; le premier papa, Marc Droulez, a fait des études de droit pour essayer de comprendre le problème.

Dans les années soixante-dix, est créée la première association : la DIDHEM et sont publiés les premiers ouvrages sur le sujet, notamment "Le livre noir du divorce", avec les premières réactions de personnes qui se révoltent contre le fait d'être privé d'un enfant.

Ensuite, le MEP (Mouvement égalité parentale) publie plusieurs ouvrages dont celui de Frank Méjean : "Ces pères divorcés de leurs enfants" ; ce père, avocat, a été le premier à obtenir une résidence alternée en 1981.

Dans les années quatre-vingts dix, quatre structures importantes émergent. Deux créent ou s'inscrivent sur des listes politiques : "Enfant et son droit", "SOS papa". Deux associations "Condition paternelle" et "Condition masculine" sont issues de l'éclatement du MEP. "Condition masculine" rassemble les avocats du MEP avec Me Leenhardt ; "Condition paternelle" regroupe ceux qui ont évolué vers la médiation familiale avec M. Stéphane Ditchev.

Actuellement, on assiste à une éclosion d'associations dans pratiquement toutes les villes de France, qui se recomposent en partie du fait des propositions du Gouvernement en deux groupes : d'une part, le groupe strictement humanitaire regroupant le "Collectif parentalité", dont nous faisons partie et les associations spécialisées "SOS enlèvement.." ; d'autre part, le groupe corporatiste regroupant les groupes de médiateurs comme "Condition paternelle" et les groupes rassemblant des avocats comme "Condition masculine".

Plusieurs textes fondamentaux doivent être respectés :

- la Déclaration universelle des droits de l'homme qui affirme que "l'homme et la femme, sans aucune restriction quant à la race, la nationalité ou la religion, ont le droit de se marier et de fonder une famille. Ils ont des droits égaux au regard du mariage, durant le mariage et lors de sa dissolution." ;

- la Convention internationale des droits de l'enfant selon laquelle :

"Art. 2.1 : Les Etats parties s'engagent à respecter les droits qui sont énoncés dans la présente convention et à les garantir à tout enfant relevant de leur juridiction, sans distinction aucune, indépendamment de toute considération de race, de couleur, de sexe, de langue, d'opinion publique ou autre de l'enfant ou de ses parents. (...)"

"Art. 3.1 : Dans toutes les décisions qui concernent les enfants (...) l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale."

"Art. 7.1 : L'enfant est enregistré aussitôt après sa naissance et, dès celle-ci, a le droit (...) de connaître ses parents et d'être élevés par eux."

"Art. 9.1 : Les Etats veillent à ce que l'enfant ne soit pas séparé de ses parents contre leur gré (...)."

"Art. 9.3 : Les Etats parties respectent le droit de l'enfant séparé de ses deux parents ou de l'un d'eux à entretenir régulièrement des relations personnelles et des contacts avec ses deux parents (...)."

L'intérêt fondamental de l'enfant est de disposer de sa filiation naturelle dès sa naissance et d'être élevé et éduqué par ses deux parents en couple ou séparés. Nous tirons de ces dispositions les principes fondamentaux suivants :

- l'enfant a besoin de s'inscrire dans ses deux lignées parentales ;

- cette inscription n'est possible que dans la quotidienneté ;

- la parentalité doit pouvoir fonctionner en dépit de la rupture de conjugalité ;

- le rôle des institutions est de créer un cadre favorable à la pacification des séparations et à l'exercice d'une parentalité sereine.

Nous menons donc une action pour les enfants ainsi que pour l'égalité homme/femme et la parité.

Nous avons interrogé des élus qui nous ont demandé de leur expliquer la situation. Nous avons été inquiets d'entendre parler du droit des tiers qui viendrait se substituer au parent exclu.

La situation actuelle est caractérisée par un déséquilibre des pouvoirs, ainsi que par l'existence d'un parent principal, d'un parent secondaire et d'un enfant otage.

Dans la situation actuelle des parents séparés ou divorcés, la famille est monoparentale et il y a un célibataire, puisque le parent secondaire redevient célibataire. Le parent principal qui a la charge de l'enfant, est aidé par l'institution ; pour le parent secondaire, on constate une déperdition du lien relationnel avec l'enfant, un RMI affectif, une marginalisation et le maintien d'une contribution financière au parent principal.

Il y a quelques mois, une recomposition était proposée autour du parent principal, avec l'émergence du tiers qui va aider le parent principal, toujours aidé par l'institution, à assumer la charge de l'enfant. Le rôle du parent principal se renforce donc au détriment du parent secondaire qui risque un affaiblissement de son lien relationnel, la rupture, voire l'exclusion, mais qui continue à apporter une contribution financière.

La situation vers laquelle nous voulons tendre et que nous appelons, non pas la bonne solution, mais la situation optimale, c'est-à-dire la moins mauvaise, est un équilibre des pouvoirs avec deux parents co-responsables, une famille parentale stable et ouverte et la sérénité pour tous. Dans cette coparentalité, l'enfant continue à être élevé par ses deux parents à durée égale et l'institution aide les deux parents. Le rôle des tiers est pris en compte, puisque le papa et la maman peuvent avoir une nouvelle vie avec un tiers, quel qu'il soit.

Nous estimons que cette recomposition est équilibrée, que les deux parents peuvent refaire leur vie sans surinvestir ou perdre leur enfant. Dans ce cas, les tiers éventuels ont un rôle clair. Ce système permet le maintien de la famille parentale. Il y a rupture de la conjugalité, mais stabilité de la parentalité. On se retrouve donc avec deux familles monoparentales dont la monoparentalité est plus équilibrée.

Si on analyse l'histoire des mentalités, on s'aperçoit qu'à l'époque médiévale, il y avait à la fois coresponsabilité parentale (cf. les ouvrages de Didier Lett sur la famille au Moyen Age), et monoparentalité naturelle lorsqu'il y avait décès du conjoint.

A l'époque moderne, au XVIème siècle, le code noir de l'esclavage fait obligation au père d'abandonner l'enfant à la mère. Par ailleurs, il y a disqualification de la mère, qui se trouve reléguée aux tâches domestiques.

A l'époque contemporaine, subsistent plusieurs modèles :

- un modèle archaïque laissé par les siècles précédents : homme pourvoyeur, femme domestique ;

- une monoparentalisation artificielle, puisqu'elle existe alors que le conjoint est vivant, alors qu'au Moyen-Age elle n'existait que lorsqu'il était mort ;

- une parité parentale : femme active, nouveau père.

Ce dernier modèle a pour conséquences :

- la parité professionnelle, à laquelle nous souscrivons entièrement ;

- la parité en politique à laquelle nous souscrivons et en faveur de laquelle nous prenons position ;

- la parité familiale et parentale.

La résidence paritaire est une tendance sociétale lourde que nous avons vu apparaître depuis longtemps et que nous allons vous exposer au travers de trois enquêtes :

- un sondage du Pèlerin Magazine de 1993 ;

- le référendum Parité parentale de septembre 2000 ;

- les résultats de l'opération pétition "proposition de loi" du 25 mai 2001 (500 signatures collectées en 3 heures).

En ce qui concerne le sondage du Pèlerin Magazine de 1993 :

A la question posée aux hommes : "En cas de divorce ou de séparation, si vous aviez des enfants, demanderiez-vous que leur garde vous soit confiée ?", 54 % des hommes répondent oui.

A la question posée aux femmes : " En cas de divorce ou de séparation, si vous aviez des enfants, accepteriez-vous que le père en ait la garde ?", pratiquement la moitié répond oui également.

La réalité fait cependant apparaître un différentiel. Nous avons donc essayé de comprendre pourquoi et de l'analyser. Nous avons fait un référendum à Montpellier, lors de la "Foire aux associations" en septembre 2000. Les gens sont venus spontanément sur notre stand. Nous leur avons posé deux questions de façon neutre. 70 personnes ont accepté de répondre au cours de l'après-midi :

A la question : "Seriez-vous favorable, en cas de séparation ou de divorce, à la médiation familiale ?", 95,1 % des gens sont d'accord.

Quant à la résidence paritaire, à la question : "Souhaiteriez-vous que la résidence paritaire soit la règle en matière familiale ?", 85,2 % des gens se disent d'accord avec cette proposition.

Nous ne pouvons cependant pas tirer d'enseignement de ces 70 réponses.

Vendredi 25 mai 2001, nous avons fait un sondage place de la Comédie à Montpellier de 14 heures à 16 h 30. Plus de 500 personnes ont souscrit aux propositions suivantes. Nous sommes d'ailleurs les premiers surpris de cet engouement qui a concerné des hommes, des femmes, des personnes de tous âges et des étrangers.

Ces propositions soumises à pétition étaient les suivantes :

"L'enfant a le droit d'être élevé par ses deux parents, qu'ils soient en couple ou séparés."

"La résidence alternée est ordonnée si un des parents la demande, sauf meilleur accord des parties."

"La résidence alternée est systématiquement appliquée dès la première ordonnance de non-conciliation jusqu'au jugement."

"La médiation familiale doit toujours être ordonnée en premier en cas de conflit."

C'est un discours que nous tenons depuis longtemps aux élus que nous rencontrons. Nous estimons que la résidence paritaire est un vraie occasion de réconciliation entre la nation et la justice. Or, nous constatons un hiatus entre les décisions judiciaires et l'opinion.

En ce qui concerne la résidence de l'enfant, selon la répartition actuelle, elle est de 86 % chez les femmes et de 14 % chez les hommes.

Les deux causes principales en sont l'obligation faite au juge de fixer la résidence habituelle de l'enfant chez un des deux parents et le choix préférentiel selon le sexe.

La proposition de loi va-t-elle apporter des changements ? Va-t-elle permettre de faire évoluer les séparations de parents vers plus de pacification, plus de parité ?

Globalement, nous pensons que non, parce que la loi est muette sur les conséquences pratiques de la définition de l'intérêt supérieur de l'enfant et que le juge ne peut qu'utiliser son propre référentiel de valeurs pour décider.

C'est un référentiel de valeurs qui a été analysé dans la seule étude réalisée en France, celle de Gérard Neyrand, sociologue à l'université d'Aix-en-Provence. En 1994, il a interrogé des magistrats et des avocats sur la notion de résidence alternée. Deux magistrats sur vingt la jugent envisageable ; neuf sont réticents, et neuf sont hostiles. Quant aux avocats, six l'envisagent et quatre sont réticents.

S'agissant de la résidence paritaire, nous voulons combattre un certain nombre d'idées reçues et affirmer des principes clairs.

Première idée reçue : "C'est perturbant pour les enfants" ; les études montrent que c'est au contraire stabilisant pour les enfants ; aucune étude n'a jamais montré que c'était perturbant pour eux.

Deuxième idée reçue : "L'enfant a besoin d'un parent et d'un lieu de vie". En réalité, l'enfant a besoin de ses deux parents ; les chartes et le bon sens vont dans ce sens.

Sur la troisième idée reçue : "Les deux parents doivent être d'accord", les études réalisées en Californie et en Suède montrent qu'une fois la résidence paritaire instaurée et le conflit dénoué, le rythme est pris et les choses se passent bien.

Autre idée reçue : "La résidence paritaire oui, mais pas pour les petits." Au contraire, c'est très jeune que se fait l'imprégnation parentale. Freud l'a dit et les psychanalystes le disent. Cela marche pour les animaux ; on ne voit pas pourquoi cela ne marcherait pas pour les hommes.

Enfin, dernière idée reçue : "La résidence paritaire, c'est une semaine chez l'un, une semaine chez l'autre". En réalité, la résidence paritaire, c'est le même temps annualisé passé chez l'un et l'autre. La fréquence dépend de l'âge et de la distance et peut être négociée dans le cadre de la médiation familiale.

Pourquoi cela ne peut-il pas se mettre en place alors que les gens semblent d'accord a priori ?

Platon, dans la République, disait qu'un enfant peut comprendre le sens d'un conte, mais ne saisira jamais l'intention du conteur. Etymologiquement, Infans signifie celui qui ne parle pas. Or, on veut faire parler ceux qui ne parlent pas. C'est déjà contradictoire dans l'esprit.

Voici quelques témoignages de notre entourage ou de nos adhérents :

M. Domas, haut fonctionnaire assermenté, est révolté parce qu'ayant été convoqué chez le juge en 1998, celui-ci lui a dit que son enfant avait été entendu par un avocat et qu'il ne voulait pas aller avec lui. Il n'a pas revu son enfant. Sans lui en expliquer les raisons, on lui a dit que son enfant ne voulait pas le voir ; l'enfant avait donc été entendu sans que le père le sache !

Deux jugements récents :

En mars dernier, l'un de nos adhérents est sorti de chez lui. Une heure plus tard, la serrure avait été changée ; il n'a jamais pu rentrer chez lui, ni récupérer ses affaires. On lui a lancé son portefeuille par la fenêtre. Son enfant avait quatre mois à l'époque, il a sept mois aujourd'hui. Le père est allé au tribunal et, sur notre conseil, a demandé la résidence alternée afin de voir fixer pour l'enfant une résidence alternée une semaine sur deux chez chacun de ses parents. Il demandait en subsidiaire d'avoir un droit de visite et d'hébergement classique.

Le juge a décidé que l'enfant résiderait à titre habituel auprès de sa mère et que le père bénéficierait du droit de visite. Il a donc son enfant deux heures tous les quinze jours jusqu'à la fin de l'année, quatre heures l'année prochaine, et à partir d'octobre de l'année prochaine, une soirée en plus tous les quinze jours. Quand son fils fêtera ses vingt ans, le père aura vu son fils dix-huit mois... et aura donné 240 000 F de pension alimentaire. Peut-on élever un enfant dans ces conditions ?

Autre jugement : Un responsable de l'association "Le parti des enfants" de Dijon était d'accord avec son épouse pour demander la résidence alternée. Le juge a débouté les deux parents de leur demande tendant à voir fixer la résidence de leurs enfants tantôt au domicile de leur père, tantôt à celui de leur mère. Dans ce cas, le juge a donc refusé cette solution, alors que les deux parents étaient d'accord !

Avec ce long développement, il nous a semblé important de souligner l'intérêt de l'enfant et de montrer la divergence entre les décisions des juges qui veulent absolument un parent et la demande sociale qui souhaite généralement deux parents.

Nous avons regardé la situation des pays voisins, notamment les pays réputés "les plus évolués" en matière de la résidence alternée pour voir comment pouvait se positionner la proposition française par rapport à ces pays : Californie et Suède.

En Suède  : en 1974, le congé parental aux deux parents a été institué, et, en 1977, il y a eu possibilité de garde conjointe, si les parents étaient d'accord ; la résidence alternée y est généralisée depuis 1998.

En Californie, en 1970, le divorce sans faute a été institué et, en 1979, il y a eu légalisation de la garde conjointe (joint custody), c'est-à-dire résidence habituelle partagée, autorité parentale partagée, pas de préférence de sexe, encouragement à la médiation familiale, soumission d'un plan d'organisation de la garde.

La France a au moins vingt ans de retard par rapport aux autres pays. Il y a eu cependant des modifications en Californie et en Suède consistant à inciter davantage les parents à la médiation et à encadrer de plus en plus les juges.

En 1997, en Suède, seuls 10 % des enfants de onze ans bénéficiaient de la résidence alternée. Avec les mêmes propositions chez nous, il n'y a pas de raison qu'en 2020, plus de 10 % des enfants bénéficient de la résidence alternée.

En Suède, en l'an 2000, l'objectif de la fondation du Forum des femmes était celui-ci : droits égaux des hommes et des femmes dès la naissance de l'enfant, application stricte de la convention internationale des droits de l'enfant quant au droit de l'enfant à ses deux parents, c'est-à-dire une égalité père/mère la plus évoluée possible.

En Californie, des études ont été faites sur les enfants pratiquant la garde alternée depuis vingt ans. Cela se passe très bien. En revanche, cela a eu pour corollaire le développement de fausses allégations d'abus sexuels. On constate également une satisfaction de la pratique de la résidence alternée, même en cas de conflit parental. Cela a été une découverte pour nous : même les enfants, en cas de conflit parental, préfèrent continuer à voir les deux plutôt que d'être privés d'un parent.

En conclusion, pour nous, la résidence paritaire est :

- un levier concret et efficace d'évolution des mentalités dans notre pays ;

- un accélérateur de parité dans tous les domaines ;

- un pacificateur des conflits parentaux ;

- un outil de rééquilibrage de l'autorité parentale ;

- un stabilisateur social ;

- une occasion pour les femmes et les hommes d'investir de nouveaux champs d'actions, en permettant de dégager du temps pour la maman tout en permettant au papa d'élever l'enfant ;

- un réducteur des coûts sociaux (40 à 120 milliards de francs pour les dysfonctionnements familiaux (selon le rapport de la mission Gisserot, dans le cadre de la conférence de la famille de 1996) ;

- un enjeu politique réel.

M. Bertrand Lequien :A peu près un million de personnes par an passent dans cette mécanique.

M. Philippe Troncin : Une tranche d'âge passe en justice tous les ans : il y a 120 000 divorces et 200 000 référés, soit 3 à 400 000 couples qui vont au tribunal, soit au total 800 000 personnes. Sans parler des grands-parents qui sont aussi en demande.

Pour conclure, nous vous remettons des documents concernant l'analyse suédoise à laquelle j'ai fait référence tout à l'heure, une étude de trois pages sur la loi californienne et l'ouvrage de Gérard Neyrand - que je considère fondamental - sur la résidence alternée.

Mme Marie-Luce Iovanne-Chesneau : Je vous distribue un document qui reprend notre travail principal, à savoir une proposition de loi que nous avons rédigée sur ce que nous appelons la RAP (résidence alternée paritaire) qui, pour nous, est un élément et un outil fondamental. Ce n'est pas au moment de la séparation qu'il faut penser résidence paritaire, mais au moment de la conception de l'enfant. C'est donner, dès le début de la volonté de donner la vie, de véritables droits et devoirs égaux aux deux parents. C'est-à-dire aussi bien l'investissement du père que de la mère et une véritable volonté d'aller jusqu'au bout.

Cette proposition de loi s'inscrit plus particulièrement dans le cadre de la séparation parentale, mais elle n'est pas exhaustive et elle est applicable à tout le monde.

Je vous remets également un document sur lequel nous avons travaillé. Nous avons été entendus par Mme Marie-Christine George, conseillère technique au cabinet de Mme Ségolène Royal, dans le cadre des réflexions menées sur l'autorité parentale. Certaines de nos propositions ont été introduites dans le document final, qui traite plus particulièrement de la nécessité, pour la société, d'établir l'égalité, de ne pas laisser vide cette coquille qu'est l'autorité parentale et de lui donner une réalité.

Je vous remets également un document sur l'assurance maladie qui fait également partie de ces priorités, ainsi que notre commentaire sur la proposition de loi n° 3074 relative à l'autorité parentale.

Nous estimons qu'en l'état actuel, elle pourrait être une avancée, mais qu'elle est bien trop timide. Elle ne fait qu'ajouter à la confusion de ce qui existe déjà. Nous croyons qu'il faut prendre les choses à bras-le-corps, repenser de fond en comble le rôle de parent, la volonté d'être parent, la façon de s'inscrire dans ce rôle de parent et la manière d'élever nos enfants. C'est cela qu'il faut repenser plutôt que de vouloir traiter un problème de combat homme-femme, père-mère.

M. Louis-Albert Steyaert : Nous avons été agréablement surpris par cette proposition de loi, notamment par son exposé des motifs. Il témoigne d'un souci de modération et de rétablissement des équilibres.

Actuellement, nous sommes dans une situation de crise terrible. Nous sommes confrontés à deux phénomènes importants dont nous n'avons pas mesuré toutes les conséquences. Premièrement, la plupart des parents ne vieilliront pas ensemble. Deuxièmement, la plupart des parents vont se séparer avant la majorité de leur enfant.

On ne peut continuer de statuer ainsi sur les séparations parentales, alors que ce problème deviendra majoritaire - comme Mme Marylise Lebranchu, ministre de la justice - le reconnaissait dans son discours du 4 avril dernier. Le recours aux contentieux les plus extrêmes, les accusations les plus folles, cette masse de souffrance qui pousse les uns à accuser, les autres à s'enfuir ou à contre-attaquer de façon violente : tout cela suffit. Dans cette proposition de loi qui comporte d'excellentes dispositions, il n'y a cependant pas les outils qui puissent faire cesser ce désordre considérable.

Il y a deux types de divorces : un divorce politiquement correct - "social-démocrate" dirait Michel Houellebecq - avec des parents qui s'entendent, et un autre, celui des pauvres et des fous qui vont continuer à s'affronter, soit pour des raisons financières parce qu'ils sont en situation précaire, soit parce qu'ils ont décidé d'aller jusqu'au bout et que dans ce pays, on a les moyens de le faire si on le veut. On trouve à sa disposition des conseils auprès d'avocats qui ne sont pas toujours animés du souci de déontologie - c'est le moins que l'on puisse dire - et des juges qui se font l'instrument de ce système de vengeance.

Il faut en finir avec ce système. Nous avons de bons arguments qui seraient trop longs à développer. Si vous êtes intéressés, je vous suggère une seconde rencontre sur la question de la résidence paritaire. C'est la première fois que l'on en parle en France ; nous sommes en retard par rapport à d'autres pays. Il faut rendre hommage aux parents, en particulier aux femmes, qui acceptent la résidence paritaire. C'est une preuve de grande générosité de nos jours. Ils le font de façon très discrète parce qu'ils veulent préserver pour leurs enfants un peu de leur intimité et de leurs secrets. Voilà pourquoi il n'y a pas de déclaration tonitruante sur la garde alternée.

Notre document expose quelques-unes de nos propositions, article par article. En particulier, nous proposons de ne pas laisser le juge décider seul, d'élaborer un budget global pour l'enfant qui serait ensuite réparti entre chacun des parents et de statuer dès la première audience sur les mesures qui permettront de stabiliser le conflit et à la médiation de développer toutes ses potentialités.

Melle Marlène L'Hostis : Je pratique la garde alternée. Ma mère habite à Montpellier et mon père à Rennes. Je passe toutes les vacances avec mon père et je reviens pour l'année scolaire chez ma mère. Cela se passe vraiment très bien. Il y a quelques années, j'ai fait le contraire et j'ai vécu chez mon père en périodes scolaires et chez ma mère pour les vacances.

Mme Chantal Robin-Rodrigo : Qu'entendez-vous par médiation familiale ? Médiation est un mot à la mode. Il n'y a cependant pas de spécialiste bien déterminé. Qui est le médiateur ? Où commence la médiation ? Quelle latitude lui donne-t-on ?

Mme Marie-Thérèse Boisseau : Dans vos conclusions sur la résidence paritaire, vous parlez de tout, sauf de l'enfant.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Vous proposez un régime quasi systématique. Cela me fait toujours un peu peur, car cela ne tient pas toujours compte de la réalité de chacun, qui peut être différente. Vous avez parlé des droits égaux de l'homme et de la femme et du droit de visite. Comment définissez-vous les devoirs des parents, notamment par rapport au droit de visite et à son respect ? Cela me paraît tout aussi important que leurs droits.

La résidence alternée a-t-elle du sens quand l'un des deux conjoints ne s'est pas occupé de l'enfant avant la séparation ? C'est la raison pour laquelle le caractère systématique de la garde alternée me gêne s'il ne se fonde pas sur une réalité vécue avant la séparation.

Mme Soaze Le Bras : Je suis maman de deux petits garçons ; pour différentes raisons, je n'ai pas obtenu la garde de mes enfants. Mon ex-mari avait préparé un énorme dossier, et pas moi. Je suis tombée de très haut et je suis tombée très bas. Mon ex-mari ne s'était jamais occupé des enfants avant, et du jour au lendemain, il s'en est occupé quotidiennement sans que cela semble lui poser de problèmes. Il a sûrement dû affronter beaucoup de problèmes au quotidien, mais il semble bien vivre cela, beaucoup mieux que moi qui suis séparée de mes enfants. On m'avait fait croire que la garde alternée n'était pas possible si un seul des parents la voulait. Vu la façon dont lui s'en sort, c'est-à-dire relativement bien, cela aurait été la meilleure solution pour que je ne sois pas séparée de mes enfants et mes enfants orphelins de leur mère.

Mme Odette Casanova : Nous ne voulons pas de régime systématique, et nous ne voulons pas non plus que celui qui ne s'est jamais occupé de l'enfant puisse en avoir la garde.

Mme Soaze Le Bras :  Ce que je souhaite, ce n'est pas avoir la garde, c'est être en parité.

M. Louis-Albert Steyaert : C'est aujourd'hui que nous sommes dans le systématique ! Pour nous, la justice ne consisterait pas à ce que la garde soit confiée aux pères dans 50  % des cas. Actuellement, nous sommes dans un système qui fonctionne automatiquement et qui exclut un des parents.

On a entendu la réponse pleine de bon sens de Mme Soaze Le Bras. Elle ne s'insurge pas dans son discours sur le fait que le mari lui ait pris ses enfants. Encore qu'elle pourrait le faire à bon droit à notre avis. Je vous rappelle que le parent à qui on retire ses enfants peut protester à bon droit.

Il y a un début de reconnaissance de ce phénomène dans la question des enfants placés. Petit à petit, par le biais de cette question des enfants placés, on arrive à reconnaître la souffrance du parent et celle de l'enfant également avec ses conséquences en termes de déséquilibre. Bientôt, on verra dans les séparations parentales émerger ces mêmes concepts.

Par rapport à l'alternance, l'exemple qui vous est rapporté montre un père qui ne s'est pas du tout occupé de ses enfants avant la séparation et qui arrive parfaitement à s'en occuper, alors qu'il pouvait être absent du foyer. Absent du foyer ne signifie pas que l'on ne s'est pas occupé de ses enfants.

L'une des choses que l'on peut vivre dans ces séparations est que, justement, le moment de la séparation arrive quand on a le sentiment que l'on est seul avec ses enfants et que l'on ne représente pas l'autre parent. Petit à petit, le fait de réussir à surmonter ces difficultés de la séparation parentale se traduit par la réintroduction de la présence virtuelle du parent absent.

Cela fait dire que le fait que les parents ont eu des choix de vie ou des activités professionnelles qui les mettaient un peu à distance du foyer ne signifie pas du tout qu'ils ne s'y intéressaient pas, et encore moins, qu'ils n'auraient pas de compétence par rapport à cela. Le fait que la garde des enfants serait proportionnelle au nombre des vaisselles est une vision de la parité qui n'est pas à la hauteur de ce concept.

Mme Chantal Robin-Rodrigo : J'aimerais une réponse sur la médiation.

M. Philippe Troncin : Il existe des organismes de médiation au niveau national qui forment des médiateurs agréés.

Mme Chantal Robin-Rodrigo : Il n'y a pas de diplôme d'Etat en matière de médiation. Je pourrais être médiateur sans difficulté.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Il y a des formations à Toulouse, à Paris, excellentes par ailleurs. Mais il n'y a pas de diplôme d'Etat. Etre médiateur n'est pas un métier.

M. Louis-Albert Steyaert : Il faut faire en sorte que cela en soit un. Cela a été le cas très longtemps pour les psychologues avant qu'un DESS ne consacre ce métier. Cela ne les a pas empêchés de faire du bon travail. Il y a des ouvrages sur la médiation familiale. La médiation en général est un concept nord-américain. L'intérêt de la médiation est de permettre aux parents de prendre du recul et de se mettre un peu à la place de l'autre, à distance de certains professionnels de la justice et de leur brutalité parfois inouïe quand ils rendent leurs arrêts. Ce n'est pas au juge à réconcilier les époux.

M. Bertrand Lequien : Mme Soaze Le Bras s'est retrouvée dans la situation où ses enfants lui ont été enlevés. Je suis dans le même cas. La cour d'appel de Montpellier vient de décider que je devais renvoyer mon fils aîné dans un pays étranger, alors que la mère avait enlevé les trois enfants un an et demi auparavant. Pour pouvoir rassembler la fratrie, "on" dit qu'il est normal d'avoir enlevé les enfants et "on" a surtout le droit de faire appel, de rester à l'étranger en faisant appel d'une décision sans avoir jamais exécuté la première. Cela me paraît scandaleux. Si je n'obtempère pas, je risque de me retrouver avec les policiers à ma porte, de me faire prendre mon enfant, de le faire mettre dans un avion pour le renvoyer à l'étranger. Je précise que j'avais la garde des enfants et que la mère les a enlevés.

Mme Marie-Luce Iovanne-Chesneau : Je ne suis pas une femme privée de ses enfants. Je vis avec les miens et avec le père de mes enfants. Par rapport à d'autres, j'ai peut-être plus de bonheur au quotidien. Il faut cesser de poser le problème en termes de rivalité entre homme et femme.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : On ne l'a pas posé ainsi.

Mme Odette Casanova : Nous voulons la parité dans les ménages et dans le couple.

Mme Marie-Luce Iovanne-Chesneau : Je vous ai dit que l'idée de la résidence alternée n'intervient pas seulement au moment de la séparation, mais dès le projet d'avoir un enfant.

M. Louis-Albert Steyaert : Si vous voulez plus de parité avant la séparation, dans les rapports entre garçons et filles, il faut donner aux enfants des modèles d'identification différents de la famille monoparentale, où un parent s'épuise à tout faire à la maison et ou l'autre est absent, et contraint à s'enfuir.

Allons jusqu'au bout : ces modèles d'identification doivent s'inscrire dans la loi et s'exprimer dans les arbitrages des juges. C'est pourquoi nous proposons la tolérance. La bêtise et la méchanceté sont certainement les choses les plus paritairement partagées, mais on peut également trouver paritairement la tolérance et l'espoir que nos enfants ne vivront pas ces situations abominables. C'est ce que nous voulons leur transmettre.

Nous sommes des militants, inscrits dans la société, qui ont failli la remettre en cause quand on nous a menacés de nous prendre nos enfants.

J'ai eu la chance de pouvoir poursuivre une résidence alternée. Si j'avais été un papa de week-end (1-3-5), je ne suis pas sûr que je l'aurais exercé. Je ne sais pas ce que j'aurais pu faire avec mes enfants dans ce contexte. Je ne jette pas la pierre à ceux qui le font qui, à mes yeux, sont des héros. Pour ma part, j'aurais peut-être préféré ne plus les revoir.

Mme Marie-Luce Iovanne-Chesneau :  Le système 1-3-5, ce sont les premier, troisième et cinquième week-ends, c'est-à-dire majoritairement ce qui est jugé.

Mme Soaze Le Bras : C'est-à-dire 3 à 4 jours et demi par mois, après avoir vécu avec eux quotidiennement. C'est monstrueux !

Mme Odette Casanova : Nous sommes tout à fait d'accord. Nous voulons que cela soit réciproque. Nous considérons que des pères sont floués, mais aussi des mères. Tout se joue dans les deux sens.

Mme Marie-Luce Iovanne-Chesneau : Le grand perdant dans cette affaire est l'enfant.

Mme Chantal Robin-Rodrigo : Ce sont d'abord les enfants.

M. Louis-Albert Steyaert : Cette souffrance des enfants se mesure très bien, mais elle ne se dit pas encore, parce que la parole de l'enfant ne s'est pas encore libérée. Un jour, les enfants la raconteront. Ceux qui auront eu des responsabilités dans ces arbitrages auront aussi à rendre des comptes, mais c'est une autre affaire.

Si nous devions essayer de vous persuader d'une seule chose, c'est que nous faisons cela pour notre dignité, mais aussi dans l'intérêt de nos enfants. Croyez-moi, les câlins et les bisous le soir, je ne m'en serais jamais passé. Accepter de les voir une semaine sur deux n'a pas été simple, mais on s'y fait.

Melle Marlène L'Hostis : Je voudrais dire que je suis tout à fait d'accord avec eux : si on devait me couper de la présence de l'un des deux parents, je ne pourrais pas tenir, tant j'ai besoin des deux ! Il faut aussi penser à nous.

Audition de M. Hugues Fulchiron,

professeur à l'université Jean-Moulin, Lyon III,

directeur du Centre de droit de la famille

Réunion du 29 mai 2001

Présidence de Mme Martine Lignières-Cassou, présidente

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Nous avons le plaisir d'accueillir M. Hugues Fulchiron, professeur à l'Université Jean-Moulin Lyon III, qui a travaillé ces dernières années sur les problèmes du droit de la famille, et particulièrement sur l'autorité parentale, d'abord comme expert auprès de la commission présidée par Mme Irène Théry, puis auprès de Mme Marie-Christine George dans le groupe de travail de Mme Françoise Dekeuwer-Defossez, dont les rapports commandés par Mmes Martine Aubry et Elisabeth Guigou ont débouché sur d'importantes propositions de modernisation du droit de la famille.

Une nouvelle approche de l'autorité parentale entre les parents se fait jour dans le sens d'une confirmation et d'une valorisation de cette notion, dans le sens d'un partage de cette autorité et enfin vers une meilleure reconnaissance des droits de l'enfant.

Nous souhaiterions avoir votre opinion sur la proposition de loi relative à l'autorité parentale. Vous paraît-elle correspondre aux travaux du groupe de travail de Mme Françoise Dekeuwer-Defossez auquel vous avez participé ?

M. Hugues Fulchiron : Je souhaiterais aborder différents problèmes, notamment celui de la résidence alternée. Je vous livrerai quelques remarques personnelles sur la question, ainsi que les résultats d'une enquête que nous avons réalisée au Centre de la famille à Lyon, après l'adoption de la loi de 1993.

De façon très générale, cette proposition de loi me paraît être tout à fait opportune. Réformer l'autorité parentale, tel que le prévoit la proposition de loi, est nécessaire. Bien que l'autorité parentale soit une matière qui ait été retouchée à plusieurs reprises depuis 1970, certaines évolutions appellent des mises à jour fréquentes, et cela pour plusieurs raisons :

- des raisons d'ordre sociologique : la multiplication des séparations, l'apparition des familles hors mariage, qui se séparent également, le problème de la place du tiers, car les couples se reforment après séparation ;

- des raisons idéologiques : on insiste de plus en plus aujourd'hui sur la nécessité de laisser aux parents une certaine liberté dans l'organisation des relations après la séparation. Par ailleurs, le principe d'égalité des parents en droit et en fait est également très présent. Pendant longtemps, on a recherché une égalité entre les hommes et les femmes par la promotion ou la reconnaissance juridique du rôle de la femme. Aujourd'hui, on se rend compte que la mère occupe de fait une place importante dans la famille, trop importante selon certains. La femme a acquis la maîtrise de la procréation et de la filiation. Quelle est la place du père auprès de l'enfant aujourd'hui, notamment en cas de séparation ?

- enfin, beaucoup soulignent la nécessité de responsabiliser les parents, de leur faire comprendre que l'autorité parentale est une fonction des droits et des devoirs.

Pour autant, il me paraît ambigu de parler de droits des pères : il y a des droits des parents (mères et pères), mais pas de droits des pères en tant que tels.

Dans le rapport de la commission présidée par Mme Françoise Dekeuwer-Defossez , quatre axes avaient été développés :

- valoriser la fonction parentale ;

- renforcer le principe de coparentalité ;

- reconnaître la place des tiers ;

- promouvoir les droits de l'enfant.

Afin de synthétiser, je concentrerai mon intervention sur deux axes : la coparentalité et le statut des tiers, qui me semble le point le plus faible de la proposition de loi.

En ce qui concerne l'axe, "renforcer le principe de coparentalité", il est indispensable de retoucher les textes pour permettre à ce principe de prendre plus de place qu'il n'en a actuellement dans la loi.

Quels sont les moyens envisagés à cette fin ?

Le premier moyen réside en la généralisation de l'exercice en commun de l'autorité parentale. A cet égard, les règles proposées par la proposition de loi sont parfaitement équilibrées. La suppression de toute distinction entre filiation légitime et filiation naturelle me semble à la fois opportune et nécessaire.

Le projet de loi sur l'autorité parentale doit être pensé en lien avec la réforme sur la filiation. Or, dans la réforme sur la filiation, sera - peut-on l'espérer - consacré le principe mater semper certa est, c'est-à-dire qu'il suffira que le nom de la mère soit repris dans l'acte de naissance pour que soit établie la filiation à son égard. Il convient d'en tirer les conséquences sur l'autorité parentale : il ne doit plus y avoir de distinction entre enfants nés hors mariage ou dans le mariage. Les règles doivent être communes à tous les enfants. Le projet tel qu'il est retenu par la formulation de l'article 372 du code civil le permet.

De même, il me semble opportun que, dans la proposition de loi, soit supprimée la condition de vie commune pour les enfants nés hors mariage. Cette condition, introduite dans la loi du 8 janvier 1993, ne se justifie pas. Dans certains cas, des parents séparés peuvent souhaiter assumer ensemble la charge des enfants ; ils manifestent alors leur volonté par le biais de la reconnaissance.

Pour autant, il paraît raisonnable de prévoir que si le père ne reconnaît pas l'enfant dans l'année de naissance, la mère conservera seule l'exercice de l'autorité parentale (article 372-5 al. 1). Le texte est neutre, égalitaire et l'on voit bien quelles sont les hypothèses visées.

Le second moyen de renforcer le principe de coparentalité est d'assurer un respect accru des droits et devoirs de chacun des parents : respect de la fonction parentale par les tiers, notamment par les administrations, mais aussi respect de leurs droits et devoirs par les parents eux-mêmes : de leurs propres droits et devoirs et des droits et devoirs de l'autre.

A cet égard, l'inscription, parmi les éléments à prendre en considération par le juge, de l'aptitude de chacun des parents à assumer ses devoirs et à respecter les droits de l'autre est certainement une bonne chose. Inscrire ce diminutif du principe "californien" en tête des dispositions ou des critères serait excessif, mais le faire figurer parmi d'autres critères paraît très intéressant.

De même est-il opportun de prévoir que le parent qui change de résidence doit en informer l'autre préalablement. Il n'est pas question d'empêcher un parent de déménager, mais de faire prendre conscience des conséquences que peut avoir le déménagement sur les relations de l'enfant avec chacun de ses parents.

Il en va de même, en ce qui concerne le recours à la médiation : la formulation est très ambiguë, mais l'idée est très intéressante.

Le troisième moyen de renforcer la coparentalité passe par la volonté de favoriser les accords parentaux. Le texte proposé (article 372-3), qui prévoit un système d'homologation par le juge des accords parentaux afin d'organiser l'exercice de l'autorité parentale dans ses différentes modalités, devrait permettre de dissocier, de manière plus satisfaisante qu'aujourd'hui, les problèmes d'enfants des problèmes de couples.

Jusqu'alors, en cas de divorce, les conventions réglaient à la fois les questions de couples et celles des parents. Avec le système de la convention homologuée, il est possible de scinder les différents types de problèmes afin d'obtenir un règlement distinct de ces deux questions, même s'il y a bien entendu des passerelles ; mais mieux vaut les traiter dans des conventions distinctes, afin d'éviter de mêler questions d'argent et problèmes d'enfants.

Mme Chantal Robin-Robin-Rodrigo : Lorsqu'il y a opposition, il est possible de recourir à une seule des conventions.

M. Hugues Fulchiron : Exactement. Cette disposition englobe les futurs ex-enfants "naturels" dans le système d'accord parentaux. Actuellement, aucun texte ne prévoit la possibilité de conclure des conventions homologuées pour les enfants naturels. La pratique judiciaire l'admet, mais il n'y a pas de texte qui le permette expressément.

Le quatrième moyen de renforcer la coparentalité passe par l'assouplissement des modalités d'exercice de l'autorité parentale. Se pose notamment le problème de l'hébergement. Dans son rapport, la commission Dekeuwer-Defossez avait proposé de supprimer l'exigence d'une résidence habituelle. Cela ne veut pas dire que les parents ne peuvent plus fixer une résidence habituelle, mais qu'ils ont la liberté de ne pas en fixer une, afin d'avoir une plus grande souplesse dans la prise en charge quotidienne de l'enfant. S'ils le souhaitent, les parents peuvent fixer une résidence habituelle ; s'ils ne le souhaitent pas, ils s'organisent pour assumer un partage de l'hébergement, le juge étant là pour vérifier que la situation correspond à l'intérêt de l'enfant. Nous sommes dans un système de convention homologuée, les parents ne peuvent faire n'importe quoi. S'ils veulent le sceau du droit, ils doivent soumettre leur convention au juge qui vérifie la conformité de la solution retenue à l'intérêt de l'enfant.

L'argument opposé à cette proposition consistant à supprimer l'exigence d'une résidence habituelle s'appuie sur la nécessité d'une résidence habituelle, notamment pour l'administration, les impôts, les Caisses d'Allocations Familiales (CAF), l'école. Certes, la fixation d'une résidence habituelle simplifie les choses pour l'administration, mais elle n'est nullement indispensable en droit.

Mme Chantal Robin-Rodrigo : Comment peut-on faire pour la carte scolaire ?

M. Hugues Fulchiron : Il y a tout de même des accommodements. Il est certain que si l'on supprime l'exigence de la résidence habituelle, il faudra revoir certaines pratiques de l'administration. Doit-on se laisser bloquer par des pratiques administratives, alors que l'on peut, en supprimant cette exigence, permettre aux parents de moduler leurs relations avec l'enfant selon les données propres à chaque famille, au motif de l'intérêt de l'enfant ? D'ailleurs, le fisc ne se réfère pas à la décision de justice, mais aux déclarations faites par les parents. Nul n'est besoin de résidence habituelle, dès lors qu'il y a accord entre les parents. Il en va de même pour les CAF. Techniquement, cette solution n'est donc pas impossible à mettre en oeuvre.

Mme Chantal Robin-Rodrigo : Pour les CAF, on peut l'inscrire dans la convention.

M. Hugues Fulchiron : Les CAF s'appuient sur la réalité de la situation. La convention fait office de preuve, mais n'indique pas à qui doit être versée l'allocation. S'il n'y a pas correspondance entre la décision de justice et la prise en charge effective, les CAF versent l'allocation au parent qui prend en charge effectivement les enfants. La décision de la résidence habituelle facilite les choses, mais elle ne constitue pas le critère juridique qui commande le versement de l'allocation.

Le système développé dans la proposition de loi est différent de ce qui avait été envisagé par la Commission Dekeuwer-Defossez : le texte exige que soit fixée une résidence habituelle ou une résidence alternée, ce qui paraît un peu réducteur. Il serait préférable d'avoir plus de souplesse et ne pas s'enfermer dans l'alternative : ou bien l'un des parents, ou bien l'un des parents puis l'autre parent.

Certains juges ont été hostiles par principe à la résidence alternée. Suite à une enquête faite par un médecin psychiatre à Lyon, il s'avère que l'alternance n'est pas, par essence, préjudiciable à l'enfant. Dans des circonstances particulières, elle peut correspondre à l'intérêt de l'enfant, dès lors qu'il y a un fort accord parental, une proximité géographique et un ensemble de conditions qui rendent cette solution conforme à l'intérêt de l'enfant et à son meilleur intérêt.

En conséquence, l'hostilité de principe de la part de certains magistrats à l'alternance de la résidence ne me semble pas fondée. Dans un système qui permet clairement - aujourd'hui, la loi est ambiguë - au juge de prévoir un partage de l'hébergement, l'alternance peut ne pas être une mauvaise chose dans certaines circonstances, pour certains enfants. En revanche, il serait contestable de poser l'alternance en principe.

Mme Chantal Robin-Rodrigo : L'alternance nécessite l'accord des deux parents. Le juge ne tranche que s'il y a accord des deux parents.

M. Hugues Fulchiron : Il faut de la souplesse en la matière et laisser au juge une très large marge d'appréciation.

Mme Chantal Robin-Rodrigo : Une latitude. Il est surtout nécessaire d'examiner l'intérêt de l'enfant.

M. Hugues Fulchiron : Je ne vois pas comment se passer du juge. On rencontrera toujours quelques hypothèses dramatiques avec des décisions contestables. Cependant, de ces cas particuliers, aussi douloureux soient-ils, on ne peut déduire une règle selon laquelle l'intérêt de l'enfant est l'alternance. Dans certains cas, l'alternance est la meilleure solution, dans d'autres, non. S'enfermer dans l'alternance, ou s'enfermer dans l'alternative "résidence habituelle" ou "alternance" me semble manquer de cette nécessaire souplesse. Il faut faire confiance au juge en la matière.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Existe-t-il d'autres possibilités que la résidence chez l'un ou l'autre ou en alternance ?

M. Hugues Fulchiron : La proposition faite par la commission Dekeuwer-Defossez prévoit une résidence habituelle ou un partage de l'hébergement libre entre les parents.

Mme Chantal Robin-Rodrigo : C'est alors qu'intervient la médiation ?

M. Hugues Fulchiron : Peut-être, mais pas nécessairement. Dès lors que les parents s'entendent sur le système et qu'il correspond à l'intérêt de l'enfant..

Mme Chantal Robin-Rodrigo : A l'intérêt de l'enfant en fonction de son âge.

M. Hugues Fulchiron : C'est autre chose. Dans ces matières, il faut se garder de tout esprit de système. Chaque enfant, chaque situation familiale est unique. Au demeurant, l'enquête faite à Lyon et à Nanterre en 1994-1995 démontre que les demandes concurrentes sont très rares.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Qu'entendez-vous par demandes concurrentes ?

M. Hugues Fulchiron : Deux parents qui formulent des exigences opposées. On a souvent l'impression que le contentieux de l'autorité parentale après divorce ou dans la famille naturelle est très important quantitativement. Pourtant, lorsque l'on étudie les dossiers de près, et que l'on fait des statistiques, il n'apparaît pas si fréquent que cela (dès lors du moins que l'on sépare bien le contentieux des relations personnelles et celui des pensions alimentaires). Les dossiers dans lesquels il y a vraiment un conflit entre père et mère, qui demandent des choses contraires, sont relativement rares. En revanche, il est vrai que lorsqu'il y a conflit, il est souvent dramatique.

Mme Chantal Robin-Rodrigo : J'aurais voulu connaître les statistiques. C'est important.

M. Hugues Fulchiron : L'enquête faite auprès des tribunaux de Lyon et de Nanterre concernant le divorce et le contentieux de l'autorité parentale permet de constater que dans 85 % des cas, les mères demandaient que la résidence de l'enfant soit fixée chez elles. Dans 66,8 % des cas, les pères ne s'y opposaient pas et faisaient une demande allant dans le même sens (66,8 % des cas sur 85 %). Seulement 15,7 % des pères sollicitaient la fixation de la résidence habituelle auprès d'eux. Les hypothèses de conflit concernaient donc un tout petit nombre de dossiers.

Il conviendrait d'effectuer une analyse plus fine, car sur les 15,7 % de pères qui demandent la résidence de l'enfant chez eux, il n'est pas impossible qu'une partie le demande de façon subsidiaire, pour des raisons tactiques et en espérant ainsi obtenir de larges droits de visite et d'hébergement.

Par ailleurs, il serait faux de croire que les mères s'opposent toujours à ce que la résidence des enfants soit fixée chez le père. Il existe aussi des hypothèses dans lesquelles les mères sont d'accord. Les situations de conflit sont donc moins nombreuses qu'on ne le croit.

Mme Chantal Robin-Rodrigo : Les statistiques sont générales. A-t-on tenu compte de l'âge des enfants ?

M. Hugues Fulchiron : Nous avons pris en compte l'âge des enfants. Les demandes de résidence habituelle des pères allaient croissant avec l'âge de l'enfant, ce qui se comprend aisément.

Sur l'exercice unilatéral de l'autorité parentale, les conflits sont également rares. En revanche, certains dossiers durent des années.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Ils sont dramatiques.

M. Hugues Fulchiron : Il convient également de faire quelques remarques à propos de la place des tiers. La proposition de loi me paraît très en retrait par rapport à ce qui avait été proposé par la commission Dekeuwer-Defossez, et même par rapport à ce qui avait été prévu dans l'avant-projet de loi.

Le tiers est le beau-parent, un grand-parent ou toute personne qui prend en charge l'enfant ; cette situation devient de plus en plus fréquente. La proposition de loi envisage seulement une réforme, nécessaire, de la délégation de l'autorité parentale. Les conditions de la délégation seraient assouplies. De plus, le parent qui délègue l'autorité parentale pourrait, dans certains cas, si le juge l'estime utile, conserver une part d'exercice de l'autorité parentale : il y aurait donc partage entre le délégataire et le parent qui délègue. Cette disposition me paraît très opportune.

Toutefois, le rapport Dekeuwer-Defossez contenait d'autres propositions, notamment un système de mandat donné par l'un des parents au tiers. Dans le cadre d'une famille recomposée par exemple, le beau-parent n'a juridiquement aucun pouvoir, aucun droit de faire un acte quelconque concernant l'enfant. Le système de mandat pourrait permettre de donner une base juridique à l'action du tiers. Il serait bon que le droit tienne compte de la réalité de ces situations.

Dans la version initiale de la proposition de loi, il était prévu d'élargir les conditions d'octroi d'un droit de visite et d'hébergement aux tiers (art. 371-4). La loi exige actuellement des circonstances exceptionnelles. Or, quand la famille recomposée se sépare, le beau-parent qui a élevé l'enfant pendant plusieurs années, peut souhaiter maintenir des liens avec l'enfant, ce qui peut être tout à fait conforme à l'intérêt de ce dernier.

En conclusion, la généralisation de l'exercice en commun de l'autorité parentale et la proposition d'introduire l'alternance dans l'hébergement, pourraient certes faire craindre un alourdissement de la charge des mères. Il convient là aussi d'être réaliste : 85 % des mères assument la charge des enfants : c'est une charge dont il faut tenir compte. Pour autant, il paraît juste que la loi fasse tout pour que, juridiquement, le père retrouve sa place dans la famille.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Si le juge décide de la garde alternée, même si l'un des parents n'en veut pas, quid des conditions matérielles ? Dans les cas des gardes alternées que je connais, il n'y a plus de pension alimentaire. Financièrement, cette solution est souvent très onéreuse : en charges d'appartement, d'habillement, de livres, de jouets, d'espace pour l'enfant, etc ... Une de mes craintes est donc la suivante : lorsque le couple n'est pas dans un rapport financier équilibré ou quand le couple n'est pas en faveur de la garde alternée, l'élément le plus faible du couple risque de devoir supporter des charges financières matérielles beaucoup plus importantes.

M. Hugues Fulchiron : Il est certain que l'alternance peut être un système très onéreux : les parents doivent disposer d'appartements susceptibles d'accueillir les enfants une partie de la semaine ; il faut doubler certaines choses (habillement, jouets, mobilier, etc...).

Mme Chantal Robin-Rodrigo : A quel moment situez-vous la médiation ?

M. Hugues Fulchiron : Si le juge entend imposer un hébergement alterné, le pari n'est pas sans dangers. Il serait opportun que le juge ait pris toutes les précautions et qu'il ait eu recours à la médiation.

Mme Chantal Robin-Rodrigo : Par quel spécialiste et de quelle façon est faite cette médiation ?

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Quel est le rôle du médiateur ? Est-il indépendant ? Est-il sous-traitant ? A-t-il une délégation ?

M. Hugues Fulchiron : La commission Dekeuwer-Defossez avait envisagé une telle incitation à la médiation. Il arrive que les parents ne se parlent plus du tout. Il faut trouver un moyen de renouer le contact entre eux, de trouver un lieu, une personne qui le permette. Le juge ne peut pas toujours le faire. Un tiers est peut-être plus à même d'assumer ce rôle, afin de laisser au juge son pouvoir d'arbitre. Qui pourrait avoir éventuellement ce rôle de médiateur, de restauration d'un dialogue entre les parents? On pense spontanément au médiateur. Des textes organisent la médiation familiale.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Aujourd'hui, alors qu'on parle beaucoup de médiation, il n'y a pas de diplôme d'Etat de médiateur, il y a seulement des formations plus ou moins qualifiantes, des stages. Aujourd'hui, n'importe qui peut s'installer médiateur. Un fantastique marché s'ouvrirait là, soyons-en conscients ! A notre sens, nous ne pouvons pas le faire sans lui donner une consistance et un cadrage. Le médiateur va-t-il se voir déléguer, de la part du juge, une partie de ses responsabilités ? Si l'un des membres du couple fait échouer la médiation, quel rapport le médiateur va-t-il en faire au juge ? Quelle sera la relation entre le médiateur et le juge ? Quel rôle veut-on faire jouer exactement au médiateur dans la procédure ?

M. Hugues Fulchiron : En ce qui concerne la formation des médiateurs, le problème est général. Il conviendrait effectivement de s'intéresser à la formation du médiateur et à la création d'un diplôme.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Le texte de la proposition de loi précise : "Afin de faciliter la recherche par les parents d'un exercice consensuel de l'autorité parentale, le juge peut leur proposer une médiation".

"Il peut, en tout état de cause, leur enjoindre de rencontrer un médiateur qui les informera sur l'objet et le déroulement de cette mesure".

Pour ceux qui n'ont pas d'aide juridictionnelle, une telle médiation sera très coûteuse.

M. Hugues Fulchiron : La formule retenue par la proposition est très ambiguë. On "enjoint" au couple de voir un médiateur qui l'informera sur la médiation. On donne ainsi l'impression que l'on ne veut pas forcer les gens à la médiation, mais qu'on se réserve la possibilité de les y contraindre ! La médiation forcée n'est pas une bonne solution.

La formulation est mauvaise, mais l'idée est intéressante : lorsque tout est bloqué, que les parents ne se parlent plus, il faut réussir à faire intervenir quelqu'un qui à l'habitude de traiter ce genre de situation.

La formation du médiateur est un problème général : il est vrai que l'on introduit de la médiation partout et que le statut des médiateurs n'est pas clair. Quant aux relations entre le médiateur et le juge, rappelons que le médiateur ne décide pas ; il rencontre les parents et élabore un projet avec eux.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Que fait-on de son projet ?

Mme Chantal Robin-Rodrigo : Les médiateurs de justice existent, par exemple, dans l'aide aux victimes.

M. Hugues Fulchiron : Ce n'est pas la même chose.

Mme Chantal Robin-Rodrigo : Ce sont des médiateurs ! Ils sont les interlocuteurs "primaires" de l'action. Par la suite, le juge ne revient pas sur le travail de l'interlocuteur primaire, il le suit.

J'ai donc des craintes sur ces nouveaux médiateurs. Dans le marché de la formation professionnelle, quelques charlatans se sont établis un peu partout et ont gagné ainsi beaucoup d'argent pour dispenser des formations, dont il est permis de douter de la qualité.

M. Hugues Fulchiron : Nous revenons au problème de la formation.

Mme Chantal Robin-Rodrigo : Nous ouvrons là une brèche très importante. C'est l'enfant qui est concerné. On va confier à un médiateur, dont on ne connaît pas actuellement les qualités, la mission de déblayer le terrain et de construire quelque chose. Cela me gêne !

M. Hugues Fulchiron : Je comprends vos craintes. Cependant, la médiation familiale existe. Même en l'absence de texte, le juge incite parfois vivement les époux à aller voir un médiateur.

Mme Chantal Robin-Rodrigo : Notre interrogation porte sur la recherche d'une autre possibilité. Cette quasi-obligation peut aussi se heurter à des difficultés importantes. N'oublions pas que beaucoup de personnes sont au RMI, sans revenus.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Elles auront l'aide juridictionnelle dans ce cas.

Mme Chantal Robin-Rodrigo : L'auront-elles à 100 % s'agissant du médiateur ? Quels seront les honoraires perçus ? Seront-ils réglementés ou pas à partir du moment où le juge aura prescrit cette médiation ?

M. Hugues Fulchiron : La seule réponse que je puisse vous faire est qu'en toutes hypothèses, que le texte soit adopté ou non en l'état, il est nécessaire de prévoir un statut de la médiation.

Mme Chantal Robin-Rodrigo : D'autant que certains avocats souhaiteraient devenir eux-mêmes médiateurs. Cela me pose une autre interrogation : on ne peut être juge et partie. Il s'agit d'un autre métier !

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : L'article 2, qui redéfinit le contenu de l'autorité parentale, précise notamment : "les parents associent l'enfant aux décisions qui le concernent selon son âge et son degré de maturité". J'ai trouvé l'intention belle... mais un peu floue. Cette phrase n'a aucun caractère normatif.

M. Hugues Fulchiron : La commission Dekeuwer-Defossez avait proposé des textes repris en partie par la proposition de loi. En fait, la formule de ce texte est volontairement floue, mais elle s'inspire des textes de la convention internationale des droits de l'enfant. Elle répond aux demandes, formulées par certains, de créer une pré-majorité : prévoir des âges ou un âge auquel l'enfant aurait plus d'initiatives, serait quasi émancipé, pour certaines décisions. Cette pré-majorité ne règle rien ; lorsque l'on fixe un seuil d'âge, vers seize ans par exemple, pour faire ses choix en matière de religion par exemple, que faire lorsque l'enfant a six mois ou deux mois de moins que le minimum requis ? La pré-majorité ne fait que déplacer les problèmes.

Mme Chantal Robin-Rodrigo : A l'heure actuelle, on demande quand même le certificat d'un psychiatre ! Lorsqu'un père veut reprendre son enfant de moins de douze ans, il peut amener l'enfant en consultation afin de bien attester de sa maturité à pouvoir prendre une décision. Il y a eu plusieurs jugements à en ce sens. Cette formulation laisse beaucoup de souplesse. J'entends bien ce que vous dites par rapport au problème de seuil. D'un autre côté, il me semble qu'il aurait fallu quelque peu cadrer ce qu'est la maturité.

M. Hugues Fulchiron : Dans la loi, figurent des textes précis et d'autres plutôt symboliques, comme celui-ci. Les conflits sont beaucoup moins fréquents que nous ne le pensons. Pour qui fait-on les lois ? Pour régler des conflits, mais aussi pour proposer à tous un modèle de comportement.

Il est vrai que cette disposition risque d'être utilisée par des personnes qui sont déjà en conflit, afin que l'enfant prenne telle ou telle décision. Le risque n'est pas négligeable. Mais, doit-on pour autant renoncer à cette idée ? Je n'en suis pas certain.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Au sujet de la filiation, le texte me paraît dur à l'égard du père, lorsque celui-ci ne reconnaît pas l'enfant dans la première année de naissance ou quand il y a eu une reconnaissance de filiation d'ordre judiciaire. Le second cas est traité sur le même plan que le premier, alors qu'il n'est pas du même ordre.

En ce qui concerne le premier cas, compte tenu du manque d'informations concernant la procédure de reconnaissance, il me paraît très lourd d'imposer au père reconnaissant l'enfant passé le délai d'un an, de passer devant le greffier du tribunal de grande instance, afin d'exercer l'autorité parentale conjointe.

Je me méfie des systématismes. Il me semble que l'autorité parentale conjointe systématique peut avoir des défauts. En même temps, on ne donne pas beaucoup de chance à ce père, sachant que la moitié des naissances se produisent hors mariage.

Mme Chantal Robin-Rodrigo : La loi prévoit un renforcement de l'information très important avec la remise d'un livret au père au moment de la déclaration de l'enfant. Cela dit, je suis d'accord avec vous, pour avoir vécu dans ma propre famille ce manque d'information.

M. Hugues Fulchiron : La Commission Dekeuwer-Defossez a beaucoup travaillé sur cette formule. Il aurait été possible de prévoir que, dès lors qu'il y a reconnaissance, il y a exercice de l'autorité parentale. Mais certains ont souligné que la règle devait être nuancée, car il serait dangereux que la mère découvre soudain qu'il y a exercice en commun de l'autorité parentale.

D'autant que, la mère n'est pas censée être informée de la reconnaissance. Il n'y a aucun système d'information en la matière. La reconnaissance est un acte indépendant. On peut même imaginer que la reconnaissance soit l'_uvre d'une personne qui n'est pas forcément le père - car il n'y a pas de contrôle de la reconnaissance : s'il n'y a pas de filiation établie, l'officier d'état civil enregistre la déclaration.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Oui, mais c'est extrêmement rare que ce ne soit pas le père !

M. Hugues Fulchiron : Imaginons qu'il s'agisse du père ; il reconnaît l'enfant au bout d'un an, mais la mère ne le sait pas. Le père pourra dire qu'il a l'exercice de l'autorité parentale, puisque la filiation est établie et demander, au même titre que la mère, à avoir l'enfant chez lui, à aller le chercher à la sortie de l'école, à l'emmener, etc... La mère devra alors s'adresser au juge pour faire fixer la résidence habituelle de l'enfant.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Ne faudrait-il pas faire en sorte que la mère soit informée de la reconnaissance de l'enfant par le père ?

M. Hugues Fulchiron : La nouvelle rédaction de l'article 372 simplifie la vie des mères. Au bout d'un an, elles demanderont un extrait d'acte de naissance et elles verront que le père n'a pas reconnu l'enfant. Elles sauront alors qu'elles exercent seules l'autorité parentale. Pour elles, la situation est claire.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Encore faut-il qu'elles le sachent ! Il faut qu'elles demandent un extrait de naissance pour savoir si le père a reconnu l'enfant ou non.

M. Hugues Fulchiron : Est-ce préférable qu'elles soient dans l'incertitude complète pendant les dix-huit ans de la minorité de l'enfant ? Si l'on ne pose pas une telle limite, la mère peut passer sans le savoir d'un exercice unilatéral à un exercice en commun de l'autorité parentale.

De plus, si le père reconnaît l'enfant plus d'un an après la naissance, il lui appartiendra de saisir le juge pour organiser ses relations avec l'enfant. Si l'on pose en principe que l'exercice de l'autorité parentale est lié à la reconnaissance, quel que soit le moment de celle-ci, le poids de cette charge retombera sur la mère : c'est elle qui devra saisir le juge pour fixer la résidence habituelle ou alternée de l'enfant, organiser les relations du père avec l'enfant, etc... Au contraire, dans le système retenu par la proposition de loi, si le père reconnaît l'enfant après plus d'un an, c'est lui qui devra prendre l'initiative de mettre en place l'exercice en commun de l'autorité parentale et d'organiser les relations qu'il aura avec l'enfant.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Si l'on assouplissait l'accès à l'autorité parentale, ne pourrait-on pas créer des contreparties aux droits et devoirs, notamment en ce qui concerne la visite ? Aujourd'hui, la visite est considérée comme un droit, respecté ou non par l'autre et exercé ou non par le père. Dans la majorité des cas, c'est ainsi. Aujourd'hui, un père qui n'exerce pas son droit de visite ne peut être poursuivi. Les seules poursuites possibles concernent la pension alimentaire.

Cette question me paraît centrale car, à travers la visite, apparaît le mode de relations, l'absence ou l'existence de relations, que l'on peut avoir avec un enfant. N'aurait-on pu prévoir un dispositif qui considère la visite, non pas comme un droit, mais comme un devoir pour les deux parents, voire les trois parties, avec la seule sanction qui me paraît possible, à savoir une admonestation de la part du juge, si ce devoir n'est pas respecté par l'une ou l'autre des parties ?

M. Hugues Fulchiron : Je tout à fait d'accord avec vous. Nous avions aussi étudié d'autres formulations du texte afin de transmettre l'idée selon laquelle la relation du père avec l'enfant est un droit de l'enfant.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Et un devoir des parents.

M. Hugues Fulchiron : Un droit et un devoir des parents, comme toujours en matière d'autorité parentale.

Mme Chantal Robin-Rodrigo : Cela me paraît particulièrement intéressant par rapport à cet article.

M. Hugues Fulchiron : La Commission Dekeuwer-Defossez avait imaginé un texte soulignant ces deux aspects : un droit et devoir de visite offrant à l'enfant des relations personnelles avec chacun de ses parents. Nous avions raisonné en termes de droit de l'enfant à des relations personnelles avec ses deux parents. La mère comme le père doivent respecter ce droit de l'enfant.

Mme Chantal Robin-Rodrigo : Le dernier paragraphe de l'article 372 énonce : "Le parent qui n'a pas l'exercice de l'autorité parentale conserve un droit de surveiller l'entretien et l'éducation de l'enfant et doit être informé, en conséquence, des choix importants relatifs à la vie de ce dernier". S'il n'est pas informé, quelles sont les sanctions ? Il n'y a pas de sanctions autres que celle relative à la pension alimentaire.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Une admonestation est envisageable. On ne peut pas sanctionner financièrement l'absence d'exercice du droit de visite, cela n'a pas de sens, ni par le retrait de l'autorité parentale, ce qui serait pernicieux... Il pourrait y avoir une admonestation de la part du juge, qui ferait un rappel à la loi.

M. Hugues Fulchiron : De telles idées mériteraient d'être approfondies.

Il est prévu de retoucher le texte de l'article 1384 alinéa 4 du code civil et de remplacer le mot "garde" par celui d'"autorité parentale". Cette modification est énoncée en fin de texte, de façon anodine, mais elle pourrait s'avérer très dangereuse.

L'article 1384 du code civil prévoit la responsabilité des père et mère du fait de leurs enfants mineurs. Le texte vise la garde et n'a été modifié ni en 1987, ni en 1993. La jurisprudence a profondément évolué sur cette question. Chaque mot a sa signification et a été interprété dans un sens particulier par la cour de cassation, dont la jurisprudence s'est affinée au cours des deux dernières années. Il faut réfléchir de façon générale à la responsabilité des père et mère vis-à-vis de leurs enfants. Est-elle réellement liée à l'autorité parentale, à l'exercice de l'autorité parentale, à la résidence habituelle ? Toutes ces questions méritent d'être approfondies. Modifier les textes sans avoir auparavant réfléchi aux conséquences qui en découleront risque d'engendrer des difficultés considérables.

Il serait préférable de s'abstenir et d'envisager une réforme globale de la responsabilité des parents, en réfléchissant spécifiquement à la question. Une telle modification de mots a des conséquences plus importantes qu'il n'y paraît.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : N'aurions-nous pas intérêt à préciser, à l'article 372-5, la possibilité de saisie du juge par "l'un des parents, un membre de la famille ou le ministère public, à l'effet de statuer sur les modalités d'exercice de l'autorité parentale". Il ne faudrait pas mêler les beaux-parents ou grands-parents à l'exercice de l'autorité parentale, en cas de conflit.

M. Hugues Fulchiron : Il s'agit de la rédaction actuelle du code civil.

Mme Chantal Robin-Rodrigo : Cela ne provoque-t-il pas trop de conflits ?

M. Hugues Fulchiron : La Commission Dekeuwer-Defossez avait effectivement envisagé de supprimer la référence au "membre de la famille".

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Il est vrai que lorsque les deux parents sont dans une secte, heureusement que les grands-parents peuvent intervenir et dénoncer la situation !

M. Hugues Fulchiron : De fait, certains ont souligné que les grands-parents, frères et s_urs pouvaient éventuellement jouer un rôle utile.

Mme Chantal Robin-Rodrigo : Le cas de la secte est suffisant. Heureusement, il y a les grands-parents !

M. Hugues Fulchiron : Je ne suis pas certain que les problèmes de sectes puissent être résolus grâce à ce texte. Nous sommes ici dans le cadre d'une loi relative à l'autorité parentale dans le divorce ou après le divorce. Si un problème de secte se pose, il conviendrait plutôt de saisir le juge des enfants.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Peut-il y avoir incompatibilité entre les attributions du juge des enfants et celles du juge aux affaires familiales ?

A l'article 6, paragraphe VII, alinéa 2, on parle du juge aux affaires familiales : "Le juge peut à titre exceptionnel et si l'intérêt de l'enfant l'exige, notamment lorsqu'un des parents se trouve dans l'un des cas prévus par l'article 372-8, décider de confier l'enfant à un tiers..." Mais cela concerne également les compétences du juge des enfants.

M. Hugues Fulchiron : Dans le cadre d'une mesure après divorce ou après séparation, ce n'est pas au juge des enfants, mais au JAF d'apprécier si les circonstances sont telles qu'il vaut mieux que l'enfant ne soit pas confié au père ou à la mère, mais à un tiers.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : N'y a-t-il pas risque de conflit de compétences avec le juge des enfants ?

M. Hugues Fulchiron : Il peut effectivement y avoir interférence.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : On m'a signalé des cas où le juge des enfants accorde le droit de visite, mais dans un espace de médiation, et où le juge des affaires familiales décrète qu'il ne doit absolument pas y avoir de droit de visite. Que fait-on dans ce cas ?

M. Hugues Fulchiron : Il conviendrait assurément d'encourager la coopération entre magistrats.

Audition de Me Claire Hocquet,
avocate à la cour d'appel de Paris

Réunion du mardi 29 mai 2001

Présidence de Mme Martine Lignières-Cassou

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Nous accueillons maintenant Me Claire Hoquet, avocate à la cour d'appel de Paris, qui a été entendue par le groupe de travail de Mme Dekeuwer-Defossez, comme personnalité et spécialiste du droit de la famille, en particulier de l'autorité parentale.

Nous souhaiterions avoir votre avis sur la proposition de loi relative à l'autorité parentale. Cette proposition vous paraît-elle correspondre aux travaux du groupe de travail présidé par Mme Dekeuwer-Defossez ?

Quel est à votre avis le rôle du juge en ce qui concerne d'une part l'homologation des accords parentaux, d'autre part le recours à la médiation ? Quelle est la pratique actuelle de cette médiation ? Quelles sont les personnes habilitées à intervenir ? Nous nous interrogeons notamment sur le fait que ce n'est pas un métier et qu'il n'y a pas de formation reconnue par un diplôme d'Etat.

Enfin, les conditions de délégation de l'autorité parentale vous paraissent-elles suffisantes et claires dans le texte et sont-elles une solution dans l'intérêt de l'enfant ?

Me Claire Hocquet : Nous sommes au coeur des questions sur l'égalité des chances entre les hommes et les femmes et le droit des femmes. Ces questions de coparentalité me paraissent essentielles pour l'évolution des rapports entre hommes et femmes.

J'ai lu dans l'exposé des motifs de la proposition de loi que la coparentalité se construisait dès la naissance de l'enfant. C'est profondément vrai. La loi a un rôle fondamental à jouer en ce qu'elle énonce des normes ; elle est un élément de référence très important pour l'élaboration de solutions d'accord entre les parents. Elle peut les déculpabiliser quant aux solutions qu'ils envisagent, leur faire entendre que la résidence partagée ou alternée - cette possibilité de partage de la vie de l'enfant entre les deux résidences de ses parents - est une solution reconnue par le législateur et considérée comme l'une des solutions possibles et conformes à l'intérêt de l'enfant.

Les textes actuels engendrent encore des difficultés, notamment une culpabilité de ceux qui mettent en place cette solution et qui ont le sentiment que le juge ne l'acceptera pas. Ils se demandent si ce type de solution est bien conforme à l'intérêt de leur enfant, puisqu'ils ont à se battre contre l'institution.

Sollicitée en tant que professionnelle, confrontée au quotidien à ces questions devant les tribunaux, je vous dirai comment les choses se passent aujourd'hui et les changements fondamentaux apportés par le texte. J'en arriverai ensuite aux questions sur les pratiques, la médiation, la place du juge, la délégation.

En région parisienne, je ne pense pas que des parents qui sont d'accord pour mettre en place une résidence partagée ou alternée soient encore confrontés à un refus du juge qui déciderait que ce n'est pas conforme à l'intérêt de l'enfant. Pendant très longtemps en effet, les psychologues ont dit que l'équilibre de l'enfant passe par une seule maison et qu'il est plus important d'avoir une maison que d'avoir un lien quotidien avec les deux parents ; l'important étant plus la place symbolique des parents que la présence dans le quotidien de l'enfant. Aujourd'hui, on est revenu sur cette affirmation.

La plupart des professionnels reconnaissent que ce qui compte dans la résidence partagée est la façon dont elle est organisée et vécue par l'enfant. Cela peut être une bonne ou une moins bonne solution selon les familles et selon les enfants. C'est quand même la solution pour que les enfants ne perdent pas le contact complet avec l'un de leurs parents. On sait qu'un quart des enfants ne voient plus leur père au bout de quelques années. Sachant que 30 % des pensions alimentaires ne sont pas payées, on peut se demander s'il n'y a pas corrélation.

Quand les parents sont d'accord aujourd'hui, les juges acceptent souvent d'entériner leur accord. Néanmoins, il reste encore quelques problèmes. Quand les parents ne sont pas d'accord, on en revient à des solutions beaucoup plus classiques, alors même que la plupart des professionnels considèrent que la solution d'un week-end sur deux et de la moitié des vacances - en réalité une solution de partage du temps non scolaire - est nettement insuffisante pour maintenir un véritable lien avec un parent, pour qu'il puisse intervenir, exercer son autorité, partager le quotidien, avoir une complicité avec son enfant.

Quand les parents ne sont pas d'accord, on a beaucoup de difficultés à obtenir du juge qu'il prenne une décision contre le gré d'un des deux parents. Or, si les conditions matérielles sont réunies, si celui des parents qui a quitté le domicile a fait l'effort, dans sa recherche d'un nouveau domicile, d'habiter à proximité, on peut s'interroger sur le bien-fondé de l'argument selon lequel, dès qu'il y a conflit, la résidence partagée n'est pas organisable. Quand il y a conflit, il est tout aussi difficile d'organiser un week-end sur deux et la moitié des vacances. Quand il y a conflit, il y a une difficulté à organiser le passage de l'enfant d'un parent à l'autre.

Je réfute la notion de couple parental. Si l'on a divorcé, c'est qu'il y avait des désaccords profonds, et que l'on ne supportait plus la vie commune. Il n'est pas vrai que l'on va être des parents coopérants, en harmonie totale sur les questions concernant l'enfant au quotidien. Quand il y a séparation, il y a des conflits, y compris sur l'éducation des enfants ; ces désaccords constituent parfois l'une des raisons du divorce. Il faut apprendre au parent à respecter la place de l'autre et à comprendre que ce qui se passera chez l'autre ne se passera pas tout à fait comme il le souhaiterait et comme cela se passe chez lui. Mais il n'est pas forcément plus difficile, alors qu'il y a conflit, de faire passer l'enfant d'un domicile à l'autre une semaine sur deux qu'une fin de semaine sur deux.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : En termes d'organisation matérielle, s'il y a conflit, cela démultiplie quand même les difficultés. Dans les exemples que nous connaissons autour de nous, il y a des accords minima. Les vêtements sont achetés en double, de même que les livres, les jouets. Il y a une chambre chez chacun des parents. Si l'un des deux parents ne veut pas de cette formule, parce qu'il ne peut pas l'assumer, cela ne peut pas fonctionner. Ne serait-ce que pour des raisons matérielles !

Me Claire Hocquet : Cela pose une autre question sans rapport avec le conflit parental. La coparentalité et le maintien du lien de l'enfant avec ses deux parents après séparation a un coût.

Le rapport d'Irène Théry souligne bien que la perte de contact entre un enfant, et généralement son père, après la rupture touche beaucoup plus les familles les plus modestes. La coparentalité n'est pas seulement une question de responsabilisation des parents qui feraient fi de l'intérêt de leur enfant ; c'est aussi une question de responsabilité de la société qui doit donner les moyens de cette coparentalité.

Mais l'absence de coparentalité et la rupture du lien avec un parent après la séparation ont aussi un coût. On a souvent tendance à penser au coût sans songer aux économies que ferait la société si elle n'avait pas à gérer tous les problèmes que crée la rupture du lien avec l'un des parents. En termes de coût, il faudra bien un jour mettre les choses en balance.

Vous allez entendre M. Michel Yahiel, inspecteur général des affaires sociales. J'ai participé aux travaux de sa commission sur le partage des responsabilités parentales et je participe aujourd'hui aux travaux de la commission constituée auprès de Mme Ségolène Royal sur la médiation. Les travaux sont en cours. Les travaux de la commission de M. Michel Yahiel sont une première approche ; tout n'est pas abouti, les délais de réflexion impartis ayant été courts ; mais ses propositions montrent bien comment toutes les institutions ont un rôle à jouer dans la coparentalité, y compris pour l'accès au logement : on ne peut pas demander à un parent ou aux deux de continuer à accueillir leurs enfants au quotidien, si l'on ne prend pas en compte les parents qui ont des difficultés de logement et les conditions d'accès au logement social. Cela pose également des questions qui sont liées à la différence de revenus entre hommes et femmes.

Si on ne prend pas tous ces éléments en compte dans leur ensemble et dans leur complexité, on n'aboutira à rien. Plus généralement et plus fortement que les difficultés et les conflits entre parents, les vrais obstacles à la coparentalité résident dans les problèmes économiques que cela peut poser à un certain nombre de parents.

Mme Chantal Robin-Rodrigo : Il y a aussi les problèmes d'école. On ne peut pas faire changer les enfants d'école tout le temps.

Me Claire Hocquet : Il est évident qu'on ne peut pas changer les enfants d'école une semaine sur deux.

Mme Chantal Robin-Rodrigo : Même une année sur deux ! Il y a une continuité...

Me Claire Hocquet : Oui. Encore que nombreux sont les enfants qui changent d'école chaque année en raison des déménagements de leurs parents pour des motifs professionnels. Pour prendre l'exemple de Paris, selon que les parents habitent dans des arrondissements voisins ou plus éloignés, cela rendra les choses plus complexes et les solutions mises en _uvre ne seront pas les mêmes.

C'est pourquoi la résidence partagée est une notion souple. Qui dit partage de la résidence dit sortir de l'idée qu'il y a une résidence habituelle et une résidence non habituelle, et donc "secondaire". Il y aurait donc un parent habituel et un parent secondaire, ce qui est un enjeu symbolique important. La résidence partagée offre des solutions qui permettent à l'enfant de passer plus de temps avec chacun de ses deux parents.

A cet égard, tout le monde est d'accord pour dire que le système  1-3-5 n'est pas suffisant, mais on a encore trop tendance à s'appuyer sur des solutions telles que l'ajout du mercredi. Beaucoup de décisions judiciaires le font aujourd'hui, ce qui donne pour l'enfant des rythmes sur lesquels on peut s'interroger pour l'enfant qui rentre le dimanche soir ou le lundi matin et qui repart le mardi soir.

Ne vaudrait-il pas mieux par exemple que l'un des parents prenne l'enfant le mercredi soir jusqu'au dimanche soir une semaine sur deux ou du samedi midi jusqu'au mercredi midi, toujours une semaine sur deux. Quand les parents sont trop éloignés pour organiser une résidence partagée par moitié, parce que cela induirait des temps de transport trop longs pour l'enfant jusqu'à l'école, ne faudrait-il pas qu'une fois tous les quinze jours, sur deux jours (le jeudi et le vendredi ou le vendredi et le samedi), l'enfant ait un peu plus de temps de transport mais partage plus de quotidien avec le parent avec lequel il ne vit pas ?

C'est toujours une question d'équilibre et de priorité : considère-t-on que ce qui est prioritaire sont les conditions matérielles et qu'il ne faut pas rallonger, même deux jours tous les quinze jours, le trajet pour aller à l'école ? Ne devrait-on pas considérer que le maintien du lien avec les deux parents est essentiel et que les petites contraintes réelles qui peuvent en résulter pour l'enfant ont moins d'implication dans sa vie et son développement que d'être pratiquement coupé de l'un de ses deux parents et de ne le voir qu'une fois tous les quinze jours ?

Là, il y a des choix à faire.

Personnellement, je pense qu'il vaut mieux allonger le trajet scolaire d'un quart d'heure une semaine sur deux ou deux ou trois jours par semaine que de voir son père - c'est bien de cela qu'il s'agit - une fois tous les quinze jours. D'autres peuvent penser le contraire.

Si l'on inscrit dans la loi la possibilité d'une résidence partagée ou alternée, cela veut dire que les gens peuvent s'organiser, au moment de la séparation, en se disant que, si les conditions en sont réunies, le juge pourra l'ordonner. C'est ce qui est prévu dans la proposition de loi. Cela veut dire qu'au moment où la personne va chercher un autre logement, elle sera amenée à anticiper et, éventuellement, à coût à peu près égal de logement, voire légèrement supérieur...

Mme Chantal Robin-Rodrigo : Elle aura des droits nouveaux ouverts auprès des organisme HLM.

Me Claire Hocquet : C'est indispensable et il faut augmenter le parc de logement social. S'il s'agit de la classe moyenne, elle pourra faire l'effort de chercher un logement à proximité pour mettre cette solution en place. Elle saura que même si l'autre parent n'y est pas très favorable, le juge pourra l'ordonner dès lors que les conditions matérielles sont réunies.

Quand les parents demandent en consultation s'ils auront la garde de leur enfant, il faut leur expliquer que l'autorité parentale doit être exercée en commun et que la question importante est d'organiser la vie de leur enfant entre eux deux. Il faut également leur dire qu'ils ne sont pas plus gardiens que l'autre parent, notion qui n'existe plus juridiquement, et qu'il faut organiser la vie matérielle de l'enfant entre eux.

On leur soumet l'hypothèse selon laquelle le juge pourrait confier à l'autre parent la résidence de l'enfant et on leur demande comment ils envisagent de recevoir l'enfant une fois tous les quinze jours, quelles solutions ils peuvent imaginer en tenant compte des problèmes matériels comme la distance entre les domiciles ? Les gens ne sont pas fous ; ils ne disent pas que l'enfant passera une semaine dans une école et une semaine dans l'autre ou qu'il fera chaque jour une heure de trajet. Ou bien ils sont à proximité et demandent à partager le temps de manière plus égalitaire ; ou bien, compte tenu de la distance, ils savent que ce ne n'est pas possible et ils souhaitent un aménagement pour le voir quand même plus souvent.

Si, symboliquement, on ne parle plus de résidence habituelle et de parent ayant une place prioritaire auprès de l'enfant, on dépassionne le débat entre les parents. Sauf les situations pathologiques.

Autre question : il faut absolument dissocier la question de la résidence partagée des parents et la question de la pension alimentaire. Il ne faut pas imaginer que l'adoption de la résidence partagée ou alternée supprime la pension alimentaire.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : C'est l'un des risques.

Me Claire Hocquet : Non, je ne le crois pas. Il suffit que la loi soit claire à cet égard.

Mme Chantal Robin-Rodrigo : Ce n'est pas clair pour l'instant.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Dans les accords passés aujourd'hui, il n'y a pas de pension alimentaire.

Me Claire Hocquet : Cela dépend s'il y a ou non une différence de revenus entre les parents. Il faut être très clair à cet égard : le partage du temps, y compris à égalité, une semaine / une semaine, entre les deux parents ne signifie pas qu'au plan de la prise en charge matérielle, la charge est la même pour les deux. Si l'un a des revenus inférieurs de moitié à ceux de l'autre, il est évident que s'il a l'enfant une semaine sur deux, la prise en charge pèsera quasiment deux fois plus sur lui parce qu'il a des revenus inférieurs de moitié. Il faut le dire. Il ne faut pas craindre d'instaurer la résidence partagée par peur de priver des femmes aux revenus modestes de pension alimentaire. Il faut préciser que les deux questions sont indépendantes et que cela n'empêche pas d'analyser les situations économiques et le coût réel pour chacun de la prise en charge de l'enfant. Cela me paraît fondamental.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : A l'article 6 de la proposition de loi au paragraphe III, article 373-2 du code civil, l'alinéa 1 a été réécrit de la façon suivante : "En cas de séparation entre les parents ou entre ceux-ci et l'enfant, la contribution à son entretien et à son éducation prend la forme d'une pension alimentaire versée, selon le cas, par l'un des parents à l'autre ou à la personne à laquelle l'enfant a été confié". C'est une reprise de l'article actuel. C'est peut-être là qu'il conviendrait de préciser : "cette pension alimentaire peut exister, y compris en cas de garde ou de résidence alternée".

Me Claire Hocquet : Il faut lire également l'article 372-5.

"Le juge peut également être saisi (...) à l'effet de statuer sur les modalités d'exercice de l'autorité parentale et notamment la résidence de l'enfant au domicile de l'un de ses parents ou en alternance chez chacun d'eux et sur la contribution à son entretien et à son éducation". Dans la formulation "résidence en alternance chez chacun des parents", alternance ne signifie pas une semaine chez l'un, une semaine chez l'autre ; cela peut être dans la proportion de dix jours, cinq jours, selon les possibilités des parents, selon la distance entre les domiciles.

L'article 372-5 précise : "Le juge peut être saisi par l'un des parents." Cela signifie qu'à défaut d'accord entre eux, l'un des deux peut toujours saisir le juge pour faire arbitrer ce désaccord. C'est le cas aujourd'hui. Si aucun des parents ne saisit le juge, le juge n'arbitre pas. Sauf en cas de divorce, où les parents sont obligés de le saisir pour divorcer. Mais des parents naturels ne vont voir le juge que s'ils en éprouvent le besoin. S'ils sont d'accord entre eux et si l'un des deux paie spontanément une pension alimentaire que l'autre considère convenable, il n'y a pas de décision judiciaire. Toutefois, le recours au juge est toujours possible.

Certes, certains pères disent que si l'enfant est à charge à parts égales entre les deux parents, il n'est plus question de pension alimentaire. C'est juridiquement inexact dans la mesure où chacun contribue à l'éducation de ses enfants en proportion de ses ressources et de ses charges, de ses moyens. Ce n'est pas parce qu'on prend l'enfant à parts égales dans le temps, que l'enfant doit vivre une semaine en fonction du niveau de vie d'un parent et une semaine en fonction du niveau de vie de l'autre parent. Personne ne l'a dit et personne ne peut le soutenir. Le juge arbitrera une pension alimentaire à défaut d'accord.

Je fais des conventions de résidence partagée en accord avec des parents où je prévois que, nonobstant la résidence partagée, le père ou la mère - plus rarement, mais cela arrive aussi - verse une contribution à l'autre parent, en complément de la contribution "en nature" qu'il assure quand l'enfant est avec lui. Si la différence est significative, ou bien celui qui a les plus gros revenus verse à l'autre une pension alimentaire, à titre de contribution à l'entretien de l'enfant, ou bien il prend en charge un certain nombre de dépenses...

Mme Chantal Robin-Rodrigo : ... qui sont bien précisées dans la convention.

Me Claire Hocquet : Oui, cela peut faciliter les choses. Si la mère perçoit une pension alimentaire, elle est imposée alors que le père la déduit. Il vaut mieux parfois que le père prenne en charge directement un certain nombre de dépenses. En outre, les questions d'argent dans les couples séparés sont toujours difficiles. Il est souvent plus facile d'obtenir une prise en charge directe d'un certain nombre de dépenses.

On dit toujours que si le père doit prendre en charge un certain nombre de dépenses et s'il y a des difficultés, on ne pourra pas faire exécuter. Quand on voit le nombre de pensions qu'on n'arrive pas à exécuter en cas de difficultés ! Et puis, on peut imaginer que ces difficultés sont telles que la pension alimentaire ne serait pas payée non plus. De toute façon, il faudra bien retourner voir le juge pour organiser tout cela, parce que cela veut dire qu'il y a en réalité d'autres difficultés non résolues et qu'il faudra bien rediscuter et renégocier. Il me semble que c'est un faux problème de dire que l'on ne pourra pas exécuter. 30 % de pensions alimentaires sont impayées, alors qu'elles sont assorties de décisions exécutoires.

Je vois votre inquiétude sur cet article, mais je ne pense pas du tout qu'il soit exclusif de l'idée qu'en cas de résidence alternée, il peut y avoir pension. Dans l'esprit de tous les professionnels, c'est très clair aussi : la pension est fonction des besoins, des ressources et des charges de chacun des parents, et le partage du temps de l'enfant n'exclut pas la question de la pension.

Cela étant, il faut peut-être réaménager le texte de la proposition de loi. Je crois cependant que l'article 372-5 est assez clair à cet égard.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : L'article 373-2 du code civil précise : "...la contribution à son entretien prend la forme d'une pension alimentaire versée, selon le cas, par l'un des parents à l'autre, ou à la personne à laquelle l'enfant a été confié." Cette formulation inclue-t-elle également la résidence alternée ?

Me Claire Hocquet : Je pense que oui. Justement, c'est "l'un des parents à l'autre" sans autre précision. Il y a d'autres moyens aussi. Il y a des questions fiscales : quand l'enfant est rattaché à deux résidences, que prévoit-on dans les conventions ? On précise à quel parent on rattache fiscalement l'enfant. Cela peut être à celui des parents qui a le moindre revenu, parce que cela lui procurera un avantage fiscal qui va compenser la plus lourde charge, mais ce n'est pas forcément l'idéal économiquement.

D'ailleurs, si les parents ne l'ont pas spécifié, le fisc met l'enfant à charge de celui qui a le plus gros revenu, parce qu'il considère que c'est lui qui réalisera la plus grosse économie fiscale. Ce qui est plutôt bienveillant de la part du fisc. A charge pour ce parent-là de reverser partie de cet avantage fiscal à l'autre parent sous forme de contribution de pension alimentaire. Ces questions-là sont à traiter dans la convention ou le jugement.

En cas de résidence non partagée, elles sont à traiter aussi. Il faut bien déterminer une pension alimentaire. Il faut tenir compte des implications fiscales, car la pension coûte moins cher que ne l'imagine le parent qui la déduit fiscalement. Il faut le lui expliquer ; c'est le rôle des professionnels.

Il semble que l'on aura un jour des barèmes indicatifs. C'est un chantier très important qui est en cours ; la commission de M. Michel Yahiel estime que c'est nécessaire, mais n'a pas commencé à travailler sur leur élaboration concrète. Il faut aussi laisser une marge d'appréciation au juge. Cela ne pourra être que des barèmes de référence. Il y a toujours des situations particulières, par exemple d'enfants pour lesquels les dépenses de santé sont très importantes. Il faut toujours pouvoir prendre en compte l'exception et les situations particulières. On ne peut pas toujours appliquer les barèmes et il ne faut pas décharger le juge de son rôle fondamental dans ce domaine.

Mais un barème permettra de prendre plus souvent des accords. Les gens viennent souvent me voir en me demandant combien ils peuvent demander ou combien ils vont devoir verser. C'est une question difficile que l'on renvoie aux professionnels.

Nous demandons au parent quelles sont ses dépenses pour ses enfants, ses revenus, ceux de l'autre parent, combien il pense raisonnable de lui demander compte tenu des dépenses auxquelles il a à faire face, quelle est la manière d'organiser le temps de l'enfant.

Ce travail doit être refait à chaque fois. Il pourrait être simplifié par des grilles d'analyse ou par des barèmes. Ensuite, on pourrait introduire des éléments variables. Cela permettrait à des parents de savoir où ils vont et peut-être de prendre un accord en sachant mieux ce qui correspond à peu près à la norme.

Par ailleurs, il faut percevoir l'importance de ce que la loi va énoncer sur la résidence partagée. Les gens ont à réfléchir au moment de la séparation sur ce qu'ils vont construire dans l'avenir pour leur enfant. Or, une rupture est toujours difficile : il y a parfois une culpabilité de la rupture, il y a tous les conflits, les amertumes accumulées, la souffrance. Il est un peu schizophrénique de devoir à la fois se séparer, faire le "deuil" de la relation avec l'autre" et de devoir faire sa place à l'autre auprès des enfants. Que la loi rappelle que cette place est nécessaire, impossible à contourner et que l'enfant va garder deux foyers est fondamental et doit être dit avec force.

S'agissant du rôle des tiers, il faut faire attention, au moment où l'on essaie de préserver la place du père, à ne pas accorder trop de place au beau-père. C'est souvent ainsi que le problème se pose. Mais il y a parfois des beaux-pères ou des belles-mères qui ont un rôle extrêmement important pour l'enfant et qui se voient bloqués dans des démarches élémentaires. L'idée que la délégation partielle de l'autorité parentale puisse se faire avec l'accord de ceux qui détiennent l'autorité parentale est une bonne solution. Je crois qu'il ne faut pas aller plus loin.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Et ne pas donner de mandat par exemple ? Le texte de la proposition de loi ne le prévoit pas et précise simplement : "les père et mère, ou l'un d'eux partageront tout ou partie de l'exercice de l'autorité parentale avec le tiers délégataire. Le partage nécessite l'accord du ou des parents en tant qu'ils exercent l'autorité parentale."

A ce moment-là, c'est-à-dire s'il y a accord, "la présomption de l'article 372-1 est applicable à l'égard des actes accomplis par le ou les délégants et le délégataire".

Si les rapports entre les deux parents et avec le beau-parent sont suffisamment fluides pour qu'il n'y ait pas une rivalité, un sentiment de se voir prendre sa place, pourquoi ne pas faciliter au beau-parent, dans les actes usuels, dans le quotidien, la possibilité de représenter l'enfant et d'agir en son nom ?

Mme Chantal Robin-Rodrigo : Tout à l'heure, nous avions abordé un autre problème : imaginez le cas de la famille recomposée où le beau-père a élevé l'enfant. Survient une nouvelle séparation. Le beau-père est très attaché à cet enfant qui lui est également très attaché parce qu'il l'a élevé. Dans ces cas-là, n'aurait-il même plus le droit de visite ?

Me Claire Hocquet : Ce n'est pas une question de délégation, mais une question de droit de visite. A partir du moment où un adulte a pris une place importante dans la vie d'un enfant en partageant son quotidien, en jouant un rôle de référent adulte auprès de cet enfant, en participant à son éducation pendant plusieurs années, s'il y a rupture et si ce tiers est prêt à continuer à s'investir dans la relation avec l'enfant, il est indispensable que ce soit possible, y compris sous le contrôle du juge. On organise bien des droits de visite au profit des grands-parents en cas de conflit. Un homme ou une femme qui a élevé un enfant pendant dix ans peut avoir un rôle tout aussi important au plan affectif.

Mme Chantal Robin-Rodrigo : Il est précisé par l'article 377 : "A titre exceptionnel, le tiers qui assume la charge effective de l'enfant peut également saisir le juge aux fins de se faire déléguer totalement ou partiellement l'exercice de l'autorité parentale."

Me Claire Hocquet : Ce n'est pas la même hypothèse. C'est l'hypothèse où un enfant vit effectivement chez un tiers et où ses parents ne sont pas très présents dans son quotidien, volontairement ou involontairement. C'est une délégation qui peut être faite à la demande du tiers. Il peut s'agir d'enfants dont les parents ne sont pas France, qui sont arrivés dans des familles et qui sont à la charge d'un oncle et d'une tante. Il y a des gens qui sont en charge d'un enfant au quotidien et qui n'ont aucun moyen d'établir un quelconque droit sur cet enfant, mais qui remplissent les fonctions de l'autorité parentale. Il peut être important que ce soit à l'initiative de ce tiers, qui a effectivement l'enfant en charge, que la délégation soit donnée par le juge.

Le texte de la proposition de loi supprime toute référence au droit de visite et d'hébergement entre deux parents, ce qui paraît logique puisque cela faisait pendant au droit de garde. L'un avait la garde et l'autre avait le droit de visite et d'hébergement. Dès lors que l'on ne parle plus de garde, la notion de droit de visite et d'hébergement ne veut plus dire grand-chose. De plus, elle est très ambiguë parce que c'est un droit, mais aussi un devoir.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Nous voudrions revenir sur ce sujet. Ce qui nous paraît constitutif du lien entre l'enfant et le père - le plus communément -, se joue autour du droit de visite, qui est un droit pour l'enfant et qu'il est du devoir des deux parents de faire respecter. Si un père ne voit pas pendant des années son fils ou sa fille ou si une mère ne présente pas l'enfant au père comme cela a été convenu, il n'y a pas de sanction, ce qui nous choque.

Me Claire Hocquet : Je pense que ces questions-là ne se régleront pas globalement par des sanctions. C'est là que se situe toute l'importance de la médiation pour essayer de remettre les gens en situation de prendre leur place auprès de leur enfant. Cela dit, les droits et devoirs sans sanction, les juristes ne connaissent pas. Il faut prévoir des sanctions, mais savoir qu'elles ne règleront pas tout.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Cette visite qui exprime cette relation est bien nécessaire à l'enfant. Il faut donc l'affirmer comme un droit de l'enfant mais aussi comme un devoir à respecter par les deux parents.

Me Claire Hocquet : Un devoir et un droit. Avoir des relations avec son enfant est à la fois un devoir, mais aussi un droit. Ce n'est pas un droit pour l'enfant et un devoir pour les parents, c'est un droit pour l'enfant et un droit et un devoir pour les parents. Il faut l'inscrire tel quel.

Cela dit, la coparentalité se travaille dès la naissance de l'enfant. Les récents chiffres sur la place occupée par les femmes le montrent. Certains pères découvrent, souvent au moment de la rupture, que l'enfant, c'est aussi un certain nombre de prises en charge quotidiennes et beaucoup de temps, qu'ils se reposaient à cet égard sur la mère, ce qui ne les empêchait pas d'avoir une relation quotidienne avec leur enfant et une présence affective.

Mais quand les mères se retrouvent confrontées à des pères qui viennent revendiquer leurs droits, alors qu'elles se sont vues "confinées" dans leur rôle de mère ou qu'elles ont dû jongler pendant des années entre leur exercice professionnel et leur rôle de mère auprès des enfants, et que brutalement on leur annonce qu'elles devront partager tout cela, cela suscite des réactions. Il n'empêche que c'est peut-être aussi leur chance, pour leur avenir de femme et leur relation avec leur enfant devenu adolescent, que les équilibres évoluent, y compris au moment de la rupture, vers une plus grande égalité.

La coparentalité se joue dès la naissance, avec les congés parentaux pour les pères...

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Nous sommes d'accord.

Me Claire Hocquet : ... et aussi avec la réorganisation des tâches de chacun pour les enfants. La coparentalité après séparation sera beaucoup plus facile quand tout cela aura changé.

S'agissant du père qui n'exerce pas du tout son droit de visite et d'hébergement, il est difficile de lui imposer de prendre un enfant s'il ne le veut pas. D'autre part, s'il ne le fait pas, c'est souvent parce que le lien s'est trop distendu, qu'il ne sait plus quoi dire à cet enfant qui n'a donc plus très envie d'aller le voir. Tout cela relève d'un processus. Il y a aussi des pères qui se désintéressent totalement et immédiatement de leur enfant. Le rapport du père à l'enfant ne s'exprime pas de la même façon que le rapport de la mère à l'enfant. Quand il y a des séparations avec des enfants très jeunes, certains pères n'ont pas encore investi leur rôle de père et n'ont pas de relation avec cet enfant.

Quelles sanctions va-t-on prendre ? Une sanction financière éventuellement. On peut aller voir le juge pour lui dire que le père ne prend jamais son enfant à charge et lui demander que le père verse un peu plus pour faire face à des dépenses de vacances.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Les mères, les avocats ou les médiateurs nous ont dit qu'il n'y avait pas de recours possible par rapport au droit de visite. La mère qui ne présente pas son enfant peut être sanctionnée, mais rien ne va l'obliger ...

Me Claire Hocquet : Il est possible de la sanctionner, mais il est assez illusoire d'obtenir d'une mère qu'elle présente l'enfant au père quand elle ne le veut pas. Il y a des mères qui ne veulent pas présenter l'enfant au père, mais avec lesquelles on peut discuter, réfléchir aux raisons de son refus, inviter le père à reconsidérer certaines positions sur certaines questions. Il existe aussi des mères qui ont décidé d'éliminer complètement le père de la vie de l'enfant. Là, pour obtenir qu'elles respectent une décision judiciaire ! Je n'aime pas le recours au pénal en matière de droit de la famille qui me paraît être la dernière limite, la dernière extrémité. Mais pour quelques-unes, on se dit que seul ce langage-là sera entendu.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Dans le cas des mères qui ne respectent pas le droit de visite des pères, de fait, il n'y a pas de sanction. Pour les pères qui n'exercent pas leur droit de visite, il n'y a pas de sanction non plus. Nulle part, la loi ne précise que c'est certes un droit, mais que c'est aussi un devoir.

Me Claire Hocquet : Vous avez raison : il faut l'énoncer comme un droit et un devoir.

Mme Odette Casanova : Faut-il vraiment une sanction ?

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Je pensais symboliquement à une admonestation du juge pour acter le fait.

Mme Chantal Robin-Rodrigo : Les enfants, lorsqu'ils seront adultes, se poseront la question  : "Pourquoi n'ai-je pas vu mon père pendant tant d'années ?" La réponse de la mère sera souvent : "Ton père ne s'est jamais occupé de toi", et la réponse du père, quand l'enfant a retrouvé son père : "Ta mère s'y opposait".

Si c'était acté, ce serait important pour l'enfant.

Me Claire Hocquet : Il y a le fait d'acter, mais aussi d'inscrire dans la loi, comme critère de choix de résidence pour l'enfant quand la résidence partagée n'est pas possible, l'idée de privilégier le parent le plus attentif au respect des droits de l'autre. Cela ne peut pas être le seul critère, parce que cela ne correspond pas toujours à l'intérêt de l'enfant, mais le fait de l'inscrire dans la loi peut aussi freiner quelques velléités de ne pas respecter les droits.

S'il est dit clairement par la loi que dans les conditions d'attribution d'une résidence quand le juge doit faire un choix - lorsqu'il ne peut être question par exemple de résidence partagée pour des raisons matérielles -, on privilégiera le parent qui se sera montré le plus ouvert à laisser une place à l'autre et à respecter ses droits et devoirs à l'égard de l'enfant, cela peut être une bonne dissuasion aussi.

Cela dit, je pense que la médiation peut jouer pleinement son rôle quand elle intervient en amont, avant toute décision judiciaire, et qu'elle est une démarche volontaire des parents qui constatent la difficulté du dialogue.

Mme Chantal Robin-Rodrigo : On en revient à la médiation. Par qui ? Qui est le spécialiste ? Quelles sont les formations ? Il n'y a pas de diplôme de médiateur et rien n'est prévu pour encadrer ce métier.

Me Claire Hocquet : Je ne fais pas de médiation, mais il y a des avocats qui se sont spécialisés dans la médiation. Je m'y intéresse beaucoup au plan de la médiation familiale, mais je n'en fais pas parce que ce n'est pas mon métier. Quand je considère que des couples auraient intérêt à se diriger vers la médiation, je leur propose de s'adresser à des associations, qui recrutent des médiateurs formés.

Mme Chantal Robin-Rodrigo : Il n'y a cependant pas de formation officielle.

Me Claire Hocquet : Il y a des formations universitaires, dont la plupart s'adresse à des professionnels venant de différents horizons : travailleurs sociaux, avocats, etc... Je ne suis pas contre le fait qu'un avocat fasse de la médiation, mais il faut se former à la médiation quand on est avocat ; ce n'est pas inné.

Certaines associations de médiateurs ont essayé de se doter de chartes de déontologie avec des critères minimum de formation, de suivi, de supervision de leur travail, etc... Il y a moyen de faire le tri aujourd'hui entre les gens qui se disent médiateurs. Parmi eux, il y a, comme dans toute fonction nouvelle, un peu de tout : des charlatans et des gens sérieux.

La mise en place du groupe de travail sur la médiation vise aussi à étudier les mesures à prendre pour encadrer la médiation et fixer des critères de reconnaissance et d'agrément des médiateurs.

Mme Chantal Robin-Rodrigo : Il est très grave d'être médiateur en droit de la famille sans avoir les réelles compétences, parce que cela peut faire beaucoup de mal. Et, on peut craindre que le juge ensuite ne tienne compte de l'avis de ce médiateur.

Me Claire Hocquet : La médiation n'est pas une aide à la décision pour le juge. Sinon, ce serait une catastrophe. La médiation est un autre mode de résolution des difficultés entre les parents, par lequel ils essaient de se mettre d'accord. S'ils y arrivent, c'est bien ; s'ils n'y arrivent pas, cela ne doit pas être sanctionné par un juge. La plupart des médiateurs véritablement formés, respectant une déontologie, s'accordent sur le secret et la confidentialité de la médiation. Et toutes les propositions selon lesquelles le juge pourrait ordonner une médiation...

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Oui, c'est ce que prévoit le texte.

Me Claire Hocquet : C'est un peu différent ; le texte précise que le juge pourra, le cas échéant, "enjoindre" aux parents d'avoir un rendez-vous avec un médiateur qui leur expliquera ce qu'est la médiation.

Il me paraît absolument incompatible avec l'idée de médiation que le juge puisse l'ordonner. Cela n'a pas de sens ; c'est une démarche volontaire des parents. Il me paraît également totalement inconciliable avec la déontologie et le processus même de médiation que le médiateur puisse rendre compte au juge.

En revanche, le juge pourrait demander aux parents d'aller voir un médiateur et de dire ensuite s'ils veulent s'inscrire dans un tel processus ou s'ils préfèrent qu'il rende une décision. Demander aux parents de se rendre à une réunion d'information ne me paraît pas constituer une violation de la liberté plus importante que celle qui consiste à ordonner une enquête sociale ou un examen médico-psychologique. Ce type d'aide à la décision est beaucoup plus intrusif dans la vie des gens et il est pourtant ordonné par le juge sans possibilité pour les parents d'y échapper. On peut ne pas y aller, mais le juge prendra en compte ce refus.

Mme Chantal Robin-Rodrigo : On pourrait peut-être modifier le terme "enjoindre".

Me Claire Hocquet : La vraie question est celle de savoir ce qui se passera après que le juge ait vu des parents et leur ait conseillé ou enjoint d'aller à un entretien avec un médiateur. Prend-il une décision en attendant ? Auquel cas il risque de bloquer un processus de médiation possible. S'il ne prend pas de décision et si l'on ne veut pas que ce soit un déni de justice, dans un contexte de tribunaux encombrés et de renvois de trois mois en trois mois, il faut qu'il s'engage à les reconvoquer huit jours plus tard. Si dans ce délai de huit jours, les parents n'ont pas vu un médiateur, le juge ne doit pas prendre partie et imputer à l'un ou à l'autre la responsabilité de l'échec de cette proposition. Il peut alors prendre une décision quinze jours plus tard. En droit de la famille, on est rarement à quinze jours près. Mais, on est parfois dans la nécessité d'obtenir une décision quinze jours ou trois semaines plus tard et non pas trois mois plus tard. Quand il y a une demande de logement en suspens, quand il y a des risques de départ lointain, il faut une décision du juge. Le juge ne peut pas se défausser sur le médiateur. Si la médiation est une défausse du juge, c'est un déni de justice et c'est inacceptable. Il faut garder la possibilité d'un recours au juge. Il n'y a pas de raison que la famille soit le seul lieu où l'on ne puisse pas recourir à un juge. C'est un droit fondamental pour faire trancher les conflits dans le respect de la règle de droit.

Le juge doit pouvoir proposer d'aller voir un médiateur, y compris un médiateur qui ferait des permanences dans les palais de justice. On a bien à Paris des psychologues qui font des permanences. Parfois, le juge dit aux parents d'aller voir la psychologue et de revenir dans deux heures, huit jours ou quinze jours, selon l'urgence. Donner aux gens la possibilité de rencontrer quelqu'un qui leur explique ce qu'est une médiation et de choisir entre une logique de conflit avec à la clef une décision du juge, ou un accord avec un tiers en soutien qui aide à rétablir un dialogue minimum, c'est une vraie alternative. C'est une solution à promouvoir. Mais il faut s'en donner les moyens. Il ne faut pas que ce soit sous la menace d'un jugement dans trois mois faute d'accord.

Mme Chantal Robin-Rodrigo : La rédaction du texte vous convient-elle ?

Me Claire Hocquet : Si l'on dit que le juge peut enjoindre aux parents d'aller voir un médiateur, il faut également lui impartir un délai pour les revoir s'ils n'ont pas souhaité poursuivre la démarche de médiation.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Un travail de médiation peut être long, de cinq à dix séances selon le cas. Cela veut-il dire que le juge ne prend pas de décision pendant ce temps-là ?

Me Claire Hocquet : Le juge doit prendre une décision provisoire. Sinon, c'est la porte ouverte à une défausse sur le médiateur. Dès qu'une décision est prise, il est vrai que la médiation est plus difficile, parce que celui qui estime avoir gagné sera d'autant moins enclin à faire des efforts.

Il y a peut-être une solution de compromis. Elle consiste à instaurer le premier rendez-vous obligatoire d'information sur la médiation en obligeant le juge, s'il l'enjoint, à provoquer à nouveau une audience quinze jours plus tard. Il saura ainsi si les parents vont donner suite au processus de médiation, s'ils préfèrent attendre avant qu'une décision n'intervienne ou bien s'ils préfèrent revenir devant lui. Le bref délai peut être une solution. Ou les parents se disent qu'ils vont tenter la médiation et qu'ils n'ont pas besoin d'une décision du juge ; ou ils choisissent d'aller vers un processus de médiation tout en souhaitant une décision qui organise leur situation provisoirement, ou ils refusent ce processus et c'est leur droit.

En tout état de cause, il ne faut pas que la médiation soit une défausse du juge, à qui il convient de laisser toute sa place. Pourtant, je suis partisante du développement de la médiation familiale. Je pense qu'en matière familiale, il faut préserver la relation future entre les deux parents. Une médiation peut ne pas aboutir à un accord complet ; sa réussite ne consiste pas forcément à l'établissement d'un protocole d'accord, mais au rétablissement d'un minimum de dialogue, même s'il reste encore des difficultés à trancher. Cette aide à la reprise d'un dialogue est la solution quand il n'y a pas de conflit trop dur ou quand les deux parents sont épuisés par le conflit. Certains, après plusieurs années de procédure, comprennent qu'ils sont dans une impasse et qu'ils doivent trouver une solution.

Si l'on veut faire toute sa place à une médiation qui apparaîtrait comme un autre mode de solution, il faut que les gens aient le sentiment que ce n'est pas une médiation sous pression du juge. Ils ne doivent pas penser que le juge pourrait tenir compte des raisons de l'échec d'une médiation pour prendre sa décision, car ce serait une catastrophe : il n'y aurait plus de parole libre en médiation si chacun avait peur que celle-ci se retourne contre lui et donc, il n'y aurait plus aucune chance de résoudre le conflit. Il vaut mieux alors un débat judiciaire avec des avocats, des droits de la défense, etc... La médiation n'est pas une aide à la décision du juge.

C'est vrai qu'une décision préalable du juge risque de figer les situations. La solution serait d'enfermer le juge dans un délai lorsqu'il enjoint aux couples de s'informer sur ce qu'est la médiation. Revus sous quinze jours, ils demanderont au juge de prendre une décision ou bien ils diront leur accord pour attendre un peu et pour engager un processus de médiation.

Quand le juge renvoie un couple vers un psychologue du Palais à Paris, il le convoque à nouveau en général quinze jours ou trois semaines plus tard. Ce n'est donc pas ingérable, mais dans des tribunaux qui manquent de moyens, si le juge renvoie en médiation en disant qu'il convoque à nouveau dans quatre mois, cela revient quasiment à refuser de prendre une décision.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Le psychologue est-il un salarié du ministère de la justice ? Sa prestation est-elle payante ?

Me Claire Hocquet : Non, elle est prise en charge par l'Etat.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : La médiation a un coût. Si l'on doit alourdir considérablement les frais d'un divorce par un recours au médiateur, cela ne va-t-il pas peser sur la démarche ?

Me Claire Hocquet : Cela pose la question de la rémunération du médiateur et de l'aide de l'Etat pour ceux qui n'en ont pas les moyens. Si une médiation coûte 6 000 francs et qu'elle permet d'économiser ensuite des années de procédure, cela reviendra moins cher que de s'éterniser dans des conflits et des procédures. La procédure a aussi un coût pour l'Etat.

Le coût est un faux débat. Le vrai débat est la formation, la déontologie, la place du médiateur par rapport à l'institution judiciaire. C'est un autre mode de résolution des conflits. Ce n'est pas une aide à la décision du juge. Cela doit être un mode volontaire. La seule obligation doit être d'aller s'informer si l'on pense que la médiation peut permettre de vivre une coparentalité plus apaisée en aidant les gens à vider tout ce qu'ils ont sur le c_ur en présence du médiateur et ensuite, à essayer de rétablir le dialogue autrement. Si l'on pense cela, on peut peut-être concevoir que l'on puisse au moins obliger les gens à s'informer sur ce que c'est. Ce n'est pas la même chose que de commencer un processus de médiation. Chacun est libre de ne pas accepter d'entrer dans ce processus.

Mme Chantal Robin-Rodrigo : Il faut comprendre ce qu'est la médiation et ce qu'elle peut apporter.

Me Claire Hocquet : Je crois que c'est ce qui est proposé dans la proposition de loi. Le danger vient du fait que le juge pourrait convoquer à nouveau seulement dans les trois à quatre mois. C'est cela qu'il faut encadrer. Il faut imposer une notion de délai qui n'existe pas pour l'instant. C'est une ambiguïté qu'il faut lever.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Il n'est pas indiqué non plus le rôle du médiateur et sa place.

Me Claire Hocquet : Les gens qui ont vraiment réfléchi à la médiation familiale considèrent que c'est une démarche volontaire. La plupart des médiateurs ne sont pas favorables à l'idée d'une médiation imposée et encore moins à celle d'une médiation où ils rendraient compte au juge de ce qui s'est passé.

Si l'on arrive à un protocole d'accord des deux parents et qu'ensuite, les professionnels du droit, les avocats, les juges mettent en forme juridique ce protocole et font homologuer la décision pour qu'elle ait force exécutoire - cela rassure les parents entre lesquels il subsiste toujours des tensions -, alors oui, on peut être d'accord. Le rôle du médiateur n'est pas de formuler juridiquement l'accord. Il rétablit le dialogue entre les parents, il les amène à prendre un accord. Si l'accord est réel, ce n'est pas parce qu'il serait reformulé en termes juridiques qu'il explosera. Les bons accords sont ceux qui résistent.

J'ai vu des couples après une médiation. Certaines questions n'avaient pas été assez fouillées juridiquement. Je l'ai fait avec eux et ils se sont mis d'accord sur la formulation juridique que je leur proposais parce que, sur le fond, ils étaient réellement d'accord. Il m'appartenait de mettre en mots juridiques ce qu'ils avaient construit. A l'inverse, j'ai vu, très rarement, des accords voler en éclats à la moindre de mes questions, parce qu'il n'y avait pas un accord réel. Cela dépend aussi de la formation des médiateurs.

Mme Odette Casanova : La médiation a un coût, le divorce aussi. Si l'on arrive à une médiation réussie concernant l'enfant et la place de l'enfant dans le couple en train de se séparer, peut-être que le divorce durera moins longtemps et sera moins cher. Il faut aussi que les avocats jouent le jeu. Dans ma région, on sait qu'il y a des avocats qui ne vivent que du divorce. Pour eux, un divorce qui dure est une rentrée d'argent.

Me Claire Hocquet : Dans la profession d'avocat comme dans toute profession, il y a des gens qui ont des pratiques différentes. Un divorce qui dure fait-il gagner de l'argent aux avocats ? Cela dépend. Quand c'est en aide juridictionnelle, cela ne fait pas gagner d'argent aux avocats et cela peut être très lourd à gérer.

Quand on voit arriver des couples qui ont bien réfléchi aux questions en médiation et qui ont un accord, le coût de leur divorce et le montant des honoraires d'avocats peuvent être moins lourds. Il y aura moins de travail. Quand on travaille en fonction d'un coût horaire, on demande des honoraires moindres quand les gens sortent d'une médiation réussie.

On peut aussi demander à son avocat les règles du jeu des honoraires. La première fois qu'il voit une personne, il lui est difficile de savoir comment l'autre parent va réagir et si l'accord va se faire facilement. Mais, s'il lui est difficile de forfaitiser, il peut toujours donner des informations sur son coût horaire.

Audition de M. Michel Yahiel,
inspecteur général des affaires sociales

Réunion du mardi 29 mai 2001

Présidence de Mme Martine Lignières-Cassou, présidente

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Nous avons le plaisir d'accueillir maintenant, M. Michel Yahiel, inspecteur général des affaires sociales, rapporteur général de la commission pour les simplifications administratives, président du groupe de travail sur le partage des responsabilités parentales.

Nous souhaiterions avoir votre opinion sur la proposition de loi relative à l'autorité parentale. Vous paraît-elle dans la ligne des travaux de votre groupe de travail ? Vous paraît-elle complémentaire ou présente-t-elle des lacunes ?

M. Michel Yahiel : Le travail qui nous a été demandé par Mme Ségolène Royal a fait suite à la conférence sur la famille de juin 2000. L'un des thèmes évoqués à cette occasion était précisément l'autorité parentale. Nous avons ensuite quelque peu dérivé vers la notion de partage des responsabilités parentales.

Le groupe de travail a été conçu sous un angle non essentiellement juridique, bien que l'on ait accordé une large part aux questions relatives au droit de l'autorité parentale, et pas simplement au droit civil. De fait, nous avons accordé une importance particulière à des branches du droit moins étudiées que le droit civil : le droit de la Sécurité sociale, le droit fiscal et certains autres sujets juridiques liés au problème de l'autorité parentale. Nous avons tenté d'adopter une approche aussi pratique que possible, dans la mesure où le chantier juridique, c'est-à-dire les grands principes dont la proposition de loi s'imprègne largement, était techniquement suffisamment déblayé. Nous n'avions pas grand chose à y ajouter. Nous avons pris connaissance de l'ensemble des rapports, ainsi que d'une littérature étrangère assez abondante en la matière. D'emblée, nous nous sommes situés dans une perspective non pas idéologique mais technique, que l'on retrouve dans l'exposé des motifs et dans le texte de la proposition de loi.

En fait, le c_ur du rapport, qui est organisé en trois parties, est assez logiquement constitué par la deuxième partie. Dans la première partie, nous avons fait le point des questions juridiques. Dans la troisième partie, nous avons conclu par une réflexion sur ce que j'appelle un peu familièrement le "marketing" de l'autorité parentale. Notre souci est de rendre les choses compréhensibles pour les citoyens. Ainsi, la loi de 1993 a été adoptée sans que ceux-ci en voient nécessairement toutes les conséquences. Comment éviter de rééditer cette erreur ? C'est dans cet esprit que la presse a, notamment, fait écho à l'idée de Mme Ségolène Royal de créer un livret de paternité. Ce sont des outils de communication, de compréhension de ces sujets par l'ensemble des familles qui nous ont semblé fondamentaux.

La deuxième partie traite de tout ce qui concerne les principaux freins - à droit constant - à l'exercice conjoint de l'autorité parentale ou au partage des responsabilités parentales. C'est nécessairement un catalogue "à la Prévert", qui regroupe le droit des prestations familiales, le droit du logement social, les pratiques des transporteurs publics, les principes de l'impôt sur le revenu, le fonctionnement de l'éducation nationale, etc... Aux problèmes juridiques, s'ajoutent donc un certain nombre de pratiques administratives plus ou moins erratiques, qui accentuent les difficultés que les familles rencontrent pour exercer l'autorité parentale dans de bonnes conditions.

Il est nécessaire de rappeler - même si cela ne relève pas de notre compétence directe - que ce sujet ne progressera pas fondamentalement tant que le droit civil qui ordonne les autres branches du droit, notamment le droit fiscal et le droit social, n'aura pas évolué sur certains points. Cela est repris dans la proposition de loi, à travers la prise en compte de la filiation plutôt que la communauté de vie, le principe d'une égalité de droits et de devoirs entre le père et la mère en matière d'autorité parentale, ou encore la possibilité de résidence alternée. Ces trois idées forment le socle de la proposition de loi et correspondent parfaitement à nos conclusions.

Aussi, nous a-t-il semblé important de mener une réflexion transversale sur la vie quotidienne, en particulier celle des familles les plus en difficulté. Il va de soi que celles-ci sont plus exposées à des difficultés d'ordre affectif, mais aussi juridiques, sociales, financières, culturelles. Enfin, il était indispensable que la puissance publique et ses partenaires se dotent de quelques outils de clarification des textes, qui sont extraordinairement compliqués.

Au total, l'un des grands points d'équilibre du rapport est fondé sur le partage entre sujets juridiques (droit civil et autres) et sujets pratiques.

Pour des raisons de fond, il importe également de conserver un équilibre dans les approches concernant les parents - l'autorité parentale se joue à la naissance et même un peu avant - quelles que soient les vicissitudes ultérieures de la vie familiale, et, pour les parents séparés, quelles que soient les modalités de cette séparation.

Cet équilibre est facile à exposer en termes de principe, plus difficile à mettre en _uvre en pratique, car l'on bute sur des écueils opposés. Soit on adopte une approche de droit commun qui fait litière des problèmes très concrets du divorce ou de la séparation et tend à nier une réalité sociale éminente, en particulier pour les familles les moins aisées. Soit, à l'autre extrême, on risque de tomber par inadvertance dans la discrimination positive. Nous y avons été très sensibles dans l'examen du partage des prestations familiales.

Une vieille idée circule en France selon laquelle les prestations familiales devraient être "fondées sur la tête de l'enfant" et non versées dans le cadre familial. Outre le fait que de nombreux partenaires réagissent vivement à ce propos, un tel système conduirait à des iniquités : le problème serait simplement déplacé. Il en serait de même en ce qui concerne l'allocation logement. Nos propositions techniques tentent donc de s'infiltrer dans les "espaces d'équité" restants.

De même, en matière de logement social, plutôt que de s'orienter vers un partage des allocations logement, procédure assez complexe avec beaucoup d'effets pervers et qui a peu de sens, il conviendrait de familiariser le droit à l'accès au logement social. La réforme est certes moins emblématique, car il n'y a pas de droit financier spécifique, mais probablement plus opératoire.

Au fond, l'équilibre entre les familles en général et les parents qui se séparent, mariés ou non mariés, est difficile à maintenir et paraît indispensable pour des raisons politiques, mais aussi d'acceptabilité des réformes et d'équité sociale.

A la lecture de la proposition de loi, j'ai été frappé par la grande continuité entre le texte, l'exposé des motifs, les articles et ce qui constitue maintenant une sorte de fonds commun intellectuel. J'ignore si, au sein de la représentation nationale, ces sujets sont aussi partagés que parmi les experts. En tous les cas, j'y ai retrouvé tous les points que nous avons considérés comme acquis, non pas politiquement, mais au plan des principes, avant de rentrer plus avant dans notre réflexion.

Un point m'a paru toutefois soulever question. Dans l'exposé des motifs de l'article 3, il est fait mention de la suppression de l'exigence de vie commune pour l'exercice commun de l'autorité parentale par les parents non mariés. Il y a également l'idée d'une déclaration conjointe devant le greffier. Est-ce dans le cas où il n'y a pas eu de reconnaissance anténatale ?

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Le texte prévoit que si le père a fait la reconnaissance un an après la naissance de l'enfant, il n'a pas l'autorité parentale conjointe ; il ne peut l'obtenir que si les deux parents font une démarche auprès du tribunal de grande instance.

Nous nous demandons si cette disposition a véritablement un sens. Il est effectivement absurde qu'une mère ne sache pas que son ex-compagnon a fait une reconnaissance de l'enfant. Au lieu de dénier à celui-ci l'exercice de l'autorité parentale (sauf s'il fait une démarche volontaire), ne vaudrait-il pas mieux prévoir une disposition qui permette à la mère d'être informée, que ce soit avant la naissance ou pendant la première année et même après, de cet établissement de la filiation par le père, plutôt que de recourir à une formule qui suppose que la mère fasse une demande d'extrait d'acte de naissance, par lequel elle aura connaissance de la démarche du père ? Il nous semble que le texte n'est pas complètement satisfaisant à cet égard et ne facilite pas la vie du père.

M. Michel Yahiel : Pour régler le cas peu fréquent des reconnaissances pour lesquelles les mères ne sont pas informées, on risque de marginaliser les pères non mariés qui ne connaîtraient pas bien les textes en dépit de la politique d'information mise en place. Il faut privilégier l'information mutuelle. La difficulté réside en la conceptualisation d'un mécanisme permettant de délivrer l'information à la mère.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : La mère doit avoir la possibilité de s'opposer à l'attribution automatique de l'autorité parentale, si le père est parti ou dans d'autres circonstances peu favorables à l'exercice de l'autorité parentale par le père.

M. Michel Yahiel : Sur l'homologation des accords parentaux (articles 372-3 et 372-4), la question discutée au sein du groupe de travail portait sur la valeur des accords parentaux et la nécessité ou pas de les homologuer.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Il nous semblerait plus prudent que les juges homologuent ces accords. Les rapports parentaux n'étant pas toujours équitables, le juge est là pour veiller à une certaine impartialité.

M. Michel Yahiel : Nous avons utilisé une formulation plus ouverte, l'idée étant de promouvoir en toutes circonstances et dans tous les domaines l'accord des parents.

Mme Chantal Robin-Rodrigo : Dans l'intérêt de l'enfant.

M. Michel Yahiel : Il y a eu débat entre les juristes du groupe, les uns considérant qu'il ne pouvait pas y avoir d'accords non homologués, les autres disant que l'accord sous seing privé était valable, tant qu'il n'y avait pas de conflit. Nous nous sommes montrés plus "libéraux" que la proposition de loi. Il serait bon de parvenir à ce que la loi consacre un processus contractuel avec homologation, dans lequel il serait indiqué que rien n'interdit à des parents de régler les questions de vie quotidienne avec leur enfant d'un commun accord, sans passer par le juge. C'est un message difficile à expliciter, notamment pour les familles en difficulté.

Nous avons travaillé en parallèle avec le groupe de travail "famille et pauvreté". Nous nous sommes beaucoup concertés sur ce type de problématique. Au-delà même de la seule catégorie des familles dites "pauvres", l'accessibilité au raisonnement juridique, y compris en matière de droit de la famille, est un vrai souci. Quel que soit le devenir d'une réforme qui demeure indispensable, le Gouvernement et les organismes qu'il a sous sa tutelle devront assurer une sorte de "service après-vente". Sinon, on peut douter que cela soit spontanément efficace. Par ailleurs, faciliter l'exercice de l'activité des juges aux affaires familiales serait un premier progrès.

Les articles 372-3 et 372-5 traitent de la résidence alternée, qui est l'un des modes d'exercice possible de l'autorité parentale. La difficulté aujourd'hui, c'est que les juges ne peuvent pas prononcer ce mode de garde. Cependant, lever cet obstacle ne revient pas à le systématiser et je partage, à titre personnel, les précisions apportées sur ce point.

Nous n'avons pas traité de la délégation au tiers, car c'est un sujet moins proche de nos préoccupations.

Selon l'article 4, les parents sont tenus de maintenir des relations personnelles avec l'enfant, l'autorité parentale étant un ensemble de droits et de devoirs partagés : là encore, je retrouve totalement l'approche de notre réflexion.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : A part les article 3 et 4, il y a peu de dispositions sur les droits et devoirs des parents. Pour le père, c'est à dire celui qui a le moins fréquemment la garde, la relation à l'enfant passe le plus souvent par l'exercice du droit de visite. Nous voudrions que ce droit soit reconnu à la fois comme un droit et un devoir : une mère ne doit pas entraver l'exercice de ce droit et un père a pour obligation de le remplir. Avez-vous travaillé sur ce sujet ?

M. Michel Yahiel : Nous l'avons fait par le biais des prestations sociales. Pour des raisons qui sont longuement exposées dans le rapport et ses annexes techniques, nous avons écarté l'idée du partage des allocations familiales ainsi que des autres prestations familiales. Nous avons préconisé la création d'une nouvelle allocation qui serait un "détournement intelligent" de l'allocation de soutien familial (ASF), prestation malaisément gérée, parce que relativement obsolète dans sa conception. L'idée serait d'accorder une ASF au parent dit "hors d'état", en l'occurrence le père, qui n'est pas en état de payer la pension alimentaire. Il s'agit d'essayer d'aider les deux parents. Je vous en épargne les détails techniques. L'une des idées serait toutefois de subordonner l'octroi de cette prestation pour le parent dit non gardien et donc "hors d'état", à la vérification de l'exercice effectif de ses devoirs.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : C'est une intrusion considérable !

M. Michel Yahiel : L'idée que nous avions pour éviter l'intrusion, mais qui soulèverait des difficultés techniques au sein des CAF, serait que la demande d'allocation soit conjointe. La question reste donc à défricher.

Mme Chantal Robin-Rodrigo : Dans les situations de conflit où se trouvent les parents à ce moment-là, cela n'est pas près d'arriver !

M. Michel Yahiel : A la lumière de notre expérience en matière de gestion de la prestation d'ASF, nous savons que cette allocation a des défauts quasi congénitaux qu'il nous semble indispensable de régler. L'ASF est versée dans 90 % des cas à des femmes qui ne perçoivent pas leur pension alimentaire ou en cas de veuvage. Or, cette subvention n'est pas soumise à condition de ressources, ce qui est assez extravagant. Mais, surtout, son octroi est conditionné à un critère d'isolement hors d'âge, en tout cas sans relation aucune avec l'obligation alimentaire du conjoint initial.

A la différence de l'allocation de parent isolé, dont le concept est de prendre en compte les charges liées à l'isolement d'une personne, l'ASF est sensée pallier la défaillance provisoire d'un débiteur alimentaire. Cela veut dire que si la mère, bénéficiaire le plus fréquent de l'ASF, reprend une vie commune - ce qui est son droit le plus strict - l'ASF est supprimée, comme si l'obligation alimentaire du père était liée à la présence d'un homme à la maison.

Il y a un problème général de réforme de l'ASF. Lorsque l'on s'appuie sur les dossiers et l'expérience des travailleurs sociaux, on s'aperçoit que de nombreux dossiers d'ASF renferment peu de conflits. De nombreux pères ne payent pas la pension alimentaire pour des raisons que la mère comprend souvent, sans pour autant l'accepter. Certaines femmes ne demandent pas l'ASF parce qu'elles ne veulent pas stigmatiser leur ex-conjoint ou compagnon. C'est beaucoup plus complexe qu'on ne le pense ! Dans certaines situations de conflit ouvert, il clair que notre proposition ne trouve pas à s'appliquer. Tout cela relève au mieux du juge. Il y a beaucoup de situations de déshérence sociale. De nombreux juges aux affaires familiales continuent de fixer des pensions alimentaires sous le seuil de l'ASF.

Répétons-le, dans ces mécanismes, il n'y a pas de réponse univoque, dans la mesure où nous ne sommes pas forcément face à des situations conflictuelles. Il pourrait également y avoir une régulation plus souple de la gestion des prestations et une meilleure mobilisation des travailleurs sociaux, plutôt que de leur faire vérifier les conditions d'isolement des bénéficiaires de l'ASF. Nous assortissons cela d'autres mesures de simplification afin d'éviter "les nids à contentieux".

Nous avons tenté de creuser cette piste, en prenant deux angles d'attaque : l'un repose sur une réflexion générale sur l'ASF qui n'aboutira sans doute pas rapidement, car cette approche est relativement onéreuse ; l'autre idée est de tenter de mettre un peu d'équilibre entre les deux parents en matière de prestations sociales, ce qui ne peut être obtenu sur le champ, général, des allocations familiales.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Vous subordonneriez donc le versement de l'ASF à l'exercice effectif du droit de visite par le père ?

M. Michel Yahiel : Tout en sachant que cela est délicat à contrôler. Il s'agit de l'affirmation d'un principe. Si une telle prestation, dite de soutien parental, décalquée de l'ASF actuelle, était mise en _uvre, cela supposerait que le père dit "hors d'état" s'engage à accomplir ses devoirs de père de manière déclarative. Cela nous paraît être le minimum. Ecrire le texte correspondant est complexe, mais il est préférable d'affronter la complexité que de ne rien faire. Le sujet est encore largement en friche. Techniquement, juridiquement, financièrement, la proposition est au point. Pour autant, elle n'est pas spontanément applicable.

Je le rappelle, notre groupe paritaire de réflexion a regroupé l'ensemble des ministères, y compris le ministère des finances, à travers la direction générale des impôts, la direction du budget, une partie du monde associatif et quelques experts totalement indépendants, comme Me Claire Hocquet ; nous avons donc formé un "attelage" motivé mais composite. Dans ce genre de réflexion, il y a nécessairement une tension pour trouver la bonne solution. Il est inéluctable que, sur certains points, l'expertise doive se poursuivre.

Je vous fais part d'une intuition plutôt que d'une conviction absolue. Cette mesure relative à l'ASF et aux parents "non gardiens" constitue certes une petite fenêtre par rapport à celles que la proposition de loi ouvre par ailleurs, mais probablement un bon compromis pour avancer dans le sens des objectifs fixés.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Comme disait notre interlocuteur précédent, l'un des obstacles à la coparentalité est d'ordre matériel, bien plus encore en cas de garde alternée. Si l'un des obstacles essentiels est celui-là, donnons-nous les moyens de le résoudre.

Mme Chantal Robin-Rodrigo : De le résoudre en termes de droits et de devoirs. Notre interrogation était de le résoudre, non pas en termes de sanction, mais de rappel à l'ordre. Le père a un droit de visite vis à vis de l'enfant, il a l'obligation d'exercer réellement ce droit dans le but de maintenir une relation avec l'enfant. Il s'agit d'un devoir, il ne peut s'en défaire. Un rappel à l'ordre serait nécessaire ; ne serait-ce que pour que l'enfant devenu adulte sache.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : De même que pour la mère qui refuse de présenter l'enfant.

M. Michel Yahiel : C'est ce qui est prévu à l'article 4. Il y a un devoir pour le père et la mère envers l'enfant, devoir réciproque qui consiste aussi à respecter le droit de l'autre parent à maintenir des relations avec l'enfant. Cela donne une base juridique pour sanctionner de manière plus forte la non-présentation d'enfant, la procédure employée aujourd'hui étant obsolète.

Le rapport propose notamment que les enfants soient ayant droit de leurs deux parents au titre de l'assurance maladie, quel que soit le statut des parents. Il s'agit d'une mesure importante que l'on pourrait qualifier de détachable de la réforme. Encore une fois cependant, l'essentiel des mesures proposées dans le rapport doit s'envisager en cohérence avec la réforme du code civil, y compris en matière de prestations familiales et de fiscalité.

3111 - Rapport d'information de Mme Chantal Robin-Rodrigo sur la proposition de loi relative à l'autorité parentale (délégation aux droits des femmes)

() Rapport de Mme Irène Théry au ministre de l'emploi et de la solidarité et au garde des sceaux, ministre de la justice "Couple, filiation et parenté aujourd'hui - Le droit face aux mutations de la famille et de la vie privée" - mai 1998.

() Rapport du groupe de travail présidé par Mme Françoise Dekeuwer-Defossez, au garde des sceaux, ministre de la justice "Rénover le droit de la famille : propositions pour un droit adapté aux réalités et aux aspirations de notre temps" - septembre 1999.

() Réformes législatives et permanence des pratiques : à propos de la généralisation de l'exercice en commun de l'autorité parentale par la loi du 8 janvier 1993 - Hugues Fulchiron, professeur à l'Université Jean Moulin-Lyon 3, directeur du Centre de droit de la famille, et Adeline Gouttenoire-Cornuit, maître de conférences à l'Université Jean Monnet (Saint-Etienne) - Recueil Dalloz 1997.