N° 3197 - Rapport d'information de M. Roland Blum déposé en application de l'article 6 sexies de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires par la délégation à l'aménagement du térritoire déposé en application de l'article 145 du Règlement par la commission des affaires étrangères sur les forces et les faiblesses du cinéma français sur le marché international

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N° 3197

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 26 juin 2001.

RAPPORT D'INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l'article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES (1)

sur les forces et les faiblesses du cinéma français sur le marché international

ET PRÉSENTÉ

PAR M. ROLAND BLUM,

Député

--

(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

Affaires étrangères

La Commission des affaires étrangères est composée de : M. François Loncle, président ; M. Gérard Charasse, M. Georges Hage, M. Jean-Bernard Raimond, vice-présidents ; M. Roland Blum, M. Pierre Brana, Mme Monique Collange, secrétaires ; Mme Michèle Alliot-Marie, Mme Nicole Ameline, M. René André, Mme Marie-Hélène Aubert, Mme Martine Aurillac, M. Édouard Balladur, M. Raymond Barre, M. Henri Bertholet, M. Jean-Louis Bianco, M. André Billardon, M. André Borel, M. Bernard Bosson, M. Bernard Brochand, M. Jean-Christophe Cambadélis, M. Hervé de Charette, M. Yves Dauge, M. Jean-Claude Decagny, M. Patrick Delnatte, M. Jean-Marie Demange, M. Xavier Deniau, M. Paul Dhaille, M. Jean-Paul Dupré, M. Charles Ehrmann, M. Jean-Michel Ferrand, M. Raymond Forni, M. Michel Fromet, M. Georges Frêche, M. Jean-Yves Gateaud, M. Jean Gaubert, M. Valéry Giscard d'Estaing, M. Jacques Godfrain, M. Pierre Goldberg, M. François Guillaume, M. Jean-Jacques Guillet, M. Robert Hue, Mme Bernadette Isaac-Sibille, M. Didier Julia, M. Alain Juppé, M. André Labarrère, M. Gilbert Le Bris, M. Alain Le Vern, M. Jean-Claude Lefort, M. Guy Lengagne, M. Pierre Lequiller, M. François Léotard, M. Bernard Madrelle, M. René Mangin, M. Jean-Paul Mariot, M. Gilbert Maurer, M. Jean-Claude Mignon, M. Jacques Myard, Mme Françoise de Panafieu, M. Étienne Pinte, M. Marc Reymann, M. François Rochebloine, M. Gilbert Roseau, Mme Yvette Roudy, M. René Rouquet, M. Georges Sarre, M. Henri Sicre, M. Dominique Strauss-Kahn, Mme Christiane Taubira-Delannon, M. Michel Terrot, Mme Odette Trupin, M. Joseph Tyrode, M. Michel Vauzelle.

SOMMAIRE

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INTRODUCTION 7

I - LA FRANCE : PRINCIPAL RIVAL DES ÉTATS-UNIS POUR LE CINÉMA 15

A - UNE RÉSISTANCE OPINIÂTRE DU CINÉMA FRANÇAIS 15

1) La suprématie du cinéma américain 15

a) De Vincennes à Hollywood. 15

b) Un divertissement populaire 16

c) Une hégémonie mondiale 12

2) Les faiblesses du cinéma européen 17

a) La fin d'une exception italienne 17

b) L'industrie cinématographique britannique 18

c) L'image brouillée du cinéma allemand 19

3) L'alternative française 21

a) La première production européenne 21

b) Un public sensible aux productions nationales 23

B - LES RAISONS DE LA SUPRÉMATIE AMÉRICAINE 24

1) Les films américains sont-ils réellement les meilleurs ? 24

a) L'héritage d'un certain regard 24

b) La redécouverte du scénario 26

2) Des raisons économiques 27

a) Des écarts de budget significatifs 27

b) Une distribution aux mains des Américains 32

c) Logique d'amortissement contre logique de préfinancement 33

3) Des raisons politiques et culturelles 34

a) Hollywood et la Maison Blanche 34

b) Le cinéma : art et/ou divertissement 35

c) Un combat moderne mais mal mené 37

II - LE DANGER DE L'IMMOBILISME 41

A - LA MENACE D'UNE DÉSTABILISATION 41

1) Les défis de la mondialisation 41

a) Les aides à l'exportation 41

b) Des résultats modestes concentrés sur un petit nombre de films 43

c) La guerre des tournages 45

2) Les mutations du marché 46

a) La baisse d'audience des films à la télévision 46

b) L'apparition des multiplexes 47

c) Les abonnements illimités 49

3) L'innovation technologique 50

a) La révolution numérique 51

b) Les bouleversements attendus sur la distribution et l'exploitation 51

B - LES NÉCESSAIRES MUTATIONS 52

1) Le rôle des pouvoirs publics 53

2) La nécessité d'une stratégie offensive 54

a) Renforcer la production indépendante 54

b) Dynamiser et rationaliser nos efforts à l'exportation 54

c) Eduquer le goût du spectateur. 55

d) Favoriser les soutiens locaux. 57

3) Le recours européen 57

a) Les instruments européens 58

b) Pour une Europe du cinéma 59

CONCLUSION 63

EXAMEN EN COMMISSION 65

ANNEXES :

ANNEXE 1 : Le cinéma français aux Etats-Unis 67

ANNEXE 2 :Les principes régissant l'aide au cinéma en Italie 74

ANNEXE 3 : L'action de l'Office fédéral d'aide au cinéma allemand 77

ANNEXE 4 : Le cinéma britannique 79

Remerciements

M. Roland Blum tient tout particulièrement à remercier pour avoir relu son rapport et fait part de leurs observations : M. Jean-Pierre Hoss, Conseiller d'Etat ; M. David Kessler, Directeur général du Centre national de la cinématographie ; M. Jean-Claude Moyret, Directeur de l'audiovisuel extérieur et des techniques de communication ; M. Jean Ollé Laprune, animateur à Ciné Classics ; M. Pascal Rogard, Secrétaire général de la Chambre syndicale des producteurs et exportateurs de films français, M. Daniel Toscan du Plantier, Président d'Unifrance.

Il remercie également les attachés audiovisuels auprès des Ambassades de France qui lui ont apporté leur aide au cours de ses missions et tout particulièrement : MM. François Truffart et Mohamed Bendjebbour à Los Angeles, M. Pascal Bourdon et Mlle Cécile Mouette à Washington, M. Alain Massé à Ottawa, M. Pascal Michau à Londres, M. Sébastien Msika à Rome, Mlle Hélène Conand à Berlin.

Bien évidemment, M. Roland Blum demeure seul responsable des propos exprimés dans ce rapport.

Mesdames, Messieurs,

Jamais jusqu'à présent la Commission des Affaires étrangères de l'Assemblée nationale n'avait consacré de travaux au cinéma. Cette réserve se comprend d'autant moins que le cinéma constitue un enjeu récurrent des négociations internationales, et ce quasiment depuis sa naissance. Rappelons simplement, entre autres mesures, les lois adoptées à la fin des années 1920 par les principaux pays européens (Allemagne, Italie, Grande-Bretagne, France) afin de contingenter les films américains accusés de submerger leur marché intérieur - déjà ! - ou le fait qu'en 1946 l'industrie cinématographique a été le seul secteur à faire l'objet d'un traitement particulier dans les accords du GATT (article IV : Dispositions spéciales relatives aux films cinématographiques). Ces dernières clauses n'ont pas eu le temps d'être appliquées puisque les Etats-Unis ont réussi, après la seconde guerre mondiale, à conditionner l'octroi de leur aide économique à l'ouverture des marchés européens à la production cinématographique américaine : ce furent les accords Blum-Byrnes de mai 1946. Bel exemple de la ténacité américaine et de l'importance accordée à ce dossier !

Plus récemment, les débats sur ce qu'il a été convenu d'appeler à une époque « l'exception culturelle » - une expression à laquelle a été depuis lors substituée celle de « diversité culturelle » - ont contribué à retarder la conclusion à Marrakech des négociations commerciales de l'Uruguay round (1993) et ont été un des points d'achoppement de l'Accord mondial sur l'investissement (AMI) discuté au sein de l'OCDE.

Le rôle que s'est attribué le cinéma dans les relations internationales s'explique tout autant par des raisons politiques et symboliques que par des considérations économiques. En témoigne l'intervention de M. Edouard Herriot qui, en janvier 1928, tente de persuader ses collègues députés de voter - ce sera la loi du 1er mars 1928 - un contingentement des films américains en invoquant « l'intérêt de la conservation des m_urs et des traditions nationales qu'il s'agit de sauvegarder ».

M. Jean-Michel Frodon, qui tient aujourd'hui la critique cinématographique du quotidien Le Monde, a montré dans un livre stimulant l'affinité de nature qui unit cinéma et nation : « elle est due, explique-t-il, à un mécanisme commun qui les constitue l'un et l'autre : la projection »1 Et cette phrase va bien au-delà de la formule ou du jeu de mots. Ce qui intéresse les Etats-Unis dans la signature des accords Blum-Byrnes, ce n'est pas seulement l'exportation de leurs films mais également et surtout de leur philosophie et de leur mode de vie. Tout film diffuse les valeurs de son pays d'origine, qu'elles soient culturelles, linguistiques, commerciales et politiques. Cette représentation est d'autant plus puissante qu'elle est magnifiée et embellie, qu'elle substitue à la réalité une image et un récit, reconnaissables certes, mais en grande partie rêvés. C'est la « Naissance d'une nation » de David W. Griffith ou encore « Le Cuirassé Potemkine » d'Eisenstein.

Cette réalité du cinéma comme une part déterminante de la souveraineté culturelle explique l'attention précoce que lui ont porté les Etats. Bien sûr toutes les dictatures - l'Union soviétique communiste, l'Italie fasciste ou l'Allemagne nazie pour n'évoquer que celles du passé - ont voulu instrumentaliser ce moyen unique de projeter leur puissance. Mais dans les démocraties aussi et de façon plus durable, nous le verrons ci-dessous, le cinéma a fait l'objet d'une attention privilégiée qui s'est souvent traduite par un statut juridique et financier dérogatoire du droit commun.

La France est le pays qui, grâce aux Frères Lumière, a inventé le cinéma. Sa date de naissance est le 28 décembre 1895, jour de la première projection payante à Paris, au 14 boulevard des Capucines. Depuis lors, et cette paternité n'y est pas étrangère, les cinéastes français ont revendiqué une responsabilité dans l'illustration et la protection du cinéma, non d'abord comme industrie mais avant tout comme Art, une conception qu'ils n'auront de cesse de défendre contre les tentatives de banalisation industrielle et commerciale. C'est sous leur pression que les pouvoirs publics français ont demandé en janvier 1948 une révision des accords Blum-Byrnes et fait voter le 16 septembre 1948 la première loi d'aide au cinéma français.

Mais de plus en plus nombreux sont ceux qui aujourd'hui voient dans ce système de gestion mixte, mis en place depuis plus d'un demi-siècle entre les professionnels et l'Etat, les raisons d'une sclérose et d'une faiblesse croissante - parfois cachées par quelques succès temporaires - du cinéma français. La perspective de la révolution numérique, avec les incertitudes quant aux modifications qu'elle entraînera sur le contenu et l'organisation du cinéma mondial, rend encore plus urgente une réflexion sur les perspectives du cinéma français. Est-il condamné à une marginalisation croissante, voire à une disparition progressive, à un rôle de faire-valoir culturel d'un cinéma américain de plus en plus plébiscité par les jeunes spectateurs ? C'est à cette question que s'efforce de répondre ce rapport en essayant de sortir de l'antienne traditionnelle opposant un cinéma de qualité et de créativité, qui serait l'apanage du Vieux continent, à un cinéma industriel et fabriqué, qui sortirait des studios d'Hollywood. La réalité est à la fois différente et plus complexe. Et c'est cette complexité que nous allons tout d'abord décrire en essayant de comprendre les raisons d'une résistance du cinéma français face à l'hégémonie américaine. Nous tenterons ensuite de faire le point sur les principaux défis qui attendent dans les années futures le cinéma français et les moyens pour lui de s'y préparer et d'y faire face.

I - LA FRANCE : PRINCIPAL RIVAL
DES ÉTATS-UNIS POUR LE CINÉMA

A - Une résistance opiniâtre du cinéma français

Le bilan est rude : dans la quasi totalité des pays du monde, le cinéma national plafonne à 10/15% des parts de marché. Partout - ou presque - le cinéma américain impose sa suprématie. « Dans ce nouveau western, ironise le rédacteur en chef des « Cahiers du cinéma », M. Charles Tesson, il n'est de bon cinéma qu'américain. Le reste, comme les Indiens naguère, doit être mort ou mis en réserve de l'industrie »2. Le cinéma français est l'un des rares à résister avec quelques succès, puisque sa part du marché national représente en moyenne 33% sur les dernières années.

1) La suprématie du cinéma américain

a) De Vincennes à Hollywood.

Avant la guerre de 1914, le cinéma français a été, par l'importance de sa production et de sa distribution, le premier cinéma au monde. Quelques hommes, Charles Pathé, Georges Méliès, Léon Gaumont, ont su tirer partie de l'impact de l'invention des frères Lumière pour imposer le cinéma français et conquérir les marchés internationaux. Dès 1908, Pathé Frères est devenue la plus grande compagnie de production du monde, en créant de nombreuses succursales à l'étranger, dont vingt-deux agences aux Etats-Unis. Au début des années 1910, la maison Pathé représente à elle seule 50% du marché américain. Vincennes, le siège de la société, est la capitale mondiale du cinéma. En 1912-1913, le cinéma français occupe 85% des écrans du monde entier.

La guerre de 1914 met fin à cet empire. La production est stoppée sur ordre de l'Etat, les studios réquisitionnés. L'usine de pellicules Pathé, à Vincennes, est transformée en usine de guerre. Le personnel étant mobilisé, on ferme les agences à l'étranger. Une reprise de la production s'amorce fin 1915 et en 1916, mais il est trop tard. En 1917, les Etats-Unis ont détrôné la France sur le marché mondial. Dès 1916, Charles Pathé assiège les hommes politiques pour les convaincre - sans succès, on est en pleine guerre ! - de voter un contingentement de 25% des films américains sur les écrans français. Ce reflux du cinéma français arrive d'autant plus mal qu'il coïncide avec la première mutation du cinéma : la généralisation des longs métrages.

b) Un divertissement populaire

En 2000, le cinéma américain a produit 762 films. Il détient un quasi-monopole sur son marché, où la part des films étrangers ne représentait que 5,4% en 2000. Cette même année, sur le marché américain, les recettes des films en salle se sont élevées à 7,66 milliards de dollars sur le marché américain, (ce qui représente une augmentation de 60% par rapport au début de la décennie). En dépit d'une baisse, pour la deuxième année consécutive, du nombre d'entrées - 1,42 milliard de tickets vendus en 2000 -, les Américains demeurent, avec en moyenne 5 films par personne et par an, la nation qui se déplace le plus pour aller dans une salle de cinéma. Certains films étrangers, mais en langue anglaise, tirant partie de la communauté de langue, réalisent parfois des scores honorables. Pour les films en langues étrangères, la part de marché est évaluée entre 1 et 2% du box-office selon les estimations.

La part des films français aux Etats-Unis a représenté en 1999 0,4% contre 0,2% en 1998. Cinq films ont réussi a franchir ou approcher le seuil symbolique de 1,5 million de dollars en recettes salles : « Jeanne d'Arc » de Luc Besson, « Le dîner de cons » (The dinner game) de Francis Veber, « Conte d'automne » (Autumn tale) d'Eric Rohmer, « La vie rêvée des anges » (The dreamlife of angels) d'Eric Zonca, « Romance » de Catherine Breillat. D'une manière globale, les films étrangers, plus particulièrement s'ils ne sont pas tournés en anglais, sont maintenus sur un marché de « niche » qui correspond aux attentes d'un public restreint de cinéphiles à la recherche de films d'auteurs.

c) Une hégémonie mondiale

Le cinéma américain est le premier sur les marchés étrangers. Les Etats-Unis accordent un grand intérêt au marché international, notamment parce qu'en raison de l'explosion des coûts de production, certains films ne sont plus rentables sur le seul marché national. L'amortissement des productions américaines est de plus en plus dépendant du marché international.

Nos diverses rencontres à Los Angeles ont illustré la très grande attention que les Studios américains portent à concevoir leurs films pour un public universel. Mme Nadia Bronson, d'Universal studios, nous a énuméré les ingrédients de la recette : « action, adventure, humor, love interest and special effects ». Ajoutez quelques stars, un bon metteur en scène, et vous devriez faire un succès ! Et une réussite américaine - à la différence d'un succès français - se transforme très souvent en réussite mondiale !

Afin de mieux valoriser à l'échelon mondial les investissements promotionnels réalisés aux Etats-Unis lors de la sortie des films, la sortie d'un film américain est de plus en plus souvent organisée à l'échelon de la planète. En 2000, 35% des films américains sont sortis à l'étranger moins de quinze jours après leur sortie sur le marché intérieur et 60% moins d'un mois après.

Les recettes en salle des films américains sur le marché international ont été de 6 milliards de dollars en 2000, en diminution de 600 millions de dollars par rapport à 1999. Toutefois, cette baisse doit être relativisée non seulement en raison de la croissance des marchés de la télévision à l'export mais aussi parce que la fréquentation globale est restée soutenue dans les pays où le cinéma américain réalise ses meilleurs scores, notamment au Japon qui représente 16% du marché des salles à l'étranger. Viennent ensuite l'Allemagne, le Royaume-Uni, la France, l'Espagne, l'Australie, l'Italie, le Mexique, le Brésil et la Corée du sud. Au total, l'Europe rapporte au cinéma américain plus de la moitié de ses recettes mondiales (56%), avant l'Asie (25%), l'Amérique latine (13%) et l'Australie/Nouvelle Zélande (6%).

Quelques pays résistent à la vague américaine. Le plus notable est l'Inde, où le cinéma national représente 90% des parts de marché, contre 10% pour le cinéma hollywoodien. L'Inde a une solide tradition cinématographique : on compte dans ce pays 10 millions de spectateurs par jour. La situation y est inversée : les cinéastes indiens font des remakes de films américains, qui ont alors du succès.

2) Les faiblesses du cinéma européen

Lorsque l'on passe en revue l'état du cinéma européen, le bilan est inquiétant. Jusqu'aux années 1970, la distribution mondiale reposait sur trois piliers solides : les films français, les américains et les italiens. Les choses ont bien changé depuis lors.

a) La fin d'une exception italienne

Aujourd'hui, l'Italie est rentrée dans le rang et est devenue un pays producteur parmi d'autres. Certes, d'un point de vue quantitatif, le cinéma italien ne s'est pas totalement effondré, même s'il a fortement régressé : environ une centaine de films par an aujourd'hui contre plus de 200 jusqu'en 1976. Mais de nombreuses sorties ne sont que des sorties techniques qui permettent de labelliser « cinéma » des films achetés par la télévision et d'enclencher les calculs d'échéance pour les passages sur les chaînes cryptées et sur les chaînes en clair. On estime seulement à une dizaine par an le nombre de films italiens qui rapportent de l'argent.

« Il faut l'admettre, estime Jean Gilli, le directeur artistique des Rencontres du cinéma italien d'Annecy, le cinéma italien est aujourd'hui redescendu en deuxième division. Il n'appartient plus aux cinématographies de grande diffusion commerciale, il a changé de statut et ne relève plus pour l'essentiel que du circuit art et essai »3. Et le succès exceptionnel aux Etats-Unis de « La vie est belle » de Roberto Benigni demeure l'exception qui confirme ce jugement.

D'un point de vue qualitatif, le cinéma italien souffre du poids de son prestigieux passé. Qui est capable de résister aujourd'hui à la comparaison avec Visconti, Fellini ou Antonioni ? La consécration de Nanni Moretti au dernier Festival de Cannes avec « La chambre du fils » fait suite à une longue absence du cinéma italien au palmarès : les dernières palmes d'or remontaient à 1977, avec « Padre Padrone » des Frères Taviani, et à 1978 avec « L'arbre aux sabots » d'Ermanno Olmi.

Le cinéma italien a perdu beaucoup de son public ; il ne représentait plus en 2000 que 15,7% du marché national - 24% en 1999 - contre 70% pour le cinéma américain. Dans les faits, le cinéma italien ne surnage que grâce à la Commedia all'italiana, ces comédies de m_urs populaires, le plus souvent sommaires et sans prétention ; elles ne sont d'ailleurs destinées qu'au marché intérieur, leur nature les rendant inexportables. Quant aux films à vocation qualitative, financés grâce à une aide conséquente de l'Etat, leurs producteurs ont perdu la notion du risque et ne recherchent plus à affronter la sanction du public. « En matière de cinéma, l'Italie est devenue une colonie américaine » résumait devant nous, désabusé, un réalisateur italien, M. Francesco Martinotti.

b) L'industrie cinématographique britannique

La situation du cinéma anglais aujourd'hui n'est guère plus enviable que celle du cinéma italien. La France a longtemps jeté un regard méprisant sur les productions d'outre-Manche. Le cinéma anglais est une « contradiction dans les termes » avait coutume de se moquer François Truffaut, une opinion également soutenue par Maurice Pialat qui, tout en reconnaissant l'existence de quelques grands metteurs en scène anglais, dénie à la Grande-Bretagne la qualité de grande nation du cinéma.

Il est vrai que la Grande-Bretagne n'a pas réussi à offrir une création continue de qualité tout au long du siècle écoulé. En Grande-Bretagne même, autant que nous avons eu l'occasion de le constater, le cinéma n'est pas bien considéré. Au regard de l'intelligentsia d'Oxford et de Cambridge, le cinéma a toujours été perçu, au pire comme un amusement vulgaire, au mieux comme une industrie qu'il importe de rentabiliser. Ce n'est pas tout à fait par hasard si les grands metteurs en scène anglais, de Hitchcock à Stephen Frears, ont choisi de partir chercher une reconnaissance de leur talent à Hollywood. « Notre cinéma est trop marqué par le théâtre ; il n'existe pas de culture britannique cinématographique » nous a confié, pessimiste, M. David Meeker, l'un des responsables du British film institute (l'équivalent de la cinémathèque) pour les longs métrages.

Les films américains se taillent la part du lion en Grande-Bretagne puisqu'ils représentaient en 2000 plus de 83% des parts de marché contre 13% pour les films britanniques. Mais cette situation n'est en aucun cas perçue comme menaçante, inquiétante ou choquante. Ce qui intéresse à l'évidence nos interlocuteurs britanniques, c'est de délocaliser le tournage des productions américaines dans les studios de Pinewood. M. Graham Harstone, le directeur du département de post-production de ces studios, est encore plus affirmatif : « Le véritable cinéma britannique, c'est dans nos studios qu'il faut le chercher, beaucoup de productions américaines sont tournés par des équipes anglaises. Ce sont donc tout autant des productions anglaises ». M. Robin Busby, directeur adjoint des studios Pinewood, tient le même discours : « La meilleure façon de concurrencer le cinéma américain, c'est faire en sorte que Pinewood offre des services moins cher et de meilleure qualité que les studios d'Hollywood ».

A la différence de la France, l'Etat britannique ne s'est jamais senti profondément concerné par les problèmes du cinéma, défendant des options de libéralisme économique, proches des positions américaines. C'est dire que non seulement la Grande-Bretagne ne partage pas la vision française, mais qu'elle a tout simplement du mal à la comprendre. Saluons toutefois la création, le 1er avril 2000 du Film Council, l'équivalent de notre Centre national de cinématographie (CNC), qui a rassemblé sous sa houlette des responsabilités éparpillées auparavant entre de multiples organismes.

c) L'image brouillée du cinéma allemand

Le statut du cinéma en Allemagne rappelle celui de la Grande-Bretagne : un statut secondaire par rapport aux arts majeurs que sont l'opéra et le théâtre. Le cinéma est encore une fois considéré en Allemagne plus comme un industrie que comme un art. Pour le directeur des studios de Babelsberg, M. Rainer Shaper, le cinéma allemand n'en finit pas de battre sa coulpe en s'interrogeant sur le nazisme, et la manière dont il faudrait en parler. Il est vrai que Goebbels avait élaboré et fait exécuter un plan de mobilisation du cinéma au service des ambitions hitlériennes, allant même jusqu'à proposer la direction de ce programme à Fritz Lang, dont il admirait le talent ; ce dernier refusa et choisit de s'exiler à Paris et Los Angeles.

Les studios de Babelsberg rencontrent aujourd'hui des difficultés à retrouver un niveau de rentabilité, en raison de la concurrence de nouveaux sites de tournage dans les pays d'Europe de l'est, de la réglementation allemande du travail, et d'un problème ponctuel d'imposition élevée sur les cachets des acteurs étrangers tournant en Allemagne. En dépit de la réputation quasi-mondiale de réalisateurs comme Wim Wenders, Schlőndorff ou Herzog, le cinéma allemand est en peine de retrouver de nouvelles marques avec de jeunes réalisateurs. Seul Tom Tykwer avec son film « Lola rennt » (« Cours, Lola, cours » en France) est parvenu récemment à donner un semblant de renouveau du cinéma allemand sur la scène internationale. De nombreux fonds privés allemands choisissent de s'orienter vers le financement de productions américaines, jugés plus rentables, que de soutenir le cinéma national ou européen.

Il ne faut donc pas s'étonner si le cinéma américain règne aujourd'hui en maître sur le marché allemand. L'offre nationale est relativement faible : une cinquantaine de films dont seulement quatre ont dépassé en 1999 le million de spectateurs. Le cinéma allemand a représenté en 1999 une part de marché de 14%, contre 80% pour le cinéma américain.

Nous nous attarderons peu sur l'état du cinéma espagnol que nous n'avons pas étudié spécifiquement. Il est vrai que le cinéma espagnol semble repartir avec environ soixante-dix productions nationales chaque année et la formidable carrière internationale de « Tout sur ma mère » d'Almodovar est très encourageante. Ce pays s'est au reste préoccupé de mettre en place une politique en faveur du cinéma national. Mais là encore, les quelques succès individuels ne changent pas une donne très favorable au cinéma américain. Les films espagnols ne représentaient que 13,8% des parts du marché national en 1999, et sur les 25 premiers films du box-office espagnols, 18 étaient américains.

Pour terminer ce rapide et incomplet tour du monde du cinéma, mentionnons les espoirs que suscite le cinéma d'Asie du Sud-est, et plus particulièrement le cinéma de Hong-Kong et de Taïwan. A l'instar de John Woo ou Wong Kar-wai, de nombreux jeunes talents asiatiques semblent décidés à entamer une carrière internationale. Mais ce cinéma demeure par trop souvent difficile et inaccessible au grand public occidental. En témoigne par exemple le cinéma coréen, dont la part de marché national est similaire au marché français (entre 30 et 33%) mais qui s'exporte peu. Le Korea Film Committee (KOFIC) apporte un soutien aux films coréens, ce qui en fait l'objet d'incessantes revendications américaines visant à le démanteler.

3) L'alternative française

a) La première production européenne

Le cinéma français constitue aujourd'hui la seule alternative crédible au cinéma américain. Malgré des crises successives, la production française est première en Europe. En 2000, le niveau global des investissements a franchi pour la première fois le seuil des 5 milliards.

Evolution des investissements français et étrangers dans les films agréés

(MF)

Investissements français

Investissements étrangers

Investissements totaux

1991

2 653,49

1 113,68

3 767,17

1992

2 856,43

797,85

3 654,28

1993

2 237,60

878,1

3 115,70

1994

2 233,09

645,95

2 879,04

1995

2 664,75

931,45

3 596,20

1996

2 533,59

753,21

3 286,80

1997

3 724,33

902,36

4 626,69

1998

3 985,65

955,87

4 941,51

1999

3 730,74

808,15

4 538,89

2000

4 363,90

905,15

5 269,05

Source : CNC

Si l'on retient comme définition d'un film français les critères du CNC, à savoir un film produit et financé intégralement ou majoritairement par des partenaires français, le nombre annuel de films français s'établit à 118 en moyenne depuis dix ans. Comme l'illustre le tableau ci-dessous, la courbe est ascendante puisqu'on se situe depuis trois ans à un niveau compris entre 145 et 150 films.

Evolution de la production française au cours des dix dernières années

   

Films d'initiative française

 
 

Films agréés

Total

Films intégralement français

Films de coproduction

Films de coproduction à majorité étrangère

1991

156

108

73

35

36

1992

155

113

72

41

31

1993

152

101

67

34

36

1994

115

89

61

28

22

1995

141

97

63

34

32

1996

134

104

74

30

27

1997

163

125

86

39

33

1998

183

148

102

46

32

1999

181

150

115

35

31

2000

171

145

111

34

26

Source : CNC

Il convient de noter que 10 productions françaises en 2000 ont été tournées en langue étrangère, dont 6 en langue anglaise parmi lesquelles figurent les 3 plus gros devis de l'année. Cette tendance de certains réalisateurs français à ne plus tourner en français et de recourir à des acteurs presque tous exclusivement anglo-saxons relance régulièrement la polémique sur les critères de nationalité d'un film. Cela alimente les craintes selon lesquelles le cinéma français serait contraint de copier le cinéma hollywoodien pour survivre. Une victoire à la Pyrrhus, en somme.

La France produit-elle trop de films ? Certains regrettent en effet une rotation trop rapide des films à l'écran et en accusent le nombre trop élevé de films produits par la France. Une telle corrélation ne nous convainc guère. D'une part, il serait utopique de croire que moins de films serait synonyme de meilleurs films. M. Jean-Pierre Hoss, l'ancien directeur du CNC, estimait devant nous qu'il fallait produire beaucoup de films pour que quelques-uns marchent. Il rappelait notamment qu'environ un tiers des films américains produits faisaient vraiment carrière. D'autre part, si l'on prend comme indicateur le nombre de productions nationales par million de spectateurs, on constate au contraire un retard de la France par rapport aux autres grands pays industrialisés. Il nous apparaît donc difficile de conclure à une production française anormalement excessive.

Ce qui est vrai en revanche, et le rapport de M. Daniel Goudineau sur la distribution des films en salle (mai 2000) a beaucoup insisté sur ce fait, c'est qu'il n'existe pas - tout au moins depuis 1986 - de corrélation entre le nombre de films français produits et les chiffres de fréquentation (voir courbes ci-dessous) . Autrement dit, le nombre de spectateurs allant voir les films français n'est pas lié au nombre de films français distribués. Certains en concluent - peut-être trop hâtivement - à un certain éloignement du film français par rapport à son public.

graphique

graphique

Source : Rapport Goudineau

b) Un public sensible aux productions nationales

Les statistiques montrent que le public français est assez cinéphile, le second de l'Union européenne derrière l'Espagne, mais beaucoup moins que les Etats-Unis. Le nombre de tickets vendus s'est élevé à 166 millions en 2000, soit une hausse de plus de 8% par rapport à 1999.

La part de marché des films français s'établissait en France en 2000 à 28,55% contre 63% pour les films américains. Il est probable que les chiffres de 2001 seront meilleurs pour les films français qui devraient dépasser la part moyenne de 33% qui fut celle de ces cinq dernières années. Les chiffres pour les huit premiers mois de l'année 2001 accordaient en effet 42,5% des parts de marché au cinéma français (31,2% en 2000 pour la même période). Le palmarès de ce début d'année est d'ores et déjà exceptionnel : quatre films français - Le placard, Le pacte des loups, La vérité si je mens 2 et Le fabuleux destin d'Amélie Poulain - ont chacun dépassé le cap des cinq millions d'entrées dans l'Hexagone. Il faut remonter à 1947 pour retrouver quatre productions françaises sorties la même année à avoir réalisé une telle performance.

Parts de marché selon la nationalité des films (%)

 

Films français

Films américains

Films européens (hors France)

Autres films

Total

1991

30,6

58,0

10,0

1,4

100,0

1992

35,0

58,2

4,7

2,2

100,0

1993

35,1

57,1

4,4

3,4

100,0

1994

28,3

60,9

8,7

2,0

100,0

1995

35,2

53,9

8,4

2,4

100,0

1996

37,5

54,3

6,2

2,0

100,0

1997

34,5

52,2

10,0

3,3

100,0

1998

27,6

63,2

7,6

1,6

100,0

1999

32,4

53,9

11,1

2,6

100,0

2000*

28,5

62,9

6,0

2,6

100,0

· Données provisoires

Source : CNC

B - Les raisons de la suprématie américaine

1) Les films américains sont-ils réellement les meilleurs ?

« Le cinéma français ? Ça se branle beaucoup, mais ça ne jouit pas souvent. » Ce jugement lapidaire, à la verdeur rabelaisienne, c'est Gérard Depardieu qui l'énonce4. M. Toscan du Plantier, président d'Unifrance relativise : « L'irrésistible déclin du cinéma français ? Un marronnier pour la presse. ».

a) L'héritage d'un certain regard

Au cours de notre mission aux Etats-Unis, tous les producteurs américains que nous rencontrions nous ont expliqué la domination du cinéma américain par sa capacité à mettre en image de bons scénarios.

Le reproche le plus souvent adressé au cinéma français est celui de ne pas savoir raconter des histoires, par opposition au cinéma américain, adepte du récit fermé, ou comme le qualifie Alain Masson, « agenceur de ficelles bien nouées dont pas un bout ne reste pendant »5. Et certains de prétendre qu'il n'existe plus de cinéma français depuis la Nouvelle vague, lancée par le festival de Cannes de 1959 avec la Palme d'or attribuée à François Truffaut pour « Les quatre cents coups ». Cette année-là, Jean-Luc Godard tournait « A bout de souffle » et Claude Chabrol sortait en salle « Le beau Serge » et « Les Cousins ». Les réalisateurs de la Nouvelle vague, formés à l'école théorique de la cinémathèque et non par la voie traditionnelle technique de l'assistanat, ont mis en avant deux notions-clés : celle d'auteur et de regard. L'assimilation du metteur en scène à un auteur renforce la conception du cinéma comme moyen d'expression spécifique, à l'instar de l'écriture et de la peinture. Cette Nouvelle vague a été accompagnée d'une vaste entreprise de réflexion dont les Cahiers du Cinéma furent le foyer animé. Au nombre des journalistes de la revue, on pouvait relever les noms de François Truffaut, Jean-Luc Godard, Claude Chabrol, Jean Rivette, Eric Rohmer... Revendiquant un cinéma d'auteurs, les théoriciens de la Nouvelle vague vont placer au premier plan le réalisateur, en lui donnant la préséance sur le scénariste et le producteur, et lui reconnaissant, à côté du droit patrimonial, un droit intellectuel sur le sort de l'_uvre. A la différence de ce qui existe aux Etats-Unis, en France, la décision du « final cut » appartient en commun au réalisateur et au producteur.

A partir de 1965, l'intérêt pour la Nouvelle vague s'essouffle et le cinéma français entre dans une période plus tumultueuse. Il doit faire face à une crise de fréquentation (commencée en 1957 et qui ne se stabilisera qu'en 1970) qui est le reflet de profondes mutations sociales, notamment celles entraînées par l'extension du parc de téléviseurs et la diversification des loisirs. Les nouveaux auteurs cherchant à faire _uvre personnelle se font rares et deviennent vite des symboles d'un cinéma qualifié d'intellectuel pour mieux le maintenir circonscrit dans le réseau d'art et d'essai, qui est encore aujourd'hui trop souvent celui du cinéma français à l'étranger.

« Les auteurs de la Nouvelle vague ont laissé une bombe à retardement pour les générations futures qui n'avaient pas leur talent », estime le producteur Charles Gassot. « Financement, écriture, mise en scène par un seul, on a vu les dégâts. Ceux qui ont suivi les théories ont flingué le métier pendant vingt ans ».6

Il est vrai que cette sacralisation du regard a autorisé toutes les dérives. Le cinéma français est alors menacé de s'enfermer dans des barrières où la haine de l'esthétique hollywoodienne justifiait toutes les digressions, toutes les variations, tous les cadrages, tous les silences, bref tous les intellectualismes et snobismes.

b) La redécouverte du scénario

Fort heureusement toutefois, le cinéma français a depuis lors su réagir, non pas en inventant un nouveau courant qui aurait fait école mais au contraire en jouant sur la diversité et en cherchant sa voie entre les grandes productions prestigieuses et le cinéma d'auteur confidentiel.

Nous ne saurions dire si aujourd'hui la France possède un grand cinéma, mais nous sommes capables d'affirmer qu'il existe une relève de talents à la génération de la Nouvelle vague avec Patrice Leconte, Alain Resnais, Bertrand Tavernier, Eric Rochant, Michel Blanc, Claude Berri, Cédric Klapisch, Jean-Claude Brisseau, Mathieu Kassovitz, Agnès Jaoui, Jean-Pierre Jeunet - et d'autres...- qui bien sûr n'ont pas fait oublier les Claude Chabrol, Eric Rohmer, Robert Bresson et Maurice Pialat, mais qui, d'une certaine façon, tout en s'en démarquant, en sont les dignes héritiers.

L'un des apports fondamentaux du passionnant rapport de Charles Gassot sur l'écriture et le développement des films de long métrage, rendu public fin 1999, a été de mettre en exergue le montant dérisoire des dépenses d'écriture rapportées au total des investissements dans les films français : 2,2%. Selon Charles Gassot, « l'industrie cinématographique est une industrie de prototypes, qui, tous les mercredis, livre des nouveaux objets bizarroïdes ». Connaît-on beaucoup d'industries de prototypes qui ne dépensent que 2,2% en dépenses de recherche ? « C'est trois fois moins cher que les petits fours à la sortie de nos films qui sont de 6 à 7% » ironise avec tristesse Charles Gassot7.

Les propositions sur l'aide à l'écriture de Charles Gassot ont été en partie reprises par le Gouvernement, qui a présenté en avril dernier diverses mesures concernant l'écriture et le développement des scénarios de long métrage. C'est une étape intéressante dans la valorisation de la place du scénario, même si l'on peut craindre qu'une trop grande répartition des aides financières ne finisse par ressembler à du saupoudrage. Nous aurions par exemple préféré, plutôt qu'une bourse au premier scénario récompensant les meilleurs scripts, la mise en place d'une véritable politique de formation à l'écriture des scénarios, une demande qui constituait un point important du rapport Gassot.

2) Des raisons économiques

a) Des écarts de budget significatifs

C'est un fait établi que fabriquer un film coûte de plus en plus cher : le coût moyen d'un film français - qui s'établissait en 2000 à un peu moins de 30,7 millions de francs - a été multiplié par 3,5 en vingt ans. Les productions comprises entre 10 et 20 millions de francs diminuent au profit des films dont le devis s'établit entre 20 et 50 millions. En 2000, sept films français avaient un budget supérieur à 100 millions de francs, et un d'entre eux, « Astérix et Obélix : mission Cléopâtre », dépassait les 200 millions.

Coût moyen des films d'initiative française

 

Coût moyen MF courants

1991

23,7

1992

25,9

1993

22,5

1994

26,1

1995

28,1

1996

24,3

1997

31,3

1998

28,6

1999

25,6

2000

30,7

Source : CNC

Le coût moyen d'un film français demeure néanmoins quatre fois inférieur au budget moyen d'un film américain. Celui d'un film américain produit par un des Studios est encore plus élevé : il s'établissait en 2000 à 54,8 millions de dollars. Le film le plus cher de l'histoire du cinéma est cependant assez ancien puisqu'il s'agit du Cléopâtre de Mankiewicz produit par la Twentieth Century Fox, dont le coût final s'est élevé à 42 millions de dollars de l'époque (1962), soit 300 millions de dollars actuels. A titre de comparaison, en 1997, Le Cinquième élément a mobilisé un budget de 480 millions de francs, ce qui en fait - provisoirement sans doute - le film français le plus cher jamais produit.

Il existe bien sûr des raisons objectives à cette augmentation des coûts : augmentation des dépenses relatives aux cachets des interprètes, hausse des dépenses affectés aux effets spéciaux, augmentation des droits artistiques versés aux scénaristes et aux dialoguistes, tendance des producteurs à se rémunérer en amont, sans attendre la remontée des recettes.

Mais il existe aussi depuis quelques années une certaine forme de course aux records budgétaires, le budget du film donnant parfois l'impression de devenir une fin en soi, un argument commercial de plus en plus utilisé à des fins promotionnelles, comme ce fut le cas pour « Titanic », exemple réussi du pari financier audacieux.

L'argument lié à l'augmentation des coûts de production ne constitue pas pour autant une explication valable de la suprématie américaine. Certes, il ne faut pas se voiler la face : le budget est un élément essentiel. A talent égal, il y aura beaucoup plus de plans et d'images dans un film de 500 millions de francs que dans un film de 50 millions ; et certains genres de films (science-fiction, dessins animés) exigent des budget très élevés. Mais d'une part, il n'existe pas de corrélation absolue entre la carrière commerciale d'un film et les coûts de production. Un gros budget de fabrication peut déboucher sur un échec et un petit devis remporter un franc succès. « Harry, un ami qui vous veut du bien », de Dominik Moll, a ainsi réalisé deux millions d'entrées pour un budget estimé à 19 millions de francs. Et d'autre part, ainsi que l'explique Laurent Creton, « la censure économique réside moins en France dans le manque d'argent pour produire que dans les questions de diffusion, de rencontre du public et les logiques de marché »8.

La relative abondance des ressources financières en France s'explique principalement par son système d'aide à la production. Ainsi que l'a analysé notre collègue Jean Cluzel dans un rapport de l'office parlementaire d'évaluation des politiques publiques9, ce système repose moins sur des subventions directes que sur un mécanisme d'encadrement, de redistribution et d'obligations d'investissements pour les diffuseurs.

Bien sûr, il existe un mécanisme d'aide directe à la production, qui est important puisque, en termes de volume financier, hormis l'Allemagne et le Royaume-Uni, les autres pays européens se situent loin derrière la France. Mais la véritable spécificité française, a souligné devant nous M. David Kessler, directeur général du CNC, tient d'abord à l'éventail des modalités d'intervention. En effet, peu de pays européens ont mis en place un dispositif d'aide à la production aussi complet que le nôtre. En règle générale, l'aide des pays européens est très ciblée en faveur des _uvres dites d'intérêt culturel.

Le mécanisme français, géré par le Centre national de la cinématographie (CNC) créé en 1946, revêt deux formes : l'aide automatique et l'aide sélective.

Le soutien automatique accordé aux producteurs de films est calculé à partir de recettes d'exploitation de leurs précédents films sur le marché, mais aussi de la diffusion des films à la télévision et en vidéo. Il profite en conséquence surtout aux producteurs déjà bien implantés puisque cette aide naît après l'exploitation d'un premier film. En 2000, le soutien investi dans la production s'est élevé à 328 millions de francs. Les ressources de ce mécanisme de soutien ne relèvent pas du budget de l'Etat. L'essentiel des recettes provient en effet d'un prélèvement sur le marché lui-même : taxe spéciale sur le prix des places de cinéma acquitté par le spectateur, taxe sur le chiffre d'affaires des chaînes de télévision et taxe sur la commercialisation des vidéogrammes.

Si l'aide automatique favorise les producteurs ayant déjà rencontré un succès commercial, l'aide sélective est destinée à donner une chance aux talents nouveaux. La plus connue de cette catégorie d'aide est l'avance sur recettes : une commission spécialisée, nommée par le Ministre de la Culture, propose l'octroi d'une avance sur les recettes du futur film. Cette avance est assimilée à un prêt sans intérêts amortissable sur les recettes du film considéré. Dans les faits, le faible taux de remboursement - inférieur à 10 % 10- l'assimile à une subvention. Chaque année, entre 30 et 60 projets bénéficient de cette aide, dont le montant varie entre un et trois millions de francs. En dépit des critiques dont cette procédure fait régulièrement l'objet - absence de transparence, copinage...- elle reste considérée comme indispensable au devenir d'une véritable création cinématographique en France. Le financement de l'avance sur recettes est pris en charge par le fonds de soutien. Le total des avances accordées en 2000 s'est élevé à 118,7 millions de francs.

On le constate à la lecture des chiffres cités, les aides directes à la production demeurent relativement modestes eu égard à des investissements totaux qui ont dépassé en 2000 la barre des 5 milliards de francs. Ces chiffres ne tiennent toutefois pas compte de mécanismes complémentaires très diversifiés : incitations fiscales à l'investissement dans la production à travers les sociétés de financement de l'industrie cinématographique et audiovisuelle (les Soficas), aides spécifiques à l'exploitation, à la distribution et à l'exportation ou encore système de protection sociale dérogatoire en faveur des professionnels du cinéma.

Mais la véritable révolution qui a bouleversé le financement de la production au cours de cette dernière dizaine d'années a été la contribution grandissante du pôle télévisuel qui apporte aujourd'hui plus de 40% des investissements contre moins de 12% en 1986. La télévision, domaine en pleine expansion, est soumise à des obligations de dépenses en faveur de la production cinématographique. Elle est devenue aujourd'hui le principal financier et débouché de l'industrie cinématographique. En 1999, TF 1, France 2, France 3, M6 et Arte ont investi 556,7 millions de francs en préachat de droits de diffusion et coproduction. De son côté, Canal + a consacré, en 1999, 926,3 millions de francs répartis sur 140 films. Canal + représente aujourd'hui le quart des investissements français dans la production et finance 80% des films d'initiative française.

Financement des films d'initiative française (%)

Chaînes de télévision

Année

Apports des producteurs français

Sofica

Soutien automatique

Soutien sélectif

Co-
productions

Pré-achats

A valoir distributeurs France

Apports étrangers

Total

1991

33,7

5,9

7,6

4,7

4,6

18,9

4,4

20,2

100,0

1992

36,5

6,1

5,8

4,6

5,4

24,7

5,4

11,5

100,0

1993

33,4

5,2

7,7

5,5

5,6

25,2

5,1

12,3

100,0

1994

29,3

5,3

7,5

6,7

6,5

27,4

5,0

12,3

100,0

1995

26,8

5,6

8,7

5,7

6,8

30,1

4,0

12,3

100,0

1996

24,3

4,8

8,3

4,9

7,7

34,3

5,5

10,2

100,0

1997

33,4

4,5

7,7

5,2

7,2

28,7

3,5

9,8

100,0

1998

27,9

4,3

7,8

4,4

7,0

31,5

6,8

10,3

100,0

1999

28,0

4,4

6,8

4,4

6,0

34,2

8,8

7,5

100,0

2000

31,9

5,7

6,6

3,6

9,0

31,2

5,5

6,5

100,0

Source : CNC

Cet afflux de financements du fait de la télévision rend moins épineuse la question financière, dès lors qu'un film est agréé par une chaîne, mais pose d'autres problèmes, notamment de dépendance, voire d'assujettissement à l'égard des diffuseurs. Le producteur Philippe Carcassonne évoquait récemment ce risque en termes diplomatiques : « Les téléspectateurs sont de manière générale plus vieux et moins aventureux que les spectateurs. On est obligé d'en tenir compte, même si les chaînes n'exercent pas de diktat éditorial précis (...). Par ailleurs, il existe un phénomène d'autocensure par rapport à la télévision. »

Au total, l'apport de financements aidés (aides publiques, obligations des diffuseurs, plus marginalement apport des SOFICAS) a à l'évidence réussi dans le premier objectif qui lui était fixé : maintenir une production française nombreuse et diversifiée, dynamique et vivante. En témoigne notamment le nombre de premiers et deuxièmes films qui représentent traditionnellement la moitié des films d'origine française produits chaque année (74 films sur 145 en 2000). En témoigne également la capacité du cinéma français, tout particulièrement au premier semestre 2001, d'attirer des spectateurs en salles. Ce modèle a fait ses preuves et constitue une référence de par le monde.

Le lecteur trouvera en annexe des analyses détaillées des systèmes d'aide au cinéma en Allemagne, en Italie et en Grande-Bretagne.

L'Allemagne possède le système d'aides directes le plus important. Les deux tiers de l'aide publique sont le fait des Länder, qui détiennent la compétence en matière culturelle. Les trois fonds les plus importants sont ceux de la Rhénanie du Nord-Westphalie, de la Bavière et de Berlin-Brandebourg. La visée de ces fonds est exclusivement économique, la seule condition étant celle de la localisation du tournage. L'octroi d'une subvention est habituellement subordonné à une clause qui engage la production à dépenser dans le Land une fois, deux fois, voire deux fois et demi le montant de l'aide accordée par le Land. La nationalité des capitaux et la langue de tournage ne sont pas pris en compte.

En Italie, la totalité des aides en faveur du cinéma provient du budget annuel de l'Etat. Le producteur italien Leo Pescarolo a rejeté sur ces aides la responsabilité de la situation actuelle du cinéma italien car elles ont contribué selon lui à la disparition des vrais producteurs de cinéma. « Autrefois, nous a-t-il expliqué, un producteur était porteur de projets. Il avait une idée de film, faisait travailler un scénariste et proposait le tout à un metteur en scène. Il investissait son argent et était intéressé directement à la réussite du film. Aujourd'hui, un producteur attend dans son bureau d'être saisi par un auteur d'un scénario qui puisse être subventionné par le Fonds de garantie. Le producteur ne joue le rôle que d'un prête-nom pour présenter l'_uvre au Dipartimento dello spettacolo ». Une fois le soutien accordé, sans tenir compte des choix et attentes du public, le producteur ne détient aucun contrôle sur l'_uvre ; le pouvoir appartient à l'auteur qui dialogue directement avec le réalisateur.

Les ressources du système d'aide britannique proviennent principalement de la Loterie nationale. Ce système a récemment fait l'objet d'une réorganisation avec la création au 1er avril 2000 d'un Film Council (équivalent du CNC) qui s'est substitué à une demi-douzaine d'organismes. Il n'existe pas à proprement parler de critères rigoureux permettant de qualifier un film de britannique ; l'essentiel est de faire travailler l'industrie cinématographique et d'attirer les investissements américains. A titre d'exemple, la production américaine « Coup de foudre à Notting Hill » est souvent présentée comme britannique, au motif que l'action se déroule dans un quartier de l'ouest londonien !

b) Une distribution aux mains des Américains

Il sort chaque semaine à Paris entre douze et quinze films de toutes nationalités. Devant cette profusion, le spectateur ne sait plus quoi choisir, d'autant que sa motivation habituelle est davantage de voir des films, que de voir un film d'un réalisateur déterminé. Il a donc une tendance naturelle, pour minimiser son risque, à choisir les films qui ont eu le plus grand retentissement médiatique.

L'inflation des budgets de marketing est une tendance lourde du système hollywoodien qui s'étend également au marché français. Pour la première fois en France, en l'an 2000, les investissements publicitaires réalisés par les distributeurs ont dépassé la barre symbolique du milliard de francs. Pour mémoire, ces investissements s'élevaient à 218,7 millions de francs en 1992. En huit ans, ils ont été multipliés par cinq. Cette augmentation des investissements fait suite à celle du nombre de sorties (326 en 1992 contre 640 en 2000), du nombre de copies en circulation ainsi que de l'augmentation du parc des salles, notamment dans les petites agglomérations.

La force des Etats-Unis réside dans l'impact des campagnes de promotion associées aux films. Nous avons pu constater au cours de notre mission à Los Angeles que ces campagnes étaient intégrées dès la phase de développement du film, une possibilité que permet l'existence de sociétés intégrant les fonctions de production et de distribution. Pour un film américain, les dépenses de promotion représentent en moyenne 50% des dépenses de production et peuvent aller jusqu'à 70%. En France, les sommes moyennes dépensées en promotion se situent habituellement entre 8 et 10% du coût de production. Il est par ailleurs exceptionnel que les questions de promotion soient évoquées en amont du film, du fait de la mauvaise articulation, soulignée notamment par le rapport de M. Jean Cluzel, entre production et promotion. C'est notamment l'une des conséquences - et le système d'aides françaises a sa part de responsabilité - du retrait des distributeurs français du financement du cinéma français. « Aujourd'hui, on trouve de l'argent pour faire des films, mais pas assez pour les sortir » constate Charles Gassot11.

M. Pascal Rogard, secrétaire général de la Chambre syndicale des producteurs et exportateurs de films français, a cependant souligné les efforts réalisés ces dernières années : le doublement des aides publiques à la distribution, en moins de deux ans ; l'apport représenté par le fonds Canal +, géré par la profession et le CNC et doté de 40 millions de francs ; la possibilité accordée aux chaînes en clair d'investir une partie de leur contribution obligatoire au cinéma dans la distribution des films.

La question de la promotion des films est d'autant plus importante que la tendance est à un raccourcissement de la carrière des films en salle - conjuguée à une croissance du nombre de copies - du fait d'un contexte extrêmement concurrentiel et d'une rotation accélérée des titres. « Il y a en France un côté turnover qui me fout les jetons, s'effraie Charles Gassot. (...). Il n'y a plus de bouche à oreille »12. Cette accélération du cycle de vie des films pénalise tout particulièrement ceux à petit et moyen budget, et singulièrement les films d'auteurs qui ont besoin d'un temps d'exposition plus long pour exister auprès du public.

Il n'est donc pas étonnant de lire dans le rapport de M. Daniel Goudineau sur la distribution des films en salle que « par rapport aux films américains, les films français souffrent de handicaps réels en termes de promotion et peut-être même d'exposition. Ces handicaps, qui reflètent en large partie le rapport des parts de marché respectives des deux cinémas, et qui demeurent atténués pour les films les plus porteurs, semblent en revanche accentués au-delà du point moyen pour deux catégories de films : les gros films et les plus petits. Ils concourent de toute évidence à creuser les écarts de entre films français et films américains. Redresser ces handicaps est essentiel si on ne veut pas voir s'accentuer les tendances actuelles ».

c) Logique d'amortissement contre logique de préfinancement

On perçoit à ce stade la différence entre les modèles américain et français. Il n'existe pas seulement des différences de style mais aussi de modes de production. Le modèle américain repose sur une logique d'amortissement, le français sur une logique de préfinancement.

Le cinéma américain peut compter, d'une part, sur un marché important et unique, susceptible d'amortir les films qui seront ensuite exportés, et d'autre part, sur de grands groupes cinématographiques intégrés, les majors13, disposant de moyens propres pour investir et engagés dans de véritables efforts de promotion. Chaque film américain est géré comme un produit industriel destiné à un marché.

Le cinéma français, pour sa part, ne peut compter que sur un marché domestique restreint et peu européanisé ; il n'arrive que difficilement à amortir sa production et à financer ses investissements. L'équilibre économique du secteur repose sur l'apport de financements voulu et orchestré par les pouvoirs publics. Aujourd'hui, les producteurs français n'apportent de capitaux qu'à hauteur du quart du devis d'un film, le reste provenant pour l'essentiel, nous l'avons vu, des chaînes de télévision ainsi que du soutien automatique et sélectif. Il en est résulté une certaine déresponsabilisation des intervenants à l'égard de la sanction du marché. La production d'un film est d'abord vécu comme « une grande aventure » singulière portée par quelques individualités. Le secteur de la production demeure très atomisé, même si le poids des grosses d'entreprises s'accroît. Ce secteur est structurellement déficitaire : l'abondance des ressources financières coexiste avec une grande fragilité financière des entreprises, à l'exception des quelques gros producteurs.

Il est difficile de nier, même s'il est de tradition de jeter un voile pudique sur ces dérives, que le système actuel a généré des situations de rente et des effets d'aubaines, dont profitent un certain nombre de professionnels. René Bonnell, directeur de la stratégie des programmes de France Télévision a rappelé les critiques stigmatisant ceux qui « crient toujours au loup sans s'interroger sur le contenu des films qu'ils produisent et distribuent car le système leur permet de survivre à une succession d'échecs et de gagner de l'argent sur le dos de la collectivité »14. Il faut être conscient que ce type d'effets pervers est indissociable de tout dispositif de soutien à une activité culturelle, et le cinéma n'a pas de raison d'y échapper. Ces dérives condamnent-elles pour autant le système tel qu'il existe aujourd'hui ? Ce serait à notre sens prendre le risque de jeter le bébé avec l'eau du bain.

Le système tel qu'il a été conçu a, il est vrai, privilégié une approche très franco-française. Il a développé une sécurité qui est devenue en grande partie aujourd'hui illusoire face aux défis de la mondialisation. Il lui faut évoluer, s'adapter et se perfectionner.

3) Des raisons politiques et culturelles

Il serait très naïf de croire que la sollicitude des pouvoirs publics à l'égard du cinéma serait une particularité française, voire européenne.

a) Hollywood et la Maison Blanche

Les producteurs américains ont su très tôt organiser d'étroites relations - M. Toscan du Plantier a employé devant nous le terme de « collusion »- entre le monde d'Hollywood et celui de la politique. L'idée première de cette alliance revient au patron de la Paramount, Adolph Zukor qui, en 1922, convainc ses collègues d'engager à la tête de la Motion Picture Producers and Distributors of America un homme de haute stature politique, auquel serait confiée la mission de défendre la production américaine par tous les moyens, aux Etats-Unis comme à l'étranger. Le choix se porte alors sur Will Hays, l'homme de confiance du Président de l'époque, Warren Harding. M. Hays avait été l'organisateur de la campagne présidentielle et occupait les fonctions de ministre des Postes. Il accepta la fonction contre un salaire, fabuleux pour l'époque, de 100 000 dollars annuels. A compter de cette date, plus aucune négociation internationale impliquant les Etats-Unis n'a pu se dérouler sans la présence de Will Hays ou de l'un de ses représentants. En 1945, M. Hays céda sa place à M. Eric Johnston auquel succéda en 1966 un ancien conseiller du président Johnson, M. Jack Valenti. Au cours de notre mission aux Etats-Unis qui s'est déroulée à la fin de la présidence démocrate, de nombreuses personnes avaient évoqué la possibilité pour Bill Clinton de succéder à M. Jack Valenti, après son départ de la Maison Blanche. Ce type de rumeur, qui ne s'est pas concrétisée, illustre l'importance et le lustre attachés à cette fonction.

Il existe aux Etats-Unis une grande connivence entre les milieux politiques et cinématographiques : le Président Ronald Reagan, ancien acteur, était également ancien gouverneur de Californie, l'Etat où ce secteur est majoritairement implanté ; le Président Bill Clinton a toujours pu compter sur le soutien actif - et financier - de ses amis d'Hollywood, notamment lors de l'affaire Monica Lewinsky. Mais au-delà de ces liens politiques, l'intérêt pour le cinéma tient également au fait qu'il représente un enjeu économique majeur, que ce soit en termes de recettes d'exportation - plus de 43% des recettes des majors américaines proviennent de l'international - ou de nombre d'emplois. A titre de comparaison, le chiffre d'affaires de Disney s'élève pratiquement à la moitié de celui de Boeing. On se souvient également de la phrase du Président Hoover : « Dans les pays où pénètrent les films américains, nous vendons deux fois plus d'automobiles américaines, de phonographes américains, de casquettes américaines ». Il n'est donc pas étonnant que les soutiens gouvernementaux à l'exportation n'aient jamais manqué aux produits de l'industrie hollywoodienne.

b) Le cinéma : art et/ou divertissement 

Dans un pamphlet particulièrement corrosif paru en 2000 et sous-titré de manière évocatrice « Comment Hollywood et les médias conspirent pour contrôler quels films nous pouvons aller voir », l'un des meilleurs critiques de cinéma américain, Jonathan Rosenbaum, décrit le fonctionnement anti-culturel de Hollywood, dont il dénonce la nature totalitaire, sa capacité à détruire toute _uvre ambitieuse produite en dehors des majors, sa volonté délibérée de manipuler la demande des spectateurs par le fonctionnement du marketing. M. Rosenbaum date des années 1920 la période à laquelle le cinéma américain a définitivement perdu son ambition artistique. Le symbole de ce renoncement fut à ses yeux la décision d'un directeur de la MGM, Irvin Thalberg, exaspéré par les dépassements systématiques de délais et de budgets de la part d'Erich von Stroheim sur le tournage de « Greed », de réduire autoritairement la durée du film et d'interdire à ce dernier de s'occuper du montage. Les Studios licenciaient définitivement von Stroheim en 1928 alors qu'il n'avait encore tourné que la moitié des plans de son huitième film « Queen Kelly » le contraignant ainsi à abandonner sa carrière de réalisateur au profit de celle d'acteur.

Il faut toujours se souvenir, comme l'explique François Roche, qu'aux Etats-Unis, « il n'existe de culture que ce qui constitue, sur le plan anthropologique, l'ensemble des coutumes d'un groupe humain »15. Le reste relève de l'art ou du divertissement (entertainment). On estime habituellement que cette industrie de l'entertainment représente 3,8% du PNB américain.

Face aux tentatives de domination américaine, les pouvoirs publics français vont innover et opposer dans les négociations commerciales la notion d'exception culturelle, selon laquelle les biens culturels - livres, films, _uvres musicales - ne sont pas des marchandises comme les autres et ne peuvent en conséquence être livrées aux lois du marché. C'est sous cette bannière que la France va se lancer dans une longue guerre, aux multiples batailles, dont aucune pour l'instant n'a été décisive.

La première bataille a été menée en 1993 dans le cadre de l'Uruguay round. L'Union européenne et ses membres, en ne faisant aucune offre de libéralisation et en préservant tous les régimes spécifiques (accord de coproduction, Eurimages...) par une dérogation à la clause de la nation la plus favorisée, ont réussi à cette occasion à mettre le secteur audiovisuel à l'abri des règles de droit commun de l'OCDE. La deuxième bataille a été livrée en 1998, dans le cadre de l'OCDE, lors de la discussion interrompue relative à l'Accord multilatéral sur l'investissement (AMI). La troisième bataille est celle du prochain cycle de négociations, dit du millénaire, qui devait s'ouvrir à Seattle en novembre 1999. Ce sommet a été un échec en raison de la société civile et des lobbies professionnels liés à l'agriculture et à l'environnement mais ce répit n'est que provisoire et l'exception culturelle est condamnée à être de nouveau discutée dans les enceintes multilatérales.

Lors de l'entretien qu'il nous a accordé dans son bureau de Washington, à quelques mètres de la Maison Blanche, M. Jack Valenti a tenu un discours particulièrement conciliant. Il s'est efforcé de nous convaincre que la MPAA (Motion pictures American association) n'avait aucune hostilité à l'égard de la diversité culturelle et qu'il reconnaissait la légitimité des subventions et des quotas tels qu'ils ont été définis par la directive « Télévision sans frontières ». Nous ne vous cacherons pas que ce discours nous a plus inquiété que réjoui. On peut épiloguer sur les raisons de cette prudence : ou M. Jack Valenti est convaincu que l'exception culturelle va être balayée par la révolution numérique - on peut par exemple s'interroger, nous y reviendrons, sur l'intérêt d'appliquer des quotas de diffusion à des services qui seront demain délivrés à la demande via Internet - ; ou bien il estime que le combat nord-sud lié au piratage dans les pays où la législation ne protège pas les auteurs l'emporte désormais sur le combat nord-nord ; ou encore il a changé de stratégie et recherche moins un affrontement direct qu'un passage plus pernicieux par le biais d'engagement sur « les nouvelles technologies ». Les trois hypothèses ne sont d'ailleurs pas exclusives. La question se pose de savoir si le combat pour la diversité culturelle n'est pas devenue, comme le prétendent un peu hâtivement certains, un combat d'arrière-garde.

c) Un combat moderne mais mal mené

Certains arguments pourraient faire croire à l'anachronisme de ce combat. Il est vrai tout d'abord que les succès diplomatiques de l'Union européenne vis-à-vis des Etats-Unis en matière d'exception culturelle n'ont pas empêché l'aggravation régulière de son déficit commercial dans le secteur de l'industrie audiovisuel. Tirer de ce constat un argument sur l'inutilité des politiques mises en place depuis 1993 serait toutefois exagéré.

Il est vrai ensuite qu'il existe aujourd'hui, sous l'influence des flux culturels et des industries de la communication, une culture mondiale qui à la fois affecte et se superpose aux cultures nationales. L'exception culturelle ne serait-elle pas condamnée par l'Histoire ? Celle-ci nous apprend que le progrès, dans toutes ses dimensions, est le plus souvent associé à l'idée d'ouverture.

Concevoir nécessairement l'identité culturelle comme un obstacle et un frein à l'ouverture et à la communication serait une erreur d'analyse ; elle en représente au contraire une condition si on veut éviter que cette ouverture ne débouche sur une culture unique, nécessairement affadie et appauvrie. Défendre la diversité culturelle, c'est reconnaître la possibilité pour chaque nation de préserver ses valeurs et ses créations, une condition préalable pour organiser et penser la mondialisation des communications. Dominique Wolton l'expliquait ainsi :« L'identité était hier l'obstacle à la communication, elle même identifiée à l'émancipation. Aujourd'hui où la communication domine à la fois comme valeur, et comme réalité technique et économique, il est essentiel de valoriser les identités, notamment nationales, pour résister aux effets de déstabilisation de la communication généralisée »16. Le succès phénoménal en France du « Fabuleux destin d'Amélie Poulain » illustre à quel point un film peut constituer un point de repère majeur d'une identité et d'une appartenance collectives. Cette fonction du cinéma serait réduite à néant si l'on n'avait d'autre ambition que de le transformer en marchandise ou élément de commerce.

Il ne s'agit pas pour autant de diaboliser le marché mais simplement de souligner, comme l'écrit Laurent Creton, que « sans règles du jeu, sans dispositifs appropriés de régulation, le marché se trouve inexorablement assujetti à des logiques de concentration et d'exclusion qui sont contradictoires avec l'existence et le développement d'un cinéma pluriel et diversifié. Sur l'échelle de la valorisation symbolique, le cinéma pèse lourd, mais à l'aune des critères marchands et financiers, c'est un micro secteur qui sans cesse risque de faire les frais des grandes négociations internationales »17.

Non, à nos yeux, le combat pour la diversité culturelle n'est pas un combat d'arrière-garde. Le développement d'une logique purement et exclusivement commerciale en matière culturelle participe à l'étouffement de la nécessaire pluralité de l'offre ainsi que de la prise de risque par nature lié à l'innovation. « Un film est un ruban de rêves » écrivait Orson Welles.

Mais le combat pour l'exception culturelle a été mené dans une optique trop défensive, sans souci de développer une réelle politique cinématographique, en surestimant des protections juridiques en passe d'être contourné par les progrès de la technologie. Il faut aujourd'hui développer une approche plus offensive, plus constructive qui n'ignore ni les impératifs de compétitivité ni ceux de la création et de la diversité.

Trop souvent, la mondialisation sert d'alibi bien pratique pour masquer l'inaction, voire certains reculs vis-à-vis d'une industrie américaine dont l'agressivité commerciale ne faiblit jamais. M. Jack Lang -alors Président de notre Commission- qui fut l'un des principaux initiateurs de l'exception culturelle, regrettait que celle-ci n'ait pas été utilisée pour construire et se préparer aux défis de la mondialisation : « l'exception culturelle semble en effet plus un slogan qu'une réalité. Les meilleurs alliés de l'hégémonie culturelle américaine se trouvent bien souvent en Europe : les gouvernements, les corporations et les groupes de production tiennent des discours très fermes mais capitulent au quotidien. Quelle tartufferie ! »18.

II - LE DANGER DE L'IMMOBILISME

A - La menace d'une déstabilisation

La survie du cinéma français dépend de sa capacité à s'adapter à une triple évolution : la mondialisation, les mutations du marché et les innovations technologiques.

1) Les défis de la mondialisation

A la question « Pourquoi les Français ont-ils envie de voir des films américains ? », le Ministre des Affaires étrangères Hubert Védrine répond « Parce que ces films rentabilisés d'abord sur un très vaste marché intérieur, disposent d'immenses moyens extérieurs, qu'ils sont en outre bien faits, avec un sens inégalé du rythme, avec des thèmes, une symbolique et des mythes qui « parlent » à tous, et qu'il répondent d'autant mieux aux goûts du grand public mondial (surtout adolescent) ».19

L'internationalisation apparaît aujourd'hui comme une stratégie obligée. Comme l'indiquait, le rapport de M. Jean Cluzel, il est plus facile d'amortir un film international de 200 millions de francs sur le marché mondial qu'un film français de 50 millions de francs sur le marché national. Le succès d'une telle stratégie suppose en préalable une ouverture des entreprises et une adaptation des _uvres produites.

L'exportation n'est pas aujourd'hui une priorité du cinéma français. Daniel Toscan du Plantier l'exprimait crûment : « C'est l'effet pervers de l'exception française, l'international, on s'en fout ! »20. Selon M. Jean-Claude Moyret, directeur de l'audiovisuel extérieur et des techniques de communication au Ministère des Affaires étrangères, la situation évolue positivement depuis deux ou trois ans. Il en veut pour preuve le regroupement des exportateurs les plus dynamiques au sein de l'Association des exportateurs de films (ADEF), une création qui témoigne de l'évolution des mentalités. Il existe également une multiplicité d'actions publiques au service de l'exportation du cinéma.

a) Les aides à l'exportation

La promotion du cinéma français à l'étranger est d'abord assurée par l'association Unifrance Film International que préside Daniel Toscan du Plantier. Outre la constitution d'une importante banque de données sur la diffusion des films français à l'étranger, Unifrance a mis en place de grandes manifestations annuelles consacrées au cinéma français, à Acapulco en direction de l'Amérique latine, à Yokohama en direction de l'Asie et à Paris en direction de l'Europe. Elle intervient également dans plusieurs festivals internationaux considérés comme des vitrines importantes d'exposition pour le cinéma français (notamment Cannes, Berlin, Toronto, Pusan, New York). Unifrance organise également le déplacement à l'étranger de nombreux acteurs et réalisateurs dans le cadre des festivals évoqués, de même qu'à l'occasion de la sortie de films français. Elle a disposé en 2000 de 59,6 millions de francs (dont 22,1 en fonctionnement - ce que dénoncent certains - et 37,5 pour les interventions) ; ce budget est abondé à hauteur de 49 millions par une subvention du CNC. M. Daniel Toscan du Plantier a souligné devant nous la modestie de ce budget alors même qu'Unifrance doit faire face à l'augmentation de ses actions et absorber les évolutions parfois très défavorables des parités monétaires. Il a rappelé qu'il avait fait baisser la part des dépenses de fonctionnement -de deux tiers à un tiers du budget- absorbées au demeurant pour plus d'un quart par les délégations d'Unifrance à l'étranger (Etats-Unis, Japon et Allemagne).

Le CNC pour sa part, en liaison avec Unifrance, a mis en place des mécanismes d'aide à l'exportation du cinéma français pour un total de 18 millions de francs en 2000. Ces aides s'articulent principalement en deux volets. Tout d'abord, une aide à l'édition de matériel de prospection concerne aussi bien les sous-titrages que l'édition de CD-rom ou de bande de démonstration. Une aide à la distribution des films français à l'étranger s'adresse aux distributeurs étrangers qui souhaitent améliorer la diffusion des films français, en élargissant les plans de sortie des films et en investissant dans les campagnes publicitaires. Par ailleurs, le CNC finance directement des festivals et a créé un dispositif proposant gratuitement aux distributeurs étrangers des copies supplémentaires, afin de permettre une exposition plus importante des films français. Enfin, sous la pression du CNC, le Ministère des finances, par l'intermédiaire de la COFACE, a accepté d'ouvrir plus largement ses procédures d'aide à l'exportation aux entreprises du secteur audiovisuel.

Le Ministère des Affaires étrangères mène également une politique de promotion et de diffusion du cinéma français à l'étranger, notamment à travers l'action des attachés audiovisuels. L'action du Ministère concerne d'une part la diffusion culturelle effectuée à la demande de notre réseau à l'étranger : organisation de cycles et rétrospectives, d'avant-premières, de semaines du cinéma français en liaison avec les distributeurs locaux... Elle comprend d'autre part des aides à l'exploitation de salles étrangères diffusant des films français et le fonctionnement d'un site Internet (www.cinema.diplomatie.gouv.fr) qui met notamment à la disposition des professionnels une filmothèque, véritable base de données de l'ensemble de la production cinématographique française de ces dix dernières années et de leurs ayants droit à l'étranger. Cette filmothèque, qui comporte plus de 1500 films, a été développée en partenariat avec la revue « Le film français ».

Les marchés d'exportation, ainsi que nous l'a signalé M. Daniel Toscan du Plantier, bénéficient de l'explosion des bouquets de chaînes numériques, qui ont stimulé la demande de programmes et notamment de catalogues de films. Il est fréquent que les distributeurs en salle consultent les acheteurs TV avant de pratiquer une acquisition tous droits.

b) Des résultats modestes concentrés sur un petit nombre de films

La faiblesse des résultats à l'exportation du cinéma français tranche singulièrement avec la richesse de notre production et le volontarisme affiché par les professionnels et les politiques.

En 1999, année exceptionnelle, les exportation de films français (recettes perçues par les exportateurs et les producteurs) ont atteint 677 millions de francs, en hausse de 61% par rapport à 1998. Le film de Luc Besson, « Jeanne d'Arc », tourné en langue anglaise, explique cette progression : il représente à lui seul 52% du total des exportations.

Recettes des films français à l'exportation

(MF)

1995

1996

1997

1998*

1999*

Europe de l'Ouest

181

204

347

236

277

Amérique du Nord

50

53

184

33

192

Asie

65

73

167

88

98

Amérique Latine

8

13

34

14

24

Europe de l'est

15

23

27

20

21

Océanie

3

5

23

5

15

Afrique

5

7

6

4

11

Proche et moyen Orient

4

5

5

2

3

Autres

30

29

27

19

36

Total

361

412

820

421

677

*estimations
Source : CNC

De manière générale, les exportations de films français sont concentrées sur un petit nombre de producteurs (les dix premières d'entre eux réalisent plus des trois quarts des recettes des films français à l'étranger) et sur un petit nombre de films. Chaque année exceptionnelle pour les exportations de films français s'explique par le succès d'un film majeur : « Le Cinquième élément » en 1997, « L'Amant » en 1992 ou « Valmont » en 1989.

Performance des films français à l'exportation

 

Nombre de films

Part dans les recettes totales (%)

Films ayant généré...

1997

1998*

1999*

1997

1998*

1999*

...plus de 10 MF

2(1)

3

3(1)

7(1)

15

6(1)

...entre 5 et 10 MF

11

9

6

21

15

16

...entre 2 et 5 MF

23

30

22

19

22

18

...entre 1 et 2 MF

37

30

21

14

9

8

(1) Hors Cinquième Elément en 1997 et Jeanne d'Arc en 1999

*estimations

A l'évidence, si le tournage en anglais n'est pas une garantie de succès à l'étranger comme le montre l'échec des « Visiteurs en Amérique », il a largement contribué aux performances de « Jeanne d'Arc » et du « Cinquième élément ».

Notons également que le bon comportement à l'exportation de certains films qui n'apparaissent pourtant pas au box-office français, s'explique en raison de coproductions qui leur ont permis de bénéficier de fortes pré-ventes à l'étranger. C'est là une voie qu'il conviendrait de développer.

Les statistiques d'Unifrance concernant les résultats en salles des films français de par le monde sont toutefois encourageantes puisqu'elles font apparaître un nombre de spectateurs passant de 12,8 millions en 1997 à 17 millions en 2000 avec une perspective de 20 millions en 2001. La tendance est en hausse. M. Daniel Toscan du Plantier a souligné que ces résultats ont été obtenus grâce au succès conjoint de plusieurs titres, au delà d'une dizaine, et dans des genres très diversifiés.

En moyenne, la part des films français à l'étranger est comprise entre 3 et 4%. Avec son optimisme habituel, M. Daniel Toscan du Plantier estimait que la France pourrait légitimement prétendre à 10%.

En ce qui concerne les marchés, l'Europe représente environ les deux tiers à l'exportation. L'Allemagne reste, en termes de recettes, le premier pays d'exportation pour le film français, avec toutefois une part de marché inférieure à 1%. La part de marché des films français en Italie est en progression passant en 2000 à 3,9%, contre 2,7% en 1999. Quant à celle des films français sur le marché britannique, elle est réduite à la portion congrue : 0,23%. Fort logiquement, les pays dans lesquels la part de marché des films français est la plus élevée sont traditionnellement les pays les plus francophones, la Belgique, la Suisse, la Yougoslavie, la Bulgarie, le Québec et la Roumanie.

L'Amérique du Nord et l'Asie alternent à la deuxième place des marchés étrangers pour le film français. En revanche, les recettes en provenance d'Afrique et d'Amérique latine restent marginales et n'ont jamais dépassé les 2% en dix ans. Cette faiblesse semble due à des prix de vente encore très faibles qui n'incitent pas les exportateurs à prospecter dans ces pays.

Les 10 principaux marchés du cinéma français à l'exportation

(MF)

1990

1991

1992

1993

1994

1995

1996

1997

1998*

1999*

Etats-Unis

47

26

51

32

65

41

36

174

21

168

Allemagne

89

70

80

69

71

56

46

106

50

73

Japon

25

31

37

40

45

44

43

108

52

68

Espagne

17

17

34

15

18

14

25

42

30

51

Italie

25

33

52

20

18

26

34

69

35

36

Belgique

22

17

23

30

19

23

28

23

38

26

Royaume-Uni

18

11

9

9

14

9

5

53

10

23

Pays-Bas

3

2

5

3

4

4

3

3

5

17

Australie

3

3

2

4

3

3

4

23

3

14

Argentine

2

1

5

7

2

1

2

25

4

14

Total des 10 principaux marchés

301

243

337

273

291

266

290

658

248

490

Part dans le total 
des exportations (%)

76%

68%

80%

74%

79%

74%

70%

80%

59%

72%

*estimations

Source : CNC

« Il est curieux de constater que la France est obsédée par le marché américain et ne réfléchit pas à augmenter ses parts sur le marché européen, où il existe pourtant pour ses films un potentiel de croissance » faisait semblant de s'étonner devant nous M. Jack Valenti, qui ne nous laissait guère d'espoir de succès sur le marché américain. Il est vrai que ce marché est très difficile pour les films étrangers en général. Tout d'abord, les Américains sont réfractaires au sous-titrage. Ensuite, les films français en langue anglaise doivent se battre avec les grandes productions des majors américaines qui représentent 93% du marché américain. Enfin, la préférence donnée au remake des films français à succès rend encore plus difficile l'exportation des films originaux. Pourtant nombreux sont les critiques américains qui accueillent favorablement les films français (voir annexe 1), et ces derniers sont généralement les seuls films en langue étrangère à bénéficier d'une certaine notoriété aux Etats-Unis.

c) La guerre des tournages

L'explosion des budgets, et son corollaire la recherche d'économies, explique les délocalisations des lieux de tournage, qui sont de moins en moins imposés par le scénario. Pour tourner « Il faut sauver le soldat Ryan », Steven Spielberg a préféré l'Irlande et l'Angleterre à la côte normande du débarquement. « Stalingrad » de Jean-Jacques Annaud a été tourné en totalité aux studios berlinois de Babelsberg. Et lorsque nous nous sommes rendus en mission à Cinecittà, nous nous sommes égarés dans des docks new-yorkais entièrement montés - bassin compris - pour le dernier film de Martin Scorsese.

En 2000, les dépenses réalisées en France par les films étrangers se situent entre 300 et 400 millions de francs. C'est bien peu par rapport par rapport au milliard de dollars US dépensé par les productions américaines au Canada, leur premier lieu de délocalisation, ou même l'Australie, la destination montante depuis que la Fox a construit ses propres studios, et qui en 1999 recensait déjà 165 millions de dollars US de dépenses étrangères.

Nous avons même visité à Los Angeles une entreprise - Creative planet - employant près de 400 personnes dont l'activité était de calculer les coûts de production d'un film en fonction du lieu de tournage et de mettre en concurrence ces différents lieux.

Pour faire pencher la balance en leur faveur, certains se sont lancés dans l'octroi d'avantages fiscaux ou d'incitations financières. La France préfère miser sur la qualité avec la création d'une Cité multimédia à Marseille, sur les friches de la SEITA à la Belle de mai. Cette cité offrira la totalité des prestations liées au cinéma, de la préproduction à la postproduction en passant bien sûr par des plateaux de tournage. Il est prévu également d'y installer une annexe de la FEMIS et une ANPE spectacle. Ce lieu unique en France sera l'occasion de mettre en valeur l'ensemble de nos savoir-faire techniques et artistiques.

2) Les mutations du marché

Trois évolutions touchant le cinéma français sont susceptibles de remettre en cause son équilibre actuel.

a) La baisse d'audience des films à la télévision

La principale réserve financière du cinéma français réside dans l'augmentation des ressources mobilisées par les chaînes de télévision, dans le cadre de leurs obligations réglementaires. Aujourd'hui, le cinéma s'insère de plus en plus dans une dynamique sectorielle qui le dépasse largement ; il est menacé de devenir un simple élément au service de la filière audiovisuelle (télévision, vidéo, produits dérivés), avec les supports financiers et les perspectives commerciales correspondantes. Nombreux sont ceux qui pensent que cette menace est déjà devenue réalité.

Cette dépendance du cinéma est d'autant plus accrue que son pouvoir d'attractivité décroît. Le film de cinéma était le programme phare du petit écran il y a encore quelques années, ce qui justifiait les contraintes d'investissement des chaînes dans le secteur. Mais il ne l'est plus aujourd'hui, détrôné par le sport et surtout les fictions de types « Navarro » ou « Julie Lescaut ». On peut expliquer cette dégradation d'audience par l'émergence de la vidéo, du DVD, du pay per view, bref de tous ces intermédiaires concurrents se glissant entre la salle et la télévision. M. Jean Ollé Laprune, animateur sur Ciné Classics, estime qu'on ne peut exclure qu'elle entraîne à terme, de la part des chaînes, une contestation des investissements qui leur sont imposés, et par conséquent le tarissement potentiel d'une source de financement.

b) L'apparition des multiplexes

L'une des nouveautés du marché est la reprise depuis 1994-1995 de la fréquentation des salles. Cette fréquentation avait considérablement chuté depuis la période 1947-1957 que l'on a coutume de présenter comme l'âge d'or du cinéma français. Une première chute rapide avait eu lieu de 1958 à 1969 et avait été suivie d'une période de stabilisation (1970-1982) et d'une nouvelle chute tout aussi importante que la première (1983-1989). Depuis cette date, après une brève période de stabilisation, la fréquentation est de nouveau en hausse. L'une des raisons avancées pour expliquer cette reprise - même si elle ne peut être considérée comme unique - est le développement des multiplexes, c'est-à-dire de ces complexes cinématographiques de plusieurs salles dont la capacité en fauteuils se chiffre à plusieurs centaines de places.

Le concept de multiplexe est apparu aux Etats-Unis dès la fin des années 60 mais il faut attendre le milieu des années 80 pour que ce mouvement gagne l'Europe, et plus précisément le Royaume-Uni bientôt suivi dans les années 90 par l'Allemagne et l'Espagne, puis par l'ensemble des pays européens.

En France, la définition des multiplexes découle de la loi du 27 décembre 1973 d'orientation du commerce et de l'artisanat qui soumet à autorisation préalable des commissions départementales d'équipement cinématographique la création des établissements de 1000 places et plus, seuil qui a été abaissé par la loi du 15 mai 2001 à 800 places. Mais c'est à partir de 1993 que les ouvertures de multiplexes se sont accélérées. Avec aujourd'hui 80 multiplexes représentant 995 écrans, la France est l'un des pays les mieux dotés en Europe. Ces multiplexes représentent aujourd'hui plus d'un tiers des entrées contre 10,8% il y seulement quatre ans.

Poids des multiplexes dans l'exploitation française

 

1996

1997

1998

1999

2000*

% du total France

1996

1997

1998

1999

2000

Ecrans

284

442

575

822

995

6,3

9,5

12,0

16,5

19,5

Etablissements

22

34

45

65

80

1,0

1,6

2,1

3,0

3,7

Fauteuils

61 069

93 655

119 523

169 128

205 149

6,4

9,6

12,1

16,5

19,5

Entrées (millions)

14,80

25,82

38,76

43,53

57,19

10,8

17,3

22,7

28,3

34,5

*Malgré 16 multiplexes ouverts en 2000, le solde entre 1999 et 2000 est de 15 établissements supplémentaires car un multiplexe a fermé ses portes à Marseille.

Source : CNC

Ainsi que l'a illustré le rapport de M. Francis Delon, réalisé en janvier 2000 à la demande du gouvernement, l'ouverture des multiplexes s'est accompagnée partout de gains de fréquentations importants, particulièrement dans les zones qui étaient auparavant sous-équipées (comme le Nord-Pas-de-Calais).

Dotés d'écrans de grande taille (plus de dix mètres de base en général) et offrant au spectateur une très grande qualité de projection, les multiplexes sont particulièrement adaptés au cinéma à grand spectacle. C'est la raison pour laquelle ils sont souvent accusés de jouer le rôle de porte-avions du cinéma américain.

L'une des conclusions les plus intéressantes du rapport de M. Francis Delon a été de montrer, à partir d'études statistiques, que « le développement des multiplexes en France n'a, au moins jusqu'à présent, pas pénalisé le cinéma français ». Il n'aurait eu d'effets négatifs ni sur la diversité de l'offre de films ni sur la diffusion en salles du cinéma français. Les pouvoirs publics ont néanmoins tout intérêt à se montrer vigilants.

La France dispose d'un bon réseau de salles d'art et d'essai (au nombre de 732 sur un total de 4985 salles actives au 31 décembre 1999) qui semblent dans l'ensemble bien résister aux multiplexes - voire profiter de la hausse de fréquentation - car ces salles à forte identité ont su fidéliser leur clientèle. Ce sont les salles généralistes les moins dynamiques qui ont été, selon le rapport de M. Francis Delon, les premières victimes de la concurrence des multiplexes. Il n'en demeure pas moins que la vigilance des pouvoirs publics et une politique de soutien à ces salles d'art et d'essai demeurent justifiées. Depuis 1996, l'ouverture ou l'extension des multiplexes sont soumises à autorisation. La loi du 15 mai 2001 a précisé que cette autorisation s'appuyait notamment sur des engagements de programmation, prévoyant par exemple un pourcentage minimum de séances consacrées aux films européens et limitant la pratique de multidiffusion d'un même film dans plusieurs salles du multiplexe. L'objectif est d'éviter la mise en place d'un système d'exploitation à deux vitesses en spécialisant les multiplexes dans la diffusion de films hollywoodiens destinés au « grand public », et excluant un cinéma jugé plus difficile.

Le producteur Philippe Carcassonne distinguait trois types de cinéma21 : le cinéma de grande consommation qui a vocation à faire du 20h30 à la télévision, à sortir sur plus de 150 copies en France et à être en tête de gondole dans les supermarchés quand il est distribué en vidéo ; le cinéma d'art et d'essai sophistiqué et réflexif, avec peu de gens connus devant et derrière la caméra, qui se caractérise par des budgets modestes ; et ce qu'il appelle un cinéma d'auteur à vocation grand public qui est la particularité du cinéma français. Il n'est pas absurde de penser que les multiplexes pourraient représenter une opportunité de public élargi pour ce dernier type de films, s'ils peuvent y être programmés.

La fréquentation cinématographique n'est toutefois pas infiniment extensible. Le risque est grand pour l'avenir de passer d'une logique de conquête de nouveaux publics et de croissance de la fréquentation globale à une logique de compétition entre les investisseurs pour le partage du marché. Ce qui se passe aujourd'hui aux Etats-Unis doit servir d'avertissement.

Au cours des années qui viennent de s'écouler, les exploitants américains se sont lancés dans une véritable course à l'amélioration et à l'agrandissement des parcs de salles. Le nombre d'écrans est ainsi passé de 26 690 en 1996 à 38 000 à l'été 2000, alors que dans le même temps le box-office augmentait bien plus modestement. Ces investissements trop importants ont accablé le secteur d'une dette colossale alors que la surcapacité des salles est aujourd'hui estimée à 20%. Pour la première fois depuis dix ans, on a alors assisté à une réduction du nombre de salles américaines qui est redescendu fin 2000 à 36379. Cet assainissement est le fait de la fermeture de certains multiplexes mais il s'est effectué également au détriment de petits exploitants indépendants et des localisations les moins rentables des grands réseaux. Les pouvoirs publics français doivent demeurer vigilants pour éviter la répétition d'un tel scénario en France.

c) Les abonnements illimités

Il est encore trop tôt pour avoir un bilan approfondi du lancement des abonnements illimités lancées en mars 2000, d'abord par UGC puis par Gaumont/MK2 et Pathé. Certains craignent une accentuation d'un comportement consumériste : le spectateur ne payant plus à la séance, il ne se déplacerait plus pour les qualités d'un film mais simplement parce qu'il est à l'affiche. Le risque d'un comportement de « zapping » - le spectateur allant de salle en salle - est dénoncé par divers professionnels. Il faut ajouter également les difficultés posés par ce système au dispositif d'aide au cinéma, fondé, nous l'avons rappelé, sur le prix du billet auquel est appliquée une taxe. Ces contrats d'abonnement entraînent de surcroît une perturbation des flux au profit des salles « encartées », ce qui fragilise les indépendants. Il existe un risque de captation du public en fonction des salles et non plus des films.

La loi du 15 mai 2001 modifiée par la loi du 17 juillet 2001 a prévu diverses dispositions pour contrer ces menaces. Aucune formule d'accès à entrées multiples dans les salles de cinéma ne pourra désormais être commercialisée sans un agrément délivré par le CNC sous plusieurs conditions. Parmi ces conditions, figure l'obligation, pour l'éditeur d'une carte, de garantir un prix de référence et un taux de location aux distributeurs, ce qui sert ensuite de base au calcul de la rémunération des ayants droit d'une _uvre cinématographique. De même, tout exploitant dépassant une certaine part de marché, 3% au plan national ou 25% sur une zone d'attraction donnée, se voit tenu d'associer les exploitants indépendants dans sa zone d'attraction à sa formule d'abonnement en leur garantissant un montant minimal de la part exploitant par billet émis, au moins égal au montant de la part reversée aux distributeurs sur la base du prix de référence.

Ces cartes ont suscité un véritable engouement puisque le nombre de personnes ayant souscrit ce type d'abonnement (carte UGC, Le Pass Gaumont/MK2, Ciné à volonté Pathé) est aujourd'hui voisin de 300 000. L'objectif demeure aujourd'hui de concilier ce succès populaire avec les intérêts de tous les professionnels22.

3) L'innovation technologique

La technologie numérique est en passe de provoquer une révolution majeure de l'industrie cinématographique. De la production à la distribution, en passant par le montage et l'exploitation en salles, le numérique modifie largement les différentes étapes du processus de fabrication des films, et donc de leur coût.

a) La révolution numérique

Le numérique offre la possibilité de nouvelles formes de création et d'expression. Cela est particulièrement vrai en matière d'animation et d'effets spéciaux, mais cela se vérifie de plus en plus pour les autres contenus grâce à la sophistication des techniques qui permettent de déconnecter comédiens et décors, apparence physique et jeu de l'acteur.

De plus, en réduisant considérablement le coût de réalisation d'un film, le numérique offre à n'importe quel réalisateur la possibilité de fabriquer son film à moindre coût. Grâce à la technologie digitale, l'acteur Jean-Marc Barr a ainsi effectué ses débuts de cinéaste avec « Lovers » pour un coût global de 4,7 millions de francs. Il a estimé que le même film tourné en 35 mm lui serait revenu à 17 millions de francs23.

b) Les bouleversements attendus sur la distribution et l'exploitation

En matière de distribution, le numérique devrait permettre d'atteindre des publics de plus en plus lointains et de plus en plus larges. Il apporte tout d'abord des économies sur les coûts de copies des films et d'envoi des pellicules (une copie pellicule coûte environ 2000 dollars). En numérique en effet, le seul coût à supporter est celui de la numérisation du film ; le processus est ensuite totalement dématérialisé. Grâce à la numérisation des satellites et des réseaux câblés, il est possible d'organiser l'envoi simultané de films à destination de multiples salles de cinéma éparpillées dans le monde ou à domicile chez les particuliers.

Bien sûr, la mise en place de cette nouvelle économie nécessitera de nombreuses années. D'une part, toutes les technologies ne sont pas encore au point. D'autre part, les exploitants en salles restent sceptiques face aux investissements nécessaires à cette transition : il n'existait en avril 2001 que 31 salles équipées de projecteurs numériques, dont 17 aux Etats-Unis. Il est vrai que le coût d'un projecteur numérique demeure largement prohibitif puisqu'il s'élève environ à 150 000 dollars. Quant aux internautes, pour lire les longs métrages avec une qualité tant soit peu satisfaisante, ils doivent être équipés en haut débit, ce qui pour l'heure n'est le cas que de 150 000 personnes en France.

En dépit de ces obstacles, certains n'hésitent pas à anticiper une forte redistribution des cartes entre les marchés, une baisse de la fréquentation en salle et la création de cinémathèques virtuelles à domicile via la ligne téléphonique, le câble ou le satellite.

Dans un rapport de synthèse présenté les 11 et 12 septembre 2000 à Lyon, M. Jean-Pierre Hoss qui était encore directeur général du CNC, a recensé - pour les conjurer - tous les risques que lui semblait comporter la révolution numérique.

Les nouvelles technologies exigeant de lourds investissements, des dépenses soutenues de marketing et une adaptation permanente aux progrès techniques, le premier risque est celui entraîné par la concentration, verticale et horizontale, rapprochant sociétés de câble et de téléphone, fournisseurs d'accès et sociétés de cinéma et de télévision. Cette concentration est susceptible de présenter une menace sur le pluralisme de la création, de la production et de la distribution. Le second risque - sur lequel M. Jack Valenti a attiré notre attention avec insistance - est celui concernant la rémunération des auteurs, du fait notamment des probabilités élevées de piratage. Enfin, le troisième risque concerne directement la diversité culturelle. Constatant que ce sont les _uvres américaines qui circulent le mieux en Europe, certains imaginent une culture à deux vitesses : d'un côté une culture européenne ou régionale réduite à une sorte de folklore ; de l'autre une culture mondiale unique, à dominante américaine.

« La révolution numérique » appliquée à la distribution et à l'exploitation cinématographique est aujourd'hui un horizon crédible techniquement, même s'il est difficile de prévoir un calendrier. Les premières expérimentations de diffusion en ligne ont déjà eu lieu aux Etats-Unis et en France. Par exemple, TF1 a diffusé en février 2000 sur son site Internet « Les liaisons dangereuses », à l'occasion de la mort de son réalisateur Roger Vadim. Il existe en revanche de nombreuses incertitudes sur le calendrier de sa mise en _uvre - certains avancent la perspective de cinq ans - et surtout sur les bouleversements économiques (à la fois en termes de structures industrielles et de méthodes de financement) qu'elle entraînera. Ces incertitudes ne doivent pas servir de prétexte à l'inaction.

B - Les nécessaires mutations

La principale conclusion des analyses qui précèdent est que la France et l'Europe ne peuvent plus se contenter de distribuer des subventions sans se préoccuper de promouvoir une politique en faveur de l'industrie cinématographique. Le succès de quelques films ne fait pas une industrie du cinéma. Préparer l'avenir, c'est pour nous développer un système de régulations intégrant une visée offensive et faisant la part belle à la dimension européenne.

Le problème principal du cinéma français provient de l'étroitesse du marché national, qui permettra de moins en moins l'amortissement des coûts croissants des films, malgré les perspectives de débouchés nouveaux créés par les technologies numériques. Les principes qui sous-tendent notre système d'aide sont bons : redistribution du cinéma américain vers le cinéma français par le système de taxation des entrées dans les salles, redistribution de la télévision en faveur du cinéma, redistribution du cinéma commercial en faveur du cinéma d'auteur (par le biais du système de l'avance sur recettes). Il faut cependant en faire évoluer les modalités, pour corriger les effets pervers et adapter ce système au nouveau contexte européen

1) Le rôle des pouvoirs publics

Le but de l'intervention des pouvoirs publics ne doit pas être la survie artificielle de produits surannés ou d'un réduit alternatif de créativité qui servirait d'alibi et de consolation à tous les autres renoncements. Il doit être davantage de préserver l'intégrité d'un espace cinématographique pluriel et diversifié, qui soit une alternative vivante et reconnue au modèle hollywoodien. Il est évident que la France à elle seule, en dépit de la sophistication extrême de ses modes d'interventions ne saurait bâtir une réglementation nationale efficace. A quoi cela servirait-il, par exemple, d'imposer des quotas aux seules télévisions françaises alors que des chaînes étrangères pourraient diffuser, via le satellite, sans contrainte sur le territoire national. Inversement, le développement des innovations technologiques ne saurait rendre vaine toute politique publique.

Il serait irresponsable de proposer un démantèlement total du système actuel, qui ne pourrait que favoriser les majors américaines de l'audiovisuel, de la communication et des télécommunications. La nécessité d'édicter des règles déontologiques (protection des mineurs, des consommateurs..), la lutte contre les abus de position dominante, la protection des auteurs suffisent à justifier la nécessité d'une réglementation et d'une régulation dans le domaine audiovisuel. Encore convient-il de distinguer le bon niveau de régulation : régional, national, européen ou mondial. Chacun de ces niveaux est nécessaire et possède sa légitimité.

La « révolution numérique » est porteuse d'opportunités nouvelles, tout particulièrement en ce qui concerne la diffusion dans le monde entier du formidable patrimoine cinématographique dont dispose notre pays. C'est maintenant que les investissements doivent être faits, par les opérateurs privés soutenus par la puissance publique, pour numériser les films et mettre en place les dispositifs techniques, juridiques (droits d'auteurs) et commerciaux pour diffuser les films sur l'Internet à haut débit.

Nous estimons également que les pouvoirs publics ne doivent pas négliger le secteur de l'exploitation au bénéfice du secteur de la production, il est vrai davantage chargé de mythes. Les liens entre ces secteurs sont d'ailleurs plus étroits qu'on ne l'imagine. Nous l'avons déjà évoqué, les salles multiplexes par exemple exigent, de la part des concepteurs des films, une qualité technique plus grande de l'image et du son, ce qui pose à terme la question des formations, des budgets... C'est toute l'économie traditionnelle du cinéma qui est finalement bouleversée. Nous rejoignons totalement M. Jean Ollé Laprune, animateur sur Ciné Classics, lorsqu'il affirme qu'« une cinématographie dynamique est le reflet d'un pays qui cultive ses lieux d'accueil pour les films ». N'oublions pas que le cinéma se définit de manière simple comme l'action d'un spectateur allant voir un film dans une salle.

2) La nécessité d'une stratégie offensive

Un cinéma fort à l'international est un cinéma fort sur son marché national. Nous avons mis en exergue tout au long de ce rapport la nécessité d'améliorer l'efficacité de notre système et de corriger un certain nombre d'effets pervers. Quatre axes nous semblent devoir être privilégiés.

a) Renforcer la production indépendante

Le premier objectif doit être de mieux préparer le secteur de la production a affronter l'internationalisation, non pas en essayant de le préserver mais au contraire en l'incitant à se renforcer. Il existe aujourd'hui à côté d'une poignée de gros producteurs tous liés à des grands groupes (Gaumont, Pathé, TF1, Canal +...) un tissu d'entreprises artisanales qui constituent l'une des richesses du cinéma français. Ce sont ses entreprises - ce qu'on appelle la production indépendante - qu'il convient en priorité d'aider, en les faisant grandir, en valorisant leur rôle de découvreur de nouveaux talents, en favorisant leur accès aux grands réseaux de distribution.

Bien sûr, la création de multinationales européennes de la communication n'est pas a priori une mauvaise chose car elles présentent l'avantage de briser le monopole américain en ce domaine. Mais est-il raisonnable de considérer que les identités culturelles des groupes de communication l'emporteront sur la logique économique. « En quelques années, prédit Dominique Wolton, au gré des rachats, des fusions, restructurations, c'est la logique financière mondiale qui l'emportera et non la nationalité d'origine des entreprises. Même le style, si essentiel, qui distingue au départ les industries culturelles anglaises, allemandes, françaises, américaines, s'estompe, car il y a une pression très forte de la rationalité économique ».

b) Dynamiser et rationaliser nos efforts à l'exportation

Il conviendrait également de combler rapidement les manques en matière d'exportation. Une meilleure rationalisation et évaluation de notre action extérieure est souhaitable.

Suite au rapport Soloveicik et Bonnell, un groupe de travail interministériel, auquel participe Unifrance, a été mis en place afin de coordonner les actions, définir les priorités (que sont aujourd'hui les grands voisins de la France, le Japon et les acheteurs sud-américains) et impulser des propositions. Le réseau des attachés audiovisuels est de plus en plus tourné vers l'aide aux exportateurs de films et travaille à la préparation des grandes manifestations d'Unifrance. Pour la première fois, une convention a été signée cette année entre le Ministère des Affaires étrangères et Unifrance, prévoyant un soutien spécifique à des opérations d'exportation. Sans méconnaître le rôle traditionnel de diffusion culturelle, on ne peut que se réjouir de cette inflexion de l'appareil d'Etat vers un soutien commercial. D'autres voies sont encore à explorer, comme par exemple un rapprochement entre Unifrance et TV France international, l'association chargée de gérer la promotion et les ventes internationales des programmes télévisés français. Unifrance et VF France international ont déjà initié des démarches en commun, notamment pour la prospection des marchés lointains (Inde par exemple où ils sont allés ensemble en décembre 2000).

Divers rapports -dont celui notamment de M. René Bonnell- ont préconisé la mise en place d'un soutien automatique à l'exportation, qui conduirait à attribuer au producteur des crédits issus du compte de soutien en fonction des recettes à l'exportation du film produit. De fait, selon le CNC que nous avons consulté, la mise en place d'un tel soutien ne serait pas juridiquement possible : il serait contraire aux règles européennes et internationales. M. Daniel Toscan du Plantier, Président d'Unifrance, défend cependant une telle demande. Restent toutefois aux producteurs la possibilité de mobiliser leur soutien actuel pour financer des dépenses liées à l'exportation de leurs films ; dans ce cas, le soutien peut être majoré de 25%. L'urgence apparaît davantage, nous y reviendrons, dans l'engagement d'une politique européenne permettant de disposer d'un véritable réseau de diffusion.

c) Eduquer le goût du spectateur.

Aujourd'hui, la formation du public passe par la télévision submergée par les séries américaines. Votre Rapporteur partage le sentiment de Michel Ciment, directeur de la revue Positif, lorsqu'il écrit : « Il ne nous semble pas que l'on ait suffisamment noté le tort considérable qu'a causé à un cinéma de création réellement diversifié la disparition progressive des ciné-clubs »24 qui accomplissaient un véritable travail d'éducation.

Jusqu'à maintenant, l'Education nationale a traîné à reconnaître une place officielle au cinéma au sein de ses établissements. Certes, des opérations de sensibilisation (« Ecole et cinéma », « Collège au cinéma », « Lycéens au cinéma ») ont été mises en place au milieu des années quatre-vingts, fondées sur le partenariat et le volontariat tant des établissements que des professeurs. Ces opérations touchent 700 000 élèves (sur 12 millions) qui, à partir d'une liste de films établie en partenariat avec le CNC, en visionnent quelques-uns en salle avant de les étudier sur cassette vidéo avec leur professeur. Depuis un peu plus d'une dizaine d'années, des classes littéraires à option cinéma-audiovisuel (ex-A3) proposent à quelques milliers d'élèves un enseignement spécifique d'étude et de pratique du cinéma. Ces actions, marginales, ont trouvé leurs limites sans que l'esprit qui les fonde n'inspire de nouvelles expériences. L'accès de tous les élèves aux nouvelles technologies de l'information et de la communication était érigé en priorité, alors même que son corollaire, l'accès à la culture des « images » était purement et simplement ignoré.

L'initiative de l'ancien Président de notre Commission des Affaires étrangères, aujourd'hui Ministre de l'Education nationale, M. Jack Lang, est méritoire et doit être soutenue. Elle consiste en un plan de cinq ans pour le développement des arts et de la culture à l'école, dont le cinéma constitue l'un des aspects. Dans trois ans, tous les élèves du primaire seront concernés par ce plan qui prévoit notamment le visionnage en salles - ce qui est très important, le cinéma constitue une sortie et la salle un lieu d'émotions collectives - d'_uvres intégrales, un travail sur des documents et des extraits, la mise en relation avec des thèmes et des _uvres littéraires... Un certain nombre de questions ne sont pas encore résolues, notamment la formation des formateurs et la participation d'intervenants extérieurs, mais l'ambition est forte : il s'agit d'apprendre à lire l'image comme il y a un siècle il s'agissait d'apprendre à lire l'écrit. Le risque demeure néanmoins pour l'avenir que ce plan soit compromis en raison de l'absence de crédits budgétaires : l'Assemblée nationale devra être attentive à son application.

Aujourd'hui, souligne M. Jean Ollé Laprune, un rapport totalement nouveau existe entre les spectateurs, et le film : un rapport moins révérencieux que par le passé, plus direct. Les multiplexes, par la commodité des lieux, y contribuent. Cette évolution ne doit cependant pas conduire à une banalisation du cinéma, réduit à un objet de consommation parmi d'autres, mais bien à une intégration plus grande du cinéma dans la vie de tout un chacun et l'éducation scolaire y contribue.

d) Favoriser les soutiens locaux.

L'engagement des collectivités locales dans le soutien à la production cinématographique et audiovisuelle a atteint 75,5 millions de francs en 2000, en augmentation de 43% par rapport à 1999. Ce chiffre est bien sûr modeste au regard de l'investissement total dans la production mais sa croissance régulière depuis dix ans illustre la possibilité d'inscrire le cinéma dans les politiques territoriales. Il manque aujourd'hui une assise légale claire pour permettre aux collectivités locales de pérenniser et de développer leurs actions. A titre d'exemples, les 19 régions qui aujourd'hui sont engagées dans le soutien à la production le font selon des statuts et des modes d'intervention disparates. Certaines agissent dans un cadre associatif, d'autres au sein d'une société anonyme. Il serait nécessaire, afin notamment d'éviter toute annulation d'éventuelles aides territoriales comme ce fut le cas récemment d'une subvention accordée par le Conseil général de Charente pour le film « Les destinées sentimentales »25, qu'une loi vienne préciser le cadre des interventions des collectivités territoriales en la matière. Tout le monde aurait à gagner à une clarification et une meilleure transparence des pratiques actuelles. Une telle loi encouragerait également les collectivités territoriales intéressées à professionnaliser les structures qui gèrent les fonds d'aide à la création26.

La signature, le 2 juillet dernier, d'une convention entre l'Etat, la région Ile-de-France et le CNC, d'une convention de développement du cinéma et de l'audiovisuel illustre la diversité des mesures potentielles. Elle prévoit notamment la création d'un bureau d'accueil des tournages chargé aussi bien de trouver des techniciens que de piloter les producteurs dans leur chasse aux autorisations, la mise à disposition d'une banque de données recensant les caractéristiques géographiques ou monumentales, la participation de la région au dispositif « lycéens au cinéma », des aides en faveur des salles d'art et d'essai. Au delà des aides financières supplémentaires que peuvent dégager les collectivités territoriales, le véritable enjeu est l'enrichissement pour la création cinématographique que constitue une décentralisation d'un système aujourd'hui hypercentralisé.

3) Le recours européen

Les chiffres que nous avons cités dans ce rapport illustrent une triste réalité : le seul cinéma que partagent en commun les spectateurs européens est le cinéma américain. Chaque nation européenne ignore pour l'essentiel les productions de son voisin. Aujourd'hui, des cinémas allemands, italiens ou espagnols, nous ne connaissons, sauf exception, que les films d'auteurs, grâce aux festivals ; mais nous ignorons totalement le reste de la production que nous avons tendance à considérer comme réservé aux marchés intérieurs. Pourtant, il est certainement des _uvres remarquables parmi les dizaines de films qui ne franchissent pas nos frontières malgré leur succès dans leur pays d'origine. Prenons comme exemple « Fuoco d'artificio », qui fut un bon succès en Italie il y a trois ou quatre ans, ou encore « La chaussure du Manitou » qui, cet été en Allemagne, a battu « Jurassic Park » avec 4,7 millions de spectateurs.

a) Les instruments européens

Sous l'impulsion de la France, l'Europe, dans ses diverses composantes, a accepté de mettre en _uvre une politique cinématographique qui s'articule autour de trois initiatives.

Tout d'abord, la France a été à l'origine de la création d'un premier fonds européen d'aide à la coproduction, Eurimage, dans le cadre du Conseil de l'Europe. Ce fonds est alimenté par des ressources publiques provenant de chaque pays en fonction de l'importance de leur production cinématographique et audiovisuelle. La France assure à elle seule 23% du budget d'Eurimage. Depuis sa création en 1988 jusqu'à la fin de l'année 2000, Eurimages a soutenu 781 coproductions européennes pour un montant total de près de 212 millions d'euros.

Ensuite, le programme Media (Mesures d'encouragement pour le développement de l'industrie audiovisuelle), créé en 1990 dans le cadre de l'Union européenne, concentre les interventions communautaires sur la formation, le développement des projets et la distribution. Il apparaît en cela comme complémentaire d'Eurimage, puisqu'il intervient à la fois en amont et en aval de la production. Les programmes Média 1 et Média II ont respectivement couverts les périodes 1990-1995 et 1996-2000. Leurs moyens d'interventions sont restés très limités. Média-2 n'a pu disposer que de 310 millions d'écus sur 5 ans pour couvrir 15 pays ; ce montant correspond à deux jours du budget annuel de l'Union. Son bilan est cependant considéré comme positif27. Le programme Media plus, qui doit couvrir la période 2001-2005, a été doté de 400 millions d'écus sur 5 ans. Ce chiffre, même s'il est en augmentation, demeure objectivement modeste par rapport aux ambitions qui devraient être celles d'une politique communautaire. Leur impact ne peut donc être très significatif.

Une association Europa-Cinéma a été créée en 1992, dans le cadre du programme Media et avec le soutien du Ministère des Affaires étrangères, afin d'aider la diffusion des films européens grâce à des encouragements financiers aux salles qui rejoignent ce réseau. Cette association regroupait à l'été 2000 plus de 800 salles - contre une centaine à sa création - réparties dans 17 pays ; ces salles se sont engagées à consacrer au moins 50% de leurs séances à des films européens, avec une majorité de films non nationaux. Le but de ce réseau est de mieux faire connaître les cinémas des pays voisins. Il est important que l'aide financière des institutions européennes et nationales accompagne son développement récent en Russie, dans les pays d'Europe centrale et du partenariat euro-méditerranéen, si l'on veut profiter au maximum de l'expertise de ce réseau.

b) Pour une Europe du cinéma

Au total, force est de reconnaître une certaine ambiguïté de l'Union européenne à défendre la dimension artistique du cinéma européen. Le discours est plus souvent purement économique et structurel, ce qui n'est pas sans faire peser à terme de lourdes menaces sur les aides nationales au cinéma. Il est donc plus que jamais nécessaire que des liens et des partenariats se nouent entre professionnels européens pour défendre l'existence du cinéma européen, dans sa diversité. Le but n'est pas tant en effet de créer un nouvel hybride, le « film européen », qui devrait à tout prix comporter des quotas de nationalités pour les comédiens et les techniciens, voire les producteurs et les distributeurs, mais bel et bien de permettre à chacun des pays européens de continuer à cultiver sa différence, en offrant à sa production cinématographique un public élargi.

Brossant devant nous une rapide fresque historique, M. Jean Ollé Laprune a évoqué tout ce que le cinéma français d'avant guerre devait à l'Allemagne, avec laquelle près de 15% de nos films étaient coproduits. Il nous a rappelé que le cinéma français d'après guerre se confondait souvent avec le cinéma italien, de René Clair à Federico Fellini, en passant par Yves Robert ou Mario Monicelli, dont l'acteur préféré était Bernard Blier. « Le Guépard » est un film italien avec Alain Delon ; « Les choses de la vie », un film français avec Léa Massari.

On ne mesure pas toujours les forces des partenariats ainsi créés qui, en cas de succès, permettent de conserver l'identité de chacun en faisant partager à l'autre ses mérites tant culturels que commerciaux.

Les apports étrangers au financement de films d'initiative française ne représentent aujourd'hui que 10%, c'est trop peu. Il faut _uvrer pour relancer les coproductions, avec beaucoup de pragmatisme, étant entendu qu'il est plus facile de s'entendre à deux qu'à cinq ou à quinze.

M. Jean-Pierre Hoss, ancien directeur général du CNC, a insisté devant nous sur l'urgence qu'il y avait de doter l'Union européenne d'un Fonds d'intervention européen en faveur du cinéma. Nous ne pouvons que rejoindre l'inquiétude qui est la sienne devant la faiblesse de la DG10 chargée de la définition et de la mise en _uvre d'une politique européenne audiovisuelle - par rapport à la DG4, tout entière axée sur l'application du droit de la concurrence. Les moyens financiers affectés à l'industrie cinématographique et audiovisuelle sont dérisoires en regard de ceux affectés aux nouvelles technologies de l'information, dont une part plus importante devrait être consacrée au développement des contenus numériques. Une initiative politique au niveau européen, fortement relayée par les Etats - et dans laquelle la France pourrait jouer un rôle majeur - est nécessaire. Faute de quoi, l'Union européenne continuera d'être ressentie, par les professionnels notamment, comme un frein à la mise en _uvre par les Etats de leurs dispositifs de soutien, au lieu d'apparaître comme une force d'impulsion capable de concurrencer à armes égales les Etats-Unis.

Ce qui existe aujourd'hui appartient au domaine du symbolique.

Une académie européenne du film, dont le siège est à Berlin, existe depuis 14 ans, dont la principale activité est de coordonner la cérémonie du film européen où sont remis les Felix ; cette cérémonie se tient au début du mois de décembre tantôt à Berlin, tantôt dans une autre capitale européenne. C'est sans doute là une contribution bien modeste et à l'efficacité incertaine pour la promotion du cinéma européen.

La création d'une Académie franco-allemande du cinéma, qui a été décidée l'année dernière, en 2000, vise à l'origine à des actions plus pragmatiques qui devraient s'organiser autour de quatre axes : la coopération dans le domaine de la formation, la coopération dans le domaine de l'archivage, la coproduction et enfin l'aide à la distribution des films du pays voisin. Ce projet, qui a souffert de quelques malentendus, a eu ses premières concrétisations lors du dernier festival de Cannes, avec la signature d'un mini-traité doté de 20 millions de francs pour les coproductions. Par ailleurs, la FEMIS et l'Académie de Ludwisburg ont mis en place cette année la première session d'un master class franco-allemand. Il faudrait toutefois envisager pour l'avenir des mécanismes de coopération beaucoup plus forts que la simple résurrection du système d'aides franco-allemand qui avait été supprimé il y a quelques années. L'axe franco-allemand a été le moteur de la construction de l'Europe économique et politique. Il pourrait être, si nous y mettons les moyens, celui d'une Europe du cinéma.

Il serait temps également de répondre positivement à la demande de Luc Besson de créer une Ecole européenne du cinéma.

CONCLUSION

Lors du festival de Cannes 2000, le Premier Ministre Lionel Jospin déclarait : « la France se sent responsable de l'avenir du cinéma et pas seulement de son cinéma ». Se présentant comme le défenseur du pluralisme, il ajoutait : « il revient à l'Etat de corriger les tendances lourdes du marché pour garantir l'existence d'un cinéma d'auteur varié et diversifié ». C'est là un refrain - proche de la langue de bois - que l'on entend régulièrement à chaque rencontre de ce type. Il est urgent aujourd'hui que cette volonté politique, dont nous ne doutons pas, trouve son application.

« A terme, prédit le rédacteur en chef des Cahiers du cinéma, M. Charles Tesson, la dualité sera planétaire : à l'Amérique, le monopole d'un cinéma populaire à l'échelle mondiale avec, en face, quelques films d'auteur à vocation internationale. Très vite, si rien ne bouge, la notion de cinématographie nationale sera obsolète ».

Alors que la notion d'exception culturelle apparaissait comme une construction nombriliste et présomptueuse de la France, celle de diversité culturelle, fondée sur la mise en valeur d'un intérêt commun, a rallié tous les suffrages. A tel point que le risque existe d'une dilution de cette notion dans un magma consensuel, où l'on ne défend plus rien. C'est là un premier danger.

Le second danger consisterait en la simple survie des cinémas nationaux à titre de muséologie. Pour le contrer, il est indispensable de renforcer la dimension industrielle de notre aide. Il existe traditionnellement - nous y avons souvent fait allusion dans ce rapport - une opposition entre les visions économique et culturelle du cinéma, qui conduit à des politiques d'aides privilégiant l'une ou l'autre de ces visions. Aujourd'hui, ce que nous appelons de nos v_ux, c'est une politique qui tienne compte de ces deux aspects du cinéma, comme art et industrie, et les rende complémentaires. Il ne s'agit pas d'évacuer cette tension mais de la transformer, pour reprendre une expression du Ministre libanais de la culture, M. Ghassam Salame, en une « hybridation dynamisante ».

On a trop tendance à l'oublier : le cinéma demeure un art avant tout collectif, le produit d'une équipe, mue avec plus ou moins de bonheur par un chef d'orchestre, qui peut bien sûr être le réalisateur - c'est le cas le plus général en France - mais aussi le producteur - comme l'illustrent les deux « Taxis » avec Luc Besson - ou encore la vedette. M. Jean Ollé Laprune nous a rappelé que les plus grandes réussites créatrices de l'histoire du cinéma sont souvent le résultat d'une confrontation, d'une émulation, d'un affrontement entre deux personnalités : Orson Welles et John Houseman, pour « Citizen Kane », Jean Renoir et Charles Spaak pour « La grande illusion », Gérard Oury et Robert Dorfman pour « La grande vadrouille » Sam Spiegel et David Lean pour « Lawrence d'Arabie ».

Les pouvoirs publics ne doivent pas devenir les otages d'un discours qui placerait l'auteur et ses droits au centre de toute politique. Vouloir à tout prix défendre une Europe productrice de films intimistes, c'est vouloir la ramener - ou la maintenir - dans la cour des petits. C'est le discours d'un Jack Valenti. C'est la revendication de ce que M. Jean Ollé Laprune a appelé ironiquement « le droit au ghetto ». Et c'est justement ce que nous ne voulons pas. Pour éviter ce piège, il faut savoir prendre également en considération un discours économique et financier et en tirer les conséquences en termes de structures et d'actions. C'est à cette condition que nous serons le mieux à même de défendre la notion de diversité culturelle à laquelle nous sommes tant attachés.

EXAMEN EN COMMISSION

La Commission a examiné le présent rapport d'information au cours de sa réunion du 26 juin 2001, sur le rapport de M. Roland Blum.

M. Roland Blum a souligné que la Commission des Affaires étrangères n'avait jamais consacré de travaux au cinéma. Cette réserve se comprend d'autant moins que le cinéma constitue un enjeu récurrent des négociations internationales, ce qui s'explique tout autant par des considérations économiques que pour des raisons politiques et symboliques. Ce qui intéressait les Etats-Unis dans les accords Blum-Byrnes de 1946 conditionnant l'octroi d'une aide économique à l'ouverture au cinéma américain des marchés européens, ce n'était pas seulement l'exportation de leurs films, mais également et surtout de leur philosophie et de leur mode de vie.

La France est le pays qui, avec les frères Lumière, a inventé le cinéma. Le cinéma français a d'ailleurs été, jusqu'en 1914, le premier cinéma au monde par l'importance de sa production et de sa distribution. On estime qu'en 1912-1913, le cinéma français occupait 85 % des écrans du monde entier.

Depuis lors, la situation a évolué. Le cinéma américain exerce un règne quasiment sans partage tant sur son marché intérieur - où il représente plus de 94 % des parts de marché - que sur le marché mondial. Le cinéma américain occupe ainsi 70 % des parts du marché italien, 83 % des parts du marché britannique, 80 % des parts du marché allemand. Dans ces trois pays, la part du cinéma national varie entre 13 et 16 %. Seul le cinéma français qui représente en moyenne entre 3 et 4 % du marché mondial et 33 % du marché national s'efforce de résister, tant bien que mal, à cette hégémonie.

Face à la suprématie américaine, le cinéma français est-il condamné à une marginalisation croissante, voire à une disparition progressive ou à un simple rôle de faire-valoir culturel d'un cinéma américain de plus en plus plébiscité par les spectateurs ?

Le premier reproche adressé au cinéma français est d'être produit d'abord pour les réalisateurs avant de l'être pour les spectateurs. Et il est vrai que le succès de la Nouvelle Vague qui a mis en avant deux notions clef, celles d'auteur et de regard, a justifié par la suite toutes les dérives. Le cinéma français a failli s'enfermer dans des barrières où la haine de l'esthétisme hollywoodien justifiait toutes les digressions, toutes les variations, tous les cadrages, tous les silences, bref tous les intellectualismes et snobismes. C'est moins le cas aujourd'hui ; le cinéma français a su réagir en jouant davantage sur la diversité de sa production et en cherchant sa voie entre les grandes productions prestigieuses et le cinéma d'auteur confidentiel. Les chiffres du premier semestre 2001 - période au cours de laquelle le cinéma français a représenté 50 % des parts du marché national - sont là pour témoigner de ce renouveau potentiel.

Il n'en demeure pas moins que le cinéma français investit insuffisamment dans les dépenses d'écriture qui ne représentent que 2,2 % du total des dépenses de production d'un film. Certains comparent l'industrie cinématographique a une industrie de prototypes qui livrerait, tous les mercredis, de nouveaux objets bizarroïdes. Connaît-on beaucoup d'industries de prototypes qui ne dépensent que 2,2 % en dépenses de recherche ?

Le second reproche adressé au cinéma français est de vivre sur une logique de préfinancement et non d'amortissement. L'équilibre du secteur repose sur l'apport de financements voulu et orchestré par les pouvoirs publics à travers les aides publiques - pour l'essentiel financées par une taxe sur les billets vendus, y compris sur les films étrangers - et les obligations d'investissement qui pèsent sur les chaînes de télévision. Aujourd'hui, les producteurs français n'apportent de capitaux qu'à hauteur du quart du devis du film. Il en résulte une certaine déresponsabilisation des intervenants à l'égard de la sanction du marché. La production d'un film est d'abord vécue comme une grande aventure portée par quelques individualités. Il est difficile de nier, même s'il est de tradition de jeter un voile pudique sur ces dérives, que le système actuel a généré des situations de rentes et des effets d'aubaines, dont profitent un certain nombre de professionnels. Ce type d'effets pervers, indissociables de tout dispositif de soutien à une activité culturelle, ne doit pas pour autant nous conduire à condamner sans nuance le système d'aide publique, peu coûteux pour le contribuable et de niveau comparable à ce qui existe dans les autres pays européens, le rapport le montre. Il a en revanche développé une sécurité qui est devenue en grande partie illusoire face au défi actuel de la mondialisation.

La force des Etats-Unis réside dans l'impact des campagnes de promotion associées aux films. Ces campagnes sont intégrées dès la phase de production du film, une possibilité que permet l'existence de sociétés intégrant les fonctions de production et de distribution. Pour un film américain, les dépenses de promotion représentent en moyenne 50 % des dépenses de production. En France, elles se situent entre 8 et 10 %. Cela donne une idée du handicap de promotion dans un marché de plus en plus concurrentiel, où le spectateur a de plus en plus tendance à aller voir le film ayant obtenu le plus grand retentissement médiatique.

Face à ce risque d'américanisation totale des écrans français, le combat pour la diversité culturelle n'est pas un combat d'arrière-garde. Il a cependant été mené au cours de ces dernières années dans une optique trop exclusivement défensive, sans souci de développer une réelle politique cinématographique, en surestimant des protections juridiques en passe d'être contournées par les progrès de la technologie. Il convient aujourd'hui de développer une approche plus offensive, plus constructive, qui n'ignore ni les impératifs de compétitivité et du marketing, ni ceux de la création et de la diversité.

La survie du cinéma français dépendra de sa capacité à s'adapter à une triple évolution : la mondialisation, les mutations du marché et les innovations technologiques.

Première évolution, l'internationalisation apparaît désormais comme une stratégie obligée. Il est plus facile d'amortir un film international de 200 millions de francs sur le marché mondial qu'un film français de 50 millions de francs sur le marché national. Or aujourd'hui force est de reconnaître que l'exportation n'est pas une priorité du cinéma français. De manière globale, l'étude des statistiques montre que les exportations de films français sont concentrées sur un petit nombre de producteurs et de films, et que les résultats demeurent modestes.

Deuxième évolution, les mutations du marché. Elles  concernent la place de plus en plus grande occupée par les chaînes de télévision dans le financement du cinéma, le développement des multiplexes et les cartes à abonnement illimité.

Troisième évolution, la technologie numérique est en passe de provoquer une révolution majeure de l'industrie cinématographique. Si elle offre de nouvelles formes de création et d'expression, elle devrait également entraîner une révolution dans les secteurs de la distribution et de l'exploitation. Il est et il sera de plus en plus possible d'organiser l'envoi simultané de films à destination de multiples salles de cinéma éparpillées dans le monde ou à domicile chez les particuliers.

Pour M. Roland Blum, la France et l'Europe ne peuvent donc plus se contenter de distribuer des subventions sans se préoccuper de promouvoir une politique en faveur de l'industrie cinématographique. Préparer l'avenir, c'est développer un système de régulation intégrant une visée offensive et faisant la part belle à la dimension européenne.

Afin de permettre aux films français d'affronter dans des conditions plus équitables leurs concurrents américains, le Rapporteur a plaidé pour renforcer la production indépendante, les conditions de distribution ainsi que les coproductions. Une autre priorité consiste à dynamiser et rationaliser nos efforts à l'exportation. M. Roland Blum a souhaité notamment la mise en place d'un soutien automatique à l'exportation ; il s'agirait d'attribuer au producteur des crédits issus du compte de soutien en fonction des recettes à l'exportation du film produit. Il a également appelé de ses v_ux une sensibilisation du public au cinéma en intégrant, comme l'a suggéré Jack Lang, un apprentissage des grands classiques français et européens à l'école. Trop souvent aujourd'hui, le goût des spectateurs est déformé par les séries américaines qui envahissent les écrans de télévision.

Aujourd'hui, le seul cinéma partagé en commun par les spectateurs européens est le cinéma américain. Chaque nation européenne ignore pour l'essentiel la production de son voisin. M. Roland Blum a donc appelé à la création d'une Europe du cinéma. Le but n'est pas tant de créer un nouvel hybride, le «film européen » qui devrait à tout prix comporter des quotas de nationalités pour les comédiens, les techniciens, voire les producteurs et les distributeurs, mais bel et bien de permettre à chacun des pays européens de continuer à cultiver sa différence, en offrant à sa production cinématographique un public élargi.

C'est pourquoi M. Roland Blum a déclaré soutenir notamment des initiatives comme la création de l'Académie franco-allemande du cinéma, dès lors que celle-ci prend à son compte quelques actions concrètes, comme de soutenir la distribution de cinq films dans l'autre pays. C'est pourquoi aussi il a recommandé la création d'un « Jack Valenti » européen, chargé de défendre sur le territoire européen et à l'étranger le cinéma européen.

Aujourd'hui, le risque existe d'un système à deux vitesses : une production américaine populaire à l'échelle mondiale, une production marginale de films d'auteurs à vocation nationale. Cette tendance ne peut que conduire à terme, si l'on ne fait rien, à une disparition de la cinématographie nationale. Or le cinéma national est une composante importante de notre identité collective ; il constitue un point de repère indispensable dans un monde dominé par la circulation généralisée des signes, des sons et des images, sur un mode de plus en plus marchand. Voilà pourquoi M. Roland Blum a estimé que sa défense active et sa promotion constitue un enjeu majeur pour l'avenir. Le discours actuel sur la nécessaire défense de la diversité culturelle - qui tourne parfois au refrain - ne doit plus servir de paravent à l'inaction voire à la démission ou à l'absence de politique.

M. Jacques Myard s'est demandé en quoi cette académie franco-allemande serait de nature à faire la promotion du cinéma français car nous sommes dans un domaine où il s'agit de promouvoir des valeurs culturelles purement nationales.

Même s'il convient d'être prudent quant à l'existence d'un cinéma européen, le Président François Loncle a fait remarquer que si les cinémas allemand, italien, anglais avaient résisté comme le cinéma français, l'omniprésence américaine serait certainement moindre.

Citant la phrase de Jean Monet "Si l'Europe était à refaire, je commencerais par la culture", M. Pierre Lequiller a rappelé que l'on touchait là à un point très important. Il y a eu une culture européenne qui a existé avec Victor Hugo ou Frédéric Chopin puisqu'ils étaient connus dans toute l'Europe, dont le concept de culture est totalement différent de celui des Etats-Unis. Ainsi, ceux-ci auraient été incapables de réaliser le film de Jean-Pierre Jeunet Le fabuleux destin d'Amélie Poulain ou bien encore La vie est belle de Roberto Benigni.

Le problème est économique : c'est une question de taille de marché. Ne pourrait-on voir alors dans ce projet de coopération franco-allemande un moyen d'accroître la part de marché des films nationaux qui sortent sur le territoire européen ?

M. Pierre Brana a estimé qu'il y avait à la fois un aspect économique mais également une question de différence de goût et d'approche aux Etats-Unis. En effet, certains de nos films laissent les Américains complètement froids, et ce n'est pas un hasard si les films français sont toujours déboutés des Oscars.

En outre, il convient de mentionner un point très important : les salles multiplexes représentent un danger pour les cinémas de quartier et d'art et d'essai qui souffrent, comme le commerce de proximité par rapport aux grandes surfaces. Le risque existe que les multiplexes contribuent à imposer une culture dominante.

Reconnaissant partager les opinions exprimées, M. Georges Hage a déploré que, d'une façon générale, la télévision française soit médiocre. Heureusement que l'on peut se réfugier dans Arte, chaîne qui déçoit rarement !

Le Président François Loncle a néanmoins remarqué que certaines chaînes câblées faisaient de gros efforts pour diffuser des films qui ne sont pas seulement américains.

M. Roland Blum a répondu que l'Académie franco-allemande devait développer un certain nombre d'actions concrètes tant dans le domaine de la coproduction que dans celui de l'aide à la distribution de films allemands en France et français en Allemagne. L'Europe économique s'est construite autour du couple franco-allemand ; il peut en être de même de l'Europe culturelle.

Il existe de nombreux obstacles objectifs à l'exportation du cinéma français : la barrière linguistique et le rythme des films français. Pour les Français, le cinéma est d'abord considéré comme un art alors que pour les Américains, il s'agit d'une marchandise.

Les multiplexes représentent un danger à la fois pour le réseau de salles d'art et d'essai et pour la diversité de la programmation. Il est donc essentiel d'encadrer leur développement.

Le Président François Loncle a souligné qu'il était normal que la Commission des Affaires étrangères se saisisse de ce sujet puisque le cinéma français représente un important secteur industriel et culturel, dont la deuxième position même lointaine derrière celle du cinéma américain doit être sauvegardée.

En application de l'article 145 du Règlement, la Commission a autorisé la publication du rapport d'information.

Pour des raisons techniques les annexes 1à 4 ne sont pas accessibles en ligne.

ANNEXES :

ANNEXE 1 : LE CINÉMA FRANCAIS AUX ÉTATS-UNIS
Source : service culturel de l'Ambassade de France aux Etats-Unis

ANNEXE 2 : LES PRINCIPES RÉGISSANT L'AIDE AU CINÉMA EN ITALIE
Source : Ambassade de France à Rome

ANNEXE 3 : L'ACTION DE L'OFFICE FÉDÉRAL D'AIDE AU CINÉMA ALLEMAND

ANNEXE 4 : LE CINÉMA BRITANNIQUE
Source : Service culturel de l'Ambassade de France à Londres

N°3197-Rapport d'information de M Blum, sur les forces et les faiblesses du cinéma français sur le marché international (commission des affaires étrangères)

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1 Jean-Michel Frodon, La projection nationale, Editions Odile Jacob, 1998

2 Les cahiers du cinéma, n° 557, mai 2001

3 Positif, n°479, janvier 2001

4 L'événement du jeudi, édition du 20 au 26 avril 2000

5 Positif, n°458, avril 1999

6 Positif, n°483, mai 2001

7 Positif, n°483, mai 2001

8 Laurent Creton « Le cinéma et l'argent », Nathan, 2000

9 Jean Cluzel, « Les aides publiques au cinéma français : le prix d'une réussite », 1998, Assemblée nationale, n° 1107

10 Depuis 1997, une réforme est intervenue sur les conditions de remboursement de l'avance. Désormais, les producteurs ont le choix entre deux possibilités :

- soit un remboursement sur les produits d'exploitation du film, par application d'un taux de 10% minimum en premier rang sur toutes les recettes,

- soit un remboursement par l'application d'un taux de 25% minimum sur le soutien financier généré par le film, après une franchise fixée à 250.000 F. et dans la limite d'un remboursement couvrant au maximum 80% de l'avance obtenue.

Cette réforme a permis d'améliorer nettement le taux de retour de l'avance, limité auparavant à 2-3%.

11 Positif, n°483, mai 2001

12 Positif, n°483, mai 2001

13 Warner, Columbia, Paramount, Twentieth Century-Fox, Disney, Universal, MGM

14 René Bonnell, Le cinéma face à la mondialisation, in « Qu'est-ce que la culture », Université de tous les savoirs, Odile Jacob, 2001

15 François Roche, Que reste-t-il de l'exception culturelle après Seattle, dans Regard sur l'actualité, février 2000.

16 Séance de l'Académie des sciences morales et politiques du 28 mai 2001.

17 Le film français, édition du vendredi 11 mai 2001, Comment produira-t-on dans dix ans ?.

18 Examen en Commission du rapport de M. Roland Blum, Mondialisation : chances et risques, 1999, rapport d'information n°1963.

19 Hubert Védrine, Les cartes de la France à l'heure de la mondialisation, Fayard, 2000

20 Le film français, édition du vendredi 9 juin 2000

21 Positif, n°483, mai 2001

22 Voir l'enquête du Film français, édition du vendredi 30 mars 2001

23 Le Monde, édition des 6-7 mai 2000, p.36

24 Positif, n°437, juillet/août 1997

25 A la requête de trois contribuables charentais, le tribunal administratif de Poitiers a annulé le 21 mars 2001 la subvention d'un million de francs attribuée, en 1999, par le Conseil général de la Charente à Arena Films, la société de production pour le tournage du film « Les destinées sentimentales » d'Olivier Assayas. Le motif invoqué fut l'insuffisance de l'intérêt départemental, les évocations de la Charente ayant été considérées comme trop fugaces pour légitimer une intervention du département.

26 Voir sur ce thème l'étude du Film français dans son édition du 13 juillet 2001

27 Pour un bilan détaillé de Media II, voir notamment l'enquête du Film français dans son édition du 17 novembre 2000.