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N° 3222

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 9 juillet 2001.

RAPPORT D'INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l'article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION
ET DE L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE
 (1)

sur la mise en place des institutions de la Nouvelle-Calédonie,

ET PRÉSENTÉ

PAR MM. DOMINIQUE BUSSEREAU et RENÉ DOSIÈRE,

Députés.

--

(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

Outre-mer.

La Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République est composée de : M. Bernard Roman, président ; M. Pierre Albertini, Mme Nicole Feidt, M. Gérard Gouzes, vice-présidents ; M. Richard Cazenave, M. André Gerin, M. Arnaud Montebourg, secrétaires ; M. Léon Bertrand, M. Jean-Pierre Blazy, M. Émile Blessig, M. Jean-Louis Borloo, M. Michel Bourgeois, M. Jacques Brunhes, M. Michel Buillard, M. Dominique Bussereau, M. Christophe Caresche, M. Patrice Carvalho, Mme Nicole Catala, M. Jean-Yves Caullet, M. Olivier de Chazeaux, M. Pascal Clément, M. Jean Codognès, M. François Colcombet, M. François Cuillandre, M. Henri Cuq, M. Jacky Darne, M. Camille Darsières, M. Francis Delattre, M. Bernard Derosier, M. Franck Dhersin, M. Marc Dolez, M. Renaud Donnedieu de Vabres, M. René Dosière, M. Jean-Pierre Dufau, Mme Laurence Dumont, M. Renaud Dutreil, M. Jean Espilondo, M. François Fillon, M. Jacques Floch, M. Roger Franzoni, M. Claude Goasguen, M. Louis Guédon, Mme Cécile Helle, M. Philippe Houillon, M. Michel Hunault, M. Henry Jean-Baptiste, M. Jérôme Lambert, Mme Christine Lazerges, Mme Claudine Ledoux, M. Jean-Antoine Léonetti, M. Bruno Le Roux, M. Jacques Limouzy, M. Noël Mamère, M. Thierry Mariani, M. Louis Mermaz, M. Jean-Pierre Michel, M. Ernest Moutoussamy, Mme Véronique Neiertz, M. Robert Pandraud, M. Dominique Perben, Mme Catherine Picard, M. Henri Plagnol, M. Didier Quentin, M. Jean-Pierre Soisson, M. Frantz Taittinger, M. André Thien Ah Koon, M. Jean Tiberi, M. Alain Tourret, M. André Vallini, M. Michel Vaxès, M. Alain Vidalies, M. Jean-Luc Warsmann, M. Kofi Yamgnane.

INTRODUCTION 7

I. - LA SOCIÉTÉ POLITIQUE CALÉDONIENNE FACE AU DÉFI DE L'AUTONOMIE 10

A. FAIRE FONCTIONNER LE JEU DÉMOCRATIQUE DANS L'EXERCICE DE NOUVELLES RESPONSABILITÉS 10

1. Un nouveau cadre institutionnel 10

a) Le Congrès et les assemblées de province 11

b) Le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie 13

c) Le sénat coutumier 16

d) Le conseil économique et social 16

2. De nouvelles responsabilités 17

a) Un système normatif inédit 17

b) Le poids des compétences transférées 20

3. L'apprentissage de la confiance au sein des nouvelles institutions 26

a) Une installation rapide et satisfaisante des institutions 26

b) Au-delà des apparences, une tension manifeste 35

c) Une occasion de passer à une seconde étape : la nomination d'un nouveau gouvernement en mars 2001 37

4. L'égalité des femmes et des hommes en question 39

a) La loi sur la parité dans les territoires d'outre-mer et en Nouvelle-Calédonie 39

b) La mise en _uvre du principe 40

c) Avancer vers l'égalité réelle des femmes et des hommes 41

B. FAIRE VIVRE L'ÉTAT DE DROIT 44

1. La justice en question 44

a) La justice « entre le marteau et l'enclume » 44

b) L'organisation de la justice en Nouvelle-Calédonie 45

c) Une justice « européenne » ? 48

d) Un arsenal juridique satisfaisant 50

e) La situation pénitentiaire en Nouvelle-Calédonie 51

2. Le contrôle de l'action publique 54

a) Le souci du respect des règles de bonne gestion 54

b) Le rôle du tribunal administratif 55

c) Le rôle de la chambre territoriale des comptes 57

II. - LA SOCIÉTÉ CIVILE FACE AU DÉFI DU DÉVELOPPEMENT ET DE LA MODERNITÉ 59

A. LA COUTUME AU CARREFOUR DES TENSIONS CALÉDONIENNES 59

1. La consécration de la coutume par l'accord de Nouméa 60

a) La coutume au c_ur de la société mélanésienne 60

b) La coutume, source de droit 60

c) La consécration constitutionnelle 62

2. La gageure de l'organisation institutionnelle de la coutume 63

a) Le sénat coutumier 63

b) Un réseau de conseils coutumiers 64

3. Une crise latente de la coutume 65

a) L'association des coutumiers à la vie de la cité 65

b) La difficulté à accepter les interférences du droit non coutumier dans la vie des tribus 66

c) Les relations difficiles de la coutume et du développement économique 67

d) Faire face à l'évolution des m_urs 68

e) Le sénat coutumier en quête d'un rôle 68

4. Les efforts menés en faveur des langues mélanésiennes 69

a) L'importance de l'action culturelle 69

b) La diversité des langues mélanésiennes 70

c) La prise en compte de ces langues par l'école 70

B. UNE SOCIÉTÉ EN MOUVEMENT 72

1. Un optimisme économique fondé 72

a) Une conjoncture favorable 73

b) Les efforts engagés par les acteurs professionnels 73

2. Un climat social tendu en quête d'apaisement 75

3. Former la jeunesse calédonienne : l'exemple de l'université de la Nouvelle-Calédonie 78

4. Les principaux dossiers en discussion 80

a) La question minière 81

b) La desserte aérienne 83

c) L'aménagement du territoire et le rééquilibrage 86

5. Les relations entre la Nouvelle-Calédonie et Wallis-et-Futuna 88

ANNEXE 1 : Liste des personnes entendues en Nouvelle-Calédonie du 16 au 25 octobre 2000 93

ANNEXE 2 : Programme de la mission en Nouvelle-Calédonie du 16 au 25 octobre 2000 98

ANNEXE 3 : Accord sur la Nouvelle-Calédonie signé à Nouméa le 5 mai 1998 101

MESDAMES, MESSIEURS,

A bien des égards, la Nouvelle-Calédonie aura marqué cette législature. D'un point de vue politique, tout d'abord, le processus initié lors de la signature de l'accord de Nouméa aura montré - dans la lignée directe des accords de Matignon de 1988, signés par Jean-Marie Tjibaou et Jacques Lafleur - que la négociation, parfois âpre, peut conduire à un accord miraculeux, que là où l'incompréhension et la violence semblaient inéluctables, la discussion et l'échange pouvaient déboucher sur des solutions audacieuses et des innovations inespérées.

Juridiquement le processus de Nouméa aura également ouvert la voie à de nouveaux modes de pensée dans notre organisation institutionnelle et administrative. Inspirant un mouvement désormais plus vaste, la solution négociée en Nouvelle-Calédonie trace des perspectives qui inspirent maintenant l'ensemble de la réflexion sur l'outre-mer et, plus encore, sur la décentralisation en général. La souplesse des statuts, le pragmatisme des procédures, l'expérimentation de nouvelles formes d'organisation apparaissent maintenant comme possibles dans l'esprit de la plupart. Les barrières mentales que notre vieille tradition jacobine avait élevées paraissent désormais en voie d'être surmontées.

On ne mesure pas encore à sa juste mesure l'impact du processus calédonien sur notre manière d'appréhender l'espace français et d'aborder cette tension permanente entre notre aspiration à la République, toujours empreinte d'idéal, et la nécessité de faire montre de compréhension envers les identités et les besoins propres de chacun.

Pour autant, en dehors même de son influence sur notre manière de concevoir la sphère publique, l'accord de Nouméa, la révision constitutionnelle de 1998 et la loi organique de 1999, sont avant tout un processus destiné à répondre à un problème donné et circonstancié. On ne reviendra pas sur les origines de la question calédonienne. Les écrits abondent sur ce sujet (1). L'objet du présent rapport est de présenter, de manière synthétique, l'état de la Nouvelle-Calédonie aujourd'hui, alors que le nouveau statut vient d'être mis en _uvre.

En effet, conformément au rôle du Parlement, qui ne doit pas se désintéresser du sort des lois qu'il adopte, la commission des Lois de l'Assemblée nationale a décidé de constituer une mission aux fins d'évaluer l'application des deux lois - l'une organique, l'autre simple - du 19 mars 1999 relatives à la Nouvelle-Calédonie. Cette mission comprenant un membre de la majorité et de l'opposition - M. René Dosière, député socialiste, rapporteur au nom de la commission des Lois du projet de loi organique en 1999, et M. Dominique Bussereau, député du groupe Démocratie libérale et indépendants - s'est ainsi rendue en Nouvelle-Calédonie du 16 au 25 octobre 2000 aux fins de mesurer le chemin parcouru depuis l'entrée en vigueur du nouveau statut (2).

Les regards se portent vers cet archipel. Le processus initié lors de la signature des accords de Matignon en 1988 et poursuivi par l'accord de Nouméa de 1998 a érigé la Nouvelle-Calédonie en référence dans la zone Pacifique, et même au-delà. En effet, alors que ce petit territoire avait connu des événements tragiques, avec une violence paroxystique en 1988, il est aujourd'hui perçu comme un pôle de stabilité dans une région où existent de réelles tensions. L'entente entre les différentes communautés, aux passés, aux cultures, aux intérêts souvent divergents, a été l'une des grandes réussites du processus de 1988 et 1998. Elle ne va pas de soi dans d'autres archipels proches de la Nouvelle-Calédonie, comme les îles Fidji, qui ont connu des événements d'une rare gravité en 2000.

En dépit d'analyses parfois nuancées, en fonction de leur propre sensibilité, les membres de la mission ont pu mesurer les progrès accomplis en Nouvelle-Calédonie depuis 1999. Des efforts restent à engager et les incompréhensions entre les différents acteurs demeurent encore grandes. Les rapports de force politiques semblent toujours un moteur essentiel de la vie publique calédonienne alors que le processus de Nouméa, bien que foncièrement adossé à la logique démocratique et élective, repose sur un apaisement des m_urs politiques, dans la perspective de la création d'un véritable Etat de droit en Nouvelle-Calédonie.

La prise en compte de l'intérêt commun de la Nouvelle-Calédonie n'est pas encore une démarche naturelle. Des efforts sont réalisés en ce domaine. Mais le sentiment prévaut que le jeu politique partisan tient encore une place trop prépondérante dans la sphère publique calédonienne. On ne doit sans doute pas s'en alarmer outre mesure, mais demeurer, cependant, attentif à l'évolution du processus. La volonté de construire ensemble ce pays doit prévaloir, comme l'a souligné Mme Marie-Claude Tjibaou que la mission a rencontrée à Nouméa, dans le centre culturel qu'elle dirige. Avec une grande hauteur de vues, appelant de ses v_ux une vision globale du développement de la Nouvelle-Calédonie, Mme Tjibaou a insisté, devant la mission, sur la nécessité de voir les mentalités changer, ce qui passe par un travail commun entre les différentes communautés et les forces politiques.

Cette voie n'est pas la plus simple à emprunter mais elle est la plus sage. Souhaitons que le rapport présenté ici, à sa modeste place, en tirant le bilan des premiers mois de la mise en _uvre de ce nouveau statut, contribue, à sa manière, à aider les Calédoniens à trouver ce chemin. Le Parlement a été présent tout au long du processus initié à Nouméa en 1998. Une délégation de la commission des Lois de l'Assemblée nationale assistait à la signature de ce texte. L'engagement des parlementaires a été sans faille lors de la révision constitutionnelle et du vote de la loi organique. Il est naturel que le Parlement accompagne également ce projet dans sa mise en _uvre concrète. Aux côtés de l'exécutif, il représente aussi l'Etat signataire de l'accord de Nouméa.

Il n'est pas question ici de présenter un panorama exhaustif de la situation calédonienne. Le point de vue présenté dans ce rapport pourra d'ailleurs être utilement complété par les travaux de la commission des Finances de notre assemblée (3). Il nous appartient de mettre en évidence les principaux points saillants qui sont apparus au c_ur du débat calédonien lors du déplacement de la mission dans l'archipel. Les institutions et leur fonctionnement, la justice, les relations sociales et la coutume mais aussi la place des femmes et les défis économiques mobilisent l'attention de nos compatriotes calédoniens. De la résolution de ces questions dépend, à l'évidence, la réussite du processus de Nouméa.

Il apparaît que, face au défi de l'autonomie, la société politique calédonienne doit faire preuve d'esprit de responsabilité, pour prendre notamment la mesure d'une société civile en mouvement.

I. - LA SOCIÉTÉ POLITIQUE CALÉDONIENNE FACE AU DÉFI DE L'AUTONOMIE

L'accord de Nouméa, signé le 5 mai 1998, a mis les Calédoniens face à leurs responsabilités. Le défi est de taille. Il est celui des choix. La signature de l'accord avait pu laisser apparaître une image consensuelle des relations entre les communautés et les forces politiques. La réalité est autre. Une fois l'euphorie, très passagère, du moment historique évanouie, les rapports de force et la concurrence politique demeurent dans leur vivacité et, parfois, leur âpreté. Il appartient à ces différents mouvements - condamnés à se côtoyer - de faire vivre le jeu démocratique en Nouvelle-Calédonie, ce qui passe par le respect de l'espoir né de l'accord de Nouméa mais aussi par la stricte application des règles de l'Etat de droit. Dans ce cadre, le rôle de la justice est primordial. On verra que la situation en Nouvelle-Calédonie n'est pas toujours simple.

A. FAIRE FONCTIONNER LE JEU DÉMOCRATIQUE DANS L'EXERCICE DE NOUVELLES RESPONSABILITÉS

1. Un nouveau cadre institutionnel

Le nouveau statut établi par la loi organique du 19 mars 1999 a maintenu certains éléments institués en 1988. Il s'est ainsi résolument inscrit dans la continuité du processus initié lors de la signature des accords de Matignon par Jean-Marie Tjibaou et Jacques Lafleur. Réalisant en cela les orientations fixées dans l'accord de Nouméa, la loi organique de 1999 est apparue comme une nouvelle étape vers l'autonomie de la Nouvelle-Calédonie.

Ce nouveau statut de la Nouvelle-Calédonie s'appuie sur deux types d'institutions : celles propres à la Nouvelle-Calédonie et les collectivités territoriales de la République. Les premières relèvent du titre XIII de la Constitution portant « Dispositions transitoires relatives à la Nouvelle-Calédonie » et les secondes du titre XII, relatif aux collectivités territoriales.

L'article 2 de la loi organique arrête la liste des institutions de la Nouvelle-Calédonie : le Congrès, le gouvernement, le sénat coutumier, le conseil économique et social et les conseils coutumiers. L'article 3 dispose, quant à lui, que les provinces et les communes de la Nouvelle-Calédonie sont des collectivités territoriales de la République qui s'administrent librement par des assemblées élues au suffrage universel direct.

Le fait que les provinces ne soient pas considérées comme des institutions de la Nouvelle-Calédonie peut surprendre, notamment parce que le Congrès du territoire est composé de membres des assemblées de province. Par ailleurs, le statut des provinces relèvent de la loi organique et non d'une loi simple comme pour les autres collectivités territoriales. Ce dispositif, qui manque de simplicité, a néanmoins le mérite de fixer ainsi le principe de non-subordination des provinces au gouvernement ou au Congrès calédoniens, ce qui, dans l'équilibre des pouvoirs au sein de l'archipel, n'est nullement négligeable.

a) Le Congrès et les assemblées de province

Après diverses tentatives de réorganisation des collectivités calédoniennes au cours de la décennie 80 (4), l'institution des provinces est apparue comme la plus pertinente. L'existence de la province Sud, de la province Nord et de la province des îles Loyauté, au sein desquelles siège une assemblée, élue au suffrage universel direct, n'a pas été remise en cause. Cet échelon a fait les preuves de son adaptation aux demandes locales. Au-delà de la simple logique administrative, il correspond aussi à un équilibre politique entre les communautés d'origine européenne et mélanésienne, au c_ur du dispositif de 1988.

La loi organique a également maintenu l'existence du Congrès constitué par la réunion des assemblées de province, comme la loi référendaire de 1988 l'avait organisé. Ses pouvoirs ont été néanmoins considérablement renforcés, comme on le verra plus tard.

Par rapport au dispositif de 1988, quelques modifications ont été cependant apportées aux règles de fonctionnement des assemblées de province et au Congrès de la Nouvelle-Calédonie. Le nombre de membres des assemblées de province, élus pour cinq ans, a été augmenté : pour la province Sud, il est passé de 32 à 40, pour la province Nord de 15 à 22, et pour la province des îles Loyauté de 7 à 14. Compte tenu des nouvelles missions du Congrès, il a, en effet, été jugé utile d'accroître le nombre d'élus afin que certains concentrent leur activité à Nouméa, au sein de l'assemblée territoriale, tandis que d'autres demeuraient dans les provinces pour assurer leur gestion concrète. Ainsi ces membres supplémentaires, par rapport au dispositif de 1988, ne siègent pas au Congrès de la Nouvelle-Calédonie. Ils demeurent dans les provinces, étant ainsi plus disponibles pour les élus municipaux et les administrés. L'étendue du territoire et les difficultés de déplacement qui existent, tant sur la Grande Terre que dans les îles Loyauté, justifient amplement une telle mesure. La demande de proximité des élus est en Nouvelle-Calédonie particulièrement récurrente, comme la mission a pu le constater sur place.

Le Congrès de la Nouvelle-Calédonie a vu ses pouvoirs considérablement renforcés par la loi organique du 19 mars 1999. L'accord de Nouméa fixait déjà les orientations à suivre en ce domaine. Il prévoyait ainsi que le Congrès serait désormais compétent pour voter des délibérations ayant le caractère de lois du pays. Intervenant dans le domaine de compétence de la Nouvelle-Calédonie, élargi à des champs relevant normalement du Parlement national, ces textes ne peuvent être contestés que devant le Conseil constitutionnel. On abordera ultérieurement le détail de cette procédure mais on peut mesurer ici le poids considérable et inédit du Congrès qui exerce les fonctions d'un véritable parlement fédéré au sein de l'ensemble français.

Compte tenu de cette nouvelle fonction, le législateur de 1999 a mis l'accent sur la nécessité de donner aux travaux du Congrès la transparence et la publicité qui sied à une telle institution. Il a ainsi été prévu que certaines de ses séances pourraient être retransmises par voie audiovisuelle (article 67 de la loi organique du 19 mars 1999) et que les comptes rendus intégraux des séances seraient publiés au Journal officiel de la Nouvelle-Calédonie (article 77). Plus classiquement, le Congrès vote le budget et approuve les comptes de la Nouvelle-Calédonie (article 84). Il adopte donc les lois du pays ainsi que des délibérations, notamment en matière de contributions (article 85). Dans le domaine pénal, il lui appartient d'assortir de peines d'amendes les infractions aux lois du pays et à ses règlements (article 86). Par ailleurs, sous réserve d'une homologation de sa délibération par la loi, le Congrès peut assortir les infractions aux lois du pays et aux règlements qu'il édicte de peines d'emprisonnement, qui respectent la classification de ces délits et n'excèdent pas le maximum prévu pour les infractions de même nature par les lois et règlements de la République (article 87).

C'est également au Congrès qu'il appartient d'arrêter la position de la Nouvelle-Calédonie lorsque celle-ci est consultée sur des projets de loi autorisant la ratification ou l'approbation de traités ou d'accords qui, ressortissant à la compétence de l'Etat, ont vocation à s'appliquer à la Nouvelle-Calédonie (article 89). Il en est de même pour les propositions d'actes des communautés européennes et pour les propositions et les projets de loi introduisant, modifiant ou supprimant des dispositions spécifiques à la Nouvelle-Calédonie (article 90). Le Congrès se prononce aussi sur le principe de chaque délégation de service public de la Nouvelle-Calédonie (article 92).

Dans le cadre de ses fonctions de contrôle, le Congrès peut créer des commissions d'enquête composées à la représentation proportionnelle des groupes d'élus (article 94). Mais, surtout, cette assemblée peut renverser le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie par le vote d'une motion de censure signée par un cinquième au moins de ses membres et adoptée à la majorité absolue des élus siégeant au Congrès (article 95).

On le voit, le statut de 1999 a introduit en Nouvelle-Calédonie des mécanismes qui relèvent de la démocratie parlementaire classique. On est passé d'une logique de décentralisation, qui peut exister pour les conseils régionaux en métropole, à une logique quasi-fédérale, puisque coexistent un Parlement national et un parlement calédonien ainsi qu'une double échelle des normes.

En dehors de cela, les deux principales novations du statut de 1999 - elles sont également de taille - consistent, pour l'essentiel, en la création d'un gouvernement de la Nouvelle-Calédonie et d'un sénat coutumier qui remplace le conseil consultatif coutumier institué en 1988.

b) Le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie

Aux termes des articles 108 à 136 de la loi organique, est créé un gouvernement, collégial, comptant entre cinq et onze membres, élus à la représentation proportionnelle par le Congrès parmi des listes présentées par les groupes politiques. Ce gouvernement est responsable devant le Congrès selon la procédure de la motion de censure. Le nombre de membres du gouvernement est fixé préalablement à son élection par le Congrès (article 109). Cette élection a lieu dans les 21 jours qui suivent l'ouverture de la première séance du Congrès après une élection générale.

Les membres du gouvernement sont élus au scrutin de liste à la représentation proportionnelle suivant la règle de la plus forte moyenne, sans adjonction ni suppression de noms et sans modification de l'ordre de présentation. Les listes de candidats, membres ou non du Congrès, sont présentées par les groupes d'élus au Congrès (article 110).

Contrairement à la pratique institutionnelle nationale, le membre du Congrès ou d'une assemblée de province, membre du gouvernement, qui quitte cette dernière fonction, retrouve de plein droit son siège à l'assemblée à laquelle il appartenait (article 119). Cette disposition tient compte, notamment, du fait que le nombre de Calédoniens engagés dans la vie publique est limité et que, par ailleurs, les membres du gouvernement doivent pouvoir disposer d'une certaine assise pour, le cas échéant, décider de quitter cette instance en cas de désaccord important.

Aux termes de l'article 126 de la loi organique, le gouvernement prépare et exécute les délibérations du Congrès et de sa commission permanente. Il lui appartient aussi, sur habilitation du Congrès ou de sa commission permanente, de prendre les arrêtés réglementaires nécessaires à la mise en _uvre de leurs actes. En outre, conformément à l'article 127 de la loi organique, le gouvernement :

-  prend les décisions individuelles relatives au travail des étrangers ;

-  établit le programme des importations ;

-  approuve les tarifs et redevances en matière de postes et de télécommunications ;

-  organise les concours d'accès aux emplois publics de la Nouvelle-Calédonie et de ses établissements publics et en détermine les programmes ;

-  détermine les modalités d'application de la rémunération des agents publics de la Nouvelle-Calédonie ainsi que la rémunération des collaborateurs des membres du gouvernement ;

-  crée les charges, nomme les officiers publics et ministériels et confère l'honorariat ;

-  fixe l'organisation des services de la Nouvelle-Calédonie

-  détermine la nature et les tarifs des prestations des services publics de la Nouvelle-Calédonie

-  conclut les conventions avec les concessionnaires, délégataires de service public et les fermiers ;

-  fixe l'objet et les modalités d'exécution ou d'exploitation des ouvrages publics et des travaux publics de la Nouvelle-Calédonie ;

-  gère les biens de la Nouvelle-Calédonie ;

-  détermine les servitudes administratives au profit du domaine et des ouvrages publics de la Nouvelle-Calédonie ;

-  assure le placement des fonds libres de la Nouvelle-Calédonie en valeurs d'Etat ou en valeurs garanties par l'Etat et autorise l'émission des emprunts de la Nouvelle-Calédonie ;

-  accepte ou refuse les dons et legs au profit de la Nouvelle-Calédonie ;

-  conclut les conventions de prêts ou d'avals, dans les conditions fixées par le Congrès ;

-  se prononce sur les projets ou propositions de loi du pays ou les projets de délibération du Congrès ou d'une assemblée de province, relatifs aux mines ;

-  prépare la codification des lois du pays et de la réglementation édictée par la Nouvelle-Calédonie.

Le fonctionnement du gouvernement répond à une logique très spécifique. Selon les dispositions de l'article 128 de la loi organique : « Le gouvernement est chargé collégialement et solidairement des affaires de sa compétence. Ses décisions sont prises à la majorité de ses membres ; en cas de partage égal des voix, celle du président est prépondérante. Le gouvernement arrête les projets de délibération et projets de loi du pays qui sont soumis au Congrès. Les arrêtés du gouvernement sont signés par le président et contresignés par les membres du gouvernement chargés d'en contrôler l'exécution. »

Dans ce dispositif, somme toute classique, apparaît, à l'article 130 de la loi organique, une originalité : « le gouvernement charge chacun de ses membres d'animer et de contrôler un secteur de l'administration ». Les termes « animer » et « contrôler » ont été retenus à dessein par le législateur. Ainsi les ministres ne dirigent pas un secteur de l'administration. Dans le cadre du compromis de Nouméa, le choix a été fait de préserver la plus grande collégialité possible au sein du gouvernement, même si le président détient l'essentiel des pouvoirs de décision et tranche, en dernier ressort, les discussions au sein de l'institution gouvernementale.

Comme il avait été souligné dans le rapport à l'Assemblée nationale, lors de l'examen en première lecture du projet de loi organique, la figure du président émerge ainsi très clairement au sein du gouvernement (5). Il est le seul à disposer de pouvoirs propres qu'il ne peut déléguer aux autres membres. Représentant la Nouvelle-Calédonie, il dirige l'administration et nomme aux emplois publics de la Nouvelle-Calédonie (article 134). Il signe tous les contrats au nom de celle-ci et la représente dans le cadre des instances judiciaires. Il peut déléguer sa signature au secrétaire général du gouvernement, aux directeurs et chefs de service. Il peut également déléguer certaines de ses attributions aux membres du gouvernement, sur autorisation des trois cinquièmes des membres du Congrès (article 135).

On avait observé, lors de l'examen de la loi organique devant la commission des Lois, que le fonctionnement quotidien du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie devait appeler, de la part des forces politiques qui y sont représentées, un grand sens des responsabilités. Le parti majoritaire ne doit pas, en effet, abuser de sa position dominante. Car les différentes forces politiques néo-calédoniennes sont condamnées à vivre ensemble et le gouvernement doit être l'expression la plus fidèle de cette communauté de destin. C'est à travers son fonctionnement que l'on peut juger des engagements de chacun dans la construction de la Nouvelle-Calédonie.

c) Le sénat coutumier

Le sénat coutumier est le second organe créé par l'accord de Nouméa. Se substituant au conseil consultatif coutumier, institué en 1988, dont le fonctionnement avait souffert de rivalités entre responsables coutumiers, le sénat doit faire fonction de seconde chambre, mais uniquement dans le domaine très circonscrit de la coutume. Il est consulté sur les questions relatives à la coutume et intervient dans le processus d'élaboration des lois du pays touchant cette matière. Pour ce qui concerne le détail de fonctionnement de cet organe, on renverra à la partie qui porte, ci-après, sur la place de la coutume en Nouvelle-Calédonie.

d) Le conseil économique et social

Parmi les institutions de la Nouvelle-Calédonie, dont la liste est arrêtée à l'article 2 de la loi organique, apparaît le conseil économique et social. Il assure la représentation des groupements professionnels, des syndicats et des autres organismes et associations qui concourent à la vie économique sociale et culturelle de la Nouvelle-Calédonie. En application des articles 153 et suivants de la loi organique, il comprend 39 membres dont 28 désignés dans le cadre des provinces, 2 membres désignés par le sénat coutumier en son sein et 9 membres désignés parmi des personnalités qualifiées, par le gouvernement, après avis des présidents des assemblées de province.

La durée du mandat des membres du conseil économique et social est de cinq ans. Consulté sur les projets et les propositions de loi du pays et de délibération du Congrès à caractère économique et social, le conseil délivre des avis qui ne s'imposent pas au gouvernement de la Nouvelle-Calédonie. Les assemblées de province et le sénat coutumier peuvent aussi consulter cet organe.

L'installation de ces institutions nouvelles ne constituerait en soi qu'une novation de faible ampleur, si ces organes n'avaient à intervenir dans de nouveaux domaines, adoptant désormais des normes ayant une autorité considérable.

2. De nouvelles responsabilités

a) Un système normatif inédit

L'accord de Nouméa, la révision constitutionnelle et la loi organique de 1999 ont mis en place, en Nouvelle-Calédonie, un système normatif inédit, qui tranche avec notre tradition juridique.

· Une hiérarchie des normes parallèle

Comme on l'a indiqué, le Congrès de la Nouvelle-Calédonie peut désormais adopter des lois du pays, dont le mode d'adoption et le régime juridique s'apparentent à ceux prévalant pour les lois votées par le Parlement au plan national. A ces lois du pays, s'ajoutent des délibérations du Congrès qui se rapprochent des actes habituels des collectivités territoriales, bien qu'elles puissent intervenir dans des domaines relevant normalement du législateur national. Lorsque leur objet est général, ces délibérations peuvent, soit être des mesures d'application de lois du pays, soit des textes s'apparentant aux règlements autonomes que le gouvernement de la République édicte, conformément à l'article 37 de la Constitution. Cette échelle normative particulière est complétée par les actes individuels pris par le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, par les autorités du Congrès pour leur propre organisation, ces dernières pouvant également établir des actes de nature réglementaire pour arrêter leurs modalités de fonctionnement.

L'ensemble de ces textes s'insère dans une hiérarchie des normes dont le sommet est constitué par le titre XIII de la Constitution relatif à la Nouvelle-Calédonie. Cette hiérarchie est parallèle à celle applicable partout ailleurs en France. Les textes pris en Nouvelle-Calédonie doivent respecter les prescriptions constitutionnelles contenues dans le titre XIII et dans l'accord de Nouméa auquel il est explicitement renvoyé. Ils doivent également respecter les principes constitutionnels contenus dans les autres parties de notre loi fondamentale, pourvu que celles-ci ne soient pas contradictoires avec les dispositions spécifiques à la Nouvelle-Calédonie, la disposition spéciale s'imposant à la règle générale. Ainsi, le principe d'égalité devant la loi, mentionné à l'article premier de la Constitution, interdirait d'opérer, pour l'accès à un emploi, une distinction entre différentes catégories de personnes en fonction de la durée de leur résidence en Nouvelle-Calédonie. Dans la mesure où l'accord de Nouméa le mentionne et que l'article 77 de la Constitution y renvoie explicitement, l'introduction de telles distinctions est désormais possible, mais uniquement en Nouvelle-Calédonie.

· Le régime des lois du pays

L'article 99 de la loi organique définit la notion de loi du pays. Il s'agit des délibérations par lesquelles le Congrès adopte des dispositions portant sur des matières définies à cet article même

Les lois du pays interviennent dans les matières suivantes correspondant aux compétences exercées par la Nouvelle-Calédonie ou à compter de la date de leur transfert par application de la loi organique :

-  les signes identitaires et le nom de la Nouvelle-Calédonie ;

-  les règles relatives à l'assiette et au recouvrement des impôts, droits et taxes de toute nature ;

-  les principes fondamentaux du droit du travail, du droit syndical et du droit de la sécurité sociale ;

-  les règles relatives à l'accès au travail des étrangers ;

-  le statut civil coutumier, le régime des terres coutumières et des palabres coutumiers ; les limites des aires coutumières ; les modalités de désignation au sénat coutumier et aux conseils coutumiers ;

-  les règles concernant les hydrocarbures, le nickel, le chrome et le cobalt ;

-  les règles du droit domanial de la Nouvelle-Calédonie et des provinces ;

-  les règles relatives à l'accès à l'emploi ;

-  les règles concernant l'état et la capacité des personnes, les régimes matrimoniaux, les successions et les libéralités ;

-  les principes fondamentaux concernant le régime de la propriété, des droits réels et des obligations civiles et commerciales ;

-  la répartition entre les provinces de la dotation de fonctionnement et de la dotation d'équipement mentionnées ;

-  les compétences transférées et l'échéancier de ces transferts.

En application de l'article 100 de la loi organique du 19 mars 1999, les projets de loi du pays sont soumis, pour avis, au Conseil d'Etat avant leur adoption par le gouvernement délibérant en conseil. Les propositions de loi du pays sont, quant à elles, soumises, pour avis, au Conseil d'Etat par le président du Congrès avant leur première lecture. Le vote du Congrès intervient après l'avis du Conseil d'Etat. Afin d'éviter un allongement excessif des procédures, l'avis est réputé donné dans le délai d'un mois. Par ailleurs, pour assurer au dispositif une plus grande transparence, les avis du Conseil d'Etat sont transmis au président du gouvernement, au président du Congrès, au haut-commissaire et au Conseil constitutionnel.

Conformément à l'article 101 de loi organique, les lois du pays sont adoptées par le Congrès au scrutin public, à la majorité des membres qui le composent. Une certaine solennité est donc imposée pour l'adoption de ces textes importants. De plus, le projet ou la proposition de loi du pays fait l'objet d'un examen attentif par le Congrès puisque l'article 102 impose la désignation d'un rapporteur et la présentation d'un rapport écrit.

Une nouvelle délibération de la loi du pays adoptée par le Congrès peut être demandée, pendant les quinze jours qui suivent son adoption, par le haut-commissaire, le gouvernement, le président du Congrès, le président d'une assemblée de province ou onze membres du Congrès. Cette nouvelle délibération ne peut être refusée.

La principale innovation introduite par la loi organique apparaît dans son article 104, qui ouvre la possibilité de déférer les lois du pays au Conseil constitutionnel. Ces lois ne ressortissent donc pas à la catégorie habituelle des actes des assemblées locales, qui peuvent être attaqués devant les tribunaux administratifs. Le recours devant le Conseil constitutionnel suppose qu'au préalable ait eu lieu une nouvelle délibération, dans les conditions que l'on vient de décrire. Plusieurs organes peuvent déférer ces lois ; il s'agit du haut-commissaire, du gouvernement, du président du Congrès, du président d'une assemblée de province ou de dix-huit membres du Congrès. Ils disposent à cet effet d'un délai de dix jours.

Chaque saisine doit contenir un exposé des moyens de droit et de fait qui la fondent ; elle est déposée au greffe du tribunal administratif de Nouméa, qui en informe immédiatement les autres autorités titulaires du droit de saisine ; celles-ci peuvent présenter des observations dans un délai de dix jours. En application de l'article 105 de la loi organique, le Conseil constitutionnel se prononce dans les trois mois de sa saisine et détermine les dispositions qui sont éventuellement contraires à la Constitution. Si celles-ci sont inséparables de l'ensemble du texte, ce dernier ne peut être promulgué ; dans le cas contraire, la loi du pays est promulguée sans les dispositions déclarées contraires à la Constitution.

C'est au haut-commissaire qu'il appartient de promulguer les lois du pays, avec le contreseing du président du gouvernement, soit dans les dix jours de la transmission qui lui en est faite par le président du Congrès à l'expiration du délai prévu pour saisir le Conseil constitutionnel, soit dans les dix jours suivant la publication au Journal officiel de la Nouvelle-Calédonie de la décision du Conseil constitutionnel.

Une fois promulguées, les lois du pays ont force de loi et ne sont susceptibles d'aucun recours. Toutefois, afin d'éviter un contournement de la loi organique, celle-ci prévoit un mécanisme permettant de faire prévaloir le critère matériel dans la définition de la loi du pays. En effet, on pourrait imaginer que le Congrès de la Nouvelle-Calédonie adopte une loi du pays dans un domaine relevant normalement d'une simple délibération. En l'absence de saisine du Conseil constitutionnel, ce texte serait alors insusceptible de tout recours. C'est pourquoi l'article 107 de la loi organique prévoit que les dispositions d'une loi du pays intervenues en dehors du domaine défini à l'article 99 de la même loi ont un caractère réglementaire. Lorsque au cours d'une procédure devant une juridiction de l'ordre administratif ou de l'ordre judiciaire, la nature juridique d'une disposition d'une loi du pays fait l'objet d'une contestation sérieuse, la juridiction saisit, par un jugement qui n'est susceptible d'aucun recours, le Conseil d'Etat qui statue dans les trois mois. Il est sursis à toute décision sur le fond jusqu'à ce que le Conseil d'Etat se soit prononcé sur la nature de la disposition en cause. Il s'agit d'un mécanisme de délégalisation particulièrement protecteur des droits individuels.

Ces prérogatives normatives nouvelles trouvent à s'appliquer dans un champ de compétences renforcé. L'autonomie de la Nouvelle-Calédonie est, de ce point de vue, bien réelle.

b) Le poids des compétences transférées

L'accord de Nouméa dispose que : « Le partage des compétences entre l'Etat et la Nouvelle-Calédonie signifiera la souveraineté partagée. Il sera progressif. Des compétences seront transférées dès la mise en _uvre de la nouvelle organisation. D'autres le seront dans un calendrier défini, modulable par le Congrès, selon le principe d'auto-organisation. Les compétences transférées ne pourront revenir à l'Etat, ce qui traduira le principe d'irréversibilité de cette organisation. » Le principe étant posé, l'accord fixe ensuite la liste des compétences ainsi transférées, la loi organique du 19 mars 1999 la précisant.

Aux termes de l'article 21 de la loi organique, l'Etat est donc compétent dans les matières suivantes :

1° Nationalité ; garanties des libertés publiques ; droits civiques ; régime électoral ;

2° Justice, organisation judiciaire, organisation de la profession d'avocat, frais de justice pénale et administrative ; procédure pénale et procédure administrative contentieuse ; commissions d'office et service public pénitentiaire ;

3° Défense, au sens de l'ordonnance n° 59-147 du 7 janvier 1959 portant organisation générale de la défense ;

4° Matériels de guerre, armes et munitions, poudres et substances explosives ;

5° Monnaie, crédit, changes, relations financières avec l'étranger et Trésor ;

6° Desserte maritime et aérienne entre la Nouvelle-Calédonie et les autres points du territoire de la République ; liaisons et communications gouvernementales, de défense et de sécurité en matière de postes et télécommunications ; réglementation des fréquences radioélectriques ; statut des navires ; immatriculation des aéronefs ;

7° Réglementation relative aux matières mentionnées au 1° de l'article 19 du décret n° 54-1110 du 13 novembre 1954 portant réforme du régime des substances minérales dans les territoires d'outre-mer, ainsi qu'aux installations qui en font usage ;

8° Fonction publique de l'Etat ;

9° Marchés publics et délégations de service public de l'Etat et de ses établissements publics ;

10° Règles relatives à l'administration des provinces, des communes et de leurs établissements publics, contrôle de légalité des provinces, des communes et de leurs établissements publics et régime comptable et financier des collectivités publiques et de leurs établissements publics ;

11° Contrôle budgétaire des provinces, des communes et de leurs établissements publics ;

12° Exercice, hors des eaux territoriales, des compétences résultant des conventions internationales.

L'Etat est également compétent dans les matières suivantes, les autorités de la Nouvelle-Calédonie pouvant cependant intervenir, sous certaines conditions énoncées dans la loi organique, dans ces domaines :

1° Relations extérieures ;

2° Conditions d'entrée et de séjour des étrangers ;

3° Maintien de l'ordre ;

4° Sûreté en matière aérienne ;

5° Droit pénal ;

6° Communication audiovisuelle ;

7° Enseignement supérieur et recherche ;

8° Collation et délivrance des titres et diplômes.

Enfin, l'Etat exerce également, jusqu'à leur transfert à la Nouvelle-Calédonie, les compétences suivantes (article 21, paragraphe III, de la loi organique) :

1° Police et sécurité en matière de circulation aérienne intérieure et de circulation maritime dans les eaux territoriales ;

2° Enseignement du second degré public et privé, sauf la réalisation et l'entretien des collèges du premier cycle du second degré ; santé scolaire ;

3° Enseignement primaire privé ;

4° Droit civil, règles concernant l'état civil et droit commercial ;

5° Sécurité civile.

Dans tous les autres domaines, les provinces exercent une compétence de droit commun, alors que la Nouvelle-Calédonie s'est vue reconnaître une compétence d'attribution définie à l'article 22 de la loi organique. Ainsi la Nouvelle-Calédonie est compétente dans les matières suivantes :

1° Impôts, droits et taxes perçus au bénéfice de la Nouvelle-Calédonie ; création et affectation d'impôts et taxes au profit de fonds destinés à des collectivités territoriales, d'établissements publics ou d'organismes chargés d'une mission de service public ; création d'impôts, droits et taxes provinciaux ou communaux ; réglementation relative aux modalités de recouvrement, au contrôle et aux sanctions ;

2° Droit du travail et droit syndical ; formation professionnelle, sans préjudice des actions des provinces dans ce domaine, et attribution de diplômes à ce titre ; inspection du travail ;

3° Accès au travail des étrangers ;

4° Protection sociale, hygiène publique et santé, contrôle sanitaire aux frontières ;

5° Statut civil coutumier ; terres coutumières et palabres coutumiers ; limites des aires coutumières ;

6° Commerce extérieur, à l'exception des prohibitions à l'importation et à l'exportation relatives à des matières relevant de la compétence de l'Etat ; régime douanier ; réglementation des investissements directs étrangers ;

7° Postes et télécommunications ;

8° Desserte maritime d'intérêt territorial ; immatriculation des navires ;

9° Desserte aérienne, sous certaines réserves ;

10° Réglementation et exercice des droits d'exploration, d'exploitation, de gestion et de conservation des ressources naturelles, biologiques et non biologiques de la zone économique exclusive ;

11° Réglementation relative aux hydrocarbures, au nickel, au chrome et au cobalt ;

12° Circulation routière et transports routiers ;

13° Réseau routier de la Nouvelle-Calédonie ;

14° Fonction publique de la Nouvelle-Calédonie et des communes ;

15° Réglementation des professions libérales et commerciales et des officiers publics ou ministériels ;

16° Droit des assurances ;

17° Réglementation des marchés publics et des délégations de service public ;

18° Procédure civile, aide juridictionnelle et administration des services chargés de la protection judiciaire de l'enfance ;

19° Réglementation des poids et mesures ; concurrence et répression des fraudes ;

20° Réglementation des prix et organisation des marchés ;

21° Principes directeurs du droit de l'urbanisme ; cadastre ;

22° Réglementation zoosanitaire et phytosanitaire, abattoirs ;

23° Organisation des services et des établissements publics de la Nouvelle-Calédonie ;

24° Etablissements hospitaliers ;

25° Statistiques intéressant la Nouvelle-Calédonie ;

26° Production et transport d'énergie électrique, équipements portuaires et aéroportuaires du domaine de la Nouvelle-Calédonie ;

27° Météorologie ;

28° Enseignement primaire : programmes, sous réserve de la compétence des provinces pour leur adaptation en fonction des réalités culturelles et linguistiques ; formation des maîtres ; contrôle pédagogique ;

29° Réglementation des activités sportives et socio-éducatives ; infrastructures et manifestations sportives et culturelles intéressant la Nouvelle-Calédonie ;

30° Commerce des tabacs ;

31° Droit domanial de la Nouvelle-Calédonie et des provinces ;

32° Droit de la coopération et de la mutualité.

Parallèlement, les établissements publics suivants sont transférés à la Nouvelle-Calédonie par des décrets en Conseil d'Etat pris sur proposition du Congrès, qui précisent la date et les modalités du transfert :

1° Office des postes et télécommunications ;

2° Institut de formation des personnels administratifs ;

3° Agence de développement rural et d'aménagement foncier ;

4° Agence de développement de la culture kanak ;

5° Centre de documentation pédagogique.

Le calendrier des transferts a été fixé aux articles 25 à 27 de la loi organique. Aux termes de ces dispositions, la Nouvelle-Calédonie ou les provinces, selon le cas, exercent, à compter du 1er janvier 2000, les compétences qu'elles tiennent de la loi organique et dont elles ne disposaient pas en vertu de la loi n° 88-1028 du 9 novembre 1988 portant dispositions statutaires et préparatoires à l'autodétermination de la Nouvelle-Calédonie en 1998. Les compétences attribuées à l'Etat par les dispositions du III de l'article 21 sont transférées à la Nouvelle-Calédonie au cours de la période correspondant aux mandats du Congrès commençant en 2004 et 2009.

Les compétences transférées et l'échéancier des transferts font l'objet d'une loi du pays adoptée à la majorité des trois cinquièmes des membres du Congrès, au plus tard le dernier jour du sixième mois suivant le début de chaque mandat.

Le Congrès peut, à partir du début de son mandat commençant en 2009, adopter une résolution tendant à ce que lui soient transférées, par une loi organique ultérieure, les compétences suivantes :

-  les règles relatives à l'administration des provinces, des communes et de leurs établissements publics, le contrôle de légalité des provinces, des communes et de leurs établissements publics, le régime comptable et financier des collectivités publiques et de leurs établissements publics ;

-  l'enseignement supérieur ;

-  la communication audiovisuelle.

Il n'est nul besoin d'insister sur la portée de ces transferts de compétences, dont l'ampleur est inédite dans notre droit. Les institutions de la Nouvelle-Calédonie n'ont pas seulement bénéficié de nouvelles prérogatives de portée symbolique. Elles maîtrisent désormais, et demain plus encore qu'hier, l'essentiel des leviers pour mener à bien le projet de développement de la société calédonienne.

A tous points de vue, l'architecture des institutions en Nouvelle-Calédonie constitue donc une innovation majeure dans notre droit. Compte tenu de la période précédant 1988, donner vie à cette mécanique institutionnelle très élaborée n'est pas chose aisée. Il ne nous appartient pas de donner à chacun un quelconque satisfecit. La responsabilité du Parlement, et plus largement celle de l'Etat, est de demeurer le témoin indispensable pour éviter que cette histoire ne se joue à huis clos. Parce qu'il est garant du processus de Nouméa, l'Etat doit jouer ce rôle.

Or le destin commun que les Néo-Calédoniens doivent construire ensemble passe par l'émergence d'une véritable société démocratique. Celle-ci repose sur le principe de l'élection. Ce point est évidemment acquis. Elle nécessite aussi l'adoption de comportements politiques adaptés qui renvoient à l'idée d'une plus grande transparence. Cette exigence patente en métropole s'impose également en Nouvelle-Calédonie.

3. L'apprentissage de la confiance au sein des nouvelles institutions

a) Une installation rapide et satisfaisante des institutions

Les institutions de la Nouvelle-Calédonie ont su se mettre en place de manière plutôt satisfaisante, comme a pu en juger la mission sur place.

· Les élections provinciales de 1999

Après le vote de la loi organique, les élections provinciales ont eu lieu, dans les meilleurs délais et dans un climat empreint de sérénité, le 9 mai 1999. On rappellera que le mode de scrutin pour les assemblées de province est fixé par les articles 190 à 193 de la loi organique du 19 mars 1999. Dans chaque province, qui forme une circonscription, les élections ont lieu au scrutin de liste à la représentation proportionnelle, suivant la règle de la plus forte moyenne, sans modification possible des listes. Conformément à l'accord de Nouméa et à la loi organique, la répartition des sièges se fait uniquement entre les listes ayant obtenu au moins 5 % du nombre des électeurs inscrits, de sorte que les listes les plus marginales sont éliminées. L'objectif de cette disposition est de favoriser les alliances entre les différentes formations politiques, pour dégager des forces cohérentes et responsables au sein des assemblées de province et surtout du Congrès de la Nouvelle-Calédonie.

Lors du scrutin du 9 mai 1999, 23 listes sont entrées en lice. Seuls le RPCR, la Fédération des comités de coordination des indépendantistes (FCCI) et le FLNKS ont présenté des candidats dans les trois provinces. La participation a été élevée avec 74,86 %, ce qui est supérieur au taux atteint en 1995 (70,22 %) pour les mêmes élections et à celui constaté lors de la consultation sur l'accord de Nouméa en novembre 1998 (74,24 %). L'engagement des Calédoniens en faveur du processus de 1998 a donc été net.

Parmi les dispositions phares de l'accord de Nouméa figurait la restriction apportée au corps électoral pour le scrutin provincial. A la demande des indépendantistes, l'accord de Nouméa prévoyait expressément que : « le corps électoral pour les élections locales propres à la Nouvelle-Calédonie sera restreint aux personnes établies depuis une certaine durée. » La loi organique du 19 mars a mis en _uvre cette orientation rendue constitutionnelle par la révision de juillet 1998. Sans entrer dans les détails de ces dispositions (6), on indiquera simplement que le corps électoral aux assemblées de province et au Congrès est restreint aux électeurs qui remplissaient les conditions pour voter en 1998 - qui sont donc installés en Nouvelle-Calédonie depuis 1998 - ainsi qu'à ceux qui, ne pouvant voter en 1998, pourront justifier lors de l'élection concernée d'une résidence de dix ans en Nouvelle-Calédonie, s'étant installés au plus tard en 1998 sur le territoire. Par le fait de cette définition stricte de ce corps, 8 738 électeurs n'ont pas été admis à participer à l'élection de mai 1999, soit 7,45 % de l'ensemble d'un corps électoral de 117 183 personnes.

La répartition des sièges dans les assemblées de province et au Congrès est la suivante :

 

Elus à l'assemblée
de province

Membres du Congrès

Province Sud

40

32

Province Nord

22

15

Province des îles Loyauté

14

7

Total

76

54

Dans la province Sud la répartition des voix et des sièges s'est opérée ainsi :

 

Nombre de voix

Pourcentage des suffrages exprimés

Nombre de sièges à l'assemblée

Nombre de sièges au Congrès

RPCR

25 325

51,07 %

25

20

FLNKS

6 165

12,43 %

6

5

Front national

5 374

10,83 %

5

4

Alliance

4 830

9,74 %

4

3

Source : Secrétariat d'Etat à l'outre-mer.

M. Jacques Lafleur, député RPCR de la Nouvelle-Calédonie, a été réélu à la présidence de la province Sud lors des élections pour la présidence des assemblées de province et de leur bureau le 14 mai 1999.

Dans la province des îles Loyauté, la répartition des sièges a été la suivante :

 

Nombre de voix

Pourcentage
des suffrages
exprimés

Nombre de sièges à l'assemblée

Nombre de sièges au Congrès

Union calédonienne (FLNKS)

3 806

30,47 %

6

3

RPCR

2 378

19,04 %

2

1

LKS

2 069

16,57 %

2

1

FCCI

1 993

15,96 %

2

1

PALIKA (FLNKS)

1 336

10,70 %

2

1

Source : Secrétariat d'Etat à l'outre-mer.

Remplaçant M. Nidoish Naisseline (LKS), M. Robert Xowie Wieni, du FLNKS, a été élu président de l'assemblée de la province des îles Loyauté.

Dans la province Nord, les élections ont conduit aux résultats suivants :

 

Nombre de voix

Pourcentage
des suffrages
exprimés

Nombre de sièges à l'assemblée

Nombre de sièges au Congrès

Union pour l'indépendance (PALIKA-FLNKS)

4 886

28,18 %

8

5

Union calédonienne (FLNKS)

3 893

22,45 %

6

4

RPCR

3 080

17,76 %

4

3

FCCI

2 646

15,26 %

4

3

Source : Secrétariat d'Etat à l'outre-mer.

M. Paul Néaoutyine (PALIKA-FLNKS) a succédé à M. Léopold Jorédié (FCCI) à la présidence de l'assemblée de la province Nord.

Au Congrès, le RPCR - aujourd'hui dénommé Rassemblement - a obtenu la majorité relative (24 sièges) avec une progression en sièges dans la province Sud et la province Nord (deux sièges de plus au Congrès dans le Sud et un siège supplémentaire dans le Nord). Il a, en revanche, perdu un siège dans la province des îles Loyauté. Les partis indépendantistes ont totalisé 30 sièges sur 76 aux assemblées de province et 19 sur 54 au Congrès.

· La formation de la majorité au Congrès et la désignation du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie

En 1999, le RPCR a passé une alliance avec la FCCI de manière à constituer une coalition disposant de la majorité absolue avec 28 sièges. Lors de la première délibération du Congrès, M. Simon Loueckhote, sénateur, a été élu président de cette assemblée, alors que le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie a été désigné le 28 mai 1999, le nombre de ses membres ayant été fixé à onze, ce qui correspond au plafond arrêté par l'article 109 de la loi organique.

De mai 1999 à avril 2001, le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie s'est ainsi composé de six membres du RPCR, d'un élu de la FCCI et de quatre représentants du FLNKS. M. Jean Lèques, maire de Nouméa, est devenu président du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie. M. Léopold Jorédié, membre de la FCCI et de l'assemblée de la province Nord, a été porté à la vice-présidence du gouvernement. Le FLNKS a contesté cette désignation en considérant que ce poste aurait dû légitimement lui revenir conformément à l'esprit de l'accord de Nouméa. Les indépendantistes avaient relevé ici ce qui constituait un premier accroc, majeur, au processus engagé en 1998. La composition du gouvernement présidé par M. Pierre Frogier revient à l'esprit de Nouméa.

· L'annulation des élections à l'assemblée de province des îles Loyauté et les élections partielles de juin 2000

La mise en place des institutions a buté sur une autre difficulté qui a conduit à la paralysie politique et administrative de la province des îles. En effet, à la suite d'une action devant les tribunaux, l'élection à l'assemblée de province dans les îles Loyauté a été annulée.

Sur un recours de l'ancien président de la province, M. Nidoïsh Naisseline, le Conseil d'Etat a annulé, le 15 mai 2000, le scrutin dans cette province en raison du grand nombre de formulaires de votes par procuration non parvenus à leurs destinataires. De nouvelles élections se sont donc déroulées le 25 juin 2000, qui n'ont pas cependant bouleversé l'équilibre politique provincial. Trois listes étaient en présence lors du scrutin de 2000 : celle du FLNKS, conduite par le président sortant de la province, M. Robert Xowié, membre de l'Union calédonienne et maire de Lifou, la liste « Union nationale pour l'indépendance » du PALIKA, conduite par M. Charles Washetine et celle menée par M. Nidoïsh Naisseline (LKS) intitulée « Un nouveau défi pour les îles », regroupant le LKS (Libération kanak socialiste), le FULK (Front uni de libération kanak), le Rassemblement et la FCCI (Fédération des comités de coordination indépendantiste).

A l'issue d'un scrutin marqué par une participation en baisse (68,30 %, soit 8,35 % de moins qu'en mai 1999), l'assemblée de la province des îles Loyauté a conservé une majorité FLNKS-PALIKA, la répartition des sièges demeurant inchangée et M. Robert Xowié étant réélu président de la province le 4 juillet 2000.

 

Mai 1999

Juin 2000

Sièges

FLNKS

30,38 %

37,30 %

6

PALIKA

10,73 %

17,82 %

2

Rassemblement, FCCI, LKS, FULK

54,76 %

44,88 %

6

Source : Secrétariat d'Etat à l'outre-mer.

· La mise en place des procédures d'adoption des normes calédoniennes au Congrès

La mise en place rapide des institutions calédoniennes a permis de montrer l'engagement des différentes forces politiques locales dans une volonté commune de donner corps au processus de Nouméa. Les rapports entre les différentes institutions ne semblent pas avoir été marqués par des difficultés particulières. Ainsi, le Congrès et le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie ont trouvé des modalités de fonctionnement correctes, conformes à l'exercice de leurs prérogatives respectives. Les rapports entre les pôles législatif et exécutif sont équilibrés, aux dires des observateurs, au premier rang desquels le haut-commissaire de la République.

On l'a vu, le Congrès de la Nouvelle-Calédonie n'est pas une institution nouvelle, contrairement au gouvernement ou au sénat coutumier. Depuis 1988, cet organe a su trouver des modes de fonctionnement, sans doute perfectibles, mais qui apparaissent globalement satisfaisants. A l'occasion du vote de la loi organique, l'accent avait été porté sur l'intérêt de conférer aux travaux du Congrès une réelle et large publicité. En effet, ayant à voter des textes législatifs importants, engageant durablement l'avenir du territoire, il est apparu essentiel que les citoyens de la Nouvelle-Calédonie puissent suivre les travaux de cette assemblée. Si un effort a été fourni pour mieux assurer cette obligation, les résultats ne sont pas encore probants. Un fort décalage est perceptible entre le déroulement des débats et leur transcription. Les méthodes de travail éprouvées qui président au fonctionnement de l'Assemblée nationale et du Sénat devraient inspirer les élus du Congrès. Des contacts semblent avoir été pris entre le service de la séance du Sénat et les services du Congrès de la Nouvelle-Calédonie à cette fin, ce dont on peut se réjouir.

Parallèlement on constate que la publication des actes de la Nouvelle-Calédonie - autre obligation imposée par la loi organique - donne satisfaction aux citoyens, le Journal officiel de la Nouvelle-Calédonie étant un instrument désormais reconnu en matière d'accès au droit.

Le droit de recours ouvert devant le Conseil constitutionnel contre les lois du pays a été exercé par le Président de la province des îles Loyauté. M. Robert Xowié a contesté, le 6 janvier 2000, la loi du pays, relative à l'institution d'une taxe générale sur les services, adoptée par le Congrès le 7 décembre 1999. Faisant suite à une demande de quatorze membres de l'Assemblée de cette province, cette demande se fondait sur le fait que le Conseil économique et social de la Nouvelle-Calédonie n'avait pu rendre d'avis sur ce texte puisque ses membres n'avaient pas encore été désignés et que, en outre, le comité des finances locales aurait dû être consulté. Le Conseil constitutionnel a rejeté la requête en jugeant les motifs infondés, considérant que l'avis de ces deux instances consultatives n'était pas requis en l'espèce (CC n° 2000-1 LP du 27 janvier 2000) (7).

· Le travail gouvernemental

Le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie a, selon les termes employés par M. Jean Lèques, alors président de cette institution, pris à bras le corps les problèmes posés à la société calédonienne. La mission a pu constaté que l'ordre du jour du gouvernement était chargé. L'observation de cet ordre du jour permet de constater que cet organe doit traiter d'un nombre extrêmement divers de dossiers. Leur importance est fort inégale. Le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie statue ainsi sur les questions essentielles de la fiscalité ou du projet d'achat d'avions pour assurer la liaison aérienne avec le Japon. Mais il lui appartient aussi d'attribuer des subventions à des associations, d'agréer des entrepreneurs de transports nautiques, de réglementer la circulation sur la route territoriale à l'occasion d'une course automobile... On le voit, le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie doit à la fois assumer les fonctions d'un organe gouvernemental en charge de l'essentiel, mais également agir sur des questions très ponctuelles, relevant habituellement de collectivités locales.

La coexistence de ces deux niveaux de décisions doit, sans doute, être difficile à organiser, les membres du gouvernement devant éviter de sacrifier l'essentiel à l'accessoire, dont le foisonnement devient vite asphyxiant.

· Les transferts de compétences

D'après les différents interlocuteurs entendus par la mission, le transfert de compétences de l'Etat à la Nouvelle-Calédonie semble s'être accompli dans des conditions satisfaisantes. Néanmoins, en octobre dernier, il connaissait un certain retard en matière d'enseignement primaire, ce retard étant, semble-t-il, imputé à l'absence de désignation de vice-recteur en Nouvelle-Calédonie. Ainsi, dans ce domaine, l'Etat a transféré la définition des programmes et le contrôle pédagogique, alors que le recrutement des instituteurs était déjà du ressort de la Nouvelle-Calédonie.

Globalement, les transferts de services de l'Etat à la Nouvelle-Calédonie n'ont pas été réalisés aussi rapidement qu'on pouvait l'attendre. L'Etat semble avoir trouvé un intérêt très net à reporter de tels transferts, notamment pour conserver une source d'information sur les dossiers concernés.

Le maintien de certaines compétences dans le giron de l'Etat pose des difficultés concrètes, ce dernier ne disposant pas toujours des moyens nécessaires pour faire face à ses obligations. Il en est ainsi dans le domaine de la sécurité aérienne. M. Olivier Razavet, président du directoire de la compagnie Air Calédonie, entendu par la mission, a ainsi souligné que l'Etat n'avait pas les moyens d'assurer la sécurité des vols, la police de l'air et des frontières n'étant ainsi pas présente à l'aéroport de Magenta, qui accueille 300 000 passagers par an. De même, selon les dires de cet interlocuteur, les contrôles de douanes apparaissent insuffisants.

Le comité d'évaluation des transferts de charges a été installé tardivement, les décrets d'application ayant tardé à être pris.

· La controverse autour de la composition du conseil économique et social

Le conseil économique et social de la Nouvelle-Calédonie a connu une mise en place tardive, puisqu'elle est intervenue le 2 février 2000. Il regroupe 39 membres, le président étant issu des rangs du Rassemblement et l'un des vice-présidents du FNLKS. Sa composition, fort contestée, fait l'objet de critiques, en particulier de la part des organisations syndicales les plus importantes - par exemple, l'USTKE - dont la représentation est minorée.

A l'origine, les nominations sont apparues clairement politiques, selon les termes du président du conseil, M. Bernard Paul, que la mission a rencontré. On s'est étonné notamment que les organismes consulaires n'y soient pas représentés, alors qu'ils l'étaient dans le comité qui a précédé le présent conseil. Le président du conseil économique et social a indiqué à la mission que la responsabilité de cette absence des organismes consulaires incombait au gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, qui n'a pas souhaité les intégrer dans ce conseil. Le président a, en revanche, souligné que ces chambres consulaires étaient consultées régulièrement par le conseil sur des sujets les concernant. Il a, par ailleurs, jugé que la représentativité du conseil était satisfaisante, l'USTKE disposant ainsi de deux sièges au titre de la province Nord et de celle des îles Loyauté. Seule la Fédération des fonctionnaires aurait refusé de siéger au sein du conseil.

Le conseil économique et social est consulté sur chaque projet de loi du pays ou tout texte économique et social important. Il a ainsi été amené à se prononcer sur le projet d'achat d'airbus par Aircalin ou sur le logement des personnes les plus démunies. Le conseil peut aussi s'auto-saisir de certaines questions, ce qu'il a fait sur la délinquance juvénile ou sur les palabres coutumiers. Le président du conseil économique et social de Nouvelle-Calédonie a regretté que les travaux de cette instance ne connaissent pas une plus grande publicité, notamment audiovisuelle. De fait, le conseil demeure encore largement méconnu dans l'archipel.

Ce conseil entend, par ailleurs, établir des contacts avec d'autres conseils économiques et sociaux régionaux. C'est le cas, par exemple, actuellement avec son homologue breton qui apporte à la Nouvelle-Calédonie son expérience en matière de pêche.

En dépit de ces efforts, dont il est encore difficile de mesurer la portée, l'action du conseil économique et social ne recueille pas un assentiment unanime. Au cours de son audition par la mission, le syndicat USOENC s'est montré très critique à l'égard du fonctionnement de cet organe, présenté comme une simple chambre d'enregistrement, dont le fonctionnement ne serait pas conforme à l'accord de Nouméa.

Cette controverse, pour limitée qu'elle soit, peut apparaître comme significative de certaines tensions dans le fonctionnement des institutions calédoniennes qui s'expriment principalement au sein du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie.

Par ailleurs, la situation politique au sein des assemblées de province est apparue satisfaisante pour deux d'entre elles, la province des îles Loyauté semblant souffrir de difficultés particulières.

· La situation contrastée des provinces

La situation de l'assemblée de la province Sud n'appelle pas d'observations particulières. Concentrant l'essentiel de l'activité économique et mobilisant la plus grande partie de la population calédonienne, cette province continue à assumer ses missions sans difficulté spécifique, les responsables de cette institution n'ayant d'ailleurs pas formulé de réclamation auprès de la mission parlementaire.

Après une période difficile précédant les élections de 1999, où la province Nord était dans une situation de paralysie manifeste, le président ne disposant plus de majorité au sein de l'assemblée, le renouvellement de celle-ci en 1999 a permis de sortir de ce blocage. Le conseil exécutif sous la présidence de M. Paul Néaoutyine, dont la personnalité est reconnue, a pris la mesure des enjeux de la province Nord. Le nouveau président passe d'ailleurs l'essentiel de son temps dans sa province, attitude que chacun semble apprécier particulièrement. Aujourd'hui la situation financière de la province est meilleure. Elle se révèle même excédentaire, du fait d'une politique minimale en matière d'investissement. L'effort essentiel est engagé dans le désendettement, les capacités humaines et techniques sur place, nécessaires pour porter des projets étant, semble-t-il, encore insuffisantes.

Le projet de construction d'une usine de nickel suscite les plus grands espoirs dans la province, qui espère constituer ainsi un pôle de développement, à l'instar de ce qui a été réalisé dans le Sud autour de l'usine de Doniambo.

La situation de la province des îles Loyauté est inquiétante, aux dires de tous les interlocuteurs de la mission. En dehors des difficultés structurelles propres à ces îles, le contexte politique a été, en 1999 et 2000, plus un facteur de paralysie que de dynamisme dans cette province. Après les élections de juin 2000, la remise en route de l'administration provinciale n'a pas été facile, le soutien logistique de l'Etat, en la personne du commissaire délégué, ayant été indispensable pour permettre à la province de faire face à ses missions qui sont nombreuses. L'assemblée de la province des îles a paru quelque peu dépourvue face à une situation économique et sociale peu réjouissante.

La société des Loyautés est marquée par un fort attachement à la coutume. Or celle-ci connaît une crise manifeste, comme on aura l'occasion de le montrer plus loin. L'enclavement et l'isolement de ces îles conduit à des réactions de rejet face au processus qui se met en _uvre en Grande Terre. La perspective de croissance, liée à la construction de deux usines de nickel dans le Nord et dans le Sud, ne concerne pas les îles Loyauté. Mais, même si elles se refusent à devenir une sorte de conservatoire des traditions et des coutumes kanak, ces îles entendent préserver farouchement leur identité. Quelques projets économiques voient le jour, comme à Ouvéa où un hôtel vient d'être ouvert, mais la contradiction entre coutume et développement ne constitue pas nécessairement un atout pour surmonter des obstacles structurels profonds.

b) Au-delà des apparences, une tension manifeste

· Le gouvernement : logique majoritaire ou logique de coopération ?

Le regard porté sur le fonctionnement des institutions a été nuancé selon les interlocuteurs de la mission. Pour les représentants du FLNKS, il n'est nullement satisfaisant et, sous une apparence policée, les tensions entre les principaux groupes au sein du Congrès et du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie semblent réelles.

Plus globalement, plusieurs interlocuteurs de la mission ont considéré que, à ce jour, les positions entre les différentes forces politiques et les communautés étaient encore trop figées. Faute d'avancées notables sur le plan politique, la dynamique de l'accord de Nouméa a semblé moins porteuse.

M. Jacques Lafleur, député et président de la province Sud, a estimé, pour sa part, qu'on observait des progrès dans le fonctionnement des institutions issues de la loi organique du 19 mars 1999. Selon lui, des améliorations pourraient être apportées à ce dispositif, suggérant qu'il pourrait faire des propositions en ce domaine dans les mois à venir.

A l'occasion des entretiens auxquels la mission a procédé dans l'archipel, il est apparu que les différents acteurs développaient une interprétation différente du système institutionnel mis en place après l'accord de 1998. M. Jacques Lafleur a ainsi insisté sur l'impossibilité de conduire une politique cohérente en Nouvelle-Calédonie hors de toute logique majoritaire. Il a contesté la revendication des représentants du FLNKS au gouvernement et au Congrès en faveur d'un véritable partage des responsabilités au sein de l'exécutif calédonien.

Le président du gouvernement au moment du déplacement de la mission dans l'archipel, M. Jean Lèques, a émis le constat que la collégialité ne pouvait exister complètement. Il a insisté sur le fait qu'une grande concertation était opérée avant chaque prise de décision, tout en constatant qu'à l'issue de ces discussions, la majorité du Congrès et du gouvernement devait s'exprimer. Des divergences fortes apparaissent sur des dossiers lourds comme celui de la fiscalité. Elles ne peuvent se régler dans le consensus. M. Jean Lèques a souligné que, contrairement à la revendication du FLNKS, il était impossible de permettre aux membres du gouvernement de diriger les services de la Nouvelle-Calédonie, cette prérogative étant réservée au président de cette institution. Aux termes de la loi organique du 19 mars 1999, les membres du gouvernement disposent de la faculté d'animer et de contrôler les services et non de les diriger.

Les membres du gouvernement représentant le FLNKS contestent très fermement cette vision des choses. Ils se plaignent en particulier de ne pas être tenus informés des dossiers traités par le gouvernement, critique que le président de cette institution a réfutée.

Lors du passage de la mission en Nouvelle-Calédonie, le FLNKS a exprimé sa déception de voir la collégialité ne pas fonctionner correctement. Les représentants de ce mouvement présents au sein du gouvernement ont considéré qu'ils n'avaient pas de prise sur les décisions. La délégation générale de signature du président du gouvernement au secrétaire général est apparue, pour eux, comme une volonté manifeste de déléguer, en fait, les pouvoirs à un organe administratif, en marginalisant les ministres élus. Les membres du gouvernement appartenant au FLNKS ont décrit avec précision un système verrouillé, qui ne leur permet pas de peser sur la politique menée en Nouvelle-Calédonie.

Ces récriminations présentées à la mission se sont fondées sur des exemples concrets, comme l'absence de véritables dossiers distribués aux ministres indépendantistes avant la discussion d'une question au sein du gouvernement.

Manifestement, lors du déplacement de la mission en Nouvelle-Calédonie, une atmosphère de tension transparaissait dans les relations entre l'administration du gouvernement et les ministres indépendantistes, ce qui ne saurait correspondre à l'esprit de l'accord de Nouméa.

Au total, les membres du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie représentant le FLNKS ont exprimé ainsi, à plusieurs reprises, leur souhait d'être mieux associés aux discussions, tout en reconnaissant, devant la mission, qu'in fine le vote de la décision relevait de la logique majoritaire en cas de désaccord entre les différentes forces présentes au sein du gouvernement.

· Le règlement contentieux de litiges politiques

On a pu constater que le règlement des litiges politiques au sein des institutions calédoniennes est souvent passé par la voie du recours aux juridictions administratives, voire pénales. Les actions n'ont pas contribué à apaiser les esprits au sein du gouvernement dans les premiers mois de son installation.

Les nominations du secrétaire général et du secrétaire général adjoint du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie ont été contestées devant le tribunal administratif de Nouméa. La nomination du secrétaire général du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie a été l'objet d'un enjeu particulier dans la mesure où elle traduit administrativement la prééminence du président du gouvernement, auquel le secrétaire général est rattaché, sur les autres membres de cet organe, ces derniers ne disposant pas du pouvoir de diriger les services de la Nouvelle-Calédonie.

On peut aborder cette question selon deux points de vue. Le recours aux juridictions peut apparaître comme l'intégration par les responsables calédoniens des mécanismes qui font intégralement partie de l'Etat de droit. On peut aussi considérer cette situation de manière moins optimiste en estimant que le recours aux voies contentieuses démontre l'incapacité pour les principales forces politiques locales de mener un dialogue et une négociation qui est pourtant au c_ur du processus initié par l'accord de Nouméa.

c) Une occasion de passer à une seconde étape : la nomination d'un nouveau gouvernement en mars 2001

A la suite des élections municipales de mars dernier, le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie a connu un renouvellement important qui semble marquer une nouvelle étape dans la mise en place de l'accord de Nouméa. Le 20 mars, M. Jean Lèques qui assumait les fonctions de président du gouvernement depuis le 28 mai 1999 a annoncé sa démission, alors qu'il venait d'être réélu au premier tour aux élections municipales de Nouméa. Cette démission a entraîné automatiquement celle de l'ensemble du gouvernement.

Après le vote du Congrès, la composition du nouveau gouvernement de la Nouvelle-Calédonie est devenue la suivante :

M. Pierre Frogier (liste Rassemblement-FCCI), Président du gouvernement

Mme Déwé Gorodey (liste FLNKS), Vice-Présidente, en charge de la culture, de la jeunesse et des sports

M. Maurice Ponga (liste Rassemblement-FCCI) en charge de l'agriculture et de la pêche

M. Léopold Joredié (liste Rassemblement-FCCI) en charge de l'enseignement

Mme Françoise Horhant (liste Rassemblement-FCCI) en charge du travail, de la fonction publique et de la formation professionnelle

M. Pierre Maresca (liste Rassemblement-FCCI) en charge des transports et des communications, des relations avec le Congrès et du suivi des questions relatives à l'audiovisuel

M. Alain Lazare (liste Rassemblement-FCCI) en charge des affaires économiques et des relations avec le conseil économique et les communes

M. Hervé Chatelain (liste Rassemblement-FCCI) en charge des finances et du budget ainsi que du suivi du schéma d'aménagement et de développement de la Nouvelle-Calédonie

M. Roch Wamytan (liste FLNKS) en charge des affaires coutumières et des relations avec le sénat coutumier et les conseils coutumiers

M. Aukusitino Manuohalalo (liste FLNKS) en charge de la protection sociale et de la santé

M. Gérald Cortot (Liste Union calédonienne) en charge de l'équipement

Le fait que la vice-présidence du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie ait été confiée à une élue du FLNKS constitue un fait nouveau qui mérite d'être relevé. On se souvient que l'attribution de ce poste à M. Léopold Jorédié (FCCI) avait été perçue par le FLNKS comme une atteinte majeure à l'esprit de l'accord de Nouméa. Par ailleurs, la désignation d'une femme à ce poste est un signal fort à l'attention des Calédoniennes, salué par de nombreux observateurs.

On a ainsi constaté une certaine détente dans les relations entre les partenaires. Des dossiers importants attendent le nouveau gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, comme la couverture sociale unifiée et la protection sociale, le dossier de la défiscalisation des avions achetés par Air Calédonie, la poursuite de la mise en _uvre du pacte social et le dossier fiscal. Au début du mois de mai dernier, M. Pierre Frogier a présenté les grands axes de son action en évoquant notamment la réflexion qui pourrait être lancée sur les signes identitaires, comme l'accord de Nouméa y a invité les Calédoniens.

Le gouvernement Frogier est porteur de beaucoup d'espérances, qui ne pourront être réalisées qu'avec le concours de tous les partenaires de l'accord de Nouméa. Les dissensions au sein du FLNKS, avec un Palika qui pèse davantage et une Union calédonienne divisée, compliquent les relations entre responsables élus et militants. Face aux logiques partisanes, et souvent politiciennes, qui alimentent la vie politique calédonienne, l'accord de Nouméa implique, de tous les dirigeants politiques et syndicaux, une pratique de responsabilité. Sans tomber dans la grandiloquence, nous sommes convaincus qu'il y va de l'avenir de la Nouvelle-Calédonie.

4. L'égalité des femmes et des hommes en question

L'ouverture du jeu politique en Nouvelle-Calédonie ne peut être abordée sans examiner la question de l'accès des femmes aux fonctions électives. L'an passé, le débat a été porté sur la place publique, lors de l'examen par le Parlement de la loi organique tendant à organiser l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives.

a) La loi sur la parité dans les territoires d'outre-mer et en Nouvelle-Calédonie

On se souvient que la Constitution a été révisée en 1998 aux fins de permettre au législateur d'intervenir en ce domaine. Aux termes de la loi constitutionnelle n° 99-569 du 8 juillet 1999, les articles 3 et 4 de la Constitution ont été modifiés. Désormais, le dernier alinéa de l'article 3 dispose que : « la loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives », alors que l'article 4 prévoit que les partis et groupements politiques « contribuent à la mise en _uvre du principe énoncé au dernier alinéa de l'article 3 dans les conditions déterminées par la loi ».

En conséquence, le Gouvernement a soumis au Parlement deux projets de loi, dont le second de nature organique, en vertu des articles 74 et 77 de la Constitution, applique la réforme aux territoires d'outre-mer et à la Nouvelle-Calédonie. Ce texte organique étendait aux élections aux assemblées de province et au Congrès de la Nouvelle-Calédonie, la règle paritaire, à savoir la présence d'un nombre égal de femmes et d'hommes sur les listes de candidats. Par ailleurs, les élections municipales en Nouvelle-Calédonie sont concernées par cette réforme, le projet de loi ordinaire s'appliquant à ce territoire comme à la métropole.

Au cours de la discussion parlementaire, l'Assemblée nationale a introduit une règle plus rigoureuse : une alternance stricte des candidatures féminines et masculines pour les élections provinciales, conformément au principe adopté pour les scrutins proportionnels ; tandis qu'une parité par groupe de six candidats était imposée pour les élections municipales. Lors de l'examen des deux textes au Palais du Luxembourg, le sénateur Simon Loueckhote a proposé un aménagement de ces règles pour la Nouvelle-Calédonie ainsi qu'un report de leur application à 2009 et 2013. Il a exprimé sa perplexité sur la capacité de la société mélanésienne à accepter un tel bouleversement sociologique (8).

Opposé au principe d'une règle paritaire, le sénateur de la Nouvelle-Calédonie a souhaité que l'exercice d'un mandat ne découle pas d'une disposition légale mais d'un engagement politique. Il a estimé également que la mise en _uvre de l'accord de Nouméa mobilisait toutes les énergies des Néo-calédoniens et que la règle paritaire priverait la société civile des talents des femmes engagées dans les fonctions électives. Il a ajouté que, dans le Nord et dans les îles Loyauté, il serait difficile de trouver suffisamment de femmes prêtes à s'investir dans un mandat politique. Enfin, il n'a pas manqué de rappeler que, dans la culture kanak, les époux conservaient une place dominante. Ainsi, selon ses propos, ayant convaincu deux femmes de figurer sur sa liste, lors des élections provinciales de mai 1999, M. Simon Loueckhote a dû également obtenir l'accord de leur mari, ces derniers exigeants que leurs épouses ne participent à aucune réunion publique et ne soient pas photographiées.

A la suite de cette intervention, le Sénat a adopté un amendement supprimant la condition de stricte alternance des candidatures féminines et masculines sur les listes aux élections provinciales. L'Assemblée nationale a cependant rétabli cette disposition qui, finalement, est demeurée dans le texte en date du 4 juillet 2000. Saisi en vertu de l'article 46 de la Constitution, le Conseil constitutionnel a jugé, dans sa décision n° 2000-430 du 29 juin 2000, que cette disposition était conforme à la Constitution.

En Nouvelle-Calédonie, ce débat a connu un grand écho et la prise de position du sénateur Loueckhote a fait l'objet de critiques, les associations de femmes se mobilisant en faveur de la règle paritaire.

b) La mise en _uvre du principe

Lors de son déplacement dans le territoire, la mission a pu noter que la question n'était pas close.

Comme en métropole, l'organisation des élections municipales de mars 2001 a constitué la première échéance pour laquelle s'est appliqué le principe de parité. Treize communes calédoniennes sur trente-trois sont concernées par la règle introduite par la loi n° 2000-493 du 6 juin 2000, aux termes de laquelle les listes doivent être paritaires au sein de groupes de six candidats.

Certains des interlocuteurs de la mission ont jugé que la mise en _uvre de cette nouvelle règle se ferait pourvu qu'on fasse l'effort nécessaire. Ainsi M. Marcel Nédia, alors maire FLNKS de Koné dans la province Nord, a considéré que sa formation politique réussirait à susciter des vocations auprès des femmes. C'est aussi l'appréciation que Mme Patricia Goa, chargée de mission à la province Nord, a porté sur la situation. Dans les îles Loyauté, les personnes entendues se sont révélées plus dubitatives face à cette nouvelle contrainte imposée aux listes de candidats. M. Jacques Lalie, directeur de cabinet du président de la province des îles Loyauté, a jugé cette règle trop directive, alors que les îles ont entrepris leur évolution depuis une quinzaine d'années seulement. Il a considéré que les élus de la province n'avaient pas été suffisamment consultés sur ce point.

Evidemment, les associations de femmes rencontrées à Lifou ne partagent pas ce point de vue. Mme Denise Kacatr, responsable du droit des femmes dans la province des Iles a insisté sur la complémentarité des approches féminines et masculines des problèmes, en estimant que le problème de la présence de femmes au sein des listes de candidats serait résolu.

Les élections municipales de mars 2001 ont finalement montré, en Nouvelle-Calédonie comme ailleurs - le cas particulier de Mayotte est exemplaire à cet égard - que la loi sur la parité a fonctionné très correctement. Elle a permis l'émergence de nouvelles figures dans les municipalités et, même si des difficultés ont pu apparaître ça et là, l'objectif poursuivi a été atteint. Par exemple, à Koné, capitale de la province Nord, quatre femmes ont été élues adjointes au maire sur un total de huit adjoints.

c) Avancer vers l'égalité réelle des femmes et des hommes

Mais l'égalité des femmes et des hommes ne saurait se limiter à la sphère politique. L'essentiel est sans doute ailleurs, dans la vie quotidienne des femmes, la Nouvelle-Calédonie connaissant à ce titre des spécificités fortes.

Le comité économique et social - prédécesseur de l'actuel conseil économique et social - a rendu un avis en août 1998 (9) sur le droits des femmes en Nouvelle-Calédonie. Ce rapport montre que ces droits ne sont pas toujours respectés. L'alcoolisme et la drogue engendrent trop souvent des violences conjugales ; l'égalité dans le monde du travail n'existe pas effectivement ; les femmes subissent trop souvent leur sexualité et ne parviennent pas à planifier leurs grossesses. A l'issue de ce travail, le comité insistait sur l'importance de se pencher sur les conditions concrètes de l'égalité, sans en rester à une définition formelle. Il saluait à cet égard l'action des délégués aux droits des femmes dans chacune des provinces.

La mission a eu l'occasion de rencontrer la chargée de mission de la province Sud, Mme Nicole Robineau, qui a présenté l'ensemble des actions, menées par cette collectivité, en faveur des droits des femmes. Créée en janvier 1991, cette mission est un relais entre les femmes et les association qui les soutiennent ainsi que les administrations concernées. Le principal objectif de cette mission est de protéger les femmes des violences qu'elles subissent mais également de les aider à accéder à des formations et de les informer sur tous les moyens leur permettant de mieux s'intégrer dans la vie sociale. Les réalisations en ce domaine sont multiples. Pour n'en présenter que quelques-unes, on évoquera la création d'un centre de conseil familial en 1992. Ce centre constitue un nouveau service de la direction provinciale de l'action sanitaire et sociale de la province Sud dont la vocation est de diffuser une information sur les problèmes de couple, de la famille et de l'éducation des jeunes en ce qui concerne notamment la régulation des naissances et le planning familial, les MST et le SIDA. Ce centre accueille aussi les femmes ayant subi des violences, afin de les prendre en charge. Il dispense enfin une information juridique. Dans ce cadre, un médecin, un psychologue, une assistante sociale et un juriste accueillent les femmes qui se présentent au centre.

Par ailleurs, des centres maternels ou des foyers ont été créés pour accueillir des jeunes femmes en état de grossesse et coupées de leur milieu familial, et des femmes seules ou en détresse, notamment sans domicile fixe. Des travaux ont également été publiés aux fins de sensibiliser la population sur les problèmes de violence. Cette question est au centre de la Charte signée le 8 mars 2000 par les plus hautes autorités de la Nouvelle-Calédonie. En dehors de ces initiatives institutionnelles, les femmes calédoniennes font preuve d'un remarquable dynamisme. Les associations se multiplient comme celle qui vient de voir le jour près de Bourail, l'association Xre Orowe. Ces structures associatives entendent souvent promouvoir les droits des femmes, notamment en préservant les traditions par la voie d'activités culturelles.

Au-delà de cette question, toute conclusion sur la situation calédonienne mérite nuances et précisions. Elle ne peut guère revêtir qu'un caractère provisoire.

L'accord de Nouméa a ouvert de grandes perspectives en Nouvelle-Calédonie. L'autonomie nouvelle donnée à ce territoire, avec des institutions dotées de pouvoirs accrus et sans précédent dans l'histoire française, a pour principal objet de permettre aux Calédoniens d'organiser ensemble leur vie, de prendre en main leur communauté de destins. L'avenir dira ce que souhaiterons les citoyens de la Nouvelle-Calédonie, qui auront ainsi appris à vivre ensemble pendant près de vingt ans. Reste que l'adoption d'un nouveau statut est un acte ponctuel qui ne saurait préjuger de la réussite du projet. La construction d'une communauté de destins est un vaste chantier qui implique un engagement de tous les jours et un effort de conciliation de la part de tous les acteurs.

Les interlocuteurs de la mission ont souvent fait état de leur déception vis-à-vis de la suite donnée au processus, tout en étant conscient que rien ne pouvait se faire dans la précipitation. Le souhait de voir se concrétiser de manière tangible l'esprit de l'accord de Nouméa est très présent, en particulier parmi les Mélanésiens.

A titre d'exemple, les représentants de l'Eglise évangélique autonome ont ainsi fait part d'un diagnostic mitigé devant la mission. Cette église protestante regroupe 88 paroisses et compte près de 30 000 membres en Nouvelle-Calédonie, la presque totalité étant kanak. Elle apparaît très implantée dans les tribus et dans le Grand Nouméa. Favorable à l'indépendance, l'Eglise évangélique autonome a engagé une action _cuménique, en soutenant le processus de Nouméa. Elle a noté que le climat était « mi-figue, mi-raisin » en Nouvelle-Calédonie. La grande attente sortie de la signature de l'accord de 1998, de la révision constitutionnelle et du vote de la loi organique, ne s'est pas encore concrétisée sur le terrain, les différentes forces politiques restant figées dans leurs positions respectives. Cette situation tranche avec le formidable besoin des Calédoniens, et en particulier des Mélanésiens, de voir évoluer la situation sociale. La jeunesse kanak préoccupe beaucoup les représentants de l'Eglise évangélique autonome, qui la décrit en perte de repères, sans emploi et sans perspective. Les mécanismes de marginalisation sociale continuent de fonctionner alors que les modes traditionnels d'intégration sont en crise.

Monseigneur Michel Calvet, archevêque de Nouméa, a présenté à la mission un constat assez proche. Il a déploré que les forces locales soient souvent paralysées par les jeux politiques. Selon lui, la place des femmes dans la société calédonienne doit être reconnue. Il faut également prendre en compte les aspirations de la jeunesse, parmi laquelle le cannabis fait des dégâts, en termes de santé et de délinquance.

Enfin, la mission a également rencontré le Pasteur Watre Hanye, de l'Eglise évangélique libre, qui s'est séparée de l'Eglise protestante en 1958 et compte soixante-quinze centres de culte en Nouvelle-Calédonie ainsi que vingt-cinq écoles primaires, trois collèges et un lycée. Le pasteur a insisté sur la nécessité de réconcilier les communautés et, surtout, de porter l'accent sur la formation des jeunes Mélanésiens dans des établissements également fréquentés par les autres Calédoniens.

Selon plusieurs personnes entendues par la mission, les Calédoniens regrettent qu'on se soit penché si longuement sur les questions institutionnelles, sans s'attaquer avec assez de force aux problèmes économiques et sociaux.

A l'évidence la communauté de destin que l'accord de Nouméa entend faire émerger en Nouvelle-Calédonie a du mal à apparaître. Mais sont-ils nombreux ceux qui espéraient vraiment la voir émerger du jour au lendemain dans l'archipel ? Un nouveau rapport à la sphère publique doit voir le jour en Nouvelle-Calédonie. Il s'agirait d'une forme de normalisation de l'espace public qui passerait par une meilleure appréciation de l'action judiciaire et des contrôles de l'action publique.

B. FAIRE VIVRE L'ÉTAT DE DROIT

La mission a été saisie, à plusieurs reprises, de récriminations concernant l'absence de culture démocratique en Nouvelle-Calédonie. La situation de quasi-monopole dans le domaine de la presse écrite constitue une difficulté dans la construction d'une société calédonienne ouverte. Le pluralisme existe davantage dans le domaine radiophonique. S'agissant de la télévision, le traitement des émissions locales d'information de RFO-Calédonie gagnerait à quitter sa logique « provinciale » au bénéfice d'une vision plus globale, mieux adaptée à la société de responsabilité voulue par l'accord de Nouméa.

1. La justice en question

a) La justice « entre le marteau et l'enclume »

La mission s'est particulièrement attachée à l'examen des conditions d'organisation et de fonctionnement de la justice en Nouvelle-Calédonie. Plusieurs raisons ont milité en faveur de ce choix. Tout d'abord, la justice apparaît comme l'une des conditions essentielles de la mise en _uvre du processus de Nouméa. L'accord de 1998 et la loi organique du 19 mars 1999 ont, en effet, mis en avant la nécessité d'introduire en Nouvelle-Calédonie les mécanismes normaux de l'Etat de droit, c'est-à-dire, avant tout, le respect par les institutions politiques et administratives des normes. Une telle résolution ne signifiait nullement que la Nouvelle-Calédonie et que ses dirigeants étaient particulièrement susceptibles de déroger à ce principe, mais il est vrai que la société calédonienne a connu des situations de violence que le fonctionnement déficient de la justice n'a pas toujours contribué à apaiser. Par ailleurs, les nouvelles responsabilités des autorités élus calédoniennes imposaient, à l'évidence, une contrepartie qui va de soi dans toutes les démocraties : le contrôle de l'action publique.

A cause de ce passé parfois troublé - on se souvient de l'affaire de Hienghène (10) - la justice éprouve parfois de la difficulté à trouver sa place dans la société calédonienne. Le terme de « justice coloniale » est quelquefois employé, un peu trop rapidement sans doute. Il rend cependant compte de la représentation que les Calédoniens se font de la justice, en particulier dans la frange kanak de la population. Même s'il n'est pas fondé sur ces faits réellement constatés, ce type de représentation sociale doit être pris en compte. Il se réfère à un rapport à la sphère publique, au politique et au droit, très particulier. Il appartient alors à l'autorité judiciaire d'y être attentive et d'agir en conséquence. Un effort pédagogique doit notamment être mené auprès des personnes qui ont affaire aux juridictions judiciaires ou administratives, pour leur permettre de mieux saisir le sens des décisions qui leur sont opposées.

La position des juridictions en Nouvelle-Calédonie est souvent délicates. Comme l'a souligné l'avocat général à la cour d'appel, « la justice est l'enclume sur laquelle on frappe », une agressivité particulière se manifestant à l'égard de cette institution dans l'archipel. On a effectivement le sentiment que l'incapacité, dans l'île, à nouer un véritable débat démocratique conduit à déporter la discussion et les tensions vers la sphère judiciaire. Ce n'est pas le signe d'une complète maturité de la société politique calédonienne.

Ainsi, les représentants syndicaux sont souvent véhéments à l'égard de l'institution judiciaire. Les responsables de l'USOENC, par exemple, ont estimé, devant la mission, que la justice en Nouvelle-Calédonie n'était pas équitable, même si le terme de « justice coloniale » ne leur semblait pas adapté. Ils ont fait état de pressions - sans apporter plus de précisions - sur les juges du tribunal du travail, l'équivalent des conseils des prud'hommes en métropole.

Les critiques à l'égard de la justice émanent également de certaines autorités religieuses, proches des Mélanésiens, comme l'Eglise évangélique autonome. Les représentants de cette église ont dénoncé une justice à deux vitesses, héritage de la période coloniale, avec laquelle la communauté kanak doit composer.

b) L'organisation de la justice en Nouvelle-Calédonie

L'organisation de la justice en Nouvelle-Calédonie connaît certaines spécificités. Le ressort de la cour d'appel de Nouméa couvre le territoire de la Nouvelle-Calédonie et de Wallis-et-Futuna. En outre, toutes les juridictions du premier degré de l'ordre judiciaire sont regroupées au sein du tribunal de première instance de Nouméa. Ainsi ce tribunal, dont la compétence territoriale s'étend sur l'ensemble de la Nouvelle-Calédonie, exerce les attributions habituellement dévolues, en France métropolitaine, au tribunal de grande instance et au tribunal d'instance en matière civile et pénale. Il possède deux sections détachées, l'une située à Koné, chef lieu de la province Nord, et l'autre à Wé-Lifou, chef lieu de la province des îles Loyauté. Ces sections présidées chacune par un juge du tribunal de première instance de Nouméa exercent, dans leur ressort, des attributions en matière civile et pénale. Par ailleurs, le juge en charge de la section détachée exerce également les fonctions de juge des enfants.

La Nouvelle-Calédonie connaît aussi une organisation particulière en matière de juridictions commerciales et sociales. L'organisation et la gestion du tribunal mixte de commerce et du tribunal du travail dépendent également du tribunal de première instance.

Le tribunal de première instance connaît de tous les litiges entre particuliers dans lesquels des intérêts privés sont en jeu, et ce, quel qu'en soit le montant. Il statue aussi bien dans les litiges qui opposent des citoyens de droit commun, auxquels s'applique le droit civil, que dans les litiges qui opposent les citoyens de statut civil particulier auxquels s'appliquent les règles coutumières.

En droit commun, le tribunal statue à juge unique. En matière coutumière, le tribunal est complété par deux assesseurs coutumiers choisis dans les aires coutumières des parties en présence.

Le tribunal mixte de commerce connaît des litiges entre commerçants ou sociétés commerciales et met en _uvre les procédures collectives de redressement ou de liquidation judiciaires. Il est présidé par le président du tribunal de première instance de Nouméa ou par un juge délégué par lui, assisté de trois assesseurs qui sont des commerçants élus. Enfin, en matière sociale, le tribunal du travail règle les différends individuels qui peuvent s'élever, à l'occasion du contrat de travail, entre employeurs et salariés. Il est composé d'un juge du tribunal de première instance de Nouméa, désigné par le premier président de la cour d'appel, qui assure les fonctions de président, assisté de deux employeurs et de deux salariés.

Le premier président de la cour d'appel et le procureur général assurent conjointement la direction des services judiciaires en Nouvelle-Calédonie et aux îles Wallis-et-Futuna. A ce titre, ils sont responsables de la bonne administration des juridictions et en rendent compte au garde des Sceaux, ministre de la Justice. Ils procèdent à l'inspection des juridictions de leur ressort, en contrôlent l'administration et en évaluent notamment l'organisation et le fonctionnement. Outre leurs fonctions juridictionnelles respectives et leur mission d'administration du ressort, les chefs de cour sont responsables de l'administration et du fonctionnement de la cour d'appel en tant que juridiction.

Le président du tribunal de première instance et le procureur de la République exercent en commun les fonctions de gestion et d'administration du tribunal. Ils sont assistés dans leurs fonctions par un service du greffe qui regroupe quarante-trois personnes. Le tribunal se compose de quatorze magistrats du siège dont un Président, deux vice-présidents et onze juges. Certains magistrats du siège exercent des fonctions spécialisées. C'est ainsi que le tribunal de première instance compte : deux juges d'instruction, un juge de l'application des peines et trois juges des enfants avec les juges des sections détachées de Koné et de Lifou. D'autres juges ont en charge un service à part entière. C'est le cas des deux juges en charge des sections détachées ainsi que ceux chargés de la présidence du tribunal mixte de commerce et du tribunal du travail. Enfin, en matière civile, il existe un juge aux affaires familiales spécifiquement chargé du contentieux de la famille.

Le parquet se compose, quant à lui, de cinq magistrats dont un procureur de la République, deux premiers substituts et deux substituts. Le parquet participe aux audiences du tribunal correctionnel ainsi que du tribunal de police, à Nouméa comme dans les sections détachées de Koné et Lifou, et requiert l'application de la loi pénale. Il intervient aussi devant le tribunal de première instance statuant en matière civile, pour toutes les affaires relatives à l'état des personnes, et devant le tribunal mixte de commerce.

Le premier président de la cour d'appel a fait état devant la mission d'un projet de convention de modernisation de la justice aux fins, notamment, de remédier aux difficultés existantes dans la province Nord et, plus spécifiquement, sur la côte Est. L'accès au droit est défaillant dans ces régions. Des audiences pénales foraines y sont organisées ; elles devraient être étendues aux autres domaines juridiques. Le premier président a également exprimé sa volonté de créer un guichet unique de greffe à Poindimié afin de faciliter l'accès de la population au service public de la justice. Il s'est déclaré très attaché à ce projet.

Lors de cette audition, il a été mis en évidence les carences de la justice coutumière. L'échevinage en ce domaine ne semble pas correctement fonctionner en Nouvelle-Calédonie. Le nombre d'affaires examinées selon cette procédure sont peu nombreuses. Il est souvent difficile de faire réunir les deux assesseurs coutumiers en même temps. On a pu s'interroger sur les problèmes ainsi rencontrés dans la mobilisation de ces assesseurs. Doit-on y voir un manque de légitimité et de reconnaissance de l'institution judiciaire ? On doit sans doute interpréter ce désintérêt par un manque d'information. La diversité de la coutume selon les aires ne facilite pas l'exercice de cette forme de justice. Les assesseurs provenant d'aires différentes ne se sentent souvent pas en mesure de juger des affaires qui ne relèvent pas de leur tribu. La mise en _uvre de la justice coutumière souffre également de la difficulté d'établir, avant l'audience, le droit applicable au litige en cause.

Une réflexion globale doit être menée pour améliorer le fonctionnement de la justice coutumière. Cette démarche doit être portée par les autorités calédoniennes élues ou coutumières, en particulier au sein du sénat local et du Congrès.

Enfin, la situation des avocats en Nouvelle-Calédonie semble soulever des difficultés qui ont été portées sur la place publique. Ainsi, le 9 mars 2000, les avocats du barreau de Nouméa ont refusé d'assister à l'audience solennelle de rentrée de la cour d'appel.

Un différent semble être apparu sur les conditions d'exercice du métier d'avocat en Nouvelle-Calédonie. Les déplacements, lors d'audiences foraines, à Maré, Canala ou Poindémié, dans les tribunaux détachés de Lifou et Koné, au tribunal de Wallis sont effectués aux frais des avocats, qui s'en plaignent et réclament que les audiences dans ces tribunaux éloignés soient regroupées. L'absence de dialogue entre l'ordre des avocats et les chefs de cour est apparu très net à la mission lors de son déplacement en Nouvelle-Calédonie. On ne peut que regretter cette situation qui, jusqu'alors, n'a pas permis la résolution de ces quelques difficultés d'organisation.

c) Une justice « européenne » ?

Il a été souligné à plusieurs reprises devant la mission que la justice en Nouvelle-Calédonie devait composer avec une donnée essentielle qui est son éloignement et son isolement géographiques.

La Nouvelle-Calédonie est une société de petite dimension qui fonctionne souvent en vase clos. La proximité des justiciables et des juges serait, selon certains interlocuteurs, une difficulté à gérer, des pressions pouvant apparaître çà et là. On a pu constater qu'effectivement la moindre affaire judiciaire peut prendre des proportions sans commune mesure avec ce que l'on connaît en métropole. La résolution de certains problèmes sociaux que les juridictions sont amenées à trancher, peut ainsi susciter des tensions très fortes et aiguiser des critiques, sans doute injustes, à l'égard des magistrats.

Il est clair que le processus de Nouméa a mis la Nouvelle-Calédonie face à ses propres responsabilités. Le recours souvent pratiqué auparavant à la métropole n'est donc plus le mode normal de règlement des conflits.

La dénonciation d'une justice trop européenne est assez fréquemment formulée en Nouvelle-Calédonie. Elle recoupe cependant des interprétations différentes. Pour certains, il s'agit réellement d'une justice à deux vitesses. Pour d'autres, cette justice est symboliquement européenne, parce que rendue par des magistrats métropolitains. Elle serait, de fait, moins bien perçue et moins bien acceptée.

Le bâtonnier de l'ordre des avocats, M. Jean-François David, a jugé inquiétant qu'aucun avocat mélanésien n'exerce en Nouvelle-Calédonie. On ne peut que partager cette préoccupation. Il est clair que la présence d'avocats kanak dans les instances contribuerait au rééquilibrage réel et symbolique qui est l'un des objectifs majeurs du processus initié en 1988 par la signature des accords de Matignon. Il apparaît que les juristes mélanésiens formés notamment par l'université de Nouvelle-Calédonie préfèrent rejoindre la fonction publique. Un tel choix n'est ni inutile ni illégitime ; il serait cependant souhaitable qu'il ne demeure pas systématique.

Quarante-cinq avocats exercent en Nouvelle-Calédonie, parmi lesquels trois Calédoniens d'origine. La presque totalité de ces avocats sont donc métropolitains. Cette situation naît sans doute de l'absence d'institut d'études judiciaires dans l'île, ce type de structures préparant normalement au concours d'avocat.

La situation des magistrats en Nouvelle-Calédonie fait l'objet de nombreuses critiques dont il nous appartient de faire état mais qu'il convient également de nuancer.

La première de ces critiques porte sur le fait que certains magistrats en poste en Nouvelle-Calédonie y demeurent trop longtemps. Les attraits matériels de ce type de poste y seraient pour beaucoup. Cette situation semble alimenter les critiques de certaines forces syndicales comme l'USTKE qui estiment que les magistrats entretiennent des relations trop étroites avec les milieux européens de l'archipel. Ce type d'attaques est relayé par certaines personnalités politiques indépendantistes. Ayant connu un écho dans la presse nationale, elles ont été très mal ressenties par les magistrats qui se sont estimés injustement mis en cause.

Ces interrogations sur le fonctionnement de la justice en Nouvelle-Calédonie n'émanent pas seulement des milieux indépendantistes. Un représentant du RPCR a également mis en cause la partialité d'un magistrat de Lifou lors d'une affaire de délivrance de procuration en matière électorale. Cette mise en cause ayant affecté le juge concerné, le premier président a été contraint d'adresser un courrier à l'élu en cause ainsi qu'à RFO, donnant ainsi une certaine publicité à sa démarche.

Mais l'affaire qui a connu le plus d'écho en Nouvelle-Calédonie a été celle de la condamnation de M. Jacques Lafleur pour injure et diffamation, puis de l'annonce de sa démission de son mandat de député, cette démission ayant finalement été retirée en septembre 2000. A cette occasion, M. Lafleur a dénoncé un « grave dysfonctionnement de la justice dans l'île », estimant que le jugement en question était de nature politique (11).

A ces critiques bien connues, les magistrats opposent le respect par eux-mêmes d'un principe de précaution qui les conduit à éviter de nouer des relations personnelles avec des responsables locaux. D'après l'un des interlocuteurs de la mission, les magistrats sont ainsi contraints de faire un choix de vie sociale, qui, selon ses dires, est parfaitement assumé en Nouvelle-Calédonie. Le premier président de la cour d'appel de Nouméa, M. Gérard Fey, a indiqué à la mission que si, par le passé, la justice avait pu apparaître défaillante, des progrès réels avait été accomplis depuis.

Des critiques ont également été portées contre la sévérité des jugements en appel. Plusieurs interlocuteurs en ayant fait état, il semble que la rumeur évoque l'idée que les peines seraient ainsi systématiquement triplées en appel. Le bâtonnier de l'ordre des avocats y voit peut-être l'occasion de dissuader les plaideurs d'exercer cette voie de recours contre les jugements de première instance. Le premier président de la cour d'appel de Nouméa a reconnu que les jugements étaient souvent sévères en matière de conduite en état d'ébriété ou sans permis, des peines d'emprisonnement étant prononcées. Il a cependant souligné que la Nouvelle-Calédonie était confrontée à une véritable difficulté sociale en ce domaine et que la répression était indispensable pour éviter des dérapages. Il a également noté que les formations correctionnelles étaient composées de trois magistrats professionnels et de deux citoyens de la Nouvelle-Calédonie. Ces derniers ne font pas particulièrement preuve d'indulgence. Le premier président a enfin observé que, dans les cours d'assises, les magistrats étaient souvent mis en minorité alors qu'ils tentaient d'orienter la cour vers des décisions moins sévères à l'égard des délinquants.

d) Un arsenal juridique satisfaisant

Jusqu'à une époque récente, la Nouvelle-Calédonie se voyait appliquer le code d'instruction criminelle napoléonien. Depuis 1994, le code de procédure pénale, ainsi que le code pénal, sont entrés en vigueur dans le territoire, ce qui est jugé satisfaisant par les praticiens, notamment les avocats.

Depuis un décret de 1928, la procédure est essentiellement écrite, tant en droit civil que commercial ou social. Elle se rapproche en cela de la procédure applicable auprès des juridictions administratives. Les plaidoiries n'ont lieu que devant les juridictions d'appel, sans que cela soit d'ailleurs très fréquent. Ce caractère écrit n'est pas toujours le gage d'une grande accessibilité au droit. Les justiciables éprouvent souvent de la difficulté à maîtriser toutes les arcanes de cette procédure. Imposer une procédure écrite dans un pays où la tradition orale tient une telle place constitue d'ailleurs un paradoxe qui n'est pas mince. L'oralité de la procédure n'est pas la panacée en ce domaine mais son introduction, selon un dosage équilibré, serait sans doute un progrès.

On constate d'ailleurs que le ministère d'avocat n'est pas obligatoire en première instance. Avant 1972, il n'existait pas d'avocats en Nouvelle-Calédonie, des citoyens défenseurs en faisant office. L'absence d'obligation de recourir à un avocat avant l'appel ne semble pas soulever de difficultés pour les Calédoniens, aux dires mêmes du bâtonnier de l'ordre.

Quelques difficultés apparaissent cependant. Elles demeurent mineures selon les praticiens du droit. Ainsi l'aide juridictionnelle est prise en charge par l'Etat en matière pénale, alors que la Nouvelle-Calédonie assume cette aide dans les procédures civiles. L'ordre des avocats souhaiterait qu'une unification du régime de l'aide intervienne par souci de simplification.

Le premier président de la cour d'appel a, pour sa part, fait état de la constitution d'un groupe de travail réunissant des magistrats, des avocats, des greffiers, des huissiers, des représentants du haut-commissariat afin d'établir un projet de code de procédure civile propre à la Nouvelle-Calédonie. Cette démarche devrait être étendue aux procédures applicables devant le tribunal du travail ou le tribunal de commerce.

e) La situation pénitentiaire en Nouvelle-Calédonie

Dans la lignée des travaux de la commission d'enquête sur les prisons dont on connaît la qualité des conclusions (12), la mission a souhaité visiter le centre pénitentiaire du Camp Est afin de mesurer l'état de cet établissement.

La Nouvelle-Calédonie entretient un lien particulier avec la question pénitentiaire. Du milieu du XIXe siècle aux années trente, cet archipel a connu une forme de « colonisation pénale ». En effet, un décret de 1863 avait fait de la Nouvelle-Calédonie un lieu d'exécution de la peine des travaux forcés. Ce texte ne sera rapporté que par un autre décret en 1931. C'est l'époque du bagne, des transportés, des déportés et des relégués (13). La distinction entre l'exercice de la sanction pénale et la colonisation ne fut pas toujours nettement établie. Ainsi au titre de la loi de 1854 sur les transportés, les condamnés devaient être employés « aux travaux les plus pénibles de la colonisation et à tout autre intérêt public ». Mais les condamnés pouvaient s'amender et, après avoir donné des gages de repentir sincère, devenir des colons.

Ce passé est aujourd'hui bien éloigné de la société calédonienne contemporaine. La délinquance demeure relativement contenue en Nouvelle-Calédonie. Elle a connu une augmentation récente en 1999. L'accroissement des crimes et délits constatés de l'ordre de 17 %, il y a deux ans (14) est dû principalement à deux phénomènes. Outre une plus grande efficacité des services de police et de gendarmerie, la raison essentielle de cette évolution est à chercher dans le développement des squats dans les zones suburbaines. Le Grand Nouméa est ainsi particulièrement touché par l'augmentation de la délinquance. La consommation excessive d'alcool conduit, par ailleurs, à de nombreuses violences qui vont rarement, cependant, jusqu'à l'homicide. La délinquance sexuelle reste élevée, en tribus notamment. 40 % des personnes incarcérées dans la prison de Nouvelle-Calédonie le sont pour ce type d'actes. On remarquera que le taux d'élucidation des affaires est exceptionnellement élevé puisqu'il atteint 75 % contre 28 % en métropole.

On a observé une tendance nouvelle en 2000. En mars dernier, le haut-commissaire a rendu public les chiffres de la délinquance : celle-ci étant en baisse de 13,5 % par rapport à l'année précédente. Le fait le plus marquant a été la réduction massive de la délinquance des mineurs. Ce phénomène contribue à un retour à la normale après une envolée de la criminalité en 1999. L'accent a été porté sur la lutte contre les stupéfiants, cinq plantations de cannabis ayant été détruites par les gendarmes en 1999, contre cinquante-cinq l'an passé.

Cela étant rappelé, le Camp Est, ancien quartier disciplinaire du bagne, est géré depuis 1989 par l'Etat. Il comporte 184 places pour 333 personnes incarcérées, le quartier des femmes accueillant 5 détenues pour 12 places. La maison d'arrêt est clairement surpeuplée, mais les différentes populations carcérales sont séparées de manière convenable, selon le directeur de l'établissement.

Service

Population accueillie

Nombre de places

Maison d'arrêt des hommes

Prévenus et condamnés à une peine inférieure à un an

68

Maison centrale

Condamnés à une peine supérieure à cinq ans

26

Centre de détention

Condamnés, ayant une bonne conduite et la capacité à occuper un emploi

57

Quartier des mineurs et jeunes détenus

Mineurs et majeurs de moins de 20 ans fragiles

17

Maison d'arrêt des femmes

 

12

(dont 7 en régime « maison d'arrêt » et 5 en régime « centre de détention »)

Quartier de semi-liberté hommes

 

5

Source : service d'insertion et de probation de Nouvelle-Calédonie.

Le Camp Est souffre d'un manque cruel de personnel. Si les chefs de détention et les travailleurs sociaux représentent un effectif suffisant, les gradés sont trop peu nombreux. Tous les postes budgétaires ne sont d'ailleurs pas pourvus dans cet établissement. Celui-ci ne dispose pas de moniteur de sport ni de chauffeur. On a signalé à la mission que, par exemple, les médicaments étaient administrés par le personnel surveillant, ce qui est, en principe, interdit. Il appartiendrait normalement à des infirmiers de procéder à de telles distributions.

On observe que les personnels d'origine mélanésienne sont rares alors que peu d'Européens ou d'étrangers figurent parmi les détenus. Cette situation n'est évidemment pas jugée satisfaisante par la direction de l'établissement, dans la mesure où elle reproduit un schéma symbolique en complète contradiction avec les efforts entrepris depuis 1988 en Nouvelle-Calédonie. Pour remédier à cette difficulté, le syndicat Force Ouvrière, entendu par la mission, a prôné l'organisation de concours de recrutement délocalisés. Cette revendication a également été présentée par M. Qahémé Daniel Waimo, chef des services d'insertion et de probation, qui a souligné la nécessité de pratiquer un véritable rééquilibrage au sein de l'administration pénitentiaire. Dans le document remis par ses soins à la mission, il est ainsi noté : « La vision du monde loin de l'Europe oblige à modifier les repères. Il est indispensable que le service en Nouvelle-Calédonie comprenne des représentants de ces deux communautés (caldoche et kanak). Ce qui peut apparaître pour un regard métropolitain non initié comme une distinction ethnique critiquable, incompatible avec les règles de recrutement de la fonction publique, est une nécessité culturelle et politique. (...) Aussi convient-il de poser comme principe que la moitié des agents au moins, soient d'origine locale. Si les Calédoniens d'origine européenne sont actuellement bien représentés dans le service, ce n'est pas le cas pour les Kanaks. Seul le chef de service est originaire de cette communauté. »

La question n'est pas simple. Elle ne peut être cependant résolue dans le sens préconisé par le chef du service d'insertion et de probation. Si l'accord de Nouméa et la révision constitutionnelle de 1999 autorisent des régimes différenciés dans l'accès à l'emploi entre les Calédoniens et les autres, ces textes ne permettent pas de pratiquer légalement des distinctions entre les citoyens calédoniens, qu'ils soient caldoches ou kanak.

D'autres questions sont encore en suspens. Par exemple, la prise en charge des personnes souffrant de troubles psychiatriques reste sans réponse en Nouvelle-Calédonie. La mise en placement d'office est donc extrêmement difficile. Mais, globalement, la mission a eu le sentiment que la situation pénitentiaire ne connaissait pas de crise particulière en Nouvelle-Calédonie. Les conditions d'accueil des prisonniers ne sont pas, évidemment, aussi satisfaisantes qu'on pourrait le souhaiter, mais des travaux sont en cours pour améliorer les choses et mettre les bâtiments aux normes. On ne constate donc pas de troubles au Camp Est, ce qui ne signifie pas qu'une vigilance de chaque instant soit inutile.

Au total, la situation de la justice en Nouvelle-Calédonie doit demeurer une préoccupation primordiale de l'Etat. A cela doit s'ajouter le souci d'exercer un contrôle aigu de l'action publique, afin de préserver les conditions d'un développement sain de la Nouvelle-Calédonie dans un cadre qui n'ouvre la voie à aucune suspicion.

2. Le contrôle de l'action publique

a) Le souci du respect des règles de bonne gestion

Lors de l'examen de la loi organique du 19 mars 1999 à l'Assemblée nationale, le rapporteur de la commission des Lois a insisté sur la nécessité de veiller au respect de l'usage des deniers publics. En cela, il se faisait l'écho d'un certain nombre de responsables locaux qui craignaient que l'autonomie accrue soit synonyme de rareté des contrôles et souhaitaient prévenir toute campagne sur ce thème. A maintes reprises, l'Etat est apparu comme le plus sûr garant de cette transparence nécessaire et exigée, à bon droit, par les Calédoniens.

L'Etat a fortement contribué en 1988, lors de la signature des accords de Matignon-Oudinot, et en 1998 avec l'accord de Nouméa, à dégager des solutions conciliant les points de vue et les intérêts de chacun. La voie est souvent étroite. Les discussions autour du projet de loi organique l'ont montré. C'est ce rôle essentiel que l'Etat, représenté par le haut-commissaire, doit assumer avec assurance et parfois fermeté.

Rappelons qu'en vertu de l'article 2 de la loi organique, le haut-commissaire est dépositaire des pouvoirs de la République. Il veille à l'exercice régulier de leurs compétences par les institutions de la Nouvelle-Calédonie et des provinces ainsi qu'à la légalité de leurs actes. Comme on le soulignait en 1998, alors que depuis la loi référendaire de 1988, le haut-commissaire exerçait les fonctions d'exécutif du territoire, il doit désormais se recentrer sur des actions de contrôle.

Il ne serait pas juste cependant de laisser penser que la Nouvelle-Calédonie est particulièrement touchée par ce qu'il est convenu d'appeler aujourd'hui les affaires. Au regard de ce que nous avons connu en métropole, la multiplication des instructions et des jugements affectant les autorités publiques locales ne paraît pas exceptionnelle. Il importe pourtant de demeurer vigilant sur ces questions, dans la mesure où de tels développement ont souvent tendance à susciter des réactions de rejet de la part de nos concitoyens métropolitains. Outre-mer plus qu'ailleurs, le mauvais usage des deniers publics alimente des réactions et des manifestations qui mettent non seulement en péril la sphère publique et ceux qui s'y engagent mais portent également atteinte à la présence de la France dans ces régions du monde.

Aujourd'hui, le contrôle de légalité par les services de l'Etat est, selon les dires du haut-commissaire, en période de rodage. Il était effectivement peu utilisé auparavant dans la mesure où le haut-commissaire exerçait les fonctions exécutives de la Nouvelle-Calédonie. Il appartient cependant principalement au tribunal administratif et à la chambre territoriale des comptes de mener à bien cette fonction de contrôle.

b) Le rôle du tribunal administratif

Les entretiens que la mission a pu avoir avec les responsables des juridictions administrative et financière montrent que ces organes ont à c_ur d'assurer au mieux le respect de ces objectifs, avec des moyens sans doute encore trop limités.

Remplaçant le conseil du contentieux administratif qui n'avait qu'une compétence d'attribution, le tribunal administratif de Nouméa a été institué par les articles 125 à 129 de la loi n° 84-821 du 6 septembre 1984. Cette institution jeune joue un rôle essentiel en Nouvelle-Calédonie. Le tribunal administratif comporte une chambre, cinq magistrats et cinq agents du greffe. Un magistrat de l'ordre judiciaire peut venir compléter les effectifs en tant que de besoin. Par ailleurs le président, ou un conseiller désigné par lui, est appelé à présider le conseil du contentieux administratif du territoire des îles Wallis-et-Futuna.

Les membres de la juridiction administrative ont indiqué à la mission que, si quelques contentieux avaient défrayé la chronique, les affaires étaient finalement peu nombreuses.

Le tribunal administratif a été saisi d'un recours émanant de la province Nord et des communes de Bourail, Poindimié et Yaté tendant à l'annulation d'une délibération du Congrès de décembre 1999 relative aux taux et à l'affectation de certains impôts et taxes. Le tribunal a annulé la plus grande partie de cette délibération, constatant que le Congrès n'avait pas pu légalement procéder à l'affectation du produit de certaines impositions au profit de fonds, qui, au surplus, ne sont pas destinés à des collectivités territoriales, ou au bénéfice d'établissements publics ou d'organismes chargés d'une mission de service public (TA de Nouméa, 20 juillet 2000, Province Nord et autres).

Le tribunal a également annulé l'arrêté de nomination du secrétaire général adjoint du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie à la demande de M. Gérald Cortot, membre du Gouvernement (Union calédonienne) (TA de Nouméa, 20 juillet 2000, M. Cortot). En revanche, la juridiction a rejeté le recours des membres FLNKS du gouvernement dirigé contre l'arrêté du président délégant sa signature au secrétaire général du gouvernement (TA de Nouméa, 20 juillet 2000, M. Cortot et autres).

Le tribunal administratif de Nouméa est aussi régulièrement sollicité pour des demandes d'avis. Cela a été, par exemple, le cas à propos de l'application en matière de délégation de service public de la loi du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques, dite loi Sapin.

On constate que la juridiction est confrontée à des attitudes différentes de la part des administrations des provinces. Si les provinces du Nord et du Sud répondent aux contentieux, la province des îles Loyauté - dont les difficultés de fonctionnement sont patentes - a adopté une attitude de refus de participation au processus contentieux qui fait pourtant partie du jeu normal de la démocratie et de la gestion locale. Les juridictions administratives et financières ne constatent pas de manquements particulièrement graves dans la gestion des communes, en dehors de deux exceptions manifestes.

c) Le rôle de la chambre territoriale des comptes

Comme le tribunal administratif, la chambre territoriale des comptes de la Nouvelle-Calédonie, créée en 1988, est une institution récente, sur laquelle les regards sont aujourd'hui portés, tant son rôle dans le bon fonctionnement des collectivités publiques calédoniennes est essentiel.

Bâtie sur le modèle des chambres régionales des comptes, la chambre territoriale des comptes de la Nouvelle-Calédonie a compétence sur la Nouvelle-Calédonie, les communes et leurs établissements publics, ainsi que sur les provinces. En revanche, les lycées et collèges calédoniens, demeurés établissements publics d'Etat, relèvent de la Cour des comptes.

La chambre territoriale a été investie par la loi d'une triple mission : le jugement des comptes ; l'examen de la gestion ; les expertises à la demandes des autorités locales relevant essentiellement du contrôle budgétaire.

L'article 207 de la loi organique du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie a abrogé les dispositions du code des juridictions financières qui permettaient aux deux chambres territoriales des comptes de Nouvelle-Calédonie et de Polynésie française d'avoir le même président et les mêmes assesseurs. En conséquence, deux magistrats de la chambre territoriale des comptes de Nouvelle-Calédonie ont rejoint la nouvelle chambre installée en Polynésie française, après la nomination du président.

Depuis 1998, la chambre territoriale des comptes de Nouvelle-Calédonie a fourni un effort important. Les contrôles suivants ont été réalisés :

ANNÉES

COLLECTIVITÉS CONTRÔLÉES

EXERCICES CONCERNÉS

1998

SIVM LA FOA

1990 à 1993

Province Sud

1989 à 1996

Province Nord

1989 à 1996

Syndicat intercommunal à vocation unique de la côte ouest

1990 à 1993

Société de financement et d'investissement de la province Nord (SOFINOR)

1990 à 1995

CHS Albert Bousquet

1990 à 1994

Recettes du territoire

1989 à 1996

Régie locale des tabacs

1989 à 1996

Congrès du Territoire

1989 à 1996

1999

Association calédonienne des Handicapés

1993 à 1997

SEM PROMOSUD

1992 à 1996

Province des Iles Loyauté

1993 à 1997

Association TRANSCO

1996 et 1997

SIVU TRANSCO

1997

Territoire de Nouvelle-Calédonie (fonction redistribution NC)

1989 à 1996

LIFOU

1993 et suivants

Fonds d'électrification rurale

1989 à 1995

SODIL

1994 et suivants

2000

Association pour le Développement de la Coopération Régionale (ADCR)

1995 à 1998

Commune de Maré

1989 à 1997

Commune de Sarraméa

1992 à 1997

Commune d'Ouvéa

1993 à 1997

CHT Gaston Bourret (Examen de la gestion)

1991 à 1997

Source : chambre territoriale des comptes de Nouvelle-Calédonie.

Le rôle de la chambre territoriale des comptes est important car il impose aux collectivités une plus grande rigueur de gestion, qui ne peut que contribuer à leur crédibilité auprès de la population. C'est dans cette perspective que la loi organique a maintenu, à l'initiative du rapporteur de la commission des Lois de l'Assemblée nationale, la compétence du contrôle budgétaire dans le giron de l'Etat, et ce jusqu'à la consultation finale. Il convient toutefois de regretter que la place donnée à ces rapports par les médias locaux varie selon les collectivités et les organismes concernés.

Les transferts de la métropole vers la Nouvelle-Calédonie demeurent importants, de l'ordre de 5 milliards de francs par an. On ne comprendrait pas que les contrôles exercés en métropole ne trouvent pas à s'appliquer de la même manière en Nouvelle-Calédonie.

Avec le nouveau statut de 1999, la Nouvelle-Calédonie s'est dotée des instruments nécessaires pour assurer à l'action publique efficacité et transparence. La phase de mise en place des institutions et des mécanismes administratifs est aujourd'hui terminée. Reste aux responsables politiques à prendre la mesure des enjeux auxquels la société calédonienne les soumet. Les défis du développement et de la modernité sont sans doute les plus redoutables auxquels la Nouvelle-Calédonie est confrontée. Au-delà des clivages politiques se profilent des tensions plus structurelles qui illustrent toute la difficulté d'être Calédonien en ce début de siècle.

II. - LA SOCIÉTÉ CIVILE FACE AU DÉFI DU DÉVELOPPEMENT ET DE LA MODERNITÉ

En Nouvelle-Calédonie, on s'est longtemps focalisé sur la question institutionnelle. Le combat des indépendantistes a pu apparaître comme une revendication portant sur le seul champ politique. Ce serait là une vision bien superficielle du mouvement kanak. Celui-ci s'est toujours fondé sur une dimension culturelle forte, en appelant au respect et à la reconnaissance d'une identité traditionnelle multiséculaire. Le festival Mélanésia 2000, organisé par Jean-Marie Tjibaou en 1975, fut l'un des grands rendez-vous mobilisateur du mouvement indépendantiste. De même la construction du centre culturel de Nouvelle-Calédonie symbolise cet attachement à la culture et à la tradition (15). Parallèlement, la question du développement et du rééquilibrage économique a également été au c_ur du débat politique depuis trente ans. Ces enjeux laissent la société civile calédonienne aux prises avec des tensions qui peuvent apparaître insurmontables. Ce serait alors mal connaître le dynamisme de cette société.

A. LA COUTUME AU CARREFOUR DES TENSIONS CALÉDONIENNES

L'accord de Nouméa a su trouver les mots pour rendre compte de la réalité complexe de la société calédonienne. En soulignant l'apport et l'importance de la coutume dans la communauté mélanésienne, le préambule de l'accord a également mis en perspective la nécessité de trouver un équilibre entre le développement de la Nouvelle-Calédonie et le respect de certaines traditions qui font l'identité de cet archipel.

L'article 75 de la Constitution reconnaît aux personnes soumises à un statut civil de droit local la faculté de le conserver. Cette disposition qui avait une grande importance en 1958, alors que l'empire colonial français n'était pas encore démantelé, trouve aujourd'hui encore à s'appliquer en Nouvelle-Calédonie.

1. La consécration de la coutume par l'accord de Nouméa

a) La coutume au c_ur de la société mélanésienne

La coutume est, en effet, l'une des données essentielles de la société kanak. On estime à environ 100 000 le nombre de Calédoniens soumis au statut personnel (16). Elle constitue un facteur d'identité fort mais aussi une donnée dont on ne peut s'abstraire si l'on souhaite faire avancer la Nouvelle-Calédonie. Il est vrai que, en tant que métropolitain, nous éprouvons généralement de la difficulté à aborder cette question qui est bien étrangère à notre mode de raisonnement et à notre habitude. Deux attitudes sont souvent observées. La première consiste à porter aux nues la coutume parce qu'elle présenterait un caractère d'authenticité que certains jugent positif. A l'inverse, sa dimension proprement archaïque - au sens où elle s'oppose à la modernité légale et rationnelle qui est au c_ur de la vie occidentale - peut apparaître comme un repoussoir et un frein au développement économique et social.

A l'évidence, on ne saurait s'arrêter à l'une ou l'autre de ces attitudes, trop tranchées pour rendre compte d'une réalité dont la complexité ne manque pas de troubler. La coutume, ou plutôt les coutumes, tant la diversité de cette réalité est grande, est un gage de cohésion pour une société en mutation. Elle accompagne cette évolution en permettant d'éviter que la société kanak n'implose.

Parallèlement, la coutume est aussi un obstacle à cette mutation qui, peu à peu, semble la vouer à la disparition. Le lieu n'est pas ici de proposer une analyse ethnologique, anthropologique ou sociologique de cette réalité, mais cette difficulté doit demeurer à notre esprit. La place des femmes dans les tribus illustre parfaitement cette problématique. Les femmes les plus engagées dans le combat pour le respect de leurs droits ne sont pas nécessairement les plus hostiles à la coutume, contrairement à ce que l'on pourrait trop facilement penser.

b) La coutume, source de droit

En dehors de son rôle de régulation sociale, la coutume est une source de droit dans trois domaines : la famille, les successions et la propriété foncière. Contrairement à ce que certains pensent, le droit pénal de la République s'applique en Nouvelle-Calédonie aux personnes relevant du statut coutumier. En conséquence, les sanctions traditionnelles, consécutives à un comportement social prohibé par la tribu, ne doivent pas être en contravention avec les règles pénales. Elles ne doivent donc pas revêtir notamment un aspect violent, comme la bastonnade pratiquée dans les tribus.

Si l'on s'arrête un instant sur la question de la propriété foncière, c'est pour rappeler l'importance de la terre dans la tradition kanak. La revendication foncière a été l'un des principaux combats mené par les Mélanésiens qui subirent l'appropriation de leurs terres par les Européens et le déplacement de certaines tribus d'un point à l'autre de la Nouvelle-Calédonie (17).

Sans entrer dans le détail du régime de la propriété coutumière, on relèvera le rôle de l'Agence de développement rural et d'aménagement foncier (ADRAF), créée en 1988 et reconduite par la loi organique de 1999. La mission a rencontré M. Louis Mapou, directeur général de cet établissement public, qui a montré l'ampleur des actions engagées par l'ADRAF. Au terme de la période 1978-1998, le bilan de la réforme foncière est satisfaisant. Selon les termes de M. Louis Mapou, les Kanak disposent désormais d'un vaste patrimoine foncier : 254 tribus sont propriétaires de 180 000 hectares en réserves autochtones ; 258 groupements de droit particulier local (GDPL) - structure juridique propre à la Nouvelle-Calédonie, instituée en 1982, qui regroupe des personnes soumises au statut coutumier, représentant un ou plusieurs clans ou une tribu - sont propriétaires de 72 000 hectares. Cette nouvelle répartition est due à l'action de l'ADRAF.

La question de l'accès à la terre a toujours été source de tensions en Nouvelle-Calédonie. Or, il apparaît que la reconnaissance des terres coutumières par l'accord de Nouméa a entraîné une résurgence des revendications par les communautés locales. Les représentants de l'ADRAF ont montré qu'elles soulevaient des difficultés, dans la mesure où elles portaient sur des terrains privés. Ils ont estimé que le fait que la question foncière ne fasse pas l'objet d'une politique nettement définie en Nouvelle-Calédonie n'était pas de nature à faciliter le règlement d'éventuels conflits locaux. Il appartient désormais à la Nouvelle-Calédonie de régler ces questions puisqu'elle est compétente en ce domaine, en mobilisant notamment ces institutions que sont le sénat et les conseils consultatifs coutumiers.

Au-delà d'une apparente homogénéité, la coutume kanak est, en fait, très diverse. Le centre culturel Jean-Marie Tjibaou en rend compte de manière remarquable. Pour ne prendre qu'un exemple, on rappellera que près de trente langues kanak sont pratiquées en Nouvelle-Calédonie. Ainsi les droits coutumiers se distinguent très nettement les uns des autres. C'est cette diversité que l'accord de Nouméa a voulu prendre en compte.

c) La consécration constitutionnelle

L'accord de Nouméa a entendu donner à la coutume toute son importance, en engageant son évolution dans un cadre institutionnel inédit.

Dans sa première partie consacrée à l'identité kanak, l'accord du 5 mai 1998 insiste sur cette donnée essentielle de la société calédonienne. Il reconnaît le statut coutumier en prévoyant que les règles qui lui sont relatives seront fixées par les institutions de la Nouvelle-Calédonie. Ce statut s'applique non seulement aux personnes mais également aux terres qui sont au c_ur du système économique et symbolique kanak. L'accord de Nouméa a prévu de conférer au palabre une pleine force juridique. Par ailleurs, le rôle des aires coutumières doit être valorisé, l'accent étant mis également sur la nécessaire garantie de la légitimité des autorités coutumières et leur fonction dans la prévention sociale et la médiation pénale. Au sein des nouvelles institutions calédoniennes, apparaît un sénat coutumier, obligatoirement consulté sur les sujets intéressant l'identité kanak.

L'accord de Nouméa a également consacré l'importance du patrimoine culturel kanak. Il prévoit aussi une recension et un rétablissement des noms kanak de lieux. Il en est de même pour les sites sacrés mélanésiens qui seront identifiés et juridiquement protégés. L'Etat s'engage également à favoriser le retour en Nouvelle-Calédonie d'objets culturels kanak, actuellement en métropole ou à l'étranger.

Les langues kanak sont désormais des langues d'enseignement et de culture, alors que sont encouragés une recherche scientifique et un enseignement universitaire sur ces sujets. De plus, l'accord de Nouméa prévoit la création d'une académie des langues kanak qui fixera leurs règles d'usage et leur évolution. Parallèlement, l'Etat s'engage aussi à apporter son soutien au centre culturel Tjibaou pour lui permettre de tenir pleinement son rôle de pôle de rayonnement de la culture kanak.

Comme le souligne l'accord du 5 mai 1998, « l'identité de chaque Kanak se définit d'abord en référence à une terre ». Cette dimension n'a donc pas été négligée. Ainsi le rôle de l'Agence de développement foncier (ADRAF) est reconnu et réaffirmé. Le statut des terres coutumières est également consolidé.

On le voit, la coutume est loin d'avoir été négligée lors de la signature de l'accord de Nouméa. La loi organique n'a pas manqué de confirmer l'importance de la culture kanak, conformément au titre XIII de la Constitution consacrée à la Nouvelle-Calédonie.

2. La gageure de l'organisation institutionnelle de la coutume

a) Le sénat coutumier

L'organisation institutionnelle qui a été mise en place à cette occasion est, en conséquence, assez sophistiquée. L'accord de Nouméa et la loi organique du 19 mars 1999 ont créé un sénat coutumier qui succède au conseil coutumier du territoire. Ce sénat est une institution de la Nouvelle-Calédonie au même titre que le gouvernement ou le Congrès. Composé de seize membres, soit deux par aires coutumières (18), désignés pour six ans, cet organe dispose de prérogatives non négligeables.

Aux termes de l'article 137 de la loi organique, les représentants des aires coutumières sont désignés « selon les usages reconnus par la coutume ». Il appartient ensuite au gouvernement de la Nouvelle-Calédonie de constater ces désignations, sans pouvoir s'y opposer. La loi a néanmoins prévu une perspective d'évolution en la matière, dans la mesure où, pour le renouvellement de 2005, les membres du sénat coutumier pourront être élus dans chaque aire, selon des modalités et par un collège électoral déterminés par une loi du pays. Cette faculté ne semble pas, pour l'heure, recueillir l'assentiment des membres du sénat coutumier. La question ne manquera pas cependant d'être posée après 2005 dans la mesure où elle est emblématique de la nécessaire évolution que la coutume doit connaître dans les années à venir.

Le sénat coutumier est représenté au conseil économique et social de la Nouvelle-Calédonie ainsi qu'aux conseils d'administration d'établissements publics comme l'ADRAF (agence de développement rural et d'aménagement foncier) et l'ADCK (agence de développement de la culture kanak) ou au comité consultatif des mines. Par ailleurs, il désigne également les membres de l'académie des langues kanak, après avis des conseils coutumiers.

Dans certains cas, cette institution intervient dans le processus législatif local. Aux termes de l'article 142 de la loi organique, tout projet ou proposition de loi du pays relatif aux signes identitaires, au statut civil coutumier, au régime des terres coutumières et, notamment, à la définition des baux destinés à régir les relations entre les propriétaires coutumiers et exploitants sur ces terres et au régime des palabres coutumiers, aux limites des aires coutumières ainsi qu'aux modalités d'élection au sénat coutumier et aux conseils coutumiers est transmis au sénat par le président du Congrès. Le sénat coutumier délibère ensuite sur ce projet ou cette proposition de loi du pays dans les deux mois de sa saisine. S'il ne s'est pas prononcé dans ce délai, il est réputé avoir adopté le texte. Le texte adopté par le sénat est ensuite soumis à la délibération du Congrès. Si le Congrès n'adopte par un texte identique à celui adopté par le sénat coutumier, celui-ci est saisi du texte voté par le Congrès. Si le sénat coutumier n'adopte pas ce texte en termes identiques dans un délai d'un mois, le Congrès statue définitivement. Le rôle du sénat n'est donc nullement négligeable dans les domaines qui revêtent une grande importance en Nouvelle-Calédonie, en particulier pour la population mélanésienne.

Le sénat coutumier est également consulté par le président du gouvernement, du Congrès ou d'une assemblée de province, selon les cas, sur les projets ou propositions de délibération intéressant l'identité kanak. Il peut l'être aussi sur tout autre projet ou proposition de délibération.

Cette institution dispose, en outre, d'un pouvoir d'initiative puisque aux termes de l'article 145 de la loi organique, il peut saisir le gouvernement, le Congrès ou une assemblée de province de toute proposition intéressant l'identité kanak.

b) Un réseau de conseils coutumiers

Le sénat coutumier s'adosse sur un réseau de conseils coutumiers dont les principes de fonctionnement sont arrêtés par la loi organique, dans ses articles 149 et suivants. Chaque aire coutumière dispose d'un tel conseil, dont la composition est fixée selon les usages propres de l'aire. Comme pour le sénat coutumier, l'article 149 de la loi organique ouvre la perspective, à terme, d'une désignation démocratique des membres des conseils, selon des modalités et par un collège électoral déterminés par une loi du pays.

Ces conseils sont consultés sur tout sujet par le haut commissaire, le gouvernement, le président d'une assemblée de province ou un maire. Ils peuvent l'être également par toute autorité administrative ou juridictionnelle sur l'interprétation d'un procès verbal de palabre coutumier.

Aux fins d'instituer dans ces organes des modalités de fonctionnement conformes à ce qui est habituel dans ce type d'assemblées, la loi organique a prévu l'adoption d'un règlement intérieur, publié au Journal officiel de la Nouvelle-Calédonie et susceptible d'être déféré au tribunal administratif.

En dehors du statut civil coutumier et de la propriété coutumière des institutions que l'on vient de décrire, la loi organique du 19 mars 1999 a également prévu la signature d'un accord particulier entre l'Etat et la Nouvelle-Calédonie en vue de contribuer au développement culturel de l'archipel. Dans cette convention, seront explicitement traitées la question du patrimoine culturel kanak et celle du centre Tjibaou. Par ailleurs, les langues kanak sont reconnues comme langues d'enseignement et de culture.

C'est la mise en place de l'ensemble de ce dispositif que la mission a souhaité examiner concrètement.

3. Une crise latente de la coutume

La mission a eu l'occasion de rencontrer les autorités coutumières calédoniennes, tant au sénat que dans la province Nord ou dans la province des îles Loyauté (19).

a) L'association des coutumiers à la vie de la cité

Il est tout d'abord apparu que le fait tribal était une réalité incontournable. Cette situation engendre évidemment des tensions habituelles dans les sociétés soumises à des mutations sociales et économiques rapides et intenses. Dans la province Nord, les autorités des tribus sont, semble-t-il, associées à certaines délibérations municipales. Les maires doivent tenir compte de leurs avis et composer avec cette réalité tout à fait tangible. Souvent les populations, isolées, ignorent tout des normes en vigueur et un effort important doit être entrepris pour les amener à la connaissance de textes nombreux, complexes et, parfois, confus.

Les maires - comme celui de Koné - souhaitent également sensibiliser les coutumiers aux affaires de la cité, en intégrant les tribus de l'intérieur des terres dans une réflexion globale sur l'aménagement communal. Un exemple concret de cette forme d'association réside dans le travail accompli sur les noms de lieux et la cartographie des territoires. Les chefs du district de Poindam se sont déclarés satisfaits du travail accompli en collaboration entre les conseils coutumiers et les conseils municipaux. L'aménagement des tribus en eau et en électricité s'améliore nettement même si nombre d'entre elles demeurent isolées. La route transversale Koné-Tiwaka a permis de désenclaver certaines d'entre elles, facilitant de la sorte l'accès des enfants à l'école.

Le fonctionnement des institutions coutumières locales ne semble pas, pour l'heure, soulever de problèmes majeurs. Les conseils de clan, des anciens, de district et d'aire sont désignés par consensus, sans vote. De fait, cette procédure est souvent longue, le temps étant considéré comme le meilleur moyen d'aplanir les éventuelles dissensions entre les chefs coutumiers.

b) La difficulté à accepter les interférences du droit non coutumier dans la vie des tribus

On a pu constater, aussi bien dans le Nord que dans les îles, que les coutumiers acceptaient mal les interférences du droit et de la procédure pénale dans la vie des tribus. Les sanctions coutumières qui présentent souvent un caractère de punitions corporelles - allant de la gifle à la bastonnade avec des nerfs de b_ufs ou des faisceaux de fils électriques - ne sont évidemment pas reconnues par notre droit. Pour autant, elles sont encore pratiquées dans les tribus.

Les jeunes ont de plus en plus de mal à l'accepter et des plaintes commencent à être déposées à la suite de telles punitions. En conséquence, les autorités coutumières n'osent plus appliquer la règle traditionnelle de crainte d'être poursuivies pénalement. On se réjouira sans doute de cette situation qui est plus conforme à l'idée que l'on se fait de la République, l'Etat devant demeurer seul détenteur du pouvoir d'infliger des sanctions pénales.

Mais les réactions à cette confrontation entre sanctions coutumières ou droit pénal ne sont pas forcément celles que l'on pourrait attendre. Il est ainsi étonnant de constater que les femmes entendues à Lifou prennent la défense des autorités coutumières, mises en cause dans une affaire de violences accomplies dans le cadre de sanctions traditionnelles. Un écho identique a été entendu auprès des autorités religieuses protestantes de l'île. Celles-ci ont attiré l'attention de la mission sur le paradoxe qui consiste à reconnaître à la coutume une place essentielle dans les nouvelles institutions calédoniennes, tout en sapant les fondements de l'autorité coutumière.

Les poursuites pénales engagées contre les chefs coutumiers ont été très mal ressenties à Lifou où la tradition est beaucoup plus prégnante que sur la Grande Terre. Alors que les membres de la mission leur faisaient remarquer que la justice républicaine devait s'appliquer à tous, surtout lorsque des violences ont été commises, les autorités religieuses protestantes de Lifou ont souhaité que les décisions prises par les autorités coutumières - notamment par les conseils qui regroupent l'ensemble des clans - soient reconnues par la loi. Faute d'une telle reconnaissance, c'est, à leurs yeux, à la culture même des Kanak que l'on s'attaque.

L'église protestante de Lifou se montre d'ailleurs, explicitement, très sensible à « ce qui touche les valeurs essentielles des hommes et des femmes », appelant de la sorte à une meilleure prise en considération des exigences propres à la coutume, facteur primordial pour le maintien de l'équilibre global de la société kanak.

Parallèlement, ces autorités protestantes n'ont pas manqué d'appeler l'attention de la mission sur le développement des pratiques sectaires qui, à leurs yeux, - on comprendra pourquoi - menacent la société mélanésienne. Ce n'est sans doute par un hasard si l'affaire pénale que nous avons évoquée est liée à la répression par les coutumiers de pratiques religieuses liées à une secte - les Témoins de Jéhovah - qui se développe à Lifou.

c) Les relations difficiles de la coutume et du développement économique

Une meilleure prise en compte de la coutume passe également par son implication dans le développement économique de la Nouvelle-Calédonie. Il s'agit d'un impératif incontournable, notamment dans les îles Loyauté où toutes les terres sont coutumières. On sait que pour la construction du complexe hôtelier Le Méridien dans l'île des Pins, l'accord des autorités coutumières a été indispensable.

Visitant le marché de Wanaham à Lifou en présence du comité de développement du Wetr, la mission a pu évoquer cette question plus précisément. Le comité de développement est placé sous l'autorité du grand chef, alors que son organisation s'articule autour des tribus de l'île. Subdivisé en douze commissions, regroupant chacune une vingtaine de personnes, ce comité étudie des projets de développement locaux, souvent de dimension modeste mais de première importance, pour Lifou.

Les coutumiers rencontrés à cette occasion ont exprimé leur scepticisme face aux déclarations politiques, privilégiant les projets de terrain qui affectent, selon eux, plus directement la population. Les interlocuteurs de la mission ont fait montre d'une approche pragmatique des problèmes économiques de l'île. La prise de conscience de leur rôle en ce domaine par les coutumiers est manifeste. Pour autant, ceux-ci craignent d'être condamnés à demeurer de simples réservoirs d'idées, sans pouvoir peser réellement sur les décisions.

A l'écoute des responsables du comité de développement du Wetr, on a pu avoir le sentiment qu'ils demeuraient en situation d'attente, en dépit d'un engagement quotidien manifeste. Les efforts qu'ils produisent pour améliorer la situation économique de leur île, dans le respect de la tradition, ne sont pas toujours couronnés de succès. Mais ces difficultés sont, à l'évidence, liées à des problèmes d'ordre plus structurel qui affectent la Nouvelle-Calédonie en général, et plus encore les îles Loyauté. Pourtant, les autorités tribales siégeant au comité de développement montrent un visage engageant de la coutume, qui n'hésite pas à agir dans une perspective dynamique tout en demeurant un pôle de stabilité évident.

d) Faire face à l'évolution des m_urs

On doit, en effet, relever que l'autorité coutumière constitue un pôle de stabilité dans une société kanak qui gère difficilement un passage rapide à la modernité. La diffusion des biens de consommation et des images d'une société occidentale et de ses valeurs, via la télévision, conduit les jeunes Mélanésiens à un état de frustration, né du manque de moyens matériels dont ils peuvent disposer et de leur dés_uvrement, en dépit de formations scolaires de plus en plus sérieuses.

Dans le même temps, des expériences sont menées dans certaines tribus de la province Nord afin d'accueillir des jeunes Kanak délinquants, habitant Nouméa, qui, en perte de repères, sont encouragés à revenir aux sources de la culture mélanésienne.

Ce porte-à-faux entre l'application du droit républicain et la coutume n'échappe pas aux Calédoniens. Les membres de l'Eglise évangélique autonome entendus par la mission n'ont pas manqué d'évoquer la difficulté de concilier la double légitimité républicaine et coutumière, qu'il est peu aisé d'accorder. Ils ont également fait allusion à la nécessité de « reprendre en main » certaines chefferies qui ne fonctionnent pas bien.

e) Le sénat coutumier en quête d'un rôle

La mise en place du sénat coutumier peut laisser un peu dubitatif l'observateur métropolitain. Les membres de cette institution entendus par la mission ont fait part de leur déception, voire de leur amertume, face au processus de Nouméa. Estimant être les parents pauvres de la réforme, les coutumiers ont considéré que la loi organique n'était pas satisfaisante, ayant été négociée sans que le monde coutumier n'ait été réellement consulté. Les membres entendus ont ainsi jugé que le sénat n'occupait pas une place assez importante au sein des institutions de la Nouvelle-Calédonie, regrettant le caractère seulement consultatif de leurs avis.

L'absence d'autonomie financière du sénat a également suscité des récriminations de la part de ses membres, ceux-ci ayant le sentiment de trop dépendre du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie. Les coutumiers des îles siégeant au sénat se plaignent d'avoir à avancer les fonds pour financer leurs voyages. Les locaux dans lesquels cette institution est installée, ne semblent pas adaptés à son fonctionnement, aux dires de ses membres. Les services du sénat sont formés d'une dizaine de personnes pour un budget de 120 millions CFP, soit moins de 7 millions de francs.

Pour autant, le bilan de la mise en place du sénat coutumier n'est pas totalement négatif. Le règlement intérieur est paru au Journal officiel de la Nouvelle-Calédonie. Huit commissions ont été créées, un membre pouvant appartenir à plusieurs d'entre elles. Des méthodes de travail se mettent peu à peu en place. Une délégation du sénat était en déplacement en métropole lors de la venue de la mission parlementaire en Nouvelle-Calédonie, afin de perfectionner son organisation et d'établir des contacts. Les membres du sénat entendus par la mission ont fait part de leur volonté d'occuper pleinement leur place au sein de la vie publique calédonienne - ce dont on doit se réjouir -, estimant que les Calédoniens d'origine kanak attendaient beaucoup de ce nouvel organe.

Le malaise apparent au sein de cette instance est finalement l'expression d'une difficulté d'être plus générale au sein du monde coutumier. Lors d'une réunion à la mairie de Lifou, il a été indiqué à la mission que les chefs étaient « à la recherche dans les institutions d'une dignité qu'ils détiennent dans leur tribu ».

4. Les efforts menés en faveur des langues mélanésiennes

a) L'importance de l'action culturelle

La question de l'enseignement des langues kanak a été inscrite à l'ordre du jour par l'accord de Nouméa. Malgré les efforts engagés sur place, notamment au sein du centre culturel Jean-Marie Tjibaou, il faut bien constater le manque d'enseignants, l'existence de près de trente langues locales, l'absence d'outils pédagogiques comme les grammaires et les dictionnaires ne facilitant pas les choses.

Une cellule linguistique a été instituée à l'université de Nouvelle-Calédonie mais elle dispose de moyens insuffisants aux dires de Mme Marie-Claude Tjibaou. Selon la directrice du centre culturel, si la question des langues et plus largement de la culture est présente dans les discours de manière récurrente, elle intéresse peu les autorités, qui, il faut l'avouer, sont confrontées à des problèmes nombreux et exigeants en temps et en énergie. Pourtant la culture est, sans nul doute, l'un des vecteurs privilégiés pour la mise en _uvre de l'esprit de l'accord de Nouméa. Elle est à la fois le gage d'un brassage et d'un échange constant entre les communautés mais aussi entre la Nouvelle-Calédonie et ses voisins. L'organisation du festival des arts du Pacifique en octobre 2000, avec le succès que l'on sait, l'a montré de fort belle manière.

b) La diversité des langues mélanésiennes

Comme le montre le vice-rectorat de la Nouvelle-Calédonie, dans un document publié sur son site Internet, on compte 27 langues, dites vernaculaires, très différentes les unes des autres. Elles sont toutes de « traditions orales » et parlées dans des régions bien déterminées géographiquement que l'on désigne sous le terme d'aires linguistiques.

Selon les chiffres livrés par le recensement de 1996, les langues les plus importantes sont : le drehu qui est parlé à Lifou (11 338 locuteurs), le nengone parlé à Maré (6 377 locuteurs), le paicî parlé à Poindimié, Ponérihouen, Koné (5 498 locuteurs), l'ajië parlé à Houailou (4 044 locuteurs) et le xârâcùù parlé à Canala et à Thio (3 784 locuteurs). Certaines langues sont très peu utilisées comme le arhö usité à Poya et Houailou, (62 locuteurs), le arhâ (Poya et Houailou, 35 locuteurs) et le pwapwâ (Gomen, 16 locuteurs). Le sishö (région de Bourail) n'est presque plus parlé (4 locuteurs au recensement de 1996) et le wâmwang (Koné) est considéré comme disparu.

Pour être complet, on rappellera qu'existent aussi en Nouvelle-Calédonie des langues autres que kanak. Ce sont celles des communautés d'origines wallisienne et polynésienne, vietnamienne, indonésienne, antillaise, vanuatuane... Regroupant plus de 40 000 individus, ces communautés, produits de l'immigration, forment ce que l'on pourrait appeler les minorités linguistiques et culturelles non-territoriales. Les langues de ces minorités se localisent essentiellement dans Nouméa et sa périphérie, à l'exception toutefois des langues polynésiennes assez représentées dans les centres miniers.

c) La prise en compte de ces langues par l'école

L'école prend en compte l'existence de ces différentes langues. Ainsi, depuis 1990, une lettre du ministre de l'éducation nationale a donné un cadre à l'enseignement des langues maternelles dans le premier degré. Dans le préélémentaire, un accueil en langue maternelle est prévu, puis une acquisition progressive du français. A l'école élémentaire un quota horaire de 5 heures par semaine est accordé à cet enseignement. Depuis 1998, avec l'accord de Nouméa, « les langues kanak sont, avec le français, des langues d'enseignement et de culture ».

Il existe cependant des politiques d'enseignement très diverses d'une province à l'autre, entre le public et le privé, et même au sein des trois catégories d'enseignements privés. Les textes, assez peu précis, sont ainsi appliqués de façons différentes. On doit bien constater avec le vice-rectorat de la Nouvelle-Calédonie que, spécifié par les textes, prévu à l'emploi du temps, l'enseignement des langues kanak est cependant pratiquement inexistant dans les faits. Deux des trois provinces ont mis effectivement en _uvre cet enseignement qui est de leur ressort, du moins en ce qui concerne les « adaptations aux spécificités provinciales ». Ainsi le plan EILM (Enseignement Intégré des Langues Maternelles), mis en place par la province des îles Loyauté après une période d'expérimentation, est effectif depuis 1992 dans toutes les écoles publiques et privées de la province. L'EILM vise les objectifs suivants : prise en compte de l'identité culturelle de l'enfant ; affermissement et enracinement de l'enfant dans sa langue et dans sa culture ; insertion harmonieuse de l'enfant dans le système scolaire ; un bilinguisme et un biculturalisme pour la réussite scolaire et l'intégration socioculturelle.

L'opération PHAX tire, quant à elle, son nom des initiales des quatre aires culturelles de la province Nord (Paicî, Hoot Ma Whaap, Ajië, Xaracùù). Elle est née de la volonté de la province Nord « de respecter les différences, de défendre l'unité en préservant la diversité ». Dans chacune des aires, des personnes et des associations travaillent à recenser les valeurs quotidiennes et locales qui permettront demain d'adapter les programmes.

Dans le second degré, les langues kanak sont des matières d'enseignement. Six langues sont régulièrement enseignées depuis quelques années au collège et quatre au lycée. Depuis 1992, l'enseignement de quatre langues régionales mélanésiennes est officiel au lycée. Il s'agit du aijië, du drehu, du nengone et du paicî). Depuis cette date, ces quatre langues sont introduites dans les épreuves orales et écrites du baccalauréat du second degré.

En 2001, l'enseignement de ces langues est effectif dans les établissement publics suivants : lycée La Pérouse (drehu, nengone), lycée Jules Garnier (drehu), lycée Grand Nouméa (drehu, nengone), lycée de Poindimié (paicî) et lycée des îles (drehu). Dans le secteur privé, le lycée Do kamo dispense un enseignement des langues ajië, drehu et nengone alors que les lycées St Pierre Chanel et Anova enseignent respectivement le drehu et le wallisien.

On notera également que l'Institut de formation des maîtres (IFM) et l'Ecole normale du privé (ENEP) dispensent des cours de langues locales ainsi que de culture et de littérature mélanésiennes.

Enfin, l'université de Nouvelle-Calédonie a organisé un DEUG de langues et cultures régionales depuis 1999. Il est ouvert aux étudiants locuteurs d'une des langues optionnelles au baccalauréat (ajië, drehu, nengone et paicî). Depuis la rentrée 2001 il existe également une licence dans la même matière.

Le colloque qui s'est tenu à Nouméa en mars 2000, à l'initiative de l'ADCK (agence de développement de la culture kanak) a permis de mettre en évidence l'enjeu de la préservation et de l'enseignement des langues locales mais aussi les difficultés qui surgissent en ce domaine. A cette occasion, M. Maurice Ponga, membre du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, a estimé que la langue française demeurait le ciment qui relie toutes les communautés présentes en Nouvelle-Calédonie pendant que le haut-commissaire insistait sur la nécessité d'adapter les moyens à l'enjeu. La question du nombre des enseignants, des documents pédagogiques a été clairement posée lors de ce colloque, dont l'organisation a montré que l'enseignement des langues en Nouvelle-Calédonie ne relevait pas d'un débat annexe.

La coutume et l'identité kanak, culturelle et linguistique, sont des facteurs de stabilité, structurant une partie de la société calédonienne. Mais face à ce conservatoire des valeurs, existe une dynamique économique réelle, que la mission a pu observer sur place.

B. UNE SOCIÉTÉ EN MOUVEMENT

Si les questions institutionnelles préoccupent, à titre principal, les membres de la commission des Lois, il ne faut pas sous-estimer l'importance des problématiques économiques. Elles concentrent l'attention de bon nombre d'acteurs calédoniens, au premier rang desquels M. Jacques Lafleur. Le président de la province Sud a, en effet, tenu à souligner devant la mission que la question principale, qui devait demeurer à l'esprit des Calédoniens, était celle du développement économique et de la mise en valeur des ressources naturelles de la Nouvelle-Calédonie. A cet égard, l'exploitation du nickel préoccupe évidemment les habitants de l'archipel tant la bonne santé de l'économie de l'île est liée à ce secteur d'activités.

1. Un optimisme économique fondé

La mission a eu l'occasion de rencontrer les principaux responsables de l'économie calédonienne à l'occasion de son déplacement. Il est apparu clairement que le territoire bénéficiait d'une conjoncture favorable, en grande partie due à l'évolution positive du marché du nickel.

La mission a également été marquée par le degré d'implication des acteurs sociaux et économiques qui semblent avoir pris la mesure du défi qui est lancé à la Nouvelle-Calédonie. Si la mise en place des nouvelles institutions est la condition nécessaire au développement économique - celui-ci requérant un environnement politique stable - la réussite du processus de Nouméa et l'émergence d'une société démocratique apaisée en Nouvelle-Calédonie passe également par une situation économique équilibrée, qui permette d'éviter des tensions sociales trop fortes.

a) Une conjoncture favorable

La rencontre de la mission avec M. Fulvio Mazzeo, directeur de l'Institut d'émission d'outre-mer en Nouvelle-Calédonie, et M. Joël Daligault, directeur de l'Agence française de développement à Nouméa, a permis de faire le point de la santé économique de l'archipel.

L'emploi demeure un sujet de préoccupation constant. Avec une population très jeune - puisque la moitié d'entre elle a moins de 25 ans - la Nouvelle-Calédonie connaît environ 10 000 chômeurs. En effet, les jeunes, de mieux en mieux formés, éprouvent des difficultés à trouver un emploi. Sans surprise, le chômage touche de manière différente les trois provinces, la province Sud connaissant le taux le plus faible.

En dépit de petites tensions inflationnistes, les clignotants de l'économie calédonienne restent au vert, la perspective de construction des deux nouvelles usines de nickel insufflant un optimisme favorable à l'investissement et à la prise de risques par les acteurs économiques.

L'année 2000 aura été faste pour l'île, le niveau élevé du cours du nickel - qui représente 81 % des exportations - a permis au taux de couverture de passer de moins de 40 % en 1999 à 63 % l'an passé. Ce chiffre montre l'impact du nickel sur l'économie calédonienne.

b) Les efforts engagés par les acteurs professionnels

La Nouvelle-Calédonie reste largement dépendante des transferts financiers provenant de métropole, à hauteur de 5,26 milliards de francs. Pour autant, on ne saurait sous-estimer les efforts des acteurs locaux pour développer l'île.

Entendus par la mission, M. Bernard Renaud, président de la chambre des métiers, et M. Paul Poli, directeur de cette institution, ont mis en évidence la nécessité d'apporter aux jeunes Calédoniens la formation professionnelle indispensable à l'économie insulaire.

La Nouvelle-Calédonie compte aujourd'hui 9 000 artisans pour environ 200 000 habitants, ce qui constitue un ratio important : 400 artisans pour 10 000 habitants contre 135 en métropole. Le principal secteur est, en ce domaine, celui du bâtiment. L'essentiel de l'activité demeure cantonnée au sud de la Grande Terre, les commandes dans le nord et dans les îles étant trop irrégulières pour y implanter durablement des entreprises artisanales.

En dépit du développement encore limité d'un artisanat rural, le manque d'entreprises dans le nord et dans les îles rend difficile la formation par alternance, alors même qu'une telle formation serait parfaitement adaptée et particulièrement utile aux jeunes de ces provinces. La perpective de la construction d'une nouvelle usine de nickel dans la province Nord permettrait sans doute d'y relancer ces activités de formation. On notera, par ailleurs, que plus généralement l'apprentissage est peu pratiqué en Nouvelle-Calédonie, les premières dispositions en ce domaine ayant été introduites dans le territoire en 1988.

Quelques espoirs apparaissent dans le développement du tourisme qui pourrait contribuer à la création d'activités artisanales, notamment dans les tribus. Néanmoins, ces activités ne sauraient être que limitées en ampleur. Malgré un budget que ses dirigeants jugent trop maigre (200 millions de francs CFP), la chambre des métiers a mis en place un centre de formation qui draine la moitié de ce budget.

Le président de la chambre des métiers a insisté sur la nécessité de demeurer pragmatique face à des difficultés structurelles. Les micro-projets doivent être encouragés. Par exemple, l'aide à la création d'un simple poulailler permet d'ancrer une activité dans une tribu. Tout est souvent à apprendre en ce domaine, que ce soit la négociation avec les fournisseurs ou l'obtention d'un prêt, et la chambre des métiers entend apporter son soutien à ces démarches, tout en tenant compte du contexte coutumier.

La mission a également rencontré les responsables de la chambre d'agriculture de la Nouvelle-Calédonie, M. André Mazurier, son président, et M. Georges Roucou, le directeur des services. L'agriculture tient une place éminente dans l'archipel, sans rapport avec son poids économique réel. L'agriculture est un élément essentiel de maintien du lien social, en particulier au sein de la société mélanésienne. Les dirigeants de la chambre ont particulièrement insisté sur l'objectif d'unité, de cohésion et d'intégration que l'on peut assigner à l'agriculture. Néanmoins, celle-ci demeure encore largement perçue comme une activité d'appoint, les emplois étant recherchés en priorité dans le secteur industriel et minier.

Si, selon les professionnels, l'agriculture calédonienne apparaît dimensionnée pour le marché intérieur (20), elle semble encore mal armée pour conquérir des marchés à l'exportation. Des actions sont menées afin de développer des cultures tournées vers l'extérieur comme celle de la crevette, du cerf ou du squash, variété de citrouille très prisée au Japon. La production locale de b_uf satisfait la marché calédonien aujourd'hui saturé. C'est pourquoi les éleveurs se tournent également vers le Japon, qui pourrait constituer un bon débouché en ce domaine, les producteurs calédoniens mettant l'accent sur la qualité du produit en termes vétérinaires à l'attention d'un clientèle nippone très exigeante en ce domaine. Le fait que la Nouvelle-Calédonie se situe dans l'hémisphère sud peut aussi constituer un atout en matière d'exportation, car elle peut produire à contretemps pour des consommateurs situés massivement au nord de la planète.

Comme pour les artisans, la question de la formation des agriculteurs préoccupe les dirigeants de la chambre de Nouvelle-Calédonie. Le niveau de qualification est faible, 5 % seulement des agriculteurs ayant un diplôme dans des domaines ne relevant pas nécessairement de ce secteur d'activité.

Les opérations de développement dans certaines parties de la Nouvelle-Calédonie n'ont pas toujours connu le succès escompté. C'est le cas notamment avec le projet de réimplantation de la culture du café sur la côte Est. Les responsables de la chambre d'agriculture ont attiré l'attention de la mission sur le risque de voir l'écart entre le nord et le sud se creuser. En effet, en dehors des questions phytosanitaires et du contrôle des abattoirs, les provinces demeurent compétentes en ce domaine, la Nouvelle-Calédonie souffrant d'un manque d'unité dans sa politique de développement agricole. Pour éviter une désertification accrue du nord, la chambre d'agriculture milite pour la création d'un conseil d'orientation auprès du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, afin de mettre en _uvre une stratégie de développement.

Sans prétendre à une description exhaustive de la situation économique calédonienne, on doit noter les efforts menés par les responsables économiques de l'île. Malheureusement, ces actions voient - trop souvent encore - leurs résultats estompés par des conflits sociaux, parfois très durs et d'un coût prohibitif pour l'économie calédonienne.

2. Un climat social tendu en quête d'apaisement

La mission s'est rendue en Nouvelle-Calédonie au moment où le gouvernement de l'archipel négociait le pacte social, l'un des principaux chantiers engagés par le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie. Il a été conçu par le président du gouvernement d'alors, M. Jean Lèques, comme un préalable destiné à restaurer la paix sociale.

Les principales dispositions de ce pacte sont la revalorisation du salaire minimum garanti, la baisse des charges patronales, mais surtout l'obligation d'instaurer un dialogue préventif de cinq jours avant tout conflit du travail, l'imposition d'un service minimum dans tous les secteurs essentiels de l'activité et la possibilité de suspendre un conflit pendant quinze jours, si les intérêts vitaux du pays sont en jeu.

Alors que tous les autres syndicats ont signé le pacte, celui-ci n'a pas recueilli l'assentiment du syndicat indépendantiste USTKE (Union syndicale des travailleurs kanak et des exploités) qui, avec 1 000 à 1 500 membres, constitue la deuxième force syndicale calédonienne. Se positionnant en tant qu'opposant aux institutions en place, et non en partenaire, l'USTKE affiche une volonté nette de combattre pour l'accession de la Nouvelle-Calédonie à la pleine souveraineté. Dans cette optique, son opposition au pacte social ne fait pas figure de surprise. Ce désaccord porte notamment sur la question de la médiation sociale afin de prévenir les grèves. Il faut rappeler que l'USTKE a mené quelques-unes des grèves les plus dures en Nouvelle-Calédonie et que la disposition contenue dans le pacte est clairement et explicitement inspirée par la volonté d'empêcher le renouvellement de tels mouvements jugés excessifs par les autorités locales. L'USTKE a également montré son opposition à l'introduction d'un salaire minimal trop faible, souhaitant, par ailleurs, que la lutte contre le travail au noir puisse être intensifiée.

Premier syndicat de Nouvelle-Calédonie, l'USOENC s'inscrit dans une logique différente de celle de l'USTKE. Favorable au processus de Nouméa, ce syndicat, affilié à la CFDT, s'engage comme partenaire vigilant des autorités calédoniennes. Créé au milieu des années soixante, cette organisation est surtout présente dans le secteur privé, en particulier à la SLN. Dans cette perspective, l'USOENC s'est engagé en faveur du pacte social. Ce syndicat a estimé que - dans la mesure où les relations sociales étaient restées au point mort pendant deux décennies - cette démarche était positive même si elle ne constituait qu'un point de départ. Sur la question de l'emploi local l'USOENC s'est toujours déclaré en faveur de mesures plus favorables aux Calédoniens. Ainsi, à compétences égales, les représentants du syndicat souhaitent que la priorité soit donnée aux personnes ayant résidé en Nouvelle-Calédonie pendant une durée variable selon le niveau de qualification requis.

Entendu par la mission, le Syndicat libre unité action (SLUA), qui regroupe essentiellement des salariés du secteur public et parapublic mais aussi du BTP, a fait part de ses regrets de ne pas voir apparaître un développement harmonieux de la Nouvelle-Calédonie. Le syndicat a estimé que le pacte social était le seul dossier où la collégialité avait pu fonctionner. Pour le reste, il a fait part d'un grand désenchantement, critiquant les élites calédoniennes qui, trop soucieuses de leurs intérêts, ne prennent pas en compte les problèmes sociaux comme les squats, par exemple.

Pour sa part, le président de la chambre des métiers a déclaré à la mission que le pacte social ne satisfaisait pas réellement le monde de l'artisanat, même si deux fédérations professionnelles de ce secteur l'ont approuvé. Il s'est interrogé sur l'opportunité de l'augmentation du salaire minimum prévue dans ce pacte, considérant qu'elle risquait de porter atteinte à l'équilibre financier fragile des petites entreprises artisanales. Parallèlement, le dispositif visant à prévenir les grèves a été jugé par le président de la chambre des métiers comme trop contraignant au regard du droit de grève, qu'on ne peut, selon ses termes, complètement cadenasser.

Le président de la chambre de commerce et d'industrie, M. Michel Quintard, a fait part, quant à lui, de son soutien au pacte social. Il a estimé que les conflits sociaux en Nouvelle-Calédonie étaient caractérisés par une grande violence et une forte personnalisation. La disproportion entre les causes des conflits, engagés à la suite de réactions souvent épidermiques et peu rationnelles, leur déroulement et leurs conséquences économiques pénalisent souvent gravement l'archipel. Le fait que l'aéroport ait été fermé cinq fois en 2000 par des grèves, bloquant ainsi toutes les importations et les exportations, montre l'impact de ces mouvements sur l'économie insulaire. Les procédures de médiation préalables, qui existent dans le code du travail applicable en Nouvelle-Calédonie, ne sont pas mises en _uvre. Pour le président de la chambre de commerce et d'industrie, le paysage syndical calédonien est trop éclaté et marqué par des rivalités de personnes (21), alors que les fédérations patronales négligent sans doute le dialogue dans certaines circonstances. Le code de bonne conduite et les procédures de médiation suspensives contenues dans le pacte social seraient de nature à améliorer cette situation.

Le bilan du pacte social est difficile à établir. Néanmoins, comme le quotidien Les Echos le notait dernièrement, ce pacte aura contribué à apaiser les esprits, 2000 étant l'année de la décennie à l'occasion de laquelle les conflits auront été les moins nombreux : 7 390 journées de travail perdues pour fait de grève contre 19 800 en 1999.

En dehors du pacte social, qui a beaucoup mobilisé les esprits, plusieurs dossiers ont marqué les derniers mois : la perspective de voir se construire deux usines de nickel et la desserte aérienne. Le rééquilibrage entre les provinces et la question de la formation demeurent, par ailleurs, les fils conducteurs de toutes les réflexions économiques et politiques menée en Nouvelle-Calédonie. A ce titre, la situation de l'université de Nouméa met en perspective ces deux problématiques.

3. Former la jeunesse calédonienne : l'exemple de l'université de la Nouvelle-Calédonie

Autrefois simple composante de l'université française du Pacifique, l'université de la Nouvelle-Calédonie a été créée par le décret n° 99-445 du 31 mai 1999. Cet établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel, est régi par la loi du 26 janvier 1984, à l'instar de l'ensemble des universités françaises, sous réserve des aménagements apportés par l'ordonnance du 8 juillet 1998.

Ses missions sont : la formation initiale et continue ; la recherche scientifique et technologique ainsi que la valorisation de ses résultats ; la diffusion de la culture et l'information scientifique et technique ; la coopération internationale.

Après avoir élaboré ses statuts, l'université a procédé à la mise en place de ses instances délibérantes - conseil d'administration et conseil scientifique - puis à l'élection de son président, le 12 mai 2000. Elle est structurée en trois départements qui assurent la formation initiale ou continue. Il s'agit du département de droit, économie et gestion, du département de lettres, langues et sciences humaines, et du département des sciences et techniques.

L'université de Nouvelle-Calédonie comptait en 2000 environ 1 700 étudiants, 60 enseignants chercheurs et enseignants et 35 agents administratifs. Le taux d'encadrement des étudiants reste insuffisant, notamment dans certaines disciplines comme les sciences juridiques.

Le cursus juridique connaît, en effet, un grand succès en Nouvelle-Calédonie mais il semble constituer plus un choix par défaut qu'un véritable projet d'étude. La sélection est très stricte puisque 80 % des étudiants subissent un échec en DEUG. En revanche, lorsqu'ils se rendent en métropole pour poursuivre leur cursus, leur taux de succès est supérieur à la moyenne, ce qui démontre la qualité de la formation qui leur est dispensée en Nouvelle-Calédonie.

Un effort a été mené pour développer des filières répondant aux besoins propres des jeunes Calédoniens. C'est le cas du cursus d'AES (administration économique et sociale) dont l'objet est de donner aux étudiants une formation leur permettant, par exemple, de monter des projets économiques.

La politique de recherche de l'université s'est naturellement orientée vers une meilleure connaissance de l'environnement physique, biologique et humain de la Nouvelle-Calédonie, et plus généralement, du Pacifique sud. Cette recherche appliquée est développée en étroite concertation avec des partenaires locaux et internationaux. La bonne implantation locale des enseignants chercheurs est confirmée par le fait que les provinces, les municipalités ou d'autres organismes officiels ont fréquemment recours aux équipes universitaires pour mener à bien des études et des recherche sur des problèmes locaux. L'immense variété des sujets couvre de nombreux secteurs qui intéressent tous les Calédoniens : droit de l'outre-mer, problèmes de société, pédagogie adaptée, érosion du littoral, évaluation des ressources marines vivantes, pour n'en citer que les plus représentatifs.

Outre cette forte implantation locale, les équipes de recherche de l'Université de la Nouvelle-Calédonie travaillent en collaboration avec diverses universités de la zone pacifique - australiennes, néo-zélandaises, fidjienne, polynésienne, américaines - dans des disciplines aussi variées que l'anthropologie, la littérature, le droit, la biologie marine et les géosciences. Ces activités sont formalisées par des conventions permettant la mobilité et les échanges de chercheurs et d'étudiants. Ainsi des liens particuliers sont entretenus avec les universités suivantes : University of the South Pacific (Fidji), University of Auckland (Nouvelle-Zélande), Australian National University (Australie), Université de Moncton (Nouveau-Brunswick, Canada), Université Laval (Québec, Canada). Des formations à la common law sont dispensées, qui répondent à l'environnement calédonien en majorité anglo-saxon. Pour autant les équivalences avec les universités australiennes ou néo-zélandaise demeurent insuffisantes. Parallèlement la politique d'échanges avec ces établissements est, pour le président de l'université, encore trop timide.

L'université de la Nouvelle-Calédonie entretient également des relations constantes avec les établissements métropolitains comme les universités de Paris III, Paris IV, Nice, Montpellier, Perpignan, Toulouse, Bordeaux, Grenoble... Cependant l'application du calendrier scolaire austral en Nouvelle-Calédonie pose des difficultés pour l'organisation de ces échanges avec la métropole, la fin de l'année scolaire intervenant en février-mars.

L'accueil des étudiants est encore insuffisant. Faute de moyens, l'université ne peut leur proposer de service de restauration. L'hébergement des étudiants constitue aussi l'un des principaux points négatifs de ce dossier. Le projet de création d'une maison d'étudiants pour les jeunes venant de Vanuatu a connu de grandes difficultés de mise en _uvre, alors même qu'il apparaît comme une chance pour conférer à l'université de la Nouvelle-Calédonie d'acquérir une aura internationale et de jouer un rôle essentiel en matière coopération.

On rappellera que l'accord de Nouméa et la loi organique insistent, à bon droit, sur la nécessité de développer les liens entre la Nouvelle-Calédonie et son environnement régional. Ce projet s'inscrit manifestement dans cette perspective. La résidence universitaire ouverte aux jeunes Calédoniens, Wallisiens et Futuniens offre 57 places alors que les demandes atteignent le nombre de 180. Les critères d'attribution sont le revenu des parents et l'éloignement géographique. Une nette volonté s'exprime en vue d'accroître ces capacités d'accueil mais elle se heurte à un manque de moyens évident. Les élus de Wallis-et-Futuna réclament, de leur côté, la création d'une maison des étudiants pour les jeunes de cet archipel.

Les étudiants mélanésiens sont les principaux bénéficiaires des bourses d'enseignement supérieur qui peuvent atteindre 40 000 francs CFP par mois, l'équivalent parfois du revenu de leurs parents. Là encore, un effort est mené pour faciliter l'inscription de ces étudiants à l'université. Mais on doit constater que leur taux de réussite est encore trop faible.

L'université de la Nouvelle-Calédonie a présenté son projet d'établissement pour la période 2000-2003. Les principaux axes de ce document sont : la recherche d'une adéquation entre les formations et la réalité calédonienne ; l'amélioration des taux de réussite, les étudiants étant trop nombreux à quitter l'université en cours de première année pour s'inscrire en métropole, et la mauvaise orientation étant, par ailleurs, trop souvent la cause d'un nombre important d'échecs ; le développement du rayonnement scientifique de l'université ; la modernisation de la structure administrative. Le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie a émis un avis globalement favorable à ce projet en juillet 2000.

A travers l'exemple de l'université de la Nouvelle-Calédonie, on voit poindre les principales problématiques qui s'imposent dans l'archipel : nécessité de former une jeunesse nombreuse, actions en faveur des populations les moins favorisées, rééquilibrage et intégration de la Nouvelle-Calédonie dans son environnement régional. Cet établissement est au carrefour des tensions qui traversent l'île. Sa réussite sera aussi, en quelque sorte, celle de la Nouvelle-Calédonie.

4. Les principaux dossiers en discussion

De nombreux sujets ont été évoqués devant la mission. Il serait impossible de tous les aborder ici. Par exemple, le passage à l'Euro est un débat qui mobilise beaucoup les esprits en Nouvelle-Calédonie. Il n'est d'ailleurs pas dénué de toutes arrière-pensées politiques. Pour certains le passage à l'Euro serait synonyme de rattachement définitif à la France et à l'Europe, ce que d'autres ne souhaitent évidemment pas.

Le maintien du franc CFP ne constitue pas en soi un handicap économique, notamment pour ce qui concerne les investissements miniers, dans la mesure où cette monnaie particulière serait, de toute manière, ancrée à l'Euro. Pourtant, même si une renégociation européenne est, sans doute, indispensable, l'introduction de l'Euro en Nouvelle-Calédonie apparaîtrait comme un signal fort en faveur de l'économie insulaire. Mais les deux questions essentielles qui ont affleuré lors des auditions auxquelles la mission a procédé, furent le problème minier et la desserte aérienne.

a) La question minière

La stabilité institutionnelle consécutive à la signature de l'accord de Nouméa a constitué un facteur particulièrement positif pour les investisseurs étrangers désirant s'installer en Nouvelle-Calédonie, Inco ou Falconbridge. La situation calédonienne tranche en effet singulièrement avec celle de bon nombre de ses voisins, que ce soit Fidji ou la Nouvelle-Guinée.

Le climat psychologique en Nouvelle-Calédonie en 2000 était à l'optimisme, grâce à la remontée du cours du nickel. Même si cette hausse semble aujourd'hui moins soutenue, elle demeure porteuse d'espoirs.

La constitution de la société territoriale calédonienne de participation (STCPI) en septembre 2000 est apparue comme une avancée majeure dans ce secteur. Cette société est dépositaire des intérêts publics locaux dans le capital d'Eramet et de sa filiale, la SLN. Ainsi les Calédoniens sont désormais impliqués directement dans la gestion de leur principale ressource, réalisant de la sorte une aspiration ancienne, maintes fois réaffirmée. La STCPI est détenue à part égale par Promosud, qui représente les intérêts de la province Sud et par Nordil, qui regroupe les deux autres provinces. Elle dispose désormais de 30 % des parts de la SLN et 5 % de celles d'Eramet.

Il est actuellement produit 1 million de tonnes de nickel en Nouvelle-Calédonie par an, avec une progression de 50 000 tonnes annuellement, soit l'équivalent de la production traitée par une usine dans le même laps de temps. Or les deux projets évoqués de création d'usines dans le nord et dans le sud permettraient de traiter 100 000 tonnes supplémentaires. L'impact de ces usines ne serait pas mince, notamment en termes d'emplois.

Par la création de 3 000 emplois, ces projets permettraient de rétablir une situation préoccupante. Pour autant, la Nouvelle-Calédonie est-elle en mesure de former des employés pour ces métiers dans un temps assez court ? Il apparaît que les entreprises Inco et Falconbridge seraient préoccupées par cette question, particulièrement pertinente pour la période de construction des usines. Le président de la chambre de commerce et d'industrie a confirmé ce point, en considérant que la Nouvelle-Calédonie n'avait pas les ressources pour faire face à une telle demande de main d'_uvre en aussi peu de temps. Des apports seront nécessaires en provenance de métropole, des Etats-Unis ou de la zone Pacifique, en particulier d'Australie où la tradition minière est bien établie.

Le projet de création d'une usine dans le sud a été concrétisé à la fin du mois d'avril dernier. La société Inco a ainsi décidé la construction d'une usine à Goro, ce qui représente un investissement de 200 milliards de francs CFP (115 millions d'euros) et la création de 2 500 emplois - dont 800 directs - pour un objectif de 60 000 tonnes de nickel et de cobalt par an. Lors de son annonce, la société canadienne a mis l'accent sur la stabilité institutionnelle et politique calédonienne. Inco doit cependant encore trouver le partenaire qui investira, à ses côtés, 120 milliards de francs CFP, soit 60 % du total. Les 40 % restants sont assurés par Inco sur ses fonds propres. Un pôle bancaire, au sein duquel pourrait apparaître la Banque mondiale, pourrait se constituer à cette fin. L'Etat a, de son côté, annoncé que cet investissement serait défiscalisé. Le calendrier étant serré, Inco engagera, dès juin 2001, la procédure de sélection du bureau d'études techniques pour la construction de l'usine, dont les travaux devraient débuter au début de l'année prochaine. Ils devraient s'achever fin 2004.

Ce projet a été salué par tous les responsables calédoniens. La création de 2 500 emplois dans un territoire dont le nombre de chômeurs atteint 10 000 personnes a un impact considérable. Le FLNKS a insisté néanmoins sur la nécessité de préserver l'environnement, souhaitant que l'usine bénéficie aux populations locales.

L'attention est maintenant portée sur le projet Falconbridge dans la province Nord, dont l'aboutissement serait le signe d'un rééquilibrage massif du territoire.

L'accident d'hélicoptère survenu en novembre dernier, au cours duquel sont morts les principaux responsables de la Société minière du Pacifique sud (SMSP), dont M. Raphaël Pidjot, son président-directeur général, explique sans doute quelques retards dans la concrétisation de ce projet. La perte de ces personnalités engagées dans l'action en faveur du développement de la province Nord a été durement ressentie en Nouvelle-Calédonie.

Au-delà de la question minière, M. Jacques Lafleur a tracé devant la mission une vaste perspective, en évoquant la possibilité d'exploiter des gisements de pétroles importants au large de Bourail, dans la zone économique exclusive. Tant sur la question minière que pétrolière, le président de la province Sud a insisté sur la nécessité absolue de maintenir la présence de l'Etat dans ces secteurs pour résister à la pression des entreprises anglo-saxonnes. Il a estimé que les autorités locales éprouveraient beaucoup de difficultés à faire face à de telles puissances économiques et financières.

b) La desserte aérienne

Le tourisme est le second pôle économique que la Nouvelle-Calédonie entend développer. Les atouts de l'archipel sont réels. Il n'est nul besoin d'épiloguer sur la beauté de cet archipel. Pour autant, les handicaps calédoniens sont également nombreux. La vie y est chère ; la métropole est éloignée ce qui limite la venue des métropolitains dans cette île ; en dépit d'investissements récents de grande qualité, comme l'hôtel Méridien de l'île des Pins, les infrastructures touristiques restent en deçà des normes habituellement admises pour une clientèle essentiellement d'origine japonaise, particulièrement exigeante en la matière.

La question de la desserte aérienne est évidemment stratégique dans ce projet de développement touristique. Elle est apparue comme l'un des sujets essentiels de préoccupation pour tous les interlocuteurs de la mission. Plusieurs compagnies ont échoué dans leur souhait de s'implanter dans l'île : Corsair, Micronesia Airlines, AOM. Même Air France est en passe de se désengager en prévoyant de supprimer la base de son personnel navigant fin 2002 en Nouvelle-Calédonie.

· La ligne Nouméa-Tokyo

Actuellement la ligne est exploitée par Air France qui offre plusieurs vols Paris-Nouméa, via Tokyo, par semaine. Trois différents types de clientèles sont concernés par ce vol : celle qui voyage entre Paris et Nouméa, celle qui se rend de France au Japon et celle qui va de Tokyo à Nouméa. Or cette dernière catégorie de clientèle est la moins profitable. On observe par ailleurs que, du 15 décembre au 15 janvier de chaque année, les clients japonais ne peuvent séjourner en Nouvelle-Calédonie car, à cette période, les avions sont occupés par les Calédoniens qui se rendent en métropole.

Préoccupé par ce dossier, le député Jacques Lafleur a considéré, devant la mission, que la question de la desserte aérienne s'organisait autour de la problématique suivante. La ligne Nouméa-Tokyo est manifestement déficitaire. Il apparaît qu'elle subirait des pertes de 50 millions de francs par an, alors que le tronçon Paris-Tokyo s'avère rentable. Air France souhaiterait donc qu'Aircalin reprenne l'exploitation de la ligne entre le Japon et la Nouvelle-Calédonie à l'horizon de deux ans.

La compagnie Air Calédonie International (Aircalin), soutenue par la Nouvelle-Calédonie, a le projet d'acquérir trois Airbus neufs - deux A 330 et un moyen courrier A 320, qui remplacera le Boeing 337 de la compagnie - pour relier Nouméa au Japon. Elle se substituerait ainsi à Air France pour ce tronçon. Cette solution est interprétée par certains comme le signe d'un désengagement d'Air France, sans cependant être considéré comme synonyme d'un désengagement de la France en Nouvelle-Calédonie.

Aircalin pourrait exploiter de manière plus rentable le tronçon Tokyo-Nouméa, dans la mesure où le coût du personnel navigant commercial est moindre pour cette compagnie que pour Air France.

La compagnie a déposé une demande de défiscalisation, montant de ces acquisitions s'élevant à 37,6 milliards de francs CFP, soit 2,68 milliards de francs.

La défiscalisation de l'achat des appareils paraît l'une des conditions de la réussite de cette opération. C'est pourquoi le président du Gouvernement est allé plaider ce dossier auprès du Premier ministre et du secrétaire d'Etat à l'outre-mer récemment. Si une telle défiscalisation était obtenue de la part de l'Etat, elle permettrait au territoire d'économiser près de 30 % du montant total de l'achat de ces Airbus.

Cet investissement coûteux serait, en partie, financé par la création d'une taxe de 8 % sur le fret aérien. En dépit de ce financement, une telle acquisition obérerait nécessairement la capacité d'endettement de la Nouvelle-Calédonie, ce qui ne constituerait pas nécessairement un handicap fort, puisque le territoire n'a pas à assumer de compétences lourdes en matière de gestion.

Le projet d'achat de ces appareils est vivement contesté par l'USTKE qui y voit, selon l'expression de l'un de ses dirigeants rencontrés par la mission, un marché de dupes. Le syndicat indépendantiste s'élève contre la fixation d'une taxe sur le fret qui ne reviendrait plus aux provinces mais à l'établissement public qui assurerait le paiement des avions. L'USTKE dénonce aussi la perte de 60 emplois parmi les personnels navigants - chiffre qu'on n'a pu vérifier - accompagné d'une diminution de salaires pour les personnels demeurant en activité. Enfin, le syndicat considère, plus globalement, que le projet d'achat n'est pas viable, tant que la capacité hôtelière calédonienne n'aura pas été accrue afin d'accueillir les touristes, principalement japonais, dans des conditions conformes aux attentes de cette clientèle exigeante. A l'appui de ses critiques, l'USTKE a produit un rapport commandé à une société d'expertise comptable, dont la teneur est contestée.

Ce projet est également contesté par M. Didier Leroux, qui dirige le parti Alliance. Il préconise un subventionnement d'Air France, par l'Etat et la Nouvelle-Calédonie, pour l'exploitation de la ligne Tokyo-Nouméa, Aircalin n'ayant plus alors qu'à se porter acquéreur d'un seul avion long courrier pour assurer la ligne Osaka-Nouméa. M. Leroux met l'accent sur les responsabilités de l'Etat en ce domaine, notamment au regard du principe de continuité territoriale.

· Les lignes intérieures

La mission a entendu M. Olivier Razavet, président du directoire d'Air Calédonie. Cette compagnie doit être distinguée d'Air Calin, créé dans les années quatre-vingts, dont le capital est détenue à 80 % par la Nouvelle-Calédonie. Air Calédonie est née en 1954, à une époque où il fallait six jours pour venir de métropole. Née de l'initiative d'Européens et de Mélanésiens, Air Calédonie a accueilli le territoire dans son actionnariat au cours des années soixante. Puis, le territoire a réglementé les prix et, en compensation, accru sa participation dans la compagnie, la fonction d'Air Calédonie dans le désenclavement de l'archipel étant considérée, à juste titre, comme fondamentale.

Dans cette optique, les provinces sont entrées dans le capital de la compagnie. Cette entrée était fort logique, quand on sait que 80 % du trafic d'Air Calédonie est constitué par les liaisons entre les îles Loyauté et la Grande Terre. Depuis 1992, le directoire est confié à des gestionnaires alors que les représentants des différentes institutions présentes dans le capital de la compagnie siègent au sein du conseil de surveillance. La majorité de ce conseil de surveillance est issue des rangs du Rassemblement, ce qui n'empêche pas son président d'être indépendantiste.

Ouvéa, l'île des Pins, Maré et Lifou constituent les principales destinations de la compagnie Air Calédonie, les deux premières ayant plutôt une vocation touristique et les secondes une finalité de désenclavement. Le réseau de la compagnie est très court puisqu'il faut seulement 20 minutes pour se rendre de Nouméa à l'île des Pins et 30 minutes pour se rendre dans les îles Loyauté.

Une diversification tarifaire est pratiquée depuis 1994, permettant aux personnes les moins aisées de profiter de ses services.

La période 1980-1982 a constitué un tournant important dans la vie de la compagnie. En effet, Air Calédonie est devenu client de lancement pour l'ATR 42, mis en fonctionnement en 1986 dans les airs de Nouvelle-Calédonie.

La compagnie Air Calédonie constitue un instrument fondamental dans le désenclavement de certaines parties de l'archipel et dans le maintien de sa cohésion. L'aménagement du territoire est au c_ur des préoccupations en Nouvelle-Calédonie. Il s'agit là d'un objectif constant, à l'esprit des dirigeants calédoniens.

c) L'aménagement du territoire et le rééquilibrage

Dans un article récent, le délégué du Gouvernement, M. Thierry Lataste soulignait que « le processus calédonien (devait) être lu sur treize ans, des accords de Matignon à aujourd'hui. En 1988, les provinces n'existaient pas. Depuis les infrastructures de base, les clefs de répartition pour un rééquilibrage entre les provinces ont été mises en place. L'Etat, partenaire et aiguillon, joue pleinement son rôle. » (22)

Il est vrai que, de ce point de vue, l'accord de Nouméa n'a pas bouleversé l'ordre des choses. Les provinces, collectivités de la République, demeurent l'échelon le plus pertinent pour la mise en _uvre de politique de développement économique. La volonté de rééquilibrage mise en application concrètement depuis 1988 a produit des effets notables, même si ces résultats ne peuvent dissimuler le fossé qui continue à exister entre les provinces du Nord et des îles, qui connaissent des handicaps structurels réels, et la province Sud, qui cumulent les atouts démographiques et économiques.

Le schéma d'aménagement prévu à l'article 211 de la loi organique du 19 mars 1999 est en cours d'établissement. Ce schéma a pour objet l'expression des orientations fondamentales en matière d'infrastructures, de formation initiale et continue, d'environnement, d'équipement, de services d'intérêt territorial et de développement économique, social et culturel. Aux termes de l'article 211, ce schéma veille à un développement équilibré du territoire, en particulier au rééquilibrage de la répartition des fonds publics bénéficiant aux provinces et aux communes. Il est élaboré par le haut-commissaire et le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie et approuvé par le Congrès, après avis des assemblées de province, du conseil économique et social, du sénat coutumier et après consultation des communes. Fin 1999, un groupe de pilotage a été mis en place. Neuf groupes de travail thématiques ont été constitués. Ils ont procédé à un état des lieux aujourd'hui terminé.

L'un des enjeux essentiels de la politique de développement équilibré de la Nouvelle-Calédonie est de mettre fin à l'hémorragie démographique des Provinces Nord et des îles Loyauté. Pour l'heure, il apparaît que l'on a pu stopper cette tendance. Il est clair que l'installation d'une usine de nickel dans le nord ne manquerait pas de contribuer vigoureusement au maintien de la population dans cette partie de la Nouvelle-Calédonie.

Dans ce contexte, la signature des nouveaux contrats de développement est apparue comme un signal fort lancé à la Nouvelle-Calédonie et aux provinces. Pour la période 2000-2004, le montant des crédits accordés par l'Etat est de 2,33 milliards de francs, soit une progression de 25 % par rapport à la période 1993-1997 (23). Les contrats de développement signés avec les trois provinces s'élèvent à 1,631 milliard de francs. S'y ajoutent 259 millions pour l'entité territoriale, 125 millions pour les communes des îles et de l'intérieur et 315 millions de francs pour celles de l'agglomération nouméenne (Nouméa, Païta, Mont-Dore et Dumbéa). Dans le cadre de ces contrats, le principe de rééquilibrage a été maintenu puisque la province Sud reçoit 30 % du montant total des crédits alors que les deux autres provinces se partagent les 70 % restants.

Le secrétaire d'Etat à l'outre-mer, M. Christian Paul, a fixé les perspectives assignées à ces contrats, lors de son passage en Nouvelle-Calédonie en octobre 2000 : « le troisième contrat de développement sera l'outil privilégié de notre action commune pour accompagner harmonieusement le décollage économique du Nord ». Ainsi le contrat signé avec la province Nord, d'un montant de 979 millions de francs, et financé à plus de 75 % par l'Etat, concerne six grands domaines d'intervention : les routes et les communications, l'habitat, l'enseignement et la formation, la santé, le développement économique et l'environnement.

La rencontre organisé entre les membres de la mission et le directeur de l'agence française de développement à Nouméa a permis de mesurer les actions engagées par cet organisme en matière de rééquilibrage de l'archipel. L'agence française de développement est un établissement public industriel et commercial qui poursuit également des activités de crédit relevant de la loi bancaire.

L'agence de développement de Nouméa appuie son action sur des filiales, la société immobilière et la banque calédonienne d'investissement. Ces organes prodiguent leurs conseils aux collectivités territoriales. Il leur fournissent des analyses qui permettent à ces collectivités de mieux mesurer leurs marges de man_uvre et d'entreprendre des actions de développement.

Intervenant pour beaucoup dans le domaine de l'habitat, la banque calédonienne d'investissement représente 50 % de l'encours calédonien, le capital de cet organisme étant détenu conjointement par l'agence française de développement et la Nouvelle-Calédonie. Comptant 230 agents, cette banque a ouvert ses premiers guichets en 1992. Conformément à sa vocation, elle n'impose pas de paiement pour frais de tenue de compte. Par ailleurs, elle octroie des crédits à un faible taux, sa prise de risque étant plus élevée que dans les autres organismes bancaires, de nature plus classique. La banque calédonienne d'investissement a entendu ouvrir plusieurs agences dans le nord de l'île ainsi que dans les Loyauté.

La question du rééquilibrage au sein de l'ensemble calédonien pourrait paraître d'une grande simplicité au regard de la situation entre la Nouvelle-Calédonie et Wallis-et-Futuna. Car le déséquilibre qui existe entre les différentes provinces calédoniennes peut presque sembler acceptable par rapport au décrochement économique dont souffre Wallis-et-Futuna.

5. Les relations entre la Nouvelle-Calédonie et Wallis-et-Futuna

L'accord de Nouméa ainsi que la loi organique du 19 mars 1999 ont pris en compte la présence d'une forte communauté venue de Wallis-et-Futuna en Nouvelle-Calédonie.

L'accord de Nouméa a ainsi prévu que les relations entre Wallis-et-Futuna et la Nouvelle-Calédonie seraient précisées par un accord particulier L'article 225 de la loi organique a fixé une échéance à la signature de ce document : le 31 mars 2000. Or, plus d'un an après, cet accord n'avait toujours pas vu le jour. Il faut voir dans ce retard l'expression d'une difficulté que les dirigeants calédoniens ont eu du mal à affronter. L'annonce récente de la signature prochaine d'un accord entre la Nouvelle-Calédonie et Wallis-et-Futuna relance cependant les espoirs, l'accent semblant mis, dans ce texte, sur la nécessité de développer le territoire d'outre-mer, la Nouvelle-Calédonie s'engageant de son côté à mener une action soutenue pour intégrer la communauté wallisienne et futunienne dans l'archipel.

Lors de sa venue en Nouvelle-Calédonie, la mission a été sans cesse alerté sur, d'une part, les difficultés propres de Wallis-et-Futuna au sein de l'ensemble français, et, d'autre part, des relations parfois tendues entre les communautés wallisienne-et-futunienne et calédonienne.

Cette inquiétude semble cependant plus tangible à Wallis-et-Futuna qu'en Nouvelle-Calédonie même. M. Victor Brial, député de Wallis-et-Futuna, s'est fait le porte-parole auprès de la mission des difficultés propres de l'archipel dont il est élu.

Les Wallisiens semblent craindre la fermeture du marché du travail calédonien qui constitue, aujourd'hui plus que jamais, l'une des seules issues pour les jeunes de l'archipel, qui ne peuvent espérer trouver d'emploi à Wallis-et-Futuna. En effet, l'accord de Nouméa, ainsi que la loi organique du 19 mars 1999 dans son article 24, prévoient la possibilité pour la Nouvelle-Calédonie d'introduire des restrictions à l'embauche au bénéfice des personnes ayant résidé pendant un certain nombre d'années sur le territoire.

Dans la négociation portant sur l'emploi local, les représentants du Rassemblement semblaient plutôt enclins à introduire une condition de résidence de trois ans alors que les forces indépendantistes souhaiteraient qu'elle soit portée à dix ans.

Ainsi l'USTKE, entendue par la mission, s'est déclaré nettement favorable à la préférence accordée aux personnes installées depuis de nombreuses années en Nouvelle-Calédonie, en particulier pour les emplois les moins qualifiés. Pour ce syndicat, les Wallisiens ne doivent pas bénéficier de mesures particulières, la responsabilité de l'absence de développement de Wallis-et-Futuna n'incombant pas à la Nouvelle-Calédonie. L'USOENC a émis un avis plus modéré sur cette question devant la mission. Les représentants de ce syndicat ont ainsi déclaré que les Wallisiens durablement installés en Nouvelle-Calédonie seraient des citoyens calédoniens et devraient être considérés comme tels au regard du droit au travail. Cette ligne semble également celle du SLUA.

On rappellera que si la loi organique, appliquant en cela les dispositions du titre XIII de la Constitution, autorise des distinctions entre les personnes ayant résidé un certain nombres d'années en Nouvelle-Calédonie et les autres, elle ne permet pas de distinguer les Wallisiens des métropolitains.

Les représentants de Wallis-et-Futuna semblent souhaiter qu'un dispositif, inspiré de celui mis en _uvre en Polynésie française, après l'arrêt des essais nucléaires, soit mis en place dans cet archipel pour tirer les conséquences de l'accord de Nouméa.

Lors de sa rencontre avec les membres de la mission, M. Jacques Lafleur a souligné, pour sa part, la nécessité pour l'Etat de prendre en compte l'absence de perspectives économiques à Wallis-et-Futuna et de traiter ce problème afin d'éviter des tensions intercommunautaires plus grandes encore.

Conscient de l'importance de cette question, le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie a envoyé une mission composée de trois de ses membres à Wallis-et-Futuna afin de mener plus loin les négociations qui n'ont toujours pas abouti.

L'attention de la mission a été attirée sur les relations difficiles entre la Nouvelle-Calédonie et Wallis-et-Futuna concernant l'accueil des Wallisiens dans l'hôpital de Nouméa. En effet, cet établissement accueille régulièrement des personnes venant de Wallis-et-Futuna, les frais d'hospitalisation étant en principe à la charge de cet archipel. La dette de ce dernier contractée auprès de l'hôpital s'élève à 700 millions de francs CFP.

Apparemment l'Etat aurait versé au territoire de Wallis-et-Futuna l'équivalent de ce montant, à charge pour ce dernier de payer sa dette à l'hôpital de Nouméa. Il semble que cette opération n'a pas été effectuée. Or la situation financière de cet établissement hospitalier est loin d'être florissante. Lors du séjour de la mission en Nouvelle-Calédonie, il lui a été indiqué que les fournisseurs du centre hospitalier n'étaient pas payés, les délais de règlement étant portés à quatre mois en moyenne. Chaque année la dette de Wallis-et-Futuna s'accroît de 200 millions de francs CFP. On mesure la difficulté que cela représente pour l'établissement hospitalier dont le budget annuel s'élève à environ 10 milliards de francs CFP. Récemment Wallis-et-Futuna a réglé 220 millions de francs CFP. Cette situation hypothèque sérieusement ses capacités d'investissement, la sécurité de l'établissement devenant problématique. L'Etat s'est cependant engagé à prendre en charge 40 % de ces investissements dans le cadre du schéma directeur, soit 7 à 8 milliards de francs CFP. Pour être juste, on notera que le différent entre la Nouvelle-Calédonie et Wallis-et-Futuna sur ce sujet n'est pas le seul facteur de déséquilibre du budget du centre hospitalier. Les évacuations sanitaires vers l'Australie sont trop nombreuses, avec un nombre de 1 600 à 1 700 par an, ces transferts étant particulièrement importants pour les affections cardiaques ou les cancers. Par exemple, le choix a été fait de ne pas développer de service de chirurgie thoracique à Nouméa, car, compte tenu de la population et du nombre d'interventions à pratiques, il ne serait pas raisonnable de maintenir une équipe chirurgicale sur place.

M. Pierre Frogier, nouveau président du Gouvernement, a cependant annoncé en mai dernier son intention de voir aboutir ce dossier dans les prochains mois, insistant sur la responsabilité éminente de l'Etat dans le développement de Wallis-et-Futuna. Pour lui, la concentration des efforts dans cet archipel permettrait d'y fixer la population, en limitant ainsi le flux migratoire vers la Nouvelle-Calédonie. Pour M. Pierre Frogier, il s'agit là d'une condition pour assurer, mieux encore, l'intégration de la « communauté calédonienne d'origine wallisienne-et-futunienne ».

*

* *

A l'issue de ce panorama synthétique, quel bilan tirer des deux premières années d'application de l'accord de Nouméa ?

La signature des accords de Nouméa et l'adoption des lois organique et ordinaire, fixant le nouveau statut de la Nouvelle-Calédonie, ont créé les conditions d'une «  sécurité politique » propice au développement économique. Elles ont également permis de renforcer l'image - et au-delà l'influence - de la France dans une zone géographique qui connaît l'instabilité et parfois la violence.

La démarche progressive et pacifique qui est au c_ur de cet accord est devenue, pour les organisations internationales, une référence. Autant de signes qui démontrent « le réalisme visionnaire » de tous ceux qui ont négocié les accords de Matignon puis celui de Nouméa. Pour autant, cette période de « sécurité politique » qui s'accompagne d'un effort financier, considérable de la métropole, doit favoriser la modernisation de la vie politique, économique, sociale et culturelle en Nouvelle-Calédonie.

L'originalité du nouveau cadre institutionnel confie aux signataires de l'accord de Nouméa la gestion, désormais de plus en plus autonome, de la Nouvelle-Calédonie puisqu'ils sont aujourd'hui associés au sein du gouvernement.

Malgré cela, les comportements politiques classiques n'ont pas disparu. Un équilibre nouveau reste à trouver, d'autant plus que le rôle du haut-commissaire s'est transformé : il fait maintenant davantage figure d'arbitre que de capitaine.

Jusqu'à présent, les attitudes partisanes ont semblé l'emporter, tant au sein d'un RPCR majoritaire, et jugé par certains dominateur, que parmi le FNLKS, affaibli par les divisions et les rivalités de ses composantes. La composition du nouveau gouvernement témoigne d'une évolution vers cet équilibre institutionnel attendu. Avec les compétences désormais exercées exclusivement par les élus calédoniens, il revient aux responsables locaux de construire un pays moins inégalitaire, offrant à ses habitants, en particulier les jeunes Kanak, les emplois qualifiés dont ils sont encore trop souvent exclus. La formation des élites mélanésiennes constitue l'investissement prioritaire dans lequel le Gouvernement français est partie prenante. La nécessaire modernisation du pays concerne également les relations sociales trop souvent réduites à la formule « d'abord la grève, ensuite la négociation ». Les organisations syndicales, dans leur diversité, doivent participer pleinement au développement du pays ce qui implique une reconnaissance de leur représentativité. Mais il est vain de souhaiter un rôle plus actif des salariés dans les débats de fond - la fiscalité, la protection sociale, la lutte contre les exclusions... - quand les organisations syndicales sont dépourvues de tous moyens de formation. La mise en _uvre du pacte social témoigne de l'importance que le gouvernement de Nouvelle-Calédonie accorde au domaine social. En tout état de cause, il ne peut s'agir que d'un premier pas dans un secteur où le gouvernement dispose de la compétence et des moyens de construire une société plus solidaire. D'ores et déjà, la place de plus en plus affirmée des femmes dans la société néo-calédonienne constitue un signe particulièrement encourageant.

L'autonomie accrue de la Nouvelle-Calédonie s'accompagne d'un rôle nouveau pour le Haut Commissaire et non d'un effacement de la France. L'importance des transferts financiers en provenance de la métropole implique une vigilance accrue pour que ces crédits favorisent pleinement le rééquilibrage territorial et social du territoire.

L'élaboration du schéma d'aménagement et de développement sera l'occasion de mobiliser l'ensemble de la société calédonienne sur ces divers objectifs. Il importe aussi que l'utilisation de ces fonds publics ne soit pas suspectée de pratiques irrégulières. A cet effet, le rôle de la chambre territoriale des comptes est essentiel. Il convient, enfin, que la justice, contestée de part et d'autre - ce qui est plutôt encourageant quant à son objectivité -, soit dotée des moyens de s'attaquer plus efficacement à la délinquance financière. Il ne s'agit pas d'exiger, outre-mer, davantage de vertu qu'en métropole, mais pas moins non plus.

Démocratie ouverte, Etat de droit, sens des responsabilités, telles sont les conditions qui doivent s'imposer pour que cet « acte de civilisation » que fut, selon les termes de Michel Rocard, la signature de l'accord de Nouméa demeure l'épine dorsale du projet calédonien : créer de toutes pièces une véritable communauté de destin.

ANNEXE 1


Liste des personnes entendues en Nouvelle-Calédonie

du 16 au 25 octobre 2000

Parlementaires et membres du conseil économique et social

- M. Jacques LAFLEUR, député, président de l'assemblée de la province Sud.

- M. Pierre FROGIER, député.

- Mme Marie-Claude TJIBAOU, membre du Conseil économique et social, présidente du conseil d'administration de l'Agence de développement de la culture kanak (ADCK).

Institutions de la Nouvelle-Calédonie

- M. Jean LÈQUES, président du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie (Rassemblement).

- M. Gérald CORTOT, membre du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie (Union calédonienne).

- M. Pierre MARESCA, membre du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie (Rassemblement).

- M. Roch WAMYTAN, membre du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, président du FLNKS.

- M. Bernard DELADRIÈRE, secrétaire général du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie.

- M. Jean-Louis MIR, membre du cabinet de M. Gérald Cortot, membre du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie.

- M. Didier LEROUX, membre du Congrès (Alliance).

- Mme Sonia LAGARDE, membre du Congrès (Alliance).

- M. Bernard MARANT, membre du Congrès (Alliance).

- M. Jean-Pierre AÏFA, membre du Congrès (Alliance).

- M. Aloïsio SAKO, membre du Congrès (RDO-FLNKS).

- M. Dick MEUREUREU, vice-président du sénat coutumier.

- M. Gabriel POADAE, porte-parole du sénat coutumier.

- M. André THÉAU-HYOUEN, membre du sénat coutumier.

- M. Raoul BOACOU, chargé de mission au sénat coutumier.

- M. Bernard PAUL, président du conseil économique et social de la Nouvelle-Calédonie.

- Mme Marie-Claire BECCALOSSI, vice-présidente du conseil économique et social de la Nouvelle-Calédonie.

Services de l'État

- M. Thierry LATASTE, Haut-Commissaire, délégué du Gouvernement en Nouvelle-Calédonie.

- M.  Jérôme GUTTON, secrétaire général du Haut-Commissariat de la Nouvelle-Calédonie.

- M. Alain MARC, secrétaire général adjoint du Haut-Commissariat.

- M. Claude ARCHAMBAULT, trésorier payeur général.

- Mme Marie-Josée CONSIGNY, directrice des actions de l'Etat.

- M. Laurent BERGEOT, directeur du service des mines et de l'énergie.

- M. Bertrand TURAUD, directeur du service des affaires juridiques et du contentieux.

- M. Gérard SARDA, secrétaire général du vice rectorat.

- M. Philippe JAUMOUILLÉ, commissaire délégué de la République pour la province Nord.

- M. René DUCHAMP, commissaire délégué de la République pour la province des îles Loyauté.

- M. Roger SALORT, principal du collège de Koné.

Assemblées de province

- M. Paul NÉAOUTYINE, président de l'assemblée de la province Nord et les membres de son cabinet.

- M. Robert XOWIE, président de l'assemblée de la province des îles Loyauté et les membres de son cabinet.

- Mme Denise KACATR, chargée de mission auprès des droits des femmes à la province Nord.

- Mme Nicole ROBINEAU, membre de l'assemblée de la province Sud, déléguée aux droits des femmes.

Responsables de formations politiques (24)

- M. Adolphe DIGOUÉ, membre du bureau politique du FLNKS (PALIKA).

- M. Raymond PABOUTY, membre du bureau politique du FLNKS (UC).

- M. Victor TUTUGORO, membre du bureau politique du FLNKS (UPM).

- M. Gustave IWA, membre du bureau politique du FLNKS (UC).

Autorités judiciaires et services pénitentiaires

- M. Gérard FEY, Premier président de la cour d'appel de Nouméa.

- M. Jean-Marc DERRIEN, avocat général à la cour d'appel de Nouméa.

- M. Daniel RODRIGUEZ, juge chargé de la section de Koné.

- M. Robert LAMARQUE, président du tribunal administratif de Nouméa.

- M. Jean-Pierre VOGEL, premier conseiller au tribunal administratif de Nouméa.

- M. Jean-Pierre BONAL, commissaire du Gouvernement au tribunal administratif de Nouméa.

- M. Yves PERRIN, président de la chambre territoriale des comptes de Nouvelle-Calédonie.

- M. Thierry MOUTARD, conseiller à la chambre territoriale des comptes de Nouvelle-Calédonie.

- M. Christian QUEIMERAIS, conseiller à la chambre territoriale des comptes de Nouvelle-Calédonie.

- M. Claude LEROY, conseiller à la chambre territoriale des comptes de Nouvelle-Calédonie.

- M. Jean-François DAVID, bâtonnier de l'ordre des avocats.

- M. Dominique BRUNEAU, directeur du centre pénitentiaire du Camp Est.

- M. Qahémé Daniel WAIMO, chef des services d'insertion et de probation.

- Mme Bernadette GÉRARD, conseiller d'insertion et de probation.

- M. Rossano DI PAOLO, conseiller d'insertion et de probation.

- M. Jean-Luc MAROQUIN, régisseur comptable du centre pénitentiaire.

- M. Claude CORTES, surveillant principal au centre pénitentiaire.

- M. Jean-Pierre VAYSSET, surveillant au centre pénitentiaire.

Représentants des communes (25)

- M. Marcel NÉDIA, maire de Koné.

- M. Alphonse DAYÉ, maire de Poum.

- M. Alain LEVANT, maire de Kaala Gomen.

Acteurs économiques et sociaux

- M. Joël DALIGAULT, Agence française de développement, directeur de l'agence de Nouméa.

- M. Fulvio MAZZEO, directeur de l'Institut d'émission d'outre-mer.

- M. Michel QUINTARD, président de la chambre de commerce et d'industrie de Nouvelle-Calédonie.

- M. Bernard RENAUD, président de la chambre des métiers.

- M. Paul POLI, directeur de la chambre des métiers.

- M. André MAZURIER, président de la chambre d'agriculture.

- M. Georges ROUCOU, directeur des services de la chambre d'agriculture.

- M. Philippe VELTEN, directeur général de la société Le Nickel (SLN).

- M. Olivier RAZAVET, président du directoire d'Air Calédonie.

- M. Philippe VECTEN, directeur général de la Société Le Nickel (SLN).

- M. Henri CHAMPION, président du centre hospitalier de Nouméa.

- M. Gérard JODAR, 1er vice-président du syndicat USTKE.

- M. Charles N'GAIOHNI, secrétaire général du syndicat USTKE.

- M. Richard KAI, secrétaire général du syndicat USTKE chargé des finances.

- Mme Maria-Magdalena TARAHU, membre du bureau central du syndicat USTKE.

- M. Didier GUÉNANT-JEANSON, secrétaire général du syndicat USOENC.

- M. Terono MANATÉ, secrétaire général adjoint du syndicat USOENC.

- M. Trevor UNDERWOOD, secrétaire général adjoint du syndicat USOENC.

- M. Raphaël GHESQUIÈRE, membre du bureau du syndicat USOENC.

- Mme Rosine STREETER, secrétaire générale du syndicat SLUA.

- M. Claude ARAVANT, membre du syndicat SLUA.

- M. Yann DEVILLERS, membre du syndicat SLUA.

- M. Jean-Claude DINNE, membre du syndicat SLUA.

- M. Serge PRUNEAU, membre du syndicat SLUA.

- M. Christian RACE, membre du syndicat SLUA.

- M. Louis MAPOU, directeur général de l'Agence de développement rural et de développement foncier (ADRAF).

- M. Frédéric CARDON-DUBOIS, directeur de l'action foncière à l'Agence de développement rural et de développement foncier (ADRAF).

- M. Régis MARTIN, chef du service topographique de l'Agence de développement rural et de développement foncier (ADRAF).

- Mme Florence CARAMIGEAS, chef du service des études et du développement de l'Agence de développement rural et de développement foncier (ADRAF).

- M. Kapua ANGAJOXUE, président du comité de développement du Wetr à Lifou.

- M. Antoine HOUAKOKO, membre du comité de développement du Wetr à Lifou.

- M. Patrick ARDIMANI, éleveur à Koné.

Autorités coutumières

- M. Sylvain GOROHOUNA, président du conseil des anciens du district de Poindah.

- M. Marcel KAZÖ, représentant des chefferies coutumières de Lifou.

Autorités religieuses

- Mgr Michel CALVET, archevêque de Nouméa.

- Pasteur Watre HANYE, président de l'Église évangélique libre.

- Pasteur Jean WÉTÉ, président de l'Eglise évangélique en Nouvelle-Calédonie et aux îles Loyauté.

- M. Alfred IHILT, pasteur de Mont Ravel.

- M. Wanopi KAEMO, pasteur du Vieux Temple.

- M. Eric KASOVIMOIN, secrétaire général de l'Eglise évangélique.

- M. Jacques WABETE, membre de la commission Justice et droits de l'homme de l'Eglise évangélique.

- Pasteur Daniel CAIHE de Lifou.

- Pasteur Wanon HNASSON de Lifou.

- Pasteur Jules AUSSU de Lifou.

- M. Pierre NYIKEINE, responsable du temple de Lifou.

Université de la Nouvelle-Calédonie

- M. Paul de DECKKER, président de l'université.

- M. Edouard HNAWIA, vice-président du conseil d'administration.

- M. René PINEAU, vice-président du conseil scientifique.

- M. Guy AGNIEL, professeur de droit.

- Mme Maryvonne FROSTIN, directrice du département de sciences.

- M. Bruce JOURDAIN de COUTANCE, élu étudiant.

- M. Patrice FESSELIER-SOERIP, élu étudiant.

- Mme Marie-Christine HARIDAS-LOBÉRIBE, élu étudiant.

- Mme Angy BOEHE, élu étudiant

ANNEXE 2


Programme de la mission en Nouvelle-Calédonie

du 16 au 25 octobre 2000

Lundi 16 octobre : Nouméa

9 h 00 Entretien avec M. Thierry LATASTE, Haut-Commissaire, délégué du gouvernement.

10 h 00 Entretien avec M. Jacques LAFLEUR, député de Nouvelle-Calédonie, président de l'assemblée de la province Sud.

11 h 00 Entretien avec M. Jean LÈQUES, président du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie.

15 h 00 Réunion au Sénat coutumier.

16 h 00 Réunion de travail avec les services de l'Etat.

17 h 00 Entretien avec M. Roch WAMYTAN, président du FLNKS, membre du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie.

Mardi 17 octobre : Nouméa

9 h 00 Entretien avec M. Bernard RENAUD, président de la chambre des métiers.

10 h 00 Entretien avec M. Bernard PAUL, président du conseil économique et social.

11 h 00 Entretien avec M. André MAZURIER, président de la chambre d'agriculture.

12 h 15 Déjeuner avec M. Claude ARCHAMBAULT, trésorier payeur général.

14 h 00 Entretien avec Mme Marie-Claude TJIBAOU, membre du Conseil économique et social, présidente du conseil d'administration de l'Agence de développement de la culture kanak (ADCK).

15 h 00 Entretien avec M. Fulvie MAZZÉO, directeur de l'Institut d'émission d'outre-mer.

16 h 00 Entretien avec M. Olivier RAZAVET, président du Directoire d'Air Calédonie.

18 h 00 Interview à Radio Rythme Bleu.

19 h 30 Dîner avec M. Victor BRIAL, député de Wallis-et-Futuna.

Mercredi 18 octobre : Nouméa

8 h 00 Entretien avec M. Joël DALIGAULT, directeur de l'Agence française de développement à Nouméa.

9 h 00 Rencontre à l'université de Nouvelle-Calédonie avec les responsables de l'université et les représentants des étudiants.

11 h 45 Interview à Radio Djido.

13 h 30 Réunion avec le syndicat USTKE.

14 h 30 Réunion avec le syndicat USOENC.

15 h 30 Entretien avec M. Louis MAPOU, directeur général de l'Agence de développement rural et d'aménagement foncier (ADRAF).

17 h 00 Réunion avec les représentants du FLNKS.

19 h 00 Cocktail offert par M. Jean LÈQUES, président du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie.

Jeudi 19 octobre : Nouméa

9 h 00 Entretien avec M. le Pasteur Jean WETE, président de l'Eglise évangélique autonome.

10 h 00 Entretien avec M. Michel QUINTARD, président de la Chambre de commerce et d'industrie.

12 h 15 Déjeuner avec M. Jacques LAFLEUR et M. Pierre FROGIER, députés de Nouvelle-Calédonie.

14 h 00 Réunion avec le syndicat SLUA.

15 h 00 Entretien avec Monseigneur Michel CALVET, archevêque de Nouméa.

16 h 00 Entretien avec M. le Pasteur Watre HANYE, président de l'Eglise évangélique libre.

17 h 00 Entretien avec Mme Nicole ROBINEAU, membre de l'assemblée de la province Sud, déléguée aux droits des Femmes.

19 h 15 Entretien à RFO TV.

Vendredi 20 octobre : Déplacement dans la province Nord

9 h 00 Entretien avec M. Paul NEAOUTYINE, président de l'assemblée de la province Nord.

10 h 15 Entretien avec MM. Marcel NÉDIA, maire de Koné, Alphonse DAYÉ, maire de Poum, et Alain LEVANT, maire de Kaala Gomen.

11 h 30 Rencontre avec les coutumiers.

14 h 00 Entretien avec les élèves du collège et du lycée agricole de Koné.

15 h 15 Visite du centre artisanal Batefo et rencontre avec les femmes de l'association Batefo.

16 h 30 Rencontre avec un éleveur de la province Nord, M. Patrick ARDIMANI.

Samedi 21 octobre : Déplacement à Lifou (province des Iles Loyauté)

8 h 15 Accueil par René DUCHAMP, commissaire délégué de la République pour la province des îles Loyauté et M. Robert XOWIE, président de l'assemblée de la province des îles Loyauté, maire de Lifou.

8 h 30 Présentation de la coutume aux trois grands-chefs réunis à la mairie.

10 h 00 Visite des locaux communaux et provinciaux.

10 h 45 Rencontre à l'assemblée de province avec les élus.

12 h 00 Déjeuner en tribu à Siloam.

14 h 30 Rencontre avec des associations de femmes.

15 h 30 Rencontre avec des responsables religieux.

16 h 30 Rencontre avec le Comité de développement du Wetr au marché de Wanaham.

Dimanche 22 octobre : Iles des Pins

9 h 00 Décollage de Lifou pour l'Ile des Pins.

17 h 00 Retour à Nouméa.

Lundi 23 octobre : Nouméa

8 h 30 Entretien avec M. Didier LEROUX, président d'Alliance, membre du Congrès.

10 h 00 Entretien avec M. Jean-François DAVID, bâtonnier de l'Ordre des avocats.

11 h 00 Entretien avec M. Robert LAMARQUE, président du tribunal administratif.

12 h 30 Déjeuner avec M. Jean-Pierre AÏFA, membre du Congrès, maire de Bourail.

14 h 00 Entretien avec M. Yves PERRIN, président de la chambre territoriale des comptes.

Mardi 24 octobre : Nouméa

9 h 30 Entretien avec M. Jean-Marc DERRIEN, avocat général à la cour d'appel.

10 h 30 Entretien avec M. Philippe VECTEN, directeur général de la société Le Nickel (SLN).

13 h 00 Visite de la prison du Camp Est.

15 h 30 Entretien avec M. Gérard FEY, premier président de la cour d'appel.

16 h 30 Réunion avec M. Gérald CORTOT, membre du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie.

18 h 30 Festival des arts du Pacifique.

Mercredi 25 octobre

13 h 15 Départ de l'aéroport de la Tontouta.

ANNEXE 3


Accord sur la Nouvelle-Calédonie

signé à Nouméa le 5 mai 1998

Préambule

1.  Lorsque la France prend possession de la Grande Terre, que James Cook avait dénommée « Nouvelle-Calédonie », le 24 septembre 1853, elle s'approprie un territoire selon les conditions du droit international alors reconnu par les nations d'Europe et d'Amérique, elle n'établit pas des relations de droit avec la population autochtone. Les traités passés, au cours de l'année 1854 et les années suivantes, avec les autorités coutumières, ne constituent pas des accords équilibrés mais, de fait, des actes unilatéraux.

Or, ce territoire n'était pas vide.

La Grande Terre et les îles étaient habitées par des hommes et des femmes qui ont été dénommés kanak. Ils avaient développé une civilisation propre, avec ses traditions, ses langues, la coutume qui organisait le champ social et politique. Leur culture et leur imaginaire s'exprimaient dans diverses formes de création.

L'identité kanak était fondée sur un lien particulier à la terre. Chaque individu, chaque clan se définissait par un rapport spécifique avec une vallée, une colline, la mer, une embouchure de rivière, et gardait la mémoire de l'accueil d'autres familles. Les noms que la tradition donnait à chaque élément du paysage, les tabous marquant certains d'entre eux, les chemins coutumiers structuraient l'espace et les échanges.

2.  La colonisation de la Nouvelle-Calédonie s'est inscrite dans un vaste mouvement historique ou les pays d'Europe ont imposé leurs dominations au reste du monde.

Des hommes et des femmes sont venus en grand nombre, aux XIXe et XXe siècles, convaincus d'apporter le progrès, animés par leur foi religieuse, venu contre leur gré ou cherchant une seconde chance en Nouvelle-Calédonie. Il se sont installés et y ont fait souche. Il ont apporté avec eux leurs idéaux, leurs connaissances, leurs espoirs, leurs ambitions, leurs illusions et leurs contradictions.

Parmi eux certains, notamment des hommes de culture, des prêtres ou des pasteurs, des médecins et des ingénieurs, des administrateurs, des militaires, des responsables politiques ont porté sur le peuple d'origine un regard différent, marqué par une plus grande compréhension ou une réelle compassion.

Les nouvelles populations sur le Territoire ont participé, dans des conditions souvent difficiles, en apportant des connaissances scientifiques et techniques, à la mise en valeur minière ou agricole et, avec l'aide de l'Etat, à l'aménagement de la Nouvelle-Calédonie. Leur détermination et leur inventivité ont permis une mise en valeur et jeté les bases du développement.

La relation de la Nouvelle-Calédonie avec la métropole lointaine est demeurée longtemps marquée par la dépendance coloniale, un lien univoque, un refus de reconnaître les spécificités, dont les populations nouvelles ont aussi souffert dans leurs aspirations.

3.  Le moment est venu de reconnaître les ombres de la période coloniale, même si elle ne fut pas dépourvue de lumière.

Le choc de la colonisation a constitué un traumatisme durable pour la population d'origine.

Des clans ont été privés de leur nom en même temps que de leur terre. Une importante colonisation foncière a entraîné des déplacements considérables de population, dans lequel des clans kanak ont vu leurs moyens de subsistance réduits et leurs lieux de mémoire perdus. Cette dépossession a conduit à une perte des moyens identitaires.

L'organisation sociale kanak, même si elle a été reconnue dans ses principes, s'en est trouvée bouleversée. Les mouvements de population l'ont déstructurée, la méconnaissance, ou des stratégies de pouvoir, ont conduit trop souvent à nier les autorités légitimes et à mettre en place des autorités dépourvues de légitimité selon la coutume, ce qui a accentué le traumatisme identitaire.

Simultanément, le patrimoine artistique kanak était nié ou pillé.

A cette négation des éléments fondamentaux de l'identité kanak se sont ajoutées des limitations aux libertés publiques et une absence de droits politiques, alors même que les kanak avaient payé un lourd tribut à la défense de la France, notamment lors de la Première Guerre mondiale.

Les kanak ont été repoussés aux marges géographiques, économiques et politique de leur propre pays, ce qui ne pouvait, chez un peuple fier et non dépourvu de traditions guerrières, que provoquer des révoltes, lesquelles ont suscité des répressions violentes, aggravant les ressentiments et les incompréhensions.

La colonisation a porté atteinte à la dignité du peuple kanak qu'elle a privé de son identité . Des hommes et des femmes ont perdu dans cette confrontation leur vie ou leurs raisons de vivre. De grandes souffrances en sont résultées. Il convient de faire mémoire de ces moments difficiles, de reconnaître les fautes, de restituer au peuple kanak son identité confisquée, ce qui équivaut pour lui à une reconnaissance de sa souveraineté, préalable à la fondation d'une nouvelle souveraineté, partagée dans un destin commun.

4.  La décolonisation est le moyen de refonder un lien social durable entre les communautés qui vivent aujourd'hui en Nouvelle-Calédonie, en permettant au peuple kanak d'établir avec la France des relations nouvelles correspondant aux réalités de notre temps.

Les communautés qui vivent sur le territoire ont acquis par leur participation à l'édification de la Nouvelle-Calédonie une légitimité à y vivre et à contribuer à son développement. Elles sont indispensables à son équilibre social et au fonctionnement de son économie et de ses institutions sociales. Si l'accession des kanak aux responsabilités demeure insuffisante et doit être accrue par des mesures volontaristes, il n'en reste pas moins que la participation des autres communautés à la vie du territoire lui est essentielle.

Il est aujourd'hui nécessaire de poser les bases d'une citoyenneté de la Nouvelle-Calédonie, permettant au peuple d'origine de constituer avec les hommes et les femmes qui y vivent une communauté humaine affirmant son destin commun.

La taille de la Nouvelle-Calédonie et ses équilibres économiques et sociaux ne permettent pas d'ouvrir largement le marché du travail et justifient des mesures de protection de l'emploi local.

Les accords de Matignon signés en juin 1988 ont manifesté la volonté des habitants de Nouvelle-Calédonie de tourner la page de la violence et du mépris pour écrire ensemble des pages de paix, de solidarité et de prospérité.

Dix ans plus tard, il convient d'ouvrir une nouvelle étape, marquée parla pleine reconnaissance de l'identité Kanak, préalable à la refondation d'un contrat social entre toutes les communautés qui vivent en Nouvelle-Calédonie, et par un partage de souveraineté avec la France, sur la voie de la pleine souveraineté.

Le passé a été le temps de la colonisation. Le présent est le temps du partage, par le rééquilibrage. L'avenir doit être le temps de l'identité, dans un destin commun.

La France est prête à accompagner la Nouvelle-Calédonie dans cette voie.

5.  Les signataires des accords de Matignon ont donc décidé d'arrêter ensemble une solution négociée, de nature consensuelle, pour laquelle ils appelleront l'ensemble les habitants de Nouvelle-Calédonie à se prononcer.

Cette solution définit pour vingt années l'organisation politique de la Nouvelle-Calédonie et les modalités de son émancipation.

Sa mise en _uvre suppose une loi constitutionnelle que le Gouvernement s'engage à préparer en vue de son adoption par le Parlement.

La pleine reconnaissance de l'identité kanak conduit à préciser le statut coutumier et ses liens avec le statut civil des personnes de droit commun, à prévoir la place des structures coutumières dans les institutions, notamment par l'établissement d'un Sénat coutumier, à protéger et valoriser le patrimoine kanak, à mettre en place de nouveaux mécanismes juridiques et financiers pour répondre aux demandes exprimées au titre du lien avec la terre, tout en valorisant sa mise en valeur, et à adopter des symboles identitaires exprimant la place essentielle de l'identité kanak du pays dans la communauté de destin acceptée.

- toute personne pouvant relever du statut coutumier et qui y aurai renoncé, ou qui s'en serai trouvée privé à la suite d'une renonciation par ses ancêtres ou par mariage ou par tout autre cause (cas des enfants inscris en métropole sur l'état civil) pourra le retrouver. La loi de révision constitutionnelle autorisera cette dérogation à l'article 75 de la Constitution ;

- les règles relatives au statut coutumier seront fixées par les institutions de la Nouvelle-Calédonie, dans les conditions indiquées plus loin ;

- le statut coutumier distinguera les biens situés dans les « terres coutumières » (nouveau nom de la réserve), qui seront appropriés et dévolus en cas de succession selon les règles de la coutume et ceux situés en dehors des terres coutumières qui obéiront à des règles de droit commun.

1.2.  Droit et structures coutumières

1.2.1.  Le statut juridique du procès-verbal de palabre (dont le nom pourrait être modifié) doit être redéfini pour lui donner une pleine force juridique, en fixant sa forme et en organisant une procédure d'appel permettant d'éviter toute contestation ultérieure. Le rôle de syndic des affaires coutumières, actuellement tenu par les gendarmes, sera exercé par un autre agent, par exemple de la commune ou de l'aire coutumière.

La forme du procès-verbal de palabre sera définie par le Congrès en accord avec les instances coutumières (voir plus bas). L'appel aura lieu devant le conseil d'aire et l'enregistrement se fera par le conseil d'aire ou la mairie.

1.2.2.  Le rôle des aires coutumières sera valorisé, notamment en confiant aux conseils d'aires un rôle dans la clarification et l'interprétation des règles coutumières. Plus généralement, l'organisation spatiale de la Nouvelle-Calédonie devra mieux tenir compte de leur existence. En particulier les limites communales devraient pouvoir tenir compte de la limite des aires.

1.2.3.  Le mode de reconnaissance des autorités coutumières sera précisé pour garantir leur légitimité. Il sera défini par l'instance coutumière de la Nouvelle-Calédonie (voir plus bas) Notification en sera faite au représentant de l'Etat et à l'exécutif de la Nouvelle-Calédonie qui ne pourront que l'enregistrer. Leur statut sera précisé.

1.2.4.  Le rôle des autorités coutumières dans la prévention sociale et la médiation pénale sera reconnu. Ce dernier rôle sera prévu dans les textes applicables en Nouvelle-Calédonie en matière de procédure pénale.

Les autorités coutumières pourront être associées à l'élaboration des décisions des assemblées locales, à l'initiative des assemblées de province ou des communes.

1.2.5.  Le Conseil coutumier de la Nouvelle-Calédonie deviendra un « Sénat coutumier », composé de seize membres (deux par aire coutumière), obligatoirement consulté sur des sujets intéressant l'identité kanak.

Les institutions de la Nouvelle-Calédonie traduiront la nouvelle étape vers la souveraineté : certaines des délibérations du Congrès du territoire auront valeur législative et un Exécutif élu les préparera et les mettra en _uvre.

Au cours de cette période, des signes seront donnés de la reconnaissance progressive d'une citoyenneté de la Nouvelle-Calédonie, celle-ci devant traduire la communauté de destin choisie et pouvant se transformer, après la fin de la période, en nationalité, s'il en était décidé ainsi.

Le corps électoral pour les élections aux assemblées locales propres à la Nouvelle-Calédonie sera restreint aux personnes établies depuis une certaine durée.

Afin de tenir compte de l'étroitesse du marché du travail, des dispositions seront définies pour favoriser l'accès à l'emploi local des personnes durablement établies en Nouvelle-Calédonie.

Le partage des compétences entre l'Etat et la Nouvelle-Calédonie signifiera la souveraineté partagée. Il sera progressif. Des compétences seront transférées dès la mise en _uvre de la nouvelle organisation. D'autres le seront selon un calendrier défini, modulable par le Congrès, selon le principe d'auto-organisation. Les compétences transférées ne pourront revenir à l'Etat, ce qui traduira le principe d'irréversibilité de cette organisation.

La Nouvelle-Calédonie bénéficiera pendant toute la durée de mise en _uvre de la nouvelle organisation de l'aide de l'Etat, en termes d'assistance technique et de formation et des financements nécessaires, pour l'exercice des compétences transférées et pour le développement économique et social.

Les engagements seront inscrits dans des programmes pluriannuels. La Nouvelle-Calédonie prendra part au capital et au fonctionnement des principaux outils du développement dans lequel l'Etat est parti prenante.

Au terme d'une période de vingt années, le transfert à la Nouvelle-Calédonie des compétences régaliennes, l'accès à un statut international de pleine responsabilité et l'organisation de la citoyenneté en nationalité seront proposés au vote des populations intéressées.

Leur approbation équivaudrait à la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie.

Document d'orientation

1.  L'identité kanak

L'organisation politique et sociale de la Nouvelle-Calédonie doit mieux prendre en compte l'identité kanak.

1.1.  Le statut civil particulier

Certains kanak ont le statut civil de droit commun s'en l'avoir souhaité.

Le statut civil particulier est source d'insécurité juridique et ne permets pas de répondre de manière satisfaisante à certaines situations de la vie moderne.

En conséquence, les orientations suivantes sont retenues :

- Le statut civil particulier s'appellera désormais « statut coutumier » ;

1.3.  Le patrimoine culturel

1.3.1.  Les noms de lieux

Les noms kanak des lieux seront recensés et rétablis. Les sites sacrés selon la tradition kanak seront identifiés et juridiquement protégés, selon les règles applicables en matière de monuments historiques.

1.3.2.  Les objets culturels

L'Etat favorisera le retour en Nouvelle-Calédonie d'objets culturels kanaks qui se trouvent dans des musées ou des collections, en France métropolitaine ou dans d'autres pays. Les moyens juridiques dont dispose l'Etat pour la protection du patrimoine national seront mise en _uvre à cette fin. Des conventions seront passées avec ces institutions pour le retour de ces objets ou leur mise en valeur.

1.3.3.  Les langues

Les langues kanak sont, avec le français, des langues d'enseignement et de culture en Nouvelle-Calédonie. Leur place dans l'enseignement et les médias doit donc être accrue et faire l'objet d'une réflexion approfondie.

Une recherche scientifique et un enseignement universitaire sur les langues kanak doivent être organisés en Nouvelle-Calédonie. L'Institut national des langues et civilisations orientales y jouera un rôle essentiel. Pour que ces langues trouvent la place qui doit leur revenir dans l'enseignement primaire et secondaire, un effort important sera fait sur la formation des formateurs.

Une académie des langues kanak, établissement local dont le conseil d'administration sera composé de locuteurs désignés en accord avec les autorités coutumières, sera mise en place. Elle fixera leurs règles d'usage et leur évolution.

1.3.4.  Le développement culturel

La culture kanak doit être valorisée dans les formations artistiques et dans les médias. Les droits des auteurs doivent être effectivement protégés.

1.3.5.  Le centre culturel Tjibaou

L'Etat s'engage à apporter durablement l'assistance technique et les financements nécessaires au Centre culturel Tjibaou pour lui permettre de tenir pleinement son rôle de pôle de rayonnement de la culture kanak.

Sur l'ensemble de ces questions relatives au patrimoine culturel, l'Etat proposera à la Nouvelle-Calédonie de conclure un accord particulier.

1.4.  La terre

L'identité de chaque Kanak se définit d'abord en référence à une terre.

Le rôle et les conditions de fonctionnement de l'Agence de développement foncier (ADRAF) devront faire l'objet d'un bilan approfondi. Elle devra disposer de moyens suffisants pour intervenir dans des zones suburbaines. L'accompagnement des attributions de terre devra être accentué pour favoriser l'installation des attributaires et la mise en valeur.

Les terres coutumières doivent être cadastrées pour que les droits coutumiers sur une parcelle soient clairement identifiés. De nouveaux outils juridiques et financiers seront mis en place pour favoriser le développement sur les terres coutumières, dont le statut ne doit pas être un obstacle à la mise en valeur.

La réforme foncière sera poursuivie. Les terres coutumières seront constituées des réserves, des terres attribuées aux « groupements de droit particulier local » et des terres qui seront attribuées par l'ADRAF pour répondre aux demandes exprimées au titre du lien à la terre. Il n'y aura plus ainsi que les terres coutumières et les terres de droit commun. Des baux seront définis par le Congrès, en accord avec le Sénat coutumier, pour préciser les relations entre le propriétaire coutumier et l'exploitant sur les terres coutumières. Les juridictions statuant sur les litiges seront les juridictions de droit commun avec des assesseurs coutumiers.

Les domaines de l'Etat et du Territoire doivent faire l'objet d'un examen dans la perspective d'attribuer ces espaces à d'autres collectivités ou à des propriétaires coutumiers ou privés, en vue de rétablir des droits ou de réaliser des aménagements d'intérêt général. La question de la zone maritime sera également examinée dans le même esprit.

1.5.  Les symboles

Des signes identitaires du pays, nom, drapeau, hymne, devise, graphisme des billets de banque devront être recherchés en commun pour exprimer l'identité kanak et le futur partagé entre tous.

La loi constitutionnelle sur la Nouvelle-Calédonie prévoira la possibilité de changer ce nom, par « loi du pays » adoptée à la majorité qualifiée (voir plus bas).

Une mention du nom du pays pourra être apposée sur les documents d'identité, comme signe de citoyenneté.

2.  Les institutions

L'un des principes de l'accord politique est la reconnaissance d'une citoyenneté de la Nouvelle-Calédonie. Celui-ci traduit la communauté de destin choisie et s'organiserait, après la fin de la période d'application de l'accord, en nationalité, s'il en était décidé ainsi.

Pour cette période, la notion de citoyenneté fonde les restrictions apportées au corps électoral pour les élections aux institutions du pays et pour la consultation finale. Elle sera aussi une référence pour la mise au point des dispositions qui seront définies pour préserver l'emploi local.

La loi constitutionnelle le permettra.

2.1.  Les assemblées

2.1.1.  Les assemblées de provinces seront composées, respectivement pour les îles Loyauté, le Nord et le Sud, de sept, quinze et trente-deux membres, également membres du Congrès, ainsi que sept, sept et huit membres supplémentaires, non membres du Congrès lors de la mise en place des institutions. Les assemblées de province pourront réduire, pour les mandats suivants, l'effectif des conseillers non-membres du Congrès.

2.1.2.  Le mandat des membres du Congrès et des assemblées de province sera de cinq ans.

2.1.3.  Certaines délibérations du Congrès auront le caractère de loi du pays et de ce fait ne pourront être contestées que devant le Conseil constitutionnel avant leur publication, sur saisine du représentant de l'Etat, de l'Executif de la Nouvelle-Calédonie, d'un président du Congrès ou d'un tiers des membres du Congrès.

2.1.4.  a)  Le Sénat coutumier sera obligatoirement saisi des projets de loi du pays et de délibération lorsqu'ils concerneront l'identité kanak au sens du présent document. Lorsque le texte qui lui sera soumis, aura le caractère de loi du pays et concernera l'identité kanak, le Congrès de la Nouvelle-Calédonie devra à nouveau délibérer si le vote du Sénat coutumier n'est pas conforme. Le vote du Congrès s'imposera alors.

b)  Un conseil économique et social représentera les principales institutions économiques et sociales de la Nouvelle-Calédonie. Il sera obligatoirement consulté sur les délibérations à caractère économique et social du Congrès. Il comprendra des représentants du Sénat coutumier.

2.1.5.  Les limites des provinces et des communes devraient coïncider, de manière qu'une commune n'appartienne qu'à une province.

2.2.  Le corps électoral et le mode de scrutin

2.2.1.  Le corps électoral

Le corps électoral pour les consultations relatives à l'organisation politique de la Nouvelle-Calédonie intervenant à l'issue du délai d'application du présent accord (point 5) comprendra exclusivement : les électeurs inscrits sur les listes électorales aux dates des consultations électorales prévues au 5 et qui ont été admis à participer au scrutin prévu à l'article 2 de la loi référendaire, ou qui remplissaient les conditions pour y participer, ainsi que ceux qui pourront justifier que les interruptions dans la continuité de leur domicile en Nouvelle-Calédonie étaient dues à des raisons professionnellement ou familiales, ceux qui, de statut coutumier ou nés en Nouvelle-Calédonie, y ont eu le centre de leurs intérêts matériels et moraux et ceux qui ne sont pas nés en Nouvelle-Calédonie mais dont l'un des parents y est né et qui ont le centre de leurs intérêts matériels et moraux.

Pourront également voter pour ces consultations les jeunes atteignant la majorité électorale, inscrits sur les listes électorales, et qui, s'ils sont nés avant 1988 auront eu leur domicile en Nouvelle-Calédonie de 1988 à 1998 ou, s'ils sont nés après 1988, ont eu un de leurs parents qui remplissait ou aurait pu remplir les conditions pour voter au scrutin de la fin de 1998.

Pourront également voter à ces consultations les personnes qui pourront justifier, en 2013, de vingt ans de domicile continu en Nouvelle-Calédonie.

Comme il avait été prévu dans le texte signé des accords de Matignon, le corps électoral aux assemblées des provinces et au Congrès sera restreint : il sera réservé aux électeurs qui remplissaient les conditions pour voter au scrutin de 1998, à ceux qui, inscrits au tableau annexe, rempliront une condition de domicile de dix ans à la date de l'élection, ainsi qu'aux électeurs atteignant l'âge de la majorité pour la première fois après 1998 et qui, soit justifieront de dix ans de domicile en 1998, soit auront eu un parent remplissant les conditions pour être électeur au scrutin de la fin de 1998, soit ayant eu un parent inscrit sur un tableau annexe, justifieront d'une durée de domicile de dix ans en Nouvelle-Calédonie à la date de l'élection.

La notion de domicile s'entendra au sen de l'article 2 de la loi référendaire. La liste des électeurs admis à participer au scrutin sera arrêtée avant la fin de l'année précédant le scrutin.

Le corps électoral restreint s'appliquerait aux élections communales si les communes avaient une organisation propre à la Nouvelle-Calédonie.

2.2.2.  Pour favoriser l'efficacité du fonctionnement des assemblées locales, en évitant les conséquences d'une dispersion des suffrages, le seuil de 5 % s'appliquera aux inscrits et non aux exprimés.

2.3.  L'Exécutif

L'Exécutif de la Nouvelle-Calédonie deviendra un gouvernement collégial, élu par le Congrès, responsable devant lui.

L'Exécutif sera désigné à la proportionnelle par le Congrès, sur proposition par les groupes politiques de listes de candidats, membres ou non du Congrès. L'appartenance au Gouvernement sera incompatible avec la qualité de membre du Congrès ou des assemblées de province. Le membre du Congrès ou de l'assemblée de province élu membre du Gouvernement est remplacé à l'assemblée par le suivant de la liste. En cas de cessation de fonction, il retrouvera son siège.

La composition de l'Exécutif sera fixée par le Congrès.

Le représentant de l'Etat sera informé de l'ordre du jour des réunions du Gouvernement et assistera à ses délibérations. Il recevra les projets de décisions avant leur publication et pourra demander une seconde délibération de l'Exécutif.

2.4.  Les communes

Les compétences des communes pourront être élargies en matière d'urbanisme, de développement local, de concessions de distribution d'électricité et de fiscalité locale. Elles pourront bénéficier de transferts domaniaux.

3.  Les compétences

Les compétences détenues par l'Etat seront transférées à la Nouvelle-Calédonie dans les conditions suivantes :

-  certaines seront transférées dès la mise en _uvre de la nouvelle organisation politique ;

-  d'autres le seront dans des étapes intermédiaires ;

-  d'autres seront partagées entre l'Etat et la Nouvelle-Calédonie ;

-  les dernières, de caractère régalien, ne pourront être transférées qu'à l'issue de la consultation mentionnée au 5.

Le Congrès, à la majorité qualifiée des trois cinquièmes, pourra demander à modifier l'échéancier prévu des transferts de compétences, à l'exclusion des compétences de caractère régalien. L'Etat participera pendant cette période à la prise en charge financière des compétences transférées. Cette compensation financière sera garantie par la loi constitutionnelle.

3.1.  Les compétences nouvelles conférées
à la Nouvelle-Calédonie

3.1.1.  Les compétences immédiatement transférées

Le principe du transfert est acquis dès l'installation des institutions issues du présent accord : la mise en place s'effectuera au cours du premier mandat du Congrès :

-  le droit à l'emploi : la Nouvelle-Calédonie mettra en place, en liaison avec l'Etat, des mesures destinées à offrir des garanties particulières pour le droit à l'emploi de ses habitants. La réglementation sur l'entrée des personnes, non établies en Nouvelle-Calédonie, sera confortée.

Pour les professions indépendantes, le droit d'établissement pourra être restreint pour les personnes non établies en Nouvelle-Calédonie.

Pour les salariés du secteur privé et pour la fonction publique territoriale, une réglementation locale sera définie pour privilégier l'accès à l'emploi des habitants.

-  le droit au travail des ressortissants étrangers ;

-  le commerce extérieur, dont la réglementation des importations et l'autorisation des investissements étrangers ;

-  les communications extérieures en matière de poste et de télécommunications, à l'exclusion des communications gouvernementales et de la réglementation des fréquences radioélectriques ;

-  la navigation et les dessertes maritimes internationales ;

-  les communications extérieures en matière de desserte aérienne lorsqu'elles n'ont pour escale en France que la Nouvelle-Calédonie et dans le respect des engagements internationaux de la France ;

-  l'exploration, l'exploitation, la gestion et la conservation des ressources naturelles, biologiques et non biologiques de la zone économique ;

-  les principes directeurs du droit du travail ;

-  les principes directeurs de la formation professionnelle ;

-  la médiation pénale coutumière ;

-  la définition de peines contraventionnelles pour les infractions aux lois du pays ;

-  les règles relatives à l'administration provinciale ;

-  les programmes de l'enseignement primaire, la formation des maîtres et le contrôle pédagogique ;

-  le domaine public maritime, transféré aux provinces.

3.1.2.  Les compétences transférées
dans une seconde étape

Dans une étape intermédiaire, au cours du second et troisième mandat du Congrès, les compétences suivantes seront transférées à la Nouvelle-Calédonie :

-  les règles concernant l'état civil, dans le cadre des lois existantes ;

-  les règles de police et de sécurité en matière de circulation aérienne et maritime intérieure ;

-  l'élaboration des règles et la mise en _uvre des mesures intéressant la sécurité civile.

Toutefois, un dispositif permettra au représentant de l'Etat de prendre les mesures nécessaires en cas de carence.

-  le régime comptable et financier des collectivités publiques et de leurs établissements publics ;

-  le droit civil et le droit commercial ;

-  les principes directeurs de la propriété foncière et des droits réels ;

-  la législation relative à l'enfance délinquante et à l'enfance en danger ;

-  les règles relatives à l'administration communale ;

-  le contrôle administratif des collectivités publiques et de leurs établissements publics ;

-  l'enseignement du second degré ;

-  les règles applicables aux maîtres de l'enseignement privé sous contrat.

3.2.  Les compétences partagées

3.2.1.  Les relations internationales et régionales

Les relations internationales sont de la compétence de l'Etat. Celui-ci prendra en compte les intérêts propres de la Nouvelle-Calédonie dans les négociations internationales conduites par la France et l'associera à ces discussions.

La Nouvelle-Calédonie pourra être membre de certaines organisations internationales ou associé à elles, en fonction de leurs statuts (Organisations internationales du Pacifique, ONU, UNESCO, OIT, etc.). Le cheminement vers l'émancipation sera porté à la connaissance de l'ONU.

La Nouvelle-Calédonie pourra avoir des représentations dans des pays de la zone Pacifique et auprès de ces organisations et de l'Union européenne.

Elle pourra conclure des accords avec ces pays dans ses domaines de compétence.

Elle sera associée à la renégociation de la décision d'association Europe-PTOM.

Une formation sera mise en place pour préparer des Néo-Calédoniens à l'exercice de responsabilités dans le domaine des relations internationales.

Les relations de la Nouvelle-Calédonie avec le territoire des îles Wallis-et-Futuna seront précisées par un accord particulier. L'organisation des services de l'Etat sera distincte pour la Nouvelle-Calédonie et ce territoire.

3.2.2.  Les étrangers

L'Exécutif de la Nouvelle-Calédonie sera associé à la mise en _uvre de la réglementation relative à l'entrée et au séjour des étrangers.

3.2.3.  L'audiovisuel

L'Exécutif est consulté par le Conseil supérieur de l'audiovisuel avant toute décision propre à la Nouvelle-Calédonie.

Une convention pourra être conclue entre le C.S.A. et la Nouvelle-Calédonie pour associer celle-ci à la politique de communication audiovisuelle.

3.2.4.  Le maintien de l'ordre

L'Exécutif sera informé par le représentant de l'Etat des mesures prises.

3.2.5.  La réglementation minière

Les compétences réservées à l'Etat pour les hydrocarbures, les sels de potasse, le nickel, le chrome et le cobalt seront transférées.

La responsabilité de l'élaboration des règles sera conférée à la Nouvelle-Calédonie, celle de la mise en _uvre des provinces.

Un conseil des mines, composé de représentants des provinces et auquel assiste le représentant de l'Etat, sera consulté sur les projets de délibération du Congrès ou des provinces en matière minière. Si son avis n'est pas conforme ou si le représentant de l'Etat exprime un avis défavorable, l'exécutif de la Nouvelle-Calédonie se prononcera.

3.2.6.  Les dessertes aériennes internationales

L'Exécutif sera associé aux négociations lorsque la compétence n'est pas entièrement confiée à la Nouvelle-Calédonie.

3.2.7.  L'enseignement supérieur
et la recherche scientifique

L'Etat associera l'Exécutif à la préparation des contrats qui le lient aux organismes de recherche implantés en Nouvelle-Calédonie et à l'université, afin de permettre une meilleure prise en compte des besoins spécifiques de la Nouvelle-Calédonie en matière de formation supérieure et de recherche. La Nouvelle-Calédonie pourra conclure des conventions d'objectifs et d'orientation avec ces institutions.

3.3.  Les compétences régaliennes

La justice, l'ordre public, la défense et la monnaie (ainsi que le crédit et les changes ), et les affaires étrangères (sous réserve de disposition du 3.2.1) resteront de la compétence de l'Etat jusqu'à la nouvelle organisation politique résultant de la consultation des populations intéressées prévue au 5.

Pendant cette période, des néo-calédoniens seront formés et associés à l'exercice de responsabilités dans ces domaines, dans un souci de rééquilibrage et de préparation de cette nouvelle étape.

4.  Le développement économique et social

4.1.  La formation des hommes

4.1.1.  Les formations devront, dans leur contenu et leur méthode, mieux prendre en compte les réalités locales, l'environnement régional et les impératifs de rééquilibrage. Des discussions s'engageront pour la reconnaissance mutuelle des diplômes et des formations avec les Etats du Pacifique. Le nouveau partage des compétences devra permettre aux habitants de la Nouvelle-Calédonie d'occuper davantage les emplois de formateur.

L'université devra répondre aux besoins de formation et de recherche propre à la Nouvelle-Calédonie.

L'Institut de formation des personnels administratifs sera rattaché à la Nouvelle-Calédonie.

4.1.2.  Un programme de formation de cadres moyens et supérieurs, notamment techniques et financiers, sera soutenu par l'Etat à travers les contrats de développement pour accompagner les transferts de compétences réalisés et à venir.

Un programme spécifique, qui prendra en compte la suite du programme « 400 cadres » et concernera les enseignements secondaires, supérieur, et professionnel tendra à la poursuite du rééquilibrage et à l'accession des kanak aux responsabilités dans tous les secteurs d'activités.

4.2.  Le développement économique

4.2.1.  Des contrats de développement pluriannuels seront conclus avec l'Etat. Ils pourront concerner la Nouvelle-Calédonie, les provinces et les communes et tendront à accroître l'autonomie et la diversification économiques.

4.2.2.  Les mines

Un schéma de mise en valeur des richesses minières du Territoire sera élaboré. Sa mise en _uvre sera contrôlée par la Nouvelle-Calédonie grâce au transfert progressif de l'élaboration et de l'application du droit minier.

4.2.3.  La politique énergétique contribuera à l'objectif d'autonomie et de rééquilibrage : recherche de sites hydroélectriques, programmation de l'électrification rurale tenant compte des coûts différenciés liés à la géographie du Territoire. Les opérateurs du secteur seront associes à la mise en _uvre de cette politique.

4.2.4.  Le financement de l'économie devra être modernisé :

L'Exécutif sera consulté sur les décisions de politique monétaire.

La Nouvelle-Calédonie sera représentée dans les instances compétentes de l'Institut d'émission.

Pour financer le développement, l'Institut calédonien de participation sera maintenu dans son rôle et ses attributions. Il sera créé un fond de garantie pour faciliter le financement des projets de développement sur les terres coutumières.

Des objectifs d'intérêt public en faveur du développement seront fixés pour la banque calédonienne d'investissement. Les collectivités, dans la limite de leurs compétences, pourront soutenir le développement des entreprises en collaboration avec le secteur bancaire.

Un dispositif spécifique sera mis en place pour faciliter la restructuration et le redressement des entreprises.

4.3.  La politique sociale

4.3.1.  L'effort en faveur du logement social sera poursuivi avec le concours de l'Etat. L'attribution des financements et les choix des opérateurs devront contribuer à un équilibre géographique. Une distinction sera effectuée entre les rôles de collecteur, de promoteur et de gestionnaire du parc social.

4.3.2.  Une couverture sociale généralisée sera mise en place.

4.4.  Le contrôle des outils de développement

La Nouvelle-Calédonie sera mise à même, au cours de la nouvelle période qui s'ouvre, de disposer d'une maîtrise suffisante des principaux outils de son développement. Lorsque l'Etat détient directement ou indirectement la maîtrise totale ou partielle de ces outils, la Nouvelle-Calédonie les remplacera selon des modalités et des calendriers à déterminer. Lorsque la Nouvelle-Calédonie le souhaitera, les établissements publics nationaux intervenant seulement en Nouvelle-Calédonie deviendront des établissements publics de la Nouvelle-Calédonie.

Sont notamment concernés : Office des postes et télécommunications, Institut de formation des personnels administratifs, Société néo-calédonienne de l'énergie ENERCAL, Institut calédonien de participation, Agence de développement rural et d'aménagement foncier, Agence de développement de la culture kanak...

Lorsque les organismes n'interviennent pas seulement en Nouvelle-Calédonie, celle ci devra disposer des moyens de faire valoir ses orientations stratégiques en ce qui concerne la Nouvelle-Calédonie par une participation dans le capital ou les instances dirigeantes.

5.  L'évolution de l'organisation politique
de la Nouvelle-Calédonie

Au cours du quatrième mandat (de cinq ans) du Congrès, une consultation électorale sera organisée. La date de cette consultation sera déterminée par le Congrès, au cours de ce mandat, à la majorité qualifiée des trois cinquièmes.

Si le Congrès n'a pas fixé cette date avant la fin de la l'avant dernière année de ce quatrième mandat, la consultation sera organisée, à une date fixée par l'Etat, dans la dernière année du mandat.

La consultation portera sur le transfert à la Nouvelle-Calédonie des compétences régaliennes, l'accès a un statut international de pleine responsabilité et l'organisation de la citoyenneté en nationalité.

Si la réponse des électeurs à ces dispositions est négative, le tiers des membres du Congrès pourra provoquer l'organisation d'une nouvelle consultation qui interviendra dans la deuxième année suivant la première consultation. Si la réponse est à nouveau négative, une nouvelle consultation pourra être organisée selon la même procédure et dans les mêmes délais. Si la réponse est encore négative, les partenaires politiques se réuniront pour examiner la situation ainsi créée.

Tant que les consultations n'auront pas abouti à la nouvelle organisation politique proposée, l'organisation politique mise en place par l'accord de 1998 restera en vigueur, à son dernier stade d'évolution, sans possibilité de retour en arrière, cette « irréversibilité » étant constitutionnellement garantie.

Le résultat de cette consultation s'appliquera globalement pour l'ensemble de la Nouvelle-Calédonie. Une partie de la Nouvelle-Calédonie ne pourra accéder seule à la pleine souveraineté ou conserver seule des liens différents avec la France, au motif que les résultats de la consultation électorale y auraient été différents du résultat global.

L'Etat reconnaît la vocation de la Nouvelle-Calédonie à bénéficier, à la fin de cette période, d'une complète émancipation.

6.  L'application de l'accord

6.1.  Textes

Le Gouvernement engagera la préparation des textes nécessaires à la mise en _uvre de l'accord et notamment du projet de loi de révision constitutionnelle en vue de son adoption au Parlement. Si cette révision ne pouvait être menée à bien et si les modifications constitutionnelles nécessaires à la mise en application des dispositions de l'accord ne pouvaient être prises, les partenaires se réuniraient pour en examiner les conséquences sur l'équilibre général du présent accord.

6.2.  Consultations

Des consultations seront organisées en Nouvelle-Calédonie auprès des organisations politiques, coutumières, économiques et sociales sur l'accord conclu, à l'initiative des signataires.

6.3.  Scrutin de 1998

Un scrutin sera organisé avant la fin de l'année 1998 sur l'organisation politique de la Nouvelle-Calédonie objet du présent accord.

La loi constitutionnelle pour la Nouvelle-Calédonie permettra que ne ce prononcent que les électeurs admis à participer au scrutin prévu à l'article 2 de la loi du 9 novembre 1998.

6.4.  Elections aux assemblées de province
et au Congrès

Des élections aux assemblées de province et au Congrès auront lieu dans les six mois suivant l'adoption des textes relatifs à l'organisation politique de la Nouvelle-Calédonie.

Les mandats des membres des assemblées de province prendront fin à la date des élections.

6.5.  Comité des signataires

Un comité des signataires sera mis en place pour:

-  prendre en compte les avis qui seront formulés par les organismes locaux consultés sur l'accord ;

-  participer à la préparation des textes nécessaires pour la mise en _uvre de l'accord ;

-  veiller au suivi de l'application de l'accord.

Les documents ci-dessus, préambule et document d'orientation ont recueilli l'approbation des partenaires des accords de Matignon, traduisant la fin de la négociation qui s'est déroulée en présence de M. Dominique Bur, délégué du gouvernement, haut-commissaire de la République.

A Nouméa, le mardi 5 mai 1998.

Le Premier ministre,

Lionel Jospin

Le secrétaire d'Etat à l'outre-mer,

Jean-Jack Queyranne

Pour le FLNKS : Pour le RPCR :

Roch Wamytan Jacques Lafleur

Paul Néaoutyine Pierre Frogier

Charles Pidjot Simon Loueckhote

Victor Tutugoro Harold Martin

Jean Lèques

Bernard Deladrière

__________

N° 3222.- Rapport d'information de MM. Dominique Bussereau et René Dosière, déposé en application de l'article 145 du Règlement par la commission des lois, sur la mise en place des institutions de la Nouvelle-Calédonie.

() Sur ce sujet, on renverra au rapport n° 972 présenté par Mme Catherine Tasca au nom de la commission des Lois sur le projet de loi constitutionnelle, 10 juin 1998.

() Le programme de cette mission est présenté en annexe de ce rapport ainsi que la liste des personnes auditionnées à cette occasion.

() Voir en particulier Yves Tavernier et Gilles Carrez, Espoirs et incertitudes en Nouvelle-Calédonie, rapport d'information n° 2447, 31 mai 2000.

() On renverra sur ce point au rapport de Mme Catherine Tasca, précité.

() Rapport n° 1275 de M. René Dosière au nom de la commission des Lois sur le projet de loi organique relatif à la Nouvelle-Calédonie, 21 décembre 1998.

() On rappellera que le Conseil constitutionnel a fait de ce dispositif une interprétation que les signataires FLNKS de l'accord de Nouméa, ainsi que les rapporteurs à l'Assemblée nationale et au Sénat du projet de loi organique, ont contestée. Le Gouvernement a souhaité éclaircir cette question en engageant une nouvelle révision constitutionnelle qui n'a pu aboutir en janvier 2000, le Président de la République rapportant le décret de convocation du Congrès de Versailles. Voir le rapport n° 1665 de Mme Catherine Tasca fait au nom de la commission des Lois, 7 juin 1999, p. 20 à 25.

() Sur cette décision, on se reportera aux articles suivants : Jean-Éric Schoettl, Actualité juridique du droit administratif, 2000, p. 252 ; Olivier Gohin, Actualité juridique du droit administratif, 2000, p. 254 ; Régis Fraisse, Revue française du droit administratif, 2000, p. 77 et François Luchaire, Revue de droit public, 2000, p. 554.

() JO Débats, Sénat, séance du 29 février 2000, p. 1023 et suivantes.

() Journal officiel de la Nouvelle-Calédonie du 25 août 1998.

() Le 4 décembre 1984, dix militants indépendantistes sont assassinés, parmi lesquels deux frères de Jean-Marie Tjibaou. Les auteurs du crime furent acquittés par la cour d'assises de Nouméa.

() Le Monde, 24 août 2000.

() Rapport de M. Jacques Floch, n° 2521 au nom de la commission d'enquête, 28 juin 2000.

() Les transportés étaient les criminels condamnés aux travaux forcés par une cour d'assises (loi du 30 mai 1854) ; les déportés étaient des condamnés politiques, jugés par des conseils de guerre (lois du 8 juin 1852 et 23 mars1872) ; les relégués étaient les délinquants récidivistes condamnés en correctionnelle (loi du 27 mai 1885).

() Source : Les Nouvelles Calédoniennes, avril 2000, reprises par le service pénitentiaire d'insertion et de probation.

() Sur cette question, on se reportera à Jean-Marie Tjibaou, la présence kanak, Odile Jacob, 1996.

() Voir Guy Agniel, « Le statut civil coutumier », in Jean-Yves Faberon et Guy Agniel (dir.), La souveraineté partagée en Nouvelle-Calédonie et en droit comparé, La Documentation française, 2000, p. 132.

() Sur le sens de la propriété foncière en Nouvelle-Calédonie, on se reportera, entre autres, à : Gilda Nicolau « La propriété foncière. Eloge du terrain », in Jean-Yves Faberon et Guy Agniel, op. cit., p. 193-153 ; ainsi qu'à Louis Mapou, « De la rencontre de deux systèmes fonciers », Ibid, p. 154-161.

() Les aires coutumières sont désignées à l'article 1er de la loi organique du 19 mars 1999 : Hoot Ma Whaap, Paici Camuki, Ajié Aro, Xaracuu, Djubea-Kaponé, Neugone, Drehu, Iaai.

() On se reportera à la liste des personnes auditionnées.

() Sur cette question, on se reportera à l'analyse nuancée de MM. Yves Tavernier et Gilles Carrez dans le rapport d'information n° 2447, Espoirs et incertitudes en Nouvelle-Calédonie, 2000, p. 41 et suivantes.

() Sur l'éclatement du paysage syndical calédonien, on se reportera à Yves Tavernier et Gilles Carrez, Espoirs et incertitudes en Nouvelle-Calédonie, op. cit., p. 59 et suivantes.

() Les Echos, 4 et 5 mai 2001, p. 54.

() La période transitoire 1998-1999 avait fait l'objet d'avenants aux contrats initiaux.

() Les responsables des autres formations politiques ont été évidemment rencontrés par les rapporteurs au titre de leurs fonctions institutionnelles au sein, par exemple, du Congrès ou du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie.

() Les rapporteurs ont également rencontré d'autres maires de communes de la Nouvelle-Calédonie occupant, par ailleurs, d'autres fonctions, comme MM. Jean Lèques, président du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie et maire de Nouméa, ou Paul Néaoutyine, président de l'assemblée de la province Nord et maire de Poindimié.