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N° 3413

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 22 novembre 2001.

RAPPORT D'INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l'article 145 du Règlement

PAR LA MISSION D'INFORMATION COMMUNE (1) SUR LES ÉVÉNEMENTS DE SREBRENICA

Président

M. François LONCLE,

Rapporteurs

MM. René ANDRÉ et François LAMY,

Députés

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Tome II

AUDITIONS

(1) La composition de cette mission figure au verso de la présente page.

Relations internationales

La mission d'information commune sur les événements de Srebrenica est composée de : M. François Loncle, Président ; Mme Marie-Hélène Aubert, Vice-présidente ; MM. René André et François Lamy, Rapporteurs ; MM. Roland Blum, Pierre Brana, René Galy-Dejean, Jean-Noël Kerdraon, François Léotard, François Liberti.

SOMMAIRE DES COMPTES RENDUS D'AUDITIONS

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Jeudi 14 décembre 2000

- Amiral Jacques LANXADE, chef d'état-major des armées (1991-1995) 7

Jeudi 21 décembre 2000

- M. Gilles HERTZOG, auteur du documentaire Srebrenica, une chute sur ordonnance 28

Jeudi 11 janvier 2001

- M. Henry JACOLIN, ambassadeur de France en Bosnie-Herzégovine (1993-1995) 54

- Général Christian QUESNOT, chef de l'état-major particulier du Président de la République (1991-1995) 67

Mercredi 24 janvier 2001

- M. Alain JUPPÉ, Ministre des Affaires étrangères (1993-1995), Premier ministre (1995-1997) 83

Jeudi 25 janvier 2001

- Général Bernard JANVIER, commandant des forces de paix des Nations unies en ex-Yougoslavie (1995) 106

- Général Philippe MORILLON, commandant de la FORPRONU (octobre 1992-juillet 1993), commandant de la Force d'action rapide (1994-1996) 140

Mardi 30 janvier 2001

- M. Jean-David LEVITTE, conseiller diplomatique du Président de la République (mai 1995-décembre 1999) 155

Jeudi 8 février 2001

- Général Jean HEINRICH, directeur du renseignement militaire (1992-1995) 179

- Général Jean COT, commandant de la FORPRONU (1993-1994) 199

Jeudi 15 février 2001

- Général Raymond GERMANOS, sous-chef opérations à l'état-major des armées (1994-1995) 225

- M. François LÉOTARD, Ministre de la Défense (29 mars 1993-11 mars 1995) 247

Jeudi 22 février 2001

- Général Bertrand de LA PRESLE, commandant de la FORPRONU (1994-1995) 278

- Commissaire Jean-René RUEZ, chef de l'équipe Srebrenica du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie 309

Jeudi 1er mars 2001

- Général Hervé GOBILLIARD, commandant du secteur de Sarajevo de la FORPRONU (1994-1995) 327

Jeudi 29 mars 2001

- M. Daniel O'BRIEN, directeur de l'antenne médicale de Médecins sans frontières à Srebrenica (1995), et Mme Christina SCHMITZ, infirmière de Médecins sans frontières à Srebrenica (1995) 352

Jeudi 5 avril 2001

- M. Jean-Claude MALLET, directeur chargé des Affaires stratégiques au
ministère de la Défense (1991-1998) 378

Jeudi 12 avril 2001

- M. Hans VAN MIERLO, Ministre des Affaires étrangères des Pays-Bas (1994-1998), et M. Joris VOORHOEVE, Ministre de la Défense des Pays-Bas (1994-1998) 402

Jeudi 19 avril 2001

- Général Cees NICOLAI, chef d'état-major de la FORPRONU pour la Bosnie-Herzégovine (février-septembre 1995) 435

- Colonel Thomas KARREMANS, commandant du Dutchbat à Srebrenica (janvier-juillet 1995) 457

Jeudi 26 avril 2001

- M. Yasushi AKASHI, représentant spécial du Secrétaire général pour l'ex-Yougoslavie (du 3 janvier 1994 au 30 octobre 1995) 478

- M. Charles MILLON, Ministre de la Défense (1995-1997). 496

Jeudi 10 mai 2001

- M. Hervé de CHARETTE, Ministre des Affaires étrangères (1995-1997) 516

Jeudi 17 mai 2001

- M. Pierre SALIGNON, directeur des opérations de Médecins sans frontières, chargé du programme Balkans 534

Jeudi 14 juin 2001

- M. Jean-Bernard MERIMÉE, représentant permanent de la France au Conseil de sécurité et chef de la mission permanente française près les Nations unies à New York (1991-1995) 568

Jeudi 21 juin 2001

- M. Thierry TARDY, chercheur en relations internationales, auteur notamment de La France et la gestion des conflits yougoslaves (1991-1995) 588

- Général Bernard JANVIER, commandant des forces de paix des Nations unies en ex-Yougoslavie (1995) 609

Mercredi 27 juin 2001

- Entretien avec M. Sead AVDIC, Président de la Chambre des représentants de Bosnie-Herzégovine 632

- Entretien avec des représentants des associations « Mères de Srebrenica et Podrinje », « Srebrenica 1999 » et « Mères de Srebrenica et de Zepa » 639

Jeudi 28 juin 2001

- Commentaire de M. Jean GAGNON, enquêteur du TPIY 664

- Entretien avec M. Sefket HAFIZOVIC, maire de Srebrenica, Mme Milka RANKIC, maire-adjoint, M. Desnica RADIVOJEVIC, président de l'assemblée municipale, M. Sadik AHMETOVIC, vice-président de l'assemblée municipale, et les représentants de la communauté internationale présents à Srebrenica. 668

Vendredi 29 juin 2001

- Entretien avec M. Jovan DIVJAK, général serbe de l'armée régulière bosniaque. 684

- Entretien avec des représentants de l'association « Femmes de Srebrenica ». 695

- Entretien avec M. Alija IZETBEGOVIC, Président de la République de Bosnie-Herzégovine 709

Samedi 30 juin 2001

- Entretien avec M. Smail CEKIC, directeur de l'Institut de recherches sur les crimes contre l'humanité et le droit international, université de Sarajevo 719

- Entretien avec M. Hasan MURATOVIC, alors Ministre de la République de Bosnie-Herzégovine, chargé des relations avec les Nations unies 731

- INDEX 747

Audition de M. Jean-Bernard MÉRIMÉE,

représentant permanent de la France au Conseil de sécurité

et chef de la mission permanente française

près les Nations unies à New York (1991-1995)

(jeudi 14 juin 2001)

Présidence de M. François Loncle, Président

Le Président François Loncle : Monsieur Mérimée, après avoir été ambassadeur de France en Australie, en Inde et au Maroc, vous avez représenté la France au Conseil de sécurité de l'Organisation des Nations unies, du 13 mars 1991 au 23 août 1995. Vous avez ensuite représenté la France en Italie et vous êtes ambassadeur de France.

Je vous remercie de votre présence. Comme de coutume, je vous demanderai de nous dire d'abord tout ce dont vous souhaitez nous faire part concernant la chute de Srebrenica et les événements qui se sont déroulés dans l'ex-Yougoslavie durant cette période mai-juin-juillet 1995.

M. Jean-Bernard Mérimée : Je suis heureux d'être devant vous afin de répondre à vos questions et d'essayer, dans la mesure de mes informations et de mes souvenirs, de jeter un peu plus de lumière sur un des événements les plus atroces d'une guerre qui en a vu beaucoup.

Mais auparavant, je souhaiterais faire quelques observations préliminaires. La première concerne le degré d'information dont disposait, quand j'y étais, le représentant permanent de la France auprès du Conseil de sécurité. Ces informations découlent essentiellement de trois chaînes. La première est celle de ses autorités. Le Quai d'Orsay envoie à l'ambassadeur en charge du dossier tout ce qui lui est utile de savoir. L'ambassadeur, à son tour, envoie des informations sur ce qui se passe à New York au Conseil de sécurité, et ses informations sont complétées par celles que les autres postes transmettent. Quelquefois, ces postes transmettent directement aux Nations unies à New York. Par exemple, Bruxelles, Bonn ou La Haye, en même temps qu'ils envoient leurs télégrammes au Quai d'Orsay, envoient au même instant ces mêmes télégrammes à New York. Par conséquent, on est prévenu très vite.

Parfois, cela ne se passe pas ainsi, c'est le Quai d'Orsay qui retransmet des télégrammes qui n'ont pas été envoyés directement par les postes. Cette retransmission, de temps en temps, prend quelques heures ou un jour, ce qui représente des délais importants lorsqu'on est en plein débat au Conseil de sécurité.

Il y a aussi le phénomène qui est celui de la diplomatie directe, surtout en période de crise. C'est le fait que les chefs d'Etat, les chefs de Gouvernement, les ministres, voire les hauts fonctionnaires, se téléphonent directement pour insister sur tel ou tel point, régler avec le poids politique qui est le leur telle ou telle question. Des comptes rendus existent de ces entretiens, mais ils ne sont pas toujours mis à la disposition des ambassadeurs que cela pourrait intéresser. Il y a là aussi parfois des défauts d'information.

La seconde source d'information est le Secrétariat général des Nations unies qui, lorsqu'il s'agit de dossiers brûlants comme celui des Balkans, est en contacts très étroits avec les ambassadeurs concernés, c'est-à-dire essentiellement les membres permanents du Conseil de sécurité et ceux des pays contributeurs de troupes.

Mais là nous nous heurtons à ce handicap qu'ont les Nations unies, qu'avait le Secrétariat général à l'époque - j'espère que les choses se sont améliorées -, à savoir l'absence de réel service de renseignement.

Les Nations unies ont des troupes sur place, le HCR et des observateurs qui peuvent rendre compte, mais il n'y a pas de possibilité d'écoutes radiophoniques des différents ordres d'une armée, ni d'observations satellitaires, ce qui est très important. A l'époque, il n'y avait guère que les Etats-Unis qui pouvaient disposer de ces informations par satellite. Mais vous savez que les Etats-Unis donnent ces informations à leurs alliés au moment et de la façon dont ils estiment que c'est utile, c'est-à-dire plus ou moins complètement. C'est la règle du jeu, mais là aussi, de temps à autre, il y a des déficits d'information, en tout cas au niveau du Secrétariat général.

La troisième source d'information, ce sont les collègues, les autres ambassadeurs qui ont des informations et se les communiquent. A force de travailler ensemble, il existe entre les ambassadeurs, notamment des pays membres permanents du Conseil de sécurité, un certain degré de confiance, par conséquent on se transmet des informations. J'en recevais beaucoup de l'ambassadeur d'Angleterre, les diplomates anglais ayant l'avantage sur nous, diplomates français, que l'information circule beaucoup plus vite chez eux car elle circule non seulement verticalement, mais aussi latéralement. A titre d'exemple, lorsqu'il y a un compte rendu suite à une conversation entre ministres, le preneur de notes transmet le compte rendu directement, immédiatement et sous sa responsabilité, sans le soumettre aux différents interlocuteurs. Ainsi, dans l'heure qui suit, la plupart des ambassadeurs concernés, dont l'ambassadeur d'Angleterre, reçoivent l'information, ce qui leur assure un avantage certain.

Je vous ai expliqué cela avec quelques longueurs, ce dont je vous prie de m'excuser, pour préciser exactement la situation du représentant permanent à New York. Il est bien informé, mais il y a des lacunes. C'est la raison pour laquelle je répondrai aux questions qui, essentiellement, porteront sur New York, sur ce qui s'est passé à New York, l'environnement de New York, ce que l'on pouvait savoir étant à New York.

La seconde observation, c'est que pour la mission permanente de la France à New York, Srebrenica n'était pas, et de loin, au premier plan des préoccupations parce que c'était essentiellement Sarajevo, la zone où étaient localisés les soldats français. C'est là qu'ils essayaient d'accomplir leur mission, qu'éventuellement ils étaient tués. C'est donc la situation que je suivais en priorité, en liaison avec Kofi Annan, alors chef du Département des opérations de maintien de la paix.

La chute de Srebrenica a eu, au Conseil de sécurité, un grand retentissement car c'était la première fois qu'une zone de sécurité était envahie par l'armée serbe, au mépris de toutes les résolutions pertinentes du Conseil de sécurité, et tombait. L'existence de massacres ne sera connue qu'un certain temps après, le 10 août. Madeleine Albright, alors représentante des Etats-Unis auprès du Conseil de sécurité, fait état, devant le Conseil de sécurité mais en réunion informelle, dans la petite salle, d'indications, tirées notamment de photographies de satellites, montrant qu'il y a des charniers et que quelque chose s'est passé.

Au début de septembre, dans un rapport au Conseil de sécurité, le Secrétaire général évoque la possibilité de massacres à Srebrenica, et une enquête est ouverte. Le 11 octobre, le Secrétariat général rend compte de l'absence de progrès dans cette enquête, portant sur le sort des 8 000 hommes. Enfin, le 29 novembre - c'est vous dire à quel point les choses vont lentement - un rapport du Secrétaire général confirme l'existence de massacres sur une grande échelle.

A New York, au moment où j'y étais et où cela se passait, à mon niveau, il était difficile d'avoir des informations officielles, voire officieuses, sur l'existence de massacres. La question immédiate qui se pose est la suivante : Pouvait-on prévoir ces massacres ? Selon moi et dans l'état actuel de ce que je connais, la réponse est négative.

Je voudrais faire une digression, à ce sujet. La notion de nettoyage ethnique est la traduction d'un concept anglo-saxon « Ethnic Cleansing » qui, comme un certain nombre de concepts anglo-saxons, est ambigu et vague. Nettoyage ethnique peut vouloir dire plusieurs choses. Cela peut vouloir dire déplacement de population. On crée des ensembles ethniquement homogènes, on envoie une minorité rejoindre, au-delà des frontières, le groupement principal de son ethnie ou de son peuple. Ce sont des procédés dont le XXe siècle n'a pas été avare.

Nettoyage ethnique peut aussi vouloir dire déplacement de population avec, ce que l'on appelle pudiquement, des exactions, c'est-à-dire des meurtres et des viols. Cela peut vouloir dire déplacement de population avec des massacres, c'est-à-dire des meurtres sur une grande échelle. Cela peut enfin vouloir dire des massacres, c'est-à-dire la solution définitive, on tue les gens sur place, on ne les déplace pas.

Au début de l'assaut contre Srebrenica, je vous rappelle qu'on ne savait pas si les Serbes allaient vraiment continuer, c'est-à-dire prendre toute la zone de sécurité ou bien s'ils menaient une opération ponctuelle destinée, par exemple, à nettoyer le secteur des troupes bosniaques qui s'y trouvaient. Au début de l'opération, il me semble qu'il était difficile de prévoir qu'il y aurait des massacres de cette ampleur. Il était logique et cohérent de penser qu'il y aurait des déplacements de population, accompagnés de meurtres et de viols, parce que c'était généralement ce que les Serbes faisaient. Mais aller plus loin, il aurait fallu, à ce moment-là, disposer d'interceptions d'ordres, de quelque chose de concret, évidemment pas d'ordres écrits parce que, dans ces circonstances, il n'y a jamais d'ordre écrit, mais de quelque chose d'assez tangible permettant de penser que les Serbes avaient décidé d'aller plus loin que ce qu'ils faisaient généralement.

En d'autres termes, Monsieur le Président, et ce sera ma conclusion, je pense qu'il faut se garder de la tentation de reconstruire la marche des événements a posteriori, c'est-à-dire que sachant comment l'opération a tourné et quelles ont été ses conséquences, en déduire qu'on pouvait prévoir ces conséquences dès le début. Je crois encore une fois qu'à moins d'avoir ces éléments précis que j'évoquais, il n'était pas possible de le faire. Voilà ce que je souhaitais dire dans mon introduction. Je suis prêt maintenant à répondre à vos questions.

Le Président François Loncle : Merci beaucoup, Monsieur l'Ambassadeur. Je vais donner la parole immédiatement à notre co-Rapporteur.

M. François Léotard, Rapporteur : J'ai quatre questions à vous poser. La première porte sur la réunion du Conseil de sécurité du 24 mai, réunion au cours de laquelle le général Janvier est venu déposer. Nous sommes là environ deux mois avant le drame. Le général Janvier a évoqué notamment deux hypothèses, le durcissement du mandat et l'éventuel abandon des zones de sécurité. Etes-vous intervenu vous-même ce jour-là et sur quelles instructions ? Pouvez-vous vous souvenir de ce qu'était la position du Quai d'Orsay et de sa liaison avec le ministère de la Défense et l'ONU, pour savoir si ces deux hypothèses - le durcissement du mandat et l'abandon éventuel des zones de sécurité - avaient votre assentiment et celui de la diplomatie française ?

La deuxième question est plus vaste. Dans tous les débats qui ont eu lieu au Conseil de sécurité sur les zones de sécurité, la protection des civils a-t-elle été une des interrogations ? Nous avons été très étonnés de voir que, dans un télégramme du général Janvier ainsi que de Kofi Annan, l'adjectif « secondary » est utilisé pour parler de la protection des civils. Il dit explicitement que le rôle des forces intervenant sur le terrain est d'abord de se protéger elles-mêmes, la protection des civils étant qualifiée de secondaire. Avez-vous eu des débats sur ce sujet ? C'est quand même quelque chose d'assez préoccupant, car le message donné par la zone de sécurité à ces populations était un message de protection.

La troisième question concerne votre jugement sur le mélange très complexe chapitre VI et chapitre VII, tout au long de la crise. En d'autres termes, on fait des résolutions chapitre VI, mais la situation sur le terrain est chapitre VII et, quelquefois, certaines résolutions sont chapitre VII. En votre qualité de diplomate et d'expert de l'Organisation des Nations unies, et au travers du rapport de Kofi Annan qui reconnaît aussi cette complexité, quelle est votre analyse ? Etiez-vous plutôt pour l'application du chapitre VII ? Par ailleurs, ne pensez-vous pas qu'une confusion est née dans les instructions données aux uns et aux autres ?

Enfin dernière question, elle vient de votre propos liminaire, je suis très frappé que vous n'ayez eu connaissance que le 10 août, soit un mois après, de la réalité des massacres. Vous le dites, c'est bien sûr pour nous argent comptant, mais je suis très frappé de cela. N'y avait-il aucun élément d'information, entre le 11 juillet et le 10 août, parvenant à New York sur l'assassinat de plusieurs milliers de civils ? C'est tout à fait inquiétant.

M. Jean-Bernard Mérimée : Sur la première question, c'est-à-dire la réunion du Conseil de sécurité du 24 mai devant laquelle le général Janvier a rendu compte de ce qui se passait et de ce qu'il proposait de faire, étant donné les difficultés auxquelles se heurtait la mission qui avait été confiée aux troupes des Nations unies par le Conseil de sécurité, le général Janvier a effectivement proposé les deux options dont vous faisiez état.

Pour autant que je me souvienne, j'ai pris la parole pour, en tout cas, soutenir le général Janvier dans le propos qui était le sien, à savoir de dire que cela ne pouvait pas continuer ainsi. Il était clair que ce général et les troupes qu'il commandait étaient dans une situation intenable, impossible : un mandat relativement vague et des moyens très limités.

Je rappelle qu'à ce moment-là et sous le Gouvernement de l'époque, il n'était pas question de faire la guerre aux Serbes. D'ailleurs, ce n'était pas uniquement pour le Gouvernement français que cette limite était posée. D'une façon générale, tous les Gouvernements qui avaient des troupes sur place ne souhaitaient pas s'engager dans une véritable guerre, avec une armée serbe bien équipée et bien entraînée. On n'était pas là pour cela.

De leur côté, les Américains étaient effectivement tout à fait d'accord pour se battre jusqu'au dernier soldat de l'ONU et jusqu'au dernier centime des contributions qu'ils ne payaient pas. Mais les pays contributeurs de troupes qui étaient sur place - et nous avions à l'époque un contingent très important - ne tenaient pas tellement à s'engager dans des actions qui auraient été des actions de guerre et qui, inévitablement, auraient été dirigées contre les Serbes.

Cet entraînement était souhaité par le côté bosniaque. En effet, tout le jeu du Gouvernement bosniaque - jeu légitime d'ailleurs - était d'entraîner et les Nations unies et l'OTAN à prendre partie, sinon ils ne pouvaient pas vaincre les Serbes. D'ailleurs, la suite de l'histoire l'a montré. A partir du moment où l'état d'esprit et le Gouvernement français ayant changé, il y a eu volonté d'en découdre, ce que traduisait l'envoi des canons de 155, les fortes ripostes et les bombardements, la situation a fondamentalement changé, et les Serbes ont dû reconnaître leur défaite.

Mais ce n'était pas le moment où commandait le général Janvier. Le général Janvier était ligoté par un certain nombre de considérations, ses mandats imprécis, les recommandations des Gouvernements dont les troupes étaient sur place et qui souhaitaient assurer la sécurité de leur personnel. Il était donc venu devant le Conseil de sécurité pour indiquer que cela ne pouvait pas durer. Il me semble me souvenir qu'à ce moment-là, je l'avais appuyé pour dire qu'effectivement il convenait de faire quelque chose, d'y réfléchir. Les deux hypothèses sont également peu agréables : difficile de se retirer et, avec un mandat plus dur, on franchit un pas. Néanmoins, on ne pouvait pas rester dans la situation actuelle.

Concernant la protection des civils, à savoir si elle a été considérée, au niveau du Conseil de sécurité, comme secondaire, je crois qu'on ne peut pas dire que cela a été le cas, en tout cas au niveau du Conseil de sécurité. La meilleure preuve en est que des zones de sécurité ont été créées par le Conseil de sécurité, sur l'initiative de l'Ambassadeur du Venezuela. Tous les pays non-alignés voulaient absolument intervenir, faire quelque chose pour protéger les Bosniaques, etc.

M. François Léotard, Rapporteur : Plus qu'à l'initiative de la France ?

M. Jean-Bernard Mérimée : Je vous parle de tout à fait au début. C'est une idée qui a été lancée et que la France a repris. Ce n'était pas l'ambassadeur du Venezuela qui pouvait la faire aboutir. Ce concept des zones de sécurité était destiné à protéger les civils. Il est évident que les différents Gouvernements n'y sont allés qu'avec réticence, car tout le monde se rendait bien compte que ces zones de sécurité étaient là aussi une formule ambiguë, difficile à mettre en _uvre.

Si c'étaient des zones qu'il fallait défendre à tout prix, isolées de toute opération militaire, cela demandait des moyens, que tout simplement les différents Gouvernements ne voulaient pas fournir.

Il me semble que Boutros Boutros-Ghali avait demandé 36 000 hommes de plus, à l'époque. C'était donc un effort très important qu'encore une fois, tout le monde n'était pas prêt à faire, surtout ceux qui faisaient déjà l'essentiel de l'effort, c'est-à-dire les Français et les Anglais. Les zones de sécurité ont donc été décidées un peu à contrecoeur par le Conseil de sécurité, mais précisément parce qu'on pensait, au Conseil de sécurité, qu'on ne pouvait pas faire abstraction de la sécurité de la protection des civils, et qu'il fallait faire quelque chose, même si c'était très imparfait.

Je ne savais pas que le général Janvier avait utilisé cet adjectif « secondary », c'est possible, mais il ne m'a jamais donné, dans ses dépositions, l'impression que pour lui, cela n'avait pas d'importance. Cela étant, pour un chef militaire sur le terrain, une des préoccupations essentielles est la sécurité de ses hommes.

S'agissant du mélange des résolutions sous chapitres VI et VII, il y a eu effectivement là une incohérence assez remarquable. Les résolutions 819 et 824 sur la création des zones de sécurité ne sont, sous le chapitre VII, que pour ce qui concerne la sécurité des personnels de l'ONU et pas la sécurité des civils. En d'autres termes, il n'y avait pas de concept d'imposition de la force pour la protection des zones de sécurité lorsque ces zones de sécurité ont été créées par le Conseil de sécurité.

Toutes les résolutions du Conseil de sécurité ont force obligatoire, mais simplement celles sous le chapitre VI ne peuvent pas être appliquées par la force s'il y a réticence à les appliquer et celles du chapitre VII peuvent l'être, d'où la gravité de l'invocation du chapitre VII devant le Conseil de sécurité. Cela signifie que, si les parties en question ne veulent pas obéir au Conseil de sécurité, on peut prendre tous les moyens -coercition, blocus, moyens militaires, etc.- pour les amener à résipiscence. Mais la plupart des résolutions passées à l'époque étaient effectivement sous chapitre VI, ou chapitre VII lorsqu'il s'agissait de la sécurité des personnels. Il est exact que cela entraînait un certain flou sur le mandat et ne rendait pas les choses très faciles à gérer.

Votre dernière question est de savoir si, de juillet à août, on n'a vraiment eu aucune information précise sur les massacres. Je peux dire qu'à mon niveau, non. Pour être totalement exact, j'étais parti en vacances quelque temps, à partir du 5 ou 6 août, mais non, il n'y avait aucune information précise. J'essaie de me rappeler mes conversations avec Madeleine Albright. Il y avait quelques soupçons, bien entendu, parce qu'on voyait qu'étaient arrivés les femmes et les enfants, mais pas les hommes en état de porter les armes. Il devait donc se passer quelque chose. Mais ces hommes étaient-ils dans des camps, prisonniers quelque part, ou étaient-ils tués ? En tout cas, je précise de nouveau, pour ce qui me concerne, je ne le savais pas.

M. François Lamy, Rapporteur : J'aurais également quatre questions, la première question d'ordre général. Vous avez évoqué le changement de Gouvernement et de Président de la République. A votre niveau, avez-vous senti un véritable changement d'orientation, en ce qui concerne le conflit yougoslave, et comment cela s'est-il traduit, y compris en termes de demandes du Quai d'Orsay vis-à-vis de vous ? Concrètement, avez-vous senti un changement net entre la période que vous avez vécue de mars 1991 à mai 1995 et la période mai et août 1995 ?

Ma deuxième question concerne cette fameuse rencontre entre le général Janvier et le général Mladic, le 4 juin 1995. Le général Janvier a envoyé un fax de compte rendu au Secrétariat général des Nations unies. Je voulais savoir si vous en aviez eu connaissance et si vous aviez eu l'occasion d'en discuter, soit avec les autres ambassadeurs du Conseil de sécurité ou avec le Secrétariat général de l'ONU.

Troisième question, vous avez parlé des nombreuses exactions et de la politique de nettoyage ethnique en Yougoslavie, en disant fort justement qu'il était logique, à partir du moment où il y avait action militaire, qu'il y ait eu forcément des déplacements de population. J'ai déjà posé plusieurs fois cette question, notamment aux responsables politiques. Quel était l'état d'esprit de vos homologues aux Nations unies concernant la chute de Srebrenica ? En d'autres termes, on ne pouvait pas prévoir qu'il y aurait un massacre organisé ; en revanche, on pouvait bien prévoir qu'il y aurait des déplacements de population. Est-ce qu'en fait cela n'arrangeait pas tout le monde ? On savait très bien que ces enclaves étaient peu défendables et qu'en plus, elles étaient un obstacle à un aboutissement d'une négociation politique avec les Serbes et que, après tout, la chute de Srebrenica pouvait finalement un peu arranger tout le monde.

Quatrième question. A votre niveau, y a-t-il eu, sur instruction du quai d'Orsay, des discussions avec vos partenaires sur une éventuelle reprise de l'enclave, après le 11 juillet ?

M. Jean-Bernard Mérimée : Je vais essayer de répondre à vos questions. Pour ce qui est du changement d'orientation, après le changement du Président de la République, la réponse est oui. Il y a eu un changement d'orientation très net. Le nouveau Président, M. Chirac, a immédiatement fait connaître sa volonté de ne pas laisser humilier l'armée française et les troupes de l'ONU, et donc de riposter énergiquement. Cela a été la fameuse reprise du pont, à un moment donné, puis surtout la création de la Force de réaction rapide, après le sommet de Halifax.

J'ai constaté, à partir de ce moment-là, que les choses avaient changé. C'était très clair. Il fallait répondre et ne pas hésiter à engager le combat si on était provoqué. Il fallait mettre en action tous les moyens militaires dont on pouvait disposer pour accomplir le mandat de l'ONU. C'est l'état d'esprit qui a changé d'une façon importante.

Je vous ai dit auparavant que, jusque-là, il ne s'agissait pas de faire la guerre aux Serbes. Après, dans la mesure où les Serbes provoquaient, on pouvait faire la guerre aux Serbes, non pas engager une guerre au sens plein du terme, mais s'il y avait action militaire des Serbes, répondre de la même façon et répondre même avec beaucoup d'énergie et des moyens ultra-puissants. Cela est clair. J'en ai eu tout de suite la répercussion, ne serait-ce que par le genre de résolutions qu'on m'a demandé de faire adopter, la première étant celle qui a créé la Force de réaction rapide.

Pour ce qui est de la rencontre entre le général Janvier et le général Mladic et le fax qui a été envoyé au Secrétaire général des Nations unies, je n'ai pas souvenir. Je ne peux pas témoigner en disant qu'on n'en a pas parlé. Je dis simplement que je n'en ai pas de souvenir pour l'instant, mais cela me reviendra peut-être. Autant je vois bien le général Janvier devant le Conseil de sécurité, autant là cela ne me dit rien.

Le Président François Loncle : Je vous interromps. Que vous ne vous souveniez pas du télégramme du général Janvier, on peut le comprendre. Mais aviez-vous entendu parler à un moment quelconque, et par d'autres, d'une éventuelle négociation otages contre absence de frappes ?

M. Jean-Bernard Mérimée : Pas au niveau du Conseil de sécurité. Je n'en ai pas entendu parler à ce moment-là.

Le Président François Loncle : Mais n'aviez-vous pas des informations venant de France ?

M. Jean-Bernard Mérimée : Je n'avais pas d'informations venant de France à ce sujet. Je ne dis pas que cela s'est déroulé ou pas déroulé, je n'en sais rien. Je dis simplement que, pour ce qui est de moi-même au Conseil de sécurité, je n'en avais pas connaissance.

La chute de Srebrenica a eu un grand retentissement, car c'était la première fois qu'une zone de sécurité tombait. C'était un défi aux Nations unies, donc au Conseil de sécurité qui avait adopté les résolutions créant ces zones de sécurité.

Concernant les déplacements de population et le fait de savoir s'ils n'arrangeaient pas tout le monde, encore une fois, il faut distinguer ce qui se passe avant et après, et le résultat de ce qui s'est passé. Ce qui se passe avant, là non plus, dans mes conversations avec les ambassadeurs d'Angleterre, des Etats-Unis, et même M. Sacirbey, l'ambassadeur de Bosnie, qui était extraordinairement actif, il n'en est pas question. Mais il est vrai que Sacirbey disait tellement de choses qu'on en prenait et qu'on en laissait. Il faisait flèche de tout bois, c'était un excellent représentant de son pays, mais très souvent, il en rajoutait. Donc on attendait confirmation de ce qu'il disait.

Les déplacements de population, une fois qu'ils ont été faits, ont peut-être arrangé les gens, mais était-ce un élément de certaines négociations qui aurait amené au fait que Srebrenica devait être abandonnée sans combat, pour ma part, je ne le pense absolument pas. Il est certainement curieux - et on s'est posé la question - de savoir pourquoi le Gouvernement bosniaque, qui avait des forces sur place, n'a pas défendu Srebrenica. C'était une question que l'on pouvait se poser. Mais la disproportion des forces en présence, néerlandaises d'une part, serbes de l'autre, était telle que l'on ne pouvait pas songer à blâmer les gens de ne pas s'être battu jusqu'au dernier soldat.

Y a-t-il eu des discussions sur la reprise de l'enclave ? Oui, je me souviens très bien de consultations avec Madeleine Albright notamment, les principaux ambassadeurs concernés, le Groupe de contact plus l'Italie. Là, il y a eu une grosse discussion, et le résultat unanime, après la discussion, était qu'il n'était pas possible de reprendre Srebrenica par la force. Même le représentant américain, Madeleine Albright, qui à l'époque était très allante - qui l'a toujours été d'ailleurs - et préconisait des solutions de vigueur, robustes comme elle disait, a fini par admettre qu'il n'était pas possible de reprendre Srebrenica.

M. François Lamy, Rapporteur : Quelles étaient vos instructions à ce moment-là du Quai d'Orsay ? Quel est le point de vue que vous avez défendu ?

M. Jean-Bernard Mérimée : C'était qu'on ne pouvait pas laisser faire les choses et que la France était disposée à mettre tous les moyens à sa disposition pour, si l'ensemble des Gouvernements concernés en décidaient ainsi, faire une action militaire visant éventuellement à reprendre Srebrenica. Mais le consensus général a été qu'il n'était pas possible de le faire. La France avait aussi une position très allante. J'ai dit, mais je ne me souviens plus des termes exacts : La France, pour sa part, est disposée à mettre tous les moyens dont elle dispose si une telle action devait être décidée.

Le Président François Loncle : Vous avez, à juste titre, évoqué le virage dans la politique française, survenu au moment de mai 1995. N'y a-t-il pas un paradoxe entre le fait de dire qu'on va faire la guerre aux Serbes et que la catastrophe se produise deux mois plus tard ?

Par ailleurs, tout au long des discussions que vous avez eues sur le concept de zone de sécurité aux Nations unies -le terme même d'enclave est évocateur de beaucoup de dangers- ces zones de sécurité voulues par la France, suggérées par d'autres, n'étaient-elles pas finalement une fausse bonne idée ? Au long de cette période, ne s'est-on pas posé la question des pièges que pouvaient constituer ces zones de sécurité ?

M. Jean-Bernard Mérimée : Vous avez parlé de paradoxe entre l'attitude vigoureuse du Gouvernement français et le fait que Srebrenica soit tombée. Il n'y a pas de paradoxe si l'on considère le déroulement des opérations, c'est-à-dire que les choses se sont passées très vite. Il n'y a presque pas eu de temps pour réagir. Les théâtres d'opération n'étaient quand même pas immenses. Srebrenica est tombée très vite, et ensuite il a fallu savoir ce qu'il fallait faire pour réagir à cette action.

C'est alors que la France s'est, comme je l'ai indiqué, dite disposée à mettre en _uvre tous les éléments qu'elle pouvait avoir pour une action militaire destinée à reprendre Srebrenica. Mais encore une fois, si mes souvenirs sont exacts, la Force de réaction rapide n'était pas, à l'époque, totalement opérationnelle. Elle n'était pas parvenue sur le théâtre des opérations, il y a eu beaucoup de difficultés pour traverser le territoire croate. La zone de sécurité se trouvait réduite, pour sa défense, aux forces néerlandaises. Cela s'est passé très vite, et il n'y a eu pas le temps de concentrer les troupes et d'essayer de défendre la zone de sécurité.

Vous dites que ce concept de zone de sécurité pouvait apparaître comme une bonne fausse idée. Je suis tout à fait de votre avis. C'est d'ailleurs ce que le Conseil de sécurité a ressenti parce que si on fait quelque chose pour protéger les opérations civiles, si on crée des enclaves afin d'assurer une certaine sécurité, afin que la guerre ne pénètre pas jusque là, il faut avoir les moyens de faire appliquer ces dispositions prises. Or cela a toujours été le grand drame, au cours de ce conflit. On a demandé aux Nations unies de faire beaucoup plus que ce que ne permettaient les moyens qu'on mettait à leur disposition.

Vous savez très bien que lorsqu'on dit que les Nations unies ont fait ceci ou cela, ou qu'il y a vraiment une déficience des Nations unies dans telle ou telle affaire, ce ne sont pas les Nations unies, ce sont essentiellement les Gouvernements composant les Nations unies qui veulent ou qui ne veulent pas mettre à leur disposition des moyens financiers ou militaires. Ensuite, l'opération peut être menée avec quelques imperfections par le Secrétariat général et le système militaire des Nations unies, mais essentiellement les Nations unies, qu'est-ce que c'est sinon l'agglomération des Etats qui les composent.

Mme Marie-Hélène Aubert : Je souhaitais revenir sur la réunion du 24 mai du Conseil de sécurité, devant laquelle le général Janvier s'est exprimé. Vous avez évoqué, de façon assez floue, ce qui a été dit à ce moment-là. Existe-t-il un compte rendu de cette réunion du Conseil de sécurité et est-il possible de l'obtenir ? Par ailleurs, pouvez-vous être plus précis sur ce qu'a dit et proposé le général Janvier et ce que vous, vous aviez comme instructions ? Quelle était la position de la France sur l'avenir des zones de sécurité, le regroupement des forces de la FORPRONU, le renforcement du mandat ? A l'issue de cette réunion, des décisions ou des perspectives de décision ont-elles été prises ? J'aurais aimé avoir des précisions sur cette réunion.

Le Président François Loncle : Je souhaite intervenir. Nous sommes demandeurs de ce compte rendu, et les lettres que nous adressons, par l'intermédiaire de M. Guéhenno, aux Nations unies sont en cours. Nous avons reçu des documents hier, mais nous ne sommes pas satisfaits de l'ensemble, c'est-à-dire qu'il nous manque encore des pièces et qu'il faut réécrire sur un ton plus ferme. Nous avons reçu les documents suivants : rapport de la mission du Conseil de sécurité d'avril 1993, mémorandum de la France du 19 mai 1993, rapports du Secrétaire général en date du 9 mai 1994 et du 30 mai 1995, procès-verbal de la réunion du Conseil de sécurité du 12 juillet 1995 et lettre du 13 juillet 1995 du chargé d'affaires de Bosnie-Herzégovine. Mais nous n'avons pas le compte rendu du 24 mai par exemple, et il nous manque d'autres pièces.

Ce matin même, j'ai signé une lettre pour demander à nos interlocuteurs des Nations unies, en particulier nos interlocuteurs français, d'essayer d'être plus généreux. Nous sommes confiants.

Mme Marie-Hélène Aubert : Ma deuxième question concerne un mémorandum que la France a remis au Groupe de contact le 26 mai, là aussi en faisant un certain nombre de propositions sur le regroupement de la FORPRONU, sur l'avenir des deux zones de sécurité, en particulier celle de Srebrenica. Pouvez-vous nous donner des précisions sur ce point ? Globalement, quelles étaient les instructions officielles que vous aviez de la France sur ces questions ?

Enfin, lors de la chute de Srebrenica, si je me réfère à un compte rendu d'une réunion du Conseil de sécurité du 12 juillet, je suis étonnée qu'il n'y ait eu aucune discussion ou inquiétude sur le sort des populations civiles et de ces milliers d'hommes disparus. Notamment les représentants hollandais nous ont fait part d'envois d'observateurs, de propositions. Il y avait tout de même une inquiétude. Il y avait aussi des témoignages manifestes qui remontaient de militaires, d'ONG ou de civils, faisant état de massacres et d'exactions. Je ne comprends pas que personne n'en ait parlé au Conseil de sécurité, que cela n'ait pas été évoqué et qu'aucune initiative n'ait été prise. Cela paraît difficilement imaginable.

M. Jean-Bernard Mérimée : Je voudrais faire une incidente. Vous parliez de la réunion du 12 juillet du Conseil de sécurité. Cela me revient en mémoire, le 12 juillet, la résolution 1004 a été adoptée. Au cours de cette séance, j'ai pris, au nom de la France, une position qui était que nous préconisions de reprendre la zone par la force et nous étions prêts à le faire, si le Conseil de sécurité nous en donnait le mandat. C'est la position qu'a prise la France, au cours de cette réunion du 12 juillet du Conseil de sécurité.

Pour ce qui est du compte rendu de la séance du Conseil de sécurité devant lequel s'est exprimé le général Janvier, ce compte rendu existe et vous le recevrez sûrement, mais ce n'est pas en mon pouvoir de vous le donner.

Quels ont été les propos du général Janvier lors de cette réunion ? Ai-je des souvenirs plus précis que ce que j'ai dit ? Le général Janvier a essentiellement fait un constat d'échec : « Il n'y pas de progrès politique parce qu'il n'y a pas de coopération des parties ; les opérations militaires continuent ; la situation de la force de protection des Nations unies se dégrade ; par conséquent, la situation ne peut pas durer. Il faut qu'il y ait retrait -que l'on pouvait envisager- ou bien réduction des forces et redéploiement sur des missions clairement définies. En d'autres termes, on ne peut pas tout faire, on n'a pas suffisamment de moyens. Le Conseil de sécurité doit me dire, d'une façon précise et plus limitée, ce que je dois faire. »

Il y a eu des considérations sur la force de protection des Nations unies. Le général Janvier estimait qu'elle était l'enjeu du combat entre les parties, qu'elle était utilisée par elles comme otage, soit otage potentiel par les Serbes et bouclier par les Bosniaques, que les zones de sécurité servaient de base arrière aux troupes bosniaques qui, a-t-il dit, étaient en nombre suffisant pour les défendre. Il estimait que, dans ces conditions, il était très difficile, aux forces des Nations unies, de défendre militairement les zones de sécurité, car cela n'aurait pas manqué d'apparaître, dans la mesure où elles servaient de base arrière aux troupes bosniaques, comme une intervention en faveur des Bosniaques, comme une prise de position, comme une espèce d'entrée dans la guerre qui, de toute façon, allait excéder le mandat qui avait été donné aux Nations unies par le Conseil de sécurité.

Voilà essentiellement ce qu'a dit le général Janvier. Pour ma part, j'ai insisté, comme je l'ai dit, sur le fait que j'appuyais le général Janvier dans son propos consistant à dire qu'il n'était pas possible de continuer avec une telle situation. Ensuite, la discussion s'est engagée sur le fait de savoir ce qu'il convenait de faire. Il était difficile de se retirer, mais d'un autre côté, beaucoup de Gouvernements concernés n'étaient pas favorables au fait de renforcer le mandat des Nations unies et de changer la disposition des choses sur le terrain. Encore une fois, le Conseil de sécurité, divisé, ne sachant trop que faire, s'est réfugié dans le statu quo.

Mme Marie-Hélène Aubert : Aviez-vous des instructions précises émanant d'institutions politiques de la France sur ce point de défendre soit le renforcement des moyens militaires pour que la protection de l'enclave soit assurée, soit à l'inverse, de prévoir un retrait ?

M. Jean-Bernard Mérimée : Je ne me rappelle pas avoir eu des instructions extrêmement précises sur ce qu'il convenait de faire, sinon d'appuyer l'analyse du général Janvier disant que la situation n'était pas satisfaisante.

Mme Marie-Hélène Aubert : Il n'y avait donc pas de propositions de la France à ce sujet ?

M. Jean-Bernard Mérimée : Il a dû y avoir quelque chose, mais je ne m'en souviens pas précisément parce que, encore une fois, à ce moment-là, la position du Gouvernement français n'était pas une position tranchée. Elle était d'essayer de faire quelque chose, mais de ne pas s'engager dans un conflit. Fatalement, dans ce genre de situation, vous ne pouvez pas procéder par grandes décisions définitives et tranchées.

Pour ce qui est de votre difficulté à croire que le Conseil de sécurité ne pouvait absolument pas se douter de ce qui se passait, c'est-à-dire des massacres, en fait de ce qui s'était passé car les massacres avaient eu lieu, c'est ainsi. Ce n'est pas tellement étonnant quand vous vous replacez dans les conditions de l'époque.

Comme je vous l'ai dit, les ambassadeurs qui composent le Conseil de sécurité ont plusieurs sources d'information, mais étant donné que les Nations unies sont un lieu où courent toutes les rumeurs, où toutes les désinformations sont mises en oeuvre, les ambassadeurs sont obligés de ne se fonder que sur des éléments précis et des informations impartiales.

Je ne dis pas que les informations venant d'ONG ou d'observateurs sur place soient partiales, mais elles doivent être confirmées, à un moment donné, par une enquête d'une institution en laquelle, par définition, nous avons confiance à l'ONU, c'est-à-dire le Secrétariat général. Autrement, on peut croire une personne ou une autre, elles disent des choses différentes. A qui faut-il se fier ? Ce n'est pas évident, et il faut se rendre compte aussi de la confusion sur le terrain.

Comme je l'ai dit, qu'il y ait eu des meurtres et des viols, il était évident que cela devait se faire. Mais s'agissant de massacres systématiques, rassembler les gens dans une enceinte, dans un stade et les massacrer, on ne disposait pas d'éléments réels, on ne le savait pas. Ensuite, petit à petit, cela a commencé à transpirer. Je vous ai parlé de la réunion avec Madeleine Albright, mais elle ne nous a fait part de ces informations qu'un mois après, donc voyez le temps que cela a mis, pour ce qui est des Nations unies, avec tous les moyens d'information dont elles disposent, la possibilité de confirmer les rumeurs ou les informations du terrain par des photos satellites. Cela a pris un mois.

Peut-être des gens sur le terrain, des représentants d'ONG par exemple, ont dit que quelque chose se passait. Ils en ont prévenu leurs autorités ou le quartier général qui auraient dû, alors, en rendre compte au Secrétariat général aux Nations unies. Cela s'est peut-être passé, mais en tout cas, ce n'est pas arrivé au niveau du Conseil de sécurité.

Mme Marie-Hélène Aubert : A propos des photos satellites, pensez-vous que les représentants américains disposaient d'informations au moment où cela s'est passé ? En effet, lorsque vous dites que Madeleine Albright vous a transmis des informations qu'elle avait, cela laisse supposer que les Américains avaient des informations.

M. Jean-Bernard Mérimée : Au moment où cela s'est passé, je n'en sais rien. Ses informations se fondaient sur des photos satellites de charniers. S'il y avait des charniers, on pouvait supposer qu'il y avait eu massacres. C'est ce sur quoi cela se fondait. Les Américains ont peut-être eu des informations dans les quinze jours et les ont gardées pour eux, le temps de les vérifier. Rappelez-vous les soi-disant charniers en Roumanie et qui finalement se sont révélés n'être pas des charniers.

Mme Marie-Hélène Aubert : Il y avait quand même eu des précédents.

M. Jean-Bernard Mérimée : Bien sûr. Encore une fois, personne ne pensait que les Serbes étaient des enfants de choeur. On était sûr qu'ils allaient tuer et violer. Mais dans quelle proportion, personne à l'époque, à moins d'être sur place et d'y assister, ne pouvait réellement le dire. Je sais qu'a posteriori, cela peut paraître difficilement croyable, mais telle était la situation.

Le Président François Loncle : Pour vous donner le degré d'information qui pouvait être celui des responsables à New York, le 12 juillet 1995, Madeleine Albright déclarait en conclusion de son intervention devant le Conseil de sécurité : « En terminant, je saisis l'occasion pour féliciter le contingent hollandais qui était auparavant basé à Srebrenica. Les Casques bleus hollandais ont établi une norme en matière de courage et de dévouement envers les civils en Bosnie. On s'en souviendra longtemps. »

M. François Léotard, Rapporteur : Monsieur l'Ambassadeur, vous êtes incontestablement un témoin très privilégié de tout ce qui s'est passé en Yougoslavie, dans le cadre des Nations unies. Il se trouve que, dans la période de votre mandat, la France a été très active au Cambodge, en Somalie, au Rwanda et en Yougoslavie. C'est probablement le pays qui a eu le maximum de forces et qui est le plus intervenu dans des missions à caractère militaro-humanitaire. Ensuite, ce sont successivement deux Français, sauf erreur de ma part, qui ont succédé à Kofi Annan, à la tête du Département des opérations de maintien de la paix, l'actuel étant un de vos collègues, M. Guéhenno.

Ma question s'adresse à la fois à l'ambassadeur et au citoyen d'aujourd'hui. Existe-t-il une doctrine française, à partir de cette expérience très riche de notre pays en ce domaine, qui pourrait contribuer au travail qu'a engagé M. Brahimi et qu'engagent les Nations unies sur ce type d'opération ? Par ailleurs, plusieurs interventions devant notre commission, y compris des ONG, soulignent que c'est peut-être la fin du militaro-humanitaire. Cette succession d'interventions, qui n'ont pas toutes été couronnées de succès, mais dont certaines l'ont été, est peut-être la fin d'une certaine forme d'intervention qui se traduit, d'ailleurs, par un extraordinaire affaissement du nombre de Casques bleus actuellement dans le monde, notamment français. Est-ce votre sentiment en tant qu'expert puisque vous avez vécu toutes ces crises ? Pensez-vous que la France peut développer, auprès des Nations unies, une sorte de doctrine dans ce domaine qui pourrait être utile à la communauté internationale ?

M. Jean-Bernard Mérimée : La France a été très active pendant les années où j'ai eu l'honneur de la représenter au Conseil de sécurité. C'était, à un moment donné, nous qui, de loin, fournissions le contingent le plus important. Nous sommes montés pratiquement à 10 000 hommes à un moment donné, ce qui est remarquable. La raison en était que les Gouvernements français estimaient, à juste titre, qu'il fallait apporter tout l'appui possible aux Nations unies et parce que les Nations unies étaient à peu près le seul instrument international dont on disposait afin de limiter les effets fâcheux -c'est là une litote- des crises qui se développaient partout, en particulier après l'écroulement de l'empire soviétique.

A un moment donné, devant le Conseil de sécurité, Boutros Boutros-Ghali, qui faisait un rapport chaque mois sur l'état des crises qu'avait à gérer le Conseil, nous décrivait l'état de 22 crises. Il y en avait absolument dans tous les coins du monde. C'est ma conviction que les Nations unies, malgré leurs échecs, ont joué un rôle très utile. Si elles n'étaient pas intervenues, on aurait bien vu, à ce moment-là, de quelle façon les choses se seraient réglées, c'est-à-dire qu'il y aurait eu encore plus de massacres que ceux que nous avons connus.

Quelle est la doctrine française ? J'espère qu'il y en a une. Quand je dis je l'espère, c'est parce que j'ai quitté le Quai d'Orsay depuis maintenant un an et demi et que les choses peuvent avoir changé. J'espère que l'on met au point un certain nombre de lignes directrices destinées à encadrer l'action que la France peut avoir en prêtant ses soldats aux Nations unies.

Je pense, personnellement, qu'il faudrait aller plus loin et passer au niveau européen, pour ce qui est de fournir aux Nations unies les moyens militaires, de police et de gendarmerie dont elles ont besoin dans beaucoup d'endroits du monde. Pourquoi au niveau européen ? Parce qu'il n'y a guère que les Européens qui puissent aider les Nations unies d'une façon à la fois efficace et à peu près impartiale.

Les Etats-Unis pourraient le faire, mais le Congrès américain est hostile aux Nations unies et ne veut pas prêter les boys, ne veut pas de pertes, etc. Donc après la Somalie, on ne peut pas compter sur les Etats-Unis, si ce n'est pour des bombardements à très haute altitude et des missiles de croisière. Encore une fois, il n'y a pas de grand amour, au sein du Congrès américain, pour ce que représentent les Nations unies.

Que reste-t-il alors en matière de troupes efficaces et bien équipées ? En effet, quelle que soit la bonne volonté de beaucoup de pays qui envoient des hommes courageux, ils les envoient sans aucun équipement. Il faut même parfois leur fournir des chaussures. Ne reste que l'Europe. On peut imaginer, dans la force européenne qui se constitue petit à petit, disposer d'un petit nombre d'hommes, prêts à une action rapide pour aider les Nations unies en matière d'urgence, tel que prévenir un massacre. Je suis personnellement certain que, si on avait pu envoyer très rapidement au Rwanda 500 soldats professionnels entraînés, on aurait pu arrêter les massacres, mais cela n'était pas possible de le faire dans l'état des troupes des Nations unies qui étaient sur place. J'en suis absolument persuadé. Regardez ce qu'on a fait avec l'opération Turquoise. Il faut peu de monde, mais il les faut très bien entraînés, très professionnels, disposant de tous les moyens et très rapidement. Voilà ce qui est important pour les Nations unies.

Encore une fois, l'Europe pourrait le fournir dans l'avenir, car si ce sont les troupes nationales qui le font, elles sont, pour ce qui est des Européens, immédiatement soupçonnées d'arrière-pensées. Au Rwanda, nous avons été soupçonnés. L'adoption de la résolution autorisant l'opération Turquoise par le Conseil de sécurité a été la plus difficile qu'il m'ait été demandé de faire passer. Tout le Conseil de sécurité était contre, parce qu'on nous soupçonnait de néocolonialisme, de vouloir, à l'occasion de cette opération, revenir en force au Rwanda, refouler des Tutsis, etc.

Par conséquent, ce genre d'accusation ne pourra plus être porté si cela se passe au niveau européen. Ce sera alors beaucoup plus facile, du point de vue politique, d'aider les Nations unies que de le faire à titre national. Je suis, personnellement, tout à fait en faveur d'un partenariat étroit entre les Nations unies, c'est-à-dire la machinerie des Nations unies, et l'Europe, c'est-à-dire la machinerie européenne, la Commission, les différentes institutions de développement humanitaire. C'est dans ce sens qu'il faut travailler.

Je rappellerai encore une fois que les Nations unies sont indispensables, qu'elles ont le savoir-faire et que, par ailleurs, l'Europe a les moyens. Je crois qu'il est de son intérêt et de celui de la communauté internationale qu'elle aide autant que possible les Nations unies.

Ce sont mes réflexions personnelles. Je ne dis pas que ce sont celles du département et du Gouvernement français.

Audition de M. Thierry TARDY,

chercheur en relations internationales, auteur notamment de

La France et la gestion des conflits yougoslaves (1991-1995)

(jeudi 21 juin 2001)

Présidence de M. François Loncle, Président

Le Président François Loncle : Je remercie M. Thierry Tardy pour sa présence. Je rappelle qu'il a écrit un ouvrage très réputé sur la politique de la France dans le conflit en Yougoslavie La France et la gestion des conflits yougoslaves entre 1991 et 1995 : enjeux et leçons d'une opération de maintien de la paix de l'ONU. C'est un ouvrage paru en 1999 dont M. Tardy me disait qu'il faisait suite à une thèse qu'il avait développée à l'université. Cet ouvrage soulève en particulier la question fondamentale de la stratégie suivie par la France et des objectifs de son engagement.

M. Thierry Tardy : C'est pour moi un honneur en tant que chercheur et non en tant qu'acteur des événements qui ont touché la Bosnie, entre 1992 et 1995, d'apporter mon témoignage sur la chute de Srebrenica devant la Mission d'information parlementaire.

Je voudrais préciser que je ne suis pas un expert des Balkans, ni des conflits balkaniques. J'ai consacré ma thèse de doctorat à la politique française des opérations de maintien de la paix de l'ONU, à travers le cas de la Force de protection des Nations unies en Bosnie-Herzégovine, en particulier.

Mon intervention consistera à replacer la chute de Srebrenica dans le contexte général de l'action de la FORPRONU en Bosnie-Herzégovine et de la politique française à l'égard de cette opération. Plutôt que de me concentrer sur le contexte immédiat de la chute de Srebrenica, je voudrais essayer de démontrer, par mon cheminement, que la chute de Srebrenica peut être considérée comme un aboutissement, certes tout à fait tragique et dramatique, mais malgré tout assez logique d'une politique mise en place par l'ONU et par la France, mais également par les autres Etats européens, à partir de 1992 et 1993.

Je voudrais pour cela traiter trois points principaux. Premièrement, la FORPRONU a toujours été une force dont la logique était consensuelle, et son mandat n'a jamais explicitement inclus la protection des populations en Bosnie-Herzégovine. Deuxièmement, les zones de sécurité, créées en 1993, n'ont pas fondamentalement remis en cause la logique générale de la FORPRONU ; le concept de zone de sécurité ne fait pas passer cette force d'une logique consensuelle à une logique coercitive. Troisièmement, le durcissement de la politique française, consécutif à la crise des otages du mois de mai 1995, me semble être une réaction ponctuelle à un événement grave. Il ne traduit pas un changement fondamental de la politique française à l'égard de la FORPRONU et de la logique qu'elle incarne depuis sa création. En conclusion, je reviendrai sur plusieurs points directement liés à la chute de Srebrenica.

S'agissant de mon premier point, la logique générale de la FORPRONU, j'essaierai de vous présenter ce qu'a été la FORPRONU dans sa logique, c'est-à-dire décrire les conditions de sa création et de son fonctionnement.

Avec les conflits qui éclatent sur le territoire de l'ex-Yougoslavie à partir de 1991, les Etats européens en particulier sont confrontés à un contexte politique tout à fait nouveau et problématique. En 1991, on est en période de profonds bouleversements stratégiques sur la scène internationale : c'est la disparition de l'Union soviétique, la période très idéaliste du nouvel ordre mondial, la revitalisation de l'ONU et de son Conseil de sécurité, revitalisation qui doit se traduire dans le domaine du maintien de la paix et de la sécurité internationale, ainsi que dans la création des opérations de maintien de la paix.

En Europe même, en 1991, on est à quelques semaines de la signature du traité de Maastricht qui doit conférer une dimension politique à ce qui est encore la Communauté européenne. Dans ce contexte très général, les conflits en Yougoslavie, à quelques heures d'avion de Paris, Londres ou Bonn, qui sont largement médiatisés, sont perçus par les Européens comme allant à l'encontre d'une certaine conception de l'ordre international, en ce début de la décennie quatre-vingt-dix. Les Etats européens constatent en conséquence que, face à ces conflits, l'abstention n'est pas une option. Il leur est impossible de ne rien faire, de ne pas se saisir, d'une façon ou d'une autre, de ces conflits. Il y a donc une nécessité à agir, sans présager d'ailleurs des formes d'action. Tel est le premier élément de mon raisonnement, la nécessité à agir.

En second lieu, dans cette période de profonds bouleversements, les Etats européens développent une conception de leur politique de sécurité et de défense qui les conduit à envisager, avec une très grande difficulté et réticence, une intervention ou le recours à la force armée là où ils estiment que leurs intérêts nationaux, stratégiques ne sont pas directement ou immédiatement menacés. Dans le cadre de la Yougoslavie, il résulte de cette conception étroite de la sécurité que les Etats européens refusent, de façon systématique, d'envisager de faire la guerre à quelque partie que ce soit en Yougoslavie. Jusqu'au mois d'août 1995, la manière forte, avec tous les risques d'escalade qu'elle contient, n'est pas considérée comme une option satisfaisante de la gestion des conflits yougoslaves. Ce refus de faire la guerre en ex-Yougoslavie est le deuxième élément de mon raisonnement préliminaire.

A ces deux éléments qui cadrent par le haut et par le bas ce que va être l'action des Etats européens, il faut bien sûr ajouter le caractère multilatéral de toute action, lequel conditionne également fortement la nature de la réponse apportée par les Etats européens et par les Etats occidentaux.

C'est dans ce cadre qu'il faut comprendre la FORPRONU comme la réponse des Etats européens aux conflits en Bosnie-Herzégovine, c'est-à-dire comme une action intermédiaire entre une action radicale, la guerre ou l'action forte et décisive qu'aucun Etat européen n'a souhaitée, et l'abstention rendue impossible par le contexte de l'après-guerre froide.

En cela, la FORPRONU constitue un outil palliatif, un minima ratio de l'action, et traduit ce que les Etats sont prêts à entreprendre pour gérer les conflits yougoslaves, mais également ce qu'ils ne sont pas prêts à faire. Par nature, l'opération onusienne, déployée en Bosnie-Herzégovine à partir de l'été 1992, est une opération ambiguë, sans doute inadaptée au conflit à traiter. Elle bénéficie d'un faible soutien politique et relève d'un mandat mal défini, ce qui se traduit, entre autres, par une structure de commandement mal identifiée, donc susceptible de dysfonctionnements graves.

En Bosnie-Herzégovine, les combats ne cessent jamais entre avril 1992 et octobre 1995, contrairement à ce qui s'est passé en Croatie. Le mandat de la Force de protection des Nations unies en Bosnie est donc la protection de l'acheminement de l'aide humanitaire, dans une logique fondée sur le consentement des parties, sur la non-coercition. C'est la logique du chapitre VI de la Charte des Nations unies, et ce en dépit de nombreuses références aux dispositions du chapitre VII de la Charte des Nations unies.

La FORPRONU n'est pas conçue initialement, et ne l'a jamais été, pour régler le conflit en Bosnie-Herzégovine. Elle n'est pas non plus conçue pour protéger les populations par une action armée ou pour s'opposer aux parties dans leur but de guerre. Le règlement politique du conflit, lui, doit être assuré sur le plan diplomatique, notamment au sein des différents forums qui élaborent les plans de paix successifs, qu'il s'agisse de la conférence internationale de l'ex-Yougoslavie ou, à partir de 1994, du Groupe de contact.

Dès lors que cette logique consensuelle palliative de la FORPRONU est en place, la très grande majorité des mesures prises dans le cadre de la gestion du conflit et dans l'évolution du mandat de la FORPRONU ne font que prolonger la logique développée initialement. Jusqu'en septembre 1995, jusqu'à l'opération Deliberate Force, en dépit des discours et des nombreuses résolutions adoptées, il me semble que par rapport à la logique développée initialement aucune mesure ne constitue une véritable rupture et n'est pensée comme telle dans la durée. De cette configuration générale établie en 1992, est exclu de façon systématique le recours à la force tant pour faire cesser les combats que pour protéger les populations sur les territoires de la Bosnie-Herzégovine. Il me semble qu'il existe autour de ces différents points un consensus très large parmi les Etats européens et les intervenants. Ainsi, la structure même de la FORPRONU, la logique qu'elle incarne en 1992, était intrinsèquement porteuse des dérives qui ont suivi.

En ce qui concerne le deuxième point, la création des zones de sécurité qui ne remet pas fondamentalement en cause la logique déjà décrite au sein de la FORPRONU, le contexte de la création de ces zones de sécurité, au début de l'année 1993, est marqué par de fortes offensives serbes et croates respectivement en Bosnie orientale et en Bosnie centrale. Ces offensives rendent très difficile l'acheminement de l'aide humanitaire, c'est-à-dire la mise en oeuvre du mandat de la FORPRONU. Par ailleurs, la liberté de mouvement de la force est également rendue très difficile par une faible coopération des parties. On insiste à ce moment-là de plus en plus sur une certaine impuissance de l'ONU, des Casques bleus, et une certaine forme de discrédit. On souligne de plus en plus l'imprécision du mandat, la lourdeur de la chaîne de commandement et on commence surtout à comprendre le piège que constitue la Force de protection des Nations unies, dans la mesure où la présence même des Casques bleus déployés empêche toute action plus forte et plus décisive. On le verra tout au long du mandat de la FORPRONU.

Dans cette situation à très haut risque, la sécurité des Casques bleus devient progressivement une obsession pour les Etats impliqués, pour le Secrétariat des Nations unies ainsi que pour le Secrétaire général, M. Boutros Boutros-Ghali, pas encore pour M. Yasushi Akashi qui n'est nommé qu'en janvier 1994. Toutefois la sécurité des Casques bleus sera également pour ce dernier une priorité et une obsession. Il en ira de même pour les différents commandants de la FORPRONU ou des forces de paix des Nations unies. Le mandat de la FORPRONU est alors pensé, dans ses évolutions, en fonction de cette obsession de la sécurité, toute évolution de ce mandat étant conditionnée à la sécurité des Casques bleus qui devient progressivement plus importante que l'application même du mandat de la FORPRONU, c'est-à-dire l'acheminement de l'aide humanitaire. D'une façon générale, lorsque le recours à la force est envisagé, comme ce sera le cas à plusieurs reprises par les différentes résolutions du Conseil de sécurité, c'est presque toujours, sinon toujours, afin de permettre l'acheminement de l'aide humanitaire et non pour assurer la sécurité des populations, ou contrer telle ou telle partie dans ses buts de guerre.

C'est dans ce contexte général du début de l'année 1993 qu'il faut analyser la création des zones de sécurité, en rappelant par ailleurs qu'au début du mois de mai 1993, le plan de paix Vance-Owen est rejeté par les Serbes. A ce moment-là, pour les Américains, la solution à l'impasse créée par ce rejet réside dans la levée de l'embargo sur les armes à destination de la Bosnie-Herzégovine et le recours aux frappes aériennes. Ces perspectives sont assez catégoriquement rejetées par les Européens, en particulier les Français, qui s'interrogent sur l'efficacité des frappes, la sécurité de leurs Casques bleus, la chaîne de commandement qui serait activée entre l'ONU et l'OTAN, et la stratégie qui sous-tendrait de telles frappes.

C'est dans ce contexte que la France propose, dans un mémorandum daté du 19 mai 1993, que les zones de sécurité précédemment créées, parce qu'elles existaient depuis l'intervention du général Morillon à Srebrenica, soient sanctuarisées, c'est-à-dire que leur protection soit assurée par une FORPRONU dont le mandat serait modifié en conséquence. On souhaite a priori alors aller au-delà de ce que prévoyaient les résolutions 819 et 824 créant les zones de sécurité. Sur la base de ce mémorandum, le Ministre des Affaires étrangères français précise, dans une conférence de presse du 22 mai 1993 : « Mandat sera donné aux Casques bleus de la FORPRONU dans les zones de sécurité de s'opposer à l'agression. Ce n'est plus la protection des convois humanitaires, mais la protection des populations dans les zones de sécurité ». Ceci est assez clair quant à la volonté de la France de protéger les zones de sécurité.

Le 4 juin 1993, la résolution 836 reste pourtant, après ces engagements et ce discours, relativement ambiguë. Certes, dans les considérants de cette résolution, le Conseil de sécurité est « déterminé à assurer la protection de la population civile dans les zones de sécurité ». Mais la suite de la résolution ne fait plus aucune référence à la protection des populations et est assez ambiguë. On sait et on a constaté, au travers des différentes auditions, toute l'ambiguïté qui a entouré cette résolution.

Voici quelques passages de cette résolution 836 :

« Le Conseil de sécurité décide d'étendre le mandat de la FORPRONU afin de lui permettre de dissuader les attaques contre les zones de sécurité. »

« Le Conseil de sécurité autorise la FORPRONU pour se défendre à prendre les mesures nécessaires, y compris en recourant à la force, en riposte à des bombardements par toute partie contre les zones de sécurité, à des incursions armées ou si des obstacles délibérés étaient mis à l'intérieur de ces zones ou dans leurs environs à la liberté de circulation de la FORPRONU ou de convois humanitaires protégés. »

« Le Conseil de sécurité décide que les Etats membres, agissant à titre national ou dans le cadre d'organisations ou d'arrangements régionaux, peuvent prendre toute mesure nécessaire, à l'intérieur et dans les environs des zones de sécurité de la République de Bosnie-Herzégovine, en recourant à la force aérienne pour soutenir la FORPRONU dans l'accomplissement de son mandat. »

Ceci va donner lieu à la mise en place des deux possibilités de recours à la force aérienne, le soutien rapproché et les frappes aériennes.

Cependant, très vite, après l'adoption de cette résolution, un certain nombre d'opinions très divergentes s'expriment sur le point de savoir s'il s'agit ou non de défendre les populations et sur ce que signifie « dissuader les attaques ou recourir à toutes les mesures nécessaires pour défendre les zones ». Au sein même du Conseil de sécurité nait une polémique entre, d'une part, les pays non alignés qui soutiennent que le terme de sécurité doit inclure la protection des populations et, d'autre part, les pays occidentaux pour lesquels vraisemblablement la protection des populations n'est pas le point central du concept. Ceci est assez bien décrit dans le rapport de Kofi Annan sur la chute de Srebrenica.

Il faut reconnaître que la France adopte, sur ce point, une position assez ambiguë. Ainsi le Ministre des Affaires étrangères, le 8 juin 1993, soit quatre jours après la résolution 836, revient sur cette ambiguïté et déclare dans une phrase importante et très claire : « Il y a une petite ambiguïté qui peut avoir des conséquences importantes. Certains disent que c'est la protection des troupes elles-mêmes, d'autres disent - et je suis parmi ceux-là - qu'à partir du moment où les troupes de la FORPRONU ont pour mission de défendre les populations si elles sont attaquées, les troupes réagissent et donc sont fondées à réclamer la protection aérienne qui leur a été promise ». On a ici une déclaration assez claire. Les déclarations françaises ont été, malgré tout, assez contradictoires dans les semaines qui suivent l'adoption de la résolution 836. Il faut également reconnaître que, sur ce point, la France est relativement isolée et que, dans la pratique, elle ne défend qu'assez mollement le principe de défense des populations au sein des zones de sécurité.

Il est clair que, dans les faits, la protection des populations restera secondaire par rapport à celle des Casques bleus, sans que cela soit véritablement contesté par les principaux Etats impliqués au sein de la FORPRONU. Plus particulièrement, sans parler même de protéger les populations, les moyens déployés pour assurer la mise en _uvre de la résolution 836 ne seront jamais suffisants, ce que décrit le rapport de Kofi Annan. Cette faiblesse de moyens montrera le peu de volonté des Etats à traduire, dans la réalité, les engagements pris dans les instances onusiennes.

Sur le plan politique, aucun Etat, en 1993, n'est encore disposé à faire entrer la FORPRONU dans la logique de l'imposition de la paix. La France et les autres Etats impliqués s'en tiendront à la protection des Casques bleus qui est en soi un objectif. La création des zones de sécurité ne modifie donc pas la logique générale de la FORPRONU, développée à partir de 1992, et s'inscrit même dans cette logique ; les zones de sécurité, de la même façon que la FORPRONU, relèvent de ces mesures palliatives mal pensées, mal définies, très critiquées sur le terrain par les militaires, ne correspondant à aucune véritable stratégie, mais permettant de répondre à une demande d'intervention, à d'éventuelles pressions de l'opinion publique et accessoirement à la France de proposer une voie d'action à un moment où elle était sous pression, suite au rejet du plan Vance-Owen.

La création des zones de sécurité illustre, par ailleurs, de façon tout à fait symptomatique, le décalage qui a existé pendant les trois ans de déploiement de la FORPRONU en Bosnie entre les résolutions du Conseil de sécurité et les engagements qu'elles contiennent, d'une part, et la volonté des Etats membres de mettre en _uvre ces mêmes résolutions, d'autre part. Ceci apparaît de façon tout à fait tragique au moment de la chute de Srebrenica.

Dans un troisième point, traitant du revirement de la politique française avec l'arrivée du Président Chirac, à partir de mai 1995, je souhaiterais relativiser la portée de ce revirement au cours des mois de mai, juin et juillet 1995 ; il ne me semble pas évident que la création de la Force de réaction rapide, début juin 1995, ait traduit une véritable volonté de changer fondamentalement d'approche à l'égard de la gestion des conflits en Bosnie-Herzégovine. Je ne crois pas que l'on puisse opposer, à une certaine passivité ou une passivité supposée de la France face à la chute de Srebrenica, le durcissement de sa politique à partir de mai 1995, comme j'ai pu l'entendre à différentes reprises au cours des auditions précédentes. Avant la crise des otages de la fin du mois de mai 1995, rien ne présageait un changement fort de l'approche française à l'égard du conflit en Bosnie-Herzégovine, que ce soit pendant la campagne électorale qui a précédé l'élection du nouveau Président, ou juste après l'élection du Président.

Le Premier ministre, lors de sa déclaration de politique générale, le 23 mai 1995, confirme que la France poursuivra, dans ses grandes lignes, la politique qui est contenue dans le diptyque qui n'a jamais véritablement changé, c'est-à-dire l'action humanitaire par la FORPRONU, d'une part, et l'action diplomatique au sein des différentes instances diplomatiques, d'autre part.

Il est vrai que la tendance était à un certain durcissement du mandat de la FORPRONU et à son regroupement en Bosnie centrale, notamment à un regroupement très important des Casques bleus autour de Sarajevo, qui avait été initié précédemment par le Premier ministre, Edouard Balladur, et largement motivé par l'obsession de la sécurité des Casques bleus. Certes, le refus du statu quo est exprimé par le Président de la République, mais sans volonté d'entrer dans une logique d'imposition de la paix ou de rompre avec la logique développée précédemment. Le refus du statu quo, exprimé par le Président de la République, concerne moins l'impuissance des forces déployées face à la poursuite des combats que la paralysie de la FORPRONU.

Dans ce contexte du refus du statu quo, mais du maintien de l'approche autour des deux axes FORPRONU et négociation diplomatique intervient la crise des otages, à la fin du mois de mai 1995. De toute évidence, il est indéniable que, lors de la crise des otages, la réaction française rompt initialement avec la politique jusque-là menée. Je ne remets pas en cause ce fait. Cela s'exprime très fortement dans le discours et les actes, telle la reprise du pont de Vrbanja le 27 mai, le fait que les contingents français de la FORPRONU reçoivent l'ordre de « résister à toute agression par tous les moyens disponibles » et avec la création de la Force de réaction rapide (FRR) qui marque la rupture. Dans ces différentes actions, une volonté française est assez fortement exprimée de renationaliser sa politique au détriment d'un cadre onusien considéré comme de plus en plus inadéquat et lourd.

La FRR est créée en deux temps, le 3 juin 1995 et le 16 juin 1995, par la résolution 998 du Conseil de sécurité. Malgré une détermination française assez forte, il convient de reconnaître que son mandat reste relativement imprécis et traduit les hésitations des Etats dont les objectifs respectifs n'apparaissant pas clairement et donnent lieu, du reste, à des interprétations divergentes. Pour la France, si la création de la FRR marque incontestablement un tournant dans son action à l'égard de la gestion du conflit, il apparaît néanmoins qu'une telle évolution ne modifie pas fondamentalement la perception française de ce qu'il est possible et souhaitable de faire en Bosnie-Herzégovine.

Mon propos sera étayé par la prise en compte de quatre éléments. En premier lieu, pour le Président Chirac, la France et les autres Etats européens, la création de la FRR intervient seulement dans le cadre élargi du processus diplomatique en cours que cette force ne doit pas remettre en cause, mais au contraire favoriser. Dès le début de la crise des otages, la France entend en effet mener de front à la fois l'action diplomatique, afin d'obtenir le déblocage des négociations de paix entamées avec Belgrade, et le renforcement de la FORPRONU, via la FRR. Un mémorandum français, présenté au Groupe de contact le 29 mai 1995, fait d'ailleurs état de cette nécessité de poursuivre les négociations. Un peu plus tard, lors du sommet européen de Cannes, les 26 et 27 juin 1995, les Quinze réitèrent leur volonté « d'accélérer la mise au point d'un règlement pacifique ». Ils confient, à cette occasion, à Carl Bildt la mission d'engager cette relance diplomatique sur la base du plan du Groupe de contact existant. Comme ce fut le cas à plusieurs reprises dans le passé, depuis 1992, l'espoir de parvenir rapidement à un accord de paix réduit, de façon inéluctable, la possibilité de recourir simultanément à la force, ce qui fut le cas pour la FRR.

En second lieu, la FRR ne confère pas à l'ensemble de l'opération une vocation d'imposition de la paix, ce que rappelle d'ailleurs le mémorandum français qui tente de préciser le mandat de cette force ; la France la conçoit avant tout comme une force d'appui, en quelque sorte une force de protection de la FORPRONU, et non comme un moyen visant à influer, de façon coercitive, sur le comportement des parties en vue d'un règlement de fond. Encore une fois, l'objectif visé est la sécurité de la FORPRONU, et non celle des populations. Il ne s'agit toujours pas d'imposer un règlement à quelque partie que ce soit. S'inscrivant dans le cadre de la politique définie par la France depuis 1992 et ne souhaitant finalement qu'améliorer l'action de la FORPRONU, la France ne remet pas en cause, par la création de la FRR, son engagement consensuel non coercitif au sein de la FORPRONU, ou alors très marginalement.

En troisième lieu, il est important de souligner qu'une fois le discours fort, indéniable, volontariste passé, le mandat de la FRR a été progressivement très largement revu à la baisse. Au début du mois de juillet, alors que ses missions restent très imprécises, le Ministre des Affaires étrangères lui en assigne de deux types. D'abord la protection générale de la FORPRONU en cas d'agressions et, ensuite, l'approvisionnement de Sarajevo. Cependant la FRR sera déployée exclusivement sur le mont Igman à partir de la fin du mois de juillet, et ses missions seront revues à la baisse pour n'inclure finalement que, d'une part, la sécurité des Casques bleus autour de Sarajevo, non la sécurité de la FORPRONU en général, et, d'autre part, la réouverture de la piste du mont Igman, non le désenclavement de Sarajevo et la réouverture de la route de Kiseljak, ce qui initialement était envisagé et prévu.

Initialement destinée à redonner à la FORPRONU les moyens d'accomplir son mandat, la FRR n'est finalement destinée qu'à renforcer la sécurité des Casques bleus. La préoccupation première du Président de la République, qui est réitérée au moment de cette crise, est d'empêcher l'humiliation des Casques bleus. Ce terme a été prononcé à plusieurs reprises. De plus, les consignes de fermeté, données aux Casques bleus lors de la prise des otages, sont dans le courant du mois de juin abandonnées avec le commandement de la FORPRONU en Bosnie et des forces de paix des Nations unies en ex-Yougoslavie qui demandent que les Casques bleus s'en tiennent aux missions strictes de maintien de la paix et de ripostes en légitime défense. Dans la même logique, il faut signaler, comme cela a été fait déjà dans d'autres auditions, que le commandement de la FORPRONU définit, à la suite de la crise des otages, des directives sur le recours à l'appui aérien rapproché et aux frappes aériennes qui sont extrêmement restrictives. C'est le Post Air Strike Guidance du 29 mai 1995. Ces directives ne vont pas du tout dans le sens d'un durcissement du mandat des forces en présence, qu'elles soient FORPRONU, FRR ou force aérienne mise en _uvre par l'OTAN.

En quatrième lieu, l'évolution de la situation en Bosnie-Herzégovine, à partir du mois de juin 1995, modifie considérablement, indépendamment de la volonté française sans doute, les conditions dans lesquelles la FRR pourrait ou était susceptible d'intervenir. Il s'agit d'abord d'une incapacité persistante de la FORPRONU, dans quasiment tous ses lieux de déploiement, d'accomplir son mandat, qu'il s'agisse de l'acheminement de l'aide humanitaire, de la protection des zones de sécurité ou de la supervision des armes lourdes autour de Sarajevo. Il s'agit ensuite, et ceci est tout à fait fondamental et central, des offensives croates et bosniaques contre les forces serbes en Bosnie occidentale et en Bosnie centrale, sans parler de la Croatie. Ces offensives, en juillet 1995 et par la suite, constituent une partie du retournement stratégique décisif pour le règlement du conflit. Dans ces conditions, l'élan suscité par la création de la FRR, au début du mois de juin, cède assez rapidement la place, par réalisme politique, à une situation toujours extrêmement difficile à gérer sur le terrain, sur laquelle la FRR n'a finalement qu'un impact réduit, sans doute pas nul, mais pas aussi important qu'on le prétend souvent.

La conjonction des différents éléments mentionnés conduit donc à relativiser la portée du revirement et de la volonté de la France d'assumer tous les coûts du déplacement de la logique incarnée par la FORPRONU. Lorsque l'enclave de Srebrenica tombe le 11 juillet 1995, la France et les autres Etats européens, de toute évidence, ne se sont pas affranchis de toutes les contraintes de leurs positions sur le terrain. La France demeure dans tous les cas extrêmement réticente à envisager une action de force, en dehors de Sarajevo qui reste incontestablement sa priorité, comme l'ont rappelé à plusieurs reprises d'autres personnes auditionnées.

Je conclurai par six points, que je ne hiérarchise pas, pour en revenir plus particulièrement aux événements de Srebrenica.

1) Il convient de souligner la réticence de tous les Etats engagés au sein de la FORPRONU à l'égard de l'utilisation de l'arme aérienne, tant que les Casques bleus seraient encore sur le terrain. Ainsi, lorsque l'opération Deliberate Force est lancée le 30 août 1995, la situation est totalement différente et la vulnérabilité des Casques bleus bien moindre que quelques semaines avant.

2) Le concept de zone de sécurité était pour beaucoup, qu'ils soient responsables militaires ou civils, acteurs du terrain ou acteurs plus éloignés, difficile à mettre en _uvre. Les zones de sécurité étaient jugées indéfendables par beaucoup. C'était le point de vue du général Janvier, de toute évidence, et d'autres responsables. Par ailleurs, de façon assez cynique, ces zones étaient considérées, sur un plan stratégique, comme des obstacles possibles à un règlement de paix.

3) Il convient de distinguer, dans la chute de l'enclave de Srebrenica, la chute elle-même des massacres qui ont suivi. Je vais être quelque peu cynique, ce dont je m'excuse. La chute de Srebrenica n'est problématique que par les massacres qui ont suivi. En cela, la chute de Zepa, deux semaines plus tard, ne fait pas l'objet d'une telle attention. Dans l'analyse que l'on fait de la politique des Etats à l'égard de cette chute, je crois que ce point est important, parce que les questions sont du coup différentes.

4) Je voudrais reprendre ici la ligne directrice de ma présentation pour vous dire qu'avec la chute de Srebrenica, c'est incontestablement l'ensemble du système mis en place en 1993 qui échoue. De toute évidence, il existe une responsabilité collective des Etats qui ont pris des engagements, notamment au sein du Conseil de sécurité, qu'ils n'ont pas respectés et qu'ils ne se sont jamais donné les moyens de pouvoir respecter. En tout état de cause, quelles que soient les positions du général Janvier ou du Représentant spécial, M. Yasushi Akashi, il me semble qu'il serait inexact de dire que Srebrenica est tombée contre la volonté des Gouvernements occidentaux qui auraient pâti des problèmes de communications entre les responsables de la FORPRONU, de la lourdeur de la chaîne de commandement, ou simplement mal apprécié les intentions serbes. Il serait également réducteur de dire que les Etats susceptibles d'agir ont été pris de court par la situation, ou court-circuités dans leur action par une quelconque inertie.

5) L'épisode de la chute de Srebrenica démontre, de façon tragique, que des opérations de maintien de la paix, inadaptées aux situations qu'elles sont censées gérer, sont productrices de situations inextricables dans lesquelles la probabilité de ne disposer que de mauvaises solutions est proportionnelle au degré d'incohérence de la mission. Il est possible que la chute de Srebrenica soit due, dans une certaine mesure, à des fautes graves de la part de responsables militaires et politiques et qu'elle aurait pu, en conséquence, être évitée. Mais elle résume aussi, à elle seule, toute l'ambiguïté contenue dans le mandat de la FORPRONU, ceci est important : elle marque, tout aussi exemplairement que tragiquement, l'échec d'une opération intrinsèquement vouée à produire de telles impasses. Dans ce contexte et dans l'analyse des éventuelles responsabilités de certaines personnes, il ne faut pas oublier que l'évolution générale de la FORPRONU a échappé à tous les dirigeants politiques européens de même qu'aux dirigeants militaires. S'agissant des dirigeants politiques, aucun n'avait une vision claire de ce qu'il était possible de faire pour que la FORPRONU sorte de l'impasse, que les combats cessent et aucun n'a exprimé la volonté d'aller au-delà de la logique consensuelle incarnée par la FORPRONU.

6) Pour revenir sur la France, il faut insister simultanément sur le rôle important de la France et sur la volonté française de jouer un rôle de leader dans une opération extrêmement complexe, en en assumant les coûts politiques et humains. Il faut également souligner les limites de la capacité française à influer positivement sur l'action de la FORPRONU et donc sur le cours du conflit. Cette double approche se retrouve dans le cas des zones de sécurité. La France a fait preuve d'un certain volontarisme à cet égard, mais il est clair que l'échec des zones de sécurité peut également être considéré comme l'aboutissement d'une politique onusienne, très largement initiée et soutenue par la France depuis le début de l'année 1992. En ce sens, la France a contribué à mettre en place tous les éléments d'une politique humanitaire à partir de laquelle aucune opération, telle que les zones de sécurité, ne pouvait être menée efficacement. C'est dans ce cadre général qu'il convient d'analyser les circonstances particulières de la chute de Srebrenica.

Le Président François Loncle : Cet exposé sera très précieux pour notre rapport, et votre analyse méritait d'être entendue. Vous avez fait allusion à plusieurs interventions et discours des responsables du Gouvernement de M. Edouard Balladur en particulier, dont le Ministre des Affaires étrangères, M. Alain Juppé, et notamment à son discours du 8 juin 1993. Vous avez souligné qu'il faisait preuve, à l'égard des objectifs de la FORPRONU, d'un volontarisme incontestable de changement, d'implication plus forte, mais vous avez indiqué que, dans le même temps, sur le terrain, le discours n'avait été suivi d'aucun effet. Comment expliquez-vous cet écart entre un certain infléchissement du discours concernant la FORPRONU et l'incapacité sur place, y compris de la part de responsables militaires français, à faire correspondre les actes au discours ?

Dans vos travaux, avez-vous pu, ce qui n'apparaît pas tout à fait dans l'exposé que vous venez de faire, juger les erreurs ou l'action propre des responsables militaires, français en particulier ? Tout au long de cette mission et des auditions, beaucoup de critiques ont été adressées à l'encontre de l'action du général Janvier. Bien que n'étant pas un stratège militaire, avez-vous pesé, estimé, apprécié les erreurs qui ont pu être commises par les responsables militaires ?

M. Thierry Tardy : Il faut reconnaître qu'à partir de l'arrivée au pouvoir de M. Edouard Balladur dans le Gouvernement de cohabitation, on a constaté un certain infléchissement de l'approche française à l'égard des conflits yougoslaves et une certaine modification du discours, notamment à l'égard des Serbes qui étaient plus clairement qualifiés d'agresseurs. S'agissant de la FORPRONU, il y a eu également une volonté de durcir son mandat et le régime des sanctions, puis de poursuivre la voie diplomatique avec l'objectif de parvenir à un règlement diplomatique, étant entendu que la FORPRONU était le piège duquel on ne sortirait pas sans un règlement diplomatique. Un certain nombre de discours et de résolutions ont été prises en ce sens, au cours des années 1994-1995. Puis il y a eu la politique du Premier ministre, Edouard Balladur, assez réticent et très sceptique à l'égard de l'action de la FORPRONU en général, avec une volonté de sa part de regrouper les contingents autour de Sarajevo, ce qui a été fait.

Pour expliquer ce décalage entre les discours et les actes, plusieurs réponses sont possibles. Tout d'abord, il convient de préciser que ce décalage est une caractéristique première fondamentale de l'action des Etats. Je voudrais souligner le fait que je n'ai pas prononcé, dans ma présentation, le terme de communauté internationale, que je considère beaucoup trop réducteur et trop facile dans l'usage. S'il y a un trait fondamental qui se dégage de l'action des Etats via l'ONU à l'égard de la gestion des conflits yougoslaves, c'est précisément un décalage fort entre les textes des résolutions du Conseil de sécurité et leur application sur le terrain.

Avec la résolution 770 du 13 août 1992, on est dans une logique du chapitre VII, car elle prévoit que la FORPRONU est autorisée à recourir à la force pour forcer d'éventuels barrages et pour acheminer l'aide humanitaire. Les textes existaient, nombre de responsables militaires que j'ai eu l'occasion d'interviewer me confirmaient qu'une lecture stricte de ces résolutions leur aurait permis de mettre en _uvre un mandat au-delà de ce qu'ils ont fait.

Le problème est que, clairement sur le terrain, les Etats occidentaux n'ont jamais été disposés à aller jusqu'au bout de la logique qui semblait être définie dans les résolutions du Conseil de sécurité, car ils craignaient l'escalade, ne souhaitaient pas mettre le doigt dans un engrenage dont ils n'étaient pas sûrs de pouvoir sortir, ou tout simplement, de façon cynique, ils considéraient que cette guerre n'était pas la leur. A aucun moment, un Etat européen, la France ou un autre, n'a véritablement envisagé une intervention militaire décisive.

S'agissant des différentes déclarations françaises à l'égard des zones de sécurité, on ne doit pas perdre de vue l'aspect opération multilatérale, quelle que soit la volonté d'un Etat d'agir dans un sens ou dans un autre. En Bosnie-Herzégovine - mais c'est le cas aujourd'hui sur à peu près tous les théâtres d'intervention possibles - l'intervention unilatérale n'était pas envisageable. Cela signifie que, quelles que soient les positions françaises, il fallait pour leur mise en _uvre qu'elles soient agréées par les alliés et partenaires de la France. Pour terminer sur une note plus réaliste, il y a toujours un décalage entre un discours diplomatique, qui prend place dans un contexte particulier (situation intérieure, opinion publique, enjeux internes), et un contexte international particulier.

Une lecture possible de la création des zones de sécurité est l'existence d'une nécessité pour les Etats européens, et sans doute pour la France, de faire face à la pression américaine sur les frappes aériennes. Dans le champ diplomatique, certaines propositions ou actions sont parfois envisagées pour montrer que l'on est présent, que l'on agit, que l'on s'est saisi de la question, et surtout pour ne pas montrer qu'on est passif et qu'on ne réagit pas. Je n'estime pas que la création des zones de sécurité, ce n'est que cela, mais c'est également cela.

Concernant les erreurs possibles des responsables militaires français ou autres, je ne suis pas sûr de pouvoir vous donner une réponse totalement satisfaisante. J'avancerai deux éléments. Dans le cadre de ma thèse de doctorat, j'ai eu l'occasion de rencontrer un grand nombre d'officiers français ayant servi au sein de la FORPRONU, à peu près à tous les niveaux de grade. Avant de les critiquer, il faut rappeler que l'action sur le terrain des militaires français a été reconnue unanimement comme ayant été très positive, dans diverses conditions. Par ailleurs, il me semble, et je tiens cela d'un certain nombre d'entretiens, que les responsables militaires français, comme les responsables politiques, n'ont sans doute pas compris au moment où les FORPRONU se mettaient en place - puisqu'il faudra aussi parler de la FORPRONU en Croatie - quels étaient les enjeux et les risques des mécanismes qu'ils étaient en train de constituer.

En 1991-1992, on se situe dans cette période d'euphorie de l'ONU qui intervient dans de nombreux endroits, met en place de plus en plus d'opérations de maintien de la paix et semble être capable de les mettre en place. Dans cet environnement très bouleversé, les responsables politiques et militaires - je ne souhaite pas faire la distinction à ce niveau-là - n'ont sans doute pas véritablement pesé les enjeux et n'ont pas compris quel pouvait être « le piège de la FORPRONU », que l'on a découvert une fois que cette force était en place. Certains militaires français, mais je ne citerai ni exemples précis ni noms, dans le dialogue politico-militaire qui a fonctionné au niveau français à Paris, n'ont sans doute pas su dire non à certains moments, alors qu'ils considéraient que les actions qu'on leur demandait de mettre en _uvre étaient, compte tenu des moyens à leur disposition, impossibles à mener.

D'un autre côté, lorsqu'on reprend les différentes déclarations de militaires belges, entre autres, notamment le général Briquemont, au moment de la création des zones de sécurité ou un peu après, les militaires se sont généralement exprimés assez violemment contre le principe des zones de sécurité. D'autant que, un an après, ne sont déployés dans les zones de sécurité que 5 000 hommes et non pas 34 000 , comme le prévoyait l'option haute du Secrétaire général de l'ONU, voire 7 700 hommes comme le prévoyait l'option légère.

M. Pierre Brana : Une grande partie de vos propos se trouve résumée, notamment s'agissant de la priorité donnée à la protection des troupes de l'ONU, dans la note du général Janvier qui écrivait, le 2 juillet : « Nous devons absolument éviter toute action qui pourrait dégénérer et entraîner une confrontation, une escalade et une tension, et l'utilisation potentielle de l'arme aérienne. C'est la raison pour laquelle j'estime que votre suggestion _il fait allusion là à sa discussion avec le général Rupert Smith_ pour utiliser la route du mont Igman, même après notification aux Serbes, n'est pas appropriée dans les circonstances actuelles. Deuxièmement, la sécurité de toutes nos forces armées _il fait allusion aux forces armées des Nations unies_ est ma priorité absolue. » C'est sans ambiguïté.

Vous avez peu abordé le problème de la lourdeur du commandement, que ce soit le commandement de l'ONU avec un commandement à Zagreb et un à Sarajevo, l'intervention d'un civil, M. Yasushi Akashi, et - ce qui est à mon avis un des gros problèmes de l'ONU - un double commandement : le commandement de l'ONU proprement dit et une chaîne de commandement des Etats nationaux. Tous les généraux reçus par la Mission d'information ont indiqué qu'ils informaient à la fois la chaîne de commandement de l'ONU et l'état-major de leur Etat. Ne pensez-vous pas que cette disposition, à la fois civile et militaire, avec deux sièges, et cette double chaîne de commandement, n'a pas également fortement joué ?

Dans votre exposé, vous n'avez pas du tout évoqué les services de renseignement. Personnellement, j'ai été frappé par l'absence totale d'informations fiables en provenance des services de renseignement. Soit ceux interrogés par la Mission d'information ne nous ont pas tout dit, ce qui est une hypothèse que l'on ne peut éliminer a priori, soit ils ont tout dit et dans ce cas, on ne peut être que très inquiet sur les interventions des forces de l'ONU, soumises à des renseignements partiels de services d'Etats différents qui se méfient les uns des autres et ne délivrent qu'au compte-gouttes un certain nombre d'informations. Cela me semble également un élément important.

M. Thierry Tardy : Concernant la déclaration du général Janvier que vous avez lue, je suis d'accord avec votre point de vue. Le général Janvier a fait ce type de déclarations à de nombreuses reprises, et ceci à l'évidence ne traduisait pas uniquement sa position.

Sur la lourdeur de la chaîne de commandement et sur le double commandement, la Force de protection des Nations unies, en ex-Yougoslavie, représente aujourd'hui pour les Etats européens l'exemple de ce qu'il ne fallait pas faire. C'est un véritable traumatisme pour les militaires français, sans doute un peu moins pour les politiques, mais il y a clairement dans l'approche française des opérations extérieures, un avant FORPRONU et un après FORPRONU. Lorsque la France aujourd'hui - mais ceci est valable pour le Royaume-Uni et les autres Etats européens - évalue, étudie des possibilités d'intervention dans un cadre multilatéral, il est clair que l'on prend la FORPRONU comme exemple de ce qu'il ne fallait pas faire. En cela et dans les leçons qui ont été tirées de la FORPRONU, il y a cette volonté de ne pas reproduire tout ce qui avait été mis en place au sein de cette force.

Il existe plusieurs types d'erreurs et de défaillances dans les opérations des Nations unies du début de la décennie quatre-vingt-dix et dans la FORPRONU en particulier :

- L'absence de volonté politique des Etats à traduire, sur le terrain, des décisions qu'ils prennent au Conseil de sécurité ou ailleurs.

- L'inadaptation, de toute évidence, des opérations à l'objet à traiter. Sans être stratège militaire, il est clair qu'on ne résout pas les conflits en Bosnie-Herzégovine en déployant une opération à vocation humanitaire et qui, globalement, le restera.

- L'absence de stratégie des Etats au sein de ces interventions. S'agissant des opérations du début de la décennie quatre-vingt-dix, il y a des divergences d'approche sur ce qu'est le maintien de la paix, entre les organisations internationales, au sein de l'ONU, entre les différents Etats - la conception nordique, la conception française, la conception américaine -, une absence de stratégie globale.

- L'incapacité structurelle de l'Organisation de Nations unies à mettre en _uvre de telles opérations. Le supplément à l'agenda pour la paix du 3 janvier 1995 de M. Boutros Boutros-Ghali reconnaît que l'ONU n'est pas structurée pour mener des opérations complexes, multifonctionnelles et qui relèvent d'une logique coercitive. C'est une des nombreuses raisons qui expliquent les échecs.

Sans aucun doute, la lourdeur de la chaîne de commandement explique un certain nombre de problèmes qui ont pu conduire à des dysfonctionnements qui ont pu, eux-mêmes, conduire à une situation où la chute de Srebrenica était rendue possible. De la même façon, le système de double commandement a été de toute évidence à l'origine d'un certain nombre de dysfonctionnements. Lorsque, aujourd'hui, les Etats européens envisagent ce type d'opération, ils n'envisagent plus une chaîne de commandement multinationale, ou alors c'est une chaîne de commandement constituée par des alliés. La question du double commandement ne se pose plus non plus.

La lourdeur de la chaîne de commandement peut effectivement expliquer un certain nombre de dysfonctionnements, mais il serait réducteur de considérer que la chute de Srebrenica a été rendue possible parce que des dysfonctionnements, au niveau de la chaîne de commandement, ont été constatés, parce que la communication entre Sarajevo et Zagreb n'a pas été correctement établie, de même que la communication entre Zagreb et New York, et entre New York et les Etats membres. Certes tout cela contribue à l'échec, mais ceci n'est pas, à mon sens, absolument central, pour une raison entre autres qui est qu'entre 1992 et la fin de l'année 1995, les Etats européens ont été, à de nombreuses reprises, confrontés à des situations difficiles et délicates. Il est évident que la chute de Srebrenica est un extrême, malheureusement. Mais on a constaté d'autres situations dans lesquelles les Etats européens n'ont jamais manifesté la volonté de passer à une logique coercitive, ce qui fut vraisemblablement le cas pour la chute de Srebrenica.

S'agissant des renseignements, ce n'est pas une question que j'ai étudiée en particulier. Il se trouve que j'étais présent ici lorsque certaines personnes ont abordé cette question. On sait que l'ONU n'était pas autorisée à faire du renseignement, que le renseignement passait par les Etats et que ces Etats en faisaient parfois beaucoup, contrairement à ce qu'ils disent, que l'échange d'informations entre les Etats occidentaux n'était pas toujours très bien établi. Ce problème du renseignement est à mettre sur le même plan que la lourdeur de la chaîne de commandement ou le double commandement. Cela fait partie des caractéristiques négatives de ces opérations du début de la décennie quatre-vingt-dix que les Etats européens ne souhaitent plus mettre en _uvre aujourd'hui.

Le Président François Loncle : Quand vous dites que les Etats faisaient beaucoup de renseignement, c'est probablement exact, mais le faisaient-ils bien ou mal ? M. Jean-Bernard Mérimée nous a rapporté que, lorsqu'il était en fonction au Conseil de sécurité de l'ONU, il avait appris seulement au mois d'août la réalité des massacres. Il est ahurissant d'apprendre que de hauts responsables de l'ONU n'ont eu connaissance de la réalisé des massacres que plus d'un mois après qu'ils se sont produits.

M. Thierry Tardy : Je ne suis pas à même de commenter cela. Nous ne sommes plus dans le cadre de l'ONU. Il s'agirait là de souligner les carences des systèmes de renseignement des Etats intervenants, et plus du tout de la structure onusienne qui n'est pas véritablement concernée par ce point.

M. Jean-Noël Kerdraon : Je suis intimement persuadé qu'il y avait du renseignement et qu'aujourd'hui, les responsables s'appuient sur ces carences soi-disant en termes de renseignement ou d'un manque d'échange, comme cela a été mentionné à plusieurs reprises, pour justifier ce qui s'est passé. J'ai été époustouflé d'entendre, la semaine passée, qu'au mois d'août, on ne savait pas encore ce qui s'était passé. Or quand on suit de près la chose militaire, même si le renseignement n'est pas parfait ou échangé entre les différentes nations en présence, il existe quand même. En 1993, en contrepartie de l'augmentation de notre contingent, nous avons demandé et obtenu le commandement de la FORPRONU. Certains disent que c'était une erreur. Qu'en pensez-vous ?

M. Thierry Tardy : Je n'ai jamais entendu dire que c'était une erreur. Il est clair que, lorsqu'un Etat comme la France décide de participer à une opération telle que la FORPRONU et qu'il y déploie un nombre substantiel de contingents, ce déploiement doit se traduire et impliquer une sorte de récompense. Parmi celles-là, il y a le fait de pouvoir commander l'opération. La France avait tenté de le faire avec l'APRONUC au Cambodge, mais n'avait obtenu que le commandement en second. Elle a réitéré sa demande pour la Bosnie-Herzégovine et obtenu gain de cause avec la nomination du général Jean Cot à la tête de la Force de protection des Nations unies pour l'ensemble de l'ex-Yougoslavie, puisque le général Morillon n'était commandant que de la FORPRONU en Bosnie-Herzégovine. Cela fait partie des exigences des Etats qui participent. La France, qui participe aux opérations de maintien de la paix de l'ONU au début de la décennie quatre-vingt-dix, le fait parce qu'elle a conscience qu'au sein de ces opérations ; elle va gérer un certain nombre de situations jugées déstabilisantes, mais elle le fait aussi parce qu'elle veut avoir, au sein de l'ONU et du Conseil de sécurité, une place de premier plan. Elle justifie ainsi son rang et son siège de membre permanent au Conseil de sécurité.

Cette quête de rang et de visibilité passe par un déploiement fort au sein de certaines opérations et par le fait qu'à la tête de la FORPRONU, on a un général français. A ce sujet, je voudrais signaler que, dans tous les discours, quels que soient les Gouvernements entre 1991 et 1995, la France s'est, de façon récurrente, prévalu du rôle qu'elle jouait au sein du Conseil de sécurité et au sein de l'ONU, dans les différentes opérations auxquelles elle contribuait, en particulier au sein de la FORPRONU. Le fait de pouvoir dire que le commandant de la FORPRONU est un général français fait partie de cette traduction de la puissance française qui n'est pas à exclure de l'analyse que l'on fait de son approche. Il n'y a pas que la nécessité de gérer un conflit aux marges de l'Europe.

Mme Marie-Hélène Aubert : Avez-vous une analyse ou un point de vue sur ce qui s'est passé entre le 6 et le 11 juillet 1995 à Srebrenica, c'est-à-dire cette espèce de valse-hésitation qui a conduit à l'inertie et à la chute de Srebrenica et aux massacres ? Qu'en a-t-il été des demandes d'intervention aérienne, de l'hésitation à l'égard des Serbes et du général Mladic ?

Tout ce que la Mission d'information a entendu tend à montrer que les interventions militaires des Casques bleus de l'ONU ne sont pas pertinentes. Non pas que l'on ne veuille pas qu'elles soient pertinentes, mais le fait est qu'elles ne le sont pas. Pensez-vous que de telles interventions peuvent être pertinentes et si oui, à quelles conditions ? Si elles ne le sont pas, quelles sont les alternatives : actions diplomatiques, économiques, civiles ?

M. Thierry Tardy : Sur la première question, je ne dispose pas d'autre source d'information que le compte rendu des auditions que j'ai pu lire, le rapport de Kofi Annan, et un certain nombre d'ouvrages que chacun d'entre vous a dû lire. Par conséquent, je n'ai pas d'éléments nouveaux à apporter sur ce point. De plus, la chute de Srebrenica n'est pas un épisode que j'ai étudié dans le détail, dans le cadre de mes recherches et j'en ai simplement une connaissance générale.

Je peux faire une réponse qui me semble intéressante, mais dont je ne suis pas certain qu'elle satisfasse la Mission d'information, car elle n'est pas très tranchée.

Tout d'abord, je peux comprendre, compte tenu de la lourdeur de commandement, du système très inadéquat et mal ficelé mis en place par la FORPRONU, qu'un certain nombre de demandes d'appui aérien approché aient pu ne pas aboutir, sans qu'il faille y voir une intention maligne de ne pas les faire aboutir. Je peux également comprendre que ce qui s'est passé se soit passé, sans qu'il y ait eu l'existence d'un marché entre le Force Commander et le général Mladic. Compte tenu de la structure de la FORPRONU et des positions respectives des Etats, cela est tout à fait possible.

Je ne pense pas qu'il faille aller trop loin dans l'argumentation selon laquelle c'est une erreur d'appréciation, une défaillance des systèmes de renseignement, de la communication entre Sarajevo et Zagreb, Zagreb et New York, ou la position personnelle d'un général français qui expliquent la chute de Srebrenica. Cela s'explique en grande partie par tous les arguments que j'ai pu développer, c'est l'aboutissement de quelque chose qui existait et qui n'était pas nouveau. Aboutissement tragique, j'en conviens, mais relativement logique, ce qui rejoint mes propos précédents.

Quant à l'avenir de l'ONU dans le domaine du maintien de la paix, la question est quelque peu compliquée. Il faut opérer une grande distinction lorsqu'on évoque les interventions de l'ONU, entre des opérations qui relèvent d'une logique coercitive et du chapitre VII, et les opérations qui relèvent d'une logique consensuelle. Dans ces opérations, il faut également faire la différence entre des opérations qui prennent place après un accord de cessez-le-feu ou après un accord de paix, qui peuvent être relativement bénéfiques et positives, et les opérations qui prennent place alors que les combats n'ont pas cessé. C'est là la différence entre la FORPRONU en Croatie et la Bosnie-Herzégovine. Les opérations au Salvador, au Cambodge, au Mozambique, en Namibie sont des opérations onusiennes, certes totalement différentes de la FORPRONU, mais qui ont fonctionné.

S'agissant des opérations complexes, multifonctionnelles et coercitives, il est clair aujourd'hui que les Etats européens ne souhaitent plus recourir à l'ONU pour mener ce type d'opération, et ce depuis la Somalie et l'ex-Yougoslavie. Les alternatives existent, même si elles ne sont pas parfaites. Il y en a plusieurs, mais j'en citerai au moins deux sur le plan militaire. Premièrement, le recours à des coalitions d'Etat, c'est-à-dire que des Etats décident de se regrouper entre eux pour mener une intervention, avec une autorisation préalable du Conseil de sécurité, si cela est possible. On sait que ce n'est pas toujours possible. C'est le cas de l'opération Alba en Albanie, de la FRR sur le mont Igman, l'INTERFET au Timor oriental, l'opération Turquoise. Deuxièmement, le recours à des organisations régionales, mais cette option ne concerne que l'Europe puisqu'en dehors de l'Europe, il n'y a pas véritablement d'organisation régionale.

Il existe un troisième recours qui n'est sans doute pas satisfaisant, c'est l'abstention. L'une des conséquences du profil bas des Etats vis-à-vis de l'ONU, notamment en Afrique, c'est précisément que les Etats n'envisagent plus d'intervenir en Afrique, dans des situations qu'ils considèrent comme trop risquées. Je ne voudrais pas que l'on comprenne par là que je condamne cette position. Elle s'explique de façon tout à fait logique et argumentée. C'est un constat que les Etats occidentaux, qui sont ceux qui ont la capacité d'intervenir, ne souhaitent plus le faire dans le cadre onusien, car ce cadre onusien est considéré comme trop contraignant et inadapté à des opérations qui sont de plus en plus complexes.

Le Président François Loncle : Pour compléter votre réponse, on peut lire avec profit les propositions qui figurent dans le rapport de M. Lakhdar Brahimi et qui peuvent déboucher sur des solutions utiles. Je remercie beaucoup M. Thierry Tardy. Chacun ici aura perçu tout l'intérêt de son analyse et la précision de son texte. Son livre est un élément très précieux pour le rapport de la Mission d'information.

Audition du général Bernard JANVIER,
commandant des forces de paix des Nations unies en ex-Yougoslavie (1995)

Présidence de M. François Loncle, Président

(jeudi 21 juin 2001)

Le Président François Loncle : Je vous remercie d'avoir bien voulu répondre à notre deuxième invitation.

Depuis votre première audition, nous avons entendu de nombreux exposés complémentaires, parfois contradictoires, de diverses sources, dont des responsables politiques et militaires néerlandais, des responsables de l'ONU, et certains de vos collègues responsables militaires. Nous avons souhaité ce nouveau rendez-vous afin d'approfondir et de préciser un certain nombre de points qui ont pu faire l'objet de contradictions. Pour ce faire, nous allons vous poser différentes questions.

Lorsque vous avez été amené à vous exprimer, le 24 mai 1995, devant le Conseil de sécurité des Nations unies, pour faire valoir ce que vous souhaitiez dire, quelle a été la réaction du représentant français, l'ambassadeur Mérimée ? L'avez-vous perçu comme étant simplement attentif, soutenant vos préoccupations ou, au contraire, ne les partageant pas ?

Général Bernard Janvier : Je suis très heureux de revenir devant la Mission d'information. C'est d'ailleurs ce dont nous étions convenus avec les Rapporteurs à l'issue de ma première audition. Qui plus est, cela me permet, non pas de reprendre point par point certaines auditions, ce dont je me garderai, mais de citer, ici et là, quelques points que j'ai relevés, notamment sur une audition. En effet, certaines choses me semblent inacceptables et doivent être rectifiées devant vous par celui qui avait la charge des responsabilités, non pas quelqu'un qui refait ou rebâtit l'histoire, mais quelqu'un qui a eu des responsabilités de décision et qui les assume.

C'est donc à la demande de M. Boutros Boutros-Ghali que je me rends à New York, pour une intervention devant le Conseil de sécurité dont vous connaissez la teneur, les Nations unies ayant dû vous faire parvenir, depuis, le mémoire que j'avais préparé à l'époque et que je leur ai exposé. La France, en la personne de M. Jean-Bernard Mérimée, présidait alors le Conseil de sécurité.

Comme je l'ai indiqué lors de ma première audition, j'ai voulu mettre le Conseil de sécurité devant ses responsabilités, de manière claire, nette et précise. Je rappelle ma conclusion, dans laquelle je demande aux membres du Conseil de sécurité de prendre des décisions. L'opposition à mes propos est venue de Mme Albright, qui représentait les Etats-Unis, et si mes souvenirs sont bons, du représentant de l'Allemagne, à l'époque membre temporaire du Conseil de sécurité.

Le Président François Loncle : Quel était l'argument de Mme Albright ?

Général Bernard Janvier : Mme Albright s'est satisfaite d'un point que j'ai affirmé devant le Conseil de sécurité, lequel consistait à dire que l'appui aérien rapproché et l'emploi de l'arme aérienne restaient une réalité nécessaire et indispensable, notamment l'appui aérien rapproché. Pour ce qui concerne les frappes aériennes, il fallait changer de mode d'action. Si Mme Albright s'est satisfaite du fait que j'ai indiqué qu'il fallait désormais des cibles Air Strike, plus globales, j'ai aussi proposé, au cours de la discussion, que nous nous retirions des enclaves, que nous modifions notre dispositif, que nous laissions des observateurs sur place et que nous appliquions un plan stratégique afin que l'arme aérienne soit employée de manière stratégique et globale, ce qui correspondait à sa finalité en dehors de l'appui aérien rapproché destiné à soulager les troupes. Au passage, j'en profite pour répéter que c'est d'ailleurs ce qui s'est passé en août 1995 lorsque, après le processus de concertation que j'ai décrit entre l'ONU et l'OTAN, les décisions des grandes puissances et le départ des Britanniques de Gorazde, des frappes aériennes ont été mises en oeuvre.

Je reviens à votre propos. La deuxième opposition émanait de l'ambassadeur allemand quand - propos prémonitoires - j'indiquais le 24 mai qu'il fallait absolument mettre un terme aux points de rassemblement d'armes de Sarajevo qui étaient totalement inefficaces et ne constituaient qu'un leurre et un alibi pour la communauté internationale. Je ne pouvais pas mieux dire puisque, quelques heures plus tard, nous avons eu 300 otages pris dans les conditions que vous connaissez, suite aux décisions du général Rupert Smith et de M. Akashi de déclencher des frappes aériennes, dans un contexte que je dénonçais au Conseil de sécurité.

S'agissant de la France par la voix de M. Mérimée, je n'ai pas souvenir d'une opposition à mes propos. Je crois que M. Mérimée, à la fois lors de rencontres personnelles à mon arrivée et de mon entretien, a effectivement dit et répété que nous étions dans une situation intenable, telle que je la décrivais, et que le Conseil de sécurité se devait de trouver des solutions. Comme je l'ai déjà mentionné lors de ma précédente audition, les seules décisions qui ont résulté de cette réunion ont été une demande de rapport et un point de situation. Ce n'est pas ce que j'en attendais.

Je ne peux manquer d'évoquer la chose suivante, d'autant que M. Léotard se rend, me semble-t-il, en Macédoine en tant que Représentant spécial de M. Solana. Après cette réunion, j'ai répondu à la demande de Mme Albright, qui m'avait convoqué dans son ambassade. J'ai fait auprès d'elle un point de situation. J'ai notamment attiré son attention sur l'incurie des soldats américains en Macédoine dont le bataillon prépositionné ne faisait rien et ne servait à rien. Les points « dangereux » - il s'agissait en l'occurrence d'une bagarre entre deux bergers macédoniens - étaient tenus par des Nordiques dans le secteur américain. Il en était de même pour l'hôpital américain de Zagreb. Les Américains refusaient à leurs médecins de sortir du périmètre de Zagreb pour aller secourir les soldats des Nations unies. Mon entretien assez vif, par exemple sur ces points-là, a quand même permis de faire évoluer la situation, puisque les Américains ont reçu l'ordre de conduire quelques patrouilles en Macédoine.

Le Président François Loncle : Il y a eu, tout au long de nos auditions, une hypothèse qui a couru sur ce qui aurait pu être une sorte de marchandage entre l'absence de frappes aériennes et la libération des otages. Quel est votre point de vue là-dessus ? Il semblerait que le général de La Presle ait été envoyé pour négocier la libération des otages. Avez-vous eu un contact avec lui et aviez-vous été informé qu'il était missionné pour cette tâche ?

Général Bernard Janvier : Pour ce qui concerne les relations avec le général de La Presle, j'ai clairement dit, dans mon audition précédente, que la libération des otages résultait de pressions internationales auprès de Milosevic. C'est exact, et c'est sans doute l'action du général de La Presle. Bien évidemment, la France m'a informé de cette mission. Je répète et maintiens les propos que j'ai tenus devant votre Mission d'information. Je ne change pas un iota de ce que j'ai dit.

Ce que je trouve aberrant et scandaleux, c'est que nous soyons partis d'une rumeur - la rumeur de ce marchandage - entretenue, développée, amplifiée et réveillée en temps opportun. Je vous ai clairement expliqué les raisons - et je ne change pas mon point de vue - qui ont motivé la naissance de cette suspicion. Je vous ai d'ailleurs indiqué, dans la correspondance que j'avais adressée à la Mission d'information, les différents comptes rendus que détenaient les Nations unies. J'observe que MSF en a publié un, le premier, mais pas les deux autres. Je le répète : il n'y a pas eu de discussions avec Mladic sur la libération des otages, sauf, pour ma part, à dénoncer le caractère scandaleux de son attitude, à affirmer le refus de libérer les 4 Serbes que nous avions prisonniers à Sarajevo, à évoquer avec lui l'existence du pilote de l'avion américain abattu le 2 juin, que les Serbes disaient détenir.

Le Président François Loncle : Mladic était-il demandeur de cet entretien ?

Général Bernard Janvier : Je reviens à mon audition. A l'issue de cette prise d'otages, les Nations unies sont dans une situation de blocage total. Ce n'est pas la première fois. M. Akashi a déjà affronté, alors que le général de La Presle commandait à ce moment-là les forces de paix, un blocage identique lors de l'action aérienne sur l'aéroport d'Ubdina en Croatie, suite à la violation de la No Fly Zone par des chasseurs serbes. A ce moment-là, pendant environ trois mois, les Serbes bloquent tout, que ce soit en Croatie ou en Bosnie. J'ai d'ailleurs indiqué, dans mon audition précédente, que le général Gobilliard lui-même s'était retrouvé retenu à Sarajevo. Ce jour-là, il était à Luka Vika, et les Serbes l'ont retenu un instant. La pratique des otages était donc déjà bien inscrite dans le processus tactique des Serbes.

M. Akashi me dit que tout est bloqué et qu'il faut faire quelque chose. Le général Rupert Smith ne pouvait pas - ne voulait pas - rencontrer Mladic, alors que c'était de son niveau et de sa responsabilité. De son côté, le général Mladic ne voulait pas discuter avec Rupert Smith au prétexte « qu'il avait bombardé Pale ». M. Akashi me demande ce que je pouvais faire. Il rentre alors en contact avec Milosevic et je prends contact avec Mladic en vue d'une rencontre visant à faire le point sur ses positions et à exprimer clairement celles de la communauté internationale, du moins des Nations unies, sur le fait qu'il doit - c'est dans le compte rendu de ma première audition - libérer les otages pour redevenir crédible dans la communauté internationale, laisser le ravitaillement des enclaves se faire, etc. Ces éléments apparaissent clairement dans mon compte rendu.

Je suis désolé, scandalisé même, de devoir à nouveau m'exprimer sur ce point. Je trouve médiocre qu'une rumeur atteigne ce niveau, c'est-à-dire celui où nous sommes.

Le Président François Loncle : Je voudrais aborder une question qui est revenue à plusieurs reprises au cours des auditions, à savoir l'absence étonnante du général Rupert Smith au moment des événements de Srebrenica, pour raison de vacances - faut-il mettre le mot entre guillemets ? - , et l'absence du correspondant de l'amiral Leighton Smith à Zagreb. Quel est votre point de vue sur les raisons de cette absence ? Certains avaient-ils prévu l'attaque de l'enclave ? Notre tâche n'est pas facilitée du fait que Rupert Smith, à deux reprises, nous a écrit, malgré notre insistance, pour nous indiquer qu'il ne voulait pas témoigner. Un journaliste vient d'écrire que c'est à la demande de M. Akashi que Rupert Smith était parti.

Général Bernard Janvier : C'est faux. J'ai lu l'article du Figaro que je considère, d'un bout à l'autre, comme un tissu d'âneries, de suspicions, d'approximations, voire de mensonges, d'erreurs grossières.

Le Président François Loncle : Il n'y a pas que des âneries dans cet article.

Général Bernard Janvier : Il y en a beaucoup quand même. Autant le premier article présente, avec le recul, une analyse stratégique intéressante, autant le second article - sur la position française - comprend un grand nombre d'âneries, dont celle-là. A l'évidence, c'est bien M. Akashi qui autorise le général Rupert Smith à partir en permission : bien sûr que M. Akashi donne son accord au général Rupert Smith pour partir en permission, puisque ce dernier le demande ! Le général Rupert Smith part en permission à sa demande expresse.

Le Président François Loncle : C'est néanmoins étonnant. Nous ne sommes pas des militaires sur le terrain ayant ce type de responsabilité, mais s'il arrive un coup dur, nous retardons nos vacances. Comment peut-on parler vacances dans une telle histoire ? C'est choquant.

Général Bernard Janvier : C'est là, Monsieur le Président, que j'attire votre attention sur le regard que l'on porte sur cette question, quand on connaît l'histoire. Il faut se remettre dans la situation du moment. Je reviens à mon audition initiale. Y avait-il des renseignements sur une hypothétique attaque des Serbes, dont tout le monde semble aujourd'hui avoir été parfaitement informé ? Pour ma part, j'observe que des organisations internationales qui, aujourd'hui, affirment qu'elles savaient, que ce soit à Paris ou sur place, n'ont donné aucune information quelle qu'elle soit. Il est facile aujourd'hui de dire le contraire mais, à l'époque, sur place, je n'ai jamais reçu quiconque ayant cette information, ni eu aucun renseignement, aucune affirmation ou indication sur ce point. Je maintiens mes propos sur le renseignement. Je n'y reviens pas, ils ont été clairs et suffisants.

Le général Rupert Smith possédait-il ou non des renseignements sur une possibilité d'action des Serbes ? Je n'en ai aucune preuve ou trace, je n'ai aucun papier qui établit cette éventualité. Je rappelle seulement l'existence d'un document, que j'ai cité dans mon audition, qui date du mois de juin 1995 et contient l'analyse du renseignement faite et signée par le général Rupert Smith, selon laquelle les Serbes conduiraient peut-être des attaques sur Srebrenica pour en contrôler uniquement la périphérie. Ceci est joint à mon audition.

Le général Rupert Smith - et c'est légitime à mes yeux - part en permission, car nous venons de vivre une période très difficile. Installés là, aujourd'hui, dans cette salle confortable, on peut regarder les événements avec le recul du temps, mais, à l'époque, nous étions soumis à des pressions permanentes, à toute heure du jour et de la nuit. Au passage, cette remarque vaut également concernant le délai entre le compte rendu écrit de ma rencontre avec Mladic et son envoi aux Nations unies. Nous venons de vivre, au mois de juin, la bataille de Sarajevo, qui traduit la volonté des Bosniaques d'entraîner à leurs côtés les forces des Nations unies, en développant d'ailleurs une tactique erronée, à savoir l'attaque de Sarajevo du centre vers l'extérieur. Pour quitter Sarajevo, le général Rupert Smith, comme les autres, doit affronter le feu des canons serbes sur la piste du mont Igman. Il a besoin de repos. C'est tout à fait compréhensible. La légitimité de sa permission ne se pose pas à moi. Il est bien évident - et je reviens à mon propos initial- que si j'avais eu quelques craintes d'attaques sur Srebrenica, j'aurais demandé au général Rupert Smith de rester. Je pense, car c'est un chef militaire, qu'il pouvait aussi avoir cette approche.

M. Pierre Brana : Je voudrais revenir sur un point. Je comprends le départ du général Rupert Smith, il est fatigué, il a besoin de repos, il a l'autorisation de prendre une permission. Les renseignements n'indiquent pas l'imminence d'une attaque. Il part donc en vacances sur les bords de l'Adriatique, qui est relativement proche.

Mais ce que je ne comprends pas, c'est qu'il ne revienne pas quand la situation s'aggrave. A cet égard, je reprends les propos du Président. Je suis maire d'une petite commune, je suis prévenu qu'un incendie grave vient de se déclarer ou qu'un avion vient de tomber sur ma commune, je pars tout de suite. Je n'arrive pas à comprendre pourquoi ce général, qui s'est beaucoup impliqué - car vous dites vous-même qu'il était fatigué, tendu par cette opération - qui apprend que la situation s'aggrave sur le terrain, qui se trouve en vacances, pas très loin, n'essaie pas de revenir, ne vous contacte pas pour savoir ce qui se passe ou si sa présence peut être nécessaire. J'avoue que, pour moi, c'est un choc par rapport à la conception que je peux avoir de la chose militaire.

Le Président François Loncle : Est-ce un désengagement britannique ?

M. Pierre Brana : J'en arrive aux propos du général Nicolai à ce sujet, qui m'ont frappé. Dans sa déclaration, il dit : « Smith était en faveur de réactions plus dures, d'attaques au sol avec un appui aérien, mais il n'a jamais pu convaincre Akashi et Janvier. En tant que militaire, il devait cependant se conformer à la volonté de ses supérieurs. » D'où l'idée suivante, peut-être scandaleuse, mais qui vient spontanément à l'esprit : au fond, le fait de ne pas revenir n'est-il pas une volonté de sa part ?

Autre question, dès lors que les enclaves apparaissaient aux autorités militaires comme étant difficiles à protéger, pourquoi un plan d'évacuation des civils n'a-t-il pas été prévu, sous l'égide de l'ONU, en cas d'attaques ?

M. François Lamy, Rapporteur : J'y ajouterai une question complémentaire. Quel est l'intérêt de l'opération Balbuzard, du nom du porte-avions français qui dispose d'hélicoptères ?

Général Bernard Janvier : Je vais vous l'expliquer car j'ai été auteur du plan.

Le Président François Loncle: Est-ce lié à ce que nous a dit Nicolai ?

Général Bernard Janvier : Je reviens à notre propos : « Toute la conduite des Britanniques a été centrée sur Gorazde et sur une attitude du général Rupert Smith qui était différente de la mienne. »

Pourquoi ? Le général Rupert Smith est en rupture avec son prédécesseur, le général Michael Rose, lequel est à l'origine de cette hérésie qui a consisté à organiser les points de rassemblement d'armes des Serbes à Sarajevo. Je maintiens que cette action est le premier acte de la décrédibilisation de l'emploi de l'arme aérienne, puisque, à ce moment-là, on a bloqué l'emploi de l'arme aérienne qui devient un faux-semblant pour l'opinion internationale. En effet, on fait croire que ces armes sont sous contrôle des Nations unies, ce qui est faux, et qu'elles ne tireront plus, ce qui est également faux. Comble de l'aberration, on met en place des soldats, en majorité français, mais aussi égyptiens, ukrainiens et russes, pour « garder » les armes des Serbes. D'où les 300 otages.

Comme je l'ai déjà dit dans ma précédente audition, le général Rupert Smith estimait qu'après les frappes des 25 et 26 mai, nous, Nations unies, étions engagés comme combattants aux côtés des Bosniaques. Je regrette, mais tels n'étaient pas les directives du Secrétaire général, de M. Akashi, ni le mandat des Nations unies. Nous n'étions pas des forces combattantes. Tout d'abord en termes de mandat, juridiquement, statutairement et éthiquement, nous étions des forces de maintien de la paix. Il y a quand même une différence. De plus, nous n'étions ni préparés, ni équipés pour conduire de telles actions. C'est pourquoi j'ai adressé une directive que vous connaissez au général Rupert Smith, sur l'emploi de l'arme aérienne, indiquant que c'était un dernier recours et qu'il ne fallait pas provoquer de réactions des Serbes à Sarajevo, car il était évident que nous étions incapables de conduire une bataille. On a dit que le général Rupert Smith n'avait pas la même approche que moi, ce qui est exact. Il pouvait annoncer, lui, qu'il voulait ouvrir un passage à partir de Sarajevo pour ouvrir les accès de la ville, mais je maintiens que c'était impossible.

Ma position sera différente ultérieurement. Le 6 juillet, je viens à Paris exposer à l'état-major le plan que j'ai bâti. Selon ce plan, dans la deuxième quinzaine du mois de juillet, grâce à la BMN enfin déployée sur le mont Igman et les canons 155 qu'il faut absolument déployer sur le mont Igman, ce dont les Croates et les Bosniaques ne veulent pas, nous ouvrirons un couloir de l'extérieur vers l'intérieur, vers Sarajevo, car nous en aurons dès lors les capacités militaires et politiques. Cela n'était pas le cas au mois de mai.

Pourquoi n'y a-t-il pas eu de plan d'évacuation des populations ? Parce qu'en fait, je me suis attelé à cette planification du ravitaillement qui me paraissait la première des urgences.

Ce que je me suis efforcé de faire, c'est de réagir. Lorsque je constate la situation que je décris au Conseil de sécurité le 24 mai, j'ai donné l'ordre d'étudier ce qui me paraissait évident - et non pas ce qui est dit dans le rapport des Nations unies -, à savoir un plan de ravitaillement des enclaves par hélicoptères. Cela me paraît essentiel : pour échapper aux contraintes des Serbes qui jugulent tout ravitaillement humanitaire par la route vers les enclaves, il faut passer au-dessus, avec tous les risques que cela comporte, et aussi avec peut-être la possibilité d'avoir des moyens de rétorsion, si les Serbes interviennent.

Lorsque j'évoque ce plan auprès des responsables de l'OTAN, leur réponse est qu'ils ne pourront intervenir que dans les enclaves, mais pas en dehors de ces zones, si un des hélicoptères était abattu, etc. M. Kofi Annan m'informe que les nations estiment que ce plan est trop dangereux et ne veulent pas le mettre en _uvre. Par conséquent, on retombe dans le problème précédent : nous sommes à la merci des Serbes pour la vie et le ravitaillement des populations et des forces des Nations unies. A titre d'exemple, 150 soldats néerlandais, partis en permission, ne peuvent rejoindre l'enclave. C'est une illustration de la manière dont les Serbes contrôlaient la situation.

M. François Lamy, Rapporteur : Qu'en est-il de l'utilisation des hélicoptères français ?

Général Bernard Janvier : Il nous fallait des hélicoptères lourds.

M. François Lamy, Rapporteur : Ne pouviez-vous pas utiliser les hélicoptères de l'opération Balbuzard ?

Général Bernard Janvier : Je vais revenir à l'opération Balbuzard. On ne peut effectuer ces opérations de ravitaillement avec des Puma et des Gazelle. Il faut des hélicoptères lourds, comme des Chinook, c'est-à-dire des hélicoptères très puissants qui peuvent enlever chaque fois quelques tonnes.

Nous avions sur place 2 hélicoptères lourds russes de type MI-6, au sein des forces des Nations unies, qui pouvaient enlever 5 tonnes à la fois. Par la suite, je les utiliserai pour ravitailler les populations serbes qui vont fuir les Krajina. Mais ces hélicoptères ne peuvent voler de nuit ni s'intégrer dans un réseau de contrôle de l'OTAN, du fait qu'ils sont équipés selon les normes du pacte de Varsovie, et non pas selon les normes de l'OTAN. Ils sont donc inutilisables dans un tel cadre. J'irai même plus loin : il me paraissait extrêmement dangereux de mettre de tels équipages dans de telles situations.

Ces 2 hélicoptères des Nations unies étant inutilisables, il convenait donc de se tourner vers des nations qui possédaient des hélicoptères lourds, capables de s'intégrer dans le système de contrôle de l'OTAN. Les Puma, comme cela était prévu dans le plan Balbuzard, pouvaient accompagner ces hélicoptères en emportant des commandos de protection, de manière à assurer la sécurité de ces hélicoptères, qui auraient pu rejoindre les enclaves en vol de nuit.

Balbuzard est un plan strictement national, conçu par la France et présenté en novembre 1994 à nos autorités politiques. A cette époque, nous sommes tout à fait conscients que nos soldats, dans les points de rassemblement des armes, sont des otages potentiels. Ce plan, qui comportait des risques très élevés et aurait entraîné des pertes, avait donc pour but de les extraire en cas de menaces. Encore fallait-il que nous puissions être prévenus de cette menace. Or, étant donné les conditions dans lesquelles se sont déroulées les frappes aérienne et la prise d'otages qui en a résulté à la fin du mois de mai 1995, on ne pouvait pas appliquer le plan Balbuzard stricto sensu.

Pourtant, le plan a été mis en _uvre : le porte-avions est parti, de même que les commandos, etc. Les moyens pour intervenir existaient donc à partir de ce moment-là, pour extraire les otages, si cela avait été possible. Ils auraient pu nous aider également dans d'autres situations, en l'occurrence à Sarajevo. Il était nécessaire de déployer cette force parce qu'on ne savait pas où on allait. Mais, en résumé, il n'existait pas de plan d'évacuation par la route des populations. J'ajouterai que les Bosniaques s'y seraient formellement opposés. Lorsque nous ravitaillons Gorazde en juin 95, par la République fédérale de Yougoslavie, je reçois M. Hasan Muratovic, Ministre bosnien des relations avec les Nations unies. A Zagreb, il vient faire un véritable scandale en soulignant qu'il est honteux, scandaleux, que nous passions par la République fédérale de Yougoslavie pour ravitailler Gorazde. Pour lui, nous devions passer directement sur la vieille route Sarajevo-Gorazde, ce qui était impossible car le front était en feu.

Le Président François Loncle : Concernant les lacunes du renseignement, nous avons entendu beaucoup de déclarations contradictoires. Mais l'idée qui se fait jour, c'est qu'il y avait peut-être plus de renseignement qu'on ne le dit et qu'il n'a pas été exploité. Pendant la guerre du Golfe, c'était déjà une obsession de Pierre Joxe. Comment expliquez-vous la persistance de ces lacunes qui ne concernent pas que la France ? Estimez-vous qu'elles sont surestimées ? Le vrai problème vient-il du fait que le renseignement n'aurait pas été exploité dans le sens qu'il convenait ? Lors de votre première audition, vous avez évoqué vous-même ces lacunes du renseignement de l'ONU. Vous avez mentionné la présence d'un officier américain au sein du bureau d'information de l'ONU, vous ajoutez qu'aucun renseignement ne vous a été fourni sur Srebrenica, pas même sur le départ de Naser Oric, dont vous dites avoir été informé bien plus tard. Comment expliquez-vous cette lacune, alors que les Etats-Unis surveillaient Srebrenica comme l'atteste l'existence de photos jusqu'au 11 juillet ?

Général Bernard Janvier : Mais on ne connaît ces photos aériennes sur les massacres que le 10 août, lorsque Mme Albright les dévoile devant le Conseil de sécurité, si j'ai bonne mémoire. Auparavant, on n'a pas les photos.

Le Président François Loncle : C'est ce que M. Mérimée nous a également indiqué.

Général Bernard Janvier : C'est la réalité.

Le Président François Loncle : Pourquoi avoir gardé ces photos pendant un mois ?

Général Bernard Janvier : Monsieur le Président, je ne change pas un iota de mes précédentes déclarations. Je regrette, mais j'étais sans aucun renseignement. Aujourd'hui, beaucoup de personnes affirment qu'elles savaient. Dans ce cas, il leur fallait faire circuler l'information.

M. François Lamy, Rapporteur : Je crois que c'est MSF qui a fait état, dans des articles, d'écoutes entre l'armée bosno-serbe et l'armée yougoslave.

Général Bernard Janvier : Sans doute, écoutes américaines.

M. François Lamy, Rapporteur : L'article ne le précise pas.

Général Bernard Janvier : Je ne peux, hélas, que constater cette carence totale, que j'ai dénoncée dans mon audition et que je maintiens.

Je reviens à la préoccupation première de la France. Je dis bien « de la France », pas du général Janvier. Je ne suis pas la France, ce serait trop d'honneur de me faire le représentant de la France. Je suis général des Nations unies et par ailleurs Français, mais l'amalgame est rapide.

La préoccupation de la France, c'est Sarajevo. Tout le dispositif de renseignement est focalisé sur Sarajevo. Sarajevo restera sa principale préoccupation. Cela n'empêche pas des organismes extérieurs, au niveau gouvernemental, d'obtenir des informations par leurs homologues, etc. D'ailleurs, s'agissant des comptes rendus de l'OTAN, même en ma qualité de général des Nations unies, je n'en suis pas destinataire.

M. François Lamy, Rapporteur : En votre qualité de général, au-delà de la chaîne de commandement, n'aviez-vous pas la possibilité d'utiliser les avions français d'observation, car nous avions des Mirage ?

Général Bernard Janvier : Il est exact que les Mirage 4 sont tout à fait capables de faire une couverture aérienne. Même s'ils sont basés en France, ils peuvent effectuer des missions sans problème. De même que nos avions F1CR, basés en Italie, qui seront d'ailleurs remarquablement utilisés en septembre, dans le contrôle des effets de frappe. Ils peuvent tout à fait effectuer ce type d'opération, mais cela échappe à mes responsabilités. Je vous répondrai que non, je n'avais pas de renseignements.

Mme Marie-Hélène Aubert : Je voudrais revenir sur les fameuses soirée et matinée du 10 et 11 juillet. Il règne un certain flou dans ce qui nous a été indiqué, concernant le déroulement des événements et les raisons pour lesquelles, le 11 juillet au matin, il n'y a pas de déclenchement d'opérations aériennes, comme cela semblait être prévu. J'aimerais revenir sur cet aspect et que vous apportiez des précisions, notamment s'agissant de la présence de ces guideurs au sol et la nature précise des actions prévues pour cette matinée en question. On savait qu'une certaine action était prévue à 6 heures du matin, mais elle ne s'est pas produite. J'aimerais que l'on revienne sur la nature des opérations prévues et les raisons pour lesquelles il ne s'est rien passé. Ceci n'est pas à mélanger avec l'opération prévue le lendemain après-midi.

Pourquoi ne s'est-il rien passé à 6 heures du matin ? Je ne dis pas que cela aurait changé le cours des événements, mais, manifestement, il était prévu et attendu quelque chose. Le colonel Karremans a été formel sur ce point, il tenait ses informations de sa chaîne de commandement. Tout le monde attendait quelque chose et il ne s'est rien passé.

Général Bernard Janvier : Madame la Députée, je voudrais tout d'abord préciser que, pour ma part, je me situe au niveau de Zagreb et au niveau stratégique. S'agissant de ce qui se passe au niveau du général Nicolai, du colonel Karremans et de Tuzla, je ne peux pas vous en parler, je n'y étais pas.

Par ailleurs, cela me permet de rebondir sur l'audition du général Nicolai, puisque nous sommes au c_ur du sujet. Je dois dire qu'il y a quand même une grande confusion, y compris dans vos propos, Madame, avec tout le respect que je dois à la représentation parlementaire. Vous avez déclaré, lors de l'audition du général Nicolai, que « le commandant Karremans attendait des frappes aériennes » et que « cela semblait bien être prévu, puisque le général Janvier et d'autres militaires français nous ont effectivement confirmé que des frappes étaient prévues tôt le matin. L'explication qui est donnée, notamment par le général Janvier, du fait qu'elles n'aient pas eu lieu, tiendrait à l'absence de guideurs au sol ». Je suis vraiment désolé de cette confusion. Je ne m'attendais pas à une telle confusion au terme de tant d'auditions sur l'arme aérienne. Je n'ai jamais dit que, le 10 juillet au matin ou le 11 juillet au matin, il était prévu des frappes aériennes. J'ai toujours dit que c'était un appui aérien rapproché. C'est totalement différent. C'est là que je dis qu'il y a une grave confusion. La sémantique a un sens.

Dans mon audition initiale, je me suis efforcé de faire _uvre pédagogique et de vous expliquer quelle était la chaîne de déclenchement de l'emploi de l'arme aérienne. Je ne vais pas revenir là-dessus. Il y a deux éléments : d'une part, les frappes aériennes, les Air Strike dans la profondeur du dispositif adverse, d'autre part, l'appui aérien rapproché. Je maintiens la teneur de mon message du 9 juillet, dont je vous ai d'ailleurs donné les références lorsque je vous ai écrit après ma première audition. Dans ce message que j'envoie le 9 juillet au soir à M. Kofi Annan, je dis qu'il est prévu, pour le lendemain matin, une action d'appui aérien rapproché, et non pas de frappe aérienne. C'est fondamentalement différent.

Mme Marie-Hélène Aubert : Le soutien aérien rapproché n'a pas eu lieu non plus.

Général Bernard Janvier : J'y viens. Ce que je dis là est grave, ce n'est pas de la sémantique, de l'exégèse. Confondre les frappes aériennes et l'appui aérien rapproché, Madame la Députée, si je puis me permettre, ce n'est pas de l'exégèse de militaire, c'est la réalité des choses. Cela induit d'ailleurs des réponses erronées de la part du général Nicolai, sur lesquelles je vais venir.

Pourquoi n'y a-t-il pas eu d'appui aérien rapproché ? C'est écrit dans le rapport des Nations unies. Je l'ai déjà dit dans ma première audition. Il y a deux raisons à cela. D'une part, les Serbes restent immobiles et ne reprendront leur progression qu'en fin de matinée, que ce soit le 10 ou le 11 juillet au matin. D'autre part, et je le maintiens, à ma connaissance, les observateurs aériens avancés ne sont pas en place.

Que dit le général Nicolai dans sa réponse reprise d'ailleurs abondamment par la presse qui était présente à son audition ? Oui, il y avait des observateurs aériens avancés. Il y avait des difficultés du fait que certains avaient été soumis au stress et ne pouvaient pas tenir et qu'on en avait envoyé d'autres, bien sûr qu'il y avait des observateurs. Mais je n'ai jamais dit le contraire ! D'autant qu'il y avait les commandos de renseignement des forces spéciales britanniques. Bien évidemment qu'il y avait des observateurs aériens avancés à Srebrenica, et je le savais ! Mais je répète qu'ils n'étaient pas en place, c'est-à-dire qu'ils n'étaient pas en mesure d'appliquer les procédures exigées par l'OTAN.

Je me permets de les rappeler. Pour intervenir en appui aérien rapproché, l'OTAN exige deux obligations : premièrement, une désignation de l'objectif par un observateur avancé dûment formé, laquelle désignation se fait par un moyen laser ; deuxièmement, le visuel du pilote sur cet objectif. Quand il y a, d'une part, désignation par l'observateur aérien et, d'autre part, visuel du pilote sur l'objectif désigné, le pilote délivre alors ses armes. En revanche, il n'y a pas d'attaque s'il n'y a pas d'observateur pour désigner l'objectif ou si le pilote ne voit pas l'objectif, même si l'objectif est vu par l'observateur au sol. Je vous donne deux exemples. Dans la continuité de cette action, à 14 heures 07 et non pas aux heures avancées dans le rapport des Nations unies, le premier avion attaque le dispositif serbe et largue des bombes. La deuxième vague arrive. Un observateur désigne un objectif qui est placé sous un bosquet. Ce sont 2 engins blindés, à environ 400 ou 500 mètres du premier. Il y a bien désignation par l'observateur avancé d'un objectif. Mais, à ce moment-là, avec la fumée des incendies, le pilote ne voit pas l'objectif et ne l'attaque donc pas. Deuxième exemple a contrario. Lors de la troisième vague, ce sont des avions d'attaque au sol américains, des A10, qui veulent prendre à parti une batterie d'artillerie qui se situe vers Potocari. L'observateur aérien est sur le toit d'un bâtiment mais, au moment de désigner l'objectif, il est obligé de disparaître parce qu'il se trouve sous le feu. Il n'y a pas d'attaque parce qu'il n'y a pas de désignation.

Je répète : selon les règles formelles de l'OTAN, il ne peut y avoir d'attaque aérienne au profit de troupes au sol sans la conjonction des deux éléments suivants : identification par un observateur avancé, identification par le pilote.

C'est pourquoi, quand j'entends le général Nicolai dire : « Quant au manque de contrôleurs aériens avancés, cela n'a pas été une raison pour ne pas exécuter ces attaques aériennes. » ou encore « La question des contrôleurs aériens avancés ne peut être avancée, je le répète, pour expliquer le fait que cet appui aérien rapproché n'ait pas été exécuté. », ou bien il ignore, ce qui me paraît surprenant, les règles d'emploi imposées et appliquées par l'OTAN, dont je vous ai donné deux exemples, ou bien il les a oubliées.

Mme Marie-Hélène Aubert : Vous me faites un procès sur l'emploi...

Général Bernard Janvier : Je ne vous fais pas un procès, je constate.

Mme Marie-Hélène Aubert : Avec tout le respect que je dois aux militaires, je vous mets au défi de trouver des attaques dans mes propos ; je n'ai jamais procédé ainsi.

Mais vous reconnaîtrez néanmoins que, pour le simple citoyen que je suis à qui l'on explique cette espèce d'imbroglio d'une procédure sur une situation qui se dégrade de jour en jour, cela peut paraître assez incompréhensible. On sait que les militaires présents sur place ont fait des demandes répétées qui n'ont pas abouti et vous avez expliqué pourquoi selon vous. Tout cela montre qu'il y avait un dysfonctionnement très important. On a l'impression que la procédure était pour le moins inadaptée à la situation. Quant à la réponse du général Nicolai, je ne la lui ai pas soufflée.

Général Bernard Janvier : C'est pourquoi, Madame la Députée, il est extrêmement intéressant pour moi de vous répondre, pour vous apporter une contradiction. Mais je comprends très bien la difficulté de l'exercice. J'ai été amené à intervenir devant la Mission d'information sur les conséquences sanitaires de la guerre du Golfe et à décrire des dispositifs techniques extrêmement complexes. J'ai peut-être été vif.

Mme Marie-Hélène Aubert : J'ai bien compris la différence entre les deux notions. C'est le mot « appui aérien rapproché » qui m'est venu, mais cela ne change pas la nature de la réponse.

Général Bernard Janvier : Si, cela change la nature de la réponse. L'appui aérien rapproché est un autre dispositif que la frappe aérienne. Dès lors qu'on n'est plus dans la structure d'appui aérien approché, il est clair qu'on ne peut pas le déclencher.

M. François Lamy, Rapporteur : Pour avoir étudié le Kosovo, j'ai vu la différence entre ces deux notions et les dommages collatéraux qu'entraînait l'absence de respect de ces règles de procédure. Pour en venir au fond, la relation se fait entre le contrôleur aérien et l'avion. Cela suppose donc que l'avion est déjà là.

Général Bernard Janvier : Il est en approche.

M. François Lamy, Rapporteur : Or, les 10 et 11 juillet au matin, les avions ne sont pas là.

Général Bernard Janvier : Les avions sont en attente.

M. François Lamy, Rapporteur : J'essaie de comprendre, je n'en suis pas aux conclusions. Nous essayons de répondre à toutes les questions de manière précise, car on voit bien que c'est l'un des trois ou quatre points qu'il nous faut régler. De plus, si on veut être compris par un certain nombre de personnes qui ne sont pas familières de ces choses-là, notamment nos amis de la presse, nous devons pouvoir expliquer heure par heure, voire minute par minute, ce qui s'est passé. On ne peut pas déterminer que les contrôleurs aériens ne sont pas en place alors que les avions ne sont pas en vol.

Général Bernard Janvier : Il est mentionné dans le rapport qu'ils se terrent dans leurs abris.

M. François Lamy, Rapporteur : Comment, techniquement, le sait-on ? Y avait-il des relations avec l'état-major basé à Naples ?

Général Bernard Janvier : L'observateur aérien au sol a une fréquence commune qui va vers l'avion en vol et vers un autre avion, l'Awacs, qui est le contrôleur. Je suis en direct de Zagreb l'attaque au sol, parce que je suis sur le réseau. Je n'interviens pas, mais j'écoute et j'entends la conversation entre l'observateur au sol, le pilote de l'avion en vol et l'Awacs, en fait Naples, base de l'Awacs, c'est-à-dire les contrôleurs qui dirigent l'ensemble de l'intervention aérienne. Tout cela se fait sur un même réseau. Il faut aussi considérer que l'avion n'est pas là, mais en orbite au-dessus de l'Adriatique, pour des raisons liées aux menaces anti-aériennes, que j'ai expliquées. La destruction du F16 américain, le 2 juin, va en effet conduire à une certaine neutralisation de l'arme aérienne. Dès lors que l'on décale les avions pour les mettre à l'abri d'un tir éventuel de missiles, on prend des délais. Ensuite, élément sur lequel je suis dans l'incapacité de vous répondre, pourquoi n'y a-t-il pas eu de ravitaillement en vol.

M. François Lamy, Rapporteur : Il est important de préciser ces choses-là.

Général Bernard Janvier : Pourquoi les avions doivent-ils partir ravitailler ? Je n'ai aucune explication à vous fournir, ce n'est pas mon domaine, ce n'est pas moi qui ai l'emploi des avions. Dans ma connaissance de l'engagement aérien, l'avion ravitailleur est là pour assurer une continuité de présence aux avions. Or, là, les avions partent et vont ravitailler au sol. Je ne suis pas en mesure de vous expliquer pourquoi.

Le Président François Loncle : Vous avez indiqué tout à l'heure que vous aviez été informé des massacres à partir du 10 août. Un de nos interlocuteurs, M. Voorhoeve, nous a dit qu'en aparté de la conférence de Londres, le 21 juillet, le général Rupert Smith avait indiqué qu'il avait la certitude qu'il y a déjà eu au moins 4 000 morts. Je crois que c'est le chiffre qu'il a cité. Comment expliquer que le général Rupert Smith ait eu connaissance de cela dès le 21 juillet ?

Général Bernard Janvier : S'il le savait, pour ma part, je ne le savais pas. Lorsque nous étions ensemble à la conférence de Londres, il ne m'a pas donné cette information. Comment pouvait-il le savoir ? Par les Américains, du moins par un accès à des sources qui n'étaient pas les miennes. C'est vrai qu'il existait naturellement - et c'est tout à fait légitime - un courant d'informations entre les Britanniques et les Américains.

M. François Lamy, Rapporteur : Quand nous avons auditionné le commissaire Ruez, il a expliqué qu'il y avait des photos aériennes venant des Américains jusqu'au 11 juillet, qu'il n'y en a plus entre le 11 et le 17 juillet, et qu'il y en a à nouveau le 17. Cette absence de photos entre le 11 et le 17 juillet vous semble-t-elle plausible ?

Général Bernard Janvier : Cela me surprend. Même s'il y a eu des problèmes satellitaires, des changements d'orbite peuvent être opérés. Je dis cela sans aucune certitude, mais je pense qu'il y a plusieurs satellites appartenant aux Etats-Unis dont la trajectoire peut être modifiée en quelques heures, afin de récupérer une mission défaillante.

C'est la première fois que j'entends parler de ces indications. Vous savez que le général Rupert Smith va rencontrer Mladic, le 15 juillet, pour signer l'accord de désengagement des Néerlandais à Srebrenica. Mais cela m'étonnerait qu'il ait été informé, à ce moment-là, à Belgrade, de ces choses-là. Pour ma part, je n'en ai jamais entendu parler le 21 juillet à Londres.

Le Président François Loncle: A supposer que les Américains aient quand même, d'une manière ou d'une autre, disposé de photos entre le 11 et le 17 juillet, pourrait-on envisager qu'ils ne les aient dépouillées qu'après le 17 ? A votre avis, est-il possible et vraisemblable qu'ils aient su avant la fin des massacres que des massacres étaient déjà en cours ? Quel aurait pu être l'intérêt des Américains de cacher la réalité ?

Général Bernard Janvier : Je ne sais pas. Il est possible qu'ils n'aient pas exploité ces renseignements. Ce qui me semble surprenant, c'est que, au regard de ce que je connais de leur couverture aérienne, ils n'aient pas décelé les préparatifs d'attaque. S'ils avaient des moyens de détection, d'écoutes, des photos aériennes, ils avaient des renseignements.

Je reviens à mon propos initial. Nous avons su qu'il y avait eu des atteintes contre des personnes et des assassinats parce que les soldats néerlandais les ont vus et en ont parlé. Certes, leurs photos ont disparu... C'est d'ailleurs pourquoi j'ai envoyé deux officiers, un Russe et un Français, dès le 13 juillet, pour essayer de se rendre sur place, mais ils ne passeront jamais Zvornic. Mladic me répondra qu'il n'en avait pas besoin. Je comprends maintenant pourquoi. Je suis même surpris qu'ils aient pu aller jusqu'à Zvornic.

Le Président François Loncle : Je me suis souvent posé la question suivante. J'ai été intrigué par l'insistance avec laquelle Médecins sans frontières a suivi cette mission, ce qui est parfaitement leur droit - je ne fais aucun procès d'intention -, a insisté pour qu'elle se déroule, a fait pression de manière forte et inhabituelle sur la représentation nationale, tout au long de cette mission. Cela peut s'expliquer par son rôle. Néanmoins, qu'avez-vous pensé, à l'époque, du rôle de certaines ONG, notamment de MSF, et du fait qu'ils n'ont pas évacué leur personnel bosniaque au moment où ils auraient pu probablement le faire ? Vous voyez ensuite ma déduction.

Général Bernard Janvier : Au niveau où je suis à Zagreb, je n'ai aucune relation avec les ONG, seulement avec le Haut Commissariat pour les Réfugiés (HCR), parce que les ONG ont des relations au niveau des théâtres d'opération et au niveau de Sarajevo. D'autre part, vous savez qu'il y avait, parfois, des différences d'approche philosophiques entre des ONG et les forces militaires.

Quant aux raisons pour lesquelles MSF n'a pas évacué son personnel bosniaque, je ne sais pas, je suis incapable de vous répondre. Je me demande s'ils n'ont pas pu le faire pour la simple raison que ce sont les Serbes qui contrôlaient toutes les entrées et sorties de Srebrenica. Il aurait été surprenant de voir les Serbes autoriser les Bosniaques _uvrant pour MSF à quitter Srebrenica. Nous, Français, avons évacué une partie de la population civile de Zepa. C'est nous qui avons sauvé ces personnes grâce à une présence militaire très forte et une affirmation très vigoureuse de notre volonté d'action et d'opposition, incarnée par le général Gobilliard. Je ne suis pas capable de répondre sur le problème de MSF. Je comprends leur légitime émotion sur le sort de leur personnel. Mais je comprends également les buts poursuivis au travers de ce que vous citiez, la pression permanente dans les médias, la déformation des faits, la divulgation de documents confidentiels, les suspicions, les assertions erronées, les amalgames hâtifs, etc. qui sont pratiqués systématiquement par cette organisation.

Le Président François Loncle : Vous-même étiez en contact avec le HCR au moment de la chute de Srebrenica ?

Général Bernard Janvier : Oui, au niveau de Zagreb, pas au niveau de Sarajevo. Je vous explique la situation. La première des choses que j'ai faites a été de prescrire au général Gobilliard l'ordre de maintenir les Néerlandais sur place. D'ailleurs, le soir même, j'ai rencontré, à Zagreb, le chef d'état-major de l'armée néerlandaise qui m'a indiqué que le Gouvernement néerlandais exigeait que les soldats néerlandais aient quitté l'enclave le lendemain matin. Exigence surprenante. Nous sommes le 11 juillet au soir.

En fin d'après-midi, lors d'un échange téléphonique avec le général Gobilliard, je lui avais dit ma manière de penser. Il fallait absolument faire tout notre possible pour aider les populations qui étaient dans cette situation, notamment leur donner l'eau et les vivres disponibles, apporter les soins aux blessés et escorter les cars qui évacueront la population civile à proximité de la ligne de front de Tuzla. Ces mesures seront tout à fait bénéfiques car on a pu observer, dans ces convois de personnes civiles, femmes et enfants, qui quittent Srebrenica vers Tuzla, qu'il n'y pas eu d'exactions, ce qui ne sera pas le cas pour ceux qui restent malheureusement.

M. François Lamy, Rapporteur : Personne ne se pose la question, à ce moment-là, de savoir pourquoi on emmène les hommes ? N'avez-vous aucun retour, sur le terrain, à cet égard ? Personne ne vous signale qu'ils emmènent tous les hommes ?

Général Bernard Janvier : Je vais vous expliquer pourquoi.

Pour conclure ma réponse précédente, c'est pourquoi je dis à M. Akashi qu'il doit absolument déclencher une mission HCR qui devra se rendre jusqu'à Srebrenica pour apporter les vivres et les médicaments. C'est l'ordre qu'il va prescrire aux responsables HCR en leur disant d'aller à Tuzla et ensuite à Srebrenica pour apporter de l'aide.

De mon côté, j'envoie un message à Mladic ainsi que les deux officiers que j'ai mentionnés précédemment, pour qu'ils soient présents, car j'ai l'expérience de la Slavonie occidentale. Je fais un retour en arrière sur la Slavonie occidentale et la Croatie. Les 1er et 2 mai, quand les Serbes qui vivent en Slavonie occidentale sont capturés par les Croates, la première chose que font les Croates est de séparer les femmes, les enfants et les hommes. On prend les hommes de seize à soixante ans, parce que, selon les Croates, ce sont des combattants. Ils vérifient qu'ils n'ont pas porté les armes ou commis des actions hostiles à la Croatie. J'ai donc cette expérience-là, mais la différence est grande.

En effet, en Slavonie occidentale, on peut mobiliser la communauté internationale, les observateurs des Nations unies qui sont sur place, etc. Tout le monde suit les cars des Croates qui amènent les Serbes vers les lieux de détention et de tri. Le surlendemain, sous la pression internationale, il y a la visite des ambassadeurs de l'Union européenne. Au final, tout se passe bien, ce qui n'a pas été forcément le cas dans les Krajina où la situation a été différente. Mais cette pression internationale a physiquement existé. Or, à Srebrenica, elle n'était pas présente, c'est là toute la différence. Si nous avions eu une présence internationale, cela eût été différent. Mais, de toute façon, Mladic ne l'aurait jamais acceptée, comme il n'a pas accepté la présence de mes deux officiers.

Le Président François Loncle : Dans votre audition précédente, vous avez mentionné que les soldats français se seraient battus s'ils avaient été présents. Cela n'a pas fait plaisir aux Néerlandais. Ces propos n'étaient-ils pas contradictoires avec le fait que le mandat des Nations unies n'était pas du tout celui-ci ? Comment avez-vous pu estimer qu'en tout état de cause, nos soldats se seraient battus ? De même, dans votre directive du 29 mai, vous écrivez que « les positions qui sont isolées en terrain serbe et dont le soutien ne peut être assuré peuvent être abandonnées lorsque les commandants supérieurs en prennent la décision, à la discrétion du commandant supérieur, lorsque ces positions sont menacées et lorsque le commandement supérieur estime que des vies risquent d'être perdues ». C'est un peu la démarche que les Néerlandais ont suivie.

Général Bernard Janvier : Non, il y a un amalgame - que je regrette vivement - dans tout ce que j'ai pu dire, entre des situations qui n'ont strictement rien à voir. Il ne faut pas arguer de ma directive du 29 mai et la rapporter à Srebrenica. La directive du 29 mai concerne Sarajevo et la prise d'otages. Dans cette directive, les positions, ce sont les points de rassemblement d'armes qui sont encore tenus par nos soldats chez les Serbes. C'est cela qui est visé. C'est cela que je dénonce : je m'élève très vivement contre le fait de vouloir refaire l'histoire. Le 29 mai, ma directive concerne Sarajevo et les points de rassemblement d'armes ; elle ne s'applique pas à Srebrenica. C'est là que je dis qu'il faut abandonner ces points de rassemblement d'armes.

Au mois de juillet, c'est tout à fait différent, nous ne sommes pas dans cette situation. Au moment de se battre, même s'il est exact que nous sommes dans une mission du maintien de la paix, à un moment donné, il faut aller jusqu'au bout, dire « Maintenant on arrête ! ». C'est ce qu'ont fait les Français à Vrbanja.

Lorsque j'annonce à M. Akashi, le 27 mai au matin, que nous avons repris le pont de Vrbanja et fait 4 prisonniers serbes, parce qu'on a donné l'assaut, c'est la stupeur dans le monde onusien. Que faire de ces 4 Serbes ? Certains conseillers de M. Akashi me disent qu'il faut les relâcher, que les Nations unies n'ont jamais fait de prisonniers. Il est évident que c'est absolument antinomique avec le mandat qui est le nôtre. Mais à un moment, il y a une ligne d'arrêt à établir, et c'est l'ordre que je donne de barrer la route à Srebrenica et de se battre. Car barrer la route signifie se battre.

M. François Lamy, Rapporteur : Concernant la position de blocage que vous avez demandée au colonel Karremans, quand on relit tant le rapport des Nations unies que celui du colonel Karremans, on identifie bien le moment où il prend la position de blocage, mais pas bien quand il l'arrête. D'ailleurs on ne voit pas bien l'utilité de cette position.

Général Bernard Janvier : Concernant la position d'arrêt, il s'agissait de barrer la direction, dans la conception que j'en avais établie. L'ordre en est donné le 9 juillet au soir. Les Néerlandais disent ne l'avoir appliqué qu'à 3 heures du matin le 10 juillet après un échange téléphonique avec le général Gobilliard . Barrer une direction signifie engager le combat. C'est dans le fondement même du terme « barrer une direction », certes avec les moyens modestes qu'ils avaient, j'en conviens, mais qui représentaient une réelle capacité de feu.

Il faut, dans mon esprit, barrer l'axe vers Srebrenica et se battre pour obliger les Serbes à dévoiler leurs intentions et, à ce moment-là, les frapper. C'est la raison donnée à cette position d'arrêt dès le 9 juillet au soir.

Le choix des Néerlandais est de ne pas se battre ni d'engager le feu ; il est contraire à la mission qu'ils ont reçue. Peut-être avaient-ils leurs raisons. Ce n'est pas un dédain de ma part, mais un constat. Ils ne se sont pas battus. En toute honnêteté, je dis que des soldats français se seraient battus, avec les risques que cela comporte. Comme ils le soulignent d'ailleurs eux-mêmes, quand on tire au-dessus des Serbes et qu'on n'emploie pas les armes antichars, les chars peuvent avancer. En employant ces armes, aussi modestes qu'elles puissent être, dans cet engagement de combat, on changeait la donne. Moi-même, je n'ai su que plus tard qu'ils n'avaient pas tiré. Ils ne me l'ont jamais dit. C'est une opinion personnelle.

Je ne jette pas l'anathème sur les Néerlandais. Ils avaient sûrement leurs raisons de ne pas le faire. Ces hommes-là étaient épuisés. On n'imagine pas ce qu'ils ont souffert, car je vous assure qu'ils étaient au bout du rouleau, moralement et physiquement. On ne peut pas vivre pendant quatre mois la vie telle qu'ils l'ont vécue, avec des pressions difficiles, de la part des Serbes et parfois des Bosniens, sans avoir de problèmes de moral. Certains ont quitté le service.

Le Président François Loncle : Vous seriez-vous senti, non pas mandaté, mais soutenu, couvert par le pouvoir politique français et onusien dans un tel cas de figure ?

Général Bernard Janvier : Sans aucun doute.

Le Président François Loncle : Il n'y aurait pas eu de résistance ou d'hésitation par rapport à l'état d'esprit des pouvoirs politiques onusiens ?

Général Bernard Janvier : Au monde politique onusien, on peut expliquer les choses, et puis, il y avait la réalité des faits. Je pense qu'on aurait compris cette réaction.

Le Président François Loncle : Souhaitez-vous ajouter quelque chose ?

Général Bernard Janvier : Je voudrais simplement dire que j'ai été, par moment - car je lis les comptes rendus de MSF - surpris par les questions et les amalgames, ce dont je vous ai fait part tout à l'heure. Toutefois, je comprends que la Mission d'information souhaite aller au fond des choses mais, quant à demander aux uns et aux autres s'ils pensaient qu'il y avait un deal ou non, pourquoi il existait un décalage entre la rencontre le 4 et le compte rendu écrit le 11... J'ai clairement expliqué tout cela dans mon audition antérieure. Je suis persuadé que la Mission d'information va largement au-delà de ces problèmes qui sont des détails, dès lors que j'ai clairement expliqué dans mon audition, comme je l'ai déjà fait devant les Nations unies antérieurement, de quelle manière j'ai assumé mes responsabilités en mon âme et conscience. En toute liberté de pensée, je répète encore une fois, pour conclure, qu'il y n'a pas eu d'accord avec Mladic, qu'à aucun moment, je n'ai reçu de directives françaises quant à l'engagement opérationnel des forces ou quant à la direction politique. Je répète qu'il n'y avait pas de politique du général Janvier. Officier des Nations unies, le général Janvier appliquait les directives du Secrétaire général. J'aurais d'ailleurs souhaité que vous le rencontriez, comme M. Akashi. De même, je regrette très vivement que vous n'ayez pas pu rencontrer le général Rupert Smith, qui aurait pu vous apporter un éclairage fondamental, et plus encore les responsables américains et les autorités militaires de l'OTAN, dès lors que l'intervention aérienne existait. D'ailleurs, dans ce domaine, l'amiral Leighton Smith, commandant le CINCSOUTH, officier général de l'OTAN, avait les mêmes pouvoirs que moi-même de déclenchement de frappes aériennes dans les zones de sécurité. Les autorités militaires de l'OTAN et le Conseil de l'Atlantique Nord avaient ces mêmes possibilités. De telles actions, s'ils les jugeaient nécessaires, étaient prévues dans le document du 8 août 1993, document fondamental de l'emploi de la force aérienne. Je regrette que ces autorités n'aient pas pu, à ma connaissance, vous éclairer sur ce sujet fondamental à mon sens et qui élève le débat. Personnellement, je n'ai aucune réponse à apporter quant à leur attitude.

Le Président François Loncle : Selon la dernière lettre de Rupert Smith, le Ministre de la Défense britannique ne lui aurait pas permis de s'exprimer. Avez-vous une explication sur ce refus ?

Général Bernard Janvier : Je n'ai aucune explication. Le général Rupert Smith est aux ordres du ministère de la Défense. Il aurait peut-être pu vous éclairer en donnant l'approche de la situation sur la Bosnie qui était celle du commandant en chef en Bosnie, approche différente de la mienne. De même, des rencontres avec l'amiral Leighton Smith et les autorités de l'OTAN auraient largement pu vous éclairer sur les choix qui ont été faits à leur niveau. A cet égard, je m'élève en faux - comme je l'ai déjà dit dans mon intervention - contre des propos selon lesquels les opérations menées le 30 août en matière d'actions contre les Serbes auraient pu être faites pour Srebrenica. C'est faux, totalement faux.

Voilà encore un exemple d'amalgame abusif, hâtif, qui fait fi des réalités internationales, des réalités entre les grands pays, des réalités des relations entre l'OTAN et les Nations unies, des décisions de M. Boutros-Ghali en matière d'emploi de l'arme aérienne, de la délégation qu'il m'avait donnée après le 25 juillet, qui fait fi, sur le terrain, de la réalité de la Force de réaction rapide, etc. Là aussi, c'est un amalgame trompeur.

Le Président François Loncle : Concernant l'action du HCR, elle a été contestable et critiquable dans la phase que vous avez décrite.

Général Bernard Janvier : Le HCR s'est dévoué sans compter. Je veux toutefois revenir sur la réunion du 8 juillet, à Genève, à laquelle ma présence paraissait indispensable à M. Boutros-Ghali et à Mme Ogata. Le problème était le ravitaillement des enclaves, donc de Sarajevo. Mon propos peut vous sembler quelque peu réducteur, ce dont vous m'excuserez. Je retiens de cette réunion l'annonce de Mme Ogata selon laquelle elle ne ravitaillera plus Sarajevo du fait que deux camions avaient été détruits par les Serbes. La ville était alors ravitaillée par la piste du mont Igman dans les conditions que l'on connaît, grâce à des camions que le HCR avait achetés et qui étaient conduits par des Bosniaques. Je lui ai dit que sa mission était de ravitailler Sarajevo. Certes, deux camions avaient brûlé, mais il nous fallait 75 tonnes de farine par jour pour faire vivre les habitants de Sarajevo, en garantissant à chacun 200 grammes de pain quotidien. Mme Ogata m'a répondu que le ravitaillement était devenu impossible et qu'elle l'arrêtait. J'ai alors décidé que ce serait des soldats français et danois qui conduiraient les camions. Chaque nuit, ils prenaient le volant de ces camions du HCR et amenaient dans Sarajevo au moins les éléments essentiels à la survie de la population.

Le débat a tourné autour de l'aide aux réfugiés. C'est un véritable dilemme pour le HCR : en réalité, c'est l'éternel problème des ONG, à savoir si l'aide humanitaire n'entretient pas la guerre. C'est un débat sans fin, dans la mesure où chacun savait que les convois du HCR destinés à Srebrenica ou Sarajevo faisaient l'objet de prélèvements à la fois par les Serbes, dans la partie serbe, et par les Croates, dans la partie croate, et les deux à la fois, quand les camions devaient traverser les deux zones. C'est malheureusement la triste réalité de ces situations. L'exception est la Somalie, où les convois d'aide humanitaire, escortés par des forces armées puissantes, sont restés inviolés.

Entretien avec M. Sead AVDIC,
Président de la Chambre des Représentants de Bosnie-Herzégovine

(mercredi 27 juin 2001)

Présidence de M. François Loncle, Président

M. Sead Avdic : Je vous remercie de votre visite au Parlement de Bosnie-Herzégovine. Le fait de savoir qu'en France, une commission parlementaire a été créée pour traiter les événements qui se sont déroulés à Srebrenica nous a beaucoup touchés. Nous savons très bien que pendant et après la guerre ainsi que durant la reconstruction de ce pays, le peuple français a toujours été avec la Bosnie-Herzégovine.

Je ne pense pas qu'il soit nécessaire de vous expliquer longuement la situation du pays dans lequel vous vous trouvez, c'est pourquoi je ne dirai que quelques mots.

Depuis le mois de novembre 2000, la Bosnie-Herzégovine a un nouveau Gouvernement qui n'est pas basé sur une philosophie exclusivement nationaliste. Nous essayons de réconcilier et la citoyenneté et la nationalité. C'est un Etat multinational.

Qu'est-ce qu'une société multinationale et comment fonctionne la Bosnie-Herzégovine ? Dans cet Etat, vivent trois peuples égaux. Les accords de Dayton, qui ne sont pas parfaits, nous ont néanmoins fourni un cadre pour la paix en Bosnie-Herzégovine qui est un Etat complexe. Dans ce contexte, nous essayons de respecter dans leur totalité les accords de Dayton.

Depuis le mois de janvier 2001, nous avons établi le Conseil des Ministres de Bosnie-Herzégovine. Nous avons élu deux membres de la présidence et accepté des dizaines de lois qui ont été proposées et adoptées. Plusieurs dizaines de projets de loi sont encore en cours dans la procédure parlementaire.

La semaine dernière, nous n'avons pas adopté la loi électorale. Beaucoup ont considéré cela comme un coup politique pour la Bosnie-Herzégovine. Mais les possibilités politiques de l'alliance en Bosnie-Herzégovine sont telles qu'elles exigent le minimum de protection des droits de l'Homme. Nous ne demandons rien de plus que les droits qui s'appliquent déjà aux citoyens français ou britanniques, conformément à la Convention universelle des droits de l'Homme. Dans un mois ou deux, nous devrions recevoir au Parlement un projet de loi électorale, l'adopter, et continuer ainsi la procédure d'accession de la Bosnie-Herzégovine au Conseil de l'Europe.

Par ailleurs, j'assiste fréquemment à des sessions organisées par les ONG et à des tables rondes sur le thème « vérité et réconciliation » en Bosnie-Herzégovine. La vérité est la condition de la réconciliation en Bosnie-Herzégovine, et sans la vérité, il n'y aura pas de réconciliation. Dans ce contexte, on ne peut pas changer l'histoire.

Srebrenica est l'exemple tragique des souffrances endurées par les peuples de cette région. Les données officielles parlent de 8 000 morts. Pour ma part, je parlerai plutôt de 10 000 morts, pour la plupart de jeunes hommes. Tous ces événements se sont déroulés sur trois jours. C'est un crime que la civilisation européenne n'avait plus revu depuis cinquante ans, et sur lequel il est indispensable d'enquêter. Le Tribunal de La Haye l'a d'ailleurs déjà affirmé à de nombreuses reprises. L'objet de ce propos liminaire est de rendre possible la réconciliation des peuples en Bosnie-Herzégovine.

Cette guerre sanglante s'est terminé il y a six ans. Aujourd'hui, nous sommes en mesure d'évoquer les événements qui ont eu lieu, la tête froide, sans émotion, alors qu'on ne pouvait s'attendre à cela même si on essaie de manipuler les population comme à Trebenje et Banja Luka.

La Fédération, c'est aussi ce projet du HBZ qui n'est pas réalisé. Les partis nationalistes en Bosnie-Herzégovine ne veulent pas lâcher le pouvoir, mais sont néanmoins confrontés à la perte des élections l'année dernière. On assiste maintenant à une lutte pour conserver le pouvoir, comme pour Mostar et pour la banque de Herzégovine. Cela signifie que la tentative de déstabilisation de Bosnie-Herzégovine a échoué et, au final, le nouveau système de pouvoir en Bosnie-Herzégovine.

Quant à la présence de la communauté internationale, le nouveau pouvoir la considère comme un partenaire pour appliquer les accords de Dayton en Bosnie-Herzégovine, avec qui on travaille sur le projet « Bosnie-Herzégovine de Dayton ». C'est un pays civilisé, même si vous avez du mal à le croire. Après les événements, il y a encore un degré assez élevé d'insécurité et de menace des droits de l'Homme de base. Mais le peuple de la Bosnie-Herzégovine est tout à fait en mesure de créer des relations très démocratiques et civilisées. Toutefois, il reste au nouveau système de pouvoir à passer cet examen dans les prochains jours.

Le Président François Loncle : Monsieur le Président, nous vous remercions de votre accueil auquel nous sommes très sensibles. Ce n'est pas sans émotion que nous avons foulé la terre de Sarajevo et de la Bosnie, il y a quelques instants. Pour certains d'entre nous, ce n'est pas la première fois, puisque mes collègues des Commissions de la Défense et des Affaires étrangères ont eu plusieurs occasions de venir ici dans ce pays, aux moments les plus graves.

La Mission d'information s'est déplacée pour connaître la vérité et les responsabilités dans le drame de Srebrenica qui, vous l'avez dit très justement hélas, a été l'un des plus graves et horribles survenus en Europe depuis la dernière guerre. Cette visite vise également à faire fructifier et développer la relation interparlementaire, connaître la situation de votre pays, et renforcer au sens large la relation politique entre la France, son Parlement et la Bosnie-Herzégovine.

J'ai été frappé par vos propos sur la vérité comme condition de la réconciliation. La Mission d'information s'efforce modestement de concourir à la recherche de cette vérité et des responsabilités. Ce voyage est le terme de nos investigations et de nos travaux. Après avoir auditionné un grand nombre de responsables, il était indispensable que la Mission d'information se déplace, en particulier à Srebrenica, à Sarajevo et à Tuzla.

Cette tragédie a fait l'objet de multiples travaux, notamment un rapport très intéressant et très important de l'Organisation des Nations unies sous l'égide de M. Kofi Annan, et un travail d'historiens néerlandais qui n'est pas achevé, mais dont une partie de premières conclusions a été publiée. J'aimerais savoir comment, en Bosnie-Herzégovine, est ressentie la Mission d'information et si les Bosniaques, qu'ils soient universitaires, responsables politiques ou parlementaires, ont eux-mêmes élaboré un certain nombre de recherches et essayé, même si les choses sont très délicates, de faire eux-mêmes une partie de ce travail. En d'autres termes, quelle est la part bosniaque dans la recherche de la vérité ?

M. Sead Avdic : Il est certain que personne dans ce pays ne doit éviter la vérité. Selon mes informations, je peux vous affirmer que la création de votre Mission d'information a été très bien accueillie. Elle a notamment été un encouragement pour les familles des victimes de Srebrenica. Venant de cette région, je connais un peu la question. Cela encourage ces familles de savoir qu'une mission parlementaire essaie de faire la lumière sur la tragédie de Srebrenica.

Pour ma part, j'accepte avec beaucoup de sympathie cette initiative. Je pense qu'il faut donner à votre Mission d'information toute la documentation existante et lui apporter tous les contacts possibles. Vous devez disposer - et vous le pouvez - de toutes les informations qui existent en Bosnie-Herzégovine. Ce sont les analyses faites à l'intérieur de l'armée bosniaque, l'armée de la Fédération, car une commission parlementaire avait aussi été créée pour enquêter sur Srebrenica. Je pense que cette documentation doit être accessible à votre Mission d'information. Une documentation a été transmise, par l'intermédiaire de nos trois officiers de liaison, au Tribunal de La Haye. Si vous en avez besoin, je peux entamer la procédure pour vous la rendre disponible. Je pense que le « propriétaire » de cette documentation est le ministère de l'Intérieur de la Fédération. Des associations ou des ONG ont peut-être également fait leurs enquêtes, pas dans le sens dont on parle, mais sous forme de témoignages de ce que les gens ont vécu là-bas. Toutefois, les deux premières sources que j'ai évoquées peuvent être importantes et utiles dans vos travaux. Si je peux vous aider en quoi que ce soit, je le ferai volontiers.

Une autre source intéressante pour votre Mission d'information serait la documentation du Haut Commissariat des Nations unies pour les Réfugiés (UNHCR), et notamment celle qui a trait au séjour du général Morillon qui était en 1993 à Srebrenica et qui a alors organisé le déplacement d'environ 10 000 personnes de Srebrenica à Tuzla. L'UNHCR était également présent pour accueillir les gens après le massacre du 11 juillet 1995. En effet, les réfugiés sont arrivés par milliers au canton de Tuzla où la plupart a été hébergée sous des tentes, dans un énorme camp installé à l'aéroport. Vous en avez certainement vu les images sur CNN.

Le Parlement néerlandais dispose également certainement d'informations, car je me trouvais aux Pays-Bas quand ont été entamées les discussions sur le comportement du bataillon néerlandais à Srebrenica. On peut savoir la vérité sur Srebrenica, sans rencontrer beaucoup de problèmes.

La responsabilité de commandement était tout à fait évidente, celle de Karadzic et Mladic, ainsi que celle du général Krstic, dont le procès se termine à La Haye, et de deux autres personnes qui étaient des exécuteurs et qui ont déjà été condamnées. Cela suppose donc que le Tribunal de La Haye, la Bosnie-Herzégovine et les Pays-Bas disposent de suffisamment de documents pour permettre de faire une analyse détaillée.

Par ailleurs, les Nations unies ont interrogé Naser Oric qui était alors le commandant de la défense de Srebrenica. Je pense que cet interrogatoire, qui dure déjà depuis quelques mois, se poursuit. Si vous pouviez obtenir ces documents des Nations unies, cela vous permettrait d'avoir une image complète de tous ceux qui occupaient un poste au moment des événements de Srebrenica.

Objectivement, il faut reconnaître que la communauté internationale à cette époque n'a pas été à la hauteur de sa tâche. Srebrenica était une zone protégée, libre, démilitarisée, que les Nations unies, c'est-à-dire les forces de la FORPRONU, étaient appelées à défendre. M. Akashi a hésité. Il ne voulait pas autoriser les frappes aériennes. Il n'était pas énergique. Pendant qu'il négociait, il a suffi de trois jours pour que les massacres soient commis à Srebrenica. Les rôles de certaines personnes sont relativement clairs.

M. Pierre Brana : Le Président de la Chambre des Représentants aurait-il un message personnel à adresser à la Mission d'information sur ces événements de Srebrenica ? A-t-il été question, à la Chambre des Représentants, de créer une mission pour tenter de faire la clarté sur les responsabilités de Srebrenica ?

M. Sead Avdic : Il faut rendre possible le retour à Srebrenica des familles des victimes. Les moyens sont toujours insuffisants pour assurer leur retour. De plus, il n'y a pas de sécurité. A cet égard, la SFOR et la police internationale devaient avoir plus de moyens pour assurer le retour des gens dans cette région. Il faut permettre l'enterrement de tous ceux qui ont été trouvés et identifiés ; le mémorial aux morts de Srebrenica sera posé à Potocari. Il est nécessaire de dire la vérité à ces familles, leur dire ce qui s'est vraiment passé et voir s'il y aurait peut-être encore des survivants dans certaines parties de la Serbie.

On a beaucoup progressé. Un laboratoire d'identification a été mis en place à Tuzla, mais il reste encore des milliers de corps à identifier. A Tuzla, il doit y avoir, me semble-t-il, environ 2 800 corps à identifier et à Visoko, environ 3 000. Ces corps seront transférés dans le mémorial qui sera édifié à Potocari, près de Srebrenica. Mais tout cela n'aura d'intérêt que si les gens reviennent vivre là-bas. Il faut les aider pour qu'ils puissent revenir vivre chez eux en Bosnie de l'Est.

Les dirigeants locaux voudraient que Srebrenica soit proclamé district ou obtienne un statut spécial, mais je pense qu'aujourd'hui, ce n'est pas encore réaliste, car il n'y a aucun consensus politique à ce sujet. Mais le plus important est que les gens rentrent et que vous aidiez à leur retour, pour ne pas faire de Srebrenica un musée, une ville abandonnée par ses habitants.

J'étais à Srebrenica en 1997. Pour occuper ce poste à Sarajevo, je suis venu de Tuzla. Pendant la guerre, j'étais le Président du Gouvernement de la ville de Tuzla où des milliers de réfugiés sont venus de Srebrenica. En 1993 et 1995, j'ai participé à l'accueil de ces gens et à l'organisation de leur hébergement. Quand vous rencontrez un enfant qui n'a jamais vu une ampoule électrique, que vous affrontez les traumatismes et le malheur des gens, d'une mère qui a perdu trois fils, trois belles-filles, deux petits-enfants, son mari, son frère, etc., ce sont vraiment des choses qu'on n'avait plus vues depuis la deuxième guerre mondiale.

En trois jours, au moins 8 000 personnes ont été tuées. Comme dit un philosophe d'ici, si on avait tué 3 000 ou 8 000 pigeons, cela aurait été considéré comme une catastrophe écologique, mais pas 8 000 vies humaines. Ils ont commencé avec des garçons de dix ou onze ans, mais ils se sont surtout attaqués aux hommes jusqu'à cinquante-soixante ans. Comme j'ai beaucoup parlé avec ces réfugiés, je connais un grand nombre d'histoires particulières et je sais bien ce qui leur est arrivé.

Quant à votre deuxième question, lorsque j'étais Député, on avait créé une commission parlementaire au niveau de la Fédération. Déjà pendant la guerre, l'Assemblée de Bosnie-Herzégovine avait demandé, vers la fin de l'année 1995, des rapports sur ce qui s'était passé à Srebrenica. Une commission avait alors mené une enquête. D'ailleurs les commissions qui travaillent sur le crime contre l'humanité en Bosnie-Herzégovine doivent aussi avoir de nombreux documents. C'est une commission permanente qui a travaillé depuis le début et qui a fait des enquêtes sur les crimes commis en Bosnie-Herzégovine. Il serait bien que vous rencontriez certains de ses membres.

Le Président François Loncle : Où sont-ils ?

M. Sead Avdic : A Sarajevo. M. Amor Macovic, qui est Député, est le Président de la Commission qui recherche les disparus. C'est une Commission d'Etat toujours très active et qui découvre les charniers. Il serait bien que vous rencontriez le Président de cette Commission qui est aussi Député au Parlement, parce que, croyez-moi, depuis sept ans, cet homme va d'une tombe à l'autre. Il a sûrement une banque de données très riche sur tout ce qui concerne la découverte des charniers et des disparus. Mais notre Parlement n'a pas de commission ; en créer une en ce moment, est-ce vraiment une bonne idée ? Il faut y réfléchir. Les partis politiques de Republika Srpska ne l'accepteraient pas ou alors un nombre très restreint des partis politiques, c'est-à-dire qu'il n'y aurait pas de consensus politique sur cette création.

M. François Lamy, Rapporteur : L'une des raisons d'être de la Mission d'information est de réfléchir au rôle des autorités militaires et politiques françaises au moment de la chute de Srebrenica. C'était un général français qui était alors à la tête de troupes de l'ONU en Bosnie-Herzégovine, de même que c'était un général français qui était responsable des troupes des Nations unies sur l'ensemble de l'ex-Yougoslavie.

J'aimerais savoir si, de votre point de vue et de celui des responsables politiques bosniaques, la France a une responsabilité directe dans les événements de Srebrenica, soit parce que ses autorités politiques n'auraient pas fait ce qu'il fallait faire, soit parce que le général Janvier, qui est critiqué en France par certaines ONG, n'aurait pas pris les bonnes décisions au bon moment.

M. Sead Avdic : C'est très difficile de le dire sans connaître en détail cette chaîne de commandement de l'ONU et des troupes de l'ONU. Je peux néanmoins vous faire part de mon opinion personnelle. Cette liaison entre M. Akashi et le général Janvier n'a pas fonctionné et n'a pas été énergique. Ils n'ont pas vraiment estimé le danger de la chute de Srebrenica. Mais ce n'est qu'une opinion. Si vous me demandez mes arguments, je peux vous dire que c'est mon impression, mais je pense qu'il est bien que la France ait créé cette commission pour vérifier toutes ces impressions.

Le Président François Loncle : Nous vous remercions pour votre disponibilité. Nous allons continuer nos entretiens et nos visites. Symboliquement, il est très important que vous ayez été le premier à nous accueillir. Encore une fois, au-delà de la Mission d'information, nous souhaitons approfondir les relations parlementaires entre votre pays et le nôtre.

M. Sead Avdic : Je vous remercie aussi pour cette initiative de former un groupe d'amitié franco-bosniaque. Nous avons beaucoup apprécié, pendant la guerre, le soutien que le peuple français a montré à l'égard de la population de Bosnie-Herzégovine. Le pouvoir officiel a-t-il réalisé ce que les citoyens français ont demandé ? Cela reste à discuter. Toutefois cela nous a encouragés, et nous suivions avec beaucoup d'intérêt ce qui se passait en France. Ce pays ne doit pas et ne peut pas l'oublier.

La création de ces groupes parlementaires serait une manière positive d'approfondir la coopération entre nos deux Parlements. Dans ce contexte, je vous demanderai si cela est possible d'obtenir un exemplaire de votre rapport. Il est également possible d'envisager, par exemple, de vous inviter, en votre qualité de Président de la Commission, pour que vous exposiez devant le Parlement vos conclusions. Cela pourrait être important pour vous, et nous vous en serions reconnaissants.

Le Président François Loncle : Je vous confirme que vous serez parmi les premiers informés, dès la publication de notre rapport.

Entretien avec des représentants des associations
« Mères de Srebrenica et Podrinje », « Srebrenica 99 »
et « Mères de Srebrenica et de Zepa »

(mercredi 27 juin 2001)

Présidence de M. François Loncle, Président

Le Président François Loncle : La Mission d'information vous remercie d'avoir répondu à son invitation. Vous connaissez probablement l'existence et le but de notre Mission d'information. L'Assemblée nationale française a souhaité connaître la vérité sur les événements tragiques de juillet 1995 à Srebrenica. A cet effet, elle a constitué une Mission d'information composée d'une dizaine de Députés de la Commission des Affaires étrangères et de la Commission de la Défense, puis procédé à un très grand nombre d'auditions de responsables civils et militaires de plusieurs nationalités. Les membres de la délégation terminent leur mission en venant rencontrer les responsables bosniaques, les victimes, et se rendre sur les lieux de Srebrenica et de Tuzla, afin d'obtenir le maximum d'informations pour bâtir le rapport d'information.

(Le Président présente les membres de la Mission d'information.)

La délégation est très sensible à votre présence et désireuse de vous écouter.

Mme Munira Subasic : Je suis membre de l'association « Mères de Srebrenica et de Zepa ». Je suis contente de constater que vous avez, vous aussi, compris votre part de participation dans ces événements. En effet, chacun sait qu'en 1993, le général Philippe Morillon a proclamé Srebrenica enclave protégée. Il nous a garanti, à nous les mères, à nos enfants et à nos maris, que la guerre était terminée pour Srebrenica ; il a affiché le drapeau des Nations unies et a, d'une certaine manière, garanti la sécurité de ceux qui y sont restés.

Le général Janvier, qui devait empêcher la tragédie de Srebrenica, ne l'a pas fait, de même que le Président Chirac. On sait qu'aux mois de janvier et de juillet, le général Janvier avait rendez-vous à Zvornik avec Mladic, et ce qu'ils ont négocié, nous l'avons senti dans notre chair en 1995. En effet, après la chute de Srebrenica, nous n'avons plus jamais revu 10 700 personnes, dont 570 femmes et 1 042 enfants mineurs, emmenés sous les yeux du bataillon néerlandais. Celui-ci avait demandé au général Janvier d'autoriser les frappes aériennes sur Srebrenica pour protéger ces vies, ce qu'il a refusé. Il est le premier responsable, avec le Président Chirac, de la tragédie de Srebrenica.

Pour ma part, je considère qu'ils sont responsables militairement et politiquement des événements tragiques de Srebrenica. Je ne sais pas comment votre Gouvernement et votre Parlement perçoivent cela, s'ils considèrent eux aussi que cet homme aurait dû empêcher les horreurs qui ont eu lieu et qu'il ne l'a pas fait. Il a respecté l'accord qu'il avait passé avec Mladic.

D'après le premier accord, Mladic devait relâcher les Français pris en otages après les premiers bombardements de Pale. C'est là que le général Janvier a donné le feu vert à Mladic pour occuper Srebrenica. Nous, les mères, nous le considérons comme le coupable, et il l'est réellement. A Potocari, on m'a pris mon fils qui était mineur, mon mari, mon père et 22 membres de la famille Subasic. Je suis à la recherche de 10 701 personnes qui ont disparu après la chute de Srebrenica.

M. Ibran Mustafic : Puis-je vous poser une question ? Je vous fais une proposition pour empêcher que la réunion prenne un tour négatif. Avant d'entamer les discussions, je propose, comme vous l'avez fait de votre côté, que chacun d'entre nous se présente pour que l'on voit qui est là aujourd'hui et quel est ce travail que l'on doit faire.

Mme Fatima Husejnovic : Je suis membre de l'association « Srebrenica 99 ». J'ai passé toute la guerre à Srebrenica et avec la chute de Srebrenica, je suis venue ici dans la Fédération de Bosnie. Je suis très active dans l'organisation féminine, créée à Srebrenica depuis 1992, et j'ai été informée de certains événements, dès le début de la guerre. J'ai personnellement organisé la prise en otages du général Morillon et de ses militaires lorsqu'ils sont venus à Srebrenica. J'ai eu de nombreux contacts directs avec lui, dans son cabinet à Srebrenica, durant lesquels il m'a dit beaucoup de choses, entre quatre murs.

Dr. Eliaz Pilav : J'étais médecin à Srebrenica. Actuellement, je vis dans la région de Sarajevo. Je suis membre de ce groupe de réfugiés qui s'est installé à Vogosca.

M. Ibran Mustafic : Depuis 1990, je suis leader du parti au pouvoir à Srebrenica. De 1990 à 1996, j'ai été membre du Parlement de Bosnie-Herzégovine et Président du Gouvernement de la ville de Srebrenica jusqu'à l'éclatement de la guerre. Au début de l'agression sur la Bosnie-Herzégovine, je suis venu, le 7 avril 1992, pour participer à une session au Parlement à Sarajevo et je suis resté à Sarajevo pendant les sept premiers mois de la guerre.

Puis, début décembre 1992, je suis rentré à Srebrenica où je suis resté jusqu'au 12 juillet 1995. J'ai été emprisonné jusqu'au 26 avril 1996. Jusqu'aux élections de 1996, j'ai participé au travail de l'assemblée. De 1996 jusqu'à maintenant, j'ai fait un peu de politique, mais je me suis principalement occupé de sujets touchant à Srebrenica.

Mme Hatija Mehmetdovic : Je suis de Srebrenica et membre de l'association « Mères de Srebrenica et de Zepa ». J'ai vécu à Srebrenica jusqu'en 1995, jusqu'à la chute de Srebrenica. Là j'ai perdu 2 fils et mon mari. Je n'ai plus personne. J'ai perdu mes frères, mes neveux et beaucoup d'autres membres de ma famille.

Mme Advija Sehomerovic : Je suis de Srebrenica et membre de l'association « Mères de Srebrenica et de Zepa ». Je suis née et j'ai vécu à Srebrenica jusqu'en 1995. C'est à cette époque que je suis partie à la retraite. Avec la chute de Srebrenica, j'ai perdu beaucoup de membres de ma famille et beaucoup d'amis. En 1992, mon mari a été tué par les Tchetniks à Bratunac.

Mme Mirsada Bosnjakovic : Je suis de Nova Kasaba de la commune de Blasenica. Je suis aussi membre de l'association « Mères de Srebrenica et de Zepa ». Quand la guerre a éclaté, je me suis retrouvée à Srebrenica avec ma famille. Mon mari a travaillé pour l'association Médecins sans frontières (MSF) en tant qu'interprète. Pendant la chute de Srebrenica, j'ai perdu mon mari, qui, en présence de membres de MSF, a été emmené de son travail, ainsi que mon fils qui était mineur, il n'avait même pas treize ans. J'ai aussi perdu mon frère, mon neveu, ma belle-s_ur et 17 membres de la famille Bosnjakovic.

Ici j'ai la carte de travail de mon mari, avec la lettre que j'ai adressée à MSF ainsi qu'une lettre de recommandation indiquant que c'était le meilleur interprète à Srebrenica et que, sans lui, cette organisation ne pouvait accomplir son travail. En arrivant à Tuzla avec mes 3 autres enfants, je me suis adressée plusieurs fois aux responsables de cette organisation pour qu'ils m'aident. Ils ne m'ont jamais rien envoyé, même pas un mot de condoléances. Pour moi, ils sont coupables et responsables de la mort de mon mari parce qu'il a été emmené sous leurs yeux. Ils avaient garanti la sécurité de tous leurs employés, mais ils ont laissé les Tchetniks l'emmener et l'égorger. On a retrouvé son corps dans un charnier à Karakaj, avec cette carte d'accréditation. C'est grâce à cette carte que l'on m'a retrouvée et que j'ai pu identifier le corps de mon mari. Il n'a toujours pas été enterré. Tous les corps se trouvent à Tuzla en attendant un enterrement commun. Quant au sort de mon fils mineur, de mon frère et de tous les autres, je n'ai eu aucune information.

Je profite de cette occasion pour remercier un homme, M. François, de Paris, qui a travaillé avec mon mari à MSF. Il nous avait dit, si jamais nous avions besoin d'aide, de nous adresser à lui, mais j'ai tout perdu, son adresse et tous les papiers.

Mme Munira Hadzic : Je suis de Nova Kasaba et membre de l'association « Mères de Srebrenica et de Zepa ». J'étais à Srebrenica. Au moment de la chute, j'ai perdu ma s_ur, mes amis et beaucoup d'autres. C'est tout.

Le Président François Loncle : Je vous remercie beaucoup pour ces témoignages extrêmement émouvants. Le but de la Mission d'information est de connaître la vérité et d'essayer de faire en sorte que plus jamais un tel événement ne puisse se reproduire. Nous avons auditionné un grand nombre de responsables. Par ailleurs, l'ONU a fait un rapport, sous la responsabilité de son Secrétaire général.

La visite en Bosnie de la Mission d'information est très importante, et nous ne pouvons pas aujourd'hui vous donner nos conclusions. Vous serez informés en priorité lorsque nous publierons le rapport, mais d'ores et déjà le sentiment de la Mission d'information est que la responsabilité est multiple. On ne peut accuser exclusivement tel ou tel responsable politique ou militaire. Il y avait une chaîne de commandement, dans l'Organisation des Nations unies, très complexe et qui n'a pas fonctionné. Des pays ont essayé de défendre la liberté et la paix sur le territoire de l'ancienne Yougoslavie. D'autres pays n'ont pas voulu intervenir ici et n'ont manifesté aucune attention pour les drames qui s'y déroulaient. Il serait paradoxal que seuls les pays qui se sont investis soient aujourd'hui accusés. Ainsi, il y aura neuf ans demain, le Président de la République française, accompagné d'un membre du Gouvernement, permettait à l'aéroport de Sarajevo d'être rouvert.

S'agissant de Srebrenica, vous êtes victimes de la tragédie la plus atroce qui se soit déroulée en Europe depuis la guerre. En premier lieu, la Mission d'information souhaite avoir des précisions sur ce que vous ressentez et ce que vous avez vécu, et qui encore une fois nous émeut infiniment.

J'ai personnellement deux questions précises à vous poser. La première concerne l'accusation que vous portez à l'encontre du général Janvier et de la France lorsque vous dites qu'il y a eu échange entre la libération des otages et la possibilité pour le général Mladic d'avoir toute liberté dans l'enclave. Jusqu'à maintenant, nous n'avons recueilli aucune preuve sur la réalité de cet accord. J'aimerais savoir si certains d'entre vous ont des preuves que cet accord aurait été conclu.

Ma deuxième question porte sur l'évacuation de l'enclave. Compte tenu des informations dont certains disposaient sur les dangers d'une attaque serbe, pourquoi le HCR ou une organisation comme MSF n'ont-ils pas évacué les civils et, s'agissant de MSF, leurs personnels bosniaques ?

M. Ibran Mustafic : Je voudrais dire, tout d'abord, que vos propos sur le Président Mitterrand et sa venue à Sarajevo m'ont irrité. Au moment de son arrivée, j'étais à Sarajevo et c'est pourquoi je voudrais faire quelques remarques concernant cet événement. A cette époque, j'ai réagi et dit à M. Alija Izetbegovic que si j'étais le Président de la République de Bosnie-Herzégovine, le Président Mitterrand ne serait pas autorisé à rentrer dans la présidence et resterait devant la porte. Je prétends - et j'en prends toute la responsabilité - que le Président Mitterrand n'est venu à Sarajevo que pour empêcher l'intervention du Conseil de sécurité des Nations unies, car la guerre, à cette époque, avait déjà éclaté en Bosnie-Herzégovine. Il est seulement venu pour établir un corridor aérien avec Sarajevo, afin que les habitants de Sarajevo puissent recevoir des boîtes de poisson pendant cinq ans. Nous en sommes tout à fait conscients et nous avons le droit de le dire, car nous sommes venus aujourd'hui pour parler franchement. Avec le Président Mitterrand, la politique officielle de la France s'est mise ouvertement du côté de l'agresseur, c'est-à-dire du côté serbe. Pour nous, cela était tout à fait clair. En ce qui concerne la deuxième question, le Dr. Pilav pourra vous répondre, car il est médecin et a travaillé avec cette organisation.

Quant au général Janvier, nous disposons de documents qui mentionnent son rendez-vous le 15 juillet 1995 à Belgrade. A cette réunion, qui s'est déroulée chez le Président Milosevic, participaient le général Janvier, Karadzic, Mladic, M. Akashi, en tant que Représentant des Nations unies, et M. Carl Bildt. La tragédie de Srebrenica a commencé le 11 juillet, et ils se retrouvent le 15 juillet à cette réunion à Belgrade. La particularité de cette réunion est qu'ils se retrouvent tous le 15 juillet à Belgrade et que le lendemain, le 16 juillet, les plus grands massacres des personnes déjà arrêtées sont perpétrés. Cela ressort des déclarations et du témoignage de Erdemovic qui a été inculpé et jugé à La Haye. C'est le lendemain de cette réunion que les plus grands massacres sont commis. Bien entendu, on ne peut pas savoir de quoi ils ont discuté et sur quoi ils se sont mis d'accord, mais on perçoit très bien les conséquences de cette réunion, et ce qui s'est passé après.

Plus spécifiquement, s'agissant du général Janvier et du Gouvernement français de cette époque, le général Janvier était ici dans le cadre des forces des Nations unies qui s'appelaient à l'époque FORPRONU et, en même temps, il était militaire français, il était responsable devant le Gouvernement français. Je veux dire qu'avant tout, il était général de l'armée française.

A ce sujet, j'évoquerai un épisode qui a fait que je suis resté prisonnier des Tchetniks et que des milliers de personnes sont restées à Potocari. Au moment de la chute de Srebrenica, j'étais encore dans un assez mauvais état de santé car, cinquante jours avant la chute, j'avais été blessé et j'avais du mal à bouger. Le 11 juillet au soir, je suis parti dans la direction de Bulime, c'est-à-dire la direction dans laquelle la plupart de la population s'est dirigée en voulant traverser la forêt pour rejoindre Tuzla.

Je suis arrivé jusqu'à un endroit qui s'appelle Dubrocevic, mais j'étais déjà complètement épuisé et je suis rentré à Potocari. En arrivant à Potocari, vers minuit, j'ai cherché un poste de radio pour avoir des informations, car je n'en avais aucune. La nuit du 11 au 12 juillet, j'ai écouté le journal de minuit de la radio de Bosnie-Herzégovine, et j'ai entendu la déclaration du Président Chirac demandant que le Conseil de sécurité des Nations unies prenne la décision d'intervenir d'urgence à Srebrenica afin d'arrêter les forces de l'agresseur, de les renvoyer hors de Srebrenica, d'attaquer, si nécessaire, avec les troupes de l'OTAN, et de permettre à la population de rester à Srebrenica. Ce discours du Président de la République française, que j'ai entendu à ce moment-là, m'a conduit à décider d'attendre, avec beaucoup d'autres, les Tchetniks dans cette usine de Potocari. En effet, il ne s'agissait pas là d'une déclaration d'aide humanitaire ou d'un membre d'une organisation humanitaire en France, mais de la déclaration du Président de la République française, l'une des puissances de l'OTAN et membre permanent du Conseil de sécurité, c'est-à-dire des Nations unies, ceux-là même qui avait voté la résolution selon laquelle Srebrenica était une zone protégée.

En même temps, ce qui est encore plus grave, le Conseil de sécurité et la France, en tant que membre permanent, savaient que Srebrenica était une zone démilitarisée, ce qui est cent fois plus particulier que d'être simplement une zone protégée, parce qu'on était effectivement le peuple désarmé. Selon la Charte des Nations unies, sur laquelle se basent toutes les organisations internationales, c'est-à-dire le Conseil de sécurité et l'OTAN, la communauté internationale était dans l'obligation d'intervenir à Srebrenica.

Le Président François Loncle : Tout cela, nous le savons. Vous remarquez vous-même que le Président Chirac a fait une déclaration qui laissait entrevoir une protection, tout en l'accusant personnellement, mais vous ne répondez pas à ma question sur la preuve d'un accord entre le général Janvier et Mladic sur un échange éventuel entre les otages et la liberté d'action.

M. Ibran Mustafic : Je ne parlais pas ici des otages français, mais de la réunion du 15 juillet à Belgrade.

Le Président François Loncle : Alors sur quoi aurait porté un accord entre le général Janvier et Mladic ?

M. Ibran Mustafic : A Srebrenica, nous n'étions pas l'OTAN pour pouvoir enregistrer les entretiens à Belgrade ! Ils ont probablement bu du whisky, car chacun sait que Milosevic aime le whisky, mais il est impossible d'attendre de nous de dire sur quoi portait l'accord, excepté le fait qu'ils se sont mis d'accord sur quelque chose à Belgrade. Ce qui nous intéresse, ce sont les conséquences de l'accord. C'est pourquoi on évoque la responsabilité de toutes les institutions, de certains Gouvernements, qui étaient mandatés. Nous pourrions aussi vous poser des questions sur ce qui nous intéresse. Par exemple, s'agissant du témoignage du général Janvier devant le Parlement français, il n'y a eu aucun compte rendu dans la presse et les médias. J'ai pourtant suivi les travaux de la Mission d'information.

Le Président François Loncle : Vous aurez ce compte rendu dans le rapport.

M. Ibran Mustafic : Nous attendons de vous des réponses à ces questions, car peut-être qu'à l'époque le Gouvernement français n'était pas impliqué directement dans ce drame. Imaginons que je sois militaire dans l'armée bosniaque, je sais pour quelles tâches je suis mandaté, je ne suis pas simplement parachuté dans cette organisation, je suis responsable envers le Gouvernement que je représente.

Le Président François Loncle : Vous estimez a priori que la France est coupable, donnant l'impression qu'elle est seule à l'être, et vous finissez votre propos, de manière plus objective, en reconnaissant que ce n'est pas seulement la France, mais la communauté internationale et d'autres responsables.

M. Ibran Mustafic : Nous n'avons pas devant nous la délégation du Conseil de sécurité. Ce qui vous intéresse, c'est la responsabilité du Gouvernement français.

Le Président François Loncle : Pas seulement.

M. Ibran Mustafic : Pas seulement. Bien sûr, pourquoi ? Je ne voulais pas évoquer le Président Mitterrand tout à l'heure, ni le Premier ministre britannique, Major, parce que je pensais que cela ne vous intéressait pas.

Le Président François Loncle : Le Dr. Pilav va maintenant décrire l'évacuation et le rôle de MSF.

Dr. Eliaz Pilav : Cela ne vous surprendra pas si je vous dis que cette question est débattue en ce moment. Je parle de cela en tant que témoin de tous les événements à Srebrenica. Quand on pose une telle question, on essaie aussi de dévier l'attention sur des choses beaucoup plus importantes. Pour moi, attirer l'attention sur les organisations humanitaires, c'est que l'on n'est soit pas assez soit bien informé. MSF et la Croix-Rouge sont arrivés à Srebrenica après que l'enclave eut été déclarée zone protégée. Du début jusqu'à la fin, j'ai été un très proche collaborateur de MSF. Je profite de cette occasion pour exprimer tout mon respect pour cette organisation. Les membres de MSF ont fait beaucoup, et je ne sais pas s'ils auraient pu faire plus dans les conditions données. Ils continuent d'ailleurs encore aujourd'hui. Je pense que cette réunion s'est aussi tenue grâce à eux. J'espère que tout cela aboutira à un résultat qui sera juste.

Pour revenir à Srebrenica, les représentants du HCR ont quitté la ville quelques mois avant sa chute. Seul un employé local est resté, c'est-à-dire un Musulman de Srebrenica. Les représentants de la Croix-Rouge ont également quitté Srebrenica quelques mois avant la chute et seuls quelques employés locaux sont restés. Quelques mois avant la chute, la mission MSF a aussi été réduite à Srebrenica. Au moment de l'attaque et de la chute de Srebrenica, il n'y avait comme représentants de MSF qu'une infirmière allemande, Christina Schmitz, et un médecin australien, Daniel O'Brien.

Quel était le mandat de MSF à Srebrenica ? Eux non plus ne pouvaient entrer et sortir de la ville comme ils le voulaient. Peut-on imaginer que ces deux personnes aient pu organiser l'évacuation ? Je le sais parce que j'en ai été témoin qu'ils ont envoyé des rapports en permanence, jour et nuit, dans tous les coins du monde. Savez-vous quelles sont les réponses qu'ils recevaient le plus souvent ? Vos rapports, et là je cite, « peuvent-ils être confirmés par des sources indépendantes » ? Qu'est-ce que les sources indépendantes ? Ils étaient seuls avec nous. J'arrête sur ce point qui n'est pas important dans cette situation.

Srebrenica était une zone protégée, une zone démilitarisée, et on a commis un génocide à Srebrenica. Quelqu'un a pris la responsabilité en 1993 de déclarer Srebrenica zone protégée et démilitarisée. Selon cette logique, Srebrenica n'aurait pas dû vivre ce qu'elle a vécu. Mais si elle a eu ce destin, quelqu'un en est coupable. Il est évident qu'il n'y a pas de responsabilités individuelles. Plusieurs facteurs ont contribué au sort de Srebrenica.

Les Serbes sont les exécuteurs de Srebrenica ; cependant il est très clair, et cela ne devrait plus faire l'objet de polémiques, qu'ils avaient des complices, c'est-à-dire avant tout la communauté internationale, et quand je dis communauté internationale, je pense à ceux qui étaient présents à cette époque. Dans cette hiérarchie, en partant du bas, il y a le bataillon hollandais, l'inévitable général Janvier, M. Akashi, et bien sûr M. Kofi Annan qui, à cette époque, n'était pas le Secrétaire général, mais la personne en charge des Balkans.

J'évoquerai encore ce dont j'ai été le témoin. Du 10 au 11 juillet, c'est-à-dire la veille de la chute, en tant que médecin, j'étais présent à la réunion du poste de commandement de Srebrenica où on a essayé encore une fois de voir comment défendre Srebrenica. A minuit exactement, le colonel Karremans est arrivé au poste où se tenait la réunion. Comme s'il savait de quoi on parlait, il a expliqué qu'il ne fallait pas que l'on tire ou que l'on réponde aux combats. Il a déployé la carte de la région où étaient marquées nos positions et celles des Serbes. Il a précisé qu'il avait indiqué des zones qu'on appelait zones de la mort. Il a précisé avoir déjà demandé à plusieurs reprises et finalement obtenu l'autorisation des frappes aériennes et qu'à l'aube, ces frappes auraient lieu. Il a indiqué ces soi-disant zones de la mort et a demandé qu'on se retire à une distance où on serait en sécurité par rapport à elles, prétendant que ceux qui s'y trouveraient seraient tués.

Que pouvaient faire les militaires de Srebrenica dans une situation aussi catastrophique ? Tout ce qu'il nous restait à faire, c'était de le croire. J'ai appris par la suite qu'un certain nombre d'avions avaient décollé d'Aviano en Italie et entendu dire que ces avions avaient été rappelés par le général Janvier.

M. Ibran Mustafic : Vous avez demandé de quelle manière était organisée l'évacuation, c'est-à-dire pourquoi les organisations internationales n'ont pas organisé une évacuation. Je vous renvoie la question, car elle signifie qu'on s'était déjà mis d'accord sur le principe de l'évacuation des habitants de Srebrenica ?

Le Président François Loncle : Il y avait des risques.

M. Ibran Mustafic : C'est la Serbie qui a agressé Srebrenica. Si, à ce moment-là, on avait opéré une évacuation en bonne et due forme, cela signifiait qu'on acceptait le nettoyage ethnique qui était la stratégie de toute cette guerre. La raison en était la signature des accords de Dayton selon lesquels la Bosnie-Herzégovine a été définitivement partagée.

Le Président François Loncle : Là n'est pas la question. Le problème est lié à l'existence d'une contradiction entre les informations convergentes recueillies, prédisant le pire quant à l'action des Serbes à Srebrenica et la détention de ces renseignements par ceux qui auraient pu prendre des précautions d'évacuation. Les mêmes ne peuvent pas nous dire à la fois qu'il y avait danger et qu'ils le savaient, et puis expliquer qu'ils n'ont rien fait pour évacuer les populations civiles.

Mme Hatija Mehmetdovic : Je voudrais revenir sur la première question. Vous avez demandé si nous avions les preuves de ces réunions secrètes entre le général Janvier et Mladic. Oui, nous les avons. Il y a 5 500 sacs qui sont déposés à Tuzla, 10 700 de nos enfants ont été emmenés et tout cela a été convenu avant que cela se passe. Les pays, qui avaient leurs militaires et officiers en Bosnie-Herzégovine, comme la France, les Pays-Bas, la Russie et les autres, qui étaient là pour éviter que ce malheur arrive, sont des complices parce qu'ils n'ont pas agi comme ils le devaient. Ils n'ont pas accompli leur mission comme il le fallait et ils sont responsables.

M. François Lamy, Rapporteur : Cette réunion d'aujourd'hui est importante car pour la première fois, la Mission d'information rencontre des personnes qui étaient sur place, mis à part les responsables hollandais.

J'aurai deux questions. On sait que Naser Oric et une partie de son état-major sont partis au mois d'avril. Je voudrais savoir si vous étiez informés de cela et si vous en connaissez les raisons, et si vous estimez que sa présence était utile. Militairement, était-il possible de faire quelque chose ou pas, compte tenu de l'état des forces bosniaques à ce moment-là ?

Quant à la deuxième question, certes il n'y a pas eu de frappes aériennes le 11 juillet au matin. En revanche, il y en a eu à 14 heures et puis selon nos informations, elles se sont arrêtées à la demande du Gouvernement hollandais. Vous qui étiez sur place, considérez-vous qu'il était encore possible, après 16 heures le 11 juillet, de continuer d'intervenir avec des avions ? Cela risquait-il d'entraîner des victimes civiles ? Etait-il encore possible d'avoir une action militaire dans la fin de la journée du 11 juillet ?

Dr. Eliaz Pilav : Je commencerai par la deuxième question. Ce que vous appelez les frappes de 14 heures le 11 juillet, on peut les appeler comme on veut, mais certainement pas des frappes. Que s'est-il passé ? Deux avions ont survolé la zone, et l'un des deux a lâché quelque chose qui ressemblait à une bombe fumigène, cela au moins trois kilomètres derrière les positions serbes. Etait-il possible d'intervenir à 16 heures ? Je pense que oui et avec beaucoup d'efficacité. A ce moment-là, le risque de tuer des civils était minime, parce que les civils avaient déjà quitté la ville.

M. Ibran Mustafic : Quand il y a eu le génocide perpétré par le régime de Milosevic à l'encontre des Albanais au Kosovo, l'OTAN n'a pas visé seulement les cibles. Leur cible était aussi le QG de l'armée yougoslave à Belgrade. A 14 heures le 11 juillet, j'étais à Lipa, une côte qui domine toute la zone. Quand ces deux avions de l'OTAN ont survolé la zone, je pensais qu'ils étaient en train de viser les véhicules blindés serbes qui se dirigeaient déjà vers Srebrenica. Après cette bombe qu'ils ont lancée, que je pensais être une vraie, j'ai vu que les véhicules blindés continuaient leur route vers Srebrenica. De cette côte qui domine toute la ville, un char tirait en permanence sur la ville, on n'a même pas essayé de le détruire. De plus, par la suite, on a appris, lors du procès de Krstic à La Haye, que c'était un lieu de commandement. Il ne faut pas nous poser des questions du genre « que se serait-il passé s'il y avait ou pas... ? », cela ne nous intéresse pas. Quant à la question du départ de certaines personnes de Srebrenica, il faut leur demander pourquoi elles sont parties ou poser la question à ceux qui les ont convoqués.

M. François Lamy, Rapporteur : Mais vous (s'adressant aux autres personnes), qu'en pensez-vous ?

Mme Advija Sehomerovic : Pour ce qui concerne Naser Oric, je ne suis pas militaire. S'il était resté, cela aurait peut-être pu être un soutien moral pour nous, mais le soutien moral n'aurait pas suffi car notre armée était désarmée. Il aurait pu y avoir des centaines de Naser, mais sans armes, cela n'aurait servi à rien. En tout état de cause, il n'y avait personne pour nous défendre.

M. Ibran Mustafic : Je dois intervenir là. Nous avons dit tout à l'heure que Srebrenica était démilitarisée, que nous étions tous là-bas des civils sans armes, depuis 1995. On ne peut pas parler d'activités militaires à l'intérieur de la zone.

M. François Lamy, Rapporteur : Madame le dit très bien.

Mme Advija Sehomerovic : J'ai été la dernière à quitter ma rue le 10 juillet. Les voitures militaires blindées du bataillon hollandais étaient à Srebrenica. Les Hollandais nous ont aidés à quitter Srebrenica et nous ont invités à aller à Potocari. Quand les frappes ont commencé, j'étais dans un champ. Je n'ai pas du tout été effrayée par ces frappes. J'avais plus peur des avions serbes quand ils bombardaient Srebrenica, à l'époque, parce que c'était plus fort. Tout cela pour vous dire que, pour moi, ce n'était pas vraiment des frappes aériennes.

Mme Munira Subasic : Le 11 juillet à 16 heures, il y avait déjà environ 35 000, peut-être plus, hommes, femmes et enfants dans cette usine à Potocari. On avait installé une banderole rouge, blanche et jaune et on nous répétait sans arrêt : les personnes qui se retrouvent à l'intérieur de ce cercle sont en sécurité, mais on ne garantit rien pour celles qui sont en dehors. Pendant ces frappes de l'OTAN, j'allais à pied vers Potocari. Je pensais que c'était un avion qui partait vers Belgrade, je n'avais rien senti de spécial. Puis, au loin, j'ai vu une grande fumée. C'est politique de dire qu'il y a eu des frappes aériennes, et c'est uniquement pour se donner une petite justification.

Mme Advija Sehomerovic : Puis-je vous poser une question ? Cela sera peut-être un peu provocateur, mais pourquoi le Parlement français a-t-il mis six ans pour s'intéresser à la chute de Srebrenica ? Pourquoi pas plus tôt ? Fallait-il qu'une organisation humanitaire le pousse à le faire ? Six ans, c'est beaucoup, pour que quelqu'un reconnaisse qu'il est responsable de ce qui est arrivé. Beaucoup de mères sont déjà mortes ou meurent sans savoir ce qu'il est advenu de leurs enfants. Beaucoup ne le sauront jamais.

Le Président François Loncle : C'est à l'honneur de l'Assemblée nationale d'effectuer une enquête qu'aucune autre démocratie européenne n'a faite. La nouvelle assemblée a été élue en 1997. Pour des raisons politiques, il était logique que ce soit cette nouvelle assemblée qui fasse cette enquête avec un peu de recul. Il fallait qu'un certain nombre de responsables de l'époque ne soient plus dans l'action militaire ou civile, mais l'essentiel est que cette enquête soit effectuée et aboutisse à un rapport très complet.

Mme Advija Sehomerovic : Je salue votre décision de mener cette enquête. Mais comment se fait-il que tous ces Gouvernements, membres des Nations unies, n'ont pas cette conscience et ne se posent pas des questions ? Je salue votre décision, mais pourquoi vos prédécesseurs ne l'ont-ils pas prise ?

Le Président François Loncle : La principale conséquence, sur le plan international, du drame que vous avez vécu est que le fonctionnement des Nations unies a été mis en cause. Depuis, des propositions de réforme des Nations unies, très importantes pour l'avenir, ont été présentées. Ensuite, il y a eu, hélas, le Kosovo. On essaie de tirer toutes ces leçons.

M. Annan a demandé à M. Brahimi de faire des propositions de réforme de l'ONU, car cette organisation a toujours été dirigée pour maintenir la paix, mais pas pour faire la guerre. Or, en Yougoslavie, c'était la guerre. Il y a eu forcément des dysfonctionnements graves, en particulier au niveau de la chaîne de commandement. Le rapport de M. Annan a courageusement reconnu toutes ces erreurs.

Mme Munira Subasic : Nous n'avons rien su de tout cela.

Mme Marie-Hélène Aubert : Je voudrais tout d'abord m'exprimer en tant que femme. Je suis mère de famille moi-même, j'ai deux garçons, et je voulais vous exprimer mon respect pour ce que vous avez vécu. Je n'ose pas imaginer comment j'aurais réagi moi-même dans une telle situation. Nous sommes des parlementaires français et, à mon sens, il est de notre devoir de comprendre comment ont agi les représentants de la France dans la tragédie de Srebrenica. Les premiers qui doivent être informés du résultat de nos travaux, c'est vous. Notre devoir est aussi d'assumer nos responsabilités en tant que Français, même si d'autres sont également responsables. Je trouve légitime et normal que nous le fassions.

Je voudrais vous poser une question, qui est peut-être douloureuse pour vous. Le 11 juillet, vous confirmez ce que nous ont dit notamment les représentants de MSF sur place, c'est-à-dire que vous attendiez au matin des frappes aériennes importantes et que le colonel Karremans était tout à fait sûr de lui quand il vous en a parlé.

Quand les hommes ont commencé à être séparés des femmes et du reste de la famille, comment avez-vous réagi, qu'avez-vous demandé aux Casques bleus hollandais et comment eux ont-ils réagi ? Qu'est-ce qui a été tenté pour empêcher cela ?

Mme Fatima Husejnovic : Au moment de la chute de Srebrenica, j'étais dans le poste de commandement de la FORPRONU, dans cette fameuse usine à Potocari, où il y avait plus de 3 000 femmes, enfants et hommes pouvant porter des armes et d'autres pas. On a installé les blessés et les malades évacués de l'hôpital de Srebrenica. Personnellement, je m'occupais de ces blessés et de ces malades qui, le premier jour, n'avaient même pas d'eau. J'étais le témoin du transport des blessés depuis ce lieu de commandement de la FORPRONU. Christina Schmitz, qui alors dirigeait MSF, était directement impliquée ainsi que ce médecin australien, Daniel O'Brien.

Je continue sur ce que le Dr. Pilav a dit sur MSF car, moi aussi, je collaborais étroitement avec MSF. Je ne pourrai jamais oublier les larmes de Mlle Christina au moment où Srebrenica est tombée, ainsi que le souci du Dr. O'Brien lors de l'évacuation des blessés.

Le Président François Loncle : Mme Christina Schmitz nous a expliqué tout cela.

Mme Fatima Husejnovic : Je me trouvais, le 12 juillet, dans ce lieu de commandement à Potocari, après l'évacuation de la première moitié des blessés. Dans le hall de ce poste, entre deux grandes pièces où avaient été installés des réfugiés et des malades, on avait tiré une corde près de laquelle il fallait passer pour se rendre aux toilettes. A gauche de cette corde, se trouvait une sortie qui allait vers le village de Pecista et à droite, on se dirigeait vers les toilettes. Les hommes, les femmes et les enfants étaient obligés de passer à côté de cette corde pour aller aux toilettes. Les petits enfants pouvaient aller à droite vers les toilettes, tandis que les hommes et les jeunes garçons étaient dirigés de l'autre côté, puis emmenés. On n'a jamais revu aucun d'entre eux.

Après vous avoir raconté ce dont j'ai été témoin, je vais vous dire ce que les gens rapportaient. J'ai donc vu de mes propres yeux qu'on emmenait ces hommes, mais d'autres ont vu qu'à cet endroit, on les tuait et qu'on jetait leurs corps dans un puits.

J'ajouterai un dernier élément concernant cette corde tirée pour séparer les hommes et les jeunes garçons des femmes et des enfants. Quand l'évacuation a commencé le 13 juillet, tard dans l'après-midi, il y avait deux soldats. On ne savait plus s'il s'agissait de militaires hollandais ou serbes, car les Serbes avaient déjà pris aux militaires hollandais leurs uniformes. On peut donc supposer qu'il s'agissait de militaires serbes, car ils ne parlaient pas anglais et n'osaient pas parler le serbe.

Je le sais car, comme je circulais dans cet endroit, on m'a demandé pourquoi je ne portais pas le signe de la Croix-Rouge du fait que je travaillais avec les blessés. Mais ils me l'ont demandé par gestes. Dans ce même hall, il y avait des rangées de lits. Quand l'évacuation a commencé le 13 juillet dans l'après-midi, ils ont ordonné que les mères et les petits enfants prennent la sortie la plus éloignée de ces lits. Quant aux hommes et aux jeunes garçons, ils devaient prendre la sortie située près des rangées de lits.

Comme les interprètes disposaient de certaines informations sur les événements se déroulant à l'extérieur, l'un d'eux m'a dit de ne pas laisser les gens prendre cette sortie où il y avait des lits car on allait tuer leurs garçons. Ensuite, j'ai eu l'information selon laquelle chaque enfant masculin, même âgé d'un an, devait, selon les ordres de Karadzic, être tué et ne pas quitter cet endroit. Puis j'ai compris pourquoi ces lits étaient là, c'était pour pouvoir examiner les enfants.

J'ai alors demandé à plusieurs femmes de venir avec nous, les femmes les plus âgées. C'est ainsi que les enfants ont quitté cet endroit. Pendant qu'on attendait de sortir par groupe ce jour-là, on n'avait pas d'eau ou d'une qualité très douteuse. Un soldat nous a ordonné - je ne sais pas s'il était hollandais ou serbe, mais les Hollandais doivent le savoir - de donner tous les objets (couteaux, ciseaux et autres) que nous avions dans nos sacs.

On sortait par groupes, puis lorsque cela a été le tour de mon groupe, nous sommes sortis sur la route principale. Des soldats étaient postés le long de la route, les bus étaient à gauche, et plus loin il y avait encore d'autres bus. Un soldat désignait du doigt les hommes en leur demandant de quitter la colonne sans se préoccuper s'il s'agissait d'enfants ou d'hommes. (Discussion entre les auditionnés.) Nous avons été évacués par les bus serbes conduits par des chauffeurs serbes, sans être escortés par la FORPRONU.

Mme Hatija Mehmetdovic : Je suis arrivée à Potocari le 11 juillet au matin. J'ai regretté que toute la population ne soit pas rassemblée à Potocari, car je pensais que nous serions protégés dans cette enclave. Puis Mladic est arrivé. Je ne sais plus quelle heure il était. Il s'est adressé à nous avec un haut-parleur en nous disant que nous serions tous protégés et que nous étions en lieu sûr. Il a apporté du pain, des cigarettes, du chocolat qu'il a distribués aux enfants. Il nous a jeté le pain d'un camion comme à des chiens en nous disant : « Vous voyez ce qu'Alija a fait de vous, il ne veut pas de vous ».

Pendant que les caméras filmaient, il était gentil. Mais dès que les caméras sont parties, on a commencé à voir qu'on emmenait des hommes. Comment pouvions-nous réagir ? Nous leur avons demandé où ils les emmenaient. Ils nous ont répondu que les autres seraient emmenés au même endroit à Tuzla, par un autre convoi. Ce même jour où des bébés naissaient, on tuait des gens, d'autres se suicidaient. Pendant tout ce temps, les Tchetniks ont pu emmener qui ils voulaient. C'est alors que mes deux fils et mon mari ont disparu. Comment a-t-on pu regarder cela les bras croisés ? Nous savons qui a commis ce crime.

Mme Mirsada Bosnjakovic : Je vais vous raconter mon histoire. Le 12 juillet à midi, Mladic est venu avec ses Tchetniks tous fortement armés avec des mitraillettes et des sabres. Ces militaires serbes sont rentrés parmi nous, les mères, qui n'étions pas armées. Il y avait un bébé qui pleurait. Le Tchetnik a dit à la mère de faire taire son bébé, mais elle n'a pas réussi. Il a alors attrapé le bébé par le bras, a pris le couteau, l'a égorgé et a jeté la tête d'un côté et le corps de l'autre. Nous sommes toutes restées muettes, impuissantes. A ce moment-là, un millier de nos proches avait déjà été emmené. Il y avait du sang partout. Pendant que certaines personnes étaient égorgées, d'autres étaient violées, d'autres encore se pendaient, tandis qu'au même moment, des femmes accouchaient. Nous n'avions que deux pierres pour couper le cordon ombilical. C'était l'horreur. On ne peut pas l'expliquer.

C'est à ce moment-là qu'on a emmené mon fils. Lorsque j'ai crié, Mladic m'a demandé pourquoi. Je lui ai dit que j'avais peur. Il m'a demandé si j'avais de la famille, je lui ai dit que j'avais un fils, et ils m'ont pris mon fils. Je suis sûre que mon fils était vivant jusqu'au 16 juillet, jusqu'à ce que le général Janvier signe avec Mladic, Karadzic et Milosevic. Je ne considère pas que tous les Français sont coupables, mais je ne pardonnerai jamais à la France qui, depuis la deuxième guerre mondiale, a un contrat moral avec les Serbes.

Quand je dis la France, je pense aux généraux qui tendaient tout le temps la main aux Tchetniks au moment où ils nous violaient, nous tuaient, nous massacraient. Je pense aussi aux Pays-Bas et à la Grande-Bretagne. Je ne leur pardonnerai jamais. C'est leur faute. Ils ont rendu cela possible, et les Tchetniks l'ont exécuté. (Elle pleure.)

Mme Marie-Hélène Aubert : Pensez-vous que dès le 12 ou le 13 juillet, les représentants de l'ONU étaient informés de l'ampleur du massacre ?

M. Ibran Mustafic : Peut-on essayer de voir l'essentiel de tout cela ?

Le Président François Loncle : Ces personnes n'ont pas fini de témoigner.

M. Ibran Mustafic : Vous aimez voir les mères qui pleurent ! Il faudrait aussi que l'on parle à un niveau plus haut de ce qui s'est passé.

(Protestations des membres de la Mission d'information)

Le Président François Loncle : Nous sommes venus écouter des témoignages et pas des militants politiques.

M. Ibran Mustafic : Vous êtes venus voir comment on pleure ? Moi je ne pleure pas.

Le Président François Loncle : Nous sommes venus écouter des témoignages, des récits importants dans le déroulement de ces événements, nous ne sommes pas venus écouter des militants politiques.

M. Ibran Mustafic : Alors ce n'est plus la peine que je reste ici. Au moment des événements de Srebrenica...

Le Président François Loncle : Nous vous avons déjà entendu et écouté avec intérêt.

M. Ibran Mustafic : ... quelle était la responsabilité de Kofi Annan ?

M. François Lamy, Rapporteur : Vous nous l'avez déjà dit ! Chacun et chacune des personnes ici présentes a également le droit de s'exprimer.

M. Ibran Mustafic : Moi aussi. Je voudrais parler à Mme Aubert.

M. François Lamy, Rapporteur : Mais vous l'avez déjà dit ! Nous avons compris.

M. Ibran Mustafic : Je dirai juste quelques mots, et ensuite je me tais. Je m'adresse à Mme Aubert. Vous venez de Paris, de la ville où ont été négociés les accords de Dayton selon lesquels Srebrenica fait partie de la Republika Srpska. Srebrenica est la ville où ce crime a été commis et Paris, la ville où il a été légalisé.

M. François Lamy, Rapporteur : Qui a signé les accords de Paris ?

M. Ibran Mustafic : Le bandit de Sarajevo, Alija Izetbegovic, le bandit de Zagreb et celui de Belgrade.

Le Président François Loncle : Et les Américains.

Mme Munira Hadzic : Les nôtres ont signé, mais sous la pression. Tous les représentants français, allemands et autres ont obligé notre leader à signer cet accord parce que nous, on saignait et on avait faim. Il était obligé de signer pour nous. Il vaut mieux une paix telle qu'elle est plutôt que la guerre.

M. Pierre Brana : Pendant de nombreux mois, la Mission d'information a enquêté. Par conséquent, elle connaît parfaitement l'aspect historique. Nous avons rencontré les généraux, les ministres, les représentants de l'ONU. Or, ce qui est important pour nous, dans votre témoignage, c'est que hormis les deux membres de MSF consultés à Paris, nous n'avons jamais rencontré des personnes qui - comme vous - ont vécu les événements sur le terrain. C'est pourquoi vos témoignages sont très importants pour la Mission d'information. A côté de l'histoire officielle, vous apportez un témoignage vécu, qui nous touche, et que nous essaierons de traduire dans le document qui sortira de cette rencontre.

Mme Advija Sehomerovic : Je vais essayer de vous décrire les événements à Potocari. Je suis arrivée à Potocari le 10 juillet dans l'après-midi. J'ai dormi deux nuits devant l'usine avec 2 000 ou 3 000 personnes. Le 11 juillet, nous avions peur. Il y avait des obus, cela tirait de tous les côtés. Ce jour-là, nous sommes restés au même endroit. Puis le 11 juillet, les Tchetniks sont rentrés dans la foule. J'ai oublié de préciser un épisode que j'ai pu voir car j'étais alors dans la cour, à l'extérieur. Lorsque les Tchetniks sont rentrés dans Potocari, il y avait 4 véhicules blindés stationnés derrière un pont, là où étaient les militaires hollandais. Les Tchetniks sont arrivés jusqu'aux véhicules blindés et ont désarmé les militaires hollandais. Ils ont pris leurs uniformes, leurs casques.

Il y a une chose que je ne comprends pas : à ce moment-là, alors qu'il y avait très peu de Tchetniks, pourquoi ces militaires des Nations unies se sont-ils laissé désarmer ?

Mme Marie-Hélène Aubert : Nous non plus, nous ne comprenons pas.

Mme Advija Sehomerovic : Les 8 militaires hollandais désarmés sont allés dans l'autre usine et les Tchetniks sont rentrés dans la foule. Dans mon groupe, il y avait mes amis, ma belle-s_ur, mon beau-frère. Ils ont emmené 3 hommes que je connaissais derrière l'usine. Nous avions peur pour eux. Ils les ont gardés pendant un moment, puis les ont ramenés. La nuit était tombée. Nous étions dehors. Une femme s'est alors mise à crier car on lui avait pris son enfant. Elle était à une vingtaine de mètres de moi. Quand on lui a demandé qui lui avait pris son enfant, elle a répondu que c'était un Tchetnik, un voisin.

Il y a eu tout de suite une rumeur. On a commencé à emmener les hommes ainsi que des jeunes de quatorze ou quinze ans. Je veux juste vous décrire cette nuit et comment je me suis sentie affolée. Je ne sais plus quelle heure il était, mais au moins passé minuit, nous avons entendu un cri terrible d'enfant. Je l'entends encore. Probablement qu'ils n'avaient pas été emmenés très loin.

Le lendemain, nous avons quitté la cour, et je suis partie vers les bus. Nous n'imaginions pas un seul instant qu'ils pouvaient garder autant de personnes, qu'ils pouvaient prendre un garçon à sa mère et lui dire d'aller attendre derrière le bus, ou à un vieillard de quatre-vingts ans. On a emmené mon beau-frère devant moi. On lui a dit d'aller attendre derrière le bus et on ne l'a plus jamais revu. Nous sommes montés, environ une cinquantaine, sur le camion et nous sommes allés à Tuzla.

Vous dites que vous avez rencontré des militaires, des gens responsables à cette époque qui auraient été en mesure d'empêcher ce crime. J'ai écouté M. Karremans quand, lors d'une conférence de presse, il a évoqué les événements de Srebrenica. Il a menti. Il a dit cela devant tout le monde, mais il a menti, lorsqu'il a dit que le départ de Potocari s'était passé sous la surveillance du bataillon hollandais, c'est-à-dire que nous étions escortés par les Hollandais. Il n'y avait aucun militaire hollandais. Nous n'étions escortés que par les Tchetniks parce que sur la route, ils ont fait descendre des bus des centaines de nos jeunes filles qu'on n'a plus jamais revues. Vous pouvez tous les rencontrer, mais ils vous mentiront tous.

M. Pierre Brana : Vos propos viennent en contradiction avec ceux déjà entendus, c'est important pour nous. Vous donnez un point de vue contraire à celui que l'on a pu entendre par ailleurs. Si on a caché la vérité, c'est important.

Mme Advija Sehomerovic : Nous avons lu le rapport de M. Kofi Annan. Dans ce rapport, il y a 20 % de vérité, tout le reste ce sont des mensonges. Qui a préparé ce rapport ? Quelqu'un qui est maintenant en poste en Nouvelle-Zélande. Ce rapport contient beaucoup de mensonges par rapport à ce qui s'est réellement passé à Srebrenica. Ce rapport concerne la responsabilité morale des Français, des Hollandais. Ce que vous appelez la responsabilité morale, pour nous, c'est la responsabilité des crimes. Depuis six ans, nous cherchons nos fils, nos filles, nos maris, et nous ne recevons aucune réponse de qui que ce soit, même pas du général Philippe Morillon qui nous a protégés en 1993 et qui nous a garanti qu'il ne nous arriverait rien.

M. Pierre Brana : A plusieurs reprises, vous avez parlé de jeunes filles. Y a-t-il eu de nombreuses disparitions de femmes ?

Mme Advija Sehomerovic : 570 jeunes filles sont portées disparues. Certains corps ont été découverts dans les charniers et se trouvent aujourd'hui au centre d'identification à Tuzla.

Je voudrais ajouter une dernière chose. Le 20 ou le 21 juillet, j'ai regardé, à la télévision, la visite du général Morillon à Srebrenica. On a pu le voir serrer la main à un homme de Srebrenica, un Serbe, et ce dernier lui dire : « Merci de m'avoir aidé à rentrer chez moi ». Le général Morillon lui a répondu qu'il était content de pouvoir rendre un tel service à quelqu'un. J'aimerais lui poser la question suivante : Où est notre bonheur, où sont tous nos droits ?

M. Jean-Noël Kerdraon : Vous rappelez-vous de la date approximative à laquelle vous avez eu la certitude qu'il y avait eu des exécutions massives ? Par ailleurs, à quel moment les forces de l'ONU ont-elles également eu cette information ?

Mme Munira Subasic : Les Nations unies ont tout enregistré, et les enregistrements existent. Chaque fois qu'il y a eu un massacre, il y a eu un témoin, c'est-à-dire qu'il y a toujours eu quelqu'un qui a survécu à ce massacre d'une manière ou d'une autre. C'est ainsi que nous avons appris l'existence des massacres.

Mme Marie-Hélène Aubert : Pour vous, l'ONU le savait très tôt ?

Mme Munira Subasic : Tout le monde le savait. A l'ONU, ils l'ont su dès la préparation de la prise de Srebrenica.

Mme Mirsada Bosnjakovic : Pendant le transport de Srebrenica à Tuzla, à Nova Kasaba d'où je viens, on a arrêté notre camion et les Tchetniks nous ont dit de regarder pour la dernière fois nos fils, nos frères, nos hommes. Au stade de Nova Kasaba, il y avait 5 000 hommes, des enfants, des femmes à moitié nues, avec les mains derrière la tête. Ils ont attendu leur condamnation. Avez-vous rencontré un général ayant perdu son enfant à Srebrenica afin qu'il vous explique quel était le rôle de tous ceux qui étaient obligés de protéger Srebrenica ?

Si nous n'avions pas cru être protégés, nous serions partis par les forêts comme l'a fait mon fils avec des centaines d'autres. C'est vrai que beaucoup ne sont jamais arrivés, mais lui a réussi à arriver après trois mois. Mon autre fils avait treize ans. Quand on l'a arraché de mes bras, puisque Madame qui est aussi mère nous a posé la question de savoir comment nous nous sommes senties à ce moment-là, je ne connais pas la réponse à cette question. J'entends encore les cris de ces enfants. Ce n'était pas 1 enfant, 5 enfants, mais 1 400 enfants, et tous ces enfants criaient et demandaient l'aide des militaires du bataillon hollandais. Eux ils ont souri et attendu qu'il n'y ait plus beaucoup de personnes pour pouvoir continuer à faire la fête, la fête pour fêter le travail bien fait. C'est tout, je ne peux plus parler. (Elle pleure.)

Le Président François Loncle : Ces témoignages sont très émouvants pour nous. Nous avons besoin de ces récits et de ces précisions, de ce vécu tragique, non pas pour vous voir pleurer, mais pour avoir la connaissance humaine de ces événements. Vous êtes les seules à pouvoir témoigner de cette façon. Si vous avez des choses à ajouter, n'hésitez pas car nous voulons vraiment tout savoir. Nous aurons encore d'autres entretiens dans ce pays ainsi qu'une vision des lieux. Mais si vous avez encore quelque chose sur le c_ur, quelque chose qui doit compléter vos témoignages, n'hésitez pas.

M. Pierre Brana : A-t-on une estimation du nombre des enfants qui ont disparu ?

Mme Hatija Mehmetdovic : 1 042 enfants mineurs de huit à seize ans. Ils n'ont pas disparu, ils ont été emmenés et ont été pris à leurs mères. Nos enfants nous ont été arrachés. C'est la situation où nous, les mères, nous tirions un bras et les Tchetniks l'autre. La communauté internationale a regardé faire et était présente tout le temps. Quand je dis communauté internationale, je pense au bataillon hollandais.

Le Président François Loncle : Quel sentiment avez-vous lorsque vous savez que Mladic et Karadzic sont toujours en liberté ?

Mme Hatija Mehmetdovic : Il y a beaucoup de Mladic et de Karadzic actuellement à Srebrenica. Nous allons à Srebrenica après-demain pour une réunion. Chaque fois que je vais à Srebrenica, je vois l'homme qui m'a pris mon fils. Cela veut dire que de 1995 à 2001, c'est le même homme, mais que les criminels ne portent plus les symboles des Tchetniks.

Mme Munira Subasic : Nous les connaissons et nous connaissons leurs noms.

Le Président François Loncle : Mais ceux qui ont donné les ordres, ce sont Mladic et Karadzic, et probablement Milosevic. Qui les protège ?

M. Ibran Mustafic : La Republika Srpska.

Mme Munira Subasic : Que faire ? Nos maisons sont en Republika Srpska. Quant à M. Akashi et aus généraux Morillon, Janvier, tout le monde les protège.

M. Ibran Mustafic : Je voudrais vous donner une information qui concerne plus particulièrement le rôle du général Morillon.

Le Président François Loncle : Avant cela, je voudrais dire un mot sur l'impunité. Je ne voudrais pas vous donner des espoirs qui sont inutiles par rapport aux drames que vous avez vécus. Mais qui aurait pensé, il y a un ou deux ans, que Milosevic pourrait être traduit d'ici peu devant un tribunal international ? Rien n'est définitif en ce qui concerne les coupables. Ils finissent toujours par payer.

Mme Hatija Mehmetdovic : Oui, mais s'il passe devant ce tribunal quand il aura quatre-vingt-dix ans ! Faut-il que je meure et que je renaisse pour connaître la vérité ?

Le Président François Loncle : C'est pourquoi la liberté de Mladic et de Karadzic, entre autres, nous choque beaucoup.

Mme Hatija Mehmetdovic : Six ans pour attraper un criminel de guerre, c'est trop long.

Le Président François Loncle : Vous vouliez parler du général Morillon.

M. Ibran Mustafic : A l'été 1992, Izvanovic avait 450 soldats armés qui sont venus de Tuzla à Konjevic Polje. Il leur a parlé du destin de Konjevic Polje et de la population qui y habitait, et leur a dit que si jamais la zone protégée de Konjevic Polje se trouvait dans une situation délicate ou devait face à un grand danger, le général Morillon viendrait. A l'été 1992, les gens à qui il s'adressait ne connaissaient pas le général Morillon. Puis en octobre de la même année, Izvanovic a été tué. On a dit de lui qu'il travaillait pour les renseignements. Il est vrai qu'après une grande offensive, la chute de Cerska et l'arrivée de réfugiés à Konjevic Polje, fin février 1993, alors qu'Izvanovic n'était plus en vie, le général Morillon est arrivé.

Izvanovic avait déjà cette information à l'été 1992. Malheureusement, la population a été déplacée et beaucoup de gens sont allés vers Srebrenica, ou encore plus en profondeur, plus loin du territoire libre. Ensuite, le général Morillon a quitté Konjevic Polje, au moment de la grande offensive partie de Skelani vers Srebrenica. C'est après cela que le général Morillon est entré à Srebrenica.

Il me semble que c'est un élément intéressant pour les membres du Parlement français de savoir que déjà à cette époque certaines personnes à Konjevic Polje détenaient cette information. Cela signifie que certains services de renseignement internationaux avaient déjà des informations sur ce qui allait se passer dans cette région de la rivière Drina.

Je conclurai en m'adressant à mes collègues politiques. Srebrenica a disparu au moment où le plan du Groupe de contact a été refusé quand on a conclu, après ce plan, que les territoires remis en question seraient Srebrenica, Zepa et Gorazde. S'il n'y avait pas eu de génocide à Srebrenica, Gorazde ne serait pas ce qu'elle est, car Gorazde faisait également partie de cet accord. Ensuite, on a trouvé un compromis.

Le Président François Loncle : Vous aurez compris, Monsieur, que mon intervention de tout à l'heure visait à permettre à toutes ces dames de s'exprimer.

Mme Fatima Husejnovic : Je voudrais juste ajouter un élément d'information sur le général Morillon. Depuis son arrivée à Srebrenica jusqu'à la chute de Srebrenica, ce qui couvre une période de vingt-sept mois - je ne citerai pas de noms - mais il y a eu de nombreux généraux français dans les plus hautes sphères du commandement.

Le Président François Loncle : La Mission d'information les a entendus.

Mme Fatima Husejnovic : Je demande pourquoi le Parlement français n'a pas alors réagi quant aux événements, non seulement de Srebrenica, mais de toute la Bosnie-Herzégovine. Je considère que, pendant ces vingt-sept mois, on aurait pu organiser la défense de Srebrenica. Quand Srebrenica est tombée au mois de juillet, elle était déjà tombée avant.

Le Président François Loncle : Aucun d'entre nous n'était alors député.

Dr. Eliaz Pilav : Il y en avait d'autres.

M. François Lamy, Rapporteur : Certains parlementaires ont réagi, mais il faut que vous sachiez aussi qu'en France, la démocratie évolue. Il y a encore cinq ou six ans, il n'était pas acceptable que le Parlement se préoccupe de problèmes de défense ou d'affaires étrangères, tel que nous le faisons maintenant.

C'est depuis 1997 que se sont créées les Missions d'information parlementaire comme sur Srebrenica mais aussi sur des événements qui se sont déroulés en Afrique au Rwanda, ou encore pour contrôler les actions de responsables politiques et militaires.

Dr. Eliaz Pilav : Je voudrais savoir si, après l'initiative de MSF, une discussion a été ouverte sur Srebrenica à l'Assemblée nationale française.

M. Pierre Brana : Je vais vous répondre, car je suis le mieux à même de le faire puisque j'ai été le premier, avant MSF, à déposer devant le Parlement une demande de mission d'information. J'ai été le premier avant MSF, qui a ensuite repris la proposition que j'avais faite, et non pas l'inverse.

Dr. Eliaz Pilav : Y a-t-il eu une discussion au Parlement sur Srebrenica ?

M. Pierre Brana : Oui.

Dr. Eliaz Pilav : A-t-on fait un rapport à la suite de cette discussion ?

M. Pierre Brana : Oui. Je vous explique brièvement la procédure. Une demande a été formulée, un débat s'est engagé et, au terme de discussions, car c'est un Parlement démocratique, nous sommes parvenus à la décision de créer une Mission d'information commune à la Commission des Affaires étrangères et à la Commission de la Défense nationale. En effet, au cours de ces débats, nous avons déterminé qu'il y avait intérêt à enquêter à la fois sur le plan politique et sur le plan militaire. Il y a donc bien eu passage à l'acte concret, c'est-à-dire la création de cette Mission d'information à laquelle nous appartenons, et c'est l'explication de notre présence ici aujourd'hui.

Le Président François Loncle : Les parlementaires décident librement. Je confirme que l'initiative de cette Mission d'information appartient à M. Pierre Brana. MSF a fait campagne pendant plusieurs semaines pour que cette Mission d'information soit conduite. Nous avons entendu leurs arguments, mais d'un autre côté, nous n'aimons pas beaucoup les pressions, surtout quand elles sont maladroites. Néanmoins l'essentiel a été la décision collective de mener cette Mission d'information, et de la mener jusqu'au bout.

Même les auditions pour lesquelles le ministère de la Défense a demandé le huis clos seront publiées, car cette demande nous a beaucoup déplu.

Dr. Eliaz Pilav : Vous allez rédiger un rapport qui sera soumis à une discussion au Parlement.

Le Président François Loncle : La Mission d'information compte dix Députés. Ce rapport sera présenté aux deux Commissions, Défense nationale et Affaires étrangères, puis rendu public, et publié sous forme d'un livre disponible à tous, que nous vous adresserons.

M. Ibran Mustafic : Je vous fais une proposition pour éviter, comme cela arrive souvent, que ceux qui commencent quelque chose ne deviennent au bout du compte les coupables. Il serait bien que la Mission d'information du Parlement français prenne l'initiative de pousser les Parlements d'autres pays importants dans la Communauté européenne à suivre la même démarche. Ceci afin que cette discussion soit menée tant aux Parlements britannique, hollandais, allemand qu'au Congrès américain, c'est-à-dire que les autres pays déterminent aussi qui est responsable de cette tragédie.

Le Président François Loncle : Nos collègues hollandais travaillent déjà sur la question, je ne sais pas s'ils mèneront jusqu'au bout leurs investigations. Aux Pays-Bas, ce sont surtout des historiens indépendants qui étudient cette question. C'est une formule intéressante.

S'agissant du rapport et de votre demande, nous espérons que le travail de la Mission d'information convaincra des collègues étrangers d'entreprendre la même démarche, mais nous ne pouvons décider à leur place. Chaque Parlement est libre d'agir comme il le souhaite, y compris le Parlement bosniaque. Je vous remercie encore pour votre patience et pour vos témoignages.

Commentaire de M. Jean GAGNON,

enquêteur du TPIY

(lors du trajet Srebrenica - Potocari - Bratunac -

sites d'exhumation jusqu'à Tuzla)

(jeudi 28 juin 2001)

M. Jean Gagnon : A Potocari, les hommes et les femmes ont été séparés dans le but de faire un tri à Bratunac pour savoir s'il y avait, parmi eux, des combattants. C'était la raison donnée. C'était le piège, et les Hollandais sont tombés dans ce piège. Les hommes étaient dirigés vers la gauche, vers cette maison que l'on appelle la maison inachevée, et par la suite, étaient envoyés dans la maison blanche, que nous allons apercevoir dans quelques instants, pour la fouille.

Les hommes ont tous été fouillés et mis à bord des autobus et des camions pour les emmener vers Bratunac, tandis que les femmes étaient de l'autre côté et prenaient des autobus pour aller vers Kladanj et la Fédération de Bosnie. C'étaient des autobus de la région qui avaient été mobilisés pour les hommes, d'un côté, et les femmes et les enfants, de l'autre. C'est le 12 juillet que tout a commencé.

A gauche, vous avez une maison qui n'est pas terminée où sont maintenant installés des réfugiés. C'est là qu'il a été procédé au premier tri parmi les hommes. Les hommes, à l'arrière de la maison blanche, ont été fouillés, puis envoyés vers les autobus qui les ont emmenés vers Bratunac. Le tri s'est terminé le 12 juillet. Ce jour-là, le général Mladic est venu adresser la parole aux réfugiés qui étaient ici derrière, pour leur dire que rien ne leur arriverait. C'est ce que l'on a pu voir à la télévision. Il y avait des familles partout, à l'intérieur des usines, sur les côtés, dans la rue, et il y avait une barrière. Les hommes âgés et les plus jeunes étaient restés avec les familles. Il y a eu un double tri.

Il y avait ici le bâtiment du bataillon hollandais. Environ 6 000 personnes s'y étaient réfugiées. Dans quelques minutes, nous allons arriver à la fin de l'enclave, qui se situe au niveau du pont et du point d'observation des Hollandais pour protéger l'enclave, à partir du Nord. Les trois rencontres de négociations entre le général Mladic et le colonel Karremans ont eu lieu dans l'hôtel Fontana, à droite en tournant sur la route de Bratunac. Les hommes, qui ont été séparés de leurs familles à Potocari et mis sur des camions ou dans des autobus en direction de Bratunac, ont été rassemblés dans un hangar à Bratunac.

Le 11 juillet, à 22 heures, il y a eu une première rencontre entre le général Mladic et le colonel Karremans. Le 12 juillet, il y a eu une deuxième rencontre.

A la prochaine étape, nous allons nous arrêter à Glogova où nous avons découvert une fosse commune dont nous n'avons pas encore terminé l'exhumation. Mais au mois d'août, nous reviendrons sur le site de Glogova pour achever les travaux d'exhumation. Environ 2 000 corps ont été exhumés sur le site de Srebrenica.

Sur le chemin, je vais vous montrer les fosses où ont été retrouvés les corps de personnes exécutées ici. L'été dernier, on a trouvé, à l'intérieur d'une fosse ici, la porte d'un entrepôt d'où les corps avaient été exhumés. En tant qu'enquêteur du tribunal, nous cherchons toujours les preuves indiquant où les gens ont été exécutés, où le crime a eu lieu. Ici on a donc trouvé cette porte. Par ailleurs, les témoins et les survivants du point d'exécution que vous allez voir nous ont aidés, sans compter les nombreuses pièces automobiles qui se rattachaient à cet entrepôt. En effet, lorsque nous avons exhumé ce site, nous avons trouvé des pièces d'automobile, des moteurs. Cela permet de corroborer les témoignages des survivants et de lire l'histoire, lorsque nous exhumons des corps. La présence de ces pièces s'explique par le fait que, lorsqu'on ramassait les corps avec des machines, on ramassait tout ce qui était autour et on enterrait le tout.

La fosse commune était ici et s'étendait jusqu'à une cinquantaine de mètres, elle était ouverte. Nous avons une autre fosse commune qui se trouve là. La fosse commune est délimitée par les arbres. Ici nous avons un autre site. Ils n'ont pas transporté tous les corps dans des fosses secondaires. Pour voler les corps, ils ont fait le travail de nuit et ceux qui ont fait ce travail peu intéressant l'ont fait de manière mécanique en mettant les corps dans des camions. Ils ont fait cela la nuit pour éviter les images satellitaires ou les avions U2 des Américains qui prenaient des photos pendant le jour. Ils ont tenté de tout camoufler en faisant cela la nuit.

Dans ce secteur, on estime à plus de 1 000 le nombre de corps ensevelis. L'an passé, j'ai travaillé sur ce site d'exhumation où un enquêteur travaille encore cette année. Beaucoup de personnes reviennent. A quelques kilomètres d'ici, certaines sont venues spontanément nous voir pour nous dire qu'elles avaient trouvé une fosse commune sur un terrain. On a pensé que c'était une petite fosse commune, mais on a exhumé plus de 50 corps. Nous devons y retourner cette année pour achever nos travaux.

C'est un travail très ardu parce que nous cherchons les preuves pour savoir quelles ont été les armes utilisées et le lieu de l'exécution. On tente d'identifier les personnes en cherchant leurs vêtements. C'est difficile parce qu'ils étaient fouillés et volés dans la maison blanche. D'autres personnes ont été exécutées un peu plus loin d'ici, mais elles n'ont pas été transportées de Potocari à Bratunac. Ce sont des personnes qui ont quitté le village de Susnjari par la colonne, en passant par les forêts. A un moment donné, comme les Serbes attaquaient des deux côtés pour détruire la colonne le plus possible, beaucoup se sont rendus.

De plus, elles ont été trompées parce que les Serbes avaient volé de l'équipement hollandais. Au tout début, les Hollandais se chargeaient de l'escorte totale des autobus qui quittaient Potocari pour se rendre à Kladanj, mais lors de leur retour, ils se sont fait voler leurs véhicules, leurs matériels, leurs Casques bleus et leurs gilets pare-balles. Les Serbes se servaient de cet appât pour attirer et mettre en confiance les gens, en leur disant qu'ils faisaient partie de l'ONU. Mais le cours de l'histoire nous a permis de comprendre qu'ils ont été tués.

(Il déroule une carte.) M. Ruez s'est servi de la même carte. Nous sommes ici à Glogova. On a pu déterminer avec les sols, les pollens, les douilles des armes à feu que les corps avaient été transportés vers Zeminjada. Maintenant, suite à l'enquête de l'an passé et à l'exhumation de ce site, on peut dire que des corps ont été transportés et exécutés à Kravica Warehouse, un entrepôt à environ deux kilomètres d'ici. Nous n'avons pas encore exhumé les fosses secondaires. Nous faisons seulement des tranchées pour déterminer si nous sommes aux bons endroits. Nous avons repéré ces fosses. Etant donné l'éloignement de ce site, nous nous attaquons d'abord à cette partie-là.

Nous reprenons la route. On va ralentir en arrivant à Kravica. En 1996, des techniciens en identité judiciaire se sont rendus sur les lieux et ont trouvé du sang, des cheveux, de la chair, tout ce que vous voulez, sur les murs de l'entrepôt. Même si les Serbes avaient tenté de nettoyer les lieux, nous avons trouvé des preuves.

Par la suite, nous irons à Stonovic Polje, mais sans nous arrêter. Sur la carte, vous voyez ici la route, les hommes qui sont partis par les forêts se sont réunis ici à Susnjari. Ils ont marché vers cette direction. Leur but était de traverser les routes principales. Vous avez une route principale qui relie Bratunac à Konjevic Polje, et de Konjevic Polje à Milici. Les hommes se dirigeaient dans cette direction pour arriver le plus vite possible à Tuzla.

Mais l'armée serbe n'avait pas prévu qu'un si grand nombre de personnes partirait par les forêts. Les premières ont pu passer parce que l'armée serbe n'était pas prête. Mais lorsqu'elle a été prête, elle a refermé l'enclave, beaucoup d'hommes se sont rendus et on ne les a jamais revus.

Entretien avec M. Sefket HAFIZOVIC, maire de Srebrenica,
Mme Milka RANKIC, maire-adjoint,
M. Desnica RADIVOJEVIC, Président de l'assemblée municipale,
M. Sadik AHMETOVIC, Vice-Président de l'assemblée municipale,

et les représentants de la communauté internationale présents à Srebrenica (HCR, OSCE)

(jeudi 28 juin 2001)

Présidence de M. François Loncle, Président

Le Président François Loncle : Merci de votre accueil. Vous avez été informés de notre visite et des objectifs de notre Mission d'information. Nous faisons un travail pour approcher au maximum la vérité sur les événements de Srebrenica, sur cette tragédie qui s'est déroulée sur cette terre en juillet 1995.

Nous avons à Paris, à l'Assemblée nationale, auditionné un grand nombre de personnalités nationales, internationales, civiles et militaires. Nous tenions absolument à venir en Bosnie-Herzégovine, à Sarajevo, à Srebrenica, à Tuzla, pour rencontrer sur place d'autres responsables, d'autres témoins et ceux qui, comme vous, courageusement, s'emploient à faire vivre ce pays qui mérite paix et développement.

M. Sefket Hafizovic : Je salue son Excellence, Monsieur l'Ambassadeur de France, les membres du Parlement français, les membres des délégations internationales. Permettez-moi de vous saluer en mon nom propre ainsi qu'au nom des organes de pouvoir de la ville de Srebrenica, moi qui suis le maire de Srebrenica. Je vous prie de nous excuser de notre retard dû à nos nombreuses obligations, en particulier l'organisation de la cérémonie de commémoration du 11 juillet.

Nous connaissons l'objet de votre Mission d'information et apprécions vos efforts pour que la vérité soit faite. L'histoire récente n'a connu aucune tragédie comme celle du 11 juillet 1995. Je crois que nous devons tous nous mettre dans une position de responsabilité par rapport à cette tragédie et prendre cette leçon du passé, telle qu'elle est, pour qu'elle ne se répète pas. Je crois qu'en tant que délégation parlementaire, vous agirez dans le sens de la responsabilité, c'est-à-dire que vous allez apporter votre contribution pour que les citoyens de Srebrenica et de Bosnie-Herzégovine aient un avenir plus heureux dans le troisième millénaire.

Si nous n'apprenons pas tous de cette leçon du passé, objectivement, le danger existe que le passé se répète. C'est pourquoi nous devons tous accepter nos responsabilités individuelles et apporter notre contribution pour éclairer la vérité. Il est très difficile de parler de cette époque, entre 1992 et 1995. Chacun l'a vécue et vue à sa manière. Mais je pense que nous sommes tous sensés et que nous devons tous prendre notre part dans cette responsabilité.

Nous savons tous que la France était présente ici, politiquement et militairement, et que les positions de responsabilités militaires étaient occupées par des Français. A cette époque, en 1995, c'est le général Janvier qui était le commandant des Nations unies. Auparavant, le général Morillon s'était rendu personnellement à Srebrenica. Je pense que ces personnes en savent beaucoup plus que nous et que vous avez eu l'occasion de rencontrer les hauts responsables politiques et militaires de cette époque.

Personne ici, et je crois que vous pensez la même chose, ne veut d'une responsabilité collective sur les événements de 1995. Ce n'est pas la responsabilité du peuple serbe, pas plus que celle des Nations unies en tant qu'institution. En revanche, il est certain qu'il y a des individus responsables dans le peuple serbe et dans le cadre des Nations unies. Il faut lever ce genre d'hypothèque, appeler les choses par leur vrai nom - c'est dans ce sens que je vois votre mission - c'est-à-dire désigner éventuellement, à l'intérieur du Gouvernement français, les personnes responsables.

Malheureusement, je dois dire que le nombre de ces individus responsables est assez important. C'est pourquoi ils doivent être tous identifiés. Nous devons tous également soutenir le tribunal de La Haye pour qu'il puisse accomplir son travail sans préjugés et ne permettre qu'aucune sorte de balance nationale n'intervienne dans son travail. Nous devons vraiment travailler sur l'identification des gens responsables.

Le Président François Loncle : Merci beaucoup, Monsieur le Maire. Peut-être vos collègues souhaitent-ils s'exprimer ?

M. Desnica Radivojevic : Je suis Président de l'assemblée municipale. Votre visite est très importante pour Srebrenica et pour la région de Srebrenica. Au nom de la municipalité de Srebrenica, je vous salue sincèrement. C'est un plaisir pour moi de vous voir ici, pour que vous puissiez entendre la vérité de la part des membres du Gouvernement local, qui étaient là entre 1992 et 1995.

Srebrenica a connu, en cette fin du XXème siècle, la plus grande tragédie en Europe depuis la deuxième guerre mondiale, tragédie dans laquelle plus de 10 000 personnes ont perdu la vie, soit un habitant sur trois. En ce début du troisième millénaire, j'espère qu'avec vous et les autres, nous arriverons à trouver la vérité et ainsi, avec une conscience tranquille, continuer vers l'Europe. Mes collègues ici présents vous donneront beaucoup d'informations car ils étaient là pendant tous ces événements.

M. Sadik Ahmetovic : Entre 1992 et 1995, j'étais dans cet enfer qu'on appelait la zone protégée de Srebrenica. Cette expression de « zone protégée » et la résolution qui la consacre ont été adoptées par les Nations unies. Ce sont les forces de l'ONU qui avaient l'obligation de protéger cette zone. A la tête des Nations unies, à cette époque, il y avait un général français, le général Janvier.

Dans cet enfer qu'on appelait la zone protégée - expression qui n'était pas connue dans la terminologie des résolutions précédentes -, il n'y avait ni pain, ni eau, ni électricité, ni médicaments. Les gens mouraient de faim et de manque de médicaments. Les enfants mouraient de maladies infectieuses et, presque chaque jour, des civils étaient tués dans cette zone.

Malheureusement, ce que l'on appelait la zone protégée ne l'était pas vraiment. J'espère qu'en France, une loi autorise, comme ce n'est pas le cas en Yougoslavie, que le général Janvier soit livré à La Haye. En tant que personne ayant vécu tout cela, je considère qu'il est complice de la mort de 10 000 habitants de Srebrenica.

Janvier est directement responsable d'avoir arrêté les avions le 11 juillet, quand ces avions sont retournés à leur base parce que, soi-disant, ils n'avaient plus de carburant.

Son entretien à Zvornik avec des personnes inculpées de crime de guerre et l'accord qui a permis qu'en cinq jours, 10 000 personnes soient tuées, sont des choses inimaginables. Aujourd'hui, je vis et je travaille à Srebrenica, avec des personnes dont nous sommes sûrs qu'elles n'ont pas participé à ces événements. Avec elles, avec les Bosniaques, les Serbes et tout ceux qui veulent vivre ici, nous essayons de construire un avenir pour Srebrenica, une ville qui a plus de 1 500 ans. Malheureusement, à la fin du XXe siècle, le 11 juillet 1995, une ville aussi ancienne a été quasiment décimée. Je vous remercie, mais, pour moi, c'est très difficile d'en parler.

Le Président François Loncle : Pardonnez-moi, Monsieur, mais vous accusez très fortement ceux qui n'ont pas protégé l'enclave. Mais que pensez-vous de ceux qui ont massacré et dont certains sont encore en liberté ?

M. Sadik Ahmetovic : Je n'en ai pas parlé parce que je connais le but de votre mission. Mais, pour l'avenir de cet Etat et pour la justice, ils devraient déjà être tous à La Haye.

M. Sefket Hafizovic : Monsieur est plus émotif, mais c'est tout à fait compréhensible. Il est certain que cette hiérarchie de responsabilité doit être établie. Il faut commencer par ceux qui avaient des prétentions de territoire, à cette époque, c'est-à-dire la Yougoslavie et la Croatie, par le biais de gens qu'ils avaient ici en Bosnie-Herzégovine. Cette hiérarchie de responsabilité existe et il faut en tenir compte.

Certes, les plus responsables sont d'abord ceux qui ont commandé et ordonné directement ce massacre jusqu'à ceux qui étaient des exécuteurs directs. Mais, ensuite, il faut évoquer la responsabilité de ceux qui avaient un devoir de protéger et ne pas fuir les responsabilités internes.

C'est pourquoi il faut respecter cette hiérarchie de responsabilité et tenir jusqu'au bout pour l'avenir, non seulement de la Bosnie-Herzégovine, mais aussi du monde entier. Empêchons que cette histoire se répète. C'est dans ce sens que nous pouvons apporter notre contribution.

M. Pierre Brana : Pour vous qui habitiez ici, en 1995, quelle était la proportion de Bosniaques et de Serbes à Srebrenica et quelle est-elle aujourd'hui ?

M. Sadik Ahmetovic : En 1995, dans la zone protégée, il n'y avait que des Bosniaques ; aujourd'hui, c'est le contraire.

M. Pierre Brana : Mais avant la création de l'enclave ?

M. Sadik Ahmetovic : Il y avait 36 000 personnes, soit 27 000 mille Bosniaques et 9 000 Serbes. Ce sont les données de 1991. De plus, la zone protégée ne comprenait pas toute la région de Srebrenica durant cette période. La zone protégée ne comportait que la ville et deux petites zones autour.

Il est important de souligner que le 11 juillet, seuls 10 % de la zone protégée de Srebrenica étaient déjà occupés par les Serbes. C'est pourquoi, s'il y avait eu une action déterminée des Nations unies, on aurait pu de nouveau rétablir cette zone protégée. Malheureusement, l'intervention prévue de l'ONU et de l'OTAN, qui s'appelait Blue Sword, a été arrêtée dans l'après-midi et on a laissé littéralement les gens se faire massacrer. 3 500 personnes, qui demandaient la protection des Nations unies à Potocari, ont été livrées pour être tuées.

Entre 1993 et 1995, j'ai travaillé à l'hôpital de Srebrenica. Comme il y avait un grand nombre de blessés à l'hôpital et qu'il y avait une communication entre le bureau de Médecins sans frontières et la base de Potocari, nous avions alors envoyé un fax leur demandant d'accepter de recevoir les blessés, mais, malheureusement, ils nous ont répondu par fax qu'ils ne voulaient pas recevoir nos blessés.

Mme Milka Rankic : J'apprécie beaucoup votre initiative d'entamer cette enquête sur la tragédie de Srebrenica. Il m'est très difficile d'en parler alors que j'étais très loin de Srebrenica : je peux donc imaginer à quel point cela est difficile pour ceux qui étaient là. Il est très important d'aller jusqu'au bout de ce processus, c'est-à-dire qu'il ne peut y avoir de responsabilité collective, qu'il s'agisse de la communauté internationale ou du peuple serbe. Je ne veux pas me sentir coupable pour une chose à laquelle je n'ai pas participé. Je n'étais pas là. Chaque individu doit être jugé pour que nous, qui travaillons et vivons aujourd'hui ici, ainsi que nos enfants, puissions de nouveau vivre ensemble.

Actuellement, nous avons une bonne coopération au niveau du Parlement et du Gouvernement exécutif. Nous souhaitons créer une nouvelle Srebrenica, un nouvel esprit et avancer vers l'avenir. Mais, avant tout, il faut éclairer le passé pour qu'il ne se répète plus.

Il est impossible de rendre aux mères les enfants qu'elles ont perdus, mais il faut, d'une certaine manière, rendre la vie possible à ceux qui sont restés. La communauté internationale doit investir plus. A nous d'inculper et de juger ceux qui ont commis les crimes et d'investir dans la reconstruction et le développement économique de Srebrenica, pour que les retours soient plus importants et que ceux qui rentrent puissent vraiment rester. Encore une fois, j'apprécie beaucoup votre initiative et je vous soutiens.

Le Président François Loncle  : Nous allons maintenant être rejoints par les représentants de la communauté internationale présents à Srebrenica qui vont se présenter.

M. Marco Ferrero : Je suis là depuis 1998. C'est le Haut Commissariat des Nations unies pour les Réfugiés (HCR) qui a reçu cette population à Tuzla quand elle a été forcée à quitter Srebrenica en 1995.

Le Président François Loncle : Mme Ogata, qui était responsable du HCR à l'époque, n'a pas voulu venir témoigner devant notre Mission d'information. Ce n'est pas bon pour le HCR.

M. Marco Ferrero : Je peux simplement vous dire que du point de vue logistique, nous avons organisé l'arrivée à Tuzla et ensuite la répartition de cette population de Srebrenica dans le canton de Tuzla. Toute l'aide apportée à cette population à cette époque l'a été par le biais du HCR, avec la collaboration des autorités de Tuzla.

M. Andreas Horst : En tant que représentant de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), je suis responsable de la démocratisation à Srebrenica, c'est-à-dire de la promotion de l'administration. Plus particulièrement, à Srebrenica, nous avons développé quelques projets pour améliorer l'efficacité de l'administration et créer les conditions pour que les gens viennent vivre ici et que la ville reçoive plus d'investissements.

Le Président François Loncle : Dans la phase de reconstruction de Srebrenica, y a-t-il déjà quelques résultats, au point de vue économique ?

M. Sefket Hafizovic : Oui, nous avons déjà des résultats concrets, surtout dans la reconstruction des habitations, pour ceux qui sont rentrés ou qui veulent rentrer. Il faut surtout souligner l'importance de l'action de l'OSCE présente ici depuis 1999, depuis qu'on a une administration multiethnique. Il y a aussi beaucoup d'organisations non gouvernementales (ONG). Nous espérons que, bientôt, on pourra entamer un travail plus important, en particulier sur la reconstruction des maisons et une partie de l'infrastructure.

Pour le moment, les pays qui participent sont le Royaume-Uni, les Etats-Unis et la Malaisie. Nous espérons que le Gouvernement français y participera également et qu'il aidera concrètement ce processus de reconstruction.

M. Pierre Brana : Quelles sont les activités économiques de la région ?

M. Sefket Hafizovic : On travaille actuellement sur un forum économique. Avec une équipe que nous venons de créer et qui compte des intervenants de différentes professions, des experts dans différents domaines, nous faisons une analyse détaillée dans le domaine économique qui nous permettra d'élaborer un projet de développement économique. Ensuite, nous devons travailler sur des programmes concrets, en particulier la création de petites et moyennes entreprises.

Le Président François Loncle : Vous avez évoqué le 11 juillet, date tragique. Avez-vous une perspective de commémoration ?

M. Sefket Hafizovic : Oui, c'est le sixième anniversaire de la tragédie de ce génocide des Bosniaques. Nous l'avons déjà fait l'année dernière et notre expérience est plutôt positive. Il faut souligner que la mission du HCR a créé une fondation qui a pris la décision de construire un mémorial. Le 11 juillet, nous aurons cette commémoration et poserons aussi la première pierre du mémorial. Tous les niveaux administratifs seront très impliqués, en particulier le ministère de l'Intérieur, afin que cette manifestation se passe dans la tolérance et la dignité. Nous sommes sûrs que cela se passera exactement ainsi et que cela nous permettra aussi de rentrer dans une période plus calme ensuite.

M. Bernard Bajolet, Ambassadeur de France en Bosnie-Herzégovine : Pour donner un ordre de grandeur de la manifestation, l'année dernière, elle rassemblait 3 000 pèlerins.

M. Sefket Hafizovic : Et il n'y a eu aucun incident. Cette année, nous avons prévu 5 000 personnes.

M. François Lamy, Rapporteur : J'ai deux questions. La première concerne le déroulement de ce qui s'est passé le 11 juillet. On commence à comprendre que les frappes étaient attendues le matin et qu'elles n'ont pas eu lieu. On sait qu'il y en a eu à 14 heures et qu'ensuite, elles ont été arrêtées à la demande du Gouvernement hollandais. La raison qui nous est donnée, c'est que des frappes à ce moment-là auraient pu toucher des populations civiles et que, de toute façon, c'était trop tard.

Je voudrais savoir, pour vous qui étiez sur place le 11 juillet, si le 11 juillet à 16 heures, il était encore possible d'agir et si ce que l'on nous dit est vrai.

M. Sadik Ahmetovic : Quand vous dites que les frappes ont été arrêtées à la demande du Gouvernement hollandais, je ne crois pas que, dans la hiérarchie des Nations unies, un Gouvernement puisse commander. Cela paraît un peu paradoxal. Si cela est permis, alors la chaîne de commandement militaire n'a aucun sens.

Le 11 juillet, seuls 10 % de la zone protégée étaient déjà occupés par l'armée serbe, c'est-à-dire qu'on avait encore la possibilité de récupérer cette partie ou de protéger ce qui restait. C'est là le problème qui me préoccupera toujours, moi qui ai alors perdu presque toute ma famille.

M. François Lamy, Rapporteur : Nous essayons actuellement de comprendre ce point important concernant la chronologie des événements du 11 juillet. Nous avons rencontré le général Janvier ainsi que beaucoup d'autres acteurs. Pour vous, est-ce inconcevable que cela puisse être dû à une succession d'erreurs de commandement et non pas une volonté réelle de ne pas intervenir ? C'est l'une des hypothèses.

M. Sadik Ahmetovic : Je peux comprendre qu'il y ait eu une série d'erreurs, mais, dans toute hiérarchie, ce sont les plus haut placés qui ont le plus de responsabilités. Janvier était le commandant des Nations unies en Bosnie-Herzégovine. Par conséquent, quand il s'agit de la Bosnie-Herzégovine et des Nations unies, c'est lui qui a la plus grande responsabilité. C'est logique.

Le Président François Loncle : Le général Rupert Smith avait un rôle aussi très important, mais il était en permission.

M. Sadik Ahmetovic : Je ne sais pas s'il était en permission par hasard ou...

Le Président François Loncle : Nous non plus. Il n'a pas voulu être auditionné.

M. Sadik Ahmetovic : Malheureusement, il y avait de mauvaises intentions, avant tout de ceux qui commandaient politiquement et militairement l'armée serbe. S'il n'y avait pas eu ces intentions malsaines, il est certain que le nombre d'erreurs aurait aussi été beaucoup moins important. Il est difficile d'empêcher et d'arrêter les actions négatives de certaines personnes quand elles sont très puissantes et, à l'époque, elles l'étaient. Je crois que tous ceux qui sont responsables iront devant le tribunal de La Haye. Mais ce qui est paradoxal, c'est que vous pouvez occuper un très haut poste, comme c'était le cas du général Janvier, faire une erreur dont le résultat est la mort de 10 000 personnes et ne pas avoir à en rendre compte.

Ainsi selon cette logique, il n'est pas nécessaire d'être très intelligent pour occuper un poste important si vous n'avez pas de responsabilité ; n'importe qui peut le faire.

M. Pierre Brana : Comment expliquez-vous le départ de l'enclave de Naser Oric ?

M. Sadik Ahmetovic : Cela aussi, c'est une thèse assez intéressante.

Le Président François Loncle : Quelle est la vôtre ?

M. Sadik Ahmetovic : Je n'ai pas l'intention d'exonérer qui que ce soit quand il s'agit de Srebrenica. Je pars d'une position dénuée de préjugés. Quand il y a eu ces événements de juillet 1995 et qu'une partie de la population a réussi à passer en territoire libre, pour toutes ces pauvres mères qui sont restées sans leurs proches, le seul coupable était le Président Alija Izetbegovic. Elles étaient très en colère contre lui car, quand on occupe un tel poste, on est responsable tant des échecs que des succès. Il y a là une certaine logique. Mais je souligne de nouveau que cette hiérarchie de responsabilité doit être établie, en tenant compte de tout ce que chaque individu ou groupe d'individus a fait, dans le sens négatif, et de ceux qui auraient pu faire quelque chose et qui ne l'ont pas fait.

Mais s'il y a eu, comme cela est presque sûr, des faiblesses et des dysfonctionnements internes globaux ou institutionnels, il faut aussi déterminer, pour l'avenir, les fautes individuelles. Pour nous tous, ce sont d'abord ceux qui ont ordonné une telle chose et qui commandaient directement qui sont les responsables. Ce sera très difficile et très long. Mais pour l'avenir, il faudra le faire, vous en tant que membres du Parlement français, nous en tant que responsables de Srebrenica et citoyens de Bosnie-Herzégovine.

Vous savez que le général Morillon avait affiché le drapeau des Nations unies à Srebrenica, pas loin d'ici à côté de la poste, en face de l'hôpital. J'étais témoin de cela. Il y avait beaucoup de monde, presque la moitié de l'enclave. Il leur a promis qu'ils seraient protégés et trois ans après, il y a eu ce massacre. Tout le monde a vu ces images.

Le Président François Loncle : Qu'est-ce qui vous fait dire que les avions de l'OTAN, sous commandement du général Janvier, après avoir quitté la base d'Aviano en Italie, ont reçu un contrordre ? Les avions partent, puis rebroussent chemin sur un contrordre ou pour d'autres motifs, comme celui qui a été invoqué, c'est-à-dire l'insuffisance de carburant, est-ce ce que vous voulez dire ?

M. Sadik Ahmetovic : On nous a dit qu'il n'y avait plus de carburant, ce qui est très bizarre pour une puissance telle que l'OTAN. Je pense que c'est pour couvrir quelle chose qui a été fait derrière.

M. Desnica Radivojevic : Pouvons-nous poser une question, avant tout à M. l'Ambassadeur ? La municipalité a adopté certains programmes concernant le développement économique de Srebrenica, ainsi que des programmes pour la reconstruction et le retour de toutes les personnes déplacées et réfugiées. Cela représente beaucoup d'argent. Dans le cadre de ce programme, on a prévu de reconstruire cette année plus de 2 000 maisons, pour faciliter le retour des habitants, et favoriser la création de petites entreprises, notamment dans les domaines alimentaire et agricole, ainsi que dans les secteurs liés aux ressources dont Srebrenica dispose, c'est-à-dire le bois et les mines.

Comme vous avez pu le voir, toutes les industries qui ont pu exister avant la guerre ont été détruites. Nous pensons qu'il faut investir plus de 200 millions de deutsche marks pour que Srebrenica retrouve son niveau d'avant la guerre. Si on compare les indicateurs sociaux actuels et ceux d'avant la guerre, le revenu brut moyen est actuellement de 300 marks alors qu'avant la guerre, il était de 2 000 marks. Ces données nous ont été fournies par le Gouvernement de la Republika Srpska. Par ailleurs, avant la guerre, il y avait plus de 7 000 personnes qui travaillaient ; aujourd'hui, elles ne sont qu'un millier, dans les deux secteurs de la production et de l'administration, dont 40 % sont en attente. Cela signifie qu'ici, on vit maintenant en dessous du seuil de pauvreté. Le Gouvernement français, dans le cadre de sa politique d'aide, a-t-il prévu des moyens à investir pour Srebrenica ? Si oui, quels sont-ils, quels sont les domaines d'activité concernés et les délais ?

Mme Milka Rankic : Je voudrais ajouter qu'il y a un grand intérêt pour le retour dans cette région. Environ 300 personnes de nationalité bosniaque sont rentrées. Leur existence n'est pas assurée. On a vraiment besoin d'aide en urgence pour la reconstruction des maisons ainsi que pour l'infrastructure. Ce programme permettra à ceux qui rentrent de rester, c'est-à-dire de développer l'économie.

M. Bernard Bajolet, Ambassadeur de France en Bosnie-Herzégovine : Je vais essayer de répondre, tout en sachant que ma réponse ne vous donnera pas entièrement satisfaction. Je suis venu ici à Srebrenica à plusieurs reprises et je connais bien vos problèmes économiques. Nous intervenons ici essentiellement par l'intermédiaire de la Commission européenne. La France représente 18 % du budget de l'Union européenne. Par conséquent, notre principal moyen d'intervention, c'est de convaincre la Commission d'entreprendre un certain nombre d'actions.

S'agissant des retours, nous insistons, et je l'ai personnellement fait, auprès de la Commission européenne pour mettre l'accent sur la création des emplois car, pour le moment, on a mis l'accent sur la reconstruction des maisons. Certes, cela est utile, mais, ici, les gens qui ont un salaire ont tout à fait la capacité de rebâtir leur propre maison. Il faudrait mettre un peu plus d'argent sur l'aide à la création d'emplois.

Cela étant, j'aurais souhaité qu'en plus, nous ayons des moyens bilatéraux d'intervention. Pour le moment, je ne les ai pas obtenus. Je pense effectivement aux infrastructures, notamment en matière d'eau. Je suis conscient de vos problèmes, mais, pour le moment, je n'ai pas les moyens, sur un plan bilatéral, de répondre à vos attentes. Mais je ne désespère pas.

M. Sefket Hafizovic : Je fais faire une blague, mais un peu sérieuse. Je pensais que vous, Parlementaires, alliez nous donner un chèque aujourd'hui, pour aider à la reconstruction. (Rires)

Le Président François Loncle : Cela aurait été un geste tout à fait normal. Mais l'Assemblée nationale ne dispose pas d'une ligne spéciale pour ce type d'aide. Toutefois, nous serons les messagers de vos demandes auprès des pouvoirs publics français et de la Commission européenne.

M. Pierre Brana : Y a-t-il des marques d'hostilité, des oppositions ou des incidents envers les Bosniaques qui reviennent ?

M. Sefket Hafizovic : A l'époque de l'ancien pouvoir, il y avait de tels problèmes. Avec le temps, il y en a de moins en moins. Nous pensons que c'est du passé et que la voie est ouverte pour ce processus de retour réciproque. Mais je pense qu'il faut réagir un peu plus vite quand il s'agit de l'aide concrète. Il est certain qu'il y a des obstacles mais tout cela fait partie d'un processus complexe. Comme le temps passe, ce processus est de plus en plus rodé. Mais il faut davantage travailler sur un soutien concret.

M. Bernard Bajolet, Ambassadeur de France en Bosnie-Herzégovine : On peut féliciter la municipalité pour ce qu'elle fait en matière de soutien au retour. Ce n'est pas encore suffisant mais il y a de très nets progrès. Je me rappelle la première fois que je suis venu ici, il y a un an et demi : il n'y avait pas un seul retour, alors qu'aujourd'hui, il y en a 300.

M. Desnica Radivojevic : Pourquoi votre Gouvernement est-il réservé quand il s'agit d'investir en Bosnie-Herzégovine ? Considère-t-il que ce n'est pas encore sûr, notamment à Srebrenica, étant donné qu'une réconciliation entre les trois peuples n'est toujours pas une réalité dans cette région ? Nous espérons qu'avec le temps, cela viendra.

Le Président François Loncle : Ce ne sont pas les Gouvernements, mais les entreprises qui investissent. A cet égard, elles ont un point de vue quelque peu cynique, considérant qu'elles doivent avoir toutes les garanties pour que le retour sur investissement soit profitable.

M. Bernard Bajolet, Ambassadeur de France en Bosnie-Herzégovine : Je voudrais ajouter deux choses. La première, c'est que les entreprises françaises sont peut-être plus lentes à se manifester que d'autres. Mais elles commencent à s'intéresser à la Bosnie-Herzégovine. Ainsi Intermarché est aujourd'hui à Sarajevo et va ouvrir, le mois prochain à Tuzla, en décembre à Banja Luka. Il y a d'autres exemples de ce type. J'espère qu'ils vont faire tache d'huile.

Par ailleurs, s'agissant du Gouvernement, je vous rappellerai que la France a été le premier pays à ouvrir une ambassade à Sarajevo et que la France a été présente en Bosnie-Herzégovine dès le début de la guerre. Nous faisons fonctionner l'aéroport de Sarajevo depuis 1992. Le Président Chirac m'a récemment dit qu'il tenait à ce que nous restions à l'aéroport jusqu'à ce que l'on puisse passer le relais aux autorités locales.

M. Sefket Hafizovic : Personnellement, je pensais que Srebrenica passerait sous le patronat des Nations unies, c'est-à-dire des donateurs des Nations unies. La meilleure solution serait que chaque pays investisse un peu de capital pour reconstruire. Quand la reconstruction sera terminée, on apposera une plaque, avec le nom des pays qui ont investi pour la reconstruction de la ville et de l'infrastructure. Malheureusement, cette solution est très peu probable et nous comprenons pourquoi. Mais on s'attendait à ce que cela aille beaucoup plus vite.

Mme Milka Rankic : A cause de tout ce qui s'est passé à Srebrenica, je pense que l'Union européenne doit avoir quand même un comportement particulier envers Srebrenica.

Le Président François Loncle : C'est notre avis.

M. Marco Ferrero : Je voudrais dire quelques mots sur le programme de Srebrenica et remettre la problématique de Srebrenica dans le contexte du reste du pays. Par exemple, dans cette zone, nous sommes responsables de 55 municipalités dans lesquelles il y a un problème important de ressources pour financer les retours. Nous avons récemment fait une analyse statistique en unités de maison qui montre que, pour cette zone du Nord, nous aurions besoin de fonds pour reconstruire environ 10 000 maisons. Nous avons donc affaire à une situation dramatique.

La stratégie du comité international vis-à-vis des retours a été de les encourager avec les ressources dont il dispose, c'est-à-dire que l'on aide les personnes qui rentrent chez elles, là où elles habitaient avant. Dans le cas de Srebrenica, nous sommes confrontés à une situation où nous avons affaire à une grande majorité de personnes déplacées serbes et, dans le cadre des accords de Dayton, nous essayons de travailler pour que ces gens rentrent chez eux, en Fédération ou ailleurs, et ainsi créer l'espace nécessaire pour que les Bosniaques de Srebrenica puissent rentrer. C'est un processus très long. Il n'est pas toujours facile de trouver des personnes serbes déplacées qui acceptent d'aller s'installer en Fédération ou ailleurs en Bosnie-Herzégovine.

En ce qui concerne le désir de retour des personnes déplacées de Srebrenica, Mme Rankic a mentionné le chiffre de 300 personnes. C'est vrai que nous commençons à voir plus de personnes qui ont l'intention de revenir. Mais je souligne que nous avons, par exemple, une énorme concentration de personnes déplacées de Srebrenica dans les cantons de Tuzla et de Zenica. Or, ces personnes, pour l'instant, n'ont pas réellement l'intention de revenir s'installer à Srebrenica. En conséquence, cela pose un problème quant au retour des Serbes dans ces cantons, ces Serbes étant déplacés dans les municipalités de Doboj.

Il y a donc une chaîne. Par exemple, dans le village de Suceska, à quatorze kilomètres de Srebrenica, nous connaissons une situation qui se reproduit parfois en Bosnie : les maisons ont été reconstruites mais sont restées vides. La communauté internationale en Bosnie est très consciente de l'importance de Srebrenica et il y a eu énormément d'intérêt pour le retour ici, avec de fréquentes visites d'ambassadeurs. Mais les ressources restent limitées et il y a d'autres zones où les retours se font mieux, par exemple, dans la région de Zvornik en Republika Srpska ou dans la municipalité de Bijeljina qui est aussi une zone dominée politiquement par le SDS et où il y a un nombre très important de retours, à savoir, dans la ville de Bijeljina elle-même, environ 3 000 personnes. Toujours en Republika Srpska, dans la municipalité de Doboj, nous avons également beaucoup de retours.

Cette remarque vise à vous situer le contexte et vous montrer pourquoi les ressources, qui sont limitées, ne sont pas toutes canalisées sur Srebrenica.

S'agissant du développement économique, c'est une priorité. Par exemple, le HCR a investi à Srebrenica pour ouvrir une boulangerie. C'est à ce niveau très modeste que l'on fonctionne. Nous avons reçu 100 000 marks pour reconstruire une boulangerie, qui va bientôt démarrer. Cela crée 4 emplois, pas plus. Vous voyez la proportion : 100 000 marks et 4 personnes. Nous nous efforçons aussi de mélanger les employés, c'est-à-dire 2 Bosniaques récemment rentrés et 2 Serbes de ceux que l'on appelle les Serbes originels, par opposition aux Serbes déplacés. Cette parité a pour but de consolider l'ancienne population et encourager la population serbe déplacée à aller s'installer ailleurs où elle pourra trouver des fonds pour les aider à leur tour.

Le Président François Loncle : Y a-t-il une aide égale au retour ?

M. Marco Ferrero : Oui, du fait qu'en 1996-97, des erreurs ont été commises quant à l'utilisation des ressources internationales : un très grand nombre de maisons construites sont restées vides, car les personnes qui devaient rentrer ont changé d'avis.

M. Pierre Brana : Pourquoi changent-elles d'avis ?

M. Marco Ferrero : C'est très complexe.

Le Président François Loncle : Est-ce le manque de travail ou la peur de revenir dans un endroit où elles ont souffert ?

M. Marco Ferrero : C'est un mélange.

M. Desnica Radivojevic : Je voudrais ajouter quelque chose. Je travaille dans l'économie depuis plus de vingt ans. Nous n'avons pas l'intention de construire notre avenir sur ces usines qui ont été détruites et qui étaient des restes de l'ancien système communiste. L'économie qui existait avant est morte et on ne peut pas la faire revenir. Notre souhait serait de renouveler l'économie à l'aide de micro-crédits donnés à des petites et moyennes entreprises ou d'institutions qui pourraient financer des petits projets, ainsi que par la formation des gens qui ont des idées et de la créativité. Cela concerne tout le monde, ceux qui veulent rentrer et ceux qui veulent vivre ici.

Pour ma part, je crains maintenant un autre processus. Les gens partent, ceux qui doivent rentrer ne rentrent pas et nous n'aurons plus d'habitants. Que faire de cette ville si elle n'a plus d'habitants ? M. l'Ambassadeur a évoqué avec raison l'obligation de création de nouveaux emplois. C'est là qu'est l'avenir. C'est la seule manière de reconstruire. On ne peut rien reconstruire sans une économie viable.

M. Bernard Bajolet, Ambassadeur de France en Bosnie-Herzégovine : A cet égard, il existe des formes de crédits, notamment octroyés par la Banque mondiale et l'Union européenne, afin de financer les petits projets. Ce sont des programmes qui fonctionnent bien car, en règle générale, les prêts sont remboursés. Mais il faudrait développer ce système. Par exemple, le budget de l'Union européenne cette année est de 3 millions d'euros pour les prêts et crédits, tandis qu'il est de 34 millions pour la reconstruction des maisons. Il faudrait pratiquement inverser ces chiffres.

Un autre problème important est celui de la scolarisation. En effet, les gens qui rentrent ne savent pas où scolariser leurs enfants. Il y a encore de nombreux problèmes pour réunir les enfants dans la même école.

M. Desnica Radivojevic : Nous sommes d'accord avec cela. De tous ces moyens dont vous parlez et qui viennent en Bosnie-Herzégovine, quasiment rien n'arrive à Srebrenica. Comme les moyens à destination de Srebrenica passent déjà entre plusieurs mains, au final, ce qui arrive ici est vraiment très modeste. Je sais que c'était la même chose à l'époque du communisme. En tout cas, ce que l'on constate en pratique aujourd'hui, c'est que les choses ne se développent pas comme on le voudrait. Certes, c'est transparent, mais cela part dans tous les sens. C'est pourquoi on préférerait recevoir des investissements d'une institution financière qui serait sur place. A Srebrenica, il n'y a rien en la matière : quand on a un projet, on n'a personne à qui s'adresser.

M. Pierre Brana : Comment se font aujourd'hui les élections du maire et du président du conseil municipal ?

M. Sefket Hafizovic : Nous sommes élus directement sur une liste ouverte. Chaque parti présente sa liste. Elles sont à la disposition de tous les électeurs.

M. Pierre Brana : Comment le maire est-il élu ?

M. Sefket Hafizovic : Il est élu par les gens qui sont propriétaires ici, même s'ils n'habitent pas ici.

M. Pierre Brana : Peut-on connaître pour chaque année, en partant par exemple de 1993, la population de Srebrenica ? Est-elle vraiment en diminution constante ?

M. Sadik Ahmetovic : En 1991, sur toute la municipalité de Srebrenica, il y avait 37 000 personnes. En 1993, dans la zone protégée, il y avait à peu près le même nombre. Mais à cette époque-là, les Serbes avaient quitté la zone protégée. Les Serbes ne vivaient pas dans cette enclave, mais dans une autre partie qui s'appelle Skala. Dans l'enclave, il y avait environ 40 000 personnes, toutes des Bosniaques. La population a augmenté parce qu'il y a eu beaucoup de Bosniaques qui sont venus ici de Zvornik, etc.

Le Président François Loncle : Mais, depuis 1995, quelle est la courbe ?

M. Sadik Ahmetovic : En 1995, les Bosniaques sont partis ou ont été tués, et beaucoup de Serbes sont venus, surtout des alentours de Sarajevo, s'installer ici après les accords de Dayton. Tous les villages aux alentours ayant été détruits, on ne peut vivre qu'en ville et à Potocari. Actuellement, il y a environ ici 10 000 personnes, toutes serbes, à part 300 Bosniaques qui sont rentrés.

Le Président François Loncle : Sur une période de dix ans, Srebrenica a donc perdu les deux tiers de sa population ?

M. Sadik Ahmetovic : Oui.

Mme Milka Rankic : Ceux qui sont encore en vie sont partis aux Etats-Unis.

M. Sadik Ahmetovic : Le processus de reconstruction est tel que les gens perdent l'envie de rentrer.

Le Président François Loncle : Il est trop compliqué, trop long ?

M. Sadik Ahmetovic : Trop long. Près d'ici, il y a un endroit où une centaine de personnes vivent, depuis trois mois, sous les tentes. M. Ferrero, du HCR, a évoqué les zones où les maisons ont été reconstruites, mais où les gens ne veulent pas rentrer car il n'y a pas d'eau, pas d'électricité, pas d'école, aucun dispensaire et aucune route. La plupart des familles qui doivent rentrer dans ces maisons sont des familles dont les hommes ont été tués. Srebrenica a besoin d'un plan de reconstruction global très radical.

Le Président François Loncle : Merci beaucoup de votre présence. Nous allons continuer sur le terrain. Nous avons appris beaucoup de choses très intéressantes et très utiles pour notre Mission d'information. Nous avons surtout retenu l'idée que c'est vers l'avenir de Srebrenica qu'il faut axer nos efforts et, singulièrement, ceux de la France et de l'Union européenne. Nous essaierons, Monsieur le Maire, de porter vos espoirs auprès des pouvoirs publics français pour que les choses avancent plus vite. Nous vous enverrons notre rapport quand il sera terminé.

Entretien avec M. Jovan DIVJAK,

général serbe de l'armée régulière bosniaque

(vendredi 29 juin 2001)

Présidence de M. François Loncle, Président

Le Président François Loncle : Nous vous remercions d'avoir bien voulu répondre à notre invitation. Au-delà de cette Mission d'information du Parlement français sur les événements tragiques et historiques de Srebrenica, il nous importe de mesurer toute la capacité de paix et de développement de ce territoire, de voir comment les forces politiques de Bosnie-Herzégovine s'y prennent pour conforter la paix et envisager la façon dont la France et votre pays pourraient développer leurs relations.

Mais notre préoccupation essentielle reste le drame de Srebrenica. Nous avons auditionné à Paris un grand nombre de responsables civils et militaires. En Bosnie depuis trois jours, nous avons visité Srebrenica, Potocari, Bratunac, Tuzla... et essayons d'établir les responsabilités des uns et des autres. En effet, notre conviction est qu'il existe des responsabilités dans la chaîne de commandement de l'ONU, dans la manière dont ont été mésestimés les risques concernant cette enclave, voire que le concept même d'enclave était erroné.

Les responsables de l'ONU, en charge de cette enclave, s'étaient engagés à protéger les populations civiles. Malheureusement, 6 000 à 8 000 personnes ont été tuées. Le ressentiment des populations déplacées qui ont survécu est profond, d'autant plus grand qu'elles ont cru à la protection de l'ONU, dont le général Morillon s'était fait le porte-parole lors de discours enflammés. Or c'est précisément dans une zone protégée que ces populations ont été assassinées.

L'organisation humanitaire Médecins sans frontières a grandement insisté pour la création de cette Mission d'information, car les membres de cette organisation non gouvernementale (ONG) ont été des acteurs témoins de cette tragédie. Médecins sans frontières a perdu un certain nombre de ses membres et a été confrontée au fait qu'en tant qu'association humanitaire, elle pensait avoir la certitude de pouvoir _uvrer en zone protégée sans être atteinte par la guerre. Cela a été effroyable pour les membres de MSF, qui étaient sur place, d'être obligés de quitter l'enclave. A cela s'ajoute le fait que leur personnel bosniaque, qui n'a pu être évacué en même temps, a en partie disparu pendant la tragédie. Par conséquent, les membres de cette organisation ont un grand ressentiment et une tendance à accuser l'ensemble des intervenants de l'époque, en particulier la France.

M. François Lamy, Rapporteur : Il serait intéressant, dans un premier temps, que vous nous exposiez la façon dont vous avez vécu la tragédie de Srebrenica et les informations dont vous disposiez, dans le cadre de vos responsabilités de l'époque.

M. Jovan Divjak : Au moment de la tragédie de Srebrenica, je n'ai personnellement eu aucune information sur les événements qui ont suivi la chute de la ville. L'état-major était alors plus préoccupé par le déblocage de Sarajevo que par la défense de Srebrenica.

Le jour où Mladic et son armée ont porté la dernière attaque à Srebrenica et où la ville est tombée, s'est tenue à Zenica une réunion lors de laquelle le commandant de l'armée bosniaque, le général Delic, a déclaré qu'il n'y avait aucun problème sérieux et que nous contrôlions Srebrenica. A la lumière des événements qui ont suivi, je peux maintenant en conclure que l'information qu'il nous avait donnée n'était pas objective et que lui-même ne disposait pas d'informations fiables. Toutes les informations que nous avons eues par la suite ne provenaient pas de sources officielles, mais des médias.

Je voudrais vous dire quelques mots concernant les négociations sur Srebrenica en 1993, auxquelles j'ai participé, en tant que membre de la délégation de l'armée de Bosnie-Herzégovine. Je rappelle ces événements de 1993 car je les considère importants pour ce qui se passera par la suite. Les militaires et les citoyens de Srebrenica avaient à l'époque défendu la ville contre l'armée serbe. Au début des négociations, Mladic a immédiatement proposé un accord selon lequel le commandant Halilovic devait signer la chute de Srebrenica. Les négociations ont duré deux jours, quatorze heures par jour. Toutes les trois heures, l'un des deux commandants demandait l'arrêt des négociations : Mladic, d'un côté, pour s'assurer que son armée était rentrée dans Srebrenica et que les troupes bosniaques avaient affiché le drapeau blanc ; Sefer Halilovic, de l'autre côté, pour s'assurer que Srebrenica était toujours sous notre contrôle. Etant donné que déjà, à cette époque, les Nations unies évoquaient le concept de zone protégée, les deux commandants ont signé un accord de cessez-le-feu et un accord sur la zone protégée de Srebrenica. Cet accord a été signé grâce à la présence de l'armée, sinon Mladic aurait déjà pris Srebrenica à cette époque.

Toutefois, cet accord contenait déjà certains éléments qui ont contribué par la suite aux événements qui se sont déroulés en 1995. Je me rappelle qu'en 1993, nous demandions en permanence le déplacement de l'artillerie lourde à vingt kilomètres de Srebrenica. Par ailleurs, l'armée de Bosnie-Herzégovine avait remis la plupart de ses armes. Dès cet instant, il m'a semblé que l'armée bosniaque et le Gouvernement ont considéré qu'il fallait laisser ces zones protégées sous le contrôle de la FORPRONU, en espérant que les forces de cette dernière assureraient une réelle protection de ces zones. Je sais qu'entre 1993 et 1994, l'armée et le Gouvernement n'ont rien fait pour renforcer, d'une façon ou d'une autre, la zone protégée de Srebrenica. Au vu de la situation en 1995 à Srebrenica, j'avais compris que les Nations unies n'auraient pas les moyens de remplir l'accord qu'elles avaient signé.

Dès le début, s'est posé le problème de l'effectif des troupes à placer dans l'ensemble des zones de Bihac, Sarajevo et Srebrenica. Au début, il y avait des troupes françaises à Bihac, mais elles ont renoncé et sont parties. A l'époque, en tant que citoyen de Bosnie-Herzégovine et membre de l'armée bosniaque, je m'étais senti blessé dans mon amour-propre, quand j'avais su que l'on avait distribué aux troupes qui se préparaient à venir de Lyon à Bihac une brochure présentant la Bosnie-Herzégovine comme un pays où les tribus s'entre-tuaient, des choses qui n'avaient rien à voir avec la réalité. Dans son journal, l'un des soldats de la FORPRONU à Bihac raconte que la situation qui a été présentée aux soldats au moment de leur préparation n'avait rien à voir avec la réalité quand ils sont arrivés à Bihac.

On a la même situation à Srebrenica. Il y a eu tout d'abord le bataillon canadien, très vite remplacé par le bataillon hollandais, mais jamais au nombre prévu par la résolution des Nations unies. En tant que militaire, il me semble que, d'un point de vue stratégique, les structures militaires des Nations unies n'avaient pas réellement analysé l'ensemble des éléments importants pour l'enclave de Srebrenica. Les troupes de Mladic commençaient déjà à se rassembler autour de Srebrenica en avril et mai 1995, ce dont le commandement de l'armée bosniaque avait fait part à la FORPRONU. Le commandant Delic vous racontera probablement qu'il a demandé à plusieurs reprises des réunions urgentes avec le général Rupert Smith, justement pour lui faire part du danger que représentaient ces troupes qui se rassemblaient autour de Srebrenica.

Nous avons eu des informations selon lesquelles Janvier et Akashi avaient des entretiens avec Mladic et Milosevic, mais on ne disposait d'aucune information sur le contenu de ces entretiens. Nous avions l'impression, au poste de commandement et probablement au Gouvernement, que les forces des Nations unies essayaient surtout de protéger les soldats de la FORPRONU et pas vraiment les populations civiles. Vous savez qu'au mois de mai, des militaires des Nations unies avaient été pris en otages. Cet épisode a certainement influencé leur comportement envers Mladic et l'armée serbe. Je crois que cette pression a été telle que nous sommes arrivés à un point où les Serbes pensaient souvent pouvoir poser des conditions qu'ils n'auraient jamais dû poser. Au poste de commandement de l'armée, nous avons eu accès à certaines résolutions des Nations unies et de la FORPRONU qui nous faisaient quelque peu peur. Par exemple, il était dit que la réalisation du mandat venait en position secondaire par rapport à la sécurité des membres des Nations unies. Il était également dit que les armes ne seraient utilisées qu'au dernier moment et en dernier recours contre une attaque serbe.

Quand je dis que la situation en Bosnie orientale n'a pas été suffisamment suivie, même l'armée bosniaque essayait parfois de donner des informations à la FORPRONU par le biais de ses officiers de liaison. Mais c'est le type de détails que pourra vous communiquer le général Delic, car c'est lui qui les avait contactés. Il faut souligner qu'à cette époque-là, l'armée de Bosnie-Herzégovine n'avait pas les moyens d'aider à la défense de Srebrenica, parce que le petit nombre d'hélicoptères dont elle disposait ne pouvait pas transporter des armes lourdes ou des munitions. Dans l'enclave, il y avait entre 3 000 et 3 500 hommes armés. Rupert Smith et Janvier connaissaient très bien les moyens de l'armée bosniaque, c'est-à-dire l'absence de chars, d'armes lourdes, et en particulier de carburant et de soutien logistique.

J'ai trouvé ridicule lorsque le commandant Delic s'est adressé à la population de Bosnie-Herzégovine après la chute de Srebrenica. Il a indiqué que l'armée allait tenter de les aider en leur envoyant deux hélicoptères transportant 2 obus et 3 000 balles. Cette aide n'aurait même pas permis d'arrêter une petite unité.

Tout ce que vous pourrez apprendre par la suite ne pourra que donner une image négative de l'armée bosniaque. Au mois de février, quand 18 officiers sont venus de Srebrenica à Zenica pour une formation, il m'a semblé que c'était une bonne décision. Or, aujourd'hui, on dit que c'était affaiblir la défense de Srebrenica. En tant qu'officier, j'estimais que tous ceux qui représentaient le commandement de cette ville devaient suivre des formations.

M. Pierre Brana  : A quel moment était-ce ?

M. Jovan Divjak : En février 1995. Je le sais parce que j'étais présent à cette formation.

Quand je réfléchis à tous ces événements qui se sont déroulés à Srebrenica, pour moi, le seul coupable, c'est Mladic. Certes, chacun a sa part de responsabilité, mais c'est néanmoins lui le coupable principal, car il n'a pas respecté la zone protégée.

Aurait-il fallu réagir autrement ? Certainement, en particulier lorsque j'ai appris par la suite qu'il y avait eu des demandes d'intervention aérienne. Je voudrais faire une petite digression. En septembre 1992, je me trouvais en visite au centre de recherche stratégique à Washington. C'est là que j'avais insisté sur le fait d'utiliser l'aviation. Mais, à cette époque déjà, tout comme par la suite en 1995, on expliquait que ces interventions aériennes n'étaient pas possibles d'un point de vue technique, en raison du risque causé pour les populations civiles et les troupes. Toutefois, ce qui posait problème, ce n'étaient pas les unités en train de s'affronter, mais les troupes en réserve. En effet, en 1995, ils n'ont pas frappé les troupes qui s'apprêtaient à combattre, mais tout ce qui était en réserve.

De mon point de vue, la grande distance qui existait entre les troupes sur le terrain, Zagreb, Bruxelles, La Haye et New York a été une erreur. Si on veut chercher l'erreur, elle vient du fait de ces différentes chaînes de commandement, car il y en avait plusieurs. Comme l'a dit un officier honnête, il n'était dans l'intention de personne de provoquer une telle tragédie, en excluant Mladic et ses commandants.

Mais aujourd'hui, je pense que les responsables de l'époque doivent se rendre compte de leurs erreurs et de leurs responsabilités, c'est-à-dire de ce qu'ils n'ont pas fait à ce moment-là. Par exemple, si l'on examine les contacts qui existaient à l'époque, personne ne sait de quoi Carl Bildt avait discuté avec Milosevic, lorsqu'il nous promettait que la Yougoslavie reconnaîtrait la Bosnie-Herzégovine. Par ailleurs, au moment de la chute de Srebrenica, Rupert Smith était absent. Les moyens militaires à Srebrenica et le bataillon hollandais ne permettaient pas de défendre la ville.

M. Pierre Brana : Pouvez-vous nous apporter quelques explications sur l'absence de Naser Oric ? Alors que la concentration des troupes serbes était connue depuis avril, pourquoi part-il au moment où cette concentration va se traduire dans les faits par l'invasion de la ville ?

M. Jovan Divjak : Ce serait un désastre pour chaque armée si elle ne dépendait que d'un seul commandant. D'autres sont restés et étaient d'autant plus prêts à défendre la ville que leurs familles étaient là.

Au poste de commandement, nous n'étions pas très satisfaits de la situation qui régnait à Srebrenica entre 1993 et 1995. En effet, il y a eu des conflits à l'intérieur de Srebrenica, entre la police, Naser Oric et les autorités locales. Si vous l'avez rencontré aujourd'hui, peut-être vous a-t-il donné son point de vue.

M. Pierre Brana  : Nous ne l'avons pas vu.

M. Jovan Divjak : Nous avons eu des informations selon lesquelles il y avait des conflits. Je n'en ai pas la preuve, mais on disait que c'était un voyou qui avait profité de la guerre. Je pense qu'on lui a demandé de quitter Srebrenica et de laisser les autres commandants assurer la défense de la ville. Il n'a plus été alors sous le contrôle de notre armée et du Gouvernement.

M. François Lamy, Rapporteur : D'où vient l'accusation des Serbes sur le fait que Naser Oric aurait commis des crimes contre les populations serbes en 1992 ?

M. Jovan Divjak : Cela vient d'un bulletin sur toutes les interventions militaires de notre armée. Par ailleurs, ce sont aussi des informations qui venaient des journaux de Republika Srpska. Chaque jour, notre chef d'état-major ou le chef du secteur militaire recevait des informations. Je me souviens très bien de ces informations selon lesquelles Naser Oric et les autres avaient commis des crimes, c'était en janvier ou février 1995. On en a parlé à notre état-major. Certains ont refusé de le croire, et on peut trouver cela dans nos bulletins rédigés chaque jour. Je me souviens qu'un des responsables avait dit qu'il fallait vérifier. C'est une question à poser à Izetbegovic, car je pense que c'est lui qui a ordonné à Naser Oric de quitter Srebrenica.

M. Pierre Brana  : En tant que militaire de haut rang, pensez-vous qu'une frappe aérienne aurait pu retourner la situation ?

M. Jovan Divjak : Oui, mais c'était déjà le cas en 1992, 1993 et 1994. Par exemple, en août 1994, il avait été dit partout qu'il y aurait une intervention militaire aérienne. Je me souviens qu'un journaliste américain connu, en reportage à Sarajevo, voulait que je lui montre les environs de la ville. Nous sommes allés à Juce, une ligne de front où il y avait chaque jour des combats importants. On tirait autour de nous, il y avait des grenades, et il a fait un bon reportage en disant que nous étions en première ligne, etc... Le soir même, une interprète m'a annoncé qu'il était reparti aux Etats-Unis car son assurance avait menacé de ne plus l'assurer s'il ne rentrait pas aux Etats-Unis. Ce jour-là, il attendait une intervention aérienne à Sarajevo. En 1994, quand on a tiré à Gorazde sur deux chars, on a arrêté l'attaque.

Mme Marie-Hélène Aubert : Pourquoi, à votre avis, ces frappes n'ont-elles pas eu lieu en juillet 1995 ?

M. Jovan Divjak : Je parle à titre personnel. En Europe, actuellement, les Gouvernements ne savent pas comment faire avec le Kosovo et l'ex-Yougoslavie. A cette époque, l'Europe et l'Amérique ne savaient pas comment faire en Bosnie. En 1991-92, aux Etats-Unis, c'est la bataille entre Bush et Clinton. Clinton a lu un écrivain qui avait été en Bosnie en 1912 ou 1913 et qui parlait des tribus en Bosnie. Ce sont les premières informations de Clinton sur la Bosnie. Les Américains étaient favorables aux frappes, mais ils n'avaient pas de troupes en Bosnie.

Le Président François Loncle : En 1995, les autorités bosniaques à Sarajevo envisageaient-elles que la chute de Srebrenica entraînerait de tels massacres ?

M. Jovan Divjak : Non, pour ma part, je n'imaginais pas une chose pareille. Même si nous avons eu la présidence de la Bosnie-Herzégovine avec sept membres serbes et trois bosniaques, tout ne dépendait que de quelques hommes. Vous avez choisi de rencontrer Izetbegovic et Delic, mais peut-être devriez-vous rencontrer un autre membre de la présidence, par exemple Durakovic. Tous ces hommes, qui étaient à la présidence, avaient-ils connaissance de tout ce qui se passait avec Srebrenica et les autres enclaves ? C'est un peu la même situation que moi avec l'armée bosniaque : je ne savais pas tout ce qui passait autour de moi.

M. François Lamy, Rapporteur : Vous avez dit qu'au moment de l'attaque et de la chute de Srebrenica, vous n'aviez aucune information précise. Comment se passait l'information et s'organisaient les contacts entre l'armée bosnienne et l'armée bosniaque ?

M. Jovan Divjak : C'était difficile. Je me souviens que c'était des radioamateurs qui étaient en charge des communications. Nous n'avions pas de transmission. Quant à la liaison avec Srebrenica, elle n'était possible qu'une ou deux fois par jour, entre 18 heures et 20 heures, mais jamais le matin.

M. François Lamy, Rapporteur : Ce jour-là, y a-t-il des informations plus précises ?

M. Jovan Divjak : Pour ma part, je vous répondrai que non. Dans l'armée bosniaque, il y avait trois ou quatre pouvoirs parallèles. Idem à la présidence.

Le Président François Loncle : Etait-ce Delic, vous-même ?

M. Jovan Divjak : Au début, oui, mais ensuite non. Lors de l'attaque de Srebrenica, Delic était à Zenica et non pas à Sarajevo. Je vous ai expliqué qu'il avait une réunion à Zenica.

Le Président François Loncle : Mais où qu'il soit, il y avait bien un chef.

M. Jovan Divjak : Delic était le chef, le commandant.

M. Pierre Brana  : Il y a également eu une hypothèse selon laquelle Srebrenica aurait pu faire l'objet d'un échange.

M. Jovan Divjak : Si vous avez rencontré Ibrahim Mustavic, il a pu vous dire cela. Il a protesté plusieurs fois à ce sujet. Izetbegovic lui avait demandé si, à Srebrenica, ils étaient d'accord pour un échange avec Vogosca. J'ai lu dans la presse qu'Izetbegovic aurait refusé, mais je crois que c'était de la publicité. Izetbegovic dit qu'il a effectivement abordé ce sujet, mais, comme cela, par hasard. Pour ma part, je pense que ce n'était pas un simple hasard et qu'Izetbegovic et Karadzic avaient conclu un accord secret, sans que Mladic le sache.

M. François Lamy, Rapporteur : Selon nos informations, quand l'armée serbe décide de lancer l'offensive Srebrenica, son premier objectif n'est pas de prendre l'enclave, mais le contrôle de la route Sud. C'est lorsque que les Serbes constatent qu'il n'y a aucune résistance qu'ils décident de prendre l'enclave. Avez-vous des informations sur ce point ?

M. Jovan Divjak : A ce moment-là, nous n'avions aucune information mais, ensuite, on a pu constater qu'un grand nombre de soldats avaient quitté les positions. Après, on s'est rejeté la faute les uns sur les autres. Le 2e corps d'armée aurait pu entreprendre une action s'il y avait eu une volonté politique pour ce faire. Mais, déjà au mois de mai, Izetbegovic annonçait, lors d'une conférence de presse, que Sarajevo serait libérée dès le mois de novembre. C'est tout ce qui l'intéressait. Il a laissé Srebrenica sans défense.

Karadzic a dit que les massacres n'avaient pas été perpétrés par les militaires serbes, mais que c'étaient des actes de vengeance des Serbes bosniaques dont les proches avaient été tués pendant la guerre par les Musulmans. A cette époque, il y avait un conflit entre Mladic et Karadzic. Ce sont les informations que l'on pouvait lire dans la presse, mais je n'en ai pas la preuve.

Mme Marie-Hélène Aubert : Selon vous, sur un plan stratégique, quelle raison a pu pousser Mladic à organiser un massacre de cette ampleur ?

M. Jovan Divjak : Je pense qu'il est fou. Je vais vous raconter une anecdote. A cette époque, dans l'armée bosnienne, nous avions souvent des réunions à l'aéroport de Sarajevo. Lors d'une réunion, il a été question de Srebrenica, puis de Sarajevo. Quand il s'est agi de Srebrenica, on a apporté à signer un document à mon commandant, Sefer Halilovic, selon lequel Sarajevo donnait Srebrenica à l'armée serbe. Je me souviens qu'à la fin, Mladic a dit qu'il voulait surveiller sur un cheval blanc la façon dont était effectuée la démilitarisation de l'armée bosniaque. Lors de quatre ou cinq réunions de ce type, il commençait toujours son discours en disant qu'il voulait parler avec une délégation de Musulmans incluant un Serbe qui aurait trahi des Serbes. Un jour, lorsque Krajnic s'est trouvé à la tête de cette délégation, Mladic a commencé son même discours en lui disant que c'était lui qui dirigeait cette réunion. Chaque fois, Sefer Halilovic lui répondait que c'était une délégation bosnienne, etc.

Mme Marie-Hélène Aubert : Pour vous, c'est un coup de folie ?

M. Jovan Divak : Oui, mais à ce moment-là, il n'avait aucune raison de faire cela. Par ailleurs, les officiers hollandais y ont participé. S'ils ont accepté de séparer les femmes et les hommes, ils ont accepté de fait ce qui s'est ensuivi.

M. Pierre Brana  : Il a fallu néanmoins un temps de préparation, une logistique ?

M. Jovan Divjak : A Srebrenica, il n'y avait aucune défense militaire en mesure d'arrêter cela. Les militaires de l'armée bosnienne n'étaient pas à Srebrenica. Il était donc facile d'organiser une telle affaire.

M. Pierre Brana  : Tous les pelotons d'exécution ont quand même demandé une certaine planification.

M. Jovan Divjak : Mladic ne voulait pas prendre cette enclave pour une raison stratégique car, sinon après avoir pris Srebrenica, il aurait pu se diriger vers Tuzla en suivant la Drina.

M. Pierre Brana  : Selon vous, Mladic a donc monté cette opération de manière empirique.

M. Jovan Divjak : Oui, c'est ce que je pense. Mais nous n'étions pas capables d'arrêter ses troupes qui étaient pourtant peu importantes. Certes, elles disposaient d'un certain nombre de chars et d'une artillerie relativement fournie, mais en tant qu'officier, j'estime que si on avait arrêté un ou deux de leurs chars, Srebrenica aurait été sauvée.

M. Pierre Brana  : D'ailleurs sur le terrain, quand on voit la route, on aurait certainement pu la bloquer.

M. François Lamy, Rapporteur : Les Hollandais avaient les moyens nécessaires pour ce faire.

M. Jovan Divjak : Certes, mais seule la moitié de leur bataillon était composée de soldats d'infanterie, l'autre moitié étant en charge de la logistique.

M. Pierre Brana  : De combien d'hommes Mladic disposait-il pour lancer l'offensive sur Srebrenica ?

M. Jovan Divjak : Au début de la guerre, on m'a demandé ce que je pensais de Mladic en tant qu'homme. L'écrivain russe Gorki a dit que l'homme, c'est quelque chose de meilleur. Pour moi, Mladic n'est pas un homme.

Le Président François Loncle : Certains le considèrent un peu comme un fou ?

M. Jovan Divjak : Il était souvent ivre. Chaque fois, il venait habillé comme un paysan. Je me souviens qu'au mois de mars, il portait un gilet en peau d'agneau.

Le Président François Loncle : MSF, qui était très impliquée dans l'action humanitaire sur place, a posé une question en forme d'accusation qui est la suivante : un accord a-t-il été conclu, en marge de l'ONU, entre les autorités françaises et Mladic, dont les termes auraient été la libération des otages contre la promesse de ne pas utiliser les avions de l'OTAN contre les positions de l'armée serbe ?

M. Jovan Divjak : Je l'ai lu par la suite, mais, à l'époque, je n'en avais pas connaissance. Si vous avez rencontré Carl Bildt, il a lui-même parlé avec Milosevic.

Le Président François Loncle : Que pensez-vous du contingent hollandais ?

M. Jovan Divjak : Il était pris en otage.

Le Président François Loncle : Oui, mais quel était son niveau de professionnalisation, sa capacité d'attaque ou de défense ?

M. Jovan Divjak : Il n'était pas bien entraîné.

M. François Lamy, Rapporteur : Hier, lorsque nous avons visité Srebrenica, on nous a montré la route du Sud par laquelle les troupes serbes sont arrivées. Au vu de l'étroitesse de cette route, on peut imaginer qu'avec trois blindés et une cinquantaine d'hommes bien déterminés, on aurait pu arrêter toute action. Pourquoi les Hollandais ne l'ont-ils pas fait ?

M. Jovan Divjak : Parce qu'ils étaient épuisés, qu'ils avaient peur, qu'ils étaient mal entraînés, pas professionnels. Tout membres de la FORPRONU qu'ils étaient, ils n'avaient pas une grande expérience des combats. Peut-être les commandants en avaient-ils plus.

Toutefois, j'ai été touché par deux épisodes. Le premier a été de voir le commandant hollandais boire du raki avec Mladic. Cela m'a fait mal. Ensuite il y a eu un accident, un Hollandais a été tué. Mais que pouvaient faire les Hollandais avec, d'un côté, les Serbes, de l'autre, les Musulmans ?

M. François Lamy, Rapporteur : Que pensez-vous du général Janvier ? Etait-il un bon chef militaire ?

M. Jovan Divjak : Je n'ai pas eu de contacts avec lui, mais avec Michael Rose... (Il souffle.) J'avais des problèmes avec lui, il voulait tout commander, il n'acceptait aucune idée. Il disait que le massacre du 5 février avait été commis par l'armée bosnienne.

M. François Lamy, Rapporteur : Dans l'état-major de l'armée bosnienne, avait-on un avis sur le général Janvier ?

M. Jovan Divjak : Non.

M. François Lamy, Rapporteur : Disait-on de lui que c'était quelqu'un qui analysait bien les situations ?

M. Jovan Divjak : Non, on ne disait rien. Il est dommage que vous n'ayez pas rencontré Delic, car c'est lui qui était en contact avec le général Janvier.

Mme Marie-Hélène Aubert : Selon vous, plus globalement, comment expliquer l'inertie de la FORPRONU en juillet  1995 ? Pourquoi ne s'est-il rien passé, ni avant ni après ?

M. Jovan Divjak : Pendant toute la durée de la guerre en Croatie et en Bosnie, les membres de la FORPRONU se sont peu investis. Aucun pays ne voulait aller à Srebrenica. Il y a eu néanmoins les Canadiens, puis les Hollandais. Je me demande d'ailleurs pourquoi les Hollandais n'ont pas quitté l'enclave. J'ai lu que Mladic avait dit que les Hollandais devaient partir avec les citoyens de Srebrenica.

Entretien avec des représentantes de l'association

« Femmes de Srebrenica »

(Mmes Schehida ABDURAHMANOVIC,
Izeta SULJIC et Halida SULIHOVIC)

(vendredi 29 juin 2001)

Présidence de M. François Loncle, Président

M. François Lamy, Rapporteur : La Mission d'information française sur les événements de Srebrenica a, depuis six mois, auditionné en France de nombreuses personnalités militaires et politiques et étudié de nombreux documents. Depuis deux jours, elle est en Bosnie-Herzégovine où elle tâche de comprendre grâce aux témoins, ce qui s'est passé durant cette période.

Cette rencontre avec vous est importante puisque vous étiez sur place à ce moment-là. Tout ce que vous pourrez nous dire sur ce qui s'est passé, la façon dont vous l'avez vécu et ce que vous pensez de ces événements est pour nous essentiel.

Mme Schehida Abdurahmanovic : C'est très difficile car on ne sait par quoi commencer, il y a tant de choses à dire qu'on ne pourra jamais tout expliquer et écrire. Même si on rassemblait les 40 000 personnes qui étaient à Srebrenica à cette époque, on ne pourrait pas tout raconter car il s'agit d'un crime que nous n'avions jamais vu. Je pensais que la civilisation avait atteint un niveau tel que de telles tragédies n'auraient plus lieu. Mais ce que nous avons vécu à Srebrenica montre que ce n'est pas encore le cas et que les hommes sont toujours capables de faire ce que l'on nous a fait. Je n'aurais jamais pensé qu'un être humain puisse faire subir de telles atrocités à un autre, à des innocents, simplement parce qu'ils portent un nom différent. Je n'ai jamais cru que quelqu'un voudrait me tuer parce que je porte un nom différent. Mais voilà c'est arrivé.

Pour nous, tous ces événements sont encore très douloureux. Cela fait six ans que nous les racontons, sans cesse, mais rien ne se passe. Notre souhait ne se réalise pas. On voit que les criminels de guerre se promènent toujours en liberté. Certes, nous avons été heureuses d'apprendre hier que Milosevic avait été transféré à La Haye. Mais nous, les familles des victimes, savons que tous ces criminels vivent des conditions confortables à La Haye, même si cela nous fait plaisir de les voir sur le banc des accusés et obligés de raconter leurs crimes.

En mon nom personnel, je voudrais dire que maintenant, et je crois que ce sentiment est partagé par nombre de familles de victimes, même si on tuait tous les Serbes, cela ne pourrait me satisfaire, car cela ne me rendrait pas tous les membres de ma famille que j'ai perdus. Malgré tout ce que j'ai vécu et bien que je sois la victime de cette guerre, je suis fière d'être ce que je suis et d'appartenir à la nationalité à laquelle j'appartiens, la nationalité qui n'a pas commis de crimes. Tout ce que nous avons fait, c'est essayer de nous défendre. J'ai tenté d'évoquer ces événements avec mes voisines serbes de Srebrenica mais elles ne veulent pas en parler. A leur place, j'aurais honte d'être encore de ce monde,.

Je vous raconte mon histoire. Je suis de Srebrenica. Dès le début de la guerre, en 1992, les troupes d'Arkan ont commencé à tuer. Nous savions que cela se passait à Zvornik et à Bratunac donc tout près de Srebrenica où je suis restée en me disant qu'on ne me tuerait pas. Nous savions ce qui se passait autour de nous, mais nous n'avions pas vraiment conscience de ce qui pouvait nous arriver. Ce n'est que lorsque les troupes d'Arkan sont rentrées chez moi le 8 mai 1992 et qu'elles ont tué mon mari sous les yeux de mes enfants, que j'ai vraiment pris conscience du danger. A ce moment-là, je suis restée enfermée, je ne pouvais plus partir. J'ai lutté pour sauvegarder les enfants et leur trouver à manger. Nous avons quand même réussi à survivre.

En 1995, quand Srebrenica est tombée, nous sommes allés à Potocari car nous pensions que c'était un endroit sûr. J'avais encore alors un peu d'espoir. Pendant huit mois, j'ai travaillé pour le bataillon hollandais, je connaissais donc les militaires, je lavais leur linge. C'est lorsqu'un des soldats hollandais, qui m'a alors reconnue, m'a donné en cachette une bouteille d'eau à travers la grille que j'ai vraiment réalisé que j'étais dans un camp.

M. François Lamy, Rapporteur : Etes-vous allée à Potocari pour vous sentir en sécurité, puisque c'est le bataillon hollandais qui devait assurer la sécurité ?

Mme Schehida Abdurahmanovic : Oui, ce sont les Hollandais qui garantissaient notre sécurité, selon l'accord celle des civils qui venaient à Potocari, parce que les Tchetniks sont arrivés tout de suite. Je vous donne un exemple. Mon beau-frère nous a laissés à un endroit pour aller voir ce qui se passait. A son retour, il n'a raconté qu'à ma soeur ce qu'il avait vu et dans la nuit, il s'est pendu. Il avait trois grandes filles. Il a dit à ma s_ur qu'il ne pourrait pas supporter de voir égorger ses filles et de les voir maltraiter. Il a trouvé une barre en fer et s'est pendu. Il n'avait rien d'autre pour se tuer. Pour ma part, à ce moment-là, je m'occupais de ma fille qui faisait une crise de nerfs et je n'ai pas vu grand-chose autour de moi. Tout ce qui me préoccupait, c'était ma fille.

Mme Marie-Hélène Aubert : A quel moment le 11 juillet êtes-vous arrivée à Potocari ?

Mme Schehida Abdurahmanovic : Dans l'après-midi, mais je suis incapable de vous dire l'heure, parce que dès le matin les gens commençaient à partir. Mon fils est parti vers la forêt. Je ne pouvais pas partir avant d'être sûre qu'il soit parti. Je suis une des rares mères heureuses dont le fils a réussi à traverser la forêt et à nous rejoindre, mais il a toujours des traumatismes, il ne veut pas en parler. Si je racontais cela devant lui, il ne me le permettrait pas. Il est arrivé ici, a fini la quatrième année d'école secondaire. A la fin de l'année scolaire, pour la fête, dans sa classe à Srebrenica, il y avait 40 élèves et seuls 7 y sont allés.

M. Pierre Brana : Dans les soldats serbes qui vous entouraient, avez-vous reconnu des anciens voisins ou des personnes de la région que vous connaissiez ?

Mme Schehida Abdurahmanovic : Oui, j'ai vu mes voisins. Je suis née à Potocari. J'ai vu un de mes proches voisins, qui s'appelle Radic, aux côtés de Mladic, sur les images que l'on voit de Srebrenica. Personnellement, je n'ai même pas essayé de m'adresser à eux parce que je savais qu'ils ne m'aideraient pas.

M. Pierre Brana : Avant ces événements, aviez-vous des tensions avec vos voisins ?

Mme Schehida Abdurahmanovic : Avant 1992, jamais, nous avions toujours vécu ensemble. Je n'aurais jamais pu croire qu'il y aurait des raisons de faire une guerre.

M. Pierre Brana : Quand vous dites que vous ne pouviez pas vous adresser à eux parce qu'ils ne vous aideraient pas, c'était donc par suite des événements qui étaient intervenus après 1992 ?

Mme Schehida Abdurahmanovic : Oui, en 1995.

M. François Lamy, Rapporteur : Pourquoi les hommes sont-ils partis le 11 juillet au matin ? Pensaient-ils qu'ils risquaient plus que les femmes et les enfants ?

Mme Schehida Abdurahmanovic : Nous étions là depuis le début de la guerre, nous savions très bien ce qui était arrivé aux autres et ce qui pouvait nous arriver. Parmi ceux qui ont décidé de passer par la forêt, il n'y avait pas que des hommes, mais aussi des jeunes filles, des femmes et même des enfants. En ce qui concerne les hommes, on a pu constater qu'ils avaient beaucoup plus de chance de s'en sortir que ceux qui sont allés à Potocari, car une partie d'entre eux s'en est sortie. A Potocari, aucun. A Potocari, on séparait les garçons de douze ans et personne ne les a jamais revus. S'ils avaient décidé de passer par la forêt, il y aurait eu un pourcentage de survivants plus important.

Je considère que les Hollandais sont autant responsables pour tous ces morts que les Tchetniks, ou alors qu'ils nous disent qui l'est. Mais nous, nous ne renoncerons jamais et nous continuerons à chercher la vérité sur nos disparus. Nous voulons que les responsabilités soient reconnues.

Mme Izeta Suljic : Mon amie vous a raconté ce qui s'est passé à Srebrenica. Tout le monde sait que depuis 1992, il y a eu une agression et un occupant que l'on peut appeler « l'armée yougoslave populaire ». Nous avons tous payé, mes parents et les parents de ceux qui ont disparu, pour que l'ex-Yougoslavie soit en sécurité. Toutes les armes ont été utilisées contre la population bosniaque en Bosnie-Herzégovine. Cela doit être clair pour vous.

Ils ont attaqué la population qui ne voulait pas la guerre, et qui était surprise. Imaginez dans ce camp comment se battre quand vos voisins ou des mercenaires venus d'ailleurs rentrent chez vous quand vous êtes endormis, et qu'ils tirent sur votre porte, armés jusqu'aux dents. Comment pouvions-nous nous défendre ? Ceux qui disent que c'était une guerre civile commettent une erreur, il n'y a jamais eu de guerre civile, ce sont les Bosniaques qui ont été attaqués. En tant que mère de deux petits enfants, je peux vous dire que de 1992 jusqu'à 1993, quand on a attaqué la Bosnie-Herzégovine, on a compris ce que nos voisins serbes projetaient. Grâce à l'armée yougoslave venant de Serbie, commandée par Milosevic, et grâce à la chute de toutes les villes jusqu'en 1993, on créait à Srebrenica un camp de Bosniaques qui avaient faim et soif. C'étaient des familles avec des enfants qui étaient à Srebrenica. On attendait le général Morillon avec beaucoup d'espoir.

Pour vous montrer à quel point on voulait la paix et continuer à vivre ensemble malgré ce qui s'était passé dans d'autres villes le long de la Drina, malgré les témoignages des réfugiés qui venaient à Srebrenica, nous étions prêts à rendre nos armes dont la plupart avaient été prises à l'armée yougoslave. Mais malheureusement, lorsque le général Morillon est arrivé à Srebrenica, nous avons été trahis par la communauté internationale et les généraux français. De 1993 jusqu'à 1995, nous avons vécu comme des chiens dans ce camp, en espérant que les occupants allaient rentrer chez eux. Mais la pression était chaque jour plus forte. Et le pire est arrivé, que personne n'aurait jamais imaginé.

La communauté internationale, le général Janvier, M. Akashi, le bataillon hollandais, au lieu de nous aider et de repousser l'occupant, l'ont laissé rentrer. Ceux qui sont rentrés n'étaient pas des soldats car de vrais soldats ne tirent pas sur des femmes et des enfants. C'est comme si nous regardions à la télévision, avec le général Janvier, la chute de Srebrenica et le massacre à Potocari, car il a regardé cela. On ne peut pas nous donner l'excuse qu'on n'a pas eu le temps de réagir, car ce génocide sur les Bosniaques à Srebrenica n'a pas duré cinq minutes, mais une semaine. Tout le monde a vu et su que les Serbes resserraient l'étau autour de Srebrenica. S'ils n'ont pas pu intervenir le 11 juillet, ils auraient pu le 12 juillet. Peut-être y a-t-il encore des survivants de Srebrenica dans un camp. L'image honteuse du général Mladic arrivant à cheval et distribuant du pain visait à tromper le monde. Car une heure après avoir distribué ce pain, les garçons de douze ans que vous pouvez voir sur ces images étaient morts. Mon père et mon mari ont été tués, et j'ai perdu beaucoup de membres de ma famille. Tout le monde a regardé ce qui se produisait. Je ne comprends pas que de telles atrocités puissent arriver au XXème  siècle. La communauté internationale n'aurait pas dû être surprise, car les Bosniaques n'ont pas été attaqués en 1995, mais dès 1992.

J'insiste encore une fois, il est honteux de dire qu'il y avait ici une guerre civile, ce n'est pas vrai, nous avons été attaqués. En effet, si cela avait été une vraie guerre civile voulue par les Bosniaques, il n'y aurait pas eu autant de morts de leur côté. En outre en Bosnie il n'y a pas de république islamique, et pas davantage de Republika Srpska. Tous mes ancêtres sont nés en Bosnie de l'Est. comment cela se fait-il que cela s'appelle maintenant République « Sprska », c'est honteux ! Cela n'a jamais été Istanbul, on sait qu'Istanbul est en Turquie, on sait où se trouvent Belgrade, Paris, et La Haye.

Le général Morillon, M. Akashi, le général Janvier et les Hollandais avaient les clefs de la communauté internationale et ont créé la Republika Srpska. Pendant que les mères attendent leurs proches à Dubra, l'aéroport à côté de Tuzla, qui est en train de faire la fête ? Le Président Izetbegovic ou Mladic ? Qui est en train de bâtir le centre mémorial et qui va y être enterré ? Des Hollandais, des Français, le fils de Milosevic, ou bien des milliers de nos proches ?

Vous êtes les bienvenus ici, mais sachez que les généraux Morillon ou Janvier, dans la mémoire de mes enfants, seront comme Milosevic. S'ils n'étaient pas capables de nous défendre, pourquoi ne pas nous avoir laissé mourir avec nos maris ? Les mères de Srebrenica et toutes les mères de la Bosnie-Herzégovine, les Bosniaques vivent dans une grande incertitude. Mes enfants vivront ainsi, de même que leurs enfants.

M. Pierre Brana : Où habitez-vous actuellement ?

Mme Izeta Suljic : Dans un village qui s'appelle Spijunce, à Srebrenik, près de Tuzla.

Le Président François Loncle : La création de la Republika Srpska est une conséquence de l'application des accords de Dayton, initiés par les Américains, M. Akashi, ni le général Morillon ne l'ont pas créée.

Mme Izeta Suljic : S'il y avait eu des frappes aériennes les 11, 12 ou 13 juillet, on n'aurait pas créé de Republika Srpska. Nous serions là où nous vivions et la Republika Srpska n'existerait pas.

Le Président François Loncle : Estimez-vous avoir été protégés par vos dirigeants bosniaques comme le Président Izetbegovic ou par les responsables qui se trouvaient à Srebrenica comme M. Naser Oric, qui est parti avant le drame ?

Mme Izeta Suljic : Nous aurions pu être protégés, mais avec des armes. Or nous n'en avions pas.

Le Président François Loncle : Quelle est la part de responsabilité des dirigeants bosniaques ?

Mme Izeta Suljic : Par exemple, M. Naser Oric est parti à Tuzla. C'est lui qui a négocié avec le général Morillon, et a cru ce qu'on lui promettait. Quand il est parti, il a cru que nous étions en sécurité parce que nous étions protégés. Il est parti pour revenir, mais pas au moment où cela tirait. Il n'a pas abandonné la ligne de front. Le Président Alija Izetbegovic a essayé de protéger la population bosniaque, il fallait bien que quelqu'un le fasse. Il a toujours essayé de négocier et non pas de prouver sa force par les armes. Je suis très fière de notre Président. Alors que Milosevic se trouve à La Haye, je serais fière si le Président Izetbegovic venait le 11 juillet à la cérémonie de commémoration à Potocari parce que lui n'a pas de sang sur les mains, il n'a pas commis de massacres.

M. Pierre Brana : Avant 1992, Madame disait que les relations avec ses voisins serbes étaient bonnes. Qu'en est-il pour vous ?

Mme Izeta Suljic : Même aujourd'hui, après ce génocide, pour moi, tous les gens civilisés, quelle que soit leur nationalité, sont bienvenus, ceux qui n'ont pas de sang sur les mains. Nous n'avons pas voulu cette guerre mais les Serbes l'ont préparée et ils ont voulu détruire la population bosniaque. Qu'on l'accepte ou pas, ils l'ont voulu.

M. Pierre Brana : Ressentiez-vous, dans votre voisinage, la montée de cette préparation à la guerre ?

Mme Izeta Suljic : Non, je n'ai pas vraiment fait attention à cela, je ne m'occupais pas de savoir ce qu'ils pensaient ou voulaient. J'en voyais qui déménageaient, mais tout le monde déménage un jour ou l'autre.

M. Pierre Brana : Discutiez-vous entre vous ? Il est tout de même étonnant que, presque du jour au lendemain, deux voisins qui s'entendent bien finissent par se tuer.

Mme Izeta Suljic : Je m'exprime en tant que femme et mère. Quand je rencontrais ma voisine serbe ou mon amie qui était Serbe, entre nous on ne parlait pas de la guerre, même plus tard quand elle a éclaté. Si cela avait tenu à nous de se mettre d'accord, nous nous serions mises d'accord. La population civile n'est pas responsable.

Le Président François Loncle : Comment avez-vous perçu l'action d'organisations humanitaires ou de certaines associations comme MSF ? Considérez-vous qu'elles ont joué un rôle utile pendant cette période ou qu'elles étaient absentes ?

Mme Izeta Suljic : Certaines étaient présentes et étaient très utiles. La faim, les maladies ont provoqué beaucoup de malheurs à Srebrenica, sans parler des gens qui se sont fait tuer par les armes. Bien sûr que leur présence était utile ! Par exemple, en octobre 1993, Sergueï, un médecin russe, a opéré mon fils aîné, et cela s'est très bien passé. C'est ce que j'essaie de vous dire, avec les gens civilisés, d'où qu'ils viennent, on peut s'entendre.

M. François Lamy, Rapporteur : Voudriez-vous un jour retourner à Srebrenica et y vivre ?

Mme Izeta Suljic : Si j'avais voulu vivre où je vis aujourd'hui, je serais venue en 1991 et je me serais installée dans une maison. Je n'aurais pas attendu de vivre tout ce que j'ai vécu pour venir ici. Oui, j'ai envie de retourner à Srebrenica, mais je ne veux pas que l'instituteur de mon enfant soit quelqu'un qui a toujours le couteau sous l'oreiller, et soyez sûrs qu'il y a encore de telles personnes à Srebrenica. Cela fait deux jours que vous êtes en Bosnie. Moi, j'ai vécu tous ces événements de 1992 à 1995. Je sais d'où je viens et je sais ce à quoi je peux m'attendre.

Mme Halida Sulihovic : Pour ma part, je considère que les coupables sont d'abord les Serbes, la communauté internationale et les Hollandais, mais surtout les Serbes. Etant dans le secteur de santé, j'ai travaillé avant et pendant la guerre à l'hôpital de Srebrenica, jusqu'à mon arrivée à Tuzla en 1995. J'étais présente quand on a négocié avec les Serbes pour éviter la guerre. On leur proposait même de leur donner tout le pouvoir, pour obtenir la paix, mais ils n'ont pas voulu accepter. Ils ont dit qu'ils voulaient faire la fête, ce qui consistait pour eux à tuer la population musulmane. Puis ils ont commencé à quitter Srebrenica, dix ou quinze jours avant sa chute. J'étais encore à l'hôpital où je travaillais avec mon mari qui a disparu lors de la chute de 1995.

Quand Srebrenica est tombée la première fois en 1992 et que les troupes d'Arkan sont rentrées dans la ville, nous avons réussi à sortir une dizaine de minutes avant qu'elles n'arrivent à l'hôpital. On s'est sauvé dans les montagnes. Cela a duré je ne sais plus combien de jours, mais trois mois après je suis revenue à Srebrenica. J'ai de nouveau travaillé à l'hôpital. Dans mon travail, je n'ai jamais fait de différence entre les nationalités, ni avant ni pendant la guerre, car pendant la guerre il y avait aussi des Serbes et des Croates. Ensuite, la communauté internationale est arrivée, notamment des membres de MSF avec lesquels j'ai travaillé. Ils nous ont beaucoup aidés car il n'y avait plus de dispensaire dans les villages. Je travaillais à l'hôpital et dans l'un des dispensaires qui était resté ouvert. Quant à mon mari, il était le responsable des dispensaires de MSF. C'est pourquoi nous étions relativement bien informés de ce qui se passait.

En 1995, j'ai été parmi les derniers à quitter l'hôpital de Srebrenica avec les blessés pour aller à Potocari, en espérant y être en sécurité. Mon mari est parti par la forêt. Je suis partie en bus. Il y avait aussi un médecin qui s'appelle Edwin. Quand je suis arrivée à Potocari avec les blessés, j'ai eu un malaise, j'avais besoin d'aide, mais ils n'ont pas trouvé le médecin tout de suite. J'ai demandé aux Hollandais de m'aider, mais ils n'osaient pas car ils avaient peur des Serbes. Ils ne voulaient pas m'aider, ils ne voulaient rien me donner. Je leur ai demandé d'aller le chercher pour qu'il vienne personnellement, mais ils ne voulaient pas. Je me suis évanouie. Puis, un des interprètes a trouvé le médecin qui m'a aidée, mais ils l'ont fait en cachette des Serbes. Puis, quand les blessés ont été installés dans les camions, j'ai voulu les accompagner parce que j'étais en assez mauvais état et parce que j'avais vu la nuit précédente ce qui se passait à Potocari. J'avais entendu beaucoup de cris. On avait amené des femmes qui étaient dans le coma, qui faisaient des crises de nerf. Lorsque je leur ai demandé ce qui se passait, elles m'ont raconté que leurs enfants étaient égorgés dans leurs bras. C'est pourquoi j'ai choisi de partir avec les blessés.

On nous a installés dans six camions et trois voitures. Au moment où je montais dans le camion, j'ai demandé à un Hollandais ce que je pouvais emporter, car j'avais quelques photos et lui m'a répondu qu'il y avait des risques. Puis je lui ai demandé où on nous emmenait. Au lieu de dire « Kladen », c'est-à-dire le lieu où on devait nous emmener, il m'a répondu, avec un sourire cynique, « klaja », deux mots assez proches en bosniaque, le dernier veut dire égorger. Nous sommes partis dans l'après-midi, il me semble que c'était un jeudi. Quand nous sommes arrivés à Gravica, les Serbes nous ont arrêtés, ont fait descendre les Hollandais des voitures, leur ont demandé d'aller derrière la voiture, puis leur ont pris leurs gilets pare-balles. Les Hollandais les leur ont donnés, sans refuser. Les Hollandais donnaient aux Serbes tout ce qu'ils leur demandaient.

Nous avons continué la route et sommes arrivés, très tard dans la nuit, à Tice. Là les Serbes nous ont arrêtés, ont fait descendre les blessés, les civils et le personnel. Je suis descendue, puis ils m'ont autorisée à remonter dans le camion. Les autres sont restés. On nous a renvoyés de nouveau à Potocari, on a conduit presque toute la nuit. On nous a emmenés d'abord vers Karakaj où il y a eu un grand massacre et où on a retrouvé un charnier, puis on nous a ramenés par la forêt à Potocari, où nous avons dormi dans les camions.

Dès que nous sommes arrivés, un Serbe, dont je ne connais pas le nom, a ouvert le camion. Comme j'étais la première, il m'a demandé d'où on venait. Je l'ai reconnu parce qu'il était au même endroit que lorsque nous étions partis. Je lui ai répondu que j'étais partie de Srebrenica, que je ne savais pas où on nous avait conduits car je ne connaissais pas très bien les endroits par où on était passé, et qu'on nous avait renvoyés de nouveau à notre point de départ. Il m'a répondu que ce n'était pas vrai, et je lui ai rétorqué que je savais d'où j'étais partie et où j'étais arrivée. Il m'a insultée et m'a dit qu'ils allaient avoir une réunion pour décider de ce qu'ils allaient faire de nous. Nous sommes restés dans le camion jusqu'à 9 heures. Pendant ce temps, des convois partaient de Potocari.

Après 9 heures, on nous a ramenés de nouveau à Bratunac, devant le dispensaire, où ils nous ont tous fait descendre ainsi que les blessés qui restaient. Une caméra filmait la scène. Ils nous posaient des questions, mais nous n'y répondions pas. Puis ils nous ont conduits de nouveau à Potocari, mais les blessés sont restés à Bratunac. A Potocari, un commandant serbe m'a demandé si je voulais partir dans les camions ou les bus avec les enfants et les mères. Je lui ai répondu que c'était à lui de décider.

Ils ont fait une liste qui comportait environ 16 noms. Il y avait quelques femmes et des enfants, mais aucun homme. De nouveau, nous étions à Potocari. Là les Hollandais nous ont dit de ne pas rentrer dans l'enceinte de l'usine et de ne pas regarder ce qui passait là-bas car nous en avions déjà suffisamment vu en route. Nous sommes donc restés devant l'usine, puis on nous a dit d'attendre les premiers bus qui allaient vers Tuzla. Nous sommes restés là trois ou quatre heures. Quand j'ai vu une voiture hollandaise arriver, je me suis précipitée à sa rencontre car je ne voulais pas passer la nuit là, je savais que pendant la nuit, on emmenait les gens pour les égorger.

J'ai demandé à ce Hollandais quand on partait, et il m'a répondu « doucement, doucement », en souriant. Pendant que j'étais là, les Serbes de Bratunac sont rentrés chez les Hollandais qui leur ont donné leurs uniformes, et les Serbes sont sortis portant l'uniforme hollandais et ils sont rentrés dans la foule. Puis une autre voiture est arrivée et je suis allée voir de nouveau. Il y avait un commandant hollandais dont je ne connais pas le nom. Je lui ai posé la même question de savoir quand on partait, il m'a répondu dans dix minutes et il est parti. Dix minutes après, ils sont venus me chercher. On nous a ramenés de nouveau dans l'usine. Là ils ont mis les banderoles rouges et ont séparé les hommes et les femmes. Le commandant hollandais était devant nous, nous l'avons suivi, puis nous sommes sortis pour nous diriger jusqu'aux premiers bus comme on nous l'avait dit et nous avons attendu.

Le soldat de Bratunac, qui m'avait demandé auparavant comment je voulais partir, était là et a ordonné qu'on ouvre le bus. Nous sommes montés dans le bus et il a ordonné au chauffeur de ne plus ouvrir à quiconque sur le chemin. C'est ainsi que nous sommes arrivés à un endroit où on nous a fait descendre pour continuer à pied jusqu'à Kladen.

Entre-temps, lorsque nous étions revenus à Potocari, ce médecin de MSF, qui s'appelait Edwin, m'a demandé de lui raconter tout ce qui s'était passé en route, afin de le communiquer parce que soi-disant il ne savait pas ce qui se passait. Je lui ai décrit la route, et il m'a dit qu'il allait le communiquer tout de suite.

M. Pierre Brana : Etait-ce pendant la nuit du 12 au 13 juillet, et la journée du 13 juillet ?

Mme Halida Sulihovic : Je ne sais pas exactement, mais je suis arrivée à Potocari le 11 juillet au soir, parce que j'étais parmi les derniers à arriver. Nous avons passé cette nuit du 11 au 12 juillet à Potocari, et le lendemain, c'est-à-dire le 12 juillet, les 20 premiers bus sont partis. Nous ne sommes partis que le lendemain, c'était un jeudi. Ils ont laissé partir les 20 premiers bus pour voir comment cela allait se passer.

M. Pierre Brana : Le 11 juillet, quand vous avez quitté l'hôpital, faisiez-vous partie des derniers qui quittaient le centre de la ville ? A quelle heure êtes-vous partie et y avait-il encore des gens dans la ville ?

Mme Halida Sulihovic : Je ne sais pas exactement. Les bombardements serbes avaient déjà commencé, car un obus était tombé près de l'hôpital, blessant plusieurs civils que l'on a fait rentrer dans l'hôpital. J'étais alors présente. J'ai demandé aux Hollandais de les aider, mais ils ne voulaient pas. Un garçon, qui avait perdu un bras, a beaucoup saigné, mais ils ne voulaient pas l'aider. Ils ont évacué les blessés par véhicule, mais le personnel est descendu à pied.

M. Pierre Brana : Quand vous avez quitté l'hôpital, était-ce le 11 juillet en fin d'après-midi ?

Mme Halida Sulihovic : Oui, dans l'après-midi.

M. Pierre Brana : Restait-il ou non des gens ?

Mme Halida Sulihovic : Je ne sais pas. Peut-être certains étaient-ils restés dans les maisons, mais dans la rue, il n'y avait plus personne.

Le Président François Loncle : S'il y avait eu, le 11, le 12 ou le 13 juillet, des frappes aériennes, cela aurait-il constitué un risque pour les populations civiles qui fuyaient ?

Mme Izeta Suljic : Oui.

Le Président François Loncle : Le problème, à propos des frappes aériennes, est de savoir si elles auraient été efficaces pour arrêter les massacres.

Mme Schehida Abdurahmanovic : Pendant qu'on était sur la route entre Tuzla et Potocari, on espérait tous qu'il y aurait une intervention pour nous sauver.

Mme Izeta Suljic : S'il y avait eu des frappes, il fallait bombarder les alentours car les chars serbes n'étaient pas au centre de Srebrenica. Je suppose qu'on pouvait voir, sur des photos, des chars et des milliers de soldats serbes ; c'est sur eux qu'il fallait tirer, car il n'y avait pas de Bosniaques. On sait très bien qu'il n'y avait quasiment plus d'armes à Srebrenica, car elles avaient été récupérées. S'il y avait eu des victimes parmi les Serbes, cela aurait été des soldats qui étaient venus pour nous tuer.

Le Président François Loncle : Pourquoi MSF n'a pas évacué ses personnels bosniaques ?

Mme Halida Sulihovic : Je ne sais pas. Ils ont pris leurs affaires et nous, nous sommes restés.

Mme Schehida Abdurahmanovic : En 1993, quand j'ai travaillé pour les soldats hollandais, ils étaient en train de construire un abri pour eux au cas où il y aurait des obus ou des frappes aériennes. Je m'imaginais que c'était bien que je travaille là, je me sentais plus en sécurité, car en cas de danger, j'aurais pu aussi utiliser cet abri. J'ai demandé à un soldat hollandais, qui construisait cet abri, ce que deviendraient les civils qui travaillaient pour eux en cas de danger. Il m'a répondu : « Nous dans l'abri, vous dehors ». C'est alors que j'ai compris qu'on ne nous aiderait pas. Quand Srebrenica est tombée, MSF et la Croix-Rouge sont tous partis avant la chute, comme s'ils savaient ce qui allait se passer.

Le Président François Loncle : Ils sont partis, mais ils ont laissé leur personnel bosniaque.

Mme Schehida Abdurahmanovic : Oui.

Le Président François Loncle : Vous dites qu'ils sont partis comme s'ils savaient ce qui allait se passer. Mais vous avaient-ils dit ou laissé entendre les dangers qui se profilaient ?

Mme Schehida Abdurahmanovic : Non, je crois qu'ils ne se préoccupaient que d'eux-mêmes. Personne n'a jamais rien dit sur ce qui pouvait se passer. Mais après, nous avons compris que nous avions été trahis et sacrifiés par tout le monde, que plus on nous tuait, mieux c'était. Maintenant je vis ici, je suis toujours en Bosnie, je suis une personne déplacée, mais cela m'est égal de vivre ici ou ailleurs. Je pense que beaucoup plus s'en sont sortis par rapport à ce qu'ils avaient prévu. Mais ce sont surtout des femmes, il n'y a pas beaucoup d'hommes.

Pouvez-vous imaginer la mère qui supplie un Tchetnik de la tuer parce qu'il a déjà tué son enfant et lui ne veut pas la tuer, sachant très bien qu'il a déjà détruit sa vie. Ceux qui ont des enfants peuvent le comprendre, on vit pour cet enfant et on vous le prend. Il faut être fort pour supporter tout cela et rester dans un état normal. Nous gardons toujours l'espoir, nous n'arrivons pas à accepter qu'ils ne reviendront plus jamais. Car 10 000 personnes, c'est beaucoup, on garde toujours l'espoir qu'il y ait des survivants, et on se bat pour nos disparus, mais c'est très lent, cela n'avance pas. De toute façon, la vérité est déjà connue ; nous, nous la connaissons.

Le Président François Loncle : S'il y avait des survivants, où pourraient-ils être ?

Mme Schehida Abdurahmanovic : Les Serbes ont pu les emmener où ils voulaient. Nous croyons que certains sont encore en vie et sont quelque part en Serbie. On parle aussi d'esclavage. Des gens viennent nous raconter des histoires. Par exemple, près de Lonica, de l'autre côté de la Drina, en Serbie, ma s_ur vit à Lukavaca et partage une maison avec une autre femme. Je ne sais pas comment, mais cette femme est entrée en contact avec son fils qui vit maintenant en Serbie et qui est parti là-bas en 1995. Elle a réussi à le contacter, il est même venu la voir. On lui a changé son nom, il s'appelle maintenant Zoran, je ne sais pas quel est son vrai nom. Je ne sais pas si ce garçon est devenu un peu fou ou s'il a peur, mais lorsque je l'ai rencontré, chaque fois que quelqu'un rentrait dans la pièce où il était avec sa mère, il se levait et se présentait avec son nouveau nom serbe. Personne ne lui demandait rien, mais il le faisait tout le temps. C'est un exemple que je connais.

Le Président François Loncle : Comme la Serbie n'a plus le même régime politique, cela peut désormais évoluer, mais, si on ne retrouve personne, cela confirmerait, hélas, la disparition de ces victimes.

Mme Schehida Abdurahmanovic : Pour moi, il n'y a pas que Milosevic, il n'a pas pu tuer 10 000 personnes. Beaucoup d'autres sont responsables et sont des criminels. Pour tous ceux qui étaient à Srebrenica, qui ont tué et égorgé, le moment est venu où ils vont avoir des problèmes avec tout cela, ils ont peur, mais ils ne veulent rien dire. Milosevic, Mladic et Karadzic dirigeaient ces gens-là, il y a eu beaucoup d'exécuteurs.

Le Président François Loncle : Je vous remercie beaucoup. La Mission d'information a été très sensible à vos récits, qui seront très utiles pour son rapport. Elle fera en sorte que celui-ci parvienne à votre association lorsqu'il sera publié à l'automne.

Mme Schehida Abdurahmanovic : Nous vous remercions d'être venus et de nous avoir écoutées. Si cela peut faire avancer les choses, même de très peu, pour nous c'est très important.

Entretien avec M. Alija IZETBEGOVIC,

Président de la République de Bosnie-Herzégovine

(vendredi 29 juin 2001)

Présidence de M. François Loncle, Président

Le Président François Loncle : Nous vous remercions, Monsieur le Président, de bien vouloir nous recevoir. Vous connaissez certainement l'existence de notre Mission d'information dont le but est d'approcher la vérité sur la tragédie de Srebrenica. Après avoir auditionné, à Paris, un grand nombre de responsables politiques et militaires, nous tenions à venir en Bosnie-Herzégovine, et plus particulièrement à Srebrenica, Tuzla et Sarajevo.

La tragédie de Srebrenica est extrêmement complexe. Même six ans après, nous rencontrons encore des difficultés à en démêler tous les contours, toutes les responsabilités. Certes, il y a les responsables essentiels que sont le général Mladic et M. Karadzic, et tous les criminels qui se sont livrés à des massacres lors de la chute de Srebrenica.

Au-delà de ces responsables, il y a aussi l'ensemble de ceux qui n'ont pas réussi à protéger l'enclave, une chaîne de commandement de l'ONU qui, semble-t-il, n'a pas correctement fonctionné, une grande ignorance et une mésestimation par des responsables internationaux, voire bosniaques, de ce qui se préparait à Srebrenica, du fait que leur attention était plus particulièrement focalisée sur Sarajevo. Certaines accusations sont portées, y compris contre vous, Monsieur le Président. Je serai très direct, ce dont je m'excuse. Nous avons entendu dire parfois, par les acteurs de cette tragédie, que les responsables bosniaques au plus haut niveau ont laissé faire, en quelque sorte, le drame de Srebrenica de manière à attirer l'attention de la communauté internationale sur la gravité de la situation générale en Bosnie-Herzégovine. Il fallait, une fois pour toutes, que la communauté internationale comprenne combien la situation était grave et qu'il fallait que chacun se mobilise pour une négociation, telle que celle qui a abouti à Dayton.

Cette thèse, que je me permets de vous rapporter, n'est, a priori, pas la nôtre. Elle est néanmoins colportée, y compris par des observateurs. Nous souhaiterions vous entendre, Monsieur le Président, et dans le temps modeste qui nous est imparti, à mes collègues et moi-même, vous poser quelques questions.

M. Alija Izetbegovic : Notre entretien devra effectivement être écourté. J'ai ici un texte sur Srebrenica que j'ai écrit pour une autre occasion et que je vous donnerai. Par ailleurs, j'ai là des réponses pour M. Arland qui était, me semble-t-il, Rapporteur auprès des Nations unies, lorsqu'il m'a interrogé il y a deux ans. A l'époque, les Nations unies avaient ouvert une enquête sur les événements de Srebrenica et David Arland était venu à Sarajevo, au nom des Nations unies. Certes, cela n'exclut pas que je réponde à vos questions. Vous êtes libres de me demander ce que vous voulez. Néanmoins, dans ce texte, vous trouverez un grand nombre de faits et de mes réflexions sur les circonstances de la chute de Srebrenica.

Mais, en premier lieu, je répondrai à votre question de savoir si nous sommes complices de la chute de Srebrenica.

Sarajevo a été entièrement encerclée pendant 1 200 jours. Au printemps 1995, c'est-à-dire quelques mois avant la chute de Srebrenica, nous avons, pendant vingt jours, essayé de briser ce siège, mais sans y réussir et en subissant de grandes pertes. Les Serbes ont toujours prétendu que nous nous assiégions et bombardions nous-mêmes. Chaque fois qu'un obus tuait plusieurs personnes, les Serbes disaient que c'étaient les Bosniaques qui se bombardaient eux-mêmes pour attirer l'attention. Pendant le siège de Sarajevo, 10 000 personnes ont perdu la vie, dont 1 300 enfants, et il y a eu 50 000 blessés. Alors, nous qui étions à Sarajevo, nous n'avons pas pu aller libérer Srebrenica, qui était proclamée zone protégée. Même si nous avions eu les forces nécessaires, comment aurions-nous pu rentrer à Srebrenica, l'enclave ayant été proclamée zone protégée ? De toutes les façons, nous n'avions pas les forces pour aider Srebrenica. Entre Srebrenica et Tuzla, il y avait un corridor qui reliait les forces serbes entre le Nord et le Sud. Les Serbes ont protégé ce corridor. Ils ne nous ont pas laissé approcher de la Drina, sinon nous aurions coupé cette liaison qu'ils avaient entre les parties Nord et Sud.

(M. Alija Izetbegovic dessine une carte de la Bosnie-Herzégovine).

Les Serbes ont défendu cette direction au Sud et au Nord, c'est-à-dire le corridor de Postavi. Nous n'avons pas eu la possibilité de couper cette liaison, pas plus que nous n'avons pu briser le siège de la ville. Par conséquent, l'hypothèse selon laquelle nous n'aurions rien tenté est complètement insensée.

De plus, Srebrenica a été démilitarisée en juillet 1993 par un Français, le général Morillon. De notre côté, cela a été signé par le commandant de notre armée. Toutes les armes ont été données, puis les Nations unies ont proclamé Srebrenica zone protégée par la résolution 284. Même si nous avions eu des forces suffisantes, comment aurions-nous pu les aider ? Cela aurait pu être considéré comme une attaque contre la FORPRONU parce qu'elle s'interposait entre nos forces et les leurs. Les forces de la FORPRONU n'auraient jamais permis notre passage vers Srebrenica. C'est vraiment une histoire ridicule.

Le destin de Srebrenica ne dépendait plus de nous dès lors qu'elle avait été déclarée zone protégée et démilitarisée. Nous avons envoyé quelques armes de défense, mais exclusivement par hélicoptère. Le dernier, qui est parti pour Srebrenica en mai 1995, a été abattu. Il y avait, dans cet hélicoptère, 4 médecins militaires que l'armée avait envoyés à Srebrenica. Trois sont morts et un a été grièvement blessé, de même que le commandant adjoint, le colonel Bechirec, qui a pu néanmoins parvenir à Srebrenica.

Si on avait voulu livrer la ville, on n'aurait pas envoyé des médecins militaires par hélicoptère sur un trajet aussi dangereux, mais des armes très sophistiquées, des flèches antichars.

Il est bien évident que nous avons essayé de faire ce qui était possible pour Srebrenica, mais c'était une zone démilitarisée, sous la protection des Nations unies. La résolution de cette protection a été décidée au titre du Chapitre VII des Nations unies, lequel permet l'utilisation de la force pour protéger et appliquer la résolution. Nous avons cru que la FORPRONU utiliserait la force car elle avait été autorisée à le faire. Or que s'est-il passé ?

Le 7 ou le 8 juillet, les Serbes ont pris 55 militaires hollandais en otages, et quand les frappes aériennes ont été décidées, les Serbes ont alors menacé de tuer ces otages si les bombardements avaient lieu. Le Gouvernement néerlandais a fait pression sur quelqu'un en France ou aux Etats-Unis, je ne sais pas où, car il y avait ces 55 militaires aux mains des Serbes. Suite à cette pression, Janvier et Akashi ont arrêté les frappes. Pour ma part, je pense que le général français Janvier est responsable de la chute de Srebrenica, car il a arrêté les frappes aériennes qui avaient été autorisées.

A cette époque, le commandant des troupes de la FORPRONU en Bosnie-Herzégovine était le général britannique Rupert Smith. Le 8 ou le 9 juillet, il m'a indiqué que les frappes aériennes avaient été autorisées pour sauver Srebrenica et que l'action commencerait peut-être dans la nuit ou le lendemain matin. Si cela avait été fait, Srebrenica aurait été sauvée. On a attendu ces frappes les 9 et 10 juillet, mais il n'y en a pas eu. Puis on a appris que le général Janvier était intervenu pour demander l'arrêt des frappes.

Ce sont des informations dont je dispose, mais je n'étais pas témoin de tout cela. On nous a dit que les avions avaient quitté la base d'Aviano en Italie et rebroussé chemin à mi-course. Je pense que Janvier a consulté Akashi, peut-être ont-ils demandé son avis à Boutros-Ghali, puis ils ont fait revenir les avions à leur base. Car l'attaque définitive de l'OTAN, qui a lieu le 29 et le 30 août pour Sarajevo, montre que le dispositif était déjà prêt. Ce sont les informations que j'ai eues sur le sujet. Même si je n'étais pas à Srebrenica, j'ai suivi la situation, j'étais en liaison téléphonique avec le poste de commandement à Srebrenica et les autorités civiles, le maire. Ce que je viens de vous rapporter, je l'ai appris à ce moment-là et par la suite. Cette histoire selon laquelle nous aurions pu sauver Srebrenica et que nous n'avons pas voulu le faire est tout à fait insensée et cynique.

M. François Lamy, Rapporteur : J'aurai deux questions. La première est liée à ce que vous venez de dire. Pensez-vous qu'il y a eu, comme cela a été également dit, un accord entre les Présidents Chirac et Milosevic, une sorte d'échange entre la libération des otages et l'absence de frappes aériennes ?

M. Alija Izetbegovic : Je ne pense pas que ce soit le cas. J'ai eu un échange de courrier avec le Président Chirac, le 13 ou le 14 juillet me semble-t-il. Vous savez qu'il avait même proposé d'organiser une action militaire pour reprendre Srebrenica. Je pense qu'il était sincère.

Le Président François Loncle : C'était trop tard.

M. Alija Izetbegovic : Il a demandé le lancement d'une action militaire pour reprendre la ville et rétablir la zone protégée. C'est alors que nous avons eu un échange de courrier. J'ai rencontré le Président Chirac un mois et demi après lorsque je me suis rendu en visite officielle à Paris les 29 et 30 août, c'est-à-dire quarante-cinq jours après la chute de Srebrenica. Nous avons discuté de cette affaire. Je lui ai dit que je jugeais le général Janvier coupable, mais ce n'était pas son point de vue. Pour lui, c'était un officier très correct. Je lui ai dit que j'avais des informations quasi sûres selon lesquelles Janvier avait arrêté les frappes aériennes et rencontré Mladic pendant cette attaque serbe sur Srebrenica. Je ne pense pas que le Président Chirac a joué là un double rôle, j'exclus cette possibilité.

M. François Lamy, Rapporteur : Quand vous avez participé aux négociations qui ont débouché sur les accords de Dayton, il y a eu d'entrée de jeu une proposition de mettre, dans la zone de la future Fédération, les enclaves de Zepa et de Srebrenica. Je voudrais savoir dans quelles conditions vous avez été obligé de céder dans la négociation. Pourquoi cela n'a-t-il pas été possible de récupérer les enclaves au moment des négociations ?

M. Alija Izetbegovic : La délégation serbe disait qu'elle n'accepterait jamais. Les négociations tenaient en permanence à un fil et menaçaient d'être arrêtées à tous moments. Un grand nombre de questions territoriales ont été ouvertes lors de ces négociations. La première a été la liaison avec Gorazde, car cette ville avait également été assiégée et n'avait aucune liaison territoriale avec le reste de la Fédération. La ville de Sarajevo était partagée, avec une partie tenue par les Serbes. Nous avons demandé qu'ils se retirent, mais ils ont refusé. Ils ont également refusé de nous donner cette liaison avec Gorazde. Ils voulaient Brcko pour eux.

Les négociations étaient en permanence menacées. Les Américains nous disaient que, si les négociations n'aboutissaient pas, ils nous laisseraient nous battre seuls. Les Croates étaient sortis de la guerre. Tudjman nous avait envoyé le message selon lequel plus rien ne passerait par ses territoires. Comme nous n'avions aucune liaison, nous ne pouvions recevoir la nourriture et les armes que par la Croatie. Déjà, depuis le 20 septembre, nous étions seuls dans ce combat contre les forces serbes. A partir du 18 ou du 19 septembre, les Croates se sont en effet retirés. Nous nous sommes retrouvés seuls face aux forces serbes que Milosevic envoyait par la Drina. Comme il craignait une nouvelle vague de réfugiés, il a tenté de renforcer les forces serbes pour pouvoir tenir ce territoire. En résumé, Tudjman ne voulait plus faire la guerre et l'Europe et les Etats-Unis menaçaient de nous laisser continuer la guerre seuls si nous insistions sur autre chose.

De ce fait, le 21 novembre, les accords de Dayton ont été conclus et signés le matin. Mais, le jour précédent, j'avais signé l'arrêt des négociations à cause de Brcko, car nous ne voulions pas céder Brcko. Les Serbes ne voulaient céder ni Srebrenica, ni Zepa, ni Brcko, mais j'ai refusé pour Brcko. Les négociations ont donc été arrêtées le 20 novembre à minuit. Auparavant, j'avais proposé un arbitrage pour Brcko, en disant que l'on mettait Brcko de côté et qu'il ne fallait pas faire la guerre à cause de Brcko, mais Milosevic a refusé jusqu'au 21 novembre au matin. Quand il a vu que j'avais signé l'arrêt des négociations, c'est-à-dire le 20 novembre à minuit, et comme il avait besoin de la paix pour éviter les sanctions, il a changé d'avis et proposé le lendemain matin tôt, devant le Secrétaire d'Etat Christopher, l'arbitrage pour Brcko. Nous n'avons pu obtenir que cela. En d'autres termes, nous aurions pu insister sur Srebrenica et Zepa, mais cela signifiait continuer la guerre. Mais, devant nous, se profilait le quatrième hiver de guerre, car nous étions à la fin du mois de novembre. A Sarajevo, 300 000 personnes étaient assiégées. Il n'y avait pas d'électricité, pas d'eau, pas de nourriture, pas d'armes, pas de gaz. Nous avions déjà passé deux hivers sans chauffage à Sarajevo où la température peut descendre à moins 20. Nous n'aurions pas pu continuer la guerre.

C'est pourquoi nous n'avons pas pu sauver Srebrenica et Zepa. Néanmoins, nous avons obtenu le retour des personnes déplacées. C'est ce qui a été écrit, mais ce n'est pas ainsi que cela se passe. Aujourd'hui, c'est mon parti qui a le pouvoir à Srebrenica, car le maire de Srebrenica est de mon parti. Le parti auquel j'appartiens a donné comme consigne aux réfugiés de voter dans la ville d'où ils viennent et non où ils vivent maintenant. Par exemple, ceux qui ont été chassés de Foca votent à Foca, malgré le fait qu'aujourd'hui, ils vivent à Sarajevo. En appliquant cette consigne de vote, mon parti a pu recueillir entre 60 et 70 % des votes à Srebrenica, et nous avons peu perdu dans cette partie de la Fédération, car beaucoup de gens ont voté en Republika Srpska. Les Serbes et les Croates avaient une autre politique. Leur consigne a été de dire aux réfugiés de voter là où ils vivent aujourd'hui, car ils veulent créer ainsi des territoires ethniquement purs. Nous, nous voulons une Bosnie entière où chacun rentrera chez soi, et c'est pourquoi nous préférons que les gens votent là où ils vivaient avant. Srebrenica est un exemple type de cette politique. C'est la preuve que nous ne voulions pas renoncer à Srebrenica.

Maintenant nous nous battons sur le terrain politique pour Srebrenica et avons réussi à gagner là-bas. Mais ce pouvoir civil que nous avons n'a pas de base réelle, car la police et l'armée sont serbes. C'est une situation schizophrénique.

M. Pierre Brana : Comment expliquez-vous que Naser Oric n'était pas présent sur le théâtre des opérations lorsque Srebrenica est tombée ?

M. Alija Izetbegovic : Nous avons eu des informations selon lesquelles il y avait des choses pas nettes, des conflits et des disputes entre les autorités militaires et civiles à Srebrenica. Des meurtres ont été commis à Srebrenica et n'ont pas été éclaircis. Nous avons eu des informations de cette sorte pendant plusieurs mois. L'armée a alors convoqué Naser Oric à Tuzla, suite à des plaintes selon lesquelles des choses terribles se passaient à Srebrenica et qui accusaient Naser Oric d'être derrière tout cela. L'armée voulait mener une enquête et voir de quoi il retournait. Naser Oric devait retourner à Srebrenica par l'hélicoptère qui a été abattu au mois de mai. Lui n'est pas monté dans cet hélicoptère ; c'est son adjoint qui est reparti. Depuis cet incident, il ne voulait plus rentrer à Srebrenica, sauf dans un hélicoptère blindé que nous n'avions pas. Peut-être le général Delic pourrait vous en dire plus car c'est l'armée qui s'est chargée de cette enquête.

Telle est la raison pour laquelle Naser Oric ne se trouvait pas à Srebrenica. De toute façon, même s'il y avait été, cela n'aurait pas changé grand-chose. Mais ce ne sont que des suppositions. La situation humanitaire à Srebrenica était très difficile, il n'y avait pas assez de nourriture, pas de sel. En raison du trop grand nombre de personnes dans la ville, il s'est créé une ambiance nerveuse. Il y avait beaucoup de maladies, mais pas de médecins ni de médicaments. Toute une masse de réfugiés s'est entassée dans cette ville. Il y avait 3 ou 4 familles par appartement. Tout cela a engendré des conflits. Chaque jour, 20 ou 25 personnes mouraient de maladie, sans compter les bombardements. Cette situation psychologique et morale très difficile était la conséquence du siège de la ville pendant trois ans. Srebrenica est une petite ville qui comptait, avant la guerre, 20 000 habitants. Or, à l'époque, il y avait 60 000 personnes.

M. Pierre Brana : Etes-vous tout à fait convaincu, ainsi que votre état-major, que des frappes aériennes auraient pu éviter la chute de Srebrenica ?

M. Alija Izetbegovic : Oui. Quand le général Joulwan, commandant en chef de l'OTAN, est venu à Sarajevo pour une interview il y a deux ans, il a clairement dit que, si on avait effectué des frappes à cette époque-là, Srebrenica aurait été sauvée. Le général commandant en chef de l'OTAN sait de quoi il parle. Vous trouverez cette interview dans mon texte.

Mme Marie-Hélène Aubert : Le jour de la chute de Srebrenica, le 11 juillet, à partir de quel moment avez-vous été informé de l'ampleur des massacres ? Avez-vous tenté de demander à la FORPRONU d'intervenir au moins pour protéger les populations civiles ?

Le Président François Loncle : Dans le même ordre d'idée, pensiez-vous que la chute de Srebrenica entraînerait des massacres ?

M. Alija Izetbegovic : Je n'ai pas imaginé que les Serbes feraient encore une fois une telle chose en 1995. Je supposais qu'ils allaient chasser la population, mais pas qu'ils perpétreraient ces massacres. A une époque, il n'y a plus eu de massacres. Les principaux massacres ont eu lieu en 1992 et une partie de 1993. Pendant la deuxième partie de 1993, l'année 1994 et la première partie de 1995, il n'y a plus eu de massacre. Je n'ai pas imaginé qu'ils allaient recommencer.

Quand j'ai appris la chute de Srebrenica, le 11 juillet, j'étais à Zenica. Quant aux massacres, je n'en ai eu connaissance que les 13, 14 et 15 juillet, avec l'arrivée des premiers réfugiés. Ce n'est pas la FORPRONU qui me l'a appris, car, d'ailleurs, elle les niait. Ce sont les réfugiés qui arrivaient, en disant qu'ils supposaient qu'il y avait eu des massacres, car même eux n'étaient pas sûrs. Mais je crois que les services de renseignement des grands pays le savaient, par l'intermédiaire des satellites.

Aujourd'hui on sait que les principaux massacres ont été effectués les 14, 15 et 16 juillet. Le 17 juillet, les charniers ont été fermés. Je crois que c'est M. Jean-René Ruez, commissaire enquêteur au Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie, qui a déclaré cela. Nous n'avons pas cru que cela était possible, c'était incroyable pour nous. C'est le plus grand massacre qu'a connu cette guerre, à un moment où l'on commençait déjà à parler de paix. Cela a été fait par Mladic, qui est un fou.

Mme Marie-Hélène Aubert : Vous pensez que c'est sa folie qui l'a poussé à faire cela ?

M. Alija Izetbegovic : Je ne sais pas. Je l'ai rencontré une fois à Genève, lors d'une négociation. Je ne lui ai pas parlé, mais j'ai eu l'impression d'avoir en face de moi un homme fou. C'est comme un sentiment négatif. Il y avait d'autres Serbes, des généraux, des politiques, mais ces gens me paraissaient normaux, tandis que lui me donnait l'impression d'être quelqu'un qui jouait toujours. Il ne me semblait pas normal.

M. Jean-Noël Kerdraon : Vous avez dit que lorsque vous aviez compris par les réfugiés qu'il y avait eu des massacres, la FORPRONU a contesté ce fait. Pouvez-vous dire de qui il s'agissait à la FORPRONU ?

M. Alija Izetbegovic : Elle ne l'a contesté que les deux premiers jours.

M. Jean-Noël Kerdraon : Qui était l'interlocuteur à la FORPRONU ?

M. Alija Izetbegovic : Je ne me rappelle pas. Peut-être que cette information, je l'ai eue par l'intermédiaire de mes militaires, pas directement.

Le Président François Loncle : Cela ne vous paraît-il pas incroyable que Mme Albright n'ait annoncé à l'ONU l'ampleur des massacres qu'à la mi-août ?

M. Alija Izetbegovic : Si, mais c'est parce que les grandes puissances se sentaient coupables de la chute de Srebrenica. Elles avaient du mal à affronter cette vérité car ce sont elles qui avaient voté cette résolution sur la zone protégée et qui avaient refusé d'intervenir lorsqu'on le leur avait demandé.

Mme Marie-Hélène Aubert : A votre avis, à partir de quand la FORPRONU a-t-elle été informée des massacres ? Etait-ce très tôt ?

M. Alija Izetbegovic : Je pense que la FORPRONU a tout de suite vu ce qui se passait. Je voudrais vous citer la déclaration que j'ai faite le 12 juillet dans un communiqué de presse. Il y a également une lettre que j'avais adressée à Clinton le 9 juillet.

Je vous cite les termes de la déclaration : « Nous exigeons que les Nations unies et l'OTAN, en appliquant la force, rétablissent la zone de sécurité à Srebrenica, dans les frontières existant avant l'attaque, c'est-à-dire celles de mai 1993. S'ils ne peuvent pas ou ne veulent pas le faire, qu'ils le disent ouvertement. Nous leur demandons d'assurer, avec le HCR, par tous les moyens, y compris les parachutages, la fourniture de tentes, de nourriture, de médicaments, qui seront dirigés vers la zone protégée pour la population qui s'y est réfugiée, ainsi que l'évacuation des malades et des civils blessés. S'ils ne peuvent pas ou ne veulent pas le faire, qu'ils le disent ouvertement.

« Le minimum qu'ils doivent à ce pays, membre des Nations unies, et à ce peuple, est une réponse claire et non ambiguë aux demandes citées ci-dessus. La confusion actuelle dans les déclarations ne fait qu'aggraver la situation déjà difficile.

« En troisième lieu, leur réponse négative signifiera leur acceptation publique de la légalisation de la force dans les relations internationales ainsi que l'acceptation du génocide en tant qu'un fait accompli et l'acceptation des criminels de guerre en tant que partenaires. Nous avons besoin d'une réponse claire. »

Le Président François Loncle : Dans la situation que vous décrivez à Srebrenica avant la chute, cela veut-il dire que le HCR et les organisations humanitaires ont été très insuffisants et défaillants ?

M. Alija Izetbegovic : Il y avait là-bas près de 60 000 personnes. Mais je crois que le HCR et les organisations humanitaires étaient partout insuffisants. Je vous ai décrit la situation à Sarajevo. En tant que Président d'un Etat, j'étais sans électricité, sans chauffage. J'ai passé l'hiver enveloppé d'un grand manteau avec un bonnet et un châle. Vous pouvez imaginer la situation de la population et combien les gens avaient faim. Par ailleurs, les Serbes empêchaient le passage des convois et, quand ils laissaient passer un convoi, ils en prenaient la moitié.

Le Président François Loncle : Quelle appréciation portez-vous sur le rapport de Kofi Annan ?

M. Alija Izetbegovic : Je l'ai écrit dans ce texte. Dans ce rapport, il y a des remords, mais aucune prise de responsabilité. On ne voit pas les responsabilités individuelles. Néanmoins, il est vrai que Kofi Annan a avoué explicitement la culpabilité de la communauté internationale.

Mme Marie-Hélène Aubert : Vous avez indiqué tout à l'heure que vous aviez eu un contact avec le général Rupert Smith le 8 ou le 9 juillet, à propos des frappes aériennes. Mais il était censé être en congé à ce moment-là ?

M. Alija Izetbegovic : Il m'a appelé de Split en me disant qu'il était à Split en permission.

Mme Marie-Hélène Aubert : Est-ce lui qui vous a dit que des frappes aériennes étaient autorisées ?

M. Alija Izetbegovic : Oui, que les frappes aériennes étaient autorisées et qu'elles auraient lieu dans la nuit du 9 au 10 juillet ou dans la journée du 10 juillet. Mais cela a été arrêté par les autres. Je pense que Rupert Smith a insisté pour qu'il y ait des frappes aériennes. Je le considère, pour ma part, comme un officier très correct. Il est certain qu'il était favorable aux frappes. Mais elles ont été arrêtées par quelqu'un qui était plus haut placé que lui. Il me l'a expliqué après. Je lui ai demandé comment cela s'était passé. Il m'a répondu qu'on le saurait un jour mais sachez que ce sont des forces majeures qui ont arrêté les frappes. Je pense que c'était Akashi ou Janvier, l'un des deux, je ne sais pas exactement lequel, mais l'un des deux sait exactement qui a arrêté les frappes.

Entretien avec M. Smaïl CEKIC,

directeur de l'Institut de recherche sur les crimes

contre l'humanité et le droit international,

université de Sarajevo

(samedi 30 juin 2001)

Présidence de M. François Loncle, Président

Le Président François Loncle  : Nous abordons, avec vous, le dernier entretien de notre visite en Bosnie. Il nous paraissait important de terminer avec un travail universitaire dont nous n'avons pu encore prendre connaissance (M. Cekic est venu avec des exemplaires de son livre).

Je voudrais savoir si ce travail, qui a l'air extrêmement complet et sérieux, a déjà été utilisé par des instances comme l'ONU ou la commission hollandaise d'historiens. En d'autres termes, vos travaux d'universitaire ont-ils fait l'objet d'échanges avec d'autres universités ou d'autres instances politiques ?

Par ailleurs, nous sommes désireux de connaître votre version quant aux responsabilités des uns et des autres dans le drame de Srebrenica. Comment ce drame aurait-il pu être évité ? Ce sont évidemment les questions qui nous intéressent le plus. Estimez-vous également que six ans après, c'est une bonne période pour tenter d'aller plus loin dans l'investigation ? Selon vous, certaines vérités seront-elles connues beaucoup plus tard ou, dès maintenant, peut-on déjà faire le tour de la question ?

M. Smaïl Cekic : Pour moi, c'est un honneur et un plaisir de me retrouver avec vous aujourd'hui, bien que cela ne me fasse pas plaisir de parler de ce sujet tragique et difficile qu'est le génocide de Srebrenica.

Je voudrais vous présenter brièvement les recherches que je mène avec mes collaborateurs, à l'Institut pour la recherche sur les crimes. Historien de profession, je suis plus particulièrement intéressé par l'histoire contemporaine de la Bosnie-Herzégovine. Je suis professeur à la faculté des sciences politiques de l'université de Sarajevo dans deux matières, l'histoire de Bosnie-Herzégovine et l'histoire militaire du monde. Cela vous surprendra peut-être, mais je fais aussi des recherches sur l'histoire de la France dans l'Antiquité. J'ai un diplôme de l'université de Belgrade sur le thème « Le mouvement des Bagaudes », mouvement social qui s'est développé au IIIème siècle sur le territoire de la province romaine de Gaule, correspondant à la France et à la Belgique. J'espère que bientôt ce travail sera aussi publié.

Je suis en même temps le directeur de l'Institut de recherche sur les crimes. Dans le cadre de l'histoire contemporaine de Bosnie-Herzégovine, je fais des recherches sur les crimes sur le territoire de la Yougoslavie pendant la deuxième guerre mondiale ainsi que les crimes qui ont été commis en Bosnie-Herzégovine entre 1991 et 1995. Dans ce contexte, j'ai publié beaucoup de travaux. Quelques-uns de ces travaux ont été traduits en anglais dont le livre L'agression sur la Bosnie et l'agression sur les Bosniaques, publié en 1995. A l'Institut, on travaille sur plusieurs projets, parmi lesquels figure le projet sur les crimes à Srebrenica pendant l'agression de la Bosnie-Herzégovine. Je vous dirai quelques mots sur ce que nous avons trouvé jusqu'à maintenant, puisque c'est le sujet qui vous intéresse. A ce jour, nous avons réussi à rassembler une documentation très importante.

On a fait des recherches sur le terrain et publié jusqu'à aujourd'hui trois volumes d'une étude très importante sur les crimes à Srebrenica. Ces livres ont été faits à différents moments, avec des contenus différents. A la fin de ce projet, nous pensons arriver au volume dix, voire onze, étant donné la multitude de crimes commis, dont celui sur la forme la plus dure qu'on appelle le génocide.

Nous avons prévu, pour cette année, de publier le volume quatre qui sera dédié aux victimes de Srebrenica. Notre but est de déterminer le nombre exact de victimes, avec leurs noms et prénoms, parce qu'aujourd'hui, comme vous le savez, on manipule différents chiffres. Certains disent qu'il y a eu 7 000 victimes, d'autres 10 000, certains voire 12 000. Mais comme nous faisons des recherches scientifiques, les résultats de ces recherches doivent être basés sur des recherches scientifiques. Ainsi on voudrait publier ces données avec les noms et les prénoms de chaque victime, enrichies de tous les renseignements personnels collectés sur chacune d'entre elles.

Le Président François Loncle : Votre évaluation provisoire du total des victimes, après la chute, se situe-t-elle plutôt entre 5 000 et 7 000 ?

M. Smaïl Cekic : Je vais vous citer des chiffres qui n'ont pas encore été publiés. Les recherches, qui ont duré deux ans, n'ont pas encore complètement abouti. On ne peut donc donner les chiffres exacts, mais approximativement, il s'agit d'un nombre de 7 000 victimes. Ce que nous savons jusqu'à maintenant sur les crimes de Srebrenica, nous l'avons publié dans ces volumes. Vous trouverez, dans ces études, beaucoup de réponses aux questions que vous me poserez aujourd'hui. Mais je suis prêt à vous répondre directement.

Le Président François Loncle : A quoi tient cette volonté de sélectionner, de séparer et d'exécuter essentiellement les hommes et les enfants mâles ? Dans ces crimes, combien de femmes et de jeunes enfants ont été victimes ?

M. Smaïl Cekic : Toutes les recherches que nous avons menées jusqu'à maintenant démontrent tout d'abord qu'il n'y a aucun doute sur le fait que le crime a été commis. On en connaît le pourquoi, le comment et la manière dont il a été commis. Maintenant il faut trouver des réponses à la question des responsabilités.

Le Président François Loncle : Pourquoi ce sont les hommes qui ont été tués ?

M. Smaïl Cekic : Pour donner une bonne réponse à cette question, il faut bien connaître les objectifs de guerre serbes. C'est aussi un sujet à part. On sait, sur la base de nombreux documents, qu'il s'agit d'un grand projet connu dans l'histoire comme le projet de la « grande Serbie », c'est-à-dire ce projet de la création d'un grand Etat serbe ethniquement pur dans lequel on n'a pas prévu de place pour les autres, et en particulier pas pour les Bosniaques.

Dans ce contexte, si je reviens à votre question pourquoi les hommes, le but a été avant tout de détruire la population capable de se défendre. C'est pourquoi l'agresseur a cherché à éliminer en premier lieu des hommes capables de se battre, car il est beaucoup plus facile d'éliminer les plus faibles, c'est-à-dire les femmes et les enfants. Quant à votre question concernant le nombre de femmes et d'enfants tués, les résultats que nous publierons dans le quatrième volume apporteront la réponse à cette question. Actuellement, nous savons que plus de 450 enfants ont été tués ainsi que beaucoup de femmes, mais on n'en connaît pas le nombre exact.

Le Président François Loncle : Quel âge avaient ces enfants ?

M. Smaïl Cekic : Entre un an et dix-huit ans. Cela va des bébés de quelques mois jusqu'à des jeunes hommes de dix-huit ans.

Le Président François Loncle : Combien de petits bébés ont-ils été tués ?

M. Smaïl Cekic : C'est une question importante, mais je ne peux pas vous répondre. Le nombre de bébés, de femmes et d'hommes, ainsi que la structure sociale, l'âge, le niveau d'éducation, toutes ces informations seront présentées dans le quatrième volume. Je ne peux pas encore vous donner la réponse car les travaux ne sont pas entièrement terminés.

M. Pierre Brana : A l'institut médico-légal de Tuzla, le responsable nous a indiqué qu'ils n'avaient trouvé que des cadavres d'enfants entre douze et seize ans, s'agissant des plus jeunes. En d'autres termes, ils n'ont trouvé aucun corps d'enfant de moins de douze ans. Comment expliquez-vous cette disparité ?

M. Smaïl Cekic : Nos recherches démontrent que des bébés ont été tués. Les criminels arrachaient les bébés des bras de leurs mères et les tuaient en présence des parents. Il s'agit de scènes terribles.

Je reviendrai sur votre question du début, celle de la responsabilité. C'est certainement l'une des questions les plus importantes, mais aussi des plus difficiles. Sur la base de nos recherches, nous avons plusieurs niveaux de responsabilité s'agissant des crimes à Srebrenica. Avant tout, c'est la responsabilité des Etats de la Serbie et du Monténégro, quand on parle des Etats, et là on parle du régime à la tête duquel on avait le criminel, Slobodan Milosevic. Dans le contexte de la responsabilité d'un Etat, c'est le Président de cet Etat en tant qu'individu qui est le plus responsable pour les crimes qui ont été commis. En effet, dans le même temps, il était le commandant suprême de toutes les forces armées.

Au deuxième niveau de responsabilité, on utilise l'expression « les collaborateurs serbes de Bosnie-Herzégovine », car le mot collaborateur montre bien qu'il s'agit du commandement politique et militaire de Republika Srpska créé par le régime de Belgrade. Il s'agit là d'un para-Etat qui recevait tous ses ordres de Belgrade. Il ne s'agit pas d'une création politique indépendante, mais de collaborateurs créés par le régime de Belgrade et travaillant dans l'intérêt et pour le régime de Belgrade. A la tête de ces collaborateurs, il y avait, au niveau politique, le criminel Karadzic et, au niveau militaire, le criminel Mladic.

Au troisième niveau de responsabilité, on trouve la soi-disant communauté internationale. Quand je dis communauté internationale, je voudrais tout de suite éclairer certaines choses. Il faut d'abord répondre à la question de savoir si la communauté internationale existe vraiment en tant que communauté organisée. Un certain nombre de chercheurs prétendent que la communauté internationale n'existe pas en tant qu'institution organisée, mais qu'il s'agit de la politique des Nations unies, de l'Union européenne. Il s'agit principalement de la politique des grandes puissances, en tenant compte des pays qui, dans le cadre des Nations unies, ont le droit de veto parmi lesquels votre pays, la France.

Au quatrième niveau de responsabilité, il y a ce qu'on appelle des faiblesses et des erreurs internes bosniaques qui, malheureusement, ont été présentes. Dès le début 1992 jusqu'à la fin 1995, ces faiblesses ont, d'une certaine manière, permis ces crimes. Je suppose que ce qui vous intéresse au premier chef, c'est ce que nous pensons de la responsabilité de la communauté internationale.

Le Président François Loncle : En effet, le rôle de la communauté internationale nous intéresse et aussi ce que vous appelez les faiblesses et les erreurs bosniaques, et que l'on a appelé « les petits arrangements » du Président Izetbegovic.

M. Smaïl Cekic : Quand on parle de faiblesses, je voudrais qu'on utilise bien ce mot. Cela renvoie par exemple à la situation interne à Srebrenica, dans un endroit encerclé de tous les côtés, avec un pouvoir politique et militaire sans aucune relation avec Sarajevo. Puis dans le cadre même de Srebrenica, ce sont les faiblesses dues à un endroit aussi limité, des faiblesses internes quant à l'organisation de la vie, de la défense, comment protéger la population, etc.

Le Président François Loncle : Cependant il y avait aussi à Sarajevo un pouvoir bosniaque qui considérait que Sarajevo devait mobiliser l'ensemble des forces politiques et militaires et Srebrenica passer au second plan.

M. Smaïl Cekic : Que voulez-vous dire par second plan ?

Le Président François Loncle : Que Sarajevo était l'obsession des dirigeants bosniaques.

M. Smaïl Cekic : Non, Sarajevo n'était pas leur obsession, Sarajevo était une ville assiégée.

Le Président François Loncle : Justement, certains prétendent qu'on a laissé tomber Srebrenica en raison de la gravité de la situation à Sarajevo et la nécessité de trouver une solution pour briser cet encerclement.

M. Smaïl Cekic : Je vous parle ici en tant qu'historien, je ne suis pas politique et je ne vous donnerai pas de réponses politiques. En tant qu'historien, je peux vous donner certains éléments qui sont basés sur des documents. Concernant ce que vous dites, je ne peux pas vous le confirmer. Les autorités qui se trouvaient assiégées à Sarajevo ont tenté de communiquer avec Srebrenica, mais cette communication n'existait que par téléphone, même s'il y a eu des tentatives pour aller à Srebrenica. Beaucoup ont perdu leur vie en essayant de passer.

La question qui se pose est la suivante : que pouvait faire le pouvoir à Sarajevo, qui était assiégée, pour aider Srebrenica, qui d'ailleurs avait été proclamée zone protégée bien avant Sarajevo ? Srebrenica était une zone démilitarisée. Les quelques armes que possédaient les défenseurs de Srebrenica avaient été confisquées et mises sous le contrôle du bataillon canadien, puis hollandais. De plus, la communauté internationale, y compris la France, avait l'obligation de défendre et de protéger les civils à Srebrenica.

Le Président François Loncle : Mais le Président Izetbegovic a agi à Srebrenica. Je vous donne deux exemples. Il a tout d'abord rappelé M. Naser Oric et lui a demandé de se retirer de l'enclave.

M. Smaïl Cekic : C'est exact.

Le Président François Loncle : Par ailleurs, il a essayé de négocier avec les Serbes la récupération de la commune de Vogosca au Nord de Sarajevo. On dit que cette négociation portait parallèlement sur Srebrenica. Autrement dit, il y avait le début d'un échange.

M. Smaïl Cekic : Les deux questions sont très intéressantes. Quelques mois avant la chute de Srebrenica, il est exact que le commandant de la 28e division a été convoqué à Sarajevo. Il n'était pas seul, plusieurs officiers l'accompagnaient. Il y avait aussi des officiers d'autres régions de Bosnie-Herzégovine qui sont tous venus à Zenica pour une formation militaire. Cette formation militaire a duré plusieurs jours, je ne sais plus exactement combien. Ensuite, il était prévu que tous les officiers rejoignent leurs unités. A ce moment-là, il y a eu le problème du transport de M. Naser Oric à Srebrenica. Celui-ci a demandé à son commandant de l'armée de Bosnie-Herzégovine, c'est-à-dire au général Rasim Delic, de lui assurer un hélicoptère parce qu'il voulait partir en hélicoptère de Sarajevo ou de Tuzla pour rejoindre Srebrenica. Autrement, il lui était impossible de rentrer. Vous savez peut-être que, quelque temps auparavant, un hélicoptère avait été abattu, il y avait eu des morts. M. Naser Oric a alors jugé qu'il lui était impossible de rentrer à Srebrenica et c'est pourquoi il a demandé un hélicoptère.

Le Président François Loncle : Comment M. Naser Oric a-t-il quitté Srebrenica ?

M. Smaïl Cekic : A l'époque où M. Naser Oric avait quitté Srebrenica, la situation dans cette région en matière de sécurité était différente. Il y a eu des tentatives de plusieurs groupes qui ont réussi physiquement, en plusieurs jours, à sortir et atteindre le territoire libre. Cependant, au moment où M. Naser Oric devait revenir à Srebrenica, l'importance des activités des agresseurs rendu impossible chaque mouvement en direction ou au départ de Srebrenica. C'est pourquoi M. Naser Oric a jugé qu'il était impossible de rentrer à Srebrenica par les routes, et son commandant le général Delic lui a dit qu'il ne pouvait lui assurer un hélicoptère.

Le Président François Loncle : Pourquoi ?

M. Smaïl Cekic : Il n'avait pas d'hélicoptère.

Le Président François Loncle : Il semblerait que Naser Oric n'a pas demandé n'importe quel hélicoptère, mais un hélicoptère blindé.

M. Smaïl Cekic : Oui, il a demandé un hélicoptère blindé. Déjà on n'avait quasiment pas d'hélicoptères non blindés, peut-être un ou deux, alors des hélicoptères blindés...

S'agissant de la question des négociations entre le Président Izetbegovic et les collaborateurs serbes, sur l'échange éventuel de Srebrenica contre Vogosca, la réponse à cette question a été donnée par M. Kofi Annan, Secrétaire général des Nations unies dans son rapport du 15 novembre 1999, c'est-à-dire le rapport sur la chute de Srebrenica. Dans ce rapport, il dit qu'il n'y a pas de documents confirmant la tenue de négociations sérieuses concernant cet échange Srebrenica contre Vogosca. Le Président Izetbegovic prétend que les Serbes lui ont proposé cet échange, mais qu'il ne l'a pas accepté. Le rapport de M. Kofi Annan est dans ce livre.

Le Président François Loncle : S'agissant de la responsabilité de la communauté internationale, tout au long de notre séjour, nous avons entendu des accusations précises contre deux hommes essentiellement, M. Akashi et le général Janvier, mais je note que vous exonérez complètement la partie bosniaque, ce qui nous surprend tout de même un peu. En effet, si vous évoquez les faiblesses, il faut nous préciser lesquelles.

M. Smaïl Cekic : On le dira, car je veux qu'on en parle. Mais pour donner une bonne réponse à cette question, il faut avoir une connaissance totale de la situation qui régnait pendant tout le siège à Srebrenica, et en particulier lorsque la ville était sous le contrôle international, c'est-à-dire lorsqu'elle était considérée comme zone protégée des Nations unies.

Il faut d'abord commencer par évoquer la manière dont les gens vivaient - ou survivaient pour être plus précis - à Srebrenica. La ville, lorsqu'elle était sous la protection de la communauté internationale en tant que zone protégée, a été le plus grand camp de concentration. C'était un véritable camp. La situation était extrêmement difficile. Il faut commencer par la faim. La communauté internationale qui devait assurer le ravitaillement en nourriture et le reste n'a pas rempli sa mission. L'aide humanitaire pour Srebrenica arrivait par convois de Belgrade et, chaque fois, ils étaient arrêtés au moment de la traversée de la Drina. A Srebrenica, il n'y avait pas de sel. Ce manque de sel dans la nourriture a provoqué de nombreuses maladies thyroïdiennes et autres. La situation sanitaire qui régnait à Srebrenica était extrêmement difficile. Dans un endroit relativement restreint, il y avait entre 40 000 et 45 000 personnes. Les moins nombreux étaient les habitants de Srebrenica, les plus nombreux, les réfugiés venus d'autres villes de la Bosnie de l'Est, de Visegrad, de Vlasenica, de Zvornik, de Bratunac, qui, dans la première partie de 1992, avaient dû quitter la Bosnie et s'installer là.

Après que Srebrenica ait été proclamée zone protégée, la population civile qui s'y trouvait a supposé être en sécurité laquelle sécurité d'ailleurs lui avait été promise par votre général Morillon. Les civils, les femmes et les enfants, tous y ont cru, malheureusement, le général Morillon les a laissés tomber. En conclusion, un espace aussi limité et des conditions de vie extrêmement difficiles ont engendré dans la population des conflits. Il est certain que l'agresseur y a contribué en introduisant des personnes qui ont essayé de propager panique et mécontentement. Cela a eu un effet négatif sur la population, civils et combattants, et affaibli la défense et les combattants qui étaient sur place. Leur commandant n'est donc pas rentré à Srebrenica. Il y a tout de suite eu des rumeurs sur les raisons de son non-retour. Chaque rumeur, quand on considère la situation où se trouvait cette population, a trouvé un sol fertile. Ce sont des faiblesses, mais ce ne sont pas des erreurs ou des responsabilités.

Toutefois, à mon avis, les autorités politiques et militaires à Srebrenica ont fait, pendant la nuit du 10 au 11 juillet, une grave erreur que l'on a découverte pendant nos recherches. Cette erreur est la suivante : pourquoi les autorités politiques et militaires à Srebrenica ont-elles cru le commandant du bataillon hollandais lorsqu'il leur a affirmé que, dès le lendemain, il y aurait des frappes aériennes ? Très tard dans la nuit du 10 au 11 juillet, le colonel Karremans est venu dans le poste de commandement militaire de Srebrenica. Il a prétendu avoir reçu des informations sûres selon lesquelles le lendemain matin, très tôt, allaient commencer les bombardements de l'agresseur serbe et qu'il était alors nécessaire que les autorités militaires et politiques de Srebrenica retirent les militaires et les civils à une distance de trois kilomètres car tout serait rasé et brûlé. Quand les autorités militaires et politiques de Srebrenica ont eu connaissance de ces informations, elles n'étaient pas d'accord entre elles sur le point de savoir s'il fallait croire ou non le commandant hollandais. A la fin, puisque le commandant Karremans était très convaincant sur le fait que des frappes aériennes seraient effectuées, elles ont décidé de se retirer à trois kilomètres. Selon moi, c'est là l'erreur essentielle commise par les autorités militaires et politiques à Srebrenica.

Au sein de la communauté internationale, selon les résultats de nos recherches, le général Janvier et M. Akashi sont les personnes les plus responsables des événements de Srebrenica. Nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour que leur responsabilité soit établie et qu'ils soient inculpés pour ce nombre important de victimes.

Le Président François Loncle : Quels sont les premiers éléments de votre conviction ?

M. Smaïl Cekic : Le général Janvier était le commandant des forces des Nations unies sur le territoire de l'ex-Yougoslavie, c'était le plus haut responsable. Selon nos résultats, lui et ses généraux étaient en contact permanent avec le général Mladic et d'autres officiers. Il y a plusieurs documents qui sont secrets. Je crois que vous les connaissez car ce sont les documents des Nations unies. Ces documents ont été écrits personnellement par M. Akashi et d'autres par le général Janvier, certains sont publiés dans ces volumes que je vous ai apportés et qui confirment ce que je vous dis.

Le 11 juillet 1995, il est question de minutes en attendant que Mladic rentre à Srebrenica. Le général Janvier lui envoie une lettre dans laquelle, entre autres, il exprime son admiration, je ne peux pas le dire autrement, pour les actions que Mladic est en train d'entreprendre à Srebrenica. Je vous montre cette lettre en date du 11 juillet, qui est dans le tome 1. J'essaie même de déterminer l'heure d'envoi de ce courrier.

Le Président François Loncle : Cette lettre est en anglais, datée du 11 juillet à Zagreb. Elle est à en-tête des Nations unies et signée par le général Janvier et figure dans le volume 1 page 343.

M. Smaïl Cekic : Nous avons trouvé cette lettre dans la documentation des Nations unies. Je ne peux pas vous dire comment on l'a eue, mais cette lettre existe, et il y en a d'autres.

Mme Marie-Hélène Aubert : Comment le général Janvier a-t-il pu remettre une lettre à Mladic le 11 juillet ?

M. Smaïl Cekic : C'est malheureux, mais le général Janvier était en contact permanent et très proche avec Mladic.

Mme Marie-Hélène Aubert : A-t-il fait parvenir cette lettre par une tierce personne ?

M. Smaïl Cekic : Le général Janvier a utilisé le fax.

Le Président François Loncle : Ce n'est pas une lettre de félicitations, mais une lettre par laquelle il demande la liberté d'action pour les forces de l'ONU.

M. Smaïl Cekic : Lisez la première phrase.

(L'ambassadeur fait une traduction rapide.) « Concernant l'action que vos forces sont en train d'entreprendre à Srebrenica, je dois vous exprimer ma plus grande préoccupation en ce qui concerne le sort des vingt soldats hollandais à Bratunac et de dix autres dans la région de Nazda qui sont sous votre contrôle. Ma principale préoccupation concerne leur sécurité et je demande pour eux une totale liberté de mouvements de façon qu'ils puissent retourner à leur quartier général quand ils le décideront.

« Dans l'après-midi du 8 juillet, une unité des troupes hollandaises a été directement visée par un tank appartenant à vos forces. Heureusement il n'y a pas de victimes. Les attaques des 9 et 10 juillet étaient aussi conduites contre les positions de l'ONU. (...) ce qui conduit à abandonner un certain nombre de matériels en raison d'une attaque tout à fait délibérée. Je dois insister sur le fait que de telles actions hostiles menaçant la vie de mes soldats ne peuvent pas être acceptées et doivent cesser.

« Aussi, dans le cadre de mon mandat, j'ai l'intention de réagir avec tous les moyens disponibles, si la vie ou la mission de mes soldats devait être menacée. Je demande ainsi une complète liberté d'action et de mouvement pour mes troupes, et je ne peux envisager la continuation de la situation qui affecte les troupes des Nations unies qui défendent une zone de sécurité, conformément à la résolution du Conseil de sécurité 819. Une fois de plus, j'insiste fortement sur la nécessité impérieuse pour que toutes les forces sous votre autorité cessent leurs tirs contre la FORPRONU, se retirent en dehors du périmètre de l'enclave immédiatement et arrêtent toute action dirigée contre la population civile. (...) »

Le Président François Loncle : On ne peut pas appeler cela une lettre de remerciement ou de félicitations.

M. Smaïl Cekic : Je ne vous ai parlé que d'un document, ce livre en contient plusieurs. S'agissant de ce document, pour le comprendre, il faut connaître la situation qui prévaut dans la région de Srebrenica, et savoir ce qui se passe à Srebrenica même, au moment même où le général Janvier écrit la lettre à Mladic. Dans la première phrase, le général Janvier dit « qu'il respecte les actions du général Mladic ». Comment est-il possible qu'il respecte les actions de Mladic alors qu'il détruit la population civile ? Le général Janvier insiste pour que Mladic libère les 30 soldats hollandais.

Le Président François Loncle : Pourquoi le général Janvier s'est-il refusé jusqu'au bout à demander l'intervention aérienne ?

M. Smaïl Cekic : Cette question est la plus importante. Ce que nous avons trouvé démontre qu'avant ces événements, au début du mois de juin, le général Janvier s'était mis d'accord avec Mladic sur le fait qu'il n'y aurait pas de frappes aériennes.

Le Président François Loncle : C'est ce qu'on nous a déjà dit.

M. Smaïl Cekic : Malheureusement, dans ce contexte, on mentionne également le nom du Président Chirac. Ce document, que vous retrouvez dans ces ouvrages, montre que le Président Chirac était en communication avec Milosevic. C'est le 17 juin, me semble-t-il. Vous avez tout dans ces livres.

Le Président François Loncle : Mais c'est une conversation très dure que le Président Chirac a avec Milosevic.

M. Smaïl Cekic : Peut-être nos conclusions ne sont-elles pas les bonnes, peut-être pourrez-vous démontrer le contraire, mais nous voulons savoir la vérité.

Entretien avec M. Hasan MURATOVIC,

alors Ministre de la République de Bosnie-Herzégovine,

chargé des relations avec les Nations unies

(samedi 30 juin 2001)

Présidence de M. François Loncle, Président

Le Président François Loncle : Nous vous remercions pour votre présence. La Mission d'information sur les événements de Srebrenica va bientôt s'achever. Elle a auditionné à Paris, en l'espace de cinq mois, la plupart des personnalités civiles, militaires et politiques qui ont joué un rôle au moment de la guerre en Yougoslavie, et notamment s'agissant de l'enclave de Srebrenica. Toutefois nous tenions absolument à venir en Bosnie-Herzégovine, à Sarajevo, Srebrenica, Tuzla, pour rencontrer d'autres personnalités, en particulier bosniaques, croates et serbes, et sentir sur place la réalité des événements.

Nous souhaiterions que vous nous exposiez votre rôle lors des événements de Srebrenica.

M. Hasan Muratovic : A cette époque, j'étais le Ministre en charge des relations avec la FORPRONU, c'est-à-dire les Nations unies. Pendant la guerre, j'étais en contact avec un grand nombre de personnes. J'ai rencontré le général Janvier à plusieurs reprises. Permettez-moi de vous dire tout d'abord que j'ai été le premier à découvrir ce secret, gardé entre quelques personnes des Nations unies, concernant une rencontre entre Mladic et le général Janvier à Zvornik.

Je tiens beaucoup à ce que vous arriviez à la vérité. Les habitants de Bosnie-Herzégovine sont très heureux de savoir qu'une telle Mission d'information existe et va certainement contribuer à éclaircir ces événements, cette tragédie. Lors d'un dîner privé le 14 juin 1995 à Vienne, j'ai appris tout à fait par hasard que le général Janvier avait rencontré Mladic.

Je ne voudrais pas que cette information, que j'ai reçue de M. Stoltenberg, soit rendue publique. Nous avions dîné ensemble et étions restés très tard. Au début, il ne voulait pas me parler de cette rencontre, mais cela est venu après quelques verres.

Mme Marie-Hélène Aubert : Qui est M. Stoltenberg ?

M. Hasan Muratovic : Il était le co-président de la conférence de Genève avec Lord Owen. C'était un haut représentant de la communauté internationale. A mon retour à Sarajevo, nous avons discuté de cela entre nous.

Le Président François Loncle : Comment M. Stoltenberg avait-il eu connaissance de cette rencontre ?

M. Hasan Muratovic : C'était un responsable très haut placé, il connaissait tous les secrets dans les Nations unies.

Le Président François Loncle : A quelle date a eu lieu cette rencontre ?

M. Hasan Muratovic : J'ai appris l'existence de cette rencontre le 14 juin 1995, mais je n'en connais pas la date exacte. Je crois que cet événement est essentiel pour tout ce qui se passera par la suite.

Le Président François Loncle : Si cette rencontre est essentielle, est-ce parce qu'il y aurait eu un accord ou une entente entre les deux hommes ?

M. Hasan Muratovic : Oui. Pendant cette rencontre, Mladic et le général Janvier se sont mis d'accord sur le fait que Mladic libérera les otages français et qu'en échange, le général Janvier ne demandera jamais les frappes aériennes contre les Serbes. C'est ce que j'ai appris. Je ne sais pas s'il y a une trace écrite de tout cela, mais il me semble que si. Pour nous, cela a été terrible d'apprendre cela. A mon retour, après avoir consulté le Gouvernement, j'ai organisé une conférence de presse et communiqué cette information. Nous avons alors indiqué que nous n'aurions plus aucune communication avec M. Akashi et le général Janvier, car nous considérions que M. Akashi était le coupable principal en autorisant le général Janvier à rencontrer Mladic. M. Akashi a immédiatement contesté cette rencontre. Cependant, après notre déclaration, il a lui aussi tenu une conférence de presse où il a avoué que cette réunion avait effectivement eu lieu.

Selon moi, cette réunion a eu une influence fondamentale sur toutes les décisions que le général Janvier a prises par la suite, pendant la durée de la crise de Srebrenica. En décembre 1995, j'en ai longuement discuté avec le Président Chirac, car il connaissait un grand nombre de détails sur le général Janvier et la tragédie de Srebrenica. Je crois qu'un compte rendu de cette discussion existe. Je vais vous exposer très brièvement, de façon chronologique, les raisons selon lesquelles je considère le général Janvier et M. Akashi comme les vrais coupables de la tragédie de Srebrenica.

Le 8 juillet, les Serbes ont pris deux points d'observation du bataillon hollandais. Ces renseignements figurent dans les rapports des Nations unies. C'est alors que les Hollandais ont demandé les frappes aériennes pour la première fois, mais le 8 juillet, rien n'a été fait. Le 9 juillet, nos hommes ont demandé qu'on leur rende leurs armes gardées dans les dépôts des Nations unies, mais cela leur a été refusé. Le général Janvier, qui était commandant de toutes les forces des Nations unies, aurait pu autoriser cette distribution. En effet, c'est lorsque le général Morillon avait établi la zone libre de Srebrenica que les armes des Bosniaques avaient été mises sous le contrôle des Nations unies.

Le Président François Loncle : Combien de personnes représentaient alors le contingent bosniaque en mesure d'intervenir dans le secteur ?

M. Hasan Muratovic : Je ne sais pas, mais étant donné qu'il y avait entre 30 000 et 40 000 personnes dans l'enclave, on peut supposer qu'il y en avait au moins 6 000 à 7 000 capables de se défendre en étant armées.

Le Président François Loncle : Est-ce le général Delic qui commandait ?

M. Hasan Muratovic : Oui. Le 9 juillet, environ 3 000 réfugiés du côté Sud ont quitté leurs maisons et sont venus vers le centre de la ville. Ce jour-là, les Serbes, en occupant encore 5 autres points d'observation des Nations unies, ont pris en otage 30 autres soldats des Nations unies. Nous avons de nouveau demandé les frappes aériennes. Mais M. Akashi et le général Janvier n'ont rien entrepris. Si on résume la situation, il y avait 30 soldats hollandais en otage et 3 000 personnes qui avaient déjà quitté la partie Sud. On demande une deuxième fois des frappes aériennes, mais ils ne font rien. Le général Janvier a téléphoné au général Tolimir, le commandant serbe, mais n'a jamais téléphoné à Srebrenica. Avant la fin de la tragédie, il appellera encore six fois le général Tolimir, mais n'appellera jamais ni Sarajevo, ni Tuzla, ni Srebrenica.

Le Président François Loncle : Pourquoi le général Janvier téléphonait-il au général Tolimir ?

M. Hasan Muratovic : Je l'ignore ; peut-être tentait-il d'arrêter l'attaque serbe. Le soir du 9 juillet, l'OTAN avait prévenu le général Janvier que, dès 6 heures le lendemain matin, ses avions seraient prêts à agir si une demande en ce sens était faite. Le général Janvier termine la réunion de nuit avec ses collaborateurs en leur indiquant qu'ils décideront le lendemain matin s'il faut demander de l'aide. Nous arrivons au 10 juillet. Comme les Serbes s'étaient déjà trop approchés du centre de la ville, les unités des Nations unies érigent alors 4 barrages sur 4 points qui mènent vers la ville. Puis elles demandent, dès le matin pour la troisième fois, les frappes aériennes. Bien que l'OTAN ait informé que les avions seraient prêts dès le lendemain matin à 6 heures, personne ne leur a demandé d'intervenir, ils n'ont donc rien fait. De même, rien n'a été fait à Zagreb pendant toute la journée. A 18 heures 30, on a demandé, une nouvelle fois, par Tuzla, les frappes aériennes.

Le Président François Loncle : Le général Janvier était-il à Zagreb ?

M. Hasan Muratovic : Oui, il était en permanence à Zagreb. A 19 heures, le général Janvier a été informé par ses collaborateurs que les avions étaient prêts. A 19 heures 55, il a tenu une réunion avec ses collaborateurs lors de laquelle il leur a indiqué qu'il ne connaissait pas les cibles et qu'il ne savait pas sur quoi tirer. Un rapport des Nations unies prouve que ses collaborateurs lui ont dit que les cibles étaient connues et qu'il y avait, sur le terrain, des hommes capables de guider les frappes.

Il n'a pas réagi, mais à 21 heures 15, il a téléphoné de nouveau au général serbe Tolimir. A 21 heures 25, il a essayé de joindre Mladic. Je ne sais pas s'il l'a obtenu, mais il est certain qu'il a laissé le message suivant aux Serbes : « Je ferai tout pour que nous n'utilisions pas la force, mais il y a des limites ».

M. Pierre Brana : Mais comment savez-vous cela ?

M. Hasan Muratovic : C'est dans la documentation des Nations unies qui est à votre disposition.

Le Président François Loncle : Est-ce la documentation qui a été utilisée dans le rapport de Kofi Annan ?

M. Hasan Muratovic : Oui.

Le Président François Loncle : Y compris les horaires des communications téléphoniques ?

M. Hasan Muratovic : Tout à fait.

M. Pierre Brana : Je ne me souviens pas d'avoir lu cette phrase.

M. Hasan Muratovic : Elle est dans le rapport. Durant cette nuit du 10 au 11 juillet, une fois de plus, il a été décidé que les avions de l'OTAN seraient prêts le lendemain matin à 6 heures et que c'est le matin même que la décision des frappes aériennes serait prise. Cette nuit-là, Janvier envoie un rapport à New York dans lequel il dit entre autres : « Tous ceux qui le veulent peuvent être évacués dans un délai de 48 heures vers Tuzla ». Personne n'a jamais parlé de l'évacuation, c'est le premier document où l'on parle de l'évacuation des populations vers Tuzla.

Toute la tragédie tournera ensuite autour de cette affaire d'évacuation, d'où on peut conclure qu'il a déjà dû discuter avec Mladic de l'évacuation. On s'interroge sur le pourquoi de cette phrase dans ce rapport. A minuit, nos hommes à Srebrenica ont été informés que, le lendemain matin à 6 heures, il y aurait des frappes aériennes massives. On leur a demandé de s'éloigner le plus possible des lignes de contact avec les Serbes, ce qui a affaibli le peu de défense qu'ils avaient.

Le 11 juillet, à 4 heures, tout le monde à Srebrenica attendait les frappes aériennes et tout ceux qui devaient guider les avions étaient à leur poste. Mais personne n'a demandé ces frappes, et il ne s'est rien passé. Ce n'est que vers midi qu'on a entamé, à Zagreb, les négociations sur ces frappes. Pendant qu'on menait ces négociations, la ville de Srebrenica est tombée.

Je voudrais attirer votre attention sur les faits suivants. D'après ce que nous savons, le général Janvier a promis à Mladic, pendant cette rencontre secrète, qu'il n'utiliserait jamais des frappes aériennes contre lui. Même si nous avons demandé à six reprises ces frappes aériennes, même si ses soldats étaient pris en otages, le général Janvier n'a jamais ordonné ni les frappes aériennes, ni de rendre leurs armes aux habitants de Srebrenica. Il explique, dans son rapport, que l'évacuation de la population vers Tuzla pouvait se faire en 48 heures. Cependant, chaque jour, il a laissé passer la journée pour tenir des réunions de nuit, disant alors que ce serait le lendemain matin qu'il prendrait la décision. Il a en permanence été en contact téléphonique avec Tolimir et Mladic, mais jamais avec son personnel à Srebrenica, Tuzla ou Sarajevo. Pendant l'attaque, il a déclaré aux Serbes qu'il ferait tout pour ne pas les attaquer, mais qu'il y avait des limites.

Reste un dernier document que je voudrais citer. M. David Arland, un des rapporteurs principaux des Nations unies, connaît ce document. M. Arland est un haut fonctionnaire des Nations unies qui se trouve actuellement au Timor oriental. Dans ce rapport du 9 juillet que le général Janvier envoie aux Nations unies, il écrit que personne ne lui a jamais demandé de frappes aériennes. Or on sait que six heures auparavant, il a personnellement reçu cette demande. En matière de renseignements, je pense également à M. Ken Biser. Il pourrait certainement vous en donner beaucoup, car il était à la base de la FORPRONU à Tuzla pendant la tragédie.

Je suis désolé de vous exposer de telles choses, mais je suis profondément persuadé que les coupables de la tragédie de Srebrenica sont Mladic, M. Akashi et le général Janvier. Celui-ci aurait pu empêcher cette tragédie.

Le Président François Loncle : Que reprochez-vous exactement à M. Akashi ?

M. Hasan Muratovic : C'était le supérieur du général Janvier, d'une certaine manière.

M. Jean-Noël Kerdraon : Vous avez dit que le 10 juillet, il y avait des guideurs au sol pour permettre les frappes aériennes. Ces guideurs au sol étaient-ils bosniaques ou néerlandais ? Par ailleurs, qu'est-ce qui vous permet d'affirmer leur présence sur place ?

M. Hasan Muratovic : Il y avait des personnels de la FORPRONU ou de l'OTAN qui étaient là-bas pour cette seule raison. Ils étaient dans d'autres endroits. Ils étaient toujours à disposition.

M. Jean-Noël Kerdraon : Mais il semble que les Hollandais ne souhaitaient pas, pour leur propre sécurité, des frappes aériennes.

M. Hasan Muratovic : Les Hollandais ont demandé à six reprises les frappes aériennes. Le 9 juillet au soir, le général Janvier a reçu un document du Gouvernement hollandais - je ne sais pas s'il provenait du Ministre de la Défense - selon lequel les Hollandais voulaient des frappes aériennes, même si tous leurs soldats restaient pris en otages.

Le Président François Loncle : Du côté bosniaque, avez-vous entendu parler d'un échange politique possible, sous la responsabilité du Président Izetbegovic, de la ville de Vogosca, dans la banlieue de Sarajevo, contre Srebrenica ?

M. Hasan Muratovic : J'ai lu cela. Ce sont des spéculations. J'étais très bien informé et pourtant, je ne l'ai jamais entendu dire.

Le Président François Loncle : On nous dit que Vogosca, au Nord de Sarajevo, avait fait l'objet d'un accord entre MM. Izetbegovic et Karadzic, pour permettre de lever l'encerclement de Sarajevo. En échange de cela, Srebrenica était laissée aux Serbes. C'est une des raisons pour lesquelles le Président Izetbegovic rappelle Naser Oric qui n'était probablement pas d'accord avec ce troc.

M. Hasan Muratovic : En premier lieu, depuis le début de la guerre, le Président Izetbegovic n'a jamais rencontré seul à seul Karadzic. Chaque fois que Karadzic émettait ses propres propositions, il déclarait en avoir parlé au Président Izetbegovic.

De plus, si jamais un tel échange avait fait l'objet de discussions, cela aurait été en présence d'un observateur de la communauté internationale. Je sais que, dans les milieux bosniaques, il n'en a jamais été question. De tels signes existaient de la part de Karadzic. Notre stratégie était d'essayer de garder, à n'importe quel prix, tous les endroits à proximité de la Drina. Tout ce qui nous éloignerait de la Drina était inacceptable.

Le Président François Loncle : Pourtant, il y a une réalité de la négociation sur cette commune de Vogosca.

M. Hasan Muratovic : Je ne suis pas au courant. Pourquoi échangerait-on une de nos villes contre une autre de nos villes, alors que ces deux villes nous appartiennent déjà ?

Le Président François Loncle : Non, au départ, Vogosca est une commune serbe.

M. Hasan Muratovic : Ils l'ont occupée, tout comme ils ont occupé d'autres villes, mais les Serbes n'ont jamais été majoritaires à Vogosca.

Mme Marie-Hélène Aubert : Après la chute de l'enclave, qui s'est préoccupé des populations civiles qui fuyaient et comment expliquez-vous que personne n'ait cherché à empêcher le tri des hommes et leur massacre ? Par ailleurs, à partir de quel moment avez-vous été informé des crimes horribles commis sur place ?

M. Hasan Muratovic : Nous étions en permanence informés de ce qui se passait dans l'enclave, de différentes manières, mais principalement par les lignes téléphoniques des Nations unies. Nous avons toujours donné instruction à nos gens de ne pas quitter Srebrenica. Nous avons demandé aux Nations unies de garder la population sur place et de s'en occuper, étant donné qu'il s'agissait d'une zone protégée. Même lorsque les populations ont été transportées à Kladen et à Tuzla, nous avions déjà demandé aux Nations unies de les mettre à l'abri dans les bases de la FORPRONU. Comme c'était des populations civiles, la FORPRONU se devait de les protéger. Nous savions ce qui leur arriverait si leur transport était organisé par les soldats de Mladic, car dans nombre d'endroits que les Serbes avaient occupés auparavant, le scénario avait été le même.

Mme Marie-Hélène Aubert : Mais vous saviez que le bataillon hollandais sur place n'avait pas énormément de moyens. Avez-vous demandé des moyens supplémentaires ou un envoi de militaires de l'ONU pour accompagner les populations civiles ?

M. Hasan Muratovic : Pendant toute la guerre, le comportement des Serbes a été tel que chaque fois qu'ils se trouvaient face à une réelle menace de la communauté internationale, ils arrêtaient leur action. Nous savions qu'ils n'oseraient pas tuer les soldats des Nations unies. Ils ne les ont d'ailleurs pas tués, ce qui prouve que la communauté internationale avait une certaine autorité. Mais ce n'était pas nous qui pouvions ordonner les frappes aériennes. Nous les avons demandées sachant qu'elles pouvaient être une solution.

M. Pierre Brana : Avez-vous relayé la demande de vos hommes sur place de reprendre les armes qui étaient sous le contrôle de la FORPRONU ?

M. Hasan Muratovic : Non, ce type de demande ne passait pas par moi, mais par les militaires. Notre armée s'est adressée au bataillon hollandais en lui demandant de nous rendre nos armes parce que, durant les derniers jours, le bataillon hollandais et notre armée avaient créé une défense commune. Néanmoins les Hollandais ne les leur ont pas rendues.

M. Pierre Brana : Comme vous étiez en communication permanente, vous avez dû être informé immédiatement de ce refus. A cet égard, une démarche officielle pour récupérer ces armes a-t-elle été entreprise auprès de l'ONU par l'état-major de l'armée bosniaque, par vous-mêmes ou alors cette demande est-elle restée purement au niveau local ?

M. Hasan Muratovic : Il y avait une structure qui permettait la coopération entre notre armée et les Nations unies. Notre armée a demandé, à tous les niveaux et par l'intermédiaire de toutes les structures, la restitution de ces armes.

M. Pierre Brana : Cette structure était-elle à Sarajevo ?

M. Hasan Muratovic : A Sarajevo, à Tuzla et à Srebrenica. Elle correspondait à la structure de la FORPRONU. Il y avait des organes communs.

M. Pierre Brana : Comment expliquez-vous l'absence de M. Naser Oric au moment de l'attaque ?

M. Hasan Muratovic : Naser Oric ne voulait rentrer à Srebrenica que dans un hélicoptère blindé spécial, mais on ne pouvait pas le lui assurer.

M. Pierre Brana : Etait-ce parce que l'hélicoptère précédent avait été abattu ?

M. Hasan Muratovic : Oui.

Mme Marie-Hélène Aubert : A votre avis, à partir de quel moment le général Janvier a-t-il pu être informé de l'ampleur des massacres ?

M. Hasan Muratovic : Je l'ignore. Mais c'est quelque chose que nous demandions chaque jour, car il faisait beau et nous savions que les Américains avaient tout filmé à partir des satellites et des avions. Nous leur avons demandé de découvrir par quel chemin les populations s'enfuyaient. Nous avons aussi demandé à la FORPRONU d'envoyer ses forces pour les protéger, pour que ces populations puissent passer. Personnellement, j'ai appelé au moins trois fois par jour l'ambassadeur américain pour lui demander cela.

Mme Marie-Hélène Aubert : Que vous répondait-il ?

M. Hasan Muratovic : Il répondait que les Américains n'arrivaient pas à découvrir où étaient ces populations.

Mme Marie-Hélène Aubert : Les Américains ont-ils donné des renseignements à ce sujet à ce moment-là ?

M. Hasan Muratovic : Ils prétendaient ne pas avoir d'informations, mais par la suite, ils ont publié les photos. Cela veut dire qu'ils les avaient déjà à l'époque.

M. Pierre Brana : Quand très exactement avez-vous eu connaissance des premiers massacres ?

M. Hasan Muratovic : Je ne peux pas vous le dire exactement, mais c'était assez tard, peut-être sept ou huit jours après. Tout le reste reposait sur des suppositions. Quand les réfugiés ont commencé à arriver à Tuzla, ils ont dit que beaucoup avaient été tués ou capturés.

Mme Marie-Hélène Aubert : Vous-même aviez-vous alors imaginé que Mladic était capable d'une telle chose ?

M. Hasan Muratovic : On pouvait supposer qu'ils tueraient un grand nombre d'hommes entre quinze et cinquante-cinq ans.

M. Pierre Brana : Vous l'aviez envisagé ?

M. Hasan Muratovic : Oui, parce que les Serbes l'avaient déjà fait auparavant, dans d'autres villes, mais jamais on n'aurait pu imaginer qu'ils pourraient tuer 8 000 personnes.

Mme Marie-Hélène Aubert : Selon vous, qu'est-ce qui a poussé Mladic à organiser des massacres d'une telle ampleur ?

(M.  Hasan Muratovic se prend la tête entre les mains et se met à pleurer.)

Mme Marie-Hélène Aubert : Je suis désolée.

Le Président François Loncle : Selon vous, pour quelles raisons profondes le général Janvier a-t-il refusé jusqu'au bout les frappes aériennes ? Est-ce seulement parce qu'il avait conclu un accord avec Mladic, parce que M. Akashi lui demandait formellement ou que lui-même, d'un point de vue militaire, était convaincu qu'il s'agissait d'une mauvaise solution ?

M. Hasan Muratovic : Le général Janvier était sous une grande pression pour libérer les otages. Je crois que c'est sous cette pression qu'il a conclu cet arrangement avec Mladic selon lequel il ne l'attaquerait pas. Je suppose qu'il tenait sa parole de général donnée à Mladic. Il a appelé Mladic, mais Mladic ne voulait pas lui répondre. Si Mladic lui avait fait part de ses intentions, je suppose que le général Janvier lui aurait répondu qu'il avait promis, mais que là il allait trop loin et qu'on ne pouvait pas laisser faire cela.

M. Pierre Brana : Vous savez que le général Janvier oppose une dénégation absolue à cette thèse.

M. Hasan Muratovic : Je peux tout à fait le supposer.

M. Pierre Brana : Avez-vous des documents, des témoins ou d'autres éléments qui pourraient corroborer cette affirmation ?

M. Hasan Muratovic : M. Akashi a confirmé qu'ils se sont rencontrés en secret, quand ils ne devaient pas se rencontrer.

M. Pierre Brana : Il n'a jamais confirmé qu'il y aurait eu un accord de cet ordre, puisque, au contraire, M. Akashi apporte également une dénégation à l'accord que vous envisagez.

M. Hasan Muratovic : Il n'a jamais évoqué les sujets dont ils ont discuté.

Mme Marie-Hélène Aubert : En revanche, selon nos informations, ce rendez-vous a été confirmé et Mladic a fait cette proposition. Mais il nous a été dit qu'elle n'avait pas été acceptée par le général Janvier.

M. Hasan Muratovic : Tout ce que je viens de vous exposer va dans le sens qu'il a accepté cette proposition.

Le Président François Loncle : Nous sommes très sensibles à votre témoignage qui nous est très précieux. Si vous avez d'autres éléments à apporter à notre Mission d'information, n'hésitez pas à nous les transmettre. Lorsque vous avez évoqué la possibilité de rendre les armes aux Bosniaques, cela n'aurait-il pas de toute façon entraîné des combats et une confrontation tout aussi atroce ?

M. Hasan Muratovic : Les Serbes ne disposaient pas de grandes forces sur Srebrenica. Si on avait détruit deux ou trois chars, ils auraient renoncé. Il est certain que si les chars avaient été détruits par les Français ou les Hollandais, ils seraient partis.

Le Président François Loncle : Les Serbes n'avaient peut-être pas de grandes forces, mais ils ont pris facilement les points stratégiques situés en altitude.

M. Hasan Muratovic : C'est aux Hollandais qu'ils ont pris les points de contrôle.

M. Pierre Brana : A combien peut-on évaluer les forces serbes qui ont pris Srebrenica ?

M. Hasan Muratovic : Il y a différentes versions. Cependant, que ce soit du coté serbe ou autre, il n'a jamais été question de plus de 1 000 hommes, voire de 500.

M. Pierre Brana : Entre 500 et 1 000 hommes.

M. Hasan Muratovic : Ce sont les informations que nous avions, mais les Serbes le savent, ils peuvent vous le dire, maintenant ce n'est plus un secret.

Le Président François Loncle : A deux reprises, le général Janvier, général de l'armée de terre et non pas de l'air, nous a dit que s'il avait été à la place des Hollandais, il se serait battu. Qu'en pensez-vous ?

M. Hasan Muratovic : Bien sûr qu'ils auraient dû se battre.

Le Président François Loncle : Les Hollandais ont donc une part de responsabilité.

M. Hasan Muratovic : Bien sûr. Il est certain que le général Janvier ne voulait pas que Srebrenica tombe. Il avait tenté de convaincre le général Tolimir, qu'il a eu un grand nombre de fois au téléphone, de ne pas prendre la ville, mais l'erreur commise par le général Janvier a été de ne pas utiliser la force. Il a négocié avec les Serbes au lieu d'appliquer ce qui était déjà prévu avec les plans de l'OTAN. Les Serbes lui ont menti, ils lui ont dit que c'étaient de fausses informations, qu'ils n'avançaient pas, etc. Ce sont les informations que l'on tire de ces entretiens téléphoniques.

M. Jean-Noël Kerdraon : Quelle appréciation portez-vous sur la présence des Hollandais, durant les derniers mois, à Srebrenica ?

M. Hasan Muratovic : Il y a deux rapports ici sur ce point. Pour notre part, nous ne nous sommes jamais attendus à ce que les Hollandais défendent Srebrenica, mais plutôt à ce qu'ils maintiennent la paix, selon tous les accords conclus entre les Nations unies et les parties en conflit. Les Hollandais étaient bien équipés, ils auraient pu détruire 50 chars avec l'armement dont ils disposaient.

M. Pierre Brana : Sait-on combien d'armes les Bosniaques ont remis à l'ONU à Srebrenica ? Par ailleurs, avec les armes qui étaient gardées dans les entrepôts de l'ONU à Srebrenica, combien de Bosniaques aurait-on pu armer pour résister à l'agression serbe ?

M. Hasan Muratovic : Nous avions des hommes armés à Srebrenica car nous les avions armés secrètement après la démilitarisation. Si ces hommes avaient rendu les armes, cela aurait fait 1 500 personnes en plus. La restitution des armes aurait pu avoir un effet psychologique sur les Serbes. S'ils avaient appris que les Nations unies rendaient leurs armes aux Bosniaques, les Serbes n'auraient plus osé avancer.

M. Pierre Brana : Arithmétiquement, si les chiffres que vous donnez sont exacts, le rapport de force était dans le camp bosniaque.

M. Hasan Muratovic : Oui.

M. Pierre Brana : Si l'on résume la situation, il y avait 1 000 Serbes contre 1 500 Bosniaques, aidés par les Hollandais et une configuration géographique telle que l'attaquant par cette route escarpée était handicapé par rapport à celui qui était en position défensive.

M. Hasan Muratovic : Oui, mais la défense des zones protégées a été définie de la façon suivante : les unités de la FORPRONU défendant de l'intérieur, avec un appui aérien de l'extérieur. Cette aide aérienne était fondamentale pour la défense.

M. Pierre Brana : Je partage votre point de vue. J'ai simplement voulu démontrer que même sans l'intervention de la force aérienne, un ordre de se défendre donné aux Néerlandais, avec l'autorisation d'armer les Bosniaques, aurait pu être suffisant pour résister à l'invasion serbe.

M. Hasan Muratovic : En effet, cela aurait pu être suffisant, mais le général Janvier n'a pas donné cet ordre. Il était commandant de toutes les forces de la FORPRONU, et il n'a pas ordonné à l'infanterie de se battre. Il a simplement donné un ordre militaire, celui de contrôler ces quatre points, en leur indiquant qu'ils disposeraient de l'aide aérienne dès 6 heures le lendemain matin.

M. Pierre Brana : Vous corroborez mes propos. Les frappes aériennes auraient pu arrêter l'agression serbe. A défaut d'une intervention aérienne, pour une raison technique, l'ordre de se défendre et d'armer les Bosniaques aurait également pu contrer l'invasion.

M. Hasan Muratovic : En effet, mais le général Janvier ne l'a pas ordonné.

Mme Marie-Hélène Aubert : Cette semaine-là, avez-vous été en contact avec le général Rupert Smith, ou y a-t-il eu des contacts entre vos représentants et le général Smith ?

M. Hasan Muratovic : Le général Rupert Smith était alors absent. Nous n'avons communiqué ni avec M. Akashi, ni avec le général Janvier. C'était un Hollandais, le général Nicolai, qui remplaçait le général Rupert Smith.

Mme Marie-Hélène Aubert : Le général Rupert Smith n'a-t-il pas cherché à prendre contact ?

M. Hasan Muratovic : Ils l'ont probablement contacté. Mais les représentants de la communauté internationale étaient plutôt absents en règle générale. Le chef des secteurs civils était également absent des Nations unies. C'était la période du changement de responsable des secteurs civils. Mais nous étions en contact permanent. Nos bureaux étaient distants d'une cinquantaine de mètres, donc on se voyait toute la journée et on communiquait entre nous.

Mme Marie-Hélène Aubert : Le fait que le général Rupert Smith et d'autres responsables étaient en vacances ou ailleurs peut-il être considéré, selon vous, comme un élément qui aurait pu pousser les Serbes à avancer ?

M. Hasan Muratovic : Non. C'est Zagreb qui prenait les décisions. On nous apportait les preuves selon lesquelles ils avaient demandé des frappes aériennes, mais eux ne pouvaient pas les ordonner. Nous aussi, nous avons fait pression à Tuzla et là aussi, on nous a montré les preuves selon lesquelles les frappes aériennes avaient été demandées. A partir de la Bosnie, tout ce qui devait être fait a été fait. C'est Zagreb ensuite qui décidait. L'OTAN nous répétait en permanence que leurs avions étaient prêts. Un jour, les avions sont restés six heures en l'air en attendant l'ordre qui n'est jamais arrivé.

Mme Marie-Hélène Aubert : En d'autres termes, le général Rupert Smith était connu pour être plus favorable à l'emploi de la force aérienne.

M. Hasan Muratovic : Il était favorable aux frappes aériennes et il disait toujours qu'il attendait le jour où il pourrait attaquer les Serbes.

Mme Marie-Hélène Aubert : Avez-vous eu des contacts avec le général Rupert Smith après la chute de Srebrenica, quand il est revenu ?

M. Hasan Muratovic : Oui, j'ai toujours eu des contacts avec lui.

Mme Marie-Hélène Aubert : Avez-vous discuté de ces événements ?

M. Hasan Muratovic : Bien sûr que nous en avons discuté.

Mme Marie-Hélène Aubert : Qu'en pensait-il ?

M. Hasan Muratovic : Le général Rupert Smith a toujours pensé que c'était une erreur fatale de ne pas avoir ordonné les frappes aériennes.

Le Président François Loncle : Je vous remercie infiniment, Monsieur l'Ambassadeur, pour la qualité de votre témoignage, due aux fonctions que vous occupiez à l'époque. Vous nous avez fait part d'éléments importants pour notre rapport, que nous vous enverrons dès sa publication.

M. Hasan Muratovic : Les informations dont je disposais me parvenaient toujours de sources très sûres. J'entretenais de bonnes relations avec tous les responsables des Nations unies, à part M. Akashi. A un moment, lorsque nous ne voulions plus communiquer avec M. Akashi, je n'ai communiqué qu'avec le général Janvier. Un jour, lorsque je suis allé à Zagreb, M. Akashi a refusé que je rencontre le général Janvier avant de le rencontrer lui. Pour ma part, je ne voulais pas lui parler, je ne voulais parler qu'au général Janvier. Finalement, cela s'est passé ainsi : il est lui-même venu dans le bureau du général Janvier.

Le Président François Loncle : Les fonctions que vous occupez aujourd'hui vous permettent-elles de considérer avec optimisme l'avenir de la Bosnie-Herzégovine, malgré tous les drames que ce pays a connus ?

M. Hasan Muratovic : Oui, mais il faudra du temps. Les blessures sont beaucoup plus profondes qu'elles ne le laissent paraître de l'extérieur. De même que les conséquences de la guerre et ses blessures ont une grande influence. Cependant, les Bosniaques sont des gens bien, mais ils avaient de mauvais politiques. Les Serbes sont aussi des gens bien, et eux avaient de mauvais généraux et de mauvais politiques.

INDEX

Abdic (Fikret),228, 285

Ahtisaari (Martti),141

Akashi (Yasushi),29, 32, 34, 41, 43, 46, 48, 49, 50, 63, 98, 99, 101, 108, 111, 118, 126, 127, 128, 131, 132, 133, 135, 136, 172, 207, 208, 211, 219, 229, 230, 232, 239, 242, 243, 258, 260, 263, 265, 271, 279, 282, 283, 284, 288, 292, 293, 346, 347, 350, 400, 414, 418, 437, 441, 451, 478, 487, 489, 490, 491, 492, 493, 494, 495, 500, 504, 508, 547, 591, 599, 603, 610, 612, 613, 615, 627, 628, 630, 636, 638, 643, 647, 660, 686, 699, 700, 711, 712, 718, 726, 727, 728, 732, 733, 736, 740, 741, 744, 745

Albright (Madeleine),47, 305, 425, 427, 570, 575, 578, 583, 584, 610, 611, 618, 716

Annan (Kofi),19, 36, 39, 41, 46, 49, 50, 108, 134, 141, 142, 144, 162, 165, 170, 174, 175, 176, 204, 205, 208, 209, 248, 255, 259, 260, 263, 266, 269, 333, 338, 346, 375, 379, 386, 400, 401, 417, 447, 488, 492, 544, 555, 563, 570, 572, 584, 593, 594, 607, 616, 620, 634, 647, 651, 655, 657, 717, 725, 734

appui aérien rapproché (CAS),33, 34, 37, 72, 86, 116, 117, 119, 163, 200, 206, 207, 222, 229, 230, 239, 262, 265, 266, 286, 287, 299, 331, 335, 336, 337, 338, 393, 413, 422, 436, 437, 438, 439, 440, 441, 447, 453, 467, 476, 490, 593, 597, 610, 620, 621, 622, 623

Arbour (Louise),156, 248

Arkan (Zeljko Raznjatovic),42, 44, 54, 73, 184, 315, 696, 702

Arland (David),710, 735

Ashton (général),446

Aspin (Les),255

Aviano (base d'),647, 676, 711

Bachelet (général),80

Badinter (Robert),480

Balbuzard (opération),615, 617

Balladur (Edouard),67, 74, 89, 90, 107, 247, 253, 260, 267, 268, 531, 595, 600

Banja Luka,124, 633, 678

Baxter (colonel),447

Beara (colonel Ljubo),326

Bechirec (colonel),711

Becirovic (Ramiz),49, 465

Bérégovoy (Pierre),67, 150, 247, 276

Bihac,8, 37, 90, 142, 167, 183, 184, 207, 208, 215, 228, 231, 248, 255, 264, 267, 275, 285, 287, 300, 301, 346, 347, 380, 381, 399, 481, 489, 490, 534, 546, 553, 554, 686

Bijeljina,680

Bijeveld,540

Bildt (Carl),42, 44, 74, 85, 127, 278, 279, 280, 296, 297, 303, 304, 401, 408, 423, 425, 451, 452, 455, 562, 596, 643, 688, 693

Biser (Ken),736

Bitterlich (Joachim),162

Blasenica,641

Blot (Jacques),297, 304

Bonino (Mme Emma),423

Boorda (commandant),208

Bosnjakovic (Meho),363

Bosnjakovic (Mme mirsada),641, 654, 658

Boutros-Ghali (Boutros),29, 41, 108, 160, 162, 229, 232, 333, 400, 554, 574, 585, 591, 604, 609

Brahimi (Lakhdar),16, 249, 257, 259, 271, 302, 307, 364, 428, 431, 481, 527, 556, 566, 584, 608, 651

Branjevo (ferme de),313, 314, 316, 321, 322, 323

Branka (Dr.),365

Brantz (colonel),438, 453, 462, 467

Bratunac,147, 309, 310, 311, 312, 313, 315, 316, 318, 322, 323, 330, 356, 359, 361, 362, 372, 473, 475, 536, 538, 543, 544, 554, 564, 641, 664, 666, 667, 684, 696, 704, 726, 729

Brcko,231, 713

Breemen (général Van),418

Briquemont (général Francis),76, 201, 602

Bulime,644

Butler (Richard),316

Cancari (vallée de),321

Casques bleus,16, 17, 20, 33, 35, 37, 38, 48, 49, 87, 88, 114, 144, 169, 212, 248, 256, 258, 282, 287, 311, 331, 332, 356, 358, 360, 361, 369, 370, 374, 388, 389, 390, 394, 399, 401, 403, 410, 413, 416, 417, 426, 427, 428, 429, 436, 495, 537, 538, 539, 542, 543, 544, 546, 547, 554, 555, 556, 558, 564, 584, 585, 591, 592, 594, 595, 597, 598, 607, 651, 666

Cerska,310, 313, 554, 661

chapitre VI (de la Charte des Nations unies),57, 64, 112, 113, 121, 164, 235, 258, 259, 260, 261, 381, 429, 430, 484, 485, 487, 520, 528, 572, 575, 590, 601, 608

chapitre VII (de la Charte des Nations unies),57, 64, 113, 121, 164, 258, 259, 260, 261, 381, 430, 484, 486, 487, 520, 528, 572, 575, 590, 601, 608

Charette (Hervé de),67, 161, 295, 296, 404, 516, 520, 521, 523, 524, 525, 527, 529, 530, 531, 532, 555

Chenchai (vallée de),314

Chirac (Jacques),11, 29, 30, 32, 33, 34, 35, 43, 44, 45, 46, 48, 50, 53, 67, 77, 80, 84, 88, 89, 100, 129, 157, 158, 160, 161, 162, 165, 168, 169, 172, 173, 174, 175, 176, 177, 183, 237, 240, 272, 276, 289, 296, 407, 498, 505, 512, 517, 531, 532, 545, 565, 576, 594, 596, 639, 644, 645, 679, 712, 730, 732

Christopher (Warren),713

CICR (Comité international de la Croix-Rouge),56, 293, 311, 315, 362, 400, 401, 408, 425, 455, 481, 485, 488, 538, 540, 544, 552, 564, 646, 652, 706

Clark (général),124, 127

Clinton (Bill),42, 50, 145, 159, 160, 165, 166, 172, 174, 268, 276, 305, 517, 532, 690, 717

conférence de Paris (3 juin 1995),112, 123

conférence internationale (sur l'ex-Yougoslavie),141, 499, 591

Conseil de sécurité,5, 8, 14, 30, 32, 62, 63, 67, 88, 89, 90, 92, 93, 95, 99, 102, 108, 111, 112, 113, 114, 119, 122, 130, 142, 159, 160, 163, 164, 168, 169, 170, 174, 175, 176, 205, 227, 253, 257, 259, 265, 269, 282, 286, 287, 289, 290, 299, 307, 379, 380, 381, 388, 390, 396, 398, 401, 403, 405, 411, 419, 427, 429, 430, 433, 480, 481, 482, 488, 495, 497, 513, 518, 527, 528, 535, 537, 545, 547, 566, 568, 569, 570, 572, 573, 574, 575, 576, 577, 579, 580, 581, 582, 583, 584, 585, 586, 589, 592, 593, 594, 595, 599, 601, 604, 605, 606, 608, 609, 610, 616, 618, 643, 644, 646, 729

contrôleurs aériens avancés (FAC),38, 72, 75, 262, 266, 332, 341, 342, 396, 423, 424, 440, 445, 446, 452, 453, 463, 466, 490, 540, 541, 619, 620, 622, 623, 736

Cot (général Jean),23, 24, 29, 30, 31, 44, 80, 82, 155, 156, 179, 199, 200, 203, 209, 210, 211, 212, 213, 214, 215, 216, 217, 218, 219, 220, 221, 222, 223, 234, 255, 261, 264, 279, 282, 288, 291, 302, 327, 606

Dayton (accords de),7, 16, 17, 30, 69, 88, 89, 97, 117, 141, 145, 168, 174, 177, 216, 228, 280, 296, 297, 304, 305, 307, 314, 421, 430, 490, 506, 525, 547, 566, 632, 633, 648, 655, 679, 682, 700, 709, 712, 713

Dejammet (Alain),162

Del Ponte (Mme Carla),171

Delattre (François),157

Délégation aux Affaires stratégiques (DAS),378, 389, 514

Deliberate Force,9, 18, 22, 27, 69, 108, 115, 133, 280, 591, 598

Delic (général Rasim),42, 77, 101, 115, 138, 211, 424, 685, 686, 687, 690, 691, 694, 714, 725, 733

Demirel (Suleyman),42

Deny Flight (opération),37, 116, 287

DGSE (Direction générale de la sécurité extérieure),180, 181, 182, 188, 255, 270

Doboj (doigt de),110, 680

Dole (Bob),159

Domanovic (général),193, 194

Drina (la rivière),41, 44, 140, 148, 249, 251, 313, 314, 316, 318, 324, 325, 326, 389, 400, 661, 692, 699, 707, 710, 713, 726, 737

Drina corps,73, 314, 316, 324, 325, 326

DRM (Direction du renseignement militaire),23, 70, 125, 180, 181, 183, 187, 188, 189, 190, 191, 196, 220, 221, 255, 270, 349, 378, 379, 385, 394

Dubra,699

Dubrocevic,644

Dubrovnik,249

Dudakovic (général),285

Duque (Richard),162

Durakovic (membre de la présidence bosniaque),690

Dutchbat (bataillon néerlandais),4, 332, 404, 405, 408, 412, 413, 414, 416, 417, 430, 437, 438, 439, 440, 441, 442, 449, 450, 453, 454, 455, 457, 470, 472

Eltsine (Boris),251, 269

embargo (sur les armes),60, 76, 93, 94, 95, 128, 144, 145, 166, 172, 174, 176, 267, 398, 448, 592

Erdemovic (Drasen),321, 643

Etats-Unis,8, 17, 25, 37, 73, 85, 93, 97, 103, 145, 159, 160, 165, 166, 175, 177, 206, 321, 388, 394, 410, 425, 426, 433, 457, 480, 494, 518, 524, 525, 569, 570, 578, 586, 610, 618, 624, 673, 682, 689, 690, 711, 713

Fatima (Dr.),365, 640, 651, 652, 661

Foca,56, 259, 536, 714

FORPRONU (Force de protection des Nations unies),3, 4, 8, 9, 14, 22, 23, 24, 25, 29, 30, 31, 33, 35, 36, 37, 41, 47, 48, 49, 51, 53, 55, 56, 57, 58, 59, 61, 62, 63, 64, 65, 67, 68, 69, 71, 72, 76, 78, 79, 80, 81, 85, 86, 87, 88, 89, 91, 92, 93, 94, 95, 96, 99, 100, 101, 102, 112, 114, 119, 126, 140, 158, 159, 161, 165, 174, 176, 199, 204, 208, 226, 229, 231, 251, 254, 255, 256, 257, 258, 259, 260, 261, 275, 276, 278, 279, 280, 281, 282, 283, 284, 285, 286, 287, 288, 289, 295, 300, 327, 328, 329, 330, 332, 334, 337, 338, 339, 344, 347, 353, 354, 355, 356, 357, 358, 359, 360, 361, 362, 364, 365, 366, 367, 369, 370, 372, 374, 380, 381, 382, 383, 385, 387, 396, 397, 398, 401, 405, 406, 407, 410, 411, 414, 418, 419, 422, 428, 429, 430, 435, 436, 437, 438, 439, 440, 441, 442, 444, 445, 446, 448, 449, 451, 454, 455, 458, 463, 478, 483, 485, 495, 517, 519, 520, 523, 526, 529, 532, 537, 539, 540, 541, 542, 543, 544, 546, 552, 562, 563, 564, 580, 588, 589, 590, 591, 592, 593, 594, 595, 596, 597, 598, 599, 600, 601, 602, 603, 604, 606, 607, 608, 636, 644, 651, 653, 686, 687, 694, 711, 715, 716, 729, 731, 736, 738, 739, 743

Franken (major Robert),353, 359, 360, 361, 362, 370, 374, 462, 466, 467, 472

frappes aériennes (Air Strike),26, 37, 45, 46, 63, 68, 75, 82, 83, 90, 91, 104, 107, 114, 116, 117, 118, 119, 128, 130, 135, 167, 172, 175, 176, 206, 222, 228, 229, 230, 231, 237, 238, 239, 240, 259, 261, 262, 265, 267, 268, 286, 287, 299, 303, 309, 320, 321, 333, 334, 336, 337, 338, 341, 342, 358, 367, 387, 388, 396, 415, 420, 422, 423, 436, 437, 438, 441, 443, 445, 451, 452, 453, 460, 463, 469, 474, 475, 476, 490, 501, 506, 529, 530, 535, 540, 541, 542, 546, 547, 550, 558, 561, 577, 592, 593, 597, 601, 610, 611, 615, 617, 620, 621, 630, 636, 640, 647, 648, 649, 650, 651, 674, 689, 690, 700, 705, 706, 711, 712, 715, 718, 727, 730, 732, 733, 734, 735, 736, 738, 740, 744, 745

Frasure (Robert C.),42, 283, 302

FRR (Force de réaction rapide),9, 12, 17, 18, 20, 22, 23, 33, 35, 45, 48, 64, 69, 70, 71, 72, 84, 85, 86, 89, 92, 99, 100, 104, 107, 108, 111, 119, 120, 121, 126, 130, 142, 143, 144, 145, 147, 158, 159, 160, 161, 164, 167, 169, 174, 176, 178, 209, 227, 237, 240, 256, 259, 275, 289, 331, 339, 345, 382, 383, 386, 387, 388, 390, 393, 397, 401, 405, 407, 409, 410, 411, 415, 430, 485, 499, 506, 514, 517, 565, 566, 576, 577, 579, 594, 595, 596, 597, 608, 631

Galbraith (ambassadeur),295

Germanos (général Raymond),36, 44, 53, 77, 225, 230, 232, 233, 234, 237, 238, 239, 241, 242, 244, 245, 246, 300, 327, 335, 348, 349, 504

Gingrich (Newt),159, 160

Glogova (village de),317, 322, 665, 666

Gobilliard (général Hervé),13, 21, 34, 37, 43, 51, 53, 65, 87, 110, 127, 134, 155, 156, 179, 199, 215, 230, 231, 234, 236, 268, 274, 297, 327, 333, 334, 335, 336, 337, 338, 339, 340, 341, 342, 343, 344, 345, 346, 347, 348, 349, 350, 351, 399, 406, 412, 413, 415, 416, 431, 436, 438, 442, 454, 455, 501, 541, 542, 612, 626, 628

Gorazde,9, 15, 18, 26, 56, 63, 72, 73, 75, 84, 85, 91, 110, 118, 120, 124, 130, 142, 143, 165, 166, 183, 184, 207, 228, 232, 233, 248, 262, 274, 279, 294, 301, 306, 328, 380, 381, 384, 387, 388, 399, 407, 410, 438, 442, 456, 461, 481, 484, 489, 498, 503, 511, 534, 538, 540, 546, 552, 556, 610, 615, 618, 661, 689, 713

Gorbavica,329

Gravica,703

Groupe de contact,10, 16, 17, 42, 89, 111, 166, 167, 296, 382, 404, 406, 407, 415, 426, 547, 578, 580, 591, 596, 661

Guéhenno (Jean-Marie),271, 580, 584

Gvero (général),332, 441, 450

Haekkerup (Hans),304

Halilovic (général Sefer),403, 685, 692

HCR (Haut Commissariat des Nations unies pour les Réfugiés),53, 56, 61, 134, 304, 354, 361, 400, 408, 467, 471, 481, 487, 538, 540, 544, 551, 552, 559, 564, 569, 625, 626, 627, 631, 635, 643, 646, 668, 672, 673, 674, 680, 683, 717

Heinrich (Jean),125, 180, 181, 182, 183, 185, 186, 187, 188, 189, 190, 191, 192, 193, 194, 195, 196, 197, 198, 266, 270, 384, 405

Helms (Jessie),160

Hertzog (Gilles),29, 38, 39, 41, 47, 50, 51, 53, 78, 87, 248, 257, 262, 266, 268, 275

Holbrooke (Richard),17, 42, 45, 74, 85, 97, 283, 302, 305, 532

Hooklant (général),458

Indic (colonel),350, 351

Issinger (Wolfgang),304

Izetbegovic (Alija),15, 39, 59, 61, 62, 77, 90, 97, 101, 141, 144, 146, 153, 168, 169, 171, 172, 184, 195, 210, 221, 243, 244, 255, 256, 273, 281, 285, 291, 302, 312, 341, 344, 345, 400, 428, 522, 643, 656, 676, 689, 690, 691, 700, 710, 712, 713, 714, 715, 716, 717, 718, 723, 724, 725, 736, 737

Jacolin (Henry),54, 59, 60, 61, 62, 63, 64, 65, 66, 75, 537

Janvier (général Bernard),11, 14, 20, 22, 23, 25, 26, 29, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 41, 43, 45, 46, 47, 48, 49, 51, 53, 78, 79, 80, 81, 82, 86, 87, 91, 92, 97, 98, 99, 103, 106, 107, 121, 122, 123, 124, 125, 126, 128, 129, 131, 132, 133, 134, 135, 137, 138, 139, 140, 143, 146, 147, 148, 149, 150, 151, 154, 155, 156, 175, 176, 179, 199, 216, 228, 229, 230, 231, 234, 236, 238, 239, 240, 241, 243, 255, 256, 260, 263, 264, 268, 272, 279, 281, 291, 292, 301, 305, 327, 330, 331, 332, 333, 334, 336, 342, 343, 346, 363, 383, 391, 392, 393, 400, 405, 411, 412, 413, 416, 418, 426, 430, 437, 439, 440, 444, 445, 446, 451, 452, 453, 455, 456, 475, 484, 490, 491, 492, 493, 495, 497, 498, 501, 502, 505, 507, 508, 524, 528, 529, 539, 541, 542, 565, 572, 573, 574, 576, 577, 580, 581, 582, 598, 599, 600, 602, 603, 609, 610, 611, 612, 613, 615, 617, 618, 619, 620, 621, 622, 623, 624, 625, 626, 627, 628, 629, 630, 631, 638, 639, 640, 643, 644, 645, 647, 648, 654, 660, 669, 670, 674, 675, 676, 686, 687, 694, 699, 700, 711, 712, 718, 726, 727, 728, 729, 730, 731, 732, 733, 734, 735, 736, 739, 740, 741, 742, 743, 744, 745

Jirinovski (Vladimir),252

Jorda (Claude),248

Joulwan (général),715

Joxe (Pierre),67, 149, 150, 247, 395, 618

Juce,689

Juppé (Alain),12, 33, 36, 53, 67, 74, 83, 90, 92, 93, 95, 96, 98, 99, 101, 102, 103, 104, 107, 111, 131, 157, 160, 161, 168, 213, 233, 255, 268, 270, 295, 380, 398, 407, 496, 497, 502, 516, 522, 529, 531, 532, 555, 600

Kaf (mont),332

Kalinic (Dragan),539

Kappen (général Van),108

Karadzic (Radovan),9, 17, 66, 97, 133, 141, 169, 171, 187, 192, 193, 223, 224, 237, 238, 261, 283, 286, 296, 309, 316, 391, 399, 400, 415, 486, 492, 499, 520, 536, 560, 635, 643, 653, 654, 659, 660, 691, 708, 709, 722, 737

Karakaj,641, 703

Karremans (colonel Thomas),32, 33, 41, 47, 99, 137, 172, 238, 239, 268, 281, 290, 291, 332, 333, 334, 335, 336, 337, 346, 353, 360, 362, 366, 367, 369, 372, 374, 413, 415, 421, 422, 435, 437, 438, 441, 443, 445, 446, 448, 452, 453, 454, 455, 456, 457, 460, 464, 469, 471, 475, 476, 477, 489, 490, 504, 540, 542, 550, 552, 561, 620, 628, 647, 651, 657, 664, 665, 727

Keraterm (camp de concentration),259, 536

Kinkel (Klaus),84, 162, 183, 386, 404, 406, 407, 426, 498, 512, 555

Kladanj,361, 664, 666

Kladen,703, 704, 738

Knin (zone de),301

Kohl (Helmut),34, 79, 160, 162, 163, 164, 498, 507, 512

Koljevic (professeur Nicola),296, 297, 539, 540, 543, 550, 559, 560

Kolsteren (général Ton Van),33, 132, 439

Konjevic Polje,322, 660, 661, 667

Kordic (Dario),66

Koumarev (Ministre ukrainien de la Défense),417

Kozluk (site d'exécution),314, 321

Krajina,8, 108, 115, 167, 228, 231, 251, 280, 301, 487, 489, 518, 522, 525, 617, 627

Krajisnik (Momcilo),195, 297

Kravica,311, 666

Krstic (général),309, 315, 316, 321, 323, 324, 635, 649

La Presle (général Bertrand de),24, 46, 51, 80, 208, 214, 255, 264, 278, 291, 292, 298, 300, 303, 305, 306, 401, 505, 506, 539, 541, 611, 612

Lanxade (amiral Jacques),7, 12, 17, 20, 23, 24, 27, 29, 30, 31, 33, 34, 35, 36, 39, 45, 48, 51, 53, 67, 72, 77, 80, 91, 110, 147, 162, 203, 210, 211, 212, 214, 225, 233, 242, 261, 264, 270, 296, 299, 301, 307, 335, 386, 407, 498, 501

Leighton Smith (amiral),37, 38, 108, 116, 117, 118, 132, 137, 240, 245, 612, 630

Léotard (François),15, 19, 23, 38, 39, 67, 92, 93, 103, 107, 121, 122, 124, 128, 129, 131, 132, 137, 142, 147, 148, 149, 150, 151, 153, 168, 199, 203, 209, 210, 211, 213, 214, 215, 233, 234, 247, 261, 263, 266, 272, 273, 290, 298, 303, 316, 322, 324, 326, 333, 334, 335, 342, 343, 346, 347, 363, 364, 365, 372, 389, 398, 399, 415, 431, 442, 444, 455, 459, 460, 463, 486, 488, 521, 529, 531, 548, 549, 552, 555, 556, 557, 566, 572, 574, 584, 611

Levitte (Jean-David,157, 169, 173, 175, 177, 271, 378, 386, 407, 433, 497, 502, 503, 516, 546, 555

Lipa,649

Lipje (village de),314, 321

Lonica,707

Macovic (Amor),637

Maglaj (zone de),110, 119

Major (John),84, 158, 160, 517, 646

Mallet (Jean-Claude),33, 378, 390, 393, 394, 396, 399, 400

Manjaca,536

Markale (marché de),24, 42, 90, 267, 280, 328, 381, 388, 398, 518

Mazowiecki (Tadeusz),303

Medak (poche de),202, 203

Mérimée (Jean-Bernard),160, 164, 165, 568, 573, 574, 576, 577, 578, 579, 581, 582, 584, 585, 605, 609, 610, 618

Milanovic (général),449

Milici,318, 667

Milosevic (Slobodan),42, 44, 45, 46, 50, 54, 55, 83, 85, 95, 97, 127, 141, 144, 145, 168, 172, 173, 175, 192, 222, 250, 251, 261, 269, 351, 391, 399, 400, 408, 415, 471, 472, 485, 486, 487, 492, 536, 611, 612, 643, 645, 649, 654, 660, 686, 688, 693, 695, 698, 700, 707, 712, 713, 722, 730

Mitterrand (François),8, 26, 27, 34, 40, 45, 46, 48, 51, 61, 67, 80, 88, 89, 90, 91, 100, 213, 250, 252, 253, 260, 262, 265, 267, 268, 276, 407, 521, 531, 562, 565, 643, 646

Mladic (général Ratko),9, 11, 14, 17, 20, 33, 41, 44, 45, 46, 47, 49, 66, 72, 73, 75, 77, 82, 91, 92, 97, 98, 108, 109, 123, 124, 126, 127, 128, 129, 131, 133, 134, 135, 138, 142, 143, 144, 145, 146, 147, 152, 153, 169, 171, 187, 192, 193, 195, 208, 222, 223, 224, 228, 233, 235, 237, 238, 240, 247, 261, 262, 286, 291, 292, 294, 296, 297, 300, 301, 305, 312, 315, 316, 318, 319, 320, 325, 330, 332, 336, 339, 341, 345, 349, 350, 351, 353, 359, 362, 370, 371, 373, 382, 384, 386, 387, 388, 390, 391, 393, 394, 395, 397, 399, 400, 401, 403, 406, 408, 414, 415, 416, 417, 420, 421, 424, 425, 426, 428, 429, 443, 448, 449, 450, 454, 455, 456, 471, 472, 473, 485, 486, 489, 492, 493, 494, 497, 499, 501, 502, 503, 505, 506, 507, 508, 511, 512, 520, 524, 526, 535, 536, 537, 539, 541, 542, 543, 546, 564, 576, 577, 607, 611, 612, 614, 625, 627, 630, 635, 639, 640, 643, 645, 648, 653, 654, 659, 660, 664, 665, 685, 686, 687, 688, 691, 692, 693, 694, 697, 699, 700, 708, 709, 712, 716, 722, 728, 729, 730, 731, 732, 734, 735, 736, 738, 740, 741

Moné (colonel Thierry),34

Morillon (général Philippe),11, 30, 45, 49, 54, 55, 65, 102, 106, 133, 140, 145, 146, 147, 148, 149, 150, 151, 152, 153, 154, 155, 156, 179, 199, 210, 211, 247, 264, 271, 273, 327, 353, 363, 364, 469, 471, 472, 534, 565, 592, 606, 635, 639, 640, 658, 660, 661, 669, 676, 684, 698, 699, 700, 710, 726, 733

Mostar,120, 231, 249, 633

MSF (Médecins sans frontières),4, 5, 150, 156, 352, 353, 358, 359, 361, 362, 363, 364, 365, 366, 375, 376, 400, 401, 425, 458, 462, 470, 477, 526, 534, 535, 536, 538, 540, 541, 542, 543, 544, 545, 547, 548, 549, 550, 551, 552, 554, 560, 561, 563, 564, 566, 611, 619, 625, 626, 629, 641, 642, 643, 646, 651, 652, 656, 662, 663, 672, 684, 693, 701, 702, 705, 706

Muratovic (Hasan),331, 345, 618, 731, 732, 733, 734, 735, 736, 737, 738, 739, 740, 741, 742, 743, 744, 745, 746

Mustavic (Ibrahim),691

Naumann (général),162

Nazda,729

Nembiar (général),259

Neville-Jones (Mme Pauline),304

Nicolai (général Cees),137, 268, 329, 330, 332, 335, 338, 340, 344, 346, 412, 413, 415, 416, 435, 436, 443, 444, 446, 448, 451, 453, 456, 460, 461, 463, 465, 466, 467, 468, 470, 473, 475, 476, 490, 491, 614, 615, 620, 621, 622, 744

NIOC (Institut néerlandais pour la documentation de guerre),403, 432, 477

Nova Kasaba,311, 641, 642, 658

Novakovic (général),223

Nuhanovic (Hasan),315

Obrenovic (général),443, 448, 460, 462

Ogata (Mme Sadako),303, 400, 401, 631, 672

Omand (David),401

Omarska (camp de concentration),259, 536

ONU (Organisation des Nations unies),7, 8, 15, 18, 19, 20, 23, 29, 32, 36, 37, 39, 41, 46, 50, 55, 57, 60, 61, 62, 64, 65, 69, 71, 72, 76, 78, 79, 92, 95, 98, 99, 100, 102, 104, 112, 113, 121, 126, 129, 131, 133, 135, 142, 145, 149, 150, 156, 163, 164, 165, 170, 172, 181, 184, 185, 188, 189, 191, 196, 197, 201, 202, 203, 204, 205, 206, 208, 209, 210, 211, 212, 214, 215, 217, 218, 220, 221, 233, 245, 248, 253, 255, 256, 257, 258, 259, 260, 261, 264, 265, 266, 268, 269, 270, 271, 273, 274, 290, 292, 299, 327, 331, 334, 336, 338, 340, 345, 346, 347, 348, 349, 364, 372, 375, 381, 389, 390, 400, 416, 427, 428, 429, 430, 436, 437, 439, 441, 442, 443, 444, 445, 447, 448, 457, 470, 478, 479, 480, 481, 482, 484, 487, 489, 492, 494, 495, 497, 499, 500, 501, 502, 503, 504, 505, 506, 507, 508, 512, 513, 514, 516, 519, 520, 523, 524, 527, 528, 537, 541, 542, 544, 545, 546, 554, 555, 556, 561, 562, 563, 566, 568, 572, 573, 575, 576, 583, 588, 589, 590, 591, 592, 601, 602, 603, 604, 605, 606, 607, 608, 609, 610, 615, 618, 634, 637, 638, 642, 644, 651, 654, 656, 658, 666, 670, 671, 684, 693, 709, 716, 719, 728, 729, 738, 743

Orahovac (école de),312, 314, 316, 317

Orbinski (James),566

Oric (colonel Naser),42, 49, 77, 115, 140, 142, 143, 146, 147, 168, 184, 187, 200, 210, 211, 221, 242, 243, 244, 273, 274, 281, 286, 290, 291, 299, 300, 302, 325, 370, 371, 400, 401, 406, 420, 427, 428, 442, 444, 450, 465, 550, 552, 618, 635, 648, 649, 675, 688, 689, 700, 714, 724, 725, 737, 739

Oslobodjenje,184

otages (crise des),9, 12, 20, 21, 22, 30, 33, 34, 35, 42, 45, 46, 48, 49, 50, 51, 53, 58, 62, 63, 68, 69, 70, 75, 76, 81, 83, 97, 98, 107, 108, 117, 118, 126, 127, 129, 142, 158, 160, 168, 173, 175, 176, 188, 189, 227, 228, 229, 238, 240, 254, 266, 272, 275, 278, 287, 289, 292, 295, 296, 297, 305, 329, 330, 332, 337, 341, 349, 361, 381, 382, 397, 404, 414, 416, 421, 426, 428, 429, 430, 437, 451, 475, 483, 484, 486, 492, 497, 499, 500, 502, 505, 506, 507, 517, 528, 529, 538, 539, 541, 558, 577, 589, 595, 596, 597, 610, 611, 612, 615, 617, 628, 640, 643, 645, 686, 693, 711, 712, 732, 735, 736, 740

OTAN (Organisation du Traité de l'Atlantique Nord),8, 12, 17, 19, 31, 33, 36, 37, 41, 63, 68, 69, 74, 83, 87, 89, 90, 92, 98, 100, 104, 106, 107, 108, 112, 115, 116, 117, 118, 120, 125, 129, 133, 137, 139, 158, 159, 161, 162, 163, 165, 166, 167, 168, 169, 173, 174, 176, 181, 187, 189, 196, 197, 206, 217, 229, 239, 240, 245, 252, 260, 263, 269, 270, 273, 275, 279, 280, 286, 287, 288, 289, 293, 301, 302, 304, 321, 338, 355, 381, 382, 388, 389, 396, 397, 398, 401, 404, 414, 419, 421, 422, 432, 436, 438, 439, 440, 441, 443, 449, 453, 457, 463, 481, 483, 484, 485, 490, 493, 494, 495, 499, 507, 509, 518, 523, 525, 530, 535, 540, 541, 542, 546, 547, 558, 573, 592, 597, 610, 616, 617, 619, 621, 622, 630, 644, 645, 649, 650, 671, 676, 693, 712, 715, 717, 733, 735, 736, 742, 744

Owen (Lord David),141, 471, 472, 492, 732

Pale,49, 56, 65, 83, 120, 126, 237, 238, 240, 242, 251, 252, 287, 297, 344, 404, 405, 432, 440, 441, 450, 514, 534, 538, 539, 540, 544, 556, 559, 560, 612, 640

Panurevic (colonel Vinko),317

Pays-Bas,4, 23, 31, 33, 36, 37, 39, 41, 44, 49, 71, 75, 76, 79, 87, 110, 122, 123, 130, 131, 132, 133, 134, 135, 137, 138, 139, 146, 150, 151, 163, 169, 173, 174, 177, 183, 191, 247, 258, 292, 306, 330, 331, 332, 337, 340, 343, 344, 382, 385, 392, 393, 399, 402, 403, 404, 405, 406, 407, 410, 413, 414, 415, 416, 417, 418, 419, 420, 422, 424, 425, 426, 427, 429, 430, 431, 432, 433, 438, 446, 448, 457, 458, 460, 464, 468, 472, 474, 475, 489, 495, 498, 499, 507, 512, 513, 522, 541, 545, 555, 556, 561, 625, 626, 627, 628, 629, 635, 648, 654, 663, 743

Pecista,652

Perez de Cuellar (Javier),480

Perisic (général Momcilo),41, 44, 297, 511, 526

Perry (William),255, 305

Petkovci (école de),312, 314, 316

Petritsch (Wolfgang),304

Pilav (Dr. Eliaz),355, 357, 365, 640, 643, 646, 649, 652, 662, 663

Pilica,313, 321, 323

Post Air Strike Guidance (instructions consécutives aux frappes aériennes),437, 438, 451, 476, 597

Postavi (corridor de),710

poste d'observation néerlandais,19, 39, 40, 168, 170, 171, 174, 177, 258, 330, 355, 438, 443, 458, 473

Potocari,47, 310, 319, 332, 337, 354, 356, 357, 358, 359, 360, 361, 362, 370, 372, 374, 414, 422, 424, 440, 442, 454, 470, 542, 543, 544, 563, 564, 621, 636, 640, 644, 650, 652, 653, 656, 657, 664, 665, 666, 671, 672, 682, 684, 696, 697, 698, 699, 701, 702, 703, 704, 705, 706

Prijedor (camp de concentration),259

Pronk (Ministre néerlandais),425

Quesnot (général Christian),34, 35, 36, 37, 39, 45, 48, 53, 67, 69, 70, 72, 73, 74, 75, 76, 77, 78, 79, 80, 81, 93, 98, 162, 191, 230, 232, 233, 254, 272, 276, 503, 504, 525

Racine (Bruno),33, 36, 162

Renssen (Raviv Von),444, 473

Rohde (David),33, 39, 40, 44, 48, 100, 234, 248, 266, 343

Romania Corps,337

Rose (général Michael),130, 258, 264, 291, 327, 349, 480, 492, 615, 694

Royaume-Uni,166, 388, 405, 480, 493, 603, 673

Ruez (Jean-René),39, 303, 309, 316, 317, 318, 319, 320, 321, 322, 323, 324, 325, 326, 391, 537, 624, 666, 716

Sacirbey (Muhamed),39, 418, 578

Salignon (Pierre),365, 375, 377, 534, 549, 551, 556, 557, 558, 560, 562, 563, 564, 565, 566

Sandal (colonel),335

Sandic (lieudit),311, 317

Sandjak,140, 251, 389

Sarajevo,4, 6, 8, 9, 10, 13, 14, 16, 20, 21, 22, 24, 25, 34, 37, 39, 41, 42, 43, 45, 48, 49, 51, 54, 56, 57, 58, 60, 63, 64, 65, 66, 69, 70, 71, 72, 76, 81, 84, 85, 86, 87, 89, 90, 91, 92, 99, 100, 104, 107, 108, 110, 111, 114, 115, 117, 118, 120, 121, 128, 129, 130, 136, 137, 138, 141, 142, 144, 146, 149, 152, 153, 157, 159, 160, 161, 162, 165, 166, 167, 169, 171, 173, 182, 184, 190, 195, 204, 205, 209, 210, 211, 215, 219, 223, 228, 230, 231, 234, 235, 237, 242, 244, 248, 249, 251, 252, 253, 255, 256, 258, 259, 264, 265, 266, 267, 268, 269, 271, 272, 273, 274, 275, 281, 284, 287, 290, 291, 299, 300, 301, 306, 327, 328, 329, 330, 331, 332, 334, 337, 338, 339, 340, 341, 342, 343, 344, 345, 346, 347, 348, 350, 351, 379, 380, 381, 382, 383, 389, 391, 392, 393, 396, 398, 399, 400, 406, 409, 410, 411, 414, 422, 427, 431, 432, 435, 436, 438, 441, 443, 444, 446, 448, 449, 455, 462, 480, 481, 482, 484, 489, 491, 503, 510, 514, 515, 516, 518, 519, 522, 532, 534, 538, 540, 542, 543, 546, 548, 551, 552, 553, 554, 556, 560, 562, 565, 570, 595, 597, 598, 600, 603, 605, 607, 610, 611, 612, 614, 615, 616, 617, 619, 625, 626, 628, 631, 634, 636, 637, 640, 641, 642, 643, 656, 668, 678, 679, 682, 685, 686, 689, 690, 691, 692, 709, 710, 712, 713, 714, 715, 717, 719, 723, 724, 731, 732, 733, 735, 736, 737, 739

SAS (commandos spéciaux britanniques),258, 264

Scheer (François),162

Schmitz (Mme Christina),352, 354, 356, 358, 359, 363, 364, 365, 366, 367, 369, 370, 371, 372, 374, 375, 377, 535, 540, 551, 646, 652

Secrétaire général des Nations unies,5, 15, 19, 24, 29, 41, 92, 95, 99, 107, 108, 109, 110, 111, 112, 116, 119, 123, 135, 136, 137, 138, 141, 156, 160, 163, 169, 170, 172, 199, 201, 202, 204, 206, 207, 209, 211, 214, 219, 220, 255, 257, 259, 266, 270, 284, 338, 340, 378, 379, 383, 388, 390, 392, 396, 400, 401, 404, 418, 419, 420, 437, 478, 480, 481, 482, 483, 484, 488, 493, 495, 507, 526, 570, 577, 580, 591, 602, 615, 630, 642, 647, 725

Shalikashvili (général John),35, 123, 252, 255, 262

Shea (Jimmy),197

Silajdzic (Haris),42, 59, 341, 345, 424

Skala,682

Skelani,661

Smith (général Rupert),32, 41, 107, 110, 115, 117, 119, 120, 125, 126, 128, 129, 130, 135, 239, 242, 243, 282, 291, 299, 300, 327, 329, 330, 334, 336, 339, 343, 344, 349, 362, 381, 392, 394, 399, 412, 415, 425, 430, 436, 446, 447, 485, 491, 492, 508, 603, 610, 612, 613, 614, 615, 624, 625, 630, 675, 686, 687, 688, 711, 718, 744, 745

Soubirou (général André),35, 111, 120, 130, 144, 306

Spijunce,700

Spinica,565

Split,32, 43, 71, 110, 119, 164, 204, 343, 461, 510, 528, 718

Srebrenik,700

Srpska (Republika),150, 195, 297, 491, 637, 655, 660, 677, 680, 689, 699, 700, 714, 722

Stabreit (Immo),162

Stoltenberg (Thorvald),141, 149, 492, 731, 732

Stonovic Polje,666

Storm (opération),69

Suceska,680

Susnjari,666

Tara (monts),44

Tardy (Thierry),588, 600, 603, 605, 606, 607, 608

Tarsin,111, 120

Tchourkine (Vitali),407

Tharoor (Shashi),41

Tice,703

Tisca (école de),311

Tito (Josip Broz),55, 153, 197, 236, 252, 273

Tolimir (général Dravko),34, 133, 330, 331, 336, 351, 439, 450, 733, 734, 735, 742

TPI (Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie),4, 17, 39, 66, 106, 109, 123, 155, 156, 170, 179, 193, 194, 195, 199, 237, 238, 247, 248, 309, 310, 315, 316, 321, 323, 324, 350, 364, 365, 373, 399, 443, 476, 477, 499, 537, 545, 548, 633, 635, 716

Trebenje,633

Trnopolje (camp de concentration),536

Tudjman (Franjo),97, 168, 251, 255, 272, 283, 528, 713

Tuzla,42, 72, 73, 86, 110, 134, 142, 144, 167, 200, 201, 204, 275, 300, 312, 317, 320, 338, 359, 362, 399, 414, 430, 438, 440, 443, 446, 448, 453, 455, 457, 461, 462, 467, 481, 534, 543, 544, 546, 548, 551, 553, 560, 564, 565, 620, 626, 627, 634, 635, 636, 639, 641, 644, 648, 654, 657, 658, 660, 664, 667, 668, 672, 673, 678, 680, 684, 692, 700, 702, 704, 706, 709, 710, 714, 722, 725, 731, 733, 734, 735, 736, 738, 739, 740, 744

Udbina (aérodrome d'),280, 287

UNMOS (observateurs militaires des Nations unies),42, 44

Van Mierlo (Hans),84, 131, 162, 168, 247, 402, 410, 416, 417, 420, 421, 422, 423, 425, 426, 427, 428, 431, 432, 433, 452, 495, 521, 522, 531

Vance (Cyrus),141, 487

Vance-Owen (plan),68, 74, 141, 142, 147, 152, 271, 592, 594

Védrine (Hubert),26

Visoko,207, 636

Vitez,204

Vlasenica,309, 726

Vogosca,640, 691, 724, 725, 736, 737

Voorhoeve (Joris),35, 247, 264, 402, 405, 408, 415, 416, 418, 419, 420, 421, 423, 424, 425, 429, 431, 432, 495, 624

Vrbanja (pont de),11, 13, 21, 43, 48, 51, 70, 84, 142, 145, 158, 176, 227, 262, 330, 335, 339, 341, 497, 498, 500, 501, 505, 506, 514, 517, 595, 628

Vukovar,67, 143, 148, 259, 261, 357, 389, 390, 486, 536

Wahlgren (général Lars-Erik),141, 150, 218, 259, 302

Williams (Michael),293

Zagreb,13, 22, 26, 33, 41, 43, 48, 63, 108, 110, 115, 116, 118, 126, 128, 135, 136, 137, 139, 149, 201, 219, 230, 251, 255, 258, 266, 271, 279, 281, 284, 293, 295, 330, 335, 338, 362, 367, 368, 395, 396, 412, 413, 437, 438, 439, 440, 441, 445, 446, 448, 455, 456, 461, 462, 475, 491, 542, 544, 551, 603, 605, 607, 611, 612, 618, 620, 623, 625, 626, 656, 688, 728, 734, 735, 744, 745

Zeminjada,666

Zenica,43, 680, 685, 687, 690, 715, 724

Zepa,5, 9, 10, 15, 41, 72, 73, 74, 108, 142, 143, 165, 228, 232, 274, 328, 329, 333, 334, 336, 348, 380, 387, 399, 410, 481, 503, 510, 511, 534, 538, 547, 551, 598, 626, 639, 641, 642, 661, 712, 713, 714

Zivanovic (général Milenko),44, 48

zone de sécurité,7, 9, 11, 14, 15, 19, 29, 30, 31, 33, 34, 39, 41, 43, 47, 48, 49, 53, 55, 56, 57, 58, 59, 70, 71, 72, 75, 76, 83, 84, 86, 87, 88, 90, 91, 92, 101, 104, 116, 124, 126, 128, 130, 133, 138, 140, 142, 143, 163, 164, 165, 174, 184, 185, 188, 190, 191, 200, 201, 204, 205, 210, 211, 229, 230, 240, 243, 247, 249, 287, 292, 300, 306, 309, 310, 314, 315, 317, 319, 320, 325, 328, 330, 331, 332, 333, 334, 345, 352, 353, 354, 355, 356, 359, 363, 365, 366, 367, 369, 370, 371, 372, 373, 374, 384, 385, 386, 388, 398, 400, 403, 404, 405, 408, 409, 410, 411, 413, 414, 415, 417, 418, 419, 420, 421, 423, 424, 425, 426, 427, 428, 438, 439, 441, 442, 443, 444, 445, 449, 450, 454, 455, 457, 458, 459, 460, 461, 462, 464, 465, 466, 467, 468, 469, 471, 472, 473, 474, 475, 476, 481, 489, 495, 503, 504, 510, 511, 519, 520, 523, 534, 535, 537, 538, 539, 540, 541, 542, 543, 544, 545, 551, 552, 556, 558, 560, 570, 571, 572, 576, 577, 578, 579, 582, 589, 598, 612, 616, 626, 639, 643, 646, 653, 664, 667, 670, 671, 675, 676, 682, 684, 686, 687, 691, 692, 694, 709, 710, 717, 724, 729, 731, 733, 737, 743

Zvornic,33, 625

____________________________

3413 (tome II, auditions) - Rapport d'information de MM. René André et François Lamy sur les événements de Srebrenica (mission d'information commune)