graphique

N° 3525

--

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 9 janvier 2002.

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

AU NOM DE LA DÉLÉGATION AUX DROITS DES FEMMES ET A L'ÉGALITÉ DES CHANCES ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES (1) SUR LE PROJET DE LOI (n° 3166) relatif à la bioéthique,

PAR Mme Yvette ROUDY

Députée.

--

(1) La composition de cette Délégation figure au verso de la présente page.

Bioéthique.

La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes est composée de : Mme Martine Lignières-Cassou, présidente ; Mmes Muguette Jacquaint, Chantal Robin-Rodrigo, Yvette Roudy, Marie-Jo Zimmermann, vice-présidentes ; Mme Marie-Thérèse Boisseau, M. Michel Herbillon, secrétaires ; M. Pierre Albertini, Mme Nicole Ameline, M. Pierre Aubry, Mme Roselyne Bachelot-Narquin, M. Patrick Bloche, Mme Danielle Bousquet, M. Philippe Briand, Mmes Nicole Bricq, Odette Casanova, Nicole Catala, MM. Richard Cazenave, Henry Chabert, Mme Marie-Françoise Clergeau, MM. Jean-Pierre Defontaine, Patrick Delnatte, Claude Goasguen, Mme Cécile Helle, M. Patrick Herr, Mmes Anne-Marie Idrac, Françoise Imbert, Conchita Lacuey, MM. Patrick Lemasle, Patrick Malavieille, Patrice Martin-Lalande, Mmes Hélène Mignon, Catherine Picard, MM. Bernard Roman, André Vallini, Kofi Yamgnane.

INTRODUCTION 5

I - DONNER À LA FEMME TOUTE SA PLACE DANS L'AMP 7

A. MIEUX ACCOMPAGNER LA FEMME AU SEUIL DE L'AMP 7

1. Avant l'AMP, le diagnostic d'infertilité 7

2. L'information, l'accueil et l'accompagnement 9

B. RENDRE MOINS RIGOUREUX L'ACCÈS À L'AMP 12

1. L'exigence d'une durée de vie commune pour les couples non mariés est sujette à discussion 12

2. Le transfert post-mortem de l'embryon doit être autorisé 13

II - RECONNAÎTRE LA SPÉCIFICITÉ DU DON D'OVOCYTES 14

A. UNE PLUS GRANDE OUVERTURE DES POSSIBILITÉS DE DONS D'OVOCYTES DEVRAIT ÊTRE RECHERCHÉE 14

1. Maintien pour le donneur de la seule condition de parentalité 14

2. Mieux protéger les donneuses 15

B. GRATUITÉ ET ANONYMAT 16

1. Mieux assurer la gratuité des dons 16

2. Le respect de l'anonymat 16

III - MIEUX ENCADRER LES ACTIVITÉS D'AMP 18

A. POUR UNE MEILLEURE SÉCURITÉ SANITAIRE 18

1. Les dangers d'une stimulation ovarienne mal maîtrisée 18

2. Les inquiétudes que suscite l'ICSI 19

3. Le problème du remboursement par la sécurité sociale 20

B. UNE NOUVELLE AGENCE DE LA PROCRÉATION, DE L'EMBRYOLOGIE ET DE LA GÉNÉTIQUE HUMAINES 20

TRAVAUX DE LA DÉLÉGATION 23

RECOMMANDATIONS ADOPTÉES PAR LA DÉLÉGATION 31

Annexe : Liste des personnalités entendues et comptes rendus des auditions de la Délégation 35

MESDAMES, MESSIEURS,

La Délégation aux droits des femmes a été saisie, à sa demande, le 20 décembre 2001, du projet de loi (n° 3166) relatif à la bioéthique par M. Bernard Charles, président de la commission spéciale chargée d'examiner ce texte.

Il était nécessaire, en effet, que la voix des femmes se fasse entendre sur des problèmes aussi graves, à la frontière de l'éthique, de la médecine, de la vie. Par l'assistance médicale à la procréation (AMP), les femmes se trouvent au c_ur de la bioéthique, car ces méthodes ne peuvent se développer sans le désir d'enfant des couples, ni sans une grande disponibilité des femmes à des traitements médicaux particulièrement lourds.

Les questions de bioéthique sont aujourd'hui trop importantes, pour ne pas être largement ouvertes au public.

Votre rapporteure s'intéresse à ces questions depuis plus de dix ans, ayant présidé à l'Assemblée nationale la commission spéciale sur la bioéthique en 1992 et 1993, et siégé pendant trois années au Conseil consultatif national d'éthique de 1992 à 1995.

Plus récemment, votre rapporteure a suivi les travaux de la mission d'information commune préparatoire au projet de loi de révision des "lois bioéthiques", puis de la commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la bioéthique, et proposé, en avril 2001, à la Délégation aux droits des femmes, de contribuer au débat par l'organisation d'un colloque "Femmes et bioéthique : l'assistance médicale à la procréation - L'AMP en question" (1).

La loi du 29 juillet 1994 prévoyait avec sagesse que, dans un délai de cinq ans après son entrée en vigueur, elle devait faire l'objet d'un nouvel examen par le Parlement, étant donné la rapidité des progrès de la recherche. A l'époque, la technique de l'ICSI n'en était encore qu'à un stade expérimental, et les dangers du clonage reproductif encore à peine prévisibles.

Aussi faut-il regretter que le projet de loi de révision des lois bioéthiques, annoncé depuis longtemps, arrive si tard, malgré la mission d'évaluation accomplie en février 1999 par l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques.

Nous avons deux ans et demi de retard. Les parlementaires sont prêts depuis longtemps à aborder l'étude de ce texte. A cet égard, je tiens à rendre hommage au remarquable travail accompli par la mission d'information commune, conduite par le président Bernard Charles et le rapporteur Alain Claeys, qui pendant des mois ont entendu de très nombreuses personnalités, accumulé une somme considérable d'informations, et élaboré un rapport de synthèse (2) très riche permettant d'éclairer l'opinion. Cependant, étant donné la date de l'inscription du projet de loi à l'ordre du jour, les parlementaires ne pourront aller au-delà d'une première lecture, ce qui repousse en 2002 au mieux le vote de la loi.

Ce retard est infiniment regrettable, car la loi de 1994, rigide et contraignante, bride nos chercheurs, freine le développement des biotechnologies dans notre pays, alors que nos voisins et les Etats-Unis ont accompli des avancées considérables, ce qui n'est pas sans poser d'ailleurs de graves problèmes de commercialisation et de trafic des produits du corps humain à travers les frontières.

Le législateur de 1994 a cependant eu raison de poser des garde-fous, étant donné les effrayantes dérives auxquelles nous avons assisté récemment. Mais il faut maintenant briser des verrous et pousser plus loin de nouvelles barrières. Faut-il à nouveau procéder à une révision dans cinq ans ? Votre rapporteure estime qu'il n'est pas nécessaire de fixer des délais aussi rigides, car la science progresse vite. Les adaptations législatives éventuelles se feront au vu des conclusions du rapport scientifique annuel établi par le Haut Conseil de la nouvelle Agence de la procréation, de l'embryologie et de la génétique humaines, rapport transmis au Parlement, aux ministres compétents et au Comité consultatif national d'éthique (C.C.N.E.).

*

* *

C'est le regard des femmes sur l'assistance médicale à la procréation que la Délégation aux droits des femmes a souhaité traduire.

Au fil des auditions et des témoignages qu'elle a recueillis, parallèlement à la mission d'information commune préparatoire au projet de loi, la Délégation a estimé qu'il fallait redonner à la femme, dans le respect et la dignité, toute sa place dans l'AMP, dont il faut assouplir les conditions d'accès.

Elle s'est interrogée sur l'actuelle pénurie du don d'ovocytes dans le cadre de l'AMP avec tiers donneur et sur les moyens d'y remédier.

Elle a enfin souhaité que le Haut Conseil de la nouvelle Agence de la procréation, de l'embryologie et de la génétique humaines ait une composition plus démocratique, sur le modèle de l'Agence britannique qui réserve légitimement une large place à des représentants de la société civile qui ne sont ni des scientifiques ni des médecins.

I - DONNER À LA FEMME TOUTE SA PLACE DANS L'AMP

Comme l'avait rappelé M. Bernard Kouchner, ministre délégué à la santé, lors du colloque "Femmes et bioéthique : l'assistance médicale à la procréation - L'AMP en question", les femmes, les couples doivent assumer leurs propres responsabilités, dans cette démarche parfois éperdue pour satisfaire un désir d'enfant.

Votre rapporteure adhère à cette nécessaire prise de conscience qui implique une décision longuement mûrie et réfléchie dans toutes ses implications.

Le corollaire en est une plus grande attention à prêter au couple, dans sa situation d'infertilité, vécue avec souffrance et culpabilité, ensuite une information plus complète et une écoute plus attentive à accorder, lorsque la démarche d'AMP est engagée.

A. MIEUX ACCOMPAGNER LA FEMME AU SEUIL DE L'AMP

1. Avant l'AMP, le diagnostic d'infertilité

Avant même d'entrer dans le processus d'AMP, le couple doit affronter l'épreuve de la découverte et du diagnostic de son infertilité.

Si l'opprobre jeté autrefois sur la femme stérile n'a plus lieu d'être, puisque la stérilité masculine intervient pour une large part dans celle du couple, cette épreuve est vécue cependant de façon particulièrement douloureuse et traumatisante. L'enfant tant désiré n'est pas au rendez-vous.

Comme l'a expliqué Mme Chantal Ramogida, présidente de l'association "Pauline et Adrien" (3), "le couple vit l'expérience de l'infertilité comme injuste, et se sent entièrement isolé du reste du monde. Souvent, il est incapable de parler de ce qui est vécu comme une honte dans certaines cultures."

Confronté à la souffrance de ces couples, quelle va être la réponse à cette première et angoissante interrogation sur l'infertilité ?

Mme Madeleine Dayan-Lintzer, gynécologue, (4) qui a exposé devant la Délégation toute son expérience et sa réflexion, en amont, sur la décision de recourir à la procréation assistée, a bien souligné la difficulté de l'appréciation médicale, étant donné la part d'incertitude qui préside aux connaissances : "Quelle que soit la richesse et l'étendue de nos connaissances sur la biologie de la reproduction et sur les interventions médicales possibles d'assistance à la reproduction, le corps du vivant, masculin ou féminin, n'est pas réductible au corps biologique ; l'humain et la transmission de la vie nous échappent. Nous n'avons pas une maîtrise toute puissante sur la conception."

En effet, le diagnostic de l'infertilité n'est pas sûr à 100 % et peut soulever des difficultés d'interprétation ; les indications de l'AMP en conséquence ne sont pas non plus toutes certaines.

Comme l'a souligné le professeur René Frydman (5)devant la Délégation, dans le cas de la fécondation in vitro, certaines indications sont absolues (absence de trompes ou trompes non fonctionnelles, absence de spermatozoïdes, ovaires non fonctionnels, nécessité d'effectuer un diagnostic préimplantatoire)... "Par contre, toutes les autres situations sont des indications relatives. Dès qu'il y a une imperméabilité des trompes, il est possible d'envisager une conception, soit après simple stimulation, soit associée à une insémination. Il est également très fréquent que les choses se passent de manière spontanée. Cela arrive tout le temps".

Dans les cas d'infertilité mineure, ou de stérilité inexpliquée qui, selon Mme Brigitte-Fanny Cohen, journaliste à France 2, entendue par la Délégation (6), sont passés de 10 % des FIV en 1989 à 19 % en 1999, l'indication de l'AMP est-elle toujours justifiée ? Le risque a été souligné de voir s'élargir les indications de FIV, alors que des traitements d'un autre ordre, par exemple une prise en charge d'ordre psychologique pourrait parvenir à déclencher la grossesse souhaitée.

L'histoire personnelle de Mme Brigitte-Fanny Cohen qui, après une douloureuse expérience de quatre échecs de FIV, a attendu un bébé, précisément au moment où elle a été rassurée sur l'aboutissement de sa démarche d'adoption, est à cet égard significative.

2. L'information, l'accueil et l'accompagnement

La qualité de l'accueil des femmes dans cette expérience d'AMP revêt d'autant plus d'importance, qu'elle a été voulue, choisie, acceptée, mais qu'elle apporte aussi beaucoup de souffrances, de contraintes dans la vie professionnelle de la femme et personnelle du couple, comme en attestent les témoignages recueillis.

Votre rapporteure souhaite attirer l'attention sur les conditions de cette entrée dans l'AMP.

_ Une exigence d'information doit être requise.

De nombreuses femmes se plaignent d'avoir été insuffisamment informées, comme le prescrit la loi "des possibilités de réussite et d'échec des techniques d'assistance médicale à la procréation ainsi que de leur pénibilité", lors des entretiens avec l'équipe médicale pluridisciplinaire, qui doivent précéder la mise en _uvre de l'AMP.

"Souvent, pressés par le temps, par des soucis de rentabilité, par des hôpitaux qui surveillent de très près leur budgets, les médecins consultés ne peuvent pas prendre le temps nécessaire à une explication claire, objective et compréhensible pour les personnes infertiles ..." a exposé Mme Chantal Ramogida.

Mme Patricia Barbazanges, avocate, candidate à l'AMP (7), lors du colloque organisé par la Délégation, a de son côté, longuement évoqué les contraintes du traitement que subissent les femmes, et les souffrances endurées non seulement dans leur corps, dans leur chair, mais aussi dans la vie quotidienne et professionnelle, la fatigue et le stress qui en découle.

Mme Brigitte-Fanny Cohen, a apporté aussi son témoignage : "Traitée entre 1997 et 1998, j'ai commencé à suivre les traitements sans en avoir une vision exacte et complète, notamment en ce qui concerne les stimulations. J'ai donc subi des effets secondaires et des complications dont l'éventualité aurait pu m'être exposée dès le départ".

L'information à donner sur les techniques, la pénibilité, les contraintes et les risques des traitements a été précisée par l'arrêté du 12 janvier 1999 relatif aux règles de bonnes pratiques cliniques et biologiques en AMP :

"Une information claire, précise et adaptée doit être donnée au couple au cours de ces entretiens sur la cause de son infécondité ainsi que sur le choix de la ou des techniques envisagées. Chaque technique doit être présentée avec ses chances de succès pour le couple, sa pénibilité ainsi que les contraintes, notamment d'ordre matériel, financier ou psychologique, qu'elle peut entraîner. Doivent être exposés les risques potentiels à court et à long terme, liés notamment à la stimulation ovarienne, au geste chirurgical, aux techniques biologiques utilisées ainsi que le risque de grossesses multiples. Une information sur les éventuelles solutions alternatives devra être délivrée : chances de concevoir spontanément, chirurgie des trompes ou des voies excrétrices masculines. De même, l'éventualité de devoir arrêter la prise en charge devra être envisagée d'emblée."

Ces précisions étaient nécessaires. Cependant, l'exigence d'une information claire, précise et adaptée doit faire partie de l'éthique et de la déontologie des centres et des équipes médicales pluridisciplinaires.

_ Parallèlement à l'information proprement médicale, intervient l'accueil et l'accompagnement, variables suivant les centres et les équipes.

Mme Sylvie Epelboin, gynécologue-obstétricienne à l'hôpital Saint-Vincent de Paul (8), a insisté sur la nécessité d'un accompagnement, d'une écoute, d'un accueil, qui dépasse la seule prise en charge technique : "Nous ne pouvons pas faire l'impasse sur la dimension d'écoute et d'accompagnement, alors que l'on sait très bien qu'elle est indispensable pour dresser le diagnostic et pour que l'échec, ou la réussite, soit bien vécu."

Il serait souhaitable à cet égard, que parallèlement à l'information médicale, un personnel de l'équipe pluridisciplinaire puisse suivre la patiente tout au long de son parcours d'AMP. Le professeur René Frydman (9) le reconnaît lui-même : "L'information est toujours trop rapide. La lecture des papiers est une démarche insuffisante. Nous ne nous en sortirons pas sans des personnels formés, capables de délivrer une information complète et qui ont du temps pour le faire ...".

La dimension psychologique devrait être mieux prise en compte et dès la mise en _uvre de l'AMP, un entretien d'ordre psychologique devrait être proposé et pris en charge par la sécurité sociale.

_ Au stade des entretiens des préalables, la possibilité de l'adoption doit être signalée.

En effet, d'après la loi, une information doit être donnée au couple sur "les possibilités ouvertes par la loi en matière d'adoption", et le dossier-guide doit comporter "le rappel des dispositions législatives et réglementaires relatives à l'adoption, ainsi que l'adresse des associations et organismes susceptibles de compléter leur information à ce sujet".

Cette possibilité doit donc être évoquée dès le début de l'AMP, et conduire le couple à réfléchir sur le sens profond de sa démarche et son désir d'un enfant "biologique".

L'espoir s'amenuisant au fur et à mesure des tentatives et des échecs de FIV, des couples envisagent alors une démarche d'adoption et se tournent vers les institutions chargées de l'adoption, les DDASS.

Il semblerait que certaines DDASS exigent des couples d'avoir d'abord fait le deuil d'un enfant biologique.

Etant donné la longueur des traitements médicaux comme celle des démarches d'adoption, il serait tout à fait possible de conduire parallèlement les deux, et éviter ainsi l'acharnement procréatif. Comme le remarque Mme Brigitte-Fanny Cohen dans son ouvrage (10) "Si les candidats malchanceux de la FIV entendaient les gynécologues leur parler d'adoption, comme la loi les y oblige, s'ils visaient en parallèle les deux objectifs, un bon nombre d'entre-eux renonceraient à s'obstiner et à multiplier exagérément les traitements".

_ Une meilleure transparence dans les résultats de l'AMP est indispensable.

Comme le souligne Mme Sylvie Epelboin : "Il n'y a pas de transparence dans les résultats et la Direction générale de la santé ne dispose pas des moyens nécessaires pour les exploiter et les rendre compréhensibles aux personnes concernées."

Si les taux de réussite et d'échec sont connus au plan national, les résultats des centres le sont beaucoup moins. Une revendication majeure des associations et des couples candidats à l'AMP est que les résultats des centres soient connus en toute transparence : caractéristiques, pathologies traitées, taux de réussite et d'échec, faisant apparaître clairement non seulement le taux de réussite en fonction du test positif de grossesse, mais selon la proportion d'enfants nés vivants et en bonne santé.

C'est ce que les Américains appellent le "take home baby". Pour la femme, le couple, ce qui importe, c'est de rentrer chez soi avec son bébé.

Il conviendrait à cet égard que la nouvelle Agence de la procréation, de l'embryologie et de la génétique humaines veille à une harmonisation dans la présentation des résultats publiés par les centres.

B. RENDRE MOINS RIGOUREUX L'ACCÈS À L'AMP

La loi de 1994 pose plusieurs conditions pour accéder à l'AMP.

L'homme et la femme formant le couple :

- doivent être vivants,

- en âge de procréer,

- mariés, ou en mesure d'apporter la preuve d'une vie commune d'au moins deux ans.

La deuxième condition est d'ordre naturel : le couple doit être en âge de procréer, afin d'éviter des dérives que l'éthique condamne. Il n'est pas question de revenir sur cette disposition.

1. L'exigence d'une durée de vie commune pour les couples non mariés est sujette à discussion

Cette exigence de vie stable requise des concubins, mais non des couples mariés peut sembler inéquitable et de plus inadaptée, du fait que les couples, les femmes demandent de plus en plus tard à accéder à l'AMP, en relation avec l'âge moyen de plus en plus élevé en France de la première naissance (29-30 ans). Cette condition risque d'affaiblir pour ces femmes les chances d'une fécondation réussie. Aussi pourrait-on envisager de supprimer cette condition, d'autant que la preuve qui doit en être apportée, apparaît difficile à établir et à contrôler.

2. Le transfert post-mortem de l'embryon doit être autorisé

La loi dispose comme première condition que l'homme et la femme doivent être vivants. Cette condition interdit à la fois toute insémination et tout transfert d'embryon post-mortem.

La loi de 1994 a suivi ainsi la jurisprudence dans des affaires concernant la restitution à une veuve du sperme congelé de son mari défunt, ou la restitution d'embryons congelés conçus in vitro. L'interdiction est reprise par le projet de loi, alors que les dispositions de l'avant-projet de loi en ouvrait la possibilité sous certaines conditions : le respect d'un certain délai de réflexion et le consentement exprès du conjoint ou concubin de son vivant, conformément à la position exprimée par le Conseil d'Etat dans son rapport du 25 novembre 1999, qui estimait pouvoir l'autoriser, avec un encadrement très strict.

M. Alain Claeys, rapporteur de la mission d'information commune s'est montré favorable "à ce que soit autorisé le transfert post-mortem dès lors que le père y aurait consenti de son vivant". Le rapporteur a estimé qu'il serait opportun "en premier lieu, de préserver un délai de quelques mois après le décès du père afin que la mère ne soit pas contrainte de décider alors qu'elle se trouve dans une situation de fragilité extrême, et, par ailleurs, d'autoriser une interprétation souple du second délai qui serait ouvert pour procéder à l'implantation des embryons, si des raisons médicales le justifient".

Votre rapporteure, pour sa part, estime qu'un embryon qui a répondu à un projet parental, confirmé et engagé, appartient dans ce cas précis à sa mère. Au nom de quoi pourrait-on refuser de restituer à la mère cette partie d'elle-même, sous réserve de la part de la mère d'une réflexion et de ne pas prendre la décision sous le coup de la douleur du deuil ?

Cependant, il paraîtrait préférable de ne pas légiférer sur des cas rarissimes et trop spécifiques, auxquels aucune règle préalable concernant le respect de délais de deuil ne pourra véritablement répondre.

Il appartiendra à l'Agence de la procréation, de l'embryologie et de la génétique humaines, saisie, de décider au cas par cas.

II - RECONNAÎTRE LA SPÉCIFICITÉ DU DON D'OVOCYTES

La spécificité du don d'ovocytes est à l'origine de sa rareté qui entraîne un risque d'instrumentalisation du corps de la femme et de commercialisation.

Le législateur a autorisé le don de gamètes, mais y a posé un certain nombre de conditions (couple donneur ayant procréé ; gratuité) et de principes (respect de l'anonymat), qui contribuent à la pénurie, plus particulièrement du don d'ovocytes.

La loi applique le même régime au don de sperme et au don d'ovocytes, alors que la différence est fondamentale, d'abord en raison des techniques de prélèvement beaucoup plus lourdes pour la femme, impliquant intervention chirurgicale et anesthésie, avec stimulation ovarienne préalable, alors que le recueil du sperme est beaucoup plus simple, ensuite du fait que, chez la femme, une diminution de la fertilité plus précoce que chez l'homme, rend le don d'ovocytes beaucoup moins performant que celui du sperme.

A. UNE PLUS GRANDE OUVERTURE DES POSSIBILITÉS DE DONS D'OVOCYTES DEVRAIT ÊTRE RECHERCHÉE

1. Maintien pour le donneur de la seule condition de parentalité

Le législateur de 1994 a estimé que la motivation du donneur devait être réelle et qu'à cet effet le donneur devait vivre en couple et avoir déjà des enfants, ceci afin d'éviter le risque d'une paternité ou maternité par procuration. Cette disposition a pour effet d'écarter les dons émanant de personnes seules.

Le Conseil d'Etat dans son rapport de 1999 a suggéré que le donneur puisse ne pas faire partie d'un couple, pourvu qu'il soit parent. L'exposé des motifs du projet de loi propose, dans le même sens, d'élargir les conditions de don de gamètes : "En effet, compte tenu de la fréquence des familles monoparentales et dans un contexte de pénurie de gamètes, les dispositions législatives actuelles qui exigent que le donneur fasse partie d'un couple et qu'il ait au moins un enfant à l'intérieur de ce couple apparaissent très restrictives. Le maintien d'une référence à la seule notion de parentalité est suffisant pour garantir le caractère désintéressé du don de gamètes. Cet élargissement permet aux personnes veuves, divorcées ou célibataires, ayant déjà procréé, d'être donneurs."

On ne peut qu'approuver cette ouverture proposée par le projet de loi, qui permettra d'élargir le don de gamètes et particulièrement le don d'ovocytes.

2. Mieux protéger les donneuses

Il conviendrait d'apporter plus d'attention à la donneuse d'ovocytes. Celle-ci devrait être aussi complètement informée que le couple demandeur, des effets secondaires, des complications du traitement et des implications de sa démarche.

Sa motivation devrait faire l'objet d'un examen très attentif, lors de la consultation avec l'équipe médicale.

Mme Brigitte-Fanny Cohen (11) a été particulièrement sensible à la situation faite à ces donneuses : "Il conviendrait donc que toutes ces femmes qui se présentent comme donneuses pour aider une amie ou une s_ur puissent avoir un soutien un peu plus dense que ce n'est actuellement le cas. Le don est en effet une démarche infiniment complexe et il faut pouvoir protéger les femmes victimes de pressions morales, mais qui, au fond d'elles-mêmes, n'ont pas envie de s'embarquer dans cette histoire."

Le guide des bonnes pratiques cliniques en AMP, dans les dispositions spécifiques relatives aux entretiens et formalités préalables au don, ne mentionne pas de prise en charge psychologique, qui paraît pourtant aussi indispensable pour la donneuse que pour le couple demandeur. Il conviendrait de bien le préciser.

Concrètement, cette prise en charge devrait revenir au "gestionnaire du don" qui n'est pas mentionné dans la loi, mais qui se dégage de la pratique clinique, comme le décrit Mme Hélène Letur-Körnisch, présidente du groupe d'études sur les dons d'ovocytes (GEDO) (12), "Le gestionnaire du don, qui peut d'ailleurs être le clinicien ou le biologiste agréés, a pour rôle d'analyser les motivations des différents protagonistes - donneurs et receveurs. Il assure la préparation et la coordination médico-psychologique. Il met en route et surveille la stimulation des donneuses. Il procède aux appariements, aux vérifications légales et sécuritaires et recueille les informations concernant les enfants nés. Mais son rôle primordial est sans conteste la connaissance des indications et l'évaluation des risques obstétricaux et psychologiques."

B. GRATUITÉ ET ANONYMAT

1. Mieux assurer la gratuité des dons

La gratuité du don a pour corollaire le remboursement des frais engagés à l'occasion du don, selon des modalités qui devaient être fixées par décret en Conseil d'Etat. Ce n'est que récemment, le 11 mai 2000, qu'a été publié ce décret - six ans après la loi - qui prévoit que l'ensemble des dépenses de soins, de traitement, ainsi que les frais de déplacement afférents à ces soins seront désormais pris en charge par l'établissement de santé où est réalisé le prélèvement, avec en outre une indemnité pour perte de rémunération.

Cette disposition favorisera sans doute l'accueil des donneurs et surtout des donneuses, remédiant ainsi à une situation très dissuasive, où ces frais étaient couverts entièrement soit par la donneuse, soit par le couple receveur.

2. Le respect de l'anonymat

Le principe de l'anonymat répond d'abord au souci de préserver l'équilibre de la cellule familiale. On donne une filiation sociale à l'enfant, mais on lui nie toute filiation biologique, le donneur n'ayant pas eu l'intention de créer un lien quelconque. Il répond également au respect de l'intimité du donneur et des receveurs.

La loi dispose à cet effet :

"Le bénéfice d'un don de gamètes ne peut en aucune manière être subordonné à la désignation par le couple receveur d'une personne ayant volontairement accepté de procéder à un tel don en faveur d'un couple tiers anonyme". Le législateur a ainsi entendu interdire le don "dirigé" ou "familial", qui a pu être pratiqué, en particulier à propos du don d'ovocytes.

Il est certain que cette règle stricte de l'anonymat est l'un des facteurs de la pénurie du don de sperme et surtout d'ovocytes, car il ne répond pas à la motivation des donneurs.

En effet, sur le plan psychologique, les dons présentent de grandes différences. Les donneuses sont très impliquées dans le don, souvent lié à l'existence d'une relation personnelle avec le couple receveur. La générosité entre dans leur motivation.

Le problème du non-dit et du secret se pose très différemment dans les deux cas.

Faut-il revenir sur cette règle de l'anonymat ? Sur cette question essentielle, Mme Françoise Héritier (13), professeur au Collège de France, entendue par la Délégation, a estimé que permettre de choisir le donneur parmi les membres de la famille reviendrait à un inceste de deuxième type.

Dans la pratique, il semble que les centres souvent n'acceptent les demandes des couples que s'ils sont accompagnés d'une donneuse, ce qui est source de discriminations et engendre des risques de pressions affectives, voire financières.

_ La raréfaction du don d'ovocytes en France entraîne une augmentation excessive des délais d'attente - plus de deux ans -, souvent la décision du couple de partir à l'étranger et, en raison de la pénurie, un risque de commercialisation du don.

La commercialisation existe déjà à l'étranger et s'introduit en France.

M. Alain Claeys, rapporteur de la mission commune, cite à cet égard des témoignages inquiétants sur l'existence de trafic organisé à Chypre, à partir d'ovocytes de femmes russes, à Séville, où se rendent des femmes françaises en vue d'une AMP. Déjà il est possible d'acheter sur internet du sperme sélectionné ou des ovocytes sur dossier.

Mme Brigitte-Fanny Cohen devant la Délégation a cité le cas de ce médecin canadien qui, à Paris, une ou deux fois par an, reçoit des couples dans son hôtel et leur fait choisir sur catalogue des donneuses, en général américaines. La FIV est ensuite pratiquée au Canada.

_ Les inconvénients de la congélation systématique des embryons issus de dons d'ovocytes, imposée par le décret du 12 novembre 1996 pour des raisons de sécurité sanitaire, ont été soulignés à plusieurs reprises. Un grand nombre d'embryons congelés ne résistent pas à cette technique et leur taux d'implantation n'est guère performant. Il en résulte une inquiétante diminution des chances de succès des patientes ayant recours à cette pratique.

Compte tenu de l'utilité contestable de ces précautions sur le plan pratique et du progrès des techniques, une révision du décret de novembre 1996 devrait être envisagée.

III - MIEUX ENCADRER LES ACTIVITÉS D'AMP

A. POUR UNE MEILLEURE SÉCURITÉ SANITAIRE

La santé des femmes est mise à rude épreuve dans le parcours de l'AMP. Certains traitements, outre leur pénibilité, entraînent des risques considérables, tandis que d'autres, faute d'évaluation suffisante, laissent planer un doute quant aux conséquences à long terme.

1. Les dangers d'une stimulation ovarienne mal maîtrisée

La stimulation ovarienne présente des avantages, tant pour la procréation naturelle que pour la fécondation in vitro. Elle permet, en agissant sur l'ovaire, d'obtenir au cours d'un seul cycle d'ovulation, la maturation de plusieurs ovocytes.

"Relever les ovules uniquement lors de cycles spontanés est très difficile", nous a précisé le docteur Sylvie Epelboin (14). "Nous sommes donc obligés de pratiquer une hyper-stimulation ovarienne".

Dans la FIV, elle accroît les chances de grossesse par le transfert de plusieurs embryons. Elle permet aussi de réduire les prélèvements ovocytaires en conservant, par congélation, les embryons conçus en surnombre dans la perspective d'un transfert ultérieur.

Le professeur André Boué, généticien, membre du CCNE (15) souligne le développement de cette pratique. "Cette thérapeutique, utile pour la fécondation in vitro, s'est étendue au domaine de la médecine pratique en dehors de la fécondation in vitro, avec une consommation énorme de ces inducteurs d'ovulation : leur production a découplé en dix ans. On estime que plus de 60 000 femmes par an, en dehors de la fécondation in vitro, subissent un traitement par des inducteurs d'ovulation."

Cette pratique conduit à des grossesses multiples. "Comme il n'existe pas de moyen de contrôle, la femme produit plusieurs ovocytes" poursuit le professeur Boué. "On ne peut pas, comme c'est le cas dans la fécondation in vitro, choisir le nombre d'embryons que l'on veut féconder, c'est la nature qui décide, et cela aboutit à des grossesses multiples."

Il s'agit là, estime le professeur André Boué, d'un grave problème de santé publique, d'autant que, selon un rapport récent du ministère de la santé, le nombre des grossesses multiples a augmenté ces dernières années.

Les plus hautes autorités, CCNE, Académie de médecine, Conseil d'Etat, estiment que, lors de la révision des lois de bioéthique, le cadre qui a été établi pour la fécondation in vitro, et qui a été assez efficace, devrait être transposé à l'utilisation médicale des inducteurs d'ovulation, prescrits dans le cabinet du médecin.

Le projet de loi a pris en compte cette préoccupation à l'article L. 2141-1 qui définit les pratiques de l'AMP et qui renvoie à un acte réglementaire le soin de fixer les règles de prescription et de suivi des traitements inducteurs de l'ovulation.

2. Les inquiétudes que suscite l'ICSI

La technique de l'ICSI (fécondation in vitro par micro-injection d'un spermatozoïde) a connu un succès rapide ces dernières années. Aujourd'hui, plus de 40 % des fécondations in vitro utilisent cette technique, qui correspond généralement à une indication de stérilité masculine.

Les bons résultats de l'ICSI, la forte demande des couples, ont cependant conduit le milieu médical à utiliser des techniques insuffisamment éprouvées et dont les conséquences n'ont pas toutes été étudiées, notamment les incidences sur l'enfant à naître. Le suivi des enfants nés grâce à l'ICSI, en effet, n'a pas encore fait l'objet d'une étude scientifique approfondie et des inconnues demeurent.

Des risques cependant ont été identifiés, notamment celui de transmettre à l'enfant et à sa descendance une anomalie génératrice de l'insuffisance spermatique, c'est-à-dire que, par l'ICSI, la stérilité peut devenir héréditaire.

Dans son rapport, M. Alain Claeys relate également le constat d'une plus grande fréquence, chez les enfants issus de l'ICSI, de certaines anomalies chromosomiques, et la probabilité, par cette pratique, d'interruptions de grossesse plus fréquentes.

Une meilleure évaluation s'impose et le suivi médical des enfants nés par ICSI devra être organisé. Lors des entretiens préalables à l'AMP, le couple devra être informé des conséquences éventuelles du choix qui lui est proposé.

3. Le problème du remboursement par la sécurité sociale

La sécurité sociale procède au remboursement des activités d'AMP, à partir de la cotation des actes dans la nomenclature des actes médicaux et de biologie médicale.

Les conditions de cette prise en charge ont été précisées par deux arrêtés du 25 janvier 2000 limitant le nombre d'actes à une insémination par cycle pendant six cycles et à quatre tentatives pour la fécondation in vitro.

Les actes, après entente préalable, sont pris en charge jusqu'au 43ème anniversaire de la femme.

Depuis, une décision du Conseil d'Etat du 27 novembre 2000 a annulé ces arrêtés, au motif que des arrêtés de cette nature ne pouvait porter atteinte au principe du remboursement des actes médicaux et de l'égalité des assurés.

Fort coûteuse au demeurant (16), cette prise en charge, qui suscite l'envie de nos voisins britanniques, a certes favorisé dans notre pays un développement très performant des techniques médicales et permis à de nombreuses femmes d'accéder à la maternité. Cependant, elle risque aussi de favoriser un acharnement dans le recours aux pratiques d'AMP, que votre rapporteure estime, d'une part, compréhensible, étant donné la motivation passionnelle des couples dans leur désir d'enfant, mais, d'autre part, dangereuse pour la santé physique et psychique des femmes et des couples, étant donné leur faible taux de succès actuel.

La question se pose, non pas de limiter l'accès à l'AMP, mais de limiter raisonnablement le remboursement du nombre des tentatives.

B. UNE NOUVELLE AGENCE DE LA PROCRÉATION, DE L'EMBRYOLOGIE ET DE LA GÉNÉTIQUE HUMAINES

Un consensus s'est dégagé sur la nécessité d'un meilleur encadrement des activités et techniques médicales de l'AMP, afin d'apporter aux femmes, aux couples les garanties indispensables. En effet, la Commission nationale de médecine et de biologie de la reproduction et du diagnostic prénatal (CNMBRD), qui existe depuis 1988, faute de moyens spécifiques, et ne disposant d'aucun pouvoir de contrôle direct, n'a pas fait la preuve d'une grande efficacité.

Aussi est-il proposé de créer une nouvelle Agence de la procréation, de l'embryologie et de la génétique humaines, établissement public de l'Etat, placé sous la tutelle des deux ministres de la santé et de la recherche, dotée de moyens financiers et de personnels qui lui seraient propres, contractuels ou mis à disposition.

L'Agence, selon le projet de loi, a pour missions :

"- de contribuer à l'élaboration des règles, au suivi et à l'évaluation des activités de diagnostic, de soins et de recherche dans les domaines de l'assistance médicale à la procréation, du diagnostic prénatal, du diagnostic biologique effectué à partir de cellules prélevées sur l'embryon in vitro, ainsi qu'à la promotion de la qualité des pratiques qui s'y rapportent : elle participe également à l'élaboration des règles, au suivi et à l'évaluation des activités médicales et scientifiques dans le domaine de la génétique humaine ;

- d'évaluer les protocoles de recherche sur l'embryon in vitro ou les cellules embryonnaires et f_tales et les techniques d'assistance médicale à la procréation au regard des lois et règlements applicables en la matière et d'assurer le suivi des recherches autorisées ; elle peut également être consultée sur tout protocole de recherche relevant de ses domaines de compétence ;

- d'assurer une veille sur le développement des connaissances et des techniques et de proposer au Gouvernement les orientations et les mesures qu'elles appellent, dans le respect des droits de la personne et des principes éthiques."

L'Agence dispose d'un Haut conseil dont le rôle sera :

- de rendre des avis publics sur les demandes d'autorisation de protocoles concernant les cellules souches embryonnaires, les techniques innovantes et la recherche sur l'embryon ;

- de définir l'orientation de l'Agence ;

- d'établir des relations privilégiées avec le Comité consultatif national d'éthique.

En ce qui concerne la composition du Haut Conseil, l'exposé des motifs du projet de loi précise qu'il est composé de membres dont les modalités de désignation garantissent la pluridisciplinarité et le bon équilibre entre le milieu scientifique et médical, le milieu des sciences humaines et la société civile.

Votre rapporteure estime que la composition du Haut Conseil, telle que détaillée dans le projet de loi, n'est pas satisfaisante.

Le modèle retenu de désignation des personnalités du Conseil constitutionnel n'est pas adapté à cette institution, tandis que la part faite aux représentants d'associations est insuffisante.

La composition de l'autorité britannique, la HFEA (17), exposée par le Docteur Françoise Shenfield, membre de cette autorité, lors du colloque "Femmes et bioéthique", tout à fait originale pour nos critères français, devrait servir d'exemple : "La HFEA est composée de vingt-et-un membres nommés par le ministre. La parité entre hommes et femmes est respectée. Ces personnes sont choisies en fonction de leur expertise scientifique ou de leur expérience personnelle des problèmes de stérilité. La loi prévoit que la moitié des membres, ainsi que le président et le vice-président de la HFEA ne doivent être ni médecins, ni spécialistes de l'assistance médicale à la procréation. Cette instance est censée représenter la société britannique".

La composition du Haut Conseil, à l'image de l'autorité britannique, devrait respecter la parité entre hommes et femmes, et faire une large place aux représentants de la société civile, notamment aux associations de défense des droits de l'homme et de défense des droits des femmes. Ainsi serait garanti un débat démocratique sur des choix fondamentaux de société.

TRAVAUX DE LA DÉLÉGATION

La Délégation aux droits des femmes s'est réunie, le mardi 8 janvier 2002, sous la présidence de Mme Martine Lignières-Cassou, pour examiner le présent rapport d'information.

La rapporteure a indiqué que la Délégation aux droits des femmes s'était limitée à l'examen des dispositions relatives à l'assistance médicale à la procréation, sur lesquelles il est important que soit entendue la voix des femmes. En effet, l'AMP ne peut se développer sans une participation étroite des femmes, qui doivent subir des traitements très lourds : stimulation ovarienne, prélèvement d'ovocytes, anesthésie, transfert d'embryons après fécondation in vitro...

La rapporteure a ensuite présenté dix propositions de recommandations, regroupées par thèmes, qui ont donné lieu à un débat au sein de la Délégation.

Une exigence d'information et un meilleur accompagnement

_ La première recommandation vise à ce qu'une information claire et complète soit dispensée par l'équipe médicale pluridisciplinaire aux couples sur le processus de l'AMP, sur les techniques proposées, sur les réussites et les échecs, mais aussi sur les effets secondaires indésirables des traitements, les risques de complications encourus, la difficulté et les contraintes du parcours engagé. L'information devra être assurée tout au long de la démarche d'AMP.

Selon la rapporteure, le couple doit être bien informé de toutes les implications du parcours de l'AMP, notamment dans la vie personnelle et professionnelle.

En réponse à Mme Marie-Thérèse Boisseau qui a estimé cette proposition superflue, compte tenu des dispositions figurant déjà dans le projet de loi, Mme Martine Lignières-Cassou, présidente, a indiqué que les femmes entendues par la Délégation se sont toutes plaintes d'un manque d'informations dans la pratique et que rappeler cette exigence d'information lui semblait nécessaire.

Mme Marie-Thérèse Boisseau s'est abstenue lors du vote de cette recommandation.

_ La deuxième recommandation s'attache à valoriser la dimension psychologique dans le recours à l'AMP, insuffisamment prise en compte aujourd'hui, en prévoyant un entretien psychologique, proposé à tous les couples, préalablement à la mise en _uvre de l'AMP, et pris en charge par la sécurité sociale.

La rapporteure, estimant que les équipes médicales ont naturellement tendance à encourager les couples dans leur désir d'enfant et leur démarche d'AMP, a souligné l'importance de la prise en compte de la dimension psychologique.

Mme Marie-Thérèse Boisseau, favorable à cette proposition, a toutefois souhaité la compléter, de façon à ce que l'entretien psychologique puisse être proposé, non seulement préalablement, mais aussi postérieurement à la démarche d'AMP, son échec étant une dure épreuve pour les couples.

Pour Mme Martine Lignières-Cassou, présidente, il faudrait pouvoir dépasser la seule approche psychologique, car les questions abordées à travers l'AMP, qui renvoient au mystère de la vie, sont également d'ordre philosophique et religieux.

La recommandation, ainsi modifiée, a été adoptée par la Délégation.

Un souci de transparence

_ La troisième recommandation préconise la transparence dans la publication des résultats des centres d'AMP, qui devrait faire apparaître notamment les caractéristiques des centres, les pathologies traitées, les taux de réussite et d'échec, en particulier la proportion d'enfants nés vivants. Une harmonisation de la publication de ces résultats devrait se faire sous l'égide de la FIVNAT et de la nouvelle Agence de la procréation, de l'embryologie et de la génétique humaines.

La rapporteure a souhaité que les statistiques publiées par les centres portent sur les résultats effectifs, c'est-à-dire sur le nombre d'enfants nés vivants et en bonne santé, et pas seulement sur le nombre de grossesses engagées.

Mme Marie-Thérèse Boisseau s'est abstenue sur cette proposition.

Un accès moins rigoureux à l'AMP

_ La quatrième recommandation concerne l'exigence de vie commune d'une durée d'au moins deux ans pour les concubins souhaitant accéder à l'AMP. Cette exigence pourrait être supprimée, sachant que les couples demandent de plus en plus tardivement à accéder à l'AMP et que la preuve à apporter de communauté de vie semble difficile à établir, comme à contrôler.

Mme Marie-Thérèse Boisseau a estimé qu'il convenait de maintenir une exigence de stabilité du couple non marié, nécessaire pour prendre la décision, puis affronter l'épreuve de l'AMP.

Pour M. Patrick Delnatte, compte tenu de la difficulté du parcours de l'AMP, cette durée de deux années, nécessaire à la préparation psychologique de l'AMP, n'est pas excessive.

Mme Marie-Thérèse Boisseau et M. Patrick Delnatte se sont abstenus sur cette recommandation.

_ La cinquième recommandation vise à supprimer l'interdiction du transfert d'embryon post-mortem établie par la loi de 1994, et propose de ne pas légiférer sur des cas rares et trop spécifiques, auxquels aucune règle préalable concernant les délais de deuil ne pourra véritablement répondre. Il appartiendra à l'Agence de la procréation, de l'embryologie et de la génétique humaines, saisie, de décider cas par cas.

La rapporteure, évoquant l'affaire "Pires" dans laquelle la Cour de cassation avait refusé l'implantation posthume d'un embryon au motif que le père était décédé, a estimé que la mère avait des droits sur cet embryon. Au demeurant, le Conseil consultatif national d'éthique s'est prononcé en faveur du transfert post-mortem d'embryon, lorsque l'AMP a déjà été engagée par le couple.

Mme Marie-Thérèse Boisseau, opposée au transfert d'embryons post-mortem, a cependant convenu que, si ces cas sont vraiment rares - un seul en vingt ans, semble-t-il -, il est en effet inutile de légiférer et il convient de remettre la décision au libre arbitre de l'intéressée et de l'équipe médicale.

M. Patrick Delnatte s'est prononcé pour le maintien de l'interdiction du transfert post-mortem de l'embryon dans l'intérêt de l'enfant et souligné que, selon les termes du projet de loi, "la dissolution du couple fait obstacle à l'insémination ou au transfert des embryons". Il a exprimé sa réserve sur la proposition de ne pas légiférer.

Mme Muguette Jacquaint, allant dans le sens de la rapporteure, a estimé, compte tenu de la rareté des cas cités, qu'il n'était pas nécessaire de légiférer.

En revanche, Mme Martine Lignières-Cassou, présidente, s'est montrée réservée sur la proposition de ne pas légiférer.

Une meilleure sécurité sanitaire

_ La sixième recommandation aborde le problème des traitements de stimulation ovarienne prescrits par les médecins en dehors des centres d'AMP et propose qu'ils fassent l'objet d'un encadrement plus rigoureux.

_ La septième recommandation traite de la technique de l'ICSI, dont le succès rapide soulève des inquiétudes quant au devenir des enfants nés grâce à cette méthode, et qui n'a pas encore fait l'objet d'une étude scientifique approfondie. Etant donné les progrès rapides de la médecine, une évaluation et une surveillance des nouvelles activités et techniques de l'AMP, et notamment de l'ICSI, devront fait l'objet des missions de la future Agence de la procréation, de l'embryologie et de la génétique humaines.

La rapporteure s'est interrogée sur l'utilisation de cette méthode qui implique un traitement lourd pour la femme et présente des dangers potentiels non négligeables. Le CCNE recommandait en 1994 la plus grande vigilance vis-à-vis de cette pratique, qui nécessiterait des recherches approfondies et un suivi des enfants. La future Agence de la procréation, de l'embryologie et de la génétique humaines devra avoir un regard particulièrement attentif à ce sujet.

Mme Marie-Thérèse Boisseau a estimé que l'on n'avait pas encore de recul suffisant pour évaluer l'ICSI. Il faudra attendre que les enfants nés par cette technique soient devenus adultes pour mener l'étude approfondie, qu'elle juge nécessaire.

Pour Mme Martine Lignières-Cassou, présidente, cette méthode, encore peu pratiquée en 1994, n'a pas encore fait l'objet d'une expérimentation complète. Mais, à l'avenir, il faudra veiller à ce qu'on ne puisse engager de nouvelles méthodes d'AMP sans une évaluation approfondie.

Après avoir estimé qu'en tout état de cause, cette recommandation n'était pas vraiment nécessaire, puisque le projet de loi prévoit l'évaluation, le suivi et le contrôle des recherches, Mme Marie-Thérèse Boisseau a voté contre cette proposition.

M. Patrick Delnatte n'a pas pris part au vote.

_ La huitième proposition prévoit de limiter à quatre la prise en charge par la sécurité sociale des tentatives de FIV, étant donné la lourdeur pour les femmes des traitements de l'AMP, et tant que les techniques d'AMP ne seront pas affinées et améliorées, - et aussi afin d'éviter la tentation d'un acharnement dans le recours à ces pratiques -.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente, s'est montrée défavorable à l'inscription dans la loi d'une limitation des prises en charge par la sécurité sociale. Elle a rappelé que, dans la pratique, les protocoles des centres prévoient en général le remboursement de quatre tentatives de FIV et qu'au-delà, l'agrément préalable de la sécurité sociale est nécessaire.

Mme Marie-Thérèse Boisseau a voté contre cette recommandation et M. Patrick Delnatte s'est abstenu.

Une plus grande ouverture des possibilités de l'AMP avec tiers donneur

_ La neuvième recommandation propose plusieurs orientations qui devraient permettre de remédier à la pénurie d'ovocytes :

- élargir la qualité de donneuse aux personnes veuves, divorcées ou célibataires ayant déjà procréé ;

- mieux accueillir et informer les donneuses des implications de leur démarche ;

- veiller à ce que le principe de gratuité soit effectivement respecté à l'occasion des frais engagés par le don d'ovocytes ;

- sans remettre en cause l'anonymat des donneuses, veiller à ce que celles-ci donnent un consentement libre et éclairé et qu'elles ne subissent pas de pressions d'ordre économique ;

- revenir sur la politique de congélation systématique des embryons issus du don d'ovocytes, qui diminue considérablement les chances de succès, en révisant le décret du 12 novembre 1996 ;

- mettre en place une politique plus efficace d'information et de sensibilisation sur le don de gamètes, en particulier d'ovocytes.

La rapporteure a évoqué le problème de la pénurie de donneuses d'ovocytes et a souligné sa spécificité, non reconnue par la loi, liée notamment à la lourdeur du traitement nécessaire. En revanche, le don de sperme est une opération facile et les banques de sperme existent déjà depuis longtemps, ce qui entraîne une moindre pénurie.

La rapporteure s'est interrogée sur la pratique de certains centres qui demandent aux couples demandeurs de présenter une donneuse, ce qui ne manque pas d'entraîner des risques de pressions, notamment économiques. Elle a souhaité que le don d'ovocytes soit mieux encadré, plus ouvert - notamment aux personnes veuves, divorcées, célibataires - et effectivement gratuit et anonyme. Un suivi de la donneuse serait souhaitable, afin de prendre en charge médicalement et financièrement les effets secondaires du traitement.

A Mme Marie-Thérèse Boisseau, qui s'interrogeait sur les effets de la congélation des embryons issus du don d'ovocytes, Mme Martine Lignières-Cassou, présidente, a rappelé que les règles de sécurité sanitaire, imposant la mise en quarantaine de ces embryons par congélation, réduisent les chances de grossesse, ces embryons résistant mal à la mise en _uvre de cette technique.

Mme Muguette Jacquaint a souhaité que le principe de gratuité soit effectivement assuré vis-à-vis des donneuses et s'est interrogée sur le respect du principe de l'anonymat ; elle s'est déclarée favorable à l'affirmation du consentement libre et éclairé des donneuses, même si cela lui a semblé relever de v_ux pieux.

_ La dixième recommandation concerne la composition du Haut conseil de l'Agence de la procréation, de l'embryologie et de la génétique humaines qui, à l'image de la HFEA britannique, devra faire une large place aux représentants de la société civile et respecter la parité entre hommes et femmes.

La rapporteure a estimé que la composition du Haut conseil proposé par le projet de loi n'est pas satisfaisante. Le modèle de désignation des personnalités du Conseil constitutionnel n'est pas adapté à cette institution. L'Agence britannique (HFEA), composée pour moitié de représentants de la société civile non-médecins, et respectant la parité entre hommes et femmes, pourrait servir d'exemple.

Mme Marie-Thérèse Boisseau a exprimé son accord à la création d'une Agence de la procréation sur le modèle britannique, et suggéré une formule de représentation par tiers : médecins et spécialistes, représentants de l'Etat, représentants de la société civile.

Mme Muguette Jacquaint, en accord avec le souci d'une composition démocratique du Haut conseil, s'est exprimée dans le même sens.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente, a remarqué que ces questions, aux mains des experts, souffrent trop souvent d'un déficit de débat démocratique. L'Agence britannique est une référence exemplaire. Une composition paritaire - hommes-femmes ; médecins-non-médecins - ou par tiers ne peut que favoriser le débat démocratique et la prise de décision politique.

En réponse à M. Patrick Delnatte s'étonnant que la Délégation n'ait pas pris position sur le problème de la recherche sur l'embryon, la rapporteure a rappelé que la Délégation avait été saisie plus particulièrement des dispositions concernant l'AMP.

La Délégation, tenant compte des observations faites, des réserves exprimées et de la modification acceptée, a adopté l'ensemble des recommandations.

RECOMMANDATIONS ADOPTÉES

PAR LA DÉLÉGATION

Une exigence d'information et un meilleur accompagnement

1. L'équipe médicale pluridisciplinaire du centre d'AMP devra offrir aux femmes et aux couples une information complète sur le processus de l'AMP, sur les techniques proposées, sur les réussites et les échecs, mais aussi les avertir des effets secondaires indésirables des traitements, des risques de complications encourus, de la difficulté et des contraintes du parcours engagé. L'information devra être assurée tout au long de la démarche d'AMP.

2. La dimension psychologique dans le recours à l'AMP doit être mieux prise en compte. A cet effet, un entretien psychologique avec un membre qualifié de l'équipe médicale pluridisciplinaire devrait être proposé au couple, préalablement et postérieurement à la mise en _uvre de l'AMP, et pris en charge par la sécurité sociale.

Un souci de transparence

3. Les résultats des centres d'AMP devraient faire l'objet d'une grande transparence, faisant apparaître notamment les caractéristiques des centres, les pathologies traitées, les taux de réussite et d'échec, en particulier la proportion d'enfants nés vivants. Une harmonisation de la publication de ces résultats devrait se faire sous l'égide de la FIVNAT et de la nouvelle Agence de la procréation, de l'embryologie et de la génétique humaines.

Un accès moins rigoureux à l'AMP

4. L'exigence de vie commune d'une durée d'au moins deux ans pour les couples non mariés demanderait à être revue, voire supprimée, sachant que les couples demandent de plus en plus tardivement à accéder à l'AMP et que la preuve à apporter de communauté de vie semble difficile à établir, comme à contrôler.

5. Il faudrait revenir sur l'interdiction du transfert d'embryon post-mortem établie par la loi de 1994, ne pas légiférer sur des cas rares et trop spécifiques auxquels aucune règle préalable concernant les délais de deuil ne pourra véritablement répondre. Il appartiendra à l'Agence de la procréation, de l'embryologie et de la génétique humaines, saisie, de décider cas par cas.

Une meilleure sécurité sanitaire

6. Certaines techniques de l'AMP, comme la stimulation de l'ovulation, peuvent avoir des conséquences graves pour la femme, comme pour l'enfant à naître. Contrôlés dans le cadre des centres d'AMP, les traitements de stimulation ovarienne prescrits par les médecins, en dehors de ces centres, devraient faire l'objet d'un encadrement plus rigoureux.

7. Le succès rapide de l'ICSI soulève des inquiétudes quant au devenir des enfants nés grâce à cette méthode, qui n'a pas encore fait l'objet d'une étude scientifique approfondie. Etant donné les progrès rapides de la médecine, une évaluation et une surveillance des nouvelles activités et techniques de l'AMP devra fait l'objet des missions de la future Agence de la procréation, de l'embryologie et de la génétique humaines.

8. Etant donné la lourdeur pour les femmes des traitements de l'AMP, et tant que les techniques d'AMP ne seront pas affinées et améliorées, - et aussi afin d'éviter la tentation d'un acharnement dans le recours à ces pratiques -, la prise en charge par la sécurité sociale devrait être limitée à quatre tentatives de FIV.

Une plus grande ouverture des possibilités de l'AMP avec tiers donneur

9. Afin de favoriser le don d'ovocytes, plusieurs orientations devraient être suivies :

- élargir la qualité de donneuse aux personnes veuves, divorcées ou célibataires ayant déjà procréé ;

- mieux accueillir et informer les donneuses des implications de leur démarche ;

- veiller à ce que le principe de gratuité soit effectivement respecté à l'occasion des frais engagés par le don d'ovocytes ;

- sans remettre en cause l'anonymat des donneuses, veiller à ce que celles-ci donnent un consentement libre et éclairé et qu'elles ne subissent pas de pressions d'ordre économique ;

- revenir sur la politique de congélation systématique des embryons issus du don d'ovocytes, qui diminue considérablement les chances de succès, en révisant le décret du 12 novembre 1996 ;

- mettre en place une politique plus efficace d'information et de sensibilisation sur le don de gamètes, en particulier d'ovocytes.

Une composition démocratique du Haut Conseil de l'Agence de la procréation, de l'embryologie et de la génétique humaines

10. A l'image de la HFEA britannique, le Haut Conseil de l'Agence de la procréation, de l'embryologie et de la génétique humaines devra faire une large place aux représentants de la société civile et respecter la parité entre hommes et femmes.

ANNEXE

LISTES DES PERSONNALITÉS ENTENDUES
ET COMPTES RENDUS
DES AUDITIONS DE LA DÉLÉGATION

Personnalités auditionnées par la Délégation

   

Pages

4 décembre

- Mme Geneviève Fraisse, députée au Parlement européen

41

18 décembre

- Mme Brigitte-Fanny Cohen, journaliste à France 2

49

 

- Mme Françoise Héritier, professeur honoraire au Collège de France

61

 

- Mmes Madeleine Dayan-Lintzer, gynécologue, et Sylvie Epelboin, gynécologue-obstétricienne à l'hôpital Saint-Vincent de Paul

69

Personnalités entendues lors du colloque organisé
par la Délégation le 5 avril 2001
(*)

- M. Bernard Kouchner, ministre délégué à la santé

- Professeur Claude Sureau, président honoraire de l'Académie nationale de médecine

- Mme Yvonne Knibiehler, historienne, professeur émérite à l'Université de Provence

- Mme Chantal Ramogida, présidente de l'association « Pauline et Adrien »

- Mme Simone Bateman-Novaes, sociologue au Centre de recherche Sens, Ethique, Société (IRESCO-CNRS)

- Professeur René Frydman, chef du service de gynécologie-obstétrique à l'hôpital Antoine-Béclère de Clamart, conseiller technique auprès du ministre de la recherche

- Mme Patricia Barbazanges, avocate, candidate à l'AMP

- Professeur Pierre Jouannet, directeur du laboratoire de biologie de la reproduction de l'hôpital Cochin, président de la Fédération française des CECOS

- Mme Brigitte Feuillet-Le Mintier, directeur du Centre de recherche juridique de l'Ouest (CRJO-IODE, UMR-CNRS)

- Docteur Marie-Odile Alnot, médecin en biologie de la reproduction et responsable CECOS à l'hôpital Necker-Enfants malades

- Professeur Arnold Munnich, chef de service de génétique médicale à l'hôpital Necker-Enfants malades et directeur de l'unité U 393 de l'INSERM

- Docteur Hélène Letur-Könirsch, praticien hospitalier en médecine de la reproduction et gynécologie médicale à l'hôpital Necker-Enfants malades, co-présidente du GEDO (Groupe d'études sur les dons d'ovocytes

- Professeur Jacques Salat-Baroux, ancien chef du service de gynécologie-obstétrique de l'hôpital Tenon

- Docteur Françoise Shenfield, médecin des hôpitaux, membre de la HFEA (Human Fertilisation and Embryology Authority)

(*) Ces auditions sont parues dans la série des documents d'information de l'Assemblée nationale (DIAN 22/2001) sous le titre : Colloque - Femmes et bioéthique : L'assistance médicale à la procréation - L'AMP en question"

Audition de Mme Geneviève Fraisse,

députée au Parlement européen

Réunion du mardi 4 décembre 2001

Présidence de Mme Martine Lignières-Cassou

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Nous avons le plaisir d'accueillir aujourd'hui Mme Geneviève Fraisse, députée au Parlement européen, qu'il n'est pas vraiment nécessaire de présenter, tant ses recherches ont ponctué nos parcours de femmes et d'élues et sont maintenant au c_ur des préoccupations de la Délégation aux droits des femmes.

Philosophe, historienne, directrice de recherche au CNRS, vous menez depuis plus de vingt ans une réflexion sur la différence des sexes dans l'histoire et la société et sur les stratégies d'émancipation des femmes, depuis un premier essai "Femmes toutes mains - essai sur le service domestique", à "La controverse des sexes", en passant par "l'Habeas corpus des femmes, une double révolution", et de nombreux ouvrages sur la parité en politique, la signification de l'égalité économique, la parité dans la famille.

Actuellement, députée européenne, après avoir été déléguée interministérielle aux droits des femmes, vous offrez une rare conjonction de la femme philosophe et de la femme engagée en politique, affrontée elle-même très concrètement aux nouveaux défis de la parité, et à de nouveaux enjeux, cette fois d'ordre éthique, liés au progrès de la recherche et de la science, qui menacent la protection des droits de la personne et particulièrement de la femme.

Très active au Parlement européen, où vous intervenez sur les sujets les plus divers, vous avez travaillé entre autres sur la lutte contre le tourisme sexuel, les normes communes en matière de procédure d'asile, la lutte contre la traite des femmes et la participation des femmes au règlement des conflits. Vous vous êtes également impliquée récemment dans les travaux de la commission temporaire sur la génétique humaine et les autres technologies nouvelles de la médecine moderne du Parlement européen. Vous rejoignez ainsi les travaux de notre Délégation qui, si elle en est saisie par la commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la bioéthique, sera amenée à se prononcer sur les dispositions de ce texte concernant les femmes, et qui ont trait à l'embryologie et à la procréation, en particulier l'assistance médicale à la procréation.

Du colloque que la Délégation avait organisé l'an dernier : "Femmes et bioéthique, l'AMP en question", il ressort que la liberté des femmes et la conquête de la maîtrise de leur corps, durement acquise au cours de ces trente dernières années, se trouve confrontée aujourd'hui, dans un désir légitime de maternité, aux réponses d'une science médicale toute puissante et qui apparaît difficilement contrôlable.

Les travaux que vous avez menés sur ces sujets au sein de la commission temporaire sur la génétique humaine du Parlement européen nous intéressent au plus haut point. Nous souhaiterions que vous nous exposiez les points les plus controversés du rapport de M. Francesco Fiori, les raisons du rejet de ses conclusions en séance plénière et, d'une façon générale, vos réflexions en tant que philosophe, mais aussi femme politique, sur ce sujet.

Mme Geneviève Fraisse : J'ai peu à affirmer et beaucoup à témoigner, puisque le vote sur le rapport de M. Francesco Fiori s'est terminé par un beau fiasco jeudi dernier en séance plénière. J'ai presque été soulagée par ce vote, car j'avais le sentiment que l'on n'était pas parvenu à discuter sereinement de cette question au sein de la commission. Ce fiasco est un symptôme de l'incapacité des politiques à trancher sur la bonne et la mauvaise recherche aujourd'hui. Les chercheurs n'y arrivant pas eux-mêmes, il aurait été étonnant que, nous, les politiques puissions y arriver.

J'ai été très heureuse de participer à cette commission, créée le 13 décembre 2000, au lendemain de la décision britannique d'autoriser le clonage thérapeutique. C'était une commission temporaire d'enquête pour un an, qui était chargée de formuler des recommandations concernant la génétique humaine et les technologies nouvelles de la médecine moderne. Elle a auditionné de très nombreux experts de tous les pays pendant toute l'année, ce qui était tout à fait passionnant.

Suite à la décision britannique d'autoriser le clonage thérapeutique, le Parlement européen avait voté, en juillet 2000, une résolution portant sur le clonage humain. Pour ma part, lors du vote de cette résolution, j'ai eu beaucoup de réticence sur les questions de clonage thérapeutique, mais mon opinion sur le sujet a été de plus en plus ouverte, au fur et à mesure que j'ai suivi les travaux de la commission d'enquête.

Deux semaines avant le vote de cette résolution, nous nous étions prononcé sur le sixième programme-cadre de recherche. Un amendement à ce sixième programme-cadre, dont le rapporteur était M. Gérard Caudron (parti socialiste français), a autorisé le financement communautaire des travaux portant sur des cellules souche adultes ou des cellules adultes reprogrammées, des lignées de cellules souche déjà disponibles dans les laboratoires de recherche et des cellules souche d'embryons ou de f_tus, issues d'avortements naturels ou d'interruptions de grossesse. Les travaux portant sur des embryons humains âgés de moins de deux semaines (embryons produits dans le contexte d'une FIV) pouvaient également bénéficier d'un financement, s'ils étaient autorisés par les lois de l'Etat membre où ils étaient effectués.

Ont été exclus du financement communautaire : le clonage humain reproductif, la production d'embryons humains à des fins de recherche, notamment les transferts de noyaux cellulaires, et les modifications du patrimoine génétique, dès lors que celles-ci pourraient prendre un caractère héréditaire.

Sur le rapport de M. Francesco Fiori, j'ai plusieurs commentaires à faire.

En premier lieu, il a été assez mal formulé, ce qui fait que l'on a repoussé le vote dans le temps pour rechercher de nouveaux compromis.

Par ailleurs, les clivages - nationaux et non pas politiques - étaient très clairs. D'un côté, les Britanniques et les Italiens étaient plutôt partisans de la recherche, et, de l'autre, les Allemands ne supportaient pas l'idée de toucher à la matière vivante. Cela m'a beaucoup impressionnée intellectuellement. Les Allemands ont vraiment dépensé une énergie considérable pour empêcher la possibilité de toute recherche en matière de clonage thérapeutique et de toute recherche relative à l'embryon.

En ce qui concerne les droits des femmes, la bataille était assez complexe. L'idée de ce que l'on appelle une sanctuarisation de l'embryon était défendue par ceux qui cherchent à remettre en cause l'avortement. C'était notamment le cas d'une députée irlandaise, le combat anti-avortement étant mené par l'Irlande.

Aussi, des amendements, tels que ceux-ci ont-ils été rejetés en séance plénière : "le droit à la vie de chaque être humain dès sa conception impose aux médecins, aux chercheurs de respecter la vie et l'intégrité de chaque personne" ; "la demande de création d'embryons humains ne doit être autorisée que pour provoquer une grossesse". A propos des embryons surnuméraires - lors du débat sur le sixième programme-cadre de recherche - un amendement, qui a été rejeté, se proposait d'ajouter : "IVG pratiquée pour sauvegarder la santé de la mère", ce qui est la position de certaines lois des pays ibériques. Cependant, quand j'ai soulevé la question de l'avortement, il y a toujours eu quelqu'un pour dire que ce n'était pas le sujet.

J'ai essayé également de faire passer l'idée que, si l'on faisait du clonage thérapeutique, cela impliquait la mise en jeu du corps des femmes.

J'avais fait voter en commission le considérant suivant : "Considérant que les conditions de production et d'obtention des cellules souches mettent particulièrement en jeu l'intégrité du corps de la femme, lors du recours au clonage thérapeutique et aux embryons surnuméraires." Il soulignait combien les femmes sont mises à contribution, en cas de clonage, pour la production d'ovocytes.

Dans une ultime réunion de la commission, où je n'ai pu me rendre, les différents coordinateurs ont toiletté l'ensemble du texte et ont supprimé cet amendement. Présenté à nouveau en séance plénière, il a été rejeté. Ce problème n'était absolument pas dominant.

Un autre article, supprimé en séance plénière, précisait que le Parlement européen : "confirme sa position selon laquelle, d'un point de vue éthique, le clonage dit thérapeutique est également problématique, parce qu'il implique la mise à disposition d'un grand nombre d'ovules humains, ce qui peut entraîner une exploitation du corps humain en fonction du sexe associée à des risques importants pour les femmes et implique la création d'embryons humains uniquement à des fins de recherche."

La question des femmes s'est donc trouvée piégée entre les pro- et les anti-clonages thérapeutiques.

Je défendais une position intermédiaire, celle de dire : je n'ai pas une position tranchée sur le clonage thérapeutique, parce qu'il y a des choses qu'on ne sait pas et qu'il ne faut pas trancher à la place des chercheurs. Mais, si l'on autorise le clonage thérapeutique, alors j'attire votre attention sur tel et tel points importants. Ce n'était pas du tout une position représentative. D'un côté, un député italien, Gianfranco Dell'alba, voulait tout autoriser, de l'autre, les Allemands ne voulaient pas que l'on touche à un seul cheveu de la moindre cellule, en raison de la sensibilité particulière de ce sujet en Allemagne. C'est pour cette raison que, de septembre à novembre, ce sujet est devenu une querelle militante.

J'ai cherché à faire passer d'autres idées, par exemple, celle de la criminalisation du clonage reproductif. Elle a été adoptée en séance plénière, mais cela n'intéressait pas grand monde de passer de l'interdiction à la pénalisation, tous les débats se cristallisant sur la matière vivante et la matière humaine.

Nous étions deux députées, une députée allemande, Evelyne Gebhardt (PS) et moi, peut-être aussi un peu la députée allemande Hiltrud Breyer (Verte), à poser la question des femmes. Mais un député comme Peter Liese (PPE), l'un des plus actifs dans le rejet absolu du clonage thérapeutique, m'a sollicité pour soutenir sa position en tant que féministe, parce qu'en Allemagne, les féministes ont cette position. Il me trouvait donc une féministe un peu bizarre.

Sur la question de la brevetabilité du vivant, le Gouvernement français a refusé de transcrire l'article 5 de la directive de 1998, qui est l'article litigieux. Mais nous avons déjà voté en séance plénière une demande de modification de cette directive. De plus, à la fin du débat en séance plénière, le commissaire chargé de la recherche, Philippe Busquin, a annoncé que la Commission européenne allait modifier ou revoir la directive de 1998, parce que l'état de la recherche en 1998 n'était pas l'état de la recherche en 2001. Toutefois, la commission temporaire génétique a refusé la révision de la directive que j'avais proposée par amendements. De ce point de vue-là, la commission était plutôt en retrait par rapport à la Commission européenne.

Certains amendements britanniques ont porté sur la gratuité et sur le consentement du don d'ovocytes. Il y a même eu en séance plénière un amendement britannique visant à autoriser le commerce d'ovocytes.

Pour moi, les questions les plus intéressantes n'ont pas trait à la question des femmes, mais à la protection contre les discriminations face aux assurances et à l'emploi. Nous avions reçu beaucoup d'experts sur ces questions-là et avions préparé beaucoup d'amendements.

Des débats ont également eu lieu sur l'adoption des embryons surnuméraires, sur la non-fabrication d'embryons surnuméraires, c'est-à-dire sur le fait de ne pas en produire plus que le nombre nécessaire. En Allemagne, on en produit moins qu'en France. Considérant que les travaux devraient plutôt porter sur les cellules souches adultes, la commission n'a pas voulu entrer dans un débat sur les cellules souches embryonnaires.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Il n'y a donc pas eu de véritable débat politique, mais plutôt un débat idéologique, partant de convictions philosophiques ou religieuses liées au passé des uns ou des autres.

Mme Geneviève Fraisse : Sur d'autres sujets, les clivages nationaux sont plutôt un apport positif dans la discussion, comme par exemple, à la commission sur la culture, lors de débats sur le patrimoine, entre les Grecs et les Italiens. Sur la bioéthique, les positions étaient vraiment militantes.

Pendant huit mois, il y a eu des auditions d'experts. Ensuite, le débat s'est cristallisé. Au moment du vote en commission, il y a eu dix-huit voix pour le rapport Fiori, quinze contre et deux ou trois abstentions.

En séance plénière, il y a eu plus de 200 amendements, plutôt dans le sens de l'amendement de Gérard Caudron, dont je parlais précédemment, qui autorise certains financements communautaires et en exclut d'autres, ce qui laisse aux Etats membres la possibilité de soutenir, dans certains cas, des financements communautaires.

Lors du vote de la semaine dernière, en séance plénière, sur le rapport Fiori, le PPE ne voulait plus voter le texte et les socialistes n'ont pas voulu le voter non plus. Le sentiment qui a dominé, c'est que les députés ne savaient même plus ce qu'ils avaient voté. Je me suis abstenue.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Le rapport a été rejeté ?

Mme Geneviève Fraisse : Oui, il n'y a pas de rapport. Nous nous sommes réunis pendant un an et nous n'avons rien produit.

Pour ma part, j'en étais presque soulagée, car le débat avait été très militant et très idéologique. J'avais eu du mal à prendre une position. Une fois prise, je l'avais tenue et expliquée plusieurs fois. Comme il y avait des votes contradictoires dans tous les groupes, j'avais tenu pédagogiquement à dire exactement quelle position j'avais choisie, pourquoi et comment j'avais avancé. Au total, j'avais une position médiane, c'est-à-dire que je ne fermais pas complètement les recherches.

Un jour, un député belge, juriste, a pris la parole et a dit : "On se croirait dans un concile du VIème siècle, et, pendant ce temps-là, elle tourne." Effectivement. Il y a un moment où l'on ne peut pas parler à la place des chercheurs. Or, les chercheurs sont eux-mêmes dans une position difficile en ce moment sur la question de la reproduction. Donc, je m'en suis tenu à la pénalisation du clonage reproductif, à la mise en place de garde-fous pour le clonage thérapeutique, à des interrogations sur la définition du mot clonage, à la remise en cause de la directive sur la brevetabilité du vivant de 1998, qui n'est plus adaptée à la situation actuelle. Comme les personnes opposées au clonage thérapeutique pensaient que toute féministe était nécessairement d'accord avec eux, ils ne comprenaient pas toujours ma position, qui ne leur paraissait pas tout à fait orthodoxe.

Mme Yvette Roudy : Qu'y avait-il au c_ur du débat ? Le statut de l'embryon ?

Mme Geneviève Fraisse : Oui, l'embryon a été sanctuarisé, et, plus largement, c'est la question de la matière vivante qui a été au c_ur du débat.

Il y avait une position médiane, défendue par le Président luxembourgeois Robert Goebbels (PSE), selon laquelle on pouvait se servir des cellules des embryons surnuméraires existantes, mais on ne devait pas en créer d'autres.

En revanche, les Allemands ne supportent pas l'idée que l'on puisse toucher à la moindre parcelle de matière vivante.

Mme Yvette Roudy : Cela fait partie de leur culture.

Mme Geneviève Fraisse : On ne peut même pas les raisonner en leur disant seulement : "Voyons, réfléchissons bien sur la recherche."

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Est-ce que les positions - vous avez parlé de clivages nationaux ou idéologiques - sont les mêmes en ce qui concerne les organes du corps humain ?

Mme Geneviève Fraisse : Je ne saurais répondre.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Ce qui est en cause, notamment pour les Allemands, ce sont donc toutes les cellules souches ?

Mme Geneviève Fraisse : Ce sont les cellules souches embryonnaires. Aucun chercheur aujourd'hui ne peut dire que les cellules souches adultes sont aussi totipotentes que les cellules souches embryonnaires.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Dans ce raisonnement-là, donne-t-on un statut à l'ovocyte ?

Mme Geneviève Fraisse : On donne un statut à la cellule.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Dans une conception très chrétienne du monde, il me paraît plus grave de travailler sur des cellules embryonnaires, même issues d'embryons surnuméraires, que de faire du clonage thérapeutique. Dans un embryon surnuméraire, il y a fécondation.

Mme Geneviève Fraisse : Ceux qui défendaient la possibilité de faire des recherches à partir des cellules des embryons surnuméraires n'étaient pas les Allemands, mais, par exemple, le Président luxembourgeois de la commission, Robert Goebbels. Toute la discussion tournait autour des idées suivantes : "Il en faut le moins possible. On va essayer de supprimer les embryons surnuméraires". Certains voulaient qu'il n'y ait plus d'embryons surnuméraires et donc souhaitaient en tarir la source.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Dans le cas du clonage thérapeutique, les cellules clonées ne sont pas des embryons fécondés.

Mme Geneviève Fraisse : D'un point de vue religieux, on ne peut pas remonter des cellules surnuméraires à la production de cellules souches. Donc, on est nécessairement contre le clonage thérapeutique en lui-même, et aussi contre les embryons surnuméraires. Une position réaliste peut être de dire : "nous pouvons travailler sur ce qui existe", mais elle est contredite par ceux qui sont favorables à l'adoption des embryons surnuméraires.

Mme Yvette Roudy : Dans les débats, il y a des problèmes de vocabulaire. Certains disent qu'ils sont contre le clonage thérapeutique, mais sont pour la recherche sur les cellules existantes.

Mme Geneviève Fraisse : C'est une position que je considère raisonnable.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Je pense qu'il y a confusion entre la vie et la personne humaine.

Mme Geneviève Fraisse : Ce qui m'étonne le plus, c'est de penser que l'humanité ne peut être que destructrice et qu'on ne puisse pas imaginer que l'humanité soit capable d'accompagner le risque.

Dans mon intervention en séance plénière, j'ai pris l'image de Frankenstein. Quand le monstre demande une fiancée, le professeur commence par répondre à la demande du monstre, puis, vu le comportement du monstre, il y renonce. Il ne lui donnera pas la fiancée et l'empêchera donc de produire une descendance. L'humanité peut produire un monstre, mais elle a aussi conscience que l'on ne fait pas une production alternative. Je suis étonnée que l'on n'envisage, comme seule possibilité, celle de l'homme engendrant des destructions, et non celle d'un être humain capable de gérer sa destinée. Ce n'est pas vouloir être optimiste ou pessimiste, c'est simplement poser la question : peut-on accompagner la recherche ? Je pense que oui.

Donc, pour répondre à la question de Martine Lignières-Cassou, pour que l'on puisse démontrer qu'il ne faut pas de clonage thérapeutique, il faut poser la question des frontières entre le vivant et l'humain.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Je disais qu'il y a vraiment confusion de concept entre la vie et l'humain.

Mme Geneviève Fraisse : Bien sûr. Je trouve cela profondément juste. Mais, cette question de la décision de l'humain n'est pas posée.

Mme Yvette Roudy : Avez-vous parlé de l'implantation de l'embryon post-mortem et du cas de Mme Pirès à Toulouse ?

Mme Geneviève Fraisse : Non, car les questions n'étaient pas sur la vie. L'enjeu est de soigner les maladies dégénératives ou de s'interroger sur les nouvelles potentialités de la médecine.

Mme Yvette Roudy : Il y a beaucoup de confusion puisque, dans le projet de loi relatif à la bioéthique, qui va être discuté en première lecture à l'Assemblée nationale, on ne parle pas de clonage thérapeutique. On va dire que l'on n'en veut pas, mais que l'on est pour la recherche sur tout ce qui est en stock, sur tout ce qui existe déjà.

Mme Geneviève Fraisse : Donc, en provenance des avortements et des FIV.

Mme Yvette Roudy : Il faudra vraiment bien expliquer les choses, car certains considèrent que, quand on dit clonage thérapeutique, cela veut dire que l'on accepte de fabriquer des embryons à des fins de recherche.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Non, ce n'est pas cela. Vous prenez un ovocyte, vous enlevez le noyau et vous mettez n'importe quel noyau. Il n'y a pas fécondation.

Mme Yvette Roudy : Le Professeur André Boué, généticien, membre du Comité consultatif national d'éthique, dit que c'est un embryon.

Mme Geneviève Fraisse : Ce sont des cellules.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Ce sont des cellules, mais ce n'est pas un embryon fécondé par un spermatozoïde.

Mme Yvette Roudy : C'est un ovocyte dont on aura enlevé le noyau et dans lequel on met à la place le noyau de la personne que l'on veut soigner, par exemple. C'est ce que l'on ne veut pas.

Mme Geneviève Fraisse : C'est le débat. Dans les débats en commission, certains voulaient empêcher toute utilisation embryonnaire quelle qu'elle soit, surnuméraire ou non. C'est la position allemande, qui ne veut utiliser que des cellules souches adultes.

En commission, j'ai voté contre, mais la position qui l'a emporté, c'est que l'on n'utiliserait que les cellules souches adultes, en sous-entendant que, à partir de ces cellules, on pourrait faire de nouvelles cellules permettant de soigner des dégénérescences, aussi bien qu'avec des cellules embryonnaires. Or, les chercheurs en ce moment ne savent pas si les potentialités des cellules embryonnaires vont être meilleures que celles des cellules souches adultes. A la fin, j'en avais assez d'entendre les politiques donner leur opinion sur les cellules souches adultes, alors que les chercheurs eux-mêmes ne sont pas en état, avant cinq ou dix ans, de nous donner des certitudes.

La question des cellules embryonnaires se subdivise en plusieurs autres. Il y a celle des cellules surnuméraires, donc issues des avortements ou des FIV. Il y a un débat sur la trop grande quantité de cellules surnuméraires issues de la FIV. Cette question rejoint celle de l'avortement, parce que si l'on trouve qu'il y en a trop, c'est que l'on pense que ce sont des êtres vivants. Un certain nombre de gens sont favorables à l'utilisation des cellules embryonnaires déjà existantes. Ce sera la position française, dès lors qu'il y a gratuité et consentement. Cependant, il faut faire attention, parce que les Britanniques ont déposé un amendement permettant d'en faire du commerce.

Ensuite, la question se pose de savoir si l'on produit des cellules embryonnaires. Certains y sont opposés, car la moindre parcelle de vivant est effectivement de l'humain. Si l'on en produit, il y aura une utilisation du corps des femmes et des pressions possibles sur les femmes. Il devrait y avoir alors des garde-fous quant à l'utilisation du corps des femmes, comme en matière de procréation médicalement assistée.

J'aurais voulu vous apporter des articles de journaux de la semaine dernière, sur le clonage thérapeutique, qui m'ont fascinée. Sur ce dessin, le corps de départ est un corps asexué. En revanche, au bout de la chaîne, le corps soigné dans le lit d'hôpital est un corps d'homme. Donc, le corps de départ est asexué, alors que ce sera nécessairement un corps de femme qui fournira l'ovocyte. Je trouve qu'il faut surveiller de près les dessins. Le corps était asexué dans le Monde, à peine sexué dans Libération et vraiment celui d'une femme dans le Figaro. Cela montre que, sur cette question homme/femme, il règne un flou artistique incroyable.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : J'ai le sentiment que le Parlement européen a cinq ou six ans de retard par rapport au débat français et que le débat porte, comme en France en 1994, sur les embryons et le statut de l'embryon.

Mme Geneviève Fraisse : Oui, et pour deux raisons : la question allemande et la question irlandaise, c'est-à-dire la lutte anti-avortement.

En commission, il y a eu un vote serré, à dix-huit voix contre quinze. En séance plénière, le rapport de forces s'est inversé, amendement après amendement, parce que les parlementaires ne savaient plus très bien ce qu'ils votaient. La confusion de la cellule souche à l'embryon surnuméraire a été entretenue pour la bonne raison qu'il y avait des militants qui refusaient l'ensemble des recherches. Les distinctions étaient sans cesse annulées.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Les travaux de la commission spéciale chargée de la révision des lois bioéthiques ont évolué : les débats sont plus pacifiés et plus mûrs.

Mme Yvette Roudy : Oui, car on a eu déjà un très grand débat en 1994 et que les choses ont avancé et mûri.

Audition de Mme Brigitte-Fanny Cohen, journaliste

Réunion du mardi 18 décembre 2001

Présidence de Mme Martine Lignières-Cassou

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Nous avons le plaisir d'accueillir Mme Brigitte-Fanny Cohen, journaliste et spécialiste des questions médicales sur France 2, où elle présente la chronique santé de "Télématin" et collabore au magazine "Envoyé spécial".

Nous avons souhaité vous entendre dans la perspective de l'examen, en janvier prochain, du projet de loi relatif à la bioéthique, car vous venez de publier un ouvrage intitulé "Un bébé, mais pas à tout prix - Les dessous de la médecine de la reproduction" dans lequel, à partir de votre longue expérience de l'assistance médicale à la procréation, vous mettez en garde les femmes souffrant d'infertilité contre une médicalisation à outrance de cette démarche.

Vous dénoncez un certain nombre de pratiques abusives, notamment en ce qui concerne les stimulations ovariennes, le manque de transparence quant à l'information dispensée aux couples, et notamment aux femmes, et, au-delà des progrès, voire des prouesses scientifiques des techniques d'AMP, la toute-puissance de ce que vous dénommez - et vous n'êtes pas la seule à le faire - "le pouvoir médical".

Nous souhaiterions donc vous interroger concrètement sur l'AMP, telle que vous l'avez vécue, aussi bien sur les immenses espoirs soulevés que sur les dysfonctionnements que vous avez pu déceler.

Nous aimerions en savoir plus, notamment sur les conditions d'accueil de la femme, du couple, à l'hôpital, dont vous dites qu'elles ne sont pas bien assurées. Vous soulignez l'insuffisance de l'information médicale sur les procédés et les examens imposés, particulièrement pénalisants pour le corps des femmes et perturbants pour l'organisation de leur vie quotidienne, entre l'hôpital et le travail.

Vous dénoncez également l'insuffisance de la prise en charge psychologique - encore qu'à mon avis l'adjectif soit très restrictif - de la femme et du couple qui, dans leur désir d'enfant à tout prix, sont confrontés au problème de l'infertilité, ensuite aux épreuves et aux échecs de l'AMP, avant un hypothétique succès.

Les protocoles passés entre patients et médecins imposent souvent des traitements très lourds qui ne semblent pas toujours justifiés s'agissant, par exemple, de la stimulation ovarienne. Sont-ils souscrits en toute connaissance de cause ? Dans quelle mesure les risques d'accidents, d'effets secondaires et de complications, auxquels vous faites allusion dans votre ouvrage, sont-ils portés, selon vous, à la connaissance des patients ? Quelle appréciation portez-vous sur le coût de l'AMP, sachant qu'elle est prise en charge par la sécurité sociale sans aucun plafond, ce qui suscite "l'envie" de nos voisins britanniques, mais entraîne, du fait d'une offre médicale peut-être excessive, une lourde charge pour la collectivité.

Au terme de votre livre, vous critiquez très sévèrement les informations statistiques concernant les résultats de l'AMP, qui ne tiennent compte des différences, ni entre les centres, ni entre les catégories de patientes et évaluent les taux de réussite, en fonction, non pas du nombre de naissances de bébés normaux et vivants, mais en fonction du nombre de grossesses engagées.

Dans la technicité exacerbée de ces pratiques, ne voyez-vous pas un risque de "marchandisation" et d'exploitation du corps des femmes, avec les mères porteuses, le danger d'un trafic d'ovocytes et les recherches sur l'embryon ?

Mme Brigitte-Fanny Cohen : Votre invitation constitue pour moi une occasion vraiment unique de livrer mon témoignage, différent de celui des médecins que vous avez pu rencontrer et qui ne portent pas le même regard que moi sur l'AMP.

En ce qui concerne l'accueil des couples, je dirai qu'il s'agit d'un aspect qui, pourtant important, reste quelque peu annexe à mes yeux. A l'occasion d'une enquête assez longue sur le don d'ovocytes, que j'ai réalisée pour le magazine "Envoyé spécial", j'ai pu rencontrer de nombreuses femmes en échec de FIV, ayant subi des années de traitement. Certaines se plaignaient des conditions d'accueil et en déploraient les lacunes, y compris dans certains centres pourtant réputés. Les femmes se sentent, selon leur propre expression, un peu traitées comme "du bétail". Personnellement, j'ai eu la chance d'être suivie dans un centre de taille plutôt modeste, à la périphérie de Paris, où il y avait donc moins de patientes, moins d'attente et où la prise en charge incombait aux infirmières, plutôt gentilles et sympathiques.

Tel n'est pas le cas partout et les conditions d'accueil varient selon les centres : quand une vingtaine de femmes attendent pour une prise de sang, le stress, l'attente ne sont pas les mêmes que lorsqu'elles sont plus du triple, dès le matin. Il est indéniable que pour les femmes qui ont à souffrir, en plus de tout le reste, d'un accueil ne répondant pas à leur attente, d'un manque de compréhension, qui lisent dans le regard du personnel soignant une forme de dévalorisation ou qui se sentent traitées comme du bétail, la démarche est encore plus difficile. Pour autant, j'ai été plus choquée encore par le manque d'information des couples et c'est pourquoi j'ai mis l'accent sur ce point dans mon livre.

La loi du 29 juillet 1994 impose d'informer les couples de la pénibilité des traitements. Le 12 janvier 1999, un arrêté publié au Journal Officiel demande aux équipes médicales de prévenir les couples des risques potentiels des traitements, ce qui montre qu'une évolution s'est produite dans l'intervalle.

Pour ma part, j'ai été traitée entre 1997 et 1998, et j'ai commencé à suivre les traitements sans en avoir une vision exacte et complète, notamment en ce qui concerne la stimulation ovarienne. J'ai donc subi des effets secondaires et des complications, dont l'éventualité aurait du m'être exposée dès le départ.

Ces effets secondaires, décrits dans de nombreuses études scientifiques, sont de plusieurs ordres : comme tout médicament, les hormones utilisées peuvent, avoir des effets secondaires indésirables, mais elles peuvent aussi entraîner des complications, répertoriées dans certaines revues. Mais ces complications ne font pas toujours l'objet de publications - toutes les équipes ne font pas état des problèmes qu'elles peuvent rencontrer dans la littérature médicale - si bien que l'on ne connaît qu'une partie de l'ampleur des complications consécutives aux FIV. Ces hormones peuvent également engendrer des risques potentiels encore mal évalués, dans la mesure où des zones d'ombre subsistent, notamment en ce qui concerne un risque infectieux lié à la fabrication des hormones et un risque de cancer du sein ou des ovaires consécutif à de nombreuses stimulations : des études ont soulevé ce dernier problème, mais rien n'est vraiment démontré.

Certaines hormones pourraient en effet contenir un agent infectieux, un prion : en théorie la chose est possible même si, en pratique, aucun cas, fort heureusement, n'a été répertorié. La question est également posée de savoir si les nouvelles hormones dites "recombinantes" ne peuvent pas, elles aussi, être contaminées : elles sont fabriquées à partir de cellules d'ovaires de hamsters chinois, lesquelles sont mis en culture dans de l'albumine bovine - en principe issue de troupeaux de pays épargnés par la maladie de la vache folle -, mais rien n'est exclu.

Dans ces conditions, je souhaiterais que la nouvelle loi relative à la bioéthique comporte une véritable exigence par rapport à l'information des couples et que les équipes médicales, comme le demande d'ailleurs l'arrêté du 12 janvier 1999, informent réellement les couples sur les effets secondaires, qui sont quasiment systématiques - même si heureusement les femmes ne les subissent pas tous - , les complications et les risques potentiels. Même si ces derniers ne sont que théoriques, j'estime que les couples doivent en être tenus informés avant de s'embarquer dans cette aventure que représente l'AMP.

En effet, ces couples doivent, à mon sens, être plus informés encore que tous les autres patients, dans la mesure où ils ne sont précisément pas malades, mais en bonne santé, et où l'infertilité n'est pas définie comme une maladie.

Dans tout traitement, on étudie le rapport bénéfices/risques. Dans ces cas, où l'on a affaire à des personnes bien portantes, il conviendrait donc plus que jamais d'obtenir un véritable consentement éclairé. Dans le domaine de l'AMP, il me semble que l'expression "consentement éclairé" doit prendre toute sa valeur, compte tenu du fait que les intéressés ne souffrent pas d'une maladie mettant leurs jours en péril.

L'idéal serait que l'information soit donnée par le médecin qui prescrit le traitement de FIV. Si je parle d'idéal, c'est parce que je suis consciente que ces médecins n'ont pas toujours le temps, ni l'envie de le faire. Certains délèguent cette tâche, des équipes organisent des réunions, auxquelles les couples sont tenus d'assister avant de commencer le traitement, alors que d'autres les laissent facultatives ou que d'autres encore ne prévoient absolument rien - notamment dans le secteur privé - laissant l'information se faire au coup par coup, au gré des questions que posent les patientes.

Pourtant, pour communiquer cette information, il m'a fallu écrire un livre, ce qui prouve combien elle est dense et demande à être diffusée avec tact. Il ne s'agit en aucun cas de paniquer les couples ou de les décourager, mais plutôt de leur permettre d'entreprendre "le parcours du combattant" en toute connaissance de cause et d'être en mesure d'affronter les effets indésirables des médicaments ou d'éventuelles complications, comme l'apparition de kystes ovariens nécessitant une opération, ce qui m'était arrivé.

Certaines équipes informent les patientes avec éthique et loyauté, mais elles ne le font pas toutes et je pense que l'éthique médicale devrait conduire toutes les équipes de FIV à améliorer la qualité de l'information. En conséquence, je souhaiterais que la nouvelle loi puisse préciser les modalités d'un consentement éclairé dans le cadre de l'AMP.

En ce qui concerne les stérilités non expliquées, je souhaiterais qu'au moment de la révision de la loi, qui va conduire à s'interroger sur des questions très complexes, comme le statut de l'embryon par exemple, les députés se posent une question fondamentale : à qui doit-on réserver les FIV, quelles sont les vraies indications des FIV ?

La réponse à cette question devrait, selon moi, être inscrite dans la loi. Pourquoi ? Parce que si cette technique a été créée au départ pour des femmes dont les trompes étaient bouchées ou absentes, les indications se sont progressivement élargies : j'en suis une preuve vivante, et je ne suis pas la seule. On inclut dans des protocoles de FIV des femmes dont l'infertilité est tout à fait mineure ou inexpliquée. Il convient donc de savoir si elles ont besoin de recourir à une FIV. C'est une question qui me semble d'autant plus légitime que tous ces traitements hormonaux ayant pour objectif de stimuler l'ovulation ne sont pas dénués de risques, d'apparition d'effets secondaires, de complications ou d'autres dangers, sans parler des risques de grossesses multiples, des recours aux réductions embryonnaires, des dégâts psychiques pour des couples très souvent malmenés par ces traitements...

En outre, de très nombreuses femmes en échec de FIV, mais aussi d'autres tout aussi nombreuses ayant eu un bébé éprouvette, ont par la suite des bébés de façon tout à fait naturelle, sans aide médicale. Nous en connaissons tous et je voudrais vous raconter cette histoire : à partir du moment où j'ai rencontré une association spécialisée dans l'adoption qui m'a vraiment promis que mon dossier serait traité rapidement et que j'allais pouvoir adopter un bébé venant de Russie, je me suis trouvée beaucoup plus sereine, j'arrivais au terme de mon combat et une grossesse a pu survenir tout à fait naturellement. J'ai ainsi pu expliquer à la présidente de cette association "De Pauline à Anaelle" qu'à mon avis, après avoir reçu l'assurance que j'allais être maman, j'avais retrouvé ma sérénité, que tout s'était remis en place dans ma tête et que c'est ce qui avait probablement rendu une grossesse possible.

Quelques mois plus tard, nous nous sommes revues. Elle m'a confié alors qu'elle faisait très attention à ce que je lui avais dit ; désormais, quand elle traitait un dossier d'adoption, elle rassurait les intéressés et, de la sorte, six grossesses avaient pu se déclarer depuis le début de l'année. Je lui ai répondu que, compte tenu du caractère très restreint du nombre d'adoptions auquel elle procédait, elle obtenait des résultats statistiquement meilleurs que certains centres de fécondation in vitro français.

A propos des stérilités inexpliquées, j'ajouterai seulement deux chiffres : en 1989, les stérilités inexpliquées étaient à l'origine de 10 % des FIV ; en 1999, elles sont à l'origine de 19 % des FIV. Cela représente un bond sans précédent, alors même qu'une partie des gynécologues se pose la question de savoir s'il est vraiment légitime de mettre ces femmes à la stérilité inexpliquée en protocole de FIV. C'est notamment le cas de très nombreux gynécologues de ville qui, publiquement, médiatiquement, ne prennent pas beaucoup la parole, mais qui ne sont pas toujours en accord avec le monde des "fivistes".

Pourquoi ces stérilités dites "inexpliquées" ne sont-elles pas, d'abord, prises en charge par un psychologue ? Beaucoup de centres disposent d'un psychologue attitré ; alors, comment se fait-il que tous les couples ne les rencontrent pas ?

J'en ai parlé avec de nombreux médecins "fivistes" qui ont argué que s'ils proposaient d'emblée aux couples de rencontrer un psychologue, ceux-ci protesteraient qu'ils ne sont pas fous, ce à quoi je réponds qu'il faut toujours essayer.

Ne conviendrait-il pas, par ailleurs, en cas de stérilité inexpliquée ou de stérilité mineure, d'envisager un délai d'attente, à calculer éventuellement en fonction de l'âge du couple et d'autres impératifs médicaux avant d'envisager une FIV ?

Si, dans certains centres, les listes d'attente sont longues et si les couples mettent longtemps, avant de se voir prescrire une FIV, ce n'est pas une généralité : la légende veut qu'il faille attendre des mois et des mois avant d'avoir accès à cette possibilité, alors que si l'on frappe à la porte de centres privés ou de cabinets de médecins privés travaillant dans des cliniques, les délais d'attente sont peu importants, notamment en région parisienne.

Dès 1994, le Comité consultatif national d'éthique mettait en garde contre une telle précipitation dans ces termes : "L'AMP connaît une extension importante. De nouvelles techniques se développent et les indications s'élargissent dans un climat favorisant une certaine précipitation à traiter des infécondités dont la durée et le bilan préliminaire ne justifient pas toujours une intervention". Huit ans plus tard, cette mise en garde reste d'actualité.

Il est un autre point dont, d'une manière ou d'une autre, il devrait être tenu compte dans la révision de cette loi : les véritables chances de succès des fécondations in vitro.

Les statistiques de réussites sont parfois présentées avec une certaine malhonnêteté. Quand, par exemple, un médecin déclare à un couple qu'il obtient 33 % de réussites, cela ne signifie pas qu'à chaque tentative de FIV, le couple aura 33 % de chances de repartir avec un enfant ; il n'en aura peut-être que 17 % ou 18 % en fait. Je m'explique longuement dans mon livre sur la manipulation de ces chiffres, mais, pour résumer mon argumentaire, je dirai que certaines équipes parlent de taux de réussite en fonction du nombre de naissances d'enfants - c'est ce qui paraît le plus normal et ce que demandait le Comité national d'éthique en 1994 - alors que d'autres parlent de réussites de FIV en fonction de la positivité du test de grossesse ; or, il faut savoir que ce test intervient douze jours après la réimplantation des embryons et qu'il arrive qu'il soit positif, mais que, quinze jours plus tard, un deuxième test de confirmation se révèle négatif, le premier ne correspondant qu'à l'amorce d'un début de grossesse qui s'est transformée en fausse-couche spontanée. De nombreuses grossesses naturelles évoluent de la même façon, mais les femmes ne sont pas soumises à des tests de grossesse précoces et le plus souvent elles ne s'en aperçoivent même pas.

Parler de la réussite des fécondations in vitro sur la base de tels tests de grossesse ultra-précoces ne me semble donc pas très honnête et c'est pourquoi il faudrait prévoir une certaine harmonisation des taux de réussite, quitte peut-être à parler, comme le font les Américains, du take home baby pour ne prendre en compte que les chances de rentrer chez soi avec un bébé ; en effet, les couples ne viennent pas faire des FIV pour obtenir un nombre important d'ovocytes ou d'embryons, mais pour avoir un bébé.

Chaque équipe médicale est tenue d'envoyer ses résultats au ministère de la santé. Or, le ministère de la santé ne les communique pas au public. Pourtant, certaines équipes sont plus performantes que d'autres. Comment peut-on continuer à laisser les couples s'orienter à l'aveuglette vers telle ou telle équipe médicale ou laisser les gynécologues de ville ignorer - je le sais par expérience - quelle équipe, proche du domicile du couple, est la plus performante. Souvent c'est la réputation qui prime, alors qu'elle n'est pas toujours le reflet de la réalité. Certains centres ne font pas parler d'eux dans les média et obtiennent de bons résultats.

En conséquence, la nouvelle loi pourrait exiger plus de transparence.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : L'une des tâches de l'Agence de la procréation pourrait être d'harmoniser les résultats des statistiques de réussite - en tenant, bien entendu, compte de l'âge des intéressées, puisque l'on peut obtenir de meilleurs résultats en éliminant les patientes de plus de trente-sept ans - et de communiquer les statistiques. De la sorte, son regard ne porterait pas uniquement sur la recherche, mais également sur l'accréditation des équipes d'AMP.

Mme Brigitte-Fanny Cohen : Effectivement, puisque le ministère de la santé ne l'a pas fait jusqu'à présent, cette nouvelle Agence de la procréation pourrait travailler un peu comme le Center of diseases control (CDC) dont le site internet délivre toutes les informations. Les résultats de chaque centre y sont affichés clairement en fonction, d'abord du nombre de naissances d'enfants nés vivants et en bonne santé, ensuite de l'âge de la femme, du type de stérilité, étant entendu que l'on ne traite pas aussi facilement une patiente jeune à l'ovulation parfaite, dont les trompes sont simplement bouchées, et une femme de quarante-et-un ans souffrant d'un problème inexpliqué.

Il est très important d'obtenir une réelle transparence, comme c'est le cas aux Etats-Unis.

Mme Yvette Roudy : Pour ma part, je suis très étonnée de la composition de l'Agence de la procréation. Y siégeront des personnalités désignées, en raison de leur autorité et de leur compétence, par le président de la République, le président de l'Assemblée nationale et le président du Sénat - c'est ce qui se fait toujours classiquement : il en va de même pour la composition du Conseil constitutionnel - ; des personnalités compétentes dans les domaines des sciences de la vie, nommées par le ministre chargé de la santé et par le ministre chargé de la recherche ; des membres du Parlement - on en ignore le nombre, peut-être un ou deux - ; un membre ou un ancien membre du Conseil d'Etat ; un conseiller ou un conseiller honoraire de la Cour de cassation ; un membre du Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé ; des représentants d'associations de malades et d'usagers du système de santé. Alors même qu'il ne s'agit pas de malades, une telle composition est très choquante. Il faut que cette commission intègre des représentants de la société civile.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Il faut obtenir la parité entre les hommes et les femmes d'une part, entre les scientifiques et la société civile d'autre part.

Mme Brigitte-Fanny Cohen : Il me semble aussi nécessaire que les représentants de cette Agence de la procréation soient des personnalités réellement indépendantes.

Je ne vous apprendrai rien en vous disant que de nombreux acteurs de l'AMP sont liés aux laboratoires pharmaceutiques qui fabriquent les hormones. Il s'agit là d'un marché colossal et il faut savoir que ces laboratoires financent des congrès auxquels participent de très nombreux fivistes ; en d'autres termes ils financent leur formation continue. Comme dans tous les autres domaines de la médecine, les laboratoires financent également des études, des projets de recherche et des associations de patients.

Cela me conduit à poser la question de l'indépendance des personnes qui vont siéger dans cette Agence. Il est particulièrement important qu'elles soient indépendantes, sachant que certaines voix, actuellement minoritaires, s'élèvent contre les stimulations hormonales systématiques et envisagent de pratiquer des FIV sans avoir recours à de telles substances, notamment des FIV sur cycles spontanés, pour les femmes qui ne présenteraient pas de problèmes d'ovulation.

L'un des objectifs de cette Agence de la procréation étant de rendre des avis sur des demandes d'autorisation de protocoles de recherche, il ne faudrait pas que de tels protocoles se trouvent refusés, au motif que l'Agence se montrerait trop complaisante à l'égard de l'industrie pharmaceutique.

Il n'en reste pas moins que j'estime que cette Agence pourrait effectivement accomplir un travail formidable en matière de transparence au niveau des centres et de leurs résultats.

Mme Yvette Roudy : Vous parlez de "dictature médicale" : c'est ce qui justifie que vous mettiez l'accent sur l'information ?

Mme Brigitte-Fanny Cohen : Oui, je considère que se voir prescrire des traitements qui ne sont pas anodins, qui ne sont pas dénués de risques de complications, sans disposer d'une véritable information et a fortiori sans souffrir d'une véritable stérilité, mais d'une infertilité mineure, est une forme de dictature médicale. C'est pourquoi j'aimerais que l'on protège les femmes, qui vont être soumises à ces traitements dans leur chair, par une meilleure information.

Je ne veux pas dire qu'elles doivent refuser ces traitements, mais qu'elles doivent être mieux informées.

A cet égard, j'aimerais que soient particulièrement protégées les donneuses d'ovocytes. En effet, comme je vous l'ai dit antérieurement j'ai réalisé pour le magazine "Envoyé spécial" un reportage de 52 minutes, diffusé en avril 1999 et tourné au cours de l'année précédente. A cette occasion, j'ai enquêté sur le don d'ovocytes, non seulement en France, mais également à l'étranger. Pour la partie française de l'enquête, j'ai suivi une femme et sa donneuse, et j'ai compris que cette dernière n'était absolument pas informée de la possibilité de complications du traitement hormonal. Elle n'avait jamais entendu parler des cancers hormono-dépendants, elle ignorait totalement que le traitement pouvait donner lieu à des complications et elle ne l'avait accepté que guidée par sa seule générosité et afin d'aider son amie, qui avait besoin d'un don anonyme. Cette déficience d'information de la donneuse me paraît totalement anormale, d'autant, encore une fois, qu'il s'agit de personnes en bonne santé et déjà mères d'au moins un enfant ; elles ne subissent pas ces traitements pour elles, mais pour que d'autres puissent avoir un bébé.

Un des biologistes que j'avais interviewé m'avait d'ailleurs confié hors caméra que sa grande hantise était qu'une donneuse fasse un syndrome d'hyperstimulation.

Une femme m'avait raconté que, ménopausée précocement, elle avait demandé à l'une de ses amies de lui donner des ovocytes, toujours en vue de bénéficier d'un don anonyme dans un hôpital français. En voyant son amie souffrir d'une complication ayant nécessité l'ablation de kystes ovariens, elle avait nourri à son égard un tel sentiment de culpabilité, alors même qu'aucune des deux femmes n'avait été informée de ce risque, qu'elle avait demandé à ce que soit détruit son dernier embryon congelé et avait jugé préférable de se tourner vers l'adoption pour ne plus entendre parler de FIV.

Je souhaite donc ardemment que la nouvelle loi définisse les modalités de l'information des donneuses, dont je pense qu'elles doivent être, en quelque sorte, "surprotégées", c'est à dire très informées. Il faut souligner que le don d'ovocytes est complexe. Je suis sortie de cette enquête, qui a duré presque deux ans, avec beaucoup plus d'interrogations que de réponses.

Certaines femmes, par exemple, se présentent comme des donneuses potentielles avec leur amie stérile en vue d'un don anonyme en France - dans la pratique, chaque femme doit apporter sa donneuse, dans la mesure où, à la différence du don de sperme, il n'y a pas de don d'ovocytes spontané - après avoir subi une pression psychologique. Il est en effet très dur, quand vous êtes sollicitée pour un don par votre s_ur ou votre amie stérile, d'avoir le courage de refuser.

Heureusement, il existe tout un processus qui permet d'éliminer les donneuses qui, au fond d'elles-mêmes, n'en ont pas tellement envie, mais qui finissent par accepter sous la pression de la famille ou des amies. Il n'en reste pas moins que mon expérience de journaliste m'a montré que certaines donneuses, pas totalement convaincues, finissent par passer à travers les mailles du filet de la consultation avec le ou la psychologue du service. Il est notamment assez fréquent, aux dires mêmes des médecins, que certaines femmes ayant donné leur accord pour offrir des ovocytes, soit n'ont plus de règles, soit se retrouvent enceintes avant que ne débute le traitement de stimulation, de telle sorte que le projet tombe à l'eau.

Cela illustre le fait qu'elles ont été acceptées comme donneuses, mais que le psychologue n'a pas eu le temps de décoder tous les non-dits, tous les tiraillements suscités par le don d'ovocytes. Il conviendrait donc que toutes ces femmes qui se présentent comme donneuses pour aider une amie ou une s_ur puissent bénéficier d'un soutien un peu plus dense que ce n'est actuellement le cas. Le don est en effet une démarche infiniment complexe et il faut pouvoir protéger les femmes victimes de pressions morales, mais qui, au fond d'elles-mêmes, n'ont pas envie de s'embarquer dans cette histoire.

Compte tenu du cadre très strict qui le régit et du nombre très restreint de donneuses, les résultats en France sont très médiocres. Selon les chiffres du Groupement d'études sur le don d'ovocytes (GEDO), en 1999, sur cent femmes ayant eu une implantation d'embryons, et ayant donc reçu des ovocytes fécondés avec le sperme de leur conjoint, seules sept femmes ont pu avoir un enfant. Ces statistiques me conduisent à poser la question suivante : doit-on encore, pour des chances de succès aussi infimes, laisser des couples et des donneuses s'embarquer dans une aventure aussi complexe, médicalement et psychologiquement parlant ?

Mme Yvette Roudy : Et coûteuse de surcroît.

Mme Brigitte-Fanny Cohen : Quel autre remède pourrait s'imposer aujourd'hui en France et obtenir une autorisation de mise sur le marché avec 90 % d'échecs et de multiples effets secondaires, voire des complications ?

Mme Yvette Roudy : Le don d'ovocytes étant chez nous assimilé au don d'organes, il est très encadré, mais comme à l'étranger, il n'y a pas de réglementation, il y a un marché.

Mme Brigitte-Fanny Cohen : Oui, je l'ai d'ailleurs montré dans mon reportage. Certains couples partent aux Etats-Unis acheter leurs ovocytes. Un médecin canadien vient une ou deux fois par an à Paris, descend dans un hôtel proche de l'Opéra, reçoit les couples envoyés par l'association "Pauline et Adrien" et leur fait choisir des donneuses sur catalogue en fonction du physique qu'ils souhaitent pour leur enfant.

Chaque rendez-vous dure en moyenne trois quarts d'heure ou une heure. Les couples qui veulent un don d'ovocytes et qui, soit n'ont pas de donneuse, soit ont dépassé l'âge limite, puisque, au-delà de trente-neuf ou quarante ans, on n'accepte pas les femmes en don d'ovocytes dans les services français, peuvent le rencontrer, lui parler de leurs problèmes d'infertilité, des modalités et du prix du traitement dans sa clinique de Toronto.

Les donneuses sont des femmes américaines, parce qu'il est interdit de faire de la publicité au Canada pour le don d'ovocytes et qu'il est donc plus facile de les recruter dans les journaux américains. Pendant qu'elles subissent un traitement de stimulation, le couple reste en France et quelques jours avant de recueillir les ovocytes, on lui fixe rendez-vous au Canada, où le monsieur donne son sperme et où l'on pratique la FIV avant d'implanter l'ovocyte fécondé dans l'utérus de la dame.

Les chances de succès sont beaucoup plus élevées qu'en France, d'abord parce que l'on n'a pas recours à la congélation, ce qui permet d'implanter un plus grand nombre d'embryons, ensuite parce que les donneuses sont généralement des femmes jeunes, fertiles et généralement déjà mères d'un ou deux enfants.

Mme Yvette Roudy : Combien revient, pour le couple, le traitement de stimulation de la donneuse, ses frais de déplacement, qu'elle doit probablement percevoir sous la forme d'une indemnité globale ?

Mme Brigitte-Fanny Cohen : Avec les frais de clinique, les honoraires du médecin, les annonces de recrutement, le prix oscillait entre 100 000 F et 150 000 F. Ce tarif n'incluait ni les frais de voyage, ni les frais d'hôtel.

Mme Yvette Roudy : Ce n'est pas si cher si l'on veut bien considérer l'importance de l'équipement médical nécessaire.

Mme Brigitte-Fanny Cohen : C'est un tarif qui me paraît excessif, surtout quand on sait qu'en Belgique, la même opération, si l'on vient avec une donneuse, coûte environ 30 000 F. Mais, dans ce cas, la donneuse réside en France et subit un traitement de stimulation qui, bien qu'il soit interdit dans le cadre du don d'ovocytes direct, est remboursé par la sécurité sociale. Ce n'est qu'une fois prête pour le déclenchement de l'ovulation qu'elle part avec le couple concerné en Belgique pour le reste du processus.

Mme Yvette Roudy : De toute façon, en France, le don d'ovocytes doit être gratuit et anonyme.

Mme Brigitte-Fanny Cohen : Oui, puisqu'en France on vient avec sa donneuse.

Mme Yvette Roudy : Qu'en est-il alors de l'anonymat ?

Mme Brigitte-Fanny Cohen : Il est totalement préservé, car si je veux un ovocyte, j'amène une donneuse avec moi, étant entendu qu'elle ne donne pas pour moi, mais pour une femme anonyme traitée dans le même service. Il est ainsi procédé à une sorte de redistribution des ovocytes.

Avant de terminer, je voudrais vous dire très rapidement quelques mots sur l'adoption.

La loi de 1994 est très claire sur ce point et indique que les membres de l'équipe médicale doivent envisager cette possibilité avec les couples lors d'entretiens préliminaires, avant même de commencer les traitements, ce qui peut même paraître excessif compte tenu du fait que le couple entreprend à ce moment-là une démarche médicale avec un projet d'enfant biologique et qu'il peut ne pas être encore apte à envisager l'adoption.

La loi stipule en outre qu'on informe les couples sur les dispositions législatives relatives à l'adoption. Par expérience, je peux vous dire que la loi n'est absolument pas appliquée sur ce point, ce qui contribue sans doute à l'inflation des procréations assistées et au recours abusif aux dons d'ovocytes, qui, je le répète, sont des procédures compliquées et souvent vouées à l'échec.

En France, l'adoption souffre d'une image négative, en raison de la soi-disant longueur et complexité des démarches préalables, et l'AMP bénéficie d'une image positive, auréolée de réussite. La réalité est pourtant toute autre, puisque les chances de succès sont pratiquement de cent pour cent pour l'adoption et qu'elles sont beaucoup plus réduites pour l'AMP ; en effet, une femme de moins de trente-cinq n'a, au bout de six FIV, qui représentent au moins deux années de traitement, qu'une chance sur deux de repartir avec un enfant.

Mme Yvette Roudy : Ces chiffres très intéressants sont-ils vérifiés ?

Mme Brigitte-Fanny Cohen : Oui, ils sont publiés par la FIVNAT.

Mme Yvette Roudy : Je pensais que seulement quatre FIV étaient remboursées par la sécurité sociale ?

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Il n'y a plus de restriction aujourd'hui.

Mme Brigitte-Fanny Cohen : Effectivement, parce qu'un couple ayant porté plainte a obtenu gain de cause, ce qui a fait jurisprudence.

Pour terminer avec ces chiffres, j'ajouterai que pour les femmes de plus de quarante ans, on n'enregistre au bout de six FIV que 5 ou 6 % de naissances.

En conséquence, il me semble que la nouvelle loi devrait mettre l'accent sur le devoir d'information concernant l'adoption et revaloriser l'image de celle-ci.

Le fait de mettre en garde les femmes et de les informer ne signifie pas qu'on leur interdit d'avoir un enfant. Ce sont deux choses totalement différentes et je crois qu'à un moment donné il faut leur donner, dans un parcours de FIV, la possibilité de réfléchir à leur désir d'enfant. Elles doivent réaliser si elles ont un désir d'enfant biologique ou un désir d'enfant tout court : je pense que, pour certains couples, les choses sont claires et qu'ils ont le courage de dire qu'ils veulent un enfant biologique ou rien, alors que pour beaucoup d'autres, leur vrai désir répond au besoin d'aimer un enfant, pas forcément un enfant issu de leurs gènes. Il ne faut donc pas brandir le drapeau de l'adoption en mettant en avant les difficultés et les complexités qu'elle peut comporter. Le chemin de l'adoption n'est pas toujours si ardu.

Moi qui ai entrepris les deux démarches, je peux vous dire qu'il m'a été beaucoup plus facile d'adopter un enfant que de suivre tout le parcours médical.

Mme Hélène Mignon : Face à l'adoption, l'homme et la femme sont égaux et se trouvent dans la même configuration par rapport à l'enfant, alors qu'il y a un déséquilibre dans la FIV.

Mme Brigitte-Fanny Cohen : On assiste effectivement à une sorte de gommage du rôle du père dans la médecine assistée, dans la mesure où c'est la femme qui subit les traitements et où l'homme n'est pas suffisamment incité à venir aux consultations. Cela étant, la situation est complexe car, dans la pratique, compte tenu du nombre de rendez-vous à l'hôpital, la femme peut mettre son emploi en péril. L'homme préserve le sien en ne l'accompagnant pas systématiquement.

Mme Hélène Mignon : En outre, dans le don d'ovocytes, le père peut dire un beau jour que, lui, est le vrai père, ce qui peut causer un décalage, même si je n'ai jamais vu le cas se produire. Cela peut créer une ambiguïté, selon l'évolution du couple.

Mme Yvette Roudy : C'est également vrai pour le don de sperme.

Mme Brigitte-Fanny Cohen : Je partage votre point de vue et je n'aurais jamais accepté un don d'ovocytes. Autant pour des femmes soumises au drame de la ménopause précoce, à dix-huit ou vingt-cinq ans, le don d'ovocytes est un espoir, autant il est encore une épreuve difficile pour des femmes en échec de FIV, après trois ou quatre années de traitement. A un moment, il faut dire : "Stop" ! Je revendique, moi aussi, le droit à l'enfant, mais pas à tout prix.

Ma chance, c'est d'avoir, étant journaliste médicale et ayant fait une complication dès la première FIV, pu prendre du recul et enquêter sur les médicaments et les techniques. J'ai compris très vite qu'une stérilité inexpliquée ne trouvait pas forcément sa solution dans l'AMP. Cela a permis à notre couple de réfléchir à son désir d'enfant et d'être séduit par l'adoption. Avoir le projet d'adopter m'a certainement donné la force d'arrêter le parcours médical, mais tous les couples n'ont pas cette force, car ils n'ont pas d'autres projets. Cela donne lieu à quelques cas d'acharnement procréatif : des couples qui font dix ou douze tentatives de FIV.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : D'autant plus qu'on leur dit que les deux démarches sont incompatibles et que la DASS ne leur confiera jamais un enfant si elle apprend que le couple suit un traitement en vue d'une FIV.

Mme Brigitte-Fanny Cohen : Il est cependant un peu choquant d'entendre certaines histoires : quand une de mes amies est allée voir au Cambodge un petit garçon qu'elle a adopté, elle a rencontré un couple, qui entreprenait la même démarche, mais qui n'est finalement pas venu chercher son enfant, parce qu'entre-temps la femme, qui poursuivait son traitement de FIV, est tombée enceinte de jumeaux. Elle a ainsi abandonné cet enfant cambodgien qu'elle avait déjà rencontré.

Autant je trouve logique d'entamer des démarches administratives en terminant un ou deux traitements de FIV décidés à l'avance, autant je trouve hallucinant de continuer à subir des FIV en sachant qu'un enfant vous attend à l'étranger.

Moi, je suis tombée naturellement enceinte au moment d'adopter. Nous avons eu deux bébés en cinq mois. La question ne s'est jamais posée à nous de poursuivre ou non les démarches d'adoption, mais les autres nous l'ont posée. Pour nous, il était tout à fait naturel de poursuivre notre démarche d'adoption : nous avons attendu avec impatience et amour cet enfant né en Russie, comme nous avons attendu l'enfant que je portais.

Mme Yvette Roudy : S'agissant de l'implantation de l'embryon post mortem, vous connaissez l'histoire de ce couple, à Toulouse, dont la femme n'a pu récupérer les embryons, après le décès du mari. Notre texte prévoit la même interdiction qu'en 1994, au motif qu'on ne peut pas faire d'enfants orphelins. Quelle est votre opinion sur ce point ?

Mme Brigitte-Fanny Cohen : Je vais vous répondre très franchement. J'ai travaillé dans l'émission Savoir plus santé, dont une journaliste de l'équipe avait interviewé la femme en question. Or, à chaque fois que j'ai entendu cette interview, j'ai eu la chair de poule et les larmes aux yeux. Je trouvais terrible qu'on lui interdise de reprendre ses embryons et de pratiquer cette réimplantation, qui n'était d'ailleurs pas vouée totalement au succès, compte tenu des statistiques.

Mme Yvette Roudy : Nous allons tenter de supprimer cette interdiction qui reste inscrite dans le projet de loi. J'ai trouvé un argument : je trouve que cette décision va à l'encontre d'un principe inscrit dans la loi Veil qui dit qu'en dernier ressort c'est la femme qui décide. En la circonstance, je ne vois pas au nom de quoi on refuserait de lui restituer cette partie d'elle-même. La proposition que j'avais faite initialement était de lui demander de réfléchir et de ne pas prendre sa décision sous le coup de la douleur du deuil. Mais, nous allons avoir du mal à l'intégrer dans le texte du projet de loi.

Audition de Mme Françoise Héritier,

professeur honoraire au Collège de France

Réunion du mardi 18 décembre 2001

Présidence de Mme Martine Lignières-Cassou

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Nous avons le plaisir d'accueillir Mme Françoise Héritier, professeur honoraire au Collège de France, directrice d'études à l'Ecole des hautes études en sciences sociales et directrice du laboratoire d'anthropologie sociale, où elle a pris la succession de Claude Lévi-Strauss.

Parmi vos nombreuses activités, nous notons que vous êtes membre du Comité d'éthique pour les sciences du CNRS, membre du Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et ancienne présidente du Conseil national du sida.

Parmi vos publications, nous retiendrons les plus récentes : "Les deux s_urs et leur mère : anthropologie de l'inceste" en 1994, "Masculin/féminin : la pensée de la différence" en 1996, et votre participation à des ouvrages collectifs, notamment "Contraception, contrainte, liberté" en 1999 et "Maternité : affaire privée, affaire publique" en 2001.

A partir du rôle différent des sexes dans la reproduction, d'ordre biologique, vous montrez comment les sociétés ont élaboré une construction sociale complexe qui commande, dans l'inégalité, le rôle et la place des hommes et des femmes et la hiérarchisation entre supérieur et inférieur. Or, la diffusion des nouvelles méthodes de régulation des naissances remet radicalement en cause le contrôle exercé par les hommes sur le pouvoir des femmes de transmettre la vie. La contraception a constitué un tournant historique en donnant aux femmes la maîtrise de leur fécondité et en leur permettant de sortir de la domination du masculin.

Cependant, aujourd'hui, nous avons l'impression que cette révolution contraceptive piétine. Peu de progrès sont enregistrés dans l'accès aux nouvelles méthodes, l'usage de la pilule suscite des réticences, les jeunes filles, souvent mal informées, restent à l'écart de la démarche contraceptive. Parallèlement, nous voyons se développer, depuis une vingtaine d'années, la phobie de la stérilité et la montée très forte du désir d'enfant, encouragé par des techniques d'assistance médicale à la procréation que l'on croit de plus en plus performantes. Sur ce dernier phénomène de société, nous serions très heureuses de recueillir vos réflexions, la Délégation - qui avait organisé, l'année dernière un colloque sur : "Femmes et bioéthique - L'AMP en question" - étant saisie pour avis du projet de loi relatif à la bioéthique.

Mme Françoise Héritier : De façon significative, le rapport spécifique établi entre "femmes et bioéthique" renvoie quasi exclusivement au domaine de la procréation. La bioéthique serait donc une affaire d'humains, en général, à l'exception apparente du domaine de la procréation, qui serait spécifique du domaine féminin. En entrant dans le jeu de ce rapport particulier des femmes avec la bioéthique, nous sacrifions ainsi, sans le vouloir consciemment, à une vision archaïque - au sens où elle apparaît dès les origines, avec l'humanité consciente et pensante - qui fait peser sur les femmes seulement le poids et la responsabilité de la procréation, et donc aussi le poids et la responsabilité de la stérilité. Tout ce qui touche à la procréation, à l'enfantement - et tout ce qui en découle -, est considéré comme étant du ressort des femmes. A contrario, tout ce qui est de l'ordre de l'extérieur - la cité, le politique, le discours, le conflit, etc... - est du ressort des hommes. Lorsqu'on parle des femmes et de la bioéthique, on entérine donc d'emblée ce type de répartition ; nous sommes dans la vision traditionnelle du rapport du masculin et du féminin.

Vous avez cité mon ouvrage "Masculin/féminin : la pensée de la différence" ; je m'apprête à faire paraître une suite, au mois de mars 2002, intitulée, "Masculin, féminin : dissoudre la hiérarchie", dans laquelle je vais reprendre un certain nombre de problèmes, dont celui de la contraception.

En tant qu'anthropologue, j'observe que la différence des sexes est, au départ, une observation neutre, qui n'est pas en elle-même porteuse de hiérarchie. Or, partout, dans toutes les sociétés humaines sans exception, il y a une valorisation du masculin en général qui s'accompagne, symétriquement, d'une dévalorisation, voire d'un dénigrement ostentatoire du féminin, qu'il s'agisse des comportements, des aptitudes, des qualités intrinsèques, des pensées et des activités de tout ordre. Cette dévalorisation va de pair avec le confinement de la femme dans le domestique - et l'interdiction d'en sortir, pour une grande part de l'humanité, encore de nos jours. Elle s'accompagne fort bien de la valorisation de la mère, à l'exclusion de toute autre image féminine, c'est à dire de la quintessence du type de femme requis : dévouée, aimante et domestique, qui s'y maintient, s'y complaît et même le revendique.

A quoi tient cette hiérarchie ? Il m'est apparu qu'elle tient à la combinaison de deux facteurs apparus dès l'origine de la pensée humaine consciente et exprimée, c'est-à-dire dès que l'homme est sorti de l'animalité. L'homme des origines réfléchit sur ce qu'il voit, avec les moyens dont il dispose, à savoir ses cinq sens. L'une des premières opérations mentales, observable d'ailleurs dans le développement de l'enfant, est le classement des choses par affinité. Or, une constante parcourt tout le monde animal visible, dont l'humain fait partie, celle de la différence sexuée. Celle-ci n'est pas maniable, transformable ; on n'a pas de prise sur elle, on est soit l'un, soit l'autre. Butoir de la pensée, elle est, de ce fait, à l'origine de l'opposition que l'on trouve dans toutes les sociétés entre ce qui est identique et ce qui est différent. L'opposition du jour et de la nuit fait partie de ces choses fondamentales pour la classification entre identique et différent, choses non maniables par la technique humaine. Cette opposition identique/différent, qui se greffe sur l'opposition masculin/féminin, est à la base de toutes les oppositions dualistes qui nous servent à penser, qu'elles soient abstraites ou concrètes. Aucune société ne fonctionne sans oppositions binaires - le clair et l'obscur, le chaud et le froid, le sec et l'humide, le haut et le bas, etc... -, elles-mêmes classées en masculin et féminin.

Nous ne penserions pas de la même manière si nous n'étions pas sexués, si l'évolution n'avait pas vu apparaître, il y a des millions d'années, la sexuation. Le passage par les opérations binaires provient de l'observation de la différence sexuée et de l'alternance des jours et des nuits, qui sont parmi les rares données sur lesquelles il n'y a aucune prise. C'est là-dessus que se fondent l'identique et le différent, le masculin et le féminin et toutes les catégories mentales sous forme binaire. Si nous n'étions pas sexués, nous aurions un système de pensée qui intégrerait sans doute des notions de même nature, mais pas rangées dans des catégories binaires, dualistes et hiérarchisées.

Normalement, au sein de ces oppositions binaires, dualistes, il ne devrait pas y avoir de hiérarchie - ou elle pourrait varier. Or, dans toutes les sociétés, le pôle valorisé est le pôle masculin. Ce qui est intéressant, c'est que cela n'a rien à avoir avec le contenu des catégories. Prenons l'exemple de l'actif et du passif : chez nous les hommes sont actifs - valorisation - et les femmes sont passives - dévalorisation. En Inde, ce sont les hommes qui sont passifs - notamment sexuellement - et les femmes actives ; or c'est la passivité qui est alors valorisée. Chez nous, le soleil est masculin, la lune féminine - et nous avons une certaine valorisation du soleil - alors que chez les Esquimaux, c'est la lune qui est masculine et qui est l'élément important. Le contenu peut donc varier, mais ce qui importe, c'est la catégorisation par le masculin et le féminin qui met toujours l'accentuation positive sur le masculin.

Pourquoi ? En raison d'un second élément de réflexion qui est interconnecté à celui-là. Cette réflexion humaine, qui envisage l'existence des deux sexes et qui en tire des conclusions sur le plan de la pensée, porte aussi sur des évidences élémentaires : le fait qu'il y ait deux sexes, bien entendu, mais aussi qu'il faut qu'ils se rencontrent physiquement pour faire des enfants (contrairement à une croyance répandue, les primitifs savaient déjà que les rapports sexuels étaient nécessaires pour faire des enfants), que seules les femmes mettent les enfants au monde, l'observation de la vie et de la mort, que la vie est connectée au sang et à la chaleur... Toute une série d'observations triviales qui font partie des évidences élémentaires.

La plus grande interrogation, telle qu'en témoignent les mythes et les récits, porte sur un fait si fondamental et si inexplicable qu'il n'est jamais mis au premier plan : pourquoi les femmes ont-elles le privilège exorbitant, non seulement de se reproduire à l'identique, mais également de produire des corps différents des leurs - des garçons - ? En l'absence de connaissances sur le phénomène de la fécondation, sur l'existence des gamètes (les ovules et les spermatozoïdes ne seront connus qu'à la fin du XVIIIème siècle), des gènes, (découverts seulement au XXème siècle), il y a nécessairement une autre réponse simple : les femmes ne peuvent pas, seules, faire des êtres différents ; si elles font des fils, c'est parce que les enfants sont mis dans le corps des femmes par les hommes. Et c'est le "mauvais vouloir" du féminin (comme disent certaines populations) qui fait que naissent aussi des filles, mais il en faut bien, puisqu'il faut des filles pour faire des garçons. Les hommes sont donc à l'origine de la procréation.

De l'incapacité des hommes à se reproduire à l'identique, et aussi du fait que la gestation, la naissance, l'allaitement jusqu'au sevrage sont des phénomènes de longue durée, il s'ensuit un certain nombre de conséquences, qui sont les mêmes universellement. Tout d'abord, il est fondamental pour les hommes de se procurer la femme ou les femmes dont ils ont besoin pour se reproduire. Ensuite, ils doivent s'assurer de les garder auprès d'eux, une fois qu'elles sont enceintes, éventuellement par la contrainte physique, mais surtout par la contrainte sociale. Enfin, dans toutes les sociétés humaines, il y a eu l'invention de la prohibition de l'inceste, qui oblige les hommes à l'échange matrimonial, en leur interdisant l'accès sexuel à leur mère, leur fille et leur s_ur. La prohibition de l'inceste n'est jamais présentée, dans aucune société, comme une interdiction faite à des humains de coucher avec leurs consanguins, mais comme une interdiction faite aux hommes de coucher avec leur mère, leur fille et leur s_ur, de façon à pouvoir les échanger contre les mères, filles et s_urs des hommes d'autres groupes consanguins, et donc d'établir des rapports d'alliance. Cela présuppose déjà, dans l'esprit des hommes qui se livrent à cet échange, l'existence de ce que j'appelle "la valence différentielle des sexes", puisque ce sont les hommes qui ont le droit et le pouvoir d'échanger leurs filles et leurs s_urs et pas l'inverse, ni la possibilité de réciprocité.

Avec la prohibition de l'inceste, vont apparaître toute une série de phénomènes : l'exogamie, le mariage, c'est-à-dire la forme institutionnelle, stable, d'unions entre des individus, mais surtout entre des groupes, des familles, et la répartition sexuelle des tâches. Cette dernière obéit, non pas à la prise en considération d'aptitudes physiques particulières, mais à la contrainte. La contrainte est liée, aux origines et pendant des millénaires, aux contraintes biologiques que sont la grossesse, l'accouchement, les soins aux enfants, mais pas seulement à celles-ci. En effet, les femmes peuvent très bien chasser, comme les hommes peuvent très bien cueillir ; dans de nombreuses sociétés, lorsqu'il n'y a rien à chasser, les hommes cueillent. Mais il convient de savoir que dans les sociétés de chasseurs collecteurs, c'est la chasse qui est valorisée, alors qu'à 80 % la nourriture quotidienne provient de la cueillette des femmes.

Cette répartition sexuelle des tâches obéit aussi à un ordre de valorisation qui tient au fait que le corps féminin, approprié, détenu par les hommes, échangé par eux, devient un bien nécessaire ; la femme n'est plus une personne libre d'elle-même, de son corps et de ses actes, comme le sont souverainement tous les hommes adultes dans toutes les sociétés. Les hommes sont des personnes à part entière libres de leurs actes, de leur corps et de leurs pensées, ce qui n'est pas le cas pour les femmes qui sont un bien échangé.

Le destin féminin a donc été lié, dès l'origine, au privilège qu'elles ont, pour leur malheur, d'enfanter des mâles - et pas seulement des femelles -, ou, si l'on préfère, par l'incapacité physiologique des mâles à se reproduire à l'identique.

Il s'ensuit plusieurs choses. Tout d'abord, ces idées sont extrêmement prégnantes et ont la vie dure, même si elles ne sont jamais clairement exprimées. Il ne faut cependant pas nier leur importance, car nous les avons en tête et il faut faire un gros effort de vigilance pour les dominer. Ensuite, elles sont liées à la transmission d'un patrimoine de références très archaïques, conçu en fonction des connaissances rationnelles acquises avec les moyens d'observation rustiques que sont les cinq sens.

L'apparition (d'abord avec les lentilles, au XVIème siècle, puis avec d'autres techniques plus raffinées) de moyens d'observation permettant d'aller dans l'intime des corps et des phénomènes tels la fécondation, doit avoir, plus ou moins rapidement, des effets sur nos systèmes de représentation. Cela va prendre du temps, mais cette mutation, qui a commencé avec l'apparition de la lentille et de tous les procédés d'observation qui nous ont permis d'entrer dans un monde de rationalité différent, aura nécessairement des conséquences sur nos représentations. Nous vivons actuellement cette mutation dans le monde occidental.

Enfin, jusqu'à nos jours, seules les femmes ont été accusées d'être responsables de la stérilité, car le sperme était toujours considéré comme fécond. Ce fameux "mauvais vouloir" des femmes faisait parfois que l'utérus le refusait. La stérilité masculine n'est pas reconnue encore dans bien des sociétés traditionnelles, car elle est toujours assimilée à l'idée d'impuissance, et donc stigmatisante.

Comment sortir d'une structure aussi solidement charpentée que celle des représentations globales, d'autant que les catégories binaires fondées sur la différence sexuée sont toujours celles qui nous servent à penser ? Et donc comment dissoudre la hiérarchie, qui semble y être intimement associée ? La réponse se trouve dans l'octroi du droit à la contraception aux femmes du monde occidental, pour commencer. Si la mise en tutelle a pour cause la nécessité pour les hommes d'user au mieux de la fécondité féminine en refusant aux femmes la capacité de décision, c'est en rendant aux femmes le droit de disposer d'elles-mêmes fondamentalement, qu'on leur reconnaît le statut de personne juridique pleine et entière. Car le droit à la contraception implique notamment toute une série d'autres droits, acquis pour l'essentiel en Occident, mais qui ne le sont pas dans bien d'autres parties du monde : ne pas être mariée avant la puberté, consentir au mariage, choisir son conjoint, avoir le droit de divorcer en étant protégée par la loi et non pas subir simplement la répudiation, etc...

Pour moi, le droit à la contraception est le levier essentiel, qui permet de sortir du rapport de domination latent ou manifeste du masculin sur le féminin.

Il est donc important de veiller à ce que nul retour en arrière ne l'atteigne. Il préconditionne tous les autres acquis : parité politique, égalité d'accès à l'enseignement, aux soins, aux activités professionnelles, égalité de salaire, égalité dans les promotions aux postes supérieurs, partage des tâches, etc... ; rien de tout cela ne peut être acquis durablement ou même mis en place, si n'est déjà gravie cette première marche qui fait des femmes des individus à part entière, autonomes, responsables d'elles-mêmes en étant maîtresses de leur corps.

La contraception accordée aux femmes est due, d'une certaine manière, à une erreur d'interprétation. Il n'est pas sûr que le législateur ait eu clairement conscience de tout ce que ce droit supposait, à savoir la démolition de l'ensemble des représentations qui régissent les rapports du masculin et du féminin. C'était une manière de laisser encore à la charge des femmes tout ce qui relève de la fécondité et tout ce qui touche aux enfants, comme le veut l'usage. D'autant que la recherche sur la contraception masculine est très peu poussée, parce que l'ingestion de ce type de pilule touche profondément aux représentations identitaires de la virilité. Le résultat est à la fois une absence de recherche sur la contraception masculine, à cause des réticences des intéressés, et le piétinement actuel des travaux de recherche sur la contraception féminine - qu'il faudrait relancer. La recherche a été ralentie, car on a pris conscience de ce que cela voulait dire pour l'émancipation sociale des femmes et non pas seulement pour la régulation des naissances dans le cadre familial.

Ce sont ces éléments qu'il faut avoir présent à l'esprit lors de la révision des lois bioéthiques. Il convient absolument de ne jamais reculer sur les points essentiels que sont la contraception, la contraception d'urgence et l'IVG, et de faire appliquer la loi qui allonge le délai d'aménorrhée de douze à quatorze semaines.

En ce qui concerne l'assistance médicale à la procréation (AMP), je ne suis pas de celles qui pensent qu'il y a un droit à l'enfant et que la société doit satisfaire cette revendication coûte que coûte.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Ne pensez-vous pas plutôt que l'on est revenu à un devoir d'enfant ? Après la période des Trente Glorieuses - 1960 à 1990 -, où l'on a pu contester l'obligation de la maternité, avec Simone de Beauvoir, la contraception, l'IVG, il me semble que l'AMP nous fait faire marche arrière et revenir à un devoir d'enfant.

Mme Françoise Héritier : Non, je ne le pense pas, notamment en raison de ce que j'entends lors des réunions du Comité consultatif national d'éthique. Les couples revendiquent le droit à la satisfaction d'avoir un enfant. Ils ont attendu, pour différentes raisons, et ils décident un jour que le moment est venu. Si l'enfant ne vient pas, le droit à l'enfant les conduit à se porter vers les méthodes de procréation assistée, qui ne sont d'ailleurs pratiquement plus des inséminations artificielles avec donneur, ce qui correspond bien à l'idée que la stérilité masculine est mal assumée, ou tout au moins le don de gamètes mâles. Le désir d'enfant est devenu un droit à l'enfant ; le devoir d'enfant, comme il l'a été sous le maréchal Pétain, non, je ne pense pas.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Je pensais plutôt à une pression sociale extrêmement forte - entourage, famille, amis.

Mme Françoise Héritier : En effet, cette pression existe, mais elle est contrebalancée par une autre pression : la revendication de la vie libre et du libre choix. Mais, lorsqu'ils choisissent d'avoir un enfant, les couples revendiquent alors le droit à l'enfant ; or je ne pense pas que ce désir doive être satisfait coûte que coûte.

De même, je ne pense pas que l'affiliation biologique doive l'emporter sur l'affiliation affective et sociale. La paternité et la maternité n'ont pas nécessairement à être biologiquement reconnues. Je regrette, par exemple, les changements du code civil, dans les années soixante-dix, qui, s'ils ont fait de la vérité biologique un mode de reconnaissance de la filiation - ce qui semble normal - l'ont rendu opposable aux trois autres, la filiation légitime, la volonté et la possession d'état. Désormais, on peut contester la filiation légitime en utilisant le critère de la vérité biologique. Ce qui veut dire que l'on détruit ce qui fait véritablement le social, à savoir la reconnaissance du lien, qui n'est pas nécessairement le lien biologique.

L'assistance médicale à la procréation existe ; faut-il l'encadrer davantage afin d'éviter que des femmes soient amenées à faire une vingtaine de tentatives sans succès ? Il me semble que ce serait une bonne chose.

S'agissant de l'anonymat du donneur...

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : ...qui est confirmée dans les lois bioéthiques.

Mme Françoise Héritier : Il s'agit d'une bonne jurisprudence qui permet d'éviter les conflits.

Il est également utile d'avoir confirmé l'impossibilité de choisir le donneur parmi les membres de la famille, malgré toutes les revendications qui sont faites. Et ce pour une raison fondamentale : il s'agit d'un inceste du deuxième type. Fertiliser l'ovule de sa belle-soeur, par exemple, c'est, pour un homme, coucher avec les deux s_urs, par médecin interposé. Il convient de ne pas oublier que si l'on autorise ce genre de chose, on est en contradiction avec la loi : or, comment autoriser médicalement ce que la loi interdit ? Car le code civil interdit le mariage, en ligne directe, entre un homme et la fille de son épouse, et entre une femme et le fils de son époux, même après dissolution de l'union, et elle l'interdit en collatéralité, entre beaux-frères et belles s_urs, sauf après dissolution de l'union. Donc, quand un homme demande à son frère d'être le donneur, il s'agit d'un inceste du deuxième type interdit par le code civil.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Cette question ne sera pas abordée dans les lois bioéthiques.

Mme Yvette Roudy : En revanche, nous parlerons des dons d'organes - dont ceux de gamètes - qui sont anonymes.

Mme Françoise Héritier : J'en arrive maintenant à l'accouchement sous X qui protégeait essentiellement les familles bourgeoises ; aujourd'hui, il protège surtout les jeunes filles maghrébines contre les violences paternelles ou fraternelles. Cependant, il doit être possible d'assurer la confidentialité de l'accouchement sans pour autant passer par l'accouchement sous X. Cela nous permettrait de résoudre un problème d'égalité : en effet, il n'y a pas de raison que l'on puisse rechercher son père biologique et pas sa mère. En outre, l'intérêt de l'enfant est toujours le grand oublié. Et j'ajouterai l'intérêt des mères, car de nombreuses jeunes femmes, contraintes d'abandonner leur enfant, le regrettent des années plus tard lorsqu'elles ont acquis une stabilité. Il serait donc souhaitable que soit avancée l'idée que tous les pays d'Europe ont levé l'anonymat, et que la loi de 1996, qui permet d'avoir accès à des données non identifiantes, est tout à fait insuffisante. Même si le lobby pour l'adoption pousse au maintien de l'accouchement sous X, je ne pense pas qu'il doive être maintenu en l'état, au nom de l'égalité et de l'intérêt de l'enfant.

J'en viens maintenant au diagnostic prénatal (DPN) et au diagnostic préimplantatoire (DPI). Sauf évidence médicale de transmission sexuée d'une pathologie grave, il convient de veiller à ce que le DPN et le DPI ne servent pas au choix du sexe. D'aucuns souhaitent que l'on fasse une exception pour les couples qui ont eu, par exemple quatre garçons et qui souhaitent une fille, ce qui me paraît dangereux - bien que je n'aie pas une opinion encore très tranchée à ce sujet. Dans l'absolu, la tentation est toujours grande de faire des fils, et nous ne savons pas, si l'on ouvre cette porte, ce que l'avenir nous réserve. Actuellement, la Chine et l'Inde procèdent à des avortements sélectifs de filles, en utilisant l'échographie. Cela est devenu tellement grave en Inde, que l'on vient d'interdire aux échographes de rechercher le sexe de l'enfant ; mais on en est maintenant arrivé à faire des DPN ou des DPI pour choisir le sexe de l'enfant.

En ce qui concerne le clonage, c'est surtout le clonage reproductif qui est en cause. Cependant, dans le clonage thérapeutique, il y a tout de même la production nécessaire d'ovules ; donc l'idée du risque d'instrumentalisation du corps des femmes pour obtenir, de façon marchande, les ovules nécessaires. Or la loi précise bien que le corps humain n'est pas une marchandise. Il convient donc d'être vigilant et de le prévoir dans la loi.

Quant au clonage reproductif, il est interdit par tous les gouvernements des grands Etats du monde, et à juste titre. Mais pour une raison qui ne me semble pas être la bonne ; il est dit que le clonage reproductif serait une atteinte à la dignité humaine. Or la dignité humaine est rarement définie. Pour être honnête, un enfant qui naîtrait de cette façon serait un enfant comme un autre. Ce qui est en cause, c'est non pas la dignité, mais l'atteinte au lien social. Or le lien social est fondé sur l'altérité.

Dès les origines de l'humanité, il y a deux plaisirs d'être entre soi. D'abord, être avec ses consanguins sur un même territoire ; ce plaisir a été barré sur le plan de la procréation par la prohibition de l'inceste. Ensuite, le second plaisir est d'être entre des personnes de même sexe. Cela se voit moins de nos jours dans nos sociétés, mais dans de nombreuses sociétés, les sexes sont séparés : les hommes ne rentrent chez eux que pour manger, copuler et dormir ; le reste du temps, ils sont entre eux dans les "maisons des hommes".

Ce plaisir n'est pas gênant tant qu'il n'est pas reproductif. Mais à partir du moment où il y a possibilité qu'il le devienne, par le clonage, il est interdit, en utilisant un mauvais argument, car il est attentatoire, non pas à la dignité humaine, mais au lien social. Car il privilégie la reproduction du même par le même. Alors que le social n'existe que dans la mesure où l'autre, le différent, est introduit dans la relation.

Il y a peu de chances pour que le clonage existe jamais, et ce pour deux raisons. Tout d'abord, dans l'hypothèse d'un clonage exclusivement masculin, il faudrait des utérus et des ovules en quantité, ce qui supposerait une instrumentalisation des femmes, même si l'on pensait remplacer l'utérus féminin par des utérus de brebis, de truies ou de vaches, mais nous n'en sommes pas encore là. Nous revenons toujours à cette incapacité de l'homme à se reproduire par lui-même.

Le grand danger pour la société, n'est pas le clonage masculin et l'instrumentalisation du corps des femmes, mais le clonage féminin - qui pourrait fonctionner immédiatement et sans problème. Dans ce cas, l'homme n'est pas nécessaire, ce qui entraînerait à terme la disparition du genre masculin. Rien que pour cette raison, il y a de fortes chances qu'il n'existe jamais, comme mode normal et légal de reproduction.

Je voudrais dire également un mot sur l'omission des problèmes féminins. Il serait bon, en effet, de ne pas omettre la recherche médicale sur l'ostéoporose (et son remboursement par la sécurité sociale), la contraception, le cancer du sein, les grossesses, les suites des accouchements, les politiques de santé au féminin, qui ne sont pas à l'ordre du jour. C'est là l'envers du fait que bioéthique au féminin s'entend comme le rapport exclusif des femmes avec la procréation.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Tout à fait ; il convient de ne pas oublier toute une politique de santé au féminin.

Audition de Mmes Madeleine Dayan-Lintzer, gynécologue,

et Sylvie Epelboin, gynécologue-obstétricienne à l'hôpital Saint-Vincent de Paul

Réunion du mardi 18 décembre 2001

Présidence de Mme Martine Lignières-Cassou

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Nous avons le plaisir d'accueillir maintenant Mmes Madeleine Dayan-Lintzer, médecin gynécologue, spécialiste des problèmes de l'infertilité, qui s'intéresse à l'accompagnement des couples ayant recours à l'AMP, et Sylvie Epelboin, gynécologue obstétricienne, responsable d'AMP à l'hôpital Saint-Vincent-de-Paul.

Nous avons souhaité vous entendre dans la perspective de l'examen à l'Assemblée nationale du projet de loi relatif à la bioéthique, les 15, 16 et 17 janvier prochains. La Délégation souhaite participer au débat concernant l'AMP, et a été saisie pour avis par la commission spéciale chargée d'étudier ce texte.

Si l'infertilité est un problème de couple et si la stérilité masculine est tout aussi importante que la stérilité féminine, les femmes sont au c_ur du dispositif de l'AMP, puisqu'elles subissent les traitements et les interventions les plus lourdes. Nous souhaiterions donc recueillir de votre part des informations concrètes sur la pratique de l'AMP, l'accueil réservé aux femmes, lors de leur démarche, l'accompagnement de la femme et du couple - notamment psychologique - , l'information donnée par les médecins sur les techniques, les examens, les conséquences, les effets secondaires, le contenu des protocoles passés entre le médecin et la patiente ainsi que les taux de réussite.

Les conditions sociales d'accès à l'AMP répondent, aujourd'hui, à des conditions strictes, que le projet de loi ne prévoit pas de modifier. Quelle est votre opinion s'agissant du transfert des embryons post-mortem ? Conviendrait-il de revoir la règle de l'anonymat pour le don des gamètes ? La congélation systématique des embryons, notamment après dons d'ovocytes, pour des raisons de sécurité sanitaire, ne devrait-elle pas être revue ? Aujourd'hui, certains traitements de stimulation ovarienne sont extrêmement lourds et comportent des risques. D'autres modes de prélèvement sont-ils envisagés ?

Mme Madeleine Dayan-Lintzer : En tant que médecin gynécologue, je suis amenée à accueillir, à l'hôpital, comme en consultation privée, des couples qui se plaignent d'infertilité. La première question qui se pose à moi est la suivante : s'agit-il simplement d'une impatience à concevoir ou d'une véritable infertilité ? Quelle que soit la définition de l'infertilité, ces couples sont cependant dans un état de souffrance et de questionnement sur leur incapacité à procréer.

Je pense pouvoir vous apporter mon expérience sur la réflexion, en amont, de la décision de recourir à la procréation assistée. Lorsque le médecin est confronté à cette situation de souffrance - ne pas pouvoir faire un enfant au moment où l'on a choisi d'en avoir un -, il est pris, lors de la première consultation, entre deux injonctions : d'une part, déclencher une batterie d'examens ; ce choix a pour effet secondaire, outre l'encombrement dans leur vie personnelle et le coût que cela représente, d'authentifier leur infertilité. D'autre part, renvoyer le couple à leur normalité supposée - cela ne fait que deux ou trois mois qu'ils essaient de faire un enfant - et lui demander de revenir dans quelques mois. Cette seconde attitude nierait l'inquiétude du couple, sa mobilisation, le trouble que cet échec induit, et les abandonnerait à leur sort, ce qui n'est pas une option séduisante pour un médecin. Bien entendu, lorsque la première consultation a lieu au bout de deux ans de tentatives et que le couple a une quarantaine d'années, la question ne se pose pas de la même manière.

Quelle que soit la richesse et l'étendue de nos connaissances sur la biologie de la reproduction et sur les interventions médicales possibles d'assistance à la reproduction, le corps du vivant, masculin et féminin, n'est pas réductible au corps biologique ; l'humain et la transmission de la vie nous échappent. Nous n'avons pas une maîtrise toute puissante sur la conception, mais il n'est pas toujours simple de faire adhérer à cette idée les couples qui viennent nous consulter. Il est certainement plus facile, pour eux, de penser que le médecin est là pour "réparer" ce qui ne fonctionne pas, plutôt que de se dire qu'il convient de laisser du temps au temps et que la conception est un événement aléatoire.

Notre travail est d'accueillir et d'accompagner ces couples sur cette souffrance qu'ils traversent, à savoir ne pas avoir d'enfant au moment où ils ont choisi d'en avoir un. Le médecin va donc accompagner les patients dans leurs questionnements, adapter ses choix selon leur âge, les rassurer. Il va respecter à la fois le temps de l'aléatoire de la fertilité - chaque cycle amène des chances supplémentaires de concevoir -, l'injonction du temps de la fertilité féminine et de l'échéance de la qualité des ovules. Il va ensuite proposer des examens, un diagnostic le plus clair possible, puis l'accès à l'AMP. Avec toute une série de réflexions sur les infertilités énigmatiques pour lesquelles, après un certain temps - et après que l'on se soit assuré que les personnes ont bien des relations sexuelles - nous allons proposer une AMP.

L'aide médicale à la procréation est, bien entendu, une aide inestimable, mais elle nous fait également entrer dans une espèce d'activisme qui fait oublier que c'est d'un enfant qu'il s'agit, et non pas seulement de museler un symptôme de stérilité tellement douloureux. Par ailleurs, de nombreuses questions se posent : s'agit-il d'une grossesse souhaitée pour se "normaliser", y a-t-il une volonté de faire plusieurs enfants ? J'ai le sentiment qu'à partir du moment où les patients entrent dans le processus d'AMP, il n'est pas possible de leur demander d'avoir du recul. Il nous appartient donc d'accompagner les couples et de relancer, notamment entre les cycles, la réflexion autour du projet d'enfant. L'infertilité est aussi, dans certains cas, le reflet d'une souffrance antérieure enfouie.

Mme Sylvie Epelboin : Je voudrais prolonger les propos de ma collègue, qui ne pourront peut-être pas être traduits par des articles, au moment de la révision de la loi sur la bioéthique, mais qui peuvent refléter une ambiance ; le débat pourrait alors prendre en compte la souffrance et la problématique des couples qui nous consultent.

Faisant partie du Groupement d'études sur le don d'ovocytes (GEDO), je pourrai vous apporter des éléments précis sur le don d'ovocytes et l'accueil des embryons. Mais je voudrais tout d'abord revenir sur l'accueil et l'information des patients.

La loi de 1994 a eu de nombreux effets bénéfiques, notamment cette obligation, pour toutes les institutions, de donner aux patientes et aux couples une information claire. Désormais, dans tous les centres d'aide médicale à la procréation, vous pouvez trouver des brochures d'information.

Nous sommes l'une des rares spécialités à avoir une obligation, non seulement de moyen, ce qui est légitime, mais également de résultat.

Les résultats sont rendus de deux façons : d'une part, fiche par fiche, par tentatives et par grossesses dans un bilan final, parrainé par l'INSERM et par l'industrie pharmaceutique - ce qui est dérangeant -, et, d'autre part, dans un bilan ministériel, qui est une auto-évaluation ou chacun est censé déclarer le nombre de ses tentatives, ses succès, etc.... Il n'y a pas de transparence dans les résultats et la Direction générale de la santé ne dispose pas des moyens nécessaires pour les exploiter et les rendre compréhensibles aux personnes concernées.

Des enquêtes ont été menées par les médias, notamment par "Que Choisir" ; nous en sommes très gênés, car le classement des centres est fait en fonction du nombre de grossesses obtenues. Or, si un couple veut multiplier ses chances de réussite, il doit savoir aussi quelles sont les pathologies traitées plus particulièrement par les centres, quelle est la population chez qui les succès sont les plus grands. Il convient donc d'évaluer, non seulement la compétences des médecins, mais également l'effort de certaines équipes, notamment hospitalières, qui s'occupent de pathologies moins gratifiantes. Il faut savoir ce que l'on veut : obtenir des résultats à tout prix ou donner leur chance à certaines femmes qui vont être refusées dans certains centres.

Il convient aussi de savoir combien d'embryons seront, en moyenne, transférés et connaître le taux de grossesses multiples. En effet, le nombre de grossesses obtenues augmentant parallèlement au nombre de grossesses multiples, il faut accepter une diminution des succès, si l'on veut éviter les grossesses de triplés.

C'est la raison pour laquelle il faut souhaiter que le ministère publie les résultats ; ainsi, nous connaîtrons le nombre moyen d'embryons transférés, le nombre de grossesses multiples et le nombre d'enfants vivants en bonne santé. Voilà un point qui pourrait être davantage précisé dans la loi, afin d'éviter la publication de chiffres non significatifs.

S'agissant toujours de l'information, je voudrais souligner un point : alors que le slogan, il y a quelques années, était "un enfant, si je veux, quand je veux", il faut savoir que nous ne sommes pas capables de maîtriser la fertilité. Bien entendu, nous avons des pistes et des techniques extraordinaires, mais elles ont des limites, notamment l'âge des femmes et le manque d'informations. La baisse de la fertilité féminine, liée à l'âge des femmes, est une limite importante, que les couples ne connaissent pas et qui nous amène à refuser la prise en charge d'un grand nombre de femmes.

Je voudrais également préciser que le champ de compétence de l'AMP est très particulier, puisqu'il fait partie de la gynécologie-obstétrique, mais que les biologistes ont pris un pouvoir de plus en plus grand dans ce domaine, ce qui est d'ailleurs souhaitable, puisqu'ils sont également responsables au regard de la loi. Mais cette obligation de double responsabilité, de double consultation, est un alourdissement considérable pour les couples.

Nous sommes donc dans un domaine particulier, qui n'est pas encore suffisamment défini. Le cycle des femmes, par exemple, ne souffre pas d'une interruption de week-end pour les traitements ; depuis vingt ans que ces techniques existent, les professionnels de l'aide médicale à la procréation sont totalement bénévoles pour leurs astreintes et gardes de week-end. Il s'agit vraiment d'une discipline à part - les médecins qui pratiquent les IVG ont également ce sentiment - ; nous passons après l'obstétrique et la néonatologie.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : J'ai eu en effet connaissance de la mise en place, dans différents services d'obstétrique, d'une partie IVG et AMP, afin de permettre aux équipes de ne pas pratiquer uniquement des IVG, mais de pouvoir également pratiquer de l'AMP.

Mme Madeleine Dayan-Lintzer : Vous posez la question de la vocation des équipes : pourquoi avons-nous choisi la gynécologie et de quelle manière sommes-nous gratifiés ? Nous ne sommes pas reconnus, mais ce métier nous passionne. C'est le plaisir des équipes et notre propre course à l'enfant - ou l'absence d'enfant quand il s'agit d'IVG. Cela montre à quel point il est difficile d'être objectif.

Mme Sylvie Epelboin : Cela prend beaucoup moins de temps et c'est plus facile de dire oui à une démarche d'AMP que de passer une heure en consultation à expliquer pourquoi la médecine n'est pas compétente dans ce domaine. Tout le temps d'accompagnement est de l'ordre du non-dit ; ce travail n'est pas répertorié dans les bilans ministériels.

Mme Madeleine Dayan-Lintzer : Nous pouvons tout de même essayer de faire passer l'idée qu'il faut un accompagnement, une écoute, un accueil qui dépasse la seule prise en charge technique, dont ont besoin le monde médical et les hommes et les femmes confrontés à cette difficulté. Cela nous donnerait, en outre, la possibilité d'être plus efficaces, que ce soit dans la non prise en charge ou dans la prise en charge ; nous ne pouvons pas faire l'impasse sur la dimension d'écoute et d'accompagnement, alors que l'on sait très bien qu'elle est indispensable pour dresser le diagnostic et pour que l'échec, ou la réussite, soit bien vécu.

On peut s'interroger aussi sur le fait de compter les succès en termes d'enfant. Cet enfant peut être vécu autrement que comme le produit bien fini d'une technique rodée ; il est le fruit de la transmission de la vie, que nous sommes loin de maîtriser complètement.

Mme Sylvie Epelboin : Je voudrais pour ma part insister sur certains articles, notamment l'article L. 2141-10 du code de la santé publique qui prévoit la vérification obligatoire de la motivation de l'homme et de la femme et leur information sur les possibilités d'adoption. Cette vérification obligatoire de la motivation du couple est, bien entendu, réalisée dans une pratique correcte, mais c'est en fait très compliqué, car nous ne souhaitons pas faire une intrusion excessive dans la vie des couples.

La responsabilité à l'égard d'un enfant à naître, crée des exigences envers l'aide médicale à la procréation, qui sont absentes des procréations naturelles.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : C'est le même problème pour l'adoption.

Mme Madeleine Dayan-Lintzer : Une des caractéristiques du désir d'enfant, c'est l'ambivalence. Je ne sais donc pas comment le législateur peut prendre en compte l'ambivalence lorsqu'il parle des motivations.

Mme Yvette Roudy : Qu'entendez-vous par ambivalence ?

Mme Madeleine Dayan-Lintzer : "Je veux et je ne veux pas, je veux et j'ai peur, je veux et je ne dois pas, je veux et je ne peux pas..." Toutes ces ambivalences, qui induisent des infertilités, dont la thérapeutique seraient peut-être allégées si l'on prenait la peine d'écouter les couples dans le paradoxe de leur désir d'enfant.

Mme Yvette Roudy : Cela ne peut-il pas être écrit dans l'entretien obligatoire ?

Mme Sylvie Epelboin : Il faudrait une petite modification sémantique. Ce qui me gêne, c'est la vérification obligatoire de la motivation de l'homme et de la femme.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Faut-il proposer systématiquement un entretien en amont ?

Mme Sylvie Epelboin : Avec un psychologue ?

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Nous avons tendance à réduire les questions de désir d'enfant à des questions psychologiques et nous avons une faible capacité à renvoyer les personnes intéressées à des questionnements d'ordre philosophique ou religieux, ce que je trouve réducteur.

Mme Yvette Roudy : Nous devons insister sur le fait que l'entretien obligatoire prévu par la loi de 1994 permettra aux couples de prendre conscience du parcours qu'ils vont entreprendre : les échecs possibles, les stimulations ovariennes, les bouleversements que l'AMP va engendrer. Cet entretien va leur permettre de réfléchir et de discuter entre eux. En revanche, il ne me paraît pas nécessaire d'aller au-delà.

Mme Sylvie Epelboin : Cet entretien obligatoire existe déjà. Non seulement les personnes intéressées viennent s'informer, mais le médecin établi un bilan, propose un diagnostic et revoit ces personnes. Lors des visites ultérieures, il y a un échange obligatoire et important. Les couples qui ont reçu cette information vont poser des questions. Par ailleurs, le médecin, qui aura prescrit des examens complémentaires aura, lui aussi, de plus amples informations. Il existe donc déjà tout un cheminement et il est évident que l'aide médicale à la procréation ne s'effectue jamais immédiatement.

La loi de 1994 nous oblige à signer un certificat au moins un mois après la première consultation pour "prouver" que les personnes entrant dans une démarche d'AMP ont reçu le dossier guide et confirment leur souhait.

Le débat doit porter sur la question de savoir où commence l'aide médicale à la procréation. Moi qui reçoit les couples à un moment déjà avancé du processus, je constate qu'ils arrivent usés par des années de traitements inefficaces et mal adaptés.

Le parcours en lui-même - la stimulation hormonale, le prélèvement ovocytaire - c'est un encadrement difficile, mais ce n'est pas là que commence la difficulté. Tout le débat est là : où commence l'encadrement, la formation, la prescription des traitements ?

Puisque vous avez évoqué l'adoption, je voudrais y revenir pour dire qu'il s'agit d'une autre difficulté. La loi nous demande de faire une information sur l'adoption. A l'heure actuelle, les institutions qui s'occupent d'adoption exigent des couples d'avoir fait le deuil d'un enfant biologique. J'estime que lorsque je leur explique que l'on n'y arrivera pas, il serait temps de démarrer un dossier d'adoption et cela ne nuirait pas à la démarche d'aide médicale à la procréation. Tant que les institutions en charge d'adoption obligeront les couples à mentir sur leur parcours d'aide médicale à la procréation, nous ne pourrons pas leur donner cette information essentielle.

Mme Yvette Roudy : Avons-nous des statistiques ? Savez-vous combien de couples, ayant subi des échecs d'AMP, se tournent vers l'adoption ?

Mme Sylvie Epelboin : Non, mais il y en a un certain nombre. Les couples se posent la question de l'adoption, lorsque plusieurs tentatives ont échoué.

Mme Yvette Roudy : Vous limiteriez les tentatives ?

Mme Sylvie Epelboin : Elles se limitent d'elles-mêmes. Certains couples vont tout de même d'un centre à l'autre et ne le disent pas.

Mme Yvette Roudy : D'après votre expérience et dans l'intérêt des couples quel est le nombre de tentatives raisonnable ?

Mme Sylvie Epelboin : Je parlerai, non pas en termes de tentatives, mais de nombre d'embryons ; nous souhaitons en effet transférer, au cours d'une tentative, un certain nombre d'embryons - deux, et exceptionnellement trois -.

Mme Yvette Roudy : Les embryons congelés permettent d'éviter un trop grand nombre de stimulations ovariennes.

Mme Sylvie Epelboin : Si au bout de sept transferts de deux embryons, il n'y a aucun succès, c'est qu'il existe un tout autre problème. Mais je ne pense pas qu'il faille limiter le nombre de tentatives.

En revanche, il existe un problème très important : l'interdiction de détruire les embryons. La loi est d'un flou extraordinaire. Les embryons sont gardés pendant cinq ans. Certains couples, ayant eu deux ou trois enfants depuis 1994, demandent aujourd'hui la destruction de leurs embryons. Ils ne se comportent plus comme des couples stériles ayant un devoir envers la société.

Par ailleurs, quotidiennement, des embryons sont détruits. Au deuxième jour, les embryons sont cotés en fonction de leur qualité évolutive, en fonction du nombre de fragments cellulaires existant à côté des cellules qui se divisent ; il y a les embryons de type A - pas de fragments-, B - moins de 20 % de fragments -, C - 50 % - et D. Les embryons A et B sont transférables immédiatement ou congelables avec des chances de succès à la décongélation. Les embryons C peuvent donner des enfants, mais ne sont pas congelés, car ils risquent de ne pas être de bonne qualité à la décongélation. Enfin, les embryons D sont en général dégénératifs. Dans tous les laboratoires de FIV en France, les embryons de types C et D sont jetés quotidiennement.

Mme Yvette Roudy : Ils pourraient servir à la recherche.

Mme Sylvie Epelboin : Peut-être, mais il ne s'agit pas d'embryons évolutifs.

En revanche, aucun biologiste n'a le droit de décongeler les embryons de type A et B ; comme si le fait de les avoir congelés leur conférait une parcelle d'humanité supplémentaire. C'est extraordinaire symboliquement.

Mme Yvette Roudy : Le projet de loi indique que les embryons qui ne font pas l'objet d'un projet parental devront être détruits au bout de cinq ans. Par ailleurs, il est autorisé de s'en servir pour la recherche.

Mme Madeleine Dayan-Lintzer : C'est une bonne chose, car actuellement des couples séparés demandent la destruction de leurs embryons, ce que leur refusent les médecins.

Mme Yvette Roudy : La question essentielle est la suivante : à qui appartient l'embryon ? Ce qui nous amène au problème de l'implantation post-mortem. Personnellement, je pense qu'il serait intéressant de laisser la décision d'autoriser ou non cette implantation à l'Agence de la procréation et qu'il ne fallait pas légiférer.

Mme Sylvie Epelboin : Je suis d'accord avec vous. Il ne fallait pas légiférer sur ce point. Si l'on crée cette haute autorité, il conviendrait d'inscrire dans la loi que chaque cas doit être discuté, afin que la femme puisse venir présenter sa problématique. Ensuite, un collège - non impliqué affectivement - prendrait la décision. En France, il n'existe que très peu de dérives.

Mme Yvette Roudy : Que pensez-vous de l'idée d'une Agence ?

Mme Sylvie Epelboin : Elle fonctionne très bien en Angleterre.

Mme Yvette Roudy : Oui, mais on ne nous propose pas la même !

Mme Sylvie Epelboin : La commission nationale de médecine et de biologie de la reproduction et du diagnostic prénatal, dans laquelle nous avions fondé un immense espoir, ne dispose pas des moyens de jouer son rôle. Nous n'avons pas de référence, donc tout autre modèle est bon à prendre.

Mme Yvette Roudy : L'article 8 du projet de loi concerne les dons de gamètes. Compte tenu de la fréquence des familles monoparentales et de la pénurie de gamètes, les dispositions législatives actuelles, qui exigent que le donneur fasse partie d'un couple et qu'il ait au moins un enfant à l'intérieur de ce couple, apparaissent très restrictives. Aussi, cet article 8 maintient-il la référence à la seule notion de parentalité, afin de permettre aux personnes veuves, divorcées ou célibataires, ayant déjà eu un enfant, d'être donneurs.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Pouvons-nous maintenant aborder le contenu des protocoles entre le médecin et la patiente. Ont-ils un sens ? Par exemple, est-il indiqué que l'on s'engage pour quatre FIV ?

Mme Sylvie Epelboin : Non, cela n'est écrit nulle part. Les couples et les médecins s'engagent sur une seule tentative de fécondation in vitro.

Mme Madeleine Dayan-Lintzer : Il est difficile, à la fois de proposer une technique et d'expliquer qu'il existe des risques d'échec. La dérive des protocoles et des contrats existe quand ils ne sont pas expliqués.

Mme Sylvie Epelboin : L'entretien préliminaire n'est pas plus à mettre dans un texte que l'entretien après un échec pour trouver les causes de l'échec et établir un nouveau projet.

Il ne me semble pas que les équipes actuelles, en France, proposent un contrat pour X tentatives. En revanche, lors des consultations préliminaires à la mise en route d'un protocole d'AMP, il est légitime de fixer des échéances. Et après chaque échec, le projet est redéfini, les solutions sont rediscutées. Aucun projet définitif n'est satisfaisant.

Mme Madeleine Dayan-Lintzer : Nous tenons aux consultations intercalaires et préliminaires. Si elles ne peuvent pas être codifiées, peut-être pourrions-nous les envisager dans le code de bonne conduite. Par ailleurs, nous pourrions considérer, dans les protocoles de FIV, que ces consultations demandent du temps.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Devez-vous remplir ce type de mission d'accompagnement et d'explication ?

Mme Madeleine Dayan-Lintzer : Absolument ! Une telle prise en charge élargirait le champ des professionnels de l'écoute et de l'accompagnement ; l'ensemble des remises en question préliminaires et intercalaires pourraient ainsi être prosaïques, multicolores.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Nous avions envisagé, dans un premier temps, mais nous ne l'avons pas inscrit dans le projet de loi, d'autoriser le recours au clonage thérapeutique. Pensez-vous qu'il serait possible d'ouvrir un marché entre les pays du Nord et ceux du Sud pour les ovocytes ? Par ailleurs, en ce qui concerne les FIV, les hyper-stimulations ovariennes sont mises en cause ; existe-t-il d'autres modes de prélèvement ?

Mme Sylvie Epelboin : Prélever les ovules uniquement lors des cycles spontanés est très difficile. Nous sommes donc obligés de pratiquer une hyper-stimulation ovarienne. Au début du cycle, il y a plusieurs follicules, puis, sous l'effet de l'hormone de croissance folliculaire, au cinquième jour, un follicule va devenir dominant.

Pour les stimulations mono-folliculaires, lorsqu'il y a eu un problème d'ovulation ou pour insémination, on va commencer les stimulations après le cinquième jour pour accompagner la croissance de ce follicule, qui va devenir un follicule ovulatoire.

En fécondation in vitro, nous allons supprimer ce phénomène de dominance, ou du moins nous allons essayer de faire pousser tous ces petits follicules qui, habituellement, disparaissent, de façon à avoir un recueil d'ovules et une mise en fécondation de tous ces ovules. Par rapport à la lourdeur du suivi, on obtient ainsi un nombre satisfaisant d'embryons.

Nous n'avons pas d'autres moyens, à l'heure actuelle, que de stimuler par l'hormone de croissance folliculaire. Nous ne disposons pas de critères absolus d'hyper-stimulation pathologique : chez certaines femmes, les ovaires se remettent à travailler de façon excessive, avec des risques. Les recherches se portent sur la stimulation in vitro de fragments d'ovaires. Cette pratique, où l'on extérioriserait totalement les ovaires, poserait d'autres problèmes sur la dissociation sexuelle. Mais nous n'aurons pas de résultat avant une dizaine d'années. Pour l'instant nous ne disposons pas d'autres moyens qu'une gestion raisonnable des stimulations. Par rapport à la Belgique et aux Etats-Unis, nous obtenons un nombre d'ovules beaucoup plus raisonnable.

Mme Madeleine Dayan-Lintzer : Je voudrais évoquer le double sens de l'hyper-stimulation : nous venons de parler de l'hyper-stimulation thérapeutique, mais il convient également de prendre en compte le syndrome pathologique.

Mme Sylvie Epelboin : En conclusion, je souhaiterais parler des dons d'ovocytes et de la congélation. Il s'agit d'une politique sécuritaire qui n'a pas lieu d'être. De nombreuses études démontrent que la congélation n'est pas nécessaire.

En outre, en ce qui concerne le don d'ovules, le parcours est long et difficile ; je suis agréée pour le don d'ovules, et je suis toujours aussi mal à l'aise d'avoir à stimuler des donneuses, alors que la loi précise que l'aide médicale à la procréation s'adresse à des personnes stériles. Ces femmes ne sont pas stériles, elles agissent par générosité.

Actuellement, nous contournons complètement la loi, qui nous interdit de subordonner le don au fait qu'un couple de receveurs se présente avec une donneuse ; en fait, nous sommes amenés, par pénurie, à refuser les femmes qui n'ont pas de donneuses. Et tant que l'on restera dans l'anonymat et la gratuité - ce dont, par ailleurs, je me félicite - ce problème ne sera pas résolu. Il sera seulement un peu amélioré si l'on supprime la congélation.

___________________

N° 3525.- Rapport de Mme Yvette Roudy, au nom de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, sur le projet de loi relatif à la bioéthique.

() Actes du colloque - DIAN n° 22/2001.

() Réviser les lois bioéthiques : quel encadrement pour une recherche et des pratiques médicales maîtrisées ? - DIAN n° 30/2001.

() Actes du colloque - DIAN n° 22/2001.

() Audition du 18 décembre 2001 (voir en annexe).

() Actes du colloque - DIAN n° 22/2001.

() Audition du 18 décembre 2001 (voir annexe).

() Actes du colloque - DIAN n° 22/2001.

() Audition du 18 décembre 2001 (voir annexe).

() Actes du colloque DIAN n° 22/2001.

() Brigitte-Fanny Cohen : "Un bébé, mais pas à tout prix". JC Lattès. Septembre 2001.

() Audition du 18 décembre 2001 (voir annexe).

() Actes du colloque DIAN n° 22/2001.

() Audition du 18 décembre 2001 (voir en annexe).

() Audition du 18 décembre 2001 (voir annexe).

() Université d'été de l'Assemblée des femmes - Lisieux 2000.

() Le rapport de M. Alain Claeys chiffre à 3 000 F le coût d'une IAC et à 20 000 F environ le coût d'une FIV ou d'une ICSI.

On estime en 1988 à 300 000 F la dépense consécutive à la naissance d'un enfant par fécondation in vitro, selon le dictionnaire permanent Bioéthique et Biotechnologies.

() Human fertilization and embryology authority.