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N° 3662

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 22 février 2002.

RAPPORT D'INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l'article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION
ET DE L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE
 (1)

sur la mise en _uvre de la loi n° 2001-1062 du 15 novembre 2001
relative à la
sécurité quotidienne.

ET PRÉSENTÉ

PAR M. BRUNO LE ROUX,

Député.

--

(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

Ordre public.

La Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République est composée de : M. Bernard Roman, président ; M. Pierre Albertini, Mme Nicole Feidt, M. Gérard Gouzes, vice-présidents ; M. Richard Cazenave, M. André Gerin, M. Arnaud Montebourg, secrétaires ; M. Léon Bertrand, M. Bernard Birsinger, M. Jean-Pierre Blazy, M. Émile Blessig, M. Jean-Louis Borloo, M. Michel Bourgeois, Mme Danielle Bousquet, M. Michel Buillard, M. Dominique Bussereau, M. Christophe Caresche, M. Patrice Carvalho, Mme Nicole Catala, M. Jean-Yves Caullet, M. Olivier de Chazeaux, M. Pascal Clément, M. Jean Codognès, M. François Colcombet, M. François Cuillandre, M. Henri Cuq, M. Jacky Darne, M. Camille Darsières, M. Francis Delattre, M. Bernard Derosier, M. Franck Dhersin, M. Marc Dolez, M. Renaud Donnedieu de Vabres, M. René Dosière, M. Julien Dray, M. Jean-Pierre Dufau, Mme Laurence Dumont, M. René Dutin, M. Renaud Dutreil, M. Jean Espilondo, M. Roger Franzoni, M. Pierre Frogier, M. Claude Goasguen, M. Philippe Houillon, M. Michel Hunault, M. Michel Inchauspé, M. Henry Jean-Baptiste, M. Armand Jung, M. Jérôme Lambert, Mme Christine Lazerges, Mme Claudine Ledoux, M. Jean Antoine Leonetti, M. Bruno Le Roux, M. Jacques Limouzy, M. Noël Mamère, M. Thierry Mariani, M. Jean-Pierre Michel, M. Ernest Moutoussamy, Mme Véronique Neiertz, M. Robert Pandraud, M. Dominique Perben, Mme Catherine Picard, M. Henri Plagnol, M. Didier Quentin, M. Dominique Raimbourg, M. Jean-Pierre Soisson, M. Frantz Taittinger, M. André Thien Ah Koon, M. Jean Tiberi, M. Alain Tourret, M. André Vallini, M. Alain Vidalies, M. Jean-Luc Warsmann.

INTRODUCTION 5

A. - ÉVALUATION D'ENSEMBLE 5

1. Dispositions associant le maire aux actions de sécurité 5

2. Dispositions modifiant le décret du 18 avril 1939 fixant le régime des matériels de guerre, armes et munitions 6

3. Dispositions relatives à la police judiciaire 6

4. Dispositions relatives à la sécurité et à la circulation routières 7

5. Dispositions renforçant la lutte contre le terrorisme 8

6. Dispositions modifiant le code monétaire et financier 9

7. Autres dispositions 9

B. - ÉVALUATIONS SPÉCIFIQUES 10

1. L'enlèvement des épaves automobiles 10

a) Travaux conduits 11

b) Evaluation 11

2. Les prérogatives des agents privés de sécurité 11

a) Travaux conduits 12

b) Evaluation 12

3. La lutte contre l'insécurité dans les transports 13

a) Travaux conduits 13

b) Evaluation 13

4. Le renforcement de la sécurité dans les parties communes des immeubles d'habitation 15

a) Travaux conduits 15

b) Evaluation 16

5. Le « témoignage anonyme » 17

a) Travaux conduits 17

b) Evaluation 17

CONCLUSION 19

DISCUSSION GÉNÉRALE 20

MESDAMES, MESSIEURS,

Le projet de loi relatif à la sécurité quotidienne était initialement ciblé sur un nombre limité de questions concrètes, telles que les armes à feu, les pouvoirs judiciaires de la police nationale, la sécurité des cartes de paiement ou la lutte contre les animaux dangereux. Toutefois, à l'Assemblée nationale notamment, mais également au Sénat, de très nombreux amendements, souvent d'origine parlementaire, ont été adoptés : la loi du 15 novembre 2001 s'est imposée, en définitive, comme un texte de référence, qui compte 71 articles et met en place des instruments nouveaux pour lutter contre la délinquance. Sa mise en _uvre doit progressivement conforter l'action de la police et de la gendarmerie, sur le fondement des principes qui structurent la politique conduite depuis 1997 en matière de sécurité : proximité, éducation et prévention, contrats et partenariat...

Dans ce contexte, la commission des Lois a demandé, le 20 décembre 2001, au rapporteur du projet de loi, d'évaluer les conditions de son application. Celui-ci a jugé utile, avant la fin de la onzième législature, de formaliser ses premières conclusions dans un rapport qui ne peut être considéré que comme un « bilan d'étape », la loi relative à la sécurité quotidienne ayant été adoptée il y a trois mois à peine. Ce travail porte sur l'ensemble des articles de la loi ; toutefois, ses dispositions les plus emblématiques font l'objet d'une évaluation spécifique.

A. -  ÉVALUATION D'ENSEMBLE

1. Dispositions associant le maire aux actions de sécurité

· La réécriture de l'article 1er de la loi d'orientation et de programmation relative à la sécurité du 21 janvier 1995 (article 1er de la loi du 15 novembre 2001) a consacré les fondements de la politique conduite depuis 1997 en matière de sécurité :

-  Alinéa 1er : il est désormais affirmé, en préambule, que la sécurité est une condition de la réduction des inégalités, car ce sont les plus défavorisés qui subissent en premier lieu la délinquance ; l'augmentation de la violence touche d'abord ceux qui vivent dans les quartiers difficiles.

-  Alinéa 2 : alors que la rédaction issue de la loi du 21 janvier 1995 privilégiait la défense de la sphère étatique (institutions, intérêt national, maintien de la paix) pour ensuite aborder la question des personnes, la logique est désormais inversée : c'est au travers du citoyen qu'est pris en compte l'enjeu de la sécurité.

-  Alinéa 3 : un alinéa nouveau consacre l'existence et le contenu des contrats locaux de sécurité (CLS), institués en octobre 1997 pour rassembler l'ensemble des acteurs locaux de la sécurité dans une démarche novatrice tendant à ne plus séparer la prévention, l'éducation et la répression.

· Les articles 2 et 3 formalisent les modalités d'une association renforcée des maires par les préfets aux actions de prévention de la délinquance et de lutte contre l'insécurité. L'application de ces dispositions a été précisée, dès le 3 mai 2001, par voie de circulaire. Par ailleurs, le Gouvernement prépare actuellement une refonte du décret du 1er avril 1992 (n° 92-343) relatif aux conseils départementaux et communaux de prévention de la délinquance (CCPD) : ce travail, qui satisfait un engagement pris par la garde des Sceaux, le 29 novembre dernier, à l'occasion de l'examen de la proposition de loi relative à la lutte contre l'impunité des auteurs de certaines infractions présentée par M. Jean Antoine Leonetti, devrait aboutir prochainement et mettre l'accent sur la réparation, l'articulation des CLS et des CCPD, le rôle des collectivités locales, et notamment des maires, au sein de ces dernières instances.

2. Dispositions modifiant le décret du 18 avril 1939 fixant le régime des matériels de guerre, armes et munitions

La réglementation sur les armes à feu a été notablement renforcée, mais l'effectivité des modifications apportées au décret-loi du 18 avril 1939 dépend encore de la parution de deux décrets en Conseil d'Etat.

-  Un premier décret, portant application des articles 4 à 7 (contrôle de l'implantation des armureries, conditions de participation aux foires et salons, sécurisation de la conservation des armes et mise en place d'une procédure de saisie administrative), fait actuellement l'objet d'une concertation interministérielle qui est sur le point de s'achever.

-  A moyen terme, un second décret mettra en place le fichier des personnes interdites institué par l'article 7.

On rappellera que le législateur avait prévu une entrée en vigueur des dispositions les plus importantes du chapitre II deux mois après la publication des décrets « et au plus tard le 30 juin 2002 ».

3. Dispositions relatives à la police judiciaire

L'article 13 a renforcé les prérogatives judiciaires de certains corps et agents de la police nationale.

-  Les agents du corps de maîtrise et d'application n'ayant pas la qualité d'officier de police judiciaire (OPJ) sont désormais agents de police judiciaire (APJ) dès leur titularisation et non plus au terme d'un délai de deux ans : cette mesure est particulièrement importante en région parisienne où les effectifs sont plus jeunes que la moyenne et souvent peu fidélisés ; elle s'est traduite par un apport immédiat de 9 500 APJ supplémentaires.

-  Les adjoints de sécurité (ADS) - qui ont rajeuni, dynamisé et diversifié le recrutement des unités de voie publique - sont agents de police judiciaire adjoints (APJA). 16 150 ADS étaient en fonction à la fin de 2001, dont 6 700 femmes.

-  Les agents de surveillance de Paris (ASP) peuvent verbaliser les contraventions aux arrêtés de police du préfet de police et du maire de Paris : un décret, qui devrait paraître prochainement, fixera la liste desdites contraventions (arrêtés réglementaires relatifs à la police du bon ordre, de la tranquillité, de la sécurité et de la salubrité sur la voie publique, ainsi qu'à la police de la circulation et du stationnement).

Les ADS, les ASP et les volontaires servant en qualité de militaire dans la gendarmerie ont compétence pour constater certaines infractions au code de la route : la liste de ces infractions fera également l'objet d'un décret. A priori, une compétence générale devrait être reconnue aux ADS et aux volontaires servant en qualité de militaire dans la gendarmerie, dans la mesure où ceux-ci sont en permanence au contact d'un OPJ. En revanche, la compétence des ASP serait assortie des mêmes restrictions que celles qui s'appliquent aux agents de police municipale et, partant, viser principalement les contraventions dont la commission trouble particulièrement l'ordre public en agglomération (vitesse excessive, dépassement dangereux, non respect du feu rouge, sens interdit) ; concomitamment, la compétence de ces deux catégories d'agents serait étendue aux contraventions commises par les piétons, notamment lorsqu'ils utilisent des moyens de circulation (type « rollers »).

4. Dispositions relatives à la sécurité et à la circulation routières (1)

· L'article 19 prévoit une immatriculation des véhicules à moteur à deux roues. Cette mesure peut avoir des effets très positifs tant en termes de tranquillité (lutte contre le bruit) que de sécurité publique (vols à la portière ou à l'arraché) ou routière. Toutefois, son entrée en vigueur est liée à un décret en Conseil d'Etat. Celui-ci est en cours d'élaboration mais sa parution ne devrait pas intervenir avant la fin de l'année : le Gouvernement a retenu le principe d'une réforme ambitieuse, les deux roues devant faire l'objet d'une immatriculation définitive (indépendamment des changements éventuels de propriétaires et de départements), reproduite, de surcroît, sur différentes pièces du véhicule. Elle pourrait servir de modèle pour une future réforme du mode d'immatriculation des automobiles.

· La lutte contre l'insécurité routière a également été renforcée par l'introduction d'une procédure de rétention immédiate du permis de conduire en cas d'excès de vitesse de 40 km/h ou plus (article 20).

-  Le seuil de 40 km/h est parfois contesté : certains font valoir qu'il aurait été préférable de retenir celui du délit de grand excès de vitesse, c'est-à-dire 50 km/h (article L. 413-1 du code de la route). Si la multiplication des seuils est effectivement de nature à brouiller le message adressé aux automobilistes, cette critique ne paraît cependant pas réellement justifiée dès lors que la mesure nouvelle se borne à instaurer une procédure de « rétention » conservatoire de courte durée du permis de conduire, préalablement à celle de la suspension par l'autorité préfectorale, qui peut être prononcée à partir de 40 km/h (article R. 413-14) pour une durée maximale de six mois.

-  La mesure est d'ores et déjà appliquée dans de nombreux départements : une soixantaine de rétentions immédiates ont été prononcées, par exemple, dans les Yvelines, depuis fin novembre.

-  La sanction est sévère. De plus, sa mise en _uvre pose le problème de la sécurité des véhicules immobilisés et peut soulever des difficultés pratiques dans certaines situations spécifiques (mère de famille seule avec des enfants en dehors d'une agglomération...). On rappellera, enfin, que la rétention du permis de conduire en cas d'excès de vitesse de 40 km/h est une obligation et non une faculté laissée à l'appréciation des OPJ et que, par rapport aux excès d'alcoolémie, les dépassements de la vitesse autorisée sont des infractions moins localisées et beaucoup plus courantes.

Une brève circulaire à été adressée aux préfets dès le 21 novembre 2001 par la déléguée interministérielle à la sécurité routière. Un texte plus complet faisant état des difficultés rencontrées - sans doute sous-évaluées à l'origine - et esquissant, le cas échéant, des solutions, devrait être diffusé au début du mois d'avril (2).

· L'article 21 étend le dépistage de l'usage de produits stupéfiants au volant aux accidents corporels, bien qu'il ne s'agisse, dans cette hypothèse, et pour des raisons pratiques, que d'une faculté offerte aux OPJ, et non d'une obligation comme pour les accidents mortels. Cette mesure est applicable sur le fondement du décret du 27 août 2001 (n° 2001-751). Toutefois, il semble que les résultats ainsi recueillis ne soient pas destinés à être intégrés dans les enquêtes épidémiologiques : une telle interprétation, si elle devait prévaloir, serait contraire à l'intention du législateur, l'Assemblée nationale ayant précisément écarté toute sanction en cas de dépistage positif en raison de la nécessité de procéder préalablement à ces enquêtes. Il conviendra donc de suivre avec attention les conditions de mise en _uvre de cet article.

5. Dispositions renforçant la lutte contre le terrorisme

Les mesures insérées dans la loi du 15 novembre 2001 à des fins de lutte contre le terrorisme (articles 22 à 33) ont été adoptées pour une durée allant jusqu'au 31 décembre 2003 ; elles feront l'objet d'une évaluation par le Gouvernement.

Compte tenu des conditions et des motifs de leur adoption, il est étonnant qu'aucune instruction générale relative aux modalités de leur mise en _uvre n'ait encore été publiée par les ministères concernés (l'intérieur et la justice) ; un télégramme et des notes succinctes ne constituent pas des garanties suffisantes.

Les articles 23 et 24 relatifs aux fouilles des véhicules et aux perquisitions sont d'application immédiate et ont déjà été mis en _uvre par certains procureurs. Aucun élément d'évaluation n'a pu être recueilli, à ce stade, par le rapporteur.

Certaines dispositions du chapitre V sont privées d'effet faute de décret d'application :

-  l'article 27 sur les prérogatives des agents privés de sécurité (3) ;

-  l'article 28 sur les enquêtes de police portant sur l'honorabilité des personnes affectées à des fonctions ou à des missions ayant trait à la sécurité, un décret devant encore désigner les procédures administratives qui pourront donner lieu à la consultation des fichiers (un télégramme du 13 septembre 2001 a toutefois déjà autorisé la consultation des fichiers de police pendant la période d'application du plan « vigipirate ») ;

-  les articles 29, 30 et 31 sur la conservation des données de connexion à Internet et le déchiffrement des fichiers informatiques, les décrets correspondants faisant actuellement l'objet de réunions interministérielles.

S'agissant de la conservation des données, il conviendra de veiller à la cohérence du régime mis en place par l'article 29 avec celui institué par l'article 62 de la loi de finances rectificative pour 2001. En effet, alors que le premier prévoit que les opérateurs de télécommunications, et notamment les fournisseurs d'accès à Internet (FAI) mentionnés à l'article 43-7 de la loi du 30 septembre 1986, sont tenus de conserver lesdites données pendant une période maximale d'un an à la demande de l'autorité judiciaire, le second prévoit que les FAI, mais également les « hébergeurs » mentionnés à l'article 43-8, doivent les conserver pendant trois ans, à la demande, notamment, des fonctionnaires du service des douanes.

6. Dispositions modifiant le code monétaire et financier

Les dispositions du chapitre VI modifiant le code monétaire et financier sont, dans l'ensemble, d'application immédiate. Un décret en Conseil d'Etat devra cependant préciser la composition et les compétences de l'Observatoire de la sécurité des cartes de paiement institué par l'article 39.

7. Autres dispositions (4)

· Les auditions de témoins et les confrontations pourront être mises en _uvre au moyen de la vidéoconférence, sous réserve de la parution du décret en Conseil d'Etat prévu par l'article 32. En revanche, la possibilité de satisfaire aux obligations d'interprétariat au cours d'une audition, d'un interrogatoire ou d'une confrontation, par l'intermédiaire de moyens de communication, prévue par le même article, est directement applicable (voir la circulaire de la garde des Sceaux du 10 janvier 2002 sur les gardes à vue).

· L'efficacité de la loi du 6 janvier 1999 relative aux animaux dangereux a été renforcée par la mise en place d'une procédure d'urgence en cas de danger « grave et immédiat ». De fait, le problème semble aujourd'hui en voie de règlement : l'efficacité des instruments mis en place par le législateur est avérée. Le rapporteur considère, cependant, qu'il serait opportun que les préfets informent les maires des nouvelles dispositions adoptées dans le cadre de la loi du 15 novembre 2001.

· L'organisation de rave et de free parties a fait l'objet d'un encadrement juridique reposant sur le principe d'une déclaration préalable. Le décret d'application de l'article 53 devrait être publié d'ici au mois d'avril. L'avant projet prévoit :

-  une obligation de déclaration ;

-  une référence à un « engagement de bonnes pratiques relatif aux rassemblements festifs à caractère exclusivement musical » (les organisateurs souscrivant à cet engagement bénéficieront du concours d'un correspondant désigné par le préfet qui aura pour mission de faciliter leurs démarches et d'aboutir à une déclaration huit jours avant le rassemblement ; les autres organisateurs devront déposer leur déclaration quinze jours avant la date prévue) ;

-  des garanties de sécurité, de salubrité, de tranquillité publiques ainsi que de remise en état des lieux ;

· L'article 56 étend le champ du fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG). On rappellera que le FNAEG avait été institué, en 1998, par le législateur, pour centraliser les empreintes génétiques des seuls auteurs de crimes sexuels ; sa mise en place a cependant été retardée à plusieurs reprises et il n'est devenu réellement opérationnel qu'à la fin de l'année dernière. La loi du 15 novembre 2001 a élargi son périmètre aux meurtres, tortures et actes de barbarie, vols avec violence, actes de terrorisme... Cette extension est encore subordonnée à la parution d'un décret en Conseil d'Etat qui devra faire l'objet d'une consultation de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL). Le rapporteur souhaite que les errements qui, dans le passé, ont déjà perturbé la mise en _uvre du FNAEG ne se reproduisent pas, et, partant, que ce nouveau décret soit publié dans les meilleurs délais.

B. -  ÉVALUATIONS SPÉCIFIQUES

Les mesures présentées ci-après ont fait l'objet de travaux complémentaires et d'une évaluation spécifique par le rapporteur.

1. L'enlèvement des épaves automobiles (article 17)

La loi du 15 novembre 2001 facilite l'enlèvement et la mise en fourrière des « épaves automobiles », dont la présence sur les voies ouvertes à la circulation publique, ainsi que dans les lieux publics ou privés où ne s'applique pas le code de la route, participe du sentiment d'insécurité.

-  La mise en _uvre des procédures d'enlèvement est facilitée pour les véhicules abandonnés qui, même dotés de titres, sont « privés d'éléments indispensables à leur utilisation normale et insusceptibles de réparation immédiate à la suite de dégradations ou de vols ».

-  Les opérations d'identification des propriétaires desdits véhicules sont reportées après l'enlèvement et la mise en fourrière.

a) Travaux conduits

Déplacement au commissariat de Saint-Ouen, en présence du commissaire M. Bouladoux et d'un représentant de la direction départementale de la sécurité publique (DDSP) de la Seine-Saint-Denis.

b) Evaluation

Les services de police soulignent l'intérêt de cette mesure compte tenu du nombre élevé de véhicules en voie d'« épavisation », notamment sur les parkings des immeubles d'habitation.

On relève deux types de difficultés.

-  Une difficulté technique. Les articles R. 325-47 et suivants du code de la route fixent la procédure à suivre pour les véhicules laissés sans droit dans des lieux non ouverts à la circulation publique. Ils imposent des formalités préalables à l'enlèvement des véhicules (mise en demeure du propriétaire précédée, le cas échéant, d'une interrogation par les services de police du fichier national des immatriculations). Dans la mesure où l'article L. 325-12 du code de la route fait référence à ces dispositions réglementaires, celles-ci limitent la portée de l'article 17 de la loi du 15 novembre 2001 : l'enlèvement des véhicules dont le propriétaire n'est pas identifié demeure très difficile (en particulier en cas d'immatriculation à l'étranger). Le décret d'application de l'article L. 325-12 doit donc être modifié, ce qui n'avait pas été perçu, dans un premier temps, par les services du ministère de l'intérieur.

-  Un problème de fond. L'article L. 325-9 dispose que : « Les frais d'enlèvement, de garde en fourrière, d'expertise et de vente ou de destruction du véhicule sont à la charge du propriétaire ». Cette disposition s'appliquera de facto en cas d'enlèvement d'office du véhicule, y compris lorsque celui-ci intervient à la suite de dégradations causées par un tiers. Dans ce contexte, une réflexion doit s'ouvrir sur le problème plus général de la prise en charge desdites dégradations - et des frais d'enlèvement des épaves - qui n'est pas systématiquement prévue dans les contrats d'assurance. Les propriétaires assurés « au tiers » sont particulièrement pénalisés, les auteurs des dégradations n'étant pas toujours identifiés et solvables.

2. Les prérogatives des agents privés de sécurité (articles 25 et 27)

La loi relative à la sécurité quotidienne renforce les prérogatives des agents privés de sécurité, dans le cadre des dispositions adoptées pour lutter contre le terrorisme.

-  L'article 25 permet à des agents privés de sécurité désignés par les entreprises de transport aérien ou les gestionnaires des aérodromes et agréés par le préfet et le procureur de la République d'effectuer, dans les zones aéroportuaires, la fouille des bagages à main, d'une part, et des palpations de sécurité, d'autre part, sous l'autorité et la responsabilité des OPJ.

-  L'article 27 permet à des agents privés de sécurité de procéder à l'inspection visuelle des bagages à main et, avec le consentement de leur propriétaire, à leur fouille. Sous réserve d'un agrément préfectoral, ils peuvent également, en cas de circonstances particulières liées à l'existence de menaces graves pour la sécurité publique, constatées par un arrêté préfectoral qui en fixe la durée et détermine les lieux dans lesquels ces contrôles peuvent être effectués, procéder, avec le consentement des personnes, à des palpations de sécurité.

a) Travaux conduits

-  Audition de MM. Claude Tarlet, président du Syndicat national des entreprises de sécurité (SNES), et Alexis Bordet, délégué général.

-  Déplacement à l'aéroport de Roissy et entretiens avec : Mme Nadine Joly, directrice adjointe de la police aux frontières (PAF) ; M. Joël Cathala, directeur de la sûreté d'Air France ; Mme Anne-Marie Peigneau, responsable de l'exploitation d'Aéroports de Paris (ADP).

b) Evaluation

De manière générale, ces dispositions sont significatives d'une évolution des pensées en matière de sécurité : nul ne conteste désormais que des agents privés puissent avoir un rôle à jouer en la matière, dans le respect des prérogatives de la puissance publique.

-  L'article 25 est d'application immédiate. Sa mise en _uvre est effective ; les nouvelles mesures sont bien accueillies par le public. Les « postes d'inspection filtrage » de Roissy sont désormais tenus par des agents de sociétés privées, recrutés par ADP sur la base d'un appel d'offres et d'un cahier des charges, sous le contrôle de fonctionnaires de la PAF. Des agents recrutés par les compagnies aériennes procèdent également à des contrôles aléatoires avant l'embarquement des vols vers les destinations sensibles. Un décret du 3 janvier 2002 (n° 2002-24) relatif à la police de l'exploitation des aérodromes a imposé un certain nombre d'obligations aux employeurs des agents chargés des tâches énumérées à l'article L. 282-8 du code de l'aviation civile, notamment en termes de formation initiale et continue (principes généraux de sûreté, règles particulières à respecter dans les zones réservées des aérodromes, détection des objets et substances illicites). Les habilitations (valables cinq ans sur l'ensemble du territoire national) sont délivrées à la demande des entreprises ou des organismes autorisés à occuper ou utiliser la zone réservée de l'aérodrome et conditionnent l'obtention d'un titre de circulation.

-  L'article 27 suppose encore qu'un décret précise les conditions d'agrément et d'habilitation des agents qui procèdent aux palpations de sécurité ; sa publication devrait intervenir prochainement, une circulaire sur le rôle des préfets pour la constatation des circonstances particulières dans le contexte desquelles des palpations de sécurité pourront être pratiquées étant également en cours d'élaboration.

Le Gouvernement a tenté d'anticiper sur la parution de ce décret - qui n'était pas expressément prévu par l'article 27 - en invitant les préfets à s'inspirer des règles applicables aux agents de sûreté aéroportuaires (article R. 282-5 du code de l'aviation civile) pour répondre aux demandes d'agrément spécifiques aux palpations de sécurité ; les opérateurs privés ont fait preuve d'une très grande réticence.

De fait, la mise en _uvre de ces mesures se heurte à un problème de fond : les métiers de la sécurité privée sont insuffisamment reconnus (aucune différence statutaire n'est opérée entre la sûreté et le simple gardiennage) et le cadre juridique de leur activité demeure particulièrement fragile. On rappellera que le projet de loi relatif aux activités de sécurité privées et à la sécurité interne de certains services publics, déposé au Sénat le 17 mai 2000, n'a jamais été inscrit par le Gouvernement à l'ordre du jour du Parlement.

Dans l'immédiat, le décret précité devrait prévoir un certain nombre de conditions indispensables pour que des agents privés de sécurité puissent être habilités à pratiquer des palpations de sécurité. Ces garanties - réclamées par le SNES - devraient inclure une vérification de la qualité du demandeur (l'employeur), des conditions d'honorabilité ainsi qu'un certain niveau de formation et d'expérience pour les agents (deux années dans l'activité de surveillance gardiennage ou, le cas échéant, en tant qu'ADS ou volontaire dans la gendarmerie).

3. La lutte contre l'insécurité dans les transports (articles 49, 50, 63 à 68)

La loi du 15 novembre 2001 renforce la lutte contre l'insécurité et le non respect des dispositions tarifaires dans les transports.

-  L'article 49 permet aux agents de la SNCF d'enjoindre à une personne (non vulnérable) contrevenant aux dispositions tarifaires ou troublant l'ordre public de descendre du train à la première gare suivant la constatation des faits.

-  L'article 50 instaure un délit dit « d'habitude », qui rend passible de six mois d'emprisonnement et 7 500 euros d'amende toute personne ayant fait l'objet sur une période inférieure ou égale à un an de plus de dix contraventions.

-  Les articles 63 à 68 consacrent l'existence des services internes de sécurité de la SNCF et de la RATP et encadrent les conditions de leur activité.

a) Travaux conduits

-  Audition de M. Alain Caire, directeur de la sécurité de la RATP.

-  Audition de MM. Franck Terrier, directeur juridique, et Alain Walmetz, directeur de la sûreté de la SNCF.

b) Evaluation

Attendues par les exploitants des réseaux de transport de voyageurs, ces mesures ont un triple objectif : conforter l'autorité des contrôleurs, assurer le respect des dispositions tarifaires, renforcer la sécurité. Depuis leur adoption, elles font l'objet d'une réflexion approfondie de la part des exploitants, qui sont soucieux de ne pas avoir recours à ces nouveaux outils sans effectuer en amont un travail de préparation et de formation (élaboration et diffusion d'« instructions-métiers »).

· La SNCF a précisé les motifs pouvant justifier une injonction :

-  inobservation de dispositions relevant de la police ferroviaire : tarification, sécurité des personnes (obstacle à la fermeture ou ouverture des portières pendant la marche du train, transport de matières dangereuses ou d'objets pouvant incommoder les voyageurs), régularité des circulations (usage infondé du signal d'alarme), ordre public (dégradations, abus d'appareils ou d'instruments sonores, ivresse) ;

-  refus d'obtempérer à des injonctions particulières (cesser de fumer dans un espace non autorisé, par exemple) ;

-  commission d'une infraction présentant un certain degré de gravité (violences, injures, menaces, outrages, port d'arme prohibé).

La notion de « personne vulnérable » a également été encadrée. La SNCF considère que : « La vulnérabilité ne peut s'apprécier qu'en considération de circonstances concrètes. Le moment de la journée et le lieu de débarquement, aussi bien que la personnalité de l'intéressé, sont des éléments d'appréciation importants. Dans ce cadre général, la vulnérabilité par l'âge concerne les jeunes mineurs ou les personnes âgées. La vulnérabilité par l'état de santé peut concerner une personne à mobilité réduite ou une femme visiblement enceinte. Une personne accompagnée d'un ou de plusieurs jeunes enfants devrait être considérée comme vulnérable ».

Elle préconise un usage au cas par cas de cette nouvelle procédure : « Il revient dans tous les cas à l'agent de contrôle d'apprécier la gravité de l'infraction, les risques et le trouble causés, et le comportement général de l'intéressé ».

Enfin, la SNCF souhaite que ce pouvoir d'injonction ne soit utilisé que si la police ou la gendarmerie sont en mesure d'accueillir la personne concernée à la descente du train, afin de contenir le risque de troubles ou d'incidents.

En définitive, l'opportunité de cette mesure ne fait aucun doute ; l'injonction de descendre du train fait partie des prérogatives normales des contrôleurs. Il reste que sa mise en _uvre dépendra largement de la collaboration effective des forces de police, qui conservent le monopole de la contrainte et dont le rôle est essentiel pour pallier les risques de « dérapages ». Plus largement, une question demeure : fallait-il étendre ce dispositif aux bus ? La RATP regrette que tel n'ait pas été le cas. Le pouvoir d'injonction serait néanmoins d'une moindre efficacité dans le cadre de réseaux denses et urbains, le contrevenant pouvant aisément utiliser un autre moyen de transport et, partant, annihiler l'effet de la mesure.

· La mise en _uvre du délit de fraude d'habitude fait également l'objet d'une réflexion préalable. La SNCF a encadré l'usage de ce dispositif : seules seront prises en compte les contraventions dressées après l'entrée en vigueur de la loi du 15 novembre 2001 ; ne seront pas comptabilisées celles qui ont fait l'objet de la transaction prévue à l'article 529-3 du code de procédure pénale. Enfin, la procédure ne sera mise en _uvre qu'à partir de 51 infractions, le seul de 11 contraventions prévu par la loi ne s'appliquant que lorsque la personne présente une adresse erronée ou fait preuve d'un comportement agressif.

Cet encadrement est justifié par l'ampleur de la « fraude habituelle », qui obéit de la part de certains contrevenants à une logique de calcul économique : environ 25 000 personnes feraient l'objet, chaque année, de plus de dix contraventions pour infraction aux dispositions tarifaires, et le taux de recouvrement des amendes est inférieur à 10 %... Prochainement, la SNCF devrait être en mesure de réunir une centaine de dossiers de « contrevenants d'habitude » et les premières poursuites pourraient alors être engagées.

· La reconnaissance par le législateur des services internes de sécurité de la SNCF et de la RATP a été bien accueillie par les agents concernés, qui se sentent à la fois reconnus et rassurés sur leur avenir. Toutefois, le contenu de deux futurs décrets en Conseil d'Etat devra être examiné avec attention :

-  celui prévu par l'article 67, relatif aux cas dans lesquels les agents des services internes de sécurité pourront être dispensés du port d'une tenue distinctive ;

-  celui prévu par l'article 68, relatif aux conditions dans lesquelles lesdits agents pourront être autorisés à porter une arme.

Il conviendra de veiller à ce que l'absence de tenue distinctive et le port d'arme restent exceptionnels. Ces projets de décrets ne semblent cependant pas être considérés comme des priorités par les services du ministère de l'intérieur.

4. Le renforcement de la sécurité dans les parties communes des immeubles d'habitation (articles 51 et 52)

La loi du 15 novembre 2001 renforce la sécurité des « halls d'immeubles ».

-  L'article 51 permet aux services de police municipale de bénéficier d'une autorisation d'accès permanente, au même titre que la police et la gendarmerie nationales.

-  L'article 52 prévoit que les propriétaires ou exploitants de locaux d'habitation qui respectent leurs obligations (surveillance, gardiennage et prévention de certains risques manifestes) peuvent faire appel aux services de police ou de gendarmerie en cas d'occupation des espaces communs par des personnes qui entravent l'accès ou nuisent à la sécurité et à la tranquillité des lieux.

a) Travaux conduits

-  Déplacement au commissariat de Saint-Ouen.

-  Audition de M. Paul-Louis Marty, délégué général de l'Union nationale des HLM, Mme Dominique Dujols et M. Richard Bousquet.

b) Evaluation

La mesure proposée par l'article 51 est bien acceptée. Elle est d'application immédiate. Elle confère une nouvelle prérogative aux policiers municipaux dans une optique purement préventive, et non pas d'ordre public.

Plus délicate, la mise en _uvre de l'article 52, qui cherche à répondre à une vraie difficulté - le stationnement de groupes, parfois menaçants, dans les parties communes des immeubles et l'utilisation qu'ils peuvent faire de ces lieux pour se livrer à divers trafics -, est subordonnée à la parution d'un décret en Conseil d'Etat.

-  Le bailleur doit se conformer aux prescriptions de l'article L. 127-1 du code de la construction (décret n° 2001-1361 du 28 décembre 2001 relatif aux obligations de gardiennage ou de surveillance des immeubles d'habitation) (5). Il doit également, désormais, aux termes du même article modifié par l'article 52-I de la loi du 15 novembre 2001, « prendre les mesures permettant d'éviter les risques manifestes pour la sécurité et la tranquillité des locaux » : ces mesures seront définies par un nouveau décret qui est en cours d'élaboration.

-  La police et la gendarmerie seront dotées, corrélativement, de moyens supplémentaires d'intervention.

Cette logique de complémentarité, quasi-contractuelle, pour que la tranquillité des halls d'immeubles ne repose pas exclusivement sur la force publique, s'inscrit dans le prolongement des principes généraux qui inspirent la politique de sécurité conduite depuis 1997. Aucune sanction pénale n'est prévue à l'appui de ce dispositif, contrairement à ce que souhaitait le Sénat : les infractions susceptibles de justifier l'intervention de la police ou de la gendarmerie sont graves et, partant, prises en compte par ailleurs ; il n'était pas souhaitable de créer un délit spécifique d'occupation des halls d'immeubles.

Aujourd'hui, les conditions de sa mise en _uvre dépendent en grande partie du « décret sur les risques manifestes » qui est en cours d'élaboration. Le secteur HLM s'inquiète du caractère excessivement normé des obligations de sécurisation qui pourraient être prévues (éclairage des entrées et des parties communes des immeubles, systèmes réservant aux résidents l'accès aux parties communes, aux caves et aux parkings intérieurs, contrôle des accès, dispositifs d'appel à distance ou systèmes de vidéo-surveillance) ; il fait valoir la nécessité de préserver la « convivialité » des immeubles d'habitation (conception d'ailleurs longtemps encouragée par les pouvoirs publics) ainsi qu'une place à la négociation et la concertation locales.

Il importe, effectivement, que les bailleurs puissent se conformer à leurs obligations selon des modalités diversifiées : les nouvelles chartes de voisinage, proches du contrat bien que n'ayant pas la force d'une obligation légale, issues d'une concertation entre les bailleurs et les habitants dans un certain nombre de sites HLM, devraient pouvoir être considérées comme des mesures permettant d'éviter des risques manifestes pour la sécurité et la tranquillité des locaux.

De fait, le projet de décret, dont le champ d'application sera identique à celui du 28 décembre 2001, devrait autoriser les bailleurs à prendre des mesures complémentaires de nature à renforcer la sécurité et la tranquillité des locaux mais également prévoir une consultation des conseils de concertation locative ainsi qu'une association des services de police ou de gendarmerie à la définition desdites mesures, le cas échéant dans le cadre des CLS.

5. Le « témoignage anonyme » (article 57)

L'article 57 permet aux témoins d'un crime ou d'un délit puni d'au moins cinq ans d'emprisonnement et dont l'audition pourrait mettre gravement en danger la vie ou l'intégrité physique ou celles de leur famille de témoigner sans que leur identité n'apparaisse dans le dossier de la procédure.

a) Travaux conduits

-  Audition de M. Jean-Luc Domenech, directeur de l'Institut national d'aide aux victimes et de la médiation (INAVEM).

-  Déplacement à Nice et entretiens avec : MM. Philippe Dorcet et Christian Guery, juges d'instruction au tribunal de grande instance ; M. Eric de Montgolfier, procureur de la République ; MM. Alain Deschamps, contrôleur général, directeur départemental de la sécurité publique, et Francis Wetta, commissaire divisionnaire, commissaire central.

b) Evaluation

L'introduction de la procédure du « témoignage anonyme » est une réforme d'envergure. Elle s'inscrit dans une logique de protection des témoins et des victimes. De ce point de vue, elle n'est pas sans lien avec :

-  l'article 32 de la loi du 15 novembre 2001, qui permet d'organiser des auditions de témoins et des confrontations à distance, au moyen de la vidéoconférence ;

-  l'article 2 de la proposition de loi contre les différentes formes de l'esclavage aujourd'hui adoptée par l'Assemblée nationale en première lecture le 24 janvier dernier, qui prévoit la délivrance d'un titre de séjour aux victimes de la traite en situation irrégulière qui acceptent de déposer ou de porter plainte ;

-  la décision-cadre du Conseil du 15 mars 2001 relative au statut des victimes dans le cadre des procédures pénales, qui envisage des modalités de déposition et de témoignage adaptées pour les personnes vulnérables sur le fondement des principes énoncés dans son article 8-1 : « Chaque Etat membre garantit un niveau approprié de protection aux victimes et, le cas échéant, à leur famille ou aux personnes assimilées à des membres de leur famille, notamment en matière de sécurité et de protection de leur vie privée, dès lors que les autorités compétentes estiment qu'il existe un risque grave d'actes de rétorsion ou de solides indices laissant présumer une perturbation grave et intentionnelle de leur vie privée ».

Le vote de cette disposition n'a guère été commenté et son existence est souvent ignorée. Sans doute sa mise en _uvre est-elle encore subordonnée à la parution d'un décret en Conseil d'Etat, qui devra préciser certaines conditions essentielles pour garantir la confidentialité des témoignages (notamment la tenue d'un double dossier, l'un anonyme, l'autre contenant l'identité et l'adresse du témoin). Mais il aurait été souhaitable qu'une information plus complète des parquets ait été effectuée par les services de la Chancellerie (6).

Des travaux menés par le rapporteur, il ressort un certain nombre de constats et d'interrogations qui doivent conduire le législateur à rester attentif à son application.

-  Le dispositif concerne les procédures engagées pour des crimes ou des délits punis d'« au moins cinq ans d'emprisonnement ». Ce seuil est relativement bas mais il permet d'écarter les incivilités et les dégradations courantes. Pourtant, certains semblent soucieux de cantonner le témoignage anonyme aux affaires de criminalité organisée et de grand banditisme (proxénétisme, trafic de stupéfiants, crimes de sang). Telle n'était pas l'intention du législateur ; l'INAVEM a d'ailleurs confirmé au rapporteur que cette nouvelle procédure est susceptible de répondre à des besoins réels dans des situations beaucoup plus courantes sur le plan de la sécurité publique.

-  Ne pourront témoigner de façon anonyme que les personnes à l'encontre desquelles il n'existe « aucun indice » faisant présumer qu'elles ont commis ou tenté de commettre une infraction (7). Cette réserve est destinée à exclure du dispositif les personnes pouvant être mises en cause dans la procédure, au nom des droits de la défense. La rédaction de l'article 57 pourrait cependant laisser penser que le témoignage anonyme ne serait pas non plus ouvert aux personnes susceptibles d'être mises en examen pour un autre motif, ce qui serait préjudiciable sur le fond (exemple : une prostituée désireuse de dénoncer un proxénète mais qui serait en infraction au regard de la législation sur le droit au séjour) et contraire à la volonté du législateur. La circulaire d'application devra apporter les précisions nécessaires pour que cette interprétation soit écartée.

-  La mise en _uvre de cette procédure doit faire l'objet d'une autorisation du juge des libertés et de la détention (JLD) saisi par requête motivée du procureur de la République ou du juge d'instruction. Le rapporteur a constaté que le rôle du JLD pouvait être considéré comme un facteur de complexité qui alourdirait de façon excessive l'usage du dispositif. On rappellera, toutefois, que l'intervention d'un tiers, extérieur au dossier mais apportant une garantie judiciaire et d'impartialité, a été jugée nécessaire par le législateur pour tempérer les atteintes nécessairement portées à certains principes fondamentaux inhérents aux droits de la défense. Un équilibre doit donc être trouvé entre ces principes contradictoires : la pratique permettra de vérifier si celui-ci a été atteint à travers les dispositions prévues par l'article 57.

-  Certains s'inquiètent des risques d'instrumentalisation de la justice au travers de la procédure du témoignage anonyme (dénonciations abusives et/ou calomnieuses). A priori, ce danger paraît limité compte tenu des garanties prévues par la loi.

-  Le dispositif du témoignage anonyme suppose des moyens techniques et budgétaires, notamment pour organiser les auditions à distance et rendre la voix du témoin non identifiable. Au-delà, d'autres mesures, complémentaires, devront être envisagées pour améliorer la protection des témoins (accueil séparé dans les commissariats, mesures de protection spécifiques, etc.).

L'usage effectif de ce nouveau dispositif devrait apporter des réponses à ces différentes questions ainsi qu'aux critiques de ceux qui le perçoivent comme un encouragement à l'incivisme et à l'irresponsabilité et redoutent des dénonciations anonymes. L'intention du législateur est claire : protéger les témoins, aider des personnes en danger, rendre la parole à ceux qui n'ont plus les moyens de l'exercer, tout en facilitant la lutte contre des actes particulièrement inquiétants de délinquance, parfois à l'abri de toute forme de poursuites en raison de l'intimidation des témoins.

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Cette première évaluation d'ensemble témoigne de l'importance des instruments mis en place par la loi du 15 novembre 2001 : multiples, concrets, adaptés à la diversité des situations rencontrées sur le terrain, ils contribueront au succès de la politique engagée, depuis cinq ans, contre l'insécurité. L'efficacité des actions de la police et de la gendarmerie est renforcée par ces réformes voulues et, souvent, directement conçues par le législateur.

La mise en _uvre de la loi s'effectue dans de bonnes conditions et de nombreux décrets d'application sont sur le point d'être finalisés. Sans doute peut-on regretter les pesanteurs administratives qui font que, plus de trois mois après son adoption, certaines dispositions sont encore privées d'effet. Mais la concertation interministérielle et le dialogue direct avec les acteurs concernés, qui se poursuivent, font aussi partie de cette nouvelle approche de la sécurité, qui conjugue à bon escient les principes de proximité et de partenariat.

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Après l'exposé du rapporteur, M. René Dosière, intervenant dans la discussion générale, s'est félicité qu'un rapport d'évaluation de la loi relative à la sécurité quotidienne soit présenté quelques mois seulement après sa promulgation. Soulignant que l'opposition avait multiplié les déclarations tonitruantes sur ce sujet sans faire aucune proposition concrète, il a estimé que les dispositions de cette loi apportaient des réponses pratiques et efficaces aux préoccupations des Français en matière de sécurité. Rappelant, par ailleurs, le nombre important de morts et de blessés sur les routes, il a considéré que les dispositions relatives à la sécurité routière étaient particulièrement opportunes. Il a, sur ce point, souligné que la procédure de rétention immédiate des permis de conduire, critiquée par certains, ne concernait que 2 % des conducteurs.

M. Jean-Pierre Blazy a également fait observer que les députés de l'opposition, qui avaient fait de l'obstruction lors de l'examen de ce projet de loi, brillaient par leur absence en commission, alors même que celle-ci procède à la première évaluation du texte. Il a regretté que certains décrets d'application ne soient toujours pas publiés, citant en exemple ceux relatifs à la réglementation des rave et des free parties, qui devrait être publié en avril, et à l'immatriculation des deux roues, dont la publication devrait intervenir à la fin de l'année. Il a enfin estimé que l'examen du projet de loi relatif aux services privés de sécurité devrait constituer l'une des priorités de la prochaine législature.

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La Commission a décidé la publication, en application de l'article 145 du Règlement, du rapport de la mission d'information chargée d'évaluer la mise en _uvre de la loi du 15 novembre 2001 relative à la sécurité quotidienne.

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3662 - Rapport d'information de M. Bruno Le Roux sur la mise en _uvre de la loi n° 2001-1062 du 15 novembre 2001relative à la sécurité quotidienne.

() L'article 17, qui facilite l'enlèvement des « épaves automobiles », fait l'objet d'une évaluation spécifique dans la seconde partie du rapport.

() Certains suggèrent la mise en place d'un permis « blanc » ou « temporaire », permettant aux contrevenants de regagner un lieu où ils puissent durablement stationner leur véhicule.

() L'article 27 fait l'objet d'une évaluation spécifique dans la seconde partie du rapport.

() Font l'objet d'une évaluation spécifique dans la seconde partie du rapport : les articles 49, 50 et 63 à 68, relatifs à la lutte contre l'insécurité dans les transports ; les articles 51 et 52, relatifs à la sécurité dans les halls d'immeubles ; l'article 57, relatif à la procédure du « témoignage anonyme ».

() Le décret du 28 décembre 2001 concerne les bailleurs qui gèrent cent logements locatifs ou plus dans un même ensemble d'immeubles situé soit dans une zone urbaine sensible, soit dans une commune dont la population dépasse 25 000 habitants ou comprise dans une aire urbaine regroupant au moins 50 000 habitants et dont au moins une commune compte plus de 15 000 habitants.

() Le dispositif de protection des témoins n'a été abordé que dans une circulaire du 18 décembre 2001 consacrée de façon plus générale aux orientations de politique pénale en matière de proxénétisme aggravé.

() L'article 2 de la proposition de loi complétant la loi du 15 juin 2000, adoptée définitivement par l'Assemblée nationale le 21 février 2002, substitue à la notion d'« indice » celle de « raison plausible de soupçonner ».