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N° 3663

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 25 février 2002.

RAPPORT D'ACTIVITÉ

DE LA DÉLÉGATION AUX DROITS DES FEMMES ET A L'ÉGALITÉ DES CHANCES

ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES (1)

ANNÉE 2001

FAIT

en application de l'article 6 septies de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958

relative au fonctionnement des assemblées parlementaires

ET PRÉSENTÉ

PAR Mme Martine Lignières-Cassou,

Députée.

--

(1) La composition de cette Délégation figure au verso de la présente page.

Assemblée nationale.

La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes est composée de : Mme Martine Lignières-Cassou, présidente ; Mmes Muguette Jacquaint, Chantal Robin-Rodrigo, Yvette Roudy, Marie-Jo Zimmermann, vice-présidentes ; Mme Marie-Thérèse Boisseau, M. Michel Herbillon, secrétaires ; M. Pierre Albertini, Mme Nicole Ameline, M. Pierre Aubry, Mme Roselyne Bachelot-Narquin, M. Patrick Bloche, Mme Danielle Bousquet, M. Philippe Briand, Mmes Nicole Bricq, Odette Casanova, Nicole Catala, MM. Richard Cazenave, Henry Chabert, Mme Marie-Françoise Clergeau, MM. Jean-Pierre Defontaine, Patrick Delnatte, Claude Goasguen, Mme Cécile Helle, M. Patrick Herr, Mmes Anne-Marie Idrac, Françoise Imbert, Conchita Lacuey, MM. Patrick Lemasle, Patrick Malavieille, Patrice Martin-Lalande, Mmes Hélène Mignon, Catherine Picard, MM. Bernard Roman, André Vallini, Kofi Yamgnane.

INTRODUCTION 5

PREMIÈRE PARTIE : L'ACTIVITÉ DE LA DÉLÉGATION EN 2001 9

I - LES TEXTES EXAMINÉS PAR LA DÉLÉGATION 11

A. LES TEXTES DÉFINITIVEMENT ADOPTÉS 11

1. Droits du conjoint survivant 11

2. Accès aux origines des personnes adoptées et pupilles de l'Etat 14

3. Nom de famille 19

4. Autorité parentale 22

B. LES TEXTES EN INSTANCE 28

1. Divorce 28

2. Bioéthique 33

II - LES AUTRES THÈMES D'INTÉRÊT DE LA DÉLÉGATION 39

A. LES VIOLENCES FAITES AUX FEMMES 39

B. LES PUBLICITÉS SEXISTES 51

C. LA SITUATION DES FEMMES AFGHANES 81

III - LES ACTIVITÉS INTERNATIONALES DE LA DÉLÉGATION 91

DEUXIÈME PARTIE : LE SUIVI DE LA LOI RELATIVE À L'IVG ET À LA CONTRACEPTION 105

I - LES AVANCÉES DE LA LOI ONT SOULEVÉ DES DIFFICULTÉS NOUVELLES DANS LA PRATIQUE DES IVG 109

A. LA PRATIQUE DES IVG TARDIVES 109

1. Une nécessaire formation des médecins 109

2. Une meilleure concertation dans la pratique des IMG 111

3. L'échographie en difficulté 112

B. AMÉLIORER L'ACCUEIL DES FEMMES 113

1. Un impératif : diminuer les délais d'attente des femmes 113

2. Des départs à l'étranger au "tourisme régional" 114

3. De l'entretien à un meilleur accueil par l'écoute et l'information 116

C. LES MINEURES ET L'AUTORISATION PARENTALE 117

1. L'adulte accompagnant : rôle et responsabilité 117

2. Les interrogations des médecins anesthésistes 118

3. La prise en charge des mineures : un décret attendu 119

II - DES DIFFICULTÉS ANCIENNES MISES EN LUMIÈRE PAR L'APPLICATION DE LA LOI 120

A. UNE GRANDE DISPARITÉ DES STRUCTURES HOSPITALIÈRES 120

1. L'avenir des CIVG 120

2. Des praticiens en nombre insuffisant 122

3. Disparités régionales et saisonnières 122

B. DES PROBLÈMES FINANCIERS NON RÉSOLUS 124

1. La faible rémunération de l'IVG 124

2. Du forfait vers l'inscription à la nomenclature ? 125

C. CEPENDANT, UNE ÉVOLUTION FAVORABLE DES TECHNIQUES EMPLOYÉES 126

1. Des techniques plus légères et des durées d'hospitalisation plus courtes. 126

2. Les perspectives de l'IVG médicamenteuse 127

III - LA CONTRACEPTION DANS LA NOUVELLE LOI 128

A. CONTRACEPTION D'URGENCE. GRATUITÉ POUR LES MINEURES 128

1. Le rôle indispensable des infirmières scolaires 129

2. La gratuité du Norlevo en pharmacie pour les mineures 131

3. La gratuité des consultations de contraception en ville pour les mineures 133

B. CONTRACEPTION ET PRÉVENTION 134

1. Une contraception plus accessible et plus diversifiée 134

2. Pour des campagnes d'information plus régulières 138

CONCLUSION 140

IV - AUDITIONS 143

ANNEXES 291

MESDAMES, MESSIEURS,

Après deux ans et demi d'existence, la Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a-t-elle rempli les objectifs qui ont motivé sa création ?

Telle est la question que l'on peut se poser en cette fin de législature.

La réponse est délicate au regard de l'ampleur de la tâche à mener dans notre société pour réduire les inégalités entre hommes et femmes.

Pour sa part, dans le cadre de ses missions législatives, la Délégation s'est efforcée de faire prendre en compte le regard des femmes sur le plus grand nombre de textes examinés au cours de cette législature et qui ont traité de sujets aussi divers et essentiels que l'égalité en politique, l'égalité professionnelle, l'IVG et la contraception, le droit de la famille et la bioéthique (1).

Ne disposant pas, en vertu de son texte constitutif, d'un droit d'autosaisine, la Délégation a mené son travail en collaboration étroite avec les commissions permanentes, dont les présidents et présidentes l'ont saisie chaque fois qu'elle l'a souhaité, des projets et propositions de loi sur lesquels elle souhaitait émettre des recommandations.

Au cours de l'année 2001, cette collaboration s'est trouvée renforcée, puisque les rapporteurs des commissions permanentes ont pu participer aux auditions préparatoires organisées par la Délégation et ont accepté de faire participer les rapporteurs de la Délégation à leurs propres travaux préparatoires.

Les préoccupations de la Délégation ont donc pu être relayées très en amont par les commissions permanentes et être intégrées dans les amendements qu'elles ont adoptés.

Comme son texte constitutif le prévoit, la Délégation présente à l'Assemblée Nationale le rapport d'information de l'année 2001. Il dresse, dans une première partie, le bilan d'activité de la Délégation aux droits des femmes depuis le début de l'année 2001 jusqu'à la fin du mois de février 2002. L'objet de ce rapport étant de montrer l'impact des recommandations de la Délégation en matière législative, en essayant de déterminer de quelle manière elles ont infléchi les projets ou propositions de loi, il a semblé préférable de prolonger de deux mois ce rapport annuel, puisque plusieurs des textes examinés par la Délégation au cours de l'année 2001 n'ont été définitivement adoptés qu'en janvier ou février 2002 (accès aux origines personnelles, autorité parentale, nom patronymique).

Outre ce travail législatif, la Délégation s'est particulièrement préoccupée de trois sujets brûlants, pour lesquels elle a mené des auditions : violences sexistes, publicités sexistes et sort des femmes afghanes. Elle a également participé à la Conférence des commissions parlementaires de l'égalité des chances entre hommes et femmes, qui s'est tenue à Stockholm au mois d'octobre 2001, et qui permet des rencontres et des échanges fructueux à l'échelle européenne sur des thèmes d'actualité.

La deuxième partie du rapport est centrée sur le thème d'étude annuel de la Délégation : le suivi de l'application de la loi relative à l'IVG et à la contraception. Chargée de ce suivi par M. Jean Le Garrec, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, au cours des débats qui ont précédé l'adoption de la loi, la Délégation a procédé dès le mois de juin 2001, c'est-à-dire une fois la loi définitivement adoptée, à l'audition d'experts et de représentants d'associations, afin d'être éclairée sur les problèmes posés par l'entrée en vigueur de la nouvelle loi et sur les difficultés structurelles à plus long terme qui se posent pour l'activité d'IVG et la délivrance de la contraception.

Tout au long du deuxième semestre de l'année 2001, votre rapporteure s'est ensuite attachée à sensibiliser les ministères compétents aux problèmes soulevés par les personnalités auditionnées et a insisté auprès de ses correspondants sur la nécessité de leurs prises en compte et sur l'importance d'une sortie rapide des circulaires et décrets d'application de la loi. Elle a eu le 12 février dernier une entrevue avec M. Bernard Kouchner, ministre délégué à la santé, auquel elle a fait part des difficultés persistantes en matière d'IVG et de contraception.

Au terme de cette onzième législature, on peut se réjouir que des progrès législatifs essentiels aient été accomplis en faveur des droits des femmes. La Délégation y a pris toute sa part, comme les textes lui en donnaient la possibilité, mais d'autres organes de l'Assemblée ont participé à l'action menée en faveur des droits des femmes : outre la mission d'information commune sur les diverses formes de l'esclavage moderne, présidée par Mme Christine Lazerges, les commissions permanentes qui, aiguillonnées par la Délégation, ont mieux relayé ces derniers temps les préoccupations des femmes.

L'avenir est à l'intégration de l'égalité entre les hommes et les femmes dans toutes les politiques, à tous les niveaux de décision, par les femmes, mais aussi par les hommes. C'est l'objet de la politique de "mainstreaming" dont il a été beaucoup question à la Conférence de Stockholm, et qui, développée au niveau européen, demande à être mieux connue et mise en application au niveau français.

PREMIÈRE PARTIE :

L'ACTIVITÉ DE LA DÉLÉGATION
EN 2001

___________________

I - LES TEXTES EXAMINÉS PAR LA DÉLÉGATION

Au cours de l'année 2001, la Délégation aux droits des femmes s'est préoccupée de faire intégrer les problèmes d'égalité entre les hommes et les femmes dans les textes relatifs au droit de la famille et à la bioéthique. Elle a été saisie, sur sa demande, de l'ensemble de ces textes par les commissions compétentes.

Au terme de cette onzième législature, quatre des textes sur lesquels la Délégation s'est prononcée en 2001 ont été adoptés définitivement. Deux textes, relatifs respectivement à la bioéthique et au divorce, n'ont pu être menés à leur terme.

A. LES TEXTES DÉFINITIVEMENT ADOPTÉS

Une réforme de grande ampleur du droit de la famille a été amorcée au cours de la onzième législature. Elle a concerné, dans l'ordre chronologique de son adoption, les conjoints survivants, l'accès aux origines des enfants adoptés et pupilles de l'Etat, l'autorité parentale et le nom de famille.

1. Droits du conjoint survivant

Une réforme visant à améliorer la situation difficile des conjoints survivants, le plus souvent des veuves, a été adoptée le 21 novembre 2001.

a) La situation difficile des conjoints survivants

La situation des conjoints survivants, qui concerne plus de 3 200 000 veuves, apparaissait injuste et inadaptée.

Elle s'expliquait par l'application de règles de dévolution successorale édictées, il y a près de deux siècles, dans le souci de privilégier la parenté sur le mariage, afin de maintenir les biens dans la famille par le sang. Or, ces règles ne correspondent plus à l'évolution de la société, en raison de la part prépondérante prise dans les patrimoines par les biens acquis durant le mariage, du resserrement de la cellule familiale autour de l'enfant et du couple et du souci primordial de protéger le conjoint survivant en lui assurant après le décès de l'époux un patrimoine et le maintien de ses conditions d'existence.

Sous le régime actuel et jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi, lorsque le défunt n'avait fait ni donation entre époux, ni testament permettant d'avantager son conjoint, celui-ci ne bénéficiait que très rarement d'un droit en pleine propriété.

Il n'héritait de l'ensemble de la succession en pleine propriété que dans les cas où le défunt ne laissait ni descendant, ni ascendant, ni collatéral privilégié (père, s_ur, neveu), et de la moitié de la succession en pleine propriété, dans le cas où le défunt n'avait pour héritier que des ascendants (père ou mère, grands-parents) dans une seule ligne, maternelle ou paternelle.

Dans la plupart des cas, le conjoint survivant n'héritait que d'un simple usufruit sur un quart de la succession, si le défunt laissait des enfants ou petits-enfants, et sur la moitié de la succession en présence d'ascendants ou de collatéraux privilégiés.

Les héritiers pouvaient demander la conversion de l'usufruit en rente viagère. A défaut d'accord avec le conjoint, il appartenait au juge de trancher.

Le sort du conjoint pouvait cependant être amélioré, s'il bénéficiait de la part de son époux de libéralités par donation ou testament. Mais inversement, il pouvait, de la même manière, être privé par le défunt de tous les droits en propriété ou en usufruit qui lui revenaient légalement, n'étant pas un héritier réservataire.

b) Les recommandations de la Délégation

La proposition de loi (n° 2867) relative aux droits du conjoint survivant, déposée le 17 janvier dernier par M. Alain Vidalies et les membres du groupe socialiste et apparentés, a donc eu pour objet d'améliorer la situation faite par le code civil aux conjoints survivants dans les successions.

Saisie de cette proposition de loi, sur sa demande, par la commission des lois, la Délégation a adopté, le 31 janvier 2001, le rapport (n °2902) de Mme Marie-Françoise Clergeau, qui approuvait les améliorations proposées par le texte à la situation du conjoint survivant, tout en proposant quelques modifications supplémentaires, sous forme des recommandations suivantes :

1. Afin de mieux informer les couples sur la situation du conjoint lors du décès de l'un des époux, un document comportant des informations pratiques sur le droit de la famille et, en particulier, sur les droits du conjoint survivant devrait leur être remis avant la célébration du mariage. Ce document devrait également être annexé au livret de famille qui leur est délivré par l'officier d'état civil lors du mariage.

2. L'article 767-5 du code civil, tel qu'il résulte de la proposition de loi, devrait préciser que les droits d'habitation et d'usage reconnus au conjoint survivant ne peuvent être convertis en rente viagère ou en capital que d'un commun accord entre le conjoint survivant et les héritiers, à la demande de l'une ou l'autre partie.

3. La durée de jouissance gratuite du logement et du mobilier reconnue de plein droit au conjoint pendant une année, lorsqu'il occupe effectivement le logement à titre d'habitation principale au moment du décès, devrait être portée à dix-huit mois.

4. Ce texte, qui constitue une avancée juridique incontestable, devrait s'appliquer immédiatement après la promulgation de la loi, afin d'apporter aux conjoints survivants une protection légitime attendue depuis longtemps.

c) Les améliorations apportées par le texte de loi

Passant d'une logique basée sur les liens du sang à une logique de l'affection qui prévaut dans les liens du mariage, la loi n° 2001-1135 du 3 décembre 2001 confère désormais au conjoint survivant : une meilleure place dans l'ordre successoral, avant les collatéraux privilégiés (frères, s_urs, neveux), toutefois en concours avec les enfants et descendants et les père et mère du défunt, et des droits en pleine propriété, même en présence d'enfants ou de parents du défunt, avec ouverture d'une option en faveur de l'usufruit.

En sus des droits en pleine propriété du conjoint survivant, la loi fait également bénéficier ce dernier jusqu'à son décès d'un droit d'habitation et d'usage du mobilier sur le logement qu'il occupait effectivement à l'époque du décès du conjoint. Elle reconnaît également au conjoint la jouissance gratuite, pendant une année, du logement occupé à titre d'habitation principale à l'époque du décès, considérée non comme un droit successoral, mais comme un effet direct du mariage, au même titre que le devoir de secours entre époux, qui survit au décès de l'un des époux.

Par ailleurs, la conversion de l'usufruit en rente viagère, à la demande de l'un des héritiers nu-propriétaire, ou du conjoint lui-même est permise. C'est le juge qui doit arbitrer, en cas de désaccord. Mais il ne peut ordonner, contre la volonté du conjoint survivant, la conversion de l'usufruit portant sur le logement qu'il occupe à titre de résidence principale. Enfin, par accord entre les héritiers et le conjoint, l'usufruit peut être converti en capital.

La deuxième recommandation de la Délégation avait souligné l'importance d'un commun accord entre le conjoint survivant et les héritiers pour cette conversion de l'usufruit.

2. Accès aux origines des personnes adoptées et pupilles de l'Etat

La grande souffrance qu'éprouvent certains enfants devant les difficultés d'accès à la connaissance de leurs origines, et notamment les revendications fortement exprimées par les enfants nés sous X, ont conduit le Gouvernement à présenter le 17 janvier 2001 un projet de loi visant à résoudre ce douloureux problème, d'une manière qui soit acceptable aussi bien par les femmes que par les enfants.

a) Un projet de loi visant à faciliter l'accès des personnes à leurs origines

Mme Ségolène Royal, ministre déléguée à la famille et à l'enfance, a été auditionnée par la Délégation, le 23 janvier 2001, sur le projet de loi relatif à l'accès aux origines personnelles, qui venait d'être adopté par le Conseil des ministres.

Face à deux droits tout aussi légitimes, le droit de la mère au secret de son identité et celui de l'enfant à connaître ses origines, le projet de loi maintenait la faculté pour la mère d'accoucher dans l'anonymat, mais tendait à permettre, dans certaines conditions, la réversibilité du secret de son identité, selon une procédure articulée autour d'un Conseil national pour l'accès aux origines personnelles.

La femme conservait le droit d'accoucher dans l'anonymat, mais elle était invitée à consigner son identité sous pli fermé lors de cet accouchement.

Le Conseil national pour l'accès aux origines personnelles était destinataire des demandes d'accès à ses origines formulées par l'enfant et des déclarations de levée du secret formulées par les parents de naissance. Il était également compétent pour recueillir les éléments relatifs à l'identité des parents de naissance. Enfin, le Conseil sollicitait des parents de naissance la levée du secret de leur identité et communiquait celle-ci à l'enfant, lorsqu'ils avaient expressément levé le secret.

b) Les recommandations de la Délégation

Saisie de ce projet de loi, sur sa demande, par la commission des lois, la Délégation a procédé à l'audition de nombreux experts -  juriste, psychanalyste, directeur départemental d'action sociale -  et associations -  défense des droits des femmes, défense du droit à la connaissance des origines, familles adoptives - . Au terme de ces auditions, la Délégation a adopté, le 22 mai 2001, le rapport d'information (n° 3087) de Mme Danielle Bousquet.

Rappelant que l'accouchement anonyme, qui ne concerne plus aujourd'hui qu'environ 600 naissances par an (contre environ 10 000 avant les années quatre-vingts), devait être maintenu pour protéger les femmes des accouchements clandestins, des abandons d'enfants, voire des infanticides, la Délégation a souhaité mieux informer la femme des différentes possibilités qui s'offrent à elle et renforcer l'accompagnement psychologique qui doit être le sien.

Pour faciliter l'accès de l'enfant à la connaissance de ses origines, la Délégation a recommandé que soient recueillis au moment de l'accouchement le plus d'éléments possibles sur l'identité et l'histoire des parents de naissance.

S'agissant de la sollicitation par le Conseil national de la mère de naissance afin qu'elle lève le secret de son identité, la Délégation s'est inquiétée de la procédure prévue par le projet de loi et s'est prononcée pour une solution plus respectueuse de la volonté de la mère et de celle de l'enfant, à savoir le rapprochement concomitant de leurs deux volontés.

La Délégation a adopté les recommandations suivantes :

1. L'accouchement sous le secret de l'admission et de l'identité - couramment appelé accouchement anonyme ou sous X - doit être maintenu ; il demeure le seul recours pour les femmes en très grande détresse qui ne peuvent assumer leur maternité  ;

2. Toutes les autres solutions possibles doivent être proposées aux femmes dont l'objectif premier n'est pas le secret vis-à-vis de l'enfant, mais qui souhaitent une confidentialité vis-à-vis de l'entourage, ou simplement une remise de l'enfant dans de bonnes conditions en vue d'une adoption ;

3. Lors de son accompagnement psychologique et social ou lors de son admission à la maternité, la femme recevra un document écrit l'informant de toutes les possibilités qui s'offrent à elle au moment de l'accouchement, de toutes leurs conséquences pour l'enfant et pour elle-même ainsi que de sa faculté, ultérieurement et à n'importe quel moment, de lever le secret de son identité ;

4. L'accompagnement psychologique et social, institué par la loi du 5 juillet 1996 au bénéfice des femmes demandant à accoucher sous le secret, devra être mis en place de manière impérative dans tous les départements ; des professionnels des services départementaux de l'aide sociale à l'enfance devront être chargés de cette mission d'accompagnement ; lorsque la femme ne souhaite pas laisser son identité, le temps de cet accompagnement est propice à une sensibilisation de la femme à l'importance pour l'enfant de connaître son histoire ; il sera donc proposé à la femme de laisser des éléments de son histoire et des renseignements non identifiants ;

5. La faculté offerte aux parents d'enfants de moins d'un an, qui ont une filiation connue et établie, de les remettre à l'adoption en demandant le secret de leur identité doit être supprimée, comme le prévoit le projet de loi ;

6. Le Conseil national pour l'accès aux origines personnelles devra être composé également de représentants d'associations de personnes confiées à l'adoption, de femmes et de familles adoptives ;

7. Il devra assurer une harmonisation des pratiques des services départementaux de l'aide sociale à l'enfance, des établissements de santé et des organismes autorisés pour l'adoption ; à cet effet, il pourra organiser des formations à l'intention des différents acteurs locaux ;

8. Il devra élaborer le document d'information qui sera remis aux femmes qui souhaitent accoucher dans la confidentialité ainsi qu'un document à l'intention des enfants qui entreprennent une démarche de recherche de leurs parents de naissance, pour les informer de la portée de celle-ci ;

9. Le rapprochement de la mère et de l'enfant étant un rapprochement de deux volontés, la déclaration expresse de levée du secret par le père ou la mère de naissance ne pourra pas être sollicitée par le Conseil national pour l'accès aux origines personnelles ;

10. Le Conseil national aura pour mission, en association avec ses correspondants désignés par le président du conseil général, d'organiser le rapprochement des consentements entre la mère et l'enfant ; comme il est important que ceux-ci puissent se faire de façon concomitante, toutes les demandes de recherche adressées au Conseil devront être renouvelées ; le Conseil devra pouvoir en outre être saisi de la demande de la mère ou du père de naissance s'enquérant d'une démarche éventuelle de l'enfant ; il informera automatiquement l'enfant de tout élément nouveau concernant son père ou sa mère de naissance, dès lors que la demande de recherche de l'enfant aura été formulée ou renouvelée dans l'année ;

11. Le Conseil sera chargé de recenser l'ensemble des organismes autorisés et habilités pour l'adoption et de recueillir, pour ceux qui ont cessé leur activité, l'ensemble des dossiers en leur possession ;

12. Il assurera le suivi et l'évaluation régulière du dispositif ;

13. L'accès à la connaissance des origines personnelles ne pourra donner lieu à aucune action relative à la filiation, ni à fins de subsides, ni à indemnisation, sur quelque fondement que ce soit, au profit de qui que ce soit.

c) Les dispositions législatives adoptées

Le projet de loi a été adopté conforme, le 10 janvier 2002, en seconde lecture par l'Assemblée Nationale.

_ La loi maintient la faculté pour la femme de demander, lors de son accouchement la préservation du secret de son identité et de son admission.

_ Comme le souhaitait la Délégation, la femme est mieux informée, au moment de son accouchement dans le secret, des conséquences de son acte et des possibilités qui s'offrent à elles. Elle est en effet informée des conséquences juridiques de sa demande de secret et de l'importance pour toute personne de connaître ses origines et son histoire. Elle est donc invitée à laisser, si elle l'accepte, des renseignements sur sa santé et celle du père, les origines de l'enfant et les circonstances de la naissance, ainsi que, sous pli fermé, son identité.

Elle est également informée :

- de sa possibilité de lever à tout moment le secret de son identité ;

- des conditions dans lesquelles son identité pourra être communiquée par le Conseil national d'accès aux origines personnelles ;

- de sa possibilité de donner à tout moment son identité sous pli fermé ou de compléter les renseignements qu'elle a donnés au moment de la naissance.

_ Deux professionnels des services départementaux de l'aide sociale à l'enfance seront chargés d'organiser l'accompagnement psychologique et social de la femme, de recevoir le pli fermé contenant l'identité de la mère, de recueillir les éléments non identifiants concernant l'enfant et d'assurer l'information de la mère. Ces personnes devront suivre une formation initiale et continue leur permettant de remplir ces missions. Cette formation sera assurée par le Conseil national qui procédera également à un suivi régulier de ces personnes.

L'adoption de ces dispositions a été fortement soutenue par la Délégation.

_ Comme le recommandait la Délégation, la composition du Conseil national est modifiée de manière à comprendre des représentants d'associations pour la défense des droits des femmes (3), des familles adoptives (1), des pupilles de l'Etat (1), et pour la défense du droit à la connaissance de ses origines (1).

_ Un amendement déposé en première lecture à l'Assemblée nationale à l'initiative de Mmes Danielle Bousquet, Odette Casanova, Martine Lignières-Cassou et Conchita Lacuey, visant à permettre au père et à la mère de naissance de demander au Conseil national si l'enfant a lui-même déposé une demande de recherche, a été adopté.

_ La loi a maintenu la possibilité pour le Conseil national de solliciter le père et la mère de naissance pour la levée du secret de leur identité, alors que la Délégation, qui s'était inquiétée des modalités d'une telle recherche des parents de naissance, aurait souhaité que soit recherchée la concomitance dans le temps du rapprochement des consentements de la mère et de l'enfant.

Néanmoins, des garanties supplémentaires ont été ajoutées au texte, qui précise que le recueil de leur consentement exprès devra se faire dans le respect de leur vie privée.

_ Comme le souhaitait la Délégation, la loi précise que l'accès d'une personne à ses origines est sans effet sur l'état civil et la filiation et qu'il ne fait naître ni droit, ni obligation au profit ou à la charge de qui que ce soit.

3. Nom de famille

Les règles régissant l'attribution du nom de famille reposaient, en droit français, sur une conception patriarcale de la famille qui conduisait à donner prééminence au nom du père. Une réforme s'imposait pour donner aux parents plus de liberté dans le choix du nom de l'enfant : elle a été adoptée le 21 février 2002.

a) Une réforme des règles d'attribution du nom de famille

Le principe de l'attribution du nom du père à l'enfant légitime n'a pas été fixé par les deux textes généraux relatifs au nom de l'enfant adoptés au début du XIXe siècle et ne figure donc pas dans le code civil ; c'est la jurisprudence qui l'a affirmé au début du XXe siècle ; il a ensuite été reconnu par le législateur, avec la loi du 3 janvier 1972 sur la filiation.

S'agissant de l'enfant naturel, l'attribution du nom était régie par un principe de priorité chronologique, tempéré en faveur du nom du père. L'enfant adopté n'échappait pas non plus à la prééminence paternelle.

Ce système d'attribution du nom, qui traduisait une réelle inégalité entre les parents, n'était plus en accord avec l'évolution du droit de la famille, qui a vu disparaître la puissance paternelle au profit de l'autorité parentale, s'instaurer l'égalité des époux dans la gestion patrimoniale, consacrer le divorce par consentement mutuel, affirmer l'égalité des filiations et assurer une coparentalité effective.

Une première évolution s'est produite avec la réforme relative au nom d'usage, introduite par la loi du 23 décembre 1985. Depuis le 1er juillet 1986, "toute personne majeure peut ajouter à son nom, à titre d'usage, le nom de ses parents qui ne lui a pas transmis le sien. A l'égard des enfants mineurs, cette faculté est mise en _uvre par les titulaires de l'autorité parentale". Ce nom double n'est cependant pas transmissible et ne figure pas sur les actes de l'état civil.

La proposition de loi (n° 2709) relative au nom patronymique, déposée le 15 novembre 2000, par M. Gérard Gouzes et les membres du groupe socialiste et apparentés, qui avait à l'origine uniquement pour objet de permettre à tout enfant de porter légitimement le nom de son père suivi du nom de sa mère, a été modifiée et complétée au cours des travaux parlementaires.

A l'initiative de la Délégation aux droits des femmes du Sénat, son intitulé a été modifié : il ne s'agira plus d'un texte sur le "nom patronymique", terme qui faisait référence au père, mais de la loi relative au "nom de famille".

b) Les recommandations de la Délégation

Saisie, sur sa demande, par la commission des lois de la proposition de loi de M. Gérard Gouzes, la Délégation a adopté, le 30 janvier 2002, le rapport (n° 2901) de Mme Yvette Roudy.

Présentant l'historique des règles régissant l'attribution du nom de l'enfant et soulignant que le principe patronymique, séquelle de la société patriarcale, conduit à l'appauvrissement du patrimoine anthroponymique français, la Délégation a proposé, dans ses recommandations, un assouplissement du dispositif d'attribution automatique du double nom prévu par la proposition de loi, axant ses propositions sur un libre choix parental permettant aux parents de décider librement du nom de l'enfant, qu'il soit légitime, naturel ou adopté, et leur ouvrant la possibilité de choisir le nom d'un ascendant, en sus de celui du père, de la mère ou des deux noms accolés.

La Délégation a adopté les recommandations suivantes :

1. Afin de respecter le principe d'égalité des parents au sein de la structure familiale et d'enrayer l'appauvrissement du patrimoine anthroponymique, inéluctable dans le cadre de la législation en vigueur, le nom de l'enfant inscrit dans l'acte de naissance doit être déterminé librement par les parents qui doivent pouvoir choisir :

- soit le nom de la mère (matronyme) ou celui du père (patronyme) ;

- soit le nom de chacun des parents (matronyme et patronyme) accolés l'un à l'autre dans un ordre qu'ils fixent ensemble.

Dans ce cas, le parent dont le nom est composé de deux noms accolés ne devrait pouvoir transmettre qu'un seul de ses noms à ses enfants.

- soit le nom d'un ascendant dans la ligne maternelle ou paternelle de l'un des parents.

2. Les enfants ayant les mêmes père et mère doivent porter un nom identique : le nom qui sera attribué aux enfants légitimes doit être déterminé solennellement par les époux au moment du mariage.

3. Les père et mère des enfants naturels dont la filiation est établie simultanément à l'égard des deux parents doivent pouvoir déterminer le nom de leurs enfants selon les mêmes principes. L'option prise pour le nom du premier enfant doit s'imposer pour la dévolution du nom des enfants qui naîtront ultérieurement, sous réserve de l'établissement de leur double filiation.

Il en est de même pour le nom des enfants mineurs, dont la filiation est établie en second lieu à l'égard du père : ce nom devrait pouvoir être déterminé par les parents dans une déclaration conjointe devant le greffier en chef du tribunal de grande instance.

4. En cas d'adoption plénière d'un enfant par deux époux, ces derniers doivent pouvoir déterminer selon les mêmes principes le nom qui sera porté par cet enfant.

5. Les conséquences patronymiques de la légitimation d'un enfant par autorité de justice prononcée à l'égard des deux parents doivent résulter des nouvelles règles de dévolution du nom.

6. La procédure de changement de nom d'une personne majeure souhaitant reprendre le nom de l'un de ses parents ou ascendants qui ne lui a pas été transmis, doit être assouplie.

c) La réforme adoptée : une avancée au bénéfice des parents comme des enfants

Le texte adopté par la commission des lois, à l'issue de sa réunion du 1er février 2001, satisfaisait l'essentiel des recommandations de la Délégation, le rapporteur, M. Gérard Gouzes, ayant précisé dans la discussion générale qu'il s'était inspiré du travail de Mme Yvette Roudy pour ses nouvelles propositions.

Le texte offrait la possibilité aux parents de choisir le nom du père, le nom de la mère ou les deux noms des parents accolés. A défaut d'accord entre les parents, il précisait que la solution imposée aux parents était alors celle du double nom accolé de chacun des deux parents dans l'ordre alphabétique.

La possibilité de choisir le nom d'un ascendant dans la ligne maternelle ou paternelle de l'un des parents, que recommandait la Délégation, n'avait pas été retenue.

Au cours de l'examen du texte en première lecture par l'Assemblée nationale, le 8 février 2001, c'est le texte issu des travaux de la commission des lois qui avait été adopté.

Examinant la proposition de loi en séance publique, le 20 février 2002, le Sénat a remanié le texte de l'Assemblée nationale en prévoyant qu'à défaut de choix exprimé par les parents - soit qu'ils n'aient pu exercer ce choix, soit qu'un désaccord persistant les ait opposés - , c'est le nom du père qui sera donné à l'enfant.

Mme Marylise Lebranchu, Garde des Sceaux, évoquant au cours des débats cette solution "symboliquement régressive", aurait souhaité que le Sénat accepte une solution de compromis, aux termes de laquelle le double nom accolé, qui s'imposerait à défaut d'un choix des parents, serait nécessairement composé du nom du père, suivi du nom de la mère. Cette solution aurait répondu "à la tradition historique, sans ériger la primauté du père en un postulat absolu".

Le Gouvernement n'a pas été suivi sur ce point et le Sénat a maintenu son texte initial.

Le Parlement suspendant ses travaux le 21 février 2002, il n'était plus possible de procéder à des modifications du texte par navette entre les deux assemblées. Tout en regrettant cette solution imposée par le Sénat, l'Assemblée nationale a considéré qu'il s'agissait d'une avancée vers plus d'égalité au sein du couple qu'il fallait acter, et a voté conforme le texte du Sénat.

Il faut espérer, comme l'a souhaité Mme Marylise Lebranchu, Garde des Sceaux, au cours du débat en deuxième lecture à l'Assemblée Nationale, que les parents de demain feront consciemment le choix du nom de l'enfant en fonction des nouvelles possibilités qui leur sont ouvertes et qu'ils ne se soumettront pas à un modèle hérité d'une société patriarcale d'un autre âge.

4. Autorité parentale

Les profondes mutations sociologiques de la famille au cours de ces dernières décennies ont entraîné une nouvelle réflexion sur la relation parents-enfants. La recherche de l'égalité parentale, consistant à reconnaître à un enfant le droit d'être élevé par son père et par sa mère, a conduit le législateur à une profonde réforme de l'autorité parentale.

a) Une autorité parentale plus soucieuse de l'intérêt de l'enfant

Le modèle de la famille légitime unie, sur lequel a été construit le droit de l'autorité parentale, s'est effrité peu à peu devant l'apparition de nouvelles familles recomposées, monoparentales, hors mariage. Près de 120 000 divorces sont prononcés chaque année, pour environ 280 000 mariages, et deux couples sur trois en instance de divorce ont des enfants impliqués dans la procédure.

Après un divorce ou une séparation, ce sont les mères qui assument majoritairement la charge des enfants, le juge, en cas de désaccord, fixant la résidence de l'enfant chez la mère dans plus de 80 % des cas. Or, de nouvelles aspirations sont apparues. De nombreux pères veulent assumer leurs droits vis-à-vis de leurs enfants et les femmes, de plus en plus impliquées dans leur vie professionnelle, demandent une répartition plus égalitaire des rôles et des tâches familiales.

Ce n'est qu'avec retard que le législateur s'est efforcé de suivre l'évolution des m_urs.

S'agissant de l'autorité parentale, la proposition de loi (n° 3074) de MM. Jean-Marc Ayrault, Marc Dolez, Mme Christine Lazerges et les membres du groupe socialiste et apparentés, déposée le 17 mai 2001, était fondée sur l'affirmation de nouveaux principes :

- le bien-fondé et la finalité de l'autorité parentale ;

- la reconnaissance de la coparentalité ;

- le recours à la médiation entre les parents ;

- de nouveaux modes d'exercice de l'autorité parentale ;

- la priorité reconnue aux droits et à l'intérêt de l'enfant.

b) Les recommandations de la Délégation

Saisie de ce texte, sur sa demande, par la commission des lois, la Délégation, après avoir auditionné de nombreux spécialistes (magistrats, juristes, avocats, sociologues, pédopsychiatres, psychologues, associations de parents), a adopté, le 5 juin 2001, le rapport d'information (n° 3111) de Mme Chantal Robin-Rodrigo, comportant les recommandations suivantes :

Mieux affirmer les droits de l'enfant

1. La convention internationale relative aux droits de l'enfant devrait faire l'objet d'une meilleure insertion dans notre droit interne, et certains principes qu'elle énonce repris dans le code civil, comme la prise en compte de la notion de "l'intérêt supérieur" de l'enfant dans l'exercice de l'autorité parentale et dans l'intervention du juge.

Dans le même esprit, il faudrait instaurer, à titre symbolique, dans l'article 371 du code civil, une véritable réciprocité dans l'"honneur" et le "respect" que doivent se porter mutuellement parents et enfants.

Renforcer et préciser la médiation familiale et la médiation judiciaire

2. Le rôle de la médiation familiale doit être précisé. Cette médiation doit être favorisée et encadrée dans la recherche d'une convention entre les parents susceptible d'homologation par le juge. Les missions et la formation des personnels qui en sont chargés doivent être mieux définies.

3. Le recours à la médiation judiciaire doit être précisé, et levée l'ambiguïté entre une simple incitation à la médiation ou une obligation que pourrait imposer le juge en cas de désaccord des parents.

En cas de refus des parents d'accepter la médiation, ceux-ci devront être convoqués à nouveau devant le juge dans le délai maximum d'un mois pour la poursuite de la procédure.

Les structures de la médiation judiciaire doivent être mises en place de toute urgence auprès des tribunaux où elles n'existent pas. En tout état de cause, elles doivent être soutenues et renforcées.

Mieux prendre en compte l'intérêt de l'enfant dans la décision du juge

4. Dans le souci de l'intérêt de l'enfant, après homologation de la convention ou décision du juge sur les modalités de l'exercice de l'autorité parentale, celui-ci peut ordonner qu'une enquête sociale soit diligentée en vue de s'assurer du bien-fondé de la décision quant aux conséquences sur le développement de l'enfant.

Dans le même souci, le juge, avant de statuer sur les modalités de l'exercice de l'autorité parentale, peut se faire assister par un pédopsychiatre, s'agissant d'enfants trop jeunes pour exprimer leurs sentiments dans les conditions prévues à l'article 388-1 du code civil.

Affirmer la coparentalité

5. Le principe de l'exercice en commun par le père et la mère de l'autorité parentale  la coparentalité  n'implique pas, comme solution au choix de résidence de l'enfant, la seule alternative entre une résidence de l'enfant au domicile de l'un des parents et une stricte résidence en alternance chez chacun d'eux. La plus grande souplesse doit être recherchée dans les modalités d'hébergement partagé de l'enfant entre les deux parents.

6. Afin de promouvoir le principe de coparentalité, le juge prend en considération avant de statuer, non seulement "l'aptitude de chacun des parents à assumer ses devoirs et respecter celui des droits de l'autre", mais aussi l'aptitude de chacun des parents à favoriser et à respecter, au quotidien, la place de l'autre parent dans la vie de l'enfant.

7. Il appartient au juge de rappeler aux parents leurs devoirs vis-à-vis de l'enfant (visite, suivi de la santé, de l'éducation, entretien...), indépendamment du paiement d'une pension alimentaire.

8. A la naissance de l'enfant, les parents, en particulier le père, devront être informés de leurs droits et devoirs au titre de l'autorité parentale et de la nécessité préalable de reconnaître l'enfant pour établir la filiation. En tout état de cause, la mère devra être informée de la reconnaissance de l'enfant par le père.

Valoriser la place des tiers

9. La délégation, totale ou partielle, de l'autorité parentale devra s'accompagner de l'élaboration d'une meilleure reconnaissance de la place du tiers qui prend l'enfant en charge, afin notamment de favoriser la collaboration entre parents et tiers, élargir les possibilités de prise en charge de l'enfant par le tiers, par exemple en cas de décès de l'un des parents, assouplir en cas de séparation les conditions d'octroi d'un droit de visite et d'hébergement.

10. Le droit de l'enfant à entretenir des relations personnelles avec ses grands-parents, ainsi qu'avec ses frères et s_urs doit être affirmé.

Mieux soutenir la nouvelle autorité parentale par des mesures d'accompagnement

11. La séparation et les nouvelles possibilités d'organiser l'exercice de l'autorité parentale, notamment la résidence en alternance, ont un coût, qui pèse davantage sur les milieux modestes. La société doit réfléchir aux moyens de mieux prendre en charge les conséquences économiques et sociales de la séparation, du point de vue du logement, de la sécurité sociale, des transports, de l'éducation et des pratiques administratives et fiscales.

12. Les conséquences psychologiques sur l'enfant impliquées par les nouveaux modes d'exercice de l'autorité parentale, notamment le choix de la résidence, doivent être étudiées. Des recherches scientifiques approfondies devraient être conduites, afin d'évaluer, depuis la loi de 1993, les effets de ces situations nouvelles sur le développement de l'enfant.

13. L'établissement de barèmes indicatifs de référence, calculés à partir des revenus du débiteur de la pension alimentaire, devrait aider les parents à mieux répartir entre eux les charges de l'entretien et de l'éducation des enfants, et permettre plus facilement d'aboutir à des accords entre parents susceptibles d'homologation.

14. La mission d'éducation de l'enfant confiée à l'autorité parentale doit être complétée dans une perspective d'insertion citoyenne de l'enfant dans la société.

15. Parallèlement à la formation des professionnels de la petite enfance, doit se mettre en place, de façon décentralisée, une formation des parents à la parentalité, à la vie familiale, à l'éducation de l'enfant et à son intégration dans la cité.

c) Une réforme qui affirme la coparentalité

La réforme de l'autorité parentale a été adoptée conforme en troisième lecture par l'Assemblée nationale, le 21 février 2002. On ne peut que regretter que certaines dispositions auxquelles la Délégation était très attachée, et dont elle avait obtenu le vote par l'Assemblée nationale, n'aient pas été retenues par le Sénat, dans la mesure où elles s'efforçaient de mieux prendre en compte les droits des femmes et l'intérêt de l'enfant.

Ainsi, si la réforme adoptée pose le principe que l'autorité parentale a pour finalité l'intérêt de l'enfant et qu'elle constitue un ensemble de droits et devoirs, le Sénat n'a pas jugé utile la disposition votée en première lecture, à l'initiative de Mme Chantal Robin-Rodrigo, selon laquelle "le parent qui ne respecte pas les devoirs qui s'attachent à l'autorité parentale peut se voir rappeler ses obligations".

L'autorité parentale sera désormais exercée en commun par les père et mère, dès lors que le lien de filiation est établi, quel que soit le statut des parents : mariés, séparés, divorcés ou concubins, à deux exceptions près (filiation établie plus d'un an après la naissance ou filiation résultant d'un jugement).

Les parents pourront saisir le juge aux affaires familiales, afin de faire homologuer la convention par laquelle ils organisent les modalités d'exercice de l'autorité parentale et fixent les règles de contribution à l'entretien et à l'éducation de l'enfant.

La possibilité de résidence alternée au domicile de chacun des parents est désormais reconnue par la loi, qui n'impose pas un partage strict de la résidence de l'enfant entre les deux parents, mais permet des formules souples, correspondant aux actuels droits de visite élargis.

En cas de désaccord de l'un des parents, le juge pourra ordonner une résidence en alternance à titre provisoire. Le souhait de la Délégation que celle-ci soit limitée à six mois, parce qu'une durée trop longue pourrait nuire à la recherche de la meilleure solution pour le développement de l'enfant, n'a finalement pas été retenue par le Sénat, qui a souhaité laisser une certaine souplesse au dispositif.

Avant de se prononcer, le juge devra prendre en compte un certain nombre d'éléments énumérés par la loi. Pour les enfants les plus jeunes, qui ne peuvent exprimer leurs sentiments, le juge pourra s'appuyer, comme le souhaitait la Délégation, sur des expertises effectuées par des spécialistes (pédiatres, pédopsychiatres ou psychologues) permettant d'apprécier la meilleure solution pour le développement de l'enfant.

Enfin, à l'effet de faciliter la recherche par les parents d'un exercice consensuel de l'autorité parentale, le juge pourra leur proposer une mesure de médiation et, après avoir obtenu leur accord, désigner un médiateur pour y procéder. Cette médiation - grande innovation du texte -  n'est pas imposée, mais conseillée, ce qui est la garantie de son succès.

Au cours des débats en première lecture, l'Assemblée nationale, à la suite d'une longue discussion, avait estimé nécessaire, cependant, d'exprimer une réserve quant au recours à la médiation proposée par le juge en cas de violences exercées au sein de la famille.

La formulation très souple retenue par l'Assemblée avec l'accord du Gouvernement : "à moins que les violences constatées au sein de la famille ne rendent cette mesure inappropriée", laissait au juge le soin d'apprécier de l'opportunité de la médiation en cas de violences familiales.

A deux reprises, le Sénat s'y est opposé et le texte définitif ne contient pas cette réserve. Or, la Délégation aux droits des femmes estimait essentiel de maintenir cette stigmatisation de la violence, puisque selon l'enquête diligentée par Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat aux droits des femmes, pour la seule année 1999, 1 500 000 femmes, soit une femme sur 10 entre 20 et 59 ans, ont été victimes de violences physiques, mais aussi fréquemment de lourdes pressions psychologiques, et qu'une médiation qui se ferait sous la pression, la contrainte ou la peur s'engagerait dans les pires conditions. Malgré l'appui des associations de femmes, qui ont alerté les députés comme les sénateurs, sur l'importance, dans l'intérêt des femmes, du maintien de cette réserve de la violence en cas de médiation, cette disposition ne figurera pas dans la loi. C'est au juge, au cas par cas, qu'il appartiendra de vérifier si les violences sont de nature à rendre inappropriée une mesure de médiation.

B. LES TEXTES EN INSTANCE

Deux textes importants n'auront pu être menés à leur terme au cours de cette législature. La proposition de loi sur le divorce n'aura pu être examinée qu'en première lecture par l'Assemblée Nationale et par le Sénat. Une seule lecture à l'Assemblée Nationale aura eu lieu pour le projet de loi relatif à la bioéthique.

1. Divorce

Autre volet du droit de la famille, après celui sur la prestation compensatoire, les droits du conjoint survivant, le nom patronymique et l'autorité parentale, la proposition de loi (n° 3189) de M. François Colcombet relative à la réforme du divorce a été déposée le 26 juin 2001.

a) Les objectifs de la réforme : un divorce moderne et pacifié

Si le divorce par consentement mutuel représente actuellement plus de la moitié des divorces, le divorce pour faute (plus de 40 % des jugements) a fait l'objet de critiques de plus en plus vives, tant des justiciables que des professionnels du droit, en raison d'un dévoiement de procédures imposant de prouver par tous les moyens la culpabilité de l'autre époux, et des effets destructeurs de contentieux interminables.

La proposition de loi de M. François Colcombet avait pour objet de maintenir le divorce par consentement mutuel en allégeant la procédure et de substituer aux autres cas de divorce, le divorce pour rupture irrémédiable du lien conjugal. Un droit unilatéral au divorce était donc institué permettant à l'un des époux d'obtenir le divorce sans avoir à en justifier la cause, ni à invoquer la culpabilité de son conjoint.

Toutefois, la procédure préalable à l'assignation prévoyait des délais au profit de l'époux défenseur et le recours à la médiation proposée par le juge. Les faits d'une particulière gravité de l'un des époux étaient sanctionnés, en dépit de la suppression de la faute comme cause de divorce.

Par ailleurs, la proposition de loi prévoyait des dispositions permettant de mieux traiter le règlement des conséquences pécuniaires du divorce en facilitant les opérations de liquidation et de partage.

b) Les recommandations de la Délégation

Saisie de cette proposition de loi, sur sa demande, par la commission des lois, la Délégation a adopté, le 2 octobre 2001, le rapport (n° 3294) de Mme Marie-Françoise Clergeau.

La Délégation s'est particulièrement préoccupée du problème de la médiation, qui doit être une démarche volontaire, proposée mais non imposée, et qui est une démarche totalement inappropriée dans des situations de violence.

Elle a également souhaité qu'un "noyau dur" de fautes, notamment les violences conjugales, ait un traitement particulier au regard du respect des droits fondamentaux de la personne.

La Délégation a adopté les recommandations suivantes :

Favoriser l'expression d'un consentement libre et éclairé des conjoints lors du divorce par consentement mutuel

1. En cas de divorce par consentement mutuel, l'expression de la volonté réelle de chacun des époux ainsi que d'un accord librement consenti et éclairé devra faire l'objet par le juge d'un examen attentif en vue de s'assurer de l'absence de pressions ou de fraudes.

Reconnaître la famille comme un lieu de droit

2. Aux fins de reconnaissance et de réparation symbolique du préjudice consécutif à des faits d'une particulière gravité imputés à l'un des conjoints, notamment des violences physiques ou morales, le juge, à la demande de l'époux victime, constate ces faits dans le prononcé du divorce.

3. Lors de l'action en divorce pour rupture irrémédiable du lien conjugal, le conjoint qui s'estime victime de faits d'une particulière gravité doit être informé des procédures à engager au pénal ou au titre de la responsabilité civile.

4. Le juge aux affaires familiales devra systématiquement être informé par le parquet des procédures pénales préalables concernant l'un des conjoints, afin d'établir une meilleure articulation entre une procédure pénale pour violences familiales et la procédure de divorce.

5. En cas de violences physiques au sein de la famille, le juge doit pouvoir décider en urgence d'une résidence séparée des conjoints. Il doit veiller, dans la mesure du possible, à ce que le conjoint, victime de violences, demeure avec ses enfants au domicile familial.

Mieux prendre en compte l'intérêt du conjoint qui n'a pas pris l'initiative du divorce

6. Lorsque l'époux, qui n'a pas pris l'initiative du divorce, en subit des conséquences d'une grande dureté, du point de vue psychique ou moral, une demande en réparation doit pouvoir être formée, aux fins de reconnaissance du préjudice subi.

Développer la médiation

7. L'information sur la médiation qui peut être proposée par le juge, en cas de refus d'homologation de la convention présentée par l'époux, ou dans le cas de rupture irrémédiable du lien conjugal, devra être largement diffusée et accessible au sein des juridictions et relayée par les différentes structures de médiation familiale.

Il serait souhaitable qu'un premier entretien d'information sur la médiation soit proposé - mais non imposé - dès la demande de divorce. Le premier entretien de médiation devrait être gratuit.

8. Dans un souci de prévention, en amont de la procédure de divorce, le recours à la médiation familiale devrait être systématiquement conseillé par les professionnels du droit, mais aussi par les acteurs sociaux (associations, caisses d'allocations familiales, assistantes sociales) aux couples qui envisagent une séparation, afin de faciliter la recherche d'accords prenant en compte notamment l'intérêt des enfants.

9. Parallèlement à la médiation familiale, dont le but est de préparer l'avenir, devra être fortement conseillé le recours au conseil conjugal pour aider les couples en conflit à exprimer leurs difficultés, qu'ils envisagent ou non la séparation. Dans le cours de la procédure, le juge pourra également proposer aux conjoints de recourir à un conseil conjugal, dans un souci de pacification du conflit.

10. Il est urgent de définir le contenu d'une formation obligatoire des médiateurs, qui devra prendre la forme d'une formation continue, répartie entre théorie et pratique et débouchant sur un diplôme reconnu par l'Etat.

11. Une initiation à la médiation et une sensibilisation aux problèmes de violence devraient être incluses dans la formation initiale des professionnels du droit.

12. Une réflexion doit s'engager sur le régime actuel de la communauté légale des époux, ainsi que sur les possibilités de changement de régime matrimonial dans le cours de la vie du couple, qui devraient être simplifiées et moins coûteuses.

c) La réforme adoptée en première lecture

Plusieurs amendements prenant en compte les recommandations de la Délégation, présentés par Mmes Marie-Françoise Clergeau et Martine Lignières-Cassou, ont été adoptés en première lecture par l'Assemblée nationale, les 9 et 10 octobre 2001.

_ S'agissant de la procédure du divorce par consentement mutuel qui est unifiée et simplifiée, il est précisé que "le juge prononce le divorce s'il a acquis la conviction que la volonté de chacun des époux est réelle et que chacun d'eux a donné un consentement libre et éclairé".

_ Comme le souhaitait la Délégation, la procédure de médiation est proposée, mais non imposée par le juge.

Dans le cadre du divorce par consentement mutuel, en cas de refus d'homologation de la convention, le juge peut proposer une médiation.

De même, lors d'un divorce pour rupture irrémédiable du lien conjugal, la médiation est proposée par le juge, d'office ou à la demande des époux ou de l'un d'eux (sauf cas de violences constatées au sein de la famille). Le juge peut même enjoindre aux époux de rencontrer un médiateur dans un but d'information, et l'époux demandeur ne sera autorisé à poursuivre la procédure que s'il justifie de s'être présenté, pour le moins, à cet entretien d'information.

_ En première lecture du texte à l'Assemblée nationale, comme lors de l'examen en première lecture de la proposition de loi relative à l'autorité parentale, a été adopté un amendement spécifiant que la médiation peut être proposée par le juge "à moins que des violences constatées au sein de la famille ne rendent cette mesure inappropriée".

_ Dans le cadre du divorce pour rupture irrémédiable du lien conjugal, est prévue une information du juge aux affaires familiales sur les procédures pénales ou civiles passées ou en cours éventuellement engagées à l'encontre de l'un des époux pour des faits intervenus dans le mariage. Cette disposition permettra une meilleure articulation entre une procédure pénale pour violences familiales et la procédure de divorce.

_ Les faits d'une particulière gravité seront sanctionnés lors d'un divorce pour rupture irrémédiable du lien conjugal, la suppression de la faute comme cause du divorce n'entraînant pas l'impunité du conjoint coupable de faits d'une particulière gravité vis-à-vis de l'autre et ne l'exonérant pas non plus de sa responsabilité civile.

Ainsi, lors du prononcé du divorce, le juge pourra constater, à la demande d'un conjoint, que des faits d'une particulière gravité, tels que des violences physiques ou morales, ont été commis au cours du mariage à son encontre.

Par ailleurs, une action en dommages-intérêts sur le fondement de la responsabilité civile de l'article 1382 du code civil est ouverte aux parties et confiée au juge des affaires familiales.

En amont de la procédure de divorce, le juge peut intervenir en urgence, lorsque l'un des époux manque gravement à ses devoirs et met en péril les intérêts de la famille, notamment par des violences physiques ou morales, qui menacent la sécurité du conjoint ou des enfants. Il peut organiser la résidence séparée des époux et statuer, s'il y a lieu, sur les modalités d'exercice de l'autorité parentale. Il peut notamment prévoir le maintien au domicile conjugal de l'un des époux et des enfants, et l'éviction du conjoint dont le comportement s'avère dangereux. Toutefois, ces dispositions deviennent caduques si, dans les trois mois, aucune requête en divorce n'a été déposée.

De plus, une demande en dommages-intérêts peut être formée par le conjoint qui n'a pas pris l'initiative du divorce, lorsque la dissolution du mariage a pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité.

Le 21 février 2002, le Sénat a examiné en première lecture la proposition de loi portant réforme du divorce. Abordant cette réforme dans un tout autre esprit que l'Assemblée nationale, il s'est prononcé pour le maintien du divorce pour faute et la création d'une nouvelle procédure, celle du divorce pour altération irrémédiable des relations conjugales. Il s'est cependant déclaré favorable à l'incitation au recours à la médiation familiale, qui constitue un des points forts de la réforme.

2. Bioéthique

Sur proposition de Mme Yvette Roudy, vice-présidente, la Délégation aux droits des femmes a organisé le 5 avril 2001 un colloque intitulé "Femmes et bioéthique : l'assistance médicale à la procréation - L'AMP en question (2)".

La Délégation souhaitait, en effet, faire entendre la voix des femmes sur les problèmes de bioéthique les concernant plus particulièrement, afin qu'ils soient mieux pris en compte au moment de l'élaboration du projet de loi de révision des lois bioéthiques.

a) Les dispositions du projet de loi relatives à l'AMP

Déposé le 20 juin 2001 sur le bureau de l'Assemblée nationale, le projet de loi (n° 3166) relatif à la bioéthique concernait des sujets très larges : caractéristiques génétiques, dons d'organes, clonage reproductif, diagnostic prénatal et assistance médicale à la procréation, recherche sur l'embryon.

S'agissant de l'assistance médicale à la procréation, le projet de loi prévoyait la création d'une Agence de la procréation, de l'embryologie et de la génétique humaines, ayant notamment pour mission de contribuer au suivi et à l'évaluation dans les domaines de l'assistance médicale à la procréation, du diagnostic prénatal et de la recherche sur l'embryon.

Il incluait les stimulations ovariennes parmi les techniques relevant de l'encadrement législatif spécifique relatif à l'assistance médicale à la procréation.

Il définissait les conditions du recours par un couple aux méthodes d'AMP et interdisait notamment le transfert des embryons ou l'insémination en cas de dissolution du couple.

Il explicitait l'ensemble des choix proposés aux couples ne souhaitant pas poursuivre leur projet parental : accueil de l'embryon par un autre couple, don de l'embryon pour la recherche ou arrêt de la conservation.

Il permettait le recueil et la conservation des gamètes en vue de la réalisation ultérieure d'une AMP pour toute personne devant subir un traitement médical susceptible d'altérer sa fertilité.

b) Les recommandations de la Délégation

Saisie le 20 décembre 2001 du projet de loi (n° 3166) relatif à la bioéthique, et plus spécialement de ses dispositions relatives à l'assistance médicale à la procréation, par la commission spéciale chargée d'examiner ce projet de loi, la Délégation a adopté, le 8 janvier 2002, le rapport d'information (n° 2002) de Mme Yvette Roudy, vice-présidente de la Délégation et membre de la commission spéciale. Il comportait les recommandations suivantes :

Une exigence d'information et un meilleur accompagnement

1. L'équipe médicale pluridisciplinaire du centre d'AMP devra offrir aux femmes et aux couples une information complète sur le processus de l'AMP, sur les techniques proposées, sur les réussites et les échecs, mais aussi les avertir des effets secondaires indésirables des traitements, des risques de complications encourus, de la difficulté et des contraintes du parcours engagé. L'information devra être assurée tout au long de la démarche d'AMP.

2. La dimension psychologique dans le recours à l'AMP doit être mieux prise en compte. A cet effet, un entretien psychologique avec un membre qualifié de l'équipe médicale pluridisciplinaire devrait être proposé au couple, préalablement et postérieurement à la mise en _uvre de l'AMP, et pris en charge par la sécurité sociale.

Un souci de transparence

3. Les résultats des centres d'AMP devraient faire l'objet d'une grande transparence, faisant apparaître notamment les caractéristiques des centres, les pathologies traitées, les taux de réussite et d'échec, en particulier la proportion d'enfants nés vivants. Une harmonisation de la publication de ces résultats devrait se faire sous l'égide de la FIVNAT et de la nouvelle Agence de la procréation, de l'embryologie et de la génétique humaines.

Un accès moins rigoureux à l'AMP

4. L'exigence de vie commune d'une durée d'au moins deux ans pour les couples non mariés demanderait à être revue, voire supprimée, sachant que les couples demandent de plus en plus tardivement à accéder à l'AMP et que la preuve à apporter de communauté de vie semble difficile à établir, comme à contrôler.

5. Il faudrait revenir sur l'interdiction du transfert d'embryon post-mortem établie par la loi de 1994, ne pas légiférer sur des cas rares et trop spécifiques auxquels aucune règle préalable concernant les délais de deuil ne pourra véritablement répondre. Il appartiendra à l'Agence de la procréation, de l'embryologie et de la génétique humaines, saisie, de décider cas par cas.

Une meilleure sécurité sanitaire

6. Certaines techniques de l'AMP, comme la stimulation de l'ovulation, peuvent avoir des conséquences graves pour la femme, comme pour l'enfant à naître. Contrôlés dans le cadre des centres d'AMP, les traitements de stimulation ovarienne prescrits par les médecins, en dehors de ces centres, devraient faire l'objet d'un encadrement plus rigoureux.

7. Le succès rapide de l'ICSI soulève des inquiétudes quant au devenir des enfants nés grâce à cette méthode, qui n'a pas encore fait l'objet d'une étude scientifique approfondie. Etant donné les progrès rapides de la médecine, une évaluation et une surveillance des nouvelles activités et techniques de l'AMP devront fait l'objet des missions de la future Agence de la procréation, de l'embryologie et de la génétique humaines.

8. Etant donné la lourdeur pour les femmes des traitements de l'AMP, et tant que les techniques d'AMP ne seront pas affinées et améliorées, et aussi afin d'éviter la tentation d'un acharnement dans le recours à ces pratiques , la prise en charge par la sécurité sociale devrait être limitée à quatre tentatives de FIV.

Une plus grande ouverture des possibilités de l'AMP avec tiers donneur

9. Afin de favoriser le don d'ovocytes, plusieurs orientations devraient être suivies :

- élargir la qualité de donneuse aux personnes veuves, divorcées ou célibataires ayant déjà procréé ;

- mieux accueillir et informer les donneuses des implications de leur démarche ;

- veiller à ce que le principe de gratuité soit effectivement respecté à l'occasion des frais engagés par le don d'ovocytes ;

- sans remettre en cause l'anonymat des donneuses, veiller à ce que celles-ci donnent un consentement libre et éclairé et qu'elles ne subissent pas de pressions d'ordre économique ;

- revenir sur la politique de congélation systématique des embryons issus du don d'ovocytes, qui diminue considérablement les chances de succès, en révisant le décret du 12 novembre 1996 ;

- mettre en place une politique plus efficace d'information et de sensibilisation sur le don de gamètes, en particulier d'ovocytes.

Une composition démocratique du Haut Conseil de l'Agence de la procréation, de l'embryologie et de la génétique humaines

10. A l'image de la HFEA britannique, le Haut Conseil de l'Agence de la procréation, de l'embryologie et de la génétique humaines devra faire une large place aux représentants de la société civile et respecter la parité entre hommes et femmes.

c) Les dispositions adoptées en première lecture confortant les droits des femmes en matière d'AMP

Plusieurs dispositions adoptées en première lecture par l'Assemblée nationale, notamment à l'initiative de Mme Yvette Roudy, qui a présenté sous forme d'amendements l'essentiel des recommandations de la Délégation, confortent les droits des femmes en matière d'assistance médicale à la procréation.

_ Une meilleure information des femmes sur les techniques d'AMP.

Suite à l'adoption d'un amendement cosigné par Mmes Yvette Roudy et Martine Lignières-Cassou, le texte adopté en première lecture précise que la femme doit être informée des effets secondaires et des risques à court et à long terme des techniques d'AMP, ainsi que de leur pénibilité et des contraintes qu'elles peuvent entraîner.

_ Un renforcement de l'information de la donneuse d'ovocytes.

Alors que la loi de 1994 ne se référait qu'au don de gamètes, le projet de loi distingue désormais le don de spermatozoïdes et le don d'ovocytes. Le don d'ovocytes est un acte lourd ; il nécessite un acte chirurgical et une stimulation de l'ovulation qui peut présenter des risques et des effets secondaires. Au contraire, le don de spermatozoïdes est simple et indolore.

C'est la raison pour laquelle, à l'initiative de Mme Yvette Roudy, ont été insérées les dispositions nouvelles relatives à la donneuse d'ovocytes. Elle devra être particulièrement informée des conditions de la stimulation ovarienne et du prélèvement ovocytaire, des risques et des contraintes liés à cette technique, lors de l'entretien avec l'équipe pluridisciplinaire. Elle devra également être informée des conditions légales du don, notamment des principes d'anonymat et de gratuité. Enfin, elle bénéficiera du remboursement des frais engagés par le don.

_ Une modification de la composition du haut conseil de l'Agence de la procréation, de l'embryologie et de la génétique humaines vers plus d'égalité.

Le haut conseil devra désormais respecter une représentation équilibrée d'hommes et de femmes, à l'exemple de l'HFEA, l'Agence britannique.

A l'initiative de Mme Yvette Roudy, le haut conseil devra comprendre des représentants d'associations _uvrant dans le domaine de la protection des droits des personnes.

_ Une information préalable du couple sur les traitements de stimulation ovarienne.

Le projet de loi prévoyait que les règles relatives à la prescription et au suivi des traitements de stimulation ovarienne pratiqués en dehors d'une AMP sont fixées par voie réglementaire. Par amendement parlementaire, il a été précisé que les règles relatives à l'information préalable délivrée aux couples seront également précisées par voie réglementaire.

Le souhait de la Délégation, que l'utilisation de cette technique soit strictement encadrée et que la femme soit clairement informée des risques encourus, a donc été pris en compte.

_ Un accès moins rigoureux à l'AMP.

L'exigence d'une vie commune d'une durée d'au moins deux ans pour que les couples non mariés puissent bénéficier d'une assistance médicale à la procréation, qui figurait dans la loi de 1994, est supprimée. Cette proposition avait fait l'objet d'une recommandation de la Délégation.

II - LES AUTRES THÈMES D'INTÉRÊT DE LA DÉLÉGATION

A. LES VIOLENCES FAITES AUX FEMMES

Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle, a rendu compte devant la Délégation, le 6 février 2001, de l'enquête nationale sur les violences envers les femmes en France, réalisée à sa demande, et révélant l'ampleur et la nature des violences faites aux femmes.

Poursuivant son action contre ce fléau, qui frappe une femme sur dix en France, Mme Nicole Péry a été à l'origine de la création, par décret du 21 décembre 2001, d'une Commission nationale contre les violences envers les femmes, chargée :

- d'organiser la concertation des services de l'Etat avec les organismes et associations concernés, en matière de prévention, de prise en charge et de suivi des femmes victimes de violences, de prostitution et de traite ainsi qu'en matière de formation des professionnels ;

- de recueillir les données, faire produire et produire des analyses, études et recherches sur la situation des femmes victimes de violences ;

- de faire toutes recommandations et propositions de nature législative ou réglementaire ;

- de préparer une manifestation nationale triennale contre les violences envers les femmes ;

- d'animer le réseau des commissions départementales d'action contre les violences faites aux femmes.

Cette Commission devra remettre tous les trois ans un rapport d'activité incluant les résultats des groupes de travail et proposant toutes mesures propres à diminuer la fréquence et la gravité de ces violences.

Elle est composée de 23 membres (onze représentants de l'Etat, cinq représentants d'associations spécialisées et sept personnalités qualifiées). Mme Odette Casanova, membre de la Délégation aux droits des femmes, figure parmi les personnalités qualifiées, membres de cette Commission.

Audition de Mme Nicole Péry,
secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle

Réunion du mardi 6 février 2001

Présidence de Mme Martine Lignières-Cassou, présidente

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Madame la ministre, je suis ravie de vous accueillir afin que vous nous parliez à la fois de l'enquête nationale sur les violences faites aux femmes, dont vous avez présenté les grandes lignes à la presse, au mois de décembre, et de la campagne que vous menez, à la suite de cette enquête, pour mobiliser les commissions départementales de lutte contre la violence. L'impact de cette enquête a été considérable lors de sa présentation. On sent que cette question commence à être redécouverte.

Après avoir dressé les grandes lignes de cette enquête, qui n'est pas encore achevée, pourriez-vous nous indiquer quelles suites vous entendez lui donner ?

Mme Nicole Péry : Je suis entrée au Gouvernement en avril  1998, chargée de la formation professionnelle, et, en novembre 1998, le Premier Ministre m'a confié les droits des femmes. Parmi les dossiers importants se trouvait celui des violences subies par les femmes. J'ai commencé par en parler autour de moi et je me suis très vite rendu compte que lorsque j'évoquais certains chiffres et m'appuyais sur les témoignages qui remontaient des services de l'Etat, qu'il s'agisse de la justice, de la gendarmerie, de la police, des travailleurs sociaux, du secteur hospitalier ou du milieu associatif, notamment des structures d'accueil, je provoquais une certaine incrédulité. J'ai très vite compris que si je voulais avoir une parole publique sur ce comportement de société, je devais m'appuyer sur des données scientifiques.

J'ai eu la chance de rencontrer une équipe très compétente de chercheuses et de chercheurs de l'Université Paris I Panthéon-Sorbonne, qui souhaitait mener, depuis plusieurs mois, une enquête sur ce sujet mais qui n'avait pas de commande publique et ne disposait d'aucun financement.

Cette enquête a représenté plus de deux ans de travail et les premières conclusions m'ont été remises le 6 décembre dernier. J'ai accepté ce délai, car il me semblait indispensable d'avoir une étude rigoureuse et fiable.

C'est un travail considérable qui a été entrepris : sept mille femmes interrogées (6 970) ; des entretiens individuels d'une durée moyenne de 45 minutes ; quatre cents questions ; mille huit cents variables. La totalité des résultats de cette enquête ne sera disponible qu'en juin 2001.

Les premières conclusions ont alerté l'opinion publique et ont montré que les violences envers les femmes ne sont pas des accidents. Je ne vous en livrerai que quelques-unes qui ont retenu tout particulièrement mon attention.

Première donnée : une femme sur dix, qui vit en couple, dans la tranche d'âge des 20 à 59 ans, a été victime en 1999 de violences répétées, psychologiques et verbales, mais aussi physiques, voire sexuelles.

Deuxième donnée qui m'a étonnée car j'avais plutôt tendance, comme une majorité de personnes, à penser que ce comportement de société s'adressait davantage à des femmes appartenant "culturellement" à un milieu défavorisé sans autonomie professionnelle : quel que soit le milieu sociologique, la proportion des femmes qui subissent ces violences est quasiment identique. La violence conjugale n'est pas l'apanage des milieux défavorisés : 10 % de femmes cadres supérieures, 10,2 % de femmes au foyer, 9 % des employées et 8,7 % des ouvrières. C'est un phénomène qui dépasse de beaucoup ce que l'on croyait être plus ou moins lié à la misère sociale et culturelle.

Troisième donnée : le nombre de viols avoués. En 1999, 48 000 femmes âgées de 20 à 59 ans auraient été victimes d'un viol. L'agresseur est le plus souvent un homme connu : le conjoint dans 16 % des cas, un membre de l'entourage familial ou amical, voire un ex-conjoint (28 %) et un homme inconnu (24 %).

Partant de là, ma conviction était faite qu'il fallait parler et dénoncer un sujet qui reste encore tabou.

Mon autre surprise a été de constater que j'ai été très peu encouragée à mener à bien cette enquête. Beaucoup de personnes étaient gênées. C'est alors que j'ai compris que c'était encore un comportement de société que l'on abordait difficilement. J'ai donc décidé de poursuivre cette parole publique. J'ai organisé des Assises nationales, le 25 janvier dernier, dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne. Elles rassemblaient de nombreux experts ainsi que des représentants des services de l'Etat et du milieu associatif, des intellectuels, des personnes qualifiées. Les débats ont été d'une grande qualité et j'ai présenté des propositions d'actions.

En introduction, je n'ai pas manqué de souligner que la révélation d'une enquête et les actions que nous allons mener ne suffiront pas à faire basculer des rapports de force millénaires. Soyons réalistes. Il faut rester très humble quant à l'action que l'on peut engager en un temps limité. Toutefois, je suis décidée à prendre des initiatives et à impulser des actions concrètes.

La première action s'appuie sur la circulaire d'octobre 1989 de Mme Michèle André, que j'ai moi-même reprise le 8 mars 1999. Cette circulaire interministérielle de 1999 rappelle les conditions d'un partenariat efficace en redynamisant dans chaque département les commissions de lutte contre les violences faites aux femmes. Chaque commission regroupe l'ensemble des services de l'Etat _ justice, police, gendarmerie, travailleurs sociaux et secteur hospitalier _, mais aussi les associations de terrain concernées par ces sujets et des personnalités qualifiées.

Quand j'ai examiné ce dossier, j'ai constaté que beaucoup de départements n'avaient pas encore mis en place ces commissions départementales, malgré la circulaire du 12 octobre 1989, réactualisée en 1992, 1994, 1996 et 1999. A ce jour, j'ai demandé que l'on me décrive sans complaisance notre paysage national. Il reste encore une vingtaine de départements qui n'ont pas de commission départementale ; dans une quarantaine de départements, elles sont en sommeil et, dans les autres, elles fonctionnent bien. Je me suis engagée à les généraliser d'ici la fin de l'année.

C'est d'ailleurs la raison pour laquelle j'ai entrepris un tour de France : j'étais à Pau lundi 5 février pour la mise en place officielle de la commission départementale des Pyrénées-Atlantiques. Je crois en leur efficacité, si nous arrivons à faire travailler ensemble tous les acteurs du partenariat, tout comme je crois à l'efficacité d'une action de proximité. Je compte donc veiller à ce que ces commissions départementales soient présentes partout, et partout vivantes, qu'elles se réunissent au moins une fois par an et que soit assuré un suivi de l'ensemble de leurs travaux .

C'est sur elles que je vais m'appuyer pour mener une campagne de communication, car j'estime que la première responsabilité d'une secrétaire d'Etat sur un tel sujet est de communiquer, de contribuer à libérer la parole, de faire que le silence se brise.

Dans certaines régions, en particulier en Ile-de-France et en Bretagne, j'ai commencé dès 1998 à mener des campagnes plus modestes sur le thème "Briser le silence, refuser la violence". Elles portent incontestablement leurs fruits. En témoigne l'augmentation du nombre d'appels dans les permanences téléphoniques nationales et régionales soutenues financièrement par le secrétariat d'Etat aux droits des femmes.

Pour vous donner un ordre d'idée de cette croissance des appels, je prendrai l'exemple de la permanence téléphonique nationale de la Fédération Solidarité Femmes en Ile-de-France concernant les violences conjugales. En 1998, elle recevait 600 appels par semaine ; en janvier 2001, nous en sommes à 1 500 appels. A l'évidence, les hommes ne sont pas devenus deux fois et demi plus brutaux en deux ans dans leurs relations privées. Mais les femmes appellent plus, sortent de leur silence et réagissent. La même situation s'est reproduite en Bretagne, puisque ce sont les deux lieux expérimentaux sur lesquels j'ai travaillé avant de lancer la campagne nationale.

Ces priorités politiques demandent des traductions budgétaires. A partir du moment où l'on reçoit 1 500 appels hebdomadaires là où l'on en recevait 600, je ne peux pas demander à la même équipe de faire face. Il est donc nécessaire d'augmenter leur budget, de faire en sorte que le nombre de personnes pour l'écoute, l'accueil et le dialogue soit en mesure de répondre à cette croissance. J'ai donc décidé d'augmenter d'un tiers les subventions 2001 affectées aux plates-formes téléphoniques et aux structures d'accueil.

Cette campagne de communication s'appuie sur des visuels, des slogans et du matériel nouveaux. J'ai refusé personnellement l'image choc d'une femme tuméfiée et défigurée, parce que je voulais que ce visuel traduise aussi un espoir pour les femmes victimes de violences. Nous sommes donc partis de l'image d'une personne complètement détruite et nous avons figuré un parcours qui lui permet, en se libérant, de se reconstruire.

Cet accompagnement demande du temps et des structures d'accueil performantes qui traitent globalement l'accompagnement de cette personne, au-delà même de l'urgence de l'accueil. Prévoir un traitement global, cela signifie que cette personne pourra rester dans ces structures parfois plusieurs mois, et non pas seulement quelques jours. Au-delà de l'accueil d'urgence et de l'écoute, elle pourra bénéficier d'un accompagnement psychologique, recevoir une formation, être orientée vers un nouveau métier, et être réinsérée dans la vie économique afin de retrouver une autonomie financière et pouvoir disposer d'un logement permanent.

Je connais un certain nombre de structures qui ont pu apporter ces réponses globales, parce qu'elles ont su, avec les associations qui les soutiennent, créer des partenariats avec des villes et des conseils généraux. J'ai donc proposé, malgré le petit budget d'Etat qui est le mien _ car même s'il augmente de 40 %, il demeure un petit budget d'Etat _ de poursuivre cet effort sous forme d'expérimentation et de contractualisation. J'ai invité les structures, qui aujourd'hui ne pratiquent que l'accueil d'urgence, à mettre en place en leur sein, en partenariat avec le secrétariat d'Etat, la ville et le conseil général, des modules qui offrent des actions globales permettant de donner à ces personnes toutes les chances de se reconstruire.

Pour la campagne d'information, 450 000 cartes portant les numéros de téléphone des plates-formes déjà existantes ont été imprimées. Si je peux arriver à négocier un budget additif, je voudrais également les faire imprimer dans les différentes régions où d'autres permanences téléphoniques, que je soutiens aussi partiellement, ont été mises en place, en donnant le numéro régionalisé et pas seulement le numéro national.

J'ai également rénové des brochures qui existaient en y apposant le nouveau visuel, le nouveau logo ainsi que le nouveau message. Ce sont des brochures destinées à la justice, à la police, à la gendarmerie, aux intervenants sociaux et aux professionnels de la santé. Ces brochures découlent d'une même logique : aller d'une action de communication massive grand public vers des services et des réseaux plus professionnels et plus spécialisés.

Tout ce matériel a été présenté le 25 janvier et a été distribué à chaque participant aux "Assises contre les violences". Il sera également adressé aux parlementaires.

L'un des huit axes de mon action ministérielle portait sur la lutte contre les violences subies par les femmes. J'ai donc exposé en détail l'ensemble des actions que je propose, soit au titre du secrétariat d'Etat, soit en partenariat avec tous les services et les associations qui veulent se mobiliser.

Parallèlement, j'ai construit des partenariats avec mes collègues du Gouvernement, avant même les résultats de l'enquête.

Quand Mme Elisabeth Guigou était encore Garde des sceaux, j'ai créé un partenariat avec le ministère de la Justice pour qu'il m'aide à évaluer la législation française et les pratiques des juridictions, pour que nous puissions comparer notre droit à celui des différents pays européens. Un rapport d'étape a été rendu public en octobre 2000, mais le travail n'est pas encore achevé.

J'ai réalisé le même travail avec le ministère de l'Education nationale, car, si l'on veut qu'un jour cet état de fait évolue, il faut commencer par des politiques de prévention très fortes. C'est dès la cour de récréation de l'école maternelle qu'il faut apprendre le respect de l'autre, le respect de la différence et la tolérance. J'ai donc signé une convention avec le ministère de l'Education nationale.

J'ai également engagé avec M. Louis Besson, secrétaire d'Etat au Logement, une action commune pour l'attribution de logements sociaux permanents aux femmes contraintes de quitter leur domicile avec leurs enfants, souvent dans l'urgence absolue, et qui ne peuvent être accueillies que quelques semaines. Par circulaire du 8 mars 2000, il a été demandé aux préfets de veiller à ce que ces femmes en grandes difficultés soient reconnues comme un public prioritaire, dans le cadre du quota préfectoral d'attribution de logements sociaux.

Voilà en quelques mots une présentation rapide de l'action de mon secrétariat d'Etat.

Mme Marie-Thérèse Boisseau : Madame la ministre, vous dites que le nombre d'appels téléphoniques est passé de 600 à 1 500 en Ile-de-France par semaine ?

Mme Nicole Péry : Oui, c'est le résultat d'une campagne menée en Ile-de-France avec les associations. Une campagne a également été réalisée l'année passée avec la ville de Rennes, le foyer Brocéliande et certains autres partenaires. Des affichettes et des cartes ont été largement diffusées et la plate-forme téléphonique a enregistré une recrudescence d'appels. Le même phénomène s'est produit lorsque la même action de communication a été engagée en Ile-de-France. Je pense que si nous généralisons cette campagne, nous pouvons amener beaucoup plus de femmes à rompre leur silence.

Mme Yvette Roudy : Je ferais trois observations.

Premièrement, je trouve ce travail excellent. J'ai vu l'accueil positif réservé à cette enquête par la presse et combien elle a remué les mentalités. Des hommes se sont demandés comment cela était possible. Nous avons entendu des témoignages assez bouleversants. Il faudrait cependant des campagnes régulières, parce qu'une fois celle-ci terminée, le quotidien reprend le dessus et on oublie.

Deuxièmement, les femmes partent. Il y a, à Lisieux, une petite structure d'accueil, qui était initialement très bien tenue par une religieuse et que je subventionnais largement, puis qui a été reprise par des personnes engagées dans des associations religieuses s'occupant d'affaires sociales. L'accueil étant alors assuré par des personnes qui n'avaient aucune compétence en la matière, le préfet a refusé de leur attribuer des subventions de l'Etat. Aujourd'hui, même si la situation s'est arrangée, ces femmes se retrouvent dans un lieu qui ne leur convient pas. Nous sommes donc en train d'aménager pour elles des locaux dans des logements HLM. A mon avis, ces logements pourraient être pris en charge par des organismes comme la Caisse des dépôts. Pour la police de proximité, la Caisse va nous faire cadeau du montant du loyer des logements destinés à accueillir les nouveaux policiers dans les quartiers ; elle pourrait bien faire un effort également pour accueillir ces femmes dans des locaux HLM ou dans quelques appartements que la ville pourrait aménager pour en faire une maison d'accueil.

Il faudrait aussi que le financement par le conseil général soit quasiment automatique. Dans les contrats de plan, dès l'instant que l'Etat participe à un projet, la région en fait obligatoirement autant ainsi que la municipalité. Il faudrait que ce même automatisme soit mis en _uvre dès lors qu'un projet est financé par l'Etat. Ainsi, si, en tant que ministre, vous décidiez de mettre de l'argent dans un projet, la région, le conseil général et la municipalité devraient en faire autant.

Troisièmement, ce sont les femmes qui partent. Dans d'autres pays, ce sont les hommes. On peut se demander pour quelle raison, en France, c'est la victime qui est obligée de partir avec ses enfants, alors que l'agresseur reste au domicile.

Cela a pour conséquence que l'agresseur ne voit pas qu'il est directement coupable. Il voit seulement que sa femme est partie et que, d'une certaine façon, la société la protège, mais il ne se sent pas tellement coupable. En revanche, si la législation l'obligeait à partir de chez lui parce que ce qu'il fait n'est pas bien, il comprendrait mieux. C'est psychologique. On l'a compris dans certains pays. Il est très choquant que ce soit la victime qui doive partir. C'est une question que je pose depuis des années et que nous devons poser avec insistance.

Enfin, nous venons de recevoir Mme Marie-Victoire Louis, qui a relevé, dans le questionnaire à l'origine de l'enquête sur les violences, des questions qui l'ont choquée. Selon elle, ces questions préjugeaient de la violence que les femmes auraient portée en elles. En voici quelques-unes : "Vous êtes-vous disputée avec votre conjoint ? Avez-vous été confrontée à des problèmes d'alcoolisme ? Avez-vous commis des tentatives de suicide ?Avez-vous chez vous une arme à feu ? Avez-vous déjà giflé vos enfants ? Vous mettez-vous souvent en colère ?" Je ne le croyais pas, mais elle nous les a montrées.

"Quelle est votre religion : aucune, catholique, juive, musulmane, protestante, autre ?" C'est carrément une atteinte à la liberté.

"Avez-vous été attirée au cours de votre vie, par un homme, une femme ?" Qu'est-ce que cela peut leur faire ?

"Au cours de votre vie, combien avez-vous eu de rapports sexuels avec d'autres partenaires ?" Quel est le lien entre rapports sexuels et violence ?

"Etes-vous ménopausée ?"

Si tout cela est vrai, je suis tout aussi choquée.

Mme Nicole Péry : Je vais répondre à vos trois questions sur le partenariat, la justice et l'enquête.

En ce qui concerne le partenariat, c'est dans la logique financière dont vous parliez que je vais essayer de construire les actions. Le ministère finance une partie des actions et demande un cofinancement à la commune et au conseil général.

Trois dossiers sont actuellement en cours d'élaboration et j'espère élargir notre champ d'action. Ils concernent le conseil général du Finistère, la commune de Belfort et la communauté d'agglomération de Sénart en Ile-de-France.

J'ai décidé de croiser mon budget droits des femmes avec celui de la formation professionnelle. En effet, il ne s'agit pas uniquement de répondre à des situations d'urgence, il convient d'aider ces femmes à acquérir leur autonomie, leur indépendance et leur aptitude à reprendre un travail. La construction des parcours individualisés par la formation ou le retour à l'emploi doit permettre cette autonomie. C'est dans le cadre d'une approche globale, que j'envisage de soutenir des expérimentations en matière de formation et d'insertion professionnelle des femmes victimes de violences.

En ce qui concerne la justice, il existe bien dans notre législation des dispositions sur la protection de la femme et sur l'éloignement du conjoint violent du domicile conjugal, mais leur application pose des difficultés et les procédures sont trop lentes. Dans d'autres pays, les procédures sont plus rapides. J'ai proposé au Conseil national de l'aide aux victimes, réuni ce jour en séance plénière, d'engager une réflexion  sur cette question de l'éloignement de l'agresseur, afin que la femme puisse rester au domicile au lieu d'être amenée à quitter de toute urgence son logement sans savoir où pouvoir être hébergée.

En ce qui concerne l'enquête, le questionnaire a été élaboré par des chercheurs. Sa qualité scientifique a été d'ailleurs reconnue. J'ai assisté à quelques entretiens téléphoniques de trois quarts d'heure à une heure. Les premières questions portaient d'abord sur des sujets anodins ; et au fur et à mesure que le dialogue se construisait, l'opératrice posait des questions plus ciblées et plus personnelles.

Mme Yvette Roudy : Et même indiscrètes, comme celles sur la religion. Ont-elles été acceptées par la CNIL ?

Mme Nicole Péry : Oui, elles l'ont été. La qualité de l'enquête et les garanties de confidentialité ont été validées par la CNIL. Les questions étaient en effet progressivement plus personnelles. Trois femmes sur quatre qui ont accepté de répondre au questionnaire ont déclaré avoir parlé pour la première fois.

Mme Yvette Roudy : Quelle est la justification de questions telles que : "Est-ce que vous buvez, fumez ? Etes-vous violente ?"

Mme Nicole Péry : Avant d'arriver à la question : avez-vous subi un rapport forcé ?, la lenteur et la longueur du questionnement étaient nécessaires.

Concernant la religion, j'ai demandé pour quelles raisons il y avait ce module. Sans poser directement la question, nous souhaitions savoir s'il y avait plus de violence chez les femmes immigrées. En fait la religion n'est pas déterminante. Ces communautés ne sont pas plus violentées que d'autres.

Mme Yvette Roudy : Leur avez-vous demandé si elles avaient subi dans leur enfance des sévices de la part de leur père, si leur père et leur mère se battaient, etc ? Ce sont des questions importantes, car nous savons que la violence est une reproduction subie et reproduite sur autrui.

Mme Nicole Péry : La question n'était pas posée.

Mme Danielle Bousquet : M. Daniel Vaillant, ministre de l'Intérieur, est venu à Saint-Brieuc il y a quelques jours. Dans mon intervention, où il était beaucoup question de violence, j'ai abordé la question des violences familiales et domestiques, en disant que le domicile familial me semblait être un des lieux où les jeunes voyaient, pour la première fois, la violence, et une violence impunie, ce qui semble être l'une des essences de la violence des jeunes. Un grand nombre de personnes sont venues me dire ensuite : comment n'avons-nous pas pensé qu'il pouvait exister un lien entre la violence domestique impunie et celle que l'on voit monter dans tous les milieux ?

Je pense que, premièrement, la campagne d'information, qui a été faite à la suite de cette enquête, a été un électrochoc pour un grand nombre de personnes et, deuxièmement, dans la mesure où nous sommes tous en train de nous interroger sur les moyens d'agir contre la naissance de cette violence chez les jeunes, il faut que nous nous interrogions aussi sur ce problème de la violence au sein des familles.

Lutte contre la violence dans les familles, sensibilisation, formation des travailleurs sociaux, je crois que c'est un bon axe d'action.

Comme M. Daniel Vaillant me l'a confirmé, si nous réussissons à faire émerger que cette violence familiale est bien l'une des causes principales de la violence des jeunes, il y aura moyen d'obtenir des cofinancements sur des quantités d'actions de prévention. Qu'en pensez-vous ?

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Je souhaiterais, pour ma part, revenir sur le positionnement de la justice. On sait que 8 % des femmes portent plainte, suite à des violences domestiques, mais qu'il y a un pourcentage de poursuite de ces plaintes du même ordre. Pour la justice, ce n'est pas une priorité. Elle se réfugie aujourd'hui derrière le manque de moyens et affirme qu'elle ne peut prendre en charge une priorité supplémentaire. On voit se développer, aux dires des associations, des actions de médiation autour de la violence, la justice proposant une médiation familiale.

Dans le prolongement de ce que disait Mme Danielle Bousquet, si l'on arrive à faire comprendre à la justice que la violence des jeunes et la violence domestique à l'égard des femmes relèvent de la même politique, relier la sphère publique et la sphère privée est peut-être une façon de faire avancer les choses du côté de la justice - ou de la police et de la gendarmerie car, dans l'ensemble de la chaîne, il semble y avoir blocage -, mais notamment du côté de la justice, car on m'a cité le cas de cours d'appel qui ont pour politique de mettre en place des médiations, alors que, en matière de violence, il n'est pas possible de composer. Voilà un premier élément.

Deuxième élément, on nous signale que les places en centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS), notamment en région parisienne, sont occupées par des demandeurs d'asile et qu'à l'heure actuelle, se posent des problèmes d'encombrement.

Troisièmement, pourquoi, en matière d'hébergement, ne pas prévoir, dans l'optique d'une politique d'éloignement de l'agresseur, des logements pour les hommes et non pour les femmes ? On ne ferait plus partir la victime, mais on logerait les hommes et on travaillerait avec eux. On inverserait le regard.

Mme Nicole Péry : Les femmes, qui portent plainte et qui partent, sont généralement des personnes déjà partiellement détruites. Dans leur grande majorité, elles ne partent que lorsqu'elles ressentent un sentiment très grand d'insécurité et de danger de mort, pour elles ou pour leurs enfants. Elles ont réellement besoin d'un accompagnement pour se reconstruire.

C'est la raison pour laquelle je crois à la nécessité pour ces femmes, celles qui attendent le moment extrême pour partir, d'une action globale au sein d'une même structure. Elles sont trop "cassées" pour multiplier les démarches. Mais si, peu à peu, sans avoir la prétention de renverser un rapport de forces, on arrive à faire en sorte que davantage de femmes rompent ce silence, libèrent leur parole, partent et demandent une protection et l'éloignement de leur conjoint à temps, avant d'être totalement détruites, alors celles-ci pourront être aidées par le biais des missions locales, des services déjà en place, qui semblent tout à fait à même d'avoir le niveau et la compétence nécessaires pour être utiles.

Le public qui peut s'appuyer sur l'existant n'est certainement pas tout à fait le même public que celui qui doit être complètement pris en charge.

Ce sont les femmes que j'ai rencontrées dans les centres d'accueil d'urgence qui m'incitent à le dire. Elles ne se livrent d'ailleurs qu'après un long moment de dialogue. Il n'y a donc rien d'étonnant qu'il faille attendre une heure de conversation téléphonique pour parvenir à évoquer certains sujets.

Ce n'est que peu à peu, qu'elles se confient, qu'elles acceptent de parler en présence de quatre ou cinq personnes. Certaines sont hébergées depuis cinq ou six mois et, en ce laps de temps, on a pu leur redonner confiance. Le travail réalisé dans ces foyers est formidable - et le savoir-faire aussi -.

Il me semble extrêmement important que ces femmes puissent bénéficier d'un logement permanent le plus tôt possible, mais, préalablement, elles doivent acquérir leur autonomie professionnelle et, donc, financière. Dans un des centres, que j'ai visité, le loyer est payé par le centre lui-même lorsqu'un logement HLM se libère, afin qu'il puisse être réservé et être disponible, dès que la personne a retrouvé son autonomie.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : C'est financièrement lourd pour les associations.

Mme Nicole Péry : Il faudrait qu'elles trouvent des partenariats financiers pour les aider.

Pourquoi ce sujet gêne-t-il tellement ? Pourquoi n'ai-je pas rencontré beaucoup d'enthousiasme autour de moi jusqu'au moment où des révélations ont été faites ? Cette enquête a provoqué un électrochoc. Beaucoup de personnes sont sans nul doute concernées.

Mme Danielle Bousquet : Beaucoup plus que l'on ne le pense. Mais, certains hommes violents ne se reconnaissent pas comme violents.

Mme Nicole Péry : Il y a aussi les femmes qui sont atteintes psychologiquement de façon régulière, qui sont très fragilisées sans être totalement anéanties, et, pour tout dire, qui supportent mieux que d'autres et n'en parlent pas. De toute façon, quel que soit son milieu, il s'avère difficile de l'avouer.

B. LES PUBLICITÉS SEXISTES

La Délégation aux droits des femmes s'est montrée préoccupée des dérives que constituent actuellement les publicités sexistes véhiculées par certains médias et qui représentent des images stéréotypées, humiliantes et dégradantes des femmes, mettant en cause non seulement leur image, mais aussi celle des hommes.

Exaltant notamment la violence, le machisme ou le sado-masochisme, certaines publicités constituent une véritable atteinte au principe du respect de la dignité humaine et à ses deux corollaires essentiels, la lutte contre les violences et la répression de la discrimination en raison du sexe.

Pour éclairer sa réflexion, la Délégation a auditionné Mmes Isabelle Alonso, présidente des Chiennes de garde, Marie-Victoire Louis, chercheuse au CNRS, et Florence Montreynaud, présidente de la Meute.

Suite à ces auditions, Mme Martine LignièresCassou a adressé un courrier à M. Jean-Pierre Teyssier, président du Bureau de Vérification de la Publicité (BVP), pour lui demander comment il envisageait de mieux assurer le respect des règles déontologiques relatives à l'image de la femme.

Au niveau ministériel, un groupe de travail, constitué sous l'égide du secrétariat aux droits des femmes en mars 2001, a remis, le 11 juillet 2001, un rapport intitulé : "'L'image des femmes dans la publicité", comportant des propositions visant, notamment, à :

- une responsabilisation accrue des professionnels - créateurs, annonceurs, afficheurs ou diffuseurs - à travers l'adhésion volontaire à des règles d'autodiscipline adaptées ;

- une actualisation des textes en vigueur permettant de sanctionner les atteintes à l'image des femmes par la provocation à la discrimination sur tout support de communication.

Le 16 octobre 2001, le Bureau de Vérification de la Publicité (BVP) a réactualisé sa recommandation de 1975 sur l'image de la femme, de manière à traiter plus globalement le respect de la personne humaine, suivant trois grands axes : la dignité et la décence, les stéréotypes sexuels, sociaux et raciaux, et la soumission, la dépendance et la violence.

Audition de Mmes Isabelle Alonso, présidente des Chiennes de garde,
et Marie-Victoire Louis, chercheuse au CNRS
et membre des Chiennes de garde,

Réunion du mardi 6 février 2001

Présidence de Mme Martine Lignières-Cassou

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Nous recevons aujourd'hui Mme Isabelle Alonso, présidente des Chiennes de garde depuis mai 2000, et Mme Marie-Victoire Louis, chercheuse au CNRS et membre des Chiennes de garde.

Mme Isabelle Alonso, vous avez publié plusieurs ouvrages : en 1995, un essai sur la misogynie intitulé Et encore, je m'retiens !, puis, en 1999, Tous les hommes sont égaux même les femmes, un essai qui tente d'exprimer les raisons qui empêchent les femmes d'accéder au pouvoir, non seulement politique, mais aussi économique ou culturel. Vous venez de publier Pourquoi je suis Chienne de garde, où vous exprimez votre ras-le-bol du sexisme ambiant et du mépris des femmes véhiculés par la publicité. Vous avez également collaboré à différentes émissions sur Europe 1 et France 2.

Mme Marie-Victoire Louis, vous êtes chercheuse au CNRS, vous avez été présidente de l'Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail
- l'AVFT -, qui a été à l'origine des lois sur le harcèlement sexuel. Vous avez publié de nombreux articles sur les luttes des femmes, les violences contre les femmes, la parité, le sexisme dans le langage et la publicité, et la prostitution. Vous avez également écrit un ouvrage historique sur Le droit de cuissage en France de 1860 à 1930. Vous êtes actuellement en train de travailler à la rédaction d'une loi antisexiste.

Notre Délégation aux droits des femmes, créée en novembre 1999, qui a travaillé sur des sujets très divers, par exemple la parité en politique, l'IVG, la contraception d'urgence, ou le nom patronymique, a souhaité vous entendre sur les problèmes posés plus particulièrement par la publicité sexiste, et connaître vos réflexions concernant le bien-fondé d'une loi antisexiste.

Mme Isabelle Alonso : Je suis présidente des Chiennes de garde. Cette association a été créée le 8 mars 1999, peu après les agressions verbales dont avait été victime Mme Dominique Voynet au Salon de l'agriculture. Nous avions été plusieurs à être très choquées par l'absence de solidarité de ses collègues face à cette agression très médiatisée et nous avons donc réagi.

Les Chiennes de garde sont restées une association assez confidentielle jusqu'en septembre 1999. Puis, à la suite de la parution de leur Manifeste dans le journal Libération et à la publication de la liste des premiers signataires, dont quelques-uns étaient très connus, il y a eu comme une espèce de traînée de poudre dans les médias. Tout à coup, les Chiennes de garde sont apparues comme une sorte de renouveau ou plutôt un "remaquillage" du mouvement féministe. Nous avons eu du succès auprès des médias, ce qui, pour les féministes, était une situation assez exceptionnelle. Depuis des années, j'avais en effet participé à des initiatives diverses, dont le moins que l'on puisse dire est qu'elles n'éveillaient pas le moindre écho. Ce fut donc une première.

Au début, les Chiennes de garde se sont élevées contre la violence verbale et les insultes, qui nous apparaissent non pas comme un phénomène isolé, mais comme un fait qu'il faut relier à toutes les autres manifestations de sexisme que l'on vit actuellement au sein de la société française et qui nous semblent une première étape vers la violence envers les femmes.

Notre but est de parler du sexisme ambiant, de toutes ses manifestations, de la plus apparemment anodine à la plus grave, de toutes les infinies nuances de l'arsenal de la violence contre les femmes, dont les insultes sexistes ne sont qu'une partie. On a l'habitude de nous dire que les insultes sexistes ne sont pas les plus graves et que nous ferions mieux de nous occuper de choses plus importantes, mais comme c'est nous qui définissons ce qui est important ou ce qui ne l'est pas, nous continuons à en parler.

La publicité exprime bien évidemment le sexisme ambiant. Les Chiennes de garde ont ouvert un site Internet sur lequel sont publiés différents textes, notamment un sur la publicité et divers autres sur la violence contre les femmes. Je vous invite à vous y rendre, car nous avons mis en place, depuis quelques mois, un forum qui est devenu en quelques semaines un véritable lieu de parole, de prise de position, de débat entre des personnes extrêmement variées ; l'intérêt d'Internet, c'est de permettre à des femmes et des hommes qui auraient certainement eu beaucoup de mal à entrer en contact avec nous d'engager un débat ; cela nous fait prendre conscience que nous ne sommes pas isolées, que de véritables débats s'engagent dans la société sur des sujets qui ne sont pas forcément traités par les médias, mais qui n'en existent pas moins.

Je ne peux que vous encourager à lire ces débats qui sont très intéressants : ils représentent une très bonne prise de température de l'état de l'opinion à l'heure actuelle, y compris certaines prises de positions agressives contre nous.

L'adresse de notre site Internet est Chiennesdegarde.org ; son e-mail, c'est bureau@chiennesdegarde.org.

Nous recevons également énormément de courrier. Au hasard, j'ai reçu aujourd'hui la lettre d'une femme qui nous encourage à poursuivre notre action et m'adresse trois articles qui l'ont choquée récemment : le premier a pour thème les viols en Afrique du Sud ; le second, la prostitution des femmes originaires de l'Europe de l'Est en Europe de l'Ouest ; et le troisième un extrait de l'Echo des savanes, où l'on parle de disques particulièrement " crapoteux " contre les femmes, article qui se termine par la phrase, qui est devenue un leitmotiv dans les médias : " Mais que font les Chiennes de garde ?" !

Finalement, en un an et demi, les Chiennes de garde sont devenues synonymes de féministes, de femmes qui défendent les autres femmes et qui réagissent. Alors, évidemment, on ne peut pas réagir à tout ; nous n'en avons ni le temps, ni les moyens. Nous comptons aujourd'hui 900 membres à jour de leur cotisation au sein de l'association. Le manifeste des Chiennes de garde a été signé par près de 12 000 personnes. Il y a donc un bon impact sur l'opinion et les médias.

Pour en venir à la publicité, je dirai que celle-ci nous apparaît comme une manifestation supplémentaire du sexisme ambiant. Elle en est à la fois un vecteur et un révélateur. L'utilisation du corps des femmes, et du sexisme en général, est une constante du message publicitaire, mais également de la musique rap, des films, des romans ou de toute autre manifestation culturelle. Notre analyse est globale. Nous n'accordons pas de priorité particulière à telle ou telle forme de sexisme, si ce n'est que nous avons commencé à nous mobiliser sur des problèmes de violences verbales et d'insultes.

Dans mon livre, je me fais l'écho du fait que si, en tant que citoyenne, j'estime qu'il est de mon devoir de faire ce que je peux pour militer et attirer l'attention sur le sexisme ambiant, en tant que citoyenne, j'estime aussi que je dois revendiquer des droits. Je trouve que tant que le sexisme n'aura pas été reconnu dans ce pays comme équivalent, dans ses manifestations et ses mécanismes, au racisme, nous n'aurons pas respecté le droit des femmes à être défendues par la loi. Un des objectif des Chiennes de garde est donc d'obtenir le vote d'une loi antisexiste.

Mme Marie-Victoire Louis : Je travaille et milite depuis sa création avec ce mouvement, dont les projets s'inscrivent dans le continuum de mes réflexions et de mes actions. Je suis donc tout à fait d'accord avec ce que vient de dire Isabelle Alonso. Cependant ce que je vais dire ici l'est en mon nom propre.

Je travaille en tant que chercheuse sur les politiques publiques, notamment sur la question des violences masculines à l'encontre des femmes. L'AVFT, dont j'ai été longtemps présidente - et qui a été à l'origine des lois sur le harcèlement sexuel défendues à l'Assemblée nationale par Mmes Véronique Neiertz et Yvette Roudy - a essentiellement travaillé sur les violences au travail. Mais ni l'AVFT, ni moi-même n'avons jamais dissocié notre action, ni notre réflexion de l'ensemble des violences masculines à l'encontre des femmes.

La lutte contre le sexisme fait donc partie des actions de l'AVFT, qui a ainsi été la première association à mener des campagnes contre les publicités sexistes en France de 1992 à 1995.

Pour ma part, j'ai publié un premier article intitulé : "A propos du sexisme dans la publicité " paru, pendant l'été 1997, dans un très bon numéro spécial de la revue Alternatives non violentes, intitulé : Attention, publicité ! Puis, dans un article de 35 pages paru dans Nouvelles Questions Féministes, en novembre 1997, intitulé : "Les campagnes de l'AVFT contre les publicités sexistes en France - 1992-1995", j'ai fait un bilan de ces actions, afin qu'elles puissent être, à l'avenir, capitalisées par d'autres. J'ai donc, campagne par campagne, fait le bilan de notre argumentaire, des réponses auxquelles nous étions confrontées et des réponses que nous y avions apportées. A la fin de cet article - qui a été placé sur le site Internet des Chiennes de garde - je faisais un certain nombre de propositions concrètes pour lutter contre le sexisme dans la publicité.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Pouvez-vous nous préciser le contenu de cet article ?

Mme Marie-Victoire Louis : Il fait le bilan de sept actions contre les publicités sexistes que l'AVFT a conduites de 1992 à 1995 et pour lesquelles nous avons globalement eu trois succès et quatre échecs. Tout est retracé de manière très concrète et précise. Cet article décrit bien les argumentaires employés et les contre-arguments que nous avions opposés. Il serait trop long de le résumer. Je me permets de vous renvoyer plus précisément à ses dernières pages intitulées : "Projet d'action contre le sexisme dans la publicité", ainsi qu'à sa conclusion. J'ai aussi publié le texte remarquable du Comité d'éthique du Conseil du statut de la femme du Gouvernement du Québec qui est pour moi, en termes de réflexion, le texte de référence en la matière.

Mais je voudrais ici lier la question du sexisme - et insister fortement là-dessus - à la question de la politique menée par le Gouvernement de M. Lionel Jospin en matière de lutte contre les violences masculines faites aux femmes. Car, comment croire à l'effectivité d'un possible projet législatif sur la question du sexisme si les violences masculines contre les femmes - qui lui sont consubstantielles  - ne sont pas, elles, réellement combattues ?

Je travaille et milite sur cette question depuis près de 20 ans, j'ai suivi les politiques de nombreux Gouvernements en la matière, tandis que la première "Lettre ouverte", signée de nombreuses associations, que l'AVFT a publiquement adressée sur ce sujet au Gouvernement de M. Michel Rocard, date du 6 juin 1988. Ceci étant dit, je considère que le Gouvernement de M. Lionel Jospin est celui dont le silence est le plus accablant en la matière et dont j'estime le bilan comme étant le plus inacceptable. Il n'y a pas de volonté politique de lutter contre ces violences qui concernent des millions de femmes. Et il faut être clair : ne rien faire - ou presque - c'est laisser se perpétuer, voire cautionner ces violences.

Et cela, alors que depuis des années, les associations féministes de lutte contre ces violences - le Collectif féministe contre le viol, l'AVFT, la Fédération Solidarité femmes, mais aussi le Planning Familial, le mouvement Jeunes femmes, etc - qui agissent aux côtés de, avec, pour les femmes qui ont été violées, harcelées, frappées, prostituées, agressées, battues, assassinées - les dénoncent, le plus souvent bien seules. Quand elles ne doivent pas, en outre, lutter pour leur survie, contre le Gouvernement. En outre, sur la base de leurs estimations, de leurs connaissances, de leurs compétences, notamment juridiques, de leurs publications, celles-ci font depuis des années des critiques, mais aussi des propositions très précises aux divers Gouvernements. Pour ma part, j'ai à plusieurs reprises, dans des interventions publiques et dans des articles, fait état de nombreuses propositions de réformes, en matière de justice comme dans d'autres domaines.

Ces demandes, ces critiques ne sont globalement pas entendues.

A cet égard, "Les Assises nationales contre les violences faites aux femmes", qui ont eu lieu à la Sorbonne le 25 janvier dernier, ont été extrêmement décevantes, et c'est un euphémisme. Pratiquement rien n'a été proposé qui puisse réellement modifier la situation actuelle, à l'exception d'une annonce d'augmentation de 30 % du budget des associations (extrêmement faible par rapport à l'ampleur des besoins), laquelle semble d'ailleurs s'avérer devoir être de moindre importance. Tandis qu'aucune réponse concrète n'a été faite aux si nombreuses demandes des femmes victimes. Pour ne pas dire que même l'espoir d'une telle hypothèse n'est même plus pensable.

Ainsi, Madame Nicole Pery, secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle a, dès le deuxième paragraphe de son intervention, affirmé : "Je n'ai pas la prétention [que ces Assises] bouleversent des rapports de force millénaires, vous vous en doutez...", pour terminer par : "Il faudra du temps !" Quant au slogan : "En cas de violence, brisez le silence", je le considère comme inacceptable, car il évacue la question essentielle, qui est celle de la responsabilité des agresseurs, et plus globalement des hommes, ainsi que celle de l'Etat, en la matière. Et ne fait donc que révéler, une fois encore, que le Gouvernement n'a pas de politique à proposer. Et ne projette pas, en outre, d'en avoir. La ministre n'avait en effet assigné à ces Assises qu'"un double objectif" : "Donner une visibilité au travail partenarial" et "Faire largement connaître les données issues de l'enquête nationale sur les violences envers les femmes" (dite : enquête ENVEFF). Je note à cet égard que Mme Nicole Péry, auditionnée par votre Délégation le 27 juin 2000, - qui avait affirmé : "Je me suis très vite rendu compte que si je ne disposais pas de chiffres provenant d'une enquête menée de façon scientifique, je ne pourrais pas faire avancer ce sujet" - n'a plus d'autre projet que de la faire "connaître".

Aussi, si vous me le permettez, je souhaiterais critiquer cette enquête.

Je tiens à affirmer, d'entrée de jeu, que je la considère comme scandaleuse et l'ensemble de ses résultats comme invalides. Je précise que j'avais procédé à une critique circonstanciée du premier projet de questionnaire par une note de 19 pages adressée à l'une des membres de l'équipe de recherche, en date du 28 juin 1998. Je rappelle enfin que cette enquête, à l'inverse des grandes enquêtes canadiennes de 1993, a été lancée après des années de quasi-silence total sur ces violences.

Sur le plan méthodologique, en effet, je considère qu'une telle enquête - quand on sait la très grande difficulté à parler de ces violences - ne peut être exclusivement menée par téléphone, Qu'en outre, la question essentielle de la non-confidentialité de cette enquête est posée. Par ailleurs, celle-ci a été faite au domicile des femmes interviewées, alors que l'on sait que celui-ci est le lieu le plus dangereux pour les femmes. Les questions sont d'ailleurs explicites : "Y a-t-il chez vous ou dans la voiture une arme à feu ? Votre conjoint ou ami a-t-il proféré des menaces de mort à votre encontre ? Vous a t-il menacé d'une arme ? A-t-il tenté de vous étrangler ou de vous tuer? ...". Ainsi, dans la mesure où ces femmes pouvaient être en danger de mort, rien n'exclut que l'une d'entre elles ait pu répondre avec un revolver sur la tempe ou, plus banalement, ait pu être l'objet d'une violence du fait d'y avoir répondu.

Par ailleurs, les questions sur les violences - dont certaines sont répréhensibles pénalement - arrivent en fin de parcours après une batterie de près de 150 questions qui posent ces femmes comme potentiellement coupables : "Vous êtes-vous disputée avec votre conjoint, au sujet de... ? ; en êtes-vous venue aux mains, lancé ou cassé des objets ? ; vous est-il arrivé de crier très fort et de dire des insultes ; de gifler, donner une fessée ou une tape à un enfant ? de gifler ou frapper une personne adulte ? Avez-vous été confrontée à des problèmes d'alcoolisme, de consommation de drogues ?". Pour enfin leur demander si elles ont consommé du "cannabis, de l'ecstasy, des amphétamines, de la cocaïne, du LSD, acide, champignon hallucinogène, des médicaments détournés de leur usage (coupe-faim...), des produits à inhaler (éther, colle, solvants), d'autres substances (crack, héroïne, opium)".

Ce questionnaire qui leur demande, entre autres questions, si elles  "ne sont plus" ou "n'ont jamais été amoureuses" de leur conjoint, leur demande aussi de les dénoncer (concernant l'alcoolisme et la drogue), ainsi que les membres de leur famille. Et tout ceci pouvant être croisé avec leur religion. J'aimerais connaître l'avis de la CNIL sur ce sujet.

En outre, et cela toujours avant d'aborder la question des violences qu'elles auraient subies, des questions, inacceptables, sont posées sur leur sexualité : notamment, si elles ont été "attirées par des hommes et/ou par des femmes", c'est-à-dire si elles sont lesbiennes ; combien elles ont eu de "partenaires différents" au cours de leur vie ; combien elles ont eu de rapports sexuels, "au cours de l'année" et "du dernier mois", avec combien de "partenaires", et à quelle "fréquence"...Et tout ceci se prolongeant par des questions sur leurs tentatives de suicide, leur ménopause, leur IVG, etc.

Et ce n'est qu'après ce que j'ai vécu comme un véritable interrogatoire, que l'on arrive à des questions sur leur santé (incluant le dépistage du sida et la question : "Avez-vous pensé que vous ne valez rien ?") et enfin à ce que le questionnaire appelle "le module violences".

Sur ce point, s'agissant de la terminologie employée, il faut noter que les questions sont déconnectées de la terminologie pénale, mais aussi courante. Ce qui n'empêche pas pour autant, au niveau de l'analyse des données, de retraduire ultérieurement les questions dans la terminologie pénale.

Un exemple : alors que le terme de "harcèlement sexuel" n'est pas cité, les chercheuses peuvent cependant affirmer que "1,9 %" des femmes ont été l'objet de harcèlement sexuel au cours de la dernière année. Ce qui signifie - alors que les enquêtes européennes donnent des chiffres de 30 à 40 %, - que le pourcentage de femmes harcelées sexuellement aurait drastiquement diminué depuis le vote des lois françaises, les chercheuses affirmant en outre que "la définition retenue est plus large que celle retenue dans le code pénal  et le code du travail". M. Claude Katz, l'un des avocats de l'AVFT et l'un des spécialistes de cette question, me disait en lisant ce chiffre incroyable affiché à la Sorbonne, qu'au total cette enquête aura réussi à faire diminuer par plus de 4 le pourcentage de femmes harcelées. Et ce, si l'on ne se réfère qu'au tout premier sondage européen de 1983 - les chiffres ayant globalement et logiquement, significativement augmenté depuis lors - qui donnait, pour la France, le chiffre de 8 %. Il me disait en outre, à juste titre, que les journalistes, les magistrats et les magistrates, et bien d'autres encore ne manqueront pas de citer ce pourcentage pour délégitimer la réalité du harcèlement sexuel. Des années de travail, de publications, d'initiatives de toutes sortes - sans même évoquer les lois françaises - sont ainsi délégitimées par cette enquête.

Par ailleurs, concernant les questions qui concernent le type de violences "dans l'espace public", sur les cinq items proposés concernant les auteurs de ces violences, le fait que celles-ci puissent être le fait d'"une" ou de "plusieurs femmes" est cité trois fois. Il n'est donc pas étonnant que les chercheuses aient d'ores et déjà tiré comme conclusion de cette enquête que les chiffres des "violences féminines", notamment à l'égard des enfants, étaient "très élevés".

Je m'en tiendrai là, faute de temps. Mais je veux aussi dire que ces quelques points ne reflètent qu'une faible partie de mes critiques de cette enquête.

Mme Yvette Roudy : Nous nous connaissons depuis longtemps. Je connais votre passion, je vous crois quand vous me dites que c'est ce que vous avez lu dans le questionnaire qui a été posé aux femmes. Je ne l'avais pas vu. Sinon, j'aurais certainement explosé. Cela n'aurait probablement rien changé, parce qu'il faut beaucoup exploser pour faire bouger les choses. En revanche, je sais que les résultats rendus publics par Mme Nicole Péry, ont fait du bruit dans un sens positif. Le Monde et plusieurs autres journaux ont consacré des pleines pages à ces violences telles qu'elles existent, alors que jusqu'alors beaucoup disaient que ce n'était que des cas dus justement à l'alcool, à la drogue, à la provocation, etc.

Mme Marie-Victoire Louis : Oui, j'ai entendu cet argument-là. Mais lorsqu'une enquête n'est pas, méthodologiquement, conceptuellement, politiquement, acceptable, il est du devoir d'une intellectuelle, d'une chercheuse, d'une militante féministe, d'une citoyenne de la dénoncer. Ce n'est pas parce que l'on a parlé de cette enquête que les chiffres qu'elles donnent sont valides. Ni que l'on ne puisse dire, sans crainte d'être démentie, que ses résultats sont considérablement sous-estimés.

Mme Yvette Roudy : Ce n'est pas simplement que l'on en ait parlé, mais qu'en conclusion, le résultat dans l'opinion n'ait pas été négatif.

Mme Marie-Victoire Louis : Une enquête a pour fonction de donner des chiffres valides, sinon elle n'est pas crédible. Je me répète : cette enquête ne peut et ne doit être validée par personne. Par ailleurs, je considère aussi que nous n'avons pas besoin d'enquête quantitative pour savoir que les femmes - qui le sont depuis des siècles - sont l'objet de violences masculines. Ce qu'il faut, c'est agir.

Mme Yvette Roudy : Je n'ai pas regardé les chiffres de très près. Je vous fais confiance pour cela. Mais, il en est ressorti que c'était un énorme scandale. Le mot "scandale" a été prononcé, ainsi que celui de "fléau". Pour beaucoup d'hommes ou de femmes, cette enquête a été une révélation. Ce qui n'avait pas été le cas jusqu'alors.

Mme Isabelle Alonso : Moi, qui suis ces questions depuis moins longtemps que vous, je crois qu'il y a déjà eu des campagnes de presse, avec des témoignages de femmes battues. Je me souviens du chiffre de 2 millions de femmes battues cité dans la presse, il y a trois ou quatre ans. Je me suis servie de ce chiffre dans le livre que j'ai écrit l'année dernière et j'ai donc l'impression que l'on peut continuer à dénoncer le fait qu'il y ait des femmes battues et, parallèlement, qu'il ne se passe rien. A la Une de France Soir, il y a quinze jours, il y avait encore cette image de femme contusionnée. Je ne sais pas de quand date cette photo, mais je l'avais déjà vue. J'ai l'impression que l'on répète sans fin, mais qu'il n'y a pas de suite donnée.

Mme Yvette Roudy : Même si le problème est loin d'être résolu, cela ne veut pas dire que nous ne continuons pas.

Quels que soient les chiffres qui émergent lorsque l'on interroge ces femmes, ils sont toujours en dessous de la réalité ; elles ne disent pas vraiment ce qui se passe réellement. Il y aura encore des enquêtes et encore des chiffres, qui seront en dessous de la réalité. Il y aura toujours des femmes qui n'oseront pas dire qu'elles sont maltraitées, battues ou violées. Cette culpabilisation qu'on leur a inculquée culturellement n'est pas près de disparaître.

On ne peut l'accepter, mais il faut voir aussi le chemin parcouru. J'en suis à me féliciter qu'on ait mis quinze ans pour réformer la transmission du nom. Dans quarante ans, nous aurons peut-être une loi antisexiste. Je ne désespère pas. Cela veut dire, bien sûr, que ce n'est pas terminé et qu'il faut continuer à porter le flambeau.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Vous émettez une critique méthodologique très forte par rapport à l'enquête. Vous dites, par ailleurs, que depuis trois ans, vous avez l'impression que les choses sont plus verrouillées que jamais. A quoi pensez-vous précisément ?

Mme Marie-Victoire Louis : Sur la question des violences, c'est incontestable. La seule ministre qui ait engagé une action positive, c'est Mme Ségolène Royal. Elle seule a eu une action politique et législative - je pense notamment à la loi sur le "bizutage" - réelle. Là, on a pu voir la manifestation concrète d'une volonté politique : la ministre a tenu malgré les attaques. Cela prouve l'évidence, à savoir que lorsque l'on veut vraiment agir, en règle générale, on peut. Mais cela ne signifie pas que la politique de l'Education Nationale soit pour autant claire et suffisante.

En revanche, oui, je note des forts blocages et des régressions depuis l'arrivée du Gouvernement de M. Lionel Jospin.

Mme Marie-George Buffet, fortement interpellée depuis longtemps sur la nécessité d'agir contre les violences, notamment sexuelles, dans le sport n'a donné, à ce jour, aucun signe positif, alors que sa responsabilité et celle de son cabinet sont fortement engagées.

Je ne peux que constater, par ailleurs, que le Comité national de lutte contre la violence à l'école, que M.  Jack Lang a installé le 24 octobre 2000, n'aborde même pas la violence en termes sexués. Plus encore, il a été dit par l'une de ses responsable que "le comité national ne s'occupe pas des violences sexuelles" ; lesquelles, d'ailleurs ne font pas partie de ses catégories statistiques.

Enfin, je souhaite parler de la responsabilité, que je considère comme très lourde, de Mme Martine Aubry, puisqu'elle a toujours été responsable politiquement des droits des femmes. Pour aller vite - mais je pourrais être beaucoup plus explicite - elle a bloqué l'essentiel des dossiers qui auraient pu faire avancer les droits des femmes, ou éviter qu'ils ne régressent. Et le peu qu'elle a fait, c'est très tardivement, avec beaucoup de lenteur et de résistance - il a fallu plusieurs années pour que soit publiée une simple circulaire, celle du 8 mars 1999. Et a minima.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Que proposez-vous ?

Mme Marie-Victoire Louis : Cela fait près de vingt ans que les associations féministes, qui ont été à l'origine de pratiquement toutes les lois, les politiques et les initiatives en la matière, ont des critiques très circonstanciées à faire, proposent des politiques, notamment mais non pas exclusivement, législatives.

Leurs analyses, leurs dénonciations, leurs demandes ne sont pas écoutées. Les associations, les féministes ne sont pas considérées comme des interlocutrices valables. Ainsi, elles n'ont même pas été entendues lors de la rédaction de la "loi Guigou" sur la présomption d'innocence et le droit des victimes. Alors que ce sont elles, avec les associations de lutte contre les violences faites à enfants, qui, seules, entendent les victimes et accompagnent leur "parcours de la combattante", du moment où la violence survient jusqu'à celui où l'agresseur est condamné et incarcéré.

Pour ma part, avec elles, je peux proposer un diagnostic, des critiques, des revendications et faire des propositions. Je demande, avec beaucoup d'autres personnes, que la question des violences exercées par des hommes sur les femmes (prostitution comprise, bien sûr) devienne un débat et un enjeu politique public. Actuellement, politiquement, le blocage est total.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Pourriez-vous nous exposer les grandes lignes de ces propositions de modifications législatives ?

Mme Marie-Victoire Louis : J'étais venue vous parler de la loi antisexiste, à propos de laquelle, j'espère que nous allons reprendre le flambeau, après Mme Yvette Roudy. Mais sur la question si fondamentale et si importante des violences contre les femmes, cela ne serait pas sérieux de répondre ici rapidement. Cela prendrait beaucoup plus de temps que celui dont je dispose aujourd'hui. Et je n'y étais pas préparée. Mais, si vous acceptez de m'inviter à nouveau, c'est avec un grand plaisir que je reviendrai vous présenter les propositions de réformes sur lesquelles je travaille depuis longtemps.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Pour clore ce chapitre sur les violences, si vous n'avez pas la possibilité de nous exposer aujourd'hui vos propositions législatives, pourriez-vous nous les faire parvenir ?

Mme Marie-Victoire Louis : Oui. Et, en attendant, je vous transmets les textes rédigées pas deux associations féministes, qui me les ont remis.

L'AVFT demande depuis longtemps une modification de la loi sur le harcèlement sexuel. Voici son texte qui a, par ailleurs, été remis à Mme Nicole Péry et à Mme Brigitte Grésy, lors des Assises de la Sorbonne. L'AVFT - dont je soutiens la proposition - demande que le Gouvernement prenne enfin en compte cette proposition de réforme. Et que celle-ci soit votée par le Parlement.

Par ailleurs, je vous transmets aussi un très gros travail de proposition législative qui a été fait par le Cerf sur la réforme du nom des femmes.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Revenons à la loi antisexiste.

Mme Marie-Victoire Louis : Au risque de me répéter, pour qu'une loi antisexiste soit adoptée, il faut une volonté politique. Or, actuellement, le Gouvernement
- et c'est un euphémisme - n'a pas manifesté de volonté de faire des violences masculines contre les femmes un projet politique. A l'inverse de la Suède par exemple. Le rapport de force - qui, par définition peut changer, et même souvent plus vite qu'on n'a même pu l'imaginer - n'est donc pas actuellement en faveur du vote de cette loi. J'avais parlé de cette éventualité avec Mme Dominique Gillot, qui ne m'avait laissé aucun espoir. Mais je ne demande qu'à être démentie. D'autant plus que les élections arrivent et que le Gouvernement n'a rien à proposer aux femmes - c'est-à-dire à la moitié de son électorat - de ce pays.

Sur la loi antisexiste, je souhaitais dire que je suis contente que Mme Yvette Roudy soit présente aujourd'hui. Les féministes n'ont en effet jamais accepté la manière dont, lorsqu'elle a proposé ce texte, elle a été personnellement attaquée, ainsi que les conditions dans lesquelles ce projet a été abandonné.

Pour situer enfin cette loi dans sa durée, je rappelle que la première proposition de loi antisexiste a été proposée par la Ligue des droits des femmes en 1974, que l'association "Dialogue de femmes", grâce à Mme Alice Colanis - que vous devriez sans doute inviter sur ce sujet - a repris ce projet, lequel a été l'objet d'un rapport favorable de la commission des lois du Sénat en 1980. En juin 1981, Mme Yvette Roudy a promis le dépôt d'un projet de loi, que l'Assemblée nationale a enregistré le 15 mars 1983.

Mme Yvette Roudy : La première proposition de loi avait été reprise par Mme Simone de Beauvoir dans un article.

Mme Marie-Victoire Louis : Le premier texte publié dans le Monde, le 13 juin 1974, intitulé : "Pour une loi antisexiste" était signé de Mme Marie-Louise Fabre, au nom de la Ligue du droit des femmes, dont la présidente était Mme Simone de Beauvoir. Celle-ci a publié un autre article, toujours dans le Monde, le 18/19 mars 1979, intitulé : "De l'urgence d'une loi antisexiste".

Rappelons que nous sommes en 2001.

Pour revenir à l'actualité, je travaille actuellement à la rédaction d'une loi anti-0sexiste, dont j'avais posé quelques jalons dans le cadre d'un séminaire, dont j'avais été responsable à la Maison des Sciences de l'homme, intitulé "Pour une critique sexuée du droit". Lors d'un colloque organisé à l'Assemblée nationale même, salle Colbert, avec le soutien de Mme Véronique Neiertz, plus spécifiquement consacré à la situation française, j'avais fait un exposé intitulé "Pour une loi antisexiste, et anti-homophobe", le 27 février 2000. J'avais notamment critiqué deux propositions de loi : celle du parti communiste et celle dont l'initiative revenait aux associations d'homosexuels. Toutes deux avaient pour projet de réprimer l'incitation à la haine homophobe et considéraient - à tort - que le sexisme pouvait en être considéré comme - je m'excuse de l'expression - un sous-produit. J'avais en outre posé un certain nombre de principes, à partir desquels on pouvait penser une loi antisexiste. Depuis, je n'ai pas eu le temps d'y retravailler. Je compte faire une nouvelle proposition de rédaction, la soumettre aux Chiennes de garde, à l'AVFT, au Collectif contre le viol ainsi qu'à d'autres associations féministes, comme Citoyennes maintenant et l'Assemblée des femmes. Puis, la présenter comme étant un texte à l'initiative et porté par les féministes, femmes et hommes. J'espère alors que l'Assemblée nationale pourra nous relayer et que nous pourrons travailler ensemble.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Comme c'est une revendication qui revient en leitmotiv dans le livre de Mme Isabelle Alonso Pourquoi je suis Chienne de garde, je pensais que nous pourrions aller plus loin dès aujourd'hui.

Mme Yvette Roudy : Je pense que vous devriez aller voir Mme Ségolène Royal. Cet après-midi, à l'Assemblée Nationale, elle a fait une réponse tout à fait féministe à une question qui lui était posée. Elle serait peut-être disposée à reprendre ce texte .

Mme Marie-Victoire Louis : Peut être, mais un telle loi ne doit pas être votée en catimini. Elle doit être l'objet d'une réflexion en profondeur de l'ensemble de la société française, comme l'ont été - très positivement - les débats sur la parité et sur le Pacs. C'est très important, parce que nous touchons là aux fondements constitutifs de toute société, et plus particulièrement de la société française. En outre, cette loi peut devenir un lien pour les associations féministes, notamment de toutes celles qui luttent contre les violences, et ainsi montrer que le sexisme et la violence font partie d'une même logique patriarcale.

Il est aussi important de dire haut et fort que ne pas incriminer le sexisme, c'est soit affirmer que la société n'est pas sexiste, soit considérer qu'il est légitime.

Mme Yvette Roudy : Que fait-on au point de vue de la méthode ? Vous allez nous envoyer vos propositions législatives sur les violences. Tout ce que nous pouvons faire, c'est de proposer de temps en temps un amendement. Je ne vous cache pas que si nous pouvons faire adopter, quinze ans après, la proposition de loi sur le nom patronymique, c'est que, pour notre chance, un député s'est aperçu qu'il n'avait que des filles et que son nom allait disparaître, parce qu'il n'avait pas de frère. L'idéologie se situe à ce niveau-là ! De même, lorsque cette proposition m'avait été refusée il y a quinze ans, l'idéologie se situait à ce même niveau. C'est dire ce que nous pouvons faire ! Tant que nous ne serons que six ou sept féministes à l'Assemblée nationale, je crains que la situation ne se poursuive.

Mais si vous pouvez nous remettre des propositions législatives, nous examinerons les éléments que nous pourrons reprendre. Nous en discuterons avec les autres députés. Nous essaierons de trouver des compromis et d'avancer.

Mme Marie-Victoire Louis : Le texte sur le harcèlement sexuel est prêt.

Mme Yvette Roudy : Cela nous sera utile.

Par ailleurs, j'aime bien fréquenter toutes les associations féministes, parce que je pense qu'une des raisons de la faiblesse du mouvement en France est que les différentes associations ont du mal à s'entendre. J'écoute donc tout le monde. Pourriez-vous me dire quelle est la différence entre les Chiennes de garde et la Meute ?

Mme Isabelle Alonso : Florence Montreynaud était la première présidente des Chiennes de garde entre la création de l'association en mars 1999 et sa démission le 3 mai 2000. A sa démission, je suis devenue présidente.

Depuis cette date, elle a repris des activités, en son nom propre au début, puis en créant une autre association qui s'appelle la Meute, qui n'engage en rien les Chiennes de garde.

Mme Yvette Roudy : Faites-vous la même chose ?

Mme Isabelle Alonso : Nous faisons la même chose dans la mesure où lutter contre le sexisme inclut, bien évidemment, la publicité, comme étant l'une de ses expressions. Mais Florence Montreynaud a fait de la publicité l'axe principal de son action. Maintenant, penser qu'il est souhaitable que ces deux actions aillent dans le même sens ne me pose pas problème.

Mme Yvette Roudy : On ne peut pas être sur tous les créneaux.

Je suis tombée en arrêt dans le Nouvel Observateur et le Monde sur l'image d'une femme vautrée auprès d'un monsieur, dans une position très suggestive, lui, à l'évidence dominant et, elle, rampant à ses pieds. J'ai explosé et j'ai envoyé la photocopie de cette publicité avec un commentaire à notre présidente de la Délégation, à Mme Elisabeth Guigou, à Mme Ségolène Royal et à tous ceux qui me semblaient susceptibles de réagir. Avez-vous réagi aussi ?

Mme Isabelle Alonso : Nous n'avons pas réagi particulièrement à cette publicité, précisément parce que, pour vous le dire en toute honnêteté, si nous devions réagir à chaque publicité sexiste, nous n'arrêterions pas. Mais je pense que c'est ce que fait la Meute : réagir au coup par coup sur chaque publicité.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Il nous a semblé important de faire le point avec vous, comme avec la Meute, pour voir la réponse qu'il convient d'apporter.

Mme Marie-Victoire Louis : La situation demande une réponse politique qui ne peut être qu'une loi antisexiste. Ce serait le signe le plus fort à adresser aux publicitaires qui devront se situer par rapport à la nouvelle norme que la société leur poserait. Ils devront alors -- et c'est normal - se conformer au point de vue de celles et ceux dont le regard est quotidiennement agressé par ce qu'ils nous imposent, y compris dans l'espace dit "public". Lequel, faut-il le rappeler appartient aux femmes - qui paient les impôts comme les hommes, sinon plus - comme aux hommes.

Mme Yvette Roudy : Il m'arrive parfois d'exploser sur une image particulièrement choquante. Cela correspond d'abord à ce que nous sommes, puisque nous sommes des femmes d'action. Mais cela peut aussi faire bouger les choses.

Je sais que notre réaction face à cette publicité a beaucoup gêné les deux directeurs de journaux, qui ont réagi. Nous n'avons plus vu cette publicité par la suite. Tout dépend de la force de l'explosion et de la force des gens qui l'expriment. Nous avons été cinq ou six à réagir fortement. Ils ont reculé.

J'observe tout de même que, si j'ai réagi, c'est parce que j'ai un souvenir cuisant du débat sur le projet de loi antisexiste. Quand je me replonge de temps à autre dans le dossier de 1984, et des publicités de l'époque, je me dis que cela va mieux, sauf sur cette publicité. Nous avons été moins attentives sûrement. Je crois tout de même qu'en matière de stratégie, les réactions de base, militantes, peuvent parfois faire évoluer les mentalités.

Je voulais poser une autre question au sujet de l'orchestre de Vienne. Vous le savez, celui-ci a dit publiquement qu'aucune femme n'entrerait en son sein. Or, tous les premiers janvier, nous avons à la télévision un concert de cet orchestre. Je suis en train d'essayer d'interpeller le Parlement européen et le Conseil de l'Europe à ce sujet. L'orchestre de Vienne est un orchestre officiel qui est tenu par les textes communautaires. Nous pouvons donc légitimement écrire, et je souhaite que cette Délégation le fasse, pour dire notre étonnement, notre stupéfaction et notre indignation.

Mme Marie-Victoire Louis : Je suis d'accord avec vous, mais la question est de savoir s'il est légitime que l'on s'épuise à lancer perpétuellement des campagnes anti-sexistes, alors qu'une seule loi reposerait le débat en de tous autres termes. J'en reste à un référent basique élémentaire, à savoir que le rôle de l'Assemblée Nationale est de poser des normes. Et de voter des lois pour tous et toutes. Le temps est venu pour la classe politique de comprendre que nous sommes nombreuses à vouloir des normes différentes. Et que nous en avons plus qu'assez de la situation actuelle.

Par ailleurs, l'Etat ne peut-il pas en outre agir sur le Conseil supérieur de l'audiovisuel, le CSA, et sur le Bureau de vérification de la publicité, le BVP ?

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Pour les spots publicitaires à la télévision, le CSA n'exerce qu'un contrôle a posteriori sans déclaration préalable. C'est au BVP, association loi de 1901, qui est financée par les grandes agences de publicité, qu'il appartient de les contrôler a priori. Pour les autres médias, le contrôle ne n'exerce qu'a posteriori.

Le BVP est une sorte d'organe d'auto-contrôle des agences de publicité. Il n'a pas le pouvoir d'interdire une publicité. Il exerce une pression morale sur les annonceurs et les diffuseurs. Il a élaboré une charte fixant des règles déontologiques, notamment une recommandation Image de la femme, fondée sur quatre grands principes : la décence ; l'absence de provocation ; la non-réduction de la femme à la fonction d'objet publicitaire et l'absence de suggestion de l'idée d'infériorité.

J'ai l'intention, en ma qualité de présidente de la Délégation, d'écrire au Président du BVP pour attirer son attention sur l'utilisation actuelle des publicités sexistes et lui demander les mesures qu'il compte prendre pour mieux assurer le respect de ces règles déontologiques.

Audition de Mme Florence Montreynaud, présidente de La Meute,

mouvement contre les publicités sexistes

Réunion du mardi 6 février 2001

Présidence de Mme Martine Lignières-Cassou

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Nous recevons maintenant Mme Florence Montreynaud, fondatrice du mouvement Chiennes de garde en mars 1999. En septembre 2000, vous avez créé le mouvement La Meute, dont le travail est axé sur la lutte contre la publicité sexiste. Nous sommes atterrées par les dernières publicités pour les chaussures Weston qui sont parues dans la presse et nous souhaitons connaître votre analyse de la publicité sexiste, faire le point de la réglementation en vigueur et déterminer si elle doit être modifiée.

Mme Florence Montreynaud : Je m'occupe de publicité sexiste depuis trente ans et j'ai essayé toutes les formes d'action contre cette publicité.

Les premières, celles qui font du bien et qui défoulent, celles qui consistent à écrire sur les affiches, je les ai pratiquées, dans les années 1970, avec mes amies féministes.

Ensuite, dans les années 1980, nous avons essayé des rapports plus courtois avec les annonceurs : nous leur avons écrit des lettres polies leur expliquant que leurs publicités étaient sexistes et que nous leur demandions de prendre en compte cet aspect. Nous avons eu des réponses, mais notre action s'est arrêtée là.

Puis, en 1998, j'ai lancé avec l'Association des femmes journalistes, que j'ai présidée pendant longtemps, le Prix à la pub la moins sexiste. Je vous ai apporté quelques dossiers du premier prix. Des expériences faites à l'étranger, notamment au Québec et au Japon, m'en avaient donné l'idée. J'étais lasse de critiquer les mauvais élèves et j'espérais qu'en récompensant les bons, les autres s'en inspireraient. J'ai parcouru des milliers de publicités pour choisir la moins sexiste, ce qui s'apparentait à la recherche de l'aiguille dans la meule de foin. Néanmoins, j'ai acquis, par ce biais, une connaissance assez complète des publicités des dernières années et je puis vous confirmer que la situation s'aggrave.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : C'est l'impression que nous en avions.

Mme Florence Montreynaud : Quand on est un peu vigilant et que l'on ne feint pas de ne pas les voir, on ne peut que faire cette constatation. Nous demandions dans les années 70 et 80 que les femmes se rhabillent. Maintenant, ce sont les hommes qui se déshabillent aussi, ce qui ne peut être considéré comme un progrès. L'utilisation de la sexualité à tout propos est devenue une généralité, l'escalade de la provocation et de la transgression est permanente, bien que l'on ne puisse pas dire que l'on atteigne le sommet, car je redoute que le pire soit pour la semaine prochaine. Lorsqu'on analyse la presse professionnelle, on se rend compte que les publicitaires continueront, puisqu'ils pensent que les féministes "roupillent".

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Je voudrais que vous vous arrêtiez sur ce point, car il est important de comprendre pourquoi, comme vous l'énoncez, le moteur de la publicité est l'inédit, c'est-à-dire la surenchère dans la nudité.

Mme Florence Montreynaud : Je comptais justement vous expliquer que cela ne peut pas s'arrêter. C'est un sujet ample sur lequel je n'ai pas encore écrit. Je me contente pour l'instant de réfléchir et d'avoir une pratique. J'en ferai un livre par la suite. Cependant, depuis trente ans que je m'attelle à cette tâche, après une longue pratique d'observation de nombreux dossiers, je pense être parvenue à une bonne connaissance du sujet.

J'ai aussi décidé de m'y plonger plus avant car les Chiennes de garde ont reçu des centaines de lettres et environ une sur trois évoquait la publicité sexiste comme une des violences symboliques qui interpellait nos correspondants. Cela m'a donné des raisons d'espérer, car cela montrait qu'il existait des personnes que l'on n'entendait pas, mais qui faisaient les mêmes analyses que les nôtres.

La publicité pour la crème Babette, par exemple, était fortement ressentie comme une violence faite aux femmes. A l'époque, nous avons répondu que nous avions suffisamment à faire avec les femmes insultées, mais aujourd'hui que j'ai été délivrée de ces fonctions et de cet énorme travail dont les Chiennes de garde s'occupent, je me consacre uniquement aux publicités sexistes.

J'ai donc lancé un manifeste qui analyse les différents types de clichés sexistes et j'ai aussi réfléchi à des outils d'analyse.

La publicité est une invention de l'après-guerre. Avant, cela s'appelait la réclame et s'élaborait de manière bon enfant...

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : J'ai une réclame de Banania en tête, qui est la preuve que ce n'était pas toujours bon enfant et que cela pouvait être raciste.

Mme Florence Montreynaud : Je parle des publicitaires. Ils n'avaient pas eux-mêmes la conception perverse actuelle. Auparavant, les techniques de persuasion se déroulaient dans une relative innocence, comme le montrent les premiers manuels de chercheurs sur le sujet : les livres fondamentaux de Serge Tchakhotine, Le viol des foules par la propagande politique de 1938 et de Vance Packard de 1953. Intitulé Hidden persuaders, traduit en français sous le titre La persuasion clandestine, ce dernier avait très bien analysé l'exemple des cigarettes, puisque le tabac a été l'un des principaux vecteurs de transformation des m_urs.

Il avait pris l'exemple de la cigarette Marlboro qui, dans les années d'après-guerre, avec son filtre, était associée aux femmes ; comme les hommes fumaient, la firme a voulu développer cette consommation masculine et a donc tout fait consciemment - par opposition à l'avant-guerre, où les réclames se faisaient dans l'improvisation et l'artisanat - pour développer une image de virilité associée à la Marlboro. Ce fut le cow-boy, les ouvriers dotés d'éléments très virils, notamment des tatouages, liés à l'image des mauvais garçons.

Peu à peu, cette image de virilité, qui est d'ailleurs un cas rare, puisqu'elle continue encore aujourd'hui et depuis cinquante ans sur les mêmes thèmes, a fait que Marlboro est devenue et demeure la cigarette la plus vendue dans le monde.

Il y a eu création d'un besoin qui a entraîné un fléau social et humain aux proportions incalculables, car les centaines de milliers de morts d'aujourd'hui sont le résultat de ces publicités des années 50 et 60.

La violence de la publicité a été analysée par de nombreuses personnes qui ont travaillé sur les techniques de manipulations. Je ne vais pas y revenir. Je suppose que vous tenez pour acquis que la publicité exerce une violence, nous manipule et nous conditionne. C'est une généralité.

Deuxième généralité : la culture machiste dans laquelle nous baignons - ce n'est pas non plus la peine que je la développe devant vous -, cette culture, poussée à l'extrême, se traduit par les assassinats et les viols, mais commence par les insultes et les images. Je les mets en parallèle dans mon action avec ces insultes sexistes qui passaient de manière anodine : il fallait être bien coincée ou mijaurée pour s'offusquer d'une "connasse" et d'une "poufiasse" mais, lorsque j'ai dit : "Non, cela suffit", nous avons découvert que c'était un problème général et que toutes les femmes avaient été insultées dans leur vie.

Il en va de même de la publicité. Nous, féministes, sommes les seules à nous indigner de ces images, et l'on nous entend à peine. Que penser de l'ensemble du public dont je vais vous dire, enfin, qu'il a son mot à dire à ce sujet et que ce qu'il a à dire est intéressant.

Il y a donc la violence de la publicité et la culture machiste et, au croisement des deux, la publicité sexiste. Ce sujet a été très peu étudié à ma connaissance. Le meilleur ouvrage est sans doute celui de François Brune, Le bonheur conforme, paru chez Gallimard en 1985, qui contient un très bon chapitre intitulé Erotisation, sexualisation, images des femmes. Depuis, il n'y a rien eu dans les ouvrages généraux, sauf dans le dernier livre de Philippe Breton, La parole manipulée, un très beau livre d'analyse, fort intéressant, paru aux éditions La Découverte, en 1997.

Les féministes ont conduit de nombreuses actions mais n'ont jamais eu le temps, comme c'est souvent le cas dans le mouvement féministe, de laisser des archives. Sur la théorie, il n'y a pas grand chose. Les actions que j'ai menées avec Mme Marie-Victoire Louis ont donné lieu à un article assez important d'une vingtaine de pages, regroupant les lettres que nous avons écrites dans les années 1980. A ma connaissance, c'est tout. J'ai eu l'impression, d'ailleurs très exaltante, d'inventer des instruments d'analyse. Ce sont ces éléments que je me propose d'illustrer maintenant en vous présentant quelques exemples.

Je vais aussi vous proposer des considérations sur la spécificité française en matière de publicité. Je ne connais pas très bien la situation des autres pays, je sais seulement que, de plus en plus, la stratégie des marques est internationale, c'est-à-dire, par exemple, que la publicité pour le parfum Opium, que j'ai découpée dans un magazine espagnol, se retrouvait partout. Inversement, la publicité IBM, que j'avais remarquée pour son caractère volontairement non-sexiste, est aussi répandue dans le monde entier. De plus en plus, on modèle des comportements dans le monde entier à l'occidentale. Donc, nos fleurons de l'industrie du luxe français exportent vraisemblablement aussi dans le monde entier ces images d'un sexisme incroyable, qui passent avec le prestige du luxe français.

Je vois en France quatre phénomènes qui expliquent la persistance et même l'aggravation de cet état de choses.

Tout d'abord, la publiphilie est à la mode. Il est de bon ton d'aimer la publicité, de regarder et de commenter les spots au cinéma ; les enfants apprennent les slogans par c_ur plus vite que les tables de multiplication. Il faut vraiment être une féministe coincée pour trouver que c'est de mauvais goût, alors que beaucoup considèrent cela comme un art.

Ensuite, je suis frappée en France par la faiblesse des associations anti-publicité. Elles ne sont pas entendues comme aux Etats-Unis.

Puis, le discrédit des féministes me paraît être aussi un élément extrêmement fâcheux. Vous savez bien que les féministes sont des hystériques, qui ont du poil aux pattes ! Tout à l'heure, je suis passée en direct sur Europe 1 au sujet de la publicité sexiste. J'avais demandé que l'on me présente comme écrivaine et féministe et l'on a dit "une féministe pure et dure". C'est encore ce que l'on a trouvé de moins désagréable, mais le poil aux pattes n'est pas loin quand on dit cela ! "Pure et dure", qu'est ce que cela veut dire ? Dirait-on cela d'un anti-raciste ou de quiconque défendant toute autre cause ?

Enfin, la quatrième spécificité française est le manque de visibilité des actions des féministes contre la publicité sexiste. Tout ce travail que nous avons élaboré, toutes les expositions que nous avons montées, les petits spectacles, les manifestations, nous n'avons jamais pris le temps d'en faire des dossiers et de les faire mieux relayer par les médias, qui nous boycottent, évidemment, puisqu'ils vivent de la publicité. Même l'Association des femmes journalistes, qui est tout de même assez puissante et dans laquelle je me suis beaucoup investie, n'a eu que quelques petits échos. Ce prix pour la publicité la moins sexiste n'a jamais été perçu comme quelque chose d'important.

Un dernier élément, c'est aussi que les féministes n'ont généralement pas considéré la publicité sexiste comme une action prioritaire ; elles ont sans cesse été requises par des urgences - je le sais bien moi-même pour m'être engagée au Planning familial depuis 1970 - nous avons couru sans arrêt d'un engagement à l'autre : l'avortement, la contraception, les viols, etc. Depuis trente ans, nous n'avons pas cessé.

Chaque pays a son histoire par rapport au féminisme. En France, il est frappant de constater - c'est sans doute l'influence de la tendance lutte de classes du début du mouvement - qu'il n'y a pas eu beaucoup de travail sur le symbolique.

Les insultes sexistes n'avaient jamais été considérées comme un problème avant que je m'en occupe et la publicité sexiste, on s'y intéresse surtout quand on commence dans le féminisme. Pour avoir observé et étudié les groupes de jeunes femmes, très souvent, je constate qu'elles commencent par cela et qu'ensuite, très vite, elles sont requises par des choses urgentes et nécessaires, les bas salaires, le mi-temps et qu'elles sont dans l'action.

Il ne s'agit pas de faire des hiérarchies dans les priorités. C'est un fait historique. Dans d'autres pays, cela s'est passé autrement et c'est pour cela que l'ayant étudié, notamment dans les pays nordiques et au Canada, j'ai voulu moi-même essayer de m'en inspirer. Le deuxième aspect frappant chez les féministes françaises, mais aussi chez les Français en général, est en effet leur manque d'intérêt pour ce qui s'est fait ailleurs.

Je commence toujours, pour ma part, par rechercher ce qui a marché ailleurs pour essayer de voir comment l'adapter. Par exemple, j'ai longuement interrogé des Québécois qui m'ont confirmé qu'il est inenvisageable de voir des publicités sexistes chez eux, parce que l'agence serait déconsidérée et que l'on boycotterait le reste de ses produits. En France, on ne peut même pas imaginer cela. Le rapport de forces étant ce qu'il est, les annonceurs ont tous les pouvoirs, puisqu'ils considèrent qu'ils font de l'art. Pour moi, c'est une des plus abominables façons d'utiliser la beauté et l'esthétique et de les mettre au service d'une idéologie que je trouve nauséabonde - et encore le mot est faible - quand on voit certaines publicités, que je vais vous commenter.

Je travaille aussi beaucoup sur la pornographie. Je vais voir les dernières tendances dans ce domaine et je suis sûre de les retrouver dans la publicité deux ou trois ans après. Ma dernière enquête datant de la semaine dernière, je peux vous dire que nous verrons dans quelque temps davantage de femmes enceintes nues. C'est très tendance dans la pornographie et on commence à le voir dans la publicité.

La caractéristique de la publicité est d'employer, sans aucun rapport avec le produit, la nudité, la sexualité, les morceaux de corps, etc. C'est ce qui est extrêmement choquant. Cela a été très bien vu par Philippe Breton dans son livre La parole manipulée, qui analyse les techniques de manipulation.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Pourrions-nous nous arrêter sur ce sujet ? Je ne voudrais pas généraliser à partir de mes réactions, mais le corps de femmes nues devant un parfum ne va pas forcément me choquer. C'est peut-être un processus d'habitude, que je veux bien admettre, mais je serais plus choquée par la relation, par la mise en scène, que par la présentation d'un corps, même si, a priori, il est vrai que l'on peut se demander quel est le rapport entre un corps et un parfum. Pour moi, cela reste de l'ordre de l'esthétique, alors que dans la mise en jeu d'une relation, comme celle évoquée par la publicité des chaussures Weston, le caractère choquant me paraît indéniable.

Mme Florence Montreynaud : De toutes les publicités, celle qui me choque le plus n'est pas une publicité sexiste, c'est celle des magasins Auchan qui, sur des images variées, lance le slogan "la vie, la vraie". Pour moi, c'est la publicité la plus obscène qui soit : penser que la vraie vie, c'est d'aller dans un centre commercial ! Pour moi, cette publicité, c'est le symbole de notre société. Donc, l'obscénité, on la met où l'on veut. La "vérité" de la "vie" - ce sont ces deux mots que l'on voit - est placée dans la consommation : est-ce vraiment cela le résumé de notre culture ? Tout est lié à l'argent.

Je vais maintenant vous démontrer ce que je dis en images. Voici le numéro de février d'un magazine de mode masculine Fashion Style. Il est le symbole de ce que la presse française produit aujourd'hui et me semble un bon résumé de ce qui se fait. Ce ne sont pas seulement les publicités, mais l'ensemble qui est intéressant. Il y a d'abord une image de mode avec une femme aux pieds d'un homme : assez banal. Puis - c'est ici que l'on atteint un sommet - un article sur une collection de montres pour homme, avec des images montrant des supports de montres qui sont en forme de corps de femmes nues, cinq images successives qui s'achèvent par la dernière, dans laquelle la femme met la main dans sa culotte, ce qui est très tendance aujourd'hui. Enfin, la dernière page comporte une publicité pour des meubles qui représente une femme, dont on peut imaginer qu'elle se masturbe, à moitié nue. Cela passe l'entendement.

Je vous ai apporté ce magazine pour que vous voyiez que la publicité n'arrive pas dans un décor innocent. Cela paraît normal ici de voir des montres dans un écrin en forme de femme. C'est à la limite de la pornographie. A mes yeux, cette limite est même dépassée.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Il serait intéressant que vous nous exposiez votre classification des publicités, avec exemples à l'appui.

Mme Florence Montreynaud : Je vous présenterai d'abord nos actions de terrain, qui sont une grande nouveauté. J'anime en effet des groupes de prise de conscience en France.

Premièrement, nous nous réunissons pour étudier quelques images et en parler. On en parle donc entre personnes politiquement d'accord, dont on pourrait penser du moins qu'elles ont une base commune et l'on s'aperçoit avec stupéfaction que l'on ne voit pas les mêmes choses. C'est un travail tout à fait enrichissant, et l'on peut imaginer ce que ce doit être entre personnes différentes. C'est donc la première étape. Nous en discutons entre nous, en confrontant et confortant nos réactions.

Deuxièmement, nous adoptons une nouvelle stratégie, qui a d'ailleurs fait l'objet d'un reportage de France 2 qui sera diffusé samedi prochain : nous faisons des actions-trottoir. Nous allons à deux avec quatre ou cinq images, pas plus. Au début, nous en prenions une dizaine et nous attirions les hommes comme des mouches, cela faisait un peu catalogue porno ! Maintenant, nous parlons avec les gens et je tiens à souligner que cela représente un réel enrichissement, car les gens ont beaucoup de choses à dire.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Cela m'amène à penser que l'on peut en casser les rouages, parce que cela correspond plus à une mode qu'à un désir profond. C'est un peu comme la violence dans les films.

Mme Florence Montreynaud : Je vais vous projeter quelques publicités, que je compte ensuite présenter dans des classes de lycée. J'ai essayé de faire au plus simple en cherchant à définir des grilles d'analyse, qui n'existaient pas jusqu'à présent. J'ai inventé cela en mettant autour de moi plusieurs centaines de publicités et en les classant par thèmes en fonction du thème principal.

J'aborderai deux parties : d'une part, sexualité et violence, d'autre part, sexisme et déformation.

En ce qui concerne le volet sexualité et violence, nous trouvons, premièrement, la nudité sans rapport avec le produit.

C'est un élément de fond destiné à susciter chez l'homme hétérosexuel quelque chose d'érotique et chez la femme hétérosexuelle, le désir d'identification. Cela fonctionne de façon complexe, mais il s'agit d'associer, tel le chien de Pavlov, la nudité, le désir et le produit.

Je peux à ce propos vous parler de la première action que nous avons lancée contre la Croix-Rouge. Je viens de recevoir une nouvelle lettre de son président, le professeur Gentilini, qui persiste et signe.

Je vais vous décrire cette publicité pour apprendre les gestes qui sauvent. Elle m'a été signalé par des Suédoises. D'ailleurs, on m'a assuré, mais il faut que je vérifie mes sources, que la Croix-Rouge suédoise avait désavoué la Croix-Rouge française. Je trouve très important d'essayer de lancer une action dans les autres Croix-Rouge, puisque la Croix-Rouge française et son président, qui est plutôt pacifique et contre toute violence à l'égard des femmes, refusent de me comprendre.

Cela commence comme dans un film pornographique. L'expérience que j'ai en ce domaine me permet de comprendre que ce sont les mêmes techniques qui sont utilisées et qu'il y a, maintenant, entre ces deux domaines une osmose très préoccupante. Une femme est allongée par terre, une très belle femme, très mince avec des jambes interminables, en slip, soutien-gorge et chaussures à talon aiguille. La caméra commence par ses pieds, les caresse doucement, remonte, arrive à l'aine où est écrit Point de compression ; remonte encore pour arriver au sein, où est écrit Massage cardiaque ; enfin, parvient à la bouche et - jeu de mots digne d'une salle de garde - : Bouche-à-bouche.

La mannequin, Adriana Karembeu, est donc allongée. Puis, l'on voit apparaître un mannequin de travail en cire - un homme - et il est écrit : "Si Adriana n'est pas disponible, demandez Roger" !

Ce qui suggère aux secouristes et met dans leur tête l'idée qu'ils auront à secourir des mannequins. Il ne peut y avoir d'autre explication. S'ils n'ont pas assez de mannequins en sous-vêtements, ils auront un entraînement sur Roger. Mais sont-ils tombés sur la tête ? Cherchent-ils à attirer des maniaques sexuels ? La première réaction que nous avons eue sur notre site a été celle d'une médecin urgentiste, qui a secouru des vingtaines de personnes et qui dit qu'en général, cela sent plutôt mauvais, qu'il y a du vomi et du sang, et que le secourisme n'a rien à voir avec un mannequin en petite culotte.

Et le professeur Gentilini persiste à dire qu'il voit de l'humour et de l'intelligence dans ce spot !

Je lui ai répondu que montrer Adriana Karembeu en femme active secourant quelqu'un aurait pu être formidable, mais que montrer, une fois de plus, une femme blessée, inconsciente, dont une caméra viole l'intimité, cela dépassait l'entendement.

Je viens de recevoir une nouvelle lettre de sa part, dans laquelle il nous dit que nos réactions sont violentes et grossières, qu'il s'exprime, lui, courtoisement et qu'il persiste à ne pas trouver ce spot sexiste. Je vous avertis que nous prévoyons une manifestation le 8 mars.

C'était donc le premier instrument d'analyse : l'utilisation du corps sans rapport avec le produit.

C'est également le cas de la publicité pour le parfum Opium. La publicité de l'an dernier était une très belle photo d'une femme habillée. Celle de cette année a beaucoup plus fait parler d'elle. Vous parliez de corps nus associés à des parfums qui ne vous choquaient pas, mais si celle-ci ne vous choque pas, je dois dire...

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Il y a ici une certaine attitude...

Mme Florence Montreynaud : Oui, de jouissance nette : elle se pince le sein, elle défaille.

Je vais vous dire en quoi elle me choque. J'ai fait le tour de France pour les besoins de mon livre. Cette publicité était placardée dans toutes les gares. Je l'ai vue affichée derrière des femmes simples, fatiguées ou encore devant des femmes musulmanes voilées, qui attendaient un bus. Pour ces femmes, on se dit que ce doit être un choc culturel, dont il faut qu'elles se protègent.

De plus, imaginez tout le travail que nous faisons au Planning familial et dans les collèges. Il y a là un modèle de la jouissance : on ne peut pas jouir autrement que de cette manière exorbitée, droguée : Opium ! C'est vraiment un modèle de sexualité que l'on impose à une fille. C'est encore cela que je trouve le plus pernicieux.

Voici une autre image qui va vous faire rire. C'est une image de chaussettes pour hommes ou pour femmes ; il lui baise les pieds, elle a le buste dénudé. C'est là encore sans rapport avec le produit.

J'ai eu la chance de recevoir un trésor par la Poste. Une habitante de Grenoble m'a adressé une centaine de publicités. Elle collectionne, depuis trois ou quatre ans, des photos des panneaux publicitaires, sur un décor de magnifiques montagnes, que l'on voit à la sortie des villes. Parmi celles-ci, je citerai parmi les plus connues, celles de La City qui, comme vous le savez, "habille les femmes nues", ce qui a donné le prétexte à une douzaine de visuels. La City utilise cette nudité sans rapport avec le produit. Le prétexte est de nous imposer, ce qui est une autre violence, des androgynes, dans lesquels aucune femme ne peut se reconnaître. Ce sont des publicités, généralement destinées aux adolescentes, qui cultivent l'androgynie.

Vous me direz que les sous-vêtements, on ne peut les montrer que sur des nus. Mais j'avais engagé une action, qui avait été relayée dans certains médias, notamment Radio France, sur la publicité des soutiens-gorge Variance, qui était un prétexte pour exhiber des paires de seins dans toute la France. Dans toute la France, car, quand je découvre cela sur un panneau, ce sont 10 000 panneaux que l'on a dans toute la France. C'est une imposition de normes, alors qu'on sait que les femmes ont des seins de plus en plus gros, et que cela les complexe. De toute façon, quelle que soit l'image, cela nous complexe.

Le deuxième sujet est la sexualisation hors de propos.

Il en existe des dizaines et des dizaines d'exemples. Peut-être le plus choquant est-il celui des Trois Suisses, avec sa symbolique phallique. Mais, il y a aussi les lesbiennes ERAM, sorties fin août : des lesbiennes torrides ! La représentation de lesbiennes est un des clichés de la pornographie, par exemple sur les cartes postales du début du siècle. Les lesbiennes sont un genre pornographique, toujours pour le regard des hommes et toujours dans les positions que vous imaginez. C'est aussi insultant pour les lesbiennes. C'est vraiment de la pornographie, même si cela se veut du deuxième degré, car, d'après les savantes explications des annonceurs, ERAM ne faisait que pasticher Dior et compagnie.

C'est ce que j'appelle la sexualisation sans rapport avec le produit.

Puis, vient une deuxième classification : le sado-masochisme, qui fait recette depuis quatre ou cinq ans.

Dans la publicité pour le parfum Domination de Rochas, le choix du nom est déjà évocateur. Le collier d'animal que porte la jeune femme est typique de la pornographie. Et, surtout - une chose que je n'ose pas dire aux enfants - sa bouche brillante est typique en pornographie de l'après-fellation. Cela dit quelque chose à des hommes, moins à des femmes.

En tant qu'historienne, je me dis toujours que dans deux cents ans, quand on étudiera notre civilisation, on déduira de ces images les types des rapports humains qui pouvaient exister à notre époque !

Autre exemple de sado-masochisme extrêmement répandu, c'est le rapport entre deux femmes. Les publicitaires ne savent pas représenter l'amitié entre les êtres humains ; les femmes sont soit des lesbiennes, exhibitionnistes comme dans la pornographie, soit des rivales. De même, vous ne verrez jamais deux hommes dans une relation d'amitié, parce qu'ils ont trop peur de l'homosexualité masculine.

Dans la série sado-masochisme, cette publicité me paraît être la plus grave. Cette image est morbide. La marque s'appelle Gossard et il est écrit "Le point G s'est déplacé !". Le point G étant une découverte qui est beaucoup plus connue dans le monde anglo-saxon, - Gossard est une marque anglaise -, quand je montre cette affiche à un public jeune, beaucoup ne comprennent même pas ce qu'est ce point G.

A mon sens, c'est profondément obscène. Ce corps est morbide ; elle n'a pas de tête... On voit un buste de femme portant un soutien-gorge avec, écrit sur le ventre : "Ici mourut Pierre L., 21 ans". Cette publicité est terrifiante ! Il faut comprendre, quand on a le sens de l'humour, et au second degré, que Pierre est mort de plaisir, c'est-à-dire la "petite mort" pour les hommes.

J'en arrive à la rubrique : nos amis les bêtes ou que fait la SPA ?

Cette publicité représente un cochon et une femme dans une baignoire de boue. Les gens réagissent de manière très curieuse quand nous leur demandons ce qu'ils pensent de ces images. Cette publicité paraît aux jeunes comme rigolote, mais la plupart des personnes se déclarent horrifiées. D'autant que la légende, c'est "un divan, un amoureux, un DVD. Que demander de plus ?". C'est une publicité pour un site Internet. C'est inimaginable ce que les sites Internet inventent. C'est de loin la publicité la plus grossière.

Dans la série Que fait la SPA ?, nous avons la série de publicités d'Ungaro. La progression est très raffinée. Le chien commence par lécher le pied de la jeune femme, puis, lui lèche la bouche. Elle est toujours en extase. Sur l'image suivante, il est derrière, ce qui évoque la sodomie. Puis, elle se console. Et nous terminons avec la dernière, sur laquelle elle a la tête coupée et le chien est représenté dans un déguisement de pornographie classique. Cette campagne finie, voici la photo de l'année d'après, où elle est ligotée. Ils font vraiment très fort.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Les avez-vous contactés ?

Mme Florence Montreynaud : Non. Je ne voulais pas recommencer à m'occuper du luxe. Avec les Chiennes de garde, nous avons dépensé une énergie colossale avec le Fouquet's et nous avons gagné, mais cela nous a coûté cher, parce que nous avons dû expliquer sans cesse pourquoi nous avions le droit d'aller dépenser notre argent dans un endroit de luxe.

Ensuite, dans la série prostitution, j'ai deux exemples de publicités qui illustrent les rapports avec les annonceurs.

Le premier est celui de la poupée gonflable avec le slogan : "Votre fiancée va en rester bouche bée". J'ai reçu quarante protestations pour cette publicité pour le Nomad de Bouygues. La direction de Bouygues, à qui j'ai téléphoné pour dire que je ne tenais plus les Chiennes de garde, s'est fendue d'un communiqué disant qu'elle regrettait et qu'elle ferait en sorte que cela ne se reproduise plus.

L'année suivante, dans le métro, on voyait à propos de cette publicité pour Nomad, "1 heure, cent francs" écrit sur la poitrine d'une femme dont on ne voit pas le visage. Je rappelle donc la direction de Bouygues. Figurez-vous que j'ai passé un quart d'heure à expliquer ce que tous les hommes interrogés dans la rue disaient : "Ce n'est pas cher !". Elle prétendait ne pas voir. Les femmes ont peut-être un problème d'identification avec la prostitution, mais les hommes pas du tout.

Deuxièmement, sur la prostitution, il y a l'exemple des chaussures Weston. Le directeur général de Weston considère que c'est un "univers de séduction saine". Nous préparons une action le 8 mars.

Enfin, pour illustrer les violences machistes qui représentent la dernière rubrique de la catégorie sexualité et violences, j'ai retenu les publicités citées dans le Manifeste de la Meute : celle de la noire pour le chocolat Suchard - Vous avez beau dire non, on entend oui - qui est un appel au viol, la seconde étant la fameuse Babette pour une crème fraîche : Je la lie, je la fouette et, parfois, elle passe à la casserole. Cela fait beaucoup rire, mais j'ai reçu sur le site le témoignage de femmes qui avaient subi des violences et qui disaient que cette publicité avait réactivé leurs souvenirs. On ne peut pas jouer ainsi. C'est obscène d'utiliser la violence machiste à des fins commerciales.

Je vais aborder maintenant le second volet des éléments permettant une grille de lecture de la publicité sexiste : sexisme et déformations.

Il y a, tout d'abord, les clichés sexistes que l'on retrouve, par exemple, dans la publicité de Gucci, où une femme se traîne aux pieds d'un homme.

Ensuite, il y a la fausse symétrie homme-femme. Pour un même produit, vous avez, par exemple, un homme habillé, viril et sportif et une femme nue. Il faut faire comprendre aux enfants que c'est un monde où les femmes sont nues et les hommes non. Il faut les voir côte à côte.

Ensuite, il y a les morceaux de femmes. Cela fera sans doute l'objet de notre prochaine action. C'est la comparaison du corps de la femme avec le pain. J'ai sous-titré ce chapitre On en mangerait !, car ces publicités sont souvent liées à la nourriture. On favorise le cannibalisme et l'anthropophagie.

Je vous montre également cette publicité pour les slips Hom, pour que vous voyez que les hommes sont aussi soumis à ce régime. Cela me paraît intéressant, parce qu'il ne s'agit pas d'opposer sommairement des hommes publicitaires à de pauvres femmes mannequins, mais, plus globalement, de montrer un système machiste, dans lequel le corps humain est "marchandisé".

En cela, je me démarque d'amies féministes qui parlent toujours de domination masculine et de guerre entre les hommes et les femmes. Pour moi, il s'agit d'un système dans lequel des femmes sont aussi des actrices ; ainsi dans toutes les émissions de télévision ou de radio, où je suis invitée, mon interlocutrice est toujours une femme publicitaire.

En conclusion, je vous propose quatre axes d'actions.

Premièrement, entendre.

C'est ce que nous faisons par nos actions-trottoir. C'est un travail formidable. Les gens ont beaucoup à dire et ils se révoltent. Pas tous, naturellement, mais il nous est arrivé de voir des filles de douze ans dire que ce sont des images macho et qui nous racontent ensuite ce qu'elles vivent en classe. Cela m'a passionnée de voir des enfants réagir parce que, plus ils sont jeunes, plus ils sont perméables à tout cela.

Donc, entendre le public, ce que les gens ont à dire, ce que j'appelle, avec Yvan Gradis, le droit de légitime réponse.

Il faut entendre, car il y a une dictature de la publicité et du discours publicitaire et, en face, on n'entend rien. Or, le public a des choses à dire. Peut-être faudrait-il organiser des forums, des actions afin de solliciter leur expression. Je trouve passionnants les mots que les gens nous laissent sur le site.

Deuxièmement, comprendre.

En effet, cette analyse que je vous fais représente trente ans de travail pour parvenir à comprendre pourquoi, avec ces modèles si minces que l'on nous impose
- déformés et trafiqués, bien entendu -, nous voyons apparaître tous ces cas d'anorexie.

Il faut comprendre aussi que l'obésité aux Etats-Unis est la conséquence de trente ans de publicité pour les barres chocolatées, par exemple, qui aboutit à une véritable déstructuration de la nourriture.

Il faut élaborer des instruments pédagogiques d'analyse des publicités sexistes en les testant sur le terrain. C'est ce que je suis en train de faire, mais il faut développer et essayer de comprendre dans les écoles. Dans quelques cours, on essaie de mettre en place cette analyse d'images.

Mme Danielle Bousquet : En cours de lettres, cela fait partie du programme.

Mme Florence Montreynaud : Oui, mais cela est-il fait par des féministes ? On peut toujours faire une analyse générale, mais met-on suffisamment en valeur l'impact de la violence machiste de ces images ?

Mme Danielle Bousquet : Le postulat selon lequel tous les enseignants seraient féministes me paraît un peu osé ; en revanche, que les enseignants soient malgré tout capables de faire passer cette idée, je n'en doute pas.

Mme Florence Montreynaud : Nous comptons beaucoup d'enseignants dans La Meute. Ils sont prêts à le faire.

Troisièmement, il faut une loi pour encadrer les pratiques publicitaires.

Cette loi, nous la demandons. Nous sommes des milliers de signataires à la demander, aussi bien les Chiennes de garde qu'une quantité d'associations.

Depuis 1983, la situation a évolué. Les gens sont réceptifs à cette idée et nous n'assisterions plus aujourd'hui à cette levée de boucliers et aux cris d'orfraies des publicitaires, qui se sont manifestés lorsque Mme Yvette Roudy a proposé son projet de loi très général, qui ne mentionnait d'ailleurs pas la publicité.

Nous ressentons une impuissance à ne pas disposer d'outils, que ce soit pour les insultes ou toute autre atteinte. Toute autre catégorie humaine qui ferait l'objet de traitements pareils - par exemple, les Noirs ou les Juifs - pourrait saisir la justice ; mais les femmes peuvent être représentées torturées, violentées, morcelées, etc, sans que cela gêne personne. Je crois encore plus qu'une loi susciterait des débats et que l'on entendrait justement les gens et ce qu'ils ont à dire face à ce "tout pouvoir" des publicitaires.

Enfin, et c'est le mot de la fin, ma devise est "Résister !".

Ne pas considérer, comme la majorité des gens que nous rencontrons, qu'il n'y a rien à faire, que c'est le pot de terre contre le pot de fer, que cela a toujours été ainsi. Ce n'est pas vrai, cela a commencé un jour et, ce jour, c'était dans les années 50. Au XIXe siècle, la publicité n'était pas comme cela, c'était de la réclame. Maintenant, c'est très élaboré, cela fait appel à des techniques de conditionnements...

Mme Danielle Bousquet : Le BVP manque totalement à son rôle.

Mme Florence Montreynaud : Le BVP ne sert à rien, il n'a pas de pouvoir coercitif. Nous leur adressons copie de nos lettres, mais nous n'avons jamais reçu de réponse. Cela ne sert à rien, c'est un groupement d'annonceurs. Il n'y a pas de mystère. Que voulez-vous qu'ils fassent ?

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Ils pourraient exercer une pression.

Mme Florence Montreynaud : A ma connaissance, le BVP a exercé cette pression dans deux cas, l'argument de la vitesse pour les voitures et celui de l'utilisation des enfants dans la publicité. Il y a une quinzaine d'années, les enfants ont disparu de la publicité. Actuellement, cela revient avec les bébés de la publicité pour l'eau d'Evian mais, à un moment donné, le BVP s'était imposé cette discipline. On ne doit pas utiliser les enfants pour n'importe quoi.

En Suède, on interdit la publicité avec les enfants et vers les enfants. J'adhère tout à fait à cet encadrement, parce qu'il me semble que la publicité présente d'énormes dangers et que cela correspond à des analyses d'une grande subtilité et à des techniques de persuasion extrêmement élaborées, parce qu'il y a des millions en jeu.

La publicité est fondée sur des méthodes très scientifiques. Nous avons maintenant, au sein de notre groupe, des personnes qui sont dans des écoles de commerce et suivent des cours sur la publicité et qui nous racontent comment on nous fait associer la sensation de plaisir à l'achat de tel produit.

Cela pervertit profondément le public sur plusieurs plans.

Quoi que nous fassions dans notre vie, nous sommes conditionnés dans notre sexualité par ces images de sexualité ; dans nos achats, par l'idée qu'en achetant cette crème, nous serons plus jeunes et plus beaux, que nous aurons l'amour de nos enfants, etc. On ne s'en rend pas forcément compte.

Ce que nous avons à demander en regard, c'est de la tolérance et de la paix, car nous en avons assez d'être considérés comme des cibles, au prix de la dignité humaine, qui est un prix trop élevé à payer.

Mme Danielle Bousquet : Il faut réexaminer le projet de loi anti-sexiste de Mme Yvette Roudy et voir s'il est possible de l'inscrire à l'ordre du jour.

Mme Florence Montreynaud : Si les rapports de forces n'ont pas changé, il me semble que les associations anti-homophobes étaient plus avancées sur ce point et proposaient aux féministes de les associer et de travailler sur les discriminations homophobes et sexistes. C'est une question de tactique, mais d'un point de vue stratégique, je trouverais lamentable que le Parlement ne saisisse pas de ce problème de sexisme, qui est grave et sous-estimé en France.

En France, il y a une tradition culturelle des bonnes relations entre hommes et femmes. La réalité, comme vous le savez, est la même que dans les autres pays : il s'agit aussi en partie d'une relation de violence.

Mme Danielle Bousquet : Je ne pense pas que cela provienne du politique ; cela s'explique par le fait que la société est très tolérante vis-à-vis du sexisme. Le pouvoir politique n'est que le reflet de la société à un moment donné. Néanmoins, il est vrai qu'il ne joue pas son rôle d'entraînement et d'anticipation.

Mais je partage votre avis et je crois, comme vous, que les choses ont atteint un degré de gravité tel que nous ne pouvons plus accepter que cela continue. Il est temps de dire : "Halte, ce n'est plus possible".

Mme Florence Montreynaud : Nous entreprendrons des actions en peu partout en France, car il faut qu'ils entendent que cela suffit. Dans leurs bulletins professionnels, ils disent que la voie est libre, car les féministes ne réagissent pas.

Je vous résume un article de M. Christian Blachas, qui réalise Culture Pub sur M 6. En gros, il disait que la transgression est le moteur de la publicité. Il faut choquer pour se démarquer du voisin, car qu'est-ce qui distingue Ungaro de Givenchy ? On n'en sait rien, alors Ungaro va faire une image zoophile.

Mme Danielle Bousquet : Il y a eu un moment où le moteur de la publicité était la séduction, mais nous n'en sommes plus là.

Mme Florence Montreynaud : Nous en sommes à provoquer et choquer.

Mme Danielle Bousquet : C'étaient les publicités Benetton d'il y a quelques années.

Mme Florence Montreynaud : Pour Benetton, il y a eu une révolte des franchisés en Allemagne, qui n'ont plus voulu vendre de produits Benetton. J'attends beaucoup de la révolte des consommateurs.

Mais que faire ? Nous allons engager des actions symboliques, comme nous l'avions fait avec les Chiennes de garde. Le 8 mars, dans toute la France, les Meutes vont manifester devant les centres de la Croix-Rouge. Comme vous le savez, la Croix-Rouge a changé de structures ; ils se sont dit qu'ils avaient une image de vieille dame poussiéreuse et qu'il leur fallait la changer.

Je dois dire que j'ai également appris beaucoup sur la psychologie des décideurs. Comment des hommes d'un certain âge, des hommes responsables, pouvaient-ils accepter de produire des images de ce type ? Et je pense avoir compris ce qui se passe : ces hommes voulant séduire des cibles jeunes, pensent, poussés par les publicitaires, que ces publicités qui les choquent, plaisent aux jeunes, aux 20-30 ans. Il se font avoir par cet argument avancé par les publicitaires.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : En termes de résultats ?

Mme Florence Montreynaud : En termes de résultats, ça marche.

La publicité Gucci avec la femme qui se traîne aux pieds de l'homme qui bande, ça marche. La robe s'est très bien vendue. La publicité d'Ungaro, ça marche aussi.

Mme Danielle Bousquet : La publicité de la femme qui porte une robe largement échancrée, est une belle photo en soi, mais il s'agit d'une robe qu'il faut vendre à des femmes. Quel intérêt cela présente-t-il pour une femme ?

Mme Florence Montreynaud : Cela fonctionne par identification : vêtue ainsi, je plairai aux hommes. En fait, c'est un peu plus compliqué, cela "fait mode", cela fait penser à la sexualité.

On ne connaît pas exactement les mécanismes par lesquels ça marche ; les chercheurs ne sont pas d'accord sur ce point, mais le fait est que cela fonctionne. C'est évident. Cela a un impact direct sur les ventes. Le lien est aussi complexe que l'est la psyché humaine, mais il est certain qu'à tous les degrés, c'est une insulte à la dignité humaine.

Mme Danielle Bousquet : Il est assez incroyable d'ailleurs, que, comme vous le dites, ces annonceurs puissent être des individus moralement normaux et normalement intelligents. Je connais Emmanuel Ungaro, qui a fait des études de philosophie et qui est quelqu'un de bien.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Mais, en termes de résultats, ce qui est important, est-ce de faire de la publicité ou de faire ce type de publicité ?

Mme Danielle Bousquet : En tout cas, cela ne marche pas forcément mieux, mais cela marche aussi.

Mme Florence Montreynaud : En venant, dans le métro, j'ai vu une publicité d'Evian dans laquelle, il y avait juste la bouteille d'Evian représentée et, à côté, il y avait un autre produit illustré par une petite fille qui lève sa jupe. Tant qu'à faire de la publicité, s'il nous faut la supporter, qu'on se limite au produit.

Mme Danielle Bousquet : La loi anti-sexiste n'aurait pas comme objectif d'interdire la publicité.

Mme Florence Montreynaud : Elle ne le pourrait pas. Mais elle pourrait réglementer son usage.

Par exemple, en Suède, la publicité en direction du jeune public est interdite dans les émissions pour enfants, parce que l'on sait bien que les enfants sont les plus impressionnables et qu'ils apprennent des slogans mieux que toute autre chose. C'est de la protection de la jeunesse. Ils vont croire que le chocolat est nécessaire à leur équilibre ou que cela leur donnera des parents en bonne santé ou je ne sais quelle calembredaine. Les enfants jusqu'à l'âge de sept ans ne savent pas distinguer la publicité du réel. C'est vraiment très grave, car ce monde de publicité est totalement irréel.

C'est très bien analysé dans les manuels. Comment transformer les enfants en consommateurs. Il faut une loi pour rappeler, pour imposer des limites. Les publicitaires cherchent les limites en ce moment. Il me semble être comme des enfants. Ils poussent les limites, ils continuent et ne rencontrent aucune résistance.

Quand je rencontre des publicitaires, ils me sortent tous les clichés : "Mais enfin, madame, vous ne savez pas que ce qu'est le plaisir !". Il faut que je leur réponde que mon plaisir, il ne s'étale pas sur les murs de toutes les villes. Il faut leur rappeler des concepts simples. C'est le plus grave, c'est ce qui m'inquiète le plus. C'est pour cela que mon expérience au Planning familial - j'ai beaucoup écrit sur la sexualité - me pousse à me présenter d'abord et à dire que ma conception de la sexualité est qu'elle relève de l'intime, mais pas le samedi soir dans la position du missionnaire, comme ils voudraient bien le croire.

En tout cas, ce qui est certain, c'est que ma conception de la sexualité n'est pas celle qu'ils veulent nous imposer, celle de beaux jeunes gens, sinon le public a des complexes s'il ne ressemble pas à cela.

Je vous assure que, même moi qui ai une longue habitude des publicités, cette image du parfum Opium me complexe et m'obsède. Je frémis en pensant combien elle peut s'imprimer dans les esprits des gens qui n'ont pas réfléchi autant que moi sur la question. Pour jouir, il faut être nue, avec des hauts talons, la tête en arrière, maquillée. Cette image qui a été placardée à des dizaines de milliers d'exemplaires, je suis persuadée qu'elle conduit à conditionner l'érotisme dans un sens que je trouve dommage, car l'érotisme, ce n'est pas cela...

C. LA SITUATION DES FEMMES AFGHANES

Audition de membres de l'association NEGAR,

association de soutien aux femmes d'Afghanistan

Réunion du mardi 19 juin 2001

Présidence de Mme Martine Lignières-Cassou

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Chers collègues, nous avons le plaisir d'accueillir Mme Shoukria Haidar, enseignante en éducation physique, Mme Chantal Véron, enseignante en anglais, et Mme Constance Borde, professeur d'anglais à Sciences-Po, membres de l'association NEGAR, l'association de soutien aux femmes d'Afghanistan.

Votre association a été créée à l'initiative de femmes afghanes pour répondre à la détresse des femmes vivant en Afghanistan qui sont aujourd'hui privées de leurs droits les plus élémentaires.

Les conditions de vie des femmes afghanes n'ont pas toujours été telles.

Mme Shoukria Haidar : En effet !

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Au moins dans les grandes villes, avant l'arrivée des Talibans, elles pouvaient étudier et travailler. A partir de 1958, certaines d'entre elles ont même fait partie du Parlement et du Gouvernement.

Aujourd'hui, grâce notamment à l'action d'associations comme la vôtre, la situation des femmes afghanes sort de l'ombre où voudraient pourtant les enfermer les Talibans.

Trois femmes sorties clandestinement d'Afghanistan, à l'invitation du magazine Elle, se sont rendues en mai dernier au Parlement européen et à l'Assemblée nationale, où elles ont été reçues par le Président Raymond Forni. J'ai moi-même pu les rencontrer et échanger avec elles à cette occasion. Leur courage et leur résolution nous ont beaucoup impressionnés.

Comment pouvons-nous aider les femmes afghanes ? Les trois femmes afghanes que nous avons reçues demandaient l'aide politique du Gouvernement français de manière à ce qu'il fasse pression sur le Pakistan et l'Arabie Saoudite afin que ces deux pays cessent d'aider les Talibans.

Nous souhaitons aujourd'hui vous assurer de notre solidarité. Quelles actions pourrions-nous entreprendre ensemble pour que les femmes afghanes ne retombent pas dans l'ombre ?

Mme Shoukria Haidar : L'association NEGAR a été fondée en 1996, en réponse aux messages de détresse lancés par des femmes afghanes, car les femmes ont été les premières victimes des Talibans, avec l'objectif d'informer et de sensibiliser partout où nous le pouvions. Lorsqu'elles ont pris le pouvoir, les milices talibans ont prétendu apporter la paix et la sécurité. Or, dès la chute de Kaboul, nous avons pu nous rendre compte de leurs intentions réelles. Nous savions que ces gens n'étaient pas des honnêtes gens et qu'ils ne constituaient pas une formation politique ou idéologique issue de la société afghane. Il était donc urgent d'informer l'opinion sur la vraie nature de cette milice.

Les années ont passé, et l'Afghanistan a énormément souffert. Depuis 1996, la situation s'est considérablement aggravée. Pour autant, la population fait face et se mobilise contre les milices talibans. Une résistance de l'intérieur s'organise de mieux en mieux, même si la population est chaque jour davantage éprouvée. La solidarité internationale et la lutte organisée par les associations de femmes afghanes à travers le monde se mettent en place.

Comment l'Assemblée nationale peut-elle nous aider ?

Nous avons besoin d'un appui politique, c'est évident et urgent, pour faire entendre la voix des femmes afghanes, du fait que leur position sociale et leur calvaire sont devenus un enjeu politique central.

Les hommes et les enfants souffrent également, mais les femmes sont soumises à trois degrés d'oppression, ce qui permet aux commanditaires des milices talibans de mettre sous leur contrôle la société afghane dans son ensemble.

D'abord, elles subissent la pression des milices talibans qui ont supprimé tous leurs droits et exercent à leur encontre une répression impitoyable.

Ensuite, elles subissent une pression morale, car elles sont forcées de réprimer tous leurs désirs de révolte, de peur de mettre en danger les hommes de leur famille qui subiraient à leur tour la répression, si elles se révoltaient.

Enfin, de peur d'être emprisonnés et battus, les hommes de leur famille exercent à leur tour une pression sur elles pour les empêcher de braver les interdits.

La parole des femmes afghanes était désormais absente dans la société afghane et sur la scène internationale.

C'est pour cette raison, qu'à l'initiative de NEGAR, nous avons organisé au Tadjikistan, en juin 2000, la Conférence de Douchanbé, qui comprenait deux actions conjointes :

D'une part, une action de solidarité intitulée "Femmes en marche pour l'Afghanistan" ; quarante-trois femmes et deux hommes, parmi lesquels des personnalités politiques et associatives et des journalistes des différents continents (Françaises, Espagnoles, Américaines, Algériennes, Tadjikes...) venaient témoigner de leur solidarité avec les femmes afghanes et soutenir leurs actions.

D'autre part, la Conférence des femmes afghanes de Douchanbé des 27 et 28 juin 2000, avec trois cents femmes afghanes représentantes de plusieurs associations de femmes afghanes d'Amérique, d'Europe, de l'intérieur de l'Afghanistan et des pays voisins de l'Afghanistan, de tous bords politiques, représentatives de toutes les communautés afghanes.

Au terme de cette conférence, les femmes afghanes ont élaboré et promulgué en dix articles la Déclaration des Droits Fondamentaux de la Femme Afghane.

Par cette Déclaration, les femmes afghanes expriment leur volonté de retrouver leur dignité et leurs droits : les droits les plus élémentaires et naturels, les droits reconnus par les Constitutions afghanes de 1964 et 1977, et les droits que leur donnent les Chartes internationales, tous ces droits qui sont malheureusement bafoués et supprimés par les décrets officiels des milices talibans.

Cette Déclaration des Droits Fondamentaux de la Femme Afghane, c'est un outil fabuleux :

1) Elle exprime au niveau international la voix des plus opprimés de l'Afghanistan : les femmes afghanes, autour desquelles nous pourrons mobiliser, à travers le Manifeste de Soutien, la solidarité internationale, choquée par le traitement que les Pakistanais, par l'intermédiaire de leurs milices talibans, font subir aux femmes, et à travers elles à la société.

2) Cette Déclaration, qui exprime les droits des femmes afghanes, est un élément clair pour mobiliser les politiques des différents pays, pour qu'ils l'adoptent et que les Nations-Unies acceptent qu'elle fasse partie du processus de paix, de façon à ce qu'on arrive à la paix avec le droit des femmes, contre la paix du cimetière amenée par la tyrannie des milices talibans.

3) Face au désordre et à la dispersion politiques actuels de l'Afghanistan, dans lesquels les hommes et les partis sont mal définis et mal connus les uns par rapport aux autres, cette Déclaration des Droits Fondamentaux qui touche directement la moitié de la population, et qui est une question cruciale pour l'avenir du pays, est un élément concret qui permet aux différentes tendances de se repositionner.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : La Déclaration est donc également destinée à la résistance interne.

Mme Shoukria Haidar : Voilà ! Le droit des femmes doit être la condition du retour à une vie acceptable et à la démocratie. C'est dans ce sens que nous travaillons avec d'autres associations.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Plusieurs associations afghanes travaillent avec vous à Paris ?

Mme Shoukria Haidar : Oui, mais il s'agit d'associations humanitaires. En France, nous sommes la seule association qui milite pour les droits des femmes. Les associations qui ont les mêmes objectifs que nous travaillent à l'étranger.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Il existe donc un réseau international.

Mme Shoukria Haidar : Oui, dans différents pays d'Europe, en Amérique, en Asie et à l'intérieur de l'Afghanistan, il existe des associations avec lesquelles nous travaillons. Par exemple nous travaillons avec d'autres associations à l'intérieur de l'Afghanistan par le biais des classes clandestines de Kaboul ou pour aider les zones non contrôlées par les Talibans.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Vous avez également lancé un manifeste de soutien. Êtes-vous en mesure de comptabiliser le nombre de personnes qui l'ont signé ?

Mme Shoukria Haidar : Je pense que nous avons dû recueillir entre 70 à 80 000 signatures pour la France.

Mme Chantal Véron : Pour le moment, nous avons comptabilisé 38 000 signatures, mais il nous reste à en compter encore beaucoup.

Mme Constance Borde : Notre manifeste de soutien a été publié par Elle et par le Nouvel Observateur, notamment. Et il nous reste beaucoup de pétitions à comptabiliser.

Mme Shoukria Haidar : Le problème, c'est que nous manquons de moyens, en personnel et en matériel. La logistique nous manque cruellement. Nous recevons beaucoup de signatures d'agriculteurs, d'ouvriers, de chômeurs, de médecins, de professeurs ou d'avocats. Le soutien est très large.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Un de nos collègues, Gérard Bapt, fait actuellement circuler une pétition à l'Assemblée nationale.

Mme Shoukria Haidar : Cette campagne de signatures ne se limite pas à la France.

Mme Constance Borde : La compagne de signature a aussi débuté aux Etats-Unis. Le travail commence à prendre forme.

Mme Shoukria Haidar : L'Espagne, l'Allemagne, et l'Italie se mobilisent. Nous cherchons également à tisser des liens avec les pays musulmans - l'Algérie, la Tunisie, le Maroc - de manière à ne pas donner le sentiment que ce sont les occidentaux qui nous imposent leur valeur. Nous venons également d'approcher le Tadjikistan et l'Ouzbékistan, car ces pays seront touchés tôt ou tard par la talibanisation. Ces pays sont d'ores et déjà inquiets de la montée en puissance des Talibans.

Nous essayons donc de recueillir un soutien assez large, d'approcher les politiques et les Nations-Unies pour accélérer le processus de paix. Le Gouvernement qui succédera aux Talibans doit être "respirable". L'important aujourd'hui est de stopper la chute libre du droit des femmes.

Mme Constance Borde : Je fais signer beaucoup de Manifestes de Soutien, car ma sympathie va aux femmes afghanes. Ce sont les femmes afghanes elles-mêmes, je l'ai vu de mes propres yeux, qui ont rédigé la Déclaration. D'ailleurs, elle a d'abord été rédigée en persan avant d'être traduite. Sa rédaction n'a donc en rien été influencée par des femmes occidentales. Trois cents femmes afghanes étaient présentes à la conférence de Douchanbé : le moment était extraordinaire, et nous nous sommes engagés à apporter leur parole au monde extérieur. Une telle démarche, à mon avis, est politiquement beaucoup plus efficace qu'une pétition.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Elles veulent que la Déclaration fasse partie des discussions pour le processus de paix.

Mme Shoukria Haidar : Tout à fait.

Mme Constance Borde : La Déclaration met en avant dix droits ordinaires qui doivent être reconnus.

Mme Shoukria Haidar : Trois cents femmes afghanes étaient présentes, les 27 et 28 juin derniers, à la conférence de Douchanbé. Différents groupes politiques et mixtes étaient présents. La présence de la presse persanophone - afghane, tadjik, iranienne - et d'une journaliste française nous a permis de diffuser le message largement. Les hommes et les femmes qui assistaient à la conférence étaient très émus. Ils avaient le sentiment que, pour la première fois, ils étaient en train de décider quelque chose pour leur avenir.

Avec cette Déclaration, les hommes et les femmes afghanes ont placé leur espoir dans le retour à une paix juste où les femmes ne seront pas écartées.

Mme Chantal Véron : La conférence a eu un grand retentissement en Afghanistan, notamment dans les zones libres du nord où j'ai fait signer la Déclaration dans tous les lycées et écoles de filles où les Talibans ne sont encore pas présents. A Kaboul également, où je me suis rendue, les femmes avaient été informées de la conférence. Cela leur donne un espoir.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Comment peut-on aider concrètement ce mouvement vers la paix ? Nous posons et nous continuerons à poser des questions au ministre des affaires étrangères, mais cette démarche me paraît limitée.

Mme Chantal Véron : Nous souhaiterions que la France prenne des décisions politiques, qu'elle mette en cause le Pakistan et fasse pression sur lui, notamment en matière de relations commerciales.

Mme Constance Borde : Ce n'est plus un secret : tout est géopolitique. Les Afghanes et les Afghans sont coincés par le jeu politique. Nous, nous ne souhaitons pas trop nous immiscer dans les politiques extérieures, mais tout le monde aujourd'hui s'accorde sur l'origine du problème.

Mme Chantal Véron : Les gens se demandent pourquoi le Gouvernement ne fait rien alors qu'il s'est engagé dans la guerre en Irak et au Kosovo. La France est le pays des droits de l'homme. Il faut donc absolument agir pour un retour des droits en Afghanistan.

Mme Shoukria Haidar : Quelle forme d'action constructive mener pour que les hommes et les femmes afghanes retrouvent leur dignité ? L'Assemblée nationale ne pourrait-elle pas reconnaître la Déclaration comme élément intégrant du processus de paix et proposer aux Nations-Unies d'en faire autant ? Certes, certains Afghans collaborent avec les Talibans. Certains Afghans sont fermés et ne comprendront jamais la portée de la Déclaration, mais il s'agit d'une minorité, soit intéressée, soit ignorante. La grande majorité des Afghans sont d'accord pour reconnaître des droits élémentaires aux femmes.

Comment l'Assemblée nationale peut-elle agir pour que la charte soit acceptée comme une pièce intégrante au retour de la paix ? Voilà la question essentielle.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Pour le moment, elle ne l'est pas ?

Mme Shoukria Haidar : Non.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Des négociations ont-elles été ouvertes ?

Mme Shoukria Haidar : Des négociations sont ouvertes un peu partout. Il existe différentes tentatives visant à des solutions de paix. Mais aucune ne prend en compte la question du droit des femmes.

Mme Chantal Véron : Beaucoup souhaitent un arrangement avec les Talibans qui, espère-t-on, feront des concessions. Pour nous, c'est inimaginable.

Mme Shoukria Haidar : Le seul à défendre le droit des femmes sur le terrain est le commandant Massoud qui a signé la Déclaration avec ses ministres et certains de ses diplomates. Mais son action est très limitée et sa marge d'action très étroite.

Amplifier le mouvement des droits des femmes permettra également de prendre le dessus sur ceux qui essaient de basculer dans un islamisme un peu fermé.

Mme Chantal Véron : On force toujours le commandant Massoud à s'asseoir à la table des négociations avec les Talibans. Cela signifie-t-il qu'il devrait abandonner le droit des femmes ? Comment penser qu'ils peuvent trouver un accord ? C'est impensable.

Il faut absolument garder comme principe le droit des femmes afghanes.

Mme Shoukria Haidar : Mettre en avant le droit des femmes devrait permettre de recomposer le paysage politique afghan et de distinguer entre ceux qui sont pour et ceux qui sont contre le droit des femmes.

Mme Odette Casanova : Il ne faut donc s'asseoir à la table des négociations que si les partenaires prennent en considération la Déclaration des droits fondamentaux des femmes.

Mme Shoukria Haidar : Voilà !

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Il faut que la Déclaration soit reconnue par l'ONU.

Mme Odette Casanova : Que fait une association comme le Lobby européen des femmes ?

Mme Constance Borde : Le Parlement européen a pris fortement position sur la question.

Un passeport pour la liberté a été attribué à une Afghane. Même si la mesure est symbolique, elle signifie bien qu'il y a un problème de la femme afghane.

Mme Odette Casanova : S'agit-il du passeport mis au point par Danielle Mitterrand ?

Mme Chantal Véron : Non. Une quinzaine de députés européens ont initié la démarche.

Mme Constance Borde : Il s'agit d'une démarche symbolique. C'est un "vrai-faux" passeport.

Mme Chantal Véron : Dix parrains sont prêts à soutenir la personne qui obtient le passeport si elle rencontre le moindre problème.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Les députés ne pourraient-ils pas être des parrains et des marraines ?

Mme Shoukria Haidar : Oui !

Mme Odette Casanova : Mais un parrain ou une marraine pourraient-ils communiquer avec une femme vivant en Afghanistan ?

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Concrètement, ils ne peuvent pas grand chose, mais c'est le symbole qui compte.

Mme Shoukria Haidar : Comment, par l'intermédiaire de l'Assemblée nationale, faire valider la Déclaration des droits fondamentaux des femmes afghanes comme élément intégrant du processus de paix ? Voilà la chose fondamentale.

Le mouvement des femmes à travers le monde est un fabuleux outil pour aider les démocrates afghans à sortir la population afghane de la misère.

Mme Odette Casanova : Nous devons agir pour faire reconnaître la Déclaration.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : C'est une démarche qui relève de la responsabilité du président de l'Assemblée nationale.

Mme Constance Borde : La reconnaissance du droit des femmes afghanes est une affaire politique.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Nous pourrions également approcher les conseils municipaux ou les conseils régionaux.

Mme Chantal Véron : Certains conseils municipaux ont fait des déclarations. Mais, il faut des mesures concrètes, car la guerre dure depuis trop d'années. Il y a des massacres, des politiques de terres brûlées, du racisme.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Oui, j'ai vu qu'on commençait à faire porter l'étoile jaune aux Hindous.

Mme Chantal Véron : En avril, je me suis rendue avec des journalistes de FR3 dans un camp du Pakistan destiné - c'est du moins la version officielle - à accueillir des réfugiés, victimes de la sécheresse. Or, nous nous sommes aperçus qu'il n'y avait pas une seule victime de la sécheresse. Par contre, les réfugiés nous ont raconté les raisons de leur arrivée dans ce camp. En réalité, ils ont été chassés de leur village par les Talibans. Femmes et enfants ont dû quitter leur maison sans pouvoir emporter ni habit ni argent. Quant aux hommes, ils avaient intérêt à s'enfuir pour ne pas être tués. Les Talibans ont ensuite dynamité les maisons et envoyer les bulldozers pour tout raser. Les cultures ont été brûlées et les populations ont été obligées de se rendre au Pakistan qui n'en voulait pas et qui les a parquées sans même que le secrétaire général de l'ONU, M. Kofi Annan, puisse s'y rendre pour les enregistrer comme réfugiés. Ils n'ont aucun droit, aucune aide, rien du tout. Ils se nourrissent de pelures de pomme de terre. Et ce camp compte 80 000 personnes !

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Je ne comprends pas la politique du Pakistan qui cherche à la fois à armer les Talibans et qui, en même temps, accueille des réfugiés.

Mme Chantal Véron : Non, ils n'en veulent pas, mais ils n'ont encore pas osé les renvoyer de force.

Mme Constance Borde : L'Afghanistan a un intérêt stratégique évident pour le Pakistan. Cette situation est très embarrassante pour les pays de l'Ouest qui étaient tous alliés avec le Pakistan.

C'est pour cela qu'il faut tendre à un changement de politique stratégique. Au sein du Pakistan, je suis sûr que de nombreuses personnes regrettent l'islamisation.

Mme Chantal Véron : En fait, le Pakistan veut étendre son territoire, sans s'encombrer de problèmes humains. L'organisation Médecins sans frontières s'est vu interdire l'accès du camp, alors que des enfants y meurent.

Mme Shoukria Haidar : Le Pakistan et l'Arabie Saoudite sont intéressés par la production de drogue. Ils ont donc besoin de territoires, mais pas des gens qui y vivent. Sur place, on cherche à mettre en place une politique de la terre brûlée pour obliger les gens à quitter leur village.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Il faut quand même des gens pour cultiver le pavot.

Mme Shoukria Haidar : Oui, mais ils n'ont pas besoin de gens instruits pour cette besogne. C'est pour cela qu'on ferme les écoles. Les Talibans massacrent autant qu'ils peuvent. Les Afghans ont le choix entre quitter leur pays, être esclave ou mourir.

Mme Constance Borde : Sept millions de personnes sont déjà parties !

Mme Chantal Véron : Et combien sont déjà mortes !

Mme Shoukria Haidar : Plus de deux millions de personnes sont mortes, sans parler de la dépression généralisée qui s'est installée. Combien de femmes meurent au moment de l'accouchement ? C'est pour cela qu'il est urgent que la paix arrive.

C'est pourquoi je pense que la Déclaration est un outil fabuleux. Elle doit permettre une mobilisation qui dépasse le cadre économique et politique. Il s'agit de reconnaître le droit des femmes pour forcer les partenaires à discuter d'une solution rapide.

Mme Odette Casanova : Depuis quand récoltez-vous des signatures ?

Mme Shoukria Haidar : Nous avons commencé notre campagne au mois de février. Récemment, nous avons eu des contacts avec des jeunes et les syndicats d'EDF-GDF qui souhaitaient faire signer la pétition à tous les employés de l'entreprise.

Mme Odette Casanova : Les syndicats d'EDF-GDF sont très sensibilisés aux droits des femmes.

Mme Shoukria Haidar : Nous espérons arriver à un chiffre compris entre 500 000 et 1 million de signatures. Nous les adresserons ensuite au ministère des affaires étrangères, au Parlement européen et à l'ONU.

Mme Chantal Véron : Les sanctions que l'ONU a prises contre les Talibans doivent être étendues au Pakistan.

Mme Constance Borde : Il faut rester vigilant. Car certains ont tendance à dire que la politique des Talibans n'est pas si mauvaise que cela et qu'ils ont remis de l'ordre dans le pays. Nous devons résister à ce genre de propos, même s'ils n'ont plus cours en Europe.

Mme Shoukria Haidar : C'est pour cela que la charte met en avant la paix et le droit des femmes, car les Talibans prétendaient apporter la paix et la sécurité. Or, ils n'ont apporté ni l'un ni l'autre. Comment prétendre qu'ils ont apporté la paix quand on sait que la population vit dans la terreur et dans la misère, dans un pays sans joie, sans liberté ? Les Talibans ont supprimé de manière officielle tous les droits les plus élémentaires.

Mme Odette Casanova : Y a-t-il d'autres associations comme la vôtre ? Est-ce votre association qui a récolté toutes les signatures ?

Mme Shoukria Haidar : Nous sommes le relais de toutes les associations. Nous exerçons un rôle de centralisation. D'autres organisations, dans d'autres pays, engageront la même démarche.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Que veut dire NEGAR ?

Mme Shoukria Haidar : C'est un mot persan qui désigne plusieurs choses : la forme impérative de l'activité d'écrire de façon poétique, l'empreinte, la décoration artistique et l'amitié sublimée. Mais c'est également un prénom féminin.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Vous nous confirmez donc que votre message est une demande d'appui, de reconnaissance de la Déclaration des droits fondamentaux et que ce texte doit être au centre des discussions de paix. Vous nous demandez également que la Déclaration soit reconnue par l'ensemble des décideurs politiques, en France, en Europe et à l'ONU.

Mme Shoukria Haidar : Oui.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Nous vous tiendrons au courant des démarches que nous entreprendrons.

III - LES ACTIVITÉS INTERNATIONALES DE LA DÉLÉGATION

1. Rencontre avec une délégation de la commission pour les affaires des femmes, de la famille et des jeunes de la Douma d'Etat

Une délégation de la commission pour les affaires des femmes, de la famille et des jeunes de la Douma d'Etat s'est rendue à Paris du 28 mai au 1er juin 2001. Elle était composée de :

- Mme Svetlana Goriatcheva, présidente,

- M. Alexandre Barannikov, vice-président,

- Mme Zoia Vorontsova, vice-présidente,

- MM. Evguenii Kosterine et Valerii Rachkine, membres de la commission.

Une rencontre entre cette délégation et la Délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale, le 29 mai 2001, a été axée principalement sur le thème de la représentation des femmes en politique. La délégation russe a évoqué la situation des députées à la Douma, dont le nombre a baissé ces dernières années (passant de 14 % du total en 1993 à 7,5 % aujourd'hui) tandis que Mme Martine Lignières-Cassou a analysé et commenté la nouvelle loi sur la parité en politique, entrée en vigueur en juillet 2000. Un débat s'est instauré sur le thème de l'égalité hommes/femmes en politique.

2. Présidence par Mme Martine Lignières-Cassou de la réunion des femmes parlementaires de l'assemblée parlementaire de l'OSCE

A l'occasion de la Xe session de l'assemblée parlementaire de l'organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OCSE), qui s'est tenue en juillet 2001 à Paris, une réunion des femmes parlementaires a eu lieu le 6 juillet sous la présidence de Mme Martine Lignières-Cassou.

Deux thèmes avaient été retenus pour cette réunion : "les femmes dans la vie politique et la mise en _uvre du plan d'action de l'OSCE concernant l'égalité entre les sexes".

La délégation française à l'assemblée parlementaire de l'OSCE ne comportant aucune représentante du sexe féminin, c'est en sa qualité de présidente de la Délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale que Mme Martine Lignières-Cassou a ouvert la réunion des femmes parlementaires.

Après avoir rappelé que la France, pays des droits de l'homme, avait été pendant bien longtemps le pays des droits des seuls hommes, elle a évoqué les progrès accomplis pour donner une place aux femmes dans la vie politique, exposant notamment la nouvelle législation française favorisant la parité.

Mme Rita Süssmuth, vice-présidente de l'assemblée parlementaire de l'OSCE est ensuite intervenue sur le cas particulier du Kosovo, évoquant la nécessité de mettre en place des mécanismes visant à promouvoir l'élection des femmes en politique.

Mme Sonja Zimmermann, conseillère auprès du Bureau pour les institutions et les droits démocratiques de l'OSCE (BIDDH), a ensuite présenté les activités de cet organisme pour promouvoir le rôle des femmes dans la vie politique dans les Etats nouvellement indépendants.

Le secrétaire général adjoint de l'assemblée parlementaire de l'OSCE, M. Peni Väänänen, a commenté le rapport du secrétariat international sur l'équilibre entre les sexes au sein des institutions de l'OSCE, qui avait été distribué en séance aux participants.

Ce rapport faisait état du "plafond de verre" qui continue d'exister au sein des institutions de l'OSCE, dont les postes élevés sont occupés par des hommes ; il relevait également que les missions de l'OSCE sont principalement confiées à des hommes.

Mme Béatrix Attinger Colijn, conseillère auprès du secrétariat de l'OSCE à Vienne en matière d'égalité des sexes, a ensuite rendu compte de la mise en place du plan d'action de l'OSCE en faveur de l'équilibre des sexes. Evoquant le manque de femmes au sein des structures de l'OSCE, elle a insisté sur la responsabilité importante des Etats dans cet état de fait.

Un débat a suivi ces exposés au cours duquel la délégation norvégienne a proposé la nomination d'un parlementaire de l'OSCE ayant la responsabilité de l'égalité entre les sexes, ainsi que d'un conseiller au secrétariat international chargé de l'égalité entre les sexes.

Considérant que les problèmes des femmes sont des problèmes qui concernent l'ensemble de l'OSCE, certains intervenants ont suggéré qu'à l'avenir les questions d'égalité soient évoquées au cours de la session plénière, et non plus dans une réunion spécifique des femmes parlementaires.

3. Conférence annuelle du Réseau des commissions parlementaires à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes (Stockholm - 26 et 27 octobre 2001)

La Conférence annuelle du Réseau des commissions parlementaires à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes s'est tenue à Stockholm les 26 et 27 octobre 2001.

Elle a réuni des représentants des commissions ou délégations aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes des pays membres de l'Union européenne (Allemagne, Autriche, Belgique, Danemark, Espagne, Finlande, France, Italie, Suède) ainsi que des observateurs de certains pays candidats à l'Union européenne (Bulgarie, Chypre, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lithuanie, Malte, Roumanie, Slovénie, Turquie).

Il s'agissait de la cinquième Conférence réunissant les organes spécialisés de ces différents Parlements - après Bruxelles (1997), Lisbonne (1998), Madrid (1999), Berlin (2000) - et la deuxième Conférence à laquelle assistait une représentante de la Délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale.

La délégation française à cette Conférence était composée de :

- Mme Hélène Mignon, députée, membre de la Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes de l'Assemblée nationale ;

- Mme Maryse Bergé-Lavigne, sénatrice, membre de la Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes du Sénat.

Après l'intervention de Mme Margareta Winberg, ministre suédoise de la condition féminine, trois thèmes principaux ont été abordés au cours de cette Conférence :

- le principe du "mainstreaming", c'est-à-dire la prise en compte de l'égalité entre les hommes et les femmes dans toutes les politiques,

- les écarts de rémunération et la discrimination salariale,

- le rapprochement entre le déclin des taux de natalité en Europe et les politiques pour l'égalité des chances entre les hommes et les femmes.

Ces trois thèmes ont donné lieu à des interventions d'experts et à des débats entre parlementaires.

A l'issue de la Conférence, une Déclaration relative aux discriminations salariales a été adoptée.

a) Compte rendu des travaux

Organisée, suivant son règlement intérieur, par le pays qui assure la présidence de l'Union européenne, cette Conférence s'est tenue en octobre 2001 en Suède (pays ayant exercé la présidence au premier semestre) et non en Belgique, ce dernier pays ayant déjà accueilli en 1997 la première réunion de cette Conférence.

Si tous les pays membres de l'Union européenne n'étaient pas représentés - notamment en raison d'élections récentes - , il y avait une importante délégation du Parlement européen et des représentants en tant qu'observateurs de beaucoup de pays candidats à l'Union européenne.

La Conférence était organisée autour de réunions de tous les représentants à la Conférence sur des thèmes pré-déterminés donnant lieu à exposés de ministres et d'experts puis à débats, et, pour la première fois cette année, autour de réunions en petits comités dénommés "ateliers", au cours desquels étaient approfondis les mêmes thèmes entre représentants d'un nombre de pays plus restreints. Ces ateliers permettaient des échanges plus faciles et plus animés, mais peut-être moins riches, dans la mesure où les nécessités de la traduction imposaient le regroupement de nationalités parlant la même langue ou ayant culturellement des affinités de langue.

La réunion a été ouverte, le 26 octobre, par M. Sven-Erik Österberg, président de la commission à l'emploi du Parlement suédois.

_ Mme Margareta Winberg, ministre suédoise de la condition féminine, est ensuite intervenue.

Elle a souligné l'importance de ce qui a été accompli au cours de ce siècle en Suède en faveur de l'égalité entre les hommes et les femmes. Elle a rappelé qu'il y a seulement quatre-vingts ans que la Suède est devenue une vraie démocratie, puisque le suffrage universel des hommes et des femmes n'a été obtenu qu'en 1921. L'année suivante en 1922, cinq femmes sont entrées au Parlement suédois. Aujourd'hui, le Gouvernement suédois comprend un nombre égal d'hommes et de femmes et le Parlement suédois est proche de l'égalité homme-femme.

Si l'égalité de représentation des femmes et des hommes dans la prise de décision politique est cruciale, les aspects financiers ont également une importance centrale, puisqu'ils déterminent largement le pouvoir des femmes au travail, dans leur vie familiale et dans la société en général.

D'où la volonté du Gouvernement suédois, au cours de sa présidence de l'Union européenne, de travailler à la suppression des discriminations salariales entre hommes et femmes et de faire avancer les mesures de protection sociale aussi bien pour les hommes que pour les femmes (congés de maternité et de paternité, mesures de retour à l'emploi pour les hommes et les femmes qui se sont occupés de leurs jeunes enfants).

Par ailleurs, le Gouvernement suédois a entendu insister, durant sa présidence, sur l'importance d'une implication des hommes dans le travail pour l'égalité des sexes, car les hommes doivent découvrir l'intérêt qu'il y aurait à un partage plus équitable des responsabilités entre hommes et femmes.

De gros problèmes subsistent, notamment celui des violences à l'encontre des femmes. En 1998, la Suède a introduit dans son code pénal le délit de "violation manifeste de l'intégrité d'une femme" et, en 1999, a été sanctionné le délit d'"achat de services sexuels". Le Gouvernement suédois a également mis l'accent, au cours de sa présidence de l'Union européenne, sur le problème de l'exploitation sexuelle des femmes et des enfants.

Mme Margarita Winberg a ensuite rappelé les deux stratégies mises en _uvre par le Gouvernement suédois : le "mainstreaming" comportant un ensemble de mesures visant à promouvoir l'égalité des sexes dans tous les domaines, qui bénéficient aussi bien aux hommes qu'aux femmes, ainsi que quelques mesures spécifiques en direction des hommes.

Elle a évoqué un rapport intitulé "Just progress" du groupe de travail pour le développement de méthodes en faveur de l'égalité des sexes. Aboutissement d'un travail de trois ans, sous l'égide du secrétariat d'Etat, il décrit différentes méthodes et modèles pour réussir le "mainstreaming".

Interrogée, au cours du débat qui a suivi son intervention, sur les mesures spécifiques prises par la Suède en faveur des hommes, Mme Margarita Winberg a évoqué le congé parental qui permet de prendre pendant douze mois un congé rémunéré à 80 % du salaire, un mois de ce congé étant réservé spécifiquement au père. Par ailleurs, elle a indiqué qu'à compter du 1er février 2002, entrerait en vigueur un congé de paternité d'une durée de deux mois.

Néanmoins, deux questions doivent être approfondies : pourquoi les hommes recourent-ils si peu à leur possibilité de prendre un mois de congé parental, pourquoi participent-ils aussi peu aux discussions sur l'égalité entre hommes et femmes ?

Mme Margarita Winberg a également évoqué son rôle de "chien de garde" vis-à-vis de ses collègues ministres, dont elle contrôle l'application des objectifs d'égalité dans leurs domaines de responsabilité. Elle a indiqué qu'elle faisait tous les trois ans un rapport au Parlement sur la manière dont ils assumaient ces objectifs et que ce rapport donnait lieu à un débat au Parlement.

_ Après l'intervention de Mme Margarita Winberg, deux experts sont intervenus sur le premier thème de la Conférence : le principe du "mainstreaming".

Mme Teresa Rees, professeur de l'enseignement supérieur à Cardiff, après avoir rappelé que l'Assemblée du Pays de Galles comportait 42 % de femmes et qu'il y avait 51 % de femmes au Gouvernement, a fait l'historique du principe du "mainstreaming" et en a donné une définition approfondie.

Elle a distingué trois périodes du "mainstreaming" :

- les années soixante-dix, où a prévalu l'idée qu'il fallait traiter les hommes et les femmes sur un pied d'égalité ;

- les années quatre-vingts, où est apparue l'idée qu'il fallait traiter les femmes différemment pour les traiter de façon plus juste ; des actions de discrimination positives ont été mises en _uvre ; en même temps, les femmes étaient incitées à adopter la norme masculine comme référence ;

- les années quatre-vingt-dix, avec l'émergence du concept de "mainstreaming" et la volonté de tenir compte des différences entre les hommes et les femmes.

Pour Mme Teresa Rees, les trois démarches doivent être combinées.

Le principe du "mainstreaming" vise à introduire l'égalité entre hommes et femmes dans tous les domaines de la politique. Cette intégration doit avoir lieu dans tous les systèmes et structures, dans toutes les politiques, projets et programmes, dans toutes les organisations et leurs cultures, et dans toutes les manières de faire.

Elle doit se faire selon trois principes de base :

- en considérant l'individu comme une personne à part entière (et non pas seulement comme un employé ou un travailleur), ce qui conduit à lui accorder dignité, courtoisie, respect, et la possibilité d'avoir une vie équilibrée ;

- en respectant le principe de démocratie qui suppose un équilibre entre les sexes pour la prise de décision à tous les niveaux et qui implique de développer notamment la compétence citoyenne des jeunes ;

- en assurant l'équité et la justice, principe qui fonde, par exemple, la politique européenne en matière de "mainstreaming".

Elle a ensuite développé les éléments nécessaires à l'application de ce principe au niveau des institutions, de la prise de conscience, de l'expertise, des rapports, de l'engagement des dirigeants et des ressources.

Enfin, elle a détaillé les outils qui permettent de procéder au "mainstreaming", par exemple les statistiques ventilées par sexe, les indicateurs d'égalité, notamment en matière de rémunération, ou les budgets distinguant les attributions faites aux femmes et aux hommes.

Elle a conclu à la nécessité d'une évaluation et d'un contrôle qui permettent de comprendre pourquoi persistent des discriminations dans notre société.

Mme Gertrud Aström, chercheure à l'université de Stockholm, a ensuite brossé un historique de la politique suédoise en matière d'égalité entre les hommes et les femmes, qui a joué un rôle crucial dans la mise en place de l'Etat-providence.

La politique de "mainstreaming" remonte au milieu des années quatre-vingts. Alors que les politiques traditionnelles d'égalité entre hommes et femmes supposaient des ressources financières supplémentaires, étaient confiées à un groupe spécial et en restaient au stade des généralités, un changement de stratégie s'est produit à cette date. Désormais, la politique de "mainstreaming" implique une redistribution des ressources existantes, doit être traitée par les structures ordinaires (les hommes doivent aussi s'occuper des questions d'égalité) et doit avoir un caractère spécifique.

Mme Gertrud Aström a donc donné sa définition du "mainstreaming" : redistribuer dans des structures ordinaires et par des moyens spécifiques.

Avec l'objectif d'une société où hommes et femmes soient égaux, il faut adopter une stratégie qui permette à tous les acteurs et toutes les politiques de participer à ce combat. Il faut démarginaliser la question de l'égalité homme/femme et l'intégrer dans toutes les missions que doivent accomplir les structures ordinaires.

Mme Gertrud Aström a ensuite développé la méthode qu'elle a conçue pour aider à la mise en place d'une opération conforme à une stratégie de mainstreaming, la méthode des 3 R.

Elle a évoqué les pratiques de la municipalité de Göteborg dont toutes les politiques et tous les projets budgétaires sont évalués selon le concept du "mainstreaming".

Elle a cependant souligné que si l'égalité doit être intégrée dans toutes les politiques, il y a cependant des politiques plus importantes que d'autres. Elle a alors fait part de la méthode dont elle dispose pour évaluer l'intérêt d'une politique : une méthode d'évaluation dénommée LITAR.

Au cours du débat qui a suivi cet exposé, les intervenants des autres pays d'Europe, mais surtout des pays du Sud, ont exposé leur situation, beaucoup plus difficile que la situation suédoise.

Mme Maj Britt Theorin, suédoise, membre de la commission des droits des femmes du Parlement européen, a alors rappelé les difficultés des femmes suédoises au début de leur combat, et notamment leur menace de créer un parti des femmes, si les partis traditionnels ne changeaient pas leurs politiques vis-à-vis des femmes.

Au cours de l'atelier qui a suivi cet exposé, Mme Maryse Bergé-Lavigne, sénatrice, évoquant la loi sur la réduction du temps de travail en France, s'est interrogée sur la manière d'éviter que le temps libéré ne renforce le schéma de la division actuelle du travail au sein de la famille.

Mme Hélène Mignon, députée, a fait part des réformes en cours en France en matière de divorce, d'autorité parentale, ou de congé de paternité (quinze jours dans les quatre mois de la naissance) et a montré l'évolution actuelle dans la manière d'aborder la parentalité. Elle a également exposé les règles relatives au congé parental, les mesures récentes prises pour faciliter le retour à l'emploi des personnes en congé parental, et la création d'un congé parental pour enfants gravement malades.

_ Sur le deuxième thème de la conférence - écarts de rémunération et discrimination salariale - sont intervenus Mme Miet Smet, membre du Parlement européen et M. Ronnie Eklund, professeur à l'université de Stockholm.

Mme Miet Smet a rappelé au préalable que la directive modifiant la directive 76/207/CEE du Conseil relative à la mise en _uvre du principe d'égalité de traitement entre les hommes et les femmes en ce qui concerne l'accès à l'emploi, à la formation et à la promotion professionnelles et les conditions de travail venait d'être adoptée.

Elle a rappelé les grandes caractéristiques des différences de salaires entre hommes et femmes, elle a insisté sur l'importance de l'application des textes par les partenaires sociaux lors des négociations salariales, elle a évoqué les efforts de la Présidence belge de l'Union européenne pour définir de nouveaux indicateurs statistiques permettant de mieux cerner les écarts de salaire.

Elle a souligné la nécessité d'une volonté politique, appuyée sur celle des partenaires sociaux, et d'une bonne conjoncture économique pour influencer les leaders politiques et syndicaux et parvenir à réduire les discriminations salariales et les écarts de rémunération.

M. Ronnie Eklund a estimé que le principe "à travail égal, salaire égal" était une simplification faite par les économistes, qui, une fois voté, n'était guère appliqué.

Il a présenté les contraintes, les écueils et les difficultés de la loi suédoise sur le principe d'égalité salariale.

Il a d'abord insisté sur la nécessité pour les personnes qui fixent les salaires d'avoir une formation spécifique, portant notamment sur la législation du travail, le monde de l'entreprise, et les critères de fixation des salaires.

Il s'est demandé s'il ne conviendrait pas de mettre en place une incitation pour encourager les employeurs à ne pas faire de discrimination salariale. A cet égard, il a rappelé qu'il avait proposé, il y a quelques années, de mettre sur le même plan discrimination salariale et harcèlement sexuel, ce qui aurait eu pour effet de la soumettre à amende et au contrôle de l'inspection du travail. Sans aller aussi loin, il conviendrait peut-être de lancer une campagne nationale pour encourager la non-discrimination en matière salariale.

Il a ensuite souligné les difficultés de la loi suédoise tenant à son large domaine d'application. Elle couvre en effet toutes les entreprises, quel que soit le nombre d'employés. Or, pour les grandes entreprises, les salaires étant fixés au niveau de l'atelier, il est difficile de contrôler cette fixation des salaires et de déterminer si elle contrevient ou non à la loi.

Il s'est ensuite demandé quel tribunal devait être compétent pour recevoir les plaintes en matière de discrimination salariale, contestant la position de l'Ombudman suédois à l'égalité des chances qui souhaiterait que les recours ne soient plus formés devant le tribunal du travail - ce qui est le cas actuellement - mais devant les tribunaux ordinaires.

Il a ensuite rappelé que certains facteurs objectifs pouvaient justifier une discrimination salariale, en particulier les forces du marché. Enfin, il a insisté sur le fait que les monopoles de l'offre et de la demande sur le marché du travail (pilotes d'avion, par exemple) ont des effets de distorsion sur la fixation des salaires.

En conclusion, tout en réaffirmant l'importance du principe d'égalité salariale, il a souhaité qu'une approche plus réaliste en permette une meilleure application.

_ La réunion du 27 octobre 2001 s'est ouverte par un exposé de Mme Lena Sommestad, professeure, directrice de l'Institut de futurologie, sur le troisième thème de la Conférence : la situation démographique en Europe et le rapprochement entre le déclin des taux de natalité et les politiques pour l'égalité des chances entre hommes et femmes.

Mme Lena Sommestad a d'abord exposé la tendance à la baisse des taux de fertilité en Europe. Elle a recherché les causes de cette situation qui tiennent avant tout à des changements fondamentaux des conditions de vie : conditions sanitaires, contraception, formation, système de pensions...

Elle a indiqué que le retour des femmes au foyer n'était plus une mesure susceptible de favoriser la natalité, estimant au contraire que l'accès des femmes au marché du travail était un élément déterminant de la hausse de la natalité.

Elle a considéré que les féministes devaient exploiter davantage ce défi démographique auquel sont confrontés les pays européens.

En effet, les pays qui ne réaliseront pas l'égalité hommes/femmes s'exposent à un vieillissement de leur population, à une pression accrue sur les budgets publics de cette population âgée et à une baisse de leur croissance économique.

Elle a vanté le modèle suédois fondé sur le droit des femmes à travailler, l'existence d'infrastructures publiques visant à concilier travail et naissances, et la politique menée en matière de contraception.

Dans le débat qui a suivi cette intervention, Mme Maryse Bergé-Lavigne, sénatrice, a évoqué la hausse de la natalité française au cours de l'année 2000 (+ 5 %), l'expliquant à la fois par l'embellie économique et par la protection familiale et soulignant que la France était un pays de forte activité féminine.

Mme Hélène Mignon, députée, a rappelé l'effort fait en France pour permettre aux femmes de concilier vie professionnelle et vie familiale, exposant notamment les différents modes de garde de la petite enfance (crèche, crèche familiale, crèche associative, nourrice), l'existence de l'école maternelle à partir de deux ans, les structures d'accueil pour les enfants plus grands (après l'école, pendant les vacances scolaires).

Au cours de l'atelier qui a suivi cet exposé, la Délégation française a été longuement interrogée sur les dispositifs sociaux relatifs à la famille, à l'enfance et aux droits des femmes.

A l'issue de la Conférence, une Déclaration relative aux discriminations a été adoptée.

b) Déclaration adoptée par la Conférence annuelle du Réseau des commissions parlementaires à l'égalité des chances entre hommes et femmes, le 27 octobre 2001, sur le sexisme salarial

Nous, délégués à la réunion du Réseau des commissions parlementaires à l'égalité des chances entre hommes et femmes des Etats de l'Union européenne et du Parlement européen, et nous, délégués des pays candidats, notons avec inquiétude le caractère élevé et persistant de l'écart salarial entre hommes et femmes dans l'Union européenne, soit un écart de 28 pour cent en moyenne, malgré l'adoption aux échelons tant communautaire que nationaux du principe " à travail égal, salaire égal". En tenant compte des différences structurelles telles que l'âge, la formation, la profession et le profil de carrière, la rémunération des femmes reste en moyenne de 15 pour cent inférieure à celle des hommes.

La sous-estimation des caractéristiques liées aux femmes dans leur processus de formation résulte en une discrimination directe et en une discrimination en valeur puisqu'à travail de valeur égale, les femmes sont moins payées que les hommes. Le manque de renseignements statistiques et le manque de connaissances sur les causes constituent autant d'obstacles majeurs à la mise au point de remèdes et de politiques efficaces.

Nous reconnaissons les efforts déployés par la Commission européenne durant la décennie écoulée pour mettre en _uvre le principe "à travail égal, salaire égal" entre hommes et femmes, et nous nous réjouissons de la campagne européenne sur l'égalité de rémunération.

Nous appuyons la résolution adoptée par le Parlement européen le 20 septembre 2001 sur la rémunération égale pour un travail de valeur égale. Nous nous réjouissons de l'initiative de la Présidence belge qui propose aux Etats membres la mise au point d'un ensemble d'indicateurs sur la rémunération ventilée par sexes, qui seraient susceptibles d'intégrer le processus de Luxembourg et marqueraient une étape importante et nécessaire en direction d'une rémunération égale pour un travail de valeur égale.

Malgré toutes les initiatives adoptées, l'écart salarial perdure et ne diminue pas de manière significative. C'est pourquoi il est nécessaire d'augmenter les efforts tant à l'échelon européen que national.

Les délégués à cette Conférence souhaitent :

1. l'établissement d'objectifs quantitatifs précis à l'échelle européenne ainsi que des dates cibles pour la réduction des écarts de rémunération entre hommes et femmes, objectifs qui visent à supprimer les écarts salariaux reposant sur la différence de sexe ;

2. une révision de la directive de 1975 portant sur l'égalité des rémunérations, accordant suffisamment d'attention au problème posé par la classification des emplois et l'insertion dans une annexe de plusieurs règles et critères qui visent à garantir l'objectivité d'un système d'évaluation analytique qui soit neutre en termes d'hommes et de femmes ;

3. le développement des données et de la recherche, en particulier sur les causes et les remèdes à l'écart pérenne entre les salaires masculins et féminins de l'Union européenne, ainsi que sur l'ensemble des facteurs affectant les salaires et le rôle joué par les mécanismes de formation des salaires ; c'est pourquoi les délégués soutiennent vivement l'emploi d'indicateurs dans le processus analytique ;

4. la préparation par la Commission d'une proposition de directive pour la mise en _uvre du principe de lutte contre le sexisme, en conformité avec l'article 13 du Traité ;

5. l'insertion par les Etats membres de plans de "rémunération égale" et de rapports d'avancement dans leurs Plans d'action nationale pour l'Emploi qui doivent être adoptés et le souhait que les Etats membres développent et échangent les bonnes pratiques en vue de supprimer l'écart des salaires ;

6. la publication par les employeurs de rapports annuels sur le traitement égal des hommes et femmes dans l'industrie et le commerce, qui, en matière de rémunération, comprennent des données statistiques et des renseignements sur la ségrégation sexiste et qui énoncent des mesures possibles pour améliorer la situation en coopération avec les délégués des travailleurs ;

7. l'adoption par les partenaires sociaux d'un rôle actif pour promouvoir l'égalité entre hommes et femmes sur le marché de l'emploi : (a) en _uvrant pour l'aptitude des femmes au travail à organiser la défense de leurs droits, (b) en déployant des efforts pour supprimer l'écart des salaires fondé sur le sexe, notamment en prenant des mesures pour que l'établissement des salaires se fasse avec une plus grande transparence, et (c) en déployant des efforts spéciaux pour obtenir une participation équilibrée d'hommes et de femmes dans les organes décisionnels des partenaires sociaux.

4. Adhésion de la Délégation au Forum parlementaire intereuropéen sur la population et le développement

Très intéressée par les problèmes des dynamiques de population et de leurs effets sur le développement, la Délégation aux droits des femmes a participé, le 23 octobre 2001, à un séminaire intitulé : "Population et développement", organisé par le ministère des Affaires étrangères à l'occasion de la visite en France de Mme T. A. Obaid, nouvelle directrice exécutive du Fonds des Nations-Unies pour la population (FNUAP).

Elle a également adhéré, le 20 novembre 2001, au Forum parlementaire intereuropéen sur la population et le développement.

Créé les 4 et 5 décembre 2000 à Paris, au cours d'une réunion à laquelle assistaient des parlementaires de vingt-huit pays européens, ce Forum comprend des groupes parlementaires nationaux qui se consacrent aux questions de population, de développement et santé de la procréation.

En ce qui concerne la France, les deux groupes d'étude sur la population de l'Assemblée nationale et du Sénat en sont membres.

Le Forum a pour objectif de faire appliquer les engagements pris lors de la Conférence internationale du Caire et d'intégrer la santé et les droits en matière de sexualité et de procréation dans les projets de développement.

Lors de la création du Forum en décembre 2000, a été adoptée une déclaration qui invitait non seulement les groupes parlementaires sur les questions de population, mais aussi les ONG et les institutions gouvernementales, à _uvrer pour que l'accès à la santé et aux choix en matière de santé sexuelle et de procréation, y compris l'accès aux contraceptifs dans le monde, soient davantage effectifs et à un coût abordable.

Par ailleurs, le comité exécutif du Forum parlementaire, qui réunit douze groupes parlementaires, tous partis confondus, originaires de onze Etats européens, a publié le 19 mars 2001 une déclaration condamnant la suppression, par le président George Bush, des financements publics aux organismes de planification familiale.

A l'initiative du Forum parlementaire, Mme Danielle Bousquet s'est rendue, les 17 et 18 décembre 2001, à Moscou, où s'est tenu le Conseil annuel de ce Forum.

Après des interventions générales portant sur la santé sexuelle et reproductive, trois thèmes ont retenu plus particulièrement l'attention de la conférence :

- le Sida ;

- le trafic des êtres humains et la prostitution enfantine ;

- la protection des droits sexuels et de la reproduction dans les pays ayant une faible fertilité.

DEUXIÈME PARTIE :

LE SUIVI DE LA LOI RELATIVE
À L'IVG ET À LA CONTRACEPTION

___________________

La Délégation aux droits des femmes a été expressément chargée par M. Jean le Garrec, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, de suivre l'application de la loi relative à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception, adoptée définitivement par l'Assemblée nationale le 30 mai 2001 et promulguée le 4 juillet suivant, après rejet par le Conseil constitutionnel de deux saisines présentées par des sénateurs et des députés à l'encontre de la loi.

Après avoir entendu durant l'automne 2001 de nombreux spécialistes - médecins, pharmaciens, anesthésistes -, des représentants d'associations et de syndicats, des chercheurs, la Délégation aux droits des femmes a tenté, après huit mois seulement, d'établir un bilan sommaire de l'application de la loi.

Des difficultés nouvelles dans la pratique de l'IVG sont apparues du fait des deux grandes avancées de la loi du 4 juillet, l'allongement du délai légal pour accéder à l'IVG et la dispense d'autorisation parentale pour les mineures désirant garder le secret - difficultés qui semblent se résorber progressivement.

Des difficultés anciennes, qui préexistaient à la loi, ont été mises en lumière et accentuées ; se trouvent ainsi posés à nouveau le problème de l'organisation hospitalière de l'IVG, et celui de la revalorisation de l'IVG, dont le forfait n'a pas évolué depuis plus de dix ans.

S'agissant de la contraception, la mise en _uvre de la contraception d'urgence s'avère positive. Mais elle devra s'accompagner d'un effort de prévention soutenu, si l'on veut que le nombre encore trop élevé (3) d'avortements dans notre pays diminue.

Une première remarque : l'information a été lente à atteindre les praticiens. Une des premières questions posées par les médecins a donc été : la loi est-elle d'application immédiate, ou plutôt, les articles qui ne nécessitent pas de décrets d'application le sont-ils - s'agissant en particulier des deux principales dispositions de la loi, l'allongement du délai légal de dix à douze semaines pour recourir à l'IVG et l'autorisation pour les mineures d'y recourir sans autorisation parentale ?

Une circulaire d'application s'imposait pour répondre à ces interrogations. Sortie le 28 septembre 2001, cette circulaire constitue un mode d'emploi clair et précis pour tous les professionnels de santé, adressée pour exécution aux directeurs des agences régionales de l'hospitalisation et d'établissements de santé, ainsi qu'aux préfets de départements. Cependant, certains des interlocuteurs médecins de la Délégation n'en avaient pas encore pris connaissance au mois de novembre.

Après plusieurs mois durant lesquels se sont manifestées les réticences et hésitations des médecins, ainsi que les difficultés dans la mise en _uvre de la loi, Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité, M. Bernard Kouchner, ministre délégué à la santé, et Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle décidaient de créer un groupe national destiné à accompagner le rattachement des centres d'IVG autonomes aux unités de l'établissement de santé désormais en charge de cette activité. Ce groupe national de suivi, présidé par Mme Emmanuelle Jeandet-Mengual, inspectrice générale des affaires sociales, dont fait partie Mme Martine Lignières-Cassou, présidente de la Délégation aux droits des femmes, s'est réuni à deux reprises, le 10 janvier, à titre préparatoire, et le 7 février 2001 pour une installation officielle, sous la présidence de M. Edouard Couty, directeur général de la santé. Sa mission, entre temps, a été élargie à une mission plus vaste d'accompagnement de la mise en _uvre de la loi du 4 juillet 2001.

Huit mois après l'entrée en vigueur de la loi, il apparaît que les situations varient considérablement d'une région à l'autre, d'un département à l'autre. La mission confiée à cet égard aux agences régionales de l'hospitalisation, qui ont désormais la responsabilité de l'IVG, de recenser toutes les difficultés, paraît tout à fait nécessaire et permettra d'appuyer le travail du groupe de suivi.

La Délégation aux droits des femmes se félicite de cette prise en compte au plus haut niveau des difficultés réelles d'application de la loi et de la volonté clairement affirmée de les résoudre, comme l'a souligné M. Bernard Kouchner, ministre délégué à la santé, lors de son entretien le 13 février dernier avec Mme Martine Lignières-Cassou.

I - LES AVANCÉES DE LA LOI ONT SOULEVÉ DES DIFFICULTÉS NOUVELLES DANS LA PRATIQUE DES IVG

A. LA PRATIQUE DES IVG TARDIVES

1. Une nécessaire formation des médecins

L'allongement du délai légal de dix à douze semaines de grossesse, pour recourir à l'IVG a soulevé la réticence de médecins, y compris de médecins pratiquant précédemment l'IVG jusqu'à dix semaines. Elle s'est traduite de plusieurs manières : opposition de la clause de conscience, qui n'a pas été modifiée par la loi ; expression d'un certain mécontentement en l'absence d'un texte d'application et de moyens supplémentaires ; et surtout mise en avant de l'argument d'une formation insuffisante à un geste plus lourd techniquement et qui suscite des appréhensions.

La portée technique du geste médical à accomplir entre dix et douze semaines de grossesse a été longuement évoquée lors des auditions de la Délégation et des débats parlementaires sur le projet de loi. L'Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé (ANAES) a publié en mars 2001 des recommandations sur les techniques d'IVG en fonction de l'âge gestationnel. En ce qui concerne les 13e et 14e semaines d'aménorrhée, il est précisé :

"- La technique chirurgicale est la technique de choix. L'évacuation utérine repose sur l'aspiration à l'aide d'une canule et, lorsque cela est nécessaire, sur l'utilisation de pinces spécifiques. Cette technique requiert une formation spécifique...

L'utilisation éventuelle de l'anesthésie locale demande une très bonne maîtrise de la technique de dilatation et évacuation.

- La technique médicale n'est pas recommandée sauf cas particulier."

et concernant les structures de prise en charge :

"- Jusqu'à 12 semaines d'aménorrhée (SA) (84 jours), les structures d'IVG sont, soit intégrées dans un établissement de soins ayant un service de gynécologie-obstétrique, soit en convention avec un établissement disposant d'un plateau technique permettant de prendre en charge l'ensemble des complications de l'IVG.

"- Les IVG au-delà de 12 SA doivent être prises en charge dans une structure disposant d'un plateau technique chirurgical. Ces structures doivent être désignées et connues de tous les centres d'accueil des IVG au sein de chaque département."

Compte tenu des recommandations de l'ANAES, M. Guy-Marie Cousin, secrétaire général du syndicat national des gynécologues et obstétriciens de France (SYNGOF) (4), a expliqué ainsi la réticence des médecins : "Il s'agit pour nous d'un réel souci, puisqu'une IVG pratiquée dans ces délais nécessite un environnement particulier, un environnement hospitalier, avec possibilité d'anesthésie, une surveillance post-intervention, voire une hospitalisation. Voilà la raison pour laquelle certains médecins sont réticents à de telles pratiques ; plusieurs de nos collègues, qui acceptent de pratiquer les IVG jusqu'à douze semaines, estiment ne pas avoir la formation adéquate pour les pratiquer au-delà".

Le docteur Bruno Carbonne, secrétaire général du Collège national des gynécologues-obstétriciens (CNGOF) (5), a estimé pour sa part que la technique d'une IVG tardive, différente en raison du recours parfois nécessaire à "des instruments pour morceler le f_tus", était un geste difficile à pratiquer. "Les médecins ont donc montré une certaine réticence, parce qu'ils n'étaient pas formés à cette technique."

Mme Elisabeth Aubény, présidente de l'Association Française pour la Contraception (6), a souligné également la formation insuffisante des médecins à ces nouvelles pratiques et les craintes qu'elles suscitent, mais constate que des médecins vont déjà se former à l'étranger. Des médecins de Carcassonne sont allés à Barcelone, des médecins d'Angers en Hollande. En général, a ajouté Mme Elisabeth Aubény, ces médecins reviennent rassurés, car ils ont constaté que la pratique n'était pas si compliquée.

Pour M. Robert Chambrial, membre de l'Association nationale des centres d'interruption de grossesse et de contraception (ANCIC) (7), "Il est nécessaire de démystifier la pratique. C'est ainsi qu'un journaliste prépare actuellement une cassette d'information, en collaboration avec la maternité des Lilas. Certains médecins qui ont vu pratiquer dans cette maternité, en bloc opératoire, des IVG jusqu'à 12-14 semaines ont été étonnés, car ils étaient persuadés qu'entre 12 et 14 semaines, le f_tus gagnait beaucoup en taille. Cette attitude est particulièrement étonnante de la part de médecins, qui devraient connaître le développement embryonnaire."

Sans porter d'appréciation sur l'acte technique lui-même et à s'en tenir aux recommandations de l'ANAES, il apparaît clairement qu'une formation est nécessaire à mettre en place pour les praticiens. Il convient par ailleurs de dédramatiser un acte qui se pratique couramment hors de nos frontières, apparemment sans difficultés particulières.

2. Une meilleure concertation dans la pratique des IMG

La loi révise les conditions dans lesquelles peut être décidé le recours à l'interruption médicale de grossesse, après douze semaines de grossesse. Le système inapproprié et inefficace de la consultation de médecins-experts auprès des tribunaux est abandonné.

Désormais, prévaut le principe de collégialité et de pluri-disciplinarité nécessaire dans des situations particulièrement difficiles à évaluer. Dans le souci de mieux prendre en compte l'intérêt de la femme, un dialogue pourra s'établir entre celle-ci et l'équipe médicale.

Deux situations peuvent se présenter.

_ Lorsque la poursuite de la grossesse met en péril grave la santé de la femme, une équipe pluridisciplinaire procède à l'expertise de la situation de la femme. Elle est composée d'au moins trois personnes, dont un gynécologue-obstétricien, un médecin choisi par la femme et une personne qualifiée (psychologue, psychiatre ou assistant social) tenue au secret professionnel.

Des motifs autres que d'ordre purement médical pourront éventuellement être pris en compte, la santé de la femme étant entendue de façon plus large, pouvant inclure, selon les critères de l'OMS, des indications d'ordre social ou psychique, en cas de détresse morale, ce qui semble déjà se pratiquer dans les faits.

_ Lorsqu'il existe une forte probabilité que l'enfant à naître soit atteint d'une affection d'une particulière gravité reconnue comme incurable au moment du diagnostic, la décision de recourir à l'IMG requiert l'avis d'un centre de diagnostic prénatal (DPN).

_ Dans les deux situations, un dialogue s'est établi entre l'équipe pluridisciplinaire et la femme, ou le couple, qui peut à sa demande être entendue par tout ou partie des membres de ladite équipe.

_ Deux décrets en Conseil d'Etat, à paraître très prochainement, devront, d'une part organiser la concertation collégiale, en cas d'IMG motivée par la santé de la femme, d'autre part modifier le décret du 28 mai 1997 relatif aux centres de diagnostic prénatal (DPN) afin de préciser les modalités d'intervention de ces centres en cas d'IMG motivée par un risque f_tal grave.

_ L'allongement du délai légal de l'IVG repousse d'autant le recours à l'IMG, qui demeure une décision particulièrement douloureuse pour la femme et le couple, et difficile à prendre pour les médecins. Il était important qu'elle soit entourée de toutes les précautions nécessaires et que la femme soit mieux associée à des décisions qui la concernent au premier chef.

3. L'échographie en difficulté

La jurisprudence de la Cour de cassation, avec l'arrêt Perruche, a donné un éclairage nouveau à la pratique de l'IMG, comme de l'IVG tardive, et placé l'intervention des médecins gynécologues-obstétriciens et des praticiens qui réalisent les échographies f_tales dans un contexte difficile.

Actuellement, trois échographies sont généralement pratiquées au cours de la grossesse, aux premier, deuxième et troisième trimestres. Les progrès, ces dix dernières années, de l'échographie f_tale ont conduit à déceler de plus en plus de malformations. Mais, l'échographie n'est pas une science exacte. Environ 70 % des anomalies f_tales seulement peuvent être décelées et la marge d'incertitude demeure élevée. Dans l'ensemble de la population, 3 % des enfants présentent à la naissance une malformation.

Sans entrer dans la controverse juridique et éthique qui a suivi la jurisprudence Perruche et les malentendus de son interprétation, il faut constater l'inquiétude des professionnels qui ont craint de voir leur responsabilité mise en jeu, dès lors qu'une malformation non décelée pendant la grossesse aurait été constatée à la naissance de l'enfant, même sans faute médicale caractérisée, et qui ont adopté une attitude de prudence.

Les dispositions concernant l'indemnisation des handicaps congénitaux adoptées le 12 février dernier, dans le cadre de la loi sur les droits des malades, mettent un terme à la jurisprudence Perruche.

Après avoir rappelé le principe selon lequel la naissance n'est pas un préjudice indemnisable, le texte adopté précise que la personne handicapée ne peut obtenir réparation de son préjudice que dans les cas où une faute médicale a provoqué directement le handicap ou l'a aggravé. Il limite en outre au préjudice moral la possibilité de réparation pour les parents d'un enfant victime d'un handicap congénital non décelé pendant la grossesse à la suite d'une faute caractérisée.

Les charges particulières découlant, tout au long de la vie de l'enfant, du handicap relèvent de la solidarité nationale.

En vertu de ces dispositions, sont exclues les simples erreurs de diagnostic, qui se produiraient actuellement dans environ 30 % des cas.

Malgré la satisfaction exprimée par les professionnels concernés après le vote de ce texte, les problèmes de fond demeurent quant à la pratique de l'échographie. Les questions éthiques, liées à la performance de l'échographie, entraînent la crainte chez les médecins que des parents n'exercent des pressions afin de recourir à une interruption de grossesse fondée sur l'existence d'un handicap mineur ou sur le seul doute exprimé par le praticien.

Ces préoccupations, justifiées, méritent que les pouvoirs publics y apportent toute leur attention. Il conviendrait de réfléchir aux conduites à tenir, aux bonnes pratiques à appliquer, en matière d'échographie obstétricale, et aux informations à donner aux patientes.

B. AMÉLIORER L'ACCUEIL DES FEMMES

1. Un impératif : diminuer les délais d'attente des femmes

Le délai de réflexion de huit jours prévu par la loi de 1975 entre la première consultation médicale et l'IVG a été maintenu. Il peut être réduit en cas d'urgence.

On constate des délais d'attente excessifs, soit pour obtenir un premier rendez-vous, soit entre le premier rendez-vous et l'IVG elle-même, retards qui conduisent une femme ayant présenté sa demande à temps à se trouver rapidement hors du délai légal. Les témoignages sur ces problèmes de délais sont préoccupants.

Ainsi, Mme Marie-France Casalis, conseillère technique auprès de la déléguée aux droits des femmes d'Ile-de-France (8), a souligné : "Il est insupportable d'imaginer qu'aujourd'hui, en Ile-de-France, il faut trois semaines pour obtenir un premier rendez-vous d'IVG. Il en découle des problèmes de délais pour les femmes se présentant à neuf semaines de grossesse."

En réponse au questionnaire envoyé par la Délégation aux droits des femmes à ses membres, portant notamment sur le délai d'attente moyen entre le premier rendez-vous et l'IVG, il est signalé, par exemple, deux semaines en Seine-et-Marne, dix à douze jours dans le Lot-et-Garonne, "au mieux cinq à huit jours, mais trop souvent quinze jours à trois semaines" dans les Hautes-Pyrénées.

La situation n'est pas aussi mauvaise partout. En Loire-Atlantique, "le délai est variable selon les situations, mais la femme a toujours un rendez-vous lui permettant d'avoir recours à l'IVG ; le délai d'urgence de 48 heures est appliqué si nécessaire".

Une enquête menée par le Mouvement français pour le planning familial (MFPF) en Seine-Saint-Denis fait état d'un délai minimum de huit jours au moins dans les cliniques privées, et dans les hôpitaux, d'un délai qui peut aller de huit à quinze jours.

A cet égard, les recommandations de l'ANAES devraient être rappelées en matière d'accueil : "Toute patiente demandant une IVG doit obtenir un rendez-vous de consultation dans les cinq jours suivant son appel."

Pour raccourcir ces délais, le rôle des permanences téléphoniques est fondamental. Ainsi la permanence téléphonique parisienne mise en place l'été dernier a bien fonctionné, ayant reçu durant le mois d'août une moyenne de trente à trente-cinq appels par jour. Toutefois, les responsables de cette permanence ont rencontré des difficultés au niveau de l'orientation, faute de disposer d'indicateurs suffisamment fiables et précis sur les possibilités d'accueil. Si les listes de centres sont données, les possibilités d'accueil ne sont pas toujours vérifiées.

2. Des départs à l'étranger au "tourisme régional"

Lors de la discussion du projet de loi, les départs à l'étranger des femmes candidates à l'IVG avaient été fortement stigmatisés. Cinq mille femmes environ chaque année hors délais se trouvaient contraintes de partir dans les pays voisins, faute d'accueil en France dans les délais légaux.

La situation a changé, bien qu'il soit difficile d'établir des statistiques. Mme Chantal Gaudry, présidente honoraire du MFPF (9), devant la Délégation a déclaré le 16 octobre 2001 : "Vous posiez la délicate question des départs à l'étranger. Sur une quarantaine de fiches recueillies cet été, bien que ce ne soit pas statistiquement significatif, alors que la femme avait fait sa première démarche dans les délais légaux, j'ai pu repérer au moins cinq départs à l'étranger, hors région parisienne, ce qui montre bien un malaise, pour nous inacceptable. En région parisienne, nous obtiendrions une proportion identique."

Des informations font état, d'après les cliniques hollandaises, d'une diminution significative du nombre de leurs clientes françaises.

A ces départs à l'étranger semble se substituer maintenant un "tourisme régional", stigmatisé par le MFPF de certains départements, comme par des témoignages de membres de la Délégation aux droits des femmes.

Ainsi, l'Association départementale du MFPF du Calvados a informé début janvier 2002 Mme Yvette Roudy, députée du Calvados, des difficultés rencontrées depuis septembre 2001 dans l'application de la loi, recensant des situations préoccupantes (10) et dénonçant les délais excessifs pour accéder à l'IVG, un accueil insuffisant, une recherche angoissante en région et au-delà, à l'étranger, de lieux de traitement et d'hébergement.

"Les délais entre les différents rendez-vous (anesthésiste, gynécologue, conseillère conjugale...) sont trop longs et reportent la date de l'IVG jusqu'à dépasser les délais légaux.

La plupart de ces femmes nous ont rapporté combien elles se sont senties rejetées, parce que mal accueillies, culpabilisées, et parfois renvoyées sans explication. Elles se sentent victimes d'une profonde injustice, parce qu'elles se trouvaient dans les délais légaux lors du premier rendez-vous à l'hôpital.

Ces femmes doivent effectuer de multiples démarches dans différents lieux géographiques pour tenter de trouver des solutions."

Le MFPF des Hautes-Pyrénées : "Toutes les demandes d'IVG, y compris les IVG tardives ne sont pas prises en compte dans des délais raisonnables et l'attente dans la prise de rendez-vous oblige encore certaines femmes à se déplacer sur Auch, Pau ou Toulouse ou pire en Espagne, quand le délai atteint douze à treize semaines."

3. De l'entretien à un meilleur accueil par l'écoute et l'information

_ L'entretien, d'après la loi, est désormais systématiquement proposé, mais non imposé, sauf pour la mineure. Il semble cependant, par simple ignorance de la loi, qu'on ait continué quelque temps à exiger l'attestation d'entretien.

Certains regrettent cet entretien obligatoire qui facilitait l'information, une meilleure prise en compte par le médecin de la situation de la femme et la prise de rendez-vous auprès des centres hospitaliers ou cliniques privées.

Pour sa part, M. Robert Chambrial (11) a estimé que la suppression de l'obligation de l'entretien le rend plus intéressant pour la femme et pour les psychologues ou conseillères conjugales. Les femmes ne viennent plus chercher un papier, mais décident de venir parler avec un professionnel.

Au-delà de l'entretien se pose tout le problème de l'accueil et de l'écoute des femmes en demande d'IVG, et du rôle des conseillères conjugales dont il convient absolument de maintenir les postes.

Mme Elisabeth Aubény (12) a estimé devant la Délégation que "ces conseillères conjugales ont un rôle très important pour l'accueil des femmes. Jusqu'à présent, elles menaient systématiquement l'entretien obligatoire et pouvaient être présentes lorsque la femme le souhaitait. Quand ces conseillères ne seront pas occupées par des entretiens, elles pourront parfaitement accueillir les femmes et leur expliquer les différentes techniques, ce que les médecins font rarement, par manque de temps."

_ Selon la loi, il appartient au médecin, dès la première consultation, d'informer la femme des méthodes médicales et chirurgicales de l'IVG, des risques et des effets secondaires éventuels. A cette occasion, doit être remis le dossier-guide, dont le contenu a été revu et simplifié par la loi. Ce document, en cours d'actualisation, devra contenir toutes les informations relatives à l'IVG, aux techniques d'intervention et aux structures de prise en charge. Il devrait être très prochainement disponible, avec un volet spécifique concernant les mineures désirant garder le secret et le rôle de l'adulte accompagnant.

La Délégation aux droits des femmes insiste sur l'importance de ce document, très attendu par les femmes, les professionnels de santé, les associations.

C. LES MINEURES ET L'AUTORISATION PARENTALE

D'après les chiffres cités lors des débats sur le projet de loi, environ 10 000 mineures sont enceintes chaque année, 7 000 recourent à l'IVG. Un certain nombre d'entre elles ne peuvent ou ne veulent solliciter l'autorisation parentale.

La deuxième grande avancée de la loi du 4 juillet 2001 est la possibilité pour les mineures, dans certaines conditions, de déroger au principe de l'autorisation parentale - qui demeure la règle générale - en se faisant accompagner d'un adulte de leur choix. Cette disposition a soulevé, semble-t-il, dès l'entrée en vigueur de la loi, de véritables difficultés d'interprétation et d'application, de nombreux médecins hésitant ou se refusant à intervenir, sans l'autorisation parentale, pour des questions de responsabilité.

Mme Danielle Bousquet, députée des Côtes-d'Armor, a apporté son témoignage devant la Délégation, le 30 octobre dernier : "Dans mon département, des jeunes filles se sont rendues à l'aide sociale à l'enfance pour demander à être protégées, car l'hôpital leur refusait l'anesthésie. Cette affaire, qui a fait beaucoup de bruit, n'est toujours pas résolue, en raison d'un refus obstiné des anesthésistes à mettre en _uvre la loi. J'ai reçu des témoignages de blocages concernant les mineures par plusieurs assistantes sociales, qui toutes ont été confrontées à ces problèmes."

1. L'adulte accompagnant : rôle et responsabilité

La décision de la mineure de recourir à l'IVG, sans le consentement parental, lui appartient, mais tout doit être tenté lors de la première consultation médicale pour bien s'assurer que celle-ci ne veut ou ne peut prévenir ses parents ou le titulaire de l'autorité parentale et désire garder la confidentialité, pour des raisons souvent liées à une incompréhension familiale d'ordre culturel ou religieux, l'absence physique ou morale des parents, la pesanteur des traditions...

La mineure se fait alors accompagner dans sa démarche par la personne majeure de son choix. Elle est conseillée dans ce choix lors de l'entretien préalable qui, pour celle-ci, demeure obligatoire, notamment afin de prévenir des situations de contrainte physique ou morale (viol, inceste...). Cette personne doit être un adulte, membre de la famille ou membre d'une association. Il peut s'agir d'une tante, d'une cousine plus âgée, de la mère du petit ami, ou même de celui-ci.

Son rôle est d'apporter un soutien psychologique et moral à la jeune fille en difficulté, de l'accompagner si possible lors des consultations, de l'intervention et de l'attendre au sortir de l'IVG. La responsabilité juridique de l'adulte en question n'est pas engagée par ce rôle d'accompagnant. Il ne dispose d'aucun des attributs de l'autorité parentale et ne se substitue pas au représentant légal. La circulaire du 28 septembre est très claire à ce sujet.

2. Les interrogations des médecins anesthésistes

La spécificité du rôle de l'adulte accompagnant a soulevé de nombreuses interrogations chez les médecins, particulièrement les médecins anesthésistes : l'adulte accompagnant doit-il être associé aux consultations de pré-anesthésie ? Son nom doit-il figurer dans le dossier médical de la mineure ? En cas de complications, quel est son rôle vis-à-vis des parents ? Autant de questions auxquelles la circulaire du 28 septembre ne répond qu'imparfaitement.

Aussi, la Délégation a souhaité interroger M. André Lienhart, président de la Société française d'anesthésie et de réanimation (SFAR) (13). Le conseil d'administration de la SFAR, a-t-il indiqué, a transmis à ses adhérents un document précisant le rôle que devrait jouer la personne majeure accompagnante. "Il en découle que la mineure doit être accompagnée dans sa démarche de demande d'anesthésie par la personne majeure de son choix, et que celle-ci doit donc être présente lors de la consultation d'anesthésie. Concrètement, il convient de communiquer qu'en cas d'anesthésie pour IVG, une mineure doit se rendre à une consultation d'anesthésie plusieurs jours à l'avance, soit avec une autorisation parentale, soit accompagnée de la personne majeure qu'elle a désignée pour l'ensemble de la démarche. Il n'est pas anodin de noter que la loi n'exige pas que cette personne signe une "décharge", n'indique pas qu'elle donne un consentement "à la place" de la mineure, n'en fait pas son représentant légal : la loi dit qu'elle l'accompagne. Il est en revanche prudent d'inscrire sur la fiche de consultation d'anesthésie le nom de la personne majeure présente au moment où l'information sur l'anesthésie est délivrée [...] et de demander à cette personne accompagnante de lire attentivement avec la mineure le formulaire d'information sur l'anesthésie."

En cas de complications, a ajouté M. André Liehnart, "nous avons recommandé, s'il s'agit d'une situation très grave, de prévenir les parents et de demander à la personne majeure accompagnante de continuer à jouer son rôle de relais. En effet, si c'est un membre de la famille, il nous paraît humainement plus convenable que l'information aux parents soit communiquée par cette personne."

L'adulte accompagnant se voit ainsi attribuer un rôle qu'il ne pourra ou ne voudra assumer. S'il n'a pas à présenter de pièce d'identité, ni à signer de documents, son nom doit-il figurer dans le dossier ? Jusqu'où peut aller sa collaboration avec l'équipe médicale ? Quelle attitude adopter en cas de complications ?

Une bonne communication au sein de l'équipe médicale, entre la conseillère conjugale, le médecin et l'anesthésiste devrait permettre d'identifier cette personne, afin de l'associer au mieux à l'ensemble de la démarche médicale dans l'intérêt et la protection de la jeune fille mineure. Dans le dossier de la mineure devra figurer, en tout état de cause, un compte rendu de l'entretien social au cours duquel il est discuté du choix de cette personne majeure.

Sur tous ces points, il serait souhaitable que le groupe national de suivi puisse se prononcer pour rassurer l'ensemble des intervenants et proposer, si nécessaire, un guide de bonnes pratiques.

3. La prise en charge des mineures : un décret attendu

Les mineures, faute de consentement parental, ne peuvent prétendre à la couverture sociale de leurs parents. Aussi l'article 20 de la loi a-t-il prévu leur prise en charge, qui nécessite un décret d'application pour en définir les modalités et garantir l'anonymat de la personne mineure. Ce décret, très attendu, devrait sortir prochainement.

En l'absence de ce décret, en effet, certains établissements refuseraient ces mineures. D'autres ne font pas de difficultés et ont recours à l'aide médicale d'Etat, à la PMI ou à la couverture maladie universelle, de façon aléatoire.

Le décret devrait prévoir une prise en charge par la caisse d'assurance maladie qui procédera au remboursement des dépenses engagées au vu des documents transmis au service du contrôle médical, ce dernier garantissant l'anonymat des pièces.

II - DES DIFFICULTÉS ANCIENNES MISES EN LUMIÈRE PAR L'APPLICATION DE LA LOI

A. UNE GRANDE DISPARITÉ DES STRUCTURES HOSPITALIÈRES

1. L'avenir des CIVG

Le statut des centres d'IVG autonomes au sein de l'hôpital pose problème depuis longtemps. Ils ont été créés initialement pour répondre à la demande d'IVG, lorsque l'activité en avait été décidée par le conseil d'administration de l'hôpital et que le chef de service s'y opposait dans son propre service, en invoquant la clause de conscience. L'hôpital avait alors obligation de créer une nouvelle unité dotée de moyens appropriés.

Les CIVG, sous la responsabilité du directeur de l'hôpital, fonctionnent principalement avec des médecins vacataires ; souvent mal considérés, non représentés au sein de la commission médicale d'établissement, ils sont confrontés à des problèmes de personnels, de moyens, d'équipements. Ils assurent pourtant dans le secteur public le tiers des IVG ; la dimension raisonnable des centres, la motivation de leurs personnels permettent de mieux accueillir et suivre les femmes en demande d'IVG qu'à la maternité de l'hôpital, où elles risquent d'être marginalisées.

La loi du 4 juillet 2001 en abrogeant les deux derniers alinéas de l'article L. 2212-8 du code de la santé publique répond à une logique tout à fait différente et tend à modifier l'organisation hospitalière de l'IVG.

Les convictions personnelles d'un chef de service ne pourront plus lui permettre de faire obstacle à la pratique de l'IVG dans le service dont il est responsable. Les activités d'IVG devront être mieux rattachées à la structure hospitalière, dans un souci de meilleure gestion et de qualité de la prise en charge.

Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité, lors des débats sur le projet de loi, avait précisé que le conseil d'administration devait organiser les IVG comme toute activité médicale, conformément à l'organisation médicale de droit commun des établissements de santé, nécessairement constituée en unités fonctionnelles, services, départements...

Cet accueil des unités d'IVG dans les structures médicales hospitalières de droit commun ne ferait pas obstacle, avait ajouté la ministre, à ce que ces unités conservent leur identité et restent dirigées par leurs responsables habituels. La ministre avait annoncé alors la constitution d'une mission d'appui chargée d'accompagner ces transformations.

Cette perspective cependant n'est pas sans soulever de vives inquiétudes parmi les associations et les personnels des centres. Ainsi M. Jean-Claude Magnier, président des centres d'orthogénie de l'AP-HP (14), a regretté la nouvelle orientation, et M. Paul Cesbron (15) a déclaré devant la Délégation : "En ce qui concerne nos centres, il nous paraît également nécessaire qu'à l'occasion des décrets d'application, soient renforcées les unités fonctionnelles et l'autonomie des centres. Il n'y a pas d'application correcte de la loi. D'ailleurs, le "rapport Nisand", même si ses conclusions sont différentes des nôtres, va dans ce sens. Les vingt-cinq années d'application de la loi de 1975 ont bien mis en évidence, de façon négative, la qualité de l'accueil des femmes, leur prise en charge et l'application de cette loi. Nous considérons que cela est lié à l'absence de structures clairement définies, reconnues notamment sur le plan hospitalier, et permettant de défendre les moyens nécessaires à l'application de cette loi."

La situation du centre médico-social de la femme de Grenoble a longuement été évoquée par plusieurs interlocuteurs de la Délégation, craignant que la restructuration programmée de l'hôpital de Grenoble ne se fasse au détriment du centre. Celui-ci fonctionne depuis vingt-cinq ans comme unité fonctionnelle du service de gynécologie-obstétrique, avec une unité de lieu et d'équipe qui fait toute la richesse du travail des personnels et du suivi des femmes. M. Robert Chambrial (16), a fortement appréhendé, dans la restructuration proposée, l'éclatement du service en trois lieux différents.

Les interlocuteurs de la Délégation ont souhaité la transformation des CIVG en unités fonctionnelles qui seraient une garantie de leur autonomie. A ce sujet, ont été évoqués les projets de l'ARH du Nord-Pas-de-Calais, qui, dans le cadre du schéma régional d'organisation sanitaire, reconnaîtraient le statut d'unités fonctionnelles aux CIVG pratiquant plus de 400 IVG par an, et de service aux centres qui en pratiqueraient plus de 800 ou 1 000.

Le rattachement envisagé des CIVG devrait pourtant, dans certaines situations, présenter les avantages d'une meilleure prise en charge médicale, notamment lorsque le centre ne dispose pas du plateau technique chirurgical nécessaire pour l'IVG tardive. Mais ce rattachement ne devrait pas se faire au détriment de l'accueil des femmes ayant recours à l'IVG, et devrait respecter la spécificité des centres. Etant donné la grande diversité des CIVG et des structures hospitalières susceptibles des les accueillir, chaque centre devra faire l'objet d'un examen et de négociations au cas par cas.

Le Groupe national de suivi sera spécialement chargé d'y veiller.

2. Des praticiens en nombre insuffisant

Une deuxième difficulté d'ordre médical tient à l'insuffisance du nombre de praticiens disposés à pratiquer les IVG en général et plus particulièrement les IVG tardives. Les médecins "militants" partent à la retraite et la relève n'est pas assurée. Les jeunes médecins, qui ont sans doute moins d'objections de principe que leurs aînés à l'égard de l'IVG, ne sont pas attirés par une activité médicale mal rémunérée et peu valorisante.

Se pose notamment de façon aiguë le statut des médecins vacataires qui pratiquent l'IVG à l'hôpital, généralistes ou gynécologues médicaux. La transformation de postes de vacataires en postes de contractuels et de praticiens hospitaliers devrait offrir de meilleures perspectives.

3. Disparités régionales et saisonnières

Les interlocuteurs de la Délégation ont tous souligné les grandes disparités existant dans le traitement des IVG selon les régions, les départements, les villes. Cette situation, ancienne et connue, s'est trouvé aggravée, dès l'entrée en vigueur de la loi avec le problème des IVG tardives. La Délégation, sans se livrer à un inventaire exhaustif, a pu recueillir quelques informations concernant la répartition entre public et privé, le volume des activités selon les centres, les disparités dans l'accueil.

_ La répartition de la prise en charge des IVG entre secteur public (45,7 %) et secteur privé (54,3 %) est très inégale en Ile-de-France. Mme Marie-France Casalis (17) a souligné par ailleurs pour cette région l'inadaptation de la réponse hospitalière, le manque de médecins, la longueur des délais d'attente.

Si la région Midi-Pyrénées connaît une situation encore plus accentuée (41,8 % des IVG dans le secteur public, 58,2 % en secteur privé), à l'inverse en Alsace, Picardie, Nord-Pas-de-Calais, Centre, Franche-Comté, Bourgogne, Pays-de-Loire), le secteur public effectue la grande majorité des IVG.

La situation difficile des cliniques privées, nombreuses à fermer ces dernières années, aggrave les problèmes. En Seine-Saint-Denis, par exemple, vingt-six établissements privés pratiquaient des IVG en 1989 ; ils ne sont plus que dix-huit en 2001, soit une réduction d'un tiers.

_ On note aussi une assez grande hétérogénéité des activités des centres. Ainsi, pour les établissements de l'AP-HP, en volume, l'activité annuelle va de 71 IVG à l'hôpital Robert-Debré à 1 862 IVG à l'hôpital Broussais, 4 centres pratiquant plus de 1 000 IVG, 4 entre 700 et 1 000, 11 centres moins de 700, l'essentiel de l'activité, 51 %, se concentrant dans Paris intra muros.

_ En dehors de la région parisienne, il semble que les régions PACA et Rhône-Alpes ont rencontré un grand nombre de difficultés, qui commencent maintenant à se résorber.

En réponse au questionnaire envoyé par la Délégation, des problèmes sont signalés, en particulier dans les Hautes-Pyrénées, le Calvados, la Loire-Atlantique, en Seine-Maritime, à Pau, à Nîmes...

_ Des disparités saisonnières existent déjà depuis longtemps. Elles sont connues. La période estivale est en effet peu favorable aux femmes désirant recourir à l'IVG en raison des congés des médecins et des personnels. Des difficultés saisonnières en 2001 ont été signalées à la Délégation du fait de l'entrée en vigueur de la nouvelle loi.

M. Bruno Carbonne (18) a exposé, devant la Délégation, la situation à l'hôpital Saint-Antoine l'été dernier : "Nous avons vécu cette transition de manière très douloureuse, puisque nous avons décidé d'appliquer la loi dès le mois de juillet et que nous nous sommes heurtés non seulement, comme à l'accoutumée, à la réduction des effectifs pendant cette période, mais aussi au fait que, très clairement, cette année, il n'y a eu aucune concertation entre les professionnels ou les différents services pour assumer cette charge de travail supplémentaire."

Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité, et M. Bernard Kouchner, ministre délégué à la santé, ont confié à Mme Chantal Blayo, directrice de l'Institut d'études démographiques de l'université Montesquieu-Bordeaux IV, qui avait déjà effectué des enquêtes en 1999 et en 2000, une nouvelle étude en août 2001, afin de dresser un bilan de l'accessibilité des services d'IVG en août, et de comparer la qualité de l'accueil en août 2001 à celle d'août 2000.

Mme Chantal Blayo, entendue par le Groupe national de suivi le 7 février dernier, a pu donner quelques résultats provisoires de sa recherche.

Malgré d'importants dysfonctionnements relevés dans trois grandes régions, Rhône-Alpes, Ile-de-France et Provence-Alpes-Côte d'Azur, la grande majorité des régions a pu offrir, en août 2001, un accueil relativement satisfaisant et même en amélioration.

Mis à part quelques points noirs, la situation apparaît dans l'ensemble meilleure qu'on aurait pu le supposer et semble révéler une prise de conscience de l'importance des nouveaux enjeux.

B. DES PROBLÈMES FINANCIERS NON RÉSOLUS

Le problème du financement de l'IVG a été unanimement souligné par les interlocuteurs de la Délégation. Ce problème ancien ne fera que s'exacerber avec l'augmentation - faible - mais inévitable du nombre des IVG tardives.

1. La faible rémunération de l'IVG

L'assurance maladie couvre les frais de soins et d'hospitalisation afférents à l'IVG qui lui sont ensuite remboursés par l'Etat, en application de l'article L. 132-1 du code de la sécurité sociale. Un arrêté détermine la liste des actes ainsi pris en charge et leurs tarifs.

Or, c'est par un arrêté en date du 14 janvier 1991 qu'ont été fixés forfaitairement les prix de l'IVG instrumentale et médicamenteuse, tarifs qui n'ont pas été réévalués depuis cette date.

_ Le forfait de l'IVG instrumentale comprend les investigations biologiques préalables, l'anesthésie générale, l'interruption elle-même, l'accueil et l'hébergement pour une durée inférieure à 12 heures. Il est de 169,55 € (1 112,16 F) dont 56,71 € (372 F) pour l'acte d'IVG. Il correspond encore à la grande majorité des IVG.

_ Le forfait de l'IVG médicamenteuse comprend les investigations biologiques préalables, la consultation initiale avec la prise de trois comprimés de myfégine, la consultation secondaire avec l'administration de prostaglandines et la surveillance en établissement, la consultation ultérieure de contrôle. Il est de 199,93 € (1 311,46 F), dont 59,91 € (393 F) pour la consultation initiale.

Cette faible rémunération de l'acte d'IVG est de plus en plus dénoncée. Ainsi, pour Mme Danielle Gaudry (19), "Les problèmes de rémunération sont évidents, car le taux de l'acte n'a pas bougé depuis 1991. Si on prend l'exemple de la pratique de l'IVG médicamenteuse, lorsque le médecin remet, lors de la deuxième consultation, les trois comprimés à la femme, au regard du prix des comprimés, celle-ci ne lui est payée que 20 à 30 francs. Certains établissements ont arrêté de pratiquer des IVG médicamenteuses parce que ce n'était pas "rentable" ; c'était un geste quasiment bénévole. Les médecins, même militants, ne peuvent se permettre, à l'heure actuelle, de pratiquer uniquement des IVG bénévolement en consultation".

Depuis 1991, les tarifs n'ont pas suivi les évolutions tarifaires normales des soins et des actes médicaux, ni celle des frais d'hébergement hospitaliers. Il en résulte une dévalorisation générale de l'IVG, tant pour les médecins que pour l'hôpital.

_ De plus, le contenu même du forfait pose problème : un certain nombre de consultations, nécessaires avant toute IVG, ne sont pas prises en compte : première consultation avec remise du dossier-guide, deuxième consultation de confirmation de la demande d'IVG, consultation pré-anesthésie obligatoire en cas d'anesthésie générale et consultation post-intervention. L'échographie, très souvent pratiquée, n'est pas non plus incluse dans le forfait.

Il conviendrait, si le forfait devait être révisé, d'y inclure au minimum certains actes et analyses indispensables : groupe sanguin, facteur rhésus, échographie, consultation pré-anesthésie.

2. Du forfait vers l'inscription à la nomenclature ?

_ M. Bernard Kouchner, ministre délégué à la santé (20), a reconnu cette nécessaire revalorisation du forfait : "L'arrêté du 14 janvier 1991 relatif au prix des soins et de l'hospitalisation afférente à l'IVG sera révisé. En effet, les sommes que l'Etat rembourse à l'assurance maladie
- 162 millions de francs par an - ne correspondent pas au montant des dépenses engagées par l'assurance maladie à ce titre, mais seulement à un nombre limité d'actes et dont le coût n'avait jamais été réévalué. Un travail a été entrepris pour les revaloriser ; le coût de cette revalorisation, à actes constants, est estimé à 35 millions, et à plus de 100 millions à actes réels."

_ Cependant le principe même du forfait pose question. Dans la mesure où l'on considère l'IVG comme un acte médical normal qui ne doit pas être traité de façon particulière, ne conviendrait-il pas de l'intégrer dans la nomenclature générale des actes médicaux, permettant ainsi une plus juste rémunération et une revalorisation régulière ? Interrogée sur ce sujet par Mme Martine Lignières-Cassou lors d'un entretien le 13 février dernier, M. Bernard Kouchner, ministre délégué à la santé, s'est montré favorable à la reconnaissance du caractère normal de l'acte d'IVG par une cotation appropriée, tout en soulignant les compétences propres de la CNAM dans le domaine du remboursement des actes médicaux.

Au-delà du forfait, un effort budgétaire est nécessaire pour renforcer les équipes hospitalières pratiquant l'IVG, en personnels et en matériels. 12 millions de francs avaient été dégagés dans le budget 2000, 15 millions dans le budget 2001 - reconduits en 2002 - principalement affectés à l'amélioration de la situation des médecins pratiquant l'IVG, notamment par la transformation de postes de vacataires en postes de contractuels.

C. CEPENDANT, UNE ÉVOLUTION FAVORABLE DES TECHNIQUES EMPLOYÉES

Comme le précise l'ANAES dans ses recommandations, dans tous les cas où cela est possible, les femmes doivent pouvoir choisir la technique, médicale ou chirurgicale, ainsi que le mode d'anesthésie, locale ou générale.

Il conviendra surtout de favoriser la méthode de l'IVG précoce, qui est la solution la moins traumatisante pour la femme.

1. Des techniques plus légères et des durées d'hospitalisation plus courtes.

_ La technique chirurgicale ou instrumentale demeure encore la plus fréquemment utilisée pour environ 80 % des IVG. Elle peut se pratiquer sous anesthésie locale ou générale, le choix en revenant à la patiente.

L'anesthésie locale pouvant entraîner des douleurs, c'est souvent l'anesthésie générale qui est retenue. 60 % des IVG instrumentales sont actuellement réalisées sous anesthésie générale. La technique est bien supportée par la femme et les risques de complications sont minimes. Elle peut être pratiquée à toute étape de la grossesse ; elle est, en tout état de cause, la seule recommandée après huit semaines de grossesse et a fortiori pour les IVG tardives.

C'est cependant une technique lourde, invasive pour la femme, et qui demande une hospitalisation coûteuse.

On observe toutefois une diminution de la durée d'hospitalisation. A titre d'exemple, pour la région parisienne, l'hospitalisation de moins de quatre heures s'est accrue de près de 40 % depuis 1995, et l'hospitalisation de plus de vingt-quatre heures tend à disparaître.

_ L'IVG médicamenteuse se développe peu à peu. Par rapport à l'IVG instrumentale, cette technique plus légère, ambulatoire, convient essentiellement aux IVG précoces, jusqu'à la septième semaine d'aménorrhée révolue (5e semaine de grossesse révolue), selon l'ANAES.

De 14 % des IVG en 1990, elle en représentait environ 20 % en 1998 (21). Pour la région parisienne, elle concerne près de 30 % des IVG en 2000, avec une progression de 64 % depuis 1995 (22).

Mais elle ne peut se réaliser actuellement qu'en milieu hospitalier, la myfégyne (RU 486), qui ne dispose pas d'une autorisation de mise sur le marché, n'étant disponible qu'à la pharmacie de l'hôpital.

2. Les perspectives de l'IVG médicamenteuse

Etant donné les avantages de cette technique, il a été envisagé que ces IVG puissent être pratiquées, en ambulatoire par les médecins de ville, dans le cadre de réseaux de soins liant par convention le praticien et un établissement autorisé à pratiquer les IVG.

C'est l'objet de l'article 3 de la loi du 4 juillet 2001, un décret en Conseil d'Etat, à paraître prochainement, devant en fixer les conditions.

Il conviendra, en effet, de déterminer le contenu de la convention qui va lier le praticien et l'hôpital et les conditions de l'administration des médicaments.

III - LA CONTRACEPTION DANS LA NOUVELLE LOI

La Délégation aux droits des femmes faisait le constat, dans son rapport sur le projet de loi relatif à l'IVG et à la contraception (23), que la contraception largement admise et utilisée en France, n'était cependant pas parvenue à réduire sensiblement ces dernières années le nombre des grossesses non désirées, en raison d'une part des nombreux échecs de contraception - "le paradoxe contraceptif français" - et, d'autre part, d'une politique d'éducation et de prévention encore insuffisante.

L'évolution du nombre de grossesses chez les mineures (24) et surtout chez les jeunes majeures (25) demeure préoccupante et a conduit récemment à faciliter le recours à un nouveau mode de contraception, la contraception d'urgence.

A. CONTRACEPTION D'URGENCE. GRATUITÉ POUR LES MINEURES

La mise en place de la contraception d'urgence a subi de nombreux aléas, depuis l'arrêté du 27 mai 1999 pris par M. Bernard Kouchner, alors secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale, autorisant la vente libre en pharmacie du Norlevo, et la décision prise par Mme Ségolène Royal, alors ministre déléguée à la famille et à l'enfance, par une circulaire du 19 décembre 1999, d'autoriser les infirmières scolaires à distribuer la pilule du lendemain.

L'annulation par le Conseil d'Etat, le 30 juin 2000, des dispositions de la circulaire comme contraires à la loi Neuwirth, a nécessité une intervention législative. C'est l'objet de la loi du 13 décembre 2000 qui autorise la vente libre des médicaments ayant pour but la contraception d'urgence, leur délivrance à titre gratuit en pharmacie aux mineures désirant garder le secret et leur administration par les infirmières scolaires, dans les établissements d'enseignement du second degré, aux élèves mineures et majeures.

Le protocole national sur la contraception d'urgence en milieu scolaire, annexé au décret du 27 mars 2001, en détermine les conditions d'application.

La loi du 4 juillet 2001 dans son article 24 intègre les dispositions de la loi du 13 décembre 2000 dans l'article L. 5134-1 du code de la santé publique.

1. Le rôle indispensable des infirmières scolaires

C'est en s'appuyant sur ces deux textes législatifs qu'a pu reprendre, sur des bases solides, la délivrance de la pilule du lendemain par les infirmières scolaires à des élèves, à titre exceptionnel, en cas d'urgence et de détresse caractérisée.

_ Un premier bilan quantitatif de la contraception d'urgence à partir des données relatives aux six premiers mois d'application du protocole, de janvier à juin 2000, a été donné à la Délégation aux droits des femmes par Mme Annick Fayard-Riffiod, conseillère technique auprès de M. Jack Lang, ministre de l'Education nationale (26).

Sur 7 084 demandes de Norlevo, 4 720 émanaient d'élèves mineures et 2 364 d'élèves majeures. Le Norlevo a été délivré à 1 618 élèves, soit 23 % d'entre elles. Le taux de délivrance du médicament par rapport aux demandes est à peu près constant, qu'il s'agisse des lycées, des lycées professionnels et des collèges.

Cela signifie que l'application du protocole par les infirmières, faite avec prudence, a été conforme à l'esprit de la loi. Le Norlevo ne doit être délivré qu'à titre exceptionnel, "dans les cas d'urgence et de détresse caractérisés", "si un médecin ou un centre de planification ou d'éducation familiale n'est pas immédiatement accessible".

Les élèves, dont la demande n'a pas été retenue, ont été orientés vers un médecin ou un centre. En tout état de cause, ils ont été suivis à 50 % par un centre de planification, 39 % par l'infirmière, 8 % par un médecin et 3 % par une assistante sociale.

_ Le bilan qualitatif est non moins important. La demande des élèves est prise en compte par l'infirmière scolaire qui sait les écouter, les conseiller, les orienter, et, en cas d'extrême urgence, leur délivre le Norlevo.

Les adolescentes apprennent le chemin du Planning familial. Les zones géographiques les plus éloignées sont désormais concernées, particulièrement les zones rurales, où le centre et le médecin ne sont pas toujours faciles d'accès.

Les chiffres cités, relativement peu élevés, auraient besoin d'être actualisés, compte tenu de la loi du 4 juillet 2001. Un premier recueil de données sur la période allant de septembre à décembre 2001 devrait être prochainement disponible. Il devrait faire apparaître une augmentation de la délivrance du Norlevo, les infirmières scolaires, après une première période de prudence, s'étant trouvées confortées dans leur rôle par les nouveaux textes.

_ Les infirmières scolaires, reçues par la Délégation, ont souligné le rôle qu'elles jouent auprès des jeunes, et au-delà de l'approche de santé, la relation particulière qu'elles nouent avec les élèves. Ainsi, Mme Brigitte Le Chevert, secrétaire générale du Syndicat national des infirmières et conseillères de santé-FSU (SNICS-FSU) (27), a témoigné :

"Les élèves viennent à l'infirmerie pour un mal au doigt, un mal au dos, ou un mal au ventre. Ils viennent pour que l'on s'occupe d'eux, parce que nous sommes des infirmières et que nous nous occupons du corps. Les élèves comprennent notre métier, ce que beaucoup d'adultes ne comprennent pas. Ils savent que nous sommes là pour leur bien-être, pour qu'ils soient bien dans leur vie. Nous prenons soin d'eux, et c'est pourquoi ils viennent nous parler. Notre travail n'interfère pas avec celui du psychologue et de l'assistante sociale, car le lien entre l'élève et l'infirmière, c'est le corps".

C'est dans cette relation de confiance que se situe la délivrance du Norvelo aux adolescentes en détresse. Responsable des actes professionnels qu'elle accomplit, l'infirmière doit prendre sa décision en conscience.

_ Les infirmières très attachées au rôle qui leur est dévolu par le protocole, ont souligné néanmoins un certain nombre de difficultés dans l'exercice quotidien de leurs fonctions :

- en premier lieu, le problème des effectifs. L'insuffisance du nombre d'infirmières scolaires est patente. Le taux d'encadrement est actuellement d'environ une infirmière pour 2 000 élèves. Selon Mme Annick Fayard-Riffiod, il est passé de la rentrée 1997 à la rentrée 2001, d'une infirmière pour 2 300 élèves à une infirmière pour 1 960. Si, en ville, une infirmière scolaire est compétente pour un complexe scolaire de 1 500 élèves, en milieu rural, l'infirmière peut avoir la charge de trois établissements de 500 élèves, à raison d'une journée et demie dans chacun. Dans ces conditions, il paraît difficile de répondre à l'urgence ;

- l'accessibilité du médecin ou du centre de planification en zone rurale et l'éloignement de l'établissement ;

- le problème de la sortie de l'établissement pour la mineure que l'infirmière renvoie sur un médecin ou sur un centre. Cette question cependant devrait - en partie seulement - être résolue avec la mise à disposition gratuite en pharmacie du Norvelo pour les mineures ;

- la formation à ces nouvelles pratiques. Les infirmières demandent une formation à la contraception d'urgence et au-delà à l'éducation sexuelle. Dans ce but, l'Education nationale a organisé, d'octobre 2000 à avril 2001, sept séminaires inter-académiques destinés à la formation des infirmières à la délivrance du Norlevo, en partenariat avec le MFPF et l'ANCIC. Mille infirmières en ont déjà bénéficié et l'ensemble des infirmières scolaires devrait y avoir accès d'ici à deux ans ;

- les questions de responsabilité, soulevées notamment par Mme Anne-Marie Gibergues, secrétaire générale du Syndicat national des infirmiers, infirmières, éducateurs de santé (SNIES-FEN) (28). Les infirmières s'inquiètent de l'attitude à adopter vis-à-vis des familles. S'agissant de l'information des parents préalable à la contraception d'urgence, la mineure qui désire garder le secret, peut refuser de les en avertir et l'infirmière est tenue par le secret professionnel.

Il semble que, passé les hésitations et les flottements de l'année dernière, les réticences de médecins scolaires ou de chefs d'établissement, la délivrance de la contraception d'urgence se mette en place progressivement, appuyée par les efforts budgétaires de l'Education nationale en création de postes et en actions de formation et par la mise en _uvre de l'éducation à la sexualité.

2. La gratuité du Norlevo en pharmacie pour les mineures

L'article 24 de la loi du 4 juillet 2001 permet la mise à disposition de la contraception d'urgence aux mineures, à titre gratuit, en pharmacie, selon des conditions définies par décret.

Cette disposition apparaît comme le complément indispensable de la délivrance de la contraception d'urgence en milieu scolaire. Elle permet en principe à toutes les mineures qui n'ont pu l'obtenir de l'infirmière d'établissement, ou dont la situation d'urgence se situe en dehors des périodes scolaires (week-end, vacances), de pouvoir y accéder, gratuitement, et en toutes circonstances.

_ Il s'agit d'une avancée considérable mise en _uvre par le décret du 9 janvier 2002 qui précise les modalités de délivrance en officine à titre anonyme et gratuit et définit le rôle du pharmacien.

- La délivrance par le pharmacien est précédée d'un entretien visant à s'assurer que la situation de la personne mineure correspond aux critères d'urgence et aux conditions d'utilisation de cette contraception.

- Au cours de cet entretien, le pharmacien doit "fournir à la mineure une information sur l'accès à une contraception régulière, sur la prévention des maladies transmissibles et sur l'intérêt d'un suivi médical".

- Le pharmacien remet une documentation sur ces sujets.

- Il communique à la mineure les coordonnées du centre de planification ou d'éducation familiale le plus proche.

- La minorité de la personne, qui conditionne la gratuité, fait l'objet d'une simple déclaration orale.

S'agissant de la mise en _uvre de la gratuité, le conseil national de l'Ordre des pharmaciens, par l'intermédiaire du comité d'éducation sanitaire et sociale de la pharmacie française (CESSPF) a passé une convention avec la CNAM.

Le Norlevo, en effet à 7,93 € (52 F) la boîte, demeure coûteux pour les mineures.

_ M. Jean Parrot, président du conseil national de l'Ordre des pharmaciens a exprimé, devant la Délégation (29), une opinion tout à fait positive quant à la place du Norlevo en pharmacie. Ce produit, a-t-il déclaré, a répondu aux attentes des pharmaciens confrontés à des jeunes filles en difficulté et leur a permis de jouer un rôle de conseil. La consommation constatée, plus de 600 000 boîtes sur neuf mois cumulés en 2001 contre 441 000 boîtes en 2000, répond effectivement à une demande importante.

M. Jean Parrot a souligné, au-delà du rôle d'information du pharmacien, son rôle éducatif vis-à-vis des adolescentes en difficulté ; il doit expliquer que "la contraception d'urgence, réponse à une situation critique au jour donné, ne constitue pas une gestion de la contraception dans le temps." Le pharmacien se voit investi comme professionnel de santé d'une mission de santé publique.

A cet effet, une brochure (30) grand public sur le Norlevo et la contraception élaborée par le comité en collaboration avec la CNAM, sera remise lors de la délivrance du médicament pour l'information des mineures. Diffusée à deux millions d'exemplaires, elle est d'ores et déjà distribuée dans de nombreuses pharmacies.

Etant donné l'importance de ce dispositif, à la fois pour une meilleure prévention des grossesses non désirées et une meilleure information des jeunes filles, on ne peut que regretter que des difficultés d'ordre administratif et technique en retardent la mise en _uvre.

3. La gratuité des consultations de contraception en ville pour les mineures

_ Malgré l'ensemble du dispositif déjà mis en place pour permettre aux jeunes filles mineures d'accéder gratuitement à la contraception (centres de planification, établissements scolaires, pharmacies d'officine), des failles demeurent concernant la consultation de contraception par la mineure - en urgence ou non - chez le médecin de ville.

La loi qui supprime le consentement parental pour la prescription et la délivrance de contraceptifs aux mineures, alignant ainsi, sur ce point, les conditions de consultation en ville sur celle des centres de planification familiale, ne prévoit cependant aucune modalité de prise en charge, alors que celle-ci est prévue pour l'IVG. A ce sujet, Mme Fatima Lalem a souligné devant la Délégation (31) : "Notre crainte est que cela crée une discrimination entre celles qui peuvent avoir accès à un centre de planification, où il y a gratuité, et celles qui consultent chez un médecin privé. Qu'en est-il de la mineure de 15 ans, qui n'a pas toujours l'argent nécessaire pour pouvoir payer un praticien et pour laquelle il est exclu de demander de l'argent ou d'utiliser la carte des parents ?"

_ Des réseaux de santé liant par convention un ou plusieurs médecins à un centre de planification pourraient apporter une solution particulièrement intéressante en milieu rural, où les centres sont peu nombreux. Ces conventions seraient passées en liaison avec le Conseil général, responsable de la prévention dans le département.

Mme Fatima Lalem a cité en exemple le réseau, subventionné par le conseil général, qui lie le centre du Planning de Montpellier à des cabinets médicaux, en ville ou dans des cantons éloignés.

Des conventions de cette nature pourraient s'inscrire dans le cadre des nouveaux réseaux de santé, institués par la loi relative aux droits des malades et à la qualité du système de soins, adoptée le 12 février dernier. Ces réseaux qui lient professionnels de santé libéraux, établissements ou centres de santé, institutions sociales ou médico-sociales, peuvent, s'ils satisfont à des critères de qualité, bénéficier de subventions de collectivités territoriales ou de l'assurance-maladie.

B. CONTRACEPTION ET PRÉVENTION

La politique de prévention des IVG n'a pas encore eu l'efficacité souhaitée, puisque le nombre d'IVG se maintient depuis plusieurs années à un taux relativement élevé. Elle passe d'abord, pour remédier aux échecs contraceptifs, par la mise à disposition des femmes d'une contraception accessible et diversifiée.

1. Une contraception plus accessible et plus diversifiée

_ Mieux déceler les causes des échecs de la contraception pour une orientation contraceptive plus efficace

Mme Nathalie Bajos, chercheure à l'INSERM (32), a analysé les raisons de ces échecs chez les femmes qui, pourtant très favorables à la contraception, deviennent enceintes malgré une véritable démarche contraceptive,.

Mis à part l'échec incontournable de la grossesse sous stérilet ou sous pilule, "le deuxième facteur clé de l'échec de la contraception, c'est [...] la méthode inadéquate. Un certain nombre de grossesses est dû au fait que la méthode contraceptive utilisée par la femme n'est pas en adéquation avec les caractéristiques de sa vie affective, sociale ou sexuelle. Les médecins raisonnant dans une logique d'efficacité médicale, se heurtent parfois à une logique sociale de prise en compte des conditions de vie et prescrivent des méthodes qui ne sont pas adaptées aux besoins de la femme."

Chez les jeunes filles, une sexualité qui n'est pas socialement acceptée, est un facteur déterminant. S'y ajoute un manque d'information patent. Des jeunes filles pensent souvent n'être fertiles que le quatorzième jour du cycle et, au mieux un jour avant et un jour après.

De plus, la peur que la sexualité soit révélée au milieu familial, par la contraception, contribue à créer un sentiment d'infertilité sociale. "Je suis trop jeune, cela ne peut m'arriver".

"Il y a donc nécessité, non seulement de fournir à ces jeunes une information sur les risques au-delà du quatorzième jour, mais de faire en sorte que l'accès à cette information leur paraisse légitime."

Autre point important souligné par Mme Nathalie Bajos : la contraception au c_ur du rapport homme-femme dans le couple, demeure encore fortement influencée par le partenaire, souvent au détriment du bien-être de la femme.

_ L'offre contraceptive doit être élargie et plus accessible.

En théorie, l'offre contraceptive est très variée depuis le préservatif, les différents types de pilule, en passant par le stérilet, le "patch", l'implant contraceptif, le préservatif féminin (Femidon), jusqu'aux méthodes de l'avenir qui devraient s'orienter vers la contraception masculine.

Dans l'immédiat, pour les femmes, se pose le problème d'un meilleur accès à la pilule de troisième génération, du coût du stérilet et de l'utilisation du Femidon.

- La pilule de troisième génération présente des avantages par rapport aux précédentes. Mieux tolérées par les femmes, elles sont de plus en plus prescrites par les médecins, mais non encore remboursées, comme le sont les pilules de première et deuxième générations.

Toutefois, l'intérêt médical de leur prescription est en discussion. L'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSPS) consultée sur les "risques thromboemboliques veineux des contraceptifs _stroprogestatifs de troisième génération" par le MFPF, attirait l'attention sur une "augmentation du risque thromboembolique veineux légèrement plus importante", lors de l'utilisation de ce type de contraceptif par rapport aux contraceptifs précédents.

L'AFSSPS recommandait :

"- aux femmes qui utilisent une pilule _stroprogestative, de ne pas interrompre leur traitement s'il est bien toléré ;

- aux médecins, de prendre en compte ces nouvelles données pour la prescription d'un _stroprogestatif, en particulier lorsqu'il s'agit d'une première prescription et utilisation, et chez les femmes qui présentent des facteurs de risque cardiovasculaires."

Aussi, le conseil d'administration du MFPF a-t-il conseillé aux médecins des centres de planification de ne prescrire que de façon très exceptionnelle la pilule de troisième génération et non pas systématiquement, comme c'était le cas dans certains centres (33).

Pour sa part, Mme Elisabeth Aubény a estimé que certaines femmes supportaient mieux ces pilules à faible taux d'_strogène et que, suivant l'AFSSPS, il n'était pas nécessaire d'arrêter la prescription de ces pilules, même avec un risque d'accident un peu plus élevé, mais de faire attention aux contre-indications.

M. Bernard Kouchner, ministre délégué à la santé (34), reconnaissait récemment qu'il conviendrait de revaloriser les pilules de deuxième génération et de n'autoriser le remboursement des pilules de troisième génération que dans des cas précis (intolérance aux autres pilules, notamment).

_ Le stérilet est encore relativement peu utilisé en France (16 % des Françaises en état de procréer). Plus confortable et plus sûr que la pilule, sans contre-indication d'ordre biologique, ni interaction médicamenteuse, sa prescription fait pourtant l'objet de nombreux préjugés.

Son développement passe notamment par une baisse de prix et un meilleur remboursement par la sécurité sociale.

Un arrêté du 9 octobre 2001 révise à la hausse le prix de vente maximum au public des stérilets remboursables, fixé à 27,44 € (180 F) et remboursé à 21,6 € (142 F). Etant donné son efficacité sur plusieurs années, c'est un instrument relativement peu coûteux de contraception.

- Le "patch" contraceptif, sorte de timbre hebdomadaire autocollant diffusant des doses d'hormones semblables à celles contenues dans la pilule, efficace à 99 %, vient de faire son apparition. Selon M. Jean Parrot, c'est un bon outil pour l'avenir, sous réserves de précautions dans son utilisation et son suivi. Son coût serait équivalent à celui de la pilule.

- L'implant contraceptif (Implanon), bâtonnet de la taille d'une allumette, introduit sous la peau de la face interne du bras avec une anesthésie locale, diffuse un progestatif en continu. D'une durée de vie de trois ans, il peut être ôté à tout moment. Efficace à près de 100 %, il présente de nombreux avantages, mais quelques inconvénients. Mis sur le marché en mai 2001, l'Implanon demeure encore peu connu des femmes comme des médecins. Son coût est de 138,5 € (906,20 F) remboursé par la sécurité sociale.

_ L'usage du préservatif féminin (Femidon) a été longuement évoqué devant la Délégation aux droits des femmes. Il présente l'intérêt de cumuler une contraception féminine efficace et une protection contre les risques sexuels, sida et maladies sexuelles transmissibles. Mais, non remboursé par la sécurité sociale, coûteux (près de 50 F la boîte de trois), et d'aspect peu agréable, son utilisation n'est guère développée, d'autant que peu de pharmacies en disposent.

Pourtant, le Femidon convient particulièrement aux femmes confrontées à la progression de l'épidémie du sida depuis l'apparition de trithérapies efficaces et le relâchement de la vigilance. Selon Carine Favier, responsable de la commission sida au Mouvement français pour le planning familial (MFPF) (35), le ratio qui était, il y a quelques années, d'une femme pour sept hommes, est actuellement d'une femme pour 2,7 hommes. Environ 30 000 femmes seraient concernées. La prise de conscience de ce grave problème de santé publique a conduit en 1998 la Direction générale de la santé à engager un programme de prévention des risques sexuels, avec le concours du MFPF.

Mme Janine Mossuz-Lavau, directrice de recherche du Centre d'étude de la vie politique française (CEVIPOF) (36), chargée d'une enquête d'évaluation de ce programme, a mis en évidence des éléments qui conduisent à promouvoir le préservatif féminin :

- un certain nombre de femmes, étant donné les inconvénients de la pilule (effets secondaires, oubli, contraintes de la prise quotidienne), reviennent à la méthode Ogino et aux erreurs qu'elle induit ;

- des femmes qui se retrouvent seules après un événement personnel (divorce, veuvage, séparation) abandonnent une protection particulière ;

- des femmes et des hommes ne se sentent pas concernés par le problème du sida. "Cela n'arrive qu'aux autres... mon mari est fidèle" ;

- enfin, on constate, dans le couple, une résistance masculine à l'utilisation du préservatif. Si la femme ne demande pas à l'homme de se protéger, il n'y a alors aucune protection.

D'où l'intérêt de ce mode de protection. Dans le cadre du programme de réduction des risques sexuels, proposé gratuitement aux participantes des groupes de paroles, il a été relativement bien accepté.

Il a l'avantage, a expliqué, Mme Janine Mossuz-Lavau, de redonner aux femmes leur autonomie et de ne pas avoir à négocier une protection avec le partenaire, en concluant : "Le préservatif féminin comporte des inconvénients et des avantages. Tout comme les autres moyens de protection, il peut convenir à certaines et demeurer inenvisageable pour d'autres. En tout cas, il permet de diversifier une palette, qui jusqu'à ce jour n'a pas fait la preuve d'une efficacité à 100 %. Or, chacun et chacune a besoin d'une méthode adaptée à son mode de vie, à sa santé, aux exigences de ses partenaires. Même si le préservatif féminin ne constitue pas la panacée, il reste un moyen de diversifier les modes de protection contre les risques sexuels."

2. Pour des campagnes d'information plus régulières

La contraception pour être efficace doit s'appuyer en amont sur l'information la plus large possible, particulièrement auprès des jeunes.

La première campagne d'information sur la contraception a été lancée en 1982 par Mme Yvette Roudy, alors ministre des droits de la femme, sur le thème "La contraception, c'est un droit", à partir notamment de spots TV et de dépliants. Malgré les nombreuses oppositions qui s'étaient manifestées à l'époque, elle a été très bien accueillie par les femmes.

Mis à part une campagne en 1992 axée principalement sur l'utilisation du préservatif et la prévention contre le sida, l'information sur la contraception depuis vingt ans a été négligée.

Aussi, depuis deux ans, le Gouvernement s'est engagé à mener des campagnes d'information régulières sur la contraception. Une première campagne était lancée au début de l'année 2000 sur le thème "La contraception, à vous de choisir la vôtre". La campagne 2002, qui poursuit cet effort, autour du thème "La contraception, ne laissez pas l'imprévu décider à votre place", a cherché à sensibiliser les femmes et les couples sur les moments où... ce n'est pas le moment d'oublier la contraception, et sur le fait que chaque femme connaît en moyenne une grossesse non désirée au cours de sa vie.

La campagne a voulu répondre à trois enjeux majeurs :

- favoriser une utilisation effective de la contraception par les femmes et leur partenaire,

- mobiliser les professionnels de santé afin qu'ils prennent en compte les différents enjeux psychologiques et sociaux liés à la contraception,

- développer les actions menées au sein des régions et les partenariats initiés en 2000-2001.

Pour toucher le grand public, la campagne a favorisé l'affichage (8 000 panneaux d'affichage urbain) et la radio, deux médias de proximité. Une campagne à la télévision n'a pas été retenue, l'impact TV de la campagne 2000 n'ayant donné que des résultats moyens.

Un dépliant d'information grand public disponible chez les médecins, les pharmaciens, les centres de planning familial, auprès de certaines associations, a été édité en sept millions d'exemplaires.

On ne peut que se féliciter de cette nouvelle campagne. Comme l'a expliqué Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle, "Chaque année, une nouvelle classe d'âge s'éveille à la sexualité ; c'est pourquoi l'information sur la contraception, et plus largement sur la sexualité doit être permanente."

_ Toutefois, pour atteindre l'efficacité voulue, une campagne de cette nature devrait pouvoir s'appuyer sur une plus grande régularité et sur un travail en amont de formation des prescripteurs, médecins généralistes et gynécologues.

Elle devrait être relayée par un travail de proximité auprès des femmes, par l'intermédiaire d'associations, des centres de planning, des centres de PMI et, auprès des jeunes, par l'école.

_ Enfin, une politique de prévention en direction des femmes, conçue dans son sens le plus large, devrait inclure des actions d'information et d'éducation spécifiques. C'est le sens de l'amendement que la Délégation aux droits des femmes avait présenté, lors de l'examen du projet de loi relatif aux droits des malades et à la qualité du système de santé, suggérant que ces actions d'information et d'éducation pour la santé englobent "les actions de prévention et de dépistage des maladies sexuellement transmissibles et du sida, d'information à la contraception et à l'interruption volontaire de grossesse".

CONCLUSION

_ Une première étape, huit mois après l'entrée en vigueur de la loi

Après huit mois d'entrée en vigueur de la loi du 4 juillet 2001, une première étape sera accomplie avec la parution prochaine des décrets nécessaires à son application complète. Jusqu'à présent seul a été publié le décret du 9 janvier 2002 relatif à la délivrance à titre gratuit aux mineures en pharmacie de la contraception d'urgence, dont on a mesuré ci-dessus toute l'importance, dans la prévention des grossesses non désirées chez les jeunes filles.

Ces décrets donneront à la loi du 4 juillet 2001 toute sa dimension, en complément des mesures déjà immédiatement applicables (allongement des délais légaux de l'IVG, dispense d'autorisation parentale pour les mineures désirant garder le secret). Ils sont relatifs :

- à l' IVG médicamenteuse (décret en Conseil d'Etat) ;

- aux installations autorisées dont doivent disposer les établissements de santé privés pratiquant les IVG (décret en Conseil d'Etat) ;

- à la pratique de l'interruption médicale de grossesse en cas d'anomalie f_tale et lorsque la santé de la femme est gravement menacée (deux décrets en Conseil d'Etat) ;

- à la prise en charge anonyme et gratuite des IVG pratiquées par des mineures sans consentement parental (décret simple) ;

- aux conditions d'application de la stérilisation à visée contraceptive aux personnes handicapées (décret en Conseil d'Etat).

Le dossier-guide, très attendu, sera très prochainement disponible. Complément indispensable de la loi, qui en prévoit la mise à disposition dès la première consultation médicale, il apportera à la femme comme aux professionnels de santé l'information nécessaire.

_ L'IVG, un acte médical qui doit garder sa spécificité

La période est trop courte pour dresser un bilan de l'application de la loi, compte tenu des hésitations et des flottements des premières semaines jusqu'à la parution de la circulaire du 28 septembre 2001.

- Après un démarrage difficile, un peu chaotique, les choses se mettent progressivement en place, comme l'a exposé une des interlocutrices de la Délégation. Des points noirs subsistent au niveau de certaines régions, bien identifiées, mais il ressort des enquêtes que la situation estivale n'a pas été aussi catastrophique qu'on aurait pu le supposer. On doit toutefois stigmatiser le "tourisme régional", particulièrement traumatisant pour les femmes, qui a succédé aux départs à l'étranger.

- Au-delà de ces constatations, un problème de fond demeure, quant au véritable statut de l'interruption volontaire de grossesse.

La philosophie sous-jacente à la loi du 4 juillet 2001 est que l'IVG, vingt-cinq ans après sa légalisation, doit devenir un acte médical comme les autres et, avec l'allongement des délais, progressivement s'intégrer dans l'hôpital, dans un souci de santé publique et de meilleure prise en charge médicale.

Or, l'IVG doit conserver toute sa spécificité. La femme en demande d'IVG ne présente pas de pathologie, n'est pas malade. Elle mérite cependant un accueil et une attention particulière, en vertu du droit qui lui a été reconnu par la loi et que le service public s'est engagé à respecter,.

Le souhait exprimé par le Gouvernement d'un rattachement progressif des CIVG aux structures hospitalières risque de porter atteinte à ce caractère spécifique. La plus grande attention devra y être apportée pour ne pas ruiner vingt-cinq années d'initiatives, d'autonomie et de dévouement à la cause des femmes.

Le corollaire devrait être un traitement de l'IVG comme tout autre acte médical, c'est-à-dire une évaluation de l'acte dans le cadre de la nomenclature de la sécurité sociale et une indispensable revalorisation, dans le respect des médecins qui pratiquent les IVG.

_ La réduction du nombre des IVG, priorité de santé publique, passe par la contraception, la prévention, l'éducation.

- La loi améliore les possibilités de contraception offertes aux mineures. Mais il faudrait aller plus loin et organiser une prise en charge en médecine de ville, par l'organisation de réseaux entre centres de planning et cabinets médicaux, afin que les jeunes filles désirant la confidentialité, en ville, comme dans les cantons les plus éloignés, puissent accéder à la contraception rapidement et dans les meilleures conditions.

- La prévention par l'information sur la contraception, malgré les efforts récents, demeure insuffisante. En vingt ans, de 1982, date de la première campagne d'information, à la campagne de janvier 2000, il n'y a eu qu'une seule campagne en 1992. L'information devrait être non seulement ponctuelle, mais permanente et facilement accessible. La demande est forte, comme en témoigne le succès du guide de poche tiré à douze millions d'exemplaires dans le cadre de la campagne précédente, rapidement épuisé, et du petit guide d'information du mois de janvier, très demandé. Spots TV et radio, ciblés selon les âges et les publics, devraient alterner régulièrement dans les médias.

La prévention doit s'appuyer sur l'école dont le rôle à jouer est considérable. L'Education nationale devra désormais dispenser dans les écoles, collèges et lycées une information et une éducation à la sexualité à raison d'au moins trois séances annuelles. C'est un immense chantier qui est ouvert dans la poursuite des efforts initiés en 1998.

Un travail de fond est à entreprendre, car toute action de prévention et d'information se heurte à des réticences, des tabous encore très ancrés dans notre société, dès que l'on aborde les questions de sexualité.

La Délégation qui s'est penchée sur les problèmes de sexisme dans la publicité, n'a pu que constater la dichotomie entre l'approche du sexe et l'utilisation du corps des femmes dans les médias et le traitement de questions fondamentales pour les femmes au quotidien : la contraception, l'IVG, la grossesse et son suivi, l'accouchement.

_ Une évaluation nécessaire

C'est tout un "arsenal" qui se met progressivement en place pour traiter au mieux et au plus tôt les IVG, et pour les prévenir. Il sera indispensable de procéder à une évaluation dans les années à venir, afin d'observer l'évolution du nombre des IVG, dont on espère qu'elle connaîtra, à terme, une forme diminution, l'idéal étant de rejoindre le taux des Pays-Bas, 6,5 0/00, le plus bas du monde.

3663 - Rapport d'activité de la Délégation aux droits des femmes : année 2001

() La liste complète des rapports de la Délégation figure en annexe.

() Actes du colloque DIAN 22/2001.

() 214 000 en 1998.

() Audition du 27 novembre 2001.

() Audition du 13 novembre 2001.

() Audition du 30 octobre 2001.

() Audition du 30 octobre 2001.

() Audition du 6 novembre 2001.

() Audition du 16 octobre 2001.

() Voir en annexe le courrier du MFPF du Calvados adressé à Mme Yvette Roudy, en date du 5 janvier 2002.

() Audition du 30 octobre 2001.

() Audition du 12 juin 2001.

() Audition du 6 novembre 2001.

() Audition du 6 novembre 2001.

() Audition du 12 juin 2001.

() Audition du 30 octobre 2001.

() Audition du 6 novembre 2001.

() Audition du 13 novembre 2001

() Audition du 16 octobre 2001.

() Réponse du 12 novembre 2001 à une question de Mme Muguette Jacquaint.

() Source DREES - Juin 2000.

() AP-HP. Bilan d'activité 2000 des centres de Planning familial.

() Rapport d'information (n° 2702) de Mme Danielle Bousquet.

() Mineures de 15 à 18 ans : 7 0/00 en 1997 (6 0/00 en 1990)

() Majeures de 18 à 19 ans :19 0/00 en 1997 (15 0/00 en 1990)

Majeures de 20 à 24 ans : 24 0/00 en 1997 (21 0/00 en 1990

Source DRESS - juin 2000.

() Audition du 20 novembre 2001.

() Audition du 27 novembre 2001.

() Audition du 27 novembre 2001.

() Audition du 13 novembre 2001.

() Voir en annexe.

() Audition du 16 octobre 2001.

() Audition du 13 novembre 2001.

() Audition du MFPF du 16 octobre 2001.

() Entretien du 13 février 2002, avec Mme Martine Lignières-Cassou.

() Audition du 4 décembre 2001.

() Audition du 6 novembre 2001.