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RAPPORT
sur
De la connaissance des gènes à leur utilisation

___

Première partie : L'utilisation des organismes génétiquement modifiés
dans l'agriculture et dans l'alimentation
PAR M. JEAN-YVES LE DÉAUT,

Député

SOMMAIRE

Préface

Introduction

Chapitre premier : Les cultures de plantes transgéniques sont devenues un enjeu économique primordial

A - Des essais au champ aux cultures en plein champ

B - L’importante activité des entreprises du secteur

C - Le problème des relations économiques internationales

D - Le problème de la situation des pays en voie de développement

E - Le devenir de l’agriculture

PREFACE

Depuis huit mois, j’ai écouté, consulté, auditionné, interrogé. J’ai souhaité demander l’avis d’experts, de professionnels, de chercheurs, de consommateurs, de responsables d’associations mais aussi de " Français comme tout le monde " qu’on ne voit jamais aux journaux de 20 heures, mais qui ont pourtant leur avis, leur opinion.

Le Parlement, Assemblée Nationale et Sénat réunis, puisque seize députés et seize sénateurs siègent à l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, a organisé une grande première en France : une " Conférence de Citoyens ".

Quatorze " candides ", un jury en quelque sorte, a pris à bras le corps ce dossier, consacré quatre week-ends d’avril à juin à s’approprier les questions relatives aux organismes génétiquement modifiés pour mieux en cerner les enjeux, évaluer les avantages et les risques des biotechnologies, mieux appréhender les interrogations qui demeurent.

J’avais bien sûr également consulté les acteurs de la filière, des chercheurs, des médecins, des industriels, des responsables associatifs, des ministres.

Comme les experts, les " candides " ont posé des questions pertinentes, qui, pour certaines, " décoiffent ". Ils ont exprimé tout haut ce que d’autres disent tout bas. Le débat qu’ils ont suscité a apporté une grande bouffée d’oxygène à la démocratie. Il arrive trop tard, se plaignent certains. Mais au moment de l’invention de la machine à vapeur, Denis Papin n’avait pas imaginé le T.G.V.

Les biotechnologies vont révolutionner la médecine, l’industrie pharmaceutique, l’environnement, l’agriculture. Mais tout le monde n’est pas d’accord sur les effets bénéfiques du progrès scientifique et technique.

Certains pensent que " tout va trop vite ".

D’autres, au contraire, estiment que l’immobilisme et l’attentisme risquent de nous conduire à être très rapidement hors jeu car le progrès a toujours apporté un plus pour l’humanité, tant qu’il reste maîtrisé et domestiqué.

Alors les citoyens ont donné leur avis comme les experts, les acteurs de la filière ou les accrocs du web. A moi maintenant de donner le mien. Il prend en compte les avis de ceux que j’ai entendu et, au fil des mois, je me suis forgé une conviction. Je l’exprime dans ce rapport qui préconise un certain nombre de recommandations qui éclaireront, je l’espère, le gouvernement.

Jean-Yves Le Déaut

INTRODUCTION

L’actualité dans le domaine des biotechnologies s’est accélérée au cours de la dernière année et plus spécialement pendant ces derniers mois.

Le nouveau gouvernement issu des dernières élections législatives de mai 1997 a dû en effet assumer les conséquences de la décision incohérente du 12 février 1997. Celle-ci interdisait en effet la mise en culture du maïs transgénique de la société Novartis tout en autorisant les importations de maïs et de soja transgéniques en provenance des Etats-Unis. Il faut considérer que, ou bien, il y avait risque pour la santé et il convenait d’interdire toute importation, ou on estimait le risque nul et la logique aurait alors voulu que le gouvernement autorise également la mise en culture du maïs Bt 176 de Novartis.

La décision de principe donnant l’autorisation de mise en culture avait été annoncée le 27 novembre 1997 et elle a été appliquée effectivement par l’arrêté du 5 février 1998.

Au cours de sa visite officielle aux Etats-Unis, voilà quinze jours, le Premier Ministre, M. Lionel Jospin, a eu des entretiens avec le Président des Etats-Unis sur ce sujet. A cette occasion, M. Lionel Jospin a fait savoir que la France ferait connaître sa position sur cette affaire après la Conférence de citoyens et le rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques technologiques.

Enfin il convient de rappeler que la " votation " a eu lieu le 7 juin dernier en Suisse. Le texte proposé aux suffrages de nos voisins se trouve en annexe. Il interdisait de fait toute activité dans le domaine des biotechnologies, y compris la recherche médicale. Il a été repoussé par 65% des votants.

Le moment me semble d’autant plus favorable pour présenter ces réflexions que la Conférence de citoyens, qui a représenté une innovation capitale dans le développement du débat démocratique sur un sujet scientifique, vient de s’achever. On en trouvera le texte final en annexe.

On peut d’ores et déjà noter quelques points très importants du texte élaboré par les Citoyens.

Ainsi celui-ci insiste-t-il sur le principe de précaution à respecter lorsque la santé humaine ou l’environnement est en cause, tout en reconnaissant que le risque " zéro " n’existe pas. Une meilleure information du consommateur est aussi souhaitée, notamment grâce à un étiquetage clair, la traçabilité et la séparation des filières. Le souhait d’une information claire sur le produit consommé est également exprimé, ainsi que le désir que soit précisée la notion de seuil.

Il faut noter que le panel, comme d’ailleurs les acteurs de la filière ou les experts, s’est divisé sur le point de savoir s’il convenait de proposer un moratoire ou de juger au cas par cas, comme l’a proposé le gouvernement en novembre 1997, en assortissant les autorisations à la mise en place d’un système de biovigilance. Le panel a en outre proposé la modification de la prise de décision d’autorisation ou de mise en culture en donnant à des représentants de la société le pouvoir d’évaluer l’opportunité de la mise en culture de plantes transgéniques.

Il a également souhaité que des modifications législatives précisent les responsabilités de l’obtenteur, du vendeur de semences et des autres acteurs de la filière et instaurent dans la loi la traçabilité des plantes et des produits.

Ayant établi ces règles de précautions, le panel n’a absolument pas rejeté l’intérêt des plantes transgéniques. Il a ainsi formulé un avis proche de celui émis par les Suisses lors de la récente " votation " sur les biotechnologies.

Il a notamment demandé que des moyens publics soient mobilisés pour la recherche, percevant ainsi les fantastiques enjeux du développement des sciences du vivant dans les prochaines décennies. Il a toutefois souhaité que les constructions transgéniques de deuxième génération correspondent aux attentes du consommateur et ne se limitent pas à des transferts de gènes de résistance à des herbicides ou à des insectes.

Ils ont enfin insisté sur la nécessité d’une coordination européenne et internationale pour éviter que le développement des biotechnologies ne se transforme en guerre économique ou en instrument de pouvoir de quelques firmes multinationales.

Pour le reste, la préparation du travail que je soumets à l’Office a suivi un cours assez classique.

J’ai effectué un cycle d’auditions privées au cours desquelles j’ai rencontré plus de deux cents personnes. J’ai adopté comme règle de recevoir quiconque m’en ferait la demande afin de permettre au maximum de personnes et aussi de groupements de pouvoir se faire entendre. Je continuerai ces auditions avant de publier la deuxième partie du rapport.

J’ai effectué également un certain nombre de missions à l’étranger : Autriche, Suisse et Etats-Unis, déplacements fort riches d’enseignements qui m’ont permis de me rendre compte de la diversité des approches dans ces différents pays.

Enfin, j’ai organisé des auditions publiques les 27 et 28 mai derniers.

Au cours de celles-ci ont été entendus tous les ministres concernés par cette question : M. Claude Allègre, ministre de l’éducation nationale, de la recherche et de la technologie, M. Bernard Kouchner, secrétaire d’Etat à la santé, Mme Marylise Lebranchu, secrétaire d’Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce et à l’artisanat, M. Louis Le Pensec, ministre de l’agriculture et de la pêche, Mme Dominique Voynet, ministre de l’aménagement du territoire et de l’environnement.

Des " tables rondes " publiques et contradictoires ont également eu lieu pendant ces auditions publiques des 27 et 28 mai. Une nouvelle fois leur vertu singulière s’est vérifiée : elles ont permis que soient discutées un certain nombre de controverses face à face et non pas par organes de presse voire par manifestes interposés, avec tous ce que ces moyens d’expression apportent en termes de réduction et de caricature des positions.

Je ferai un exposé sur l’ensemble des techniques des biotechnologies en introduction de la deuxième partie du rapport. Le schéma suivant donnera une idée assez complète des technologies utilisées pour effectuer des transferts de gènes chez les plantes.

Il faut être conscient du fait que les biotechnologies s’inscrivent dans l’histoire multimillénaire de l’action humaine pour d’abord apprivoiser la nature puis la mettre à son service.

L’exemple du maïs est à cet égard singulièrement éclairant.

L’histoire de cette plante est en effet étroitement liée à l’histoire de l’humanité.

Né il y a certainement 7 000 ans sur les hauts plateaux du Mexique et du Guatemala, il est devenu l’aliment indispensable des hommes de ces pays. Il est introduit en Europe en 1494.

L’ancêtre du maïs est certainement le téosinte qui présente des différences importantes par rapport au maïs : tige ramifiée, épi de très petite taille, petit nombre de grains par épi... Un épi de maïs mesurait environ 2,5 cm il y a 7 000 ans, 10 cm au début de l’ère chrétienne. Aujourd’hui, il peut dépasser 30 cm.

Pour arriver à ce résultat les agriculteurs ont sans relâche pratiqué une sélection en choisissant comme semences les grains portés par les plus belles plantes, sur les plus beaux épis et dont les rendements et les qualités étaient les meilleurs. L’utilisation des techniques d’hybridation a permis de créer des plantes très vigoureuses. Mais cette méthode restait encore assez empirique. Ce sont les biotechnologies qui vont permettre d’effectuer de façon encore plus rationnelle des progrès, dans la grande lignée du développement des techniques d’amélioration des plantes.

Comme l’a relevé le panel de citoyens, les cultures de plantes transgéniques sont devenues un enjeu économique primordial tout en suscitant des interrogations majeures. C’est tout le paradoxe de cette étude puisque votre rapporteur doit à la fois répondre aux légitimes interrogations que se posent nos compatriotes, alors qu’une technologie nouvelle envahit l’agriculture et l’industrie agro-alimentaire, mais aussi cerner les enjeux économiques des biotechnologies.

Je ferai donc un certain nombre de recommandations immédiates qui correspondent à mes convictions après les différents cycles d’auditions d’acteurs de la filière, d’experts ou de citoyens.

Cette succession d’événements, qui se sont notablement accélérés depuis, le mois de juin m’a incité à communiquer au plus vite mes réflexions sur ce sujet à l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques.

Je réserverai pour la deuxième partie du rapport le premier bilan du processus de biovigilance qui s’est mis en place. Je ferai également à ce moment des recommandations plus précises sur la coordination européenne et internationale qui concerne l’Union européenne, l’O.N.U., l’O.M.C., l’O.M.S. et la F.A.O.

CHAPITRE PREMIER

Les cultures de plantes transgéniques sont devenues un enjeu économique primordial

L’enjeu économique mondial des plantes transgéniques se marque, après une phase d’essais, par le développement des cultures en plein champ au niveau mondial, par l’importante activité des entreprises présentes sur ce marché, par la croissance des problèmes commerciaux internationaux et par le problème de la situation des pays en voie de développement. Cet essor des plantes transgéniques pose également le problème du devenir de l’agriculture.

A - Des essais au champ aux cultures en plein champ

La situation actuelle est caractérisée par l’essor des cultures transgéniques dans le monde et par les hésitations de la France. Il convient donc sans tarder de se fixer des objectifs à long terme.

a - L’essor des cultures transgéniques

L’enjeu économique des cultures transgéniques se traduit par l’évolution qui a affecté ce secteur depuis 1986 où on est passé des essais aux cultures en plein champ.

Pendant la période 1986 - 1997 ce furent à peu près 25 000 essais en champ portant sur plus de soixante espèces de végétaux qui ont été conduits dans 45 pays, dont la France. Le rythme de ces essais s’est considérablement accéléré dans les deux dernières années de la période. En effet sur ce total de 25 000 essais, 15 000, soit 60%, ont été menés sur les dix premières années, de 1986 à 1997, et 10 000, soit 40%, dans les deux dernières années, 1996-1997. C’est aux Etats-Unis et au Canada que ces essais ont été les plus nombreux : 72% du total. Notre pays a eu une activité très importante dans ce domaine puisque la Commission du génie biomoléculaire (C.G.B.) a autorisé de 1986 à 1996 la réalisation de plus de 3  000  essais (386 dossiers). Ces chiffres montrent bien, qu’à l’inverse de ce qu’affirment les détracteurs des biotechnologies des plantes, des essais en plein champ sont effectués depuis plus de dix ans. Ils montrent également que les commissions qui ont pris des décisions d’autorisation de mise en culture en France, en Europe, aux Etats-Unis et au Canada ont bénéficié d’un retour d’expérience leur permettant d’évaluer les risques en matière de santé ou d’environnement.

Les tableaux suivants extraits du rapport pour l’année 1996 de la Commission du génie biomoléculaire donnent une idée des dossiers examinés par cette commission :

Année

87

88

89

90

91

92

93

94

95

96

Total

colza

0

1

4

8

7

7

12

16

23

32

110

maïs

0

0

0

0

5

6

11

15

21

44

102

tabac

3

6

6

8

5

4

5

4

8

12

61

betterave

1

0

1

4

7

5

7

7

9

12

53

pomme de terre

1

0

0

1

3

1

2

4

1

1

14

melon

0

0

0

1

1

3

1

2

0

3

11

tomate

0

1

0

1

1

0

1

3

2

0

9

peuplier

0

0

1

1

1

1

1

0

2

2

9

laitue

0

0

1

0

1

0

0

0

1

3

6

tournesol

0

0

0

0

0

0

0

0

2

1

3

chicorée

0

0

0

0

0

0

0

0

1

2

3

vigne

0

0

0

0

0

0

0

0

1

1

2

soja

0

0

0

0

0

0

0

0

1

1

2

courgette

0

0

0

0

0

0

0

0

0

1

1

Total

5

8

13

24

31

27

40

51

72

115

386

Nombre de dossiers examinés par caractère introduit

année

87

88

89

90

91

92

93

94

95

96

total

Résistance aux herbicides

3

4

6

14

15

15

20

21

34

36

168

Résistance aux pestes

0

0

2

3

5

4

9

11

16

46

96

mâle stérilité

0

1

2

2

2

2

5

6

7

7

34

Résistance aux virus

1

1

1

4

5

3

4

5

4

6

34

Autres

1

2

2

1

4

3

2

8

11

20

54

Total

5

8

13

24

31

27

40

51

72

115

386

Les plantes les plus utilisées pour ces essais ont été : le maïs, la tomate, le soja, le colza, la pomme de terre et le coton. Les modifications introduites dans ces plantes ont concerné le plus fréquemment : la tolérance aux herbicides, la résistance aux insectes, l’amélioration de la qualité et la résistance à des virus.

La République populaire de Chine a été, en 1990, le premier pays à commercialiser une plante transgénique, un tabac résistant à une virose. En 1994 la société américaine Calgene a obtenu la première autorisation pour commercialiser une tomate transgénique, appelée " FlavrSavr ", conçue pour présenter une résistance plus importante au phénomène de pourrissement.

En 1996, la superficie totale de cultures de plantes génétiquement modifiées s’élevait à 2,8 millions d’hectares et en 1997 à 12,8 millions d’hectares, soit une multiplication par 4,5.

Ces superficies se répartissaient ainsi (en millions d’hectares) :

 

1996

% du total

1997

% du total

Etats-Unis

1,5

51

8,1

64

Chine

1,1

39

1,8

14

Canada

0,1

4

1,3

10

Argentine

0,1

4

1,4

11

Australie

E

1

<0,05

<1

Mexique

E

1

<0,03

<1

Source : d’après International service for the acquisition of agri-biotech applications

On note sur ce tableau la part prépondérante des Etats-Unis à la fois en valeur absolue et relative, ce pays augmentant encore cette dernière en 1997. La progression du Canada est aussi importante, de 4 à 10% du total. Les chiffres concernant la Chine indiquent une progression assez faible d’une année sur l’autre alors que le niveau de départ était assez élevé. Les informations se font assez rares sur ce pays et ne sont peut-être pas très fiables. Mais malgré ces incertitudes, toutes les indications révèlent que ce pays a pris de façon résolue le tournant des cultures de plantes génétiquement modifiées.

Hors la situation de l’Australie et du Mexique qui ne paraît pas encore significative, le cas de l’Argentine est très intéressant. En effet celui-ci montre que ce grand pays agricole, qui fait partie des " pays émergents ", semble avoir résolument fait le choix des cultures transgéniques. Ce sera certainement dans le futur un redoutable concurrent sur les marchés agricoles mondiaux. Autre enseignement très important de ce tableau : l’absence totale de l’Europe qui est pourtant une des grandes puissances agricoles de la planète et qui devrait aspirer à le rester...

Les perspectives pour 1998 estiment à environ 26 millions d’hectares les superficies occupées par les cultures transgéniques dans le monde et à environ 60 millions d’hectares les mêmes superficies en 2000. Il s’agit donc là d’une perspective de croissance très rapide, et ce, d’autant plus que les plantes de deuxième génération améliorant les capacités de résistance aux virus, les qualités gustatives ou nutritionnelles sont à un stade d’élaboration très avancé.

La répartition serait la suivante, d’après Rhône-Poulenc Agro et le G.N.I.S., à ces deux périodes en pourcentage du total des terres cultivées en plantes transgéniques  :

 

1998

2000

Amérique du Nord

88%

81%

Amérique latine

6%

8%

Asie

6%

10%

Europe

-

1%

Selon ces projections, l’ensemble de l’Amérique du Nord reste encore, et de façon massive, prépondérante dans le total mondial, l’Asie supplantant par contre l’Amérique latine. L’Europe reste complètement étrangère à ce mouvement mondial et ne parvient à apparaître, de façon fort timide, qu’en 2000 et avec un pourcentage parfaitement insignifiant. C’est sans doute la conséquence des interrogations qui demeurent chez les consommateurs dans la mesure où aucun débat public n’est venu les éclairer sur les enjeux des biotechnologies. C’est aussi la conséquence de l’affrontement entre industriels et associations opposées aux O.G.M. Ces chiffres m’inquiètent pour l’avenir de l’Europe en tant que grande puissance agricole si les questions qui se posent aujourd’hui ne sont pas rapidement tranchées. L’Europe est inexistante sur ces marchés du futur.

Concernant les plantes les plus couramment modifiées, on peut noter qu’une évolution s’est produite entre 1996 et 1997.

En 1996, le tabac était la principale culture transgénique et représentait 35% du total, soit 1 million d’hectares, suivi par le coton (27% du total et 0,8 million d’hectares), et le soja (18% du total), le reste étant représenté par le colza (5%), les tomates (4%), les pommes de terre (moins de 1%).

Par contre en 1997, les positions ont quelque peu évolué puisque c’est le soja transgénique qui occupe la première place avec 40% de la surface suivi par le maïs (25% des superficies), le tabac (13%), le colza (10%), le coton (11%) et enfin les tomates (1%).

Les perspectives pour 1998 seraient de 15 millions d’hectares en 1998 pour le soja, d’un peu plus de 8 millions d’hectares pour le maïs, d’environ 2,5 millions d’hectares pour le coton et le colza, les espèces potagères représentant environ 0,5 million d’hectares.

Dans toutes ces perpectives c’est l’Amérique du nord qui se taille la part du lion et qui pérennise sa prépondérance.

Cette situation m’apparaît extrêmement préoccupante.

Elle peut signifier à terme la complète disparition de nos pays d’Europe de l’Ouest comme grands fournisseurs mondiaux de produits agricoles. Cette conjoncture est d’autant plus inquiétante à un moment où tous les experts mondiaux prévoient une croissance de la pénurie de nourriture face à l’augmentation de la population de la planète. Je crains en effet très fortement que les réticences européennes envers les plantes transgéniques ne constituent qu’une bataille d’arrière-garde qui risque de donner les résultats de tout combat de ce type, à savoir le sacrifice et l’anéantissement de la dite arrière-garde.

Ce qui est aujourd’hui choquant n’est pas l’interrogation du consommateur. Il appelle à la prudence puisque certains lui affirment que des risques demeurent. C’est l’incertitude de l’Union européenne qui est préoccupante. En effet celle-ci est tétanisée, incapable de décider en matière d’importations, d’information du consommateur, d’autorisation de mise en culture alors que les Américains se sont lancés comme des " bulldozers " dans les cultures du soja ou du maïs dans le Middle-West. Car il n’y a en effet qu’une alternative : ou il y a risque et il faut s’opposer avec détermination, ou il n’y en a pas et il faut fixer très vite les objectifs à atteindre.

Les modifications opérées par transgenèse sur les végétaux avaient pour but, en 1997, de les rendre auto-résistants aux virus pour 40% des superficies, aux insectes pour 37%, aux herbicides pour 23% et d’améliorer leurs qualités agronomiques, tels que goût ou résistance au pourrissement, pour moins de 1%.

La situation a également évolué sur ce plan en 1998 dans la mesure où la première modification concerne la résistance aux herbicides (57% des superficies) suivie par la résistance aux insectes (31% des superficies) et la résistance aux virus (14%), les modifications " qualitatives " ne représentant toujours que moins de 1% des superficies.

Face à ce développement des cultures transgéniques chez nos principaux concurrents sur les marchés agricoles, la France et l’Europe font preuve de beaucoup d’hésitations.

b - Les hésitations de la France

La France présente un caractère paradoxal du point de vue de ce débat.

En effet comme il a été rappelé supra, un grand nombre d’expérimentations ont été autorisées dans notre pays par la Commission du génie biomoléculaire (C.G.B.), lesquelles se sont déroulées sans incident. La France donnait ainsi l’impression, comme cela m’a été confirmé aux Etats-Unis lors de ma mission, d’être un pays plutôt " en pointe " sur ce dossier.

C’est sans doute en partie pour cette raison qu’au mois de novembre 1994, la société Novartis, qui s’appelait encore Ciba à l’époque, a déposé dans notre pays un dossier de demande d’autorisation de mise sur le marché pour un maïs transgénique auto-résistant à la pyrale. Après un avis favorable rendu par la C.G.B., la procédure d’autorisation et de notification a débuté devant la Commission européenne. Au terme du déroulement de la procédure européenne, la décision d’autorisation de mise sur le marché était adoptée et notifiée à la France.

C’est à ce moment qu’est intervenu un coup de théâtre.

En effet le 12 février 1997 le gouvernement français de cette époque suspendait la mise en culture de cette variété de maïs en France, sans toutefois en interdire l’importation et la consommation en France. Cette décision dont on peut dire qu’elle était quelque peu incohérente a suscité l’opposition des agriculteurs. En effet ceux-ci notaient, avec quelque raison, qu’on leur interdisait de disposer de ces variétés a priori plus performantes tout en les laissant devoir affronter leur concurrence.

Il allait revenir au nouveau gouvernement issu des élections législatives de 1997 de reprendre ce dossier. Le principe de l’autorisation de culture était pris le 27 novembre 1997.

Le nouveau ministre de l’agriculture, M. Louis Le Pensec, décidait dans un arrêté du 5 février 1998, d’inscrire au Catalogue officiel des espèces et variétés de plantes cultivées en France les trois variétés de maïs transgéniques résistants à la pyrale de la marque Novartis, nouvelle dénomination de la firme Ciba après sa fusion avec Sandoz.

Comme il était précisé dans ce texte, cette inscription n’est valable que pour une durée de trois ans à compter de la date de cet arrêté.

Il me semble que cette décision était de bon sens et qu’il était tout à fait nécessaire de revenir sur la décision inconséquente de février 1997, qui mettait nos agriculteurs dans une position particulièrement difficile.

Cet arrêté de février 1998 a couplé d’une façon qui me semble tout à fait judicieuse l’autorisation donnée à la culture du maïs transgénique à la mise en place d’un système de biovigilance afin d’évaluer la nouvelle situation.

Celle-ci me semble assez naturellement devoir prendre la suite des très nombreuses expérimentations : ce sera ainsi un essai en grandeur réelle qui permettra d’apporter au débat un grand nombre d’importantes d’informations. Il apparaît que cela aura aussi le très grand mérite de sortir d’une certaine forme de débat qui a prévalu jusqu’ici. En effet on ne peut qu’être consterné de voir que, jusqu’ici, ne s’échangeaient de façon presque mécanique entre partisans et adversaires de ces cultures des arguments qui restaient complètement théoriques.

Diverses estimations ont été faites sur l’avenir économique des biotechnologies qui représenteraient un marché de 100 milliards de dollars en 2000 dont 26 milliards pour les médicaments, 16 milliards pour la chimie et 46 milliards pour l’agriculture.

L’importance de ce dernier chiffre est la cause de l’importante activité des entreprises du secteur.

B - L’importante activité des entreprises du secteur

L’importante activité des entreprises du secteur se caractérise par une réorganisation et un développement importants ainsi que par l’essor de petites structures.

a - Une réorganisation et un développement importants des entreprises du secteur

Historiquement ce sont des entreprises chimiques qui les premières se sont intéressées à ce secteur des plantes transgéniques. Ainsi, de ce point de vue, l’évolution de la firme américaine Monsanto est-elle emblématique.

Cette firme, fondée en 1901 sur la production de saccharine, a bâti sa réputation et sa fortune sur la commercialisation mondiale d’un produit herbicide, le glyphosate, bien connu sous sa dénomination commerciale, " RoundUp ". Le tournant vers la biologie s’est produit en 1985 avec le rachat de la société pharmaceutique Searle. Depuis une quinzaine d’années, cette firme a investi une somme d’environ deux milliards de dollars dans la création de plantes résistantes à son produit herbicide en utilisant la transgénèse. Depuis le début de 1996, Monsanto a investi deux milliards de dollars supplémentaires, soit environ 11,6 milliards de francs, dans le " genetic engineering ".

Depuis 1995, Monsanto a également procédé à des opérations de croissance externe en rachetant un certain nombre de sociétés de biotechnologies comme Calgene, Asgrow et 40% de DeKalb Genetics. Monsanto a ensuite acquis le contrôle total de cette dernière société en se portant acquéreur des 60% restants.

Cette croissance dans ce domaine a abouti à la fin de 1996 à la scission de l’entreprise qui a abandonné son métier historique, la chimie, pour se consacrer exclusivement aux "  sciences du vivant ", la branche " chimie " étant isolée dans une société indépendante cotée en bourse et attribuée à des actionnaires distincts de ceux de Monsanto.

Le dernier événement concernant Monsanto a été, au début du mois de juin 1998, sa prise de contrôle par American Home Products. Cette opération a été motivée par la difficulté qu’éprouvait Monsanto à croître seul du fait des coûts croissants de la recherche dans ce secteur. Ce nouveau groupe entendait dépenser chaque année un milliard de dollars en actions de recherche dans les biotechnologies agricoles. Ce chiffre donne une idée de l’enjeu de ce secteur pour le XXIème siècle.

Cette politique de " recentrage " des entreprises sur les " sciences de la vie " est d’ailleurs devenue courante dans ce secteur.

On peut citer à cet égard l’exemple de Novartis. Cette entreprise est issue de la fusion en 1996 de Ciba-Geigy et de Sandoz. Novartis a immédiatement, comme cela m’a été indiqué lors de ma visite dans cette entreprise, divisée ses activités en trois unités différentes : protection de la santé, nutrition et agrochimie. On peut souligner d’ailleurs que le point commun de ces divisions est l’emploi dans chacune de celles-ci des techniques génétiques.

Du Pont avait de son côté adopté dans un premier temps une attitude plutôt attentiste mais a finalement rejoint ses concurrents. En effet cette firme a racheté à la fin de l’année 1997 une participation de 20% dans Pioneer Hi Bred ainsi que la société Protein Technologies International. Mais à la différence de Monsanto qui s’est d’abord focalisée sur les plantes résistantes aux insectes (coton) et aux herbicides (maïs), Du Pont s’est concentré sur le développement de végétaux à fort pouvoir nutritionnel pour les animaux ou les êtres humains ou présentant des caractéristiques qui en facilitent la transformation. Il semble que cette firme vise le long terme où l’intérêt principal des plantes transgéniques résidera la création de produits à très forte valeur ajoutée. Le " recentrage " de cette société s’est ainsi marqué par le retrait de sa filiale pétrolière Conoco.

A l’heure où les géants américains de l’agrochimie se battent à coup de millions de dollars pour s’approprier les technologies-clefs des biotechnologies végétales, on ne peut que dresser, en le regrettant beaucoup, un bilan fort mitigé de l’action dans ce domaine de l’industrie française.

En effet, M. Alain Chalandon, directeur de Rhône-Poulenc Agro, m’a lui-même déclaré que son entreprise avait de fait peu développé les organismes génétiquement modifiés. Il a expliqué cette politique par la diminution des crédits de recherche de 1992 à 1997, conséquence de la réforme de la politique agricole commune qui a entraîné une baisse d’activité du secteur. Il a cependant fait observer qu’un nouveau départ avait été pris de façon vigoureuse à partir de septembre 1997.

Concernant Limagrain, M. Alain Catala, directeur du groupe, m’a indiqué que l’investissement était de l’ordre de 50 millions de francs par an dans les biotechnologies, et que ce groupe avait été sur le point de racheter Calgene en 1990. Si on compare ce chiffre avec les futures dépenses du groupe American Home Products rappelées plus haut, on se rend compte, avec une grande inquiétude, que ces sommes ne paraissent pas du tout être à la mesure de l’enjeu des plantes transgéniques du futur.

Il faut noter cependant que Limagrain a créé en partenariat avec la coopérative Pau-Euralis, Sofiprotéol et Unigrains, la société Biogemma.

Biogemma a annoncé à la fin de l’année dernière la création avec Rhône-Poulenc Agro d’une société mixte détenue à parité, Rhobio. L’objectif est d’associer les compétences complémentaires développées par les partenaires. C’est ainsi que Rhône-Poulenc Agro apportera ses compétences dans le domaine de l’identification et de l’insertion des gènes, Biogemma fournissant ses qualifications en matière de semences et de création végétale.

Il semble cependant que les entreprises françaises aient pris conscience de l’importance des biotechnologies végétales même si l’on peut déplorer le retard avec lequel elles mettent en place les structures adéquates. De plus, si l’on compare le niveau des dépenses effectuées avec celles engagées par les groupes américains, les comparaisons apparaissent complètement hors de proportion. Le titre en forme de boutade de la revue " Courrier International " présentant Monsanto comme le " Microsoft " du génie génétique s’impose de façon évidente, ce qui est très inquiétant pour l’avenir, compte tenu de la masse critique de dépenses nécessaires sans cesse croissantes pour rester dans la course aux nouvelles constructions génétiques.

Une certaine inadaptation des structures des entreprises françaises tient au fait que ce sont les petites structures qui paraissent amener le progrès en la matière.

b - Le développement de petites structures

On assiste dans ce domaine à un phénomène qui n’est pas sans rappeler l’explosion des petites sociétés informatiques il y a vingt-cinq ou trente ans. Il y a en effet actuellement, essentiellement aux Etats-Unis, dans ce domaine une multiplication des petites entreprises. Celles-ci sont créées sur des idées à l’initiative de chercheurs. Mais des structures plus importantes comme les Universités sont également parties prenantes dans ces créations, comme j’ai pu le voir en visitant un certain nombre de celles-ci au cours de ma mission aux Etats-Unis.

En effet, ces Universités, à l’exemple de l’Université d’Etat de l’Iowa, fonctionnent comme structures d’accueil en mettant à la disposition des petites entreprises non seulement des bâtiments, mais aussi tout un ensemble de services comme secrétariat, personnel de gestion, matériel informatique... et aussi assistance juridique, dans la perspective de prise et de défense de brevets. Ces " incubateurs " d’entreprises favorisent les transferts de technologie.

Mais ces Universités sont aussi des acteurs de la recherche dans la mesure où elles parrainent la création dans leur sein de sociétés dites start up. C’est ainsi qu’à l’Université de l’Etat de Caroline du Nord que j’ai visitée, deux ou trois de ces petites sociétés sont créées par an, avec deux personnes à temps plein pour les aider. Cette Université dispose de sommes variant de plusieurs millions à plusieurs dizaines de millions de dollars en provenance de l’exploitation des brevets déposés par l’Université, pour aider des projets.

Ces sommes ne sont certes pas très importantes mais, ainsi que l’a fait remarquer M. Alain Coléno, aux Etats-Unis on obtient facilement du capital. M. Alain Coléno a bien marqué les différences de conception entre les Etats-Unis et la France concernant ces sortes d’entreprises. Ainsi, outre Atlantique, la rémunération du ou des créateurs de l’entreprise est faite par le prix de sa revente en cas de succès. Les prix peuvent alors atteindre des sommets compte tenu de la concurrence des grandes entreprises qui sont perpétuellement à l’affût de procédés innovants. Un autre mouvement facilite grandement la naissance et le fonctionnement de ces structures : c’est le financement direct par les grandes entreprises. En effet, comme l’a fait observer M. Claude Fauquet, les grandes entreprises trouvent là une liberté d’esprit et, par conséquent de créativité intellectuelle, qui leur fait parfois défaut, compte tenu de leur taille. Elles font ainsi en quelque sorte des paris parfois couronnés de succès, parfois perdus, sur d’éventuelles découvertes.

On peut penser que ce système donne de bons résultats en créant une atmosphère propice à la créativité et à l’inventivité. Les réussites américaines en la matière peuvent tout à fait donner matière à réflexion aux Européens et à notre pays en particulier même s’il ne convient évidemment pas de transposer tel quel, ces mécanismes. Il convient cependant de noter, comme l’a fait M. Alain Coléno, que la dimension " création d’emplois " n’est pas du tout présente aux Etats-Unis alors qu’en France, l’accent est mis sur la création d’entreprise à long terme avec des créations d’emplois stables et la recherche de prêts bancaires. Aux Etats-Unis la longévité de ces petites entreprises est assez souvent brève : après avoir fait une découverte et l’avoir brevetée, ces petites entités sont disputées entre les grands groupes et absorbées par l’un d’entre eux.

Nous évoquerons plus loin les récentes mesures d’ordre juridique, fiscal et social que le ministre de la recherche vient de proposer afin d’obvier à une partie des défauts du système français dans ce domaine.

Cette différence de développement entre les Etats-Unis et l’Europe est certainement à la base du problème existant dans ce domaine dans les relations économiques internationales.

C - Le problème des relations économiques internationales

L’irruption sur le marché des biotechnologies agricoles s’est faite au moment où le libéralisme en matière d’échanges commerciaux internationaux est devenu, à la suite notamment des accords de Marrakech de 1992, le modèle extrêmement dominant des relations internationales. Cette évolution a été symbolisée par le remplacement du G.A.T.T. hérité des années d’après-guerre par l’Organisation mondiale du commerce (O.M.C.). Il faut noter que le libre échange est devenu le système régnant quasiment sans partage. On peut en effet observer que se rallie à lui un nombre croissant de pays, que ce soit ceux de l’est de l’Europe ou ceux, de plus en plus nombreux, qui se lient par des pactes régionaux de libre échange, comme le MERCOSUR en Amérique latine ou l’ALENA entre les Etats-Unis, le Canada et le Mexique.

L’autre trait caractéristique de la situation est, c’est bien connu, le développement de la mondialisation et la globalisation de l’économie. Sans conteste, les coûts des programmes de recherche et leur durée exercent une influence puissante et croissante dans ce sens. En effet il devient absolument indispensable de pouvoir vendre les produits finaux sur la plus grande échelle possible pour rentabiliser les investissements.

Il se trouve que les groupes américains, comme Monsanto ou Du Pont, et internationaux comme Novartis, ont commencé dans les toutes dernières années à recueillir les fruits des investissements effectués pour certains d’entre eux voilà plus de quinze ans dans les biotechnologies agricoles et dans la réalisation de plantes transgéniques. Comme on l’a vu précédemment, ces plantes sont maintenant cultivées à grande échelle et les premières sont arrivées en Europe par bateaux entiers à la fin de l’année 1996 et au début de 1997, déclenchant les problèmes que l’on connaît.

Au niveau global, la mise en place de nouvelles règles du jeu, en particulier à travers l’Organisation mondiale du commerce, dessine le nouveau cadre dans lequel va se situer l’agriculture internationale. Au sein de cette nouvelle organisation, les objectifs sont de libérer le commerce des produits et de surmonter les obstacles au protectionnisme en matière de produits agricoles.

Il est indéniable que l’entrée des produits issus de plantes transgéniques entraîne un certain nombre de difficultés commerciales. Celles-ci ne sont pas liées à un désir de la part d’un certain nombre d’Etats européens, dont la France, de se protéger derrière des barrières non tarifaires, prohibées par l’O.M.C. Il s’agit en effet d’une approche différente de l’appréciation du risque éventuel présenté par des produits nouveaux, au moins dans leur processus d’élaboration.

Certes les consommateurs américains ont accepté la mise sur le marché des aliments issus de plantes transgéniques, mais il n’en est pas de même de la part des consommateurs d’un certain nombre de pays européens.

Nous verrons plus loin ce qu’il faut penser des interrogations suscitées par ces plantes transgéniques mais il est de la responsabilité d’un homme politique de tenir compte des réticences envers ces produits. Cette affaire peut être, à mon sens, rapprochée du contentieux également existant entre l’Europe et les Etats-Unis concernant la viande de bovins ayant fait l’objet d’injections d’hormones de croissance ou de la réticence des Américains à acheter des fromages au lait cru. Les mêmes mécanismes ont produit et produisent dans ces deux affaires les mêmes réactions.

Il faut rappeler que, juridiquement, la surveillance des produits est fondée sur des réglementations nationales, sur des directives européennes et sur le code de l’Organisation mondiale du commerce; tous ces textes devant naturellement concourir à assurer la sécurité des consommateurs.

L’Organisation mondiale du commerce a choisi de se référer aux textes établis par le Codex alimentarius, organisme commun à la Food and Agriculture Organization (F.A.O.) et à l’Organisation Mondiale de la Santé (O.M.S.). Le Codex alimentarius a longtemps édicté des recommandations en matière de sécurité alimentaire que les pays dépourvus de législation propre pouvaient reprendre à leur compte. Depuis la création de l’O.M.C., le Comité conjoint pour l’hygiène des aliments du Codex alimentarius, situé à Washington et très influencé par les Etats-Unis, est en fait devenu le lieu de débats scientifiques sous-tendus par les questions de rapports de force commerciaux.

En fait la création de l’O.M.C. a considérablement modifié la situation.

En effet, vouée à la défense de la liberté du commerce, cette organisation combat toutes les limitations d’importations ou de vente des produits. Elle s’appuie sur le système en vigueur aux Etats-Unis selon lequel s’il n’est pas démontré qu’il existe des risques de toxicité pour des produits, ceux-ci sont réputé sûrs pour les consommateurs. La philosophie explicite de ce système est que les fabricants de denrées alimentaires sont responsables devant les consommateurs et que la sanction du marché et la concurrence sont des enjeux suffisants pour imposer de ce fait un niveau de qualité élevé. Les pouvoirs publics ne doivent donc pas, dans ce schéma, intervenir sinon en cas de problème avéré, mais a posteriori. Ce système a été transposé au niveau de l’O.M.C. Cela implique donc que si un pays veut prendre une mesure de limitation d’importation ou de vente d’un produit, il devra, s’il ne veut pas risquer d’être sanctionné pour " protectionnisme ", prouver que celui-ci est constitutif d’une réelle menace pour la santé publique.

Cette situation illustre le fait que les Américains donnent la priorité aux mesures correctives a posteriori alors que la plupart des pays européens sont plutôt en faveur de mesures préventives. La récente crise de la " vache folle " a conforté le tenants de cette position. C’est cette différence d’approche qui fait que l’attitude européenne n’est guère comprise outre Atlantique. Cette situation engendre naturellement des conflits.

Concernant cette affaire il faut reconnaître que l’O.M.C. ne s’occupe que de litiges. Il serait très hautement souhaitable que des mécanismes de discussion préalables soient mis en place afin de favoriser une entente entre les membres de l’O.M.C. sur un certain nombre de points, et, notamment tous les produits nouveaux à venir qui peuvent poser des problèmes comme les plantes transgéniques. Des scientifiques pourraient d’ailleurs être réunis au niveau mondial et être consultés sur tous ces problèmes de produits nouveaux. C’est la proposition qui a été retenue lors de la rencontre entre M. Lionel Jospin et M. Bill Clinton le 18 juin 1998.

D - Le problème de la situation des pays en voie de développement

Dans le tableau du développement des cultures transgéniques dans le monde on voit qu’un certain nombre de pays dits " émergents ", comme la République populaire de Chine, le Mexique ou l’Argentine commencent à apparaître comme importants ou même très importants.

Concernant les pays les plus pauvres du monde, on peut dire, très rapidement, que le discours est considérablement plus important que les réalisations concrètes, même si celles-ci ne sont pas inexistantes.

Les problèmes des pays les moins avancés de la planète sont assez souvent mis en avant par le discours résolument favorables aux plantes génétiquement modifiées.

En effet on présente ces dernieres comme la future panacée qui permettra d’apporter une solution présentée comme définitive au problème de la faim dans le monde. Certains éléments de ce discours me semblent devoir être pris en grande considération tel, par exemple, celui insistant sur le problème de la raréfaction des surfaces arables et de la déforestation dans ces pays, deux phénomènes tout à fait inquiétants pour ses conséquences au niveau mondial.

Mais il y a un contraste assez saisissant entre ce discours et la pauvreté des réalisations concrètes en faveur de ces pays. En effet, jusqu’à présent les variétés végétales transformées génétiquement sont, très majoritairement, des variétés de pays industrialisés pour répondre à des problèmes spécifiques de ces derniers. En effet on ne m’a cité aucune recherche sur les modifications permettant à des plantes de mieux résister à la sécheresse ou à la salinité.

Des actions existent néanmoins. Il faut tout d’abord saluer l’action menée par l’O.R.S.T.O.M. en France, à Montpellier, et au sein du laboratoire mixte de l’I.L.T.A.B. établi en Californie. Ainsi M. Claude Fauquet, directeur de recherches à l’O.R.S.T.O.M. et codirecteur de l’I.L.T.A.B., m’a-t-il fait part des travaux réalisés sur le manioc, en tenant compte du fait que 600 millions de personnes consomment cette plante dans le monde.

Les grandes firmes internationales du secteur font également quelques efforts même s’il convient de rester vigilant sur leurs discours en la matière. Ainsi Novartis a-t-il mis à la disposition du Centre international du maïs et du blé (C.I.M.M.Y.T.) une souche de maïs transgénique autorésistant à la fusariose. Monsanto a de son côté effectué un transfert de technologie concernant un riz modifié au profit de l’Institut international de recherche sur le riz (I.R.R.I.). Cependant malgré ces quelques actions, M. Ismaël Serageldin, vice-président de la Banque mondiale que j’ai rencontré lors de ma mission aux Etats-Unis, a déploré la grande insuffisance des transferts de technologie dans ce domaine entre les pays industrialisés et les pays les plus pauvres de la planète.

Concernant ces pays, il sera aussi nécessaire de réfléchir à certaines finalités de la réalisation de plantes transgéniques dans les pays industrialisés dans la mesure où un certain nombre de constructions aboutiront à des substituts de produits actuellement importés des pays pauvres. On peut penser comme exemple aux recherches menées pour faire produire des acides gras saturés à chaîne courte ou moyenne à des colzas poussant dans les pays du nord pour en substituer les huiles à celles importées actuellement des pays tropicaux.

E - Le devenir de l’agriculture

Même si mes interlocuteurs se sont partagés sur le point de savoir si l’avènement des plantes transgéniques constituaient une révolution ou seulement une innovation supplémentaire dans la chaîne multi-millénaire de l’amélioration des plantes, il ne fait cependant aucun doute que l’agriculture risque d’être assez profondément modifiée.

Une question importante est de savoir quelle sera dans le futur la place relative des agriculteurs et de l’industrie agrochimique. Celle-ci devrait sans doute prendre encore plus d’importance dans l’avenir et ce, d’autant plus, que la brevetabilité croissante des techniques et des constructions génétiques " verrouillera " encore davantage la situation. On peut penser que l’agriculteur, par contraste, devrait voir encore se rétrécir sa marge de liberté et d’initiative, ayant par contre en compensation, à fournir moins de travail et en obtenant de meilleurs résultats financiers, à moins qu’un nouvel équilibre à la baisse des prix mondiaux ne s’institue, ce qui aurait comme seule conséquence de favoriser l’agriculture intensive.

L’arrivée des plantes transgéniques, spécialement celles résistantes à un herbicide ou à un prédateur, devrait entraîner une augmentation de la productivité. On doit en effet être conscient des pertes infligées aux récoltes par les prédateurs, comme le montre ce tableau communiqué par Rhône-Poulenc comportant des données également citées par le dernier rapport de l’I.N.R.A. sur ce sujet :

Cette tendance risque de se heurter, au moins en Europe, aux nouvelles orientations qui pourraient être assignées à l’agriculture, c’est-à-dire une moindre vocation productiviste que par le passé. A cet égard, le ministre de l’agriculture, M. Louis Le Pensec, a estimé lors des auditions publiques, que " la simple résistance de futures plantes transgéniques à un herbicide n’était pas un avantage suffisant ".

L’arrivée des plantes transgéniques devrait également avoir tendance à rendre plus difficile l’existence de l’agriculture biologique compte tenu notamment des problèmes de flux de gènes que nous examinerons plus loin. Mais le problème devrait aussi se poser en matière de fourniture de graines à destination de cette forme d’agriculture.

Il deviendra en effet difficile de garantir le caractère non transgénique compte tenu de ces flux de gènes et aussi des problèmes de transport, comme la mésaventure de deux agriculteurs du sud-ouest de la France me l’a montré.

Ceux-ci sont des agriculteurs produisant du soja selon le cahier des charges de l’agriculture biologique. Ces personnes ont exporté leur soja en République fédérale d’Allemagne où il a été transformé en tofu. La législation en vigueur dans ce pays impose l’absence de produits transgéniques dans les produits " bio ". Or il est arrivé qu’une analyse utilisant la technique de PCR a révélé la présence d’A.D.N. modifié dans ce tofu. Il a donc été refusé, les deux agriculteurs devant reprendre la marchandise et payer les frais de toutes les analyses et contre-analyses effectuées sans préjudice d’autres frais. Il semble dans cette affaire que les semences américaines qui leur ont été vendues à l’origine devaient comporter, à l’insu de tous les échelons commerciaux, un très petit nombre d’éléments transgéniques mais suffisant pour être détecté par les contrôles.

Cette affaire pose le problème de la responsabilité des obtenteurs et des utilisateurs d’organismes génétiquement modifiés lorsque, au delà de l’affaire de ce soja, les cultures de semences et de plantes ne sont pas isolées et peuvent donner lieu à des croisements non recherchés.

Le projet de loi d’orientation agricole devra trancher sur la place des organismes génétiquement modifiés dans " une agriculture sur tout le territoire, plus soucieuse de l’environnement qui doit produire les matières premières compétitives et de qualité pour les filières alimentaires et non alimentaires ".



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