RAPPORT

RÉSUMÉ *

Introduction générale *

– Chapitre I –

Un enjeu scientifique global et primordial, reconnu comme tel par des pays de toutes dimensions *

Introduction *

I – Qu’est-ce qu’un synchrotron et à quoi sert-il ? *

1. Accélérateurs et synchrotrons *

2. Les infrastructures de base et les équipements optionnels d’un synchrotron *

3. Le rayonnement synchrotron *

4. Une " coopérative " de production d’ondes électromagnétiques de haute qualité pour des méthodes expérimentales diversifiées *

II – En tant que machine de service pour de nombreux laboratoires répartis sur tout le territoire, un très grand instrument d’une nature particulière *

1. Une communauté indissociable d’instruments, de compétences pluridisciplinaires et de formations par la recherche *

1. 1. Des compétences multiples de physiciens et de concepteurs au service de la machine

et de ses utilisateurs *

1.2. Un rôle dans la formation à la recherche *

2. Créant un effet de communauté et une fertilisation croisée, un grand instrument

pas comme les autres *

3. Un bilan substantiel en termes de découvertes et d’inventions *

III – Des besoins d’accès en croissance forte *

1. L’insuffisance actuelle de l’offre française de rayonnement synchrotron *

2. Les prévisions des besoins futurs *

3. Les besoins en différentes gammes de longueurs d’onde *

4. La concurrence des autres méthodes d’analyse fine de la matière *

4.1. La résonance magnétique nucléaire *

4.2. La complémentarité des méthodes d’analyse *

IV – Un équipement jugé indispensable par des pays de toute taille,

des Etats-Unis à Taiwan *

– Chapitre II –

Une coopération internationale souhaitable pour le rayonnement synchrotron, sur des bases prospectives et équilibrées *

Introduction *

I – Une coopération internationale déjà active où la France peut amplifier son rôle

de pivot vis-à-vis des Pays du Sud et de l’Est *

1. Les coopérations internationales des synchrotrons et en particulier celles du LURE *

2. Le cas particulier du seul synchrotron international : l’ESRF de Grenoble *

3. Une ambition pour la France : jouer le rôle de pivot pour l’accès au rayonnement synchrotron des Pays du sud de l’Europe, de la Méditerranée et de l’Est *

3.1. Une position à dynamiser en Europe du Sud *

3.2. Un rôle à jouer pour les Pays du Sud de la Méditerranée et pour les Pays de l’ESt *

II – Le bon niveau d’une coopération internationale : les recherches sur de nouveaux

outils dérivés et complémentaires des synchrotrons actuels *

1. Les perspectives des lasers à électrons libres, complément aux synchrotrons *

2. La coopération internationale pour des " projets à risque " visant des sauts technologiques *

III – Le projet anglo-français pour un domaine spécifique complété par d’autres accès en Europe, un plan d’un coût probablement supérieur à celui de SOLEIL *

1. Le coût du projet anglo-français et des lignes de lumière complémentaires,

comparés à ceux de SOLEIL *

1.1. Le coût des lignes sur DIAMOND *

1.1.1. Le coût des lignes de lumière *

1.1.2. Les positions respectives de la biologie française et de la biologie britannique *

1.2. Le coût des lignes de lumière d’appoint *

1.3. Les coûts de redéploiement ou de fermeture du LURE *

1.4. Un effort national permettant de disposer d’un potentiel supérieur à long terme *

2. Des capacités insuffisantes pour la France et l’Europe *

Conclusion *

– Chapitre III –

Un nouveau synchrotron national dans un cadre rénové, un impératif pour la dynamique scientifique, éducative et industrielle de notre pays *

Introduction *

I – Des compétences françaises de niveau mondial précieuses

pour l’avenir scientifique et industriel de notre pays *

1. La nécessité de points d’ancrage pour des laboratoires de recherche de plus en plus mobiles *

2. Les compétences françaises dans le domaine des synchrotrons, pivots d’une activité et d’une coopération internationale fructueuse *

II – La nécessité d’un synchrotron polyvalent, pluridisciplinaire et évolutif *

1. La nécessité d’une machine nationale et les critères externes de choix de ses caractéristiques *

1.1. La proximité et l’accessibilité aisée, deux conditions essentielles pour l’utilisation du rayonnement synchrotron *

1.2. Une machine indispensable pour des expériences préliminaires ou aléatoires et pour des contrôles intermédiaires *

1.3. Un synchrotron national indispensable pour participer aux recherches sur les méthodes d’analyse de la matière *

2. L’énergie et les dimensions de la machine optimale *

2.1. La question de l’énergie de la machine *

2.2. Les voies et les moyens de diminuer les coûts *

2.2.1. Les composantes du coût d’un synchrotron *

2.2.2. L’influence de l’énergie d’un synchrotron sur son coût de construction *

2.3. Les possibilités de baisse des coûts d’investissement *

2.4. Les ressources indispensables *

III – Des conditions générales d’organisation à rénover *

1. La décentralisation des décisions et du financement *

1.1. La continuité des efforts, une exigence de la recherche *

1.2. La nécessité de financements stabilisés *

1.3. Une nouvelle régulation d’acteurs de la recherche au demeurant plus autonomes *

2. Les moyens d’impliquer l’industrie dans un partenariat fructueux *

2.1. Une fiscalité à revoir pour les investissements dans les grands instruments *

2.2. De nouveaux partenariats privé-privé et public-privé à inventer *

3. Une organisation optimale sur la base d’équipements modernes *

3.1. Une productivité améliorée grâce à des installations plus modernes *

3.2. Des questions de statuts pénalisantes pour l’ensemble des parties *

4. Des critères objectifs pour une localisation régionale efficace *

4.1. Des dessertes nationales et internationales de qualité *

4.2. Une implantation au coeur d’une zone de recherche existante ou en création *

4.3. Un projet s’intégrant dans un plan d’ensemble pour les moyens d’analyse

à la disposition de la recherche publique et privée *

Conclusion *

Conclusion générale *

EXAMEN DU RAPPORT PAR L’OFFICE *

PERSONNALITÉS RENCONTRÉES ET VISITES d'INSTALLATIONS *

RÉSUMÉ

Conduite avec l’aide de dix scientifiques de haut niveau représentant tous les horizons de la recherche française et européenne, publique ou privée, l’étude de M. Christian CUVILLIEZ, Député de Seine-Maritime et M. René TRÉGOUËT, Sénateur du Rhône, sur les conditions d’implantation d’un nouveau synchrotron, réalisée dans le cadre de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, met en évidence que les synchrotrons, en tant que grands instruments partagés par des milliers d’utilisateurs, accessibles grâce à l’assistance rapprochée des concepteurs, formateurs pour des centaines de jeunes chercheurs et pluridisciplinaires par nature ne sont pas des très grands équipements comme les autres.

En raison du surcoût par utilisateur des accès à des machines étrangères, la prise de participations dans des machines anglo-française, allemande ou suisse ne peut constituer qu’un investissement supplémentaire au profit d’une discipline comme la biologie et non pas une solution de remplacement à un synchrotron national.

Pour garder les compétences françaises de haut niveau mondial dans la technologie des synchrotrons et pour offrir aux milliers d’utilisateurs français un accès libre, proche et d’un coût modéré aux méthodes d’analyse de pointe que permet le rayonnement synchrotron, la construction d’une machine de 2,75 GeV doit être lancée sans délai supplémentaire dans une région bien desservie et à vocation scientifique affirmée.

Le présent rapport a pour premier objectif d’informer le Parlement sur un enjeu scientifique global, à savoir l’accès aux moyens techniques de pointe fournis par les synchrotrons, et de rétablir les conditions d’un dialogue interrompu par la crise de confiance survenue entre les responsables de la recherche et la communauté des concepteurs et des utilisateurs de synchrotron, suite à l’abandon du projet SOLEIL et à la décision de prendre une participation dans le projet DIAMOND du gouvernement britannique et du Wellcome Trust.

Alors qu’un débat pour le moins vif a entraîné chacun à faire état de positions extrêmes, ce rapport, qui avait également pour but de faire le clair sur les oppositions en apparence irréconciliables entre synchrotrons et moyens de fonctionnement des laboratoires et entre solution nationale et coopération européenne, conclut sur les convergences qui existent en réalité sur tous ces points.

• Le rayonnement synchrotron, un saut technologique majeur pour l’analyse de la matière

Les synchrotrons produisent des ondes électromagnétiques de toutes longueurs d’onde, utilisées par un nombre considérable de méthodes d’analyse de la matière. Ces machines sont constituées d’une part d’un anneau de stockage dans lequel les électrons tournent 350 000 fois par seconde à une vitesse proche de celle de la lumière et d’autre part de lignes de lumière et de postes expérimentaux périphériques qui utilisent la lumière émise par les électrons lors de passage dans des aimants de courbure ou des " chicanes " (" wigglers " et onduleurs) placées sur leur trajectoire, lumière dénommée rayonnement synchrotron.

Les synchrotrons, qui sont utilisés chacun par plusieurs milliers de chercheurs, constituent une avancée technologique majeure puisque le rayonnement synchrotron des synchrotrons de 3ème génération est mille milliards de fois plus brillant que les rayons émis par des équipements de laboratoire comme les tubes à rayons X.

• Un très grand instrument indissociable de ses laboratoires de conception et d’exploitation

Compte tenu de la technicité de ses installations et de son potentiel d’applications nouvelles, un synchrotron associe étroitement ses concepteurs et ses exploitants à des utilisateurs permanents dont les laboratoires sont situés à proximité de la machine, dans une collaboration étroite et pluridisciplinaire par nature.

Alors que l’on se trouve déjà à la 3ème génération de machines, l’évolution technique des synchrotrons est loin d’être achevée, des progrès considérables étant attendus sur les onduleurs, l’optique des lignes de lumière, et l’instrumentation, et notamment les détecteurs. En outre, de nouvelles perspectives existent en termes de machines dérivées des actuels synchrotrons mais complémentaires, les lasers à électrons libres.

• Un grand instrument banalisé, partagé, accessible, formateur et pluridisciplinaire, et donc " pas comme les autres "

Un synchrotron, même de 3ème génération, apparaît aujourd’hui comme une machine banalisée, au service d’une vaste communauté de chercheurs appartenant à des laboratoires multiples, répartis sur tout le territoire et venant même de l’étranger pour près du quart du total en moyenne.

Les chercheurs visiteurs de toutes disciplines, qui se relaient sur les postes expérimentaux des synchrotrons, bénéficient d’une assistance rapprochée de la part des concepteurs et des chercheurs résidents. Par ailleurs, les synchrotrons jouent un rôle important dans la formation des jeunes chercheurs.

" Super laboratoire " pluridisciplinaire de service aux autres laboratoires, un synchrotron n’est donc pas un très grand instrument comme les autres qui sont le plus souvent au service d’une seule discipline.

• L’investissement dans un synchrotron national, un enjeu scientifique global reconnu comme tel par des pays de toutes dimensions

Un synchrotron irriguant toutes les disciplines d’une communauté scientifique, la libre disposition d’au moins un instrument national est considérée par des pays de toute taille comme un impératif dans leurs investissements de recherche.

Sur le seul continent européen, l’Italie dispose d’une source de 3ème génération déjà saturée ; la Suisse termine la construction de son propre synchrotron jugé indispensable à sa recherche publique et à son industrie pharmaceutique ; la Suède possède trois synchrotrons diversifiés et l’Allemagne dispose de 5 centres de rayonnement synchrotron avec un total de 7 anneaux de stockage. Sur d’autres continents, le Canada va construire sa propre source, alors que les Etats-Unis voisins disposent de 11 centres de rayonnement synchrotron. En Asie, le Japon exploite plusieurs synchrotrons dont certains possédés directement par des grandes entreprises. La Thaïlande, Taiwan et bientôt l’Australie ont également investi dans ce domaine.

Ces instruments étant jugés par des pays de toute taille comme à leur portée, il n’existe donc logiquement dans le monde qu’un seul synchrotron international (l’ESRF de Grenoble), dont la construction a, au demeurant, correspondu à des contraintes techniques et financières aujourd’hui dépassées.

• La prise de participation dans des machines étrangères, un investissement supplémentaire et non pas une solution de remplacement d’un synchrotron national, du fait de son coût élevé par utilisateur

Même si les résultats de la négociation avec le gouvernement britannique ne sont pas encore connus, il est très probable que la participation française conduira à des coûts par ligne de lumière supérieurs d’au moins 50 % au coût des lignes de lumière d’un synchrotron national.

Le projet de participation française dans le synchrotron DIAMOND doit donc être analysé essentiellement comme un investissement dans un rapprochement avec une communauté scientifique d’outre-Manche en pointe dans les biotechnologies.

La prise de participation dans un synchrotron étranger et la location de lignes sur d’autres machines ne semblent pas pouvoir apporter, à des coûts supportables, les accès nombreux, libres et proches dont les chercheurs français ont besoin.

Au surplus, l’exemple de l’Italie dans le domaine de la physique neutronique, montre que la disparition d’une machine entraîne l’effondrement d’une discipline.

• La coopération européenne, selon le principe de subsidiarité, pour des projets de développement aléatoires et pour la réduction des coûts

Chaque pays européen ayant besoin de son propre équipement pour faire face aux demandes des chercheurs, l’application privilégiée des coopérations bilatérales pourrait être la mise au point de programmes de construction de synchrotrons concertés et étalés dans le temps afin de dégager des économies d’échelle.

Les collaborations dans un cadre communautaire devraient trouver, en vertu du principe de subsidiarité, des applications privilégiées d’une part dans le soutien aux initiatives nationales et d’autre part dans des projets par définition soumis à des aléas que sont les futurs développements des lasers à électrons libres.

• un synchrotron national polyvalent, pluridisciplinaire et évolutif, indispensable pour la communauté scientifique française

La construction immédiate en France d’une source nationale de rayonnement synchrotron est un impératif pour la dynamique scientifique, éducative et industrielle de notre pays.

Il convient en effet de mettre une machine polyvalente, facile d’accès et évolutive à la disposition d’une vaste communauté française de concepteurs et d’utilisateurs de synchrotrons, physiciens, chimistes, biologistes, dont les compétences sont reconnues dans le monde entier.

En l’occurrence, il est absolument vital que la France garde un statut de partenaire sur le réseau mondial des synchrotrons et ne glisse pas vers celui de simple client des principaux synchrotrons étrangers.

Certes le statut de " chercheur international " passant sur une machine internationale pour compléter les expériences réalisées sur le sol national est celui que l’on rencontre aujourd’hui, en particulier dans le domaine des synchrotrons. Mais il ne saurait être confondu avec celui de " chercheur errant " d’une machine étrangère à une autre, au gré de créneaux de disponibilité toujours rares et âprement disputés.

• des conditions de fonctionnement à optimiser

Des initiatives semblent indispensables pour rénover les conditions d’investissement dans de grands instruments de service comme les synchrotrons. La mise en réserve de dotations analogues aux dotations pour amortissement devrait être autorisée aux grands organismes de recherche pour faciliter un renouvellement sans à-coup de ces installations.

Pour associer les grandes entreprises à la construction et à l’exploitation d’un nouveau synchrotron, il semble par ailleurs indispensable, compte tenu du niveau des prélèvements sur les sociétés, de mettre en place en France comme dans la majorité des autres pays développés, une fiscalité favorable à l’investissement dans les lignes de lumière du futur synchrotron national.

Il convient aussi de rechercher les conditions de statut du futur établissement qui permettront d’optimiser le potentiel de la source nationale de 3ème génération.

*

En tout état de cause, il est temps que s’arrête une de ces guerres d’opinion franco-françaises que les partenaires de la France contemplent avec stupéfaction ou douleur et que soient détaillées et appliquées les orientations proposées par l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, qui n’ont d’autre finalité que de vouloir combiner les atouts de la recherche française et européenne, sur des bases nationales fortes, pour le plus grand succès de nos chercheurs.

 

Introduction

générale

Le rapport qui vous est présenté sur les conditions d’implantation d’un nouveau synchrotron, fait suite à la saisine de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques par le Bureau de l’Assemblée nationale, le 17 novembre 1999, en réponse à une demande du groupe communiste portant sur " les conditions techniques d’implantation du projet de synchrotron SOLEIL ",

Après la décision des pouvoirs publics, annoncée le 2 août 1999, d’abandonner le projet SOLEIL au profit d’une solution de coopération avec le Royaume Uni souvent présentée comme la solution DIAMOND, un fossé d’incompréhension s’est en effet creusé entre la communauté des utilisateurs de synchrotrons et le ministère de la recherche, au point de donner naissance à une véritable crise de confiance.

Aussi, dès le début de l’étude, le souci essentiel de l’Office et de ses Rapporteurs a-t-il été de rétablir les conditions d’un dialogue interrompu et d’analyser les éventuels enjeux nationaux d’une décision portant fût-ce sur un seul grand instrument comme le futur synchrotron.

Au demeurant, conformément à la mission de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, ce rapport a aussi comme objectif fondamental d’informer le Parlement sur une question qui, en apparence technique, touche, en réalité, aux intérêts fondamentaux et à l’avenir de la recherche scientifique dans notre pays.

Un bref exposé de la méthode suivie semble nécessaire pour donner leur vrai relief aux analyses qui sont présentées dans ce rapport.

Nommés le 24 novembre, avec l’invitation expresse des membres de l’Office à réfléchir à un élargissement du sujet, vos Rapporteurs ont présenté leur étude de faisabilité, une étape indispensable dans le processus de l’Office, le 15 décembre 1999, non sans avoir au préalable auditionné le directeur du Laboratoire pour l’utilisation du rayonnement électromagnétique (LURE) d’Orsay, centre de recherche pionnier et toujours leader de cette technologie dans notre pays

Cette étude de faisabilité proposait d’entrée une démarche objective, énonçait toutes les questions auxquelles il apparaissait nécessaire de répondre et proposait plusieurs possibilités d’élargissement du champ de l’étude, dont celle qui fut finalement retenue et acceptée le 2 février 2000 par le Bureau de l’Assemblée nationale, à savoir " les conditions d’implantation d’un nouveau synchrotron et le rôle des très grands équipements dans la recherche publique et privée, en France et en Europe. "

Compte tenu du délai de 3 mois imparti, seul le premier point relatif au nouveau synchrotron fait l’objet du présent rapport.

Pour les aider conduire leur étude, vos Rapporteurs se sont entourés d’un groupe de travail constitué de 10 éminents scientifiques représentant les différentes composantes de la science dans notre pays – université, grands organismes, recherche industrielle - et témoignant d’opinions de départ contrastées sur les synchrotrons.

En voici la liste :

M. Hervé ARRIBART Conseiller du Directeur de la Recherche du Groupe SAINT GOBAIN

M. Jean-Pierre CHANGEUX Professeur au Collège de France, Membre de l’Académie des Sciences

M. Georges CHARPAK Membre de l’Académie des Sciences, Prix Nobel

M. Gilles COHEN-TANNOUDJI Ancien élève de l’Ecole Polytechnique, Dr d’Etat ès Sc. Phys., conseiller du Directeur des Sciences de la Matière au CEA

M. Jean GALLOT Dr d’Etat ès Sc. Phys., Professeur émérite à l’Université de Rouen, ancien Recteur

M. Jean JERPHAGNON Conseiller du Directeur technique d’ALCATEL

M. Vincent MIKOL Directeur de recherche, Aventis

M. Guy OuRISSON Président de l’Académie des Sciences

M. Pierre POINTU Ingénieur de l’Ecole Centrale, Dr ès Sciences, ancien Directeur des services de recherche au groupe Saint Gobain

M. Jochen SCHNEIDER Directeur du laboratoire allemand du rayonnement synchrotron Hasylab (DESY-Hambourg)

Aidés de ce groupe de travail prestigieux dont ils remercient chacun des membres, vos Rapporteurs ont eu le souci de rassembler les points de vue, sans aucune exclusive, toutes les parties prenantes au dossier ayant été effectivement auditionnées.

En outre vos Rapporteurs ont, comme il est normal, visité les synchrotrons présents sur le sol français, le LURE d’Orsay et l’ESRF de Grenoble, ainsi que d’autres centres de recherche en Europe intéressés par ces grands instruments, celui de Daresbury où se trouve le synchrotron SRS, le Rutherford Appleton Laboratory à Didcot près d’Oxford, qui pourrait accueillir le projet DIAMOND, et, enfin, le Deutsche Elektronen-Synchrotron de Hambourg qui gère les synchrotrons PETRA II et DORIS III.

Toutes les étapes des travaux de vos Rapporteurs ont fait l’objet d’une information la plus large possible, les comptes rendus des auditions et des visites étant établis au fur et à mesure et diffusés sans délai au sein du groupe de travail, de façon que les principales parties prenantes puissent être informées de la progression des investigations du groupe de travail. Ces documents se trouvent bien entendu annexés au présent rapport.

Autre point important, une audition publique a été organisée le 2 mars 2000 sur le thème de " l’importance des synchrotrons pour la recherche et les projets dans ce domaine en France et en Europe ", dont le compte rendu sténographique figure également en annexe.

Ainsi que l’ont attesté de nombreux interlocuteurs de vos Rapporteurs, la méthode suivie s’est efforcée, avec quelque succès, non seulement de se rapprocher de l’objectivité – une tâche toujours difficile dans une situation de crise –, mais également d’être respectueuse de tous les points de vue.

Au reste, dans la droite ligne de la vocation de l’Office, l’objectif essentiel de vos Rapporteurs est naturellement de contribuer à faire apparaître la meilleure solution pour la recherche française.

A ce titre, puisque les ressources budgétaires de la recherche sont limitées et que d’autres besoins des chercheurs que l’accès à des synchrotrons doivent être financés, une place centrale est réservée à la question du meilleur choix pour les utilisateurs présents et futurs du rayonnement synchrotron.

C’est pourquoi la question du coût par utilisateur est posée en contrepoint de l’analyse des différentes solutions en présence et des recommandations qui sont présentées dans la suite.

Au terme de leurs investigations, vos Rapporteurs ont acquis la conviction que les synchrotrons, en desservant un ensemble d’utilisateurs considérables et appartenant à toutes les discipline scientifiques, représentent davantage un laboratoire de services qu’un très grand instrument dans son acception traditionnelle. Les pays de toute dimension qui se dotent de synchrotrons nationaux l’ont d’ailleurs bien compris.

Si une coopération internationale apparaît souhaitable dans le domaine des synchrotrons, elle pourrait avantageusement se situer au niveau de recherches de pointe sur de nouvelles machines, les lasers à électrons libres, pour lesquels il est nécessaire, en raison de leurs aléas, de mettre des ressources intellectuelles en commun et de partager les risques.

Mais, en tout état de cause, une source nationale au sein d’un réseau européen est indispensable à la fois pour les besoins d’application de la communauté scientifique et de l’industrie, pour la formation des chercheurs et pour la pérennité de la présence française dans cette technologie clé pour l’avenir.

– Chapitre I –

Un enjeu scientifique global et primordial, reconnu comme tel par des pays de toutes dimensions

 

Introduction

Les synchrotrons sont des grands instruments d’analyse de la matière.

Produisant des rayonnements électromagnétiques de toutes longueurs d’onde selon des faisceaux d’une brillance exceptionnelle, les synchrotrons ont connu des progrès très rapides en termes de performances, de facilité et de coûts de mise en œuvre.

Ils sont devenus très vite des compléments indispensables aux appareils de laboratoires pour un vaste ensemble de techniques des sciences de la matière et des sciences du vivant.

Du fait de sa complexité mais aussi de ses possibilités d’évolution permanente, l’installation représentée par un synchrotron est indissociable de ses équipes de chercheurs permanents, les uns attachés au fonctionnement de la machine et à son perfectionnement et les autres utilisant au quotidien celle-ci pour conduire des recherches propres en physique, en chimie et en biologie.

Mais le synchrotron est également indissociable des équipes de chercheurs visiteurs qui se relaient sur ses installations pour tirer parti à la fois des possibilités extraordinaires de la machine et de l’expertise accumulée par les chercheurs permanents et concentrée sur le site.

Cette évolution et la structure qui en résulte sont communes à tous les synchrotrons, où qu’ils se trouvent, en Europe, aux Etats-Unis ou en Asie.

Ainsi le synchrotron constitue-t-il davantage un instrument de services apportés à un ensemble d’utilisateurs appartenant à des équipes de recherche nombreuses et diversifiées qu’un très grand équipement comme un collisionneur linéaire ou un satellite attaché à un domaine spécifique.

 

 

I – Qu’est-ce qu’un synchrotron et à quoi sert-il ?

Le terme de synchrotron désigne usuellement un système d’accélérateurs utilisés non pas pour l’étude fondamentale des constituants élémentaires de la matière mais pour la production d’un rayonnement électromagnétique particulier appelé rayonnement synchrotron.

1. Accélérateurs et synchrotrons

Les accélérateurs sont les installations de base de la physique des particules.

Ils servent à accélérer à des vitesses proches de la vitesse de la lumière, des particules élémentaire – électrons, positons, protons, ions – et à les projeter contre des cibles fixes ou elles-mêmes en mouvement à grande vitesse. A la suite des chocs ainsi produits, ces particules donnent naissance à d’autres constituants élémentaires ou composés, ce qui permet l’étude des briques élémentaires de la matière.

On distingue généralement deux types d’accélérateurs, les accélérateurs linéaires ou " Linacs " et les accélérateurs circulaires " cyclotrons " et " synchrotrons ".

Le domaine préférentiel d’utilisation des accélérateurs linéaires ou circulaires est ainsi celui de la physique fondamentale. L’un des accélérateurs les plus connus est celui du grand anneau LEP du CERN.

Le terme synchrotron désigne aujourd’hui un ensemble d’accélérateurs d’une catégorie particulière, dont la vocation est la production de rayonnement électromagnétique.

En 1944, deux physiciens soviétiques constatent dans un accélérateur de particules la présence d’un rayonnement électromagnétique dans certaines conditions. La même observation est faite en 1947 aux Etats-Unis par des chercheurs de General Electric.

Ce rayonnement est considéré dans un premier temps comme parasite, puisqu’il traduit une perte d’énergie des particules alors que précisément, c’est un accroissement de leur énergie que l’on recherche classiquement en les accélérant. Ce phénomène est bientôt constaté par tous les utilisateurs d’accélérateurs, qui cherchent à le minimiser et s’en protéger.

Mais rapidement, il apparaît que le rayonnement électromagnétique produit a des qualités exceptionnelles d’un grand intérêt pour l’analyse non destructive des matériaux. Par convention, on appelle rayonnement synchrotron, le rayonnement électromagnétique émis dans un système spécialisé d’accélérateurs.

Le temps des accélérateurs dédiés à la production de rayonnement synchrotron débute dès les années soixante-dix.

Au vrai, les synchrotrons sont des équipements de grande taille en forme d’anneau. On trouvera ci-après le schéma type des synchrotrons modernes comme ESRF ou SOLEIL.

Au centre, se trouve un accélérateur linéaire qui permet de communiquer aux électrons une vitesse initiale très élevée, avant qu’ils soient injectés dans un accélérateur circulaire où leur énergie s’accroît tour après tour lors de leur passage dans les aimants disposés tout autour de l’anneau.

Une fois le niveau d’énergie souhaité atteint, ces particules sont envoyées dans un anneau de stockage, comparable à un " vélodrome à électrons ", où elles serviront à la production de rayonnements électromagnétiques (voir figure suivante).

A titre d’illustration de la technicité des synchrotrons, les électrons tournent dans l’anneau de stockage à une vitesse proche de celle de la lumière, ce qui les conduit à faire près de 350 000 tours par seconde.

Figure 1 : Schéma simplifié du synchrotron ESRF

 

 

 

 

Dans les synchrotrons de première et deuxième génération, le rayonnement est produit tangentiellement à la trajectoire circulaire des électrons située dans le plan horizontal, lors de leur passage dans les aimants de courbure qui incurvent la trajectoire des particules.

Les synchrotrons de troisième génération produisent, quant à eux, le rayonnement synchrotron non seulement dans les aimants de courbure mais également dans des dispositifs d’insertion spéciaux implantés dans les parties rectilignes de l’anneau.

Dans les deux cas, c’est en subissant un changement de trajectoire que les électrons perdent de l’énergie sous forme d’émission d’ondes électromagnétiques.

2. Les infrastructures de base et les équipements optionnels d’un synchrotron

Pour la bonne compréhension des enjeux techniques et financiers des synchrotrons, il est indispensable de distinguer ses équipements de base de ses équipements optionnels que sont les dispositifs d’insertion et les lignes de lumière (voir figure suivante).

Figure 2 : Schéma sommaire des lignes de lumière




 

 

 

Les équipements de base d’un synchrotron sont l’accélérateur linéaire, le synchrotron proprement dit et l’anneau de stockage. C’est sur ce dernier qu’est produit le rayonnement synchrotron.

Dans la pratique, un anneau de stockage comprend des sections courbes et des sections droites.

Les sections courbes comprennent les aimants de courbure qui constituent le dispositif le plus ancien et le moins performant de production du rayonnement synchrotron.

C’est au contraire sur les sections droites que sont installés les " wigglers ", des dispositifs de performances intermédiaires et les onduleurs, d’une technologie plus récente et encore évolutive, qui produisent les faisceaux les plus intenses et les plus fins. L’équipement des sections droites en dispositifs d’insertion qui permettront de produire le rayonnement synchrotron, peut se faire progressivement.

Les caractéristiques de l’anneau de stockage constituent un paramètre très important de la décision d’investissement.

L’énergie de l’anneau détermine les méthodes qui pourront être mises en œuvre et la facilité de conduite de la machine au regard de la stabilité des faisceaux. La taille de l’anneau conditionne le nombre de sections droites et donc le nombre de lignes de lumière que l’on peut installer.

Mais une distinction capitale doit être faite entre l’anneau de stockage et l’ensemble constitué par les dispositifs optionnels d’insertion et les lignes de lumière.

L’anneau de stockage et ses appareillages situés en amont représentent des équipements de base souvent financés par un organisme public de recherche.

Les équipements optionnels correspondent à différents types d’utilisation et d’utilisateurs et peuvent faire l’objet d’une construction progressive et d’un financement distinct de celui des installations de base proprement dites.

Ainsi, aux Etats-Unis, en Allemagne, en Suisse et en France également, la construction et l’équipement de lignes de lumière ont pu être financés par des entreprises et des groupes d’entreprises spécialement intéressées par un accès permanent au synchrotron mais aussi par des universités, des collectivités locales, voire des pays étrangers.

3. Le rayonnement synchrotron

En tant que source de rayonnements électromagnétiques, un synchrotron permet de produire un rayonnement variant de façon continue sur une large plage de longueurs d’onde. Grâce aux synchrotrons, il est devenu possible de produire des UV et des rayons X lointains.

Par ailleurs, le rayonnement synchrotron peut être produit avec une forte intensité dans une bande passante en énergie ou une longueur d’onde très précise.

La brillance du rayonnement synchrotron est plus élevée d’un facteur 1012 que celle d’une lampe à rayons X. Le faisceau par ailleurs peut être extrêmement bien focalisé dans toute la gamme d’énergie des photons.

Autre particularité essentielle, le rayonnement synchrotron est polarisé, sa polarisation circulaire ou linéaire étant ajustable. Ceci permet, par exemple, l’étude des propriétés de surface des matériaux et des interfaces et le développement rapide de la micro spectroscopie magnétique.

En outre, le rayonnement synchrotron est intrinsèquement émis en régime pulsé très rapide. Cette caractéristique permet d’étudier la dynamique de différents phénomènes fugaces, comme des réactions chimiques ou des déformations de molécules.

Cet ensemble de propriétés remarquables ouvre au rayonnement synchrotron des applications en nombre croissant, en physique, en chimie, en sciences de l’environnement, en médecine et en biologie.

4. Une " coopérative " de production d’ondes électromagnétiques de haute qualité pour des méthodes expérimentales diversifiées

C’est en raison de la qualité de leurs faisceaux d’ondes électromagnétiques que les synchrotrons se sont multipliés afin de satisfaire les demandes d’accès des utilisateurs.

Dès la première génération de synchrotrons, les performances obtenues ont dépassé très largement les sources habituelles comme les tubes à rayons X de première génération et les tubes à anode tournante. Ainsi, la brillance du synchrotron DCI du LURE est 10 000 fois supérieure à celle d’un tube à rayons X de laboratoire.

Ce progrès dans les performances a continué avec la deuxième génération puis avec la troisième génération de synchrotrons dont les faisceaux atteignent une brillance mille milliards de fois supérieure à celle des tubes à anode tournante (voir figure suivante).

Figure 3 : L’augmentation des performances des synchrotrons au cours du temps, mesurées par leur brillance


 

Parallèlement à ces gains sur la brillance des faisceaux, des méthodes expérimentales nouvelles ont été mises au point, de sorte que les synchrotrons proposent toute une panoplie de techniques d’étude pour les sciences de la matière et les sciences du vivant (voir tableau suivant).

Tableau 1 : Principales méthodes mises en œuvre sur les lignes de lumière de l’ESRF de Grenoble

méthode d’analyse

dispositif

absorption de rayons X

Dispositif d’insertion 26

cristallographie des protéines

Dispositif d’insertion 14

diffraction de haute énergie et de surface

Dispositifs d’insertion 15A et 3

diffusion d’anomalie

Dispositif d’insertion1

diffusion inélastique moyenne ou haute énergie

Dispositif d’insertion 16 et 15B

diffusion magnétique

Dispositif d’insertion 20

diffusion nucléaire

Dispositif d’insertion 18

haute brillance et lumière blanche

Dispositifs d’insertion 2 et 9

microfluorescence

Dispositif d’insertion 22

microfocalisation

Dispositif d’insertion 13

microscopie rayons X

Dispositif d’insertion 21

polarisation circulaire

Dispositif d’insertion 12A

spectroscopie d’absorption rayons X

Aimant de courbure 29

Au total, les synchrotrons produisent des rayonnements électromagnétiques couvrant une partie très importante du spectre des énergies et des longueurs d’onde.

Figure 4 : Les ondes électromagnétiques

 



 

 

 

 

Le synchrotron apparaît bien dès lors comme un équipement de type coopératif à double titre.

En premier lieu, il produit des rayonnements pour toute une série de méthodes expérimentales.

En deuxième lieu, ses installations sont utilisées non seulement par les chercheurs résidents mais aussi par les chercheurs visiteurs qui se succèdent ces installations dans le but d’accéder aux meilleures sources de rayonnement électromagnétique.

II – En tant que machine de service pour de nombreux laboratoires répartis sur tout le territoire, un très grand instrument d’une nature particulière

Les synchrotrons ont connu en quelques dizaines d’années une évolution considérable de leur place dans la recherche scientifique. Cette évolution, observée dans tous les pays, en fait des grands instruments de service à la communauté scientifique dans son ensemble et donc des très grands équipements " pas comme les autres ".

On peut schématiser cette évolution en trois phases pour la commodité de l’exposé.

Conçus et gérés par des physiciens des particules et des spécialistes des accélérateurs, les synchrotrons ont d’abord fonctionné en vase clos, pendant toute la première phase qui a correspondu à la mise au point de la première génération d’anneaux de stockage.

Mais les synchrotrons ont bientôt, dans une deuxième phase, constitué une base de travail pour des physiciens, des chimistes et des biologistes qui ont développé, sur place et en liaison avec les spécialistes des machines, des méthodes expérimentales pour tirer parti des qualités exceptionnelles des rayonnements électromagnétiques produits par les synchrotrons de première puis de deuxième génération.

La troisième phase correspond à l’ouverture très rapide des lignes de lumière - une fois celles-ci mises au point - à des chercheurs appartenant à des laboratoires extérieurs, ce qui a fait en définitive des synchrotrons des machines de service desservant une communauté très large d’utilisateurs, au plan régional, national et international.

Par nature, un synchrotron est donc un grand instrument particulier, partagé par des utilisateurs de toute discipline et non pas fermé sur une communauté de spécialistes, accessible à tous grâce à une assistance technique et non pas inaccessible de par sa complexité, et, enfin, jouant un rôle formateur pour des chercheurs même au niveau de mémoires de recherche de maîtrise ou de DEA et non pas réservé à des thésards, à des post-docs et à des chercheurs chevronnés

Mais, en France, des contraintes de technique budgétaire mal maîtrisées ont fait ranger les synchrotrons dans la catégorie des très grands équipements. Ceci a été d’autant plus inévitable qu’aucun découplage n’a été opéré à quelque niveau que ce soit, ministère de la recherche, grands organismes et laboratoires, entre les équipements de base – injecteur, anneau de stockage – et les équipements optionnels – dispositifs d’insertion et instrumentation des lignes de lumière –, ce qui aurait dû être fait compte tenu des finalités très différentes de ceux-ci.

Pour autant, les synchrotrons méritent bien d’être considérés comme des grands instruments " pas comme les autres ".

1. Une communauté indissociable d’instruments, de compétences pluridisciplinaires et de formations par la recherche

1. 1. Des compétences multiples de physiciens et de concepteurs au service de la machine et de ses utilisateurs

En raison de leur complexité, les synchrotrons nécessitent que des équipes d’ingénieurs, de techniciens et de physiciens assurent leur fonctionnement par une présence quotidienne. Toutefois, il s’agit dans tous les cas d’une exploitation non pas routinière mais dynamique, car tous les synchrotrons ont des marges de progression importantes, notamment au niveau des dispositifs d’insertion et de l’instrumentation des lignes de lumière.

A titre indicatif, le laboratoire HASYLAB de Hambourg alloue 17 % de ses crédits annuels de fonctionnement au perfectionnement permanent de ses installations.

Le LURE quant à lui est l’auteur d’un nombre important de grandes premières technologiques et méthodologiques qui ont ouvert de nouveaux champs d’application au rayonnement synchrotron.

Dans le domaine de la cristallographie biologique, le LURE a mis en service d’une part la première chambre à rotation pour l’enregistrement des diagrammes de diffraction en 1976, et, d’autre part, des détecteurs de type chambre à fils construits avec M. Georges CHARPAK au CERN en 1984. En outre, grande première mondiale, la première structure d’une protéine inconnue a été résolue au LURE en 1985 par la méthode de diffusion anormale multilongueurs d’onde (MAD).

Le LURE a également été pionnier pour la mise au point des onduleurs dont l’importance est capitale pour les synchrotrons de 3ème génération et pour la démonstration des lasers à électrons libres.

Dans le domaine des techniques expérimentales d’application, un synchrotron comme le LURE a été également à la base de nouveaux développements, comme pour la microscopie infrarouge, les UV à polarisation ajustable ou les microsondes X par fluorescence.

On ne peut donc considérer un synchrotron comme un outil figé, condamné à l’obsolescence dès la fin de sa construction. Au contraire, il s’agit d’une machine qui connaît une évolution permanente pour améliorer ses performances, développer de nouvelles techniques d’imagerie et perfectionner les services rendus aux utilisateurs.

Au reste, un autre trait important des synchrotrons est l’assistance très rapprochée donnée aux utilisateurs, permanents ou visiteurs, par les concepteurs et les gestionnaires de la machine.

La complexité du synchrotron en est la cause première. Mais il s’agit aussi d’une question de philosophie de la recherche conduite autour des synchrotrons, dont les responsables mettent la pluridisciplinarité au premier rang de leurs préoccupations.

De fait, l’histoire du rayonnement synchrotron est par essence pluridisciplinaire.

C’est évidemment une partie très importante du travail des physiciens que de concevoir des instruments pour les mettre au service des autres disciplines scientifiques. Il se trouve que sur un site de synchrotron, l’interaction est permanente et productive grâce au nombre et à l’importance des contacts entre les spécialistes de la machine et ses utilisateurs.

1.2. Un rôle dans la formation à la recherche

Le rôle des synchrotrons dans la formation des jeunes chercheurs fait également partie intégrante de leur mode de fonctionnement, quel que soit le pays considéré.

Ainsi, le LURE assume un rôle important dans la formation universitaire. Il est le siège de 2 DEA et le laboratoire d’accueil de 6 écoles doctorales. Le LURE accueille en outre chaque année, une quarantaine de stagiaires de niveau licence, maîtrise ou DEA.

En outre, chaque année, le LURE reçoit les 60 doctorants de la formation doctorale européenne HERCULES. Une quarantaine de chercheurs préparent leur thèse de doctorat au LURE. En 1999, 386 doctorants ont utilisé les faisceaux du LURE en tant que chercheurs visiteurs.

Aux Etats-Unis, selon le rapport Birgeneau, 100 doctorats (Ph.D.) par an ont eu pour base des recherches conduites sur les synchrotrons SSRL de Stanford University (Stanford, Californie) et NSLS du Brookhaven National Laboratory (Upton, New York). Le même rapport indique qu’avec le démarrage de la recherche sur l’ALS du Lawrence Berkeley National Laboratory (Berkeley, Californie) en 1993 et sur l’APS de l’Argonne National Laboratory (Argonne, Illinois) en 1996, ce nombre de thèses est appelé à s’accroître considérablement.

De même, les étudiants présents au Deutsche Elektronen-Synchrotron (DESY) de Hambourg qui possède les synchrotrons DORIS III et PETRA II, sont au nombre de 1130 personnes, en maîtrise, en doctorat ou en contrat de " post-doc ".

2. Créant un effet de communauté et une fertilisation croisée, un grand instrument pas comme les autres

L’une des caractéristiques essentielles des synchrotrons est qu’ils desservent un nombre très important de laboratoires extérieurs au site de la machine. De fait, un synchrotron irrigue l’ensemble d’un territoire, d’une région, voire d’un continent.

Ainsi, les statistiques du LURE pour 1999 montrent que les laboratoires du site n’ont reçu que 22 % des projets acceptés, les 78 % restant ayant été utilisés par les autres laboratoires d’Ile de France (36 %), de province (21 %), et de pays étrangers (21 %), ainsi que l’illustre la figure suivante.

Figure 5 : Répartition de l’utilisation des synchrotrons DCI et Super-ACO entre les laboratoires " maison " du LURE et les laboratoires extérieurs en 1999

Le nombre d’expériences effectuées au LURE s’élève à plus de 600 par an et le nombre d’utilisateurs à plus de 2000. Quant à l’ESRF, il a reçu 2640 utilisateurs sur la période juillet 1997-juillet 1998.

On retrouve les mêmes ordres de grandeur au Hasylab de Hambourg, avec plus de 2100 utilisateurs par an. En Suède, les installations du MaxLab sont utilisées annuellement par environ 500 personnes.

La notion de service rendu par les synchrotrons est évidemment aussi présente aux Etats-Unis, avec, par exemple, un ensemble de 4500 utilisateurs sur les 4 synchrotrons du DOE et une influence régionale de chaque machine.

Il n’est donc pas abusif de dire que, d’une manière générale, les synchrotrons sont des " super laboratoires " de service aux autres laboratoires. Les chercheurs visiteurs se relaient sur les lignes de lumière afin de procéder aux expérimentations prévues dans les projets de recherche acceptés par les comités de programme.

Il faut d’autre part remarquer qu’un nouveau marché se développe pour les synchrotrons, celui des accès payants et sous délai réduit que les grandes entreprises souhaitent obtenir en cas d’urgence ou pour assurer une confidentialité totale à leurs travaux. L’ESRF devrait ainsi vendre en 2000 environ 4500 heures de temps de faisceau, pour des recettes de l’ordre de 10 millions de francs.

A cet égard, l’automatisation des manipulations préalables à la réalisation des clichés ainsi que la récupération des données par voie informatique sont en projet à l’ESRF, de façon à réduire, si nécessaire, les temps de présence des utilisateurs voire même de leur permettre d’envoyer leurs échantillons et de récupérer les données à distance. Les voies du libre-service sinon du service à distance figurent ainsi dans les évolutions envisagées pour certaines expérimentations, confirmant bien la vocation des synchrotrons d’être au service de toute une communauté de chercheurs.

" Super laboratoire " pluridisciplinaire de service aux autres laboratoires, un synchrotron n’est donc pas un très grand instrument comme les autres qui sont le plus souvent au service d’une seule discipline.

Le LURE qui a la responsabilité des machines Linac, DCI, Super-ACO et CLIO, possède ainsi 7 sections et groupes scientifiques : atomes et molécules, biologie, chimie de la matière condensée, diffusion-diffraction, optique et faisceaux d’électrons, physique du solide et surfaces.

La pluridisciplinarité des équipes du LURE existe depuis les origines. Une même situation s’observe dans les autres centres de rayonnement synchrotron.

3. Un bilan substantiel en termes de découvertes et d’inventions

Le bilan scientifique des grands instruments est à l’heure actuelle un thème de discussions d’autant plus vives qu’elles sont reprises dans les médias.

S’agissant des synchrotrons, il est aisé de démontrer leur intervention dans un grand nombre de découvertes, puisque la citation de l’instrument ou celle des équipes du synchrotron qui ont collaboré à celles-ci, est systématiquement faite.

On trouvera ci-après un bilan des publications d’un centre de rayonnement synchrotron comme le LURE sur 5 ans.

Tableau 2 : Publications du LURE sur la période 1995-1999

1995-1999

nombre

Alert papers dans Structure

458

dont :

- Articles dans Science

3

- Articles dans Nature

7

- Articles dans Physical Review Letters

44

- Articles dans Cell

3

Au plan qualitatif, on peut citer, parmi les grandes premières mondiales réalisées grâce aux synchrotrons l’élucidation de la structure complète d’un virus, la structure du nucléosome, l’étude de l’hydrogène et de la glace à des pressions très élevées (1 à 2 Mbars) et l’imagerie en lumière cohérente. On peut aussi signaler les études temporelles à l’échelle de 100 picosecondes (10-12 s) dont celle de l’action du CO sur la myoglobine.

En outre, le rayonnement synchrotron a joué un rôle essentiel dans la mise au point des antiprotéases du VIH, dans celle de médicaments contre le glaucome, l’hypertension, la grippe ou le cancer.

Les synchrotrons, en tant que fournisseurs de nouvelles techniques d’analyse, ont bien ouvert de nouveaux champs de connaissance, de découverte et d’invention. Leur apport d’information en chimie, en physique, en science des matériaux, en sciences de la vie, en géo-sciences et en science de l’environnement, continuera d’être capital dans l’avenir.

III – Des besoins d’accès en croissance forte

Les performances des faisceaux des synchrotrons ont ouvert de nouveaux champs de connaissance. C’est la raison essentielle de leur utilisation croissante.

Pour toute technologie en développement, l’estimation des débouchés futurs est toujours difficile à réaliser.

Par hypothèse, l’interrogation des utilisateurs risque de conduire à une surestimation des besoins. A l’inverse, une enquête sur les investissements ou les dépenses prévues par les utilisateurs réels et potentiels peut conduire à une sous-estimation des besoins réels, dans la mesure où l’importance relative de l’innovation n’est pas perçue clairement et où la valorisation financière peut être dissuasive.

Pour autant, il ne semble pas que l’on puisse légitimement dire aujourd’hui qu’il n’y a pas d’indices fiables sur les besoins futurs en temps de faisceau.

S’agissant du rayonnement synchrotron, les prévisions doivent aussi opérer une distinction entre les deux principales gammes de longueurs d’onde : VUV – X " mous " d’une part, et X – X " durs " d’autre part. Là encore, différentes évaluations existent, qui permettent de cerner les contours de l’évolution future.

  1. L’insuffisance actuelle de l’offre française de rayonnement synchrotron

Les nombreuses données statistiques qui existent de par le monde sur les demandes d’accès aux lignes de lumière des synchrotrons, montrent un écart significatif entre le nombre de demandes présentées et le nombre de demandes acceptées.

Ainsi, en 1999, la demande exprimée en (heures x instruments) adressée au LURE a représenté 155 % du temps alloué, un pourcentage à peu près stabilisé cinq ans après la mise en service des équipements (voir figure suivante).

Figure 6 : Ecart entre la demande exprimée en (heures x instruments) et l’allocation effective au LURE

Le même écart s’est élevé à 205 % pour la part française de l’ESRF, cinq ans après la mise en service de l’appareil (voir figure suivante).

Figure 7 : Ecart entre la demande exprimée en heures x instruments et l’allocation effective à l’ESRF (part française)

La même insuffisance se constate pour l’ESRF considéré dans son ensemble (voir figure suivante). En 1999, la demande de (jours x instruments) a atteint 210 % de l’allocation effective.

Figure 8 : Ecart entre la demande exprimée en (jours x instruments) et l’allocation effective à l’ESRF considéré dans son ensemble

D’après le Président de la Table ronde européenne du rayonnement synchrotron, M. Giorgio MARGARITONDO, la demande de temps d’accès à des lignes de lumière est en moyenne supérieure de 150 % à l’offre disponible. Dans le cas particulier du synchrotron italien ELETTRA implanté à Trieste, la demande d’accès atteint même 260 % de l’offre.

La discussion de ces indicateurs ne ruine pas leur pertinence.

Il est évident qu’une nouvelle technique tend à révéler des besoins et que ceux-ci se multiplient au fur et à mesure qu’elle est mieux connue. Toutefois, la persistance d’un déficit entre l’offre et la demande après cinq années semble établir une insuffisance chronique des ressources disponibles en France, au LURE et à l’ESRF.

On pourrait également se demander si l’écart entre les demandes présentées et les demandes acceptées ne provient pas d’une insuffisance de qualité des demandes.

D’après les indications données à vos Rapporteurs lors des visites des différents centres de rayonnement synchrotron qu’ils ont visités, la raison dominante des refus d’accès est, non pas l’insuffisante qualité scientifique des demandes jugée par un comité de programme opérant une sélection des projets, mais bien une insuffisance des capacités disponibles.

En tout état de cause, alors que les techniques mises en œuvre sur les synchrotrons continuent de progresser en termes de performances, on ne voit pas que l’écart entre l’offre et la demande puisse se résorber dans les années à venir, à nombre de synchrotrons constants.

Au contraire, si les deux sources LURE et SRS devaient disparaître au profit du seul synchrotron DIAMOND, l’insuffisance de lignes de lumière ne pourrait que s’approfondir.

C’est ce qu’a exprimé le Président de la Table ronde européenne en indiquant, d’une part, qu’il existe un déficit en Europe en termes de lignes de lumière disponibles et, d’autre part, que la disparition sans remplacement un pour un des sources LURE et SRS serait un " changement radical " en Europe.

Une raison fondamentale en est l’utilisation croissante du rayonnement synchrotron pour établir la structure des macromolécules (voir graphique suivant).

Figure 9 : L’importance croissante du rayonnement synchrotron pour l’élucidation des structures macromoléculaires

Ce phénomène est particulièrement accentué dans le domaine de la biologie. La résolution des structures des protéines qui pouvait s’effectuer avec des instruments de laboratoires, bascule, dans tous les pays, vers les synchrotrons, ainsi qu’en témoigne le graphique suivant réalisé par le laboratoire de l’EMBL (European Molecular Biology Laboratory) implanté sur le site des synchrotrons du Hasylab de Hambourg.

Figure 10 : Comparaison du total mondial de publications de biologie structurale résultant de travaux conduits sur des synchrotrons ou sur des sources propriétaires

Les raisons de ce recours accru aux synchrotrons sont bien connues. La qualité des images obtenues et la rapidité d’exécution des clichés coïncident avec les impératifs de la recherche moderne engagée en biologie moléculaire dans une course de vitesse, accélérée par la concurrence et par les perspectives de la brevetabilité du vivant.

Au demeurant, si des statistiques comparables ne semblent pas disponibles pour les autres disciplines, il est incontestable que les sciences physiques ont, elles aussi, multiplié leur appel aux synchrotrons.

2. Les prévisions des besoins futurs

La prévision des besoins futurs en matière de rayonnement synchrotron est un exercice difficile. Néanmoins, plusieurs approches ont été développées dans les années récentes, qui donnent des indications à prendre en considération.

L’une des plus intéressantes est celle présentée par M. Yves FARGE, qui possède une expérience de la recherche à la fois universitaire et industrielle.

La capacité souhaitable à 20 ans pour la France, telle qu’elle est estimée par M. Yves FARGE, devrait être multipliée par près de 2, par rapport à la situation actuelle qui repose exclusivement, comme on sait, sur les deux sources du LURE, DCI et Super-ACO.

Ce sont les besoins en temps de faisceau des sciences de la vie qui devraient croître le plus vite. Cette indication quantifiée est recoupée par les nombreuses observations qualitatives rassemblées par vos Rapporteurs. La cristallographie des protéines mais aussi les autres techniques appliquées à la biologie sont en effet la source de demandes d’accès en croissance forte qui, selon toute vraisemblance, devrait se prolonger.

On notera aussi que la recherche appliquée et les sciences de l’univers devraient doubler leurs demandes dans les 20 années à venir. La physique et la chimie augmenteraient les leurs respectivement d’un facteur de 1,2 et 1,5.

Tableau 3 : Estimation des capacités annuelles souhaitables en France à 20 ans

nombre de projets

capacité

annuelle

actuelle

estimation de la capacité souhaitable

à 20 ans

facteur

multiplicatif

Sciences de la vie

80

240

3

Sciences de l’univers

40

80

2

Recherche appliquée (dont micro-fabrication)

320

640

2

Chimie

160

240

1,5

Physique

200

240

1,2

Total

800

1440

1,8

Il paraît également utile d’indiquer que le rapport Birgeneau relatif aux synchrotrons du Département de l’énergie américain estime que "la croissance du nombre d’utilisateurs des synchrotrons et plus particulièrement leur diversification croissante continuera au moins dans la prochaine décade et que les ressources correspondantes doivent leur être fournies ".

Une discussion des éléments précédents est néanmoins nécessaire, dans la mesure où plusieurs facteurs conditionnent les perspectives tracées précédemment.

La pénétration des techniques développées avec les synchrotrons dans le milieu scientifique entraîne un double effet.

La qualité des résultats obtenus avec les lignes de lumière d’un synchrotron exerce un effet incitatif puissant, au demeurant largement relayé par leur publication dans des revues prestigieuses comme Nature et Science. Les difficultés d’accès aux synchrotrons, à savoir la nécessité de construire un projet de recherche, d’en faire un rapport et de le soumettre à un comité de programmes et les délais d’obtention d’une réponse, peuvent au contraire exercer un effet dissuasif et conduire les chercheurs à trouver d’autres moyens techniques.

Un autre facteur difficile à cerner est celui de la concurrence de l’amélioration de techniques actuelles ou de techniques nouvelles qui pourraient surgir dans l’intervalle de temps considéré.

Par ailleurs, certains observateurs ont pu avancer que la croissance des besoins de la biologie masquait une diminution des demandes des autres disciplines. En réalité, il n’en est rien car cette évolution se place dans le cadre d’une évolution globale d’augmentation du nombre d’utilisateurs, toutes disciplines confondues, y compris en cas d’augmentation du nombre de lignes disponibles.

A cet égard, l’évolution des Etats-Unis est particulièrement intéressante à examiner entre 1990 et 1997. Aux deux synchrotrons de 2ème génération gérés par le Department of Energy – Basic Energy Sciences, se sont en effet ajoutés deux synchrotrons supplémentaires de 3ème génération.

Une première évolution s’est alors produite : l’envolée de la part des travaux des sciences de la vie et des géosciences et des sciences de l’environnement, selon le graphique suivant.

Figure 11 : Evolution des parts respectives des différentes disciplines dans l’utilisation des synchrotrons du DOE (Etats-Unis)

Mais une autre évolution tout aussi importante est intervenue, à savoir la croissance globale du nombre d’utilisateurs. Ainsi, le nombre d’utilisateurs est passé de 1642 en 1990 à plus de 4500 en 1997, avec un accroissement observé dans toutes les disciplines (voir figure suivante).

Figure 12 : Evolution du nombre d’utilisateurs par discipline pour les synchrotrons du DOE-BES aux Etats-Unis,

Au demeurant, l’expérience de l’ESRF, un synchrotron de 3ème génération de 6 GeV préfigure dans une certaine mesure, le partage des activités des nouvelles machines qui pourront être construites avec des performances voisines pour des énergies inférieures de moitié.

Figure 13 : Répartition du temps machine de l’ESRF en 1997-1998 par champ scientifique

On voit donc que, même avec un synchrotron de grande énergie, particulièrement bien placé dans le domaine des sciences de la vie, celles-ci représentent entre 1/7 et 1/8 du temps alloué.

D’autres disciplines que la biologie moléculaire ont donc besoin de rayons X –X " durs " et doivent être prises en compte dans tout projet de nouveau synchrotron.

3. Les besoins en différentes gammes de longueurs d’onde

Dans l’analyse des besoins futurs en rayonnement synchrotron, un sujet est particulièrement important, c’est celui de la répartition entre ce que l’on peut appeler schématiquement les rayons VUV – X " mous " et les rayons X –X " durs ". A la question des longueurs d’onde, s’est greffée la question des besoins comparés des différentes disciplines, souvent d’ailleurs d’une manière impropre, de sorte qu’il semble important de l’examiner en détail.

Pour simplifier, on dira d’une part que les rayonnements électromagnétiques de la gamme VUV –X " mous " sont produits par des synchrotrons d’énergie faible ou moyenne, et sont principalement utilisés pour les études de surface ou la dynamique des macromolécules.

On dira d’autre part que la gamme X – X " durs " nécessite un synchrotron d’une énergie plus élevée et permet les études de la matière en volume et de la structure détaillée des molécules.

L’évaluation des besoins selon la gamme des longueurs d’onde est donc importante pour la détermination des caractéristiques d’un projet de synchrotron.

Selon M. Paul CLAVIN, " les besoins prioritaires des 20 prochaines années, notamment pour la cristallographie des protéines en biologie structurale, nécessiteront une augmentation des postes d’expériences en rayons X – X ‘ durs ‘ issus d’éléments d’insertion sur des sources de 3ème génération, de préférence de plus de 2,5 GeV. C’est du moins l’opinion générale à la mi-1999 ".

Lors de son audition par vos Rapporteurs, M. Paul CLAVIN a indiqué que les responsables britanniques et américains s’attendent que les besoins en X – X " durs " croissent jusqu’à représenter 80 % de l’activité totale en rayonnement synchrotron dans les 20 ans à venir, l’essentiel du glissement devant être le fait des utilisations pour la biologie structurale.

L’évaluation fournie à vos Rapporteurs par M. Yves FARGE n’est pas éloignée, si les causes en sont différentes. Dans les 20 prochaines années, les demandes porteront à 70 % sur les rayons X proprement dits et à 30 % sur les rayons X " mous ". Pour M. Yves FARGE, la raison fondamentale de cette évolution est que toutes les disciplines, et pas seulement la biologie, font un appel croissant à des rayonnements qui puissent pénétrer la matière.

Pour M. Yves PETROFF, la répartition devrait être de 60 % pour les rayons X –X " durs " et de 40 % pour les rayons UV et X " mous ".

Par ailleurs, la priorité recommandée aux Etats-Unis par le rapport Birgeneau est de financer l’amélioration des synchrotrons produisant des rayons X - X " durs ".

En tout état de cause, il ne faut pas déduire des chiffres précédents que la biologie structurale représentera l’application la plus importante du rayonnement synchrotron, même dans la gamme des rayons X.

Selon M. Yves PETROFF, les sciences physiques devraient représenter 70 % du temps de faisceau en rayons X. Au reste, on peut estimer que les progrès des détecteurs et une automatisation au moins partielle des manipulations viendront diminuer les temps d’immobilisation des stations expérimentales spécialisées dans la cristallographie des protéines. Par ailleurs, les rayons VUV – X " mous " sont également utilisés par la biologie.

Pour l’ensemble de ces raisons, l’estimation de 2/3 pour les X – X " durs " et 1/3 pour les UV – X " mous " paraît à retenir pour les besoins en différents types de rayonnements produits par les synchrotrons.

4. La concurrence des autres méthodes d’analyse fine de la matière

Une autre question a été abordée à de multiples reprises par vos Rapporteurs, à savoir la concurrence actuelle ou potentielle d’autres méthodes d’analyse fine de la matière, qui pourraient éventuellement se substituer au rayonnement synchrotron.

A cet égard, deux points sont essentiels, d’une part l’avenir de la méthode dite de résonance magnétique nucléaire (RMN) et d’autre part la question générale de la complémentarité ou de la concurrence des différentes techniques d’analyse fine de la matière.

4.1. La résonance magnétique nucléaire

L’avenir de la résonance magnétique nucléaire, ses avantages et ses inconvénients par rapport au rayonnement synchrotron ont été abordés à plusieurs reprises par vos Rapporteurs avec différents interlocuteurs.

La RMN présente en effet l’avantage de permettre d’étudier les structures moléculaires en solution, sans qu’il soit nécessaire d’opérer une cristallisation préalable, au contraire de la cristallographie à rayons X produits par le synchrotron. Compte tenu des difficultés de la cristallisation des protéines, il s’agit d’un avantage évident pour les sciences du vivant. Un autre avantage de cette méthode est également de permettre l’étude des interactions des molécules avec leur solvant.

Toutefois, la RMN présente l’inconvénient de nécessiter que l’on synthétise les macromolécules à étudier en les enrichissant en atomes d’azote 14 et de carbone 13. Un deuxième inconvénient est de nécessiter la préparation d’échantillons de taille relativement importante. Par ailleurs, il s’agit d’une méthode qui ne délivre ses résultats qu’avec une certaine lenteur. Enfin, et c’est ce qui explique la préférence donnée au rayonnement synchrotron par un très grand nombre de laboratoires pharmaceutiques, la RMN ne peut pour l’instant déterminer les structures que de molécules ne dépassant pas la masse moléculaire de 30 000.

L’avenir de la RMN n’est pas pour autant fermé. La frontière des 600 MHz a déjà été franchie. Pour analyser la structure de molécules de masse moléculaire de 100 000, il faudrait atteindre 1 GHz. Certains pays, comme les Etats-Unis et le Japon, envisagent de constituer un réseau de machines à 600 MHz implantées dans les laboratoires et effectuant les travaux préliminaires au passage sur un équipement à 1 GHz. Deux types de critiques sont émis contre ces perspectives. D’une part, l’utilité de machines à 1 GHz est mise en doute par certains experts. D’autre part, le passage à 1 GHz n’est pas attendu avant 5 à 10 ans, au minimum par d’autres experts.

Au total, la RMN apparaît devoir rester plus complémentaire que concurrente du rayonnement synchrotron.

En réalité, dans cet examen il faut aussi intégrer l’évolution technique des synchrotrons eux-mêmes, qui ne sauraient être considérés comme figés.

A cet égard, les prévisions établies par M. Yves FARGE, montrent que le nombre de projets qui devraient faire appel au rayonnement synchrotron en France dans les 20 ans qui viennent, devrait diminuer sur un synchrotron de 1ère génération, augmenter d’un facteur de près de 6 sur un synchrotron de 2ème génération et passer de 0 actuellement à 770 sur les synchrotrons de 3ème génération.

Tableau 4 : Prévisions de capacités souhaitables en France à 20 ans selon la génération des synchrotrons considérés

nombre de projets

Capacité

annuelle

actuelle

Capacité annuelle

souhaitable

à 20 ans

facteur

multiplicatif

Expérimentations sur synchrotron de 1ère génération

480

320

0,7

Expérimentations sur synchrotron de 2ème génération

120

670

5,6

Expérimentations sur synchrotron de 3ème génération

0

770

 

Si l’on prend comme hypothèse que la résonance magnétique nucléaire va progresser, il faut faire la même hypothèse pour le rayonnement synchrotron, dont les progrès viendront non seulement des dispositifs d’insertion comme les onduleurs, mais également de l’optique des lignes de lumière et de leur instrumentation, notamment au niveau des détecteurs.

En l’occurrence, la complémentarité actuelle de la RMN et du rayonnement synchrotron pourrait se confirmer à l’avenir, au fur et à mesure de leurs améliorations respectives.

Au reste, la complémentarité de ces deux méthodes semble valoir pour l’ensemble des méthodes d’analyse fine de la matière.

4.2. La complémentarité des méthodes d’analyse

Les nombreux avis rassemblés par vos Rapporteurs convergent sur le fait que les différentes méthodes d’analyse fine de la matière se complètent plutôt qu’elles ne s’excluent.

Ainsi, les lasers de puissance, les sources de neutrons, le rayonnement synchrotron et la résonance magnétique nucléaire, et bientôt les lasers à électrons libres, ne peuvent être considérés comme pouvant se substituer les uns aux autres. La raison en est que chacune de ces méthodes apporte des informations d’une nature et d’une utilité particulière, sous des conditions expérimentales au demeurant différentes.

En toute hypothèse, il semble peu probable qu’un saut technologique dans l’une ou l’autre des méthodes concurrentes du rayonnement synchrotron puisse menacer l’actuelle prédominance du rayonnement synchrotron et a fortiori le rendre obsolète.

Selon les informations rassemblées au Royaume Uni, au Rutherford Appleton Laboratory (Didcot), il semblerait au contraire que les recherches les plus innovantes combinent les expériences conduites avec plusieurs techniques, par exemple les sources de neutrons et le rayonnement synchrotron.

La conséquence pratique qui est tirée de cette évolution par le " Central Laboratory of the Research Councils " (CLRC) est de concentrer les grands instruments sur le site de Didcot, qui possède déjà la source de neutrons pulsés ISIS la plus puissante du monde, le laser de puissance Vulcain et aspire à accueillir non seulement le synchrotron de 3ème génération DIAMOND mais également la future source européenne ESS de neutrons produits par spallation.

Au total, et conformément à l’évolution technique des dernières années, il semble plus probable que l’on assiste dans les dix à vingt années qui viennent au développement simultané des différentes méthodes d’analyse plutôt qu’à la disparition de l’une d’entre elle au profit des autres.

A cet égard, il n’est pas indifférent de noter que le rayonnement synchrotron continue d’évoluer à un rythme rapide avec des marges de progrès considérables.

IV – Un équipement jugé indispensable par des pays de toute taille, des Etats-Unis à Taiwan

Sur le seul continent européen, l’Italie dispose d’une source de 3ème génération déjà saturée ; la Suisse termine la construction de son propre synchrotron jugé indispensable à sa recherche publique et à son industrie pharmaceutique ; la Suède possède trois synchrotrons diversifiés et l’Allemagne dispose de 5 centres de rayonnement synchrotron avec un total de 7 anneaux de stockage.

Tableau 5 : Synchrotrons européens en fonctionnement ou en construction

Pays

Installation

caractéristiques

Allemagne

• Karlruhe :

- ANKA(3ème gén.)

2,5 GeV en const. voc. ind. (micro et nano tech.)

• Berlin :

- BESSY I (2ème gén.)

- BESSY II (3ème gén.) en fonct.

arrêté

1,9 GeV, en fonct.

• Dortmund :

- DELTA

1,5 GeV

voc. universitaire.

• Bonn :

- ELSA

1,5-3,5 GeV

voc. universitaire

• Hambourg (DESY) :

- DORIS III (Hasylab) (2ème gén.)

- PETRA II (Hasylab) (2ème gén.)

- 4,5 GeV

- 12 GeV

Danemark

• ASTRID (ISA, Aarhus)

 

Espagne

• Catalonia SR Lab (Barcelone)

en projet

France

• DCI (LURE, Orsay) (1ère gén.)

• Super-ACO (LURE, Orsay) (2ème gén.)

• ESRF (Grenoble) (3ème gén.)

en coopération internationale

(part de la France : 27,5 %)

• 1,85 GeV

• 0,8 GeV

• 6 GeV

Italie

• ELETTRA (Trieste) (3ème gén.)

• 1,9 GeV (en fonct.)

Pays-Bas

• AmPS (Amsterdam)

• EUTERPE (Tech. Univ. Eind., Eindhoven)

 

Royaume Uni

• SRS (Daresbury)

• DIAMOND en projet

• 2 GeV

• 3 GeV

Suède

• MAX I (Lund) (2ème gén.)

• MAX II (Lund) (3ème gén.)

• MAX III (Lund) (3ème gén.)

• X-Ray (Uppsala)

• 0,55 GeV

• 1,5 GeV

• 0,7 GeV (en constr.)

Suisse

• SLS (a project at PSI) (3ème gén.)

• 2,4 GeV (en constr.)

 

 

 

La Russie et l’Ukraine possèdent également des installations remarquables.

Tableau 6 : Synchrotrons en Russie et en Ukraine

Pays

Installation

caractéristiques

Russie

• Siberia I (Kurchatov Inst, Moscou)

• Siberia II (Kurchatov Inst, Moscou)

• Siberia-SM (BINP, Novosibirsk)

• TNK (F.V. Lukin Inst., Zelenograd)

• VEPP-2M (BINP, Novosibirsk)

• VEPP-3 (BINP, Novosibirsk)

• VEPP-4 (BINP, Novosibirsk)

• 0,45 GeV

• 2,5 GeV

• 0,8 Gev

• 1,2-1,6 GeV

• 0,7 GeV

• 2,2 GeV

• 5-7 GeV

Ukraine

• ISI-800 (UNSC, Kiev)

• Pulse Stretcher/Synch. Rad. (Kharkov)

• 0,7-1 GeV

• 0,75–2 GeV

Sur d’autres continents, le Canada va construire sa propre source, alors que les Etats-Unis voisins disposent pourtant de 11 centres de rayonnement synchrotron.

On peut noter, à cet égard, que l’énergie choisie pour le futur synchrotron canadien est de 2,5-2,9 GeV, soit un niveau équivalent à celui de SOLEIL.

Tableau 7 : Synchrotrons en fonctionnement ou en construction

en Amérique du Nord et du Sud

Pays

Installation

caractéristiques

Etats-Unis

• ALS (LBL, Berkeley, CA) (3ème gén.)

• APS (Argonne, Chicago, IL USA) (3ème gén.)

• CAMD (Louisiana State University, Baton Rouge, LA)

• CHESS (Ithaca, NY)

• DFELL (Duke University, Durham, NC) 2ème (->3)

• NC STAR (N. Carolina State Univ.) 2ème (->3

• NSLS I (BNL, Brookhaven, NY) – rénovation en cours

• NSLS II (BNL, Brookhaven, NY) – rénovation en cours • 2ème (->3)

• SSRL (Stanford) – rénovation en cours

• SURF II (Gaithersburg)

• UW Synchrotron Radiation Center (Stoughton, WI)

• 1,9 GeV

• 7 GeV

• 1,4 GeV

• 5,5 GeV

• 1-1,3 GeV

• 0,8 GeV

• 2,5-2,8 GeV

• 3 GeV

• 0,4 GeV

• 0,8-1 GeV

Canada

• CLS (Canadian Light Source, Saskatoon)

• 2,5-2,9 GeV en constr.

Brésil

• LNLS-II (2ème gén.)

• 2 GeV en fonct.

En Asie, le Japon exploite 16 synchrotrons. Certains sont possédés et gérés en propre par des universités – universités de Tokyo, Kyoto, Hiroshima – ou des grands groupes d’entreprises comme Sumitomo.

 

 

 

Tableau 8 : Synchrotrons en fonctionnement ou en construction dans le reste du monde

Pays

Installation

caractéristiques

Chine

• BSRF/BEPC (Inst High En. Phys.,Beijing)

• BLS (Inst High En. Phys.,Beijing)

• NSRL (Univ. Sci. Tech. of China, Hefei)

• SSRF (Inst. Nucl. Res., Shanghai)

• 1,5-2,2 GeV

• 2,2-2,5 GeV

• 0,8 GeV

• 3,5 GeV

Corée du Sud

• CESS (Seoul Nat. Univ., Seoul)

• Pohang Light Source (Pohang)

• 0,1 GeV

• 2 GeV

Inde

• INDUS-I (Ctr. Adv. Tech., Indore)

• INDUS-II (Ctr. Adv. Tech., Indore)

• 0, 45 GeV

• 2 GeV

Japon

• Accumulator Ring (KEK, Tsukuba)

• AURORA (Ritsumaiken Univ,Kusatsu)

• HBLS (Univ. of Tokyo-ISSP,Kashiwa)

• HISOR (Hiroshima Univ, Hiroshima)

Kansai SR (Osaka)

• KSR (Kyoto University,Kyoto)

• Nano-hana (Japan SOR Inc, Ichihara)

• NIJI II (Electro Tech. Lab, Tsukuba)

• NIJI III (Sumitomo Electric, Nishi Harima)

• NIJI IV (Electro Tech. Lab, Tsukuba)

Photon Factory at KEK (Tsukuba)

• SOR-Ring (U of Tokyo-ISSP, Tokyo)

• SPring-8 (Sci. Tech. Agency, Nishi harima)

• Subaru (Himeji Inst. Tech., Nishi Harima)

• TERAS (Electro Tech. Lab, Tsukuba)

• TLS (Tohoku Univ.Sendai)

• UVSOR-I (Ins. Mol. Science, Okasaki)

• UVSOR-II (Ins. Mol.Science, Okasaki)

• 6 GeV

• 0,575 GeV

• 1-1,6 GeV

• 0,7 GeV

• 0,3 GeV

• 1,5-2 GeV

• 0,6 GeV

• 0,6 GeV

• 0,5 GeV

• 1,5-2 GeV

• 8 GeV

• 1-1,5 GeV

• 0,8 GeV

• 1,5 GeV

• 0,75 GeV

• 7 GeV

Taiwan

• SRRC (Hsinchu)

• 1,3-1,5 GeV

Thaïlande

• SIAM (Suranaree Univ. of Tech., Nakhon Ratchasima)

• 1-1,3 GeV

On notera par ailleurs que Taiwan et la Thaïlande se sont dotés également de leurs propres équipements.

Ces instruments sont donc jugés par des pays de toute taille comme à leur portée.

Il n’existe donc logiquement dans le monde qu’un seul synchrotron international – l’ESRF de Grenoble – dont la construction a, au demeurant, correspondu à des contraintes techniques et financières aujourd’hui dépassées.

– Chapitre II –

Une coopération internationale souhaitable pour le rayonnement synchrotron, sur des bases prospectives et équilibrées

Introduction

Le Gouvernement est à l’heure actuelle engagé dans une négociation avec le Royaume Uni et une organisation privée (" Charity Trust ") britannique, le Wellcome Trust, pour acquérir une participation dans le futur synchrotron de 3ème génération DIAMOND.

Plusieurs arguments sont avancés par les pouvoirs publics en faveur de cette initiative. A ce stade de l’examen du dossier, on en retiendra deux.

D’une part, la conjonction des efforts des deux pays et la mise en commun des compétences des spécialistes anglais et français devraient permettre de parvenir à une meilleure machine qu’avec une démarche isolée, et de surcroît pour un coût par utilisateur inférieur.

D’autre part, le synchrotron DIAMOND devant être spécialisé dans la biologie structurale et implanté au Royaume Uni, deuxième nation après les Etats-Unis dans le palmarès mondial de la biologie moléculaire, le projet répondrait, par hypothèse, aux besoins prioritaires en ligne de lumière de la recherche française, tout en lui offrant l’occasion d’être tirée vers le haut par une coopération avec une recherche britannique traditionnellement forte dans le domaine biomédical.

Il ne saurait être question pour vos Rapporteurs de s’immiscer dans une négociation internationale en cours.

Il leur apparaît toutefois nécessaire de la replacer dans le cadre général d’une coopération internationale déjà forte dans le domaine du rayonnement synchrotron et de rappeler les engagements de la France vis-à-vis de la communauté scientifique européenne ou de celle des pays émergents.

Il convient également de s’interroger sur le type de recherche – fondamentale ou appliquée – et le type de grand instrument – de recherche ou de service - dont le cadre naturel est la coopération internationale.

Il s’agit enfin d’attirer l’attention du Gouvernement sur les limites de coût et d’efficacité qui doivent borner les efforts faits par la France pour trouver avec l’aide de partenaires européens les solutions qu’il lui appartient de mettre en œuvre pour la communauté scientifique nationale.

I – Une coopération internationale déjà active où la France peut amplifier son rôle de pivot vis-à-vis des Pays du Sud et de l’Est

La recherche scientifique est par nature une activité ouverte grâce au système de publications des résultats qui est le fondement de la carrière des chercheurs. Au reste, dans le cas de recherches précompétitives, c’est la rapidité d’exécution des applications et un progrès permanent qui constituent le principal moyen de protection de la propriété intellectuelle.

Le domaine des synchrotrons se singularise dans le monde de la recherche en ce qu’il ajoute à la dimension immatérielle de l’ouverture des résultats, celle d’une ouverture physique de ses installations à une large communauté d’utilisateurs. Les chercheurs de différents pays peuvent en effet accéder, sur le vaste réseau mondial des synchrotrons, aux machines les plus adaptées à leurs besoins expérimentaux. C’est peu dire, en conséquence, que la coopération internationale existe déjà dans le domaine des synchrotrons. Elle leur est consubstantielle.

  1. Les coopérations internationales des synchrotrons et en particulier celles du LURE

La plupart des synchrotrons dans le monde accueillent des chercheurs visiteurs étrangers qui viennent exploiter les points forts d’une machine particulière ou utiliser les créneaux libres sur un marché souvent saturé.

Le Hasylab de Hambourg pour sa part accueille 33 % de chercheurs étrangers sur ses installations. Ce pourcentage s’élève à 50 % pour les synchrotrons MAX I, II et III du MaxLab de l’université de Lund en Suède, en raison de la coopération scientifique étroite existant entre les pays scandinaves.

L’ouverture sur l’étranger du LURE d’Orsay provient d’une part de l’utilisation de ses installations par des chercheurs étrangers pour la réalisation de leurs projets de recherche et d’autre part des liens institutionnels du LURE avec d’autres instituts de recherche.

En 1999, la part des pays étrangers dans les demandes d’accès s’est élevée à 24,4 % des demandes totales et les durées accordées ont représenté 21,6 % du total (voir figure suivante).

Figure 14 : Part des laboratoires étrangers dans le temps machine du LURE

Par ailleurs, le LURE est engagé dans des coopérations à long terme avec un ensemble de pays, sur l’exploitation de lignes de lumière.

En premier lieu, deux lignes de photoémission-photodiffraction sur onduleur de l’anneau Super-ACO pour l’étude des surfaces sont exploitées dans le cadre de coopérations internationales. L’une se déroule avec plusieurs laboratoires suisses (Lausanne et Bâle) et l’autre avec l’ensemble de la communauté espagnole.

En second lieu, deux lignes de DCI pour les microfabrications donnent lieu à une collaboration étroite avec des centres de recherche allemands, l’IMM de Mayence d’une part, le centre de Karlsruhe d’autre part.

Les chercheurs du LURE, qui ont par ailleurs mis en place des collaborations bilatérales ou multilatérales dans différents domaines scientifiques, participent au moins à 23 contrats européens et à 8 contrats bilatéraux.

Le LURE bénéficie enfin depuis 1989 de contrats de l’Union européenne pour l’accès aux grandes installations, qui ouvrent ses installations aux autres chercheurs européens avec un financement correspondant à une redevance d’utilisation d’environ 4 millions de francs par an.

2. Le cas particulier du seul synchrotron international : l’ESRF de Grenoble

L’exemple de l’ESRF (European Synchrotron Radiation Facility) doit être examiné afin de déterminer dans quelles conditions et à quel niveau la coopération internationale est intervenue pour cette réalisation exemplaire.

L’ESRF est une société civile de droit français dont le financement est assuré par quinze pays. La part de la France est de 27,5 %, celle de l’Allemagne 25,5 %, celle de l’Italie 15 %, celle du Royaume Uni de 14 % et les parts de l’Espagne et de la Suisse toutes deux de 4 %.

Cette machine de 6 GeV possède un anneau de 844 m de circonférence, comprenant 32 sections droites dont 29 disponibles pour les dispositifs d’insertion. Sa construction a duré 11 ans, de 1988 à 1998, pour un coût total en francs courants de 2,2 milliards de francs, soit environ 6 milliards de francs 1999.

La dimension européenne de l’ESRF s’est imposée d’entrée, dans la mesure où il s’agissait d’un projet de grande dimension, devant repousser les limites technologiques des synchrotrons notamment en matière de production de rayons X " durs ".

L’évolution technique a été telle, depuis lors, qu’il ne serait pas nécessaire aujourd’hui de construire une machine de la taille et du coût de l’ESRF pour obtenir des performances voisines.

Les succès techniques et scientifiques de l’ESRF sont incontestables. Alors que la construction de l’équipement est arrivée à son terme, ses capacités sont saturées, avec un taux de rejet des demandes d’accès important, comme on l’a vu. En outre, la coopération internationale a certes permis de financer un équipement d’un coût très élevé et sans doute de parvenir à des solutions techniques avancées pour leur époque. Aujourd’hui, elle semble introduire en sens inverse un encombrement des lignes de lumière par la multiplication des demandes et une certaine lourdeur de fonctionnement due au formalisme inévitable des procédures.

En tout état de cause, nombreux sont les observateurs qui, tout en saluant les performances exceptionnelles de l’ESRF, estiment qu’il est possible de faire aussi bien que ce synchrotron au niveau national, pour des coûts bien inférieurs, des performances égales et une souplesse de fonctionnement bien meilleure.

3. Une ambition pour la France : jouer le rôle de pivot pour l’accès au rayonnement synchrotron des Pays du sud de l’Europe, de la Méditerranée et de l’Est

Si l’Italie s’est récemment dotée d’un synchrotron de 3ème génération, ELETTRA, dont les capacités sont d’ailleurs déjà saturées, la France semble en position de pouvoir mettre en place une coopération avec les autres pays du Sud de l’Europe à l’occasion de la construction d’un synchrotron national.

Un autre motif s’impose pour doter la France de ressources propres. Il s’agit de l’opportunité qu’il y a de favoriser l’accès de chercheurs de pays de la Méditerranée et des pays de l’Est, à des installations de pointe.

3.1. Une position à dynamiser en Europe du Sud

L’intérêt concret de l’Espagne pour la technologie des synchrotrons s’est déjà manifesté à plusieurs reprises, avec l’exploitation d’une ligne de lumière du LURE et une participation à l’ESRF.

L’Espagne semble à l’heure actuelle désireuse de passer à un niveau supérieur.

D’une part, un avant-projet de synchrotron national a été élaboré par l’université autonome de Barcelone avec le soutien du gouvernement d’Espagne et de celui de Catalogne. D’autre part, des réflexions sont en cours au sein de la Communauté de travail des Pyrénées pour développer une approche commune à la France et à l’Espagne.

Une coopération avec l’Espagne et le Portugal semble en tout état de cause à explorer plus en détail. La question de la localisation d’une machine en partenariat serait toutefois relativement épineuse, dans la mesure où l’implication de la ville de Barcelone semble étroite. Toutefois, le système de participation croisée apporterait une solution.

3.2. Un rôle à jouer pour les Pays du Sud de la Méditerranée et pour les Pays de l’Est

Le nouveau projet SESAME préparé sous les auspices de l’UNESCO consiste à créer un centre de recherche international au Proche Orient autour des installations du synchrotron BESSY I de Berlin offertes par l’Allemagne et transférées dans un lieu encore à déterminer de Palestine.

C’est la dimension de coopération scientifique autour des synchrotrons et de la pluridisciplinarité de leur apport qui sont encore une fois soulignées par un tel projet.

Une installation française pourrait, dans le même ordre d’idées, s’ouvrir largement aux chercheurs des pays du Maghreb.

Enfin, un synchrotron national dimensionné de façon ambitieuse pourrait également constituer le support d’une coopération scientifique accrue avec les pays de l’Est. Souvent excellemment formés, mais disposant d’équipements de recherche limités en nombre et en qualité, les chercheurs des pays de l’Est ont en outre vu se réduire leurs accès aux installations russes et ukrainiennes faute d’investissement de ces pays dans de nouvelles installations.

Supports d’échanges intellectuels entre chercheurs de plusieurs disciplines, les synchrotrons peuvent également servir de lieux d’une coopération scientifique de haut niveau et doivent être envisagés comme tels, dans des projets ambitieux et bénéfiques pour l’ensemble des parties.

II – Le bon niveau d’une coopération internationale : les recherches sur de nouveaux outils dérivés et complémentaires des synchrotrons actuels

La technologie des synchrotrons de 3ème génération offre encore de nombreuses possibilités de progrès, notamment pour les onduleurs, l’optique des lignes de lumière, l’instrumentation, les détecteurs et le traitement des données.

Une autre perspective s’ouvre actuellement, perspective qui, moyennant des investissement de recherche considérables, permettrait de nouveau de gagner plusieurs ordres de grandeur dans les performances des faisceaux d’ondes électromagnétiques.

Il s’agit des lasers à électrons libres, qui ne se substitueraient pas aux actuels synchrotrons de 3ème génération, mais apporteraient de nouvelles possibilités.

1. Les perspectives des lasers à électrons libres, complément aux synchrotrons

Les lasers à électrons libres constituent de l’aveu des spécialistes, une voie d’avenir pour continuer à progresser dans le domaine du rayonnement synchrotron.

En 1997, le rapport Birgeneau estimait que la quatrième génération de sources de rayons X, après les anneaux de stockage, serait fondée sur les lasers à électrons libres : " si elle rencontre le succès, cette technologie pourrait conduire à des progrès en brillance de plusieurs ordres de grandeur. C’est notre conviction qu’une recherche exploratoire doit être conduite sur cette quatrième génération de sources de rayons X et la plus haute priorité doit lui être donnée ".

Le principe des lasers à électrons libres est de faire produire par des paquets d’électrons de forte densité un rayonnement de la plus faible longueur d’onde et de la plus forte brillance possible.

Sur un plan technologique, après les tubes à rayons X, sont apparus les synchrotrons de 2ème génération produisant un rayonnement à partir des aimants de courbures. Puis les " wigglers " et les onduleurs ont été mis au point permettant d’atteindre, sur les synchrotrons de 3ème génération, des brillances supérieures d’un facteur dix milliards de fois à celle des premiers faisceaux de synchrotrons de 2ème génération.

L’objectif avec les lasers à électrons libres est de gagner un facteur 1000 par rapport aux meilleurs onduleurs de l’ESRF, par exemple. Ainsi, serait respectée la loi selon laquelle " le rayonnement synchrotron gagne en brillance trois ordres de grandeur tous les dix ans ".

Le principe des lasers à électrons libres est de faire évoluer un faisceau d’électrons de sorte qu’un effet d’auto-amplification du rayonnement électromagnétique émis par les électrons se déclenche spontanément.

Dans le domaine de lasers à électrons libres, toute la difficulté est d’une part de produire le phénomène d’amplification de l’émission d’ondes électromagnétiques et d’autre part d’obtenir cet effet pour les longueurs d’onde les plus faibles possibles.

Deux technologies sont envisageables à cet égard, la première défrichée en France au LURE et la deuxième au HASYLAB.

La première voie consiste à initier des interférences dans le faisceau placé dans un champ magnétique intense. Les paquets d’électrons utilisés sont peu denses mais sont placés dans un résonateur optique et soumis à un champ magnétique intense. L’idée est de créer des champs de force suffisant pour avoir une amplification spontanée. Le principe des cavités optiques résonantes est celui retenu par les chercheurs du LURE. En tout état de cause, il a été montré que le laser à électrons libres de Super-ACO pouvait être utilisé pour le domaine des ultraviolets.

L’autre voie, retenue au HASYLAB consiste à placer le faisceau dans un onduleur de grande longueur. Dans ce cas, l’on cherche à obtenir des paquets d’électrons d’une grande densité. Il suffit alors d’appliquer un champ magnétique relativement peu élevé pour déclencher l’effet SASE.

L’expérience réussie le 23 février 2000 sur l’installation TTF-FEL du HASYLAB a permis de mettre en évidence l’effet d’amplification recherché, pour une longueur d’onde de 109 nm (1090 Å). Les expérimentateurs de TTF-FEL ont constaté en effet, ce jour là pour la première fois, un gain en brillance d’un facteur 200, avec une contraction d’un facteur 10 de la distribution de longueur d’onde.

En toute hypothèse, en raison de leur brillance très élevée, les lasers à électrons libres ne sauraient se substituer aux synchrotrons de 3ème génération. Mais il s’agit d’un champ de recherche fondamental dont la France ne saurait se passer et pour lequel il lui faut impérativement disposer d’un synchrotron national sur lequel des recherches de pointe entraînant des modifications des installations seront possibles, ce qui ne saurait être le cas sur une machine internationale.

2. La coopération internationale pour des " projets à risque " visant des sauts technologiques

La construction d’un synchrotron de 3ème génération de haute énergie comme celle de l’ESRF, fut en son temps l’objet d’une coopération internationale. L’expérience a montré que cette approche était légitime et fut un succès. Les caractéristiques de l’ESRF lorsqu’elles ont été décidées, excédaient en effet largement les capacités financières et technologiques d’un seul pays européen.

Aujourd’hui la construction d’un synchrotron de 3ème génération fait appel à des technologies maîtrisées et à des investissements pour lesquels la dimension nationale semble pouvoir être non seulement suffisante mais synonyme d’une plus grande efficacité.

Les installations internationales sont en effet lourdes à faire évoluer, en raison du rôle dévolu à des commissions multiples en matière de processus de décision, que ce soit pour des travaux sur les installations ou pour réglementer l’accès aux installations, par la sélection des projets effectuée par des comités de programme.

Au contraire, le vrai niveau d’une coopération internationale semble rester celui de la mise au point de nouveaux très grands instruments recourant à des technologies en émergence.

A cet égard, deux variables semblent intervenir pour déterminer l’intérêt éventuel d’une coopération internationale. Il s’agit d’une part, comme on l’a vu, de la difficulté de maîtrise des technologies et d’autre part du coût de l’installation par utilisateur. Le schéma ci-après présente l’idée selon laquelle deux zones optimales existent probablement en fonction de ces deux critères.

Figure 15 : Les domaines privilégiés de la coopération internationale




 

Lorsque le coût par utilisateur est peu élevé et que les technologies mises en œuvre sont maîtrisées au plan national, la coopération internationale s’impose moins que dans le cas contraire.

Il semble fondé d’appliquer cette grille de lecture au cas des synchrotrons, aujourd’hui des machines relativement banalisées desservant des communautés très larges d’utilisateurs, pour des coûts unitaires relativement peu élevés.

Si la coopération internationale ne semble pas désormais obligatoire pour des synchrotrons de 3ème génération une fois ceux-ci mis au point, en revanche la coopération internationale pourrait trouver un point d’application privilégié dans la recherche sur les machines complémentaires dites " lasers à électrons libres ", pour lesquels les investissements à engager et les difficultés techniques sont considérables.

A cet égard, il faut noter que la France est déjà active dans le domaine des accélérateurs linéaires de grande énergie et dans celui des lasers à électrons libres. Des coopérations existent d’ores et déjà entre la France et l’Allemagne, à la plus grande satisfaction des deux communautés scientifiques.

Se fondant sur le principe réaliste qu’une coopération ne se décrète pas mais se développe d’abord au niveau scientifique, avant d’être solennisée et amplifiée au niveau politique, il semble que certains responsables allemands soient demandeurs d’un accroissement des interactions avec la France tant pour les projets de laser à électrons libres que pour le projet de collisionneur linéaire TESLA.

Nul doute que le concours de la France est aujourd’hui recherché en raison des compétences de ses chercheurs. Il ne le serait plus si ces compétences disparaissaient, ce qui ne manquerait pas de se produire rapidement s’ils ne pouvaient disposer d’un nouveau synchrotron national, d’une technologie avancée et polyvalent.

III – Le projet anglo-français pour un domaine spécifique complété par d’autres accès en Europe, un plan d’un coût probablement supérieur à celui de SOLEIL

Le projet du ministère de la recherche pour doter la France de ressources nouvelles en rayonnement synchrotron a été exposé à plusieurs reprises à vos Rapporteurs, d’abord le 19 janvier 2000 par M. René PELLAT, Haut commissaire à l’énergie atomique chargé d’animer le groupe de travail responsable des négociations avec le Royaume Uni sur le projet DIAMOND, puis les 21 et 22 février par des responsables de la partie anglaise, à Daresbury, Londres et Didcot, et enfin, le 1er mars 2000, par M. Vincent COURTILLOT, Directeur de la recherche.

En outre, le groupe de travail, au fur et à mesure de ses travaux, a été alimenté en informations diverses sur l’évolution de la négociation, voire sur celle des conceptions françaises.

L’hypothèse de base adoptée par vos Rapporteurs, à l’instar du ministère, est qu’une amplification de la coopération internationale, dont on a vu qu’elle existe déjà dans le domaine des synchrotrons, est intéressante en soi.

Il convient toutefois de vérifier d’une part la cohérence interne du plan exposé par le ministère et donc la compatibilité des solutions explorées avec les objectifs posés a priori, et, d’autre part, l’adéquation de la solution d’ensemble aux besoins de la communauté scientifique non seulement française mais européenne.

1. Le coût du projet anglo-français et des lignes de lumière complémentaires, comparés à ceux de SOLEIL

Le plan des pouvoirs publics, en matière de rayonnement synchrotron, tel qu’il a été exposé à vos Rapporteurs à deux reprises, comporte trois " tranches ", selon le tableau ci-après.

La première tranche devrait permettre de fournir à la communauté française l’équivalent de la moitié de capacité de SOLEIL, au moyen d’une participation au synchrotron DIAMOND. Cette machine d’une énergie de 3 à 3,5 GeV est conçue pour répondre en priorité aux besoins de la biologie structurale.

Comme le communiqué du 2 août 1992 du ministère de l’éducation nationale, de la recherche et de la technologie, l’a indiqué, " le Gouvernement français a décidé de coopérer avec le gouvernement de Grande-Bretagne et le Wellcome Trust (fondation de mécénat scientifique) pour la construction d’un synchrotron de 3ème génération ".

Selon les indications données à vos Rapporteurs, la participation de la France, qui devait initialement se limiter à 1/3 de la machine, serait depuis lors réévaluée à la hausse jusqu’à pouvoir fournir l’équivalent de 50 % de la capacité de SOLEIL.

Tableau 9 : Estimation des principales caractéristiques du plan des pouvoirs publics dans le domaine du rayonnement synchrotron

 

caractéristiques

délais

pourcentage de la capacité de SOLEIL

1ère tranche

négociation d’une participation française au projet DIAMOND

- accord sous quelques mois

- délai de signature officielle de l’accord et de mise au point de l’APD DIAMOND : 12 à 18 mois

- 50 %

2ème tranche

location de lignes en Suisse et en Allemagne

- discussions en cours

- disponibilité sous quelques mois des lignes de lumière

- 10 à 25 %

3ème tranche

- location de lignes supplémentaires ou

- construction d’une machine en France dans le cadre d’une coopération européenne

- inconnus

- subventions européennes éventuelles liées à l’entrée en vigueur du VIème PCRD en 2002

environ 25 %

La deuxième tranche correspond à la location complémentaire de lignes de lumière en Allemagne et en Suisse.

La troisième tranche correspond soit à la location de lignes supplémentaires sur d’autres machines situées en Europe, soit à la construction en coopération européenne d’une machine supplémentaire, éventuellement sur le sol national.

1.1. Le coût des lignes sur DIAMOND

Devant les polémiques existant sur le coût vraisemblable de la solution d’achat de lignes de lumière sur une machine anglo-française DIAMOND, vos Rapporteurs ont demandé à M. Yves PETROFF, directeur général de l’ESRF et aux experts du LURE, d’établir leur propre évaluation.

En outre, il est nécessaire d’aborder la question au fond du retard supposé de la biologie française par rapport à la biologie britannique.

1.1.1. Le coût des lignes de lumière

En l’absence de données précises du fait de la négociation en cours, l’hypothèse adoptée pour ces calculs est que la France obtiendrait 7 lignes de lumière.

Cette hypothèse n’apparaît pas dénuée de fondement, dans la mesure où il a été indiqué à vos Rapporteurs, lors de leur déplacement à Manchester, Londres et Didcot, que DIAMOND devrait comprendre 20 lignes de lumière, dont 3 réservées au Wellcome Trust et 10 à 11 réservées aux chercheurs britanniques, ce qui n’en laisse que 7 à la disposition de la France.

Le tableau suivant présente les deux évaluations établies en conséquence.

Tableau 10 : Estimations du coût sur 8 ans de 7 lignes sur la machine anglo-française DIAMOND

calculs sur 8 ans, salaires inclus

calcul de M. Y. PETROFF

selon le LURE

7 lignes sur DIAMOND

- participation aux infrastructures et à la source :

350 MF

- 7 lignes avec les têtes de lignes et les onduleurs :

140 MF

- salaires pour le personnel de construction, de fonctionnement et de maintenance (8x60 MF/an) :

480 MF

total :

970 MF

- participation aux infrastructures et à la source :

350 MF

- 7 lignes avec les têtes de lignes et les onduleurs :

100 MF

- salaires pour le personnel de construction, de fonctionnement et de maintenance (8x60 MF/an) :

480 MF

total :

930 MF

Dans l’hypothèse d’une participation à DIAMOND, le coût annuel par ligne de lumière serait de 17 millions de francs.

Ce coût est à mettre en parallèle avec le coût annuel par ligne sur un synchrotron de type SOLEIL implanté sur le territoire national, qui atteint 11 millions de francs.

En tout état de cause, tout se passe comme la prise de participation sur DIAMOND pour bénéficier de l’environnement britannique de qualité dans le domaine des sciences de la vie, entraînait un surcoût de 55 %, par rapport à une solution nationale.

Au cas où pour la même enveloppe, un nombre de lignes supérieur serait obtenu, le surcoût pourrait effectivement diminuer. Par exemple, avec 10 lignes, il serait égal à 10 %.

Ces évaluations confirment l’intuition de bon sens que l’exploitation d’une partie de machine située à l’étranger est toujours plus onéreuse que sur le sol national.

Au demeurant, cet élément est confirmé par le Professeur Jochen SCHNEIDER à propos de l’Institut Lauë-Langevin de Grenoble, dont l’exploitation d’une partie par l’Allemagne lui revient plus cher que si cette source de neutrons était implantée sur son sol.

Au reste, un autre sujet doit être abordé, celui du retard supposé ou allégué de la biologie structurale française par rapport à sa rivale britannique. Pour traiter d’un tel sujet, il est avant tout indispensable de se référer aux chiffres.

1.1.2. Les positions respectives de la biologie française et de la biologie britannique

Les Etats-Unis produisent à eux seuls 55 % des publications mondiales en biologie structurale. Le Royaume Uni produit 12 % du total, l’Allemagne 11 % et la France 7 %.

Le retard de la France sur le Royaume Uni a la même cause que celui du Royaume Uni sur les Etats-Unis. Il s’agit d’un effet de taille et non pas d’un effet qualitatif. L’écart entre ces différents pays provient avant tout du nombre d’équipes de chercheurs dans ce domaine et des financements accordés. Au demeurant, on peut même déduire de ces chiffres qu’une coopération avec l’Allemagne dans le domaine de la biologie structurale présenterait le même avantage que celui résultant d’une coopération anglo-française.

En outre, l’examen des publications dans ce domaine montre que la France a plus innové dans le domaine de l’utilisation du rayonnement synchrotron en biologie que le Royaume Uni.

1.2. Le coût des lignes de lumière d’appoint

En raison du fait que des négociations sont également en cours pour des accès permanents à des lignes de lumière en Allemagne et en Suisse, vos Rapporteurs n’ont pas eu accès à des informations sur les coûts correspondants.

Mais, dans l’hypothèse vraisemblable où il s’agirait de créer des lignes de lumière correspondant avec précision aux besoins des chercheurs français, on peut imaginer que les coûts des équipements des lignes incombent à la France, y compris celui des onduleurs et des têtes de lignes.

Il serait donc surprenant que l’Allemagne et la Suisse octroient des lignes de lumière à la France à des coûts significativement différents de ceux obtenus au Royaume Uni.

1.3. Les coûts de redéploiement ou de fermeture du LURE

Le schéma d’un partenariat avec le Royaume Uni et de la location de lignes d’appoint en Europe porte en soi une menace sur l’avenir du LURE. Certes le communiqué du 2 août 1999 précité, indiquait que " la poursuite du LURE à Orsay n’est pas remise en cause ".

Toutefois, cette éventualité doit être intégrée au coût de la solution de délocalisation de nos ressources en rayonnement synchrotron. En combinant le chiffrage habituel du coût de fermeture d’un établissement industriel et l’évaluation des conséquences d’un non-transfert des personnels du LURE vers SOLEIL, le coût de fermeture du LURE ressort à 5 ou 6 années de fonctionnement, ce qui conduit à un montant de l’ordre de 500 millions de francs.

Dans les différentes évaluations produites sur les coûts comparés de la solution française et de la solution britannique, les coûts de fermeture du LURE ne sont curieusement pas pris en compte, ce qui paraît inacceptable.

Ainsi que l’a exposé M. Jean-Claude LEHMANN, la situation actuelle de la communauté française du rayonnement synchrotron porte en elles les germes d’une " catastrophe humaine ".

Le LURE comprend en effet des chercheurs de haut niveau dont les centres de rayonnement synchrotron étrangers aimeraient sans aucun doute s’attacher les services. Si une décision positive n’était pas rapidement prise en faveur d’une source nationale de rayonnement synchrotron, on pourrait s’attendre que les équipes se dispersent rapidement, ruinant les chances de la France d’être présente dans ce domaine pour de très longues années.

1.4. Un effort national permettant de disposer d’un potentiel supérieur à long terme

La comparaison a été faite par plusieurs experts des sommes dépensées sur 8 ans dans le cadre d’un projet national ou un projet consistant à prendre une participation sur une machine anglo-française et à louer des lignes sur d’autres installations.

Il n’est pas surprenant de constater que toutes les évaluations convergent pour démontrer qu’au terme d’une période de 8 années, la solution nationale présente l’avantage, d’une part, d’avoir construit un patrimoine de lignes disponibles supérieur à celui de toute autre solution, et, d’autre part, d’avoir posé les bases d’un développement ultérieur de lignes complémentaires qui pourraient être construites à moindre coût.

En l’occurrence, dans une technologie clé comme le rayonnement synchrotron, il serait dommageable pour la France d’adopter une vision de court terme, réduisant probablement de très peu les dépenses faites, et compromettant d’une manière certaine le potentiel à long terme de la recherche française.

2. Des capacités insuffisantes pour la France et l’Europe

Si la solution du recours à des lignes " externalisées " semble relativement coûteuse, elle ne semble pas en outre contribuer à faire avancer l’Europe de la manière souhaitable dans le domaine du rayonnement synchrotron.

Le retard de l’Europe sur les Etats-Unis en matière de rayonnement synchrotron, une question au demeurant discutée, peut s’évaluer de deux façons, la première au regard des besoins d’une discipline phare comme la biologie structurale, et la deuxième au regard du nombre de lignes de lumière disponibles.

Dans un premier temps, il est utile d’examiner le domaine de pointe que constitue la biologie structurale et de mesurer l’utilisation respective du rayonnement synchrotron pour la résolution de structures, puisque cette technique est considérée par tous les spécialistes comme la technique de pointe dans ce domaine.

Les statistiques établies par le Hasylab et l’EMBL (European Molecular Biology Laboratory) de Hambourg mettent en évidence que le nombre de publications de biologie structurale résultant de travaux effectués sur des synchrotrons est 2,4 fois plus élevé aux Etats-Unis qu’en Europe (voir figure suivante).

Bien évidemment, ce décalage pourrait provenir d’une productivité insuffisante des synchrotrons européens ou d’un positionnement technique défavorable aux études structurales.

Il paraît plus vraisemblable d’attribuer ce décalage à une pénétration inférieure des techniques du rayonnement synchrotron dans l’industrie pharmaceutique européenne. Dans ces conditions, on peut prévoir un rattrapage de l’Europe dans les années à venir, qui fera considérablement augmenter les besoins d’accès aux lignes de lumière des machines européennes.

Figure 16 : Nombre de publications en biologie structurale résultant de travaux conduits sur les synchrotrons américains ou européens

source : HASYLAB –DESY Hambourg

Par ailleurs, le recensement des postes expérimentaux disponibles en Europe et aux Etats-Unis, effectué par M. Yves FARGE, montre un retard européen actuel de 11 % pour les synchrotrons de 2ème génération (voir tableau suivant).

Tableau 11 : Expériences disponibles en Europe et aux Etats-Unis sur des synchrotrons de 2ème génération

synchrotrons de 2ème génération

énergie (GeV)

nombre d’expériences

I – Europe

Lure DCI

Super-ACO

0,8

1,85

43

SRS (Daresbury, RU)

2,0

38

DORIS III (Hasylab, Hambourg, Allemagne)

4,45

41

Bessy I (Berlin, Allemagne)

0,8

35

Max I (Lund, Suède)

0,5

7

Astrid (Danemark)

0,58

4

Anka (Karlsruhe, Allemagne)

2,5

12 (en construction)

TOTAL

 

168

II - Etats-Unis

Surf II

0,4

8

SSRL

3,0

31

NSLS

0,8

2,5

95

Chess

4,0

12

Aladin

0,8

27

CAMD

 

14

TOTAL

 

187

 

La question qu’il est nécessaire de se poser est donc la suivante : compte tenu du rattrapage qui va devoir s’exercer pour la seule biologie moléculaire, les projets en cours sont-il suffisants ?

Certes, à l’heure actuelle, l’Europe possède une avance de 16 % pour les synchrotrons de 3ème génération (voir tableau suivant). Mais cette avance sera-t-elle suffisante ?

Avec la construction de DIAMOND, l’Europe devrait passer sous 10 ans à 198 postes expérimentaux tout en perdant les 81 postes du LURE et de SRS.

On ne peut exclure que les Etats-Unis ne décident pas la construction d’une nouvelle machine ou n’aillent au-delà de la modernisation des sources NSLS et SSRL, deux sources de 2ème génération actuellement reconstruites pour se rapprocher des performances des sources de 3ème génération.

Tableau 12 : Postes expérimentaux disponibles, en construction ou en projet en Europe et aux Etats-Unis sur des synchrotrons de 3ème génération

synchrotrons

de 3ème génération

énergie (GeV)

nb d’expériences

en fonctionnement

nb d’expériences

en construction ou en projet

total

potentiel

I – Europe

ESRF (Grenoble, France)

6,0

38

12

50

ELETTRA (Trieste, Italie)

1,9

16

14

30

MAX II (Lund, Suède)

1,5

7

5

12

Bessy II (Berlin, Allemagne)

1,9

12

24

36

SLS (Villigen, Suisse)

2,4

 

30

30

DIAMOND (Didcot ou Daresbury, Royaume Uni)

3-3,5

 

40

(projet)

40

(projet)

TOTAL

 

73

sous 3 ans :

85

sous 10 ans :

125

sous 3 ans :

158

sous 10 ans :

198

II – Etats-Unis

ALS

1,9

27

11

38

APS

7

34

36

70

NSLS et SSRL

   

30

30

TOTAL

 

61

sous 3 ans :

77

sous 10 ans :

?

sous 3 ans :

138

sous 10 ans :

?

Il est donc possible de dire que l’avance dont dispose l’Europe sur le papier, est d’une part susceptible de se réduire et d’autre part potentiellement annihilée par le processus de rattrapage que l’on peut prévoir en matière d’utilisation des lignes de lumière par la seule biologie structurale.

Au-delà de ces considérations, le seul constat des constructions en cours et même l’analyse des projets ne sauraient suffire à donner une appréciation correcte de la situation.

En effet, une course de vitesse est en effet engagée dans l’ensemble des disciplines scientifiques pour l’application du rayonnement synchrotron et en particulier pour la résolution des structures des protéines, course de vitesse dans laquelle il est vital d’anticiper les réactions des autres compétiteurs.

Pour de nombreux experts, le post génome sera l’âge d’or de la génomique structurale. La connaissance de la structure des protéines est un enjeu scientifique capital pour au moins deux raisons. La première est que la structure des protéines est liée à leur fonction. La connaissance de la structure de ces micro machines peut permettre d’en bloquer ou d’en modifier le fonctionnement. La deuxième raison est que la connaissance des protéines permet d’explorer les mécanismes de codage mis en œuvre par le génome.

Comme l’a exposé M. Vincent MIKOL, directeur de recherche chez Aventis, le processus de développement d’une molécule active, c’est-à-dire d’un médicament, commence avec l’identification du constituant de la cellule qui est responsable de la maladie considérée. En moyenne, la dépense de recherche et développement correspondant à la mise sur le marché d’un nouveau médicament s’élève à 400 millions d’euros.

Or deux évolutions fondamentales bouleversent ce processus de développement. La première est d’ordre juridique, avec la brevetabilité du vivant. La seconde est d’ordre scientifique, avec le décryptage du génome, qui permettra de faire le lien entre un ou plusieurs gènes particuliers et une maladie spécifique

La Directive 98/44/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 juillet 1998 relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques dispose dans son article 5 que :

" 1. Le corps humain, aux différents stades de sa constitution et de son développement, ainsi que la simple découverte d’un de ses éléments, y compris la séquence ou la séquence partielle d’un gène, ne peuvent constituer des inventions brevetables.

" 2. Un élément isolé du corps humain ou autrement produit par un procédé technique, y compris la séquence ou la séquence partielle d’un gène, peut constituer une invention brevetable, même si la structure de cet élément est identique à celle d’un élément naturel.

" 3. L’application industrielle d’une séquence ou d’une séquence partielle d’un gène doit être concrètement exposée dans la demande d’un brevet. "

Pour M. Vincent MIKOL, les enjeux sont désormais clairement posés. La brevetabilité du vivant est courante aux Etats-Unis.

Au reste, les pays membres de l’Union européenne ont l’obligation de transposer cette directive avant le 30 juillet 2000. Il ne fait aucun doute pour les entreprises privées que la brevetabilité des gènes sera la règle dès cette année et qu’elle les oblige à se lancer sans délai dans la course.

Ainsi donc, selon la directive n° 98/44/CE, un gène sera brevetable si l’on peut prouver qu’une utilisation industrielle de ses propriétés est possible. Comment administrer cette preuve ? En mettant en évidence une fonction exercée par ce gène. La brevetabilité du gène s’exercera sur la fonction démontrée et non pas sur l’ensemble de ses fonctions, qui peuvent être multiples et liées à d’autres gènes.

L’identification d’un gène et de sa fonction s’opère principalement par le criblage d’un grand nombre de molécules.

Les protéines revêtent un intérêt central, à cet égard, en tant que macromolécules intervenant dans tous les processus biologiques. Agents essentiels de la structure et du fonctionnement des cellules, les protéines participent aussi à la synthèse de l’ADN et au contrôle de l’information génétique nécessaire pour la formation d’ARN et d’autres protéines.

L’objet de nombreuses études est donc l’identification de la structure de protéines, suivie de la sélection des molécules qui, leur étant greffées, peuvent bloquer leur fonctionnement. C’est là qu’intervient le rayonnement synchrotron, dont c’est l’utilisation principale pour Aventis, au titre de " l’optimisation des pistes pour des têtes de série chimiques ".

La course de vitesse entre les laboratoires pharmaceutiques est donc encore accélérée par ces nouvelles perspectives juridiques.

Il semble donc que l’Europe et la France aient à investir sans aucun délai dans la construction de nouvelles ressources en rayonnement synchrotron, les installations les plus performantes étant d’ores et déjà saturées.

Le non-remplacement des installations de Daresbury et d’Orsay mettrait l’Europe en difficulté.

A cet égard, la priorité semble devoir être donnée à la vitesse de réalisation d’un nouvel équipement pour aider différentes disciplines à monter en puissance, et en particulier la biologie structurale.

On peut aussi se demander s’il ne conviendrait pas d’adopter une politique dynamique d’augmentation des ressources françaises en rayonnement synchrotron, qui seule permettrait d’anticiper sur les réactions des autres pays.

 

Conclusion

Les Etats-Unis ont clairement énoncé dans le rapport Birgeneau que l’enjeu des synchrotrons est d’une importance globale pour la compétitivité de leur recherche et de leur industrie.

Dans un tel contexte et alors que les synchrotrons apparaissent comme des machines banalisées au service de vastes communautés de chercheurs, la coopération européenne pourrait être optimale si elle se déroulait dans un cadre de subsidiarité.

On peut souhaiter à cet égard que la politique communautaire dans le domaine de la recherche se mette clairement au service des dynamiques des différents pays membres de l’Union en contribuant au financement d’initiatives nationales et favorise la coopération multilatérale là elle est nécessaire, c’est-à-dire dans le domaine des équipements complémentaires que constitueront les lasers à électrons libres.

En tout état de cause, le recours exclusif à la coopération internationale pour satisfaire les besoins nationaux apparaîtrait quelque peu paradoxal, alors que la France se trouve dotée de ressources compétitives et que la notion de concurrence scientifique est plus que jamais présente dans les stratégies de tous les pays développés.

– Chapitre III –

Un nouveau synchrotron national dans un cadre rénové, un impératif pour la dynamique scientifique, éducative et industrielle de notre pays

 

Introduction

Les critiques explicites des pouvoirs publics contre l’avant projet détaillé de nouveau synchrotron français SOLEIL, telles qu’elles apparaissent début mars 2000, tiennent en quatre points.

Le premier point est que la communauté scientifique n’a pas su présenter un dossier global relatif à l’ensemble des grands outils d’analyse fine de la matière, ce qui expose le Gouvernement à devoir faire face aux demandes successives de communautés diverses sans disposer de priorités clairement établies.

Le deuxième point est une prise en compte insuffisante des " champs scientifiques " couverts par les synchrotrons et dont l’intérêt n’a pas été suffisamment établi.

Le troisième point est un faible engagement de l’industrie dans le projet et l’absence de volonté de sa part de s’y engager à terme.

Le quatrième point est qu’au moins, la réflexion préalable sur le nouveau synchrotron aurait dû se placer au niveau européen, quitte à ne pas déboucher sur une solution européenne, comme le principe en avait été posé par le Gouvernement dès 1997.

Intervenant, comme le Bureau de l’Assemblée nationale le leur a demandé, dans la crise de confiance survenue dans la communauté scientifique française des synchrotrons et de leurs utilisateurs, vos Rapporteurs ont analysé à leur tour la situation au regard de plusieurs critères, dont les quatre critères implicitement visés plus haut.

Comme on l’a vu précédemment, l’intérêt scientifique du rayonnement synchrotron est aujourd’hui prouvé. Il s’agit de l’outil d’analyse de la matière le plus performant et le plus diversifié, dont la contribution au progrès et aux découvertes scientifiques est démontrée par de nombreux indicateurs – publications scientifiques, applications industrielles, brevets -.

Par ailleurs, la nécessité d’une coopération européenne ou à tout le moins d’une coordination européenne n’est aujourd’hui contestée par personne. On peut même souhaiter qu’émerge dans l’Union européenne une politique d’impulsion et de financement analogue, dans le domaine des synchrotrons, à celle appliquée aux Etats-Unis par le Département de l’énergie (D.O.E.) au niveau fédéral, qui gère en direct quatre synchrotrons et en finance d’autres.

Mais, au-delà de ces nécessités incontestables, il reste la question de la maîtrise des dépenses relatives aux très grands équipements.

A cet égard, on ne peut que regretter qu’une planification globale des équipements de la recherche ne soit pas assurée en France et que depuis la mise en sommeil – suivie d’une dissolution – du Comité des très grands équipements, aucun organisme ne soit venu le remplacer, ce qui a créé un vide préjudiciable aux équilibres de la recherche française.

Mais, cette question dépasse de loin la question du synchrotron, qui, comme on l’a vu, ne ressortit pas, au fond des choses, de la catégorie des très grands équipements.

L’on ne saurait en effet appliquer au synchrotron – un grand instrument interdisciplinaire et partagé -, le même raisonnement qu’aux autres très grands équipements qui sont, eux, spécialisés et exclusifs.

En définitive, la question d’un synchrotron national ne saurait être éliminée au regard des critiques posées par les pouvoirs publics à l’encontre du projet SOLEIL et dont certaines ne le concernent pas.

Au contraire, il s’agit aujourd’hui, sur la base des analyses précédemment développées, de déterminer les caractéristiques générales d’un nouveau centre national de rayonnement synchrotron et de poser les bases d’une initiative concrète et immédiate, indispensable pour la dynamique scientifique, éducative et industrielle de notre pays.

 

 

 

I – Des compétences françaises de niveau mondial précieuses pour l’avenir scientifique et industriel de notre pays

La qualité des bases éducatives et scientifiques d’un pays est un critère essentiel dans les choix de localisation que font les entreprises pour leurs établissements, et au premier chef pour leurs laboratoires de recherche.

Cet impératif pour la France de consolider ces bases mais aussi de les développer a été souligné par tous les interlocuteurs de vos Rapporteurs, qu’ils soient industriels des biens intermédiaires, industriels des biens d’équipement ou de la pharmacie et des biotechnologies.

Or la France dispose de compétences mondiales dans le domaine des synchrotrons. Il n’est que de voir la place du LURE dans la mise au point de la 3ème génération de synchrotrons, dans la réalisation de l’ESRF et dans la préparation de l’avant-projet SOLEIL dont la qualité technique est saluée par tous les pays.

Il n’est que de voir l’importance qu’attache l’Allemagne, un partenaire de plusieurs années de coopération dans les accélérateurs et les synchrotrons, à voir la France reprendre, dans le peloton de tête de la compétition mondiale du rayonnement synchrotron, la place qu’elle est sur le point de perdre après plusieurs années d’atermoiements sur l’indispensable renouvellement des synchrotrons DCI et Super-ACO.

1. La nécessité de points d’ancrage pour des laboratoires de recherche de plus en plus mobiles

Ainsi que l’a signalé avec force M. Jean-Claude LEHMANN, directeur de la recherche du Groupe Saint Gobain, ce que les entreprises internationales françaises attendent aujourd’hui de leur pays d’origine, c’est essentiellement un " apport intellectuel de formation et de recherche ", qui les incite à garder leur culture d’origine.

En outre, une entreprise comme Saint Gobain a le souci de garder, pour des raisons de confidentialité, la recherche relative à son coeur de métier sur le sol national. Pour autant, les entreprises examinent quels sont les moyens de recherche publique qui sont les meilleurs et les plus accessibles dans les différents pays.

Le contexte général, fiscal et social joue également dans le choix d’implantation. La France qui présente une fiscalité et des coûts sociaux plus élevés que certains autres pays de développement comparable, doit donc s’attacher à avoir les meilleurs atouts dans le domaine de la recherche.

2. Les compétences françaises dans le domaine des synchrotrons, pivots d’une activité et d’une coopération internationale fructueuse

Il convient de rappeler une évidence en matière de coopération, à savoir que pour figurer dans un réseau international d’échanges de connaissances et de compétences, il faut avoir soi-même quelque chose à échanger.

Vos Rapporteurs ont eux-mêmes constaté au Royaume Uni que l’offre de la France de s’associer au projet DIAMOND était considérée favorablement grâce à sa double dimension financière, d’une part, permettant de diminuer les coûts à la charge tant du Gouvernement anglais que du Wellcome Trust, et technique, d’autre part, certains membres de la communauté française des synchrotrons étant prêts à mettre leurs compétences reconnues au niveau mondial au service de ce nouveau projet dont les chercheurs britanniques bénéficieront au premier chef.

Dans un autre ordre d’idées, vos Rapporteurs ont retiré de leur visite du Deutsche Elektronen-Synchrotron (DESY) de Hambourg où se trouvent les deux synchrotrons PETRA II et DORIS III du Hasylab, la certitude que la coopération avec le France est considérée comme cruciale, en particulier pour les travaux sur les lasers à électrons libres, dans la mesure où différents matériels implantés à DESY ont été conçus et fabriqués au CNRS et au CEA et où la France détient un savoir-faire important dans le domaine des lasers à électrons libres acquis par le LURE à Orsay.

En l’occurrence, il est absolument vital que la France garde un statut de partenaire et ne glisse pas vers celui de simple client des principaux synchrotrons étrangers.

A cet égard, l’existence d’un synchrotron national est d’une importance cruciale.

Il y va de sa maîtrise future de techniques aussi fondamentales pour l’étude fine de la matière que la diffraction-diffusion, la diffusion sous faibles angles, la diffusion inélastique, l’absorption, la fluorescence, l’analyse des surfaces, les techniques d’imagerie, toutes techniques utilisées dans l’ensemble des disciplines scientifiques.

 

 

II – La nécessité d’un synchrotron polyvalent, pluridisciplinaire et évolutif

1. La nécessité d’une machine nationale et les critères externes de choix de ses caractéristiques

1.1. La proximité et l’accessibilité aisée, deux conditions essentielles pour l’utilisation du rayonnement synchrotron

Un synchrotron multinational comme l’ESRF constitue sans aucun doute une machine de choix, au sommet des performances dans certains domaines. C’est d’ailleurs essentiellement parce qu’il s’agissait de repousser les limites technologiques de l’époque qu’une coopération multilatérale s’est nouée avec succès pour sa construction.

Toutefois, une machine internationale présente les inconvénients de ses avantages. En premier lieu, le succès de l’ESRF multiplie les demandes d’accès à ses lignes de lumière, entraînant une sélectivité de plus en plus poussée de la part du comité de programmes qui examine les projets de recherche déclarant nécessiter un accès à la machine.

Par ailleurs, construit et exploité sur des bases multinationales, la part d’un pays dans l’investissement de départ et dans les frais de fonctionnement se traduit par un quota de fait dans les temps d’accès au synchrotron, même si une certaine marge de dépassement est autorisée en fonction de la qualité des projets.

Par ailleurs, les procédures d’accès qui impliquent nécessairement l’ensemble des pays partenaires, présentent une certaine lourdeur dans l’instruction des demandes, ce qui amplifie les délais d’accès aux lignes de lumière.

1.2. Une machine indispensable pour des expériences préliminaires ou aléatoires et pour des contrôles intermédiaires

Le caractère international d’un synchrotron comme l’ESRF et la pression de la demande poussent à rationaliser son exploitation.

On ne saurait passer sous silence le fait qu’il existe une sorte de compétition mondiale entre les synchrotrons de 3ème génération de haute énergie construits à la même époque, à savoir l’ESRF lui-même, le synchrotron APS aux Etats-Unis et la machine Spring-8 au Japon. Cette compétition est réglée à coup de publications dans les revues d’audience internationale, et la direction de l’ESRF a eu à coeur d’en relever le défi ces dernières années

En conséquence, un synchrotron du type de l’ESRF aura certes tendance à œuvrer dans des domaines de pointe mais aussi à sélectionner les projets qui maximiseront le potentiel de l’installation et pourront déboucher sur des résultats publiables dans des revues d’audience mondiale, au détriment des projets plus gourmands en temps de faisceau et au total plus aléatoires.

Un synchrotron national est donc indispensable d’une part pour faire les manipulations préliminaires à celles prévues sur une machine comme l’ESRF, par nature peu généreuse en temps machine du fait de l’encombrement de ses lignes et d’autre part, selon l’expression de M. Jacques FRIEDEL, pour " décortiquer " un problème difficile.

Elle est également déjà indispensable pour réaliser les contrôles intermédiaires qui s’imposent dans des expérimentations complexes et longues comme la cristallisation des protéines.

On sait que ce n’est pas l’état naturel d’une protéine que d’être cristallisée. Pour autant leur préparation sous cette forme est indispensable pour déterminer leur structure par diffraction de rayons X produits par un synchrotron.

Dans les cas les plus acrobatiques, il peut être capital de vérifier qu’un procédé conduit à des résultats satisfaisants. D’où l’intérêt de pouvoir faire très rapidement les manipulations de contrôle ou de " screening " que seules permettent des installations dont la gestion est souple et avec les responsables desquelles les relations sont étroites, fréquentes et confiantes.

1.3. Un synchrotron national indispensable pour participer aux recherches sur les méthodes d’analyse de la matière

Une autre exigence rend indispensable un synchrotron national : c’est celle de la participation à une démarche de progrès qui continuera encore de longues années dans le domaine des synchrotrons.

L’œuvre accumulée par la communauté française du rayonnement synchrotron, entendue comme rassemblant à la fois les concepteurs et les utilisateurs, et les compétences acquises par ceux-ci méritent certainement que les moyens leur soient donnés, pour la compétitivité de la recherche française, de continuer à participer au premier rang à la compétition internationale sur les applications des rayonnements électromagnétiques produits par des synchrotrons.

A cet égard, l’on ne saurait trop insister sur le fait que des marges de progrès considérables existent encore sur les synchrotrons de 3ème génération, sans parler de la nouvelle frontière constituée par les équipements complémentaires que constitueront selon toute probabilité les lasers à électrons libres.

Parce qu’au-delà des synchrotrons eux-mêmes, il s’agit aussi de disciplines à applications multiples sur les instruments de la physique, il convient que la France continue son travail sur l’optique des lignes de lumière et l’instrumentation, en particulier sur les détecteurs et l’informatique d’exploitation des données, sur lesquelles ses positions acquises sont d’ores et déjà considérables. La réussite dans ces domaines passe par la libre disposition d’une machine.

A cet égard, il faut citer l’exemple désastreux de la neutronique en Italie, signalé à vos Rapporteurs par M. Roger BALIAN, membre de l’Académie des sciences et confirmé par M. José TEIXEIRA, directeur adjoint du laboratoire Léon Brillouin (LLB) de Saclay.

L’école italienne de la physique neutronique a occupé l’une des premières places mondiales, jusqu’à ce que la fermeture du réacteur nucléaire dont elle disposait en Italie, la condamne à une mort lente que l’accès à des sources européennes comme l’Institut Lauë-Langevin (ILL) de Grenoble ou le LLB de Saclay n’a pu que ralentir mais en aucun cas éviter.

Le statut de " chercheur international " passant sur une machine internationale pour compléter les expériences réalisées sur le sol national est certes celui que l’on rencontre aujourd’hui en particulier dans le domaine des synchrotrons.

Il ne saurait être confondu avec celui de " chercheur errant " d’une machine étrangère à une autre, au gré de créneaux de disponibilité toujours rares et âprement disputés.

2. L’énergie et les dimensions de la machine optimale

Parmi les controverses auxquelles vos Rapporteurs ont assisté pendant les trois mois de préparation de la présente étude, celle de l’énergie optimale d’un synchrotron est sans doute la plus aiguë.

Certes il n’est plus question aujourd’hui de rééditer la construction de synchrotrons d’énergie de 6 ou 7 GeV comme l’ESRF ou l’APS, mais, grâce aux progrès des onduleurs, d’obtenir des performances voisines de celles de ces derniers avec des énergies moitié moins élevées.

Pour autant, il est apparu un débat pour le moins vif, entre les tenants de la thèse d’un optimum existant actuellement dans la gamme 2,5-3,5 GeV et ceux de la thèse suivant laquelle le progrès déjà enregistré pourrait s’accélérer et conduire à des machines de 1,5 GeV quatre fois moins coûteuses et tout aussi performantes que les synchrotrons de 2,5 GeV dont la construction a été décidée récemment.

En réalité, il semble bien que la notion d’optimum d’énergie soit une notion recevable, résultant d’ailleurs d’un consensus international fondé sur l’expérience.

Il reste que la question est bien, à ce sujet, d’arbitrer entre l’urgence de satisfaire des besoins bien réels et l’intérêt d’attendre l’apparition improbable d’une rupture technologique dont l’application se ferait dans un champ de ruines.

2.1. La question de l’énergie de la machine

L’une des critiques implicites faites au projet SOLEIL est un flottement supposé dans le choix de son énergie. Celle-ci, en effet, a été réévaluée au fur et à mesure des travaux de définition de la future machine, passant de 2,1 GeV à la gamme de 2,5-2,75 GeV dans la version finale de l’avant-projet détaillé.

Or la fixation du niveau d’énergie ne saurait prendre l’aspect d’une question idéologique ou constituer un argument de négociation.

Le premier argument en faveur d’une énergie " basse ", c’est-à-dire inférieure à 2 GeV est qu’une physique importante et intéressante nécessite des faisceaux présentant ces caractéristiques. Si cette position est incontestable, deux de ses corollaires ne semblent pas exacts.

En premier lieu, il est vrai qu’en cas de nécessité, un tel synchrotron une fois construit peut être modifié de façon à délivrer, malgré son énergie insuffisante, des faisceaux de rayons X durs de qualité. Mais il s’agit de modifications coûteuses, comme le montre l’exemple de la source ALS de Berkeley qui a subi à grand prix des transformations de ce type, lors de son passage de 1,5 à 1,9 GeV.

En deuxième lieu, une machine de faible énergie serait à recommander parce qu’elle seule pourrait produire les faisceaux de basse énergie dont la physique a besoin dans certains domaines, toute dégradation volontaire de faisceaux depuis les hautes énergies vers les basses énergies s’accompagnant de " parasites " altérant leur qualité. Cette observation ne semble pas fondée à de nombreux experts.

Au final, il semble qu’il y ait plus d’inconvénients techniques et scientifiques que d’avantages à sous-dimensionner l’énergie d’un synchrotron lors de sa conception et de sa construction initiale en dessous de la valeur optimale.

Au reste, comme l’a souligné à plusieurs reprises devant vos Rapporteurs, le Professeur Jochen SCHNEIDER, Directeur du Hasylab de Hambourg, la vraie question est non pas tant celle de l’énergie de la machine que celle de la stabilité et de la brillance des faisceaux.

Les progrès récents des onduleurs sont décisifs et ne sont d’ailleurs pas terminés, de sorte que l’énergie doit être définie de façon que leur utilisation soit possible.

Or le paramètre de la durée de vie est décisif et dépend étroitement de l’énergie. Une énergie " basse " oblige en effet à réinjecter à intervalles réguliers des électrons dans l’anneau. Or " la différence entre des faisceaux d’une durée de vie de 18 h et des faisceaux de 2h est la même qu’entre un rêve et un cauchemar ".

Enfin, la question directe a été posée par vos Rapporteurs au Professeur Nils MARTENSSON, Directeur du MaxLab de l’université de Lund (Suède) qui vient d’achever la construction de l’anneau MAX II de 3ème génération, dont l’énergie est de 1,5 GeV.

La réponse du Professeur Nils MARTENSSON, le 9 février 2000, emporte définitivement la question : " si le synchrotron MAX II devait être construit aujourd’hui, compte tenu de l’évolution des besoins et des technologies, l’énergie choisie serait de 2,5 à 3 GeV ".

De fait, cette position recoupe largement celle de plusieurs experts internationaux, comme M. Yves PETROFF, directeur général de l’ESRF ou le Professeur Jochen SCHNEIDER, selon laquelle il existe bien autour de 2,5-3 GeV un optimum en énergie pour un synchrotron de 3ème génération à construire en l’an 2000.

A cet égard, les choix faits par les concepteurs de SOLEIL pour son avant-projet détaillé semblent confirmés dans leur pertinence par le consensus international.

Ces choix sont schématisés dans la figure suivante, où l’on constate un recouvrement de ce synchrotron tant avec l’ESRF qu’avec le projet britannique puis anglo-français DIAMOND.

Figure 17 : Positionnement de SOLEIL par rapport à ses concurrents








 

 

Au total, il ne parait pas justifié de s’éloigner des résultats de l’avant-projet détaillé SOLEIL dans le choix de l’énergie du synchrotron national indispensable aux chercheurs français.

2.2. Les voies et les moyens de diminuer les coûts

Parmi les contraintes pesant sur la réalisation d’un synchrotron figure bien évidemment la contrainte financière.

Vos Rapporteurs n’ont eu de cesse, au cours de leur étude, d’apporter des indications incontestables dans un domaine où les batailles de chiffres ont été nombreuses, rendues d’autant plus aisées à conduire mais aussi difficiles à comprendre que les conventions de calcul varient d’un interlocuteur à l’autre, incluant ou non les salaires, les équipements optionnels voire même les laboratoires d’assistance ou d’application.

Les résultats des différentes analyses que l’on peut faire à cet égard sont indiqués ci-après.

2.2.1. Les composantes du coût d’un synchrotron

En prenant comme exemple l’avant-projet détaillé SOLEIL, il apparaît que le coût d’un synchrotron hors salaires est composé à hauteur de 40 % du coût des bâtiments et des infrastructures, à hauteur de 32 % du coût de l’injecteur, de l’anneau de stockage et à hauteur de 28 % du coût des lignes de lumière.

Figure 18 : Répartition des coûts de construction hors salaires d’un synchrotron moderne

En valeur absolue et dans le cas de l’avant-projet SOLEIL, les coûts des bâtiments et des infrastructures ressortent à 437 millions de francs et comprennent notamment le réseau informatique.

Le poste " source " s’établit à 345 millions de francs, comprenant l’injecteur (80 millions de francs), l’anneau (190 millions de francs) ainsi que les postes relatifs aux lignes de lumière (75 millions de francs), à savoir les têtes de ligne d’un coût unitaire moyen de 1 million de francs, les dispositifs d’insertion d’un coût unitaire moyen de 1,7 million de francs et les autres équipements nécessaires.

Le poste " expériences " d’un total de 306 millions de francs correspond aux 24 lignes de lumière proprement dites (optique), aux stations expérimentales et aux laboratoires associés spécialisés dans la préparation d’échantillons.

Il est à noter que certains pays intègrent le coût des dispositifs d’insertion et des têtes de lignes dans le poste " expériences ", ce qui fait alors de ce poste le deuxième avec 32 % du total, après celui des bâtiments et des infrastructures.

Une autre remarque doit être faite.

Il découle de cette structure de coût qu’il peut être très avantageux, lorsque cela est possible, de construire un nouveau synchrotron sur le site d’un plus ancien, les dépenses de construction des bâtiments et des infrastructures, voire de l’injecteur, étant alors considérablement minimisées.

Cette pratique a été utilisée avec succès au MaxLab de l’université de Lund (Suède), au Hasylab de Hambourg ainsi qu’à Berlin.

2.2.2. L’influence de l’énergie d’un synchrotron sur son coût de construction

L’influence de l’énergie de l’anneau de stockage sur le coût du synchrotron a par ailleurs été étudiée à la demande de vos Rapporteurs tant par M. Yves PETROFF que par le LURE.

Selon les résultats du LURE, le coût d’un synchrotron de 1,5 GeV serait situé dans une fourchette de 800 à 1 200 millions de francs (voir tableau suivant).

Tableau 13 : Influence de l’énergie d’un synchrotron sur son coût de construction hors salaires

hypothèse

coûts de construction

hors salaires

remarque

synchrotron de 1,5 GeV non évolutive et de taille réduite

820 MF

- circonférence de l’ordre de 90 m

- nombre de dispositif d’insertion : 6

synchrotron de 1,5 GeV non évolutif et de taille optimale

1 180 MF

- circonférence de l’ordre de 260 m

- nombre de dispositifs d’insertion : 10-12

synchrotron de 1,5 GeV pouvant évoluer vers 2,5 GeV

1 355 MF

- circonférence de l’ordre de 340 m

- nombre de dispositifs d’insertion : 14 (+2)

Rappel : synchrotron de 2,5 GeV (SOLEIL)

1 350 MF

- circonférence de l’ordre de 340 m

- nombre de dispositifs d’insertion : 14 (+2)

Quant au coût de construction d’une machine de 1,5 GeV construite à cette énergie avec la perspective de la porter ultérieurement à 2,5 GeV, il serait très proche de celui d’une machine construite d’entrée à 2,5 GeV.

Il découle de ces analyses que l’économie réalisable par la diminution d’énergie est faible en l’état actuel des choses.

Elle peut certes atteindre 40 % dans le cas où l’on adopte une taille réduite, mais c’est alors la diminution de moitié du nombre de dispositifs d’insertion physiquement logeables sur l’anneau qui est à la base de l’économie réalisée.

Si, au contraire, on considère qu’il est nécessaire de disposer d’un nombre de lignes comparable à celui d’une machine de 2,5 GeV, alors l’économie n’est plus que de 12 % et encore, sur cette baisse limitée, la réduction de 14 à 10-12 dispositifs d’insertion est-elle la cause principale de l’économie.

En définitive, il semble bien qu’il n’y ait aucune raison, d’ordre économique, qui puisse plaider valablement pour une réduction de l’énergie d’un synchrotron en dessous de la valeur optimale.

On peut aussi constater que la diminution d’un facteur 4 attendue d’un passage de 2,5 GeV à 1,5 GeV est en tout état de cause hors de portée, à moins d’une révolution technologique majeure et somme toute peu probable.

Une considération essentielle mérite d’être rappelée à cet égard, considération qui semble éliminer définitivement l’opportunité d’une machine de " basse énergie ". C’est celle de la dégradation très importante de ses performances, selon le tableau suivant.

Tableau 14 : Performances comparées en fonction de l’énergie

 

énergie

brillance

à 10 keV

durée de vie des faisceaux

SOLEIL

2,5 GeV

1019

20 h

Machine de 1,5 GeV

1,5 GeV

6.1015

wiggler

1,8 h

ALS (Berkeley)

1,5 GeV

1015

1,6 h

 

2.3. Les possibilités de baisse des coûts d’investissement

Vos Rapporteurs, soucieux de mettre en évidence des solutions d’accroissement des ressources françaises en rayonnement synchrotron qui soient les plus économes possibles des deniers publics, ont exploré une autre piste, à savoir celle d’une construction concertée et programmée dans le temps, de plusieurs synchrotrons présentant des similitudes importantes.

L’idée est de rechercher des économies d’échelle résultant d’effets de série provoqués par des commandes groupées ou harmonieusement réparties dans le temps. Ce type de solution a pu être plaisamment décrite par le Professeur Georges CHARPAK comme la solution des machines " clonées ".

A vrai dire, une telle approche a été envisagée en 1997 dans un groupe de travail tripartite anglais, français et suisse.

C’est le mérite de M. Yves PETROFF que d’avoir souligné, début 2000, qu’une bonne coordination des achats lors de la construction de deux synchrotrons de caractéristiques voisines pourrait générer des économies de 20 à 30 % sur certains équipements et qu’au final le clone d’un synchrotron devrait coûter 20 % de moins en matière d’investissement et de fonctionnement que le synchrotron originel.

Pour M. Yves PETROFF, c’est moins d’ailleurs l’effet de série que la négociation de réductions tarifaires en l’échange d’un contrat de fourniture à long terme assurant un plan de charge sur plusieurs années aux entreprises contractantes, qui permettrait de générer de telles économies.

Il est incontestable que les effets de concurrence entre les donneurs d’ordre devraient être soigneusement évités, sauf, au contraire, à permettre aux fournisseurs d’augmenter leurs prix.

La vérité oblige toutefois à dire que l’unanimité ne s’est pas faite entre les experts interrogés par vos Rapporteurs sur ce sujet.

Pour les spécialistes du " Central Laboratory for the Research Councils " interrogés à Didcot, les économies d’échelle seraient limitées en raison du faible nombre de fournisseurs. Le LURE quant à lui note que des baisses de prix de 15 à 20 % seraient envisageables sur un petit nombre d’équipements. Toutefois, " des économies d’échelle sont réalisables en partant de la R & D, que ce soit au niveau de la machine ou à celui des lignes de lumière ", sans qu’il soit possible de les chiffrer avec certitude.

Au débit de la thèse des économies d’échelle, il faut également faire figurer la tendance naturelle que pourraient avoir les constructeurs de favoriser leur industrie nationale.

Il reste que le fonctionnement de l’ESRF a démontré qu’avec des procédures d’appels d’offre ouverts à tous les pays, et des programmations soignées des commandes de nature à permettre aux entreprises de s’aménager un plan de charge de longue durée, il est possible de serrer les coûts avec une efficacité considérable.

Non démontrées a priori, ces économies d’échelle semblent toutefois possibles, à condition de faire preuve d’un art consommé du management de grands projets.

2.4. Les ressources indispensables

Les ressources indispensables en lignes de lumière pour la communauté scientifique française ont été recensées par l’équipe responsable de l’avant-projet détaillé SOLEIL, composée des représentants du CEA, du CNRS et de la recherche universitaire.

Pour sa part, le CEA a évalué ses besoins à 4 lignes de lumière équivalent temps plein dont " 0,8 ligne chaude ", ce qui correspond à 6 lignes sur 5500 heures par an.

La part actuelle du CEA dans la consommation française de rayonnement synchrotron étant actuellement de 15 %, elle subirait une augmentation pour atteindre près du quart de SOLEIL dans les 20 années qui viennent. Le CNRS quant à lui n’a pas donné ses évaluations de sa consommation future.

En tout état de cause, c’est sur la base des demandes de la communauté scientifique française que les caractéristiques de SOLEIL ont été arrêtées.

Comme on peut le voir sur le tableau suivant, il n’y a pas d’augmentation du nombre de lignes prévues par rapport à celle qui sont actuellement disponibles sur les synchrotrons DCI et Super-ACO du LURE.

Les améliorations attendues sont d’ordre qualitatif pour l’ensemble des lignes et portent sur le nombre de postes expérimentaux au plan quantitatif, grâce à un meilleur dessin de la machine.

Tableau 15 : Comparaison des ressources actuelles du LURE et des ressources prévues dans l’avant-projet détaillé SOLEIL

installation

nombre de lignes

remarques

LURE

46 lignes dont :

- 21 sur DCI

- 25 sur Super-ACO

- 21 postes expérimentaux sur DCI

- 28 postes expérimentaux sur Super-ACO

SOLEIL

(Avant-projet détaillé)

44 lignes, dont :

- 30 issues de dipôles

- 14 issues de dispositifs d’insertion

comptabilisation dans le plan de financement de 24 lignes seulement, dont :

- 10 issues de dipôles

- 14 issues de dispositifs d’insertion

On ne peut donc dire que l’avant-projet détaillé SOLEIL se caractérise par une inflation irraisonnée de la demande des spécialistes et des utilisateurs français des synchrotrons.

A cet égard, il faut rappeler qu’un des effets attendus de la construction de l’ESRF était de permettre la fermeture du synchrotron DCI, ce qu’une croissance de la demande de temps de faisceau plus rapide que prévue a rendu impossible.

Au plan qualitatif par ailleurs, l’examen des spécifications des lignes déjà définies dans l’avant-projet montre qu’il s’agit bien d’une machine polyvalente, permettant de traiter tous les types de demandes, que ce soit au regard de l’énergie des faisceaux ou à celui des techniques d’analyse de la matière mises en œuvre (voir tableau ci-après).

Tableau 16 : Caractéristiques des 14 lignes déjà définies dans l’APD SOLEIL

 

nb /

dispositif

type de rayonnement

applications

ligne très haute résolution

1

insertion

X mous

(10 à 1500 eV)

- propriétés électroniques de la matière

- surfaces-interfaces

- solides, atomes et molécules

ligne haut flux + focalisation + polarisation

1

insertion

X mous

(50 à 2000 eV)

- surfaces-solides

- atomes-molécules

- chimie-réactivité

ligne diffraction haut flux

1

insertion

X durs

(3 à 30 keV)

- biocristallographie

ligne chaude

1

dipôle

de courbure

X durs

(3 à 12 keV)

- échantillons fortement radioactifs

lignes microanalyse et absorption haut flux

1

puis 2

X haut flux

- caractérisation d’éléments traces

- caractérisation de matériaux

lignes très haute résolution

1 puis 2

dipôle de courbure

X mous

- études de surface

- études physico-chimiques atomes et molécules

ligne haut flux + focalisation + polarisation

1

puis 2

insertion

X mous

- spectromicroscopie et phénomènes résonants

- dichroïsme magnétique

ligne diffraction-diffusion

1

insertion

X mous-X durs (0,8-1,5 keV ; 2-3 keV ; 8-10 keV)

- diffraction de surface et méthodes complémentaires en ultra-vide

- diffusion aux petits angles

ligne très haute résolution

1

dipôle

basse énergie

- photophysique

- photochimie

ligne absorption et photoémission

1

dipôle

X mous

(150-1500 keV)

- propriétés électroniques et magnétiques des surfaces

ligne absorption diffraction couplées

1

insertion

X durs

(4-25 keV)

- études in situ dans des conditions extrêmes de température et de pression

- études de cinétique

ligne EXAFS dispersif (Extended X-ray Absorption Fine Structure)

1

insertion

X durs

(4-17 keV)

- mesures en conditions extrêmes

- dichroïsme circulaire magnétique

- absorption

ligne optique

1

dipôle

VUV

- test optique et métrologie

Le projet SOLEIL depuis ses origines a subi un nombre très important d’audits positifs.

Comme on pouvait s’y attendre, il apparaît à vos Rapporteurs qu’il serait plus utile à la France de procéder à d’éventuels réglages fins sur l’avant-projet détaillé SOLEIL que de repartir d’une feuille blanche.

 

III – Des conditions générales d’organisation à rénover

Au cours de la préparation de la présente étude, vos Rapporteurs ont noué des contacts intéressants et importants avec des responsables étrangers allemands, britanniques, suédois, suisses de grands instruments et de centres de recherche divers.

Ils ont également interrogé des chercheurs dont les travaux portent sur l’organisation générale et le financement de la recherche en France, sur l’articulation de la recherche publique et privée, ainsi que sur les relations entre organismes et disciplines.

De ces rencontres et des informations qui ont été rassemblées à cette occasion, il résulte des réflexions et des orientations qu’il semble nécessaire de proposer en toile de fond de la question d’un synchrotron dans notre pays.

Comme on l’a vu précédemment, la satisfaction des demandes d’accès au rayonnement synchrotron produit par une machine nationale apparaît nécessaire en raison des avantages qu’elle procure aux utilisateurs.

Toutefois, l’évolution récente tant du fonctionnement de ce type particulier de grand instrument que des conditions générales d’organisation et de financement de la recherche dans notre pays, conduit à recommander des améliorations à tous les niveaux, y compris à celui des critères à utiliser pour définir la localisation d’un tel outil partagé.

1. La décentralisation des décisions et du financement

1.1. La continuité des efforts, une exigence de la recherche

Lors de deux communications remarquées, M. Roger BALIAN, membre de l’Académie des sciences, a souligné, au nom de la Société française de physique, l’importance des grands équilibres à maintenir dans les investissements de la recherche.

Ces équilibres concernent les parts respectives des différentes sous-disciplines et des diverses techniques. Un équilibre doit également être respecté entre le national et l’international et entre les équipements de base des laboratoires et les très grands équipements, à ceci près que les synchrotrons sont d’une nature particulière, compte tenu de leur caractère d’outil de service à la disposition d’une vaste communauté.

A ces notions, il semble nécessaire de rajouter celle de la continuité dans les efforts.

La visite du " Deutsche Elektronen-Synchrotron " (DESY) de Hambourg a été éclairante à cet égard.

Il s’y trouve en effet une accumulation exceptionnelle des très grands instruments scientifiques qui, d’une part, témoigne d’une continuité remarquable dans les efforts de recherche tant pour la physique des particules que pour le rayonnement synchrotron et, d’autre part, démontre l’intérêt scientifique et financier d’un développement graduel et cumulatif.

Par ailleurs, la politique suivie au Royaume Uni par le " Central Laboratory for the Research Councils " montre également tout l’intérêt qu’il y a à créer sur un même site une masse critique de grands instruments qui bénéficient mutuellement de leurs progrès respectifs et apportent un service de la meilleure qualité aux chercheurs grâce à la disponibilité immédiate de moyens d’analyse complémentaires.

Tous ces efforts nécessitent à l’évidence une continuité dans les efforts et la poursuite des recherches dans un nombre maximal de domaines, quelle que soit leur rentabilité immédiate, avec le souci permanent de favoriser l’interdisciplinarité qui livrera davantage de percées scientifiques que la somme des disciplines considérées isolément.

Mais l’équilibre et la continuité des efforts nécessitent de nouvelles approches dans notre pays, en matière de financement et de prise de décision.

1.2. La nécessité de financements stabilisés

Ainsi que l’a exprimé avec netteté M. Philippe LAREDO, sociologue de l’innovation à l’Ecole nationale supérieure des Mines de Paris, " le débat sur les très grands équipements dure depuis 15 ans en France. Si l’on pratiquait l’amortissement, il n’y aurait plus de débat et la tarification serait faite sur les bases économiques sérieuses, ce qui clarifierait les relations public-privé ".

De fait, l’absence d’amortissement des grands instruments a pour conséquence de dramatiser les décisions sur leur éventuel remplacement. Sans que cela nécessite un bouleversement de la comptabilité publique, que la question du synchrotron ne saurait à elle seule déclencher, il pourrait être judicieux d’examiner avec précision l’opportunité de mettre en place des systèmes spéciaux de réserve pour les grands organismes qui sont les concepteurs et les exploitants, soit directement soit indirectement, des grands instruments.

Par ailleurs, il paraît regrettable que la prise en compte des effets d’entraînement sur l’économie des grands instruments ne soit pas faite dans les décisions de l’Etat sur ces sujets, au contraire de l’approche extensive développée par les départements et les régions qui, bien souvent, pour déterminer l’aide à apporter à un projet d’investissement, intègrent les retombées directes et indirectes de l’opération qui leur est soumise.

Plus grave encore, il paraît étonnant que dans leurs calculs de coûts relatifs à des grands instruments, les pouvoirs publics, à l’inverse des entreprises, ne chiffrent pas les retours non seulement pour le budget civil de recherche et développement mais surtout pour le Trésor public considéré dans son ensemble.

Or les retours d’un investissement comme un synchrotron pour le Trésor public sont estimés au tiers de la dépense, par deux experts consultés par vos Rapporteurs, M. Yves FARGE et M. Pierre POINTU.

Le tableau suivant compare deux situations extrêmes et hypothétiques dans ce domaine, avec d’une part la construction d’un nouveau synchrotron en France sur le site du LURE, pour en éviter la fermeture et d’autre part l’achat de lignes de lumière au Royaume Uni.

Sous réserve des hypothèses adoptées dans ce calcul, il apparaît en tout état de cause que la construction de SOLEIL avec ses 24 lignes de lumière, grâce à ses retombées économiques, fiscales et sociales pour le Trésor public et au fait qu’elle évite le coût très lourd de la fermeture du LURE, est moins coûteuse pour le Trésor public que l’achat de 7 lignes au Royaume Uni assorti de la fermeture du LURE dont le coût pourrait dépasser 500 millions de francs selon l’expérience de l’industrie.

Tableau 17 : Comparaison sommaire des coûts réels pour le Trésor public de la construction de SOLEIL et de l’achat de 7 lignes au Royaume Uni

construction en France

construction au Royaume Uni

facteur

coût en MF

facteur

coût en MF

coût total

1

2 100

1/3

700

subvention

1/3

-700

0

-

retour Trésor public

1/3

-700

0

-

coût pour le BCRD

2/3

1 400

1/3

700

coût pour le Trésor public

1/3

700

1/3

700

capacités possédées

100%

-

33%

coût de fermeture du Lure

Lure réintégré

0

1

450-750

coût pour le BCRD

0

450-750

coût pour le Trésor public

0

300-500

 

S’il est une seule conclusion, au demeurant réductrice, à tirer des considérations précédentes, c’est bien qu’il est indispensable de prendre en compte les recettes fiscales additionnelles qu’entraîne un investissement comme la construction d’un synchrotron et à l’inverse, les coûts considérables d’une éventuelle fermeture d’un laboratoire de 400 personnes comme celui du LURE.

Dans la perspective de la nécessaire stabilisation à moyen-long terme du financement des grands instruments, il paraît également indispensable que les intentions du Commissaire européen à la recherche, M. Philippe BUSQUIN, se traduisent dans les faits et qu’une part substantielle du PCRD prenne la forme d’aides allouées aux grands instruments les plus utiles à la recherche pré-compétitive.

1.3. Une nouvelle régulation d’acteurs de la recherche au demeurant plus autonomes

Sans doute est-il également nécessaire de revoir un certain nombre de fonctionnement de notre administration de la recherche.

Au vrai, la constitution de réserves spéciales et la rénovation des calculs des choix d’investissement devrait poser les bases d’une autonomie accrue des grands organismes de recherche.

Il reste que la constitution d’instances collégiales consultatives et d’échelons intermédiaires entre le ministère de la recherche et les grands organismes est sans doute à envisager, afin de permettre une régulation à la fois plus efficace et plus sereine de la communauté scientifique française.

2. Les moyens d’impliquer l’industrie dans un partenariat fructueux

Les difficultés des rapports entre la recherche publique et la recherche privée ont été jusqu’à un passé récent une antienne des discours sur la recherche dans notre pays.

Nul doute que la situation se soit améliorée dans les derniers mois, notamment grâce à la loi sur l’innovation votée en 1999.

Dans le cas concret du rayonnement synchrotron, les observations faites sur le terrain par vos Rapporteurs, montrent que les grandes entreprises recourent presque systématiquement à des collaborations avec des laboratoires publics pour mettre en œuvre le rayonnement synchrotron pour deux raisons dont l’une est avouable et l’autre l’est moins.

La raison essentielle est que le recours à des partenariats est le moyen pour les entreprises de bénéficier de compétences et d’une assistance. L’autre raison, moins avouable, est que dans ces conditions, le temps machine est gratuit, ceci reflétant au demeurant une organisation particulière de la recherche.

En tout état de cause, il semble possible tout à la fois de rénover et d’amplifier ces partenariats.

2.1. Une fiscalité à revoir pour les investissements dans les grands instruments

La première voie consisterait à faire bénéficier de crédits d’impôt les entreprises qui participeraient à l’investissement de construction dans un synchrotron, sous la forme de prises de participation dans des lignes de lumière.

Ces dispositions existent dans la plupart des pays qui parviennent à intéresser les entreprises à la construction de synchrotrons. Il semble opportun de faire jouer de tels mécanismes en France, non seulement pour alléger les coûts pour le Trésor public de la construction d’un nouveau synchrotron mais pour amplifier le mouvement déjà observé de rapprochement entre la recherche publique et privée.

2.2. De nouveaux partenariats privé-privé et public-privé à inventer

La constitution de consortiums d’entreprises devrait également être encouragée pour l’accès aux synchrotrons de façon à en rendre le coût encore plus accessible aux entreprises de taille moyenne.

Sans doute faudrait-il également essayer de mettre au point de nouvelles formules de coopération globale des entreprises avec les grands organismes de recherche pour leur faciliter l’accès non seulement aux synchrotrons mais également aux autres grands instruments d’analyse fine de la matière.

Il s’agirait en l’occurrence d’offrir aux entreprises, dans le cadre de l’organisation particulière française de la recherche, une plate-forme virtuelle analogue à celle qui existe concrètement au Royaume Uni avec le " Central Laboratory for the Research Councils " qui offre des services centralisés d’accès à ses machines, non seulement aux grands organismes de recherche mais aussi aux entreprises.

3. Une organisation optimale sur la base d’équipements modernes

La question de la disponibilité des installations du LURE est depuis le début de l’étude du dossier d’un nouveau synchrotron par le ministère de la recherche, une pomme de discorde grave sinon déterminante.

Vos Rapporteurs, qui ne sauraient esquiver cette question, se doivent tout autant de l’examiner avec soin, pour en discerner toutes les dimensions.

Dans la différence entre le niveau de fonctionnement de 4000 heures par an des installations du LURE et le niveau de 5500 heures de l’ESRF ou des synchrotrons du Hasylab à Hambourg, quels sont les rôles respectifs d’une part de l’obsolescence ou de l’usure des installations et d’autre part des dispositions statutaires ?

3.1. Une productivité améliorée grâce à des installations plus modernes

L’âge des installations du LURE est incontestablement un facteur limitatif de l’exploitation des synchrotrons DCI et Super-ACO. Ces limites s’expriment en nombre de personnels dont la présence est requise pour piloter la machine.

La vétusté entraîne des taux de panne supérieurs à ceux observés dans des installations plus modernes et des opérations de maintenance préventive plus longues qu’ailleurs. La consommation d’énergie des installations, enfin, est excessive par rapport aux normes des autres synchrotrons, ce qui conduit à arrêter l’exploitation pendant certaines périodes d’hiver où les tarifs de l’électricité sont particulièrement élevés.

En outre, avec des installations plus modernes, la complexité voire l’enchevêtrement des matériels serait moindre et réduirait la durée des changements techniques opérés sur les lignes de lumière et les postes expérimentaux. A cet égard, la différence d’aspect entre les installations du LURE qui résultent d’un développement non programmé et celles de l’ESRF organisée et planifiée rationnellement est éclatante et explique une part des différences de nombre d’heures de fonctionnement.

Ces facteurs objectifs plomberaient les comptes d’une exploitation industrielle. Dans le système budgétaire d’une installation comme le LURE, la variable d’ajustement est inévitablement la durée de fonctionnement.

Il est clair qu’avec des installations plus modernes, les activités du LURE pourraient être convenablement comparées à celle d’autres synchrotrons modernes, ce qui n’est pas le cas actuellement.

3.2. Des questions de statuts pénalisantes pour l’ensemble des parties

L’esprit de communauté qui existe au LURE, joint à la liberté justifiée dont le laboratoire a bénéficié pour avancer dans un développement rapide qui a satisfait tous les utilisateurs, ont pu faire croire à certains observateurs que ce laboratoire avait aménagé à sa façon des modes de fonctionnement exorbitant du droit commun.

Pour un expert reconnu mondialement, M. Yves PETROFF, qui a dirigé d’abord le LURE puis l’ESRF dont il a fait une mécanique d’horlogerie, la principale question qui se pose au LURE en terme d’organisation outre le handicap objectif que représente la vétusté de ses installations, est celle des règles de rémunération qui limitent au CEA et au CNRS la part dans le traitement des primes pour dépassement d’horaires et travail de nuit ou de week-end.

Pour autant, selon M. Yves PETROFF, il est possible de faire de la recherche à haute productivité dans le cadre de la fonction publique, à condition que les assouplissements au plafonnement des primes que l’on connaît dans certaines administrations soient appliqués au domaine des grands instruments.

S’agissant par ailleurs du statut juridique optimal d’un établissement gérant un synchrotron, des progrès sont certainement possibles, notamment dans le sens d’un renforcement du rôle du directeur du synchrotron dans son pouvoir managérial.

Selon M. Pierre POINTU, les projets de grands instruments sont souvent d’une nature entrepreneuriale, et comme tels, portés par une personnalité dotée de compétences non seulement scientifiques mais aussi de capacités d’initiative, d’entraînement des hommes et de combat contre les obstacles nombreux à renverser pour mener à bien une telle entreprise.

A cet égard, on peut estimer que le statut de société civile, adopté par l’ESRF et prévu par l’avant-projet SOLEIL doit être étudié plus avant.

4. Des critères objectifs pour une localisation régionale efficace

La mission de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques ne saurait s’étendre à la recommandation d’un site particulier pour l’implantation d’un synchrotron national.

Toutefois, il lui appartient de définir les critères qui, d’un point de vue scientifique, lui paraissent devoir être pris en compte par les pouvoirs publics pour la localisation du synchrotron national.

4.1. Des dessertes nationales et internationales de qualité

En raison du grand nombre de chercheurs visiteurs se rendant sur le site d’un synchrotron, la qualité et le nombre de dessertes est un point critique de sa fréquentation future.

Le contre-exemple de Trieste pour le synchrotron ELETTRA est souvent cité en raison de sa localisation excentrée et de la mauvaise qualité des transports reliant la ville au reste de l’Italie et de l’Europe.

Par ailleurs, on sait que dans la période actuelle d’indécision pour l’implantation de DIAMOND, les sites de Didcot, près d’Oxford mais au total distant de plus d’une heure de Londres et de l’aéroport international de Heathrow, et de Daresbury, à trente minutes de l’aéroport de Manchester international, rivalisent dans les médias pour vanter les qualités respectives de leurs dessertes.

Au reste, même si son impact n’est évidemment pas nul en matière d’aménagement du territoire, l’implantation d’un synchrotron ne semble pas à même de déclencher à elle seule le développement de transports vers un lieu qui n’en posséderait pas au préalable.

4.2. Une implantation au coeur d’une zone de recherche existante ou en création

Un autre paramètre fondamental du choix de la localisation semble être la densité du tissu scientifique local. A supposer que le lieu retenu ne possède pas de laboratoires préexistants, il conviendrait à tout le moins que l’implantation d’un synchrotron s’intègre dans un plan ambitieux et déterminé de construction d’une zone scientifique de haut niveau, rassemblant université, laboratoires publics et privés.

Mais la meilleure solution est sans doute de sélectionner comme lieu d’implantation une zone géographique déjà dotée d’un tissu universitaire, scientifique et industriel dense et dynamique.

Au reste, l’on a vu précédemment, à propos du centre DESY de Hambourg l’importance du développement graduel et continu des grands instruments.

Il est clair qu’il existe un avantage déterminant à renouveler sur place ou à proximité une installation vieillissante par la construction d’un nouveau synchrotron, puisqu’une telle démarche réduit à néant les coûts financiers et humains d’une éventuelle fermeture du site initial.

4.3. Un projet s’intégrant dans un plan d’ensemble pour les moyens d’analyse à la disposition de la recherche publique ou privée

Si l’on veut intégrer les dernières orientations stratégiques des pays ayant engagé un effort prioritaire pour leur recherche scientifique, il faut aller plus loin et considérer le futur synchrotron comme une pièce essentielle certes mais une pièce s’intégrant dans la constitution d’une plate-forme d’équipements scientifiques de premier niveau.

L’accès à un ensemble d’installations de premier ordre, synchrotron, lasers de puissance, source de neutrons, appareil de résonance magnétique nucléaire, laboratoires périphériques, apparaît en effet constituer un atout considérable pour les chercheurs.

Une telle plate-forme devrait par ailleurs disposer de capacités d’accueil, tant pour l’hébergement que pour les aménités de la vie pratique, afin d’ajouter à la pluridisciplinarité des installations techniques, l’effet " cafetaria " à la source de contacts et d’échanges fructueux.

Il est vraisemblable qu’à terme, étant donné la mobilité des entreprises internationales et la concurrence des technopôles à travers le monde, seules de telles plates-formes seront susceptibles d’attirer à elles et de garder les centres de recherche des grands entreprises mondiales, grâce à leurs équipements matériels mais également grâce à leurs centres de compétences.

A cet égard, il est nécessaire de rappeler l’exemple du génopôle d’Evry, cité par M. Vincent MIKOL, directeur de recherche chez Aventis, dont la création a seule convaincu Rhône Poulenc Rorer d’y établir un centre de recherche qu’elle envisageait de délocaliser ailleurs en Europe ou aux Etats-Unis.

Conclusion

Les délais d’application de la recherche même fondamentale se sont réduits rapidement au cours des dernières années, au point de devenir un lieu privilégié de la compétition économique internationale.

Pour vos Rapporteurs, ce constat oblige notre pays à être particulièrement vigilant dans ses choix d’investissement de recherche.

Il ne semble pas en tout état de cause que la construction d’un synchrotron national puisse être évitée par le recours systématique à la location de lignes sur des machines étrangères.

Comme on l’a vu précédemment, l’utilisation du rayonnement synchrotron s’étend désormais à toutes les disciplines et à un nombre de chercheurs considérable, près de deux mille par centre.

Il convient donc de garder dans notre pays des compétences de conception dans ce domaine et de fournir les accès de proximité qu’attendent nos chercheurs.

Par ailleurs, le coût d’exploitation de machines situées à l’étranger est nettement plus élevé que celui de machines nationales, compromettant ainsi toute recherche d’économie par le recours à des partenariats européens.

Au reste, il est symptomatique de constater que tous les grands pays européens sauf l’Espagne ont fait le choix de posséder un ou plusieurs centres nationaux de rayonnement synchrotron.

La coopération européenne, bilatérale ou multilatérale, que l’on peut appeler de ses vœux et qui, selon de récentes informations, devrait enfin toucher au niveau de l’Union européenne les grands instruments, doit s’ajouter à des efforts nationaux déterminés et non pas y suppléer.

Conclusion

générale

 

C’est dans un climat de grande tension entre les pouvoirs publics et les chercheurs de la communauté des synchrotrons que vos Rapporteurs ont conduit leur analyse.

Même si le délai de trois mois dans lequel s’est déroulé ce travail est de fait très réduit, il semble que les lignes d’une opposition frontale, qui motivait la demande du groupe communiste de voir le Bureau de l’Assemblée nationale saisir l’Office d’une étude, ont bougé depuis lors.

Par une écoute attentive de toutes les parties et une objectivité aussi poussée que possible, vos Rapporteurs espèrent avoir contribué à rétablir, au moins en partie et cette fois sur des bases rationnelles, un dialogue interrompu.

Toutefois, même si le rayonnement synchrotron est un outil d’analyse de la matière qui, après des progrès exceptionnellement rapides, apporte une contribution technique essentielle au progrès des connaissances, les synchrotrons ne sont que des machines performantes et l’on peut se surprendre à penser que la question du renouvellement des installations vieillissantes du LURE ne méritait somme toute ni cet excès d’honneur ni cette indignité.

A vrai dire, le souci d’une bonne utilisation des deniers publics dans le domaine de la recherche ne saurait qu’être partagé. Les phases d’interrogation sur ces sujets sont profitables mais à condition qu’elles ne s’éternisent pas et surtout que l’on ne se trompe pas d’adversaire.

L’adversaire à combattre pour le bien de la recherche française est certes l’insuffisance du recrutement de jeunes chercheurs et le déficit de moyens de fonctionnement des laboratoires.

L’adversaire n’est certainement pas un grand instrument dont la vocation est de fournir des moyens d’étude de haut niveau à un ensemble considérable de chercheurs appartenant à plus de 700 laboratoires répartis sur tout le territoire.

Au vrai, avec la construction indispensable et urgente d’un nouveau synchrotron dans notre pays, il s’agit bien de doter les laboratoires français de moyens supplémentaires.

Bien sûr, s’il était possible de doter chacun des laboratoires français de micro synchrotrons performants, la centralisation de facto d’un grand instrument ne serait pas nécessaire et la question de SOLEIL ne se serait pas posée. Mais les techniques actuelles de production de rayonnements électromagnétiques de haute performance n’autorisent que la construction d’un grand instrument vers lequel les chercheurs se déplacent.

Ce grand instrument partagé et donc d’un type particulier présente, en contrepartie de ses grandes dimensions, l’avantage de produire naturellement le processus si important de l’interdisciplinarité, grâce aux contacts entre spécialistes de la machine et les utilisateurs de toutes disciplines, et de permettre l’effet de communauté si important pour la créativité des scientifiques et l’épanouissement de leurs recherches.

D’ailleurs, cette centralisation positive semble bien constituer un élément de la stratégie scientifique de différents pays, puisque, aussi bien, la tendance observée dans plusieurs pays est de rassembler une masse critique d’instruments et de compétences sur un même site pour créer des synergies bénéfiques pour la recherche.

Au reste, une stratégie scientifique ne semble pas pouvoir se résumer de nos jours à des choix dichotomiques. Au contraire, c’est de l’ensemble de la panoplie des moyens techniques et des types d’organisation dont il faut disposer.

A cet égard, la coopération franco-britannique constitue sans nul doute une voie qu’il convient d’explorer et de finaliser. La présence de chercheurs français sur d’autres synchrotrons européens est également une voie intéressante.

Mais tout indique que ces solutions délocalisées, si elles étaient les seules à être mises en application, ne suffiraient pas à satisfaire la totalité des besoins français, tout en générant des coûts par utilisateur supérieurs à ceux d’une solution autonome.

Il est donc indispensable de décider clairement et sans délai la construction d’un synchrotron national et pour cela de modifier le calendrier des différentes tranches prévues dans le plan des pouvoirs publics pour le rayonnement synchrotron.

Au-delà des positions de combat prises par les uns et les autres, il est temps que soit reconnu le bien fondé des positions exprimées par chacune des parties, tant il est vrai que les réformes de modes d’organisation et de fonctionnement, si elles peuvent être proposées par le sommet, doivent être acceptées par les acteurs pour s’inscrire dans les faits.

En tout état de cause, il est temps que s’arrête une de ces guerres d’opinion franco-françaises que les vrais partenaires de la France contemplent toujours avec douleur et que soient détaillées et mises en pratique les orientations que vous proposent vos Rapporteurs et qui n’ont d’autre finalité que de vouloir combiner les atouts de la recherche française et européenne, sur des bases nationales fortes, pour le plus grand succès de nos chercheurs.

EXAMEN DU RAPPORT PAR L’OFFICE

L’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques a procédé à l’examen du premier tome du rapport de M. Christian CUVILLIEZ, député, et de M. René TRÉGOUËT, sénateur, sur " les conditions d’implantation d’un synchrotron et le rôle des très grands équipements dans la recherche publique et privée, en France et en Europe ", dans sa réunion du mercredi 15 mars 2000.

M. René TRÉGOUËT, sénateur, rapporteur, a indiqué que le synchrotron est un très grand équipement différent des autres parce qu’il est employé par une communauté très large d’utilisateurs, et non pas par des équipes restreintes comme celles des satellites ou des collisionneurs. Les demandes d’accès au rayonnement synchrotron augmentent rapidement, et devraient être multipliées par deux dans les dix à vingt prochaines années. De nombreux pays de toutes dimensions, des Etats-Unis à la Suisse ou à la Thaïlande, possèdent des synchrotrons nationaux, l’Allemagne disposant, pour sa part, de cinq centres. Si l’on ne saurait être opposé à la coopération internationale, on n’imagine pas la France sans source nationale d’une énergie suffisante (2,5 GeV) pour les besoins de formation, d’interdisciplinarité et d’analyse de la matière d’une communauté de plusieurs milliers de chercheurs. En tout état de cause, une machine nationale s’impose aussi, car c’est aussi la solution la plus avantageuse en termes de coûts par utilisateur. Mais, une nouvelle dynamique devrait être créée autour de cette machine par de nouvelles dispositions d’organisation et de fonctionnement.

M. Christian CUVILLIEZ, député, rapporteur, a souligné que l’étude de ce dossier délicat, dans une situation de crise, a montré que les enjeux scientifiques du rayonnement synchrotron sont compris dans le monde entier. Or, en France et au Royaume Uni, c’est bien une division par deux des capacités en ligne de lumière qui est actuellement proposée. Les besoins avérés en rayonnement synchrotron ne sont pas en opposition avec l’accroissement des moyens des laboratoires, mais y contribuent directement. Au reste, la construction d’un synchrotron est compatible avec le budget de la recherche, et ne présente aucun aléa financier. En complément de la solution originale de 5-6 lignes de lumière sur DIAMOND, il convient de construire un synchrotron de 2,5 GeV en France, disponible plus rapidement, qui répondra aux besoins de nos chercheurs, et permettra de ne pas dissoudre une communauté en pointe dans la recherche mondiale.

M. Henri REVOL, sénateur, président, a félicité les rapporteurs pour leur étude, réalisée, au demeurant, dans le délai restreint et inhabituel de trois mois, et qui constitue le premier tome dont la suite sera consacrée aux très grands équipements. Il leur a ensuite demandé des précisions sur les modalités de fonctionnement du LURE, et sur leurs éventuelles propositions pour mieux associer l’industrie au futur synchrotron, et pour dégager ainsi de nouveaux moyens de financement de la recherche.

M. Christian CUVILLIEZ, député, rapporteur, a souligné que le rapport fait des propositions modifiant les conditions de gestion d’une machine nouvelle par rapport aux conditions actuelles de fonctionnement, ce qui suppose une ouverture d’esprit des personnels du LURE.

M. René TRÉGOUËT, sénateur, rapporteur, a précisé que, même si la vétusté des installations actuelles explique une partie de l’écart des durées d’utilisation entre le Lure et des équipements comparables, une nouvelle dynamique entrepreneuriale devra être créée, ce qui nécessite que la forme juridique du futur synchrotron ne soit pas trop rigide. A cet égard, l’exemple anglais du Wellcome Trust montre l’intérêt des fondations de financement de la recherche. De plus, les crédits d’impôt accordés dans certains pays étrangers pour l’investissement dans des synchrotrons expliquent l’association plus étroite des entreprises à ces équipements.

M. Pierre LAFFITTE, sénateur, après avoir félicité les rapporteurs pour leur excellent travail, a estimé, tout en étant réservé vis-à-vis des très grands équipements, qu’il convenait d’aménager les conditions de fonctionnement d’un futur synchrotron national. Une fondation pourrait être créée à cette occasion, bénéficiant de contributions d'entreprises françaises et européennes. Il faudrait également soutenir l’intention de M. Philippe BUSQUIN, commissaire européen à la recherche, de proposer que l’Europe prenne une part importante dans le financement et le fonctionnement des très grands équipements. Enfin, il faudrait veiller à prendre des mesures pour assurer la plus grande souplesse de fonctionnement possible à la future installation.

M. Christian CUVILLIEZ, député, rapporteur, a souligné que certaines grandes entreprises internationales peuvent décider de l’implantation d’un laboratoire en fonction de la seule présence d’un grand instrument, ce qui montre que les effets d’entraînement d’un tel équipement sur une zone économique donnée sont importants.

M. Jean-Yves LE DÉAUT, député, Premier vice-président, a ensuite félicité les rapporteurs pour avoir travaillé avec succès dans des conditions difficiles sur un sujet sensible, et a posé quatre questions, sur la différence de leur évaluation de la demande de rayonnement synchrotron par rapport à celle du ministère, sur la concurrence des autres méthodes d’analyse de la matière vis-à-vis du rayonnement synchrotron, sur les conditions de financement de l’investissement dans le cadre d’un budget de la recherche à enveloppe limitée, et sur l’énergie optimale du futur synchrotron national.

M. René TRÉGOUËT, sénateur, rapporteur, a indiqué que les besoins réels des chercheurs français, déjà insatisfaits, ne pourraient pas être mieux pris en considération à l’avenir par une diminution de moitié des lignes disponibles. S’agissant du coût des solutions proposées, il est démontré que le coût par utilisateur des accès aux synchrotrons implantés à l’étranger dépasse de 55 % celui d’un synchrotron national. Par ailleurs, entre les différentes méthodes d’étude de la matière, il existe une complémentarité plutôt qu’une concurrence, le rayonnement synchrotron étant toutefois la seule technique, pour au moins encore cinq à dix ans, à permettre d’élucider la structure de protéines de masse moléculaire très importante. S’agissant de l’énergie de la machine, le niveau de 2,5 GeV correspond à un consensus mondial en terme d’optimum de brillance, de stabilité des faisceaux et de longueurs d’onde.

M. Ivan RENAR, sénateur, a souligné l’importance qu’il y aurait à prendre en compte les atouts des différentes régions candidates pour l’implantation d’un équipement qui aura des retombées importantes.

M. Christian CUVILLIEZ, député, rapporteur, a estimé qu’un synchrotron représente une force culturelle scientifique qui suppose un environnement de recherche très structuré.

Pour M. René TRÉGOUËT, sénateur, rapporteur, il n’entrait pas dans la mission des rapporteurs d’entrer dans le débat de la localisation, ce qui les a conduits à se limiter à proposer les critères d’un choix rationnel.

M. Claude BIRRAUX, député, a estimé que le rapport a bien remis en perspective la question du synchrotron en France, et a dégagé les enjeux nationaux d’une question au départ essentiellement locale.

M. Robert GALLEY, député, approuvant les orientations du rapport, a souligné l’importance, pour la France, de prendre des décisions courageuses de mobilisation de ses propres ressources, ainsi qu’elle l’a fait avec succès au début des années soixante-dix pour la commutation téléphonique électronique, et a demandé des précisions sur la politique américaine dans le domaine des synchrotrons.

M. René TRÉGOUËT, sénateur, rapporteur, a souligné que la demande d’un synchrotron national émane de l’ensemble de la communauté scientifique, et que les Etats-Unis engagent des efforts importants dans les sciences du vivant où ils bénéficient pourtant déjà d’une avance considérable. Compte tenu de l’intérêt d’un synchrotron pour la biologie structurale, pierre angulaire du post-génôme, il est indispensable que la France, si elle réexamine sa politique des très grands instruments, opère ses choix en fonction des effets d’entraînement de ceux-ci. Au reste, c’est l’Europe tout entière qui doit se ressaisir.

M. Henri REVOL, sénateur, président, a ensuite appelé les membres de l’office à se prononcer sur l’étude présentée par leurs collègues.

L’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques a adopté à l’unanimité le rapport de MM. Christian CUVILLIEZ, député, et René TRÉGOUËT, sénateur, sur " les conditions d’implantation d’un nouveau synchrotron ", et a confirmé la mission qui leur a été donnée d’étudier, dans la deuxième partie de leur étude, " le rôle des très grands équipements dans la recherche publique et privée en France et en Europe ".

PERSONNALITÉS RENCONTRÉES ET VISITES D’INSTALLATIONS

 

date

Personnalités

me 15 déc 1999

M. Robert COMES, directeur du Lure

me 22 déc 2000

M. Yves PETROFF, directeur général de l’ESRF

Saint-Gobain : M. Hervé ARRIBART, Directeur de recherche

CEA : F. GOUNAND, I. NENNER, J. LACHKAR, JL LACLARE, A. MATHIOT, C. MADIC et

M. VAN DER REST

me 12 jan 2000

10h-10h30 : M. MIKOL (Aventis) : le rayonnement synchrotron dans les sciences de la vie et l’utilité des grands équipements dans la formation de pôles de compétences

10h30-11h : échanges de vues entre les membres du groupe de travail

11h-12h30 : M. LEBASQUE, Mme CHANDESRIS, M. GAGNAT, Mme LEWIT-BENTLEY, M. POLIAN, M. SIMON, Intersyndicale du Lure

me 19 jan 2000

9h-10h : échanges de vues entre les membres du groupe de travail

10h-11h  : M. P. PAPON, Président de l’Observatoire des sciences et des techniques (OST)

11h-12h30 : M. R. PELLAT, Haut commissaire à l’énergie atomique

me 26 jan 2000

9h30-10h30 : échanges de vues entre les membres du groupe de travail

10h30-11h30 : M. Yves FARGE, ancien Président du Conseil de direction du projet SOLEIL

11h30-12h30 : M. Claude COHEN-TANNOUDJI, Professeur au Collège de France, Prix Nobel de Physique

je 27 jan 2000

visite du LURE

- 10h – 17h -

ve 28 janv 2000

- matin : visite de l’ESRF

- après-midi : suite de la visite

me 2 fév 2000

9h30-10h30 : M. Jacques FRIEDEL, fondateur du conseil des grands instruments scientifiques ; Président honoraire de l’Académie des Sciences

10h30-11h30 :M. Paul-Henri REBUT, ancien directeur du JET

11h30-12h30 :M. E. BREZIN, Président, et

Mme BRECHIGNAC, Directeur général – CNRS -

 

date

personnalités

me 9 fév 2000

9h30-10h30 : M. Nils MARTENSSON, Directeur du Max-Lab,

Université de Lund, Suède

10h30-12h30 : Table ronde avec les représentants des sociétés savantes :

- M. J-P HURAULT, Président de la Société française de Physique (SFP)

- M. R. BALIAN, Vice-Président de la SFP

- M. J. TEIXEIRA, Secrétaire général de la SFP

- Mme A-M LEVELUT, Prix Félix Robin 1999 de la SFP

- M. LECOMTE (Association française de cristallographie)

- Dr. Richard GIEGÉ (Société française de biochimie et de biologie moléculaire)

lu 21 fév 2000

visite du SRS - Daresbury

rencontre avec des représentants du Wellcome Trust - Londres

ma 22 fév 2000

visite de l’Appleton Rutherford Laboratory - Didcot

me 23 fév 2000

9h-10h : Les déterminants du coût des synchrotrons et les moyens de limiter les dépenses d’investissement et de fonctionnement afférentes

M. J-P DAILLANT, M. M. BESSIERE, Mme D. CHANDESRIS, Mme MP LEVEL, M. R. FOURME (LURE)

10h-11h : Analyse et comparaisons internationales des interactions entre les très grands équipements et la recherche publique et privée

M. Philippe LAREDO, Ecole nationale supérieure des Mines de Paris – Centre de Sociologie de l’Innovation

11h-12h : Les avantages de la solution DIAMOND par rapport à SOLEIL

M. Paul CLAVIN, Directeur de l’Institut de recherche sur les phénomènes hors équilibre

12h-12h45 : Les modalités du soutien de l’industrie à la construction d’un synchrotron

M. Jean-Claude LEHMANN, Directeur de la Recherche, Saint Gobain

je 24 fév 2000

visite du Hasylab-Desy (Hambourg)

me 1er mars 2000

9h-10h : M. Vincent COURTILLOT, Directeur de la recherche, MENRT

10h-11h : M. Pascal COLOMBANI Administrateur général du CEA

11h-12h : M. MARGARITONDO, Président de la Table Ronde européenne pour le rayonnement synchrotron et les lasers à électrons libres

me 1er mars 2000

9h-10h : M. Vincent COURTILLOT, Directeur de la recherche, MENRT

10h-11h : M. Pascal COLOMBANI Administrateur général du CEA

11h-12h : M. MARGARITONDO, Président de la Table Ronde européenne pour le rayonnement synchrotron et les lasers à électrons libres

 

date

personnalités

je 2 mars 2000

De 14h à 19h : audition publique – Salle Lamartine

" L’importance des synchrotrons pour la recherche et

les projets dans ce domaine en France et en Europe "

Orateurs présents à la tribune

- M. Roger BALIAN

- M. Georges CHARPAK

- M. Vincent COURTILLOT

- M. Pierre-Gilles DE GENNES

- M. Roger FOURME

- M. Jacques FRIEDEL

- Dr. Richard GIEGÉ

- M. Guy OURISSON

- M. Yves PETROFF

- M. Jochen SCHNEIDER

me 8 mars 2000

9h30 – 12h30 : exposé par les membres du groupe de travail de leur point de vue personnel sur " les conditions d’implantation d’un nouveau synchrotron "

mercredi 15 mars 2000

16h15 : Réunion de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques pour l’examen du rapport de MM. CUVILLIEZ et TREGOUET

jeudi 16 mars 2000

11h : Conférence de presse