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le 5 juillet 1999

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N° 1772

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 30 juin 1999.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DE LA PRODUCTION ET DES ÉCHANGES (1) SUR LES PROPOSITIONS DE RÉSOLUTION :

1. (n° 1570) de M. ANDRÉ ASCHIERI ET PLUSIEURS DE SES COLLÈGUES tendant à créer une commission d'enquête sur la mise en culture d'organismes génétiquement modifiés, les infractions constatées en la matière et les dangers qu'elles font courir à la santé des populations ;

2. (n° 1681) de MM. JEAN-FRANÇOIS MATTEI ET PIERRE LELLOUCHE visant à créer une commission d'enquête sur les dysfonctionnements en matière de santé et de sécurité alimentaire révélés par l'affaire du poulet à la dioxine ;

3. (n° 1691) de M. JEAN-MARC AYRAULT ET LES MEMBRES DU GROUPE SOCIALISTE ET APPARENTÉS tendant à la création d'une commision d'enquête sur la sécurité de la filière alimentaire en France ;

4. (n° 1738) de M. ANDRÉ ASCHIERI ET PLUSIEURS DE SES COLLÈGUES tendant à créer une commission d'enquête sur les dangers sanitaires des modes de production agricole et des processus de fabrication de l'industrie agro-alimentaire,

PAR M. DANIEL CHEVALLIER,

Député.

--

(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

Agro-alimentaire.

La commission de la production et des échanges est composée de : M. André Lajoinie, président ; MM. Jean-Paul Charié, Jean-Pierre Defontaine, Pierre Ducout, Jean Proriol, vice-présidents ; MM. Léonce Deprez, Christian Jacob, Daniel Paul, Patrick Rimbert, secrétaires ; MM. Jean-Pierre Abelin, Jean-Claude Abrioux, Stéphane Alaize, Damien Alary, André Angot, François Asensi, Jean-Marie Aubron, Pierre Aubry, Jean Auclair, Jean-Pierre Balduyck, Jacques Bascou, Mme Sylvia Bassot, MM. Christian Bataille, Jean Besson, Gilbert Biessy, Claude Billard, Claude Birraux, Jean-Pierre Blazy, Jean-Claude Bois, Daniel Boisserie, Maxime Bono, Franck Borotra, Christian Bourquin, Mme Danièle Bousquet, MM. François Brottes, Vincent Burroni, Marcel Cabiddu, Alain Cacheux, Dominique Caillaud, André Capet, Jean-Paul Chanteguet, Jean Charroppin, Philippe Chaulet, Jean-Claude Chazal, Daniel Chevallier, Pierre Cohen, Alain Cousin, Yves Coussain, Jean-Michel Couve, Jean-Claude Daniel, Marc-Philippe Daubresse, Philippe Decaudin, Mme Monique Denise, MM. Jacques Desallangre, Eric Doligé, François Dosé, Jean-Pierre Dufau, Dominique Dupilet, Philippe Duron, Jean-Claude Etienne, Alain Fabre-Pujol, Albert Facon, Alain Ferry, Jean-Jacques Filleul, Jacques Fleury, Nicolas Forissier, Roland Francisci, Claude Gaillard, Robert Galley, Claude Gatignol, André Godin, Alain Gouriou, Joël Goyheneix, Michel Grégoire, Gérard Grignon, Hubert Grimault, Lucien Guichon, Gérard Hamel, Patrick Herr, Claude Hoarau, Robert Honde, Claude Jacquot, Mme Janine Jambu, MM. Maurice Janetti, Aimé Kergueris, Jean Launay, Thierry Lazaro, Jean-Yves Le Déaut, Patrick Lemasle, Jean-Claude Lemoine, Jacques Le Nay, Jean-Claude Lenoir, Arnaud Lepercq, René Leroux, Roger Lestas, Alain Le Vern, Félix Leyzour, Michel Liebgott, Jean-Michel Marchand, Daniel Marcovitch, Alfred Marie-Jeanne, Alain Marleix, Daniel Marsin, Philippe Martin, Jacques Masdeu-Arus, Marius Masse, Roger Meï, Roland Metzinger, Pierre Micaux, Yvon Montané, Gabriel Montcharmont, Jean-Marie Morisset, Bernard Nayral, Jean-Marc Nudant, Jean-Paul Nunzi, Patrick Ollier, Joseph Parrenin, Paul Patriarche, François Patriat, Germinal Peiro, Jacques Pélissard, Mmes Marie-Françoise Pérol-Dumont, Annette Peulvast-Bergeal, MM. Serge Poignant, Bernard Pons, Jacques Rebillard, Jean-Luc Reitzer, Gérard Revol, Mme Marie-Line Reynaud, M. Jean Rigaud, Mme Michèle Rivasi, MM. Jean Roatta, André Santini, Joël Sarlot, Mme Odile Saugues, MM. François Sauvadet, Jean-Claude Thomas, Léon Vachet, Daniel Vachez, François Vannson, Michel Vaxès, Michel Vergnier, Gérard Voisin, Roland Vuillaume.

MESDAMES, MESSIEURS,

L'actualité la plus récente vient confirmer une donnée souvent analysée dans nos travaux de ces dernières années : l'acuité accrue des problèmes de sécurité sanitaire, l'intérêt constant des consommateurs pour la qualité de leur alimentation, phénomènes qui imposent une réaction des autorités nationales aussi bien que communautaires rapide et adaptée.

L'on pense aussitôt à la crise actuelle des poulets et _ufs belges suspectés d'être contaminés par de la dioxine. Les premiers examens toxicologiques pratiqués en France apparaissent certes rassurants et il semble désormais que la contamination en cause pourrait être due à un accident unique. Mais la crise constatée, qui a provoqué une baisse de la consommation de volailles en France évaluée à 30-40 % et sans doute fragilisé nos exportations de viandes avicoles sur les marchés internationaux, a troublé nos concitoyens, inquiétés dans la même période par la contamination de fromages par la listéria, puis, plus récemment, par les problèmes rencontrés avec le « Coca-Cola » conditionné en canettes et par la révélation de la pratique supposée d'éclaircissement de certains vins français au moyen de produits à base de sang de b_uf, pourtant formellement interdite par une directive communautaire de novembre 1997.

Rappelons, s'agissant de la dioxine, que celle-ci est un produit chimique issu notamment de la combustion de produits chlorés et présent à des teneurs très faibles dans les produits d'origine animale. La dioxine est classée comme substance cancérigène par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) et fait l'objet en France de plans de surveillance par la direction générale de l'alimentation du ministère de l'agriculture applicables depuis 1994 au lait et aux produits laitiers et étendus en 1997 aux _ufs, aux viandes et aux poissons.

Il faut rappeler également brièvement les principaux faits à l'origine de « l'affaire des poulets à la dioxine ». Le 3 mai 1999, le ministère des classes moyennes et de l'agriculture belge informait les autorités françaises par téléfax d'une livraison en date du 21 janvier de graisses animales contaminées par de la dioxine à une société française. Les autorités belges nous informaient ensuite, le 26 mai, de l'exportation vers la France en février et mars de quatre lots de volailles vivantes susceptibles d'être contaminées, le 28 mai de la livraison en janvier par la société belge Verkest à un établissement français de fabrication d'aliments pour animaux de 25 tonnes de graisses pouvant elles aussi être contaminées ; les autorités belges nous fournissaient ensuite le 31 mai une liste d'élevages français ayant reçu des aliments de Belgique éventuellement contaminés ; le 2 juin, enfin la Commission européenne décidait d'interdire la mise sur le marché communautaire et l'exportation de tout produit à base de volailles d'origine belge produit entre le 15 janvier et le 1er juin 1999.

Les décisions prises par les pouvoirs publics en France ont été vigoureuses : identification, retrait de la vente et destruction des poulets et _ufs en provenance de Belgique, puis mise sous séquestre de tous les élevages de volailles et de ruminants ayant reçu les aliments incriminés, enquêtes dans les abattoirs destinataires, prélèvements d'_ufs et de volailles pour dosage de la dioxine, mise en place au début juin d'une cellule interministérielle de crise, intervention enfin le 4 juin d'un arrêté interministériel élargissant les interdictions prévues par les instances communautaires le 2 juin pour les seuls produits d'origine belge à base de volailles, à tous les animaux, quelle que soit l'espèce et à leurs produits en provenance de ce pays.

« L'affaire des poulets à la dioxine » a pourtant inquiété une opinion ébranlée déjà, il faut le rappeler, par les incertitudes renouvelées touchant à la crise de la « vache folle », au recours aux farines animales pour l'alimentation des élevages, aux antibiotiques et aux hormones en matière d'élevage bovin, et, s'agissant des productions végétales, à l'utilisation possible des organismes génétiquement modifiés (OGM).

Depuis mars 1996, la crise de l'encéphalopathie spongiforme bovine (ESB) n'en finit pas et, probablement pour longtemps, de produire ses effets. Le rapport de la mission d'information commune constituée sur ce sujet dès le 18 juin 1996 au sein de notre assemblée a bien pu insister sur le caractère exemplaire de notre système d'épidémio-surveillance et sur la célérité de la réaction des pouvoirs publics français lors de la révélation de la crise. Il n'en demeure pas moins, que l'on a pu dénombrer en France en Vendée au début du mois de juin le 61e cas de « vache folle », information d'autant plus préoccupante, qu'elle concerne une bête née en août 1993, donc après l'interdiction des farines pour les ruminants décidée en juillet 1990, d'autant plus préoccupante aussi que les travaux les plus récents des experts, lourde « toile de fond » de ce problème, conduisent à penser à une transmissibilité de l'encéphalopathie spongiforme bovine à l'homme.

L'usage des farines animales pour l'alimentation des troupeaux pose désormais lui-même largement problème. Interdit, comme on vient de le signaler, pour les ruminants ou sévèrement encadré en France contrairement à d'autres pays européens (impossibilité de recourir aux saisies d'abattoirs et aux cadavres d'animaux ainsi qu'à certains sous-produits d'abattoirs, appelés « matériels à risques spécifiés »), il a pu être considéré pendant longtemps comme sans danger véritable pour les porcs, les poulets et les poissons d'élevage (il représente 3 % de leur alimentation). Mais l'opinion s'y est montrée de moins en moins favorable et, comme pour l'y encourager, un rapport récent de la direction générale de la consommation, de la concurrence et de la répression des fraudes (DGCCRF) indiquait notamment que les boues des stations d'épuration des usines d'équarrissage étaient parfois utilisées dans les farines animales destinées précisément aux porcs, volailles et poissons d'élevage.

Le Gouvernement français a tenté sans succès d'obtenir de ses partenaires européens lors de la réunion du Conseil des ministres de l'agriculture des Quinze du 14 juin dernier l'abandon progressif des farines animales dans l'alimentation des porcs et des volailles. Les industriels de la nutrition animale ont déclaré accepter eux-mêmes l'éventualité d'une telle mesure, mais mis l'accent sur son coût pour la filière, évalué à 5 milliards de francs la première année et 3 milliards de francs les années suivantes. Il faut noter d'ailleurs que l'interdiction des farines animales devrait se traduire par une augmentation évaluée à 10 % des importations de soja américain et brésilien, alors que ces variétés de soja contiennent des organismes génétiquement modifiés (OGM) qui posent eux-mêmes, comme on le verra ci-dessous, de redoutables problèmes. En toute hypothèse, la réforme de la PAC mise en _uvre dès l'An 2000 n'encourage guère la valorisation de nos ressources en oléo-protéagineux (colza, tournesol).

Il faut aborder également les problèmes du recours aux hormones dans l'élevage bovin. L'on sait que l'Union européenne a frappé d'embargo les importations de b_uf américain et canadien traité aux hormones, considérant que les hormones de croissance utilisées dans l'élevage, l'oestradiol principalement, présentent un danger pour la santé humaine ; l'on sait aussi que l'Union européenne a été condamnée pour ce fait par l'Organisation mondiale du commerce (OMC) en février 1998.

Le 4 mai dernier, une instance communautaire consultative, le comité scientifique européen pour les mesures vétérinaires liées à la santé publique confirmait les risques cancérigènes de l'hormone naturelle 17 béta-oestradiol et l'Union européenne refuse toujours actuellement de céder aux vues des Etats-Unis et de l'OMC.

Cette fermeté des instances européennes sur le dossier de la « viande aux hormones » fait d'ailleurs plus que rencontrer un écho auprès des agriculteurs et des consommateurs de l'Union ; le communiqué commun publié le 29 avril par plusieurs organisations communautaires, le Copa et le Cogeca (représentant les producteurs et les coopératives agricoles), le Beuc (Bureau européen des unions de consommateurs) et Eurocoop (Communauté européenne des coopératives de consommateurs) en est un signe clair ; ces organisations y insistent sur la nécessité du maintien de l'embargo sur le b_uf aux hormones et ce, sur la base du principe de précaution et de la préservation des normes européennes, « surtout en matière vétérinaire et sanitaire ».

Comme pour la viande hormonée, une divergence d'appréciation importante sépare également Européens et Américains sur la question de l'introduction d'antibiotiques dans l'alimentation des animaux d'élevage, afin d'accélérer leur croissance : l'Union européenne envisage de l'interdire, alors que cette pratique est admise aux Etats-Unis. Là encore, les experts européens, soutenus par les producteurs et les consommateurs du Vieux continent insistent sur les dangers existants pour la santé humaine, jugeant en l'espèce que pourraient se constituer ainsi des phénomènes d'antibiorésistance chez des bactéries pathogènes pour l'homme.

S'agissant des organismes génétiquement modifiés (OGM), il est clair que l'engouement qu'ils ont pu susciter chez certains est aujourd'hui largement émoussé. Plus d'un Français sur deux en a désormais une perception négative et de nombreux distributeurs ont cessé de les commercialiser au nom du « principe de précaution ». Le temps n'est plus, où le développement des OGM était perçu avant tout comme un moyen salutaire d'accroître la productivité de l'agriculture et d'éviter le recours toujours problématique aux produits antiparasitaires.

Le Gouvernement français a, dans un premier temps, surtout favorisé la réflexion et la concertation sur ce sujet ; le temps fort en est sans doute la publication le 8 juillet 1998 d'un rapport de notre collègue, M. Jean-Yves Le Déaut au nom de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques. Par la suite, les réticences accrues des consommateurs, les incertitudes scientifiques lourdes sur les OGM exprimées dans un article de la revue « Nature » de mai dernier et, jusqu'à la position adoptée par le Conseil d'Etat prononçant le sursis à exécution d'un arrêté du ministre de l'agriculture du 5 février 1998, qui autorisait la mise en culture de trois variétés de maïs Novartis ont sensiblement infléchi la position des pouvoirs publics.

Au niveau européen lui-même, un coup d'arrêt important a sans doute été donné avec la décision retenue par les ministres de l'environnement des Quinze le 24 juin, moratoire de fait, qui suspend la commercialisation des OGM et prévoit l'instauration d'un étiquetage précis ainsi que la traçabilité des OGM tout au long de la chaîne de transformation du produit agricole, ce qui revient à mettre en place une filière séparée des produits OGM.

Ainsi, et le rapport de la mission d'information commune sur l'ESB le faisait déjà ressortir, les consommateurs sont devenus de plus en plus exigeants en matière de sécurité alimentaire, observant qu'« ils sont ce qu'ils mangent ». En témoigne d'ailleurs la demande croissante de produits alimentaires sous signes de qualité, domaine dans lequel la loi d'orientation agricole a permis des avancées décisives ; en témoigne également le développement rapide de la consommation des produits de l'agriculture biologique, qui oblige la France dont la production accuse un retard important par rapport à ses partenaires, à un recours significatif aux importations.

Il est intéressant de noter que les représentants d'associations de consommateurs européens mais aussi américains réunis du 22 au 24 avril 1999 à Bruxelles dans le cadre d'un « Dialogue transatlantique des consommateurs » ont adopté des conclusions demandant notamment à leurs gouvernements respectifs :

- l'intégration du principe de précaution dans toutes les décisions réglementaires concernant la santé humaine et la sécurité du consommateur ainsi que l'environnement ;

- l'établissement de procédures d'autorisation des OGM obligatoires et efficaces au regard de la sécurité et de la protection de l'environnement ;

- l'étiquetage obligatoire de tous les aliments et ingrédients génétiquement modifiés ;

- l'interdiction totale des utilisations non médicales d'antibiotiques et d'hormones de croissance dans la production d'aliments destinés à la consommation humaine ou animale ;

- l'interdiction de l'utilisation prophylactique des antibiotiques, sauf dans le cas d'épizooties.

Cette prise de position commune à des Européens et des Américains est sans doute un signe des temps.

Les autorités nationales et communautaires ont pris la mesure de cette nouvelle attitude, de ces exigences des consommateurs. On a rappelé précédemment la fermeté des autorités communautaires sur la question des viandes aux hormones et de l'incorporation d'antibiotiques dans l'élevage, comme les mesures rigoureuses retenues sur la question des OGM ; on a rappelé également l'attitude offensive, mais qui n'a pour l'instant pas abouti, du Gouvernement français, visant à obtenir l'abandon progressif des farines animales.

Il faut mentionner aussi les nombreuses dispositions prévues dans la loi d'orientation agricole en matière de sécurité sanitaire : définition de la notion de traçabilité des produits, mise en place d'une surveillance biologique du territoire, application de sanctions pour l'usage et la commercialisation de produits antiparasitaires autorisés dans d'autres Etats européens, mais non reconnus en France, renforcement du contrôle des fertilisants, création d'un registre d'élevage pour les animaux destinés à la consommation humaine, interdiction de l'administration aux animaux de produits contenant des stilbènes et de substances à action thyréostatique. Il faut mentionner aussi la création par la loi du 1er juillet 1998 relative au renforcement de la veille sanitaire de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA) ; cet organisme chargé de l'évaluation scientifique des risques alimentaires, qui regroupe les différents pôles d'expertise qui préexistaient à sa création dans le secteur de la sécurité alimentaire, a su donner au Gouvernement des avis très utiles dans la récente crise de la dioxine.

Notons enfin et, c'est heureux, que le respect des principes de « transparence » et de « précaution » semble de plus en plus invoqué à l'appui des décisions publiques, comme l'est celui de « bonnes pratiques professionnelles » par les intervenants du secteur privé.

*

* *

C'est dans ce contexte d'ensemble que s'inscrivent plusieurs propositions de résolution visant à créer une commission d'enquête sur les problèmes que l'on vient d'évoquer. Deux d'entre elles ont un objet circonscrit : les OGM et « l'affaire du poulet à la dioxine », les deux suivantes s'attachent à l'ensemble des problèmes de sécurité alimentaire.

· La proposition de résolution n° 1570 présentée par M. André Aschieri et plusieurs de ses collègues vise à créer une commission d'enquête sur la mise en culture d'organismes génétiquement modifiés, les infractions constatées et les dangers qu'elles font courir à la santé des populations. Elle met l'accent sur les doutes qui subsistent quant à l'innocuité des OGM sur le long terme et demande notamment qu'une commission d'enquête parlementaire établisse un état des lieux des cultures expérimentales et commerciales d'OGM, pour l'ensemble du territoire, une évaluation des moyens mis en _uvre pour faire appliquer la réglementation relative aux cultures expérimentales d'organismes génétiquement modifiés ainsi qu'un inventaire des risques sanitaires liés à cette mise en culture.

Sur le plan de l'opportunité, votre rapporteur vous suggère de ne pas retenir cette proposition de résolution, la proposition de résolution n° 1691 de M. Jean-Marc Ayrault et les membres du groupe socialiste et apparentés que l'on étudiera ultérieurement, ayant un objet plus large, mieux en phase avec la réalité des problèmes de sécurité sanitaire aujourd'hui posés. Il apparaît d'ailleurs que les termes dans lesquels se pose la question des OGM ont aujourd'hui sensiblement évolué et, qu'en toute hypothèse, la notion « d'infractions constatées » en matière de mise en culture des OGM est difficile à définir, le texte applicable (l'arrêté du ministre de l'agriculture du 5 février 1998) faisant l'objet d'un sursis à exécution prononcé par le Conseil d'Etat. Il faut remarquer enfin que l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques a été saisi de ces problèmes par le Bureau de l'Assemblée le 27 mai dernier et que la question de l'innocuité des OGM, si elle relève effectivement de l'examen parlementaire, est plutôt de la compétence de l'Office, du fait qu'il s'agit là d'une question fondamentalement scientifique.

· La proposition de résolution n° 1681 présentée par MM. Jean-François Mattei et Pierre Lellouche vise à la création d'une commission d'enquête sur les dysfonctionnements en matière de santé et de sécurité alimentaire révélés par « l'affaire du poulet à la dioxine ». Elle demande que cette commission d'enquête se penche sur les normes de fabrication et de composition des farines animales, les moyens de contrôle de leur conformité avant leur mise sur le marché, les défaillances des procédures d'alerte en matière de sécurité sanitaire, tant au niveau français qu'au niveau européen, les conditions enfin dans lesquelles les autorités françaises ont fait face au danger causé par la dioxine.

Là encore, votre rapporteur, tout en comprenant le bien fondé des interrogations posées, suggère de retenir plutôt la proposition de résolution de M. Jean-Marc Ayrault, plus en phase avec les questions que se posent les consommateurs européens, pour lesquels la sécurité alimentaire constitue un tout.

· La proposition de résolution n° 1738 de M. André Aschieri et plusieurs de ses collègues tend à créer une commission d'enquête sur les dangers sanitaires des modes de production agricole et des processus de fabrication de l'industrie agro-alimentaire.

Elle insiste plus particulièrement sur les dangers de l'agriculture productiviste et demande que, face à la multiplication des crises, des mesures réelles soient prises pour restaurer la confiance des consommateurs.

On peut noter que cette proposition de résolution a un objet très large, plus large que la proposition de résolution n° 1691 analysée ci-dessous, puisqu'elle traite même des « modes de production ».

· La proposition de résolution n° 1691 de M. Jean-Marc Ayrault et les membres du groupe socialiste et apparentés vise elle aussi à la création d'une commission d'enquête sur la sécurité de la filière alimentaire en France. C'est celle dont votre rapporteur vous suggère l'adoption, car elle a l'objet le plus significatif et paraît la plus susceptible de répondre aux préoccupations de nos concitoyens. Elle suggère, en effet, que la commission d'enquête qui sera créée se penche sur :

- l'utilisation dans l'élevage des farines, des graisses et des dérivés animaux ;

- la sécurité des méthodes de production et de transformation de la chaîne agro-alimentaire vis-à-vis des diverses formes de contamination, bactérienne, chimique ou physique ;

- l'incorporation d'OGM à des préparations proposées aux consommateurs ;

- les problèmes résultant de l'adoption de normes différentes en Europe et hors d'Europe, notamment en matière de recours aux activateurs de croissance dans l'élevage ;

- l'établissement enfin d'un bilan des garanties offertes par le système agro-alimentaire français au regard de ces risques.

Votre rapporteur observe que l'ensemble du spectre des inquiétudes précédemment évoquées est ainsi couvert et vous propose d'adopter la proposition de résolution n° 1691. Le travail accompli serait un moyen de « mettre à plat » l'ensemble des problèmes de sécurité susceptibles de se poser à la filière alimentaire. Il vous suggère toutefois de faire référence aussi aux problèmes que pose la disparité des règles applicables en Europe et hors d'Europe pour les normes de bien être animal, thème dont les décisions prises le 15 juin dernier par le Conseil des ministres de l'agriculture des Quinze sur la protection des poules pondeuses ont rappelé l'importance.

Votre rapporteur note enfin que Madame le garde des sceaux a informé le président de l'Assemblée nationale de l'absence d'information judiciaire ouverte sur les faits ayant motivé le dépôt de la proposition n° 1570 de M. André Aschieri et plusieurs de ses collègues ; cette indication, répondant aux dispositions de l'article 141 du Règlement, paraît s'appliquer, du fait de la proximité de leur objet, aux trois autres propositions de résolution soumises à notre examen.

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le 30 juin 1999, la commission de la production et des échanges a examiné les propositions de résolution :

- de M. André Aschieri et plusieurs de ses collègues tendant à créer une commission d'enquête sur la mise en culture d'organismes génétiquement modifiés, les infractions constatées en la matière et les dangers qu'elles font courir à la santé des populations (n° 1570) ;

- de MM. Jean-François Mattei et Pierre Lellouche visant à créer une commission d'enquête sur les dysfonctionnements en matière de santé et de sécurité alimentaire révélés par l'affaire du poulet à la dioxine (n° 1681) ;

- de M. Jean-Marc Ayrault et les membres du groupe socialiste et apparentés tendant à la création d'une commission d'enquête sur la sécurité de la filière alimentaire en France (n° 1691) ;

- et de M. André Aschieri et plusieurs de ses collègues tendant à créer une commission d'enquête sur les dangers sanitaires des modes de production agricole et des processus de fabrication de l'industrie agro-alimentaire (n° 1738).

M. Daniel Chevallier, rapporteur, a rappelé que les problèmes de sécurité alimentaire revêtaient une importance de plus en plus grande. Des mesures ont certes été prises par les pouvoirs publics pour répondre aux inquiétudes des consommateurs et, tout particulièrement, la création par la loi du 1er juillet 1998 de l'agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA). Pourtant, nos concitoyens ont été marqués dans la période récente par l'accumulation d'événements préoccupants : affaire du poulet à la dioxine, contamination des fromages par la listéria, incertitude concernant le recours aux organismes génétiquement modifiés (OGM) et aux antibiotiques dans l'élevage.

Le rapporteur a estimé que le système français de surveillance sanitaire fonctionnait avec efficacité ; il a rappelé les mesures prises rapidement par le Gouvernement lors de la crise de la dioxine, ainsi que les tentatives de la France, pour obtenir de ses partenaires européens l'abandon progressif des farines animales dans l'alimentation du bétail. Il a rappelé également les réticences éprouvées par les consommateurs européens vis-à-vis de « la viande aux hormones », ainsi que le moratoire de fait décidé le 24 juin par le Conseil des ministres de l'environnement des Quinze sur la question des organismes génétiquement modifiés (OGM).

M. Daniel Chevallier a présenté ensuite les quatre propositions de résolution soumises à l'examen de la commission estimant qu'elles étaient toutes dignes d'intérêt. Il a jugé que la proposition de résolution n° 1570 de M. André Aschieri et plusieurs de ses collègues avait un objet limité, du fait qu'elle était axée exclusivement sur la question des OGM, problème qui paraît avoir beaucoup évolué suite aux récentes décisions communautaires. La proposition de résolution n° 1681 de MM. Jean-François Mattei et Pierre Lellouche, consacrée au problème de la dioxine, lui a semblé, quant à elle, exprimer une réaction à une situation particulière et à un contaminant précis. A l'inverse, a estimé le rapporteur, la proposition de résolution n° 1691 de M. Jean-Marc Ayrault et les membres du groupe socialiste et apparentés s'attache à l'ensemble des problèmes de sécurité de la filière alimentaire. Son libellé paraît en toute hypothèse préférable à celui de la proposition de résolution n° 1738 de M. André Aschieri et plusieurs de ses collègues, qui a elle aussi un objet large, mais s'attache trop exclusivement aux modes de production agricole et agro-alimentaire.

M. Daniel Chevallier a demandé à la commission d'adopter la proposition de résolution n° 1691, la plus en phase avec les souhaits de l'opinion, suggérant d'y ajouter également une référence aux différences existant en Europe et hors d'Europe en matière de « normes de bien-être animal ».

Après avoir rappelé l'antériorité de la proposition de résolution de MM. Jean-François Mattei et Pierre Lellouche, M. Jean Proriol a regretté que le qualificatif « sanitaire » n'apparaisse ni dans le texte de la proposition de résolution ni dans son titre ; la notion de « sécurité sanitaire » aurait dû selon lui être utilisée.

Il a par ailleurs indiqué, qu'en raison du caractère plutôt consensuel du sujet, l'opposition demanderait soit la présidence, soit la fonction de rapporteur de la future commission d'enquête.

M. Daniel Chevallier, rapporteur, a estimé que la référence à la « sécurité sanitaire » était implicite dans l'ensemble de la proposition de résolution, chacun comprenant que c'est bien de « sécurité sanitaire » qu'il est question.

Pour M. Léonce Deprez, il est indispensable de respecter les citoyens. Ceux-ci, maintenus trop souvent dans l'ignorance de ce type de problèmes, ont été choqués par les récentes révélations. Il importe donc de rendre transparents les circuits suivis par les produits alimentaires depuis leur production jusqu'à leur distribution.

M. Joseph Parrenin a alors souligné que les termes de « sécurité sanitaire » étaient trop restrictifs, citant pour exemple la réaction des consommateurs face aux problèmes posés par les farines animales ; il a estimé que c'est la découverte des modalités de l'alimentation animale autant qu'une question de sécurité sanitaire, qui avaient suscité l'inquiétude de l'opinion publique.

Le rapporteur a alors estimé que la proposition de résolution dont il proposait l'adoption visait à prendre en compte tous les aspects de la sécurité de la filière alimentaire, et que la référence à la seule « sécurité sanitaire » en limiterait le champ d'action.

M. Léonce Deprez a également insisté sur le grand malaise qui régnait au sein de la population sur le thème de l'alimentation et sur la nécessaire information des citoyens. C'est pourquoi, il a considéré que le terme de « transparence » était le plus approprié pour répondre aux attentes des citoyens. Il a été rejoint sur ce point par M. Eric Doligé, qui a souligné qu'ainsi, pourrait être améliorée l'information des consommateurs sur l'ensemble de la filière alimentaire, de la production à la distribution.

Le rapporteur a estimé que cette référence à la « transparence » risquait d'anticiper sur les travaux de la commission d'enquête dont les conclusions donneront satisfaction précisément à ce souci de l'opinion.

M. Léonce Deprez a réaffirmé une nouvelle fois la nécessité d'instaurer une véritable transparence pour toutes les étapes de la production alimentaire et proposé que le titre de la proposition de résolution fasse référence à cette notion ; M. Eric Doligé a estimé que ce terme était adapté aux exigences des consommateurs.

M. Joseph Parrenin a jugé qu'ainsi, les attentes de l'opinion publique seraient, pour partie, satisfaites et M. Paul Patriarche a fait remarquer que la transparence de la filière alimentaire était un moyen de renforcer sa sécurité.

M. André Lajoinie, président, s'est également prononcé en faveur de l'adoption de ce terme et il a souligné l'intérêt que l'opinion porte à la notion de « traçabilité » des produits.

Le rapporteur s'est rallié à cette proposition et a accepté de faire référence à la notion de « transparence » dans le titre même de la proposition de résolution, qui serait ainsi rédigé : « Proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur la transparence et la sécurité de la filière alimentaire en France. ».

Pour conclure, le rapporteur a proposé à nouveau à la commission d'adopter la proposition de résolution n° 1691 présentée par M. Jean-Marc Ayrault et les membres du groupe socialiste et apparentés, correspondant le plus aux attentes de l'opinion et de prendre en compte également dans cette proposition de résolution les problèmes résultant de l'existence de normes différentes en Europe et hors d'Europe en matière de « bien-être animal ».

La commission a adopté la proposition de résolution n° 1691 ainsi modifiée et intitulée.

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En conséquence, la commission de la production et des échanges vous demande d'adopter la proposition de résolution dont le texte suit :

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à la création d'une commission d'enquête sur la transparence et la sécurité de la filière alimentaire en France

Article unique

Il est créé, en application de l'article 140 du Règlement, une commission parlementaire de trente membres chargée d'enquêter sur les méthodes de production des denrées destinées à l'alimentation humaine comme animale, ainsi que le contrôle auquel elles sont soumises.

Cette commission s'intéressera notamment :

- à l'utilisation dans l'élevage des farines, graisses, et plus généralement des dérivés animaux ainsi qu'à leur obtention ;

- à la sécurité liée aux méthodes de production et de transformation de la chaîne agro-alimentaire, vis-à-vis des diverses formes de contamination, bactérienne, chimique ou physique ;

- aux questions que pose l'incorporation d'aliments issus du génie génétique à des préparations proposées au consommateur ;

- aux problèmes résultant de l'adoption de normes différentes en Europe et hors d'Europe, par exemple en matière de recours aux activateurs de croissance dans l'élevage ou de « normes de bien-être animal ».

Un bilan sera dressé des garanties que présente le système agro-alimentaire français - notamment tel que récemment dessiné par la loi d'orientation agricole - au regard de ces risques.

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