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le 6 décembre 1999

N° 1990

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 1er décembre 1999

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES FINANCES, DE L'ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU PLAN(1) SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION (n° 1456 rectifié) de M. Philippe de Villiers tendant à la création d'une commission d'enquête sur la gestion , les activités et le fonctionnement de l'entreprise Elf-Aquitaine.

PAR MYves TAVERNIER

Député

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(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

Finances publiques.

La commission des finances, de l'économie générale et du plan est composée de : M. Augustin Bonrepaux, président ; M. Didier Migaud, rapporteur général ; MM. Michel Bouvard, Jean-Pierre Brard, Yves Tavernier, vice-présidents, MM. Pierre Bourguignon, Jean-Jacques Jégou, Michel Suchod, secrétaires ; MM. Maurice Adevah-Poeuf, Philippe Auberger, François d'Aubert, Dominique Baert, Jean-Pierre Balligand, Gérard Bapt, François Baroin, Alain Barrau, Jacques Barrot, Christian Bergelin, Eric Besson, Alain Bocquet, Jean-Michel Boucheron, Mme Nicole Bricq, MM. Christian Cabal, Jérôme Cahuzac, Thierry Carcenac, Gilles Carrez, Henry Chabert, Didier Chouat, Alain Claeys, Christian Cuvilliez, Arthur Dehaine, Jean-Pierre Delalande, Francis Delattre, Yves Deniaud, Michel Destot, Patrick Devedjian, Laurent Dominati, Raymond Douyère, Tony Dreyfus, Jean-Louis Dumont, Daniel Feurtet, Pierre Forgues, Gérard Fuchs, Gilbert Gantier, Jean de Gaulle, Hervé Gaymard, Jacques Guyard, Pierre Hériaud, Edmond Hervé, Jacques Heuclin, Jean-Louis Idiart, Mme Anne-Marie Idrac, MM. Michel Inchauspé, Jean-Pierre Kucheida, Marc Laffineur, Jean-Marie Le Guen, Maurice Ligot, François Loos, Alain Madelin, Noël Mamère, Mme Béatrice Marre, MM. Pierre Méhaignerie, Louis Mexandeau, Gilbert Mitterrand, Dominique Paillé, Jean Rigal, Alain Rodet, Nicolas Sarkozy, Gérard Saumade, Philippe Séguin, Georges Tron, Philippe Vasseur, Jean Vila.

Mesdames, Messieurs,

La proposition de résolution (n° 1456 rectifié) présentée par M. Philippe de Villiers a pour objet la création d'une commission d'enquête sur la gestion, les activités et le fonctionnement de l'entreprise Elf-Aquitaine.

L'entreprise Elf-Aquitaine pourrait mériter que l'on s'intéresse à elle à plusieurs titres.

Tout d'abord, son histoire se confond très largement avec celle de la recherche de l'autonomie énergétique de la France. De plus, l'entreprise, compte tenu de son importance pour l'économie française, a parfois constitué un élément à part entière de politique étrangère. C'est pourquoi les pouvoirs publics sont constamment intervenus pour orienter ses choix. En 1939, la découverte de pétrole en Haute-Garonne les conduit à créer la Régie autonome des pétroles (RAP). En 1941, lui succède la Société nationale des pétroles d'Aquitaine. En 1945, le Bureau de recherches de pétrole (BRP) est créé parallèlement. En 1951, la découverte de gaz à Lacq, et, plus tard, celle de pétrole dans le Sahara, lancent le développement de l'entreprise. En 1966, après la création de nombreuses raffineries et stations, le BRP et la RAP fusionnent au sein de l'Entreprise de recherches et d'activités pétrolières (ERAP). En 1976, le groupe est rebaptisé « société nationale d'Elf Aquitaine » (SNEA). En 1983, la création d'Atochem, filiale chimie d'Elf, confirme l'expansion et la diversification des métiers du groupe. Le 4 février 1994, le groupe pétro-chimique est privatisé (1). Depuis cette date et jusqu'à la décision de fusion avec TotalFina, ex-Compagnie française des pétroles, en septembre 1999, la valeur boursière d'Elf est passée de 137,75 milliards de francs (21 milliards d'euros) à 393,57 milliards de francs (60 milliards d'euros).

En deuxième lieu, par sa taille économique, la diversité de ses activités et le nombre de ses salariés, le groupe Elf-Aquitaine constitue un des pôles majeurs de l'activité économique française.

La vocation première du groupe consiste à rechercher et exploiter des gisements de pétrole et de gaz. Cette activité « amont » fait travailler 9.830 personnes sur un effectif total de 85.000 personnes. Elle fait d'Elf-Aquitaine le huitième producteur mondial de pétrole et de gaz. 90 % de la production est originaire de Mer du Nord et du golfe de Guinée. Elf est le quatrième producteur de gaz naturel en Europe.

De plus, le groupe transforme, distribue et vend les produits pétroliers. En aval de l'activité d'exploration-production, interviennent le raffinage, c'est-à-dire la transformation des produits bruts en produits directement utilisables comme les carburants, et la distribution de produits pétroliers (gazole, essence, fioul, lubrifiants, GPL, etc.), ainsi que le commerce international de pétrole brut et de produits finis. Ces activités « aval » représentent un effectif de 13.700 collaborateurs, 6.790 stations services en Europe et en Afrique de l'Ouest, et 5 raffineries à participation majoritaire en Europe.

Le secteur chimie de l'entreprise s'est considérablement développé ces dernières décennies. Par ce biais, Elf est ainsi présent sur de nombreux marchés : habitat, agriculture, emballage, industries mécaniques, etc. La chimie est structurée autour de trois pôles :

· la chimie de base. Essentiellement européenne et reliée aux raffineries d'Elf, elle s'articule autour de trois métiers : la pétrochimie et les grands plastiques, la chlorochimie et les vinyliques, et les engrais ;

· la chimie fine et industrielle : thiochimie, fluorochimie, peroxyde d'hydrogène, acryliques ;

· les produits de performance. Elf Atochem occupe les premiers rangs mondiaux dans ses spécialités : les polymères et les produits chimiques de performance.

Elf est un acteur majeur du secteur de la santé, par sa participation de 35,1 % dans le capital du groupe pharmaceutique Sanofi-Synthélabo. Avec un chiffre d'affaires de 35 milliards de francs en 1998, cette entreprise est le deuxième groupe pharmaceutique en France, le sixième en Europe et le dix-huitième mondial.

Les principaux résultats du groupe témoignent de l'importance de ses activités.

ÉVOLUTION DES PRINCIPAUX RATIOS FINANCIERS
(1996-1998)

(en pourcentage)

1996

1997

1998

Ratio d'endettement

37

32

34

Rentabilité des capitaux propres

9,5

12,4

9,7

Rentabilité des capitaux employés

7,9

9,8

8,4

Source : Rapport d'activité 1998.

PRINCIPAUX ÉLÉMENTS FINANCIERS
(1996-1998)

Euros

Francs

1996

1997

1998

1996

1997

1998

- en milliards

Chiffre d'affaires

35,5

38,8

32,3

232,7

254,3

211,6

Résultat opérationnel courant

3,4

3,9

2,5

22,3

25,4

16,6

Résultat opérationnel

3,3

3,1

1,7

21,7

20,0

11,5

Résultat opérationnel net courant

1,7

1,9

1,7

10,8

12,5

11,1

Résultat opérationnel net

1,6

1,1

1,0

10,3

7,1

6,6

Résultat net courant (part du Groupe)

1,1

1,6

1,2

7,5

10,2

8,0

Résultat net (part du Groupe)

1,1

0,9

0,5

7,0

5,6

3,5

Marge brute d'autofinancement

4,7

5,1

4,6

31,1

33,2

30,2

Capital social

2,1

2,1

2,1

13,7

13,8

13,8

Capitaux propres

12,2

12,8

12,2

80,1

84,0

80,3

Capitaux employés

20,9

20,8

20,2

137,0

136,7

132,7

Actif total

37,6

38,6

36,8

246,9

253,0

241,2

Immobilisations

24,9

25,4

24,8

163,5

166,8

162,4

Investissements (y compris exploration)

4,3

3,9

4,4

28,3

25,7

28,6

Dette nette

5,7

5,1

5,1

37,3

33,5

33,4

Dépenses de recherche et développement

0,9

1,0

1,0

5,9

6,3

6,6

- par action

Résultat net par action

4,0

3,3

2,1

26,0

21,8

13,9

Dividende net par action

2,1

2,3

2,3

14,0

15,0

15,0

Marge brute d'autofinancement par action

17,7

19,7

18,1

115,8

129,3

118,8

Source : Rapport d'activité 1998.

Avec 211,6 milliards de francs de chiffre d'affaires en 1998, Elf-Aquitaine se place au troisième rang des entreprises françaises, derrière Renault et PSA-Peugeot-Citroën. L'importance de son chiffre d'affaires se confirme sur les premiers mois de 1999.

CHIFFRE D'AFFAIRES CONSOLIDÉ DU GROUPE ELF-AQUITAINE

au 30 septembre 1999

(en millions d'euros)

Troisième trimestre

Neuf premiers mois

1999

1998

Variation

(en %)

1999

1998

Variation

(en %)

Amont

1.684

1.039

62,0

4.277

4.105

4,2

Aval

6.592

4.448

48,2

16.392

13.962

17,4

Chimie

2.159

2.288

- 5,7

6.380

6.793

- 6,1

Sous-total

10.435

7.775

34,2

27.049

24.860

8,8

Santé

-

931

(n.c.)

1.407

2.896

(n.c.)

Inter-activités

- 1.263

- 706

78,9

- 2.907

- 2.553

13,9

Total

9.172

8.000

14,6

25.549

25.203

1,4

Source : communiqué de l'entreprise.

Enfin, l'actualité a mis l'entreprise sur le devant de la scène, dans le cadre de la bataille boursière menée contre TotalFina. Le 13 septembre 1999, le conseil d'administration d'Elf-Aquitaine recommandait à l'assemblée générale des actionnaires d'accepter l'offre publique d'échange proposée par l'entreprise franco-belge. Le 26 octobre 1999, le Conseil des marchés financiers autorisait la fusion entre les deux groupes, marquant le début du processus d'intégration d'Elf dans TotalFina. Depuis le 28 octobre 1999, Elf est détenu à près de 95 % par TotalFina. Le rapprochement sera définitif si la Commission européenne donne son approbation. La décision doit intervenir en février 2000.

Pour justifier la création d'une commission d'enquête, l'auteur de la proposition de résolution met en avant l'importance des irrégularités révélées par la justice. Ces irrégularités fondent la demande d'enquête sur « la gestion, les activités et le fonctionnement de l'entreprise Elf-Aquitaine », et en particulier sur « la gestion financière et humaine de l'entreprise ».

Or, la mention même de poursuites dans l'exposé des motifs pose un problème en termes de recevabilité juridique de la proposition, comme nous le verrons ci-après.

*

* *

S'agissant de la recevabilité des propositions de résolution portant création d'une commission d'enquête, les dispositions combinées de l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires et des articles 140 et suivants du règlement de l'Assemblée nationale posent deux conditions qui doivent être cumulées :

· la commission d'enquête doit porter sur la gestion de services publics ou d'entreprises nationales ou bien les faits faisant l'objet d'une proposition de résolution doivent être déterminés avec précision ;

· les faits ayant donné lieu à des poursuites judiciaires ne peuvent faire l'objet d'une commission d'enquête.

Même s'il n'est pas acquis que les entreprises nationales puissent être assimilées aux seules entreprises publiques, l'acceptation de la première condition est très improbable. Elf-Aquitaine n'est plus dans le champ du secteur public depuis 1994. Toute commission d'enquête ne pourrait ainsi porter que sur la période antérieure. En tout état de cause, cette restriction limiterait considérablement son champ et son intérêt, compte tenu des événements intervenus depuis.

La proposition de résolution est irrecevable au regard du critère de précision des faits évoqués. En effet, l'article unique de la proposition de résolution se borne à évoquer « la gestion, les activités et le fonctionnement » de l'entreprise Elf-Aquitaine.

S'agissant de la seconde condition, par une lettre datée du 9 avril 1999, la Garde des Sceaux, ministre de la Justice, interrogée en vertu de l'article 141, alinéa 1, de notre règlement, a communiqué au président de l'Assemblée nationale les faits suivants :

« J'ai l'honneur de vous informer qu'une information judiciaire des chefs d'abus de biens sociaux, recel et complicité, présentation de comptes inexacts, publication d'informations fausses, abus de confiance et recel, faux et usage de faux, est actuellement en cours à Paris sur la gestion d'Elf-Aquitaine et de certaines de ses filiales. »

Il convient de rappeler que la création d'une commission d'enquête n'est possible que si les faits donnant lieu à des poursuites sont écartés de son champ d'investigation. Or, l'importance du champ des poursuites ouvertes à ce jour à l'encontre d'Elf-Aquitaine, y compris ses filiales, interdit d'admettre en recevabilité la présente proposition de résolution. L'inclusion de poursuites sur la base de la présentation de comptes inexacts vide de tout intérêt la proposition d'enquêter sur la gestion financière de l'entreprise.

C'est à tort que l'auteur de la présente proposition de résolution invoque l'exemple du Crédit lyonnais pour fonder la création d'une commission d'enquête « au-delà de l'instruction judiciaire ». En effet, aucune poursuite judiciaire n'entravait alors la création d'une commission d'enquête sur cette banque. À ce propos, le Garde des Sceaux avait souligné que « les faits ayant motivé le dépôt (des propositions de résolution tendant à créer une commission d'enquête sur le Crédit lyonnais) ne font pas l'objet de poursuites judiciaires » (2).

Pour l'ensemble de ces motifs et sans qu'il soit besoin d'en examiner l'opportunité, votre Rapporteur vous demande de ne pas adopter cette proposition de résolution.

EXAMEN EN COMMISSION

La commission des Finances, de l'Économie générale et du Plan a examiné la présente proposition de résolution au cours de sa séance du 1er décembre 1999.

Après l'exposé de votre Rapporteur, qui a notamment rappelé qu'une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête relative au bilan de l'action de l'entreprise Elf-Aquitaine et de ses filiales dans les États africains et à ses conséquences sur les rapports de la France avec ces États, avait été, sur le rapport de M. Pierre Brana, déclarée irrecevable par la commission des Affaires étrangères en janvier 1998, le président Augustin Bonrepaux a souligné que, compte tenu de l'étendue des poursuites judiciaires en cours sur le sujet, le respect de la séparation des pouvoirs justifiait à lui seul l'irrecevabilité de la proposition de résolution.

M. Alain Rodet a indiqué que la création de la commission d'enquête sur les « avions renifleurs », en 1985, avait été motivée par des faits qui, précisément, avaient échappé aux investigations judiciaires. La commission avait alors décidé de ne pas publier ses auditions et de travailler sous le sceau du secret, qui a, d'ailleurs, été préservé jusqu'à aujourd'hui.

Puis sur la proposition de votre Rapporteur, la Commission a rejeté la proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête portant sur la gestion, les activités et le fonctionnement de l'entreprise Elf-Aquitaine.

1 () La privatisation du groupe Elf-Aquitaine, autorisée par la loi n° 93-923 du 19 juillet 1993, a été organisée par le décret n° 93-1258 du 26  novembre 1993 et les arrêtés du 25 avril 1994 et du 6 mai 1994. Elle a rapporté 33,4 milliards de francs à l'État.

2 () Voir Rapport fait, au nom de la commission des Finances, de l'Économie générale et du Plan, sur les propositions de résolution n° 1060 de M. Bernard Pons et plusieurs de ses collègues tendant à la création d'une commission d'enquête sur le Crédit lyonnais et n° 1065 de M. François d'Aubert et plusieurs de ses collègues tendant à la création d'une commission d'enquête sur la situation et les erreurs de gestion du Crédit lyonnais et sur le contrôle de la banque par les autorités de tutelle et de surveillance, par M.  Gilles Carrez, Assemblée nationale, dixième législature, document n° 1146, 20 avril 1994, page 4.