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le 22 décembre 1999

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N° 2030

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 15 décembre 1999

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES FINANCES, DE L'ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU PLAN(1) SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION (n° 1935) de M. FRANÇOIS D'AUBERT et plusieurs de ses collègues tendant à la création d'une commission d'enquête sur les redressements fiscaux abusifs.

PAR M. DIDIER MIGAUD,

Rapporteur général,

Député.

--

(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

Impôts et taxes.

La commission des finances, de l'économie générale et du plan est composée de :

M. Augustin Bonrepaux, président ; M. Didier Migaud, rapporteur général ; MM. Michel Bouvard, Jean-Pierre Brard, Yves Tavernier, vice-présidents, MM. Pierre Bourguignon, Jean-Jacques Jégou, Michel Suchod, secrétaires ; MM.  Maurice Adevah-Poeuf, Philippe Auberger, François d'Aubert, Dominique Baert, Jean-Pierre Balligand, Gérard Bapt, François Baroin, Alain Barrau, Jacques Barrot, Christian Bergelin, Eric Besson, Alain Bocquet, Jean-Michel Boucheron, Mme Nicole Bricq, MM. Christian Cabal, Jérôme Cahuzac, Thierry Carcenac, Gilles Carrez, Henry Chabert, Didier Chouat, Alain Claeys, Yves Cochet, Charles de Courson, Christian Cuvilliez, Arthur Dehaine, Jean-Pierre Delalande, Francis Delattre, Yves Deniaud, Michel Destot, Patrick Devedjian, Laurent Dominati, Raymond Douyère, Tony Dreyfus, Jean-Louis Dumont, Daniel Feurtet, Pierre Forgues, Gérard Fuchs, Gilbert Gantier, Jean de Gaulle, Hervé Gaymard, Jacques Guyard, Pierre Hériaud, Edmond Hervé, Jacques Heuclin, Jean-Louis Idiart, Mme Anne-Marie Idrac, MM. Michel Inchauspé, Jean-Pierre Kucheida, Marc Laffineur, Jean-Marie Le Guen, Maurice Ligot, François Loos, Alain Madelin, Mme Béatrice Marre, MM. Pierre Méhaignerie, Louis Mexandeau, Gilbert Mitterrand, Jean Rigal, Alain Rodet, Nicolas Sarkozy, Gérard Saumade, Philippe Séguin, Georges Tron, Philippe Vasseur, Jean Vila.

MESDAMES, MESSIEURS,

La proposition de résolution (n° 1935), présentée par MM. François d'Aubert et plusieurs de ses collègues, a pour objet la création d'une commission d'enquête sur les redressements fiscaux abusifs.

S'agissant de la recevabilité des propositions de résolution portant création d'une commission d'enquête, les dispositions combinées de l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires et des articles 140 et suivants du Règlement de l'Assemblée nationale posent deux conditions qui doivent être cumulées :

· la proposition de résolution doit déterminer avec précision, soit les faits donnant lieu à enquête, soit les services publics ou les entreprises nationales dont la commission d'enquête se propose d'examiner la gestion ;

· les faits ayant donné lieu à des poursuites judiciaires ne peuvent faire l'objet d'une commission d'enquête.

Sur le premier point, on peut considérer que la proposition de résolution porte sur la gestion du service public fiscal, au sens où la résolution propose l'analyse du fonctionnement de ce service public. On peut s'interroger sur la question de la détermination précise, par cette proposition, des faits devant donner lieu à enquête. En effet, l'objet de la commission d'enquête serait « les redressements fiscaux abusifs ». Il n'y a pas lieu de rappeler ici quelles sont les procédures de redressement prévues par les articles L. 54 B à L. 64 B du livre des procédures fiscales. Cependant, l'article unique qui propose une enquête sur « les contrôles fiscaux, leurs résultats et leurs conséquences », donnerait à une éventuelle commission d'enquête un champ plus large que celui des simples redressements, puisque les investigations porteraient non seulement sur les redressements, mais également sur l'ensemble des procédures de contrôle fiscal comme les vérifications de comptabilité ou le droit de communication, qui sont préalables à la notification du redressement.

Il y a donc une incertitude sur le champ exact d'investigation que souhaitent les auteurs de la proposition de résolution. Ces interrogations ne sont pas dissipées par l'analyse du programme des travaux que la résolution envisage pour la commission dont la création est proposée : s'enquérir, par exemple, des instructions ou « formations » qui sont données aux agents de la direction générale des impôts ne nécessite pas la constitution d'une commission d'enquête puisque les instructions fiscales sont publiées et opposables, d'ailleurs, à l'administration, par les contribuables.

S'agissant de la seconde condition, par une lettre datée du 13 décembre 1999, la Garde des Sceaux, ministre de la justice, a communiqué au Président de l'Assemblée nationale l'information, qu'à sa connaissance, les faits ayant motivé le dépôt de la proposition de résolution ne font pas l'objet de poursuites judiciaires.

Sur le fond, plusieurs considérations militent pour le rejet de la proposition de résolution qui vous est soumise.

En premier lieu, on peut observer que la légitimité constitutionnelle de l'impôt trouve son origine dans l'article XIII de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen de 1789, qui prévoit que « pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable. Elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés. »

Le Conseil constitutionnel en a déduit, dans sa décision n° 83-164 DC du 29 décembre 1983 portant sur la loi de finances pour 1984, « qu'il suit nécessairement de ces dispositions ayant force constitutionnelle que l'exercice des libertés et droits individuels ne saurait en rien excuser la fraude fiscale ni en entraver la légitime répression. »

Il convient donc, d'une manière générale, de ne pas oublier que l'exercice des libertés individuelles doit se concilier avec le principe de la nécessité de la lutte contre la fraude fiscale. Ce dernier principe, qui a aussi valeur constitutionnelle, permet d'apporter certaines limites à d'autres principes constitutionnels.

Les auteurs de la proposition de résolution invoquent les erreurs involontaires que commettraient les contribuables sans avoir l'intention de frauder. Or, en matière de droit fiscal, comme dans d'autres domaines, « nul n'est censé ignorer la loi », même si le droit fiscal est certainement complexe.

A cette complexité, s'ajoute celle qui provient de la nature des relations avec les contribuables. L'usager du service public fiscal, à la différence des usagers d'autres administrations, poursuit le plus souvent un objectif symétriquement inverse de celui de l'administration. Et le juge fiscal n'est pas le moins bien informé de l'imagination et de l'habileté que les contribuables déploient face aux investigations des administrations fiscales.

Or le sujet de la proposition de résolution, celui des « redressements fiscaux abusifs », n'est peut-être pas le mieux choisi, s'il s'agit de mettre en évidence d'éventuels comportements fautifs de l'administration et son irresponsabilité supposée.

En effet, la procédure du redressement contradictoire est l'une des plus protectrice qui soit pour l'usager-contribuable. On rappellera, et sans entrer dans les détails, que :

- la notification de redressement doit être motivée préalablement, afin que l'intéressé puisse présenter ses observations dans un délai de trente jours ;

- en cas de désaccord, le contribuable ou l'administration peuvent saisir, pour avis, la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires ou la commission départementale de conciliation;

- l'administration supporte la charge de la preuve ;

- en cas de désaccord persistant, les voies du recours contentieux et du recours de pleine juridiction sont naturellement ouvertes au contribuable.

Les auteurs de la proposition de résolution considèrent que l'article L. 207 du livre des procédures fiscales procure à l'administration fiscale une « totale impunité ».

On rappellera, à cet égard, que l'article L. 207 du livre des procédures fiscales prévoit que « lorsqu'une réclamation contentieuse est admise en totalité ou en partie, le contribuable ne peut prétendre à des dommages-intérêts ou à des indemnités quelconques, à l'exception des intérêts moratoires prévus par l'article L. 208. »

Cet article L. 207, dont les auteurs de la proposition de résolution proposent le remplacement par un régime de responsabilité sans faute de l'administration, ne porte en fait que sur les décisions de décharge d'impôt précontentieuses, avant un éventuel recours juridictionnel.

Les instructions fiscales, dont les auteurs de la proposition demandent la transmission, et qui sont déjà publiques, résument la portée de l'article L. 207 en ces termes  (1:

« Les services fiscaux peuvent, tant dans le cadre de leurs attributions fiscales (assiette, contrôle, recouvrement) que dans celui de leurs attributions extra-fiscales (renseignements, dégâts matériels), léser les contribuables eux-mêmes ou des tiers intéressés.

S'agissant de la mission purement fiscale des services fiscaux, l'article L. 207 du livre des procédures fiscales prévoit que le contribuable dont la réclamation contentieuse est admise en totalité ou en partie ne peut prétendre à l'allocation de dommages et intérêts ou à des indemnités quelconques à l'exception des intérêts moratoires prévus par l'article L. 208 du même livre.

Par ailleurs, l'article R. 207-1 énumère les frais qui, dans cette hypothèse, sont susceptibles d'être remboursés. Il s'agit des frais de signification, des frais d'enregistrement du mandat et des frais d'expertise.

Cependant, l'Etat n'est pas pour autant relevé de toute responsabilité en matière fiscale par l'article L. 207 du livre des procédures fiscales. Cet article a seulement pour objet de préciser que le contribuable qui a obtenu un dégrèvement ne peut bénéficier de plein droit d'un dédommagement autre que les intérêts moratoires.

Le contribuable qui désire être dédommagé du préjudice qu'il prétend avoir subi du fait des services fiscaux doit engager une procédure sur le plan du droit commun de la responsabilité de la puissance publique. »

La responsabilité des services fiscaux et la nécessité d'éviter tout abus de l'administration font l'objet d'une attention constante du Gouvernement et des juridictions compétentes, ce qui justifie la décision d'écarter la proposition de constitution d'une commission d'enquête qui vous est soumise. On observera, en outre, que le Gouvernement propose, avec les articles 18 et 19 du projet de loi de finances rectificative pour 1999, de renforcer les droits des contribuables, face à l'administration fiscale.

L'article 18 propose d'améliorer l'information des contribuables sur les conséquences financières des rehaussements en renouvelant cette information avant la mise en recouvrement, lorsqu'à un stade ultérieur de la procédure de redressement contradictoire, le montant des rappels a été modifié.

L'article 19 prévoit la motivation préalable de l'ensemble des sanctions fiscales, en donnant la possibilité au contribuable, pour toutes les sanctions, même les pénalités automatiques de recouvrement, de présenter ses observations.

S'agissant de l'attention que portent les juridictions compétentes à la répression des abus supposés de l'administration fiscale, on observera que le rôle même du juge est de statuer en droit, sur chaque cas d'espèce, pour apprécier la légalité des interventions de l'administration et d'évaluer, le cas échéant, le préjudice subi par le contribuable.

Sur ce dernier point, il convient de saluer l'avancée jurisprudentielle récente du Conseil d'Etat, sur la question de la responsabilité des services fiscaux. Par un arrêt du 16 juin 1999 (2), le Conseil d'Etat a condamné l'administration française à verser une somme de 4 millions de francs à un chef d'entreprise en réparation du préjudice par lui subi du fait des agissements des services fiscaux à l'encontre de ses deux sociétés. L'importance du montant de cette condamnation, consentie à une personne physique en sus de l'indemnité de 53,5 millions de francs préalablement octroyée par la cour administrative d'appel de Paris aux sociétés elles-mêmes, consacre un revirement de jurisprudence favorable aux contribuables puisque, pour la première fois, la juridiction administrative a admis que les fautes commises par l'administration, dans le cadre du contrôle fiscal d'une société, présentent un lien de causalité direct avec le préjudice subi par le principal actionnaire et dirigeant de cette société.

On ne peut donc pas considérer que la description d'une administration fiscale « toute puissante », jouissant d'une « totale impunité », avide de « statistique » et profitant « d'une interprétation élargie des textes par les inspecteurs pour améliorer leur score », selon les termes de l'exposé des motifs de la proposition qui vous est soumise, corresponde à la réalité.

Pour l'ensemble de ces motifs, votre Rapporteur général vous demande de ne pas adopter cette proposition de résolution.

EXAMEN EN COMMISSION

La Commission des finances, de l'économie générale et du Plan a examiné la présente proposition de résolution au cours de sa séance du 15 décembre 1999.

Après l'exposé de votre Rapporteur général, qui a invité la Commission à ne pas adopter cette proposition de résolution, M. Gilbert Gantier a indiqué que celle-ci n'avait pas pour objet de mettre l'administration fiscale en accusation, mais d'éclairer d'éventuelles dérives. Si certains revirements de jurisprudence sont heureux, en général l'administration fiscale reste toute puissante. Dans certains cas, ses agissements conduisent même au suicide de contribuables. L'impunité de cette dernière n'est pas totale, mais elle est encore trop répandue. Il existe une inégalité flagrante entre le contribuable et l'administration, patente notamment en ce qui concerne les intérêts de retard.

Le Président Augustin Bonrepaux a estimé que cette proposition de résolution n'était pas très pertinente car une éventuelle commission d'enquête pourrait interférer avec un certain nombre de travaux parlementaires en cours, notamment ceux de la mission sur le blanchiment des capitaux. S'agissant des rapatriés, un débat a eu lieu dans le cadre du collectif budgétaire et le Gouvernement a pris des engagements. Par ailleurs, il est possible qu'un thème de la Mission d'évaluation et de contrôle (MEC) porte sur le recouvrement de l'impôt. Il convient de ne pas multiplier à l'excès les structures de réflexion ou de contrôle sur un thème précis.

Votre Rapporteur général, se référant à l'application d'agios importants en cas de découverts bancaires, a précisé qu'il n'était pas pertinent de comparer l'intérêt de retard avec le niveau de l'inflation.

Puis, sur la proposition de votre Rapporteur général, la Commission a rejeté la proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur les redressements fiscaux abusifs.

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N° 2030.- Rapport de M. Didier Migaud, rapporteur général, au nom de la commission des finances, sur la proposition de résolution de M. François d'Aubert (n° 1935) tendant à la création d'une commission d'enquête sur les redressements fiscaux abusifs.

1 () Documentation de base de la direction générale des impôts, 13 O 721.

2 () C.E. 16 juin 1999, n° 177.075, Tripot.