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le 9 février 2000

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N° 2129

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 2 février 2000.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE (1) SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION (n° 1962) DE M. FRANÇOIS D'AUBERT ET PLUSIEURS DE SES COLLÈGUES, visant à créer une commission d'enquête sur les dysfonctionnements des services des ministères de l'Intérieur et de la Justice,

PAR M. RAYMOND FORNI,

Député.

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(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

Ministères et secrétariats d'Etat.

La commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République est composée de : Mme Catherine Tasca, présidente ; MM. Pierre Albertini, Gérard Gouzes, Mme Christine Lazerges, vice-présidents ; MM. Richard Cazenave, André Gérin, Arnaud Montebourg, secrétaires ; MM. Léo Andy, Léon Bertrand, Emile Blessig, Jean-Louis Borloo, Patrick Braouezec, Mme Frédérique Bredin, MM. Jacques Brunhes, Michel Buillard, Dominique Bussereau, Christophe Caresche, Patrice Carvalho, Jean-Yves Caullet, Mme Nicole Catala, MM. Olivier de Chazeaux, Pascal Clément, Jean Codognès, François Colcombet, François Cuillandre, Henri Cuq, Jacky Darne, Camille Darsières, Jean-Claude Decagny, Bernard Derosier, Franck Dhersin, Marc Dolez, Renaud Donnedieu de Vabres, René Dosière, Renaud Dutreil, Jean Espilondo, Mme Nicole Feidt, MM. Jacques Floch, Raymond Forni, Roger Franzoni, Pierre Frogier, Claude Goasguen, Louis Guédon, Guy Hascoët, Philippe Houillon, Michel Hunault, Henry Jean-Baptiste, Jérôme Lambert, Mme Claudine Ledoux, MM. Jean-Antoine Léonetti, Bruno Le Roux, Mme Raymonde Le Texier, MM. Jacques Limouzy, Thierry Mariani, Louis Mermaz, Jean-Pierre Michel, Ernest Moutoussamy, Mme Véronique Neiertz, MM. Robert Pandraud, Christian Paul, Vincent Peillon, Dominique Perben, Henri Plagnol, Didier Quentin, Bernard Roman, Jean-Pierre Soisson, Frantz Taittinger, Jean Tiberi, Alain Tourret, André Vallini, Alain Vidalies, Jean-Luc Warsmann.

MESDAMES, MESSIEURS,

Notre commission est saisie d'une proposition de résolution déposée par M. François d'Aubert et plusieurs de ses collègues du groupe Démocratie libérale en vue de « créer une commission d'enquête sur les dysfonctionnements des services des ministères de l'intérieur et de la justice. »

Cette proposition, enregistrée à la Présidence de l'Assemblée le 24 novembre dernier, fait suite à la publication du rapport des deux commissions d'enquête constituées par l'Assemblée nationale et le Sénat sur les dysfonctionnements des services de sécurité en Corse.

Selon la procédure habituelle en matière d'examen des propositions de résolution tendant à la création de commissions d'enquête, le rapporteur examinera successivement la recevabilité et l'opportunité de la présente proposition de résolution.

S'agissant de la recevabilité, celle-ci doit être appréciée selon deux critères : la précision des faits et l'absence d'enquêtes judiciaires en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de la proposition de résolution.

L'article 140 du règlement de l'Assemblée dispose que pour être recevable la proposition de résolution créant une commission d'enquête « doit déterminer avec précision, soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services publics ou les entreprises nationales dont la commission doit examiner la gestion ». Dans le cas présent, ni les faits allégués, ni les services publics visés ne sont définis avec précision.

L'intitulé de la proposition se contente en effet de renvoyer aux dysfonctionnements des services des ministères de l'intérieur et de la justice, sans précision de date ni de lieu. Dans le même temps, alors que l'exposé des motifs de la proposition de résolution se borne à renvoyer aux éléments mis à jour par les deux rapports des commissions d'enquête de l'Assemblée nationale et du Sénat sur les forces de sécurité en Corse, aucun fait nouveau n'est mis en avant par les auteurs de la proposition pour justifier la création d'une nouvelle commission.

Les services publics visés sont, par ailleurs, extrêmement hétérogènes, puisque l'ensemble des services relevant du ministère de l'intérieur et de la justice entrent dans le champ de la proposition de résolution. Un tel intitulé inclut donc à la fois les services centraux de ces deux départements ministériels, leurs services déconcentrés et l'ensemble des juridictions françaises. Une telle commission pourrait donc, tout à la fois, enquêter sur les conditions de délivrance des cartes grises par les préfectures que sur le fonctionnement des greffes des tribunaux d'instance.

L'exposé des motifs de la proposition de résolution souligne d'ailleurs l'imprécision des services visés. Si la division nationale antiterroriste (DNAT) est citée, alors même que son fonctionnement a été largement examiné par les deux commissions d'enquête sur les forces de sécurité en Corse, les auteurs de la proposition renvoient également aux services de renseignement et de police judiciaire, au parquet et aux juges d'instruction, avant de s'interroger sur le fonctionnement du cabinet du ministre de l'intérieur et sur la coordination des « différentes forces de sécurité du ministère de l'intérieur, du ministère de la défense, du ministère des finances et du ministère de la justice », ce qui porte à cinq le nombre de ministères visés par les auteurs de la proposition.

Le second critère de recevabilité découle de l'article 141 du règlement de l'Assemblée nationale, qui prévoit que « si le garde des sceaux fait connaître que des poursuites judiciaires sont en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de la proposition, celle-ci ne peut être mise en discussion. Si la discussion est déjà commencée, elle est immédiatement interrompue ».

Interrogée par le Président de l'Assemblée nationale, la garde des sceaux a fait savoir dans un courrier du 21 décembre 1999 que « s'il ne saurait, par définition, en raison de son caractère général, exister de poursuites pénales relativement à la question ayant motivée le dépôt de ladite proposition de résolution (...), celle-ci s'attachant plus particulièrement aux difficultés mises en exergue aux termes des récents rapports des commissions d'enquête de l'Assemblée nationale et du Sénat sur la Corse, de très nombreuses procédures judiciaires concernant des crimes et délits perpétrés dans des départements de la Haute-Corse et de la Corse du Sud, sont actuellement en cours tant auprès des juridictions locales que de la juridiction parisienne spécialisée ».

L'imprécision de la proposition de résolution entraîne donc des risques d'interférence avec le déroulement de procédures judiciaires. L'examen des deux critères de recevabilité semble, par conséquent, de nature à susciter des doutes sur la recevabilité de la proposition de résolution.

Il convient de s'interroger également sur l'opportunité de la proposition de résolution. Force est de constater que la nature extrêmement générale de cette proposition en affecte la pertinence : en l'absence de faits précis pouvant donner lieu à enquête, le contrôle des départements ministériels relève davantage des commissions permanentes et de leurs rapporteurs budgétaires. Les seuls faits mis en avant par les auteurs de la proposition de résolution ayant par ailleurs fait l'objet de deux commissions d'enquête récente, l'intérêt pour la représentation nationale de se saisir une nouvelle fois de ces questions après un délai de quelques mois n'apparaît pas très clairement.

On observera d'ailleurs que l'article 144 du Règlement permet au Président de l'Assemblée de déclarer irrecevable une proposition de résolution ayant le même objet qu'une commission d'enquête antérieure avant l'expiration d'un délai de douze mois à compter du terme de ses travaux. Cette disposition étant d'interprétation stricte, sans doute l'irrecevabilité n'a-t-elle pu être constatée. On peut cependant considérer que la proposition de résolution présentée par M. François d'Aubert et plusieurs de ses collègues est contraire à la philosophie de l'article 144 du Règlement et semble donc, à ce titre également, inopportune.

En conséquence votre rapporteur vous demande de rejeter cette proposition de résolution dont la recevabilité au regard des articles 140, 141 et 144 de notre règlement semble discutable et qui est, en tout état de cause, inopportune.

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Après l'exposé du rapporteur, plusieurs commissaires sont intervenus dans la discussion générale.

M. Claude Goasguen a regretté que des hauts fonctionnaires relevant des ministères de la Justice et de l'Intérieur puissent se mettre en cause mutuellement dans les médias et donc devant l'opinion publique en toute impunité. Considérant qu'il était du devoir du Parlement d'intervenir afin de faire cesser ces agissements, il a jugé légitime cette demande de constitution de commission d'enquête.

M. Renaud Donnedieu de Vabres a considéré que les travaux de la commission d'enquête que M. François d'Aubert proposait de créer seraient effectivement redondants avec ceux qui ont été récemment réalisés au sein de l'Assemblée nationale et du Sénat. Il a observé, cependant, que le dépôt d'une nouvelle proposition d'enquête sur ce sujet était révélateur du fait que le Gouvernement ne tient aucun compte des observations qui lui sont adressées, tant par le Parlement sur les problèmes de la Corse que par la Cour des comptes sur la rémunération des hauts fonctionnaires. Il a souhaité que la commission des Lois lui demande officiellement quelles réformes il entend mettre en _uvre pour mettre fin aux dysfonctionnements des services de sécurité en Corse mis en lumière par les récentes commissions d'enquête.

M. Robert Pandraud a jugé que la création d'une nouvelle commission d'enquête serait inutile. Il a néanmoins observé que les travaux de l'Assemblée nationale et du Sénat n'avaient pas été sans effet puisqu'ils ont contribué à convaincre le Premier ministre de changer de politique à l'égard de la Corse. Constatant que le Parlement rencontre bien des difficultés pour remplir ses missions et se faire entendre du Gouvernement, il a estimé, plus généralement, que les commissions d'enquête étaient sans doute un des meilleurs outils pour revaloriser le rôle du Parlement.

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Suivant la proposition du rapporteur, la Commission a rejeté la proposition de résolution n° 1962.