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le 6 avril 2000

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N° 2270

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 22 mars 2000.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES FORCES ARMÉES(1) SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION (N° 2233) DE M. YVES NICOLIN, tendant à la création d'une commission d'enquête sur la mise en cause des intérêts français par le réseau d'interception des communications dit « système Echelon », ainsi que les moyens déployés pour préserver la confidentialité des télécommunications,

PAR M. Jean MICHEL,

Député

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(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

Défense.

La commission de la défense nationale et des forces armées est composée de :

M. Paul Quilès, président ; MM. Didier Boulaud, Arthur Paecht, Jean-Claude Sandrier, vice-présidents ; M.  Pierre Lellouche, Mme Martine Lignières-Cassou, secrétaires ; MM. Jean-Marc Ayrault, Jacques Baumel, Jean-Louis Bernard, André Berthol, Jean-Yves Besselat, Bernard Birsinger, Jacques Blanc, Jean-Marie Bockel, Loïc Bouvard, Jean-Pierre Braine, Philippe Briand, Jean Briane, Marcel Cabiddu, Antoine Carré, Bernard Cazeneuve, Gérard Charasse, Guy-Michel Chauveau, Alain Clary, Charles Cova, Michel Dasseux, Jean-Louis Debré, François Deluga, Claude Desbons, Philippe Douste-Blazy, Jean-Pierre Dupont, François Fillon, Christian Franqueville, Yves Fromion, Robert Gaïa, Yann Galut, René Galy-Dejean, Roland Garrigues, Henri de Gastines, Bernard Grasset, Elie Hoarau, François Hollande, Jean-Noël Kerdraon, François Lamy, Claude Lanfranca, Jean-Yves Le Drian, Georges Lemoine, François Liberti, Jean-Pierre Marché, Franck Marlin, Jean Marsaudon, Christian Martin, Guy Menut, Gilbert Meyer, Michel Meylan, Jean Michel, Charles Miossec, Alain Moyne-Bressand, Jean-Claude Perez, Robert Poujade, Michel Sainte-Marie, Bernard Seux, Guy Teissier, André Vauchez, Emile Vernaudon, Jean-Claude Viollet, Michel Voisin, Aloyse Warhouver, Pierre-André Wiltzer, Kofi Yamgnane.

MESDAMES, MESSIEURS,

Depuis plusieurs semaines, les médias se font l'écho, d'une manière plus incisive que par le passé, d'un système d'interception des communications au niveau mondial baptisé « Echelon ». Bien que de nombreux essais ou articles, surtout dans la presse anglo-saxonne, aient depuis de nombreuses années révélé l'existence de ce réseau et analysé ses conséquences, en particulier pour les pays européens, c'est à la suite des travaux demandés par le Parlement européen et des révélations récentes de certains responsables américains, que des interrogations plus nourries se sont développées.

En effet, un premier rapport, commandé par l'office d'évaluation des choix technologiques et scientifiques du Parlement européen (STOA) sur l'initiative du député britannique Glynn Ford, a été transmis à la Commission des libertés publiques du Parlement européen le 19 janvier 1998. Un second rapport plus conséquent, rendu public le 22 février dernier, semble conduire à un dialogue entre la Commission européenne, le Conseil des ministres et le Parlement européen.

Les déclarations de certains responsables de l'agence américaine NSA (National Security Agency) et la publication de documents déclassifiés sur le système Echelon ont permis de mieux apprécier à la fois l'ampleur du phénomène et de ses déviations potentielles.

Ces interrogations ont amené notre collègue, M. Yves Nicolin, à déposer, le 6 mars 2000, une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête « sur la mise en cause des intérêts français par le réseau d'interception des communications dit « système Echelon » ainsi que sur les moyens déployés pour préserver la confidentialité des communications ».

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Selon les dispositions de l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1110 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires et selon les articles 140 et 141 du Règlement de notre Assemblée, la recevabilité d'une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête est soumise à deux conditions :

- la proposition doit déterminer avec précision, soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services publics ou les entreprises nationales dont la commission doit examiner la gestion ;

- les faits ayant motivé le dépôt de la proposition de résolution ne doivent pas faire l'objet de poursuites judiciaires.

Bien que l'exposé des motifs de la proposition de résolution fasse référence à une « inertie des pouvoirs publics (...) inacceptable au regard des intérêts vitaux de la France » et à la nécessité d'examiner les moyens qui ont été « le cas échéant mis en _uvre pour assurer la confidentialité des télécommunications », l'objectif fondamental recherché par l'auteur de la proposition ne consiste pas à examiner les services publics ou les entreprises nationales concernées par le sujet. Il s'agit bien, dans ce cas précis, de déterminer les faits, c'est-à-dire la réalité des interceptions, leurs objectifs, les moyens utilisés par le réseau et la capacité des pays ou des structures visés par les écoutes à se protéger contre elles.

En ce qui concerne la seconde condition, le Président de l'Assemblée nationale a interrogé la Garde des Sceaux, Mme Elisabeth Guigou, en application de l'article 141 du Règlement de notre Assemblée. Il semble qu'aucune procédure judiciaire ne soit en cours à ce jour sur les faits ayant motivé le dépôt de la proposition de résolution.

La proposition de résolution pourrait être recevable au regard de l'absence de procédure judiciaire en cours, mais son opportunité paraît moins certaine, d'une part, parce que la Commission de la Défense nationale a déjà décidé d'entreprendre une enquête sur le thème de l'interception des communications, d'autre part, en raison du caractère inadapté de la procédure de commission d'enquête sur un tel sujet.

*

La mise en cause des intérêts nationaux à travers un système, dont l'objectif initial est la recherche d'informations à caractère militaire, fait assurément partie des compétences de la Commission de la Défense nationale et des forces armées de notre Assemblée.

La Commission de la Défense a déjà entrepris à ce titre des travaux relatifs au système Echelon.

D'une part, elle a approuvé, le 29 février dernier, la création d'une mission d'information sur les systèmes de surveillance et d'interception électroniques pouvant mettre en cause la sécurité nationale. Elle a nommé M. Arthur Paecht rapporteur de la mission d'information et a décidé que celle-ci s'appuierait sur un groupe de travail dans lequel chaque groupe politique siégeant à l'Assemblée nationale désignerait un représentant. Ce groupe s'est réuni pour la première fois le 22 mars dernier, pour organiser ses travaux et déterminer un programme d'auditions et de rencontres.

Au-delà de cet objectif, il appartient également à la Commission de la Défense nationale de mener une enquête sur un système d'interception des communications dans le monde qui paraît susceptible de mettre en cause la sécurité de la France et ses intérêts fondamentaux, en raison de son caractère affirmé d'organisation en réseau associant plusieurs pays, de sa reconversion partielle vers le renseignement économique - voire l'espionnage industriel - et de la participation du Royaume-Uni au système. Cette participation d'un Etat membre de l'Union européenne à des actions pouvant affecter la sécurité de notre pays n'est pas sans poser de questions sur notre politique de défense, en particulier à un moment où s'institue une politique européenne commune de sécurité et de défense, et où le Royaume-Uni et la France jouent un rôle moteur dans l'élaboration de cette politique.

La reconversion du système « Echelon » vers le renseignement économique sollicite l'intérêt de la Commission de la Défense nationale à un double titre.

Tout d'abord, pour les principaux acteurs de ce réseau, le renseignement économique est considéré comme une mission relevant de la sécurité nationale, en particulier aux Etats-Unis, au même titre que le renseignement diplomatique ou militaire, les deux se confondant quelquefois, comme le montrent les exemples d'écoutes au cours des négociations du GATT ou du sommet de l'APEC (Asia-Pacific Economic Cooperation) en 1997. D'ailleurs, l'architecture du système « Echelon » a été conçue puis développée par la National Security Agency (NSA) ; elle a été adoptée par les quatre autres agences de renseignement des pays participant au réseau ;  elle reste sous le contrôle des services de renseignement des Etats-Unis.

De plus, si on prend seulement des exemples français, et sous réserve de vérifications à mener, il semble que les industries du secteur de la défense, de l'aéronautique et de l'électronique professionnelle, soient directement concernées par les interceptions des communications dont elles auraient fait l'objet et qui les auraient pénalisées. Or ce secteur industriel fait également partie du domaine de compétence de la Commission de la Défense nationale dont les travaux les plus récents, depuis le début de la présente législature, montrent l'intérêt accentué qu'elle lui porte.

La véritable question relative aux systèmes d'interception des communications est de savoir s'il s'agit réellement d'une stratégie globale de contrôle de l'information dont les Etats-Unis veulent à la fois conserver aussi longtemps que possible la maîtrise politique et garder toutes les clés technologiques, à travers les systèmes d'exploitation informatique, les serveurs Internet ou les logiciels proposés par les sociétés américaines.

Les dénégations récentes des responsables politiques américains et britanniques manquent par trop de crédibilité pour qu'une analyse n'ait pas lieu sur la réalité du phénomène et les moyens de pallier ses inconvénients.

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La seconde raison qui motive sur le caractère peu opportun d'une commission d'enquête est liée à son inadaptation au sujet envisagé.

Il ressort des premiers travaux entrepris à la Commission de la Défense nationale que les systèmes d'interception des communications sont gérés ou contrôlés par les services de renseignement. Ceux-ci, qu'ils soient français ou étrangers, n'ont pas l'habitude de s'exprimer devant des enceintes larges, dont les auditions peuvent être rendues publiques. La matière traitée s'abrite souvent sous le couvert du secret de la défense nationale.

L'ordonnance du 17 novembre 1958 précitée précise d'ailleurs, dans son article 6 II, que les rapporteurs des commissions d'enquête « sont habilités à se faire communiquer tous documents de service, à l'exception de ceux revêtant un caractère secret et concernant la défense nationale, les affaires étrangères, la sécurité intérieure ou extérieure de l'Etat »

Même si des exemples récents montrent que des documents déclassifiés ont été communiqués à des rapporteurs d'information de la Commission de la Défense nationale à mesure que des relations de confiance se sont nouées entre ceux-ci et le Gouvernement, il est nécessaire de souligner qu'ils n'ont pas alors été autorisés à les communiquer ou à en faire part aux autres membres de la Commission. L'intérêt d'une commission d'enquête sera d'autant plus faible que le secret sera opposé par les services de l'Etat les plus concernés par ces questions et que les membres de la commission d'enquête ne pourront pas obtenir les informations les plus pertinentes.

Par ailleurs, un raisonnement analogue peut être tenu pour les industriels dont les compétences technologiques permettent de pallier les inconvénients des systèmes d'écoute et de lutter contre leurs effets les plus pervers. Les discussions que les groupes industriels poursuivent et les programmes qu'ils développent avec les services de l'Etat revêtent un caractère de secret, tant du point de vue de la politique de défense, que de la stratégie industrielle.

Les véritables protections contre éviter les intrusions dans le transfert des informations et les communications se trouvent dans le chiffrage des données à transmettre afin de les rendre confidentielles, ce qui renvoie à d'autres questions aussi bien techniques (développement des technologies de cryptage et de chiffrage) que juridiques (interdiction ou non de ces techniques, accès de pays-tiers aux procédures) et soulève une interrogation majeure sur la politique de l'Union européenne en la matière.

Pour toutes ces raisons, votre rapporteur estime que la création d'une commission d'enquête n'est pas appropriée au sujet visé et que la poursuite de la mission d'information, appuyée par un groupe de travail, au sein de la Commission de la Défense nationale est préférable. Il vous demande donc de rejeter la proposition de résolution.

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La Commission de la Défense nationale a examiné la proposition de résolution lors de sa réunion du 22 mars 2000.

Après l'exposé du rapporteur, plusieurs commissaires sont intervenus dans la discussion gnérale.

Après avoir indiqué que le groupe RPR suivrait les conclusions du rapporteur tendant au rejet de la proposition de résolution déposée par M. Yves Nicolin, M. René Galy-Dejean a souhaité revenir sur les deux critères de recevabilité et d'opportunité mentionnés par le rapporteur. S'agissant de la recevabilité de la proposition de résolution, et concernant notamment l'obligation pour celle-ci de viser des faits précis, il s'est interrogé sur la réalité de deux informations de presse, selon lesquelles les entreprises Airbus et Thomson auraient été exclues de marchés à la suite d'écoutes pratiquées par le système Echelon. S'agissant de l'opportunité de la création de la commission d'enquête, il s'est élevé contre l'argument selon lequel l'existence d'une mission d'information sur le même thème s'y opposerait, estimant qu'un tel raisonnement pouvait encourager un détournement de procédure, qui conférerait à de simples missions d'information le rôle de commissions d'enquête. Il a en revanche pleinement approuvé l'argumentation du rapporteur sur l'inadaptation de la procédure de la commission d'enquête à l'examen de questions intéressant la sécurité nationale, précisant que cette considération essentielle déterminait la position du groupe RPR.

M. Jean Michel a précisé que les assertions de la presse concernant l'exclusion d'Airbus et de Thomson de deux marchés à la suite de la diffusion d'informations collectées par le système Echelon devaient être considérées comme de simples rumeurs, qu'il appartiendra au rapporteur d'information et au groupe de travail de confirmer ou d'infirmer. Il a par ailleurs fait observer que, dans son exposé, il s'était borné à évoquer l'existence de la mission d'information créée antérieurement au dépôt de la proposition de résolution de M. Yves Nicolin mais qu'il n'en avait pas conclu que la première était un obstacle à la création de la seconde.

M. Arthur Paecht a précisé que la création de la mission d'information qu'il avait la charge de conduire ne répondait en rien à une volonté de contourner la procédure de commission d'enquête et souligné à ce propos qu'il se battait constamment pour que le Parlement exerce l'ensemble des prérogatives qui lui sont reconnues par les textes et notamment celles qui lui confère la procédure de la commission d'enquête. Il a par ailleurs fait observer que le rapport d'information qu'il était chargé d'élaborer devrait porter sur l'ensemble des systèmes d'écoute électronique, le système Echelon ayant joué un rôle de révélateur en ce domaine. Revenant sur les informations de presse relatives à des échecs commerciaux d'Airbus et de Thomson dus à des interceptions pratiquées à l'aide du système Echelon, il a jugé qu'il convenait d'abord de s'informer sur la réalité des faits et que, le cas échéant, il pourrait, en accord avec le groupe de travail, suggérer sur ce point ou sur d'autres la création d'une commission d'enquête. Il a à cet égard noté que les entreprises en cause n'avaient déposé aucune plainte sur les faits allégués. Il a par ailleurs précisé que l'objet de sa mission d'information était de recueillir le maximum de données sur la réalité des systèmes d'interception et d'écoute électroniques, de faire la part des fantasmes et des faits et d'évaluer les risques. Au vu de ce cahier des charges, il a jugé que l'élaboration de son rapport constituait une tâche de longue haleine qui pourrait excéder le délai de six mois imparti aux commissions d'enquête. Pour ces raisons, il a indiqué que le groupe UDF se prononçait contre la création d'une commission d'enquête.

Le Président Paul Quilès, faisant observer que, selon des informations récemment publiées, la France et les Etats-Unis collaboreraient depuis longtemps dans le domaine de l'écoute électronique, a souligné qu'il importait de ne pas confondre ce qui relève de la coopération normale avec des pays alliés et l'utilisation abusive que ces pays pouvaient faire de leurs propres réseaux de surveillance. Il a convenu avec M. Arthur Paecht que sa mission d'information exigerait du temps et de la persévérance.

M. Guy-Michel Chauveau a indiqué que le groupe socialiste suivrait les conclusions du rapporteur en rejetant la proposition de résolution de M. Yves Nicolin. Il a par ailleurs souligné la nécessité d'une transparence active et positive dans les domaines intéressant la sécurité nationale et rappelé qu'il ne suffisait pas d'être techniquement performant pour faire face dans de bonnes conditions aux nécessités de la communication et de l'information du public. Il a jugé à cet égard nécessaire que le Parlement ait le meilleur éclairage possible sur les questions relatives aux dispositifs d'écoute électronique, estimant qu'il s'agissait d'un domaine prioritaire dans les relations d'information entre les pouvoirs exécutif et législatif sur les questions relatives à la sécurité du pays.

M. Jean Briane a salué la sagesse des conclusions de M. Jean Michel, estimant qu'il convenait de laisser le rapporteur d'information accomplir la mission qui lui avait été confiée par la Commission. Il a insisté sur la prudence que requiert ce travail, notamment au vu des révélations faites par certains journalistes en mal de sensationnel, tout en remarquant qu'il ne fallait pas être naïf sur les actions susceptibles d'être conduites par des pays alliés en matière d'espionnage industriel voire de chantage économique.

M. Arthur Paecht a alors cité un article du Wall Street Journal du 17 mars dernier, dans lequel un ancien responsable des services de renseignement américains reconnaissait que ces services avaient effectivement espionné les Européens mais que, dans le cas du contrat négocié par Airbus dont la presse avait imputé l'échec à des informations recueillies par le système Echelon, cet espionnage visait, non pas à faire du tort à l'entreprise concernée mais à mettre en lumière des pratiques commerciales illicites aux yeux des Etats-Unis. M. Arthur Paecht en a conclu à une offensive médiatique américaine pour justifier le travail de son agence de sécurité nationale (NSA).

M. Jean Michel a souligné la dimension européenne des questions soulevées par le système Echelon à l'heure de la construction d'un embryon de défense européenne et s'est interrogé sur les implications de la participation d'un Etat membre de l'Union européenne à ce système. Remarquant enfin que le système d'écoute en question avait été constitué au sein du monde anglo-saxon, il a jugé paradoxal que l'information sur ce système ait également été rendue publique par des Anglo-saxons et s'est interrogé sur le silence gardé par l'ensemble des responsables politiques européens.

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Conformément aux conclusions du rapporteur, la Commission de la Défense nationale et des Forces armées a rejeté à l'unanimité la proposition de résolution.