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le 5 juin 2001

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N° 3094

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 30 mai 2001

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DE LA PRODUCTION ET DES ÉCHANGES (1) SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION (n° 3020) de M. JEAN-PIERRE BRARD tendant à la création d'une commission d'enquête sur la situation financière, sociale et fiscale, les perspectives d'avenir et leurs conséquences sur l'emploi dans les compagnies de transport aérien AOM, Air Liberté et Air Littoral et dans les holdings Marine-Wendel et Taitbout Antibes BV,

PAR M. MAXIME BONO,

Député.

--

(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

Transports aériens.

La Commission de la production et des échanges est composée de : M. André Lajoinie, président ; M. Jean-Paul Charié, M. Jean-Pierre Defontaine, M. Pierre Ducout, M. Jean Proriol, vice-présidents ; M. Christian Jacob, M. Pierre Micaux, M. Daniel Paul, M. Patrick Rimbert, secrétaires ; M. Jean-Pierre Abelin, M. Yvon Abiven, M. Jean-Claude Abrioux, M. Stéphane Alaize, M. Damien Alary, M. André Angot, M. François Asensi, M. Jean-Marie Aubron, M. Pierre Aubry, M. Jean Auclair, Mme Roselyne Bachelot-Narquin, M. Jean-Pierre Balduyck, M. Jacques Bascou, Mme Sylvia Bassot, M. Christian Bataille, M. Léon Bertrand, M. Jean Besson, M. Gilbert Biessy, M. Claude Billard, M. Claude Birraux, M. Jean-Marie Bockel, M. Jean-Claude Bois, M. Daniel Boisserie, M. Maxime Bono, M. Franck Borotra, M. Christian Bourquin, M. Patrick Braouezec, M. François Brottes, M. Vincent Burroni, M. Alain Cacheux, M. Dominique Caillaud, M. Jean-Paul Chanteguet, M. Jean Charroppin, M. Jean-Claude Chazal, M. Daniel Chevallier, M. Gilles Cocquempot, M. Pierre Cohen, M. Alain Cousin, M. Yves Coussain, M. Jean-Michel Couve, M. Jean-Claude Daniel, M. Marc-Philippe Daubresse, M. Philippe Decaudin, Mme Monique Denise, M. Léonce Deprez, M. Jacques Desallangre, M. Éric Doligé, M. François Dosé, M. Marc Dumoulin, M. Dominique Dupilet, M. Philippe Duron, M. Jean-Claude Étienne, M. Alain Fabre-Pujol, M. Albert Facon, M. Alain Ferry, M. Jean-Jacques Filleul, M. Jacques Fleury, M. Nicolas Forissier, M. Jean-Louis Fousseret, M. Claude Gaillard, M. Robert Galley, M. Claude Gatignol, M. André Godin, M. Alain Gouriou, M. Hubert Grimault, M. Michel Grégoire, M. Lucien Guichon, M. Gérard Hamel, M. Patrick Herr, M. Francis Hillmeyer, M. Claude Hoarau, M. Robert Honde, M. Claude Jacquot, Mme Janine Jambu, M. Aimé Kergueris, M. Jean Launay, Mme Jacqueline Lazard, M. Thierry Lazaro, M. Jean-Yves Le Déaut, M. Jacques Le Nay, M. Patrick Lemasle, M. Jean-Claude Lemoine, M. Jean-Claude Lenoir, M. Arnaud Lepercq, M. René Leroux, M. Jean-Claude Leroy, M. Roger Lestas, M. Félix Leyzour, M. Guy Malandain, M. Jean-Michel Marchand, M. Daniel Marcovitch, M. Didier Marie, M. Alain Marleix, M. Daniel Marsin, M. Philippe Martin, M. Jacques Masdeu-Arus, M. Marius Masse, M. Roland Metzinger, M. Roger Meï, M. Yvon Montané, M. Gabriel Montcharmont, M. Jean-Marie Morisset, M. Bernard Nayral, M. Jean-Marc Nudant, M. Jean-Paul Nunzi, M. Patrick Ollier, M. Joseph Parrenin, M. Paul Patriarche, M. Germinal Peiro, Mme Geneviève Perrin-Gaillard, M. François Perrot, Mme Annette Peulvast-Bergeal, M. Serge Poignant, M. Bernard Pons, M. Jean Pontier, M. Jacques Pélissard, Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont, M. Jean-Luc Reitzer, M. Gérard Revol, Mme Marie-Line Reynaud, M. Jean Rigaud, M. Jean Roatta, M. Jean-Claude Robert, M. Joël Sarlot, Mme Odile Saugues, M. François Sauvadet, M. Jean-Claude Thomas, M. Léon Vachet, M. Daniel Vachez, M. François Vannson, M. Michel Vergnier, M. Gérard Voisin, M. Roland Vuillaume.

MESDAMES, MESSIEURS,

Le 2 mai 2001, la commission de la production et des échanges a été saisie d'une proposition de résolution déposée par M. Jean-Pierre Brard tendant à créer une commission d'enquête « visant à examiner la situation réelle des sociétés de transports aériens AOM, Air Liberté et Air Littoral, sous les angles financiers, sociaux et fiscaux, ainsi que la situation financière, la nature et la hauteur des engagements de deux holdings actionnaires, Marine-Wendel et Taitbout Antibes BV. En outre, cette commission d'enquête devrait mesurer les perspectives d'avenir dans le domaine du transport aérien ainsi que leurs conséquences en matière d'emploi, alors que ce secteur est vital pour l'avenir de la France et qu'en assurer le développement, la sécurité, la qualité est un enjeu essentiel, relevant des pouvoirs publics. »

Il résulte des dispositions combinées de l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires et des articles 140 et 141 du règlement de l'Assemblée nationale que la recevabilité des propositions de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête est soumise à deux conditions :

- les faits ayant motivé le dépôt de la proposition ne doivent pas faire l'objet de poursuites judiciaires ;

- la proposition doit déterminer avec précision, soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services publics ou les entreprises nationales dont la commission doit examiner la gestion.

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Sur la première de ces deux conditions de recevabilité - existence de poursuites judiciaires - Mme le Garde des Sceaux a indiqué par lettre du 23 mai 2001 qu'une information judiciaire concernant la société AOM-Minerve avait été ouverte contre X le 29 septembre 1999, des chefs d'abus de biens sociaux, recel et complicité au tribunal de grande instance de Paris.

La procédure judiciaire en cause ne concernant qu'une filiale d'« AOM participations » ne paraît pas faire obstacle, en droit, à la constitution de la commission d'enquête.

L'ordonnance précitée du 17 novembre 1958 soumet les propositions de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête à une seconde condition de recevabilité : elles doivent déterminer avec précision soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services publics ou les entreprises nationales dont la commission doit examiner la gestion.

La proposition de résolution apparaît irrecevable au regard du critère de précision des faits évoqués. En effet, il est demandé que la commission d'enquête examine « la situation réelle des sociétés de transports aériens AOM, Air Liberté et Air Littoral, sous les angles financiers, sociaux et fiscaux » sans citer de faits précis de nature à étayer l'idée que la dégradation financière de ces sociétés serait la résultante de fautes de gestion, voire de comportements frauduleux, de la part des principaux actionnaires.

La seconde condition de recevabilité ne semble pas davantage satisfaite au regard des personnes morales mentionnées dans le projet de résolution, les sociétés AOM-Air Liberté, Air Littoral et les deux holdings actionnaires n'étant ni des entreprises nationales ni des services publics.

Il convient en outre de préciser que la holding Taitbout Antibes BV est une société de droit néerlandais et que la société Sair Group, actionnaire minoritaire mais véritable gestionnaire de ces sociétés de transport aérien, relève du droit helvétique.

Une commission d'enquête parlementaire ne peut avoir pour mission de procéder à un audit financier de sociétés privées dont les centres de décision sont situés à l'étranger. Quand bien même cette commission d'enquête serait créée, elle se heurterait à n'en pas douter à de multiples obstacles juridiques pour se faire communiquer des pièces comptables et des documents financiers relatifs à des sociétés régies par des législations étrangères, ces sociétés n'étant pas obligées de répondre à une commission d'enquête dont la compétence se limite au territoire français.

La recevabilité de la proposition de résolution n° 3020 de M. Pierre Brard apparaît dès lors très incertaine. Mais sur un sujet aussi important compte tenu de la dimension sociale de ce dossier et des menaces qui pèsent sur le deuxième pôle aérien français, votre rapporteur a jugé très insatisfaisant d'écarter purement et simplement la proposition de M. Jean-Pierre Brard pour des motifs de recevabilité et a tenu à porter le débat sur le terrain de l'opportunité de la création d'une telle commission.

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Votre rapporteur estime que la constitution d'une commission d'enquête ne disposerait pas des moyens nécessaires à des investigations efficaces, risquerait au surplus de compromettre les négociations commerciales en cours ou à venir pour élaborer un plan de reprise des entreprises AOM-Air-Liberté et Air Littoral.

1. La situation critique des sociétés AOM-Air-Liberté et Air Littoral a conduit les actionnaires à définir un plan de reprise avant le 30 juin 2001

Les sociétés AOM-Air-Liberté et Air Littoral ont connu au cours de ces deux dernières années de multiples modifications de la composition de leur capital et n'ont pu parvenir à rééquilibrer leur situation financière.

Rappelons qu'en 1999 le consortium de réalisation (CDR), structure de cantonnement des actifs du Crédit lyonnais a cédé la compagnie AOM (AOM Participations) à Taitbout Antibes BV et à Sairlines (Sair Group).

ORGANIGRAMME DU PÔLE AÉRIEN DE MARINE-WENDEL AU 1ER MARS 2001

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Taitbout Antibes BV est une holding dont les deux principaux actionnaires sont Marine-Wendel et Fonds Alpha, deux sociétés contrôlées par M. Ernest-Antoine Seillières.

A la fin mars 2001, AOM participations était contrôlé à 50,38 % par Taitbout Antibes BV et à 49,50 % par Swissair Lines (Sair Group).

La structure complexe du capital des holdings et des compagnies aériennes s'explique par la stratégie du groupe Swissair qui souhaitait acquérir de multiples participations dans des compagnies aériennes communautaires alors qu'elle ne pouvait, en tant que société helvétique, acquérir la majorité du capital d'une société de transport aérien de l'Union européenne. SairGroup a donc recherché une solution d'alliance pour rester actionnaire minoritaire tout en détenant le véritable contrôle industriel des sociétés AOM et Air Liberté.

A cette fin, le groupe Swissair a passé un accord avec le groupe Marine-Wendel, prévoyant une limitation des engagements financiers du groupe Marine-Wendel à son apport initial de 300 millions de francs et précisant que l'investissement dans AOM participations était un investissement garanti par les accords qui lient Sair Groupe et Taitbout Antibes BV aux termes desquels Taitbout Antibes BV aurait la possibilité de vendre à Sair Group en avril 2004, l'intégralité des titres « AOM participations » qu'elle détenait (communiqué du 6/04/2000 du groupe Marine-Wendel).

Air-Liberté a changé d'actionnaire majoritaire en mai 2000 après avoir connu un dépôt de bilan et un plan de redressement en 1997. Détenue jusqu'en mai 2000 à hauteur de 70 % par British Airways et à 30 % par le groupe Ribaud par le biais d'une filiale « Participations Aéronautiques SA », Air-Liberté a rejoint le groupe AOM par la cession de la société « Participations Aéronautiques SA » à la société Taitbout Antibes BV.

Air Liberté est, quant à elle, une société anonyme de droit français détenue à 18 % par Taitbout Antibes BV et à 49,9 % par Sair Group (le troisième actionnaire important étant Doumer Marine à hauteur de 28,3 % du capital).

Les compagnies AOM-Air-Liberté et Air Littoral devaient donc, à terme, avoir les mêmes actionnaires à savoir Taitbout Antibes BV et Sair Lines (Sair Group) afin de constituer un deuxième pôle aérien français ayant une taille critique suffisante pour concurrencer Air France. Ce groupe devait représenter 10 milliards de francs de chiffre d'affaires, transporter environ 9 millions de passagers par an et employer 6 500 personnes.

Malgré des difficultés financières croissantes, l'intégration du groupe aérien s'est poursuivie encore très récemment puisque les sociétés AOM-Air-Liberté ont fusionné leur activité le 25 mars 2001, la nouvelle société, issue de ce rapprochement, portant désormais le nom d'Air Liberté.

Au cours de l'année 2000 la situation financière de ces trois compagnies aériennes s'est progressivement détériorée et la démission à la fin janvier 2001 de M. Bruggisser, président de Sair Group, a marqué le début de la remise en cause par le groupe suisse de toutes ses participations dans des filiales étrangères.

Sair Group a décidé, le 2 avril dernier, de cesser de soutenir financièrement Air Littoral et a annoncé, en accord avec Taitbout Antibes BV son intention de limiter leur apport à 500 millions de francs, permettant ainsi à la société Air Liberté de poursuivre son activité jusqu'à fin juin (1,2 milliard de francs reçus depuis janvier 2001 pour compenser les pertes). M. Marc Rochet, nouveau président d'Air Liberté, doit donc définir un plan de restructuration d'ici fin juin 2001.

2. Le plan de restructuration a été présenté en préalable à la recherche d'éventuels repreneurs

Un premier train de mesures d'économies a été adopté depuis le 25 mars pour limiter les pertes qui se sont élevées pour l'année 2000 à 2,9 milliards de francs pour le groupe.

Près de 25 % du trafic long courrier ont été abandonnés et les lignes intérieures les plus déficitaires ont été stoppées, comme par exemple les liaisons Toulouse-Lyon ou Toulouse-Marseille. L'entreprise a aussi décidé d'annuler la commande de quatre nouveaux appareils A 340. En revanche Air Liberté ayant récupéré la gestion de son service commercial auparavant assuré par une filiale de Swissair déconnectée des réalités du marché français, a décidé de renforcer la fréquence de ses vols vers Nice, Genève et Metz au départ d'Orly, car elles figurent parmi les lignes les plus rentables.

Le plan de restructuration, présenté le 21 mai 2001 au comité d'entreprise, prolonge le premier plan d'économie. Le plan propose de recentrer la compagnie sur les vols réguliers longs et moyens courriers les plus rentables alors que les lignes régionales concurrencées par le TGV seraient supprimées tandis que les liaisons transversales province-province seraient sous-traitées à des compagnies telles Air Normandie ou Airliner. L'activité charter devrait être relancée pour passer de 10 à 30  % du chiffre d'affaires à la fin 2003.

La compagnie devrait réduire sa flotte de 50 à 27 avions avec seulement deux types d'appareils : les DC 10 pour les long-courriers et les MD 83 pour les moyen-courriers. Au total, Air Liberté serait amputée de 25 % de ses activités (30 % dans le moyen courrier et 12,6 % pour les liaisons régionales) et son résultat serait à nouveau bénéficiaire en 2004 alors que sa perte pour 2001 devrait atteindre 1,4 milliard de francs. Ce plan de restructuration se traduirait par la suppression de 1338 emplois équivalents temps plein et par une remise en cause des usages et des différents statuts des personnels pour parvenir à un statut unifié de l'ensemble du personnel.

Il convient de souligner que ce plan comporte de fortes incertitudes car il n'est pas financé et devrait coûter 1,6 milliard de francs auquel vient s'ajouter 1,4 milliard pour les pertes courantes de l'exercice. De plus il n'est pas certain qu'un repreneur soit trouvé qui maintienne l'intégralité de l'activité alors que certains investisseurs potentiels se seraient déclarés intéressés par le démantèlement de l'activité pour ne reprendre par exemple que l'activité charter.

Il apparaît donc que les problèmes que doit résoudre Air Liberté ne sont pas de l'ordre de ceux que traitent les commissions d'enquête. En effet, une commission d'enquête parlementaire n'est pas l'outil adapté pour définir une stratégie commerciale en cours d'élaboration et il ne lui est guère possible de s'immiscer publiquement dans les négociations financières en cours, sans même qu'il soit nécessaire de s'interroger sur le risque que cette procédure pourrait faire courir à un processus déjà fragile de recherche de repreneurs.

3. Une commission d'enquête ne peut apprécier l'existence de fautes de gestion ou de comportements frauduleux

Les parties concernées par le plan de restructuration ne sont pas restées inactives pour faire valoir leurs droits et disposer d'informations précises sur les choix stratégiques de gestion des différents dirigeants des sociétés actionnaires et pour déterminer si des fautes de gestion, voire des abus de biens sociaux, ont été commis.

Rappelons ainsi par exemple que plusieurs actionnaires minoritaires se sont interrogés sur l'origine de l'ampleur des déficits des différentes sociétés du groupe. La société française Deminor a ainsi en charge les intérêts des actionnaires français, de même en Suisse le ministère public zurichois a décidé d'ouvrir une enquête pénale contre inconnus pour enquêter sur l'authenticité des comptes de la société Sair Group.

Selon des informations publiées dans la presse helvétique, plusieurs initiatives émanant des salariés ont conduit au dépôt de plaintes pour déficit d'information des instances représentatives du personnel et faute de gestion. Fernand Danan, commandant de bord chez AOM et représentant du personnel au conseil d'administration, aurait porté plainte contre Sair Group car il pense avoir relevé plusieurs anomalies dans les relations financières entre les filiales et la maison mère qui laissent entrevoir un système de surfacturation au bénéfice de la maison mère et au détriment des filiales AOM et Sabena (voir le Matin du 18 mars 2001). Plus récemment, un collectif de pilotes d'Air Liberté a porté plainte contre X auprès du tribunal d'Evry pour obtenir des éclaircissements sur la gestion financière d'AOM-Air Liberté (le Figaro du 16 mai 2001).

En raison du risque de cessation de paiements de la société Air Liberté, le président du directoire d'AOM-Air Liberté et d'Air Littoral, a demandé au président du tribunal de commerce de Créteil la nomination de conciliateurs judiciaires dans le cadre de la procédure du règlement amiable des difficultés les entreprises. Les conciliateurs nommés, Maîtres Valliot et Meille, ont pour mission d'appuyer les dirigeants d'Air Liberté pour rechercher des accords avec les créanciers de l'entreprise et définir un plan de reprise avec des repreneurs potentiels.

Une commission d'enquête parlementaire ne dispose pas de moyens d'investigation appropriés pour déterminer si des fautes de gestion ont été commises et ne pourrait qu'interférer avec le travail d'enquête mené par des experts nommés dans le cadre de procédures judiciaires, voire pénales.

La constitution d'une commission d'enquête ne pourrait donc, ni être en mesure de proposer des solutions concrètes de reprise de la société Air Liberté, ni apprécier si des fautes de gestion, voire des actes frauduleux, ont été commis dans la réalisation des opérations de rapprochement des trois sociétés Air Liberté, AOM et Air Littoral. Elle ne permettrait pas davantage d'avancer très avant dans la nature et la hauteur des engagements des actionnaires au regard de la réglementation communautaire.

En conséquence, votre rapporteur conclut au rejet de la proposition de résolution.

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La commission a examiné la proposition de résolution lors de sa réunion du 30 mai 2001.

Après l'intervention du rapporteur, M. Jean-Pierre Brard, intervenant en application de l'article 38 alinéa 1 du Règlement, a souligné que les éléments d'information présentés par M. Maxime Bono, à rebours des conclusions qu'il en tire lui-même, sont au contraire de nature à susciter la curiosité des parlementaires d'autant que, selon un article publié hier dans La Tribune, la dernière réunion du comité d'entreprise n'a aucunement permis de faire la lumière sur la situation de l'entreprise, ce que permettrait une commission d'enquête dont l'objet n'est pas de proposer des solutions de reprise.

Par ailleurs, la société Marine-Wendel, actionnaire principal des sociétés en cause, a bénéficié d'abondants concours publics et le président du MEDEF, qui se fait complaisamment l'apôtre de la transparence, aurait tout à gagner à ce que l'Assemblée nationale fasse la clarté sur l'emploi de ces fonds - puisque nul ne doute que ses investigations conduiraient à lui décerner un véritable brevet d'exemplarité.

Arguant du fait que les autorités helvétiques, tant au niveau fédéral que cantonal, se révèlent bien plus curieuses que le rapporteur - au point qu'elles ont diligenté un contrôle spécial des comptes des sociétés incriminées -, M. Jean-Pierre Brard a jugé inacceptable que l'Assemblée n'utilise pas les prérogatives qui sont les siennes et souligné que l'inaction des pouvoirs publics serait incompréhensible à l'opinion.

M. Claude Billard a indiqué partager l'analyse de son collègue Jean-Pierre Brard, soulignant que les restructurations envisagées menacent près de 1 400 emplois sur les sites d'Orly et de Rungis et que les salariés ne comprendraient pas que l'Assemblée nationale se refuse à créer cette commission d'enquête.

Il a estimé que l'argument selon lequel le jeu de droits étrangers serait de nature à interdire tout contrôle national, ne saurait pas non plus être accepté - sauf à proscrire tout contrôle futur sur des sociétés internationales comme EADS.

M. Claude Hoarau a rappelé que la société Air Outre-Mer (AOM) est née à la Réunion en réaction au monopole dont a longtemps bénéficié Air France. Aujourd'hui la compagnie nationale assure neuf vols hebdomadaires, alors qu'AOM et Air Liberté desservent la Réunion quatorze fois par semaine et le prix du billet a baissé de 40 %. Leur faillite aurait pour conséquence de compromettre le désenclavement de ces îles et d'augmenter les charges que la collectivité nationale doit assumer au titre de la continuité territoriale de la République. Le niveau de prix local en serait également affecté.

Estimant que la situation actuelle s'expliquait probablement par des choix stratégiques hasardeux, dans la mesure où l'ouverture de lignes vers d'autres destinations comme Cuba ou Saint-Domingue a placé ces sociétés en concurrence directe avec Air France, sans qu'elles disposent pour autant des moyens financiers nécessaires à une telle compétition, M. Claude Hoarau a jugé que la représentation nationale devait enquêter sur ce point.

Il a estimé que si ces entreprises ne peuvent effectivement pas être qualifiées d'entreprises publiques, elles n'en assurent pas moins un service public en permettant le désenclavement des départements lointains. L'émotion suscitée localement par les incertitudes affectant leur avenir qui concerne non seulement les salariés de l'entreprise mais aussi tous les citoyens d'outre-mer, est donc aisément compréhensible.

Il a jugé inacceptable que le Gouvernement demande aux conseils régionaux et généraux de ces territoires de contribuer financièrement à sortir ces sociétés de l'impasse et souhaité en conclusion que la commission d'enquête soit créée.

M. Jean-Claude Lemoine, tout en indiquant être sensible aux propos de M. Claude Hoarau, a estimé qu'aucune des conditions nécessaires à la création d'une commission d'enquête ne se trouvait véritablement satisfaite et que cette dernière serait, au surplus, inutile.

Il a rappelé que le principe selon lequel la continuité du service public est partiellement assurée grâce à des contributions des collectivités territoriales intéressées, quelque regrettable qu'il puisse être, trouve néanmoins une application générale : c'est ainsi que l'électrification de la ligne de chemin de fer Cherbourg-Paris n'a été rendue possible que par les moyens supplémentaires alloués par ces collectivités.

M. Léonce Deprez a rappelé son souhait de ne pas voir les commissions d'enquête se multiplier.

En revanche, il a déploré que la commission de la production et des échanges ne se soit pas saisie des difficultés rencontrées par ces transporteurs et que des échanges plus suivis avec le ministre de l'équipement, des transports et du logement et avec les administrations concernées n'aient pu déboucher sur un dialogue, qui aurait pu permettre de traiter ces difficultés en amont - voire de les prévenir.

Il a estimé que les élus nationaux demeurent mal informés et qu'il conviendrait donc qu'ils puissent à l'avenir anticiper l'événement, de sorte que soient précocement envisagées les actions pertinentes aux niveaux national et régional.

M. Claude Birraux a rappelé que les sociétés en cause perdent aujourd'hui près de 300 000 francs par heure et que leur situation est donc très difficile.

Considérant que les difficultés principales tiennent à la délocalisation à l'étranger des principaux centres de décision, il a rappelé que l'ancien président de Sair Group avait décidé de rapatrier à Zürich l'ensemble des structures de direction, au terme de négociations marquées par une arrogance déplacée et que ses choix s'étaient d'ailleurs révélés progressivement très contestables.

Il a déploré le manque d'information des parlementaires sur ce qui s'était réellement passé et suggéré l'organisation d'auditions par la commission de la production et des échanges.

M. Daniel Paul s'est dit tout d'abord étonné par l'argument selon lequel la mise en cause de groupes étrangers aurait pour conséquence d'empêcher la mise en place d'une commission d'enquête nationale. Il a ainsi rappelé que la commission d'enquête sur les groupes industriels, dont il avait été le rapporteur, avait auditionné des dirigeants de sociétés internationales comme Nestlé, Hewlett Packard ou IBM. De même, la commission d'enquête sur le naufrage de l'Erika s'était rendue à Londres ou à Malte, où elle avait pu rencontrer plusieurs responsables de sociétés de transport ou de certification.

Il a estimé que le refus de créer une commission d'enquête à l'Assemblée nationale au moment même où un plan social est mis en place, reviendrait à donner un signe de faiblesse aux responsables du MEDEF, aux syndicats et aux salariés. L'impuissance des élus de la nation se trouverait ainsi affichée.

Il a également indiqué partager les préoccupations de M. Claude Hoarau relatives au bon emploi des fonds publics accordés aux entreprises privées ou à la nécessité constitutionnelle d'assurer la continuité territoriale de la République.

Mme Odile Saugues a indiqué que les membres du groupe socialiste regrettaient le plan de restructuration présenté qui envisage la suppression de 1 338 emplois et étaient sensibles à la gravité de la situation dans laquelle étaient placés La Réunion et les autres départements d'outre-mer. Elle a fait valoir cependant que, dès lors que la justice était saisie d'éléments suspects, il lui revenait de dire quelles étaient les responsabilités en cause et que la commission d'enquête paraissait peu adaptée pour mener ce type d'investigations en raison des constructions financières des groupes internationaux visés.

Elle a conclu en approuvant la remarque de M. Léonce Deprez selon laquelle les parlementaires doivent pouvoir avoir des informations très en amont sur ce type de dossier.

Approuvant également les propos de M. Léonce Deprez selon lesquels les élus nationaux ne sont pas suffisamment informés dans ce type d'affaire, M. Jean-Pierre Brard a dénoncé l'attitude des députés qui s'en remettent au pouvoir exécutif pour enquêter sur des questions d'importance nationale. Il a fait valoir qu'il n'était pas possible de refuser la création d'une commission d'enquête au motif que le sujet à traiter serait difficile. En outre, si le législateur le veut, il peut, comme il l'a fait et le fera à nouveau aujourd'hui même sur les sectes, intervenir avec efficacité. Il a donc appelé à ce que les députés assument leurs responsabilités, comme lui-même l'avait fait au cours de la mission d'information sur la fraude fiscale que lui avait confiée la commission des finances et pendant laquelle il avait pu interroger des responsables étrangers, y compris dans leur pays.

Par ailleurs, dès lors que les collectivités territoriales sont sollicitées pour verser des contributions, il a estimé légitime que l'Assemblée nationale crée une commission d'enquête qui permettrait au moins de les éclairer sur les événements qui ont conduit à la situation actuelle. Quant à l'instruction judiciaire en cours, il a fait observer que seul le dossier AOM-Minerve faisait l'objet d'une procédure. Il a donc appelé ses collègues à ne pas renoncer à faire _uvre de transparence et fait valoir que si la décision de la commission était négative, l'Assemblée nationale apparaîtrait comme ayant voulu protéger M. Ernest-Antoine Sellières.

En réponse aux différents intervenants, M. Maxime Bono a souhaité s'inscrire en faux contre l'idée que renoncer à constituer une commission d'enquête serait un aveu d'impuissance du Parlement et des pouvoirs publics dans leur ensemble.

Constater que la commission d'enquête n'est pas la solution appropriée pour définir d'ici à la fin du mois de juin des solutions de reprise de la société Air Liberté ne signifie pas qu'il faut se résoudre à voir disparaître ces sociétés de transport aérien mais que d'autres leviers publics seront plus efficaces pour aider à la définition d'un plan de reprise.

Quant aux décisions économiques qui ont conduit à cette situation critique, il a rappelé que seule la justice serait à même de procéder à des enquêtes approfondies, selon une procédure inquisitoire, pour déterminer les responsabilités et apprécier si des actes délictueux ont été commis. De plus, il a indiqué qu'une commission d'enquête ne disposant que d'un délai de six mois pour mener ses travaux, elle ne serait pas en mesure de procéder dans ce délai à un audit financier de l'ensemble des sociétés et filiales du groupe.

Il a enfin tenu à renvoyer chaque parlementaire à son sens des responsabilités et s'est interrogé pour savoir quel parlementaire pourrait soutenir que l'organisation d'auditions et de déplacements auprès des sociétés concernées permettrait de proposer, avant le 30 juin, un plan de reprise de la société Air Liberté ?

M. Pierre Ducout, président, a indiqué que le rôle de la commission était d'obtenir des explications du pouvoir exécutif, comme elle avait pu le faire l'an dernier en auditionnant le directeur de l'aviation civile. Il a annoncé qu'il rapporterait à M. André Lajoinie la demande des commissaires de pouvoir auditionner sur cette question le ministre chargé des transports, M. Jean-Claude Gayssot, avant la fin du mois de juin prochain.

M. Claude Birraux a proposé que, si plusieurs personnes devaient être entendues par la commission sur cette affaire, les auditions soient communes.

Puis, conformément aux conclusions du rapporteur, la commission a rejeté la proposition de résolution (n° 3020).