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le 29 mai 1998

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N° 930

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 27 mai 1998.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE (1) SUR LE PROJET DE LOI CONSTITUTIONNELLE (n° 835) relatif au Conseil supérieur de la magistrature,

PAR M. JACQUES FLOCH,

Député.

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(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

Justice.

La commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République est composée de : Mme Catherine Tasca, présidente ; MM. Jean-Louis Borloo, Gérard Gouzes, Mme Christine Lazerges, vice-présidents ; MM. Richard Cazenave, André Gerin, Arnaud Montebourg, secrétaires ; M. Pierre Albertini, Mme Nicole Ameline, MM. Léo Andy, Léon Bertrand, Patrick Braouezec, Mme Frédérique Bredin, MM. Jacques Brunhes, Michel Buillard, Dominique Bussereau, Christophe Caresche, Patrice Carvalho, Mme Nicole Catala, MM. Olivier de Chazeaux, Pascal Clément, Jean Codognès, François Colcombet, Michel Crépeau, François Cuillandre, Henri Cuq, Jacky Darne, Camille Darsières, Bernard Derosier, Marc Dolez, Renaud Donnedieu de Vabres, René Dosière, Julien Dray, Renaud Dutreil, Mme Nicole Feidt, MM. Jacques Floch, Raymond Forni, Pierre Frogier, Claude Goasguen, Louis Guédon, Guy Hascoët, Philippe Houillon, Michel Hunault, Henry Jean-Baptiste, Jérôme Lambert, Mme Claudine Ledoux, MM. Jean-Antoine Léonetti, Bruno Le Roux, Mme Raymonde Le Texier, MM. Jacques Limouzy, Thierry Mariani, Louis Mermaz, Jean-Pierre Michel, Ernest Moutoussamy, Henri Nallet, Mme Véronique Neiertz, MM. Robert Pandraud, Christian Paul, Vincent Peillon, Dominique Perben, Henri Plagnol, Didier Quentin, Bernard Roman, Gilbert Roseau, José Rossi, Frantz Taittinger, André Thien Ah Koon, Jean Tiberi, Alain Tourret, André Vallini, Alain Vidalies, Jean-Luc Warsmann.

INTRODUCTION 5

1. Dans sa rédaction initiale, la Constitution de la Ve République traduit une conception restrictive de la place de la justice au sein de l'Etat 9

a) En 1946, la création du Conseil supérieur de la magistrature a mis fin à une situation où la carrière et la discipline des magistrats dépendaient du seul ministre de la justice 9

b) En 1958, le lien organique entre le pouvoir exécutif et la magistrature a été renforcé 9

2. La révision constitutionnelle du 27 juillet 1993 a contribué à renforcer l'indépendance de l'autorité judiciaire mais n'est pas allée au terme de sa logique unitaire 11

a) Les sources de nomination des membres du Conseil supérieur de la magistrature sont plus diversifiées 11

b) Le Conseil supérieur de la magistrature fait des propositions pour toutes les nominations de chef de juridiction et donne un avis conforme pour celles du siège 12

c) Le Conseil supérieur de la magistrature donne un avis sur les projets de nomination de certains magistrats du parquet et sur les sanctions disciplinaires concernant les parquetiers 12

3. Le projet de loi constitutionnelle donne au Conseil supérieur de la magistrature une autorité perdue en 1958 et partiellement recouvrée en 1993 13

a) Le Conseil supérieur de la magistrature est réunifié 14

b) Les membres du Conseil supérieur de la magistrature sont désignés de manière à permettre une gestion plus ouverte du corps judiciaire 15

c) Tous les magistrats bénéficieront de garanties comparables 16

AUDITIONS 19

Audition de M. Pierre Truche, premier président de la Cour de cassation 19

Audition de Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice 30

Audition de MM. Thomas Ferenczi, Antoine Garapon, René Rémond, Thierry Renoux et Hervé Temime 49

DISCUSSION GÉNÉRALE 77

EXAMEN DES ARTICLES 83

Article premier (art. 65 de la Constitution) : Composition et attributions du Conseil supérieur de la magistrature 83

Article 2 : Dispositions transitoires 89

TABLEAU COMPARATIF 91

AMENDEMENTS NON ADOPTÉS PAR LA COMMISSION 93

ANNEXE : Eléments d'information sur la législation applicable à la magistrature dans quelques pays de l'Union européenne :

-  Allemagne 95

-  Espagne 98

-  Italie 99

-  Royaume Uni 100

MESDAMES, MESSIEURS,

Cinq ans à peine après une première révision constitutionnelle du titre VIII de notre Constitution, et plus précisément de son article 65 consacré au Conseil supérieur de la magistrature, l'heure est à nouveau à une réforme. Ce réexamen d'une disposition récemment modifiée, et à laquelle il n'avait pas été touché pendant trente-cinq ans, traduit à l'évidence l'intérêt désormais porté à l'autorité judiciaire et les enjeux liés à son fonctionnement.

Dans l'histoire constitutionnelle française, pourtant riche de figures institutionnelles variées, l'autorité judiciaire n'a longtemps été que le parent pauvre de l'équilibre des pouvoirs : ne pouvant se prévaloir de la légitimité conférée par l'élection, elle était reléguée aux utilités, parfois tolérée à condition d'être serviable, que le pouvoir dominant soit législatif ou exécutif. Son actuelle autonomisation, revendiquée par le corps judiciaire et souhaitée par des Français sceptiques sur l'indépendance de la justice à l'égard du pouvoir exécutif, constitue sans doute un nouveau développement de l'Etat de droit : cette phase inédite succède à celle ayant consacré, à partir des années soixante-dix, le rôle et l'enracinement de la justice constitutionnelle dans notre pays. Le développement des affaires politico-judiciaires n'est pas non plus étranger à la réflexion engagée sur la place et le rôle de la magistrature dans une démocratie moderne, où la demande de transparence est de plus en plus forte.

Il s'agit là d'un débat fondamental qui met en cause le pacte social et la crédibilité de nos institutions. D'où les tâtonnements du constituant, également observables chez plusieurs de nos voisins (Belgique, Italie, Pays-Bas,...) qui, eux aussi, s'interrogent sur le statut des magistrats, en particulier sur celui du parquet plus exposé à connaître une dérive de la politique pénale vers la politique tout court. Alors même que dans 99 % des dossiers qu'ils ont à traiter les magistrats du parquet s'estiment " libres de conduire leurs investigations et leurs poursuites comme ils l'entendent " (cf. rapport Arthuis sur le fonctionnement des services relevant de l'autorité judiciaire), le soupçon qui se porte sur le ministère public - et plus particulièrement sur quelques " postes sensibles " - rejaillit sur l'ensemble de la magistrature. Pourtant, les juges du siège, de par leurs modalités de désignation et leur inamovibilité, bénéficient d'ores et déjà de toutes les garanties nécessaires pour être indépendants du pouvoir politique.

Depuis une quinzaine d'années, il n'est pas de programme de parti politique ou de manifeste émanant d'une organisation professionnelle de magistrats qui n'évoque la réforme du Conseil supérieur de la magistrature. Le Parlement n'est pas resté à l'écart de ce bouillonnement, la révision constitutionnelle du 27 juillet 1993 n'ayant toutefois pas suffi à clore le débat, faute d'une réponse totalement satisfaisante à des problèmes persistants. Comme le relevait M. André Fanton, alors rapporteur du projet de loi constitutionnelle au nom de la commission des Lois de l'Assemblée nationale, le Conseil supérieur de la magistrature est devenu " la figure emblématique de l'indépendance de la justice, en tout cas de son indépendance à l'égard du pouvoir exécutif, compte tenu de la prédominance de celui-ci dans l'équilibre institutionnel de la Ve République ".

Les trois derniers septennats ont été marqués par une préoccupation commune de réformer le Conseil supérieur de la magistrature, l'article 64 faisant du président de la République le garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire. Dès le début du premier septennat de François Mitterrand, M. Robert Badinter, garde des sceaux, avait mis en place une commission d'étude sur la réforme du statut des magistrats : celle-ci s'était prononcée en faveur d'une profonde modification de la composition, mais aussi des attributions, du Conseil supérieur de la magistrature, prônant, notamment, leur extension à la nomination des magistrats du parquet. De telles innovations passaient nécessairement par une révision de la Constitution mais la commission avait souligné que les modalités d'exercice des compétences du Conseil pouvaient être améliorées, sans révision constitutionnelle, à défaut d'une modification de ses attributions. C'est cette seconde voie qui l'emporta : M. Henri Nallet, garde des sceaux, déposa un projet de loi organique modifiant l'ordonnance n° 58-1271 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au Conseil supérieur de la magistrature qui améliorait le mode de désignation de ses membres et précisait les conditions d'exercice de leurs attributions. Examiné par votre commission des lois en novembre 1991, ce projet ne fut finalement pas inscrit à l'ordre du jour, le chef de l'Etat ayant annoncé dans une allocution télévisée son intention de modifier la Constitution.

Une tentative ultérieure d'amélioration du statut des magistrats, cette fois en modifiant l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, fut partiellement censurée par le Conseil constitutionnel le 21 février 1992 : il déclara non conforme à l'article 65 de la Constitution, la disposition soumettant toute décision de nomination des magistrats du siège à l'avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature. En revanche, il valida, d'une part, la création d'une commission consultative du parquet chargée de rendre un avis sur les projets de nomination présentés par le ministre de la justice et, d'autre part, l'élection de tous les membres de la commission de discipline du parquet obligatoirement consultée par le ministre avant de prononcer une sanction.

En décembre 1992, François Mitterrand chargeait un comité consultatif, présidé par M. Georges Vedel, de rendre un avis sur une profonde révision de nos institutions tendant, notamment, à " améliorer les garanties de l'indépendance des magistrats ". Remis au chef de l'Etat en février 1993, le " rapport Vedel " préconisait une modification de la composition du Conseil supérieur de la magistrature (cinq magistrats élus et quatre personnalités désignées respectivement par les présidents de la République, de l'Assemblée nationale, du Sénat et du Conseil constitutionnel, le garde des sceaux n'étant plus vice-président de droit). Par ailleurs, le comité consultatif suggérait de transférer au Conseil supérieur de la magistrature le pouvoir de décision pour la nomination des magistrats du siège, à l'exception des membres de la Cour de cassation et des premiers présidents de cour d'appel pour lesquels il continuerait de faire des propositions au chef de l'Etat.

Sur la base de ce rapport, mais sans en reprendre toutes les conclusions, notamment celles concernant le statut des magistrats, le gouvernement de Pierre Bérégovoy élaborait deux projets de loi constitutionnelle déposés en mars 1993 sur le bureau du Sénat, à la veille du renouvellement de l'Assemblée nationale. Le projet de loi instituant la Cour de justice de la République et modifiant la composition et les attributions du Conseil supérieur de la magistrature allait devenir la loi constitutionnelle du 27 juillet 1993, M. Edouard Balladur étant entre temps devenu Premier ministre et François Mitterrand ayant été réélu président de la République.

La réforme de 1993 ne peut être considérée que comme une première étape, nécessaire mais insuffisante, en ce qu'elle n'a pas accordé des garanties similaires à tous les magistrats. Il n'y a pourtant qu'un seul corps judiciaire comprenant l'ensemble des magistrats qui, au cours de leur carrière, ont vocation à occuper indifféremment toutes les fonctions, qu'elles relèvent du siège ou du parquet. Ces garanties, qu'il s'agisse de la nomination aux emplois du corps judiciaire ou de la mise en cause disciplinaire des magistrats, sont non seulement fort importantes pour le corps judiciaire, mais aussi pour tout le corps social, les citoyens devant être assurés de l'indépendance des juges dans leur mission d'application des lois.

C'est pourquoi, le 21 janvier 1997, le président de la République installait une commission de réflexion sur la justice présidée par M. Pierre Truche, premier président de la Cour de cassation, et chargée de réfléchir aux moyens d'assurer l'indépendance du parquet et la présomption d'innocence.

Composée de vingt et un membres juristes et non-juristes provenant d'horizons très divers, cette commission a remis son rapport au chef de l'Etat en juillet dernier. Concernant le statut des magistrats du parquet, elle s'est opposée à la création d'un corps distinct et à la remise en cause de l'organisation hiérarchisée. Elle a suggéré que le Conseil supérieur de la magistrature comprenne majoritairement des non-magistrats et que les magistrats soient élus dans des conditions permettant une représentation aussi large que possible. Il lui est apparu souhaitable que le président de la République n'ait pas voix délibérative et que le garde des sceaux ne fasse plus partie du Conseil supérieur de la magistrature mais présente ses avis et propositions. Enfin, elle a proposé que les magistrats du parquet soient nommés sur proposition du garde des sceaux mais après avis conforme du Conseil, lequel par ailleurs deviendrait le conseil de discipline des parquetiers.

Singularité remarquable, c'est à nouveau dans une période de cohabitation institutionnelle - même si elle est inversée quant aux appartenances politiques respectives des chefs de l'Etat et du gouvernement - qu'une réforme du Conseil supérieur de la magistrature est engagée. Comme en 1993, le président de la République est à l'origine de la réforme même si celle-ci est présentée, en son nom, par un gouvernement issu d'élections législatives ayant entraîné une alternance en cours de septennat. C'est la preuve que, sur un sujet fondamental pour la démocratie, les clivages partisans s'effacent.

Dans sa rédaction initiale, la Constitution de la Ve République traduit une conception restrictive de la place de la justice au sein de l'Etat (1). La révision constitutionnelle du 27 juillet 1993 a contribué à renforcer l'autorité judiciaire mais elle n'est pas allée au terme de sa logique unitaire (2). Le projet de loi constitutionnelle parachève cette évolution en donnant au Conseil supérieur de la magistrature une autorité perdue en 1958 et partiellement recouvrée en 1993 (3).

1. Dans sa rédaction initiale, la Constitution de la Ve République traduit une conception restrictive de la place de la justice au sein de l'Etat

En 1946, la création du Conseil supérieur de la magistrature a mis fin à une situation où la carrière et la discipline des magistrats dépendaient du seul ministre de la justice (a). Mais, en 1958, le lien organique entre le pouvoir exécutif et la magistrature a été renforcé (b).

a) En 1946, la création du Conseil supérieur de la magistrature a mis fin à une situation où la carrière et la discipline des magistrats dépendaient du seul ministre de la justice

Historiquement, le Conseil supérieur de la magistrature apparaît pour la première fois dans la loi du 31 août 1883 et désigne une formation particulière de la Cour de cassation cantonnée dans des fonctions disciplinaires. Sa véritable entrée dans nos institutions date de la IVe République, qui consacre son titre VII au Conseil supérieur de la magistrature. Il est alors composé de douze membres (art. 111) : le président de la République, président ; le garde des sceaux, vice-président ; six personnalités élues pour six ans par l'Assemblée nationale, à la majorité des deux tiers et en dehors de ses membres, six suppléants étant élus dans les mêmes conditions ; quatre magistrats élus par leurs pairs, quatre suppléants étant élus dans les mêmes conditions. Le chef de l'Etat nomme en Conseil supérieur de la magistrature les magistrats, à l'exclusion de ceux du parquet, et le Conseil assure la discipline des magistrats du siège (art. 112).

Mise en place pour encadrer le pouvoir de nomination présidentiel, la nomination des juges par le chef de l'Etat étant acquise dès la Constitution de l'an VIII (art. 41), le fonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature donne lieu à de vives critiques, les carrières des magistrats n'échappant ni aux influences politiques ni aux considérations corporatistes. Aussi, la désignation de ses membres par des élus et par les magistrats va-t-elle être écartée par les constituants de 1958.

b) En 1958, le lien organique entre le pouvoir exécutif et la magistrature a été renforcé

Sans qu'il soit question de le supprimer, le Conseil supérieur de la magistrature est néanmoins fortement réaménagé par les pères fondateurs de la Ve République. Compte tenu des dérives observées sous la précédente République et du climat général de rééquilibrage des institutions en faveur de l'exécutif, et plus particulièrement du président de la République, sa composition est profondément modifiée.

Présidé par le chef de l'Etat, le garde des sceaux en étant vice-président de droit, le Conseil supérieur de la magistrature comprend en outre neuf membres, tous désignés par le président de la République dans des conditions fixée par une loi organique, soit : trois membres de la Cour de cassation et trois magistrats du siège des cours et tribunaux, choisis sur une liste établie par le bureau de la Cour de cassation et comportant, pour chacune des catégories, un nombre de noms triple du nombre de postes à pourvoir ; un conseiller d'Etat, choisi sur une liste de trois noms établie par l'assemblée générale du Conseil d'Etat ; deux personnalités n'appartenant pas à la magistrature et choisies à raison de leur compétence.

Si le travers du corporatisme a pu être évincé, le soupçon politique ne l'a pas été : il s'est simplement déplacé. Chargé de veiller au respect de la Constitution, le président de la république assure par son arbitrage le fonctionnement régulier des pouvoirs publics (art. 5) et, à ce titre, il est le garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire (art. 64). Cependant, la Ve République a été marquée d'emblée, et en rupture avec la tradition républicaine, par la position prééminente du chef de l'Etat dans le fonctionnement des institutions, ensuite renforcée par son élection au suffrage universel direct. Devenu un acteur déterminant du jeu politique, sa présence au sein du Conseil supérieur de la magistrature et, surtout, le fait que tous les membres de cet organe soient désignés par lui ne sont pas apparus comme la meilleure garantie contre l'interférence de considérations " non avouables " du pouvoir exécutif dans la nomination des magistrats. En outre, l'apparition de la cohabitation au sommet de l'exécutif permis de constater que les nominations de magistrats pouvaient être un enjeu politique au sein de l'exécutif.

L'intensité des liens entre justice et pouvoir exécutif est donc apparue particulièrement forte : à l'exception des magistrats du siège de la Cour de cassation et des premiers présidents de cour d'appel dont la nomination était proposée au président de la République par le Conseil supérieur de la magistrature, toutes les autres nominations de magistrats du siège étaient proposées par le ministre de la justice avec un simple avis du Conseil. Quant aux magistrats du parquet, ils étaient nommés en dehors de toute consultation des membres du Conseil supérieur de la magistrature, un léger progrès étant toutefois apparu avec la création de la commission consultative du parquet en 1992.

2. La révision constitutionnelle du 27 juillet 1993 a contribué à renforcer l'indépendance de l'autorité judiciaire mais n'est pas allée au terme de sa logique unitaire

Depuis l'adoption de la loi constitutionnelle du 27 juillet 1993, les sources de nomination des membres du Conseil supérieur de la magistrature sont plus diversifiées (a). Par ailleurs, le Conseil supérieur de la magistrature fait des propositions pour toutes les nominations de chef de juridiction et donne un avis conforme sur celles du siège (b). En outre, il donne un avis sur les projets de nomination de certains magistrats du parquet et sur les sanctions disciplinaires concernant tous les parquetiers (c).

a) Les sources de nomination des membres du Conseil supérieur de la magistrature sont plus diversifiées

La loi constitutionnelle du 27 juillet 1993 a porté à douze le nombre des membres du Conseil supérieur de la magistrature, qui reste présidé par le chef de l'Etat, le garde des sceaux en étant vice-président de droit. L'une des innovations de la réforme est d'avoir dédoublé le Conseil qui comprend désormais deux formations compétentes à l'égard des magistrats du siège pour la première et des magistrats du parquet pour la seconde. Outre les représentants de l'exécutif, quatre membres siègent au sein des deux formations : un conseiller d'Etat désigné par le Conseil d'Etat et trois personnalités désignées respectivement par le président de la République, le président de l'Assemblée nationale et le président du Sénat. Chaque formation comprend enfin six magistrats élus par leurs pairs : cinq magistrats du siège et un du parquet pour la formation compétente à l'égard des magistrats du siège ; cinq magistrats du parquet et un du siège pour celle compétente à l'égard des parquetiers.

Cette nouvelle composition tend à assurer, dans l'équilibre, une diversification des sources de nomination. En conséquence, le chef de l'Etat qui désignait auparavant neuf membres du Conseil supérieur de la magistrature n'en nomme plus qu'un. Les membres magistrats ne sont plus désignés par une autorité politique mais élus par leurs pairs et sont à parité avec les personnalités qui ne peuvent appartenir à l'ordre judiciaire. Le pouvoir législatif est impliqué dans la nomination de deux membres du Conseil, qui ne peuvent pas être parlementaires, en la personne des présidents des deux assemblées, sans que les clivages partisans soient reproduits au sein de cet organe comme sous la IVe République.

b) Le Conseil supérieur de la magistrature fait des propositions pour toutes les nominations de chef de juridiction et donne un avis conforme pour celles du siège

La réforme de 1993 a étendu aux 181 présidents de tribunal de grande instance, dont certains sont placés hors hiérarchie comme les magistrats du siège de la Cour de cassation et les 33 premiers présidents de cour d'appel, le bénéfice d'être nommés sur proposition du Conseil supérieur de la magistrature et non plus du ministre de la justice. C'est donc près de 350 emplois auxquels il est pourvu sur proposition du Conseil, soit un peu plus de 7 % des emplois du siège des juridictions.

Par ailleurs, les magistrats du siège qui ne sont ni chef d'une juridiction ni affectés à la Cour de cassation, soit un peu moins de 93 % des emplois du siège, sont assurés d'être au moins nommés sur l'avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature : cet avis lie le ministre de la justice pour ses propositions de nomination au président de la République.

c) Le Conseil supérieur de la magistrature donne un avis sur les projets de nomination de certains magistrats du parquet et sur les sanctions disciplinaires concernant les parquetiers

A l'initiative du Sénat, le champ de compétences du Conseil supérieur de la magistrature a été étendu aux magistrats du parquet, pour la première fois de l'histoire de cet organe constitutionnel. Toutefois, l'avis donné par le Conseil ne lie pas le ministre de la justice, qui peut donc passer outre.

Les inconvénients de cette demi-mesure, qui, en définitive, n'a fait que transférer au Conseil supérieur de la magistrature les compétences détenues par la commission consultative du parquet, sont vite apparus : rompant avec l'usage qui commençait de se mettre en place, le précédent garde des sceaux a repris la liberté, qui était sienne, de proposer au chef de l'Etat la nomination à des fonctions du parquet de magistrats qui n'avaient pas eu l'agrément du Conseil supérieur de la magistrature. Le rapport pour 1996 du Conseil indique ainsi que, du 26 juillet 1995 au 17 octobre 1996, 46 % des avis défavorables de la formation du parquet n'ont pas été suivis, alors que du 7 juillet 1994 au 16 juin 1995, le garde des sceaux du gouvernement Balladur n'avait jamais passé outre à un avis défavorable. C'est d'ailleurs ce à quoi, dès sa prise de fonction, l'actuelle ministre de la justice s'est engagée et tenue.

Comment justifier pareille discrimination dans les garanties dont bénéficient les magistrats, selon leur affectation, dans le déroulement de leur carrière, alors que le Conseil constitutionnel a affirmé, à plusieurs reprise, la valeur constitutionnelle du principe de l'indépendance de la magistrature et l'unité du corps judiciaire (cf. décisions du 22 juillet 1980 et du 27 juin 1994) ? Est-il satisfaisant que les nominations aux postes les plus sensibles du parquet ne soient même pas soumises à l'avis du Conseil supérieur de la magistrature ? Les procureurs généraux, près la Cour de cassation et près les cours d'appel sont, en effet, nommés en conseil des ministres, ce qui, en outre, ne manque pas de donner lieu à des " marchandages ", dont la presse se fait l'écho, en période de cohabitation.

Enfin, ce qui est encore plus choquant sur le plan des droits, les magistrats du parquet bénéficient de garanties moindres que leurs collègues du siège si une procédure disciplinaire est engagée à leur encontre. Alors que la formation compétente à l'égard des magistrats du siège statue comme conseil de discipline, celle compétente à l'égard des magistrats du parquet doit se contenter de donner son avis sur les sanctions disciplinaires prononcées par le garde des sceaux.

3. Le projet de loi constitutionnelle donne au Conseil supérieur de la magistrature une autorité perdue en 1958 et partiellement recouvrée en 1993

Le projet de loi constitutionnelle réunifie le Conseil supérieur de la magistrature (a), module la désignation des membres du Conseil supérieur de la magistrature de manière à permettre une gestion plus ouverte du corps judiciaire (b) et fait bénéficier tous les magistrats de garanties comparables (c).

Dans sa déclaration de politique générale, prononcée le 17 juin 1997 alors que la " commission Truche " était sur le point d'achever ses travaux, le Premier ministre affirmait avec force que " Dans la nation, faire vivre la République, c'est s'assurer d'un Etat qui inspire le respect, qui redevienne impartial, qui se conforme au droit. Les responsabilités de l'Etat doivent être assumées sans défaillances. Au premier rang de celles-ci, il y a la justice ". Soulignant que " le respect du droit est fondamental pour la République et la démocratie " et que " sans lui, le lien social se dissout et les institutions sont discréditées ", il affirmait que la justice doit être indépendante et impartiale. C'est pourquoi, continuait-il, " le Conseil supérieur de la magistrature doit assurer à la carrière des magistrats les mêmes garanties qu'à celles des juges du siège ".

Le 15 janvier dernier, soit six mois après la fin des travaux de la " commission Truche ", la garde des sceaux faisait au Parlement une déclaration sur la réforme de la justice où elle précisait sa conception d'une justice indépendante et impartiale. Favorable au maintien du ministère public dans le corps judiciaire, elle annonçait que le Conseil supérieur de la magistrature comporterait une seule formation compétente à l'égard de tous les magistrats, que sa composition permettrait de promouvoir " le pluralisme des représentants des magistrats et l'ouverture à des personnalités extérieures ", précisant que tous les magistrats du parquet seraient nommés après avis conforme du Conseil. Elle soulignait que cette réforme était " essentielle pour rendre confiance en la justice ", notamment en ce qui concerne les relations du parquet avec le garde des sceaux, rappelant que " certaines nominations intervenues ces dernières années, et encore à une période récente, ont jeté le discrédit sur les pratiques suivies en la matière ". Sur ces bases, un projet de loi constitutionnelle relatif au Conseil supérieur de la magistrature était déposé le 15 avril 1998 sur le bureau de notre assemblée.

a) Le Conseil supérieur de la magistrature est réunifié

L'expérience a rapidement démontré que l'existence de deux formations au sein du Conseil supérieur de la magistrature relevait d'une dichotomie artificielle. A telle enseigne que, lors du renouvellement en juillet dernier des présidents de ses diverses formations, le Conseil supérieur de la magistrature a choisi un membre du parquet pour présider la formation du siège et un membre du siège pour présider celle du parquet : il souhaitait sans doute manifester ainsi l'unité du monde judiciaire et l'opportunité de calquer la carrière des parquetiers sur celle des magistrats du siège. Par ailleurs, la pratique des réunions plénières s'est développée face au besoin ressenti par les membres du Conseil de confronter et d'harmoniser leurs méthodes.

Il est d'autant plus indispensable de mettre fin à ce découplage, selon que les nominations concernent des magistrats du siège ou du parquet, que les attributions du Conseil supérieur de la magistrature tendent à devenir les mêmes, quelles que soient les fonctions judiciaires en cause. En effet, le projet de loi constitutionnelle prévoit que tous les magistrats seront nommés sur l'avis conforme du Conseil, à l'exception des nominations des magistrats du siège de la Cour de cassation, de premier président de cour d'appel et de président de tribunal de grande instance pour lesquelles il fera lui-même des propositions au chef de l'Etat.

b) Les membres du Conseil supérieur de la magistrature sont désignés de manière à permettre une gestion plus ouverte du corps judiciaire

Le nombre des membres du Conseil supérieur de la magistrature est presque doublé, l'équilibre entre magistrats et non-magistrats étant légèrement modifié : six magistrats sur douze membres actuellement contre dix sur vingt-trois membres dans le projet. Le gouvernement a voulu ainsi parer au reproche de corporatisme dans la gestion du corps judiciaire alors que les pouvoirs du Conseil supérieur de la magistrature vont être accrus, même si l'expérience semble montrer qu'un rapport de forces entre magistrats et non-magistrats n'a jamais été de mise dans les délibérations du Conseil.

Le nombre des personnalités extérieures au corps judiciaire passe de trois à dix. Le chef de l'Etat et les présidents des assemblées désigneront six d'entre elles, soit deux chacun : le rapport entre les membres nommés par une autorité politique et les autres membres, exclusion faite des deux représentants de l'exécutif, reste le même mais est supérieur au regard du nombre de personnalités siégeant au Conseil supérieur de la magistrature.

Deux personnalités seront, en effet, désignés par le président du Conseil économique et social, placé au neuvième rang dans le protocole de l'Etat, qui est ainsi associé pour la première fois à la désignation de membres d'un organe constitutionnel : à travers lui, les auteurs du projet ont sans doute voulu associer une assemblée représentant les " forces vives de la Nation " à la nomination des magistrats, lesquels rendent la justice au nom du peuple français.

Enfin, trois des plus hautes autorités juridictionnelles représentant toutes les juridictions, et pas seulement l'ordre judiciaire, nommeront conjointement deux membres : ces hauts magistrats sont le vice-président du Conseil d'Etat et les premiers présidents de la Cour de cassation et de la Cour des comptes. Faut-il y voir la modeste préfiguration d'un conseil supérieur du pouvoir judiciaire qui serait compétent pour la nomination de tous les juges professionnels, voire pour celle des juges non professionnels ?

COMPOSITION DU CONSEIL SUPÉRIEUR DE LA MAGISTRATURE

 

1946
(12 membres)

1958
(11 membres)

1993
(12 membres)

Projet de loi constitutionnelle
(23 membres)

Président

Président
de la République

Président
de la République

Président
de la République

Président
de la République

Vice-président

Garde
des sceaux

Garde
des sceaux

Garde
des sceaux

Garde
des sceaux


Membres

- 6 personnalités élues par l'Assemblée nationale

- 9 membres désignés par le Président de la République

- 1 conseiller d'Etat désigné par le Conseil d'Etat

- 1 conseiller d'Etat désigné par le Conseil d'Etat

 

- 4 magistrats élus par leurs pairs

 

- 3 personnalités désignées, respectivement, par le Président de la République, le Président de l'Assemblée nationale et le Président du Sénat

- 6 personnalités désignées, respectivement, à raison de deux, par le Président de la République, le Président de l'Assemblée nationale et le Président du Sénat

     

- 6 magistrats désignés par leurs pairs (5 du siège et 1 du parquet pour la formation compétente à l'égard des magistrats du siège ; 5 du parquet et 1 du siège pour la formation compétente à l'égard de ceux du parquet)

- 2 personnalités désignées par le Président du Conseil économique et social

- 2 personnalités désignées, conjointement, par le vice-président du Conseil d'Etat, le premier président de la Cour de cassation et le premier président de la Cour des comptes

       

- 10 magistrats désignés par leurs pairs

c) Tous les magistrats bénéficieront de garanties comparables

Enfin, et surtout, le projet prévoit que les 1.400 magistrats du parquet, comme la plupart des 4.700 magistrats du siège, seront nommés sur avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature. Non seulement le ministre de la justice ne pourra plus passer outre à un avis négatif du Conseil sur son projet de nomination, mais toutes les fonctions du parquet, de la base au sommet, dépendront de cet avis conforme : les 33 procureurs généraux près les cours d'appel et le procureur général près la Cour de cassation entreront donc dans la procédure de droit commun des nominations judiciaires.

Par ailleurs, le Conseil supérieur de la magistrature statuera comme conseil de discipline, que le magistrat en cause exerce des fonctions du siège ou du parquet. Dans cette circonstance, il sera présidé, selon les fonctions occupées par le magistrat en cause, par le premier président de la Cour de cassation ou par le procureur général près ladite Cour.

ATTRIBUTIONS DU CONSEIL SUPÉRIEUR DE LA MAGISTRATURE

 

1946

1958

1993

Projet de loi constitutionnelle

Nominations

- Nomination de magistrats du siège par le Président de la République en Conseil supérieur de la magistrature

- Propositions pour les nominations de magistrats du siège à la Cour de cassation et de premier président de cour d'appel

- Propositions pour les nominations des magistrats du siège de la Cour de cassation, de premier président de cour d'appel et de président de tribunal de grande instance

- Propositions pour les nominations des magistrats du siège de la Cour de cassation, de premier président de cour d'appel et de président de tribunal de grande instance

   

- Avis sur les propositions du ministre de la justice pour les autres magistrats du siège

- Avis conforme pour les nominations des autres magistrats du siège

- Avis conforme pour les nominations des autres magistrats du siège

     

- Avis pour les nominations concernant les magistrats du parquet, à l'exclusion des emplois de procureur général près la Cour de cassation ou près une cour d'appel pourvus en Conseil des ministres

- Avis conforme pour les nominations concernant les magistrats du parquet

Discipline

- Assure la discipline des magistrats du siège

- Statue comme conseil de discipline des magistrats du siège

- Statue comme conseil de discipline des magistrats du siège

- Statue comme conseil de discipline des magistrats du siège

       

- Statue comme conseil de discipline des magistrats du parquet

Une fois le projet de loi constitutionnelle adopté, cette réforme sera complétée par deux projets de loi modifiant les lois organiques relatives au Conseil supérieur de la magistrature et au statut de la magistrature. D'après les avant-projets communiqués à votre rapporteur, les principales innovations seraient les suivantes : élection des magistrats siégeant au Conseil supérieur de la magistrature au suffrage direct et à la représentation proportionnelle et caractère public de l'audience du conseil de discipline. Par ailleurs, et ce n'est pas le moindre aspect de la réforme de la justice engagée par la garde des sceaux, trois projets de loi porteront sur les rôles du parquet et du ministre de la justice, sur la présomption d'innocence et les droits des victimes ainsi que sur les alternatives aux poursuites, ce dernier volet ayant déjà donné lieu au dépôt d'un projet de loi (n° 434) sur le bureau du Sénat. Enfin, un projet de loi sur l'accès au droit devrait être prochainement discuté à l'Assemblée nationale. Cet édifice législatif, accompagné de moyens renforcés, devrait permettre à la justice de franchir le siècle avec un sensible gain qualitatif pour les justiciables.

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AUDITIONS

Audition de M. Pierre Truche,
premier président de la Cour de cassation

(jeudi 4 septembre 1997)

M. Pierre Truche a tout d'abord rappelé que la commission de réflexion sur la Justice, composée de vingt et un membres juristes et non juristes provenant d'horizons très divers, avait formulé la plupart de ses propositions à l'unanimité ou à une très nette majorité, témoignant ainsi de la possibilité de trouver un large accord dans un domaine pourtant sensible. Il a également souligné l'intérêt des points de vue exprimés dans les annexes au rapport qui rassemblent des contributions très diverses. Evoquant l'environnement dans lequel la réflexion de la commission avait été conduite, le Premier président a fait observer qu'entre la loi de la République, commune à tous, et les décisions des juridictions unifiées par la jurisprudence de la Cour de cassation qui assure, en principe, une application uniforme de cette loi, subsistait en fait un espace dans lequel les lois n'étaient pas appliquées, en dehors de toute sanction judiciaire. Soulignant que cette situation nourrissait les soupçons de pressions politiques et alimentait les critiques à l'égard des 181 procureurs, souvent assimilés à des féodaux, notamment en raison du principe de l'opportunité des poursuites, il a présenté les propositions formulées par la commission pour y remédier.

Elle a ainsi préconisé l'émergence d'une véritable politique de l'action publique, assortie d'une plus grande transparence et d'une meilleure concertation entre les différents acteurs. Cette orientation suppose, en premier lieu, le maintien du principe de l'opportunité des poursuites - préféré à celui de la légalité des poursuites qui, s'il est en principe en vigueur en Italie ou en Allemagne y est souvent inappliqué pour des raisons matérielles ou d'opportunité - dans le droit fil de la recommandation du Conseil des ministres du Conseil de l'Europe ; cette position se trouve également justifiée par le fait que les plaintes trouvent de plus en plus fréquemment une issue, indépendamment de toute poursuite, en particulier par le biais de la médiation ou de la réparation.

La mise en _uvre d'une véritable politique de l'action publique, qui ne doit plus se contenter d'organiser la réaction de l'appareil judiciaire, mais doit également permettre de l'anticiper face aux comportements délinquants, nécessite une évolution de l'organisation du ministère public, se traduisant par le renforcement du rôle des procureurs généraux chargés de coordonner l'action publique au niveau régional, et une révision de la carte judiciaire qui ne devrait pas nécessairement conduire à supprimer des juridictions ; elle implique également de privilégier la concertation, les réunions entre membres du parquet donnant lieu à l'élaboration de comptes rendus permettant la rédaction d'un rapport annuel transmis au Parlement qui pourrait ainsi contrôler l'application de la loi pénale qu'il vote et, si besoin était, la modifier. Du coté du pouvoir exécutif, l'élaboration d'une politique de l'action publique plus cohérente ne suppose pas l'intervention d'une autorité indépendante dont la légitimité serait limitée dans le cadre constitutionnel actuel, mais doit continuer à relever du Garde des Sceaux qui doit agir par le biais de directives générales, à l'exclusion de toute instruction sur des affaires particulières ; cela n'exclut pas pour autant le dialogue entre les magistrats du parquet et le ministre qui devrait d'ailleurs pouvoir faire valoir sa position dans une affaire particulière par l'intermédiaire d'un avocat ou d'un magistrat.

La commission a suggéré, en outre, l'institution d'un recours judiciaire contre les classements sans suite devant une instance indépendante, qui serait composée de magistrats des plus hautes juridictions, à l'instar de la commission des requêtes de la Cour de justice de la République.

La commission a également formulé quelques propositions intéressant la police judiciaire : s'il n'apparaît pas réaliste de la rattacher au ministère de la Justice, d'autant que de nombreuses infractions relèvent d'autres services, le rôle du pouvoir judiciaire doit être renforcé dès lors que sont en jeu des missions de police judiciaire. C'est ainsi qu'apparaissent souhaitables, d'une part, la nomination de hauts magistrats auprès des ministères de l'Intérieur, de la Défense et des Finances respectivement responsables de la police, de la gendarmerie et des douanes et, d'autre part, l'obligation qui serait faite aux officiers de police judiciaire de prêter serment devant les tribunaux.

S'agissant du statut des magistrats du parquet, tout en rejetant la mise en place d'un corps distinct et la remise en cause de l'organisation hiérarchisée, la commission a axé sa réflexion sur l'indépendance et la responsabilité. D'une manière générale, elle a suggéré de modifier la composition du Conseil supérieur de la magistrature afin de trouver un nouvel équilibre dans lequel les magistrats seraient minoritaires : le Conseil comprendrait six magistrats, six personnalités désignées par le Président de la République, le Président du Sénat et le Président de l'Assemblée nationale et un conseiller d'Etat. S'agissant de ses attributions à l'égard des parquetiers, il recevrait compétence exclusive en matière disciplinaire tandis que les nominations continueraient à être faites sur proposition du Garde des Sceaux, mais après avis conforme du Conseil supérieur. Enfin, celui-ci pourrait donner des avis sur des problèmes généraux intéressant la Justice.

En ce qui concerne la question essentielle de la responsabilité des magistrats, constatant l'absence de toute action récursoire de la part de l'Etat en matière de responsabilité civile, la commission a suggéré que les mises en causes personnelles de magistrats figurent dans leurs dossiers et qu'il en soit tenu compte au moment des promotions. Au chapitre de la responsabilité déontologique, le serment des magistrats pourrait être modifié et les chefs de cours pourraient saisir le Conseil supérieur de la magistrature en cas de difficultés.

M. Pierre Truche a ensuite abordé les questions relatives au respect de la présomption d'innocence, principe constamment réaffirmé dans notre droit depuis 1789. Il a rappelé qu'étymologiquement, l'innocent est " celui qui ne nuit pas " ; or, a-t-il ajouté, il n'est pas contestable que, dans la société actuelle, la Justice et, avec elle, la presse nuisent à celui qui, avant d'avoir été jugé, doit être considéré comme innocent ; il a précisé, pour ce qui concerne la Justice, que des mesures telles que le placement en détention provisoire ou sous contrôle judiciaire peuvent être prises pour faire cesser une infraction, ce qui laisse nécessairement penser que la personne qui en fait l'objet est présumée coupable.

M. Pierre Truche a indiqué que, sans prétendre apporter une solution globale à ces questions extraordinairement difficiles, la commission de réflexion sur la Justice avait entendu proposer des améliorations ponctuelles. S'il ne lui a pas semblé nécessaire de modifier le rôle joué par l'avocat au cours de la garde à vue, elle a jugé souhaitable qu'il intervienne désormais dès le début de cette phase de la procédure pénale. Pour ce qui concerne le placement en détention provisoire, la commission a insisté sur la nécessité de ne plus confier au même magistrat le soin de conduire l'enquête et la responsabilité de prendre une décision qui est de nature juridictionnelle ; elle a souhaité, en conséquence, que le placement en détention provisoire soit décidé par une instance collégiale distincte du juge d'instruction, tout en reconnaissant que cette réforme se heurterait sans doute à des obstacles matériels, qui pourraient, toutefois, être atténués par la mise en place d'un système d'échevinage en matière correctionnelle. Par ailleurs, elle s'est demandée s'il ne conviendrait pas d'éliminer le trouble à l'ordre public - notion heureusement précisée par le législateur - de la liste des motifs pouvant justifier le placement en détention provisoire, lorsque la peine encourue est inférieure à trois ans d'emprisonnement.

Plus généralement, la commission a mis l'accent sur la nécessité de réduire la durée de l'instruction. Elle a jugé paradoxal que cette phase, en principe secrète, de la procédure soit très sensiblement plus longue que la phase publique de l'audience et s'est prononcée en faveur de l'introduction dans le code de procédure pénale de dates-butoirs contraignantes, au-delà desquelles les affaires seraient obligatoirement appelées en audience publique, que l'instruction soit achevée ou non. Elle a, par ailleurs, considéré que, sous réserve de la protection de l'ordre public et des bonnes moeurs, les débats préalables à des décisions juridictionnelles tenus au cours de l'instruction devaient être publics, les investigations menées par le magistrat instructeur demeurant, pour leur part, couvertes par le secret.

Enfin, M. Pierre Truche a souligné la difficulté de concilier le respect des principes de la présomption d'innocence et de la liberté de la presse. Il a fait observer qu'à l'inverse de la Justice, la presse exerçait son activité dans l'immédiateté et non dans la durée et sans s'astreindre au respect du principe du contradictoire ni se sentir tenue de révéler les sources de ses informations. M. Pierre Truche a considéré que la situation actuelle exigeait une refonte de la loi de 1881, mal adaptée, de surcroît, aux problèmes spécifiques de la presse audiovisuelle et, a fortiori, à ceux que posent les nouveaux instruments de communication électronique. Mais il a souligné que cette refonte ne pourrait qu'être d'ampleur limitée, la Cour européenne des droits de l'homme ayant retenu une interprétation extrêmement favorable à la presse de l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. Dans ce contexte, la commission a jugé souhaitable que soient adoptées des mesures restrictives portant sur la publication des noms des personnes mises en cause par une enquête ou une garde à vue conduites sous la direction du parquet, ces restrictions ne s'imposant pas au stade de l'instruction. Elle a également proposé la création d'une commission de réflexion qui interviendrait à intervalles réguliers pour faire le point a posteriori sur le traitement des affaires criminelles par les médias, ces propositions, comme toutes celles présentées en ce domaine par la commission, ayant recueilli l'accord des journalistes présents en son sein.

En conclusion de son propos, M. Pierre Truche a souligné que toute réforme de la Justice devrait prendre en compte la dimension européenne, sans qu'il soit question d'aller vers l'uniformisation des législations nationales, et que, par ailleurs, le succès ne serait obtenu que si les moyens financiers nécessaires étaient dégagés.

Plusieurs commissaires sont ensuite intervenus.

M. Henri Nallet a porté une appréciation favorable sur les propositions présentées dans le rapport de la commission de réflexion sur la Justice, estimant que sa mise en _uvre apporterait des progrès sensibles par rapport à la situation actuelle, sans que soit, pour autant, bouleversé le fonctionnement d'une institution qui, plus que toute autre, a besoin de stabilité. Il a particulièrement approuvé les propos tenus par M. Pierre Truche sur les relations entre le pouvoir politique et les magistrats du parquet, regrettant qu'il en soit trop souvent donné une image de soumission proprement injurieuse pour ces magistrats. Il a, toutefois, considéré que cette image était si profondément ancrée dans l'opinion que celle-ci n'y renoncerait pas sans que soit accompli un geste symbolique fort. M. Henri Nallet a, par ailleurs, considéré qu'une nouvelle organisation du parquet supposait un renforcement sensible du rôle unificateur joué par les procureurs généraux.

Il a, toutefois, regretté que, contrairement à l'attente de l'opinion publique, le rapport n'avance pas de propositions plus audacieuses pour ce qui concerne le problème de la responsabilité des magistrats ; il a toutefois reconnu qu'il serait particulièrement difficile de définir les modalités de mise en cause de cette responsabilité et jugé nécessaire que s'engage, au sein du Parlement, une réflexion sur ce que doit être la fonction de juger, laquelle ne doit être abordée, à son sens, qu'avec une certaine terreur.

Enfin, M. Henri Nallet a souhaité connaître les conséquences que pourrait avoir, selon M. Pierre Truche, l'évolution du droit communautaire dans le domaine de la mise en état des affaires pénales, notamment depuis la conclusion du traité d'Amsterdam.

M. Robert Pandraud s'est félicité à la fois de l'initiative du Président de la République de créer la commission de réflexion sur la Justice et de la qualité du travail fourni par les membres de cette commission. Il s'est toutefois déclaré sceptique sur l'utilité de maintenir ou de modifier le serment des magistrats, jugeant cette formalité quelque peu désuète. Il s'est interrogé, par ailleurs, sur l'intérêt de la distinction, propre à la France, de deux ordres de juridiction, administratif et judiciaire, qui ne répond à aucune nécessité logique et ne fait que rendre plus complexe le fonctionnement de la Justice. Il a enfin souligné la gravité des problèmes posés par la publicité donnée à certaines affaires judiciaires avant même qu'une information soit ouverte, en observant que cette publicité pouvait avoir parfois des conséquences dramatiques, ainsi que des affaires récentes l'ont montré.

M. Alain Tourret a reconnu lui aussi l'intérêt du rapport de la commission de réflexion sur la Justice, tout en se demandant si ses propositions, suivant une voie médiane, correspondaient réellement aux besoins des justiciables et à la réalité concrète de l'institution judiciaire. Il a ajouté que la mise en oeuvre de la plupart d'entre elles exigerait des moyens financiers importants.

Il a ensuite évoqué le rôle du service central de prévention de la corruption, dont les interventions sont actuellement mal coordonnées avec celle de la Justice. Pour remédier à cette situation, il a souhaité que ce service soit consulté sur toutes les affaires entrant dans son champ de compétence, qu'il puisse obtenir toutes pièces utiles à ses investigations et que ses moyens soient renforcés.

Evoquant le problème de la détention provisoire, il a jugé les propositions présentées par la commission excessivement timides, au regard du caractère insupportable de la situation actuelle. Il a estimé que le placement en détention provisoire représentait une expérience profondément traumatisante pour les personnes concernées et que l'intervention d'une instance collégiale pour en décider ne constituait pas une réponse sérieuse. Observant que le placement en détention était trop souvent considéré par les magistrats instructeurs comme un moyen de pression sur les personnes mises en examen ou comme un moyen d'obtenir des aveux, il a souhaité que cette procédure soit supprimée et remplacée par une assignation à domicile, sauf en matière criminelle.

M. Jacques Floch a rappelé que de nombreuses réflexions sur la réforme de la Justice avaient été présentées récemment parallèlement à celles de la commission présidée par M. Pierre Truche et que la commission des Lois elle-même avait débattu à plusieurs reprises de problèmes tels que celui de la détention provisoire, sans toujours parvenir à des modifications substantielles du code de procédure pénale. Il s'est déclaré favorable à l'idée de distinguer, au stade de l'instruction, un magistrat chargé de conduire les investigations et une instance responsable du placement en détention provisoire, mais a craint que cette réforme ne se heurte à des obstacles budgétaires, à l'instar de celle concernant la justice criminelle entreprise sous la précédente législature.

Il a regretté, en revanche, que le rapport de la commission de réflexion sur la Justice ne se fasse pas davantage l'écho du mécontentement des justiciables, et notamment des victimes, auxquels la lenteur actuelle de la Justice porte incontestablement préjudice. De même, il a déploré que le rapport ne mette pas assez en lumière les problèmes liés à la répartition des dossiers entre les magistrats et les différences que l'on peut observer dans l'activité des uns ou des autres. Enfin, il a souhaité que les chefs de juridiction soient assistés d'un plus grand nombre de fonctionnaires, afin qu'ils soient soulagés de leurs tâches de gestion et puissent se consacrer entièrement à leurs fonctions de juges.

M. Jacques Brunhes a considéré qu'aucune réforme d'envergure de la Justice ne serait possible tant que celle-ci ne bénéficierait que de 1,51 % des dépenses de l'Etat. Il s'est déclaré hostile à la rupture du lien entre le garde des sceaux et le parquet, qui priverait le Gouvernement de toute possibilité de mener une politique pénale, précisant qu'il était, en revanche, favorable à un renforcement de l'indépendance des magistrats qui passerait par une réforme du Conseil supérieur de la magistrature ; sur ce dernier point, M. Jacques Brunhes a, toutefois, fait part de son désaccord avec les propositions de la commission de réflexion sur la Justice et marqué sa préférence pour une réforme qui permettrait à des membres du Parlement, désignés à la représentation proportionnelle des groupes politiques, de siéger au Conseil supérieur. Il a souhaité, par ailleurs, que l'expérience des cours d'appel prud'homales soit étendue, que des représentants des salariés fassent leur entrée dans les tribunaux de commerce et, concernant la justice de proximité, que l'expérience positive des antennes de justice soit relancée avec des moyens accrus. Enfin, il a approuvé l'idée de confier à une instance collégiale la responsabilité de décider du placement en détention provisoire.

Tout en portant une appréciation positive sur le rapport de la commission de réflexion sur la Justice, M. Pierre Mazeaud s'est demandé, s'agissant de la réforme de la carte judiciaire, comment il serait possible de supprimer des tribunaux de grande instance sans aboutir à une certaine désertification. Il a souhaité, par ailleurs, connaître le sentiment de M. Pierre Truche sur la réforme qui consisterait à ne confier des fonctions de juge d'instruction qu'à des magistrats qui auraient siégé au moins cinq ans au sein de juridictions collégiales. Enfin, il a demandé des précisions sur les premiers résultats de la réforme de la Cour de cassation opérée par la loi n° 97-395 du 23 avril 1997.

Mme Frédérique Bredin, tout en saluant la qualité du rapport de la commission de réflexion sur la Justice, a regretté que certains problèmes importants soient passés sous silence ou ne fassent l'objet que de propositions relativement timides. Elle a précisé qu'il en allait ainsi, en particulier, du problème de la responsabilité des magistrats, avec laquelle leur légitimité va évidemment de pair. Après avoir observé que toute responsabilité pénale des magistrats pour des actes commis dans l'exercice de leurs fonctions restait exclue, que leur responsabilité civile était pour ainsi dire inexistante et que leur responsabilité disciplinaire ne pouvait être mise en cause que par le biais de procédures excessivement restrictives, elle a souhaité savoir si toutes ces questions avaient donné lieu à débat au sein de la commission.

M. Pascal Clément a rappelé que, depuis fort longtemps, les pouvoirs publics étaient confrontés à une véritable pression en faveur de l'indépendance totale des magistrats du parquet. Il a reconnu que le rapport de la commission de réflexion sur la Justice avait retenu, sur ce point, une sorte de voie médiane, mais s'est demandé s'il ne cédait pas quelque peu à cette pression, tout en reconnaissant formellement l'utilité du lien entre le garde des sceaux et le parquet.

M. Gérard Gouzes a souligné que dans le contexte de malaise particulièrement grave que connaît aujourd'hui la Justice, l'initiative prise par le Président de la République de créer une commission de réflexion avait fait naître un immense espoir. Observant cependant que cet espoir avait été en partie déçu, malgré la qualité du rapport présenté par M. Pierre Truche, il a vu la cause de cette déception dans l'insuffisance criante des moyens de la Justice, soulignant qu'elle constituait le véritable problème d'une institution sinistrée et pouvait porter aux droits de l'homme des atteintes plus graves que celles résultant de n'importe quel aspect de son organisation.

M. Gérard Gouzes s'est, en outre, déclaré réticent devant les propositions de réforme de la carte judiciaire, en observant que, dans certaines villes, l'existence d'une petite juridiction était le dernier signe de la présence de l'Etat. Il a considéré, par ailleurs, que les problèmes liés au respect de la présomption d'innocence auraient mérité d'être traités de manière plus approfondie et estimé insuffisante la proposition tendant à ce que l'avocat soit présent dès le début de la garde à vue ; en revanche, il a approuvé l'idée de l'enregistrement des interrogatoires réalisés au cours de cette phase de la procédure. Enfin, il a souhaité que la notion de trouble à l'ordre public justifiant le placement en détention provisoire soit à nouveau revue, ce placement étant encore trop souvent utilisé comme un moyen de pression sur les personnes mises en examen.

M. Philippe Houillon s'est inquiété de la compatibilité entre le principe de l'indépendance des magistrats et leur appartenance à des organisations syndicales qui ne se limitent pas à la défense d'intérêts professionnels mais se risquent à des prises de position politiques. Il a estimé tout à fait inadmissible, par exemple, que des magistrats appellent publiquement à la non-application d'une loi en cours de discussion au Parlement.

M. François Colcombet a approuvé la proposition de la commission de réflexion sur la Justice tendant à refondre la loi de 1881 sur la presse, soulignant que son application était devenue " aberrante " du fait d'une procédure extrêmement tatillonne et qu'elle n'était plus adaptée aux médias du vingtième siècle. Il a souhaité qu'une réflexion soit engagée sur le développement de l'arbitrage ainsi que sur le rôle des tribunaux de commerce ; considérant qu'ils constituaient un " service public géré par le privé ", il a jugé qu'ils connaissaient de multiples dysfonctionnements du fait, notamment, d'une insuffisante intervention du parquet sur la base de l'article 423 du nouveau code de procédure civile. Enfin, il a souligné l'importance de la formation, initiale et permanente, pour fonder la légitimité des magistrats et estimée réductrice la stigmatisation des jeunes magistrats.

M. Claude Goasguen s'est étonné de ce qu'il a considéré comme le retour des " avocats du roi ", observant que la commission proposait que le garde des sceaux puisse saisir une juridiction et présenter ses observations par l'entremise d'un avocat ou d'un magistrat de la chancellerie. Il a estimé que cette faculté revenait à créer un second parquet, qui ne dialoguerait pas mais obéirait, et que cette suggestion était symptomatique des hésitations de la commission de réflexion sur la Justice quant au statut du ministère public. Il a souhaité savoir si, à titre personnel, le Premier président de la Cour de cassation était favorable à cette proposition.

M. Camille Darsières a estimé que le problème majeur de la justice tenant à une absence dramatique de moyens se traduisant, par exemple, par des délais inadmissibles pour dactylographier les jugements et les transmettre aux intéressés. Par ailleurs, il lui est apparu indispensable d'humaniser les conditions de garde à vue, afin que cessent les pressions insupportables exercées sur des citoyens pour leur arracher des aveux par tous moyens : à cette fin, il a suggéré la création d'un " témoin de police assermenté ", présent pendant toute la garde à vue pour garantir le respect du code de procédure pénale, et la nullité des interrogatoires effectués entre dix-neuf heures trente et sept heures, période pendant laquelle interviennent le plus grand nombre d'aveux non fondés.

Mme Christine Lazerges a estimé que l'aspect le plus novateur du rapport de la commission était l'invitation à réviser la carte judiciaire. Elle s'est interrogée sur l'opportunité d'aller jusqu'à adopter des mesures de discrimination positives en définissant des zones où la justice devrait être rendue plus promptement, compte tenu du fort taux de délinquance. Elle a jugé qu'il serait indispensable de séparer les fonctions de gestionnaire de celles de magistrat en s'inspirant du modèle hospitalier, dans lequel les chefs de service sont déchargés par des administratifs des problèmes de gestion, observant qu'une telle réforme permettrait aux chefs de juridiction de se consacrer davantage à l'explication du rôle de la justice, en particulier dans les écoles.

En réponse aux interventions des commissaires, M. Pierre Truche a apporté les précisions suivantes :

-  Les normes communautaires, qui sont de plus en plus nombreuses, s'imposent à l'évidence aux juges et c'est pourquoi il convient de poursuivre l'effort de formation, initiale et permanente, engagé avec retard par la France.

-  La légitimité du magistrat ne tient pas tant à la réussite d'un concours qu'à sa nomination par le Président de la République, ainsi, et peut-être surtout, qu'au serment qu'il a prononcé et dont le non-respect conduit à des sanctions disciplinaires pour manquement à la déontologie.

-  Le double ordre de juridictions est une spécificité française qui doit essentiellement au poids de l'Histoire - le bicentenaire de la Cour de cassation a été célébré en 1990, celui du Conseil d'Etat le sera en 1999 - mais les procédures tendent à se rapprocher.

-  Si le rapport propose une ligne médiane entre l'immobilisme et une réforme globale de la justice, il présente l'avantage de construire un projet cohérent, dont la réalisation permettrait des améliorations non négligeables pour l'indépendance de la justice et le respect de la présomption d'innocence.

-  Le Conseil constitutionnel ayant clairement exclu tout pouvoir d'investigation pour le service central de prévention de la corruption, il est difficile d'envisager un élargissement de ses attributions.

-  La mise en place de dates-butoirs devrait permettre de réduire la durée de la détention provisoire, qui, en tout état de cause, ne devrait être ordonnée que pour permettre la poursuite des investigations et non pour faire pression sur les personnes mises en examen, comme cela est trop souvent le cas en France.

-  Dans la définition de la politique pénale, jusqu'à la fin de la seconde guerre mondiale, c'est la préservation de l'ordre public qui a primé ; puis l'accent a été mis sur l'auteur de l'infraction, qui devait être puni, mais aussi réinséré ; depuis une quinzaine d'années, la victime est davantage prise en compte et cette évolution doit se poursuivre.

-  S'il est souhaitable que les chefs de cours bénéficient d'une assistance pour les tâches de pure gestion, il n'est toutefois pas souhaitable qu'ils s'en désintéressent totalement.

-  La France aura la justice dont elle voudra bien payer le prix ; mais il s'agit de dépenser à bon escient, ce qui suppose une réflexion préalable approfondie sur les priorités et n'exclut pas des redéploiements de moyens.

-  La présence de parlementaires au sein du Conseil supérieur de la magistrature n'a pas été retenue par la commission de réflexion sur la Justice, qui a estimé que la revalorisation du rôle du Parlement passait plutôt par un débat annuel sur la politique d'action publique arrêtée par le garde des sceaux.

-  Lorsqu'ils sont confrontés à l'institution judiciaire, les Français souhaitent avant tout obtenir une réponse rapide et de qualité, ce que l'abondance des contentieux ne permet pas toujours ; la refonte de la carte judiciaire, sans suppression de juridictions, mais avec une régionalisation et une spécialisation, est l'un des moyens de lutter contre une " justice au rabais ".

-  Il est souhaitable que les fonctions qui peuvent conduire un juge à porter atteinte à un droit fondamental - ce qui n'est pas seulement le cas des fonctions de juge d'instruction - soient réservées à des magistrats ayant déjà une certaine ancienneté.

-  Le décret d'application de la loi permettant l'examen des pourvois en cassation par une formation de trois magistrats est en cours de rédaction.

-  Lorsqu'un magistrat est condamné, l'Etat peut exercer une action récursoire, mais il doit également protéger les membres du corps judiciaire qui sont de plus en plus victimes de plaintes abusives. Toute infraction pénale d'un magistrat doit bien sûr être sanctionnée, mais c'est surtout au plan disciplinaire, avec la sanction du manquement à la déontologie et au serment de magistrat, que le problème de la responsabilité du corps judiciaire doit trouver sa solution ; sauf exception, lorsque le Conseil supérieur de la magistrature siège en conseil disciplinaire, la publicité est la règle.

-  La question des relations entre le parquet et le ministre de la Justice a été particulièrement débattue au sein de la commission qui a jugé qu'il convenait de faire le pari que le dialogue pouvait être substitué à la dépendance, ce pari étant exigeant pour les magistrats.

-  Le rapport se contente d'ouvrir des pistes de réflexion et de formuler des suggestions, à charge pour le Gouvernement et pour le Parlement de les transformer en réformes.

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Audition de Mme Elisabeth Guigou
garde des sceaux, ministre de la justice

(jeudi 14 mai 1998)

Mme la garde des sceaux : Les objectifs que s'est fixé le Gouvernement ont été annoncés lors de la communication en Conseil des ministres du 29 octobre. Cette réforme, destinée à restaurer la confiance de nos concitoyens dans le service public de la justice, comporte trois volets : le premier, auquel le Gouvernement donne la priorité, est l'amélioration de la justice au quotidien ; le deuxième porte sur la protection des libertés individuelles ; enfin, le troisième concerne la clarification des relations entre la chancellerie et le parquet. Ces orientations ont donné lieu à un débat à l'Assemblée nationale le 15 janvier dernier, et au Sénat le 22 janvier. Depuis lors, nous avons élaboré sept textes. Le projet de loi constitutionnelle relatif au Conseil supérieur de la magistrature sera accompagné de deux projets de loi organiques, encore aujourd'hui à l'état d'avant-projets. Ils ne pourront être examinés par le Parlement que lorsque le projet de loi constitutionnelle aura été approuvé par le Congrès, c'est-à-dire au plus tôt lors de la rentrée de septembre.

Ensuite viendra un texte auquel j'attache une grande importance, celui concernant l'accès au droit. C'est un des piliers du volet de la réforme sur l'amélioration de la justice au quotidien. Il a pour but de développer les modes alternatifs de règlement des conflits, comme la médiation et la conciliation, de telle sorte que l'on puisse mieux distinguer l'accès au droit, que chacun doit obtenir, de l'accès au juge, qu'il faut réserver aux dossiers complexes qui n'auront pas pu être résolus par le dialogue. Il permettra également, grâce à une simplification de leur constitution, de généraliser les centres départementaux d'aide juridique et les maisons de justice et du droit. Ce texte, qui n'a pas encore été examiné par le Conseil des ministres, devrait venir en première lecture devant votre assemblée au début du mois de juin.

Le projet de loi relatif à l'amélioration de l'efficacité de la procédure pénale, que j'ai présenté hier au conseil des ministres, vise, quant à lui, à développer ce que l'on appelle la " troisième voie ", mise en place en 1993 avec le recours à la médiation, pour répondre à la petite délinquance urbaine. Ce projet de loi permet de légaliser un certain nombre de pratiques développées par les parquets en matière de réparation ou d'amendes concernant des infractions bien précises.

Un sixième texte, encore à l'état de projet, concerne la présomption d'innocence. Il comprend à la fois une réforme de la détention provisoire et des dispositions sur les relations entre la presse et la justice. Le dernier texte, qui vient d'être transmis au Conseil d'Etat, porte sur les relations entre la chancellerie et le parquet.

Vous voyez donc qu'en dehors du projet de loi constitutionnelle et du projet renforçant l'efficacité de la procédure pénale, ces textes n'ont pas encore été adoptés par l'exécutif. J'ai voulu en effet qu'ils soient élaborés après une très large concertation. Ont participé à ce travail non seulement les organisations syndicales qui l'ont bien voulu, mais également des experts, des professeurs de droit ou des parlementaires. Beaucoup d'entre vous ont d'ailleurs souhaité pouvoir communiquer leurs observations sur les avant-projets qui ont, pour certains d'entre eux, été modifiés. J'ai choisi cette méthode parce que je crois indispensable d'élargir au maximum la réflexion.

Le premier des textes présentés à l'Assemblée nationale est donc le projet de loi constitutionnelle. Il modifie l'article 65 de la Constitution afin de donner au Conseil supérieur de la magistrature des pouvoirs sans précédent en matière de nomination des magistrats du parquet et de sanctions disciplinaires.

Sur le premier point, le projet prévoit que désormais aucune nomination de magistrats du parquet ne pourra intervenir sans l'avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature. C'est déjà le cas pour les 4.263 magistrats du siège, les conseillers auprès de la Cour de cassation, les premiers présidents de cour d'appel et les présidents de tribunaux de grande instance étant de leur côté nommés sur proposition du C.S.M. C'est évidemment une réforme sans précédent pour les procureurs : dans le système actuel, les procureurs généraux sont nommés comme les hauts fonctionnaires par décret en conseil des ministres, sans même un avis simple, lequel en revanche est requis pour la nomination des procureurs.

Il est vrai que depuis que j'exerce mes fonctions, et conformément à l'engagement du Premier ministre dans sa déclaration de politique générale, je me suis engagée, avant même l'entrée en vigueur de la loi, à respecter l'avis du Conseil supérieur de la magistrature. Je me suis toujours tenue à cette règle et n'ai jamais passé outre un avis négatif du Conseil lorsque le cas s'est présenté.

Quant au second point de la réforme, il consiste à donner au Conseil supérieur de la magistrature la responsabilité des sanctions disciplinaires à l'égard des magistrats du parquet, comme c'est aujourd'hui le cas pour les magistrats du siège.

Compte tenu de ces importantes modifications, qui renforcent considérablement le rôle du Conseil supérieur de la magistrature, il a paru nécessaire d'en modifier la composition, afin que celle-ci reflète davantage la diversité de la Nation. Ainsi, le nombre de ses membres sera porté de seize à vingt et un, avec dix membres magistrats et onze n'appartenant pas à la magistrature, ce qui permet d'avoir une majorité de non-magistrats.

Un des deux projets de loi organique précise le mode d'élection des membres issus de la magistrature. S'agissant des personnalités extérieures, le projet de loi constitutionnelle prévoit qu'elles seront nommées par les plus hautes personnalités de l'Etat ainsi que par le président du Conseil économique et social, le vice-président du Conseil d'Etat, le premier président de la Cour des comptes et le premier président de la Cour de cassation.

Ces sept textes, qui vous seront présentés soit avant l'été, soit à la rentrée, sont loin d'épuiser toutes les voies de cette vaste réforme de la justice. En effet, d'autres mesures ont été prises qui, bien que n'ayant pas un caractère législatif, ont une grande importance. C'est ainsi que j'ai lancé la réforme indispensable des tribunaux de commerce. De même, un décret visant à moraliser les professions de mandataire judiciaire à la liquidation des entreprises et d'administrateur judiciaire est au stade de la discussion interministérielle et de la concertation avec les organismes professionnels. Il renforcera les contrôles sur cette profession et les obligera notamment à déposer leurs fonds auprès de la Caisse des dépôts et consignations.

En ce qui concerne la réforme des tribunaux de commerce, j'attends pour la mettre en _uvre la remise du rapport de la commission d'enquête parlementaire, qui devrait avoir lieu fin juin ou début juillet. Le Gouvernement annoncera alors ses intentions.

Nous progressons également dans le dossier de la réforme du droit des sociétés, ouvert depuis déjà un certain temps, mais sur lequel nous souhaitons pouvoir présenter un texte l'année prochaine.

De même, le Gouvernement annoncera lors de la prochaine réunion du conseil de sécurité intérieure les mesures qu'il entend prendre concernant la prise en charge des mineurs délinquants, à laquelle il attache une grande importance. Ces mesures feront suite au rapport déposé par Mme Lazerges et M. Balduyck à la demande du Premier ministre.

Un certain nombre d'actions sont également engagées dans le domaine de la procédure civile. Car si la procédure pénale est bien sûr concernée par une rénovation de la justice au quotidien, il ne faut pas oublier que c'est à la justice civile que nos concitoyens sont le plus souvent confrontés.

Des décrets s'inspirant du rapport Coulon sont en préparation sur l'accélération des procédures, l'exécution provisoire et les contrats de procédures. L'objectif est d'améliorer la rapidité et l'efficacité du service public de la justice.

Plusieurs autres mesures ont pour but de mieux organiser les juridictions et d'en améliorer et moderniser la gestion. Ainsi, des pôles spécialisés seront créés pour mieux lutter contre la délinquance financière. Ils consistent à mettre à la disposition des magistrats chargés de ces dossiers complexes des assistants spécialisés, dont vous avez récemment adopté le statut. Celui de Paris est en voie de constitution, et sera, je l'espère, opérationnel avant la fin de l'année. Un pôle de cette nature sera également créé en Corse. A terme, je crois qu'il faudra mettre en place six à huit de ces pôles sur tout le territoire. Naturellement, tous les projets des juridictions seront examinés par la chancellerie. Par ailleurs, une mission chargée de la redéfinition de la carte judiciaire a été mise en place. Je poursuis également le renforcement des services administratifs régionaux. Il est indispensable, en effet, que les présidents puissent être assistés dans la gestion de leur tribunal par des administrateurs.

Enfin, nous avons engagé une réflexion globale sur le droit de la famille. Le rapport de Mme Irène Théry, à qui Martine Aubry et moi avions demandé d'analyser l'état actuel de la structure familiale et de faire des propositions pour adapter le droit de la famille, doit être publié aujourd'hui même. Bien entendu, ce rapport n'engage aucunement le Gouvernement, mais ses conclusions sont très intéressantes et utiles pour la réflexion qu'il entend mener.

Mme Catherine Tasca, présidente de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République : Je vous remercie beaucoup, madame la ministre, d'avoir apporté à la commission des éléments complémentaires d'information sur l'ensemble de la politique que vous menez en faveur d'une meilleure justice. Je crois qu'il est essentiel, ce matin, de consacrer notre attention sur le projet de loi constitutionnelle, mais bien entendu tous les thèmes abordés par la ministre peuvent être également discutés dans le cadre de cette réunion.

M. Pascal Clément : Le projet de loi constitutionnelle sur le Conseil supérieur de la magistrature me semble assez équilibré : en effet, s'il est vrai qu'un avis conforme du C.S.M. sera nécessaire pour la nomination des magistrats du parquet, le Gouvernement gardera son pouvoir de proposition. C'est précisément la différence avec les magistrats du siège, et vous avez peut-être trop peu insisté sur ce point.

S'agissant de la représentation des magistrats au sein du C.S.M., il semblerait que le mode de scrutin actuel favorise largement la représentation de l'Union syndicale des magistrats par rapport au Syndicat de la magistrature et à l'Association professionnelle des magistrats. Cette sur-représentation de l'U.S.M. a pour conséquence, me disent les magistrats parisiens, d'effacer le clivage Paris-province, si important dans la carrière des juges, parce que ce sont essentiellement des provinciaux qui sont représentés au Conseil supérieur de la magistrature.

On voit bien quelle est la volonté du Gouvernement dans ce projet. Celle-ci est assez éloignée des promesses faites lors de la campagne électorale et je m'en réjouis. Visiblement, le réalisme l'a emporté, ou bien est-ce un effet de la cohabitation, je ne sais.

Mais si un énorme pas est fait dans la voie de l'autonomie des magistrats, l'avancée est moins visible s'agissant de leur responsabilité. En effet, ce qui est frappant dans ce mouvement de renforcement de l'autonomie de la magistrature, qui répond aux abus commis par les différents gouvernements - et à cet égard, nul n'est à l'abri des critiques - c'est que personne n'insiste sur la responsabilité qui devrait être la conséquence de cette plus grande indépendance.

Mme la garde des sceaux : S'agissant du mode de nomination des magistrats, je voudrais vous rappeler que la grande majorité des magistrats du siège, c'est-à-dire environ 4.300, sont d'ores et déjà nommés sur proposition du Gouvernement, et personne n'y trouve à redire : à partir du moment où le C.S.M. donne un avis conforme, c'est lui qui détient la clé de la nomination. Et c'est bien le choix qui a été fait dans ce projet.

En ce qui concerne la composition du C.S.M., il est vrai que vous n'en connaissez pas les détails, puisqu'elle est organisée par un des projets de loi organique. Il est exact qu'aujourd'hui, l'Union syndicale des magistrats est la seule organisation professionnelle représentée au Conseil supérieur de la magistrature. Nous avons justement voulu prévoir un système d'élection des magistrats qui réponde au problème que vous avez soulevé. Car il nous semble nécessaire que les deux autres syndicats, le Syndicat de la magistrature et l'Association professionnelle des magistrats, puissent être également représentés au C.S.M.

C'est pourquoi nous avons décidé de modifier le mode de scrutin. Sur les dix magistrats membres du Conseil, six seront élus à la représentation proportionnelle au plus fort reste. Deux autres seront élus par le collège de la Cour de cassation, et les deux derniers par les cours d'appel. Dans les deux derniers cas, un magistrat représentera le parquet et l'autre le siège. D'après les simulations que nous avons réalisées, ce système devrait permettre une représentation équitable des trois grandes formations syndicales du corps judiciaire.

Dès lors, il appartient aux organisations elles-mêmes de choisir, à travers les candidats qu'elles présentent, la proportion qu'elles souhaitent avoir entre magistrats parisiens et provinciaux. C'est une question qui ne concerne que le monde syndical.

Le problème du rapport entre autonomie et responsabilité est très important. Bien entendu, il est nécessaire que les magistrats, qu'ils relèvent du parquet ou du siège, soient indépendants et puissent accomplir leur travail sur les dossiers particuliers sans subir aucune pression. Il faut néanmoins noter que, conformément à l'article 20 de la Constitution, le Gouvernement se réserve le droit de définir les orientations de sa politique pénale. Mais dans l'acte de jugement lui-même, les magistrats seront indépendants. Les magistrats du siège bénéficient déjà de garanties statutaires.

Mais qu'en est-il de leur responsabilité ? Ils sont bien entendu soumis à une responsabilité disciplinaire. Notre projet prévoit justement d'élargir la saisine du Conseil supérieur de la magistrature aux chefs de cour. Actuellement, seul le garde des sceaux détient ce droit. Or, ce droit est aussi un devoir. On a trop longtemps laissé traîner certains dossiers, pour lesquels des sanctions auraient dû être prononcées. Personnellement, lorsque j'ai connaissance de rapports provenant de l'inspection générale des services judiciaires ou des chefs de cour, je veille à transmettre rapidement les dossiers correspondants au Conseil supérieur de la magistrature, ou bien, s'il s'agit du parquet, et en attendant la réforme, à prendre les mesures qui s'imposent.

S'agissant de la responsabilité civile, la procédure est la même que celle qui existe pour tous les fonctionnaires.

M. Pascal Clément : Elle n'est jamais engagée !

Mme la garde des sceaux : Peut-être, mais il faut alors poser la question pour l'ensemble de la fonction publique. Je ne vois pas pourquoi on réserverait un sort particulier aux magistrats.

Enfin, il y a la responsabilité pénale, à laquelle les magistrats sont soumis comme tous les Français.

Toute autre est la question de savoir s'il existe un contrôle satisfaisant du fonctionnement du système judiciaire, sachant que sur l'acte de jugement lui-même, les garanties sont apportées par les différentes possibilités de recours ou d'appel.

Nous estimons qu'il est important qu'un regard extérieur soit porté sur l'activité judiciaire. C'est pour cette raison que nous avons choisi de faire siéger une majorité de non-magistrats au Conseil supérieur de la magistrature. Nous avons également prévu que chaque citoyen pourrait introduire un recours contre le classement sans suite de son affaire. Enfin, des commissions de réclamation seront mises en place. Elles devront examiner les dysfonctionnements de l'institution judiciaire. J'insiste sur le fait qu'elles ne concerneront pas l'acte de jugement : il ne s'agit pas de mettre en place une nouvelle possibilité de recours. Le projet de loi organique qui doit donner jour à ces commissions n'est cependant pas encore finalisé. Il convient en effet de prévoir un système de filtres susceptible d'éviter de déstabiliser les magistrats. Nous étudions différentes modalités.

Ces recours citoyens sont une façon de poser la question du fonctionnement du système judiciaire. Le but est que chaque citoyen se voie garantir au minimum un accueil, une écoute et une réponse.

M. Jacques Brunhes : Nous avons exposé lors du débat d'orientation générale le 15 janvier dernier nos positions sur vos réformes et manifesté notre intérêt ainsi que l'esprit constructif qui est le nôtre.

Deux éléments avaient retenu notre attention : d'une part l'urgence et d'autre part l'échec des réformes progressives antérieures. L'intérêt de votre réforme est qu'elle propose une " batterie " de textes globaux, à laquelle s'ajoutent les textes sur les tribunaux de commerce et les mandataires-liquidateurs. Toutes ces mesures nous semblent former un ensemble cohérent et répondent à la nécessité d'aborder le problème de la réforme de la justice dans son ensemble.

Je tiens par ailleurs à souligner qu'aucune réforme de fond ne peut aboutir si elle ne s'accompagne pas de moyens supplémentaires.

Une autre de nos préoccupations concerne l'indépendance de la justice. Il ne nous paraît pas essentiel de couper entièrement le " cordon ombilical " entre le parquet et le gouvernement. Ce dernier doit pouvoir mener une politique pénale en adressant des instructions de portée générale au parquet. Ces instructions assurent la coordination nationale de l'action publique et empêchent les inégalités de traitement.

J'en viens maintenant plus précisément aux textes que vous nous proposez.

Le projet de loi sur l'accès au droit est un texte extrêmement important que nous aurons à examiner de près.

La réforme du Conseil supérieur de la magistrature nous paraît nécessaire, mais il est regrettable que vous n'ayez pas repris les dispositions de la constitution de 1946 qui prévoyaient que les membres du Conseil étrangers au corps de la magistrature étaient désignés par l'Assemblée nationale, en dehors de ses membres, à la proportionnelle des groupes. Une telle procédure est plus démocratique, puisqu'elle respecte la physionomie politique du pays. Le mode proposé de désignation des membres du C.S.M. ne garantit pas une telle représentativité.

Je réitère notre souhait que le Congrès ne soit pas un congrès fourre-tout où se mêlent les discussions concernant le traité d'Amsterdam, la parité hommes/femmes, le cumul des mandats, le quinquennat, les accords de Nouméa... Un congrès spécial doit être consacré à la réforme de la justice, mais je ne sais pas si le temps le permettra.

Mme la garde des sceaux : Vous avez raison de souligner que la réforme ne pourra aboutir sans moyens supplémentaires. J'ai fait un chiffrage extrêmement précis. Dans les discussions budgétaires pour le projet de loi de finances pour 1999, j'axe mes demandes sur deux éléments : le premier ne concerne pas la réforme, puisqu'il touche à l'amélioration du fonctionnement des juridictions ; le deuxième la concerne directement puisqu'il s'agit de demander des moyens supplémentaires pour la mener à bien.

J'ai l'appui du Premier ministre et vous avez pu constater que le budget de la justice fait partie des six priorités du Gouvernement.

Certains me reprocheront de présenter des textes sans moyens financiers correspondants et de rester dans l'incertitude, mais je voudrais souligner d'une part que je respecte les procédures, et d'autre part que les exemples de lois pluriannuelles n'ont pas été très concluants. Ces lois ont d'abord bien été appliquées la première année, puis, dans les deux ou trois années qui ont suivi, on est arrivé à une situation qui n'a rien à voir avec la loi de programmation votée par le Parlement.

Par respect envers la représentation nationale, je préfère vous assurer que je me battrai pour obtenir les moyens nécessaires. Vous pouvez d'ores et déjà voir ce que j'ai obtenu dans le budget pour 1998 avec les recrutements exceptionnels de magistrats et les recrutements en surnombre de fonctionnaires.

Il faut par ailleurs souligner que la situation extrêmement difficile de beaucoup de tribunaux est le résultat des décisions budgétaires prises ces deux dernières années. De plus, il faut tenir compte du décalage dû aux trois années de formation des magistrats : les 70 postes de magistrats créés dans le budget de 1998 ne seront occupés que dans trois ans au plus tôt.

J'essaie de compenser les effets des décisions budgétaires prises par mes prédécesseurs par des recrutements exceptionnels. Je préfère néanmoins recruter des magistrats par la voie de l'Ecole nationale de la magistrature, encore que ces recrutements exceptionnels permettent l'arrivée de personnes ayant déjà une expérience professionnelle.

La situation des greffiers n'est pas meilleure que celle des magistrats : depuis deux ans, aucun greffier n'a été recruté. Heureusement, la formation des greffiers ne dure qu'un an et demi : les concours exceptionnels que j'ai ouverts porteront donc leurs fruits rapidement.

Pour faire face à la situation difficile que nous connaissons, je demande également aux magistrats de rationaliser la gestion des tribunaux afin de la rendre plus efficace. Pour atteindre cet objectif, il est nécessaire que les présidents de juridiction soient assistés d'administrateurs. Les magistrats sont en effet très sollicités en dehors de leur activité juridictionnelle : ils sont membres de multiples commissions, ils participent à la politique de la ville... Dans cette même optique, le texte sur l'accès au droit est essentiel, car il favorise des procédures encourageant l'écoute et le dialogue, les tribunaux n'étant saisis que des dossiers les plus complexes.

Je m'efforce aussi d'améliorer les procédures : je pense notamment aux dispositions du rapport Coulon, même si deux d'entre elles, le juge unique et le caractère exécutoire des décisions en première instance, soulèvent des difficultés.

S'agissant du mode de désignation des membres non-magistrats du Conseil supérieur de la magistrature, nous nous sommes bien sûr posés la question de savoir si ces membres ne devaient pas être élus par le Parlement à une majorité des trois-cinquièmes pour assurer une représentation de tous les groupes. Notre choix se justifie par la volonté de respecter la séparation des pouvoirs. Il nous a semblé que la désignation des membres non-magistrats ne devait pas être trop politique.

J'ai bien noté votre souhait concernant le Congrès. Le Gouvernement n'a pas encore pris de décision définitive, mais il est vraisemblable que le Congrès se réunira avant le 14 juillet sur la réforme du statut de la Nouvelle-Calédonie. Il reste à savoir, d'une part, si le projet de loi sur le Conseil supérieur de la magistrature sera à cette date voté dans les mêmes termes par les deux assemblées et, d'autre part, si le président de la République choisira de le mettre à l'ordre du jour de ce Congrès.

M. Gérard Gouzes : Les magistrats jugent au nom du peuple français. C'est une belle formule, mais il faudrait qu'elle corresponde à la réalité. Je lis beaucoup d'articles qui exprime, avec une franchise parfois surprenante, le corporatisme des magistrats. Je note que le projet de loi constitutionnelle prévoit que le Conseil supérieur de la magistrature sera composé de dix magistrats, un conseiller d'Etat et dix personnalités n'appartenant pas au corps de la magistrature. J'en conclus, peut-être est-ce une vision optimiste, que les magistrats deviendront minoritaires. Je voudrais savoir, Mme la garde des sceaux, si vous tenez à cet équilibre ou si vous seriez prête à accepter des modifications de cette composition.

Je note par ailleurs que le Conseil d'Etat intervient de deux manières dans la désignation des membres du C.S.M. : d'une part, il désigne un conseiller d'Etat, d'autre part, le vice-président du conseil d'Etat désigne, conjointement avec le premier président de la Cour de cassation et le premier président de la Cour des comptes, deux personnalités. L'équilibre ne devient-il pas, de ce fait, factice ?

Votre réforme met en jeu deux intérêts contradictoires : d'une part, l'indépendance des magistrats dans leur activité juridictionnelle - et je sais que votre volonté est réelle en ce domaine - et, d'autre part, la possibilité pour le Gouvernement, évoquée par M. Brunhes, de mettre en place une politique pénale qui se traduit par des instructions individuelles et générales au parquet.

Avec votre réforme, les magistrats du parquet vont devenir quasiment inamovibles, et même si votre pouvoir d'initiative semble renforcé, bien qu'il soit contesté, n'allez-vous pas perdre toute autorité hiérarchique sur le parquet ?

Mme Nicole Catala : C'est certain.

M. Pascal Clément : C'est pourtant bien ce que vous avez demandé.

M. Gérard Gouzes : Vous voulez parler du président de la République, Monsieur Clément ?

N'aurait-il pas été préférable de séparer de manière plus absolue un corps d'avocats de la République d'un corps de magistrats du siège ? C'est un vieux débat.

Je voudrais enfin souligner que la carrière des magistrats se déroule souvent dans le ressort de la même cour d'appel. Que devient alors l'indépendance du magistrat vis-à-vis de la société locale ? Comment juger en toute indépendance quand on est en quelque sorte absorbé par son environnement ? Quelles sont vos intentions à cet égard dans le projet de loi organique ?

Mme la garde des sceaux : S'agissant de la composition du Conseil supérieur de la magistrature, il est clair que le Gouvernement ne peut revenir sur son choix qui ne donne pas la majorité aux magistrats.

La composition prévue par ce texte n'est sans doute pas idéale - d'ailleurs, en existe-t-il une ? - mais elle est proposée par le Gouvernement et approuvée par le président de la République. Par conséquent, moins ce texte sera modifié, plus grandes seront les chances de le voir voté dans les mêmes termes par les deux assemblées dans un délai raisonnable.

Il est essentiel que ce projet de loi soit voté rapidement. Les préoccupations de nos concitoyens portent avant tout sur le fonctionnement de la justice au quotidien. Dans ces conditions, et même si cette réforme institutionnelle a son importance, j'attire votre attention sur l'impression que pourraient faire sur l'opinion publique des débats interminables sur la composition du Conseil supérieur de la magistrature. Bien entendu, le Parlement est totalement libre de modifier ce texte.

Concernant la mise en place de la politique pénale par le Gouvernement, le projet de loi sur les rapports entre la chancellerie et le parquet, qui sera bientôt examiné par votre assemblée puisqu'il passe en Conseil des ministres fin mai ou début juin, propose que le garde des sceaux ne puisse plus donner d'instructions individuelles, mais qu'il conserve la possibilité de donner des instructions générales et de fixer les orientations de la politique pénale. Ces instructions générales seront transmises aux procureurs généraux qui les répercuteront sur les procureurs de la République de leur ressort.

Ce système garantit mieux l'application de la politique pénale définie par le Gouvernement : l'intervention par instruction individuelle au coup par coup empêche en effet d'avoir une vision d'ensemble de cette politique. Il vaut beaucoup mieux que le Gouvernement définisse sa politique pénale dans le domaine du racisme, des sectes ou encore de la sécurité lors de la Coupe du monde et la traduise par des instructions générales, plutôt que de se contenter d'initiatives ponctuelles souvent évoquées par la presse. Outre le fait qu'il entraîne des pressions sur les magistrats, ce système d'instructions individuelles est donc à tous égards détestable.

Aurait-il été préférable de prévoir une séparation totale du parquet et du siège ? Le choix du Gouvernement de préserver l'unité du corps des magistrats rejoint les conclusions de plusieurs commissions de réflexion, dont la commission présidée par M. Pierre Truche.

Une séparation des deux fonctions implique, en effet, une évolution vers un système à l'anglo-saxonne de type accusatoire. Je me suis rendue au Royaume-Uni pour étudier le fonctionnement de la procédure pénale. J'ai pu constater que la place de la police y est extrêmement importante. Il faut néanmoins rappeler l'existence, depuis plus de sept cents ans, de l'Habeas Corpus. Le rôle de l'avocat y est aussi très différent et se rapproche plus de celui de l'avocat américain : les prévenus qui ont des moyens financiers connaissent un meilleur sort que les autres. Ce système me paraît donc difficilement transposable en France.

Il est nécessaire de favoriser la mobilité des magistrats. Il n'est en effet pas bon qu'un magistrat fasse toute sa carrière dans un même ressort. C'est un sujet auquel le Conseil supérieur de la magistrature est extrêmement sensible, puisqu'il fait de la mobilité un des critères de l'avancement. Je n'ai pas encore d'opinion définitive sur le sujet, mais je reconnais qu'il pose un vrai problème.

M. Jean-Luc Warsmann : Je regrette un peu le ton polémique que vous avez employé, Mme la garde des sceaux, lorsque que vous avez expliqué que les dysfonctionnements actuels de la justice étaient liés aux décisions prises deux ans auparavant. Je crois qu'il y a un temps pour tout. Votre prédécesseur a mené une politique qui a permis un certain nombre d'avancées. Il est quelque peu contradictoire de tenir de tels propos avant d'appeler, quelques minutes plus tard, au consensus du Parlement sur votre projet. Si vous le voulez bien, je préfère me concentrer sur les problèmes actuels et sur l'avenir.

Les juges Eva Joly et Laurence Vichnievsky sont intervenues, il y a quelque temps, pour expliquer qu'avec les moyens dont elles disposaient, l'instruction de l'affaire du Crédit lyonnais, mais également d'autres affaires financières importantes, connaîtrait des lenteurs considérables. Où en est-on ? Ont-elles obtenu des moyens supplémentaires ?

Vous avez fait allusion à un décret en préparation sur les mandataires-liquidateurs, qui les contraindrait à déposer les sommes qu'ils gèrent à la Caisse des dépôts et consignations. J'aurais voulu connaître votre sentiment sur le fonctionnement général de cette profession, et savoir si vous comptez prendre d'autres mesures à leur sujet.

Le troisième problème sur lequel j'aimerais entendre vos explications est celui du lien entre le parquet et la chancellerie. Vous avez dit que pour assurer une cohérence dans l'ensemble des décisions des parquets, vous utiliseriez les directives générales Je m'interroge sur l'efficacité de ces directives. Vous-même ou vos prédécesseurs avez certainement donné ce genre d'instructions dans le passé. Ont-elles été respectées ? Je pense en particulier au problème de la détention provisoire. Par ailleurs, de quels moyens le garde des sceaux dispose-t-il pour vérifier l'application effective de ces directives générales, si ce n'est en s'intéressant aux cas particuliers ? Et s'il ne le peut pas, qui le fera ?

Quelle que soit la valeur des principes invoqués, je crois qu'il faut s'interroger sur la cohérence de l'action publique. Il est fréquent que la position des parquets ne soit pas la même à quelques kilomètres de distance. Cela pose un problème. Si votre réforme conduit à accroître ces incohérences, nous risquons de voir des infractions qui, poursuivies dans une juridiction, seront classées sans suite dans une autre.

Enfin, vous avez dit tout à l'heure que vous aviez travaillé en concertation avec les organisations professionnelles concernées. Or, j'ai cru comprendre qu'un grand nombre de magistrats se posaient beaucoup de questions. On a assisté à des mouvements comme il n'en était pas survenu depuis longtemps. Beaucoup de magistrats semblent avoir le sentiment que les projets proposés témoignent d'un manque de confiance à leur égard. Ils s'interrogent notamment sur les commissions de réclamation ou de recours. Pourriez-vous être plus précise sur le sujet ?

On prête à ces futures commissions, où siégeront des magistrats du siège, la faculté de se prononcer sur des décisions de classement, prises par le parquet. Tout à l'heure, notre collègue Gérard Gouzes défendait l'idée d'une plus grande séparation entre le siège et le parquet. On irait là dans une direction totalement opposée, puisque l'on demanderait à des magistrats du siège de se prononcer sur des décisions du parquet.

Mme la garde des sceaux : Tout d'abord, pour répondre à votre remarque sur la polémique et le consensus, je n'ai pas dit que tout ce qu'avait fait M. Toubon était mauvais. J'ai d'ailleurs repris, vous l'avez noté, son projet de loi sur la délinquance sexuelle. J'y ai apporté des modifications et des ajouts, notamment sur le droit des victimes, mais le texte avait été préparé par le précédent gouvernement. De même, les réflexions que nous menons actuellement ne font pas table rase de ce qui a été réalisé dans le passé. Mais s'agissant des moyens, et sur ce point précis, je ne retire rien de ce que j'ai dit tout à l'heure.

Je reviens sur le problème des moyens à la disposition des juges
- notamment parisiens, mais d'autres ont ces difficultés - confrontés à des dossiers financiers complexes comme celui du Crédit lyonnais. La chancellerie tient régulièrement des réunions avec les chefs de cour et de juridiction de Paris pour accélérer la mise en place du pôle économique et financier dont je vous ai parlé, qui doit permettre d'améliorer le travail des juges. Cela implique de mettre à leur disposition du matériel informatique, des locaux et naturellement des assistants spécialisés. Ce sont les locaux qui posaient le plus de problèmes. Le choix a été fait d'installer ce pôle à l'extérieur du palais de justice, ce qui n'allait pas de soi.

S'agissant des mandataires-liquidateurs, le décret les concernant devrait intervenir fin juin ou début juillet. J'ai souhaité prendre certaines mesures sans attendre les résultats de la commission d'enquête, mais je n'exclus pas, pour aller plus loin, de faire appel à la voie législative, et notamment de revoir la loi de 1985 sur les entreprises en difficulté et les liquidations d'entreprise. Je suis également prête à mener une réforme du droit des sociétés. J'attends les résultats de la commission d'enquête, qui fait un travail considérable, pour déterminer s'il est nécessaire d'aller plus loin.

A propos des liens entre le parquet et la chancellerie, vous posez à juste titre la question de savoir si, après la suppression des instructions individuelles, le garde des sceaux conservera les moyens de faire appliquer sa politique pénale. Je crois que la réponse est oui, et dans de meilleures conditions que par le passé. Le projet de loi prévoit que des rapports réguliers seront adressés par les procureurs aux procureurs généraux, et par les procureurs généraux au garde des sceaux qui fera un rapport annuel au Parlement.

Un tel système permet d'être beaucoup plus clair et transparent sur les objectifs de la politique pénale, de renvoyer correctement les informations et de permettre des ajustements.

Je souhaite aussi que cette réforme soit fondée sur la confiance. Son but essentiel est en effet de rétablir la confiance de nos concitoyens à l'égard de la justice. Si nous continuons à promouvoir un système dans lequel se manifeste une défiance systématique du pouvoir politique à l'égard des magistrats, nous allons dans la mauvaise direction. Je ne dis pas qu'il faut laisser les magistrats sans encadrement. Il appartient au Gouvernement de faire les choix de politique pénale. Mais je ne crois pas à la nécessité de prévoir des contrôles tatillons de la chancellerie.

M. Jean-Luc Warsmann : Ce n'est pas ce que j'ai dit !

Mme la garde des sceaux : Non, ce n'est pas ce que vous avez dit. Mais si ce sujet me tient à c_ur, c'est parce que je crois que nous avons besoin d'un système plus lisible et qui inspire confiance. C'est l'harmonie du fonctionnement de notre démocratie qui est en jeu.

Il faut aussi permettre la prise en compte par les procureurs des particularités locales et la possibilité d'interpréter les directives générales. On ne peut pas tout rigidifier. Nous ne sommes pas dans une société dans laquelle le pouvoir central doit tout décider jusqu'à la moindre virgule.

Certes, il faut des contrôles. Les textes les prévoient. En ce qui concerne les commissions de réclamation et de recours, je sais bien que les magistrats ont exprimé des inquiétudes. Et je ne les prends pas à la légère. Mais les magistrats ont intérêt à accepter un regard extérieur sur leur travail, d'autant plus que 99,9 % d'entre eux le font de façon excellente et dans des conditions difficiles, et à ce que tout dysfonctionnement soit identifié puis sanctionné. Aucun corps social ne peut rester isolé des autres. Il reste à en déterminer les modalités, afin de faire en sorte que les juges ne soient pas assaillis par les plaignants professionnels, ces spécialistes de la procédure qui se regroupent parfois en associations... Il suffit de mettre en place les filtres adéquats. Je suis prête à vous communiquer l'avant-projet, si vous n'en avez pas connaissance, et à écouter vos suggestions.

M. Jean-Antoine Léonetti : Vous avez recherché dans ce projet un équilibre entre l'indépendance de la justice et la volonté de ne pas laisser les juges sans aucun contrôle, équilibre que nous n'avez pas réussi à trouver. Je pense que le curseur est placé vers trop d'indépendance, même si ce n'est pas à la mode de dire cela.

L'existence de deux sortes de justice, avec les affaires médiatisées et celles de la vie quotidienne, concoure au manque de confiance de nos concitoyens à l'égard de leur justice. La première phrase que prononcent les personnes ayant affaire à la justice est celle-ci : " j'ai confiance en la justice de mon pays ". Peut-être espèrent-ils s'attirer ainsi les bonnes grâces du juge. Mais ils le disent avec si peu de conviction que l'on peut se demander si quelqu'un fait encore confiance à notre justice. Dans le cas des " affaires ", sur lesquelles, il est vrai, le garde des sceaux ne doit pas intervenir à titre individuel, le peuple français délibère avant même les juges, par voie médiatique. Il semble difficile que la décision finale des juges ne soit pas influencée par la pression médiatique. Nous sommes bien sûr tous convaincus que la liberté de la presse est la première des libertés qu'il faut sauvegarder. Mais comment garantir le secret de l'instruction et ne pas remplacer le pouvoir politique, détenu par le peuple français, par un pouvoir médiatique, qui relève de la liberté individuelle ?

Ma deuxième question concerne cette politique de proximité que vous voulez mettre en place. Elle me paraît effectivement nécessaire, mais requiert des moyens considérables. Vous nous dites que vous avez l'appui du Premier ministre. Je le souhaite, parce que le dernier budget voté et le calendrier envisagé donnent à penser que vous n'avez pas les moyens des ambitions que vous affichez. Le traitement d'une affaire judiciaire est long, et son efficacité ne peut être améliorée que par un recrutement important. Or, ce recrutement est obligatoirement différé si on veut qu'il soit de qualité.

Notre vie politique a tendance à privilégier l'immédiat sur le long terme, et l'émotion sur la raison. Mais vous disposez de plusieurs années, peut-être même de plusieurs législatures... A moins qu'une nouvelle dissolution ne vienne compromettre vos réformes, vous avez le temps de les mettre en place, sans chercher l'effet d'annonce.

M. Alain Vidalies : Votre texte sur la réforme du Conseil supérieur de la magistrature est équilibré et répond aux engagements pris devant le peuple. Je suis convaincu comme vous qu'il est nécessaire, lors des débats parlementaires, de respecter l'équilibre que vous avez défini en accord avec le président de la République, afin que la réforme puisse aboutir rapidement.

S'agissant de la justice au quotidien, je suis réservé sur la distinction entre l'accès au droit et l'accès au juge. Il ne faut pas qu' on restreigne les possibilités d'accès au juge afin de faire face à l'inflation des contentieux. Nous avons déjà pu constater cette tentation dans le passé. Ainsi, un décret de 1993 a modifié les conditions de saisine du juge de l'exécution en obligeant le requérant à recourir à une assignation et donc à des avocats ou des huissiers alors qu'une simple lettre suffisait précédemment ; le nombre d'affaires soumises au juge de l'exécution a diminué, mais ce n'est pas une situation satisfaisante, car si certaines personnes ne saisissent plus le juge de l'exécution, c'est parce qu'elles n'en ont plus les moyens.

Je voudrais enfin souligner l'absence de la justice administrative dans nos discussions. Il faudrait réfléchir aux moyens d'appliquer à l'ordre administratif les principes que nous invoquons pour l'ordre judiciaire. Le statut des magistrats administratifs n'offre aucune garantie d'indépendance : l'Etat nomme les juges qui le jugent. La distinction entre ces ordres de juridiction n'est d'ailleurs pas très répandue chez nos voisins. De plus, le fonctionnement des juridictions administratives est très chaotique : les délais sont trop longs, les procédures et les règlements trop complexes. L'incompréhension de nos concitoyens face à ces juridictions est donc grande. Or, leur champ de compétence est étendu et devient de plus en plus important, notamment dans les domaines de l'urbanisme et de l'environnement. Je souhaiterais donc savoir si le Gouvernement a réfléchi à l'avenir des juridictions administratives.

M. Philippe Houillon : Mme la garde des sceaux, je voudrais connaître votre position sur la question du syndicalisme dans la magistrature.

Les journalistes ont l'habitude d'accoler l'étiquette " modéré " à l'Union syndicale des magistrats, l'étiquette " droite " à l'Association professionnelle des magistrats et l'étiquette " gauche " au Syndicat de la magistrature. On constate d'ailleurs que lorsqu'un cabinet ministériel a besoin de collaborateurs, un ministre de gauche fera appel à des magistrats appartenant au Syndicat de la magistrature, alors qu'un ministre de droite préférera des magistrats de l' Association professionnelle des magistrats ou de l' Union syndicale des magistrats. Est-il normal qu'il y ait des juges de droite et des juges de gauche ? Ce clivage affiché est-il compatible avec l'indépendance des magistrats et avec la crédibilité de l'institution judiciaire ?

Mme la garde des sceaux : La question du pouvoir médiatique est vaste. Certes, ma réforme est globale et ambitieuse, mais elle n'a pas pour objectif de répondre à la question de la place des médias dans notre société. Je me contente d'aborder les relations de la presse et de la justice dans le texte sur la présomption d'innocence.

Deux principes m'ont guidé. D'une part, la dignité des citoyens doit être mieux protégée. Il est légitime de punir, mais pas d'humilier. Je souhaite ainsi que l'article 803 du code de procédure pénale, qui prévoit que le port de menottes est exceptionnel, soit plus rigoureusement appliqué. Les journalistes qui publieront des images de personnes menottées pourront, à certaines conditions, être sanctionnés, car de telles images n'apportent pas grand chose à l'information et sont très humiliantes pour les personnes concernées. D'autre part, la liberté d'information doit être garantie. Je n'ai pas retenu la proposition faite par certains rapports d'interdire de citer le nom des personnes mises en cause par la justice.

Quant à la question du secret de l'instruction, je voudrais rappeler que ce secret ne s'impose ni aux journalistes ni aux avocats.

Il est évident que notre société est une société de l'information. Il faut toutefois assurer une information contradictoire en permettant à toutes les parties prenantes à une procédure judiciaire de s'exprimer. C'est la raison pour laquelle le texte sur la présomption d'innocence prévoit que des fenêtres de publicité seront ouvertes régulièrement tout au long de la procédure.

S'agissant de la question des moyens, il est évident que l'on ne pourra pas rattraper en deux ou trois les ans les retards accumulés depuis plusieurs décennies. Toutefois, la structure démographique du corps de la magistrature, l'augmentation des postes à l'Ecole nationale de la magistrature et les concours exceptionnels devraient permettre une amélioration significative.

Par ailleurs, ce n'est pas parce que je ne veux pas de loi de programmation que je ne dispose pas d'un chiffrage pluriannuel des réformes que j'entreprends. J'ai bon espoir de pouvoir mener à bien mes réformes avant la fin de la présente législature.

Je suis extrêmement sensible à la remarque de M. Alain Vidalies sur l'accès au droit et l'accès au juge et je prends toutes les précautions nécessaires pour que l'accès au juge ne soit pas réservé aux personnes qui en ont les moyens.

Ma réforme n'a d'ailleurs pas pour principal objectif de résoudre le problème de l'inflation des contentieux. Elle cherche avant tout à combattre la tendance à faire converger vers le système judiciaire tous les conflits qui n'ont pu être résolus en amont. Cette tendance est particulièrement prononcée dans le domaine de la délinquance des jeunes. Il faut faire en sorte que les systèmes de résolution des conflits en amont fonctionnent mieux.

Je reconnais qu'on parle peu de la justice administrative. Je ne remets pas en cause l'existence de la séparation de la justice en deux ordres. C'est une tradition française que l'on retrouve également en Allemagne, en Italie et aux Pays-Bas. J'ai demandé au vice-président du Conseil d'Etat de faire un rapport sur l'accélération des procédures.

S'agissant du syndicalisme dans la magistrature, les magistrats ont le droit, en tant que citoyens, d'avoir une représentation syndicale et des opinions politiques. Ils n'ont pas en revanche à exprimer ces opinions dans leur activité juridictionnelle : il faut distinguer cette activité juridictionnelle du fonctionnement du service public de la justice, sur lequel les magistrats peuvent prendre position. Le syndicalisme ne me semble pas incompatible avec l'exigence d'impartialité.

*

* *

Audition de

M. Thomas Ferenczi, journaliste, médiateur au journal Le Monde

M. Antoine Garapon, magistrat, secrétaire général
de l'Institut des hautes études sur la justice

M. René Rémond, président de la Fondation nationale des sciences
politiques, ancien membre du Conseil supérieur de la magistrature

M. Thierry Renoux, professeur de droit public à l'Université d'Aix-Marseille III, membre de la Commission de réflexion sur la justice

M. Hervé Temime, avocat à la Cour de Paris, ancien président
de l'Association des avocats pénalistes

(mercredi 20 mai 1998)

Mme Catherine Tasca, présidente de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République : A ce stade de la réflexion, il m'a paru très important de recueillir le point de vue de professionnels de la justice, mais également celui d'intervenants extérieurs, comme le sont M. Thomas Ferenczi et M. René Rémond. Je crois qu'il n'existe aucune grande réforme sociale au sujet de laquelle nous n'ayons pas intérêt à sortir du cercle des personnes que l'on peut considérer comme le plus directement impliquées, et qui pourraient être soupçonnées d'une approche corporatiste. Il nous a donc semblé fondamental de recueillir le point de vue des universitaires et des professionnels des médias.

Je suggère d'aborder la réflexion selon trois grands axes : en premier lieu, les questions qui touchent au rôle et au statut des magistrats, à leur indépendance, puisque le premier texte examiné par le Parlement est celui relatif à la composition du Conseil supérieur de la magistrature ; ensuite, les problèmes qui concernent les libertés publiques, dont la présomption d'innocence et le rôle des médias - à cet égard, je me réjouis de la présence de M. Thomas Ferenczi ; enfin, le dossier de la justice au quotidien, de l'accès au droit et de l'accès au juge.

M. René Rémond : Mme la Présidente, lorsque vous m'avez fait l'honneur de m'inviter à faire connaître mon sentiment sur les projets de réforme présentés à l'Assemblée nationale, vous m'avez suggéré d'orienter mon intervention sur les relations entre le monde judiciaire et le monde politique. A vrai dire, cette orientation m'a un peu embarrassé, puisque je n'appartiens ni au monde politique, ni au monde judiciaire, même si j'ai eu plus d'une occasion d'approcher l'un et l'autre.

Je m'y conformerai, cependant, en vous soumettant quelques réflexions générales sur les rapports entre justice et politique, avant d'en venir à l'examen du projet de loi constitutionnelle.

L'observateur, surtout s'il se double d'un historien, ne peut manquer d'être frappé par la place croissante que les questions relatives à la justice occupent dans l'esprit public, le débat politique et les travaux parlementaires. Il s'agit d'un changement profond. Quand on fait la comparaison entre ce qu'était le rôle du garde des sceaux il y a une cinquantaine d'années et ce qu'il est devenu maintenant, l'évolution est saisissante. Ce qui était autrefois une fonction largement honorifique, réservée à des hommes politiques émérites, est devenu l'un des postes les plus exposés. Les raisons, vous les connaissez, mais je les rappelle brièvement : la " judiciarisation " croissante de notre vie sociale, le recours de plus en plus fréquent à un droit considéré comme un arbitre objectif dans les contestations et surtout - c'est de mon point de vue l'élément fondamental de cette évolution - l'expression par l'opinion publique d'une exigence croissante de justice. A cet égard, le contenu de la démocratie a assurément changé, la justice en devenant un des critères principaux. La démocratie implique l'Etat de droit, et donc un fonctionnement indépendant, transparent et objectif de la justice. Ajoutons à cela le fait que la loi elle-même peut aujourd'hui être confrontée à une norme supérieure par le biais du contrôle de constitutionnalité.

Je voudrais maintenant vous soumettre quelques réflexions que m'a inspirées la lecture de ces projets. Je les ai tous lus, mais je m'intéresserai surtout, puisqu'on a bien voulu rappeler que j'ai fait partie du Conseil supérieur de la magistrature, à celui qui concerne cette institution.

Il est vrai que le Conseil auquel j'ai appartenu n'est pas le même que celui d'aujourd'hui : la composition en a été modifiée et ses attributions ont été étendues, ces changements étant conformes aux souhaits que nous avions alors formulés. Cependant, j'ai eu récemment l'occasion de rencontrer à la fois les anciens membres et les titulaires actuels, et j'ai été frappé de constater que les préoccupations demeurent les mêmes. Il existe donc une continuité dans l'institution, ce qui me qualifie peut-être pour formuler une appréciation sur le projet de loi constitutionnelle.

Ce dernier a d'ailleurs mon assentiment. J'approuve l'extension des compétences et je me réjouis que la nouvelle composition affirme l'unité du corps - j'ai toujours pensé que la séparation entre parquet et siège n'avait pas de justification, dans la mesure où, très souvent, la carrière des magistrats s'effectue alternativement dans l'un et dans l'autre. Je me félicite qu'il y ait des personnalités extérieures, non seulement parce que j'ai joué ce rôle, mais parce que je crois indispensable, pour prévenir toute dérive corporatiste, que le Conseil supérieur de la magistrature comprenne des membres qui n'appartiennent pas au personnel judiciaire. Il faut rappeler que la justice n'appartient pas plus aux magistrats que la santé aux médecins ou l'enseignement aux professeurs. Ce sont des fonctions sociales qui s'exercent par délégation du peuple français. Je me suis d'ailleurs rendu compte que la présence de personnalités extérieures contribuait parfois à garantir la protection des magistrats contre les pressions ou les velléités de mise sous tutelle.

Cela dit, je m'interroge sur l'effectif retenu. Je ne suis pas certain qu'il soit nécessaire que les personnalités extérieures soient plus nombreuses que les magistrats, dans la mesure où il n'y a pas de rapport de force entre les deux catégories et où il est rare que l'arithmétique joue dans les votes. La seule présence de quelques personnalités extérieures exerce un rôle de catalyseur. De plus, je m'inquiète un peu du nombre total de membres car vingt et un, c'est beaucoup pour fonctionner correctement. A l'expérience, je me suis rendu compte que neuf ou dix est un bon chiffre pour permettre à une instance de travailler convenablement. Ce qui fait l'efficacité du Conseil constitutionnel ou du C.S.A., c'est peut-être le nombre limité de membres
- neuf - qui y participent. A moins de neuf, la diversité des points de vue n'est pas assez importante, mais au-delà, et surtout si l'on atteint quinze ou dix-huit, des factions risquent de se former et la délibération devient difficile.

Il existe d'autres sujets à propos desquels je me pose des questions, mais qui ne relèvent probablement pas de la loi constitutionnelle. Par exemple, qui sera le président de ce Conseil lorsqu'il ne sera présidé ni par le Président de la République, ni par le garde des sceaux, c'est-à-dire la plupart du temps ? Autrefois, il existait un doyen qui n'était d'ailleurs pas nécessairement le doyen d'âge.

Par ailleurs, compte tenu de la charge croissante que représente la participation au Conseil supérieur de la magistrature - de notre temps, cela occupait déjà au moins deux journées par semaine, mais avec l'extension de ses pouvoirs, on se dirige vers le plein temps -, il conviendrait, dans le doute, de prévoir un système permettant aux personnalités extérieures d'exercer leurs attributions dans de bonnes conditions, sachant que les magistrats bénéficient déjà d'une décharge. Cette question est particulièrement importante, surtout si le Conseil continue, comme il est souhaitable, à aller sur le terrain et à visiter les juridictions, non pas pour inspecter - ce n'est pas son rôle - mais parce qu'il est indispensable de sortir du quai Branly pour découvrir sur place comment fonctionnent les tribunaux et quelles sont leurs difficultés. C'est ainsi que nous avions remis un rapport sur la pénurie des greffes. Ces problèmes ne relèvent probablement pas d'une loi constitutionnelle, mais je pense qu'il est bon que le législateur se les pose.

S'il m'est permis d'aborder un sujet qui n'est pas à l'ordre du jour, je vous ferai part de mon étonnement à propos de la disparition du projet de réforme de la procédure criminelle. On se souvient qu'il y a deux ans, le gouvernement avait constitué un haut comité dont j'ai partagé la présidence avec M. Jean-François Deniau. Nous avons travaillé pendant trois mois en procédant à de nombreuses auditions et nous avions rédigé un rapport qui avait fait l'unanimité, duquel était sorti un projet de loi qui a été examiné en première lecture par l'Assemblée nationale. Souhaitant l'appel en assises, nous avions fait justice de l'objection selon laquelle, le jury se prononçant au nom du peuple français, il ne peut se tromper et nous nous étions prononcés en faveur du maintien du jury citoyen, en première instance et en appel. Puisque l'occasion m'est donnée de rappeler l'existence de ce projet, je dirai que cela ne me paraît pas moins important que la question de la présomption d'innocence. Et cela d'autant plus que le jury d'assises est une des rares occasions pour le citoyen de participer à la vie de la nation. En un temps où près de la moitié des Français sont exonérés d'impôt et ne contribuent donc pas aux charges publiques et où il n'existe plus de service national, cela me paraît important.

M. Antoine Garapon : J'ai trouvé le projet du garde des sceaux très novateur par certains côtés, tout en ayant le sentiment qu'il s'arrête en quelque sorte au milieu du gué. De ce fait, il s'attire des reproches en provenance des deux rives, les uns estimant que l'on s'est trop éloigné vers l'indépendance de la justice, les autres qu'on ne s'en est pas assez rapproché.

Tout d'abord, ce qui me frappe dans ces projets - et je le dis pour aussitôt le regretter - c'est qu'une fois de plus la justice administrative est exclue d'une réforme de la justice. Ce particularisme français est pourtant très dommageable à la qualité globale de notre justice. Nous manquons là une occasion de créer un Conseil supérieur de la magistrature qui soit commun aux deux ordres. En effet, le meilleur moyen d'atténuer le corporatisme des juges judiciaires n'est-il pas de le confronter au corporatisme des juges administratifs ?

Contrairement à ce que l'on croit, le corps judiciaire est extrêmement politisé. C'est pourquoi il faut être très attentif à la composition du C.S.M., et notamment veiller à ce que les magistrats ne soient pas majoritaires. C'est ce que prévoit le projet de loi constitutionnelle.

Je partage les inquiétudes de M. René Rémond à propos de l'effectif du C.S.M. Vingt et un, c'est beaucoup. J'attire également votre attention sur le mode de scrutin, qui risque de donner l'avantage au syndicat majoritaire. C'est un peu la solution de facilité pour tous les corps de l'Etat que de mettre en place, plutôt qu'une véritable indépendance, une cogestion du corps avec le syndicat majoritaire. Je serais donc favorable à ce qu'il y ait plus de " laïcs " au C.S.M., que le nombre de ses membres soit moins élevé, et que ceux-ci soient élus avec un mode de scrutin qui ne favorise pas le syndicat majoritaire.

L'idée d'un conseil unique pour les magistrats du parquet et ceux du siège n'est évidente que pour les Français, et peut-être les italiens, en tout cas pour un nombre de pays très réduit. Cette confusion du parquet et du siège ne va pas de soi, et l'on pourrait imaginer un système permettant d'éviter des allers et retours trop fréquents d'une catégorie à l'autre.

Par contre, il me semble qu'il faut encourager l'idée d'un recours citoyen, soit pour vaincre l'inertie d'un juge, soit pour se plaindre de son comportement. Cela dit, je ne suis pas sûr que les remèdes proposés soient les bons et il existe d'autres moyens pour vaincre l'inaction d'un procureur. Ainsi, on pourrait élargir le champ des personnes ayant qualité pour agir : cela permettrait à chaque citoyen de se constituer partie civile pour tous les délits causant un préjudice collectif, tels que les délits de corruption ou les atteintes à l'environnement. Je ne suis pas sûr que la commission envisagée pour remettre en question les classements sans suite ne soit pas un dispositif extrêmement complexe pour des gains finalement assez modestes, puisque celui qui aura protesté contre le classement d'une affaire n'aura pas pour autant la qualité pour agir une fois que l'affaire sera engagée.

Il en est de même de la possibilité de se plaindre du comportement d'un juge. C'est une excellente idée, mais plutôt que de mettre en place des commissions à cet effet, ne vaudrait-il mieux pas élargir la saisine du C.S.M. à chaque citoyen ? Ce serait infiniment plus simple, tout en créant une nouvelle liberté publique à laquelle je suis personnellement très attaché, la faculté de se plaindre de son juge. Il suffirait de rattacher l'inspection des services judiciaire au C.S.M. pour que celui-ci puisse immédiatement diligenter une enquête. Cela permettrait d'éviter un dispositif vécu par mes collègues comme un geste de défiance à leur égard, et que l'on peut qualifier " d'usine à gaz ".

Je constate aussi un attachement un peu fétichiste à la notion de politique pénale. Cette idée de politique pénale centralisée, inspirée par le garde des sceaux, est peut-être satisfaisante pour l'esprit, mais elle n'a que peu de réalité dans la pratique. D'abord, on ne peut concevoir d'imposer des priorités que si elles sont en nombre réduit. Or, les procureurs sont assaillis de priorités, ce qui fait que plus rien n'est réellement prioritaire. De plus, la seule politique pénale qui vaille, c'est celle qui est adaptée aux réalités du terrain, aux forces de police disponibles, aux équipements spécifiques se trouvant dans la juridiction du procureur : aéroport, marché d'intérêt national, etc.

Un autre aspect du projet me paraît poser un problème : alors qu'il instaure un contrôle par les citoyens - ce qui est une excellente chose, en dépit des critiques de magistrats que l'on peut qualifier de corporatistes - il maintient la possibilité pour le garde des sceaux de saisir directement une juridiction. D'une part, je ne vois pas dans quelle situation pratique cette procédure pourrait être utilisée, et d'autre part, cela revient à maintenir un contrôle par le haut alors que l'on a déjà mis en place un contrôle par le bas.

Il en va de même pour le juge des libertés : on instaure un échelon supplémentaire, sans toucher à l'institution du juge d'instruction qui est un des problèmes majeurs de notre procédure pénale. Il ne peut pas y avoir trois échelons : un juge d'instruction, un juge des libertés et un procureur. L'un d'eux est de trop. Soit on transforme le juge d'instruction en juge des libertés, soit on garde le juge des libertés, et c'est le procureur qui devient le superviseur de l'enquête. Garder les trois serait extraordinairement coûteux en personnel, pour une " plus-value " en terme de libertés individuelles qui ne serait pas à la hauteur de l'investissement financier et humain consenti.

En conclusion, je dirais que la logique inaugurée par cette réforme est très positive : elle consiste à donner une responsabilité aux juges pour les sortir de leur face-à-face stérile avec le pouvoir. Mais je crois que l'on n'a fait que la moitié du chemin.

M. Thierry Renoux : A titre liminaire, je voudrais poser une question : pourquoi un Conseil supérieur de la magistrature ?

Tous les pays ne connaissent pas une telle institution. En Europe, on en retrouve l'équivalent dans les pays du sud principalement : le Portugal, l'Espagne, l'Italie, la Grèce, la Roumanie, la Bulgarie et Andorre. Par ailleurs, la Belgique et les Pays-Bas s'interrogent actuellement sur la création d'un Conseil supérieur de la magistrature compte tenu des dysfonctionnements de leur justice.

Cette institution est spécifiquement française. Au XIXe siècle, les attributions disciplinaires étaient exercées par la Cour de cassation, mais ce n'est qu'en 1946 qu'a été créé le Conseil supérieur de la magistrature par la Constitution.

Les raisons d'être d'un Conseil supérieur de la magistrature sont évidentes. Il s'agit, d'une part, d'éviter que le pouvoir politique ne puisse obtenir des faveurs d'un magistrat en le récompensant par un avancement. Cette préoccupation existait déjà avant la création du Conseil supérieur de la magistrature et il y était répondu par le tableau d'avancement. Il s'agit, d'autre part, d'éviter que le pouvoir politique ne puisse sanctionner un magistrat.

Sur le plan constitutionnel, l'existence d'un Conseil supérieur de la magistrature est la traduction directe du principe d'égalité devant la loi qui implique, selon le Conseil constitutionnel dans une décision rendue en 1975, le principe d'égalité devant la justice. Le Conseil supérieur de la magistrature est donc le garant de l'indépendance de la justice.

Le principe d'égalité devant la loi, affirmé par l'article premier de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, doit être conjugué avec l'article 9 de la même déclaration qui pose celui de la présomption d'innocence. J'en profite pour dire que le projet sur la présomption d'innocence me paraît excellent parce qu'il part de celle-ci pour en tirer les conséquences qui s'imposent sur le plan de la procédure pénale. Toute procédure pénale doit affirmer ce principe essentiel : nous sommes innocents et c'est à la partie poursuivante de démontrer la culpabilité. D'ailleurs, ce principe n'est pas seulement valable en matière pénale puisqu'il est inscrit dans le Code civil. Il faut cependant souligner que la présomption d'innocence cesse lors du premier jugement.

Quelle est la nature du Conseil supérieur de la magistrature ? Si, à l'origine, l'influence parlementaire était forte, elle a été remplacée par l'influence présidentielle en 1958.

Le Conseil supérieur de la magistrature est d'abord un conseil. Est-ce un conseil du pouvoir législatif, comme c'est le cas en Espagne du Conseil supérieur du pouvoir judiciaire ? Cette appellation, d'ailleurs, me semblerait préférable, car la dénomination " Conseil supérieur de la magistrature " implique un corporatisme qui ne me plaît pas ; en outre, je suis favorable à un grand Conseil comportant une chambre administrative, une chambre financière et une chambre judiciaire.

Il serait imaginable que les autorités parlementaires qui désignent des membres d'un Conseil supérieur de la magistrature puissent saisir ce conseil.

En Italie, le Conseil supérieur de la magistrature élit son vice-président. C'est une bonne chose, car cette personnalité a vocation à incarner la justice, à lui donner un visage, ce qui, à mon sens, manque en France. Lorsque l'Assemblée nationale ou le Sénat sont en cause, leurs présidents peuvent intervenir, mais lorsque la justice est en cause, qui peut légitimement s'exprimer en son nom ?

Le Conseil supérieur de la magistrature est aussi le conseil du pouvoir exécutif.

J'observe que le comité de révision de la Constitution présidé par le doyen Vedel, ainsi que la commission Truche, avaient proposé que le garde des sceaux ne soit pas membre du Conseil supérieur de la magistrature, car il est à la fois demandeur et destinataire des avis du Conseil auquel il participe. C'est la raison pour laquelle la commission Truche avait également proposé de retirer au président de la République sa voix délibérative puisqu'il reçoit les propositions du Conseil.

Le garde des sceaux est le premier responsable de la politique pénale et il est légitime qu'il s'exprime devant le Parlement pour en faire le rapport. Je suis plus sceptique quant à la publication des circulaires générales d'action publique. Comment imaginer par exemple que soit publié au Journal officiel un texte indiquant que seuls les auteurs de chèques sans provision d'un montant supérieur à 500 francs seront poursuivis ? De son côté, la commission Truche avait imaginé que l'Etat, plutôt que de donner des instructions générales aux parquets, puisse porter plainte, comme c'est actuellement le cas aux Etats-Unis, en ayant recours à un magistrat de la chancellerie ou à un avocat.

L'appel à la société civile dans la composition du Conseil supérieur de la magistrature est une bonne chose. Je rejoins, toutefois, les préoccupations des précédents orateurs sur le nombre des membres. La commission Truche en comportait vingt et un et j'ai remarqué qu'il était difficile de s'y exprimer dans de telles conditions. Il aurait été préférable de créer au sein du Conseil supérieur de la magistrature des chambres moins nombreuses.

Le Conseil supérieur de la magistrature est ensuite une juridiction qui a pour objectif, d'une part, de mieux assurer l'indépendance du magistrat et, d'autre part, de protéger le citoyen contre les abus de la justice.

L'indépendance n'est pas un privilège du magistrat, elle doit être assurée avant tout dans l'intérêt du justiciable.

L'unité du corps de la magistrature ne me choque pas et elle a été reconnue conforme à la Constitution, le 11 août 1993, par le Conseil constitutionnel. Par ailleurs, le principe de l'opportunité des poursuites justifie l'unité du corps. Toutefois, comme le prévoit la commission Truche, il faudrait un délai pendant lequel il serait impossible de passer d'une fonction - parquet ou siège - à l'autre. Je me permets, au passage, de relever une inconstitutionnalité dans l'avant-projet : il ne peut être prévu par la loi organique la possibilité de déplacer d'office un magistrat du siège à titre disciplinaire alors même que cela ne figure pas dans le projet constitutionnel.

Le Conseil supérieur de la magistrature a par ailleurs pour rôle de protéger le citoyen contre les abus des magistrats. Ceux-ci sont soumis à la responsabilité disciplinaire et à la responsabilité civile qui avait été étendue par la commission Truche avec des cas d'actions récursoires plus nombreux.

La notion de responsabilité pour les magistrats du parquet est plus importante que la notion de faute. Le projet aborde la faute par le biais de la subordination au garde des sceaux. Ce n'est pas satisfaisant : les magistrats du parquet doivent être des magistrats responsables avant d'être des magistrats fautifs ou subordonnés.

Les magistrats sont aussi soumis à la responsabilité pénale. Il faut cependant aborder cette question avec précaution pour éviter par exemple que des malandrins ne fassent asseoir sur la banc des accusés le juge qui les a condamnés.

A ces responsabilités, on pourrait ajouter une responsabilité constitutionnelle. En Allemagne, la Cour constitutionnelle peut, à la demande du Parlement, destituer un juge qui aurait violé gravement la constitution. Deux procédures ont déjà été engagées. De surcroît, je pense à cet égard aux arrêts de règlement : comment sanctionner l'empiétement sur les compétences du pouvoir législatif que ceux-ci constituent ? Le principe d'une responsabilité constitutionnelle du magistrat permettrait d'assurer le respect du principe de la séparation des pouvoirs, essentiel à la démocratie.

Pour résumer : pas de juge justicier, pas de juge serviteur, si ce n'est de la loi ; un contrôle politique de la fonction juridictionnelle, mais pas de politisation du corps.

M. Thomas Ferenczi : Vous m'avez invité, Mme la Présidente, à réfléchir sur les relations entre le juge, le journaliste et le citoyen.

Je vous donnerais le point de vue d'un journaliste parmi les autres. Le journaliste est au service du citoyen, il contribue à son information sans que celle-ci soit un but en elle-même, mais plutôt un moyen de faire vivre le débat démocratique.

Dans sa mission, le journaliste doit se montrer critique par rapport aux pouvoirs, notamment par rapport au pouvoir politique. Cette fonction critique ne signifie pas prioritairement porter des jugements, mais avant tout exposer et expliquer.

Le journaliste va donc enquêter pour faire apparaître des vérités cachées. Seul, il ne pourra pas aller très loin car il n'a pas les moyens dont disposent légitimement certains fonctionnaires pour convoquer des témoins ou effectuer des perquisitions. Il va donc s'appuyer sur les investigations d'autres corps professionnels : les juges, les policiers, les magistrats de la Cour des comptes, les parlementaires - je pense aux commissions d'enquête - les inspecteurs de l'administration, les inspecteurs des finances ou les inspecteurs de l'agriculture, qui ont effectué récemment un rapport sur le Crédit agricole en Corse ou encore l'I.G.A.S. qui a rendu un rapport sur le tabagisme publié par Le Monde. Grâce à tous ces moyens, il pourra révéler des vérités cachées ou déjouer les stratégies de communication de personnalités ou d'institutions.

Le journaliste remplit-il aujourd'hui correctement sa mission d'enquête ? Je pense que les médias ont beaucoup progressé, mais il leur reste beaucoup de chemin à faire pour surmonter la tentation du conformisme et de la paresse, pour vaincre les résistances et affirmer leur indépendance par rapport aux divers pouvoirs.

L'opinion reproche souvent aux médias - des sondages l'attestent comme de nombreux livres à succès, je pense à ceux de MM. Pierre Bourdieu et Serge Halimi - d'être trop complaisants et pas assez pugnaces. De nombreux exemples montrent que les médias n'ont pas été assez curieux ou qu'ils ont été manipulés, les plus célèbres étant ceux du charnier de Timisoara et de la guerre du Golfe. Dans ces derniers cas, les erreurs s'expliquent parce que les journalistes n'ont pas exercé convenablement leur esprit critique. Autre exemple : la presse n'a pas su apercevoir à temps les dérives du Crédit Lyonnais car elle a été abusée par ses services de communication ; dans cette affaire, il faut noter que les parlementaires ont été plus vigilants. On peut enfin citer l'exemple de la maladie de François Mitterrand : nos confrères étrangers ont été étonnés en apprenant que sa maladie remontait à l'année de sa réélection et que la presse n'en disait rien.

Ces reproches ne sont donc peut-être pas totalement infondés, mais il faut souligner que l'enquête est un travail difficile qui demande de la persévérance, des compétences, en particulier sur les questions financières, et du courage, notamment celui de résister aux pressions.

Les obstacles sont donc nombreux. Dans ces conditions, est-il judicieux d'en ajouter ? La France n'est certainement pas le pays où règne la plus grande transparence. Nous avons dans ce domaine encore beaucoup à apprendre des pays anglo-saxons où la tradition de l'enquête journalistique sans concession y est plus forte que chez nous. Il me semble préférable d'imiter ces pays plutôt que d'inviter ou de contraindre la presse à se modérer, d'une façon ou d'une autre.

C'est à la fois la servitude et la grandeur du métier d'homme politique d'accepter d'être mis en cause avant même d'être jugé. Les lois actuelles qui punissent notamment la diffamation me paraissent un outil suffisant pour protéger les personnes mises en cause. Il appartient, bien entendu, aux journalistes de respecter les principes qui fondent, aux yeux des juges, la bonne foi, la légitimité du but poursuivi, l'absence d'animosité personnelle, la prudence et la mesure dans l'expression des propos et le sérieux et la qualité de l'enquête. Même si nous contestons certaines décisions judiciaires, je fais confiance au juge et il est essentiel qu'il se prononce sur nos éventuels errements.

Pour le reste, le journaliste doit respecter une déontologie, respect auquel l'institution d'un médiateur contribue.

Mme la Présidente : Je me permets de faire quelques remarques sur ces problèmes que j'ai connus professionnellement.

Vous nous dites, M. Ferenczi, que l'on peut reprocher aux journalistes de ne pas être assez exigeants dans leur travail d'enquête. Vous n'avez pas évoqué un élément important du débat, à savoir l'atteinte à la vie privée ou au secret de l'instruction.

Par ailleurs, outre la question de la responsabilité de journaliste, ne faudrait-il pas poser celle des grands groupes qui possèdent les médias les plus importants ?

M. Hervé Temime : Je vous parlerai essentiellement du texte relatif à la présomption d'innocence et au droits de la défense, mais je voudrais d'abord faire deux observations qui ne sont pas tout à fait en dehors du cadre qui m'a été imparti.

Premièrement, je voudrais reprendre ce qu'a dit M. René Rémond concernant le sort du projet instituant l'appel en cour d'assises. Je crois qu'il est absolument incompréhensible, pour les professionnels de la justice, quel que soit le corporatisme que l'on peut leur prêter, à juste titre d'ailleurs, vous avez eu raison, Mme la Présidente, de nous en accuser par avance...

Mme la Présidente : J'ai parlé de " soupçon " !

M. Hervé Temime : Mais pour moi, la présomption d'innocence n'existe pas, et je vous le démontrerai. Donc à mes yeux, le soupçon suffit à condamner ! Je suis presque un journaliste, en tout cas plus qu'un juge ...

Il est donc évident que nous sommes corporatistes, mais quoi qu'il en soit, je ne peux pas comprendre, compte tenu de la difficulté que nous avons eu à trouver un consensus sur la question du double degré de juridiction dans les affaires criminelles, comment un texte aussi capital pour le progrès de notre justice a pu être abandonné, pour des raisons financières qui, sans être mineures, sont tout de même insuffisantes. Je crois, en toute franchise, que ce projet est au moins aussi important que les meilleurs de ceux qui pourraient vous être soumis sur les sujets dont nous débattons aujourd'hui.

Deuxièmement, je pense que le problème dont tout le monde parle, celui du lien entre la chancellerie et le parquet, est un faux problème. Il est peut-être très important pour vous, hommes et femmes politiques, probablement non négligeable pour les citoyens, mais ce n'est certainement pas le dossier majeur en ce qui concerne le fonctionnement de la justice. D'abord, cela ne concerne qu'un nombre très limité de dossiers. Ensuite, l'expérience montre qu'il est tout à fait possible d'atténuer par la pratique le soupçon permanent selon lequel le pouvoir politique exerce des pressions sur la justice.

En revanche, en faire l'élément majeur d'une réforme de la justice nous fait oublier ce qui est, à mon sens, le véritable problème de notre justice pénale, c'est-à-dire la dépendance entre les juges du siège et le parquet. Nous avons besoin, en tant que justiciables, d'être convaincus que l'on nous juge dans le respect de la loi et en toute indépendance par rapport à ceux qui requièrent de poursuivre.

Or, ce qui peut expliquer la réaction corporatiste excessive - et à mon avis très encourageante pour apprécier la qualité des textes qui nous sont soumis - des magistrats, c'est que ceux-ci, et notamment les juges d'instruction, ont le sentiment, pas tout à fait erroné, qu'on leur fait un mauvais procès. Car lorsque l'on parle des dérives de la justice, que nous constatons tous les jours quels que soient les progrès incontestables qui sont par ailleurs accomplis, notamment sur le plan de l'égalité des citoyens, c'est le juge d'instruction qui est en permanence mis en accusation. Celui-ci est à la fois mythifié d'une manière absolument ridicule, considéré par les médias comme une personne intouchable, engagé dans une lutte sans merci contre tous les maux de notre société, à commencer par la corruption et, à l'inverse, souvent désigné comme le responsable de tous les dysfonctionnements de la justice pénale. C'est totalement faux et on oublie généralement le rôle majeur du parquet dans la procédure pénale. Je ne parle pas seulement des " affaires ", mais des procédures pénales dans leur plus grand nombre, qui mériteraient effectivement d'être mieux régulées.

Personnellement, en lisant attentivement ce texte, que je ne connaissais que par ouï-dire, j'ai été étonné par sa qualité. Nous autres, avocats, avons pourtant un esprit très prompt à la critique peu constructive. Sur des questions pratiques, ce texte propose des avancées. Même si celles-ci peuvent paraître négligeables pour des gens qui, comme vous je l'espère, ont la chance de ne pas connaître la justice pénale, elles sont significatives.

Je donne un exemple de ces anachronismes auxquels nous sommes quotidiennement confrontés. Savez-vous que quand un détenu écrit à son avocat pour lui demander d'assurer sa défense, celui-ci ne peut pas présenter la lettre au juge d'instruction pour avoir accès au dossier ! En effet, la loi dispose que le détenu doit écrire directement au juge. Compte tenu du mode de fonctionnement habituel de la justice, ce courrier passe entre les mains du vaguemestre puis est acheminé par fourgon et arrive à destination au bout de trois ou quatre jours. Cela peut paraître insignifiant, mais il aura fallu attendre ce texte pour modifier cet état de chose, ce à quoi les avocats n'avaient même pas songé. Il existe de nombreuses trouvailles comparables.

En ce qui concerne la présomption d'innocence, je partage l'avis de M. Thierry Renoux : ce qui est intéressant dans ce texte, c'est qu'il fait de la présomption d'innocence le principe dont doit découler tout le fonctionnement de la justice. Alors qu'en l'état actuel des choses, je considère que la présomption d'innocence n'existe pas dans notre justice pénale. C'est un principe fondamental, mais qui est bafoué quotidiennement, d'une manière quasi mécanique.

À mon sens, une bonne réforme de la justice doit faire en sorte que ce principe se traduise concrètement dans la réalité. Nous avons bien vu que la loi de janvier 1993, qui est d'ailleurs une très bonne loi, n'a pas suffi. On s'est contenté d'un changement de terminologie, passant de " inculpé " à " mis en examen ". Or, pourquoi a-t-on changé cette terminologie ? Parce que M. Michel Sapin, vérifiant dans le Robert le sens du mot " inculpé ", avait lu cette définition : " présumé coupable " ! Il est évident qu'aujourd'hui le " mis en examen " est tout autant présumé coupable. Alors comment faire ?

Je crois qu'il y a déjà, indiscutablement, des écueils à éviter : or, ce texte les évite. Le principal était de solenniser, voire de " judiciariser " davantage, le moment de la mise en examen. Il faut que celle-ci soit considérée de plus en plus comme le moment de l'ouverture des droits, et de moins en moins comme une phase de pré-jugement, donc de pré-condamnation.

Quant aux droits qu'il conviendrait de renforcer, j'enfoncerai une porte ouverte en disant que la plus grave entorse à la présomption d'innocence, c'est la détention provisoire. Ce qui choque les professionnels les plus avertis, voire les plus cyniques, dans le fonctionnement de la justice pénale, c'est la façon dont la détention provisoire est ordonnée et prolongée, pas seulement par le juge d'instruction, mais aussi par la chambre d'accusation. Quel que soit le degré de conscience des magistrats qui la prononcent, je le dis en assumant totalement la responsabilité de mes paroles, la détention provisoire est parfois requise dans une indifférence absolue et dans un mépris total du droit des gens, surtout des plus faibles.

Je suis particulièrement favorable à l'instauration d'un juge des libertés. Pourquoi ? Parce que je crois qu'il faut être réaliste - peut-être l'êtes-vous davantage que nous - on ne peut pas passer à un système accusatoire du jour au lendemain. Je le dis en tant que fondateur et ancien président de l'Association des avocats pénalistes, bien que je ne veuille me parer d'aucun titre : nous sommes absolument incapables d'assumer un système accusatoire avant dix ans, que ce soit du point de vue matériel, de la compétence ou de la déontologie. Les rapports sont actuellement trop mauvais entre les juges et les avocats pour permettre à ces derniers d'assumer un rôle dans l'enquête, quel qu'il soit.

Dans la mesure où nous ne nous situons pas dans une alternative entre une procédure inquisitoire et une procédure accusatoire, je considère donc que le juge des libertés est absolument fondamental. Il faut tout faire pour rendre la détention provisoire plus difficile à ordonner et pour garantir davantage le droit des gens face à cette décision. Je trouve l'attitude des magistrats excessivement corporatiste à l'égard de ce projet de réforme. Les juges d'instruction, qui en privé acceptaient l'idée d'être peu à peu libérés de cette responsabilité, se sont cristallisés sur cette question, comme si la grandeur de la fonction de juge d'instruction n'était liée qu'à ce pouvoir d'incarcérer.

Pourtant, ce texte défend le juge d'instruction, d'abord parce qu'il maintient son existence, et ensuite parce qu'il en fait le juge qui peut libérer. Le juge des libertés ne sera pas saisi lorsque le juge d'instruction aura décidé de libérer la personne mise en examen, soit en décidant de ne pas l'incarcérer au début de la procédure, soit en faisant droit à sa demande de mise en liberté. C'est donc un texte qui protège le juge d'instruction, même s'il dérange sa pratique routinière, avec des règles telles que le calendrier prévisionnel, tout en garantissant indiscutablement mieux le citoyen contre les abus de la détention provisoire. Je ne partage pas l'idée de M. Antoine Garapon, qui est cependant un des rares magistrats à accepter la critique avec autant de facilité - ils ne sont pas très nombreux, ceux qui ont pour métier de juger les autres, à accepter qu'on les juge. Le juge des libertés n'est pas une troisième partie au procès mais, à la limite, un troisième degré de juridiction, encore que cette expression soit excessive d'un point de vue strictement juridique.

Par ailleurs, j'estime qu'il est indispensable de permettre la présence de l'avocat dès la première heure de garde à vue. Si l'on peut reprocher quelque chose au projet de réforme, c'est d'être encore trop timide en ce domaine. Je crois qu'il faudrait " judiciariser " un peu plus la garde à vue, en autorisant l'avocat à être présent au moment de son renouvellement et en lui donnant accès au dossier. Peut-être vos débats permettront-ils d'avancer sur ce point. Il faudrait également réfléchir à un régime juridique plus précis et plus rigoureux. Notamment, on oublie trop souvent que cette procédure est facultative. Quant à la phase du jugement, tous les professionnels de la justice, et probablement aussi les citoyens, sont pour l'introduction d'une plus grande part de contradictoire dans le débat, ce qui est une réforme indispensable.

Mme la Présidente : Je vous remercie pour ces interventions très riches. Ce qui me frappe personnellement, c'est que chacun d'entre vous a placé le souci démocratique au c_ur du jugement qu'il porte sur ces textes, approche que nous partageons également.

Mme Christine Lazerges : Il est vrai que le chantier de la réforme de la justice est immense, et qu'il comporte encore des vides. Nous en convenons. S'il le faut, un certain nombre de députés feront les propositions nécessaires pour les combler, notamment en ce qui concerne l'appel dans les affaires criminelles. Ne croyez pas que nous laisserons passer cette législature sans nous inquiéter du sort de ce projet.

Certains pensent que nous sommes au milieu du gué, soit parce que nous ne traitons pas tous les problèmes, soit parce que nous ne les traitons pas jusqu'au bout. Je crois qu'il faut être très attentif sur ce point.

Concernant le C.S.M., il me semble très important de rappeler que cette institution est à la fois un conseil et une juridiction, et que son existence est la traduction directe du principe d'égalité, lequel doit être conjugué avec la présomption d'innocence. À ce titre, je trouve symboliquement significatif que le nombre de magistrats siégeant au C.S.M. soit légèrement inférieur à celui de personnalités extérieures, et je sais gré à M. Antoine Garapon de l'accepter.

Est-il possible de travailler dans un conseil comprenant vingt et un membres ? La question de M. René Rémond est importante. Nous avons, l'un et l'autre, siégé au Conseil national des universités, dans des sections différentes, où nous avons fonctionné suivant les années à dix-huit ou à trente-six. Je reconnais que ce dernier chiffre rend le déroulement des débats assez délicat et que nous nous en remettions généralement au rapporteur. A dix-huit, par contre, nous pouvions travailler. Vingt et un, ce n'est pas si éloigné, mais il s'agit d'un nombre maximum.

Il faut aussi, si l'on veut que la présence de non-magistrats au C.S.M. ait un sens, que ceux-ci soient également déchargés professionnellement pendant la durée de leur mandat. M. René Rémond a raison d'insister sur ce point qui est une conséquence logique de l'extension des attributions du Conseil.

Je souhaiterais poser une question d'ordre juridique à M. Thierry Renoux : peut-on imaginer que la loi organique instaure deux formations ? J'aimerais avoir la réponse tout de suite, pour être rassurée - ou inquiétée ...

M. Thierry Renoux : C'est tout à fait possible, mais à mon avis, il faudrait que cela soit inscrit dans la Constitution. En effet, le Conseil supérieur de la magistrature actuel a pris l'habitude de siéger en assemblée plénière, ce qui n'était pas prévu dans son statut, pratique qui a d'ailleurs été très critiquée. C'est pourquoi il me semble que la Constitution devrait prévoir que le Conseil peut siéger en deux formations restreintes, sans qu'il soit nécessaire de préciser davantage. La seule difficulté est d'éviter que le nombre de magistrats diminue à cause de cette séparation. Mais c'est un problème purement technique.

Mme Christine Lazerges : Un mot encore sur la politique pénale. Bien sûr, celle-ci doit se décliner au niveau local. Mais cela n'empêche nullement de définir au plan national une stratégie de réponse aux phénomènes criminels, à l'initiative du garde des sceaux.

À propos du juge des libertés, nous serons très attentifs, au sein de la commission des lois, à ne pas créer une " usine à gaz ". Il en est de même en ce qui concerne les deux commissions de recours citoyen. Il y a sans doute un travail de simplification à faire, tout en restant très attachés à ces projets.

Pour terminer, je dirais que j'ai été un peu étonnée que personne ne mentionne une disposition qui est, à mon sens, tout à fait capitale. Il s'agit de celle qui rend plus facile l'accès au droit en instaurant la compensation judiciaire et qui multiplie les formules procédurales en amont du déclenchement des poursuites. Sur le plan pratique, c'est peut-être le volet primordial.

M. Antoine Garapon : C'est effectivement une avancée significative. Cela dit, les garanties sont tellement nombreuses qu'elles risquent de décourager les procureurs de se lancer dans la compensation pénale. Je me demande s'il ne faudrait pas mieux consacrer le droit d'admonestation du procureur, qui existe déjà dans la pratique.

M. Louis Mermaz : Il a été dit que toute réforme de la justice devait être faite pour le justiciable et non pour le juge. C'est un principe de base. L'ensemble des textes qui nous seront soumis me semblent marquer un progrès, mais ils ne vont sans doute pas aussi loin que certains d'entre nous le souhaiteraient.

Nous savons bien que le projet de loi sur la réforme du Conseil supérieur de la magistrature résulte d'un compromis entre le Premier ministre et le président de la République ; tout est donc déjà joué, mais le débat parlementaire permettra d'apporter un éclairage à cette réforme.

Je voudrais demander aux divers intervenants présents ce matin comment assurer l'indépendance des magistrats, laquelle représente une garantie pour le justiciable. Les députés sont soumis au suffrage universel, le Gouvernement, théoriquement, est responsable devant législatif, mais qu'en est-il juges ? Devant qui sont-ils responsables ? On pourrait envisager de les élire, mais l'importance du Front national rend cette éventualité hasardeuse.

Un magistrat, parmi les plus progressistes, a dit, dans une interview à Libération, que c'est le droit et la conscience des juges qui fondent leur indépendance. Je trouve cela un peu court. François Mitterrand demandait souvent aux magistrats, pour les taquiner, d'où leur venait leur vocation. C'est une bonne question, car le pouvoir de juger est redoutable. Je pense qu'il faut davantage de personnalités issues de la société civile au sein du Conseil supérieur de la magistrature.

Pour ma part, je suis également favorable à la possibilité de faire appel des décisions des cours d'assises. L'argument financier n'est pas soutenable car les libertés individuelles n'ont pas de prix. Certaines décisions m'ont laissé perplexe - je pense à l'affaire Omar Raddad. A ce sujet, je note que si le président de la République envisage de l'élargir et de le renvoyer dans son pays, c'est que lui aussi a des doutes.

Il faut souligner au passage que la mission du juge est aussi d'adapter les textes. Ainsi, de lourdes peines sont prévues à l'encontre de la personne qui ne respecte pas les réglementations en matière d'éclairage de façade, mais les juges n'appliquent jamais ces peines.

La présomption d'innocence est souvent malmenée par le système inquisitorial qui donne une place importante aux aveux. En lisant la presse, on découvre que des personnes maintenues en détention provisoire sont libérées le jour où elles passent les aveux qu'on attendait d'elles. La détention provisoire devrait rester exceptionnelle, or le code de procédure pénale donne une grande latitude au juge. A ce sujet, je rappelle que l'Assemblée nationale a voté une proposition de loi de notre collègue Alain Tourret.

En matière de presse, je crois qu'il est préférable de légiférer le moins possible. On peut en effet voir une garantie pour le justiciable dans le fait que les médias parlent de lui. A cet égard, rappelons-nous que l'embastillement consistait à enfermer les gens dans le plus grand secret.

Si la presse est fautive, parce qu'elle calomnie par exemple, les lois actuelles sont suffisantes. Il n'y a qu'à voir l'exemple de ces deux journalistes du Canard Enchaîné qui ont été poursuivis en justice pour leurs écrits.

Par ailleurs, lorsqu'il y a des fuites, la faute doit être recherchée chez l'auteur de la fuite, pas chez le journaliste, sauf si, bien entendu, celui-ci a utilisé des moyens frauduleux.

M. Michel Hunault : L'ambition affichée est d'améliorer le fonctionnement de la justice, mais est-ce que les moyens suivront ?

Je me souviens, lors de la précédente législature, avoir entendu Me Temime faire le même plaidoyer que ce matin et malheureusement, les choses n'ont guère changé depuis.

Il ne faut pas perdre de vue le contexte dans lequel s'inscrit cette réforme. La démocratie est aujourd'hui malade et ce n'est pas un hasard si certaines des plus hautes personnalités de l'Etat sont mises en examen.

Une réforme de la justice doit aujourd'hui viser deux objectifs : redonner à nos concitoyens confiance dans la justice et mieux protéger les libertés individuelles. Je me demande si le texte qui nous est soumis répond à cette double préoccupation.

Je voudrais surtout revenir sur les propos de M. Thomas Ferenczi.

Je suis personnellement choqué d'apprendre par voie de presse la mise en examen ou la garde à vue de quelqu'un. J'y vois une négation des libertés individuelles les plus essentielles car tout le monde ne sait pas que la mise en examen n'est pas un jugement sur la culpabilité d'une personne.

La France a beaucoup à faire pour mériter son titre de pays des droits de l'homme quand on sait que 40 % des personnes se trouvant en prison sont en détention provisoire, ou encore que quatre à cinq prévenus s'entassent parfois dans des cellules prévues pour deux personnes.

Je suis favorable à des mesures qui favorisent le respect des libertés individuelles, telles que la présence de l'avocat dès les premières heures de la garde à vue ou l'accès aux dossiers pour les mis en examen ...

Si l'on tolère les mises en examen par voie de presse, il faut décider que le secret de l'instruction n'existe plus.

Vous avez dit, M. Ferenczi, que, dans votre fonction critique par rapport au pouvoir, vous vous appuyez sur les juges. Il serait également souhaitable de tenir compte d'autres sources.

Je vais vous donner un exemple très concret. Lors de la précédente législature, j'ai été le rapporteur de la commission des lois sur un texte relatif au blanchiment de l'argent. Un délit de blanchiment a finalement été voté, à l'unanimité, par l'Assemblée nationale. Un de vos collègues a consacré son émission, La marche du siècle, à la corruption. A cette occasion, il aurait été souhaitable d'y rappeler la contribution de la représentation nationale à la lutte contre ce fléau.

Dans ce domaine, et plus précisément dans celui des marchés publics, les textes sont encore à améliorer. Est-ce en révélant que madame une telle a reçu 200.000 francs pour un rapport ou que monsieur un tel a acheté des chaussures à 11.000 francs que les journalistes s'attaquent au fond du problème ? Toutes ces affaires minent notre démocratie.

M. Michel Crépeau : On a coutume de dire qu'un mauvais arrangement vaut toujours mieux qu'un bon procès. De manière plus générale, je pense, et c'est un avocat qui parle, que moins on a affaire à la justice, mieux on se porte.

Mais, la justice est un mal nécessaire, alors autant faire en sorte qu'il soit le moins douloureux possible.

Pour atteindre cet objectif, on parle beaucoup de l'indépendance de la justice.

N'oublions pas d'abord que la justice est un droit régalien qui, de ce fait, appartient à l'Etat. Que va-t-il lui rester si, au moment où la construction européenne implique des cessions de souveraineté, il ne peut même plus mettre son nez dans les affaires de la justice ?

L'indépendance des magistrats doit s'entendre vis-à-vis de tous les pouvoirs. A cet égard, il ne faut pas oublier le pouvoir des médias et le pouvoir de l'argent. M. Jean-Marie Messier déclarait l'autre jour que le vrai pouvoir est celui des entreprises. Va-t-il vouloir un jour contrôler la justice, notamment celle rendue par les tribunaux de commerce, au nom de ce pouvoir ?

L'indépendance des magistrats a son importance, mais il ne faut pas perdre de vue l'essentiel, qui est le respect des libertés individuelles.

Il est loin d'être totalement assuré dans notre pays. D'ailleurs, je vais interpeller le ministre de l'intérieur lors de la séance des questions au Gouvernement de cet après-midi au sujet du rapport de la commission des droits de l'homme du Conseil de l'Europe qui condamne sévèrement la France pour la manière dont sont traités les gens dans les commissariats de police. Ce sont là des problèmes autrement plus importants que la réforme du Conseil supérieur de la magistrature.

Je vais être très concret. Je prends l'exemple d'une personne gardée à vue. On lui enlève ses lacets et sa ceinture, puis on lui met des menottes, parfois sans raison. Souvenez-vous de ce brave moniteur de haute montagne qui, après un accident, s'est vu menotté comme un criminel et a vu son image aussitôt diffusée sur toutes les télévisions de France. C'est scandaleux !

Je prends ensuite l'exemple d'une personne qui entre en prison. Là, c'est encore pire. Elle est d'abord fouillée au corps, je vous passe les détails, puis elle est jetée dans une cellule où s'entassent cinq bonshommes qui doivent se partager un seul " chiotte ". Où est la dignité de l'homme dans des conditions pareilles ?

L'Assemblée nationale a réussi, grâce a une " niche " parlementaire, à voter un texte limitant les cas dans lesquels la détention provisoire pouvait être prononcée, mais le Gouvernement s'oppose maintenant à ce que ce texte soit discuté par le Sénat.

M. Louis Mermaz : Tout à fait.

M. Michel Crépeau : Le Gouvernement nous concède des séances réservées à la discussion de propositions de loi, mais elles deviennent des niches au sens propre du terme.

L'indépendance des juges, c'est d'abord l'obligation de réserve.

Combien de fois a-t-elle été violée ? Qu'on se souvienne du juge Pascal à Bruay-en-Artois, du juge Lambert dans l'affaire de la Vologne ou du procureur de Valenciennes dans l'affaire Tapie. Les exemples sont nombreux.

Le problème de la justice au quotidien retient aussi mon attention. On n'en parle pas beaucoup, mais les difficultés sont pourtant nombreuses.

Par exemple, le justiciable qui fait appel d'une décision d'un conseil des prud'hommes devra attendre trois ans, en moyenne, avant que la chambre sociale de la cour d'appel se prononce. Pourquoi ne pas appliquer le système retenu dans le temps pour les décisions des juges de paix dont la juridiction d'appel était le tribunal de grande instance ? Les difficultés dans les affaires familiales sont similaires.

Autre exemple, celui des tribunaux administratifs qui, de plus en plus, se substituent aux maires en matière de permis de construire. Les recours en ce domaine étaient auparavant seulement jugés en excès de pouvoir, mais maintenant, les juges se prononcent en opportunité. Il suffit désormais qu'une association de " tordus " plus ou moins " verts " intente un recours et le projet du maire est saboté. Quelle que soit l'issue du procès, l'argent du contribuable aura été gaspillé et les emplois auront disparu, tout cela sans aucune conséquence pour l'association en question, car même si elle est condamnée pour procédure abusive, elle ne paiera rien puisqu'elle n'a pas un sou.

Je suis heureux d'avoir entendu reconnaître par un magistrat, M. Antoine Garapon, que le corps des magistrats est un des plus politisés qui soit, évidence que l'on s'acharne à nier en haut lieu.

Je voudrais rappeler, en ce qui concerne les rapports entre le parquet et la chancellerie, que le garde des sceaux n'intervient pas dans 99 % des cas. Il le fait de manière ponctuelle pour des cas politiques. C'est à lui de porter toute la responsabilité de telles interventions, mais ce n'est pas le simple citoyen qui doit être victime du corporatisme des magistrats.

Pour finir, je souligne que la liberté de la presse va de pair avec la responsabilité des journalistes.

M. Pierre Albertini : Je voudrais d'abord m'adresser à M. Thomas Ferenczi. Comment favoriser le respect d'une déontologie par les journalistes ? Je ne crois pas qu'un texte législatif ou réglementaire puisse y parvenir. Or, un tel objectif est primordial à l'heure où de grands groupes concentrent les vecteurs de diffusion de l'information.

S'agissant du Conseil supérieur de la magistrature, je m'interroge, plus que sur sa composition, sur la dichotomie entre la procédure de proposition et la procédure d'avis conforme alors même que l'exposé des motifs du projet de loi se fonde sur l'unité du corps de magistrature.

Enfin, on a peu parlé des rapports entre la justice et la police, question qui me paraît très importante.

Pour conclure, je voudrais vous faire part de mon scepticisme quant à la réussite de cette réforme. Pour y parvenir, les citoyens doivent avoir confiance dans leur justice, or c'est loin d'être le cas. Si l'on envisage l'appel des décisions des cours d'assises, il faut savoir, je l'ai déjà dit il y a dix-huit mois, que les moyens ne seront pas suffisants. De toute façon, une telle réforme ne me paraît pas prioritaire.

Je crois à la réforme des mentalités, à la justice au quotidien plus qu'aux grands principes qui se révèlent être souvent des fictions.

M. Henry Jean-Baptiste : J'ai été particulièrement intéressé par les propos de M. Hervé Temime sur la présomption d'innocence. Il a souligné que la mise en examen créait dans l'esprit de l'opinion publique une présomption de culpabilité.

Il est frappant de constater, à l'époque de la justice-spectacle, que si la mise en examen est largement rapportée par les médias, le non-lieu est très souvent passé sous silence d'autant plus que celui qui en bénéficie adopte la plupart du temps un comportement de coupable en se faisant le plus discret possible.

Comment procéder, dans ces conditions, à une compensation judiciaire, pour reprendre l'expression de Mme Christine Lazerges, permettant de rétablir la vérité en matière de justice pénale ?

M. René Rémond : Sur la remarque de M. Pierre Albertini concernant la dichotomie entre le pouvoir de proposition, pour les magistrats hors hiérarchie principalement, et l'avis conforme, je rappelle que la frontière a été déplacée.

Lorsque j'étais membre du Conseil supérieur de la magistrature, le pouvoir de proposition ne concernait que les premiers présidents de cour d'appel et les magistrats du siège de la Cour de cassation. Cette liberté d'initiative était en fait limitée car nous ne pouvions puiser que dans le vivier des présidents de tribunaux de grande instance.

Dans le projet, le pouvoir de proposition est étendu aux présidents de tribunaux de grande instance. Le problème ne se retrouve-t-il pas alors reporté en amont ? Mais aller plus loin signifierait que la gestion des carrières se trouverait transférée de la chancellerie vers le Conseil supérieur de la magistrature qui devrait alors être doté d'une administration et composé de membres à plein temps. Ce serait un changement profond qui ferait du conseil une autorité chargée de gérer la carrière de 6.000 magistrats.

Or, la tâche du Conseil supérieur de la magistrature est déjà bien lourde. Par exemple, pour l'avis conforme, le conseil délègue un de ses membres pour consulter le dossier et présenter un rapport. Mais la question reste posée.

Le Conseil, gardien de l'indépendance des magistrats, ne risque-t-il pas de tomber dans la dépendance corporative ? C'est un risque et je souscris à la réserve de M. Antoine Garapon sur le mode de scrutin. Il faut éviter qu'un groupe quelconque puisse avoir une hégémonie.

Toutefois, je ne suis pas pessimiste. Les membres nommés échappent toujours assez rapidement à l'autorité de désignation quelle qu'elle soit. De plus, la présence de personnalités extérieures est une garantie et je ne pense pas qu'il s'agisse avant tout d'un rapport de force numérique : la présence de quelques personnalités bien choisies suffit à modifier profondément l'équilibre. Il faut enfin souligner que les problèmes d'interventions ne se posent que de façon très marginale alors que l'opinion s'imagine que l'indépendance des magistrats est constamment menacée.

Un des éléments de cette indépendance réside dans la formation dispensée par l'Ecole nationale de la magistrature. Leur conscience doit être éduquée à ce moment-là. Aucun texte ne pourra se substituer à la liberté de décision du magistrat.

M. Thomas Ferenczi : Il ne faut pas accuser la presse des dysfonctionnements de la justice. C'est vrai pour la présomption d'innocence : c'est avant tout la procédure pénale qui y porte atteinte. C'est vrai aussi pour l'usage des menottes.

On a parlé de mise en examen par voie de presse. En tant que journaliste, ce qui m'importe, c'est l'exactitude de l'information. Si elle est exacte, j'estime que j'ai bien fait mon travail. Il y a certes là une violation du secret de l'instruction, mais le journaliste n'est pas tenu à ce secret. De plus, l'enquête parallèle menée par le journaliste peut être une garantie pour le justiciable, M. Louis Mermaz l'a rappelé, en permettant de débloquer des dossiers.

Il faut par ailleurs bien comprendre que tel ou tel élément que nous rapportons - vous évoquiez, M. Michel Hunault, les chaussures de M. Roland Dumas ou le rapport de Mme Tibéri -, font partie d'un ensemble. Derrière ces faits en apparence mineure, il y a d'un côté l'affaire Elf et de l'autre celle de la mairie de Paris.

Mme la Présidente, vous avez posé la question de la vie privée. Celle-ci doit être une barrière infranchissable, mais les frontières de la vie privée d'un homme public sont difficiles à définir. L'exemple de François Mitterrand est éclairant : Le Monde a considéré que sa vie amoureuse relevait de la vie privée, mais que sa maladie, qui pouvait affecter ses fonctions, devait être divulguée. L'exemple américain dans ce domaine risque de nous conduire sur un mauvais chemin.

Vous avez aussi évoqué l'indépendance du journaliste par rapport aux grands groupes industriels. Le projet de Mme Trautmann, qui propose une sorte de loi antitrust, quoique je n'en connaisse pas encore les détails, est important. Pour lutter contre les dérives commerciales des journaux, il faut éviter toute confusion entre le pouvoir économique et celui de la presse. Par ailleurs, si je suis favorable à la constitution de grands groupes de communication, il me paraît dangereux que des groupes industriels, qui ont vocation à traiter avec l'Etat, possèdent des outils de diffusion de l'information.

En ce qui concerne la déontologie, des textes existent et les magistrats sont là pour qu'ils soient respectés. De plus, il est exact que tout ce qui favorise l'indépendance des journalistes par rapport au pouvoir de l'argent va dans le sens d'un plus grand respect de la déontologie.

Monsieur Jean-Baptiste, vous avez raison de souligner que les non-lieux ne sont pas annoncés par la presse de façon aussi spectaculaire que les mises en examen.

Je souhaiterais dire pour conclure que les journalistes attendent du Parlement qu'il les encourage à remplir leur devoir d'enquêter sur des vérités cachées plutôt qu'il ne les en dissuade.

M. Thierry Renoux : Je voudrais répondre à la question de la responsabilité, qui me paraît fondamentale. En effet, il ne saurait y avoir d'indépendance sans responsabilité. Cependant celle des différents pouvoirs publics constitutionnels n'est pas nécessairement la même. Celle de l'exécutif n'est pas la même que celle du législatif, et même au sein de ce dernier, il faut distinguer entre les deux assemblées du Parlement. Il en est de même pour les juges : les mécanismes de mise en jeu de leur responsabilité peuvent être différents.

J'observerai, par ailleurs, qu'il n'y a pas de corrélation forte entre le nombre de non-magistrats siégeant au Conseil supérieur de la magistrature et le corporatisme de l'institution. À ce sujet, je souscris pleinement à ce qu'a dit M. René Rémond. Sur les neuf membres du Conseil constitutionnel, six procèdent d'une nomination parlementaire. Cela ne l'empêche pas de décider que certaines lois sont contraires à la Constitution. Ce n'est pas parce que l'on est nommé par le président de l'Assemblée nationale ou par celui du Sénat que l'on dépend de l'un ou de l'autre. Une distanciation finit par apparaître. J'observe, d'ailleurs, que le Conseil constitutionnel n'est responsable devant personne.

Il existe une responsabilité des magistrats devant le Conseil supérieur de la magistrature, qui est une responsabilité disciplinaire. Il en existe également une devant la loi : si une jurisprudence ne convient pas, le législateur a la possibilité d'obliger, par la loi, le juge à en changer. Enfin, il y a une responsabilité devant le peuple. En effet, la grande différence entre notre système et le système américain, par exemple, c'est que dans le nôtre, même le Conseil constitutionnel ne peut empêcher que l'on modifie la Constitution si sa jurisprudence ne convient pas. Tandis qu'aux États-Unis, où les membres de la Cour suprême sont nommés à vie et sur critères politiques - ce qui autorise à poser la question de leur légitimité, surtout au bout de dizaines d'années d'exercice de leur mandat - il n'y a aucune révision de la Constitution lorsque la Cour suprême s'est prononcée. Du moins, le cas ne s'est-il présenté qu'une seule fois.

La légitimité du juge tient donc au fait qu'il n'a pas le dernier mot. Le dernier mot appartient au législateur, et donc au peuple. Cette légitimité est donc à la fois technique et démocratique. J'observe d'ailleurs que, contrairement à ce que l'on croit, en France, la plupart des juges sont élus. Il existe 24.000 juges non professionnels - conseillers prud'homaux, membres de tribunaux de commerce ou de tribunaux paritaires de baux ruraux, etc. - qui sont élus, contre un peu plus de 6 .000 magistrats de carrière. Cela étant, l'élection n'implique pas forcément une meilleure qualité de justice. J'observe d'ailleurs que le C.S.M. n'est pas compétent à l'égard de ces juges occasionnels, ce qui est à mon avis un défaut qu'il conviendrait de corriger.

Je terminerai en soulignant qu'il ne s'agit pas, face à la dérive à laquelle nous assistons dans notre démocratie, de substituer à la responsabilité politique la responsabilité judiciaire. Ce n'est pas parce que la responsabilité politique ne fonctionne plus depuis des années - et il est important de se demander pourquoi - qu'il faut demander au juge de combler ce vide.

Enfin, sur la question de la nomination des parquetiers, il va de soi qu'un pouvoir de proposition du C.S.M. aurait pu être envisagé, mais la substitution de l'avis conforme à l'avis simple est déjà un progrès. Et si on parle déjà de corporatisme au sujet des magistrats, que dirait-on si on accordait ce pouvoir de proposition au C.S.M. ? C'est le cas en Italie, où l'homologue du Conseil supérieur de la magistrature exerce toute la gestion du corps, y compris pour le parquet, et se substitue ainsi au ministère de la justice. La question est donc de savoir si l'on veut garder ou non le ministère de la justice.

M. Antoine Garapon : Il a été posé une question sur la police judiciaire. J'attire simplement votre attention sur la discordance entre le libellé prometteur de l'avant-projet de loi, évoquant le contrôle de l'autorité judiciaire sur la police, et le contenu de la réforme qui est beaucoup plus modeste.

M. Hervé Temime : Je suis tout à fait d'accord avec M. Jean-Baptiste en ce qui concerne le non-lieu.

J'y vois deux raisons fondamentales : la première est que pour les journalistes d'investigation, même s'il ne faut pas les mettre tous dans le même sac, c'est une non-information, cela ne les intéresse pas. Autant ils nous harcèlent pour savoir s'il est vrai qu'un de nos clients va être mis en examen, autant ils se renseignent à peine sur les décisions de non-lieu, si ce n'est pour être bien sûrs que ce qu'on leur annonce est vrai.

Deuxièmement, je ne sais pas si le comportement de la personne qui bénéficie d'un non-lieu est celui d'un coupable, mais c'est en tout cas celui d'une victime d'une procédure judiciaire que, coupable ou innocent, elle a vécu de manière très violente. Et elle n'a donc généralement pas envie que l'on en parle, de même que celui qui est diffamé ne souhaite pas forcément faire un procès à son diffamateur.

Je voudrais répondre à M. Pierre Albertini, dont j'ai trouvé les observations très intéressantes. D'abord, je considère toujours que la réforme de la cour d'assises est totalement prioritaire. Ensuite, je suis tout à fait d'accord avec lui pour dire que nous rapprocher des grands principes est probablement moins utile que d'essayer d'améliorer la justice au quotidien. Mais si je peux poser sur votre assemblée le regard de quelqu'un qui a le plus grand respect pour les hommes politiques et le politique en général, je dirai que si votre travail ne devait consister qu'à prendre acte des changements de mentalité, avant d'approuver des textes préparés par des services ministériels qui ne font eux-mêmes que prendre acte du travail de conseillers techniques dans notre genre, cela signifierait qu'il y a plus de servitude que de grandeur dans votre mission, quels que soient les avatars judiciaires que vous pouvez connaître ou pas.

M. Pierre Albertini : Ce n'est pas ce que je propose au Parlement !

M. Hervé Temime : Je n'en doute pas. Je crois que la difficulté consiste justement à insérer dans la loi des dispositions suffisamment pertinentes pour faciliter un changement de mentalité, qui est nécessaire. Je pense, sans aucune naïveté, que c'est possible, et nous sommes prêts à vous y aider, si nous en sommes capables.

Mme la Présidente : Il me reste à remercier très vivement nos cinq invités. Je voudrais vous dire, messieurs, que vos réflexions vont constituer un socle solide sur lequel fonder nos travaux. Et puisque cette réforme va se décliner en de nombreux textes législatifs, et va donc accompagner nos travaux pendant plusieurs mois, voire pendant plus d'une année, je voudrais vous assurer que je veillerai personnellement à vous tenir informé de l'avancement de nos débats, afin que vous puissiez réagir, que ce soit à l'occasion d'autres auditions ou par les communications que vous voudriez nous faire parvenir. Sachez-le, une rencontre comme celle de ce matin n'est que le début de notre travail, et j'entends bien lui donner des suites.

*

* *

DISCUSSION GÉNÉRALE

Après avoir jugé très utile le rappel historique fait par le rapporteur, M. Louis Mermaz a observé que, depuis deux siècles, la justice avait sans cesse balancé entre la soumission au pouvoir exécutif et la tentation de s'ériger en autorité irresponsable au sens juridique et politique du terme. Il a constaté que, jamais en France, l'idée d'un pouvoir judiciaire n'avait été acceptée, rappelant que récemment encore le rapport Truche avait considéré que si la justice avait des pouvoirs, elle ne saurait pourtant être un pouvoir. Il a ajouté que la justice était faite pour les justiciables et non pour les juges, ce qui trop souvent était oublié par ces derniers. Evoquant le projet de loi constitutionnelle soumis à la Commission, il a estimé que ce texte, fruit d'un compromis entre le président de la République et le Premier ministre, constituait un progrès certain, exprimant cependant la crainte qu'il ne constitue pas la dernière réforme du Conseil supérieur de la magistrature. Relevant que le rapporteur avait qualifié le projet de loi constitutionnelle de pierre angulaire de la réforme, il a cependant constaté que les autres textes réformant la justice pourraient pourtant tout à fait être adoptés sans que la Constitution ne soit révisée. Il s'est ensuite interrogé sur la possibilité de prévoir, en dehors du texte constitutionnel, un délai incompressible pour passer du siège au parquet, reprenant à ce titre une réflexion présentée à la Commission par M. Antoine Garapon. Il s'est également demandé s'il ne serait pas possible que le travail du Conseil supérieur de la magistrature soit préparé en sections. Puis il a souhaité avoir des précisions sur le mode d'élection des membres du C.S.M. ayant la qualité de magistrat. Enfin, il a conclu en s'interrogeant sur l'opportunité d'ouvrir aux citoyens la possibilité d'exercer des recours devant cette instance.

Rappelant que la IVe République avait, pour la première fois, entendu soustraire l'autorité judiciaire à l'arbitraire en prévoyant la désignation de membres du C.S.M. par l'Assemblée nationale, M. Gérard Gouzes a indiqué qu'en 1958 ce dispositif avait été remis en cause, le C.S.M. ayant été placé entre les mains du président de la République et le parquet étant considéré comme constitué de fonctionnaires qui devaient obéir. Il a évoqué la première réforme du C.S.M., initiée par François Mitterrand et Pierre Bérégovoy, qui avait abouti alors que M. Edouard Balladur était Premier ministre. Puis il a considéré qu'il était aujourd'hui nécessaire d'éclaircir la situation de la justice en France et en particulier la question du ministère public. Il a estimé que les membres du parquet devaient être des magistrats, notamment parce qu'ils ont en charge les libertés publiques. Il a ainsi jugé très satisfaisant que leur nomination soit subordonnée à l'avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature mais a considéré nécessaire qu'elle soit faite sur proposition du garde des sceaux. Rappelant que le ministère public applique la politique pénale, il a estimé que, sauf à évoquer l'idée de l'élection des magistrats au suffrage universel, l'intervention du garde des sceaux devait être maintenue. Evoquant les cas où des jugements totalement différents interviennent pour des délits identiques, il en a conclu que la justice n'était pas uniforme dans notre pays et a considéré que cette situation ne pourrait qu'empirer si le cordon entre le garde des sceaux et le ministère public était définitivement et totalement rompu. Par ailleurs, tout en se déclarant favorable à l'unicité du corps judiciaire concrétisée par des garanties statutaires identiques, quelles que soient les fonctions occupées, il s'est interrogé sur l'opportunité de prévoir dans la loi organique l'obligation pour les magistrats de choisir, lors de leur première affectation, d'effectuer l'ensemble de leur carrière au siège ou au parquet, sans allers-retours possibles.

M. Jean-Pierre Michel a d'abord indiqué qu'il était favorable à la composition du C.S.M. telle qu'elle est prévue dans le projet de loi constitutionnelle. Considérant que cette instance ne devait pas être corporatiste, il a notamment jugé satisfaisant que la majorité au sein de cette institution ne soit pas détenue par des magistrats. Il a ensuite fait savoir qu'il tenait pour une véritable hérésie la coupure du lien entre le parquet et le garde des sceaux. Il a, en effet, exprimé la crainte que l'indépendance des magistrats du parquet empêche mécaniquement une évolution vers une procédure accusatoire qu'il a appelée de ses v_ux. Il a estimé que, s'il y avait un lien qu'il convenait de couper, ce n'était pas celui qui existe entre le ministère public et le pouvoir exécutif, mais bien plutôt celui qui unit le parquet au siège. Il a souligné que donner une indépendance totale au parquet n'avait aucun sens, dès lors que n'était pas remis en cause le principe de l'opportunité des poursuites, il a ajouté qu'il était normal, et même indispensable, que le pouvoir politique détermine s'il convenait de poursuivre et selon quelles procédures. A titre d'exemple, il a évoqué le cas des conflits sociaux à l'occasion desquels le Gouvernement pouvait estimer nécessaire de ne pas faire comparaître en flagrant délit des personnes ayant commis des infractions afin d'apaiser le climat social. Puis il a considéré que le terme de " politique pénale " n'avait pas de signification en soi, soulignant que la politique pénale n'était que l'exercice de la politique dans différents secteurs, par exemple en matière de protection de l'environnement. Pour conclure, il a fait savoir que les députés membres du Mouvement des citoyens ne voteraient pas le texte proposé par le Gouvernement.

M. Michel Crépeau a estimé que le projet de loi constitutionnelle ressemblait aux motions " nègre blanc " des congrès radicaux, parce qu'il comportait des aspects positifs et d'autres qui l'étaient moins. A ce dernier titre, il a évoqué le fait que le garde des sceaux conserve, en fait, la possibilité de proposer la plupart des nominations des magistrats. Il a cependant indiqué qu'il voterait le projet de loi, retenant comme très positif le fait que les magistrats ne soient plus majoritaires au sein du Conseil supérieur de la magistrature.

S'insurgeant contre l'idée que le projet serait à prendre ou à rejeter, M. Alain Tourret a annoncé son intention de l'amender sur plusieurs points. Sensible aux arguments avancés par M. Jean-Pierre Michel en faveur de la création d'un corps propre au ministère public, il a regretté que les personnalités siégeant au C.S.M. et désignées par des autorités politiques ne le soient plutôt par les assemblées elles-mêmes. Il a trouvé incongru de faire nommer un membre du Conseil supérieur de la magistrature par le président du Conseil économique et social, s'étonnant, en outre, de la distinction faite pour les modalités de nomination entre " grands magistrats du siège ", d'une part, et " petits magistrats du siège " et parquetiers, d'autre part. En conséquence, il a déclaré que sa position sur le texte n'était pas encore arrêtée.

M. Philippe Houillon a estimé qu'il aurait été de meilleure méthode de débattre d'abord de la colonne vertébrale du projet, à savoir les relations entre le garde des sceaux et le parquet et entre le parquet et le siège, avant de délibérer sur les conditions de nomination des magistrats qui sont déterminées par la question du statut du ministère public. Concernant la politique pénale, il a considéré que non seulement le garde des sceaux, membre d'un gouvernement responsable devant le Parlement, devait l'élaborer, mais qu'il ne saurait la déléguer à un corps devenu autonome. Enfin, il a regretté que la réforme de la justice renforce la tendance au " tout pénal " et ne soit pas l'occasion de réfléchir à l'excessive " pénalisation " de notre vie sociale.

M. Arnaud Montebourg a estimé que les tentatives d'intrusion du politique, et en particulier de l'exécutif, dans le fonctionnement de l'Etat de droit, étaient constantes dans l'histoire de France, soulignant que l'opinion dominante souhaitait que l'exécutif se retire du fonctionnement de la justice. Il s'est déclaré favorable au projet de loi, dans la mesure où il n'y avait pas d'autre solution, dans un Etat démocratique, que de confier à des magistrats le soin de poursuivre. Compte tenu des traditions françaises, il lui est apparu impensable de confier à la police le rôle actuel du procureur, qui juge ce qu'il doit renvoyer pour jugement à un magistrat du siège. Il a souligné, pour le déplorer, que nos concitoyens étaient convaincus que la loi n'est pas la même pour tous, que les affaires soient signalées à la Chancellerie compte tenu des personnalités en cause, ou qu'elles dépendent du seul bon vouloir de procureurs omnipotents. Il s'est déclaré favorable à l'autonomie statutaire des magistrats, la liberté d'action devant néanmoins être contrebalancée par la responsabilité et l'obligation de rendre des comptes à l'autorité hiérarchique et, en cas de classement sans suite, aux justiciables.

Estimant que les normes ne dépendaient pas du droit naturel mais d'un corps de lois votées par une majorité politique, M. Jean-Pierre Michel s'est interrogé sur le sens de la notion d'Etat de droit qui, selon lui, correspond à des règles acceptées par le corps social dans le respect de principes généraux.

M. Pascal Clément a tout d'abord estimé que le projet de loi constitutionnelle était un texte de circonstance, élaboré sous la contrainte des pressions médiatique, qui apporte une réponse ponctuelle ne participant pas d'une vision globale de la justice. Après avoir rappelé que la première réforme constitutionnelle du C.S.M., adoptée à l'initiative de M. Edouard Balladur, avait consacré l'indépendance des juges, il a admis le principe de l'élargissement de la composition de ce Conseil afin d'y atténuer le corporatisme mais a exprimé ses réserves sur la nomination de personnalités extérieures par les plus hautes autorités de l'Etat, considérant que cette modalité de nomination maintenait une emprise politique. A cet égard, il a fait part de sa préférence pour une procédure inspirée de celle en vigueur aux Etats-Unis, les personnalités étant alors désignées par une commission parlementaire se prononçant à la majorité qualifiée. Abordant la question de l'indépendance du parquet, il a vivement critiqué le maintien de l'unicité du corps, considérant que les parquetiers ne devaient pas être assimilés à des magistrats mais plutôt à des avocats de la société. Il a estimé que la solution retenue par le projet de loi instaurait une situation ambiguë parce qu'elle consacrait une pseudo-indépendance du parquet associée au maintien du principe de l'opportunité des poursuites.

En réponse aux intervenants, le rapporteur a apporté les précisions suivantes.

-  Sans être la clef de voûte de la réforme de la justice, le projet de loi constitutionnelle est un texte fondamental dans la mesure où il consacre constitutionnellement le renforcement de l'indépendance de l'autorité judiciaire ;

-  S'il est exact que les débats sur la loi constitutionnelle et sur la loi organique sont indissolublement liés, la pratique veut que l'Assemblée nationale examine séparément projet de loi constitutionnel et projet de loi organique ;

-  Bien que de nombreuses voix se soient exprimées en faveur de la séparation des corps de parquetiers et de magistrats du siège, aucune proposition en ce sens n'a été déposée à ce jour ; le projet du gouvernement, fruit d'un compromis, maintient l'unicité des corps mais donne l'occasion d'interroger de nouveau la garde des sceaux sur l'opportunité d'une telle solution ;

-  Dès lors que des personnalités sont désignées par des instances politiques, leur apolitisme apparaît souvent comme une fiction, quelles que soient les modalités concrètes de leur nomination.

EXAMEN DES ARTICLES

Le titre VIII de la Constitution, relatif à l'autorité judiciaire, comporte trois articles. L'article 64 fait du président de la République, assisté du Conseil supérieur de la magistrature, le garant de l'autorité judiciaire et pose le principe de l'inamovibilité des magistrats du siège. L'article 65 définit la composition et les attributions du Conseil supérieur de la magistrature. L'article 66 dispose que nul ne peut être arbitrairement détenu et confie à l'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, le soin d'assurer le respect de ce principe.

Le projet de loi constitutionnelle se propose de modifier le seul article 65, comme ce fut le cas en 1993, le constituant ayant alors refusé la modification de l'article 64 figurant dans la version initiale du projet de loi constitutionnelle. Par ailleurs, des dispositions transitoires sont prévues jusqu'à la première réunion du Conseil supérieur de la magistrature dans sa nouvelle composition.

Article premier

(art. 65 de la Constitution)

Composition et attributions
du Conseil supérieur de la magistrature

Cet article modifie l'article 65 de la Constitution, à l'exception de ses premiers et dernier alinéas, afin d'élargir la composition et les attributions du Conseil supérieur de la magistrature.

·  Le Conseil supérieur de la magistrature reste présidé par le président de la République et le garde des sceaux en demeure le vice-président

Le projet ne revient pas sur la présidence et la vice-présidence du Conseil supérieur de la magistrature, respectivement confiées, depuis 1958, au président de la République et au ministre de la justice (article 65, premier alinéa). C'est pourtant là une situation qui fait l'objet de nombreuses réserves, de la part des magistrats et de la doctrine, compte tenu des atteintes à la séparation des pouvoirs qui pourraient en résulter.

En 1993, le projet de loi constitutionnelle prévoyait, dans sa rédaction initiale, que le vice-président serait nommé par le chef de l'Etat et que le garde des sceaux assisterait aux séances du Conseil supérieur de la magistrature, comme le préconisait le " rapport Vedel ". Le Parlement s'est opposé à cette rédaction en raison de l'extension des compétences du Conseil aux magistrats du parquet " placés sous la direction et le contrôle de leurs chefs hiérarchiques et sous l'autorité du garde des sceaux " (art. 5 du statut de la magistrature), le ministre de la justice étant par ailleurs responsable devant l'Assemblée nationale de la politique pénale du Gouvernement. De même, députés et sénateurs ont estimé que la présidence du Conseil ne devait pas être retirée au président de la République, fort d'une légitimité résultant de son élection au suffrage universel direct, garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire (art. 64 de la Constitution) et chargé de veiller au fonctionnement régulier des pouvoirs publics (art 5).

Les arguments avancés en 1993 conservant leur pertinence, le projet se consacre aux vrais problèmes, à savoir le choix des membres siégeant au Conseil supérieur de la magistrature et le champ de leurs compétences.

·  La composition du Conseil supérieur de la magistrature est élargie et rééquilibrée

Le projet porte de douze à vingt et un le nombre des membres du Conseil supérieur de la magistrature, outre le président de la République et le ministre de la justice. Cet élargissement a pour finalité de permettre, à la fois, une gestion plus ouverte du corps des magistrats en accroissant le nombre des membres n'appartenant pas à l'ordre judiciaire et une meilleure représentation des magistrats.

Actuellement, le Conseil supérieur de la magistrature comprend six magistrats, un conseiller d'Etat désigné par le Conseil d'Etat et trois personnalités désignées par les plus hautes autorités de l'Etat. Le projet fixant à dix le nombre de ces personnalités, le président de la République, le président de l'Assemblée nationale et le président du Sénat en désigneront désormais chacun deux au lieu d'une. En outre, deux personnalités seront désignées par le président du Conseil économique et social, organisme constitutionnel ouvert sur la société civile et érigé en assemblée consultative auprès des pouvoirs publics par les articles 69 à 71 de la Constitution. Enfin, deux personnalités seront désignées conjointement par trois hautes autorités judiciaires : le vice-président du Conseil d'Etat, le premier président de la Cour de cassation et le premier président de la Cour des comptes. Comme aujourd'hui, ces personnalités ne devront appartenir ni à l'ordre judiciaire, pour ne pas fausser l'équilibre recherché entre magistrats et non-magistrats au sein du Conseil supérieur de la magistrature, ni au Parlement compte tenu du précédent de la quatrième République où la politisation du Conseil avait nui à sa crédibilité et à la transparence dans les nominations de magistrats. Par ailleurs, et pour des raisons moins évidentes, les deux membres nommés par le président du Conseil économique et social devront être choisis en dehors de ce conseil.

Actuellement, le Conseil supérieur de la magistrature comprend six magistrats dans chaque formation : cinq du siège et un du parquet dans la formation compétente à l'égard des magistrats du siège ; cinq du parquet et un du siège dans la formation compétente à l'égard des magistrats du parquet. Le projet porte à dix le nombre des magistrats siégeant dans la formation désormais commune à tout le corps judiciaire, soit, selon l'avant-projet de loi organique en cours d'élaboration à la Chancellerie, six magistrats du siège et quatre du parquet, ce qui reflète la composition du corps judiciaire. Ce même avant-projet veille à assurer une meilleure représentation de l'ensemble du corps, sous l'angle de la pyramide des carrières, de la base au sommet.

Comme actuellement, les modalités de désignation des membres du Conseil supérieur de la magistrature n'entrant pas dans la catégorie des " personnalités " seront fixées par la loi organique sur le Conseil supérieur de la magistrature. D'après les informations recueillies par votre rapporteur, le membre désigné par le Conseil d'Etat serait toujours élu par l'assemblée générale du Conseil d'Etat, d'importantes modifications devant, en revanche, intervenir en ce qui concerne les magistrats. Actuellement, ceux-ci sont élus au suffrage indirect et au scrutin majoritaire : il en résulte inévitablement une surreprésentation du syndicat majoritaire, même si théoriquement ces élections n'ont pas de caractère syndical. A l'avenir, les magistrats devraient être élus au suffrage direct et au scrutin de liste, à la représentation proportionnelle au plus fort reste : ce sont là des modalités électorales à la fois plus démocratiques, plus transparentes et plus justes.

·  Le Conseil supérieur de la magistrature n'est plus scindé en deux formations afin d'affirmer le principe d'unité du corps judiciaire

A l'origine le Conseil supérieur de la magistrature n'était compétent qu'à l'égard des magistrats du siège. Depuis la révision constitutionnelle de 1993, il l'est également à l'égard des magistrats du parquet
- sous réserve de quelques restrictions -, cette innovation considérable ayant alors justifié la mise en place de deux formations au sein du Conseil, l'une compétente à l'égard des magistrats du siège, l'autre à l'égard de ceux du parquet. Ce faisant, la réforme n'est pas allée au terme de sa logique unitaire, comme l'a souligné le Conseil supérieur de la magistrature dans son premier rapport annuel. Au-delà de ce constat de principe, le Conseil supérieur de la magistrature souligne dans ce même rapport que sa division en deux formations a, pour le moins, révélé ses faiblesses dans le domaine disciplinaire, " deux instances engagées pour des faits connexes et indissociables, à l'encontre des chefs d'une même juridiction, ayant [...] dû être soumises à deux organes différents ".

Le projet revient sur le principe de la double formation, consacrant ainsi, dans toutes ses conséquences, le principe de l'unité de la magistrature mais aussi la pratique, le Conseil supérieur de la magistrature ayant développé l'usage des séances plénières : regroupant les seize membres du Conseil, elles ont pour but d'harmoniser les points de vue, les pratiques et les méthodes de travail des sections du siège et du parquet, afin d'élaborer, chaque fois que cela est possible, des solutions communes. Le maintien de la double formation est d'autant moins justifié que le projet de loi constitutionnelle donne des compétences identiques au Conseil supérieur de la magistrature pour la nomination des magistrats du parquet et de ceux du siège n'appartenant pas à la haute hiérarchie : tous ces magistrats seront nommés sur son avis conforme.

·  Les compétences du Conseil supérieur de la magistrature sont étendues afin de mettre fin aux distorsions dans les garanties de carrière accordées aux différents magistrats

Le projet remédie aux disparités des attributions dévolues au Conseil supérieur de la magistrature : c'est, sans aucun doute, le point central de la réforme. Actuellement, le Conseil fait des propositions pour les nominations des plus hauts magistrats du siège : magistrats du siège de la Cour de cassation, premier président de cour d'appel et, depuis la réforme de 1993, président de tribunal de grande instance. Les autres magistrats du siège, soit l'immense majorité, sont nommés sur son avis conforme, le constituant ayant consacré en 1993 l'usage suivi par tous les gardes des sceaux de ne pas proposer de nominations à des fonctions du siège qui n'auraient pas eu l'agrément du Conseil.

Les garanties liées à l'intervention d'un organisme indépendant des pouvoirs exécutif et législatif sont bien moindres pour les magistrats du parquet, pourtant membres à part entière de l'autorité judiciaire, puisqu'ils sont nommés sur avis simple du Conseil supérieur de la magistrature. Or, la pratique a varié d'un ministre de la justice à l'autre, tous ne s'abstenant pas de proposer au président de la République des nominations n'ayant pas recueilli un avis favorable du Conseil. Les garanties sont même inexistantes pour les nominations aux plus hautes fonctions du parquet, les emplois de procureur général près la Cour de cassation ou près une cour d'appel étant pourvus en Conseil des ministres : totalement tenus à l'écart du processus de désignation pour ces fonctions sensibles, les membres du Conseil supérieur de la magistrature prennent connaissance de ces nominations par la lecture du Journal officiel.

Désormais le Conseil supérieur de la magistrature sera compétent pour toutes les affectations concernant un magistrat, du siège comme du parquet. Non seulement il donnera son avis sur les propositions du ministre de la justice relatives aux nominations des magistrats du parquet mais encore ceux-ci ne pourront-ils être nommés que sur son avis conforme. En conséquence, tous les magistrats seront nommés au minimum sur avis conforme du Conseil, quand il ne fera pas lui-même des propositions de nomination au chef de l'Etat. Par rapport à la situation actuelle, le saut est particulièrement grand pour les procureurs généraux, qui jusqu'à présent échappaient totalement à la " juridiction " du Conseil supérieur de la magistrature. Ces garanties nouvelles ne remettent pas en cause l'organisation hiérarchisée du ministère public sous l'autorité du ministre de la justice et toutes les conséquences qui en résultent dans la conduite de l'action publique. Mais elles assurent aux parquetiers l'intervention d'un organe extérieur à la Chancellerie pour les affectations aux fonctions du ministère public.

En matière disciplinaire, les magistrats du parquet voient également leurs garanties accrues et même totalement alignées sur celles offertes aux magistrats du siège. Actuellement, le Conseil supérieur de la magistrature se limite à donner son avis sur les sanctions disciplinaires concernant les parquetiers. Désormais le Conseil qui, dans cette hypothèse, sera présidé par le président de la Cour de cassation ou le procureur général près ladite cour, statuera comme conseil de discipline des magistrats du siège comme du parquet.

Il résulte de ces diverses modifications un amoindrissement certain des compétences du garde des sceaux en matière de nomination et de discipline : il conserve néanmoins un pouvoir non négligeable de proposition
- pour toutes les fonctions du parquet et pour la plupart de celles du siège - à partir, toutefois, de la préselection effectuée par la commission d'avancement chargée d'arrêter le tableau d'avancement et les listes d'aptitudes aux fonctions, laquelle comprend majoritairement des magistrats élus par leurs pairs. Néanmoins, il ne pourra plus jamais passer outre à l'avis négatif du Conseil supérieur de la magistrature. La transparence dans la gestion de la carrière des magistrats en sortira renforcée et le principe d'unité du corps judiciaire conforté. En attendant la troisième révision constitutionnelle qui, peut-être, alignera totalement les conditions de nominations des magistrats de la base du siège et des parquetiers sur celles des magistrats de la hiérarchie du siège ...

RÉPARTITION DES EMPLOIS DE MAGISTRATS

France entière

Siège

Parquet

Autre

Total

Emplois budgétaires de magistrats de la Cour de cassation

135

24

 

159

Emplois budgétaires de magistrats au service de documentation et d'études

   

18

18

Emplois de secrétaire général

   

2

2

TOTALITÉ DES EMPLOIS DE COUR DE CASSATION

135

24

20

179

Emplois budgétaires des cours et des tribunaux supérieurs d'appel

899

248

 

1.147

EMPLOIS BUDGÉTAIRES DES COURS D'APPEL + T.S.A.

899

248

0

1.147

Emplois de conseillers en service extraordinaire

12

   

12

Emplois de secrétaire général (cours d'appel de Paris et de Versailles)

   

4

4

Emplois budgétaires de magistrats placés

77

40

 

117

Emploi budgétaire de magistrat de cours d'appel non localisé

   

1

1

TOTALITÉ DES EMPLOIS DES COURS D'APPEL + T.S.A.

988

288

5

1.281

Emplois budgétaires de magistrats du siège non-spécialisés

2.452

   

2.452

dont emplois de magistrats chargés du service de l'instance

852

     

Emplois budgétaires de juges du livre foncier

36

   

36

Emplois budgétaires de magistrats instructeurs

574

   

574

Emplois budgétaires de magistrats des enfants

310

   

310

Emplois budgétaires de magistrats de l'application des peines

177

   

177

Emplois budgétaires de magistrats du parquet

 

1.062

 

1.062

EMPLOIS BUDGÉTAIRES DES T.G.I. + T.P.I.

3.549

1.062

0

4.611

Emplois de secrétaire général (tribunal de grande instance de Paris)

   

2

2

Emploi budgétaire de magistrat de T.G.I. non localisé

   

6

6

TOTALITÉ DES EMPLOIS DES T.G.I. + T.P.I.

3.549

1.062

8

4.619

EMPLOIS BUDGÉTAIRES LOCALISÉS EN JURIDICTIONS

4.660

1.374

0

6.034

ENSEMBLE DES EMPLOIS EN JURIDICTIONS

4.672

1.374

33

6.079

EMPLOIS BUDGÉTAIRES LOCALISÉS HORS DES JURIDICTIONS :

Administration centrale (153 M.A.C.J.) + C.S.M. (6) + E.N.M. (0) + E.N.G. (2) + I.G.S.J. (14)

+ Service central de prévention de la corruption (3)

178

178

ENSEMBLE ACTUEL DES EMPLOIS DE MAGISTRATS

4.672

1.374

211

6.257

EMPLOIS BUDGÉTAIRES CRÉÉS PAR LA LOI DE FINANCES

POUR 1997 ET 1998

92

8

0

100

ENSEMBLE DES EMPLOIS DE MAGISTRATS FIN 1998

4.764

1.382

211

6.357

Source : Ministère de la justice.

La Commission a rejeté un amendement de M. Georges Hage tendant à faire figurer dans l'article 65 de la Constitution les modalités d'élection des magistrats membres du Conseil supérieur de la magistrature, le rapporteur ayant indiqué que cette précision figurerait dans la loi organique relative au Conseil.

Elle a également rejeté un amendement du même auteur confiant à l'Assemblée nationale le soin d'élire, à la représentation proportionnelle des groupes, les six personnalités désignées par des autorités politiques, après que le rapporteur eut souligné les dérives qui en étaient résultées sous la IVe République. Tout en approuvant le principe fondant cet amendement, M. François Colcombet l'a estimé incompatible avec la logique institutionnelle de la Ve République dans laquelle le président de la République, élu au suffrage universel direct, est associé au fonctionnement de la justice. Aussi a-t-il souhaité qu'une réflexion générale sur la place du Chef de l'Etat dans les institutions soit engagée. Soulignant que le Conseil supérieur de la magistrature n'avait jamais été " un chef d'_uvre parfait ", il a considéré que celui issu de la présente réforme ne dérogerait pas à cette constante.

Enfin, la Commission a rejeté un amendement de M. Pierre Albertini tendant à revenir à la situation antérieure à la réforme de 1993, le Conseil supérieur de la magistrature ne faisant pas de proposition pour les nominations de président de tribunal de grande instance mais se contentant d'émettre un avis conforme sur le projet de nomination formulé par le garde des sceaux.

La Commission a adopté l'article premier sans modification.

Article 2

Dispositions transitoires

Cet article précise que, jusqu'à sa première réunion dans sa nouvelle composition issue du projet de loi constitutionnelle, le Conseil supérieur de la magistrature exerce les compétences qui lui sont conférées par l'article 65 de la Constitution dans la rédaction que lui a donné la loi constitutionnelle du 27 juillet 1993.

Compte tenu de la modification annoncée de la composition du Conseil supérieur de la magistrature, et afin d'éviter une succession d'élections - au demeurant lourdes à organiser -, le gouvernement avait songé à proroger le mandat des membres actuellement en fonctions, lequel arrive à échéance le 3 juin prochain. La chancellerie avait, à cette fin, préparé un projet de loi organique mais, le chef de l'Etat ayant estimé que cette démarche présumait de l'adoption d'une réforme en cours d'élaboration, elle a renoncé à le soumettre au Parlement.

En conséquence, un Conseil supérieur de la magistrature transitoire sera constitué dans les jours prochains, au terme d'un processus électoral engagé début mai, et un nouveau Conseil devrait être réélu dans l'année suivante.

La Commission a adopté l'article 2 sans modification.

La Commission a ensuite adopté l'ensemble du projet de loi constitutionnelle sans modification.

*

* *

En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République vous demande d'adopter le projet de loi constitutionnelle (n° 835) sans modification.

TABLEAU COMPARATIF

___

Texte en vigueur

___

Texte du projet
de loi constitutionnelle

___

Propositions de la Commission

___

 

Article premier

Article premier


Constitution du 4 octobre 1958

L'article 65 de la Constitution est rédigé ainsi qu'il suit :

(Sans modification).

Art. 65. -  Le Conseil supérieur de la magistrature est présidé par le Président de la République. Le ministre de la justice en est le vice-président de droit. Il peut suppléer le Président de la République.

Art. 65. -  Le Conseil supérieur de la magistrature est présidé par le Président de la République. Le ministre de la justice en est le vice-président de droit. Il peut suppléer le Président de la République.

 

Le Conseil supérieur de la magistrature comprend deux formations, l'une compétente à l'égard des magistrats du siège, l'autre à l'égard des magistrats du parquet.

La formation compétente à l'égard des magistrats du siège comprend, outre le Président de la République et le garde des sceaux, cinq magistrats du siège et un magistrat du parquet, un conseiller d'Etat, désigné par le Conseil d'Etat, et trois personnalités n'appartenant ni au Parlement ni à l'ordre judiciaire, désignées respectivement par le Président de la République, le Président de l'Assemblée nationale et le Président du Sénat.

" Le Conseil supérieur de la magistrature comprend, outre le Président de la République et le ministre de la justice, dix magistrats du siège et du parquet élus, un conseiller d'Etat désigné par le Conseil d'Etat et dix personnalités n'appartenant ni à l'ordre judiciaire ni au Parlement. Le Président de la République, le président de l'Assemblée nationale, le président du Sénat désignent chacun deux personnalités. Deux personnalités sont désignées par le président du Conseil économique et social en dehors de celui-ci. Le vice-président du Conseil d'Etat, le premier président de la Cour de cassation et le premier président de la Cour des comptes désignent conjointement deux personnalités.

 

La formation compétente à l'égard des magistrats du parquet comprend, outre le Président de la République et le garde des sceaux, cinq magistrats du parquet et un magistrat du siège, le conseiller d'Etat et les trois personnalités mentionnées à l'alinéa précédent.

   

La formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente à l'égard des magistrats du siège fait des propositions pour les nominations des magistrats du siège à la Cour de cassation, pour celles de premier président de cour d'appel et pour celles de président de tribunal de grande instance. Les autres magistrats du siège sont nommés sur son avis conforme.

" Le Conseil supérieur de la magistrature fait des propositions pour les nominations des magistrats du siège à la Cour de cassation, des premiers présidents des cours d'appel et des présidents des tribunaux de grande instance. Les autres magistrats du siège et les magistrats du parquet sont nommés sur son avis conforme.

 

Elle statue comme conseil de discipline des magistrats du siège. Elle est alors présidée par le premier président de la Cour de cassation.

La formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente à l'égard des magistrats du parquet donne son avis pour les nominations concernant les magistrats du parquet, à l'exception des emplois auxquels il est pourvu en Conseil des ministres.

" Le Conseil supérieur de la magistrature statue comme conseil de discipline des magistrats. Il est alors présidé par le premier président de la Cour de cassation ou par le procureur général près ladite Cour, selon qu'il statue à l'égard d'un magistrat du siège ou d'un magistrat du parquet.

 

Elle donne son avis sur les sanctions disciplinaires concernant les magistrats du parquet. Elle est alors présidée par le procureur général près la Cour de cassation.

   

Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article.

" Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article. "

 
 

Article 2

Article 2

 

Jusqu'à sa première réunion dans la composition issue de la présente loi constitutionnelle, le Conseil supérieur de la magistrature exerce les compétences qui lui sont conférées par l'article 65 de la Constitution dans sa rédaction antérieure à la présente loi constitutionnelle.

(Sans modification).

AMENDEMENTS NON ADOPTÉS PAR LA COMMISSION

Article premier

(article 65 de la Constitution)

Amendements présentés par M. Jacques Brunhes et les commissaires membres du groupe communiste :

·  Dans le deuxième alinéa de cet article, après les mots : " dix magistrats du siège et du parquet élus ", insérer les mots : " au scrutin de liste proportionnel à la plus forte moyenne et à bulletins secrets ".

·  Dans le deuxième alinéa de cet article, substituer à la deuxième phrase la phrase suivante : " Six personnalités sont désignées par l'Assemblée nationale, en dehors de ses membres à la représentation proportionnelle des groupes ".

Amendement présenté par M. Pierre Albertini :

Dans le troisième alinéa de cet article, après les mots : " des tribunaux ", supprimer les mots : " et des présidents des tribunaux de grande instance ".

A N N E X E

ÉLÉMENTS D'INFORMATION SUR LA LÉGISLATION
APPLICABLE À LA MAGISTRATURE
DANS QUELQUES PAYS DE L'UNION EUROPÉENNE (1)

ALLEMAGNE

1.  Les modalités de nomination des magistrats du siège et du parquet

Dans la plupart des Länder, à l'exception de la Bavière et du Bade-Wurtemberg où le magistrat du siège doit accomplir une durée de service au parquet, la carrière de juge du siège (Richter) et celle de magistrat du parquet (Staatsanwalt) sont distinctes.

A la différence des magistrats du siège auxquels est confié le pouvoir judiciaire conformément à l'article 92 de la Loi fondamentale, le magistrat du parquet qui fait partie d'un organe autonome au service de la justice est lié par les instructions de ses supérieurs hiérarchiques.

Le statut de la magistrature fait l'objet de dispositions constitutionnelles et législatives confiant aux juges le pouvoir judiciaire et garantissant leur indépendance et leur inamovibilité.

La loi du 8 septembre 1961 relative au statut général des magistrats confère aux magistrats un statut particulier distinct de celui des fonctionnaires. Elle s'applique essentiellement aux juges de carrière. Néanmoins, certaines dispositions relatives à la carrière des magistrats figurent dans d'autres textes. Ainsi, le régime des rémunérations fait l'objet de dispositions intégrées à la loi fédérale sur le régime des traitements des fonctionnaires et personnels assimilés (Bundesbesoldungsgesetz).

En outre, l'article 95 alinéa 2 de la Loi fondamentale et la loi sur la désignation des juges (Richterwahlgesetz) du 25 août 1950 déterminent la participation d'une commission de désignation des magistrats (Richterwahlauschluß) à la nomination des juges aux cours suprêmes fédérales.

Selon l'article 3 de la loi sur le statut de la magistrature, les juges sont au service de la fédération ou d'un Land.

La loi sur le statut de la magistrature réglemente le statut des juges au service de la fédération. Elle fixe aussi des règles directement applicables aux juges des Länder et une base juridique aux lois sur le statut de magistrat de Land.

Hormis la juridiction de droit commun (instances : tribunaux cantonaux, tribunaux régionaux, tribunaux régionaux supérieurs et Cour fédérale de justice), il existe quatre branches juridictionnelles : la juridiction administrative (instances : tribunaux administratifs, tribunaux administratifs supérieurs, cour administrative fédérale), la juridiction fiscale (instances tribunaux des finances et cour fédérale des finances), la juridiction prud'homale (instances tribunaux du travail, tribunaux supérieurs du travail, cour fédérale du travail) et la juridiction sociale (instances : tribunaux du contentieux social, tribunaux supérieurs du contentieux social, cour fédérale du contentieux social), plus quelques autres tribunaux spéciaux de la fédération (la cour fédérale des brevets, la cour disciplinaire fédérale et les cours disciplinaires et des réclamations des forces armées fédérales), et enfin la Cour constitutionnelle fédérale et les cours constitutionnelles de Land. Seuls les juges de la Cour constitutionnelle fédérale, des cours suprêmes des cinq branches juridictionnelles et des tribunaux fédéraux chargés de matières spéciales sont des juges au service de la fédération.

Selon l'article 8 de la loi sur le statut de la magistrature, la fonction de magistrat se présente sous quatre formes juridiques : juge titulaire (auf Lebeszeit), juge contractuel (auf Zeit), juge stagiaire (auf Probe) et juge en vertu de sa fonction (kraft Auftrags). Le juge stagiaire est un juge effectuant ses débuts professionnels (d'une durée de 3 à 5 ans) ; pendant cette période d'essai, il peut être révoqué pour inaptitude. Les " juges en vertu de leur fonction ", sont des juges qui ont abandonné leur situation de fonctionnaire titulaire pour entrer dans la magistrature. Ils doivent suivre une période d'essai avant de devenir juges titulaires.

Selon l'article 17 de la loi sur le statut des magistrats, l'accès à la fonction de magistrat se fonde sur la remise d'un acte de nomination.

L'article 18 de la loi sur le statut des magistrats précise qu'une nomination est nulle si elle a été prononcée par une autorité incompétente en la matière. La nomination ne saurait être confirmée rétroactivement. Une nomination est également nulle si l'intéressé ne remplit pas, au moment de la nomination, les conditions suivantes: il n'a pas la qualité d'Allemand aux termes de l'article 116 de la Loi fondamentale, il n'a pas la capacité requise pour exercer des fonctions publiques.

Le juge titulaire, c'est-à-dire celui bénéficiant d'une nomination à vie, est indépendant et seulement soumis à la loi, conformément à l'article 97 de la Loi fondamentale et à l'article 25 de la loi sur le statut de la magistrature. Cette indépendance est aussi bien matérielle (sachliche Unabhïugigkeit) que personnelle (persönliche Uuabhängigkeit).

En vertu du principe d'indépendance, l'article 27 précise qu'un juge titulaire ou un juge contractuel doit être délégué auprès d'un tribunal déterminé et qu'une autre fonction auprès d'un autre tribunal ne peut lui être attribuée que dans la mesure où la loi l'admet.

En outre, selon l'article 28, seuls des juges titulaires peuvent être nommés auprès des tribunaux, à moins de dispositions contraires d'une loi fédérale. Seul un juge peut être président d'un tribunal. Lorsqu'un tribunal comprend plusieurs juges, c'est à un juge titulaire d'assumer la présidence.

L'article 29 relatif à la nomination de juges stagiaires, de juges en vertu de leur fonction et de juges détachés auprès des tribunaux précise que " sont autorisés à participer à une décision judiciaire au maximum deux juges stagiaires, juges en vertu de leur fonction ou juges détachés. Lesdits juges doivent figurer en tant que tels dans l'organigramme des fonctions du tribunal ".

Les magistrats du parquet appartiennent à un organe indépendant du tribunal.

Selon les dispositions de la loi d'organisation judiciaire (Gerichtsverfassungsgesetz), ils doivent, pour être nommés à cette fonction, être aptes aux fonctions de juge, c'est-à-dire être diplômés en droit d'une université et avoir accompli un stage de formation.

2.  La responsabilité disciplinaire des magistrats

L'article 97 de la Loi fondamentale apportant, en matière disciplinaire, des garanties, découle du principe d'indépendance.

Ainsi, " les juges nommés définitivement à titre principal dans un emploi permanent ne peuvent, avant l'expiration de leurs fonctions et contre leur gré, être révoqués, suspendus définitivement ou temporairement de leurs fonctions, mutés à un autre emploi ou mis à la retraite, qu'en vertu d'une décision de justice, et uniquement pour les motifs et dans les formes prévus par la loi ".

Conformément à l'article 64 de la loi sur le statut de la magistrature, seul un blâme peut être prononcé par voie de " décision prononçant une sanction disciplinaire ".

Seul un blâme, une amende ou la révocation peut être prononcé à l'encontre d'un juge exerçant ses fonctions auprès d'une cour suprême fédérale

Un juge peut être sanctionné lorsqu'il porte tort à l'institution.

Le conseil de discipline des magistrats de la Fédération, qui est une chambre spéciale de la cour fédérale de justice, décide des affaires disciplinaires. Il décide également du pourvoi en cassation contre les décisions rendues par les conseils de discipline des magistrats des Länder.

3.  Absence de responsabilité civile ou pénale des magistrats

Un principe fondamental du droit allemand prévoit que, tant qu'une action engagée à l'encontre d'un magistrat est tirée du procès qu'il dirige ou auquel il participe, ou de la décision qu'il vient de rendre, les voies de recours sont les seules applicables.

Aucune responsabilité civile ou pénale n'existe donc contre les magistrats. Le système juridique allemand ne retient pas les notions de forfaiture, de déni de justice, ou de corruption telles qu'applicables en droit français.

ESPAGNE

La, justice espagnole a été réorganisée par la loi organique de 1985 sur le pouvoir judiciaire. Elle établit une séparation absolue entre le siège et le parquet.

1.  Les modalités de nomination des magistrats du siège et du parquet

Les magistrats du siège sont entièrement gérés par le " Conseil général du pouvoir judiciaire ", prévu à l'article 122 de la Constitution, et composé du président du Tribunal suprême, qui le préside, et de vingt membres nommés par le Roi pour une période de cinq ans ; douze de ces membres sont choisis parmi des juges et des magistrats de toutes les catégories judiciaires, conformément aux dispositions de la loi organique, quatre sur proposition du Congrès des Députés et quatre sur celle du Sénat ; dans ces deux cas, ils sont élus à la majorité des trois cinquièmes des membres parmi des avocats et autres juristes dont la compétence est reconnue et qui exercent leur profession depuis plus de quinze ans.

Le Conseil supérieur du pouvoir judiciaire nomme les magistrats, essentiellement selon le principe de l'ancienneté, et gère le budget qui leur est affecté.

Les magistrats du parquet sont placés sous l'autorité du " Procureur général de l'Etat ", qui est nommé par le Gouvernement. Ils sont révocables à tout moment. Le Procureur général de l'Etat peut leur donner des instructions. Il propose au Gouvernement les nominations et promotions des membres du ministère public, après avis du " Conseil des procureurs " (assemblée élue par les membres du parquet). L'avis consultatif est suffisant pour les nominations mais l'avis conforme est nécessaire pour les promotions, L'application par le Gouvernement de cette disposition a récemment fait l'objet de conflits majeurs avec les magistrats, conflits qui ont même pris un tour politique.

1.  La mise en cause de la responsabilité des magistrats

Les magistrats sont soumis à trois types de responsabilité :

-  Responsabilité pénale

Pas de privilège de juridiction.

-  Responsabilité déontologique

Deux " Commissions de discipline " (l'une pour les magistrats du siège, l'autre pour les magistrats du parquet), dépendant du Conseil général du pouvoir judiciaire, sont chargées d'appliquer les règles disciplinaires propres aux magistrats. Des procédures et une graduation des fautes (par exemple inertie ou retard dans l'exercice des fonctions) sont prévues. Un recours est possible devant la chambre administrative du Tribunal suprême.

-  Responsabilité civile

Les magistrats sont enfin responsables civilement des dommages et préjudices qu'ils auraient commis dans l'exercice de leurs fonctions, notamment en cas de dol ou de faute. Cette responsabilité n'a jamais été mise en _uvre et, en pratique, tous les magistrats souscrivent une assurance civile professionnelle.

ITALIE

1.  Les modalités de nomination des magistrats du siège et du parquet

Conformément à l'article 105 de la Constitution du 27 décembre 1947, les nominations, les affectations et les mutations concernant les magistrats sont du ressort du Conseil supérieur de la magistrature. L'article 104 de la Constitution précise la composition du Conseil supérieur de la magistrature : présidé par le Président de la République, le premier Président et le procureur général de la Cour de cassation en sont membres de droit. Les autres membres sont élus, à raison de deux tiers par l'ensemble des magistrats ordinaires parmi les représentants des différentes catégories et pour un tiers par le Parlement parmi les professeurs de droit et les avocats ayant au moins quinze ans d'activités. Ces membres élus exercent un mandat de quatre ans et ne sont pas immédiatement rééligibles.

En raison du principe d'inamovibilité dont on relèvera qu'il s'applique tant aux magistrats du siège que du parquet, seule une décision du C.S.M. peut conduire les magistrats à être dispensés ou provisoirement relevés de leurs fonctions ou à être appelés à d'autres sièges ou attributions.

On notera que le projet de loi constitutionnelle, élaboré par une commission bicamérale composée de 70 députés et sénateurs et actuellement en cours d'examen devant la Chambre des députés, prévoit une modification des règles de fonctionnement du C.S.M. en y introduisant deux sections distinctes, respectivement compétentes pour les mutations, les promotions et les affectations des juges ordinaires et les magistrats du Ministère public. Cette distinction, et de façon plus générale les orientations retenues pour la réforme de la justice, font aujourd'hui l'objet de vives polémiques en Italie.

2.  La mise en cause de la responsabilité des magistrats

-  Il n'existe pas de responsabilité civile ou pénale des magistrats italiens.

-  La responsabilité disciplinaire des magistrats est mise en oeuvre par le Conseil supérieur de la magistrature (article 105 de la Constitution) mais il est précisé, à l'article 107 de la Constitution, que le ministre de la justice a la faculté de mettre en mouvement l'action disciplinaire. Les sanctions disciplinaires infligées sont tirées des articles 19, 20 et 21 de la loi n° 511 du 31 mai 1996. Elles sont graduellement l'admonestation, le blâme, la rétrogradation, la révocation et la destitution. Les textes ne renvoient pas directement à une sanction mais laissent au C.S.M. le soin d'apprécier les circonstances de faits et leur gravité.

Le projet de loi constitutionnelle précité précise, dans ses articles 122 et 123, les modalités d'exercice de l'action disciplinaire. Selon la lettre de ce projet actuellement en discussion, la Cour de justice de la magistrature connaît des mesures disciplinaires relatives aux juges ordinaires et administratifs et aux magistrats du Ministère public. Ses décisions en matière disciplinaire peuvent faire l'objet d'un recours en cassation pour violation de la loi. La cour compte neuf membres, élus parmi les membres des conseils supérieurs de la magistrature ordinaire et administrative ; six de ses membres sont élus par le Conseil supérieur de la magistrature ordinaire en sections réunies (dont quatre parmi ceux élus par les juges et les magistrats du Ministère public et deux parmi les membres désignés par le Sénat de la République), les trois autres membres de la cour étant élus par le Conseil supérieur de la magistrature administrative (dont deux parmi les membres élus par les juges et un parmi les membres désignés par le Sénat). La cour élit son président parmi les membres élus parmi les personnalités désignées par le Sénat.

L'action disciplinaire est exercée par un procureur général élu par le Sénat à la majorité des trois cinquièmes de ses membres. Cette charge est incompatible avec toute autre fonction ou profession et la loi en garantit l'indépendance. Le procureur général est élu pour quatre ans, sans possibilité de réélection et d'exercice de toute charge publique dans les quatre ans qui suivent.

L'action disciplinaire est exercée d'office ou sur demande du ministre de la justice, du procureur général de la cour de cassation ou des conseils supérieurs de la magistrature ordinaire et administrative.

Le procureur général rend chaque année compte au Parlement de l'exercice de l'action disciplinaire.

ROYAUME-UNI

1.  Les modalités de nomination des magistrats du siège et du parquet

a)  Les magistrats du siège

-  Le système judiciaire britannique a pour particularité de comporter une forte proportion de magistrats non-professionnels, les juges de paix. Ces juges, dont le nombre s'élève à 30.000, s'occupent de presque toutes les affaires criminelles. Ils sont nommés par le ministre de la Justice " Lord Chancellor ") à partir d'une liste de candidats établis par 95 commissions consultatives, composées elles-mêmes de magistrats, en activité ou en retraite.

-  Les magistrats professionnels (au nombre de 1.500 pour l'Angleterre et le Pays-de-Galles) sont nommés par la Reine, sur proposition du Premier Ministre ou du " Lord Chancellor " selon la nature des postes. Ce principe traditionnel a été rappelé par des lois récentes (le " Courts Act " de 1971 pour les juges des juridictions inférieures, c'est à dire les juges à temps partiel, les juges de circuit et les juges de comtés, et le " Supreme Court Act "de 1981 pour les juges des juridictions supérieures, c'est à dire la Haute Cour, la Cour d'appel de Londres et la Chambre des Lords). Il tient au fait que le monarque est historiquement la source du pouvoir judiciaire et que les tribunaux du Royaume-Uni sont " tribunaux de la reine " "(" Queen's Courts "). Le " Lord Chancellor " qui fait à la fois fonction de ministre de la justice et de magistrat le plus élevé dans la hiérarchie judiciaire (président de la Chambre des Lords en tant qu'institution judiciaire et de la Cour d'appel) est librement désigné par le chef du gouvernement.

L'accès aux fonctions de magistrats est lié cependant au respect de certaines conditions définies par la loi. C'est ainsi que les juges sont recrutés exclusivement parmi les auxiliaires de justice, avocat (" barrister ") ou avoué (" sollicitor ") en exercice. La profession de magistrat ne constitue donc pas, en Grande-Bretagne, une carrière spécifique qui serait accessible par concours. Nul ne peut être nommé juge s'il n'est issu de l'un des deux corps d'avocats et d'avoués.

Des conditions d'ancienneté sont posés par la loi pour l'accès aux postes de magistrats. Elles différent selon la nature des postes mais ne sont jamais inférieures à dix ans d'expérience professionnelle dans les fonctions d'avocats ou d'avoués.

Les conditions d'accès aux postes de magistrats des juridictions supérieures sont ainsi définis par le " Supreme Courts Act" de 1981, modifié par le " Courts and Legal Services Act " de 1990 :

-  Les juges de la Haute cour (" High Court ") sont choisis parmi les juges de circuit ayant au moins deux ans d'ancienneté dans ses fonctions ou parmi ceux qui ont une qualification ancienne de dix ans auprès de la Haute Cour (" a 10 years High Court qualification "), c'est à dire tous ceux (avocats, avoué ou tout autre praticien ayant la qualification requise) qui disposent depuis dix ans du droit de plaider devant la Haute Cour. Ils sont nommés par la Reine sur proposition du Lord Chancellor.

-  Les juges de la Cour d'appel de Londres (" Lords justices of Appeal ") sont recrutés parmi les juges de la Haute Cour ou ceux qui ont une qualification ancienne de dix ans auprès de la Haute Cour. Ils sont nommés par la Reine sur proposition du Lord Chancellor.

-  Les juges de la Chambre des Lords (" Lords of Appeal on ordinary ") sont nommés par la Reine sur proposition du Premier ministre. Ils sont choisis parmi les juges de la Cour d'appel ayant au moins deux ans d'ancienneté dans leurs les fonctions ou parmi des avocats ayant au moins quinze ans d'expérience professionnelle.

Les magistrats les plus hauts placés dans l'ordre judiciaire " The Heads of Divisions ") sont également nommés par la Reine sur proposition du Premier ministre. Il s'agit du " Lord Chief Justice " - qui préside le " Banc " de la Reine de la Haute Cour et la section criminelle de la Cour d'Appel -, du " Masters of the Rolls " ou " Garde des rôles "
- qui préside la section civile de la Cour d'Appel - et du Vice-Chancelier - qui dirige la Chancellerie -.

Si, pour devenir juge d'une juridiction inférieure, le candidat doit " postuler ", l'accès aux postes de magistrats des juridictions supérieures se fait de manière différente : lorsqu'une vacance de poste survient à la Haute Cour ou à la Cour d'appel, le Lord Chancellor examine les candidatures possibles en fonction de critères personnels et professionnels et, après avis des plus hauts magistrats de son département, délivre ses recommandations au Premier ministre ou à la Reine.

Ces fonctions sont très recherchées car le titre de juge est prestigieux et la rémunération substantielle. Elles sont le plus souvent réservées à des avocats réputés, en fin de carrière.

Seuls les magistrats placés auprès de ces juridictions, aux termes du " Supreme Court Act ", bénéficient de l'inamovibilité.

Si la tradition reste forte en Grande-Bretagne d'une indépendance des juges vis-à-vis de l'exécutif, ces conditions de nomination sont parfois contestées. Des propositions ont été faites pour que les critères de sélection retenus par le Lord Chancellor soient rendus publics ou pour que la désignation des magistrats incombe à un comité de nomination.

b)  Les magistrats du parquet

Créé en 1985 par le " Prosecution of Offences Act", le service national des poursuites (" National Crown prosecution service ") fait office de parquet. On notera toutefois qu'il ne recouvre pas tous les domaines de l'action pénale : il ne dispose ni du monopole des poursuites (la procédure britannique reste de type accusatoire et chaque citoyen dispose en théorie du droit de mettre en marche l'action publique), ni non plus celui de la plaidoirie devant les tribunaux, le rôle du ministère public étant toujours tenu par un avocat privé rétribué à la mission.

Ce service est dirigé par le Directeur des poursuites pénales (" Director of Public prosecutions "). Son activité est contrôlée par le procureur général (" Attorney General ") qui nomme le Director of public Prosecutions parmi les avoués et avocats ayant au moins dix ans d'ancienneté professionnelle. Le procureur général et son adjoint, l'avoué général (" Sollicitor . general "), sont " conseillers juridiques de la couronne " (" Law officers of the crown "). Nommés par le Premier Ministre, ils sont membres tous deux du Gouvernement et, à ce titre, responsables devant le Parlement.

Le National Crown Prosecutions service est organisé sur une base géographique : il comprend un certain nombre de services régionaux, répartis sur le territoire de l'Angleterre et du Pays de Galles et dirigés chacun par un procureur principal. Les magistrats du parquet appartiennent à un corps distinct de celui des magistrats du siège. Ils sont recrutés parmi les avocats, avoués et autres juristes en exercice, par un jury composé de trois membres (deux juristes et un fonctionnaire).

2.  La mise en cause de la responsabilité des magistrats

-  La responsabilité disciplinaire des magistrats britanniques est différenciée selon la catégorie à laquelle ils appartiennent.

Pour les magistrats des juridictions supérieures, la révocation ne peut intervenir que sur décision de la Reine, après accord des deux Chambres du Parlement. Cette procédure de révocation découle d'un texte de 1701 " Act of Settlement ") et a été confirmée par une loi récente (" Supreme Court Act " de 1981). Elle n'a été appliqué qu'une seule fois en 1830. Toutefois, le principe de nomination " à vie " connaît de nécessaires exceptions en cas de démence sénile, voire de folie. Le " Supreme Court Act " prévoit la possibilité pour le Lord Chancellor de décider la mise à la retraite d'un juge de la Haute Cour, de la Cour d'appel ou de la Chambre des Lords lorsqu'est rapportée la preuve que l'état de démence ou d'instabilité mentale met le magistrat hors d'état d'assurer ses fonctions.

S'agissant des magistrats des juridictions inférieures, les juges de circuit et les juges à temps partiel (" recorders ") peuvent être révoqués par le Lord Chancellor pour mauvaise conduite, incapacité ou manquement à leurs obligations. Le régime disciplinaire des sanctions à l'encontre des magistrats des courts de comtés et des courts de district n'est prévue par aucun texte.

Une loi de 1857 prévoit la possibilité pour le Lord Chancellor de révoquer les juges de circuit pour incapacité ou mauvaise conduite. Dans ce cas, la procédure est diligentée par un service dépendant du Lord Chancellor (sorte d'inspection des services judiciaires). Ce corps d'inspecteurs instruit un dossier secret auquel le magistrat n'a pas accès. Au cours de cette procédure, il ne peut pas être représenté ou assisté, même par un collègue. A l'issue de la phase d'instruction, le dossier est transmis au Lord Chancellor qui entend le magistrat en - audience privée puis prend seul la décision de sanctionner ou non. Jusqu'à présent, il n'y a jamais eu de recours contre la décision du Lord Chancellor mais une possibilité d'appel existe au travers de la High Court.

Les juges de paix sont nommés et révoqués par le Lord Chancellor au nom de sa Majesté.

Le nombre de sanctions disciplinaires est très faible au Royaume-Uni (alors que l'on compte plus de 20.000 juges). Il y a lieu enfin de signaler que le juge n'est pas tenu au secret des délibérés ou au devoir de réserve applicable en droit français.

-  Aucune action civile ou pénale ne peut être engagée contre un magistrat, pour ses actes ou ses paroles à l'audience. Cette exemption de responsabilité s'étend aux juges de paix ainsi qu'aux clercs de ces juridictions.

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N° 930.- Rapport de M. Jacques Floch (au nom de la commission des lois) sur le projet de loi constitutionnelle (n° 835) relatif au Conseil supérieur de la magistrature.

1 ) Notes établies par le service des affaires européennes.


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