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le 26 janvier 1999

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N° 1329

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 20 janvier 1999.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES, FAMILIALES ET SOCIALES(1) SUR LA PROPOSITION DE LOI relative à l’assurance veuvage (N° 800)

PAR M. François Rochebloine

Député.

——

(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

Sécurité sociale.

La commission des affaires culturelles, familiales et sociales est composée de : M. Jean Le Garrec, président ; MM. René Couanau, Jean-Michel Dubernard, Jean-Paul Durieux, Maxime Gremetz, vice-présidents ; Mme Odette Grzegrzulka, MM. Denis Jacquat, Noël Mamère, Patrice Martin-Lalande, secrétaires ; MM. Yvon Abiven, Bernard Accoyer, Mme Sylvie Andrieux, MM. André Aschieri, Gautier Audinot, Mme Roselyne Bachelot-Narquin, MM. Jean-Paul Bacquet, Jean-Pierre Baeumler, Pierre-Christophe Baguet, Jean Bardet, Jean-Claude Bateux, Jean-Claude Beauchaud, Mmes Huguette Bello, Yvette Benayoun-Nakache, MM. Patrick Bloche, Alain Bocquet, Mme Marie-Thérèse Boisseau, MM. Jean-Claude Boulard, Bruno Bourg-Broc, Mme Christine Boutin, MM. Jean-Paul Bret, Victor Brial, Yves Bur, Vincent Burroni, Alain Calmat, Pierre Carassus, Pierre Cardo, Roland Carraz, Mmes Véronique Carrion-Bastok, Odette Casanova, MM. Jean-Charles Cavaillé, Bernard Charles, Jean-Marc Chavanne, Jean-François Chossy, Mme Marie-Françoise Clergeau, MM. Georges Colombier, François Cornut-Gentille, Mme Martine David, MM. Bernard Davoine, Lucien Degauchy, Marcel Dehoux, Jean Delobel, Jean-Jacques Denis, Dominique Dord, Mme Brigitte Douay, MM. Guy Drut, Nicolas Dupont-Aignan, Yves Durand, René Dutin, Christian Estrosi, Claude Evin, Jean Falala, Jean-Pierre Foucher, Jean-Louis Fousseret, Michel Françaix, Mme Jacqueline Fraysse, MM. Germain Gengenwin, Mmes Catherine Génisson, Dominique Gillot, MM. Jean-Pierre Giran, Michel Giraud, Gaëtan Gorce, François Goulard, Jean-Claude Guibal, Mme Paulette Guinchard-Kunstler, M.  Francis Hammel, Mme Cécile Helle, MM. Pierre Hellier, Michel Herbillon, Guy Hermier, Mmes Françoise Imbert, Muguette Jacquaint, MM. Maurice Janetti, Serge Janquin, Armand Jung, Bertrand Kern, Christian Kert, Jacques Kossowski, Mme Conchita Lacuey, MM. Jacques Lafleur, Robert Lamy, Edouard Landrain, Pierre Lasbordes, Mme Jacqueline Lazard, MM. Michel Lefait, Maurice Leroy, Patrick Leroy, Maurice Ligot, Gérard Lindeperg, Patrick Malavieille, Mmes Gilberte Marin-Moskovitz, Jacqueline Mathieu-Obadia, MM. Didier Mathus, Jean-François Mattei, Mme Hélène Mignon, MM. Jean-Claude Mignon, Renaud Muselier, Philippe Nauche, Henri Nayrou, Alain Néri, Yves Nicolin, Bernard Outin, Dominique Paillé, Michel Pajon, Michel Péricard, Mme Geneviève Perrin-Gaillard, MM. Bernard Perrut, Pierre Petit, Mme Catherine Picard, MM. Jean Pontier, Jean-Luc Préel, Alfred Recours, Gilles de Robien, Mme Chantal Robin-Rodrigo, MM. François Rochebloine, Marcel Rogemont, Yves Rome, Jean Rouger, Rudy Salles, André Schneider, Bernard Schreiner, Patrick Sève, Michel Tamaya, Pascal Terrasse, Gérard Terrier, Mmes Marisol Touraine, Odette Trupin, MM. Anicet Turinay, Jean Ueberschlag, Jean Valleix, Philippe Vuilque, Jean-Jacques Weber, Mme Marie-Jo Zimmermann.

INTRODUCTION 5

I.- LES INSUFFISANCES DE L’ASSURANCE VEUVAGE 7

A. LES CONDITIONS D’ATTRIBUTION ET DE SERVICE DE L’ALLOCATION VEUVAGE : UN RÉGIME TROP RESTRICTIF 7

B. LES MODIFICATIONS PRÉVUES PAR LA LOI DE FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE POUR 1999 : UN BILAN MITIGÉ 9

II.- LA GESTION FINANCIÈRE AUTONOME DU RISQUE VEUVAGE PRÉVUE PAR LA PROPOSITION DE LOI 11

A. DES EXCÉDENTS STRUCTURELS 11

B. UNE RÈGLE D’AFFECTATION PRIORITAIRE NON RESPECTÉE 11

C. L’AFFECTATION INTÉGRALE DES EXCÉDENTS À LA COUVERTURE DU RISQUE VEUVAGE 13

D. LES AMÉLIORATIONS ENVISAGEABLES 13

TRAVAUX DE LA COMMISSION 15

INTRODUCTION

Si le décès précoce d’un conjoint constitue d’abord un drame intime, il peut également déboucher sur un drame social, dans la mesure où il entraîne souvent une baisse importante des ressources de l’époux survivant, particulièrement lorsque celui-ci est une femme chargée de famille n’ayant jamais travaillé ou ayant cessé son activité professionnelle.

A ce titre, le veuvage constitue un risque social comparable à la maladie, à l’invalidité ou la vieillesse. Cependant, le système français de sécurité sociale est loin d’assurer une protection contre les aléas du veuvage aussi complète que celle afférente aux risques “ traditionnels ” précités. Si la couverture dont bénéficient les veuves ayant atteint l’âge - souvent fixé à cinquante-cinq ans - leur permettant de prétendre à une pension de réversion est relativement satisfaisante, il n’en va pas de même pour les veuves qui ne satisfont pas à cette condition.

Les intéressés dont le conjoint relevait du régime général ou du régime agricole bénéficient certes d’une assurance veuvage créée en 1980 (et étendue en 1990 aux non salariés de l’agriculture), mais l’allocation servie à ce titre se caractérise par des conditions d’attributions restrictives, une durée d’attribution très limitée et un montant modeste.

Les modifications apportées au régime de l’assurance veuvage par la loi de financement de la sécurité sociale pour 1999 comportent une amélioration sensible mais aussi plusieurs régressions par rapport au droit existant, de sorte qu’elles appellent un jugement mitigé.

Pourtant, les dépenses annuelles d’allocation de veuvage représentent moins du quart du produit de la cotisation correspondante, le reste étant consacré à limiter le déficit de l’assurance vieillesse. Pour mettre fin à cette évaporation des excédents de l’assurance veuvage, qui est contraire à une règle d’affectation prioritaire n’ayant malheureusement qu’une valeur indicative, la présente proposition de loi, que le groupe UDF a retenue pour la séance réservée, en application de l’article 48 de la Constitution, à l’ordre du jour fixé par chaque assemblée, prévoit d’affecter la totalité de ces excédents à la couverture sociale du risque veuvage, les ressources ainsi mobilisées pouvant être ensuite utilisées pour améliorer les conditions d’attribution et de calcul de l’allocation veuvage.

I.- LES INSUFFISANCES DE L’ASSURANCE VEUVAGE

Créée par la loi du 17 juillet 1980, l’assurance veuvage a très peu évolué depuis lors. Le traitement réservé au risque veuvage contraste ainsi fortement avec le développement des garanties offertes aux assurés sociaux qui caractérise, dans une perspective de long terme, l’histoire des assurances contre les autres risques sociaux que sont la maladie, la vieillesse, l’invalidité, le décès ou les accidents du travail.

La loi de financement de la sécurité sociale pour 1999 a certes prévu, à compter du 1er mars 1999, une amélioration significative du régime financier de l’assurance veuvage, mais il est regrettable que celle-ci s’accompagne d’une triple restriction des droits des veufs et veuves.

A. LES CONDITIONS D’ATTRIBUTION ET DE SERVICE DE L’ALLOCATION VEUVAGE : UN RÉGIME TROP RESTRICTIF

L’assurance veuvage a pour objet de servir une allocation au conjoint survivant d’un assuré social qui satisfait à des conditions d’âge et de nombre d’enfants élevés ou à charge.

Le droit à l’allocation veuvage est ouvert aux conjoints des assurés du régime général, du régime des salariés agricoles et, depuis 1991, du régime des non salariés agricoles, sous réserve que lesdits assurés aient été affiliés, à titre obligatoire ou volontaire au régime d’assurance vieillesse correspondant ou qu’ils aient été bénéficiaires effectifs ou potentiels de prestations limitativement énumérées1.

On notera que les dispositions réglementaires qui subordonnaient pour les conjoints d’assurés obligatoires ou volontaires le bénéfice de l’allocation veuvage à une affiliation à l’assurance veuvage de l’assuré au cours des trois mois précédant son décès ont été jugées illégales - car dépourvues de base légale - par le Conseil d’Etat... (CE, 9 février 1996, Koukeb-Bettayeb).

Seules peuvent bénéficier de l’assurance veuvage les personnes âgées de moins de cinquante-cinq ans : en effet, celles qui ont dépassé cet âge peuvent en principe prétendre à une pension de réversion. Par ailleurs, les intéressés doivent avoir au moins un enfant à charge ou avoir élevé au moins un enfant pendant neuf ans avant son seizième anniversaire.

Ayant pour objet de garantir un montant minimum de revenu aux veufs ou veuves ayant ou ayant eu des charges de familles, l’allocation veuvage est accordée sous condition de ressources : la somme de la prestation et des ressources personnelles de l’intéressé ne doit pas dépasser 11 790 francs par trimestre, soit seulement 3 930 francs par mois. 2

En l’état actuel du droit - et jusqu’au 1er mars 1999, date d’entrée en vigueur des modifications ci-dessous décrites prévues par la loi de financement de la sécurité sociale pour 1999 - l’allocation a un caractère dégressif et est servie pendant trois ans lorsque le bénéficiaire est âgé de moins de cinquante ans à la date du décès de son conjoint et jusqu’à ce qu’il ait atteint cinquante-cinq ans dans le cas contraire.

Son montant est actuellement fixé à 3 144 francs par mois la première année, 2 065 francs par mois la deuxième année et 1 573 francs par mois la troisième année et les éventuelles années suivantes. Il est frappant de constater que le montant de l’allocation de veuvage devient inférieur à celui du revenu minimum d’insertion pour une personne seule (soit 2 502 francs par mois) dès la deuxième année. Le fait qu’une prestation d’assurance soit inférieure à une prestation de solidarité dont le montant correspond en principe au minimum vital dont toute personne doit pouvoir disposer illustre l’état de déshérence dans lequel a été laissée l’assurance veuvage. La création du RMI aurait, en toute logique, dû entraîner une refonte du dispositif de l’allocation veuvage ou, à tout le moins, une révision à la hausse de son barème

L’absence de modulation du montant de l’allocation veuvage en fonction du nombre d’enfants à charge constitue également une anomalie injustifiable, à laquelle la loi de financement pour 1999 ne met pas fin. Si une veuve isolée touche, pour la première année d’indemnisation, plus qu’un allocataire du RMI se trouvant dans la même situation, il est peu cohérent que cette hiérarchie de revenus s’inverse dès le premier enfant à charge et que l’écart se creuse à mesure que la taille de la famille concernée augmente : ainsi, le RMI servi à une mère isolée ayant deux enfants atteint 4 504 francs par mois, alors qu’une bénéficiaire de l’allocation veuvage ne pourra percevoir à ce titre plus de 3 144 francs par mois.

B. LES MODIFICATIONS PRÉVUES PAR LA LOI DE FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE POUR 1999 : UN BILAN MITIGÉ

L’article 38 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 1999 n° 98-1194 du 23 décembre 1998 apporte trois modifications au régime de l’assurance veuvage :

- le bénéfice de l’allocation est réservé aux conjoints des assurés qui ont été affiliés à l’assurance vieillesse, à titre obligatoire ou volontaire, “ au cours d’une période de référence et pendant une durée fixées par décret en Conseil d’Etat ” ;

- l’allocation perd son caractère dégressif ;

- la détermination des modalités et de la durée de son versement est renvoyée à un décret en Conseil d’Etat, le Gouvernement ayant précisé que ce décret réduira de trois ans à deux la durée normale de service de l’allocation en contrepartie de l’unification de son taux.3

Au cours des débats parlementaires, le Gouvernement a indiqué que la première modification avait simplement pour objet d’inscrire dans la loi une condition de durée d’affiliation préalable qui figurait auparavant dans un texte réglementaire, conformément à ce qu’aurait souhaité le législateur lors de la création de l’allocation veuvage. Cette présentation lénifiante n’est guère convaincante, le Conseil d’Etat n’ayant décelé aucune trace de cette volonté supposée du législateur lorsqu’il a jugé illégale la condition précitée. En outre, il s’agit bien d’une régression par rapport au droit existant, puisque l’arrêt de la haute juridiction administrative remonte au 9 février 1996 et que la condition d’affiliation préalable a ipso facto cessé d’être applicable après cette date. Enfin, on relèvera que le Gouvernement n’envisage pas un simple retour au statu quo ante, dans la mesure où le texte règlementaire à paraître devrait simplement exiger une durée d’affiliation de trois mois pendant les douze mois précédant le décès, et non plus une affiliation pendant les trois derniers mois.

L’unification du taux de l’allocation veuvage sur la base du montant actuellement servi au cours de la première année d’indemnisation est en revanche une mesure très positive qui était demandée de longue date par les associations de veuves civiles. Il est cependant regrettable qu’elle ait été partiellement gagée par la suppression de la troisième année de service de l’allocation pour les veuves ou veufs âgés de moins de cinquante ans au moment du décès de leur conjoint.

Pour défendre cette suppression, le Gouvernement a fait valoir que le troisième taux de l’allocation était sensiblement inférieur au montant du RMI pour une personne seule et que les intéressés étaient en tout état de cause déjà amenés à demander le bénéfice de cette dernière prestation, de sorte que la suppression de l’allocation serait sans incidence sur le niveau de leurs ressources eu égard au caractère différentiel du RMI. Même si la situation ainsi décrite est bien réelle, on peut s’interroger sur la pertinence d’un raisonnement qui prône la substitution d’une prestation de sécurité sociale financée par une prestation d’assistance financée par la solidarité nationale.

Il est clair que ces deux prestations ne sont pas équivalentes aux yeux des veuves et veufs concernés. En termes de dignité personnelle, la perception d’une allocation d’assurance du chef de son conjoint décédé a une autre signification que celle d’un revenu minimum qui reste emprunt d’un “ climat ” d’aide sociale, illustré par exemple par le fait que son versement est réservé aux personnes qui s’engagent en contrepartie à participer à des actions d’insertion et qu’il peut être subordonné à la mise en œuvre de l’obligation alimentaire pesant sur les parents des bénéficiaires. Cette différence est d’autant plus douloureusement ressentie que les personnes concernées n’ignorent pas que les cotisations versées par leurs conjoints au titre de l’assurance veuvage permettraient d’améliorer très sensiblement les prestations de cette assurance. C’est précisément cet état de fait qui justifie la gestion séparée du risque veuvage prévue par la proposition de loi.

II.- LA GESTION FINANCIÈRE AUTONOME DU RISQUE VEUVAGE PRÉVUE PAR LA PROPOSITION DE LOI

A. DES EXCÉDENTS STRUCTURELS

Le tableau suivant permet de comparer, au cours de la période récente, le produit de la cotisation veuvage de 0,1 % payée par les assurés du régime général et le montant des dépenses de l’assurance veuvage.

Comptes du Fonds national d’assurance veuvage

 

1990

1991

1992

1993

1994

1995

1996

1997

1998 (2)

1999 (3)

Recettes (cotisations) (1)

1 738

2 028

1 941

1 924

1 992

2 020

2 321

2 153

2 185

2 269

Dépenses (prestations) (1)

435

435

439

449

465

462

506

550

544

589

Solde (1)

+ 1 303

+ 1 593

+ 1 502

+ 1 475

+ 1 527

+ 1 558

+ 1 815

+ 1 603

+ 1 641

+ 1 680

Dépenses/Recettes

25,1 %

21,4 %

22,6 %

23,3 %

23,3 %

22,3 %

21,8 %

25,5 %

24,9 %

25,9 %

(1) en millions de francs

(2) prévisions établies en encaissements/décaissements et ne tenant pas compte, en recettes, des majorations de retard et des cotisations des DOM et, en dépenses, des coûts de gestion et des provisions pour créances douteuses ; en outre, la prévision de dépenses pour 1999 est arrêtée sur la base d’un coût net des mesures de la loi de financement de la sécurité sociale pour 1999 estimé à 15 millions de francs

Les chiffres ci-dessus font clairement ressortir le caractère structurel des excédents de l’assurance veuvage. La faiblesse du rapport dépenses/recettes, qui exprime le taux d’affectation du produit de la cotisation d’assurance veuvage aux dépenses d’allocation, doit être notée. On précisera que les excédents ainsi constatés n’ont pas été conservés au sein du Fonds national d’assurance veuvage, mais transférés au fonds national d’assurance vieillesse afin de limiter les déficits d’exercice dudit fonds.

B. UNE RÈGLE D’AFFECTATION PRIORITAIRE NON RESPECTÉE

Le deuxième alinéa de l’article L. 251-6 du code de la sécurité sociale dispose que “ les excédents du fonds national d’assurance veuvage constatés à l’issue de chaque exercice sont affectés en priorité à la couverture sociale du risque de veuvage. ”

Cet alinéa a été introduit dans le code de la sécurité sociale par l’article premier de la loi n° 87-39 du 27 janvier 1987 portant diverses mesures d’ordre social. Il y a lieu de signaler que ledit article résulte d’un amendement du Gouvernement reprenant un amendement d’un député ayant préalablement été déclaré irrecevable en application de l’article 40 de la Constitution. Présentant ses dispositions, M. Philippe Séguin, alors ministre des affaires sociales, avait déclaré :

“ Il est vrai que[...] le fonds national d’assurance veuvage a connu, peu après sa création, des excédents croissants. Ces derniers, je le précise, ne tiennent pas à une volonté délibérée, mais au caractère sans doute trop rigoureux des dispositions qui avaient été adoptées en 1980, et dont la portée avait vraisemblablement été mal appréciée. ”

“ [...] L’interprétation que le Gouvernement souhaite voir retenue pour son amendement est celle d’une invitation à lui adressée par lui-même, à une réflexion urgente sur les mesures qui s’imposent, et dont chacun reconnaît la nécessité, pour remédier à certaines situations particulièrement difficiles que connaissent les veuves, notamment dans les années précédant la liquidation de leur droits. ”

La question du maintien de la règle d’affectation prioritaire des excédents de l’assurance veuvage s’est posée lors de l’examen des dispositions de la loi n° 94-637 du 25 juillet 1994 relative à la sécurité sociale qui avaient pour objet de renforcer le principe de la séparation des différentes branches du régime général. En effet, ces dispositions prévoyaient notamment de créer une branche unique regroupant les risques vieillesse et veuvage et avaient ainsi pour effet de valider la pratique consistant à transférer à l’assurance vieillesse les excédents de l’assurance veuvage. Estimant que ces dispositions rendaient sans objet le deuxième alinéa de l’article L. 256-1 du code de la sécurité sociale, le Gouvernement avait prévu sa suppression dans son projet de loi initial.

Le Sénat s’est opposé avec succès à cette suppression en faisant valoir que la création d’une branche “ vieillesse et veuvage ” n’entraînait pas la fusion du fonds national de l’assurance veuvage et du fonds national de l’assurance vieillesse et que l’objectif d’une affectation prioritaire des excédents du premier à la couverture sociale du risque veuvage, c’est-à-dire à l’amélioration des prestations servies aux veuves restait donc juridiquement pertinent.

Bien que le Gouvernement se soit rallié à cette interprétation et ait accepté le maintien de l’alinéa en cause, il faut constater que ses dispositions sont restées lettre morte. Si on peut s’interroger sur leur portée normative, il est néanmoins clair que la pratique consistant à transférer à l’assurance vieillesse la totalité des excédents à droit constant du fonds national d’assurance veuvage ou, selon une autre approche, à ne consacrer à l’allocation veuvage que moins du quart du produit de la cotisation d’assurance veuvage, n’est conforme ni à l’esprit ni à la lettre de ces dispositions.

C. L’AFFECTATION INTÉGRALE DES EXCÉDENTS À LA COUVERTURE DU RISQUE VEUVAGE

Les Gouvernements successifs s’étant révélés incapables de donner une suite favorable à “ l’invitation à eux adressée ” - pour reprendre l’expression de M. Philippe Séguin - par le deuxième alinéa de l’article L. 256-1 du code de la sécurité sociale, la présente proposition de loi vise à garantir une affectation intégrale à la couverture sociale du risque veuvage des excédents du fonds national de l’assurance veuvage.

Pour ce faire, il est simplement proposé de supprimer les mots : “ en priorité ” dans le texte de l’alinéa précité.

Cette suppression aurait pour effet d’imposer une gestion financière séparée de l’assurance veuvage et de l’assurance vieillesse et, partant, d’interdire l’absorption par la seconde des excédents de la première.

Il faut cependant souligner que cette modification n’entraînerait pas la création d’une “ branche ” veuvage, au sens organique que revêt ce terme depuis la réforme de 1994. En effet, lorsque deux branches sont gérées par la même caisse nationale - ce qui est le cas pour l’assurance maladie et l’assurance accidents du travail, chacune d’entre elles est dotée d’une instance de gestion qui lui est propre. La création d’une telle instance n’étant pas prévue par la proposition de loi, le risque veuvage resterait géré, pour les salariés relevant du régime général, par le conseil d’administration de la caisse nationale d’assurance vieillesse des travailleurs salariés.

La mesure proposée permettrait d’augmenter très substantiellement les ressources susceptibles d’être affectées à la protection contre le risque veuvage. Si les règles limitant le droit d’initiative financière des parlementaires ne permettent pas d’inclure utilement dans une proposition de loi des dispositions augmentant les dépenses de l’assurance veuvage, il est néanmoins possible d’indiquer les améliorations qu’il serait souhaitable d’apporter aux règles régissant l’allocation veuvage.

D. LES AMÉLIORATIONS ENVISAGEABLES

Afin de ne pas créer de disparités trop importantes entre les veuves selon leur âge au moment du décès de leur conjoint, le rapporteur estime d’abord indispensable de rétablir la troisième année du service de l’allocation pour les veuves ayant droit à l’assurance veuvage avant leur cinquantième anniversaire. Si les ressources disponibles après mise en œuvre des autres mesures suggérées ci-dessous le permettent, il serait même souhaitable de prévoir une durée unique de service de l’allocation fixée à cinq ans avant le cinquante-cinquième anniversaire des bénéficiaires.

Il est également prioritaire de prévoir une modulation du montant de l’allocation en fonction du nombre d’enfants encore à charge. Par analogie avec ce qui est prévu pour le RMI, la majoration pourrait être égale à :

- 50 % de l’allocation pour le premier enfant à charge ;

- 30 % pour le deuxième enfant à charge ;

- 40 % par enfant supplémentaire à compter du troisième.

Ainsi les veuves et veufs concernés seraient assurés de percevoir un revenu légèrement supérieur au RMI quelle que soit la taille de leur famille.

Une modification de la condition de ressources applicable à l’allocation veuvage paraît également souhaitable. Outre que le plafond de cumul entre les ressources personnelles du bénéficiaire et l’allocation devra, par cohérence avec la mesure précédente, être modulé en fonction du nombre d’enfants à charge, un relèvement du niveau relatif de ce plafond semble justifié. Celui-ci étant actuellement égal à 3 930 francs par mois et le montant maximum de l’allocation s’élevant à 3 144 francs par mois, l’allocation effectivement servie est réduite dès lors que les ressources personnelles de l’intéressé dépassent un quart du montant de l’allocation, soit 786 francs par mois. Cette règle très rigoureuse devrait être assouplie, afin que le mécanisme de calcul différentiel de l’allocation servie ne joue qu’au-delà d’un montant de ressources personnelles égale au tiers de celui de l’allocation.

Enfin, on notera que le libellé du deuxième alinéa de l’article L 251-6 du code de la sécurité sociale résultant de la proposition de loi impose d’affecter les excédents de l’assurance veuvage à la “ couverture sociale du risque de veuvage ” et non à la seule amélioration de l’allocation veuvage, ce qui permet par exemple d’envisager l’utilisation desdits excédents au financement du relèvement progressif du taux des pensions de réversion, actuellement fixé à 54 %, et qu’il serait souhaitable de porter par étapes à 60 %.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

La commission a procédé à l’examen de cette proposition de loi au cours de sa séance du mercredi 20 janvier 1999.

Après l’exposé du rapporteur, un débat a eu lieu.

M. Bernard Accoyer a souligné que la commission, qui avait laissé passer sans réagir des mesures défavorables aux veuves, aurait sans doute à cœur de se démarquer de cette attitude en adoptant la présente proposition de loi. Il serait cohérent avec l’esprit de la réforme de 1994 ayant renforcé la séparation des différentes branches de distinguer la gestion du risque veuvage de celle du risque vieillesse. Il faut également souligner que la proposition de loi n’a pas de coût direct et qu’elle vise simplement à obtenir plus de transparence financière.

M. Denis Jacquat a estimé que la proposition de loi visait en fait à revenir à l’esprit initial de la loi de 1980 ayant institué l’assurance veuvage, alors que la réforme de 1994 ayant réuni au sein d’une même branche l’assurance vieillesse et l’assurance veuvage n’était pas totalement conforme à cet esprit.

L’adoption de la proposition de loi paraît indispensable compte tenu du fait que la France est, de tous les pays de l’Europe de l’ouest, celui dont la politique sociale est la moins favorable aux veuves.

Mme Hélène Mignon, après avoir rappelé que tous les commissaires étaient sensibles aux problèmes rencontrés par les veuves, a estimé que la suppression des mots “ en priorité ” dans le deuxième alinéa de l’article L. 256-1 du code de la sécurité sociale aboutissait à créer une branche veuvage autonome, contrairement au choix fait en 1994.

L’adoption de la proposition de loi risquerait donc d’accentuer le déséquilibre financier de l’assurance vieillesse alors que celle-ci assure, par le biais de pensions de réversion, une part de la couverture sociale du risque veuvage, qui n’est pas limitée à l’assurance veuvage proprement dite. Il faut également rappeler que plusieurs mesures favorables aux veuves ont été prises récemment, dont l’unification du taux de l’allocation veuvage prévue par la loi de financement de la sécurité sociale pour 1999 et la possibilité de cumuler provisoirement l’allocation veuvage et un revenu d’activité créée par la loi d’orientation relative à la lutte contre les exclusions. Le problème des veuves appelle donc une réflexion beaucoup plus globale que celle qui sous-tend la proposition de loi.

M. Pascal Terrasse a fait valoir que l’adoption de la proposition de loi dégraderait d’environ 1,5 milliard de francs le solde prévisionnel de la branche vieillesse pour 1999 alors même que cette branche est la seule à rester déficitaire malgré les mesures de rééquilibrage déjà prévues par la loi de financement de la sécurité sociale pour 1999. La présente proposition de loi semble en conséquence contradictoire avec celle de M. Douste-Blazy créant des plans de prévoyance retraite, puisqu’on ne peut en même temps prétendre sauver les retraites et creuser le déficit de la branche assurance vieillesse. La création d’une branche veuvage, contraire à la réforme de 1994, s’apparenterait à une manoeuvre électoraliste qui desservirait en fait la cause des veuves.

Les améliorations déjà prévues par la loi d’orientation relative à la lutte contre les exclusions et la loi de financement de la sécurité sociale pour 1999 sont significatives - la seconde permettant aux veuves concernées de toucher mille francs supplémentaires par mois - mais demandent à être complétées, notamment en assouplissant les règles de cumul trop restrictives applicables aux polypensionnés. Cette amélioration ne peut intervenir que dans un cadre beaucoup plus vaste que celui de la proposition de loi, ce qui conduit le groupe socialiste à demander à la commission de ne pas examiner les articles de la proposition de loi et de ne pas présenter de conclusions.

M. Jean-Luc Préel a indiqué que les déclarations précédentes témoignaient de la gêne du groupe socialiste par rapport à la proposition de loi. En tant que président du groupe d’études parlementaire sur les conjoints survivants, il a souligné l’importance des difficultés rencontrées par les veuves. Dans la mesure où il existe une cotisation veuvage spécifique, il serait logique que les sommes ainsi récoltées fassent l’objet d’une gestion séparée et que les excédents du fonds d’assurance veuvage soient affectés à l’amélioration des prestations servies aux veuves. Il faut également souligner que la proposition de loi comporte un gage et qu’en conséquence elle n’entraînera aucune perte de recettes pour l’assurance vieillesse. Son adoption paraît nécessaire, d’autant que la majorité ne s’est pas honorée en excluant, dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 1999, la majoration pour enfant du plafond de cumul entre un avantage propre et un avantage de réversion.

Mme Marie-Françoise Clergeau, après avoir rappelé que la création de l’assurance veuvage remontait à 1980, a estimé que, depuis lors, de nombreuses possibilités d’améliorer l’allocation veuvage n’avaient pas été saisies. Il semble donc un peu démagogique d’aborder ce problème de la manière dont le fait la proposition de loi.

En réponse aux intervenants, le rapporteur a regretté la vivacité de certaines réactions en soulignant que la proposition de loi aurait pu faire l’objet d’un consensus dépassant les clivages politiques. Il a rappelé qu’il avait toujours été attentif aux problèmes des veuves depuis onze ans et qu’il n’avait pas hésité à s’opposer, sur ce sujet, à des gouvernements qu’il soutenait par ailleurs. Il faut également noter que la présence dans la proposition de loi d’un gage exclut toute perte de recettes pour l’assurance vieillesse. La proposition de loi, qui répond à une demande instante de la Fédération des associations de veuves civiles (FAVEC), pourrait être transformée en projet de loi si le Gouvernement le souhaitait, puisqu’elle n’a pas pour objectif de procurer un gain politique à ses auteurs, mais seulement d’améliorer la situation des veuves concernées.

M. Denis Jacquat, après avoir indiqué qu’il voterait contre la proposition d’absence de conclusions de la commission faite par M. Pascal Terrasse, a souhaité que le problème des veuves soit réexaminé une fois que seront connues les conclusions de la mission d’analyse du système des retraites confiée au Commissaire général du Plan.

La commission a décidé de suspendre l’examen de la proposition de loi et de ne pas présenter de conclusions.

N°1329. - RAPPORT de M. François ROCHEBLOINE (au nom de la commission des affaires culturelles) sur la proposition de loi (n° 800) de M. François Rochebloine relative à l’assurance veuvage.

1 Il s’agit, dans le premier cas, des pensions d’assurance vieillesse ou d’invalidité, des rentes d’accidents du travail et des indemnités journalières maladie, maternité ou accidents du travail et, dans le second cas, des prestations en nature de l’assurance maladie. Par ailleurs, ouvrent également droit à l’assurance veuvage les salariés en congé individuel de formation effectuant un stage de formation professionnelle et les détenus suivant un tel stage ou exécutant un travail pénal.

2 La loi d’orientation relative à la lutte contre les exclusions a toutefois autorisé le cumul pendant un an de l’alloation de veuvage et de revenus d’activité, l’allocation étant versée intégralement pendant les trois premiers mois et à hauteur de 50 % pendant les six mois suivants et de 25 % pendant les trois derniers mois.

3 L’article 38 précité comporte une quatrième mesure qui ne concerne pas l’assurance veuvage, mais qui appelle néanmoins la critique en tant qu’elle restreint les droits sociaux des conjoints survivants : il s’agit de l’exclusion de la majoration pour enfant des pensions de vieillesse du plafond de cumul entre un avantage propre et un avantage dérivé, cette exclusion étant d’autant plus contestable qu’elle revient sur une jurisprudence de la Cour de Cassation.