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mis en distribution

le 11 février 1999

N° 1371

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 4 février 1999

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DE LA PRODUCTION ET DES ÉCHANGES (1) SUR LE PROJET DE LOI (n° 1253), relatif à la modernisation et au développement du service public de l'électricité,

PAR M. CHRISTIAN BATAILLE,

Député.

--

TOME I

DISCUSSION GÉNÉRALE

EXAMEN DES ARTICLES

SOMMAIRE

-

Pages

Introduction 9

I.- L'électricité : un bien comme UN autre ? 10

A.- L'APPROCHE « CLASSIQUE » OU LA RECONNAISSANCE
DE LA SPÉCIFICITÉ DE L'ÉLECTRICITÉ
10

1. Un bien vital 10

2. Un bien soumis à des contraintes techniques et économiques particulières 12

B.- L'APPROCHE EUROPÉENNE OU LA TENTATIVE DE BANALISATION
DE L'ÉLECTRICITÉ
14

1. L'électricité dans le droit européen : de l'absence à la banalisation 14

a) Le laconisme des traités, traduction des réticences à mettre en _uvre
une politique de l'énergie et affirmation implicite de la primauté
du droit de la concurrence
14

b) Une « banalisation juridique » du courant électrique n'excluant pas
la reconnaissance de la spécificité du secteur de l'électricité
17

2. Vers une « banalisation économique » de l'électricité 18

a) Un secteur touché par le phénomène de mondialisation de l'économie 18

b) Un élément essentiel des coûts de production 23

c) Une industrie moins soumise aux économies d'échelle 23

II.- La marche vers la libéralisation 24

A.- UNE NÉGOCIATION LONGUE ET ARDUE 24

1. Les années de consensus (1987-1990) 25

2. La tentative de passage en force de la Commission (1991-1992) 26

3. La phase de recul des thèses ultralibérales (1992-1995) 26

4. Vers l'adoption de la directive (1996) 28

B.- LA DIRECTIVE 96/92/CE DU 19 DÉCEMBRE 1996 : UNE NOUVELLE
ÉTAPE DANS LA RÉALISATION DU MARCHÉ INTÉRIEUR DE L'ÉLECTRICITÉ
29

1. Une ouverture du marché limitée et compatible avec l'intérêt
général 29

a) Une ouverture du marché limitée 29

b) La prise en compte des obligations de service public 30

2. Une ouverture du marché significative 31

a) Une ouverture largement soumise au principe de subsidiarité 31

b) Sur quelques points, la marge de man_uvre des Etats membres
est plus limitée
32

C.- ÉTAT DE LA TRANSPOSITION DANS LES ÉTATS MEMBRES 33

III.- LA FRANCE ET L'OUVERTURE DU MARCHÉ DE L'ÉLECTRICITÉ 38

A.- LE CADRE JURIDIQUE ACTUEL 38

B.- LE PROJET DE LOI SUR LA MODERNISATION ET LE DÉVELOPPEMENT
DU SERVICE PUBLIC DE L'ÉLECTRICITÉ
40

1. Le contenu du projet de loi 40

2. Les enjeux du projet de loi 43

a) La modernisation et le développement du service public 43

b) Les enjeux industriels 44

c) La baisse des prix 51

TRAVAUX DE LA COMMISSION 55

I.- AUDITIONS 55

A.- Audition de M. Christian PIERRET, secrétaire d'Etat à l'industrie 55

B.- Audition de M. François ROUSSELY, président d'EDF 65

C.- Audition de représentants de la fédération de l'énergie-CGT 76

D.- Audition de représentants de la fédération chimie-énergie CFDT 86

E.- Audition de représentants de la fédération nationale de l'électricité et du gaz Force Ouvrière 91

F.- Audition de représentants de la fédération des industries électriques et gazières CFE-CGC 98

G.- Audition de représentants de la fédération de l'énergie, des mines et activités connexes CFTC 100

H.- Liste des personnes entendues par le rapporteur 103

II.- DISCUSSION GÉNÉRALE 109

III.- EXAMEN DES ARTICLES 119

TITRE I - le service public de l'électricité 119

Article 1er : Définition du service public de l'électricité 119

Article 2 : Missions du service public de l'électricité 123

Article 3 : Mise en oeuvre et contrôle des missions de service public 133

Article 4 : Tarifs et plafonds de prix 136

Article 5 : Mécanismes de compensation 141

TITRE II - LA PRODUCTION D'ÉLECTRICITÉ 151

Article 6 : Programmation pluriannuelle des investissements (PPI) 151

Article 7 : Autorisation d'exploiter 155

Article 8 : Appels d'offres 157

Article 9 : Critères d'attribution des autorisations et élaboration des conditions
des appels d'offres 161

Article 10 : Obligation d'achat d'électricité incombant à EDF 162

Article 11 : Rôle des collectivités territoriales en matière de production
d'électricité 168

Article L. 2224-32 du code général des collectivités territoriales : Rôle des collectivités locales en matière de production d'électricité 169

Article L. 2224-32 du code général des collectivités territoriales : Installations de production d'électricité de proximité 173

Article 12 : Possibilité offerte aux producteurs de compléter leur offre 174

TITRE III - LE TRANSPORT ET LA DISTRIBUTION D'élECTRICIté 177

CHAPITRE Ier : LE TRANSPORT D'ÉLECTRICITÉ 177

Article 13 : Statut du gestionnaire du réseau public de transport d'électricité (GRT) 177

Article 14 : Missions du gestionnaire du réseau public de transport 182

Article 15 : Modalités d'action du gestionnaire du réseau public de transport 185

Article 16 : Sanction du gestionnaire du réseau public de transport en cas de
transmission d'informations confidentielles 190

CHAPITRE II : LA DISTRIBUTION D'ÉLECTRICITÉ 191

Article 17 : Rôle des collectivités territoriales en matière de distribution
d'électricité 191

Article L. 2224-31 du code général des collectivités territoriales : Organisation de la distribution publique d'électricité 191

Article L. 2224-342 du code général des collectivités territoriales : Prise en charge d'actions tendant à maîtriser la demande d'énergie par les collectivités territoriales 194

Article 18 : Gestion des réseaux publics de distribution d'électricité 195

Article 19 : Missions des gestionnaires des réseaux publics de distribution
d'électricité 197

Article 20 : Sanction des gestionnaires des réseaux publics de distribution en cas
de transmission d'informations confidentielles 197

CHAPITRE III : SÉCURITÉ DES RÉSEAUX 198

Article 21 : Mesures de sauvegarde 198

TITRE IV - L'ACCÈS AUX RÉSEAUX PUBLICS D'ÉLECTRICITÉ 199

Article 22 : Consommateurs éligibles 199

Article 23 : Droit d'accès au réseau 208

Article 24 : Lignes directes 210

TITRE V - la dissociation comptable et la TRANSPARENCE  de la comptabilité 215

Article 25 : Règles comptables applicables à EDF, aux distributeurs non
nationalisés et à la Compagnie nationale du Rhône 217

Article 26 : Obligations comptables des autres sociétés 227

Article 27 : Droit d'accès à la comptabilité et aux informations financières 228

Après l'article 27 229

TITRE VI - LA REGULATION 231

1. La nécessité d'une régulation spécifique du secteur de l'électricité 231

2. Les modalités de la régulation fixées par la directive 96/92/CE 233

3. Les modalités de la régulation proposées par le projet de loi 234

a) La création d'une commission indépendante 234

b) La répartition des attributions de régulation 235

4. Le contrôle des positions dominantes en matière de régulation
du marché de l'électricité 239

Article 28 : Composition et statut de la Commission de régulation de
l'électricité (CRÉ) 241

a) Composition de la CRÉ 242

b) Mandat des membres de la CRÉ 243

c) Traitement des membres de la CRÉ 244

d) Incompatibilités 245

e) Mode de délibération 247

f) Cessation d'office des fonctions de membre de la CRÉ 247

Article 29 : Commissaire du Gouvernement auprès de la CRÉ 248

Article 30 : Fonctionnement de la CRÉ 251

Article 31 : Consultation de la CRÉ sur les projets de règlement 253

Après l'article 31 254

Article 32 : Relations avec les assemblées et rapport annuel d'activité 255

Article 33 : Pouvoirs d'enquête 257

a) Les détenteurs des pouvoirs d'enquête 257

b) Les enquêtes sur le gestionnaire du réseau public de transport et
 les autres opérateurs
259

c) La constatation des manquements à la loi 262

Article 34 : Respect du secret professionnel 263

Article additionnel après l'article 34 : attributions de la Commission de régulation de l'électricité 265

Article 35 : Pouvoir réglementaire de la CRÉ 265

Article 36 : Litiges d'accès aux réseaux et voies de recours 269

a) La compétence de la CRÉ en matière de règlement des litiges
d'accès au réseau
269

b) La procédure de règlement des litiges devant la CRÉ 270

c) La procédure d'appel des décisions contentieuses de la CRÉ 271

Article 37 : Relations entre le Conseil de la concurrence et la CRÉ 273

Article 38 : Pouvoir de sanction de la CRÉ 276

a) L'organisation du contrôle juridictionnel du pouvoir de sanction
de la CRÉ
277

b) L'étendue des pouvoirs de sanction 278

c) Le respect des principes constitutionnels applicables aux sanctions 281

Article 39 : Pouvoirs de sanction du ministre 282

Article 40 : Dispositions pénales 285

Article 41 : Recherche et constatation des infractions à la loi 287

TITRE VII - L'OBJET D'ÉLECTRICITÉ DE FRANCE 289

Article 42 : Aménagement du principe de spécialité d'EDF 289

a) L'application du principe de spécialité à EDF et la diversification de ses activités 289

b) Les propositions de réforme contenues dans le projet de loi 293

TITRE VIII - DISPOSITIONS SOCIALES 303

Article 43 (article L. 713-1 [nouveau] et L. 713-2 [nouveau] du code du travail) : Développement de la négociation collective de branche 304

Article 44 : Transparence comptable en matière de protection sociale 307

TITRE IX - DISPOSITIONS DIVERSES OU TRANSITOIRES 311

Article 45 : Collecte et publication des informations statistiques 311

Article 46 : Coûts échoués 314

Article 47 : Révision des contrats entre EDF ou un distributeur non nationalisé
et un client éligible 319

Article 48 : Révision des contrats conclus entre EDF et les producteurs d'électricité 321

Article 49 : Révision des contrats de concession et des règlements de service
des régies 323

Article 50 : Adaptation de certaines dispositions de la loi n° 46-628 du
8 avril 1946 324

Article 51 : Abrogation de dispositions législatives et réglementaires 328

Article 52 : Adaptation des dispositions législatives et réglementaires relatives à
l'outre-mer 332

MESDAMES, MESSIEURS,

L'électricité a longtemps été tenue à l'écart du processus de mondialisation et de libéralisation de l'économie. Pour tous, pouvoirs publics, producteurs, distributeurs, consommateurs industriels, ménages, l'énergie en général et les énergies de réseaux en particulier ne pouvaient être regardées comme un bien ordinaire. Jusqu'aux années 1970, les acteurs économiques se félicitaient de voir l'électricité échapper à la « main invisible » du marché.

Progressivement, cette unanimité disparut. Le choc pétrolier de 1973 aboutit, selon les pays, à des évolutions contraires. Si en France, il conforta l'État dans sa mission de pilote de la politique énergétique avec le lancement du programme électronucléaire, dans d'autres pays -tels les États-Unis-, il révèla les dysfonctionnements des marchés intérieurs et donna le départ d'un mouvement de déréglementation qui finit par atteindre la France quelque vingt ans plus tard.

A partir de la fin des années 1970, le libéralisme parfois le plus radical avance ses pions tant à Washington, qu'à Londres ou Bruxelles, parvenant dans un premier temps à banaliser le bien « électricité », puis dans un second temps à enclencher des mécanismes économiques et politiques permettant à la déréglementation de faire tâche d'huile et d'ouvrir progressivement la quasi-totalité des marchés.

I.- L'ÉLECTRICITÉ : UN BIEN COMME UN AUTRE ?

A.- L'APPROCHE « CLASSIQUE » OU LA RECONNAISSANCE DE LA SPÉCIFICITÉ DE L'ÉLECTRICITÉ

En matière d'électricité, la théorie qualifiée ici de « classique » ne se confond pas avec le libéralisme. En effet, l'histoire économique des principaux pays montre que depuis la seconde révolution industrielle, ceux-ci ont cherché ou ont été contraints par la force des événements à conférer un statut particulier à l'électricité.

Le succès de l'électricité en fit rapidement un bien vital pour l'économie et les citoyens. Or, les contraintes techniques liées à la spécificité de la production et du transport, les implications environnementales et l'évolution naturelle des activités de réseau vers les regroupements capitalistiques, voire les monopoles, ont longtemps fait de l'électricité un bien d'une nature originale.

1. Un bien vital

L'électricité est un bien de première nécessité. C'est cette évidence qui est la raison première de sa spécificité. Pour les particuliers, elle est une énergie qui, pour de nombreux usages à commencer par l'éclairage, ne connaît pas d'énergie concurrente, et qui tend à se développer avec l'apparition de nouveaux besoins tels ceux liés à l'information et à la communication.

En matière économique, la production d'énergie se situant en amont de tous les secteurs, l'électricité structure l'activité, attire les investissements et modèle le paysage économique jouant ainsi un rôle de catalyseur du progrès et d'aménageur de l'espace.

Par ailleurs, l'électricité est pour la Nation un élément essentiel à son indépendance. Elle influe de manière déterminante sur la politique énergétique puisque toutes les énergies primaires, qu'elles soient fossiles, nucléaire ou renouvelables, peuvent concourir à sa production. C'est en se fondant sur cette conscience aiguë du rôle stratégique de l'électricité qu'ont été lancés en France le programme hydroélectrique de la fin des années 1930 et le programme électronucléaire de l'après-choc pétrolier.

Enfin, l'électricité et sa production emportent des conséquences environnementales lourdes. Les centrales thermiques sont avec les transports la source principale d'émission de gaz à effet de serre ; les sites nucléaires posent le problème de la sûreté des installations et du stockage des déchets ; les infrastructures de transport et les champs d'éoliennes constituent autant d'agressions à l'harmonie des paysages et à leur tranquillité.

Ayant oublié les effets dévastateurs que pouvaient avoir les coupures d'électricité, nos concitoyens ont tendance aujourd'hui à percevoir l'électricité comme un bien quasiment inépuisable et universel, sorte de cinquième élément généré par la société postindustrielle. Si les esprits sont à ce point brouillés -et malgré le retour à la réalité à intervalles réguliers qu'imposent les factures- c'est en grande partie parce que l'électricité est rapidement apparue comme partie intégrante du service public. Organisé autour d'Electricité de France (EDF), le secteur français de l'électricité répond en effet aux grands principes d'organisation et de fonctionnement du service public :

- le principe de continuité interdit toute rupture dans le fonctionnement du service ; la stabilité des prix, la qualité du service rendu aux usagers, la rareté des coupures et plus généralement la conduite d'un programme électronucléaire garant de la sécurité de nos approvisionnements électriques procèdent à des titres divers de ce principe ; de ce point de vue, notre programme nucléaire peut être considéré comme consubstantiel du service public lui-même ;

- le principe d'universalité trouve en particulier sa traduction dans l'obligation de fournir tous les usagers qui le demandent ; celle-ci est quasiment née avec le développement de l'énergie électrique puisque les cahiers des charges des concessions mises en place par la loi du 15 juin 1906 le prévoyaient déjà ;

- le principe de mutabilité impose au service public de s'adapter à la demande et aux circonstances, ce qui entraîne - entre autres - pour le concessionnaire du réseau l'obligation d'assumer les travaux d'extension et de renforcement dudit réseau. C'est en application de ce principe d'adaptation, dont la mise en oeuvre est décidée unilatéralement par l'Etat, qu'a été engagé le programme électronucléaire et qu'a été abandonné l'éclairage public au gaz par les villes alors que le service était municipal ;

- le principe d'égalité se traduit par la péréquation des tarifs mais se prolonge également dans la facilité d'accès au service assurée par la modicité des tarifs et par les dispositions particulières prises en faveur des personnes en situation précaire. Aujourd'hui, contrepartie du monopole, les tarifs sont fixés par l'autorité de tutelle selon des critères permettant d'équilibrer les comptes d'EDF mais signalons que dès 1905, le législateur avait pris en compte la nécessité de lutter contre des pratiques prohibitives en prévoyant l'existence de clauses de prix maximal dans les cahiers des charges de concession.

2. Un bien soumis à des contraintes techniques et économiques particulières

Bien « social » par excellence, l'électricité pourrait inciter les pouvoirs publics à le soustraire au jeu du marché. Mais l'intérêt de l'État pour ce secteur de l'économie n'a pas été uniquement suscité par des considérations liées au bien-être des citoyens, au progrès économique, à l'indépendance nationale ou à la protection de l'environnement. L'attention des gouvernements a également été attirée par la puissance montante de grands groupes capitalistiques produisant, transportant ou distribuant l'électricité.

En effet, les propriétés physiques de l'électricité, l'intensité capitalistique du secteur production-transport et les effets économiques liés à la particularité des activités de réseau se sont conjugués pour favoriser concentrations et formations de monopoles.

L'électricité est un produit qui ne se stocke pas. Cette « non-propriété » implique pour tout producteur une adéquation permanente de l'offre à la demande. Or, celle-ci fluctue considérablement dans l'année d'un mois à un autre et dans la journée d'une heure à une autre. Les compagnies électriques sont donc obligées de détenir des parcs de centrales permettant de soutenir la demande en base auxquels s'ajoutent d'autres équipements intervenant dans les périodes de pointe ou dans des périodes intermédiaires. Il faut donc, pour répondre à la demande, un « panel » d'ouvrages dit de base, de pointe et de semi-base qui ne fonctionnent simultanément qu'à de rares moments. Or, jusqu'à un passé relativement récent, la totalité des équipements (centrales thermiques, centrales électronucléaires, barrages hydroélectriques) de production d'électricité nécessitait un apport capitalistique important.

S'ajoutent à cela la corrélation entre croissance des rendements et taille des centrales et l'effet classique du développement des industries de réseau aboutissant à l'émergence de monopoles naturels sur les aires d'intervention des opérateurs (le client devient « captif », le transport étant toujours sous monopole et la distribution relevant de droits exclusifs).

Dans pratiquement tous les pays industrialisés, le développement du secteur électrique a suivi une évolution analogue. A l'origine, vers 1880, l'électricité était laissée au secteur privé. Le paysage du marché de l'électricité était alors extrêmement fragmenté en raison des problèmes techniques que posait le transport à longue distance. Plusieurs milliers d'entreprises de taille très variable se partageaient le marché. En France, la présence de micro-opérateurs perdura jusqu'à la veille de la seconde guerre mondiale puisqu'on dénombrait encore à l'époque 2500 sociétés dont 1300 spécialisées dans la distribution. Contrairement à ce que pourraient laisser penser ces chiffres, le mouvement de concentration des électriciens s'était déjà engagé dans notre pays. La véritable « révolution électrique » se produisit en France entre les deux guerres avec l'explosion de la demande, la rationalisation de la production, l'accroissement de la taille des centrales, la standardisation des équipements permise par l'harmonisation des normes techniques (abandon du courant continu et recours exclusif à l'alternatif, harmonisation des tensions et des fréquences du courant alternatif). S'ensuivit un phénomène de concentration verticale -avec l'apparition de groupes intégrant les activités de production, de transport et de distribution- et horizontale, les compagnies électriques accroissant en permanence leur périmètre d'intervention par de multiples opérations de fusions-acquisitions.

Il apparut vite insupportable aux pouvoirs publics que l'électricité, facteur de progrès, fût aux mains d'une frange du patronat considérée par les syndicats comme le symbole du grand capitalisme. Entre 1925 et le début de la seconde guerre mondiale, tous les grands pays industrialisés cherchèrent à exercer un contrôle public plus ou moins étroit sur le secteur électrique. Si pour certains, ce souci s'inscrivit dans une véritable démarche keynesienne (formation en 1926 du Central Electricity Board britannique, premier pas vers la nationalisation du secteur électrique, démantèlement des trusts financiers de l'électricité aux États-Unis dans le cadre du New Deal par le Public utility holding company act de 1935, décret-loi de 1935 en France soumettant, sans la nationaliser, la chaîne électrique au contrôle de l'État), chez d'autres la préparation à la guerre produisit pratiquement les mêmes effets (lois de 1935 du IIIème Reich plaçant les industries électriques et gazières sous le contrôle direct de l'État nazi ou établissement en 1937 d'un monopole d'État de l'électricité au Japon).

Après la dernière guerre, la reconstruction constitua un nouveau cadre favorable à l'interventionnisme de l'État dans le secteur électrique. Dans ce contexte, « Les services publics de réseaux [devaient constituer] l'ossature de la société d'abondance que les élites publiques avaient l'ambition d'atteindre, après quelques années de développement forcé. Le Plan, et son ardente obligation, furent l'expression de cette ambition. Cette vision messianique du bien-être social était suffisamment limpide pour ne pas être contestée dans une société encore marquée par la pénurie ». (Jean-Pierre Chamoux. « La déréglementation des réseaux, un mouvement mondial et séculaire. In Réalités industrielles - Annales des mines - octobre 1994).

La contestation de ce modèle néo-colbertiste viendra plus tard. L'interventionnisme des pouvoirs publics connaîtra encore de beaux jours avec le lancement du programme électronucléaire, comme le souligne Claude Mandil (« Électricité : une directive à transposer in Réalités industrielles - Annales des mines - août 1997) : « dans un pays comme la France, une structure monopolistique et publique comme EDF était certainement la seule à même de réaliser les prodigieux efforts d'équipement hydroélectrique, puis électronucléaire ».

Pour ces différentes raisons de caractère politique, technique et économique, l'électricité est longtemps apparue comme ce que d'aucuns appellent une « zone d'échec du marché ».

Pourtant, progressivement, l'« exception électrique » s'estompa, sans pour autant disparaître totalement.

B.- L'APPROCHE EUROPÉENNE OU LA TENTATIVE DE BANALI-SATION DE L'ÉLECTRICITÉ

1. L'électricité dans le droit européen : de l'absence à la banalisation

a) Le laconisme des traités, traduction des réticences à mettre en oeuvre une politique de l'énergie et affirmation implicite de la primauté du droit de la concurrence

Au moment de la création de la Communauté économique européenne, l'énergie n'est à l'évidence pas au centre des préoccupations des rédacteurs du Traité de Rome : à la fin des années 1950, le pétrole est abondant et bon marché, le charbon et l'atome civil font déjà l'objet de traités spécifiques, les industries de réseau ne se sentent pas encore à l'étroit dans leur périmètre d'intervention et se contentent de servir une clientèle « captive » sans chercher à conquérir celle du voisin.

En effet, si l'on excepte les quelques articles faisant référence à EURATOM, la question de l'énergie n'est jamais mentionnée directement dans le Traité. Seule une lecture « en creux » du texte permet de constater qu'en réalité les pères fondateurs de l'Europe n'avaient pas complètement ignoré le problème.

Ce silence a été diversement interprété : pour certains, il signifiait que Bruxelles considérait les énergies en général et l'électricité en particulier comme des biens d'une nature particulière n'entrant pas dans le droit commun européen. Cette lecture du texte fondateur a fait long feu au profit d'une interprétation plus libérale. En effet, pour d'autres spécialistes du droit et des institutions européennes, la discrétion des rédacteurs traduisait le refus de mettre en oeuvre une politique énergétique commune. En la matière, les dispositions contenues dans les traités CECA et EURATOM étaient le maximum admissible. Toute tentative de définition plus globale d'une politique de l'énergie était soit non souhaitée au nom d'un sacro-saint libéralisme, soit considérée comme un exercice trop ardu au regard de la disparité et de la complexité des systèmes nationaux. En revanche l'absence du mot « énergie » dans les textes prouvait aux yeux des libéraux, qu'aucun sort particulier n'était réservé à ce type de produit qui, en conséquence, relevait du droit commun européen.

L'adoption de l'Acte unique en 1985, puis l'ouverture du marché intérieur en 1993, pouvaient laisser penser que la révision du Traité allait déboucher sur un texte plus explicite sur les questions de l'énergie. Or, le traité de Maastricht, bien qu'un peu plus disert que le texte de 1957, n'a rien résolu. Si son laconisme laisse à penser que l'énergie continue à relever du droit commun, en revanche certaines dispositions traduisent la volonté des autorités communautaires de ne plus ignorer ce secteur de l'économie.

Outre une mention à l'article 129 B relatif aux réseaux transeuropéens, l'énergie est essentiellement prise en compte dans l'article 3 du Traité énumérant les champs d'action de la communauté. Mais sa place - elle y est citée en vingt et unième et dernière position - et la rédaction même du texte augurent mal de la volonté de mener une politique européenne de l'énergie. En effet, le dernier alinéa de l'article 3 indique que « l'action de la Communauté comporte (...) des mesures dans les domaines de l'énergie, de la protection civile et du tourisme ». Outre, cet étrange rapprochement entre des domaines sans rapport entre eux, il faut constater que si le traité parle expressément de politique commune en matière agricole, commerciale ou de transports et mentionne une politique dans le domaine social, environnemental et de la coopération au développement, il n'est pour l'énergie fait état que de « mesures ». De fait, les actions des institutions communautaires en matière d'énergie ont soit été très ciblées (sur des programmes de recherche ou sur des programmes visant à améliorer l'efficacité énergétique), soit se sont bornées à des considérations générales dès qu'il s'agissait d'appréhender globalement la question de la politique énergétique. Ainsi le Livre blanc publié par la commission en 1995, qui était censé définir les orientations de la politique énergétique de l'Union, s'est contenté de rappeler que l'action politique de la communauté dans ce secteur visait prioritairement à fournir aux consommateurs une énergie au meilleur prix en prenant en compte les impératifs de sécurité d'approvisionnement et de protection de l'environnement.

Il semble ainsi établi aujourd'hui que les silences du Traité de Rome et le laconisme du Traité de Maastricht doivent s'interpréter à la fois comme un refus de mener une véritable politique énergétique commune et comme la preuve que les biens énergétiques et donc l'électricité ne doivent pas faire l'objet d'un traitement spécifique.

La législation et la jurisprudence européennes ont confirmé cette interprétation. Les directives sur le transit de l'électricité, sur le transit du gaz ainsi que celles portant sur les hydrocarbures ont clairement montré que le secteur de l'énergie relevait du droit commun communautaire. La Cour de justice des Communautés européennes a, de son côté, explicitement affirmé que l'électricité relevait de la définition générale des marchandises au sens du Traité et que le caractère indissociable du produit et de la prestation fournie ne pouvait l'assimiler à un service (arrêt Almelo - 27 avril 1994), consacrant ainsi la primauté du droit de la concurrence aux yeux de l'Union européenne.

Le nouvel article 129 B du traité traduit parfaitement cette priorité. En effet, après avoir indiqué que « la Communauté contribue à l'établissement et au développement de réseaux transeuropéens dans le secteur des infrastructures du transport, des communications et de l'énergie », cet article précise dans un second paragraphe que « l'action de la Communauté vise à favoriser l'interconnexion et l'interopérabilité des réseaux nationaux ainsi que l'accès à ces réseaux (...) dans le cadre d'un système de marchés ouverts et concurrentiels ». On ne saurait être plus clair. Pour Bruxelles, l'ouverture des marchés est une obligation qui n'a pas pour corollaire la définition d'une politique commune de l'énergie. On ne peut que le regretter et méditer le constat que dressait en 1993 le rapport du groupe de travail sur la réforme de l'organisation électrique et gazière française animé par M. Claude Mandil alors directeur général de l'énergie et des matières premières au ministère de l'industrie :

« La Commission et la Cour de justice des Communautés européennes n'ont jusqu'alors appréhendé la question que sous l'angle du marché intérieur, et plus spécifiquement de ses aspects relatifs à la politique de la concurrence, ce qui présente une menace pour les politiques énergétiques nationales, dès lors qu'aucune politique énergétique communautaire n'est susceptible à court et moyen termes d'en prendre le relais. (...)

« En l'absence de politique communautaire de l'énergie, l'approche de la Commission, dans ce secteur, est très juridique et peu économique. Son objectif est avant tout la mise en conformité des législations nationales avec les dispositions du Traité. En conséquence, la Commission ne cherche pas à justifier par des raisons économiques ses propositions et ne se préoccupe pas des conséquences économiques qu'elles auraient. »

b) Une « banalisation juridique » du courant électrique n'excluant pas la reconnaissance de la spécificité du secteur de l'électricité

Produit considéré comme ordinaire par les autorités communautaires, l'électricité se trouve donc soumise aux dispositions générales du Traité instituant la Communauté européenne, en particulier l'article 7 A relatif à la libre circulation des marchandises, l'article 30 prohibant toute restriction quantitative à l'importation, l'article 37 portant sur « l'aménagement des monopoles » et l'ensemble des dispositions du titre V fixant les règles de concurrence (articles 85 à 94).

Mais, bien que banalisée, l'électricité demeure produite par un secteur de l'économie présentant des caractéristiques particulières. Les monopoles -en particulier dans le domaine du transport- y tiennent un rôle important et les entreprises y exercent des missions qualifiées en France « de service public ».

Une atténuation de la toute puissance des règles de concurrence était donc nécessaire. D'où la rédaction de l'article 90, paragraphe 2, stipulant que : « les entreprises chargées de la gestion de services d'intérêt économique général ou présentant le caractère d'un monopole fiscal sont soumises aux règles du présent traité, notamment aux règles de concurrence, dans les limites où l'application de ces règles ne fait pas échec à l'accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie. Le développement des échanges ne doit pas être affecté dans une mesure contraire à l'intérêt de la Communauté. »

Longtemps, la Commission et la Cour de justice des communautés européennes ont feint d'ignorer l'existence de cet article. L'arrêt Almelo du 27 avril 1994 marque une inflexion nette de la jurisprudence de la Cour de Luxembourg puisque dans un litige portant sur la validité de droits exclusifs concédés à une entreprise néerlandaise de distribution d'électricité, elle a estimé que : « des restrictions à la concurrence de la part d'autres opérateurs économiques doivent être admises, dans la mesure où elles s'avèrent nécessaires pour permettre à l'entreprise investie d'une telle mission d'intérêt général, d'accomplir celle-ci. A cet égard, il faut tenir compte des conditions économiques dans lesquelles est placée l'entreprise, notamment des coûts qu'elle doit supporter et des réglementations, particulièrement en matière d'environnement, auxquelles elle est soumise ».

Il était ainsi enfin admis que l'exécution de missions d'intérêt général pouvait prévaloir sur l'application des règles de concurrence.

2. Vers une « banalisation économique » de l'électricité

a) Un secteur touché par le phénomène de mondialisation de l'économie

L'évolution de la demande d'électricité, marquée par la saturation des marchés occidentaux et par la forte croissance des besoins des pays en développement, a conduit progressivement les acteurs de la filière électrique à sortir de leur « pré carré » national ou régional.

L'évolution de la législation américaine applicable à l'électricité a joué un rôle non négligeable dans ce phénomène de mondialisation. Rappelons que le secteur de l'électricité américain a longtemps été l'un des plus administrés du monde. Soumis au Public utility holding company act (PUHCA), loi très contraignante de 1935 visant à restaurer une industrie dévastée par la grande dépression et à lutter contre la toute puissance des holdings, le secteur électrique américain est le premier à avoir pris le chemin de la libéralisation. Jalonnée principalement par les lois de 1978 (Public utility regulatory policy act ou PURPA) et de 1992 (Energy policy act ou EPAct), cette évolution a conduit progressivement à l'ouverture totale du marché de la production à la compétition et a amené au cours des deux dernières années, 18 Etats à entreprendre l'ouverture totale du marché au client final. Parallèlement, et prouvant ainsi que concurrence et mondialisation sont les deux faces d'une même problématique, la loi américaine a autorisé à partir de 1992, les opérateurs à exercer leurs activités hors des frontières des Etats-Unis. Un important mouvement d'investissements s'en est suivi vers les marchés des pays émergents (Chine, Inde, Brésil, Argentine) et ceux des pays industrialisés se libéralisant tels le marché australien ou le marché britannique. Sur ce dernier par exemple, les sociétés américaines ont pris le contrôle, dans le domaine de la distribution d'électricité, de huit des douze compagnies régionales privatisées d'Angleterre, l'ensemble de ces opérations représentant un investissement global de plus de 20 milliards de dollars.

Aujourd'hui, l'Europe est d'ailleurs la cible désignée de plusieurs grands groupes américains tels Southern Company, Enron ou Texas Utilities.

En Europe continentale, la même évolution a été observée. Anticipant une future ouverture à la concurrence, EDF a ainsi depuis 1990 engagé plus de 30 milliards de francs dans ses investissements à l'étranger. Si ce développement d'EDF sur les marchés internationaux a été contesté par certains car il ne faisait l'objet d'aucune contrepartie sur un marché français demeurant fermé, il marque toutefois la volonté des gouvernements successifs de permettre à cette entreprise publique de se préparer à l'ouverture à la concurrence.

CHRONOLOGIE DU DÉVELOPPEMENT D'EDF À L'INTERNATIONAL

Année

Nom du projet

Société porteuse

Pays

Type d'unité

Puissance installée
(en MW)

Clients
(en milliers)

Kilomètres
de lignes

1990

CIE

EDF International

Côte d'Ivoire

Prod./Transp./Dist.

1 019

600

4 000

1990

Ciprel

SAUR International

Côte d'Ivoire

Production

210

   

1992

Edenor

EDF International

Argentine

Distribution

 

2 200

 

1993

Phambili

EDF International

Afrique du Sud

Distribution

 

37

 

1994

Distrocuyo

EDF International

Argentine

Transport

   

1 245

1994

Hidroelectrica Diamante

EDF International

Argentine

Production

350

   

1994

Hidroelectrica Los Nihuiles

EDF International

Argentine

Production

250

   

1994

SOGEL

EDF International

Guinée

Product./distrib.

97

   

1995

DEMASZ

EDF International

Hongrie

Distribution

 

730

 

1995

EDASZ

EDF International

Hongrie

Distribution

 

882

 

1995

ISE

EDF International

Italie

Production

1 291

   

1996

ATEL

Motor Colombus

Suisse

Prod./Transp./Dist.

2 000

100

846

1996

Elcogas-Puertollano

EDF International

Espagne

Production

335

   

1996

Graninge

EDF International

Suède

Prod./Transp./Dist.

590

200

932

1996

Light

EDF International

Brésil

Prod./Transp./Dist.

907

2 975

2 220

1996

Pego

EDF International

Portugal

Production

600

   

1996

RAD Casablanca

EDF International

Maroc

Distribution

 

470

 

1997

Cracovie Leg - Eck-SA

EDF International

Pologne

Production

1 000

   

1997

ESTAG

EDF International

Autriche

Product./distrib.

1 141

500

 

1998

Edemsa

EDF International

Argentine

Distribution

 

290

 

1998

Metropolitana

Light

Brésil

Distrib./Transp.

 

4 300

2 180

*1998

Azito

EDF International

Côte d'Ivoire

Production

300

   

*1998

Laibin B

EDF International

Chine

Production

720

   

*1998

Shandong 1

EDF International

Chine

Production

1 200

   

*1998

Shandong 2

EDF International

Chine

Production

1 800

   

*1998

Tetouan

EDF International

Maroc

Production

50

   

*1998

Rio Bravo

 

Mexique

Production

495

   

*1998

London Electricity

EDF International

Royaume-Uni

Distribution

 

2 000

 
       

Total

14 355

15 284

11 423

* Investissements engagés.

Source : EDF

L'activité des compagnies d'électricité hors de leur marché d'origine se mesure, pour la production, par la puissance installée de leurs équipements situés à l'étranger et, pour la distribution, par le nombre de clients desservis hors des frontières. Les classements ainsi établis témoignent de la stratégie des entreprises américaines « à l'international ».

Classement des entreprises en fonction des MW nets* détenus hors de leur marché d'origine

 

Classement des entreprises en fonction des clients nets** desservis hors de leur marché d'origine

Entreprise

Pays d'origine

MW nets

 

Entreprise

Pays d'origine

Clients nets

1. Groupe Suez Lyonnaise

France

21 870

 

1. Texas Utilities

Etats-Unis

3 548 440

2. AES Corp.

Etats-Unis

14 968

 

2. AES Corp.

Etats-Unis

3 137 745

3. Southern Energy Inc

Etats-Unis

6 891

 

3. AEP

Etats-Unis

2 966 000

4. Texas Utilities

Etats-Unis

6 404

 

4. Endesa Groupe

Espagne

2 816 381

5. National Power

Royaume-Uni

6 400

 

5. EDF

France

2 290 034

6. Groupe Vivendi

France

6 050

 

6. Entergy Corp.

Etats-Unis

2 266 550

7. Edison Mission Energy

Etats-Unis

5 309

 

7. Southern Energy Inc.

Etats-Unis

2 119 380

8. IVO Group

Finlande

4 764

 

8. Groupe Suez Lyonnaise

France

1 700 000

9. CMS Energy

Etats-Unis

4 591

 

9. RWE Energie

Allemagne

1 565 585

10. Exxon Corp.

Etatst-Unis

4 401

 

10. EDP

Portugal

1 395 880

11. Enron

Etats-unis

4 165

 

11. Enron

Etats-Unis

1 384 592

12. EDF

France

3 199

 

12. Iberdrola

Espagne

1 233 011

* MW net : MW pondéré par la part de l'entreprise dans le capital de compagnies de production.

** Client net : nombre de clients pondéré par la part de l'entreprise dans le capital des compagnies de distribution.

Source : EDF

Dans le même temps, soutenu par un important effort d'inter-connexion des réseaux du Vieux continent, les échanges d'électricité progressent à un rythme soutenu.

Ainsi entre 1985 et 1997, alors que la production des pays européens membres de l'OCDE (Hongrie, Pologne et République tchèque incluses) progresse de 25 %, les exportations augmentent de 70 %.

ÉCHANGES PHYSIQUES D'ÉLECTRICITÉ DES PAYS EUROPÉENS MEMBRES
DE L'AGENCE INTERNATIONALE DE L'ÉNERGIE (1)

(en TWh)

Années

Production

Importations

Exportations

1985

2 115,7

117,1

108,6

1986

2 159,4

114,1

105,5

1987

2 238,2

127

117,9

1988

2 298,4

143,8

134,1

1989

2 355,8

162,1

151,9

1990

2 397,4

175,5

167,1

1991

2 450,7

163,2

154,3

1992

2 471,1

167,9

163,7

1993

2 488,3

175

168,5

1994

2 528,8

172,8

169,1

1995

2 582

185,9

181,4

1996

2 745

220,2

211,9

1997 (2)

2 930,5

221,5

215,3

(1) UE + Islande, Norvège, Suisse et Turquie et, à partir de 1996, + Hongrie, Pologne et République tchèque.

(2) estimation.

Source : AIE

L'internationalisation de l'activité des compagnies et des équipementiers, l'interconnexion des réseaux et le développement des échanges d'électricité sont autant de facteurs qui ont condamné les modèles anciens, confinant les entreprises d'électricité dans un périmètre d'exclusivité auprès d'une clientèle dite captive.

Désormais, après de nombreux autres secteurs industriels, l'électricité est entrée dans l'ère de la mondialisation.

b) Un élément essentiel des coûts de production

Deuxième facteur de « banalisation économique » : les attentes des clients industriels. Ceux-ci dans leur quête de rentabilité n'admettent plus de ne pas pouvoir faire jouer la concurrence sur la fourniture de courant électrique. Pour certaines activités fortement consommatrices - métallurgie, sidérurgie, industrie papetière - la notion de client captif tend à devenir intolérable. Pour eux, l'électricité étant un bien intermédiaire tenant une place importante dans leurs coûts de production, il importe de pouvoir choisir une fourniture au meilleur prix.

Aux Etats-Unis, la déréglementation s'est d'ailleurs effectuée en partie sous la pression des industriels qui, à défaut de pouvoir faire jouer la concurrence au sein d'un même Etat, comparaient les prix pratiqués par les distributeurs sur différents points du pays. C'est pour contrer ce risque de délocalisation intra-américaine que certains Etats, conscients du défaut de compétitivité de leurs compagnies électriques, ont accéléré le processus de libéralisation. Il semble qu'en Europe, maints industriels - peu satisfaits de l'offre électrique - aient également joué un rôle non négligeable en faveur de la déréglementation.

c) Une industrie moins soumise aux économies d'échelle

Le progrès technologique a fait progresser les techniques électrogènes.

Ces nouveaux équipements de production -centrales à cycle combiné au gaz, usines de cogénération- présentent de nombreux atouts : modicité relative des coûts de construction liée entre autre à la brièveté des chantiers, amélioration des rendements, proximité des sites de consommation et donc moindre sensibilité aux économies d'échelle.

L' « effet taille » étant ainsi dilué, l'électricité est devenue un secteur susceptible d'attirer de nouveaux entrants, le ticket d'entrée sur le marché n'étant plus à un prix prohibitif. Or, l'arrivée potentielle de nouveaux acteurs rendait inéluctable à terme l'ouverture à la concurrence dans le domaine de la production électrique.

II.- LA MARCHE VERS LA LIBÉRALISATION

La libéralisation du marché de l'électricité impliquait de fixer des règles du jeu. La plupart des Etats membres ont souhaité que celles-ci soient établies dans des directives spécifiques prenant en compte les particularités du secteur électrique afin de ne pas laisser la lettre du Traité et les interprétations jurisprudentielles qu'elles allaient susciter régir ce marché.

A.- UNE NÉGOCIATION LONGUE ET ARDUE

Le débat sur la mise en _uvre de l'ouverture du marché électrique européen a débuté un peu avant l'entrée en vigueur de l'Acte unique (1er juillet 1987). Ce débat a été d'une exceptionnelle longueur puisqu'il s'est achevé le 19 décembre 1996 lorsque le conseil des ministres adopta la directive 96/92/CE concernant des règles communes pour le marché intérieur de l'énergie. Son évolution a d'ailleurs été suivie de près par l'Assemblée nationale comme en attestent les résolutions votées le 20 juin 1994, le 21 juin 1995 et le 30 novembre 1995.

Remarquable par sa durée, cette négociation est par ailleurs exemplaire à plus d'un titre. Elle a d'abord permis de mesurer l'attachement de la Commission à la conception libérale de l'économie ; elle a ensuite été un des premiers cadres d'affirmation du rôle renforcé du Parlement européen ; elle a enfin encouragé les électriciens à se rapprocher, aboutissant ainsi à la création du GIE européen Eurelectric en 1991.

Pour rendre compte d'un débat où durant plus de neuf ans, propositions, contre-propositions, rebondissements, progrès et pauses se succédèrent, rien ne saurait remplacer l'approche chronologique. De plus, celle-ci a le mérite d'une relative simplicité car plusieurs phases distinctes se sont succédé entre 1987 et 1996 :

- une phase de consensus de 1987 à 1990 ;

- une phase marquée par la tentative de « passage en force » de la Commission en 1990-1991 ;

- à partir de 1992, s'ouvre une période caractérisée par un recul des thèses ultralibérales : entre 1992 et 1995, la notion de service public est ainsi progressivement réhabilitée ; simultanément, la France élabore et défend une contre-proposition dite de l' « acheteur unique » (1994-1995) ;

- enfin, l'année 1996 voit les ultimes négociations aboutissant à l'adoption de la directive.

1. Les années de consensus (1987-1990)

On a souvent coutume de considérer que c'est le 1er juillet 1987, lorsqu'a débuté l'application de l'Acte unique européen, qu'a commencé l'ouverture du marché de l'électricité. En réalité, le véritable coup d'envoi a eu lieu deux mois plus tôt lorsque M. Nick Mosar, commissaire à l'énergie, a annoncé à Paris son intention de recenser les obstacles à la réalisation d'un marché intégré de l'électricité et du gaz.

La réalisation de cet inventaire allait conduire à l'adoption d'un premier train de directives. Ainsi, outre la directive 91/296 du 31 mai 1991 relative au transit du gaz naturel, ont été adoptées :

- la directive 90/377 du 29 juin 1990 assurant la transparence des prix au consommateur final industriel de gaz et d'électricité ; celle-ci mettait en place un mécanisme d'information statistique sur les prix de l'électricité et du gaz ; elle a été transposée en droit français par la loi n° 93-913 du 19 juillet 1993 qui l'a complétée en exigeant des opérateurs la fourniture d'informations sur la structure et la formation des tarifs ;

- la directive 90/547 du 29 octobre 1990 relative au transit d'électricité ; elle constitue la première étape importante de l'ouverture du marché car elle instaure pour les échanges entre opérateurs un droit de transit sur les réseaux électriques moyennant péage et sanctionne les refus non justifiés d'accès au réseau.

Jusqu'à la fin de l'année 1990, le consensus règne, les problèmes divisant le plus fortement les Etats membres n'ayant pas encore été abordés.

La situation commença à se détériorer lorsque M. Cardoso, commissaire à l'énergie, nommé le 1er janvier 1989 fit examiner par des groupes d'experts, la question de l'accès des tiers au réseau (ATR), c'est-à-dire la possibilité d'ouvrir le réseau électrique moyennant péage à des producteurs en concurrence fournissant directement des clients finals. En effet, ces experts, à l'exception des Britanniques qui ont engagé en 1989 une réforme libérale de leur secteur de l'électricité, rejetèrent fermement l'ATR. Devant ce refus, la stratégie communautaire changea.

2. La tentative de passage en force de la Commission (1991-1992)

La phase de consensus est désormais révolue. La Commission passe alors à l'offensive. Elle lance d'abord, en mars 1991, sous la conduite de Sir Leon Brittan alors commissaire européen à la concurrence, une procédure contre neuf Etats membres dont la France, afin de mettre fin aux monopoles légaux d'importations de gaz et d'électricité. Mais surtout, elle ouvre un « second front » en déposant deux directives d'inspiration ultra-libérale, sur les marchés intérieurs du gaz et de l'électricité et en tentant, pour les faire adopter, de recourir à l'article 90, paragraphe 3 du Traité qui lui permet d'adresser unilatéralement des directives aux États membres afin de faire appliquer les règles de la concurrence aux entreprises publiques et à celles bénéficiant de droits exclusifs ou spéciaux. Cette menace n'était pas à prendre à la légère car la Commission avait peu de temps auparavant (en 1988) usé pour la première fois de cette faculté offerte par le Traité pour prendre une directive relative à la concurrence dans le secteur des terminaux de communication.

Cette tentative de « passage en force » eut pour effet de cristalliser l'opposition de plusieurs États membres et de nombreux parlementaires européens aux propositions de la Commission. Celle-ci fut contrainte de faire marche arrière et de s'appuyer sur les dispositions plus classiques, plus réalistes et surtout plus démocratiques de l'article 100 A du traité associant le Conseil des ministres et le Parlement européen dans la procédure décisionnelle.

Quant au fond du débat, l'hostilité déclenchée par son projet de directive, conduisit le commissaire Cardoso à présenter à deux reprises une version corrigée au Conseil (mai et novembre 1992). Le Conseil ayant rejeté lors de ces deux réunions le texte remanié, la négociation était à la fin de l'année 1992 dans une impasse totale.

3. La phase de recul des thèses ultralibérales (1992-1995)

La situation se débloqua toutefois dans le courant de l'année 1993 sous la triple influence des travaux du Parlement européen, de la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes et de la contre-proposition française fondée sur le système de l'« acheteur unique ».

Saisi du projet de directive sur l'électricité, le Parlement européen bouleversa le texte de la Commission moins d'ailleurs par l'assouplissement proposé de l'ATR (celui-ci n'aurait plus été « obligatoire » ou « réglementé » mais simplement « négocié ») que par la volonté affichée de réhabiliter la prise en compte des obligations de service public. Le rapport présenté par M. Claude Desama, parlementaire belge est explicite : « sauf à risquer un dérèglement du système énergétique, il faut maintenir les trois piliers de la sagesse économique : la possibilité de conclure des contrats à long terme, un volume de demande captive suffisant, la capacité d'assumer les missions de service public. ».

La nouvelle mouture du projet de directive présentée en février 1994 tint compte des observations du Parlement et reconnut que le secteur électrique peut, en raison des missions d'intérêt économique général qui lui incombent, échapper partiellement au droit commun de la concurrence. Deux mois plus tard, le 27 avril 1994, la Cour de justice des Communautés européennes donna avec l'arrêt Almelo, la traduction jurisprudentielle de ce principe.

Le débat se déplaça alors vers la définition des missions d'intérêt économique général et porta désormais en particulier sur la prise en compte des impératifs liés à la sécurité d'approvisionnement.

C'est dans ce contexte que la France proposa une alternative à l'ATR avec l' « acheteur unique ». Ce système, qui permettait de maîtriser l'ouverture du marché, confiait à l'opérateur du réseau un rôle de centrale d'achat de l'électricité, la concurrence entre producteurs s'exerçant alors non plus directement auprès des consommateurs mais auprès de l'acheteur unique. Celui-ci en effet faisait appel aux producteurs français et étrangers en fonction de la demande, achetait l'électricité par ordre de prix croissant et la revendait aux grands consommateurs industriels. Sa position stratégique dans le système ainsi constitué lui permettait, de plus, d'organiser la planification à long terme de nos investissements.

Présentée au Conseil des ministres de l'énergie de mai 1994, cette proposition modifiait les termes de la négociation (ce n'est plus « l'ATR ou rien » comme en 1992) et conduisit les ministres à demander à la Commission d'étudier la possibilité d'une éventuelle coexistence des deux systèmes (ATR et acheteur unique) au sein du même espace économique. Dans le camp français, l'espoir fut grand car des conclusions de cette étude pouvait découler l'application du principe de subsidiarité pour l'organisation des systèmes électriques.

Las, le 22 mars 1995, la Commission jugea certes les deux systèmes compatibles mais assortit la mise en oeuvre d'un marché intégré de l'électricité de telles conditions qu'elle vida totalement de son sens la proposition française d'acheteur unique. Etait-on revenu au point de départ ?

Pas complètement, car le rapport de la Commission retint la notion de planification à long terme et les conclusions du Conseil des ministres du 1er juin 1995 employaient pour la première fois l'expression « service public » en reconnaissant que l'incorporation des mécanismes de marché dans le secteur électrique devaient permettre « l'accomplissement d'obligations de service public imposées aux entreprises du secteur électrique dans l'intérêt économique général ».

4. Vers l'adoption de la directive (1996)

Si les quinze n'étaient toujours pas parvenus à se mettre d'accord sur un texte, de grands progrès avaient été accomplis : plus personne ne s'opposait au principe de l'ouverture du marché et les Etats les plus libre-échangistes avaient fini par accepter les notions liées de service public, de planification à long terme des investissements et de sécurité d'approvisionnement. Surtout, les Etats membres, poussés souvent par des électriciens lassés par une situation juridique incertaine perdurant depuis plus de huit ans, voulaient en finir. Par ailleurs, plusieurs pays dont la France étaient d'autant plus pressés qu'ils faisaient depuis juin 1994, l'objet d'un recours en manquement intenté par la Commission afin de faire reconnaître par la Cour de justice des Communautés européennes l'incompatibilité des monopoles d'importation et d'exportation d'électricité avec les règles du Traité.

L'ultime désaccord qui opposait les conceptions françaises aux exigences libérales de l'Allemagne (en particulier celles portant sur l'éligibilité des distributeurs) fut aplani par une négociation bilatérale.

Le 20 juin 1996, un Conseil des ministres de l'énergie extraordinaire réuni à Luxembourg adoptait une position commune fixant les grandes lignes de la future directive et reconnaissant en particulier aux Etats membres le droit de conférer des missions d'intérêt économique général aux entreprises du secteur de l'électricité. Cette position commune fut ensuite adoptée sans modification par le Parlement européen le 11 décembre 1996 et aboutit à l'adoption formelle de la directive par le Conseil des ministres le 19 décembre de la même année, mettant ainsi fin à une des négociations les plus longues de l'histoire de la construction européenne.

B.- LA DIRECTIVE 96/92/CE DU 19 DÉCEMBRE 1996 : UNE NOUVELLE ÉTAPE DANS LA RÉALISATION DU MARCHÉ INTÉRIEUR DE L'ÉLECTRICITÉ

La directive 96/92/CE du 19 décembre 1996 est, on l'aura compris, le fruit d'un délicat compromis entre les exigences souvent contradictoires du marché et du service public. Son neuvième considérant témoigne de la difficulté de l'exercice : « Considérant que, dans le marché intérieur, les entreprises du secteur de l'électricité doivent pouvoir agir, sans préjudice du respect des obligations de service public, dans la perspective d'un marché de l'électricité qui soit concurrentiel et compétitif ».

Le mérite principal de la directive est de laisser une marge de man_uvre et d'appréciation importante à chaque Etat, reconnaissant ainsi implicitement que l'organisation des systèmes électriques relève largement du principe de subsidiarité. En effet, des éléments aussi fondamentaux que le contenu du service public de l'électricité, la définition des consommateurs éligibles, les modalités de réalisation de nouvelles installations de production (donc les modalités d'entrée sur le marché des nouveaux producteurs), la gestion des réseaux de transport et de distribution et l'organisation de la régulation, sont laissés à l'appréciation des Etats.

Ce renvoi au principe de subsidiarité a été constamment demandé par la France et il constitue pour notre pays l'acquis le plus important de la négociation.

1. Une ouverture du marché limitée et compatible avec l'intérêt général

a) Une ouverture du marché limitée

Au regard des objectifs recherchés par Bruxelles, la rédaction de la directive est curieuse car elle semble reconnaître implicitement que pour la clientèle, la « captivité » est la règle et l'« éligibilité » l'exception. Il est vrai toutefois que l'ouverture programmée du marché rendra cette exception de moins en moins exceptionnelle.

En effet, aux termes de la directive, une partie importante du marché pourra continuer à faire l'objet de droits exclusifs, puisque tout consommateur non éligible demeure captif.

Les conditions d'éligibilité ont été définies afin que l'ouverture du marché soit à la fois significative et progressive. La directive prévoit :

- à son article 19, paragraphe 3, que tous les consommateurs finals consommant plus de 100 GWh par an (par site de consommation, autoproduction comprise) auront accès au marché concurrentiel ; signalons, à titre d'information qu'en 1997, 189 sites français représentant 22,6 % de la production nationale répondaient à ce critère ;

- à son article 19, paragraphes 1 et 2, que les règles de l'ouverture des marchés nationaux doivent mettre en place des seuils tels que la part représentée par les clients éligibles soit au moins égale à la part détenue dans la consommation communautaire par les clients consommant plus de 40 GWh par an. Ce seuil est abaissé à 20 GWh en 2000, puis à 9 GWh en 2003, ce qui correspond à une ouverture minimale du marché d'environ 26 %, puis 30 %, puis 33 %.

b) La prise en compte des obligations de service public

Mention inconcevable il y a encore quelques années, les mots « service public » sont pour la première fois expressément utilisés dans une directive européenne.

L'article 3, paragraphe 2, emploie en effet l'expression « obligations de service public dans l'intérêt économique général » regroupant ainsi en une seule formule la notion française de « service public » et la notion européenne d' « intérêt économique général ».

Le même article procède également à une énumération, jugée non exhaustive par les analystes du texte, des obligations de service public : sécurité (y compris sécurité d'approvisionnement), régularité, qualité et prix de la fourniture, protection de l'environnement.

Il ajoute enfin que « les Etats membres qui le souhaitent peuvent mettre en _uvre une planification à long terme » des moyens de production.

Cette conception large de l'intérêt général (plus large en tout état de cause que la simple notion de « service universel ») est complétée par les dispositions de l'article 23 permettant aux Etats de prendre des mesures de sauvegarde « en cas de crise soudaine sur le marché de l'énergie et de menace pour la sécurité physique ou la sûreté des personnes, des appareils ou des installations, ou encore l'intégrité du réseau ».

Enfin, par delà l'étendue de son acception, la notion d'intérêt général apparaît à la lecture de l'article 3, paragraphe 3, comme supérieure aux règles de la concurrence. Cet article, à la rédaction alambiquée et qui reflète à lui seul les difficultés liées à la quête du compromis, précise en effet que plusieurs règles liées à l'ouverture du marché de l'électricité (régime de l'autorisation et de l'appel d'offres pour les installations nouvelles, de l'organisation de l'accès au réseau et de l'alimentation par ligne directe) peuvent dans certains cas ne pas s'appliquer. C'est sur la définition de ces cas exceptionnels que la Commission a donné la pleine mesure de son sens de l'équilibre rédactionnel puisque la directive précise que les règles précédemment mentionnées ne s'appliquent pas « dans la mesure où (leur) application, en droit ou en fait, des obligations imposées aux entreprises d'électricité dans l'intérêt économique général et dans la mesure où le développement des échanges n'en serait pas affecté dans une mesure qui serait contraire à l'intérêt de la Communauté ».

2. Une ouverture du marché significative

a) Une ouverture largement soumise au principe de subsidiarité

L'article 3, paragraphe 1, définit l'obligation majeure des Etats membres : l'ouverture à la concurrence de leur marché de l'électricité. Mais il précise également que cette ouverture doit s'opérer « dans le respect du principe de subsidiarité ». D'où la grande liberté laissée aux Etats dans l'organisation d'un secteur électrique concurrentiel.

Ainsi, s'agissant des nouvelles installations de production, la directive laisse le choix entre le régime de l'autorisation, très voisin de la simple liberté d'entreprise, et un régime d'appel d'offres théoriquement plus propice à l'intervention de l'Etat.

Par ailleurs, si la directive se contente de définir une règle générale permettant de fixer les seuils de consommation des clients éligibles, elle se garde bien de déterminer elle-même lesdits seuils et renvoie aux Etats le soin de définir les consommateurs éligibles. Dans les derniers mois de la négociation, l'ultime point de désaccord portait d'ailleurs sur cette définition, la France souhaitant que seuls les consommateurs industriels puissent accéder au marché concurrentiel et l'Allemagne voulant étendre cette faculté aux distributeurs d'électricité. Là aussi, le texte de la directive est révélateur du compromis puisque selon son article 19, paragraphe 3, les distributeurs bénéficient d'une « éligibilité partielle » leur permettant d'avoir recours à la concurrence « pour le volume d'électricité consommé par leurs clients désignés comme éligibles dans leur réseau de distribution ».

Enfin, la directive donne le choix entre plusieurs modalités d'accès au réseau (on ne parle plus d'accès des tiers au réseau - ATR - car les clients ne peuvent être considérés comme tiers par rapport au système électrique) :

- l'accès négocié au réseau (article 17, paragraphe 1), c'est-à-dire un accès contractuel négocié entre clients éligibles et producteurs (et entreprises de fourniture d'électricité dans les pays où leur existence est autorisée) ;

- l'accès au réseau réglementé (article 17, paragraphe 4) donnant aux clients éligibles un droit d'accès sur la base de tarifs rendus publics ;

- la formule de l'acheteur unique défini à l'article 2 comme « toute personne morale qui, dans le réseau dans lequel elle est établie, est responsable de la gestion unifiée de système de transport et/ou de l'achat et de la vente centralisés de l'électricité ».

b) Sur quelques points, la marge de man_uvre des Etats membres est plus limitée

Ainsi, la directive oblige les Etats membres à désigner une autorité compétente indépendante chargée de « régler les litiges relatifs aux contrats et aux négociations » (article 20, paragraphe 3) mais elle leur laisse toute latitude quant à la forme que peut prendre cet organisme de régulation.

Pour répondre au même souci de loyauté de la concurrence, la directive exige une stricte neutralité du gestionnaire du réseau. Celui-ci doit, « au moins sur le plan de la gestion, être indépendant des autres activités non liées au réseau de transport » (article 7, paragraphe 6). Sont ainsi visées les entreprises intégrées verticalement qui devront, à cette fin avoir une comptabilité transparente dissociant leurs différentes activités (articles 13 à 15).

Par ailleurs, sont prévues :

- des mesures de sauvegarde en cas de déséquilibre dans l'ouverture des marchés (article 19, paragraphe 5) ;

- des dispositions spécifiques à l'alimentation par ligne directe (article 21) ;

- une prise en compte du coût des investissements échoués (investissements engagés sous un régime de monopole et devenus non pertinents du fait de l'ouverture du marché et du départ de certains clients originellement « captifs » vers la concurrence), même si cette expression pourtant universellement admise n'est pas employée dans la directive (celle-ci préférant recourir à la litote au premier paragraphe de l'article 24 : « les Etats membres où des engagements ou des garanties d'exploitation, accordés avant l'entrée en vigueur de la présente directive, risquent de ne pas pouvoir être honorés en raison des dispositions de la présente directive, pourront demander à bénéficier d'un régime transitoire. ») ; mais là encore, ce sont les Etats qui détermineront ce qui, parmi les engagements des entreprises, mérite l'appellation d'« investissement échoué » ;

- la remise d'un rapport par la Commission au Conseil et au Parlement sur les mesures d'harmonisation induites par l'ouverture du marché de l'électricité (article 25) ;

- une clause de réexamen de la directive neuf ans après son entrée en vigueur (article 26).

C.- ÉTAT DE LA TRANSPOSITION DANS LES ÉTATS MEMBRES

A ce jour, on compte :

- 3 pays ayant mis en place avant la directive une organisation de leur secteur électrique ne justifiant pas un texte spécial de transposition : Finlande, Royaume-Uni (Angleterre et Pays de Galles seulement) et Suède ;

- 6 pays ayant transposé la directive dans leur droit interne : Allemagne, Autriche, Danemark, Espagne, Pays-Bas et Portugal ;

- 6 pays chez qui la procédure de transposition est en cours : Belgique, France, Grèce, Italie, Irlande et Luxembourg ; parmi ceux-ci, la Belgique et l'Irlande disposent, pour transposer la directive, d'un délai supplémentaire d'un an et la Grèce d'un délai supplémentaire de deux ans.

Le tableau ci-après récapitule l'état d'avancement de la transposition chez les Quinze.

TRANSPOSITION DE LA DIRECTIVE « ÉLECTRICITÉ » : TABLEAU DE SYNTHÈSE

Pays

Base juridique

Degré d'ouverture du marché

Autorité de régulation

Accès au réseau

Allemagne

Loi adoptée par le Bundestag le 28 nov. 1997

100 % en 1999

Administration + Office des cartels (chargé du droit de la concurrence)

Accès négocié + possibilité d'Acheteur(s) unique(s) jusqu'en 2005

Autriche

Loi de juillet 1998

Respect des seuils de la directive

Administration

15 Acheteurs uniques

Belgique (1)

en préparation

33 % en 1999 ; + 25 % de la distribution en 2007

Comité de contrôle de l'électricité et du gaz (CCEG)

Accès réglementé pour la fourniture interne
Accès négocié pour l'import-export

Danemark

Partiellement transposée par amendement à la loi sur le secteur électrique début 1998

Clients de plus de 100 GWh + distributeurs
Soit 90 % du marché de gros en 1999

Administration

Accès négocié

Espagne

Loi du 13 nov. 1997

30 % en 1998
100 % en 2007

Commision Nacional del Sistema Eléctrico (CNSE)

Accès réglementé

Finlande

Loi de 1995

100 % au 1er sept. 1998

Autorité du Marché Electrique (Sähkömark-kinakeskus)

Accès réglementé

France

En préparation

Respect des seuils de la directive

Commission de l'électricité

Accès réglementé

Grèce (2)

En préparation

Respect des seuils de la directive

Autorité de régulation

Accès négocié

Italie

En préparation (décret-loi publié avant la fin de l'année)

30 % en 1999
35 % en 2000
40 % en 2002

Autorità per l'energia elettrica e il gas

Accès réglementé

Irlande (1)

En préparation

Respect des seuils de la directive

Electricity Regulatory Authority

Accès réglementé

Luxembourg (3)

En préparation

45 % en 1999

   

Pays-Bas

Loi du 30 juin 1998

33 % en 1999
100 % en 2007

Administration

Accès réglementé

Portugal

Décret-loi du 14 mars 1997

Respect des seuils de la directive



Entidade Reguladora do Sector Electrico (ERSE)

Accès réglementé (système libre)
+ Acheteur unique (système public)

Royaume-Uni
(Angleterre et Pays de Galles)

Electricity Act de 1989

100 % en 1999

Office of Electricity Regulation (OFFER)

Accès réglementé

Suède

Loi de 1995

100 % en 1998

Administration Nationale Suédoise de l'Energie

Accès réglementé

(1) pays disposant d'un délai supplémentaire de transposition d'un an au-delà du 19 février 1999

(2) pays disposant d'un délai supplémentaire de transposition de deux ans au-delà du 19 février 1999

(3) de nombreux points demeurent en discussion. Pays disposant de possibilités d'exemption permanente à la directive (Cf. directive, art. 24, § 3).

TRANSPOSITION DE LA DIRECTIVE « ÉLECTRICITÉ » : TABLEAU DE SYNTHÈSE

Pays

Gestion de la production

Autorisations/Appels d'offre

Gestionnaire(s) du réseau de transport

Obligations de service public

Allemagne

Règles d'appel du GRT

Régime d'autorisations

Intégrés verticalement

Non

Autriche

Règles d'appel du GRT

Régime d'autorisations

Intégrés verticalement

Non

Belgique (1)

Règles d'appel du GRT

Régime d'autorisations

Société séparée, propriété des producteurs et distributeurs

Oui

Danemark

Règles d'appel du GRT
Volonté de rejoindre Nordpool

Régime d'autorisations

Est (Elkraft) : intégré verticalement
Ouest (Eltra) : société séparée filiale di Elsam

Oui

Espagne

Pool non obligatoire

Régime d'autorisations

Société indépendante (REE)

Non

Finlande

Pool non obligatoire (Nordpool)

Régime d'autorisations

Société indépendante (Fingrid), participation majoritaire des producteurs

Non

France

Règles d'appel du GRT

Régime d'autorisations

Intégré verticalement

Oui

Grèce (2)

Règles d'appel du GRT

Régime d'autorisations
(continent) + appel d'offres (îles)

Société séparée publique

Oui

Italie

Pool obligatoire en 2001

Régime d'autorisations

Société séparée publique

Non

Irlande (1)

Règles d'appel du GRT

Régime d'autorisations

Société séparée publique

Oui

Luxembourg (3)

 

Régime d'autorisations + appel d'offres

 

Non

Pays-Bas

Pool non obligatoire en cours d'élaboration à Amsterdam (APEX)

Régime d'autorisations

Société séparée (Tennet), propriété des producteurs

Oui
(jusqu'en 2007)

Portugal

Règles d'appel du GRT

Appels d'offres pour la fourniture au Système Electrique Public (SEP)
Autorisations pour la fourniture au Système libre (SNV)

Société séparée (REN), filiale d'EDP

Oui pour le système public

Royaume-Uni
(Angleterre et Pays de Galles)

Pool obligatoire

Régime d'autorisations

Société indépendante (NGC)

Non

Suède

Pool non obligatoire

Régime d'autorisations

Agence d'état (Svenska Krafnät)

Non.

GRT : Gestionnaire du réseau public de transport d'électricité

(1) pays disposant d'un délai supplémentaire de transposition d'un an au-delà du 19 février 1999.

(2) pays disposant d'un délai supplémentaire de transposition de deux ans au-delà du 19 février 1999.

(3) de nombreux points demeurent en discussion. Pays disposant de possibilités d'exemption permanente à la directive (Cf. directive, art. 24, § 3).

Ces tableaux appellent toutefois quelques précisions pour nos quatre principaux voisins : l'Allemagne, l'Espagne, l'Italie et le Royaume-Uni. En effet, en raison de la taille de ces différents marchés, il n'est pas inutile de présenter les solutions retenues par chacun d'eux pour libéraliser leur secteur de l'électricité.

·  En Allemagne, le secteur de l'électricité est extrêmement fragmenté. En matière de production, par exemple, on compte plus de mille opérateurs de tailles très diverses. En effet, neuf sociétés supra-régionales, parmi lesquelles on retrouve les leaders allemands du secteur : RWE, Preussen Elektra, Bayernwerk, produisent 81 % de l'électricité allemande, les 19 % restant étant produits, soit par les 80 compagnies intervenant à l'échelle des Länder (9 %), soit par les quelque 900 entreprises municipales (10 %).

Les neuf sociétés supranationales se partagent également le transport du courant à haute tension.

Enfin, la distribution est répartie entre les neuf « grands » (34 % du marché), les 80 compagnies régionales (39 % du marché) et les municipalités par le biais des Stadtwerke (27 % du marché).

Cette organisation, très déconcentrée, fait toutefois une large part au secteur public, les entreprises publiques contrôlant 22 % du marché et les sociétés d'économie mixte plus de 60 %. Mais elle laisse peu de place à la concurrence puisque de nombreux accords dits de « démarcation » garantissaient aux opérateurs des situations de monopole sur leurs zones d'intervention, la loi fédérale de 1957 sur les restrictions de concurrence ne s'appliquant pas aux entreprises d'électricité.

La loi de transposition adoptée le 28 novembre 1997 par le Bundestag est en cours d'examen au Bundesrat. Elle met en place une procédure d'autorisation pour la production d'électricité et prévoit un accès négocié au réseau de transport. S'agissant du réseau de distribution, les compagnies et les municipalités pourront choisir jusqu'en 2005 entre ATR et acheteur unique. Tous les consommateurs - y compris les distributeurs et les ménages - sont éligibles. Enfin, des dispositions spéciales sont prévues afin de soutenir les sources d'énergie renouvelable et le lignite des Länder orientaux. Signalons enfin que l'Allemagne n'a pas créé d'autorité spécifique de régulation, cette mission étant confiée à l'administration chargée d'appliquer le droit commun de la concurrence, l'Office des cartels.

·  En Espagne, la situation se caractérise par la prédominance de deux entreprises, l'une publique (ENDESA), l'autre privée (Iberdrola). Ces deux sociétés produisent à elles seules 85 % de l'électricité du pays (52 % pour ENDESA, 33 % pour Iberdrola) et en distribuent 84 % (44 % pour ENDESA, 40 % pour Iberdrola). Depuis 1997, le Gouvernement espagnol a engagé le processus de privatisation d'ENDESA en vendant au public la moitié de sa participation dans la compagnie (66,9 %).

Le transport est assuré par REDESA, entreprise contrôlée par les producteurs mais dont la majorité du capital est publique (53 %).

La loi ouvrant le marché est entrée en vigueur le 1er janvier 1998. La production est organisée autour d'une procédure d'autorisation et d'un pool regroupant tous les producteurs, les autoproducteurs pouvant apporter au pool les surplus d'électricité demeurant après la fourniture de leurs filiales. L'accès au réseau est réglementé. Quant à son exploitant, son indépendance est renforcée par une exigence spécifique concernant la structure de son capital, aucun actionnaire ne pouvant en détenir plus de 10 %. L'ouverture du marché se fera par paliers. Depuis le 1er janvier dernier, les clients consommant plus de 15 GWh par an sont éligibles (ils représentent environ 30 % du marché total), ce seuil sera abaissé à 9 GWh en 2000, 5 GWh en 2002, 1 GWh en 2004 et le marché sera totalement ouvert en 2007.

·  En Italie, l'entreprise publique ENEL détient une situation de quasi-monopole puisqu'elle assure 78 % de la production, 100 % du transport et 93 % de la distribution. Un processus de privatisation de cette société est actuellement en cours.

La directive n'est pas encore transposée mais le Gouvernement vient d'adopter un texte ouvrant le marché selon le calendrier suivant : en 1999, les entreprises consommant annuellement plus de 30 GWh pourront faire jouer la concurrence pour leur fourniture en électricité. Ce seuil d'éligibilité sera ramené à 20 GWh en 2000 et 9 GWh en 2002. A partir de 2001, un pool sera mis en place. Quant aux entreprises consommant au moins 2 GWh par an, elles pourront entrer dans une centrale d'achats ; en 2002, cette faculté sera étendue à celles consommant plus de 1 GWh.

L'ENEL est sérieusement réaménagé : le texte gouvernemental prévoit qu'aucun opérateur ne peut détenir plus de 50 % des capacités installées de production, ce qui obligera l'ENEL à céder des actifs représentant 15 000 MW (le processus vient d'ailleurs d'être anticipé, l'ENEL ayant annoncé en septembre dernier la mise en vente de deux centrales thermiques d'une capacité totale de 2000 MW). Par ailleurs, si l'ENEL conserve la propriété du réseau de transport, il en perd la gestion, celle-ci étant confiée à un organisme gouvernemental.

·  Au Royaume-Uni, l'ouverture du marché est effective en Angleterre et au Pays de Galles, depuis l'Electricity act de 1989. Quelques aménagements seront toutefois nécessaires pour ouvrir plus largement les marchés de l'Ecosse et de l'Irlande du Nord.

Jusqu'en 1989, la production et le transport d'électricité étaient assurés par le Central electricity generating board (CEGB). La loi de 1989 a éclaté ce monopole, l'essentiel de la production étant désormais assuré par trois compagnies indépendantes : National Power (21 %), PowerGen (20 %), British Energy (17 %).

A côté de ces trois sociétés, on trouve un nombre croissant de producteurs indépendants utilisant principalement le gaz pour produire leur électricité.

Tous les producteurs vendent leur électricité par le biais du pool, marché spot coordonnant l'offre et la demande et fixant le prix de l'électricité demi-heure par demi-heure un jour à l'avance. En principe, toute vente d'électricité passe par le pool mais des procédures de vente directe sont possibles lorsque les producteurs sont aussi négociants.

La gestion du pool et le transport de l'électricité sont confiés à une société privée la National Grid (NGC).

La distribution est assurée par 12 Regional Electricity Companies (REC) mais une distinction est faite entre l'activité de distribution proprement dite (qui ne peut être que monopolistique sur une zone donnée) et l'activité de vente du kWh qui peut être assurée par les REC elles-mêmes, par les producteurs ayant accès au réseau de distribution via l'ATR et par des traders. La désintégration des activités peut même conduire à l'intervention de trois opérateurs auprès du consommateur final : le distributeur, le vendeur de courant et l'opérateur chargé du comptage. Le système est régulé par l'OFFER, commission de régulation délivrant les autorisations de production, fixant les tarifs de péage pour l'accès au réseau et contrôlant le bon fonctionnement du pool.

Actuellement, le seuil d'éligibilité est fixé à 100 kWh par an mais au 1er janvier 1999, l'ouverture du marché sera totale.

III.- LA FRANCE ET L'OUVERTURE DU MARCHÉ DE L'ÉLECTRICITÉ

A.- LE CADRE JURIDIQUE ACTUEL

En 1946, la nationalisation de l'électricité - inscrite dans le programme du Conseil national de la Résistance - allait être un des leviers de la reconstruction du pays. La volonté politique de contrôler ce secteur doublée de la nécessité de le concentrer pour améliorer son efficacité (on comptait au lendemain de la guerre 154 sociétés de production, 86 entreprises de transport et 1 150 compagnies de distribution) allaient donner naissance au texte fondateur de notre organisation actuelle du secteur de l'électricité : la loi n° 46-628 du 8 avril 1946.

En matière d'électricité (la loi nationalise également l'industrie du gaz), ce texte organise le secteur autour des droits exclusifs attribués à EDF dans le domaine de la production et du transport. En revanche, la loi du 8 avril 1946 est muette sur la question des obligations de service public, celle-ci étant abordée dans les cahiers des charges des concessions de transport et de distribution.

La production d'électricité sur le territoire français est un droit exclusif attribué à un établissement public à caractère industriel et commercial nommé « Electricité de France, Service national ». Toutefois, ce principe admet de multiples exceptions :

- les centrales thermiques de Charbonnages de France et les centrales hydroélectriques de la SNCF restent propriété de ces entreprises ou de leurs filiales mais leur exploitation est conventionnellement confiée à EDF ;

- les centrales de la Compagnie nationale du Rhône (CNR) sont également exploitées par EDF moyennant redevance calculée pour couvrir les charges d'emprunts de la CNR ;

- la construction et l'exploitation de centrales sont autorisées :

·   sans limitation de puissance pour les autoproducteurs (c'est-à-dire pour ceux produisant l'électricité nécessaire à leur propre consommation) ;

·   dans la limite d'une puissance maximale de 8 MW pour les producteurs indépendants (c'est-à-dire pour ceux revendant leur production ; dans ce cas, ceux-ci sont tenus de vendre leur électricité à EDF qui est obligé de l'acheter) ;

- depuis la loi n° 49-1090 du 2 août 1949, complétée par la loi n° 80-331 du 15 juillet 1980 sur les économies d'énergie et l'utilisation de la chaleur, les installations appartenant à des collectivités territoriales ou des établissements publics utilisant le pouvoir calorifique des déchets pour produire de l'électricité ou pour alimenter un réseau de chaleur, sont exclues de la nationalisation ;

- enfin, deux centrales ont été construites avec une participation étrangère :

·   la centrale de Chooz A, appartenant à la Société d'énergie nucléaire des Ardennes, co-entreprise franco-belge détenue à hauteur de 50 % par EDF ; cette centrale de 300 MW a été sortie du réseau en 1991 ;

·   Superphénix, propriété de NERSA, société européenne majoritairement détenue par EDF, dont la création fut autorisée par la loi n° 72-1152 du 23 décembre 1972.

En matière de transport, EDF est l'unique concessionnaire du réseau d'alimentation générale et est à ce titre soumis au cahier des charges de ce réseau.

Quant à la distribution, la loi du 8 avril 1946 avait prévu à l'origine de la confier à plusieurs établissements publics à caractère industriel et commercial dénommés « Electricité de France, Service de distribution », intervenant chacun sur une partie du territoire national. Ceux-ci n'ont jamais été créés et ont très rapidement laissé la place à une gestion nationale de la distribution beaucoup plus efficace.

Par ailleurs, la loi de 1946 a confirmé l'existence des régies et autres établissements -sociétés d'intérêt collectif agricole d'électricité (SICAE) ou sociétés d'économie mixte (SEM)- qui existaient au moment de sa promulgation.

Aujourd'hui, EDF dessert 33 935 communes métropolitaines (sur un total de 36 763), les communes restantes étant alimentées par des établissements non nationalisés.

Enfin, rappelons que conformément aux dispositions de l'ordonnance n° 86-1247 du 1er décembre 1986, les prix de vente de l'électricité sont fixés par décret en Conseil d'Etat après avis du Conseil de la concurrence.

B.- LE PROJET DE LOI SUR LA MODERNISATION ET LE DÉVELOPPEMENT DU SERVICE PUBLIC DE L'ÉLECTRICITÉ

1. Le contenu du projet de loi

Dès le début de l'année 1998, le Gouvernement a lancé, dans le cadre des travaux préparatoires à l'élaboration du projet de loi, une concertation publique d'une ampleur sans précédent et dont les principales étapes ont été :

- la diffusion à 50 000 exemplaires d'un Livre blanc sur l'électricité (document intitulé en réalité : « Vers la future organisation électrique française ») réalisé par la direction générale de l'énergie et des matières premières du secrétariat d'État à l'industrie (février 1998) ;

- la remise de l'avis du Conseil supérieur de l'électricité et du gaz le 5 mai 1998 ;

- la saisine du Conseil économique et social et de tous les conseils économiques et sociaux régionaux, l'avis du Conseil économique et social présenté par M. Raphaël Hadas-Lebel étant adopté le 13 mai 1998 ;

- enfin, la remise du rapport de M. Jean-Louis Dumont, député de la Meuse, nommé par le Premier ministre en février dernier parlementaire en mission auprès du secrétaire d'État à l'industrie (2 juillet 1998).

Le texte qui nous est aujourd'hui présenté est directement issu de cette consultation. Le présent rapport abordera ultérieurement en détail le contenu de chaque article. Il n'est toutefois pas inutile d'en présenter les principaux points dès l'introduction afin d'en comprendre l'économie générale et de mesurer les enjeux d'un tel projet de loi.

Le titre premier définit avec précision le contenu du service public de l'électricité, ses missions, ses modalités de financement et les opérateurs qui en ont la charge. Il est donc essentiel car il porte sur ce qui constituera la pierre angulaire de notre marché de l'électricité. Qu'est-ce que le service public de l'électricité ? C'est d'abord une garantie d'approvisionnement pour tous et partout. Mais c'est aussi un élément important de diverses politiques publiques : politique de l'énergie d'abord -ce qui implique la prise en compte des impératifs d'indépendance énergétique et de la sécurité d'approvisionnement- mais également politiques sociale, environnementale, d'aménagement du territoire, etc.

Les missions du service public sont précisées : développement équilibré des capacités de production, développement et exploitation des réseaux publics de transport et de distribution et fourniture d'électricité. S'agissant de cette dernière, le principe de péréquation géographique des tarifs est maintenu.

Quant au financement des missions de service public, il fait l'objet de tarifs pour les missions exercées dans le cadre de droits exclusifs ou spéciaux et est assuré par divers fonds de compensation pour les autres charges.

La production d'électricité (titre II du projet de loi) fait l'objet d'une programmation pluriannuelle des investissements garantissant aux pouvoirs publics une réelle maîtrise sur notre politique de l'énergie. Dans ce cadre, les opérateurs souhaitant produire de l'électricité devront obtenir une autorisation délivrée par le ministre chargé de l'énergie. Toutefois, lorsqu'une divergence est constatée entre les objectifs définis par la programmation pluriannuelle et les intentions des investisseurs, une procédure d'appel d'offres pourra être lancée. Afin de favoriser le développement de certaines techniques de production d'électricité, EDF demeure soumis, sous certaines conditions, à une obligation d'achat. Signalons également que le titre II du projet de loi ouvre aux producteurs la possibilité de conclure des contrats d'approvisionnement pour compléter leur offre.

Le titre III porte sur le transport et la distribution d'électricité. S'agissant du transport, il désigne EDF comme le gestionnaire unique du réseau public de transport d'électricité (GRT) et impose à l'établissement public diverses obligations garantissant un accès et une utilisation du réseau transparents et non discriminatoires.

Le projet de loi ne remet pas en cause l'organisation de la distribution d'électricité qui demeure de la compétence des collectivités territoriales et de leurs groupements (EDF et les distributeurs non nationalisés restant gestionnaires des réseaux de distribution). Il adapte donc simplement les règles existantes pour permettre aux collectivités concédantes de prendre en compte les exigences liées à l'application des principes d'universalité et d'égalité et les impératifs de protection de l'environnement et de maîtrise de la demande d'énergie.

C'est le titre IV qui définit les clients éligibles. Ceux-ci sont des clients finals (ce qui exclut les distributeurs) consommant, par site de production, une quantité de courant électrique supérieure à un seuil fixé par décret en Conseil d'État. D'après les informations fournies à votre rapporteur, ce seuil devrait, dans un premier temps, permettre une ouverture du marché portant sur environ le quart de notre consommation d'électricité (voir le compte rendu de l'audition devant la commission de la production et des échanges de M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie, sur ce point).

Dans le but de mettre en place des règles de concurrence loyale, le titre V impose aux entreprises d'électricité verticalement intégrées de dissocier dans leur comptabilité les activités de production, de transport et de distribution (unbundling comptable). Cette mesure vise en particulier à empêcher les subventions croisées. Elle s'accompagne de dispositions favorisant la transparence des comptes.

Le titre VI crée une commission de régulation de l'électricité compétente pour traiter de l'ensemble des questions liées à l'accès aux réseaux de transport et de distribution et à leur utilisation.

Afin de ne pas pénaliser l'opérateur historique dans un marché ouvert à la concurrence, le principe de spécialité d'EDF est aménagé dans le cadre du titre VII. Une distinction est faite entre les offres qu'EDF peut présenter aux clients éligibles et celles destinées aux consommateurs non éligibles.

Sans revenir sur le statut du personnel des industries électriques et gazières, le titre VIII contient diverses dispositions sociales dont la plus importante vise à développer la négociation collective au niveau de la branche et des entreprises.

Enfin, le titre IX porte sur des dispositions diverses ou transitoires. C'est en particulier en son sein que se trouve les règles relatives à la prise en compte des coûts « échoués ».

2. Les enjeux du projet de loi

a) La modernisation et le développement du service public

La France n'était pas demandeuse d'une modification de l'organisation de son secteur de l'électricité. Un large consensus s'est instauré sur le programme électronucléaire et EDF apparaît aux yeux de l'opinion comme une entreprise rentable remplissant parfaitement ses missions de service public et fournissant une électricité de qualité à un prix se situant parmi les plus bas d'Europe.

Modifier un système éprouvé n'est pas un exercice simple et la réforme présentée par le Gouvernement ne recueillera la pleine adhésion de nos concitoyens que si ceux-ci retrouvent dans le nouveau système les qualités de l'ancien.

Il est donc essentiel pour les clients finals que les avantages liés au service public soient maintenus et qu'ils continuent à bénéficier :

- d'un droit d'accès à l'électricité quelle que soit leur localisation conformément à l'obligation de desserte incombant à l'opérateur du service public ;

- de tarifs géographiquement péréqués ;

- d'une fourniture constante garantie par des approvisionnements sûrs ;

- de tarifs d'abonnement et de consommation abordables, et pour les plus démunis des usagers des mesures de solidarité nationale permettant une prise en charge partielle.

Pour l'État, il importe que l'ouverture du marché conforte ses prérogatives dans le domaine de la politique de l'énergie et de la protection de l'environnement.

C'est pour répondre à ces différentes exigences que le texte qui nous est aujourd'hui soumis s'attelle à une tâche que la loi de 1946 elle-même n'avait pas accomplie : définir le service public de l'électricité.

b) Les enjeux industriels

Dès l'ouverture du marché de l'électricité, la compétition sera sévère en raison de la part relativement faible représentée par le transport -  seul métier non ouvert à la concurrence - dans le coût du kWh, des surcapacités de production européenne et de l'arrivée de nouveaux opérateurs utilisant des technologies peu coûteuses (cycles combinés à gaz, cogénération industrielle).

La scène française de l'électricité se peuplera donc de nouveaux acteurs parmi lesquels on trouvera :

- des opérateurs spécialisés sur certaines niches de marché, telle la cogénération ;

- des grands groupes de production cherchant soit par une entrée directe sur le marché, soit par la mise en place d'un réseau d'alliances à atteindre la taille critique. Signalons à ce sujet que si EDF est bien la première entreprise européenne dans les métiers de l'électricité, elle compte parmi ses concurrents plusieurs entreprises qui, comme RWE, Preussen Elektra (groupe VEBA) ou Tractebel (groupe Suez-Lyonnaise des eaux) sont intégrées dans des ensembles économiques plus importants ;

- des producteurs spécialisés dans l'achat d'électricité en gros.

STRUCTURE ACTUELLE DES SYSTÈMES ÉLECTRIQUES EUROPÉENS

 

Production

Transport

Distribution-Vente

     

Nombre de compagnies

Part de la première

Régime juridique

Péréquation tarifaire

Allemagne

9 « majors » : 81 %
compagnies régionales : 9 %
compagnies municipales : 10 %

9 majors

9 majors
+ 70 compagnies régionales
+ plus de 900 compagnies municipales ou locales

~ 16 % (RWE)

Concession

Partielle

Autriche

Verbund (46 %, via 9 filiales de production)
+ les 9 compagnies régionales (31 %)

Verbund

9 compagnies régionales
+ 5 grosses compagnies municipales + plus de 200 petites compagnies municipales ou locales

~ 17 % (Wienstrom)

Concession

Non

Belgique

Electrabel (95 %)

CPTE

Formellement 44, en pratique Electrabel contrôle 90 % de la distribution

 

Concession

Oui

Danemark

8 producteurs possédés par les distributeurs

ELTRA (Ouest, filiale de ELSAM, coopérative des 6 producteurs continentaux)
ELKRAFT (Est, coopérative des 2 producteurs de la zone)

~ 90

 

Autorisation

Non

Espagne

ENDESA (52 %)
Iberdrola (33 %)

REDESA

Plus de 500

44 % (ENDESA),
40 % (Iberdrola)

Autorisation

Oui

Finlande

IVO (37 %)
PVO (23 %)
Cies municipales  (21 %)
Autoproduction (19 %)

Fingrid

~ 100

~ 7 % (IVO)

Autorisation

Non

France

EDF (95 %)

EDF

215

95 % (EDF)

Concession

Oui

Grèce

DEH (98 %)

DEH

1 (DEH)

   

Oui

Italie

ENEL (78 %)
Producteurs autonomes (18 %)
Compagnies municipales (4 %)

ENEL

150

93 % (ENEL)

Concession

Oui

Irlande

ESB

ESB

1 (ESB)

 

Autorisation

Oui

Luxembourg

Importe 98 % de ses besoins

Cegedel
Sotel (Arbed)

12

~ 33 % (Cegedel)

Concession

Oui

Pays-Bas

4 producteurs basés régionalement (65 % du total)

SEP

36

 

Autorisation

Partielle

Portugal

CPPE (filiale à 100 % d'EDP)

REN (filiale à 100 % d'EDP)

4 compagnies régionales (filiales à 100 % d'EDP)

 

Concession

Oui

Royaume-Uni (Angleterre et Pays de Galles)

National Power (21 %)
PowerGen (20 %)
British Energy (17 %)

NGC

12

 

Autorisation

Non

Suède

Vattenfall (50 %)
Sydkraft (21 %)

Svenska Krafnet

240

~ 24 % (Vattenfall)

Autorisation

Non

CLASSEMENT PAR CHIFFRE D'AFFAIRES DES ENTREPRISES DU SECTEUR
DE L'ÉLECTRICITÉ EUROPÉNNES ET AMÉRICAINES

(en milliards de francs)

 

GROUPES

pays d'origine

chiffre d'affaires consolidé

chiffre d'affaires « électricité »

1

VEBA

Allemagne

279,4

55,0 (1)

2

RWE

Allemagne

243,0

55,4 (2)

3

Suez-Lyonnaise des Eaux

France

191,4

62,6 (3)

4

EDF

France

189,9

181,8

5

VIAG

Allemagne

166,8

34,8 (4)

6

ENEL

Italie

130,6

130,6

7

ENRON

Etats-Unis

118,4 (5)

29,8

8

Southern Electric

Etats-Unis

73,6

49,8

9

Entergy

Etats-Unis

55,8

38,2

10

ENDESA

Espagne

49,6

49,6

11

Texas Utilities

Etats-Unis

46,4

33,8

12

Iberdrola

Espagne

32,3

32,3

13

National Power

Royaume-Uni

32,1

32,1

14

EnBW

Allemagne

28,0

28,0

15

PowerGen

Royaume-Uni

27,3

27,3

16

Vattenfall

Suède

21,7

21,7

(1 Chiffre d'affaires de Preussen Elektra.

(2) Chiffre d'affaires de RWE Energie.

(3) Chiffre d'affaires de Tractebel.

(4) Chiffre d'affaires de Bayernwerk.

(5) dont 66,5 milliards de francs de chiffre d'affaires réalisés en Europe.

Source : EDF.

Cette recomposition du secteur de l'électricité aura des conséquences sur la structure de la consommation en énergie.

En effet, sur la partie libre du marché, les surcapacités de production européenne risquent de déclencher une guerre des prix. Dans ce contexte, la France devra faire la preuve de la compétitivité de son kWh d'origine nucléaire qui sera à n'en pas douter, soumis à la rude concurrence du gaz, cette source d'énergie étant soutenue, au moins dans un premier temps, par le prix relativement bas du combustible, par la baisse du prix des équipements et par les progrès accomplis pour améliorer le rendement des turbines.

La perspective d'une montée en puissance rapide du gaz naturel dans le processus de production d'électricité est réaliste comme le montre l'évolution du marché américain où l'on estime que 50 % des nouvelles centrales construites d'ici 2007 fonctionneront au gaz.

Mais ce scénario doit toutefois, n'en déplaise à certains, être regardé avec circonspection car il ne tient compte ni de l'évolution des cours du combustible (la « bulle gazière » qui pèse à la baisse sur les prix ne sera pas éternelle), ni de la volatilité des prix (les trois quarts du coût de l'électricité ainsi produite proviennent du coût du gaz), ni de la dépendance énergétique qu'induit le recours au gaz (les ressources de la mer du Nord sont loin de couvrir les besoins de l'Europe et les autres pays exportateurs ne sont pas sans présenter des risques politiques lourds), ni d'une éventuelle évolution fiscale pénalisant les énergies émettant des gaz à effet de serre.

STRUCTURE DE LA PRODUCTION D'ÉLECTRICITÉ DES QUINZE ETATS MEMBRES DE L'UNION EUROPÉENNE EN 1996 (1)

Pays

Production totale en 1997
(en TWh)

Hydraulique

Nucléaire

Charbon

Fioul

Gaz

Autres

Allemagne

504,5

3,9 %

30,1 %

54,5 %

1,5 %

7,9 %

2,1 %

Autriche

53,2

66,5 %

-

9,2 %

3,2 %

16,5 %

4,5 %

Belgique

72,3

1,7 %

56,8 %

21,2 %

1,4 %

14,5 %

4,4 %

Danemark

50,2

-

-

71,5 %

3,4 %

12,2 %

12,9 %

Espagne

161,9

25,4 %

33,4 %

31,0 %

4,8 %

-

5 %

Finlande

66,2

17,7 %

28,7 %

31,7 %

2,3 %

9,8 %

9,8 %

France

489,8

14,3%

77,2 %

5,3 %

1,2 %

0,8 %

1,2 %

Grèce

39,2

11,5 %

-

68,1 %

20,4 %

-

-

Irlande

16,7

6,6 %

-

49,6 %

14,9 %

28,7 %

-

Italie

232,4

20,0 %

-

8,8 %

47,5 %

20,4 %

3,4 %

Luxembourg

1,2

69,6 %

-

-

0,8 %

13,6 %

16,0 %

Pays-Bas

82,2

0,1 %

4,7 %

28,7 %

0,1 %

60,8 %

5,5 %

Portugal

29,9

46,5 %

-

39,1 %

9,4 %

-

5 %

Royaume-Uni

329,7

1,5 %

26,0 %

42,3 %

3,2 %

24,8 %

2,2 %

Suède

136,4

37,4 %

52,3 %

-

-

-

2,9 %

(1) Les pourcentages en gras indiquent la source d'énergie la plus utilisée dans chaque pays pour la production d'électricité.

Source : UNIPEDE

C'est dans ce cadre que le projet de construction du réacteur EPR prend tout son sens car, pour reprendre une expression fréquemment employée à la direction d'EDF, le coût du kWh produit par ce nouvel équipement sera équivalent à celui du « meilleur gaz ».

L'ouverture du marché produira également des effets importants sur l'offre des compagnies. La déréglementation des marchés américain et britannique a montré que les compagnies tendaient à se « despécialiser » pour proposer à leurs clients :

une offre multi-énergies. Tel est le sens de la fusion opérée aux Etats-Unis entre l'entreprise gazière Enron et l'entreprise électrique Portland General ; ainsi s'explique également le désir de M. François Roussely, président d'EDF, de voir s'effectuer un rapprochement de son entreprise avec GDF ; enfin, de manière plus générale, on constate que les entreprises gazières développent une stratégie d'intégration vers les activités situées en aval des leurs, c'est-à-dire la production voire la distribution d'électricité ;

une offre multi-services. Les exemples de commercialisation d'offres globales abondent. Aux Etats-Unis, la plupart des compagnies présentent désormais une palette de services. Certains sont directement liés à la distribution d'électricité, mais d'autres relèvent d'une stratégie de diversification des activités. Ainsi, depuis 1996, de nombreuses compagnies ont opéré des rapprochements avec des entreprises de télécommunications (Boston Edison par exemple fournit des services de téléphonie, d'accès à Internet et est opérateur de réseaux câblés de télévision). Certaines offres globales sont plus étonnantes encore comme celle proposée par Houston Light and Power qui s'est allié avec Sears, géant de la grande distribution américaine, pour proposer à ses clients résidentiels des contrats d'entretien des appareils électroménagers.

En Europe, c'est vers le Royaume-Uni et la Scandinavie où la déréglementation est plus ancienne qu'il faut se tourner pour trouver des exemples concrets d'offre globale. En 1997, Scottish Power a ainsi signé un contrat avec l'entreprise coréenne Hyundaï pour fournir un site industriel en électricité, en gaz, en équipements de télécommunications et y installer un réseau câblé. En Suède, des compagnies proposent des offres groupant fourniture d'électricité et assurance habitation.

A l'exception d'EDF, les leaders européens du secteur de l'électricité interviennent tous dans des métiers tels que les services, l'installation de réseaux de chaleur, l'assainissement et la distribution d'eau, le traitement et la valorisation des déchets ou les télécommunications (voir tableau ci-après).

Tel est l'enjeu de l'aménagement du principe de spécialité d'EDF. Si le rôle de l'Etat est, dans le cadre d'un marché concurrentiel de l'électricité, de veiller au respect de la loyauté de la concurrence et à l'équité des règles, cela ne signifie pas qu'il lui faille imposer à l'opérateur historique chargé des missions de service public, des handicaps rédhibitoires dans la compétition qui s'ouvrira demain.

LES ACTIVITÉS DES ÉLECTRICIENS EUROPÉENS

GROUPES

Electricité

« Trading »

Services (« Facilities Management »)

Gaz

Réseaux de chaleur

Déchets (1)

Télécoms

Eau

EBW

     

2

       

EDF

               

ENDESA

               

ENEL

               

Iberdrola

               

RWE/RWE Energie

               

Scottish Power

               

Suez-Lyonnaise des Eaux (Tractebel)

               

Vattenfall

               

VEBA (Preussen Elektra)

               

VIAG (Bayernwerk)

               

(1) Pour EDF, traitement des déchets seulement.

 

Activités pratiquées par le groupe.

   
 

Activités naissantes.

   
 

Activités non pratiquées par le groupe.

c) La baisse des prix

Pour les tenants du libéralisme, l'ouverture du marché à la concurrence induit automatiquement une baisse des prix. De ce point de vue, le libéralisme est une doctrine tournée vers le consommateur. Il est simplement dommage qu'elle néglige autant le citoyen.

Dans les faits, les choses ne sont pas si simples, la baisse des prix n'apparaissant pas comme le corollaire obligé de la libéralisation. Ainsi, dans les pays qui ont déjà ouvert leur marché à la concurrence, les évolutions de prix ont été très contradictoires, des hausses comme des baisses étant enregistrées. A l'inverse, les prix sur le marché français, marché régulé par excellence, sont en baisse constante depuis plus de dix ans.

Il n'y a pas de lien de cause à effet systématique entre l'organisation du système électrique et l'évolution des prix. Aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, les prix ont certes tendance à baisser mais pour les observateurs, les raisons principales de ces baisses sont à chercher ailleurs que dans les effets de la libéralisation du marché : elles sont dues à la chute des cours des combustibles fossiles (charbon, produits pétroliers), à l'évolution des différentes fiscalités de l'énergie ou aux interventions de la puissance publique qui, soucieuse de démontrer la validité de l'équation « ouverture du marché = baisse des prix », impose autoritairement des réductions de prix (la législation californienne par exemple a imposé dès l'ouverture à la concurrence une baisse des prix immédiate de 10 %, les prix administrés volant ainsi au secours de la loi du marché !).

Dans certains Etats, l'ouverture du marché s'est certes accompagnée d'une baisse des prix mais celle-ci s'inscrivait dans un contexte particulier : les prix enregistrés étaient anormalement élevés et la concurrence eut alors pour simple vertu de remettre lesdits prix à leur véritable niveau. Au Royaume-Uni par exemple, les prix de l'électricité s'étaient dans les cinq années précédant la privatisation du secteur, progressivement écartés de la courbe extrapolant leur évolution (on estime cet écart à 25 % pour les prix destinés aux ménages et à 18,9 % pour les prix destinés à l'industrie).

Sur le marché britannique, la baisse des prix ne fut d'ailleurs pas immédiate puisqu'il fallut attendre 1994 (soit quatre ans après la loi réformant le secteur de l'électricité) pour enregistrer les premières baisses significatives. Mais là encore, il est difficile de déterminer le rôle exact joué par l'ouverture du marché dans cette évolution. Une étude d'un cabinet de consultants relevait par exemple qu'entre 1989 et 1993 les prix du charbon avaient baissé régulièrement. « Le charbon représentant de l'ordre de 40 % du prix de l'énergie, la répercussion mécanique de la baisse aurait dû conduire à une baisse de 10 % ». Or, celle-ci ne fut que de 6,5 % environ. Aujourd'hui, le prix de l'électricité continue de s'éroder outre-manche mais des experts tels ceux du National Utility Service (NUS), société internationale de conseil en tarification donnent comme première cause de cette baisse de prix (- 7,4 % en 1997) la réduction de la fiscalité sur le charbon.

Il n'y a donc pas d'adéquation systématique entre concurrence et baisse des prix. Mais la concurrence confère incontestablement une « réalité économique » aux prix, ceux-ci étant désormais fixés par le marché. Or, l'ouverture du marché européen va probablement être le révélateur des surcapacités de production du Vieux continent (contrairement à ce qu'avancent certains, la situation de surcapacité n'est pas le propre de la France mais est générale à l'ensemble des Quinze). De ce fait, on peut penser qu'il y aura en Europe, dans les premières années suivant l'entrée du secteur électrique dans le concurrence, une guerre des prix qui peut se traduire par des offres descendant largement sous les 20 centimes le kilowattheure et qui risque d'avoir des effets devastateurs pour les centrales les moins compétitives de l'Union européenne.

La création prochaine de bourses de l'électricité à Amsterdam et à Francfort devrait également contribuer à tirer les prix européens vers le bas. Signe avant-coureur de cette évolution, la « cotation suisse » permet d'ores et déjà à diverses compagnies d'électricité d'élaborer un premier cours de l'électricité vendue sur un marché de gros en portant à la connaissance d'un organisme neutre tenu par Dow Jones, les termes de leurs échanges.

EDF n'a d'ailleurs pas attendu l'ouverture à la concurrence pour baisser ses prix. Cette évolution a été amorcée il y a plus de dix ans grâce à d'importants gains de productivité (dus en particulier à l'amélioration de la disponibilité des centrales et à la baisse des charges financières induites par l'effort de désendettement de l'entreprise). De fait, sur la période 1989-1996, les prix hors taxes en francs courants des tarifs de l'électricité ont augmenté moins vite que l'inflation, ce qui s'est traduit par une baisse de 8,1 % en francs constants. Depuis 1995, les prix baissent également en francs courants.

Après le contrat d'entreprise 1993-1996 qui prévoyait une baisse de 1,25 % par an en francs constants (la baisse effective annuelle fut de 2,1 %), le contrat d'entreprise 1997-2000 table sur une baisse de 14 % sur quatre ans (6 % en 1997, 3,5 % en 1998, 2,25 % en 1999 et 2,25 % en 2000). Ces objectifs ont d'ores et déjà été atteints en 1997 et dépassés en 1998.

PRIX DE VENTE DE L'ÉLECTRICITÉ HORS TVA (USAGES INDUSTRIELS)
AU 1ER JUILLET 1998

(en centimes par kWh)

 

All.

Aut.

Belg.

Dan.

Esp. (1)

Finl.

Fr.

Gr.

Irl.

It.

Lux.

P.B.

Port.

R.U. (2)

Sue.

100 kW x 1600 h

75,1

80,9

77,9

40,9

51,5

n.c.

55,6

49,8

71,7

78,8

69,5

73,6

62,5

74,8

n.c.

1000 kW x 2500 h

62,7

65,7

57

39,1

44,4

n.c.

44,8

39,6

51,9

72,5

56,6

48,6

53,3

56,2

n.c.

4000 kW x 4000 h

50,7

52,2

45,4

36,8

40,2

n.c.

38,2

35,7

40

54,8

36,3

38

47,1

50,3

n.c.

10 000 kW x 5000 h

43,4

44,1

33,6

35,3

36,2

n.c.

30,4

28,8

35,2

43,7

31,8

34,3

34,4

47,7

n.c.

(1) Les contrats de 10 000 kW interruptibles ont des prix inférieurs.

(2) Tarifs publiés ; les contrats peuvent avoir des prix inférieurs.

Source : UNIPEDE/UE

TRAVAUX DE LA COMMISSION

I.- AUDITIONS

A.- Audition de M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie

La commission a entendu M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie, au cours de sa réunion du 9 décembre 1998.

M. Christian Pierret a présenté les grandes lignes du projet de loi, adopté le matin même en Conseil des ministres.

Il a indiqué que ce projet visait à doter notre pays d'une loi de modernisation et de développement du service public de l'électricité. Il contribue également à rendre plus compétitif le système électrique français, par l'introduction maîtrisée de certains éléments de concurrence. Il permet en outre de transposer en droit interne la directive communautaire 96/92/CE du Parlement européen et du Conseil du 19 décembre 1996 concernant les règles communes pour le marché intérieur de l'électricité.

Il a affirmé que le projet de loi préservait intégralement le statut public d'EDF. En même temps, il complète la loi n° 46-628 du 8 avril 1946 sur la nationalisation de l'électricité et du gaz.

Il a rappelé que le Gouvernement avait élaboré le projet de loi dans le cadre d'une démarche ouverte et transparente, fondée sur une très large concertation. Celle-ci a été conduite sur la base d'un livre blanc largement diffusé, intitulé « vers la future organisation électrique française ». De nombreuses instances consultatives (Conseil économique et social, Conseil supérieur de l'électricité et du gaz) ont été associées à ces travaux préparatoires, et M. Jean-Louis Dumont, député de la Meuse, a été chargé sur ce sujet d'une mission de médiation et de réflexion. Cette concertation a entraîné des modifications significatives par rapport à l'avant-projet initial.

Le secrétaire d'État a ensuite défini les grands objectifs poursuivis par le projet de loi.

C'est ainsi qu'il a précisé qu'il s'agissait tout d'abord, dans le cadre d'un service public de l'électricité modernisé et conforté, de concilier dynamisme, équité et solidarité. Pour la première fois, un projet de loi définit le contenu du service public de l'électricité, précise les différentes missions de ce service, les catégories de clients auxquelles il s'adresse ainsi que les opérateurs qui en ont la charge : le service public doit notamment concourir à la cohésion sociale, au développement équilibré du territoire dans le respect de l'environnement, à la recherche et au progrès technologique. Pour la première fois également, le respect de la péréquation géographique des tarifs sera inscrit dans la loi. En outre, la création d'un mécanisme de financement en faveur des plus démunis constitue un premier pas vers un « droit à l'énergie » pour tous. Enfin, le service public devra concourir au développement équilibré des capacités de production, en privilégiant les objectifs d'une politique énergétique garante de notre indépendance nationale, l'énergie ne pouvant être assimilée à un bien comme les autres.

Le deuxième objectif du projet de loi est l'ouverture maîtrisée du marché de l'électricité à la concurrence, afin de participer au combat pour l'emploi. L'ouverture à la concurrence sera progressive. Elle sera réservée tout d'abord, en 1999, à environ 440 « clients éligibles », qui représentent à eux seuls plus de 26 % de la consommation nationale. Ces gros consommateurs, qui sont de très grandes entreprises, pourront librement choisir leur fournisseur, et faire transiter sur les réseaux électriques l'énergie achetée, ce transit étant bien évidemment rémunéré. Le nombre de clients éligibles sera ensuite progressivement étendu ; ils devraient être environ 800 en février 2000, représentant 30 % de la consommation nationale. En 2003, cette ouverture à la concurrence devrait concerner 3000 clients, soit près du tiers de la consommation française. Ces consommateurs finals seront notamment les principaux établissements industriels, pour lesquels le prix de l'électricité peut constituer un élément notable de compétitivité, déterminant leurs décisions d'investissements et les créations d'emplois qu'ils induisent.

Le troisième axe du projet de loi réaffirme l'importance d'une politique publique forte dans le domaine de l'énergie, compte tenu des enjeux particulièrement importants qui s'y attachent : sécurité d'approvi-sionnement du pays, protection de l'environnement et notamment maîtrise des émissions de gaz à effet de serre, compétitivité de la fourniture. Une programmation pluriannuelle des investissements de production, définie par le Gouvernement, fera l'objet d'un rapport au Parlement tous les cinq ans. Elle permettra de mener un débat sur les moyens d'une politique énergétique équilibrée, fondée sur l'énergie nucléaire, tout en donnant la place qu'elles méritent aux sources énergétiques complémentaires, fossiles ou renouvelables.

Le quatrième axe du projet de loi vise à créer les conditions d'une concurrence équitable, par la mise en place d'une régulation transparente et efficace. Celle-ci devra assurer le bon fonctionnement du secteur de l'électricité, notamment par la coexistence harmonieuse du service public et de la concurrence, au bénéfice de tous les consommateurs.

Le projet de loi confie à une commission de régulation indépendante la responsabilité importante pour l'exercice d'une concurrence loyale, du contrôle de l'accès des utilisateurs aux réseaux électriques. Cette commission, qui sera dotée de services et de moyens budgétaires, disposera de pouvoirs de sanctions.

M. Christian Pierret a ensuite indiqué que le projet de loi garantissait les acquis sociaux et créait les conditions du maintien du statut du personnel des industries électriques et gazières et de son extension.

Il a ainsi précisé que le principe, fixé par la loi de 1946, prévoyant que, sauf quelques exceptions, le statut du personnel des industries électriques et gazières s'applique à l'ensemble des agents de ce secteur économique, sera maintenu ; l'ouverture de la concurrence ne devra donc pas entraîner de diminution des garanties pour ce personnel. Cet élément permettra à la concurrence dans la production de se réaliser dans un contexte d'égalité des règles pour tous les opérateurs. Le projet de loi prévoit des mécanismes de négociation collective de branche pour créer les conditions de l'extension de ce statut à l'ensemble des entreprises concernées. Le Gouvernement souhaite que ce mécanisme favorise, au niveau européen, l'harmonisation des conditions d'emploi et de travail dans le secteur de l'électricité.

Le secrétaire d'État a ensuite confirmé le maintien intégral de la compétence des collectivités locales dans l'organisation de la distribution d'électricité. Leur qualité d'autorité concédante de la distribution est confirmée par le projet de loi, ainsi que leur fonction de contrôle des missions de service public concédé. En même temps, la possibilité pour elles d'intervenir en matière de maîtrise de la demande d'électricité et de production locale et décentralisée, notamment à partir d'énergies renouvelables, sera clarifiée.

Abordant le devenir industriel d'EDF, dont le marché intérieur s'étendra désormais à l'ensemble de l'Union européenne, le secrétaire d'État a indiqué que l'entreprise publique demeurera une entité intégrée de production, de transport, de distribution et de fourniture d'électricité. Elle demeurera le gestionnaire du réseau de transport français mais, afin d'assurer un transport loyal de l'énergie produite par ses concurrents, l'activité de transport sera séparée des autres activités d'EDF, tant dans le domaine technique, qu'au regard de la comptabilité. EDF continuera ainsi d'être le premier « électricien » européen, présent dans le monde entier.

Le principe de spécialité de l'entreprise sera adapté, afin de lui permettre d'affronter la concurrence à armes égales. Il s'agit de lui permettre d'ouvrir la palette de son offre auprès des clients éligibles. Cela l'autorisera à répondre, comme ses concurrents, à la demande industrielle d'offre globale, incluant des prestations constituant le complément technique ou commercial de la fourniture d'électricité, telle par exemple la fourniture de vapeur ou de chaleur. En même temps, tout en offrant à EDF des moyens identiques à ceux des autres fournisseurs d'électricité, il convient d'éviter l'écueil inverse qui conduirait l'entreprise à devenir une structure protéiforme. Il est ainsi exclu qu'EDF soit autorisé à devenir un opérateur de télécommunications, et qu'à ce titre, il entre en concurrence avec France Télécom, autre entreprise sous la tutelle du ministère.

En conclusion, le secrétaire d'État a précisé que le délai relativement long qui a été nécessaire pour élaborer ce projet de loi, avait été mis à profit pour atteindre un niveau satisfaisant d'équilibre, éloigné tant de l'ultralibéralisme prôné par certains que de l'étatisme, qui, l'un comme l'autre, conduiraient à une impasse.

Il a considéré que, dans un secteur électrique modernisé et dynamisé, EDF avait toute sa place en raison de la qualité de ses prestations et de son niveau technologique.

Il a enfin insisté sur la préservation, dans le projet de loi, du socle du service public.

M. Christian Bataille, rapporteur, a ensuite posé à M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie, les questions suivantes :

- comment peut-on juger ce projet de loi à l'aune de la directive européenne ? La transpose-t-il a minima ou anticipe-t-il sur certains points, une libéralisation plus large du marché de l'électricité. Si oui, lesquels ?

- Quelle appréciation peut être faite de la notion d'indépendance qui est reprise dans plusieurs points du texte ? S'agissant plus précisément du gestionnaire du réseau de transport, que recouvre exactement la notion d'indépendance sur le plan de la gestion ?

- Quelles sont les activités qu'EDF - soit directement, soit par le biais de filiales - pourra mener auprès des clients éligibles ou non éligibles, en vertu de l'aménagement du principe de spécialité ?

- L'article 12 du projet de loi semble mettre sur pied un marché de gros de l'électricité. Qu'en est-il exactement ?

- Comment s'articule le texte avec la loi de 1946 ?

- Etant donné que la France n'aura pas transposé la directive le 19 février 1999, que se passera-t-il concrètement à cette date ? Un électricien pourra-t-il fournir dès février prochain un consommateur éligible ?

- Quel sera le statut du personnel des producteurs entrant sur le marché français ?

Répondant aux questions du rapporteur, M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie, a apporté les précisions suivantes :

- le projet de loi respecte les termes de la directive mais ne va pas plus loin que les exigences européennes en matière de libéralisation du secteur de l'électricité ; il met en place une ouverture maîtrisée et progressive du marché ; celle-ci s'effectuera avec méthode et prudence ; ainsi les seuils minimaux d'ouverture imposés par la directive européenne seront reproduits à l'identique ; l'éventualité d'une ouverture plus large au-delà de 2003 nécessitera de nouvelles négociations avec nos partenaires européens et n'est pour l'instant pas à l'ordre du jour ;

- le principe de péréquation tarifaire est maintenu ;

- le succès d'EDF tient en particulier à son caractère d'entreprise intégrée. Il importe donc de ne pas remettre en cause ce facteur de réussite ; toutefois, afin que le transport d'électricité ne soit pas un moyen de fausser le jeu de la concurrence, il importe que la gestion du réseau soit clairement séparée des autres activités d'EDF, ce qui implique un cantonnement technique, fonctionnel et comptable de l'activité de transport pour permettre son identification au sein de l'entreprise ; le gestionnaire du réseau bénéficiera donc de moyens propres, il devra respecter la confidentialité des informations commercialement sensibles qui lui seront transmises et le pouvoir de nomination de son directeur échappera à la hiérarchie d'EDF ; la séparation comptable permettra d'éviter les subventions croisées ; l'accès au réseau sera réglementé et contrôlé par la Commission de régulation de l'électricité ; les tarifs seront publics et transparents ;

- l'aménagement du principe de spécialité d'EDF est une conséquence de l'ouverture du marché de l'électricité ; il permettra à l'opérateur historique de proposer aux clients éligibles une offre globale comparable à celle de ses concurrents ; EDF pourra donc créer des filiales pour proposer aux clients éligibles des prestations constituant un complément technique ou commercial à la fourniture d'électricité ;

- le projet de loi ne prévoit pas la création d'un véritable marché de gros de l'électricité, à l'instar de celui qui existe au Royaume-Uni ou dans certains pays scandinaves ; le paragraphe IV de l'article 22 ouvre néanmoins, sous certaines conditions, la voie à des fonctions d'intermédiaire ou de courtier achetant de l'électricité pour la revendre à des consommateurs éligibles ; l'intérêt économique réside dans la possibilité de regrouper les demandes des consommateurs éligibles afin de leur permettre de bénéficier de conditions financières plus avantageuses ;

- s'agissant de l'articulation avec la loi de 1946, le texte du projet de loi ne remet en cause aucune des dispositions fondamentales de cette loi et se borne à lui apporter les modifications rendues nécessaires ; les corrections demeurent marginales et liées à l'expérience des années récentes, comme la suppression de la dichotomie entre un président et un directeur général également désignés et légitimés par leur nomination en conseil des ministres ;

- il est d'ores et déjà évident que le texte soumis au vote du Parlement ne sera pas adopté à la date butoir du 19 février prochain fixée par la directive européenne, mais le processus législatif sera très avancé à cette date ;

- le statut du personnel d'EDF n'est pas menacé puisque le projet de loi ne modifie pas les dispositions de la loi de 1946 sur ce point. La faculté est en revanche laissée aux partenaires sociaux de négocier des conventions collectives de branche qui seront autant de moyens d'améliorer les dispositions du statut ou de les adapter aux données nouvelles d'un secteur appelé à être fortement évolutif.

M. Claude Billard a souscrit à plusieurs des préoccupations exprimées par M. Christian Bataille, puis a indiqué son désaccord avec le contenu de la directive européenne. Celle-ci instaure, en effet, une concurrence dans le secteur de l'électricité, faisant de cette dernière une marchandise comme les autres, alors même que, du fait de son caractère stratégique, elle doit demeurer sous la responsabilité de la Nation et, qu'à cause de ses liens avec l'industrie et l'emploi, elle nécessite l'intervention des pouvoirs publics. Les choix énergétiques, a poursuivi M. Claude Billard, concernent le long terme, ils ont un caractère structurant pour la société et apparaissent irréversibles. Ces restrictions conduiront le groupe communiste à présenter des amendements au projet de loi.

Puis, M. Claude Billard a souhaité avoir des précisions sur la durée des autorisations accordées aux personnes achetant de l'électricité pour la revendre aux clients éligibles, l'effort de planification pouvant ainsi être mis à mal, si les autorisations n'étaient pas données sur une longue période.

M. Franck Borotra a convenu avec le secrétaire d'Etat que le projet de loi était politiquement important et que la reconnaissance par la directive européenne de l'existence de missions de service public constituait une réelle avancée.

Rappelant qu'il avait lui-même participé aux négociations communautaires, M. Franck Borotra a fait observer que le projet de loi aujourd'hui présenté était un texte de transposition de cette directive, donc un texte d'application. Il a ensuite soulevé plusieurs questions concrètes portant sur la définition des missions de service public, car c'est à partir de celle-ci que peut s'opérer une répartition équitable des charges de service public, sur la prise en compte du coût de Superphénix dans les « coûts échoués », sur les conditions dans lesquelles seront utilisées les procédures d'autorisation et d'appel d'offres, sur la réalité de l'autonomie du gestionnaire du réseau, sur les pouvoirs d'investigation et de sanction attribués à la commission de régulation de l'électricité, sur les conditions de l'obligation d'achat, lesquelles influent sur la diversification de l'offre et enfin sur les limites assignées à la diversification des activités d'EDF. M. Franck Borotra a également souhaité savoir si les modalités de fixation des tarifs s'appuieraient uniquement sur le prix du kWh, comment serait organisée la séparation comptable des activités d'EDF, quelles en seraient les conséquences sur la confidentialité de certaines informations et comment s'opérerait la répartition des ouvrages de transport et de distribution.

Il a conclu en exprimant son accord sur le maintien d'un opérateur public et a indiqué que sa position sur le texte dépendrait des modalités de mise en _uvre de la directive.

M. Alain Cacheux a estimé que la notion même « d'ouverture partielle » du marché risquait de conduire les clients situés au seuil de l'éligibilité à réclamer une ouverture plus large de ce marché. Il a souhaité avoir des précisions sur les modalités de financement des missions de service public incombant à EDF ; il a cité sur ce point « le droit à l'énergie », la péréquation tarifaire et la question des « coûts échoués ». Il a interrogé ensuite le ministre sur le contenu du principe de spécialité ainsi que sur les perspectives en matière d'emploi et de retraite des personnels.

M. Claude Gaillard a estimé que le titre du projet de loi était trompeur, le texte semblant à certains égards concerner, au-delà du secteur électrique, la politique industrielle française dans son ensemble. Selon lui, ce texte relève plus de « l'équilibrisme que de l'équilibre ». Il a jugé que l'ouverture à la concurrence, telle qu'elle est programmée risquait de « favoriser les plus forts » et il a souligné plusieurs ambiguïtés du projet : le système des régies n'est-il pas inéquitable ? Comment seront financés les services publics ? Le fait de reconnaître dans le projet de loi un « droit à l'énergie » ne signifie-t-il pas que l'on accepte l'idée d'une permanence de la pauvreté dans notre pays ? Comment peut-on demander à EDF de faire de l'Europe un marché domestique alors que le marché français reste largement fermé ? La diversification des activités d'EDF n'induit-elle pas une « OPA » sur GDF ?

M. Claude Gatignol s'est demandé si le projet de loi dégageait une vision de « service public » ou de simple « service au public ». Il a estimé que l'éligibilité reconnue à certains clients seulement empêcherait les autres de tirer parti des bienfaits de la concurrence.

Convenant du fait qu'EDF était une « très belle entreprise », il a rappelé que quatre grandes notions étaient contenues dans son activité  : celles d'équipement, de production, de transport et de distribution. Rappelant que notre pays était le dernier à mettre en application la directive européenne, il a demandé par qui seraient pris en charge les « coûts échoués » ? S'agissant enfin de l'éligibilité des clients, M. Claude Gatignol a estimé que la concurrence apporterait des gages de compétence aux entreprises installées en France. Il a demandé également comment était résolu le problème posé par les clients éligibles installés sur le périmètre d'un distributeur non nationalisé.

En réponse aux intervenants, M. Christian Pierret, Secrétaire d'Etat à l'industrie a apporté les précisions suivantes :

- le Gouvernement souhaite conserver la maîtrise, sous le contrôle du Parlement, de la définition des termes de la politique énergétique de la France ; l'électricité n'est pas un bien comme un autre : la politique énergétique, l'indépendance nationale en matière électrique et le service public de l'électricité forment un tout ; le secrétaire d'Etat à l'industrie est d'accord avec M. Claude Billard pour placer en exergue du débat sur le projet de loi un débat sur l'indépendance nationale ; personne ne peut garantir aujourd'hui que le prix du pétrole ou du gaz ne connaîtra pas de nouvelles flambées, il est donc indispensable de définir, sur une longue période, les termes de la sécurité nationale en matière énergétique ; le Royaume-Uni n'a pas les mêmes contraintes que la France en raison, d'une part, de ses ressources énergétiques et, d'autre part, de l'absence d'obligations de service public comparables à celles existant en France ;

- les industriels doivent pouvoir s'approvisionner en électricité, en Europe, au mieux de leurs intérêts ; de ce point de vue, l'introduction de quelques éléments de concurrence est utile pour permettre d'acheter l'électricité au plus bas coût et avec la meilleure qualité possible ;

- conformément aux dispositions de la directive européenne, l'article 46 du projet de loi met en place un régime transitoire permettant le financement de l'amortissement des charges du système électrique liées au passé ; ces coûts nets seront répartis entre tous les opérateurs ; ils couvriront les charges relatives aux contrats d'achat de type « dispatchable » passés par EDF avec les producteurs autonomes de pointe ainsi que les charges liées à la centrale Superphénix ; ce régime transitoire repose sur des principes de transparence, de simplicité et d'équité ; il s'agit d'une approche modérée : la France est plus prudente que d'autres Etats membres qui incluent dans le financement péréqué des charges beaucoup plus lourdes ; les électriciens ne supporteront pas l'intégralité des coûts relatifs à ces charges : ceux-ci seront répartis au prorata du nombre de kWh qu'ils livreront au réseau ;

- les règles de séparation comptable mentionnées à divers articles répondent à l'exigence de transparence et de lisibilité posée par la directive européenne ;

- la répartition des charges du service public est un problème essentiel ; la solution proposée soumet l'ensemble des opérateurs à un prélèvement proportionnel, dont le montant sera arrêté par le ministre chargé de l'énergie sur proposition de la Commission de régulation de l'électricité. L'introduction de la concurrence ne devrait donc pas s'effectuer au détriment de l'opérateur historique en charge des missions de service public, sur lequel pèsera au demeurant l'essentiel de ce prélèvement ;

- la question du financement des retraites n'est abordée par le projet de loi que de manière très indirecte, en lien avec la séparation comptable mentionnée à l'article 44 ; cette question centrale, relève de la compétence propre de l'opérateur et donc de discussions entre les représentants de la direction et les organisations professionnelles représentatives ; il en va de même de la réduction et de l'aménagement du temps de travail ; de nouvelles négociations se sont engagées sur ce thème, ainsi que sur celui des effectifs ;

- l'autonomie du gestionnaire du réseau de transport est garantie par la mise en place de dispositions précises et contraignantes (désignation du directeur, budget, moyens spécifiques, respect de l'obligation de confidentialité) qui doivent permettre de prévenir tout risque de favoritisme vis-à-vis de l'opérateur intégré.

M. François Sauvadet a attiré l'attention sur la nécessité de garantir la qualité du service public de l'électricité dans un pays comme la France où plusieurs points du territoire sont difficilement accessibles. Il a souhaité que le secrétaire d'Etat précise les modalités selon lesquelles les missions de service public seront assumées par EDF alors que seuls 440 clients seront éligibles et qu'EDF devra assurer la plus large part du financement du coût net des obligations de service public. Or, d'ores et déjà, certains cadres d'EDF déclarent qu'EDF n'est plus en mesure de réaliser tous les investissements qualitatifs rendus nécessaires pour l'amélioration du réseau. Si des difficultés de financement existent aujourd'hui, comment l'Etat compte-t-il intervenir alors que la concurrence sera ouverte ?

M. François Sauvadet s'est ensuite réjoui qu'un débat soit engagé sur l'indépendance nationale en matière d'énergie électrique. Il a salué les propos, qu'il a jugé responsables, du secrétaire d'Etat au sujet de la production d'énergie d'origine nucléaire. Mais il a souligné que cette position de principe supposait que des investissements soient réalisés, des savoir-faire soient préservés et que les équipements soient entretenus. Il ne faudrait pas que l'Etat se désengage de ses responsabilités et qu'EDF se retourne vers les collectivités locales pour assurer le financement.

M. André Lajoinie, président, a déclaré partager certains points de vue de M. François Sauvadet. La directive européenne impose une contrainte forte qui conduit à ouvrir à la concurrence 30 % du marché national à l'horizon de février 2003. Cette contrainte n'est pas sans comporter de forts risques d'écrémage du marché. Il a donc demandé que le service public, auquel tiennent les parlementaires, soit mieux garanti et a exprimé ses craintes relatives aux conséquences de l'évolution à long terme du marché de l'électricité sur le service public.

M. Léonce Deprez a estimé que la meilleure garantie de l'indépendance nationale en matière d'électricité résidait dans la capacité de produire de l'électricité d'origine nucléaire. Par ailleurs, il a attiré l'attention sur les risques de concurrence déloyale susceptibles d'être causés par EDF en diversifiant ses activités, notamment dans le domaine des télécommunications. Il faut veiller à ce qu'EDF ne crée pas des filiales hors du secteur électrique qui utiliseraient les marges bénéficiaires dégagées sur le monopole électrique d'EDF.

En réponse à ces intervenants, M. Christian Pierret a apporté les précisions suivantes :

- le Gouvernement veut une ouverture maîtrisée du principe de spécialité d'EDF ; il ne souhaite pas qu'EDF devienne un opérateur de télécommunications ;

- répondant aux attentes exprimées par les collectivités concédantes, le projet de loi réaffirme les compétences des collectivités territoriales en matière de concession de la distribution de l'électricité, de contrôle du respect des obligations de service public et d'inspection technique des ouvrages ; il les élargit même puisque les collectivités locales bénéficieront de l'obligation pesant sur EDF d'acheter désormais l'électricité obtenue à partir de déchets ou d'énergies renouvelables (géothermie, énergie éolienne) ; l'électricité ainsi obtenue par l'intermédiaire d'une régie ou d'une société d'économie mixte ne pourra toutefois pas être vendue à un consommateur éligible, pas plus que les communes ne pourront intervenir, sauf carence de l'initiative privée, dans le domaine concurrentiel de la fourniture d'électricité en vertu du principe de liberté du commerce et de l'industrie.

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B.- Audition de M. François Roussely, président d'EDF

La commission a entendu M. François Roussely, président d'EDF, au cours de sa réunion du mercredi 13 janvier 1999.

M. François Roussely a indiqué qu'EDF mesurait l'importance de ce projet de loi. Celui-ci prend acte de changements qui seraient nécessairement intervenus indépendamment de toute modification du cadre législatif. Parmi ces changements, il a énuméré :

- la stagnation de la demande d'électricité depuis le début des années 1990 et son probable fléchissement dans les années à venir ;

- les nombreuses innovations technologiques intervenues ;

- la rigidité de l'organisation de l'entreprise essentiellement tournée vers les fonctions de production, de transport et de distribution de l'électricité ;

- l'apparition de besoins nouveaux émanant d'entreprises ayant des sites disséminés sur toute l'Europe et souhaitant du producteur une offre commune pour l'ensemble de ces sites.

EDF, dont l'activité était jusqu'à présent entièrement régulée, se voit désormais confronté à deux faits nouveaux : l'apparition d'un marché international, et l'apparition d'un prix de marché exogène à l'entreprise. Il faut donc revoir l'organisation de l'entreprise en se demandant quels sont les domaines dans lesquels EDF pourra se développer dans les vingt ans à venir. C'est en gardant à l'esprit ces données que le Parlement doit examiner l'actuel projet de loi.

EDF bénéficie d'un certain nombre d'avantages liés à ses missions de service public ainsi qu'à de fortes positions concurrentielles. A cet égard, M. François Roussely a rappelé le choix judicieux de ses prédécesseurs en faveur de l'énergie nucléaire qui permet à EDF d'offrir les prix les plus bas du marché, l'entreprise ayant fait profiter ses clients de ses gains de productivité.

EDF jouit également d'une situation financièrement florissante qui lui permet de mener une action de désendettement et de baisse de prix et d'affronter l'avenir dans de bonnes conditions.

Parmi les faiblesses d'EDF, il faut noter :

- la surcapacité du marché ;

- la rigidité de l'organisation de l'entreprise qui très tournée vers la production ne se préoccupe pas assez du client, ce qui nécessitera un certain nombre d'adaptations ;

- une mutation entamée plus tard que ses principaux concurrents puisque la part des investissements hors électricité est de 7 % à EDF, alors qu'elle est de 31 % à Electrabel, 46 % à ENDESA et 54 % à Scottish Power.

EDF a donc du retard, étant parti plus tardivement que ces concurrents et ayant des difficultés à progresser vers ces objectifs. Le projet de loi doit lui permettre de s'ouvrir à ces nouvelles perspectives.

Pour autant, EDF est en train d'évoluer : au cours de l'été, le projet d'entreprise a permis d'identifier une stratégie intitulée « vers le client », en novembre, deux pôles ont été créés, l'un pour l'industrie, l'autre pour la clientèle, et en février un nouveau directeur assurera pleinement la fonction commerciale.

EDF doit axer son développement dans deux directions : l'international, avec le souci de doubler ses investissements dans ce domaine, et le service public. Il doit conserver toutes les valeurs de service public dans sa mission de service public et posséder toutes les armes de la concurrence dans le secteur concurrentiel.

Les missions de service public propres à EDF impliquent un développement équilibré des productions, le développement des réseaux, le développement de la fourniture d'énergie et d'électricité, ainsi que des obligations à l'égard des populations les plus démunies. Il faut également, quinze ans après les premières lois de décentralisation, revoir les rapports d'EDF et des collectivités locales, EDF devant être plus disponible et plus ouvert aux préoccupations locales.

En ce qui concerne le domaine concurrentiel, il faut donner à EDF tous les moyens de la concurrence, car il est confronté à un élément nouveau : après avoir grandi pendant cinquante ans dans le cadre d'un monopole hexagonal, il va voir, de façon immédiate, un quart ou un tiers de son chiffre d'affaires soumis à la concurrence internationale. A cet effet, il faut élargir le principe de spécialité qui se trouve lié au principe de monopole. C'est là une demande que formulent les gros clients d'EDF comme Usinor, Renault ou Air Liquide qui, en plus de la fourniture d'électricité, désirent des services annexes. Ceux-ci souhaitent également voir diminuer le coût de l'énergie, ainsi par exemple pour Renault dans le coût total d'une voiture, et EDF doit être partenaire de leur développement.

Cela implique qu'EDF devienne une entreprise « multi-énergies », car les prix du gaz se situant à un niveau historiquement bas, la production d'électricité à partir de gaz devient extrêmement concurrentielle.

M. François Roussely a donc estimé souhaitable un rapprochement d'EDF et de GDF ainsi que le développement d'une offre multi-services auprès des clients éligibles qui permette à EDF d'être présent dans d'autres secteurs que l'électricité. Il a cependant insisté sur la nécessité d'éviter les « subventions croisées » ce qui nécessite l'institution d'une séparation comptable des activités.

Il a souligné qu'il fallait donner à EDF les moyens d'être aussi prospère dans la concurrence que dans le monopole.

Il a observé qu'EDF avait maintenant une dimension européenne qui impliquait une absence de différence dans sa politique en France ou en Europe, que l'ère des partenariats était terminée et qu'il fallait évoluer vers une stratégie de groupe industriel.

Il a cependant souligné que deux conditions devraient accompagner cette évolution :

- la transparence dans l'accès aux réseaux et l'institution d'une commission de régulation puissante et indépendante ;

- la refondation d'une nouvelle dynamique sociale qui permette d'obtenir un consensus des travailleurs de l'entreprise sur les nouveaux objectifs, comme cela a été le cas pour le développement de l'énergie nucléaire.

M. François Roussely a ainsi observé que l'accord sur les 35 heures que vient de conclure EDF va au-delà d'un accord sur l'aménagement du temps de travail, qu'il s'inscrit dans cette nouvelle perspective et qu'il est le signe de la confiance de l'entreprise dans son avenir.

M. Christian Bataille, rapporteur, a fait part de son inquiétude vis-à-vis du dispositif prévu par l'article 42 du projet de loi, relatif à l'aménagement du principe de spécialité, craignant notamment qu'il soit à l'origine de contentieux nombreux. Il a demandé si EDF s'estimait satisfait de la rédaction de cet article et si, s'agissant des consommateurs non éligibles, il n'était pas plus restrictif que ce qu'autorisait l'avis du Conseil d'Etat de 1994.

Il a, d'autre part, interrogé le président d'EDF sur les réflexions que lui inspirait le dispositif des missions de service public, qui incombent pour l'essentiel à l'entreprise. Il lui a également demandé comment il entendait assurer la pleine indépendance du gestionnaire du réseau de transport.

Enfin, évoquant les importants écarts entre les estimations avancées à propos des surcoûts liés au statut des industries électriques et gazières, il a demandé sur quels éléments EDF fondait son analyse sur ce point.

En réponse aux questions du rapporteur, M. François Roussely a apporté les précisions suivantes :

- l'aménagement du principe de spécialité doit mettre en place une règle simple. EDF doit être à armes égales avec les concurrents qui exerceront le même métier que lui. Il doit donc pouvoir présenter des offres globales. Personne ne contestant aux compagnies de distribution d'eau le fait qu'elles puissent distribuer de l'électricité, on voit mal pourquoi EDF ne pourrait pas distribuer de l'eau aux clients finals éligibles. Mais EDF le fera sous le regard du Conseil de la concurrence, de la Commission de régulation de l'électricité et des instances européennes. On peut disserter à l'infini sur la rédaction de l'article 42 du projet de loi. Son mérite principal est de déterminer un cadre juridique. Si le Parlement parvient à rendre cette rédaction encore plus claire, EDF s'en félicitera car une telle entreprise ne pourra pas vivre sous la menace constante de contentieux fondés, en particulier, sur les interprétations que pourrait susciter la notion de « complément, technique ou commercial, à la fourniture d'électricité » ;

- certaines missions de service public incombant à EDF doivent être financées par tous et non par les seuls distributeurs. Les mesures de financement des obligations de service public, ainsi que celles liées à des engagements pris antérieurement à l'ouverture du marché (Superphénix) ou celles liées à l'obligation d'achat d'électricité incombant à EDF, ne doivent pas peser sur le coût du kilowattheure produit par EDF ;

- le gestionnaire du réseau de transport (GRT) doit fonctionner en toute indépendance. EDF se prépare à cette situation en séparant strictement les fonctions de transport et de production. Dans le même esprit, les conditions de nomination du directeur du GRT doivent garantir son indépendance à l'égard de la hiérarchie d'EDF. Le problème du périmètre du GRT est délicat, comme en atteste le fait que chaque pays européen a retenu des solutions différentes dans sa définition des missions du gestionnaire du réseau de transport ;

- les surcoûts liés au statut du personnel des industries électriques et gazières peuvent être estimés entre 8 et 14 % ; si l'on tient compte de l'ensemble des charges de retraite (hors compléments), l'écart de coût peut alors être estimé à 40 %.

M. Robert Galley a considéré que le débat sur le projet de loi portait pour l'essentiel sur la question des conditions d'exercice de la concurrence. Il a estimé que, dès lors qu'EDF entrait à l'étranger sur des marchés concurrentiels en rachetant par exemple des entreprises électriques au Brésil ou à Londres, il était difficile de refuser une ouverture réciproque du marché français.

Il a par ailleurs déploré l'action de ceux qui empêchent la réalisation d'une nouvelle ligne électrique à haute tension en Basse-Provence pour desservir la région de Nice et évoqué le projet proposé par une entreprise privée consistant à construire dans cette région une installation de production énergétique par cogénération ayant une capacité suffisante pour fournir tant les clients éligibles que les particuliers. Il a considéré que le problème majeur posé par cette éventuelle implantation porterait sur la question du prix de rachat par EDF de l'électricité produite et non vendue dans le secteur concurrentiel ; cette question n'est pas réglée dans le projet de loi.

M. Alain Cacheux, évoquant les récentes auditions effectuées dans le cadre des travaux préparatoires à l'examen du projet de loi, a admis qu'il fallait développer la cogénération, domaine dans lequel la France est en retard par rapport à ses principaux partenaires européens. Il a rejoint la position de M. Robert Galley sur les problèmes que posent les modalités d'application de l'obligation d'achat s'imposant à EDF.

Il a estimé qu'il convenait de renforcer les domaines d'intervention de la Commission de régulation. Il a enfin demandé des précisions sur la position d'EDF vis-à-vis des activités de trading.

M. François Brottes, évoquant la nouvelle stratégie internationale d'EDF, a demandé quelles étaient les relations de l'entreprise avec ses partenaires dans ce domaine et quelles conséquences entraînait cette stratégie vis-à-vis des collectivités locales.

Abordant la question de la despécialisation des activités d'EDF, il a également souhaité connaître quelle serait l'attitude de l'entreprise dans le domaine des télécommunications.

Evoquant le dynamisme de la gestion sociale d'EDF, il a demandé des précisions sur les difficultés rencontrées dans le domaine de l'informatisation des centres gérant le régime social d'EDF.

Il a indiqué que le problème des microcentrales dans les zones de montagne suscitait une réelle inquiétude et souhaité que le projet de loi ne remette pas en cause le dispositif actuel.

Il a enfin demandé l'opinion de la direction d'EDF sur la mise en _uvre de l'ouverture du marché des télécommunications, où l'opérateur de réseau est à la fois juge et partie.

M. Franck Borotra, évoquant la question de l'organisme chargé de la gestion du réseau de transport, a fait observer que la solution retenue par le projet de loi prouvait que l'Etat n'avait pas confiance en ses propres services. Prenant l'exemple du chemin de fer, où la gestion des infrastructures a été confiée à Réseau ferré de France, il a demandé quelles raisons justifiaient dans le secteur de l'électricité, le maintien de la gestion du réseau au sein d'une entreprise intégrée.

Il a par ailleurs estimé que les principes de tarification devaient au delà du critère du prix du kilowattheure intégrer les temps de coupures ou les micro-coupures, faute de quoi la tarification risquerait de constituer un élément de distorsion de concurrence.

Il a indiqué qu'une grande partie de l'électricité des producteurs décentralisés, utilisant notamment la cogénération, ira vers le secteur non concurrentiel. S'il faudra préciser les conditions de l'obligation d'achat de ces productions par d'EDF, il ne faut pas pour autant fausser les conditions de la concurrence. Il a rappelé que la Cour de justice des Communautés européennes avait estimé qu'un opérateur ne peut obtenir de ses concurrents des mesures de compensation financière au titre de missions bénéficiant des droits exclusifs et spéciaux.

Il a également considéré que la séparation des comptes entre les activités monopolistiques et concurrentielles constituerait l'un des moyens les plus sûrs pour empêcher les risques d'accusation d'abus de position dominante. Il s'est ainsi prononcé en faveur de la généralisation de la filialisation des activités nouvelles tournées vers les clients éligibles.

M. Pierre Ducout s'est demandé si la transposition de la directive communautaire ne risquait pas, puisque l'on s'inscrit dans le cadre d'un marché intérieur européen, de susciter d'éventuelles mesures de rétorsion de la part de nos partenaires, qui argueraient par exemple d'abus de position dominante. Il s'est demandé également si, dans ce même cadre, le statut d'établissement public restait adapté.

Il a interrogé ensuite M. François Roussely sur l'état exact des capacités de production d'EDF, certains les jugeant excédentaires, les syndicats craignant en revanche qu'elles ne soient insuffisantes. M. Pierre Ducout a souhaité connaître la position précise du président d'EDF sur les problèmes de rachat d'électricité posés par les unités de cogénération.

M. Daniel Marcovitch a regretté qu'il ne semble plus être fait référence à la notion de « maîtrise de l'énergie ». Il a demandé également si EDF envisageait de recourir à la cogénération et au delà de quelles limites, l'entreprise risquerait de voir révisé son statut d'établissement public.

Mme Michèle Rivasi a estimé que la transposition de la directive européenne amenait à se poser la question de la diversification des activités. Elle a souhaité savoir ainsi si EDF avait par exemple la compétence nécessaire à la mise au point de turbines à gaz puis a demandé pourquoi EDF n'avait pas développé la cogénération et, d'une manière générale, si l'entreprise envisageait de se rallier à une culture de diversification. Elle a ensuite demandé à M. François Roussely s'il allait encourager le chauffage électrique pour les 600 000 logements a réhabiliter d'urgence, déjà équipés de ce type de chauffage et enfin si EDF avait intérêt à utiliser le Mox.

M. Claude Billard a souhaité avoir des précisions sur le contenu de la notion de trading. S'agissant de l'aménagement du principe de spécialité, il a demandé si EDF allait, dans le secteur des télécommunications, s'inspirer du précédent de sa filiale de Strasbourg.

M. Claude Gaillard a estimé que le retard présenté en matière de cogénération est difficilement explicable, celle-ci constituant une réponse aux problèmes d'aménagement du territoire et offrant des rendements élevés. S'agissant de l'ouverture du marché, il a craint que seuls les clients éligibles bénéficient des effets positifs de la concurrence. Il a estimé ensuite que, du fait de l'avance technique et commerciale d'EDF, l'on aurait pu ouvrir davantage la concurrence, ce qui aurait rendu le système plus lisible. S'agissant des relations entre EDF et GDF, M. Claude Gaillard a estimé que le rapprochement prévu était culturellement explicable, mais s'est demandé s'il n'était pas plus intéressant de laisser chacune de ces entreprises très performantes, développer sa logique industrielle.

M. Jean-Claude Lenoir a interrogé à M. François Roussely sur les enseignements apportés par les expériences étrangères en matière de dérégulation et le devenir prévisible de la coopération franco-allemande dans le domaine nucléaire, notamment pour l'EPR. En matière environnementale, il a souhaité savoir quel était l'état des relations avec les collectivités locales pour l'« effacement » des réseaux. M. Jean-Claude Lenoir a demandé quelles seraient les implications pour l'emploi à EDF du récent accord sur les 35 heures. Il s'est demandé enfin si, en matière de chauffage électrique, EDF n'avait pas adopté une position exagérément défensive, l'électricité pouvant être utilisée à la fois pour chauffer et climatiser les immeubles.

En réponse aux différents intervenants, M. François Roussely a apporté les précisions suivantes :

- le moindre développement de la France en matière de cogénération est principalement dû au développement du programme électronucléaire et à la compétitivité du prix du kilowattheure d'origine nucléaire. Notre pays a fait le choix d'une organisation centralisée de sa production énergétique ; celle-ci a donné des résultats sans égal en matière de coût et de lutte contre l'effet de serre. Toutefois, EDF sait faire de la cogénération et dispose d'ailleurs d'une filiale spécialisée dans cette technique ;

- ce sont les grandes unités de cogénération qui sont aujourd'hui rentables. Or, celles-ci n'ont pas besoin de l'obligation d'achat à un tarif « de complaisance » pour être compétitives. Cette niche tarifaire coûte aujourd'hui 3,7 milliards de francs par an à EDF. L'obligation d'achat devra, au contraire, porter sur des énergies ou des procédés de production émergents qui n'ont pas encore trouvé leur marché ;

- la diversification des énergies primaires utilisées par EDF ne doit pas remettre en cause la place centrale de l'énergie nucléaire. L'histoire d'EDF a été rythmée par le développement successif de l'hydroélectricité, du parc de centrales thermiques, puis par le programme électronucléaire. Aujourd'hui, il importe de prendre en compte de nouvelles formes de production d'électricité, mais celles-ci ne pourront jamais répondre à l'ensemble des besoins du pays. EDF ne doit donc ni les exclure de ses projets, ni les considérer comme une panacée. Il ne doit pas raisonner en termes de diversification des sources d'énergie, mais en termes de présence sur les marchés ;

- la ligne Boutre-Carros répond à un besoin réel (d'ailleurs reconnu lors du débat public) car il est impossible de trouver un site dans la région niçoise permettant de construire une unité de production de 1 000 Mégawatts correspondant aux besoins de cette zone géographique. Dans ces conditions, il faudra probablement combiner plusieurs facteurs : la construction d'une ligne d'une puissance sans doute moindre et l'implantation de petites unités de production dans la région niçoise permettant de fournir des compléments d'électricité ;

- il existe dans le monde plusieurs modèles d'organisation de la régulation. L'indépendance du régulateur dépendra plus de la façon dont fonctionnera la Commission de régulation que de son statut. Dans certains pays étrangers, telle l'Argentine, dans lesquels EDF est présent, les opérateurs entretiennent des relations fréquentes avec le régulateur. Il est trop tôt pour savoir si ce modèle sera reproduit en France, pays habitué au régime de la tutelle ministérielle ;

- EDF pourra recourir au trading pour boucler son offre. Pour acquérir cette compétence, EDF devra s'entourer de spécialistes du négoce d'électricité. Cette activité ne deviendra toutefois pas un des métiers principaux d'EDF, mais il ne se privera pas de l'exercer car sa qualité de producteur limite les risques inhérents au trading ;

- le développement international d'EDF privilégiera dans un premier temps l'Europe, comme l'a montré la récente acquisition de London Electricity. L'absorption de SAUR international dans SAUR a dilué la participation d'EDF (EDF détient aujourd'hui 14 % du capital de cette filiale de Bouygues). EDF continue à collaborer avec cette entreprise et a expérimenté d'éventuelles synergies entre distribution d'eau et distribution d'électricité ;

- France Télécom et EDF ont un actionnaire commun : l'Etat. Celui-ci répète qu'il n'entend pas voir les deux entreprises entrer en concurrence. Tant que l'Etat maintiendra cette position, EDF n'entrera pas sur le marché des télécommunications. EDF a, en tout état de cause, d'autres possibilités de développement ;

- Estel est une filiale d'Electricité de Strasbourg (donc une filiale de filiale d'EDF non soumise de ce fait au droit commun du principe de spécialité), récemment autorisée à être opérateur de réseau de télécommunications ouvert au public ; elle s'acquitte parfaitement de cette nouvelle tâche ;

- une décision a été prise avec le secrétaire d'Etat à l'industrie d'informatiser, dans un premier temps, deux centres de gestion du régime de sécurité sociale ; deux autres centres le seront ultérieurement, le projet de loi ne remettant d'ailleurs pas en cause ce régime ;

- conférer au gestionnaire du réseau de transport (GRT) le statut d'établissement public industriel et commercial séparé d'EDF ne garantit pas un meilleur fonctionnement du réseau. Sur ce point, la directive n'est pas contraignante et laisse les Etats libres de choisir le statut du GRT. L'Allemagne a d'ailleurs mis en place plusieurs GRT intégrés régionaux ;

- le projet de loi ne change rien à la situation des petits producteurs d'hydroélectricité ;

- la généralisation de la filialisation des activités d'EDF présente le risque d'isoler celles liées au service public. Or, la qualité des hommes d'EDF s'est forgée dans le service public et il n'y a aujourd'hui pas de différences entre ce que le citoyen attend d'EDF dans le cadre du service public et ce que le client éligible en attend dans le cadre d'un marché ouvert à la concurrence. Il faut donc maintenir l'unicité de l'entreprise ;

- les entreprises étrangères allant être autorisées à venir concurrencer EDF sur le marché français, le risque de mesures de rétorsion à l'égard d'EDF dans ses projets internationaux devient nécessairement plus limité ;

- le développement d'EDF impliquera à terme une augmentation de son capital ;

- EDF est évidemment sensibilisé au problème de la maîtrise de l'énergie mais il ne lui appartient pas de conduire la politique dans ce domaine ;

- le chauffage électrique (non compris la fourniture d'eau chaude sanitaire) génère pour EDF le même chiffre d'affaires que celui que dégagera la totalité des clients éligibles. Dans ce domaine, le gaz est un concurrent redoutable et EDF doit faire porter son effort vers l'habitat ancien ;

- le changement de statut d'EDF n'est pas un problème d'actualité. Le problème qui se pose aujourd'hui à l'entreprise publique est de définir son activité sur le marché régulé et de voir son principe de spécialité adapté au marché concurrentiel ;

- l'usage du Mox présente de nombreux avantages en matière de gestion des combustibles nucléaires ; quant au coût, le rapport en cours de MM. Christian Bataille et Robert Galley devrait nous apporter des précisions utiles ;

- s'agissant d'ouverture de marché, la mise en place d'une éligibilité progressive, comme l'autorise la directive, lui semble être une décision sage ;

- aujourd'hui, toutes les compagnies électriques du monde sont également compétentes dans le domaine du gaz. EDF doit donc suivre cette évolution par le biais de partenariats avec GDF et par la présentation d'offres conjointes ;

- l'objectif d'EDF dans un marché dérégulé est de continuer à livrer de l'énergie dans les meilleures conditions économiques et en offrant les meilleures garanties de sûreté. Son rôle est donc décisif dans l'accompagnement du développement économique ;

- la coopération avec l'Allemagne dans le domaine de l'énergie nucléaire est encore plus nécessaire aujourd'hui qu'hier. EDF ne se détournera pas de sa coopération avec Siemens et les électriciens allemands. On ne sait aujourd'hui si l'Allemagne se dirige vers « l'option zéro » en matière nucléaire ; EDF veut, pour sa part, maintenir l'option nucléaire ouverte. En effet, le problème du renouvellement du parc de centrales se posera bientôt. Il donnera, certes, lieu à un débat mais celui-ci ne débouchera pas sur un revirement complet de nos choix dans ce domaine ;

- l'accord sur le passage aux 35 heures générera 17 000 à 20 000 créations d'emplois, dont 3 000 à 5 000 créations nettes. L'essentiel de ces nouveaux emplois sera destiné aux services à la clientèle, mais certains concerneront aussi les activités « amont » d'EDF.

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C.- Audition de représentants de la fédération de l'énergie-CGT

La commission a entendu une délégation de représentants de la fédération de l'énergie-CGT au cours de sa réunion de l'après-midi du 13 janvier 1999.

M. Jean-François Gomez, secrétaire de la fédération nationale de l'énergie-CGT, a tout d'abord souhaité excuser l'absence du secrétaire général de la fédération retenu par la négociation de l'accord sur les 35 heures à EDF. Puis il a indiqué que M. Claude Bonnet, membre du bureau de la fédération et également membre du Conseil économique et social, présenterait brièvement la position de la fédération sur le projet de loi.

M. Claude Bonnet, membre du bureau de la fédération nationale de l'énergie-CGT, a rappelé en préambule que la fédération nationale de l'énergie-CGT souhaitait le développement et la modernisation des services publics de l'électricité et du gaz et qu'elle militait en ce sens. Elle déplore donc que le projet de loi relatif à la modernisation et au développement du service public de l'électricité ne corresponde absolument pas à son intitulé mais s'analyse en fait comme un projet de loi de transposition de la directive européenne sur « le marché intérieur de l'électricité ». Celle-ci, au motif d'instaurer la concurrence, veut remettre en cause la nationalisation et les monopoles publics qui ont pourtant prouvé leur efficacité sociale et économique dans notre pays.

En effet, la directive institue pour les « gros » consommateurs le droit de choisir leurs fournisseurs, ce qu'il est convenu d'appeler l'éligibilité, et impose l'ouverture de la production à la concurrence ainsi que l'accès des tiers au réseau (ATR). Ces choix, parce qu'ils sont contraires à un service public digne de ce nom, sont condamnés par la fédération nationale de l'énergie-CGT.

Il convient de rappeler, à cet égard, qu'il y quelques années cette position était unanimement partagée par les groupes parlementaires de l'Assemblée nationale, les groupes de droite se limitant alors à accepter une certaine ouverture de la production à la concurrence. Plus récemment, tant au Parlement français qu'au Parlement européen, mais aussi au cours de la campagne pour les dernières élections législatives, la nocivité de la directive a été constatée et dénoncée par beaucoup d'hommes politiques.

La directive européenne faisant obstacle au service public nationalisé, alors qu'il est apprécié des Français, tout comme à son développement et à sa modernisation, la logique voudrait que le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif s'accordent pour revendiquer auprès des instances européennes sa remise à plat, en vue de la rendre compatible avec la volonté et l'attachement de diverses nations à un véritable service public.

C'est en ce sens que, le 3 décembre dernier, M. Louis Viannet, au nom de la CGT, a écrit au Gouvernement pour lui demander officiellement de « retirer un projet de loi qu'elle considère dangereux ». Dans la même lettre, il rappelait que la CGT souhaite, à l'issue d'un grand débat national, l'élaboration d'un autre projet de loi ainsi que la définition des moyens à mettre en _uvre pour répondre aux besoins d'aujourd'hui et demain. M. Louis Viannet faisait également remarquer que ce texte serait « un point d'appui pour avancer des propositions de conventions et de coopérations au niveau européen :

- prenant en compte l'intérêt mutuel des populations, des salariés et des plus démunis,

- fixant les conditions du développement technologique, industriel, social,

- allant dans le sens de l'indépendance énergétique au niveau européen et dégagé de l'emprise des intérêts privés ».

M. Claude Bonnet a poursuivi son analyse en abordant une autre question : le projet de loi soumis à l'examen de l'Assemblée nationale ne tient-il ses défauts que de la directive européenne ?

Sur ce point, deux observations particulièrement importantes doivent être faites :

- le projet de loi, loin d'être une application a minima de la directive déjà inacceptable, va beaucoup plus loin que le texte européen dans le sens de la libéralisation du secteur ;

- certaines avancées pour le service public, souhaitées par la population et par les salariés des industries électriques et gazières, sont tout à fait réalisables sans contrevenir au contenu de la directive.

S'agissant de la première observation, il apparaît clairement que le projet de loi va très au-delà du minimum d'éligibilité fixé par la directive. Ainsi, le texte prévoit des seuils d'éligibilité modulés et non un seuil unique, ce qui générerait une instabilité dont le résultat serait à l'évidence une extension de l'éligibilité.

De plus, l'éligibilité est accordée aux producteurs et aux traders, alors que la directive ne l'exige pas et que ce choix est la négation même des principes comme de la réalisation du service public, d'une politique énergétique et d'une planification à long terme. En outre, aucune limitation n'est prévue dans le contenu des contrats éligibles, au détriment, là encore, de la planification et des coûts de production d'EDF.

En matière de production, les critères et dispositions de la directive qui permettent de limiter et contrôler l'ouverture de la production à la concurrence ne sont que partiellement utilisés. Le nucléaire doit rester l'affaire d'EDF et du CEA. L'hydraulique, au-delà de 8 mégawatts doit rester l'affaire d'EDF. Le charbon français peut et doit être utilisé pour produire de l'électricité.

Par ailleurs, le projet de loi propose de maintenir l'obligation d'achat par EDF des kilowattheures provenant des énergies renouvelables, des déchets, de la chaleur. La directive ne l'exige pas. Va-t-on multiplier par trois le scandale de la « convention cogénération ? ».

Enfin, le projet de loi incite vigoureusement au développement de la production décentralisée. Il fait mine d'ignorer que cette orientation conduirait à l'incohérence et ne générerait aucune économie de réseau, celui-ci devant de toute façon exister pour assurer le secours.

S'agissant de la seconde observation, la directive n'interdit pas la réalisation de certaines aspirations ou exigences des usagers et du personnel. Elles ne sont pourtant pas ou peu prises en compte dans le projet de loi.

Ainsi, rien n'interdit pour les clients non éligibles une tarification de l'électricité aux coûts de revient. Au contraire, la séparation comptable le permet. La CGT revendique cette facturation aux coûts de revient, sous le contrôle d'un observatoire des prix et des coûts accueillant une représentation des usagers et des salariés. De façon plus générale, elle revendique aussi le droit pour les usagers et les salariés de participer à tous les niveaux aux décisions qui les concernent.

Le projet de loi est extrêmement timide en la matière. Il propose même, en termes de régulation, de multiples dispositions qui vont dans le sens de la libéralisation. En revanche, il contient peu d'avancées en faveur de la démocratisation pour les clients non éligibles.

En ce qui concerne la fourniture d'électricité aux familles en situation de précarité, le projet de loi va dans le bon sens s'agissant d'un produit de première nécessité. Mais là encore, il faudrait être plus concret et plus ambitieux, d'autant que la directive n'interdit pas ce genre d'avancées.

Enfin, la directive est muette quant au statut social des salariés. Le projet de loi prévoit que l'actuel statut du personnel des industries électriques et gazières continuera à s'appliquer à l'ensemble de la branche, ce qui est positif. Ce qui l'est moins, c'est de prévoir sa modification et celle de ses textes d'application par des accords collectifs pouvant être « minoritaires », voire par des décisions autoritaires.

En conclusion, la fédération de l'énergie-CGT souhaite que l'Assemblée nationale invite le Gouvernement à retirer son projet de loi et à en bâtir un autre marquant la volonté de retenir les aspirations des usagers et des salariés en matière de service public nationalisé.

M. Christian Bataille, rapporteur, a tout d'abord posé une série de questions relatives au contenu du projet de loi. Il a notamment souhaité connaître la position de la fédération de l'énergie-CGT :

- sur la despécialisation d'EDF sur la part de marché désormais ouverte à la concurrence ;

- sur les conditions d'obligation de rachat par EDF de l'électricité produite par des installations utilisant des énergies renouvelables ou des déchets ;

- sur le statut du gestionnaire du réseau public de transport d'électricité (GRT), à la lumière des expériences existantes.

Puis, le rapporteur a demandé des précisions sur les opérations de trading, en particulier la capacité d'EDF à adopter comme ses concurrents un comportement de négociant.

Rappelant que la politique énergétique nationale était fondée sur une planification initiée dans les années 1970 qui s'appuie sur la production d'énergie d'origine nucléaire, il a souhaité connaître la position de la fédération sur la poursuite de cette politique. Il s'est enfin interrogé sur les coûts supplémentaires résultant des garanties accordées au personnel des industries électriques et gazières, après avoir fait observer que les évaluations variaient entre 15 % et 40 % selon les interlocuteurs.

M. Claude Bonnet a indiqué qu'aux yeux de l'organisation à laquelle il appartient, EDF devait avant tout assurer sa mission de service public, c'est-à-dire la production, le transport et la distribution d'électricité. Le principe de spécialité de l'entreprise ne doit cependant pas être interprété de façon trop restrictive ; en effet, EDF a acquis au fil des années un savoir-faire dont il ne doit pas se priver. L'entreprise ne doit pas pour autant sortir de son champ d'intervention, en particulier son action ne doit pas compromettre l'activité des petites et moyennes entreprises. S'agissant des activités désormais éligibles, EDF doit pouvoir intervenir comme ses concurrents mais cela ne signifie pas, par exemple, qu'il puisse devenir un opérateur dans le secteur de l'eau sous prétexte que Vivendi sera opérateur dans celui de l'énergie ; de même, le savoir-faire d'EDF dans le secteur des télécommunications ne doit pas être mis en _uvre au détriment de France Télécom mais en coopération avec cet opérateur public. Le recours aux filiales ou aux prises de participation prévu par le projet de loi offre des possibilités de diversification à l'entreprise ; aux yeux de la CGT, il ne doit à aucun moment s'agir d'une obligation ; en outre, cette faculté devrait plutôt être utilisée pour offrir des services associés à la fourniture d'électricité. Une attention particulière devra, au demeurant, être portée au statut des salariés des filiales ainsi créées.

Quant à l'obligation de rachat d'électricité, la CGT insiste sur la nécessité de ne pas renouveler l'erreur de la récente « convention cogénération » qui a pour effet de porter le prix du kilowattheure à 50 centimes au lieu de 21 centimes si l'énergie avait été produite par EDF. Ce type d'opération ne peut être soutenu même s'il faut, par ailleurs, prendre en compte certains problèmes, comme la valorisation énergétique des déchets. La fédération considère que l'obligation de rachat ne doit pas se traduire par des conséquences désastreuses pour EDF et qu'elle pourrait donc être limitée à certaines opérations, par exemple pour soutenir l'expérimentation et le lancement de prototypes ou de nouvelles technologies en matière de traitement des déchets ménagers.

La CGT est favorable au maintien du gestionnaire du réseau de transport (GRT) au sein de l'entreprise publique EDF. Les objectifs assignés au GRT par le projet de loi ne sont pas clairs. Ainsi, les clauses des contrats passés entre producteurs et consommateurs éligibles lui seront-elles opposables, ou pourra-t-il au contraire intégrer dans son activité l'optimisation technologique des installations ?

Sur ce point, la CGT considère qu'il convient de donner la priorité aux exigences du service public par rapport à celles liées aux contrats passés avec les clients éligibles. En outre, il faut que le GRT puisse déplacer les périodes de production des fournisseurs privés, notamment pour faire face à ses obligations de maintenance, dans l'intérêt général. A défaut, ce seraient les opérateurs privés qui détermineraient, en fonction de leurs seuls intérêts, les dates et heures d'arrêt.

Le concept de trading constitue une négation de la notion de service public. Il n'est pas possible de concilier des accords commerciaux à court terme avec une politique énergétique qui s'inscrit nécessairement dans la durée. On peut légitimement s'interroger par ailleurs sur la compatibilité entre le recours au trading et le respect de l'obligation de continuité de fourniture.

La consommation électrique s'est accrue plus rapidement, au cours des vingt dernières années, que le PNB. Cette constatation permet d'estimer qu'il n'y a pas aujourd'hui de suréquipement dans le domaine des centrales nucléaires, dès lors que la France s'engage à honorer les contrats à l'exportation qu'elle a souscrits.

S'agissant de déterminer les choix des modes de production d'électricité à développer, il faut tout d'abord relever que les techniques auxquelles EDF a aujourd'hui recours sont diversifiées, associant les éoliennes, le charbon, le fioul ou le gaz. La question posée étant alors de définir la part occupée par chacune des énergies primaires, la CGT fonde son analyse sur la réalité et quelques principes, tels que la satisfaction des besoins, l'indépendance nationale (qui dépasse le seul aspect de la sécurité des approvisionnements et englobe la préservation d'un savoir-faire), l'emploi (1 kWh produit à partir du nucléaire induit deux fois plus d'emplois en France que le même kWh tiré du gaz) et la protection de l'environnement. A cet égard, force est de constater que toutes les techniques ont leurs contraintes. Le gaz, certes dans une moindre mesure que le charbon ou le fioul, contribue au développement de l'effet de serre, ce qui constitue un danger plus immédiat que ceux induits par le nucléaire. Les déchets nucléaires sont générés en quantité modérée et rien n'interdit, sauf des choix politiques, de régler le problème de leur traitement et de leur stockage. Du point de vue environnemental également, le nucléaire l'emporte donc sur les combustibles classiques.

Par ailleurs, le coût de production de l'électricité d'origine nucléaire est compétitif, sur la longue durée, par rapport au gaz, dont l'avantage sur la courte durée est en outre strictement conjoncturel, compte tenu des prix historiquement bas des matières premières.

M. Christian Bataille, rapporteur, a demandé si la CGT incluait dans son analyse l'internalisation des coûts liés à la production électrique.

En réponse, M. Claude Bonnet a précisé que si la CGT ne dispose évidemment pas de tous les éléments statistiques dans ce domaine, son calcul prend bien entendu en compte des études intégrant les coûts externes dans le calcul du prix de revient de la production d'origine nucléaire. Cette démarche responsable n'est pas toujours respectée par ceux qui préconisent un recours accru au gaz dans la production électrique. En outre, si une taxe sur les émissions de substances polluantes frappait les émissions de CO2 nées de la combustion du gaz, celle-ci accroîtrait encore l'avantage du nucléaire.

La courbe de la consommation électrique sur une année est stable. De ce fait, la production de longue durée (plus de 6 000 heures par an) représente 85 % de la consommation électrique française. La répartition entre les différents modes de production d'énergie est en adéquation avec cette donnée, puisque 7 % de celle-ci provient de l'hydraulique au fil de l'eau et 78 % du parc des centrales nucléaires. Les possibilités d'un accroissement du recours à l'hydraulique étant limitées, il n'y a donc pas, en tout cas depuis le début de la décennie, de part excessive du nucléaire dans la production, les exigences de la lutte contre l'effet de serre rendant ce constat encore plus pertinent.

La CGT reconnaît que les garanties sociales liées au statut des agents des industries électriques et gazières ont un coût, même s'il est difficile de l'évaluer précisément. Mais les affirmations péremptoires dans ce domaine sont difficilement crédibles. Ainsi, lorsqu'un dirigeant d'EDF se plaignait il y a quelques années d'un surcoût de 50 % lié au statut, par rapport aux autres entreprises européennes, la direction d'Electrabel affirmait dans le même temps que les coûts salariaux de son personnel en Belgique dépassaient eux aussi de 50 % ceux d'EDF en France.

Plus sérieusement, on ne peut déconnecter les garanties sociales accordées aux agents de l'efficacité reconnue de leur travail et du haut niveau de leur conscience professionnelle.

Par ailleurs, si l'on compare les richesses créées par rapport à la masse salariale, le ratio des salaires sur la valeur ajoutée est inférieur de moitié à EDF par rapport à la moyenne nationale, chaque employé de l'entreprise générant annuellement une production d'une valeur de 1 million de francs.

M. Alain Cacheux a demandé, au-delà de la pétition de principe de la FNE-CGT d'un retrait du texte, sur quel point l'organisation estimait qu'il convenait prioritairement d'améliorer le projet de loi.

M. Robert Galley a souligné l'extraordinaire réussite internationale d'EDF, qui fournit par exemple aujourd'hui 6 % de l'ensemble de l'électricité du Royaume-Uni. Il a par ailleurs rappelé que le parc nucléaire permettait d'économiser en devises, l'achat de l'équivalent de 88 millions de tonnes de pétrole par an.

Saluant les efforts d'EDF pour obtenir des prises de participation dans les réseaux électriques du Brésil et de Londres, il s'est interrogé sur la possibilité de concilier l'ambition de devenir un grand exportateur et le refus de permettre aux entreprises étrangères de pénétrer le marché français.

Il a enfin considéré que le choix du nucléaire ne pouvait se concevoir à terme qu'avec le recours à la surgénération. A cet égard, il a rappelé le combat mené par des personnes de toutes tendances en faveur du maintien de Superphénix. Plutôt que les opérations de destruction irréversibles qui risquent d'être conduites en février prochain sur le site, ne serait-il pas possible de préserver cette infrastructure qui a coûté très cher et se révèlera indispensable à moyen terme ?

M. Claude Billard a estimé que la démocratie et la transparence ne constituaient pas les points forts du projet de loi. Il s'est déclaré favorable au renforcement de la présence des agents et des usagers au sein des commissions départementales de service public.

Il a enfin interrogé les représentants de la FNE-CGT sur l'opportunité d'un rapprochement ou d'un partenariat entre EDF et GDF dans la cadre de l'ouverture à la concurrence.

En réponse à M. Alain Cacheux, M. Claude Bonnet a indiqué qu'il est difficile de faire un choix dans les aspects du projet de loi à améliorer, tant ce projet est une mauvaise chose en soi. Toutefois, dans ce cadre, c'est à l'éligibilité qu'il conviendrait de renoncer. Il conviendrait de reconnaître à chaque pays le droit de développer ses services publics. A l'inverse, la directive européenne sur l'électricité précise que l'éligibilité prime sur le droit des Etats à exiger le respect des missions de service public.

M. Alain Cacheux a rappelé que sa question portait sur le projet de loi, et non sur la directive, dont il était difficile d'envisager la modification.

M. Christian Bataille, rapporteur, a demandé si, dans l'esprit de la FNE-CGT, la distinction entre marché concurrentiel et service public devait disparaître. Il a estimé que cette position aboutissait à revenir à une conception uniforme du service public, contestant ainsi l'ouverture à la concurrence d'une part du marché.

En réponse, M. Jean-François Gomez a apporté les précisions suivantes :

- la question du retrait du projet de loi n'est pas posée aux syndicats, elle s'adresse d'abord aux parlementaires. Sans s'adonner au fétichisme, il faut rappeler qu'il porte atteinte à une loi issue du Conseil national de la Résistance. Si la situation a évolué notablement depuis la Libération, rien ne justifie de modifier les fondements du texte existant. A l'inverse, ce sont les orientations imprimées à l'entreprise par les différents gouvernements qui ont faussé le contenu du service public.

Le rôle du syndicat est aussi de rappeler que les personnels sont attentifs à ce qu'ont déclaré les élus. Ainsi, au début de 1997, la principale composante de l'actuelle majorité a dit le plus grand mal de la directive dont il est aujourd'hui proposé la transposition en droit interne. A la même période, le Premier ministre, alors candidat aux élections législatives, avait déclaré que le texte communautaire méritait d'être combattu ; la morale publique impose que les engagements soient respectés.

Les évolutions politiques récentes en Europe devraient en outre aboutir à favoriser, dans l'intérêt des peuples, le réexamen de cette directive en Europe. C'est pourquoi l'appel au retrait du projet de loi n'est pas un simple acte de bonne conscience ; il s'agit d'un appel qui s'amplifie ;

- la FNE-CGT ne s'associe pas à la fierté que pourrait susciter un comportement d'exportateur fondé sur le seul objectif de la rentabilité financière. Elle estime que les échanges internationaux doivent s'effectuer sur une base de coopération industrielle et technologique. En même temps, cette ouverture ne doit pas remettre en cause le respect dû aux missions de service public, fixées par la loi.

M. Daniel Béguet, secrétaire de la branche cadres de Superphénix a ensuite rappelé que le problème des ressources en matières premières pour les centrales nucléaires se posera à terme. C'est pourquoi, en plus d'être un acte antidémocratique, la fermeture de Superphénix constitue une erreur économique. Dès lors, cette installation devrait être préservée.

D'ici le 25 janvier, après plusieurs reports, les premières opérations irréversibles de démantèlement seront pratiquées. Il existe encore une marge de man_uvre pour empêcher la fermeture de cette installation qui, seule, permet le développement de la recherche en grandeur nature de la surgénération, ce que n'autorise pas Phénix.

Par ailleurs, les engagements à l'égard des salariés ne sont pas tenus. Les 15 millions de francs promis pour le bassin d'emploi ne sont rien par rapport aux besoins ou comparés aux sommes prévues pour compenser en Franche-Comté l'abandon du canal Rhin-Rhône. C'est pourquoi les populations s'interrogent sur l'attitude des élus. La construction d'une tranche EPR a été envisagée. Elle bénéficierait de la proximité du Rhône pour le refroidissement et de la disposition de lignes de transport de courant, déjà installées, ainsi que d'un site industriel de 25 hectares.

En conclusion, faute d'une véritable reconversion industrielle, la région du nord de l'Isère risque d'être définitivement sinistrée.

M. André Lajoinie, président, a déclaré comprendre et soutenir les efforts déployés par les travailleurs et la population autour du site de Superphénix.

M. Claude Bonnet a ensuite apporté les précisions suivantes :

- les usagers et les agents ont besoin de pouvoir exprimer leurs points de vue dans les affaires relatives à la production et à la distribution d'électricité.

Le projet de loi reste en retrait sur ce point ; il faudrait créer dans ce but des sous-commissions spécialisées au sein des commissions de service public, ainsi que des observatoires des coûts et des prix de l'électricité, aux niveaux national et local ;

- la mise en concurrence du gaz et de l'électricité ne répond pas aux besoins des usagers. Elle devrait céder la place à une complémentarité entre les deux énergies. Plus généralement, il convient de placer l'usager au centre des choix et développer le partenariat entre gaz et électricité. D'ailleurs, le législateur avait initialement en 1946 proposé l'institution d'un seul opérateur pour les deux énergies.

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D.- Audition de représentants de la fédération chimie-énergie  CFDT

La commission a entendu, lors de la même réunion du 13 janvier 1999, une délégation de représentants de la fédération chimie-énergie CFDT.

M. Michel Cruciani, secrétaire national de la fédération chimie-énergie CFDT, a indiqué que la CFDT avait travaillé collectivement à formuler des propositions, aussi bien au moment de l'élaboration de la directive européenne que du projet de loi. La nécessité de modifier le système électrique français s'impose en raison de l'apparition de nouvelles technologies, du changement des attentes des clients, des contraintes gouvernementales et des nouvelles frontières de notre espace économique. Faute d'adaptation, ce système ne pourrait que se désagréger à terme. Il doit donc évoluer tout en préservant ses avantages, à savoir son caractère d'instrument d'une volonté collective nationale, son caractère d'outil de la cohésion nationale grâce au service public, ses prestations de qualité grâce au dynamisme de l'entreprise et sa référence sociale.

Le projet de loi tel qu'il se présente constitue une base de départ intéressante pour cette évolution en permettant notamment, en matière de politique énergétique nationale, une meilleure démocratisation des prises de décision. Parmi les améliorations à apporter au projet de loi, M. Michel Cruciani a relevé la nécessité de renforcer le service public, d'assurer une égalité de compétition entre les entreprises actuelles et les nouveaux opérateurs et de conforter le projet social. Sur ce dernier point, il a observé que l'importante négociation sur la réduction du temps de travail qui vient de s'achever est insatisfaisante dans la mesure où elle ne concerne qu'EDF et pas les autres opérateurs.

Il a donc souhaité que trois initiatives soient soutenues :

- stimuler la création d'une branche professionnelle des industries électriques et gazières, ce qui permettrait de négocier une convention collective instituant des garanties sociales pour le personnel des entreprises du secteur électrique qui ne bénéficie pas du statut national ;

- clarifier les responsabilités à la tête de l'entreprise, la fonction de gestion relevant du directeur général et la fonction d'orientation relevant d'un Conseil de surveillance ;

- éviter les recours abusifs à la sous-traitance ou à la création de filiales, deux voies souvent empruntées par les employeurs pour échapper aux contraintes sociales. La législation française actuelle ne permettant pas l'introduction de « clauses sociales » spécifiques, la CFDT souhaiterait une initiative parlementaire en ce sens.

La CFDT propose également de modifier le texte afin de renforcer le contrôle du système, notamment au moment de l'autorisation d'exploitation, et à donner à la Commission de régulation des moyens de contrôle de caractère social.

M. Hervé Gouyet, délégué national, a présenté les trois modifications proposées par la CFDT pour renforcer le caractère de service public de l'électricité :

- le droit à l'énergie : le dispositif actuel « pauvreté, précarité » est trop restrictif ; il conviendrait d'instituer un réel droit à l'énergie et il serait plus équitable que le dispositif en faveur de la cohésion sociale soit financé par l'ensemble des consommateurs et pas seulement par les consommateurs non éligibles ;

- l'emploi et la cohésion sociale : le service public de l'électricité doit concourir à la cohésion sociale, y compris à travers le niveau de l'emploi, les conditions de l'emploi ainsi que les conditions de travail dans le secteur électrique ; il faut éviter que la concurrence ne génère un dumping social entre les différents opérateurs et donner à la Commission de régulation une mission de surveillance de la manière dont les garanties sociales de la branche des industries électriques et gazières sont respectées ;

- la création d'observatoires régionaux de l'électricité : il manque un niveau d'évaluation et de recours dans la mise en oeuvre du service public de l'électricité ; la CFDT propose que soient créés dans chaque région des observatoires régionaux d'électricité, composés à égalité de représentants des élus locaux, des professionnels, du monde associatif et des organisations syndicales, qui seraient chargés de l'évaluation de l'exécution du service public et qui pourraient formuler des avis auprès du ministre chargé de l'énergie et de la Commission de régulation de l'électricité.

M. Jean-Marc Mauchauffée, administrateur au conseil d'administration d'Electricité de France, représentant la CFDT, a présenté les orientations à retenir pour assurer une réelle égalité dans la compétition entre EDF et les nouveaux opérateurs :

- les services proposés par EDF aux clients éligibles ne devraient pas se borner à des compléments mais prendre la forme d'offres globales qui devraient pouvoir être étendues à l'ensemble des consommateurs appelés à devenir éligibles ;

- des offres globales de prestations liées à la production, au transport, à la distribution ou à l'utilisation de l'énergie devraient pouvoir être proposées aux collectivités locales ;

- les articles 23 et 24 du projet prévoient la possibilité de garantir l'accès aux réseaux publics de transport et de distribution pour permettre l'approvisionnement par un producteur de sa société-mère et des filiales de cette dernière ; la CFDT considère que c'est un élargissement inacceptable de la notion d'accès au réseau, bien au-delà des obligations de la directive européenne, et de fait un détournement de la notion d'éligibilité ; elle souhaite donc que la possibilité d'approvisionnement entre société-mère et filiales soit supprimée ;

- le régime des retraites des industries électriques et gazières repose sur une « contribution d'équilibre » versée par les entreprises et directement imputée sur les coûts du kWh ; il serait légitime de demander aux nouveaux entrants de participer à cette contribution, au prorata de leur part de marché, pour les engagements pris avant que la suppression du monopole ne soit annoncée.

M. Christian Bataille, rapporteur, a évoqué les problèmes posés par la non distinction comptable entre fournitures aux clients éligibles et non éligibles ; la loi ne contenant pas d'éléments sur ce point, il existe un risque de subventions croisées et donc de développement des contentieux. Il a souhaité connaître le point de vue des représentants de la CFDT sur le trading, qui offre en particulier au producteur la possibilité de compléter l'offre existante et sur le surcoût qu'occasionnerait le statut professionnel des industries électriques et gazières. Ce surcoût est évalué en effet à 1,15 par M. François Roussely, président d'EDF, mais à 1,40 par les représentants de Suez- Lyonnaise des Eaux et de Vivendi.

M. Michel Cruciani a indiqué que son organisation était très attachée à la transparence entre fournitures aux éligibles et aux non éligibles, mais qu'elle n'avait pas à ce jour pu définir de système comptable garantissant une transparence totale en la matière. La CFDT, a-t-il précisé, est très consciente de cette difficulté. S'agissant du surcoût que présenterait le statut des personnels d'EDF, il a estimé qu'il s'agissait de fait d'un statut plus exigeant que celui du code du travail. Il a fait remarquer ainsi que la prise en charge par EDF du coût de certaines reconversions, telles que celle qui avait été opérée lors de la disparition des usines à gaz constituait en fait un coût évité par la collectivité. Quant aux salaires versés aux personnels d'EDF, il est de fait qu'ils sont plus élevés que la moyenne des salaires, étant donné qu'il importe d'attirer et de fidéliser des personnels qualifiés. Au titre enfin des charges spéciales, il faut mentionner particulièrement les charges de retraite, issues d'une tradition sociale de prévoyance qui existait bien avant la loi de nationalisation.

M. Hervé Gouyet a estimé que la question du trading devait être analysée au regard de l'exigence d'optimisation des systèmes électriques. L'Europe présente de fait une situation de surcapacité de ses moyens de production, ce qui impose un effort d'ajustement entre l'offre et la demande dans le temps. La fonction de trading, qui concerne 10 à 20 % des échanges ne doit pas être appréhendée sur le seul territoire national, puisque nous sommes « interconnectés » au plan européen. Mais il est vrai, en toute hypothèse, que notre pays qui est le premier exportateur d'électricité au monde, pour un montant de 15 milliards de francs, doit savoir raisonner aussi en termes d'ajustement.

M. Franck Borotra s'est étonné que la CFDT traite de la prise en compte des retraites dans les coûts échoués. Les entreprises du secteur concurrentiel qui disposent en effet de leur propre système de retraite, se verraient ainsi contraintes de financer simultanément deux régimes de retraite.

M. Alain Cacheux a interrogé les représentants de la CFDT sur la raison d'être des observatoires régionaux de l'électricité dont ils suggèrent la création.

M. Claude Billard a évoqué la question de l'élargissement de la spécialité d'EDF et demandé aux représentants de la CFDT leur point de vue sur ce point.

M. Michel Cruciani a indiqué que la fonction de trading permettait un ajustement permanent entre l'offre et la demande. Cette activité, qui a ainsi sa justification économique est rendue possible par l'interconnexion européenne. S'agissant de la prise en compte des charges de retraite dans les coûts échoués, M. Michel Cruciani a estimé que l'on pouvait considérer qu'EDF avait engagé un effort d'investissement en matière de retraite, à une époque où cette entreprise était en situation de monopole et que les investissements ainsi réalisés pouvaient être considérés comme « coûts échoués ».

M. Franck Borotra a estimé que la création du régime de retraite relevait de la responsabilité de l'Etat et que ledit régime ne pouvait être assimilé à un investissement.

M. Jean-Marc Mauchauffée a indiqué que les observatoires régionaux de l'électricité préconisés par la CFDT pouvaient constituer un indispensable outil d'évaluation et de recours, puisque les choix énergétiques seront opérés désormais au niveau régional.

M. Michel Cruciani a précisé que l'assouplissement du principe de spécialité de l'entreprise ne devait s'opérer en tout état de cause que progressivement. Il a estimé qu'il pourrait utilement concerner l'activité de conseil sur l'usage et la maîtrise de l'énergie. S'agissant enfin de l'élargissement des activités au secteur des télécommunications, il a fait part des réserves de son organisation.

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E.- Audition de représentants de la fédération nationale de l'électricité et du gaz Force Ouvrière

La commission a ensuite entendu, lors de la même réunion du 13 janvier 1999, une délégation de représentants de la fédération nationale de l'électricité et du gaz Force Ouvrière.

M. Robert Pantaloni, administrateur au conseil d'administration d'Electricité de France, représentant la fédération nationale de l'électricité et du gaz Force Ouvrière a indiqué que FO avait toujours fait part de vives inquiétudes sur le dossier de la libéralisation du marché de l'électricité dont s'était saisie la Commission des Communautés européennes dès 1987. Cette position s'explique d'abord pour des raisons idéologiques : la régulation par le marché n'est ni saine, ni adaptée à la distribution d'un produit de première nécessité qui a besoin d'être traité de façon égalitaire et humanitaire pour participer au respect de la dignité et de la citoyenneté des individus. Elle tient également plus fondamentalement au fait que l'organisation du marché intérieur de l'électricité ne pouvait, en aucun cas, précéder la définition d'une politique énergétique communautaire, dont elle ne pouvait être que le vecteur, au risque de déstabiliser les politiques nationales et leurs dénominateurs communs que sont l'indépendance énergétique et la sécurité d'approvisionnement de chaque Etat membre, sans que ces objectifs impérieux ne soient assurés au plan communautaire.

Il a ensuite fait valoir que les dispositions de la directive 96/92/CE du Parlement européen et du Conseil, contraignantes à l'excès, n'avaient pas clos le débat, particulièrement dans notre pays qui, privé de ressources énergétiques naturelles, a, en quelque sorte, trouvé dans les « ressources technologiques et industrielles », notamment le nucléaire, les moyens de son indépendance énergétique et de sa sécurité d'approvisionnement, sous réserve de contraintes soutenues dans le temps, qu'un effort de mémoire permet de relativiser.

Il a estimé que les événements qui ont présidé à la mise en place du programme électronucléaire français peuvent, sans prévenir, se reproduire ; ne pas en tenir compte placerait la France en état de vulnérabilité coupable. Certes l'éventail des énergies primaires aujourd'hui disponibles est large, il permet la diversification souhaitable des moyens de production. Rien n'autorise cependant d'affirmer très sérieusement que le choix nucléaire pour une part importante des besoins d'électricité ne reste pas indispensable, ne serait ce que pour répondre aux contraintes environnementales en matière de rejets atmosphériques gazeux, que l'on peut prévoir de plus en plus rigoureuses.

Au sujet de la politique énergétique que la France entend mettre en oeuvre dans l'avenir, il a indiqué que FO regrettait qu'à l'occasion du débat sur le projet de loi réalisant la transposition de la directive, qui est loin d'être neutre en termes de politique énergétique, l'opportunité n'ait pas été saisie d'organiser un large débat parlementaire sur les orientations en la matière. Selon FO, la procédure de consultation de l'Assemblée nationale prévue est totalement insuffisante et les gouvernements ne pourront pas éternellement faire l'économie d'un véritable débat sur la politique énergétique au Parlement.

Dans tous les cas et quels que soient les choix futurs, rien ne permet de s'affranchir des décisions passées concernant l'industrie électronucléaire. En effet, le nucléaire s'assume sur le long terme en matière financière : les trois postes construction, démantèlement et cycle du combustible ont mobilisé, mobilisent et mobiliseront des capitaux considérables et génèrent des dettes incompressibles qu'il convient de ne pas transformer en investissements échoués à la charge de la Nation par l'introduction de moyens de production non utiles qui entraîneraient une surcapacité de production. Il en est de même en matière de sûreté, compte tenu des efforts de radioprotection à mettre en oeuvre dans le futur sur les sites qui ne seront plus en exploitation, et en matière industrielle, pour sauvegarder, par la mise en veille, la technologie française, ce qui nécessitera des efforts de commande importants. M. Robert Pantaloni a évoqué plus particulièrement l'EPR dont on ne pourra pas, sans risque d'abandon de compétence, différer l'engagement.

C'est au regard de ces contraintes, ainsi que de la volonté de disposer d'un service public de l'électricité citoyen et social, caractérisé par les missions confiées jusqu'à présent notamment à Electricité de France, qu'il convient, selon FO, d'examiner chaque attendu du projet de loi soumis à l'Assemblée nationale. C'est ainsi que FO a examiné le texte du projet de loi.

M. Robert Pantaloni a noté avec regret que la plupart des orientations sensibles contenues dans ce projet renvoient à des décrets d'application ou à des décisions ministérielles, ce qui rend peu lisible, voire quelquefois obscur, le texte et ne permet en aucun cas d'avoir une vision globale des objectifs visés, vision qui est largement faussée par l'intitulé même du projet de loi « de modernisation et de développement du service public de l'électricité ». En effet, FO souligne, d'une part, que le service public de l'électricité, notamment par l'application du principe d'adaptabilité, s'est modernisé en continu depuis 1946 et, d'autre part, que l'objectif principal de ce projet de loi est la transposition dans le droit français de la directive d'ouverture à la concurrence du marché de l'électricité.

Il a estimé que cette présentation biaisée renforçait le sentiment que ce projet de loi s'inscrivait dans une conception très libérale de la transposition, dans tous les cas en rupture avec les conceptions actuelles et efficaces du service public français de l'électricité.

Il a conclu en indiquant que FO n'était pas favorable à la concurrence et réagirait avec fermeté si ce texte devait être amendé dans un sens encore plus libéral comme certains lobbies puissants le réclament.

M. Robert Pantaloni a ensuite exposé l'analyse de son organisation syndicale sur quelques dispositions importantes du projet de loi.

Concernant l'article 2 et les dispositions de son paragraphe III relatives aux fournitures de secours des producteurs et des clients éligibles, il a fait valoir que l'obligation pour Electricité de France d'assurer l'alimentation de secours des producteurs et des clients éligibles rendra nécessaires des capacités de production excédentaires. Qui supportera cette charge importante en investissements « non productifs » ? La loi devra être claire à ce sujet pour ne pas en laisser la charge au service public de l'électricité et aux clients non éligibles.

Concernant l'article 13 relatif au gestionnaire du réseau public de transport, il a fait part du souhait de FO de préserver l'intégrité de l'entreprise EDF en laissant subsister ce gestionnaire au sein d'EDF comme le permet la directive. Dès lors, la question des rapports entre le gestionnaire du réseau public de transport et l'organisation des infrastructures de transport, tous deux services d'EDF, ainsi que leurs périmètres respectifs, relève de l'organisation interne de l'entreprise qui n'entre pas dans le domaine de la loi.

Concernant l'article 22 qui traite de l'activité de négoce en gros de l'électricité, il a fait valoir qu'aux termes des articles 17, 18 et 21 de la directive, il revient à chaque Etat d'accepter ou de refuser la présence de ces grossistes qui sont des entreprises de fourniture achetant ou vendant de l'électricité sans être pour autant des entreprises de transport, de production ou de distribution d'électricité. Ce sont des intermédiaires qui n'apportent aucune valeur ajoutée. Ils sont au surplus parfaitement inutiles, le choix étant fait de n'admettre l'éligibilité que des plus gros clients appréciés par site de consommation, comme le prévoit d'ailleurs la directive ; dans ce cas il est évident que ces très gros clients auront les moyens de négocier avec tous les producteurs sans devoir passer par des intermédiaires.

Il a estimé que c'était sans doute la raison pour laquelle, jusqu'ici, les pouvoirs publics s'étaient refusés à autoriser l'activité de ces grossistes dans la législation sur l'électricité. Or, contre toute attente, le projet de loi rompt avec une telle position et a au contraire choisi de prévoir l'existence de ces grossistes au paragraphe IV de l'article 22. Outre que cette disposition s'inscrit dans une demande libérale à l'excès, M. Robert Pantaloni a craint de voir créer des surcapacités artificielles qui mettraient au compte de la Nation le coût d'investissements échoués.

S'agissant de l'organisation de la régulation, il a noté que l'article 32 du projet de loi permettait aux commissions du Parlement et au Conseil économique et social d'entendre les membres de la Commission de régulation de l'électricité. Il a demandé que le Conseil supérieur de l'électricité et du gaz, dans lequel siège l'ensemble des composantes du secteur (consommateurs, organisations professionnelles, etc.) intègre le dispositif et qu'en particulier, il puisse donner un avis sur le rapport public annuel de la Commission de régulation de l'électricité. Il s'agit là d'une question essentielle de transparence. Par ailleurs, il a cité les propos du Président du Haut conseil du secteur public selon lequel « D'un strict point de vue du pacte républicain et du contrat social, voire simplement de l'équité, il est difficile d'admettre, sans garde-fous, que l'ouverture, par exemple, des services publics de l'électricité et du gaz - réalisée au nom de la concurrence, de la lutte contre la rente et le monopole - s'opère au profit d'intervenants, qui tiennent leurs moyens d'investir des ressources qui s'apparentent économiquement à une rente.

« A situation comparable, traitement comparable. L'Europe, et la France en particulier, auraient tout à gagner, et les opérateurs d'eau devraient aussi pouvoir partager cette analyse, à la mise en place d'une vraie régulation du secteur de l'eau ».

Comme lui, FO souhaite que le principe d'équité soit respecté.

Concernant la définition du principe de spécialité par l'article 42, il a déclaré que FO était largement favorable à l'élargissement de ce principe, dès lors qu'il était encadré et participait de l'égalité de traitement entre opérateurs soumis à la concurrence pour l'ensemble des clients éligibles, ou d'une amélioration du service public pour l'ensemble des usagers, en particulier dans les activités liées à l'utilisation rationnelle de l'énergie.

FO n'est, en revanche, pas favorable à la suppression de ce principe qui conduirait, selon d'éminents juristes, à l'abandon du statut d'établissement public industriel et commercial au profit d'un statut de société nationale comportant un risque d'ouverture du capital, peu adaptée aux missions d'Electricité de France, pour qui l'obligation de desserte, donc d'approvisionnement, ne peut conduire à l'obligation de rentabilité dans un statut commercial de droit commun.

Concernant l'article 43, il a déclaré que FO restait indéfectiblement attaché à l'existence du statut national du personnel des industries électriques et gazières et à ses garanties. Le statut s'applique d'ailleurs déjà à l'ensemble des entreprises du secteur et FO souhaite le maintien strict de cette disposition dans le nouveau cadre concurrentiel.

Concernant l'article 45 mettant en place diverses dispositions transitoires, M. Robert Pantaloni a noté le mutisme des pouvoirs publics. Que va-t-il se passer le 20 février 1999, date à laquelle la directive devrait être transposée, si des futurs clients éligibles demandent à bénéficier immédiatement de l'ouverture des marchés ? Quelles règles va-t-on leur appliquer ? Electricité de France ne court-il pas le risque de voir se multiplier à son encontre des contentieux, alors que l'Etat a pris la responsabilité d'adopter la directive en 1996 et de ne pas respecter les délais de transposition qu'il avait lui-même acceptés ?

Concernant l'article 51 relatif aux relations entre EDF et la Compagnie nationale du Rhône et les autres producteurs nationaux, il a rappelé que toute l'énergie électrique produite par les équipements du Rhône, issus des investissements des consommateurs français d'électricité et plus généralement des contribuables, devait continuer à être produite à leur bénéfice exclusif, sans qu'ils soient lésés, et pour cette raison devait rester exclusivement à disposition du service public de l'électricité assuré notamment par Electricité de France.

M. Christian Bataille, rapporteur, a souhaité connaître l'avis de FO sur la distinction entre les clients éligibles et les clients non éligibles. FO demande-t-il que les activités d'EDF dans ces deux secteurs fassent l'objet d'une séparation comptable ? L'organisation syndicale a-t-elle des propositions pour empêcher que des subventions croisées soient réalisées entre les deux secteurs et que des contentieux inextricables surviennent ? Faut-il aller au-delà des mesures prévues par le projet de loi ?

Il a ensuite souhaité savoir si FO était satisfait des dispositions du projet de loi relatives au gestionnaire du réseau public de transport ou s'il estimait nécessaire de préciser davantage les conditions de son indépendance. Concernant le négoce de l'électricité, qu'autorise le projet de loi, il a demandé si FO était partisan de la suppression de cette faculté ou s'il jugeait que la France devait occuper sa place en Europe sur ce créneau économique.

En dernier lieu, il a indiqué que M. François Roussely, président d'EDF, estimait à 15 % le surcoût entraîné par l'application du statut des industries électriques et gazières, tandis que des interlocuteurs privés, dont notamment les responsables de Suez-Lyonnaise des Eaux, le chiffraient à 40 %. FO dispose-t-il d'estimations et comment explique-t-il cette différence d'évaluation ?

M. Robert Galley s'est étonné que les représentants de FO n'abordassent pas le problème des retraites. Il a souhaité savoir si l'arrivée d'opérateurs étrangers en France n'était pas susceptible de conduire à une remise en cause à terme du régime des retraites du secteur des industries électriques et gazières. Il a ensuite souhaité connaître l'opinion de l'organisation syndicale sur la pérennité du service public en fonction des dispositions contenues dans le projet de loi et sur la maîtrise par EDF de la distribution de l'électricité dans les endroits où il a investi dans la création de nouvelles infrastructures de transport, face aux demandes de petits producteurs privés locaux, et a cité le cas de la ligne Boutre-Carros.

Il a enfin souhaité connaître la position du syndicat sur l'élargissement du champ des activités d'EDF en application de l'article 42 du projet de loi.

En réponse aux différents intervenants, M. Robert Pantaloni a donné les éléments d'information suivants :

- il n'existe pas de droit pour EDF mais un devoir fixé par la loi du 8 avril 1946 et maintenu par le projet de loi, d'alimenter en électricité toutes les personnes qui le demandent. L'alimentation en électricité de la ville de Nice ne peut être garantie de manière absolue ; il paraît indispensable de doubler la ligne de transport à haute tension, mais l'utilité publique de sa construction relève d'une décision de l'Etat. La commission ad hoc mise en place par la Commission nationale du débat public a rendu un avis qui n'est pas hostile à cette construction mais qui déclare qu'elle peut être différée en mettant en place des petites unités de production à proximité de la ville de Nice ;

- les Etats-Unis se sont lancés dans une politique de création de petits moyens autonomes de production d'électricité, choix que n'a pas fait la France. La France a préféré construire un parc national interconnecté de centrales électriques. La construction de nouveaux moyens de production accroîtrait la surcapacité de ce parc et créerait des investissements échoués. FO estime donc cette possibilité de créer des moyens autonomes de production inopportune, mais la décision relève de l'Etat ;

- en matière de retraite, la France doit assumer ses choix et ne pas rejeter les agents qui ont mis en place le système électrique le plus compétitif de la Communauté européenne ;

- concernant le surcoût entraîné par l'application du statut des industries électriques et gazières, il faut remarquer que les distributeurs d'eau appliquent à leurs agents travaillant dans le secteur de l'électricité ce même statut, qui n'est pas le statut réservé aux agents d'EDF. FO considère qu'au regard des résultats d'EDF, le coût social du statut est justifié, mais l'organisation syndicale ne peut pas le chiffrer. Cependant, un agent d'EDF n'est pas plus riche qu'un agent relevant du droit privé ;

- concernant le négoce de l'électricité, il faut relever que le parc de centrales électriques suffit aux besoins actuels. Cependant, FO doute de la surcapacité de ce parc. En effet le parc nucléaire est utilisé entre 80 et 85 % de sa capacité, mais 70 TWh sont exportés, ce qui correspond à la puissance de huit à neuf tranches de centrales nucléaires. Il n'y a pas de justification à ce que les traders s'aventurent sur le territoire français du fait des variations du prix de l'électricité et de la création de coûts échoués qu'entraînerait la vente d'électricité à prix très bas par le négoce ;

- la directive européenne est mauvaise et FO est hostile à l'existence de la catégorie des clients éligibles. FO dénoncera toute pratique consistant à appliquer des tarifs élevés aux clients captifs afin d'utiliser les bénéfices ainsi dégagés pour mener des actions commerciales au profit des clients éligibles ;

- la gestion du transport de l'électricité doit rester en totalité un service organisé par EDF ;

- dès lors qu'un opérateur privé peut proposer certaines prestations à des clients éligibles, EDF doit pouvoir, par souci d'équité, également les proposer. Vis-à-vis des clients non éligibles, le principe de spécialité doit seulement être assoupli pour les usages domestiques de l'électricité et les économies d'énergie, tant pour le conseil que pour l'ingénierie. Cependant, FO est hostile à la suppression du principe de spécialité.

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F.- Audition de représentants de la fédération des industries électriques et gazières CFE-CGC

Puis, la commission a entendu, lors de la même réunion du 13 janvier 1999, une délégation de représentants de la fédération des industries électriques et gazières CFE-CGC.

M. Pascal Perès, secrétaire général adjoint de la fédération des industries électriques et gazières CFE-CGC, a souligné en préambule que l'organisation syndicale à laquelle il appartient attachait une importance primordiale à l'avenir industriel du groupe EDF. Or cet avenir est menacé de trois façons :

- par les obligations d'achat arbitraires qui peuvent, à l'exemple de ce qu'a fait la loi PURPA aux Etats-Unis, conduire à la création d'investissements échoués ;

- par l'obligation de secours aux clients éligibles en cas de défaillance du producteur, auquel il est lié par contrat ;

- par les restrictions apportées aux activités d'EDF à l'étranger ; à cet égard, la CFE-CGC se demande pourquoi une loi limiterait le domaine d'action de l'entreprise alors que cette décision devrait relever de la responsabilité pleine et entière de son conseil d'administration.

Fort heureusement par contre, une formulation équilibrée a finalement été trouvée pour définir le champ d'action d'EDF dans le domaine désormais concurrentiel des clients éligibles. Celui-ci s'étend aux « prestations qui constituent un complément, technique ou commercial, à la fourniture d'électricité », sous réserve que ces prestations soient fournies par des filiales. Toutes garanties sont ainsi données que ces prestations ne bénéficient pas de subventions provenant du secteur des clients non éligibles.

En ce qui concerne l'organisation du marché concurrentiel de l'électricité, un premier pas essentiel a été fait dans la bonne direction, en donnant un rôle central aux contrats passés directement entre producteurs et consommateurs. Il reste cependant beaucoup à faire pour définir le cadre réglementaire de l'action du gestionnaire de réseaux, la forme des comptages, le contenu et la transparence des contrats, pour mettre sur pied un marché à court et moyen termes des producteurs, pour définir le statut des courtiers. Sur tous ces points, la loi devrait a minima prévoir des décrets d'application.

De plus, partant de l'idée généralement admise selon laquelle la concurrence n'est pas un phénomène naturel et qu'elle pose, dans le domaine électrique, des difficultés tout à fait particulières, il faudrait donner à la Commission de régulation de l'électricité des missions de promotion et d'observation de la concurrence. La création d'un observatoire de la concurrence et des prix, qui lui serait rattaché, est à cet égard hautement souhaitable.

Par ailleurs, la CFE-CGC approuve le maintien du statut du personnel des industries électriques et gazières, dont le principe avait été affirmé par le livre blanc intitulé « vers la future organisation électrique française ». Effectivement, le projet de loi n'abroge pas la loi du 8 avril 1946 et le statut continuera de s'appliquer à l'ensemble de la profession, y compris aux nouveaux entrants. Cependant le Gouvernement désire également faire entrer les industries électriques et gazières dans le champ de la négociation collective pour définir les mesures qui seront prises en application du statut. A cet égard, le projet de loi n'apporte pas de précisions suffisantes, se contentant de renvoyer la solution du problème à un futur arrêté, dont nul ne connaît le contenu. Pour la CFE-CGC des industries électriques et gazières, il n'y a pas de sujets tabous ; le statut, comme tout être vivant, doit s'adapter aux conditions économiques et sociales du moment.

M. Christian Bataille, rapporteur, a souhaité connaître la position de la CFE-CGC sur le rythme de l'ouverture à la concurrence du marché de l'électricité, après avoir fait observer que le projet de loi prévoyait une ouverture à 33 % à l'horizon 2003, mais que certains pays européens préconisaient une libéralisation totale, à un rythme accéléré. Il a également posé des questions sur :

- le degré d'indépendance du futur gestionnaire du réseau public de transport d'électricité (GRT),

- les pouvoirs de la Commission de régulation de l'électricité,

- l'arrivée des activités de trading en France.

M. Jean Stengel, secrétaire fédéral, a rappelé que l'ouverture de 33 % du marché résultait d'un compromis trouvé en 1995 entre le respect d'un service public adapté à l'industrie et l'introduction de la concurrence dans un domaine qui s'y prête plutôt bien, celui de la production d'électricité. La période qui court jusqu'en 2003 permettra d'expérimenter l'ouverture partielle du marché et d'en tirer les conséquences. Du reste, les pays qui ont opté pour la libéralisation totale, comme le Royaume-Uni, n'ont pas mis en place un système véritablement concurrentiel ; celui-ci s'est traduit par une forte montée du chômage et des profits pour certains opérateurs, sans que les tarifs aient évolué de manière significative.

La qualité des organismes de régulation existants de par le monde dépend davantage de la compétence des personnes qui les composent que de la réglementation en vigueur. Selon la CFE-CGC, le problème essentiel réside dans le manque de transparence des prix et des contrats. Il lui paraît donc indispensable de l'organiser au bénéfice tant des producteurs que de leurs clients, sur le court terme mais aussi à long terme pour y intégrer les investissements nécessaires. A cet égard, il serait utile qu'un organisme puisse avoir communication de tous les contrats conclus, tout en respectant bien entendu la confidentialité des informations recueillies ; il pourrait s'agir par exemple du Conseil de la concurrence.

En outre, le développement du trading dans les pays anglo-saxons est lié à l'absence de transparence. Si les informations étaient disponibles, on n'aurait pas besoin de ce type d'activités. En tout état de cause, si les traders apparaissent en France, il faudra encadrer strictement l'exercice de leur activité.

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G.- Audition de représentants de la fédération de l'énergie, des mines et activités connexes CFTC

La commission a enfin entendu, lors de la même réunion du 13 janvier 1999, une délégation de représentants de la fédération de l'énergie, des mines et des activités connexes CFTC.

M. Jean-Marie Parent, président de la fédération de l'énergie, des mines et activités connexes CFTC, a présenté les observations de la CFTC sur le projet de loi relatif à la modernisation et au développement du service public de l'électricité.

L'article premier, qui définit le service public de l'électricité, revêt une importance essentielle. Il lui paraît devoir appeler trois modifications principales :

- au premier alinéa, il conviendrait de rappeler que l'électricité constitue un produit de première nécessité dans la vie quotidienne des citoyens ;

- au troisième alinéa, la préservation de la santé publique devrait être inscrite au rang des objectifs poursuivis par le service public ;

- après le quatrième alinéa, il faudrait indiquer explicitement que le service public de l'électricité constitue un service d'intérêt général au sens des dispositions du Traité de Rome.

Au paragraphe II de l'article 2, il serait opportun de préciser que la mission de développement et d'exploitation des réseaux publics de transport et de distribution d'électricité inclut la garantie de la sûreté de fonctionnement de ces réseaux.

Au paragraphe III de l'article 4, la concertation du gestionnaire de réseau et de la Commission de régulation de l'électricité avant fixation des tarifs d'utilisation des réseaux publics de transport et de distribution, serait de nature à améliorer les conditions de la prise de décision.

Au deuxième alinéa du paragraphe II de l'article 6, la CFTC estime nécessaire d'indiquer que sont considérées comme « nouvelles installations de production » au sens de cet article, non seulement les installations qui remplacent une installation existante mais aussi les installations d'un nouveau site de production. La référence à une augmentation « significative » de la puissance disponible lui semble par ailleurs entachée d'imprécision et il serait préférable de s'en remettre à un plafond défini par décret.

Au paragraphe III de ce même article, la menace pesant sur l'environnement pourrait être introduite comme facteur de déclenchement des mesures de sauvegarde temporaires prises par le ministre chargé de l'énergie.

Au deuxième alinéa du paragraphe I de l'article 15, M. Jean-Marie Parent a souhaité que les programmes d'appel établis par le service gestionnaire du réseau tiennent compte de l'obligation d'achat prévue à l'article 10 du projet de loi.

Aux articles 23 (quatrième alinéa) et 24, la possibilité reconnue à un producteur d'alimenter, outre ses propres établissements et filiales, sa société mère et les filiales de celle-ci, va nettement au-delà des exigences de la directive et du droit en vigueur. L'élargissement tel qu'il est proposé aurait pour conséquence de vider de tout contenu les dispositions relatives à l'éligibilité. La CFTC estime que cette extension doit être supprimée et qu'il faut s'en tenir à la règle actuelle dite « des trois points ».

M. Jean-Marie Parent a enfin relevé que le texte du projet de loi reste silencieux sur la question du statut du personnel des industries électriques et gazières. Les nouveaux opérateurs sur le marché profiteront des exceptions déjà existantes et risquent ainsi d'exercer une concurrence déloyale vis-à-vis d'EDF, à moins qu'on n'assiste à la multiplication des externalisations d'activités au sein des entreprises appliquant le statut afin d'y échapper.

M. Christian Bataille, rapporteur, a souhaité connaître la position de la CFTC sur le problème de l'indépendance qui doit être reconnue au gestionnaire du réseau et sur les pouvoirs de la Commission de régulation de l'électricité.

En réponse au rapporteur, M. Jean-Marie Parent a indiqué que l'intégration du gestionnaire de réseau au sein d'EDF représente une menace indéniable pour son indépendance. L'activité de gestion du réseau, à la différence de l'activité de production, est par nature une activité monopolistique. Il est donc impératif d'obtenir une dissociation claire entre, d'une part, les activités de production, de commercialisation et de négoce au sein d'EDF, et, d'autre part, des activités de gestion du réseau (transport, maintenance des infrastructures, distribution) qui doivent relever à titre exclusif du gestionnaire de réseau. A défaut d'une telle dissociation, on peut craindre la multiplication des soupçons, éventuellement infondés, sur la réalité de cette indépendance, la progression des risques contentieux et même une discrimination préventive à l'égard d'EDF pour se garder de tout reproche de favoritisme.

S'agissant de la Commission de régulation de l'électricité, la CFTC estime que les dispositifs du projet de loi sont suffisants pour garantir un fonctionnement équilibré.

H.- Liste des personnes entendues par le rapporteur

1. Conseil économique et social

- M. Raphaël HADAS-LEBEL, rapporteur de l'avis du Conseil  économique et social sur « la future organisation électrique  française »

2. Conseil de la concurrence

- Mme Marie-Dominique HAGELSTEEN, présidente

- M. Pierre CORTESSE, vice-président

- Mme Micheline PASTUREL, vice-présidente

3. Conseil supérieur de l'électricité et du gaz

- M. Jean-Pierre KUCHEIDA, député, président

4. Cabinet du secrétaire d'Etat à l'industrie

- M. Jérôme DELPECH, directeur adjoint de Cabinet

- M. Alain SIMON, conseiller technique

- M. Mathias HAUTEFORT, conseiller technique

5. Direction du gaz, de l'électricité et du charbon (DIGEC) au secrétariat d'Etat à l'industrie

- M. Jacques BATAIL, directeur

- M. Pierre-Yves COUCHOUD, chef du service des affaires  générales et sociales

- M. Alain SCHMITT, chef du service de l'électricité

- M. Vincent THOUVENIN, adjoint au chef du service de  l'électricité

- Mme Catherine LOUIS

- M. Louis SANCHEZ

6. Etablissements et entreprises publiques

·  EDF

- M. Gérard WOLF, directeur de cabinet du président d'EDF

- M. Jean-Louis JOLIOT, secrétaire général

- M. Philippe TORRION, directeur des questions stratégiques

- Mme Michèle BELLON, directeur de projet à la direction des  ressources humaines

·  GDF

- M. Pierre GADONNEIX, président

- M. Jean-François CORALLO, délégué aux affaires européennes

·  Société nationale d'électricité et de thermie (SNET)

- M. Jacques TEYSSIER, directeur général

- M. François RAIN, directeur général adjoint

·  Compagnie nationale du Rhône (CNR)

- M. Jean-Pierre RONTEIX, président

- M. Patrick GUILHAUDIN, directeur général

7. Groupes industriels privés

·  ENRON

- M. Mark C. SCHROEDER, vice-président

- Mme Fiona A.R. GRANT, manager

- M. Tim EWING

·  Groupe Suez-Lyonnaise des Eaux

- M. Gérard MESTRALLET, président directeur général

- M. Patrick BUFFET, directeur général adjoint

- M. Guy NOSSENT, directeur adjoint

- M. Michel BLEITRACH, président directeur général d'Elyo

- M. Jean-Marc SOUVRÉ, chargé de mission auprès de la  direction  générale d'Elyo

·  Groupe Vivendi

- M. Jean-Marie MESSIER, président directeur général

- M. Jean-Pierre DENIS, directeur délégué de Dalkia, membre du  comité exécutif de Vivendi Energie

- M. Bruno MASSIET du BIEST, chargé de mission

- M. Patrick LE VAILLANT

·  L'Air liquide

- M. Alain JOLY, président directeur général

- M. Thierry SUEUR, directeur des accords industriels et de  coopération

8. Organisations syndicales

·  CGT

- M. Jean-François GOMEZ, secrétaire de la fédération nationale  de l'énergie CGT

- M. Claude BONNET, membre du bureau fédéral de la fédération  nationale de l'énergie CGT

- M. Jean-Louis TEISSIE, membre du bureau fédéral de la  fédération  nationale de l'énergie CGT

- M. Jean-Paul TISSOT, membre de la commission exécutive  fédérale de la fédération nationale de l'énergie CGT

- M. Daniel BEGUET, secrétaire de la branche cadres de  Superphénix

·  CFDT

- M. Michel CRUCIANI, secrétaire national de la fédération  chimie- énergie CFDT

- M. Jean-Luc MAUCHAUFFÉE, administrateur d'EDF

- M. Hervé GOUYET

·  FO

- M. Jacky CHORIN, secrétaire fédéral de la fédération nationale  de l'électricité et du gaz FO, membre du haut conseil du  service public, membre du conseil supérieur de l'électricité et  du gaz

- M. Robert PANTALONI, administrateur d'EDF

- M. Bernard GITTON, secrétaire fédéral de la fédération  nationale de l'électricité et du gaz FO

·  CFE - CGC

- M. Pascal PERES, secrétaire général adjoint de la fédération des  industries électriques et gazières CFE-CGC

- M. Jean-Yves ROURE, secrétaire fédéral de la fédération des  industries électriques et gazières CFE-CGC

- M. Jean STENGEL, secrétaire fédéral de la fédération des  industries électriques et gazières CFE-CGC

·  CFTC

- M. Jean-Marie PARENT, président de la fédération nationale   des syndicats du personnel de l'électricité et du gaz CFTC

- M. Pierre-Jean COULON, président délégué

- M. Jean-Marie SAVOY, chargé de mission

9. Représentants des collectivités concédantes et des distributeurs non nationalisés

·  Fédération nationale des collectivités concédantes et régies

- M. Josy MOYNET, président

- M. Michel LAPAYRE, secrétaire général

·  Association nationale des régies de services publics et des  organismes constitués par les collectivités locales ou avec  leur participation (ANROC)

- M. André BOHL, sénateur, président de l'ANROC

- M. Gérard VINCENT, directeur général d'Usine d'électricité de  Metz

- M. Jean-Pierre VIOU, directeur des régies d'électricité de la  Vienne

- M. Jacques BOZEC, délégué général de l'ANROC

10. Fédérations et associations professionnelles

·  Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (CAPEB)

- M. Robert BUGUET, président de la CAPEB

- M. Roger CALLIGARIS, président de l'Union nationale des  artisans en équipement électrique et électronique

- M. Claude BROSSE, secrétaire général

- M. Alain BONAMY, chef du service économique

·  Conseil national de l'équipement électrique (CNEE)

- M. Guy POULLAIN, président du CNEE et de la FNEE  (fédération nationale de l'équipement électrique)

- M. Philippe GOJ, président de la fédération FEDELEC

- M. Bernard KRAMER, secrétaire général de la FNEE

·  Fédération nationale de la gestion des équipements, de  l'énergie et de l'environnement (FG3E)

- M. Bernard AUGUSTIN, président

- M. Joël CONAN, délégué général

11. Associations de consommateurs

·  Union des industries utilisatrices d'énergie (UNIDEN)

- M. Jean-Sébastien LETOURNEUR, président

- M. Edouard de VIENNE, directeur adjoint des affaires  juridiques de Pechiney

- M. Alain WERQUIN, président de la commission électricité de  l'UNIDEN, directeur de l'énergie de Rhodia

- Mme Lucie MORIN, secrétaire générale

·  Associations de consommateurs non éligibles

- M. Bernard HOCCUMILER, secrétaire général adjoint de  l'organisation générale des consommateurs (ORGECO)

- M. Claude COURTY, administrateur de l'ORGECO

- M. Paul EMAER, secrétaire général adjoint de la Confédération  syndicale des familles (CSF)

12. Personnalités qualifiées

·  Jean BERGOUGNOUX, président du groupe de travail du  Commissariat général du plan sur la régulation dans les  services publics en réseaux

·  Raymond LEBAN, professeur au Conservatoire national des   arts et métiers

II.- DISCUSSION GÉNÉRALE

Lors de sa réunion du 28 janvier 1999, la commission a examiné, sur le rapport de M. Christian Bataille, le projet de loi relatif à la modernisation et au développement du service public de l'électricité (n° 1253).

M. Christian Bataille, rapporteur, a indiqué en préambule que le texte présenté par le Gouvernement était le fruit d'un long travail de réflexion et de concertation engagé par les pouvoirs publics dès l'adoption de la directive 96/92/CE du 19 décembre 1996. De son côté, il a également procédé à de nombreuses auditions de syndicats, d'industriels et d'associations.

Il a rappelé qu'aux termes de l'article 27 de la directive la transposition par les Etats membres doit être réalisée avant le 19 février 1999. Il importe donc qu'une première lecture complète du texte devant l'Assemblée ait lieu avant cette date pour marquer clairement la volonté de la France de transposer rapidement la directive.

Aujourd'hui, l'électricité est un secteur qui intéresse l'Union européenne comme d'ailleurs l'ensemble des services publics, à l'exception notable de l'eau, ainsi que l'atteste l'adoption de directives dans le domaine des télécommunications, des services postaux et du gaz.

L'élaboration du marché intérieur de l'électricité à partir de propositions de la Commission européenne a commencé avec les années 1990 ; après avoir cherché leur voie, les négociations entre les Quinze se sont intensifiées au tournant de 1995 ; la directive « électricité » a été adoptée définitivement le 19 décembre 1996.

Celle-ci prévoit que la production, le transport et la distribution d'électricité seront organisés en Europe selon des règles communes définissant un marché intérieur.

Les Etats peuvent imposer aux entreprises des obligations de service public portant en particulier sur la sécurité d'approvisionnement, la régularité, la qualité et les prix des fournitures ainsi que sur la protection de l'environnement. Ils peuvent également, sous réserve d'appliquer des critères objectifs et non discriminatoires, imposer une planification à long terme des équipements de production. Dans ce cadre, les nouvelles capacités installées sont créées par autorisation ou appel d'offres.

Chacun des Etats membres désignera un gestionnaire du réseau de transport (GRT) ; celui-ci est principalement chargé de l'appel des installations de production.

Chaque Etat pourra choisir entre différentes modalités d'accès au réseau : accès réglementé (sur la base d'un tarif publié applicable à tous les opérateurs), accès négocié (permettant l'achat d'énergie moyennant des accords commerciaux négociés au cas par cas) ou « acheteur unique » (désignation d'un acheteur compétent sur le territoire couvert par le gestionnaire du réseau).

Les Etats définiront des « consommateurs éligibles » (ceux-ci disposeront de la liberté de choisir leur fournisseur) représentant au minimum 26 % de leur marché au 19 février 1999. Cette proportion pourrait passer à 30 % en février 2000 et 33 % en février 2003. Les consommateurs de plus de 100 GWh par an et par site seront de droit éligibles. Cette ouverture pourra connaître une nouvelle étape à partir de 2006, conformément aux dispositions de l'article 26 de la directive.

Pour M. Christian Bataille, ne pas transposer la directive électricité risque de compromettre gravement le fonctionnement du système électrique français et de pénaliser EDF. En effet, dès le 19 février 1999, certaines dispositions du texte seront d'application immédiate. Les clients finals consommant plus de 100 GWh par an et par site pourront par exemple s'approvisionner auprès du fournisseur de leur choix et tout opérateur postulant tel Vivendi ou Suez-Lyonnaise des eaux sera fondé à demander l'application du principe d'ouverture à la concurrence de la production.

Par ailleurs, en cas de non transposition, la Commission européenne pourrait engager, comme pour des mesures législatives portant sur les périodes de chasse des oiseaux migrateurs, une procédure de « manquement ».

Le rapporteur a ensuite rappelé que, contrairement à la Belgique, l'Irlande et la Grèce, la France n'avait pas obtenu dans la directive un délai supplémentaire pour procéder à sa transposition.

Il a ensuite estimé que le projet de loi présenté par le Gouvernement était un vrai « projet pour le service public ». La totalité du titre Ier est en effet consacrée à ce thème. Le service public est inséré dans la politique énergétique du pays, les principes d'égalité, de continuité et d'adaptabilité qui le fondent sont réaffirmés et sa contribution à la cohésion sociale à travers l'ébauche d'un droit à l'énergie est consacrée.

Le service public de l'électricité recouvre trois missions : le développement équilibré de l'approvisionnement du pays en électricité, le développement et l'exploitation des réseaux publics de transport et de distribution et la garantie des fournitures à tous les consommateurs qui en font la demande. Un fonds des charges d'intérêt général de l'électricité financé par les contributions des producteurs et fournisseurs livrant aux clients finals apportera aux producteurs la compensation des charges résultant de leurs missions de service public.

Le schéma retenu par le projet de loi pour organiser le système électrique français est voisin de celui proposé par la directive :

- la politique énergétique définie pour son volet « électricité » dans le cadre de la programmation pluriannuelle des investissements de production continue à relever des pouvoirs publics ;

- les consommateurs de plus de 40 Gwh par an en 1999 (puis 20 en février 2000 et de 9 à partir de février 2003) seront éligibles ;

- la régulation du secteur est confiée à une Commission de régulation de l'électricité de six membres et disposant de pouvoirs de proposition, de contrôle et de sanction.

M. Christian Bataille a ensuite appelé l'attention des commissaires sur plusieurs points :

- le degré d'ouverture du marché français (26 % en 1999) est fixé au plancher de ce que requiert la directive ; l'ouverture à la concurrence s'effectuera donc de façon mesurée ;

- le gestionnaire du réseau de transport (GRT) est incorporé à EDF, qui conserve ainsi son caractère d'entreprise intégrée. Cet organisme sera au c_ur du système ; il aura en effet pour mission principale la gestion des infrastructures du réseau de transport, l'appel sur le réseau des installations de production et des sources d'importation et l'appel des réserves d'approvisionnement ; il devra prévenir la congestion du réseau ;

- le statut des industries électriques et gazières est de droit applicable aux opérateurs entrant sur le marché français de l'électricité.

Il a ensuite indiqué qu'il n'était plus possible d'aborder le XXIème siècle dans le cadre plus que cinquantenaire de la loi du 8 avril 1946.

En effet, la concurrence est déjà présente depuis le début des années 1990 entre les différentes formes d'énergie comme le constatent au quotidien tous les agents d'EDF.

Par ailleurs, l'élargissement de la spécialité d'EDF est devenu nécessaire. Il lui faut désormais pouvoir se présenter comme un « énergéticien » capable de présenter des « offres globales », comme l'ensemble de ses concurrents.

Enfin, la loi de 1946, qui demeure un jalon important de notre histoire collective, ne sera pas abrogée mais seulement modifiée sur quelques points (fin du monopole de production, d'importation et d'exportation, condition de nomination du directeur général, composition du conseil supérieur de l'électricité et du gaz, aménagement du principe de spécialité, etc.).

Il a conclu en soulignant que la réforme laisse intact le statut d'EDF, ne touche pas à celui de son personnel et ne remet pas en cause les acquis sociaux liés à ce statut.

Après l'exposé du rapporteur, la commission a rejeté l'exception d'irrecevabilité déposée par M. José Rossi et la question préalable déposée par M. Guy Hascoët.

Intervenant dans la discussion générale, M. Alain Cacheux a souligné que trois questions principales se trouvent posées à l'occasion de l'examen de ce projet de loi.

La première est celle de l'opportunité même de la directive et de la possibilité d'une éventuelle renégociation. Il a rappelé que la majorité actuelle avait en son temps exprimé son désaccord avec la directive marquée du sceau du libéralisme dominant la construction communautaire - en dépit de certains gages quant au rôle de l'Etat et aux préoccupations de service public.

La renégociation de la directive semble malheureusement impossible pour trois raisons. La France doit naturellement respecter la parole qu'elle a donnée et l'engagement qu'elle a souscrit. Par ailleurs, la multiplication des échéances européennes a mobilisé sans répit l'énergie du Gouvernement au cours des derniers mois : il faut ainsi rappeler que la signature du traité d'Amsterdam a été l'occasion d'un rééquilibrage de la construction communautaire en faveur de l'emploi et que la mise en place de l'euro introduit un contrepoids au pouvoir de la banque centrale européenne. Enfin, la fidélité du groupe socialiste à l'idée européenne lui interdit de provoquer une crise qui serait de nature à menacer les intérêts français.

La seconde question est celle de l'appréciation portée globalement sur le projet de loi. Ce texte respecte la conception que se fait la majorité du service public et reconnaît une place précise à l'Etat, aux collectivités locales et à EDF : au premier, la responsabilité de définir la politique énergétique du pays ; aux secondes, la confirmation du pouvoir de l'autorité concédante en matière de distribution de l'énergie électrique ; à EDF, la place de l'opérateur de service public.

EDF est doté des moyens qui lui permettront de lutter à armes égales contre la concurrence et de demeurer le premier électricien européen : l'élargissement du principe de spécialité vis-à-vis des clients éligibles est, de ce point de vue, satisfaisante.

Le maintien du statut du personnel constitue un élément positif, puisqu'il préserve les conditions de travail des salariés d'EDF et égalise la compétition entre l'ensemble des opérateurs.

La préservation de l'unité de l'entreprise doit être saluée, de même que la prise en compte de nombreuses préoccupations en matière d'énergies renouvelables, de protection de l'environnement ou de politique énergétique - même si, sur ce point, le renforcement du rôle du Parlement apparaît souhaitable.

Les améliorations les plus significatives lui paraissent devoir être apportées en matière de service public. M. Alain Cacheux a souhaité notamment une reconnaissance plus large du droit à l'énergie pour tous, au-delà des dispositifs actuels en matière de pauvreté et de précarité, ainsi qu'une garantie réaffirmée de la continuité du service public et de l'identité des prestations en tout point du territoire. Enfin, la concertation locale et régionale avec l'ensemble des acteurs (consommateurs, élus locaux et organisations syndicales) doit être renforcée.

La troisième question est celle des conséquences qu'entraînerait un éventuel rejet du projet de loi. Celui-ci déboucherait sur des recours multiples devant les autorités juridictionnelles européennes et sur la demande présentée par les concurrents d'EDF de bénéficier immédiatement des dispositions de la directive d'application directe. Le risque apparaît alors d'une ouverture totale du marché dans des conditions concurrentielles inéquitables pour l'opérateur historique, d'une atteinte à l'unicité de l'entreprise et de l'arrivée de nouveaux énergéticiens en dehors de tout cadre.

En conclusion, M. Alain Cacheux a souhaité que le projet de loi qu'il a qualifié de globalement positif puisse être amélioré en séance publique.

M. Franck Borotra a rappelé que la directive résulte d'un accord au sein de l'Europe communautaire, qui n'aurait pu être obtenu sans la volonté commune de la France et de l'Allemagne. S'il estime que les possibilités de renégociation ne sont aucunement fermées, il a mis en garde contre le risque de voir celle-ci déboucher sur un accord moins favorable et une libéralisation très étendue, à l'image de celle qu'on observe dans la plupart des autres pays européens. Or, il a déploré qu'à travers le projet de loi, le Gouvernement n'ait pas « fermé la porte » à une éventuelle évolution ultérieure.

Il a en revanche souligné que les menaces de contentieux communautaires ne devaient pas conduire notre pays à négliger ses propres intérêts et que le groupe RPR adoptera une attitude d'opposant responsable vis-à-vis de ce texte.

Il a ensuite regretté que le projet de loi ne s'engage pas dans un réexamen de fond de la loi de 1946 que l'organisation actuelle de la distribution d'électricité eût pourtant justifié. Il a également fait valoir que la position de la Cour de justice des communautés européennes sur le financement des services d'intérêt général par les entreprises détentrices de droits exclusifs pouvait faire douter de la conformité du texte à la jurisprudence communautaire.

Le texte présenté par le Gouvernement ne lui paraît donc pas acceptable en l'état sur de nombreux points.

La transposition de la directive ne lui semble pas conforme à l'esprit qui a présidé à sa négociation, c'est-à-dire celui de l'acceptation d'une ouverture limitée du marché de l'électricité sans aucun engagement sur un élargissement ultérieur de cette ouverture nationale. Le projet de loi, qui multiplie les contraintes sur les nouveaux producteurs, n'interdit en revanche aucunement qu'on progresse à l'avenir en cette matière.

La deuxième source de difficultés est liée à l'insuffisance d'autonomie et d'indépendance du gestionnaire de réseau.

Les modalités d'application du projet de loi sont par ailleurs imprécises et exposent donc le cadre que votera le Parlement à des déformations assez substantielles.

La transcription ne conforte pas la place de la filière nucléaire dans le système électrique français et la pérennité de l'EPR est menacée par les dispositions relatives à la programmation pluriannuelle des investissements et à la suspension de l'obligation d'achat en situation de surcapacité.

Enfin, il convient d'ouvrir de nouvelles perspectives à EDF en Europe en gardant à l'esprit que les difficultés liées à la réciprocité sont d'autant plus significatives que l'ouverture du marché national est moins réelle.

M. Franck Borotra a conclu son intervention en indiquant les points sur lesquels il souhaite que les dispositions présentées évoluent. Il faut selon lui :

- renforcer l'autonomie du gestionnaire de réseau afin d'assurer la transparence de ses décisions ;

- accroître les pouvoirs de l'autorité de régulation en matière d'investigation, de sanctions, de contrôle des tarifs réglementés, de définition des coûts de transport et des charges de service public et d'abus de position dominante ;

- préciser la notion de charges de service public ;

- conforter la diversification des sources d'énergie électrique, en matière notamment de cogénération et de production décentralisée ;

- revoir le principe général des procédures d'autorisation ;

- améliorer les dispositions relatives à la dissociation comptable et au pouvoir de contrôle de la commission de régulation ;

- exempter les nouveaux opérateurs privés de l'application, à leurs salariés, du statut du personnel des industries électriques et gazières ;

- élargir l'objet social d'EDF, non pas du point de vue des clients non éligibles (pour lesquels la situation actuelle doit perdurer au titre du respect du principe de spécialité), mais de celui des clients éligibles pour lesquels l'ouverture de possibilités de diversification est souhaitable et afin de délivrer l'établissement public de toute contrainte dans ses activités à l'étranger;

- préciser les modalités d'organisation du marché de l'électricité et les critères d'éligibilité.

Il a conclu en indiquant qu'en l'état actuel du texte, son groupe ne pourrait le voter mais que sa position pourrait évoluer en fonction de l'adoption de certains de ses amendements, étant entendu qu'il ne cherchait pas à obtenir satisfaction sur tous les points présentés ci-dessus.

M. Claude Billard a fait remarquer que cette loi était un sujet d'inquiétude pour le groupe communiste. En effet, la libéralisation et la dérégulation du marché peuvent se révéler contraires à l'intérêt général. Tout en soulignant les atouts dont dispose EDF dans un marché s'ouvrant à la concurrence, M. Claude Billard s'est interrogé sur sa capacité à assumer ses missions de service public dans ce nouveau cadre.

Il a donc annoncé que son groupe ne pouvait voter le projet de loi en l'état et qu'il présentera en conséquence des amendements visant en particulier à conforter le service public. Ils porteront sur la démocratisation du service public, sur la possibilité donnée aux élus d'exercer leur pouvoir de contrôle et sur le nécessaire renforcement de la cohésion sociale par la lutte contre l'exclusion.

M. Pierre Micaux a insisté sur la nécessité de mettre en place un système fondé sur la transparence et la coopération entre concédants et opérateurs. Il faut transposer « dans la clarté » afin d'éviter la multiplication des procédures de contentieux devant la Cour de justice des communautés européennes. Ce principe de transparence doit s'appliquer tant au gestionnaire du réseau de transport qu'aux producteurs. Il s'agit de donner à tous les opérateurs, y compris EDF, les mêmes droits et obligations dans un marché ouvert à la concurrence.

Il a fait remarquer que l'application aux salariés des nouveaux entrants du statut des personnels des industries électriques et gazières pouvait surprendre à l'heure d'une organisation mondiale du commerce et de la concurrence. Il s'est opposé à l'idée de faire porter certaines charges de service public sur les nouveaux entrants et de leur faire payer la facture de Superphénix.

Exposant la position présentée par les autorités concédantes, M. Pierre Micaux a exprimé son accord avec les grandes lignes du projet de loi. Il a enfin insisté sur la nécessité de soutenir le rôle des concédants et d'améliorer le statut de certains distributeurs non nationalisés.

M. Christian Bataille, rapporteur, a fait valoir qu'il n'avait pas vocation en tant que rapporteur à être l'avocat du Gouvernement et à défendre pied à pied toutes les dispositions du projet de loi. Le secrétaire d'Etat à l'industrie s'en chargera lui-même en séance publique. Le rapporteur a souhaité ne pas engager dès à présent le débat sur les propositions de modification du projet de loi, lui-même préparant plusieurs amendements pour les réunions de la semaine prochaine. Il a cependant relevé que plusieurs propositions des orateurs allaient dans le sens de ses réflexions.

Il a ensuite indiqué qu'il n'existait aucune divergence entre lui-même et M. Alain Cacheux. Il a cependant précisé qu'en cas d'absence de transposition de la directive européenne, il n'y aurait pas d'ouverture du marché de l'électricité à 100 %. En effet, la directive fait appel au principe de subsidiarité pour transposer plusieurs de ses dispositions ; certaines d'entre elles sont cependant d'application directe, comme celle permettant aux consommateurs finals consommant plus de 100 GWh par an et par site de faire jouer la concurrence pour leur fourniture en électricité.

Il a ensuite déclaré partager plusieurs des points de vue émis par M. Franck Borotra et s'est déclaré ouvert au débat sur les sujets qu'il a abordés et sur lesquels son approche a été technique et ouverte. Des convergences peuvent être trouvées, dès lors qu'elles ne remettent pas en cause l'équilibre du projet de loi.

Il a également soutenu l'idée défendue par M. Franck Borotra selon laquelle il faut donner sa chance à l'EPR.

En réponse à M. Pierre Micaux, il a indiqué qu'il était disposé à rediscuter en commission comme en séance publique des dispositions de l'article 46 du projet de loi incluant les coûts liés à Superphénix dans les coûts échoués.

Enfin, comme l'a proposé M. Claude Billard, il a souhaité que le projet de loi traduise une meilleure expression du service public. Ce texte consacre dès à présent une large place au service public ; plusieurs considérations évoquées par M. Claude Billard peuvent cependent être mieux soulignées dans la loi. La spécificité française du service public doit en effet être confortée. En tout état de cause, la directive européenne n'entraîne aucunement sa disparition.

III.- EXAMEN DES ARTICLES

TITRE PREMIER

LE SERVICE PUBLIC DE L'ÉLECTRICITÉ

Comme l'indique le titre du projet de loi, le service public de l'électricité constitue le coeur du texte. De ce point de vue, le projet de loi s'inscrit dans une logique différente de celle qui présidait aux travaux des législateurs de 1946. La loi de 1946 est une loi de nationalisation ; le projet de loi présenté au Parlement en 1998 se donne pour objectif la « refondation » du service public ou d'un point de vue juridique plus strict sa « fondation » puisque la notion même de « service public de l'électricité » n'apparaît dans aucun texte de droit français. Sa définition procède d'une construction intellectuelle élaborée à partir des différentes missions assignées aux opérateurs dans les cahiers des charges de concession des réseaux de transport et de distribution.

Par ailleurs, en consacrant l'existence d'un service public de l'électricité, le texte présenté par le Gouvernement emboîte le pas de la directive puisque, après des années d'âpres discussions, l'Union européenne a fini par reconnaître l'existence des services publics admettant ainsi que les intérêts des consommateurs et ceux des citoyens n'étaient pas nécessairement concordants. Aussi, la rédaction de l'article 3 paragraphe 2 de la directive marque-t-elle le couronnement des efforts de notre pays pour faire triompher ce que certains appellent « l'exception française » en matière de services publics. En effet, selon les termes de cet article, « les Etats membres peuvent imposer aux entreprises du secteur de l'électricité des obligations de service public, dans l'intérêt économique général ».

Longtemps contestée par l'Union européenne, la notion de service public a aujourd'hui le vent en poupe puisqu'elle est désormais expressément inscrite dans le droit européen et qu'en matière d'électricité, il est proposé d'inclure sa définition, son contenu et son mode de fonctionnement et de financement dans la loi française.

Article premier

Définition du service public de l'électricité

La rédaction de l'article premier donne lieu à un subtil dégradé. En effet, après avoir défini son objet dans le premier alinéa, le projet de loi énumère ensuite successivement les objectifs à la poursuite desquels « contribue » et « concourt » le service public.

S'inscrivant dans une logique d'offre d'énergie et non de demande (logique plus conforme à l'exigence de maîtrise de l'énergie), le premier alinéa indique que l'objet du service public est de garantir l'approvisionnement en électricité. Cette garantie s'applique sur l'ensemble du territoire national, incluant par cette formule les territoires d'outre-mer, Saint-Pierre-et-Miquelon et Mayotte dans le périmètre géographique du service public. Sur cet alinéa, la commission a adopté suivant l'avis de son rapporteur, un amendement de M. Claude Billard rappelant que le service public de l'électricité est au service de l'intérêt général (amendement n° 163).

Le deuxième alinéa détermine le rôle que doit jouer le service public de l'électricité dans notre politique nationale de l'énergie. Il contribue ainsi à ce que l'on peut considérer comme les trois principaux piliers de cette politique :

- l'indépendance et la sécurité d'approvisionnement. Rappelons que la notion de sécurité d'approvisionnement a, sur l'insistance de la France, été mentionnée à plusieurs reprises dans le texte de la directive (cf. le treizième considérant : « considérant que pour certains Etats membres, l'imposition d'obligations de service public peut être nécessaire pour assurer la sécurité d'approvisionnement... » ou l'article 3 paragraphe 2 : « Les Etats membres peuvent imposer au secteur de l'électricité des obligations de service public dans l'intérêt économique général, qui peuvent porter sur la sécurité, y compris la sécurité d'approvisionnement...). Sous ces vocables d'indépendance et de sécurité d'approvisionnement, se trouvent des exigences traditionnelles de toute politique de l'énergie : diversification des énergies, diversification des sources géographiques d'approvisionnement, limitation des importations de produits énergétiques ;

- la gestion optimale des ressources nationales est une exigence étroitement liée à la notion d'indépendance mentionnée dans l'alinéa précédent. Les termes « gestion optimale » doivent s'entendre dans leur sens économique, ce qui signifie qu'il ne peut être question d'exploiter des ressources d'énergie présentes sur notre sol mais qui, à l'évidence, ne sont plus compétitives ;

- la maîtrise de la demande d'énergie. Les économies d'énergie demeurent un gisement essentiel de « gains énergétiques » et une orientation politique vitale pour tout pays peu pourvu en ressources énergétiques.

Lors de l'examen du projet de loi, la commission de la production et des échanges s'est efforcée de compléter cette liste. Aussi, après avoir rejeté un amendement de M. Claude Billard, approuvé par M. Franck Borotra, précisant que le service public de l'électricité contribue au développement des ressources nationales, a-t-elle adopté :

- un amendement du même auteur ajoutant que le service public de l'électricité contribue à la qualité de l'air et à la lutte contre l'effet de serre (amendement n° 164) ;

- un amendement de M. Franck Borotra visant la compétitivité de l'activité économique et la maîtrise des choix technologiques d'avenir (amendement n° 165). En conséquence, un amendement de M. Jean-Michel Marchand est devenu sans objet.

Le service public de l'électricité ne se borne pas à être un des éléments moteurs de notre politique de l'énergie, il joue également, ainsi que le souligne l'alinéa 3, un rôle décisif en matière de cohésion sociale (grâce, par exemple, à la péréquation des tarifs et au dispositif institué en faveur des personnes en situation de précarité), de développement du territoire (là aussi grâce aux tarifs péréqués) dans le respect de l'environnement, de recherche, de défense et de sécurité publique.

Il convient de revenir sur la contribution du service public de l'électricité à la cohésion sociale. Sur ce point, la commission a examiné un amendement de M. Claude Billard visant à inscrire dans le texte du projet de loi la notion de « droit à l'énergie pour tous ». M. Franck Borotra a fait valoir que la rédaction proposée était trop large et pouvait inclure par exemple un droit à la fourniture de carburant ou de gaz. Or, le service public du gaz est plus limité puisqu'il n'est pas soumis à péréquation tarifaire et à obligation de desserte. En conséquence, il a proposé un sous-amendement ne visant que le « droit à l'électricité ». Pour M. Alain Cacheux, cet amendement s'inscrit dans la continuité des dispositions législatives de prévention et de lutte contre les exclusions. Il s'est donc déclaré favorable à cet amendement car l'électricité est un bien de première nécessité. Après une intervention de M. Pierre Ducout, la commission a adopté le sous-amendement de M. Franck Borotra, puis l'amendement ainsi modifié (amendement n° 166).

Enfin le dernier alinéa rappelle les principes généraux de gestion du service public de l'électricité. Ils correspondent à ceux dégagés depuis plus d'un siècle par notre jurisprudence administrative et par la doctrine juridique du service public : égalité, continuité, adaptabilité. Appliquées au service public de l'électricité, ces notions recouvrent des éléments essentiels de l'organisation de notre système électrique.

Ainsi l'égalité inclut-elle l'obligation de desserte et le principe de péréquation géographique des tarifs. Ce dernier est d'ailleurs la traduction parfaite dans le domaine de l'électricité, de notre conception de l'égalité devant le service public, la jurisprudence et la doctrine ayant toujours considéré que l'égalité devait se comprendre comme une absence de discrimination entre personnes placées dans une même situation et non comme un nivellement absolu des conditions de traitement. Dans le cas de l'électricité, deux consommateurs placés dans une même situation (deux consommateurs industriels ou deux ménages par exemple) sont traités de manière égale quel que soit leur lieu d'implantation ou d'habitation sur le territoire. Signalons toutefois que seuls les tarifs sont péréqués, les conditions de raccordement au réseau étant partiellement prises en charge par les abonnés. Enfin, la notion d'égalité est suffisamment large pour inclure également d'autres principes de fonctionnement du service public souvent mis en exergue tels que la neutralité ou l'universalité.

Le principe de continuité s'applique principalement à la fourniture en électricité. Celle-ci doit être assurée pour tous, à tout moment et en tout point du territoire. Ce qui implique que toute coupure prolongée de courant est contraire au principe de continuité. En revanche, les problèmes posés par les baisses de tension ou par les micro-coupures affectent plus la qualité de la fourniture que la continuité du service public.

Le principe d'adaptabilité permet à l'opérateur chargé du service public de modifier unilatéralement les modalités de mise en oeuvre des obligations de service public. Dans le domaine de l'électricité, c'est sur le fondement de ce principe qu'EDF peut par exemple revoir les contrats d'achat conclus avec les producteurs indépendants. La souplesse du service public, gage de sa modernité repose donc sur le principe d'adaptabilité (dit aussi de mutabilité) : pour être efficace, le service public doit pouvoir, à tout moment, s'adapter aux besoins de la société.

Enfin, l'article premier précise que la gestion du service public doit s'opérer dans les meilleures conditions :

- de sécurité : c'est la sécurité des personnes et du réseau qui est ici visée ;

- de qualité, ce qui n'implique d'ailleurs pas une obligation de fourniture d'une qualité parfaite à n'importe quelle condition de prix ;

- de prix et d'efficacité économique.

Ces différents critères sont étroitement dépendants les uns des autres. Il ne s'agit donc pas d'exiger un respect absolu de chaque critère pris isolément mais de faire en sorte que la combinaison des trois permette au service public de s'exercer dans des conditions optimales.

Sur ce dernier alinéa, après qu'un amendement de M. Franck Borotra fut devenu sans objet, la commission a adopté un amendement de M. Claude Billard (amendement n° 167), conséquence de la reconnaissance du droit à l'électricité pour tous, sous-amendé par MM. Claude Birraux et Jean-Michel Marchand afin de préciser que le service public de l'électricité est géré dans les meilleures conditions d'efficacité énergétique.

Puis la commission a adopté l'article premier ainsi modifié.

Article 2

Missions du service public de l'électricité

L'article 2 définit les trois missions du service public de l'électricité :

- développement équilibré de l'approvisionnement ;

- développement et exploitation des réseaux publics de transport et de distribution ;

- fourniture d'électricité.

On peut immédiatement constater à la lecture de ces missions que la trilogie traditionnelle : production-transport-distribution n'est pas reprise.

Si le terme d'« approvisionnement » a été préféré à celui de « production », c'est afin de regrouper sous un seul vocable la production et les activités d'importation d'électricité.

Quant aux notions de distribution et de fourniture, elles sont désormais distinguées.

Jusqu'à présent, influencés par notre propre organisation quasi-monopolistique, nous avions toujours eu tendance à considérer que l'acte consistant à livrer l'électricité via le réseau de distribution et l'acte consistant à vendre le courant ne pouvaient être dissociés et relevaient donc de la responsabilité d'une seule et même personne.

La réforme britannique de 1989 a, la première, établi une distinction entre distribution et fourniture (supply). Celle-ci a été reprise par la directive européenne, même si seul le réseau de distribution fait l'objet d'un chapitre spécifique.

De fait, dans de nombreux Etats, la libéralisation du secteur de l'électricité s'est accompagnée de la mise en place d'un marché de gros et de l'apparition de traders qui, pratiquant l'achat de courant pour revente, n'ont plus aucun rapport avec l'activité des distributeurs.

Dans ces conditions, il importait donc de réaménager la trilogie précédemment mentionnée, pour regrouper en une seule entité les activités de gestion de réseau (transport et distribution) et pour isoler l'activité spécifiquement liée à la fourniture, celle-ci demeurant toutefois de la responsabilité exclusive d'EDF et des distributeurs non nationalisés (les « DNN »).

Le paragraphe I définit la mission de développement équilibré de l'approvisionnement, c'est-à-dire de développement de la production et de l'importation d'électricité. Dans ce cadre, la notion de « développement équilibré » vise essentiellement le développement des capacités de production. Mais, pour parvenir à un développement « équilibré », il importe de surcroît, de trouver une répartition harmonieuse et conforme à l'intérêt général :

- entre les énergies primaires (énergie nucléaire, énergies fossiles, énergies renouvelables) ;

- entre les techniques de production (réacteur nucléaire « classique », EPR, centrale au charbon classique, à lit fluidisé circulant, etc...) ;

- entre les localisations géographiques des sites de production ;

- entre les pays d'origine de nos importations.

Cette mission poursuit un double but :

1°)  atteindre les objectifs assignés par la programmation pluriannuelle des investissements de production (PPI) instituée par l'article 6 du projet de loi ; pour y parvenir, plusieurs outils s'offrent à la puissance publique : les autorisations d'exploiter (article 7), les appels d'offre (article 8) et l'obligation incombant à EDF d'acheter l'électricité produite à partir d'énergies renouvelables ou de déchets ou au moyen de techniques performantes en termes d'efficacité énergétique (article 10) ;

2°)  garantir l'approvisionnement de zones qui, comme les départements d'outre-mer, la Corse ou d'autres îles métropolitaines (Ouessant, Molène et Sein sont les seules concernées) ne sont pas raccordées à notre réseau métropolitain continental (ce double adjectif est nécessaire car le réseau corse est relié au continent par l'Italie via la Sardaigne). Il importe donc de développer dans ces zones un parc de production « autochtone ». Or un tel développement est particulièrement coûteux car toute économie d'échelle est impossible.

Sur les objectifs de la mission de service public liée à l'approvisionnement en électricité, la commission a adopté deux amendements du rapporteur (amendements nos168 et 169), l'un rendant exhaustive la liste desdits objectifs et l'autre rendant plus normative la rédaction du texte et satisfaisant ainsi un amendement de M. Claude Billard.

Puis la commission a examiné un amendement de M. Claude Birraux débaptisant la « programmation pluriannuelle des investissements » pour l'appeler « planification pluriannuelle des investissements » (PPI), cette formulation lui paraissant moins impérative. Après que M. Franck Borotra eut émis des doutes sur le caractère plus ou moins contraignant du terme planification, la commission a adopté l'amendement de M. Claude Birraux (amendement n° 170) et décidé de procéder à la même substitution dans l'ensemble du projet de loi.

Un débat s'est ensuite ouvert sur un amendement de M. Claude Billard soumettant la PPI au contenu d'une loi d'orientation énergétique. M. Christian Bataille, rapporteur, s'est montré favorable au principe de l'examen à intervalles réguliers par le Parlement de lois d'orientation dans le domaine de l'énergie mais il a estimé que la formulation de cet amendement, qui soumet la PPI à la promulgation d'une loi, risquerait de retarder la mise en _uvre du nouveau système électrique. Après une large discussion dans laquelle sont intervenus MM. André Lajoinie, président, Daniel Marcovitch et Alain Cacheux, M. Claude Billard a retiré son amendement , le débat devant être réouvert lors de l'examen de l'article 6 portant sur la PPI.

Ainsi que le confirme un amendement rédactionnel du rapporteur adopté par le commission (amendement n° 171), tous les producteurs, à savoir EDF, les producteurs non nationalisés en 1946 et les nouveaux entrants sur le marché de l'électricité contribuent à la réalisation de ces objectifs. Les charges qui en résultent (charges liées à l'approvisionnement des zones métropolitaines non raccordées au réseau, charges liées aux contrats d'achats passés par EDF dans le cadre de la procédure d'appel d'offres, charges liées à l'obligation d'achat d'EDF) font l'objet d'une compensation assurée par le fonds des charges d'intérêt général de l'électricité institué au paragraphe I de l'article 5.

Le paragraphe II précise la mission de développement et d'exploitation des réseaux de transport et de distribution d'électricité. Sont exclusivement visés ici les réseaux publics qui sont, de fait, des monopoles naturels, ce qui exclut donc du champ du service public, les lignes directes ouvertes entre producteurs et consommateurs.

Cette mission vise à assurer :

1°)  la desserte rationnelle du territoire par les différents réseaux. Les critères de rationalité de la desserte ne sont pas tous d'ordre économique mais peuvent prendre en compte des données liées à l'aménagement du territoire ou à la protection de l'environnement. Cette exigence de rationalité trouve d'ailleurs un écho dans l'article L. 2224-33 du code général des collectivités territoriales que l'article 11 du projet de loi se propose d'introduire. En effet, cet article autorise les communes ou les établissements publics de coopération dont elles sont membres à créer des petites unités de production d'électricité lorsque celles-ci sont « de nature à éviter, dans de bonnes conditions économiques, l'extension ou le renforcement des réseaux publics de distribution d'électricité » ;

2°)  le raccordement et l'accès dans des conditions non discriminatoires aux réseaux publics de transport et de distribution. Il s'agit là d'un impératif essentiel pour toute activité de réseau s'ouvrant à la concurrence. Le rapporteur reviendra sur ces problèmes dans son commentaire des articles contenus dans les titres III et IV du projet de loi.

Le contenu de la mission de service public liée au développement et à l'exploitation des réseaux a suscité un important débat lors de la réunion de la commission. Celle-ci a d'abord rejeté un amendement de M. Claude Billard, précisant les conditions dans lesquelles doit s'effectuer cette mission.

Elle a ensuite adopté trois amendements identiques de MM. Pierre Micaux, Yvon Montané et Alain Cacheux rappelant que le développement et l'exploitation des réseaux doivent s'effectuer dans le respect de l'environnement et un amendement de M. Franck Borotra inscrivant l'interconnexion des réseaux avec ceux des pays voisins dans cette mission de service public, son auteur ayant fait valoir que cet amendement n'était pas contradictoire avec les trois amendements identiques précédemment adoptés par la commission (amendements nos172 et 173). Celle-ci a en revanche rejeté un amendement de M. Jean Proriol ajoutant la garantie de sûreté de fonctionnement des réseaux, cette précision n'étant pas jugée nécessaire.

Le paragraphe II confirme par ailleurs le monopole d'EDF sur le transport d'électricité et son quasi-monopole sur la distribution. Dans ces deux secteurs, les acteurs seront les mêmes avant et après l'ouverture du marché. Seules les conditions d'exercice de ces métiers sont aménagées.

Pour la distribution, les quelque 152 distributeurs non nationalisés (DNN) couvrant près de 2 800 communes et alimentant plus de 3 millions de personnes, continueront d'exercer leur activité sur leur zone de desserte.

LES DISTRIBUTEURS NON NATIONALISÉS

Statut

Nombre

Communes desservies

Population desservie
(en millier)

Régies

122

940

1 393,2

SICAE
(sociétés d'intérêt collectif agricole d'électricité)

21

1 203

558,6

SEM
(sociétés d'économie mixte)

5

227

353,8

Autres statuts
(société anonyme, coopérative)

4

421

858,6

TOTAL

152

2 791

3 164,2

Source : DIGEC

Le projet de loi confirme donc qu'en matière de transport, la mission de service public consistant à développer et à exploiter le réseau incombe à EDF seul et que, pour la distribution, cette mission est partagée entre EDF et les distributeurs non nationalisés sur leur périmètre d'intervention.

La commission a examiné plusieurs amendements visant à préciser quelles sont les personnes chargées de la mission de développement et d'exploitation des réseaux publics. Elle a ainsi rejeté un amendement de M. Claude Birraux, l'amendement n° 1 de M. Léonce Deprez, un amendement de M. Jean-Michel Marchand et un amendement de M. Franck Borotra, soit parce qu'ils s'inscrivaient dans une logique d'organisation de la distribution publique d'électricité étrangère au projet de loi, soit parce qu'ils préjugeaient du statut du futur gestionnaire du réseau de transport. Elle a en revanche adopté un amendement de M. Jean-Michel Marchand étendant cette mission aux collectivités concédantes (amendement n° 174). Elle a également adopté un amendement du rapporteur visant à harmoniser la rédaction du projet de loi (amendement n° 175).

Dans tous les cas, cette mission est accomplie conformément aux dispositions des cahiers des charges ainsi que le précise l'article 13 pour le réseau de transport et l'article L. 2224-31 du code général des collectivités territoriales introduit par l'article 17 du projet de loi pour les réseaux de distribution ; la commission a complété cette liste des textes de référence en adoptant un amendement du rapporteur mentionnant les règlements de service des régies (amendement n° 176). En raison de l'adoption de ce dernier amendement, trois amendements déposés respectivement par MM. Pierre Micaux, Yvon Montané et Alain Cacheux ont été satisfaits.

Enfin le paragraphe II précise que les charges résultant de la mission de service public liée aux réseaux sont réparties entre les organismes de distribution par le fonds de péréquation de l'électricité institué par l'article 33 de la loi du 8 avril 1946. Sur ce point, la commission a adopté un amendement du rapporteur précisant que ces charges ne pouvaient faire l'objet d'un financement partiel (amendement n° 177). Elle a par ailleurs rejeté deux amendements identiques présentés par MM. Arnaud Lepercq et Claude Birraux visant à étendre le mécanisme de répartition des charges aux actions de développement des réseaux publics, le rapporteur ayant rappelé que cette mission incombait déjà au fonds d'amortissement des charges d'électrification (FACE).

Le paragraphe III définit le contenu de la mission de fourniture de l'électricité. Celle-ci se décline en trois points, limitativement énumérés en raison de l'adoption par la commission de trois amendements identiques présentés par le rapporteur, MM. Alain Cacheux et Yvon Montané (amendement n° 178) et de l'amendement n° 39 de M. Jean Proriol :

- l'obligation générale de fourniture d'électricité aux clients non éligibles ;

- l'obligation incombant à EDF d'assurer aux clients éligibles une fourniture de secours ;

- l'obligation pesant également sur l'opérateur historique de conclure des contrats avec les clients éligibles ne trouvant pas de fournisseur « dans des conditions économiques ou techniques raisonnables ».

1°) L'obligation générale de fourniture d'électricité aux clients non éligibles (c'est-à-dire dans un premier temps, à tous les clients sauf les plus gros consommateurs industriels). Cette fourniture doit concourir à la cohésion sociale par le biais de la péréquation géographique tarifaire - dont le principe est ainsi pour la première fois inscrit dans la loi - et des dispositions en faveur des personnes en situation de précarité décrites dans le commentaire de l'article 5 du projet de loi.

Ainsi, un pas important est réalisé vers un « droit à l'électricité  pour tous » (avancée confortée par l'adoption précédente d'un amendement à l'article premier). Les charges relevant de l'obligation de fourniture aux clients non éligibles sont assurées par EDF et par les distributeurs non nationalisés sur leur zone de desserte et dans le cadre de leur objet légal (précision nécessaire car certains distributeurs non nationalisés sont aussi producteurs d'électricité), conformément aux dispositions contenues dans les cahiers des charges de concession. Elles sont réparties par le fonds de péréquation de l'électricité déjà mentionné.

L'obligation de fourniture d'électricité aux clients non éligibles a donné lieu à un vaste débat devant la commission.

Après avoir rejeté un amendement de M. Alain Cacheux proposant une nouvelle rédaction du deuxième alinéa du paragraphe III, celle-ci a également rejeté un amendement de M. Jean-Michel Marchand visant à définir la notion de fourniture d'électricité, celui-ci devant être satisfait par un amendement ultérieur du rapporteur.

Puis la commission a examiné un amendement du même auteur excluant le chauffage électrique (pour les locaux construits postérieurement à la promulgation de la présente loi) du champ du service public. Après avoir indiqué qu'il comprenait la logique sous-tendant cet amendement, le rapporteur a indiqué que son adoption poserait de difficiles problèmes d'application puisqu'elle impliquerait de « sortir » la consommation d'électricité affectée au chauffage de la péréquation tarifaire. M. Jean Proriol a déclaré être d'accord avec l'esprit de l'amendement mais a jugé sa formulation trop radicale. M. Franck Borotra a également indiqué qu'il partageait pour l'essentiel l'opinion de M. Jean-Michel Marchand et qu'un de ses amendements prévoyait expressément de revoir dans le même sens les principes de péréquation tarifaire. M. Alain Cacheux a reconnu que le chauffage électrique pouvait poser des problèmes en particulier dans les logements sociaux construits immédiatement après le premier choc pétrolier mais que l'adoption de cet amendement soulevait des difficultés techniques. A l'issue de cet échange de vues, la commission a rejeté l'amendement de M. Jean-Michel Marchand.

Elle a ensuite adopté un amendement rédactionnel du rapporteur (amendement n° 179) et un amendement de précision de M. Claude Billard (amendement n° 180). Après que ce dernier eut retiré, au profit de l'amendement suivant de M. Michel Vaxès, un amendement relatif à la fourniture gratuite d'électricité aux personnes reconnues en situation de pauvreté ou de précarité, le rapporteur ayant déploré que cet amendement supprime toute référence au RMI et ayant indiqué que l'aide était préférable à la gratuité, la commission a adopté l'amendement de M. Michel Vaxès intégrant dans les missions de service public liées à la fourniture d'électricité et concourant à la cohésion sociale, la mise en place d'un dispositif d'aides aux personnes reconnues en situation de pauvreté ou de précarité (amendement n° 181). La commission a également adopté un amendement de précision de M. Jean-Michel Marchand (amendement n° 182). Elle a en revanche rejeté, après une seconde délibération demandée par le rapporteur en raison de l'adoption d'une nouvelle rédaction de l'article 42, un amendement de M. Alain Cacheux indiquant comment devait s'entendre la promotion de la demande d'électricité mentionnée au paragraphe III.

Puis la commission a adopté un amendement du rapporteur précisant les conditions de fourniture d'électricité aux clients non éligibles (amendement n° 183). En conséquence, l'amendement n° 2 de M. Léonce Deprez et un amendement de M. Jean-Michel Marchand sont devenus sans objet car satisfaits.

La commission a ensuite examiné un amendement de M. Franck Borotra excluant de la péréquation des tarifs les usages de l'électricité pouvant être substitués, tel le chauffage. Revenant sur un débat déjà engagé, le rapporteur a rappelé que l'adoption de cet amendement poserait des problèmes techniques. En effet, un tel dispositif impliquerait pour tout ménage d'avoir deux installations électriques intérieures autonomes et deux compteurs. Pour M. André Lajoinie, président, cet amendement « couperet » risquerait, s'il était adopté, de poser des problèmes sociaux. M. Alain Cacheux a reconnu qu'en matière de chauffage, l'usage de l'électricité n'était pas la « solution optimale » mais s'est demandé comment pourrait être appliqué cet amendement. M. Gilbert Biessy, s'appuyant sur un exemple récent, a indiqué que les offices d'HLM continuaient à encourager des constructions privilégiant le chauffage électrique et que dans ces conditions on ne pouvait priver les bénéficiaires des logements HLM de la péréquation tarifaire. Pour M. Arnaud Lepercq, l'attitude des offices d'HLM pourrait évoluer si de nouvelles facilités de financement leur étaient accordées pour soutenir des opérations recourant à d'autres types de chauffage. Sur ce point, M. Alain Cacheux a toutefois estimé que le problème portait principalement sur les logements anciens équipés de chauffage électrique. Enfin, M. Léonce Deprez a rappelé qu'il ne fallait pas pénaliser les consommateurs qui avaient suivi les campagnes de promotion du chauffage électrique.

Sensible aux problèmes d'application pratique, posés par son amendement, M. Franck Borotra a modifié sa rédaction. La commission a en conséquence adopté l'amendement rectifié de M. Franck Borotra prévoyant que la péréquation des tarifs ne devra à terme s'appliquer qu'aux usages de base non substituables de l'électricité (amendement n° 184).

Abordant la question de savoir à qui doit incomber la mission de fourniture d'électricité aux clients non éligibles, la commission a d'abord rejeté l'amendement n° 3 de M. Léonce Deprez, celui-ci instaurant à ses yeux une confusion entre les missions des autorités concédantes et celles des concessionnaires. Elle a ensuite adopté un amendement d'harmonisation rédactionnelle du rapporteur (amendement n° 186) puis a rejeté deux amendements identiques présentés par MM. Arnaud Lepercq et Claude Birraux, ceux-ci devant être satisfaits par l'adoption d'amendements ultérieurs du rapporteur.

Puis, la commission a adopté un amendement de précision du rapporteur mentionnant les règlements de service des régies (amendement n° 135), rendant sans objet trois amendements identiques déposés par MM. Alain Cacheux, Pierre Micaux et Yvon Montané.

2°) L'obligation incombant à EDF d'assurer aux clients éligibles une fourniture de secours. Tout d'abord, il convient de préciser qu'EDF n'assumera pas cette mission d'une manière systématique dès qu'un problème de fourniture se posera. Il faudra que le producteur ou le client éligible en fasse la demande. Si un producteur se trouve dans l'impossibilité de fournir (soit à cause d'incidents techniques ou si, par exemple, il ne peut trouver d'électricité à acheter pour compléter son offre), lui ou son client pourra alors se tourner vers EDF qui sera, dans ce cas, obligé de fournir. On peut d'ailleurs penser que, afin d'éviter que soit actionné simultanément ce plan de secours, les contrats de fourniture eux-mêmes détermineront qui du producteur ou du consommateur éligible, fera appel à EDF, en cas de problème d'approvisionnement. Ainsi que le prévoit l'article 4 du projet de loi, ces fournitures de secours seront tarifées.

Cette obligation doit-elle incomber seulement à EDF ? La commission s'est efforcée de répondre à cette question en adoptant un amendement du rapporteur étendant cette obligation aux distributeurs non nationalisés (amendement n° 136). Elle a en conséquence rejeté quatre amendements identiques satisfaits par cette adoption (l'amendement n° 25 de M. Michel Bouvard et les amendements de MM. Jean Proriol, Claude Birraux et Arnaud Lepercq).

Puis, elle a adopté un amendement de M. Claude Billard sous-amendé par M. Jean-Michel Marchand précisant que cette obligation s'accomplit par le biais de contrats dont les conditions financières assurent la couverture de la totalité des coûts (amendement n° 137).

La commission a ensuite rejeté deux amendements identiques de MM. Yvon Montané et Jean Proriol leur préférant la rédaction de l'amendement proposé par M. Alain Cacheux sous amendé par le rapporteur, précisant que la fourniture d'électricité de secours s'accomplit conformément aux dispositions des cahiers des charges de concessions ou des règlements de service des régies (amendement n° 138).

3°) L'obligation incombant à EDF de conclure des contrats avec les clients éligibles ne trouvant pas de fournisseur « dans des conditions économiques ou techniques raisonnables ». EDF n'offre alors plus un secours mais un recours et, de ce fait, l'obligation qui lui incombe est plus souple puisque l'opérateur historique peut refuser de fournir si ses capacités ne le lui permettent pas. Dans ce cas, le refus doit être motivé et notifié au demandeur.

S'agissant de cette obligation, la commission a examiné un amendement de M. Claude Billard visant à la supprimer et un amendement rédactionnel du rapporteur permettant au contraire la fourniture totale ou partielle à ce type de clients. Ces deux amendements ont donné lieu à un débat dans lequel sont intervenus MM. Franck Borotra pour indiquer que l'amendement de M. Claude Billard ne semblait pas correspondre au contenu de l'exposé des motifs , Alain Cacheux pour appeler l'attention de la commission sur le fait que la seule fourniture totale d'électricité dans le cadre de l'obligation de recours pouvait également générer des difficultés, Jean-Paul Nunzi et Jean-Michel Marchand pour indiquer que la fourniture partielle pourrait permettre à des consommateurs éligibles de profiter d'un effet d'aubaine. Le rapporteur a rappelé que cette obligation incombant à EDF relevait du domaine contractuel et qu'en conséquence l'opérateur du service public pouvait, par le prix du « recours », faire payer la faible utilisation de ses équipements. M. Franck Borotra ayant indiqué que le véritable problème posé par cette obligation de fourniture n'était pas dans son caractère total ou partiel mais dans l'imprécision de la rédaction de cet article, M. Claude Billard a retiré son amendement et la commission a adopté l'amendement du rapporteur (amendement n° 185).

Enfin, la commission a adopté un amendement du rapporteur étendant aux distributeurs non nationalisés l'obligation de fournir de l'électricité à tout client éligible n'ayant pas trouvé de fournisseur dans des conditions économiques ou techniques raisonnables (amendement n° 139). En conséquence, six amendements sont devenus sans objet car satisfaits par cette adoption : deux amendements de M. Jean Proriol et quatre amende-ments respectivement déposés par MM. Yvon Montané, Arnaud Lepercq, Claude Birraux et Alain Cacheux.

La commission a adopté l'article 2 ainsi modifié.

Article 3

Mise en _uvre et contrôle des missions de service public

Les missions de service public précédemment définies doivent être encadrées. La mise en _uvre et le contrôle de l'accomplissement de ces missions relèvent du pouvoir exécutif et, pour les domaines la concernant de la Commission de régulation de l'électricité instituée à l'article 28.

A cette fin, il est rappelé dès l'alinéa 1er que c'est au Gouvernement qu'il incombe de mettre en _uvre les missions du service public de l'électricité, l'alinéa 2 précisant que le soin de veiller au « bon accomplissement » de ces missions et au « bon fonctionnement » du marché, c'est-à-dire au respect de règles de concurrence loyale est confié aux ministres respectivement chargés de l'économie et de l'énergie ainsi qu'à la Commission de régulation de l'électricité. Sur ce dernier alinéa, la commission, après avoir rejeté un amendement de M. Jean-Michel Marchand visant à placer le service public de l'électricité sous une co-tutelle des ministres chargés de l'énergie et de l'économie, d'une part, et du ministre chargé de l'environnement, d'autre part, a adopté trois amendements identiques : l'amendement n° 43 de M. Jean Proriol et les amendements de MM. Alain Cacheux et Yvon Montané précisant que les autorités concédantes sont également chargées du bon accomplissement des missions de service public et du bon fonctionnement du marché de l'électricité (amendement n° 140).

Le projet de loi ajoute que les missions du service public de l'électricité sont assurées en liaison avec :

- les ministres concernés (tels ceux chargés de l'environnement, de la défense, de l'intérieur, de la recherche, etc...) ;

- les collectivités concédantes, c'est-à-dire les collectivités territoriales concédant les réseaux publics de distribution ; toutefois, en cohérence avec l'amendement adopté à l'alinéa 2 de cet article, la commission a adopté un amendement du rapporteur supprimant les collectivités concédantes de cette liste (amendement n° 141), MM. Pierre Micaux et Franck Borotra ayant toutefois fait observer que le système mis en place allait être lourd, coûteux et difficilement gérable. En conséquence, l'amendement n° 4 de M. Léonce Deprez et l'amendement n° 44 de M. Jean Proriol sont devenus sans objet de même que cinq amendements : deux présentés par M. Alain Cacheux et les trois autres présentés par MM. Jean-Michel Marchand, Claude Billard et Yvon Montané ;

- le conseil supérieur de l'électricité et du gaz, instance consultative créée par l'article 45 de la loi du 8 avril 1946 qui peut émettre un avis sur toutes les questions d'ordre réglementaire que lui soumet le ministre chargé de l'électricité ;

- le conseil de la concurrence ;

- les commissions départementales d'organisation et de modernisation des services publics. Ces commissions, initialement créées dans les départements de montagne, sont, depuis l'entrée en vigueur de la loi n° 95-115 du 4 février 1995 d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire, autorisées à formuler des propositions relatives au fonctionnement des services publics sur le territoire départemental et consultées sur le schéma départemental d'organisation et d'amélioration des services publics ; conformément à l'alinéa 4 du présent article, ces commissions sont chaque année destinataires d'un rapport d'activité établi par les organismes en charge de la distribution publique d'électricité, à savoir EDF et les distributeurs non nationalisés ; elles peuvent également être saisies de toute question relative à la desserte du territoire par les réseaux publics de transport et de distribution et à l'approvisionnement des clients non éligibles (y compris ceux bénéficiant des dispositions spécifiques prises en faveur des personnes en situation de précarité). Ces saisines peuvent donner lieu à avis ou proposition. Sur ce point, la commission a rejeté un amendement de M. Claude Billard créant dans chaque commission départementale d'organisation et de modernisation des services publics une sous-commission chargée des services publics de l'électricité et du gaz, ce dispositif étant jugé trop lourd.

Elle a également rejeté l'amendement n° 5 de M. Léonce Deprez et un amendement identique de M. Jean-Michel Marchand, non compatibles avec l'organisation générale de la distribution d'électricité.

Elle a en revanche adopté un amendement de MM. Claude Billard (amendement n° 142) et l'amendement n° 70 de M. Franck Borotra qui, rendent destinataires pour le premier les comités régionaux de distribution et pour le second la Commission de régulation de l'électricité, du rapport annuel d'activité des organismes de distribution.

Après avoir adopté un amendement de coordination de M. Claude Billard (amendement n° 143), la commission a adopté l'amendement n° 45 cor. de M. Jean Proriol et deux autres amendements identiques de MM. Alain Cacheux et Yvon Montané permettant aux commissions départementales d'organisation et de modernisation des services publics de formuler auprès des autorités concédantes tout avis ou proposition destiné à améliorer le service public de l'électricité (amendement n° 144) ;

- les conférences régionales de l'aménagement et du développement du territoire qui, conformément à l'article 34 ter de la loi n° 83-8 du 7 janvier 1983 relative à la répartition des compétences entre les communes, les départements, les régions et l'Etat, sont consultées « sur les schémas régionaux ou interdépartementaux qui concernent de manière directe ou indirecte, dans la région, les services publics ainsi que les services privés participant à l'exercice d'une mission de service public. » Signalons que le projet de loi d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire actuellement en discussion étend, dans son article 6, le champ d'intervention des conférences régionales. Le dernier alinéa du présent article impose leur consultation, dans le cadre de l'élaboration du schéma régional d'aménagement et de développement du territoire, sur la planification du réseau public de transport d'électricité d'intérêt régional (c'est-à-dire essentiellement le réseau à très haute tension de 225 kWh, le réseau de 400 kWh étant considéré comme le réseau d'intérêt national) et sur le développement des moyens locaux de production d'électricité (cogénération, installations fonctionnant à partir d'énergies renouvelables).

La commission, en adoptant l'amendement n° 36 de M. Michel Bouvard et deux autres amendements identiques de MM. Arnaud Lepercq et Claude Birraux a étendu les compétences consultatives de la conférence régionale de l'aménagement et du développement du territoire à la planification du réseau public de distribution (amendement n° 145).

Elle a également adopté deux amendements identiques de MM. Yvon Montané et Alain Cacheux sous-amendés par le rapporteur précisant que la conférence régionale de l'aménagement et du développement du territoire peut formuler tout avis ou proposition auprès des autorités concédantes (amendement n° 146). L'amendement n° 46 de M. Jean Proriol est en conséquence devenu sans objet car satisfait. Le projet de loi ne prévoyait en effet comme destinataires de ces avis que le ministre chargé de l'énergie et la Commission de régulation de l'électricité.

Enfin, la commission a rejeté l'amendement n° 19 de M. Léonce Deprez et un amendement de M. Jean-Michel Marchand, devenus sans objet.

La commission a ensuite adopté un amendement de M. Claude Billard sous-amendé par le rapporteur créant dans chaque région un observatoire régional du service public de l'électricité auprès du Conseil économique et social (amendement n° 147), M. André Lajoinie, président, ayant fait valoir que ce statut particulier conférait des garanties d'efficacité à ce nouvel observatoire et MM. Yvon Montané et Pierre Micaux ayant souligné que les commissions départementales d'organisation et de modernisation des services publics avaient des missions voisines et qu'il valait mieux peu d'instances de ce genre mais des instances fonctionnant bien.

Enfin, la commission a rejeté un amendement de M. Claude Billard imposant à EDF une obligation d'information des conseils économiques et sociaux régionaux, le rapporteur et M. Pierre Micaux ayant fait observer qu'une telle contrainte entraverait l'activité d'EDF et pourrait le pénaliser par rapport à la concurrence étrangère.

La commission a adopté l'article 3 ainsi modifié.

Article 4

Tarifs et plafonds de prix

Les recettes provenant des ventes d'électricité constituent le premier moyen de financement du service public de l'électricité.

Les exigences liées au principe d'égalité devront conduire les pouvoirs publics à définir des tarifs. Ces tarifs porteront sur :

- la vente d'électricité aux clients non éligibles ;

- la vente d'électricité aux distributeurs non nationalisés ;

- la fourniture d'électricité de secours aux consommateurs éligibles (cf article 2 paragraphe III du projet de loi) ;

- l'utilisation des réseaux publics de transport et de distribution.

Une lecture « en creux » de l'article permet donc de déduire que les prix pratiqués pour les clients éligibles sont libres (sauf cas particulier de la fourniture de secours).

Les tarifs ainsi visés seront soumis au droit commun actuel, c'est-à-dire aux dispositions de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence. Après avoir proclamé dès la première phrase de son article premier que les prix sont « librement déterminés par le jeu de la concurrence », l'ordonnance de 1986 énonce une dérogation importante dès l'alinéa suivant en précisant que « dans les secteurs ou les zones où la concurrence par les prix est limitée en raison, soit de situations de monopole ou de difficultés durables d'approvisionnement, soit de dispositions législatives ou réglementaires, un décret en Conseil d'Etat peut réglementer les prix après consultation du Conseil de la concurrence ».

Sur ce point, la commission a adopté un amendement rédactionnel du rapporteur au premier alinéa de cet article (amendement n° 148) après avoir rejeté un sous-amendement de M. Franck Borotra visant à soumettre les tarifs à l'ensemble des dispositions de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence.

La vente d'électricité aux clients non éligibles devra, comme par le passé, s'appuyer sur les tarifs domestiques fixés chaque année par l'administration. Fidèle à la notion de « droit à l'électricité pour tous », adopté par amendement à l'article premier du projet de loi, la commission a adopté un amendement de M. Claude Billard sous-amendé par le rapporteur précisant les principes de détermination des tarifs de vente aux clients non éligibles (amendement n° 150). Elle a également adopté un amendement de M. Michel Vaxès créant une tarification spéciale « produit de première nécessité » pour les usagers dont la consommation est inférieure à un seuil fixé par décret (amendement n° 151) et a rejeté un amendement sur le même thème de M. Claude Billard préférant la rédaction de l'amendement précédent.

La mention des tarifs de cession de l'électricité aux distributeurs non nationalisés mérite quelques précisions. Aujourd'hui, EDF vend son électricité à ce type de distributeurs en appliquant, à quelques adaptations près, les tarifs demandés aux clients industriels consommant un volume d'électricité équivalent.

Après l'ouverture à la concurrence de la production d'électricité, il convient de se poser la question de la pertinence du maintien de prix réglementés pour la vente d'électricité aux distributeurs non nationalisés. On peut en effet estimer que, dans ce domaine, la seule contrainte du service public est la péréquation tarifaire et qu'en conséquence seul le prix au client final non éligible doit faire l'objet d'un tarif unique, le prix des transactions intermédiaires demeurant libre. Ce raisonnement qui a un sens d'un point de vue économique peut, s'il doit être appliqué, être lourd de conséquences d'un point de vue politique.

En effet, la fixation d'un tarif aux distributeurs non nationalisés n'a de sens qu'au regard du maintien du principe de péréquation tarifaire. De ce point de vue, les modifications apportées par le projet de loi ne changent pas les données du problème et il faut souligner que les décrets d'application de l'ordonnance de 1986, pourtant imprégnés de philosophie libérale, n'avaient pas autorisé EDF à pratiquer des prix de vente libres pour ses fournitures aux autres distributeurs. Que se passerait-il si une telle latitude était laissée aux producteurs ? Les prix à la vente pour les clients finals étant nivelés, les différences (qui ne manqueraient pas d'être très importantes en raison de l'extrême disparité de taille et donc de capacité à négocier des distributeurs non nationalisés) s'inscriraient sur la marge des distributeurs. Or ceux-ci sont largement dépendants des collectivités territoriales. Dans un tel contexte, on peut penser que lesdites collectivités exerceraient alors une forte pression politique visant à répercuter sur les clients finals les éventuels prix avantageux consentis par les producteurs, mettant ainsi en péril le principe de péréquation tarifaire.

Les tarifs précédemment mentionnés sont fixés en fonction de « catégories fondées sur les caractéristiques intrinsèques des fournitures ». Cette formule absconse recèle en fait l'affirmation ou la confirmation de deux principes importants :

- la péréquation géographique des tarifs. Tout consommateur non éligible appartenant à une catégorie déterminée, paye son électricité au même prix quel que soit le lieu où celle-ci lui est fournie. A titre de rappel, les tarifs actuels d'EDF se déclinent en une palette de couleur regroupant autant de catégories : bleu (ménages, exploitations agricoles, commerçants, artisans, professions libérales), jaune (PME-PMI) et vert (clients industriels de grande taille) ;

- l'absence de modulation des tarifs en fonction de l'usage fait de l'électricité. Il n'y a ni bons ni mauvais usages de l'électricité. Seules sont donc prises en compte les caractéristiques intrinsèques des fournitures telles que les quantités consommées, la puissance souscrite par le client final dans son contrat d'abonnement, la tension à laquelle l'électricité est fournie, la saisonnalité ou les variations journalières de la consommation. Ce mode de calcul fondé sur les qualités intrinsèques et sur les coûts liés à la fourniture d'électricité donne aux tarifs un caractère objectif, ce qui se traduit en pratique par le fait qu'aucune catégorie de clients finals ne paiera pour une autre catégorie. Il garantit ainsi le caractère non discriminatoire desdits tarifs.

Sur le mode de fixation des tarifs, la commission a rejeté un amendement de M. Franck Borotra, deux amendements identiques de MM. Arnaud Lepercq et Claude Birraux précisant que les tarifs mentionnés à l'article 4 doivent tenir compte des caractéristiques locales des réseaux et un amendement de précision de M. Claude Billard.

Par ailleurs le deuxième alinéa du paragraphe I de cet article prend en compte la situation particulière des zones du territoire non interconnectées au réseau métropolitain continental. Pour celles-ci, les coûts liés à la fourniture peuvent être particulièrement élevés. Il convenait donc de prévenir tout dérapage des prix dans les contrats de fourniture passés avec les clients éligibles, d'où la possibilité de fixer des plafonds de prix. La commission a, dans cet esprit, rejeté un amendement de M. Claude Billard et adopté un amendement rédactionnel du rapporteur (amendement n° 149).

A l'exclusion de ceux portant sur l'utilisation des réseaux publics de transport et de distribution, les tarifs et les plafonds de prix sont arrêtés conjointement par les ministres chargés de l'économie et de l'énergie après avis de la Commission de régulation de l'électricité. Pour rendre son avis, celle-ci disposera de données précises sur les coûts (étude sur les coûts de référence de la production de l'électricité, comptabilités analytiques, données techniques transmises par les producteurs et le gestionnaire du réseau de transport).

S'agissant des tarifs d'utilisation des réseaux publics de transport et de distribution, ils sont calculés en se fondant sur l'ensemble des coûts des réseaux à savoir ceux relatifs au personnel, à la recherche, à l'exploitation, à l'enfouissement, aux investissements nouveaux. Les tarifs permettent donc de mutualiser les coûts et de faire payer par l'ensemble des utilisateurs les dépenses liées par exemple à l'enfouissement des lignes. Ces tarifs sont proposés par la Commission de régulation de l'électricité et arrêtés conjointement par les ministres chargés de l'économie et de l'énergie. Ce qui signifie que le Gouvernement peut refuser la proposition de la Commission de régulation, en demander une nouvelle mais en aucun cas la modifier.

La Commission de régulation se voit ainsi confier un pouvoir réel sur un élément essentiel de l'ouverture du marché : le péage de l'accès et de l'utilisation du réseau. On peut penser que le système sera mis en place sur le principe dit des « deux demi-timbres postes ». De manière quelque peu impropre, les spécialistes du secteur de l'électricité ont pris l'habitude d'utiliser le vocable de « timbre-poste » pour dénommer tout système de forfaitisation nationale ne tenant pas compte du paramètre de la distance. Le système des deux demi-timbres est en fait un système de péréquation signifiant qu'à l'entrée, le producteur paie au gestionnaire du réseau de transport un droit d'injection de son électricité sur les lignes et qu'à la sortie, le consommateur éligible paie un droit de soutirage de l'électricité achetée.

Sur la question des autorités compétentes pour fixer les tarifs, la commission a examiné un amendement de M. Franck Borotra soumettant l'ensemble des tarifs à un accord préalable de la Commission de régulation de l'électricité. Pour son auteur, les pouvoirs de contrôle de la Commission de régulation doivent être étendus afin de maîtriser au mieux les conditions de concurrence du marché électrique et de répondre à l'esprit de la directive. Le rapporteur ayant estimé qu'il ne fallait pas soumettre l'ensemble des tarifs à l'accord de la Commission de régulation de l'électricité car certains d'entre eux, comme le secours ou les plafonds de prix, n'ont rien à voir avec l'usage du réseau, la commission a rejeté cet amendement.

La commission a rejeté deux amendements identiques de MM. Claude Birraux et Jean Proriol permettant à la Commission de régulation de l'électricité de proposer les tarifs de secours.

Elle a enfin rejeté un amendement de M. Jean Proriol associant le gestionnaire du réseau à la procédure de détermination des tarifs.

La commission a adopté l'article 4 ainsi modifié.

Article 5

Mécanismes de compensation

Les missions de service public définies à l'article 2 du projet de loi ne peuvent toutes être financées par la vente de courant électrique à un prix fixé uniquement en fonction des caractéristiques intrinsèques de la fourniture et les coûts qui y sont liés.

L'application des seules dispositions relatives aux tarifs induirait des distorsions de concurrence pénalisant les opérateurs chargés des missions de service public économiquement peu rentables et affecterait en conséquence le bon accomplissement desdites missions.

Pour remédier à ce problème, l'article 5 met en place des mécanismes de compensation articulés autour de fonds en distinguant les missions de service public incombant aux producteurs et celles incombant aux distributeurs.

Le paragraphe I porte sur le financement des charges de service public liées à la production.

Sont ici visés :

1°) Les surcoûts résultant pour EDF des obligations que lui assignent les articles 8 et 10 du projet de loi. En effet, dans le cadre de la mise en _uvre d'une politique de l'énergie, ces articles encouragent principalement le développement des énergies renouvelables, des procédés de fabrication de l'électricité à partir des déchets et, plus généralement, la création d'installations de production mettant en _uvre des techniques performantes en termes d'efficacité énergétique.

Pour assurer un débouché au courant électrique ainsi produit, EDF est obligé de conclure des contrats d'achats avec les candidats retenus dans le cadre de la procédure d'appel d'offres définie à l'article 8 et est soumis à une obligation plus générale d'achat d'électricité en application de l'article 10.

Il en résulte un « surcoût » pour l'opérateur historique puisque l'électricité sera achetée à un prix supérieur au coût moyen de production qu'aurait eu à supporter EDF s'il l'avait produite lui-même.

Ce surcoût devra être calculé par référence aux coûts d'investissement et d'exploitation évités à EDF.

2°) Les surcoûts résultant de la garantie d'approvisionnement des consommateurs des zones insulaires à des prix alignés sur le continent pour les clients non éligibles (par le biais de la péréquation géographique des tarifs) ou à des prix ne correspondant pas à la réalité du marché pour les consommateurs éligibles (via les plafonds de prix). En effet, en raison de l'étroitesse de la demande, les producteurs des zones non interconnectées au réseau métropolitain continental recourent à des moyens légers de production (telles les turbines à combustion) et ne peuvent bénéficier des mêmes économies d'échelle que leurs homologues du continent ; d'où des coûts de production sans rapport avec les tarifs et prix de vente.

Après que M. Alain Cacheux eut retiré un amendement, la commission a rejeté un amendement de M. Franck Borotra contraire à la conception de l'appel d'offres telle qu'elle est présentée dans le projet de loi. Elle a en revanche adopté deux amendements du rapporteur précisant les notions de surcoût mentionnées parmi les charges liées aux missions de service public incombant aux producteurs (amendements nos 152 et 153). La commission a par ailleurs rejeté un amendement de M. Claude Billard, conséquence d'un amendement précédemment refusé portant sur la suppression des plafonds de prix dans les zones insulaires.

Le calcul de ces charges et donc des surcoûts se fait sur la base d'une comptabilité « appropriée » - terme classique du droit communautaire - tenue par les producteurs les supportant et contrôlée par un organisme indépendant (commissaires aux comptes, comptables indépendants agréés, société d'« audit » financier, etc.). Ainsi évalué et contrôlé, le montant des charges est proposé par la Commission de régulation de l'électricité créée par l'article 28 du projet de loi et arrêté par les ministres chargés de l'économie et de l'énergie.

La commission a examiné un amendement de M. Franck Borotra prévoyant que les charges du service public sont évaluées par la Commission de régulation de l'électricité ; à cette fin celle-ci devra prendre en compte les avantages immatériels dont bénéficie EDF du fait de l'influence significative qu'exerce l'établissement public sur le marché. L'amendement précise également que les coûts échoués susceptibles d'être pris en compte sont des investissements rendus obsolètes par la transposition de la directive. M. Franck Borotra a rappelé la jurisprudence de la Cour de justice des communautés européennes qui, considérant qu'une situation de monopole constitue un avantage, ne permet pas aux entreprises détentrices de droits exclusifs de bénéficier d'un système de financement des services d'intérêt général. Après que le rapporteur eut fait valoir qu'il était impossible d'évaluer lesdits avantages immatériels, un débat s'est ouvert dans lequel sont intervenus MM. Léonce Deprez, Alain Cacheux, Pierre Ducout et Claude Birraux, ce dernier affirmant que faute de définir des principes fondateurs clairs, ce texte risquait de pénaliser lourdement EDF en engendrant de multiples contentieux, la commission a rejeté cet amendement.

La commission a ensuite adopté deux amendements du rapporteur précisant les modalités de vérification des charges exposées (amendements nos 154 et 156).

C'est à un nouveau fonds intitulé « fonds des charges d'intérêt général de l'électricité » qu'est confiée la compensation de ces charges ; fonds qu'un amendement du rapporteur adopté par la commission propose d'appeler : « fonds du service public de la production d'électricité » (amendement n° 155).

Géré par la Caisse des dépôts et consignations dans un compte spécifique, ce fonds est alimenté par les producteurs, les clients finals importateurs ou effectuant des acquisitions intracommunautaires, les autoproducteurs - même s'ils ne sont pas économiquement concernés par la compensation et ses implications dans le domaine de la concurrence, les exclure de ce processus, revenait à les désolidariser du service public et à encourager des îlots de production non concernés par la politique nationale de l'énergie - et les fournisseurs (c'est-à-dire les distributeurs et les grossistes). La commission a examiné un amendement du rapporteur précisant le contenu de la notion de fournisseurs et excluant du dispositif de compensation les petits autoproducteurs et les installations de production d'une puissance installée inférieure ou égale à 3 MW. Un débat s'est ouvert dans lequel sont intervenus le rapporteur, MM. Franck Borotra, Jean-Michel Marchand et Alain Cacheux pour savoir s'il convenait de préciser dans la loi les seuils en deçà desquels producteurs et autoproducteurs sont exonérés de la compensation des charges ou s'il fallait renvoyer ce point à un décret. Aucune réponse satisfaisante n'ayant été apportée à cette question, la commission a adopté en l'état l'amendement du rapporteur (amendement n° 157). En conséquence, deux amendements de M. Jean-Michel Marchand et un amendement de M. Jean Proriol sont devenus sans objet. La commission a par ailleurs rejeté l'amendement n° 20 de M. Léonce Deprez proposant d'exclure du dispositif les producteurs bénéficiant de l'obligation d'achat car ceux-ci ne sont pas concernés par le mécanisme de compensation puisqu'ils ne livrent pas des clients finals.

Le montant des contributions est calculé en fonction du volume d'électricité livré aux clients finals (ou, s'agissant des autoproducteurs, du volume produit pour leur propre usage). Les opérateurs supportant les charges précédemment mentionnées, ne versent au fonds que leur contribution nette ou ne reçoivent du fonds qu'une compensation nette.

La commission a ensuite rejeté trois amendements présentés par MM. Alain Cacheux, Franck Borotra et Jean Proriol, les deux derniers visant à exonérer tous les autoproducteurs du système de compensation des charges de service public.

La notion de contribution nette aura nécessairement une application limitée puisque, les charges de service public appelées à être ainsi compensées, reposent quasiment toutes sur EDF, à la seule exception de celles liées aux surcoûts de production portant sur l'électricité vendue par un autre opérateur à un client éligible situé sur un territoire non connecté au réseau métropolitain continental et faisant l'objet d'une mesure de plafonnement de prix. On frise l'hypothèse d'école !

Le montant de ces contributions ou compensations nettes est constaté par les ministres chargés de l'économie, du budget et de l'énergie, après avis de la Commission de régulation de l'électricité. Sur ce point, la commission de la production et des échanges a adopté un amendement du rapporteur confiant à la Commission de régulation de l'électricité le soin de proposer le montant des contributions nettes (amendement n° 158).

Enfin, le paragraphe I précise, dans un dernier alinéa, les modalités de recouvrement des contributions par la Caisse des dépôts et consignations.

Le paragraphe II concerne les charges liées au service public de la distribution. Il peut paraître curieux de prévoir un système de répartition des charges pour la distribution d'électricité, alors que cette activité ne s'ouvre pas à la concurrence.

Il faut rappeler que le système actuel est fondé sur un quasi-monopole d'EDF et qu'à côté de cet établissement public, foisonnent de très nombreux distributeurs non nationalisés, présents avant 1946 et dont la loi de nationalisation n'a pas remis en cause l'existence.

Ces distributeurs, et particulièrement ceux desservant des zones rurales, sont confrontés à des surcoûts principalement liés à la dispersion de l'habitat. Or, ces surcoûts font déjà l'objet d'une compensation, l'article 33 de la loi du 8 avril 1946 ayant institué un fonds de péréquation de l'électricité géré par EDF et destiné à compenser les éventuelles charges supplémentaires ou déficits d'exploitation des distributeurs non nationalisés.

Le paragraphe II adapte donc, dans un sens extensif, l'actuel dispositif de compensation. Celui-ci s'applique désormais à deux types de charges découlant des missions de service public portant sur le réseau public de distribution : celles liées à la fourniture d'électricité aux clients non éligibles et celles générées par les dispositifs institués en faveur des personnes en situation de précarité.

Dans ce cadre, font l'objet d'une répartition :

a) « tout ou partie des surcoûts supportés par les organismes de distribution et qui, en raison des particularités de leurs réseaux ou de leur clientèle, ne sont pas couverts par la part relative à l'utilisation de ces réseaux dans les tarifs de vente aux clients non éligibles et par les tarifs d'utilisation des réseaux publics de distribution ». Sur ce point, la commission a adopté un amendement rédactionnel du rapporteur (amendement n° 159).

Si l'on excepte le cas particulier de l'éligibilité partielle (cf. commentaire de l'article 22 - paragraphe II), la marge d'exploitation d'un distributeur non nationalisé sera déterminée par :

- les tarifs d'achat de l'électricité à EDF (qui sont péréqués au plan national) ;

- les tarifs de vente aux clients non éligibles (également péréqués au plan national) ;

- les tarifs d'utilisation des réseaux de distribution (également péréqués au plan national).

Les distributeurs non nationalisés sont donc « prisonniers » de la politique tarifaire. Il est, dans ces conditions, nécessaire de prévoir un mécanisme prenant en compte les incidences financières que peuvent présenter certaines situations particulières.

En effet, certains distributeurs sont confrontés à des conditions d'exercice de leur activité qui peuvent conduire à des coûts de distribution effectifs plus élevés que ceux qui serviront de base à la définition des tarifs aux clients non éligibles et des tarifs d'utilisation des réseaux de distribution.

C'est évidemment le cas des distributeurs implantés en zone rurale, qui doivent, avec des lignes à basse tension de longueur importante, desservir un faible nombre de clients disséminés dans un habitat dispersé.

Ce type de problème peut également être rencontré lorsqu'un distributeur est soumis à des conditions spécifiques d'enfouissement du réseau (si une partie de sa zone de desserte est située sur un site protégé par exemple).

Par ailleurs, les distributeurs non nationalisés, qui ont dans leur ressort des clients éligibles qui représentent une part notable de leurs ventes (pour certains cette part excède 40 %), peuvent connaître des difficultés financières d'un autre ordre. Dans l'hypothèse où ces clients éligibles choisiraient de s'approvisionner auprès d'un autre fournisseur, le distributeur ne recevra plus de ces clients que le tarif d'utilisation des réseaux, ce qui peut être insuffisant pour couvrir ses coûts.

C'est pourquoi, le paragraphe II du présent article prévoit que le fonds de péréquation de l'électricité mutualisera les surcoûts correspondants entre les organismes de distribution. Toutefois, afin de ne pas encourager des investissements non nécessaires voire somptuaires, la totalité des surcoûts ne sera pas systématiquement prise en compte dans le calcul de la répartition des charges.

b) La participation au dispositif institué en faveur des personnes en situation de précarité.

L'article 43-6 de la loi n° 88-1088 du 1er décembre 1988 modifiée par la loi n° 92-722 du 29 juillet 1992 puis par la loi n° 98-657 du 29 juillet 1998 d'orientation relative à la lutte contre les exclusions, prévoit la création d'un dispositif national d'aide et de prévention pour les familles en difficulté.

Pour l'application de cet article, une convention nationale a été signée entre l'Etat et EDF-GDF. Cette convention constitue le cadre juridique par lequel l'Etat et les deux établissements publics, associés à d'autres partenaires (communes, départements, caisses d'allocations familiales) se sont engagés à financer l'aide aux personnes et aux familles en état de précarité.

A l'échelon local, des conventions dites « pauvreté-précarité » ont été signées dans chaque département, qui relaient la convention nationale. Pour leur application, des commissions ont été créées. Elles sont chargées d'examiner les dossiers des familles ou des personnes demandant une aide. Seules ces commissions décident in fine de la prise en charge partielle ou totale des factures d'énergie des demandeurs. EDF et GDF ne participent pas à ces instances.

Comment se déclenche en pratique la mise en _uvre du dispositif d'aide ?

En cas de difficulté ou d'absence complète de paiement d'une facture d'EDF, les agents chargés de clientèle appartenant à l'agence dont relève l'usager, prennent obligatoirement l'attache de ce dernier. Tout usager qui se déclare en situation de précarité est invité à contacter les services sociaux afin d'établir un dossier qui sera examiné par la commission départementale.

Dans l'attente de cet examen, aucune interruption de fourniture ne peut avoir lieu. EDF s'engage à maintenir la fourniture de l'électricité sous une puissance minimale de 3 kW jusqu'à l'examen de la situation du demandeur par la commission.

Pour 1997, la dotation de ces conventions au plan national a été de 148,5 millions de francs dont 43,5 millions de francs abondés directement par EDF et GDF auxquels s'ajoutent 16,5 millions de francs apportés par les centres locaux d'EDF. La contribution totale d'EDF-GDF s'élève donc au total à 60 millions de francs.

En 1997, la répartition entre les différents contributeurs s'est établie comme suit :

 

Participation au dispositif
(en MF)

Part relative

Conseils généraux

45

31 %

EDF et GDF

43,5

29 %

Etat

16,5

11 %

Communes

21

14 %

Caisses d'allocations familiales

18

12 %

Associations caritatives

4,5

3 %

Pour 1998, la participation globale d'EDF et GDF a été portée à 75 millions de francs (en tenant compte de l'abondement direct et de la part supplémentaire des centres locaux).

C'est sur la partie de cette somme correspondant à une fourniture d'électricité (donc, en excluant les montants représentatifs d'une fourniture de gaz) que devra s'opérer la répartition prévue au paragraphe II du présent article.

S'agissant des charges liées au dispositif institué en faveur des personnes en situation de précarité, la commission, après que M. Alain Cacheux eut retiré un amendement, a adopté un amendement de conséquence de M. Claude Billard (amendement n° 160) et a rejeté un amendement de M. Alain Cacheux pouvant avoir des effets indésirables sur notre politique d'économie d'énergie. Elle a en revanche adopté un amendement du même auteur ajoutant parmi les charges découlant des missions de service public liées à la distribution d'électricité, celles correspondant aux moyens mis en _uvre dans les quartiers en difficulté pour renforcer la présence du service public et contribuer à la médiation sociale (amendement n° 161).

Le fonds de péréquation de l'électricité répartira donc l'ensemble des charges qui viennent d'être mentionnées. Ce fonds sera alimenté par des prélèvements sur les recettes des distributeurs bénéficiaires. Il reversera aux organismes déficitaires des dotations de péréquation, en application d'une formule établie par arrêté interministériel annuel. Ces prélèvements et dotations se traduisent aujourd'hui par des mouvements nets de fonds d'environ 22 millions de francs par an.

Notons au passage que le projet de loi ne modifie pas les dispositions relatives au fonds d'amortissement des charges d'électrification (FACE) créé par l'article 108 de la loi de finances du 31 décembre 1936 et dont l'existence a été confirmée par l'article 38 de la loi du 8 avril 1946 sur la nationalisation de l'électricité et du gaz. Le FACE continuera donc à aider les communes et les départements à faire face à leurs charges d'électrification. En conséquence, la commission a rejeté deux amendements identiques de MM. Arnaud Lepercq et Claude Birraux risquant de créer une confusion entre les compétences du fonds de péréquation d'électricité et celles du FACE.

Le paragraphe III, confère au ministre chargé de l'énergie un pouvoir de sanction administrative à l'encontre des redevables ne contribuant pas aux mécanismes de compensation et de répartition définis aux deux premiers paragraphes du présent article. Deux amendements rédactionnels identiques du rapporteur et de M. Claude Billard portant sur ce paragraphe ont été adoptés par la commission (amendement n° 162).

Enfin, conformément au paragraphe IV, un décret en Conseil d'Etat précisera les modalités d'application de cet article.

La commission a adopté l'article 5 ainsi modifié.

TITRE II

LA PRODUCTION D'ÉLECTRICITÉ

Le titre II du projet de loi se livre à un exercice difficile puisqu'il vise à concilier l'ouverture à la concurrence et les exigences liées à la définition et à la mise en _uvre d'une politique nationale de l'énergie.

En effet, l'ouverture à la concurrence dans le secteur de l'électricité ne concernera, après la promulgation de la loi, que l'activité de production. Mais les choix faits dans ce domaine (énergie primaire utilisée, procédés de fabrication retenus, localisation des installations) exerceront une influence décisive sur l'ensemble de notre politique de l'énergie et contribueront largement aux objectifs mentionnés à l'article premier de la loi : indépendance nationale, sécurité d'approvisionnement, gestion optimale des ressources nationales, développement équilibré du territoire, protection de l'environnement.

Article 6

Programmation pluriannuelle des investissements (PPI)

Aux termes du paragraphe I de cet article, le ministre chargé de l'énergie « arrête périodiquement une programmation pluriannuelle des investissements de production » (PPI). Rappelons qu'en vertu d'un amendement à l'article 2 présenté par M. Claude Birraux, adopté par la commission, il a été décidé de substituer au terme « programmation », le mot « planification ». La PPI constituera l'outil majeur permettant aux pouvoirs publics de prendre en compte les données propres au secteur de l'électricité lorsqu'ils s'efforceront de définir une politique globale de l'énergie. La PPI constitue la traduction du droit reconnu par la directive aux Etats membres, dans son article 3 paragraphe 2, de mettre en oeuvre une « planification à long terme ».

La commission a examiné un amendement du rapporteur prévoyant que les objectifs de la PPI seront précisés dans une loi d'orientation. Le rapporteur a indiqué que cet amendement traduisait sa volonté de soumettre la PPI au Parlement, mais que sa formulation ne le satisfaisait pas pleinement dans la mesure où elle risquait de retarder la mise en place du système puisqu'elle nécessite l'adoption d'une loi avant la mise en _uvre de la première PPI. Après un débat dans lequel sont intervenus MM. Franck Borotra, Claude Billard et Claude Birraux, la commission a adopté cet amendement (amendement n° 187), le rapporteur devant ultérieurement en proposer une nouvelle rédaction. En conséquence, un amendement de M. Claude Billard est devenu sans objet car satisfait.

Elle a également adopté un amendement du rapporteur précisant que la PPI est rendue publique (amendement n° 188) et rejeté un amendement de M. Claude Birraux rappelant que la planification doit respecter les orientations définies à l'article premier du projet de loi. Deux amendements ayant le même objet ont été retirés par M. Claude Billard et M. Alain Cacheux.

La commission a ensuite examiné un amendement de M. Franck Borotra visant à préciser que la programmation devait être établie de manière suffisamment souple pour laisser une place aux productions décentralisées et à la cogénération. Après une intervention du rapporteur contre cet amendement et une intervention de M. Franck Borotra, elle a adopté cet amendement rectifié par son auteur pour que soit prise en compte les technologies nouvelles (amendement n° 189).

La périodicité de la PPI n'est pas précisée par le projet de loi mais deux éléments permettent de se faire une idée de ce qu'elle pourrait être :

- d'abord la PPI doit s'appuyer sur un bilan prévisionnel pluriannuel établi au moins tous les deux ans par le gestionnaire du réseau de transport sous le contrôle de l'Etat.

Un débat s'est ouvert lors de l'examen du projet de loi par la commission pour savoir à qui incombait la responsabilité d'élaborer ce bilan. Par son amendement n° 78, M. Franck Borotra a proposé que cette tâche soit confiée à la Commission de régulation de l'électricité. Le rapporteur ayant estimé que cette mission ne relevait pas de la compétence de cette commission, M. Franck Borotra a souligné qu'il lui paraissait indispensable de confier ce rôle à un organisme indépendant, seul capable de fournir et de contrôler l'ensemble des données du futur marché de l'électricité, d'apprécier la réalité de son ouverture et l'objectivité de son fonctionnement. Il a fait observer que cette tâche aurait également pu être effectuée par l'administration mais, le Gouvernement ayant choisi une autre voie, il fallait s'en remettre à la Commission de régulation plutôt qu'au gestionnaire du réseau public de transport. M. Léonce Deprez a déclaré partager cette analyse ainsi que M. Claude Birraux qui a souligné qu'EDF ne pouvait être à la fois juge et partie. M. André Lajoinie, président, ayant fait observer que le bilan prévisionnel serait établi sous le contrôle de l'Etat, la commission a rejeté l'amendement n° 78.

Ce bilan - prévu par l'article 6 paragraphe 2 de la directive - prendra en compte l'évolution de la consommation, des capacités de transport et des échanges internationaux d'électricité ; la commission a proposé, en adoptant un amendement du rapporteur établissant un lien entre le présent projet de loi et le projet de loi d'orientation pour l'aménagement et du développement durable du territoire, que la PPI s'appuie également sur le schéma des services collectifs de l'énergie (amendement n° 191) ;

- ensuite la PPI fait l'objet d'un rapport présenté au Parlement tous les cinq ans par le ministre chargé de l'énergie (le premier sera présenté dans l'année suivant la promulgation de la loi). Sur ce point, la commission a adopté un amendement du rapporteur (amendement n° 190) visant à modifier la périodicité de ce rapport (celui-ci devant être présenté au Parlement lors de la première session suivant tout renouvellement de l'Assemblée nationale) et a en conséquence rejeté comme sans objet deux amendements présentés respectivement par M. Claude Billard et M. Alain Cacheux, le premier prévoyant un rapport tous les deux ans et le second tous les trois ans .

Quant au contenu de la PPI, il fixe des objectifs de répartition :

- pour les énergies primaires utilisées (énergie nucléaire, énergies fossiles, énergies renouvelables) ;

- pour les techniques de production utilisées (centrale nucléaire classique, EPR, centrale à lit fluidisé circulant, cycle combiné au gaz, centrale thermique classique, usine de cogénération, éolienne, etc.) ;

- pour la répartition géographique des sites de production tant pour des raisons liées à l'aménagement et au développement du territoire qu'à cause des risques d'engorgement des réseaux que pourrait créer une distribution géographiquement déséquilibrée des unités de production.

Le paragraphe II, dont le premier alinéa a fait l'objet d'un amendement rédactionnel du rapporteur adopté par la commission (amendement n° 192), précise que les nouvelles installations seront exploitées :

- soit par les personnes ayant obtenu une autorisation d'exploiter délivrée par le ministre chargé de l'énergie, conformément à l'article 7 du projet de loi ;

- soit par les personnes ayant remporté un appel d'offres en application de l'article 8 ;

- soit par les communes et les établissements publics de coopération intercommunale, autorisés dans des conditions très spécifiques définies aux articles 2224-32 et 2224-33 du code général des collectivités territoriales, à produire de l'électricité ; votre rapporteur détaillera ces possibilités nouvelles offertes aux communes en ce domaine dans le commentaire de l'article 11.

Par ailleurs, les installations existantes dont la puissance disponible augmente significativement (le décret d'application devra déterminer un pourcentage au-delà duquel l'augmentation devient « significative ») ou qui utilisent une autre source d'énergie primaire dans le processus de production d'électricité sont également considérées comme des installations nouvelles et sont, de ce fait, soumises à la procédure d'autorisation.

Sur ce paragraphe II, la commission a examiné un amendement de M. Claude Billard prévoyant le transfert des usines et du personnel de la Compagnie nationale du Rhône (CNR) à EDF. M. Claude Billard a souligné que la CNR avait réalisé d'importants profits grâce aux centrales hydrauliques d'EDF et que cette « rente » devait profiter à l'ensemble des usagers du service public, après avoir rappelé que la loi du 8 avril 1946 avait déjà prévu un tel transfert. Le rapporteur a fait observer que l'adoption de cet amendement créerait des difficultés tant au regard du droit des concentrations qu'en ce qui concerne l'indemnisation des collectivités territoriales. M. Franck Borotra a indiqué qu'il s'agirait d'une « renationalisation » de la CNR, cette opération n'étant envisagée ni par le Gouvernement actuel, ni par les gouvernements précédents. M. André Lajoinie, président, a souligné que le capital de la CNR était détenu pour l'essentiel par des collectivités territoriales et que l'on resterait donc dans le champ des opérateurs publics. La commission a ensuite rejeté cet amendement.

Puis, elle a adopté un amendement de M. Jean-Michel Marchand prévoyant que les installations d'une puissance inférieure ou égale à 3 MW seront soumises à déclaration préalable et non au régime de l'autorisation d'exploiter (amendement n° 193). M. Jean-Michel Marchand a retiré un autre amendement ayant le même objet.

La commission a également adopté un amendement du rapporteur (amendement n° 194) visant, d'une part, à préciser la définition des installations nouvelles et, d'autre part, à prévoir un régime de déclaration préalable pour celles dont la puissance installée augmente de moins de 10 %, après les interventions du rapporteur, de M. Pierre Ducout et de M. Jean-Michel Marchand. Elle a, en conséquence, rejeté deux amen-dements de M. Jean Proriol, un amendement de M. Claude Billard et l'amendement n° 79 de M. Franck Borotra devenus sans objet. Elle a enfin examiné un amendement de M. Claude Billard visant à préciser que les installations d'autoproduction étaient soumises au régime d'autorisation préalable. Le rapporteur ayant indiqué que ces installations étaient déjà incluses dans le dispositif, M. Claude Billard a retiré son amendement.

Enfin, le paragraphe III, très largement inspiré de la rédaction du premier alinéa de l'article 23 de la directive, autorise le ministre de l'énergie, dans quelques cas exceptionnels limitativement énumérés (crise grave sur le marché de l'énergie, menace pour la sécurité des réseaux et des installations, risque pour la sécurité des personnes), à prendre des mesures de sauvegarde pouvant affecter les conditions d'attribution des autorisations et pouvant aller jusqu'à la suspension des autorisations déjà octroyées.

Puis, la commission a adopté l'article 6 ainsi modifié.

Article 7

Autorisation d'exploiter

De par sa simplicité, la procédure d'autorisation laisse largement ouverte la liberté de créer un site de production. Elle constitue la règle de droit commun pour toute création d'unité de production.

L'autorisation d'exploiter est délivrée par le ministre chargé de l'énergie. Entièrement attachée à la personne de son titulaire, elle est nominative et incessible, ce que précise expressément un amendement du rapporteur adopté par la commission (amendement n° 195). Il importe en effet que ne s'ouvre pas un marché de l'autorisation après la promulgation de la loi. Le ministre peut toutefois transférer l'autorisation en cas de changement d'exploitant, ce qui signifie par exemple que si l'exploitant est filialisé, une décision ministérielle sera requise. Quant à la durée de l'autorisation, elle devrait être liée à la durée de l'exploitation.

Rappelons cependant que le ministre peut, en application de l'article 6, prendre des mesures de sauvegarde affectant la procédure d'attribution des autorisations ou suspendre les autorisations existantes. Il peut aussi, conformément aux dispositions de l'article 9 ne plus délivrer d'autorisations de manière temporaire, s'il estime par exemple que celles-ci sont incompatibles avec les objectifs de la programmation pluriannuelle des investissements.

Enfin, les titres administratifs délivrés en application de la loi du 16 octobre 1919 relative à l'utilisation de l'énergie hydraulique, à savoir les concessions pour les installations dont la puissance excède 4500 kW et les autorisations pour les équipements de plus faible puissance, valent autorisation. De même, les installations existantes à la date de la publication de la loi, sont réputées autorisées.

Lors de sa réunion, la commission a rejeté un amendement de M. Jean Proriol visant à prévoir la consultation de la Commission de régulation de l'électricité sur les demandes d'autorisation et un délai de deux mois pour leur délivrance, ainsi qu'un amendement de M. Claude Birraux ayant un objet similaire.

Elle a ensuite examiné l'amendement n° 80 de M. Franck Borotra visant à subordonner la délivrance de l'autorisation à la mise en _uvre préalable d'une procédure d'appel d'offres, sauf dans quatre cas limitativement énumérés. M. Franck Borotra a indiqué que la transposition de la directive européenne supposait que la Commission de régulation de l'électricité soit compétente pour réglementer l'accès au marché et pour assurer une concurrence libre et loyale et a souligné que la procédure d'appel d'offres s'imposait dans un souci de transparence et de non-discrimination. Le rapporteur a souligné que l'amendement s'inscrivait dans une logique différente de celle retenue par le projet de loi. Selon lui, les inconvénients majeurs du système proposé par cet amendement sont de soumettre les investissements à un choix de l'administration et d'induire une mise en concurrence d'EDF pour l'approvisionnement des clients non éligibles, ce que la directive n'impose pas. M. Franck Borotra a fait observer que son amendement prévoyait des exceptions. M. Pierre Ducout a estimé que celles-ci n'étaient pas assez précises et risquaient de créer des divergences d'interprétation, donc des contentieux. M. Alain Cacheux a relevé que l'auteur de l'amendement contestait la procédure d'autorisation préalable alors que, lors de l'examen de l'article 6, il avait au contraire déclaré que l'administration aurait pu se charger des bilans prévisionnels servant de base à la programmation pluriannuelle des investissements de production. La commission a alors rejeté l'amendement n° 80.

Elle a également rejeté deux amendements identiques présentés par M. Claude Birraux et M. Jean Proriol visant à préciser que les projets d'installation de cogénération autorisés en application du décret du 20 mai 1955 devaient être réputés autorisés au titre du nouveau régime, après que le rapporteur eut fait valoir que ce décret concernait l'obligation d'achat d'électricité par EDF et que son abrogation était prévue par l'article 51 du projet de loi.

La commission a enfin examiné un amendement de M. Jean Proriol tendant à préciser que les producteurs ayant obtenu une autorisation peuvent autoconsommer l'électricité ainsi produite ou les quantités complémentaires achetées pour équilibrer leur offre, y compris sur leurs sites non éligibles. Après que le rapporteur eut émis des réserves sur cet amendement, M. Jean Proriol a proposé de le rectifier en supprimant la mention des sites non éligibles. M. Pierre Ducout a suggéré de le sous-amender pour en limiter la portée à l'autoconsommation. Après les interventions de M. Franck Borotra et du rapporteur, la commission a adopté l'amendement ainsi rectifié et sous-amendé (amendement n° 196).

Puis, elle a adopté l'article 7 ainsi modifié.

Article 8

Appels d'offres

L'appel d'offres est la procédure permettant d'ajuster la structure de notre parc de production aux objectifs de la programmation pluriannuelle des investissements. A ce titre, c'est un instrument important dans notre quête d'une diversification des sources d'énergie.

Il est clair que si on laisse la loi du marché régner sans partage sur le secteur de l'électricité et donc si on se contente de la seule procédure d'autorisation, l'adéquation avec les objectifs de la programmation pluriannuelle des investissements ne se réalisera jamais. Les opérateurs choisiront tous les procédés de fabrication les plus rentables, déséquilibrant ainsi notre offre et risquant de menacer notre indépendance et la sécurité de nos approvisionnements. Il est également loin d'être évident qu'ils privilégieront des techniques respectueuses de l'environnement et qu'ils prendront en compte la nécessité de répartir harmonieusement les unités de production sur l'ensemble du territoire national.

L'appel d'offres est donc une procédure qui - dans un premier temps - est essentiellement destinée aux énergies renouvelables. Mais, il n'est pas interdit de penser que, dans un marché s'ouvrant à la concurrence et dans un secteur utilisant des matières premières au cours variant souvent de façon erratique, l'appel d'offres puisse être un instrument qui, pour corriger certains excès, s'adresse à d'autres sources d'énergie.

La procédure d'appel d'offres est donc étroitement liée à la politique de l'énergie. Les autorités communautaires ne s'y sont d'ailleurs pas trompées. Après avoir fini par admettre que les Etats membres pouvaient vouloir garder une certaine maîtrise sur ce secteur, la Commission en a tiré les conclusions qui s'imposaient en inscrivant dans la directive la possibilité pour les Etats de mettre en _uvre une planification à long terme (article 3, paragraphe 2) et en autorisant les appels d'offres (articles 4 et 6).

Comme l'appel d'offres est lié à nos choix de politique énergétique, il n'est pas choquant que le ministre de l'énergie tienne un rôle central dans sa procédure. De fait, c'est lui qui prend la décision d'y recourir après avoir recueilli l'avis du gestionnaire du réseau de transport (qui seul dispose des informations lui permettant de savoir si les infrastructures de transport peuvent supporter de nouveaux apports de courant électrique). C'est également le ministre qui désigne le ou les candidats retenus en leur délivrant, après avis de la Commission de régulation de l'électricité, les autorisations prévues à l'article 7 du projet de loi (le ministre peut aussi ne pas donner suite à l'appel d'offres).

Entre ces deux termes extrêmes de la procédure, c'est la Commission de régulation qui met en _uvre l'appel d'offres, ce qui signifie que c'est à elle que revient la tâche de rédiger le cahier des charges en s'appuyant sur les conditions de l'appel d'offres définies par le ministre. Elle répond ainsi aux exigences de l'article 6, paragraphe 5 de la directive qui impose aux Etats membres de désigner une autorité indépendante des opérateurs chargée d'organiser, suivre et contrôler la procédure d'appel d'offres.

L'appel d'offres s'adresse à toute personne « exploitant ou désirant construire et exploiter » une unité de production installée, soit sur le territoire d'un Etat membre de la Communauté, soit sur le territoire de tout Etat dans le cadre de l'exécution d'accords internationaux.

Enfin, le dernier alinéa oblige EDF à passer un contrat d'achat d'électricité avec le candidat retenu (si c'est EDF lui-même qui est retenu, un protocole de cession sera arrêté entre les entités d'EDF chargées de la production et celles chargées de la fourniture). C'est donc une obligation d'achat « ponctuelle » qui est ainsi instituée, s'opposant à l'obligation d'achat « permanente » visée à l'article 10 du projet de loi. Aujourd'hui, ces deux obligations peuvent donner lieu à une certaine confusion car elles s'adressent dans les faits aux mêmes types d'énergie.

Elles répondent pourtant à des logiques différentes :

- les appels d'offres visent à orienter la structure de notre production et jouent ainsi sur nos besoins en énergie primaire ;

- l'obligation d'achat « de droit commun » cherche à garantir des débouchés permanents à certains types de production bénéfiques pour la collectivité, mais qui se heurtent à des problèmes de commercialisation (soit en raison du coût de production, soit en raison de la petite taille des unités de production).

Rappelons que ces garanties d'enlèvement s'inscrivent dans le cadre des missions de service public qui, en application de l'article 5, paragraphe I du projet de loi peuvent donner lieu à compensation pour les surcoûts qu'elles génèrent.

Lorsqu'EDF sera amené à contracter avec le gagnant d'un appel d'offres, il devra naturellement respecter la confidentialité de diverses informations d'ordre économique, commercial, industriel, financier ou technique, portées à sa connaissance. En effet, la transcription de cette règle porterait atteinte aux règles de concurrence libre et loyale : d'où la sanction de 100 000 francs d'amende en cas de transmission d'informations protégées.

Un décret en Conseil d'Etat fixera la liste de ces informations. Selon l'exposé des motifs du projet de loi, sont visées des données portant sur « des éléments tels que les procédés techniques utilisés et toute information protégée par la propriété intellectuelle, les conditions financières ou techniques demandées par les candidats et accordées au gagnant de l'appel d'offres. ».

Lors de l'examen de cet article, la commission a adopté un amendement de précision du rapporteur indiquant à titre d'exemples quelques objectifs qui, s'ils ne sont pas atteints, peuvent inciter le ministre chargé de l'énergie à recourir à la procédure d'appel d'offres (amendement n° 197). Elle a ensuite rejeté l'amendement n° 81 de M. Franck Borotra visant à rendre obligatoire le recours à la procédure d'appel d'offres, après avis de la Commission de régulation de l'électricité. Puis, elle a examiné trois amendements soumis à discussion commune, le premier présenté par M. Claude Billard, le second proposé par le rapporteur, visant tous deux à préciser que le ministre chargé de l'énergie définit les conditions de l'appel d'offres et l'amendement n° 82 de M. Franck Borotra. M. Christian Bataille, rapporteur a indiqué qu'il souhaitait rectifier son amendement afin d'y intégrer la nécessité d'un cahier des charges détaillé, suggérée par M. Franck Borotra dans son amendement n° 82. La commission a alors adopté l'amendement du rapporteur ainsi rectifié (amendement n° 198), l'amendement de M. Claude Billard et l'amendement n° 82 de M. Franck Borotra devenant sans objet.

Après avoir adopté un amendement rédactionnel du rapporteur (amendement n° 199), elle a rejeté un amendement de M. Claude Billard visant à exclure des appels d'offres les installations existantes, le rapporteur ayant fait observer que ce dispositif était contraire à l'article 6 de la directive européenne. Elle a ensuite adopté deux amendements rédactionnels du rapporteur (amendements nos 200 et 201).

Puis, elle a examiné un amendement de M. Claude Billard visant à supprimer la dernière phrase du dernier alinéa de l'article 8 qui prévoit une peine d'amende pour les agents d'EDF en cas de non-respect des règles de confidentialité des informations dont ils ont connaissance. M. Claude Billard a estimé que l'application éventuelle de cette sanction aux seuls agents d'EDF était injustifiée, d'autant plus que le statut du personnel de l'entreprise prévoit déjà des sanctions disciplinaires. Le rapporteur a indiqué que cet article ne visait, par hypothèse, que les agents d'EDF puisque l'entreprise est tenue de conclure, dans les conditions fixées par l'appel d'offres, un contrat d'achat de l'électricité avec le candidat retenu. Il a également précisé qu'il ne s'agissait à l'évidence pas d'une sanction pouvant relever des règles statutaires du personnel. M. Franck Borotra s'est interrogé sur l'opportunité de mentionner une seule catégorie de personnes dans le texte. M. Léonce Deprez a jugé cette mention choquante. M. André Lajoinie, président, a estimé à son tour cette mention incongrue puisque le texte concerne « toute personne dépositaire des informations ». Après les interventions du rapporteur et de MM. Alain Cacheux, Franck Borotra, Pierre Ducout, Léonce Deprez et Jean-Michel Marchand, la commission a adopté un amendement du rapporteur proposant une nouvelle rédaction de la dernière phrase de cet article afin de supprimer la mention des agents « appartenant au service d'Electricité de France qui achète l'électricité » (amendement n° 202). En conséquence, l'amendement de M. Claude Billard a été retiré.

La commission a ensuite rejeté un amendement de M. Jean-Michel Marchand tendant à prévoir que la Commission de régulation proposera des appels d'offres pour « enclencher » une diminution de la demande d'électricité.

Puis, elle a adopté l'article 8 ainsi modifié.

Article 9

Critères d'attribution des autorisations et élaboration
des conditions des appels d'offres

L'article 9 définit les critères sur lesquels doit se fonder toute décision relative aux autorisations ou aux appels d'offres. La rédaction du paragraphe I laisse une large place au pouvoir discrétionnaire du ministre. En effet, il lui faut simplement « prendre en considération » une liste de critères très voisine de celle dressée par l'article 5 de la directive (qui ne porte toutefois que sur la seule procédure d'autorisation). Cette formulation peu normative exclut donc toute compétence liée de l'autorité administrative. Seule la directive limite le pouvoir du décisionnaire en rappelant quelques principes généraux (l'article 5, paragraphe 3 indique que « les raisons d'un refus d'autorisation doivent être objectives et non discriminatoires ; elles sont dûment motivées et justifiées et elles sont communiquées au demandeur et, pour information, à la commission. Des voies de recours doivent être ouvertes au demandeur. »).

Les critères d'attribution sont liés :

- aux exigences de sûreté des réseaux publics, des installations et équipements associés (tels les postes de transformation par exemple) ;

- à la localisation et aux conditions d'implantation des sites de production ; le choix des sites, l'occupation des sols et l'utilisation du domaine public sont donc pris en compte ;

- aux performances techniques des procédés de production d'électricité d'où la mention du critère d'efficacité énergétique ;

- aux capacités techniques, économiques et financières du candidat ou du demandeur ;

- à la compatibilité avec les exigences du service public, ce qui permet de prendre en compte les impératifs de protection de l'environnement et ceux découlant de la planification pluriannuelle des investissements.

Ainsi que le rappelle le dernier alinéa du paragraphe I, l'octroi d'une autorisation ne dispense pas un bénéficiaire d'obtenir les autres titres administratifs requis pour exploiter son installation à savoir :

- le permis de construire ;

- l'autorisation délivrée en application de la loi n° 76-663 du 19 juillet 1976 relative aux installations classées pour la protection de l'environnement ;

- l'autorisation nécessaire à la création de toute installation nucléaire de base (INB), instituée par l'article 3 du décret n° 63-1228 du 11 décembre 1963 ;

- les titres administratifs (concession ou autorisation) nécessaires à toute exploitation d'une centrale hydroélectrique en application de la loi du 16 octobre 1919 relative à l'utilisation de l'énergie hydraulique.

Sur le paragraphe I, la commission, après avoir adopté un amendement rédactionnel du rapporteur (amendement n° 203), a rejeté un amendement de M. Jean Proriol ajoutant les besoins des clients éligibles aux critères de délivrance de l'autorisation d'exploiter. Elle a, en revanche, adopté un amendement de M. Claude Billard, sous-amendé par le rapporteur (amendement n° 204), retenant comme critère la nature des sources d'énergie primaire.

Enfin, le paragraphe II du présent article renvoie à un décret le soin de préciser les modalités d'application des dispositions relatives à la planification pluriannuelle des investissements et aux procédures d'autorisation et d'appel d'offres.

Puis, la commission a adopté l'article 9 ainsi modifié.

Article 10

Obligation d'achat d'électricité incombant à EDF

Le monopole de production créé par la loi du 8 avril 1946 est assorti de dérogations. L'article 8 de la même loi exclut notamment de la nationalisation les installations de production de faible importance (inférieure à 8 000 kVA), les installations annexes à des réseaux de chaleur et les installations d'autoproduction réalisées par des collectivités pour leur propre utilisation dès lors que, dans ce dernier cas, ces installations présentent pour le service public un caractère accessoire.

Compte tenu des monopoles de transport et de distribution, les exceptions à la nationalisation en matière de production ont conduit les pouvoirs publics à instaurer une obligation d'achat par EDF (et par les distributeurs non nationalisés mentionnés à l'article 23 de la loi du 8 avril 1946) de l'électricité produite par certains producteurs autonomes, afin que ces derniers puissent écouler leur production.

Le décret n° 55-662 du 20 mai 1955 règle les rapports entre les établissements visés par les articles 2 (EDF) et 23 (distributeurs non nationalisés) de la loi du 8 avril 1946, d'une part, et les producteurs autonomes d'énergie électrique, d'autre part. Il impose à EDF et aux distributeurs non nationalisés de passer des contrats d'achat pour l'électricité produite par les producteurs autonomes. Le tarif d'achat est calculé à partir du tarif de vente aux consommateurs finals et reflète les « coûts évités » par EDF, tout en prenant en compte les coûts qu'EDF doit supporter pour distribuer aux utilisateurs finals l'énergie livrée par ces producteurs.

Les années 1993 et 1994 ont vu un développement significatif de petites unités vendant à EDF de l'électricité produite pendant les périodes de pointe. Un tel développement était inutile dans un contexte marqué par une surcapacité de notre parc. Le décret du 20 mai 1955 ne permettait pas aux pouvoirs publics de suspendre l'obligation d'achat, ni de l'assortir de conditions particulières.

C'est pourquoi le Gouvernement a décidé de modifier ces dispositions réglementaires par le décret n° 94-1110 du 20 décembre 1994. Celui-ci introduit la possibilité de suspendre, de manière sélective, l'obligation, pour EDF et les autres distributeurs, de passer des contrats d'achat et rend permanente l'obligation d'achat en faveur de l'électricité produite à partir de la cogénération, des énergies renouvelables et des déchets.

Par arrêté du 23 janvier 1995, le gouvernement a ainsi suspendu l'obligation de passer de nouveaux contrats pour une durée de trois ans (hors cogénération, énergies renouvelables et déchets). Cette suspension de l'obligation d'achat a été prorogée par arrêté du 20 janvier 1998 pour une nouvelle période de trois ans.

Le projet de loi soumet les installations de production d'électricité à un régime d'autorisation (autorisation simple de l'article 7 ou autorisation à la suite d'un appel d'offres de l'article 8). Les producteurs ainsi autorisés pourront vendre leur production auprès des clients éligibles qui auront le choix de leurs fournisseurs.

Mais ce dispositif est insuffisant pour garantir des débouchés à certains types de production d'électricité bénéfiques pour la collectivité nationale : ceux utilisant les énergies renouvelables, les déchets, les produits non commercialisables tels les résidus lourds des hydrocarbures ou les schlamms, ou recourant à des techniques performantes en termes d'efficacité énergétique - terme général incluant entre autres la cogénération. L'électricité ainsi produite pourrait rencontrer des problèmes de commercialisation en raison de son prix ou de la faible puissance commerciale de certains micro-producteurs. D'où le mécanisme d'obligation d'achat mis en place par le présent article.

OBLIGATION D'ACHAT D'EDF

Bénéficiaires

Dispositions en vigueur

Dispositions contenues dans

 

Limitations

Caractère permanent de l'obligation

le projet de loi

Petites installations quel que soit le procédé de production d'électricité utilisé

Puissance maximale de 8 000 kVA

Obligation pouvant être suspendue par décret

Obligation d'achat supprimée

Installations de cogénération

Puissance maximale de 8 000 kVA

Caractère permanent fixé par décret

Limites de puissance fixées

Installations alimentant un réseau de chaleur

Puissance en rapport avec la taille du réseau

Caractère permanent fixé par décret simple

par décret en Conseil d'Etat

Installations utilisant des déchets

Limité de fait par les volumes de déchets collectés par les collectivités locales

Caractère permanent fixé par décret

+

Installations utilisant des énergies renouvelables

Puissance maximale de 8 000 kVA

Caractère permanent fixé par décret

Obligation d'achat pouvant être suspendue par décret

Installations d'autoproduction des entreprises et des collectivités

Uniquement sur surplus non autoconsommés

Obligation pouvant être suspendue par décret

Obligation d'achat supprimée

L'obligation d'achat est un des moyens de réalisation de la programmation pluriannuelle des investissements de production. C'est pourquoi le dernier alinéa de cet article autorise le gouvernement à suspendre par décret, partiellement ou totalement, l'obligation d'achat si celle-ci ne répond plus aux objectifs de la programmation pluriannuelle des investissements. Cette suspension, dont la durée ne peut excéder dix ans, ne concernera que les installations nouvelles et n'aura donc pas d'effet rétroactif sur les unités de production existantes. En revanche, les exploitants de ces dernières devront, conformément aux dispositions de l'article 48, mettre les conventions et contrats conclus avec EDF en conformité avec la loi.

Un décret en Conseil d'Etat fixera en particulier les limites de puissance des installations pouvant bénéficier de l'obligation d'achat.

Un second décret définira les obligations incombant aux producteurs bénéficiaires de l'obligation d'achat. Il précisera également les modalités permettant aux ministres chargés de l'économie et de l'énergie d'arrêter, après avis de la Commission de régulation de l'électricité, les conditions d'achat de l'électricité ainsi produite.

Par ailleurs, il convient de signaler que l'obligation d'achat n'est ni absolue, ni automatique, l'article 10 la soumettant à une triple limite :

- il faut que les producteurs intéressés demandent à EDF d'acheter leur production ;

- seule l'électricité produite sur le territoire national peut faire l'objet d'un achat obligatoire ;

- les achats sont effectués « sous réserve de la nécessité de préserver le bon fonctionnement des réseaux ».

Enfin, conformément à l'article 5 du présent projet de loi, les surcoûts résultant de cette obligation d'achat feront l'objet d'un financement réparti sur l'ensemble des opérateurs livrant à des clients finals ou produisant pour leur propre consommation, de manière à éviter toute distorsion de concurrence au détriment d'EDF.

L'article 10 a donné lieu à un large débat lors de l'examen du projet de loi en commission.

Celle-ci a d'abord examiné un amendement de M. Franck Borotra tendant à élargir le domaine de l'obligation d'achat à l'ensemble des installations de cogénération et à établir un régime différent entre les installations de cogénération de grande taille et les autres installations bénéficiant de l'obligation d'achat. Après que M. Léonce Deprez eut souligné que cet amendement permettrait de réduire le retard que la France connaît aujourd'hui en matière de cogénération et que le rapporteur eut estimé qu'une telle obligation d'achat n'avait pas vocation à bénéficier à l'ensemble des dispositifs de production, la commission a rejeté cet amendement.

Une discussion s'est ensuite engagée autour d'un amendement de rédaction globale des deux premiers alinéas, présenté par le rapporteur.

Cet amendement considère qu'en matière de production indépendante, les problèmes rencontrés par les petits producteurs et ceux rencontrés par les producteurs industriels sont d'ordre différent. Il réserve donc le bénéfice de l'obligation d'achat aux petits producteurs car ce sont eux qui, en raison de la taille de leur exploitation et à cause de leur manque de moyens commerciaux, auront des difficultés à écouler leur production.

D'où deux dispositions :

- l'inscription dans la loi d'une puissance maximale de 15 MW (qui est quasiment le double de la limite de puissance actuellement retenue) pour les installations utilisant des énergies renouvelables ou des techniques performantes en termes d'efficacité énergétique, ce qui exclut du dispositif les unités de cogénération industrielle ;

- la suppression de l'obligation d'achat pour les produits non commercialisables car sont uniquement visés ici des déchets industriels qu'il appartient aux entreprises de traiter, sans qu'une mesure s'apparentant à une subvention soit nécessaire.

Enfin, si les installations valorisant les déchets ménagers et celles alimentant un réseau de chaleur font l'objet d'un alinéa spécifique, c'est parce que ce type d'installations ne peut être soumis à une limitation de puissance de droit commun. Pour celles alimentant un réseau de chaleur, la puissance doit être en rapport avec la taille du réseau, comme c'est le cas aujourd'hui. Pour celles valorisant les déchets, elles sont physiquement limitées par la quantité de déchets collectés par les collectivités locales.

Répondant au rapporteur, MM. Claude Billard et Jean-Michel Marchand ont observé qu'un seuil de puissance de 15 mégawatts en deça duquel les installations utilisant des énergies renouvelables ou mettant en _uvre des techniques performantes sur le plan énergétique pouvaient bénéficier de l'obligation d'achat était excessivement élevé et bénéficierait donc aussi à des unités de production de taille importante. MM. Franck Borotra et Jean Proriol ont regretté que la cogénération n'apparaisse dans cet amendement que sous la forme d'une technique d'appoint, alors qu'elle leur semble au contraire appelée à devenir une source d'énergie importante.

Après avoir adopté un sous-amendement de MM. Alain Cacheux et Claude Birraux introduisant une référence explicite à la cogénération, la commission a adopté cet amendement ainsi modifié (amendement n° 205). En conséquence, MM. Alain Cacheux et Claude Birraux ont retiré deux amendements .

Un amendement de M. Claude Billard réservant l'obligation d'achat à l'utilisation de prototypes a ensuite été rejeté, de même qu'ont été rejetés deux amendements de MM. Claude Birraux et Arnaud Lepercq élargissant cette obligation d'achat à l'ensemble des distributeurs non nationalisés.

Au dernier alinéa de cet article, la commission a adopté un amendement de précision de M. Jean-Michel Marchand (amendement n° 206) et un amendement rédactionnel du rapporteur (amendement n° 207).

Elle a ensuite rejeté l'amendement n° 7 de M. Léonce Deprez soumettant à un préavis la suspension de l'obligation d'achat ainsi qu'un amendement de M. Claude Billard imposant que les contrats d'achat conclus par EDF équilibrent les coûts assumés par les producteurs cocontractants.

Après qu'un amendement de M. Jean Proriol sur le maintien de l'obligation d'achat pour les installations existantes eut été retiré, la commission a adopté l'article 10 ainsi modifié.

Article 11

Rôle des collectivités territoriales
en matière de production d'électricité

Le présent article vise à élargir la faculté offerte aux communes par la loi du 8 avril 1946 de produire de l'électricité et insère ces dispositions dans le code général des collectivités territoriales. Cette logique répond à une volonté politique de promouvoir la production décentralisée d'électricité, celle-ci présentant en particulier l'avantage de limiter les extensions ou les renforcements des réseaux.

Le paragraphe I de l'article 11 crée donc une nouvelle section dans le code des collectivités territoriales consacrée à la distribution et à la production d'électricité et comprenant, pour le volet « production » deux articles.

Article L. 2224-32 du code général des collectivités territoriales

Rôle des collectivités locales en matière de production d'électricité

L'article L. 2224-32 est très largement inspiré de l'article 8 de la loi de 1946 qui énumère une série d'exceptions au monopole de la production d'électricité. Parmi ces exceptions, trois concernent les collectivités territoriales. Celles-ci sont reprises dans le présent article qui ne vise toutefois que les communes et les établissements publics de coopération dont elles sont membres.

Ces collectivités peuvent donc exploiter comme par le passé :

- des installations hydroélectriques d'une puissance maximale de 8 000 kVA situées sur leur territoire ; cette faculté était offerte aux collectivités locales depuis la loi n° 80-531 du 15 juillet 1980 relative aux économies d'énergie et à l'utilisation de la chaleur qui complète dans ce sens l'article 8 de la loi de 1946 ;

- des installations valorisant l'énergie des déchets ménagers ou assimilés (disposition ajoutée à la loi de 1946 par la loi n° 49-1090 du 2 août 1949 dite loi « Armengaud ») ;

- des installations récupérant l'énergie provenant des réseaux de chaleur (autre ajout de la loi du 15 juillet 1980) ;

- tous types d'installations de production d'électricité destinées à leurs propres besoins. C'est ce que vise dans la rédaction de l'article 11 du projet de loi, la mention des « possibilités ouvertes par le quatrième alinéa de l'article 8 de la loi de 1946 ». Cette exception, prévue dès 1946, fit l'objet d'un aménagement dans la loi du 2 août 1949.

L'apport essentiel de l'article L. 2224-32 du code général des collectivités territoriales est d'autoriser désormais les communes et les établissements publics de coopération dont elles sont membres à exploiter toute nouvelle installation utilisant des énergies renouvelables (éolien, solaire, biomasse, géothermie) et ce, quelle que soit sa puissance.

Les communes disposeront donc après la promulgation de la loi d'une palette de possibilités pour produire de l'électricité (cf. tableau récapitulatif ci-après). Mais, il ne s'agit pas de les transformer en acteurs du marché concurrentiel ; c'est pourquoi seuls les clients non éligibles pourront être alimentés par cette électricité.

INTERVENTIONS DES COLLECTIVITÉS LOCALES DANS LE DOMAINE DE LA PRODUCTION D'ÉLECTRICITÉ (1)

Interventions autorisées

Type d'énergie primaire utilisée

Puissance des installations

Destination de l'énergie produite

Mode de gestion des installations

Loi de 1946 - article 8

alinéa 10 (6°)

(maintenu par l'article 11 du projet de loi)

Pouvoir calorifique :

- des résidus et déchets ;

- des installations alimentant un réseau de chaleur.

En fonction des installations concernées (limitées par la taille du réseau de chaleur et le volume des déchets collectés)

Autoconsommation ou vente à EDF dans le cadre du décret n° 55-662 du 20 mai 1955 (obligation d'achat)

Selon les modalités définies par le code général des collectivités territoriales

Loi de 1946 - article 8

alinéa 11 (7°)

(maintenu par l'article 11 du projet de loi)

Aménagements hydroélectriques

8000 kVA

Autoconsommation ou vente à EDF dans la cadre du décret n° 55-662 du 20 mai 1955 (obligation d'achat)

Gestion directe (art. 23 de la loi du 16.10.1919) ou par le truchement d'organismes dans lesquels les collectivités ont des participations

Loi de 1946 - article 8

alinéa 12

(maintenu par l'article 11 du projet de loi)

Tout type d'énergie

Pas de limitation de puissance

Autoconsommation pour les besoins de leurs services publics et de la livraison aux habitants de la collectivité à condition que cette activité soit accessoire au service public

Non précisé (modalités du code général des collectivités territoriales)

Projet de loi - article 11

Energies renouvelables

Pas de limitation de puissance

Autoconsommation ou obligation d'achat (article 10 du projet de loi)

Selon les modalités définies par le code général des collectivités territoriales

(1) La possibilité de créer des installations de proximité conformément à l'article 11 du projet de loi n'est pas mentionnée dans ce tableau car elle entre dans le cadre du service public de la distribution d'électricité.

Conformément à l'article 10 du projet de loi, l'électricité produite par les communes à partir d'énergies renouvelables (ce qui inclut celle provenant des centrales hydroélectriques de petite taille), de déchets ou en mettant en _uvre des techniques performantes en termes d'efficacité énergétique bénéficient de l'obligation d'achat par EDF.

Lors de l'examen de l'article L. 2224-32 du code général des collectivités territoriales, la commission a adopté un amendement du rapporteur (amendement n° 208) qui, tout en corrigeant une référence matérielle erronée, permet de ne plus soumettre à conditions l'auto-production de l'électricité par les collectivités locales, rendant ainsi sans objet les trois amendements identiques présentés par MM. Alain Cacheux,Yvon Montané et Jean Proriol.

La commission a ensuite adopté deux amendements identiques de MM. Yvon Montané et Jean Proriol (amendement n° 209) visant à éviter qu'un rapprochement des termes des articles 10 (alinéa 1er) et 11 (alinéa 4) n'aboutisse à écarter l'électricité d'origine hydraulique produite par les collectivités territoriales de l'obligation d'achat à laquelle EDF est assujetti, rendant ainsi sans objet un amendement présenté par M. Alain Cacheux.

Elle a adopté contre l'avis du rapporteur un amendement de M. Claude Birraux (amendement n° 210) permettant d'inclure les systèmes de cogénération dans la liste des installations que les collectivités territoriales sont autorisées à exploiter. L'amendement n° 8 de M. Léonce Deprez et un amendement de M. Jean-Michel Marchand ont en conséquence été retirés.

Puis, un amendement de rectification de référence présenté par le rapporteur a été adopté (amendement n° 211).

Un débat s'est ensuite engagé sur un amendement de M. Claude Billard limitant les possibilités d'exploitation reconnues aux communes et aux établissements publics de coopération dont elles sont membres, aux installations permettant des économies d'énergie réelles ou une réduction de la pollution atmosphérique. M. Franck Borotra a indiqué son accord avec cet amendement, qui lui semble prendre acte des évolutions intervenues depuis la loi du 8 avril 1946. Après que le rapporteur eut exprimé un avis favorable, la commission a adopté un sous-amendement de précision proposé par M. Jean-Michel Marchand puis cet amendement ainsi modifié (amendement n° 212) ainsi qu'un amendement rédactionnel du rapporteur (amendement n° 213).

Elle a en revanche rejeté un amendement de M. Jean-Michel Marchand introduisant une obligation d'achat ou de transport au profit des communes et de leurs groupements.

Article L. 2224-33 du code général des collectivités territoriales

Installations de production d'électricité de proximité

L'article L. 2224-33 autorise également les communes et les établissements publics de coopération les regroupant à intervenir en matière de production d'électricité dans le cadre du service public de la distribution. Cette disposition qui peut paraître antinomique à la première lecture vise à limiter le développement ou le renforcement des réseaux de distribution par la création d'unités de production de proximité. Ces installations peuvent être exploitées soit directement par les communes ou l'établissement public de coopération, soit sur décision de l'autorité concédante par le concessionnaire du service public de la distribution, c'est-à-dire EDF ou un distributeur non nationalisé. Il faut noter que certaines collectivités locales n'ont pas attendu la loi pour se lancer dans ce type d'initiatives. L'adoption d'une telle mesure donnera donc un fondement légal à ces initiatives.

Le projet de loi fixe cependant deux conditions à cette faculté désormais reconnue aux communes : les installations ne devront pas excéder un seuil de puissance défini par décret et la limitation à l'extension ou au renforcement du réseau de distribution doit s'effectuer dans « de bonnes conditions économiques ».

La commission a rejeté un amendement de suppression de l'article L. 2224-33 du code général des collectivités territoriales présenté par M. Claude Billard.

Quant au paragraphe II de l'article 11, il autorise les distributeurs non nationalisés, autres que les régies et les sociétés d'économie mixte, à exploiter des installations de production. Cette disposition vise principalement les 21 sociétés d'intérêt collectif agricole d'électricité (SICAE), ainsi que la société anonyme Electricité de Strasbourg. Les régies et les sociétés d'économie mixte sont exclues du dispositif, soit en raison de la stricte définition de leur objet (sociétés d'économie mixte), soit en raison du lien étroit les liant aux collectivités concédantes (régies), le but poursuivi étant en l'occurrence de ne pas lancer, par le biais de leurs régies, les communes sur le marché concurrentiel de l'électricité. En effet, l'électricité ainsi produite est destinée à tous les clients - qu'ils soient éligibles ou non - situés sur la zone de desserte du distributeur non nationalisé.

Après avoir rejeté un amendement de M. Claude Billard proposant la suppression du paragraphe II, la commission a adopté un amendement du rapporteur (amendement n° 214) visant à permettre à tous les distributeurs non nationalisés dotés de la personnalité morale et de l'autonomie financière d'exploiter des installations de production d'électricité au profit des clients situés dans leur zone de desserte exclusive (ce dispositif exclut uniquement quelques « micro-régies »), rendant ainsi sans objet les amendements présentés par MM. Claude Birraux, Alain Cacheux, Arnaud Lepercq, Pierre Micaux, Yvon Montané et Jean Proriol.

La commission a ensuite adopté l'article 11 ainsi modifié.

Article 12

Possibilité offerte aux producteurs de compléter leur offre

Cet article permet aux producteurs d'électricité de conclure avec d'autres producteurs ou fournisseurs des contrats d'approvisionnement leur permettant de compléter leur offre. Cette disposition signifie en pratique :

- que le monopole d'importation d'EDF n'existe plus, tout producteur implanté sur notre territoire pouvant acquérir de l'électricité auprès d'un opérateur étranger ;

- qu'EDF peut acheter à des producteurs implantés en France de l'électricité non soumise à l'obligation d'achat découlant des appels d'offres (article 8 du projet de loi) ou à l'obligation d'achat « de droit commun » (article 10).

Mais cette faculté est limitée :

- les producteurs ne peuvent y recourir qu'afin de compléter leur offre ; en effet, le parc de production d'un opérateur ne permettra pas nécessairement de répondre à l'ensemble des besoins ; ce parc peut par exemple être adapté à la seule fourniture de base, ce qui implique pour le producteur d'acheter un volume complémentaire d'électricité pour présenter une offre incluant la fourniture de pointe.

- les collectivités territoriales et les établissements publics de coopération dont elles sont membres ne peuvent, lorsqu'ils sont producteurs d'électricité, comme le leur permettent les articles L. 2224-32 et L. 2224-33 du code général des collectivités territoriales, avoir recours à cette faculté, ceci afin de limiter leurs interventions dans le secteur de l'électricité et de les cantonner à la seule production. Le texte ne leur permet donc pas d'accéder à des activités de négoce.

Conformément au paragraphe IV de l'article 22 du projet de loi, tout producteur doit obtenir une autorisation administrative lorsque l'opération « d'achat d'électricité » pour compléter son offre répond à deux conditions cumulatives : si l'électricité ainsi négociée est destinée aux clients éligibles et si cette opération porte sur un volume d'électricité supérieur à un seuil fixé en fonction de la production annuelle moyenne de l'opérateur.

La commission a adopté deux amendements de suppression de cet article, l'un de M. Claude Billard, l'autre du rapporteur (amendement n° 215), ce dernier ayant fait valoir que les dispositions du présent article seront reprises dans un amendement qu'il présentera à l'article 22. Sont en conséquence devenus sans objet un amendement de M. Jean Proriol proposant une nouvelle rédaction de cet article ainsi qu'un amendement de M. Michel Vaxès limitant les possibilités d'achats complémentaires pour les producteurs d'électricité.

TITRE III

LE TRANSPORT ET LA DISTRIBUTION D'ÉLECTRICITÉ

Chapitre premier

Le transport d'électricité

Article 13

Statut du gestionnaire du réseau public de transport d'électricité (GRT)

Dans le cadre de l'ouverture à la concurrence du secteur de l'électricité, l'activité de transport joue un rôle central car c'est d'elle que dépend le bon fonctionnement du système, tant au regard du jeu de la concurrence qu'à celui de la sécurité.

La directive européenne n'a pas encadré strictement la définition du gestionnaire du réseau de transport (GRT), son article 7 laissant aux Etats membres une latitude certaine pour définir son périmètre et son statut.

S'agissant du statut, l'article 7, paragraphe 6 de la directive précise qu'« à moins que le réseau de transport ne soit déjà indépendant des activités de production et de distribution, le gestionnaire du réseau doit être indépendant, au moins sur le plan de la gestion, des autres activités non liées au réseau de transport. ».

Il est donc possible de confier la gestion du réseau, soit à un organisme indépendant, soit à une entité spécialisée dans le transport relevant d'un opérateur intégrant également les activités de production et/ou de distribution.

C'est cette dernière option qu'a retenue le projet de loi, le premier alinéa de l'article 13 plaçant expressément le GRT « au sein d'EDF » et le deuxième alinéa lui imposant d'être indépendant des autres activités d'EDF sur le plan de la gestion. Cette solution, que la France n'est pas seule à avoir adoptée, - l'Allemagne à l'échelon régional, l'Autriche et le Danemark pour une partie de son territoire ont également fait un choix analogue - a pour principal mérite de ne pas démanteler EDF en sortant l'activité de transport du périmètre de l'opérateur historique.

Mais cette option n'est pas la plus simple à mettre en _uvre car, rendre indépendant sur le plan de la gestion un pan entier d'une entreprise, est un exercice délicat. Il faut rendre totalement « étanche » l'activité de transport des autres activités. Or, aujourd'hui à EDF, celle-ci est regroupée avec la production, au sein d'une même direction. EDF va donc devoir profondément réviser son organisation interne pour isoler le gestionnaire du réseau.

Pour garantir l'indépendance de gestion du GRT, son isolement est une condition, certes nécessaire, mais non suffisante. D'autres garanties sont apportées par le projet de loi :

- d'abord, ainsi que le précise le dernier alinéa de cet article, le GRT disposera, au sein d'EDF d'un budget propre. Celui-ci, ainsi que les comptes du GRT, seront communiqués à la Commission de régulation de l'électricité ;

- ensuite, le GRT est soumis à l'obligation de dissociation comptable des activités introduite par le titre V du projet de loi et conforme aux exigences du chapitre VI de la directive. Désormais, la production, le transport, la distribution et les autres activité des opérateurs feront l'objet de comptes séparés ;

- les modalités de nomination du directeur du GRT sont partiellement soustraites à la hiérarchie de l'entreprise puisqu'il est nommé pour six ans par le ministre chargé de l'énergie, sur proposition de président d'EDF, après avis de la Commission de régulation. Les mêmes formes sont requises pour mettre fin, de manière anticipée, à ses fonctions mais seul l'intérêt du service peut justifier une décision de ce type (alinéa 3 du présent article) ; il importait donc que, tout autant que le GRT lui-même, son directeur bénéficie d'un statut particulier car c'est lui qui doit veiller au caractère non discriminatoire des décisions que le gestionnaire du réseau sera amené à prendre ;

- enfin, conformément à l'article 16 du projet de loi, le GRT doit, sous peine de sanctions, préserver la confidentialité des informations d'ordre économique, commercial, industriel, financier ou technique qui lui sont transmises.

On peut donc constater que les garde-fous sont nombreux et espérer qu'ils seront efficaces. Ce point est fondamental car les compétences du GRT sont essentielles. Elles s'étendent sur l'ensemble du réseau public de transport, c'est-à-dire sur l'ensemble des lignes actuellement soumises au cahier des charges de la concession à EDF du réseau d'alimentation générale en énergie électrique (ce qui exclut les lignes directes). Ce cahier des charges, dont la dernière version date de 1995, porte sur les installations de tension supérieure ou égale à 63 kV, c'est-à-dire sur l'ensemble du réseau à haute et très haute tension. Afin de donner des ordres de grandeur, le tableau ci-dessous présente les données significatives du seul réseau à très haute tension.

Réseau de transport

400 kV

225 kV

Lignes :

   

Longueur de files de pylônes en km

17 000

21 414

Longueur de circuits en km

20 860

26 200

Nombre de lignes

376

1 286

Postes (nombre de) :

158

633

Le premier alinéa du présent article renvoie également à un cahier des charges de concession, le soin de fixer les conditions d'exercice des missions du GRT.

Consciente qu'avec le statut du GRT était abordé un des points clés de la nouvelle organisation de notre système électrique, la commission a consacré de longs débats à cette question.

M. Franck Borotra a tout d'abord présenté un amendement portant nouvelle rédaction de l'article 13 et proposant de donner au gestionnaire du réseau public de transport le statut d'établissement public national. Cet établissement serait créé à la date du 1er janvier 2000 et placé sous la tutelle du ministère et le contrôle de la Commission de régulation de l'électricité. Il serait chargé de donner des missions à EDF aux fins de gérer le réseau public, EDF continuant d'être le responsable et l'opérateur de ce réseau et d'en assurer la gestion, l'entretien, l'exploitation et le développement. L'auteur de l'amendement a conclu que celui-ci visait à donner un contenu réel à l'ouverture du marché de l'électricité en limitant les attributions de cet établissement public national dont la vocation se limiterait au contrôle et à donner des instructions à EDF.

Le rapporteur a indiqué qu'il était hostile à la création d'un gestionnaire du réseau public de transport distinct d'EDF et que la directive européenne n'imposait nullement de doter ce gestionnaire de la personnalité morale et encore moins de le sortir de l'entreprise propriétaire du réseau. Elle impose seulement qu'il soit indépendant, au moins sur le plan de la gestion, des autres activités non liées au réseau de transport.

La commission a rejeté l'amendement.

M. Pierre Micaux a ensuite présenté un amendement de M. Claude Birraux proposant d'ériger le gestionnaire du réseau public de transport en filiale d'EDF exerçant ses missions dans des conditions fixées par un cahier des charges approuvé par décret en Conseil d'Etat sur proposition de la Commission de régulation de l'électricité.

Le rapporteur a fait valoir que la constitution d'une filiale impliquait de donner le statut de société commerciale au gestionnaire du réseau de transport, ce qui nécessitait de modifier le statut d'EDF. Le maintien d'un gestionnaire du réseau public de transport intégré est un point fort du projet de loi ; plusieurs amendements du rapporteur proposeront de renforcer les garanties de son indépendance.

En conséquence, la commission a rejeté l'amendement de M. Claude Birraux, ainsi que l'amendement n° 9 de M. Léonce Deprez ayant le même objet. Elle a également rejeté un amendement de M. Jean Proriol donnant au gestionnaire du réseau public de transport le statut d'établissement public autonome.

La commission a ensuite adopté l'amendement n° 121 de M. Pierre Micaux soumettant le cahier des charges de concession du gestionnaire du réseau public de transport à l'avis de la Commission de régulation de l'électricité.

Puis, elle a rejeté un amendement de M. Jean Proriol supprimant, par coordination avec son premier amendement, le deuxième alinéa de l'article 13.

Le rapporteur a ensuite présenté un amendement proposant de nouvelles modalités de désignation et de révocation du directeur du gestionnaire du réseau public de transport : le président d'EDF proposerait trois candidats au ministre chargé de l'énergie, qui nommerait un de ces candidats au poste de directeur pour six ans ; la cessation anticipée des fonctions du directeur n'interviendrait que dans l'intérêt du service, par arrêté du ministre chargé de l'énergie, après avis de la Commission de régulation de l'électricité.

M. Franck Borotra a contesté le dispositif proposé dans la mesure où la désignation du directeur du gestionnaire du réseau public de transport relèverait toujours de l'initiative du président d'EDF, où l'avis de la Commission de régulation de l'électricité ne serait plus requis pour sa nomination et où le dispositif du projet de loi plaçait le directeur du service sous la dépendance d'EDF. M. André Lajoinie, président, a estimé que le dispositif proposé établissait un juste équilibre des pouvoirs. M. Pierre Ducout a jugé que le mandat de six ans était suffisamment long et le poste de directeur suffisamment important pour que ce dernier bénéficiât de solides garanties sur les suites de sa carrière après son passage à la direction du service gestionnaire du réseau public de transport. Il a cependant proposé de rétablir l'avis de la Commission de régulation de l'électricité prévu par le projet de loi pour la nomination du directeur. M. Claude Billard a proposé, en réponse à la remarque de M. Franck Borotra, de confier au conseil d'administration le pouvoir de proposer les noms des trois candidats, ce qui renforcerait la transparence de la procédure. M. Franck Borotra a répondu en faisant observer que les mesures personnelles touchant la carrière des agents d'EDF étaient prises par le président de l'entreprise et que le conseil d'administration en était informé. M. Yvon Montané s'est déclaré hostile aux propositions de M. Claude Billard et de M. Pierre Ducout. Le rapporteur a conclu que rien n'empêchait le président d'EDF d'informer son conseil d'administration des propositions qu'il entendait présenter au ministre chargé de l'énergie.

M. Franck Borotra a ensuite présenté un sous-amendement à l'amendement du rapporteur afin de soumettre à l'avis de la Commission de régulation de l'électricité la nomination du directeur. Le rapporteur a fait valoir que la Commission de régulation de l'électricité ne disposait d'aucune compétence pour porter un jugement sur des choix de personnes tandis que son avis était utile en cas de cessation anticipée des fonctions du directeur dans la mesure où elle peut apprécier l'intérêt du service motivant cette révocation.

La commission a adopté ce sous-amendement, puis l'amendement du rapporteur ainsi modifié (amendement n° 216). En conséquence, l'amendement de M. Claude Birraux tendant à charger la Commission de régulation de l'électricité de proposer le nom du président du gestionnaire du réseau public de transport après avis du président d'EDF, l'amendement de M. Jean Proriol supprimant la proposition du nom du candidat au poste de directeur par le président d'EDF et l'amendement de M. Claude Billard substituant à une proposition par le président d'EDF une proposition par le conseil d'administration de l'entreprise sont devenus sans objet.

Le rapporteur a ensuite présenté deux amendements tendant à renforcer les garanties d'indépendance du directeur et du personnel du service gestionnaire du réseau public de transport. Le premier amendement interdit au directeur d'être membre du conseil d'administration d'EDF ; le second impose de consulter le directeur préalablement à toute décision touchant la carrière des agents du service gestionnaire du réseau public de transport, ceux-ci ne pouvant recevoir d'instructions que du directeur ou d'un agent placé sous son autorité. La commission a adopté ces deux amendements (amendements nos 217 et 218).

Puis, elle a rejeté un amendement de M. Jean Proriol supprimant le dernier alinéa de l'article, un amendement de M. Claude Birraux supprimant l'autonomie budgétaire du gestionnaire du réseau public de transport, l'amendement n° 122 de M. Pierre Micaux soumettant le budget et les comptes du service à l'avis préalable de la Commission de régulation de l'électricité et un amendement de M. Jean Proriol prévoyant de transformer le gestionnaire du réseau public de transport en établissement public au bout de cinq ans, au motif que ces quatre amendements étaient liés aux premiers amendements proposant un statut d'établissement public ou de filiale pour le gestionnaire du réseau public de transport.

Puis, la commission a adopté l'article 13 ainsi modifié.

Article 14

Missions du gestionnaire du réseau public de transport

C'est le premier alinéa de l'article 14 qui aborde le problème du périmètre d'intervention du GRT.

Le GRT doit-il être un simple « gestionnaire du réseau » stricto sensu ou être plus largement un opérateur des infrastructures de transport ?

Si la première acception du GRT est retenue, son activité sera voisine de celle qui occupe actuellement le CNES (Centre national d'exploitation du système) à EDF, c'est-à-dire qu'il sera chargé du dispatching national et inter-régional. Aujourd'hui, le CNES gère les programmes de production des centrales, les échanges internationaux d'électricité et le réseau à très haute tension de 400 kV ; il coordonne par ailleurs l'activité des sept dispatchings régionaux qui gèrent pour leur part les réseaux à haute tension et à très haute tension de 225 kV sur leur aire de compétence ; ce sont eux également qui assurent l'alimentation des postes de distribution. Dans cette conception étroite, le GRT vérifie donc la bonne circulation des flux d'électricité et il « appelle » les centrales (ce qui signifie, selon la définition donnée dans l'exposé des motifs du projet de loi qu'il les autorise « à se connecter au réseau à hauteur d'une certaine puissance »), mais il ne pourra pas, comme le fait le CNES, gérer le parc de production en anticipant par exemple des arrêts de tranches nucléaires pour recharger des réacteurs en combustible.

Il décide enfin des investissements nécessaires au développement du réseau. Mais rien n'indique dans la rédaction de l'article 14 qu'il sera chargé du développement physique du réseau et de son entretien : ces tâches n'incombent au GRT que dans sa définition la plus large.

En vertu de l'article 7 de la directive, le gestionnaire du réseau « sera responsable » de l'exploitation, de l'entretien et, le cas échéant du développement du réseau de transport (...) ainsi que de ses interconnexions avec d'autres réseaux. Cette rédaction, et en particulier le fait que le GRT est dit « responsable » de ces différentes missions (et non qu'il les « assure ») laisse ouvertes toutes les options possibles quant au choix de son périmètre d'intervention.

L'article 14 du projet de loi reprend la formule de la directive en précisant toutefois que la « responsabilité » du GRT s'étend au développement du réseau (c'est-à-dire aux activités d'ingénierie et de construction de lignes). Le problème de son périmètre d'intervention demeure donc entier.

Or, il est loin d'être anodin car le GRT compris dans sa plus stricte acception emploiera environ 1000 personnes alors que, si l'on retient la conception élargie du GRT, ce sont environ 7000 personnes (constituées principalement des « lignards », personnel chargé de l'entretien des lignes) qui le rejoindront.

Quelle solution retenir ? La définition « resserrée » présente pour sa part l'avantage principal de ne placer qu'un millier de personnes dans le giron du GRT, ce qui limite les craintes liées pour les uns aux risques de démantèlement de l'entreprise publique et pour les autres à la non indépendance d'un GRT inclus dans EDF (un GRT de petite taille pouvant apparaître, en première analyse, plus facilement « isolable » au sein d'EDF).

Mais la définition « large » du GRT présente un double avantage que votre rapporteur juge décisif :

- elle limite les risques de sous-traitance, car un GRT de conception étroite devrait recourir à une procédure d'appel d'offres pour toute intervention sur le réseau ; EDF risquerait ainsi de voir lui échapper une partie de ses compétences et de perdre certains savoir-faire ;

- elle élimine tout problème de « frontières » entre activité d'exploitation, d'entretien et de développement du réseau.

En conséquence, le rapporteur a présenté un amendement proposant une définition étendue du périmètre du GRT que la commission a adopté (amendement n° 219). Celle-ci a également adopté un amendement d'harmonisation rédactionnelle du même auteur (amendement n° 220).

Le deuxième alinéa du présent article précise les conditions d'exercice de la mission de développement du réseau public de transport.

Pour la mener à bien, le GRT doit soumettre un schéma de développement du réseau public de transport à l'approbation du ministre chargé de l'énergie après avis de la Commission de régulation de l'électricité. Sur ce point, la commission a adopté un amendement du rapporteur (amendement n° 221) imposant à cette obligation une périodicité maximale de deux ans. Ce schéma contiendra évidemment des programmes d'investissements qui aideront la Commission de régulation dans l'élaboration des propositions tarifaires qu'elle soumet au Gouvernement. Il lui permettra également de vérifier que le développement du réseau s'effectue dans des conditions satisfaisantes au regard des équilibres régionaux.

Devant la commission, M. Jean-Michel Marchand a défendu un amendement tendant à soumettre à l'avis des conseils régionaux le schéma de développement du réseau, ainsi que l'amendement n° 10 identique de M. Léonce Deprez. Le rapporteur a fait valoir que le réseau public de transport était concédé par l'Etat à EDF et qu'il était dès lors logique que ce fût l'autorité concédante qui approuvât le schéma après avis de la Commission de régulation de l'électricité. Il a rappelé, en outre, qu'une consultation de la conférence régionale de l'aménagement et du développement du territoire était prévue par le dernier alinéa de l'article 3. Enfin, cette proposition aurait partiellement satisfaction si l'amendement suivant de M. Jean-Michel Marchand était adopté, ce qu'a proposé le rapporteur. En conséquence, M. Jean-Michel Marchand a retiré son amendement et la commission a rejeté l'amendement n° 10 de M. Léonce Deprez.

Puis, elle a adopté un amendement de M. Jean-Michel Marchand proposant que le schéma de développement du réseau public de transport tienne compte des schémas de services régionaux de l'énergie, dont l'adoption est prévue par le projet de loi d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire (amendement n° 222).

Enfin, le dernier alinéa prévoit qu'un décret fixe les prescriptions générales d'accès au réseau de transport. Celles-ci concernent les producteurs, les consommateurs directement raccordés, les réseaux de distribution, les lignes directes et les circuits d'interconnexion.

Cette disposition répond aux exigences de l'article 7, paragraphe 2 de la directive. Elle associe par ailleurs dans la procédure d'élaboration du décret, le comité technique de l'électricité institué par la loi du 15 juin 1906 sur les distributions d'énergie (celui-ci donne son avis sur des textes d'ordre législatif ou réglementaire concernant la distribution d'électricité).

La commission a adopté l'article 14 ainsi modifié.

Article 15

Modalités d'action du gestionnaire du réseau public de transport

Après avoir défini à l'article 14 le cadre général de l'action du GRT, le projet de loi entre, à l'article 15, dans le détail de cette action et de ses modalités d'accomplissement.

Le paragraphe I énonce, sans les définir, ni préciser leur périodicité, les trois instruments permettant au GRT d'assurer techniquement l'accès au réseau public de transport : les programmes d'appel, d'approvisionnement et de consommation. Ceux-ci permettent de répondre à trois questions : qui produit ? (Programmes d'appel), qui consomme ? (Programmes d'approvisionnement) et pour quels volumes ? (Programmes de consommation).

Les programmes d'appel sont essentiels car c'est sur leur fondement que les installations sont appelées à produire ou que les importations sont appelées à entrer sur le territoire. Les programmes sont établis par les producteurs et les importateurs et sont soumis au GRT qui s'assure de leur équilibre avant de les mettre en oeuvre, précaution essentielle au regard de la sûreté des réseaux et de la sécurité d'approvisionnement. Cette mise en oeuvre se fait par l'appel des unités de production. Celui-ci s'effectue en temps réel. Conformément aux dispositions de la directive européenne, l'appel est réalisé « sur la base de critères (...) objectifs, publiés et appliqués de manière non discriminatoire » (article 8, paragraphe 2).

Ainsi qu'il a déjà été signalé, l'activité du GRT n'inclut pas la gestion des moyens de production. Il se bornera à prévoir quelles unités seront appelées mais n'aura pas - contrairement à la mission actuelle du CNES à EDF - à préparer des plans de gestion du parc de production. Il ne peut se substituer aux producteurs pour leur indiquer quand recharger un réacteur nucléaire en combustible ou quand remplir le réservoir d'une installation hydroélectrique.

Les programmes d'approvisionnement sont établis par les distributeurs, les propriétaires et les gestionnaires de réseaux ferrés et par les personnes qui achètent de l'électricité pour la revendre aux clients éligibles ainsi que l'autorise l'article 22 du projet de loi dans son paragraphe IV. Ils sont, comme les programmes d'appel, soumis au GRT qui s'assure de leur équilibre et destinés à satisfaire les programmes de consommation des clients. Les programmes d'approvisionnement permettent d'évaluer la quantité et la répartition sur le réseau des flux d'électricité (ils déterminent « qui achète à qui ou qui vend à qui »).

Les programmes de consommation sont des instruments bien connus des dispatchings. Dans leur forme à très court terme, ils déterminent la consommation nationale, 24 heures à l'avance, par tranche de demi-heure, en tenant compte de paramètres liés à la météorologie (température et nébulosité), à l'activité économique et aux tarifs (la courbe journalière de la consommation connaît de forts infléchissement liés aux changements tarifaires intervenant en cours de journée).

Ils sont désormais établis par les consommateurs finals éligibles. Comme les autres programmes, les programmes de consommation sont également soumis au GRT.

Sur le paragraphe I, M. Claude Billard a proposé à la commission de nouvelles modalités d'établissement des programmes d'appel et d'approvisionnement, qui tiennent compte de la suppression du négoce de l'électricité. Conformément à l'avis du rapporteur, la commission a rejeté l'amendement.

Puis, celui-ci a proposé d'insérer dans le projet de loi une définition des programmes d'appel, d'approvisionnement et de consommation. S'agissant des programmes d'appel, il a rappelé que conformément à l'article 8, paragraphe 2, de la directive européenne, l'appel est réalisé sur la base de critères objectifs, publiés et appliqués de manière non discriminatoire ; la commission a, en conséquence, adopté trois amendements du rapporteur (amendements nos 224, 227 et 228). Elle a également adopté deux amendements de précision et un amendement du même auteur permettant aux gestionnaires de réseaux de transports collectifs urbains d'établir des programmes d'approvisionnement par coordination avec un amendement du rapporteur proposé à l'article 22 (amendements nos 223, 225 et 226).

Sur la proposition de M. Claude Billard et conformément à l'avis du rapporteur, la commission a adopté un amendement prévoyant que la durée des contrats devait être compatible avec l'équilibre global du réseau public de transport et de distribution (amendement n° 229).

Les paragraphes II, III et IV définissent les tâches du GRT dans sa gestion quotidienne du réseau de transport.

Il assure l'équilibre des flux d'électricité sur le réseau ainsi que la sécurité et l'efficacité de ce réseau (paragraphe II). Pour ce faire, il prend en compte diverses contraintes techniques liées à la capacité du réseau, à la fréquence, etc... A cette fin, il peut modifier les programmes d'appel, en tenant compte de l'ordre de « préséance économique » des propositions d'ajustement qui lui sont soumises. Cette notion de « préséance économique » issue de la directive européenne s'apparente au merit order anglo-saxon. Le prix sera évidemment le premier critère examiné mais d'autres paramètres comme les volumes de courant électrique proposés, pourront entrer en ligne de compte. C'est également le GRT qui veille au respect des règles portant sur l'interconnexion des réseaux nationaux de transport. Celles-ci sont définies par l'UCPTE (Union pour la coordination de la production et du transport d'électricité, « club » regroupant les électriciens européens à l'exception des Britanniques et des Scandinaves). Elles sont actuellement en cours de révision, sous l'égide de la Commission européenne. Cette révision est indispensable car le développement des échanges d'électricité conduit à une congestion des points de connexion.

Devant la commission, M. Claude Billard a proposé que les modifications des programmes d'appel tiennent compte des missions de service public. Le rapporteur a fait valoir que les trois programmes visés par l'article 15 devaient tenir compte des missions de service public mais qu'en revanche, le service public n'était pas concerné par les ajustements des programmes d'appel. La commission a donc rejeté l'amendement.

Elle a également rejeté l'amendement n° 22 de M. Léonce Deprez imposant au gestionnaire du réseau public de transport de donner la priorité, dans les programmes d'appel, aux installations utilisant des techniques performantes en termes d'efficacité énergétique.

Le paragraphe III confie au GRT une double tâche liée à l'exigence de continuité de la fourniture :

- assurer la disponibilité et la mise en oeuvre des services et réserves nécessaires au fonctionnement du réseau. En cas de problème sur le parc de production ou de modification soudaine de la consommation, il importe de pouvoir ajuster l'offre soit au moyen d'équipements spécifiques (accumulateurs, modulateurs de vitesse des turbines), soit au moyen d'installations de production gardées en réserve ;

- compenser les pertes « en ligne ». (Celles-ci peuvent être évaluées à 5 % environ de la consommation nationale).

Pour remplir ces missions, le GRT pourra passer des contrats avec des producteurs ou fournisseurs ou modifier les programmes d'appel.

Sur ce paragraphe, M. Claude Billard a proposé de ne pas permettre au GRT de conclure des contrats d'achat d'électricité avec les fournisseurs. Le rapporteur a objecté que si l'amendement était motivé par la suppression du négoce de l'électricité, il n'en toucherait pas moins tous les importateurs d'électricité, ce qui est incompatible avec la directive européenne. En conséquence, la commission a rejeté l'amendement.

M. Claude Billard a ensuite défendu un amendement permettant au GRT de modifier des programmes d'appel pour couvrir ses besoins sans que ceux-ci soient exclusivement des besoins de court terme. Le rapporteur a fait observer que les programmes d'appel répondaient nécessairement à des besoins de court terme, voire instantanés ; l'amendement de M. Claude Billard est donc incompatible avec la notion même de l'appel dans le secteur de l'électricité. La commission a en conséquence rejeté cet amendement.

Enfin, le paragraphe IV habilite le GRT à procéder aux comptages nécessaires, c'est-à-dire au décompte (et non à l'évaluation) des volumes d'électricité injectés ou soutirés. Ces comptages lui permettront de constater les écarts avec les programmes d'appel, d'approvisionnement et de consommation. Sur le fondement de ces écarts, le GRT jouera un rôle de chambre de compensation entre producteurs. Des compensations financières transiteront en effet par le GRT afin de rétablir l'équilibre entre les opérateurs à qui aura été demandée une quantité de courant inférieure à celle prévue par les plans et ceux qui, à l'inverse, auront été appelés pour des volumes supérieurs à ceux arrêtés dans les mêmes plans.

Sur ce dernier paragraphe, la commission a adopté un amendement de précision du rapporteur et un amendement corrigeant une erreur du projet de loi portant sur la définition des écarts constatés par rapport aux trois programmes (amendements nos 230 et 231). En effet, ces programmes ne portent pas seulement sur les volumes d'électricité produits ou consommés, mais aussi sur les importations.

M. Franck Borotra a ensuite proposé d'insérer à la fin de l'article un paragraphe portant création, au sein du gestionnaire du réseau public de transport, d'une fonction de gestionnaire de marché assurant une bourse d'échange de l'électricité. Il a fait valoir que la France ne devait pas être le seul pays européen où l'accès à une bourse nationale ne serait pas prévu et autorisé ; d'ores et déjà EDF fait appel au négoce de l'électricité pour combler certains de ses besoins. Il a fait valoir que le recours à un tel marché d'échange était inéluctable et permettrait de réduire significativement les coûts de combustibles des producteurs d'électricité. Si la loi ne permettait que la seule intervention des courtiers en électricité, le fonctionnement du marché à court terme pourrait être gravement perturbé.

Le rapporteur a rappelé que la directive européenne ne prévoyait pas la création d'une telle bourse et s'est interrogé sur la manière dont pouvaient être distinguées les fonctions de gestionnaire du réseau et de gestionnaire du marché. M. Franck Borotra a confirmé la nécessité de l'existence d'un tel service au sein du gestionnaire du réseau public de transport pour que l'équilibre du marché soit assuré. Sans cette bourse, l'arbitrage à court terme des besoins électriques ne sera jamais optimal et sera même le plus souvent impossible. EDF fait d'ailleurs appel dès aujourd'hui au négoce international. M. Jean Proriol a soutenu l'amendement et a souligné qu'il avait l'avantage de légaliser des pratiques actuelles d'EDF. Le rapporteur a reconnu que la proposition ne manquait ni de cohérence, ni de pertinence, mais a demandé son rejet. A l'issue de ce débat, la commission a rejeté l'amendement.

Puis, elle a adopté l'article 15 ainsi modifié.

Article 16

Sanction du gestionnaire du réseau public de transport
en cas de transmission d'informations confidentielles

Cet article est calqué sur le dispositif de sanction prévu à l'encontre d'EDF par l'article 8 de la loi, en cas de transmission d'informations confidentielles portées à la connaissance de l'opérateur historique lorsqu'il est tenu d'acheter de l'électricité dans le cadre d'une procédure d'appel d'offres.

Le GRT doit donc préserver la confidentialité des informations d'ordre économique, commercial, industriel, financier ou technique, dont il dispose et dont la divulgation fausserait le jeu de la concurrence. Un décret en Conseil d'Etat dressera la liste des informations protégées.

Toute personne appartenant au GRT transmettant une information de cette nature à une personne étrangère au service (y compris évidemment un agent d'EDF n'appartenant pas au GRT) sera punie de 100 000 francs d'amende.

Ces dispositions ne s'appliquent toutefois pas lorsque les informations sont nécessaires au bon accomplissement des missions des gestionnaires des réseaux publics de distribution ou des gestionnaires de réseaux étrangers.

Lors de l'examen de cet article, la commission a tout d'abord adopté un amendement de précision du rapporteur (amendement n° 232).

M. Claude Billard a ensuite proposé de supprimer les sanctions pénales applicables aux agents d'EDF. Il a déploré la suspicion ainsi jetée sur eux inutilement. Le rapporteur a fait valoir que ces agents étaient les seuls dépositaires des informations dont l'article 16 vise à préserver la confidentialité, puisque le gestionnaire du réseau public de transport est intégré à EDF. Afin d'écarter toute idée de suspicion, il a proposé de supprimer simplement les termes « au sein d'EDF » de l'avant-dernière phrase de l'article. M. Claude Billard a accepté de rectifier ainsi son amendement, qui a été adopté par la commission (amendement n° 233).

La commission a ensuite rejeté un amendement de M. Claude Birraux lié à la proposition de transformation du gestionnaire du réseau public de transport en filiale d'EDF.

Elle a adopté un amendement du rapporteur étendant l'exception à l'interdiction de transmettre des informations confidentielles aux fonctionnaires et agents habilités conduisant une enquête en application de l'article 33 (amendement n° 234). Cet article leur permet en effet d'accéder à toutes les informations utiles détenues par ce service et d'obtenir de lui tout renseignement et toute justification.

Puis, elle a adopté l'article 16 ainsi modifié.

Chapitre II

La distribution d'électricité

Article 17

Rôle des collectivités territoriales
en matière de distribution d'électricité

Le présent article ajoute deux nouveaux articles à la section portant sur la distribution et la production d'électricité insérée dans le code général des collectivités territoriales par l'article 11 du projet de loi.

Article L. 2224-31 du code général des collectivités territoriales

Organisation de la distribution publique d'électricité

L'article L. 2224-31 confirme dans son paragraphe I l'organisation actuelle de la distribution d'électricité en France. Celle-ci se fonde sur plusieurs dispositions législatives rappelées par le projet de loi :

- l'article 6 de la loi du 15 juin 1906 qui prévoit que toute concession d'une distribution publique d'énergie est donnée soit par la commune, soit par un groupement de communes, soit par le département, soit par l'État ; actuellement, la distribution d'électricité relève quasi exclusivement des communes ou de leurs groupements. Mais il convient de relever que deux départements, le Loiret et la Sarthe, concèdent leur distribution d'électricité sur l'ensemble de leur territoire et que l'État supplée 400 communes de petite taille (situées principalement dans le Pas-de-Calais et la Somme) dans la mise en _uvre de leur pouvoir d'autorité concédante ;

- l'article 36 de la loi du 8 avril 1946 obligeant les distributeurs à respecter les cahiers des charges en vigueur et laissant, sauf exceptions, la propriété des installations aux collectivités locales ;

- l'article 23 de la loi précitée relatif aux distributeurs non nationalisés (en revanche, il convient de signaler que si aucune mention n'est faite du rôle joué par EDF en matière de distribution, c'est parce que les dispositions de l'article 2 de la loi de 1946 portant sur ce point n'ont jamais été appliquées ; rappelons que cet article confiait la gestion de la distribution à plusieurs établissements publics dénommés « Electricité de France, service de distribution » ; jusqu'à la mise en place de ces services, la distribution était assurée par « Electricité de France, service national », établissement public unique chargé de la production ; l'organisation actuelle de notre distribution d'électricité est donc fondée sur un régime transitoire mis en place il y a plus d'un demi-siècle !).

La mission de contrôle des collectivités concédantes est par ailleurs confortée :

- l'alinéa premier de l'article L. 2224-31 confirme qu'il leur revient le soin de contrôler le bon accomplissement des missions de service public fixées par les cahiers des charges des concessions ;

- le deuxième alinéa rappelle et complète leurs prérogatives en matière de contrôle et d'inspection technique des ouvrages : désormais, les autorités concédantes pourront désigner un agent indépendant (donc ne dépendant pas du distributeur) qui sera chargé d'effectuer ce type de contrôle. En effet, actuellement les petites communes qui ne disposent pas des capacités d'expertise technique permettant d'effectuer ces contrôles, font souvent appel aux agents d'EDF qui de fait inspectent leurs propres installations ou aux fonctionnaires des directions départementales de l'équipement qui ne sont pas censés être compétents pour ce type de mission. Signalons que pour remédier à cette situation, la fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR) a mis sur pied un organisme de conseil auquel les collectivités territoriales peuvent adhérer.

Lors du débat consacré au paragraphe I de l'article L. 2223-31, la commission a adopté trois amendements identiques de MM. Alain Cacheux, Pierre Micaux et Yvon Montané proposant de modifier la rédaction du premier alinéa du I afin de préciser les attributions des collectivités territoriales (amendement n° 235). Elle a également adopté un amendement de M. Alain Cacheux précisant que la première phrase du dernier alinéa du I se référait aux autorités concédantes (amendement n° 236), rendant ainsi sans objet trois amendements de MM. Pierre Micaux et Yvon Montané, et l'amendement n° 52 de M. Pierre Micaux.

Le paragraphe II de l'article L. 2224-31 porte sur les cahiers des charges des concessions et sur les règlements de service des régies.

Jusqu'en 1982, l'article 6 de la loi du 15 juin 1906 sur les distributions d'énergie et l'article 37 de la loi du 8 avril 1946 soumettait les cahiers des charges des concessionnaires à un modèle type.

Cette situation a changé avec les lois de décentralisation. L'article 22 de la loi n° 82-213 du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions a en effet abrogé « toutes les dispositions prévoyant l'annulation par le Gouvernement ou ses représentants des délibérations, arrêts et actes des autorités communales et toutes les dispositions soumettant à approbation ces délibérations, arrêts et actes ainsi que les conventions passées par les autorités communales » privant ainsi les cahiers des charges type de toute valeur juridique.

Il importait toutefois que les collectivités concédantes et les distributeurs puissent s'appuyer sur un cadre juridique suffisamment fiable et stable. D'où l'initiative prise par EDF et la FNCCR d'élaborer en commun un modèle de cahier des charges de concession de distribution publique d'électricité.

C'est ce modèle, qui date de 1992, qui est visé dans le présent article. L'intérêt du paragraphe II est d'indiquer que désormais des décrets en conseil d'Etat fixent le contenu du modèle des cahiers des charges.

Sont ainsi définies :

- les règles techniques relatives à la sécurité ;

- les indicateurs de performance permettant de répondre aux objectifs de qualité ; en fixant de telles normes par décret, l'Etat supprime le risque de voir une collectivité concédante définir des règles trop contraignantes ;

- les normes en matière d'insertion paysagère des réseaux ; celles-ci permettront de déterminer le montant de la redevance d'enfouissement ;

- les conditions financières des concessions en matière de redevances et de pénalités.

Devant la commission, M. Yvon Montané a défendu trois amendements identiques, présentés par lui-même et MM. Pierre Micaux et Alain Cacheux, précisant que les décrets en Conseil d'Etat devaient se limiter à fixer le cadre général des procédures et prescriptions particulières applicables aux cahiers des charges des concessions et aux règlements de service des régies, afin de respecter le principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales. Le rapporteur a accepté ces amendements sous réserve de supprimer leur deuxième partie qui substituait, dans la dernière phrase du II, l'expression « ces décrets peuvent porter sur »à celle « ces décrets fixent », en raison de l'imprécision de ces termes. La commission a adopté ce sous-amendement, puis les trois amendements ainsi modifiés (amendement n° 237). En conséquence, la commission a rejeté l'amendement n° 55 de M. Pierre Micaux proposant cette substitution de termes.

Puis, la commission a adopté un amendement de M. Jean-Michel Marchand (amendement n° 238) prévoyant que les décrets en Conseil d'Etat fixent les conditions dans lesquelles les collectivités concédantes peuvent faire prendre en charge par leur concessionnaire des opérations de maîtrise de la demande d'électricité.

Elle a en revanche rejeté les amendements identiques de M. Léonce Deprez (n° 11) et de M. Jean-Michel Marchand établissant un pouvoir de coordination des collectivités concédantes sur l'ensemble des réseaux de distribution d'électricité, de gaz et de chaleur existant sur leur territoire, après que le rapporteur eut expliqué qu'il appartenait aux collectivités locales concédantes de régler ce type de problème dans les différents cahiers des charges et qu'en tout état de cause, cette coordination était assurée dans le cadre des dispositions de l'article 3 du projet de loi.

Article L. 2224-34 du code des collectivités territoriales

Prise en charge d'actions tendant à maîtriser la demande d'énergie
par les collectivités territoriales

L'article L. 2224-34 du code général des collectivités territoriales s'inscrit dans le même esprit que l'article L. 2224-33 créé par l'article 11 du projet de loi. En effet, ce dernier autorise les communes à créer, exploiter ou faire exploiter des unités de production de proximité susceptible d'éviter l'extension ou le renforcement des réseaux public de distribution. L'article L. 2224-34 permet aux collectivités territoriales de prendre en charge des actions visant à encourager la maîtrise de la demande d'électricité des consommateurs domestiques lorsque celles-ci sont de nature à avoir les mêmes conséquences pour le réseau de distribution. A cette fin, les collectivités territoriales peuvent aider, sous couvert de conventions passées avec les consommateurs, des travaux d'isolation, de régulation thermique, de régulation de la consommation d'électricité ou l'acquisition d'équipements économes en énergie.

Un décret pris en Conseil d'État fixera les conditions d'application de l'article L. 2224-34 du code général des collectivités territoriales.

Sur cet article, la commission a adopté trois amendements identiques de MM. Pierre Micaux, Yvon Montané et Alain Cacheux visant à prendre en considération les cas où la collectivité concédante finance une opération de maîtrise de la demande d'électricité (amendement n° 239).

La commission a également adopté deux amendements identiques de MM. Pierre Micaux et Yvon Montané visant à permettre aux collectivités concédantes de conduire des opérations de maîtrise de la demande d'électricité dans les logements sociaux en zone urbaine (amendement n° 240).

Puis, la commission a adopté l'article 17 ainsi modifié.

Article 18

Gestion des réseaux publics de distribution d'électricité

Le présent article confie à EDF et aux distributeurs non nationalisés la gestion des réseaux publics de distribution d'électricité.

Comme le GRT à l'échelon national, le gestionnaire du réseau public de distribution est responsable de l'exploitation, de l'entretien et du développement du réseau. Toutefois, conformément à l'article 36, alinéa 4, de la loi du 8 avril 1946, les collectivités concédantes peuvent faire exécuter en tout ou partie à leur charge, les travaux de création, d'extension, de renforcement et de perfectionnement des ouvrages de distribution. Les gestionnaires des réseaux de distribution jouissent donc d'une autonomie moins grande que le GRT : leur activité est certes soumise à séparation comptable pour des raisons de transparence, mais leur gestion n'est pas indépendante de celle des autres activités de l'opérateur.

Un décret pris après avis du Comité technique de l'électricité fixe les prescriptions générales de raccordement au réseau applicables aux installations des producteurs et des consommateurs, aux circuits d'interconnexion et aux lignes directes.

Lors de l'examen de l'article 18, la commission, après avoir adopté un amendement rédactionnel du rapporteur (amendement n° 241), a examiné deux amendements identiques, l'un de M. Pierre Micaux, l'autre de M. Yvon Montané, tendant à intégrer la notion de gestionnaire de réseau de distribution dans les contrats de concession. La commission, conformément à l'avis du rapporteur, a rejeté ces deux amendements.

Elle a ensuite examiné trois amendements identiques, le n° 28 de M. Michel Bouvard ainsi que les amendements de MM. Arnaud Lepercq et Claude Birraux, précisant que le développement du réseau de distribution s'effectue sous l'autorité de la collectivité compétente. Conformément à l'avis du rapporteur, la commission a rejeté ces trois amendements. La commission a également rejeté trois amendements ayant le même objet, l'un n° 29 de M. Michel Bouvard ainsi que les amendements de MM. Arnaud Lepercq et Claude Birraux.

Puis la commission a rejeté deux amendements identiques, le premier n° 12 de M. Léonce Deprez et le second de M. Jean-Michel Marchand tendant à permettre à la collectivité concédante de créer une régie de distribution d'électricité sur son territoire à l'échéance du contrat de concession avec EDF, le rapporteur ayant fait valoir que l'adoption de ces amendements remettrait en cause l'organisation générale de la distribution d'électricité. La commission a ensuite rejeté, conformément à l'avis du rapporteur, l'amendement n° 86 de M. Franck Borotra soumettant à avis préalable de la Commission de régulation de l'électricité l'adoption du décret fixant les prescriptions techniques générales de conception et de fonctionnement pour le raccordement au réseau public de distribution.

La commission a également rejeté un amendement de M. Jean-Michel Marchand rendant obligatoire la consultation des usagers au niveau local, le rapporteur ayant fait observer qu'une telle disposition était déjà prévue par la loi.

Elle a ensuite adopté l'article 18 ainsi modifié.

Article 19

Missions des gestionnaires des réseaux publics
de distribution d'électricité

Les missions des gestionnaires des réseaux de distribution, définies à cet article, reprennent celles énumérées pour le GRT, à savoir :

- le contrôle de l'équilibre des flux d'électricité ;

- le maintien et le renforcement de la sécurité et de l'efficacité des réseaux ;

- l'appel des unités de production reliées au réseau en liaison avec le GRT ;

- la réalisation des comptages nécessaires.

Après avoir adopté un amendement rédactionnel du rapporteur (amendement n° 242) ainsi qu'un amendement de précision du même auteur (amendement n° 243), la commission a adopté l'article 19 ainsi modifié.

Article 20

Sanction des gestionnaires des réseaux publics de distribution
en cas de transmission d'informations confidentielles

Cet article reprend le dispositif de sanction mis en place par l'article 16 pour le GRT. En cas de transmission d'une information confidentielle, tout gestionnaire d'un réseau public de distribution d'électricité sera puni de 100 000 F. d'amende, un décret en Conseil d'Etat fixant la liste des informations protégées. Comme pour le GRT, cette disposition s'applique pour toute information transmise à une personne étrangère au service, ce qui implique pour EDF que certaines données ne peuvent circuler librement dans l'ensemble de l'entreprise.

Par ailleurs, il est rappelé que le gestionnaire d'un réseau de distribution peut transmettre toute information nécessaire au bon accomplissement des missions du GRT et des services gestionnaires de réseaux étrangers.

Lors de l'examen de cet article, la commission a tout d'abord adopté un amendement de précision du rapporteur ainsi qu'un amendement du même auteur permettant aux personnes relevant du gestionnaire de réseau public de distribution de transmettre informations et documents confidentiels aux fonctionnaires et agents conduisant une enquête en application de l'article 33 du projet de loi (amendements nos 244 et 245).

Elle a ensuite rejeté conformément à l'avis du rapporteur qui a indiqué qu'une telle disposition était déjà en vigueur, un amendement de M. Jean-Michel Marchand précisant que les collectivités territoriales concédantes peuvent bénéficier des informations d'ordre économique et commercial de la part des gestionnaires de réseau.

La commission a ensuite adopté l'article 20 ainsi modifié.

Chapitre III

Sécurité des réseaux

Article 21

Mesures de sauvegarde

Cet article qui s'inspire de la rédaction du premier alinéa de l'article 23 de la directive européenne, est le pendant appliqué aux réseaux des mesures de sauvegarde prévues pour les activités de production au paragraphe III de l'article 6 du projet de loi. Il permet au ministre chargé de l'énergie d'ordonner des mesures conservatoires soit d'office, soit sur proposition de la Commission de régulation de l'électricité.

Devant la commission, M. Claude Billard a demandé au rapporteur de lui préciser si le concept d'atteinte grave et immédiate à la sécurité des réseaux publics de transport et de distribution risquait d'entraver le libre exercice du droit de grève.

Après que le rapporteur eut précisé que cette formule s'appliquait à la seule sécurité physique des réseaux, la commission a adopté l'article 21 sans modification.

TITRE IV

L'ACCÈS AUX RÉSEAUX PUBLICS D'ÉLECTRICITÉ

L'ouverture à la concurrence du secteur de l'électricité trouve principalement sa traduction dans deux titres : le titre II qui consacre la fin du monopole de production d'EDF et le titre IV qui détermine les consommateurs qui auront accès au marché libre (donc le degré d'ouverture à la concurrence) et les modalités de leur utilisation des réseaux.

Article 22

Consommateurs éligibles

Lors de la négociation puis de la rédaction de la directive, le souci de la Commission européenne a été de mettre en oeuvre une ouverture « significative » du marché. Mais, pour ne pas déstabiliser un secteur essentiel de notre économie, il a été choisi d'ouvrir progressivement le secteur de l'électricité à la concurrence.

Pour y parvenir, l'article 19 de la directive retient un critère certes complexe mais qui présente le mérite de prendre en compte les différences de structure de la consommation dans chaque État membre.

La part de chaque marché national livrée à la concurrence doit être supérieure à « une part d'électricité consommée par les consommateurs finals dont la consommation est supérieure » à un seuil appelé à évoluer. On reconnaîtra l'incomparable style de la Commission européenne qui ignore, comme chacun sait, les vertus de la simplicité et l'horreur de la répétition.

En langage intelligible, cela signifie que le calcul du degré d'ouverture du marché se fait de la manière suivante :

- tous les ans, la Commission, sur la base des statistiques qui lui sont transmises par chaque Etat membre, calcule :

·  la consommation totale d'électricité des Quinze ;

·  la part que représente dans ce total, l'électricité fournie aux clients finals consommant plus qu'un certain seuil. Ce seuil est fixé à 40 GWh par an en 1997, puis est abaissé à 20 GWh en 2000 et à 9 GWh en 2003.

Le pourcentage ainsi calculé détermine le degré minimal d'ouverture de chaque marché national.

- ce pourcentage est révisé chaque année par la Commission pour tenir compte de l'évolution de la consommation communautaire.

Par ailleurs, la directive prévoit que tous les clients finals consommant plus de 100 GWh par an sont éligibles. Cette précision n'est pas superflue car elle permet de prendre en compte la situation d'un pays où la stricte application des règles minimales d'ouverture exclurait des consommateurs de cette importance (ce qui serait le cas par exemple lorsqu'un petit nombre de très gros consommateurs industriels couvre une part très importante de la consommation excluant du marché libre ceux ne consommant annuellement « que » 100 GWh.)

A ce jour, le seuil applicable de 40 GWh représente 26,48 % de la consommation totale d'électricité de l'Union européenne (cf. communication de la Commission européenne du 30 octobre 1998).

Dans son paragraphe I, l'article 22 du projet de loi précise les modalités de calcul du degré d'ouverture de notre marché national. Le pourcentage minimal d'ouverture fixé annuellement par la Commission européenne détermine un seuil de consommation au-delà duquel tout client est éligible.

La structure actuelle de notre consommation est telle que l'application de ce principe équivaut à retenir dès aujourd'hui un premier seuil d'ouverture de 40 GWh. En revanche, un pays moins industrialisé comme l'Irlande chez qui les clients consommant plus de 40 GWh ne représentent qu'environ 11,5 % de la consommation nationale, doit abaisser le seuil de 40 GWh jusqu'à un niveau permettant l'éligibilité d'un pourcentage de la clientèle représentant plus de 26,48 % de la consommation totale du pays.

Notons d'ailleurs que si la structure de la consommation communautaire ne varie pas au cours des quatre prochaines années, les seuils de 20 et 9 GWh seront également pertinents pour la France et correspondront à une ouverture d'environ 30 % en 2000 puis 34 % en 2003 de notre marché.

Mais le dispositif mis en place interdit de définir, dès à présent, les seuils d'éligibilité des années 2000 et 2003, le législateur ne pouvant prévoir l'évolution de la consommation d'électricité dans l'Union européenne.

STATISTIQUES RELATIVES AUX SEUILS DE 100, 40, 20 et 9 Gwh

(Année 1997)

Seuil

Consommation
(GWh)

dont auto- consommation (1)
(GWh)

dont ventes (GWh)

Nombre
de sites

Consommation finale française (GWh)

Part du marché français

100 GWh

86 484

10 686

75 798

189

381 618

22,66 %

40 GWh

101 678

11 483

90 255

441

381 618

26,64 %

20 GWh

113 539

11 540

101 999

880

381 618

29,75 %

9 GWh

130 565

11 556

119 009

2 194

381 618

34,21 %

(1) Les volumes d'autoconsommation sont difficiles à estimer finement, tout particulièrement pour les clients raccordés en moyenne ou basse tension et encore plus spécifiquement pour les clients des distributeurs non nationalisés. Il n'est donc pas exclu que quelques sites supplémentaires doivent être rajoutés à ce décompte, en particulier pour les seuils de 20 et 9 GWh.

Source : EDF- Direction de la stratégie-département marchés.

Un décret pris en Conseil d'Etat fixera les seuils d'ouverture. Ceux-ci seront modulables d'un secteur économique à l'autre pour que l'ouverture à la concurrence ait un sens. Cette disposition permettra de tenir compte de l'importance de l'électricité dans les coûts de production, en prenant en considération la part de l'électricité dans les consommations intermédiaires du secteur économique considéré. Elle permettra également d'éviter les effets pervers que pourrait avoir pour la concurrence l'application d'un seuil unique (dans certains secteurs, une telle mesure pourrait par exemple déboucher sur l'éligibilité d'un seul site). Mais cette faculté de modulation des seuils est encadrée, le projet de loi précisant que ceux-ci sont définis « de manière à permettre une ouverture du marché national de l'électricité limitée à la part communautaire moyenne ». Quelles que soient les mesures de modulations envisagées, le degré d'ouverture du marché demeurera donc égal à 26,5 % de la consommation.

L'éligibilité des clients est examinée site par site, ce qui interdit à une entreprise d'ajouter les consommations de ses différents sites pour revendiquer l'éligibilité.

Le « site » est une notion nouvelle retenue par la directive. Elle doit être comprise comme le strict synonyme de la notion d'établissement utilisée, en droit français, à l'article L. 421-1 du code du travail. Certes, cet article ne donne pas expressément une définition de l'« établissement » mais il prévoit qu'au sein d'entreprises comportant des établissements distincts, les délégués du personnel sont élus dans le cadre de chaque établissement. C'est la jurisprudence qui a défini cette notion en considérant l'établissement comme l'unité de production comprenant un groupe de salariés ayant des intérêts communs exerçant sous une même autorité, (peu importe que la gestion du personnel soit centralisée à un autre niveau, dès lors qu'il existe sur place un représentant de l'employeur qualifié pour recevoir les réclamations et transmettre celles auxquelles il ne pourrait pas donner suite), en un lieu indépendant, une activité caractérisée.

Dans la pratique chaque établissement pourra être identifié par son numéro SIRET.

Cette définition du site est d'ailleurs analogue à celle retenue par la Commission puisque le groupe de suivi de l'application de la directive a indiqué que le site devait être entendu comme une unité locale de production.

Pour les entreprises exploitant des services de transport ferroviaire, telle la SNCF, c'est leur consommation annuelle totale d'électricité de traction qui sert de critère d'éligibilité.

Enfin, signalons que l'éligibilité ne sera pas automatique et fera l'objet d'une procédure de reconnaissance. Celle-ci sera définie par décret en Conseil d'État. D'après les informations fournies à votre rapporteur, elle pourrait se matérialiser par une déclaration faite auprès du ministre chargé de l'énergie avec copie adressée à la Commission de régulation de l'électricité. Le même décret précisera la durée de l'éligibilité. Pour des raisons liées à la sécurité des contrats, on peut penser que cette durée sera calquée sur celle des contrats d'achat d'électricité passés auprès des producteurs.

La définition de l' « éligibilité » a suscité un long échange de vues lors de l'examen du projet de loi par la commission.

Celle-ci a tout d'abord adopté un amendement rédactionnel du rapporteur (amendement n° 246). Elle a ensuite examiné l'amendement n° 87 de M. Franck Borotra visant à éviter que les structures choisies par une entreprise pour organiser sa production constituent un facteur de distorsion de concurrence, selon que ses activités sont ou non dispersées sur plusieurs sites.

M. Pierre Micaux a fait observer que l'application de la disposition prévue dans le projet de loi sur ce point risquait de constituer un argument pour fermer un site industriel, dès lors que celui-ci ne pourrait accéder à l'éligibilité.

M. Claude Birraux, se prononçant en faveur de l'amendement, a estimé que son adoption offrirait une plus grande souplesse laissant au pouvoir réglementaire une certaine liberté pour faire face aux évolutions possibles.

En réponse, le rapporteur s'est prononcé contre cet amendement, considérant que le paragraphe I de l'article 22 se bornant à définir l'éligibilité sans que cette définition n'influe sur le degré d'ouverture du marché, son adoption pénaliserait l'industrie au profit de secteurs telle la distribution. La commission a ensuite rejeté cet amendement.

La commission a ensuite rejeté conformément à l'avis du rapporteur, un amendement de M. Claude Billard de suppression de la modulation du seuil requis pour être reconnu client éligible. Elle a également rejeté dans les mêmes conditions un amendement de repli et un amendement de conséquence du même auteur.

Puis la commission a rejeté conformément à l'avis du rapporteur un amendement de M. Claude Birraux ouvrant aux entreprises industrielles la faculté de regrouper les consommations de différents sites pour accéder à l'éligibilité.

La commission a ensuite examiné deux amendements identiques, n° 13 de M. Léonce Deprez et un amendement de M. Jean-Michel Marchand permettant à toute commune ou groupement de communes dont la population atteint un certain seuil d'être reconnu client éligible.

M. Jean-Michel Marchand, faisant observer que les collectivités, propriétaires du réseau de distribution, sont de fortes consommatrices d'électricité, a considéré qu'il convenait de leur ouvrir la possibilité d'être éligibles pour optimiser la gestion de leurs dépenses d'électricité et maîtriser ainsi la fiscalité locale.

Après que M. Yvon Montané eut considéré qu'il s'agissait d'une remise en cause du service public et du principe de péréquation et que le rapporteur se fut prononcé contre cette proposition, M. Jean-Michel Marchand a retiré son amendement. La commission a ensuite rejeté l'amendement n° 13 de M. Léonce Deprez.

Le paragraphe II reconnaît la qualité de clients éligibles à des organismes qui ne sont pas les consommateurs finals de l'électricité qu'ils achètent, à savoir :

- les producteurs autorisés qui, conformément à l'article 12 du projet de loi, achètent de l'électricité pour compléter leur offre ;

- les fournisseurs autorisés en application du paragraphe IV du présent article à acheter de l'électricité pour la revendre aux clients éligibles (c'est donc l'activité de grossiste qui est ici visée) ;

- les distributeurs non nationalisés lorsqu'ils achètent de l'électricité en vue de fournir des clients éligibles situés sur leur zone de desserte. C'est le principe dit de l'« éligibilité partielle » consacré par l'article 19, paragraphe 3 de la directive ; d'après les informations fournies à votre rapporteur, le nombre de clients éligibles situés sur le territoire des distributeurs non nationalisés est à ce jour le suivant :

 

Clients consommant + de 100 GWh

Clients consommant + de 40 GWh

Clients consommant
+ de 20 GWh

Clients consommant + de 9 GWh

Total

TOTAL

3

11

30

82

126

dont Electricité de Strasbourg

2

6

15

32

55

Source : FNCCR et ANROC.

- les propriétaires ou les gestionnaires de réseaux ferroviaires, disposition qui vise évidemment RFF mais qui -et c'est la seule de cette liste- concerne aussi certains consommateurs finals comme la RATP, non visée au paragraphe I du présent article (ce n'est pas un « exploitant de services de transport ferroviaire » mais un « exploitant de services de transports collectifs urbains »), qui est gestionnaire de son propre réseau.

Lors de la réunion de la commission, le paragraphe II a donné lieu à un débat sur la nécessité d'autoriser le négoce d'électricité.

La commission a ainsi examiné en discussion commune un amendement de M. Claude Billard tendant à supprimer les deuxième et troisième alinéas du II afin de ne pas autoriser les activités de négoce d'électricité et d'interdire aux producteurs d'acheter de l'électricité afin de compléter leur offre et un amendement du rapporteur substituant à ces deux alinéas, un nouvel alinéa reprenant les dispositions contenues à l'article 12 et maintenant seulement dans le dispositif du projet de loi l'achat complémentaire d'électricité par les producteurs. M. Claude Billard s'est opposé à ce dernier amendement, estimant que les dispositions proposées allaient au-delà des exigences de transposition de la directive communautaire. La commission a adopté l'amendement du rapporteur (amendement n° 247) et rejeté en conséquence l'amendement de M. Claude Billard.

L'activité d'achat pour revente d'électricité, mentionnée à ce paragraphe et dont les modalités d'exercice sont précisées au paragraphe IV a été ainsi supprimée.

Certes le paragraphe IV se proposait d'encadrer strictement les activités qui doivent concourir à l'émergence d'un marché de gros de l'électricité (l'exercice du métier de négociant devait faire l'objet d'une autorisation et l'électricité ainsi achetée ne pouvait être revendue qu'à des clients éligibles), mais votre rapporteur n'est pas convaincu par la nécessité d'ouvrir le marché français au trading pour plusieurs raisons :

- le motif de refus d'autorisation en raison de la non compatibilité avec les missions de service public constitue un rempart bien mince pour la protection dudit service public puisque sa défense sera soumise au bon vouloir de l'autorité administrative ; or, l'ouverture d'un marché de gros peut être, sur ce point, lourde de conséquences et limiter par exemple la portée de la programmation pluriannuelle des investissements ;

- le trading a un sens dans un marché très largement déréglementé car il permet à plusieurs consommateurs fédérant leur demande, de s'approvisionner auprès d'un trader ; dans le cadre du projet de loi, les consommateurs éligibles - y compris ceux qui ne le seront qu'en 2003 - auront incontestablement les capacités pour négocier directement avec les producteurs ; autoriser le trading revient donc à anticiper sur une ouverture plus large de marché qui est loin d'être acquise et de faire l'unanimité ;

- le trading ne constitue pas un enjeu majeur en termes d'emplois ; certes, cette activité pourra se développer à nos frontières mais elle ne représentera qu'un nombre extrêmement limité d'emplois ;

- enfin, dans un secteur où l'on constate un suréquipement des parcs de production européens, le trading peut avoir des effets économiques désastreux en tirant les prix vers le bas, ce qui pourrait occasionner de sérieuses difficultés pour de nombreux opérateurs.

Reprenant l'examen du paragraphe II, la commission a ensuite examiné un amendement de M. Claude Birraux visant à maintenir le lien contractuel entre la régie et son client éligible. Après l'intervention de M. Pierre Ducout, la commission, conformément à l'avis du rapporteur, a rejeté cet amendement.

La commission a rejeté deux amendements identiques de MM. Arnaud Lepercq et Claude Birraux, le rapporteur ayant indiqué que ces amendements rendant éligibles tout distributeur non nationalisé pour la totalité de ses achats d'électricité dès lors qu'il existe un client éligible sur sa zone de desserte étaient contraires à la directive.

Puis, elle a rejeté un amendement de M. Jean Proriol devenu sans objet.

Elle a ensuite adopté un amendement du rapporteur étendant l'éligibilité aux réseaux de transports collectifs urbains (amendement n° 248).

Le paragraphe III rappelle le principe même de l'ouverture du marché : tout client éligible peut conclure un contrat d'achat d'électricité avec le producteur ou le fournisseur communautaire de son choix. Il peut également s'approvisionner auprès d'un producteur ou d'un fournisseur établi sur le territoire d'un autre Etat avec lequel des accords internationaux autorisant ce type d'échanges ont été conclus. Il consacre ainsi la fin du monopole d'importation d'EDF.

Sur ce paragraphe, la commission a examiné un amendement de M. Claude Billard prévoyant que les contrats d'achat portent sur une durée d'au moins huit ans et ne peuvent pas être modulables en fonction de créneaux horaires. M. Claude Billard a fait observer que l'adoption de cet amendement éviterait à EDF de devoir répondre à des consommations ponctuelles de clients éligibles. M. Franck Borotra, tout en comprenant la préoccupation de l'auteur de l'amendement, s'y est déclaré défavorable ; considérant que le « fonds de commerce » du service public est constitué des 29 millions d'usagers non éligibles, c'est prioritairement ces clients qu'il convient de protéger. M. Jean-Michel Marchand a estimé que des précautions étaient nécessaires à cet égard. Le rapporteur s'est déclaré défavorable à l'adoption de cet amendement, considérant qu'il convenait de laisser, notamment à EDF, la liberté de contracter. La commission a ensuite rejeté cet amendement.

La commission a également rejeté conformément à l'avis du rapporteur un amendement de M. Jean Proriol favorisant une libéralisation des transactions intermédiaires d'électricité entre clients éligibles.

L'examen du paragraphe IV par la commission a été dicté par la nécessité de prendre en compte les décisions précédemment arrêtées concernant le négoce et la possibilité offerte aux producteurs d'acheter de l'électricité afin de compléter leur offre. Cette dernière ayant été maintenue, la commission a d'abord rejeté un amendement de suppression de l'ensemble du paragraphe IV présenté par M. Claude Billard.

Répondant au même impératif de cohérence avec le paragraphe II, la commission a ensuite adopté un amendement de conséquence du rapporteur sous-amendé par M. Claude Birraux proposant une nouvelle rédaction du début du paragraphe IV limitant le négoce aux achats complémentaires des producteurs (amendement n° 249). En conséquence, la commission a rejeté l'amendement n° 124 de M. Pierre Micaux ainsi qu'un amendement identique de M. Jean Proriol et l'amendement n° 88 de M. Franck Borotra, devenus sans objet.

Une autorisation demeure donc requise lorsque les achats d'électricité sont faits par un producteur afin de compléter son offre destinée aux clients éligibles et qu'ils excèdent une proportion de sa propre production (chiffre devant être ultérieurement défini par décret en Conseil d'Etat).

Les autorisations peuvent être refusées pour des motifs classiques portant sur les compétences et les capacités techniques, financières et économiques des demandeurs ; pour fonder sa décision, l'autorité administrative tient compte de divers paramètres telles la sécurité et la sûreté des réseaux publics et des installations et la compatibilité avec les missions de service public.

La commission a ensuite rejeté l'amendement n° 125 de M. Pierre Micaux prévoyant que l'autorisation de pratiquer des achats complémentaires peut être transférée après avis de la Commission de régulation de l'électricité en cas de changement d'exploitant, cet amendement ayant été satisfait par un précédent amendement du rapporteur à cet article.

Elle a en revanche adopté un amendement de précision du rapporteur à l'avant-dernier alinéa du paragraphe IV (amendement n° 250). Elle a également adopté conformément à l'avis du rapporteur, l'amendement n° 89 de M. Franck Borotra indiquant que la Commission de régulation de l'électricité rend publique la liste des clients éligibles et celle des producteurs qui achètent pour revendre aux clients éligibles.

Puis la commission a adopté l'article 22 ainsi modifié.

Article 23

Droit d'accès au réseau

La directive européenne offre aux Etats membres le choix entre l'accès négocié au réseau - fruit d'une négociation « au coup par coup » avec les gestionnaires des réseaux - et l'accès réglementé au réseau donnant au consommateur éligible un droit d'accès sur la base de tarifs publics.

Le projet de loi choisit cette seconde option qui présente le mérite d'être plus transparente et garantit un meilleur fonctionnement du marché.

L'accès au réseau fait donc l'objet de contrats conclus entre les utilisateurs et les gestionnaires de réseaux (ou de protocoles lorsque l'utilisateur est EDF). Les contrats et protocoles sont soumis à la Commission de régulation de l'électricité. Le refus de conclure un contrat doit être motivé et notifié au demandeur ainsi qu'à la Commission de régulation.

L'accès est garanti pour la fourniture d'électricité aux clients non éligibles, pour les fournitures de secours et de recours prévues au paragraphe III de l'article 2 du projet de loi, pour l'alimentation en électricité des consommateurs éligibles, en application de contrats d'achat passés auprès de producteurs ou de fournisseurs, pour l'électricité exportée et pour permettre l'approvisionnement par un producteur de ses établissements, de ses filiales, de sa société-mère et des filiales de cette dernière. Une disposition de ce genre existe d'ailleurs déjà dans notre droit puisque l'article 2 du décret n° 55-662 du 20 mai 1955 prévoit qu'« Electricité de France sera tenue d'assurer, à la demande du producteur sur les réseaux qu'elle exploite, le transport de l'énergie produite dans les installations [du producteur] (...) lorsque le producteur désire l'utiliser dans ses propres établissements ou dans des entreprises mères ou filiales (...), sans que le nombre des lieux d'utilisations puisse excéder trois. »

Le présent article étend donc le dispositif existant en ne limitant plus le nombre de points susceptibles d'être ainsi alimentés et en permettant aux filiales de la société-mère de bénéficier de cette mesure.

Il est prévu qu'un décret pris en Conseil d'Etat précisera les modalités d'application de l'article 23.

Lors de l'examen de celui-ci, la commission a tout d'abord rejeté conformément à l'avis du rapporteur, deux amendements identiques de MM. Pierre Micaux et Yvon Montané donnant un droit d'accès au réseau pour les collectivités locales productrices lorsqu'elles alimentent par exemple leurs établissements publics. Le rapporteur a précisé que ces amendements pourraient être ultérieurement satisfaits par l'adoption d'un amendement de M. Jean-Michel Marchand avant le dernier alinéa de cet article.

Elle a ensuite rejeté conformément à l'avis du rapporteur, un amendement de M. Claude Billard supprimant la possibilité pour un producteur d'approvisionner sa société-mère et les filiales de cette dernière, le rapporteur ayant fait valoir que cette proposition allait plus loin que les dispositions de la loi de 1946. Elle a en revanche adopté un amendement de M. Alain Cacheux excluant les filiales de la société-mère d'un producteur de la possibilité d'être approvisionnées par ce dernier (amendement n° 251).

Puis la commission, suivant l'avis du rapporteur, a adopté un amendement de conséquence de M. Claude Billard (amendement n° 252).

Après avoir adopté un amendement rédactionnel du rapporteur (amendement n° 253), la commission a rejeté, conformément à l'avis du rapporteur, l'amendement n° 90 cor. de M. Franck Borotra donnant compétence à la Commission de régulation de l'électricité pour approuver les contrats conclus entre les gestionnaires de réseaux publics de transport et de distribution et les utilisateurs de ces réseaux. Elle a en revanche adopté, suivant l'avis du rapporteur, l'amendement n° 91 de M. Franck Borotra précisant que les critères de refus de conclure un contrat d'accès aux réseaux publics doivent être objectifs, non discriminatoires et publiés et ne peuvent être fondés que sur des motifs techniques tenant à l'intégrité et à la sécurité des réseaux.

La commission a également adopté un amendement de M. Jean-Michel Marchand sous-amendé par le rapporteur indiquant qu'un droit d'accès aux réseaux publics de transport et de distribution est garanti à une collectivité territoriale pour permettre l'approvisionnement, à partir des installations de production, des établissements publics locaux dont elle assure la gestion directe (amendement n° 254).

Puis, la commission a adopté l'article 23 ainsi modifié.

Article 24

Lignes directes

Le présent article autorise, comme le permet l'article 21 de la directive, la construction de lignes directes entre producteurs et clients éligibles ou pour assurer l'exécution des contrats d'exportation ou encore pour permettre à un producteur d'alimenter en courant électrique ses établissements, ses filiales, sa société mère ou les filiales de cette dernière.

Afin d'éviter un développement anarchique de lignes échappant aux réseaux publics de transport et de distribution, seules sont susceptibles d'être autorisées les lignes complémentaires desdits réseaux.

L'autorisation de construire est délivrée par l'administration en application des dispositions législatives recensées dans le tableau ci-après.

Construction de lignes électriques privées

1. Dispositions applicables à tous les ouvrages de transport et de distribution d'électricité

·  Loi du 15 juin 1906 sur les distributions d'énergie et notamment son article 12 pour l'application des servitudes d'utilité publique sur les propriétés privées et décret du 29 juillet 1927 pris pour son application.

·  Article 35 de la loi du 8 avril 1946 sur la nationalisation de l'électricité et du gaz (servitudes d'ancrage, d'appui, de passage, d'abattage d'arbres, d'aqueducs, de submersion et d'occupation temporaire) et décret n° 70-492 du 11 juin 1970 pris pour son application.

·  Loi du 29 novembre 1925 sur les travaux mixtes et procédure d'instruction mixte à l'échelon local pour les lignes de tension supérieure à 150 kV.

2. Dispositions applicables aux lignes privées avec la libre disposition du sol (conventions amiables avec les propriétaires et/ou permissions de voirie)

a) Lignes _ 63 kV

Législations et réglementations applicables

Exigences et formalités

- Code de l'urbanisme : articles L. 122-1, L. 123-8 et L. 421-1

- Loi n° 76-629 du 10 juillet 1976 modifiée relative à la protection de la nature, décret n° 77-1141 du 12 octobre 1977 modifié.

- Loi n° 83-630 du 12 juillet 1983 et décret n° 85-453 du 23 avril 1985 modifié.

Compatibilité avec les documents d'urbanisme existants : schémas directeurs, POS et permis de construire pour pylônes d'une hauteur supérieure à 12 m (dispense de permis de construire pour les lignes souterraines)

Etude d'impact

Enquête publique « Bouchardeau »

b) Lignes < à 63 kV

- Code de l'urbanisme : articles L. 122-1, L. 123-8 et L. 421-1

- Loi n° 76-629 du 10 juillet 1976 modifiée relative à la protection de la nature.

Idem, sauf dispense de permis de construire (régime de déclaration) si pylônes < à 12 mètres et ligne < à 1 km.

Notice d'impact

3. Dispositions applicables aux lignes privées sans libre disposition du sol (déclaration d'utilité publique)

a) Lignes _ à 63 kV

- Code de l'urbanisme : articles L. 122-1, L. 123-8 et L. 421-1

- Loi n° 76-629 du 10 juillet 1976 modifiée relative à la protection de la nature, décret n° 77-1141 du 12 octobre 1977 modifié.

- Loi n° 83-630 du 12 juillet 1983 et décret n° 85-453 du 23 avril 1985 modifié, notamment son article  4 sur les regroupements d'enquêtes.

- Article 35 de la loi du 8 avril 1946

Compatibilité avec les documents d'urbanisme existants : schémas directeurs, POS et permis de construire pour pylônes d'une hauteur supérieure à 12 m (dispense de permis de construire pour les lignes souterraines)

Etude d'impact

Enquête publique « Bouchardeau »

Déclaration d'utilité publique suivie d'une enquête parcellaire (art. 13 à 17 du décret n° 70-492 du 11 juin 1970 pris pour l'application de l'article 35 de la loi de 1946) et mise en servitudes par arrêté préfectoral (art. 18 et 19 du même décret).

b) Lignes < à 63 kV

Code de l'urbanisme : articles L. 122-1, L. 123-8 et L. 421-1

Loi n° 76-629 du 10 juillet 1976 modifiée relative à la protection de la nature.

Article 24 du projet de loi

Article 35 de la loi du 8 avril 1946

Mêmes formalités que pour les lignes d'une puissance supérieure à 63 kV. Dispense de permis de construire (régime de déclaration) pour les pylônes d'une hauteur inférieure à 12 mètres et pour les lignes d'une longueur inférieure à 1 km

Notice d'impact

Enquête publique :

- soit « Bouchardeau » (nécessité de modifi-cation du décret n° 85-453 d'application de la loi) ;

- soit enquête de droit commun (art. R. 11-4 et R. 11-14 du code de l'expropriation)

Déclaration d'utilité publique suivie d'une enquête parcellaire (art. 13 à 17 du décret n° 70-492 du 11 juin 1970 pris pour l'application de l'article 35 de la loi de 1946) et mise en servitudes par arrêté préfectoral (art. 18 et 19 du même décret).

Cette autorisation peut être refusée en cas d'incompatibilité avec des impératifs d'intérêt général ou avec le bon accomplissement des missions de service public.

Le dernier alinéa de l'article 24 prévoit, en cas de refus d'accès aux réseaux publics, que le demandeur puisse bénéficier d'une déclaration d'utilité publique portant sur diverses servitudes limitativement énumérées (ancrage, appui, passage, abattage d'arbres). Il est alors procédé à une enquête publique conduite selon les modalités prévues par la loi n° 83-630 du 12 juillet 1983 (enquête de type « Bouchardeau »).

Lors de ses travaux, la commission a tout d'abord rejeté, suivant l'avis défavorable du rapporteur, un amendement de M. Claude Billard excluant la construction de lignes directes d'approvisionnement entre, d'une part, un producteur, et d'autre part, sa société-mère et les filiales de cette dernière. Elle a en revanche, conformément à l'avis du rapporteur, adopté un amendement de M. Alain Cacheux excluant du bénéficie de ce dispositif les filiales de la société-mère du producteur (amendement n° 255).

La commission a ensuite rejeté, conformément à l'avis défavorable du rapporteur, deux amendements identiques de MM. Pierre Micaux et Yvon Montané ouvrant aux collectivités locales, la possibilité de construire des lignes directes.

Elle a également rejeté dans les mêmes conditions un amendement de M. Claude Billard renforçant les conditions requises pour la construction et la mise en service de lignes directes. Elle a ensuite adopté un amendement du rapporteur ouvrant la possibilité de construire une ligne directe sur des terrains pour lesquels le demandeur bénéficie d'une permission de voirie (amendement n° 256).

Puis, la commission a rejeté l'amendement n° 14 de M. Léonce Deprez relatif aux lignes directes des collectivités locales. Elle a ensuite, suivant l'avis favorable du rapporteur, adopté l'amendement n° 92 de M. Franck Borotra soumettant le refus d'autorisation de construction d'une ligne directe par l'autorité administrative à l'avis préalable de la Commission de régulation de l'électricité. Elle a également adopté l'amendement n° 93 du même auteur précisant que ce refus doit être motivé et justifié.

La commission a adopté un amendement du rapporteur indiquant que, pour délivrer les autorisations de construction de lignes, l'autorité administrative prend en compte les prescriptions environnementales applicables dans la zone concernée (amendement n° 257).

La commission a ensuite examiné trois amendements identiques : l'amendement no 61 de M. Pierre Micaux, et les amendements de MM. Yvon Montané et Alain Cacheux imposant les mêmes contraintes environnementales aux lignes privées et aux lignes publiques. M. Yvon Montané a indiqué que son amendement visait notamment à éviter la construction de lignes aériennes privées sur des sites où les collectivités locales ont procédé à l'enfouissement des réseaux. Le rapporteur a fait observer que cette question relevait du contenu des cahiers des charges ; en outre, un précédent amendement dont il était l'auteur donnait déjà satisfaction sur ce point. M. Jean Proriol a remarqué que l'amendement précité était rédigé dans des termes trop généraux pour permettre de prescrire des injonctions suffisamment contraignantes pour les constructeurs. Contre l'avis du rapporteur, la commission a adopté ces trois amendements (amendement n° 258 et amendement n° 61 de M. Pierre Micaux).

La commission a alors examiné deux amendements similaires soumis à discussion commune, l'un du rapporteur, l'autre de M. Jean-Michel Marchand, indiquant que l'absence de réponse du gestionnaire de réseaux à la demande de construction d'une ligne directe emportait autorisation. La commission a adopté l'amendement du rapporteur (amendement n° 259) et rejeté en conséquence l'amendement de M. Jean-Michel Marchand.

Après que M. Jean-Michel Marchand eut retiré un amendement, la commission a adopté l'article 24 ainsi modifié.

TITRE V

LA DISSOCIATION COMPTABLE ET LA TRANSPARENCE
DE LA COMPTABILITÉ

Toute politique communautaire d'ouverture à la concurrence d'un marché s'accompagne d'une obligation d'établir des comptes transparents afin que la Commission européenne puisse vérifier que des pratiques et surtout des tarifs discriminatoires ne sont pas imposés au moyen de l'exploitation d'une position dominante ou par l'entreprise détenant des droits exclusifs ou spéciaux. En outre, la transparence comptable permet de s'assurer du respect de principes tarifaires (notamment ceux concernant l'obligation d'orienter les tarifs vers les coûts ou l'obligation de détailler les coûts et taxes sur les factures des clients).

Ce principe de transparence de la comptabilité se retrouve dans toutes les directives européennes (télécommunications, poste, électricité, gaz ou proposition sur le fret ferroviaire). Ce principe repose toujours sur l'obligation d'établir une comptabilité retraçant l'activité concernée par l'ouverture à la concurrence et sur la définition d'un droit d'accès à cette comptabilité. Il met également en _uvre des règles d'accès à la comptabilité.

Afin de prendre en compte l'intégration des activités de production, de transport et de distribution de l'électricité par les opérateurs détenant des droits exclusifs et spéciaux, et dans la mesure où l'ouverture à la concurrence s'applique de manière différenciée selon ces trois activités (notamment les monopoles peuvent être maintenus sur le transport et les droits exclusifs ou spéciaux sur la distribution), la Commission européenne a proposé d'approfondir le principe de transparence de la comptabilité en imposant l'établissement de comptes séparés pour les différentes activités du secteur de l'électricité et, de manière consolidée, pour les activités exercées dans les autres secteurs.

Cette obligation a également été imposée par la directive 97/33/CE du 30 juin 1997 sur l'interconnexion dans le secteur des télécommunications pour assurer la transparence des comptes des activités de télécommunications ouvertes au public des entreprises détenant des droits exclusifs ou spéciaux pour la fourniture de services dans d'autres secteurs. Cette même directive a en outre imposé aux opérateurs « puissants sur le marché » (c'est-à-dire détenant une position dominante) de tenir des comptes séparés distinguant leurs activités en matière d'interconnexion et leurs autres activités. La directive 97/67/CE du 15 décembre 1997 concernant des règles communes pour le développement du marché intérieur des services postaux a demandé que les prestataires du service universel postal (qui sont en fait les opérateurs postaux historiques) tiennent dans leur comptabilité interne des comptes séparés pour les services réservés, d'une part, et les services non réservés, d'autre part, ces derniers services devant faire apparaître la distinction entre les services relevant du service universel et les autres.

La dissociation comptable et la transparence de la comptabilité ont donc pour finalité de permettre aux autorités chargées de surveiller le jeu de la concurrence et à celle éventuellement chargée de réguler le marché spécifique de détecter une exploitation abusive d'une position dominante, en particulier au moyen d'un transfert d'une rente tirée d'un monopole ou d'une position dominante, au profit d'une activité ouverte à la concurrence ou au travers de l'utilisation de fonds publics (subventions ou sommes provenant de fonds de péréquation de charges de service public). En quelque sorte, elles doivent permettre de mettre en évidence des subventions croisées faussant le libre jeu de la concurrence sur le marché, des prix prédateurs ou des discriminations commerciales ayant pour objet ou pour effet d'éliminer ou d'affaiblir un concurrent.

Cet objectif est mentionné au paragraphe 3 de l'article 14 de la directive 96/92/CE du Parlement européen et du Conseil du 19 décembre 1996 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l'électricité : la tenue de comptes séparés vise à « éviter les discriminations, les subventions croisées et les distorsions de concurrence ».

La directive applique à cette fin le principe de dissociation comptable aux activités de production, de transport et de distribution lorsqu'elles sont exercées par des « entreprises d'électricité intégrées ». En France, les entreprises et établissements publics intervenant sur le marché de l'électricité n'ont pas filialisé leurs activités selon la séparation production-transport-distribution. Les entreprises privées productrices d'énergie électrique ont filialisé globalement leur activité électrique (Dalkia pour Vivendi ; Elyo et Tractebel, filiale de la Société générale de Belgique elle-même acquise par Suez-Lyonnaise des eaux).

Les dispositions du chapitre VI de la directive européenne portant sur la dissociation comptable et la transparence de la comptabilité sont issues de difficiles négociations entre les Etats membres de la Communauté. La Commission européenne proposait d'appliquer le principe de séparation de manière organique, par la filialisation des activités, afin de dissocier les directions d'entreprises. La France a pu faire prévaloir son point de vue en faisant admettre qu'une séparation comptable permettrait de détecter les subventions croisées et les distorsions de concurrence, à l'instar des principes retenus en matière de télécommunications ou pour le secteur postal, sans déstabiliser de manière irréparable le fondement social et l'efficacité économique et technique d'EDF qui est une entreprise totalement intégrée.

La commission a rejeté un amendement de M. Jean Proriol portant sur l'intitulé du titre V, au motif que le projet de loi se limitait à reprendre l'intitulé du chapitre VI de la directive européenne.

Article 25

Règles comptables applicables à EDF, aux distributeurs non nationalisés et à la Compagnie nationale du Rhône

En raison des multiples problèmes de fond et de forme posés par la rédaction de l'article 25, la commission a, sur la proposition du rapporteur, adopté un amendement de rédaction globale de l'article (amendement n° 260).

Le rapporteur a présenté son amendement en indiquant qu'il modifiait l'article 25 sur les points suivants :

- il précise que l'obligation d'établir des comptes séparés porte sur chacune des activités de production, de transport et de distribution et sur les autres activités prises globalement. EDF aura donc quatre comptes séparés ;

- il distingue l'annexe des comptes annuels et l'annexe des comptes consolidés ;

- il impose d'accompagner ces comptes séparés d'un bilan social correspondant ;

- il impose de préciser dans l'annexe des comptes le périmètre des activités séparées et d'indiquer, en les motivant, les modifications éventuelles de ces périmètres ;

- il impose, comme le prévoit l'article 14 de la directive, aux sociétés qui ne sont pas tenues de publier leurs comptes, de tenir à la disposition du public un exemplaire des comptes séparés, accompagné des règles d'imputation ;

- il supprime les dispositions non normatives de l'article 25 (ne modifier les règles d'imputation comptable qu'à titre exceptionnel ; stabilité et transparence du périmètre des comptes séparés et des règles déterminant leurs relations financières) ;

- il précise que l'approbation de la Commission de régulation de l'électricité porte sur les principes déterminant les relations financières entre les différentes activités séparées. Ces principes comptables porteront, par exemple, sur les modalités de calcul des prix de facturation des cessions internes ou les modalités d'amortissement et de rémunération des sommes d'argent mises à disposition entre les pôles d'activités séparées. Ces opérations comptables sont rendues nécessaires pour l'établissement des comptes séparés ; elles sont comptables et ne correspondent en rien à des opérations commerciales.

M. Pierre Micaux a déclaré approuver tout amendement qui irait dans le sens de la transparence et de la clarté. M. Claude Billard a indiqué que l'amendement du rapporteur répondait pour partie aux propositions du groupe communiste. M. Franck Borotra a fait savoir qu'il était indispensable que la Commission de régulation de l'électricité contrôlât la totalité des comptes d'EDF et des distributeurs non nationalisés et qu'il n'appartenait pas à ces entreprises de fixer elles-mêmes les règles d'imputation des postes d'actifs et de passifs et des charges et produits. Le rapporteur a répondu que la Commission de régulation de l'électricité ne pouvait pas se substituer aux commissaires aux comptes pour déterminer ces règles d'imputation comptable, qui pouvaient être très différentes selon les opérateurs d'électricité.

Le projet de loi distingue les entreprises ou collectivités auxquelles les lois des 27 mai 1921 et 8 avril 1946 ont confié une mission de service public de l'électricité et les autres entreprises qui en application du présent projet de loi pourront étendre leur activité dans le secteur de l'électricité. L'article 25 définit les règles de séparation et de transparence comptable applicables aux premières ; l'article 26 concerne, lui, le second groupe d'entreprises.

Cette distinction est apparue nécessaire en raison des termes de l'article 14, paragraphe 3, de la directive 96/92/CE du Parlement européen et du Conseil du 19 décembre 1996 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l'électricité, qui impose la tenue par les « entreprises d'électricité intégrées », dans leur comptabilité interne, de comptes séparés pour leurs activités de production, de transport et de distribution. La directive définit ces entreprises comme des entreprises assurant au moins deux des fonctions suivantes : production, transport ou distribution d'électricité. Actuellement, en France, seul EDF exerce à la fois les trois activités, mais 43 distributeurs non nationalisés (1) ont une activité de production (d'une puissance totale de 61 884 kW à partir de l'énergie hydraulique et de 270 713 kW à partir de l'énergie thermique, au 1er avril 1996 ; compte non tenu de la production de 301 230 kWh de la régie du Vervinois-Aubentonnais). Quant à la Compagnie nationale du Rhône, elle n'exerce dans le secteur de l'électricité qu'une activité de production (installations totalisant une puissance de 3 080 MW et fournissant en moyenne 14 milliards de kWh par an, volume pouvant être porté à 17 milliards de kWh) mais est concernée par le deuxième type de séparation comptable.

Le même paragraphe 3 de l'article 14 de la directive européenne impose en effet également aux entreprises d'électricité intégrées de tenir dans leur comptabilité interne « des comptes consolidés pour d'autres activités en dehors du secteur de l'électricité comme elles devraient le faire si les activités en question étaient exercées par des entreprises distinctes » En effet, la directive (article 2, point 19) considère également comme entreprise intégrée une entreprise assurant au moins une des fonctions de production pour la vente ou de transport ou de distribution d'électricité ainsi qu'une autre activité en dehors du secteur de l'électricité. La Compagnie nationale du Rhône (CNR) se trouve dans cette situation. En outre, par souci de non-discrimination et afin de ne pas l'obliger à filialiser ses activités hors secteur de l'électricité comme le prévoit l'article 26, le Gouvernement a aligné la CNR sur le régime d'EDF et des distributeurs non nationalisés.

La CNR exerce des activités de navigation fluviale, de régulation du niveau de l'eau du fleuve et d'entretien des berges pour des raisons liées aux conditions de sa concession. En effet, cette concession porte sur l'ensemble de l'utilisation du Rhône ; trois cahiers des charges sont imposés à la CNR : l'usage hydraulique du fleuve, son aménagement en faveur de la navigation et l'usage agricole des eaux. La CNR n'est autorisée à produire de l'électricité à partir de l'énergie hydraulique du Rhône, donc à construire des barrages sur le fleuve (il en existe aujourd'hui dix-huit), qu'à condition de maintenir la libre circulation des bateaux. Les barrages sur le Rhône ont donc une double affectation.

Cette mission de service public s'accompagne d'une obligation dite de débit réservé visant à garantir un niveau souhaitable de l'eau fluviale pour la navigation et la réalimentation des bras secs du Rhône, ainsi qu'une obligation d'entretien des berges et de gestion des ports fluviaux. La CNR ne perçoit aucune rétribution ou péage pour l'activité de navigation (les péages acquittés par les bateaux sont versés à Voies navigables de France responsable de la navigation).

Ces activités sont donc très directement liées à l'activité de production, au point de la conditionner. Cependant, au regard de la directive 96/92/CE, il ne paraît pas possible d'assimiler une activité de navigation à une activité de production d'électricité. L'approche est économique et ne permet pas d'établir des comptes de production d'électricité incorporant les activités non électriques ayant un lien juridique direct avec cette activité.

La CNR devra donc établir un compte consolidé de ses activités de navigation, de débit réservé, d'entretien et de gestion du domaine public dont elle a la garde et d'ingénierie. Comptablement l'exercice ne sera pas simple car, d'une part, son chiffre d'affaires est composé à 95 % des recettes de vente de l'électricité produite et à 5 % des produits du domaine public et des prestations d'ingénierie à des tiers et, d'autre part, parce qu'il n'est pas possible économiquement de déterminer dans le coût d'un barrage ce qui relève de la production d'électricité de ce qui relève de l'aménagement de la navigation fluviale (d'autant plus qu'aucune recette n'est associée à cette dernière activité).

De même, de nombreux distributeurs non nationalisés (le nombre n'a pas fait l'objet d'un recensement) sont concernés par cette séparation comptable car ils exercent des activités de transport public, de chauffage urbain ou d'autres activités.

Les deux obligations de séparation comptable figurant au paragraphe 3 de la directive européenne sont inscrites au premier alinéa de l'article 25 du projet de loi.

La Commission de régulation de l'électricité (CRÉ) doit être en mesure de contrôler ces comptes séparés. C'est pourquoi le premier alinéa de l'article 25 impose de tenir ces comptes « dans la comptabilité interne » des organismes visés. Cette disposition vise à exclure l'inscription de ces comptes dans la comptabilité consolidée des sociétés ou établissements mères. Cette expression relève en fait de la terminologie européenne et se retrouve dans toutes les directives communautaires.

M. Franck Borotra a proposé un sous-amendement à l'amendement de rédaction globale du rapporteur afin de prévoir trois comptes séparés supplémentaires : un pour la fourniture, un pour l'importation, un dernier pour l'exportation d'électricité. Le rapporteur a indiqué que la directive européenne ne prévoyait pas l'existence de tels comptes séparés et que le système comptable proposé par M. Franck Borotra était très complexe et peu utile au renforcement de la transparence comptable. Aussi, la commission a-t-elle rejeté le sous-amendement.

L'amendement de rédaction globale adopté par la commission précise donc que la séparation s'applique à chaque activité de production, de transport et de distribution ainsi qu'aux autres activités prises globalement. Ainsi, EDF devra présenter quatre comptes séparés. Les activités spécifiquement de fourniture et celles d'exportation pourront figurer dans les comptes globaux ou une ligne spéciale du compte de la distribution et l'activité d'importation dans le compte séparé de la production.

Le second alinéa précise la consistance des comptes séparés : pour chaque activité de production, de transport et de distribution et pour les activités exercées hors du secteur de l'électricité, un bilan et un compte de résultat doivent être établis. Afin de préciser la rédaction du dispositif, l'amendement de rédaction globale du rapporteur distingue l'annexe des comptes séparés de l'annexe des comptes consolidés.

Un bilan retrace séparément les différents éléments d'actif (immobilisations, stocks, avances, créances, valeurs mobilières, etc.) et de passif (capitaux propres, autres fonds propres, provisions pour risques et charges, dettes, etc.) d'une entreprise. Un compte de résultat récapitule, par catégories, les produits et les charges d'un exercice et fait apparaître notamment les déductions pour amortissements, les provisions, le résultat d'exploitation, le résultat courant avant impôt, le résultat exceptionnel et enfin le bénéfice ou la perte de l'exercice. L'annexe des comptes annuels vise à éclairer la lecture du bilan et du compte de résultat par des explications, des ventilations ou des compléments. L'annexe est indissociable du bilan et du compte de résultat. L'article 24 du décret n° 83-1020 du 29 novembre 1983 pris en application de la loi n° 83-353 du 30 avril 1983 et relatif aux obligations comptables des commerçants et de certaines sociétés a précisé que « l'annexe doit comporter toutes les informations d'importance significative sur la situation patrimoniale et financière et sur le résultat de l'entreprise. »

Enfin, l'article 357-1 de la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales impose aux sociétés commerciales (à l'exception des sociétés coopératives qui ne sont pas constituées sous forme de société anonyme ou de société à responsabilité limitée) de publier chaque année des comptes consolidés ; l'article 30 de la loi n° 84-148 du 1er mars 1984 sur la prévention et le règlement amiable des difficultés des entreprises a étendu l'obligation aux entreprises publiques contrôlant une ou plusieurs entreprises (y compris établies à l'étranger) ou exerçant sur elles une influence notable (ce qui est réalisé par la détention d'au moins 20 % des droits de vote). Le champ de la consolidation englobe les sociétés commerciales et les établissements publics industriels et commerciaux et entreprises nationales non soumis aux règles de la comptabilité publique et répondant à deux des trois critères suivants : bilan de 100 millions de francs, chiffre d'affaires de 200 millions de francs et 500 salariés.

Les comptes consolidés visent à présenter le patrimoine, la situation financière et le résultat des entreprises comprises dans le périmètre de consolidation comme s'il s'agissait d'une entreprise unique, selon la part, correspondant au degré de contrôle, de la situation nette des entreprises prises en compte. Les comptes consolidés comprennent un bilan, un compte de résultat et une annexe symétriques des documents figurant dans les comptes annuels.

L'amendement de rédaction globale présenté par le rapporteur impose également d'établir un bilan social pour chaque activité ou ensemble d'activités faisant l'objet d'un compte séparé. En raison de la symétrie entre les comptes séparés et les comptes annuels, qui doivent être accompagnés d'un bilan social, cette mesure tend à parfaire le dispositif sans exiger des entreprises et collectivités la collecte de données qu'elles n'auraient pas dans leurs comptes sociaux. Il s'agit donc de la traduction sociale des documents de séparation comptable.

Les dispositions du troisième alinéa de l'article 25 visent à conforter la transparence de la comptabilité en imposant de préciser dans l'annexe des comptes annuels et dans celle des comptes consolidés les règles d'imputation des postes d'actif et de passif appliquées pour établir les bilans et les règles d'imputation des charges et produits appliquées pour établir les comptes de résultats. Ces règles sont déterminées par chaque entreprise concernée. L'amendement de rédaction globale proposé par le rapporteur précise en ce sens la rédaction du dispositif.

Le projet de loi indique que « ces règles ne peuvent être modifiées qu'à titre exceptionnel ». Cette formule reprend mot pour mot (comme plusieurs autres dispositions de l'article 25) la deuxième phrase du paragraphe 4 de l'article 14 de la directive européenne. La prescription vise à permettre des comparaisons fiables d'une année sur l'autre, ce qui ne serait pas le cas si ces règles d'imputation variaient trop d'un exercice à l'autre. Cependant, une telle formule n'est pas nécessaire : ces règles sont visées par les commissaires aux comptes et leur modification doit être motivée ; l'exigence d'une modification seulement dans les cas exceptionnels n'est pas normative en matière de législation comptable dans la mesure où cette appréciation relève des seuls comptables de l'entreprise et des commissaires aux comptes, sans contrôle spécifique des autorités de régulation. L'important est que toute modification soit signalée et expliquée. L'amendement de rédaction globale supprime donc cette prescription.

Le projet de loi reprend également de la directive européenne l'obligation d'inscrire les modifications de ces règles (pour un suivi exact des comptes) dans l'annexe et de les motiver. L'amendement de rédaction globale présenté par le rapporteur maintient cette double obligation.

Le quatrième alinéa de l'article 25 impose la publication des comptes séparés. Les règles de droit commun des comptes annuels et des comptes consolidés sont applicables.

Le projet de loi n'a pas réalisé la transposition de la disposition figurant dans la dernière phrase du paragraphe 2 de l'article 14 de la directive européenne ; celle-ci impose aux « entreprises qui ne sont pas tenues légalement de publier leurs comptes annuels (de tenir) un exemplaire de ceux-ci à la disposition du public à leur siège social. » Ceci est une mesure de transparence des comptes évitant un déséquilibre de concurrence entre deux entreprises soumises à des obligations légales différentes mais exerçant le même métier.

La réglementation française (décret n° 67-236 du 23 mars 1967 sur les sociétés commerciales) impose de déposer au greffe du tribunal de commerce deux exemplaires des comptes annuels, dans le mois qui suit leur approbation, aux sociétés suivantes :

- les sociétés par actions (sociétés anonymes, sociétés en commandite par actions, sociétés par actions simplifiées),

- les sociétés à responsabilité limitée (SARL),

- les sociétés en nom collectif dont tous les associés indéfiniment responsables sont des SARL, des sociétés par actions, des sociétés en nom collectif ou des sociétés en commandite simple ayant elles-mêmes pour seuls associés indéfiniment responsables des SARL ou des sociétés par actions,

- les sociétés en commandite simple.

En cas de refus d'approbation des comptes annuels, une copie de la délibération de l'assemblée ou de la décision de l'associé unique doit être déposée en lieu et place des comptes.

Cette publicité est loin d'être respectée par toutes les sociétés commerciales concernées. Cela s'explique, d'une part, par la volonté de certains dirigeants de ne pas mettre à la disposition de leurs concurrents des informations importantes sur l'état financier de leur société et, d'autre part, par le faiblesse des sanctions pénales prévues en cas d'infraction aux obligations de dépôt des comptes : les contrevenants sont passibles de l'amende prévue pour les contraventions de 5e classe (10 000 F, et 20 000 F en cas de récidive) ; en outre une prescription d'un an est applicable. Ainsi, la plupart des entreprises de la grande distribution ne publient pas leurs comptes.

Dans le secteur public, les établissements publics industriels et commerciaux sont soumis aux règles comptables du droit commun des sociétés commerciales. La loi du 8 avril 1946 a expressément rendu applicables les règles des sociétés commerciales à EDF.

Le cinquième et dernier alinéa de l'article 25 prévoit que « le périmètre de chacune des activités séparées au plan comptable et les règles déterminant les relations financières entre les différentes entités ainsi séparées sont stables et transparents ». Cette disposition ne figure pas dans la directive. Les règles déterminant les relations financières ne correspondent pas aux règles d'imputation des postes d'actif et de passif et des charges et produits mentionnées au troisième alinéa mais sont des règles fixant le cadre des relations financières entre les activités séparées. La rédaction utilisant les termes « entités ainsi séparées » n'est pas heureuse car cette terminologie évoque la filialisation qui est exclue par l'article 25 ; il s'agit en fait des activités devant faire l'objet d'une séparation comptable.

La notion juridique de stabilité du périmètre des activités séparées et de ces règles financières est plus vaseuse que le delta du Nil. La stabilité est un constat objectif et non une prescription normative. Il ne semble pas possible de déterminer, dans la loi, les cas où ces règles peuvent être modifiées. Il appartiendra à la Commission de régulation de l'électricité d'approuver les modifications.

Quant à la transparence, sa mention dans une directive européenne se justifie par le fait que cette norme fixe des objectifs devant être transposés en droit interne, mais dans une loi, elle n'a aucune consistance juridique. En fait, la transparence est assurée par des obligations de publicité. Le périmètre des activités séparées est indissociable de la définition des comptes séparés ; il sera donc défini dans ces comptes, sa définition sera publiée au même titre que ces comptes et ses modifications seront explicitées.

L'amendement de rédaction globale présenté par le rapporteur supprime donc cette référence à la stabilité et à la transparence du périmètre et des règles financières.

Par ailleurs, concernant les « règles déterminant les relations financières », dès lors que des comptes séparés doivent être établis de manière à décrire l'activité concernée comme si les activités en question étaient exercées par des entreprises distinctes (termes de l'article 14, paragraphe 3, de la directive 96/92/CE), il est indispensable de définir des flux financiers entre les comptes annuels globaux et les comptes séparés et entre les comptes séparés eux-mêmes. La séparation comptable doit faire apparaître des flux financiers à l'image de ceux qui existeraient entre des entreprises distinctes exerçant ces activités et qui se rendraient mutuellement des services marchands et s'adresseraient donc des factures ou passeraient entre elles des accords financiers. Les comptes séparés doivent donc valoriser les mises à disposition de personnels et d'infrastructures, les coûts d'amortissement des investissement et de trésorerie, les frais divers supportés conjointement par les différentes activités. La matière est complexe car il n'y a aucun précédent en France d'une telle séparation comptable au sein d'une même personne morale.

La manière dont sont organisées les relations financières entre les pôles d'activités devant faire l'objet d'une séparation comptable influe directement sur le jeu de la concurrence. Ces règles financières peuvent notamment se traduire par des subventions croisées contraires au droit de la concurrence (utilisation des produits d'un monopole au bénéfice d'activités en concurrence, transfert de dettes d'activités en concurrence sur les activités à l'abri de la concurrence sans contrepartie financière, emploi de moyens destinés au fonctionnement des activités sous monopole dans des activités du secteur concurrentiel sans rémunération correspondante) ou peuvent couvrir des pratiques discriminatoires condamnées par l'article 86 du traité de Rome et les articles 8 et 36 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence.

C'est pourquoi le dernier alinéa de l'article 25 du projet de loi dispose que ces règles financières doivent être approuvées par la Commission de régulation de l'électricité, après avis du Conseil de la concurrence.

L'amendement de rédaction globale présenté par le rapporteur maintient cette exigence en précisant que seuls sont soumis à l'approbation de la commission les principes déterminant les relations financières entre les activités séparées. Ces principes restent définis par les entreprises mais la Commission de régulation de l'électricité et le Conseil de la concurrence, chacun selon ses compétences, doivent s'assurer qu'ils ne permettent ni ne couvrent aucune discrimination, subvention croisée ou distorsion de concurrence.

Ces principes définiront, par exemple, les modalités de calcul des prix de facturation des cessions internes ou les modalités d'amortissement financier et de rémunération des sommes d'argent mises à disposition entre les pôles d'activités séparées. Ces opérations comptables sont, en fait, rendues nécessaires pour l'établissement des comptes séparés ; ces principes sont comptables et ne correspondent en rien à des opérations commerciales.

M. Franck Borotra a proposé un autre sous-amendement visant à ce que la Commission de régulation de l'électricité précise les règles d'imputation des postes d'actif et de passif et des charges et produits ainsi que l'obligation de dépôt des comptes. Le rapporteur a fait valoir que son amendement réaménageait le dispositif relatif aux règles d'imputation comptable et que le quatrième alinéa de celui-ci prévoyait une obligation de publicité renforcée. En outre, la définition de ces règles d'imputation comptable relève du travail des commissaires aux comptes. La commission a donc rejeté le sous-amendement de M. Franck Borotra.

A l'issue de ce débat, la commission a adopté l'amendement du rapporteur portant rédaction globale de l'article 25 (amendement n° 260), rendant ainsi sans objet l'amendement de M. Claude Billard proposant d'exclure du champ d'application de l'article 25 la Compagnie nationale du Rhône, l'amendement n° 94 de M. Franck Borotra proposant d'établir des comptes séparés pour la fourniture, l'importation et l'exportation d'électricité et l'amendement n° 95 de M. Franck Borotra proposant que la Commission de régulation de l'électricité précise les règles d'imputation comptable.

Article 26

Obligations comptables des autres sociétés

L'article 26 du projet de loi soumet aux obligations de séparation comptable définies à l'article 25 les sociétés autres que celles mentionnées à l'article 25 lorsqu'elles exercent des activités dans le secteur de l'électricité et d'autres en dehors.

Dans l'exposé des motifs du projet de loi (n° 1253), le Gouvernement justifie cette mesure non prévue par la directive 96/92/CE, qui n'applique le principe de séparation comptable qu'aux entreprises d'électricité intégrées, par un « souci de symétrie et d'équité ». L'interdiction des subventions croisées, des pratiques discriminatoires ou des distorsions de concurrence à partir de monopoles ou de positions dominantes (qui existent par exemple sur les marchés de distribution d'eau) doit également leur être appliquée. L'application du principe de séparation comptable entre les activités exercées dans le secteur de l'électricité et celles exercées en dehors de ce secteur doit permettre à la Commission de régulation de l'électricité de contrôler le respect de ces interdictions.

Toutefois, seules les entreprises d'une taille importante sont en mesure de fausser le jeu de la concurrence. C'est pourquoi le deuxième alinéa de l'article 26 ne soumet à ces obligations comptables que les seules entreprises dont le chiffre d'affaires annuel réalisé dans le secteur de l'électricité dépasse un certain seuil fixé par arrêté conjoint des ministres chargés de l'économie et de l'énergie.

M. Claude Billard a proposé de soumettre toutes les sociétés aux obligations de séparation comptable au motif que les opérateurs d'électricité pouvaient multiplier leurs filiales afin de ne pas être soumis à ces obligations. Le rapporteur a objecté qu'une multiplication des filiales générerait des difficultés administratives bien supérieures aux obligations prévues par la loi ; les sociétés d'électricité n'auront donc pas cette tentation. La commission a donc rejeté l'amendement de M. Claude Billard.

En dernier lieu, par un même souci d'équité et de symétrie par rapport au régime applicable à EDF (qui figure à l'article 42 (2)), le dernier alinéa de l'article 26 impose aux sociétés disposant d'un monopole ou d'une position dominante dans un autre secteur que celui de l'électricité de filialiser leur activité dans le secteur de l'électricité. Si une telle filiale n'existe pas, l'obligation d'en constituer une est imposée par décision conjointe des ministres chargés de l'économie et de l'énergie. L'existence d'un monopole ou d'une position dominante détenue par la société sur un marché autre que celui de l'électricité, qui constitue le fondement de cette obligation de filialisation, est appréciée par les ministres après avis du Conseil de la concurrence.

La commission a adopté l'article 26 sans modification.

Article 27

Droit d'accès à la comptabilité et aux informations financières

Le présent article donne au ministre chargé de l'économie, à celui chargé de l'énergie et à la Commission de régulation de l'électricité un droit d'accès à la comptabilité des entreprises de production, de transport et de distribution d'électricité ainsi qu'aux informations financières nécessaires à leur mission de contrôle.

Cet article est le corollaire des prescriptions figurant aux articles 25 et 26, mais il donne des pouvoirs pouvant être utilisés pour l'application de l'ensemble des dispositions du présent projet de loi. Il recoupe en fait les pouvoirs des fonctionnaires et agents habilités par les ministres ou la Commission de régulation de l'électricité leur permettant de conduire des enquêtes en application de l'article 33 du projet de loi : ces enquêteurs peuvent exiger la communication des documents comptables des opérateurs et accèdent à toute information utile détenue par le gestionnaire du réseau public de transport ou recueillent tous renseignements et justifications utiles à leur mission auprès des autres opérateurs (ou utilisateurs) des réseaux de transport et de distribution.

La commission a rejeté l'amendement n° 127 de M. Pierre Micaux et un amendement identique de M. Jean-Michel Marchand donnant un droit d'accès à la comptabilité aux collectivités concédantes. En effet, cette mesure est inutile du fait que le dernier alinéa de l'article 36 de la loi du 8 avril 1946 prévoit que les rapports et comptes annuels des concessionnaires sont communiqués à la collectivité concédante.

La commission a ensuite adopté deux amendements du rapporteur tendant, d'une part, à ce que l'accès à la comptabilité s'applique également aux entreprises fournissant de l'électricité (amendement n° 261) et, d'autre part, à ce que les ministres et la Commission de régulation de l'électricité aient accès aux informations sociales des entreprises (contrats de travail, temps de travail, rémunérations, etc.) (amendement n° 262).

La commission a adopté l'article 27 ainsi modifié.

Après l'article 27

M. Jean Proriol a présenté un amendement portant article additionnel et visant à ce que les entreprises d'électricité établissent, pour leurs activités en France, un code de déontologie comportant notamment un chapitre sur leurs relations avec la clientèle.

Le rapporteur a estimé que l'élaboration d'un code de déontologie n'était pas une pratique du monde industriel et qu'EDF avait déjà mis en place des règles de confiance avec sa clientèle, ce que pouvaient imiter les futurs opérateurs. En tout état de cause, le dispositif proposé ne rend obligatoires les règles contenues dans le code qu'aux entreprises signataires. M. André Lajoinie, président, s'est interrogé sur le contenu et la portée d'un code de déontologie. M. Jean Proriol a fait valoir qu'un tel code devenait de plus en plus indispensable avec l'évolution du capitalisme. M. Franck Borotra a fait observer que ce code serait inopposable aux entreprises étrangères et que les règles de comportement vis-à-vis de la clientèle avaient leur place dans les cahiers des charges. M. Pierre Ducout a soutenu que la définition des relations avec la clientèle pouvait avoir sa place dans les cahiers des charges.

La commission a donc rejeté l'amendement de M. Jean Proriol.

TITRE VI

LA RÉGULATION

1. La nécessité d'une régulation spécifique du secteur de l'électricité

L'ouverture à la concurrence d'un marché monopolistique pose des problèmes spécifiques liés au comportement de l'opérateur historique qui, non seulement détient la propriété pleine et entière des infrastructures essentielles et fournit à ses clients (qui représentent dans le cas de l'électricité quasiment la totalité des foyers et des entreprises) un service qui est essentiel à leurs besoins, mais est également la seule entité à avoir une connaissance précise de l'état du marché et des besoins des consommateurs, à disposer des techniciens les mieux qualifiés et expérimentés et à maîtriser toutes les techniques et développer une recherche poussée dans le domaine de la fourniture électrique complète. Face à ce monopole de fait, il est indispensable de mettre en place des règles spécifiques de fonctionnement d'un marché venant d'être ouvert à la concurrence afin de permettre à celles-ci de devenir effectives et d'être loyales pour la satisfaction des besoins des consommateurs et de l'intérêt général.

Le droit général de la concurrence, dont les règles fondamentales sont fixées par l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence, ne permet pas d'empêcher efficacement une entreprise naguère monopolistique et détenant donc un monopole de fait d'avoir des pratiques de nature à anéantir les offres concurrentielles émergentes. De même, il ne permet pas de prévenir une arrivée anarchique et déstabilisatrice d'opérateurs sur le marché, ni la disparition d'offres de services particulièrement nécessaires à la satisfaction de certains besoins essentiels des consommateurs ou de la Nation. En fait, le droit général de la concurrence, tant français qu'européen, a été conçu dans le but d'encadrer un marché déjà concurrentiel, de préserver le maintien de cette concurrence et de garantir que la concurrence s'y exerce loyalement ; il est mal adapté à la situation particulière de l'ouverture à la concurrence d'un marché monopolistique public.

A l'instar de ce qui a été fait en matière de télécommunications par la loi n° 96-659 du 26 juillet 1996 de réglementation des télécom-munications, le présent projet de loi propose donc de définir un corps de règles spécifiques de régulation du marché de l'électricité. Le droit général de la concurrence reste cependant applicable notamment en matière de répression des abus de position dominante ou de dépendance économique ou des pratiques restrictives.

L'existence d'une entreprise en position dominante sur le marché ne saurait être un argument en faveur de la pérennité des règles de régulation car d'autres marchés sont soumis aux règles de droit commun alors même qu'ils sont dominés, au sens juridique, par une entreprise ou ont un caractère oligopolistique marqué.

Deux exigences laissent à penser que les règles de régulation du marché de l'électricité auront un caractère pérenne.

Tout d'abord, le fonctionnement du marché de l'électricité n'a pas pour seule finalité la satisfaction des besoins des consommateurs et le développement des opérateurs comme dans un marché ordinaire. Il doit également garantir la continuité du service public dans le respect de l'égalité de tous les usagers et la sécurité des approvisionnements. Seule une réglementation spécifique permet de concilier ces deux impératifs avec les objectifs des opérateurs économiques en situation concurrentielle ordinaire. La loi doit donc intervenir pour canaliser la concurrence afin que ces deux exigences nationales soient respectées.

En second lieu, la directive 96/92/CE du 19 décembre 1996 impose que l'exercice de la régulation du marché soit indépendant de la production, de l'exploitation des réseaux et de la distribution. Au pied de la lettre, on aurait pu concevoir que le ministre chargé de l'énergie exerçât les fonctions de régulation du marché dans la mesure où Electricité de France est un établissement public distinct de l'Etat. Cependant, il n'a pas semblé au Gouvernement, au regard du principe d'indépendance, qu'il était correct de confier la fonction de régulation exclusivement au ministre dans la mesure où il exerce la tutelle de l'établissement public. Afin de ne pas soulever d'inquiétudes injustifiées sur la consistance de l'ouverture à la concurrence, le projet de loi prévoit donc de partager cette fonction entre le ministre et une structure administrative de l'Etat indépendante. Le même schéma a été arrêté pour les télécommunications. D'une manière générale, on relèvera d'ailleurs que les dispositions du projet de loi en matière de régulation s'inspirent étroitement des règles de régulation arrêtées par la loi du 26 juillet 1996 de réglementation des télécommunications.

2. Les modalités de la régulation fixées par la directive 96/92/CE

Bien que l'objectif majeur de la directive 96/92/CE du 19 décembre 1996 consiste en « l'achèvement d'un marché de l'électricité concurrentiel (ce qui) est un pas important vers l'achèvement du marché intérieur de l'énergie » (point 2 de l'exposé des motifs), celle-ci fixe très peu de règles d'organisation de la régulation du marché de l'électricité ; l'essentiel de ses dispositions concerne en fait l'organisation du marché en lui-même, ce qui la conduit à « établir des règles communes pour la production d'électricité et l'exploitation des réseaux de transport et de distribution d'électricité » (point 22 de l'exposé des motifs).

Seuls les articles 20 et 22 de la directive traitent à proprement parler de la régulation. Le premier de ces articles impose de désigner une autorité indépendante des parties pour régler les litiges relatifs aux contrats et négociations touchant ou bien l'accès au réseau des producteurs indépendants et autoproducteurs pour approvisionner leurs établissements ou bien la fourniture d'électricité par un producteur extérieur au territoire couvert par le réseau ayant été retenu après un appel d'offres pour de nouvelles capacités de production. Le second de ces articles impose aux Etats de créer « des mécanismes appropriés et efficaces de régulation, de contrôle et de transparence afin d'éviter tout abus de position dominante, au détriment notamment des consommateurs, et tout comportement prédatoire. »

Quant au contrôle de l'accès au réseau de transport ou de distribution de l'électricité, qui est au coeur de l'ouverture à la concurrence, la directive impose seulement aux Etats, d'une part, de désigner un gestionnaire du réseau de transport indépendant au plan de la gestion des activités de production et de distribution et un gestionnaire du réseau de distribution (qui peut être désigné par le propriétaire ou responsable du réseau) et, d'autre part, de prendre « les mesures nécessaires » pour mettre en place un accès négocié ou réglementé au réseau conformément aux principes figurant dans la directive ou, en cas de désignation d'un acheteur unique, pour faire appliquer les règles de non-discrimination et de liberté contractuelle avec les clients éligibles prévues par la directive (articles 7, 10, 17 et 18 de la directive 96/92/CE).

Les Etats membres de la Communauté européenne ne sont donc pas contraints de créer une autorité indépendante chargée de régler tous les litiges d'accès au réseau ou de fixer les modalités d'exercice de cet accès, et encore moins de traiter les questions relatives à la production ou à la gestion du service public.

3. Les modalités de la régulation proposées par le projet de loi

a) La création d'une commission indépendante

Le Gouvernement français a choisi de créer une autorité administrative indépendante chargée de contrôler l'accès au réseau, d'édicter des règlements de mise en _uvre de cet accès, de régler les litiges entre les opérateurs sur cette question et de sanctionner les entreprises ayant enfreint la loi, les règlements ou ses décisions. En effet, si le ministre chargé de l'énergie avait assuré ces fonctions, l'Etat français aurait été suspect de partialité aux yeux de la Commission européenne et des entreprises d'électricité privées dans la mesure où il détient la pleine propriété de l'opérateur dominant EDF.

Dans son avis n° 98-A-05 du 28 avril 1998 relatif à la transposition en droit interne de la directive 96/92/CE, le Conseil de la concurrence relève notamment que :

« Le processus de régulation de l'opérateur français se réduit par ailleurs pour l'instant, dans les faits, à un tête-à-tête assez peu transparent entre les pouvoirs publics et lui. Or, pareil face-à-face apparaît aujourd'hui inadéquat, tant la demande de débat public sur la politique énergétique est forte, tandis que les collectivités locales sont désireuses de s'impliquer dans le contrôle des sociétés de distribution et que l'arrivée de nouveaux acteurs paraît inévitable.

« Du point de vue de la concurrence, l'opérateur français apparaît enfin lié plus que tout autre opérateur européen aux pouvoirs publics du fait de son statut d'établissement public industriel et commercial. Fait unique en Europe, le champ de son activité industrielle est fixé par la loi qui le constitue, au nom du principe de spécialité, et ce principe a aujourd'hui une expression stricte. Sa stratégie est contrôlée directement par l'Etat en sa qualité « d'actionnaire unique », jusqu'à présent avec des moyens modestes et sur un mode largement administratif ».

Etant donné que l'accès au réseau est au c_ur de l'ouverture à la concurrence imposée par la directive européenne, la mise en place d'une autorité administrative indépendante, la Commission de régulation de l'électricité (CRÉ), « offre des garanties de transparence, d'indépendance et d'efficacité », comme l'indique l'exposé des motifs du projet de loi. Cette solution a d'ailleurs été réclamée aussi bien par les entreprises privées d'électricité et les producteurs indépendants que par EDF et la plupart des syndicats d'agents d'EDF.

Par ailleurs, la complexité des techniques, l'importance des questions de sécurité et des enjeux économiques, technologiques et financiers et la difficulté d'apprécier les conséquences globales sur le marché français, voire européen, des questions liées à l'accès aux réseaux de transport et de distribution rendent indispensable de mettre en place une structure au sein de l'Etat dotée de moyens lui permettant d'apprécier l'ensemble de ces questions. Actuellement, la direction du gaz, de l'électricité et du charbon (DIGEC) du secrétariat d'Etat à l'industrie n'assure aucunement le contrôle de l'accès aux réseaux ; tous les personnels compétents et les moyens techniques sont concentrés au sein d'EDF. La création de la CRÉ permettra de doter l'Etat, personne morale, des moyens d'expertise et de contrôle qui lui font actuellement défaut.

b) La répartition des attributions de régulation

Le projet de loi répartit les différentes attributions relevant de la mission de régulation du marché de l'électricité entre le Gouvernement, le ministre chargé de l'énergie, la Commission de régulation de l'électricité et accessoirement le Conseil de la concurrence et le ministre chargé de l'économie.

Le Gouvernement définit par décret le cadre réglementaire général du fonctionnement du système électrique. Notamment, il :

- réglemente les tarifs de vente de l'électricité aux clients non éligibles, les tarifs de cession de l'électricité aux distributeurs non nationalisés, les tarifs de secours et les tarifs d'utilisation des réseaux publics de transport et de distribution (article 4) ;

- détermine, conformément aux décisions de la Commission européenne, les seuils permettant à un site d'être éligible à l'ouverture à la concurrence (article 22) ;

- nomme trois des six membres de la Commission de régulation de l'électricité (article 28) ;

- fixe les modalités d'application du principe de spécialité d'EDF défini par la loi (article 42).

En outre, il prend les mesures nécessaires à la mise en _uvre des missions de service public de l'électricité (article 3).

Le ministre chargé de l'énergie exerce les prérogatives liées à la définition de la politique énergétique (sous le contrôle du Parlement) et à l'application de la réglementation technique du système électrique, il veille à la sécurité et au bon fonctionnement du système et au financement des missions de service public définies par la loi. A cette quadruple fin, il :

- arrête la programmation pluriannuelle des investissements de production (article 6) ;

- délivre les autorisations d'exploiter une installation de production (article 7) ;

- décide du lancement d'un appel d'offres pour des capacités de production (article 8) ;

- peut ordonner des mesures conservatoires en cas d'atteinte grave et immédiate à la sécurité des réseaux publics de transport et de distribution et à la qualité de leur fonctionnement (article 21) ;

- nomme le directeur du gestionnaire du réseau public de transport d'électricité (article 13) ;

- approuve le schéma de développement du réseau public de transport (article 14) ;

- délivre les autorisations d'exercer l'activité d'achat d'électricité pour revente aux clients éligibles (article 22) ;

- peut refuser l'autorisation de construction d'une ligne directe (pouvoir conféré à l'autorité administrative) (article 24) ;

- fixe, conjointement avec le ministre chargé de l'économie, le seuil à partir duquel les sociétés doivent filialiser leurs activités dans le secteur de l'électricité (article 27) ;

- nomme le commissaire du Gouvernement auprès de la Commission de régulation de l'électricité (article 29) ;

- dispose d'un pouvoir d'enquête et de contrôle (articles 27 et 33) ;

- dispose d'un pouvoir de sanction en cas de manquement aux obligations de paiement des contributions aux fonds de service public et celles dues au titre du financement des coûts échoués et en cas de manquement aux dispositions relatives à la production ou à l'activité de négoce d'électricité (article 39) ;

- désigne le président du « comité arbitral » chargé de déterminer les conditions de révision des contrats conclus entre EDF et une entreprise du secteur public à défaut d'accord entre les parties (article 48) ;

- prend, conjointement avec le ministre chargé de l'économie, les décisions sur les tarifs et plafonds de prix de l'électricité (article 4) ;

- arrête, conjointement avec le ministre chargé de l'économie, le montant des charges prévisionnelles du fonds de service public de distribution de l'électricité et celles nées de coûts échoués (articles 5 et 46) ;

- constate, conjointement avec les ministres chargés de l'économie et du budget, le montant des contributions nettes dues au titre du fonds de service public de distribution de l'électricité et au titre des coûts échoués (articles 5 et 46) .

La Commission de régulation de l'électricité veille à ce que l'accès aux réseaux publics de transport et de distribution d'électricité soit accordé de manière non discriminatoire, transparente et conforme aux règles de loyauté de la concurrence. A cette fin, elle :

- propose aux ministres chargés de l'économie et de l'énergie les tarifs d'utilisation des réseaux publics de transport et de distribution d'électricité (article 4) ;

- propose aux ministres chargés de l'économie et de l'énergie le montant des charges prévisionnelles du fonds de service public de la production d'électricité et de celles résultant de coûts échoués (articles 5 et 46) ;

- donne un avis sur le montant des contributions nettes au fonds de service public précité et propose le montant des contributions nettes dues au titre des coûts échoués (articles 5 et 46) ;

- met en _uvre les appels d'offres pour des capacités de production, qui ont été décidés par le ministre chargé de l'énergie (article 8) ;

- donne un avis sur les conditions d'achat de l'énergie produite qui bénéficie d'une obligation d'achat par EDF (article 10), la nomination du directeur du gestionnaire du réseau public de transport d'électricité (article 13) et le schéma de développement du réseau public de transport (article 14) ;

- peut proposer au ministre chargé de l'énergie des mesures conservatoires en cas d'atteinte grave et immédiate à la sécurité des réseaux publics de transport et de distribution et à la qualité de leur fonctionnement (article 21) ;

- reçoit communication des contrats et protocoles d'accès aux réseaux publics de transport et de distribution (article 23) ;

- approuve les règles d'imputation des postes d'actif et de passif et des charges et produits pour l'établissement des comptes séparés d'activités par les opérateurs (article 25) ;

- dispose d'un droit d'accès à la comptabilité et aux informations financières des opérateurs (article 27) ;

- dispose d'un pouvoir réglementaire limité (article 35) ;

- est consultée sur les projets de règlements relatifs à l'accès aux réseaux publics de transport et de distribution et à leur utilisation (article 31) ;

- peut être saisie par les gestionnaires ou les utilisateurs des réseaux publics de transport ou de distribution en cas de différend entre eux sur l'accès ou l'utilisation de ces réseaux (article 36).

Le Conseil de la concurrence conserve l'intégralité de ses prérogatives, qui s'exercent sur le secteur de l'électricité. Il peut donc être saisi de toutes pratiques d'un opérateur du secteur susceptibles de constituer un abus de position dominante ou de dépendance économique (article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 précitée), de tendre à mettre en place une entente illicite (article 7 de l'ordonnance) ou de présenter le caractère d'un prix abusivement bas (article 10-1 de l'ordonnance) et peut conduire des enquêtes sur les pratiques du secteur.

Le projet de loi confie au Conseil de la concurrence deux attributions supplémentaires en raison des liens entre la régulation du secteur de l'électricité et le contrôle du respect des règles de concurrence :

- il donne un avis sur les règles, approuvées par la Commission de régulation de l'électricité, d'imputation des postes d'actif et de passif et des charges et produits applicables aux activités des entreprises intervenant dans le secteur de l'électricité et devant être séparées (article 25) ;

- il donne un avis sur la détention d'un monopole ou d'une position dominante par une société, dans un autre secteur que celui de l'électricité, et à laquelle les ministres chargés de l'économie et de l'énergie entendent imposer de filialiser leur activité dans le secteur de l'électricité (article 26).

En outre, le Conseil de la concurrence peut être saisi par le président de la Commission de régulation de l'électricité (article 37).

4. Le contrôle des positions dominantes en matière de régulation du marché de l'électricité

L'interdiction de l'exploitation abusive d'une position dominante ou d'une dépendance économique constitue la pierre angulaire du cadre réglementaire de l'ouverture d'un marché à la concurrence. Son respect conditionne la réussite de l'ouverture et l'équilibre du marché.

Certes, un monopole, qui plus est public, qui plus est assurant un service public national, ne saurait être désigné à la vindicte des marchés financiers et du libéralisme triomphant. Les économistes défendant l'ouverture généralisée des marchés à la concurrence et le désengagement total des Etats reconnaissent que les monopoles publics ont permis d'atteindre des optimums économiques, que des entreprises privées en concurrence n'auraient pu réaliser, et d'assurer le développement économique, l'emploi, l'équipement des pays et l'évolution technologique. British Airways, AT&T, pour ne pas citer des entreprises du secteur de l'énergie, peuvent se draper dans le voile du libéralisme indigné pour dénoncer le poids des Etats et le comportement prédateur des monopoles publics, mais eux-mêmes ont construit leur puissance à partir d'un monopole public et ils en appellent à leur Etat pour les protéger lorsqu'ils se jugent agressés sur leur sol national.

Tout en confortant le statut d'établissement public d'EDF, notamment en définissant ses missions aux articles 2 et 42, et le statut national des entreprises électriques et gazières issu de la loi du 8 avril 1946, le projet de loi complète le dispositif général d'encadrement des positions dominantes prévu par l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 par plusieurs mécanismes adaptés au nouveau marché de l'électricité :

1° la création d'un gestionnaire du réseau public de transport d'électricité au sein d'EDF mais indépendant de sa direction (article 13 du projet de loi), les informations qui lui sont transmises étant couvertes par une obligation de confidentialité stricte (article 16) ;

2° afin d'éviter une exploitation des clients captifs, les tarifs de vente de l'électricité aux clients non éligibles, les tarifs de cession aux distributeurs non nationalisés, les tarifs de secours et les tarifs d'utilisation des réseaux publics de transport et de distribution sont arrêtés par les ministres chargés de l'économie et de l'énergie sur proposition de la Commission de régulation de l'électricité pour ces derniers tarifs, et sur son avis pour les autres tarifs (article 4) ;

3° afin de détecter des subventions croisées abusives, une séparation de la comptabilité des activités de production, de transport et de distribution de l'électricité est imposée (à EDF comme aux autres opérateurs), les règles d'imputation comptables devant être approuvées par la Commission de régulation de l'électricité (article 25) ;

4° les activités d'EDF auprès des clients éligibles dépassant le strict cadre de la fourniture de l'électricité doivent être filialisées (article 42). De même, les sociétés détenant un monopole ou une position dominante sur d'autres marchés (par exemple la distribution de l'eau ou la production de charbon) doivent filialiser leur activité dans le secteur de l'électricité (article 26) ;

5° des obligations de transparence des comptabilités des gestionnaires et des utilisateurs des réseaux publics de transport et de distribution d'électricité sont imposées (articles 16, 20 et 27).

Cet ensemble de mesures devrait permettre de débusquer les pratiques constitutives d'abus de position dominante ou de dépendance économique. Sont particulièrement visées les pratiques suivantes :

- l'offre de prix prédateurs visant à éliminer du marché un concurrent ou un service offert par la concurrence : il s'agit d'offres de prix abusivement bas, c'est-à-dire inférieurs aux coûts de production et de commercialisation de ce service (par exemple un prix du kilowattheure en pointe à 14 centimes). Le prix prédateur peut être lié à une offre d'électricité mais également à un produit ou un service compris dans une offre globale de prestation électrique (prix d'un service d'entretien, de télécommunications, de la fourniture de chaleur, etc.) ;

- l'utilisation de marges dégagées sur les clientèles captives pour financer des offres attractives destinées aux clients éligibles : il s'agit de la pratique dite des subventions croisées. Elle vise aussi bien le prix du transport que celui de la distribution qui est offert dans un contexte de droits exclusifs (dont bénéficie le gestionnaire du réseau public de transport ou les distributeurs hormis dans le cas des lignes directes) ;

- les discriminations abusives, c'est-à-dire les prestations identiques ou équivalentes offertes à des conditions économiques ou tarifaires différentes.

L'appréciation de l'existence d'une exploitation abusive d'une position dominante fait l'objet d'une jurisprudence précise de la Cour de justice des Communautés européennes et du Conseil de la concurrence qui en a repris les principes. Celle-ci est très défavorable aux entreprises publiques monopolistiques ou anciennement monopolistiques car telle tend non pas à sanctionner les abus de position dominante mais les pratiques de ces entreprises susceptibles de limiter la concurrence, ou ayant potentiellement un tel effet, et qui de ce fait sont considérées comme des abus. En quelque sorte, la détention d'une position dominante, surtout par le contrôle d'infrastructures essentielles, impose des devoirs particuliers et exige des comportements commerciaux irréprochables. En fait, si ces pratiques n'étaient pas le fait de ces entreprises, elles ne seraient pas sanctionnées.

Cette appréciation très particulière des abus de position dominante est analysée à l'article 37 qui organise les relations entre la Commission de régulation de l'électricité et le Conseil de la concurrence.

Article 28

Composition et statut de la Commission de régulation
de l'électricité (CRÉ)

L'article 28 du projet de loi crée la Commission de régulation de l'électricité (CRÉ) afin d'exercer la régulation de l'accès aux réseaux de transport et de distribution de l'électricité et de participer aux autres missions de régulation exercées par le Gouvernement.

La CRÉ a un statut d'autorité administrative indépendante. Certains jugent que la mise en place de telles autorités (Médiateur, Commission nationale de l'informatique et des libertés, Commission d'accès aux documents administratifs, Commission des opérations de bourses, Conseil supérieur de l'audiovisuel, Autorité de régulation des télécommunications, etc.) constitue un démembrement de l'Etat et un dessaisissement des ministres et du Gouvernement ; il n'en reste pas moins qu'au travers de telles autorités c'est la voix de l'Etat qui s'exprime. Au-delà des réticences qui traversent tous les groupes politiques de l'Assemblée nationale en la matière, à l'instar du secteur des télécommunications, la création d'une autorité administrative indépendante apparaît nécessaire, comme votre rapporteur l'a expliqué précédemment en détail, pour garantir, aux yeux des acteurs économiques français et étrangers et auprès de la Commission européenne, l'impartialité des décisions prises en matière de régulation de l'accès au réseau et l'efficacité technique et économique de l'action de l'Etat.

a) Composition de la CRÉ

La CRÉ sera composée de six membres :

- trois membres, dont le président de la commission, sont nommés par décret. A l'instar des trois membres de l'Autorité de régulation des télécommunications (ART) nommés par décret, ce décret devrait être signé du président de la République ;

- trois membres sont nommés respectivement par le président de l'Assemblée nationale, le président du Sénat et le président du Conseil économique et social.

La nomination d'un membre d'une autorité administrative indépendante par le président du Conseil économique et social n'est pas une novation juridique : trois des neuf membres de la Commission des opérations de bourse (COB) sont nommés respectivement par les présidents du Sénat, de l'Assemblée nationale et du Conseil économique et social (l'introduction de ces trois membres au sein de la COB résulte de l'article 89 de la loi n° 96-597 du 2 juillet 1996 de modernisation financière). Cependant, le projet de loi soumis à l'Assemblée nationale n'en constitue pas moins un précédent en raison du poids important que représentera la personne désignée par le président du Conseil économique et social dans les décisions de la CRÉ. Rappelons que l'existence du Conseil économique et social résulte du titre XI de la Constitution, que cette assemblée est composée de 191 représentants d'organismes ou de secteurs économiques ou sociaux divers et de 40 personnalités désignées par décret en Conseil des ministres, que leur mandat a une durée, renouvelable, de cinq ans et que le président du Conseil est élu par l'assemblée du Conseil économique et social mais ne dispose pas en vertu de la Constitution ou de l'ordonnance n° 58-1360 du 29 décembre 1958 portant loi organique relative au Conseil économique et social de pouvoirs, notamment de nomination, sortant du cadre du fonctionnement interne du Conseil, contrairement aux présidents des assemblées parlementaires.

Comme il est habituellement procédé, les conditions prévues pour pouvoir être nommé à la CRÉ sont très peu consistantes : il faut avoir une « qualification dans les domaines juridique, économique et technique ». Une formulation comparable a été employée pour encadrer la nomination des membres de l'Autorité de régulation des télécommunications (ART) : ils doivent avoir une « qualification dans les domaines juridique, technique et de l'économie des territoires ».

La commission a adopté un amendement rédactionnel du rapporteur portant sur la première phrase du premier alinéa : il ne fait aucun doute que la CRÉ doit être créée puisque les alinéas suivants organisent sa mise en place (amendement n° 263).

b) Mandat des membres de la CRÉ

Le mandat des membres de la CRÉ sera de six ans. Il n'est pas renouvelable sauf si le titulaire a été précédemment membre du collège de la CRÉ pour une durée qui n'a pas excédé deux ans. Cette situation sera celle de deux des six membres nommés à la mise en place de la CRÉ et pourra survenir au cas où le mandat d'un membre serait interrompu définitivement après quatre ans d'exercice de la fonction pour cause d'incapacité ou d'incompatibilité survenant après une nomination, son successeur étant nommé pour la durée restant à couvrir du mandat interrompu.

De même, au nom de l'indépendance de la CRÉ, ses membres ne sont pas révocables.

Le tableau ci-après peut être dressé afin de comparer le statut des membres de quelques autorités administratives indépendantes collégiales importantes.

COMPARAISON DU STATUT DES MEMBRES
DES AUTORITÉS ADMINISTRATIVES
INDÉPENDANTES

 

Durée du mandat

Révocabilité
du mandat

Caractère renouvelable

CRÉ (projet de loi n° 1253)

6 ans

Non

Non

ART

6 ans

Non

Non

CADA

3 ans

Non

Non

CNIL

5 ans

Non

Oui

COB : président

membres

6 ans

4 ans

Non

Non

Non

Oui (1 fois)

Conseil de la concurrence

6 ans

Non, sauf en cas de

démission d'office (1)

Oui

CSA

6 ans

Non

Non

(1) En cas de non-participation à trois séances consécutives ou de non-respect des obligations relatives aux intérêts détenus ou acquis et aux activités économiques exercées.

Afin d'éviter la rupture que représente un renouvellement général du collège de la CRÉ et afin de permettre au collège de garder la mémoire des précédents et assurer ainsi une continuité des principes d'action de la CRÉ, une procédure de renouvellement par tiers du collège est mise en place. Le schéma de ce renouvellement s'inspire de celui arrêté pour l'ART : le président de la CRÉ est nommé pour 6 ans ; les deux autres membres nommés par décret exerceront, pour l'un, un mandat de 4 ans et, pour l'autre, un mandat de 2 ans, selon ce qu'indiquera un tirage au sort auquel procédera le Gouvernement ou la CRÉ (pour l'ART, le collège de l'ART procéda au tirage au sort lors de sa première réunion) ; les trois membres nommés par les présidents d'assemblée exerceront, selon le résultat d'un tirage au sort, un mandat de 6 ans, 4 ans et 2 ans.

Le projet de loi prévoit que les membres de la CRÉ ne sont pas révocables et que leur mandat n'est pas renouvelable. Cependant un amendement de la commission (voir ci-après) a prévu la possibilité de déclarer démissionnaire d'office les membres du collège en cas d'incompatibilité. En outre, le projet de loi permet de renouveler un mandat lorsque son titulaire a accompli un mandat de moins de deux ans lors de la mise en place de la CRÉ ou en cas de remplacement d'un membre démissionnaire. La commission a adopté un amendement du rapporteur précisant que les cas de démission d'office pour incompatibilité peuvent donner lieu à l'application de cette possibilité de renouvellement du mandat (amendement n° 264).

La commission a également adopté un amendement rédactionnel du rapporteur portant sur le quatrière alinéa de l'article (amendement n° 265).

A l'instar des membres du Conseil supérieur de l'audiovisuel et de l'ART, les membres de la CRÉ ne pourront pas être nommés au-delà de l'âge de 65 ans.

c) Traitement des membres de la CRÉ

Afin d'asseoir financièrement l'indépendance des membres de la CRÉ, le dernier alinéa de l'article 17 du projet de loi fixe le montant de leur traitement aux plus hauts niveaux des traitements de la fonction publique d'État, à savoir 494 190 F bruts par an pour le président de la Commission (échelle G des traitements) et 450 653 F bruts par an pour les autres membres du collège (échelle F). Ces traitements bruts sont ceux prévus par la loi pour les membres de l'ART (article L. 36-2 du code des P&T), du Conseil supérieur de l'audiovisuel (article 5 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication) et même du Conseil constitutionnel (article 6 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958).

d) Incompatibilités

De même, le projet de loi fixe des règles d'incompatibilité applicables aux membres de la CRÉ selon les modalités habituellement prévues à l'égard des autorités administratives indépendantes chargées d'une régulation (Conseil de la concurrence, Conseil supérieur de l'audiovisuel, ART, par exemple) : l'appartenance au collège de la CRÉ est incompatible, d'une part, avec « toute activité professionnelle, tout mandat électif national ou autre emploi public » et, d'autre part, avec « toute détention, directe ou indirecte, d'intérêt dans une entreprise du secteur de l'énergie ». Ces expressions sont calquées sur celles figurant à l'article L. 36-2 du code des postes et télécommunications concernant l'ART.

Votre rapporteur estime cependant que certaines caractéristiques du système électrique français et la composition de la CRÉ nécessitent d'adapter les dispositions prévues au titre de la première série d'incompatibilités. En effet, tout d'abord, comme le prévoit l'article 17 du projet de loi, les collectivités territoriales (plus spécialement les communes mais les départements du Loiret et de la Sarthe le sont également) peuvent être propriétaires d'un réseau de distribution d'électricité et être ainsi autorités concédantes de la distribution publique d'électricité. Rappelons qu'il existe en France 177 distributeurs non nationalisés de gaz et d'électricité. Il serait délicat qu'un élu local soit membre de la CRÉ et puisse parallèlement négocier une concession de distribution de l'électricité. Il convient donc d'exclure du collège de la CRÉ les membres des conseils municipaux, généraux et régionaux, même si aucun conseil régional n'est acteur du système électrique français à ce jour. Par ailleurs, dès lors que les élus nationaux sont exclus, il paraît cohérent d'appliquer la même règle d'incompatibilité aux députés du Parlement européen qui sont amenés à statuer sur des propositions touchant l'organisation des secteurs de l'énergie, comme le prouve l'exemple de la directive 96/92/CE du 19 décembre 1996 adoptée selon la procédure dite de « codécision » par le Parlement européen et le Conseil. Il faut noter, enfin, que la notion de « mandat électif national » est très large puisqu'elle dépasse le cadre strict des élections politiques pour englober les mandats nationaux des centrales syndicales ou professionnelles nationales.

C'est pourquoi la commission a adopté un amendement du rapporteur rendant également incompatible la fonction de membre de la CRÉ avec la détention d'un mandat électif communal, départemental, régional ou européen (amendement n° 266). Elle a en outre adopté deux amendements de précision du rapporteur sur la définition des incompatibilités : un mandat électif ne constitue en effet pas un emploi public (amendement n° 267) et une incompatibilité s'apprécie par rapport à la détention d'intérêts (matériels) et non d'un intérêt (abstrait) (amendement n° 268).

De même, constatant que des entreprises n'appartenant pas au secteur de l'énergie pouvaient exercer une influence notable sur celui-ci avec l'ouverture à la concurrence, la commission a adopté un amendement de M. Claude Billard, modifié par un sous-amendement du rapporteur, pour que la fonction de membre de la CRÉ soit incompatible avec la détention d'intérêts dans une entreprise éligible en application de l'article 22 (amendement n° 269).

En second lieu, il paraît inconcevable qu'un membre du Conseil économique et social puisse être membre de la CRÉ alors que les députés et les sénateurs en sont exclus et que le président du Conseil économique et social, à l'instar des présidents des deux assemblées parlementaires, nomme un des six membres du collège.

Sur la proposition du rapporteur, la commission a donc adopté un amendement rendant également incompatible l'appartenance au collège de la CRÉ et l'exercice d'un mandat au Conseil économique et social (amendement n° 270).

L'incompatibilité avec toute activité professionnelle est liée à l'obligation des membres de la CRÉ d'exercer leurs fonctions à plein temps. Le caractère absolu de cette incompatibilité interdit l'application des dérogations habituellement prévues dans le silence de la loi notamment pour les activités d'enseignement (à titre de comparaison, aucune interdiction aussi absolue n'est prévue pour les membres du Conseil constitutionnel par l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel).

En ce qui concerne la deuxième série d'incompatibilités, l'étendue du secteur de l'énergie doit être appréciée, à défaut de définition légale ou réglementaire qui n'a jamais été faite, en fonction des classements d'activités effectués par l'INSEE. Ainsi, conformément aux codes INSEE, les équipementiers comme Framatome doivent être inclus dans le secteur de l'énergie.

e) Mode de délibération

L'article 28 du projet de loi fixe, en dernier lieu (6ème alinéa), le mode de délibération de la CRÉ.

Il impose tout d'abord un quorum de quatre membres pour que la CRÉ puisse délibérer valablement. L'empêchement concomitant de trois membres paralyse donc la CRÉ. Cette règle n'existe pas pour l'ART, mais l'article 6 du décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 a imposé un quorum de huit membres (sur un total de 17) pour que le Conseil de la concurrence puisse délibérer valablement en formation plénière et de trois membres en section. Cette règle du quorum est traditionnelle puisqu'elle s'applique même au Conseil constitutionnel, l'article 14 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 fixant à sept membres le quorum applicable à ses décisions et avis.

Comme les autres autorités administratives indépendantes collégiales, le projet de loi prévoit que les décisions et avis sont adoptés à la majorité des membres présents.

Enfin, en raison du nombre pair des membres du collège, il prévoit qu'en cas de partage égal des voix, la voix du président de la CRÉ est prépondérante. Cette disposition n'existe pas pour l'ART ; en revanche, elle est prévue pour les délibérations du Conseil de la concurrence, qu'elles soient prises en formation plénière ou en section (article 4 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986), de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (article 8 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978) et de la Commission des opérations de bourse (article 2 de l'ordonnance n° 67-833 du 28 septembre 1967), qui pourtant comportent tous trois un nombre impair de 17 membres. Elle s'applique d'ailleurs également au Conseil constitutionnel (article 56 de la Constitution du 4 octobre 1958).

f) Cessation d'office des fonctions de membre de la CRÉ

Le projet de loi définit plusieurs types d'incompatibilités mais ne prévoit aucune disposition pour régler les situations où un cas d'incompatibilité surviendrait en cours de mandat. La résolution d'un tel conflit d'intérêts serait d'ailleurs impossible puisque le troisième alinéa de l'article 28 dispose que les membres de la CRÉ ne sont pas révocables. Or, il n'est pas impossible qu'un membre du collège détienne au moment de sa nomination des parts sociales d'une entreprise qui devient opérateur électrique au cours de son mandat et rien n'interdit aux commissaires de se présenter à une élection politique ou même d'acquérir des actions d'une entreprise du secteur de l'électricité.

La solution pour résoudre ces situations inacceptables est de prévoir une procédure de cessation d'office des fonctions, qui ne serait bien entendu déclenchée que si le commissaire concerné refusait de mettre fin à l'incompatibilité. Une telle procédure existe à l'égard des membres du Conseil de la concurrence : l'article 3 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence permet au ministre chargé de l'économie de déclarer démissionnaire d'office (sans procédure de consultation préalable du Conseil) tout membre du Conseil n'ayant pas participé, sans motif valable, à trois séances consécutives, ou n'ayant pas informé le président du Conseil des intérêts qu'il détient ou vient d'acquérir et des fonctions qu'il exerce dans une activité économique, ou ayant délibéré dans une affaire où il a un intérêt ou représente ou a représenté une des parties intéressées.

Sur la proposition du rapporteur, la commission a donc adopté un amendement permettant au ministre chargé de l'énergie, après consultation de la CRÉ, de déclarer démissionnaire d'office tout membre de la CRÉ exerçant une activité ou détenant un mandat, un emploi ou des intérêts incompatibles avec sa fonction (amendement n° 271).

Puis, la commission a adopté l'article 28 ainsi modifié.

Article 29

Commissaire du Gouvernement auprès de la CRÉ

L'article 29 du projet de loi institue un commissaire du Gouvernement auprès de la Commission de régulation de l'électricité (CRÉ).

Au sein d'un établissement public ou d'une autorité administrative indépendante, le commissaire du Gouvernement est la personne chargée de représenter le Gouvernement et d'exposer le point de vue du ministre de tutelle de l'établissement ou en charge du secteur. C'est en général un fonctionnaire du ministère nommé par le ministre ou par décret du Premier ministre.

La présence de commissaires du Gouvernement au sein des établissements publics de l'État était quasiment de règle dans les années 1950 et leurs pouvoirs étaient considérables.

La loi n° 46-628 du 8 avril 1946 sur la nationalisation de l'électricité et du gaz n'a créé aucun commissaire du Gouvernement au sein d'EDF ou de GDF, mais un tel commissaire du Gouvernement a été nommé par le ministre de tutelle en 1953 en application du décret du 18 octobre 1923 pris en application de la loi du 16 octobre 1919 prévoyant la représentation de l'Etat auprès des sociétés concessionnaires de forces hydrauliques.

Par exemple, il existe un commissaire du Gouvernement au sein de Charbonnages de France et au sein de la SNCF. Dans ce dernier établissement, il dispose de prérogatives importantes : il peut se faire communiquer tous documents et faire procéder à toutes vérifications ; il peut demander l'inscription de toute question à l'ordre du jour ou même une réunion extraordinaire du conseil avec un ordre du jour déterminé ; en outre, il siège au conseil d'administration mais ne dispose que d'une voix consultative (articles 12 et 13 du décret n° 83-109 du 18 février 1983 relatif aux statuts de la SNCF). Le commissaire du Gouvernement auprès de La Poste dispose des mêmes prérogatives (articles 16 et 17 du décret n° 90-1111 du 12 décembre 1990 portant statut de La Poste).

De même, le décret n° 96-1174 du 27 décembre 1996 approuvant les statuts de France Telecom et portant diverses dispositions relatives au fonctionnement de l'entreprise nationale a, par son article 3, maintenu l'existence d'un commissaire du Gouvernement au sein de France Telecom après sa transformation en société anonyme (il siège au conseil d'administration avec voix consultative).

Au sein des autorités administratives indépendantes, l'existence de commissaires du Gouvernement est plus rare, mais il en existe et ils sont parfois dotés de prérogatives importantes.

La loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés a institué un commissaire du Gouvernement auprès de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL). Il est nommé par le Premier ministre et siège auprès de la commission. Il peut, dans les dix jours suivant une délibération, provoquer une seconde délibération (article 9 de la loi n° 78-17 précitée).

L'article 4 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 a également prévu l'existence d'un commissaire du Gouvernement auprès du Conseil de la concurrence. Celui-ci est nommé par le ministre chargé de l'économie et peut présenter des observations, au même titre que leurs auteurs, sur les saisines du conseil concernant des pratiques anticoncurrentielles. Il reçoit, comme les parties au litige, communication du rapport d'instruction.

L'ordonnance n° 67-833 du 28 septembre 1967 instituant une commission des opérations de bourse et relative à l'information des porteurs de valeurs mobilières et à la publicité de certaines opérations de bourse n'a pas mis en place à proprement parler un commissaire du Gouvernement mais a prévu, en son article 2, qu'un représentant du ministre de l'économie et des finances est entendu par la COB sauf en matière de décisions individuelles. Il peut soumettre toute proposition de délibération à la commission sauf dans les cas de décisions individuelles.

Dans le cas de la CRÉ, le Gouvernement a jugé nécessaire l'institution d'un commissaire du Gouvernement en raison du caractère éminemment régalien de la définition de la politique énergétique et des effets sur celle-ci des décisions que sera susceptible de prendre la CRÉ notamment en matière d'accès au réseau. Une personne nommée par le ministre chargé de l'énergie, répondant à ses instructions et chargée de le représenter, doit donc être en mesure de faire connaître aux membres de la CRÉ, avant qu'ils ne rendent leur avis ou prennent leur décision, les analyses du Gouvernement sur le sujet dont est saisie la CRÉ. Il fera ainsi valoir l'intérêt général face aux intérêts économiques et de régulation que prend en compte un organe de régulation économique. A titre d'exemple, à l'occasion d'une décision sur une demande d'accès au réseau, il pourra faire valoir les difficultés que cette dernière pose au regard des objectifs contenus dans le schéma de développement du réseau de transport.

La rédaction de l'article 29 est peu restrictive puisque les analyses concernant la politique énergétique ne sont citées qu'à titre d'exemple significatif du champ de compétences du commissaire du Gouvernement. Il pourra s'agir d'observations sur les relations économiques et diplomatiques avec un pays étranger dont est originaire une entreprise formant un recours auprès de la CRÉ ou bien d'observations sur l'organisation et le fonctionnement du service public de l'électricité.

Contrairement au commissaire du Gouvernement près la CNIL, le commissaire du Gouvernement près la CRÉ ne pourra pas assister aux délibérations de la commission. Ces délibérations concernent aussi bien les avis et décisions réglementaires que les décisions sur les litiges et les sanctions.

La commission a adopté un amendement du rapporteur permettant au commissaire du Gouvernement de faire inscrire à l'ordre du jour de la CRÉ toute question intéressant la politique énergétique ou la sécurité des réseaux ou entrant dans les compétences de la Commission (amendement n° 272).

Puis, elle a adopté l'article 29 ainsi modifié.

Article 30

Fonctionnement de la CRÉ

Cet article fixe les règles d'organisation et de fonctionnement des services de la Commission de régulation de l'électricité (CRÉ). Ses dispositions sont très classiques et se retrouvent dans les textes relatifs à la plupart des autorités administratives indépendantes, notamment l'Autorité de régulation des télécommunications (articles L. 36-3, L. 36-4 et L. 36-12 du code des P&T dont la rédaction est reprise par le projet de loi).

La CRÉ disposera de services propres placés sous l'autorité de son président. Elle pourra employer des fonctionnaires et recruter des agents contractuels.

En raison de la faiblesse des effectifs de la direction du gaz, de l'électricité et du charbon (DIGEC) (27 fonctionnaires sont chargés de suivre le secteur de l'électricité), il ne paraît pas possible de créer les services de la CRÉ à partir d'un seul transfert des fonctionnaires de la DIGEC. Un recrutement important est d'autant plus indispensable que les fonctionnaires de la DIGEC n'ont pas d'expérience en matière de contrôle de l'accès au réseau, qui est exercé par les agents d'EDF à ce jour.

Sur la proposition du rapporteur, afin de renforcer l'indépendance de la CRÉ, la commission a adopté un amendement prévoyant que les fonctionnaires employés par la Commission soient en position de détachement (amendement n° 273).

Le détachement des fonctionnaires de l'Etat est organisé par les articles 45 à 48 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat et par le titre II du décret n° 85-986 du 16 septembre 1985 relatif au régime particulier de certaines positions des fonctionnaires de l'Etat et à certaines modalités de cessation définitive de fonctions.

Un fonctionnaire détaché est placé hors de son corps d'origine mais continue à bénéficier, dans ce corps, de ses droits à l'avancement et à la retraite. Par cette position, un fonctionnaire détaché à la CRÉ sera soumis aux règles régissant ses fonctions à la Commission. Il ne pourra être suspendu que par la CRÉ. Il sera noté par le chef de service dont il dépend à la CRÉ, mais celui-ci ne pourra pas lui infliger une sanction disciplinaire, celle-ci ne pouvant être prononcée que par l'autorité investie du pouvoir disciplinaire dans son corps d'origine. Le détachement est prononcé par arrêté du ministre et est révocable.

Cette position garantit une plus grande indépendance que la mise à disposition, qui est une situation où le fonctionnaire demeure dans son corps d'origine. Exiger par ailleurs la position de disponibilité ne serait pas réaliste car aucun fonctionnaire ne souhaiterait alors travailler à la CRÉ (dans cette position, il y a perte des droits à l'avancement et à la retraite) et la disponibilité ne peut excéder trois années si elle est prononcée d'office.

A l'instar de toutes les autres autorités administratives indépendantes, la CRÉ établira elle-même (par une délibération de son collège) son règlement intérieur.

En matière de ressources financières, la CRÉ disposera de crédits budgétaires dont elle évaluera le montant et qui seront inscrits, sur sa proposition, au sein des lignes du projet de budget annuel de l'Etat par le ministre chargé de l'énergie. Comme le président du Conseil supérieur de l'audiovisuel ou de l'ART, le président de la CRÉ sera ordonnateur des dépenses et présentera les comptes de la commission au contrôle de la Cour des comptes.

Le projet de loi ne prévoit pas que la CRÉ puisse bénéficier de ressources propres tirées de services rendus.

La commission a adopté un amendement de M. Franck Borotra disposant que les crédits de la Commission sont inscrits au budget général de l'Etat (amendement n° 274). Cette mesure était implicite dans le projet de loi ; les crédits de la CRÉ, comme ceux actuellement de l'Autorité de régulation des télécommunications, figureront sur des lignes individualisées du budget du secrétariat d'Etat à l'industrie.

En dernier lieu, le projet de loi habilite le président de la CRÉ à agir en justice au nom de la commission pour l'accomplissement de ses missions.

La commission a rejeté l'amendement n° 96 de M. Franck Borotra portant sur l'observatoire de la diversification d'EDF et de GDF, le rapporteur ayant fait valoir qu'il proposait dans son amendement de rédaction globale de l'article 42 un statut législatif pour cet observatoire.

La commission a adopté l'article 30 ainsi modifié.

Article 31

Consultation de la CRÉ sur les projets de règlement

Cet article prévoit que la Commission de régulation de l'électricité (CRÉ) est consultée sur les projets de règlement relatifs à l'accès aux réseaux publics de transport et de distribution d'électricité et à leur utilisation.

Cette attribution consultative est traditionnelle. Elle est parfois obligatoire (Autorité de régulation des télécommunications, Conseil de la concurrence) ; elle est parfois facultative (Commission des opérations de bourse ; Conseil supérieur de l'audiovisuel sauf dans les cas où la loi prévoit de recueillir son avis préalablement à la publication d'un décret et sauf pour la fixation de normes en matière de réseaux câblés de télévision). Dans le présent cas, la consultation de la CRÉ est obligatoire ; à défaut le règlement serait entaché de vice de procédure susceptible d'entraîner son annulation.

Cette consultation ne s'étend toutefois pas aux projets de loi contrairement aux dispositions applicables à l'ART. On peut d'ailleurs relever que le Conseil supérieur de l'électricité et du gaz n'est pas non plus consulté sur les projets de loi.

M. Jean-Michel Marchand a présenté un amendement visant à permettre à la CRÉ de formuler des avis sur les politiques commerciales et les campagnes publicitaires des opérateurs. Il a rappelé le caractère excessif de certaines campagnes publicitaires diffusées à la télévision par des entreprises du secteur nucléaire.

Le rapporteur a fait valoir que ces attributions relevaient du rôle de la CRÉ et que les cas de désinformation n'étaient pas le seul fait des entreprises nucléaires. Il a proposé de renvoyer le règlement de ces problèmes au code de déontologie si celui-ci était mis en place ou aux cahiers des charges. M. Franck Borotra s'est déclaré hostile à l'amendement dans la mesure où la CRÉ sera amenée à rendre son avis en fonction d'un seul critère d'appréciation alors que les politiques commerciales prennent en compte de multiples critères. En conséquence, la commission a rejeté l'amendement de M. Jean-Michel Marchand.

Elle a également rejeté l'amendement n° 98 de M. Franck Borotra proposant de soumettre à l'avis de la CRÉ la politique tarifaire d'EDF-GDF, notamment les coûts de transport, après que le rapporteur eut indiqué que les amendements étendant les pouvoirs de la Commission aux contrôles de l'ensemble des tarifs d'EDF avaient été rejetés et que la Commission propose déjà aux ministres les tarifs d'utilisation des réseaux, qu'elle a accès à toute la comptabilité du gestionnaire du réseau public de transport et que son rapport peut aborder ces questions.

Puis, la commission a adopté l'article 31 sans modification.

Après l'article 31

M. Franck Borotra a proposé un amendement portant article additionnel et visant à confier à la CRÉ la mission de stimuler la mise en place de mécanismes de régulation par la concurrence de la production électrique destinée aux clients éligibles.

Le rapporteur a fait observer que la production d'électricité était hors du champ des compétences de la CRÉ et que l'amendement proposé la conduirait à intervenir en matière de prix de vente aux consommateurs finals éligibles (qui sont librement débattus), ce qui ne relève pas de ses attributions.

La commission a donc rejeté l'amendement de M. Franck Borotra.

Article 32

Relations avec les assemblées et rapport annuel d'activité

Cet article autorise les commissions parlementaires compétentes en matière d'électricité (commission de la production et des échanges à l'Assemblée nationale, commission des affaires économiques au Sénat, sous réserve de constitution d'une commission spéciale ou d'une commission d'enquête ou de contrôle sur le sujet) ainsi que le Conseil économique et social à entendre les membres de la Commission de régulation de l'électricité (CRÉ).

La commission a adopté un amendement du rapporteur précisant que les commissions parlementaires sont, comme le disposent les règlements des assemblées, compétentes en matière d'énergie et non simplement d'électricité (amendement n° 275).

Elle a également adopté un amendement de M. Alain Cacheux permettant au Conseil supérieur de l'électricité et du gaz de procéder à l'audition des membres de la CRÉ (amendement n° 276).

Elle a ensuite adopté un amendement du rapporteur visant à permettre aux commissions compétentes du Parlement, au Conseil économique et social et au Conseil supérieur de l'électricité et du gaz de consulter la CRÉ (amendement n° 277).

L'article 32 du projet de loi reprend, en son deuxième alinéa, la disposition retenue par le Parlement pour la présentation du rapport annuel d'activité de l'Autorité de régulation des télécommunications (ART) (article L. 36-14 du code des P&T résultant de la loi n° 96-659 du 26 juillet 1996 de réglementation des télécommunications).

Toutes les autorités administratives indépendantes établissent chaque année un rapport public rendant compte de leur activité. La date limite du 30 juin avait été retenue pour la remise du rapport de l'ART afin que les parlementaires puissent en prendre connaissance avant la fin de la session parlementaire, en même temps que le rapport remis par la commission supérieure du service public des postes et télécommunications qui, en application de la loi, doit être établi après que la commission supérieure a pris connaissance du rapport annuel de l'ART. Cette date limite est donc contingente au secteur des télécommunications. Comme l'auteur de l'amendement à l'origine de cette disposition, M. Jean Besson, l'avait fait observer en séance publique (JO.AN, 10 mai 1996, p. 3042), « le 30 juin est une date tout à fait arbitraire. L'important est de fixer un délai afin de coordonner l'arrivée de ces rapports pour que le Parlement puisse travailler correctement. »

La commission a adopté un amendement du rapporteur clarifiant la rédaction de la dernière phrase du deuxième alinéa (amendement n° 278).

M. Claude Billard a ensuite proposé de soumettre le rapport de la CRÉ à l'avis du Conseil supérieur de l'électricité et du gaz et de permettre à ce dernier de transmettre ses suggestions et propositions au ministre chargé de l'énergie et à la Commission. M. Franck Borotra a présenté son amendement n° 100 tendant à ce que le rapport de la CRÉ soit adressé au Gouvernement, au Parlement et au Conseil supérieur de l'électricité et du gaz.

Le rapporteur a fait observer que la première phrase de l'amendement de M. Claude Billard était incompatible avec le principe d'indépendance de la CRÉ, mais que la commission pourrait adopter le dispositif proposé par M. Franck Borotra complété par la seconde phrase de l'amendement de M. Claude Billard. En conséquence, la commission a adopté ce nouvel amendement cosigné par MM. Claude Billard et Franck Borotra (amendement n° 279), rendant ainsi sans objet l'amendement de M. Claude Billard et l'amendement n° 100 de M. Franck Borotra.

Puis la commission a rejeté l'amendement n° 101 de M. Franck Borotra permettant à la CRÉ de suggérer toute modification législative ou réglementaire que lui paraissaient appeler les évolutions du secteur de l'électricité et le développement de la concurrence, le rapporteur ayant fait valoir que le développement de la concurrence n'était pas une mission confiée à la Commission et que celle-ci pouvait mentionner ce qu'elle voulait dans son rapport annuel d'activité dès lors qu'elle ne dépassait pas les limites de ses attributions.

M. Jean-Michel Marchand a ensuite proposé la création d'un conseil consultatif auprès de la CRÉ et de conseils consultatifs régionaux de l'électricité.

Le rapporteur s'est déclaré hostile à la proposition dans la mesure où les amendements visant à instituer des établissements régionaux de distribution de l'électricité avaient été rejetés et qu'une régulation régionale de l'électricité n'avait aucune raison d'être. M. André Lajoinie, président, a en outre rappelé que la Commission avait décidé la création d'observatoires régionaux placés auprès des conseils économiques et sociaux régionaux. En conséquence, la commission a rejeté l'amendement de M. Jean-Michel Marchand.

La commission a ensuite examiné en discussion commune deux amendements de MM. Claude Birraux et Arnaud Lepercq et les amendements nos 30 et 31 de M. Michel Bouvard visant à imposer à la CRÉ de recueillir l'avis des différents acteurs du secteur avant rédaction définitive de son rapport. Le rapporteur a fait remarquer que la procédure proposée était particulièrement lourde, et paralysante en cas de non réponse des personnes concernées, les amendements conduisant, en pratique, à recueillir l'avis de centaines d'entreprises, collectivités, associations, syndicats. Pour ces motifs, la commission a rejeté ces quatre amendements.

Puis, elle a adopté l'article 32 ainsi modifié.

Article 33

Pouvoirs d'enquête

Le projet de loi relatif à la modernisation et au développement du service public de l'électricité met en place un cadre réglementaire totalement nouveau. Aucune des prescriptions qu'il définit ne s'insère dans un mécanisme de contrôle et de sanction en vigueur. L'article 33 du projet de loi a donc pour objet de définir les pouvoirs d'enquête et de contrôle de l'administration nécessaires pour veiller au respect des nouvelles prescriptions en matière d'électricité.

Ces pouvoirs s'appliquent à toutes les enquêtes nécessitées par l'application de l'ensemble des dispositions contenues dans le projet de loi (I de l'article 33), mais, en fait, l'article 33 définit des procédures d'enquête particulières visant le gestionnaire du réseau public de transport et les utilisateurs professionnels du réseau électrique (paragraphe II) ou susceptibles d'être mises en _uvre dans le cadre de procédures de sanctions pour manquement par la Commission de régulation de l'électricité (CRÉ) ou par le ministre chargé de l'énergie (paragraphe III).

a) Les détenteurs des pouvoirs d'enquête

Le projet de loi prévoit que seuls les fonctionnaires habilités par le ministre chargé de l'énergie et les agents de la CRÉ peuvent disposer de pouvoirs d'enquête. Ces personnes doivent être habilitées « à cet effet » respectivement par le ministre ou par le président de la CRÉ. Les fonctionnaires habilités par le ministre peuvent procéder à toutes les enquêtes rendues nécessaires par l'application des dispositions de l'ensemble de la loi tandis que les agents de la CRÉ doivent se limiter au contrôle du seul bon accomplissement des activités dont la régulation est confiée à la commission, à savoir, essentiellement, l'accès au réseau.

La rédaction de l'article 33 interdit au ministre de l'énergie d'habiliter des agents contractuels, qui ne relèveraient donc pas du statut de la fonction publique et ne seraient pas fonctionnaires. Cette limitation ne joue pas pour les agents de la CRÉ, qui seront en très grande majorité des agents contractuels.

Par ailleurs, le ministre chargé de l'économie, qui a actuellement la tutelle du secteur de l'industrie, dispose de fonctionnaires au sein de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes habilités à procéder à des enquêtes en matière économique conformément à l'article 45 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence et à l'article L. 215-1 du code de la consommation. Mais leurs pouvoirs sont limités (bien que très étendus) au respect des règles de loyauté et d'équilibre de la concurrence (ententes illicites, abus de position dominante, prix abusivement bas, facturation, remises, prix illicites, etc., opérations de concentration) ou aux cas de fraudes, tromperies, falsifications, vices de conformité, clauses abusives, pratiques commerciales illicites ou irrégulières, prix et conditions de vente illicites, en matière de consommation. Ces champs de compétence ne permettent pas de couvrir correctement les problèmes susceptibles d'intervenir en matière de production et de transport de l'électricité. Il paraît donc utile de permettre au ministre chargé de l'économie d'habiliter des fonctionnaires à procéder à des enquêtes lorsqu'il le jugera nécessaire au regard du bon accomplissement des missions relevant de ses attributions.

C'est pourquoi la commission a adopté un amendement du rapporteur permettant au ministre chargé de l'économie d'ordonner une enquête en matière d'électricité dans le cadre de la présente loi (amendement n° 280).

Afin de respecter les droits de la défense, l'article 33 impose d'établir à l'issue de chaque enquête, c'est-à-dire toute opération d'information sur pièces et sur place ou lors d'auditions, un procès-verbal dont une copie est remise aux parties intéressées.

Le projet de loi permet également au ministre chargé de l'énergie et à la CRÉ de désigner un expert. Certaines questions peuvent en effet nécessiter une expertise faisant appel à des qualifications techniques que n'ont pas toujours les fonctionnaires du ministère de l'industrie ou les agents de la CRÉ. Des expertises pourraient, par exemple, être demandées pour savoir si le coût des travaux sur le réseau de transport souhaités par le gestionnaire de ce réseau (et donc répercutable sur ses tarifs) est calculé de manière optimale, pour évaluer les causes de la congestion du réseau en certains cas, pour apprécier les conditions techniques exigées par le gestionnaire du réseau de transport pour faire droit à un raccordement spécial ou pour réaliser un audit de la comptabilité du gestionnaire du réseau de transport.

Ce pouvoir de désigner un expert est donné à la CRÉ et non à son président. Cette désignation pourra donc être le fait du collège de la CRÉ, de son président ou du directeur général de ses services, selon les règles d'organisation interne qu'elle se sera fixée.

b) Les enquêtes sur le gestionnaire du réseau public de transport et les autres opérateurs

Le II de l'article 33 organise la procédure d'enquête et définit les pouvoirs des enquêteurs lorsqu'à la demande du ministre ou de la CRÉ ceux-ci sont amenés à rechercher des informations auprès du gestionnaire du réseau public de transport (GRT) ou des opérateurs utilisant de manière professionnelle le réseau.

La commission a tout d'abord adopté un amendement du rapporteur précisant que ces enquêteurs sont non seulement les agents visés au I (à savoir les agents de la CRÉ), mais également les fonctionnaires habilités par les deux ministres (amendement n° 281). Deux autres amendements du rapporteur ayant le même objet ont été adoptés par la commission au dernier alinéa du II et au premier alinéa du III (amendements nos 283 et 285).

·  Les pouvoirs de ces fonctionnaires et agents à l'égard du GRT sont définis de la manière la plus large possible. Ainsi, ils ont accès « à toutes les informations utiles détenues par le (GRT), et obtiennent de lui tout renseignement ou toute justification. »

Les informations que les enquêteurs peuvent donc obtenir ne sont donc pas limitées aux seules informations qui sont la propriété du GRT ou que celui-ci a produites, il peut s'agir d'informations émanant d'opérateurs et remises au GRT. Il suffit que le GRT en dispose en ses murs pour que les enquêteurs aient accès à l'information. Sont cependant particulièrement concernés les programmes d'appel, d'approvisionnement et de consommation transmis au GRT. Mais ils peuvent également obtenir, par exemple, les protocoles techniques et financiers passés entre EDF et le GRT et avoir toutes les explications sur leurs termes.

Par ailleurs, le projet de loi ne pose aucune limite aux renseignements et justifications, ainsi qu'aux informations, susceptibles d'être obtenus par les enquêteurs. En particulier, le secret commercial ou industriel ne saurait être opposé à leurs investigations. Deux amendements de précision en ce sens ont été adoptés par la commission aux articles 16 et 20 protégeant la confidentialité des informations détenues par le GRT et le gestionnaire du réseau public de distribution.

La même volonté de confier des pouvoirs étendus aux enquêteurs préside à la définition de leur droit d'accès aux locaux et moyens de transport à usage professionnel (ce terme incluant les voitures de fonction) relevant du GRT.

·  Les pouvoirs des enquêteurs à l'égard des opérateurs autres que le GRT sont en revanche plus limités aux termes du projet de loi.

Tout d'abord ils ne peuvent pénétrer dans les établissements, terrains et locaux professionnels qu'entre 8 heures et 20 heures ou en dehors de ces heures lorsqu'une activité de production ou de distribution d'électricité est en cours. Ces horaires sont tirés de l'article L. 40 du code des P&T qui définit les pouvoirs d'enquête des fonctionnaires et agents habilités de l'administration des télécommunications, de l'Autorité de régulation des télécommunications et de l'Agence nationale des fréquences. Mais l'article 5 ter de l'ordonnance n° 67-833 du 28 septembre 1967 précitée accorde une plage horaire plus large aux enquêteurs de la Commission des opérations de bourse autorisés par le président du tribunal de grande instance (la visite doit commencer entre 6 heures et 21 heures dans les lieux ouverts au public ou pendant les heures d'ouverture de l'établissement).

La rédaction du projet de loi interdit en outre d'enquêter chez un client éligible puisque sont seuls visés les lieux où sont exercées des activités de production ou de distribution. Or le ministre chargé de l'énergie et la CRÉ doivent pouvoir s'assurer qu'une offre conjointe de raccordement n'est pas présentée (un client devenant éligible parce que plusieurs unités distinctes se sont abusivement raccordées en un même point) ou que les critères d'éligibilité sont respectés.

Les termes d'activités de distribution d'électricité ne peuvent que se comprendre conformément à l'article 17 du projet de loi définissant les autorités chargées de la distribution et à l'article 2 définissant les missions de service public. Or ce dernier article se réfère à la « mission de fourniture d'électricité » (III de l'article) et à la « mission de développement et d'exploitation des réseaux publics de transport et de distribution d'électricité » (II de l'article). La directive 96/92/CE du 19 décembre 1996 définit la distribution comme « le transport d'électricité sur des réseaux de distribution à moyenne et basse tension aux fins de fourniture à des clients » ; il s'agit donc d'une activité liée à l'exploitation d'un réseau physique reliant le réseau de transport à haute tension et les prises des clients finals (sous réserve des cas particuliers des lignes directes et des très petites unités de production produisant de la moyenne tension). La directive européenne définit la fourniture comme « la livraison et/ou la vente d'électricité à des clients » ; il s'agit donc d'une activité commerciale d'intermédiation : les négociants (traders) et les entreprises effectuant de la simple revente d'électricité sont des fournisseurs et non des distributeurs.

La référence, à l'article 33, à la seule activité de distribution a donc l'inconvénient d'exclure toute enquête auprès des revendeurs d'électricité visés au II de l'article 22.

C'est pourquoi la commission a adopté un amendement du rapporteur proposant une nouvelle rédaction du dispositif relatif aux enquêtes concernant les opérateurs autres que le GRT, qui permet aux enquêteurs d'avoir accès aux fournisseurs d'électricité et synthétise en un seul alinéa les dispositions des deuxième et troisième alinéas du II (amendement n° 282).

Le dernier alinéa du II est plus restrictif que le premier alinéa concernant le GRT dans la mesure où il ne définit pas un droit d'accès mais un droit à communication. En quelque sorte les enquêteurs doivent connaître l'existence d'une pièce ou d'un document pour l'obtenir, mais ne peuvent pas fouiller pour rechercher des pièces intéressant leur enquête. Sous cette réserve, importante, le projet de loi définit de la manière la plus large possible ces pièces et documents, ainsi que les renseignements et justifications susceptibles d'être obtenus par les fonctionnaires et agents habilités. Là encore, le secret commercial ou industriel ne saurait pouvoir leur être opposé.

La commission a adopté un amendement rédactionnel du rapporteur précisant que la communication des « livres » vise la communication des documents comptables (amendement n° 284).

c) La constatation des manquements à la loi

L'article 38 du projet de loi définit les sanctions susceptibles d'être infligées par la CRÉ en cas de manquement, par les gestionnaires ou les utilisateurs des réseaux publics de transport et de distribution, aux obligations prévues par la loi et entrant dans ses compétences. L'article 39 habilite le ministre chargé de l'énergie à sanctionner administrativement les autres manquements à la loi.

Le paragraphe III de l'article 33 confie aux mêmes enquêteurs la charge de constater ces manquements. Il définit en outre des règles procédurales particulières.

Si les constatations de manquement doivent également donner lieu à établissement de procès-verbaux, ceux-ci doivent être notifiés à la ou aux personnes concernées et indiquer, à peine de vice de forme, le montant maximum de la sanction pécuniaire encourue afin de permettre à la personne visée d'exercer en connaissance de cause les droits attachés à sa défense. Il s'agit d'une garantie de transparence des procédures de sanction. En outre, ces procès-verbaux sont communiqués, selon leurs compétences respectives définies par la loi, au ministre chargé de l'énergie (manquements résultant de l'article 39) ou à la CRÉ (manquements résultant de l'article 38).

Afin de parfaire la garantie des droits de la défense, la commission a adopté un amendement du rapporteur prévoyant également la notification de la sanction administrative encourue (amendement n° 286).

Afin de garantir le caractère contradictoire de la procédure, le projet de loi permet aux personnes concernées de présenter leurs observations écrites ou orales dans les 15 jours suivant la notification du procès-verbal. Elles doivent être « invitées » à présenter leurs observations, ce qui en pratique signifie que l'acte de notification ou le procès-verbal mentionnera ce droit et le délai dans lequel il peut être exercé, ainsi que la personne à qui ces observations doivent être adressées.

Le fait de présenter de telles observations ne signifie pas que l'on considère que cette même personne, au cas où elle serait poursuivie pour manquement par la CRÉ ou le ministre chargé de l'énergie et recevrait notification des griefs, aurait déjà exercé son droit à présentation des observations écrites et verbales prévues au 3° de l'article 38 en ayant présenté ses observations sur le procès-verbal. Elle pourra présenter de nouvelles observations et même modifier les premières en fonction de sa nouvelle connaissance du dossier. Il s'agit d'une procédure habituelle en matière administrative.

La commission a adopté l'article 33 ainsi modifié.

Article 34

Respect du secret professionnel

L'article 34 du projet de loi vise à imposer aux membres et agents de la Commission de régulation de l'électricité (CRÉ) de ne pas révéler une information à caractère secret dont ils auraient eu connaissance.

L'atteinte au secret professionnel est punie par l'article 226-13 du code pénal d'un an d'emprisonnement et de 100 000 F d'amende. Imposer aux membres et agents de la CRÉ le secret professionnel vise à garantir le bon fonctionnement de l'autorité en assurant les personnes avec lesquelles elle sera en relation de la confiance la plus large.

Au regard du droit pénal, il n'y a infraction que dès lors qu'une divulgation d'information porte sur des faits auxquels la loi a imprimé un caractère confidentiel ou qui ont été révélés expressément sous le sceau du secret. L'article 6 de la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 portant diverses mesures d'amélioration des relations entre l'administration et le public et diverses dispositions d'ordre administratif, social et fiscal (qui a organisé l'accès aux documents administratifs) dresse une liste, non exhaustive, de ces secrets protégés par la loi :

- secret des délibérations du Gouvernement et des autorités responsables relevant du pouvoir exécutif ;

- secret de la défense nationale, de la politique extérieure ;

- atteinte à la monnaie et au crédit public, à la sûreté de l'Etat et à la sécurité publique ;

- atteinte au déroulement des procédures engagées devant les juridictions ou d'opérations préliminaires à de telles procédures, sauf autorisation donnée par l'autorité compétente ;

- secret de la vie privée, des dossiers personnels et médicaux ;

- secret en matière commerciale et industrielle ;

- atteinte à la recherche, par les services compétents, des infractions fiscales et douanières.

De multiples arrêtés et circulaires ministériels ont en outre, au sein de chaque ministère, défini les documents couverts par un secret protégé par la loi.

Le respect du secret professionnel est absolu : un membre ou un agent de la CRÉ peut être poursuivi pour avoir révélé des faits déjà connus du public ou susceptibles de l'être (Cour de cassation, chambre criminelle, 12 avril 1951, D. 1951-363). La connaissance de faits par des tiers ne leur ôte donc pas leur caractère confidentiel.

L'article 34 du projet de loi est rédigé de manière différente de l'article 5 de l'ordonnance n° 67-833 du 28 septembre 1967 précitée, de l'article 8 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication et de l'article L. 36-2 du code des P&T, imposant le secret professionnel respectivement aux membres et agents de la Commission des opérations de bourse, du Conseil supérieur de l'audiovisuel et de l'Autorité de régulation des télécommunications. Dans ces trois cas, en effet, les personnes visées sont astreintes « au secret professionnel pour les faits, actes et renseignements dont (elles) ont pu avoir connaissance en raison de leurs fonctions ». Dans le projet de loi, la restriction de l'acquisition de la connaissance de l'information en raison des fonctions exercées ne figure pas. En fait, cette restriction ne peut que s'appliquer du fait même des termes de l'article 226-13 du code pénal puisque l'infraction tenant à l'atteinte au secret professionnel n'est constituée que si l'information est révélée « par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d'une fonction ou d'une mission temporaire ». Avoir entendu lors d'une réception ou d'un dîner des faits couverts par un secret et les révéler ne saurait donc constituer une infraction à l'article 226-13 du code pénal. La nature même du délit d'atteinte au secret professionnel impose donc que l'information ait été acquise en raison de l'appartenance à la CRÉ de la personne qui en est devenue dépositaire et qui la révèle. Le terme de « dépositaire » figurant dans le code pénal confirme la portée de ce secret : la connaissance d'un secret professionnel s'acquiert par un acte d'autorité (au sens large du terme et non au sens coercitif) tiré de l'exercice d'une profession, d'une fonction ou d'une mission.

C'est pourquoi la commission a adopté un amendement du rapporteur coordonnant la rédaction de la première phrase de l'article 34 avec les dispositions de l'article 226-13 du code pénal (amendement n° 287).

Elle a en outre adopté un amendement du rapporteur prévoyant que le non-respect du secret professionnel, établi par une décision de justice, entraîne la cessation d'office des fonctions au sein de la CRÉ (amendement n° 288). En effet, si le statut de la fonction publique permet de révoquer un fonctionnaire ayant divulgué une information confidentielle dont il était le dépositaire, rien ne permet de mettre fin aux mandats détenus par les personnes ayant commis une telle infraction et dans le cadre desquels l'infraction a été commise.

Puis, elle a adopté l'article 34 ainsi modifié.

Article additionnel après l'article 34

Attributions de la Commission de régulation de l'électricité

Le rapporteur a proposé un amendement dressant la liste des attributions de la Commission de régulation de l'électricité en fonction des dispositions figurant aux divers articles du projet de loi, y compris celles proposées par les amendements adoptés par la commission (5° du paragraphe III et 1° du paragraphe VI de l'amendement). Cet article additionnel n'a pas un caractère réellement normatif mais il clarifie la situation.

La commission a adopté l'amendement du rapporteur portant article additionnel (amendement n° 289).

Article 35

Pouvoir réglementaire de la CRÉ

La loi peut confier à une autorité administrative un pouvoir réglementaire afin d'accomplir ses missions. Il en a été ainsi de la Commission des opérations de bourse, du Conseil supérieur de l'audiovisuel et de l'Autorité de régulation des télécommunications (ART). L'article 35 du projet de loi vise à doter la Commission de régulation de l'électricité (CRÉ) d'un pouvoir réglementaire comparable.

Ce pouvoir s'exercera collégialement car il est attribué à la commission et non à son président. Le projet de loi précise que l'exercice de ce pouvoir réglementaire doit respecter la hiérarchie des normes, à savoir que la CRÉ doit se conformer à la loi et à ses règlements d'application, qui sont pris par le Premier ministre ou le ministre chargé de l'énergie.

Dans sa décision du 18 septembre 1986 relative à la Commission nationale de la communication et des libertés, le Conseil constitutionnel a admis que le législateur pouvait confier un pouvoir réglementaire d'application des lois à une autorité autre que le Premier ministre, y compris s'il s'agissait d'une autorité administrative indépendante. Cependant la constitutionnalité de l'habilitation est subordonnée au respect par cette autorité des lois et règlements en vigueur et au caractère limité et circonscrit à la mise en _uvre de la loi du domaine d'application du pouvoir réglementaire. La décision du Conseil constitutionnel du 23 juillet 1996 relative à la loi de réglementation des télécommunications a confirmé, au sujet du pouvoir réglementaire de l'ART, cette jurisprudence : les articles 21 et 13 de la Constitution « ne font pas obstacle à ce que le législateur confie à une autorité publique autre que le Premier ministre le soin de fixer les normes permettant de mettre en _uvre une loi, (...) à la condition que cette habilitation ne concerne que des mesures de portée limitée tant par leur champ d'application que par leur contenu ».

En conséquence, le pouvoir réglementaire de la CRÉ ne peut qu'être subordonné et second par rapport au pouvoir réglementaire national. Il ne peut que préciser sans les contredire, les amoindrir ou les détourner des règles adoptées par ailleurs par le Parlement ou le Gouvernement.

MM. Yvon Montané et Pierre Micaux ont proposé deux amendements identiques précisant que les règlements adoptés par la CRÉ doivent respecter non seulement les dispositions législatives et réglementaires mais également les compétences dévolues aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics de coopération.

Le rapporteur a estimé que cette proposition introduisait une confusion entre les attributions des collectivités territoriales qui délivrent les concessions de distribution de l'électricité et le pouvoir réglementaire de la CRÉ centré sur l'accès au réseau. M. Jean Proriol a objecté que l'article additionnel après l'article 34 avait montré que de nombreux pouvoirs avaient été donnés à la CRÉ et qu'il fallait protéger davantage les collectivités concédantes. Puis M. Yvon Montané a retiré son amendement et la commission a rejeté celui de M. Pierre Micaux.

M. Claude Billard a ensuite présenté un amendement tendant à ce que la CRÉ ne fasse que des propositions en matière de règlement.

Le rapporteur a jugé cet amendement excessif dans la mesure où il retirait à la CRÉ son pouvoir réglementaire, qui ne porte en fait que sur des questions très techniques que seuls les services de la Commission seront en mesure d'apprécier car elle seule disposera au sein de l'Etat des personnels compétents. Il a proposé à M. Claude Billard de se rallier à son amendement imposant l'homologation des règlements de la Commission par le ministre. La commission a rejeté l'amendement de M. Claude Billard, ainsi qu'un amendement de coordination du même auteur en fin d'article.

Elle a également rejeté l'amendement n° 102 de M. Franck Borotra, au motif que l'usage du pouvoir réglementaire par la CRÉ n'est pas impératif et que la rédaction du projet de loi préserve l'autorité de la Commission sans la contraindre.

Par ailleurs, implicitement, aux termes du projet de loi, la CRÉ dispose du privilège du préalable, c'est-à-dire que ses règlements sont exécutoires d'office, donc opposables d'office aux tiers. Une solution différente avait été retenue pour l'ART : ses règlements doivent être homologués par arrêté du ministre chargé des télécommunications puis publiés au Journal officiel, l'homologation étant une décision d'acceptation ou de rejet et ne conférant pas à son détenteur un pouvoir de réformation, à l'instar d'un recours hiérarchique.

Votre rapporteur a fait valoir que ce pouvoir d'homologation des règlements de l'ART avait été expressément visé par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 23 juillet 1996 précitée afin de valider l'habilitation législative donnée à cette autorité (« la compétence réglementaire dévolue à l'Autorité s'exerce sous le contrôle du ministre chargé des télécommunications »). C'est pourquoi il paraît opportun juridiquement de la prévoir également vis-à-vis des règlements de la CRÉ. En conséquence, la commission a adopté un amendement du rapporteur soumettant à homologation les décisions de la CRÉ prises en application du présent article 35 (amendement n° 292). Une telle homologation et une telle publication au Journal Officiel sont également prévues pour les règlements adoptés par la Commission des opérations de bourse (article 4-1 de l'ordonnance n° 67-833 du 28 septembre 1967 précitée).

Le projet de loi dresse la liste des matières dans lesquelles la CRÉ est habilitée à définir des réglementations. Ces règles présentent un caractère technique ; elles ont une portée limitée tant par leur objet que par leur contenu, en venant compléter des dispositions législatives et réglementaires existantes. Il s'agit de :

« 1° Les missions des gestionnaires de réseaux publics de transport et de distribution d'électricité en matière d'exploitation et de développement des réseaux, en application des articles 14 et 18 de la présente loi ;

« 2° Les conditions de raccordement aux réseaux publics de transport et de distribution d'électricité, en application des articles 14 et 18 de la présente loi ;

« 3° Les conditions d'accès aux réseaux et de leur utilisation, en application de l'article 23 de la présente loi ;

« 4° La mise en oeuvre et l'ajustement des programmes d'appel, d'approvisionnement et de consommation, et la compensation financière des écarts entre production et consommation, en application des articles 15 et 19 de la présente loi ;

« 5° La conclusion de contrats d'achat par les gestionnaires de réseaux publics de transport ou de distribution, en application du III de l'article 15 de la présente loi ;

« 6° Le périmètre de chacune des activités séparées au plan comptable et les règles déterminant les relations financières entre les différentes entités ainsi séparées, mentionnés à l'article 25 de la présente loi. ».

La commission a adopté un amendement du rapporteur modifiant la rédaction du 4° afin d'en coordonner les dispositions avec le dispositif de l'article 15 retenu par la commission (amendement n° 290).

Elle a, en revanche, au même 4°, rejeté un amendement de M. Franck Borotra étendant le pouvoir réglementaire de la CRÉ aux procédures de choix des installations nouvelles, au motif que cet amendement était lié à sa proposition, rejetée par la commission, de refonte du régime des autorisations et des appels d'offre.

Puis, la commission a adopté un amendement du rapporteur proposant une nouvelle rédaction du dernier alinéa (6°) de l'article afin de prendre en compte la nouvelle rédaction de l'article 25 (amendement n° 291).

M. Franck Borotra a présenté un amendement, portant sur le 6°, habilitant la CRÉ à préciser les règles concernant le contrôle de la réglementation des tarifs des services publics appliqués aux clients non éligibles, la fixation des coûts de transport et des charges de service public et la détection des abus de position dominante. Le rapporteur s'est déclaré hostile à l'amendement dans la mesure où la réglementation des services publics relevait du décret en Conseil d'Etat ou des arrêtés ministériels, la fixation des tarifs du Gouvernement, les principes de tarification de la loi et du Gouvernement et le contrôle des abus de position dominante du Conseil de la concurrence et des tribunaux. La commission a donc rejeté l'amendement de M. Franck Borotra.

La commission a adopté l'article 35 ainsi modifié.

Article 36

Litiges d'accès aux réseaux et voies de recours

a) La compétence de la CRÉ en matière de règlement des litiges d'accès au réseau

L'article 36 du projet de loi permet aux gestionnaires et aux utilisateurs des réseaux publics de transport et de distribution de l'électricité de saisir la Commission de régulation de l'électricité (CRÉ) de leurs différends lorsque ceux-ci concernent l'accès à ces réseaux ou leur utilisation. Conformément à l'avis du rapporteur, la commission a adopté l'amendement n°105 de M. Franck Borotra précisant que les différends dont pouvait être saisie la CRÉ pouvaient notamment porter sur des refus d'accès aux réseaux ou des désaccords sur la conclusion ou l'exécution des contrats d'accès aux réseaux.

Il ne s'agit pas de mettre en place une phase précontentieuse obligatoire comme il peut en exister en matière de communication des documents administratifs au travers de l'obligation de saisine de la Commission d'accès aux documents administratifs, ni d'ériger en juridiction ou de donner des pouvoirs juridictionnels à la CRÉ. Le projet de loi vise à mettre en place une procédure de règlement des litiges adaptée à la technicité de la matière en la confiant à une instance ayant une connaissance du marché et les moyens techniques et matériels d'expertiser les prétentions des parties et qui soit en mesure de trancher rapidement les litiges et dispose d'une autorité suffisante pour imposer ses solutions aux parties.

Une telle procédure existe devant le Conseil de la concurrence en matière d'entente illicite, d'abus de position dominante ou de dépendance économique ou de prix de vente abusivement bas. Une procédure identique a également été mise en place devant l'Autorité de régulation des télécommunications (ART) pour les litiges relatifs à l'interconnexion, la mise en conformité des conventions passées entre les propriétaires des réseaux câblés et leurs exploitants pour permettre à ces derniers de fournir des services de télécommunications et l'utilisation partagée entre les opérateurs des installations situées sur le domaine public.

Dans chacun de ces cas, les parties sont inclines à saisir l'autorité administrative indépendante car elle constitue leur interlocuteur habituel, si ce n'est quotidien, mais le règlement du litige ne relève pas de leur compétence exclusive ; celui-ci pourrait être soumis aux tribunaux de commerce ou aux tribunaux de grande instance (ce qui arrive fréquemment en matière de droit de la concurrence lorsque l'exécution d'un contrat est en cause). L'intérêt de saisir l'autorité administrative indépendante de préférence au juge commercial ou civil tient à ce qu'elle dispose, à la différence des tribunaux, de moyens importants, d'une connaissance du marché et des acteurs en litige, ainsi que d'une longue expérience et d'une pratique quotidienne de la matière.

b) La procédure de règlement des litiges devant la CRÉ

Le I de l'article 36 habilite la CRÉ à régler les litiges liés à l'accès aux réseaux de transport et de distribution et à l'utilisation de ces réseaux.

Le projet de loi renvoie à un décret en Conseil d'Etat la fixation des modalités pratiques de la procédure de règlement des litiges, ainsi que le délai dans lequel la CRÉ doit se prononcer sur les demandes.

Globalement, la procédure est calquée sur celle mise en place pour régler les litiges soumis à l'ART (article L. 36-8 du code des P&T). Cependant, la loi n° 96-659 du 26 juillet 1996 de réglementation des télécommunications a renvoyé à un décret en Conseil d'Etat le soin de fixer le délai dans lequel doit se prononcer l'ART car, au moment de la discussion du projet de loi au Parlement, la directive du Parlement européen et du Conseil relative à l'interconnexion n'avait fait l'objet que d'un accord politique au sein du Conseil et le délai de six mois qu'elle proposait pour le règlement des litiges était encore susceptible d'être modifié. Par prudence, le Parlement a donc habilité le Gouvernement à fixer le délai. Finalement, l'article 9 de la directive a fixé à six mois le délai maximal de règlement des litiges et l'article R. 11-1 du code des P&T a fixé le délai à trois mois, tout en permettant à l'ART de le porter à six mois en cas de nécessité.

La commission a adopté un amendement du rapporteur fixant à trois mois, voire six mois en cas de nécessité, le délai dans lequel la CRÉ doit se prononcer sur les litiges dont elle est saisie (amendement n° 293). Le rapporteur a précisé qu'un délai de six mois pouvait être nécessaire si une expertise délicate était exigée.

Par ailleurs, afin de respecter les droits de la défense, le projet de loi permet aux parties de présenter leurs observations. La procédure devant la CRÉ est, en effet, de nature inquisitoriale. Ses décisions doivent être motivées. Elles sont publiées sous réserve du respect des secrets protégés par la loi.

A l'instar du Conseil de la concurrence (article 12 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 précitée) et de l'ART (article L. 36-8 du code des P&T), la CRÉ peut prononcer des mesures conservatoires en cas d'atteinte grave et immédiate aux règles régissant l'accès aux réseaux publics de transport et de distribution ou à leur utilisation. Elles peuvent consister en des injonctions de faire, de cesser de faire ou de laisser faire ou en des suspensions de décisions. Elles sont motivées par l'urgence.

Conformément au principe de nécessité, les mesures conservatoires doivent se limiter au strict nécessaire de ce qui est imposé par l'urgence. En outre, la CRÉ doit, si elles le demandent, entendre les parties en cause avant de prononcer une mesure conservatoire. Cet élément de procédure est une garantie fondamentale d'ordre constitutionnel. La décision du Conseil constitutionnel du 23 janvier 1987 relative au Conseil de la concurrence l'a indiqué.

c) La procédure d'appel des décisions contentieuses de la CRÉ

La CRÉ est une autorité administrative indépendante collégiale à compétence nationale. En conséquence, le contentieux de ses décisions, en particulier le recours en annulation ou en réformation, relève de la compétence du Conseil d'Etat. Les règles du droit administratif leur sont donc applicables.

Relèvent de cette voie de recours contentieux les décisions suivantes :

- les règlements qu'elle prend en application de l'article 35 du projet de loi,

- les sanctions prononcées en application de l'article 39.

Les avis, propositions et travaux d'études de la CRÉ ne sont pas susceptibles de faire l'objet d'un recours du fait que ce sont des actes préparatoires ne faisant pas grief.

En revanche, les décisions que sera amenée à prendre la CRÉ afin de régler les différends liés à l'accès aux réseaux publics de transport et de distribution et à leur utilisation sont d'une nature différente. En effet, elles mettent en cause des contrats ou des rapports de droit privé entre opérateurs et clients. La CRÉ est en ces domaines conduite à interférer dans les rapports de droit privé qui relèvent par nature du juge judiciaire. C'est pourquoi le contentieux des décisions prises en ces trois domaines est confié par le II du présent article à la Cour d'appel de Paris.

Le choix de la Cour d'appel de Paris est justifié par la considération selon laquelle cette juridiction est compétente pour examiner les appels formés contre les décisions du Conseil de la concurrence et de l'ART, elle a donc déjà élaboré une jurisprudence dans le domaine de la concurrence qui est proche de celui de la régulation d'un marché sortant d'une situation monopolistique. Par ailleurs, un recours devant la Cour d'appel et non devant le tribunal de grande instance en première instance permet d'éviter un allongement inutile de la procédure judiciaire. Cette règle est d'ailleurs appliquée à la plupart des autorités administratives indépendantes (que le contentieux relève de l'ordre judiciaire ou de l'ordre administratif).

Le II de l'article 36 ouvre un délai d'un mois à compter de leur notification pour former un recours en annulation ou en réformation contre les décisions de la CRÉ prises en application du présent article. Le projet de loi exclut donc le recours en indemnité. Cette solution a été celle retenue pour l'ART.

La commission a adopté un amendement de M. Claude Billard portant à deux mois le délai de recours formé contre les décisions de la CRÉ, dans le but de mieux garantir les droits de la défense (amendement n° 294).

Le recours est ouvert aux parties selon les règles de droit commun. Il n'est pas suspensif, à l'instar du recours devant le juge administratif, sous réserve de la possibilité d'ordonner un sursis à exécution lorsque la décision de la CRÉ est susceptible d'entraîner des conséquences manifestement excessives ou s'il est survenu, postérieurement à sa notification, des faits nouveaux d'une exceptionnelle gravité. Ces conditions sont classiques.

Les mesures conservatoires prises par la CRÉ sont susceptibles de faire l'objet d'un recours en annulation ou en réformation devant la Cour d'appel de Paris, dans un délai de 10 jours. La Cour d'appel doit statuer dans un délai d'un mois.

La commission a adopté un amendement de M. Claude Billard portant à quinze jours le délai de recours contre les mesures conservatoires (amendement n° 295).

Le pouvoir en cassation doit être formé contre l'arrêt de la Cour d'appel dans un délai d'un mois suivant sa notification.

L'ensemble de ces règles procédurales reprend celles prévues en matière de recours contre les décisions de l'ART (article L. 36-8 du code des P&T).

La commission a adopté l'article 36 ainsi modifié.

Article 37

Relations entre le Conseil de la concurrence et la CRÉ

La séparation entre les fonctions de régulation de l'électricité et de gardien du bon fonctionnement de la concurrence sur le marché est difficile à réaliser mais est cependant impérieuse.

La loi confie au ministre chargé de l'économie et au Conseil de la concurrence la charge de veiller à ce que le jeu de la concurrence sur les marchés ne soit pas faussé ou restreint de manière illicite. Conformément aux articles 85, 86, et 87 du traité de Rome, ils disposent de pouvoirs en matière de répression des pratiques anticoncurrentielles, de contrôle des concentrations et, pour le seul ministre, de poursuite de certaines pratiques restrictives ou déloyales. Aux yeux des autorités de la Communauté européenne, cette fonction de gardien du fonctionnement du jeu de la concurrence leur incombe. L'article 56 bis de l'ordonnance du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence leur permet d'ailleurs de poursuivre les infractions aux dispositions des articles 85 à 87 du traité de Rome.

Les fonctions de régulation du marché de l'électricité et d'autorité en charge de la concurrence sont nettement distinctes. La première vise à garantir qu'un marché anciennement soumis à un monopole public s'ouvre à la concurrence dans des conditions équitables et dans le respect d'objectifs d'intérêt général spécifiques au marché et fixés par la loi (sécurité nationale, garanties de service public, objectifs industriels stratégiques, par exemple). La seconde fonction vise à garantir que la compétition économique entre les acteurs du marché s'exerce librement et loyalement, c'est-à-dire que les pratiques de ces acteurs ne conduisent pas à fausser le jeu normal de la concurrence. Une autorité de régulation n'a théoriquement de raison d'être qu'en fonction de l'ouverture à la concurrence d'un marché et devrait avoir une vocation temporaire, le temps de la mise en place d'une concurrence effective. En revanche, le Conseil de la concurrence a pour mission de surveiller le bon fonctionnement concurrentiel de tous les marchés au regard des seules règles du droit de la concurrence.

On est cependant en droit d'être dubitatif sur le caractère temporaire de la Commission de régulation de l'électricité (CRÉ), comme on peut l'être à l'égard de l'Autorité de régulation des télécommunications (ART).

Comme la CRÉ ne saurait être assimilée à un conseil de la concurrence du secteur de l'électricité, il ne lui appartient pas de juger de prohibitions définies au titre III de l'ordonnance du 1er décembre 1986 précitée (ententes illicites, abus de position dominante ou de dépendance économique, prix de vente abusivement bas). Ses pouvoirs se limitent strictement aux missions définies dans le présent projet de loi.

C'est pourquoi l'article 37 du projet de loi impose au président de la CRÉ de saisir le Conseil de la concurrence « des abus de position dominante et des pratiques entravant le libre exercice de la concurrence dont il pourrait avoir connaissance dans le secteur de l'électricité ».

Cette rédaction est redondante car l'abus de position dominante (défini à l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986) est une pratique entravant le libre exercice de la concurrence. Elle a toutefois le mérite de mettre l'accent sur le problème majeur de l'ouverture à la concurrence d'un marché monopolistique : l'existence d'une position dominante. Mais la détention d'une telle situation n'est pas sanctionnable en elle-même. C'est même une finalité des entreprises d'un marché en concurrence que d'acquérir une telle position car elle leur donne une rente de situation. Seul l'abus d'une position dominante devrait être réprimé. C'est d'ailleurs ce que disposent sans ambiguïté le traité de Rome et la loi française.

Cependant, la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes a interprété de manière extensive l'article 86 du Traité de Rome. Cet article, comme l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 qui est son pendant en droit français, ne donne qu'une liste indicative et non limitative de pratiques abusives en cas de détention d'une position dominante. La tendance de la jurisprudence a été de qualifier d'exploitation abusive d'une position dominante tout comportement d'une entreprise en position dominante lui permettant de limiter les effets de la concurrence sur le marché.

L'arrêt Hoffmann-La Roche du 13 février 1979 de la Cour de justice des Communautés européennes a ouvert cette voie : « La notion d'exploitation abusive est une notion objective qui vise les comportements d'une entreprise en position dominante qui sont de nature à influencer la structure d'un marché où, à la suite précisément de la présence de l'entreprise en question, le degré de concurrence est déjà affaibli, et qui ont pour effet de faire obstacle, par le recours à des moyens différents de ceux qui gouvernent une concurrence normale des produits ou services sur la base des prestations des opérateurs économiques, au maintien du degré de concurrence existant encore sur le marché ou au développement de cette concurrence ». Dès lors, pour la Cour de justice des Communautés européennes, une entreprise détenant une position dominante doit assumer la « responsabilité particulière de ne pas porter atteinte, par son comportement, à une concurrence effective et non faussée sur le marché » (CJCE, 9 novembre 1983, Michelin contre Commission). Il s'en suit qu'une telle entreprise peut se voir interdire d'avoir certains comportements ou pratiques ou accomplir des actes qui ne sont pas en eux-mêmes abusifs ou qui ne seraient pas jugés comme tels s'ils émanaient d'une entreprise en situation ordinaire, mais qui, du fait qu'ils sont mis en _uvre par une entreprise détenant une position dominante, sont condamnables (CJCE, 9 novembre 1983, Michelin contre Commission).

Les entreprises exploitant des « infrastructures essentielles » sont particulièrement visées par cette jurisprudence. Ces infrastructures sont des équipements contrôlés par une entreprise en situation de monopole ou par un gestionnaire unique et sont impossibles à dupliquer par des moyens raisonnables ; ils doivent être indispensables pour assurer le contact avec les clients ou aux entreprises concurrentes pour qu'elles puissent exercer leurs activités. EDF avec son réseau de transport entre dans le champ de ces entreprises, de même que France Télécom, Eurotunnel ou Aéroport de Paris. Ces entreprises ne doivent avoir aucune pratique ayant pour effet d'empêcher ou de limiter l'accès à ces infrastructures dans le but de limiter la concurrence sur le marché.

Le Conseil de la concurrence applique cette jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes. Il a explicitement confirmé sa position dans son avis n° 98-A-05 du 28 avril 1998 sur le fonctionnement concurrentiel du marché électrique dans le cadre tracé par la directive européenne 96/92/CE, en rappelant qu'il avait sanctionné la SARL Héli-Inter Assistance, en tant que détenteur de ressources essentielles (l'hélistation de Narbonne indispensable aux transports sanitaires héliportés du centre hospitalier), pour pratiques discriminatoires constitutives d'abus de position dominante (décision n° 96-D-51 du 3 septembre 1996). Ainsi, un exploitant de ressources essentielles est tenu de faire droit à une demande raisonnable d'accès et ne peut imposer des conditions discriminatoires, notamment par rapport aux conditions qu'il applique à ses propres services offerts sur le marché concurrentiel. Le prix proposé doit être proportionné à la nature et à l'importance des services demandés et il doit être orienté vers les coûts.

Par ailleurs, le président de la CRÉ peut demander un avis au Conseil de la concurrence sur toute question relevant de sa compétence qui n'impose pas, conformément à ce qui vient d'être dit, une saisine du Conseil.

De son côté, le Conseil de la concurrence communique à la CRÉ les saisines entrant dans le champ de compétence de la commission défini à l'article 36, c'est-à-dire concernant l'accès aux réseaux de transport et de distribution ou l'utilisation de ces réseaux.

En dernier lieu, l'article 37 prescrit au président de l'ART d'informer le procureur de la République des faits susceptibles de recevoir une qualification pénale. Les infractions pénales sont notamment définies à l'article 40 du projet de loi.

Il faut indiquer en conclusion que les dispositions du présent article reprennent directement les dispositions prévues en matière de télécommunications à l'article L. 36-10 du code des P&T.

La commission a adopté l'article 37 sans modification.

Article 38

Pouvoir de sanction de la CRÉ

Cet article définit le pouvoir de sanction de la Commission de régulation de l'électricité (CRÉ) et encadre la procédure de sa mise en oeuvre.

Dans sa décision du 17 janvier 1989 relative au Conseil supérieur de l'audiovisuel, le Conseil constitutionnel a reconnu la conformité au principe de séparation des pouvoirs, proclamé par l'article 16 de la déclaration des droits de l'homme de 1789, de l'attribution d'un pouvoir de sanction à une autorité administrative indépendante. Il l'a également admis, en des termes très explicites, au bénéfice de toute autorité administrative dans sa décision du 28 juillet 1989 relative à la Commission des opérations de bourse : « le principe de séparation des pouvoirs, non plus qu'aucun autre principe ou règle de valeur constitutionnelle ne fait obstacle à ce qu'une autorité administrative, agissant dans le cadre de prérogatives de puissance publique, puisse exercer un pouvoir de sanction dès lors, d'une part, que la sanction susceptible d'être infligée est exclusive de toute privation de liberté et, d'autre part, que l'exercice du pouvoir de sanction est assorti par la loi de mesures destinées à sauvegarder les droits et libertés constitutionnellement garantis. »

a) L'organisation du contrôle juridictionnel du pouvoir de sanction de la CRÉ

Le pouvoir de sanction de la CRÉ n'est pas de nature juridictionnelle. Il a un caractère administratif, à l'instar de celui détenu par le Conseil supérieur de l'audiovisuel, l'Autorité de régulation des télécommunications (ART) ou le Conseil de la concurrence. A la différence de ce dernier dont l'ensemble des décisions relève de la Cour d'appel de Paris dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, le contentieux des sanctions prononcées par la CRÉ ressortira du Conseil d'Etat (5° de l'article 38). Le projet de loi retient la solution applicable aux sanctions prononcées par l'ART (article L. 36-11 du code des P&T).

Le rappel des faits et des décisions prises lors de la mise en place du contrôle juridictionnel des décisions du Conseil de la concurrence en 1986 et 1987 permet d'expliquer les choix effectués par le Gouvernement en ce qui concerne l'ART et la CRÉ.

Le Gouvernement avait prévu à l'origine que les recours formés contre les décisions du Conseil de la concurrence seraient adressés à la Cour d'appel de Paris, mais le Conseil d'Etat, dans son avis sur le projet d'ordonnance, a recommandé le transfert de la compétence au Conseil d'Etat. Le Gouvernement modifia en conséquence son projet.

A l'initiative de députés, une loi fut votée le 20 décembre 1986 pour rétablir la compétence de la Cour d'appel de Paris, mais la loi fut déclarée contraire à la Constitution car l'absence de sursis à exécution des décisions du Conseil violait les droits de la défense. La décision du Conseil constitutionnel confirmait cependant la constitutionnalité du transfert de compétence juridictionnelle au motif que le contentieux relevait pour l'essentiel de l'ordre judiciaire. Ce transfert fut réalisé par la loi du 6 juillet 1987 précitée qui organisa en outre une procédure de sursis à exécution devant le premier président de la Cour d'appel de Paris.

En matière de régulation de l'électricité comme des télécommunications, l'objectif de bonne administration de la justice ne justifie pas de modifier la compétence de la juridiction administrative en matière de contrôle de l'exercice du pouvoir de sanction. Pour l'électricité, toutefois, les contentieux de l'accès aux réseaux publics de transport et de distribution et l'utilisation de ces réseaux sont confiés à la Cour d'appel de Paris car ils concernent des rapports commerciaux relevant du droit privé qui ressortissent du juge judiciaire. Pour les télécommunications, des exceptions ont également été prévues (les contentieux de l'interconnexion, de la mise en conformité des conventions des réseaux câblés et du partage des installations situées sur le domaine public ont été confiés à la Cour d'appel de Paris).

Le projet de loi respecte donc à la lettre la décision du Conseil constitutionnel du 23 janvier 1987 relative au Conseil de la concurrence selon laquelle « Considérant que les dispositions des articles 10 et 13 de la loi des 16 et 24  août 1790 et du décret du 16 fructidor An III qui ont posé dans sa généralité le principe de séparation des autorités administratives et judiciaires n'ont pas en elles-mêmes valeur constitutionnelle ; que, néanmoins, conformément à la conception française de la séparation des pouvoirs, figure au nombre des « principes fondamentaux reconnus par les lois de la République » celui selon lequel, à l'exception des matières réservées par nature à l'autorité judiciaire, relève en dernier ressort de la compétence de la juridiction administrative l'annulation ou la réformation des décisions prises, dans l'exercice des prérogatives de puissance publique, par les autorités exerçant le pouvoir exécutif, leurs agents, les collectivités territoriales de la République ou les organismes publics placés sous leur autorité ou leur contrôle ; ».

La possibilité de demander un sursis à exécution est prévue au 5° de l'article 38. Les demandes de sursis sont, contrairement au principe général de procédure, de droit suspensives lorsqu'elles portent sur des sanctions pécuniaires (aucune condition de caractère difficilement réparable des effets de la sanction n'est donc exigée).

b) L'étendue des pouvoirs de sanction

La CRÉ ne peut infliger de sanction qu'en cas de manquement des opérateurs à la législation ou la réglementation relative à l'accès aux réseaux publics de transport et de distribution et à leur utilisation, aux décisions, notamment individuelles, prises par la CRÉ ou à une règle de séparation et de transparence comptable approuvée par elle. Les pouvoirs prévus à l'article 38 du projet de loi ne sauraient dont être employés pour réprimer les infractions définies par l'ordonnance du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence.

La commission a adopté un amendement de M. Claude Billard prévoyant que les manquements aux règles financières approuvées par la CRÉ visaient les règles approuvées aussi bien en application de l'article 25 que de l'article 26 (amendement n° 296).

L'essentiel des décisions susceptibles d'être prises par la CRÉ concerne en fait l'accès aux réseaux et l'utilisation de ces réseaux (réglementation prise en application de l'article 35 et décisions individuelles de règlement des litiges adoptées en application de l'article 36). L'article 8 du projet de loi conduira cependant la CRÉ à prendre des décisions pour la mise en _uvre des appels d'offres décidés par le ministre chargé de l'énergie.

La CRÉ peut se saisir d'office ou être saisie par toute personne concernée ou le ministre chargé de l'énergie. Contrairement à la procédure applicable à l'ART, le projet de loi n'ouvre pas la saisine aux organisations professionnelles, ni aux associations agréées d'utilisateurs. Les termes « personnes concernées » sont plus restrictifs que « personnes ayant un intérêt à agir » : les associations ne sont pas visées ou touchées directement par les décisions de la CRÉ ou les réglementations quand bien même leur objet social entre dans le champ de ces décisions et réglementations.

A l'instar de la procédure devant le Conseil supérieur de l'audiovisuel ou l'ART, la CRÉ ne peut être saisie de faits remontant à plus de trois ans s'il n'a été fait aucun acte tendant à leur recherche, leur constatation ou leur sanction (4° de l'article 38).

Le projet de loi autorise la CRÉ à prononcer deux types de sanction :

·  une sanction touchant l'accès aux réseaux de transport et de distribution : elle peut interdire pendant une durée ne pouvant pas excéder un an l'accès à ces réseaux ;

·  une sanction pécuniaire : son montant ne peut excéder 3 % du chiffre d'affaires annuel hors taxes du gestionnaire de réseau ou de l'utilisateur fautif, taux porté à 5 % en cas de nouvelle violation de la même obligation ; le projet de loi prévoit qu'à défaut d'activité permettant de déterminer ce plafond, le plafond est fixé à un million de francs, porté à 2,5 millions en cas de nouvelle violation de la même obligation. Cette précision vise le gestionnaire du réseau public de transport d'électricité et les entreprises ou organismes se lançant dans le secteur de l'électricité et qui ne disposent donc pas la première année de chiffre d'affaires de référence.

Le montant de la sanction pécuniaire doit être proportionnel à la gravité du manquement et aux avantages qui ont été tirés des pratiques fautives. Les pouvoirs d'enquête sur les documents comptables permettront à la CRÉ d'évaluer précisément ces avantages. La sanction ne peut pas en outre s'ajouter à une sanction pécuniaire infligée par ailleurs pour le même manquement par une instance chargée de l'application d'une autre législation.

Si les taux de 3 et 5 % paraissent élevés, ils sont néanmoins ceux prévus pour plafonner les sanctions pécuniaires prononcées par le Conseil de la Concurrence (article 13 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 précitée), le Conseil supérieur de l'audiovisuel (article 42-2 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 précitée) et l'ART (article L. 36-11 du code des P&T).

Ces taux de 3 et 5 % ne sont jamais atteints ou même approchés par le Conseil de la concurrence. Ainsi, dans sa décision du 10 décembre 1996 (3), EDF a été condamné pour une exploitation abusive de sa position dominante (utilisation du monopole légal de transport et de distribution de l'électricité pour éliminer ou empêcher d'accéder au marché des entreprises de production d'électricité par cogénération) à une sanction de 30 millions de francs, soit 0,018 % de son chiffre d'affaires annuel de 1995 pris en considération (en raison de l'étroitesse du marché concerné). Les plus lourdes sanctions pécuniaires infligées par la Conseil de la concurrence n'ont pas dépassé 50 millions de francs alors qu'elles s'appliquaient à des groupes réalisant plus de 100 milliards de francs de chiffre d'affaires.

Le projet de loi permet de cumuler ces deux types de sanction, contrairement au dispositif retenu par l'article L. 36-11 du code des P&T à l'égard des sanctions que peut prononcer l'ART. Ce choix de non-cumul avait été proposé par le gouvernement de M. Alain Juppé par prudence au regard du contrôle de constitutionnalité exercé par le Conseil constitutionnel. Cependant, celui-ci a expressément admis la constitutionnalité de ce cumul de sanction administrative et pécuniaire. C'est par exemple le cas pour les sanctions infligées par le Conseil supérieur de l'audiovisuel ; le 3° de l'article 42-1 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication inséré par l'article 19 de la loi n° 89-25 du 17 janvier 1989 autorise en effet le CSA à prononcer « une sanction pécuniaire assortie éventuellement d'une suspension de l'autorisation ou d'une partie du programme, si le manquement n'est pas constitutif d'une infraction pénale » (le montant de la sanction pécuniaire est plafonné par l'article 42-2). Cette loi n° 89-25 a été soumise au Conseil constitutionnel qui, dans sa décision du 17 janvier 1989, a expressément confirmé la constitutionnalité de cet article 42-1.

c) Le respect des principes constitutionnels applicables aux sanctions

Dans sa décision du 17 janvier 1989 relative au Conseil supérieur de l'audiovisuel, le Conseil constitutionnel a rendu applicables aux sanctions administratives les principes constitutionnels auxquels est soumise la mise en place de sanctions pénales : légalité des délits et des peines, nécessité des peines, non-rétroactivité de la loi d'incrimination plus sévère, principe de proportionnalité, respect des droits de la défense.

Le projet de loi prend en compte l'ensemble de ces principes.

Concernant le principe de légalité des délits et des peines, le Conseil constitutionnel a admis (décision du 17 janvier 1989 précitée) qu'il était satisfait par « la référence aux obligations auxquelles le titulaire d'une autorisation administrative est soumis en vertu des lois et règlements ».

Le principe de la proportionnalité de la peine est inscrit dans la loi aux première et dernière phrases du b du 1° de l'article.

Le principe de non bis in idem figure au début du b du 1° de l'article. Il vise à ne pas cumuler une amende pénale et une sanction administrative pécuniaire pour le même fait (exercice d'une activité sans titre légal).

Les droits de la défense sont garantis par l'organisation de la procédure de sanction retenue par le Gouvernement.

La procédure de sanction ne peut être engagée qu'après mise en demeure de la CRÉ restée sans effet. La CRÉ fixe le délai pour que l'opérateur concerné se conforme à la mise en demeure. Celle-ci peut être rendue publique. La procédure est identique à celle prévue pour les sanctions prononcées par l'ART mais se distingue là de celle suivie par le Conseil supérieur de l'audiovisuel qui est tenu de rendre publique la mise en demeure (article 42 de la loi du 30 septembre 1986 précitée).

Cependant, lorsque la procédure de sanction est engagée pour non-respect d'une décision de règlement d'un différend notifiée par la CRÉ en application de l'article 36, aucune mise en demeure préalable n'est nécessaire. En effet, les décisions prises par la CRÉ en application de l'article 36 mentionneront que le non-respect de la décision, sauf recours en annulation ou en réformation devant la Cour d'appel de Paris, est passible des sanctions prévues au présent article 38. La personne visée est donc informée de ses droits et des risques qu'elle encourt en cas de non-exécution de la décision dans le délai que la CRÉ aura précisé.

Avant toute sanction, la CRÉ doit notifier à l'opérateur les griefs retenus à son encontre. Celui-ci doit pouvoir consulter le dossier et présenter ses observations écrites et verbales. Ainsi, il pourra être entendu à sa demande par la CRÉ. Selon un principe général, il pourra évidemment être assisté d'un conseil.

Les sanctions prononcées par la CRÉ sont motivées, notifiées à l'intéressé et publiées au Journal officiel.

La commission a adopté l'article 38 ainsi modifié.

Article 39

Pouvoirs de sanction du ministre

L'article 39 du projet de loi donne un pouvoir de sanction au ministre chargé de l'énergie pour les manquements entrant dans le champ de ses attributions.

Les règles de procédure et de fond définies à l'article 38 pour les sanctions prononcées par la Commission de régulation de l'électricité (CRÉ) sont applicables aux sanctions décidées par le ministre. Ainsi :

- la sanction pécuniaire est proportionnelle à la gravité du manquement et aux avantages tirés de celui-ci et est plafonnée à 3 %, ou 5 % en cas de nouvelle violation, du chiffre d'affaires hors taxes du dernier exercice clos. Les montants d'un et 2,5 millions de francs sont applicables en cas d'absence d'un tel chiffre d'affaires. La sanction pécuniaire ne peut être prononcée pour des faits constitutifs d'une infraction pénale et son montant doit prendre en compte l'existence éventuelle d'une autre sanction pécuniaire prononcée en application d'une autre législation pour les mêmes faits ;

- la sanction administrative ou pécuniaire ne peut être prononcée qu'après mise en demeure restée infructueuse ;

- les griefs doivent être notifiés et la personne poursuivie doit pouvoir consulter son dossier et présenter ses observations écrites et verbales. Elle peut être assistée par un conseil de son choix ;

- les faits constitutifs de manquement sont prescrits au bout de trois ans ;

- les décisions de sanction sont motivées, notifiées et publiées au Journal officiel ;

- les sanctions peuvent faire l'objet d'un recours de pleine juridiction et d'une demande de sursis à exécution, de droit suspensif en cas de sanction pécuniaire, devant le Conseil d'Etat.

Outre la sanction pécuniaire, l'article 39 du projet de loi permet au ministre de prononcer « le retrait temporaire, pour une durée n'excédant pas un an » des autorisations qu'il délivre.

Par symétrie avec les facultés ouvertes à la CRÉ, la conjonction de coordination « ou » figurant au premier alinéa de l'article (« prononcer une sanction pécuniaire ou le retrait temporaire ») doit se comprendre comme un « ou » inclusif : le ministre peut prononcer ou bien l'une ou l'autre sanction, ou bien l'une cumulée à l'autre. L'étendue du pouvoir de sanction du ministre ne saurait en effet être plus limitée que celui de la CRÉ.

Les autorisations visées sont de deux ordres :

- les autorisations d'exploiter une installation : il s'agit des autorisations de produire de l'électricité délivrées par le ministre chargé de l'énergie en application du I de l'article 7 et de l'article 9. Elles incluent les autorisations d'exploiter délivrées aux personnes retenues après appel d'offres conformément à l'article 8 ;

- les autorisations d'exercer l'activité d'achat d'électricité pour revente aux clients éligibles, y compris lorsque l'activité est accomplie par les producteurs dans le but de compléter leur offre : il s'agit des autorisations visées aux premier et deuxième alinéas du IV de l'article 22.

Le ministre chargé de l'énergie ne peut infliger une sanction pécuniaire ou administrative que dans les cas définis par l'article 39. Les manquements visés sont de deux ordres :

- le non-respect d'obligations de paiement des contributions au fonds de compensation des charges de missions de service public assignées aux producteurs (I de l'article 5) ou au fonds de compensation des charges de missions de service public de développement et d'exploitation des réseaux publics de transport et de distribution et de cohésion sociale (II de l'article 5), ainsi qu'au titre de financement péréqué des coûts échoués (article 46) ;

- le non-respect d'une disposition législative ou réglementaire ou d'une prescription relative à la production d'électricité (articles 7 à 10) ou à l'activité d'achat pour revente de l'électricité (IV de l'article 22).

La commission a adopté un amendement du rapporteur portant coordination avec les deux amendements du rapporteur et de M. Claude Billard adoptés à l'article 5 et qui visent à imposer l'application systématique des sanctions en cas de manquement au versement des contributions aux fonds de service public de la production et de la distribution (amendement n° 297).

Elle a également adopté un amendement du rapporteur ajoutant une possibilité de sanctionner les manquements à l'obligation de fourniture des données prévue à l'article 45 (amendement n° 298).

Puis elle a adopté l'article 39 ainsi modifié.

Article 40

Dispositions pénales

L'article 40 du projet de loi définit des infractions pénales propres au secteur de l'électricité et les sanctions pénales encourues par les contrevenants.

Trois infractions pénales sont définies aux deux premiers alinéas de l'article :

1°  le fait de construire ou d'exploiter une installation de production électrique sans l'autorisation (délivrée par le ministre chargé de l'énergie) mentionnée à l'article 7.

La commission a adopté un amendement du rapporteur supprimant l'infraction tenant au fait de construire une installation de production électrique sans être titulaire de l'autorisation mentionnée à l'article 7 (amendement n° 299). En effet cet article ne prévoit aucune autorisation pour la construction d'unités de production, mais seulement une autorisation pour l'exploitation de telles installations. En fait, en droit, il existe des régimes d'autorisation, notamment dans le cadre du permis de construire de droit commun, du régime des installations classées, des installations hydrauliques, des emprises sur le domaine public, etc., pour la construction d'installations de production. Mais ces régimes mettent en place des sanctions propres, qui ne pourront d'ailleurs pas être cumulées avec celles prévues au présent article 40 ;

2°  le fait de construire ou de mettre en service une ligne directe sans l'autorisation (délivrée par l'autorité administrative, c'est-à-dire le préfet ou le ministre selon l'importance de la ligne) mentionnée à l'article 24 ;

3°  le fait de s'opposer à l'exercice des fonctions des agents habilités par le ministre ou la Commission de régulation de l'électricité (CRÉ) à procéder à des enquêtes en application de l'article 33 ou le fait de refuser de leur communiquer les renseignements, justifications, documents comptables, factures, pièces ou documents pour l'accomplissement de leur mission. La commission a adopté un amendement rédactionnel du rapporteur au deuxième alinéa (amendement n° 301).

Les deux premières infractions sont punies d'un an d'emprisonnement et de 500 000 F d'amende. La commission a adopté un amendement de M. Claude Billard portant à un million de francs le montant maximal de cette amende (amendement n° 300). La troisième infraction est punie de six mois d'emprisonnement et de 50 000 F d'amende.

Le projet de loi autorise l'application de trois peines complémentaires aux personnes physiques coupables de ces infractions :

- la fermeture temporaire ou définitive d'un ou de tous les établissements de l'entreprise appartenant à la personne condamnée (peine visée par l'article 131-10 du code pénal) ;

- l'interdiction d'exercer l'activité professionnelle ou sociale dans l'exercice de laquelle ou à l'occasion de l'exercice de laquelle l'infraction a été commise (peine organisée par l'article 131-27 du code pénal : l'interdiction peut être définitive ou temporaire, mais en ce dernier cas sa durée ne peut excéder cinq ans ; elle n'est pas applicable aux mandats électifs ou aux responsabilités syndicales) ;

- l'affichage ou la diffusion de la décision de justice (peine organisée par l'article 131-35 du code pénal : l'affichage ou la diffusion de tout ou partie de la décision est effectuée aux frais du condamné ; l'affichage ne peut excéder deux mois).

L'article 131-11 du code pénal autorise le juge à ne prononcer que l'une ou plusieurs de ces peines complémentaires lorsqu'il sera saisi d'un délit.

Le projet de loi permet également de déclarer pénalement responsables les personnes morales au cas où elles commettraient des infractions définies aux deux premiers alinéas de l'article 40 afin de corriger une erreur de renvoi à des alinéas. Sur la proposition du rapporteur, la commission a adopté un amendement rédactionnel précisant, en ce sens, les dispositions du 7ème alinéa de l'article 40, afin de corriger une erreur de renvoi à des alinéas (amendement n° 302).

L'article 121-2 du code pénal limite la responsabilité pénale des collectivités territoriales et leurs groupements aux infractions commises dans l'exercice d'activités susceptibles de faire l'objet de conventions de délégation de service public. La production et la distribution de l'électricité entrent dans ce cas. Il faut noter, en outre, que cette limitation ne s'applique pas aux établissements publics locaux ni aux sociétés d'économie mixte locales.

Les personnes morales encourent quatre peines :

- une amende, dont le montant maximal est égal au quintuple de celui prévu pour les personnes physiques conformément à l'article 131-38 du code pénal (soit 2,5 millions de francs pour les deux premières infractions et 250 000 F pour la troisième) ;

- la fermeture temporaire ou définitive de l'un ou de tous les établissements de l'entreprise (le 4° de l'article 131-39 du code pénal limite à cinq ans la durée de la fermeture temporaire et cantonne l'application de la peine aux établissements ayant servi à commettre les faits incriminés). La commission a adopté un amendement du rapporteur précisant, comme au 3°, que la fermeture temporaire ne saurait excéder cinq ans (amendement n° 303) ;

- l'interdiction, définitive ou temporaire pour une durée de cinq ans au plus, d'exercer directement ou indirectement l'activité professionnelle ou sociale dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de laquelle l'infraction a été commise (peine prévue par le 2° de l'article 131-39 du code pénal) ;

- l'affichage ou la diffusion de la décision de justice dans les conditions prévues par l'article 131-35 du code pénal (peine prévue par le 9° de l'article 131-39 du code pénal).

La commission a adopté l'article 40 ainsi modifié.

Article 41

Recherche et constatation des infractions à la loi

L'article 41 du projet de loi autorise les enquêteurs habilités conformément à l'article 33 et assermentés à procéder à la recherche et à la constatation de toute infraction aux dispositions du présent projet de loi. L'article 33 habilitait les fonctionnaires habilités par le ministre chargé de l'énergie (ou le ministre chargé de l'économie en vertu d'un amendement adopté par la commission) et les agents de la Commission de régulation de l'électricité (CRÉ) habilités par son président à effectuer les enquêtes nécessaires à l'accomplissement des missions confiées à la CRÉ pour ces derniers et à l'application des dispositions de l'ensemble du projet de loi pour les premiers. A cet effet, l'article 33 leur confie des droits d'accès et de communication très étendus et leur permet de dresser des procès-verbaux.

La commission a adopté un amendement du rapporteur précisant que les enquêteurs visés au deuxième alinéa de l'article 41 sont les fonctionnaires habilités par le ministre chargé de l'économie ou celui chargé de l'énergie et les agents habilités de la CRÉ en application de l'article 33 (amendement n° 304).

A la différence des enquêteurs agissant dans le strict cadre de l'article 33, les fonctionnaires et agents visés à l'article 41 doivent être assermentés (un décret en Conseil d'Etat définira les conditions de la prestation de serment) et peuvent dresser des procès-verbaux de constatation d'infraction à n'importe quelle disposition figurant dans le projet et donc procéder aux recherches nécessaires ; sont visées en particulier les dispositions sanctionnées pénalement.

Ces fonctionnaires et agents assermentés disposent des pouvoirs d'enquête définis à l'article 33, selon la répartition prévue par cet article qui distingue les enquêtes portant sur le gestionnaire du réseau public de transport et celles portant sur les autres opérateurs ou les clients éligibles.

En cas de constatation d'infraction sanctionnée pénalement, les procès-verbaux doivent être adressés au procureur de la République, sous peine de nullité, dans les cinq jours suivant leur clôture (date qui peut être et est souvent ultérieure aux enquêtes sur place ou aux auditions). De même, la procédure sera nulle si une copie n'est pas remise dans le même délai à l'intéressé. Ces procédures sont classiques.

En outre, le projet de loi impose aux administrations d'informer le procureur de la République, préalablement à leur déclenchement, des opérations de recherche d'infractions qui sont envisagées. En tant qu'autorité en charge de l'application de la politique pénale et gardien de la loi pénale, il peut s'opposer à ces opérations.

La commission a adopté l'article 41 ainsi modifié.

TITRE VII

L'OBJET D'ÉLECTRICITÉ DE FRANCE

Article 42

Aménagement du principe de spécialité d'EDF

a) L'application du principe de spécialité à EDF et la diversification de ses activités

De la même manière que l'activité d'une société commerciale est définie par son objet social, l'activité d'un établissement public est soumise à un principe de spécialité. En vertu de ce principe, l'activité de l'établissement public est limitée aux services qu'il a pour mission de gérer. La stricte application de ce principe implique donc que le patrimoine d'un établissement public ne puisse être utilisé à d'autres fins que celles découlant de sa mission statutaire.

Toutefois, tant la jurisprudence du Conseil d'Etat que celle des tribunaux de l'ordre judiciaire a, depuis la Libération, considérablement assoupli l'application du principe de spécialité pour les établissements publics à caractère industriel et commercial. Petit à petit, il a été ainsi admis que ce type d'établissement public pouvait exercer des activités complémentaires ou accessoires de l'activité principale puis, poussant cette logique encore plus loin, que le principe de spécialité n'interdisait pas à un établissement public de se livrer à des activités ne trouvant leur justification qu'au regard de la bonne gestion commerciale du service.

S'agissant d'EDF, c'est la lecture croisée des deux premiers articles de la loi de 1946 qui permet de définir l'activité de l'entreprise. En effet, après avoir précisé dans son article 1er que « sont nationalisés la production, le transport, la distribution, l'importation et l'exportation d'électricité », l'article 2 de la loi indique que « la gestion des entreprises nationalisées d'électricité est confiée à un établissement public national de caractère industriel et commercial dénommé « Electricité de France (EDF), service national ». Celui-ci se voit également confier (de manière provisoire) « la prise en charge et le fonctionnement du service public de distribution » de l'électricité. Par ailleurs, l'article 46 de la loi prévoit que des décrets déterminent « les conditions dans lesquelles les services de distribution doivent cesser toutes activités industrielles et commerciales relatives à la réparation, à l'entretien des installations, à la vente et à la location des appareils ménagers, en dehors de celles définies à l'article 1er de la présente loi ».

Jusqu'aux années 1990, EDF n'a exercé que les métiers autorisés par la loi de 1946. C'est au début de l'actuelle décennie, alors que commençait à poindre la volonté communautaire de libéraliser le marché de l'électricité, qu'EDF a commencé à diversifier son activité vers des métiers plus ou moins éloignés de sa mission statutaire originelle.

Face à l'irruption d'une entreprise de cette taille dans le secteur concurrentiel, les pouvoirs publics ont été amenés à définir des règles du jeu.

C'est à cette fin qu'un protocole d'accord a été conclu entre l'Etat et EDF le 25 janvier 1990. Ce protocole obligeait l'établissement public à regrouper ses activités « de diversification » au sein de holdings constitués sous forme de filiales au statut de société anonyme et précisait que la vocation essentielle d'EDF - la fourniture d'une électricité compétitive et de qualité - n'excluait pas de valoriser ses compétences spécifiques et ses actifs dans des champs d'activité nouveaux, mais à la condition que « ce développement s'effectue dans le respect de l'environnement industriel et que les activités correspondantes soient gérées de façon transparente et sans subvention en provenance de l'activité principale ».

Il imposait également aux filiales d'assurer l'équilibre entre leurs besoins de financement et leurs ressources et donc de ne bénéficier d'aucun apport public pour leurs activités. Enfin il soumettait les opérations de constitution de filiales et les apports en titres ou en capital d'EDF supérieurs à 50 millions de francs à autorisation préalable des pouvoirs publics.

C'est donc en application de ce protocole que furent créés quatre holdings :

- Synergie Développement et Services (SDS), société qui met en _uvre la stratégie de sa maison-mère pour le développement d'activités de services aux particuliers, aux entreprises et aux collectivités locales. Son chiffre d'affaires consolidé s'est élevé à 4 369 millions de francs et le total de son bilan à 8 669 millions de francs en 1997.

SDS intervenait à l'origine dans des secteurs d'activité très diversifiés, les plus importants d'entre eux étant la propreté (traitement des déchets), la vidéocommunication, l'éclairage public et les services associés à l'énergie.

SDS a entrepris, en liaison avec les pouvoirs publics, une rationalisation de son portefeuille en se désengageant progressivement des activités jugées contraires au principe de spécialité ou de nature à entraver le libre jeu de la concurrence, mais aussi des activités les moins rentables et présentant peu d'intérêt stratégique : c'est en particulier le cas de la vidéocommunication ;

- La Compagnie Holding d'Applications et de Réalisations Thermiques et Hydrauliques (CHARTH) gère les participations du groupe liées, pour l'essentiel, à la production thermique, hydraulique et aux combustibles. En 1997, son chiffre d'affaires consolidé s'est élevé à 2 177 millions de francs et le total de son bilan à 5 479 millions de francs.

A la différence de SDS, CHARTH exerce la majeure partie de ses activités dans des domaines proches du « métier » de base de sa maison-mère ;

- Le Holding de Valorisation Foncière et Immobilière (H4) a réalisé en 1997 un chiffre d'affaires de 1 141 millions de francs et le total de son bilan s'est élevé à 11 030 millions de francs. Cette société se consacre exclusivement à la gestion du patrimoine foncier et immobilier d'EDF ;

- EDF international, dont l'activité a déjà été présentée dans l'introduction du rapport, a pour fonction d'acquérir des participations dans des sociétés d'électricité opérant à l'étranger.

Après le protocole de 1990 et après le rapport de la Cour des comptes de septembre 1993 qui émettait plusieurs critiques sur la politique de diversification d'EDF, les pouvoirs publics durent de nouveau intervenir en 1994, la stratégie de diversification d'EDF s'accélérant alors sensiblement.

Ils demandèrent d'abord à l'inspection générale de l'industrie et du commerce un rapport sur la politique de diversification d'EDF et de GDF ; celui-ci fut rendu public en février 1994 (« rapport Guillet »).

Le ministre de l'industrie saisit ensuite le Conseil d'Etat d'une demande d'avis sur la conformité des activités de diversification aux dispositions législatives et réglementaires régissant l'établissement public et notamment au « principe de spécialité ». Dans son avis du 7 juillet 1994  (4), le Conseil d'Etat a estimé que ce principe ne s'opposait pas à ce que l'établissement se livre à d'autres activités économiques que celles fixées par la loi moyennant deux conditions :

« - d'une part que ces activités annexes soient techniquement et commercialement le complément normal de sa mission statutaire principale (...) ou au moins connexes à ces activités,

« - d'autre part que ces activités soient à la fois d'intérêt général et directement utiles à l'établissement public notamment par son adaptation à l'évolution technique, aux impératifs d'une bonne gestion des intérêts confiés à l'établissement, au savoir-faire de ses personnels, à la vigueur de sa recherche et à la valorisation de ses compétences, tous moyens mis au service de son objet principal. »

Mais dans cet avis, le Conseil d'Etat ne s'est pas borné à rappeler et à préciser un principe essentiel du droit des établissements publics, il a également indiqué, exemples à l'appui, quelles étaient les activités qu'EDF pouvaient exercer (traitements des déchets, éclairage public, ingénierie) et celles qui lui étaient interdites (cartographie, télésurveillance, domotique, réseaux câblés, collecte et mise en décharge de déchets). L'exercice de ces dernières activités a été refusé à EDF au motif qu'elles ne pouvaient « trouver un fondement en tant que complément normal des missions principales et justifié par l'intérêt général ». Dès lors le Conseil a posé le principe selon lequel « les activités qui engagent les établissements (EDF et GDF) dans des rapports très différents avec leurs clients et qui requièrent des techniques n'ayant qu'un rapport lointain avec la production, le transport ou la distribution d'énergie » ne peuvent être exercées par ces établissements, le pivot du raisonnement étant l'appréciation de ce qui constitue un « complément normal » aux missions principales des établissements publics.

Simultanément au Conseil d'Etat était également saisi le Conseil de la concurrence afin que soient définis les principes à respecter par EDF dans la mise en _uvre de sa politique de diversification pour que les règles du jeu de la concurrence dans les secteurs concernés soient respectées. Le Conseil de la concurrence a précisé, dans son avis du 10 mai 1994, les conditions de la filialisation et du fonctionnement de ces activités complémentaires ; afin d'éviter les difficultés, il a proposé qu'une « séparation étanche entre activités liées au monopole et celles relatives à la diversification » soit instaurée.

S'appuyant sur les avis du Conseil d'Etat et du Conseil de la concurrence, le ministère de l'industrie mit en place, en avril 1995, un dispositif d'encadrement (matérialisé par un protocole conclu entre l'Etat et EDF) fixant les conditions d'exercice des activités de diversification de l'établissement.

Par ailleurs, un « observatoire de la diversification » était institué. Il reçut pour fonction d'examiner les conditions d'intervention d'EDF, de GDF et de leurs filiales sur les marchés concurrentiels. Cet observatoire, présidé par le ministre chargé de l'énergie, comprend quatre représentants de l'administration, huit représentants des professions concernées et deux représentants d'EDF et de GDF. Il a une vocation purement consultative et est avant tout une instance de concertation et d'échanges.

Il s'est réuni à ce jour à quatre reprises et a été en particulier saisi, lors de ses dernières réunions, du problème posé par l'activité d'EDF dans le secteur de la vidéocommunication (secteur dans lequel EDF a finalement choisi de se désengager lors du second semestre 1998).

Enfin, rappelons que ce dispositif d'ensemble est conforté par le contrat d'entreprise conclu entre l'Etat et EDF en avril 1997 et qui s'applique sur la période 1997-2000.

L'ouverture à la concurrence d'une partie du marché de l'électricité rend nécessaire l'adaptation du principe de spécialité d'EDF. Celui-ci tirait en effet sa principale justification de l'attribution de droits exclusifs à l'établissement public.

Il appartient donc au législateur de redéfinir les activités d'EDF. En effet le principe de spécialité n'est pas un principe général du droit mais une simple règle de compétence participant de la définition de la catégorie d'établissement public à laquelle appartient EDF qu'une loi définit et qu'une autre loi peut modifier.

b) Les propositions de réforme contenues dans le projet de loi

L'article 42 du projet de loi se décline en cinq paragraphes qui, par leur enchaînement, déroulent une logique nouvelle applicable à l'activité d'EDF : le paragraphe I définit l'objet d'EDF, le paragraphe II le complète, les paragraphes III et IV précisent les prestations et services qu'EDF peut fournir aux clients éligibles, d'une part, et aux consommateurs non éligibles, d'autre part ; quant au paragraphe V, il prévoit qu'un décret en Conseil d'Etat pourra préciser les modalités d'application de cet article.

Le paragraphe I fixe pour mission à EDF, la production, le transport et la distribution d'électricité. Il précise que cet objet inclut l'importation, l'exportation et la fourniture d'électricité (permettant par ce vocable d'inclure le négoce et la vente de courant électrique, la notion de distribution ayant comme votre rapporteur l'a déjà souligné un sens « physique » dans la directive). Il reprend en cela les termes de la loi du 8 avril 1946 (combinaison des articles 1er et 2).

En vertu du paragraphe II, EDF peut également (adverbe indiquant que ce paragraphe complète la définition de l'objet d'EDF) exercer en France ou à l'étranger toutes les activités concourant directement ou indirectement à son objet défini dans le précédent paragraphe. Cette formulation générale est aujourd'hui classique lorsqu'il s'agit de définir l'objet d'une société commerciale ou d'un établissement public. Signalons à titre d'exemple que l'article 18 de la loi n° 92-1153 d'orientation des transports intérieurs définit ainsi la mission de la SNCF : « Cet établissement a pour objet :

- d'exploiter, selon les principes du service public, les services de transport ferroviaire sur le réseau ferré national ;

- d'assurer, selon les mêmes principes, les missions de gestion de l'infrastructure (...).

Cet établissement est habilité à exercer toutes activités qui se rattachent directement ou indirectement à cette mission. »

La parenté entre les deux rédactions est claire.

Quelles sont les activités se rattachant directement ou indirectement à la mission d'EDF ?

Dans le dossier de presse présentant le projet de loi, le secrétariat d'Etat à l'industrie donne quelques exemples de services liés à l'activité industrielle d'EDF que l'établissement public est susceptible de proposer à ses clients éligibles en application des dispositions de ce paragraphe II et du paragraphe III. Il s'agit de :

- la conception, la réalisation et l'exploitation-maintenance des réseaux d'énergie intérieurs aux sites des clients éligibles (électricité, gaz, vapeur, froid, air comprimé, etc.) ;

- la conception, la réalisation et l'exploitation-maintenance d'installations de production d'énergie pour le compte de ces clients (installations de production d'électricité, de vapeur, centrales de froid, d'air comprimé, etc.) ;

- la gestion et l'optimisation des consommations d'énergie des sites des clients éligibles.

Mais au-delà de ces activités directement liées à son objet, EDF doit également pouvoir intervenir dans d'autres domaines. Comme le souligne de manière sibylline le dossier de presse, l'offre d'EDF doit pouvoir s'élargir à d'autres demandes : maintenance de sites industriels, services aux entreprises, etc. (c'est le paragraphe III du présent article qui étend le champ d'intervention d'EDF auprès de sa clientèle éligible).

La possibilité offerte à EDF d'exercer des activités concourant directement ou indirectement à son objet a contraint les auteurs du projet de loi à apporter deux précisions importantes dans le paragraphe II :

- l'une indiquant que cette faculté ne remet pas en cause les dispositions des paragraphes III et IV du présent article (le paragraphe III présente une conception élargie de l'objet d'EDF lié à son activité de fourniture d'électricité aux clients éligibles et le paragraphe IV encadre l'activité de l'établissement public à destination des clients dits « captifs ») ;

- l'autre précisant que les activités visées doivent être exercées par des filiales d'EDF ou par des sociétés, groupements et organismes dans lesquels EDF détient des participations. Cette exigence doit garantir la loyauté de la concurrence en séparant juridiquement les activités soumises à concurrence et celles bénéficiant de droits exclusifs, clarifiant ainsi les incidences comptables liées à l'existence de cette dualité d'activités. Une difficulté rédactionnelle existe cependant dans la mesure où le paragraphe IV permet à EDF - ce qui implique qu'il n'y a pas d'obligation de filialisation - de proposer aux clients non éligibles les services visés à ce paragraphe.

Le paragraphe III poursuit la logique de l'article 42 en précisant les activités qu'EDF peut exercer, par filiales interposées, auprès de ses clients éligibles. Son objectif est de permettre à EDF de lutter à armes égales avec la concurrence sur le marché « ouvert ». Lors de son audition devant la commission de la production et des échanges, M. François Roussely, président d'EDF, a appelé l'attention des députés sur la part des investissements hors électricité de certains concurrents d'EDF : celle-ci est de 31 % chez Electrabel, de 46 % chez ENDESA, de 54 % chez Scottish Power alors que ce type d'investissements ne représente aujourd'hui que 7 % de l'investissement total d'EDF. Dans son introduction, le rapporteur a déjà présenté les stratégies de diversification des principaux électriciens européens. Aujourd'hui, la compétition auprès des clients éligibles va s'opérer à travers des propositions d'« offres globales » présentant une palette de services (énergie, télécommunications, télévision, déchets, eau, chaleur, gardiennage, entretien, etc.). Il importe donc que l'activité d'EDF ne soit pas entravée par un objet trop limitativement défini. Ce qui explique la formulation très générale retenue dans le paragraphe III qui permet à EDF, par l'intermédiaire de filiales, de proposer aux clients éligibles des prestations constituant « un complément technique ou commercial à la fourniture d'électricité ».

Le rapporteur n'est pas convaincu par cette rédaction qui peut aller à l'encontre du but recherché, à savoir placer EDF sur un pied d'égalité avec ses concurrents.

En effet, la notion de complément semble trop limitative même si le texte autorise expressément les compléments commerciaux, terme aux limites imprécises pouvant donner lieu à une interprétation très extensive.

En effet dans son avis du 7 juillet 1994, le Conseil d'Etat avait estimé que :

« Ne peuvent (...) trouver un fondement en tant que complément normal des missions principales et justifié par l'intérêt général, les activités qui engagent les établissements dans des rapports très différents avec leurs clients et qui requièrent des techniques n'ayant qu'un rapport lointain avec la production, le transport ou la distribution d'énergie. »

On peut donc craindre qu'un juge se fonde sur cette définition du complément pour interpréter de manière restrictive le paragraphe III de l'article 42.

En tout état de cause, le complément ne peut se définir que par rapport à un objet principal, en l'occurrence la fourniture d'électricité. Selon le Robert, un complément est « ce qui s'ajoute ou doit s'ajouter à une chose pour qu'elle soit complète ». Sur le fondement de cette définition, on peut douter que toutes les composantes d'une offre globale constituent des compléments à la fourniture d'électricité.

Signalons d'ailleurs qu'il est fréquemment fait mention de cette notion de complément lorsqu'est défini l'objet d'un établissement public. Votre rapporteur se bornera à citer deux exemples :

- la SNCF qui, conformément à l'article 18 de la « LOTI », « peut créer des filiales ou prendre des participations dans des sociétés, groupements et organismes ayant un objet connexe ou complémentaire » ;

- La Poste dont l'article 7 du cahier des charges prévoit que « des prestations complémentaires aux services dont l'exclusivité est réservée à La Poste peuvent être proposées par cette dernière ».

On notera que dans les deux cas, la rédaction laisse peu de place à une interprétation « élargie » de l'objet des établissements publics.

Pour ces raisons, votre rapporteur propose donc de revoir la rédaction de ce paragraphe.

Mais l'élargissement du champ d'intervention d'EDF pose un autre type de problème : l'entrée d'EDF dans des secteurs où sont déjà présents d'autres établissements ou entreprises publiques. Votre rapporteur ne souhaite pas qu'EDF vienne, par exemple, concurrencer France Télécom dans les métiers des télécommunications. Certes, la concurrence entre établissements et/ou entreprises publiques existe déjà, mais elle s'exerce d'une manière que l'on pourrait qualifier d'« indirecte » : c'est le cas de la compétition que se livrent la SNCF et Air France sur certains trajets intérieurs ou de celle opposant EDF à GDF sur le chauffage. Dans le cadre du paragraphe III de l'article 46, la concurrence risque d'être plus frontale. On peut toutefois estimer que c'est à l'actionnaire commun, à savoir l'Etat, d'arbitrer les situations qui verraient deux intervenants publics s'entrebattre sur un même secteur au nom de la stratégie d'entreprise.

Enfin, il convient de signaler que l'article 42 tel qu'il est rédigé ne s'applique pas aux sous-filiales d'EDF. Celles-ci sont donc totalement soustraites aux dispositions du paragraphe III et peuvent ainsi intervenir dans tous les secteurs de l'économie. Le « précédent Estel », filiale d'Electricité de Strasbourg, elle-même filiale d'EDF, autorisée en novembre 1998 à être opérateur de réseau de télécommunications ouvert au public en Alsace, est à méditer.

Le paragraphe IV précise les activités qu'EDF peut directement (c'est-à-dire sans les filialiser) entreprendre auprès des clients non éligibles. Il confirme l'interdiction faite à EDF d'intervenir « en aval » du compteur en prohibant tout service portant sur la réalisation et l'entretien des installations intérieures ainsi que les activités de vente ou de location d'appareils utilisateurs d'énergie. Mais il institue une exception importante à ce principe en autorisant EDF à apporter à sa clientèle captive des services destinés à promouvoir l'utilisation rationnelle de l'énergie.

Cette rédaction appelle plusieurs remarques de votre rapporteur.

- Elle pose des limites sensiblement différentes de celles fixées à EDF par l'avis du Conseil d'Etat de 1994.

En effet, cet avis ne mentionnait pas les services destinés à promouvoir l'utilisation rationnelle de l'énergie parmi les activités susceptibles d'être développées par EDF. Il visait en revanche l'activité d'ingénierie, « à condition qu'elle porte sur (la) mission principale de production, de transport ou de distribution d'énergie ou sur les actions complémentaires admises ». Celle-ci n'étant pas inscrite au paragraphe IV, devient de ce fait une activité devant être exclusivement exercée par une filiale d'EDF qu'elle soit tournée vers les clients éligibles ou les clients non éligibles.

Par ailleurs, l'avis du Conseil d'Etat autorisait EDF à traiter les déchets et à proposer ses services en matière d'éclairage public. Ces prestations s'adressaient principalement aux collectivités locales. Or, celles-ci ne peuvent pas être des clients éligibles et de ce fait, ces activités seront désormais, si la rédaction actuelle du projet de loi reste en l'état, interdites à EDF.

- Elle soulève un problème proche des préoccupations liées à la loyauté de concurrence puisqu'on imagine mal un opérateur spécialisé dans l'électricité donner un conseil sur l'utilisation rationnelle de l'énergie. La question ne se pose pas lorsqu'il n'y a pas d'énergie de substitution à l'électricité (pour l'éclairage par exemple). En revanche, pour d'autres usages - tel le chauffage en particulier - on peut douter de l'objectivité des services rendus par EDF en la matière et on peut craindre également que cette faculté ouverte à EDF soit le prétexte trouvé par l'établissement public pour intervenir en aval du compteur. Il peut être en effet facile de justifier des interventions prohibées par la loi en les parant des habits des « services destinés à promouvoir l'utilisation rationnelle de l'énergie ».

Enfin, le paragraphe V prévoit qu'un décret en Conseil d'Etat précisera « en tant que de besoin » les modalités d'application de l'article 42.

A plusieurs reprises votre rapporteur s'est inquiété des habilitations multiples et larges données au Gouvernement pour préciser les termes de la loi. Là encore on est en droit de s'interroger sur le contenu de ces modalités d'application. S'agit-il de donner une définition ou une liste des prestations constituant un complément technique ou commercial à la fourniture d'électricité ou des services destinés à promouvoir l'utilisation rationnelle de l'énergie ?

En principe, les missions d'un établissement public ou d'un service public national sont précisées dans le cahier des charges de l'établissement qui est annexé au décret en Conseil d'Etat qui l'approuve. Quel serait le sens de ce décret en Conseil d'Etat parallèle au décret en Conseil d'Etat approuvant le cahier des charges ? Des limitations seraient-elles imposées, ou des dérogations accordées, à EDF en dehors de son cahier des charges et de la loi ?

Au terme des discussions et des réflexions conduites par votre rapporteur, ce décret en Conseil d'Etat ne serait qu'éventuel et ne dresserait aucune liste d'activités autorisées ou interdites ni ne définirait des notions. Il pourrait, si l'état du marché le nécessitait, interdire à EDF ou ses filiales d'exercer certaines activités pour lesquelles d'autres entreprises publiques ont reçu des missions ou pourrait imposer à EDF de passer par des prises de participations, et non la constitution de filiales, pour exercer certaines activités.

Ces précisions d'application peuvent être utiles mais elles ont plutôt leur place dans le cahier des charges d'EDF puisqu'elles touchent les modalités de fonctionnement et l'organisation de l'établissement. Rappelons le précepte de Montaigne : « la plus part des instructions de la science à nous encourager ont plus de montre que de force, et plus d'ornement que de fruict » (Essais, livre III, chapitre XII).

Sur le fondement des différentes observations qui viennent d'être formulées, le rapporteur a proposé à la commission un amendement de rédaction globale de l'article 42. Le rapporteur a indiqué que celui-ci poursuivait un triple but :

- interdire toute possibilité de subvention croisée entre les activités bénéficiant d'une situation de monopole et celles s'exerçant sur un marché concurrentiel ;

- permettre à EDF de proposer aux clients éligibles des « offres globales », donc autoriser l'établissement public à intervenir auprès de ces clients dans les mêmes métiers que ses concurrents ;

- limiter les activités qu'EDF exerce au-delà de ses missions de service public en direction des clients non éligibles aux activités que le Conseil d'État n'a pas jugé contraires à la spécialité de l'établissement public dans son avis de 1994.

S'agissant de la prévention des subventions croisées l'amendement définit strictement les activités qu'EDF peut exercer directement et celles qui doivent faire l'objet d'une filialisation :

- EDF exerce directement son activité principale à savoir la production, le transport, la distribution, la fourniture, l'importation et l'exportation d'électricité ;

- EDF exerce directement ou par le biais de filiales ou sous-filiales des activités consistant à offrir des prestations de conseil destinées à promouvoir la maîtrise de la demande d'électricité auprès des clients non éligibles ;

- Toutes les autres activités d'EDF à savoir : les activités concourant directement ou indirectement à son objet, les activités « de diversification » destinées aux clients éligibles, les activités destinées aux collectivités locales doivent être effectuées par le biais de filiales ou de sous-filiales.

Enfin, EDF peut exercer soit directement, soit par le biais de filiales ou sous-filiales toutes activités à l'étranger.

Pour ce qui concerne les activités destinées aux clients éligibles, l'amendement s'efforce de clarifier le texte du projet de loi en supprimant le mot « complément » qui avait été restrictivement défini par le Conseil d'Etat dans son avis de 1994 et en mentionnant expressément la possibilité pour EDF de proposer aux clients éligibles des « offres globales » accompagnant la fourniture d'électricité.

Enfin pour les activités destinées aux clients non éligibles, l'amendement confirme l'interdiction faite à EDF d'intervenir en aval du compteur et limite plus étroitement les services qu'EDF peut proposer à ce type de clients. En effet, le texte actuel autorise EDF à proposer « des services destinés à promouvoir l'utilisation rationnelle de l'énergie ». Le rapporteur estime qu'EDF pourrait être en la matière juge et partie et qu'en conséquence, il est préférable de limiter ses interventions aux « prestations de conseil destinées à promouvoir la maîtrise de la demande d'électricité ».

Par ailleurs, l'amendement permet à EDF, à ses filiales et sous filiales de proposer aux collectivités locales des prestations liées à la production, au transport, à la distribution ou à l'utilisation de l'énergie. En effet, aujourd'hui, EDF peut comme l'a confirmé le Conseil d'Etat exercer auprès des collectivités locales des activités telles que l'éclairage public ou le traitement des déchets. La rédaction proposée est donc conforme à la situation juridique actuelle.

Enfin, l'observatoire de la diversification des activités d'EDF reçoit par cet amendement un fondement légal demandé par les associations professionnelles du secteur. Son champ de compétence est limité aux activités destinées aux clients non éligibles.

M. Franck Borotra a indiqué qu'il sous-amenderait ce texte afin en particulier que le financement des activités d'EDF en direction des clients éligibles ne puisse s'effectuer qu'auprès du secteur bancaire.

M. Jean Proriol ayant demandé quelles étaient les conséquences de cet amendement pour les activités qu'EDF peut exercer auprès des collectivités locales, le rapporteur lui a répondu que le dispositif envisagé permettait à l'entreprise publique d'exercer strictement les mêmes activités qu'aujourd'hui auprès de ce type de clients.

La commission a adopté cet amendement du rapporteur portant rédaction globale de l'article 42 (amendement n° 305). Six amendements de M. Claude Billard, trois amendements de M. Franck Borotra et l'amendement n° 109 du même auteur ainsi qu'un amendement de M. Claude Birraux sont en conséquence devenus sans objet.

TITRE VIII

DISPOSITIONS SOCIALES

Les premières tentatives pour donner au personnel des industries électriques et gazières un cadre adapté aux spécificités de ses missions, datent des années qui précèdent la Première guerre mondiale. Dès 1907, la ville de Paris exigeait ainsi l'insertion, dans les cahiers des charges annexés aux conventions de concession, de clauses assimilant les agents chargés d'assurer les services de distribution de l'électricité et du gaz à des fonctionnaires municipaux.

La multiplication de ces concessions, la diversité des entreprises, l'intervention des accords du 7 juin 1936 - dits " accords Matignon " (rendus applicables aux industries en cause par la convention du 10 juin 1936) et la loi du 24 juin 1936 ont conduit à une première tentative d'unification des statuts à travers le modèle annexé à la circulaire du 9 janvier 1937.

Il faut néanmoins attendre l'article 47 de la loi du 8 avril 1946 sur la nationalisation de l'électricité et du gaz et le décret n° 46-1541 du 22 juin 1946, pour voir affirmé le principe de la soumission de ces personnels à un droit statutaire exorbitant du droit commun mais néanmoins distinct du droit applicable aux agents publics. Cet article, dans sa rédaction modifiée par la loi n° 49-1090 du 2 août 1949, dispose que le statut du personnel en activité et du personnel retraité et pensionné s'applique à tout le personnel de l'industrie électrique et gazière, y compris les usines exclues de la nationalisation par l'article 8 de la loi, à l'exception des ouvriers mineurs employés par les centrales et les cokeries des houillères et des employés de chemin de fer qui conservent, sauf demande de leur part, leur statut professionnel.

Il ne s'applique ni au personnel des centrales autonomes visées aux 4° et 5° de l'article 8, al. 3 de la loi du 8 avril 1946, ni à l'ensemble du personnel de l'une quelconque des installations visées au 6° de l'article 8, al. 3 précité si la majorité de celui-ci a demandé à conserver le bénéfice de son statut professionnel (5).

La transposition de la directive 96/92/CE permet de conserver la spécificité statutaire du personnel des industries électriques et gazières (IEG). Le statut a donc vocation à s'appliquer demain comme il est appliqué aujourd'hui, c'est-à-dire à couvrir l'ensemble du personnel des IEG dans la limite des exceptions ci-dessus rappelées.

Article 43

(article L. 713-1 [nouveau] et L. 713-2 [nouveau] du code du travail)

Développement de la négociation collective de branche

Cet article introduit au titre Ier du livre VII du code du travail un chapitre III consacré au personnel des industries électriques et gazières comportant deux articles L. 713-1 et L. 713-2. Le développement de la négociation conventionnelle constitue en effet un élément de modernisation et de souplesse dans des relations sociales dont le statut est appelé à demeurer l'élément structurant.

La relance de la négociation conventionnelle dans le secteur privé date du début des années 1980 et de l'adoption des lois Auroux. Le principe d'une négociation collective annuelle obligatoire, la limitation du domaine susceptible d'être couvert par le règlement intérieur de l'entreprise et l'extension des pouvoirs reconnus aux institutions représentatives du personnel, ont indiscutablement donné une vitalité nouvelle aux accords négociés entre les partenaires syndicaux et patronaux. La logique de l'ordre public social, au sens où l'entend l'avis du Conseil d'Etat du 22 mars 1973, est confortée : à la loi de définir les droits et devoirs et de poser les règles de la relation de travail, aux négociations collectives interprofessionnelles, de branche ou d'entreprise la responsabilité d'adapter ces règles en fonction d'un environnement économique et social par nature changeant.

Le bilan favorable de cette modernisation des relations de travail que souligne le rapport Coffineau (Les lois Auroux. Dix ans après, La documentation française, 1993), appelle naturellement une transposition aux industries électriques et gazières dans le respect de leur spécificité.

Au cours de l'examen en commission, un débat s'est engagé sur deux amendements de suppression de cet article présentés respectivement par MM. Franck Borotra (n° 110) et Jean Proriol. M. Franck Borotra a expliqué que l'extension du statut conduirait à un alourdissement très significatif des charges de personnel et des charges sociales supportées par les nouveaux opérateurs du marché de l'électricité et que cette extension risquerait de pousser certains à délocaliser leur production ou à développer des mécanismes de sous-traitance afin de se soustraire à son application. Le rapporteur a souligné que l'application du statut aux nouveaux entrants répond au contraire au souci d'une concurrence équilibrée et que, par ailleurs, la suppression de l'article 43 laisse inchangées les dispositions de l'article 47 de la loi du 8 avril 1946. Suivant l'avis de son rapporteur, la commission a rejeté ces deux amendements.

Elle a également rejeté un amendement de M. Claude Billard relatif au domaine d'application du statut national du personnel des industries électriques et gazières, ainsi qu'un amendement de M. Claude Birraux tendant à réserver l'application dudit statut aux entreprises en bénéficiant à la date de transposition de la directive.

L'article L. 713-1 (nouveau) du code du travail ouvre la voie à la signature d'accords professionnels de branche venant compléter les dispositions statutaires ou en déterminer les modalités d'application dans les limites fixées par le statut national du personnel. Cette faculté constitue une novation, puisque l'article L. 134-1 du code du travail ne permet aujourd'hui que la négociation d'accords d'entreprise pour les catégories de personnel non soumises à un statut législatif ou réglementaire particulier.

Les dispositions du titre III du livre Ier relatives à l'extension des conventions ou accords collectifs de travail seront applicables au personnel de l'industrie électrique et gazière. Deux particularités méritent néanmoins d'être relevées.

La première a trait à l'autorité habilitée à prendre un arrêté d'extension. Il s'agit en principe d'une compétence reconnue au ministre du travail. Le deuxième alinéa de l'article L. 713-1 nouveau préfère en appeler à un arrêté conjoint du ministre chargé de l'énergie et du ministre chargé du travail.

Le deuxième élément d'originalité consiste à substituer la Commission supérieure nationale du personnel des industries électriques et gazières au sens de l'article 3 modifié du statut annexé au décret n° 46-1541 du 22 juin 1946 à la Commission nationale de la négociation collective (art. L. 136-1 du code du travail) pour l'exercice des missions que confie à cette dernière l'article L. 136-2 du code du travail - et notamment son 3° (présentation d'un avis motivé sur l'extension et l'élargissement des conventions et accords collectifs ainsi que sur l'abrogation des arrêtés d'extension ou d'élargissement).

La commission a rejeté deux amendements de M. Claude Billard tendant respectivement à conditionner la conclusion des accords collectifs de travail à leur signature par une ou plusieurs organisations syndicales ayant franchi un seuil de représentativité et à soumettre le personnel des filiales d'EDF implantées en France au statut, dès lors qu'EDF y est majoritaire ou qu'elles exercent des activités en rapport direct avec les activités principales d'EDF.

L'article L. 713-2 (nouveau) du code du travail prévoit que les mesures prises en exécution du statut du personnel des industries électriques et gazières doivent laisser place à des dispositions négociées par voie conventionnelle et étendues par arrêté ministériel.

Le II de cet article introduit un mécanisme de substitution dans l'hypothèse d'un blocage de la négociation collective : si l'obtention d'un accord entre les partenaires sociaux se révèle problématique, le ministre se voit accorder la possibilité de décider les mesures d'urgence que l'application du statut national impose, jusqu'à l'atteinte d'un tel accord.

La commission a adopté deux amendements de cohérence rédactionnelle présentés par le rapporteur (amendements nos 306 et 307).

Elle a en revanche rejeté un amendement de M. Claude Billard exemptant le personnel d'EDF-GDF du mécanisme de substitution mis en place au profit du ministre en cas de carence de la négociation collective, puis adopté un amendement rédactionnel du rapporteur (amendement n° 308).

Elle a ensuite adopté l'article 43 ainsi modifié.

Article 44

Transparence comptable en matière de protection sociale

Cet article impose à Electricité de France une obligation de transparence comptable en matière de protection sociale. Cette transparence se justifie par l'organisation spécifique de la protection sociale au sein des industries électriques et gazières (IEG) et notamment par l'existence d'un régime spécial de retraite mentionné à l'article R. 711-1 du code de la sécurité sociale. Il convient ici d'en rappeler les éléments caractéristiques.

Le nombre total des retraités de droit direct des industries électriques et gazières était de 89 238 en 1996 et 89 614 en 1997. Ce nombre passera à 131 000 en 2020, à rapprocher d'un effectif actuel des actifs cotisants de 148 000 agents statutaires. En d'autres termes, alors que le rapport des actifs aux retraités était de 4 à 1 en 1949, cette proportion n'est plus aujourd'hui qu'à 1,7 pour 1, avec la perspective de 1 pour 1 en 2010 et une valeur inférieure à l'unité à l'horizon 2020. Le coût des retraites des industries électriques et gazières à distribuer en 2010 est évalué à quelque 20 milliards de francs, les droits acquis après 1996 tant par les agents statutaires recrutés après 1996 que par les agents déjà présents à cette date ne représentant dans cet ensemble que 3,3 milliards de francs. Ce coût atteindrait près de 25 milliards de francs en 2020, dont 8,5 milliards de francs de droits acquis après 1996.

Ce régime repose sur une logique identique à celle des régimes de fonctionnaires, puisque la retraite est calculée sur la base du dernier salaire hors prime multiplié par un coefficient de correction dépendant du nombre d'annuités de services effectifs civils ou militaires (éventuellement majorées), dans la limite de 75 % de ce dernier salaire. La retraite des industries électriques et gazières correspond ainsi à la fois à un régime de base et à un régime complémentaire.

Le financement de ce régime est assuré selon un principe de répartition. Les retraites sont ainsi financées annuellement par une cotisation ouvrière fixée à 7,85 % du salaire hors prime (décret n° 91-159 du 12 février 1991 fixant les taux de cotisation des divers régimes spéciaux de sécurité sociale), le solde étant assuré par le prélèvement automatique d'une contribution d'équilibre sur les entreprises électriques et gazières ayant du personnel soumis au statut national du personnel des industries électriques et gazières (EDF, GDF et plus d'une centaine d'entreprises aux régimes juridiques divers). Cette contribution des entreprises atteignait 51,47 % de la masse salariale des agents des IEG en 1996 contre 46,28 % en 1990. Selon les projections transmises par le Gouvernement, cette contribution des entreprises atteindrait 71,53 % en 2010 et près de 100 % en 2020, toutes choses égales par ailleurs.

Pour les risques invalidité-décès, vieillesse, maladie-maternité (indemnités journalières et assurance complémentaire) et famille (prestations extra-légales), le personnel des IEG bénéficie donc du régime statutaire approuvé par le décret n° 46-1541 du 22 juin 1946.

COMPTE DU RÉGIME DE PROTECTION SOCIALE SPÉCIAL EDF-GDF

 

1996

1994

1995

1996

1997

1998

   

(évolution en %)

COTISANTS

149 291

-0.7

-0.8

-0.6

-0.3

-0.3

BENEFICIAIRES vieill. et inval.

137 280

0.0

0.4

0.3

0.4

0.4

droits propres

93 656

0.0

0.8

0.7

0.7

0.7

droits dérivés

43 624

0.2

-0.4

-0.5

-0.2

-0.2

 

(millions de F)

(évolution en %)

RESSOURCES

18 852

2.2

3.1

0.2

2.4

2.7

dont cotisations

18 373

2.4

3.2

0.3

2.5

2.7

EMPLOIS

18 808

4.0

2.7

-0.2

2.4

2.7

dont prestations

17 234

2.4

2.4

0.9

1.6

2.1

SOLDES

44

-95

-24

44

27

30

Source : Commission des comptes de la sécurité sociale, 1998.

Ce personnel relève en revanche du code de la sécurité sociale pour les risques maladie (soins) et accidents du travail et pour les prestations familiales légales, celles-ci faisant d'ailleurs l'objet d'un régime spécifique.

La structure de financement du régime est donnée par le tableau des emplois-ressources :

ÉQUILIBRE EMPLOIS-RESSOURCES
DU RÉGIME DE PROTECTION SOCIALE SPÉCIAL EDF-GDF

Emplois

%

Ressources

%

Prestations sociales légales

91.6

Cotisations sociales

97.4

Prestations sociales extra-légales

 

dont : cotisations sociales effectives

16.8

Prestations de services sociaux

 

cotisations sociales fictives

80.6

Frais de gestion

2.3

Impôts et taxes affectés

 

Transferts versés

6.1

Transferts reçus

1.5

Frais financiers

 

Contribution publique

1.0

Autres dépenses

 

Recours contre tiers

 

Solde DOM

 

Revenus des capitaux

 
   

Autres recettes

 

TOTAL

100.0

TOTAL

100.0

Source : Commission des comptes de la sécurité sociale, 1998.

La commission a examiné deux amendements identiques présentés par MM. Pierre Micaux (n°63) et Alain Cacheux, élargissant le domaine d'application du mécanisme de compensation en matière de prestations sociales. Le rapporteur a présenté un sous-amendement remplaçant le terme « établissements » par le terme « employeurs » qui a été adopté ainsi que l'amendement ainsi modifié (amendement n° 309). L'amendement n° 63 a en conséquence été rejeté.

La commission a ensuite adopté l'article 44 ainsi modifié.

TITRE IX

DISPOSITIONS DIVERSES OU TRANSITOIRES

Article 45

Collecte et publication des informations statistiques

Cet article transpose certaines dispositions de l'article 19 de la directive 96/92/CE, relatives au calcul du taux d'ouverture des marchés national et communautaire et à la publication des critères d'éligibilité. Il convient d'en rappeler ici les termes :

" 1.  Les Etats membres prennent les mesures nécessaires pour garantir une ouverture de leurs marchés de l'électricité, de sorte que des contrats soumis aux conditions visées aux articles 17 et 18 puissent être conclus au moins jusqu'à un niveau significatif, qui doit être communiqué annuellement à la Commission.

" La part du marché national est calculée sur la base de la part communautaire d'électricité consommée par les consommateurs finals dont la consommation est supérieure à 40 GWh par an (par site de consommation et autoproduction comprise).

" La part communautaire moyenne est calculée par la Commission sur la base des informations qui lui sont communiquées régulièrement par les Etats membres. La Commission publie au Journal officiel des Communautés européennes, avant le 1er novembre de chaque année, cette part communautaire moyenne qui définit le degré d'ouverture du marché, ainsi que toutes les informations requises pour la compréhension de ce calcul. (...)

" 4.  Les Etats membres publient, avant le 31 janvier de chaque année, les critères de définition des clients éligibles ayant la capacité de conclure des contrats dans les conditions énoncées aux articles 17 et 18. Cette information est envoyée à la Commission, pour publication au Journal officiel des Communautés européennes, accompagnée de toute autre information appropriée pour justifier de la réalisation de l'ouverture de marché prévue au paragraphe I. "

Le texte du projet de loi renvoie à un arrêté du ministre chargé de l'énergie le soin de fixer la liste des données qui devront être fournies.


Exemple de données recueillies
en application de l'article 45 du projet de loi


Production

· type de production : hydraulique, nucléaire, éolienne, thermique classique sans cogénération et thermique classique avec cogénération ;

· production nette d'électricité en MWh hors cogénération ;

· production nette d'électricité en MWh et production de chaleur (pour les installations de cogénération) ;

· puissance maximale appelée (kW) ;

· puissance maximale possible des équipements (kW) ;

· caractéristiques techniques des équipements ;

· détail des quantités ou volumes de combustibles consommés (unités propres ou ktep) ;

· stocks de charbon ou de fuel en fin de mois ;

· coefficients de disponibilité et d'utilisation des équipements ;

Distribution

· longueur du réseau de distribution (tension < 63 kV) en km (par taille) ;

· électricité entrée dans le réseau (GWh) selon son origine (production propre ou distributeur, autres producteurs, autres réseaux) ;

· électricité haute tension livrée à la consommation (GWh) par secteur d'activité ;

· électricité haute tension livrée à la consommation (GWh) par tranche de consommation ;

· électricité basse tension livrée à la consommation (GWh) par usage ou type d'usager ;

· électricité basse tension livrée à la consommation (GWh) par taille et catégorie de communes ;

· électricité livrée à d'autres réseaux (GWh) ;

· pertes de réseaux ;

· nombre de clients haute tension par tranche de consommation ;

· nombre de clients basse tension par usage ou type d'usager ;

· Transport

· longueur du réseau (tension inférieure ou égale à 63 kV) en km (par taille) ;

· électricité entrée dans le réseau (GWh) selon son origine (production propre du transporteur, autres producteurs nationaux, réseaux étrangers, producteurs étrangers) ;

· électricité entrée dans le réseau (GWh), appelée auprès des producteurs nationaux selon sa forme de production (production hydraulique, nucléaire, éolienne, thermique classique) ;

· électricité livrée à des consommateurs (GWh) par secteur d'activité ;

· électricité livrée à des consommateurs (GWh) par tranche de consommation ;

· électricité livrée à des consommateurs éligibles (GWh) par secteur d'activité et tranche de consommation ;

· électricité livrée à des réseaux de distribution (GWh) ;

· électricité livrée à des réseaux étrangers (GWh) ;

· pertes de réseaux ;

· nombre de clients par secteur d'activité ;

· nombre de clients par tranche de consommation.

Source : éléments d'information transmis au rapporteur.

La commission a adopté un amendement du rapporteur indiquant que doivent être adressées au ministre les données statistiques qui permettent de suivre l'impact de la loi sur le niveau et la structure de l'emploi dans le secteur de l'électricité (amendement n° 310).

Elle a ensuite examiné en discussion commune deux amendements présentés respectivement par le rapporteur et par M. Claude Billard, imposant notamment de transmettre aux commissions compétentes du Parlement les données statistiques collectées. Après qu'un sous-amendement du rapporteur à l'amendement de M. Claude Billard supprimant l'obligation de publication des données sous forme anonyme ou agrégée eut été adopté, la commission a adopté l'amendement de M. Claude Billard ainsi modifié (amendement n° 311) et le rapporteur a retiré son propre amendement.

La commission a adopté un amendement rédactionnel du rapporteur relatif à la confidentialité des informations recueillies en application de cet article (amendement n° 312).

La commission a ensuite adopté l'article 45 ainsi modifié.

Article 46

Coûts échoués

L'article 24 de la directive permet aux Etats membres dans lesquels « des engagements ou des garanties d'exploitation, accordés avant l'entrée en vigueur de la présente directive, risquent de ne pas pouvoir être honorés en raison des dispositions de la présente directive, [de] demander à bénéficier d'un régime transitoire. »

Que recouvre cette formulation très générale ? Avant l'ouverture des marchés de l'électricité, les compagnies jouissaient dans le monde entier de monopoles de droit ou de fait qui garantissaient un débouché à leur production, leur permettant, entre autres, de programmer des investissements en ne tenant compte que de l'évolution de la consommation d'une clientèle nécessairement « captive ». En ouvrant le marché à la concurrence, ladite clientèle n'est plus captive et de ce fait, des engagements pris au temps du monopole et en raison même du caractère monopolistique de l'activité, peuvent se révéler rétroactivement non fondés. Leurs coûts, pour reprendre un qualificatif traduit de l'anglais (stranded costs) deviennent « échoués ».

Telle est la justification du « régime transitoire » autorisé par la directive. Ce dispositif appelle toutefois plusieurs remarques :

1°) Si les instances européennes ont permis la mise en place d'un dispositif aussi contraire à la logique libérale, c'est que les premiers pays à avoir ouvert leur marché de l'électricité ont été immédiatement confrontés à ce problème et que celui-ci a rapidement pris des dimensions insoupçonnées. Aux Etats-Unis en particulier, les coûts échoués sont évalués entre 100 et 300 milliards de dollars (l'amplitude de la fourchette montre la difficulté de l'exercice consistant à les estimer), somme à comparer au chiffre d'affaires annuel du secteur (entre 200 et 250 milliards de dollars). Il s'agit donc d'un problème pouvant - dans certains pays - présenter des enjeux financiers importants (dans plusieurs Etats américains, la récupération des coûts échoués a effacé les baisses de prix que la concurrence était censée générer).

2°) La directive emploie les termes d'« engagements » et de « garanties d'exploitation ». Ceux-ci sont volontairement généraux. Ils signifient que les coûts échoués ne visent pas seulement les investissements échoués (c'est-à-dire les investissements non amortis).

3°) C'est la Commission qui accordera le bénéfice du régime transitoire. Elle pourra donc examiner, comme elle le fait pour les aides d'Etat, les dispositifs mis en place dans chaque Etat membre.

C'est donc en gardant à l'esprit ces remarques préliminaires qu'il convient d'analyser le contenu de l'article 46.

Soulignons d'abord que le projet de loi reprend exactement les termes de la directive en visant les « engagements » et les « garanties d'exploitation », étendant ainsi le dispositif de financement au-delà des seuls « investissements échoués ».

Ensuite, fidèle à la directive, l'article 46 dispose que, seules entreront dans son champ d'application les charges répondant à une double condition :

- être ultérieures au 19 février 1999 (date limite de transposition de la directive en droit interne) ;

- résulter d'engagements ou garanties d'exploitation accordées avant le 19 février 1997 (date d'entrée en vigueur de la directive).

Enfin, par la vertu de l'adverbe « notamment », le projet de loi dresse une liste non exhaustive des charges susceptibles d'être ainsi financées. Sont mentionnés :

1°) les contrats d'achats de type « dispatchable » passés par EDF avec les producteurs autonomes de pointe.

Pour expliquer ce que sont ces contrats, il faut revenir au début des années 1990. A cette époque, l'évolution prévisible de l'offre et de la demande rendait nécessaire le développement de nouveaux moyens de production. C'est dans ce contexte qu'EDF décida, en 1992, de commander six turbines à combustion (pour une mise en service en 1995) et d'engager la seconde tranche de la centrale nucléaire de Civaux.

Dans le même temps, les pouvoirs publics accordaient aux producteurs autonomes disposant d'installations d'une puissance inférieure à 8000 kVA et bénéficiant de l'obligation d'achat, des conditions avantageuses de vente de leur électricité. La mise en service de plusieurs centaines d'installations s'en suivit dès l'hiver 1993-1994. Celles-ci étaient destinées à fonctionner pendant les périodes de pointe du tarif dit « EJP » (effacement jour de pointe), c'est-à-dire pendant vingt-deux jours d'hiver en raison de 19 heures par jour (soit 396 heures par an).

Le renversement de la conjoncture économique à la mi-1993 et l'amélioration de la disponibilité du parc nucléaire allaient infirmer les prévisions pessimistes du début de la décennie et placer la France dans une situation de suréquipement. EDF prenait d'ailleurs immédiatement diverses mesures permettant de freiner la croissance de son parc de production (ajournement des constructions de centrales nucléaires, décommandement de quatre des six turbines à combustion, etc...).

Le Gouvernement, de son côté, décidait par un arrêté du 23 janvier 1995 (reconduit le 20 janvier 1998) de lever l'obligation d'achat pour les installations nouvelles.

Restait le problème des nombreuses installations (elles représentent une puissance totale de 516 MW) construites entre 1993 et 1995. Le contrat d'entreprise signé en avril 1997 entre l'Etat et EDF a tenté de trouver une solution en baissant les tarifs d'achat de l'électricité ainsi produite (- 32 % en francs constants sur la période 1997-2000) et en proposant en contrepartie à ces opérateurs des contrats d'achat à long terme (d'une durée de quinze ans diminuée de la période écoulée depuis la mise en service des installations).

Ce sont ces contrats qui sont visés à l'article 46 du projet de loi. Ils sont de type « dispatchable » car ils prévoient que les installations seront appelées uniquement en fonction des besoins du système électrique, et non plus de manière systématique pendant les périodes tarifaires de pointe, ce qui constitue un mode d'exploitation plus rationnel.

D'après les informations fournies à votre rapporteur, le coût des charges liées à ce type de contrats sera de 200 millions de francs en 1999, de 160 millions en 2007, puis décroîtra rapidement à partir de cette date pour s'éteindre fin 2012. Le coût global de ces charges sera d'environ 2 milliards de francs étalé sur la période 1999-2012.

2°) Les charges liées à la centrale Superphénix exposées par EDF

Lors de son audition devant la commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur Superphénix et la filière des réacteurs à neutrons rapides, le 5 mai 1998, M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie avait présenté le coût global et le coût pour EDF de la mise à l'arrêt définitif du réacteur. Selon lui, le coût global pouvait être estimé à 12,2 milliards de francs répartis sur trois postes :

- les dépenses de « post-exploitation », phase qui a commencé dès l'annonce de la fermeture définitive du site et qui comprend l'ensemble des opérations préparant la mise à l'arrêt définitif : confinement de l'ensemble de l'installation, évacuation et entreposage du combustible et traitement du sodium. EDF estime que ces opérations s'étaleront sur dix ans pour un coût de 3,7 milliards de francs (valeur 1997) ;

- le retraitement du combustible. Celui-ci interviendra dans l'année de la mise à l'arrêt définitif, soit dix ans après la fin de l'exploitation, pour un coût de 2,7 milliards de francs ;

- le démantèlement de la centrale qui débutera après la mise à l'arrêt définitif et qui devrait durer quinze ans environ pour un coût total estimé à 5,8 milliards de francs (estimation calculée sur la base de 15 % du coût de l'investissement).

Soit un total de 12,2 milliards de francs.

Pour EDF, il faut :

- retrancher à ce total 1,3 milliard de francs correspondant à la quote-part des dépenses de retraitement du combustible revenant à ses partenaires de NERSA, société exploitant Superphénix (ENEL 33 % et le consortium SBK 16 %) ;

- ajouter à ce total la quote-part d'EDF relative aux frais liés à la liquidation de NERSA (en particulier la quote-part des dettes de NERSA et la perte des fonds propres engagés par EDF) soit 5,3 milliards de francs environ ; à cette somme doivent être retranchés 2 milliards de francs correspondant à un prêt consenti par le CEA à l'occasion de la construction de Superphénix et qu'EDF ne devrait pas avoir à rembourser, les conditions liées à l'exploitation de la centrale n'ayant pas été remplies.

On aboutit ainsi à un coût total de la mise à l'arrêt définitif pour EDF de 14,2 milliards de francs.

Enfin, pour calculer le montant des charges supportées par EDF et susceptibles d'entrer dans le champ du dispositif mis en place par l'article 46 du projet de loi, il faut soustraire de 14,2 milliards de francs, une somme de 1,6 milliard correspondant à l'estimation des surcoûts de Superphénix dans les tarifs de vente d'électricité en 1998 (estimation faite dans le cadre du contrat d'entreprise Etat-EDF pour la période 1997-2000 ; précisons que ces surcoûts sont évalués à 1,5 milliard de francs pour 1999 et à la même somme pour 2000). Le total final actuel s'établit donc à 12,6 milliards de francs (valeur 1997).

L'ensemble de ces charges (contrats de type « dispatchable » et Superphénix) sera financé selon des modalités identiques à celles prévues pour la compensation des charges liées aux missions de service public assignées aux producteurs d'électricité (cf. article 5, paragraphes I et III). Elles sont donc évaluées sur la base d'une comptabilité appropriée contrôlée par un organisme indépendant, leur financement est assuré par un fonds alimenté par une contribution due par les producteurs, les autoproducteurs, les fournisseurs et les clients finals importateurs au prorata des kWh livrés aux consommateurs finals. Ce fonds est géré par la Caisse des dépôts et consignation qui assure le recouvrement des contributions. Un dispositif de sanction administrative est prévu à l'encontre des redevables défaillants.

Enfin, un décret déterminera les modalités d'application de l'article 47. Celui-ci déterminera en particulier le montant exact des charges entrant dans le champ de cet article.

Sur cet article, la commission a tout d'abord rejeté un amendement de M. Jean Proriol visant à limiter dans le temps le dispositif de financement des coûts échoués. Puis elle a examiné plusieurs amendements relatifs au contenu des charges mentionnées à l'article 46 :

- un amendement de M. Franck Borotra précisant que celles-ci se limitent strictement aux investissements de production d'électricité non amortissables et rendus non pertinents économiquement du fait exclusif de la transposition de la directive ;

- un amendement rédactionnel du rapporteur ;

- l'amendement n° 130 de M. Pierre Micaux retirant les charges liées à Superphénix du dispositif ;

- deux amendements de MM. Claude Birraux et Jean Proriol ayant le même objet que le précédent.

Le rapporteur ayant rejoint la position de MM. Pierre Micaux, Claude Birraux et Jean Proriol et ayant retiré son amendement rédactionnel, la commission a adopté un nouvel amendement proposé par le rapporteur supprimant toute référence à Superphénix (amendement n° 313). En conséquence, elle a rejeté l'amendement de M. Franck Borotra, l'amendement n° 130 de M. Pierre Micaux et les deux amendements de MM. Claude Birraux et Jean Proriol.

La commission a ensuite adopté un amendement du rapporteur simplifiant la procédure d'évaluation, de financement et de recouvrement des charges (amendement n° 314 ). En conséquence, elle a rejeté un amendement de M. Franck Borotra et deux amendements de M. Jean Proriol. Puis la commission a adopté un amendement de précision du rapporteur (amendement n° 315).

La commission a adopté l'article 46 ainsi modifié.

Article 47

Révision des contrats entre EDF ou un distributeur non nationalisé
et un client éligible

Cet article a pour objet de préciser les modalités de révision des relations contractuelles entre EDF ou un distributeur non nationalisé, d'une part, et un client éligible au sens de l'article 22 du projet de loi, d'autre part.

L'article 22, qui reconnaît au client le droit de conclure un contrat d'achat d'électricité avec un producteur ou un fournisseur de son choix installé sur le territoire d'un Etat membre de la Communauté européenne, a vocation à s'appliquer aux contrats en cours dès l'instant où le consommateur franchit le seuil de l'éligibilité.

A compter de cette date, le client devenu éligible dispose d'une durée de douze mois pour dénoncer, le cas échéant, le contrat qui le lie à son fournisseur sous réserve d'un préavis de trois mois.

La faculté de dénonciation n'est donc pas reconnue symétriquement au fournisseur. Des considérations d'ordre économique l'emportent ici sur une pure logique juridique, qui fait du contrat l'illustration par excellence de la relation synallagmatique : dès lors que la concurrence sur le marché de l'électricité ne peut émerger que de manière progressive, il peut en effet sembler opportun de prévenir le risque de voir certains contrats dénoncés pour des raisons d'opportunité technique ou économique, avant d'être renégociés avec le seul opérateur effectivement présent sur le marché et à des conditions plus favorables à ce dernier.

Le rapporteur estime toutefois que la possibilité de dénoncer les contrats doit être reconnue à EDF, mais naturellement assortie de conditions plus sévères que celles auxquelles les clients éligibles sont assujettis.

Les contrats qui ne sont pas dénoncés devront être révisés par les parties pour les mettre en conformité avec la nouvelle organisation électrique. Le projet de loi ne fixe en l'espèce aucun délai dans lequel cette révision devra intervenir, et s'en remet sur ce point à la diligence des parties.

Les révisions porteront essentiellement sur les éléments financiers des contrats en cours d'exécution. Ces contrats ont en effet été négociés entre les parties à partir de tarifs unitaires intégrés prenant en compte le prix de la fourniture, mais aussi les coûts des réseaux de transport et de distribution. Il ressort du rapprochement des articles 4 et 25 du projet de loi (cf. commentaire de ces articles), d'une part que les tarifs d'utilisation des réseaux publics de transport et de distribution seront calculés de manière non discriminatoire à partir de l'ensemble des coûts de ces réseaux et qu'ils seront réglementés conformément à l'article premier, alinéa 2 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986, et d'autre part qu'EDF et les distributeurs non nationalisés devront tenir dans leur comptabilité interne des comptes séparés au titre de la production, du transport, de la distribution d'électricité et de l'ensemble de leurs autres activités.

Le système de la fongibilité des coûts pour l'utilisateur est donc appelé à disparaître et la relation contractuelle à s'établir sur la base de coûts ventilés par nature et négociés avec le fournisseur. Inversement, la révision des contrats et l'introduction d'un " coût éclaté " constitue un support du contrôle par les pouvoirs publics de la liberté et de la loyauté de la concurrence.

La commission a examiné un amendement du rapporteur élargissant la période durant laquelle les contrats liant les clients éligibles à EDF pourront être dénoncés et ouvrant à EDF une faculté de dénonciation desdits contrats sous réserve d'un préavis de douze mois. Elle a adopté cet amendement (amendement n° 316), rendant ainsi sans objet les amendements présentés par MM. Pierre Micaux (n° 131) et Jean Proriol.

La perspective de voir les dénonciations ou les révisions déboucher sur une instance contentieuse devant le juge du contrat serait de nature à fausser le jeu de la concurrence : l'apparition du risque financier est en effet susceptible de décourager le consommateur éligible de faire appel à des capacités de production concurrentes. Le troisième alinéa de cet article répond à cette préoccupation, en indiquant que les dénonciations ou révisions s'inscrivant dans ce cadre ne donneront pas lieu à indemnités à la charge de l'une ou l'autre partie.

Conformément à l'avis du rapporteur, elle a toutefois adopté un amendement de M. Claude Billard, ouvrant la possibilité d'une compensation indemnitaire à l'occasion d'une révision ou d'une dénonciation des contrats (amendement n° 317).

Elle a rejeté deux amendements identiques présentés par MM. Pierre Micaux (n° 132) et Jean Proriol, imposant qu'à défaut d'accord entre les parties, le juge du contrat règle les conditions de la révision en veillant à ne pas modifier les conditions économiques de la fourniture, le rapporteur ayant notamment fait observer que ces amendements pourraient poser un problème au regard des dispositions de l'article 1134 du code civil.

La commission a ensuite adopté l'article 47 ainsi modifié.

Article 48

Révision des contrats conclus entre EDF
et les producteurs d'électricité

Cet article doit être analysé en référence à l'obligation d'achat de l'électricité produite par les producteurs autonomes reposant notamment sur EDF, telle qu'elle résulte du rapprochement des dispositions de la loi du 8 avril 1946 érigeant un monopole de transport et de distribution mais laissant subsister des producteurs non nationalisés. Ainsi qu'il a été rappelé plus haut (cf. commentaire de l'article 10), c'est le décret n° 55-662 du 20 mai 1955 modifié qui règle aujourd'hui les rapports entre les établissements visés aux articles 2 et 23 de la loi du 8 avril 1946 précitée (EDF et les distributeurs non nationalisés) et les producteurs autonomes.

L'article 48 du projet de loi a pour objet de préciser les modalités d'adaptation des relations contractuelles entre EDF et les producteurs d'électricité après son entrée en vigueur, à l'exception des contrats mentionnés au 1° de l'article 46 du projet de loi (contrats d'achats de type " dispatchable ") et des contrats et conventions arrivant à échéance dans un délai inférieur à deux ans à compter de cette entrée en vigueur.

Le premier alinéa de cet article prévoit que les parties disposent de douze mois à compter de l'entrée en vigueur de la loi pour réviser les conventions et contrats qui les lient et les mettre ainsi en conformité avec celle-ci.

A défaut d'accord entre les parties, ces contrats et conventions seront résiliés de plein droit à l'expiration du délai de douze mois susmentionné, selon les modalités techniques et financières qu'il reviendra au juge du contrat de régler.

Le projet de loi exempte toutefois de ce régime les contrats et conventions liant Électricité de France à une entreprise du secteur public comme la SNET (filiale de Charbonnages de France), la Compagnie nationale du Rhône - voire la SHEM (filiale de la SNCF), qui relèvent de la compétence du juge administratif en vertu d'une jurisprudence du Conseil d'État du 19 janvier 1973 Société d'exploitation électrique de la rivière du Sant (Leb., p. 48) (6).

Le dispositif précontentieux du troisième alinéa de cet article s'inspire du mécanisme visé à l'article 4 du décret n° 55-549 du 29 mai 1955 qu'abroge l'article 51 du projet de loi. Un comité " arbitral " composé de deux membres désignés respectivement par Électricité de France et par son ou ses cocontractants et d'un président désigné par le ministre chargé de l'énergie, détermine dans un délai de six mois les conditions de révision desdits contrats et conventions, et notamment les conditions d'indemnisation éventuelles. Cette décision peut faire l'objet d'un recours de plein contentieux devant le Conseil d'État statuant en premier et dernier ressort.

Le rapporteur estime que la rédaction de cet article peut être améliorée sur plusieurs points.

La référence établie à la notion d'arbitrage apparaît, en premier lieu, peu appropriée.

Comme le rappelle le professeur Perrot (Institutions judiciaires, 1998), l'arbitrage est un mode de règlement des différends à base conventionnelle qui présente des caractéristiques spécifiques :

- dérogation au monopole de la justice à travers l'octroi à de simples personnes privées de la qualité de juge ;

- procédure à fondement conventionnel : c'est la volonté des parties qui investit l'arbitre du pouvoir de juger ;

- possibilité de statuer en droit, mais aussi en équité si les parties le décident ;

- absence de force exécutoire de la sentence arbitrale : aucun moyen de contrainte ne peut être utilisé pour obliger la partie condamnée à exécuter ce qu'elle doit.

Dès lors que le comité de règlement des litiges est institué de plein droit en cas de différend entre Électricité de France et une entreprise du secteur public, il se trouve privé de l'une des caractéristiques fondamentales de l'institution arbitrale et ainsi indûment qualifié.

Par ailleurs, il apparaît opportun de souligner que le principe de liberté contractuelle l'emporte sur celui de la reconduction des contrats.

Le rapporteur a donc présenté un amendement de rédaction globale des trois premiers alinéas de cet article afin d'obtenir une rédaction harmonisée avec celle de l'article 47. Il ouvre la possibilité aux producteurs d'électricité privés de dénoncer les contrats qui les lient à EDF dans un délai de six mois et renvoie à une révision à l'amiable entre les parties les contrats qui n'auront pas été dénoncés. La commission a adopté cet amendement (amendement n° 318), rendant ainsi sans objet quatre amendements présentés par M. Jean Proriol et les amendements nos 17, 18 et 23 de M. Léonce Deprez.

La commission a ensuite adopté l'article 48 ainsi modifié.

Article 49

Révision des contrats de concession
et des règlements de service des régies

Cet article impose de mettre en conformité les contrats de concession de distribution publique d'énergie et les règlements de service des régies s'appliquant à la date d'entrée en vigueur de la présente loi, avec les dispositions du II de l'article L. 2224-31 du code général des collectivités territoriales, dans un délai de deux ans à compter de la publication des décrets prévus au II de ce même article.

Le système des contrats-types de concession de distribution publique d'énergie a fait place, depuis les lois de décentralisation des années 1980, à un système plus souple s'appuyant sur des modèles négociés entre EDF et les représentants des collectivités concédantes et des régies.

La conjonction de la liberté contractuelle des collectivités territoriales et des mécanismes de péréquation tarifaire s'est toutefois révélée source d'évolutions préoccupantes. Dans la mesure où la mutualisation des coûts par la péréquation tarifaire conduit le demandeur à ne supporter qu'une fraction du coût de la prestation qu'il achète, certaines collectivités ont pu formuler des exigences techniques ou environnementales particulièrement sévères.

Les décrets mentionnés au II de l'article 2224-31 du code général des collectivités territoriales (art. 17 du projet de loi) préciseront le cadre technique et environnemental des cahiers des charges des concessions et leurs conditions financières. Il apparaît alors souhaitable d'inviter les collectivités concédantes et leur fournisseur à mettre en conformité les contrats de concession dans un délai de deux ans à compter de la publication desdits décrets.

Après avoir adopté un amendement rédactionnel du rapporteur (amendement n° 319), la commission a adopté l'article 49 ainsi modifié.

Article 50

Adaptation de certaines dispositions
de la loi n° 46-628 du 8 avril 1946

Cet article introduit dans la loi n° 46-628 du 8 avril 1946 certaines modifications imposées par l'adoption des autres dispositions du projet de loi.

Le paragraphe I insère à l'article premier de la loi du 8 avril 1946 précitée un alinéa plaçant les activités de production, d'importation et d'exportation d'électricité ainsi que les activités de fourniture aux clients éligibles sous le régime de la loi nouvelle à compter de sa date d'entrée en vigueur.

Cette solution appelle naturellement quelques réserves sur le plan formel. Elle présente toutefois un avantage d'efficacité juridique certain, puisqu'elle évite une réécriture minutieuse de toutes les dispositions de la loi de 1946 à la lumière des exigences communautaires.

La commission a adopté un amendement de précision du rapporteur (amendement n° 320).

Le paragraphe II modifie l'alinéa premier de l'article 8 bis de la loi du 8 avril 1946, introduit par l'article 10 de la loi n° 84-512 du 29 juin 1984 et disposant qu'Electricité de France " ne peut acheter l'énergie produite par les installations productrices d'énergie hydraulique [...] que si ces installations ont été régulièrement autorisées ou concédées. ".

La nouvelle organisation du marché devrait conduire EDF, dans le cadre de contrats librement négociés ou de l'obligation d'achat prévue à l'article 10 du projet de loi, à acquérir de l'électricité provenant d'installations énergétiques variées. Paradoxalement, les textes n'imposent aujourd'hui de vérifier la régularité des installations ou concessions qu'en matière d'électricité hydraulique.

Le projet de loi propose d'étendre l'obligation pesant sur Electricité de France de s'assurer de la régularité des autorisations ou concessions, à l'ensemble des installations de ses fournisseurs situées sur le territoire national.

Le paragraphe III modifie la rédaction de l'article 20 de la loi du 8 avril 1946, relatif à la composition des conseils d'administration d'Electricité de France et de Gaz de France.

Le système actuel est celui de la désignation du président du conseil d'administration et du directeur général d'Electricité de France par une procédure identique de décret en Conseil des ministres (7).

L'expérience récente a toutefois démontré que l'installation à la tête de l'entreprise publique de deux autorités concurrentes, à la légitimité égale, peut rapidement déboucher sur des difficultés en cas de désaccord sur les orientations et les choix stratégiques.

Le projet de loi revient à une organisation plus cohérente et confirme l'autorité du président du conseil d'administration en maintenant sa désignation en Conseil des ministres. Le choix du directeur général par l'entreprise elle-même, voire le cumul des fonctions de président du conseil d'administration et de directeur général, imposent alors l'abrogation de trois dispositions de l'article 20 précité :

· le quatorzième alinéa, qui prohibe le cumul des fonctions de président et de directeur ;

· le seizième alinéa, qui prévoit une nomination des directeurs généraux d'EDF et de GDF par décret en Conseil des ministres sur proposition du conseil d'administration ;

· le dix-neuvième alinéa, qui interdit l'exercice simultané des fonctions de président du conseil d'administration ou de directeur général et celui de responsabilités rémunérées ou non dans les conseils d'entreprise privées.

Par ailleurs, le troisième alinéa du III de cet article, qui fait en réalité référence au dix-septième alinéa de l'article 20, supprime l'impossibilité d'un cumul des fonctions de directeur général des services d'Electricité de France et de Gaz de France.

La commission a rejeté un amendement de M. Claude Billard, posant le principe de la nomination des directeurs généraux d'EDF et GDF par le conseil d'administration de l'établissement public, mais adopté deux amendements du rapporteur portant, d'une part, rectification d'une erreur matérielle (amendement n° 321), et d'autre part, suppression du dernier alinéa du III de cet article (amendement n° 322).

Le paragraphe IV abroge, selon les informations données par le Gouvernement au rapporteur, le troisième alinéa (et non le septième) de l'article 33 modifié de la loi du 8 avril 1946, relatif à la péréquation tarifaire au profit des distributeurs non nationalisés dont les coûts d'exploitation de réseau sont supérieurs au coût moyen d'EDF et d'autres distributeurs en raison de contraintes géographiques ou humaines particulières (dispersion de l'habitat en zone rurale).

Il revient désormais à l'article 5, paragraphe II de définir le cadre de cette péréquation, c'est-à-dire la participation au dispositif institué en faveur des personnes en situation de précarité et la couverture des coûts de distribution excédant le niveau de référence fixé par le tarif appliqué.

Le paragraphe V de cet article modifie l'article 45 de la loi du 8 avril 1946 portant création d'un Conseil supérieur de l'électricité et du gaz (CSEG).

Issu de l'article 37 du décret-loi du 16 juillet 1935 créant un Conseil supérieur de l'électricité, le CSEG est aujourd'hui régi par le décret n° 46-1100 du 17 mai 1946 modifié par le décret n° 82-923 du 28 octobre 1982. Aux termes de l'article 45 précité, il est consulté " lors de l'élaboration des textes d'application de la présente loi et ultérieurement sur tous les décrets intéressant le gaz et l'électricité " et arbitre en dernier ressort " les conflits qui peuvent survenir entre les divers établissements créés par la présente loi et les autorités concédantes ". Il faut ajouter que certains textes réglementaires octroyant un pouvoir de décision au ministre chargé de l'électricité et du gaz, subordonnent cette intervention à la consultation du CSEG.

Il comprend à parts égales des représentants du Parlement, de l'administration, des collectivités locales, des usagers, des services nationaux et du personnel.

Le projet de loi tire les conséquences de l'évolution prévisible du marché de l'électricité et de la nécessité d'accorder une place à ceux qui en seront ses nouveaux acteurs. Aux représentants du Parlement, de l'administration, des collectivités locales, des usagers devenus " consommateurs ", d'Electricité de France et de Gaz de France et du personnel, il convient désormais d'adjoindre ceux des autres entreprises électriques et gazières.

La commission a donc adopté deux amendements du rapporteur tendant respectivement à corriger une erreur matérielle (amendement n° 323) et imposer la représentation des consommateurs éligibles et non éligibles au sein du Conseil supérieur de l'électricité et du gaz (amendement n° 324).

Le paragraphe VI de cet article modifie les termes du 4° de l'article 46 de la loi du 8 avril 1946, qui renvoie à un décret le soin de préciser " les conditions dans lesquelles les services de distribution (cessent) toutes activités industrielles et commerciales relatives à la réparation, à l'entretien des installations intérieures, à la vente et à la location des appareils en dehors de celles définies à l'article 1er de la présente loi ".

En réservant de tels décrets à la police de la distribution du gaz, le texte du projet de loi renvoie en fait le cadre d'action d'EDF au périmètre défini par l'article 42, § III et IV, qui prohibent notamment la vente de services portant sur " la réalisation ou l'entretien des installations intérieures, la vente ou la location d'appareils utilisateurs d'énergie ". (cf. commentaire de cet article).

La commission a ensuite adopté l'article 50 ainsi modifié.

Article 51

Abrogation de dispositions législatives et réglementaires

Cet article abroge plusieurs dispositions législatives et réglementaires anciennes en contradiction avec les dispositions du projet de loi.

Le paragraphe I abroge l'article 27 de la loi du 16 octobre 1919 relative à l'utilisation de l'énergie. Cet article pose un principe général d'interdiction d'exportation de l'électricité d'origine hydraulique (" La dérivation à l'étranger de l'énergie électrique produite en France par des entreprises hydrauliques est interdite sous réserve des traités internationaux "), auquel il ne peut être dérogé que par décret en Conseil d'État et pour une durée limitée (" Par exception, un décret en Conseil d'État contresigné par le ministre chargé des travaux publics et celui des affaires étrangères, peut autoriser pour une durée de vingt ans au maximum, mais renouvelable, le transport de la force électrique ").

La mise en place de ce dispositif d'encadrement renvoie naturellement aux circonstances particulières d'un après-guerre marqué par les exigences de la reconstruction et de la mobilisation des capacités énergétiques.

La progression de la puissance installée a réduit au fil du temps la pertinence économique de cette interdiction. Son maintien instituerait au contraire une forme de discrimination vis-à-vis des producteurs intéressés et serait en toute hypothèse contradictoire avec les termes mêmes de l'article 3, paragraphe I de la directive imposant que " les États membres veillent à ce que les entreprises d'électricité (...) soient exploitées conformément (...) à la perspective d'un marché de l'électricité concurrentiel et compétitif et s'abstiennent de toute discrimination pour ce qui est des droits et des obligations de ces entreprises. ".

Le paragraphe II abroge l'article 8 modifié de la loi du 27 mai 1921 approuvant le programme des travaux d'aménagement du Rhône de la frontière suisse à la mer. Dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 58-881 du 24 septembre 1958, celui-ci dispose que " l'énergie provenant des usines établies sur le Rhône ne pourra (en aucun cas) être transportée en dehors du territoire français sans une autorisation spéciale donnée par une loi ".

Le maintien de ces dispositions créerait naturellement une distorsion de concurrence au détriment des opérateurs intéressés, puisque les sites de production situés dans un autre périmètre territorial se trouvent exemptés d'une contrainte de cette nature.

Le paragraphe III abroge le décret n° 55-549 du 20 mai 1955 relatif à la réalisation du IIème plan de modernisation et d'équipement de l'énergie électrique (1954-1957) ainsi que le décret n° 60-935 du 31 août 1960 étendant certaines dispositions du décret du 20 mai 1955 précité.

Conformément à l'organisation de la distribution d'électricité découlant de la loi n° 46-628 du 8 avril 1946, l'article 4 du décret du 20 mai 1955 prévoit que préalablement à l'engagement de la construction d'une centrale thermique minière prévue au programme défini à son article premier, une convention est signée entre, d'une part, les houillères du bassin intéressé et Charbonnages de France et, d'autre part EDF, en vue de déterminer les conditions de cession de l'énergie électrique. Aux termes des articles 5 et 6, la procédure visée à l'article 4 est également applicable aux conventions entre ces mêmes parties relatives aux conditions d'approvisionnement en charbon des centrales d'EDF, aux conventions entre la Compagnie nationale du Rhône (CNR) et EDF déterminant les conditions de cession de l'énergie électrique préalablement à l'engagement d'une opération prévue au programme et concernant un aménagement hydroélectrique entrepris par la CNR ainsi qu'aux renouvellements ou modifications desdites conventions.

Concernant les conditions de cession de l'énergie électrique et les conditions d'approvisionnement des centrales en tous combustibles, ces dispositions ont été étendues à tous les établissements publics, entreprises et sociétés dans lesquels l'État détient la majorité du capital par l'article premier du décret du 31 août 1960 précité, et prolongées aux programmes postérieurs au deuxième plan de modernisation et d'équipement par l'article 2 du même décret.

Le règlement des difficultés éventuelles liées à la signature des conventions de cession entre les houillères de bassin et Charbonnages de France, d'une part, et EDF, d'autre part, reposait sur une décision directe du ministre prise après avis d'une commission de trois membres. Ce dispositif n'a pas vocation à être pérennisé, dès lors que l'article 48 du projet de loi met précisément en place un mécanisme précontentieux de résolution d'éventuels litiges.

La commission a rejeté trois amendements de M. Claude Billard, tendant à la suppression de chacun des trois premiers paragraphes de cet article, le rapporteur ayant observé que leur adoption aboutirait à créer une distorsion de concurrence au détriment de la Compagnie nationale du Rhône et serait contraire à la directive.

Elle a en revanche adopté un amendement rédactionnel du rapporteur portant sur le paragraphe III (amendement n° 325).

Le paragraphe IV de cet article abroge le décret n° 55-662 du 20 mai 1955 modifié réglant les rapports entre les établissements visés par les articles 2 et 23 de la loi n° 46-628 du 8 avril 1946 et les producteurs autonomes d'énergie électrique.

La loi du 8 avril 1946 avait exclu à l'origine de la nationalisation les entreprises de production d'électricité dont la production annuelle moyenne était inférieure à 12 millions de kWh (8), alors que la loi du 2 août 1949 a permis l'aménagement et l'exploitation de nouvelles installations de production d'électricité par des entreprises ou collectivités désirant l'employer pour leur propre fabrication ou utilisation, sans limitation de puissance ni de production, pourvu que ces installations fassent l'objet d'une décision ministérielle constatant qu'elles ne présentent pour le service public qu'une utilité accessoire au sens de l'article 8, alinéa 2 de la loi du 8 avril 1946 précitée et d'une convention entre EDF et lesdites entreprises ou collectivités.

Les lois susvisées des 8 avril 1946 et 2 août 1949 ne contenaient pas de dispositions donnant aux producteurs une garantie pour l'écoulement de leur production lorsque celle-ci n'est pas consommée sur place. Dès lors que le transport et la distribution de l'électricité ont fait l'objet d'une nationalisation, l'écoulement de l'électricité disponible des producteurs autonomes ne peut être assuré qu'en introduisant une obligation d'achat ou de transport (ou encore ces deux obligations) à la charge d'EDF, que le décret n° 55-662 du 20 mai 1955 a précisément pour objet d'imposer (articles 1 et 2).

L'article premier du décret du 20 mai 1955, dans sa rédaction issue du décret n° 94-1110 du 20 décembre 1994, prévoit que cette obligation de passer un contrat d'achat peut être suspendue pour une durée déterminée par arrêté du ministre chargé de l'énergie, lorsqu'il est constaté que les moyens de production existants sont suffisants pour faire face à tout instant à la demande correspondante dans des conditions économiques satisfaisantes de production, transport et distribution (9). Cette obligation revêt toutefois un caractère permanent à l'égard des producteurs visés à l'alinéa 7 (3°) de l'article 8 modifié de la loi n° 46-428 du 8 avril 1946, des installations utilisant des techniques de cogénération (production combinée de deux énergies utiles, électrique et thermique) et des installations utilisant à titre exclusif ou principal des énergies renouvelables ou des déchets (énergie mécanique ou potentielle des lacs, cours d'eau et mer, énergie thermique des nappes aquifères ou des roches souterraines, énergie mécanique du vent, énergie radiative du soleil, énergie obtenue à partir de la combustion ou de l'explosion de matières d'origine animale ou végétale non fossile, de déchets, de substances issues de la décomposition ou de la fermentation de ces matières ou déchets).

Le contenu de l'obligation d'achat pesant sur EDF, et sa responsabilité particulière vis-à-vis de certaines formes d'énergie ou techniques innovantes, sont désormais définis à l'article 10 du projet de loi. De ce fait, les dispositions du décret n° 55-662 modifié apparaissent désormais obsolètes.

La commission a ensuite adopté l'article 51 ainsi modifié.

Article 52

Adaptation des dispositions législatives et réglementaires
relatives à l'outre-mer

Cet article adapte le texte du projet de loi à la situation spécifique de l'outre-mer français en matière énergétique.

Il convient ainsi de rappeler que la nationalisation de la production, du transport, de la distribution, de l'importation et de l'exportation d'électricité dans les départements de la Guadeloupe, de la Guyane, de la Martinique et de la Réunion, a été réalisée par l'article premier de la loi n° 75-622 du 11 juillet 1975.

Le régime applicable à Saint-Pierre-et-Miquelon résulte pour l'essentiel de l'ordonnance n° 77-1106 du 26 septembre 1977, dont l'article 7 dispose qu'EDF y assure " la production, le transport, l'importation et l'exportation d'électricité. La distribution (est) assurée dans le cadre de concessions, accordées à Electricité de France, dans les conditions de la loi du 15 juin 1906 sur les distributions d'énergie. "

Ainsi qu'il a été remarqué plus haut (cf. observations de votre rapporteur sous le I de l'article 50), il n'a pas paru nécessaire de s'engager aujourd'hui dans une refonte d'ensemble des textes pertinents applicables à l'outre-mer français.

La commission a adopté l'article 52 sans modification.

Titre du projet de loi

La commission a rejeté un amendement de M. Jean Proriol tendant à modifier l'intitulé du projet de loi afin qu'y soit mentionnée l'ouverture à la concurrence du marché français de l'électricité.

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MM. Claude Billard et Franck Borotra ont indiqué qu'ils votaient contre le projet de loi.

La commission a adopté l'ensemble du projet de loi ainsi modifié.

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En conséquence, la commission de la production et des échanges vous demande d'adopter le projet de loi (n° 1253) relatif à la modernisation et au développement du service public de l'électricité, modifié par les amendements figurant au tableau comparatif présenté au tome II du présent rapport.

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N° 1371.- Rapport de M. Christian Bataille (au nom de la commission de la production) sur le projet de loi (n° 1253), relatif à la modernisation et au développement du service public de l'électricité.- Tome I : discussion générale et examen des articles.

() Ces 43 distributeurs sont tous des régies. On comptait, en France, au 1er avril 1996, 152 distributeurs non nationalisés, dont 122 régies, 21 sociétés d'intérêt collectif agricole d'électricité, 5 sociétés d'économie mixte locales, 2 coopératives, une société anonyme (Electricité de Strasbourg) et un statut innommé.

() Le III de l'article 42 impose à EDF de constituer des filiales pour proposer aux clients éligibles des prestations qui constituent un complément, technique ou commercial, à la fourniture d'électricité. De même, en application du II, EDF doit passer par des filiales ou des sociétés, groupements ou organismes dans lesquels il détient une participation pour exercer une activité qui concourt directement ou indirectement à son objet.

() Décision confirmée en appel par l'arrêt du 27 janvier 1998 de la Cour d'appel de Paris.

(1) Le texte de l'avis est reproduit en annexe du rapport.

() Il s'agit des installations réalisées ou à réaliser sous l'autorité des collectivités locales, des établissements publics ou de leurs groupements en vue d'utiliser le pouvoir calorifique des résidus et déchets collectés dans les centres urbains ou en vue d'alimenter un réseau de chaleur.

() Selon les informations communiquées au rapporteur, les contrats liant la SNET à EDF contiennent d'ores et déjà des clauses de renogociation en cas de modification de la législation.

() Aux termes de l'article 20, al. 13, le président du conseil d'administration, choisi parmi les administrateurs, est nommé sur proposition du conseil d'administration par décret pris en Conseil des ministres, sur le rapport du ministre de l'industrie et du commerce. Le seizième alinéa du même article précise que le directeur général, choisi " parmi les personnalités de compétence éprouvée dans la profession ", est nommé sur proposition du conseil d'administration par décret délibéré en Conseil des ministres pris sur le rapport des ministres de l'économie et des finances et de la production industrielle.

() L'industrie privée a ensuite été autorisée à réaliser des unités complémentaires sous certaines conditions : aménagements de production d'énergie de puissance inférieure à 8 000 kVA, installations de production fonctionnant par récupération d'énergie résiduaire, installations réalisées sous l'autorité des collectivités locales ou d'établissements publics en vue d'utiliser le pouvoir calorifique des résidus urbains (loi du 2 août 1949).

() Un arrêté du 20 janvier 1998 a précisément suspendu, pour une durée de trois ans et sous certaines réserves, l'obligation de passer un contrat d'achat reposant sur Electricité de France et les organismes de distribution d'énergie électrique visés à l'article 23 de la loi du 8 avril 1946.


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