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SOMMAIRE Pages Document mis en distribution le 22 mars 1999 ![]() N° 1472 ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958 ONZIÈME LÉGISLATURE Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 17 mars 1999. RAPPORT FAIT AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE (1) SUR LA PROPOSITION DE LOI (n° 1403) relative à lenfance en danger et aux mineurs délinquants, PAR M. PIERRE CARDO, Député. (1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page. Enfants. La commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République est composée de : Mme Catherine Tasca, présidente ; MM. Pierre Albertini, Gérard Gouzes, Mme Christine Lazerges, vice-présidents ; MM. Richard Cazenave, André Gerin, Arnaud Montebourg, secrétaires ; MM. Léo Andy, Léon Bertrand, Emile Blessig, Jean-Louis Borloo, Patrick Braouezec, Mme Frédérique Bredin, MM. Jacques Brunhes, Michel Buillard, Dominique Bussereau, Pierre Cardo, Christophe Caresche, Patrice Carvalho, Mme Nicole Catala, MM. Olivier de Chazeaux, Pascal Clément, Jean Codognès, François Colcombet, Michel Crépeau, François Cuillandre, Henri Cuq, Jacky Darne, Camille Darsières, Bernard Derosier, Franck Dhersin, Marc Dolez, Renaud Donnedieu de Vabres, René Dosière, Julien Dray, Renaud Dutreil, Jean Espilondo, Mme Nicole Feidt, MM. Jacques Floch, Raymond Forni, Pierre Frogier, Claude Goasguen, Louis Guédon, Guy Hascoët, Philippe Houillon, Michel Hunault, Henry Jean-Baptiste, Jérôme Lambert, Mme Claudine Ledoux, MM. Jean-Antoine Léonetti, Bruno Le Roux, Mme Raymonde Le Texier, MM. Jacques Limouzy, Thierry Mariani, Louis Mermaz, Jean-Pierre Michel, Ernest Moutoussamy, Mme Véronique Neiertz, MM. Robert Pandraud, Christian Paul, Vincent Peillon, Dominique Perben, Henri Plagnol, Didier Quentin, Bernard Roman, Frantz Taittinger, André Thien Ah Koon, Jean Tiberi, Alain Tourret, André Vallini, Alain Vidalies, Jean-Luc Warsmann. INTRODUCTION 5 I. LA DÉLINQUANCE JUVÉNILE EST DE PLUS EN PLUS PRÉOCCUPANTE 7 A. LA DÉLINQUANCE JUVÉNILE EST EN CONSTANTE AUGMENTATION 7 Lapproche incomplète des statistiques 7 Laugmentation du nombre de mineurs mis en cause 8 B. LA DÉLINQUANCE JUVÉNILE APPARAÎT ÉGALEMENT PLUS INQUIÉTANTE 9 Une délinquance plus violente 9 Une délinquance difficile à cerner 10 Une délinquance plus collective 10 Un nombre croissant de récidivistes 11 Une délinquance plus jeune 11 II. FACE À LAMPLEUR DU PHÉNOMÈNE DÉLINQUANT, LES RÉPONSES ONT SOUVENT ÉTÉ INADAPTÉES 12 A. LA SITUATION SOCIALE SEST FORTEMENT DÉGRADÉE 12 La délinquance juvénile et le chômage des jeunes 12 La déstructuration du modèle familial 13 La désagrégation des liens sociaux 14 B. LES RÉPONSES ONT SOUVENT ÉTÉ INADAPTÉES 14 Des institutions décrédibilisées 14 Un cadre juridique inadapté 15 Un système éducatif dépassé 17 Des parents déresponsabilisés 18 III. LA PROPOSITION DE LOI APPORTE DES SOLUTIONS CONCRÈTES AUX DYSFONCTIONNEMENTS OBSERVÉS SUR LE TERRAIN 19 A. LA PROTECTION DE LENFANCE EN DANGER DOIT ÊTRE RENFORCÉE 20 B. LES PROCÉDURES APPLICABLES AUX MINEURS DÉLINQUANTS DOIVENT ÊTRE PLUS OPÉRANTES 21 EXAMEN EN COMMISSION 29 TABLEAU COMPARATIF 33 LISTE DES PERSONNES ENTENDUES PAR LE RAPPORTEUR 49 MESDAMES, MESSIEURS, Il est peu de problèmes aussi graves que ceux qui concernent la protection de lenfance, et parmi eux, ceux qui ont trait au sort de lenfance traduite en justice. La France nest pas assez riche denfants pour quelle ait le droit de négliger tout ce qui peut en faire des êtres sains. Le constat, énoncé dans lexposé des motifs de lordonnance du 2 février 1945 relative à lenfance délinquante, par le gouvernement provisoire de la République française, paraît près dun demi-siècle plus tard dune inquiétante modernité. La part croissante des mineurs dans les personnes mises en cause pour crimes ou délits constitue aujourdhui encore, à lévidence, un défi majeur pour notre société, qui ne peut rester passive devant linquiétante marginalisation dune frange de sa jeunesse. Linsécurité, les explosions de violence, le racket à lécole, pour ne reprendre que certaines manifestations les plus connues de cette délinquance, font tous les jours la une de notre actualité. La couverture médiatique, pour abondante quelle soit, ne permet pas toujours, cependant, de montrer la réalité quotidienne de cette délinquance juvénile : des jeunes privés davenir, privés de repères, des familles déstructurées, un contexte économique et social dégradé. Limpression dune jeunesse à la dérive ne se résume bien évidemment pas à létude du phénomène délinquant. Les quartiers en difficulté sont également ceux qui connaissent des taux élevés de signalement de mineurs en danger et la courbe des décisions daction éducative en milieu ouvert, dans le cadre de ces signalements, ainsi que celle des décisions de placement révèlent elles aussi une augmentation inquiétante : entre 1996 et 1997, les décisions daction éducative ont augmenté de 9,3 % et celles des placements de 6,5 %. Cette proposition de loi, déposée par votre rapporteur et lensemble des membres du groupe Démocratie libérale et indépendants, a pour objet danalyser les tendances récentes de la délinquance juvénile, den comprendre les origines, et, à partir de là, de faire des propositions qui pourraient permettre une meilleure prévention du phénomène délinquant. Votre rapporteur est bien conscient des limites de lexercice : cette proposition de loi na pas la prétention dapporter une réponse définitive à la délinquance des mineurs. Il aurait fallu pour cela revoir lensemble du système judiciaire consacré à la jeunesse, repenser les structures daccueil des jeunes à la dérive, inventer un nouveau dispositif de prévention dans les quartiers. Votre rapporteur sy est toutefois essayé, réfléchissant à des nouvelles structures innovantes : en matière de prévention, la mise en place de pôles daccueil des jeunes en difficulté, impliquant les parents, les associations, les éducateurs et bien évidemment les jeunes, aurait ainsi pu être une expérience intéressante permettant un signalement efficace du jeune en détresse. De même, en matière de répression, la création de petites unités, réparties en grand nombre sur lensemble du territoire, accueillant au maximum quinze jeunes ayant fait lobjet dune condamnation et menant principalement une action éducative, pourrait également permettre une solution alternative à la prison pour mineurs. La création de ces structures ne figure pas dans la présente proposition de loi : les rigueurs de la recevabilité financière des initiatives parlementaires, imposée par larticle 40 de la Constitution, ne permettent pas de présenter une réflexion complète sur le système. Cest donc une version quelque peu tronquée dun projet qui se voudrait plus ambitieux, qui est proposée ; la présente proposition de loi se limite ainsi à poursuivre deux objectifs. Le premier est de faire face à un problème connu de tous les élus de quartiers en difficulté, à savoir lerrance de mineurs de moins de treize ans dans la rue tard le soir. Il sagit, avec les dispositions proposées, de permettre au maire, lorsque les circonstances lexigent, dinterdire sur tout ou partie du territoire de la commune, la circulation de ces mineurs entre vingt-deux heures et six heures du matin sils sont non accompagnés dune personne majeure. Le mineur appréhendé dans la rue, après ces heures, serait conduit au commissariat ou à la gendarmerie la plus proche afin dêtre remis à ses parents. En cas de multiples réitérations, le juge des enfants pourrait prononcer la suspension des prestations familiales auxquelles le mineur ouvre droit. La décision du juge devra bien évidemment prendre en compte le contexte familial, la suspension nayant aucun caractère automatique : il sagit là, non de pénaliser les parents, mais de les responsabiliser. Le deuxième objectif poursuivi par la proposition de loi est daménager lordonnance de 1945, notamment le régime de la garde à vue et de la détention provisoire, afin de mieux prendre en compte le fait que, les mineurs délinquants étant de plus en plus jeunes, la fixation de la majorité pénale à treize ans, et la distinction des seuils dâge treize ansseize ansdix-huit ans fixés par lordonnance du 2 février 1945 apparaissent quelque peu désuètes. Bien quil soit dubitatif sur le sort finalement réservé à la présente proposition de loi, inscrite à lordre du jour dans le cadre des dispositions de larticle 48, alinéa 6, du Règlement, votre rapporteur espère néanmoins quelle sera loccasion dun véritable débat au sein de la représentation nationale et que, à défaut de se rejoindre sur les solutions proposées, les parlementaires de toute origine politique pourront au moins être daccord sur le constat, le caractère inadapté des réponses apportées et finalement, et de manière prioritaire, sur lurgence de la situation. I. LA DÉLINQUANCE JUVÉNILE EST DE PLUS EN PLUS PRÉOCCUPANTE A. LA DÉLINQUANCE JUVÉNILE EST EN CONSTANTE AUGMENTATION Lapproche incomplète des statistiques Au-delà des déclarations péremptoires ou de lexploitation réductrice de telle ou telle donnée isolée de son contexte, il sagit danalyser clairement, sans esprit polémique, les données relatives à la délinquance des mineurs. Les statistiques en la matière sont en effet à manier avec beaucoup de précautions. Sans entrer dans un débat dexperts sur la mesure de la délinquance, il convient de rappeler ici que les méthodes de recensement peuvent différer, notamment entre services de police et services judiciaires, et que, une fois telle ou telle méthode retenue, des biais de différentes natures peuvent intervenir dans lanalyse statistique. A titre dexemples, les statistiques de la délinquance reflètent, sagissant notamment dinfractions telles que le trafic ou lusage de stupéfiants, davantage lactivité des services de police que lévolution réelle des faits délictueux ; de même, la mesure de la délinquance peut être directement influencée par le comportement des victimes et de leur plus ou moins grande propension à porter plainte. Toutefois, à linverse, il faut rappeler que les statistiques de police ne comptabilisent que les faits et les mises en cause mentionnés dans une procédure transmise aux parquets. Ainsi, tout ce qui est enregistré en main courante ou fait lobjet de rapports classés par les services saisis, à lexception toutefois des affaires concernant les vols à létalage, nest en principe pas dénombré dans les statistiques de police. Il est exact que le contexte de ces récentes années, sur le plan policier, a pu favoriser la transformation dun certain nombre denregistrements de main courante en signalements formels, sous forme de procès-verbaux ; il nen reste pas moins vrai quun nombre important de petits faits délictueux, d incivilités constituées dinsultes, de petites agressions, de fraudes, dinfractions à la police des transports, de dégradations diverses du mobilier urbain, échappent à toutes statistiques, alors même quelles contribuent à créer un climat de méfiance et dinsécurité. Comme la souligné Mme Béatrice Patrie, conseillère technique au cabinet du ministre du lIntérieur, cette petite délinquance, pour laquelle une qualification pénale est envisageable, même si elle ne saurait être que de nature contraventionnelle, est très mal vécue par les citoyens. Son signalement systématique, par transmission aux parquets, présenterait néanmoins le risque, sagissant dun contentieux de masse, dencombrer considérablement les tribunaux. Il nen reste pas moins quune perception claire de lampleur du phénomène paraît indispensable. La création dun observatoire de la délinquance envisagée par Mme Patrie permettrait sans nul doute de raisonner sur des statistiques complètes et identiques pour lensemble des services concernés par la délinquance. Laugmentation du nombre de mineurs mis en cause Cela étant, même sans tenir compte de la multiplication des petits faits délictueux, lanalyse des statistiques tenues par la police et la gendarmerie nationale laisse apparaître un nombre croissant de mineurs mis en cause pour crimes ou délits : entre 1977 et 1998, leur nombre a plus que doublé puisquil est ainsi passé de 82 151 à 171 787. Pour reprendre les évolutions les plus récentes, le nombre de mineurs mis en cause a connu une forte progression entre 1997 et 1998, en augmentant de 11,23 %. Cette tendance est dautant plus préoccupante que le nombre total des personnes mises en cause, quel que soit leur âge, se révèle être en légère diminution, passant de 797 362 à 788 992. Dès lors, parallèlement à un accroissement numérique, la part des mineurs devient plus importante, représentant 21,77 % du total des personnes en cause en 1998, contre 19,4 % en 1997. Si lon retient une analyse fondée sur le type dinfractions, les statistiques de 1998 révèlent également une part accrue des mineurs dans toutes les catégories : ils représentent ainsi 34 % des personnes mises en cause pour vol, contre 32 % en 1997, 15 % des personnes mises en cause pour crimes et délits, contre 13 % en 1997, 5 % des personnes mises en cause pour des infractions économiques et financières, contre 4 % en 1997 et, enfin, 19 % des personnes mises en cause pour dautres infractions, y compris celles liées aux stupéfiants, contre 16 % en 1997. Sans pour autant accréditer les discours alarmistes qui évoquent volontiers une progression exponentielle de la délinquance des mineurs, il est de la responsabilité de la classe politique de reconnaître cette tendance préoccupante, qui sinscrit pourtant dans un contexte démographique où la part des jeunes se réduit, les moins de vingt ans ne représentant plus que 25,8 % de la population en 1998, contre 33,2 % en 1970. Cependant, davantage que lanalyse des chiffres bruts de la délinquance juvénile, cest son changement de nature, sa radicalité qui traduisent une évolution inquiétante. B. LA DÉLINQUANCE JUVÉNILE APPARAÎT ÉGALEMENT PLUS INQUIÉTANTE Une approche uniquement quantitative nexprime que partiellement lurgence de la situation ; une analyse plus fine, retenant des critères qualitatifs, cest-à-dire par type dinfraction, révèle des réalités préoccupantes : la délinquance juvénile a changé de nature ces dix dernières années. La participation des mineurs dans des actes de délinquance se caractérise par la diminution de lâge des mineurs mis en cause dans des faits de plus en plus graves, violents et gratuits et la multiplication dactes de délinquance commis en groupe. En premier lieu, la délinquance juvénile apparaît plus dangereuse car plus violente. Les statistiques de certaines infractions caractéristiques en la matière, notamment les vols et délits contre les personnes, sont à cet égard édifiantes : en 1986, le nombre de mineurs mis en cause pour vols avec violence sélevait à 2 835. Il est de 9 007 en 1998 ; de même, le nombre de mineurs mis en cause pour viol sélevait en 1986 à 369 contre 1 199 en 1998, tandis quil atteint, pour coups et blessures volontaires, 11 081 en 1998, contre 2 364 douze ans plus tôt. Il est vrai que ces chiffres sinscrivent dans une tendance générale de notre société, qui se caractérise par un climat de violence plus intense. Toutefois, cette constatation ne doit pas faire oublier que, dans ce contexte, la part, en pourcentage, des mineurs mis en cause augmente. Laugmentation des vols avec violence semble sexpliquer par une meilleure appréhension du racket entre jeunes, notamment en milieu scolaire. Celle des vols à main armée confirme les constats formulés dans les milieux policiers, aux termes desquels les mineurs sont de plus en plus souvent en possession darmes par destination, mais aussi darmes blanches, voire darmes à feu, à grenaille ou dalarme. La montée en puissance des crimes et délits contre les personnes traduit notamment laccroissement extrêmement préoccupant du nombre de viols commis par les mineurs. Une délinquance difficile à cerner Il est en effet apparu quau cours de la dernière décennie, la délinquance dappropriation sest estompée au profit dune violence et dune délinquance expressives . Ainsi, pour reprendre un aspect de la délinquance où les mineurs sont fortement impliqués, les vols liés à lautomobile, les auteurs dinfractions semblent moins sintéresser aux autoradios quaux véhicules, et ceux qui volent des voitures ne cherchent pas toujours un gain économique, mais plutôt un intérêt ludique : les pratiques de voitures volées puis incendiées se multiplient, la couverture médiatique de tels agissements semblant être la seule justification de ces violences. Cette constatation illustre une autre composante de la délinquance juvénile, liée aux infractions concernant les destructions et dégradations de biens publics ou privés. En 1986, 6 552 mineurs étaient mis en cause dans de telles affaires. En 1998, ce nombre sélève à 23 523. La part des mineurs dans les délinquances de voie publique représente ainsi 35 % des mises en cause. A côté dune délinquance de profit, dont laspect est classique, se développent des violences ouvertes, ostensibles, sans perspective de gain visant les autorités au sens large, les institutions ou tout ce qui peut représenter une forme intégrée de socialisation. Il faut, en outre, souligner que ces statistiques ne rendent quimparfaitement compte de la détérioration générale du climat, perceptible notamment dans le développement des incivilités déjà évoquées. Une délinquance plus collective Etroitement lié à cette nouvelle forme de délinquance, le caractère collectif des comportements délictueux est très fréquemment souligné par les observateurs ; la délinquance juvénile organisée et structurée sur le modèle du gang était auparavant une curiosité américaine. Aujourdhui, il apparaît de plus en plus que les jeunes, en rupture avec tous les processus dintégration proposés par la société, se regroupent sous forme de bande et retrouvent, dans ce regroupement, une sorte de substitut identitaire. Cette organisation spontanée nest pas systématiquement critiquable car elle permet de créer de nouveaux liens de solidarité et toutes ces bandes ne sont pas forcément agressives. Néanmoins, il devient patent que dans certains quartiers, la violence prend un caractère collectif par laffrontement de bandes rivales. Les jeunes invoquent lidentité locale dune cité, dun quartier, dun territoire, pour servir de support à des affrontements de plus en plus violents : alors que lon dénombrait 17 blessés dans des rixes entre bandes en 1992, on compte 46 blessés et 6 morts en 1995. Le bilan de 1998 sannonce encore plus lourd. Dans ce contexte, les policiers apparaissent souvent, au même titre que les jeunes dautres quartiers, comme une bande rivale, sans que soit perçues à aucun moment les notions dautorité ou dintérêt général quincarnent les forces de lordre. Un nombre croissant de récidivistes Ce phénomène de bandes permet dexpliquer en partie une caractéristique nouvelle, lancrage dans la délinquance, se traduisant par un nombre croissant de mineurs multirécidivistes. Les statistiques sur ce point sont incomplètes. Cependant, une étude menée au tribunal de Nantes en 1997 a permis de montrer que le pourcentage des mineurs qui ont fait lobjet dune présentation au juge des enfants et qui réitèrent sélève à 50 %. La minorité des mineurs les plus actifs, définis comme ceux ayant fait lobjet de plus de onze présentations représentent 10% des mineurs présentés ; cette minorité cumule à elle seule une masse de délits supérieure à la masse des délits imputables aux primo-délinquants. Ainsi, à partir dun exemple, certes partiel, est corroborée lopinion largement répandue que la délinquance juvénile est constituée dun noyau dur, composé dun nombre réduit dindividus et ayant véritablement une carrière délinquante. Perçus comme de véritables meneurs, ils jouissent auprès des plus jeunes, parfois au sein même de la structure familiale, dun véritable prestige et ce dautant plus que, bien souvent, leurs revenus, tirés dune économie illégale, sont bien plus importants que ceux provenant dune activité professionnelle légale. Enfin, le rajeunissement des personnes mises en cause est également mis fréquemment en exergue. Ici encore, il nexiste pas de statistiques fiables, mais cette donnée est corroborée par lensemble des acteurs sociaux. Le constat de la délinquance juvénile est inquiétant à plus dun titre : il révèle certes une jeunesse en danger et désorientée mais illustre également plus généralement le climat dinsécurité et de tension dans lequel vivent quotidiennement nos concitoyens. Face à ce constat, il est bien évidemment de la responsabilité des hommes politiques danalyser et de comprendre le malaise des jeunes. Néanmoins, cette démarche ne doit pas se traduire par un angélisme qui a déjà fait les preuves de son inefficacité. Par respect pour les victimes, mais également pour les jeunes auteurs dinfractions, il importe de comprendre mais non dexcuser. Dans cette optique, il convient de rappeler les responsabilités qui incombent à chacun. II. FACE À LAMPLEUR DU PHÉNOMÈNE DÉLINQUANT, LES RÉPONSES ONT SOUVENT ÉTÉ INADAPTÉES A. LA SITUATION SOCIALE SEST FORTEMENT DÉGRADÉE Lier la délinquance, et notamment la délinquance juvénile au taux de chômage est un lieu commun du débat politique. Il est bien évident que le taux de 11,8 % de la population active atteint par la France (représentant plus de 3 050 000 chômeurs) a obligatoirement des incidences sur le climat social. Encore convient-il danalyser correctement le lien entre chômage et délinquance. La délinquance juvénile et le chômage des jeunes Entre 1945 et 1975, période dite des Trente glorieuses , la délinquance juvénile existe et se caractérise principalement par des vols : dans une société en expansion rapide, la quantité des biens en circulation, les voitures, les appareils électroménagers et la hi-fi augmente considérablement. La délinquance est alors stimulée par une frustration née dune société à la fois prospère et anonyme. La criminalité est une criminalité dappropriation, liée à une augmentation des opportunités. Depuis 1975, la délinquance augmente parce que la fraction de la population privée demploi augmente : le ralentissement durable de la croissance économique écarte une masse croissante de jeunes des voies légales de réalisation de soi par lemploi rémunéré. Les fluctuations de la masse des crimes et délits reflètent alors de manière assez étroite, non plus les occasions de vols, mais les fluctuations du nombre de ceux pour qui la délinquance apparaît comme la voie la plus accessible pour sen sortir. On constate ainsi quentre 1975 et 1985, les taux dinfractions sélèvent corrélativement au chômage. Lamélioration relative de la situation de lemploi entre 1985 et 1989 correspond à une baisse des taux de toutes les catégories dinfractions. Enfin, la détérioration renouvelée de lemploi des jeunes depuis 1989 coïncide avec une remontée des atteintes. De manière plus précise, il convient de souligner que la courbe de la délinquance, notamment les infractions contre les biens et les actes de violence, est étroitement corrélée au taux de chômage des jeunes non ou très peu diplômés. Ce sont surtout ces jeunes qui sont touchés de façon précoce et durable par le chômage. La corrélation entre chômage des jeunes et délinquance juvénile apparaît ainsi évidente et a dailleurs été maintes fois soulignée par les observateurs politiques. Il convient toutefois de pousser davantage la réflexion afin de percevoir à quel point le chômage remet en cause de façon parfois irrémédiable les fondements du modèle républicain français. La déstructuration du modèle familial Lancrage dans le temps du chômage a profondément modifié la structure familiale et sa fonction. Le chômage des parents a eu pour conséquence la perte de crédit de la génération adulte. Ainsi, beaucoup dadultes des quartiers en difficulté souffrent dune dévalorisation et ne sont plus capables de servir de modèles ou de références. La comparaison entre le montant des revenus de substitution proposés par la société R.M.I., allocations chômage, prestations familiales et ceux tirés de petits trafics illégaux est, dès lors, rapidement faite et ne plaide pas pour le modèle parental. A cela sajoute bien souvent une structure familiale complexe, recomposée, où la définition de la figure paternelle, figure dautorité sil en est, perd de sa netteté. Ainsi, dans les quartiers en difficulté, le taux de familles monoparentales dépasse souvent 15 %. Il est bien évident que la conjonction des deux phénomènes que sont le chômage et la destructuration familiale, prive le jeune de repères essentiels. Viennent bien souvent sajouter à cela les difficultés liées à limmigration, notamment lorsque les parents dorigine étrangère font face à des problèmes de langue ou dintégration, alors même que leurs enfants ne se reconnaissent plus dans leur culture dorigine. Les enfants aînés ont alors tendance à se substituer à lautorité naturelle, provoquant souvent un désinvestissement du père dans léducation de ses enfants, désinvestissement pouvant être par la suite lourd de conséquences. Les crises qui surviennent dans chaque famille lorsque lenfant devient adolescent et éprouve le besoin de définir clairement son identité par rapport à ses parents sont dès lors démultipliées dans ces contextes familiaux fragiles. La désagrégation des liens sociaux Leffondrement de la puissance tutélaire de la famille va de pair avec la disparition des liens sociaux dans les quartiers en difficulté. Il est patent que, depuis une vingtaine dannées, la physionomie de ces quartiers a changé. La population nest plus une population ouvrière aux revenus modestes, certes, mais ayant un travail, fortement structurée autour de syndicats ou dassociations et ayant développé des liens de solidarité forts. Aujourdhui, cette vie sociale a disparu et ont disparu avec elle les possibilités quavait chaque famille, lorsquelle éprouvait des difficultés ou était confrontée à un problème, den parler, de demander conseil ou de se faire assister. Lexistence de cette médiation sociale constituait très certainement une protection efficace contre les débordements de toutes sortes ou les explosions de violence. Les rapports sociaux sont, de manière unanime, perçus par les observateurs des quartiers en difficulté comme beaucoup plus âpres quauparavant. Face à cette situation sociale dégradée, qui ne permet pas de donner aux jeunes des repères suffisamment clairs, les réponses apportées se sont révélées finalement inadaptées. B. LES RÉPONSES ONT SOUVENT ÉTÉ INADAPTÉES Des institutions décrédibilisées La première des responsabilités à mettre en avant est bien évidemment celle des politiques. Il convient en premier lieu daller au-delà de la polémique qui a opposé en janvier dernier le ministre de lintérieur et la ministre de la justice sur les réponses à apporter à la délinquance juvénile, reprenant de manière schématique le débat entre répression et prévention. La première des réponses à apporter est plutôt de constater lurgence de la situation. Il est indispensable de placer la lutte contre la délinquance juvénile comme une des priorités nationales, ce qui implique inévitablement une redéfinition des choix budgétaires. Tous les interlocuteurs rencontrés par votre rapporteur ont en effet prioritairement mis en avant le manque de moyens et les conditions de travail difficiles sur le terrain. Certes, des mesures ont été prises, à la fois dans le domaine de la prévention et de la répression ; néanmoins, les promesses de création de 50 centres de placement immédiat ou de 100 unités de centres éducatifs renforcés dici 2001 apparaissent bien dérisoires face à lampleur du phénomène. Insuffisante dans les moyens mis en uvre, la réponse politique est aussi parfois apparue inadaptée. La lutte contre le chômage sest en effet révélée mal ciblée. Trop centrée sur les jeunes, elle na pas permis de redonner aux parents leur dignité perdue et a même parfois contribué davantage à la perte de lautorité parentale. Dans certains quartiers, moins de 30 % des familles vivent des revenus du travail, les autres tirant leurs ressources des transferts sociaux. Les politiques menées dans la lutte contre le chômage ont ainsi trop eu tendance à favoriser le traitement social du chômage, développant en conséquence une logique dassistance, au détriment de politiques plus actives, mettant davantage en avant les valeurs fondées sur le travail. Par ailleurs, les annonces gouvernementales, relayées par tous les médias, ont suscité des espoirs qui nont pu être concrétisés. Lexemple des emplois jeunes créés à lautomne 1997 est à cet égard édifiant : la majorité des embauches faites dans ce cadre privilégie les jeunes ayant des diplômes. Dans le département des Yvelines, 66 % des jeunes recrutés ont un niveau baccalauréat ou supérieur. La déception des jeunes des quartiers en difficulté a été dautant plus forte que ces emplois leur avaient été annoncés à lorigine comme sadressant en priorité à eux. Lamertume qui en a résulté et un sentiment dexclusion accru ont été ressentis par lensemble des acteurs sociaux sur le terrain. De manière plus générale, il faut souligner que limpuissance du politique à résorber le chômage contribue fortement à la dévalorisation des institutions. Ajoutons à cela le climat des affaires impliquant des hommes politiques, qui a pu donner aux jeunes des quartiers en difficulté un sentiment à la fois de défiance et de complète impunité. Le cadre juridique de lordonnance de 1945 napparaît plus adapté à lurgence de la situation. En premier lieu, la primauté de léducatif sur le répressif, affirmée par lordonnance, nest envisageable que si les moyens adéquats sont mis en uvre. Les acteurs locaux sont unanimes à dénoncer une insuffisance de moyens. Toutefois, cette insuffisance ne suffit pas, contrairement à ce que semble avancer Mme Fabienne Klein-Donati, conseillère technique au cabinet du garde des sceaux, à expliquer lampleur du phénomène délinquant. Il convient en effet également dinsister sur linadéquation de ces moyens face à lurgence de la situation : le système développé par lordonnance de 1945 sappuie en large partie sur les travailleurs sociaux, et notamment les éducateurs, censés effectuer la médiation entre les jeunes en difficulté et les institutions. Le problème qui se pose aujourdhui est que les travailleurs sociaux ne sont plus assez présents dans les familles. Les éducateurs envoyés dans les quartiers sensibles sont le plus souvent des jeunes femmes sorties il y a peu de leur école de formation et qui nont, par la force des choses, ni la présence ni la connaissance suffisante des quartiers pour pouvoir simposer. Dès lors, la prévention de la délinquance nest plus assurée dans la mesure où le signalement de ladolescent en dérive ne peut plus se faire. M. Hervé Hamon, président du tribunal pour enfants de Créteil, a reconnu que, faute de moyens adéquats, le système instauré par lordonnance de 1945 pouvait présenter des limites ; une expérience menée dans le département du Val-de-Marne a ainsi pu mettre à jour la vision divergente des policiers et des magistrats sur les mineurs multirécidivistes : sur 72 mineurs bien connus par la police pour leurs agissements, 11 étaient restés totalement inconnus des services judiciaires, avaient échappé à tout signalement et ne faisaient lobjet daucune mesure dassistance éducative. Insuffisante dans son aspect préventif, lordonnance de 1945 apparaît également inadaptée sur le plan répressif. En premier lieu, un mineur nayant pas lâge de treize ans au moment du délit ne peut faire lobjet dune condamnation pénale ; il ne peut non plus être placé en garde à vue ; tout au plus, sil est âgé de plus de dix ans, peut-il être retenu pendant dix heures, sil existe une présomption que le mineur a commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni de sept ans demprisonnement au moins. Enfin, il ne peut être mis en détention provisoire. Un mineur de treize à seize ans peut être mis en garde à vue mais ne peut être placé en détention provisoire, sil est soupçonné uniquement dun délit. De telles dispositions posent plusieurs problèmes : en premier lieu, elles ne tiennent pas compte des évolutions récentes de la délinquance. Le mineur de treize ans nest plus celui de 1945 : il évolue dans une société beaucoup plus violente et se trouve confronté beaucoup plus tôt à la délinquance. Dès lors, il semble urgent de redéfinir une nouvelle majorité pénale. En second lieu, elles contribuent à faire accroire lidée dune totale impunité du mineur de treize ans, idée aussi insupportable pour les victimes que pour les jeunes délinquants à la recherche de repères. Il convient dès lors de réintroduire la notion de sanction pour ces mineurs : sans sanction, le mineur ne peut prendre conscience de la gravité de la faute et se retrouve un peu plus tard, âgé de plus de treize ans, devant le juge et condamné sans avoir réalisé en quoi il est plus coupable que la fois précédente. Le rétablissement de la sanction ne doit pas être compris comme un désir de répression accrue, mais comme la nécessité dinstaurer très tôt des repères. Après lâge de treize ans, il est trop tard pour inculquer de telles notions à lenfant, et une simple admonestation par le juge ne suffit plus. Directement liée à ce problème, la majorité pénale à treize ans a pour conséquence de présenter devant des juges pour enfants des jeunes de plus de treize ans comme primo-délinquants, alors quils ont en fait un lourd passé de récidiviste. La plupart du temps, le signalement par les services sociaux ou les services de police ne sest pas fait à temps ou na pas été communiqué aux juges. Il faut, de plus, insister sur le fait que, même lorsquune condamnation est prononcée, la portée réelle de cette sanction reste aléatoire. Comme le soulignait M. Jean Berkani, procureur de la République près le tribunal de grande instance dEvreux, les juges des enfants ne peuvent, bien souvent, faute de moyens, faire exécuter leurs sentences. Les mesures dassistance éducative ou de liberté surveillée se voient ainsi parfois réduites à la visite mensuelle dun éducateur. Quant à la condamnation à une peine de prison, lensemble des personnes auditionnées par le rapporteur ont dénoncé les conséquences dramatiques quelle pouvait avoir pour le jeune délinquant. Mme Béatrice Patrie a ainsi mis en avant son caractère particulièrement inadapté, linsuffisance de moyens disponibles conduisant à copier les structures pour adultes en se limitant à introduire une dose supplémentaire de mesures éducatives. Cest principalement à lécole que se manifestent les ruptures précoces avec les institutions de la société adulte. La délinquance en forte croissance, notamment par les pratiques de racket, a longtemps été niée par le milieu scolaire ; les enseignants ont refusé, à juste titre, de troquer leur rôle déducateur contre celui de gardien-surveillant. Aujourdhui, le système éducatif se trouve dépassé par ces nouvelles manifestations de violence. Les réponses apportées sont, dès lors, maladroites : exclure un enfant de lécole ne fait que le renvoyer à un quotidien plus violent encore et contribue à le pousser inexorablement vers la délinquance. Les enseignants ne sont pas assez nombreux et peu préparés à cette violence. Comme le soulignait Me Marie-France Ponelle, avocate à la Cour de Paris, présidente de lantenne des mineurs, les procédures de signalement auprès de la protection judiciaire de la jeunesse leur sont encore quasiment inconnues. La création dinternats urbains ou le développement de classes relais vont évidemment dans le bon sens ; ces actions sont toutefois trop marginales pour pouvoir réintégrer et resocialiser les jeunes en difficulté sur lensemble du territoire national. On a déjà évoqué la déstructuration de certaines familles des quartiers en difficulté et le contexte social dans lequel elles évoluent. Il nen reste pas moins que la question de la responsabilité des parents dans laugmentation de la violence mérite dêtre posée. Des logements sociaux peu adaptés pour accueillir des familles nombreuses conduisent souvent les enfants à rester tard dehors. Face à cette errance de lenfant, soumis très tôt aux lois de la rue et de la cité, beaucoup de parents ont un comportement à la limite de linconscience ou du fatalisme. Il est même courant que certains ferment les yeux sur des petits trafics ; de même ils ne sinterrogent plus sur lorigine de largent ou du matériel ramené par leurs enfants à la maison. Le cadre judiciaire les conforte quelque peu dans cette attitude : labsence de sanction pour les délits commis par leurs enfants de moins de treize ans les incite à penser que la faute nest pas vraiment grave puisquelle nest pas punie. Lenfant grandissant et les ennuis judiciaires saccumulant, les parents tentent parfois de le reprendre en main et dessayer de lui inculquer de nouveaux repères. Il est bien souvent trop tard et cette tentative se traduit par de nouveaux conflits. Le jeune choisit ainsi parfois, par la fugue, de retrouver avec les jeunes de la rue une solidarité quil a perdue en quittant sa famille. Cest le début de lancrage dans la délinquance que nous avons évoqué plus haut. Le constat peut paraître alarmiste ; il est bien évident quil ne présente aucun caractère systématique et quil nexiste aucune fatalité. Il est important de distinguer en la matière, comme la souligné M. Jean-Marie Petitclerc, éducateur, directeur de lassociation Le Valdocco, les parents dépassés quil faut aider, des parents démissionnaires quil faut sanctionner. Il existe en effet des procédures qui permettent de responsabiliser et dimpliquer davantage les parents dans la prise en charge de leurs enfants : ainsi, larticle L. 552-6 du code de la sécurité sociale prévoit que, lorsque les conditions dalimentation, de logement ou dhygiène sont manifestement défectueuses ou lorsque le montant des prestations familiales nest pas employé dans lintérêt de lenfant, les prestations sont versées non plus à la famille, mais à un tuteur qui a pour mission de les affecter aux besoins exclusifs des enfants. Environ 30 000 familles sont concernées chaque année par cette mise sous tutelle. Outre ces dispositions, il existe également des procédures pénales permettant dincriminer le comportement des parents à légard de leurs enfants. Larticle 227-17 du code pénal punit le fait, par le père ou la mère légitime, naturel ou adoptif, de se soustraire, sans motif légitime, à ses obligations au point de compromettre gravement la santé, la sécurité ou léducation de son enfant mineur dune peine de deux ans demprisonnement et de 200 000 F damende. Ces procédures apparaissent cependant manifestement inadaptées pour prévenir la délinquance des enfants. Les dispositions du code de la sécurité sociale nont en effet quun caractère limité ; celles du code pénal peuvent éventuellement apporter une réponse, mais le rapporteur nest pas persuadé que ce soit en mettant les parents en prison, quon leur permette de simpliquer davantage dans léducation de leurs enfants. Ces dispositions par ailleurs ne suffisent pas à prévenir la délinquance. Elles interviennent une fois la situation devenue irréversible, lorsque ladolescent se trouve déjà en rupture avec la société. La responsabilisation des parents en amont est réclamée par un nombre important dintervenants sur le terrain, comme lont rappelé MM. Alain Com et Marc Calieros, commissaires de police. Face à ce constat, il est urgent de réfléchir à des solutions nouvelles, permettant à la fois de concilier les aspirations légitimes de nos concitoyens pour une société plus sûre et les attentes des jeunes des quartiers difficiles. III. LA PROPOSITION DE LOI APPORTE DES SOLUTIONS CONCRÈTES AUX DYSFONCTIONNEMENTS OBSERVÉS SUR LE TERRAIN La proposition comprend vingt et un articles, les deux premiers étant consacrés à lenfance en danger, les dix-huit suivants à lenfance délinquante et le dernier gageant la proposition pour compenser les pertes de recettes pouvant éventuellement résulter de son adoption. Quel que soit le sujet concerné, les dispositions nouvelles se fondent sur des principes communs : intervenir le plus tôt possible dans le processus conduisant immanquablement à la délinquance et responsabiliser les parents. Même sil nest pas nommément visé - il est fait référence à un établissement figurant sur une liste fixée par décret -, le pôle daccueil des jeunes en difficulté a une place centrale dans le dispositif proposé. A. LA PROTECTION DE LENFANCE EN DANGER DOIT ÊTRE RENFORCÉE Les dispositions nouvelles relatives à lenfance en danger sont symboliquement placées en tête de lordonnance du 2 février 1945 : aux yeux de votre rapporteur, il sagit des articles les plus importants de la proposition. Larticle 1er complète le titre de lordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à lenfance délinquante, afin de mentionner également lenfance en danger qui, jusquà présent, nest évoquée que dans les dispositions du code civil relatives à lassistance éducative (art. 375 et suivants). Larticle 2 insère un nouveau titre en tête de lordonnance du 2 février 1945 consacré à lenfance en danger et composé des articles 1er A à 1er C. Larticle 1er A permet au maire, en cas de menaces graves à lordre public, dinterdire aux mineurs de moins de treize ans de circuler non accompagnés sur tout ou partie du territoire de la commune entre vingt-deux heures et six heures. Le procureur de la République est informé de la décision du maire et en contrôle lapplication. Larticle 1er B institue un dispositif à trois étages, concernant tant les enfants que les parents, applicable lorsque le mineur ne respecte pas linterdiction derrer seul sur la voie publique pendant la nuit : · Lorsque les policiers ou les gendarmes interpellent pour la première fois un enfant de moins de treize ans seul dehors en pleine nuit, le mineur est conduit au commissariat ou à la gendarmerie pour être remis, après avertissement, à ses parents. La violation de linterdiction de circuler figurera, pendant deux ans, dans un registre placé sous le contrôle du procureur de la République. · En cas de récidive, le mineur est conduit dans un établissement adapté figurant sur une liste fixée par décret : dans lesprit de votre rapporteur, il sagit du pôle daccueil des jeunes en difficulté. Puis, dans les quarante-huit heures, il est présenté, accompagné de ses parents (ou de la personne qui en a la garde), au juge des enfants. Le juge adresse un avertissement écrit aux parents pour mise en danger de lenfant : cela signifie quil va pouvoir ordonner des mesures dassistance éducatives compte tenu de la déficience, ou de lincapacité, des parents à préserver la santé, la sécurité ou la moralité de leur enfant. · En cas de nouvelle récidive, le juge des enfants peut affecter les prestations familiales auxquelles lenfant ouvre droit à des dépenses liées à sa scolarisation ou prononcer, pour une durée maximale de six mois, la suspension de ces prestations ; il dispose des mêmes prérogatives en cas de refus des parents de déférer à ses convocations. Il sagit donc dune faculté et non dune sanction automatique à légard des parents négligents, cest-à-dire de ceux qui ne simposent pas dobligation de moyens, sans même parler dune obligation de résultats. Cette menace est bien plus adaptée pour responsabiliser les parents que les peines damendes ou demprisonnement prévues par le code pénal pour délaissement de mineur (art. 227-1 et 227-2) ou mise en péril des mineurs (art. 227-15 et suivants). Larticle 1er C renvoie à un décret en Conseil dEtat le soin de préciser les conditions dapplication des articles 1er A et 1er B. B. LES PROCÉDURES APPLICABLES AUX MINEURS DÉLINQUANTS DOIVENT ÊTRE PLUS OPÉRANTES La proposition de loi modifie, notamment, les dispositions applicables aux mineurs en matière de garde à vue, de détention provisoire, de mesures de réparation, de liberté surveillée et de placement. Le but poursuivi est de mieux adapter les réponses judiciaires à la délinquance juvénile. Larticle 3 introduit un titre II dans lordonnance du 2 février 1945 relatif à lenfance délinquante, dans lequel sont insérés les quarante-neuf articles qui constituent actuellement lordonnance. Larticle 4 (art. 4 de lordonnance du 2 février 1945) modifie les dispositions relatives à la garde à vue des mineurs. Il supprime les dispositions qui interdisent de placer un mineur de moins de treize ans en garde à vue et permettent à un officier de police judiciaire de retenir un mineur de dix à treize ans, à titre exceptionnel et avec laccord dun magistrat, pour une durée de dix heures renouvelable une fois (1). Il supprime limpossibilité de déroger à lobligation dinformer les parents dun mineur placé en garde à vue au-delà de douze heures, lorsque la garde à vue nest pas prolongeable (2). Il prévoit que la garde à vue du mineur doit être limitée au temps nécessaire à sa déposition et à sa présentation à un magistrat et que les parents sont autorisés à sentretenir avec le mineur si la garde à vue dépasse douze heures (3). Larticle 5 (art. 8 de lordonnance du 2 février 1945) redéfinit les fonctions dinstruction et de jugement du juge des enfants. Il prive le juge des enfants de la possibilité de prescrire le contrôle judiciaire (1). Il substitue à la possibilité de placer le mineur dans un centre daccueil ou dobservation, lobligation pour le juge de placer le mineur dans un établissement figurant sur une liste fixée par décret après en avoir informé les parents : il sagira du pôle daccueil des jeunes en difficulté (2). Il supprime la faculté ouverte au juge de nordonner aucune des mesures prévues par larticle 5 ou que lune dentre elles (3). Il retire au juge la possibilité dordonner une mesure de liberté surveillée à titre provisoire, avant de se prononcer pour un éventuel renvoi devant le tribunal pour enfants et de communiquer le dossier au parquet (4). Il substitue trois alinéas aux six alinéas permettant actuellement au juge dopter, par jugement rendu en chambre du conseil, pour lune des mesures suivantes : · relaxer le mineur, si linfraction nest pas établie ; · le déclarer coupable, mais en le dispensant de toute autre mesure si son reclassement est acquis, le dommage réparé et le trouble résultant de linfraction terminé, cette décision pouvant ne pas être mentionnée au casier judiciaire ; · ladmonester ; · le remettre à ses parents ; · prononcer sa mise sous protection judiciaire pour une durée maximum de cinq ans ; · le placer dans lun des établissements visés aux articles 15 et 16 de lordonnance (établissement déducation ou de formation professionnelle, établissement médical ou médico-pédagogique, internat approprié aux mineurs délinquants sil est âgé de moins de treize ans, établissement déducation surveillée sil a plus de treize ans). Dans la version retenue par la proposition de loi, le juge des enfants naura plus le choix quentre trois solutions (5) : · relaxer le mineur ; · prononcer sa mise sous protection judiciaire ; · le placer dans lun des établissements visés à larticle 15 qui, dans la rédaction que lui donne larticle 9 de la proposition, substitue au placement dans un établissement déducation surveillé, le placement dans un pôle daide aux jeunes en difficulté. Larticle 6 (art. 10 de lordonnance du 2 février 1945) a trait à la comparution du mineur mis en examen. Il remplace par un seul alinéa les six alinéas laissant au juge des enfants, ou au juge dinstruction, le choix de confier provisoirement le mineur mis en examen : · à ses parents ; · à un centre daccueil ; · à une institution habilitée à cet effet ; · au service de lassistance à lenfance ou à un établissement hospitalier ; · à un établissement déducation, de formation ou de soins. Aux termes de la proposition, le mineur mis en examen est placé, jusquau prononcé du jugement, dans un établissement mentionné dans une liste fixée par décret, à savoir le pôle daccueil des jeunes en difficulté (1). En conséquence, les deux derniers alinéas de larticle 10 de lordonnance relatifs à la garde provisoire sont supprimés (2). Larticle 7 (art. 11 de lordonnance du 2 février 1945) modifie le régime de la détention provisoire des mineurs. Actuellement, le mineur âgé de plus de treize ans peut être placé en détention provisoire. Toutefois, en matière correctionnelle, seul le mineur âgé dau moins seize ans peut être détenu provisoirement et pour une durée limitée à un mois, renouvelable une fois, lorsque la peine encourue nest pas supérieure à sept ans demprisonnement. La proposition supprime toutes les dispositions relatives à la détention provisoire en matière correctionnelle (1 à 3), larticle 7 de lordonnance étant exclusivement consacré à la détention provisoire en matière criminelle qui relève de deux régimes différents selon que le mineur est âgé de moins ou de plus de seize ans. Larticle 8 (art. 12-1 de lordonnance du 2 février 1945) porte sur les mesures ou les activités daide ou de réparation, à légard de la victime ou dans lintérêt de la collectivité, que le procureur ou la juridiction ont la faculté de proposer au mineur. La proposition prévoit que seule la juridiction de jugement, et non plus la juridiction chargée de linstruction ou le procureur de la République, pourra proposer une telle mesure ou activité (1). En conséquence, les deuxième et troisième alinéas de larticle 8 sont supprimés (2) et le quatrième alinéa adapté (3). Larticle 9 (art. 15 de lordonnance du 2 février 1945) énumère les mesures de protection, dassistance, de surveillance ou déducation, que le tribunal pour enfants prononce à légard dun mineur âgé de moins de treize ans. Dans le texte actuel de lordonnance, ces mesures sont les suivantes : · remise aux parents, au tuteur, à la personne ayant la garde ou à une personne digne de confiance ; · placement dans un établissement déducation ou de formation professionnelle ; · placement dans un établissement médical ou médico-pédagogique ; · remise au service de lassistance à lenfance ; · placement dans un internat approprié aux mineurs délinquants. La proposition de loi apporte les modifications suivantes : · si lenfant est remis à ses parents, à son tuteur ou encore à la personne ou au service auquel il est confié, un suivi sera en outre assuré par une personne habilitée dont le nom figurera sur une liste fixée par arrêté préfectoral ; · au placement dans un internat est substitué le placement dans un établissement figurant sur une liste fixée par décret, le pôle daccueil des jeunes en difficulté, ce placement étant prononcé doffice à légard des mineurs récidivistes en matière correctionnelle. Larticle 10 (art. 16 de lordonnance du 2 février 1945) supprime larticle 16 de lordonnance, qui énumère les mesures de protection et de rééducation prononcées par le tribunal pour enfants à légard des mineurs âgés de plus de treize ans : · remise aux parents, au tuteur, à la personne ayant la garde ou à une personne digne de confiance ; · placement dans un établissement déducation ou de formation professionnelle ; · placement dans un établissement médical ou médico-pédagogique ; · placement dans une institution déducation surveillée. Larticle 11 (art. 16 bis de lordonnance du 2 février 1945) permet au tribunal pour enfants et à la cour dassises des mineurs de prononcer également, à titre principal, la mise sous protection judiciaire dun mineur âgé de seize ans pour une durée maximale de cinq ans. La proposition insère un nouvel alinéa dans cet article (1) : en cas de récidive en matière correctionnelle, les juridictions précitées devront prononcer, pour une durée nexcédant pas cinq années, le placement dans un établissement dont la liste est arrêtée par décret, le pôle daccueil des jeunes en difficulté. En conséquence, il est procédé à une modification de référence dalinéa (2). Larticle 12 (art. 17 de lordonnance du 2 février 1945) supprime le deuxième alinéa de larticle 17 de lordonnance, qui ne rend possible la remise dun mineur âgé de plus de treize ans à lAssistance que dans trois hypothèses : si lenfant a besoin dun traitement médical, sil est orphelin ou si ses parents ont été déchus de lautorité parentale. Larticle 13 (art. 19 de lordonnance du 2 février 1945) prévoit que le mineur, qui a fait lobjet dune des mesures prévues aux articles 15 et 16 ou dune condamnation pénale, peut être placé sous le régime de la liberté surveillée. La proposition de loi exclut lapplication de cette disposition lorsquil sagit dun mineur de treize ans, délinquant récidiviste, placé dans un établissement médical ou médico-pédagogique. Larticle 14 (art. 21 de lordonnance du 2 février 1945) concerne les contraventions de police des quatre premières classes commises par des mineurs, lesquelles sont déférées au tribunal de police. Sil estime utile ladoption dune mesure de surveillance, le tribunal peut transmettre, après le prononcé du jugement, le dossier au juge des enfants, qui aura la faculté de placer le mineur sous le régime de la liberté surveillée. La proposition offre au juge des enfants une possibilité supplémentaire : le placement du mineur dans un établissement mentionné sur une liste fixée par décret, en loccurrence le pôle daccueil des jeunes en difficulté. Larticle 15 (art. 22 de lordonnance du 2 février 1945) porte sur lexécution provisoire des décisions du juge des enfants et du tribunal pour enfants. Concernant les mesures de protection, dassistance, de surveillance ou déducation prévues à larticle 15 relatif au mineur de treize ans, il est précisé que le mineur sera conduit et retenu dans un centre daccueil, dans une section daccueil dune institution, dans un dépôt de lassistance ou dans un centre dobservation. La proposition prévoit que le mineur sera dorénavant conduit dans un établissement, mentionné sur une liste fixée par décret, qui dans lesprit de votre rapporteur ne peut être que le pôle daccueil des jeunes en difficulté. Larticle 16 (art. 28 de lordonnance du 2 février 1945) procède à une simplification procédurale. Actuellement, le juge des enfants, et le cas échéant le tribunal pour enfants, statue sur les incidents, les instances en modification de placement ou de garde et les demandes de remise de garde : il peut ordonner toutes mesures de protection ou de surveillance et rapporter ou modifier les décisions prises. Toutefois, seul le tribunal pour enfants est compétent lorsquil y a lieu de prendre à légard dun mineur, soit laissé à la garde de ses parents ou de son tuteur, soit laissé ou remis à une personne digne de confiance, une des autres mesures prévues aux articles 15 et 16. La proposition de loi attribue au juge des enfants les compétences actuellement conférées au seul tribunal pour enfants. Larticle 17 (art. 40 de lordonnance du 2 février 1945) modifie les dispositions relatives à la part des frais dentretien et de placement mise à la charge de la famille, qui actuellement ne sappliquent que lorsque le mineur est remis à une personne autre que son père, sa mère ou son tuteur ou à une personne autre que celle qui en avait la garde. La proposition de loi apporte les modifications suivantes : · dans tous les cas où le mineur fait lobjet dune mesure de placement (y compris, par exemple, sil est placé dans un pôle daccueil des jeunes en difficulté), la décision déterminera la part des frais mise à la charge de la famille (1) ; · les allocations familiales, majorations et allocations dassistance auxquelles le mineur ouvre droit seront versées directement non seulement à la personne ou à linstitution ayant la charge du mineur pendant la durée du placement mais aussi à la victime du délit commis par le mineur à concurrence dun montant déterminé par la juridiction (2) ; · lalinéa précisant que la part des frais dentretien et de placement nincombant pas à la famille est mise à la charge du Trésor est supprimé (3). Les articles 18 à 20 (art. L. 513-1, L. 521-2 art. et L 552-6 du code de la sécurité sociale) assurent la coordination entre les modifications apportées à lordonnance du 2 février 1945 et les dispositions du code de la sécurité sociale relatives aux prestations familiales. Les prestations familiales sont dues à la personne physique qui assume la charge effective et permanente de lenfant, sous réserve des dispositions prévues à larticle 40 de lordonnance du 2 février 1945 dans la rédaction que lui donne larticle 17 de la proposition. Lorsque le mineur est confié au service de laide sociale à lenfance, la part des allocations familiales due à la famille pour cet enfant est en principe versée à ce service. Toutefois, à la demande du conseil général ou de la juridiction à la suite dune mesure prise en applications des articles 15 et 16 de lordonnance du 2 février 1945, lorganisme débiteur peut décider de maintenir le versement à la famille, si celle-ci participe à la prise en charge morale ou matérielle de lenfant en vue de faciliter le retour de lenfant dans son foyer. La proposition étend cette possibilité à toutes les hypothèses nouvelles de placement prévues par ses articles 14 et 15 modifiant les articles 21 et 22 de lordonnance. Le juge des enfants peut dores et déjà ordonner que les prestations familiales soient, en tout ou partie, versées à une personne physique ou morale qualifiée - dite tuteur aux prestations sociales -, lorsque lenfant donnant droit aux prestations est élevé dans des conditions dalimentation, de logement et dhygiène manifestement défectueuses ou lorsque le montant des prestations nest pas employé dans lintérêt de lenfant . La proposition ouvre la même faculté au juge lorsque lenfant fait lobjet dune des mesures de placement prévues par lordonnance du 2 février 1945. Larticle 21 prévoit la compensation des pertes de recettes éventuellement engendrées par la présente proposition de loi : pour lEtat, par une majoration des droits sur les tabacs ; pour la sécurité sociale, par la création de taxes additionnelles au droit de consommation sur les alcools. * * * Après lexposé du rapporteur, plusieurs commissaires sont intervenus dans la discussion générale. M. Jean-Antoine Léonetti a fait observer que la délinquance des mineurs concernait des personnes de plus en plus jeunes et de plus en plus violentes, alors même que se développe un sentiment dimpunité dans les quartiers en difficulté. Indiquant quun mineur délinquant sur deux était arrêté par la police et quun sur dix seulement recevait une sanction effective, il a considéré quil revenait avant tout à la famille, et non à la société, de prendre ses responsabilités. Exprimant son accord avec la démarche de M. Pierre Cardo consistant à renforcer le volet répressif de lordonnance de 1945, sans pour autant la modifier totalement, il a estimé que le système de prévention avait montré ses limites. Il a ainsi déclaré que les travailleurs sociaux nétaient pas présents dans les quartiers difficiles, que les juges pour enfants exerçaient davantage une fonction dassistance sociale que de répression et que la police ne pouvait entrer dans les quartiers difficiles, qui vivaient de manière autonome et fermée, fonctionnant sur le mode clanique. Il a par ailleurs observé que les mineurs étaient utilisés par les adultes afin de commettre des délits, jugeant quil serait nécessaire de responsabiliser leur famille et de les écarter momentanément de la société pour préparer leur réinsertion. Il a, en outre, considéré que la suppression des allocations familiales pour les familles dont les mineurs sont délinquants pourrait contribuer à leur responsabilisation. Il a indiqué que, sil sétait abstenu sur la proposition de résolution de M. Jacques Myard tendant à créer une commission denquête sur la délinquance juvénile, cest parce quil estimait préférable ladoption de mesures concrètes à la création dune nouvelle structure de réflexion. Pour cette même raison, il a fait part de son soutien à la proposition de loi de M. Pierre Cardo, en précisant que, si elle constituait une réponse incomplète au problème de la délinquance des mineurs, elle permettait cependant denvoyer un message clair et pragmatique aux habitants des quartiers difficiles. Mme Véronique Neiertz a indiqué quelle avait écouté le rapporteur avec dautant plus dintérêt quil était un homme de terrain, ayant une grande expérience du sujet quil évoquait. Tout en soulignant que le problème de la délinquance des mineurs constituait une préoccupation constante pour les élus, elle a considéré que légiférer dans ce domaine revenait toujours à avancer sur un terrain miné. Elle a rappelé que lAssemblée nationale avait déjà débattu de cette question à loccasion du vote de la loi du 1er juillet 1996 portant modification de lordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à lenfance délinquante. Elle a fait état de sa propre expérience dans ce domaine, indiquant quelle avait contribué à mettre en application des dispositions de la loi concernant les procédures de prise en charge en temps réel des mineurs délinquants. Estimant que tout le débat se jouait autour du délicat équilibre entre la prévention et la répression, elle a jugé que la proposition de loi de M. Pierre Cardo était trop axée sur le volet répressif. Elle a considéré, en effet, que la politique du tout répressif avait montré ses limites aux Etats-Unis. Affirmant que le véritable objectif à atteindre était celui de la rééducation des mineurs confrontés à un environnement difficile, elle a jugé que la politique des moyens menée par le Gouvernement était la plus viable. Elle a exprimé la crainte que certaines des dispositions de la proposition de loi, notamment celles relatives à linterdiction de sortie des mineurs de treize ans la nuit, ne soient de nature à susciter des comportements violents dans les quartiers difficiles et que, sur le plan politique, elle ne tende à favoriser les discours les plus extrémistes. Elle a ajouté que la loi du 1er juillet 1996 navait pu encore produire tous ses effets et sest déclarée favorable à une application des dispositions existantes sur la mise sous tutelle des allocations familiales. Elle a considéré quune véritable politique des moyens devait porter à la fois sur les acteurs sociaux et institutionnels ainsi que sur le logement social, jugeant que ce dernier ne répondait plus à laccroissement des demandes et aux moyens des plus défavorisés. Estimant que la proposition de M. Pierre Cardo avait pour seul objectif de permettre quun débat sengage à lAssemblée nationale, elle a proposé que la Commission ne formule pas de conclusions. Evoquant lexpérience quil avait en la matière en sa qualité délu local, M. Pascal Clément a constaté que la France ne savait pas traiter le problème des mineurs délinquants. Contestant les propos de Mme Véronique Neiertz, il a affirmé que le principe de la tolérance zéro pratiqué aux Etats-Unis avait conduit à une baisse des délits. Il a déploré que le discours sociologique sur les déterminismes environnementaux nimprègne désormais celui des politiques et jugé quil alimentait le ressentiment des électeurs, victimes de la délinquance des mineurs. Indiquant quil nétait pas favorable à une politique du tout répressif, il a néanmoins souligné les limites de la prévention, prenant lexemple des événements survenus à Strasbourg lors de la Saint-Sylvestre. Il a remarqué que M. Jean-Marie Bockel, maire de Mulhouse, avait également proposé la suppression des allocations familiales des parents de mineurs délinquants récidivistes, soulignant, par ailleurs, que les dispositions existantes nétaient guère appliquées. Il sest interrogé ensuite sur lefficacité des foyers particuliers accueillant les jeunes délinquants, qui nimposent pas de réelles obligations en matière de travail et de rééducation. Déplorant les coûts de fonctionnement de ces établissements, il a, par ailleurs, constaté que le nouveau président de S.O.S. Racisme sétait déclaré favorable à la responsabilisation des mineurs et très critique à légard de la logique dassistance qui prédomine actuellement. Il a, cependant, observé que seule une politique globale serait à même de répondre aux problèmes dinsécurité. Rappelant que la présence de lEtat et de ses acteurs était nécessaire dans les quartiers difficiles, il a ajouté que les choix faits en matière durbanisme après la guerre pesaient lourd dans le développement du sentiment de mal-être dans ces quartiers. Il a déclaré que la reconstruction de la ville devait constituer un véritable projet national. Il a annoncé quil voterait en faveur de la proposition, considérant que lAssemblée nationale devait sen saisir afin de rassurer lopinion sur ces questions. Mme Catherine Tasca, présidente, a estimé quil était essentiel de mener de front une réflexion de fond sur le problème de la délinquance des mineurs et la mise en place de mesures concrètes et rapides. Soulignant lintérêt du débat sur cette proposition de loi, elle a considéré quil faisait ressortir trois points principaux : lerrance des jeunes dans les villes, la responsabilité des familles et linsuffisance des effectifs et des moyens des travailleurs sociaux. Elle a, par ailleurs, estimé quil était totalement injustifié de reprocher au Gouvernement labsence daction dans ce domaine, ajoutant quil convenait déviter daborder cette question uniquement sous un angle punitif. Mme Nicole Feidt a indiqué que, dans beaucoup de régions, la situation nétait pas aussi dramatique quen Ile-de-France. Citant le cas de sa circonscription, elle a précisé que les problèmes des mineurs étaient heureusement limités à des faits de petite délinquance. Elle a, par ailleurs, considéré que les établissements de placement effectuaient le plus souvent un travail de qualité, ajoutant quils souffraient principalement dun manque de moyens. Soulignant quil était difficile de distinguer ce qui relève de la responsabilité directe des familles de ce qui provient de leurs difficultés économiques, elle a exprimé son accord sur le diagnostic établi par M. Pierre Cardo, tout en sopposant cependant aux dispositions de sa proposition de loi. En réponse aux intervenants, le rapporteur a apporté les précisions suivantes : Il est indispensable que le législateur exprime clairement sa volonté en matière de délinquance des mineurs ; la pire des réponses serait limmobilisme ; il convient, au contraire, de ne pas hésiter à sengager dans la voie de lexpérimentation. Sil est exact que léquilibre entre répression et prévention est délicat à trouver, il serait néanmoins erroné danalyser les dispositions de la proposition de loi comme étant uniquement de nature répressive. Il importe avant tout de définir ce qui relève du répressif et ce qui est préventif : lexemple de la police de proximité, par nature répressive, mais exerçant des missions préventives, démontre la difficulté de définir une frontière claire entre les deux concepts. Ainsi, pour reprendre les dispositions de la proposition de loi, la suspension des allocations familiales en cas derrance répétée de lenfant peut apparaître comme une mesure répressive, alors quelle institue pourtant une procédure beaucoup plus souple que les dispositions existantes du code pénal, qui prévoient peine de prison et amende en cas de désengagement des parents vis-à-vis de lenfant. Il est urgent de responsabiliser davantage les parents. Les dispositions de la proposition de loi nimposent pas aux parents une obligation de résultat, mais une obligation de moyens : il nest pas demandé aux parents de faire de leurs enfants des citoyens modèles, mais de leur donner au moins la possibilité de le devenir. La proposition de loi permettrait ainsi de recréer un lien entre les diverses allocations et revenus sociaux attribués par la collectivité aux parents et le devenir des enfants. La suspension des allocations familiales serait ainsi perçue comme un signal fort par les parents, et semblerait, dès lors, beaucoup plus adaptée que les dispositions existantes. Il est exact que la situation ne connaît pas la même gravité sur lensemble du territoire, mais, compte tenu du taux élevé du chômage et du caractère inadapté de la politique de prévention, le risque dune augmentation de la violence et de la délinquance partout en France existe véritablement. Actuellement, le problème qui se pose est celui dune répartition des moyens ; lEtat pratique une politique égalitaire, qui se traduit dans les faits par une politique égalitariste, insuffisante pour certains départements et inutile pour dautres. Le problème du logement des personnes habitant les quartiers en difficulté a souvent été évoqué pour expliquer lerrance des enfants. Il est évident quil est important de comprendre le phénomène, mais cela ne doit pas conduire à lexcuser, ni, bien évidemment, à le condamner. Lerrance des enfants a pour conséquence damener les grands adolescents, qui font la loi dans les cités et vivent de petits trafics, à faire léducation des plus petits. Lavenir qui se prépare, si le législateur ou les pouvoirs publics ne réagissent pas, sil ny a pas une volonté de mieux connaître les quartiers difficiles, apparaît, dès lors, bien compromis. Mme Catherine Tasca, présidente, a insisté sur limportance de la proposition de loi qui a permis, au-delà du dispositif proposé, quun véritable débat sengage au sein de la Commission sur la question de la délinquance des mineurs. A lissue de la discussion générale, la Commission a décidé de ne pas procéder à lexamen des articles et, en conséquence, de ne pas formuler de conclusion. TABLEAU COMPARATIF ___
PAR LE RAPPORTEUR ![]() M. Jean BERKANI, procureur de la République près le tribunal de grande instance dEvreux ; M. Hervé HAMON, président de lAssociation française des magistrats de la jeunesse et de la famille, président du tribunal pour enfants de Créteil ; Mme Fabienne KLEIN-DONATI, conseillère technique au cabinet de la garde des sceaux, ministre de la justice ; Mme Marie-France PONELLE, avocate à la Cour, présidente de lantenne des mineurs du barreau de Paris ; Mme Béatrice PATRIE, conseillère technique au cabinet du ministre de lintérieur. MM. Marc CALIEROS et Alain COM, commissaires de police, et M. Jean-Marie PETITCLERC, éducateur, directeur de lassociation Le Valdocco, ont également communiqué leurs observations au rapporteur. N°1472. - RAPPORT de M. Pierre CARDO (au nom de la commission des lois) sur la proposition de loi (n° 1403) relative à lenfance en danger et aux mineurs délinquants. |