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le 5 mai 1999

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N° 1544

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 28 avril 1999.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES (1) SUR LE PROJET DE LOI, ADOPTÉ PAR LE SÉNAT, autorisant la ratification du traité sur la Charte de l'énergie (ensemble un protocole,

PAR M. ANDRÉ BOREL,

Député

——

(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

Voir les numéros :

Sénat : 186, 267 et T.A. 85 (1996-1997)

Assemblée nationale : 195

Traités et conventions

La Commission des Affaires étrangères est composée de : M. Jack Lang, président ; MM. Georges Hage, Jean-Bernard Raimond, Roger-Gérard Schwartzenberg, vice-présidents ; M. Roland Blum, Mme Monique Collange, M. René Rouquet, secrétaires ; Mmes Michèle Alliot-Marie, Nicole Ameline, M. René André, Mmes Marie-Hélène Aubert, Martine Aurillac, MM. Edouard Balladur, Raymond Barre, Dominique Baudis, François Bayrou, Henri Bertholet, Jean-Louis Bianco, André Billardon, André Borel, Bernard Bosson, Pierre Brana, Jean-Christophe Cambadélis, Hervé de Charette, Yves Dauge, Jean-Claude Decagny, Patrick Delnatte, Jean-Marie Demange, Xavier Deniau, Paul Dhaille, Mme Laurence Dumont, MM. Jean-Paul Dupré, Charles Ehrmann, Laurent Fabius, Jean-Michel Ferrand, Georges Frêche, Jean-Yves Gateaud, Jean Gaubert, Valéry Giscard d'Estaing, Jacques Godfrain, Pierre Goldberg, François Guillaume, Jean-Jacques Guillet, Robert Hue, Mme Bernadette Isaac-Sibille, MM. Didier Julia, Alain Juppé, André Labarrère, Gilbert Le Bris, Jean-Claude Lefort, Guy Lengagne, François Léotard, Pierre Lequiller, François Loncle, Bernard Madrelle, René Mangin, Jean-Paul Mariot, Gilbert Maurer, Charles Millon, Mme Louise Moreau, M. Jacques Myard, Mme Françoise de Panafieu, MM. Etienne Pinte, Marc Reymann, Gilbert Roseau, Mme Yvette Roudy, MM. Georges Sarre, Henri Sicre, Mme Christiane Taubira-Delannon, MM. Michel Terrot, Joseph Tyrode, Michel Vauzelle, Aloyse Warhouver.

SOMMAIRE

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INTRODUCTION 5

I – CRÉER UN CADRE JURIDIQUE STABLE POUR L'ÉNERGIE 7

A – LA SOUVERAINETÉ DE L'ÉTAT SUR SES RESSOURCES ÉNERGÉTIQUES 7

B - DES INVESTISSEMENTS LIBÉRALISÉS 8

C – L'OUVERTURE À LA CONCURRENCE DU MARCHÉ DE L'ÉNERGIE 10

II – UN SECTEUR ESSENTIEL DES ÉCONOMIES 11

III – DES MOYENS IMPORTANTS DE MISE EN OEUVRE 13

A – LES INSTITUTIONS DU TRAITÉ 13

B - LE RÈGLEMENT DES DIFFÉRENDS 14

1) Les différends entre Etat partie et investisseur étranger 14

2) Les différends entre parties contractantes 14

CONCLUSION 17

EXAMEN EN COMMISSION 19

ANNEXE 21

Mesdames, Messieurs,

Le traité sur la Charte de l'énergie qui nous est soumis aujourd'hui après avoir été adopté par le Sénat, il y a plus de deux ans, est en fait un accord entre les pays de l'Ouest de l'Europe et ceux de l'Est, notamment ceux issus de l'ancienne Union soviétique.

Il résulte d'une initiative prise lors du Conseil européen de Dublin, en 1990, au cours duquel les Chefs d'Etat et de Gouvernement de la Communauté européenne ont souligné le caractère complémentaire en matière énergétique de l'Est de l'Europe, en particulier de la région du Caucase, disposant de grosses ressources énergétiques, et l'Ouest du continent, gros consommateur.

C'est, dans un premier temps, une "Charte européenne de l'Energie" qui fut adoptée en 1991 à La Haye par cinquante Etats, y compris la Communauté européenne elle-même qui jouit, dans ce secteur, d'une compétence partagée avec les Etats membres. Parmi les signataires figuraient outre la Communauté et ses Etats membres, les quinze Etats de l'ex-URSS, sept Etats d'Europe occidentale non membres de l'Union, neuf PECO et quatre Etats non européens : les Etats-Unis, l'Australie, le Japon et le Canada.

Cette charte énonçait les principes de base et prévoyait de transformer ces principes en un véritable engagement dans le cadre d'un traité. C'est ce Traité de la Charte européenne de l'Energie qu'il nous est aujourd'hui demandé d'examiner.

On notera tout de suite la très grande complexité de ce texte, qui comprend à la fois des objectifs généraux et des dispositions techniques de détail, notamment dans les protocoles.

D'une manière générale on peut dire que cette Charte a pour objectif d'appliquer à un secteur essentiel de l'économie des pays issus de l'ancienne Union soviétique, certains des principes "libéraux", de nature à y favoriser les investissements dans le secteur énergétique.

Elle constitue donc un pas très important dans l'instauration d'un espace énergétique européen cohérent, complémentaire, de nature à exploiter dans les meilleures conditions économiques, ainsi d'ailleurs qu'écologiques, les richesses énergétiques considérables des pays de l'Est et singulièrement de l'ex-URSS. Le champ d'application du Traité est vaste, puisqu'il recouvre toutes les catégories de matières et produits énergétiques mais n'inclut pas le commerce des équipements liés à l'énergie (oléoducs, gazoducs, etc...)

Indiquons d'emblée que le retard pris à discuter ce texte, conduit à rendre notre discussion un peu théorique.

Le Traité est en effet en vigueur depuis le 16 avril 1998, ayant été alors ratifié par trente Etats dont treize de l'Union Européenne et par les Communautés européennes, elles-mêmes Parties contractantes. L'Irlande et la France n'ont pas ratifié la Charte.

Le résultat curieux est que nous contribuons aux dépenses du Secrétariat Général – par le biais de l'Union – sans avoir droit de vote pour ce qui nous concerne faute d'avoir ratifié. Notre contribution est de 3 millions de francs belges, soit environ un demi-million de francs français.

I –CRÉER UN CADRE JURIDIQUE STABLE POUR L'ÉNERGIE

Il s'agit de donner un cadre juridique stable - malgré l'instabilité politique de certains des Etats contractants - aux échanges énergétiques entre les pays concernés par la Charte.

On ne reviendra pas, dans le cadre limité de ce rapport, sur le manque de stabilité de certains des pays exportateurs d'énergie de la zone couverte par la Charte : chacun l'a à l'esprit, et notre collègue, Mme Bernadette Isaac-Sibille, en a fait état récemment dans un brillant rapport sur les accords de partenariat, conclus entre l'Union européenne et certains Etats du Caucase.

La plupart des Etats de cette région sont d'ores et déjà exportateurs - ou potentiellement exportateurs - d'énergie, pétrole et gaz notamment.

Presque tous sont dans une situation instable, souvent tiraillés entre un interventionnisme rémanent de la Russie, des pressions islamistes plus ou moins fortes venant de l'Iran ou de l'Afghanistan et des tentations sécessionnistes de certaines minorités, voire de régions entières, l'ensemble se traduisant par une forte insécurité et une instabilité politique chronique.

La région s'est révélée un champ d'intervention particulièrement "ouvert" à l'arrivée d'investisseurs étrangers, d'autant que la situation financière des anciennes entreprises d'Etat et le délabrement de la plus grande partie de l'outil productif rendaient urgents de nouveaux investissements.

Créer un cadre juridique adapté semblait nécessaire.

A cette fin, le Traité sur la Charte de l'Energie retient quelques principes qui tendent à stabiliser l'environnement économique d'ensemble ; on en retiendra les principaux articles.

A – La souveraineté de l'État sur ses ressources énergétiques

Le principe affirmé demeure celui de la souveraineté de l'Etat sur ses ressources énergétiques.

L'article 15 du Traité définit précisément ce que cela recouvre.

Le Traité ne met aucunement en cause la liberté, offerte à chaque Etat souverain, de fixer lui-même le régime de propriété applicable à ses ressources. On sait que ce régime varie selon les systèmes juridiques : certains, les Etats-Unis en particulier, prévoient que la propriété du sous-sol suit celle du sol, ce qui signifie que le propriétaire foncier peut à la fois prospecter librement son fonds et l'exploiter ; d'autres, plus inspirés du droit français, distinguent propriété du sol et du sous-sol, les ressources énergétiques ou minières demeurant alors la propriété de l'Etat qui peut en attribuer la concession à un autre que le propriétaire du sol.

Quel que soit le régime de propriété du sol, les pays issus de l'ancienne Union soviétique connaissent, en général, des régimes applicables aux ressources souterraines proches du système français, lesquelles conduisent donc à une propriété de l'Etat, avec la possibilité, pour lui, d'accorder des droits de prospection ou d'extraction.

Dans un souci d'ouverture, le Traité prévoit cependant que les Parties contractantes s'engagent à faciliter l'accès aux ressources énergétiques en accordant des autorisations, licences ou concessions, d'une manière non discriminatoire et sur la base de critères publiés.

Nos collègues, qui mènent actuellement une mission sur les entreprises pétrolières, concluront, nul n'en doute, qu'il en est ainsi partout…

B - Des investissements libéralisés

S'agissant des investissements (Partie III), les principes retenus sont ceux que notre Commission a l'occasion de voir dans les conventions portant encouragement et protection des investissements.

On notera cependant que la Charte n'est pas allée jusqu'à instituer l'obligation de fournir aux investisseurs étrangers un traitement équivalent à celui des investisseurs nationaux.

Elle fait en effet un distinguo subtil entre les investissements réalisés et ceux à venir.

Aux termes de l'article 10 paragraphe 7, chaque Partie contractante accorde aux investissements déjà réalisés un traitement équivalent au traitement national.

Mais, pour les investissements à venir, il en va tout autrement.

Dans ce cas, en effet, les Parties contractantes "s'efforcent", mais n'ont donc pas l'obligation, de fournir aux nouveaux investisseurs, un traitement non moins favorable que celui prévu pour ses propres investisseurs ou aux investisseurs de tout autre Etat partie ou non au Traité.

L'insuffisance évidente du régime retenu a conduit les rédacteurs du Traité à prévoir la négociation, dès le 1er janvier 1995, d'un traité complémentaire dont l'objet sera d'étendre l'obligation de traiter les investissements étrangers comme les investissements nationaux.

En fait, cette négociation, dont chacun savait qu'elle serait difficile, n'a pas abouti, du fait notamment de la France, en raison du problème de l'énergie nucléaire et de notre attitude, pour le moins réservée, à l'égard d'une libéralisation trop grande des investissements, comme l'a montré la négociation sur l'A.M.I.

Pour les autres règles relatives aux investissements – liberté des transferts financiers notamment – elles ne font guère de difficultés.

On notera en effet que, contrairement à une opinion répandue, il s'avère que dans de nombreux pays – et c'est le cas notamment dans les pays de l'Europe centrale et orientale – les investissements étrangers sont souvent mieux traités que les investissements nationaux, tant la demande pour de tels investissements est forte.

Reste que la stabilité politique n'étant pas garantie, le Traité prévoit les normes habituelles en matière d'expropriation et d'indemnisation ; à cette occasion, on notera que l'expropriation est fortement encadrée et qu'en fait, l'investissement est en principe garanti ; il en est de même en cas de conflit, la responsabilité de l'Etat sur lequel est implanté l'investissement étant engagée de plein droit.

Enfin, il va de soi, conformément aussi à toutes les conventions relatives aux investissements conclues par la France, que ce Traité prévoit une clause de rapatriement des intérêts, dividendes et éventuelles indemnisations de toutes sortes que peut générer l'investissement. Quelle que soit la législation interne de l'Etat dans lequel est implanté l'investissement, ces transferts se font librement dans une monnaie convertible, au taux du marché ou à un taux défini par le Traité lorsqu'il n'y a pas de marché de devises (art. 14). Cela n'exclut pas cependant la possibilité pour certaines parties contractantes issues de l'ancienne Union soviétique de choisir le rouble comme monnaie pour les investissements provenant de l'une d'entre elles (art. 14-5).

C – L'ouverture à la concurrence du marché de l'énergie

Sur le plan du commerce, le Traité s'inscrit dans une démarche d'ouverture du marché de l'énergie comme l'indique l'article 3 : "Les parties contractantes œuvrent en vue de promouvoir l'accès aux marchés internationaux des matières et produits énergétiques à des conditions commerciales et, de manière générale, de développer un marché ouvert et concurrentiel de l'énergie".

Chacun sait que c'est une démarche qui fait question dans notre pays comme dans beaucoup d'autres. En France, après la première guerre mondiale, qui avait conduit à des problèmes d'approvisionnement en énergie, l'Etat a opté pour un régime "administré" de façon étroite de cet approvisionnement, de son transport et de sa distribution, quelle que soit par ailleurs la forme que revêtait l'énergie : pétrole, nucléaire, gaz, charbon ou hydroélectrique.

Depuis quelques années, une ouverture s'est réalisée sous la "contrainte du marché" et de l'Union européenne.

Mais cette ouverture se heurte à des réticences importantes et souvent fondées. Le Traité qui nous est soumis s'inscrit cependant dans cet esprit.

Cela conduit, bien évidemment, à des problèmes dans la mise en œuvre de ces objectifs. Il est vrai que le Traité contient une stipulation permettant le maintien des régimes existant qui seraient dérogatoires aux principes libéraux définis à l'article 5 du Traité : les règles restrictives aux investissements commerciaux, qui existaient avant l'entrée en vigueur du Traité, peuvent être maintenues temporairement sous réserve d'être déclarées au Secrétariat du Traité dans un délai de 90 jours à douze mois à compter de cette entrée en vigueur, selon que l'Etat concerné est partie ou non au GATT (le texte a été signé alors que l'OMC n'était pas encore en vigueur).

En matière de transport d'énergie, c'est la même philosophie qui gouverne les stipulations du Traité : il s'agit de mettre en oeuvre le principe du libre transit de l'énergie sur le territoire des Etats parties en facilitant l'entretien et l'interconnexion des moyens de transport. Ceci concerne bien évidemment toutes les énergies mais tout particulièrement les oléoducs et gazoducs, compte tenu du coût tout à fait important du transport des hydrocarbures.

II – UN SECTEUR ESSENTIEL DES ÉCONOMIES

Il n'est pas besoin de dire à quel point le secteur énergétique est essentiel pour les économies européennes. Certains disent que la Mer Caspienne pourrait être un nouveau Golfe persique.

Le total des échanges entre les Etats parties au traité de la Charte européenne de l'énergie s'est élevé en 1996 à 1 871 milliards de dollars dont 103 milliards - soit 5,5 % - ont porté sur les produits énergétiques.

Les principaux pays exportateurs sont, en premier lieu, les Etats de l'ex-URSS. Leurs exportations énergétiques ont représenté 25,5 milliards de dollars. A eux seuls, ces pays effectuent 24,7 % des exportations de produits énergétiques alors que leur part globale dans les échanges n'est que de 3,4 %. Viennent ensuite la Norvège avec 21,1 milliards de dollars, soit 20,4 % des livraisons de produits, les Pays-Bas, 13,3 milliards (12,9 %) et le Royaume-Uni, 11,7 milliards (11,3 %). Les principaux importateurs de produits énergétiques sont l'Allemagne, 26 milliards de dollars, soit 25,1 % des achats, la France, 12,4 milliards, soit 12 % des achats, le Royaume-Uni, 8 milliards, soit 7,7 % des achats et les Pays-Bas avec 7,6 milliards et 7,3 % des achats.

Pétrole et gaz naturel constituent un capital considérable pour nombre d'Etats issus de l'Union soviétique et notamment pour la Fédération de Russie.

Les pays d'Europe centrale et orientale et ceux de la CEI détiennent 6 % des réserves mondiales de pétrole, soit plus de 8 milliards de tonnes. Encore ces données sont-elles sujettes à réévaluation compte tenu des prospections en cours. L'essentiel des réserves est localisé en Russie, en Azerbaïdjan et au Kazakhstan.

Ces Etats ont de plus en plus recours, pour le financement et la technologie de l'exploration, aux compagnies pétrolières occidentales. En Asie centrale et dans le Caucase le problème majeur est constitué par les difficultés d'évacuation du brut à partir de pays enclavés. L'évacuation du pétrole brut de la Caspienne nécessiterait la construction de nouveaux oléoducs qui requerra un apport important de capitaux occidentaux.

S'agissant du gaz naturel, 40 % des réserves mondiales (60 000 milliards de m3) se trouvent dans l'Est de l'Europe ou dans les pays issus de l'ancienne Union soviétique.

Parmi eux, la Russie représente plus du tiers de réserves mondiales et celles du Turkménistan sont en cours de réévaluation. C'est la Russie qui est le premier fournisseur de gaz pour l'Europe occidentale et orientale. Ainsi la France s'y fournit-elle à hauteur de 30 %. L'actuel gazoduc reliant la Russie à l'Europe occidentale et qui traverse l'Ukraine sera doublé par un nouveau gazoduc traversant la Biélorussie et la Pologne. De nouveaux gazoducs devront être réalisés pour désenclaver le Turkménistan.

La réalisation de tout nouveau projet dans ces zones nécessitera l'apport de capitaux et de technologies occidentaux.

Même si la part du charbon dans le bilan énergétique, déjà faible en Europe occidentale, se réduira prochainement dans les pays d'Europe centrale et orientale, il convient de rappeler que ces derniers et les pays issus de l'ancienne Union soviétique détiennent 300 milliards de tonnes de réserves (30 % des réserves mondiales). La Russie et l'Ukraine sont les mieux dotées mais la production y est peu compétitive. L'un des problèmes posés par l'exploitation du charbon dans ces zones concerne l'environnement, fréquemment mis à mal par des modes de production archaïques. Enfin, signalons la part importante de l'hydroélectricité pour la Russie (5 % de sa production énergétique totale), et pour les pays montagneux – Arménie, Géorgie, Tadjikistan, Kirghizistan, Albanie – dépourvus d'autres ressources énergétiques.

Dans toutes ces régions, l'énergie nucléaire tient une place souvent prédominante : 88 % de l'électricité produite en Lituanie, 46 % en Bulgarie, 44 % en Slovaquie, 42 % en Hongrie, 37 % en Ukraine, 26 % en République tchèque, mais seulement 12 % en Russie.

C'est indéniablement la sécurité des installations nucléaires qui pose, dans ces pays, les problèmes les plus graves, problèmes à peine évoqué dans le présent Traité.

III – DES MOYENS IMPORTANTS DE MISE EN OEUVRE

Le Traité institue à cette fin un secrétariat permanent chargé de sa mise en œuvre, crée des modalités adaptées de règlement des différends et prévoit une période transitoire d'adaptation.

A – Les institutions du Traité

Pour mettre en œuvre et veiller à l'application des principes de la Charte et des dispositions du présent Traité, est instituée une "Conférence de la Charte de l'énergie" qui réunit les représentants des Etats membres.

Il lui reviendra notamment d'encourager la coopération visant à promouvoir les réformes vers l'économie de marché et la modernisation des secteurs de l'énergie dans les pays d'Europe centrale et orientale et les Etats de la CEI. Elle a la responsabilité d'examiner et d'approuver les comptes annuels et le budget de son secrétariat, de nommer le secrétaire général et de décider des adhésions au Traité.

Elle dispose d'un secrétariat dirigé par un Secrétaire général, M. Peter Schütterle, de nationalité allemande. Le siège est à Bruxelles.

Le budget de fonctionnement du secrétariat, calculé sur la base de la contribution des Etats parties au budget régulier de l'ONU, s'élève, pour 1999, à 25 millions de francs. La part de la France, comme on l'a dit, est de l'ordre d'un demi-million de francs.

Les règles de vote sont fonction des décisions à prendre : l'unanimité est requise pour l'adoption d'amendements au Traité, l'approbation de nouvelles adhésions, l'autorisation de négociations d'accords d'association, la modification d'annexes au Traité, et l'approbation de nominations, par le Secrétaire général, de membres de jurys mis en place pour le règlement de différends.

Le consensus est la règle générale de prise de décision. Cela étant, pour les questions budgétaires, et à défaut de consensus, c'est la majorité qualifiée des Etats, dont les contributions cumulées représentent au moins les trois quarts du total des contributions, qui est requise.

Pour les décisions qui ne requièrent pas l'unanimité ou la majorité qualifiée, la majorité simple suffit.

B - Le règlement des différends

1) Les différends entre Etat partie et investisseur étranger

La procédure de règlement de différends entre une entreprise et les autorités du pays étranger dans lequel elle a investi comporte plusieurs procédures successives, dont certaines peuvent être refusées, préalablement, par des Etats parties, lors de leur acceptation du Traité.

La procédure préconisée comporte une première phase de règlement amiable. Si celle-ci n'aboutit pas dans les trois mois, l'entreprise a le choix soit de soumettre le différend devant la juridiction nationale du pays où l'investissement a été réalisé, soit de recourir à une procédure de règlement du différend préalablement convenue, soit, après consentement écrit, porter le différend devant le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (C.I.R.D.I.), institué par la convention de Washington du 18 mars 1965, ou devant un tribunal d'arbitrage, ou encore, enfin, devant une structure d'arbitrage de l'institut d'arbitrage de la Chambre de Commerce de Stockholm.

Les sentences arbitrales sont définitives et obligatoires pour les parties au différend.

La convention prévoit que des pays dont les listes figurent en annexe du Traité peuvent, en dérogation à la norme, ne pas permettre à un investisseur de soumettre de nouveau le même différend à un arbitrage international après qu'il eut fait l'objet d'une décision de justice nationale ou d'une procédure préétablie de règlement du différend (annexe 1) ou pour des différends relatifs aux obligations liant une Partie à l'égard d'un investissement ou d'un investisseur étranger (annexe 1).

2) Les différends entre Parties contractantes

Deux Etats en conflit sur l'application ou l'interprétation du Traité devront tenter tout d'abord de le régler par la voie diplomatique (article 27, § 1). Faute d'accord dans un "délai raisonnable", les Parties peuvent soumettre le différend à un tribunal d'arbitrage ad hoc, sauf si le litige concerne les comportements anticoncurrentiels (article 6), les aspects environnementaux (article 19) ou pour les Parties énumérées à l'annexe 1, les obligations liant ces dernières à l'égard d'un investisseur étranger.

Chaque Partie nomme un membre et les deux Parties désignent un troisième membre qui présidera le tribunal arbitral. Sauf accord contraire entre les Parties, le règlement d'arbitrage de la Commission des Nations unies pour le Droit commercial international (CNUDCI) est applicable.

La sentence arbitrale est définitive et obligatoire pour les parties au différend.

Deux pays à structure fédérale, le Canada, bien que non signataire du Traité, et l'Australie, ont souscrit une procédure spéciale "sous-nationale" de règlement des différends entre une entité fédérée et une autre partie contractante, invitant l'Etat fédéral à mettre tout en œuvre pour faire respecter le Traité par l'entité fédérée qui dépend de lui.

Des mesures provisoires sont prévues à l'article 32 permettant aux Etats de l'Est européen de différer quelque peu la mise en œuvre de certains des articles du Traité relatifs à la libéralisation des investissements et échanges.

CONCLUSION

En conclusion, votre Rapporteur veut souligner que ce Traité se situe dans l'esprit des conclusions des Ministres de l'énergie du G8 réunis à Moscou en avril 1998 :

"Nous reconnaissons que des marchés énergétiques ouverts et compétitifs sont le meilleur moyen pour assurer aux consommateurs un approvisionnement énergétique sûr, fiable et abordable. Nous estimons aussi que des cadres juridiques transparents, non discriminatoires et fondés sur le libre marché – aussi dans le domaine du transit et du transport de produits énergétiques – sont essentiels pour attirer le montant significatif d'investissements qui sera nécessaire pour répondre aux besoins énergétiques futurs de nos pays … Dans ce contexte, nous appuyons les efforts de réformes visant à améliorer les conditions d'investissement, de commerce et de transit. La ratification et la mise en ouvre du Traité de la Charte de l'énergie (TCE) par les Etats signataires est un bon exemple à cet égard". S'agissant de la promotion d'un développement durable et d'une production, conversion, transport et utilisation efficace de l'énergie, "Il s'agit là d'un des plus importants défis et d'une des plus grandes opportunités pour tous les pays. La recherche, le développement et la commercialisation de technologies énergétiques plus propres, plus efficaces et moins polluants en carbone seront essentiels pour atteindre les objectifs en matière de développement." La déclaration commune évoque aussi le problème de la sécurité nucléaire : "Nous reconnaissons que la responsabilité primaire pour la sécurité nucléaire incombe aux opérateurs des installations nucléaires et que la responsabilité pour assurer le respect de règles efficaces sur la sécurité nucléaire incombe aux gouvernements nationaux. Nous réitérons notre engagement en faveur des plus hautes normes internationales de sécurité qui doivent rester la première considération pour ceux qui exploitent l'énergie nucléaire".

Tout en comprenant et en adhérant à nombre des stipulations du présent traité comme de cette déclaration, votre Rapporteur veut souligner qu'une approche trop libérale doit être évitée et qu'à cet égard, le Traité complémentaire envisagé ne paraît pas, en l'état, acceptable.

Au bénéfice de ces observations, il vous propose l'adoption du projet de loi qui nous est soumis.

EXAMEN EN COMMISSION

La Commission a examiné le présent projet de loi au cours de sa réunion du mercredi 28 avril 1999

Une discussion a suivi l’exposé du Rapporteur.

Mme Bernadette Isaac-Sibille a estimé, notamment en raison de l'importance des mesures transitoires contenues dans la Charte, que chacun pourra continuer à faire ce qu'il veut en dépit de l'adoption de ce texte.

M. André Borel a répondu que cette Charte avait au moins le mérite de fournir un cadre juridique et que sa ratification permettra à la France de s'exprimer.

Mme Martine Aurillac a demandé des précisions sur l'articulation entre la Charte et les accords de l'OMC.

M. André Borel a répondu que ces textes étaient, s'agissant du commerce, conformes à l'OMC et que, s'agissant des investissements, ils lui étaient complémentaires puisque les accords de l'OMC ne les concernaient pas.

Suivant les conclusions du Rapporteur, la Commission a adopté le projet de loi (n° 195 ).

*

* *

La Commission vous demande donc d’adopter, dans les conditions prévues à l’article 128 du Règlement, le présent projet de loi.

NB : Le texte du Traité figure en annexe au projet de loi (n° 195 ).

ANNEXE

Déclaration communiquée par les Communautés européennes au Secrétariat de la Charte de l'énergie en application de l'article 26, paragraphe 3, point b) ii), du Traité sur la Charte de l'énergie

Les Communautés européennes, en leur qualité de Partie contractante au traité sur la Charte de l'énergie, font la déclaration suivante concernant leurs politiques, pratiques et conditions relatives aux différends entre un investisseur et une Partie contractante et à la soumission des différends à une procédure d'arbitrage ou de conciliation internationale :

"Les Communautés européennes sont une organisation d'intégration économique régionale au sens du traité sur la Charte de l'énergie. Elles exercent les compétences qui leur sont transférées par leurs Etats membres par l'intermédiaire d'institutions autonomes dotées d'un pouvoir de décision et d'un pouvoir judiciaire.

Les Communautés européennes, d'une part, et leurs Etats membres, d'autre part, ont signé le Traité sur la Charte de l'énergie et doivent donc répondre au niveau international de l'exécution des obligations qui y figurent, selon leurs compétences respectives.

Si nécessaire, les Communautés et les Etats membres concernés détermineront lequel d'entre eux est la partie défenderesse dans une procédure d'arbitrage engagée par un investisseur ou par une autre Partie contractante. Le cas échéant, à la demande de l'investisseur, les Communautés et les Etats membres concernés procéderont à cette désignation dans un délai de trente jours 11).

La Cour de justice des Communautés européennes, en tant qu'organe judiciaire des Communautés, est compétente pour connaître de toute question liée à l'application et à l'interprétation des traités fondateurs et des actes adoptés en application de ceux-ci, y compris des accords internationaux conclus par les Communautés, qui peuvent être invoqués devant elle sous certaines conditions.

Toute affaire soumise à la Cour de justice des Communautés européennes par un investisseur ou une autre partie contractante conformément aux possibilités de recours prévues par les traités fondateurs des Communautés relève de l'article 26, paragraphe 2, point a), du Traité sur la Charte de l'énergie 22). Étant donné que le système juridique des Communautés prévoit la procédure applicable à une telle action, les Communautés européennes n'ont pas donné leur accord inconditionnel à la soumission d'un différend à une procédure d'arbitrage ou de conciliation internationale.

En ce qui concerne l'arbitrage international, il y a lieu d'indiquer que les dispositions de la convention CIRDI n'autorisent pas les Communautés européennes à en être partie. Les dispositions du mécanisme supplémentaire de la CIRDI n'autorisent pas non plus les Communautés à s'en prévaloir. Toute sentence arbitrale défavorable aux Communautés européennes sera exécutée par les institutions communautaires conformément à l'obligation qui leur incombe en vertu de l'article 26, paragraphe 8, du Traité sur la Charte de l'énergie".

N°1544. - RAPPORT de M. André BOREL (au nom de la commission des affaires étrangères) sur le projet de loi, adopté par le Sénat (n° 195), autorisant la ratification du traité sur la Charte de l’énergie (ensemble un protocole)

1 1) Sans préjudice du droit de l'investisseur d'intenter une procédure contre les Communautés et leurs Etats membres.

2 2) L'article 26, paragraphe 2, point a), s'applique également au cas où la Cour de justice des Communautés européennes, saisie d'une question posée à titre préjudiciel par une juridiction d'un Etat membre conformément à l'article 177 du traité CE, peut être appelée à statuer sur l'application ou l'interprétation du Traité sur la Charte de l'énergie.