Document

mis en distribution

le 15 février 2000

graphique

N° 1954

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 24 novembre 1999.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES (1) SUR LE PROJET DE LOI, ADOPTÉ PAR LE SÉNAT, autorisant l'approbation de la convention d'assistance administrative mutuelle entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Fédération de Russie pour la prévention, la recherche et la poursuite des fraudes douanières,

PAR M. RENÉ ANDRÉ,

Député

--

(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

Voir les numéros :

Sénat : 33, 106 et T.A. 50 (1998-1999)

Assemblée nationale : 1307

Traités et conventions

La Commission des Affaires étrangères est composée de : M. Jack Lang, président ; MM. Georges Hage, Jean-Bernard Raimond, Roger-Gérard Schwartzenberg, vice-présidents ; M. Roland Blum, Mme Monique Collange, François Loncle, secrétaires ; Mmes Michèle Alliot-Marie, Nicole Ameline, M. René André, Mmes Marie-Hélène Aubert, Martine Aurillac, MM. Edouard Balladur, Raymond Barre, Dominique Baudis, François Bayrou, Henri Bertholet, Jean-Louis Bianco, André Billardon, André Borel, Bernard Bosson, Pierre Brana, Jean-Christophe Cambadélis, Hervé de Charette, Yves Dauge, Patrick Delnatte, Jean-Marie Demange, Xavier Deniau, Paul Dhaille, Mme Laurence Dumont, MM. Jean-Paul Dupré, Charles Ehrmann, Laurent Fabius, Jean-Michel Ferrand, Georges Frêche, Jean-Yves Gateaud, Jean Gaubert, Valéry Giscard d'Estaing, Jacques Godfrain, Pierre Goldberg, François Guillaume, Robert Hue, Mme Bernadette Isaac-Sibille, MM. Didier Julia, Alain Juppé, André Labarrère, Gilbert Le Bris, Jean-Claude Lefort, Guy Lengagne, François Léotard, Pierre Lequiller, Bernard Madrelle, René Mangin, Jean-Paul Mariot, Gilbert Maurer, Charles Millon, Mme Louise Moreau, M. Jacques Myard, Mme Françoise de Panafieu, MM. Etienne Pinte, Marc Reymann, Gilbert Roseau, Mme Yvette Roudy, MM. René Rouquet, Georges Sarre, Henri Sicre, Mme Christiane Taubira-Delannon, M. Michel Terrot, Mme Odette Trupin, MM. Joseph Tyrode, Michel Vauzelle, Philippe de Villiers

Mesdames, Messieurs,

Le projet de loi qui nous est soumis a pour objet l'autorisation de ratification de la convention d'assistance administrative douanière signée le 31 octobre 1997 entre la France et la Russie, que celle-ci a d'ailleurs d'ores et déjà ratifiée.

Il s'agit d'une convention de type traditionnel que votre Rapporteur se propose de présenter avec cependant quelques particularités techniques qu'il convient de souligner.

Mais surtout, ce qui distingue le plus la coopération douanière franco-russe des coopérations de ce type que la France a développées avec d'autres pays tient au contexte particulier de la Russie, marqué par une nouvelle guerre en Tchétchénie, une scène politique très mobile et la persistance de problèmes structurels malgré une embellie économique.

* *

*

UNE CONVENTION TYPE AVEC DEUX PARTICULARITÉS

· L'objectif de cette convention est double.

D'une part, elle vise à donner une base juridique à la coopération entre les administrations douanières des deux pays afin de favoriser la prévention, la recherche et la répression des fraudes douanières. Une telle base est utile afin que les renseignements réunis à l'occasion de ces échanges puissent servir de preuves devant les tribunaux et afin de mieux garantir la confidentialité des informations transmises. En effet, le code des douanes françaises autorise l'administration française des douanes à fournir, sous réserve de réciprocité, des renseignements aux autorités douanières étrangères. Mais cette disposition n'offre qu'une sécurité juridique faible, notamment s'agissant de la protection de la confidentialité.

D'autre part, il s'agit de renforcer la coopération déjà organisée à la fois dans le cadre bilatéral et dans le cadre de l'Union européenne.

*

· Les dispositions prévues par la présente convention s'inscrivent dans le cadre général de coopération administrative qui sert de base à la trentaine de conventions déjà signées par la France.

Le champ de la convention se limite à l'assistance administrative dans le domaine de la lutte contre les infractions à la législation douanière (article 2). Au delà, les arrestations par exemple, la coopération relève de l'entraide judiciaire. Elle ne s'étend pas à la perception par l'administration douanière d'une partie des droits de douane, impôts, taxes, amendes et autres sommes pour le compte de l'administration de l'autre partie.

La convention prévoit en premier lieu que les administrations peuvent échanger des renseignements, spontanément ou sur demande (articles 3 et 4). Ces renseignements peuvent concerner toutes les opérations constatées ou suspectées présentant un caractère frauduleux, les nouveaux moyens de fraude, les catégories de marchandises connues comme faisant l'objet de trafics, les personnes et les moyens de transports suspects, les nouvelles techniques de lutte contre la fraude. Lorsqu'ils prennent la forme de documents de douane pouvant servir à détecter des infractions, les renseignements ne peuvent être transmis qu'en réponse à une demande écrite.

La convention prévoit également qu'une partie peut demander à l'autre d'exercer une surveillance spéciale sur des déplacements de personnes, des mouvements de marchandises, des lieux, des moyens de transport, des actes liés au trafic des stupéfiants, quand ceux-ci paraissent suspects (article 5).

La convention autorise par ailleurs le recours, d'un commun accord, à la méthode des livraisons surveillées (article 6). L'article 67 bis du code des douanes français permet aux agents des douanes habilités à cet effet par le ministre de pratiquer des expéditions illicites dans le but d'identifier les personnes impliquées dans les infractions douanières. La Russie dispose également d'une législation analogue.

Une partie peut demander à l'autre de procéder à des enquêtes sur des opérations en présence, éventuellement, de ses propres agents à la condition que ces derniers ne soient ni armés, ni en uniforme (article 8).

La convention établit des relations directes entre les administrations (article 9).

Elle donne valeur de preuves aux renseignements transmis par une partie devant les tribunaux de l'autre partie et permet aux agents d'une partie de comparaître en qualité de témoins ou d'experts (articles 11 et 12).

Les limites de l'assistance administrative tiennent à la possibilité pour une partie de refuser son assistance lorsque celle-ci serait de nature à porter atteinte aux intérêts essentiels de l'Etat ou impliquerait la violation d'un secret industriel, commercial ou professionnel. Tout refus doit être motivé (article 7).

Par ailleurs, la convention stipule que les informations obtenues dans son cadre ne doivent être utilisées qu'aux fins de la convention, sauf consentement exprès de la partie qui les a transmises. Ces informations bénéficient des mêmes garanties de confidentialité que celles accordées par la législation de l'Etat à ses propres informations de même nature (article 10).

Les articles 1er, 13, 14 et 16 n'appellent aucun commentaire particulier.

*

· Ces dispositions sont certes similaires à celles des conventions conclues avec les pays de l'Europe de l'Est (République tchèque, Pologne, Ukraine, Macédoine, Hongrie, Slovaquie...) mais il convient cependant de signaler deux particularités de cette convention.

En premier lieu, elle prévoit la possibilité de définir par voie d'arrangement administratif des mesures de coopération technique (article 15). Après l'entrée en vigueur de la présente convention, les douanes françaises et russes pourront signer des projets d'arrangement administratif qui ne feront pas l'objet d'une nouvelle convention et sous réserve de rester dans leur domaine de compétence. Il est prévu par exemple une coopération à l'aéroport de Moscou.

En second lieu, à la demande de la Russie, le texte cite expressément, parmi les marchandises susceptibles de faire l'objet de fraudes et devant par conséquent donner lieu à des échanges de renseignements spontanés, les objets d'art ou d'antiquité ayant une grande valeur artistique, archéologique ou d'antiquité (article 4.c). Cette précision a été apportée car, au moment de la négociation de la convention, la Russie devait faire face à un important trafic d'icônes.

*

Mais, ce qui distingue le plus la coopération douanière franco-russe des coopérations que notre pays a développées avec d'autres pays d'Europe, tient au contexte particulier de la Russie qui est aujourd'hui caractérisé par une crise politique et économique.

* *

*

LE CONTEXTE PARTICULIER
DE LA SITUATION INTÉRIEURE RUSSE

· Une nouvelle guerre intervient aujourd'hui en Tchétchénie alors que les accords de Khassaviourt avaient mis fin à la première guerre de 1994-1996 et prévoyaient le règlement du statut de la Tchétchénie pour fin 2001.

La Russie a lancé depuis l'automne 1999 une offensive massive (100 000 hommes) qualifiée "d'opération anti-terroriste" destinée à mettre fin à la série d'attentats meurtriers qui ont fait 300 morts à Moscou et dans d'autres villes russes, à réduire la dérive islamiste qui menace le Nord-Caucase (incursions de formations de bandits au Daghestan) et à restaurer la souveraineté et l'ordre constitutionnel dans la République rebelle (indépendance de facto).

La situation sur le terrain est très évolutive et l'intervention russe largement réprouvée en Occident. Les pertes civiles seraient très lourdes et l'exode de la population massif. Les réfugiés tentent de se rendre essentiellement en Ingouchie, République de 340 000 habitants qui ne peut faire face à un tel afflux de réfugiés.

Au quatrième sommet de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), qui s'est tenu à Istanbul les 18 et 19 novembre 1999, la Russie a finalement accepté de lâcher un peu de lest en s'engageant à reconnaître les normes de l'OSCE et "le caractère essentiel du dialogue politique". De plus, le ministre russe des Affaires étrangères, M. Igor Ivanov, a donné son accord à une visite sur place du président de l'OSCE. Il n'en demeure pas moins que pour les autorités politiques russes le conflit en Tchétchénie reste "une affaire intérieure russe" d'autant qu'elles bénéficient du soutien de la classe politique (Parlement fédéral et dirigeants des régions russes) et de l'opinion publique. Entre autres arguments convaincants pour l'opinion publique figure l'accusation de Moscou à l'encontre de Washington selon laquelle les Etats-Unis voudraient entretenir un état de conflit permanent dans le Nord du Caucase afin d'affaiblir la Russie et d'étendre le contrôle stratégique occidental sur la région transcaspienne en mettant la main sur les champs de pétrole de la Caspienne.

*

· La Russie est entrée en effet dans une longue période de campagne électorale et la scène politique reste très mobile jusqu'à l'élection présidentielle.

Les élections législatives du 19 décembre 1999 ont déjà donné une première image des rapports de force puisqu'elles ont vu la victoire de la liste "Unité", qui soutenait le premier ministre Vladimir Poutine, et qui a fait jeu égal avec les communistes.

Depuis, le président Boris Eltsine a soudainement décidé de se retirer provoquant la nomination de Vladimir Poutine comme président par intérim, fonction qu'il cumule avec celle de premier ministre, et précipitant ainsi le calendrier électoral. Le scrutin présidentiel qui devait se tenir le 4 juin 2000 est désormais prévu pour le 26 mars. Vladimir Poutine a de grandes chances d'être élu alors président de la Fédération de Russie.

Il faut espérer qu'il _uvrera dans la continuité du président démissionnaire qui a représenté un facteur de stabilité pour la Russie en la rapprochant de l'Occident, en jouant un rôle clé dans la transition vers la démocratie et l'économie de marché libre. Mais qu'il saura également mettre fin, dès que possible, au conflit en Tchétchénie, restaurer et renforcer l'Etat de droit dans le pays, mettre fin à l'oligarchie et poursuivre les réformes économiques mises en danger par la crise d'août 1998, bref engager des réformes libérales soutenu en cela par sa majorité à la Douma.

Cette volonté réformatrice s'accompagne d'ailleurs d'une prise de distances avec l'équipe de Boris Eltsine dont il a relevé la fille cadette, Tatiana Diatchenko, de ses fonctions de conseillère officielle. Il a également limogé deux généraux en charge de la Tchétchénie, Guennadi Trochev et Vladimir Chamanov. Il a nommé Mikhaïl Kassianov premier vice-premier ministre en remplacement de Nikolaï Aksenenko, un proche de Boris Berezovski et donc de la "famille". Pavel Borodine, qui était lui aussi un proche de la "famille" et qui régnait sur l'administration, a également été remercié.

*

· La Russie connaît certes aujourd'hui une embellie économique grâce à la dévaluation du rouble et à la remontée des prix du pétrole. Ainsi, le PIB pourrait croître cette année de 1 %, certaines prévisions annoncent jusqu'à 2 à 3 %, même s'il reste toujours inférieur de près de 40 % à son niveau de 1989 et alors que les PECOs ont rattrapé, voire dépassé cette référence. La population russe vit toujours dans des conditions économiques difficiles aggravées par la forte criminalité régnante. Les principales déficiences structurelles demeurent et les difficultés que l'Etat rencontre pour surmonter les fraudes et autres trafics illicites restent grandes.

Si l'on ne peut constater de réels flux de fraude entre la France et la Russie, les risques demeurent potentiellement importants. D'une manière générale, ils concernent essentiellement les marchandises sensibles (cigarettes, viande bovine) expédiées sous titre de transit et les marchandises importées sous couvert de certificat d'origine exonérant les droits de douane. Mais depuis 1996, il n'y a pas eu de nouvelle invalidation de certificat d'origine de la douane russe à la demande de la douane française.

Concernant le trafic de stupéfiants, la Russie est un pays producteur d'opium, de cannabis et de drogues de synthèse. Elle dispose également de laboratoires en vue de la fabrication d'héroïne. La route des Balkans passe par ce pays qui est également voisin des zones sensibles d'Asie centrale.

Certes, la Russie s'est dotée d'une législation spécifique sur la drogue et les substances psychotropes. Une loi, entrée en vigueur en avril 1998, vise à mieux contrôler le commerce légal des substances stupéfiantes et psychotropes par le biais d'un renforcement des contrôles. Les structures de lutte contre la drogue sont également renforcées et le ministère de l'intérieur a augmenté ses effectifs.

Il n'en reste pas moins que la réalité russe accroît les difficultés budgétaires rencontrées par l'administration des douanes russes, tout comme elle rend difficile l'adéquation entre les objectifs de modernisation des procédures ou de ciblage des contrôles et, d'une part, le rôle grandissant de la mafia dans les entreprises, d'autre part, la démotivation générale des fonctionnaires.

* *

*

CONCLUSION

Malgré les difficultés de tous ordres que rencontre actuellement la Russie, différentes actions de coopération ont déjà été mises en place, d'une part dans le cadre de l'Union européenne, d'autre part dans le cadre bilatéral.

Le volet communautaire de la coopération technique passe essentiellement par des actions mises en _uvre dans le cadre du programme TACIS. Mais on peut également citer, à l'initiative de la Commission européenne, un jumelage, initié en 1996, entre les bureaux des douanes de Mulhouse et de Tolyatti dont les axes de réflexion sont nombreux (procédures simplifiées, organisation des services, procédures douanières en matière de transit et d'origine, lutte contre la fraude, les contrôles différés et a posteriori, le ciblage et l'analyse du risque, les procédures douanières et le système informatique de dédouanement SOFIX).

S'agissant du volet bilatéral, on peut signaler plus particulièrement en 1998 une mission menée par des experts français en Russie en vue d'étudier la possibilité de renforcer le contrôle des changes dans ce pays. Pour 1999, aucune action de coopération n'est à noter. Il est envisagé, compte tenu des risques de fraude élevés, d'implanter un attaché douanier en Russie.

C'est pourquoi, dans le prolongement des efforts déjà accomplis, votre rapporteur vous demande d'adopter le présent projet de loi.

EXAMEN EN COMMISSION

La Commission a examiné le présent projet de loi au cours de sa réunion du mercredi 24 novembre 1999.

Après l'exposé du Rapporteur et suivant ses conclusions, la Commission a adopté le projet de loi (no 1307).

*

* *

La Commission vous demande donc d'adopter, dans les conditions prévues à l'article 128 du Règlement, le présent projet de loi.

NB : Le texte de la convention figure en annexe au projet de loi (n° 1307).


© Assemblée nationale