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N° 1958

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 24 novembre 1999.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES (1) SUR LE PROJET DE LOI, ADOPTÉ PAR LE SÉNAT, autorisant l'adhésion de la République française à la convention sur les privilèges et immunités des institutions spécialisées approuvée par l'assemblée générale des Nations Unies le 21 novembre 1947 (ensemble dix-sept annexes approuvées par les institutions spécialisées),

PAR M. XAVIER DENIAU,

Député

--

(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

Voir les numéros :

Sénat : 62, 169 et T.A. 83 (1998-1999)

Assemblée nationale : 1429

Traités et conventions

La Commission des Affaires étrangères est composée de : M. Jack Lang, président ; MM. Georges Hage, Jean-Bernard Raimond, Roger-Gérard Schwartzenberg, vice-présidents ; M. Roland Blum, Mme Monique Collange, François Loncle, secrétaires ; Mmes Michèle Alliot-Marie, Nicole Ameline, M. René André, Mmes Marie-Hélène Aubert, Martine Aurillac, MM. Edouard Balladur, Raymond Barre, Dominique Baudis, François Bayrou, Henri Bertholet, Jean-Louis Bianco, André Billardon, André Borel, Bernard Bosson, Pierre Brana, Jean-Christophe Cambadélis, Hervé de Charette, Yves Dauge, Patrick Delnatte, Jean-Marie Demange, Xavier Deniau, Paul Dhaille, Mme Laurence Dumont, MM. Jean-Paul Dupré, Charles Ehrmann, Laurent Fabius, Jean-Michel Ferrand, Georges Frêche, Jean-Yves Gateaud, Jean Gaubert, Valéry Giscard d'Estaing, Jacques Godfrain, Pierre Goldberg, François Guillaume, Robert Hue, Mme Bernadette Isaac-Sibille, MM. Didier Julia, Alain Juppé, André Labarrère, Gilbert Le Bris, Jean-Claude Lefort, Guy Lengagne, François Léotard, Pierre Lequiller, Bernard Madrelle, René Mangin, Jean-Paul Mariot, Gilbert Maurer, Charles Millon, Mme Louise Moreau, M. Jacques Myard, Mme Françoise de Panafieu, MM. Etienne Pinte, Marc Reymann, Gilbert Roseau, Mme Yvette Roudy, MM. René Rouquet, Georges Sarre, Henri Sicre, Mme Christiane Taubira-Delannon, M. Michel Terrot, Mme Odette Trupin, MM. Joseph Tyrode, Michel Vauzelle, Philippe de Villiers

SOMMAIRE

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INTRODUCTION 5

I - LA SITUATION DE LA FRANCE AU REGARD DES PRIVILÈGES ET IMMUNITÉS DES ORGANISATIONS INTERNATIONALES 7

A - LA NOTION DE PRIVILÈGES ET IMMUNITÉS 7

B - LA FRANCE A RECONNU LES PRIVILÈGES ET IMMUNITÉS
DE PLUSIEURS ORGANISATIONS...
8

C - ...MAIS A RETARDÉ SON ADHÉSION À LA CONVENTION DE 1947 8

II - LA FIN D'UNE INCERTITUDE JURIDIQUE 11

A.- UNE RÉGULARISATION DEVENUE NÉCESSAIRE 11

B - LE CHAMP D'APPLICATION DE LA CONVENTION 12

C - LES PRIVILÈGES ET IMMUNITÉS CONFÉRÉS
PAR LA CONVENTION DE 1947
13

1) Aux organisations 13

2) aux représentants des Etats membres 14

3) aux fonctionnaires 14

D.- LES AUTRES DISPOSITIONS 15

CONCLUSION 17

EXAMEN EN COMMISSION 19

Mesdames, Messieurs,

La convention du 21 novembre 1947, élaborée par les Etats membres des institutions spécialisées des Nations Unies, parmi lesquels la France, définit les privilèges et immunités de ces organisations internationales, des fonctionnaires internationaux qu'elles emploient et des représentants des Etats membres participant à des réunions qu'elles organisent.

Le présent texte est historiquement lié à la Convention générale sur les privilèges et immunités des Nations Unies du 13 février 1946, ratifiée par le Parlement dès 1947. Les deux textes sont en effet presque identiques. La convention de 1947 concerne quant à elle 17 institutions spécialisées, parmi lesquelles on citera l'Organisation internationale du travail (sise à Genève), l'Organisation pour l'Alimentation et l'Agriculture (Rome), l'Organisation de l'Aviation civile internationale (Montréal), le FMI ou encore le groupe d'institutions de la Banque mondiale (installés à Washington), pour ne citer que les plus importantes en termes de personnel employé.

Comme on peut le constater, plus de cinquante années se sont écoulées entre l'adoption de la convention et l'adhésion de la France à celle-ci. L'explication du retard pris pour l'adhésion à la convention est difficile. Une explication a été avancée, concernant l'immédiat après-guerre : des nazis ou sympathisants ayant trouvé refuge en Suisse après la guerre, certaines craintes se seraient exprimées à l'idée que des personnes au comportement passé répréhensible pourraient bénéficier de privilèges et d'immunités. L'on ne peut affirmer que l'abstention du Gouvernement tient à ce seul fait ou à d'autres considérations . Les pouvoirs publics n'ont en tout cas pas entrepris de procédure alors même qu'en 1954 était conclu un accord de siège avec l'Unesco qui prévoyait un ensemble de dispositions très proches de celles de la convention de 1947.

Les relations entre la France et les institutions spécialisées sont pourtant nombreuses : notre pays finance des programmes, invite et rencontre les dirigeants de celles-ci, autorise l'organisation de manifestations sur son sol. Il existe aussi beaucoup de relations à caractère économique tels des achats ou des investissements qui bénéficient des privilèges fiscaux et douaniers et de l'immunité territoriale accordés aux institutions internationales. Ces opérations semblent s'être toujours déroulées sans incident, néanmoins l'absence de base juridique n'est pas une bonne solution : un important contentieux fiscal apparu dans les années 1990 entre l'administration fiscale française et les fonctionnaires internationaux résidant en France l'a montré.

C'est pourquoi le présent projet est enfin soumis à la représentation nationale, le Gouvernement ayant fondé son actuelle démarche sur des motivations tant juridiques que pratiques qui seront décrites par votre Rapporteur.

I - LA SITUATION DE LA FRANCE AU REGARD DES PRIVILÈGES ET IMMUNITÉS DES ORGANISATIONS INTERNATIONALES

A - La notion de privilèges et immunités

La France a adhéré à de nombreuses conventions multilatérales instaurant des privilèges et immunités à l'intention d'organisations internationales, de leurs personnels et des représentations des Etats auprès de ces organisations.

Elle a notamment ratifié la Convention générale sur les privilèges et immunités des Nations Unies, approuvée par l'Assemblée générale le 13 février 1946, pour répondre aux exigences de la Charte qui dispose que « l'organisation jouit, sur le territoire de chacun des membres, des privilèges et immunités qui lui sont nécessaires pour atteindre ses buts ». L'équivalent de cette disposition se trouve dans la présente convention qui, de façon inhabituelle, a d'abord été adoptée par l'Assemblée générale de l'ONU, le 21 novembre 1947, avant de l'être par la suite par chacune des institutions concernées. Les deux conventions ont été conçues en commun, ce qui explique leur similitude.

Ces deux conventions ont d'ailleurs été à l'origine d'une pratique génératrice d'un droit commun coutumier des privilèges et immunités pour les organisations de la « famille des Nations Unies », mais aussi pour d'autres organisations.

Les privilèges et immunités ainsi établis sont très proches de ceux reconnus aux missions diplomatiques étrangères établies sur le territoire d'un Etat. Il est vrai que leur objectif est d'assurer à leurs bénéficiaires l'indépendance nécessaire à l'exercice de leurs fonctions.

On rappellera que les principaux privilèges sont l'inviolabilité des locaux de l'organisation, généralement reconnue par les accords de siège ; l'immunité de juridiction, qui permet d'échapper aux poursuites judiciaires devant les tribunaux nationaux de l'Etat du siège est également importante. Les organisations disposent aussi de privilèges financiers et fiscaux. Les Etats hôtes renoncent à percevoir sur elles tous impôts directs, voire indirects, lorsque cela est possible. Cette exonération, ainsi que celle portant sur les droits de douane, s'explique par le fait qu'un Etat ne peut en imposer un autre, que ce soit directement ou indirectement par le biais de ses contributions aux organisations internationales.

Enfin, les agents de l'organisation se voient aussi reconnaître des privilèges et immunités, dont la raison d'être est la même que celle dont jouit leur organisation.

B - La France a reconnu les privilèges et immunités de plusieurs organisations...

Le Gouvernement français n'est nullement réservé face à l'attribution de privilèges et immunités aux organisations internationales. Plusieurs exemples peuvent être apportés à cet égard. La Convention sur les privilèges et immunités de l'Organisation des Nations unies, modèle de la présente convention, a été ratifiée dès le 18 août 1947.

Par la suite, l'installation de l'Unesco à Paris a donné lieu en 1954 à la conclusion d'un accord de siège ratifié par le Parlement : l'article 32 de cet accord évoque d'ailleurs les effets d'une future adhésion de la France à la convention de 1947. Cet accord de siège s'inspire en outre de la convention de 1947, en en complétant et aménageant les dispositions.

Les accords de 1949 relatif au Conseil de l'Europe et de 1960 relatif à l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) comportent également des privilèges et immunités pleinement acceptés par notre pays. On citera aussi le protocole du 8 avril 1965 accordant ces avantages aux Communautés européennes.

Plus récemment, l'Accord de Marrakech de 1994 instituant l'Organisation mondiale du commerce a repris sans modification les dispositions de la convention de 1947 : cet accord a naturellement été approuvé par le Parlement.

C - ...mais a retardé son adhésion à la convention de 1947

Les raisons du grand retard pris pour l'adhésion à la présente convention n'ont jamais été précisées : il est possible que l'administration ait craint à l'origine les conséquences pratiques de l'adhésion, la convention s'appliquant à plusieurs institutions de nature diverse et se trouvant dans plusieurs villes différentes. Peut-être a t-il paru souhaitable d'évaluer les implications du texte avant d'élaborer le projet de loi.

Le gouvernement de M. Bourgès-Maunoury avait en tout cas déposé un projet de loi de ratification le 17 septembre 1957. L'exposé des motifs du projet indiquait que la convention faisait apparaître « un droit commun applicable à toutes les organisations et à diverses catégories de personnes. Il sert d'ores et déjà de base pour la rédaction d'accords, de portée plus restreinte, relatifs au siège ou aux privilèges des institutions qui s'établissent sur le territoire français ». La commission consultative des institutions spécialisées, instituée au ministère des Affaires étrangères pour étudier l'ensemble des problèmes posés, avait émis un avis favorable à la ratification moyennant un certains nombre de réserves. L'exposé des motifs montre aussi que le Conseil d'Etat avait quant à lui conclu à une ratification pure et simple, la portée des réserves étant trop mince pour justifier une exception à la doctrine de la France dans le domaine de la ratification des conventions.

Néanmoins le projet n'a pas été inscrit à l'ordre du jour des Assemblées sous la IVème République, et aucun autre projet de loi de ratification n'a été déposé par la suite.

Cette abstention a pour conséquence un flou juridique en ce qui concerne le statut fiscal des fonctionnaires résidant en France d'un certain nombre d'organisations installées à Genève. La question n'est pas purement théorique, car les fonctionnaires de plusieurs organisations sont concernés : l'Organisation internationale du travail (OIT), l'Organisation mondiale de la santé (OMS), l'Union internationale des Télécommunications (UIT), l'Organisation météorologique mondiale (OMM) et l'Organisation mondiale de la propriété industrielle (OMPI) ont leur siège à Genève.

Ces organisations comptent quelques 1300 fonctionnaires français, mais sont aussi concernés par la convention de 1947 les fonctionnaires d'autres nationalités en poste à Genève ayant choisi de s'installer avec leur famille sur le territoire français, dans les départements limitrophes de l'Ain et de la Haute-Savoie. A ce titre, sont concernées environ 2 500 familles. Le nombre de résidents français parmi les fonctionnaires internationaux travaillant à Genève est évalué à 40 %.

Au début des années 1960, l'administration française avait fait savoir qu'elle ne considérerait pas ces fonctionnaires internationaux comme ayant leur domicile fiscal en France, aussi ont-ils bénéficié d'une exonération fiscale de fait, sinon de droit. Mais la pratique de l'administration fiscale s'est modifiée à partir de 1992, et les services fiscaux ont adressé des mises en demeure de déclaration ou des notifications de redressement à des fonctionnaires internationaux installés en France. L'administration a reçu le soutien de certaines juridictions administratives qui ont en effet relevé l'absence de base légale pour l'exonération fiscale.

Ainsi, des privilèges, fiscaux notamment, relevant de la convention avaient été accordés pendant des années par les pouvoirs publics français. Revenir sur ces privilèges a pour conséquence de priver les fonctionnaires résidant en France des droits reconnus aux autres fonctionnaires internationaux, alors qu'ils leur sont théoriquement accordés. Cela crée en pratique des régimes différents et complique la mission de certaines administrations françaises telles la police, la douane ou la gendarmerie. En outre, cette politique d'imposition pourrait inciter les intéressés à résider en Suisse, ce qui priverait les économies locales des retombées positives de la présence en France des fonctionnaires internationaux, de leurs familles et aussi de ce fait de personnes retraitées continuant à résider en France après la cessation de leur activité.

II - LA FIN D'UNE INCERTITUDE JURIDIQUE

A.- Une régularisation devenue nécessaire

La remise en cause de la pratique d'exonération et les différends fiscaux qui s'ensuivirent ont suscité la réaction désapprobatrice des organisations internationales concernées, qui ont saisi le Gouvernement en septembre 1993.

Le Gouvernement a alors décidé, lors d'une réunion interministérielle tenue le 29 juillet 1994, d'adresser aux services fiscaux une circulaire instaurant un moratoire en ce qui concerne les impôts dus par les fonctionnaires des institutions spécialisées résidant sur le sol français. Ce moratoire est encore en vigueur à ce jour, et les différends fiscaux sont examinés au cas par cas par la Direction générale des impôts. Les termes de cette circulaire comportaient d'ailleurs des dispositions très proches de celles de la convention de 1946.

Ce moratoire ne règle cependant pas toutes les difficultés, et il arrive que des questions concernant, par exemple, l'imposition des retraites ou de revenus de consultants, soient portées devant les tribunaux. Dans ces cas, l'absence de ratification de la convention de 1947 est un moyen régulièrement soulevé par les services fiscaux, et il est pris en compte par la juridiction administrative, tout au moins dans les considérants de la décision, comme le montre la décision Paulin prise par la Cour administrative d'appel de Lyon le 17 janvier 1996.

La décision de commencer la procédure de ratification de la convention de 1947 a été prise lors de la même réunion pour mettre fin aux poursuites fiscales ouvertes à l'encontre des fonctionnaires internationaux relevant de cet accord. Les consultations interministérielles entreprises pour la rédaction du projet de loi ont abouti à la conclusion que celui-ci devait être assorti de déclarations et réserves.

Le dossier a fait l'objet de consultations avec les associations de fonctionnaires internationaux de nationalité française, lesquels ont soulevé des revendications visant à la non fiscalisation des traitements et émoluments. A l'issue de l'ensemble des consultations, le Premier ministre a annoncé officiellement au Secrétaire général de l'ONU sa décision de présenter un projet de loi au Parlement et que celui-ci ne comporterait pas de réserves fiscales.

B - Le champ d'application de la convention

Conformément à la résolution adoptée par l'assemblée générale des Nations unies le 13 février 1946, qui avait demandé l'unification des privilèges et immunités de l'ONU et des institutions spécialisées, la convention s'applique à l'ensemble des organisations relevant du système des Nations Unies.

L'article premier de la convention précise son champ d'application : les organisations concernées sont présentées dans le tableau suivant. Il est prévu que tout Etat membre doit accorder à chaque institution spécialisée les droits prévus par les clauses standard de la convention, qui forme une sorte de droit commun. Des clauses particulières peuvent en outre intervenir dans une annexe particulière pour chacune des institutions.

Etat des Institutions spécialisées des Nations Unies au 1er janvier 1997


Institution



Siège


Nombre total
de fonctionnaires


Nombre de fonctionnaires français

Organisation internationale du Travail (OIT)

Genève

2 316

325

Organisation des Nations Unies Pour l'Alimentation et l'Agriculture (OAA)


Rome


4 463


212

Organisation de l'Aviation civile internationale (OACI)


Montréal


740

39

Organisation des Nations Unies pour l'Education, la Science et la Culture (UNESCO)


Paris


2 403


657

Fonds monétaire international (FMI)

Washington

3 526

178

Banque internationale pour la Reconstruction et le Développement (BIRD), Société financière internationale (SFI) et Association internationale de Développement (AID) - Groupe Banque mondiale





Washington





7 261





275

Organisation mondiale de la Santé (OMS)

Genève

3 767

410

Union postale universelle (UPU)

Berne

151

8

Union internationale des Télécommunications (UIT)


Genève


699


239

Organisation internationale pour les Réfugiés
(dissoute par la résolution des Nations Unies n° 108 du 15 février 1952)

Organisation météorologique mondiale (OMM)

Genève

268

51

Organisation Maritime internationale (OMI)

Londres

306

42

Organisation mondiale de la Propriété industrielle (OMPI)


Genève


613


247

Fonds international de Développement agricole (FIDA)


Rome


307


15

Organisation des Nations Unies pour le Développement industriel (ONUDI)


Vienne


792


26

Source : Ministère des Affaires étrangères

C - Les privilèges et immunités conférés par la convention de 1947

La convention de 1947 définit les privilèges et immunités accordés aux institutions spécialisées et aux personnes en relations avec elles.

On mentionnera que l'usage permet qu'à l'occasion de la ratification par le Parlement, les Gouvernements des Etats membres d'une organisation accompagnent la convention de réserves limitant la portée du texte pour tenir compte de spécificités nationales ou de contraintes à caractère technique, social ou juridique. Les réserves sont enregistrées par le Secrétariat des Nations unies avec la déclaration d'adhésion. Un « projet » de huit déclarations et réserves (appelé ainsi jusqu'à l'adoption du texte par le Parlement) est donc joint au projet de loi. Les principales dispositions en seront mentionnées au fur et à mesure de l'analyse.

Votre Rapporteur exposera les privilèges et immunités dévolus :

1) Aux organisations

La personnalité juridique est reconnue aux organisations par l'article 2 : celles-ci se voient attribuer la capacité de contracter, d'acquérir et de disposer de biens immobiliers et mobiliers et d'ester en justice.

Les biens, fonds et avoirs des institutions spécialisées bénéficient de l'immunité de juridiction. Ils sont inviolables, c'est à dire exempts de perquisition, réquisition, confiscation, expropriation ou toute autre forme de contrainte exécutive, administrative, judiciaire ou législative. Les institutions peuvent transférer librement leurs fonds d'un pays à l'autre ou à l'intérieur d'un pays et effectuer des opérations de change.

Les biens, fonds, revenus et avoirs des institutions se voient reconnaître l'exonération fiscale en ce qui concerne tout impôt direct, tout droit de douane, restriction à l'importation ou à l'exportation à l'égard de leurs publications ou d'objets nécessaires à leur usage officiel.

Pour que le statut des biens, fonds et avoirs ne prête à aucune ambiguïté, une déclaration interprétative est ajoutée par le Gouvernement, précisant que seuls les biens, fonds et avoirs affectés aux fonctions confiées par les accords institutifs bénéficient des privilèges et immunités. Ainsi l'exonération fiscale ne devrait pas s'appliquer à des opérations commerciales, immobilières ou boursières effectuées par l'institution dans le cadre de la gestion d'un fonds de pension, par exemple.

L'article 4 de la convention organise au profit des institutions des facilités de communication, c'est à dire l'assurance de profiter dans chaque Etat du traitement accordé aux missions diplomatiques. Cet avantage a en fait été écarté par une réserve du Gouvernement (comme l'ont fait de nombreux pays) : ces dispositions sont devenues exagérément avantageuses et peu adaptées compte tenu de l'évolution technique des moyens de transmission et du fait que les sociétés intervenant dans ce secteur sont très souvent privées.

2) aux représentants des Etats membres

Ces « représentants des membres aux réunions convoquées par une institution » sont en fait toute personne, diplomate ou non, envoyée par un gouvernement pour participer, à titre d'expert, par exemple, à une réunion de l'institution. La convention prévoit à leur intention un statut calqué sur le statut diplomatique, dans le but d'assurer toute indépendance pour l'exercice de leur fonction dans le cadre de l'institution.

Ces personnes bénéficient de l'immunité d'arrestation et de détention, de l'inviolabilité de tous papiers et documents, de l'immunité de juridiction et de l'exemption fiscale pour leur intervention pour l'institution. Ils ne sont pas soumis au droit de l'immigration du pays dans lequel il se rendent. Une réserve a été introduite par le Gouvernement, visant à garder un moyen de contrôle pour les services de douane, pour agir contre les trafics auxquels certains experts en mission pourraient se livrer.

3) aux fonctionnaires

L'article 6 de la convention instaure au profit des fonctionnaires internationaux une série de privilèges et d'immunités, « accordés dans l'intérêt des institutions spécialisées et non pour leur bénéfice personnel ». Il s'agit notamment de l'immunité de juridiction pour les actes accomplis en leur qualité officielle, de l'exonération fiscale pour les traitements et émoluments, de l'alignement sur le statut des diplomates pour les facilités de change et de rapatriement en période de crise internationale.

La France, comme beaucoup d'Etats membres, a assorti l'immunité de juridiction d'une restriction en ce qui concerne les infractions à la circulation routière : l'immunité ne s'applique donc pas si un fonctionnaire commet une infraction à la réglementation routière ou un accident de la circulation. Par mesure de courtoisie, il a été admis que seul le directeur général de l'institution ou son remplaçant ne sont pas concernés par la restriction : ils ne seraient donc pas poursuivis en cas d'infraction, cette prérogative correspondant d'ailleurs à leur statut diplomatique. De façon générale, le Ministère de la Justice a reconnu lors des consultations préparatoires qu'aucun fait passible d'un jugement du tribunal correctionnel n'a été recensé à l'encontre des fonctionnaires des institutions depuis 1947.

En revanche, on soulignera que la France n'a finalement pas maintenu de réserve fiscale : les fonctionnaires internationaux seront bien exemptés d'impôt. On notera toutefois que leurs traitements sont soumis à un prélèvement interne affecté à un fonds de péréquation dont le principe est de déduire le montant recouvré sur tous les agents d'une même nationalité de la contribution de l'Etat membre dont ils sont ressortissants (Les retraites sont en revanche imposées selon le droit commun de l'Etat de résidence). Ce système permet d'éviter que l'Etat du siège ne soit avantagé par rapport aux autres Etats en récupérant une partie de sa contribution au moyen des rentrées fiscales.

La convention indique que les fonctionnaires et leurs familles ne seront pas soumis aux mesures restrictives relatives à l'immigration ni aux formalités d'enregistrement des étrangers. La France a émis une réserve à cet égard, ne voulant pas priver l'administration d'un droit de regard sur l'installation de nouvelles personnes sur le territoire national et de la possibilité d'exercer un contrôle sur les résidents étrangers. Il a donc été précisé que les fonctionnaires travaillant à l'étranger et domiciliés en France sont soumis au droit français de l'entrée et du séjour des étrangers, ce qui ne crée pas de difficultés, les intéressés pouvant résider dans le pays où l'institution a son siège, c'est à dire, en pratique, en Suisse.

D - Les autres dispositions

Une disposition concerne enfin l'abus de privilèges : l'article 7 prévoit la possibilité de saisir la Cour internationale de justice si un Etat considère qu'un tel abus s'est produit et que les consultations avec l'institution concernée n'aboutissent pas. Il est aussi indiqué dans quels cas les fonctionnaires ou les représentants des Etats peuvent être contraints de quitter le pays de résidence, ayant abusé de leurs privilèges ou ayant exercé des activités sans rapport avec leurs fonctions officielles.

La France a émis une réserve en ce domaine : cette réserve découle d'une pratique juridictionnelle répondant au souci de préserver la souveraineté et celle des juridictions françaises. Notre pays ne sera pas lié par deux dispositions de la convention prévoyant la saisine de la cour ; il s'agit d'une part du cas de l'abus de privilège, et d'autre part du cas de différends portant sur l'interprétation ou l'application de la convention. La France n'a pas accepté de considérer comme impératif l'avis « consultatif » émis par la cour.

CONCLUSION

Comme votre Rapporteur l'a souligné, rien ne semblait justifier l'absence d'adhésion de notre pays à la convention de 1947. L'ensemble des privilèges et immunités était d'ailleurs accordé depuis l'origine aux institutions spécialisées des Nations unies, à leurs représentants et à leurs fonctionnaires.

Le Gouvernement français a pris, en 1995, l'engagement officiel de procéder à l'adhésion, engagement qui se confirme aujourd'hui. Il traduit une volonté diplomatique d'affirmer la participation sans restriction de la France aux institutions spécialisées. Il permet la régularisation juridique des relations avec ces institutions, relations dont bénéficie la France en termes de retombées économiques, faut-il le rappeler. Comme le fait apparaître le tableau inséré en page 12 du présent rapport, le pourcentage de fonctionnaires français travaillant au sein des institutions est, en outre, très supérieur à la contribution de notre pays au budget de celles-ci.

Enfin, cet engagement permettra d'apporter plus de cohérence et de clarté dans les statuts régissant la vie des fonctionnaires internationaux des différentes institutions concernées.

Pour ces différentes raisons, votre Rapporteur vous propose d'adopter le présent projet de loi.

EXAMEN EN COMMISSION

La Commission a examiné le présent projet de loi au cours de sa réunion du mercredi 24 novembre 1999.

Après l'exposé du Rapporteur, M. Paul Dhaille a demandé si la convention comportait des conséquences quant au statut des organisations européennes installées en France.

M. Xavier Deniau a répondu que la convention ne concernait que les institutions de la "famille des Nations Unies". Les privilèges et immunités des organisations européennes sont définis par leur accord de siège, ainsi l'accord de 1949 relatif au Conseil de l'Europe ou le protocole de 1965 concernant les Communautés européennes. L'Unesco, bien que théoriquement concernée par la convention, a fait l'objet d'un accord de siège conclu en 1954, qui s'inspire d'ailleurs de la convention de 1947.

Le Président Jack Lang a déploré que notre pays n'accepte plus la juridiction obligatoire de la Cour internationale de justice depuis l'affaire des Essais nucléaires de 1974, affaire dans laquelle la cour s'était reconnue compétente, contrairement à l'interprétation de la France. Depuis cette affaire, qui remonte donc à plus de vingt ans, les autorités françaises préfèrent assortir de réserves les textes signés, ce qui est inacceptable alors que notre pays se fait par ailleurs l'avocat du respect du droit, et se trouve en première ligne dans la résolution de nombreux conflits. La France est en outre l'un des cinq membres permanents du Conseil de Sécurité des Nations Unies. Il semble que l'administration résiste par conservatisme à faire évoluer cette position. De plus, les réserves posées par le Gouvernement concernent des points peu importants et dont les conséquences sont limitées, s'agissant de l'intervention de la Cour en cas d'abus des privilèges et de différend sur l'interprétation de la convention.

Le Président Jack Lang a formulé le v_u que la position du Gouvernement évoluera avant le dépôt de l'instrument d'adhésion au nom de la France.

M. Pierre Brana a approuvé cette position, se demandant si une intervention de la Commission était possible.

Le Président Jack Lang a indiqué que les réserves des membres de la Commission à ce sujet seraient transmises au Gouvernement.

Suivant les conclusions du Rapporteur, la Commission a adopté le projet de loi (no 1429).

*

* *

La Commission vous demande donc d'adopter, dans les conditions prévues à l'article 128 du Règlement, le présent projet de loi.

NB : Le texte de la convention figure en annexe au projet de loi (n° 1429).

1958. - RAPPORT de M. Xavier DENIAU (commission des affaires étrangères) sur le projet de loi autorisant l'adhésion de la République française à la convention sur les privilèges et immunités des institutions spécialisées


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