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le 26 mai 2000

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N° 2399

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 17 mai 2000.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES (1) SUR LE PROJET DE LOI, ADOPTÉ PAR LE SÉNAT, autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Conseil fédéral suisse relatif à la coopération transfrontalière en matière judiciaire, policière et douanière (ensemble une déclaration), signé à Berne le 11 mai 1998,

PAR M. MARC REYMANN,

Député

--

(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

Voir les numéros :

Sénat : 490, 119 et T.A. 79 (1999-2000)

Assemblée nationale : 2169

Traités et conventions

La Commission des Affaires étrangères est composée de : M. François Loncle, président ; MM. Gérard Charasse, Georges Hage, Jean-Bernard Raimond, vice-présidents ; MM. Roland Blum, Pierre Brana, Mme Monique Collang, secrétaires ; Mmes Michèle Alliot-Marie, Nicole Ameline, M. René André, Mmes Marie-Hélène Aubert, Martine Aurillac, MM. Edouard Balladur, Raymond Barre, Dominique Baudis, Henri Bertholet, Jean-Louis Bianco, André Billardon, André Borel, Bernard Bosson, Pierre Brana, Jean-Christophe Cambadélis, Hervé de Charette, Yves Dauge,  Patrick Delnatte, Jean-Marie Demange, Xavier Deniau, Paul Dhaille, Mme Laurence Dumont, MM. Jean-Paul Dupré, Charles Ehrmann, Jean-Michel Ferrand, Raymond Forni, Georges Frêche, Jean-Yves Gateaud, Jean Gaubert, Valéry Giscard d'Estaing, Jacques Godfrain, Pierre Goldberg, François Guillaume, Robert Hue, Mme Bernadette Isaac-Sibille, MM. Didier Julia, Alain Juppé, André Labarrère, Gilbert Le Bris, Jean-Claude Lefort, Guy Lengagne, François Léotard, Pierre Lequiller, Alain Le Vern, Bernard Madrelle, René Mangin, Jean-Paul Mariot, Gilbert Maurer, Jean-Claude Mignon, Charles Millon, Mme Louise Moreau, M. Jacques Myard, Mme Françoise de Panafieu, MM. Etienne Pinte, Marc Reymann, François Rochebloine, Gilbert Roseau, Mme Yvette Roudy, MM. René Rouquet, Georges Sarre, Henri Sicre, Mme Christiane Taubira-Delannon, MM. Michel Terrot, Mme Odette Trupin, MM. Joseph Tyrode, Michel Vauzelle, Philippe de Villiers, Jean-Jacques Weber.

SOMMAIRE

___

INTRODUCTION 5

I - LA SITUATION DE LA RÉGION FRONTALIÈRE FRANCO-SUISSE
DANS LE DOMAINE DE LA SÉCURITÉ
7

A - LA SUISSE ENCORE PEU ASSOCIÉE À LA COOPÉRATION
EUROPÉENNE EN MATIÈRE DE SÉCURITÉ
7

B - LES OBLIGATIONS DE LA FRANCE AU REGARD DE
LA CONVENTION DE SCHENGEN
7

C - LES QUESTIONS DE SÉCURITÉ DANS LA ZONE FRONTALIÈRE 8

D - LA COOPÉRATION BILATÉRALE 9

II - UN NOUVEAU CADRE POUR RELANCER LA
COOPÉRATION FRANCO-SUISSE
11

A - LA CRÉATION DE CENTRES DE COOPÉRATION POLICIÈRE ET DOUANIÈRE 11

B - UNE COOPÉRATION INSPIRÉE DE LA CONVENTION DE SCHENGEN 13

C - LA COOPÉRATION DIRECTE INSTITUÉE PAR L'ACCORD 15

CONCLUSION 17

EXAMEN EN COMMISSION 19

ANNEXE 23

Mesdames, Messieurs,

La politique européenne de la Suisse se caractérise par beaucoup d'incertitudes. En 1992, le projet d'adhésion de la Suisse à l'Espace économique européen (EEE) a été refusé par 50,3 % des citoyens suisses lors du référendum organisé à cet effet. Cette adhésion devait constituer, comme cela a été le cas pour certains pays nordiques, le prélude à l'intégration dans la Communauté européenne. Pourtant, le Conseil fédéral souhaite une concertation étroite avec les pays voisins immédiats de la Suisse et l'adhésion à l'EEE, puis à l'Union européenne, reste « l'objectif stratégique ».

Dans l'attente d'une telle évolution, qui ne peut être que de long terme, la majorité des citoyens suisses rejetant toujours la perspective de l'adhésion comme l'a montré un récent sondage effectué par les institutions européennes, les autorités suisses ont manifesté leur volonté de se rapprocher du modèle européen selon une « voie pragmatique », et notamment en harmonisant la législation helvétique avec celle de la Communauté (programme Swisslex).

A l'issue de cinq années de négociations difficiles, la Suisse a pu conclure avec l'Union européenne, le 21 juin 1999, sept accords bilatéraux dans différents domaines : transports, produits agricoles, recherche, marchés publics, suppression des obstacles techniques au commerce et, enfin, libre établissement des personnes. Ce dernier accord a abouti à la solution suivante : si les citoyens suisses pourront bénéficier du total libre établissement au sein de l'Union deux ans après l'entrée en vigueur de l'accord, la Suisse quant à elle n'appliquera le libre établissement qu'au bout de douze ans, avec une clause de sauvegarde. En outre, la partie suisse s'est ménagé une longue période d'essai pendant laquelle des contingents peuvent être réintroduits en cas de problèmes d'immigration. L'on retrouve ici la crainte des réactions xénophobes qui ont entraîné l'échec du référendum sur l'EEE et qui se sont encore manifestées récemment dans un référendum local relatif à l'attribution de la citoyenneté suisse.

La Suisse n'est pas partie aux accords de Schengen : elle n'applique donc pas le principe de libre circulation en vigueur dans les pays formant l'espace Schengen, à l'intérieur duquel elle se trouve enclavée depuis l'adhésion de l'Autriche à la Convention. Mais la Suisse, se trouvant à l'extérieur de cette coopération, n'applique pas non plus les mesures de coopération policière, douanière et judiciaire compensatoires que les « pays Schengen » ont progressivement mises en _uvre.

Les autorités suisses ont énoncé à plusieurs reprises que la Suisse ne veut pas devenir une plaque tournante du crime organisé et un lieu de refuge pour les criminels ; et le Gouvernement fédéral a souhaité réaliser une intégration partielle à la coopération Schengen (la Suisse aurait ainsi pu être connectée au Système d'information Schengen, important outil de coopération policière et judiciaire). Cette tentative a échoué en 1998 avec l'opposition de plusieurs Etats Parties à la Convention hostiles à l'adhésion « à la carte » aux dispositifs de coopération instaurés dans le cadre de l'Union européenne. Le débat n'a pas été rouvert depuis.

Dans ce contexte, la Suisse a souhaité formaliser sa coopération transfrontalière avec ses quatre voisins dans les domaines régis par la Convention de Schengen en négociant avec eux des accords reprenant certaines dispositions de cette convention. Elle propose également d'instaurer une coopération dans le domaine des visas.

Notre pays a signé plusieurs accords avec la Suisse ces dernières années : le premier, politiquement important, dans le domaine de l'entraide judiciaire (convention du 28 octobre 1996), le deuxième concernant la réadmission des personnes en situation irrégulière (accord du 28 octobre 1998). Le dernier, signé à Berne le 11 mai 1998, relatif à la coopération policière, douanière et judiciaire, fait l'objet du présent rapport.

I - LA SITUATION DE LA RÉGION FRONTALIÈRE
FRANCO-SUISSE DANS LE DOMAINE DE LA SÉCURITÉ

A - La Suisse encore peu associée à la coopération européenne en matière de sécurité

La France était favorable à un assouplissement des principes relatifs à l'intégration d'un nouveau pays dans la coopération Schengen, afin que la Suisse n'en soit pas exclue, ceci d'autant plus que la Norvège et l'Islande ont été associées à cette coopération bien que ne faisant pas partie de l'Union européenne. Lorsqu'un débat a pris place à ce sujet au Comité exécutif Schengen en septembre 1998, quatre Etats membres - l'Espagne, la Grèce, le Luxembourg et les Pays-Bas - se sont opposés à l'association de la Suisse, estimant que tout avantage donné en dehors d'une adhésion à l'Union européenne ôterait à ce pays des raisons d'adhérer, et considérant aussi qu'il valait mieux éviter un tel précédent alors que des négociations d'adhésion sont engagées avec les pays candidats.

On soulignera que les pays en question n'ont pas de frontière commune avec la Suisse, alors que la France mesure l'importance de coordonner les efforts de part et d'autre de la frontière notamment pour lutter contre la délinquance transfrontalière et l'immigration clandestine. Ne pouvant développer une coopération sur le plan multilatéral, la mise en _uvre de l'accord soumis aujourd'hui au Parlement revêt un caractère indispensable pour notre pays.

Depuis peu, la Suisse est associée au groupe d'Innsbrück, initié par l'Allemagne, et qui comprend aussi la France, l'Italie, l'Autriche et le Liechtenstein. Cette enceinte avait à l'origine pour objectif de répondre au problème de l'afflux d'immigrants clandestins en provenance de l'ex-Yougoslavie ou de Turquie (kurdes). Elle participe aussi à des enceintes associant les pays d'Europe centrale et orientale pour prendre des mesures de lutte contre l'immigration clandestine.

B - Les obligations de la France au regard de la Convention de Schengen

La frontière franco-suisse est une frontière extérieure terrestre au sens de la Convention d'application des Accords de Schengen du 19 juin 1990 : la France est donc responsable, vis-à-vis de ses partenaires à la coopération Schengen, de l'efficacité du dispositif de contrôle qu'elle met en place dans cette région frontalière.

On rappellera qu'en vertu de l'article 3 de la convention précitée, cette frontière ne peut être franchie qu'aux points de passage autorisés (PPA) et durant les heures d'ouverture fixées. L'article 6 pose le principe d'au moins un contrôle d'identité pour toute personne franchissant cette frontière extérieure, et le contrôle frontalier doit aussi porter sur les véhicules et les objets en possession des personnes.

Les points de passage autorisés sont au nombre de 44 sur la frontière franco-suisse ; ils sont énumérés dans l'annexe 1 du manuel commun de contrôle aux frontières extérieures de l'Espace Schengen. La Police de l'Air et des Frontières (PAF) contrôle 15 de ces points tandis que les Douanes se sont vu confier la responsabilité du contrôle sur les 29 autres points. Il n'en demeure pas moins que cette « frontière verte » est très perméable aux trafics et aux migrations non contrôlées, dans la mesure où elle comporte encore 45 passages routiers non gardés. Des accords bilatéraux autorisent les ressortissants des deux pays à franchir la frontière en dehors des PPA, pour les besoins du trafic frontalier.

La difficulté de contrôler les « frontières vertes » a été l'un des arguments en faveur de l'abandon par les Etats « Schengen » du contrôle statique traditionnel au profit des contrôles mobiles dans la région frontalière. Mais dans le cas présent, l'intensité du trafic frontalier rend illusoire de croire que l'on peut, même grâce à la surveillance par unités mobiles des intervalles entre les points de passage, contrôler de façon exhaustive la frontière.

Cette difficulté, à laquelle s'ajoutent les caractéristiques de la région en termes de criminalité et d'immigration clandestine, ne rend que plus indispensable le développement d'une coopération plus intense et plus systématique entre les autorités suisses et françaises.

C - Les questions de sécurité dans la zone frontalière

Les faits constatés dans la région frontalière ne présentent pas de caractère particulier : y sont prépondérants les vols liés à l'automobile, les cambriolages et les destructions et dégradations de biens. Les infractions à la législation des stupéfiants sont en augmentation dans plusieurs départements, et sont assez nombreux les délits à la police des étrangers. Toutefois, le nombre global des faits constatés a baissé d'environ 3 % dans les départements de l'Ain, du Doubs et du Haut-Rhin, et de 10 % en Haute-Savoie. Ce nombre est stable dans le Jura. Par contre, le nombre des infractions a augmenté de près de 3 % dans le Haut-Rhin et de 8 % dans le Territoire-de-Belfort.

La frontière franco-suisse représente un enjeu important en matière d'immigration illégale, car elle est la plus difficile à surveiller. Elle se trouve en deuxième position des frontières terrestres, après la frontière italienne, en termes de pression migratoire. La Suisse y applique d'ailleurs une politique de particulière vigilance.

Cette frontière est soumise à une très forte pression migratoire : 6285 mesures de non-admission sur le territoire français ont été prononcées au cours de l'année 1999 (contre 5699 en 1998), soit une augmentation de 11 %, intervenant après une augmentation de 9 % en 1998. Les réadmissions effectuées par la France vers la Suisse se sont élevées à 676, en doublement par rapport à 1998 ; et les autorités suisses ont fait réadmettre par la partie française 1060 étrangers en situation irrégulière. Placée au c_ur de l'Europe, la Suisse attire de plus en plus de candidats à l'immigration irrégulière en France et en Europe. Il existe un flux de personnes, entrées régulièrement en Suisse munies de visas de court séjour, qui franchissent ensuite la frontière française pour tenter de s'installer dans notre pays.

A cet égard, on soulignera que l'accord de réadmission signé en 1998 entre les deux pays et entré en vigueur le 1er mars 2000 donnera de meilleurs moyens aux policiers chargés de cette mission, souvent vécue de façon difficile au quotidien. La précision des procédures et la clarification des moyens de preuve admissibles permettra, il faut l'espérer, d'éviter ou de rendre plus rares les désaccords et les interprétations divergentes entre les fonctionnaires de part et d'autre de la frontière. Les services compétents pourront ainsi gagner du temps et être plus efficaces : comme on le verra, le présent accord concourt aussi à améliorer la coopération entre services dans ce domaine.

D - La coopération bilatérale

La coopération transfrontalière entre la Suisse et la France se fonde encore en partie sur des accords anciens et, il faut bien le dire, dépassés. Ainsi, la coopération policière se base sur la convention du 28 septembre 1960 relative aux bureaux à contrôle nationaux juxtaposés (BCNJ) et se basait encore récemment en ce qui concerne la réadmission des personnes en situation irrégulière sur l'accord du 30 juin 1965, tout récemment remplacé, comme il a déjà été mentionné, par l'accord du 28 octobre 1998.

Des BCNJ ont été institués sur plusieurs points frontaliers routiers ou ferroviaires, permettant la mise en _uvre de contrôles conjoints par les agents des deux Etats : 19 de ces bureaux sont en fonctionnement. En 1993 et 1994 ont été créés les deux BCNJ aéroportuaires, dans l'aéroport de Bâle-Mulhouse, situé en territoire français, et dans celui de Genève-Cointrin, situé en Suisse.

La coopération entre les services de police suisses et français s'est développée de façon pragmatique, mais elle est toujours apparue en retrait par rapport à la coopération franco-allemande, beaucoup plus systématique et ambitieuse. Ainsi, les BCNJ n'ont pas évolué vers la structure plus développée qu'ont constituée les commissariats communs, créés avec l'Allemagne et l'Espagne.

L'entrée en vigueur de la Convention de Schengen a stimulé la coopération bilatérale, la Suisse ne voulant pas s'isoler par rapport à ses voisins. Des réunions informelles se sont instaurées à partir de 1995, consacrées à des thèmes particuliers : délinquance, véhicules volés ou immigration clandestine. Des réunions élargies à toutes les autorités concernées (Police des frontières, Gendarmerie, Douanes pour la France, et Police, Gardes-frontières et Douanes pour la Suisse) ont été organisées presque chaque année depuis 1996.

La coopération policière technique reste modeste : elle se limite à une participation des policiers suisses aux stages spécialisés en matière de police technique et scientifique et aux stages de langue organisés par l'Institut national de formation de Clermont-Ferrand. L'institut suisse de police de Neuchâtel propose aux policiers étrangers des formations mais il ne semble pas que la Police nationale y ait participé.

Les relations franco-suisses de police judiciaire s'effectuent par le canal d'Interpol. Les relations entre les deux bureaux nationaux d'Interpol sont efficaces et d'un volume important, se heurtant cependant aux difficultés connues dues au secret bancaire. L'entraide judiciaire pénale repose depuis peu sur la convention bilatérale signée en 1998 et ratifiée l'année dernière par la France. Cette convention représente un progrès, en instaurant notamment le principe de la transmission directe des demandes d'entraide, mais suscite cependant quelques réserves, ainsi lorsque la partie requise peut refuser l'entraide si la demande se rapporte à des infractions considérées par elle comme fiscales.

II - UN NOUVEAU CADRE POUR RELANCER
LA COOPÉRATION FRANCO-SUISSE

L'accord signé le 11 mai 1998 à Berne s'inscrit dans une nouvelle génération de conventions bilatérales par lesquelles la France et les pays qui ont une frontière avec elle ont souhaité élargir leur coopération transfrontalière, à l'exception de la Belgique et du Luxembourg. Une négociation a été engagée avec les Gouvernements de ces deux pays dans l'objectif de signer de tels accords, mais elle a été suspendue lorsque la France a rétabli des contrôles à ses frontières nord pour lutter contre le trafic de stupéfiants en provenance des Pays-Bas.

Comme on le verra, l'accord reprend certaines modalités de coopération introduites par la convention de Schengen, en allant parfois au-delà pour permettre une coopération plus directe et donc plus efficace entre policiers, remédiant ainsi à certains défauts de la convention qui a été signée il y a près de dix ans.

A - La création de centres de coopération policière et douanière

Bien que la convention de Berne mentionne la création de « centres », il sera peut-être plus réaliste d'évoquer ces nouvelles structures au singulier. Si, il y a un an environ, l'ouverture de deux centres était envisagée à Bâle-Mulhouse, d'une part, à Genève-Cointrin, d'autre part, il semble que les ambitions actuelles soient aujourd'hui en repli, car un seul centre est à présent évoqué.

L'installation de ce centre à Ferney-Voltaire a été proposée à la Suisse, qui semble accueillir favorablement cette proposition. Mais aucune date n'est avancée pour la mise en activité de cette structure. L'idée d'une implantation définitive sur l'aéroport de Genève-Cointrin a été abandonnée, en raison du coût élevé de location des emplacements. Dans l'attente du centre de Ferney-Voltaire, un centre provisoire devrait être ouvert à Genève -Cointrin, donc en territoire suisse. Il devrait être ouvert, mais rien ne semble sûr, à l'automne, dans des structures préfabriquées. Deux personnes y seraient affectées par la Police de l'Air et des Frontières (PAF), et quatre par la partie suisse (représentant la police genevoise et les gardes frontières fédéraux).

La comparaison avec le volontarisme qui a prévalu pour l'ouverture du centre franco-allemand d'Offenbourg met en évidence la force de l'engagement allemand dans l'opération. Il est à craindre que la même volonté ne soit pas au rendez-vous pour l'ouverture du centre franco-suisse.

Le futur centre organisera, comme cela est le cas dans les autres régions frontalières, la participation et la compétence conjointe de la police nationale, de la gendarmerie nationale et des douanes, pour la participation française. Du côté suisse, devraient être représentés les autorités fédérales de police, de police des étrangers et de douane, la police des cantons concernés et le corps des gardes-frontières.

Situés à proximité de la frontière commune, les centres se trouvent à la disposition de l'ensemble des services chargés de mission de police et de douane afin de « sauvegarder l'ordre et la sécurité publics, de lutter contre les trafics illicites, l'immigration illégale et la délinquance dans la zone frontalière ». La mission du centre consiste principalement à recueillir et échanger les informations, et à les mettre à disposition des services cités ci-dessus. L'article 14 de la convention cite les missions particulières qui lui seront dévolues : coordonner des mesures conjointes de surveillance dans la zone frontalière, préparer les dossiers de réadmission des étrangers en situation irrégulière et effectuer celle-ci, servir de base d'intervention pour les observations et les poursuites transfrontalières effectuées par les unités compétentes dans la région frontalière.

On rappellera qu'il ne s'agit pas d'une structure opérationnelle, mais d'une structure « prestataire de services » au bénéfice des administrations des deux pays.

La création du ou des centres de coopération est très attendue par les policiers de la région frontalière, qui en attendent notamment l'amélioration de la circulation de l'information entre les différents corps de sécurité dans la région « des trois frontières ». Ils souhaiteraient, pour le moyen terme, une participation allemande qui les transformerait en centres tripartites. L'on ne peut qu'espérer un tel aboutissement, alors que des propositions concernant un centre tripartite sont évoquées depuis 1990 par les autorités locales, comme le Commandant de Police du Canton de Bâle.

Le centre aura un rôle de coordination important entre unités nationales tant françaises que suisses : les 23 cantons suisses sont souverains en matière de police ce qui suscite beaucoup de disparités mais aussi de difficultés : seront-elles surmontées grâce au travail en commun qui prendra place dans les centres ? Ce rôle d'interface n'est pas toujours facile, comme le montre l'expérience du Centre franco-allemand déjà ouvert à Offenbourg en Allemagne : les difficultés rencontrées dans la mise en _uvre des accords de complémentarité au plan national sont en quelque sorte démultipliées sur le plan binational.

B - Une coopération inspirée de la Convention de Schengen

Le titre II de l'accord reprend en partie certaines dispositions de la Convention de Schengen relatives à la coopération policière.

Ainsi, l'article 5 prévoit que les services concernés par l'accord devront s'accorder réciproquement l'assistance sur demande adressée par l'autre Partie (équivalent de l'article 39 de la Convention de Schengen). La formulation de cette disposition va au-delà de celle qui figure dans la Convention de Schengen, en posant le principe de la transmission directe des demandes d'entraide entre les services situés en région frontalière, cette procédure directe n'étant donc plus réservée aux cas d'urgence.

On rappellera que les dispositions en question concernent à la fois la coopération policière et la coopération judiciaire, les missions de maintien de l'ordre public et les missions de police judiciaire. Or, lorsqu'il s'agit d'une mission de police judiciaire, la procédure pénale française assimile la demande d'assistance policière à une demande d'entraide judiciaire. En conséquence, les dispositions « Schengen » obligent à faire transiter la demande par les administrations centrales, sauf dispositions bilatérales inscrites dans des accords de coopération semblable à celui-ci.

Le présent accord prévoit donc, en vertu d'une évolution devenue indispensable, qu'un certain nombre d'actes d'enquête pourront être demandés et accomplis directement entre policiers, gendarmes ou douaniers, sans en référer au juge. Ces actes sont énumérés par l'accord, il s'agit de : l'identification de propriétaires ou de conducteurs de véhicules, de la vérification de permis de conduire, de la recherche d'adresses, de l'identification de titulaires de lignes téléphoniques, de l'identification des personnes, de la transmission de renseignements de police figurant dans des fichiers informatisés, ainsi que de relever des empreintes.

Il s'agit donc de renseignements de police relevant du travail quotidien, mais sont aussi évoquées les demandes concernant les trafics illicites : dans ce cas, les informations relatives au trafic de stupéfiants peuvent être liées à des affaires importantes.

L'accord ajoute cependant que « les services ainsi requis répondent directement aux demandes pour autant que le droit national n'en réserve pas le traitement aux autorités judiciaires ». En fait, la situation au plan français est quelque peu imprécise. D'un côté, une pratique d'échange d'informations entre policiers s'était déjà développée dans les régions frontalières et l'accord lui donne un cadre juridique. D'un autre côté, le magistrat compétent pourrait s'opposer, en vertu du principe du contrôle du Parquet sur les actes de police judiciaire, à certains échanges directs. On considère par exemple que la transmission directe ne pourra pas avoir lieu si les renseignements demandés sont liés à une affaire déjà confiée à un juge d'instruction. La latitude d'action des services de police dépendra de leurs relations avec le Parquet compétent.

L'accord encourage ensuite l'assistance spontanée (prévue par l'article 46 de la Convention de Schengen). Cette disposition est en fait peu utilisée : il s'agit de la transmission d'information par un service de police à ses collègues étrangers lorsqu'il a connaissance de faits pouvant constituer une menace à l'ordre public.

L'accord adapte aux relations franco-suisses les droits d'observation et de poursuite transfrontalières inaugurés par la Convention de Schengen dans ses articles 40 et 41. Il précise que les centres de coopération policière et douanière apporteront une logistique de soutien lorsque les agents auront recours à ces procédures, tant pour l'obtention des autorisations nécessaires que pour la transmission des informations entre les unités françaises et suisses, qui peuvent être appelées en renfort ou pour procéder à l'interpellation.

Enfin, l'accord prévoit l'échange de fonctionnaires de liaison, ce qui pourrait combler une lacune de la coopération bilatérale antérieure. L'on regrettera que cet échange ne semble pas constituer une priorité pour la Suisse, aussi cette disposition ne connaîtra pas d'application à court terme. Pourtant, la présence de ces officiers au sein de l'administration centrale de l'autre Partie permet un meilleur échange d'information dans le domaine de l'immigration par exemple. Les officiers de liaison diffusent les informations sur les flux migratoires et le travail clandestin, se déplacent aux frontières pour prêter assistance aux fonctionnaires qui y sont affectés ou contribuer à l'harmonisation des méthodes de contrôle.

La convention de Berne inclut des dispositions relatives à la coopération judiciaire, qui sont le pendant de certaines dispositions incluses dans la convention de Schengen. L'application de l'accord est en effet conditionnée par le bon fonctionnement de la coopération judiciaire car comme il a été déjà souligné, la police judiciaire s'exerce sous la direction et le contrôle des autorités judiciaires. De même, les procédures d'observation et de poursuite transfrontalières sont autorisées et contrôlées par les magistrats du ressort dans lequel elles s'exercent. L'on attend de l'accord une mise en _uvre plus facile des extraditions, ainsi que des poursuites liées aux infractions en matière de circulation routière, par exemple.

C - La coopération directe instituée par l'accord

L'accord instaure une coopération directe entre les différents services et les unités opérationnelles qui participent à la sécurité du territoire. Cette coopération doit s'exercer tant dans le domaine de la police judiciaire que dans celui de l'ordre public, de la sécurité routière, ou dans le cadre d'événements divers tels des grands rassemblements de personnes, des grèves de chauffeurs routiers, des accidents ou calamités naturelles, ou encore des risques technologiques. Cette coopération existait déjà, mais elle sera rendue plus systématique grâce au cadre créé par l'accord ; ses missions principales consistent en la coordination des actions communes et l'intensification de l'échange d'informations. Les moyens de la coopération seront les suivants :

- les réunions à échéance régulière des responsables des unités correspondantes afin d'échanger les informations et d'élaborer la stratégie de la coopération transfrontalière ;

- la coordination de l'intervention des forces de part et d'autre de la frontière, afin d'éviter que les unités ne se superposent ou ne doublent les efforts. Les contraintes budgétaires rendent en effet indispensable cette coordination, de même que la complémentarité s'impose au plan national. Des schémas d'intervention commune et des plans de recherche communs devront être élaborés ;

- des exercices communs dans la zone frontalière ;

- l'organisation de patrouilles mixtes : les pouvoirs de police des agents y participant ne seront pas égaux : les agents d'une Partie se contenteront d'un rôle d'observateur en cas d'intervention sur le territoire national de l'autre Partie contractante ;

Enfin, des agents pourront faire l'objet d'un détachement de leur unité vers l'unité correspondante de l'autre pays, pour travailler sur les dossiers qui relèvent de leur compétence.

CONCLUSION

L'accord soumis à notre Assemblée est très proche de ceux déjà conclus et entrés en vigueur avec l'Allemagne et l'Italie, pays avec lesquels les contrôles fixes aux frontières ont été supprimés. Même si ceux-ci n'ont pas été supprimés avec la Suisse, l'accord devrait permettre de développer progressivement la coopération avec ce pays ; l'on regrettera évidemment que cette coopération n'égale pas celle qui s'est organisée dans le cadre de Schengen. Elle ne permettra sûrement pas l'intégration de la Suisse dans les structures de sécurité européennes.

La Suisse a montré sa volonté de progresser en ratifiant l'accord dès le 21 avril 1999. Notre pays doit aussi montrer sa volonté politique de consacrer les moyens nécessaires à la coopération, en particulier en clarifiant rapidement la question de l'installation du ou des centres de coopération policière et douanière.

Une observation s'impose concernant les insuffisances de l'entraide judiciaire entre la France et ses voisins, qu'ils soient membres de l'Union européenne ou non. Cette coopération reste le « parent pauvre » des échanges européens. La création de structures comme le Centre de coopération prévu par le présent accord n'en fait que mieux apparaître les lacunes et les insuffisances : les obstacles et les embûches ressortent d'autant mieux que les problèmes deviennent quasi quotidiens, les rouages de la coopération policière étant mieux réglés. Notre administration doit absolument trouver un moyen de mieux associer les magistrats au fonctionnement quotidien de tels centres.

Souhaitant que les intentions du Gouvernement quant aux modalités de mise en _uvre prochaine de cet accord soient précisées avant son adoption par l'Assemblée nationale, votre Rapporteur vous propose d'adopter le présent projet de loi.

EXAMEN EN COMMISSION

La Commission a examiné le présent projet de loi au cours de sa réunion du mercredi 17 mai 2000.

Après l'exposé du Rapporteur, évoquant le rôle de la Suisse pendant la deuxième guerre mondiale, M. Charles Ehrmann a insisté sur l'importance de ce pays qui tout en vivant en dehors de l'Union européenne, bénéficie de certains avantages de l'appartenance à celle-ci. L'Union européenne ne se montre t-elle pas trop généreuse, évitant ainsi que la Suisse ne soit intéressée à une adhésion pleine et entière ?

M. Pierre Brana a observé que depuis deux ans la Suisse avait signé avec l'Union européenne des accords dans sept domaines dont la libre circulation des personnes. Il a demandé s'il existait un lien entre le présent accord et ceux signés précédemment.

Considérant que la politique d'asile a toujours fait l'objet de controverse en Suisse, pays qui accueille proportionnellement en Europe le plus d'étrangers par rapport au nombre d'habitants, il s'est enquis de l'impact des nombreux réfugiés venant notamment des Balkans sur l'opinion publique. Y a-t-il eu des réactions xénophobes ? Où en sont les discussions concernant la levée de l'anonymat concernant les transactions bancaires en Suisse.

Le Président François Loncle a estimé que le mouvement de la Suisse vers l'Union européenne était lent mais qu'il progressait. Il a convenu qu'il ne fallait pas abuser d'un système d'adhésion à la carte. Il a ajouté que le problème des réfugiés kosovars s'était posé en France et dans d'autres pays.

M. Claude Birraux a d'abord remercié la Commission de l'accueillir, indiquant son intérêt pour ces questions en sa qualité de député élu à Annemasse et donc frontalier. Il a expliqué que les accords bilatéraux entre l'Union européenne et la Suisse seraient soumis à référendum le 21 mai prochain et a jugé ces accords très déséquilibrés et très avantageux pour la Suisse. Les citoyens helvétiques bénéficieront dès 2003 du total libre établissement sur le territoire de l'Union et donc en France. A partir de cette date, les frontaliers suisses seront seulement tenus à un retour hebdomadaire. Le libre établissement des citoyens de l'Union européenne en Suisse ne s'appliquera qu'en 2008. Ensuite, la Suisse garde encore la possibilité de demander la suspension des accords si leur mise en _uvre est incompatible avec sa spécificité. Ce déséquilibre évident inquiète les frontaliers et les élus locaux craignent les conséquences de ces accords : les difficultés de logement à Genève vont entraîner un afflux de citoyens suisses souhaitant s'installer dans les communes frontalières françaises moins onéreuses. Le prix des terrains a d'ailleurs déjà doublé dans la région d'Annemasse, et une telle évolution rendra impossible la construction de logements sociaux. L'on recherche actuellement comment réserver des terrains à cet effet.

Il a estimé urgent de renforcer et d'intensifier la coopération policière : celle-ci fonctionne déjà en matière de contraventions et d'infractions à la sécurité routière, mais l'on assiste à une recrudescence de la moyenne ou grande criminalité dans la région. M. Claude Birraux a souhaité que les questions suivantes soient posées au Ministre : quand le dispositif de centre de coopération policière et douanière sera-t-il opérationnel ? Quels sont les locaux choisis et quand seront-ils prêts ? Enfin, combien d'agents y seront-ils affectés ?

M. Marc Reymann a répondu aux intervenants.

La Suisse se trouve dans une situation particulière si l'on considère qu'elle compte 20 % de ressortissants étrangers sur son sol. Les travailleurs frontaliers français y sont très nombreux. Les contrôles policiers et douaniers frontaliers sont maintenus, mais ils sont rares et les contrôles de personnes et de bagages semblent assez administratifs. Du côté suisse, le contrôle porte surtout sur la vignette automobile que les conducteurs étrangers doivent se procurer.

De façon générale, les citoyens suisses sont prudents et de très bonne foi dans leur « isolationnisme », considérant par exemple que leur système de défense leur a donné beaucoup de garanties de sécurité. L'on peut se demander si les incertitudes actuelles de l'Europe et les déclarations de M. Fischer vont les rassurer ou les conforter dans leur position à l'écart.

La Suisse est en effet depuis quelques années le pays d'asile le plus sollicité de l'Occident, avec 453 demandes d'asile déposées pour 100 000 habitants. Les demandes déposées ces dernières années émanent, pour la moitié d'entre elles, de ressortissants de l'ex-Yougoslavie.

Le Rapporteur a partagé le sentiment exprimé par M. Claude Birraux quant au caractère déséquilibré des accords bilatéraux entre l'Union européenne et la Suisse. Il a rappelé les domaines dans lesquels ces accords sont intervenus et a souligné que le Conseil fédéral s'efforce de dissocier totalement la procédure d'approbation des accords d'une possible adhésion à l'Europe. Le libre établissement des personnes est un sujet difficile, car il ne faut pas oublier que c'est une des raisons de l'échec du référendum de 1992. Les autorités suisses craignent que ne se manifestent des réactions xénophobes comme cela a été le cas encore récemment à l'occasion de référendums locaux sur l'accès à la nationalité helvétique.

Le Président François Loncle a proposé l'adoption du projet de loi par la Commission. Etant donné les interrogations soulevées par le Rapporteur et par M. Claude Birraux, il a estimé qu'un courrier devrait être adressé au Ministre des Affaires étrangères afin que les incertitudes qui demeurent soient levées avant l'adoption du projet par l'Assemblée nationale.

Conformément aux conclusions du Rapporteur, la Commission a adopté le projet de loi (n° 2169).

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La Commission vous demande donc d'adopter, dans les conditions prévues à l'article 128 du Règlement, le présent projet de loi.

ANNEXE

Lettre de M. François Loncle,
Président de la commission des affaires étrangères
à M. Hubert Védrine, Ministre des affaires étrangères

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NB : Le texte de l'accord figure en annexe au projet de loi (n° 2169).


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