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le 11 octobre 2000

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N° 2610

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 4 octobre 2000.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES, FAMILIALES ET SOCIALES(1) SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION (n° 2547) de Mme Roselyne BACHELOT-NARQUIN tendant à la création d'une commission d'enquête sur le harcèlement moral au travail afin de mettre en place les dispositifs législatifs et réglementaires permettant de mieux protéger les salariés,

PAR Mme Paulette GUINCHARD-KUNSTLER,

Députée.

--

(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

Droit pénal.

La commission des affaires culturelles, familiales et sociales est composée de : M. Jean Le Garrec, président ; MM. Jean-Michel Dubernard, Jean-Paul Durieux, Jean-Pierre Foucher, Maxime Gremetz, vice-présidents ; Mme Odette Grzegrzulka, MM. Denis Jacquat, Patrice Martin-Lalande, secrétaires ; MM.  Bernard Accoyer, Mme Sylvie Andrieux, MM. André Aschiéri, Gautier Audinot, Mme Roselyne Bachelot-Narquin, MM. Jean-Paul Bacquet, Jean-Pierre Baeumler, Pierre-Christophe Baguet, Jean Bardet, Jean-Claude Bateux, Jean-Claude Beauchaud, Mmes Huguette Bello, Yvette Benayoun-Nakache, MM. Serge Blisko, Patrick Bloche, Mme Marie-Thérèse Boisseau, MM. Jean-Claude Boulard, Bruno Bourg-Broc, Mme Christine Boutin, MM. Jean-Paul Bret, Victor Brial,  Yves Bur, Alain Calmat, Pierre Carassus, Pierre Cardo, Mme Odette Casanova, MM. Laurent Cathala, Jean-Charles Cavaillé, Bernard Charles, Michel Charzat, Jean-Marc Chavanne, Jean-François Chossy, Mme Marie-Françoise Clergeau, MM. Georges Colombier, François Cornut-Gentille, René Couanau, Mme Martine David, MM. Bernard Davoine, Bernard Deflesselles, Lucien Degauchy, Marcel Dehoux, Jean Delobel, Jean-Jacques Denis, Dominique Dord, Mme Brigitte Douay, MM. Julien Dray, Guy Drut, Nicolas Dupont-Aignan, Yves Durand, René Dutin, Christian Estrosi, Michel Etiévant, Claude Evin, Jean Falala, Michel Françaix, Mme Jacqueline Fraysse, MM. Michel Fromet, Germain Gengenwin, Mme Catherine Génisson, MM. Jean-Marie Geveaux, Jean-Pierre Giran, Michel Giraud, Gaëtan Gorce, François Goulard, Jean-Claude Guibal, Jean-Jacques Guillet, Mme Paulette Guinchard-Kunstler, MM. Francis Hammel, Pierre Hellier, Michel Herbillon, Guy Hermier, Mmes Françoise Imbert, Muguette Jacquaint, MM. Serge Janquin, Jacky Jaulneau, Armand Jung, Bertrand Kern, Christian Kert, Jacques Kossowski, Mme Conchita Lacuey, MM. Jacques Lafleur, Robert Lamy, Edouard Landrain, Pierre Lasbordes, Mme Jacqueline Lazard, MM. Michel Lefait, Maurice Leroy, Patrick Leroy, MM. Gérard Lindeperg, Patrick Malavieille, Alfred Marie-Jeanne, Mme Jacqueline Mathieu-Obadia, MM. Didier Mathus, Jean-François Mattei, Pierre Menjucq, Mme Hélène Mignon, MM.  Pierre Morange, Hervé Morin, Renaud Muselier, Philippe Nauche, Henri Nayrou, Alain Néri, Yves Nicolin, Bernard Outin, Mme Catherine Picard, MM. Dominique Paillé, Michel Pajon, Jean-Pierre Pernot, Mme Geneviève Perrin-Gaillard, MM. Bernard Perrut, Pierre Petit, MM. Jean Pontier, Jean-Luc Préel, Alfred Recours, Gilles de Robien, Mme Chantal Robin-Rodrigo, MM. Marcel Rogemont, Yves Rome, Joseph Rossignol, Jean Rouger, Rudy Salles, André Schneider, Bernard Schreiner, Patrick Sève, Michel Tamaya, Pascal Terrasse, Gérard Terrier, André Thien Ah Koon, Mme Marisol Touraine, MM. Anicet Turinay, Jean Ueberschlag, Jean Valleix, Alain Veyret, Philippe Vuilque, Mme Marie-Jo Zimmermann.

INTRODUCTION 5

I.- SUR LA RECEVABILITÉ DE LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION 7

II. SUR L'OPPORTUNITÉ DE LA CRÉATION D'UNE COMMISSION D'ENQUÊTE 9

TRAVAUX DE LA COMMISSION 11

La proposition de résolution (n° 2547) déposée par Mme Roselyne Bachelot-Narquin tend à créer une commission d'enquête sur « le harcèlement moral au travail afin de mettre en place les dispositifs législatifs et réglementaires permettant de mieux protéger les salariés ».

Comme l'indique son titre, et comme le précise l'article unique de la proposition de résolution, cette demande de création d'une commission d'enquête a pour objectif principal de faire le point sur la réglementation applicable à des situations de harcèlement moral au travail et d'entendre les spécialistes et les intéressés dans le but de proposer les textes législatifs et réglementaires nécessaires pour le combattre.

Selon l'usage, le rapporteur examinera la recevabilité de la proposition de résolution, avant de s'interroger sur l'opportunité de créer une telle commission d'enquête.

I.- SUR LA RECEVABILITÉ DE LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION

La recevabilité des propositions de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête s'apprécie au regard des dispositions conjointes :

- de l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires ;

- des articles 140 et 141 du Règlement de l'Assemblée nationale.

La première exigence concerne la mise en _uvre du principe de séparation des pouvoirs législatif et judiciaire et interdit à l'Assemblée nationale d'enquêter sur des faits ayant donné lieu à des poursuites judiciaires aussi longtemps que ces poursuites sont en cours. Par lettre adressée à M. le président de l'Assemblée nationale, Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux et ministre de la justice, a fait savoir que les faits qui ont conduit au dépôt de la présente proposition de résolution ne font pas l'objet de poursuites judiciaires.

La deuxième exigence posée par ces textes est de « déterminer avec précision », dans la proposition de résolution, les faits donnant lieu à enquête.

La proposition de résolution se réfère à la notion de harcèlement moral sans mentionner de cas précis.

Le harcèlement moral n'est pas, en l'état actuel du droit, une notion juridiquement définie, à la différence du harcèlement sexuel, sanctionné pénalement et par le droit du travail depuis la loi du 2 novembre 1992.

Des pratiques dénoncées dans la presse (comme à l'usine Deawoo ou celles subies par les salariées de l'usine Maryflo), les études principalement anglo-saxonnes réalisées sur le sujet font émerger le concept de harcèlement moral au travail : une accumulation de faits parfois anodins mais qui par leur caractère répétitif et délibéré peuvent constituer une véritable persécution. La souffrance psychologique qui en résulte peut notamment servir à contourner les procédures de licenciement en acculant un collaborateur à la démission.

Mais ces conduites n'étant, le plus souvent, pas révélées, il est, stricto sensu, difficile de parler de faits précis qui seraient l'objet de l'enquête.

Même s'il y peut y avoir doute au regard de l'objet de la commission d'enquête puisque celui-ci consiste essentiellement à faire le point sur les dispositifs en vigueur applicables au harcèlement moral au travail pour formuler des solutions, au regard de la pratique, cette proposition de résolution peut cependant être regardée comme formellement recevable.

II.- SUR L'OPPORTUNITÉ DE LA CRÉATION D'UNE COMMISSION D'ENQUÊTE

L'hésitation qui peut avoir lieu sur la question de la détermination des faits précis qui justifient la création d'une commission d'enquête montre surtout que l'outil de la commission d'enquête n'est pas celui qui répond le mieux à l'objectif poursuivi.

La proposition de résolution dénonce une réalité préoccupante et il faut se féliciter que la commission aborde cette question. Cependant, ni la difficulté d'en cerner exactement les contours ni celle de lui trouver des solutions adaptées en termes de prévention et de réparation ne doivent être sous-estimées.

Brimades, vexations, humiliations publiques, pressions, isolement, non-communication d'informations, privation de travail...sont autant de comportements qui accumulés et répétés de façon systématique sont constitutifs d'une véritable persécution.

La question centrale est bien celle de la définition du harcèlement psychologique. Il peut être, en effet, délicat de faire la part entre des relations conflictuelles au sein d'une communauté de travail et de ce qui relève de l'agression systématique menée dans le propos délibéré de nuire à un salarié et de porter atteinte à sa dignité.

Au travers de la notion de discrimination à l'égard d'un salarié le droit communautaire commence à introduire la notion de harcèlement. Un projet de directive du conseil considère, en effet, comme une discrimination le harcèlement en rapport avec l'origine ethnique.

En tout cas, face à des comportements portant atteinte à sa dignité et rendant souvent impossible son maintien dans l'entreprise, la victime en général se trouve singulièrement démunie.

Le groupe communiste, sous la houlette de M. Georges Hage, a déposé une proposition de loi avançant un certain nombre de solutions juridiques pour mieux protéger les salariés victimes de harcèlement.

Certes, le chef d'entreprise doit faire respecter le droit et notamment appliquer le règlement intérieur de l'entreprise. A ce titre, il se doit prendre des sanctions contre des supérieurs hiérarchiques dont les comportements accroîtraient de façon inacceptable la charge mentale ou les pressions auxquelles sont soumis les salariés, dans l'intérêt de ceux-ci comme dans celui, d'ailleurs de la bonne marche de sa société.

En outre, certains agissements relevant du harcèlement psychologique et particulièrement graves dont seraient victimes des salariés sont pénalement sanctionnables. Il s'agit des agressions physiques, sexuelles ou verbales telles les injures ou les violences c'est à dire tous les comportements volontaires portant atteinte à l'intégrité physique ou même psychique d'autrui.

L'on peut toutefois s'interroger sur l'efficacité de ces mesures, voire, pour les dernières, sur le risque qu'elles ne produisent un effet contraire à l'objectif recherché. En l'absence de mesure de protection du salarié, les poursuites peuvent aboutir à rendre sa situation dans l'entreprise plus délicate encore et l'on peut comprendre que la victime même informée de ses droits hésite à les faire valoir.

En outre, comme le souligne la proposition de loi du groupe communiste le changement dans les conditions de l'exécution du contrat de travail, qui en principe n'est pas soumis à l'accord du salarié, peut être utilisé comme moyen de pression psychologique sans être, en soi, sanctionnable.

Ces remarques montrent la complexité et les enjeux d'une question qui est simplement évoquée ici et qui mérite, effectivement, une réflexion poussée.

Mais plutôt que la création d'une commission d'enquête, avec toute la lourdeur et la solennité que cette procédure implique, la mise en place d'une mission d'information au sein de la commission paraît l'outil parfaitement adapté à l'étude de cette question.

La proposition de résolution, sans ignorer les limites d'une réglementation en ce domaine, se présente essentiellement comme une invitation à légiférer sur le harcèlement moral au travail. La constitution d'une mission d'information permettra d'entendre toutes les personnes nécessaires (les spécialistes ayant étudiés cette question, les représentants syndicaux et associatifs, les médecins du travail, l'inspection du travail...) afin d'identifier les pratiques en cause et de proposer les moyens les mieux à même de les prévenir et de les sanctionner. La mission pourrait également examiner les initiatives prises dans d'autres pays ainsi que l'état des règles communautaires et internationales.

Au bénéfice de ces observations la rapporteure conclut au rejet de la proposition de résolution n° 2547.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

La commission des affaires culturelles, familiales et sociales a examiné la proposition de résolution au cours de sa séance du mercredi 4 octobre 2000.

Un débat a suivi l'exposé de la rapporteure.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin a indiqué que, dans un premier temps, elle avait assimilé le harcèlement moral au harcèlement sexuel mais il lui était vite apparu qu'il s'agissait d'un problème plus large. Les personnes des deux sexes sont concernées, les salariés du secteur public comme du secteur privé et toutes les catégories de salariés. Ainsi, vis-à-vis des cadres, le harcèlement est parfois devenu une technique de management. Il ne se limite pas non plus aux pressions exercées sur un salarié pour le pousser à démissionner.

Sur la nécessité de légiférer, les avis sont très partagés, la CGC par exemple considérant qu'il suffit de s'appuyer sur la jurisprudence. Le contenu d'une législation reste également à déterminer, en particulier la définition même du harcèlement moral.

Ce sont toutes ces questions dont la commission doit se saisir sans attendre, si la création d'une commission d'enquête n'était pas décidée.

M. Maxime Gremetz a rappelé les travaux conduits par Georges Hage qui ont suscité un courrier abondant et mis en évidence un développement inquiétant des pratiques de harcèlement. Seule une commission d'enquête aurait une efficacité suffisante. Ce serait aussi un message fort envoyé immédiatement à l'opinion.

M. Georges Colombier a indiqué qu'il était favorable à la création d'une commission d'enquête afin que les entreprises sachent que ces pratiques font l'objet de l'attention du législateur.

M. Denis Jacquat a signifié l'accord de principe de son groupe avec la création d'une commission d'enquête.

Le président Jean Le Garrec a indiqué qu'il partageait sur le fond les préoccupations exprimées. Le Parlement ne doit cependant pas recourir de façon incessante à la création de commissions d'enquête dont l'effet d'affichage est certain mais qui ne mobilisent en réalité qu'un petit nombre des trente membres les composant habituellement.

La commission des affaires culturelles a la possibilité de mettre en place, rapidement et sans formalités, une mission d'information. La question du harcèlement moral relève totalement de sa compétence. Il est logique qu'elle se saisisse elle-même de ce dossier au lieu de le renvoyer à un organe créé de toutes pièces, ne serait-ce que pour veiller elle-même à la traduction, dans les textes législatifs, des conclusions de ses travaux.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin s'est réjouie de l'intérêt suscité au sein de la commission par la question du harcèlement moral. Elle a regretté le rejet de la demande de création d'une commission d'enquête, le caractère symbolique d'une telle commission lui semblant adapté à l'importance du sujet. A défaut, la création d'une mission d'information serait indispensable et dans les plus brefs délais.

Le président Jean Le Garrec a indiqué qu'il proposerait au bureau de la commission la mise en place rapide de cette mission d'information et l'organisation par celle-ci d'auditions publiques, qui montreront à l'opinion que la commission s'est emparée du problème.

Conformément aux conclusions de la rapporteure, la commission a rejeté la proposition de résolution.


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