Rapport de M. Didier Migaud au nom de la commission spéciale
chargée d'examiner la proposition de loi organique (n° 2540)
relative aux lois de finances

TABLEAU COMPARATIF

COMPTES RENDUS DES AUDITIONS

1.- M. Henri Guillaume, inspecteur général des finances
2.- M. Pierre Joxe, Premier président de la Cour des comptes
3.- M. Nicolas Sarkozy, député, ancien ministre du budget
4.- M. François Monier, secrétaire général de la commission des comptes de la sécurité sociale
5.- M. Jean Arthuis, sénateur, ancien ministre de l'économie et des finances
6.- M. Michel Sapin, ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat
7.- M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, et Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat au budget
8.- Audition des représentants des sept organisations syndicales représentatives dans la fonction publique

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du rapport

Suite du rapport


TABLEAU COMPARATIF (1)

___

Texte de l'ordonnance du 2 janvier 1959
portant loi organique relative aux lois de finances

___

Propositions de la Commission

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TITRE Ier

DES RESSOURCES ET DES
CHARGES DE L'ETAT

 

Article 1er

Les ressources et les charges de l'Etat, au sens de l'article 34 de la Constitution, comprennent les ressources et les charges budgétaires ainsi que les ressources et les charges de trésorerie. Elles sont déterminées par les lois de finances dans les conditions et sous les réserves prévues par la présente loi organique.

 

CHAPITRE Ier

Des ressources et des charges
budgétaires

Article 3

Les ressources permanentes de l'Etat comprennent :

Article 2

Les ressources budgétaires de l'Etat comprennent :

- les impôts ainsi que le produit des amendes ;

1° Des impositions de toute nature ;

- les rémunérations de services rendus, redevances, fonds de concours, dons et legs ;

- les revenus du domaine et des participations financières ainsi que la part de l'Etat dans les bénéfices des entreprises nationales ;

- les remboursements de prêts et avances ;

- les produits divers.

2° Les produits de ses activités industrielles et commerciales, les rémunérations de services rendus par lui, les produits et revenus de son domaine, les produits et revenus de ses participations financières, les intérêts des prêts, avances et dotations assimilées consentis par lui, les retenues et cotisations sociales établies à son profit, le produit des amendes, des versements d'organismes publics et privés autres que ceux relevant des opérations de trésorerie, les produits générés par les opérations de trésorerie autres que les primes à l'émission d'emprunts de l'Etat ;

 

3° Les fonds de concours, ainsi que les dons et legs consentis à son profit ;

 

4° Les remboursements des prêts et avances prévus au 2° ;

 

5° Des produits divers.

Article 5

Article 3

La rémunération des services rendus par l'Etat ne peut être établie et perçue que si elle est instituée par décret en Conseil d'Etat pris sur rapport du ministre des finances et du ministre intéressé.

..........................................................................

La rémunération de services rendus par l'Etat peut être établie et perçue sur la base de décrets en Conseil d'Etat pris sur le rapport du ministre chargé des finances et du ministre intéressé. Ces décrets deviennent caducs en l'absence d'une ratification dans la plus prochaine loi de finances afférente à l'année concernée.

Article 6

Les charges permanentes de l'Etat comprennent :

Article 4

Les charges budgétaires de l'Etat comprennent :

- les dépenses ordinaires ;

- les dépenses en capital ;

- les prêts et avances.

Les dépenses ordinaires sont groupées sous quatre titres :

- charges de la dette publique, ainsi que de la dette viagère et dépenses en atténuation de recettes ;

- dotation des pouvoirs publics ;

- dépenses de personnel et de matériel applicables au fonctionnement des services ;

- interventions de l'Etat, notamment en matière économique, sociale et culturelle.

Les dépenses en capital sont groupées sous trois titres :

- investissements exécutés par l'Etat ;

- subventions d'investissement accordées par l'Etat ;

- réparation des dommages de guerre.

Les prêts et avances de l'Etat sont groupés sous quatre titres :

- prêts du fonds de développement économique et social ;

- prêts intéressant le logement ;

- prêts divers consentis par l'Etat ;

- avances de l'Etat.

1° Les dotations des pouvoirs publics ;

2° Les dépenses de personnel ;

3° Les dépenses de fonctionnement, autres que celles de personnel ;

4° Les dépenses d'intervention ;

5° Les dépenses d'investissement de l'Etat pour son propre compte ;

6° Les prêts et avances.

Article 16

Le budget est constitué par l'ensemble des comptes qui décrivent, pour une année civile, toutes les ressources et toutes les charges permanentes de l'Etat.

Article 5

Les ressources et les charges budgétaires de l'Etat sont retracées dans le budget sous forme de recettes et de dépenses.

..........................................................................

Au sens de l'article 47 de la Constitution, l'exercice s'entend de l'année civile.

Article 18

Il est fait recette du montant intégral des produits, sans contraction entre les recettes et les dépenses. L'ensemble des recettes assurant l'exécution de l'ensemble des dépenses, toutes les recettes et toutes les dépenses sont imputées à un compte unique, intitulé budget général.

Le budget décrit, pour une année, l'ensemble des recettes et des dépenses budgétaires de l'Etat. Il est fait recette du montant intégral des produits, sans contraction entre les recettes et les dépenses.

..........................................................................

L'ensemble des recettes assurant l'exécution de l'ensemble des dépenses, toutes les recettes et toutes les dépenses sont retracées sur un compte unique, intitulé budget général.

Article 2

..........................................................................

 

Seules les dispositions relatives à l'approbation de conventions financières, aux garanties accordées par l'Etat, à la gestion de la dette publique ainsi que de la dette viagère, aux autorisations d'engagements par anticipation ou aux autorisations de programme peuvent engager l'équilibre financier des années ultérieures. [Les lois de programme ne peuvent permettre d'engager l'Etat à l'égard des tiers que dans les limites des autorisations de programme contenues dans la loi de finances de l'année]

..........................................................................

Seuls les opérations relatives à la gestion de la dette de l'Etat et de la dette viagère, les autorisations d'engagement, les engagements par anticipation, les garanties accordées par l'Etat et les conventions financières peuvent engager l'équilibre financier des années ultérieures.

Article 16

.........................................................................

Article 6

La comptabilisation des recettes et des dépenses budgétaires obéit aux principes suivants :

Les recettes sont prises en compte au titre du budget de l'année au cours de laquelle elles sont encaissées par un comptable public.

1° Les recettes sont prises en compte au titre du budget de l'année au cours de laquelle elles sont encaissées par un comptable public ;

Les dépenses sont prises en compte au titre du budget de l'année au cours de laquelle les ordonnances ou mandats sont visés par les comptables assignataires ; elles doivent être payées sur les crédits de ladite année, quelle que soit la date de la créance.

2° Les dépenses payables après ordonnancement sont prises en compte au titre du budget de l'année au cours de laquelle les ordonnances ou mandats sont visés par les comptables assignataires. Les dépenses payables sans ordonnancement préalable sont prises en compte au titre du budget de l'année au cours de laquelle elles sont payées par un comptable public. Toutes les dépenses doivent être imputées sur les crédits de l'année considérée, quelle que soit la date de la créance ;

 

3° Les recettes et dépenses portées aux comptes d'imputation provisoire sont enregistrées aux comptes définitifs au plus tard à la date de l'arrêté du résultat budgétaire. Le détail des opérations de recettes qui, à titre exceptionnel, n'auraient pas pu être imputées à un compte définitif à cette date figure dans l'annexe prévue par le 4° de l'article 46.

Un décret en Conseil d'Etat pris sur le rapport du ministre des finances fixe les modalités d'application des principes qui précèdent et les conditions dans lesquelles des exceptions peuvent y être apportées, notamment en ce qui concerne les opérations de régularisation.

Dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat, des exceptions peuvent être apportées aux principes énoncés au présent article en ce qui concerne les engagements par anticipation susceptibles d'être autorisés sur le budget général, les opérations de régularisation et les autres opérations susceptibles d'être effectuées au cours d'une période complémentaire qui ne peut excéder vingt jours.

 

CHAPITRE II

Des autorisations budgétaires

Article 7

..........................................................................

Article 7

[Les crédits ouverts par les lois de finances] sont affectés à un service ou à un ensemble de services. Ils sont spécialisés par chapitre, groupant les dépenses selon leur nature ou selon leur destination. Toutefois, certains chapitres peuvent comporter des crédits globaux destinés à faire face à des dépenses éventuelles ou à des dépenses accidentelles.

I. - Les crédits ouverts par les lois de finances pour couvrir chacune des charges budgétaires de l'Etat sont regroupés par mission relevant d'un ou plusieurs services d'un même ministère.

 

Une mission comprend un ensemble cohérent de programmes ou, à titre exceptionnel, un seul programme. Seule une disposition de loi de finances d'initiative gouvernementale peut créer une mission.

 

Un programme comprend les crédits concourant à la réalisation d'un ensemble cohérent d'objectifs définis en fonction de finalités d'intérêt général et de résultats attendus.

 

Les crédits des pouvoirs publics sont regroupés au sein d'une mission comportant un ou plusieurs programmes spécifiques à chacun d'entre eux.

 

Les crédits d'un programme sont présentés par titre. Chaque catégorie de charges prévue du 1° au 6° de l'article 4 constitue un titre.

 

II. - Les crédits sont spécialisés par programme.

Des crédits globaux peuvent également être ouverts pour des dépenses dont la répartition par chapitre ne peut être déterminée au moment où ils sont votés. [L'application de ces crédits au chapitre qu'ils concernent est ensuite réalisée par arrêté du ministre des finances.]

Toutefois, peuvent comporter des crédits globaux :

1° Un programme pour dépenses accidentelles, destiné à faire face à des calamités ou à des dépenses imprévues ;

2° Un programme pour mesures générales en matière de rémunérations, destiné à faire face à des dépenses de personnel dont la répartition par programme ne peut être déterminée avec précision au moment du vote des crédits.

 

La répartition des crédits globaux est effectuée conformément aux dispositions de l'article 12.

 

La présentation des crédits par titre est indicative. Toutefois, les crédits ouverts sur le titre des dépenses de personnel de chaque programme constituent le plafond des dépenses de cette nature.

Article 1er

...........................................................................

 

Les créations et transformations d'emplois ne peuvent résulter que de dispositions prévues par une loi de finances. Toutefois, des transformations d'emplois peuvent être opérées par décret pris en conseil des ministres, après avis du Conseil d'Etat. Ces transformations d'emplois, ainsi que les recrutements, les avancements et les modifications de rémunération ne peuvent être décidés s'ils sont de nature à provoquer un dépassement des crédits annuels préalablement ouverts.

III. - A l'exception des crédits du programme prévu au 2° du II, les crédits ouverts sur le titre des dépenses de personnel sont assortis de plafonds d'autorisation des emplois rémunérés par l'Etat. Ces plafonds sont spécialisés par ministère.

...........................................................................

 

Article 8

Article 8

...........................................................................

 

Un même chapitre peut être doté à la fois de crédits d'autorisation de programme et de crédits de paiement.

Les crédits ouverts sur chaque programme sont constitués d'autorisations d'engagement et de crédits de paiement.

Article 12

 

Les dotations affectées aux dépenses en capital et aux prêts et exceptionnellement les dotations affectées aux dépenses ordinaires de matériel peuvent comprendre des autorisations de programme et des crédits de paiement.

Les autorisations d'engagement constituent la limite supérieure des dépenses pouvant être engagées pour le programme considéré. Pour une opération d'investissement, l'autorisation d'engagement couvre un ensemble cohérent et de nature à être mis en service ou exécuté sans adjonction.

 

 

Les autorisations de programme constituent la limite supérieure des dépenses que les ministres sont autorisés à engager pour l'exécution des investissements prévus par la loi. Elles demeurent valables sans limitation de durée jusqu'à ce qu'il soit procédé à leur annulation. Elles peuvent être révisées pour tenir compte, soit de modification technique, soit de variation de prix. Ces révisions sont imputées par priorité sur les autorisations de programme ouvertes et non utilisées ou, à défaut et par priorité, sur les autorisations de programme nouvelles ouvertes par une loi de finances.

Les crédits de paiement constituent la limite supérieure des dépenses pouvant être ordonnancées ou payées pendant l'année pour la couverture des engagements contractés dans le cadre des autorisations d'engagement.

Une même opération en capital sous forme de dépenses, de subventions ou de prêts peut être divisée en tranches. Chaque autorisation de programme doit couvrir une tranche constituant une unité individualisée formant un ensemble cohérent et de nature à être mise en service sans adjonction.

Pour les dépenses de personnel, le montant des autorisations d'engagement ouvertes est égal au montant des crédits de paiement ouverts.

Les crédits de paiement sur opérations en capital constituent la limite supérieure des dépenses pouvant être ordonnancées ou payées pendant l'année pour la couverture des engagements contractés dans le cadre des autorisations de programme correspondantes.

 

Article 8

Les crédits sont évaluatifs, provisionnels ou limitatifs. Ces trois catégories de crédits doivent faire l'objet de chapitres distincts.

Article 9

...........................................................................

 

Article 11

Tous les crédits qui n'entrent pas dans les catégories prévues aux articles 9 et 10 ci-dessus sont limitatifs.

Les crédits ouverts sur chaque programme sont limitatifs, sous réserve des dispositions prévues aux articles 10 et 24.

Sauf dispositions spéciales prévoyant un engagement par anticipation sur les crédits de l'année suivante et sans préjudice des exceptions au principe de l'annualité qui pourront être apportées par le décret prévu à l'article 16, les dépenses sur crédits limitatifs ne peuvent être engagées et ordonnancées que dans la limite des crédits ouverts ; ceux-ci ne peuvent être modifiés que par la loi de finances sous réserve des dispositions prévues aux articles 14, 17, 21 et 25, ainsi que des exceptions ci-après :

Sauf dispositions spéciales d'une loi de finances prévoyant un engagement par anticipation sur les crédits de l'année suivante et sans préjudice des autres exceptions au principe de l'annualité qui pourront être apportées par le décret prévu à l'article 6, les dépenses ne peuvent être engagées et ordonnancées que dans la limite des crédits ouverts.

Les plafonds des autorisations d'emplois sont limitatifs.

 

 

 

 

1° Dans la limite d'un crédit global pour dépenses accidentelles, des décrets pris sur le rapport du ministre des finances peuvent ouvrir des crédits pour faire face à des calamités ou à des dépenses urgentes ou imprévues ;

 

2° En cas d'urgence, s'il est établi, par rapport du ministre des finances au Premier ministre, que l'équilibre financier prévu à la dernière loi de finances n'est pas affecté, des crédits supplémentaires peuvent être ouverts par décrets d'avance pris sur avis du Conseil d'Etat. La ratification de ces crédits est demandée au Parlement dans la plus prochaine loi de finances ;

3° En cas d'urgence et de nécessité impérieuse d'intérêt national, des crédits supplémentaires peuvent être ouverts par décrets d'avance pris en Conseil des ministres sur avis du Conseil d'Etat. Un projet de loi de finances portant ratification de ces crédits est déposé immédiatement ou à l'ouverture de la plus prochaine session du Parlement.

 

Article 9

Les crédits évaluatifs servent à acquitter les dettes de l'Etat résultant de dispositions législatives spéciales ou de conventions permanentes approuvées par la loi. Ils s'appliquent à la dette publique, à la dette viagère, aux frais de justice et aux réparations civiles, aux remboursements, aux dégrèvements et aux restitutions, ainsi qu'aux dépenses imputables sur les chapitres dont l'énumération figure à un état spécial annexé à la loi de finances.

Article 10

Les crédits relatifs à la charge de la dette de l'Etat, aux remboursements, restitutions et dégrèvements, aux dépenses de pensions et d'avantages accessoires, aux appels en garantie et à la contribution de la France au budget des Communautés européennes ont un caractère évaluatif. Ils sont ouverts sur des programmes spécifiques.

Les dépenses auxquelles s'appliquent les crédits évaluatifs s'imputent, au besoin, au-delà de la dotation inscrite aux chapitres qui les concernent.

Les dépenses y afférentes peuvent s'imputer, si nécessaire, au-delà des crédits ouverts sur le programme concerné. Dans cette hypothèse, le ministre chargé des finances informe immédiatement les présidents et les rapporteurs généraux des commissions de l'Assemblée nationale et du Sénat chargées des finances des motifs du dépassement et des perspectives d'exécution du programme jusqu'à la fin de l'année.

 

Les dépassements de crédits évaluatifs font l'objet de propositions d'ouverture de crédits dans le plus prochain projet de loi de finances afférent à l'année concernée.

 

Les crédits des programmes prévus au premier alinéa ne peuvent faire l'objet des annulations constitutives des mouvements prévus aux articles 13 à 15, ni des mouvements prévus à l'article 16.

Article 7

Les crédits ouverts par les lois de finances sont mis à la disposition des ministres pour les dépenses ordinaires, les dépenses en capital et les prêts et avances.

..........................................................................

Article 11

Les crédits ouverts et les emplois autorisés par les lois de finances sont mis à la disposition des ministres.

 

Les crédits ne peuvent être modifiés que par une loi de finances ou, à titre exceptionnel, en application des dispositions prévues aux articles 12 à 16, 18 et 21.

 

La répartition des emplois autorisés entre les ministères ne peut être modifiée que par une loi de finances ou, à titre exceptionnel, en application du II de l'article 13.

 

Article 12

La répartition des crédits globaux ouverts sur le programme prévu au 1° du II de l'article 7 est effectuée par décret pris sur le rapport du ministre chargé des finances, publiés simultanément au Journal officiel sauf pour les mouvements de crédits revêtant un caractère secret et concernant la défense nationale ou la sécurité extérieure de l'Etat.

[Des crédits globaux peuvent également être ouverts pour des dépenses dont la répartition par chapitre ne peut être déterminée au moment où ils sont votés.] L'application de ces crédits au chapitre qu'ils concernent est ensuite réalisée par arrêté du ministre des finances.

La répartition des crédits globaux ouverts sur le programme prévu au 2° du II de l'article 7 est effectuée par arrêté du ministre chargé des finances. Cet arrêté ne peut majorer que des crédits ouverts sur le titre des dépenses de personnel.

Article 14

Des transferts et des virements de crédits peuvent modifier la répartition des dotations entre les chapitres. Ils ne peuvent avoir pour effet de créer de nouveaux chapitres.

Article 13

I. - Des virements peuvent modifier la répartition des crédits entre programmes d'un même ministère. Ils sont effectués par décret pris sur le rapport du ministre chargé des finances, publiés simultanément au Journal officiel. Le montant cumulé au cours d'un même exercice des crédits ayant fait l'objet de virements ne peut excéder 3% des crédits initiaux de chacun des programmes concernés.

Les transferts modifient la détermination du service responsable de l'exécution de la dépense sans modifier la nature de cette dernière. Ils sont autorisés par arrêté du ministre des finances.

II. - Des transferts peuvent modifier la répartition des crédits entre programmes de ministères distincts, dans la mesure où ces programmes poursuivent des objectifs similaires ; ces transferts peuvent être assortis de modifications de la répartition des emplois autorisés entre les ministères concernés. Ils sont effectués par décret pris sur le rapport du ministre chargé des finances, après information des commissions de l'Assemblée nationale et du Sénat chargées des finances. L'utilisation des crédits transférés donne lieu à l'établissement par le ministre bénéficiaire d'un compte rendu spécial, inséré au rapport établi, en application du 2° de l'article 46, par le ministre auquel les crédits ont été initialement mis à disposition.

Les virements conduisent à modifier la nature de la dépense prévue par la loi de finances. Ils peuvent être autorisés par décret pris sur le rapport du ministre des finances sous réserve d'intervenir à l'intérieur du même titre du budget d'un même ministère et d'être maintenus dans la limite du dixième de la dotation de chacun des chapitres intéressés. Toutefois, aucun virement de crédit ne pourra être opéré d'une dotation évaluative ou provisionnelle au profit d'une dotation limitative.

III. - Aucun virement ni transfert ne peut être effectué au profit de programmes non prévus par une loi de finances.

 

Aucun virement ni transfert ne peut être effectué au profit du titre des dépenses de personnel à partir d'un autre titre.

Article 11

.........................................................................

Sauf dispositions spéciales prévoyant un engagement par anticipation sur les crédits de l'année suivante et sans préjudice des exceptions au principe de l'annualité qui pourront être apportées par le décret prévu à l'article 16, les dépenses sur crédits limitatifs ne peuvent être engagées et ordonnancées que dans la limite des crédits ouverts ; ceux-ci ne peuvent être modifiés que par la loi de finances sous réserve des dispositions prévues aux articles 14, 17, 21 et 25, ainsi que des exception ci-après :

1° Dans la limite d'un crédit global pour dépenses accidentelles, des décrets pris sur le rapport du ministre des finances peuvent ouvrir des crédits pour faire face à des calamités ou à des dépenses urgentes ou imprévues ;

2° En cas d'urgence, s'il est établi, par rapport du ministre des finances au Premier ministre, que l'équilibre financier prévu à la dernière loi de finances n'est pas affecté, des crédits supplémentaires peuvent être ouverts par décrets d'avance pris sur avis du Conseil d'Etat. La ratification de ces crédits est demandée au Parlement dans la plus prochaine loi de finances ;

3° En cas d'urgence et de nécessité impérieuse d'intérêt national, des crédits supplémentaires peuvent être ouverts par décrets d'avance pris en Conseil des ministres sur avis du Conseil d'Etat. Un projet de loi de finances portant ratification de ces crédits est déposé immédiatement ou à l'ouverture de la plus prochaine session du Parlement.

Article 14

En cas d'urgence, des décrets d'avance pris sur avis du Conseil d'Etat et après avis des commissions de l'Assemblée nationale et du Sénat chargées des finances peuvent ouvrir, sur le budget général, des crédits supplémentaires sans affecter l'équilibre budgétaire défini par la dernière loi de finances. A cette fin, les décrets d'avance procèdent à l'annulation de crédits ou constatent des recettes supplémentaires.

La commission compétente de chaque assemblée fait connaître son avis au Premier ministre dans un délai de sept jours à compter de la notification qui lui a été faite du projet de décret. La signature du décret ne peut intervenir qu'après réception des avis de ces commissions ou, à défaut, après l'expiration du délai susmentionné.

La ratification des modifications apportées par décret d'avance aux crédits ouverts par la dernière loi de finances est demandée au Parlement dans le plus prochain projet de loi de finances afférent à l'année concernée.

Article 13

Tout crédit qui devient sans objet en cours d'année peut être annulé par arrêté du ministre des finances après accord du ministre intéressé.

Article 15

Un crédit devenu sans objet peut être annulé par décret pris sur le rapport du ministre chargé des finances, publiés simultanément au Journal officiel.

 

Avant sa publication, tout décret d'annulation est transmis pour information aux commissions de l'Assemblée nationale et du Sénat chargées des finances et aux autres commissions concernées.

 

Le montant cumulé des crédits annulés par décret, sur le budget général, en vertu du présent article et de l'article 14, ne peut dépasser 1,5% des crédits ouverts par la loi de finances de l'année.

 

Les crédits dont l'annulation est proposée par un projet de loi de finances rectificative sont indisponibles pour engager ou ordonnancer des dépenses jusqu'à l'entrée en vigueur de ladite loi ou, le cas échéant, jusqu'à la décision du Conseil constitutionnel interdisant la mise en application de ces annulations en vertu du premier alinéa de l'article 62 de la Constitution.

Article 17

Sous réserve des dispositions concernant les autorisations de programme, les crédits ouverts au titre d'un budget ne créent aucun droit au titre du budget suivant.

Article 16

Sous réserve des dispositions concernant les autorisations d'engagement, les crédits ouverts et les plafonds des autorisations d'emplois fixés au titre d'une année ne créent aucun droit au titre des années suivantes.

 

Les autorisations d'engagement disponibles sur un programme à la fin de l'année peuvent être reportées sur le même programme ou, à défaut, sur un programme poursuivant les mêmes objectifs, par arrêté du ministre chargé des finances, majorant à due concurrence les crédits de l'année suivante.

Toutefois, les crédits de paiement disponibles sur opérations en capital sont reportés par arrêté du ministre des finances, ouvrant une dotation de même montant en sus des dotations de l'année suivante. Avant l'intervention du report, les ministres peuvent, dans la limite des deux tiers des crédits disponibles, engager et ordonnancer des dépenses se rapportant à la continuation des opérations en voie d'exécution au 1er janvier de l'année en cours.

Les crédits de paiement ouverts sur un programme en application des dispositions du II de l'article 18 et disponibles à la fin de l'année, peuvent être reportés sur le même programme ou, à défaut, sur un programme poursuivant les mêmes objectifs, par arrêté du ministre chargé des finances.

Peuvent également donner lieu à report, par arrêté du ministre des finances, les crédits disponibles figurant à des chapitres dont la liste est donnée par la loi de finances ainsi que, dans la limite du dixième de la dotation du chapitre intéressé, les crédits correspondant aux dépenses effectivement engagées mais non encore ordonnancées.

Sous réserve des dispositions prévues à l'article 21, peuvent également donner lieu à report, dans les mêmes conditions, dans la limite de 3% des crédits initiaux du programme concerné, les crédits de paiement disponibles correspondant à des dépenses effectivement engagées mais qui n'ont pu être prises en compte au titre de l'année. Les reports de crédits effectués en application de l'alinéa précédent ne sont pas pris en compte pour apprécier la limite fixée au présent alinéa.

 

 

 

CHAPITRE III

Des conditions d'affectation
de certaines recettes

Article 18

.........................................................................

Toutefois, certaines recettes peuvent être directement affectées à certaines dépenses. Ces affectations spéciales prennent la forme de budgets annexes, de comptes spéciaux du Trésor ou de procédures comptables particulières au sein du budget général ou d'un budget annexe.

Article 17

Par dérogation à l'article 5, certaines recettes peuvent être directement affectées à certaines dépenses. Ces affectations prennent la forme de procédures particulières au sein du budget général ou de comptes annexes.

L'affectation à un compte spécial est de droit pour les opérations de prêts et d'avances. L'affectation par procédure particulière au sein du budget général ou d'un budget annexe est décidée par voie réglementaire dans les conditions prévues à l'article 19. Dans tous les autres cas, l'affectation est exceptionnelle et ne peut résulter que d'une disposition de loi de finances, d'initiative gouvernementale. Aucune affectation n'est possible si les dépenses résultent d'un droit permanent reconnu par la loi.

Aucune affectation n'est possible si les dépenses résultent d'un droit permanent reconnu par la loi.

Article 19

Les procédures particulières permettant d'assurer une affectation au sein du budget général ou d'un budget annexe sont la procédure de fonds de concours et la procédure de rétablissement de crédits.

Article 18

I. - Les procédures particulières permettant d'assurer une affectation au sein du budget général sont la procédure de fonds de concours et la procédure de rétablissement de crédits.

Les fonds versés par des personnes morales ou physiques pour concourir avec ceux de l'Etat à des dépenses d'intérêt public, ainsi que les produits de legs et donations attribués à l'Etat ou à diverses administrations publiques, sont directement portés en recettes au budget. Un crédit supplémentaire de même montant est ouvert par arrêté du ministre des finances au ministre intéressé. L'emploi des fonds doit être conforme à l'intention de la partie versante ou du donateur. Des décrets pris sur le rapport du ministre des finances peuvent assimiler le produit de certaines recettes de caractère non fiscal à des fonds de concours pour dépenses d'intérêt public.

II. - Les fonds de concours sont constitués, d'une part, par des fonds à caractère non fiscal versés par des personnes morales ou physiques pour concourir avec ceux de l'Etat à des dépenses d'intérêt public et, d'autre part, par les produits de legs et donations attribués à l'Etat. Ils sont directement portés en recettes au budget général. Un crédit supplémentaire de même montant est ouvert par arrêté du ministre chargé des finances au ministre intéressé. L'emploi des fonds doit être conforme à l'intention de la partie versante ou du donateur. A cette fin, un décret en Conseil d'Etat définit les règles d'utilisation des crédits ouverts par voie de fonds de concours.

 

Des décrets en Conseil d'Etat pris sur le rapport du ministre chargé des finances peuvent assimiler à des fonds de concours les recettes tirées de la rémunération de prestations régulièrement fournies par un service de l'Etat. Les crédits ouverts dans le cadre de la procédure de fonds de concours sont affectés audit service. L'affectation de la recette au-delà du 31 décembre de l'année de son établissement doit être autorisée chaque année par une loi de finances.

Peuvent donner lieu à rétablissement de crédits dans des conditions fixées par arrêté du ministre des finances :

III. - Peuvent donner lieu à rétablissement de crédits dans des conditions fixées par arrêté du ministre chargé des finances 

a) Les recettes provenant de la restitution au Trésor de sommes payées indûment ou à titre provisoire sur crédits budgétaires ;

1° Les recettes provenant de la restitution au Trésor de sommes payées indûment ou à titre provisoire sur crédits budgétaires ;

b) Les recettes provenant de cessions ayant donné lieu à paiement sur crédits budgétaires.

2° Les recettes provenant de cessions entre services de l'Etat ayant donné lieu à paiement sur crédits budgétaires.

Le décret visé au deuxième alinéa du présent article pourra étendre la procédure des fonds de concours aux cas de rétablissement de crédits non prévus sous les lettres a et b ci-dessus et autorisés par la législation en vigueur.

 

Article 23

Les comptes spéciaux du Trésor ne peuvent être ouverts que par la loi de finances. Ils ne comprennent que les catégories suivantes :

Article 19

Les comptes annexes ne peuvent être ouverts que par une loi de finances. Les catégories de comptes annexes sont les suivantes :

1° Comptes d'affectation spéciale ;

1° Le compte de gestion des participations de l'Etat ;

2° Comptes de commerce ;

2° Le compte de gestion de la dette et de la trésorerie ;

3° Comptes de règlement avec les gouvernements étrangers ;

 

4° Comptes d'opérations monétaires ;

3° Les comptes d'opérations monétaires ;

5° Comptes de prêts ;

6° Comptes d'avances.

4° Les comptes de concours financiers.

L'affectation d'une recette à un compte annexe ne peut résulter que d'une loi de finances.

Article 24

Article 20

Sous réserve des règles particulières énoncées aux articles 25 à 29, les opérations des comptes spéciaux du Trésor sont prévues, autorisées et exécutées dans les mêmes conditions que les opérations du budget général.

Il est interdit d'imputer à un compte annexe les dépenses résultant du paiement de traitements, salaires, indemnités et allocations de toute nature.

 

Chacun des comptes annexes dotés de crédits constitue une mission au sens de l'article 7. Leurs crédits sont spécialisés par programme. Sous réserve des dispositions particulières prévues aux articles 21 et 24, leurs opérations sont prévues, autorisées et exécutées dans les mêmes conditions que celles du budget général. Sur chacun de ces comptes, le montant des autorisations d'engagement ouvertes est égal au montant des crédits de paiement ouverts.

 

 

Sauf dispositions contraires prévues par une loi de finances, le solde de chaque compte spécial est reporté d'année en année. Toutefois, les profits et les pertes constatées sur toutes les catégories de comptes, à l'exception des comptes d'affectation spéciale, sont imputés aux résultats de l'année dans les conditions prévues par l'article 35.

Sauf dispositions contraires prévues par une loi de finances, le solde de chaque compte annexe est reporté sur l'année suivante.

Sauf dérogations prévues par une loi de finances, il est interdit d'imputer directement à un compte spécial du Trésor les dépenses résultant du paiement des traitements ou indemnités à des agents de l'Etat ou à des agents des collectivités, établissements publics ou entreprises publiques.

 

 

Article 21

Le compte de gestion des participations de l'Etat retrace, dans les conditions fixées par les lois de finances, les opérations de nature patrimoniale, à l'exclusion de toute opération de gestion courante.

Ce compte est doté de crédits limitatifs.

Le total des dépenses engagées ou ordonnancées sur ce compte ne peut excéder le total des recettes constatées. Les recettes du compte peuvent être complétées par une subvention inscrite sur le budget général.

Si, en cours d'année, les recettes effectives sont supérieures aux évaluations des lois de finances, les crédits peuvent être majorés, par arrêté du ministre chargé des finances, dans la limite de cet excédent de recettes. Le ministre chargé des finances informe les commissions de l'Assemblée nationale et du Sénat chargées des finances des motifs de cet excédent, de l'emploi prévu pour les crédits ainsi ouverts et des perspectives d'exécution du compte jusqu'à la fin de l'année.

 

Les autorisations d'engagement disponibles en fin d'année sont reportées sur l'année suivante, par arrêté du ministre chargé des finances, pour un montant qui ne peut excéder la différence entre le montant définitif des recettes et des dépenses constatées.

 

Les crédits de paiement disponibles en fin d'année sont reportés dans les mêmes conditions pour un montant qui ne peut excéder la somme du montant des autorisations d'engagement reportées en vertu de l'alinéa précédent et du montant des crédits de paiement nécessaires pour couvrir les dépenses effectivement engagées, mais qui n'ont pu être prises en compte au titre du budget de l'année.

 

 

 

Article 22

 

Le compte de gestion de la dette et de la trésorerie de l'Etat retrace, dans les conditions fixées par les lois de finances, les recettes et les dépenses induites par les opérations de gestion active de la dette et de la trésorerie de l'Etat. Ces opérations sont autorisées chaque année par une loi de finances.

 

Les prévisions de dépenses de ce compte ont un caractère indicatif. Seul le découvert fixé par la loi de finances de l'année a un caractère limitatif.

 

 

 

Les opérations de ce compte sont enregistrées selon les principes et les règles comptables applicables aux établissements financiers. Les résultats annuels sont établis dans les mêmes conditions.

Article 27

Article 23

Les comptes de règlement avec les gouvernements étrangers retracent des opérations faites en application d'accords internationaux approuvés par la loi. Les comptes d'opérations monétaires enregistrent des recettes et des dépenses de caractère monétaire.

Les comptes d'opérations monétaires enregistrent les recettes et les dépenses de caractère monétaire. Pour cette catégorie de comptes, les prévisions de dépenses ont un caractère indicatif. Seul le découvert fixé pour chacun d'entre eux par une loi de finances a un caractère limitatif.

Pour ces deux catégories de comptes, la présentation des prévisions de recettes et de dépenses est facultative, le découvert fixé annuellement pour chacun d'entre eux a un caractère limitatif.

 

Article 29

Article 24

Les comptes de prêts retracent les prêts d'une durée supérieure à quatre ans consentis par l'Etat dans la limite des crédits ouverts à cet effet, soit à titre d'opérations nouvelles, soit à titre de consolidation. Lorsqu'une avance doit être consolidée, le taux d'intérêt dont est assorti le prêt de consolidation ne peut être inférieur à celui pratiqué à l'époque de l'opération par la Caisse des dépôts et consignations pour ses prêts aux collectivités locales. Il ne peut être dérogé à cette disposition que par décret en Conseil d'Etat.

Les comptes de concours financiers retracent les prêts et avances que le ministre chargé des finances est autorisé à consentir par arrêté. Un compte distinct doit être ouvert pour chaque débiteur ou catégorie de débiteurs.

Les comptes de concours financiers sont dotés de crédits limitatifs, à l'exception des comptes ouverts au profit des Etats étrangers et des banques centrales liées à la France par un accord monétaire international, qui sont dotés de crédits évaluatifs.

 

Les prêts et avances sont accordés pour une durée déterminée. Ils sont assortis d'un taux d'intérêt qui ne peut être inférieur à celui des obligations ou bons du Trésor de même échéance ou, à défaut, d'échéance la plus proche. Il ne peut être dérogé à cette disposition que par décret en Conseil d'Etat.

Le montant de l'amortissement en capital des prêts de l'Etat est pris en recettes au compte de prêts intéressé.

Le montant de l'amortissement en capital des prêts et avances est pris en recettes au compte intéressé.

Article 28

Les comptes d'avances décrivent les avances que le ministre des finances est autorisé à consentir dans la limite des crédits ouverts à cet effet. Un compte d'avance distinct doit être ouvert pour chaque débiteur ou catégorie de débiteurs.

 

Les avances du Trésor sont productives d'intérêt. Sauf dispositions spéciales contenues dans une loi de finances, leur durée ne peut excéder deux ans ou quatre ans en cas de renouvellement dûment autorisé à l'expiration de la deuxième année. Toute avance non remboursée à l'expiration d'un délai de deux ans, ou de quatre ans en cas de renouvellement, doit faire l'objet, selon les possibilités du débiteur :

Toute échéance qui n'est pas honorée à la date prévue doit faire l'objet, selon les possibilités du débiteur :

- soit d'une décision de recouvrement immédiat, ou à défaut de recouvrement, de poursuites effectives engagées dans un délai de trois mois ;

- soit d'une décision de recouvrement immédiat, ou, à défaut de recouvrement, de poursuites effectives engagées dans un délai de six mois ;

- soit d'une autorisation de consolidation sous forme de prêts du Trésor assortis d'un transfert à un compte de prêts ;

- soit d'une décision de rééchelonnement ;

- soit de la constatation d'une perte probable imputée aux résultats de l'année dans les conditions prévues à l'article 35 ; les remboursements qui sont ultérieurement constatés sont portés en recettes au budget général.

- soit de la constatation d'une perte probable imputée sur l'exercice. Les remboursements qui sont ultérieurement constatés sont portés en recettes au budget général

 

CHAPITRE IV

Des ressources et
des charges de trésorerie

Article 15

Outre les opérations permanentes de l'Etat décrites aux articles 3 et 6 ci-dessus, le Trésor public exécute sous la responsabilité de l'Etat des opérations de trésorerie. Celles-ci comprennent :

Article 25

Les ressources et les charges de trésorerie de l'Etat résultent des opérations suivantes :

a) des émissions et remboursements d'emprunts ;

1° Le mouvement des fonds, disponibilités et encaisses de l'Etat ;

b) des opérations de dépôt, sur ordre et pour compte de correspondants.

2° L'escompte et l'encaissement des traites, obligations et effets de toute nature émis au profit de l'Etat ;

.........................................................................

3° La gestion des fonds déposés par des correspondants et les opérations faites pour leur compte ;

 

4° L'émission, la conversion, la gestion et le remboursement des emprunts et autres dettes de l'Etat. Les ressources et les charges de trésorerie afférentes à ces opérations incluent les primes et décotes à l'émission.

Article 30

 

Les opérations de trésorerie de l'Etat sont affectées à des comptes de trésorerie distincts, conformément aux usages du commerce.

Les ressources et les charges de trésorerie sont imputées à des comptes distincts. En revanche, les ressources et les charges de nature budgétaire résultant de l'exécution d'opérations de trésorerie sont imputées à des comptes budgétaires dans les conditions prévues aux articles 2, 4 et 6.

Article 15

Article 26

.........................................................................

 

Les émissions d'emprunts sont faites conformément aux autorisations générales données chaque année par les lois de finances.

Les opérations prévues à l'article 25 sont effectuées conformément aux dispositions suivantes :

Sauf disposition expresse d'une loi de finances, les titres d'emprunts publics émis par l'Etat sont libellés en francs ; ils ne peuvent prévoir d'exonération fiscale et ne peuvent être utilisés comme moyen de paiement d'une dépense publique.

1° Le placement des fonds, disponibilités et encaisses de l'Etat est effectué conformément aux autorisations générales ou particulières données par la loi de finances de l'année ;

Les remboursements d'emprunts sont exécutés conformément au contrat d'émission.

2° Aucun découvert ne peut être consenti aux correspondants prévus au 3° de l'article 25 ;

Les opérations de dépôt sont faites dans les conditions prévues par les règlements de comptabilité publique.

3° Sauf disposition expresse d'une loi de finances, les collectivités territoriales et les établissements publics sont tenus de déposer toutes leurs disponibilités auprès de l'Etat ;

Sauf dérogation admise par le ministre des finances, les collectivités territoriales de la République et les établissements publics sont tenus de déposer au Trésor toutes leurs disponibilités. Sous réserve des dispositions particulières concernant les comptes courants des États étrangers et des banques d'émission de la zone franc, aucun découvert ne peut être consenti à un correspondant du Trésor.

4° L'émission, la conversion et la gestion des emprunts sont faites conformément aux autorisations générales ou particulières données par la loi de finances de l'année. Sauf disposition expresse d'une loi de finances, les emprunts émis par l'Etat sont libellés en euros. Ils ne peuvent prévoir d'exonération fiscale. Les emprunts émis par l'Etat ou toute autre personne morale de droit public ne peuvent être utilisés comme moyen de paiement d'une dépense publique. Les remboursements d'emprunts sont exécutés conformément au contrat d'émission.

 

 

 

 

 

 

 

TITRE II

DU CONTENU ET
DE LA PRÉSENTATION
DES LOIS DE FINANCES

 

CHAPITRE IER

Du principe de sincérité

 

Article 27

Les lois de finances présentent de façon sincère, compte tenu des informations disponibles et des prévisions qui peuvent raisonnablement en découler, l'ensemble des ressources et des charges de l'Etat.

Article 1er

.........................................................................

Lorsque des dispositions d'ordre législatif ou réglementaire doivent entraîner des charges nouvelles, aucun projet de loi ne peut être définitivement voté, aucun décret ne peut être signé, tant que ces charges n'ont pas été prévues, évaluées et autorisées dans les conditions fixées par la présente ordonnance.

Article 28

Aucune loi, aucun décret ayant une incidence financière pour le budget de l'Etat, ne peut être publié sans une annexe financière précisant ses conséquences au titre de l'année de publication et l'année suivante.

Lorsque des dispositions d'ordre législatif ou réglementaire sont susceptibles d'affecter les ressources ou les charges de l'Etat dans le courant de l'année, leurs conséquences sur l'équilibre financier doivent être prises en compte dans la plus prochaine loi de finances afférente à cette année.

 

Article 29

Les comptes de l'Etat doivent être réguliers, sincères et donner une image fidèle du patrimoine et de la situation financière de l'Etat.

 

Les opérations sont enregistrées selon le principe de la constatation des droits et obligations. Elles sont prises en compte au titre de l'exercice auquel elles se rattachent, indépendamment de leur date de paiement ou d'encaissement.

 

Les principes généraux de la comptabilité et du plan comptable de l'Etat ne se distinguent des règles applicables aux entreprises qu'à raison des spécificités de l'action de l'Etat.

 

Les comptables publics chargés de la tenue et de l'établissement de la comptabilité de l'Etat veillent au respect de ces principes. Ils s'assurent notamment de la sincérité des enregistrements comptables et du respect des procédures.

 

CHAPITRE II

Des dispositions des lois de finances

Article 1er

Les lois de finances déterminent la nature, le montant et l'affectation des ressources et des charges de l'Etat, compte tenu d'un équilibre économique et financier qu'elles définissent.

.........................................................................

Article 30

Les lois de finances déterminent la nature, le montant et l'affectation des ressources et des charges de l'Etat, compte tenu d'un équilibre économique et financier qu'elles définissent, ainsi que des objectifs retenus et des résultats obtenus et attendus pour les programmes dont elles assurent le financement.

Article 2

 

Ont le caractère de lois de finances :

Ont le caractère de lois de finances :

- la loi de finances de l'année et les lois rectificatives ;

1° La loi de finances de l'année et les lois de finances rectificatives ;

- la loi de règlement.

2° La loi de règlement ;

 

3° La loi partielle et les lois spéciales prévues à l'article 45.

Article 2

...........................................................................

Article 31

La loi de finances de l'année prévoit et autorise, pour chaque année civile, l'ensemble des ressources et des charges de l'Etat.

 

.........................................................................

 

Article 31

 

Le projet de loi de finances de l'année comprend deux parties distinctes :

La loi de finances de l'année comprend deux parties distinctes.

Dans la première partie, il autorise la perception des ressources publiques et comporte les voies et moyens qui assurent l'équilibre financier ; il évalue le montant des ressources d'emprunts et de trésorerie ; il autorise la perception des impôts affectés aux collectivités et aux établissements publics ; il fixe les plafonds des grandes catégories de dépenses et arrête les données générales de l'équilibre financier ; il comporte les dispositions nécessaires à la réalisation, conformément aux lois en vigueur, des opérations d'emprunts destinés à couvrir l'ensemble des charges de la trésorerie.

I. - Dans la première partie, la loi de finances de l'année :

1° Autorise la perception des ressources de l'Etat et des impositions de toute nature affectées à des personnes morales autres que l'Etat ;

2° Comporte les dispositions relatives aux ressources de l'Etat qui affectent l'équilibre budgétaire ;

3° Autorise les affectations de recettes prévues au deuxième alinéa du II de l'article 18 et comporte toutes autres dispositions relatives aux recettes affectées en application de l'article 17 ;

4° Comporte l'évaluation de chacune des recettes qui concourent à la réalisation de l'équilibre budgétaire ;

 

5° Fixe les plafonds des dépenses et des autorisations d'emplois du budget général ainsi que les plafonds des charges de chaque catégorie de comptes annexes ;

 

6° Arrête les données générales de l'équilibre budgétaire, présentées dans un tableau d'équilibre ;

 

7° Evalue les ressources et les charges de trésorerie qui concourent à la réalisation de l'équilibre financier, présentées dans un tableau de financement ;

 

8° Comporte les autorisations relatives aux emprunts et à la trésorerie de l'Etat prévues à l'article 26.

Dans la seconde partie, le projet de loi de finances de l'année fixe pour le budget général le montant global des crédits applicables aux services votés et arrête les dépenses applicables aux autorisations nouvelles par titre et par ministère ; il autorise, en distinguant les services votés des opérations nouvelles, les opérations des budgets annexes et les opérations des comptes spéciaux du Trésor par catégorie de comptes spéciaux et éventuellement par titre ; il regroupe l'ensemble des autorisations de programme assorties de leur échéancier ; il énonce enfin les dispositions diverses prévues à l'article 1er de la présente ordonnance en distinguant celles de ces dispositions qui ont un caractère annuel de celles qui ont un caractère permanent.

II. - Dans la seconde partie, la loi de finances de l'année :

1° Fixe, pour le budget général, par ministère et par mission, le montant des autorisations d'engagement et des crédits de paiement, ainsi que, par ministère, les plafonds des autorisations d'emplois ;

2° Fixe, par programme, le montant des autorisations d'engagement par anticipation prévues au dernier alinéa de l'article 6 ;

3° Fixe, par catégorie de comptes annexes, le montant des autorisations d'engagement et des crédits de paiement ouverts ou des découverts autorisés ;

4° Autorise l'octroi des garanties de l'Etat et fixe leur régime ;

 

5° Autorise l'Etat à contracter des dettes sous forme de prise en charge d'emprunts émis par des organismes publics ou privés ou sous forme d'un engagement payable à terme ou par annuités et fixe le régime de cette prise en charge ou de cet engagement ;

 

 

 

 

Article 1er

...........................................................................

 

 

6° Peut :

Les lois de finances peuvent également contenir toutes dispositions relatives à l'assiette, au taux et aux modalités de recouvrement des impositions de toute nature.

...........................................................................

a) Comporter des dispositions relatives à l'assiette, au taux et aux modalités de recouvrement des impositions de toute nature qui n'affectent pas l'équilibre budgétaire ;

 

b) Comporter des dispositions affectant les charges budgétaires de l'Etat ;

 

c) Définir les modalités de répartition des concours de l'Etat aux collectivités territoriales ;

 

d) Approuver des conventions financières ;

Article 1er

...........................................................................

 

Les dispositions législatives destinées à organiser l'information et le contrôle du Parlement sur la gestion des finances publiques ou à imposer aux agents des services publics des responsabilités pécuniaires sont contenues dans les lois de finances.

...........................................................................

e) Comporter toutes dispositions relatives à l'information et au contrôle du Parlement sur la gestion des finances publiques ;

f) Comporter toutes dispositions relatives au régime de la responsabilité pécuniaire des agents des services publics.

Article 2

...........................................................................

Article 32

Seules des lois de finances dites rectificatives, peuvent, en cours d'année, modifier les dispositions de la loi de finances de l'année.

...........................................................................

Seules les lois de finances rectificatives peuvent, en cours d'année, modifier les dispositions de la loi de finances de l'année visées au I et aux 1° à 5° du II de l'article 31. Le cas échéant, elles ratifient les modifications apportées par décret d'avance aux crédits ouverts par la dernière loi de finances.

Article 34

 

Les lois de finances rectificatives sont présentées en partie ou en totalité dans les mêmes formes que les lois de finances de l'année. Elles soumettent obligatoirement à la ratification du Parlement toutes les ouvertures de crédits opérées par décret d'avances.

Les lois de finances rectificatives sont présentées en partie ou en totalité dans les mêmes formes que la loi de finances de l'année. Les dispositions du dernier alinéa de l'article 38 leur sont applicables.

 

 

 

Article 33

L'affectation à une autre personne morale d'une ressource établie au profit de l'Etat ne peut résulter que d'une disposition de loi de finances.

Article 2

Article 34

..........................................................................

 

La loi de règlement constate les résultats financiers de chaque année civile et approuve les différences entre les résultats et les prévisions de la loi de finances de l'année, complétée, le cas échéant, par ses lois rectificatives.

 

..........................................................................

 

Article 35

Le projet annuel de loi de règlement constate le montant définitif des encaissements de recettes et des ordonnancements de dépenses se rapportant à une même année ; le cas échéant, il ratifie les ouvertures de crédits par décrets d'avances et approuve les dépassements de crédits résultant de circonstances de force majeure.

I. - La loi de règlement arrête le montant définitif des recettes et des dépenses du budget auquel elle se rapporte.

Il établit le compte de résultat de l'année qui comprend :

Elle établit le résultat budgétaire de l'année, qui comprend :

a) le déficit ou l'excédent résultant de la différence nette entre les recettes et les dépenses du budget général ;

b) les profits et les pertes constatés dans l'exécution des comptes spéciaux par application des articles 24 et 28 ;

c) les profits ou les pertes résultant éventuellement de la gestion des opérations de trésorerie dans des conditions prévues par un règlement de comptabilité publique.

Le projet de loi de règlement autorise enfin le transfert du résultat de l'année au compte permanent des découverts du Trésor.

1° Le déficit ou l'excédent résultant de la différence entre les recettes et les dépenses du budget général ;

2° Le déficit ou l'excédent résultant de la différence entre les recettes et les dépenses des comptes annexes.

II. - Le cas échéant, la loi de règlement :

1° Ratifie les modifications apportées par décret d'avance aux crédits ouverts par la dernière loi de finances afférente à cette année ;

2° Approuve les dépassements de crédits résultant de circonstances de force majeure dûment justifiées et procède à l'annulation des crédits n'ayant été ni consommés, ni reportés ;

 

3° Détermine les soldes des comptes annexes non reportés sur l'année suivante ;

 

4° Apure les pertes sur prêts et avances constatées en application des dispositions du dernier alinéa de l'article 24.

 

III. - La loi de règlement établit le résultat comptable de l'exercice, déterminé par la différence entre les produits et les charges constatés, dans les conditions prévues à l'article 29.

 

 

 

Elle détermine l'affectation du résultat comptable et approuve l'ensemble des comptes de l'exercice.

 

IV. - La loi de règlement peut également comporter toutes dispositions relatives à l'information et au contrôle du Parlement sur la gestion des finances publiques.

 

TITRE III

DE L'EXAMEN ET DU VOTE DES PROJETS DE LOIS DE FINANCES

Article 37

Sous l'autorité du Premier ministre, le ministre des finances prépare les projets de lois de finances qui sont arrêtés en Conseil des ministres.

Article 35

Sous l'autorité du Premier ministre, le ministre chargé des finances prépare les projets de loi de finances, qui sont délibérés en Conseil des ministres.

 

CHAPITRE IER

Du projet de loi de finances de l'année et des projets
de loi de finances rectificative

Article 38

Article 36

...........................................................................

 

Si aucun projet de loi de finances rectificative n'est déposé avant le 1er juin, le Gouvernement adresse au Parlement, au plus tard à cette date, un rapport sur l'évolution de l'économie nationale et des finances publiques.

En vue du vote du projet de loi de finances de l'année par le Parlement, le Gouvernement présente, au cours du dernier trimestre de la session ordinaire, un rapport sur l'évolution de l'économie nationale et sur les orientations des finances publiques :

 

- décrivant les grandes lignes de sa politique économique, au regard du programme annuel de stabilité et de son actualisation annuelle ainsi que, le cas échéant, des recommandations adressées à la France sur le fondement des articles 99 et 104 du traité instituant la Communauté européenne ;

 

- décrivant les objectifs d'évolution des comptes de l'ensemble des administrations publiques ;

 

- indiquant les perspectives d'évolution des dépenses de l'Etat, ventilées par grandes fonctions ;

 

- comportant des tableaux récapitulant les mouvements intervenus par voie réglementaire et relatifs aux crédits de l'année en cours, si aucun projet de loi de finances rectificative n'a été déposé depuis le début de l'année ;

 

- indiquant la liste des missions et des programmes envisagés pour le projet de loi de finances de l'année suivante.

 

Ce rapport est accompagné d'un rapport préliminaire de la Cour des comptes relatif aux résultats d'exécution de l'année antérieure. Il donne lieu à un débat dans chacune des assemblées.

 

A l'initiative du Gouvernement, le programme mentionné au deuxième alinéa ou son actualisation peut donner lieu à un débat dans chacune des assemblées.

 

Article 37

En vue du vote du projet de loi de finances de l'année, et sans préjudice de toute autre disposition relative à l'information et au contrôle du Parlement sur la gestion des finances publiques, les commissions de l'Assemblée nationale et du Sénat chargées des finances et les autres commissions concernées adressent des questionnaires au Gouvernement, avant le 10 juillet de chaque année. Le Gouvernement y répond par écrit au plus tard huit jours francs après la date mentionnée au premier alinéa de l'article 39.

Article 32

Le projet de loi de finances de l'année est accompagné :

Article 38

Sont joints au projet de loi de finances de l'année :

- d'un rapport définissant l'équilibre économique et financier, les résultats connus et les perspectives d'avenir ;

1° Un rapport sur la situation et les perspectives économiques, sociales et financières de la Nation ;

2° Une présentation de l'équilibre du projet de loi de finances selon la structure budgétaire de la loi de finances de l'année en cours ;

 

3° Une présentation des recettes et dépenses de l'Etat en une section de fonctionnement et une section d'investissement ;

 

4° Une annexe explicative qui, d'une part, analyse les prévisions de chaque recette de l'Etat et présente les dépenses fiscales associées et, d'autre part, recense les impositions de toute nature affectées à des personnes morales autres que l'Etat et en estime le rendement ;

- d'annexes explicatives faisant connaître notam-ment :

1° Par chapitre le coût des services votés tels qu'ils sont définis à l'article 33 ci-après et les mesures nouvelles qui justifient les modifications proposées au montant antérieur des services votés, et notamment les crédits afférents aux créations, suppressions et transformations d'emplois ;

2° L'échelonnement sur les années futures des paiements résultant des autorisations de programme ;

3° La liste des comptes spéciaux du Trésor faisant apparaître le montant des recettes, des dépenses ou des découverts prévus pour ces comptes ;

4° La liste complète des taxes parafiscales ;

- d'annexes générales destinées à l'information et au contrôle du Parlement.

5° Des annexes explicatives par ministère développant, pour chaque programme, le montant des crédits présentés par titre et fixant le plafond des autorisations d'emplois. Ces annexes explicatives sont complétées par un projet annuel de performance faisant connaître, pour chaque programme :

a) Les objectifs, les résultats, les indicateurs et les coûts associés ;

b) La justification de l'évolution des crédits par rapport aux dépenses effectives de l'année antérieure, aux crédits ouverts par la loi de finances de l'année en cours et à ces même crédits éventuellement majorés des crédits reportés de l'année précédente, en indiquant leurs perspectives d'évolution ultérieure ;

c) L'utilisation prévisionnelle, par catégorie et par corps ou par type de contrat, du plafond des autorisations d'emplois ;

d) Une estimation des crédits susceptibles d'être ouverts par voie de fonds de concours pour l'année en cours et l'année considérée ;

 

e) Le cas échéant, l'échéancier des crédits de paiement associés aux autorisations d'engagement ;

 

6° Une annexe explicative développant, pour chaque compte annexe, le montant des découverts ou des recettes et des crédits proposés par programme. Cette annexe explicative est complétée, pour chaque compte annexe, par un projet annuel de performance faisant connaître :

 

a)  Les éléments mentionnés au a du 5° ;

 

b) La justification de l'évolution de ses recettes, crédits ou découvert par rapport aux résultats d'exécution du dernier exercice clos et par rapport aux prévisions de la loi de finances initiale de l'année en cours, en indiquant leurs perspectives d'évolution ultérieure.

 

7° Des annexes générales destinées à l'information et au contrôle du Parlement.

 

Chacune des dispositions du projet de loi de finances de l'année affectant les ressources ou les charges fait l'objet d'une évaluation chiffrée de son incidence au titre de l'année considérée et, le cas échéant, des années suivantes.

Article 38

Le projet de loi de finances de l'année, y compris le rapport et les annexes explicatives prévus à l'article 32, est déposé et distribué au plus tard le premier mardi d'octobre de l'année qui précède l'année d'exécution du budget. Il est immédiatement renvoyé à l'examen d'une commission parlementaire.

...........................................................................

Article 39

Le projet de loi de finances de l'année, y compris les documents prévus aux 1° à 6° de l'article 38, est déposé et distribué au plus tard le premier mardi d'octobre de l'année qui précède celle de l'exécution du budget. Il est immédiatement renvoyé à l'examen de la commission chargée des finances.

 

Chaque annexe générale destinée à l'information et au contrôle du Parlement est déposée sur le bureau des assemblées et distribuée au moins cinq jours francs avant l'examen, par l'Assemblée nationale en première lecture, des recettes ou des crédits auxquels elle se rapporte.

 

Article 40

Sont joints à tout projet de loi de finances rectificative des tableaux récapitulant les mouvements intervenus par voie réglementaire et relatifs aux crédits de l'année en cours.

Article 39

L'Assemblée nationale doit se prononcer, en première lecture, dans le délai de quarante jours après le dépôt d'un projet de loi de finances.

Article 41

L'Assemblée nationale doit se prononcer, en première lecture, dans le délai de quarante jours après le dépôt d'un projet de loi de finances.

 

 

Le Sénat doit se prononcer en première lecture dans un délai de vingt jours après avoir été saisi.

Le Sénat doit se prononcer en première lecture dans un délai de vingt jours après avoir été saisi.

Si l'Assemblée nationale n'a pas émis un vote en première lecture sur l'ensemble du projet dans le délai prévu au premier alinéa, le Gouvernement saisit le Sénat du texte qu'il a initialement présenté, modifié le cas échéant par les amendements votés par l'Assemblée nationale et acceptés par lui. Le Sénat doit alors se prononcer dans un délai de quinze jours après avoir été saisi.

Si l'Assemblée nationale n'a pas émis un vote en première lecture sur l'ensemble du projet dans le délai prévu au premier alinéa, le Gouvernement saisit le Sénat du texte qu'il a initialement présenté, modifié le cas échéant par les amendements votés par l'Assemblée nationale et acceptés par lui. Le Sénat doit alors se prononcer dans un délai de quinze jours après avoir été saisi.

Si le Sénat n'a pas émis un vote en première lecture sur l'ensemble du projet de loi de finances dans le délai imparti, le Gouvernement saisit à nouveau l'Assemblée du texte soumis au Sénat, modifié, le cas échéant, par les amendements votés par le Sénat et acceptés par lui.

Si le Sénat n'a pas émis un vote en première lecture sur l'ensemble du projet de loi de finances dans le délai imparti, le Gouvernement saisit à nouveau l'Assemblée du texte soumis au Sénat, modifié, le cas échéant, par les amendements votés par le Sénat et acceptés par lui.

 

 

Le projet de loi de finances est ensuite examiné selon la procédure d'urgence dans les conditions prévues à l'article 45 de la Constitution.

Le projet de loi de finances est ensuite examiné selon la procédure d'urgence dans les conditions prévues à l'article 45 de la Constitution.

Si le Parlement ne s'est pas prononcé dans le délai de soixante-dix jours après le dépôt du projet, les dispositions de ce dernier peuvent être mises en vigueur par ordonnance.

Si le Parlement ne s'est pas prononcé dans le délai de soixante-dix jours après le dépôt du projet, les dispositions de ce dernier peuvent être mises en vigueur par ordonnance.

Article 40

Article 42

La seconde partie de la loi de finances de l'année ne peut être mise en discussion devant une assemblée avant le vote de la première partie.

La seconde partie du projet de loi de finances de l'année et, s'il y a lieu, des projets de loi de finances rectificative, ne peut être mise en discussion devant une assemblée avant l'adoption de la première partie.

Article 41

Article 43

Les évaluations de recettes font l'objet d'un vote d'ensemble pour le budget général et d'un vote par budget annexe ou par catégorie de comptes spéciaux.

Les évaluations de recettes font l'objet d'un vote d'ensemble pour le budget général et les comptes annexes.

Les dépenses du budget général font l'objet d'un vote unique en ce qui concerne les services votés, d'un vote par titre et à l'intérieur d'un même titre par ministère, en ce qui concerne les autorisations nouvelles.

La discussion des crédits du budget général donne lieu, pour chaque ministère, à un vote par mission, portant à la fois sur les autorisations d'engagement et les crédits de paiement, ainsi qu'à un vote portant sur le plafond des autorisations d'emplois.

Les dépenses des budgets annexes et des comptes spéciaux sont votées par budget annexe ou par catégorie de comptes spéciaux et éventuellement par titre dans les mêmes conditions que les dépenses du budget général.

Les crédits ou les découverts des comptes annexes sont votés par catégorie de comptes dans les mêmes conditions que les crédits du budget général.

Article 43

Article 44

Dès la promulgation de la loi de finances de l'année ou la publication de l'ordonnance prévue à l'article 47 de la Constitution, le Gouvernement prend des décrets portant, d'une part, répartition par chapitre pour chaque ministère des crédits ouverts et, d'autre part, répartition par compte particulier des opérations des comptes spéciaux du Trésor.

Dès la promulgation de la loi de finances de l'année ou d'une loi de finances rectificative, ou dès la publication de l'ordonnance prévue à l'article 47 de la Constitution, le Gouvernement prend des décrets portant, d'une part, répartition par programme et par titre, pour chaque ministère, des crédits ouverts sur chaque mission et, d'autre part, répartition par programme des crédits ouverts sur chaque compte annexe.

Ces décrets ne peuvent apporter aux chapitres ou comptes, par rapport aux dotations correspondantes de l'année précédente, que les modifications proposées par le Gouvernement dans les annexes explicatives, compte tenu des votes du Parlement.

Ces décrets répartissent les crédits conformément aux propositions présentées par le Gouvernement dans les annexes explicatives prévues aux 5° et 6° de l'article 38, modifiées, le cas échéant, par les votes du Parlement.

Les dotations fixées par les décrets de répartition ne peuvent être modifiées que dans les conditions prévues à la présente ordonnance.

Les crédits fixés par les décrets de répartition ne peuvent être modifiés que dans les conditions prévues par la présente loi organique.

Les créations, suppressions et transformations d'emplois résultent des modifications de crédits correspondantes dûment explicitées par les annexes.

 

Article 44

Dans le cas prévu à l'alinéa 4 de l'article 47 de la Constitution, le Gouvernement dispose des deux procédures prévues ci-dessous :

Article 45

Dans le cas prévu au quatrième alinéa de l'article 47 de la Constitution, le Gouvernement dispose des deux procédures prévues ci-dessous :

1° Il peut demander à l'Assemblée nationale, avant le 11 décembre de l'année qui précède celle de l'exécution du budget, d'émettre un vote séparé sur l'ensemble de la première partie de la loi de finances de l'année. Ce projet de loi partiel est soumis au Sénat selon la procédure d'urgence ;

1° Il peut demander à l'Assemblée nationale, avant le 11 décembre de l'année qui précède le début de l'exercice, d'émettre un vote séparé sur l'ensemble de la première partie de la loi de finances de l'année. Ce projet de loi partiel est soumis au Sénat selon la procédure d'urgence ;

2° Si la procédure prévue par le précédent alinéa n'a pas été suivie ou n'a pas abouti, le Gouvernement dépose, avant le 19 décembre de l'année qui précède celle de l'exécution du budget devant l'Assemblée nationale un projet de loi spécial l'autorisant à continuer à percevoir les impôts existants jusqu'au vote de la loi de finances de l'année. Ce projet est discuté selon la procédure d'urgence ;

2° Si la procédure prévue au 1° n'a pas été suivie ou n'a pas abouti, le Gouvernement dépose, avant le 19 décembre de l'année qui précède le début de l'exercice, devant l'Assemblée nationale, un projet de loi spéciale l'autorisant à continuer à percevoir les impôts existants jusqu'au vote de la loi de finances de l'année. Ce projet est discuté selon la procédure d'urgence.

 

Si la loi de finances de l'année ne peut être promulguée, ni mise en application, en vertu du premier alinéa de l'article 62 de la Constitution, le Gouvernement dépose immédiatement devant l'Assemblée nationale un projet de loi spéciale l'autorisant à continuer à percevoir les impôts existants jusqu'au vote de la loi de finances de l'année. Ce projet est discuté selon la procédure d'urgence.

Après avoir reçu l'autorisation de continuer à percevoir les impôts, soit par la promulgation de la première partie de la loi de finances de l'année, soit par la promulgation d'une loi spéciale, le Gouvernement prend des décrets portant répartition par chapitre ou par compte spécial du Trésor des crédits ou des autorisations applicables aux seuls services votés, tels qu'ils sont définis par la présente ordonnance, par le projet de loi de finances de l'année et par ses annexes explicatives.

Après avoir reçu l'autorisation de continuer à percevoir les impôts, soit par la promulgation de la première partie de la loi de finances de l'année, soit par la promulgation d'une loi spéciale, le Gouvernement prend des décrets ouvrant les crédits applicables aux seuls services votés.

La publication des décrets portant répartition des crédits de services votés n'interrompt pas la procédure de discussion de la loi de finances de l'année qui se poursuit dans les conditions prévues par les articles 45 et 47 de la Constitution et par les articles 39, 41 et 42 de la présente ordonnance.

La publication de ces décrets n'interrompt pas la procédure de discussion du projet de loi de finances de l'année, qui se poursuit dans les conditions prévues par les articles 45 et 47 de la Constitution et par les articles 41 à 43 et 48 de la présente loi organique.

Article 33

Les services votés représentent le minimum de dotations que le Gouvernement juge indispensable pour poursuivre l'exécution des services publics dans les conditions qui ont été approuvées l'année précédente par le Parlement.

Les services votés, au sens du quatrième alinéa de l'article 47 de la Constitution, s'entendent des crédits ouverts par la dernière loi de finances initiale.

Les crédits applicables aux services votés sont au plus égaux :

 

- pour les dépenses ordinaires, aux crédits de la précédente année diminués des inscriptions non renouvelables et modifiés pour tenir compte de l'incidence en année pleine de mesures approuvées par le Parlement ou décidées par le Gouvernement dans la limite des pouvoirs qui lui sont propres ainsi que de l'évolution effective des charges couvertes par les crédits provisionnels ou évaluatifs ;

 

- pour les opérations en capital, aux autorisations de programme prévues par une loi de programme, aux prévisions inscrites dans le plus récent échéancier ou, à défaut d'échéancier, aux autorisations de l'année précédente éventuellement modifiées dans les conditions prévues au précédent alinéa.

 

 

CHAPITRE II

Du projet de loi de règlement

Article 36

Le projet de loi de règlement est accompagné :

Article 46

Sont joints au projet de loi de règlement :

1° D'annexes explicatives faisant connaître notamment l'origine des dépassements de crédit et la nature des pertes et profits ;

1° Des annexes explicatives, par ministère, développant, pour chaque programme et par titre, le montant définitif des crédits ouverts et des dépenses constatées ainsi que les modifications de crédits demandées ;

 

2° Des rapports annuels de performance, établis par ministère et faisant connaître, pour chaque programme :

 

a) Les objectifs, les résultats attendus et obtenus, les indicateurs et les coûts associés ;

 

b) La justification, pour chaque titre, des mouvements de crédits et des dépenses constatées, en précisant, le cas échéant :

 

- l'origine des dépassements de crédits exceptionnellement constatés pour cause de force majeure ;

 

- les circonstances ayant conduit à ne pas engager les dépenses correspondant aux crédits initialement présentés sur le titre des dépenses visées au 5° de l'article 4 et dont l'annulation est proposée ;

 

c) La gestion des autorisations d'emplois, en précisant, d'une part, la répartition des emplois effectifs par catégorie et par corps ou par type de contrat, ainsi que les coûts correspondants et, d'autre part, le nombre de créations, suppressions et transformations d'emplois par catégorie et par corps ou par type de contrat, ainsi que les coûts associés à ces mouvements ;

 

3° Une annexe explicative développant, pour chaque compte annexe, le montant définitif des recettes et des dépenses constatées, des crédits ouverts ou des découverts autorisés, ainsi que les modifications de crédits ou de découverts demandées. Cette annexe explicative est complétée, pour chaque compte annexe, par un rapport annuel de performance établi dans les conditions prévues au 2° ;

 

4° Le compte général de l'Etat, assorti de son rapport de présentation, auquel sont annexées une évaluation des engagements hors bilan de l'Etat et, le cas échéant, une présentation des changements de méthodes et des règles comptables apportées au cours de l'année ;

2° D'un rapport de la Cour des comptes et de la déclaration générale de conformité entre les comptes individuels des comptables et la comptabilité des ministres.

5° Un rapport établi par la Cour des comptes sur l'exécution des lois de finances et les comptes, ainsi que la certification par celle-ci de la régularité, de la sincérité et de la fidélité des comptes de l'Etat. Ce rapport comporte une présentation par ministère de l'exécution des crédits.

Article 38

...........................................................................

Article 47

Le projet de loi de règlement est déposé et distribué au plus tard à la fin de l'année qui suit l'année d'exécution du budget.

...........................................................................

Le projet de loi de règlement, y compris les documents prévus à l'article 46, est déposé et distribué avant le 1er juin de l'année suivant celle de l'exécution du budget.

 

CHAPITRE III

Dispositions communes

Article 42

Aucun article additionnel, aucun amendement à un projet de loi de finances ne peut être présenté, sauf s'il tend à supprimer ou à réduire effectivement une dépense, à créer ou à accroître une recette ou à assurer le contrôle des dépenses publiques.

Article 48

Les membres du Parlement ne peuvent présenter des amendements à un projet de loi de finances lorsque leur adoption aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l'aggravation d'une charge publique. Au sens des articles 34 et 40 de la Constitution, la charge s'entend, s'agissant des amendements s'appliquant aux crédits, de la mission ou du compte annexe.

 

 

Tout article additionnel et tout amendement doit être motivé et accompagné des développements des moyens qui le justifient.

Tout amendement doit être motivé et accompagné des développements des moyens qui le justifient.

La disjonction des articles additionnels ou amendements qui contreviennent aux dispositions du présent article est de droit.

Les amendements non conformes aux dispositions de la présente loi organique sont irrecevables.

 

TITRE IV

ENTRÉE EN VIGUEUR
ET APPLICATION DE
LA LOI ORGANIQUE

 

Article 49

A l'issue d'un délai de trois ans à compter de la publication de la présente loi organique, toute garantie de l'Etat qui n'a pas été expressément autorisée par une disposition de loi de finances est caduque.

 

Une annexe récapitulant les garanties de l'Etat qui, au 31 décembre 2004, n'ont pas été expressément autorisées par une loi de finances est jointe au projet de loi de règlement du budget de l'année 2004.

Article 20

Article 50

Les opérations financières de services de l'Etat que la loi n'a pas dotés de la personnalité morale et dont l'activité tend essentiellement à produire des biens ou à rendre des services donnant lieu au paiement de prix, peuvent faire l'objet de budgets annexes. Les créations ou suppressions de budgets annexes sont décidées par les lois de finances.

Les budgets annexes, les comptes d'affectation spéciale et les comptes de commerce ouverts à la date de publication de la présente loi organique peuvent, à titre transitoire, être maintenus.

 

Ils demeurent régis par les dispositions de l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances dans sa rédaction en vigueur à la date de publication de la présente loi organique.

Article 21

Les budgets annexes comprennent, d'une part, les recettes et les dépenses d'exploitation, d'autre part, les dépenses d'investissement et les ressources spéciales affectées à ces dépenses.

 

Les opérations des budgets annexes s'exécutent comme les opérations du budget général. Les dépenses d'exploitation suivent les mêmes règles que les dépenses ordinaires ; les dépenses d'investissement suivent les mêmes règles que les dépenses en capital.

 

Toutefois, les crédits limitatifs se rapportant aux dépenses d'exploitation et les crédits se rapportant aux investissements peuvent être majorés, non seulement dans les conditions prévues aux articles 14 et 17 ci-dessus, mais également par arrêtés du ministre des finances, s'il est établi que l'équilibre financier du budget annexe tel qu'il est prévu par la dernière loi budgétaire n'est pas modifié et qu'il n'en résulte aucune charge complémentaire pour les années suivantes.

 

Article 22

 

Les services dotés d'un budget annexe peuvent gérer des fonds d'approvisionnement, d'amortissement, de réserve et de provision. Les fonds d'approvisionnement sont initialement dotés sur les crédits d'investissement du budget général.

 

Article 25

Les comptes d'affectation spéciale retracent des opérations qui, par suite d'une disposition de loi de finances prise sur l'initiative du Gouvernement, sont financées au moyen de ressources particulières. Une subvention inscrite au budget général de l'Etat ne peut compléter les ressources d'un compte spécial que si elle est au plus égale à 20% du total des prévisions de dépenses.

 

Le total des dépenses engagées ou ordonnancées au titre d'un compte d'affectation spéciale ne peut excéder le total des recettes du même compte, sauf pendant les trois mois de la création de celui-ci. Dans ce dernier cas, le découvert ne peut être supérieur au quart des dépenses autorisées pour l'année. Si, en cours d'année, les recettes d'un compte d'affectation spéciale apparaissent supérieures aux évaluations, les crédits peuvent être majorés par arrêté du ministre des finances dans la limite de cet excédent de ressources.

 

Article 26

Les comptes de commerce retracent des opérations de caractère industriel ou commercial effectuées à titre accessoire par des services publics de l'Etat. Les prévisions de dépenses concernant ces comptes ont un caractère évaluatif ; seul le découvert fixé annuellement pour chacun d'eux a un caractère limitatif. Sauf dérogations expresses prévues par une loi de finances, il est interdit d'exécuter, au titre de comptes de commerce, des opérations d'investissement financier, de prêts ou d'avances ainsi que des opérations d'emprunts.

 

Les résultats annuels sont établis pour chaque compte selon les règles du plan comptable général.

 

 

Article 51

I. - Les dispositions du quatrième alinéa de l'article 16 sont applicables aux crédits de dépenses ordinaires et aux crédits de paiement de l'exercice 2005, pour ceux d'entre eux qui sont susceptibles de faire l'objet de reports. La limite prévue audit alinéa s'applique aux crédits initiaux des chapitres concernés.

Article 19

 

Les procédures particulières permettant d'assurer une affectation au sein du budget général ou d'un budget annexe sont la procédure de fonds de concours et la procédure de rétablissement de crédits.

II. - Les crédits ouverts dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 19 de l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 précitée et disponibles à la fin de l'année 2005 peuvent être reportés sur les programmes permettant l'emploi des fonds conformément à l'intention de la partie versante ou du donateur.

Les fonds versés par des personnes morales ou physiques pour concourir avec ceux de l'Etat à des dépenses d'intérêt public, ainsi que les produits de legs et donations attribués à l'Etat ou à diverses administrations publiques, sont directement portés en recettes au budget. Un crédit supplémentaire de même montant est ouvert par arrêté du ministre des finances au ministre intéressé. L'emploi des fonds doit être conforme à l'intention de la partie versante ou du donateur. Des décrets pris sur le rapport du ministre des finances peuvent assimiler le produit de certaines recettes de caractère non fiscal à des fonds de concours pour dépenses d'intérêt public.

 

Peuvent donner lieu à rétablissement de crédits dans des conditions fixées par arrêté du ministre des finances :

 

a) Les recettes provenant de la restitution au Trésor de sommes payées indûment ou à titre provisoire sur crédits budgétaires ;

 

b) Les recettes provenant de cessions ayant donné lieu à paiement sur crédits budgétaires.

 

Le décret visé au deuxième alinéa du présent article pourra étendre la procédure des fonds de concours aux cas de rétablissement de crédits non prévus sous les lettres a et b ci-dessus et autorisés par la législation en vigueur.

 

Article 4

...........................................................................

Les taxes parafiscales, perçues dans un intérêt économique ou social au profit d'une personne morale de droit public ou privé autre que l'Etat, les collectivités territoriales et leurs établissements publics administratifs, sont établies par décret en Conseil d'Etat, pris sur le rapport du ministre des finances et du ministre intéressé. La perception de ces taxes au-delà du 31 décembre de l'année de leur établissement doit être autorisée chaque année par une loi de finances.

Article 52

A défaut de dispositions législatives particulières, les taxes régulièrement perçues à la date de publication de la présente loi organique en application de l'article 4 de l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 précitée peuvent être perçues selon l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement en vigueur à cette même date, jusqu'au 31 décembre de l'année suivant celle de la publication de la présente loi organique.

 

Article 53

 

Les dispositions du 5° de l'article 46 et de l'article 47 sont applicables pour la première fois au projet de loi de règlement relatif à l'exécution du budget afférent à la quatrième année suivant celle de la publication de la présente loi organique.

 

Les projets de loi de règlement afférents aux années antérieures sont déposés et distribués au plus tard le 30 juin de l'année suivant celle de l'exécution du budget auquel ils se rapportent.

 

Article 54

Les dispositions des articles 15, 25 à 28, 33, 37, 39, deuxième alinéa, 40 et 42 sont applicables à compter du 1er janvier 2002.

 

L'article 36 est applicable à compter du 1er janvier 2003.

 

Article 55

I. - Est joint au projet de loi de finances pour 2005 un document présentant, à titre indicatif, les crédits du budget général selon les principes retenus par la présente loi organique.

 

II. - Au cours de la préparation du projet de loi de finances pour 2006, les commissions de l'Assemblée nationale et du Sénat chargées des finances sont informées par le Gouvernement de la nomenclature qu'il envisage pour les missions et les programmes prévus à l'article 7.

 

 

 

Article 56

Sous réserve des dispositions prévues aux articles 49 à 55, l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 précitée est abrogée le 1er janvier 2005. Toutefois, ses dispositions demeurent applicables aux lois de finances afférentes à l'année 2005 et aux années antérieures.

 

Sous réserve des articles 49 à 55 et de la dernière phrase de l'alinéa précédent, la présente loi organique entre en vigueur le 1er janvier 2005.

Article 45

Des décrets en Conseil d'Etat pris sur le rapport du ministre des finances pourvoiront en tant que de besoin à l'exécution de la présente ordonnance.

Article 57

Des décrets en Conseil d'Etat pourvoient, en tant que de besoin, à l'exécution de la présente loi organique.

Ils contiendront notamment toutes dispositions de nature à assurer la bonne gestion des finances publiques et relatives à la comptabilité publique.

Ils contiennent toutes dispositions relatives à la comptabilité publique et à la bonne gestion des finances publiques.

Ils régleront la présentation comptable du budget général, des budgets annexes et des comptes spéciaux, et notamment la nomenclature des dépenses ordinaires et en capital, des investissements et des prêts, et le plan comptable de l'Etat.

 

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AUDITIONS

1.- Audition de M. Henri Guillaume,
Inspecteur général des finances.

(Extrait du procès-verbal de la séance du 9 novembre 2000)

Présidence de M. Raymond Forni, Président de l'Assemblée nationale,

M. le Président : Nous procédons à la première d'une série d'auditions de personnalités qui peuvent apporter à la Commission spéciale une aide précieuse. Nous avons aujourd'hui le plaisir d'accueillir M. Henri Guillaume, Inspecteur général des finances, que je remercie d'avoir bien voulu répondre à notre invitation.

M. Henri Guillaume a conduit récemment une mission d'analyse comparative des systèmes de gestion de la performance et de leur articulation avec le budget de l'État. Son rapport, établi en février 2000, a été communiqué à tous les membres de la Commission. Il porte sur huit pays : le Canada, le Danemark, les États-Unis, la Finlande, l'Italie, les Pays-Bas, le Royaume-Uni et la Suède. Il nous montre d'ailleurs à quel point notre pays a des efforts à accomplir pour moderniser sa gestion publique. Nous en avions déjà entendu parler, mais nous allons entrer dans le détail comparatif des systèmes qui s'appliquent à l'étranger et en France. Sans doute cela mettra-t-il en évidence l'archaïsme du système français. L'analyse des expériences étrangères est évidemment utile et répond à une préoccupation de certains collègues de la Commission. M. Philippe Auberger avait souhaité que nous réalisions ce travail comparatif ; du reste, nous irons plus loin, puisque je vous proposerai de procéder à l'audition du Commissaire européen chargé du budget et de l'un de ses directeurs généraux. Nous procéderons à leur audition en principe le 7 décembre.

M. Guillaume, je vous propose de nous présenter en guise d'exposé introductif les principaux enseignements que vous avez pu tirer de vos travaux ; nous passerons ensuite au jeu des questions-réponses.

M. Henri Guillaume : Le rapport de synthèse de la mission, qui vous a été diffusé, est écrit dans un style parfois un peu aride, mais notre destinataire final était la direction du budget du ministère des Finances. Nous tenons également à votre disposition une volumineuse littérature, car nous avons établi des rapports par pays. Le rapport de synthèse décrit les conclusions générales, tandis que huit rapports décrivent de manière plus détaillée l'organisation propre à chaque pays et ce qui y fut entrepris.

Quelques mots sur l'objet du rapport et la méthode que nous avons adoptée. La commande passée par le ministre de l'Économie, des Finances et de l'Industrie consistait à mener une analyse comparative sur la manière dont huit pays ont introduit dans leur gestion publique un système de gestion de la performance ou système de gestion des résultats et de vérifier l'articulation de ces nouveaux systèmes de gestion publique avec la procédure budgétaire.

Tout d'abord, il convient de donner la définition générale d'un système de gestion de performance. L'architecture idéale d'un système - qui d'ailleurs n'existe encore nulle part, je tiens à le préciser - recouvre plusieurs fonctions.

· Une fonction d'explicitation des finalités et des objectifs des politiques publiques et de l'action administrative.

· Une fonction de définition des normes de performance de l'administration associée à ces objectifs.

· La mise en place de systèmes d'information sur les résultats de l'action publique et sur la nature du reporting sur l'action publique.

· Des souplesses de gestion qui peuvent être accordées aux responsables de l'action publique.

· L'intégration de ces données de performance dans les procédures budgétaires.

· Dernier point et non le moindre : la transformation des modalités d'audit et de contrôle.

Un système idéalement bâti devrait donc remplir ces fonctions.

Nous avons fixé un échantillon de huit pays. Nous avons retenu ceux qui sont réellement engagés dans cette démarche de modernisation. Nous avons privilégié la dimension européenne : six pays sur huit sont européens. Nous avons tenté de veiller à un équilibre entre les pays où la politique libérale des années 90 a marqué profondément la réforme de l'État - c'est le cas des États-Unis, du Canada et du Royaume-Uni - et ceux de tradition plus social-démocrate, où jamais la légitimité de l'intervention de l'État n'a été remise en question. De ce point de vue, l'échantillon est équilibré.

Sans entrer dans toutes les conclusions de l'étude, j'insisterai sur trois points. La première idée que je voudrais développer est la suivante : dans tous les cas, la gestion de la performance ne s'est pas bâtie ex nihilo, mais elle s'inscrit dans un effort de très longue haleine entrepris par ces pays pour réformer leur gestion publique. Dans une deuxième partie, je vous présenterai les grands principes d'implantation du système de gestion de la performance. Enfin, j'en viendrai au sujet de l'articulation avec la procédure budgétaire.

Premier point donc, les autorités de ces huit pays se sont posé la question, depuis au moins dix ans et dans certains cas depuis vingt ans, de savoir comment moderniser leur gestion publique. Il n'est pas inintéressant de considérer les raisons de cette interrogation. La première fut, dans tous les pays, le souci de la maîtrise des déficits publics et des dépenses. Ces pays ont connu des crises financières assez graves au début des années 90. Les deux autres objectifs sont de nature purement politique.

Le premier était la volonté d'améliorer l'efficacité des politiques publiques et la qualité des services publics. Dans tous ces pays, la sensibilité de l'opinion et du citoyen à l'égard du thème anglo-saxon value for money s'est fortement développée ; autrement dit : que ressort-il des impôts que nous payons ? C'est là un thème politique qui a émergé fortement dans certains pays.

Le second objectif politique, que l'on rencontre également partout, était la volonté de rendre plus transparente l'action des administrations et de renforcer le contrôle démocratique sur la gestion publique. Partout, est apparue une très forte pression vis-à-vis des responsables politiques et des hauts fonctionnaires sur la nécessité de devoir rendre compte de leur action. Ces deux thèmes sont devenus des enjeux importants des débats politiques.

Quels ont été les facteurs favorables à la mise en place du système de gestion de la performance ? J'en citerai quatre.

Premièrement, un assainissement en profondeur des finances publiques. Sur les huit pays considérés, sept sont désormais en excédent budgétaire ou à l'équilibre budgétaire, alors que, par exemple, le Canada connaissait une grave crise financière. Autre exemple : en 1993, la Suède enregistrait un déficit de 12,3% de ses administrations publiques. Face à cette situation, la gestion de la performance n'a jamais été considérée comme un outil de régulation budgétaire, c'est-à-dire que l'on a utilisé des méthodes classiques, parfois brutales, mais l'on a aussi mis en place des procédures, généralement appelées " examen des programmes ", qui consistaient à revoir systématiquement l'utilité et le contenu des dépenses publiques et l'efficience des services administratifs en charge des politiques publiques. Cette action a été conduite dans tous les pays selon des degrés de brutalité plus ou moins forts, mais a été la condition de mise en place de systèmes de gestion de la performance. J'en tire deux conclusions. D'une part, cela a entraîné auprès des responsables administratifs, mais aussi politiques, un changement culturel qui conduit à rompre la corrélation automatique entre le niveau de la dépense publique et la qualité des services publics. D'autre part, plaquer un système de gestion de la performance sur des structures administratives ou sur des politiques inefficientes n'est pas le meilleur moyen de progresser. Il y a là une leçon à tirer de ces expériences.

Deuxième facteur favorable : l'examen des programmes a introduit l'idée de réfléchir aux résultats de l'action publique et donc partout à une rénovation des procédures budgétaires. Au milieu des années 90, excepté peut-être aux Etats-Unis, tous les pays ont rénové leurs procédures budgétaires selon un schéma que je résumerai simplement : un système d'enveloppes budgétaires assorties de plafonds impératifs que l'on décline de haut en bas, sous la contrainte d'un plafond global et dans une optique intégrée des finances publiques, recouvrant un plafond impératif des dépenses de l'État, des dépenses de sécurité sociale et celles des collectivités territoriales. À côté de ce plafond, sont établies des règles d'affectation des surplus ou des déficits entre la baisse des impôts et la réduction des déficits. Le plafond global étant fixé, on décline ensuite un plafond par ministère. Chaque ministre, à l'intérieur de son plafond, devient, si vous me permettez cette formule imagée, " son propre ministre des Finances ". Autrement dit, il décide, à l'intérieur du plafond, l'affectation de ses ressources. Il fixe un plafond à ses services administratifs, un plafond à ses agences. Le respect du plafond est une contrainte absolue. En cas de difficulté conjoncturelle, on ne se tourne pas vers le Premier ministre ou le ministre des Finances en demandant une rallonge, non, la règle du jeu réside en ceci que si la liberté est totale, le plafond est impératif. Le niveau de réserves pour aléas conjoncturels dans les pays considérés est assez faible. Cette règle a été appliquée strictement sous la houlette du chef du Gouvernement, du Premier ministre ou du ministre des Finances. Parfois, le plafond est pluriannuel, étant précisé toutefois que la pluriannualité est surtout un engagement politique. En effet, nulle part le principe d'annualité budgétaire n'a été remis en question. D'ailleurs, beaucoup de Parlements ont considéré que l'annualité formait la base du contrôle du Parlement.

Troisième facteur favorable : un cadre beaucoup plus souple pour le personnel de la fonction publique. Ce facteur rejoint un élément important de votre proposition de loi organique. On constate partout une décentralisation extrêmement marquée à la fois du choix de la nature des emplois, des recrutements et même des négociations salariales. Dans les pays scandinaves, où prévaut une tradition d'agence, tout ceci est décentralisé au niveau du responsable d'agence. Mais on retrouve également cette décentralisation dans les pays où les ministères continuent à jouer un rôle moteur. Ainsi, les Pays-Bas ont divisé leur fonction publique en huit secteurs, homogènes en termes de problèmes de carrière, et chaque ministre est responsable, au sein de son enveloppe, de la gestion du personnel. On peut noter également le développement de la rémunération au rendement pour les hauts fonctionnaires et la mise en place de politiques spécifiques en leur faveur. En effet, pour des raisons diverses, certains pays sont confrontés à des difficultés de recrutement de hauts fonctionnaires.

Quatrième facteur favorable : des investissements extrêmement importants en matière d'outils de gestion financière, c'est-à-dire la mise en place de comptabilités analytiques pour connaître le coût des politiques publiques et la mise en place d'une comptabilité de droits constatés. C'est une constante dans tous les pays que nous avons visités. J'insiste sur tous ces points, car la mise en place de ce cadre favorable a pris, dans tous les pays, de cinq à dix ans.

J'en viens maintenant aux grands principes d'implantation et d'application de la gestion de la performance. Je mettrai en évidence quatre points. En premier lieu, la définition d'indicateurs de résultats par politique ou par programme n'est nulle part considérée comme un simple exercice de technique budgétaire. Il découle d'un choix politique effectué par les ministres sous leur responsabilité, de la définition des objectifs, des finalités et des indicateurs qui permettent de mesurer la réalisation de ces objectifs. On constate partout - cela réjouit l'ancien commissaire au Plan que je suis - le développement plus ou moins formel d'un processus de planification stratégique qui permet de définir la finalité des politiques publiques, exercice qui s'opère généralement sur cinq ans de manière glissante et qui se traduit par un engagement politique, plus ou moins formalisé, du ministre. C'est ce que l'on appelle au Royaume-Uni le public service agreement, autrement dit un contrat signé entre le ministre et le Premier ministre. Au Canada, le rapport sur les plans et priorités est présenté au Parlement. Aux États-Unis, j'y reviendrai, c'est une planification stratégique.

Tout cela signifie donc un engagement politique du ministre. Cette planification est déclinée, d'une manière plus ou moins formelle, sur les établissements et les services. Mais le ministre exerce une responsabilité, un engagement politique très large. Par exemple, aux Pays-Bas, la politique d'éducation est décentralisée au niveau des collectivités territoriales ; néanmoins, l'engagement politique du ministre dans son contrat d'objectifs porte sur l'ensemble du champ de l'éducation.

Deuxième élément caractéristique : partout, est intervenue une identification de centres de responsabilité. Une séparation s'est instaurée entre la fonction de définition des politiques et la fonction opérationnelle de leur réalisation. Cela entraîne le recours à des agences, notion que je voudrais démythifier. On entend dire que, dans de nombreux pays, l'agence est un démembrement de l'État. Ce serait l'équivalent de nos établissements publics industriels et commerciaux. En réalité, dans de nombreux pays, l'agence est un service administratif sous l'autorité du ministre, mais auquel on donne une autonomie et dont le centre de responsabilité est bien identifié. Définir le centre de responsabilité et déterminer sa compétence sont indispensables au système de gestion de la performance.

Troisième élément : la mise en place systématique de contrats de performance garantissant une très grande liberté de gestion aux responsables administratifs en échange d'un engagement en termes de résultat. Une sorte d'accord s'est formé entre le ministère des Finances et les ministères gestionnaires pour que tout contrôle a priori soit supprimé, à la condition que des libertés de gestion soient offertes : fongibilité des crédits, possibilité de report, grande autonomie dans la gestion du personnel. Ces libertés ont été données en échange d'un engagement très formel sur les résultats. C'est un accord " donnant-donnant ". Encore faut-il que l'engagement sur les résultats soit respecté. Partout, l'on observe cette formule, qui s'accompagne de la mise en place de documents cadres reflétant les relations entre le ministre et ses agences, et donc une très grande liberté de gestion.

La pluralité des objectifs prévaut dans les contrats de performance, mais tous ces contrats de performance sont annuels ; en conséquence, une contractualisation sur des objectifs à moyen terme n'entraîne pas une contractualisation des moyens financiers pluriannuels. La définition des ressources reste annuelle.

Quatrième élément favorable : la mise en place de systèmes d'information nouveaux. Partout, un effort considérable a été réalisé sur le plan technique pour mettre en place des systèmes d'information modernes.

Comment s'effectue le pilotage politique et administratif de la réforme ? Dans tous les pays, ce sont les ministères des Finances et les directions du Budget qui ont joué un rôle de catalyseur. Mais, très vite, un relais politique s'est opéré au plus haut niveau - chef de Gouvernement ou Premier ministre. Dans tous ces pays, une très grande continuité politique a prévalu sur ces sujets ; dans tous ces pays également, est intervenu un accord bipartisan pour considérer que l'on devait avancer sur ce front. Dans ces pays, les deux facteurs ont joué un rôle très important. Il ne s'agit pas d'un coup d'épée dans l'eau ou d'un engagement pour un an ; quand on s'engage, c'est pour dix ans !

En ce qui concerne le support législatif, le Parlement a joué un rôle relativement modeste. Aucun texte législatif n'est venu entériner un système de gestion de la performance, sauf au Canada et aux États-Unis. Je voudrais insister sur le cas des États-Unis, non seulement parce qu'il est d'actualité, mais aussi parce qu'il est extrêmement intéressant. Les États-Unis sont le seul pays où on a défini dans un texte de loi, à savoir les " Government performances and results acts ", un système de gestion de la performance. Promulgué en 1993, cet ensemble de textes forme la pièce maîtresse des réformes de gestion publique. Intervenu juste après l'accession de M. Clinton à la fonction de Président, il est l'aboutissement d'un processus engagé cinq ans auparavant et s'inspire d'expériences menées, non pas au niveau de l'État, mais des collectivités territoriales - les États fédérés ou certaines collectivités - qui avaient introduit le système de gestion de la performance. En août 1993, une proposition de loi d'un Sénateur républicain a fait l'objet d'un accord bipartisan, appuyé très fortement par le Président Clinton.

Le texte de loi prescrit explicitement à tous les départements ministériels, aux agences fédérales et aux autres organisations gouvernementales - environ 75 entités - de mettre en place une planification par objectif, assortie d'instruments de mesure de la performance.

Ce texte de loi mérite que l'on s'y attarde, car il présente une double originalité. Il définit lui-même précisément les outils, à savoir une planification stratégique à cinq ans, révisée au terme de trois ans, qui s'impose aux 75 entités, un plan annuel de performance et un compte rendu annuel de performance. Les outils sont définis dans le texte. Seconde originalité : le texte prévoit un calendrier précis d'expérimentations et de réalisations. On n'a pas décidé de tout réaliser en une seule fois, mais on a choisi 70 expériences pilotes et fixé un calendrier. Selon ce calendrier, par exemple, le plan stratégique devait être présenté par tous les départements à l'OMB, l'équivalent de la Direction du budget, et au Congrès avant le 30 septembre 1997, afin d'être intégré dans la loi fiscale pour 1998, ce qui a été fait. Le plan annuel de performance devait être présenté au 30 septembre 1999, ce fut fait. Le compte rendu annuel devait être présenté au 31 mars 2000, ce qui fut fait.

Le calendrier des expérimentations et des présentations s'est étalé sur sept ans. Un seul point n'a été réalisé, à savoir la désignation des agences pilotes qui devaient présenter un budget-résultat, c'est-à-dire établir une liaison entre les objectifs fixés et le coût de leur action. L'exemple des États-Unis est très intéressant à la fois pour l'initiative parlementaire et pour le contenu et le calendrier de cette loi. Nous devrions nous en inspirer.

Troisième point : comment cela a-t-il débouché en termes de procédure budgétaire ? Etant précisé qu'il n'y a pas de lien automatique entre procédure budgétaire et système de gestion de la performance. À l'heure actuelle, dans aucun pays, on n'utilise de mesures de la performance dans le processus d'élaboration du budget de l'État : nulle part, on ne module les ressources budgétaires en fonction du niveau de résultat ou de performance que l'on souhaite atteindre. Cette pratique n'est pas retenue. En ce qui concerne l'adaptation des documents budgétaires, il existe partout une volonté d'associer, en présentation, les crédits et les résultats, mais cette volonté se heurte à des difficultés techniques lourdes. Pour procéder ainsi, il convient en effet au préalable de procéder à une analyse très précise des coûts par programmes, par résultats, par objectifs et par grandes fonctions, ce qui nécessite un investissement lourd, en cours dans ces pays. Des progrès très réels ont été réalisés, mais se heurtent à des difficultés techniques.

La refonte globale du mode de présentation du budget de l'État n'est envisagée que dans quatre pays et n'est réalisée sérieusement que dans deux d'entre eux : le Royaume-Uni et les Pays-Bas. À ce jour, dans aucun pays, n'existe de nomenclature budgétaire par objectif. En revanche, les deux pays qui ont considéré la réforme du mode de présentation budgétaire comme une priorité se sont appuyés sur des outils comptables, soit comptabilité analytique, soit comptabilité d'engagement, permettant une comptabilisation des ressources par objectif. Dans le cas du Royaume-Uni et des Pays-Bas, qui veulent mettre en vigueur ce nouveau système en 2002, l'année 2001 constitue un exercice à blanc sur les comptes.

Quels sont les acquis en termes budgétaires ?

J'ai pu paraître quelque peu négatif. En réalité, l'intégration de la performance a eu un effet très important dans la décision financière des gestionnaires, c'est-à-dire au sein des agences ; les mesures d'efficacité et d'efficience, dans les pays visités, se situent bien au c_ur du pilotage interne et du contrôle de gestion des centres de responsabilité dont j'ai parlé. Dans un certain nombre de cas, les ministères l'ont également utilisée. Pour les décisions budgétaires, elle intervient dans la répartition d'une enveloppe. Je citerai l'exemple intéressant de la Finlande, où le ministère de l'Enseignement supérieur réserve une partie des dotations qu'il octroie aux universités en fonction des objectifs et des résultats qu'elles obtiennent. Le champ privilégié de l'application se situe au niveau des agences et pour l'affectation d'une enveloppe interministérielle.

J'ai insisté sur la difficulté technique, qui est lourde ; il n'en reste pas moins que deux pays au moins marquent une volonté politique de progresser.

En conclusion, si l'articulation avec le budget est encore un peu lâche, le principal acquis du nouveau système peut se résumer de la manière suivante. La mise en place d'un système de performance a conduit à implanter une culture que l'on peut qualifier de " manageriale " aux divers échelons de l'administration. Mais c'est surtout au niveau des deux objectifs politiques que les acquis sont importants. Partout, a prévalu la nécessité de devoir rendre compte. Les gestionnaires et les ministères doivent très clairement rendre compte de leur action par des rapports d'activité présentés au Parlement. Il y a partout nécessité de rendre compte.

Deuxième élément important : l'apparition de nouvelles formes de contrôle. La responsabilité des gestionnaires, autrement dit la suppression des contrôles a priori, va de pair avec un véritable renforcement des contrôles a posteriori et une transformation de la nature de ces contrôles. Ces contrôles ne traitent pas uniquement des aspects comptables et financiers, mais il s'agit d'une véritable évaluation de la performance et de la qualité des systèmes d'information bâtis pour mesurer les résultats.

Ce contrôle a posteriori s'exerce à deux niveaux.

· Le renforcement de l'action des corps de contrôle internes de chaque ministère. Aux États-Unis, les comptes des ministères sont certifiés par les corps de contrôle internes et il n'y a pas obligatoirement quitus. Le département de la Justice n'a pas obtenu de quitus pendant quatre ans, car ses méthodes furent jugées insatisfaisantes.

· Le contrôle externe exercé par les Cours des comptes ou par des organismes rattachés au Parlement ; c'est le cas du General accounting office aux États-Unis.

En ce qui concerne les formes de contrôle, on note l'évolution des directions du budget elles-mêmes. Dans les pays rencontrés, celles-ci ont évolué vers un système nouveau : l'absence d'intervention directe dans la gestion courante des ministères, à la condition que les engagements soient respectés. En revanche, des indicateurs de performance ont été utilisés pour le suivi et l'évaluation des programmes et l'examen périodique de l'utilisation des crédits a été effectué. On rencontre plusieurs cas de figure : soit les directions du budget ont pris l'initiative et se sont adaptées spontanément, soit le ministre des Finances a engagé son autorité sur ce point.

J'insisterai enfin sur l'avènement de nouvelles formes de responsabilités politiques. La gestion par la performance implique un engagement public du Gouvernement sur des objectifs et sur des résultats qu'il escompte ; il prend des engagements fermes devant le Parlement, mais aussi vis-à-vis de l'usager. Partout la qualité du service public est un élément déterminant. L'obligation de publication des résultats s'est imposée au Royaume-Uni et dans d'autres pays, des trophées de qualité ont été décernés au Danemark, en Finlande et dans d'autres pays. Cette transparence au profit du citoyen est d'ailleurs favorisée par les nouvelles technologies de l'information.

À l'heure actuelle, le principal bénéfice de ces réformes se situe davantage dans les objectifs politiques que j'ai indiqués que dans la pure technique budgétaire.

M. le Président : Merci, M. Guillaume. L'intérêt de votre présentation est suffisamment grand pour ne pas manquer de susciter des questions. La parole est à Mme Nicole Bricq.

Mme Nicole Bricq : M. Guillaume, vous nous avez décrit un petit paradis, un monde un peu idéal. Or, je suppose qu'il existe également des ratés, ce qui est normal dans tout système qui s'expérimente. Vous avez dit qu'il fallait une continuité politique et un accord partisan. Ces deux conditions sont-elles préalables, sinon consubstantielles, à une réforme de cette envergure, dont vous avez indiqué qu'elle pouvait durer une dizaine d'années avant d'entrer dans les m_urs ?

M. Henri Guillaume : Puisque nous abordons les questions, je précise que je n'ai pas prononcé le mot " France ", dont notre rapport ne traite pas. Si donc vous êtes amenés à me poser des questions en ce domaine, je tiens à préciser tout de suite que je n'engage ni l'Inspection générale des finances, ni le ministère des Finances.

J'ai décrit un système ; il n'est évidemment pas idéal. Il mérite lui-même une évaluation. L'état d'avancement est très divers selon les pays. En revanche, je crois qu'une réelle transformation des modes de gestion publique est en train de s'opérer. En termes de méthode de gestion, de système d'information, de connaissance de l'action de la puissance publique, une grande majorité des pays que j'ai étudiés a pris une longueur d'avance, sans que cela n'ait radicalement modifié les procédures budgétaires, ni tous les comportements. Je prendrai l'exemple du Congrès. Certes, il fut l'initiateur de la réforme aux États-Unis en 1993 ; néanmoins, la Commission des voies et moyens, la plus puissante du Congrès, n'a pas voulu adopter une nomenclature budgétaire par programme, estimant qu'elle ne pourrait plus, dans cette hypothèse, contrôler, titre par titre et chapitre par chapitre, la ventilation des crédits, et qu'elle perdrait donc son pouvoir. On ne peut écarter d'un revers de la main les progrès de transparence, de connaissance et surtout la volonté d'expliciter les objectifs de l'action publique, ce qui me semble essentiel pour le débat public et parlementaire.

Quant à la continuité politique et l'accord bipartisan, je ne crois pas que ce soit une condition préalable, mais cela me semble un gage de durée du processus. Dans la mesure où ces réformes ne peuvent être conduites que sur la durée, il faut, à mon avis, une grande continuité. Des alternances sont intervenues dans ces pays, mais le fait qu'il y ait eu au départ un accord sur la finalité a permis une certaine continuité de ces politiques. Mais ce n'est pas une condition suffisante, de même que changer le texte budgétaire est une condition nécessaire, mais non suffisante.

M. le Président : La parole est à M. Didier Migaud, Rapporteur de la proposition de loi organique.

M. le Rapporteur : Il s'agit d'un rapport décapant, utile, qui d'ailleurs m'a servi de base pour élaborer un certain nombre de propositions, car j'avais déjà eu l'occasion de rencontrer M. Guillaume. Le rapport montre tout le travail qui reste à entreprendre dans notre pays, même si comparaison n'est pas toujours raison : les traditions, les cultures, les histoires sont différentes. Mais, sur le plan du contrôle, de la transparence, la France, si on la compare à d'autres, peut être considérée comme en voie de développement et peut connaître une marge de progression.

Vous avez insisté sur la responsabilisation des gestionnaires. C'est un point central de la gestion de la performance. On peut considérer qu'elle repose sur trois piliers : la capacité de déterminer les objectifs des politiques publiques ou des objectifs de gestion ; la capacité d'effectuer des arbitrages entre des moyens disponibles ; enfin, la capacité de contrôle. Sur la capacité d'opérer des arbitrages, peut-être serait-il utile que vous nous donniez votre sentiment sur le sort particulier qu'il faut ou non réserver aux dépenses de personnel dans le cadre de la fongibilité qui peut être reconnue aux gestionnaires publics. Qu'en est-il ? Quelles sont les conclusions que vous tirez vous-même des expériences que vous avez pu étudier?

En ce qui concerne la capacité de rendre compte, pour la première fois cette année, des rapports de gestion ont été présentés, à l'appui du projet de loi de règlement de l'exercice 1999. Qu'en pensez-vous ? Comment peut-on les apprécier au regard des rapports de gestion qui peuvent exister à l'étranger ?

Quelques questions sur les programmes : notre proposition de loi organique prévoit que le projet de loi de finances sera présenté par programmes. Vous avez vous-même insisté sur la nécessité de présenter un programme et de " responsabiliser " à partir de ce programme. Pouvez-vous nous dire si les dépenses de personnels sont isolées ou globalisées avec les autres dépenses ? Dans la seconde hypothèse, a-t-on assisté à une augmentation sensible des dépenses de personnel ? L'annualité est, semble-t-il, conservée dans tous les pays, avec nécessité d'un contrôle annuel. Comment articule-t-on la définition des objectifs avec l'annualité et la pluriannualité ? C'est un point qu'il convient de préciser dans le texte que nous étudions. Dans les pays que vous avez cités, le Parlement participe-t-il à la définition des programmes ? Comment ces pays en sont-ils arrivés à la définition de programmes et sur quoi se sont-ils fondés ? Comment le Parlement a-t-il été associé à leur définition ?

Une ou deux questions sur la présentation et sur l'équilibre budgétaire. Des États ont-ils opéré, de ce point de vue, une distinction entre les dépenses de fonctionnement et les dépenses d'investissement ? Cette distinction a-t-elle une utilité pour ce qui concerne le budget de l'État et a-t-elle des traductions en termes d'équilibre budgétaire ?

Se pose également la question de l'article 40 de la Constitution. Certes, nous avons décidé de rester dans le cadre constitutionnel en vigueur. Mais, dès lors que les crédits deviennent fongibles, la capacité de modifier telle ou telle ligne perd de son importance. Pouvez-vous nous dire quels sont les pouvoirs de modification des crédits dont peut bénéficier le Parlement par rapport aux programmes présentés par le Gouvernement, étant précisé que la contrepartie de la définition d'objectifs et des indicateurs de résultats réside dans une plus grande souplesse et dans des modalités de contrôle adaptées ?

Ma dernière question est relative à la certification des comptes publics : quelle est la conséquence d'une non-certification des comptes dans les pays que vous avez étudiés ? Vous l'avez évoqué en soulignant que le ministère de la Justice aux États-Unis n'avait pas reçu quitus de sa gestion. Quelles sont les conséquences ? Y a-t-il une sanction ? Quels sont les États où il existe vraiment une procédure de certification des comptes publics ? Cela rejoint, du reste, le débat sur la sincérité des comptes publics. Qu'en est-il exactement dans les pays que vous avez étudiés ?

M. le Président : Nous assignons là à M. Henri Guillaume une vaste performance ! J'ai envie de répondre au Rapporteur qu'aux États-Unis, quand on ne donne pas quitus, on recompte ! (Rires.)

M. Henri Guillaume : Je tiens tout d'abord à préciser que je ne suis pas un spécialiste du budget, ni des techniques budgétaires. Il est donc des questions sur lesquelles je préférerais " passer mon tour " ; j'essayerai néanmoins de les aborder.

Je ferai une remarque générale sur la révision de l'ordonnance de 1959. Dans un grand nombre de pays, il n'y a pas eu de réforme de la procédure budgétaire. Ce n'est pas un texte législatif qui a engagé la réforme. Dans le cas de la France, où nous enregistrons un certain retard - je n'irai pas jusqu'à dire que nous sommes sous-développés, mais nous enregistrons un retard en matière de technique de gestion -, je considère que la réforme de l'ordonnance est véritablement un levier essentiel. Il faut absolument l'entreprendre si l'on veut changer les choses. Le contenu de la proposition de loi organique, sur certains points, me semble déterminant ; toutefois c'est une condition nécessaire, mais non suffisante, car le système est global et engage à la fois le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif.

Sur le problème des emplois, on constate dans les pays étudiés une gestion très décentralisée, qui se réalise par effectifs et masse salariale, c'est-à-dire que la notion d'emploi budgétaire ne revêt pas une réalité forte. Si je prends la proposition de loi organique, j'irai plus loin que ce qui est prévu pour les emplois budgétaires : on sait bien qu'il n'y a pas identification entre le nombre d'emplois budgétaires et les effectifs réels. Les deux véritables critères de gestion sont les effectifs et la masse salariale. S'il devait y avoir un critère limitatif, ce serait la masse salariale et il conviendrait de laisser le gestionnaire arbitrer à l'intérieur de sa masse salariale. Sur ce sujet, je n'exprime que mon seul point de vue.

M. le Président : Rejoint par d'autres !

M. Henri Guillaume : Dès lors que l'on décentralise les responsabilités de gestion, les critères importants sont le recrutement des effectifs et la masse salariale. En ce qui concerne la gestion de la performance, dans les pays où il y a un système d'agence, le patron de l'agence, de même que pour un Epic en France - j'ai été patron d'un Epic - choisit le type d'emploi, recrute qui il veut, selon les méthodes qu'il choisit ; mais on lui demande de tenir sa masse salariale. C'est un critère que l'on retrouve à peu près dans tous les pays, quitte à ce qu'il y ait, en termes d'emplois budgétaires, pour des raisons de contrôle, des éléments indicatifs ; mais je ne crois pas que l'emploi budgétaire soit, sur le plan de la gestion, le bon élément. Encore une fois, je ne me place pas en termes de contrôle parlementaire.

Je n'ai pas étudié dans le détail la capacité de rendre compte, mais l'on retrouve partout, soit un compte rendu relatif au plan de performance comme aux Etats-Unis, soit un rapport d'activité, celui-ci étant un vrai rapport d'activité, c'est-à-dire qu'il ne porte pas sur une vague indication de ce qui a été fait, sur les moyens engagés, mais indique également les modalités de contrôle, de pilotage, de gestion interne. C'est un point fondamental. Un vrai rapport d'activité s'articule dans le système que j'ai indiqué, dans lequel on a défini les objectifs et le niveau de performance, ainsi qu'un plan de performance ; le rapport d'activité se situe en exécution du plan de performance.

M. le Rapporteur : Qui établit le rapport de performance ?

M. Henri Guillaume : C'est le responsable gestionnaire qui fait son rapport au ministre et au Parlement.

M. Jean-Jacques Jégou : Le plan ou le rapport ?

M. Henri Guillaume : Le plan de performance est le plan du ministre ou, dans certains pays, d'une agence ; ensuite, par rapport au plan de performance, il peut y avoir un plan d'activité. Il s'agit généralement d'un rapport d'activité au ministre et au Parlement, sachant que les rapports d'activité les plus intéressants sont ceux des agences plutôt que ceux des ministères.

Il y a beaucoup à dire sur la planification stratégique. C'est pourquoi les propos de Mme Bricq sont très vrais. Dans tous ces pays, on constate une certaine hétérogénéité : alors que des ministères ou des agences ont bien avancé, d'autres juxtaposent leurs documents traditionnels en les appelant " plan " ou " plan de performance ".

Les programmes sont le centre de votre projet. L'introduction de programmes comme unité de vote est cohérente avec ce que l'on observe dans les pays visités, car cela contribue à une vision plus globale de la destination et de l'efficacité de la dépense publique. C'est indispensable. Un point doit être étudié de très près : il est difficile d'associer directement crédits budgétaires et objectifs, ce qui nécessite un effort certain en matière de connaissances comptables et un renouvellement de la nomenclature qui ne peut s'inscrire que dans la durée. Il y a là une base technique fondamentale et qui a un coût.

Par ailleurs, il convient d'avoir une lecture de la notion de programme qui ne soit pas limitée à la stricte problématique budgétaire ; c'est, selon moi, le point le plus difficile. L'évaluation de l'efficacité, dans de nombreux pays, ne s'associe pas forcément au concept de programme comme unité de vote ; autrement dit, quel sera le niveau d'agrégation ? Un programme sera-t-il élaboré au niveau d'un centre de responsabilité ou au niveau plus global d'une politique ou d'un ministère? La difficulté technique est grande. À ce titre, je plaiderai pour l'expérimentation et les délais. Il faut prendre garde à bien définir la notion de programme et la façon dont elle s'associe au contrôle en termes de responsabilité. Si l'exercice est par trop global, on ne fera que rebâtir un système qui ne nous permettra pas d'apprécier réellement les résultats ; si l'exercice est trop détaillé au niveau des centres de responsabilité, on risque de s'y perdre. Je plaide vraiment pour une phase d'expérimentation, afin d'étudier la bonne manière de définir ces programmes. C'est selon moi la clef de la proposition de loi organique.

M. le Rapporteur : Que pensez-vous des agrégats actuels ?

M. Henri Guillaume : Je ne me prononce pas.

M. le Rapporteur : Ce qui est une façon de se prononcer !

M. Henri Guillaume : J'en viens à l'annualité. Les pays étudiés n'ont pas remis en cause les grands principes du droit budgétaire, ce qui, pour autant, ne signifie pas absence de pluriannualité, mais celle-ci intervient, soit en termes de prévision des objectifs, soit en termes de prévision des programmes ; toutefois, aucun de ces pays ne garantit sur trois ans que les prévisions ne varieront pas d'un dollar, d'un franc ou d'une lire. L'exemple des Pays-Bas et de son gouvernement de coalition est intéressant. Ils organisent leur pluriannualité avant la formation du gouvernement de coalition, qui sera en place pour une durée de quatre ans ; ils réfléchissent aux montants des crédits qui seront impartis à l'Éducation nationale, à la Défense, etc... Ensuite, un accord de gouvernement est conclu. La pluriannualité, c'est le respect de l'accord de gouvernement.

Je plaide pour une vision pluriannuelle. Encore une fois, aucun pays n'a remis en cause le principe de l'annualité budgétaire, mais partout est introduite une vision pluriannuelle des objectifs et une vision pluriannuelle du déroulement des programmes. Dès lors que l'on fixe un critère en termes de masse salariale, on attribue une grande souplesse de gestion aux responsables, mais cela signifie qu'il faut également définir des prévisions pluriannuelles sur l'évolution de la masse salariale. On ne peut donner toutes les souplesses de gestion si l'on n'introduit pas la notion de temps. La pluriannualité est fondamentale. À la limite, le problème se situe dans la distinction entre investissement et fonctionnement. Sans être un spécialiste du droit budgétaire, je pense toutefois qu'il faudrait étendre la notion d'autorisation de programme en " autorisation d'engagement ". Il faudrait un système d'autorisations d'engagement et de crédits de paiement. Sur les dépenses de fonctionnement et d'investissement, d'équilibre budgétaire, n'étant pas un spécialiste de ces questions, je vous prierais de m'excuser, M. le Rapporteur, je préfère ne pas m'exprimer.

S'agissant de la modification, en cours d'exercice, des crédits votés, il ne faut pas surestimer les rigidités. Lorsque l'on adopte un système de ce type avec gestion de la performance, le responsable de l'unité est en mesure d'indiquer, à 5 ou à 10 % près, ce dont il a besoin en termes de crédits. Dès lors que l'on est entré dans un système de gestion de la performance, le problème se pose à la marge. En revanche, cela suppose des outils de régulation - que prévoit d'ailleurs la proposition de loi organique - c'est-à-dire la fongibilité et le report de crédits, qui donnent une certaine souplesse. Cela s'opère généralement par arrêté du ministre des Finances en cours d'exercice, avec consultation du Parlement, mais peut également être prévu dans la loi de règlement.

La certification des comptes n'intervient pas partout, ni de manière très formelle. Aux États-Unis, les comptes du ministère de la Justice ne furent pas certifiés à quatre reprises. Il n'y a pas eu de véritable sanction ; simplement, ce ministère est apparu comme le mauvais élève de la classe. Et au bout de trois ans, il a remis les choses au point en répondant aux interrogations techniques qui avaient été certifiées. En l'occurrence, la certification des comptes est une certification par le corps de contrôle interne du ministère. Dans ces systèmes, la véritable sanction, c'est le débat au Parlement sur le respect ou non des engagements ; c'est là le point le plus important.

M. le Président : La parole est à M. Jean-Pierre Delalande.

M. Jean-Pierre Delalande : Comme M. Guillaume, je pense qu'il faut obtenir un accord majorité-opposition sur une longue période. J'espère que nous y parviendrons en France ; il n'y a pas de raison qu'il n'en soit pas ainsi.

Je souhaiterais aborder trois questions. De l'expérience comparée que vous avez menée, vous avez dégagé beaucoup de points communs. Avez-vous pu dessiner une ingénierie de la réforme, autrement dit un phasage dans le temps ? Quelles sont les étapes auxquelles il faut procéder ? Comment faut-il les valider avant de passer à la suivante ? Avez-vous pu distinguer, à travers les différentes expériences étudiées, une méthodologie dont on pourrait à tout le moins s'inspirer ?

Dans chacun des ministères, qui porte la réforme ? Le ministre lui-même, un secrétaire d'Etat ou un ministre délégué auprès de lui ? Un secrétaire général de ministère directement rattaché au ministre et placé sous sa responsabilité politique et qui doit lui rendre des comptes ? Comment cela est-il organisé ?

Troisième question, l'ensemble de ces réformes a-t-il généré des coûts informatiques supplémentaires de remise en ordre et un retard est-il intervenu pour des raisons d'inertie informatique ou d'inertie d'organisation administrative? Dans le cadre de la mission d'évaluation et de contrôle, nous avons examiné la mise en _uvre de systèmes informatiques extrêmement importants, coûteux, massifs ; je pense notamment à l'Éducation nationale et à la réforme des universités. Imaginez s'il fallait tout revoir suite à la mise en _uvre d'une autre procédure de contrôle ! Cette question a-t-elle été étudiée ? Avez-vous rencontré des cas ? A-t-on réfléchi à la question ?

M. Henri Guillaume : S'il existe des constantes, il n'existe pas un modèle unique d'ingénierie de la réforme. Il faut tenir compte du caractère spécifique de chacun des pays, du contexte politique et administratif. Des constantes se dégagent : partout, l'on a assisté à la relance d'une sorte de planification stratégique avec établissement d'un bilan, c'est-à-dire un examen sérieux des programmes - ce que fait la mission d'évaluation et de contrôle, mais systématisé au niveau de l'exécutif - avec remise en cause de l'ensemble et nouveau départ avec un budget à base zéro. Je citerai l'exemple caricatural du Canada qui, lorsqu'il a fait l'examen des programmes, s'est posé la question de savoir s'il fallait continuer à participer à certaines organisations multilatérales et leur verser des cotisations. L'examen doit s'opérer sans aucun tabou. Après l'examen des programmes, il faut arrêter une planification des objectifs. L'idée selon laquelle il suffirait que l'administration définisse les indicateurs n'est pas bonne. La planification doit engager politiquement le ministre.

Le troisième élément reprend tout ce que j'ai dit sur l'identification de centres de responsabilité et la souplesse de gestion, points qui me semblent traités par la proposition de loi organique. Il faut s'engager partout sur des contrats. Dès lors que l'on a défini un " bon " centre de responsabilité - le bon étant à définir - il faut tendre vers cette souplesse, y compris en termes de gestion de personnel. Je ne crois pas que le problème des statuts ou des rigidités soit élevé. Dès lors que l'on a évolué sur ce terrain budgétaire, on peut avancer.

Il faut ensuite un investissement très important pour connaître les coûts : l'effort en matière de comptabilité analytique, de comptabilité patrimoniale, de système d'information nouveau ne se réalisera pas du jour au lendemain. Les pays évoqués ont agi très progressivement ; partout, des phases d'expérimentation ont été engagées. Dans les pays scandinaves ou les Pays-Bas, je suis frappé par un extrême pragmatisme. Le cas des Pays-Bas est le plus étonnant. Sur ce point, je réponds par anticipation à votre deuxième question. Il n'y a pas vraiment de pilote unique : chacun avance à son rythme. Les grands objectifs ont été fixés ; on se met d'accord, on franchit l'étape et on continue. En matière d'investissement, il faut réfléchir aux modes de contrôle : comment transforme-t-on les modes de contrôle ? Comment organise-t-on la suppression des contrôles a priori tout en conservant les garde-fous nécessaires pour veiller à la régularité et éviter la corruption ? Tous ces problèmes ont été étudiés sur les formes de contrôle a posteriori. Cela implique, dans le cas de la France, de réfléchir très sérieusement aux corps de contrôle internes des ministères ; si nous lançons cette réforme, ces derniers doivent être en mesure de procéder à toute vérification.

C'est pourquoi les dispositions transitoires que prévoit la proposition de loi organique seront essentielles. Je plaide pour une phase d'expérimentation, non pas en tant que représentant du ministère des Finances. Il faut vraiment procéder à une expérimentation pour que les choses se passent bien techniquement. Je ne vous incite pas à regarder le GPRA, mais il convient de prévoir un calendrier précis d'application et des expérimentations, qui me paraissent conditionner le succès de la réforme.

Qui porte la réforme ? Elle reçoit nécessairement un soutien actif et catalyseur du ministère des Finances et des directions du Budget. Je pense personnellement que le directeur du Budget peut jouer en France ce rôle. Intervient parfois un appui déterminant du Premier ministre. Par exemple, au Royaume-Uni, le Cabinet office placé auprès du Premier ministre, joue un rôle essentiel en matière d'expérimentation, de gestion du personnel et des politiques liées aux hauts fonctionnaires, etc... L'implication du Premier ministre et du ministre des Finances est déterminante.

À côté de cela, l'objectif de la réforme est de rendre le ministre responsable : le ministre dispose d'un plafond, dans la limite duquel il définit l'affectation des ressources. Il a donc un pouvoir budgétaire beaucoup plus grand. C'est lui qui procède à la planification, et non un organisme extérieur au ministère qui établirait le plan stratégique ou le plan de performance. Je ne dis pas pour autant qu'il n'y a pas, dans les pays cités, un contrôle du ministère des Finances, mais la responsabilité d'élaborer le plan est une responsabilité politique : le ministre prend un engagement ; il doit rendre compte de l'ensemble des agences ou services placés sous sa responsabilité. Celui qui porte la réforme, c'est donc le ministre, lequel a un engagement politique très fort.

Par rapport au panorama idyllique que j'ai pu tracer, le degré de l'engagement politique et le degré de pression du Premier ministre conditionnent le succès de la réforme. Il est intéressant d'étudier, par pays, les secteurs qui évoluent et ceux qui stagnent. Des secteurs ont connu de fortes évolutions, contrairement à d'autres restés plus en retrait. Je crois vraiment très grande la responsabilité politique du ministre. J'insiste sur un point : dès lors que toutes ces libertés lui sont données et que sont supprimés les contrôles a priori, aucun ministre des finances - je le dis à titre personnel - ne pourra accepter de donner à un ministre toute liberté sur son budget, toute liberté pour définir ses objectifs, et ne plus intervenir dans la gestion quotidienne du ministère si, au premier " coup de tabac ", le ministre, voire le chef du Gouvernement, demande que l'on augmente son budget. C'est la contrepartie du système. Cela joue pour le ministre, cela joue pour le Parlement.

Quant à la troisième question, il est clair qu'une telle réforme nécessite la mise en place de nouveaux systèmes d'information. Passer d'une comptabilité de caisse à une comptabilité de droits constatés réclame un investissement informatique lourd. Je prends l'exemple de la trésorerie britannique : le nouveau système est en train de mettre en place une banque de données globale sur tous les indicateurs de résultats de gestion utilisés par les ministères. Tout cela nécessite de concevoir l'informatique. Pour être franc, nous n'avons pas étudié cette question en détail, car nous ne pouvions tout faire en quatre mois. Dès lors que l'on veut élaborer un système informatique, il est important - et cela peut s'appliquer à notre pays - de définir en premier lieu le système d'information que l'on veut obtenir ; ensuite, on fait de l'informatique. J'aurais donc tendance à dire que le problème n'est pas tant l'informatique, mais ce que l'on va mettre dedans.

Sur les indicateurs, je voudrais préciser qu'il s'est avéré plus facile, dans tous les pays, de mettre en _uvre des indicateurs de gestion par ministère ou par agence de responsabilité, plutôt que des indicateurs de résultats pour des politiques. Là réside la difficulté. La liaison entre les indicateurs du gestionnaire et les indicateurs du résultat de la politique n'est réalisée très brillamment dans aucun pays. Je n'ai pas évoqué la Nouvelle-Zélande ni l'Australie, pourtant toujours citées comme les exemples en ce domaine ; mais ces pays ont trop mis l'accent sur l'efficience, c'est-à-dire sur les indicateurs de gestion au niveau des responsables. Or, on peut enregistrer une très bonne efficience d'un responsable et ne pas obtenir de bons résultats en matière de politique publique. Il faut donc y prendre garde.

J'ajouterai un élément, qui rejoint les propos de Mme Bricq : vous aurez beau disposer du meilleur système de gestion de la performance qui soit, si vous devez couper, comme l'ont fait les Canadiens, dans tous les crédits de manière extrêmement brutale, la qualité du service public sera moindre, même si la corrélation n'est pas automatique. Le système de gestion de la performance n'est pas une panacée. Il ne sera pas utilisé comme outil de la régulation.

M. le Président : La parole est à M. Jérôme Cahuzac.

M. Jérôme Cahuzac : De votre propos, on peut retirer l'impression qu'il s'agit beaucoup plus de la réforme de l'État que de la réforme de la procédure budgétaire. De cette remarque, je tire la question suivante : vous paraît-il nécessaire de commencer dans notre pays par la réforme de la procédure budgétaire ? Cela est-il possible indépendamment de toute autre perspective de réforme de l'État ?

S'il faut commencer par la procédure budgétaire - j'ai cru comprendre que c'était en partie votre opinion - quelles suggestions avanceriez-vous, nonobstant le fait que vous vous déclarez non-spécialiste en la matière ?

De façon plus précise, je voudrais vous poser trois questions. En matière de personnel, la fongibilité des crédits, que vous semblez préconiser, me paraît rencontrer l'accord d'une majorité d'entre nous. Je crois que ce système existe en Allemagne, où une grande fongibilité est prévue en matière de personnel, mais il existe aussi un système d'enveloppe fermée très rigoureux. Un tel système vous semble-t-il pouvoir s'appliquer dans le cadre d'une simple réforme budgétaire dans notre pays ?

Ma deuxième question porte sur la spécialisation : existe-t-il, dans les pays que vous avez étudiés, l'équivalent de nos comptes d'affectation spéciale, que la proposition de loi organique suggère de supprimer ? L'alternative pourrait être leur maintien, étant entendu que si le Parlement décide d'affecter spécialement telle ressource à telle action, seul le Parlement pourrait décider d'en modifier l'affectation, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.

Enfin, s'agissant de l'articulation des programmes avec les dispositions de l'article 40 de la Constitution, conviendrait-il de modifier la Constitution pour qu'un programme de 1000 puisse être scindé en deux programmes de 500 et quatre programmes de 250 par le Parlement ou peut-on trouver une technique budgétaire qui permettrait, sans tomber sous le coup de l'article 40, de transformer par amendement un programme de 1000 en deux programmes de 500 ?

M. Henri Guillaume : Effectivement, dans tous ces pays, c'est la réforme de l'État qui est à _uvre. Ils ont commencé par la réforme de l'État, mais, point essentiel, ils ont renouvelé leur procédure budgétaire pour instaurer un système de plus grande responsabilité des ministres et un système de plafonds. Je retrouve cette idée dans la proposition de loi organique. Elle s'inscrit tout à fait dans le sens de ce qui est dit.

Deuxième élément : il faut bien commencer par quelque chose. Compte tenu de notre système et de la symbolique de l'ordonnance de 1959, dire que l'on va changer l'ordonnance de 1959 est un signe politique fort vis-à-vis des gestionnaires. Pour répondre à votre question, il est clair qu'il faut une réforme globale de l'État. Dans le contexte français et compte tenu des dispositions de la proposition de loi organique, c'est, à mes yeux, une condition nécessaire pour commencer, mais je tiens à préciser qu'elle est loin d'être suffisante ; c'est un levier.

J'insiste une fois encore sur l'expérimentation. Il convient de faire en sorte que la réforme ne conduise pas à instaurer un nouveau système de contraintes qui porte préjudice à la mise en place d'un système de gestion de la performance. Si les programmes ne sont qu'une simple présentation budgétaire, assez globale et par association des coûts, ils ne sont pas forcément un élément catalyseur pour la réforme de l'État.

Qui établit les programmes ? Tout dépend du rapport entre l'exécutif et le législatif. Dans tous les pays, cette tâche revient à l'exécutif, sauf aux Etats-Unis où le rôle du Congrès est déterminant : il décide si une agence modifiera ou non son programme. Cela passe par les commissions spécialisées du Sénat et par la Commission des voies et moyens qui définit les programmes. C'est une question d'équilibre entre les pouvoirs exécutif et législatif. Dans notre cas de figure, il faudra bien un travail extrêmement technique des administrations. L'Allemagne, pays que nous n'avons pas étudié, ne me semble guère plus avancée que la France. Je ne suis pas non plus en mesure de vous répondre à la question relative aux comptes d'affectation spéciaux, n'étant pas un spécialiste budgétaire.

Les programmes interministériels constituent un aspect très intéressant. Il faut prévoir un mécanisme - je crois du reste que c'est le cas dans l'un des articles de la proposition de loi - permettant, en cas de programme interministériel, d'opérer des transferts d'un programme vers le ministère compétent. Je pense qu'il faut être capable de traiter ces politiques. Prenons l'exemple d'une politique impliquant plusieurs ministères, celle de la recherche : un programme, s'il était établi, devrait revêtir un caractère plus ou moins interministériel. Enfin, je suis incompétent pour répondre sur l'article 40.

M. le Président : Nous nous situons dans une configuration particulière, qui est celle de la France. L'origine de la situation actuelle découle d'un choix politique fait en 1959, au moment de la mise en _uvre de la Constitution de la Vème République. Partant de ce constat, la réforme de l'État, quelle que soit la perspective par laquelle on l'aborde, relève d'une décision politique - évidemment ! Et vous ne pouvez, dans le pays qui est le nôtre, compter sur les administrations pour se réformer elles-mêmes. Sans une volonté du pouvoir politique, jamais il n'y aura de réforme, pour des raisons qui tiennent aux traditions, aux habitudes, aux modes de fonctionnement, aux comportements que l'on connaît tous, tout simplement parce que chacun défend la parcelle de pouvoir qui est le sien. Quand on connaît les relations entre Bercy et les autres ministères, quand on sait les relations qui président aux administrations entre elles, on voit bien que si l'on n'a pas, au départ, un signal politique fort, donné par nous - il sera d'autant plus fort qu'il sera commun, opposition et majorité confondues, et soulignera qu'une telle réforme est de l'intérêt de tous sur le long terme - il n'y aura pas de réforme. C'est aussi simple que cela ! Nous sommes donc obligés de passer par la réforme de l'ordonnance de 1959, quel qu'en soit le contenu - bien sûr, il vaut mieux qu'il soit le plus solide possible - pour que le signal politique soit donné. Cela passe par là ; il n'y a pas d'autre réponse.

M. Henri Guillaume : En effet, dans aucun pays, l'administration n'a voulu se réformer ; dans tous les cas, c'est le pouvoir politique ou l'opinion qui a donné l'impulsion.

M. le Président : La parole est à M. René Dosière.

M. René Dosière : Je reviens sur la question des ressources humaines, compte tenu du poids budgétaire que ce type de dépenses peut représenter. Vous avez beaucoup insisté, dans les pays étudiés dans le rapport - la Suède, la Finlande, le Royaume-Uni et les Pays-Bas - sur une décentralisation des recrutements et des négociations salariales. En lisant les quelques pages qui sont consacrées au sujet, il ne semble pas que prévale dans ces pays un statut de la fonction publique aussi unifié ou centralisé que celui qui existe en France. Les modalités de gestion paraissent beaucoup plus souples. Jusqu'où peut-on aller, en France, compte tenu de ce statut et compte tenu du fait que l'on génère au moment du recrutement un coût budgétaire pour trente-cinq ans, auquel il faut ajouter une quinzaine d'années de retraite ? Ce n'est donc pas une dépense pour une année. Ne se pose-t-il pas là un véritable problème ?

Question annexe : quelle a été, dans la mise en _uvre des réformes, qui semble avancer lentement, l'attitude des organisations syndicales et de ce qui pourrait être l'équivalent d'un ministère du Budget, lequel, en France, aurait sans nul doute son mot à dire, en tous cas étudierait les projets très attentivement?

M. le Président : Pour compléter la question de René Dosière, je voudrais ajouter que le ministre de la Fonction publique manifeste un très grand intérêt à la réforme. Méfions-nous que cet intérêt, que je ne suspecte pas de malice, ne soit dicté par les contraintes qui s'imposent à lui dans le cadre de la gestion des fonctionnaires de l'État. Raisonner en termes de masse salariale est sans doute l'idéal. La situation spécifique qui est la nôtre peut-elle nous permettre de l'envisager ? Soyons réalistes. Si nous nous heurtons à des blocages à ce niveau-là, nous n'arriverons pas aux résultats que d'autres auront atteint parce qu'ils ne connaissent pas le même contexte que nous.

M. Henri Guillaume : Le mouvement de décentralisation est clair : une délégation du pouvoir de gestion du personnel est réellement donnée aux agences ou, comme c'est le cas aux Pays-Bas, aux ministères : la fonction publique a été découpée en huit secteurs homogènes : les enseignants, les policiers, etc..., chaque ministère gérant la catégorie professionnelle qui relève de ses compétences. Selon les pays, les situations sont différentes : un statut de la fonction publique dans certains pays, et, dans d'autres, comme au Danemark, des contrats de droit privé. Au Royaume-Uni, les deux systèmes sont à l'_uvre, de même qu'en France. L'évolution est très poussée.

Au Danemark, un syndicat représente 95 % de la fonction publique ; les évolutions ont été négociées avec lui. En complément du fait que l'on a divisé ou que l'on a déconcentré la responsabilité de la gestion, il est prévu des rendez-vous sociaux entre le responsable d'agence ou les ministres et les organisations syndicales. Dans tous ces pays, on a l'habitude de la recherche du consensus, de la discussion. Une vraie négociation sociale fut donc instaurée sur le sujet. Ces pays n'ont donc pas connu d'altération du dialogue social.

Si l'on commence à poser la question du statut, on ne s'en sortira pas. Je ne suis d'ailleurs pas convaincu que le statut actuel soit un frein déterminant. Je parle d'avancer, car si, on pose le statut en préalable au démarrage, il est inutile d'entamer quoi que ce soit. Il faut évoluer dans le cadre que l'on connaît. Je suis persuadé qu'il faut tendre vers une plus grande décentralisation, laquelle n'est pas incompatible avec les lois existantes. Cela a été fait dans certains domaines et c'est en train d'être entrepris dans les préfectures, où est lancée une expérience pilote qui me semble extrêmement intéressante.

Certes, on engage des personnels pour trente-cinq ans et plus, mais si l'on étudiait le système de nos huit partenaires, on retrouverait les mêmes éléments quelque part dans le budget du " hors bilan de l'État ". La garantie de tout système consiste à fixer des plafonds et à les respecter. De même pour la masse salariale. Si on s'engage dans un système en se disant que, de toute manière, cela ne marchera pas parce que l'on sera débordé à la première occasion, eh bien, l'on ne fait rien. La clef de voûte du système consiste à donner des responsabilités aux gestionnaires et aux ministres, avec pour contrepartie l'obligation de rester dans le cadre de son enveloppe.

M. le Président : La parole est à M. Gilles Carrez.

M. Gilles Carrez : M. Guillaume, vous avez indiqué que les réformes intervenues dans les pays que vous avez visités n'ont pas conduit à de grandes modifications en matière budgétaire, qu'il s'agisse des procédures ou de la nomenclature. En revanche, vous avez beaucoup insisté dans votre exposé sur les modifications en termes de définition de programmes, de responsabilisation des acteurs, d'évolution vers une sorte de culture du résultat. Nous nous situons là au c_ur de la réforme de l'État, comme l'a relevé M. Cahuzac. Je voudrais vous interroger sur les indicateurs. Pour mettre en place des objectifs, des programmes, pour mesurer des résultats, pour évaluer les moyens mis en _uvre en termes de ressources humaines et financières, un ensemble d'indicateurs est nécessaire : indicateurs de qualité de services, d'efficience des services publics et des résultats. On les trouve dans différents secteurs - sécurité, éducation nationale, environnement. Ces indicateurs doivent se ressembler d'un pays à l'autre et on doit pouvoir en tirer des enseignements. Or, lorsqu'en France, on amorce la discussion budgétaire sur tel ou tel budget de ministère, l'indicateur principal, qu'il s'agisse du regard que porte le ministre lui-même ou de l'appréciation que portent les parlementaires est très simple : un bon budget est un budget qui augmente ; un mauvais budget, un budget qui diminue !

Si je prends l'exemple de l'Éducation nationale, dotée d'un gros budget, on constate que ce ministère possède une batterie d'une dizaine d'indicateurs extrêmement intéressants, que l'on perd de vue dès l'ouverture de la discussion budgétaire. Et quand on se penche de plus près sur le comportement du ministère lui-même, on constate que, si ces indicateurs lui posent des problèmes, il les modifie ! Et même lorsque l'on peut s'appuyer sur des indicateurs internationaux établis par l'Unesco et que ceux-ci ne donnent pas de résultats favorables en termes de comparaisons internationales, il ne les utilise pas ! Tout cela est de notoriété publique.

Dès lors, à partir des expériences étrangères, ne peut-on retenir un certain nombre d'indicateurs communs qui pourraient, peu à peu, être diffusés dans nos propres structures et cela parallèlement à la réforme qui sera engagée, je l'espère, de l'ordonnance de 1959 ? Car je ne pense pas que la réforme de l'ordonnance de 1959 soit le préalable obligatoire à tout autre type d'action. Je voudrais évoquer un exemple intéressant, très particulier je le concède, celui de la direction des relations économiques extérieures (DREE) du ministère des Finances. Depuis maintenant deux ou trois ans, cette direction a obtenu de la direction du Budget - c'est plus facile entre voisins - la mise en place d'un contrat pluriannuel d'objectifs et de moyens, sur trois ans, qui lui permet d'obtenir une globalisation de ses moyens, non seulement en termes de masse salariale, mais également en termes de fonctionnement. Les moyens sont globalisés, liberté lui est donnée de sortir de l'annualité budgétaire et donc la possibilité lui est offerte de raisonner sur trois ans, avec, en contrepartie, la mise en place d'un ensemble d'indicateurs de qualité de services et des indicateurs d'efficience. C'est assez facile, puisque les interlocuteurs sont les entreprises, dont les besoins permettent de définir une qualité de services. Mais là où le travail a bien avancé, on retrouve la critique que vous souligniez à propos des expériences étrangères, c'est-à-dire la déconnexion assez large entre les critères de qualité de service et les critères d'efficience. C'est une critique que l'on retrouve partout. Cet exemple aurait pu être suivi par d'autres services s'il n'y avait pas eu les problèmes de réforme de l'État. Cette approche avait été mise en _uvre à la direction générale des impôts (DGI) ; elle a été abandonnée, notamment sous la pression des syndicats. Mais ce type d'avancée peut être conduit indépendamment ou parallèlement à la réforme de l'ordonnance de 1959. Je voudrais vous interroger sur ce point : la diffusion d'indicateurs de performance, mais surtout de qualité de services et de résultats, peut-elle être accélérée à partir des expériences que vous avez étudiées?

M. Henri Guillaume : Vous avez raison de citer le contrat d'objectif de la Dree, ainsi que celui de la Dgi, qui a connu le sort que vous avez indiqué. On peut également citer l'expérimentation qui a lieu dans des préfectures, où une expérience de fongibilité, de globalisation des crédits et de décentralisation de gestion, est en train de se mettre en place. C'est ce que l'on voit partout ; mais la condition, je le répète, est d'identifier le centre de responsabilité avec lequel on contractualise.

S'agissant des indicateurs, il est plus facile d'arrêter des indicateurs de gestion, d'efficience ou de qualité de services. C'est plus aisé dans certains ministères que dans d'autres. Un effort technique est entrepris pour bâtir ce type d'indicateurs. Ensuite, il existe les indicateurs dits " de résultats ", qui sont associés à des politiques. C'est plus compliqué : quel est l'impact de la politique éducative ? En ce domaine, il est fondamental que les objectifs poursuivis soient clairement explicités ; ensuite, on définit des indicateurs. Il y a donc deux volets : d'une part, le point de savoir si l'administration fonctionne à un coût correct par rapport aux objectifs qu'elle poursuit ; d'autre part, un aspect plus politique consistant à rechercher si les objectifs sont atteints. Il est nécessaire d'avancer sur ces deux fronts. Une incitation doit présider à l'élaboration des indicateurs. Selon moi, deux éléments me semblent importants. Il me paraît normal que, dans un État démocratique, le citoyen, via le Parlement ou par d'autres voies - comme internet - soit au courant des données. Partout, l'objectif poursuivi est un objectif de transparence et de contrôle démocratique.

La modification des indicateurs ? Pour l'instant, c'est la règle du jeu. Mais si on les incorpore dans la procédure et que l'on introduit donc une certaine forme de contrôle sur les indicateurs, on ne pourra plus les modifier l'année où leur évolution apparaîtra négative. L'indicateur doit à la fois être validé par les corps de contrôle internes des ministères et faire l'objet, sous une forme que je ne connais pas, d'un accord entre l'exécutif et le législatif, pour éviter les dérives que vous signaliez.

M. le Président : La parole est à M. Jean-Jacques Jégou.

M. Jean-Jacques Jégou : Je reviens d'un mot sur les propos de M. Delalande insistant sur la nécessité d'un consensus, tout particulièrement pour la question évoquée par M. Dosière, à savoir celle du personnel. Vous avez donné des indications intéressantes : plutôt que d'utiliser les notions d'emplois budgétaires, raisonnons en termes d'effectifs et de masse salariale. Cela induit une modification déjà importante qui me semble indispensable. Si nous pouvons avoir l'espoir de nous accorder de manière consensuelle sur ce point, nous pouvons essayer d'entamer la réforme. Son caractère consensuel me paraît indispensable.

Je reviens sur les services votés. Le Canada, notamment, est reparti à zéro, pour vérifier la pertinence des choix. Il ne me semble pas possible de monter un système fondé sur la performance si on ne repart pas à zéro en s'interrogeant sur l'efficience de l'action, sur la pertinence de tel poste dans tel ministère ou des crédits nécessaires à la performance. Vous placez-vous bien dans cet état d'esprit selon lequel les services votés doivent être mis à plat et être rediscutés par le Parlement ?

M. Jean-Pierre Delalande : Dans le prolongement de la remarque de M. Jégou, nous pourrions, par exemple, lancer ce mouvement dans le cadre de la mission d'évaluation et de contrôle. Plutôt que de prendre des sujets divers, épars dans plusieurs ministères, notamment en fonction des travaux de la Cour des comptes - je reconnais qu'ils sont par ailleurs précieux -, l'on pourrait décider d'entreprendre ce travail de remise à zéro, de réévaluation d'un ministère, de le décortiquer pour, en même temps, mettre au point l'ingénierie de la réforme. Ce peut être l'une des modalités de l'expérimentation.

M. Henri Guillaume : Bien entendu, la disparition des services votés est, à mon avis, une innovation fondamentale de la proposition de loi organique. Dans les pays étudiés, dont nous avons décrit les programmes et les procédures budgétaires, les services votés n'existent quasiment nulle part.

M. Jean-Pierre Delalande : Dans aucun des huit pays visités ?

M. Henri Guillaume : Il doit y en avoir un ou deux, mais en réalité on repart à zéro. L'idée est de procéder à un examen des programmes. Reconsidérer le sort des services votés est donc essentiel.

M. Guy Lengagne : Dans tous les autres pays, on connaît des ajustements, mais pas de régulation ex abrupto ou par une lettre à chaque ministère supprimant tel montant de crédits de tel chapitre ; si j'ai bien compris, avec le système des programmes, cela n'existe pas.

M. Henri Guillaume : Cela n'existe pas, parce que les plafonds sont fixés ne varietur, c'est-à-dire que le débat est consacré au " vrai budget ". Il ne s'établit pas une sorte de consensus entre ceux qui préparent le budget et ceux qui disent : " On inscrit un peu plus et puis on coupera.  " C'est un vrai plafond.

M. Guy Lengagne : Il n'en est pas toujours ainsi. Des amputations interviennent parfois.

M. Henri Guillaume : Cela n'exclut pas - c'est même indispensable - que le ministère des Finances contrôle. Avec le meilleur système du monde, si la croissance économique chute de plusieurs points par rapport aux prévisions, il faudra bien réagir et pratiquer des mesures brutales.

M. le Président : La parole est à M. Henry Jean-Baptiste.

M. Henry Jean-Baptiste : Beaucoup de questions ont été posées et beaucoup de réponses très éclairantes sur la diversité des expériences sont présentées dans votre rapport, M. Guillaume. Depuis longtemps, en France, des expériences ont été menées, que l'on a appelé " la rationalisation des choix budgétaires ", " expérience RCB ", " budgets fonctionnels ". Ces expériences n'ont pas produit tous les résultats que l'on pouvait en attendre. Outre le problème des services votés que nous avons évoqué, nous voyons la nécessité de s'inspirer des expériences étrangères, en tenant compte d'un fait capital, que vous avez signalé : tous ces pays que vous avez visités n'ont pas, comme la France, une attitude si restrictive vis-à-vis de la décentralisation. Ces pays considèrent leurs collectivités locales beaucoup plus naturellement ; il semble qu'en ce domaine des résolutions nouvelles soient prises et s'appliquent. Cela dit, il faut surtout mettre en lumière ce que vous nous avez rapporté sur l'expérimentation. Elle doit, autant que faire se peut, sortir de ces habitudes anciennes, qui consistaient finalement à laisser à la seule direction du budget le soin de concevoir et de suivre les budgets. L'expérimentation doit intégrer sous des formes différentes, soit la décentralisation politique, soit la décentralisation au profit d'autres collectivités, soit la décentralisation technique. C'est ainsi que l'on pourra conduire une expérimentation véritablement complète par ministère, par service, par échelon géographique de collectivité décentralisée ou technique. C'est ce que j'ai retenu de votre très intéressante analyse.

M. Henri Guillaume : Il convient de réaliser l'expérimentation, certes, mais également de donner le signal que l'on s'oriente vers une action d'ensemble.

M. le Président : Il ne faut pas que l'expérimentation soit un gadget, sinon on nous reprendra d'une main ce que l'on nous aura donné de l'autre.

M. Henri Guillaume : Il faut un calendrier précis.

M. le Président : Absolument. Jean-Jacques Jégou a souligné l'importance du consensus ; je n'ai cessé de le répéter depuis le début : telle est ma conviction. Ce consensus dépend de chacun d'entre nous. Nous sommes là un certain nombre, ceux qui suivent véritablement cette question et qui savent l'importance que cela peut représenter pour le fonctionnement même du Parlement. Nous devons être capables de porter ce message. Encore une fois, je crois pouvoir dire que cette réforme n'est pas une réforme partisane. Elle se fonde sur l'intérêt de notre pays, l'intérêt de l'État, l'intérêt du Parlement. Je suis de ceux qui, dans cette maison et depuis un certain nombre d'années, souffrent de plus en plus de voir comment se déroulent nos débats budgétaires. Cela devient caricatural, à gauche comme à droite. Nous sommes tombés dans une caricature de débat démocratique. Cela ne ressemble plus à rien et cela limite notre influence, qui se réduit comme peau de chagrin, même si l'on fait des efforts. Je trouve que l'on fait tant d'efforts pour si peu de résultats que l'on s'interroge pour savoir si cela vaut la peine ! Nous ne sommes pas dans le cadre d'un pays sous-développé, mais quand on voit ce que vous avez observé dans des pays, pour beaucoup d'entre eux semblables au nôtre, on mesure bien notre retard !

Je distingue bien le travail budgétaire et le travail législatif. Moins de critiques sont à porter sur le plan législatif, car nous réalisons un travail sérieux. Même si ce n'est pas ce qui ressort du débat dans l'hémicycle, qui n'est que la mise en scène finale, parfois avec un mauvais metteur en scène, je pense que le travail réalisé en amont est exceptionnel. C'est sur le plan budgétaire que nous connaissons un problème. Et nous y consacrons deux mois. Lorsque nous entamons cette période statutaire ou constitutionnelle, grande est la difficulté à aborder des sujets qui devraient nous intéresser. Je pense à ce qui se passe à l'extérieur, dont tout le monde parle et dont nous sommes les seuls à ne pas parler. Nous allons donc en parler ! Je suis satisfait de voir que nous en arrivons finalement à la proposition que j'avais avancée, de spécialiser de temps à autre les questions d'actualité. Nous avons consacré à l'Europe la séance des questions d'actualité du 13 octobre, au cours de laquelle nous avons notamment interrogé le Gouvernement sur le problème des farines animales. Nous tiendrons sur ce sujet un débat le 21 novembre au sein de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, ouvert à la presse et, le 28 novembre, une séance de questions orales sans débat sera consacrée à ce problème. Nous le reprendrons également à l'occasion de l'examen du budget de l'agriculture.

Je tiens à remercier M. Henri Guillaume pour cette présentation passionnante. Ce ne sont pas des mots de convenance. Il conserve le contact avec le Rapporteur général ; nous resterons donc en relation. Tous les contacts qu'aura le Rapporteur général seront ouverts à chacun d'entre vous. Notre travail de commission comprendra donc une partie de travail public et une partie organisée par le Rapporteur, qui informera chacun d'entre nous de la possibilité d'assister à ces contacts, afin que vous soyez en mesure de suivre les questions qui vous intéressent plus particulièrement. Je vous remercie.

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2.- Audition de M. Pierre Joxe,
Premier président de la Cour des comptes.

(Extrait du procès-verbal de la séance du jeudi 16 novembre 2000)

Présidence de M. Raymond Forni, Président de l'Assemblée nationale

M. le Président : Mes chers collègues, dans le cadre du cycle d'auditions décidé par notre Commission spéciale, nous entendrons aujourd'hui M. Pierre Joxe, Premier président de la Cour des comptes, que j'ai le plaisir de saluer. Je remercie également les membres de la Cour des comptes présents à vos côtés. Aux termes même des dispositions de l'article 47 de la Constitution, la Cour des comptes assiste le Parlement et le Gouvernement dans le contrôle de l'exécution des lois de finances. Je souligne d'ailleurs que, depuis le début de la législature, les liens se sont resserrés entre la Cour des comptes et l'Assemblée nationale. Dans la période actuelle, un échange entre la Cour des comptes et notre assemblée est permanent, ce qui ne peut que nous faciliter la tâche. Tout d'abord, la Cour apporte son concours actif à la Mission d'évaluation et de contrôle que la Commission des finances a créée en 1999 - je parle sous le contrôle du Président de la Commission des finances et du Rapporteur général.

En second lieu - et l'exposé des motifs de la proposition de loi organique de Didier Migaud le souligne -, la Cour a apporté un concours précieux à l'élaboration de ce texte. Je crois pouvoir dire que, désormais la réforme est sur les rails, puisque le débat sur cette proposition de loi organique est prévu pour le début du mois de février prochain. Au passage, je me réjouis des propos tenus voici quelques jours par le Président de la Commission des finances du Sénat, M. Lambert qui, avec quelques nuances ou différences, rejoint les propositions de Didier Migaud. Il existe donc une volonté commune au Sénat et à l'Assemblée nationale.

Nous sollicitons une nouvelle fois votre aide, M. le Premier président. Je vous suggère de présenter, dans un exposé liminaire, votre approche de la réforme de l'ordonnance de 1959 ; nous passerions ensuite à l'exercice des questions-réponses, qui permettra d'approfondir notre réflexion.

M. Pierre Joxe : C'est un très grand plaisir pour moi de venir réfléchir avec vous sur une réforme que, avec certains d'entre vous, nous avions appelée de nos v_ux il y a déjà plus de 20 ans. L'ordonnance portant loi organique relative aux lois de finances, élaborée dans des conditions incroyables voici quarante ans, fait partie du bloc de constitutionnalité, dont elle constitue une partie très solide. Vous siégez en Congrès à Versailles chaque fois qu'il est nécessaire de modifier la Constitution, mais l'ordonnance de janvier 1959 paraît depuis quarante ans un monument, une pyramide, inaltérable ! Dans un rapport publié par le Sénat, un ancien haut fonctionnaire devenu parlementaire puis ministre, M. Aurillac, raconte comment cette ordonnance est née - il en était le rapporteur au Conseil d'Etat - et pourquoi certains souhaitaient que les modifications budgétaires en cours d'exercice relèvent du contreseing du seul ministre des finances : " Le directeur du budget et ses collaborateurs auraient évidemment préféré que le pouvoir réglementaire relève de leur seul ministre, d'autant que la signature du ministre pourrait, en fait, être déléguée au chef du bureau compétent de la direction du budget. " Tout est dit !

Quarante ans après, vous osez entreprendre cette réforme, à la suite de la tentative effectuée il y a 20 ans par certains d'entre vous, dont MM. Emmanuelli et Derosier. M. Brunhes avait également déposé une proposition de loi en ce sens en 1980, comme d'ailleurs M. Delalande en 1981. L'histoire des propositions de réforme de cette ordonnance portant loi organique révèle que ce sont toujours des parlementaires de l'opposition qui déposent des propositions de réforme et qui, atteints d'amnésie lorsqu'ils arrivent au pouvoir, l'oublient. Cette année, pour la première fois, non seulement c'est le Rapporteur général de la Commission des finances qui dépose une proposition de loi organique, mais, au surplus, l'autre assemblée, où la majorité est d'une autre couleur, mène des travaux convergents. Ainsi, pour la première fois, on peut penser, comme le laissait entendre M. le Président, que cette réforme aura lieu. C'est une question majeure. En 1980, déjà, nous posions le problème dans l'exposé des motifs de notre texte : " On ne peut pas croire que le Parlement n'ait le choix qu'entre renoncer à ses attributions constitutionnelles ou bloquer le fonctionnement de l'Etat. "

On ne peut croire, vingt ans après, qu'il soit impossible de modifier ce que le Sénat appelle la " constitution financière " sans retomber dans la quatrième République. Non, c'est une réforme urgente pour des raisons qui nous sont propres. Comme vous avez entendu l'exposé de M. Henri Guillaume, qui a parfaitement décrit à quel point le droit budgétaire et financier des autres pays européens est différent du nôtre, je me limiterai à l'essentiel.

Renforcer l'efficacité des finances publiques de la France, revaloriser la fonction du contrôle parlementaire : le dossier prend une ampleur nouvelle si l'on songe au cadre juridique contraignant dans lequel, aujourd'hui, la France se trouve dans le domaine des finances publiques et au regard des institutions européennes. J'ai entendu ce matin à la radio que le secrétaire d'Etat au budget va reporter, sur 2001, quinze ou dix-huit milliards de francs. Certes, l'on progresse dans le domaine de la sincérité budgétaire - l'on nous annonce maintenant à l'avance ce qui autrefois s'opérait en cachette ! J'ai entendu le ministre de l'éducation nationale annoncer le recrutement de dizaines de milliers d'enseignants dans les cinq années qui viennent ; l'annualité budgétaire, chacun le voit, paraît inadaptée face à de tels problèmes, qui se posent en particulier dans le domaine de la fonction publique et notamment dans des secteurs aussi importants que l'éducation nationale.

Lorsque le ministre des finances se rend à Bruxelles dans le cadre du programme de stabilité auquel nous sommes soumis, il se trouve, lui aussi, devant des perspectives triennales ; l'article 104 du traité instituant la Communauté européenne (TCE) fait peser sur nous une très forte contrainte. Il ne dit plus : " Les Etats membres s'efforcent d'éviter les déficits excessifs " ; il dispose que : " Les Etats membres évitent les déficits excessifs " ! Dans la version anglaise ou allemande et d'autres langues encore, c'est l'impératif qui est utilisé. Il faut donc bien lire en français comme un impératif le présent de l'indicatif. C'est donc une règle stricte assortie de sanctions sévères. Si l'Etat ne respecte pas ses obligations, la Commission européenne peut établir un rapport, qu'elle transmet au Conseil, lequel, à son tour, peut tarir les financements communautaires. Certes, cela nous choque, mais telle est la réalité du droit en vigueur. Au-delà, la Commission peut contraindre l'Etat à un dépôt non rémunéré, qui peut se transformer en amende au bout de deux ans.

Nous nous situons donc dans un cadre européen tellement différent de ce que nous avons connu, que la réanimation, la résurrection du contrôle parlementaire sur l'élaboration et l'exécution des lois finances devient une nécessité. C'est l'une des raisons pour lesquelles votre projet, nous sommes nombreux à le penser, va aboutir dans ce contexte nouveau.

Un abîme sépare le Parlement français des autres parlements européens en ce qui concerne les pouvoirs budgétaires. En France, l'adoption de la loi de finances est soumise à un régime particulier, restrictif, dérogatoire. Au Bundestag allemand, il s'agit d'une loi comme les autres ; toutes les difficultés doivent être négociées avec les parlementaires. En France, vous continuez à adopter par un seul vote 90 % du budget - les services votés. Le Riksdag suédois, par exemple, procède chaque année à l'examen détaillé de l'ensemble des crédits et peut procéder à des redéploiements à l'intérieur des programmes. Vous recevez des crédits présentés selon une typologie qui rend impossible l'analyse stratégique, alors que la Chambre des communes analyse les crédits de chacun des ministères sur la base d'objectifs stratégiques. Alors que l'annualité demeure en France un dogme intangible, dans la plupart des pays d'Europe, le budget annuel, qui subsiste bien sûr, est inscrit dans une perspective pluriannuelle. En Suède, celle-ci est triennale ; en Allemagne, il existe un plan financier quinquennal qui ne crée pas une obligation, mais qui doit être débattu et intégrer une discussion avec les Länder et les communes : il rattache les finances fédérales à celle des collectivités locales.

Comparaison n'est pas raison et il n'est pas un exemple étranger qui s'impose ; mais, de tous ces exemples vous vous êtes inspirés et, dans tous les pays de l'Ocde, ces réformes ont avancé. La France est très en retard, d'autant que les efforts de transparence - je serai sur ce point très bref, sinon vous croirez que je plaide pour notre paroisse, ce qui n'est pas mon intention - restent à opérer : certification des comptes, clarté des comptes, fidélité des comptes, sincérité des comptes... dans ce domaine, toute une série de progrès reste à réaliser et la France, en matière de comptabilité de droits constatés et de comptabilité patrimoniale, se trouve en retard et bientôt totalement isolée.

Depuis longtemps, l'institution dont j'ai la charge dénonce des errements, qui ne seraient pas tolérés chez nos voisins. J'en prendrai quelques exemples : les crédits de personnel, les artifices comptables de fin de gestion et l'épisode appelé de manière très impropre " la cagnotte "

S'agissant des crédits de personnels, en France, compte tenu de la charge actuelle des fonctionnaires - qui représentent 40 % des dépenses ordinaires civiles - et de la charge future, mais certaine, des retraites de la fonction publique, il est absolument invraisemblable, mais pourtant vrai, que les dispositions de la fameuse ordonnance selon lesquelles " les créations et transformations d'emplois ne peuvent résulter que de dispositions prévues par une loi de finances " sont transgressées systématiquement, en permanence et à grande échelle. Les critiques de la Cour ont démontré la péremption du texte de 1959. Comme j'ai connu, depuis mon entrée en fonction, beaucoup de ministres des finances - MM. Madelin, Alphandéry, Arthuis, Strauss-Kahn, Sautter, Fabius - mes critiques ne s'adressent à aucun d'eux en particulier et à aucune tendance politique plutôt qu'à une autre. Je procédais de la même manière lorsque je siégeais au Gouvernement, je le confesse.

Pour évoquer un secteur que j'ai bien connu, celui de l'Intérieur, nous constatons qu'aujourd'hui le taux de distorsion entre les emplois autorisés en loi de finances et les emplois disponibles en gestion est supérieur à 10 %, si l'on tient compte des emplois d'adjoints de sécurité, de ceux payés sur des crédits de fonctionnement et des emplois en surnombre de gardiens de la paix non gagés. C'est une anomalie. Je viens donc d'adresser un référé au ministre de l'intérieur et, comme la loi m'y autorise, je vous en remets copie, M. le Président de la Commission des finances. Je n'agirais peut-être pas de la sorte si nous étions dans la situation inverse : il y a 10 % de plus de fonctionnaires de police en activité que ce qui est autorisé par la loi de finances. Tant mieux ! Mais est-ce une situation normale ? Et diriez-vous la même chose s'il y en avait moins ?

Et comme ce matin même j'entendais le ministre de l'éducation nationale annoncer les recrutements massifs qui seront nécessaires, je pense que le moment est venu pour la représentation nationale, et singulièrement pour l'Assemblée nationale, de s'engager dans un contrôle méthodique, systématique, non pas pointilleux mais stratégique, des embauches dans la fonction publique.

Je vous transmets copie de ce référé adressé au ministre de l'intérieur ; ce n'est pas mon habitude, mais le Président de la Commission des finances prépare un texte qui rendrait obligatoire la transmission à la Commission des finances de tout référé ; en attendant ce texte, je dispose simplement de la faculté d'effectuer une telle transmission.

Dans le domaine des rémunérations, la Cour des comptes a publié des informations sur le système opaque mis en place par le ministère des finances au bénéfice de certains fonctionnaires. Leur qualité professionnelle n'est pas en jeu. Mais le ministère a pris des engagements qu'il est en train de mettre en _uvre. Il nous a paru choquant que des hauts fonctionnaires des finances chargés précisément de faire rentrer l'impôt puissent bénéficier de rémunérations très élevées qui étaient défiscalisées. Il n'est pas acceptable dans un Etat de droit que le petit contribuable en retard dans le versement de ses impôts soit poursuivi comme un malfaiteur, alors que persistent dans les sommets de la fonction publique des situations de ce genre. C'était une rumeur. Depuis leur révélation par la Cour, de telles anomalies sont en voie de correction ; voilà pourquoi j'en parle aujourd'hui. Si le Parlement pouvait continuer à contrôler cela, de telles situations ne se reproduiraient plus.

Un mot sur les artifices comptables de fin de gestion. Nous avons appris ce matin à la radio que la secrétaire d'Etat au Budget annonçait le report sur l'exercice 2001 de 18 milliards de recettes non fiscales. Cela signifie tout de même que l'effort de transparence va dans le bon sens.

Troisième exemple, la cagnotte...

M. Philippe Auberger : J'ai déposé, dans le cadre de la discussion du projet de loi de finances pour 2001, un amendement précisant que les recettes constatées une année donnée devaient être inscrites dès cette année-là dans la loi de finances. Mon amendement a été repoussé au motif - fort contestable - qu'un texte de loi organique permettrait de remédier à cette anomalie effective et qu'il ne convenait pas de précipiter les choses.

M. Pierre Joxe : Vous n'avez pas obtenu une satisfaction juridique, mais, ce matin même, Mme Parly vous a apporté une satisfaction morale ! Ce sont les plus importantes, dans la mesure où la sincérité apparaît.

L'exemple de la cagnotte, qui ressemble beaucoup à l'épisode de l'arroseur arrosé, est de même nature : l'obscurité, qui était utilisée traditionnellement par le ministère ou ses services pour masquer une réalité budgétaire difficile, a joué cette fois en sens inverse. Au moment où la conjoncture s'est retournée et que l'augmentation des revenus, poussés par la croissance, a produit une augmentation du produit fiscal, tout d'un coup, la révélation de la cagnotte, loin d'être reçue comme une bonne nouvelle
- curieusement - est apparue comme une sombre histoire. Là encore, les règles de l'ordonnance de 1959 ont révélé leur inefficacité.

Je vous citerai encore deux exemples. A mon arrivée au ministère de la défense, j'ai découvert qu'il était impossible de connaître, pour les grands programmes d'armement, dont certains portent sur 20 milliards de francs sur cinq ans, le montant des dépenses effectuées, ni celui des dépenses engagées. De même, il était impossible de savoir quelles économies il était possible de réaliser sur ces programmes, compte tenu des dommages-intérêts qu'auraient entraînés des annulations de contrats. Le système de financement était une boîte noire ; le haut fonctionnaire que j'ai nommé pour y voir clair a eu besoin d'une année de travail et ce n'est que le rapport de la Cour des comptes d'il y a trois ans qui a éclairci la question. Aujourd'hui, le ministère de la défense connaît le niveau de ses engagements, mais, durant quarante ans, le principe même de l'obscurité des dépenses d'équipement militaire était érigé en dogme.

Autre exemple, en tant que ministre de la défense, j'ai engagé des forces en opérations extérieures en Bosnie et en Somalie, sans crédits disponibles. Dans le même temps, mon collègue britannique avait des discussions approfondies avec les autres membres du cabinet, notamment le ministre des finances. Il devait préciser le nombre d'hommes qu'il enverrait, pour combien de temps et le montant des dépenses imprévues. Cette procédure budgétaire, les contrôles qui l'assortissent et les discussions politiques n'ont jamais nui à la capacité de projection des forces britanniques dans le monde. La France se trouve donc dans une situation tout à fait particulière.

Au ministère de l'intérieur, j'ai eu tort - en droit - mais raison, en fait, d'engager le plan de modernisation de la police sans avoir les crédits disponibles. J'ai commandé matériels et véhicules avant même le vote des crédits. J'ai gagé des dépenses sur des recettes fictives ; nul n'ignorait que les recettes d'amendes ne produisent jamais les montants attendus et que, en grande partie, elles ne sont pas encaissées. Comment se fait-il que ce théâtre d'ombres serve à des tâches nobles ? Depuis quarante ans, il est devenu habituel, presque institutionnel, de considérer que, si la France est un Etat de droit, un domaine échappe encore à ses règles : la préparation, la discussion, le vote, l'exécution et le contrôle de l'exécution du budget. Grâce à votre initiative, nous allons sortir de cette situation. Ce moment est historique ! Le xixème siècle a été celui du progrès du parlementarisme, il a connu les progrès des contrôles des parlements sur les budgets. Bien avant la garantie des libertés publiques, bien avant la généralisation du suffrage universel ou les libertés accordées aux nationalités dans les grands empires, le contrôle d'élus sur la dépense publique et les recettes était avéré. Il est vrai que le xxème siècle aura été une période de régression. Et voilà qu'aujourd'hui, dans une France intégrée au sein d'un système européen qui nous encadre et nous contraint par des menaces de sanctions financières, la réforme entreprise permettra une véritable rénovation.

Plusieurs points positifs sont à souligner dans la configuration politique de cette réforme : le Président de l'Assemblée nationale est impliqué dans cette tâche ; son prédécesseur est devenu ministre des finances ; le Président de la Commission des finances est un ancien secrétaire d'Etat au budget ; de nombreux députés de l'opposition ont pris parti pour cette réforme, à laquelle le Sénat travaille également.

La Cour des comptes a eu l'occasion de vous remettre un document dont vous vous êtes en partie inspirés. Nous restons à votre disposition pour des audiences techniques, car la Cour est riche de magistrats compétents, à commencer par le Président de la première Chambre, qui est l'auteur du document précité.

Compte tenu de la mobilisation dont vous faites preuve, je voudrais évoquer les sept principes sur lesquels il conviendrait de tenir bon pour une loi organique qui devrait être brève, si elle ne peut tout couvrir, et aboutir dès les semaines qui viennent. C'est à dessein que les questions budgétaires sont complexes ; il est normal que les parlementaires français ne soient pas au fait des procédures budgétaires car elles sont conçues pour être incompréhensibles. J'ai donc essayé de choisir les sept thèmes concrets qui peuvent parler à un parlementaire soucieux de contrôle. Les principes sur lesquels il faut tenir bon sont les suivants : sincérité, continuité, consolidation, pluriannualité, responsabilité, transparence, certification.

Le principe de sincérité est l'affirmation prioritaire. Il figure à l'article 2 de votre proposition de loi organique ; pourquoi ne pas le transférer à l'article premier dans la mesure où il est absolument vital ? Le ministre du budget commence à s'y rallier. Il s'agit de tenir compte du fait que ce principe existe en droit privé et qu'il est consacré par l'un des premiers articles du code de commerce. Il faut dire la vérité ! Pourquoi ne pas le dire en droit public ? Un budget qui n'est pas sincère mérite-t-il le nom de budget ? Non, c'est un alibi, un masque, un habillage, un leurre. Évidemment, la sincérité est la première fonction de la Cour. Les comptes sont-ils sincères, le budget est-il sincère ? Il est très difficile d'affirmer que des prévisions sont sincères, car elles peuvent être sincères et fausses ; on peut avoir prévu des hypothèses économiques et se heurter à un événement imprévisible. À l'inverse, elles peuvent être insincères et justes. L'on a voulu mentir, mais des événements favorables et imprévus se réalisent ! Mais que les prévisions soient sincères nécessite une démarche qui, dès le début, dès l'élaboration du projet de loi de finances, place la sincérité au rang d'objectif politique majeur. L'objectif politique majeur n'est pas de faire voter un bon budget de window dressing - qui soigne les apparences - mais un budget réel. Je reviens à l'Europe. Il faut faire de nécessité vertu : les gouvernements d'aujourd'hui et de demain, même s'ils ne souhaitaient pas établir des budgets sincères, ne sont plus soumis au seul contrôle des Commissions des finances et des assemblées parlementaires ; ils sont soumis à Bruxelles, où M. Fabius se rend déjà pour présenter nos perspectives financières. Si cette sincérité était éludée dans le cadre national, l'insincérité serait révélée au niveau européen. Nous n'évoluons plus dans un contexte permettant les tours de passe-passe.

Le deuxième principe est celui de la permanence. Il appelle la continuité dans les méthodes et les procédures. C'est d'ailleurs l'une des conditions de la sincérité. Si l'on change les cadres statistiques et comptables et les définitions, le budget, le contrôle de l'exécution du budget, les comptes, le contrôle de la Cour des comptes sont privés de leur portée. Le non-respect de ce principe est très grave : dès lors que le principe de continuité dans les procédures et les méthodes est abandonné, cela provoque un désintérêt et un éloignement du débat budgétaire.

Avec le principe de consolidation, nous progressons dans la difficulté. Comme pour les collectivités locales et la sécurité sociale, les finances publiques de l'Etat, qui ne sont pas sans lien avec la sécurité sociale et les collectives locales, devraient être présentées dans un cadre consolidé comprenant d'ailleurs la contribution au budget de l'Union européenne, aujourd'hui cachée sous le masque d'un prélèvement sur recettes, alors qu'elle atteint une centaine de milliards de francs, c'est-à-dire plus que le budget d'équipement du ministère de la défense ou que le budget du ministère de l'intérieur. Seule une consolidation des comptes publics effectuée conformément à la projection triennale fournie à la Communauté européenne permettra de réaliser les comparaisons internationales pertinentes et donc de mieux suivre les évolutions nationales. La position de la Cour sur ce point est connue, elle est publiée et le Gouvernement a commencé à prendre et à tenir un certain nombre d'engagements, notamment celui de rebudgétiser, en particulier, certaines rémunérations de fonctionnaires ou des crédits de la Poste, pour des dizaines milliards de francs. Nous sommes sur la bonne voie et votre proposition de loi organique en permettra le prolongement.

Le quatrième principe est celui de la pluriannualité. J'ai la conviction que ce principe, qui est posé chez tous nos voisins et dans beaucoup d'organisations internationales est une nécessité. Je suis le contrôleur des comptes de la FAO, qui fonctionne avec un budget bisannuel et des perspectives sur quatre ans. La pluriannualité est inscrite dans nos règles européennes ; l'article 104 du TCE nous place dans une perspective triennale. Le ministre des finances travaille actuellement à un programme de stabilité triennal qu'il devra présenter à la Commission européenne. Faire de la pluriannualité le cadre de référence pour le débat budgétaire est donc devenu une nécessité pour la France, à l'instar de l'Allemagne, de la Suède et de tous les pays anglo-saxons.

La responsabilité des ministres constitue le cinquième principe. Vous l'avez introduit dans votre proposition avec le vote des crédits par grande mission et la fongibilité des crédits. Rendre les gestionnaires responsables n'est pas à proprement parler une réforme budgétaire, c'est une véritable réforme de l'Etat. C'est plus qu'une réforme administrative, c'est une réforme de la conception même des grandes missions de l'Etat !

Le sixième principe, celui de la transparence, n'est pas statique, mais actif. Il ne consiste pas uniquement à projeter un transparent sur lequel chacun pourrait lire les chiffres. Non, la transparence suppose le dialogue entre les différents acteurs, l'exécutif, le législatif et notamment les commissions des finances, les institutions de contrôle, comme la Cour des comptes. Il faut agir comme vous avez commencé avec la mission d'évaluation et de contrôle ; la discussion est un élément de transparence. Un autre élément de transparence est fourni par la globalité de la vision patrimoniale de l'Etat, comme de toute collectivité publique. Connaît-on la situation financière de telle collectivité si l'on n'a pas d'information sur son actif, sur son passif, sur sa position patrimoniale ? Enfin, la transparence appelle l'évaluation des performances. Les informations transmises au Parlement peuvent et doivent être améliorées. Votre proposition de loi introduit, là aussi, des orientations. Sans tomber dans l'excès qui aboutirait à ce que les ministères développent leurs services de contrôle et d'étude, vous avez, vous parlementaires, des pouvoirs de contrôle que vous devez exercer.

Le septième principe recouvre la certification des comptes. Il est vrai que nous sommes là dans un domaine nouveau. Ce qui relève du droit commun pour le monde des affaires, ce qui est devenu le droit commun dans le domaine associatif, puisque toute association recevant un certain volume de subventions publiques doit faire appel à un commissaire aux comptes qui doit certifier ses comptes, ce qui semble donc devenir la règle générale est assez difficile à appliquer dans les collectivités publiques et pour l'Etat. Avant de demander à la Cour de certifier les comptes, il faudrait que ces comptes soient certifiables, c'est-à-dire répondent à un certain nombre de normes comptables et sans doute faudrait-il doter l'Etat d'une véritable comptabilité patrimoniale. L'exemple de la Cour des comptes européenne montre que c'est difficile ; il y a, dans le cadre européen, la " déclaration d'assurance ", qui est une forme de certification. C'est l'une des formes dont on peut s'inspirer.

Sur la base de ces sept orientations, votre proposition a vraiment marqué des étapes et nous sommes prêts à continuer à travailler à votre profit. Voilà ce qui me semblait pouvoir être dit à ce stade, c'est-à-dire avec une proposition de loi déposée, connue, soutenue et qui a la perspective d'aboutir dans les mois qui viennent.

M. le Président : Merci de cet éclairage passionnant, qui montre bien dans quel sens notre réflexion doit s'inscrire. Je donne la parole au Rapporteur général, rapporteur de la proposition de loi organique au sein de la Commission spéciale.

M. Didier Migaud, Rapporteur : Je voudrais remercier le Premier président de la Cour des comptes, qui commence à devenir un habitué de nos auditions ! Au cours des deux dernières années, nous l'avons auditionné à plusieurs reprises dans le cadre du groupe de travail présidé par Laurent Fabius, dans le cadre de la Commission des finances et celui de la mission d'évaluation et de contrôle. Cela me permet de saluer la qualité des relations entre l'Assemblée nationale et la Cour des comptes, que je remercie du concours qu'elle apporte dans notre fonction de contrôle de l'activité gouvernementale.

Vous avez rappelé que la proposition de loi poursuivait deux objectifs : une amélioration de la gestion de l'Etat - objectif qui comporte un aspect de réforme de l'Etat - et une revalorisation de la fonction parlementaire, pour faire en sorte que le " pouvoir budgétaire " reconnu par la Constitution au Parlement soit effectivement exercé. Dès lors, un certain nombre de propositions mettent en _uvre ces deux objectifs. J'ai eu l'occasion de vous adresser un questionnaire technique, que je proposerai de joindre au compte rendu de l'audition. Mais je voudrais revenir sur certains des trois points que vous avez évoqués.

Dans le cadre de l'amélioration de la gestion publique, nous avons souhaité changer de logique et partir d'une logique d'objectifs avec des indicateurs de gestion et de résultats ; c'est pourquoi nous avons prévu une présentation du budget autour de programmes ministériels. Qu'en pensez-vous ? Quel est le travail nécessaire pour arriver à définir des programmes ministériels ? Les agrégats actuels vous paraissent-ils pertinents ? Comment peut-on articuler le programme ministériel avec la nécessité d'actions interministérielles ? Comment bien articuler l'annualité et la pluri-annualité ? Vous nous avez dit que nombre de pays voisins adoptaient le principe de la pluriannualité. Cela dit, aucun n'a remis en cause le principe d'annualité, nécessaire au contrôle permanent effectué par les assemblées.

La question de la consolidation des comptes pose le problème des relations financières entre l'Etat et la Communauté européenne et celui de l'articulation du projet de loi de finances avec le projet de loi de financement de la sécurité sociale. Les relations financières avec l'Union européenne sont assurées par un prélèvement sur recettes et par des crédits ouverts par voie de fonds de concours. La formule est critiquée, car elle ne permet pas une très grande lisibilité de l'effort budgétaire en faveur de l'Europe. Comment pourrions-nous améliorer la transparence en la matière ? La création d'un compte spécial du Trésor serait-elle une solution préférable à celle qui prévaut aujourd'hui ?

Sur l'articulation du projet de loi de finances avec le projet de loi de financement de la sécurité sociale, chacun s'accorde à constater une lisibilité de plus en plus difficile. Jérôme Cahuzac, rapporteur pour avis de la Commission des finances, le rappelle chaque année, comme d'autres d'ailleurs. Comment faire pour obtenir une plus grande lisibilité ? Pensez-vous souhaitable de rassembler dans un seul texte l'ensemble des dispositions relatives aux ressources publiques ? Est-il possible de mieux harmoniser les calendriers des deux textes soumis au Parlement ? Ou bien vous semble-t-il préférable, à l'inverse, de les distinguer totalement ?

S'agissant des opérations de trésorerie, je m'en tiendrai au questionnaire écrit. Pensez-vous qu'un certain nombre de dispositions portant règlement général de la comptabilité publique pourraient recevoir un statut organique et être intégrées dans une proposition de loi organique ? Le point de vue de la Cour des comptes sur la distinction entre opérations budgétaires et de trésorerie nous intéresse.

J'ai évoqué, tout à l'heure, les programmes ministériels. Vous avez évoqué la suppression des services votés ; des programmes ministériels seraient votés, assortis d'une fongibilité des crédits à l'intérieur des enveloppes prévues. Jusqu'où faut-il aller dans la fongibilité ? Pensez-vous que les crédits de personnel doivent entrer dans cette fongibilité et quelles limites, selon vous, doivent être imposées pour que la fongibilité ne remette pas en cause les principes de transparence et de contrôle ? Dans le référé que vous avez transmis au Président de la Commission des finances, vous observez, a posteriori, un certain nombre de faits. Comment s'assurer que la fongibilité ne puisse pas remettre en cause cette capacité de contrôle ?

Quant aux crédits évaluatifs, nous les avons strictement limités dans la proposition de loi. Cette limitation vous paraît-elle excessive ? Ils ne seraient autorisés que pour les intérêts de la dette ; d'autres crédits devraient-ils être intégrés à la notion de crédits évaluatifs ?

La sincérité budgétaire est un problème délicat et de nature politique. Quelle définition de la sincérité budgétaire donneriez-vous en tant que Premier président de la Cour des comptes ? Quelles sont les conditions de la certification des comptes ? Auriez-vous été en mesure de certifier les comptes de l'année dernière ? Enfin, quelle distinction doit être opérée entre la certification réalisée par une institution comme la Cour des comptes et les comptes rendus d'objectifs, qui revêtent un caractère plus politique et qui doivent sans doute faire l'objet d'audits qui ne relèvent pas de la Cour, mais directement du Parlement ou d'organismes sous sa dépendance ?

M. le Président : La parole est à M. Henri Emmanuelli.

M. Henri Emmanuelli : Les contrôles que la Cour réalise chaque année s'opèrent par fascicule budgétaire. Lorsque nous passerons à l'analyse de programmes, pourrez-vous descendre d'un degré dans le contrôle budgétaire ? Vous effectuez des analyses globales de l'exécution budgétaire et par nature de dépenses, qui sont fort utiles au Rapporteur général, mais guère utilisables par les rapporteurs spéciaux.

M. le Président : La parole est à M. Philippe Auberger.

M. Philippe Auberger : J'ai été frappé par le fait que vous n'ayez pas parlé de l'équilibre budgétaire. Est-ce à dire que la présentation actuelle du déficit vous satisfasse pleinement ? L'Etat devrait-il être obligé, comme les collectivités locales ou les entreprises privées, de constituer des provisions pour charges ? L'effort, encore très insuffisant, engagé pour le fonds de retraite du secteur privé, doit-il être doublé d'un effort comparable pour le secteur public ? Faut-il provisionner les charges à venir, très importantes en ce domaine, et cette provision doit-elle figurer dans l'équilibre budgétaire ? Faut-il considérer qu'une loi de finances est sincère si l'on couvre des dépenses de fonctionnement par l'emprunt ?

En second lieu, j'ai noté que la proposition de loi organique tendait à supprimer la notion de budget annexe. Ne va-t-elle pas trop loin et n'y aurait-il pas lieu, au contraire, de créer un budget annexe pour la gestion de la dette publique ? Nous mettons actuellement en place une agence de la dette publique que l'on autorisera à faire des opérations de swap et d'autres qui, si elles ne sont pas retracées dans des comptes particuliers, seront d'une opacité totale dans les comptes budgétaires classiques. N'y a-t-il pas lieu de revoir ce point en fonction de l'évolution de la technique et d'individualiser beaucoup plus fortement la comptabilisation des dépenses et recettes en matière de dette publique ?

Troisième point, le Rapporteur général propose de supprimer les comptes d'affectation spéciale. Je le rejoins volontiers sur ce point. Je me souviens que, dans le passé, la Cour des comptes émettait des observations en ce domaine. Actuellement, le compte d'affectation spéciale qui retrace le produit des privatisations sert à financer des subventions d'équilibre, même si cela n'est pas dit. Les montants versés à RFF ou à l'EPFR constituent ni plus ni moins une subvention d'équilibre et non des augmentations de capital. Il en va de même pour les Charbonnages de France. Je pense qu'il y a là atteinte à la sincérité du budget. Quelle serait la doctrine de la Cour des comptes en ce domaine ?

M. Pierre Joxe : S'agissant des programmes, l'article 11 de la proposition de loi organique prévoit la disposition suivante : " Un programme regroupe l'ensemble des crédits concourant à la réalisation d'une mission spécifique relevant d'un même ministère et définie en fonction d'un ensemble cohérent d'objectifs. " Il est clair que cet alinéa renvoie à des programmes ministériels, alors que l'article 18 prévoit que " Des transferts peuvent modifier la détermination du ministre responsable de l'exécution de la dépense dans le cadre d'un même programme... ". On voit bien que vous avez été confrontés à cette contradiction. La règle, ce sont les programmes ministériels ; par exemple, s'il existe un ministère de la ville, le programme sera ministériel. A défaut de ministère spécifique, la politique de la ville fera l'objet d'un programme interministériel. Vous avez donc posé le problème et le débat progressera, mais l'orientation vers des programmes ministériels est la bonne, dans la mesure où 90 % à 95 % de la politique gouvernementale peuvent s'inscrire dans des programmes ministériels. La difficulté ou la problématique de certains programmes interministériels - comme la lutte contre la drogue - n'est pas insoluble.

Quand j'étais ministre de l'intérieur et que je rencontrais mes collègues étrangers, je constatais que cette politique dépendait, non pas du ministère de l'intérieur, mais de celui de la justice, ou de la santé publique ou encore de celui de la recherche. Il existe donc des politiques interministérielles et cette question mérite d'être creusée. Cela rejoint la question de M. Emmanuelli : " Comment descendre le niveau du contrôle ? ". Les expériences étrangères montrent que le contrôle budgétaire comprend des dispositifs de compte rendu de l'efficacité de la dépense et de la réalisation du programme. Les objectifs étaient fixés, les moyens affectés ; qu'en est-il de l'efficacité ? C'est un nouveau métier que nous débutons à la Cour, comme dans les institutions étrangères. Nous sommes passés historiquement du contrôle des comptes au contrôle de la régularité
- des marchés par exemple - et nous abordons le contrôle de l'efficacité. Nous allons dans cette direction. La contrepartie de la globalisation des crédits, c'est le contrôle de l'efficacité de la dépense, ce à quoi nous nous attachons.

Restent les problèmes relatifs aux personnels. Dans votre proposition de loi organique, vous distinguez, au sein de chaque programme ministériel, les crédits ouverts au titre des dépenses de personnel, exprimées en termes de masse salariale, et les autres dépenses de fonctionnement, lesquelles seraient fongibles avec les dépenses de transport et d'investissement. Les dépenses de personnel ne semblent donc pas fongibles avec les autres dépenses de fonctionnement.

M. le Président : En effet, la fongibilité est limitée. L'article 11 est sans doute l'un de ceux sur lesquels il y aura lieu de poursuivre la réflexion.

M. Pierre Joxe : Nous ne sommes pas tout à fait dépourvus d'expérience de la fongibilité des crédits. Au temps du gouvernement Rocard, nous avions lancé des expériences de modernisation du service public. Par exemple, pour les préfectures, nous avions introduit une certaine fongibilité, mais nous nous sommes heurtés immédiatement aux dépenses de personnel, qui constituent en effet des charges irréversibles et s'étendant sur le long terme. Je pense que l'expérimentation des préfectures ou la contractualisation effectuée à la DREE laisse à penser que votre texte pourrait prévoir un certain degré de fongibilité, avec peut-être des systèmes de plafond pour les dépenses de personnel. Je suppose que c'est dans cet esprit que vous pourriez trouver la solution. Par ailleurs, s'agissant des programmes interministériels, on voit bien qu'il y aurait une articulation à trouver entre les dispositions de l'article 11 et celles de l'article 18 de la proposition de loi.

M. Henri Emmanuelli : La Cour des comptes aujourd'hui pratique bien ses contrôles par fascicule budgétaire. Ce que vous nous transmettez n'est pas aussi précis, il s'agit d'une analyse globale. Pourriez-vous passer d'une analyse par fascicule à une analyse par programme ?

M. Pierre Joxe : Nous transmettons au Parlement beaucoup de documents différents, y compris certains que vous utilisez peu. Les monographies annexées au rapport sur l'exécution de la loi de finances, et qui sont réalisées par de jeunes collègues, sont des documents extraordinaires. Sur les ministères que je connais, je les lis toujours ; ce sont de vrais romans ! Parfois, nous constatons qu'un rapporteur parlementaire les a lus et les utilise. Nos jeunes collègues en sont d'ailleurs contents et incités à travailler davantage. Chaque fois qu'un membre de la Cour constate qu'un parlementaire utilise ses travaux, il se sent conforté dans son travail.

Pour répondre à votre question, nous pouvons nous adapter. Nous pratiquons du contrôle d'organisations internationales. Par exemple, je certifie les comptes de la FAO. Je suis certificateur, je signe après une phrase alambiquée qui indique en substance que, compte tenu des démarches que j'ai fait faire par mes collaborateurs dévoués qui ont suivi les méthodes reconnues universellement en matière comptable, ... enfin, après quatorze clauses de style dignes de la diplomatie vaticane, je conclus : " Je pense que ces comptes peuvent être certifiés ". La certification des comptes n'est pas une opération scientifique, mais une opération qui repose sur la confiance. N'oubliez pas que la certification des comptes dans les organisations les plus modernes est effectuée à la suite de contrôles par sondages qui, certes, se fondent sur des méthodes statistiques, mais qui restent des sondages. Pour répondre à votre question, je pense que nous pourrons contrôler les programmes. Nous avancerons parallèlement au rythme de progression de l'administration.

M. Henri Emmanuelli : Les monographies ne sont pas systématiques ; il n'y en a que quatre ou cinq. Pourrons-nous, dans l'avenir, disposer de monographies par ministère et par programme ?

M. Pierre Joxe : Nous pourrons le faire, bien sûr. D'ailleurs, si vous regardez les rapports de la Cour d'il y a dix ans et ceux d'aujourd'hui, vous constaterez qu'ils ont beaucoup changé. Non seulement nous nous adapterons, mais nous le ferons avec plaisir, car il est beaucoup plus intéressant de contrôler un programme qu'un budget.

S'agissant de la loi de financement de la sécurité sociale, puis-je vous rappeler qu'il s'agit d'une création parlementaire ? C'est la complicité entre le sénateur Oudin, le Président Séguin et moi-même - tous trois magistrats de la Cour des comptes - qui a abouti à l'amendement instituant le rapport sur la sécurité sociale. La réforme constitutionnelle créant la loi de financement de la sécurité sociale et prévoyant le contrôle de la Cour est donc d'origine parlementaire. Il y a sans doute une articulation à trouver avec la loi de finances.

Personnellement, je pense qu'il devrait y avoir - et je suis sûr qu'il existera dans quelques années - un document de nature politique présentant de manière totalement consolidée l'ensemble du contenu des deux lois, comme le font déjà certains manuels universitaires. Regardez aujourd'hui les manuels de finances publiques des professeurs les plus jeunes. Ils comprennent désormais quatre parties : les finances, les finances locales, les finances sociales, les finances européennes. Pourquoi ? Parce que tout cela nous ramène à la question des critères de Maastricht, à la question de savoir à combien de points de PIB se trouvent nos charges publiques. Mais la différence entre la loi de financement de la sécurité sociale - je ne la récuse pas, je considère avoir joué un rôle dans sa création - et la loi de finances, demeure considérable. Les acteurs ne sont pas les mêmes : dans la loi de finances de l'Etat, l'acteur c'est l'Etat ; dans la loi de financement de la sécurité sociale, les acteurs sont multiples et n'ont pas tous le même statut juridique, ni le même poids ; certaines caisses sont énormes, d'autres gèrent de petits régimes qui concernent 10.000 personnes.

Le caractère évaluatif des objectifs de dépense est tout à fait différent quand on parle de l'objectif national de dépenses de l'assurance maladie, qui s'élève à plusieurs centaines de milliards de francs. Certes, il peut être comparé à une autorisation budgétaire, mais c'est une autre réalité juridique. L'idée est simplement de savoir où l'on va, ce qui représente déjà un progrès considérable, même s'il n'est que très insuffisamment respecté. Il n'y a pas d'article fixant un équilibre général et il ne peut y en avoir, dans la mesure où les acteurs sont extrêmement nombreux et divers. L'obligation d'équilibre s'impose aux régimes de sécurité sociale et on trouve dans les lois de financement de la sécurité sociale la fixation de plafonds d'avances, qui sont des dispositions de caractère limitatif, autorisant certains régimes de base à recourir à des ressources non permanentes, mais cela ne va pas au-delà.

Il existe donc des embryons de mesures budgétaires à l'intérieur de la loi de financement de la sécurité sociale, des tendances au rapprochement, mais, pour les raccorder, il faudrait des progrès considérables. J'oubliais de mentionner le principe d'affectation des recettes de la sécurité sociale à des branches distinctes, qui fait qu'une formule telle " la sécurité sociale retrouve l'équilibre, mais l'assurance maladie reste en déficit " est incompréhensible pour la majorité des Français. Pour eux, la sécurité sociale c'est le remboursement des consultations médicales. L'on voit bien les difficultés de vocabulaire.

Sur ces questions, la Cour des comptes et en particulier le Président de la sixième chambre - une chambre que j'ai créée spécialement pour contrôler la loi de financement - travaillent sur des régimes extrêmement hétérogènes. Je pense que nous arriverons à élaborer un cadre unique qui nous permettra de progresser dans la comparaison des grandes masses financières. Aujourd'hui, le poids total de la sécurité sociale au sens large est supérieur en points de PIB au budget de l'Etat. Lorsque j'étais étudiant, c'était trois fois moins ; lorsque j'étais jeune député à la Commission des finances, c'était 30 % de moins. Depuis quinze ans, c'est plus, et ce sera toujours plus. L'on ne peut pas imaginer une perspective où l'on verrait cette tendance se renverser. Le budget de l'Etat est descendu en dessous de 20 points de PIB, la sécurité sociale reste durablement au-delà de ce seuil, tandis que les finances européennes représentent désormais plus que le budget d'équipement du ministère de la défense. Quand nous avons voté les lois de décentralisation, les collectivités locales représentaient 4 points de PIB ; elles sont passées à 7 ; on pense qu'elles pourraient atteindre 10.

Je pense donc que la consolidation de la loi de finances, de la loi de financement de la sécurité sociale, du budget européen et des finances des collectivités locales est souhaitable. Prenons l'exemple de l'Allemagne. Les institutions allemandes diffèrent quelque peu des institutions françaises. Le Bundestag est l'équivalent de l'Assemblée nationale, tandis que le Bundesrat, conseil des Etats, est plus proche du Sénat américain que du Sénat français. En Allemagne, le Finanzplan quinquennal est débattu avec les Länder, pour respecter le principe selon lequel aucun Land ne devait recevoir de l'Etat fédéral une somme inférieure de 40 % à la moyenne des Länder ni supérieure de 40 % à cette moyenne. Cette règle, respectée pendant quarante ans, a été bouleversée au moment de l'intégration de l'Allemagne de l'Est. Les Allemands pratiquent donc cette idée de redistribution. Nous aurons, je pense, à nous engager dans cette voie. Lorsqu'il n'y avait pas de loi de financement de la sécurité sociale, le problème ne se posait pas !

J'en reviens à l'Europe. Nous sommes là dans un domaine très intéressant, malheureusement peu connu par l'opinion, mais qui prendra de plus en plus d'importance. La France verse chaque année des crédits à l'Europe par la voie d'un prélèvement sur recettes à hauteur d'une centaine de milliards de francs. L'Europe, de son côté, verse des crédits, par exemple, au titre de la politique agricole commune, à des organismes publics. Ainsi le FEOGA verse des fonds à des organismes publics. Des crédits sont versés à la France par les fonds structurels européens : le FEOGA-orientation, le FEDER et le FSE, qui agissent dans trois domaines différents. Mme Thatcher disait : " I want my money back ". Cela signifiait : je veux savoir combien cela me coûte et combien cela me rapporte ! Elle voulait, au penny près, sa " money back ".

M. Philippe Auberger : On continue à payer !

M. Jean-Jacques Jégou : La money continue d'aller back !

M. Pierre Joxe : De mon point de vue, nous sommes des bénéficiaires qualitatifs plus que quantitatifs de la politique européenne, c'est-à-dire que la politique agricole commune aura été, en une génération, un élément de transition considérable ; nous ne pouvons donc avoir une approche purement comptable.

Pour répondre à votre question technique sur les créations de nouveaux comptes spéciaux du Trésor, ma réponse sera : oui, peut-être, mais uniquement pour les crédits versés à la France par les fonds structurels européens. Dans notre rapport de l'année dernière, nous avons abordé les prélèvements sur recettes. Si les prélèvements sur recettes en faveur de l'Union européenne sont détaillés dans une annexe de la loi de finances, vous la lisez. Si ces prélèvements font l'objet d'un vote spécifique du Parlement, vous décidez. Et si cela se passe effectivement comme indiqué dans ces documents, ce sera un progrès considérable. Nous n'en sommes pas encore là. Aujourd'hui, les prélèvements sur recettes sont les suivants : les prélèvements sur les droits de douane sur les importations s'élèvent à 9 milliards de francs, sur les ressources assises sur la TVA à 41 milliards de francs, tandis que 40 milliards de francs sont assis sur le PNB, pour le bouclage du budget communautaire, soit au total une centaine de milliards de francs. Si ce total est détaillé, écrit et voté, ce sera très bien.

Des crédits sont versés par l'Union à des organismes, notamment agricoles, sans transiter par les comptes de l'Etat. Je pense qu'ils n'ont pas à être intégrés dans le budget de l'Etat. Enfin, des crédits sont versés à la France par les fonds structurels :

· le FEOGA-orientation, que contrôle la Cour des comptes indirectement, par un organisme spécial, à hauteur de 9 milliards de francs, dont 5 sont destinés aux primes au maintien des troupeaux de vaches allaitantes ;

· le Fonds social européen (FSE) à hauteur de 7 milliards de francs ;

· le Fonds européen de développement régional (FEDER) à hauteur de 6 milliards de francs.

Je pense donc que l'on pourrait créer des comptes dénommés " comptes d'opérations européennes ", qui répondraient au souci d'identifier, d'individualiser et de suivre le cheminement des crédits.

M. Auberger, vous me posez la question de savoir si l'Etat doit être soumis à un régime de provisions. L'alignement de la comptabilité de l'Etat sur des règles de comptabilité que je nommerai " classiques " - et non pas privées, car il s'agit de la comptabilité publique de beaucoup d'Etats européens - me semble souhaitable. En France, on la nomme " comptabilité privée ", mais, dans les pays où elle est pratiquée, on parlera de comptabilité sincère, exacte, complète, exhaustive. Ce qu'on appelle le " hors budget ", la dette des pensions, les crédits finalement réintégrés dans l'affaire de la Poste, tout cela devrait figurer à l'avenir dans le même cadre. Quant au financement par l'emprunt des dépenses de fonctionnement, il devrait être interdit.

Du fait des dispositions de l'article 104 du TCE, la France n'est plus maîtresse de la définition de l'équilibre des finances publiques. On ne le sait pas encore. J'ai passé une partie de ma soirée d'hier à lire le texte du Traité instituant la Communauté européenne commenté par des professeurs et des universitaires. On n'en croit pas ses yeux ! C'est le contraire de tout ce que l'on a appris dans les facultés de droit, dans la vie politique, dans la vie parlementaire. On a l'impression de lire un roman de science fiction. Mais ce n'est pas de la science fiction, c'est le droit positif en vigueur, approuvé en France par référendum, après une campagne particulièrement animée. C'est donc le droit en vigueur et rien ne permet d'imaginer qu'il sera rapporté, et aucun organe constitutionnel français n'a le pouvoir de modifier ce droit. Cela fait partie des choses que l'on a du mal à intégrer, alors que nous y sommes.

M. le Président : M. le Premier Président, vous n'avez pas répondu aux questions du Rapporteur général sur la sincérité et la certification des comptes.

M. Pierre Joxe : La réponse est, soit purement métaphysique et morale, soit ultra-technique. Que sont des comptes ou des documents financiers sincères ? S'ils décrivent ce qui s'est passé, ils décrivent tout ; s'ils anticipent ce qui va se passer, ils anticipent réellement. Telle est la notion de sincérité, d'où l'ambiguïté : un compte sincère est un compte exact ; un compte insincère est un compte mensonger ou réalisé par des incapables. Un budget sincère est un budget plausible, mais s'il ne se réalise pas, il ne révèle pas forcément que ceux qui l'ont imaginé sont incapables ou menteurs ; il peut s'être produit des événements, comme la guerre du Golfe, qui oblige à dépenser cinq milliards là où l'on pensait en dépenser dix fois moins. La notion de sincérité est donc soit éthique, soit ultra-technique. Elle passe quand même par la volonté de transparence. Le droit public français a été dominé par le fait que le budget n'avait pas besoin d'être sincère, puisque les députés n'avaient pas le droit de s'en occuper. Dès lors que les députés n'ont le droit d'en prendre connaissance que très tard et n'ont qu'un droit d'amendement limité, le fait que le budget soit sincère est secondaire ! À partir du moment où l'on entre dans une autre logique, l'obligation de sincérité retrouve toute sa valeur.

Quant à la certification, elle peut être effectuée par un cabinet d'experts comptables, un commissaire aux comptes ou une institution supérieure de contrôle. Par exemple, je viens d'être élu dans le collège des Nations Unis : la France est l'un des trois pays qui concourt au contrôle des comptes des Nations Unis. Nous certifions collégialement. Les trois pays
- la France, les Philippines et l'Afrique du sud - signent tout document à trois, c'est-à-dire que ma collègue philippine, une dame très experte et très compétente, signera ce que mes collaborateurs auront préparé. J'ai confiance en mes collaborateurs : je les ai choisis, formés, éventuellement remplacés lorsqu'ils ne me donnaient pas satisfaction. Ma collègue lira, interrogera et signera. Même dans les cabinets d'audit les plus performants, après les auditeurs juniors, une personne signera. Que sait-elle, sinon qu'elle a fait les diligences nécessaires, qu'elle a choisi du personnel capable de détecter des erreurs, des tromperies ? Il y a donc un élément d'appréciation.

Aujourd'hui, la Cour des comptes est incapable de certifier les comptes de l'Etat, parce que les comptes de la République française ne sont pas conçus pour être soumis à une certification. Si l'Etat change son mode de comptabilité, son mode de fonctionnement, ce qui prendra un certain délai, la Cour des comptes s'adaptera. La Cour des comptes est aujourd'hui capable de certifier les comptes de la Fao, et même de refuser de les certifier. Le problème est donc celui du choix. Un choix a été fait en France, depuis une génération. Est-il réversible ? Le professeur Loïc Philip, Président de la Société française de finances publiques, dans son intervention au Sénat, a indiqué en substance : c'en est fini du rôle législatif des parlements ; ils n'ont plus qu'un rôle de contrôle. Je ne le pense pas, mais, en matière financière, le rôle de contrôle est peut-être plus important encore que par le passé. À partir du moment où l'on contrôle l'utilisation des sommes équivalant à 45 % du PIB, surtout si l'on retient la répartition par programmes que vous proposez, la notion de contrôle reprend toute sa valeur.

L'orientation que vous avez prise est donc indispensable. Votre loi organique va, non pas recréer, car nous nous situons dans une autre époque, mais revivifier, non seulement le contrôle parlementaire, mais la vie parlementaire elle-même, la réalité de la vie parlementaire.

M. le Président : La parole est à M. François Goulard.

M. François Goulard : Dans la proposition de loi organique, deux points sont essentiels : les programmes et les objectifs. Pour l'organe de contrôle qu'est la Cour des comptes, cette modification de la loi organique n'entraîne-t-elle pas une véritable révolution interne ? Entre les tâches actuelles de la Cour des comptes et la vérification que les objectifs affichés ont été réalisés - ce qui est l'essence même de la proposition de loi - il existe une différence fondamentale. On a parlé également des tâches de certification. C'est là aussi une autre façon de travailler, une tâche également très différente. Cette proposition de loi, si elle était adoptée, n'entraînerait-elle pas fatalement une réforme de la Cour des comptes ?

M. le Président : La parole est à M. Jérôme Cahuzac.

M. Jérôme Cahuzac : Je voudrais revenir sur la loi de financement de la sécurité sociale, tout en ayant conscience que je cours le risque de heurter ceux qui, parlementaires ou non, ont instauré une procédure que beaucoup ne jugent pas totalement satisfaisante. J'ai également conscience de courir le risque d'alourdir les travaux de la commission. Il faut reconnaître que nos travaux bénéficient d'un thème astral particulièrement favorable : le pouvoir exécutif est favorable à ces travaux, de même que le Parlement dans ses deux chambres, les forces politiques semblent se rejoindre dans cet objectif. Ce thème astral se renouvellera-t-il un jour pour modifier la loi organique de 1996 relative aux lois de financement de la sécurité sociale ? On peut en douter. D'où ma volonté de revenir sur ce sujet. J'espère pouvoir compter sur votre compréhension.

Le choix retenu à l'époque fut une concordance temporelle de la discussion de la loi de finances et de la loi de financement de la sécurité sociale. L'une des conséquences est la suivante : des recettes non votées en loi de finances initiale sont considérées comme telles en loi de financement. Nous avons affaire à des dispositifs partiels : par exemple, une augmentation de CSG est prévue par la loi de financement, mais la déductibilité relève de la loi de finances. Il en résulte un système de tubulures, qui n'est pas propre au projet de loi de financement pour 2001, même s'il faut bien reconnaître que l'exercice de confection des tubulures a probablement atteint cette année un paroxysme. Bref, tout cela concorde à une certaine opacité, qui explique que le Parlement dispose de fort peu de moyens réels d'exercer son rôle qui est de voter le budget et d'en contrôler l'exécution. D'où l'idée de faire litière de cette concordance temporelle. De surcroît, ce décalage laisserait le temps aux uns et aux autres de travailler correctement sur le projet de loi de finances et sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale.

Je souhaiterais donc connaître l'appréciation du Premier Président sur l'idée qui consisterait à décaler dans le temps la discussion de la loi de finances et celle de la loi de financement, cette dernière devant impérativement reprendre les recettes votées en LFI quelques mois auparavant et se consacrer dès lors à ce qui, me semble-t-il, était son objectif premier, à savoir l'affectation des recettes ainsi décidées. On aurait dans cette hypothèse un vrai débat sur les dépenses à effectuer dans le cadre de la loi de financement avec notamment des choix, en particulier de santé publique, qui pourraient apparaître de façon beaucoup plus claire.

Je poserai maintenant deux questions sur le texte de la proposition de loi organique. Je ne partage pas la condamnation, qui semble pourtant unanime, des comptes d'affectation spéciale. Si l'un des principes qui doit nous guider est celui de la transparence, pourquoi supprimer les comptes d'affectation spéciale, dès lors que le Parlement, décidant d'affecter spécialement telle recette à tel objet, serait seul habilité à modifier l'affectation de ces recettes et leur montant ? Ce qui est choquant aujourd'hui dans les comptes d'affectation spéciale, ce n'est pas l'affectation d'une recette à une dépense, mais c'est surtout le fait que le Parlement se prononce sur une affectation et qu'ensuite le pouvoir exécutif la modifie sans véritablement consulter le Parlement. C'est sur ce point qu'il faudrait revenir, davantage que sur l'affectation spéciale elle-même.

Concernant les programmes, je voudrais avoir l'avis du Premier Président sur l'apparente contradiction entre la création de ceux-ci et le maintien des dispositions de l'article 40 de la Constitution : supposons que le Gouvernement nous soumette un programme de 1000 et que nous estimions préférable de prévoir deux programmes de 500. Selon vous, le fait de diviser tombe-t-il sous le coup de l'article 40 ? Que suggéreriez-vous, le cas échéant, pour que, finalement, à dépenses constantes, le Parlement puisse réellement jouer son rôle?

M. le Président : La parole est à M. Jean-Pierre Delalande.

M. Jean-Pierre Delalande : Je souscris entièrement aux propos de M. Cahuzac, puisque, dès 1995, je proposais ce décalage dans le temps entre la loi de financement de la sécurité sociale et la loi de finances initiale. Nous ne reviendrons pas sur ce débat, car cela nous mènerait trop loin. C'est un vrai débat de fond sur la transparence et sur la réalité de l'examen que nous pouvons faire et de l'une et de l'autre.

M. le Premier Président, je voudrais vous poser trois questions. Tout d'abord, comment sont conciliées, à l'étranger, pluriannualité et alternance ? Établir des programmes sur plusieurs années est une bonne chose. Mais comment une majorité succédant à une autre peut-elle les réorienter ? On peut imaginer des programmes de moyen ou de long terme, sur lesquels majorité et opposition considèrent la continuité comme nécessaire - et que celle-ci s'affiche démocratiquement - alors que le débat resterait ouvert sur les autres orientations. Quelles sont les pratiques en la matière ?

Deuxième question : je ne suis pas totalement satisfait de votre réponse au Président de la Commission des finances à la question de la fongibilité et du contrôle. Il nous faudra entrer dans le détail technique. Comment faire ? Chaque programme comporte-t-il des chapitres ou bien, autre conception, chacun des programmes se décline-t-il en crédits de fonctionnement et d'investissement et en engagements ? Le plus opérant est-il que nous nous prononcions sur chacun des aspects, par programme, en ouvrant des fourchettes au Gouvernement, ce qui nécessiterait une nouvelle habilitation du Parlement en cas de dépassement ? Ce degré de détail nécessite que nous refondions une nomenclature budgétaire, ce qui demandera du temps. Souvenez-vous du temps nécessaire pour mettre en ordre la comptabilité des collectivités locales et édicter l'instruction M14. Cela a nécessité beaucoup de travail, de formation et d'expérimentation. Comment envisagez-vous ce processus, non encore entamé, puisque nous en sommes aux déclarations de principe ?

Troisième question : la relation entre sincérité et lisibilité. Là non plus, je ne suis pas pleinement satisfait. Pensez-vous que l'on doive aller vers une affectation unique, par exemple de certains impôts, de certaines taxes, soit aux dépenses de l'Etat, soit aux dépenses de sécurité sociale ? Notre collègue Alfred Recours, dans un remarquable rapport sur les recettes et l'équilibre général de la loi de financement de la sécurité sociale, dresse un tableau où il indique par des flèches - la méthode est révélatrice de l'obscurité de la matière - les divers financements de la sécurité sociale. Des impôts et des taxes financent pour partie l'Etat - les alcools, les tabacs, la TGAP - et pour partie la sécurité sociale, avec des financements croisés, des retours de caisse alimentant des organismes comme le FOREC, destiné à financer les 35 heures. Tout cela est absolument illisible pour le commun des mortels !

M. Philippe Auberger : C'est voulu !

M. Jean-Pierre Delalande : Bien sûr ! J'allais ajouter : illisible également par les spécialistes que nous sommes et qui avons fait, chacun pour nous, des tableaux avec des flèches, pour tenter de s'y retrouver... Tout cela n'est évidemment pas convenable. Voilà pour ce que notre collègue Cahuzac appelait " les tubulures ". L'un des moyens de clarification ne serait-il pas d'admettre le principe de prélèvements - impôts et taxes - affectés au budget de l'Etat et d'impôts et taxes affectés exclusivement au financement de la sécurité sociale et de ses annexes ?

M. Pierre Joxe : La CSG est un impôt et n'est pas dans le budget. Nous traversons une période de transition historique en ce qui concerne le droit public. Les plus jeunes d'entre nous y vivront une génération. Étudiant, j'ai vu naître le Traité de Rome. Personne ne disait à l'époque qu'il y aurait un jour une monnaie unique. Elle a mis cinquante ans à voir le jour. Cela prendra une génération.

Vous parlez de la loi de financement de la sécurité sociale. M. Cahuzac me répondra que ce n'est pas satisfaisant. M. Cahuzac, en 1982-1983, j'étais président d'un groupe parlementaire à l'Assemblée nationale et j'ai demandé, au moment du changement de politique, qu'on instaure une loi de finances sociales ; le Gouvernement de l'époque m'a envoyé sur les roses. En 1980, M. Albert Gazier, expert du parti socialiste, ancien ministre des affaires sociales des années 50, avait proposé une loi de finances sociales, qui fut refusée. En 1974, quand M. Giscard d'Estaing a été élu Président de la République, plusieurs parlementaires de la majorité de l'époque - j'appartenais alors à la Commission des finances - ont proposé une loi de finances sociales, qui fut refusée. En 1956, la première fois de ma vie où j'ai voté, Albert Gazier, ministre des affaires sociales, a proposé officiellement un budget social de la Nation. Ce fut refusé ! L'effort a pris un demi-siècle ! Les finances sociales, il y a trois quarts de siècle, représentaient peu de choses dans l'économie ; aujourd'hui, c'est plus que le budget de l'Etat !

Donc, des réformes interviennent, mais elles s'étendront sur une génération. Quant à la loi de financement de la sécurité sociale, elle a été créée grâce à une réforme constitutionnelle. C'est une évolution extraordinaire, à laquelle vous avez d'ailleurs participé. Vous souligniez que le thème astral était favorable pour une réforme de la procédure applicable aux lois de finances, c'est vrai, mais il fut également favorable pour la réforme constitutionnelle et la création de la loi de financement de la Sécurité sociale. Que ce soit perfectible, que ce soit hétéroclite, boiteux, bizarre, oui, mais cela constitue un formidable progrès!

M. Jérôme Cahuzac : Certes, la loi de financement de la sécurité sociale est une bonne chose, chacun en convient, mais que préconisez-vous en termes de calendrier pour supprimer cette concomitance de la discussion des deux textes ?

M. Pierre Joxe : Historiquement, les régimes de sécurité sociale relèvent du droit privé. Historiquement, les prestations sociales sont nées d'activités syndicales, des luttes, des grèves, des caisses, des mutuelles privées. Historiquement, les caisses de sécurité sociale ne relèvent pas du droit public. Pourquoi ne connaît-on pas le même problème en Grande-Bretagne? Parce que le service national de santé est intégré dans le budget de l'Etat ; il n'y a pas d'assurance maladie. Le passé historique de la France réclamera sans doute encore une génération avant que tout cela soit intégré. N'oublions pas les collectivités locales ; vous voyez d'ailleurs que le Sénat demande que soient introduites dans la Constitution des garanties relatives aux finances locales. Vous avez raison d'espérer mieux, mais il convient de mesurer l'épaisseur du temps écoulé.

M. Goulard, face à un nouveau type de budget, nous imaginerons de nouveaux types de contrôle, ce que nous faisons déjà dans certains domaines. Pour répondre également aux questions sur l'annualité et l'alternance soulevées par M. Delalande, j'évoquerai le plan de modernisation de la police que j'ai fait voter ; sa mise en _uvre a nécessité un an. Ensuite, M. Pandraud, devenu ministre, l'a mis en _uvre. Puis, je suis revenu et j'ai continué à le mettre en _uvre. Nombre de programmes débattus, discutés, dès lors qu'ils sont bons, ne sont pas nécessairement remis en cause par l'alternance. M. Lang vient de déclarer qu'il fallait embaucher plusieurs dizaines de milliers de fonctionnaires à l'Education nationale. M. Jack Lang entrera dans l'histoire pour avoir été dix ans ministre de la culture et peut-être aussi vingt ans ministre de l'éducation nationale. Mais ce n'est pas sûr, il peut changer ! De toute façon on embauchera des dizaines de milliers d'enseignants dans les temps qui viennent. L'annualité budgétaire est la réaffirmation sacrée que l'autorisation de percevoir les recettes et l'autorisation de dépenser les fonds publics est soumise au contrôle annuel. Il n'y a pas de contradiction entre la nécessité de la pluriannualité des programmes et la nécessité du contrôle annuel.

M. Delalande a également évoqué le décalage dans le temps entre la loi de finances et la loi de financement de la sécurité sociale. Peut-être ai-je tort. Je suis si content qu'il existe une loi de financement de la sécurité sociale, que je pense qu'il faut d'abord faire le tour de tous ses défauts avant de passer à l'étape suivante, qui sera certainement un rapprochement et, peut-être un jour, une fusion, mais celle-ci est aujourd'hui juridiquement impossible en raison de la pluralité des acteurs. Cela dit, il est vrai que l'on peut faire évoluer le calendrier.

M. Jean-Pierre Delalande : Nous ne demandons pas la fusion.

M. Pierre Joxe : Je ne le dis pas ; je pense que le rapprochement aboutira. Croyez-vous que tous les régimes particuliers actuels existeront dans cent ans ? Leur disparition prendra-t-elle 100, 90 ou 50 ans ? Nul ne le sait.

M. Jean-Pierre Delalande : C'est un autre débat !

M. Pierre Joxe : Non, c'est le même débat, car on s'aperçoit que ce sont des fonds publics. Tout ce qui est perçu en vertu d'une obligation et qui, s'il n'est pas versé, peut donner lieu à des poursuites, est très difficile à distinguer de l'impôt. Le contrôle des programmes pourra se réaliser beaucoup mieux que le contrôle budgétaire, car il est beaucoup plus motivant pour des contrôleurs, tant les auditeurs de la Cour des comptes que les membres des Inspections générales. Il ne faut pas oublier le contrôle interne dans les ministères, peu développé jusqu'à présent en France, mais qui tend à s'élargir. Aujourd'hui, beaucoup de collectivités locales se dotent de services de contrôle interne. Les services de contrôle interne de l'Etat, c'est-à-dire les Inspections générales, commencent à travailler mieux. Je pense qu'il est beaucoup plus motivant de procéder au contrôle de programmes qu'au contrôle de l'application annuelle du budget. Non seulement nous le ferons, mais nous avons commencé. Si vous lisez le rapport de la Cour des comptes sur les programmes d'armement, paru il y a trois ans, vous constaterez qu'il reste toujours intéressant, car il porte sur des programmes pluriannuels. Mais n'oublions pas l'importance du contrôle des dépenses annuelles, le contrôle des comptes, le contrôle de la précision et la régularité juridique. Le contrôle de programme revêtira une dimension supplémentaire. C'est une orientation générale dans les démocraties modernes que d'aller vers une gestion par objectif et un contrôle par programme.

S'agissant de la sincérité, il est exact qu'elle ne fait pas nécessairement bon ménage avec la lisibilité. Sincérité signifie précision, examen en détail. La lisibilité, cela consiste à brosser à grands traits. À terme, cependant, les deux notions se rejoignent, car l'insincérité a besoin de l'illisibilité. L'une des raisons de l'illisibilité des documents budgétaires en France est liée au fait que l'on voulait rendre ces documents difficiles à lire. L'objectif ne consistait pas à décrire la réalité dans les documents budgétaires. Par exemple, en ce qui concerne les effectifs, dans bien des cas, l'insincérité est un instrument permettant de faire durer des situations pour éviter d'aborder des réformes, pour éviter de créer une situation syndicale difficile, pour éviter de soulever un problème dont on sait que l'on ne trouvera pas la solution, pour renvoyer la chose à plus tard. Je pense que ce n'est pas contradictoire, mais que c'est une exigence nouvelle et que plus la fonction des parlements s'enracinera dans le contrôle en raison de l'européanisation qui est notre petite mondialisation à nous, plus cette fonction de contrôle rendra compatibles et combinera la sincérité et la lisibilité.

M. le Président : La parole est à M. Bouvard.

M. Michel Bouvard : M. le Premier Président, je vous poserai deux questions. La première a trait à la consolidation et à la sincérité. Nous souhaitons tous une consolidation qui aille le plus loin possible, notamment par rapport à un certain nombre d'établissements publics. En ce cas, la sincérité ne risque-t-elle pas d'engendrer des problèmes ? Je prends un exemple. Nous avons été amenés à créer un certain nombre de structures, d'établissements publics pour placer des dettes, afin de respecter les critères communautaires relatifs au déficit et à l'endettement publics. Jusqu'où aller dans la consolidation, si nous souhaitons être totalement sincères, alors que cela peut nous poser des problèmes ? Nous avons tous en tête l'exemple du Réseau ferré de France (RFF) : la Commission européenne a justement considéré que c'était un " faux-nez " de l'Etat - ce n'est pas le seul exemple - et qu'il lui fallait davantage de ressources propres, ce qui pose par ailleurs le problème des relèvements de redevances et de droits d'usage. Jusqu'où donc pouvons-nous aller dans la consolidation ?

M. Pierre Joxe : Les temps ont changé. Ce sont les critères de la comptabilité européenne qui s'appliquent aujourd'hui. Les règles nationales sont périmées, obsolètes. On entre lentement et douloureusement dans un autre système de droit, où le principe de la souveraineté nationale est un souvenir historique, un sujet d'étude pour les étudiants en histoire, non pour les étudiants en droit ! Le droit de la concurrence, le droit de la consommation, le droit des marchés publics, le droit des statistiques n'est plus un droit soumis à la souveraineté nationale.

M. Michel Bouvard : Autrement dit, la position de la Cour est de faire une opération vérité, progressive, pour aboutir à une consolidation maximale.

M. le Président : Vous pourriez nous rejoindre : vous avez le sens de la formule qui ne fâche pas !

M. Michel Bouvard : Ma seconde question a trait à l'évaluation patrimoniale de l'Etat. Cette évaluation qui va être entreprise ne doit-elle pas se traduire par l'élaboration de règles garantissant que les réalisations d'actifs de l'Etat ne puissent être affectées qu'à des opérations de désendettement de l'Etat ou d'investissement, mais en aucun cas au financement de dépenses de fonctionnement ?

M. Pierre Joxe : C'est un élément d'appréciation politique. La non-affectation de recettes exceptionnelles provenant de la mobilisation d'actifs fait partie de la tendance du droit européen. Je vous renvoie à nouveau aux dispositions de l'article 104 du TCE, qui fondent des exigences pressantes et nouvelles. Sur ce point, je me permets de laisser la parole au Président de la première Chambre.

M. François Logerot : Dans le calcul des déficits au sens du traité de Maastricht, les recettes de privatisation n'entrent pas en ligne de compte, précisément parce que Bruxelles a interdit que les recettes de privatisation tombent dans le pot commun de l'équilibre budgétaire et c'est ce qui justifie l'existence d'un compte spécial du Trésor. Que l'on ait imputé dans ces comptes des dépenses qui sont plutôt des subventions de fonctionnement, la Cour l'a dit, en ce qui concerne les Charbonnages de France ; quant à l'EPFR et l'EPRD, les structures de financement des defeasance sont le poids du passé, qui va peser pendant encore plusieurs années. On ne peut dire que c'est une catégorie d'opérations destinées à durer, du moins on peut l'espérer.

M. Pierre Joxe : En effet. La sincérité des comptes et des budgets suppose la sincérité des bilans, donc leur existence : quelles sont les valeurs de passif et d'actif ? Aujourd'hui, on ne peut y répondre. Comment comptabilise-t-on les forts des Alpes ? J'en ai vendu et donné quand j'étais ministre de la défense. Comment comptabilise-t-on un Mirage ? Pour zéro : il est considéré comme consommé. Un fort des Alpes qui domine l'Italie à trois mille mètres d'altitude et que l'on ne peut atteindre qu'après onze heures de marche, est invendable. Lorsqu'il se situe en haut d'une vallée, qu'il y a des spéculateurs prêts à l'acheter des millions, cela s'apprécie. Une base aérienne, cela ne vaut rien, excepté quand elle est située à Fréjus par exemple.

M. le Président : Je remercie le Premier Président de la Cour des comptes ainsi que les membres de la Cour des comptes qui ont bien voulu se joindre à lui. Nous avons apprécié leur sincérité. Leur concours nous est précieux. Je souhaite que le Rapporteur et les services de la Commission spéciale restent en contact avec la Cour, car nous aurons sans doute besoin d'elle pour approfondir notre réflexion sur des points très précis, au fur et à mesure que nous avancerons.

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* *

3.- Audition de M. Nicolas Sarkozy, député,
ancien ministre du budget.

(Extrait du procès-verbal de la séance du 16 novembre 2000)

Présidence de M. Raymond Forni, Président de l'Assemblée nationale,
puis de M. Philippe Auberger, vice-président de la Commission spéciale

M. le Président : Nous accueillons avec plaisir notre collègue Nicolas Sarkozy, qui va nous faire part de son expérience. Ayant exercé les fonctions de ministre du budget de 1993 à 1995, vous êtes bien placé pour nous dire comment vous avez ressenti les relations entre le Parlement et le Gouvernement dans le cadre de la discussion budgétaire. Ce qui est en cause, vous le savez, c'est l'ordonnance de 1959. Certes, il ne s'agit pas nécessairement de faire table rase de cette ordonnance prise dans des conditions particulières, voici plus de quarante ans, dans un contexte fort différent de celui que nous connaissons aujourd'hui. Il s'agit d'aboutir à une réforme de ce texte qui cadre le débat parlementaire et lui redonne tout son sens. Il semble exister un consensus, à ce stade entre le Sénat et nous, ce qui est évidemment indispensable dès lors que l'on aborde ce type de réforme ; consensus également du côté du Gouvernement et de l'ensemble des institutions de la République, qui souhaitent que nous sortions de ces mécanismes quelque peu absurdes, car le sentiment qui domine pendant la période de débat budgétaire est que nous perdons un peu notre temps. Le problème qui nous est posé est de savoir jusqu'où nous devons et pouvons aller. De ce point de vue, votre expérience nous sera utile.

Une proposition de loi organique a donc été déposée par M. Didier Migaud. Le Président Lambert a fait part des propositions du Sénat, qui ne vont pas à l'encontre de la première. Tout cela avait été précédé d'un dialogue entre le Rapporteur général de la Commission des finances de l'Assemblée et celui du Sénat.

M. Sarkozy, je vous propose de nous donner votre sentiment dans le cadre d'une présentation générale et ensuite de bien vouloir vous soumettre aux questions-réponses. Merci d'être venu jusqu'à nous.

M. Nicolas Sarkozy : M. le Président, je veux tout d'abord vous dire que je trouve excellente l'initiative que vous avez prise. L'ordonnance de janvier 1959 est la seule que les praticiens appellent " ordonnance organique ", alors qu'il y en a eu plusieurs dizaines. Celle-là n'a jamais été réformée. C'est un acte de courage et d'intelligence politiques que de s'y attaquer. De ce point de vue, je veux vous dire combien j'apprécie la démarche. Qu'il me soit également permis de dire au Rapporteur général, Didier Migaud, que j'ai lu avec beaucoup d'attention ses propositions. Nombre d'entre elles recevront mon soutien. C'est vous dire qu'il s'agit, à mes yeux, d'un engagement politique au vrai sens du terme et certainement pas d'un combat politicien entre nous.

Je m'exprimerai devant votre Commission avec une très grande liberté, en essayant de m'inscrire dans la démarche que vous avez fixée, et qui consiste à poser la question du rôle des hommes politiques dans la discussion budgétaire. Si j'avais un seul désaccord à formuler avec ce que vous venez de dire, M. le Président, ce serait celui-ci : vous avez déclaré que vous aviez parfois le sentiment de perdre " un peu " votre temps dans la discussion budgétaire ; je me demandais pourquoi " un peu " !

On peut réfléchir à l'infini sur la révérence particulière que chacun a eue vis-à-vis de cette ordonnance, qui donne un pouvoir considérable à l'exécutif : interdiction faite aux parlementaires d'affecter des recettes, vote unique sur les services votés, restriction du droit d'amendement. Ce n'est pas rien que de poser comme principe la restriction du droit d'amendement des parlementaires ! Le premier devoir d'un parlementaire n'est-il pas d'amender ? Il y aura peut-être matière à discussion passionnante. On parle beaucoup du pouvoir de contrôle du Parlement. Mes chers collègues, quand on insiste à ce point sur le pouvoir de contrôle du Parlement, j'ai le sentiment que c'est pour contester le pouvoir d'initiative et le pouvoir d'amendement, car si le Parlement n'a qu'un rôle de contrôle, nous serions en présence de deux Cours des comptes, si j'en juge par l'excellent exposé du Président Joxe ! Nous ne pouvons accepter d'être tenu exclusivement dans un rôle de contrôle, ou alors prévoyons d'être intégrés au moment de la retraite dans le corps des magistrats de la Cour des Comptes ! Notre travail ne peut se réduire à un travail de contrôle, même si j'approuve les propositions fortes pour que nous puissions mieux l'exercer. Notre travail, c'est d'abord un travail politique, qui consiste à amender, à améliorer ou à combattre le projet de budget qui nous est présenté.

Je veux redire que la méthode proposée par le Rapporteur général, Didier Migaud, est la bonne, parce que nous ne pouvons pas nous contenter d'une réforme partielle. Chacun en connaît les motifs : l'ordonnance portant loi organique n'est plus adaptée à la réalité d'aujourd'hui. Un exemple : durant la quatrième République, deux budgets seulement ont été votés dans les délais : celui de 1954 - décidément une bonne année - et celui de 1957. Sous la cinquième République, un seul budget a été voté hors délai, celui de 1980. De ce point de vue, l'ordonnance a atteint son but. Mais il est évident qu'elle avait été conçue pour assurer la primauté de l'exécutif sur le législatif dans un cadre politique bien particulier, dans une situation de la France bien spécifique. Aujourd'hui, cet arsenal ne correspond plus au fonctionnement normal de nos institutions. Au Parlement, beaucoup de frustrations se sont accumulées devant l'impossibilité de présenter une quelconque mesure.

Vous m'interrogez sur mon expérience en tant que ministre : lorsque j'étais disposé - je ne suis pas meilleur que les autres, je vous demande de considérer que je ne suis pas pire - à " lâcher " un milliard de francs d'avantages fiscaux, je considérais que l'on avait fait droit de façon substantielle aux pouvoirs du Parlement ! Nous nous sommes souvent affrontés très courtoisement, cher Didier Migaud, mais enfin, quand une majorité extorque au Gouvernement qu'il soutient un milliard de francs de marge fiscale, après trois jours et trois nuits de combats harassants, elle considère qu'elle a rempli un rôle budgétaire considérable : un milliard sur un total de 1.600 milliards de francs ! On peut s'étonner que les frustrations accumulées aient mis tant de temps à se révéler pour aboutir à cette excellente initiative, d'autant que ce milliard de marge de man_uvre fiscale n'est pas à mettre au crédit du Parlement, mais s'inscrit tout entier dans les rapports entre la majorité et le Gouvernement, donc hors la pratique de l'ordonnance. Tous ceux qui ont assumé des responsabilités le savent bien : c'est dans un cadre majorité-Gouvernement que l'on peut inscrire le pouvoir, si faible, d'amendement du budget. Du point de vue du Gouvernement, la situation n'est pas satisfaisante non plus, car le temps extrêmement long qui est consacré à la discussion budgétaire, laquelle mobilise le Gouvernement, avec la présentation devant les commissions des finances et les conférences de presse, depuis la fin août jusqu'au 31 décembre, est démesuré par rapport aux résultats !

Soit la discussion budgétaire sert à quelque chose, en ce cas, il est normal d'y consacrer trois mois. Soit elle ne sert à rien, et la question du délai est alors posée. Je voulais faire cette remarque avant de présenter des propositions qui sans doute susciteront le débat parmi nous, mais j'ai cru comprendre que tel était également l'objet que vous poursuiviez. Le carcan enserrant la gestion gouvernementale est terrible. En théorie, l'ordonnance encadre à ce point le Gouvernement qu'il ne peut rien faire. En pratique, il s'est affranchi de nombre de règles. Je voudrais donc faire une remarque sur la question de la discussion budgétaire. C'est là peut-être que je vous surprendrai ! En tout cas, c'est sur ce point que je voudrais vous proposer les changements les plus considérables.

(M. Philippe Auberger, Vice-Président,
remplace M. Forni au fauteuil de la présidence)

Je pense profondément que les règles actuelles ont vécu. Elles correspondent à une conception parfaitement dépassée du débat public. Nous sommes entrés, qu'on le regrette ou qu'on le salue, dans une ère de la transparence. Le Parlement la réclame de façon légitime, car c'est l'opinion même qui l'attend. Ce jeu du chat et de la souris entre l'exécutif et le législatif a cessé depuis longtemps d'intéresser les Français. L'ennui est déjà dommageable, mais il y a pire : les derniers épisodes, ceux de la cagnotte fiscale - croyez bien que je ne souhaite pas entrer dans une polémique, surtout avec un ministre qui n'est plus là pour se défendre - et celui de la fausse réforme de Bercy. Si nous voulons retrouver la confiance des Français, il faut responsabiliser la représentation nationale et, pour cela, changer totalement les règles du jeu.

Je propose donc que l'on organise l'ensemble de l'année budgétaire autour de trois sortes de rendez-vous.

· Tout d'abord, le débat budgétaire de l'automne, pour la préparation du budget de l'année suivante, aurait lieu sur quinze jours et serait mené au banc du Gouvernement exclusivement par le Premier ministre et le ministre des finances. Pourquoi ? Parce que ce sont eux et eux seuls qui rendent les arbitrages, et qu'il y a quelque chose de pénible et d'assommant à voir l'ensemble des ministres se succéder comme une litanie, secrétaires d'Etat compris, les uns pour dire " Formidable ! J'ai obtenu 6% d'augmentation de mon budget. ", les autres pour dire, penauds : " Les 2 % de diminution du budget, ce n'est pas si catastrophique que cela, car je m'arrangerai d'une autre manière ! ".

Le débat budgétaire, dans mon esprit, n'est pas fait pour écouter et examiner à la suite, la politique des routes, la politique des DOM-TOM, la politique de la culture, la politique des sports, toutes formes de politiques passionnantes, mais qui n'ont pas lieu d'être dans un débat budgétaire où, à force de parler de tout, on ne parle plus de rien. Le débat budgétaire, qui devrait s'étendre sur quinze jours, serait mené par le Premier ministre et le ministre des finances et porterait sur les vrais enjeux et les vrais débats économiques, fiscaux, budgétaires ; à l'intérieur de ce délai seraient débattues, par exemple, la politique salariale de la fonction publique et la politique d'emploi dans la fonction publique, questions que l'on n'évoque jamais, puisque, aujourd'hui, examiner la politique d'emploi dans la fonction publique et la politique salariale consiste à entendre chaque ministre annoncer le nombre de créations d'emplois qu'il a obtenues. M. Jack Lang, avec la science de la communication que chacun lui connaît et apprécie, engage un grand débat sur les créations d'emplois dans l'Education nationale. Je suis désolé, il n'y a plus aucun débat depuis des années en France sur la politique des salaires dans la fonction publique. Le seul débat qui a lieu c'est celui qui s'ouvre quand le ministre de la fonction publique rencontre, non pas les députés, mais les syndicats !

Je souhaite également que s'instaure un débat passionnant, dans un pays qui a quand même accumulé 6.000 milliards de francs de dette, sur la gestion de la dette et les autorisations d'emprunt. Savez-vous qu'aux Etats-Unis, la Chambre des Représentants vote une autorisation d'emprunt ? Si nous avons, à la rigueur, le droit de débattre des intérêts, nous ne discutons jamais, alors que la dette est le premier poste budgétaire, de son montant. Donc, quinze jours pour un vrai débat sur les orientations économiques, fiscales et budgétaires.

· En second lieu, je souhaite que, dès le printemps, quinze jours soient consacrés à l'examen du projet de loi de règlement, en présence de tous les ministres, car la loi de règlement n'est pas un document comptable. Ce rendez-vous permettrait d'interroger l'ensemble des ministres sur l'utilisation des crédits qui auront été votés par l'Assemblée nationale et, le cas échéant, sur les raisons qui les auront conduits à ne pas les consommer. Donc, au printemps, un débat politique majeur avec tout le Gouvernement sur la loi de règlement ; à l'automne, un débat politique majeur sur les prévisions pour le prochain budget que nous aurons à voter.

· Enfin, je souhaite que, chaque trimestre, le ministre des finances vienne exposer à la Commission des finances l'évolution des prévisions. Il s'agit de mettre fin à ce que j'ai moi-même pratiqué, comme tous les ministres du budget, c'est-à-dire un débat pied à pied avec le Premier ministre pour le convaincre du fait que les dépenses dérapent, que les recettes ne rentrent pas ou, à l'inverse, qu'il faut annuler dix, quinze, vingt milliards de crédits - toutes modifications que les parlementaires découvrent en lisant le Journal officiel. Voilà la réalité actuelle : un Parlement occupé à discuter d'avantages fiscaux minimes, des ministres qui peuvent réguler de façon considérable et une opinion publique qui, à aucun moment, n'a conscience que nous débattons vraiment des orientations économiques budgétaires, fiscales de notre pays.

Je suis convaincu du fait que c'est la forme de la discussion budgétaire - révisée en fonction de ces propositions ou d'autres - qui donnera son lustre et sa profondeur aux réformes de l'ordonnance de 1959. Réformer cette ordonnance sans bouleverser le calendrier de la discussion budgétaire, c'est, me semble-t-il, passer à côté de l'effort pédagogique que nous devrions mener devant l'opinion publique.

Imaginez, mes chers collègues, ces quinze jours de débat. Croyez-vous que les bancs de l'Assemblée seront clairsemés ? Ne pensez-vous pas plutôt que chacun aura à c_ur d'y participer ? Aujourd'hui, les spécialistes succèdent aux spécialistes : la discussion sur les routes terminée, les spécialistes des DOM-TOM arrivent, puis laissent la place aux spécialistes du sport, à moins que la culture ne les prenne de vitesse ! A aucun moment, un débat intelligible n'a lieu. Je crois vraiment que cette réorganisation profonde du débat budgétaire est nécessaire.

Trois principes me paraissent devoir présider à la réforme de l'ordonnance elle-même.

· D'abord, l'unité des comptes. J'approuve pleinement la proposition de Didier Migaud sur la suppression des comptes d'affectation spéciale, ainsi que des budgets annexes. C'est le moins que nous puissions proposer. Toutefois, je me demande pourquoi sa proposition ne vaudrait que pour l'avenir et laisserait par ailleurs subsister les comptes spéciaux du Trésor. Je souhaite pour ma part une suppression totale. Je m'en explique. Pourquoi, par exemple, conserver un fonds national de développement du sport doté de 1 milliard de francs, qui ne représente pas moins du tiers du budget du ministère de la jeunesse et des sports ? Pourquoi ne pas réintégrer ce milliard de francs dans le budget ? Quelle est la raison qui peut justifier qu'un tiers de ce budget figure dans un fonds distinct du budget ? Je prends un autre exemple : 700 millions de francs pour les haras nationaux. Je ne conteste pas la nécessité de cette dépense. Ce n'est pas le lieu ni l'objet, surtout devant mon excellent collègue Yves Deniaud. Pourquoi ces 700 millions de francs ne relèvent-ils pas du budget de l'Agriculture ? Et que dire des 300 millions de francs aux aéroports ? Qu'est-ce qui justifie que ces 300 millions de francs figurent dans des comptes annexes et non dans le budget des Transports ? Vous l'aurez compris, je ne souhaite pas, bien sûr, la suppression de ces crédits, mais je pose la question de leur réintégration en recettes et en dépenses dans le budget général de l'Etat. C'est le principe de l'unité des comptes.

Deuxième aspect : l'articulation des comptes de l'Etat et de la sécurité sociale. Si l'on peut affirmer que l'institution d'une loi de financement de la sécurité sociale a constitué un progrès incontestable, on ne peut en dire autant de l'organisation de sa discussion, qui a abouti à déconnecter des notions pourtant indissociables. Il est aujourd'hui devenu impossible - c'est un comble ! - de débattre de l'imposition des revenus en France, car l'impôt sur le revenu figure dans la loi de finances et la CSG dans la loi de financement de la sécurité sociale ! Aujourd'hui, c'est la loi de finances qui autorise le transfert de plusieurs ressources fiscales vers des comptes créés par la loi de financement. Cette année, on fera mieux encore, en créant un compte d'affectation spéciale pour diriger le produit des licences UMTS vers le fonds de réserve pour les retraites. Encore une fois, je ne discute pas du fond de la mesure ; je dis simplement que, pour des parlementaires qui souhaiteraient l'unité des comptes, on s'en éloigne curieusement. Certes, je ne méconnais pas les différences entre ces deux textes, qui n'ont pas la même portée : l'un autorise des dépenses, l'autre fixe un objectif de dépenses. Il n'empêche que ces obstacles ne sont que des considérations techniques. Il faut que la loi de finances et la loi de financement de la sécurité sociale soient regroupées au sein d'un même document et fassent l'objet d'une discussion commune, afin que la représentation nationale - et à travers elle, l'opinion publique - puisse enfin se forger une vision cohérente des prélèvements obligatoires. Mon excellent collègue Jean-Pierre Delalande s'est à d'innombrables reprises inquiété que cela ne soit pas déjà fait.

Autre déconnexion, tout aussi fâcheuse : celle de la présentation du projet de loi de finances et de l'examen du programme de stabilité par la Commission des finances. M. Didier Migaud en a excellemment parlé. Mais comment peut-on s'engager vis-à-vis de Bruxelles pour trois ans, en prévoyant un simple acte de courtoisie : l'information du Parlement ? Voilà que nous avons le droit de voter le budget et que nous pouvons être informés des orientations sur trois ans ! Comment continuer à vouloir dissocier, non seulement les calendriers et les procédures, mais aussi les méthodes de comptabilisation des déficits ou excédents publics ? C'est d'autant plus complexe qu'un déficit ne signifie pas la même chose selon que l'on parle de l'Europe ou de la France. Le programme de stabilité doit faire l'objet d'un débat préalable devant la représentation nationale. Sinon quelle est la signification de l'autorisation budgétaire ?

· Deuxième principe : l'instauration d'un budget qui ne soit pas simplement de moyens, mais d'objectifs. Je soutiens, là encore, la suppression des titres, parties, chapitres, et j'approuve le principe du programme ministériel. Cher Didier Migaud, c'est plutôt moi qui aurait des questions à poser sur la nature du programme ! Encore une fois, je ne veux pas retirer mon approbation de la mesure, que je trouve très intelligente et dont je soutiens le principe. Mais vous conviendrez avec moi qu'il reste bien des points à définir et à préciser dans le programme. La suppression du vote unique sur les services votés me paraît également une excellente mesure, qui nous permettra de voter le budget au premier franc.

Mais j'irai plus loin : il me semble que la discussion budgétaire doit changer de contenu. Je le redis : il faut un débat sur la fonction publique, qui représente près de la moitié du budget. Il ne s'agit pas de dénoncer le nombre de fonctionnaires ni les plans de recrutement, il s'agit simplement d'en débattre. Avons-nous, oui ou non, à débattre de ce qui représente près de la moitié du budget de la Nation ? Les règles sur les emplois sont, sur le papier, extrêmement rigides alors que, dans la réalité, on voit bien ce qu'il en est. Le rapport de la Cour des comptes de janvier 2000 est, à ce titre, passionnant : le nombre d'emplois financés au titre des seuls auxiliaires et vacataires représente 120.000 emplois de plus que ce que vous avez autorisé. Je ne dis pas qu'il faut les supprimer, mais vous a-t-on demandé votre avis sur ces 120.000 emplois ? À aucun moment, d'aucune façon ! Et que dire des 300.000 emplois financés indirectement par l'Etat ? Je pense aux établissements publics. Et je n'ai pas parlé des quelques milliers d'emplois - j'ai eu du mal à les comptabiliser : sont-ce 5.000 ? 10.000 ? - que les ministres sont amenés à autoriser en gestion, avec en contre partie le blocage de plusieurs milliers d'autres emplois, et ce, simplement pour fonctionner ? La pyramide d'emplois est une notion qui doit disparaître à tout jamais des discussions budgétaires.

Les bleus budgétaires, documents passionnants s'il en est - il faut quand même avoir de l'appétit au début - sont extrêmement détaillés, mais ne favorisent pas le débat sur la politique salariale de la fonction publique ! En revanche, le bleu précise, ce qui ne manquera pas de nous passionner - et plus encore nos électeurs - que le ministre de la justice a le droit de transformer cinquante emplois de greffiers en greffiers chefs. Les cinquante intéressés apprécieront, mais est-ce vraiment l'objet d'une discussion budgétaire ? Je propose que l'on mette fin à ce leurre collectif consistant à voter une pyramide d'emplois, dont personne - Gouvernement ou Parlement - ne peut démontrer le bien-fondé. Il me semble que le Parlement devrait voter une masse salariale assortie d'indications précises sur la politique du personnel prévue par le Gouvernement, en vue d'obtenir les résultats affichés par la loi de finances. Il sera rendu compte de cette politique au moment du débat sur la loi de règlement.

Autre temps fort du débat budgétaire : la politique d'endettement de l'Etat. Comment concevoir que le Parlement continue de s'en tenir à une autorisation générale d'emprunter, alors que la France enregistre une dette publique de 6.000 milliards de francs ? Comment tolérer que seuls les intérêts de la dette, en tant que dépenses budgétaires, fassent l'objet de débats ? Encore une fois, aux Etats-Unis, le Parlement est appelé à voter un plafond d'emprunt.

· Cela m'amène au troisième principe : la restauration des pouvoirs budgétaires du Parlement. Nous touchons là au c_ur des droits du Parlement. Comment parler de la réforme de l'ordonnance sur le budget sans évoquer son article 42 et conjointement - puisqu'ils disent grosso modo la même chose - l'article 40 de la Constitution ? Aujourd'hui, la situation est extraordinaire. Le Parlement est reconnu apte à proposer des allégements fiscaux, à condition qu'ils soient assortis d'un gage ; notre excellent collègue Jean-Pierre Brard est d'ailleurs très créatif pour trouver des gages.

M. Jean-Pierre Brard : Et vous pour les prélèvements fiscaux !

M. Nicolas Sarkozy : C'est un hommage rendu à votre imagination ! Mais je savais que l'on ne vous provoque jamais sans réaction. Je voulais simplement tester votre vivacité ! Il est extraordinaire que l'on puisse prévoir et proposer 20, 30, 50 milliards de francs d'allégements fiscaux avec, en contrepartie, des gages dont personne ne m'en voudra de dire qu'ils ne sont pas d'une crédibilité totale, puisque, en général, ils proposent une augmentation des taxes des tabacs - ou de la TIPP, ce que peu de monde souhaite - alors que, à l'inverse, le Parlement ne peut voter une seule dépense nouvelle, même si elle est gagée de manière crédible. Nous sommes confondus ! Qui peut comprendre un tel raisonnement ?

Je voudrais vous dire combien je souhaite que vous soyez audacieux et que vous demandiez au moins le parallélisme des pouvoirs, pour que nous ayons le droit de faire en matière de dépenses ce qui nous est chichement compté pour les recettes. Après tout, les parlementaires peuvent être tout aussi habilités sur le plan politique à trouver une voie d'économie et une possibilité d'augmentation de dépenses que les fonctionnaires de Bercy ! Le résultat le plus clair de cette règle curieusement asymétrique est la " déresponsabilisation " du Parlement. Aucune proposition d'ensemble n'étant possible, on se concentre sur ce qui est permis, c'est-à-dire des amendements fiscaux qui occupent trois jours et trois nuits, alors que les discussions sur les dépenses ne mobilisent plus personne ou quasiment, à la notable exception du Président de la Commission des finances, du Rapporteur général, et de deux ou trois spécialistes.

En ce qui concerne enfin le pouvoir de contrôle du Parlement, je ferai deux propositions.

· Tout d'abord, assurer la symétrie de la loi de règlement et de la loi de finances. Les indicateurs doivent être les mêmes, afin de rendre le contrôle possible. Comparer ce qui est comparable facilite le travail des parlementaires, dont on sait que le nombre des collaborateurs leur est chichement compté, de même que le travail de la Commission des finances, dont on sait que la qualité des collaborateurs ne peut indéfiniment remplacer l'ensemble des moyens.

· Je souhaiterais, en second lieu, que soient fixées des clauses de rendez-vous régulier pour l'évaluation des mesures fiscales que nous votons. Qui, en effet, peut dire quel a été l'effet de la baisse ou de la hausse de la TVA ou d'une réduction d'impôt ? Je souhaite que toutes les mesures fiscales que nous votons soient assorties d'une clause d'évaluation quinquennale. Prenons un ou deux exemples. Nous avons, les uns et les autres, au fil des majorités successives, augmenté ou diminué les droits de mutation dans l'immobilier. C'est un des sujets préférés de la discussion budgétaire. Est-il normal que nous les votions sans fixer de rendez-vous d'évaluation pour étudier de façon objective l'impact de cette mesure ? Lorsque j'étais ministre du budget, j'avais proposé à la majorité de déduire de l'impôt sur le revenu les emplois familiaux. On peut être pour ou contre. Aucune évaluation ! Mme Aubry - et c'était son droit - a proposé à la majorité suivante de diviser par deux cet avantage, ce qui montrait qu'il n'était pas totalement mauvais, ni sans doute, à ses yeux, totalement bon. Y a-t-il eu une évaluation ? Ne serait-il pas utile de vérifier, au pire tous les cinq ans, si de telles mesures ont permis de créer des emplois, ou d'améliorer le recouvrement de cotisations de sécurité sociale qui n'étaient pas payées. Les uns et les autres se passionnent pour savoir s'il est préférable d'abaisser l'impôt direct ou l'impôt indirect. Ne serait-il pas temps de dire que toute mesure de cette nature doit faire l'objet d'une évaluation quinquennale ?

Voilà, mesdames, messieurs, de façon synthétique, comment je conçois une réforme de l'ordonnance du 2 janvier 1959. J'ai bien conscience que tout ceci nécessite un travail technique très important, mais j'ai également bien conscience que la technicité est souvent un argument avancé par Bercy pour refuser toute évolution. La disposition - excellente - qui figure dans la proposition de loi organique et qui prévoit la présentation des recettes et des dépenses de l'Etat en deux sections, une section de fonctionnement et une section d'investissement, a longtemps été un cheval de bataille de la direction du budget, qui affirmait que c'était techniquement impossible. Or, je constate aujourd'hui que ce qui était techniquement impossible hier ne l'est plus. Cela dit, méfions-nous du confort apparent que nous apporterait une semi-réforme, qui serait vite dépassée par les événements. Ne nous y trompons pas : l'enjeu de la nouvelle loi organique est celui de la transparence et de la responsabilité, de la confiance rendue à la représentation nationale et, finalement, de notre pouvoir d'initiative et de la parole redonnée au citoyen.

M. le Président : Comme il fallait s'y attendre, votre exposé a suscité beaucoup d'intérêt et quelques questions. Je retiens en tout cas un point fondamental pour nos travaux. M. Sarkozy nous a rappelé une chose que nous avions peut-être un peu tendance à oublier : nous sommes là pour voter une loi. La loi de finances est une loi et un député s'honore en présentant des amendements. Si l'on ne restaure pas le pouvoir d'amendement du Parlement en matière de loi de finances, on passera à côté d'un élément très important. L'élément de contrôle, qui ne doit pas être négligé est second - Nicolas Sarkozy l'a très bien montré - par rapport au pouvoir d'amendement, qui est essentiel. La parole est à M. Didier Migaud.

M. Didier Migaud, Rapporteur : Je suis heureux de retrouver Nicolas Sarkozy. Je constate qu'il est en excellente forme et qu'il a conservé toute son énergie ! Je le remercie pour les propos qu'il a tenus et pour les propositions constructives qu'il a présentées. Nous avons entendu ce matin deux interventions décapantes caractérisées par une grande liberté de parole et de ton ; je remercie Nicolas Sarkozy de s'être inscrit dans cette démarche. Si nous voulons progresser, il faut, en effet, tout mettre sur la table. Je partage d'ailleurs en grande partie son propos sur nos débats budgétaires. La réforme de l'ordonnance de 1959 est nécessaire, mais pas suffisante. Nous-mêmes au niveau du Parlement, particulièrement au niveau de l'Assemblée nationale, avons à réaliser un effort de réforme.

Je partage vos propos selon lesquels nos débats aujourd'hui n'intéressent quasiment plus personne. Nous passons beaucoup de temps pour peu de résultats. Le rythme de l'année doit être totalement revu. Nous avons émis des propositions. La mission d'évaluation et de contrôle en a débattu. La façon dont vous proposez de rythmer l'année budgétaire me convient assez, mais il faut que nous puissions y travailler au sein de l'Assemblée nationale, parce que, si les obstacles sont importants au niveau de l'exécutif, notre assemblée recèle ses propres pesanteurs, comme d'ailleurs nos groupes politiques, si bien que toute proposition de réforme de nos débats budgétaires se heurte à des difficultés et des a priori. C'est pourquoi il convient de dépasser des clivages et de penser, les uns comme les autres, que nous pouvons être dans la majorité comme dans l'opposition, et que nous avons donc un intérêt commun à faire évoluer la situation actuelle.

Parmi les propositions de Nicolas Sarkozy, il en est de très audacieuses. Je partage ce que Philippe Auberger vient de dire sur le droit d'amendement. Cela étant, nous avons pris le parti de rester dans le cadre de la constitution de 1958. D'une certaine façon, nous nous sommes interdits de jouer sur l'article 40 de la Constitution. Et les dispositions de l'article 42 de l'ordonnance en découlent. Il est déjà suffisamment audacieux, dirais-je, de s'attaquer à la réforme de l'ordonnance de 1959. S'attaquer à la Constitution de 1958 nous paraissait aléatoire si nous voulions obtenir des résultats dans des délais rapprochés - même s'il conviendra un jour de réviser l'article 40 de la Constitution. Cela dit, la réforme de la présentation du budget, avec la création des programmes ministériels, l'affichage d'objectifs, les indicateurs de résultats et l'évaluation des résultats par rapport aux objectifs que nous aurons définis, ainsi que la fongibilité des crédits, tout cela nous incite à considérer sous un autre angle le problème de l'article 40 de la Constitution.

A ce titre, j'aurais plusieurs questions à poser. J'ai bien compris que vous étiez favorable à l'instauration de programmes ministériels, qui permettront de responsabiliser davantage les ministères. L'administration vous semble-t-elle prête à mettre en _uvre une telle réforme ? Que pensez-vous des agrégats actuels ? Peuvent-ils servir de base à la définition des programmes ministériels ? Vous avez indiqué qu'il y aurait vraisemblablement quelques difficultés à définir les programmes ministériels ? Avez-vous réfléchi à cette définition ? La fongibilité doit-elle être totale ou bien des dépenses doivent-elles échapper à la globalisation complète des crédits ? Je pense bien sûr aux dépenses de personnels : doivent-elles être fongibles ? Dans quelle mesure et sous quelle forme ? Avec quel contrôle ? Dès lors que nous donnons davantage de latitude, davantage de responsabilité, il est extrêmement important que nous puissions, en contrepartie, développer le contrôle.

En ce qui concerne les indicateurs de résultats et d'objectifs, quelle entité vous semble être la mieux à même d'en contrôler la pertinence ? Est-ce la Cour des comptes ? Les organes internes des ministères ? Les deux ? Le Parlement doit-il dépendre exclusivement de la Cour des comptes et des organes internes des ministères pour exercer ce contrôle ? Ne doit-il pas lui-même développer une capacité propre d'expertise et de contrôle ?

Vous avez parlé de la sincérité des projets de loi de finances : tout le monde affiche la sincérité. Or, nous considérons, presque tous, que les budgets, d'une certaine façon, ne sont pas d'une totale sincérité. Comment peut-on définir la sincérité, approcher au mieux cette sincérité que nous appelons de nos v_ux ? Il faut reconnaître qu'une part de subjectivité s'attache à la sincérité.

Autre sujet, qui est lié au précédent : la certification des comptes. Êtes-vous favorable à une certification des comptes publics, au-delà de ce qui peut exister aujourd'hui au niveau du contrôle de la Cour des comptes ? Quelles pourraient d'ailleurs être, selon vous, les conséquences d'une non-certification des comptes de l'Etat ? À partir du moment où l'on demande une certification, qu'en serait-il si les comptes de l'Etat faisaient l'objet d'un refus de certification ? Quels enseignements faudrait-il en tirer par rapport à la loi de règlement ? Je rejoins d'ailleurs les propositions que vous avez faites pour la loi de règlement.

Tout en restant dans le cadre de la Constitution de 1958 - et donc dans le déséquilibre organisé entre le Gouvernement et le Parlement pour tout ce qui concerne les questions budgétaires - comment mieux associer la Commission des finances, l'Assemblée nationale et le Sénat, aux orientations définies par le Gouvernement et présentées à la Commission européenne ? Comment faire pour que vos propositions sur le rythme de l'année budgétaire, la consultation, l'information des commissions ne soient pas seulement formelles, étant entendu que des objections d'ordre constitutionnel peuvent nous être opposées ? On peut considérer que demander un avis conforme aux commissions sur des sujets qui relèvent de l'exécutif pourrait entraîner une remise en cause de l'équilibre constitutionnel. Avez-vous une réflexion à nous proposer ?

M. Nicolas Sarkozy : Je retourne au Rapporteur général son compliment sur sa grande forme, car ses questions appellent de vastes fresques, exercice auquel je ne me livrerai pas ! Permettez-moi une première réflexion générale : j'appelle mes collègues parlementaires à ne point trop se faire d'illusions sur le secours que pourraient leur apporter la science comptable et les certifications comptables dans ce qui est d'abord un débat profondément et puissamment politique. Mes chers collègues, tous ceux qui sont passionnés par la vie de l'entreprise savent combien il est difficile de faire le métier de commissaire aux comptes, combien la comptabilité patrimoniale est sujette à des évaluations. Combien vaut un actif immobilisé ? Un immeuble ? Une signature ? La comptabilité n'a d'intérêt et de pertinence que dans la durée, dans la dynamique de son analyse, non dans l'instantané. Nous ne sommes pas là pour concurrencer la Cour des comptes ou Arthur Andersen. Je ne dis pas du tout que telle est l'intention du Rapporteur général ; il s'agit d'une remarque. Je m'inscris en opposition avec la tendance qui veut que l'on demande à un collège d'experts ce que l'on doit faire sur le sang contaminé, à un autre sur la vache folle, un troisième sur le budget, à un quatrième sur le dopage, à un cinquième sur la télévision...

M. le Président : Et sur la bioéthique !

M. Nicolas Sarkozy : Excellente remarque ! Ne nous laissons pas enserrer dans la vérité révélée par un ensemble de spécialistes, dont par ailleurs j'admire la compétence, mais qui doivent rester au service des élus du peuple. Nous ne sommes pas là pour faire assaut de comptabilité. La certification est passionnante, mais bien moins que le résultat d'une politique budgétaire ou le résultat d'une politique économique réduisant la misère ou le chômage. Que veut dire la certification des comptes ? Didier Migaud et moi-même avons vu de façon différente - Philippe Auberger était rapporteur général à l'époque - les conséquences de la crise économique de 1992. Que signifie la certification des comptes en 1992 ? Rien du tout ! Et que signifie-t-elle en 1999 lorsque l'on constate x dizaines de milliards de recettes supplémentaires ?

Autre remarque, qui relève peut-être davantage de l'humeur : ne croyez pas qu'un budget est sincère ; un budget est d'abord efficace. Comment d'ailleurs améliorer la sincérité ? Par la publicité des débats ! Comment faire en sorte que la présentation du budget par le ministre devant la Commission des finances ne soit pas de pure forme ? Parce que, les débats étant publics, les clauses de rendez-vous se passent devant l'opinion publique et, entre l'opinion publique et le ministre, il y a la représentation nationale. Telle est notre vraie sanction. Et que vaudrait la certification par un cabinet agréé, alors que nous aurions été battus par les électeurs ? Et que signifierait la non-certification, alors que les électeurs auraient plébiscité notre politique ? Je vous recommande donc, prudemment, de ne point trop chercher le salut dans des experts qui, du reste, feraient avec nous ce qu'ils font avec leurs clients : " Nous recommandons de faire ceci, naturellement à vos risques et périls ! ". Puisque, comme vous le savez, les clauses d'assurance et d'exonération de responsabilité qui existent pour le privé existeront tout autant pour nous.

Je vous remercie, M. le Rapporteur général, de votre accord sur le rythme de l'année. C'est là une prise de position importante qui m'oblige, moi aussi, à faire preuve de responsabilité. Je suis venu ici, non pour demander tout, et certainement pas pour prétendre que les propositions que j'avance soient les seules bonnes et qu'elles ne méritent pas elles-mêmes d'être amendées. Mais, imaginez, mes chers collègues, l'impact que pourrait avoir un accord entre majorité et opposition pour changer profondément le rythme et le contenu de notre discussion budgétaire ! Nous aurions alors bien travaillé pour la revalorisation de la politique. Je vous le dis, M. le Rapporteur général : nous sommes prêts, je suis prêt à faire un large chemin vers vous sans aucun souci de paternité, dès lors que l'on accepte de dire que, sur le rythme de la discussion budgétaire, la discussion est également ouverte.

Pourquoi s'interdire de toucher à la Constitution? C'est un membre du RPR qui pose la question. On a le droit de toucher à la Constitution pour modifier le statut de la Polynésie, le statut de la Nouvelle Calédonie, mais, s'agissant du débat budgétaire, cela serait attentatoire ? L'ordonnance n'est rien d'autre qu'un élément du bloc de constitutionnalité. On nous autoriserait à toucher à un élément mais pas à un autre, au bras droit et non au bras gauche, ou l'inverse ! Comment fonctionneront les bras si nous nous interdisons de parler du c_ur, qui alimente les membres ? Une logique préside à la démarche courageuse que vous avez engagée et que je soutiens. Mais devrions-nous nous arrêter au seul motif que ce qui est en cause est le pouvoir d'amendement ?

Je suis favorable aux programmes. L'administration y est-elle prête ? Poser la question, c'est déjà y répondre. Que le Rapporteur général se pose la question. Comment voulez-vous que le député de base puisse répondre si vous-même, M. le Rapporteur général, vous vous interrogez sur la disponibilité et la souplesse de l'administration à l'égard de cette réforme ? Comment voulez-vous que nous autres, députés de base, au surplus de l'opposition, nous puissions vous apporter une autre réponse ? Votre inquiétude est la réponse à notre propre inquiétude. Là aussi, le choix est politique.

Dans le concert de louanges qui entourent votre proposition, je me suis permis une remarque sur les programmes. Sans doute est-ce parce que je ne détenais pas moi-même la réponse. J'ai cru comprendre que vous en envisagiez une centaine. Quels seront ses contours ? Qui les portera ? Quid des programmes qui toucheront plusieurs ministères, car c'est bien la difficulté. Par qui seront-ils alors définis, défendus ? S'il existait des programmes par ministère, ce serait un progrès et une facilité, mais vous savez bien mieux que moi, M. le Rapporteur général, que rares sont les projets qui peuvent aujourd'hui être portés par un seul ministre. J'en juge par une expérience très simple : le nombre des comités interministériels. Un ministre passe son temps en comités interministériels, puisque, par définition, tout projet met en cause plusieurs de ses collègues. C'est bien là toute la difficulté. J'approuve profondément votre proposition, M. le rapporteur ; j'appelle simplement votre attention sur le travail à entreprendre, sur l'organisation de ces programmes, lorsque ceux-ci s'étaleront sur plusieurs années, mais surtout concerneront plusieurs ministères.

Fongibilité totale ? Débat passionnant ! Je suis plutôt pour la fongibilité. Prenons un exemple - peut-être vais-je choquer - qui porte sur les dépenses du personnel. Si un ministre venait vous dire : " Vous avez autorisé tant de milliards pour le personnel. Mais j'ai trouvé un programme informatique formidable qui nous permettra une amélioration de la productivité extraordinaire. " Doit-on, par principe, l'empêcher de transférer une partie des crédits de personnel sur la modernisation de l'appareil d'Etat ? Non. La fongibilité est un progrès. Mais il faut aussi reconnaître que cette fongibilité ne facilite pas le contrôle du Parlement. Je crois qu'il vaut mieux faire le pari de l'efficacité du Gouvernement, plutôt que de l'empêcher a priori d'agir. Je renvoie à ma proposition : quinze jours de débats sur la loi de règlement sont la meilleure réponse à la fongibilité. Donnons au Gouvernement la fongibilité, et prenons, nous, le législatif, quinze jours pour débattre ardemment de la loi de règlement.

Quelle entité pour contrôler la loi de règlement ? Peut-être avez-vous apprécié la réforme mise en place par nos amis australiens, que je trouve extrêmement intéressante et assez audacieuse. Un rapport de gestion de l'Etat est réalisé systématiquement en fin de législature par un organisme de contrôle indépendant. A la fin de la législature, un rapport est établi. Qu'est-ce qui prime : la sanction politique ou la sanction comptable ? Donc, il me semble que le Parlement serait mieux à même de développer sa propre expertise. De ce point de vue, je suis contre la multiplication des organismes. Il existe une Commission des finances. Soit on est prêt à lui donner davantage de moyens et cela a un sens, mais je ne vois pas pourquoi on multiplierait les organismes. Même si je sais que le rapporteur avait été excellent, à l'époque, sur l'Office d'évaluation, personnellement, je ne suis pas très favorable à la multiplication des organismes...

M. le Président : Le problème a été abordé hier.

M. Jean-Pierre Delalande : L'Office parlementaire d'évaluation des politiques publiques a été conçu au sein de la Commission des finances de l'Assemblée et de celle du Sénat. C'est une émanation des commissions des finances, ce n'est pas un organisme extérieur à ces commissions.

M. Nicolas Sarkozy : L'Office faisait appel à des compétences extérieures alors que, personnellement, je pense qu'il est préférable de renforcer la Commission des finances.

M. Jean-Pierre Delalande : Pour avoir une expertise distincte de celle du Gouvernement, on se donnait les moyens financiers d'une expertise autonome.

M. Nicolas Sarkozy : Je renvoie à ma première remarque : je pense profondément que nous sommes face à un choix politique et qu'il n'y a pas au-dessus de nous une autorité comptable qui aurait le monopole de l'honnêteté. Pour tout vous dire, ce qui m'agace, c'est que tout ce qui émane d'un homme politique est sujet à caution. Or, nous avons des convictions, parfois même des compétences, et parfois encore les deux. En créant nous-mêmes des organismes qui diraient " c'est vrai parce que ce n'est pas politique ", nous creuserions la tombe où l'on ne demanderait pas mieux que de nous enterrer ! L'idée qu'il nous faudrait faire certifier tout ce que nous disons me paraît inopportune. La démocratie, c'est l'équilibre et la confrontation de la vérité de l'opposition et de celle de la majorité. Que l'opinion publique fasse de cette confrontation sa propre idée. Je ne vois pas en quoi un magistrat, un spécialiste, un technicien, pourrait départager l'opposition de la majorité. C'est le rôle des parlementaires. On approche la sincérité par le débat et par la confrontation, plus que par la certification. Évitons que la consultation des commissions soit simplement formelle. C'est par la publicité des débats qu'on y parviendra.

De tout cela, je tire la conclusion, M. le Rapporteur général, que nous pouvons être d'accord sur bien des points et que ce concensus pourrait avoir un impact politique extrêmement fort dans notre pays.

M. le Président : La parole est à M. Gilbert Meyer.

M. Gilbert Meyer : Nicolas Sarkozy vient d'établir un diagnostic sur l'unité budgétaire, sur la lisibilité des comptes, sur la transparence de la gestion et sur le rôle du Parlement, qui n'est pas seulement de contrôle, mais surtout d'autorisation. Même si on arrivait à gommer les imperfections et les dispositions obsolètes, ce qui est l'objet de notre débat, subsisterait le problème de l'exécution budgétaire, que vous avez qualifié de " résultats ", lesquels ne portent pas seulement sur le fonctionnement, mais également sur l'investissement. Nous savons que, pour financer nos projets à travers les lois de finances, nous prélevons les moyens de financement sur le contribuable. En fin d'année, nous dressons un résultat. Quel est-il ? Il est déplorable. Sur certains chapitres, nous arrivons péniblement à 40 % de réalisation, sur d'autres à 30 %, sur d'autres encore le projet initial est au point 0 : aucune dépense n'est réalisée.

M. le ministre, vous avez la double expérience de ministre des finances et de maire. En tant que maire, les élus locaux ne pourraient se contenter d'une telle situation : les contribuables crieraient au vol. Dans le cadre de la démarche engagée, ne pourrait-on introduire la souplesse qui prévaut dans la gestion de nos collectivités locales en créant une section de fonctionnement, permettant un meilleur taux de réalisation et donnant aux élus une meilleure contenance vis-à-vis de nos contribuables ?

M. le Président : La parole est à M. Jean-Pierre Brard.

M. Jean-Pierre Brard : M. Sarkozy, pour l'essentiel, j'adhère à vos propos, sauf sur " la comparution " pendant quinze jours du Premier ministre et du ministre des finances, qui me semble altérer la pratique collective, même si cela renseigne sur les postes auxquels vous aspirez, cher collègue ! Votre imagination féconde, qui s'appuie sur une pratique dynamique et enthousiaste, est moins productive que d'habitude. En fin de compte, si vous avez critiqué ce qui est devenu obsolète, vous ne nous avez pas parlé - alors que vous avez appelé de vos v_ux l'ère de la transparence - des soupentes de l'activité gouvernementale. Moi aussi, je suis pour la transparence, y compris, par exemple, s'agissant des eaux de la Méditerranée. Votre notoriété est grande et n'est rien à côté de ce qu'elle sera ! Or, une partie de votre notoriété tient à ce que l'on appelle " le moratoire Sarkozy ". Dans les réformes envisagées, vous ne proposez pas de solution pour empêcher les membres du Gouvernement de tordre ou de nier la loi.

Le moratoire Sarkozy est une note dépourvue de valeur légale et qui permet d'exonérer de TVA l'avitaillement des bateaux arrimés en Méditerranée et d'obliger les fonctionnaires à ne pas appliquer la loi. Je pense que, dans la réforme dont nous discutons, il faut aussi encadrer l'action gouvernementale pour que les membres du Gouvernement ne puissent pas s'exonérer de l'application de la loi, et pire, d'empêcher les fonctionnaires de l'appliquer. Vous voyez que je veux contribuer à votre notoriété en vous permettant de procéder à votre autocritique !

M. Nicolas Sarkozy : J'ai moi-même également beaucoup contribué à la vôtre en acceptant de répondre à certaines questions !

M. le Président : La parole est à M. Yves Deniaud.

M. Yves Deniaud : Vous souhaitez - c'est d'ailleurs l'esprit de la proposition de loi - que la présentation du budget de l'Etat se rapproche de celle du budget des collectivités territoriales, autrement dit que l'Etat s'impose à lui-même les règles qu'il impose aux collectivités territoriales, consistant à distinguer une section de fonctionnement et une section d'investissement et à faire apparaître - ce qui serait actuellement compliqué, mais on peut toujours espérer pour le futur - un autofinancement. Cela aurait le mérite de faire ressortir l'intégralité de l'annuité d'emprunt, y compris le remboursement du capital, et de permettre, par voie de conséquence, le vote par le Parlement du programme d'emprunts de l'Etat. Nous votons les recettes, excepté le programme d'emprunt, ce qui représente tout de même 600 milliards de francs sur l'année en cours.

Au-delà de cette présentation et des contraintes qui en découleraient, vous souhaitez la suppression du système des services votés, c'est-à-dire la possibilité de débattre librement de l'intégralité des dépenses sans être dans le cadre contraignant qui ne permet de débattre que d'environ 10% des dépenses. Enfin, par rapport à ce que nous avons souvent constaté et sous tous les gouvernements, vous ne souhaitez pas que l'on puisse, deux mois après son vote, transformer le budget, notamment par un gel des crédits sans consultation du Parlement.

M. Nicolas Sarkozy : M. Deniaud déclare à juste titre qu'il faut s'inspirer du budget des collectivités territoriales. Le moins que l'on puisse demander à l'Etat, c'est qu'il respecte les règles qu'il impose aux autres. J'avais d'ailleurs déjà eu l'occasion de le dire à propos de la rétroactivité fiscale, dont je souhaite qu'elle soit rendue inconstitutionnelle, car l'Etat ne devrait pas être autorisé à faire ce qu'il interdit à tous les agents économiques. La réforme de la M14 a permis beaucoup de transparence sur les collectivités territoriales. Je le dis au rapporteur comme au Président : nous avons été très audacieux à l'époque où nous avons tous voté cette réforme de la comptabilité des collectivités territoriales. Beaucoup de bruit a été fait au début, mais, finalement tout se passe bien. Je n'ai pas entendu un maire se plaindre de la M14, avec la réintroduction notamment des amortissements et des fonds de garantie. Tout fonctionne bien. C'est une orientation qui me convient.

M. Brard, je me souviens de l'affaire que vous évoquez, mais nous avons toujours eu deux conceptions différentes : vous avez toujours considéré qu'il fallait donner la priorité à l'administration, moi aux élus. Lorsque ceux-ci m'ont indiqué le risque que faisait courir aux ports méditerranéens la concurrence avec l'Italie, les bateaux allant s'avitailler de ce côté-là, je n'ai pas hésité à prendre mes responsabilités et à demander à l'administration de revenir sur un certain nombre de réglementations. C'est un débat que nous avons souvent eu. Vous mettez une touche d'humour dans le débat budgétaire ; j'ai, à l'époque, essayé de mettre une touche de souplesse !

M. Jean-Pierre Brard : Vous nous menez en bateau ! (Rires.)

M. le Président : Je vous remercie.

*

* *

4.- Audition de M. François Monier,
Secrétaire général de la Commission des comptes
de la sécurité sociale.

(Extrait du procès-verbal de la séance du jeudi 23 novembre 2000)

Présidence de M. Raymond Forni, Président de l'Assemblée nationale

M. le Président : Nous procédons aujourd'hui à l'audition de M. François Monier, secrétaire général de la Commission de comptes de la sécurité sociale.

Bien que la sphère d'intervention de la commission spéciale ne corresponde pas tout à fait à celle de la Commission des comptes de la sécurité sociale, nous avons souhaité obtenir de votre part un éclairage sur les finances de la sécurité sociale, sur l'articulation du projet de loi de financement de la sécurité sociale avec le projet de loi de finances - sujet qui nous intéresse -. L'équilibre financier de la sécurité sociale met en jeu des masses qui dépassent celles du budget de l'Etat. Vous comprendrez donc que nous nous intéressions, sans doute de manière parallèle, mais avec une grande attention aux comptes dont vous avez la responsabilité.

Pendant longtemps, nous n'avions aucune possibilité d'intervenir dans le domaine de la sécurité sociale. Grâce aux dispositions constitutionnelles et organiques de 1996, le Parlement est désormais saisi du budget de la sécurité sociale. Bien entendu, cette possibilité qui nous a été donnée en 1996 montre la nécessité d'assurer, à un niveau ou à un autre, une coordination entre budget de l'Etat et budget de la sécurité sociale.

Nous aimerions connaître votre sentiment sur les conditions dans lesquelles pourrait être assurée une meilleure articulation entre le budget de l'Etat et le financement de la sécurité sociale.

M. François Monier : M. le Président, M. le Rapporteur, mesdames, messieurs les députés, j'ai conscience d'être quelque peu à la périphérie du sujet qui vous occupe, à savoir la révision de l'ordonnance organique. Je procéderai à un bref exposé tant il est vrai que je ne suis pas certain de me placer au c_ur de la cible de vos préoccupations, pour répondre ensuite à vos questions.

Je suis donc secrétaire de la Commission des comptes de la sécurité sociale depuis un peu plus d'un an, entre autres activités. Il ne s'agit pas d'une activité à plein temps. Je demeure, en effet, à la Cour des comptes.

Je reviendrai ultérieurement sur les conditions de travail de cette commission, laquelle est un organisme assez particulier.

Pour relier mon propos au thème de la réforme de l'ordonnance, je dirai, tout d'abord, quelques mots sur la manière d'améliorer l'articulation entre loi de finances et loi de financement de la sécurité sociale, entre leur préparation et les documents qui peuvent y être associés. Je rappelle que la loi de finances et la loi de financement sont de nature très différente. Les caractéristiques des lois de financement sont les suivantes : grande pluralité des acteurs et des organismes concernés, caractère systématiquement évaluatif des objectifs de dépenses, absence d'article d'équilibre général, et principe d'affectation des recettes à des branches ou à des régimes.

Les relations réciproques entre loi de finances et loi de financement sont nombreuses. Elles pourraient être clarifiées par une meilleure définition des frontières entre les deux textes, une description la plus transparente possible des flux financiers qui existent entre eux et, question plus technique, mais pas uniquement, une articulation des calendriers d'élaboration.

En ce qui concerne ce que l'on a coutume d'appeler " les relations financières " entre le budget de l'Etat et la sécurité sociale, un besoin de clarification est, en effet, nécessaire, ne serait-ce que dans les concepts. Il convient d'avoir les idées relativement claires.

Je vous livre ma vision des choses.

J'évoquerai tout d'abord une première catégorie de flux : les impôts et taxes affectés à la sécurité sociale. De mon point de vue, il ne s'agit pas vraiment de relations financières entre l'Etat et la sécurité sociale, dans la mesure où ces impôts et taxes sont directement affectés à la sécurité sociale. Leur montant est, comme chacun sait, rapidement croissant. Il a été surtout croissant au moment de la substitution de la CSG à des cotisations sociales et compte tenu de la tendance que l'on observe depuis quelques années et plus spécialement tout récemment à affecter directement des ressources fiscales à la sécurité sociale, notamment pour compenser des exonérations de cotisations sociales. C'est le cas dans le projet de loi de financement pour 2001 avec la taxe sur les conventions d'assurance. On affecte donc de plus en plus d'impôts et taxes à la sécurité sociale. Ces impôts et taxes représentent aujourd'hui plus de 300 milliards de francs. Dans la sécurité sociale, j'exclus ici l'assurance chômage. C'est la sécurité sociale au sens traditionnel. Ces ressources fiscales représentent environ le quart des ressources de la sécurité sociale alors qu'elles ne représentaient que 10% il y a dix ans, voire cinq ans. La croissance est rapide. Je m'en réjouis d'ailleurs, en tant qu'économiste, dans la mesure où je considère que les cotisations ne sont pas un bon prélèvement, notamment les cotisations employeurs. Il est bon de leur voir progressivement substituer d'autres ressources, ressources fiscales en l'occurrence.

S'agissant de ces impôts et taxes directement affectés à la sécurité sociale, l'idée est, d'après la proposition de loi, d'en laisser l'autorisation de perception en la loi de finances. Mais certains aspects concernant ces impôts et taxes relèvent, au premier chef, de la loi de financement. Si j'ai bien compris, ceux-ci se trouveraient récapitulés dans le cadre de la loi de finances. Ce me semble un bon système. Il convient que ces éléments figurent, à titre principal, du côté des lois de financement de la sécurité sociale, mais je comprends que leur autorisation de perception doive rester, en ce qui concerne les impositions de toute nature, du côté de la loi de finances.

On peut distinguer deux types d'impôts et taxes affectés à la sécurité sociale. Il y a ceux qui sont intégralement affectés à la sécurité sociale. C'est le cas de la CSG, mais c'est aussi le cas d'autres impôts et taxes. Et puis il y a ceux qui sont partagés entre le budget de l'Etat et le budget de la sécurité sociale. Ce sont ceux qui posent le plus de problèmes. Il s'agit de taxes sur l'alcool et le tabac et maintenant de la taxe sur les conventions d'assurances. Je ne sais si ce sont des situations transitoires ou définitives, mais je ne verrai que des avantages à ce que les impôts et taxes, quand ils sont affectés à la sécurité sociale, le soient intégralement. Ce principe pourrait cependant être difficile à respecter parfaitement.

La deuxième catégorie de flux rassemble ceux qui, entre le budget de l'Etat et la sécurité sociale, figurent dans les deux textes, dans la mesure où il s'agit de dépenses de l'Etat et de recettes de la sécurité sociale. Un besoin de clarification s'impose pour les distinguer, car si l'on réalise un recensement exhaustif de ces transferts, on constate que certains sont liés à l'Etat employeur. L'Etat emploie, et il verse des cotisations sociales, essentiellement d'assurance " maladie ", au régime général. Ce sont là des flux comme ceux qu'un employeur verse, l'Etat étant à ce titre un employeur comme beaucoup d'autres. Cette catégorie se rapproche des rémunérations.

Il existe une catégorie un peu hybride : les montants que l'Etat verse au titre des compensations " vieillesse ", au titre de gérant d'un système de retraite. Les pensions des fonctionnaires font l'objet de versements élevés - une vingtaine de milliards par an - de l'Etat à la sécurité sociale.

La troisième catégorie de flux est la plus représentative. C'est celle que l'on pourrait appeler " transferts ", voire contributions, de l'Etat à la sécurité sociale alors qu'il ne s'agissait pas, pour les catégories précédentes, de véritables contributions, mais de versements normaux d'employeurs.

Ces contributions sont de plusieurs types : les subventions accordées à des organismes sociaux et les remboursements de " prestations sociales ", le RMI, l'allocation adulte handicapé. Ceux-ci appellent d'ailleurs une clarification, car certaines de ces prestations ne revêtent pas le même statut que les autres. Le RMI a un statut différent de celui de " l'allocation adulte handicapé ". Le RMI est une prestation de l'Etat versée par les caisses d'allocations familiales mais n'entre pas dans les comptes de la sécurité sociale. Il n'est pas considéré comme une prestation sociale alors que " l'allocation adulte handicapé " est considérée comme une prestation sociale remboursée. Ce sont là des détails, mais si l'on veut se lancer dans des clarifications, peut-être y a-t-il là quelque chose à faire.

Un élément connaît une montée en puissance depuis quelques années. Il s'agit des remboursements d'exonérations diverses, notamment celles liées à la politique de l'emploi.

Une plus grande transparence des flux que je viens de décrire est nécessaire. Je plaide donc pour des annexes communes aux deux projets de loi. Elles permettraient de procéder à une description la plus claire et la plus transparente possible de ces éléments qui doivent nécessairement figurer dans les deux projets de loi, puisque ce sont des dépenses pour l'une, des recettes pour l'autre. Techniquement, se pose une difficulté. En effet, à partir de maintenant, les comptes de la sécurité sociale sont établis en droits constatés ou vont l'être, alors que ce n'est pas encore le cas du budget de l'Etat. C'est là aussi que se posent le plus fortement les problèmes d'articulation entre la préparation des deux textes, puisqu'il faut veiller, à chaque étape, à l'identité des chiffres des deux côtés.

Un élément est également intervenu récemment. Il s'agit de la création des fonds, principalement le Fonds solidarité vieillesse et le FOREC, le Fonds de réforme des cotisations sociales. Ces fonds posent plusieurs questions. Néanmoins, je trouve que leur création participe de la transparence, car ils permettent d'identifier et d'isoler des crédits qui, auparavant, étaient répartis en un grand nombre de ministères.

Ils soulèvent les deux problèmes suivants.

Tout d'abord, la création de ces fonds implique, en cours d'année, un changement du périmètre du budget de l'Etat. La solution consisterait dans le maintien de son périmètre ou une consolidation, mais j'ignore sous quelle forme. L'année de création des fonds ou les deux années qui suivent, il conviendrait de présenter le budget dans le nouveau périmètre, mais aussi reconstituer ce qu'il aurait été avec l'ancien périmètre. Par exemple, dans le cas du FOREC, nous devrions pouvoir disposer d'une description de ce qui ce serait passé si l'ensemble des taxes affecté au FOREC ne l'avait pas été, et si, inversement, l'Etat avait continué à verser des subventions, les remboursements d'exonération, qui relèvent maintenant du FOREC.

Se pose également la question de la place des fonds. Ils doivent être, selon moi, du côté de la sécurité sociale. Peut-être est-ce assez conventionnel, mais je me rallie assez à la pratique de la comptabilité nationale qui a classé le Fonds de solidarité vieillesse et le FOREC parmi les organismes concourant au financement de la sécurité sociale. Ils doivent être dans la sphère sociale. Ce point peut être discuté, puisque, en pratique, c'est une forme de démembrement du budget. Ces recettes et ces dépenses sont retirées au budget. On pourrait les considérer proches du budget, mais pour ma part, pour la clarté, je préfère les porter du côté de la sécurité sociale.

En ce qui concerne les relations financières entre l'Etat et la Sécurité sociale, je plaide donc pour des annexes communes. Le problème de changement de périmètre doit être traité par des consolidations.

Ces consolidations font aujourd'hui défaut. Il existe, sans doute, la comptabilité nationale, laquelle présente les résultats, les comptes, de l'ensemble des administrations publiques où sont rassemblés le budget de l'Etat et les comptes de la sécurité sociale, de même que ceux des collectivités locales. C'est dans ce cadre que sont calculés les éléments transmis à la Commission européenne pour juger du respect des indicateurs, des critères, du traité de Maastricht. A priori, la comptabilité nationale fournit, un cadre de consolidation. Elle souffre toutefois de quelques contraintes notamment celle d'une cohérence entre tous les secteurs de l'économie, laquelle oblige à certains choix qui font que les comptes nationaux dans le domaine de la sécurité sociale et du budget peuvent s'écarter quelque peu des comptes de l'Etat et des organismes de sécurité sociale. Par ailleurs, il faut respecter certaines cohérences avec d'autres secteurs, faire des arbitrages lorsque les données d'autres secteurs ne sont pas cohérentes a priori. Les difficultés sont, pour partie, de nature statistique. Les comptes n'ont pas été construits de façon suffisamment détaillée pour répondre aux questions que l'on peut se poser, en tout cas pour un suivi budgétaire. En ce domaine, des éléments sont utiles, tels les comptes satellites, principalement le compte de la protection sociale, qui sont établis par le ministère de la solidarité. Ce dernier compte est cohérent avec les comptes de la Nation, mais il est beaucoup plus développé. Il est très utile, dès lors que l'on veut procéder à des comparaisons internationales. L'un des avantages de la comptabilité nationale réside, en effet, dans le fait que ses règles sont reconnues au plan international ; c'est même le seul système qui autorise de vraies comparaisons internationales. Néanmoins, ces comptes ne sont pas susceptibles de répondre aux besoins de consolidation que j'évoquais tout à l'heure. Il faudrait sans doute bâtir autre chose en complément. Ces comptes ont donc leur utilité, mais, à mon avis, ils restent insuffisants.

Un dernier mot sur les travaux de la commission des comptes qui travaille à l'heure actuelle principalement sur les questions comptables. L'essentiel de son énergie est aujourd'hui consacré au passage à la comptabilité en droits constatés. Les caisses de sécurité sociale ont l'obligation de présenter leurs comptes en droits constatés depuis 1996 pour le régime général, et depuis 1997 pour l'ensemble des autres régimes. Les régimes ont respecté leurs obligations, mais, pour l'heure, les comptes agrégés, les comptes présentés à la Commission des comptes de la sécurité sociale et les agrégats de la loi de financement ne sont pas encore exprimés en droits constatés et continuent d'obéir à l'ancien système " encaissement/décaissement " où les dépenses sont comptabilisées au moment du décaissement et les recettes au moment de l'encaissement.

Pourquoi ce décalage ? Pourquoi ne pas avoir agi plus tôt ? Tout d'abord, pour des raisons qui tiennent à des choix ministériels. Le Gouvernement a décidé d'attendre quelque peu avant de faire passer la loi de financement au système des droits constatés. Dans ce système, je le rappelle, on comptabilise les recettes et les dépenses au moment de leur fait générateur. Par exemple, les dépenses de santé, de soin, au lieu d'être comptabilisées aux moments où la CNAM rembourse les ordonnances, sont comptabilisées au jour du soin, de la visite du médecin, de l'achat du médicament, ce qui suppose d'ailleurs une large information, laquelle se fera. La comptabilité en droits constatés peut comporter des conséquences non négligeables lorsque intervient une variation des délais de remboursement, ce qui s'est produit récemment, entre 1999 et 2000. En 1999, on avait pris du retard dans la liquidation de feuilles de soins ; les remboursements par la CNAM des soins de santé furent donc plus faibles cette année-là, et les soins pratiqués en 1999 ont été remboursés en 2000 dans une proportion anormalement élevée.

L'étape suivante est donc le passage des comptes agrégés et des agrégats de la loi de financement au nouveau système des droits constatés. Elle doit intervenir pour le prochain projet de loi de financement pour 2002. La commission des comptes détermine son allure compte tenu de cette perspective, et nous avons l'ambition de l'accélérer et de travailler principalement en droits constatés au début de 2001. Nous abandonnerons, non pas totalement, mais assez largement, l'ancien système à ce moment-là.

Voilà les quelques éléments que je suis en mesure de vous présenter en introduction.

M. le Président : Je vous remercie.

Plus que quelques indications, vous avez fait un tour d'horizon complet.

Vous avez indiqué que vous étiez secrétaire général de la commission des comptes et que vous n'exerciez pas cette fonction à temps plein. De quels moyens disposez-vous alors ? Pour un budget 2000 de 1800 milliards de francs, un secrétaire général à temps partiel et une commission composée de parlementaires et de quelques autres, qui ne sont pas disponibles vingt-quatre heures sur vingt-quatre sont-ils suffisants ? De quels moyens disposez-vous ?

M. Jacques Barrot : C'est une excellente question !

M. François Monier : C'est un point que je souligne toujours et qui souvent étonne. Peut-être ai-je tort dans la mesure où cela peut sembler nuire à l'autorité de la commission.

La commission est une institution relativement originale. Elle date de 1979, et a été consacrée par la loi de 1994. Son secrétaire général s'appuie sur la direction de la sécurité sociale, plus particulièrement la sixième sous-direction, la " sous-direction des prévisions économiques et financières ", qui établit les comptes. En effet, comme cela est prévu par les textes, les comptes présentés à la commission sont établis par l'administration. Le secrétaire général commente ces comptes, et est responsable du rapport qu'il dresse en collaboration avec la direction de la sécurité sociale, mais c'est celle-ci qui établit les comptes. J'en prends livraison ; je commente les évolutions, et indique que telle ou telle évaluation me paraît ou non un peu excessive. C'est ce qui est fait régulièrement. Cela a été le cas, par exemple, en mai dernier, pour les dépenses de santé. En général, il s'agit de doutes sur la possibilité de tenir tel ou tel objectif. Voilà pour le rôle, un peu original, du secrétaire général.

Trois ou quatre secrétaires, membres de la Cour des comptes - ce qui n'est nullement une obligation - se sont succédé depuis la création de la commission.

La commission se réunit deux fois par an, en mai et septembre, ce qui occupe le secrétaire général que je suis, à temps plein, un mois ou un mois et demi avant chacune des réunions. Le reste de l'année, il effectue un suivi plus léger. On peut réfléchir au dispositif. Néanmoins, l'un de ses avantages réside dans le fait que c'est un bureau des comptes de la sixième sous-direction de la sécurité sociale qui établit l'ensemble des comptes. Les comptes du passé, les prévisions, les agrégats de la loi de financement, les objectifs de dépenses et les prévisions de recettes de la loi de financement sont établis par les mêmes personnes, sur les mêmes bases. La parenté entre les comptes, justifiant que ce soit les mêmes personnes qui les établissent, est sans doute quelque chose de relativement souhaitable.

M. le Président : Vous avez à commenter les comptes qui vous sont transmis par une structure interne aux organismes de sécurité sociale. Je me répète : de quels moyens disposez-vous ? Analyser, commenter des comptes est une fonction à laquelle les membres de la Cour des comptes peuvent se livrer sans problème aucun, mais de quels pouvoirs disposez-vous pour vérifier la sincérité des comptes qui vous sont présentés, puisque aucune structure ne vous accompagne dans cette démarche ? J'ai noté que le texte qui a créé la commission prévoit l'analyse des comptes, mais, pour analyser, encore faut-il avoir les moyens de vérifier si les chiffres sont conformes à la réalité. Or, d'après l'explication que vous nous fournissez, vous êtes totalement prisonnier de ce qui vous est présenté. Vous exercez à temps partiel vos fonctions, trois mois dans l'année - il ne s'agit nullement d'un reproche mais d'un simple constat - et le reste du temps, ce sont les organismes de sécurité sociale qui concoctent le budget et la présentation des comptes, et qui élaborent le rapport qui vous est ensuite adressé. Vous analysez et commentez, mais l'importance de tout cela est telle qu'un seul homme paraît peu... quelles que soient ses qualités.

M. François Monier : Les comptes sont établis par la sixième sous-direction, mais c'est bien le secrétaire général qui, pour une large part, rédige le rapport. Il est vrai qu'il en fait rédiger des parties par l'administration, notamment les plus descriptives, le secrétaire général se contentant souvent de la synthèse ou des passages justifiant un commentaire particulier. Les comptes sont établis par les organismes et sont centralisés par la direction de la sécurité sociale. Ce ne sont pas alors les comptes des organismes, ce sont des comptes quelque peu retraités qui sont analysés.

Le secrétaire dispose de moyens d'investigation. L'année dernière, je ne comprenais pas bien ce qui se passait du côté des recettes de l'ACOSS, notamment le passage entre l'année 1999 et l'année 2000. Du fait du passage à l'an 2000, était survenu un arrêt des ordinateurs vingt-quatre heures, ou quarante-huit heures, avant le 31 décembre. L'on craignait alors le bogue de l'an 2000. Se posaient également des questions de report, de remboursement de la CNAM, que je souhaitais comprendre. J'ai pu convoquer des réunions, et mener mes propres investigations pour bien comprendre comment avaient été réalisées les évaluations. L'administration m'a répondu. Si, parfois, nous ne poussons pas les investigations, c'est en raison du calendrier.

En effet, un élément a profondément changé le travail du secrétaire général de la commission : la loi de financement et son calendrier. Auparavant, l'exercice était à peu près le même, simplement, à partir des comptes établis par l'administration, le secrétaire général avait du temps. A l'automne, il pouvait prendre un mois, un mois et demi, pour peigner, questionner et formuler un avis très circonstancié et réfléchi. Je ne dis pas que je n'ai plus le temps de le faire, mais le calendrier est devenu extrêmement tendu. Chaque mois de septembre, je ne dispose que de quelques jours disponibles, d'une fenêtre extrêmement étroite, pour la tenue de la réunion de la Commission des comptes de la sécurité sociale qui se tient toujours aux alentours du 20 septembre. Or, compte tenu de contraintes imposées par la préparation du projet de loi de financement, les comptes des organismes ne sont pas toujours parfaitement disponibles. On ne peut guère les avoir avant ; on ne peut les établir après, à cause des délais fixés par la loi organique. La fenêtre est étroite et le temps est bref entre le moment où les comptes sont établis et celui où l'on est obligé de rendre le rapport. C'est une petite difficulté. Le dispositif actuel prévoit les travaux de la commission dans le calendrier de préparation de la loi de financement, c'est un avantage. En revanche, le temps laissé au secrétaire général est très court. Ce n'est pas absolument dirimant. Simplement, si le secrétaire général pouvait un peu anticiper, sans doute pourrait-il mieux s'affranchir de sa tâche.

M. le Président : Rassurez-moi : avez-vous une secrétaire ?

M. François Monier : Oui, j'ai une secrétaire. Je ne me plains nullement.

M. Jean-Pierre Delalande : Mais vous avez le droit de vous plaindre !

M. François Monier : Je ne fais que décrire le dispositif tel qu'il existe. Un texte de loi et un décret précisent tout cela.

M. le Président : La parole est à M. le Rapporteur de la proposition de loi organique.

M. le Rapporteur : La question que vous posez, M. le Président, mérite d'être prolongée et d'être creusée. N'y a-t-il pas un petit problème d'articulation entre vos fonctions de secrétaire général de la commission des comptes et de membre de la sixième chambre de la Cour des comptes qui contrôle les comptes de la sécurité sociale.

M. François Monier : J'ai été nommé secrétaire, il y a environ un an. J'étais à l'époque membre de la sixième chambre, mais la cour a considéré qu'il fallait rapidement régulariser la situation. C'est pourquoi je ne suis plus membre de la sixième chambre, et je siège dans la septième, qui s'occupe de tout autre chose.

M. le Rapporteur : Je vous remercie de vos propos introductifs. Ils répondent pour partie aux questions qui sont les nôtres. Je ne crois pas du tout que vous soyez à la périphérie de nos préoccupations. Au contraire. Vous avez utilisé l'expression " c_ur de la cible ". Je ne sais si vous êtes au " c_ur de la cible ", mais vos propos relèvent totalement de nos préoccupations, car nous souhaitons plus de transparence, plus de lisibilité, plus d'efficacité sur l'ensemble des comptes publics, dont font évidemment partie les comptes de la sécurité sociale. A ce titre, le fait que la France soit dans la Communauté européenne nous impose une vision intégrée des finances publiques. Même si nous n'étions pas dans l'Europe, il faudrait l'avoir. Mais c'est là une obligation de l'Europe, puisqu'un programme de stabilité porte sur l'ensemble des finances des administrations publiques et pas seulement celles de l'Etat.

Des réformes très importantes sont intervenues en 1996. Je pense que Jean-Pierre Delalande les évoquera plus avant. Les finances sociales sont entrées dans le champ de compétences du Parlement. Depuis 1996, il y a, en effet, une distinction entre le budget de l'Etat et les finances de la sécurité sociale. Vous paraît-il souhaitable, possible, d'instaurer, à terme, un cadre unique où le Parlement puisse discuter de la situation de l'ensemble des finances publiques et prendre les décisions afférentes ?

A cette question, je lierai celle touchant au calendrier, au sujet duquel Jean-Pierre Delalande a présenté des propositions qui n'ont pas été obligatoirement le résultat des arbitrages intervenus. Le calendrier retenu est-il le bon ? Vous-même avez formulé des observations sur la nécessité de faire preuve d'une grande souplesse. Vous avez souligné le caractère particulièrement acrobatique lié au calendrier de préparation, de la quasi-concomitance de la présentation des projets de loi de finances et de loi de financement. Quelle est votre opinion sur la question ? Faut-il une présentation simultanée des deux textes, ce qui permettrait de discuter plus clairement des mesures législatives qui forment un ensemble de plus en plus imbriqué, surtout en matière de recettes, ou alors faut-il une intervention complètement décalée par rapport au projet de loi de finances ? Les points de vue des parlementaires, sur ce point, semblent partagés. Pourriez-vous nous livrer votre appréciation ?

Quels sont les aménagements de périmètre de la loi de financement de la sécurité sociale qu'il vous paraît possible d'effectuer ? Avez-vous des orientations à nous proposer ?

Nous vous avons adressé la rédaction actuelle de la proposition de loi organique. Selon vous, des dispositions organiques du code de la sécurité sociale devraient-elles être modifiées en conséquence ?

Au travers de l'article 1er de la loi de finances, nous autorisons l'Etat à percevoir l'ensemble des impôts. Il convient donc que le Parlement soit éclairé, lorsqu'il vote cet article, sur la portée de son vote. Or, ce n'est pas totalement le cas pour les recettes affectées à la sécurité sociale. Quelles propositions pourriez-vous avancer pour que le vote du Parlement soit mieux éclairé ?

Vous avez décrit le mouvement vers la comptabilité en droits constatés. On ne peut que s'en réjouir, dans la mesure où c'est ce que nous souhaitons pour le budget de l'Etat. Vous utilisez même cette comptabilité pour les comptes prévisionnels alors même que l'on pourrait différencier selon l'approche budgétaire et l'approche comptable. Pourriez-vous nous dire un mot sur les raisons qui vous ont amené à faire ce choix pour les comptes prévisionnels ?

M. le Président : La parole est à M. François Monier.

M. François Monier : Convient-il de caler ou de décaler les calendriers ? Décaler complètement les calendriers engendrerait une grande difficulté relative aux éléments communs aux deux textes. Peut-être y avez-vous déjà réfléchi. Il est vrai que les éléments communs aux deux textes sont nombreux. Comment faire si l'on enregistre quelques mois de décalage entre les deux débats et les deux présentations de textes ? Je penche a priori pour un calendrier assez proche voire simultané des discussions et des présentations des deux projets, dans la mesure où les flux entre les deux sont nombreux.

Faut-il aller jusqu'à la fusion des deux textes ? Je ne le pense pas, car ils sont de nature extrêmement différente. Les crédits ou les dépenses qui y figurent sont tantôt évaluatifs, tantôt limitatifs. Mon sentiment premier se porte donc en faveur de deux textes séparés, mais présentés de façon assez concomitante, c'est-à-dire en faveur du maintien de la situation actuelle mais moyennant des améliorations. Je pense à une préparation mieux articulée par les services des documents associés, et des annexes plus claires et plus transparentes. Il faudrait, par exemple, clarifier les " jaunes ". Celui sur les " relations financières entre l'Etat et la sécurité sociale ", mentionne les pensions des fonctionnaires. Il ne s'agit pas vraiment pour moi de relations financières, en tout cas, ce ne sont pas des flux financiers entre l'Etat et la sécurité sociale. Il s'agit du versement des pensions. Le " jaune " comporte une vision extrêmement large, trop large, susceptible même de prêter à confusion. C'est une bonne chose de présenter tous ces chiffres, mais il conviendrait de les regrouper de sorte à éviter toute confusion, en séparant les rubriques.

En ce qui concerne le périmètre des lois de financement de la sécurité sociale, un point m'a toujours un peu étonné : l'exclusion des régimes de moins de 20.000 cotisants ou retraités de droit direct, par la loi organique. Cela se justifie-t-il ?

Peut-être peut-on également discuter des agrégats de la loi de financement, c'est-à-dire des prévisions de recettes et des objectifs de dépenses. Les prévisions de recettes sont réparties entre des rubriques calquées sur celles retenues par la Commission des comptes de la sécurité sociale, mais qui peuvent sans doute être discutées. Ce sont là des points à la marge. Par exemple, jusqu'à présent, les remboursements d'exonérations de cotisations de l'Etat étaient considérés comme des cotisations. On peut plutôt considérer qu'il s'agit de contributions. Pour moi, ce ne sont pas exactement des cotisations et il est souhaitable de faire la distinction entre les cotisations réellement encaissées auprès des entreprises, des employeurs, et les cotisations remboursées par l'Etat ou maintenant par le FOREC.

Telles sont les modifications qui pourraient intervenir lors du réexamen du cadre des lois de financement.

Des clarifications s'imposent pour des éléments présents des deux côtés, telles les pensions des fonctionnaires ou le BAPSA. Le BAPSA trouve plus sa place, selon moi, dans la loi de financement qu'en loi de finances.

Enfin, je serais assez favorable à ce que la loi de finances autorise tous les impôts. Cela dit, certains suggèrent une autorisation spécifique dans le projet de loi de financement. Dès lors, la sécurité sociale connaîtrait deux types de recettes : celles autorisées par la loi de financement et les cotisations fixées par voie réglementaire. Mais je préfère me rallier à l'idée selon laquelle c'est à la loi de finances fixant le budget de l'Etat d'autoriser les impositions de toute nature. L'ensemble doit être récapitulé dans la loi de finances. On les affecte ensuite. En revanche, l'évaluation me semble relever de la loi de financement.

M. Le Président : La parole est à M. Jean-Pierre Delalande.

M. Jean-Pierre Delalande : Comme le Rapporteur, je suis convaincu que nous nous situons au c_ur du débat ; j'en suis encore plus convaincu après avoir entendu les réponses que vous avez apportées aux questions initiales de notre Président.

Nous sommes en plein leurre démocratique ! La loi de finances initiale ne laisse que très peu de place au Parlement. L'exécutif a quasiment tous les pouvoirs : services votés, article 40. Nous intervenons à la marge et nous mettons trois mois... pour intervenir à la marge !

Vous avez confirmé par votre intervention, M. le secrétaire général, que c'était presque la même chose, voire pire, en ce qui concerne les dépenses de sécurité sociale. Vous nous dites que, finalement, tous les éléments de base qui vous sont donnés le sont par l'administration. Il n'y a pas de différence de ce point de vue entre la loi de finances initiale et la loi de financement de la sécurité sociale. Vous en prenez livraison, vous les commentez dans le peu de temps que l'on vous laisse. Vous ne pouvez donc articuler le projet de loi de financement de la sécurité sociale avec le projet de loi de finances initiale qu'au dernier moment. La marge de man_uvre des parlementaires est encore plus réduite. S'ils n'ont quasiment aucun pouvoir sur le projet de loi de finances initiale, ils n'ont aucun pouvoir sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale car ils ne disposent pas de suffisamment de temps pour l'examiner. Au fond, on ne peut rien remettre en cause. On nous explique d'ailleurs que les interactions entre les deux textes sont telles qu'il est impossible de toucher à quoi que ce soit. Il faut donc tout accepter d'emblée. Nous sommes en plein leurre démocratique ! On appelle cela des lois. En réalité, le pouvoir administratif est total, et le pouvoir législatif ne peut qu'enregistrer, reprendre à son compte, valider ce qu'a préparé le pouvoir administratif. Nous sommes en plein leurre démocratique !

C'est pour essayer de sortir de cette situation que nous avons créé cette commission. Nous allons travailler pour tenter de redonner une marge de manoeuvre au Parlement dans l'examen de la loi de finances initiale. Dès 1995, c'est-à-dire dès la conception même de la loi de financement sur la sécurité sociale, j'avais essayé de renforcer le pouvoir du Parlement vis-à-vis de l'exécutif. A l'époque, je m'étais retrouvé minoritaire. Ma conception d'alors était assez différente de ce qui a été finalement retenu.

Vous avez évoqué d'emblée les différences entre loi de finances initiale et loi de financement de la sécurité sociale, celle-ci présentant un caractère évaluatif, d'où la difficulté de trouver un équilibre général, et ne connaissant pas un principe clair d'affectation des ressources. Dans le dispositif que je préconisais en 1996, j'avais imaginé - la conception était différente, mais elle était ô combien plus éclairante - un véritable caractère évaluatif. L'idée était celle-ci : le Parlement se prononçait sur les montants qu'il estimait convenable d'affecter essentiellement aux dépenses maladie, à ajuster en fonction des éléments de la branche " retraite ", ces montants étant déterminés par rapport au PIB. La mise en _uvre devait être le fait des professionnels - à ce moment-là, le problème se posait différemment - c'est-à-dire des médecins. Toute " l'huilerie " aurait été mise en _uvre par les professionnels, alors que celle-ci est déterminée actuellement quasiment sans eux et avec des procédures de sanctions collectives qui n'ont pas de sens et qui sont ressenties comme insupportables par les professionnels, et à mon avis, à juste titre. Si on avait demandé aux professionnels d'assurer la responsabilité des évolutions, ils auraient été partenaires de l'évolution des budgets de la sécurité sociale, tout particulièrement de la branche " maladie ".

M. Jacques Barrot : C'est irréaliste !

M. Jean-Pierre Delalande : Non, c'est parfaitement réaliste à partir du moment où les chiffres sont exprimés en droits constatés. D'ailleurs, dès lors que l'ensemble des chiffres sera en droits constatés, nous gagnerons du temps, puisque nous en disposerons au 31 décembre. Nous aurons des droits constatés au 31 décembre, comme dans une entreprise classique. Disposant des chiffres, nous serons en mesure de formuler des propositions sur les évolutions beaucoup plus tôt dans l'année. Cela ouvre des perspectives nouvelles. Celles-ci, d'ailleurs, étaient déjà entrevues en 1995.

Dès lors où on l'on travaille en droits constatés, la loi de financement de la sécurité sociale peut suivre des principes différents. On peut autoriser telle évolution pour l'année à venir, tel pourcentage, en principe à ne pas dépasser, sauf extraordinaire et en se gardant donc la possibilité d'un ajustement dans le cadre d'une loi de financement rectificative. On peut disposer du projet de loi avant le 30 juin. C'est en train de devenir possible et cela laisse du temps pour la négociation avec les partenaires sociaux et du temps pour bien préparer la loi de financement de la sécurité sociale. L'affectation des ressources devient possible. Elle permet de distinguer entre ce qui doit aller au budget de l'Etat et ce qui doit aller aux budgets sociaux. Mon collègue Cahuzac, du groupe socialiste, partage mon sentiment. Je suis content de voir que je ne suis plus isolé et que ce n'est pas une question qui oppose majorité et opposition - en tout cas, qui ne l'oppose plus.

S'agissant de l'affectation des ressources, notre collègue Alfred Recours, dans son rapport sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2001 (n° 2633, tome 1, page 62), dresse un remarquable tableau du financement des différents fonds : fonds de préretraite des victimes de l'amiante, FOREC, FSV, Fonds de réserve, CADES, le CRDS ne faisant par partie du périmètre de la loi sociale, ce qui est quand même assez extraordinaire. Le tableau est tout à fait amusant ! Combien de spécialistes sont-ils capables de le suivre ? Soyons gentils, dix dans tout le Parlement français - je parle de ceux qui suivent de très près les choses ! C'est dire que l'on complexifie, l'on opacifie encore le dispositif actuel comme si l'administration actuelle n'avait pas encore assez de pouvoir pour nous empêcher d'y voir clair. Je pense qu'il faut des affectations précises de financement aux différents fonds. Cela clarifierait les choses et serait beaucoup plus démocratique. Je refuse l'idée selon laquelle, la complexité administrative actuelle, qui n'est qu'un alibi, doive nous empêcher de regarder les choses de près. Et si seulement une quinzaine de parlementaires, sur près d'un millier, comprennent à peu près, que peuvent comprendre nos concitoyens à ces questions ?

Pour finir, je soulèverai plusieurs questions.

Premièrement, vous avez indiqué que l'Etat versait des cotisations en tant qu'employeur. Comment les détermine-t-il ? Il se trouve que je suis membre du conseil de surveillance de l'ACOSS. Gentiment, nous remercions l'Etat de nous verser quelques milliards de francs, ce qui, en principe, correspond aux cotisations de l'Etat pour les fonctionnaires. On le remercie gentiment, car l'on est incapable de dire si le montant qu'il verse est juste, d'autant qu'il ignore lui-même le nombre de ses fonctionnaires. C'est d'ailleurs pour nous un combat récurrent, mais devenu d'actualité, pour connaître le nombre de fonctionnaires dans l'administration. C'est pourquoi nous sommes quelques-uns à dire qu'il faudrait, dans un premier temps, une caisse spéciale pour les fonctionnaires, pour mettre un peu d'ordre dans tout cela, pour savoir combien il y a de fonctionnaires, combien il doit y avoir de cotisations pour chacun des fonctionnaires, quel pourcentage cela représente, quel est le périmètre.

J'admire beaucoup votre capacité à porter une appréciation sur le montant des cotisations versées par l'Etat en tant qu'employeur. Nous serions très intéressés si vous pouviez nous livrer des précisions sur les éléments de jugement qui sont les vôtres.

Deuxièmement, au cours des années précédentes, beaucoup d'efforts ont été fournis pour distinguer le contributif du non-contributif. Or, cette année, tout a été à nouveau mélangé pour recompliquer le tout ! On a réintroduit du non-contributif payé par les caisses de sécurité sociale et non par l'Etat.

Troisièmement, le système est à ce point dépassé que, cette année aussi, on a retenu pour la fixation de l'ONDAM les dépenses constatées en cours d'année. C'est comme s'il n'avait servi à rien de voter l'année passée un montant de progression, puisque l'on n'en a pas tenu compte. On vote maintenant un taux de progression par rapport au dépassement de la progression du montant précédent. Tout cela ne sert plus à rien. Si nous ne remettons pas un peu de clarté et de sérieux dans ces affaires, nous trompons nos concitoyens en leur donnant le sentiment que nous faisons progresser les choses alors que ce n'est pas le cas. Il n'y a maîtrise de rien. Tout est un leurre, la loi est un leurre.

Je ferai enfin une dernière observation. Je ne suis pas sûr - mais je reconnais que cela se discute - que l'on puisse considérer le FOREC comme un organisme de la sécurité sociale. Mais c'est un autre problème.

M. Jacques Barrot : Et le FSV ?

M. Jean-Pierre Delalande : Le FSV, oui, incontestablement. Pour le FOREC, cela se discute. Mais nous ne nous battrons pas sur ce sujet aujourd'hui ; les autres questions sont plus sérieuses.

M. le Président : La parole est à M. Jacques Barrot.

M. Jacques Barrot : Je suis, maintenant, paradoxalement, assez d'accord avec l'approche de Jean-Pierre Delalande. Lorsque nous avons inventé la loi de financement de la sécurité sociale, nous avons beaucoup tâtonné. En réalité, il me semble évident que la loi de sécurité sociale est fondamentalement une loi de dépenses, non une loi de recettes. Je suis assez proche des propos de Jean-Pierre Delalande car ce qui fait la différence entre le budget de l'Etat et la loi de financement de la sécurité sociale réside dans le fait que, dans le budget de l'Etat, on doit d'abord arrêter les impôts et les prélèvements - c'est fondamental - alors que, dans la loi de financement de la sécurité sociale, la dépense précède. Il faut savoir à peu près ce que l'on dépense. Je me suis permis de juger certaines propositions irréalistes, car je n'avais pas pensé aux droits constatés. Nous nous sommes heurtés en 1996 à une difficulté. M. Marmot, votre prédécesseur, nous faisait observer que si nous préparions l'enveloppe évaluative des dépenses au printemps, nous ne disposerions pas suffisamment de chiffres. Et je rebondis là sur le propos de Jean-Pierre Delalande : le changement de comptabilité en droits constatés permet, en effet, l'établissement de l'enveloppe de dépenses prévisionnelles au printemps. Ceci présenterait énormément d'avantages, car lors de la préparation de la loi de finances, dans laquelle on décide des prélèvements, on pourrait apprécier s'il y a lieu de prévoir des prélèvements supplémentaires pour l'enveloppe de sécurité sociale. Cela permettrait sans doute - ce que disait très bien Jean-Pierre Delalande - une meilleure articulation.

Selon moi, il ne faut pas transformer la loi de financement de sécurité sociale en une deuxième première partie de la loi de finances. Il est vrai que la sécurité sociale peut avoir besoin de prélèvements supplémentaires. Mais le vote des prélèvements doit être opéré dans la clarté avec une vision globale. Je donne donc raison à Jean-Pierre Delalande. Cela dit, la réforme suppose qu'au sein de l'exécutif la logistique suive, car se profilent derrière les problèmes complexes du rapport entre ministère des finances et ministère des affaires sociales. Il faudra un jour y voir clair entre eux, car comment cela se passe-t-il actuellement ? Le ministère du budget établit son budget ; ensuite, le ministre des affaires sociales indique que des crédits supplémentaires sont nécessaires ; Bercy répond alors qu'il n'inscrira que quelques recettes dans la première partie de loi de finances, le reste devant figurer dans la loi de financement de la sécurité sociale. Au bout du compte, il n'y a pas meilleur moyen de brouiller les pistes et de rendre très difficile la lecture des recettes.

Un point reste essentiel. Les problèmes des rapports entre le budget de l'Etat et la sécurité sociale rappellent ceux qui existent entre le budget de l'Etat et les collectivités locales : il faut que nous ayons un évaluatif des compensations. Quand une décision est prise sur la CSG, sur une baisse de cotisation patronale, des règles sont nécessaires, sans quoi on arrive - Jean-Pierre Delalande l'a très bien expliqué - à des systèmes de compensation d'une extrême complexité. Pour le FSV qui était à peu près financé correctement - je ne parle pas du FOREC qui bénéficie de six ressources -, il eût mieux valu être clair, garder ses ressources affectées et les voir évoluer. Le mélange des ressources actuel rend illisibles les prélèvements que nous devons autoriser.

Je dois dire que M. Jean-Pierre Delalande avait eu une intuition prémonitoire. A l'époque, nous nous étions heurtés essentiellement sur la branche " maladie ". On n'était pas assuré, au printemps, de savoir comme elle évoluerait tant qu'en recettes et en dépenses pour examiner une loi de financement à cette période de l'année. Ce handicap est peut-être levé.

M. Le Président : Je ne fais pas partie de la quinzaine de spécialistes évoqués par M. Jean-Pierre Delalande mais si je comprends bien, vous proposez, dans votre calendrier de disposer des chiffres dès le 31 décembre au moment de la clôture de l'exercice, et d'examiner la loi de financement au printemps. Cela semble exclure l'idée de rapprocher la discussion budgétaire de l'examen du financement de la sécurité sociale, puisque les contraintes constitutionnelles nous obligent à débattre du budget de la Nation à une période déterminée de l'année, à l'automne. Vous semblez donc privilégier des discussions séparées, même si le fait d'avoir des comptes dressés au 31 décembre après la discussion budgétaire permet sans doute une lisibilité plus grande de l'un et de l'autre des budgets, budget de la Nation d'un côté, budget de la sécurité sociale de l'autre.

M. Jacques Barrot : En vérité, un grand débat sur l'enveloppe de dépenses de la sécurité sociale, qui pourrait se tenir en mai-juin, n'empêcherait pas, après le vote de la première partie de loi de finances de l'Etat, de reprendre le sujet pour boucler définitivement la loi de financement de sécurité sociale. Vous avez parfaitement raison : on ne peut complètement boucler au printemps, période durant laquelle on ne peut évaluer les enveloppes complètement. L'ajustement définitif interviendrait ultérieurement. Une première lecture aurait lieu au printemps, et une lecture définitive, plus courte, car l'essentiel aurait été dit et fait, après. C'est ainsi que je conçois les choses.

M. le Président : La parole est à M. Jean-Pierre Delalande.

M. Jean-Pierre Delalande : Il existe deux possibilités : celle qu'évoque Jacques Barrot et celle qui consiste à ce que la loi de financement de la sécurité sociale ait sa logique propre et que les deux textes soient ajustés l'année n + 1. Les deux approches se discutent, mais, en tout état de cause, on doit désormais pouvoir examiner la loi de financement de sécurité sociale en mai ou juin.

M. le Président : M. Monier, quel est votre sentiment sur l'ensemble de ces intéressantes réflexions ?

M. François Monier : La difficulté de lire les affectations fiscales est réelle. Le tableau établi par M. Recours le prouve. La difficulté est même chaque année plus importante. C'est pourquoi je conçois la commission des comptes comme l'une des enceintes qui doit contribuer à expliquer et à rendre les choses plus lisibles. La tâche est ardue d'autant que nos rapports ne sont pas lus par un très grand nombre de personnes.

M. Le Président : Imprimez-les à quinze exemplaires, cela suffira !

M. François Monier : Nous en imprimons quand même beaucoup plus !

On distingue les lignes directrices des mouvements, dont certains ont pour objet d'alimenter le fonds de réserve et de consommer les excédents de la branche " famille ". Le réglage actuel de la sécurité sociale est tel que toutes les branches du régime général ont des recettes qui augmentent à peu près au même rythme. En revanche, leurs dépenses ne progressent pas au même rythme, puisque les dépenses maladie et même les retraites progressent nettement plus vite que les prestations familiales, essentiellement pour des raisons démographiques. Spontanément, donc, certains excédents gonflent et des déficits persistent. Cela conduit à prévoir des branchements compliqués afin de stabiliser les soldes. Je le regrette le premier, et j'espère que ces mouvements trouveront un terme, et que l'on arrivera à une période de plus grande stabilité. La commission, à laquelle participent des parlementaires, doit contribuer à améliorer la lisibilité des systèmes de financement. Il faut élaborer des schémas, tel celui que M. Jean-Pierre Delalande a évoqué, et sans doute plus simplifiés.

J'ai omis d'indiquer tout à l'heure que dans le cadre du processus d'élaboration de la loi de financement, la commission des comptes, au mois de septembre, intervient en amont. La commission des comptes doit présenter des comptes avant loi de financement que l'on baptise de " tendanciels ". En d'autres termes, nous précisons ce que seraient les comptes de la sécurité sociale s'il n'y avait pas de loi de financement. Ensuite, on prend en compte les mesures proposées par le projet de loi de financement. Cette étape a lieu le plus souvent au mois de mai de l'année suivante. Elle intervient sous forme interne à la fin de la discussion de loi de financement, c'est-à-dire à la fin de l'année, et dans des documents que nous publions mais ce n'est qu'au mois de mai suivant que l'on obtient l'intégration de la loi de financement de l'année dans les comptes prévisionnels.

M. Jean-Pierre Delalande, vous avez posé des questions précises sur les cotisations " employeur " de l'Etat. Selon les textes, la Cour des comptes est chargée du contrôle des versements des contributions de l'Etat employeur. Tous les ans, la Cour des comptes, dans son rapport sur l'exécution de la loi de finances, consacre un chapitre à la façon dont l'Etat employeur s'est acquitté de ses obligations vis-à-vis de la sécurité sociale. Y sont traitées la question des cotisations d'assurance maladie qui sont maintenant calculées à un niveau décentralisé alors qu'il s'agissait auparavant d'un versement global pour tous les employés de l'Etat et la question du solde des prestations familiales. La Cour des comptes procède à quelques contrôles. Elle en a engagé récemment dans certains services de l'Etat décentralisés et elle a examiné l'articulation entre la trésorerie locale et l'URSSAF locale. L'ACOSS se plaint souvent de ne pouvoir intervenir.

M. Jean-Jacques Jégou : Nous sommes un certain nombre à nous inquiéter de la question depuis quelque temps. Les cotisations " maladie " sont calculées de façon décentralisée, ce qui n'appelle pas d'observations sévères de la Cour, mais hormis pour les contractuels de l'Etat, il n'y a pas de cotisations " vieillesse ", n'est-ce pas ?

M. François Monier : Effectivement.

M. Jean-Jacques Jégou : Il convient de le dire, car cela n'a jamais été dit. Il n'y a pas de cotisations " vieillesse " des agents titulaires de l'Etat. On devient retraité le jour où on liquide sa retraite mais il n'y a pas de cotisations.

M. François Monier : Cependant, dans nos comptes, figurent des cotisations fictives, la part implicite correspondant au montant des prestations versées et que l'on peut rapporter aux rémunérations, ce qui permet de calculer un taux, du reste très élevé.

Je parlais tout à l'heure uniquement des cotisations " maladie ", qui entraînent des flux financiers entre l'Etat et le régime général comme la CSG.

Je demande à réfléchir davantage aux questions de calendrier. Après l'intervention de M. Jacques Barrot, j'estime aussi qu'il convient de revenir sur la loi de financement en même temps que l'examen de la loi de finances. Ma principale préoccupation est qu'il y ait un point de contact avec les deux lois, le cadrage macro-économique devant être le même pour les deux textes et leurs éléments devant être parfaitement articulés. Je vois beaucoup d'avantages à cette cohérence, qu'il faut maintenir. Quant à un grand débat au printemps, il serait certainement utile.

M. Jacques Barrot : Seriez-vous prêt à alimenter un débat au printemps ?

M. François Monier : Pas cette année.

M. Jacques Barrot : Non, mais à l'avenir ?

M. François Monier : S'agissant des comptes des régimes sociaux, un décret d'application de la loi de financement pour 2001, devrait prévoir qu'à partir de 2002, ils devront être rendus avant le 31 mars de chaque année. La date du 28 février est même envisagée dans une phase ultérieure. Au cours d'une phase transitoire, ce serait cependant le 31 mars. Certains régimes indiquent qu'ils ne parviendront pas à respecter cette date butoir, mais nous espérons les convaincre. Cela paraît très simple, mais certaines branches - je pense à la branche famille - ont besoin d'éléments qui viennent, par exemple, de l'Etat. Ils sont dépendants d'autres fournisseurs de comptes pour publier leurs propres comptes. En tout cas, nous visons la date du 31 mars pour 2002, et il est certain que l'on disposera à l'avenir des comptes de l'année précédente de plus en plus tôt. Néanmoins, pour un débat au printemps, il convient de bénéficier du maximum d'éléments sur l'année en cours. C'est pourquoi je considère le calendrier actuel plutôt meilleur. En effet, on ne peut juger très bien de l'évolution des dépenses d'assurance maladie de l'année en cours, en mai-juin.

M. Le Président : Je vous propose, sur ces questions qui nécessitent plus ample réflexion, de nous transmettre vos analyses par écrit. Nous les communiquerons aux membres de la commission.

Quelle fiabilité, quelle crédibilité peut-on accorder aux déclarations d'un gouvernement, de gauche comme de droite, lorsqu'il annonce que le budget de la sécurité sociale est en équilibre, ou en déficit de tant de milliards ? Une base permet-elle véritablement de l'affirmer alors que l'on se rend compte que les flux financiers - les entrées, les sorties -, et les différents fonds sont si complexes que les manipulations paraissent aisées que la lisibilité est quasiment impossible.

M. François Monier : Il y a plusieurs questions : celle qui concerne la lisibilité du projet de loi et celle de la fiabilité des prévisions. Il y a quelques années, la Cour des comptes a réalisé une étude montrant que l'erreur moyenne sur le solde du régime général avoisinait une dizaine de milliards de francs. Lorsque l'on prévoit un chiffre, par exemple, + 5 milliards de francs l'on a donc a priori des chances de se situer entre
- 5 et + 15. La fourchette est très large. L'expérience montre que la cause des incertitudes n'est pas propre à la sécurité sociale, mais est due à des données macro-économiques, à l'évolution de l'assiette des impôts et des contributions sociales, essentiellement la masse salariale. Du côté des dépenses, les dépenses " vieillesse " et les dépenses " famille " sont prévues avec une très faible marge d'erreur. On peut en prévoir à un milliard près la réalisation. Ce n'est évidemment pas le cas des dépenses maladie. Les deux causes d'erreur sont donc principalement l'évolution des recettes et celle des dépenses " maladie ". Pour celles-ci, on peut déraper de dix milliards par an - peut-être moins en 2001 - par rapport aux objectifs.

M. le Rapporteur : Sachant que dix milliards de francs représentent moins de 1% de l'ensemble, il faut considérer que les prévisions sont relativement fiables. Il faut restituer tout cela dans son contexte.

M. François Monier : Dans mes présentations, je mets fortement l'accent sur la petitesse des soldes dégagés. Lorsque l'on parle d'un excédent de trois ou quatre milliards de francs, certains pensent souvent que c'est beaucoup. Or, rapporté à l'ensemble des dépenses de la sécurité sociale, c'est fort peu.

M. Le Président : Merci pour cette présentation. Nous avons été très heureux de vous entendre sur un sujet parallèle à celui de la réforme de l'ordonnance du 2 janvier 1959, mais dont on s'aperçoit qu'il n'est pas aussi étranger que cela à la réflexion engagée par la commission spéciale. Le cercle des initiés n'a pas forcément été élargi, mais merci d'avoir informé un peu plus ceux qui n'en font pas partie !

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* *

5.- Audition de M. Jean Arthuis,
sénateur, ancien ministre de l'économie et des finances.

(Procès-verbal de la séance du jeudi 23 novembre 2000)

Présidence de M. Raymond Forni, Président de l'Assemblée nationale

M. le Président : Je remercie Jean Arthuis d'avoir répondu à notre invitation, démontrant ainsi les liens qui existent entre le Sénat et l'Assemblée. L'Assemblée souhaite être éclairée, non seulement par le sénateur doté d'une grande expérience, mais surtout par celui qui a exercé des fonctions institutionnelles : d'abord, au sein du Parlement en tant que Rapporteur général ; ensuite, au sein du Gouvernement en qualité de ministre de l'économie et des finances. Ces fonctions lui donnent une expérience suffisamment large pour se forger une appréciation sur le fonctionnement de nos institutions, notamment une idée précise sur la place du Parlement dans la discussion budgétaire, qui fait l'objet de notre commission spéciale.

La volonté de l'Assemblée, s'agissant de la réforme des ordonnances de 1959, est évidemment d'aboutir à un consensus avec le Sénat. Il n'y a pas de réforme de ce type sans consensus. Il y va, me semble-t-il, de l'intérêt de tous : de nos institutions - Assemblée et Sénat - et de la crédibilité de l'ensemble des parlementaires, qu'ils appartiennent à la majorité ou à l'opposition. A ce niveau, il n'y a pas de distinction. Le risque, lorsque l'on est entré dans cette procédure et que l'on est animé d'une telle volonté, c'est de se trouver confronté à une surenchère des uns ou des autres, voire à une surenchère individuelle, qui risque de faire échouer la recherche de cet accord entre l'Assemblée nationale et le Sénat.

Je me suis réjoui de la manière dont les choses ont été présentées, notamment par le Président Lambert. Son approche permet le débat ; elle ne ferme pas la porte, bien au contraire. Je suis heureux que le Sénat n'ait pas déposé de texte concurrent à celui de Didier Migaud. Au-delà de l'audition du Président Arthuis, je souhaite évidemment que nous ayons la possibilité de poursuivre ce dialogue entre personnes qui connaissent bien ces matières tant il est vrai qu'elles échappent à beaucoup de nos collègues. Jean-Pierre Delalande nous disait que, dans le domaine de la sécurité sociale, il existait dix spécialistes, voire quinze. C'est dire peu de monde au regard de l'ampleur du problème et des 1.800 milliards de francs de la sécurité sociale.

Concernant cette audition, vous en avez la totale maîtrise. Vous transmettrez le message que vous souhaitez à l'Assemblée. Au-delà d'une présentation liminaire exposant votre approche de la question, nous aborderons ensuite, si vous le permettez, la procédure des questions-réponses. Merci encore pour votre participation et je vous cède, M. le Président, la parole.

M. Jean Arthuis : M. le Président, M. le Rapporteur général, mesdames, messieurs les députés, je vous remercie de m'avoir convié pour une audition. J'ai conscience que la commission spéciale que vous avez constituée, M. le Président, engage une réforme fondamentale et qu'il ne peut y avoir une réforme de l'ordonnance de 1959 partisane. Elle ne peut être le fait de l'Assemblée seule contre l'avis du Sénat. Nous sommes animés par la préoccupation constitutionnelle définie par au moins trois dispositions de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, qui est de permettre précisément à nos concitoyens de comprendre l'articulation d'une discussion budgétaire. Pour ma part, j'ai ouvert une réflexion dès 1992 en devenant rapporteur général du budget au Sénat. J'ai prolongé la démarche, tenté de planter quelques jalons et d'introduire quelques réformes lorsque l'on m'a confié, du mois d'août 1995 jusqu'au début du mois de juin 1997, la responsabilité du ministère de l'économie et des finances.

Je salue l'initiative du Rapporteur général de la commission des finances de l'Assemblée qui a déposé une proposition de réforme de l'ordonnance de 1959.

Les uns et les autres vivons, au Parlement, des conditions assez étranges. La discussion budgétaire est un acte devenu rituel. Elle donne au Gouvernement un certain confort. Pendant cinq semaines à l'Assemblée nationale, pendant trois semaines au Sénat, on peut dire que le dispositif s'égrène d'une manière programmée, sans modification. Le Parlement vit une sorte d'humiliation avec la conviction d'accomplir un acte formel, rituel. Et nos concitoyens considèrent sans doute qu'il s'agit d'une démarche illusoire, ce qui est extrêmement grave dans une démocratie. C'est peu dire que la sphère publique est opaque et qu'il est bien difficile de répondre à des questions aussi élémentaires que " combien cela coûte ? " On ne peut pas dire que le Parlement assume totalement ses prérogatives de contrôle. Voudrait-il le faire qu'il éprouverait de grandes difficultés, car le système d'information financière et comptable public est ainsi fait qu'il est pratiquement incontrôlable. Nous sommes donc ici confrontés à un problème essentiel mettant en cause la crédibilité de la démarche politique. Comment pouvons-nous éclairer le débat politique avec des instruments aussi frustres ? Nous avons souvent l'impression que la loi de finances devient un élément majeur du plan de communication du Gouvernement, quel qu'il soit. Et le Parlement donne l'impression de se livrer à un contrôle a priori d'un document virtuel. Le débat sur les emplois est irréel ! Comment se fait-il qu'en l'an 2000 il y ait autant d'aléas sur la situation des effectifs ? J'ai compris votre démarche, dont je partage totalement la philosophie et la plupart des propositions. Nous sommes dans un acte refondateur du pacte républicain. S'il est vrai que la modification de la Constitution n'est pas un acte banal, nous ne devons pas exclure a priori des modifications constitutionnelles.

Je voudrais m'en expliquer devant vous. Il s'agit de faire entrer la politique dans la modernité, de sortir de ces débats, où, finalement, on ne sait plus de quoi on parle. Vous auditionniez avant moi un responsable des comptes de la sécurité sociale. J'ai encore à l'esprit le premier élément de conclusion du rapport de la Cour des comptes : " Nous avons examiné la situation ; nous ne sommes pas en mesure d'exprimer une opinion, parce que les comptes ne veulent rien dire. " Qu'est-ce à dire et que faisons-nous, parlementaires de la majorité comme de l'opposition ?

Je suis convaincu que le rôle du Parlement consiste dans le contrôle de l'action du Gouvernement et des administrations publiques. Nous devons nous donner les moyens de ce contrôle et sans doute aussi fortifier notre volonté, car c'est la réhabilitation du Parlement qui est en cause. Je sais bien que l'Assemblée nationale fonctionne de manière exemplaire, mais enfin ! ne nous racontons pas d'histoires ! Sommes-nous en mesure de réhabiliter le Parlement ? Faute de quoi le Parlement participera au dysfonctionnement de l'Etat, parce que les lois perdent progressivement leur caractère normatif : elles deviennent des vecteurs de communication et les citoyens ne comprennent plus. Ils doutent. Nous sommes ici au c_ur de la crise politique. Nous sommes tous concernés, à droite comme à gauche. Je souhaite que l'on puisse constituer un comité de rédaction supra-partisan et bicaméral. Nous ne devons, en aucune façon, minimiser la tâche qui nous attend.

J'énoncerai tout d'abord quelques principes qui me paraissent essentiels. Dans un second temps, je porterai mon propos sur l'article d'équilibre, car c'est l'image synthétique du budget de l'Etat.

Vous disiez, M. le Président, qu'une dizaine de parlementaires comprenaient la subtilité budgétaire. Vous mesurez comme moi à quel point cette affirmation peut être scandaleuse. C'est dire que la représentation nationale, dans sa très grande majorité, ne comprend pas l'image des finances publiques et de la gestion publique alors que, aujourd'hui, dans les entreprises, tous les salariés savent lire le bilan, les comptes de résultats et que s'il y a, dans l'entreprise, l'amorce d'une cohésion, sans doute est-ce parce que l'on a trouvé un vocabulaire commun, un langage commun et que l'on est sorti de l'ésotérisme, de la virtualité, des procès d'intention et des soupçons. Nous avons un devoir de transparence dans la gestion publique, faute de quoi nous ne pourrons entreprendre aucune réforme ; on ne peut réformer les structures de l'État quand on ne peut informer. Lorsque M. Champsaur et M. Bert ont présenté des propositions visant à réformer deux grandes directions du ministère de l'économie et des finances, à plusieurs reprises, ils ont exprimé leur déception de ne pouvoir justifier précisément les coûts excessifs qu'ils ont cru appréhender. Quand on ne sait pas informer et donc justifier ses réformes, on ouvre un boulevard aux désinformateurs, à tous ceux qui ne veulent pas de la réforme et qui utilisent la désinformation pour faire peur avec des paroles telles que : " M. le conseiller général de la Haute-Loire, cette fois-ci votre perception disparaît ! " Et la peur suscite immédiatement une réaction de tous les députés, de tous les sénateurs, de gauche comme de droite. Au fil des semaines et des séances de questions d'actualité, le Gouvernement finit par fléchir et l'on renonce à toute réforme de la sphère publique. Pour en sortir, il nous faut une image sincère de la sphère publique et en éclairer toutes les pièces. Nous verrons alors ensemble les réformes que nous pourrons accomplir.

Première préoccupation : réformer le système d'information financière et comptable public en privilégiant tous les éléments de gestion analytique, par fonction, par mission, afin que les parlementaires puissent obtenir une réponse quand ils souhaitent connaître le coût de tel service, de telle action. Il importe aussi de se donner les moyens d'apprécier l'efficacité de la dépense publique.

Deuxième principe : l'universalité des lois de finances. Ma conviction repose sur l'idée que toutes les recettes financent toutes les dépenses et qu'il faut cesser d'affecter telle ressource, telle recette, tel impôt ou telle taxe parafiscale à telle dépense. L'affectation devient rapidement un instrument de cosmétique budgétaire. Nous devons prohiber les budgets annexes, les comptes d'affectation spéciale. S'il apparaît qu'un compte de commerce, un compte du Trésor a des recettes spécifiques, transformons-le en établissement public industriel et commercial, éventuellement privatisons, mais je ne veux pas être provocateur ! En tout cas, sortons du budget tout ce qui est pourrait favoriser la manipulation.

Troisième principe : la sincérité. Il faut remettre en cause ce qu'a prévu l'ordonnance, autrement dit les encaissements, les décaissements, s'en tenir aux droits constatés, mettre fin à la période complémentaire. La trésorerie de l'État est ce qu'elle est au 31 décembre de l'année. Comment se fait-il que l'on attende le 31 janvier, parfois le 15 février, pour déterminer la trésorerie de l'État au 31 décembre ? Cela n'a pas de sens. Le corollaire c'est l'établissement d'une situation patrimoniale et d'un bilan. Des pratiques monstrueuses consistaient à procéder à des avances à la sécurité sociale, puis à les gommer, pour pouvoir dire que l'on n'avait rien prêté au 31 décembre. Ce sont des hypocrisies budgétaires que nous ne devons pas accepter. C'est une dérive qui nous expose à toutes les aventures et donc à la suspicion de nos concitoyens. Donc exigence de sincérité, avec pour corollaire - l'exercice est rude, mais certains pays y sont parvenus - l'établissement d'une situation patrimoniale. Qu'est-ce que le patrimoine de l'Etat ? Qu'y a-t-il à l'actif ? Il y a des participations, des créances avec toutes les interrogations sur la solvabilité des débiteurs. C'est là un vrai débat politique. Quelles sont les dettes ? A ce sujet, il faudra se résoudre à confier à des experts, à des actuaires, l'estimation de la dette de retraite. A quoi sert-il de créer des fonds de réserve, fût-ce pour gager le lissage des retraites par répartition si, par ailleurs, on n'a pas une vision globale du patrimoine de l'Etat ? On arrive à distraire des fonds du patrimoine sans savoir ce qui constitue le patrimoine. C'est une opération qui nous expose à un réquisitoire en mystification. Donnons-nous les moyens de construire la situation patrimoniale de l'Etat ; nous en avons les moyens techniques. Il est inutile de parler de mission informatique, de télématique et de nouvelles techniques d'information et de communication si nous ne faisons pas usage de ces instruments fantastiques pour la gestion des finances publiques. Dans ces conditions, demandons à la Cour des comptes de certifier la sincérité et la régularité des lois de règlement comme le fait un commissaire aux comptes pour une entreprise, une société commerciale ou une association.

Quatrième principe : renforcer l'autorité du Parlement et conférer un caractère sacré aux prérogatives de contrôle, mais ne sous-estimons pas l'ampleur de la tâche pas plus que les moyens à mettre en _uvre pour y parvenir. Je pense personnellement qu'il existe deux voies possibles.

- accroître considérablement les moyens de la Cour des comptes et qu'elle travaille en synergie avec le Parlement ;

- constituer dans les assemblées des équipes d'auditeurs qui, selon moi, ne devront pas être des administrateurs ou des fonctionnaires de nos assemblées parlementaires, mais des femmes et hommes juristes, fiscalistes, auditeurs comptables, économistes, sociologues, qui, sur la base de contrats à durée déterminée de deux ou trois ans, apporteraient leur concours à des missions d'audit qui seraient diligentées par des commissions parlementaires ou par des parlementaires qui ont une prédisposition pour ce type de démarche. C'est l'autorité du Parlement qui est en cause. Cela suppose que l'on passe moins de temps sur la discussion de la loi de finances, qui est un document prévisionnel, et que toute l'énergie soit consacrée aux vérifications a posteriori ou en cours d'exercice sur place et sur pièces.

Cinquième principe : ouverture du débat budgétaire dès le printemps. Je sais qu'il y a un débat d'orientation budgétaire ; c'est moi-même qui, en qualité de ministre, l'ai suscité au printemps 1996. Mais force est de constater que ce débat devient formel et qu'il n'apporte rien à l'éclairage du Parlement. L'exercice a été complètement confisqué ; il est désormais ancré dans la virtualité. Chacun est dans son rôle. Aucune valeur ajoutée spécifique. Je prohibe cette démarche, car elle est totalement illusoire. C'est une sorte de bulletin de santé à mi-chemin entre deux réunions des comptes de la nation pour tenter de scruter l'évolution de la croissance, des indices économiques, du recouvrement des impôts. Rien sur les réformes fiscales, qui gardent chez nous une sorte de caractère secret. Nous le vivons au Sénat comme à l'Assemblée : il n'y a pas de débat sur les réformes fiscales. C'est pendant l'été, quand le Parlement est en vacances, que le Gouvernement lâche quelques idées à la presse pour voir comment les commentateurs réagissent. Et puis vient le conseil des ministres, à la fin du mois de septembre. Et puis, ca y est ! c'est bloqué. La réforme est faite. Discussion dérisoire. Comment voulez-vous réformer la fiscalité en examinant les articles de la première partie de la loi de finances ? On ne peut réformer la fiscalité dans ces conditions. Je propose que le Gouvernement, qui dispose de tous les éléments pour déposer son esquisse de loi de finances dès le 1er mai ou le 1er juin, mette ses cartes sur la table dès ce moment-là et que, pendant les mois qui précèdent le 31 décembre, s'engagent, au sein des commissions, les auditions, les débats nécessaires et que l'on chemine. En tout cas que l'on prohibe cette étrange procédure qui consiste à mettre la loi de finances dans l'extrudeuse parlementaire pendant cinq semaines. On est sûr que cela va sortir ; on transmet la copie au Sénat pour une discussion de trois semaines, un peu laborieuses, mais tout à fait rituelles. C'est une succession de discours déclamés avec talent à la tribune. Mais il ne se passe rien ! Où est la valeur ajoutée parlementaire dans un exercice qui se situe aux confins de la caricature et qui suscite un réel malaise chez les parlementaires qui siègent en séance ?

J'insiste sur l'ouverture du débat financier, sur la communication par le Gouvernement de son projet de loi dès le printemps, sur la nécessité d'engager des débats sur les réformes fiscales fondamentales, faute de quoi nous n'engagerons pas de réforme fiscale et les options seront retenues au mois d'août en fonction des sondages, du prix des carburants, de la chute de l'euro...

Sixième principe : en matière d'emplois, soyons intransigeants. Il est scandaleux que l'Etat, gestionnaire public, ne soit pas en situation de dire précisément au jour le jour ce que sont les emplois. Seuls comptent les emplois réels. Cessons d'évoquer les emplois budgétaires qui ne veulent rien dire ! Ils sont commodes parce que virtuels : on fait ainsi plaisir aux syndicats en leur annonçant des créations d'emplois qui en fait ne seront peut-être pas créés. C'est là un jeu stupide qui décrédibilise tous les acteurs, y compris nous-mêmes.

Septième principe : pas de remise en cause de l'article 40. Il importe que le Gouvernement puisse tenir l'enveloppe des dépenses publiques.

Huitième principe : réhabilitation de la loi de règlement. On passe de nombreuses semaines sur la loi de finances initiale et seulement quelques heures sur la loi de règlement qui est pourtant un constat d'exécution. La loi de finances rectificative que l'on examine à la fin de l'année est une préfiguration de la loi de règlement. Il est fondamental d'organiser une séance solennelle au cours de laquelle la Cour des comptes certifierait la sincérité, la régularité de la loi de règlement, laquelle comporterait un tableau de résultats sur les opérations courantes et un tableau représentatif de la situation patrimoniale de l'Etat. Qu'y a-t-il à l'actif ? Au passif ? Comment la situation a-t-elle évolué d'un exercice à l'autre ? L'Etat est encore actionnaire de quelques participations industrielles, financières : quelle est la consolidation de ces comptes ? Ce document doit être partie intégrante de la situation patrimoniale et actualisée. Il convient d'indiquer tous les engagements hors bilan de l'Etat, et de préciser si l'on donne des garanties, si l'on s'engage sur une procédure et s'il peut en résulter une charge pour l'Etat, celle-ci doit apparaître dans la situation patrimoniale. Enfin, il faut intégrer l'harmonisation européenne. Il faut arrêter de faire du franco-français et ouvrir le débat avec nos partenaires européens, faute de quoi je me demande comment nous pourrons disposer, au plan européen, d'un Gouvernement économique qui redonnera quelque crédit à la monnaie unique. Si nous voulons respecter nos engagements d'orthodoxie budgétaire, aucune ambiguïté ne doit entacher nos présentations budgétaires. Nous devons donc tenir compte d'une nécessaire harmonisation européenne. La comptabilité n'est ni de gauche ni de droite. A mon avis, elle n'est pas, en France, différente de ce qu'elle doit être dans les autres pays de l'Union européenne.

J'en arrive à l'ordonnance de 1959 et aux quelques modifications qu'il conviendrait d'apporter.

A l'article 1er, une exigence absolue de transparence stricte sur les emplois. Ce matin encore, j'entendais sur une chaîne de télévision un débat entre des représentants des syndicats de l'Education nationale et un journaliste. Ils évoquaient des chiffres différents sur le nombre d'emplois. Le débat politique est obéré dès lors qu'il y a doute sur les données de référence. Il ne peut y avoir débat politique, quand on ne s'accorde pas sur la constatation. On peut dire tout et le contraire de tout et ne rien décider.

A l'article 16 : modification pour tenir compte des droits constatés.

A l'article 18 : suppression des affectations de recettes à certaines dépenses et donc remise en cause des comptes d'affectation spéciale, des comptes du Trésor et des budgets annexes. N'hésitons pas à transformer des budgets annexes en établissements publics industriels et commerciaux, là où on peut vérifier qu'il s'agit d'une activité particulière avec sa logique de relations directes avec des usagers. Les taxes parafiscales doivent apparaître dans les ressources fiscales.

A l'article 38, sur l'élaboration de la loi de finances, je souhaiterais que l'on modifie l'évocation du premier mardi du mois d'octobre. Je vous invite, en effet, à ne pas vous autocensurer. L'exercice que nous accomplissons est un exercice séculaire et il ne faut pas reculer devant les obstacles, y compris ceux découlant de la Constitution. C'est vrai pour le calendrier budgétaire avec l'article 47 de la Constitution et avec l'article 47-1 pour le financement de la sécurité sociale. Acceptons d'aller le plus loin possible. Ce texte doit être fondateur du pacte républicain ! La démocratie est en cause comme la capacité du politique à faire évoluer la société, à modifier les structures de l'État.

J'en viens à l'article d'équilibre qui me semble le document fondamental. Il faut qu'il soit lisible par tous nos concitoyens. Je vous propose de le scinder en trois blocs.

Dans le premier, je vous propose d'inscrire toutes les recettes fiscales et parafiscales, de faire apparaître en totalité le produit des impôts par grandes catégories. Je prends l'exemple de la TVA. Aujourd'hui, une partie de la TVA est distraite pour le budget annexe des prestations sociales agricoles (BAPSA). Je propose d'ailleurs de faire disparaître ce budget annexe, comme les autres, et de réintégrer le produit de TVA qui lui est affecté. On fait apparaître toutes les ressources et éventuellement on en flèche une partie vers des organismes bénéficiaires. Parmi les ressources, j'introduis la CSG et l'ensemble des impôts qui vont directement au financement de la sécurité sociale. J'inscris toutes les ressources fondées sur une décision du Parlement, y compris celles qui, aujourd'hui, n'apparaissent pas au budget, parce qu'elles relèvent de la loi de financement de la sécurité sociale.

Dans ce bloc de recettes fiscales, je fais apparaître quatre soustractions :

- la première au profit des organismes de sécurité sociale, y compris la Mutualité sociale agricole, puisque l'on ne transitera plus par le BAPSA qui ne sert à rien. Pas de distinction entre TVA affectée et subvention. C'est une somme globale qu'il faut prélever sur les ressources de l'Etat pour la Mutualité sociale agricole d'une part, et au profit du financement de la sécurité sociale, d'autre part ;

- deuxième soustraction : au profit des collectivités territoriales comme les dotations globales de fonctionnement et de décentralisation, le fonds de compensation de la TVA et les compensations d'impôts pris en charge par l'Etat : compensation des exonérations et allégements d'impôts locaux (taxe d'habitation, taxe professionnelle, vignette automobile). On détermine ainsi la masse que l'Etat verse aux collectivités territoriales, à l'exception des subventions spécifiques qui viendront dans les dépenses de l'Etat ;

- troisième soustraction : contribution à l'Union européenne ;

- quatrième soustraction pour ce que j'appelle " autres organismes ", au demeurant peu nombreux, percevant des taxes parafiscales. Citons la redevance télévision.

En résumé, sur les ressources fiscales et parafiscales, on ne déduit que les remboursements que peut opérer le Trésor public au profit de contribuables, parce qu'ils correspondent à la récupération d'un crédit de TVA ou parce que certains ont trop payé trop d'impôts sur les sociétés. On obtient un produit global orienté vers quatre affectations : protection sociale, collectivités territoriales, Union européenne et autres organismes. Vous avez par soustraction la part qui revient à l'Etat. On constate, si je reconstitue l'année 2001, que la masse à partager s'élève à 2.402 milliards de francs et que la part qui revient à l'Etat n'est que de 1.256 milliards de francs, soit à peine plus de la moitié.

Le deuxième bloc est celui des opérations définitives. J'ai préconisé la disparition des comptes d'affectation spéciale et des budgets annexes. Je reprends en ressources définitives les ressources fiscales résiduelles qui résultent de mon premier bloc et les ressources non fiscales : les dividendes encaissés par l'Etat, les produits du patrimoine, les fonds de concours. Je ventile ces ressources en ressources d'équipement et en ressources ordinaires. Autrement dit, j'introduirai dans ce deuxième bloc d'opérations définitives une distinction retenue par le Rapporteur général : fonctionnement-investissement. La distinction participe de la clarification. La question qui se pose est de savoir si dans le titre I, hormis la charge de la dette, on doit faire apparaître la charge de rente, c'est-à-dire les pensions. Je n'ai pas d'opinion. On peut en débattre, mais ce n'est pas fondamental.

Dans le troisième bloc, je fais apparaître les opérations financières, autrement dit les éléments de variation du patrimoine de l'Etat : les prêts, les emprunts, les opérations sur titre, les opérations financières, les opérations monétaires. Les opérations de stricte trésorerie n'ont pas à être budgétées. Il faut laisser au Trésor, sous le contrôle du Parlement, le soin de procéder aux arbitrages de gestion de trésorerie. En revanche, les opérations financières doivent être budgétées et on y trouvera le produit des privatisations, la recapitalisation des entreprises publiques, les variations d'éléments d'actif et de passif, les remboursements d'emprunts, les remboursements de prêts, les encaissements de prêts. Nous disposerons ainsi des éléments pour établir la situation patrimoniale.

Je me permets d'insister sur l'importance de l'article d'équilibre. Il doit être lisible, sans ambiguïté, par tous nos collègues parlementaires. La matière budgétaire doit devenir une matière familière pour tous les hommes politiques que nous sommes et doit le devenir pour nos concitoyens. De là s'établira la transparence et donc la confiance. Nous évoquons ici les instruments pour porter remède à ce qui pourrait ressembler à une crise politique. Pour faire vivre ces bonnes pratiques, qui ne doivent pas être partisanes, il est bon de prévoir un comité, une sorte de comité des diligences et des principes comptables au sein duquel des magistrats de la Cour des comptes et des représentants du Parlement puissent se retrouver périodiquement, en prenant en compte également la dimension européenne. Comment voulez-vous délivrer des messages suscitant la confiance à la communauté internationale s'il se dit qu'en Europe, chacun dans son coin, bricole son budget ? Ce n'est pas possible. Et les parlementaires que nous sommes n'ont pas non plus intérêt à s'aventurer dans cette voie. Ayons du respect pour nos concitoyens. C'est ici une opération de vérité. Cela ne signifie pas que le comptable impose sa loi aux politiques, mais que le politique prend appui sur des informations fiables, sur des informations sincères pour engager les débats qui conditionnent notre avenir.

Voilà, M. le Président, M. le Rapporteur général, madame, messieurs les députés, les quelques observations que je souhaitais présenter en introduction à cette audition.

M. le Président : Merci beaucoup, à la fois pour la passion et l'ampleur des réformes que vous proposez, même si certaines sont déjà contenues dans la proposition du Rapporteur général, ce que vous avez vous-même souligné.

Comme vous, j'ai la conviction que nous sommes au c_ur d'une réforme des institutions démocratiques. C'est la raison pour laquelle sans doute, vous comme nous, attachons beaucoup d'importance à ces travaux et aux résultats que nous obtiendrons dans un délai qui doit être très bref. Pour simplifier, une réforme de ce genre n'est possible que s'il y a un consensus et que si des fenêtres sont ouvertes pour rendre possible la réforme, en fait si des volontés se conjuguent. Je crois pouvoir avancer que ces volontés existent. Nous devons saisir cette opportunité. Si nous ne la saisissons pas dans les mois, voire dans les semaines qui viennent, nous allons entrer dans un cycle de campagnes électorales dont on ne connaît évidemment pas l'issue et qui rendront sans doute, pendant et peut-être après, la réforme impossible. Vous l'avez souligné : il s'agit d'une réforme séculaire. Sur trente-cinq tentatives de réforme de l'ordonnance de 1959, aucune n'a jusqu'ici abouti, hormis deux modifications mineures. Cela signifie bien que l'enjeu est l'établissement de la règle entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif pour un temps sans doute assez long. A partir de là, nous mesurons la responsabilité qui est la nôtre, surtout la responsabilité de ceux qui siègent dans cette Commission spéciale, dans la mesure où ce sont eux qui, beaucoup plus que d'autres, maîtrisent les mécanismes budgétaires. Je suis parfois caricatural, peut-être à dessein, pour provoquer la réaction. C'est parfois utile. Hier j'ai dit, dans un journal, que c'était une mascarade. Sans doute le terme est-il trop fort par rapport à la réalité, bien que vous veniez d'utiliser des termes approchants.

Usant de ce terme, j'ai voulu dire que nous avons une approche parcellaire, même si nous nous intéressons à la matière budgétaire, focalisant notre attention sur un sujet qui nous intéresse sans nous intéresser à l'ensemble. Or, ce qui fait le budget est précisément ce qui forme l'ensemble. M. François Monier nous a parlé ce matin des comptes de la sécurité sociale. On comprend qu'en l'absence d'approche globale, il n'y a pas d'approche du tout. On ne parle pas du haut de la tribune du Sénat ou de l'Assemblée nationale en s'adressant à des catégories de citoyens que l'on veut flatter à un moment donné de sa vie politique. Ce n'est pas ainsi que s'exerce notre responsabilité politique.

Sur l'essentiel, je partage votre approche, convaincu, comme vous, que si nous ne réalisons pas la réforme, nous risquons de perdre un peu plus encore la crédibilité qui s'attache aux institutions dans lesquelles nous siégeons. Il est évidemment essentiel de s'engager dans la voie que vous indiquez. Bien entendu, il peut y avoir des différences, d'un côté comme de l'autre. Il faut avoir en tête une seule chose, la démocratie est caractérisée par des changements de majorité. On est un jour dans l'opposition, un jour dans la majorité et il faut toujours avoir en perspective la période où l'on sera au pouvoir, où l'on exercera cette responsabilité. Si nous n'anticipons pas ou si nous n'avons pas le courage de mener la réforme qui s'impose, nous risquons de recevoir cela comme un boomerang en pleine figure. Tel est le fondement de notre réflexion engagée grâce au travail considérable fourni par M. Didier Migaud tant il est vrai que la préparation de cette proposition a évidemment entraîné des semaines et des mois de réflexion.

Vous avez appelé de vos v_ux la constitution d'un comité de rédaction supra-partisan, bicaméral. Je partage cette idée, même si je mesure la difficulté de la mettre en _uvre. Au fond, nous avons plutôt privilégié ici le contact permanent avec le Sénat, c'est-à-dire une démarche parallèle entre le Sénat et l'Assemblée qui, d'ailleurs, se déroule dans de bonnes conditions, puisque le Président Lambert a exposé son idée de la réforme, qui n'entre pas en contradiction avec les propositions du Rapporteur général. Elle va sans doute un peu plus loin dans certains domaines. Mais elle ne rend pas impossible l'accord. Il y aurait sans doute eu plus de difficultés à l'envisager si, du côté sénatorial, on avait figé les choses dans un bloc un peu institutionnel. Il faut que nous poursuivions cette démarche parallèle. Si cela était possible, je serais favorable à l'idée de rassembler opposition-majorité, Sénat-Assemblée, mais il y a des règles institutionnelles qui pèsent sur nous et que nous sommes évidemment obligés de respecter.

M. Jean Arthuis : Avant de venir vers vous, j'ai fait le point avec Alain Lambert. Je souscris tout à fait aux propositions du Sénat et à la méthode, c'est-à-dire un texte de départ. Vous en avez pris l'initiative et c'est très bien. Cela dit, j'ai le sentiment que la Commission des finances du Sénat est quelque peu inhibée sur certains points. Croyez-moi, nous ne reviendrons pas de sitôt sur la réforme de l'ordonnance. Vous connaissez mieux que moi la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Relisez les articles 14, 15 et 16 : tout y est inscrit. Nous avons complètement perverti la démarche. Nous sommes dans un monde moderne et nous vivons, en tout cas je vis, la discussion budgétaire comme une forme d'humiliation parlementaire. On nous invite à un exercice qui frise le ridicule ; on ne sait même plus de quoi on parle. On contrôle des documents virtuels. Ajoutons une série de convenances. Chacun est dans son rôle sans qu'il ne se passe rien. Sortons de ce cadre, qui mène l'Etat dans l'impasse. Je voudrais que l'on aille plus loin pour atteindre ce que nos rapporteurs et présidents de commission des finances ont imaginé. Aujourd'hui, l'ensemble du Parlement doit s'approprier cette problématique et je ne saurais trop louer la démarche qui est la vôtre. On est là dans le supra-partisan. On est conscient, à gauche, à droite comme au centre, que l'on ne peut poursuivre ainsi ; il ne peut y avoir doute sur la reddition de comptes. Tout citoyen peut demander des comptes à un agent public sur son administration. Or l'exercice que nous accomplissons est un exercice dérisoire. Il faut donc en sortir. Quelques dispositions d'ordre constitutionnel doivent être modifiées, notamment relatives au calendrier. Cessons l'exercice de débat d'orientation budgétaire. Lorsque je l'avais initié en 1996, j'avais introduit la présentation sous la forme fonctionnement-investissement pour que l'on prenne conscience du financement des dépenses de fonctionnement et afin que cette présentation éclaire tous les débats à suivre. Il s'est dénaturé depuis lors.

Nous réformerons l'Etat et nous préparerons l'avenir si nous pouvons éclairer la sphère publique, et si nous la sortons de l'opacité, qui arrange tout le monde. On ne veut pas savoir combien cela coûte, car, si on le savait, on réformerait. Et donc on ne réforme pas ! On continue à tenir des discours auxquels ne croient plus nos concitoyens. J'exprime solennellement le souhait que l'on n'écarte pas a priori quelques modifications de la Constitution dès lors que la gauche et la droite seront d'accord. Vous me direz que les citoyens sont parfois inquiets quand ils voient la droite et la gauche s'accorder sur un point constitutionnel. En l'occurrence, ce qui nous occupe diffère de tout ce que l'on a pu vivre ces derniers temps. C'est différent, parce qu'il s'agit du langage, du vocabulaire commun des citoyens. Sans cela, comment voulez-vous qu'il y ait une cohésion sociale, puisque l'on ne sait pas de quoi on parle et que c'est notre bien, notre patrimoine commun ? Il ne faut pas s'autocensurer, il ne faut pas perdre de temps. Je suis de ceux qui sont prêts à consacrer tout leur temps à cela, car je crois fondamentale cette réforme pour refonder la République, sans quoi nous serons confrontés à la République du mensonge et cette République-là est en implosion virtuelle.

M. le Président : Réelle.

M. Jean Arthuis : Peut-être bien.

M. Didier Migaud, Rapporteur : Je suis très heureux de retrouver Jean Arthuis et de la possibilité de l'auditionner compte tenu de son expérience, rappelée par le Président Forni. Il est rare de voir un homme qui a occupé les fonctions de Rapporteur général de la commission des finances et de ministre de l'économie et des finances. Il a pu étudier les deux facettes relevant de la procédure budgétaire.

Après l'avoir entendu - mais ce n'est pas la première fois que nous nous rencontrons, nous avons eu l'occasion d'échanger déjà - je souhaite que le dialogue se poursuivre et je constate que, sur les grandes orientations qu'il a rappelées, un consensus est tout à fait possible. Après Raymond Forni, je veux remercier le Sénat de la démarche constructive qu'il a engagée. Je sais que Jean Arthuis y contribue fortement avec Alain Lambert, Président de la Commission des finances du Sénat. Dans le rapport que ce dernier a présenté, je ne vois aucun obstacle insurmontable à l'accord bicaméral nécessaire à l'aboutissement de cette réforme, étant entendu qu'il ne faut pas que nous oublions le troisième acteur qu'est le Gouvernement. Nous n'aurons des chances d'aboutir concrètement que s'il y a accord à trois. Nous savons combien c'est difficile. J'en veux pour preuve les trente-cinq propositions antérieures, lesquelles ont toutes avorté car à chaque fois, le point de maturité n'était pas identique à l'Assemblée nationale, au Sénat et au niveau du Gouvernement. En la circonstance, nous bénéficions d'une fenêtre historique. Il nous appartient de l'ouvrir et de la fermer avec un texte voté dans les semaines qui viennent. Ainsi que l'a relevé Jean Arthuis, il ne faut s'interdire aucune question ; aucune n'est taboue.

La proposition de loi ne propose pas de modifier la Constitution. Il est vraisemblable que, dans une seconde phase, il sera nécessaire de prolonger la réflexion sur les dispositions constitutionnelles à revoir. Cela dit, si nous voulons parvenir dans des délais rapprochés à une réforme que Jean Arthuis a lui-même jugée fondamentale, étape, insuffisante certes, mais nécessaire à une vraie réforme de l'Etat, il importe que l'Etat français puisse s'engager dans une réforme importante. Il ne faut pas que nous nous compliquions trop la tâche, et offrions la possibilité à tous ceux qui ne souhaitent pas la réforme de l'ordonnance de 1959 de trouver là des arguments pour ne pas avancer. Le prétexte serait alors de ne rien faire tant que nous ne serons pas en mesure de modifier l'ensemble. Par conséquent, faisons preuve d'audace, de volontarisme raisonné et pragmatique pour faire en sorte de progresser. Je crois que toutes les conditions sont réunies pour ce faire.

Je voudrais maintenant demander à Jean Arthuis de préciser sa pensée sur deux ou trois points.

Nous sommes convaincus de la nécessité d'une comptabilité et de la présentation du budget en droits constatés. Cela dit, tous les pays qui se sont engagés dans cette réforme ont également conservé une présentation budgétaire classique en encaissement-décaissement. Qu'en pense Jean Arthuis ?

Sur ce point, nous devons faire preuve de réalisme ; il convient que nous soyons attentifs à corriger les effets pervers possibles d'une réforme nécessaire. Il est vrai qu'un vote en droits constatés peut engendrer de la part de l'exécutif des risques de manipulation des prévisions budgétaires, ne serait-ce que par le biais des provisions pour risques ou des charges futures. On ne se situe pas toujours là dans l'objectif, mais dans le subjectif. Si une telle formule est possible au niveau des collectivités locales, c'est que les provisions sont en fait extrêmement limitées, ce qui n'est pas totalement le cas pour le budget de l'Etat. Selon moi, cette double présentation paraît nécessaire.

Sur la question des programmes ministériels, je crois que nous avons la même analyse : la nécessité de responsabiliser les acteurs publics. Une double préoccupation s'attache à cette proposition de loi : moderniser la gestion de l'Etat, faire en sorte que l'Etat soit plus efficace et plus transparent. Le second objectif vise à faire du Parlement un véritable acteur en le sortant de son actuelle passivité.

Premier objectif : responsabiliser les gestionnaires publics. Nous proposons l'instauration de programmes ministériels. A travers son expérience de ministre de l'économie et des finances, comment Jean Arthuis conçoit-il l'élaboration des programmes ? La façon dont les programmes seront conçus, présentés, est éminemment centrale. Que peut-il nous dire à ce sujet ? Une des conséquences de la responsabilisation plus forte, plus grande des gestionnaires publics, c'est la fongibilité des crédits. La fongibilité doit-elle être totale ? J'ai bien entendu ses propos sur le personnel. Je partage en grande partie ce qu'il a déclaré. La fongibilité doit-elle également inclure la totalité des dépenses de personnels ? Pourriez-vous nous apporter quelques précisions ?

Au sujet du calendrier, je fais partie de ceux qui pensent que l'on marche un peu sur la tête. Le projet de loi de règlement n'est pas examiné comme il le devrait alors que ce doit être un élément essentiel de la vie et du contrôle parlementaire. Il n'y a pas de sens non plus à ce qu'un collectif soit adopté définitivement le 22 décembre d'une année. Cela pose le problème des journées complémentaires. Avec un collectif voté le 22 décembre, obligatoirement, une période complémentaire s'impose. Au niveau du calendrier, comment peut-on affiner les choses pour que nous soyons davantage acteurs que spectateurs comme l'a expliqué Jean Arthuis ?

Dernier point qui a fait l'objet d'un échange avec M. Monier, secrétaire général de la Commission des comptes de la sécurité sociale, à savoir la question de l'enchevêtrement entre les recettes de l'Etat et celles de la sécurité sociale. Comment voit-il les choses ? Nous avons évoqué un décalage dans les calendriers. J'ai bien entendu la proposition qui rejoint la préoccupation exprimée dans la proposition de loi. Je pense que le premier article du projet de loi de finances devrait comporter la présentation de toutes les recettes, quitte, effectivement, à avancer des propositions d'affectation qui seront ensuite débattues dans d'autres textes. Comment percevez-vous cette articulation entre le projet de loi de finances et le projet de loi de financement de la sécurité sociale ?

M. Jean Arthuis : Je me réjouis des convergences fortes que nous avons sur ces questions, car il n'y a pas de débat possible : ce sont les instruments dont, les uns et les autres, nous avons besoin pour y voir clair, pour être lucides, pour faire preuve de courage lorsqu'il s'agit de décider.

Ma préférence va à la comptabilité en droits constatés. J'en tire l'enseignement qu'il convient de supprimer la journée complémentaire. On dressera en fin d'année une estimation. Nous aurons en principe constaté les dettes et les droits. Peut se manifester la tentation, naturelle chez tout gestionnaire, de jouer quelque peu sur les évaluations pour ajuster le niveau de l'excédent. J'emploie le terme " excédent " à dessein, car j'espère que nous enregistrerons un jour des excédents budgétaires. On peut jouer là-dessus. Il faut que nous arrêtions de donner tant d'importance à des écarts qui, parfois, jouent sur quelques milliards. Il faut que nous intégrions la notion de seuil de signification. Il est quelque peu dérisoire d'ouvrir un débat extraordinaire parce qu'il existe une différence de cinq milliards sur un déficit. Il faut éclairer les écarts par le niveau des provisionnements. Par exemple, si vous éprouvez un doute sur la possibilité du consortium de réalisation de combler le trou du Crédit Lyonnais, la dette correspondante, c'est-à-dire l'engagement de l'Etat, doit être provisionné. Ce qui a été fait est une tartufferie ! L'Etat donne sa caution financière, mais tant que le chèque pour combler le trou du Crédit Lyonnais n'a pas été fait, il ne s'agit ni d'une dette ni d'une charge. Une telle situation est aujourd'hui corrigée par les éléments de comptabilité nationale, mais il convient que cela apparaisse très clairement dans le budget.

Sur les programmes ministériels, dès lors que la lumière aura été portée dans toutes les pièces de la sphère publique, on aura moins de difficultés à établir des programmes ministériels. Derrière cela, il y a la pluriannualité. Au stade où nous en sommes, nous devons disposer de modèles comptables et financiers pour préfigurer les budgets des années à venir. Chaque fois que le ministre de la Fonction publique prend une décision pour modifier les indices de rémunération et de retraite, l'on a déjà une préfiguration des budgets des années à venir, on connaît les dates de mise en retraite d'un certain nombre de fonctionnaires, on a des hypothèses de recrutement, tout cela doit être intégré dans des données prévisionnelles, auxquelles forcément le Parlement a accès.

Dans les décisions politiques, un élément me frappe souvent : lorsqu'un ministre fait une loi de programmation - le " pompon " étant les lois de programmation militaire - c'est en général un moment de grande exaltation, car personne ne tente de consolider, dans le temps, les différentes lois de programmation. On ne le fait pas, parce que, si on le faisait, on s'apercevrait que l'on fait exploser le budget. Ces lois de programmation doivent être précédées d'une étude de faisabilité et de cohérence budgétaire, sinon on va dans tous les sens : une loi de programme pour la gendarmerie, une autre pour les équipements de l'armée de l'air, une troisième pour la Justice, des crédits pour les prisons... Nous disposons d'équipements informatiques puissants pour simuler et anticiper les budgets. Lorsque l'on établit une programmation pluriannuelle, il convient de vérifier qu'elle est en cohérence avec les autres données budgétaires. Arrêtons de nous raconter des histoires, car, bien souvent, lorsque se présente une difficulté, on annonce un programme important pour apaiser la revendication. Ce n'est pas très réaliste pour ceux qui expriment cette revendication ; c'est peut-être habile pour ceux qui l'apaisent, mais je ne crois pas que ce soit de la bonne politique, en tout cas, ce n'est pas l'idée que je m'en fais.

Il y va de la fongibilité des crédits comme de toute chose : il ne faut pas en abuser. Si le Gouvernement est contrôlé en permanence, parce que le Parlement est à l'_uvre, on contiendra les dérives. Ce qu'il faut, c'est être informé de tous les décrets d'avance, de tous les arrêtés de blocage, de toutes les décisions de régulation. Le Parlement doit être informé en permanence. Mais il ne convient pas d'enfermer le Gouvernement dans une camisole. Il faut que le gestionnaire puisse avoir une marge de liberté. Je ne sais pas comment le transcrire, mais il s'agit plus d'un code de bonne conduite que d'une démarche formalisée par le texte. Je suis prêt à en débattre avec vous. Je suis favorable au maintien d'un peu de flexibilité. On ne peut enfermer l'Etat dans un corset qui ruinerait l'efficacité de la sphère publique. Il y a des urgences. Si une tempête éclate et si les routes doivent être dégagées, il est tentant de réquisitionner au risque de se faire poursuivre, faute d'avoir lancé un appel d'offres pour les engins de travaux publics. Ne nous enfermons pas pour des choses aussi stupides, gardons quelque marge de man_uvre et surtout informons le Parlement qui, s'il n'est pas d'accord, aura tous les moyens d'exercer les rappels à l'ordre qu'il croira devoir faire au Gouvernement. Pour être véritablement acteur, il faut surtout savoir comment cela se passe. Les réquisitions que l'on peut exprimer dans la discussion de la loi de finances revêtent souvent un caractère caricatural. Si, en revanche, vous allez sur le terrain voir ce qui se passe, je suis convaincu qu'alors le Parlement mettra le Gouvernement face à ses responsabilités. Et la réforme s'engagera. Ce qui est humiliant pour le Parlement c'est de passer des semaines à modifier quelques centaines de millions de crédits. L'encre est à peine sèche promulguant la loi de finances au Journal Officiel, que le ministre des finances prend des arrêtés de régulation. Certains sont très sains. Au 1er janvier ou au 15 février, ce n'est pas la peine de laisser au ministre la possibilité d'engager 90% du budget. On vit des périodes parfois difficiles. La conjoncture est aléatoire et il faut laisser au ministre des finances la possibilité de réguler l'engagement des dépenses. Ce n'est pas parce que le Parlement aura prévu des crédits qu'il faudra à tout prix dépenser, si la conjoncture vient à évoluer. Nous ne sommes pas là pour accomplir un acte stupide. Laissons donc au Gouvernement les moyens du pilotage sans que, pour autant, ce soit une dérive. C'est alors, me semble-t-il, que le Parlement sera acteur : il aura l'analyse de ce que coûte tel service. Il dira au Gouvernement : " Pensez-vous que, pour cette dépense, la Nation reçoit le service qu'elle attend ? Ce service mérite-t-il d'être maintenu à tel coût de fonctionnement ? " Le Parlement ne sera pas l'acteur, puisque le Gouvernement l'est. Il ne faut pas mélanger les rôles. A ce moment-là, le débat sera tel qu'à mon avis, les forces conservatrices, corporatistes seront débusquées et le Parlement aidera l'Etat à régler ces dysfonctionnements. C'est la plus belle et la plus noble mission du Parlement.

Sur l'enchevêtrement des recettes Etat-sécurité sociale, il est une ineptie de discuter dans deux séquences différentes des réformes fiscales qui conditionnent les recettes de la sécurité sociale et des impôts qui conditionnent les recettes de l'Etat. Je propose que ces discussions fiscales soient mises en cohérence dans un exercice unique, puisque je vous propose un premier bloc de recettes, où je fais apparaître l'ensemble des impôts mis en recouvrement du fait de décisions publiques, y compris les impôts qui, dans un second temps, seront fléchés vers la protection sociale. On pourra les appeler, comme aujourd'hui, CSG, mais, au moins, disposera-t-on des masses. On mettra en recouvrement 2.400 milliards d'impôts et taxes parafiscales et une fraction d'à peu près 1.200 milliards de francs sera distraite en direction de la sécurité sociale, de l'Union européenne, des collectivités locales, à l'exception des impôts locaux, et, à la marge, de différents organismes. Cela me paraît fondamental.

Dès lors que l'on dispose de ces données, on peut poser d'autres problèmes, notamment la réforme fiscale. L'idéal serait qu'un jour l'on puisse discuter globalement des prélèvements obligatoires. Quels sont les bons prélèvements obligatoires si tant est qu'ils puissent être bons dans une économie ouverte à l'Europe et au monde ?

Par exemple, il est des débats dont nous ne sortons pas, comme celui qui consiste à choisir entre les charges sociales assises sur les salaires dont on sait qu'elles sont destructrices d'emplois et d'autres formes d'impôts. Certains imaginent un impôt sur la valeur ajoutée. Il existe : c'est la TVA. Il me semble que nous pourrions traiter autrement ces questions et ces arbitrages et avoir une prospective avec des instruments plus simples et plus clairs. Ma réponse à la question de Didier Migaud est donc celle-ci : il est nécessaire de faire apparaître toutes les recettes fiscales et parafiscales. La discussion fiscale n'aura pas lieu à l'occasion de la discussion sur la loi de financement de la sécurité sociale, mais de la préparation de la loi de finances. Quant à la loi de finances rectificative, on ne peut faire plus bête que de voter la veille de Noël des modifications de crédits ! Qu'est-ce à dire ? L'exercice est achevé. En fait, il s'agit de permettre au comptable public de passer les bonnes écritures pendant le mois de janvier. Exercice caricatural, défi au bon sens ! Et quand, au mois de décembre, vous venez par hasard devant le Parlement avec des indications qui datent du mois d'octobre, vous êtes suspect de ne pas dire la vérité. Vous prenez alors le risque d'un dérapage et d'un débat qui complique tout.

M. Jean-Pierre Delalande : Je suis heureux d'avoir entendu Jean Arthuis. Je partage totalement son constat pour être maintenant l'un des plus anciens de la Commission des finances de l'Assemblée.

En effet, le débat et le vote sont formels. En effet, la sphère publique est opaque. En effet, le système est incontrôlable et nous avons vécu beaucoup de frustrations en étant empêchés par les procédures existantes d'être constructifs et efficaces. Comme Jean Arthuis, je considère que nous sommes lancés dans une réforme qui touche au fondement même de la démocratie.

Je suis assez séduit par la conception de M. Arthuis sur l'article d'équilibre en trois blocs. On rassemble toutes les recettes fiscales et parafiscales, ce qui permet d'obtenir le montant des prélèvements fiscaux et parafiscaux. Ensuite, on procède à soustraction pour les affecter. D'un côté, cela pourrait générer une sorte d'irresponsabilité en ce qui concerne la sécurité sociale. Mais d'un autre côté, j'ai cru comprendre que, dans un deuxième temps, les affectations seront fléchées. Dans un souci de bien contrôler les prélèvements obligatoires, il ne sera pas interdit de réfléchir sur le bien fondé de l'affectation de certains impôts à la sécurité sociale, comme c'est le cas pour la CSG, afin d'éviter, comme nous le montre le tableau inséré dans le rapport de M. Recours, page 62, les multiples financements croisés d'une même action, conduisant à l'irresponsabilité par absence de cadre. Il n'y a sans doute pas, sous réserve de confirmation, de contradiction entre les deux approches.

Je reviens sur le propos de M. Arthuis déclarant : " Pas de remise de l'article 40 ". Intégrer dans la procédure budgétaire la notion de programme revient à contourner l'article 40. Dès lors qu'il y a fongibilité, si nous voulons intervenir, il faut que nous puissions intervenir sur le contenu du programme. Est-ce ainsi que M. Arthuis l'a conçu, car l'article est très " autobloquant " ? Je conçois qu'il ne faut pas revenir à l'irresponsabilité du Parlement sous la IVème  République, mais, pour l'heure, nous nous automutilons dans nos propositions. Nous ne pouvons pas même présenter des propositions d'économie justifiant une dépense dans un autre domaine ; actuellement, on ne peut rien !

Sur cette notion de programme, comment envisagez-vous le contrôle ? Plusieurs possibilités sont offertes : soit maintenir le contrôle des programmes par chapitre, par titre, voire par direction - d'aucuns nous expliquent qu'ils ne peuvent faire autrement - soit l'on peut imaginer un contrôle portant sur la globalité de chaque programme en termes d'investissement, de fonctionnement et d'engagement, c'est-à-dire les emprunts, étant entendu que la contrepartie de la fongibilité est de pouvoir entrer, non pas dans tous les détails - il ne s'agit pas de paralyser le Gouvernement -, mais d'avoir un degré suffisant de connaissance des programmes pour donner notre aval ou le refuser avec pertinence.

Vous avez souhaité renforcer l'autorité du Parlement et vous proposez deux voies. La première consiste en une augmentation des moyens de la Cour des comptes. Je ne pense pas que la Cour des comptes doive avoir une approche en opportunité qui deviendrait vite un domaine d'opportunité politique. Le travail qu'elle réalise à l'heure actuelle est très intéressant, mais je ne suis pas certain que son rôle doive aller très au-delà du rôle de clarification et d'autorité morale qu'elle remplit aujourd'hui. La seconde voie réside dans le recrutement d'une équipe d'auditeurs sur la base de CDD de deux ou trois ans réunissant des économistes, des sociologues. En fait, vous cherchez à donner au Parlement des moyens autonomes d'expertise par rapport au Gouvernement. Le Président et le Rapporteur général ne m'en voudront pas de dire que nous nous étions dotés sous la législature précédente de cet outil à travers l'Office parlementaire d'évaluation des politiques publiques, dont on nous explique qu'il ne fonctionnait pas alors qu'il a été calqué sur l'Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques qui, lui, fonctionne très bien. On me dit qu'il a été supprimé sur la proposition de notre Rapporteur général en accord avec la Commission des finances du Sénat. Je vois comme une contradiction entre cette information et la proposition faite par M. Arthuis.

M. le Président : Sur les moyens mis à disposition du Parlement, je suis assez d'accord avec la remarque formulée par Jean-Pierre Delalande sur la Cour des comptes. Nous devons conserver notre indépendance. La Cour des comptes n'est pas faite pour accompagner notre démarche, elle est éventuellement faite pour contrôler celle des administrations. Je suis assez réticent sur cette formule. De la même manière, sur la seconde, j'appelle votre attention sur le fait qu'il existe à l'Assemblée et au Sénat une fonction publique qui relève d'un statut, et qu'introduire des personnels qui bénéficieraient d'un CDD peut paraître comme une remise en cause des dispositions régissant cette fonction publique. Je préside l'Assemblée nationale et je ne suis pas certain qu'un Président parvienne à cette solution. Je préférerais une véritable mobilité, un passage d'une administration à l'autre pendant un temps déterminé. Nous pourrions parfaitement recevoir des personnes venant d'organismes extérieurs pour apporter leur concours. Cela suppose, bien entendu, que nous disposions de moyens supplémentaires. Mais c'est là un détail, dirais-je, au regard du volume dont nous disposons au sein de l'Assemblée et du Sénat. Donc plus de possibilités de passage d'une administration à l'autre, en fait une plus grande ouverture, plus de possibilités de faire des stages à l'extérieur. C'est une réponse qui pourrait satisfaire la demande très juste que vous avez formulée.

M. Yves Deniaud : Je me réjouis de constater qu'au fil des auditions et à partir du rapport de Didier Migaud, l'on voit se dessiner une convergence très nette sur les grands thèmes, sur l'organisation d'une globalisation des recettes fiscales et parafiscales, sur le rôle d'importance qui doit être dévolu à la loi de règlement comme outil d'analyse des politiques menées, surveillance de l'exécution budgétaire. Cela me semble aller dans le bon sens. Je formulerai trois remarques.

Tout d'abord, j'approuve tout à fait les propos de Jean Arthuis sur les lois de programmation. Je rapprocherai cela des services votés qui n'ont plus de votés que le nom puisqu'on ne les regarde pas. Les lois de programmation ne peuvent s'imposer à l'élaboration budgétaire, car elles sont insuffisamment travaillées quant à leur financement. Elles ne s'inscrivent pas dans une cohérence globale de l'action financière de l'Etat. Moyennant quoi, on se rend compte que, généralement, on ne les exécute pas, qu'en tout cas, l'exécution est souvent très éloignée de la prévision. Et pas seulement dans le domaine militaire. Je fais le parallèle avec les services votés. Des éléments s'imposent à nous de façon massive sans que nous ayons la moindre part de décision, voire de connaissance réelle et approfondie de leur montant et les raisons qui les imposent. En revanche, sur des choses qui ont été solennellement votées et travaillées, on n'en tient qu'un compte tout à fait relatif dans la décision budgétaire.

Sur deux autres points, je souhaiterais que Jean Arthuis approfondisse sa réflexion. Tout d'abord, sur le patrimoine de l'Etat, il avait entamé lorsqu'il était ministre, un travail colossal qui comporte certaines limites. Quelle est l'évaluation patrimoniale d'une cathédrale, du Louvre ou d'une base aérienne ? Cela pour démontrer que l'exercice présente une limite bien qu'il soit indispensable.

Ensuite, sur l'idée de présenter le budget comme celui d'une collectivité territoriale avec la section de fonctionnement et d'investissement qui a été fort justement mentionnée par Didier Migaud dans ses travaux et a brièvement été initiée dans le débat d'orientation budgétaire. Une telle procédure présenterait le mérite de faire mieux comprendre à nos concitoyens et à tout le monde les imperfections graves de nos politiques budgétaires, notamment le péché capital qui prévaut depuis très longtemps consistant à financer des dépenses de fonctionnement sur l'emprunt.

M. Jean Arthuis : Pour répondre à la question de Jean-Pierre Delalande sur le fléchage vers la sécurité sociale, à ce stade, rien ne s'oppose à ce que l'on indique que telle ou telle ressource sera affectée à la sécurité sociale. C'est plus difficile pour la mutualité sociale agricole. Je pense que c'est une fiction que d'affecter des recettes à des dépenses. Quand les dépenses sont insuffisantes, on trouve d'autres ressources en piochant dans le budget général de l'Etat. Ma conviction est celle-ci : toutes les dépenses financent toutes les recettes. Je sais bien que c'est sympathique de faire une petite gâterie au Parlement. Je pense, par exemple, au fonds national de développement du sport, qui entraîne un débat qui peut durer une nuit entière ! Cela fait partie des exercices qui aboutissent à prélever trois sous sur le PMU. On amuse le Parlement.

M. Jean-Pierre Delalande : C'est dire qu'une dépense doit être très rigoureusement estimée et qu'une fois votée elle ne doit pas être dépassée. Sinon, avec un système de ce type, nous sommes en pleine irresponsabilité. Nous avons un souci de responsabilisation. Tel est le risque que je perçois. Je me dis que si, grosso modo, je partage le principe, dans certains cas il est sans doute nécessaire que l'on fasse l'effort d'affecter une dépense pour être certain qu'elle ne soit pas dépassée.

M. Jean Arthuis : C'est également ma préférence. Si je considère une masse de recettes, je m'interroge sur l'enveloppe à soustraire à ces recettes pour mettre les fonds à la disposition des organismes de protection sociale. Si l'on me dit que le produit de la CSG alimentera, dans l'une des options possibles, les organismes sociaux, pourquoi pas ? Mais on se fait un peu plaisir et l'on entre dans l'irresponsabilité. On voit bien toute l'ambiguïté du financement de la sécurité sociale. Je préférerais que le Parlement dise : " Voilà le crédit mis à votre disposition pour l'année 2001. " C'est l'autorité du Parlement. Sinon, on évolue dans une confusion totale.

M. Jean-Pierre Delalande : M. le ministre, vous me faites plaisir, car c'est ce que je disais au sujet de l'élaboration de la loi de financement de la sécurité sociale. Nous devrions voter un pourcentage de dépenses par rapport au PIB, à ne pas dépasser. Nous nous rejoignons sur ce point.

M. Jean Arthuis : Au sujet du contrôle, je considère fondamental de compléter les chapitres et les références d'articles par des éléments de comptabilité analytique pour regrouper les dépenses par programme, par fonction, par mission. Le gestionnaire en décidera, l'essentiel étant de préserver la transparence. Le contrôle est alors possible.

Sur les moyens du Parlement, j'ai vu le sacrifice de l'Office parlementaire d'évaluation des politiques publiques. Il a été transpartisan. J'ai soupçonné - j'hésite à le dire en ces lieux - le corporatisme des commissions des finances de l'Assemblée nationale et du Sénat qui ont redouté une sorte de dépossession de leurs prérogatives par cet office. Le problème ne s'est pas posé avec l'Office des choix scientifiques et technologiques, car il n'est en concurrence avec aucune commission alors que l'Office d'évaluation venait directement percuter les commissions des finances.

Je pense que les administrateurs des assemblées sont d'une qualité exceptionnelle. Nos rites politiques sont tels qu'ils doivent passer leur temps avec les membres des cabinets ministériels, puisque le Parlement a peu d'autonomie d'expertise et qu'il dépend largement de la mansuétude des cabinets. Quand il s'agit d'instruire une discussion de projet de loi, il est préférable d'être en bons termes avec les cabinets ministériels. J'ai vu des deux côtés comment réagissaient les cabinets, c'est-à-dire les administrations - les cabinets étant généralement les porte-parole des administrations. Didier Migaud est allé faire un contrôle à de Bercy. Ce n'est pourtant pas dans la culture parlementaire. Je pense qu'il faut un corps de fonctionnaires de la qualité de ceux qui nous aident au Parlement dans les missions qui ont été bien conduites jusqu'à maintenant. Mais le contrôle doit revêtir une sorte d'indépendance. J'ignore le statut qui doit être trouvé. Là encore, M. le Président, soyons audacieux et ne nous enfermons pas a priori dans des pratiques qui ont prévalu jusqu'à maintenant. Nous sommes là pour réformer et il serait vain de vouloir réformer l'Etat si nous n'avons pas une capacité à réformer nos propres institutions, c'est-à-dire le Parlement. Le Parlement doit être un champ d'expérimentation de la capacité politique à réformer. Mon propos est rapide ; il convient sans doute d'y apporter beaucoup de nuances. Je rêve que nous disposions de moyens d'intervention. Que se passe-t-il à la sécurité sociale, que se passe-t-il dans tel autre service de la sphère publique ? Ce doit être clair.

A Yves Deniaud, je dirai, au sujet du patrimoine de l'Etat, que je ne sais donner une valeur marchande à une cathédrale pas plus qu'au château de Versailles. En revanche, quand on entreprend des travaux, il me semble qu'ils peuvent être immobilisés et amortis sur une période de vingt, trente ou quarante ans. Il appartiendrait au Comité des diligences et des évaluations de se prononcer à ce sujet. Ce comité devrait d'ailleurs avoir son équivalent au niveau européen. On ne peut tout régler par la loi ; il convient d'être un peu pragmatique et d'avoir des comités qui aident à définir des principes d'évaluation par rapport à des problèmes spécifiques. Même réponse pour une base aérienne et pour tout investissement qui ne correspond pas à un marché. On sait ce que coûte le service que l'on en attend : l'embellissement du château de Versailles, la fonctionnalité d'une base aérienne. C'est une dépense massive, on s'interdit d'en faire supporter le coût à un seul exercice, celui du paiement des dépenses ou plus précisément de la réalisation des travaux. Pendant vingt ans, on en tirera profit. On étale donc la charge sur vingt ans, on amortit sur vingt ans.

Quant au budget investissement-fonctionnement, c'est là une façon de rendre plus lisible la loi de finances. Il faut sortir de l'ésotérisme budgétaire. Il n'est pas convenable de cantonner le budget dans la complexité. C'est dire que le citoyen ne peut plus s'approprier la problématique budgétaire. Elle a été complexifiée pour de multiples raisons, mais aussi pour des enjeux de pouvoir. Malgré eux, ceux qui ont ce pouvoir n'ont fait que le renforcer en s'enfonçant dans la complexité technique et l'ésotérisme. Notre tâche est de permettre une appropriation de la problématique budgétaire par l'ensemble des citoyens et d'abord par l'ensemble des parlementaires. Cet exercice doit cesser d'être un exercice rebutant, frustrant et d'être une occasion trop commode de communication de circonstance, sans principes, sans règles. Il faut cesser de penser que seul compte l'effet d'annonce. C'est ainsi que l'on met en danger la République.

M. le Président : Notre dialogue avec Jean Arthuis va prendre fin. Je le remercie profondément pour la franchise, la sincérité des propos qu'il a tenus devant nous et qui font avancer les choses. Entre nous, en général, se dégage rapidement un accord sur l'orientation à prendre. Sur le détail, la discussion est ouverte. Il nous faut maintenant - et c'est notre responsabilité - porter ce message à l'extérieur, car, après un accord obtenu dans le cadre de la commission spéciale, il est à craindre que les formations politiques, de gauche comme de droite, n'aient la tentation, malheureusement assez naturelle, de reprendre l'initiative et finalement d'empêcher la réforme de suivre son cours. C'est ce à quoi nous devons également nous atteler à l'extérieur si nous voulons réussir comme le souhaitent Jean Arthuis et tous ceux aujourd'hui présents.

Merci en tout cas de nous avoir présenté votre expérience et vos propositions. On se rend compte à quel point un passage au Gouvernement et des responsabilités parlementaires peuvent donner une vision extrêmement complète en ce domaine des finances ; cela permet à ceux qui y travaillent d'avancer.

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6.- Audition de M. Michel Sapin,
ministre de la fonction publique et
de la réforme de l'Etat

(Extrait du procès-verbal de la séance du jeudi 7 décembre 2000)

Présidence de M. Raymond Forni, Président de l'Assemblée nationale

M. le Président : Je suis très heureux d'accueillir M. Michel Sapin, ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat, qui suit de très près la réforme que nous avons initiée. Chacun aura pu prendre connaissance de son point de vue, exprimé il y a peu dans un grand quotidien du soir.

Vous souhaitez comme nous améliorer le service rendu au public. Pour aboutir à ce résultat, il faut sans doute donner plus de liberté aux gestionnaires des crédits alloués annuellement par le Parlement. Tel est, je crois, l'objectif commun que nous poursuivons.

M. Michel Sapin, ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat : Il n'y a plus grand-chose à dire !

M. le Président : Je suis certain que vous aurez beaucoup à ajouter.

Dès lors que l'on est animé par un tel objectif, sans doute faut-il donner plus de responsabilités à ceux qui ont la mission de gérer les crédits publics et mettre en _uvre un système de contrôle, non plus tatillon, mais permettant de vérifier a posteriori si les objectifs fixés ont été atteints. Responsabilité et transparence sont les deux principes qui nous guident dans la réforme de l'Etat telle qu'elle a été initiée.

M. le ministre, je propose que vous nous fassiez part de votre point de vue par un exposé liminaire, suivi de l'exercice des questions-réponses.

M. Michel Sapin : Je suis très heureux d'être ici. Ancien parlementaire, j'ai souvent mesuré la difficulté, parfois la vanité, des débats budgétaires. Je mesure encore aujourd'hui ces difficultés en tant que ministre. L'initiative parlementaire, de l'Assemblée nationale comme celle du Sénat, est particulièrement bienvenue. Il est important que les deux assemblées puissent travailler parallèlement pour, in fine, se rejoindre sur un texte comme celui-ci.

Cette initiative est principalement portée par un discours totalement justifié sur le rôle du Parlement, la réhabilitation du débat budgétaire au Parlement, une meilleure transparence du débat démocratique, sur la loi de finances comme sur les autres lois à caractère financier, qui constitue un élément fondamental de la démocratie représentative. Pourtant, ce ne sont pas ces considérations qui m'amènent devant vous, même si, je le répète, mon expérience parlementaire et ministérielle me fait penser que cette réforme, de ce point de vue, est particulièrement nécessaire. L'autre aspect des choses qui m'amène devant vous, c'est que la manière dont vous votez une de loi de finances implique nécessairement celle dont l'Etat dépense les crédits ouverts. Il y a l'avant-adoption du texte, vous souhaitez réhabiliter le débat parlementaire, il y a l'après-adoption du texte : c'est le fonctionnement propre de l'administration. Ce dernier sujet m'amène devant vous et m'a poussé à prendre position publiquement pour appuyer votre initiative, à la fois en qualité de membre du Gouvernement et à titre personnel.

La réforme des procédures budgétaires internes à l'administration - l'acte de dépense, la manière dont on dépense - est certes une préoccupation ancienne en France, mais elle est aussi, quand on regarde le continent européen, étudié de façon très remarquable par M. Henri Guillaume, une préoccupation très largement partagée, notamment au sein de l'Union européenne, et, si je puis me permettre, depuis plus longtemps dans certains pays : la quasi-totalité des pays de l'Union a engagé une réforme budgétaire et beaucoup d'entre eux ont abouti. De ce point de vue, peut-être est-il dommage que la France, avec la Grèce, soit le seul pays qui n'ait pas encore réformé sa procédure de dépenses budgétaires.

Les conversations que j'ai pu avoir récemment, à Strasbourg, avec mes homologues, eux aussi intéressés par ces sujets, démontrent, qu'en matière de mise en _uvre, il y a parfois loin de la coupe aux lèvres. Certains pays qui mettent en avant des réformes fondamentales en ce domaine ne les ont pas encore mises en application concrètement et n'en ont pas recueilli l'ensemble des bénéfices.

Une réforme aussi importante que celle qui est envisagée doit obéir à plusieurs principes.

Dans la mesure où la réforme est très importante, fondatrice, il faut savoir prendre son temps pour élaborer les meilleures dispositions possibles afin de ne pas être obligé ensuite, pour les modifier, de courir le risque d'attendre encore une quarantaine d'années, comme on l'a constaté pour l'ordonnance organique du 2 janvier 1959.

Toutefois, il ne faut pas non plus prendre prétexte de cette importance de la réforme envisagée pour ne rien faire, d'où la nécessité d'avancer.

Sans attendre que le texte même soit voté et applicable, il est nécessaire que l'administration se prépare à de profondes modifications, car si nous nous contentions d'attendre le vote du Parlement ou l'application du texte, l'administration pourrait être victime d'un " bogue " généralisé qui risquerait de tout remettre en cause, y compris le fond de la réforme.

En tant que ministre de la réforme de l'Etat, j'attache de l'importance à cette réforme.

La modernisation de la gestion publique me semble reposer sur deux piliers : l'autonomie et son corollaire, la responsabilité du gestionnaire de crédits publics. L'autonomie de gestion n'a pas pour objectif d'échapper pendant les phases d'exécution du budget aux missions régulatrices de l'Etat, notamment exercées par le ministre chargé des finances. L'autonomie est indissociable du contrôle à mettre en _uvre sur les modalités d'exécution. L'autonomie vise à modifier, dans les administrations, les procédures de décision qui déterminent l'acte de la dépense. Dans mon esprit, l'autonomie repose sur la globalisation des crédits et sur de grandes facilités pour modifier en cours d'exécution la nature ou la destination de la dépense, grâce à la délégation d'enveloppes budgétaires globales. Cette autonomie nécessite ainsi une fongibilité des crédits, largement prévue dans la proposition de loi organique qui constitue le support de mon analyse devant vous.

Je suis persuadé que nous détenons là une des clés pour, à terme, rendre plus attractifs les métiers de cadre dans la fonction publique et pour faire face aux besoins de recrutement prévisibles dans les années à venir. Je ne reviens pas sur le constat démographique aux effets considérables que nous connaissons. Au-delà de la carrière et du traitement, la modernisation de l'exercice des responsabilités me semble essentielle pour faire valoir, en particulier auprès des jeunes diplômés, l'attrait des fonctions d'encadrement dans la fonction publique. Nous ne nous situons pas uniquement sur le terrain des règles de procédure, dans l'administration, mais aussi dans le domaine de la psychologie et dans une manière de présenter et de transformer, de façon dynamique, la fonction publique.

Évidemment, qui dit " autonomie " ne dit pas " indépendance ". Chaque gestionnaire doit disposer d'objectifs précis, doit connaître le mode d'évaluation de sa gestion et doit être en situation d'en rendre compte. Il faut parvenir à décliner de façon opérationnelle l'obligation constitutionnelle qu'a chaque agent public ou chaque service public de rendre compte de son administration. Pour moi, la responsabilité du gestionnaire repose sur la généralisation de la contractualisation au sein des ministères, entre les ministères gestionnaires et le ministère des finances, entre les administrations centrales et les services déconcentrés, entre l'Etat et ses établissements publics. Cette contractualisation doit comporter trois éléments :

- une définition des objectifs à remplir pendant la période couverte par le contrat. Cette définition peut être formalisée par une lettre de mission au gestionnaire ;

- une garantie sur les moyens budgétaires alloués au service pendant la durée du contrat ;

- la définition d'indicateurs de suivi et de compte rendu de l'exécution du contrat.

La contractualisation de la gestion budgétaire ne peut, dans les faits, que s'inscrire dans un cadre pluriannuel. Il faut donc que la loi organique permette un mode de gestion pluriannuelle des crédits votés par le Parlement.

Pour atteindre ces objectifs, le comité interministériel pour la réforme de l'Etat, le Comité interministériel de la réforme de l'Etat (CIRE), du 12 octobre dernier, a décidé d'amplifier les pratiques de contractualisation déjà en vigueur afin de progressivement les généraliser dans le cadre de la réforme à venir. Notre idée est d'en accroître l'expérimentation, comme le fait le ministère de l'intérieur pour les crédits des préfectures, d'évaluer les expériences, ensuite de les diffuser et de les généraliser. Quatre préfectures bénéficient depuis le début de l'année d'une enveloppe globale et fongible de leurs crédits. Un travail d'évaluation de cette expérimentation est actuellement conduit par la direction générale de l'administration du ministère de l'intérieur. Je vous renvoie à cette expertise, sorte de préfiguration de ce que pourrait être l'application au niveau le plus bas, le plus déconcentré, d'une réforme.

M. le Rapporteur : Nous nous y sommes déjà attachés.

M. Michel Sapin : Cela ne m'étonne pas de vous, M. le Rapporteur.

Le CIRE a décidé d'étendre en 2001 l'expérience à dix nouveaux départements, donc quatorze préfectures seraient concernées, au total, au cours de l'année 2001.

L'expérience menée dans ces préfectures doit servir d'exemple aux ministères pour, comme l'a également décidé le CIRE, qu'ils engagent une démarche de contractualisation assortie d'une globalisation des moyens de fonctionnement et des rémunérations avec leurs services déconcentrés.

Le Gouvernement a par ailleurs décidé de généraliser progressivement l'usage du contrôle de gestion dans l'administration. Une telle décision n'est pas simple à mettre en _uvre. Notre objectif est donc de préparer dès maintenant les outils de contrôle rendus nécessaires par la réforme de l'ordonnance pour évaluer les gestionnaires et rendre compte au Parlement de l'usage de l'autorisation budgétaire accordée au Gouvernement. Pour aider les ministères dans cette voie et remplir cet objectif de généralisation du contrôle de gestion en trois ans, la direction du budget et la délégation interministérielle à la réforme de l'Etat, placées sous mon autorité, poursuivront leur travail en commun de conseil et de coordination sur les projets ministériels de développement et de généralisation du contrôle de gestion. A ce jour, un état des lieux a été réalisé avec précision. Il nous reste - et c'est évidemment l'essentiel du travail - à mutualiser les expériences pour définir des références et des pratiques communes à l'ensemble de l'administration, afin de permettre une agrégation des résultats, cette agrégation servant ensuite à nourrir le projet de loi de règlement, dont le statut serait modifié du tout au tout par la mise en _uvre d'une réforme de cette nature.

Plus généralement, le CIRE du 12 octobre a mis en place des structures de pilotage interministérielles, conduites sous la responsabilité de la direction du budget et de la délégation interministérielle à la réforme de l'Etat, pour préparer très minutieusement les conséquences sur la gestion publique de la réforme de l'ordonnance organique. Huit thèmes seront plus particulièrement abordés. Le travail interministériel est actuellement en cours sur ces points. Il s'agit :

- de la gestion des emplois et du personnel ;

- de la définition des programmes ;

- de la déconcentration, de la délégation de gestion des crédits ;

- des contrôles a priori et a posteriori ;

- de l'organisation des services et des métiers ;

- de la mutation des systèmes d'information budgétaire, comptable et financière ;

- de la pluriannualité des autorisations budgétaires ;

- de la conduite du changement et du suivi des expérimentations, pour que le personnel y soit préparé.

Ces structures ont été installées ; chaque groupe a reçu un mandat précis et les travaux devraient s'achever à la fin du premier semestre 2001. Nous avons mis en place ce calendrier en référence à ce qui semble être le calendrier prévisionnel de discussion de la réforme de l'ordonnance. Je le répète : je ne veux pas que, d'un côté, vous adoptiez une réforme sans que, de l'autre, l'Etat ne soit prêt à son application.

La constitution financière nouvelle de l'Etat doit permettre d'aller dans les deux directions essentielles que je viens de tracer : autonomie et responsabilité. S'agissant de la proposition de loi elle-même, je suis évidemment plus attentif à certains sujets qu'à d'autres. J'y reviens rapidement : les notions de programme, de fongibilité des crédits, de gestion pluriannuelle de l'autorisation budgétaire, de conduite des programmes interministériels, de possibilité de réformer en menant des expérimentations, sont des thèmes d'une grande importance et je souhaite les développer l'un après l'autre.

La fongibilité des crédits est l'élément essentiel permettant aux gestionnaires d'être autonomes. Le principe de spécialité budgétaire, qui fonde l'organisation actuelle des débats et des modalités de la dépense, était au début du XIXème siècle, conçu comme un outil de contrôle du Parlement. Il s'est transformé progressivement pour revêtir désormais les caractéristiques d'un outil qui permet d'éviter que le Parlement n'exerce un contrôle trop précis. Par la fongibilité des crédits, il faut que nous réintroduisions une manière différente d'autoriser et de contrôler, plus conforme aux possibilités actuelles et à l'esprit d'aujourd'hui.

Il reste à définir l'étendue de la fongibilité des crédits. Celle qui est contenue dans la proposition de loi du Rapporteur est large, puisqu'elle inclut les crédits de fonctionnement, les crédits de transfert et les crédits d'investissement. Se pose évidemment la question des crédits de personnel. Faut-il les exclure, et donc exclure de cette réforme près de la moitié des crédits de l'Etat votés chaque année ? Faut-il au contraire les inclure, au risque de voir l'emploi public croître sans limite ou au risque, à l'inverse, de voir les gestionnaires préférer de façon trop systématique l'externalisation de la gestion et donc le financement de prestations extérieures, au détriment de l'emploi public ?

Soyons clairs : l'équilibre n'est guère aisé à trouver, car il nous faut à la fois assurer un contrôle efficace des emplois et ne pas limiter l'autonomie des gestionnaires, qui doit également porter sur les questions d'emploi. C'est cet équilibre qu'il convient de trouver. Je lancerai quelques idées. Vous me pardonnerez d'user du conditionnel, mais un travail interministériel très important est conduit pour définir, au moment de la présentation de la proposition de loi, la position gouvernementale.

Peut-être pourrait-on envisager d'inclure les crédits de personnel dans le champ de la fongibilité. Dans ce cas, celle-ci devrait être encadrée et le Parlement autoriserait un stock d'emplois défini par catégories - A, B, C - et non plus, comme aujourd'hui, par corps et par grade. L'autorisation du Parlement sur ces crédits pourrait ainsi porter, au sein de chaque programme, sur une masse salariale qu'il conviendrait de définir dans un des décrets d'application de la nouvelle loi organique et, parallèlement, sur ce stock d'emplois. On retrouverait alors, en annexe au projet de loi de finances, une répartition indicative des emplois relatifs à chaque programme.

Je considère comme beaucoup d'entre vous que le mode d'approbation actuel du nombre d'emplois ne garantit pas - c'est le moins que l'on puisse dire - la transparence en exécution : d'abord, parce que la distinction entre services votés et mesures nouvelles ne permet pas d'approuver le niveau global de la ressource humaine affectée à chaque ministère ; ensuite, parce que la connaissance, en exécution, du niveau de l'emploi, reste très parcellaire.

Il faut éviter de recréer une discussion parlementaire qui porterait sur les créations et les suppressions d'emplois. L'esprit d'une gestion par programme doit, en effet, permettre au Parlement de discuter de l'ensemble des moyens humains alloués à tel ou à tel programme ministériel. C'est pourquoi, à ce stade de mes réflexions, je ne suis pas favorable à une autorisation qui porterait sur les flux de recrutement, car elle pourrait conduire à la résurrection, pour les crédits de personnel, d'une distinction entre services votés et mesures nouvelles. Elle ferait échec, me semble-t-il, à un des objectifs majeurs de la réforme proposée. Il serait possible de ne pas retenir une fongibilité totale dans les deux sens : les crédits de personnel avec les autres types de crédits, dans la mesure où subsisterait un verrou qui serait matérialisé par un nombre d'emplois affecté à un programme donné. Une telle mécanique permettrait de respecter l'autonomie nécessaire tout en maintenant à la fois une autorisation et un contrôle budgétaire et gouvernemental sur l'évolution de l'emploi public.

Une plus grande souplesse dans les règles de transformation des emplois en cours d'exécution doit évidemment s'appuyer sur la qualité de l'information accompagnant le projet de loi de finances et celle fournie à l'appui du projet de loi de règlement. Pour nourrir cette transparence, il faut, à l'évidence, être en mesure de compter les emplois financés par le budget de l'Etat.

Compter l'emploi public à partir des verts budgétaires, ce que chacun d'entre vous doit faire avec beaucoup d'attention, demeure un exercice particulièrement difficile et plutôt incertain. Au cours des débats - il en va ainsi chaque année, mais cette année c'est moi qui les ai portés à l'occasion de l'examen du projet de loi sur la résorption de l'emploi précaire et la modernisation du recrutement dans la fonction publique - j'indiquais que les effectifs réels évoluent d'une manière " relativement " autonome par rapport aux décisions budgétaires.

L'analyse comparée des verts budgétaires, traduction de l'autorisation parlementaire, et des fichiers de paie des ministères civils, traduction de la réalité de l'exécution, est édifiante : des emplois sont supprimés là où l'on devrait s'attendre à une augmentation ; des emplois sont créés là où le Parlement a voté des suppressions. Il me semble indispensable que le débat sur le nombre de fonctionnaires ou, plus généralement, sur le nombre d'emplois financés par l'Etat, ait lieu sur des bases saines. Le Parlement doit être conscient de la réalité de l'exécution pour déterminer combien d'emplois il juge nécessaire à la mise en _uvre de tel ou tel programme.

Pour ce faire, j'ai mis en place l'observatoire de l'emploi public, créé par le décret du 13 Juillet 2000. Il a pour objectif :

- de renforcer la transparence sur les données existantes en matière d'effectifs tout en assurant progressivement leur cohérence. Il faut dresser un état des lieux des systèmes statistiques utilisés dans les différents départements ministériels en capitalisant leurs résultats, en harmonisant les nomenclatures et les concepts utilisés pour favoriser leur agrégation ;

- d'améliorer la qualité de la gestion des ressources humaines au sein de chaque ministère avec la mise en place systématique d'une gestion prévisionnelle ;

- de mettre en place, en cohérence avec les outils de gestion prévisionnelle de chaque ministère et de chaque fonction publique, des méthodes plus globales de prospective de l'emploi public et des qualifications.

L'observatoire, dont un député et un sénateur sont membres, est un outil à la disposition du Parlement pour une meilleure connaissance de l'emploi public et de l'application des décisions que vous prenez.

Le deuxième grand sujet concerne la pluriannualité de l'exécution budgétaire, qui est également une condition très importante et nécessaire de l'autonomie et de la responsabilité.

La pluriannualité se développe en effet aux deux extrémités de la chaîne budgétaire : au niveau européen avec le programme de stabilité et au niveau local avec la promotion, voulue par l'Etat ou les collectivités locales, de la contractualisation - verticale ou horizontale - qui est un choix explicite que j'ai retenu et que je promeus. On le note, par exemple, dans les programmations de contrats de plan et autres contractualisations plus sectorielles que l'on peut rencontrer sur notre territoire. A partir du moment où la gestion est contractualisée entre les administrations et que cette contractualisation repose sur des bases pluriannuelles, il serait logique qu'elle soit assise sur une autorisation budgétaire adoptée par le Parlement au lieu de se limiter comme aujourd'hui à la seule garantie, interne à l'administration, du ministère des Finances.

Asseoir les contrats de gestion sur une autorisation parlementaire me semble une exigence de transparence et de démocratie budgétaire. C'est aussi un moyen de résoudre les difficultés de gestion et les débats théoriques engendrés par la régulation budgétaire. Dans un programme budgétaire, le contrat d'objectifs et de moyens ne doit pas être seulement une façon de programmer la diminution des crédits : si le programme repose sur des crédits de paiement votés par le Parlement pour plusieurs exercices, c'est le Parlement qui devient le régulateur.

Dans ce cadre, on pourrait imaginer - j'utilise, là encore, des formes conditionnelles - que l'autorisation pluriannuelle soit la règle, l'autorisation budgétaire annuelle restant l'exception. L'existence des lois de programme et des lois de programmation pourrait être réaffirmée par la loi organique. On pourrait même envisager de prévoir que la loi de finances comporte des crédits de paiement pour chaque année couverte par les autorisations pluriannuelles. Si le Gouvernement souhaitait proposer au Parlement, pour tel ou tel programme, une autorisation portant sur un seul exercice, il lui suffirait de proposer un montant d'autorisations de programme égal au montant de crédits de paiement proposé pour l'exercice en question.

La déconcentration de la gestion budgétaire est également un axe essentiel de modernisation de la gestion publique. Au niveau territorial le plus pertinent pour la mise en _uvre des politiques publiques, le représentant de l'Etat pourrait, dans certains domaines, devenir une autorité budgétaire ayant compétence sur des programmes interministériels, dépassant en quelque sorte une gestion strictement verticale, sur le terrain, des crédits déconcentrés. Ces pistes nécessitent encore des réflexions approfondies, de la part du Gouvernement comme de la vôtre, sur le contenu précis que nous souhaitons donner à de nouvelles étapes de déconcentration administrative. Je crois qu'il est nécessaire de prévoir dans la loi organique l'existence de programmes interministériels, dont les crédits seraient ouverts au budget du Premier ministre ou d'un ministre chef de file et qui seraient destinés à être délégués aux préfets. Ainsi, ne limiterait-on pas la notion de programme à des crédits relevant uniquement d'un même ministère. La loi organique pourrait, en effet, laisser aux lois de finances la possibilité de déterminer le caractère ministériel ou interministériel des programmes budgétaires.

Enfin, les conditions de mise en _uvre de la réforme sont très importantes. Outre les structures de pilotage mises en place par le CIRE, la définition de la période transitoire est essentielle et un horizon de plusieurs exercices budgétaires paraît raisonnable, si ce n'est nécessaire. Au-delà de la définition de ce délai - dans combien de temps l'ensemble des dispositions sera-t-il applicable à l'ensemble des ministères ? - on peut imaginer une mise en place progressive, par la voie d'expérimentations qui pourraient concerner successivement tel ministère, puis tel autre ministère. On n'est pas obligé d'imaginer une mise en _uvre de la totalité de la réforme à une date fixe ; on peut, au contraire, entrevoir un basculement progressif dans le nouveau système, ce que devrait d'ailleurs prévoir la proposition de loi pour permettre à des ministères mieux préparés d'appliquer le nouveau système au bout d'un an ou deux et à d'autres, pour lesquels existent des difficultés, d'y être au terme fixé par votre proposition.

De telles expérimentations pourraient être d'abord mises en _uvre à l'échelon territorial avant d'être ensuite généralisées. La globalisation des crédits des préfectures nous éclaire très utilement sur ce point et pourrait nous servir d'exemple. Au titre d'expérimentation, je citerai également le contrat signé cette année entre la direction du budget et la direction des relations économiques extérieures (DREE). Ces expérimentations méritent d'être évaluées et examinées par vous.

Voilà les principales réflexions que je souhaitais exprimer devant vous en réaffirmant combien la réforme de l'ordonnance de 1959 est, selon moi, l'une des clés de la réforme de l'Etat. Elle modernise les institutions, la démocratie, rend plus transparent le débat démocratique ; elle l'oblige aussi à une modernisation profonde. Je ne sais quoi de la poule ou de l'_uf : doit-on commencer avant que la réforme soit réalisée ? Doit-on attendre que la réforme soit faite pour commencer ? Pour ma part, je suis persuadé, vous l'aurez compris, que c'est en avançant sur ces deux points, la détermination de la réforme qui constitue votre travail et la préparation de l'application de la réforme qui est celui de l'ensemble des ministres, que nous réussirons cette très belle réforme en profondeur de nos institutions et de notre société.

M. le Président : Merci, M. le ministre pour la clarté de votre exposé. Nous savions pouvoir compter sur le ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat pour aller dans le même sens que le Parlement.

Je souhaiterais faire une observation sur la procédure : vous avez indiqué qu'il fallait, compte tenu de l'importance de la réforme, prendre son temps, pour essayer d'englober dans nos réflexions l'ensemble des problèmes. Bien entendu, nous devons prendre en considération l'ensemble des problèmes relatifs à cette réforme de l'ordonnance de 1959. Je me permets toutefois de souligner que le temps presse pour une raison extrêmement simple que chacun comprendra : le temps qui nous est imparti est rythmé par la vie politique. Si nous n'accélérons pas le pas au Parlement, je crains que nous ne laissions passer l'occasion. Il faut aller très vite en réalité, ce qui nécessite une adaptation au regard de l'ambition qui nous anime. Sans doute faudra-t-il décider d'une application étalée dans le temps ; quatre, cinq ou six ans se révéleront nécessaires pour la pleine et entière application de notre réforme. Il faudra également qu'au cours de cette période d'application progressive, nous adaptions un certain nombre de dispositions. Mais si nous donnons l'impulsion de départ, le reste sera relativement facile à mettre en _uvre. C'est l'impulsion qui compte, il faut la donner rapidement.

Notre démarche, parallèle à celle du Sénat, vous l'avez vous-même rappelé, nécessite de la part du Gouvernement une même volonté d'aller vite, car nous connaissons la lourdeur de nos systèmes. Ce n'est pas une donnée exclusive au Gouvernement, on la rencontre aussi chez nous. Il est des trains qu'il faut pousser pour qu'ils prennent un certain élan. Je souhaite que le Gouvernement s'adapte à la vitesse que nous souhaitons prendre pour mener à bien la réforme. La rapidité n'exclut pas la réflexion, l'ambition d'aller le plus loin possible. Mais si nous n'utilisons pas dès le début la " fenêtre de tir " qui nous est offerte, je crains que nous ne passions une nouvelle fois à côté de l'occasion qui nous est donnée de réformer l'ordonnance de 1959.

M. Michel Sapin : Je ne voudrais pas qu'il y ait d'ambiguïté. Je suis en total accord avec ce que vous venez de dire ; je crois d'ailleurs l'avoir laissé entendre. Lorsque j'indique qu'il faut prendre son temps, c'est une manière de dire combien cette réforme est importante ; elle ne s'improvise pas et elle n'est, du reste, pas improvisée. Le travail mené pour préparer la proposition de loi, le travail actuellement mené au sein du Parlement, le travail mené au sein de l'Etat le démontrent amplement.

Quand je dis " il faut prendre son temps ", c'est aussi une référence - et vous y avez fait allusion - aux conditions d'application dans le temps de la réforme. Cela dit, je suis également persuadé qu'il ne faut pas perdre de temps, que la fenêtre d'opportunité que vous avez évoquée est courte ; je souhaite, pour ma part, qu'elle soit pleinement utilisée. J'espère avoir démontré dans mon intervention - je suis entré dans le détail de l'organisation actuelle du travail au sein de l'Etat - que nous ne souhaitons surtout pas attendre la fin de vos débats pour nous préparer à l'application de la réforme. De ce point de vue, le rythme que vous avez donné, ici, au Parlement est celui qui s'impose à l'Etat.

M. le Rapporteur : Après vous, M. le Président, je veux remercier le ministre de la qualité de ses propos. Nous savons depuis quelque temps qu'il est un allié de la réforme. A travers ses propos, il a montré combien il souhaitait être constructif pour que notre volonté de réforme se concrétise. Nous partageons tous le même objectif d'un Etat efficace, transparent et contrôlé. Souhaiter un Etat efficace, transparent et contrôlé pourrait revenir à dire que nous considérons que l'Etat, aujourd'hui, n'est pas efficace ni transparent ni bien contrôlé. Ce serait une caricature que de le penser, mais convenons ensemble que la marge de progression de l'Etat dans ces trois domaines est importante, malgré les progrès réalisés ces dernières années.

Il faut prendre son temps, mais nous le prenons depuis quarante et un ans : depuis 1959 ! Cet objectif est donc déjà pleinement satisfait ! J'ai parfaitement compris le sens de l'intervention de M. le ministre Michel Sapin. Il faut soigneusement étudier les délais d'application de la réforme que nous allons engager. Rarement un texte n'aura autant été préparé en amont par le Parlement. L'Assemblée y travaille depuis près de deux ans et le Sénat lui-même, depuis quelque temps. Le Gouvernement a peut-être mis un peu plus de temps avant d'y travailler, mais vous lui avez apporté un dynamisme certain depuis votre prise de fonctions de ministre chargé de la réforme de l'Etat. Nous avons donc possibilité d'aboutir.

Je formulerai quelques demandes de précision portant sur des points que vous avez soulevés, même si, à travers vos propos introductifs, vous avez déjà répondu par avance à des questions que nous soulevons régulièrement dans le cadre de nos auditions ou de réunions de travail avec tel ou tel haut fonctionnaire.

Tout d'abord, s'agissant des programmes, pouvez-vous nous préciser de quelle façon vous les envisagez ? Pour vous, la présentation des programmes se fait-elle par acteur, par mission ? Peut-il y avoir plusieurs missions dans un programme ? Comment cela peut-il se passer dans le cadre de l'activité déconcentrée de l'Etat ? Nous avons rencontré la directrice du budget. Nous avons pris l'exemple de la direction départementale de l'équipement.

M. Michel Sapin : De l'Isère ?

M. le Rapporteur : Non, de ce service en général !

Comment envisagez-vous la définition de programmes applicables à une direction déconcentrée, notamment pour ce qui concerne les personnels ? Doivent-ils être affectés précisément à telle ou telle mission et à quel niveau de détail devons-nous descendre ? En allant trop loin dans le détail, la fongibilité que nous prévoyons risquerait d'être remise en cause par d'autres rigidités que nous mettrions en place. Comment allier la souplesse, par la fongibilité, avec la nécessité que le Parlement puisse exercer un contrôle rigoureux qui ne soit pas obéré par cette souplesse ? Comment concevez-vous cette articulation ?

Sur les dépenses de personnel, je suis heureux de voir que nos réflexions sont pratiquement communes et que les solutions que vous esquissez sont celles auxquelles nous pensons également. Je pense, en effet, que ces dépenses doivent être fongibles, mais qu'un encadrement est nécessaire. La référence à la masse salariale et à l'autorisation de création d'emplois me semble bienvenue avec la possibilité de se référer aux grandes catégories, excluant toutes rigidités excessives. Certains sont inquiets quant à la compatibilité de ce type de mesures avec le statut de la fonction publique. Quel est votre sentiment ? Nous pensons, en très grande majorité, qu'il n'y a pas d'incompatibilité, mais nous souhaiterions, sur ce point, que vous nous apportiez le fruit de vos réflexions.

La proposition de loi prévoit la suppression, du moins la remise à plat des budgets annexes ou des comptes d'affectation spéciale. Pourriez-vous nous donner votre sentiment sur cette orientation ? Nous serions plutôt favorables à une solution assez radicale au sujet des budgets annexes ou des comptes d'affectation spéciale, à partir du moment où nous entendons mettre en _uvre une présentation par programme. Nous pensons qu'ils peuvent parfaitement trouver leur place dans la nomenclature des programmes.

Au sujet du caractère limitatif ou évaluatif des crédits, dès l'instant où nous prévoyons une fongibilité des crédits, nous pensons extrêmement important que cette fongibilité s'inscrive dans le cadre de crédits limitatifs. Voyez-vous des exceptions possibles à la règle, qui pourrait être établie, de crédits limitatifs et pensez-vous opportun - nous avons engagé une réflexion avec la direction du budget - que des crédits de fonctionnement votés au titre d'une année puissent être reportés sur l'année suivante ?

Ma dernière question a trait à la sincérité des comptes publics, sincérité qui rejoint les problèmes de transparence. Vous avez reconnu honnêtement - il est difficile d'ailleurs de ne pas avoir cette attitude - que nous avons quelque difficulté à percevoir la réalité de la situation, s'agissant des crédits affectés aux charges de personnel, ou au nombre de fonctionnaires. Peut-être d'ailleurs pourrez-vous nous dire si vous avez une connaissance précise de leur nombre en France.

Selon vous, quelle est la définition de la sincérité de la présentation des lois de finances et une réflexion est-elle engagée au sein de votre ministère sur le problème d'une possible certification des comptes a posteriori ?

M. Michel Sapin : La question des programmes est très délicate. Elle est à la fois décisive, puisque les programmes nous permettent de passer du système actuel où le Parlement vote sur pas grand-chose à un système où il vote sur l'ensemble des crédits. " Pas grand chose ", c'est la différence entre les crédits nouveaux de l'année et les services votés. Le nouveau système permettrait donc le vote sur l'ensemble. Je voudrais vous faire part d'une réflexion qui n'est pas celle du ministre chargé du budget, qui peut avoir ses propres préoccupations dans ce domaine. Comme ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat, j'entends, à partir des personnes, arriver à la définition du programme. Pour moi, le bon programme est celui qui permet, au bout du compte, de bien identifier le responsable. Un programme qui aboutirait à ce que l'on ignore quel ministre ou quel autre responsable de l'administration française en est le responsable, serait un programme mal ciblé en termes d'efficacité pour la mise en _uvre de la dépense, comme pour le contrôle. Si l'on n'arrive pas à identifier le responsable, on aura du mal à contrôler la dépense elle-même, la qualité de la dépense et sa conformité aux objectifs fixés par le Parlement. Il convient d'identifier celui qui va exécuter la mission et celui qui, à ce titre, sera contrôlé administrativement, hiérarchiquement et par le Parlement. C'est en fonction de cela qu'il faut essayer de définir les programmes. Ce n'est pas là une réponse de technique budgétaire, mais une réponse tendant au bon fonctionnement interne de l'administration. Ma préoccupation fondamentale est celle-là.

La question des dépenses de personnel est également délicate. J'ai essayé d'être clair, même si j'ai utilisé le conditionnel. Le Gouvernement travaille par ailleurs à définir sa position, afin d'émettre une opinion sur votre proposition de loi et préparer des amendements, émettre une opinion sur le texte, compte tenu des aménagements que vous pourriez lui apporter. J'ai dit mon souhait de voir des crédits de personnel inclus dans le périmètre de la fongibilité. Nous avons précisé ensemble, qu'à cela, il y avait une limite : la non-remise en cause du statut de la fonction publique. Cependant, le statut de la fonction publique ne constitue pas un facteur de rigidité collective ; il recouvre des droits individuels. Si, d'un côté, vous ne reteniez la définition que d'une masse salariale, le statut de la fonction publique serait remis en cause, puisque l'on pourrait, à l'intérieur de cette masse salariale, décider, non seulement du nombre et du niveau des emplois, mais aussi, pourquoi pas, de leur rémunération. Dès lors, le statut de la fonction publique, correspondant à une fonction publique de carrière, serait ou pourrait être remis en cause. Le vote sur la masse salariale est, selon moi, un élément indispensable, à condition de l'accompagner d'autorisations d'emplois dans des conditions moins précises que celles qui prévalent actuellement. La précision de vote du Parlement sur les emplois est aujourd'hui un peu un alibi car on ne la retrouve pas en exécution. Nous le savons malheureusement tous. Si vous le souhaitez, je puis vous livrer les meilleurs exemples de déformation entre le vote et l'exécution, s'agissant des emplois de personnels.

M. François Goulard : On le constate tous les jours !

M. Michel Sapin : Année après année, on peut regarder les faits et s'apercevoir que les déformations les plus fortes ne sont pas forcément celles que l'on croit.

M. François Goulard : C'est une constante !

M. Michel Sapin : C'est une constante et, comme pour toutes les constantes, l'écart est plus ou moins grand entre les discours et les réalités. Mais je suis prêt à vous livrer des chiffres sur les autorisations budgétaires pour l'année 1994 et l'exécution de l'année 1994 ; les autorisations pour 1995 et l'exécution de l'année 1995 et, comme je veux être totalement honnête, les mêmes données pour l'année 1997. Au palmarès de la contradiction entre l'autorisation budgétaire et son exécution, il y en a de très bons !

Il faut donc définir une masse salariale et des possibilités de fongibilité ainsi que des votes sur les stocks et non les flux, car si l'on se limite aux flux, on en revient à des mécanismes de création et de suppression d'emplois et non plus à une appréhension globale des postes mis à la disposition d'un programme. On peut d'ailleurs imaginer qu'un programme ait besoin de davantage de postes une année et moins une autre année. Je ne vois pas de contradiction entre cette réforme et le statut de la fonction publique dès lors que l'on pose des verrous qui permettent qu'un des piliers du fonctionnement de notre République, c'est-à-dire une fonction publique de carrière, puisse être maintenu dans des conditions compatibles avec les textes actuels.

Le sujet des budgets annexes et des comptes d'affectation spéciale est particulièrement délicat, car ce sont les deux notions qui se rapprochent le plus des programmes. Il y aurait une sorte de contradiction à supprimer ce qui aujourd'hui ressemble le plus à ce que l'on veut promouvoir demain. La seule différence, c'est que ces structures ne recouvrent pas uniquement des dépenses, mais aussi des recettes. Rendre responsable quelqu'un, non seulement des dépenses, mais aussi des recettes, ne me paraît pas une mauvaise chose. Je ne serais pas opposé à l'idée - je vous livre un avis personnel - de conserver un mécanisme budgétaire permettant d'identifier un responsable - un ministre et un administratif - de la dépense comme de la recette lorsqu'une recette est affectée. Sur ce point, une réflexion est à approfondir. Je pense tout particulièrement au financement de l'aviation civile.

La sincérité des emplois n'est pas un thème nouveau, autrement cela se saurait, même si parfois l'actualité réactive ce sujet. Ce n'est pas un thème nouveau, c'est un thème récurrent. Les dispositifs en vigueur avaient été conçus en 1959 pour permettre la sincérité et renforcer la capacité de contrôle du Parlement sur tel ou tel aspect et non par volonté de brider, d'empêcher ou de violer les droits du Parlement. Cela étant, parfois de mauvaises habitudes se prennent ; en outre, les techniques, les organisations administratives, les motivations humaines évoluent, rendant nécessaires des adaptations, sans quoi de bonnes mesures à un moment donné de notre histoire peuvent porter le germe de la non-sincérité budgétaire.

Sur les emplois, le système actuel qui consiste à traiter d'un côté des autorisations d'emplois, de création ou de suppression qui ne concernent que les " fonctionnaires ", à voter par ailleurs une masse complètement opaque de crédits pour payer d'autres agents, aboutit à cette contradiction qui fait que l'on débat du nombre des fonctionnaires alors que l'on devrait débattre du nombre des personnes qui travaillent pour l'Etat. C'est là que réside la contradiction : tel budget dans le passé a présenté une baisse du nombre des fonctionnaires alors que son exécution s'est traduite par une hausse du nombre des personnes travaillant pour l'Etat. On peut dire, y compris en exécution, que le nombre des fonctionnaires a baissé et on peut soutenir à l'extérieur : " Voyez, j'ai fait baisser le nombre des fonctionnaires ! ", alors que les effectifs globaux ont augmenté. A l'inverse et si telle était la vertu dominante du moment, on pourrait se targuer d'avoir augmenté le nombre des fonctionnaires alors que le nombre des personnes travaillant pour l'Etat aurait diminué, car on aurait pris des mesures par ailleurs pour éviter que cette augmentation affichée du nombre des fonctionnaires ne se traduise par une augmentation des crédits et des dépenses de l'Etat. On voit bien que l'insincérité sur les emplois peut se manifester dans un sens comme dans l'autre. Je crois indispensable que le vote du Parlement prévoit un nombre d'emplois, quels qu'ils soient, et que votre contrôle porte ensuite sur l'exécution et le nombre d'emplois effectivement utilisés et non dans un cadre permettant de petites habiletés budgétaires ou politiques.

M. le Président : La parole est à M. Philippe Auberger.

M. Philippe Auberger : Je ferai une remarque d'ordre général qui vaut pour l'audition du ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat comme pour les autres travaux de la commission.

Notre travail consiste à étudier la façon d'améliorer les dispositifs de vote du budget et de contrôle du Parlement sur l'exécution du budget, il convient d'aménager les pouvoirs, les informations, la circulation des données pour que ces deux actes fondamentaux, mais distincts - on a beaucoup parlé aujourd'hui du second, beaucoup moins du premier - gagnent en transparence et en efficacité. Les règles relatives au vote du budget sont plus essentielles. C'est notre travail dans le cadre de la réforme de l'ordonnance de 1959. Or, l'on a quelque peu tendance à dévier sur la réforme de l'Etat, sur l'exécution des tâches au sein de l'Etat, qui est avant tout le problème du Gouvernement, des ministres et de l'administration, plutôt qu'il ne relève des rapports entre le Gouvernement et le Parlement. Je crois donc nécessaire de distinguer les deux problèmes. Les préoccupations, les objectifs, le degré de détail auquel nous souhaitons parvenir ne sont pas les mêmes que ceux voulus par l'administration. Notre objectif est beaucoup plus synthétique et global que l'action administrative courante.

Je reviens sur trois points importants.

Sur les problèmes de personnel, de la fongibilité des crédits de personnel, de la façon de les prévoir, je pense que ce qui est proposé n'est pas tout à fait adapté. En plus de la détermination de la masse budgétaire, il convient d'obtenir quelques indications sur les profils des fonctionnaires. Mais il n'est pas bon de vouloir figer les catégories, car l'expérience montre que la modernisation des administrations nécessite des redéploiements des catégories d'exécution vers des catégories plus nobles. Prenons l'exemple du ministère des finances. L'informatisation plus large des tâches demande des spécialistes en programmation, en analyse informatique ; elle appelle également davantage d'agents aux guichets pour répondre aux demandes d'information et beaucoup moins pour les tâches d'exécution. C'est dire que le profil des agents doit évoluer. En le figeant dans le cadre du budget, on perdrait des marges de man_uvre pour la modernisation, et pour une plus grande efficacité, l'amélioration de la productivité, cette dernière question étant au c_ur du débat, notamment avec les syndicats.

Je n'ai pas été étonné lorsque la directrice du budget a déclaré que le nombre des personnels recrutés chaque année et leur profil de recrutement n'étaient pas vraiment son problème. Mais, pour le ministre chargé de la fonction publique, c'est là une donnée essentielle. C'est la donnée retenue dans toutes les entreprises. Dans toutes les activités en dehors de l'administration, on budgète chaque année les recrutements auxquels on procédera ou, au contraire, les emplois qui ne seront pas remplacés. Il faut pouvoir correctement utiliser l'appareil de formation extrêmement important dont dispose la fonction publique. Je ne vois pas comment on peut, notamment lorsqu'un même profil de formation va servir à différents programmes, faire l'économie chaque année d'une discussion sur le nombre de personnes recrutées et le niveau de leur recrutement. C'est indispensable à une bonne politique globale et synthétique de la fonction publique.

Le deuxième problème est celui de la pluriannualité. Cela fait très longtemps que l'on discute de la pluriannualité, des lois de programme. Je m'étonne que l'on n'ait pas vraiment tiré la leçon de deux expériences dans ce domaine. Tout d'abord, celle des lois de programmation militaire, dont on s'aperçoit qu'elles ne sont jamais exécutées comme elles ont été votées et que le dérapage est important. La seconde expérience réside dans les contrats de plan Etat-Régions. Il suffit de se reporter aux derniers. Prévus sur cinq ans, on les a tirés sur sept ans et encore ils n'ont même pas été exécutés sur les sept années ! On donne l'impression d'être plus modernes, alors que l'on introduit des rigidités à seule fin d'annonce. On affiche très haut des objectifs que l'on n'arrive pas à réaliser et on manque de souplesse. Ces programmes manquent de flexibilité, faute de prendre en compte la notion d'action conjoncturelle. Selon moi, la pluriannualité ne peut s'envisager que si l'on inscrit dans la loi oganique l'existence de fonds d'action conjoncturelle et un certain nombre de crédits dans ces fonds. Sinon, on risque de maintenir trop de rigidités, ce qui n'est pas une bonne chose, car la réalité ne correspond pas à ce qui avait été envisagé.

En dernier lieu, je suis bien sûr d'accord pour développer la déconcentration, notamment dans le cadre des programmes interministériels. Mais un verrou est actuellement posé : le contrôle financier local. A l'heure actuelle, le contrôle financier local n'est pas adapté à la notion de programme. On le voit bien dans nos différents départements : comment l'inspecteur du Trésor qui s'occupe de cela à la trésorerie générale pourra-t-il juger si telle ou telle dépense entre bien dans tel ou tel programme ? Il faut revoir le problème du contrôle financier local et envisager des procédures de rapport annuel sur chacun des programmes et d'un contrôle a posteriori, car maintenir un contrôle a priori, comme actuellement, serait totalement déphasé par rapport à ce qui est fait par ailleurs.

M. le Président : Pour revenir à votre remarque préalable, je rappelle que M. Michel Sapin est ministre de la réforme de l'Etat. Il est normal qu'il nous entretienne des conséquences de la réforme de l'ordonnance de 1959 pour les administrations et le Gouvernement. Au début du mois de janvier, nous aurons l'occasion d'entendre M. Laurent Fabius. Nous entrerons davantage, au regard de notre propre travail, dans le c_ur du sujet, même si nous ne sommes pas au dehors lorsque M. Michel Sapin évoque les sujets qu'il développe. La réforme que nous proposons ne servirait à rien si elle ne se traduisait pas dans l'administration et au sein des ministères par des effets, non seulement nécessaires, mais indispensables. Si elle n'était pas accompagnée par la réforme de l'Etat, une loi organique nouvelle nous ferait plaisir, mais ne servirait à rien. C'est pourquoi votre critique, encore que ce n'est pas ainsi que je l'ai ressentie, porte sur l'un des aspects que nous sommes en train d'examiner ; il y en a d'autres - je suis d'accord avec vous - mais chaque chose en son temps : en tous cas, chaque audition doit nous réserver son lot de propositions dans le domaine de compétences de la personnalité auditionnée.

M. Michel Sapin : Votre intervention, M. le Président, m'évite de répondre sur ce point. J'ai été parlementaire suffisamment longtemps pour savoir que ce qui anime un parlementaire n'est pas tant les pouvoirs qu'il exerce que les résultats que ces pouvoirs permettent d'obtenir et la façon dont ils s'appliquent à la société, à l'économie française. Nous ne sommes jamais dans un débat nombriliste sur le thème : " qui sommes-nous et pour quoi faire ? ", mais sur le débat : " quelles seront conséquences de la réforme ? ". Je réponds ainsi de manière optimiste à la réaction de M. Auberger.

Je crois vraiment beaucoup à ma déclaration liminaire : la manière dont vous votez le budget induit la manière dont l'Etat dépense. Nous souhaitons une dépense publique plus efficace, plus transparente, plus démocratique. J'ai essayé de porter votre attention, non pas seulement sur les conséquences, M. le Président, d'un vote qui prescrirait que l'administration, honorant le respect qu'elle doit au Parlement, agisse d'une manière plutôt qu'une autre. La réforme de la procédure budgétaire est décisive en termes de modification, de réussite et d'adaptation de notre administration aux besoins des usagers et des entreprises.

Sur les questions touchant aux personnels, M. Auberger indique que le maintien de votes par catégorie - A, B, C - constitue encore une trop grande rigidité. C'est un encadrement que je crois absolument indispensable, sinon nous basculerions dans un autre mécanisme, celui d'une masse salariale totalement fongible assortie de conséquences importantes, position que certains d'entre vous peut-être défendent sur le fond et que je respecte, mais qui n'est pas celle du Gouvernement ni ma position personnelle, elle ne correspond pas à ma vision de l'Etat et ne permet pas la neutralité de la fonction publique à laquelle nous sommes les uns et les autres attachés.

Vous m'accorderez, M. Auberger, que passer d'un vote sur les créations et les suppressions, c'est-à-dire pas grand-chose par rapport à l'ensemble de l'emploi public - un vote sur 1.500 corps de fonctionnaires - à un vote qui porterait sur l'ensemble de l'emploi pour les trois catégories d'agents, augmenterait considérablement la capacité de contrôle du Parlement et son pouvoir tout en augmentant considérablement la souplesse dans l'exécution. J'ajoute que, dans la mesure où votre vote est, en ce cas, annuel, sur le stock, rien n'empêche de faire évoluer d'année en année les catégories d'emplois nécessaires à la mise en _uvre de tel ou tel programme, car, sur le fond, vous avez raison : des programmes ou des administrations ont des besoins évolutifs en termes de qualification et, au bout du compte, en termes de catégories d'emploi de leurs fonctionnaires. Mais votant chaque année sur l'ensemble, vous ferez évoluer, d'année en année, les besoins des uns et des autres. Si vous raisonnez uniquement, comme aujourd'hui, en termes de création et de suppression d'emploi, l'influence est faible ; en revanche, si vous raisonnez sur la totalité du stock, votre influence est forte.

De la pluriannualité, on connaît les avantages comme les difficultés. Je crois indispensable que la proposition de loi organique prenne en compte une pluriannualité qui n'est plus seulement celle des lois de programme ou des lois de programmation. C'en est une autre, beaucoup plus proche de ce que nous faisons déjà dans nos collectivités locales. Nous sommes nombreux à avoir exercé ou à encore exercer des responsabilités d'élus locaux. Il est frappant de constater que nos comptabilités publiques locales et notre pratique sont plus modernes, plus souples et plus transparentes que celles de l'Etat. On peut essayer de progresser. La fameuse M14 est une comptabilité moderne, que l'Etat ne s'applique pas à lui-même.

Sur la déconcentration ou, pour le dire autrement, sur le rôle du contrôle financier local, M. Auberger, je partage totalement votre opinion. Penser à l'application de la réforme en ayant l'image du contrôle actuel fait apparaître un hiatus. Il faut donc faire évoluer, à l'avenir, le contrôle financier local, ce à quoi nous nous préparons déjà ; il restera à vérifier la régularité et la bonne imputation de la dépense, mais la part du contrôle de gestion ou du contrôle de l'exécution grandira. Il existe aujourd'hui des missions de conseil auprès de la trésorerie générale de région sur certains gros dossiers d'investissement. Elles jouent un rôle à la fois de conseil et de contrôle de la gestion. De même, les chambres régionales des comptes pourraient jouer un rôle, non plus seulement de contrôle, avec le côté gendarme que cela peut revêtir, mais aussi un rôle de conseil et de contrôle de gestion sur des crédits de l'Etat, et pas simplement sur ceux des collectivités territoriales. On peut donc penser à une évolution des outils existant en ce domaine afin de privilégier le contrôle de gestion, vérifier que les objectifs sont atteints, par rapport à un contrôle a priori, le seul aujourd'hui véritablement efficace et parfois un peu contraignant.

M. François Goulard : Je vais dans le sens du ministre.

Notre seul souci est celui de l'efficacité de l'Etat. Le contrôle parlementaire est un outil ; ce n'est pas une fin. L'objectif de la réforme de l'ordonnance de 1959 est là. Je fais d'ailleurs observer que l'ordonnance de 1959 n'a pas été inspirée par le souci que le Parlement exerce un bon contrôle ; il s'agissait, au contraire, de limiter les pouvoirs du Parlement et surtout - c'est peut-être le plus important - d'asseoir le pouvoir du ministère des finances, en tout cas de le conforter, sur les autres administrations. Cela me semble un point central de la réforme. Nous travaillons au moins autant sur les perspectives des réformes internes à l'Etat que sur le contrôle parlementaire, parce que l'ordonnance de 1959 est un outil de pouvoir du ministère des finances.

En ce sens, je suis préoccupé par l'article que votre collègue Secrétaire d'Etat au budget a fait paraître dans un grand quotidien du soir, il y a quelques jours, pour approuver les orientations de la proposition de loi organique qui fait l'objet de nos travaux. D'expérience, nous savons que le ministère des finances a deux tactiques vis-à-vis des réformes, et deux seulement : soit il s'y oppose, soit il les vide de leur contenu. En l'occurrence, la tactique choisie n'est pas celle de s'opposer frontalement.

M. Michel Sapin : Je ne saurais le croire !

M. François Goulard : La question fondamentale est de savoir si le ministère des finances acceptera cette réforme. Je dis à dessein " ministère des finances ", car ce n'est pas seulement le ministre.

Concrètement - ce serait, selon moi, extrêmement important ; on l'a évoqué à l'instant avec le contrôle financier local - la réforme pose le problème de l'existence du contrôle financier central. Quel va être l'action du contrôleur financier si nous allons jusqu'au bout de la réforme amorcée actuellement ? Quel est le sens de la présence du fonctionnaire du ministère des Finances délégué dans chacun des ministères et qui a un pouvoir absolument total sur la dépense budgétaire de chacun des ministres ? La logique des programmes consiste à laisser les ministres, les directeurs, les responsables, comme vous l'avez fort bien formulé, agir, dépenser en toute autonomie et responsabilité ; ensuite, on examine ce qu'ils en ont fait ; éventuellement, on en tire les conséquences. Ma première question porte donc sur l'avenir du contrôle financier.

J'ai relevé, par ailleurs, comme extrêmement intéressante l'idée de la fongibilité des crédits et le fait que le contrôle parlementaire doive s'exercer sur le " stock " des fonctionnaires et non sur le " flux ". J'y souscris tout à fait. Vous dites que ce ne doit pas remettre en cause le statut de la fonction publique. Je me permets toutefois d'émettre quelques doutes. Il n'y aura pas de bouleversements, mais je crois tout de même que des évolutions devraient en découler. Les éléments du statut, par exemple, le fait qu'un corps soit un corps d'administration centrale et non un corps de services extérieurs, ont des conséquences. Si vous recherchez l'efficacité et si, dans le ministère dont vous êtes en charge, transparaissent un excès de personnel dans l'administration centrale et un manque en services extérieurs, il faudra bien faire évoluer les statuts pour transférer d'autorité des emplois de l'administration centrale vers les services extérieurs. Si l'on recherche une gestion efficace, il faudra davantage de souplesse dans le statut pour permettre aux gestionnaires d'adapter les moyens aux objectifs.

La sincérité budgétaire, qui est l'une de nos préoccupations, a été évoquée à propos des emplois publics. Il se pose en l'occurrence une question de pratique gouvernementale. Je ne fustige pas la vôtre en particulier, mais c'est vraiment une question de culture politique dans notre pays. Nous tenons des discours extrêmement intéressants et louables, mais la pratique au jour le jour va à l'encontre de ce que nous disons aujourd'hui. Nous avons lu dans le journal hier qu'un éminent membre de cabinet ministériel allait être nommé au tour extérieur à la Cour des comptes comme conseiller maître. Savez-vous que pour réaliser cette opération intéressant l'ensemble des Français, on est en train d'enfreindre les règles, puisque l'on nommera quatre ou cinq personnes conseillers maîtres à la Cour des comptes, en surnombre par rapport aux autorisations budgétaires ? Aujourd'hui même, on est en train de violer les autorisations parlementaires, certes sur une question subalterne, mais qui traduit vraiment une pratique gouvernementale, une pratique politique à l'égard des décisions parlementaires. On peut élaborer les plus belles règles du monde, si l'on continue à tricher, cela ne marchera pas.

Mon dernier point porte sur la déconcentration. Sur ce sujet, je ne partage pas du tout votre point de vue. Si vous donnez à l'administration locale le pouvoir de jouer sur l'affectation des programmes, vous les viderez de leur sens. Un programme se conçoit s'il présente une réelle cohérence. Il ne faudrait pas qu'il soit remis en cause au niveau local. La question est à revoir en suivant une logique de décentralisation. Il faut se mettre dans l'esprit que l'adaptation locale des mesures et l'appréciation de sa nécessité relèvent des élus et non de l'administration d'Etat. Il y a une contradiction entre la déconcentration et la réforme que nous essayons de mettre en place.

M. le Président : La volonté de coopération entre les ministères et le Parlement pour aboutir à une réforme est évidente. Il demeure un élément d'incertitude, en tous cas de dialogue, qui sans doute fait encore défaut : ce dialogue concerne les organisations syndicales. Lorsque l'on évoque les problèmes de personnel, l'on sait de quel poids pèsent les organisations syndicales dans la fonction publique. Ce dialogue devra s'engager à l'initiative des ministères, des administrations et sans doute faut-il que, de notre côté, nous fassions un effort pour nouer davantage de contacts. Il serait bon d'ailleurs, si nous en avions le temps, de recueillir le point de vue des organisations syndicales sur la gestion du personnel, sur les questions des corps ou celles des catégories de fonctionnaires, toutes choses qui les intéressent de très près. Pour connaître leurs réactions, je pense que nous aurions tout intérêt à les rencontrer.

M. Michel Sapin : Le dernier comité interministériel pour la réforme de l'Etat s'est tenu il y a quelques semaines sur ma proposition. Parmi les grandes options, figurait la préparation de la réforme de l'ordonnance de 1959. La description que j'ai faite de l'organisation interne de l'Etat pour qu'il se prépare à la réforme de l'ordonnance de 1959 a constitué un élément fort du dernier CIRE. J'ai souhaité réunir la commission dite " de modernisation ", créée il y a quelques années, qui réunit l'administration et les organisations syndicales. Devant elle, avant même que la proposition en devienne officielle, j'ai décrit quels seraient les grands enjeux du prochain CIRE et donc évoqué l'ordonnance de 1959, ce qui m'a permis de nouer un premier dialogue avec les organisations syndicales. Vous avez tout intérêt à les rencontrer. Leurs réactions sont extrêmement contrastées. Certaines sont très intéressées par la pluriannualité, notamment dans l'éducation nationale. D'autres organisations syndicales sont très attachées à tout ce qui touche au renouvellement, à la réforme de l'Etat, au meilleur fonctionnement administratif, à la promotion individuelle. Vous verrez qu'elles ont sur ces sujets des idées, parfois plus avancées que celles que nous souhaitons mettre en _uvre. Une autre organisation syndicale voit dans la mise en _uvre de cette réforme un grand danger pour les principes républicains. Un dialogue approfondi avec cette organisation syndicale, celle dont la composition interne est la plus diverse - je suis certain qu'elle compte autant d'amis de M. Goulard, que d'amis de M. Auberger -, qui compte énormément dans la fonction publique, est indispensable ; il s'agit d'un interlocuteur très important pour moi. Elle mérite que vous y attachiez de l'importance, ne serait-ce que pour faciliter l'évolution de sa position sur ce point. Vous verrez qu'elle est particulièrement attentive à la question des emplois, l'un des points les plus délicats. Oui, la réforme aura des conséquences sur les emplois. Le tout est de savoir jusqu'où on les pousse. Il faut des mesures concrètes, sinon on maintiendra des mécanismes rigides, qui sont incompatibles avec le développement de l'autonomie et des responsabilités ; car, lorsque l'on exerce une responsabilité, il faut des moyens financiers et en personnel. Ces deux éléments fondamentaux de l'exercice de la responsabilité, indépendamment des moyens en investissements, doivent permettre la mise en _uvre d'une gestion autonome. Par ailleurs, il faut des limites à la réforme pour les raisons déjà évoquées, afin d'éviter de remettre en cause les principes fondamentaux de la fonction publique française.

La déconcentration est un sujet délicat. Je ne dirai pas que l'on peut trouver une solution à cette question dont vous débattez, mais vous n'aurez pas forcément à en fixer les modalités dans la future loi organique. De notre côté, nous nous posons dès à présent la question du décret d'application et de la manière de mettre en _uvre la déconcentration. Les programmes interministériels permettraient une déconcentration relativement aisée ; en effet, par définition, le programme interministériel est mis en _uvre par une personne bien connue dans le département - le préfet - même si les outils de la mise en _uvre peuvent tendre vers l'une ou l'autre direction déconcentrée. D'autres programmes ne présentent pas de caractère interministériel et donc la mise en _uvre de la déconcentration de ces programmes ne dépendra pas du représentant de l'Etat, tous ministères confondus, dans le département. On perçoit là qu'une mise en _uvre fine est indispensable pour permettre l'efficacité de la dépense.

On a parlé du contrôle financier local. Le raisonnement que nous menons ensemble sur l'évolution nécessaire du contrôle financier local est transposable au niveau central. Le rôle du contrôleur financier ne sera pas de même nature demain qu'aujourd'hui. La part de contrôle de gestion, en cours de route de la dépense, devra considérablement grandir. C'est dire que la responsabilité décisive du ministère des finances, du ministère du budget, sur ce point, rendra nécessaire des programmes d'adaptation, de formation, y compris de renouvellement des hommes et des femmes dans ces postes : ils doivent être parfaitement adaptés à un rôle nouveau qui demande un sens avéré du dialogue, lequel fait parfois défaut aujourd'hui dans la mise en _uvre du contrôle a priori.

Je considère que le Gouvernement est un, que la question du ministère des finances comme celle du ministère de la réforme de l'Etat ne se pose pas. La seule que vous nous posez porte sur la position du Gouvernement sur la réforme de l'ordonnance de 1959. Je crois pouvoir dire qu'elle sera très offensive et que sa volonté n'est pas de remplacer une prééminence par une autre.

M. Le Président : Sans doute au niveau du Gouvernement, des résistances devront être opposées à quelques administrations.

M. Jérôme Cahuzac : Je souscris aux propos liminaires de notre collègue dans leur partie finale : l'amélioration de l'efficacité de l'Etat et de ses moyens, le contrôle parlementaire. Je partage les réserves du ministre sur la solution radicale de suppression des comptes d'affectation spéciale, dans la mesure où ce qui s'y trouve ne peut être redéployé ou détourné de son objectif que sur autorisation expresse du Parlement. Je ne vois pas quels risques il y aurait à maintenir la structure des comptes d'affectation spéciale.

Ma question est relative à un secteur dont vous avez la charge. Elle conduira à une réponse, probablement comparable dans l'esprit à celle que vous avez déjà faite en évoquant les organisations syndicales, notamment l'une d'entre elles. Vous paraît-il possible d'envisager un programme qui permettrait de savoir exactement ce que l'Etat doit au titre des pensions, programme qui s'appellerait - ce serait le fait du hasard - " caisse de retraite des fonctionnaires " ?

Je terminerai par une interrogation. Je n'ai pas bien compris en quoi le fait de respecter une règle de vote distinct pour chaque catégorie A, B et C serait indispensable à la préservation de la neutralité de l'Etat ; autrement dit, je ne vois pas en quoi l'institution d'une fongibilité à l'étage supérieur entacherait cette neutralité.

M. Michel Sapin : Vous avez tout intérêt à étudier la question des pensions avec les organisations syndicales.

Aujourd'hui déjà, l'Etat a souhaité plus de transparence. De temps en temps, ce n'est pas tous les ans, la question des pensions fait l'objet d'une présentation autonome : on évalue leur coût, de même que la part reconstituée du versement par les personnels et la part reconstituée du versement par l'employeur. Passer de ce système actuel, qui insuffle une certaine transparence dans un tout globalisé au départ, à un programme individualisé, à ce qui apparaîtrait comme une caisse pour reprendre vos termes, serait une révolution considérable. Peut-être est-elle souhaitable. Mais c'est une révolution considérable avec des conséquences très fortes, non parce que cela mettrait des gens à la rue, mais par ce qu'elle impliquerait d'abandonner un système auquel certains sont très attachés, où l'on considère que les pensions ne sont pas une retraite, mais la continuité de l'activité jusqu'à la fin de la vie. Quand on entre dans l'administration, on acquiert à la fois des obligations - servir l'Etat - et des droits, dont le droit à une rémunération et à une pension, qui est la suite de l'activité. C'est un élément très fort de la culture, qui vaut pour la fonction publique de l'Etat, qui ne vaut pas pour les fonctions publiques des collectivités locales, qui ont leur caisse, qui ne vaut pas pour la fonction publique hospitalière, qui ne vaut pas pour les contractuels de l'Etat ou des collectivités locales, mais qui, pour le c_ur central de la fonction publique de l'Etat, est un élément très fort. Il y a là un attachement de principe et un attachement sentimental considérable. La réforme que vous évoquez constitue une sorte de révolution ; elle est peut-être souhaitable, mais elle est, en tout état de cause, complexe à faire partager.

Certains pourraient souhaiter que le vote intervienne en prévoyant des moyens affectés à chaque programme, dont l'emploi serait libre : par exemple, pour repeindre les halls d'accueil des préfectures avec en contrepartie la suppression d'emplois, ou bien pour embaucher davantage, les gestionnaires auraient une libre disposition de la totalité des crédits. D'autres plus raisonnables considèrent qu'il faut une masse pour les moyens (crédits de fonctionnement au sens strict du terme) et une masse pour les personnels (crédits de personnel) mais avec une capacité de passer, soit de l'une à l'autre ; soit à l'intérieur des crédits de personnel d'en faire ce que l'on veut. C'est là une position qui a sa force, mais qui a très clairement comme conséquence la fin d'une fonction publique de carrière, car, dès lors, on peut embaucher, débaucher, augmenter, diminuer les effectifs en fonction des situations, des possibilités, des besoins et des choix personnels retenus par le responsable administratif. Cela revient à transposer à la fonction publique de carrière une fonction publique comme celle qui peut exister aux Etats-Unis et qui est beaucoup plus évolutive, plus souple, mais parfois en adéquation avec telle ou telle orientation politique. Or, il me semble qu'il est un élément constitutif de nos principes républicains, à savoir le principe de neutralité de la fonction publique qui découle du fait que c'est une fonction publique de carrière. Elle a deux volants : on ne choisit pas le personnel qui entre dans la fonction publique selon sa couleur politique ; par ailleurs, quelle que soit la pensée politique de ceux qui sont entrés dans la fonction publique, ils servent ceux qui sont élus par l'ensemble du peuple, les gouvernants et le Parlement.

M. Jean-Jacques Jégou : Je reviendrai sur les trois points évoqués au début de son intervention par le ministre : il faut prendre son temps, ne pas prendre son temps pour ne rien faire, et il est nécessaire que l'administration se prépare à la réforme.

Tout au long de notre discussion, nous avons vu que les choses n'étaient pas si simples. Je suis plutôt d'un naturel optimiste, mais les auditions, singulièrement celle de la directrice du budget, ont révélé bien des difficultés. Mme la directrice du budget a volontiers admis que l'attitude des différents ministères était très diverse et que beaucoup restait à faire avant que les décisions du Gouvernement " redescendent " dans les ministères et fassent l'objet de mesures d'accompagnement. Comme vous l'avez parfaitement indiqué, il serait dramatique d'avoir voté la nouvelle loi organique dans les calendriers indiqués, sans que l'administration ne se soit préparée à sa mise en _uvre. Il faudrait établir également un calendrier pour celle-ci. Pour reprendre l'expression formulée par M. le ministre : quoi de l'_uf ou de la poule ? Un calendrier permettrait de prévoir où doivent en être les administrations. Les difficultés viennent, selon moi, du comportement des agents. Vous dites que l'inconvénient c'est de servir l'Etat.

M. Michel Sapin : Ce devrait être une passion !

M. Jean-Jacques Jégou : Elle est partagée par beaucoup, peut-être pas par la totalité. Entrer dans la fonction publique devient une sécurité, une protection, pour certains. Je ne voudrais pas pousser plus loin mon propos ni même avancer qu'il y a ceux qui aiment et ceux qui n'aimeraient pas les fonctionnaires.

Ma seconde question porte sur un propos de M. Didier Migaud. La transparence c'est bien, le contrôle c'est parfait, mais quid de l'efficacité ? Une fois que l'on aurait donné des moyens identifiés, que les choses seraient plus facilement contrôlables, que la transparence serait évidente, qu'adviendrait-il de l'efficacité ? Quelle est l'efficience de l'Etat ? Dans un débat que nous devrions ouvrir plus souvent, sans tenir compte des différences politiques, devrait être posée la question : l'Etat est-il efficace ? Ne le sera-t-il pas davantage une fois définis les programmes et les responsables ? Sans doute. Mais ne faudrait-il pas aller plus loin encore dans la recherche de l'efficacité ? C'est une question qui me hante. La modification de l'ordonnance de 1959 est une chose, mais je pense qu'aujourd'hui même, sans modification de l'ordonnance de 1959, le contrôle par les parlementaires pourrait se faire plus efficacement. Or, il ne se fait pas.

Petit clin d'_il pour terminer : n'y a-t-il pas une sorte de schizophrénie ou une sorte d'incompatibilité d'être ministre de la fonction publique et simultanément ministre de la réforme de l'Etat ?

M. Michel Sapin : Non, j'espère en apporter la preuve ; le temps permettra de juger.

Merci de votre intervention, qui comprenait peu de questions ; il s'agissait plutôt d'affirmations, au reste souvent justifiées.

La réforme de l'ordonnance de 1959 est un élément décisif d'une amélioration de l'efficacité de la dépense publique. J'en suis persuadé. En elle-même, elle permet l'efficacité. Ensuite, sa mise en _uvre nécessite des transformations, des modifications, y compris de comportements et de cultures, le passage d'une culture de moyens - de combien je dispose ? - à une culture d'objectifs - que dois-je faire et de quoi je rends compte ? - C'est un chamboulement considérable. Beaucoup de fonctionnaires responsables ont déjà intégré cette question de l'objectif à rechercher. C'est une question qui les passionne. Ensuite, ils butent sur les moyens. D'aucuns estiment qu'étant entré dans le cadre des moyens, ils ont bien fait leur travail. Or, ce n'est pas suffisant. C'est pourquoi la réforme de l'ordonnance est un élément décisif de l'efficacité de l'Etat, sans être le seul. Si l'on voulait réduire la réforme de l'Etat et la recherche de l'efficacité de l'Etat à la seule ordonnance de 1959, à sa réforme et à ses conséquences, je pense que l'on manquerait d'ambition. J'illustrerai mon propos par deux exemples.

La gestion prévisionnelle des effectifs, des emplois, des compétences est un élément décisif d'efficacité de l'Etat. Or, 50% des fonctionnaires partent dans les douze ans qui viennent : comment les remplacer ? Quelle évolution faut-il prévoir ? Combien dans les catégories A, B, C ? Quelle sera leur formation ? Combien de temps convient-il de s'y prendre à l'avance ? Il faut sept ans pour former un " produit d'université ". Il est déjà un peu trop tard aujourd'hui, puisque dans sept ans, nombre de fonctionnaires seront partis à la retraite.

Il convient de mettre en _uvre cette gestion prévisionnelle dont tout le monde parle, il existe sur ce thème des rapports en quantité. C'est un élément d'efficacité et, par ailleurs, parce qu'elle paraît davantage comme un instrument aux effets considérables en termes de comportements et de culture, l'introduction massive des nouvelles techniques d'information et de communication dans l'administration implique aussi une révolution des comportements, pas seulement dans la relation à l'usager. Le jour où tout passera par des téléprocédures, il ne sera plus nécessaire de se déplacer pour rechercher une information ou obtenir un document, même si cela pose des difficultés en termes d'aménagement du territoire, car tout le monde ne possède pas un ordinateur : des agents de l'administration devront être capables de jouer le rôle d'intermédiaire. La seconde conséquence de cette révolution est interne à l'administration. L'utilisation des nouvelles techniques d'information et de communication au service des usagers repose sur le principe du travail en réseau. Là où le ministre reçoit la moindre lettre et y répond avec tout ce que cela suppose de " descente " et de " montée " hiérarchique, on devra passer à un mécanisme en réseau où l'on se parlera de l'un à l'autre, d'un fonctionnaire à un autre dans une direction départementale et on devra essayer de trouver la meilleure réponse. On devient responsable de la réponse donnée à un usager qui vous connaît, qui vous identifie et que vous identifiez. C'est une réforme considérable en termes de responsabilité ; c'est une vraie révolution. Voyez les réformes à venir : l'ordonnance de 1959 ; la gestion prévisionnelle des emplois ; introduction massive dans des conditions raisonnables, mais en même temps très ambitieuses, des nouvelles techniques d'information et de communication. C'est dire beaucoup de réformes concernant la fonction publique.

M. Le Président : M. le ministre, vous êtes chaleureusement remercié pour la sincérité des explications que vous nous avez livrées. Vous appuyez la réforme, ce que je savais déjà. Dans la mesure où vous vous exprimez au nom du Gouvernement, nous avons toutes raisons d'être optimistes.

Je veux également remercier mes collègues qui, au travers de leurs questions, démontrent, comme vous, leur volonté d'aboutir, qu'ils soient de l'opposition ou de la majorité. C'est pour nous rassurant. Je vois une seule difficulté : le travail supplémentaire que nous allons imposer au Rapporteur. Il devra travailler dans un délai relativement rapide. Le calendrier est extrêmement serré pour notre Rapporteur général qui a d'autres occupations à assumer dans le même temps. Je vous remercie.

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7.- Audition de M. Laurent Fabius, ministre
de l'économie, des finances et de l'industrie,
et de Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat au budget

(Extrait du procès-verbal de la séance du mardi 9 janvier 2001)

Présidence de M. Raymond FORNI, Président de l'Assemblée nationale

M. le Président : Nous allons ouvrir cette séance de notre Commission spéciale en remerciant tout d'abord M. le ministre des finances et Mme la secrétaire d'Etat d'avoir bien voulu répondre à l'invitation que nous leur avons faite de venir jusqu'à nous.

Nous entrons, en ce début d'année, dans la dernière phase de travail de notre Commission qui a travaillé, à la fois, en séances publiques et en auditions menées par le Rapporteur général, Rapporteur du projet. Un travail considérable a été accompli, en liaison avec l'ensemble des administrations de l'Assemblée nationale ainsi qu'avec les ministères. Je me réjouis de son caractère positif, car c'est l'appréciation que je porte à ce stade des débats.

Je ne voudrais pas ouvrir cette réunion sans rendre hommage à M. Laurent Fabius qui a été l'initiateur de cette réforme. Nous ne sommes que les continuateurs de l'_uvre entreprise à l'époque où il était à la présidence de l'Assemblée nationale. La Mission d'évaluation et de contrôle et la réflexion menée depuis de nombreux mois sur la réforme de nos institutions et de l'Etat et sur la discussion budgétaire ont permis des avancées importantes. Il nous faut en franchir d'autres, ce qui est tout l'objet de notre Commission.

Nous mesurons l'intérêt que représente cette réforme à l'aune des déclarations faites par les uns ou les autres. Pour ma part, je me suis réjoui des déclarations récentes du Président de la République, à l'occasion de la présentation des v_ux, lorsqu'il a bien voulu souligner l'importance qu'il attachait à cette réforme de l'ordonnance de 1959.

Les vingt et une auditions auxquelles nous avons procédé d'octobre 1998 à janvier 2000 ont permis à tous les groupes à la fois de s'exprimer et de participer. Je voudrais d'ailleurs, de ce point de vue, rendre un hommage particulier à l'ensemble des groupes politiques de cette institution, qui sont animés d'une volonté commune pour connaître l'utilisation faite de l'argent des contribuables et pouvoir faire le compte à tout moment de ce qu'est l'état de la France. Je crois qu'il y va de l'intérêt de l'Etat et, d'une certaine manière, de la crédibilité de son fonctionnement dans ce pays. Que nous soyons dans l'opposition ou la majorité, il ne saurait y avoir de divergences d'approche sur des questions aussi fondamentales.

Nous avons trois objectifs au travers de cette réforme : améliorer la gestion publique, c'est évident ; mieux assurer l'exercice du pouvoir budgétaire du Parlement, c'est nécessaire ; et améliorer la compréhension de nos concitoyens dans le domaine des finances de l'Etat. C'est un objectif d'information à ne pas négliger car l'opinion publique a tendance à se perdre dans les arcanes de discussions excessivement techniques et complexes.

Nous avons travaillé en coopération avec nos partenaires naturels que sont les sénateurs. En effet, le Président Lambert et le Rapporteur général du budget au Sénat ont travaillé de concert avec le Rapporteur. Nous y avons associé en permanence le ministère des finances et le ministère du budget. J'en profite pour remercier M. le ministre et Mme la secrétaire d'Etat pour la disponibilité dont ils ont fait preuve tout au long de ces mois.

Nous arrivons aujourd'hui dans une phase finale de cette réflexion. Il est prévu que cette proposition soit inscrite à l'ordre du jour les 7 et 8 février prochains. J'aurais préféré que nous puissions avoir une lecture, dans chacune des assemblées, avant la suspension des travaux pour cause de campagne électorale. Toutefois, si notre discussion à l'Assemblée est positive et intègre des éléments de réflexion qui nous ont été apportés par d'autres, je pense à nos collègues sénateurs, il ne devrait pas y avoir de difficulté lorsque nous reprendrons nos travaux à la fin du mois de mars.

Je propose que M. le ministre et Mme la secrétaire d'Etat nous présentent un exposé liminaire de manière à nous expliciter leur approche de ces questions. Ensuite le Rapporteur interviendra, puis les membres de la Commission pourront poser leurs questions.

M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie : Merci, M. le Président. Je suis heureux de me retrouver devant vous, avec Mme Parly, pour débattre de la proposition de réforme de l'ordonnance de 1959 sur les lois de finances. Ceci intervient, comme vous l'avez rappelé avec beaucoup de gentillesse, moins de deux ans - certains s'en souviennent - après le dépôt du rapport sur l'efficacité de la dépense publique et le contrôle parlementaire du groupe que j'avais eu l'honneur d'animer, avec plusieurs d'entre vous, alors que j'étais dans cette position bénie et provisoire de présider notre assemblée.

A la suite de ce rapport, un travail important de réflexion a été réalisé au sein du Parlement et des administrations, afin de rechercher à améliorer l'efficacité de la dépense publique. Je voudrais, en débutant ce propos, vous en remercier et vous féliciter de l'initiative que vous avez prise. J'attends beaucoup de cette Commission spéciale, comme du concours du Sénat, car je sais que vous êtes vraiment désireux de réformer des procédures et des méthodes qui sont devenues aujourd'hui obsolètes.

Je souhaite donc qu'ensemble nous menions à bien cette réforme de l'Etat puisqu'il est clair qu'il n'est pas concevable que l'exécutif puisse la mener sans le concours du législatif, premier concerné, ou, qu'à l'inverse, le législatif travaille de son côté sans recevoir l'approbation de l'exécutif sur des questions de ce type.

C'est, en effet, de cela qu'il s'agit, à savoir rendre les dépenses plus efficaces pour mieux répondre aux attentes et à l'exigence de qualité des usagers du service public, le faire dans la transparence et sous le contrôle des élus, responsabiliser les gestionnaires publics, maîtriser les dépenses pour alléger les prélèvements obligatoires et les déficits publics. Nous recherchons une transparence à l'égard du citoyen et du Parlement, une transparence des prévisions facilitées par une meilleure lisibilité des objectifs visés par chaque politique publique, une transparence des résultats, avec une présentation aussi claire que possible d'indicateurs chiffrés et de témoins de performance permettant de comparer les prévisions et les réalisations.

Pour atteindre l'objectif d'une meilleure efficacité de la dépense publique, il nous faut conduire une véritable révolution tranquille et passer, car là est l'essentiel, d'une logique de moyens à une logique de résultats. La réforme institutionnelle serait peu opérante sans une modification du fonctionnement et de la gestion interne des administrations, et sans la mise en place d'outils d'information permettant de suivre les coûts, de mesurer l'activité et les résultats et d'en rendre compte.

C'est d'ailleurs par-là que la plupart des pays développés ont engagé chez eux la réforme de la gestion publique. La modernisation de la gestion interne suppose un changement profond de gestion au sein de nos administrations. Elle repose sur le développement de la responsabilité et de l'autonomie des gestionnaires, à partir d'un pilotage par objectif et d'un mode de gestion qui soit orienté vers les résultats.

Pour faire émerger ce nouveau modèle de gestion, le comité interministériel à la réforme de l'Etat, le 12 octobre 2000, a prévu le développement et la généralisation du contrôle de gestion dans l'ensemble des administrations d'ici l'année 2003. Cette décision est bienvenue. Elle devrait permettre de passer d'une situation, qui est la situation actuelle dans laquelle aujourd'hui les ministères disposent, à des degrés divers et en ordre dispersé, de mécanismes de contrôle de gestion, à une démarche d'ensemble fondée sur des engagements concernant des objectifs et sur la mesure ainsi que sur le compte rendu précis des résultats.

Le développement de cette démarche devrait favoriser la contractualisation interne dans les administrations, des politiques de qualité, l'évaluation et la simplification des documents et des formulaires. Elle devrait encourager la professionnalisation de la gestion publique, qu'il s'agisse par exemple de la fonction de gestion immobilière dont je rappelle que, pour le parc de l'Etat, sa valeur est estimée à 300 milliards de francs, ou la fonction de gestion prévisionnelle des effectifs, des emplois et des compétences, en raison même des enjeux majeurs que connaîtra la fonction publique dans les dix années qui viennent.

La rénovation du système d'information budgétaire et comptable constitue un deuxième préalable. La mise en _uvre d'un mode de budgétisation et de gestion orienté vers les résultats devra, en effet, s'appuyer sur un système d'information qui permette d'apprécier les résultats des services et des politiques publiques et d'en mesurer les coûts complets.

Tel est le but du projet ACCORD (système unifié et partagé de comptabilisation de la dépense de l'Etat), qui devrait être déployé dans toutes les administrations centrales d'ici le début de 2004, puis étendu à tous les services déconcentrés à la fin 2005. Ce système ACCORD ne se bornera pas, comme les systèmes qu'il remplace, à assurer le suivi et le respect de l'autorisation parlementaire en comptabilisant la dépense en engagements et en paiements, et alimenter les grands systèmes de la comptabilité générale de l'Etat et de la comptabilité nationale. Il va nous permettre également de mesurer la performance de la gestion publique au niveau de chaque gestionnaire et de l'ensemble de l'Etat.

ACCORD permettra de suivre et de restituer des dépenses par nature - personnels, fonctionnement, investissements -, des dépenses par acteur - c'est-à-dire par responsable -, par programme, par localisation, selon une approche multicritères. Il permettra aussi de connaître les charges et les coûts qui se rattachent à un exercice donné, en autorisant l'enregistrement de la dépense en droits constatés, c'est-à-dire lors de la constatation du service fait, et la prise en compte d'écritures de charges calculées, de provisions et d'amortissements, à l'instar des pratiques comptables des entreprises. Ce faisant, ACCORD va ouvrir la voie à la production de comptes de charges pour les ordonnateurs et à la tenue d'une véritable comptabilité d'exercice, qui reflétera de façon enfin sincère et fidèle la situation financière de l'Etat.

Mesdames et messieurs, même si elle n'est pas suffisante, la réforme du cadre de l'autorisation budgétaire est indispensable pour permettre l'amélioration de l'efficacité de la gestion publique. Pour cela, elle doit être centrée sur la responsabilisation des gestionnaires, avec en contrepartie un renforcement du contrôle des résultats. Responsabilisation et compte rendu sont donc les deux mots d'ordre qui doivent guider notre démarche.

A cet égard, je voudrais développer trois idées-force qui devraient structurer cette réforme et qui vont tout à fait dans le sens des travaux excellents que, sous votre impulsion, M. le Président, avec le concours éclairé du Rapporteur, vous avez déjà menés.

J'aborderai en premier lieu la notion de programme. Les crédits du budget de l'Etat, actuellement fragmentés en huit cent quarante-huit chapitres, dans le projet de loi de finances 2001, pourraient être regroupés en cent à cent cinquante programmes, au sein desquels ils pourraient, hors crédit de personnels, être librement redéployés par les gestionnaires.

La globalisation et la fongibilité, c'est-à-dire l'interchangeabilité, à l'intérieur de programmes à périmètre large, doivent avoir pour contrepartie la responsabilisation des gestionnaires sur des objectifs et leur engagement sur des résultats. Cette conception, fondée sur le critère de responsabilité, est contradictoire avec une vision qui serait purement analytique des programmes reposant sur un découpage théorique qui serait déconnecté du périmètre réel d'exercice des responsabilités. Cela doit nous conduire à faire coïncider les programmes avec des centres de responsabilité bien identifiés et à les définir comme le regroupement des crédits concourant à la réalisation d'une mission ou fonction, ou d'un ensemble de missions ou fonctions, ayant les mêmes finalités.

Il découle de cette définition que l'autorisation par programme devra être ministérielle, quand bien même les composantes de ces programmes pourront faire apparaître, naturellement, des actions interministérielles. Il ne s'agit pas de reconstituer les fameux programmes RCB dont le périmètre ne coïncidait pas avec le champ des responsabilités. Une enveloppe, votée par le Parlement, ne sera donc pas répartie entre plusieurs ordonnateurs principaux, car cela diluerait la responsabilité qui est au c_ur de notre réforme. Cette option me parait cohérente avec la réalité du pilotage des administrations.

Bien entendu, si nous voulons être réalistes, cela n'exclut pas que les crédits de nature interministérielle soient entièrement placés sous la responsabilité d'un ministre, quand les moyens correspondant à une politique interministérielle, par exemple la politique de la ville ou de la recherche, restent nécessairement répartis entre plusieurs ministères. Le suivi et la lisibilité de ces politiques continuent à être assurés, soit en amont au travers des " jaunes " budgétaires, soit en aval à partir des restitutions fournies par les systèmes d'information.

La définition et la délimitation du périmètre des programmes futurs ne seront pas le strict décalque des structures administratives actuelles, qui ne font pas toujours coïncider mission et centre de responsabilité. Elles devraient résulter, nous semble-t-il, d'une revue préalable des programmes impliquant des réformes dans l'organisation actuelle de l'administration, afin de mieux faire apparaître les grandes finalités de l'action de l'Etat et de les constituer en centres de responsabilité. Cette exigence justifie, à notre sens, que la création future d'un programme soit subordonnée à une disposition d'initiative gouvernementale. La création d'un programme ne se réduit pas, en effet, à un problème de nomenclature. Elle suppose de satisfaire, au préalable, des exigences élevées de structuration de l'information et d'organisation administrative, auxquelles le Parlement doit être associé en amont.

La globalisation et la fongibilité des crédits au sein des programmes, qui permettront de donner davantage de responsabilité et d'autonomie aux gestionnaires, ont pour but l'amélioration de l'efficacité de la dépense publique. Elles doivent avoir logiquement des contreparties qui porteront sur l'engagement des gestionnaires de programme, concernant des objectifs définis et le compte rendu des résultats obtenus. C'est pourquoi nous pensons, Florence Parly et moi-même, indispensable qu'à l'instar des agrégats, actuellement présentés dans les bleus budgétaires et les comptes rendus de gestion budgétaire, soient également présentés, pour chaque programme, les missions ou fonctions, les coûts associés, les objectifs poursuivis et les résultats attendus et obtenus, mesurés au moyen d'indicateurs. Il serait bon également que le chaînage entre la loi de règlement de l'année n-1 et la loi de finances de l'année n+1, amorcé en 2000 par le dépôt début juillet du projet de loi de règlement, et son enrichissement par les comptes rendus de gestion budgétaire, soit consolidé afin de placer l'analyse de l'efficacité des crédits dépensés et des résultats obtenus pour chaque programme, au c_ur du débat sur l'allocation des crédits au titre de l'année n+1 dans le cadre du projet de budget. A cette fin, les rapports de performance associés à la loi de règlement et les documents d'information, qui devront être fournis à l'appui des programmes du budget, devraient être établis selon la même structure.

Cette orientation du budget vers les résultats devrait permettre au Parlement de jouer mieux son rôle, c'est-à-dire d'allouer les ressources nécessaires aux politiques publiques sur la base d'objectifs clairement explicités, enfin, et d'apprécier les résultats de ces politiques, au vu de comptes rendus exprimés en termes d'efficacité, d'efficience et de qualité.

De même, il nous paraît souhaitable d'ouvrir la possibilité de faire varier, selon les programmes, le périmètre des crédits en laissant à la loi de finances le soin de déterminer ce périmètre, soit au niveau du programme lui-même, soit au niveau des titres au sein de ces programmes. Cette souplesse permettrait une mise en _uvre progressive de la réforme, plaçant en régime de pleine globalisation ceux des gestionnaires qui auront montré leurs capacités à définir des objectifs et à mesurer des résultats ainsi qu'à maîtriser l'exécution de leurs programmes au sein de l'enveloppe allouée.

Une deuxième idée majeure est celle de pluriannualité. L'inscription de la prévision budgétaire dans une perspective pluriannuelle est une des avancées majeures qui a été amorcée au cours de ces dernières années. Elle donne la visibilité indispensable pour assurer la maîtrise et la soutenabilité des politiques budgétaires. Elle se traduit par l'élaboration, chaque année, d'un programme pluriannuel présenté aux institutions de l'Union européenne et sur lequel j'ai consulté la Commission des finances.

Je partage l'idée de donner un fondement organique au débat d'orientation budgétaire, avec la présentation par le Gouvernement d'un rapport sur l'évolution de l'économie nationale, sur les orientations des finances publiques ainsi que sur les perspectives d'évolution pour trois ans des dépenses de l'Etat.

En revanche, l'évolution vers des budgets biennaux ou triennaux, comme certains ont pu l'envisager, me paraît assez problématique. Mais il me paraît possible de donner un support pluriannuel à certaines dépenses, en généralisant le mécanisme des crédits de paiement et des autorisations de programme que nous pourrions rebaptiser, par exemple, autorisations d'engagement. Pourraient être concernées des dépenses telles que les marchés ou les subventions qui s'étalent sur plusieurs années et ne correspondent pas exclusivement à des dépenses en capital.

L'ouverture de cette possibilité découle du choix de globalisation et de fongibilité des crédits au sein d'un programme qui implique, si on est responsable, de pouvoir transformer des dépenses de fonctionnement en dépenses d'investissement et réciproquement. Je veux toutefois avoir l'honnêteté de souligner devant vous qu'il sera cependant nécessaire de limiter la portée de ce mécanisme pour les dépenses de personnel en prévoyant, pour les ouvertures en la matière, une clef d'autorisation d'engagement égal au crédit de paiement, compte tenu de la nature même de ces dépenses. Ce mécanisme devrait aller de pair avec la possibilité de report des autorisations d'engagement non effectivement engagées.

Que deviennent alors les crédits de paiement, compte tenu du caractère pluriannuel des autorisations d'engagement et du caractère strictement annuel des crédits de paiement ? Il nous semble que, dès lors que les autorisations pluriannuelles s'appliquent à la totalité des dépenses, la possibilité de reporter la totalité des crédits de paiement présenterait un risque de gonflement des masses budgétaires qui serait incompatible avec la maîtrise de l'exécution budgétaire et avec la sincérité des prévisions. Il faut que nous ayons à l'esprit ce que signifierait un exercice de loi de finances où, à la fois, tout serait fongible transversalement et reportable du point de vue longitudinal. Du point de vue de la régulation budgétaire, nous n'y verrions alors plus rien.

Si nous avions des reports massifs de crédits susceptibles d'être consommés à tout moment par les gestionnaires, nous n'arriverions pas à faire combiner la prévision et l'exécution de la loi de finances, ce qui n'irait pas dans le sens d'une plus grande transparence. Ce point devra être très précisément étudié en raison des difficultés qu'il pose, sachant que l'on se trouvera dans le cadre d'une budgétisation par programme beaucoup plus vaste que les chapitres actuels. Nous pourrions envisager de reporter certains crédits de paiement, même si nous y sommes réticents. Toutefois cela ne peut jouer sur la totalité des crédits de paiement, sinon la complexité serait telle qu'on y verrait absolument rien. Ce point sera donc à préciser sachant que la budgétisation par programmes nécessitera, de la part des ministères gestionnaires, la mise en _uvre d'outils de prévision et de suivi de la dépense afin d'opérer une gestion souple et optimale de trésorerie.

Une troisième idée est celle de la budgétisation des dépenses de personnel, dont je rappelle le poids dans les dépenses de l'Etat - 43 % du budget général -, leur forte inertie compte tenu du GVT, soldes, pensions, etc.., et des perspectives ouvertes par les départs massifs à la retraite dans les années à venir. 50 % des agents actuellement en poste devraient quitter la fonction publique d'ici 2010. Les dépenses de personnel constituent évidemment un enjeu majeur des finances publiques qui nécessite un traitement adapté.

Il nous paraît légitime qu'au sein d'un programme donné, la fongibilité s'applique de manière différenciée en ce qui concerne les dépenses de personnel. La dotation relative aux dépenses de personnel devrait être, à notre avis, limitative et ne pourrait être abondée à partir des autres dépenses ou d'un autre programme, hormis la répartition de la provision salariale prévue pour revalorisation du point fonction publique.

En revanche, les excédents dégagés au sein de cette enveloppe pourraient venir en majoration des autres catégories de dépenses. Cette règle simple et dissymétrique devrait permettre la généralisation de démarches comme celle qui a été initiée avec succès dans plusieurs préfectures. Elle ouvrira aux gestionnaires des marges de man_uvre et encouragera l'utilisation optimale de la ressource, tout en limitant les risques de dérive en termes de créations d'emploi que permettraient des programmes totalement fongibles.

Un choix doit être fait quant à l'autorisation budgétaire en emplois et en crédits.

A l'évidence, nous le savons tous et le regrettons chaque année, la présentation en emplois en loi de finances est aujourd'hui insuffisante. La distinction entre emplois dits budgétaires et emplois sur crédits n'est pas toujours lisible. Le périmètre des emplois décrits ne couvre que partiellement ceux des établissements publics. D'ailleurs, sans attendre la réforme, nous avons tenté de progresser vers une meilleure lisibilité lors de la présentation du budget 2001, en décrivant la création des emplois réels de l'Etat et de ses établissements publics administratifs. Nous voulons aller plus loin lors de la présentation du budget 2002.

La réforme de l'ordonnance devrait être, selon nous, l'occasion de traiter cette question en cohérence avec vos objectifs de modernisation de la gestion publique. Au terme de la proposition du Rapporteur, à la masse salariale qui fait l'objet du titre I de chaque programme, est associé un nombre d'emplois décrit en annexe, qui constitue le plafond autorisé. La question est de définir le dosage et la combinaison entre l'autorisation donnée en masse salariale et le plafond en emplois. L'autorisation en masse salariale, dans la mesure où elle rend nécessaire une gestion prévisionnelle des effectifs et une connaissance fine des déterminants des dépenses de personnel, est un levier puissant de modernisation de la gestion. C'est dans l'esprit même de la réforme, un des éléments de responsabilisation des gestionnaires. Si vous choisissez de maintenir parallèlement un vote en termes d'emplois autorisés, je préconiserai alors d'adopter une présentation qui sécurise le niveau des effectifs tout en laissant au ministère gestionnaire une liberté suffisante pour adapter aux besoins la structure des emplois. C'est en ce sens que nous avons commencé à mener une réflexion, à l'occasion de l'expérimentation menée dans quelques préfectures : dans la limite d'un effectif autorisé, d'une masse salariale donnée et d'une masse indiciaire plafonnée, le préfet peut choisir de transformer des emplois de catégorie A en emplois de catégorie B ou C, ou inversement, afin d'adapter la structure et la qualification de son personnel aux besoins. Dans cet esprit, il serait intéressant qu'un plafond global d'emplois s'applique à un ministère dans son ensemble, étant entendu que, par ailleurs, la masse salariale est limitée au niveau de chaque programme. Une description détaillée des emplois concernés serait annexée, à titre prévisionnel et informatif.

Cette nomenclature reste à préciser. Lors du compte rendu de gestion, un état détaillé des effectifs employés, lors de l'année considérée, serait fourni au Parlement. En d'autres termes, que vous ayez à délibérer sur une masse salariale et sur de grandes catégories nous paraît souhaitable, que vous deviez délibérer sur le nombre d'emplois de catégorie A, B ou C, sauf à rendre absolument fictive la notion de responsabilisation de gestion, est un point très important. Au regard de l'avancement de vos travaux, j'ai souhaité qu'avec Mme Parly, nous abordions ce sujet délicat. Le Parlement doit pouvoir jouer tout son rôle et disposer de tous les instruments de vote et de contrôle. Dans le même temps, il faut que puisse jouer la pleine responsabilisation des gestionnaires.

La réforme proposée devra se traduire par un renforcement du rôle du Parlement, sans pour autant bouleverser l'équilibre institutionnel entre le législatif et l'exécutif qui résulte de la Constitution. Cela devra se traduire de plusieurs façons. L'orientation du budget vers les résultats, qui permet d'améliorer la transparence de la gestion publique et de recentrer le débat budgétaire sur les enjeux, les projets et les objectifs des politiques publiques, représente un renforcement du rôle du Parlement en matière d'allocation de la ressource publique et du contrôle de la dépense publique.

L'accroissement de la responsabilité et de l'autonomie accordée aux gestionnaires, au travers de la globalisation et de la fongibilité des crédits, devra trouver, selon nous, sa contrepartie dans le renforcement du contrôle a posteriori et dans l'amélioration des comptes rendus présentés au Parlement, lors de la présentation de la loi de règlement.

Le contrôle du Parlement s'exerce en particulier dans le cadre de l'élaboration du budget, au travers de l'allocation des crédits, au vu des comptes rendus sur les résultats des politiques publiques antérieures. S'il est normal et sain que le Parlement soit mieux associé à la gestion des crédits en cours d'exercice, ceci ne doit pas déboucher sur un contrôle qui serait tatillon ni empiéter sur les pouvoirs réglementaires de l'exécutif. Je dis cela afin d'éviter tous quiproquos entre nous. Chacun est appelé à gouverner à tour de rôle, et l'objectif du Parlement n'est pas de se substituer au rôle de l'exécutif. L'exécutif n'y serait pas prêt, pas plus d'ailleurs que la Constitution. Cela étant, je pense qu'il y a des marges supplémentaires de contrôle pour le Parlement.

Le champ de compétence de la loi de finances pourrait être élargi et consolidé. Ainsi, en matière de prélèvements fiscaux, nous pensons que la loi de finances pourrait prévoir, dans une annexe, la récapitulation des impositions de toutes natures, notamment celles affectées à des personnes morales autres que l'Etat, pour la meilleure information du Parlement. Cette mesure permettrait, en particulier, de mieux articuler les débats des projets de loi de finances et de loi de financement de la Sécurité sociale. Il nous semble aussi que le renforcement du rôle du Parlement passe par une simplification souhaitable de la présentation du budget et une réaffirmation des principes d'unité et d'universalité budgétaire. Les mesures suivantes pourraient permettre de concrétiser cette orientation. Nous sommes prêts par exemple à réfléchir à la suppression progressive des budgets annexes et des comptes d'affectation spéciale, afin d'accroître la portée de l'universalité budgétaire. Devront être étudiées rapidement l'éventuelle suppression des comptes de commerce et des comptes de règlement avec les Gouvernements étrangers ainsi que la fusion, dans une catégorie de comptes unique des actuels comptes de prêts et comptes d'avances. Cette mesure nécessitera à coup sûr une période d'adaptation générale. Une expertise complémentaire, menée par exemple par l'Inspection générale des finances, pourrait permettre d'étudier la faisabilité précise de cette proposition, à laquelle nous sommes ouverts.

La question très délicate du traitement en prélèvement sur recettes de l'ensemble des concours de l'Etat aux collectivités locales doit être abordée, compte tenu notamment de l'avis du Conseil d'Etat dont je vous ai informé et qui doit être mûrement réfléchi. En effet, le Conseil d'Etat vient de rendre un avis estimant que les prélèvements sur recettes ne sont pas conformes à la Constitution, tant au regard du principe d'universalité que de l'article 40, relatif au droit d'amendement qui prohibe l'aggravation d'une charge publique.

Vous savez, par ailleurs, que le Gouvernement n'est pas favorable à la modification de l'article 40 de la Constitution. Pour autant, le droit d'amendement qui est le vôtre ne doit en aucun cas être réduit. Nous devons trouver une solution pour que votre droit d'amendement ne soit pas limité. Toutefois, si on supprimait totalement les prélèvements sur recettes, ceux qui suivent ces débats savent fort bien qu'ils auraient davantage de loisirs. Nous n'y sommes pas favorables, mais nous devons néanmoins tenir compte du droit tel qu'on nous l'expose. C'est un point sur lequel le Parlement et le Gouvernement devront avoir une discussion claire.

D'autre part, je souhaite souligner que la réforme du texte organique doit être l'occasion de réfléchir à une amélioration du calendrier de la discussion de la loi de finances au Parlement. Pour ma part, je suis réticent à l'idée consistant à faire passer au printemps ce qui est à l'automne, notamment du fait que l'une des difficultés devant laquelle nous nous trouvons est qu'il ne peut s'écouler un temps trop long entre le moment où nous faisons nos prévisions économiques et celui où s'exécute le budget, à moins de faire un exercice totalement fictif. Si deux ans devaient s'écouler entre le moment où vous analysez la conjoncture et celui où vous avez, en fin d'exercice, l'exécution du budget, nous risquons, par la force des choses, d'avoir des budgets sans cesse décalés. Autant nous devons avoir des débats, autant en ce qui concerne le vote, il convient de pas trop distendre le moment du début de la réflexion et celui de la fin de l'exécution.

En revanche, il me semble qu'il serait très utile d'avancer les délais de vote de la loi de finances rectificative de fin d'année, ceci afin de l'exécuter avant le 31 décembre pour des raisons de transparence, notamment parce que cela pourrait permettre de traiter, de façon plus adéquate, la fameuse question de la période complémentaire.

Nous ne pouvons éviter une partie de la période complémentaire, tout simplement parce que tout n'est pas terminé au 31 décembre et qu'il reste certaines opérations à exécuter entre le 31 décembre et le 31 janvier. Toutefois entre une période complémentaire restreinte et une période complémentaire qui serait trop large et lâche, il y a possibilité de trouver un point d'équilibre. Nous sommes disposés à travailler dans cette direction, notamment pour ce qui concerne la loi de finances rectificative ou la période complémentaire proprement dite. Vous devez réfléchir, car cela vous concerne directement, non pas en termes de loi organique mais de règlement intérieur ou de pratique, à vos propres débats en séance publique. On ne peut envisager de grandes réformes d'un côté, s'il n'y en a aucune de l'autre.

Je voudrais enfin dire quelques mots sur l'impératif de lisibilité de la politique budgétaire qui conduit clairement à distinguer le budget et les comptes. Le budget, dont la vocation est de retracer l'autorisation parlementaire en dépenses et en recettes, obéit, dans sa présentation, à une logique de caisse. Il sert de cadre à l'expression des choix politiques, économiques et financiers. Dans un souci de cohérence, l'exécution budgétaire doit être établie selon la même logique que pour l'établissement des projets de loi de finances.

Le système dit de caisse, qui enregistre les recettes et les dépenses au moment de leur encaissement et de leur décaissement, possède un avantage considérable, à savoir qu'il est parfaitement fiable et adapté au compte rendu de l'activité budgétaire. Il permet de s'assurer que l'autorisation de recettes ou de dépenses accordée par le Parlement est effectivement respectée. Par ailleurs, il facilite la mise en place d'une stratégie claire des finances publiques, notamment au sein de la zone euro.

Dans cette logique, nous estimons qu'il ne serait pas raisonnable d'ajouter, à la présentation de type budgétaire, une présentation en droits constatés et charges calculées qui conduirait à changer la nature de l'autorisation parlementaire. De surcroît, l'application au budget des mécanismes comptables de provisionnement et d'amortissement soulèverait des problèmes méthodologiques inextricables qui pourraient faire douter de la pertinence et de la sincérité d'une telle démarche.

C'est pourquoi nous pensons que le budget de l'Etat doit continuer à être présenté et suivi sur la logique dite de caisse. En revanche, les comptes rendus, selon les principes de la comptabilité dite d'exercice, ont pour vocation de restituer a posteriori l'ensemble des produits et des charges se rattachant à un exercice donné et de donner, pour cet exercice, une image sincère et fidèle de la situation financière de l'Etat. Ils apportent une visibilité excellente, à moyen et à long terme, de la performance de la gestion publique. C'est pourquoi a été fait le choix de développer la comptabilité de l'Etat dans le format d'une comptabilité d'exercice, qui est d'ailleurs largement inspirée du plan comptable général en vigueur dans les entreprises privées ou publiques. Ainsi que je l'ai constaté, cette option est celle retenue par la quasi totalité des grands Etats.

La décision de modifier le texte organique de 1959, parallèlement à la réforme des modes de gestion interne des administrations et à la rénovation des systèmes d'information budgétaires et comptables, est un choix très ambitieux. Ce choix marque votre volonté et celle de l'ensemble des pouvoirs publics d'ancrer la réforme dans les faits. Nous devons mesurer d'autant plus le niveau de cette ambition qu'aucun des grands pays qui ont engagé la réforme de la gestion publique ne l'ont conduite de pair avec une réforme institutionnelle.

Quels sont les délais de mise en _uvre ? Il ne faut pas surestimer les obstacles. Il convient cependant de garder à l'esprit qu'une telle réforme s'étalera nécessairement sur plusieurs années, ne serait-ce qu'à cause des appels d'offres européens que nous serons amenés à lancer, rendus nécessaires par les changements considérables et indispensables de l'outil informatique.

La dernière étape de mise en _uvre, selon les calculs de mes services, devrait intervenir fin 2004. Dès cette année, pour le budget 2002, il conviendra de démarrer plusieurs modifications et de définir précisément les phases diverses de mise en _uvre du projet, afin de l'étaler dans le temps. Il est évidemment hors de question d'envisager une mise en place de ces modifications sur une année. Néanmoins, si nous proposons à nos compatriotes une réforme dont la visibilité commence en 2004, on nous dira c'est très bien mais ce n'est pas le contrat. Nous devrons établir un calendrier des modifications qui interviendront en 2002, 2003, 2004, etc.

Parallèlement, peut-être souhaiterez-vous modifier sensiblement certains aspects trop académiques du déroulement même de la discussion budgétaire qui relèvent, non pas de la loi organique, mais de votre règlement intérieur. A la lumière de l'expérience, je sais que ce n'est pas facile, mais je crois que c'est indispensable. En ma qualité de représentant du Gouvernement, j'ai souhaité soulever ce point. En effet, à quelle situation aboutirions-nous si nous modifions profondément l'ordonnance organique du 2 janvier 1959, en ayant des procédures ultrasophistiquées pour la gestion interne, la responsabilisation, etc. et si notre mode d'examen reste le même. Le décalage extrêmement lourd qui en découlerait se ferait au détriment du Parlement et de son image. La difficulté réside dans le fait qu'il convient de convaincre et les groupes et les députés individuellement. Je pense, pour ma part, que c'est l'occasion à saisir, sinon nous nous trouverons dans une situation qui ne sera pas en faveur du Parlement.

Mme Parly et moi-même qui, en un autre temps et une autre fonction, vous avais dit son attachement à la réforme de l'ordonnance du 2 janvier 1959, sommes heureux de vous réitérer aujourd'hui concrètement, au nom du Gouvernement, tout notre soutien pour cette réforme majeure. Vous devez l'avoir ressenti, au-delà du contenu technique de mon exposé, au travers de mes propos. Par conséquent, Florence Parly et moi-même seront à vos côtés et aux côtés du Sénat pour mener à bien, dans la concertation, cette réforme majeure de l'Etat. C'est précisément parce que cela me semble être une des premières fois que les deux assemblées, les plus hautes autorités de l'Etat et le ministère des finances sont à l'unisson qu'il ne faut pas laisser passer cette occasion.

Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat au budget : Je ne reviendrai pas sur l'importance que j'attache, en tant que secrétaire d'Etat au budget, à la réforme de l'ordonnance organique de 1959 et je ne reviendrai pas non plus sur l'architecture générale de la réforme, telle qu'elle vient d'être évoquée devant vous par M. Laurent Fabius.

En revanche, je souhaiterais reprendre devant vous trois questions qui me paraissent particulièrement sensibles pour le ministère des finances, mais aussi pour le Parlement. La première question porte sur la signification de la réforme que nous souhaitons conjointement entreprendre, la seconde sur la définition d'un programme, car le c_ur de la réforme repose sur cette notion de programme. La troisième question consiste à imaginer à quoi ressemblerait la discussion budgétaire au Parlement, dans l'hypothèse où cette nouvelle loi organique entrerait en vigueur.

En premier lieu, quelle est la signification profonde de cette réforme pour les administrations ? La volonté du Gouvernement, qui -  me semble-t-il -  rejoint pleinement celle du Parlement, est de donner un coup d'accélérateur à la réforme de l'Etat, en rendant les administrations réellement plus efficaces. Ce sont des mots, mais qui devraient être aussi à l'avenir des faits. La décision pour plus d'efficacité ne peut pas simplement être prise à l'Assemblée ou à Bercy, elle ne peut qu'être le résultat de l'action de chacun des gestionnaires qui composent la sphère publique. Je crois que c'est là que se situe notre pari commun. Il faut donc, pour cela, libérer l'initiative des gestionnaires et des équipes qui les entourent pour que le meilleur service public soit rendu, et cela au meilleur coût.

C'est en effet, aujourd'hui, la seule voie possible pour que l'Etat puisse faire face à l'extraordinaire diversité des demandes qui lui sont adressées, sans pour autant peser de manière trop lourde sur l'économie du pays. Nous souhaitons donc - et c'est le sens de la proposition de loi déposée par le Rapporteur - alléger les contrôles a priori et, pour être plus précise, déplacer ces contrôles. Je m'explique. La loi organique devra clairement prévoir un allégement du détail des autorisations que vous donnerez pour la construction du budget. C'est un point essentiel de la réforme. Or, aujourd'hui, si l'autorisation parlementaire porte sur le chapitre budgétaire, demain, elle devrait porter sur le programme.

Ainsi que M. Laurent Fabius l'a indiqué, l'autorisation budgétaire est éclatée sur environ huit cents chapitres. Ils étaient près de deux mille il y a encore une dizaine d'années. Demain, cette autorisation budgétaire devrait s'articuler entre cent et deux cents programmes. Il reviendra aux gestionnaires qui se situent sur le terrain, s'ils l'estiment utile et plus efficace, de modifier la nature de la dépense prévue et de choisir, selon les cas, de faire eux-mêmes ou de faire faire, suivant l'optimisation des choix qui se présenteront à lui.

La simplification de l'autorisation parlementaire devra donc trouver une traduction directe dans l'allégement de la tutelle financière que peut exercer le ministère des finances sur les autres ministères. Cette simplification de l'autorisation parlementaire devra aussi se traduire par une modification sensible du rôle de la direction du budget elle-même, du rôle qu'exercent les contrôleurs financiers et du rôle du secrétariat d'Etat au budget.

Je me permets d'attirer votre attention sur ce changement fondamental d'approche que suppose le passage d'environ huit cent cinquante chapitres à environ cent cinquante programmes, car c'est la condition et le point d'application précis du passage d'une culture de moyens à une culture de résultats, que chacun appelle de ses v_ux et dont la concrétisation se fait attendre. Faute d'un changement radical de la structure de l'autorisation parlementaire, cette formule risquerait de rester creuse et sans portée.

Il convient donc de ne pas se cacher que la tentation pourrait être grande de multiplier les enveloppes limitatives, en découpant ces fameux programmes en sous-programmes et en missions. Mais ce serait aussi refuser l'obstacle et, d'une certaine manière, revenir à une approche par les moyens dont nous souhaitons nous éloigner. Il ne fait aucun doute que si l'on cède à cette facilité, on retrouvera rapidement un découpage qui ressemblera d'assez près à l'actuel découpage en chapitres budgétaires, avec la satisfaction que donne la confortable illusion de contrôler a priori. Quand je dis confortable, je me mets également dans ce rôle, car le ministère des finances pratique le contrôle a priori. Néanmoins ce serait une illusion encore plus grande de penser qu'il est possible de donner aux gestionnaires publics des objectifs et d'apprécier leur action sur la réalisation de ces objectifs, tout en maintenant ce mécanisme de contrôle a priori.

Si nous devions renoncer à cet élargissement de l'autorisation budgétaire et à son corollaire qui est la fongibilité au sein de programmes larges, nous reviendrions alors dans un système où le principal souci des gestionnaires serait de respecter les enveloppes budgétaires. De ce fait, ils n'auraient plus ni la liberté, ni grand intérêt à réfléchir à une utilisation plus efficace des moyens mis à leur disposition.

Cela étant, si cette réforme conduit à une autorisation donnée de façon plus globale sur un ensemble plus vaste, elle pourrait conduire directement à un amoindrissement du rôle du Parlement, ce qui, pour vous parlementaires, n'est pas du tout votre souhait, pas plus qu'il n'est celui du Gouvernement et ce qu'il propose. Car en effet, si l'autorisation budgétaire a priori était allégée, comme cela est proposé, cet allégement serait accompagné de deux compensations extrêmement importantes dans l'équilibre de la réforme proposée.

La première compensation est que le débat a priori, qui existe d'abord entre le ministère des finances et les ministères dépensiers, et puis entre le Gouvernement et le Parlement, devra se déplacer du terrain actuel du calibrage financier, portant sur tel ou tel chapitre, vers un débat portant sur les missions de tel ou tel ministère, ses priorités et ses objectifs. Il supposera de traduire ces objectifs en indicateurs de résultat et il conviendra d'examiner la façon dont les gestionnaires s'engagent à les atteindre. Il me semble qu'il s'agit là d'une rénovation très importante des modalités d'intervention du Parlement, dans le débat financier. Cela ramène cette intervention à ce qu'elle devrait être, c'est-à-dire l'examen, par la représentation nationale, des objectifs de la politique du Gouvernement dans chacun des ministères.

Néanmoins, ce premier contrepoids ne serait pas satisfaisant s'il n'était accompagné d'un autre, tout aussi important, qui est l'existence d'un débat a posteriori. Celui-ci interviendrait lors de la loi de règlement et imposerait au Gouvernement d'indiquer au Parlement, de manière précise, les résultats chiffrés obtenus sur le terrain et de les comparer aux objectifs sur lesquels il s'était engagé pour cette année-là. Ce débat a posteriori permettra également à la représentation nationale de s'intéresser, dans le détail, à la nature de la dépense et, élément fondamental, au rapport entre l'argent dépensé et le résultat obtenu.

C'est donc le sens profond de la réforme à laquelle nous sommes invités. Il nous faut renoncer à nos rassurants - mais illusoires - contrôles budgétaires a priori. Il conviendrait également de renoncer à notre autorisation, au niveau du chapitre, et déplacer le débat, tant interne à l'administration qu'entre le Gouvernement et le Parlement, pour le centrer sur l'ordre de priorité des missions, les indicateurs fixés et les résultats effectivement obtenus, et ce de manière mesurable sur le terrain.

De ce point de vue, cette réforme est tout à fait essentielle pour une meilleure compréhension, par nos concitoyens, de ce qu'est le débat budgétaire qui, je dois le dire, peut paraître abscons.

Le second point sur lequel je souhaitais intervenir est la notion de programme. C'est un élément essentiel, car cela constituera le niveau auquel interviendra le vote du Parlement ainsi que celui de l'autorisation qui sera donné aux gestionnaires. Si nous faisons l'hypothèse que les agrégats actuels, qui figurent dans les bleus, pourraient constituer une première préfiguration de ce que seraient les programmes de demain, il convient cependant d'essayer de préciser quelles seraient les caractéristiques de ces programmes.

Tout d'abord, les programmes devront correspondre à un responsable, c'est-à-dire une personne bien identifiée qui sera clairement comptable des résultats obtenus. Pour la bonne information du Parlement, il me semble que ces programmes devraient être détaillés sous forme de sous-programmes ou de missions. La dépense devrait être répartie, pour l'information du Parlement, en titres fongibles. La seule limite, qui serait réellement imposée en gestion, serait l'interdiction faite de rémunérer des emplois avec des crédits prévus pour d'autres types de dépenses.

Enfin, seraient associées aux programmes des missions clairement définies et classées en ordre de priorité, ainsi que des indicateurs de résultat sur lesquels le gestionnaire s'engagerait.

Pour illustrer les choses, je recourrai à l'exemple du ministère de l'intérieur. Imaginons que les programmes se présentent sous la forme et les contours des actuels agrégats. Néanmoins cela ne signifie nullement que les agrégats d'aujourd'hui constitueront mécaniquement les programmes de demain. Le ministère de l'intérieur comporte cinq programmes : l'administration territoriale, la sécurité civile, la police nationale, les collectivités locales et l'administration générale. Le budget du ministère de l'intérieur fait actuellement l'objet de quatre votes, sur les titres III, IV, V et VI. Si le nouveau dispositif était retenu, le budget du ministère de l'intérieur ferait l'objet de cinq votes puisqu'il y a cinq programmes. Mais le niveau du vote serait confondu avec le niveau d'autorisation, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. En effet, le vote a certes lieu au niveau du titre, mais c'est au niveau du chapitre que le gestionnaire est lié par la détermination des crédits.

Essayons maintenant d'envisager ce que pourrait contenir un programme en prenant pour exemple l'administration territoriale, qui représente un montant de crédits de sept milliards de francs. Ce programme pourrait se composer de huit sous-programmes qui seraient les missions aujourd'hui identifiées dans les bleus, à savoir la communication et la représentation de l'Etat, la sécurité, l'accueil et la délivrance des titres, la réglementation générale, les relations avec les collectivités locales, le développement économique, les politiques interministérielles et la gestion des crédits qui leur sont associés, l'animation des politiques régionales et les fonctions logistiques.

Ces huit sous-programmes correspondent à des missions et à chacune d'elles seraient affectés des personnels et des crédits représentant le coût de ces missions. On constate qu'il serait inopérant de conférer un caractère limitatif aux crédits correspondant à chacune de ces missions et, quand bien même on le ferait, le contrôle en serait impossible. Les personnels et les moyens doivent en effet pouvoir être affectés en fonction des priorités, comme c'est le cas, aujourd'hui, par les préfets.

Globalement quelle sera la différence par rapport à la situation actuelle ? Aujourd'hui, les parlementaires adoptent les moyens de l'administration territoriale, pour en revenir à l'exemple cité, selon six chapitres :

- quatre chapitres pour les dépenses de personnels, sans toutefois réellement distinguer dans les prestations ou les cotisations sociales de ce qu'il revient aux personnels de ces préfectures ;

- un vote sur le chapitre de fonctionnement global des préfectures ;

- un vote sur le chapitre d'investissement immobilier, mais qui n'est pas propre aux préfectures puisqu'il est partagé entre la sécurité civile, la police et l'administration centrale.

Ainsi, vous n'adoptez pas, même au niveau du chapitre budgétaire, les crédits dans un périmètre de responsabilité qui est celui de l'administration territoriale. A la structure actuelle de l'autorisation que vous donnez, il est donc impossible d'attacher des objectifs et d'identifier des responsables. Ce faisant, le budget est difficilement lisible et l'évaluation des résultats ne peut être mise en regard d'une consommation des moyens.

Quelle serait la situation demain ? Vous n'adopteriez plus les crédits par nature de dépenses - personnel d'un côté, fonctionnement et investissement de l'autre - les crédits étant pour certains mélangés avec ceux d'autres services, comme la police et l'administration centrale. Vous adopteriez une enveloppe correspondant à un ensemble de missions, qui sont celles de l'administration préfectorale, mais en recevant, lors du vote, une information sur la répartition prévisionnelle des moyens entre les différentes missions, sur les objectifs correspondants et les résultats attendus. Enfin, lors du compte rendu de gestion qui serait présenté à l'occasion de la loi de règlement, vous disposeriez d'une information précise sur la manière dont les objectifs fixés auront été ou non atteints.

Enfin, je conclurai mon propos sur ce que pourrait être le débat au Parlement. Lors des discussions que nous avons eues il y a encore quelques semaines, j'ai pu mesurer l'insatisfaction qui était généralement la vôtre, à la fin de débats extrêmement longs, où vous n'aviez pas toujours l'impression d'avoir pu utilement débattre de l'essentiel. Il m'est arrivé également d'éprouver ce même sentiment.

A quoi ressemblerait le débat budgétaire au Parlement lors de l'entrée en vigueur de la nouvelle ordonnance organique ? Il ne m'appartient pas de répondre à cette question puisqu'elle est clairement de votre responsabilité, mais vous me permettrez néanmoins de relever trois points. Le premier, c'est que partout où est intervenue une réforme du type de celle que nous nous apprêtons à lancer, les débats parlementaires ont en parallèle été profondément modifiés. En effet, le déplacement du débat du découpage fin des crédits, au niveau du chapitre, vers une discussion sur les objectifs de l'action publique permet d'alimenter un débat démocratique qui a pour caractéristique de pouvoir s'appuyer sur l'évaluation des politiques publiques.

Le deuxième point est que la réforme et la modernisation de l'Etat ne peuvent que s'accompagner d'une réforme et d'une modernisation du travail parlementaire. Il est certain que la situation doit évoluer au niveau de l'administration, mais elle doit également évoluer au niveau du Parlement. Il ne fait d'ailleurs aucun doute que le Parlement a besoin de développer sa capacité à faire évoluer les politiques publiques. De ce point de vue, il me semble que la Mission d'évaluation et de contrôle a été mise en place tout à fait dans cet esprit. Il me paraît fondamental que nos concitoyens puissent suivre nos débats en en comprenant les éléments essentiels.

Enfin, troisième point, il importe que nous redéfinissions dès maintenant, dans la proposition de loi si nécessaire, les points d'accroche du droit d'amendement parlementaire, non seulement sur la première partie de la loi de finances - c'est ce que nous évoquions à l'instant avec la question des prélèvements sur recettes - mais également sur la deuxième partie. Nous devons préciser davantage les éléments sur lesquels les parlementaires pourraient faire valoir leur vue, en particulier et de manière précise, comment ils pourraient influencer, au-delà du calibrage de l'enveloppe financière accordée à un programme, la définition de tel ou tel programme ou de telle ou telle mission, l'ordre de priorité accordé à chacune d'entre elles ainsi que le choix et le niveau de l'indicateur de résultat.

Toutes ces questions ont pour dénominateur commun d'être extraordinairement complexes, mais néanmoins essentielles. J'ai bien conscience que c'est à une véritable révolution que nous sommes collectivement appelés. Les pays qui s'y sont attelés ont, avec force tâtonnements, mis entre cinq et dix ans pour rénover l'intégralité de leur système de gestion et le mode de relation entre le Parlement et le Gouvernement.

C'est pourquoi une période transitoire, suffisamment longue pour pouvoir bien caler tout cela, nous sera certainement nécessaire. Elle devra être prévue de manière explicite dans notre réforme. Mais cette révolution et cette ambition nous sont nécessaires car, au bout du compte, ce dont il s'agit, c'est de faire clairement apparaître l'usage qui est fait de l'argent des Français. C'est donc un projet important pour notre démocratie.

M. le Président : Merci, Mme la secrétaire d'Etat et M. le ministre pour ces explications. Avant de donner la parole au Rapporteur, je souhaiterais apporter quelques commentaires. J'ai pleinement conscience, comme l'ont rappelé Laurent Fabius et Florence Parly, de la nécessité, en ce qui concerne l'Assemblée, d'adapter notre discussion budgétaire et, de ce fait, d'aborder le problème de la modification de notre règlement. Cela signifie d'ailleurs que notre Commission spéciale, une fois son travail accompli dans le cadre de la réforme de l'ordonnance de 1959, pourra sans doute apporter des suggestions très utiles à la fois à la Commission des finances et au Bureau de l'Assemblée, pour nous permettre cette adaptation nécessaire.

C'est sans doute aussi parce que des travaux déjà menés, s'agissant de la discussion budgétaire, ont permis une prise de conscience, à tous les niveaux, que cette réforme est aujourd'hui possible. Dans le passé, nous avons connu un grand nombre de tentatives de réforme de l'ordonnance de 1959 dont seules deux - me semble-t-il - ont abouti, et encore sur des points extrêmement mineurs. C'est donc un enjeu considérable pour nous, qui est non seulement lié à la lisibilité de nos comptes et du budget de l'Etat, mais également à la crédibilité de l'action de l'Etat. N'étant pas moi-même un spécialiste de ces questions, j'ai le sentiment de plus en plus que la discussion s'obscurcit pour ceux qui nous entendent et qui essayent de nous comprendre.

A partir du moment où on fait ce constat, sauf à imaginer que le pouvoir serait concentré entre les mains de quelques-uns, qui l'exerceraient au détriment de tous les autres, c'est-à-dire par une administration, qu'elle soit gouvernementale ou à l'Assemblée - je crois que les choses peuvent être mises en parallèle, même si les enjeux ne sont pas les mêmes -, ce serait tout à fait préjudiciable pour nous tous.

Le pouvoir politique doit être exercé par ceux qui ont reçu mandat du peuple et, me semble-t-il, il ne s'arrête pas au vote des lois classiques, traditionnelles, d'essence essentiellement juridique. La discussion budgétaire est un des éléments fondamentaux de l'action que nous devons mener en tant que parlementaires. Je vous remercie, M. le ministre et Mme la secrétaire d'Etat, des efforts que vous avez faits tout au long de cette discussion. J'ai conscience que tout n'arrivera pas en un jour et qu'il faudra du temps. C'est d'ailleurs ce qui motive l'optimisme qui est le mien. Quand l'application d'une réforme doit s'étaler dans le temps, cela donne la perspective, à ceux qui sont dans l'opposition, de rejoindre la majorité et vice versa. Cela donne beaucoup d'espoir aux uns ou aux autres et, en tous les cas, le sentiment d'_uvrer dans l'intérêt commun, sans s'arrêter à des considérations d'ordre partisane ou clanique.

Il me semble que c'est ainsi que l'on a les meilleures chances de réussir des réformes. Nous sommes sur la bonne voie et devons tenir bon. Les discussions sont sans doute complexes du fait de leur technicité, mais l'essentiel étant que les spécialistes que vous aviez, M. le ministre, déjà rencontré en d'autres occasions, puissent faire avancer le débat.

M. le Rapporteur : Je voudrais remercier M. le ministre et Mme la secrétaire d'Etat pour leurs interventions que j'ai écoutées avec grand intérêt. C'est la première fois que le Gouvernement nous fait part d'un point de vue aussi détaillé sur la déclinaison des différentes orientations de la réforme que nous appelons de nos v_ux. Je veux y voir un signe très positif. Cela montre qu'un travail très important a commencé à être réalisé au niveau Gouvernemental, en liaison avec nos propres travaux.

Nous avons fait le choix délibéré, dans la proposition que j'ai rédigée, de rester dans le cadre de la Constitution de 1958. Néanmoins cela ne signifie pas que l'on doit écarter a priori toute réforme institutionnelle, une fois cette révision décidée et votée. Cela ne doit pas nous empêcher d'apporter, de nous-mêmes, un certain nombre de réformes à notre règlement intérieur et à notre façon de discuter du budget de l'Etat. Nous avons mis en route un certain nombre de choses, ce qui nous a permis de constater que les pesanteurs et les conservatismes existent aussi chez nous et que, parfois, nous sommes attachés davantage à la virtualité du pouvoir qu'à sa réalité. Nous avons donc nous-mêmes une marge de progression par rapport à nos méthodes de travail.

Je suis heureux que vous ayez repris le double objectif que nous nous sommes donné. S'agissant du premier qui consiste à améliorer la gestion publique, vous avez apporté un certain nombre de propositions. Quant au second objectif, sur lequel nous insistons davantage que vous, il consiste à mieux assurer l'exercice du pouvoir budgétaire avec la nécessité, sur cette partie-là, d'exercer plus pleinement les pouvoirs budgétaires que nous reconnaît la Constitution et sur lesquels l'ordonnance de 1959 est quelque peu revenue, de la même façon que la pratique institutionnelle est revenue sur ce que doit être le pouvoir budgétaire du Parlement.

Nous sommes en plein accord sur les objectifs. Nous aurons l'occasion vraisemblablement de préciser un certain nombre de notions et, si vous êtes allé dans le détail, c'est compte tenu d'une réflexion très poussée désormais, sur le plan Gouvernemental, ainsi que d'un certain nombre de réunions de travail que nous avons pu avoir ensemble. Je vous remercie d'avoir répondu presque par avance à un certain nombre de questions que nous nous posons.

Cela dit, j'aimerais que nous puissions revenir sur quelques sujets. S'agissant des programmes et de tout ce qui peut concerner les contrôles a priori, voire l'autorisation budgétaire, j'ai été presque choqué de constater que l'on puisse comparer le rôle du ministère de l'économie et des finances à celui du Parlement, dans ce que vous avez appelé le contrôle préalable. S'agissant du Parlement, c'est d'une autorisation budgétaire dont il s'agit et non pas d'un contrôle préalable. Dès lors que l'on raisonne en termes d'autorisations budgétaires, le problème se pose d'une manière totalement différente. D'où le débat que vous avez amorcé, et que nous devons approfondir, sur le niveau d'autorisation de la part du Parlement.

Nous sommes conscients, d'autant que nous l'avons demandé depuis un certain temps, que la fongibilité, la responsabilisation des gestionnaires publics et l'amélioration de la gestion publique entraîneront de fait, également au niveau du Parlement, un certain nombre de modifications quant à notre approche.

Toutefois il ne faudrait pas que cela puisse se traduire par une autorisation budgétaire qui serait totalement vidée de toute signification. Il y a un moyen terme à trouver. Il n'est pas question pour nous de revendiquer un vote sur 847 subdivisions et nous sommes d'accord pour une diminution drastique des niveaux d'autorisations parlementaires, mais en aucun cas, le niveau d'autorisation ne pourrait être, par exemple, les agrégats actuels. Il me semble qu'il y a là un approfondissement nécessaire.

J'ai retenu des observations de nos collègues que, sur ce point, la discussion entre nous devrait s'approfondir, même si je n'ai pas perçu, dans vos propos, des points de blocage insurmontables. Il me semble que nous approchons d'une solution. J'aimerais que vous puissiez là-dessus nous rassurer complètement, étant entendu qu'il n'est pas pour nous question de remettre en cause les conséquences de cette fongibilité, qui a pour but d'apporter de la souplesse aux gestionnaires des crédits et d'améliorer l'efficacité de la dépense publique.

Sur un autre plan, celui de la sincérité des lois de finances, c'est une question à laquelle vous avez et êtes toujours, M. le ministre, très sensible puisque vous l'avez été comme Président de l'Assemblée nationale et que vos premières décisions, en votre qualité de ministre de l'économie et des finances, ont été aussi un souci de transparence beaucoup plus importante. Cette exigence de sincérité a pris un relief particulier dans les débats qui ont émaillé récemment l'exécution des lois de finances. De plus, nous savons que le Conseil institutionnel est appelé à juger de la sincérité des lois de finances qui sont soumises à son examen.

Nous avons inséré, dans la proposition de loi organique, un article relatif à la sincérité des lois de finances. Cela vous paraît-il apporter des précisions utiles à cet égard ? Là aussi, il m'apparaît important qu'avec le Gouvernement, nous puissions prolonger la discussion et faire en sorte que cette sincérité, qui est toujours quelque peu subjective, puisse apparaître dans un texte, sans que cela puisse entraîner une insécurité juridique au regard des interprétations que pourraient en avoir les uns et les autres.

Enfin, je voudrais faire une ou deux observations qui sont aussi des questions. Vous avez évoqué la question des prélèvements sur recettes. L'avis qui a été exprimé par le Conseil d'Etat devrait pouvoir être communiqué à l'ensemble de nos collègues, afin que nous puissions nous-mêmes en débattre. Il est vrai que le Conseil d'Etat semble adopter une position quelque peu rigide vis-à-vis de ces prélèvements sur recettes. La question me semble mériter d'être travaillée car, à la lecture de décisions récentes, il apparaît que le raisonnement juridique du Conseil d'Etat et du Conseil Constitutionnel ne sont pas toujours identiques. Peut-être l'avis du Conseil d'Etat pourrait-il être démenti par le Conseil constitutionnel en la matière.

Néanmoins, l'actualité récente nous montre que le Conseil constitutionnel peut considérer qu'il a la possibilité de s'affranchir de ces avis. Si l'on suivait l'avis du Conseil d'Etat, la traduction concrète serait un affaiblissement de la capacité d'amendement de la part des parlementaires, notamment pour tout ce qui concerne les collectivités locales. Voyez-vous une possibilité de prolonger la réflexion à partir de l'avis du Conseil d'Etat ?

Sur le calendrier budgétaire, j'ai été sensible à vos propos. Nous sommes nombreux à penser que cela n'a aucun sens de voter un collectif budgétaire le 22 décembre, sachant qu'il ne peut être exécuté dans le cadre de l'année civile. Vous semblez faire des propositions de présentation anticipée. Comment cela pourrait-il se traduire et quelle pourrait être la conséquence par rapport à cette période complémentaire ? Quelles conséquences pourrions-nous en tirer par rapport au projet de loi de règlement et au contrôle a posteriori sur le budget de l'année précédente qui nous est indispensable par rapport au vote du budget de l'année suivante ?

Telles sont, M. le ministre et Mme la secrétaire d'Etat, les observations que je souhaitais apporter, étant entendu que je veux me réjouir, une fois de plus, de ce qu'un processus me paraît bien engagé. Je souhaite que nous puissions faire en sorte que cette révision puisse être votée dans les délais les meilleurs par le Parlement.

M. le Président : Compte tenu de l'accord que nous donne le ministre sur la distribution aux membres de la Commission spéciale de l'avis du Conseil d'Etat, ce qui n'est pas dans la tradition car le Conseil d'Etat délivre des avis au Gouvernement, je souhaite qu'au regard du sujet extrêmement technique que nous traitons, il soit conservé à titre d'information pour nourrir notre réflexion et ne soit pas utilisé à l'extérieur. Ce serait une mauvaise manière à l'égard du Conseil d'Etat qui le prendrait, à juste titre, assez mal et, de plus, sans intérêt comme l'a dit le Rapporteur. Nous pouvons discuter de cet avis très intéressant qui ne semble pas fixé ne varietur. Certaines choses me semblent aller au-delà des règles qui nous régissent. Chacun l'appréciera et fera profit de cette lecture.

M. Laurent Fabius : J'aimerais apporter une réponse sur les derniers aspects abordés par le Rapporteur, à savoir la question du vote des lois de finances, la date de la période complémentaire, etc. Notre idée serait d'examiner si, dans les modalités de discussions, nous ne pourrions pas gagner un peu de temps pour les lois de finances rectificatives, ce qui aurait toute une série d'incidences. Cela n'est pas facile car nous savons tous que la session d'automne est très chargée. L'exemple que vous avez pris est tout à fait utopique, et nous arrivons à des situations quelque peu absurdes.

En ce qui concerne la période complémentaire, notamment à la lumière des expériences que nous avons les uns et les autres, il me semble qu'il convient de faire la part des choses. Il y a un élément de période complémentaire qui n'est absolument pas choquant. Le fonctionnement de l'Etat ne peut pas s'arrêter instantanément au 31 décembre. Mais ce dont il s'agit est de ne pas utiliser la période du 1er au 31 janvier pour manipuler les comptes. Nous pouvons assez facilement, par la pratique, arriver à une amélioration sans bouger les textes. Comme vous le constaterez d'ailleurs pour l'année 2000, nous avons une pratique qui ne sera pas du tout contestable. Pour l'instant, il n'y a aucune polémique et je pense qu'il n'y en aura pas du tout.

Le deuxième point concerne la sincérité de la loi de finances. Là nous devons réfléchir car, d'ores et déjà, le Conseil constitutionnel est amené à juger de la sincérité des lois de finances soumises à son examen. Faut-il mettre un article et quelle en sera la signification exacte ? Si cela signifie transparence, bien évidemment il faut s'assurer de la transparence des hypothèses, des prévisions, des moyens de vote, etc.  Mais si cela signifie que l'exécution doit être exactement conforme à la prévision, c'est une autre paire de manche, car personne ne peut l'assurer. Il est donc indispensable de bien réfléchir avant de faire figurer une telle proclamation, certes très séduisante en tant que position de principe, mais dont on doit s'interroger sur la nature si cela devient du droit positif. Pour ce qui concerne la transparence, nous sommes d'accord qu'il convient de réfléchir aux moyens de la renforcer.

S'agissant des prélèvements sur recettes, il est nécessaire que vous amorciez une discussion que nous sommes prêts à continuer avec vous, dans cette enceinte ou ailleurs, car nous pouvons tout à fait discerner les différentes phases. Si, d'un coté, il est dit que les prélèvements sur recettes ne sont pas constitutionnels, mais que d'un autre côté, nous ne voulons pas toucher à l'article 40, pour vous, mesdames et messieurs les parlementaires, cela se traduit concrètement par une diminution assez forte de votre pouvoir d'amendement. Au regard du nombre d'amendements déposés en cours d'exercice, soit en pourcentage, soit en nombre, si nous enlevions cela, toute une série de vos amendements tomberait. C'est un point sur lequel il faut agir avec précaution. Peut-être serait-il préférable que vous en discutiez, au préalable, entre vous et qu'ensuite nous entamions une discussion très pratique, avant de lancer de grandes déclarations qui se tourneraient, à un moment donné, contre les droits du Parlement. Peut-être sur les programmes, Mme Parly souhaite-t-elle apporter un complément d'information ?

Mme Florence Parly : Le Rapporteur a très bien résumé le problème. Nous sommes au c_ur du sujet lorsqu'il est indiqué que l'objectif est de rendre le plus possible fongible les moyens dont sont responsables les gestionnaires. Ceci permet d'avoir un ensemble large - c'est-à-dire les programmes - dans lequel cette fongibilité s'exerce. Par ailleurs, il ne s'agit pas de créer une forme d'autorisation parlementaire qui serait déconnectée du monde réel.

Nous sommes d'accord sur les orientations. Ce qui importe maintenant, c'est de nourrir notre réflexion commune à l'aide d'exemples, J'ai modestement essayé de faire cet exercice devant vous. Ce travail n'est pas achevé, il faut aller plus loin, développer des expérimentations et surtout poursuivre la discussion sur ce point, car c'est vraiment au c_ur de notre réforme.

M. Jean-Pierre Delalande : Nous sommes d'accord, dans l'opposition, sur l'ensemble des objectifs, à savoir l'efficacité budgétaire, la lisibilité des budgets et la crédibilité de ces trois déclinaisons : l'autorisation que donne le Parlement au Gouvernement, le contrôle et la sincérité des comptes.

Cela dit, j'aurai quatre questions et deux remarques à faire. En ce qui concerne les débats, comme vous, M. le ministre, j'estime que nous devrons modifier nos procédures de débat budgétaire. Une première partie, plus politique et plus compréhensible, pourrait accueillir le Premier ministre, le ministre des finances et le secrétaire d'Etat au budget, qui assurent l'essentiel des choix. Dans une deuxième partie, le débat porterait sur la déclinaison par ministère avec, au sein de chacun des ministères, les programmes.

En ce qui concerne le débat de la loi de règlement, je souhaiterais faire quelques propositions. Pourrait-on envisager, lors de la séance de printemps, un examen de trois dispositifs :

- la loi de règlement de l'année n-1, avec les comptes de fin d'exercice ;

- un débat d'orientation du règlement de l'année n qui soit, pour nous, un rendez-vous en milieu d'année de l'exécution du budget en cours. Cela nous donnerait l'occasion de réorienter des missions dont le Gouvernement s'apercevrait qu'il ne peut les mettre en _uvre ou qu'il doit les réorganiser. Ainsi ce dispositif permettrait au Gouvernement de conserver sa souplesse de travail, tout en gardant un sens au rôle d'autorisation du Parlement ;

- un débat d'orientation budgétaire revalorisé pour l'année n+1, qui ne soit pas simplement une conversation aimable et sympathique entre le ministre, la majorité et l'opposition sur les prévisions économiques.

Comment réagissez-vous à ces propositions ?

En ce qui concerne les recettes, reconnaissez qu'actuellement le principe d'universalité budgétaire est bien mis à mal. Certaines recettes vont à l'Etat, d'autres à la Sécurité sociale, depuis l'instauration heureuse des lois de financement de la Sécurité sociale. La loi de finances initiale ne peut plus envisager toutes les recettes. De plus, la loi de financement, voire un collectif comme nous l'avons vu fin 2000, en prévoit d'autres qui se répartissent entre les deux.

Les choses peuvent être rendus plus lisibles de deux façons. La première est de dire que des recettes sont affectées à l'Etat et d'autres à la Sécurité sociale. Cela me parait néanmoins relativement difficile. A titre d'exemple, dans le cadre de la CSG, nous rencontrerons forcément des cas pour lesquels le Gouvernement indiquera qu'il vaut mieux tel pourcentage pour la Sécurité sociale, mais qu'il a besoin de tel autre. Ne serait-il pas plus simple de considérer que toutes les recettes fiscales vont à l'Etat, ce qui est vraiment le principe d'universalité budgétaire, et qu'ensuite interviennent les prélèvements sur recettes. Nous retombons là sur l'avis du conseil d'Etat que nous allons devoir examiner de très près. Reconnaissez qu'il serait beaucoup plus lisible et démocratique de dire que toutes les recettes vont à l'Etat, puis qu'une partie va aux Communautés européennes, aux collectivités locales, à la Sécurité sociale et aux autres établissements qui ne relèvent d'aucune de ces trois premières séries de dépenses. Dans le système actuel où les impôts se répartissent, nous sommes obligés d'élaborer des tableaux complexes avec force flèches. Par ailleurs, il serait indiqué que nous disposions d'une annexe récapitulant les impôts. Le rôle du Parlement est fondamentalement celui d'autoriser l'impôt. Quelle est votre réflexion sur cette deuxième série de propositions ?

La troisième série de propositions concerne les programmes, qui forme le c_ur de la réforme. Il est incontestable que si nous voulons que l'Etat et les gestionnaires se sentent davantage responsables, il faut davantage de fongibilité. Mais on ne peut s'en tenir aux seuls programmes dans la notion, non pas de contrôle, mais d'autorisation. Vous nous dites que nous allons passer de huit cent quarante chapitres à cent ou cinquante programmes, que nous voterons sur les programmes et qu'ensuite le gestionnaire sera responsable de son fonctionnement. Peu importe que ce soit des dépenses de fonctionnement ou d'investissement, la seule limite que vous mettez concerne le personnel.

Pour ma part, j'estime très honnêtement que l'on doit rentrer dans un degré de détail qui ne donne pas l'impunité au Gouvernement, mais qui ne le rende pas non plus impuissant dans ses actions. Entre impunité et impuissance, reconnaissez que l'éventail de possibilités est relativement large. Or, si je me réfère à vos propos, une très large impunité est donnée au Gouvernement. Une fois le programme voté, le Gouvernement peut faire ce qu'il veut à l'intérieur. Quelle possibilité le Parlement a-t-il d'orienter même une mission ?

Vous nous dites, Mme la secrétaire d'Etat, qu'il y a deux compensations, dont le débat sur les missions, mais comme il y a fongibilité totale et que nous sommes liés par l'article 40, notre débat sera un débat aimable d'orientation, mais sans aucune concrétisation matérielle en ce qui concerne les personnels, les moyens d'intervention et d'investissement, les engagements en termes d'emprunt. Cela ne me parait pas possible.

Ensuite, vous nous dites que la deuxième compensation est le débat a posteriori, mais dans ce cas, tout est déjà en place. Nous ne pouvons rien modifier ou aider au Gouvernement à réorienter. Or, d'un autre côté, nous ne pouvons qu'entériner par la loi de règlement. Il me semble qu'il y a là moyen de trouver des solutions. Pour avoir travaillé sur ce sujet, je sais qu'il existe certaines pistes qui peuvent permettre d'éviter ces deux écueils et qui correspondent à un changement de rapports entre le Gouvernement et le Parlement.

Le Gouvernement, dans ses positions régaliennes, propose et ne reste plus au Parlement qu'une seule solution, celle d'autoriser ou non. Ce n'est plus ainsi que cela doit fonctionner. Il y a un besoin d'échange entre le Gouvernement et le Parlement, dont l'intérêt pour le Gouvernement est d'éviter des erreurs. Il me semble que l'on peut imaginer une nomenclature de débat qui soit plus conforme à la vie réelle des différentes administrations et qui permette, par exemple, la fongibilité en ce qui concerne les crédits de personnel, avec la limite que vous indiquez. Encore qu'il suffit d'augmenter le budget de personnel, dans la présentation, et on se donne la marge de man_uvre.

Néanmoins, imaginons que le Parlement vote des crédits de personnel, d'où fongibilité au sein du personnel. J'ai apprécié notamment, M. le ministre, que vous assortissiez ces crédits de grilles, sans entrer trop dans le détail. Nous sommes d'accord sur le fait que le Gouvernement puisse jouer sur les différentes catégories de personnel et réorienter en fonction des besoins au cours de l'année.

Puis nous abordons le point sur la fongibilité au sein des crédits de fonctionnement hors personnels, avec lequel nous sommes tout à fait d'accord. Enfin, le Parlement, s'agissant des actions ou missions, en tout cas un détail d'orientation du ministère au sein des programmes, se positionnerait, quitte à apporter des modifications, en cours d'année, notamment à l'occasion de ma proposition d'un débat d'orientation sur le règlement de l'année n du budget.

Ainsi, nous concilions à la fois souplesse de gestion pour le Gouvernement, et respect de l'autorisation et du contrôle de l'autorisation par le Parlement. Je voudrais savoir comment le Gouvernement réagit à ces propositions.

Je n'évoquerai pas les autres questions qui mériteront notre réflexion et qui touchent notamment à la fongibilité entre fonctionnement et investissement. Nous sommes d'accord sur ce point, mais dans une certaine fourchette. En effet, la tendance sera toujours de résoudre les problèmes d'urgence avec les crédits que nous avons et risquer ainsi d'hypothéquer le long terme, c'est-à-dire l'investissement. Il me parait raisonnable qu'il y ait une certaine souplesse, mais non pas une fongibilité totale. Nous sommes aussi gardiens et garants d'un certain nombre d'actions sur le long terme. Non pas que le Gouvernement soit accusé d'irresponsabilité en la matière, mais la tentation est forte... Maintenons le cap. Il faut qu'on vous y aide au Parlement.

Concernant l'application de la nouvelle ordonnance, le ministre nous avait indiqué, dans une déclaration précédente, qu'elle pourrait intervenir dès 2002 sur certains aspects. Or maintenant vous indiquez 2004 pour l'essentiel. Nous comprenons fort bien que la mise en place des nouvelles nomenclatures prend du temps. Puis, de son côté, la direction du budget nous indique 2006, ce qui nous semble éloigné dans le temps. Serait-il possible d'ajuster cela de façon que l'application intervienne à un horizon lisible et compréhensible pour nous ?

Je terminerai par deux remarques. Je crois, comme notre Président et notre Rapporteur, que nous devons effectivement modifier notre mode de travail en commun, et les relations entre le Gouvernement et le Parlement, au sein de la Commission des finances et en séance publique. Nous devons faire le point des modifications à apporter au règlement intérieur de l'Assemblée nationale.

Ma dernière remarque concerne l'article 40. Il est normal de se donner des buttoirs d'emblée. Toutefois, plus nous avançons en essayant d'être le plus honnête possible dans la démarche de la présentation du budget d'abord par le Gouvernement, de l'autorisation, de l'exécution puis du contrôle, et de nous rapprocher de la réalité et de la vie, tout en gardant les marges de man_uvre et les responsabilités de chacun, on constate que l'article 40 est très autobloquant. Il me semble dommage d'avoir dit d'emblée que nous ne toucherions pas à cet article. Au contraire, il ne serait pas considéré comme irresponsable de l'aménager. C'est l'aboutissement d'un processus de réflexion. On pose des principes, puis on se trouve coincé car on ne peut plus faire rentrer ce qui nous parait être de bonnes réformes dans les contraintes que nous nous sommes données. Il aurait été préférable d'examiner d'abord ce à quoi on aboutit et qui nous parait raisonnable et d'en tirer la conséquence juridique qu'il conviendra d'aménager l'article 40 dans ce domaine. Cela me semble être la démarche la plus raisonnable.

J'ai bien entendu les déclarations du Président de la République et du Premier ministre, j'ai beaucoup d'estime pour l'un et pour l'autre, mais ont-ils autant creusé techniquement le sujet que les quelques-uns que nous sommes autour de la table ? Je n'en suis honnêtement pas certain. Ce ne serait pas se renier, ni pour l'un ni pour l'autre, que de constater après un long débat qu'il conviendrait, sans donner la possibilité au Parlement par la Constitution, de redevenir irresponsable comme il l'était sous la IVème République, d'aménager les procédures de telle sorte que les échanges entre le Gouvernement et le Parlement soient plus fructueux.

M. le Président : Merci. Je voudrais faire deux remarques en ce qui concerne l'article 40. Si nous nous étions approchés de cette question, dans le cadre de notre réflexion, ma conviction est que nous aurions échoué dans notre démarche.

M. Jean-Pierre Delalande : Nous pourrions le faire progressivement.

M. le Président : Permettez-moi de vous rappeler que des rythmes démocratiques dans notre pays permettent d'envisager la réforme des institutions. Là où je rejoins Jean-Pierre Delalande, c'est que s'il résulte de nos travaux, la nécessité à terme de poser le problème de l'article 40, la proposition pourra être faite, par les uns ou les autres, y compris par ceux qui aujourd'hui défendent l'article 40 et peuvent tout à fait changer d'avis.

Par ailleurs, nous pouvons toujours chercher des boucs émissaires à l'extérieur de cette maison, car il y en a sans doute, mais je me dois de vous rappeler que nous avons, dans notre règlement, la possibilité d'agir et d'intervenir, et notamment une responsabilité fondamentale qui est celle d'exercer un contrôle sur l'activité Gouvernementale. De grâce, chers collègues, mettons en _uvre ces possibilités. Certes quelques-uns me diront que nous n'avons pas toujours suffisamment de moyens pour le faire, c'est vrai, mais je suis prêt à engager une réflexion sur le plan des moyens mis à disposition des parlementaires.

Toutefois, s'agissant de vos questions sur le contrôle a priori et a posteriori, et le suivi des programmes, si nous mettons en _uvre cette activité de contrôle de l'action du Gouvernement, nous allégerons d'autant le débat surréaliste et factice qui a lieu en séance publique ; ma conviction est que nous serions beaucoup plus efficaces. Mon souhait serait que nous utilisions les moyens que nous donne le règlement de l'Assemblée nationale. Il n'est pas nécessaire de réformer chaque jour pour être efficace. Il suffit d'utiliser les moyens dont on dispose déjà. Si nous les oublions, nous arriverons à un constat d'une grande tristesse en ce qui concerne l'action du Parlement.

M. le Rapporteur : Non seulement le règlement de l'Assemblée nationale, mais aussi la loi.

M. le Président : Bien sûr, la loi elle-même. Si nous laissons les coudées franches à ceux qui _uvrent au quotidien dans l'action Gouvernementale, la tentation pourrait être de se débarrasser au maximum d'un contrôle tatillon que pourrait exercer la sphère parlementaire sur l'activité Gouvernementale. Nous devons également utiliser ces moyens et non pas seulement viser Bercy ou je ne sais quelle administration qui serait responsable de tous nos maux. Souvenez-vous, chers collègues, des retombées médiatiques de la "descente", effectuée il y a peu, par le Rapporteur général au ministère des finances pour contrôler un certain nombre de livres.

M. le Rapporteur : D'autres peuvent également le faire.

M. le Président : Tout à fait, nous avons tous cette responsabilité. Bien évidemment, cela suppose que l'on envisage mieux la répartition des rapports entre l'opposition et la majorité pour qu'il y ait le respect d'un certain équilibre.

M. Philippe Auberger : Mon propos ira dans le même sens que celui de mon collègue, Jean-Pierre Delalande. Nous poursuivons un double objectif. Il s'agit tout d'abord de réformer les procédures de l'Etat, notamment en ce qui concerne la responsabilité des fonctionnaires, un contrôle a posteriori plus efficace plutôt qu'un contrôle a priori, et afin de développer des initiatives dans le cadre de programmes. Tout ceci va dans le bon sens et on ne peut que l'approuver. Cela étant, il ne faut pas oublier que l'ordonnance de 1959 vise à réguler un processus budgétaire qui est un élément essentiel de la politique économique et financière du Gouvernement. C'est un autre aspect essentiel. Curieusement, je ne me souviens pas l'avoir entendu dans le propos du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Sur deux points, j'aurais aimé avoir son avis. Le premier est qu'il est absolument indispensable de présenter un projet de budget dans le cadre de comptes publics consolidés. En effet, cela est nécessaire, d'une part, au regard des règles de Bruxelles et du contrôle prévu dans le cadre du pacte de stabilité depuis que fonctionne l'euro et, d'autre part, pour assurer une certaine cohérence entre le projet de loi de finances et la programmation pluriannuelle.

La programmation pluriannuelle, qui nous est présentée maintenant depuis deux ans, est une programmation de l'ensemble des finances publiques. Tout cela exige une certaine harmonisation par rapport aux règles des autres membres de l'euro pour pouvoir procéder à des comparaisons. Cela demande un effort conceptuel et juridique qui doit être fait dans le cadre de la réforme de l'ordonnance de 1959.

Le deuxième point sur lequel j'ai été étonné de ne rien entendre est la notion d'équilibre budgétaire. On a parlé d'amortissement et de provisions. Il y a là un point fondamental qu'on ne peut ignorer dans le cadre de cette réforme. Certains pays ont même mis l'équilibre budgétaire dans leur constitution, mais tout dépend de la notion d'équilibre retenue. Je ne crois pas qu'il faille aller jusque là. L'OCDE élabore maintenant des analyses très fines sur les déficits structurels et conjoncturels.

Il nous faut néanmoins admettre que le budget de l'Etat est un élément important de la politique conjoncturelle, mais que ceci ne doit pas entraîner une accumulation de déficits sans contrôle. Il me semble qu'il y a là une notion qui demande à être cernée et qui ne peut être passée outre, dans le cadre de la réforme de l'ordonnance de 1959. Nous devons redéfinir les conditions de présentation du budget et les limites dans lesquelles il doit être équilibré ou déséquilibré.

J'en arrive au troisième point. Le budget est d'abord une autorisation. Il est vrai que certains de nos collègues, Rapporteurs spéciaux, ne font pas tout ce qu'ils devraient en ce qui concerne le contrôle et la présentation même de leur rapport. Moi-même qui suis encore Rapporteur spécial, j'ai tenté, compte tenu d'une certaine connaissance des procédures administratives et d'une certaine technicité du contrôle, d'exercer mes responsabilités. Je m'inscris toujours dans une logique de programme à la lumière de laquelle j'examine les dépenses au regard des objectifs à atteindre. Par exemple, je suis allé en Polynésie, en juillet dernier, où j'ai examiné les objectifs des dépenses dans le cadre de l'après-Centre d'essais du Pacifique. Rappelons que les dépenses d'investissement en la matière s'élèvent à 650 millions de francs. J'ai examiné de façon précise les objectifs, la manière dont ils étaient suivis, s'il y avait une évaluation, des programmes, etc. J'ai effectué ce même travail en Nouvelle-Calédonie, dans le passé dans le domaine de la justice, mais il peut être décliné dans tout domaine.

Toutefois nous butons sur un point, à savoir qu'il n'y a pas de pouvoir d'amendement sur la deuxième partie de la loi de finances. D'où la difficulté d'intéresser nos collègues au débat, comme sur la première partie où nous avons réussi à nous ménager un pouvoir d'amendement. La sanction du vote du Parlement en deuxième partie ne peut être que soit refuser le budget, soit l'accepter. Il n'y a pas d'état intermédiaire à l'heure actuelle.

Il me semble que nous devons absolument, même en dehors de toute réforme de l'article 40, nous ménager des pouvoirs d'amendement. C'est ainsi que le dialogue avec le Gouvernement sera vigoureux et constructif, et que le Parlement pourra, sur un certain nombre de points, faire prévaloir son point de vue. Aucune solution ne peut envisager autre que celle de restaurer le pouvoir d'amendement en ce qui concerne la deuxième partie de la loi de finances.

Nous avions progressé, avec le groupe de travail présidé par Laurent Fabius, en indiquant qu'il fallait supprimer la notion de services votés et de mesures nouvelles, et faire un vote global par titre et par ministère. Cela permettait alors d'effectuer des réaffectations au sein des mêmes titres, tout en contribuant à une certaine fluidité. Cela ouvrait la possibilité d'un pouvoir d'amendement qui, je pense, aurait pu être accepté par le Conseil constitutionnel dans le cadre de l'article 40.

S'agissant des programmes, s'il n'y a pas un vote des programmes par titre, je ne vois pas comment pourra être restauré, dans le cadre de la Constitution actuelle, ce pouvoir d'amendement. Nous devons réfléchir car si nous n'avons pas la possibilité de réaffecter de l'argent d'un programme à un autre ou d'infléchir la répartition entre les crédits de fonctionnement et d'investissement au sein d'un programme, je ne vois pas à quoi le Parlement servira, à part entériner les programmes ou les refuser complètement. La discussion sera une discussion académique, comme elle l'est à l'heure actuelle, c'est-à-dire sans intérêt.

Lorsque j'avais fait un exposé devant le groupe de travail de Laurent Fabius, j'avais expliqué qu'il existait aux Etats-Unis deux commissions, la commission des voies et moyens qui se charge des grands équilibres recettes et dépenses et la commission de distribution des crédits et dépenses, qui fait l'examen, programme par programme et ministère par ministère. Chacune de ces commissions possède des pouvoirs d'amendement très importants, bien plus que ceux qui sont envisagés pour l'Assemblée nationale française. C'est vers ce type d'approche qu'il faut se diriger pour avancer dans ce domaine.

M. Jean-Jacques Jégou : Je voudrais simplement rappeler que l'opposition confirme, depuis le début de cette discussion, sa volonté d'aboutir. Nous espérons véritablement que nous aurons à traiter, en son temps, la première lecture à l'Assemblée et au Sénat avant notre intermède des élections municipales. Je constate qu'au fil des auditions, nous sommes arrivés à percevoir un paysage avec des mots communs et des volontés communes qui laissent augurer un progrès.

Toutefois, dans l'avancement de nos travaux et singulièrement quelquefois nuitamment avec le Rapporteur, nous avons constaté, sinon les limites, du moins les difficultés d'application. Les propos des ministres et ceux de mes collègues me confirment que certains éléments restent à vérifier. Si tout le monde semble être d'accord sur l'établissement des programmes, j'aimerais néanmoins que l'on puisse préciser la capacité pour le Parlement, au sein des programmes, de proposer des programmes, d'entrer dans les sous-programmes et de pouvoir modifier ces programmes.

En effet, il me semble que nous devons avoir cette capacité de contrôle a priori, non pas dans le but de nous substituer aux gestionnaires mais pour approuver ou refuser un programme en connaissance de cause. Il s'agit d'une véritable autorisation et non pas d'un contrôle.

S'agissant du contrôle, je serais plutôt porté sur un contrôle tout au long de l'année, comme cela est déjà pratiqué par un certain nombre de Rapporteurs spéciaux. Philippe Auberger parlait de son expérience, je parlerai de la mienne sur la formation professionnelle, laquelle pourrait faire l'objet un programme. Ce sujet susciterait certainement un débat, que ce soit de l'opposition ou de la majorité, sur l'efficience de ce programme eu égard au constat que nous pouvons tous faire. La Mission d'évaluation et de contrôle a confirmé les rapports que j'ai commis, pendant quatre ans, sur l'inefficience de la dépense par rapport aux sommes engagées. Malgré tout cela, alors même que j'étais dans la majorité lorsque j'ai préparé ces rapports, cela a suscité de la part du Gouvernement une sorte de volonté de calmer le jeu avec les organisations syndicales et les partenaires sociaux. J'ai même dû, dans certains cas, raser les murs et lorsque j'ai effectué quelques contrôles sur pièce et sur place, j'ai eu droit à des alertes à la bombe afin de me faire quitter rapidement les lieux.

On constate que même avec des Rapporteurs, fussent-ils de la majorité, et une Mission d'évaluation et de contrôle qui ont travaillé dans le consensus opposition/majorité avec notre collègue Bapt sur la formation professionnelle, rien n'a bougé. Cela demande que le Parlement puisse se doter de moyens d'évaluation et de comparaison, pour vérifier l'efficience de cette politique.

Il me parait nécessaire que nous nous mettions d'accord, au moment de ce vote sur la réforme, sur un calendrier de nos débats. En matière financière, il est dommage que l'année ne compte que douze mois car on s'aperçoit qu'il y a l'année n-1, le contrôle en cours, les orientations budgétaires...

M. le Président de l'Assemblée, il est indispensable que nous puissions ensemble voir comment les choses pourraient en réalité fonctionner. Je partage votre souci quand vous dites que l'on s'adaptera en fonction de que l'on aura voté, mais il semble qu'il faudrait le faire concomitamment. Certains de nos collègues n'ont pas toujours l'habileté de la Commission des Finances, certaines interventions prolongent la discussion, des impératifs politiques de liturgie font que certains moments sont très longs pour tous et qu'au final, en fait, il ne s'est pas passé grand chose.

Peut-être pourrions-nous envisager, en même temps que le vote pourrait avoir lieu sur la réforme de l'ordonnance de 1959, une répétition afin d'évaluer la façon dont les choses pourraient se dérouler tout au long de l'année et non pas d'avoir des temps forts. En effet, sur le plan du logement de notre travail, ce sont des temps difficiles pour les parlementaires qui sont en nombre de plus en plus réduit à s'intéresser à ce débat.

Pour conclure, je souhaiterais que l'on clarifie cette affaire de prélèvement sur recettes car il ne faudrait pas que nous ayons de mauvaises surprises. Il conviendrait de purger ces prélèvements sur recettes, par éventuellement une appellation différente. Si l'on prend l'exemple du prélèvement européen ou des subventions aux collectivités locales, pourquoi sont-ils un prélèvement sur recettes ? Il n'est pas possible de rester dans cette configuration car nous sommes dans un flou artistique. Peut-être serait-il judicieux d'utiliser cette réforme pour tenter d'affiner et de voir si on ne peut faire évoluer simultanément cette appellation qui n'est pas forcément contrôlée.

M. Jérôme Cahuzac : J'ai été très intéressé par les propos déjà tenus, notamment ceux de Philippe Auberger, qui dans sa première partie, a suscité chez moi une certaine inquiétude et dans la deuxième, une grande approbation. L'inquiétude est relative au déficit budgétaire. Il ne s'agit pas, dans cette Commission, d'apprécier la légitimité ou non d'un éventuel déficit budgétaire. Certains y voient le mal absolu, d'autres un moyen commode à l'occasion. Il serait dommage, pour la sérénité qui règne dans les travaux de cette Commission, de trancher cette question entre nous. Pour ma part, j'y verrai beaucoup plus une source de blocage qu'une façon d'avancer de façon intéressante vers le but qui nous est commun. J'aimerais savoir si vous partagez ce point de vue.

Quant à la deuxième partie de l'intervention de M. Auberger, elle reçoit une approbation sans réserve de ma part. Il nous faut trouver, sous peine de voir le Parlement se tirer une balle dans le pied, une façon de modifier les programmes. Autrement dit, selon vous, la transformation d'un programme de 1000 en deux programmes de 500 ou quatre programmes de 250, ou la transformation de quatre programmes de 250 en un programme de 1000 tomberait-elle ou pas sous l'article 40 ? Si oui, il nous faut trouver quelle chose ; si non, dites-le nous et continuons à avancer sans exprimer des peurs qui, en l'espèce, s'avéreraient être plus des fantasmes.

Le deuxième type de questions est relatif aux comptes d'affectation spéciale, que notre Rapporteur souhaite voir supprimer. J'aimerais savoir si, selon vous, une alternative pourrait être envisagée qui verrait ces comptes d'affectation spéciale maintenus, étant entendu que seul le Parlement, y ayant affecté ces sommes, pourrait en distraire l'objet pour un autre objet et rompre ainsi avec la pratique actuelle qui fait que ce que l'on croit affecté à tel projet peut être détourné, d'une certaine manière, pour d'autres. Un compte d'affectation spéciale dont le Parlement maîtriserait l'objet serait finalement un outil d'une très grande transparence.

Le troisième type de questions n'est pas relatif à l'ordonnance de 1959 mais à celle de 1996. Envisageriez-vous favorablement des dispositions modifiant l'ordonnance de 1996, en particulier l'introduction, dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale, de la CRDS et de la CADES qui, aujourd'hui, ne font pas partie de l'ordonnance de 1996 du projet de loi de financement de Sécurité sociale, ce qui est objectivement une anomalie ?

Par ailleurs, pourriez-vous envisager une méthodologie permettant que le travail s'effectue dans des conditions plus favorables qu'aujourd'hui ? En effet, on voit les parlementaires concernés courir d'une loi de finances en première lecture à un projet de loi de financement de la sécurité sociale en première lecture, et puis d'un projet de loi de financement de la sécurité sociale en deuxième lecture à une loi de finances en deuxième lecture, tout cela entrelardé de lois de règlement, de collectifs et autres. Bref, de voir le projet de loi de financement de Sécurité sociale considérer comme votées des dispositions qui ne le sont toujours pas, tenir compte de produits comme étant des recettes qui in fine s'avèrent ne pas être des recettes... Je ne reviendrai pas plus longuement sur les travers que nous connaissons dans ce système de relations très complexes entre loi de finances et projet de loi de financement de Sécurité sociale, relations qui à l'évidence ne contribuent ni à la transparence, ni au rôle du Parlement.

Mme Florence Parly : En premier lieu, je voudrais m'arrêter un instant sur un constat dont je me félicite personnellement, c'est qu'au fond nous sommes très largement d'accord sur les objectifs qui viennent d'être énoncés et que vous venez de rappeler. Au-delà même des objectifs, ce qui n'est déjà pas une mince chose, je note également que nous sommes d'accord sur la méthode parce qu'en ces matières, ce dont il est question, c'est d'une réforme organique. Je crois, en effet, que la clef de la réussite réside dans le fait qu'il s'agisse d'une démarche véritablement conjointe, dont le Parlement a eu l'initiative mais à laquelle - les débats d'aujourd'hui en témoignent - le Gouvernement répond très activement présent. Nous verrons si finalement nous aboutissons. C'est, en tout cas, ce que personnellement je souhaite.

C'est une réforme extrêmement ambitieuse, mais dans le même temps, on sent dans vos propos qu'elle pourrait aussi pêcher par défaut d'ambition, au moins dans deux domaines : l'article 40 et l'articulation projet de loi de finances/projet de loi de financement de la sécurité sociale.

Sur l'article 40, par rapport au problème du prélèvement sur recettes au profit des collectivités locales, qui est certainement un des points d'entrée dans la discussion sur le droit d'amendement des parlementaires, nous partageons pleinement les objectifs du Parlement, c'est-à-dire que nous ne souhaitons pas que nos tentatives de réforme aient pour conséquence d'amoindrir ce droit d'amendement.

En ce qui concerne l'articulation projet de loi de finances/projet de loi de financement de la sécurité sociale, nous ne nous sommes pas fixés comme objectif a priori de modifier la loi organique de 1996, considérant que le chantier que nous ouvrions conjointement est déjà tout à fait important. Pour pouvoir néanmoins avancer dans le sens d'une meilleure information et donc d'une meilleure compréhension du Parlement sur ce qu'il vote dans des textes distincts dans le prolongement de ce que nous avons commencé avec le projet de loi de finances et le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2001, nous pouvons sans doute nous fixer comme objectif de recenser, de matière exhaustive, toutes les recettes et impositions de toutes natures affectées à des personnes morales autres que l'Etat. Cela formerait ensuite un document qui serait annexé au projet de loi de finances.

En la matière, il me semble difficile de suivre le raisonnement tel que M. Delalande l'a développé, qui consisterait à affecter par principe, au-delà de cette information, toutes ces recettes à l'Etat, sans préjuger ensuite du sort réservé à ces recettes en termes d'affectation entre les collectivités locales, la Sécurité sociale et d'autres personnes morales. Quand bien même nous voudrions, dans un premier temps, le circonscrire uniquement à la question des recettes de l'Etat et de la Sécurité sociale, pour reprendre le propos de M. Jérôme Cahuzac, on se fixe là un objectif extrêmement ambitieux.

Pour ma part, il me semble préférable de déjà réussir ce sur quoi nous travaillons actuellement, d'autant que nous savons que l'autorisation donnée dans le cadre du projet de loi de finances, s'agissant de l'Etat, et du vote émis par le Parlement, s'agissant des régimes de Sécurité sociale dans la loi de financement de Sécurité sociale, ne sont pas exactement de même nature.

S'agissant de l'Etat, nous sommes et le resterons dans un principe d'autorisation limitative avec des plafonds de crédit, quelle qu'en soit ensuite l'agrégation. S'agissant de la Sécurité sociale, nous sommes face à une multiplicité d'acteurs et dans un mécanisme pas du tout limitatif. Ce sont des dépenses évaluatives. Cette différence forte de nature des exercices me conduit à penser que soit la fusion du projet de loi de finances et du projet de loi de financement de la sécurité sociale, soit un principe d'affectation de la totalité des impositions de toutes natures à l'Etat, avant la rétrocession d'une partie à telle ou telle entité, ne me paraissent pas, à ce stade, très praticables.

En revanche, je suis tout à fait favorable à ce que le Parlement, lorsqu'il vote sur le budget, ait une vision exhaustive de l'ensemble des impositions de toutes natures et de l'affectation réservée à ces impositions.

Je reviens sur les points abordés successivement par les orateurs. S'agissant de l'organisation des débats, une proposition a été faite pour essayer d'avoir le plus tôt possible dans l'année une discussion portant à la fois sur le passé, le présent et le futur. La discussion sur le passé concerne la loi de règlement n-1. Nous avons fait des efforts importants pour que cette loi de règlement puisse être désormais déposée au plus tard au 1er juin d'une année. Je crains que l'anticipation d'un mois, voire de deux par rapport à cette date du 1er juin, ne crée des difficultés très importantes pour finaliser la fabrication de ce document. Il me semble qu'à ce stade, il faut pleinement utiliser les possibilités qui sont ouvertes par le fait que nous présentons une loi de règlement dès le 1er juin.

Sur le fait de pouvoir débattre, dès le printemps, de l'exécution en cours, cela est possible puisque nous avons de toute façon le débat d'orientation budgétaire dont j'espère qu'il n'est pas perçu par la totalité des parlementaires comme une simple conversation agréable de salon, mais comme un rendez-vous où le Gouvernement expose de manière sérieuse ses intentions pour l'avenir n+1. Cela suppose aussi un retour sur le présent, c'est-à-dire une analyse approfondie de ce qu'est la conjoncture du moment, des inflexions qui pourraient y être apportées au plan macro-économique et au plan budgétaire.

Peut-être y a-t-il insatisfaction sur ce point, mais nous avons matière à améliorer ce débat, sans apporter nécessairement des modifications très profondes à ce qu'est notre droit organique. Ceci me conduit néanmoins à préciser un point qui n'a peut-être pas beaucoup été développé dans nos interventions. C'est le fait que, dans la proposition de loi rédigée par le Rapporteur, il y a le souci de bien articuler cette démarche budgétaire annuelle dans une démarche pluriannuelle.

Nous n'avons pas encore mis au point les rédactions de manière précise et parfaite, mais nous savons que nous ne sommes pas loin d'un résultat satisfaisant. Il est important que nous puissions inscrire, dans ce texte futur, le fait que nous présentons à la Commission européenne un programme de stabilité, lequel programme couvre les années futures. Il ne s'agit donc pas de réduire cet exercice à un exercice de vote annuel sur des crédits, mais bien inscrire ce débat dans la pluriannualité qui est souhaitable pour la bonne compréhension, par le Parlement, de la politique économique et budgétaire. Cela nous est demandé par la Commission européenne et par nous-mêmes, d'une certaine manière, lorsque nous avons souhaité renforcer la convergence des politiques économiques au niveau européen.

M. Auberger a indiqué qu'il serait souhaitable que nous puissions présenter nos comptes publics de manière consolidée, notamment en raison de ce souci de répondre à une exigence européenne. Nous tentons d'ores et déjà de le faire puisque nous présentons, dans le cadre du rapport économique, social et financier, des comptes consolidés. Ce document constitue bien une annexe du projet de loi de finances, et il n'y a aucune raison de reculer par rapport à l'existant. Là où nous pouvons progresser, c'est dans la plus grande affirmation de l'inscription de notre démarche budgétaire annuelle dans un cadre pluriannuel européen.

Il a ensuite été question de responsabilités. Vous êtes revenus, les uns et les autres, sur le point nodal qui est l'articulation entre l'autonomie de gestion souhaitable, qui serait donnée aux gestionnaires de terrain, et la nécessité, pour le Parlement, de continuer à donner une autorisation au Gouvernement qui ait un sens. Comme je l'ai indiqué tout à l'heure, il faut trouver des solutions pragmatiques. Or je n'ai articulé aucune solution pour l'instant, seulement des questions lorsqu'en conclusion de mon propos, j'indiquais qu'il conviendrait de réfléchir à un moyen pour que le Parlement dispose d'un droit d'amendement sur la définition du programme, sa composition et la redéfinition éventuelle des sous-programmes. Il y a toute une série de questions auxquelles je ne suis pas sûre de pouvoir apporter des réponses devant vous ce soir. J'ai conscience que c'est un point tout à fait essentiel à vos yeux et je suis absolument certaine que c'est là-dessus que porteront tous nos efforts, avec votre Rapporteur, afin que nous puissions vous faire des propositions qui satisfassent les deux exigences que vous avez de vous-même placé, d'une certaine manière, au même niveau, c'est-à-dire donner une vraie latitude d'action aux gestionnaires, car c'est la condition d'une amélioration de la gestion publique et donc de l'acceptabilité, au final, de l'impôt par nos concitoyens, et le nécessaire contrôle du Parlement, au sens autorisation préalable.

Vous avez évoqué plusieurs possibilités, l'idée étant de spécialiser les crédits de fonctionnement et d'investissement. Il me semble que nous pourrions étudier l'idée de spécialisation, dans un premier temps peut-être, au niveau des titres. Je ne sais pas s'il faut se fixer cet objectif en l'inscrivant dans le marbre, c'est-à-dire en considérant que ce serait la règle, ou de manière temporaire, en considérant qu'aujourd'hui tous les ministères ne se situent pas dans une situation d'égalité quant à leur capacité à mettre en _uvre les objectifs que nous assignons collectivement. Certains sont plus prêts que d'autres à le faire. Par conséquent, dans le cadre de cette période transitoire, nous devrons tenir compte de cette inégalité de fait dans la préparation des ministères à rendre compte de leurs missions, en fonction d'objectifs et d'indicateurs de résultat. Il y a là des marges de progression dans les discussions que nous mènerons dans les jours qui viennent avec la Commission et vos administrateurs.

S'agissant du calendrier, 2004 vous semblerait préférable à 2006. J'entends bien et je confirme qu'il s'agit de 2004, car en 2004 et début 2005, nous préparerons le budget 2006. En fait, ce qui est en cause, c'est la date à laquelle s'achève la période transitoire, mais nous savons fort bien que nous ne préparerons pas le projet de loi de finances pour 2006 le 31 décembre 2005, mais bien en amont. Je ne suis pas sûre qu'au stade où nous en sommes, nous puissions prévoir à six mois près la date à laquelle nous pourrons définitivement basculer d'un système dans un autre. Il est néanmoins certain que d'ici 2004, nous avons un certain nombre de choses à faire sur lesquelles je ne m'étendrai pas ce soir, mais que nous pouvons détailler de manière tout à fait précise à la Commission.

Le dernier point sur lequel je me permettrai d'insister, c'est la notion d'équilibre budgétaire évoquée par MM. Auberger et Cahuzac. Il s'agit de ne pas confondre deux éléments. Il convient, sans aucun doute, de se fixer comme objectif d'avoir une lecture beaucoup plus claire qu'elle ne l'est aujourd'hui de l'article d'équilibre. En revanche, s'agissant de la notion d'équilibre budgétaire, nous voyons bien que nous ne sommes pas dans un problème de droit, mais de choix politique et de choix de politique économique, et que ces choix sont explicités par le Gouvernement, dans le cadre d'un certain nombre de rendez-vous qu'il a avec le Parlement. Ces choix sont également explicités dans le cadre des programmes pluriannuels présentés à Bruxelles et auxquels il sera, d'une manière ou d'une autre, fait référence dans la proposition de loi sur laquelle nous travaillons.

L'élément essentiel est que le document sur lequel le Gouvernement travaille lorsqu'il présente un budget au Parlement soit un document compréhensible par le citoyen et traduise bien des choix faits en amont, en termes de politique économique et budgétaire. Toutefois il ne faut pas assigner, à la réforme organique, des objectifs qui relèvent d'une autre sphère.

J'espère avoir à peu près répondu à l'ensemble des questions. J'espère surtout que nous allons pouvoir, dans les quelques jours qui nous restent pour avancer, trouver les solutions qui rassurent les uns et les autres, sur un objectif qui n'a peut-être pas été beaucoup énoncé mais auquel je tiens beaucoup, à savoir la nécessité de maîtriser la dépense publique au sens où nous devons toujours savoir où nous en sommes et où nous allons.

M. le Président : Merci, Madame. Je voudrais d'un mot dire à mes collègues qu'en ce qui concerne cette réforme, nous commencerons à en appliquer les premières mesures, si l'ordonnance est réformée, dès l'automne 2001 pour le budget 2002. Par ailleurs, puisque l'on s'inscrit dans un système de pluriannualité sur trois années, il est clair que la pleine application de la réforme sera 2005 pour le budget 2006. Dès le départ, nous avions estimé, avec le Rapporteur, que cette réforme ne pouvait s'inscrire que sur une durée de trois à cinq ans.

Il est utopique d'imaginer que nous pourrions accélérer le rythme, ne serait-ce qu'en raison du caractère pluriannuel des programmes qui seront présentés et donc de la nécessité de faire le point de ces programmes, au terme de leur achèvement.

*

* *

8.- Audition de M. Francis Berguin,
secrétaire national du SNES-FSU,
représentant de la Fédération syndicale unitaire FSU,

de M. Jean-Louis Butour,
secrétaire de l'Union générale des fédérations
de fonctionnaires CGT,

de M. Roland Gaillard,
secrétaire général de la Fédération générale des
fonctionnaires FO - Union interfédérale des agents
de la fonction publique FO,

de M. Patrick Guyot,
délégué fédéral des fonctions publiques de l'Union fédérale des cadres des fonctions publiques CFE-CGC,

de M. Michel Perier,
secrétaire général de l'Union des fédérations CFDT des fonctions publiques et assimilées,

de Mme Nicole Prud'homme,
déléguée générale de l'INTERFON-CFTC,
Union des fédérations de fonctionnaires CFTC

et de M. Jean-Paul Roux, secrétaire général de l'Union des fédérations de fonctionnaires UNSA

(Extrait du procès-verbal de la séance du 25 janvier 2001)

Présidence de M. Raymond Forni, Président de l'Assemblée nationale, puis de M. Jean-Jacques Jégou, Secrétaire du bureau de la Commission spéciale

M. le Président : Mesdames, messieurs, nous allons ouvrir cette séance de la Commission spéciale qui est, théoriquement, la dernière puisque nous avons épuisé notre programme, et sans doute nos collègues, mais la qualité remplace la quantité.

L'essentiel de nos auditions s'est déroulé sous deux formes : soit par des auditions entre le Rapporteur, les membres qui souhaitaient y assister et ceux que nous recevions, soit en séance publique, la forme importe peu, l'essentiel est évidemment l'expression qui sera la vôtre et dont il sera tenu compte dans le rapport présenté par le Rapporteur.

C'est la dernière séance et nous avons souhaité, pour marquer l'importance que nous accordons aux organisations syndicales représentatives des fonctionnaires, terminer par vous qui êtes les porte-parole des préoccupations de l'ensemble de ceux qui, dans la fonction publique, accompagnent les administrations et accomplissent la tâche d'exécution du budget voté par la Représentation nationale.

Pour éviter de tomber dans des problèmes, je ne dirai pas de susceptibilité, mais de représentativité, je vais vous présenter par ordre alphabétique et vous demander d'intervenir dans le même ordre.

La diversité, dans une réflexion comme celle que nous avons engagée, est utile car elle nous permet de considérer toutes les approches que vous pouvez vous-mêmes avoir ainsi que celles de ceux que vous représentez. Nous avons souhaité recueillir les avis des organisations qui sont, à double titre, évidemment, concernées par la proposition de loi organique relative aux lois de finances, présentée par le Rapporteur il y a maintenant près de 6 mois et qui sera examinée par la Commission spéciale la semaine prochaine en vue d'une discussion prévue en séance publique les 8 et éventuellement 9 février prochains.

Nous venons, le Rapporteur et moi, d'assister à la rentrée solennelle de la Cour des comptes et le Premier président de la Cour des comptes a bien voulu rappeler qu'il y avait eu, depuis près de 40 ans, 36 tentatives de réforme de l'ordonnance de 1959. C'est la 36ème et les 35 précédentes ont échoué de sorte qu'évidemment il y a deux manières de voir les choses :

- optimiste : celle-là réussira ;

- pessimiste : il n'y a aucune raison que nous réussissions plus que n'ont réussi les autres.

Le risque d'échec subsiste évidemment, même si nous pensons que la conjonction des volontés est forte, ici à l'Assemblée, au sein des groupes parlementaires, qui sont convaincus de la nécessité de faire évoluer les choses, et au niveau des institutions de la République, qu'il s'agisse du Sénat et de l'Assemblée nationale, ou au niveau des plus hautes autorités de l'Etat, puisque le Président de la République s'est exprimé, à l'occasion des v_ux, sur la nécessité de doter la France d'une constitution financière. Nous pensons, nous, parlementaires qui vivons le débat budgétaire chaque année à un rythme que je qualifierai de " sacré " - mais ce rythme ne nous fait pas perdre de vue souvent l'inutilité du travail que nous accomplissons, même si je relativise cette critique - qu'il y a des aspects évidemment utiles dans ce que nous faisons. Il suffit de voir avec quelle ténacité les parlementaires s'impliquent dans la discussion budgétaire pour savoir que cela requiert beaucoup de volonté de leur part. Il est donc légitime, compte tenu de cette conjonction, que nous puissions espérer.

Vous êtes directement concernés. Je rappelle un chiffre : les crédits des rémunérations et charges sociales représentent près de 28 % des crédits nets du budget, c'est-à-dire plus d'un quart.

Donc, il est évident que les organisations représentatives des personnels de la fonction publique ont évidemment beaucoup à dire sur le budget, tel qu'il est préparé, discuté et appliqué.

La gestion de ces crédits et des emplois permet de rémunérer les fonctionnaires et représente évidemment un enjeu majeur des finances publiques. Des propositions ont été avancées à cet égard avec la fixation d'autorisations d'emplois par ministère, qui seraient arrêtées par les lois de finance, l'objectif étant d'arriver à une clarification qu'appellent de leurs v_ux l'ensemble des parlementaires. Nous sommes parfois désolés de voir qu'il nous est difficile, à notre niveau, de connaître tout simplement le nombre de fonctionnaires relevant de telle ou telle administration. C'est sans doute difficile, mais il y a certainement des améliorations à apporter. En tous les cas, pour nous qui sommes persuadés de la nécessité de cette réforme, il y a beaucoup à faire et nous pouvons le faire si nous en avons la volonté politique.

Par ailleurs, disons-le aussi, au-delà de la discussion budgétaire, la proposition de loi organique participe d'une volonté de moderniser l'Etat, ce qui n'est pas un objectif totalement absurde, vous en conviendrez, en inscrivant ce budget dans une logique de résultats et non plus strictement de moyens.

Cette modernisation, il n'est possible de la réaliser qu'avec l'ensemble des fonctionnaires et non pas contre eux. Ceux qui ont imaginé que l'on pouvait faire des réformes sans les fonctionnaires ont en général, heureusement, échoué dans leurs entreprises. C'est donc avec les fonctionnaires que cette réforme se fera. Aussi, nous souhaitons savoir comment vous envisagez cette modernisation dont l'objectif simple est évidemment d'améliorer la qualité du service rendu aux citoyens et, d'une manière accessoire mais non subalterne, de permettre une lisibilité pour nous, parlementaires, qui examinons chaque année le budget de la Nation.

Vous aurez bien entendu la parole chacun à votre tour dans l'ordre alphabétique, qui est un ordre logique, à défaut d'être conforme au poids respectif de chacune des organisations.

Je vous remercie bien entendu d'avoir répondu à notre invitation et de l'avoir fait aujourd'hui, à un moment où les organisations syndicales ont sans doute d'autres chats à fouetter, ce que nous comprenons parfaitement. Les actions qu'elles mènent sont évidemment importantes, mais celle-là n'est pas non plus subalterne à nos yeux.

Vous aurez la possibilité de faire connaître au Rapporteur et à la Commission spéciale, puisque les documents sont transmis à l'ensemble des membres de la Commission, votre point de vue sur tel ou tel point significatif dont vous souhaiteriez approfondir la présentation et vous pourrez le faire dans un document qui pourrait nous être adressé. Simplement, si vous avez cette intention, oserais-je vous demander de le faire le plus rapidement possible pour permettre au Rapporteur de ne pas se retrouver avec des documents complémentaires, à quelques heures de boucler le rapport qu'il devra présenter à la Commission spéciale dès la semaine prochaine.

Je vous rappelle également, et je le rappelle à nos collègues qui sont présents, que, sans doute, faudrait-il que nous décalions un peu la date de convocation de la Commission spéciale la semaine prochaine. Il avait été prévu d'organiser l'après-midi du mardi une séance de la Commission spéciale. Il serait peut-être bon que l'on recule cette Commission au soir, si vous en étiez d'accord, mais je prendrai les contacts téléphoniques qui s'imposent pour permettre de vérifier la disponibilité de tout un chacun. Nous pourrions ainsi peut-être nous réunir aux environs de 20 heures, ce qui permettrait de passer un moment convivial d'abord, d'aborder les travaux de la Commission ensuite et de poursuivre éventuellement le lendemain, si c'était nécessaire.

Je vais donc donner la parole à M. Francis Berguin.

M. Francis Berguin : Je vous remercie M. le Président. Je vous présente les excuses de Pierre Duharcourt et de Monique Vuaillat, qui tiennent congrès en la bonne ville de La Rochelle et qui sont retenus par leurs obligations.

Nous ne sommes pas en présence d'un texte anodin et la FSU en est tout à fait consciente. Nous sommes en présence d'un texte qui, nous semble-t-il, est de nature à engendrer un profond remodelage de nos administrations publiques et, finalement, de l'Etat.

C'est un peu la République de demain qui se profile derrière ce texte et qui n'a donc pas, à nos yeux, d'abord un caractère technique.

En introduction, je voudrais évoquer deux idées.

La première : on doit d'abord exprimer un regret. Au-delà des modifications qui nous sont proposées sur la gestion budgétaire, dont certaines nous intéressent, je crois qu'on laisse de côté un problème essentiel qui est la place du Parlement dans la confection du budget. Je parle dans cette Assemblée qui n'ignore pas que nous sommes sous la Vème République, cette dernière faisant au pouvoir exécutif une place tout à fait déterminante dans le fonctionnement de nos institutions, et en particulier dans l'élaboration de la loi de finances.

Je veux évoquer à cet égard l'extravagant article 40 qui fait que notre Parlement est limité, d'une manière tout à fait exceptionnelle sur cette planète, et qui, de ce point de vue, représente un assez clair anti-modèle européen.

La deuxième idée : cette proposition de loi intervient dans un contexte politique précis. Nous savons qu'il y a des débats vifs sur le rôle de l'Etat, sa réforme, sur la protection sociale, sur la gestion de l'Etat autour des thèmes de la décentralisation, de la déconcentration, y compris dans le service public de l'Education nationale, auquel ma fédération est tout à fait attachée, et aussi sur le volume et le poids des dépenses publiques dans la société.

Donc je pense que l'on ne saurait admettre qu'à l'occasion de l'examen d'un texte qui, par sa technicité, risquerait d'écarter finalement la masse des citoyens, l'on tranche de cette manière des débats, des choix, des orientations de nature politique qui vont remodeler le paysage étatique français simplement à travers un débat de spécialistes.

C'est la raison pour laquelle nous avons une lecture politique de ce texte.

Au-delà des aspects techniques qui nous intéressent, nous pensons qu'il faut lire ce projet au travers d'un certain nombre de fils rouges.

J'en ai repéré trois. Le premier est autour des thèmes démocratie, transparence et contrôle, mais aussi dans l'unité de la République ; le deuxième est la place que doit jouer un Etat moderne dans une société en évolution rapide, ce qui renvoie, pour une part, au rôle des services publics, à leur définition, leurs moyens et leurs missions. Derrière la réforme des lois de finance il y a tout cela. Enfin, le troisième, parce que nous sommes aussi une fédération de fonctionnaires, M. le Président, concerne les garanties que les fonctionnaires sont en droit d'attendre, en vertu même de l'article 34 de la Constitution.

Le premier point concerne le thème de la démocratie et de la transparence. A nos yeux, la situation n'est pas satisfaisante. On manque de transparence. Cela fait une vingtaine d'années que je suis responsable des questions budgétaires dans mon syndicat. Tous les ans, je découvre des choses que je ne soupçonnais pas.

C'est l'éparpillement des données budgétaires, c'est le grand laconisme des bleus et des verts sur des choses qui sont parfois tout à fait importantes pour les usagers que nous sommes. A cet égard, je regrette vivement la suppression des blancs, c'est-à-dire des budgets de programmes, depuis quelques années, qui sont remplacés par des agrégats plus que squelettiques. C'est la complexité des nomenclatures, les problèmes de changements de structures qui rendent les comparaisons extrêmement délicates. Nous avons construit un indicateur qui est l'évolution du poids de la dépense de l'Etat pour l'Education nationale depuis la Libération. Avec la décentralisation, c'est devenu quelque chose de très difficile à construire puisque vous avez des crédits tout à fait importants qui figurent au budget de l'intérieur ou d'autres ministères dont la part éducation n'est pas actualisée depuis le 1er janvier 1986.

On arrive à des approximations qui rendent la lecture extrêmement difficile.

Il y a des phénomènes de débudgétisation, d'opacité de certains budgets, notamment de certains établissements publics sur lesquels on a des enveloppes globales qui ne donnent pas de détails suffisants.

Nous partageons donc, c'est le deuxième point, certains objectifs affichés dans la proposition en matière de clarification et de simplification, en matière de présentation du budget à structure constante, en matière d'évaluation des objectifs et de leur réalisation et nous sommes d'accord avec un des axes forts du projet qui est de permettre d'avoir une vision par objectif. Il nous semble qu'il y a eu un précédent avec les premiers budgets du IXème Plan, il y a une quinzaine d'années, où certaines lignes de crédits étaient fléchées. C'est tombé très vite en désuétude car il n'y a pas eu de volonté durable d'afficher ces priorités autour du plan.

Enfin, sur ces questions de démocratie et de transparence, nous avons des réserves et des questions.

Quel sera d'abord le statut des annexes qui semblent, d'après la proposition de loi, avoir un grand rôle ? On y trouvera l'ensemble des emplois, leur statut juridique. Voyez l'arrêt célèbre du Conseil d'Etat du 14 janvier 1987, Assemblée des ingénieurs des télécommunications et autre : actuellement, ces annexes font entièrement partie du bloc de la loi de finances et le pouvoir exécutif ne peut pas modifier inconsidérément les dispositions qui y sont contenues.

Or, ici on se pose la question.

Dans l'article 22 de la proposition, on laisse subsister des possibilités de débudgétisation. Je m'interroge : la possibilité, pour des établissements qui reçoivent des redevances, et qui ont donc des ressources propres, figurera-t-elle au budget ou est-ce une débudgétisation qui pourrait peut-être, à certains moments, déboucher sur des privatisations ?

J'observe également qu'il y a un renforcement, dans ce texte, peut-être du rôle du Parlement sur certains aspects, mais quand même beaucoup du pouvoir exécutif et en particulier du ministère des finances.

Je vois aussi que la déconcentration est en filigrane dans beaucoup d'articles et que l'on croit comprendre que la délégation de l'enveloppe à des services ou à des groupements de services peut poser un certain nombre de questions. Y aura-t-il toujours un budget du ministère de l'éducation ou y aura-t-il un budget d'objectif du recteur de Créteil, du recteur de l'académie de Caen ou de l'assemblée territoriale de Corse ?

Ce sont des questions sur lesquelles ni l'exposé des motifs, ni le texte des articles, ne nous semblent suffisamment explicites. Mais nous sommes demandeurs d'explications. Cela débouche donc sur la question de la nature du contrôle du Parlement.

Le deuxième grand thème est la place de l'Etat, sa réforme et donc le rôle des services publics.

Nous sommes une fédération qui reste attachée, comme la masse des citoyens de ce pays, au rôle que nos services publics, administratifs ou industriels et commerciaux d'ailleurs, jouent dans la société. Mais il est vrai aussi que ces services publics sont aujourd'hui insérés dans des contraintes, qui ont été rappelées par l'article 4 de la proposition reprenant le traité d'Amsterdam.

Sur les propositions, j'ai tenu trois thèmes. Il y a d'abord la pluriannualité. C'est une idée qui reçoit notre accord plein et entier. Il est vrai que nous sommes aujourd'hui dans un système trop rigide, l'annualité est extrêmement rigide alors que l'on a d'immenses besoins de programmation. L'ensemble des fédérations de fonctionnaires sont bien placées pour dire que l'on a besoin de programmer des recrutements puisqu'on va vers des renouvellements massifs de fonctionnaires, on a besoin de programmer les moyens des services et on se heurte très vite au mur de l'annualité budgétaire. Le système des autorisations de programmes aujourd'hui est trop restreint et permet aussi des effets d'affichages. On habille un budget par des autorisations de programmes. J'ai encore le souvenir des autorisations de programmes du budget de 1982 où on nous annonçait des crédits très importants pour les constructions scolaires et, dans le budget 1983, cela a disparu avec le plan de rigueur. En attendant, on n'a pas construit les lycées qui auraient permis d'accueillir les centaines de milliers d'élèves que l'on a eus à partir de 1986.

Donc oui à la pluriannualité, mais quid de la possibilité de remise en cause des choix, faits une année n par le Parlement, l'année suivante ?

Je ne voudrais pas que l'on retombe dans le travers que je viens d'évoquer.

Deuxièmement, quid de la possibilité, pour le ministre des finances de remettre en cause ces choix, notamment par le gel des crédits rendu possible par l'un des articles et, cette fois, je l'observe, sans même recueillir l'accord du ministre concerné, comme actuellement ?

J'en arrive aux services votés. Certes, actuellement, nous n'avons pas de programmation, mais l'existence des services votés fait qu'il y a, dans les administrations, une certaine stabilité leur permettant d'anticiper certaines de leurs activités, sinon de les programmer. Donc il y a une certaine stabilité, une certaine sécurité parfois dans le fonctionnement des services.

Le projet nous propose ici, si j'ai bien compris, la remise en cause chaque année au premier franc, je dirai au premier euro puisque l'année prochaine nous raisonnerons tous en euros. Dans un contexte où les attaques contre le service public viennent de différents côtés, où les prises de positions en faveur des privatisation se multiplient, la FSU ne peut qu'émettre de très fortes objections et réticences.

J'ajoute que l'article 47, alinéa 4, de la Constitution est certes le seul endroit où l'on voit évoquée la notion de service voté. La proposition de loi nous dit : on limitera le champ d'application de la notion de services votés. Je ne suis pas certain qu'on ne devrait pas avoir une lecture plus large. Peut-être est-ce à l'occasion de l'hypothèse où le Gouvernement n'a pas rendu sa copie en temps utile que la Constitution parle de service voté, mais elle en parle et, après tout, on peut concevoir que la notion est plus large que ce simple cas de figure.

Autre point : la présentation par objectif. J'ai dit notre intérêt pour un " affichage " d'objectifs, ce qui permet une évaluation, mais en même temps nous pensons que ce n'est pas incompatible avec une spécialisation des crédits par chapitre. Nous restons attachés à cette nomenclature, surtout dans un processus de déconcentration poussé envisagé dans les administrations et de globalisation des enveloppes. Partout où l'on a fait la déconcentration sans contrôle, on est arrivé à des catastrophes et parfois même à des malversations. On a des exemples, y compris dans l'Education nationale, de gestion incontrôlée et il faut qu'il y ait des garde-fous. Le contrôle par les crédits est un moyen de contrôle démocratique par les élus de la Nation.

Dernière partie de mon exposé : les garanties des personnels.

Elles relèvent de l'article 34 de la Constitution. Nous sommes en particulier attachés au principe constitutionnel d'égalité des fonctionnaires au sein de leur corps, qui est souvent contredit par la gestion éclatée d'une déconcentration qui ne traite plus les fonctionnaires de la même manière à un endroit ou à un autre du territoire.

Cela nous amène à faire deux séries d'observations. La première est que nous sommes hostiles à la globalisation des crédits de personnel. Il nous semble qu'il y a ici un renforcement excessif non seulement du pouvoir exécutif, mais également d'autorités déconcentrées du pouvoir exécutif. Je me bornerai à un exemple : si l'on admet qu'un recteur peut décider de donner des primes ou de faire le choix de la qualification des emplois qui lui sont délégués dans le cadre d'une masse globale, partout où l'expérience s'est faite, on sait que les titulaires ont été remplacés par les contractuels et que, là où l'on avait deux agrégés, on aura trois professeurs certifiés.

On risque d'aller vers une déqualification et une fragilisation de ces emplois. Nous alertons fortement sur cette question.

Par ailleurs, cette globalisation rend beaucoup plus difficile tout contrôle démocratique. On le voit très bien dans l'éducation nationale et dans bon nombre de services. Aujourd'hui, par exemple, les Comités techniques paritaires fonctionnent mal, il n'y a pas suffisamment de transparence ou pas de transparence du tout, et ces comités n'ont aucune compétence en ces matières financières. Quel contrôle auront les fédérations de fonctionnaires sur l'utilisation par les autorités déconcentrées des crédits délégués aux chefs de service ? Cela rendra aussi plus difficile le contrôle parlementaire. Je pourrais donner beaucoup d'exemples. Vous avez cru voter, pendant longtemps, des crédits pour les lycées et, en réalité, les recteurs, recevant des enveloppes globales, surdimensionnant les prévisions d'effectifs dans les lycées professionnels, ont implanté des emplois de professeurs certifiés dans les lycées professionnels. Or, rien ne remonte à la centrale qui continue donc à recruter des certifiés. On manque de professeurs de lycée professionnel et on y envoie contre leur gré des professeurs qui pensaient exercer en lycée ou en collège.

Il y a là un manque de contrôles, d'allées et retours entre la centrale et le terrain et il nous semble qu'il est nécessaire de prévoir des contrôles, et les finances sont un moyen de ce contrôle.

Tout cela risque d'amener, si l'on n'y prend garde, à de l'inefficacité et à des gaspillages.

Enfin sur la question des emplois, nous restons attachés à l'inscription du nombre et de la qualification des emplois dans les lois de finances. J'ai bien vu qu'elle serait dans les annexes, comme aujourd'hui, mais nous voulons être certains qu'il n'y aura pas de modification du statut juridique de ces annexes. Mais c'est d'abord une question avant d'être une objection.

Nous ne souhaitons pas, sur la question de la gestion des emplois, laisser une trop grande latitude à des autorités déconcentrées.

Pour conclure, il y a, dans cette proposition de réforme, des idées qui nous intéressent, qui nous semblent de nature à améliorer le fonctionnement des services. En même temps, nous avons un certain nombre d'objections ou d'inquiétudes et nous serons donc très attentifs à la manière dont le Parlement y apportera réponse.

M. le Président : Je donne la parole à M. Jean-Louis Butour, secrétaire de l'Union générale des fédérations de fonctionnaires CGT.

M. Jean-Louis Butour : Je vous remercie. La tonalité de mon intervention sera sensiblement différente. Je m'attacherai, c'est mon mandat, essentiellement à faire part aux parlementaires des préoccupations des personnels que nous représentons face à la proposition de loi et à ce qu'elle recouvre.

Je n'aborderai pas les questions techniques tout en souhaitant que cela puisse être fait ultérieurement, mais il nous semble qu'il y a d'abord besoin d'un débat de fond sur ces questions, avant d'aborder les questions techniques.

C'est sur un certain nombre de questions de fond que je m'exprimerai en faisant une remarque préalable qui expliquera le sens de ma démarche ensuite. Vous avez, M. le Président, dit que nous allions vers une autre constitution financière. Nous en sommes bien conscients, mais nous remarquons qu'en même temps nous allons vers une autre fonction publique.

C'est essentiellement cet aspect des choses que je voudrais examiner.

Le Premier ministre a qualifié ce projet de réforme de l'Etat la plus importante depuis 40 ans. Certes, il s'agit bien d'un projet dont la portée est considérable puisqu'il consiste à changer fondamentalement les grands principes qui régissent notre procédure budgétaire et nos finances publiques.

Je voudrais toutefois tempérer le sentiment d'audace que cette appréciation semble donner à cette démarche en remarquant que, pour l'essentiel, le projet s'inscrit, clairement et strictement, dans le moule défini au niveau européen et poursuit un chemin déjà ancien, et très fréquenté, initié par nos voisins britanniques.

Permettez-moi quelques rappels concernant l'expérience anglaise. Elle est, pour nous, et pour le syndicalisme européen du secteur public, importante.

En plusieurs étapes, pour faire bref et sans entrer dans les détails, je rappellerai que les Gouvernements successifs du Royaume-Uni unis ont mis en place les réformes suivantes : en 1982, l'évaluation des résultats liés à la maîtrise des budgets, en soulignant que cette opération était conduite par le co-PDG de Marks & Spencer.

En 1988, sous la direction de M. Robin Ibbs, une nouvelle organisation de la fonction publique anglaise a vu le jour avec une répartition de la majorité des fonctionnaires en agences d'exécution indépendantes, qui étaient astreintes à des révisions annuelles de résultat avec des indicateurs d'efficacité et de rapports qualité/prix.

En 1992 enfin, la loi sur les fonctions directionnelles de la fonction publique du Royaume-Uni a délégué aux responsables de ces agences le pouvoir de déterminer les rémunérations et les conditions de travail dans le cadre du budget de programme alloué.

Ainsi, en avril 1999, date d'un rapport que j'ai examiné, 77 % des fonctionnaires britanniques étaient employés dans 107 agences exécutives ou dans des organisations administratives fonctionnant sur le même principe.

Dois-je préciser au passage que le contrôle de la sécurité alimentaire britannique a fonctionné, et fonctionne toujours dans le cadre d'agences dont les indicateurs, depuis le début des années 90, ont donné toute satisfaction !

Bien sûr, la France n'est pas l'Angleterre et je n'entends pas faire un décalque à l'identique, cela va de soi.

Cet exemple que je mets en avant est quand même le plus avancé, le plus caractéristique dans le copiage de l'organisation et des méthodes de l'entreprise privée. Ce qui nous préoccupe, c'est qu'il s'agit d'une orientation généralisée à l'ensemble des pays de l'Union européenne aujourd'hui et, ceci, dans le cadre d'une politique coordonnée au niveau de la Commission.

Votre Rapporteur le souligne clairement dans l'exposé des motifs en évoquant la nécessité de prendre en compte " les conséquences de la construction européenne [et le fait que] les budgets nationaux sont, depuis le traité de Maastricht, soumis à une procédure de surveillance communautaire ".

Le contexte européen pèse donc très fort dans la nécessité de cette réforme, mais aussi dans son contenu.

J'en viens aux remarques que nous inspirent les objectifs affichés dans le cadre de cette proposition de loi.

Il s'agit de " permettre une amélioration de la gestion publique ". C'est une ambition que nous ne pouvons que partager en tant que représentants de fonctionnaires qui expriment suffisamment fort et suffisamment souvent leur insatisfaction quant à cette gestion.

Cependant, les mesures préconisées suscitent de notre part un certain nombre de craintes. Quelles seront les conséquences de l'instauration de programmes se substituant à la règle de spécialisation des crédits, avec objectifs et indicateurs, quelles seront les conséquences du développement de la pluriannualité et de la simplification des procédures de créations et de transformations d'emplois ?

Nous ne sommes pas, avec ces nouvelles procédures, dans le seul domaine budgétaire et financier ; nous sommes aussi sur le terrain de l'organisation et de la gestion de la fonction publique et des fonctionnaires. Nous sommes dans le domaine de la réforme de l'Etat, M. le Président, vous l'avez souligné en introduction.

Les fonctionnaires de l'Etat, dans leur ensemble, par principe, ne sont pas opposés à la modernisation de l'appareil administratif, de son organisation, de son fonctionnement, mais nous sommes, pour notre part, très vigilants et, sur certains aspects, opposés à plusieurs projets dont nous retrouvons l'esprit dans plusieurs dispositions de votre proposition de loi.

Ainsi, la logique coût/efficacité, objectifs/indicateurs de performances nous paraît dangereuse et, au surplus, peu susceptible de répondre aux objectifs que vous lui assignez. D'abord, elle s'éloigne de la logique fondamentale contenue dans la conception française historique du service public dont le but est de répondre aux besoins collectifs et à l'intérêt général, et non pas de coller à des coûts. Ensuite, elle peut et va, rapidement à notre avis, produire son propre antidote, en ce sens que la dérive vers une quantification et donc une simplification des objectifs va inévitablement produire une quantification et une simplification des résultats.

Le risque est manifeste de réduire les différents niveaux d'encadrement dans la fonction publique à une succession et une addition d'approximations, voire de petits, puis gros, arrangements avec la réalité.

Le sens profond du travail des fonctionnaires, le sens du service public, qui constitue encore un ressort très fort dans le fonctionnement de nos administrations, risque d'être, à notre avis, soumis à rude épreuve et nous craignons qu'il n'y résiste pas.

Quant aux raisons qui justifient cette nouvelle approche de règles budgétaires et financières, elles ne résultent pas seulement du souci de l'efficacité administrative. Nous voyons pointer, dans la philosophie de ce projet, la volonté de créer les meilleures conditions possibles pour la mise en _uvre du plan pluriannuel de cadrage des dépenses publiques et nous sommes donc très attentifs.

Le sujet de la pluriannualité mérite débat. Nous ne sommes pas hostiles à l'introduction de préoccupations plus prospectives dans la gestion de la fonction publique. Par exemple, la pluriannualité pourrait permettre d'anticiper et de lisser les effets de départs massifs à la retraite qui, sinon, risquent d'affaiblir radicalement de nombreuses administrations d'ici quelques années.

Mais est-ce de cela dont il s'agit ? Nos craintes sont plutôt de voir cette pluriannualité, en tout cas ce sera possible, utilisée pour dégraisser progressivement, en douceur, mais massivement, les effectifs de la fonction publique au cours de la décade 2005-2015.

Quant à la simplification des procédures de créations et de transformations d'emplois, la fongibilité des crédits qui sera rendue possible, cela ne peut pas ne pas nous inquiéter et nous donner à penser que des risques nouveaux pour l'emploi public sont ainsi créés.

Le passage de la comptabilité de gestion à la comptabilité d'exercice (ou en droits constatés) constitue un changement profond qui ne pourra pas être sans conséquences pour nos collègues des administrations centrales et des administration déconcentrées des services financiers et fiscaux.

Nos collègues concernés regrettent vivement le peu d'empressement du ministre à discuter de cette question. Celle-ci est, pour l'instant, cantonnée à la seule direction générale de la comptabilité publique et la question, notamment, des comptables publics, n'est pas clairement réglée.

Certes, il s'agit encore d'un projet et on ne peut pas discuter dans le détail un projet comme on pourrait discuter dans le détail d'un texte qui serait finalisé, voire voté.

Pour l'instant, nous n'avons pas noté, au ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, une grande ouverture en vue d'une participation des personnels à un débat sur les missions et sur leur éventuelle évolution en raison de ces changements.

Sur le fond, l'introduction de cette nouvelle forme de comptabilité nous inquiète beaucoup, vous l'aurez compris. Que l'Etat, le Parlement, chaque ministère, chaque administration puisse travailler dans le cadre d'une comptabilité plus à même de refléter la réalité, c'est un souci que nous comprenons parfaitement. Mais, là encore, le contexte de cette réforme ne peut que nous alerter. Il s'agit bien de généraliser la comptabilité privée à la comptabilité de l'Etat et de constater en même temps que cette comptabilité s'inscrit dans les normes internationales de la comptabilité d'exercice.

D'une certaine façon il s'agit, à cette occasion, d'adapter notre comptabilité publique aux normes et exigences des marchés internationaux.

Pour conclure, vous aurez compris que votre proposition de loi inquiète beaucoup les fonctionnaires que nous sommes, soucieux du bon exercice des missions publiques et revendiquant les moyens nécessaires à ce bon fonctionnement.

J'insiste à nouveau, l'expérience de nos voisins européens en ce domaine ne peut que nous inquiéter.

Votre proposition, dont certains objectifs nous paraissent légitimes et justifiés, s'inscrit dans un contexte et une démarche politique qui nous préoccupent vivement et dont l'axe majeur est très nettement l'affaiblissement de la place et du rôle de l'Etat.

La presse fait état aujourd'hui du rapport de la Cour des comptes, le Président l'a évoqué. Je pense que votre Commission y trouvera des encouragements. Je tiens , pour ma part, à souligner l'exemple de la Cour des comptes concernant le ministère de l'équipement, dans lequel la Cour fustige essentiellement le manque de moyens financiers et de personnels.

Il ne suffira pas de passer d'un schéma titres/chapitres à un schéma programmes/résultats. Si la masse budgétaire stagne ou baisse, ce qui semble se dessiner, la notion même de programme n'a plus grand intérêt. C'est bien de crédits et d'emplois dont nous avons besoin.

M. le Président : Je vous propose, mes chers collègues, de répondre globalement, mais je ne peux m'empêcher, M. Butour, de vous remercier de nous avoir précisé, dès le début de votre propos, que vous n'alliez aborder que les points qui suscitaient chez vous des interrogations, mais ceux qui, positivement, marquent cette réforme, nous les notons aussi, c'est-à-dire ceux que vous n'avez pas évoqués, j'imagine.

M. Jean-Louis Butour : Il est vrai que mon mandat est bien de souligner les préoccupations sérieuses que soulève ce texte compte tenu du fait qu'il est intégré dans la réforme de l'Etat, qui elle-même nous pose quelques problèmes.

Dire que plusieurs aspects emportent notre approbation est sans doute aller un peu vite. Nous constatons que la démarche de discussion et de concertation est un peu formelle et se place à un moment où l'on peut difficilement dire des choses techniques. Nous espérons que, dans un deuxième temps, nous puissions avoir la possibilité d'examiner plus concrètement un certain nombre d'aspects techniques, sur lesquels il y a effectivement des aspects positifs, mais aussi encore pas mal de craintes. C'est ce que je voulais souligner.

M. le Président : Nous allons passer maintenant à M. Jean-Paul Roux, secrétaire général de l'Union des fédérations de fonctionnaires UNSA, et je pense que vous serez d'accord pour bouleverser l'ordre alphabétique, compte tenu de ses obligations.

M. Jean-Paul Roux : Merci M. le Président et merci à mes chers collègues d'avoir accepté de passer outre l'infirmité qui me poursuit depuis l'école maternelle d'être né avec une lettre qui me met forcément en fin de liste. J'ai un avion à 19 h 15 et cela me contraint quelque peu.

Nous accordons, M. le Président, de l'importance à l'audition que vous avez décidée aujourd'hui. Elle nous paraît une marque non négligeable de l'attention que la Représentation nationale accorde au mouvement syndical des fonctionnaires. C'est un geste que nous apprécions à sa juste valeur.

A partir de là, j'ai essayé de situer les quelques réflexions que je vais faire dans un cadre syndical, c'est-à-dire, comme l'a dit mon collègue précédemment, sans entrer dans le débat technique, mais en ouvrant le champ à la réflexion sur quelques grands problèmes d'orientation qu'ouvre la démarche parlementaire que vous êtes en train de mener.

Première réflexion : cette audition, dans une certaine mesure, démontre quelque peu l'ambiguïté de la situation des fonctionnaires en tant que salariés.

Nous sommes à la fois les exécutants des missions de service public, au nom de l'Etat, et en même temps les salariés de l'Etat. Nous avons une situation statutaire et réglementaire qui ne nous permet pas de contracter de façon juridique avec l'Etat, mais en même temps nous menons avec cet Etat un dialogue social, avec celui qui représente l'Etat c'est-à-dire le Gouvernement, alors même que le pouvoir budgétaire, pouvoir républicain s'il en est, se situe dans l'enceinte parlementaire.

Ainsi, par exemple, au niveau du budget de l'Etat, nous sommes concernés par cinq ou six biais possibles. Je passerai le biais citoyen qui n'est pas l'objet de notre débat aujourd'hui, mais en tant que fonctionnaires, le budget de l'Etat que nous exécutons est un outil de travail, si vous me permettez cette référence ouvrière, en tant que salariés, notre pouvoir d'achat doit largement en dépendre et aussi nos conditions de travail et, en tant que syndicalistes, car nous avons quelques idées du rôle de l'Etat et des services publics qui en sont le bras séculier.

Par rapport à la situation actuelle, à la différence peut-être des amis qui m'ont précédé, nous ne pleurerons pas la disparition de l'ordonnance de 1959. Nous pensons même qu'il est peut-être temps qu'elle soit rangée désormais au rayon de l'archéologie législative et que l'on rentre dans une nouvelle étape.

Car, il nous a toujours paru que le principe de l'annualité budgétaire, porté d'ailleurs, quels que soient les Gouvernements, très haut par le ministère de l'économie et des finances, était à rebours du rôle que l'on devrait confier à l'Etat républicain en charge de l'intérêt général, qui ne peut pas être un intérêt à court terme, mais un intérêt à moyen et long terme. L'annualité budgétaire a toujours été un frein à cette mise en perspective de la démarche de l'Etat, en particulier dans le domaine des services publics.

L'exemple le plus caractéristique est bien que la loi de finances a législativement un primat sur la programmation et en particulier sur la loi de programmation. Ainsi, ce qui est fait d'un côté, je pense à la loi de programmation militaire, peut chaque année être défait par une loi de finances sans forcément que l'on fasse une remise en perspective de l'ensemble de la programmation.

Aussi, quant à nous, la pluriannualité nous paraît être une bonne démarche. Elle nous paraît ouvrir le champ à une façon d'aborder le rôle de l'Etat de façon différente, en particulier dans le domaine des services publics.

La pluriannualité impose donc une contrainte majeure, mais qui est un changement fondamental, à savoir se situer dans une démarche de projet. Démarche de projet au plan local, insérée dans un projet national qui le met en cohérence et qui implique donc que ce projet soit une construction progressive par les acteurs que sont les personnels, les usagers, les élus et, en dernier ressort, par des choix d'orientations qui sont du ressort du Parlement.

C'est, dans une certaine mesure, une façon de donner ou de redonner au Parlement le rôle prépondérant dans les choix de politique nationale qu'il doit avoir au travers de réflexions de fond engageant l'avenir dans les grands domaines de la politique publique, politique de santé, politique de sécurité, etc.

A partir de là, dès l'instant où il y a projet et orientation, se déclinent alors tout naturellement à la fois la programmation de la mise en _uvre de ce projet et l'allocation des moyens nécessaires.

Cela impose bien entendu que les pratiques administratives soient réformées et que la gestion prévisionnelle des effectifs et des moyens devienne une pratique courante alors qu'elle est encore, jusqu'à ce jour, largement une perspective jamais mise en _uvre.

Les difficultés que l'on connaît dans le domaine des recrutements, et que nous allons connaître dans les années qui viennent, sont la démonstration parfaite de l'urgente nécessité de programmer cela dans la durée, si l'on ne veut pas, à brève échéance, se trouver en panne tout simplement de recrutement dans tel ou tel domaine des services publics.

Cela permettrait aussi peut-être à ce moment-là de changer l'appréhension de ce débat sans cesse recommencé autour des moyens : mouvement syndical qui réclame des moyens, Gouvernement qui, par tradition, propose de les supprimer ou de les geler, ce qui interdit une vraie gestion de ces moyens tenant compte de l'évolution, à la fois de la demande sociale et de la réalité du service public.

Ainsi par exemple, le mot tabou qu'est redéploiement pourrait-il être utilement recyclés dans une réflexion de fond sur : quel projet faisons-nous dans tel ou tel domaine du service public et quelle allocation de moyens, existants ou à créer, faut-il mettre au service de ce projet ?

C'est une autre façon d'aborder, dans une certaine mesure, le dialogue social dans la fonction publique autour du triptyque que reprend votre préambule : objectif, résultat, évaluation.

Dans ce domaine, j'ai évoqué la question du dialogue social, les fonctionnaires sont passés par une série de phases dont aucune n'a été satisfaisante. Je passe sur la phase initiale qui était l'absence de présence de dialogue social, de droit au dialogue social et à la négociation. Cette pratique ancestrale est entrée en 1968 dans les faits, mais pas dans le droit. Elle n'est entrée dans le droit qu'à partir du statut de 1983, sans que cette reconnaissance juridique du droit à négocier pour les fédérations de fonctionnaires ne se traduise concrètement par un droit contractuel, et sans surtout que cela se traduise par une obligation de l'Etat à contracter.

Or, si l'on veut gérer de façon prévisionnelle désormais les moyens du service public, il n'y a pas d'autre voie que d'engager un dialogue sur la durée avec les fonctionnaires, mais, s'il y a dialogue sur la durée, il doit bien se conclure un moment donné par un engagement réciproque se traduisant ensuite au plan législatif dans une programmation, qui " contracte ".

Il me semble d'ailleurs que le ministre de la fonction publique a évoqué, au cours d'un colloque récent, cette idée qui changerait la nature des rapports entre les fonctionnaires et l'Etat et ce serait, à notre sens, un progrès non négligeable.

J'émettrai simplement une réserve sur la question de la globalisation des crédits.

J'entends bien que, dès l'instant où l'on est devant des projets locaux de service public, c'est à ce niveau que doit se gérer une enveloppe globale et que son utilisation doit ensuite être évaluée.

Le constat que nous faisons de l'ensemble des ministères où cette globalisation est déjà en marche est que l'absence de contrôle en cours d'exécution a conduit à un certain nombre de dérives. Il nous semble, au-delà du contrôle a posteriori qui doit être une règle, que le contrôle en cours d'exécution, y compris avec la présence des acteurs, doit être le garde-fou qui pourra empêcher ce type de dérive.

Cela implique enfin, et ce sera la dernière réflexion sur ce sujet, une nouvelle politique de gestion des ressources humaines car, aborder par ce biais le fonctionnement du service public, c'est aussi une nouvelle façon d'aborder la façon dont les fonctionnaires vont gérer le service public. C'est une forme nouvelle de responsabilisation pour chacun d'entre eux, qu'il soit cadre ou non cadre. C'est une pratique courante de la délégation de pouvoir qui doit désormais devenir la règle. C'est aussi la poursuite d'une déconcentration maîtrisée qui me paraît être l'outil de la démocratie moderne dans un Etat républicain. Je vous remercie.

M. le Président : Je vais donner la parole à M. Roland Gaillard, qui est le secrétaire général de la Fédération générale des fonctionnaires FO - Union interfédérale des agents de la fonction publique FO.

M. Roland Gaillard : M. le Président, lorsqu'en juillet nous avons pris connaissance de la proposition de loi organique, nous n'avons pas été particulièrement surpris car cette proposition couronne une orientation qui, quelle que soit la majorité en place, tend à généraliser la " maîtrise comptable ", le budget global : programmes pluriannuels des finances publiques en application du pacte de stabilité européen, plans pluriannuels de modernisation par ministère, projets de service au niveau local.

Il s'agit, tout simplement, d'amener les services à définir des priorités dans leurs missions, compte tenu des moyens dont ils disposent, par opposition au système traditionnel qui consiste à donner les moyens aux services pour appliquer l'ensemble de l'arsenal juridique et réglementaire dans le cadre du principe d'égalité de droit du citoyen devant la loi.

Le passage d'un système d'adéquation des moyens aux missions à un autre consistant à adapter les missions aux moyens correspond, en fait, à un objectif plus ou moins avoué de réduction des dépenses de l'Etat.

Cela pose essentiellement deux problèmes fondamentaux.

Quelle légitimité ont les fonctionnaires pour choisir eux-mêmes une priorité dans leurs missions, déjà qu'ils sont accusés de vivre en dehors de la société civile ? Quelle responsabilisation des élus politiques qui n'osent pas publiquement faire les choix éventuellement nécessaires ? Par exemple il y a trop de fonctionnaires mais on n'ose pas dire où.

La mise en place de programmes par objectifs conforte à notre avis ce choix. Si les 100 ou 150 programmes envisagés reprennent la totalité des missions actuellement définies par l'arsenal juridique et réglementaire, nous retrouverons vraisemblablement les mêmes inconvénients que vous dénoncez en matière de services votés et mesures nouvelles.

Dans le cas contraire, les textes législatifs et réglementaires définissant les missions non retenues dans les programmes feront-ils l'objet d'une abrogation systématique ?

A chaque nouveau texte législatif ou réglementaire, faudra-t-il prévoir un programme de rattachement et un financement spécifique ? A chaque évolution importante d'un programme, y aura-t-il une évolution correspondante des moyens ? Par exemple, que deviendraient les agents affectés à un programme, lors d'une diminution importante des objectifs de celui-ci.

En effet, parce qu'il ne pourrait y avoir logiquement de mutualisation des moyens entre les programmes, il ne serait vraisemblablement pas possible de réaffecter les agents à un autre programme.

Tout cela pose de redoutables problèmes. C'est pourquoi, sans doute, le Gouvernement annonce une mise en place progressive du nouveau système jusqu'en 2006.

La proposition de loi organique a, semble-t-il, deux objectifs : moderniser la gestion publique et renforcer les pouvoirs budgétaires du Parlement.

A priori, comment être opposés à l'idée d'un renforcement des pouvoirs du Parlement. Mais est-ce bien la justification principale de cette proposition ?

En effet, l'enfermement du Parlement dans des contraintes budgétaires définies dans les programmes pluriannuels des finances publiques européens successifs auraient plutôt tendance à réduire le pouvoir de décision politique du Parlement en ramenant celui-ci à un rôle de gestion dans le contrôle des enveloppes budgétaires.

En donnant plus de pouvoirs aux gestionnaires, l'autonomie du politique tend à diminuer par rapport au spécialiste ou à l'expert, compte tenu de la place de plus en plus importante données aux techniques de gestion.

Cette culture financière nouvelle, imprégnée du libéralisme économique, tend à substituer les automatismes budgétaires à la décision politique, voire à la démocratie.

Prenons l'exemple des dernières élections législatives où le candidat Jospin affirmait que le dogme de réduction des effectifs de la fonction publique n'était plus d'actualité. Après la constitution du Gouvernement, le ministre de l'équipement a constaté qu'il était enfermé dans un contrat triennal avec le budget pour une réduction programmée des effectifs de mille agents par an, en contrepartie de la garantie de ne pas être ponctionné en cas de régulation budgétaire. Notons au passage que ce type de contrat ne marche que lorsque ce sont les autres qui subissent la régulation. En cas de généralisation d'un tel contrat, la régulation budgétaire éventuelle s'appliquerait bien évidemment.

Il apparaît que ce type de contrat pluriannuel pose un problème démocratique dans la mesure où les échéances contractuelles et électorales n'interviendront sans doute jamais aux mêmes dates et cela d'autant plus que les programmes pluriannuels seront glissants, comme c'est le cas pour les programmes pluriannuels des finances publiques 2001-2003, puis 2002-2004, etc.

A quoi donc peut servir un vote citoyen, s'il ne peut remettre en cause ces contrats pluriannuels ?

C'est pourquoi, cette modernisation de la gestion publique apparaît comme un renforcement de la technocratie et un recul de la décision politique.

Il est vrai que l'interpénétration de la haute fonction publique et du politique est telle aujourd'hui qu'il est parfois difficile de s'y retrouver.

Comment ne pas citer telle association de hauts fonctionnaires techniques qui, en janvier 1992, sollicitaient ses adhérents à se préparer à un éventuel changement gouvernemental afin de reprendre la place qui devrait être la leur dans les cabinets ministériels ?

Parmi les questions posées aux éventuels candidats, figurait celle-ci : préféreriez-vous un Gouvernement de gauche, de droite ou indifférent ? Est-il besoin d'en dire plus ?

Vous êtes mieux placés que nous pour savoir si cette proposition de loi va vraiment renforcer le rôle du Parlement.

Permettez-moi, cependant, de m'interroger sur le consensus politique qui semble se dégager pour cette proposition, après l'échec des 35 tentatives précédentes.

Nous considérons que les contraintes européennes liées au pacte de stabilité et aux programmes pluriannuels des finances publiques, largement imprégnées du libéralisme économique, sont à l'origine de cette proposition.

Lorsque l'on suit les travaux de l'OCDE depuis une dizaine d'années, notamment le PUMA (Public Management), en matière de réforme de la gestion des ressources humaines dans les pays de l'OCDE, on constate que les Gouvernements successifs s'imprègnent assez largement, comme tous les autres pays, européens notamment, de ses recommandations :

·  décentralisation des compétences en matière de gestion des ressources humaines, des organes centraux de gestion aux ministères et agences gouvernementales ;

·  transfert des compétences en matière de gestion des ressources humaines aux responsables des services au sein des ministères et agences ;

·  cadres d'action ou lignes directrices qui font une plus large place aux normes minimales et aux bonnes pratiques qu'au contrôle détaillé ;

·  gestion décentralisée des budgets aux ministères et agences, avec intégration des coûts en personnel et des coûts administratifs ;

·  assouplissement des systèmes de rémunération, d'emploi et de gestion du personnel ;

·  mesures de formation et de développement du personnel pour accroître les qualifications, les compétences et la flexibilité de la force de travail ;

·  mesures de réduction des coûts sous forme de modération des rémunérations, d'efforts visant à réduire les effectifs et d'incitations aux gains d'efficacité.

C'est pourquoi, il nous apparaît que l'objectif essentiel de cette proposition de loi n'est pas forcément celui qui est mis le plus en relief.

D'ailleurs, dans la plupart des pays européens, ces orientations en cours d'application ne sont pas justifiées par un renforcement du pouvoir parlementaire.

Pour ce qui concerne la mise en place des programmes, nous nous posons de nombreuses questions dont une qui nous parait fondamentale : les services seront-ils organisés par programme ?

M. Michel Sapin explique que la réforme de l'ordonnance de 1959 n'est pas une réforme comme les autres, car c'est une réforme structurante. Le Comité interministériel pour la réforme de l'Etat du 12 octobre 2000 paraît aller dans ce sens.

Il semble que nous prenions de plus en plus exemple sur le modèle anglo-saxon. C'est pourquoi nous craignons le développement d'établissements publics par programme (même si on les dénomme centres de responsabilité) et pourquoi pas, à terme, la transformation de ces établissements publics en agences.

En cas de programmes interministériels, on peut craindre la mise en place d'agences interministérielles locales même, ou surtout, si les crédits interministériels sont placés sous la responsabilité d'un seul ministre.

Bien évidemment, l'ultime démarche sera de mettre les agences en concurrence.

Lorsque l'on parle de transparence et de sécurisation en termes de législation et de réglementation, il paraît curieux que la proposition ne fasse plus mention du rôle incontournable du comptable public, assermenté, responsable personnellement et pécuniairement, rendant ses comptes aux juridictions financières.

Nous savons qu'il n'existe pas encore de modèle fiable d'organisation des services par programme, mais l'objectif semble de s'engager résolument dans cette voie et de gérer au fur et à mesure les difficultés d'application.

Comment ne pas mettre en avant le constat de l'OCDE qui fait état des sujets d'inquiétude concernant la perte de contrôle politique et administratif sur ces organismes, la confusion des responsabilités, l'insuffisance de coordination des politiques et les possibles dérives dans les comportements éthiques ?

C'est pourquoi, le PUMA débute un projet afin d'aider les pays membres de l'OCDE à renforcer les mécanismes assurant une bonne gouvernance de ces organismes.

Ce découpage des services de 1'Etat pose de nombreux problèmes quant au devenir des agents et du statut de la fonction publique, en particulier. Combien de temps les agents resteront-ils fonctionnaires avant de devenir des salariés propres à l'établissement public ou à l'agence et dépendre d'une convention collective ?

Si les programmes correspondent à des établissements publics, cela ne change rien au raisonnement car l'histoire récente nous a montré les phases successives d'évolution des EPA, EPIC, exploitants autonomes, etc.

A partir d'un certain stade, on privilégie systématiquement les recrutements spécifiques à l'établissement. Cette analyse est confortée par le fait que chaque programme compilera la totalité des dépenses de personnel, y compris les charges sociales.

Qu'en sera-t-il pour les retraites ?

Certains avancent l'idée d'une agence pour gérer la dette publique ou un programme spécifique pour les pensions ?

Je profite de l'occasion pour réaffirmer ici que le Code des pensions civiles et militaires de retraite n'est pas un régime de répartition comme les autres, puisqu'il s'agit d'un traitement continué, dans la mesure où, contrairement à un employeur privé, l'obligation constitutionnelle de l'Etat-employeur est de verser la pension, et non pas une cotisation patronale.

Pour les fonctionnaires, il s'agit également d'une retenue pour pension et non d'une cotisation salariale.

Par ailleurs, les modalités de gestion du personnel ne peuvent qu'être profondément modifiées du fait de la globalisation des dépenses de personnels, sans doute sous forme d'une masse indiciaire plafonnée et des assouplissements de gestion accordés aux gestionnaires.

Etes-vous vraiment convaincus qu'avec ce système, vous connaîtrez mieux demain la réalité de l'emploi public, que ce soit sous un angle quantitatif ou qualitatif, d'autant plus que la déconcentration de la gestion ne fera qu'accentuer les choses ? Le raisonnement en masse indiciaire semble consister à " casser le thermomètre ".

Bien sûr, le plafond ne sera pas dépassé ; mais cela entraînera de telles disparités de gestion que le principe d'égalité des agents appartenant à un même corps ne sera bientôt plus qu'un souvenir.

Il est vrai que le Conseil d'Etat, dans un avis célèbre, accepte le postulat que le principe d'égalité est respecté lorsque les mérites respectifs des agents sont appréciés par groupe de 50. Heureusement que nous n'en sommes pas encore là pour l'égalité de droit des citoyens !

Quant à la fongibilité des crédits de personnel, cela s'apparente à ce que la direction du personnel de l'équipement proposait, il y a une quinzaine d'années : échange 120 F de crédits de personnel contre 100 F de crédits informatiques.

La globalisation des dépenses de personnel, compte tenu de leur poids dans les dépenses publiques, nous apparaît avoir comme objectif la réduction de celles-ci en profitant des départs massifs à la retraite dans les dix ans qui viennent.

Nous avons bien compris que, pour les dépenses de personnel, il s'agira bien d'un plafond qui ne pourra être abondé à partir d'autres dépenses et encore moins d'autres programmes.

C'est donc clair, les effectifs, ou plutôt la masse salariale, seront liés à un programme et pourraient, éventuellement, disparaître avec celui-ci. De plus, si les agents sont identifiés à un programme, ils disparaîtront eux aussi.

En outre, en dissociant masse salariale incluant les charges sociales et plafond d'emplois, il nous apparaît que la variable d'ajustement portera sur les effectifs d'autant que le Gouvernement actuel a refusé, malgré notre demande, d'abroger la circulaire du 12 juillet 1996 prise par le Gouvernement précédent, sur la mise en _uvre des contrats de service locaux, qui stipule que les agents pourront bénéficier de retours financiers correspondant à 20 % des économies réalisées dans la limite de 5 % des crédits de rémunérations principales, par abondement des indemnités existantes.

C'est, en fait, le slogan qui revient : moins de fonctionnaires, mais mieux payés.

Par ailleurs, la possibilité donnée à tous les gestionnaires de procéder à des transformations d'emplois conduira inévitablement à institutionnaliser des modalités de recrutements locaux spécifiques. Il en sera de même pour les promotions.

Nous faisons, d'ailleurs, un lien avec les propositions faites par M. Sapin lors des négociations salariales sur de nouvelles modalités de promotion qui se substitueraient aux pyramidages statutaires ou budgétaires.

En tout état de cause, les statuts nationaux de corps ne résisteront pas très longtemps à l'accumulation de toutes ces disparités.

Toutes ces propositions, encadrées par les mesures de décentralisation et de déconcentration, ressemblent étrangement à celles du MEDEF qui préconise les accords d'entreprises plutôt que les accords de branches, le contrat individuel plutôt que la convention collective.

Est-il illégitime d'être circonspect lorsque M. Sapin évoque, avec une certaine envie, la contractualisation des relations sociales et nous propose, au cours de 2001, une négociation sur la négociation, afin de définir des règles portant sur la définition juridique d'un accord aux différents niveaux de structures de l'Administration ?

Ce type de question ne peut être ignoré lorsque l'on envisage de découper les services en fonction de programmes d'objectifs et de résultats. Cela met en parallèle la refondation sociale et la refondation de l'action publique et que l'on remet en débat les rôles respectifs du contrat et de la loi.

M. Sapin, au cours d'un colloque européen, expliquait, le 27 novembre dernier, avec une certaine prémonition : " Et lorsqu'une négociation s'ouvre, les deux parties, Etat-employeur d'une part, organisations syndicales de l'autre, savent qu'elles peuvent sans grand dommage à court terme échouer dans leur dialogue, parce que, s'il n'y a pas accord, la puissance publique prendra de toute façon des décisions qui ne conviendront peut-être pas totalement aux syndicats, mais qui répondront partiellement aux attentes des agents. La règle étant qu'il faut toujours une décision unilatérale, loi ou décret, pour appliquer une réforme ou mettre en _uvre une mesure, et ce même si un accord a été conclu, cet accord n'ayant aucune force juridique par lui-même, les partenaires d'un bord ou de l'autre, ou certains d'entre eux, peuvent feindre d'entrer en négociations en se résignant d'avance à un échec, voire en le souhaitant intimement. La négociation devient alors un jeu d'ombres, chacun y joue sa partition en solitaire. L'Etat peut, à tout instant, décider de mettre fin au débat pour décider seul ; tout syndicat peut à tout moment claquer la porte sans grave conséquence pour les agents. Une action syndicale exclusivement revendicative est dès lors possible ; certains s'en satisfont, et pas seulement du côté syndical. Mais je crois que le fait du prince, même si le prince est un élu, est un privilège archaïque ".

La proposition de loi organique s'intègre au cadre de la réforme de l'Etat et s'appuie essentiellement sur " la contractualisation de l'Etat ".

Cela donne une toute autre dimension à la proposition de loi organique dans la mesure où celle-ci intronise, en quelque sorte, le principe de la contractualisation.

Il est extraordinaire de constater cette frénésie tendant à transposer, dans la sphère publique, le contrat qui est l'essence même de la sphère marchande.

A ce sujet, il est intéressant de se référer à un article de M. Alain Supiot (Le Monde du 7 mars 2000) qui précisait que " loin de désigner la victoire du contrat sur la loi, la contractualisation de la société est bien plutôt le symptôme de l'hybridation de l'une et de l'autre, qui conduit à une reféodalisation du lien social.

Ce que nous appelons "société" est un ensemble de liens de paroles, fixées souvent dans des textes, qui attachent des hommes les uns aux autres. En français courant, on parle de "loi" et de "contrat" pour distinguer les deux sortes de liens qui nous tiennent et nous font tenir ensemble : du côté de la loi se trouvent les textes et les paroles qui s'imposent à nous indépendamment de notre volonté, et du côté du contrat ceux qui procèdent d'un libre accord avec autrui. Dire que la société se contractualise, c'est dire que la part des liens prescrits y régresse au profit des liens consentis ou, en termes savants, que l'hétéronomie y recule au profit de l'autonomie (...).

Le contrat s'affirme plus que jamais comme un universel abstrait, qui submerge le cloisonnement normatif des Etats. Mais 1'empire du contrat ne peut se soumettre ainsi les états qu'en englobant les valeurs concrètes qu'ils abritent. Le plus visible est le mouvement d'universalisation du contrat, qui tend à se soumettre aussi bien les Etats que l'état des personnes. Hier encore, garant unique des échanges, l'Etat fait aujourd'hui figure sur la scène internationale d'obstacle aux échanges ".

Dans ces conditions, il nous paraît que la généralisation du contrat à tous les niveaux de l'Etat met en péril le principe républicain d'égalité de droit du citoyen devant la loi.

Chacun sait que le principe de " supériorité de l'Etat " place le fonctionnaire dans une position statutaire et réglementaire et que le pouvoir exécutif, au nom des intérêts supérieurs de l'Etat, peut ne pas respecter ses engagements, sauf peut-être ses obligations européennes. Quand on voit ce qui se passe en Espagne en ce moment, par rapport au fait que l'on a bloqué le salaire des fonctionnaires et qu'il y a eu quelques décisions de tribunaux en la matière, je crois que c'est d'actualité.

J'en sais quelque chose pour avoir signé des accords qui n'ont pas été respectés, du moins en partie. Or, il n'y a pas de tribunaux compétents en la matière.

La liberté contractuelle des personnes publiques est un casse-tête juridique. De plus, l'évaluation des résultats propre à un programme paraît d'autant plus difficile que de plus en plus, le service public fonctionne en partenariat.

Je n'ose parler des sanctions. Cette séparation entre fonctions de conception et d'exécution des politiques publiques dans la fonction publique rappelle en quelque sorte la séparation du régulateur et de l'opérateur dans le secteur public, avec les conséquences que l'on connaît.

Nous retrouvions déjà ces propositions dans les travaux du XIème plan dans la Commission Etat, administration et services publics de l'an 2000, présidée par M. Christian Blanc. Cela rappelle également certains débats de la fin des années 1970, notamment les propositions de M. Longuet, Rapporteur du budget de la fonction publique en 1980, qui préconisait la réduction drastique du nombre des fonctionnaires en distinguant deux catégories d'agents publics : les fonctionnaires d'autorité et de puissance publique, qui devraient dépendre du statut général et les autres, les exécutants, qui devaient dépendre d'une convention collective.

C'est pourquoi, compte tenu de l'ampleur des problèmes posés et de nombreuses questions sans réponse, on ne peut que s'interroger sur l'engouement apparent que suscite cette proposition de loi qui ne peut conduire qu'à une " refondation " de notre fonction publique laïque et républicaine

M. le Président : Merci M. Gaillard. Je me permettrai simplement une réflexion sur votre dernier propos. L'engouement qui est le nôtre, c'est la conscience que nous avons de servir les intérêts d'une institution qui s'appelle le Parlement de la République. Ce n'est pas simplement une passade qui nous aurait subitement saisis qui nous a conduit à proposer ces réformes. La responsabilité qui est la nôtre, et qui est la mienne en tant que Président de cette institution, est de faire en sorte que, dans les institutions de la République, le Parlement joue pleinement son rôle et il me semble que cela, sur le principe, ne peut que recueillir l'accord de tout républicain, syndicaliste ou non.

M. Roland Gaillard : Ce que je regrette, pour que l'on se comprenne bien, c'est que l'on ne parle pas assez du deuxième volet et que l'on ne mesure pas encore aujourd'hui toutes les conséquences qu'il peut avoir.

M. le Président : Bien entendu, mais c'est précisément pour cela que vous êtes là, dans la mesure où nous avons conscience que les conséquences d'une réforme, dans le cadre du dialogue nécessaire, indispensable, entre l'exécutif et le pouvoir législatif, portent bien entendu sur le fonctionnement même des administrations au premier rang desquelles il y a bien entendu, dans notre préoccupation, les fonctionnaires qui servent cette administration car, sinon, nous aurions en face de nous quelque chose d'éthéré, d'irréel. La réalité, ce sont des hommes et des femmes au service de l'Etat, au service de la Nation, au service de nos concitoyens dans le cadre de l'exécution du service public.

Je pense qu'il ne faut pas déformer la volonté qui est la nôtre. Je voudrais d'ailleurs, sur un deuxième point, vous dire que vous semblez inquiet de la perspective d'un accord, M. Gaillard. Vous n'imaginez pas quelle somme de travail et d'efforts il nous faut aujourd'hui rassembler pour aboutir à cet accord. Je ne voudrais pas que vous puissiez croire un instant qu'il y a, dès le départ, une volonté, pour essayer de tromper tout le monde, d'aboutir à un consensus entre les différents partenaires.

C'est un jeu, pardonnez-moi, au sens le plus noble du terme, auquel nous nous livrons, le Rapporteur et moi, avec les membres de la Commission depuis des mois. C'est extrêmement difficile et d'ailleurs, entre nous, si c'était aussi facile, il n'y aurait pas eu 35 tentatives de réforme.

Je voudrais enfin terminer en vous disant que, lorsque cette ordonnance a été prise, dans des conditions sur lesquelles je n'épilogue pas, mais le simple terme d'ordonnance doit signifier à vos yeux quelque chose, c'est-à-dire l'absence d'association du Parlement à la mise en _uvre d'une procédure budgétaire, cette simple volonté exprimée un an après l'adoption de la Constitution de 1958 ne pouvait qu'avoir une seule traduction : celle d'écarter le Parlement de la République des choix budgétaires essentiels pour la Nation.

Vouloir, 40 ans après, essayer de redonner la place aux institutions de la République et notamment au Parlement, personne ne peut critiquer les parlementaires de s'y atteler aujourd'hui. Personne, sauf à vouloir perpétuer ce qui est une réalité, pardonnez-moi de le dire, c'est que le pouvoir ne se situe plus ici, il n'est plus entre les mains de ceux qui sont les représentants du suffrage universel, il se situe entre les mains de quelques administrations ou plutôt d'une seule, pour dire les choses, au détriment bien entendu des institutions républicaines, mais au détriment aussi de toutes les administrations, de tous les ministères.

Si l'on veut perpétuer cela, il faut surtout ne rien changer à l'ordonnance de 1959. Cela permettra, je vais être brutal et rapide, à Bercy d'avoir la réalité du pouvoir entre ses mains.

Ce n'est sans doute pas ce que vous voulez et, en tous les cas, c'est ce que, moi et que nous, nous n'acceptons plus. C'est ce qui justifie notre démarche. Voyez qu'elle n'est pas quand même si subalterne que cela et, en tous les cas, même s'il y a une conjonction comme je l'ai dit, elle n'est pas facile à atteindre. Je sais de quoi je parle et nous savons de quoi nous parlons quand j'évoque cela.

Enfin, votre contribution est fort utile, mais il y a deux aspects, notamment l'aspect interne aux administrations et c'est l'objet d'une discussion qui doit se situer en aval, même s'il n'est pas interdit d'y réfléchir en amont, je dirai même qu'il est indispensable à la fois en amont et en aval d'avoir cette réflexion, mais, pour ce qui nous concerne, nous poursuivons notre chemin et je ne suis pas sûr d'ailleurs que nous arriverons à son terme, mais je l'espère.

Nous allons passer à M. Guyot, délégué fédéral des fonctions publiques de l'Union fédérale des cadres des fonctions publiques CFE-CGC.

M. Patrick Guyot : Je vais découper mon propos puisque beaucoup de choses ont été dites. Je vais d'abord vous présenter un argumentaire sur la philosophie de la loi de finances et, après, je reviendrai sur deux sujets qui sont ce que l'on peut appeler le problème de la gestion du personnel à la suite de la modification éventuelle du vote de la loi de finances et, également , ce qui concerne le contrôle a posteriori, qui nous paraît poser quelques problèmes.

Le Parlement, puisqu'il s'agit d'une proposition de loi, nous propose de modifier le processus d'élaboration de vote et de mise en _uvre des lois de finances.

Il s'agit là d'une révolution financière. Ce n'est pas moi qui l'ai dit, c'est M. Sapin lors d'une Commission de modernisation. Il a dit : " ce n'est pas une réforme, c'est une révolution ".

Vous savez que la France a toujours quelques problèmes avec les révolutions par rapport aux réformes. C'est un sujet vaste, comme le monde. Il s'agit donc de passer d'un contrôle a priori n'excluant pas parfois le contrôle d'opportunité, on le sait tous. On passerait alors à un contrôle a posteriori et à une comptabilité d'engagement et donc un contrôle des résultats.

En ce qui concerne les crédits, ils ne seront plus votés par chapitre et article, mais par programme ministériel ou interministériel.

Nous, nous avons beaucoup de questions. L'inquiétude porte sur beaucoup de questions et nous attendons quelques réponses de votre part et éventuellement du Gouvernement, si cette proposition vient à l'ordre du jour de l'Assemblée.

D'abord, qui gérera ces crédits interministériels, quand il s'agira de programmes interministériels ? Le préfet de région, un collège de chefs de services déconcentrés ? On voit tout actuellement, le préfet de région n'a pas la haute main sur les crédits, contrairement à ce que l'on croit, il y a encore beaucoup de dossiers qui passent par les services déconcentrés et qui obligent parfois à des réunions de chefs de services déconcentrés pour gérer ces crédits.

Si c'est le cas du préfet de région, mettra-t-on sous ses ordres le trésorier payeur général et le recteur d'académie ? Seront-ils placés sous la tutelle du préfet afin de développer cette notion interministérielle ?

C'est donc une nouvelle organisation des services qu'il va falloir promouvoir. Je vous rappelle que ces deux ministères restent, au niveau local, indépendants. Même les lois de décentralisation n'ont pas entamé l'indépendance des recteurs et des TPG.

C'est une première question.

Si le Gouvernement se lance dans cette affaire, il ne faudra pas qu'il craigne les problèmes de compétences et de conflits de compétences.

En matière de gestion de personnel, je crois qu'il faut que nous rappelions que la CFE-CGC est très attachée au cadre national de gestion des corps, et notamment pour la catégorie A, pour un problème que rappelait Roland Gaillard qui est le problème de ces fameux effectifs de 50, qui n'existent pratiquement dans aucune région de France et qui existent encore moins dans le département.

Ce sont de vrais problèmes d'égalité des carrières qui se posent au niveau de la catégorie A dès que l'on déconcentre cette catégorie.

Les transformations d'emplois seront possibles, ainsi que les recrutements, avancements et modifications de rémunération, s'il n'y a pas de dépassement de crédit. C'est ce que dit l'article premier, alinéa 5.

Les fonctionnaires sont aujourd'hui gérés par des statuts particuliers qui prévoient les formes de recrutement, les procédures d'avancement, d'autres décrets fixent leur rémunération et notamment le régime indemnitaire, quand il sont parus. Nous sommes très favorables à ce que ces règles indemnitaires existent et à ce que la transparence soit renforcée dans ce domaine. Si l'on donne au gestionnaire local un pouvoir très important sur la rémunération des personnels, la perspective d'apparition de " petits chefs " sera à l'ordre du jour. La rémunération doit être incitative dans un système encadré. Si le système n'est pas encadré, l'incitation devient comparable à un délit. On peut facilement accuser le chef de service de délit de favoritisme. On a bien connu cela dans l'administration territoriale. Avant que l'on ait fixé le régime indemnitaire des fonctionnaires territoriaux, on a bien vu des collectivités territoriales servir beaucoup plus de rémunérations, et surtout des primes et non pas des traitements puisque cela était encadré, et j'en parle en connaissance de cause puisque j'ai détaché pendant des années des centaines de personnes dans les collectivités territoriales au moment du début des lois de décentralisation donc j'ai bien vu les effets pervers que cela pouvait donner et surtout le douloureux effort de rectification qu'il a fallu faire quand il s'agissait de renouveler le détachement.

De même, en matière de transformation d'emplois la tentative sera forte de favoriser le grand nombre au détriment de la qualité. Je ne reviens pas sur ce qu'a dit notre collègue de la FSU.

Il est toujours facile de recruter deux agrégés plutôt qu'un professeur d'université, quatre certifiés plutôt que trois agrégés, j'en passe et des meilleures.

Dans l'encadrement, cela va très vite, la déqualification peut se faire en deux, trois, voire quatre ans, surtout aujourd'hui, où nous sommes justement confrontés à révolution du recrutement. Avec les départs à la retraite, il va falloir recruter un nombre extraordinaire de cadres, que ce soit pour l'administration territoriale ou pour l'Etat.

La possibilité de gérer des crédits déconcentrés sans contrôle a priori demande un gros effort de formation des gestionnaires. Cela prendra certainement plus de trois ans. Je rappelle, pour la Représentation nationale si elle ne le sait, puisque cela se passe par décret, que l'ENA n'a mis à son programme la gestion de personnel que depuis deux ans.

Vous imaginez quand même la révolution qu'il va falloir faire. Il ne s'agit pas de gérer le personnel sans en connaître un minimum les statuts, les conditions de rémunération, etc.

Cette réforme demande donc une application progressive que nous avons fixée de dix à quinze ans, avec un bilan d'étape dès les cinq premières années sinon de graves dysfonctionnements ne manqueront pas de se produire. Il faut rénover les pratiques actuelles et provoquer une prise de conscience des gestionnaires. Ce n'est pas toujours facile.

La loi et les réglementations risquent de se heurter à des mentalités non préparées à cette révolution ou qui l'attendent tellement que les débordements seront multiples. En tout état de cause, il faudra mettre en place des systèmes de contrôle de gestion qui apportent aide et conseils avant de sanctionner. A cet égard, la mise en place d'indicateurs pertinents demandera à elle seule plusieurs années, notamment dans une réflexion sur la qualité d'exécution des programmes.

C'est pourquoi il est nécessaire de passer à la mise en place de contrats d'objectifs négociés, car la simple délégation de crédits ne résout pas tous les problèmes. Ces contrats d'objectifs devront tenir compte des budgets de programme et comprendre une partie des moyens des services permettant de réaliser les objectifs. De plus la responsabilisation des gestionnaires se fera à travers cette forme de cadre budgétaire et non par la simple délégation de crédits. C'est l'ensemble de la gestion publique qui doit être rénové, l'ordonnance de 1959 apparaissant comme un des instruments de la rénovation, s'il devait rester le seul, l'échec serait patent.

La mise en place de ces contrats nécessite en amont une réflexion, sur les missions de service public et un encadrement réglementaire en la matière. Cette réflexion, qui est du domaine du politique, devra se faire en tenant compte des observations des organisations syndicales représentatives du personnel et notamment avec l'encadrement qui sera le maître d'_uvre de ces contrats d'objectifs.

L'autre réforme majeure est la mise en place du contrôle a posteriori. Là aussi la formation des personnels est capitale et des moyens devront être dégagés à ce sujet. En effet, d'une culture de contrôle a priori et parfois allant jusqu'à l'opportunité, il faut passer à un contrôle d'engagement de crédits en fonction de budgets de programme. Mais à notre sens, le contrôle quotidien doit se trouver renforcé au sein des services pour éviter tout débordement. A ce sujet les lois de programmation militaire pluriannuelles sont parfois sources de dépassement, il en est de même en matière de marchés publics, notamment quand il s'agit d'investissements lourds. La réglementation doit être plus claire pour certaines opérations comme les marchés publics et nous aurions aimé trouver, à la suite de votre proposition de loi, les modifications induites sur le décret de 1962 relatif à la comptabilité publique parce que la vision ne peut se faire qu'avec ces deux textes. Vous savez comme moi que l'ordonnance de 1959 et le décret sur la comptabilité de 1962 sont deux textes qui ne vont pas l'un sans l'autre.

Nous regrettons aussi que cette réforme ne fasse pas assez mention d'une chose dont on parle souvent qui est la gestion patrimoniale de l'Etat qui reste trop souvent archaïque, voire inexistante.

Reste enfin le problème de l'organisme ou des personnes chargées du contrôle a posteriori. Ce sont des questions que je vous pose : qui sera le juge des comptes a posteriori ? Les Chambres régionales des comptes, la Cour de discipline budgétaire, les contrôleurs financiers actuels ? Tout le monde en même temps ? Dans quel rôle ? S'il s'agit des Chambres régionales des comptes, il faudra fortement renforcer leurs effectifs, afin de répondre à cette nouvelle demande sinon des administrations ne seront contrôlées que tous les cinq à sept ans (c'est le cas des lycées et collèges actuellement).

S'il s'agit de la Cour de discipline budgétaire, là aussi il faut inventer un mode de fonctionnement plus rapide et plus concret et donc multiplier le budget des moyens.

S'il s'agit des contrôleurs financiers actuels, comment sera mise en jeu leur responsabilité ? N'y a-t--il pas, pour tous ces corps et ces personnels, un risque de pénalisation de la gestion des deniers publics qui relancerait la recherche toujours forte, que l'on connaît dans d'autres domaines, du " lampiste " ?

En ce qui concerne les gestionnaires, ne faudra-t-il pas inventer une forme de cautionnement comme pour les comptables publics et comment sera financé ce cautionnement qui pourrait toucher effectivement les ordonnateurs, puisque ce seront eux qui engageront les crédits et qui prendront la responsabilité quelque part ?

Je vais revenir rapidement sur deux points : la gestion du personnel et le contrôle a posteriori.

Sur la gestion du personnel, on tourne toujours autour du fameux article premier, alinéa 5 qui fixe la règle. Cette dernière nous semble une souplesse donnée aux gestionnaires, qui demande une formation adéquate et qui, à notre connaissance, est assez inexistante actuellement. Il y a très peu de gestionnaires qui connaissent parfaitement les statuts des personnels sous leurs ordres.

Cette souplesse n'aurait-elle pas pour effet premier, notamment en services déconcentrés et j'ai tendance à dire encore plus en services déconcentrés qu'en centrale, de reconstituer le stock des emplois précaires dans la fonction publique ?

En effet qui dit programme dit effet limité dans le temps et peut-être souhait d'engager telle ou telle personne sous contrat à durée déterminée. Qui peut dire aujourd'hui qu'un programme sera clos à telle date et donc ces CDD seront-ils renouvelés à terme ? Deviendront-ils des CDI accessoirement ?

En ce qui concerne les fonctionnaires, les différents corps sont régis par des statuts particuliers. Pour ce qui est du recrutement, nous réaffirmons notre attachement au concours, seule source d'égalité devant l'accès à la fonction publique, et à la gestion du personnel au niveau national, notamment pour la catégorie A, les catégories B et C étant à voir corps par corps et plutôt au niveau régional compte tenu de la délégation qui pourrait être donnée au préfet de région, justement.

Quant à l'avancement, toute transformation d'emploi peut-être source de remise en cause de celui-ci. En effet, de nombreux corps voient leur avancement conditionné par un pourcentage limitatif au regard du nombre de fonctionnaires dans le corps. Si ce nombre varie à la baisse, les possibilités d'avancement s'amenuisent

Dans ce cadre, permettre à un gestionnaire de jouer sur ce paramètre revient à fragiliser la carrière de certains personnels. De plus, lorsque le choix sera fait par le gestionnaire il y a fort à parier que le poids du nombre soit un élément essentiel du choix. En effet, il est préférable pour un gestionnaire de faire de nombreuses promotions dans des petits corps, et dans des corps de catégorie C et B plutôt que de faire quelques promotions dans les corps de catégorie A, pour la bonne raison que cela pose moins de problèmes, ce qui accentuera certainement le problème de l'encadrement intermédiaire dans la fonction publique.

Enfin pour ce qui est des conditions de rémunération, si les modulations de primes sont souhaitables, encore faut-il qu'on encadre ces possibilités. Cela nécessite une clarté et éventuellement une réflexion sur les systèmes de rémunération. C'est pourquoi il nous semble donc souhaitable de poser des limites à la modification de rémunération dans le respect des textes réglementaires qui doivent fixer la rémunération des fonctionnaires.

En ce qui concerne le contrôle a posteriori, je reviens surtout sur le problème de sa mise en place progressive.

Il faut bien voir qu'elle est déjà perçue par certains ministères et par certaines directions de ministères comme d'ores et déjà une perte de pouvoir, vous devez en être conscients. Cela pourrait se traduire par des comportements excessifs qu'il faudra savoir canaliser, il faudra en gros résister à la "technocratie", semblables à ceux du début de la décentralisation. Tout le monde sait, et tout le monde a vu les effets mal contrôlés des débuts de la décentralisation qui, Dieu merci aujourd'hui, sont rentrés dans un ordre que l'on peut trouver acceptable et où les débordements deviennent beaucoup moins légion qu'ils n'étaient au début des contrôles des Chambre régionale des comptes.

En tout état de cause ce passage devra être piloté intelligemment par la mise en place de formations adéquates qui tiennent compte des impératifs de la gestion publique, qui ne peut pas être celle du privé. Je ne reviens pas sur ce qu'ont dit certain de mes collègues. Une mission de service public, ce n'est pas un service privé. D'ailleurs on le voit bien quand on délègue à un service privé une mission de service public, souvent on a des problèmes de coût, je pense notamment à la gestion de l'eau.

A cet égard, nous souhaitons connaître les intentions du Gouvernement sur le coût de ces formations et les crédits qu'il dégagera en la matière.

Se pose également le problème de l'organisme, de la juridiction ou des personnels appelés à effectuer ces contrôles. Là aussi il faudra dégager des moyens et former les personnels.

Enfin, il faudra réfléchir aux sanctions applicables aux mauvais gestionnaires, éviter à notre sens la mise en _uvre d'une responsabilité pénale liée à l'utilisation des deniers publics, qui serait trop systématique, réfléchir à la mise en place d'un éventuel cautionnement pour les ordonnateurs équivalent de celui qui existe pour les comptables. L'on n'évitera pas également une réflexion sur le nouveau rôle des comptables publics.

On le voit, cette gestion demandera une mise en place négociée avec les organisations syndicales représentatives du Conseil supérieur de la fonction publique de l'Etat, notamment au sein de la Commission de modernisation des services publics et également au niveau local avec ces mêmes organisations.

Enfin, cette réflexion sur le droit budgétaire devra s'accompagner d'une réflexion sur les missions de l'Etat, sous peine de mettre en place des programmes dont la pertinence serait rapidement remise en cause.

M. le Président : Nous allons passer la parole à M. Michel Perier, secrétaire général de l'Union des fédérations CFDT des fonctions publiques et assimilées.

M. Michel Perier : Merci M. le Président. Nous ne sommes pas à l'initiative de ce projet de loi, cela peut paraître évident, mais c'est un peu une boutade par rapport à un propos que j'avais avec mon collègue de FO en attendant le début de séance.

Cependant si nous avons aujourd'hui bien compris les objectifs, nous y sommes plutôt favorables, sachant que nous sommes favorable à toutes mesures permettant, d'une part, une meilleure efficacité de l'Etat et de ses services et, d'autre part, plus de transparence dans la préparation, la mise en service et l'évaluation de l'action de l'Etat.

Il nous semble aujourd'hui que la réforme des finances publiques proposée y concourt.

Pour la CFDT, la proposition de loi relative aux lois de finances que vous examinez répond au souci qui est le nôtre d'un recentrage des missions de l'Etat et, en corollaire, d'engager une nouvelle étape de décentralisation, prolongeant les dispositions prises depuis 1982.

Nous n'interviendrons pas sur les aspects techniques ou financiers qu'implique la loi de finances proposée, mais plutôt sur les aspects politiques et les conséquences pour l'Etat et ses agents de ces nouvelles dispositions, si elles étaient adoptées par le Parlement.

J'insisterai ici, sur trois dimensions qui nous semblent essentielles :

- la redéfinition du rôle des élus que cette proposition induit ;

- le fonctionnement différent de l'Etat et de ses services qu'entraîne automatiquement la proposition de loi ;

- l'évolution nécessaire des relations sociales dans la fonction publique.

Sur le premier point, le Parlement va, grâce à ces nouvelles dispositions, voir ses prérogatives changer. Pour la CFDT, il y a un intérêt évident aujourd'hui à ce que les responsables politiques recentrent leur intervention sur leurs missions essentielles, à savoir la définition des objectifs de la Nation.

Le développement d'une politique formulant des objectifs sur la base de projets pluriannuels nous semble urgente pour relever les défis qui se posent à l'Etat. En cassant le mythe d'un Parlement qui fait tout, jusqu'à déterminer le nombre de gommes que chaque service peut ou ne peut acheter, il nous semble que le Parlement doit pouvoir recentrer son action publique sur les vrais enjeux de la période.

Mais ce faisant, il y a nécessité, de notre point de vue, d'engager rapidement le chantier d'une deuxième étape de décentralisation, notamment en développant de nouveaux espaces de démocratie locale. Sans quoi le risque majeur est celui d'un déplacement sur les instances locales des travers que vous avez dénoncés, et que vous voulez combattre par cette loi, au moment où les instances locales auront à leur tour à décliner en mesures concrètes les objectifs nationaux. C'est ce que l'on pourrait rencontrer.

Le Parlement doit aussi, dans les mesures qu'il va prendre, se poser la question des statuts des agents et prendre garde que la fongibilité des crédits ne vienne pas réduire les orientations politiques décidées. Les lignes budgétaires individualisées, fléchées, doivent autoriser un suivi des principaux chapitres, notamment ceux tenant aux effectifs, et nous serons sensibles aussi à ceux relatifs aux conditions de travail, à l'action sociale ou la formation. La fongibilité budgétaire ne doit pas se traduire en cours d'année par la réduction systématique d'engagements budgétaires jugés moins urgents ou moins stratégiques.

Sur le deuxième point, à savoir le fonctionnement de l'Etat et de ses services, ces nouvelles règles financières entraînent, de notre point de vue, ipso facto une transformation du fonctionnement de l'Etat et de ses services. On peut sans risque prédire que ces nouvelles règles accéléreront l'évolution des administrations centrales ou des services centraux vers une administration d'expertise et vers une administration de pilotage et d'évaluation, évolution incontournable à notre sens pour élaborer et gérer des projets.

Les services déconcentrés de l'Etat connaîtront une évolution différente : chargés de déterminer les moyens à mettre en _uvre pour atteindre les objectifs fixés par la Représentation nationale, ces services devront nécessairement revoir leur fonctionnement et leur mode d'organisation, entraînant requalification des fonctions et responsabilisation de ces services. Je pense que, là, il y a à développer de la formation, rapidement et dès maintenant avant que les mesures ne soient mises en _uvre complètement d'ici 2006.

De telles évolutions nous conviennent tout à fait, mais nécessitent une programmation des moyens d'accompagnement. Il doit notamment y avoir une articulation, et peut-être sur certains points, une redéfinition des échéances, du plan de modernisation de l'Etat, et peut être que le prochain CIRE devrait rapidement préciser cet aspect.

Troisièmement, si la nouvelle loi organique financière proposée peut amener à ce que les élus voient leurs fonctions et responsabilités clarifiées, à ce que les services de l'Etat voient redéfinis leurs missions et modes d'intervention, il y a, de notre point de vue, nécessité à modifier le système de relation sociale entre l'Etat et ses agents.

Pour la CFDT, une transformation aussi fondamentale du fonctionnement de la société n'a de chance de réussir que si elle associe les agents chargés de sa mise en _uvre. Nous demandons donc une réouverture concomitante du chantier sur le paritarisme et le dialogue social. Quant au dialogue social, vous n'êtes pas sans savoir que l'on est en conflit avec le Gouvernement sur la rémunération des fonctionnaires et j'ai quelques craintes sur ce dialogue social et son évolution positive dans l'avenir.

Pour revenir au sujet d'aujourd'hui, le déplacement des lieux de décisions vers les services déconcentrés implique la mise en place de règles. La CFDT demande la refonte des décrets de 1982 sur les CAP et CTP et la mise en place de nouvelles instances aux responsabilités renforcées, notamment par la définition de vrais espaces contractuels locaux.

Sans ces éléments nous pensons que la modification de la loi de finances présentera des inconvénients qui ne pourront pas être contrôlés.

M. le Président : Merci M. Perier pour, à la fois, la rapidité de votre propos, votre esprit de synthèse et la clarté d'argumentation. Je passe la parole à Mme Nicole Prud'homme, déléguée générale de l'INTERFON-CFTC.

Mme Nicole Prud'homme : Merci M. le Président. Je vous prie de m'excuser encore de ce retard, mais c'est une journée un peu compliquée pour les syndicalistes aujourd'hui.

Je voudrais tout d'abord vous dire, monsieur le Président, que nous ne pouvons que saluer aujourd'hui l'initiative qui est la vôtre d'associer les fédérations de fonctionnaires à la proposition de loi organique relative aux lois de finances et, si vous le permettez, vous dire qu'il nous semble que nous ne sommes plus dans la configuration qui prévalait en 1959 puisque le document que vous nous avez adressé précise la chose suivante - et je crois qu'il faut parfois relire les choses pour bien les comprendre : le 2 janvier 1959, une ordonnance rédigée dans le secret des bureaux du ministère des finances, sans aucune consultation des assemblées parlementaires, scellait ce que l'on s'accorde à qualifier de constitution financière de l'Etat.

Cela nous permet, même si nous demandons toujours plus de dialogue et de transparence, quand même, au moins sur ce point, de mesurer le chemin parcouru.

Je voudrais vous dire aussi que nous ne voulons voir aujourd'hui, dans l'acte nous posons devant vous, aucune concomitance bien sûr entre votre initiative de modification de cette ordonnance et tous les articles ou ouvrages très récents qui dénoncent l'archaïsme de l'Etat ou l'extrême faiblesse du contrôle financier parlementaire en France.

Je crois que nous sommes quand même dans la bonne voie puisque le Parlement s'engage dans cette modification de l'ordonnance de 1959.

Comme certains des intervenants, je n'entrerai pas directement dans le texte que vous nous avez proposé, mais je vous dirai plutôt, pour nous, ce vers quoi il faudrait aller.

Il nous semble qu'il faudrait améliorer le fonctionnement et la clarté des dépenses publiques. Je crois qu'il y a nécessité à bien dissocier ce qui est dépenses de l'Etat, qui ressortent du budget de l'Etat, des dépenses des collectivités locales et celles de la protection sociale, contrairement probablement à ce que l'on pourrait faire à l'échelon communautaire sous le vocable, c'est vous-même qui le citez dans le document, d'" administrations publiques ". Il faudrait, à notre sens, bien dissocier ces types de dépenses.

Je crois que des difficultés apparaissent dans le fonctionnement de type budgétaire et annuel de ces dépenses, difficultés de mener des programmes à long terme qui peuvent être remis en cause en raison de l'annualité de l'exercice budgétaire et du contrôle a posteriori peu efficace.

D'ailleurs, le contrôle qui est effectué par la Cour des comptes notamment ne semble pas suivi d'effets suffisants et il en est de même pour les Chambres régionales des comptes. Cela veut dire que la réforme que vous nous proposez pourrait aller dans le bon sens après le constat que nous venons de faire.

Je crois que l'émancipation qui existe en matière de politique publique et la possibilité de mener des programmes d'envergure sur plusieurs années pour adapter un système, un service ou un ministère, doivent être encore améliorés.

Nous avons des exemples récents dans ce domaine en ce qui concerne des programmes d'envergure, en particulier la réforme des armées. La restructuration de l'industrie de l'armement montre qu'une évolution notable, sur ces dernières années, de mise en _uvre d'une décision d'ordre politique et de mouvement de réforme, et dans une certaine mesure de certaines dépenses publiques, est possible. Mais pour nous, et cela doit s'appliquer aussi, et je dirai surtout, à la fonction publique, ces évolutions ne peuvent être envisageables qu'à condition que le point de vue social soit réellement intégré au projet.

A ce point, vous comprendrez que nous fassions bien sûr allusion au développement que l'on a pu voir ces dernières années des emplois à caractère précaire et nous voulons attirer l'attention des parlementaires sur ce point. Evolution ne veut pas dire forcément précarisation.

Autre élément que je voudrais mettre en relief : l'insuffisance de clarté.

Insuffisance de clarté en particulier dans le manque de dissociation entre dépenses de fonctionnement et dépenses d'investissement. Je crois qu'il est difficile d'avoir une lisibilité du budget de l'Etat dans ses interventions sociales et économiques parce qu'il y a imbrication entre les dépenses de l'Etat et celles des collectivités locales.

Là, il y a absolument nécessité de clarifier. Ainsi, dans les faits, le rôle que peut jouer le Parlement en matière de décision budgétaire est à notre sens trop limité, ce qui veut dire qu'il nous faut des règles qui régissent les dépenses publiques.

L'efficacité de la dépense publique et le bilan des actions menées devraient faire partie d'un souci de transparence. Toutes les mesures qui iraient dans ce sens pourraient avoir notre assentiment.

Il nous semble aussi qu'il faut adapter les dépenses publiques à la conjoncture et respecter les procédures.

Les dépenses publiques doivent être cohérentes avec l'état économique et social de la Nation, ce qui veut dire que les prélèvements publics ne doivent pas être étouffants pour l'économie.

Même si, comme l'affirme votre présentation de réforme de l'ordonnance, je cite : " l'Etat joue un rôle important dans le financement et l'encadrement de la sécurité sociale ", est-ce pour autant que cela lui confère le droit absolu de pouvoir, en période de croissance, prélever un certain nombre de milliards sur la branche famille par exemple ?

N'est-ce pas aller finalement vers une certaine confusion entre les rôles respectifs des partenaires sociaux et de l'Etat ? Votre réforme ne devrait-elle pas rectifier cette trajectoire ?

Il nous semble aussi qu'il faut responsabiliser les responsables des dépenses publiques. Augmenter la démocratie dans les domaines des dépenses publiques passe très certainement par une réelle responsabilisation des acteurs de ces dépenses.

Il s'agit donc, pour l'Etat ou les collectivités locales, d'obtenir un réel engagement de ceux qui décident de mesures, qui les votent, pour en assurer ensuite, logiquement, le financement et anticiper sur les changements, les augmentations ou les diminutions de crédits nécessaires. Donc, pour toute mesure qui peut être prise par le Parlement dans un certain nombre de domaines, comme la sécurité, l'éducation, par exemple, il faut s'engager aussi sur les moyens nécessaires pour la mise en _uvre de ces orientations.

Je voudrais vous dire aussi que la tentation de reporter sur l'Etat le financement de certaines dépenses ou, au contraire, la volonté de centraliser certaines mesures par l'Etat, brouille la responsabilité des acteurs locaux et des élus.

Je terminerai par un point qui concerne l'Europe. Nous le voyons bien et vous le citez dans votre document, il y a un nouvel acteur de plus en plus présent : l'Europe. Nous savons bien que la question des dépenses publiques françaises s'inscrit dans le cadre plus général du pacte de stabilité. Ainsi, les recommandations faites à la France de réduire en particulier son déficit font partie du débat.

Je crois que les remarques que nous venons de formuler quant à l'amélioration du fonctionnement, la clarté des dépenses, à leur adaptation à la conjoncture et l'augmentation de la démocratie dans ce domaine, sont autant de principes que doit aussi respecter l'échelon européen.

Pour nous, cela est fondamental dans le cadre de la construction européenne.

Voilà, monsieur le Président, quelques principes que nous voulions énoncer par rapport à cette proposition de loi organique.

M. le Président : Merci Madame et messieurs, j'ai tenu, à la fois par respect de vos organisations syndicales et car je souhaitais montrer l'importance que nous accordions à ces auditions, être présent jusqu'à la fin de la réunion. Malheureusement, j'ai un engagement qui me conduit à céder ma place à Jean-Jacques Jégou, mais bien entendu, vous allez entendre le Rapporteur qui va répondre évidemment aux questions qui ont été posées et ce sera peut-être l'occasion peut-être d'échanger avec lui et Jean-Jacques Jégou sur différentes questions, même si nous n'avons pas, les uns et les autres, un temps malheureusement suffisant pour aller au fond des choses.

Beaucoup de questions ont été abordées évidemment. Je voudrais simplement rassurer, si je puis le faire et même s'il subsiste dans l'esprit de tel ou tel des motifs d'inquiétude. Il n'est pas notre intention évidemment de toucher au statut de la fonction publique. Il reste ; c'est la loi intangible évidemment qui ne subira aucune modification, quel que soit le texte qui sortira de l'Assemblée et du Sénat, car je vous rappelle que, pour que cette loi organique puisse être adoptée, il faut à la fois l'accord de l'Assemblée et du Sénat. Cela me permet de répondre d'une manière autre à ce que j'indiquais tout à l'heure sur la quête d'un consensus absolu. Ce n'est pas la quête, c'est une obligation puisqu'il s'agit d'une loi organique relative au fonctionnement de l'Assemblée et du Sénat. Vous savez bien que la majorité, ici, n'est pas tout à fait la même qu'au Sénat et qu'il nous faut l'accord de l'un et de l'autre et donc, finalement de tout le monde, sinon nous n'avons aucune chance d'aller jusqu'au terme de notre réflexion.

Merci en tous les cas pour être venus jusqu'à nous et je donne la parole au Rapporteur.

M. le Rapporteur : Merci monsieur le Président. Je voudrais tout d'abord remercier chacun d'entre vous parce que, si vous avez salué cette initiative de notre part, vous avez préparé cet entretien et de ce fait, vos contributions nous sont bien évidemment utiles, importantes et le débat pourra se prolonger car, au-delà du texte qui est en discussion et qui, je l'espère, sera voté, cette réforme de l'ordonnance de 1959 nécessitera un certain nombre d'années d'application et donc des échanges s'agissant des modalités de cette réforme.

(M. Jean-Jacques Jégou, Secrétaire du bureau de la Commission spéciale, remplace M. Forni au fauteuil de la présidence)

Vous avez posé beaucoup de questions. Beaucoup d'entre elles d'ailleurs ne relèvent pas obligatoirement de la loi organique, mais plutôt des modalités d'exécution de cette réforme. Je conviens tout à fait qu'un certain nombre de questions devront être précisées et que le dialogue aussi bien avec le Parlement qu'avec le Gouvernement devra se poursuivre.

Je voudrais rappeler, et, je l'espère, rassurer par rapport à un certain nombre de préoccupations qui ont été exprimées, les objectifs qui sont les nôtres. J'ai aussi noté, et je crois que c'est parfois utile que vous le répétiez, que vous n'étiez pas hostiles par principe à l'évolution, à la modernisation de l'Etat et que vous étiez partisans de la réforme.

Effectivement, c'est important de le dire même si, ensuite, il ne faut pas mettre des conditions d'application à la réforme telles que la réforme ne devient effectivement jamais possible. Je crois que cela n'est pas votre état d'esprit et le dialogue que nous avons aujourd'hui montre que nous pouvons tout à fait progresser ensemble.

Nos deux objectifs sont, comme vous l'avez rappelé vous-même, l'amélioration de la gestion publique de l'Etat et - nous mettons ces objectifs sur un pied d'égalité, je vous rassure là-dessus - le renforcement du pouvoir budgétaire du Parlement, étant entendu que nous nous situons dans le cadre de la Constitution de 1958 et qu'une loi organique n'a pas vocation à modifier l'équilibre ou le déséquilibre qu'organise la Constitution de 1958 dans les relations entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif. C'est une contrainte pour nous.

Le fait que nous nous lancions dans la révision de l'ordonnance organique pour nous n'est pas exclusif d'une plus grande réforme de la Constitution de 1958, qui ne pourrait venir que dans un deuxième temps, chaque chose en son temps. Un certain nombre de députés ont pu dire, à l'occasion des travaux de la Commission spéciale, qu'ils étaient favorables à aller au-delà, jusqu'à la modification de certain articles de notre Constitution.

Certains d'entre vous, pratiquement tous, ont évoqué l'Europe. Que l'on soit favorable à l'évolution actuelle ou que l'on soit réservé, il existe, là aussi, des traités internationaux qui s'imposent à nous.

Le traité de Maastricht auquel vous avez fait référence a été approuvé par le suffrage universel. Un certain nombre de dispositions, effectivement, s'imposent dans la hiérarchie de nos normes juridiques. Certains d'entre vous peuvent peut-être le regretter, ainsi que certains députés, mais toujours est-il qu'une loi organique n'a pas non plus possibilité de revenir sur des dispositions qui ont une valeur juridique supérieure.

Je veux bien préciser de nouveau le cadre de notre travail car il a bien évidemment ses contraintes, même si, vous avez été nombreux à le souligner, il représente une évolution ou une révolution. Je ne veux pas entrer dans ce débat : s'agit-il d'une réforme ou d'une révolution ? Toujours est-il qu'il ne nous a pas échappé que ce n'était pas effectivement un texte anodin. Nous sommes tout à fait conscients de la dimension politique de ce texte et, d'ailleurs, par définition, le Parlement a vocation à faire de la politique et donc de définir les objectifs et de se fixer, non seulement des objectifs, mais aussi les moyens pour y parvenir et d'apprécier aussi les résultats par rapport à ces objectifs.

Je crois que, si nous sommes pour un Etat qui ait bien évidemment un rôle dans notre société, il faut que cet Etat soit transparent, efficace et mieux contrôlé. Nous pensons qu'il y a une marge de progression, que l'Etat doit être plus transparent, plus efficace qu'il n'est et mieux contrôlé : c'est l'objectif de cette réforme.

Il y a déjà un certain nombre de modifications que j'ai pu apporter à mon texte et qui répondent d'ailleurs, pour certaines parties, à quelques unes de vos interrogations. Jamais il n'a été question pour nous de remettre en cause le rôle du comptable public, ni son existence même. J'ai eu l'occasion de répondre par écrit à un certain nombre d'entre vous qui m'avez interpellé. Le texte définitif qui sera proposé au vote de la Commission spéciale, puis de l'Assemblée nationale, est précisé sur ce point.

Je veux redire ce double objectif. Nous avons vraiment le souci, tout en restant une fois de plus dans le cadre de la Constitution, d'accroître notre pouvoir budgétaire.

Vous avez évoqué l'article 40, en tout cas M. Berguin, en le qualifiant d'extravagant. On peut effectivement le penser, mais ce n'est pas tant l'article 40 en lui-même qui est extravagant que l'interprétation qui est donnée par l'ordonnance de 1959 de ce dernier. L'article 40, selon nous, encadre effectivement l'initiative parlementaire, notamment au niveau de la dépense publique, mais l'ordonnance de 1959, dans son article 42, fait plus qu'encadrer puisque ce dernier revient à nier complètement toute initiative parlementaire en matière de dépenses. Nous pensons que l'ordonnance de 1959, rédigée dans le secret des cabinets, et par un certain nombre de hauts fonctionnaires d'un ministère donné, a eu une lecture tout à fait excessive de la volonté des constituants.

Nous souhaitons en revenir à une lecture plus conforme à la lettre et à l'esprit de la Constitution de 1958 qui, certes, a entendu rationaliser le régime parlementaire, mais qui n'a pas l'intention de vider de son contenu le pouvoir parlementaire. Donc je veux vous rassurer là-dessus. C'est une de nos préoccupations. Par rapport à une crainte qui a été exprimée, il n'est absolument pas question pour nous de laisser filer les choses ou de renforcer au contraire le pouvoir de la technocratie ou du ministère de l'économie et des finances. Ce serait un contresens par rapport à notre volonté.

Que le ministère de l'économie et des finances, que le Gouvernement aient un rôle déterminant dans la préparation du budget, cela me paraît légitime. Il n'est pas question pour nous de revenir là-dessus, mais nous souhaitons affirmer notre rôle, notre pouvoir, car pour nous, à la différence de l'administration qui peut exercer un contrôle a priori ou a posteriori, ce n'est pas un problème seulement de contrôle, mais un problème d'autorisation budgétaire.

Nous souhaitons que l'autorisation budgétaire retrouve toute sa dimension.

Vous avez évoqué plusieurs sujets, certains techniques et d'autres qui le sont moins. Sur le rôle des annexes, il n'est pas question de changer le statut des annexes puisque nous souhaitons au contraire qu'elles soient enrichies. Nous tenons à ce qu'elles conservent le statut qu'elles ont aujourd'hui. C'est quelque chose d'extrêmement important et, justement, tout ce que nous prévoyons dans les annexes explicatives devrait contribuer à une plus grande lisibilité, une plus grande transparence et un meilleur contrôle de l'action de l'exécutif.

Après, vous avez évoqué un certain nombre de sujets qui relèvent davantage des échanges et du dialogue que vous devez avoir avec le Gouvernement et le pouvoir exécutif. Je m'arrêterai donc là dans mes réponses, sachant que, je veux vous le répéter, il n'est pas pour nous question d'assimiler l'Etat à une quelconque entreprise privée.

Nous sommes conscients du rôle de l'Etat, et je crois d'ailleurs que c'est un point de vue qui peut dépasser certains clivages politiques, même si certains ont tendance à faire cette assimilation, mais ce n'est pas l'avis du plus grand nombre.

Même si nous pensons que l'appréciation de l'efficacité de l'Etat doit faire partie de notre culture, il n'y a pas de raison que l'Etat ou ses services soient les seuls à ne pas s'évaluer et s'apprécier en termes de service rendu aux usagers ou aux contribuables. Nos concitoyens exigent aussi, compte tenu des impôts qu'ils payent, qu'il s'agisse des impôts directs ou indirects, que l'Etat soit efficace dans son action, que les moyens soient adaptés et que l'argent soit bien utilisé. La qualité du service est extrêmement importante. Je tiens à le redire.

Il va de soi que cette révision nécessitera du temps, vous l'avez dit, car beaucoup de points doivent être préparés, cela ne se fait pas du jour au lendemain.

D'ailleurs, nous prévoyons que la nouvelle loi organique s'applique à compter du projet de loi de finances pour l'année 2006, avec un certain nombre d'étapes de transition, puisque nous sommes bien conscients que tout cela nécessite du temps, de la discussion, des échanges.

J'en terminerai là-dessus, il n'est pas question, à travers cette révision de la loi organique, de remettre en cause un certain nombre de garanties auxquelles vous êtes attachés. Vous avez raison d'exprimer vos préoccupations et de poser la question.

Des expériences se font actuellement dans les préfectures sur la globalisation des crédits. J'ai été frappé de voir la réaction des fonctionnaires. J'ai pu avoir des contacts avec les représentants des organisations syndicales qui pouvaient peut-être avoir quelques appréhensions par rapport à ce type nouveau de fonctionnement. Ils sont loin de s'en plaindre et, après quelques mois de fonctionnement, ils peuvent voir l'intérêt, pour eux, de cette responsabilisation accrue des gestionnaires publics, dont certains d'entre vous avez parlé.

J'ai conscience que ce dialogue devra être prolongé bien au-delà du travail que nous faisons, mais je voudrais vous dire une nouvelle fois que, dans notre esprit, les deux objectifs que sont l'amélioration de la gestion publique et le renforcement du pouvoir budgétaire du Parlement sont bien sur un pied d'égalité, qu'il n'y a pas un objectif qui passerait derrière l'autre et que, bien évidemment, ces objectifs doivent respecter les principes généraux du droit, notre histoire et, d'une certaine façon nos spécificités, mais il faut qu'on sache les faire évoluer.

Pour ce qui me concerne, puisqu'il y a eu souvent cette référence avec l'Angleterre thatchérienne, si j'ai bien compris, ce n'est pas mon modèle. Je n'ai pas l'impression d'ailleurs que ce soit le modèle de Jean-Jacques Jégou ou de beaucoup d'autres députés de l'Assemblée.

Nous avons des spécificités et nous nous efforçons de les faire comprendre par l'Union européenne. Ce n'est pas toujours facile, mais c'est à force de conviction et de dialogue que nous arriverons à faire comprendre les spécificités qui sont les nôtres.

Voilà, monsieur le Président, les quelques points que je souhaitais développer en réponse à vos interrogations, mais je note qu'au-delà des préoccupations que vous avez exprimées, chacun est bien conscient de la nécessité d'adapter un certain nombre de textes. En tout cas, quant à cette ordonnance rédigée dans les conditions dans lesquelles elle l'a été, il y va de l'honneur du Parlement d'y mettre fin.

M. le Président : Merci monsieur le Rapporteur. Compte tenu de l'heure avancée, il y a peut-être nécessité de mettre un terme à notre rencontre qui était, je crois, très intéressante.

J'ai pris beaucoup de notes. Vous aviez tous bien préparé ces interventions et je voulais souligner - puisqu'il m'est donné de vous dire quelques mots après le Président de notre Assemblée et le Rapporteur, qui est l'auteur de ce texte, et avec lequel nous travaillons depuis plusieurs mois - qu'il n'est ni connivence ni entente particulière, mais au contraire une volonté du Parlement.

Si vous avez assisté - et je suis sûr que vous êtes des experts les uns les autres - aux discussions budgétaires, et je les pratique personnellement, comme le Rapporteur, alternativement dans la majorité et dans l'opposition, je pense que l'honneur de notre démocratie nécessite tout de même que nous puissions exercer notre mandat de représentant du peuple dans des conditions plus convenables. Nous sommes maintenant dans une " fenêtre ", aussi bien de l'Etat, de la majorité et de l'opposition, à un moment où il nous apparaît comme indispensable, sinon utile, de moderniser cette ordonnance.

Nous sommes un certain nombre à être de la même génération, et il paraît incroyable aujourd'hui qu'en 1959, dans le secret d'un cabinet ministériel, on ait pu, de cette façon, rendre inopérante la discussion dans le temple de la démocratie qu'est notre Assemblée, après que les Français eurent approuvé la Constitution, quelle que soit l'opinion que nous pouvions avoir à l'époque.

Retournons-nous et demandons-nous si, aujourd'hui, une telle chose serait possible ? Certainement pas.

Nous essayons, c'est difficile, je ne sais pas si nous y parviendrons. En tout cas nous sommes un certain nombre dans nos diversités, et parfois elles sont grandes, à essayer d'apporter notre pierre à cet édifice que nous croyons utile au pays pour effectivement améliorer les choses, dans l'intérêt d'ailleurs de cette noble corporation que sont les fonctionnaires de l'Etat et surtout ceux qui sont chargés de gérer les deniers publics.

Une dernière idée, le Rapporteur en a parlé tout à l'heure et j'y tiens particulièrement : de plus en plus, dans nos circonscriptions, il y a une nécessité, pour nos concitoyens, quelle que soit la philosophie qu'ils développent, d'accepter l'impôt, c'est-à-dire la nécessité de dire : " pour que l'Etat puisse fonctionner correctement pour le bien de tous, y compris et à commencer par ceux qui sont les plus fragiles d'entre nous, il y a une nécessité de la bonne utilisation de l'argent public ".

C'est ce que nous essayons de faire, je vous l'ai dit, dans notre diversité. Je crois que c'est une mission dont nous serons les uns les autres, sinon fiers tout au moins satisfaits de l'avoir menée et d'avoir apporté une certaine utilité à ce débat.

Je vous remercie tous, et vraisemblablement, il y aura une suite. Le Rapporteur et la Commission spéciale auront certainement à vous parler de ce texte qui est inscrit : la Commission spéciale travaille le 30 et le 31, puis il y a une inscription en séance publique, avant la trêve des élections municipales, les 8 et 9 février.

Je vous remercie infiniment.

*

* *

() Les conclusions de la Commission proposant une nouvelle architecture des dispositions organiques relatives aux lois de finances et supprimant ou modifiant profondément certaines d'entre elles, le présent tableau comparatif ne présente pas dans la colonne de gauche l'intégralité des dispositions de l'ordonnance du 2 janvier 1959.

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