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le 4 avril 2001

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N° 2970

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 3 avril 2001.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE (1) SUR LA PROPOSITION DE LOI (N° 2494) DE M. BERNARD PERRUT ET PLUSIEURS DE SES COLLÈGUES, relative à la médiation familiale,

PAR M. BERNARD PERRUT,

Député.

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(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

Famille.

La Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République est composée de : M. Bernard Roman, président ; M. Pierre Albertini, Mme Nicole Feidt, M. Gérard Gouzes, vice-présidents ; M. Richard Cazenave, M. André Gerin, M. Arnaud Montebourg, secrétaires ; M. Léo Andy, M. Léon Bertrand, M. Jean-Pierre Blazy, M. Émile Blessig, M. Jean-Louis Borloo, M. Jacques Brunhes, M. Michel Buillard, M. Dominique Bussereau, M. Christophe Caresche, M. Patrice Carvalho, Mme Nicole Catala, M. Jean-Yves Caullet, M. Olivier de Chazeaux, M. Pascal Clément, M. Jean Codognès, M. François Colcombet, M. François Cuillandre, M. Henri Cuq, M. Jacky Darne, M. Camille Darsières, M. Jean-Claude Decagny, M. Bernard Derosier, M. Marc Dolez, M. Renaud Donnedieu de Vabres, M. René Dosière, M. Jean-Pierre Dufau, M. Renaud Dutreil, M. Jean Espilondo, M. Jacques Floch, M. Roger Franzoni, M. Pierre Frogier, M. Claude Goasguen, M. Louis Guédon, Mme Cécile Helle, M. Philippe Houillon, M. Michel Hunault, M. Henry Jean-Baptiste, M. Jérôme Lambert, Mme Christine Lazerges, Mme Claudine Ledoux, M. Jean-Antoine Léonetti, M. Bruno Le Roux, M. Jacques Limouzy, M. Noël Mamère, M. Thierry Mariani, M. Louis Mermaz, M. Jean-Pierre Michel, M. Ernest Moutoussamy, Mme Véronique Neiertz, M. Robert Pandraud, M. Vincent Peillon, M. Dominique Perben, M. Bernard Perrut, M. Henri Plagnol, M. Didier Quentin, M. Jean-Pierre Soisson, M. Frantz Taittinger, M. André Thien Ah Koon, M. Jean Tiberi, M. Alain Tourret, M. André Vallini, M. Michel Vaxès, M. Alain Vidalies, M. Jean-Luc Warsmann, M. Kofi Yamgnane.

INTRODUCTION 5

I. - OUTIL PRÉCIEUX POUR LA GESTION DES CONTENTIEUX FAMILIAUX, LA MÉDIATION FAMILIALE DEMEURE ENCORE MÉCONNUE 6

1. La médiation familiale peut être conventionnelle ou judiciaire 6

2. Les conditions dans lesquelles se font les ruptures d'union incitent à accorder une place croissante à la médiation familiale 7

3. La médiation ne connaît encore en France qu'un développement timide 9

II. - LA PROPOSITION DE LOI TEND À PROMOUVOIR LA MÉDIATION FAMILIALE ET À JETER LES BASES DE L'ORGANISATION DE CE SECTEUR 10

1. L'information dispensée sur la médiation familiale doit être systématisée 11

2. L'égal accès de tous à la médiation familiale doit être assuré 12

3. La profession doit être organisée 13

DISCUSSION GÉNÉRALE 16

PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LE RAPPORTEUR 19

MESDAMES, MESSIEURS,

Les litiges portés devant le juge aux affaires familiales représentent 55 % de l'activité des tribunaux de grande instance d'après les dernières statistiques connues qui remontent à 1999. Or, ces litiges sont souvent non seulement les plus nombreux, mais également les plus douloureux, laissant parfois des blessures profondes à ceux qui en sont les acteurs.

Offrant aux protagonistes d'un conflit familial la possibilité de confronter leurs points de vue et de trouver une solution au conflit qui les oppose par l'intervention d'un tiers qualifié et neutre, la médiation familiale est susceptible d'atténuer la violence que peuvent revêtir ces conflits et d'éviter leur pérennisation.

L'opportunité de favoriser le recours à la médiation familiale, particulièrement lorsque des enfants sont au centre du litige, ne fait d'ailleurs pas débat et il est intéressant d'observer que les récents travaux engagés sur la réforme du droit de la famille laissent tous une place à la médiation familiale. Ainsi, dans son rapport sur ce sujet, le groupe de travail présidé par Mme Françoise Dekeuwer-Défossez, souligne que « lorsque les époux ne parviennent pas spontanément à mettre entre parenthèse leurs griefs pour rechercher ensemble les mesures à prendre dans l'intérêt de l'enfant, il paraît nécessaire d'avoir plus souvent recours à la médiation familiale ». De même, Mme Elisabeth Guigou, alors ministre de la justice, indiquait, en ouverture du colloque du 4 mai dernier, intitulé « quel droit, pour quelles familles ? », qu'un recours plus systématique à la médiation, constituait l'une des voies pour que la procédure judiciaire devienne, « plus encore qu'actuellement, le lieu naturel de l'élaboration de solutions négociées et acceptées par toutes les parties ». Enfin, très récemment, à l'occasion de la présentation des différents axes de la réforme de l'autorité parentale, Mme Ségolène Royal, ministre déléguée à la famille, à l'enfance et aux personnes handicapées, a réaffirmé le souhait de développer la médiation familiale.

Malgré ces intentions affichées, la médiation familiale, introduite en France à la fin des années 80, demeure encore une pratique trop confidentielle. Aussi la présente proposition de loi, enregistrée à la présidence de l'Assemblée nationale le 22 juin dernier, que le groupe Démocratie libérale a choisi d'inscrire à l'ordre du jour de la séance mensuelle d'initiative parlementaire du 5 avril prochain, tend-elle à la promouvoir.

I. - OUTIL PRÉCIEUX POUR LA GESTION DES CONTENTIEUX FAMILIAUX, LA MÉDIATION FAMILIALE DEMEURE ENCORE MÉCONNUE

Que les protagonistes d'un conflit familial y recourent spontanément ou sur ordonnance du juge, la médiation se révèle aujourd'hui un outil particulièrement adapté pour la gestion des contentieux familiaux, mais encore trop peu utilisé.

1. La médiation familiale peut être conventionnelle ou judiciaire

Le recours à la médiation familiale peut tout d'abord être spontané et envisagé en dehors de toute procédure contentieuse : c'est par exemple le cas lorsqu'un couple décide d'y recourir, éventuellement en amont d'une procédure de divorce, ou après une procédure contentieuse, si des difficultés surviennent dans l'exécution du jugement.

Mais la médiation familiale peut également être ordonnée par le juge saisi d'un litige : il s'agit alors d'une médiation judiciaire. Si cette forme de médiation s'est tout d'abord développée empiriquement, la Cour de cassation ayant admis, dans un arrêt du 18 juin 1993, que « la médiation dont l'objet est de procéder à la confrontation des prétentions respectives des parties en vue de parvenir à un accord proposé par le médiateur est une modalité d'application de l'article 21 du nouveau code de procédure civile », la médiation judiciaire civile a ensuite été organisée par la loi n° 95-125 du 8 février 1995 relative à l'organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative et par les articles 131-1 à 131-15 du nouveau code de procédure civile.

En application de ces dispositions, le juge saisi d'un litige - y compris le juge des référés - après avoir recueilli l'accord des parties, peut « désigner une tierce personne afin d'entendre les parties et de confronter leurs points de vue pour leur permettre de trouver une solution au conflit qui les oppose ». Susceptible de porter sur tout ou partie du litige, la médiation ne dessaisit pas le juge. En effet, celui-ci peut prendre toutes les autres mesures qui lui paraissent nécessaires et mettre fin « à tout moment » à la médiation, d'office « lorsque le bon déroulement de la médiation apparaît compromis », sur demande des parties ou à l'initiative du médiateur. La durée maximale de la médiation est de trois mois, renouvelable une fois, pour une même durée, à la demande du médiateur. Dans sa décision ordonnant la médiation, dont on relèvera qu'elle n'est pas susceptible d'appel, le juge indique la date à laquelle l'affaire sera rappelée à l'audience, mentionne l'accord des parties, désigne le médiateur, précise la durée de la médiation et fixe le montant de la provision à valoir sur la rémunération du médiateur. A la demande des parties, le juge homologue l'accord qu'elles lui soumettent et lui donne ainsi force exécutoire.

Tout en étant tenu d'informer le juge des difficultés rencontrées dans l'accomplissement de sa mission et, à l'expiration de celle-ci, de lui préciser, par écrit, si les parties sont ou non parvenues à trouver une solution au conflit qui les oppose, le médiateur doit respecter l'obligation du secret à l'égard des tiers : les constatations et les déclarations qu'il recueille ne peuvent ainsi être évoquées devant le juge saisi du litige qu'avec l'accord des parties et, en aucun cas, être utilisées dans une autre instance. Règle fondamentale de la technique de médiation, le principe de confidentialité ne s'applique plus cependant lorsque le médiateur prend connaissance de comportements susceptibles d'être pénalement sanctionnés, par exemple en cas de violences conjugales ou de maltraitance à l'égard d'un enfant. S'il ne dispose pas de pouvoir d'instruction, le médiateur peut, avec l'accord des parties et pour les besoins de la médiation, entendre les tiers qui y consentent.

Susceptible d'être proposée lors de tout litige civil, opposant par exemple des voisins, un commerçant et un client, un locataire et un propriétaire, c'est cependant à l'occasion de contentieux familiaux que la médiation judiciaire est, en pratique, le plus souvent envisagée.

2. Les conditions dans lesquelles se font les ruptures d'union incitent à accorder une place croissante à la médiation familiale

Sans être son seul champ d'exercice, le domaine qui amène le plus souvent les personnes à faire appel aux services d'un médiateur familial est celui de la séparation ou du divorce : en leur offrant l'aide d'un tiers qualifié, la médiation familiale permet aux couples de prendre, par eux-mêmes, les décisions pratiques que nécessite la réorganisation de la famille  et qui peuvent concerner : la garde des enfants, les relations de ces derniers avec les familles d'origine, les conditions d'exercice de l'autorité parentale, la répartition des biens du couple ou les questions financières, telles que la contribution à l'entretien et à l'éducation des enfants,.... La médiation se fait sur plusieurs séances - six en moyenne - de deux heures, se tenant généralement tous les quinze jours, au cours desquelles, après une première séance souvent consacrée à la définition des objectifs des protagonistes et à l'explication des objectifs de la démarche, sont abordés les différents points en discussion. A l'issue de ces séances de travail, chacun des points d'accord est inscrit dans un document signé par les deux parents. Le médiateur n'a évidemment pas vocation à se substituer à l'avocat, ni l'accord à une décision judiciaire et si la médiation a été ordonnée par le juge, les parties peuvent ensuite soumettre cet accord à l'homologation du juge, conformément à l'article 131-12 du nouveau code de procédure civile. La médiation s'accompagne souvent de l'organisation de points-rencontres entre enfants et parents, afin que les droits de visite et d'hébergement s'exercent dans un lieu neutre, à l'écart de tout contexte passionnel, ou pour permettre aux parents qui ne disposent pas de l'habitat nécessaire d'exercer ces droits.

La technique de la médiation familiale, qu'elle soit judiciaire ou spontanée, apparaît aujourd'hui comme particulièrement adaptée aux évolutions qui se font jour en matière de contentieux familial.

Tout d'abord, le volume important et croissant de demandes consécutives au prononcé d'un divorce montre que, malgré le souci du législateur en 1975 de pacifier l'après-divorce en faisant en sorte que toutes les conséquences de la dissolution du mariage soient réglées définitivement lors du divorce, celui-ci peut encore être lourd de conflits, qui peuvent se révéler particulièrement préjudiciables à l'intérêt des enfants.

 

DEMANDES POSTÉRIEURES AU PRONONCÉ DU DIVORCE OU DE LA SÉPARATION DE CORPS

Affaires nouvelles soumises au juge aux affaires familiales entre 1994 et 1998

 

1994

1995

1996

1997

1998

 

Demande de modification de l'exercice de l'autorité parentale ou de la garde

14 601

15 421

17 035

17 058

17 390

Demande de révision de la prestation compensatoire et de modification de la pension alimentaire versée au conjoint

2 399

1 907

1 913

1 925

1 692

Demande de fixation ou de modification de la contribution à l'entretien des enfants

38 382

38 587

43 411

42 870

40 639

Demande de modification du droit de visite

9 750

10 045

10 857

10 903

10 793

Demande relative au bail concédé à l'un des époux

39

9

5

13

10

Demande relative à la liquidation du régime matrimonial

3 559

3 435

3 789

3 700

3 619

Réalisé à partir des annuaires statistiques de la justice.

Face à des décisions judiciaires qui, soit ne sont pas appliquées, soit le sont trop strictement et, en tout état de cause, n'apaisent pas les parties, la médiation familiale constitue un instrument précieux pour pacifier les conflits. En effet, les parties, y disposant d'une plus grande autonomie dans la définition de leur accord en acceptent mieux la teneur, limitant ainsi les risques de saisine récurrente du juge aux affaires familiales.

En outre, face à la forte progression des contentieux liés à l'exercice de l'autorité parentale ou du droit de visite concernant les enfants naturels, la médiation familiale se révèle une solution particulièrement adaptée puisque, dans cette hypothèse, une médiation réussie permet d'éviter le passage devant le juge.

DEMANDES RELATIVES À L'EXERCICE DE L'AUTORITÉ PARENTALE
OU DU DROIT DE VISITE QUANT AUX ENFANTS NATURELS
 (1)

Année

1991

1995

1996

1997

1998

Affaires nouvelles

31 391

35 322

42 005

46 043

49 660

Annuaire statistique de la justice, année 2000.

(1)  Les données incluent les demandes d'exercice conjoint ou de modification de l'exercice de l'autorité parentale.

Enfin, la médiation familiale paraît mieux adaptée à l'idéal de responsabilité commune des parents à l'égard de leurs enfants, qui s'est peu à peu affirmé et que symbolise le choix fait par le législateur, en 1993, de faire de l'autorité parentale conjointe le principe de l'organisation des liens familiaux après un divorce ainsi que de la famille naturelle. La médiation familiale s'affirme peu à peu comme une voie pour rechercher de nouvelles modalités d'exercice de l'autorité parentale et de garde des enfants permettant d'éviter que les pères ne restent à l'écart de leur responsabilité parentale, alors que, trop souvent, les solutions judiciaires mises en place en font des parents de second rang.

Enfin, la médiation permet tout simplement de restaurer un dialogue dans le couple, qui est hélas fréquemment exclu de la procédure de divorce. Comme l'indique Mme Irène Théry (1), « cette dimension en quelque sorte "privée" de la séparation envahit parfois de façon sauvage les procédures, avec d'autant plus de force qu'elle est occultée dans l'espace spécifique du tribunal. La reconnaître, lui offrir un espace légitime d'expression, l'insérer dans des processus d'échange transparents dont le but est clairement la recherche de l'accord, tel est le défi que veut relever la médiation ».

3. La médiation ne connaît encore en France qu'un développement timide

Sans doute des efforts sont-ils consentis en faveur de la médiation familiale. Ainsi la Chancellerie a-t-elle apporté un soutien financier croissant aux associations de médiation familiale : de 625 000 francs en 1992, puis 898 000 francs en 1995, ces dotations ont atteint 1,15 million de francs en 1997 puis 3,934 millions de francs en 2000, ces crédits étant répartis entre les différentes cours d'appel selon l'importance plus ou moins grande du contentieux familial des juridictions implantées dans leur ressort. Conformément à sa mission de soutien de la fonction parentale et afin de veiller à la préservation des liens qui unissent l'enfant à ses deux parents, la Caisse nationale des allocations familiales a inscrit la médiation familiale parmi ses priorités. L'investissement consenti par la cnaf en faveur des associations de médiation familiale a ainsi progressé de 86 % entre 1998 et 1999, une soixantaine de caf soutenant financièrement des associations ou mettant des locaux à leur disposition, tandis que quatorze caisses ont organisé un service de médiation en leur sein. En outre, la Conférence des bâtonniers a proposé une fédération des centres de médiation des avocats et des formations adaptées tandis que des conventions entre les juridictions et des notaires voient le jour afin de développer la pratique de la médiation.

Malgré ces initiatives et la consécration législative de la médiation judiciaire civile, la médiation familiale, plus de quinze ans après son introduction en France, peine encore à s'imposer. Ce constat est d'autant plus frappant lorsqu'on constate l'intérêt qu'elle suscite dans des pays anglo-saxons ou encore au Québec. Lors du colloque « quel droit, pour quelles familles ? », M. Benoît Bastard, sociologue, a ainsi souligné que, malgré son écho auprès des professionnels, la médiation ne connaît pas le même succès auprès des couples, « pour beaucoup de couples en conflit, l'idée de s'asseoir autour d'une table et de faire des concessions mutuelles n'_étant_ pas encore à l'ordre du jour ». 

L'intérêt que présente la médiation familiale pour pacifier les conflits familiaux, particulièrement dans l'intérêt de l'enfant, justifie que le législateur adopte des dispositions volontaristes pour favoriser son développement. Tel est l'objet de la présente proposition de loi.

II. - LA PROPOSITION DE LOI TEND À PROMOUVOIR LA MÉDIATION FAMILIALE ET À JETER LES BASES DE L'ORGANISATION DE CE SECTEUR

Afin de promouvoir la médiation familiale, la présente proposition de loi tend à renforcer substantiellement les modalités d'information existant dans ce domaine et à assurer sa gratuité pour les personnes qui y recourraient dans le cadre d'une procédure judiciaire. Parallèlement, la proposition s'attache à jeter les bases d'une organisation de la profession.

1. L'information dispensée sur la médiation familiale doit être systématisée

L'ensemble des personnes auditionnées par le rapporteur ont souligné la nécessité d'accroître l'information relative à la médiation familiale afin que davantage de personnes y recourent.

Plusieurs initiatives ont d'ores et déjà été prises en ce sens : ainsi, il est désormais systématiquement fait référence à la médiation familiale dans les documents établis par le ministère de la justice sur le droit de la famille. De même, certaines caisses d'allocations familiales mènent une politique volontariste de diffusion de l'information sur la médiation, notamment par l'envoi d'une plaquette d'information accompagnée d'une invitation à prendre contact avec un service de médiation familiale aux personnes qui ont signalé leur séparation aux services de la caisse. Au tribunal de grande instance de Nanterre, une procédure systématique d'information lors du lancement d'une procédure de divorce a été mise en place depuis un an, tandis que le service des affaires familiales du tribunal de grande instance de Paris délivre une information sur la médiation à toutes les personnes physiques qui s'y rendent.

Ces expériences demeurant parcellaires, la proposition de loi prévoit, dans ses articles 1er et 3, de rendre obligatoire, au début de toute procédure concernant un contentieux familial, la participation à une séance d'information sur la médiation familiale.

Ces séances d'information s'adressent plus particulièrement aux époux ayant des enfants mineurs ainsi qu'aux parents d'enfants naturels mineurs qui se séparent, l'objectif étant, grâce à la médiation, d'éviter que les enfants fassent les frais des conflits susceptibles de surgir lors de la rupture d'union de leurs parents. On rappellera, en effet, que, d'après une étude réalisée par le ministère de la justice à partir d'un échantillon important de jugements de divorces prononcés en 1994, 125 390 enfants sont impliqués dans le divorce de leurs parents ; pour 46 243 d'entre eux, c'est un divorce gracieux mais pour la très grande majorité - 79 147 - il s'agit d'un divorce contentieux. L'obligation d'une séance d'information sur la médiation repose donc sur l'idée que la tentative de trouver un accord au sujet des enfants est un devoir des parents qui se séparent. Afin de prendre en compte l'hypothèse dans laquelle les enfants, bien que majeurs, restent à la charge de leurs parents, il a proposé à la Commission de l'appliquer à tous les couples ayant des enfants à charge et non seulement à ceux d'entre eux qui auraient des enfants mineurs.

Afin de donner toute sa chance à la médiation qui sera éventuellement entreprise, l'article 1er prévoit, dans son deuxième alinéa, que lorsque les époux souhaitent bénéficier d'une médiation familiale, l'instance est suspendue pendant la durée de celle-ci, cette suspension ne pouvant cependant excéder six mois. On relèvera que, pour éviter tout recours à la médiation par l'un des deux parents à des fins dilatoires, la médiation ne peut entraîner la suspension que si les parties en sont d'accord. Il importe, en effet, que la médiation familiale ne soit pas conçue comme un écran supplémentaire, alors que la longueur des procédures de divorce est souvent critiquée.

Le moment de l'information sur la médiation est important mais délicat à fixer : les personnes auditionnées par le rapporteur ont toutes souligné la nécessité d'organiser la médiation le plus en amont possible, avant le « tunnel de la judiciarisation » et le rapporteur ne peut que souscrire à cette opinion. Cependant, comment rendre obligatoire une séance d'information sur la médiation si le conflit est encore dans la seule sphère privée ? Dans ce cas, seule l'information la plus vaste possible peut permettre de toucher le maximum de personnes.

Enfin, faut-il rendre obligatoire la seule séance d'information sur la médiation ou la médiation elle-même ? La proposition de loi a opté pour la première solution, qui semble plus conforme à l'esprit de la médiation familiale, le rapporteur considérant que seule pourrait être envisagée une obligation de médiation lorsque le couple présente de très nombreuses requêtes post-divorce. Au demeurant, rendre obligatoire tout le processus de la médiation irait à l'encontre de l'esprit même de la procédure qui, dans sa forme judiciaire - la seule réglementée aujourd'hui - repose sur la volonté des parties, aussi bien pour sa mise en _uvre, que pour le choix de l'homologation de l'accord par le juge ou l'évocation devant celui-ci des constatations du médiateur et des déclarations que celui-ci aura recueillies.

Afin d'inciter les juges aux affaires familiales à proposer aux parties d'entamer une procédure de médiation et reprenant en cela une proposition du rapport rendu par le groupe de travail présidé par Mme Françoise Dekeuwer-Défossez, le rapporteur a proposé de modifier l'article 255 du code civil afin que figure explicitement la médiation familiale parmi les mesures que le juge peut prendre au moment de l'ordonnance de non-conciliation.

2. L'égal accès de tous à la médiation familiale doit être assuré

Toujours dans le même souci de développer la médiation familiale, le dernier alinéa de l'article 2 de la proposition de loi prévoit que les séances d'information sur la médiation puis les séances de médiation elles-mêmes, auxquelles participent les personnes visées dans la proposition de loi seront gratuites. Afin de compenser le coût entraîné par cette disposition, l'article 5 prévoit une compensation traditionnelle de ces dépenses nouvelles.

D'après les informations recueillies par le rapporteur, le coût moyen d'une séance de médiation est aujourd'hui de 350 francs par chacun des participants. En application de l'article 131-6 du nouveau code de procédure civile, il revient au juge de fixer le montant de la provision à valoir sur la rémunération du médiateur à un niveau aussi proche que possible de la rémunération prévisible et de désigner la ou les parties qui consigneront la provision, sa décision devant, de surcroît, prévoir, dans quelle proportion chacune des parties devra consigner. Ce n'est qu'à la fin de la médiation, que le juge fixe la rémunération du médiateur. La participation des parties n'est pas forcément égalitaire : en effet, en application de l'article 22 de la loi du 8 février 1995, les parties déterminent librement la répartition entre elles de la charge des frais de la médiation. A défaut d'accord, « ces frais sont répartis à parts égales, à moins que le juge n'estime qu'une telle répartition est inéquitable au regard de la situation économique des parties ». Une aide financière par la caisse d'allocations familiales ou par l'aide juridictionnelle, lorsqu'il s'agit d'une médiation judiciaire, peut être apportée.

Au terme des auditions conduites par le rapporteur, même s'il existe un consensus pour affirmer la nécessité de ne pas pénaliser les familles les plus démunies dans l'accès à la médiation, la gratuité des séances de médiation ne se révèle pas être une bonne solution. En effet, il semble nécessaire pour les parents de marquer leur investissement dans la médiation par une participation financière. On relèvera d'ailleurs que, dans le cas de la médiation judiciaire, la décision qui ordonne la médiation mais sans fixer la consignation de la provision à valoir sur la rémunération du médiateur, est « caduque et l'instance se poursuit » (dernier alinéa de l'article 131-6 du nouveau code de procédure civile). En revanche, il paraît important de préserver la gratuité de la séance d'information afin qu'elle conserve véritablement un caractère incitatif. Il a soumis à la Commission un amendement en ce sens.

Plus généralement, la question de la gratuité des séances de médiation soulève le problème du financement des associations, qui est aujourd'hui assuré par diverses sources - mairies, conseils généraux, ministère de la justice, caisses d'allocations familiales, ... - mais ne semble pas jouir d'une garantie de pérennité.

3. La profession doit être organisée

D'après les informations recueillies par le rapporteur, un millier de médiateurs formés à la médiation familiale et 200 organismes la pratiquant ont été recensés en France. Il ressort d'une enquête conduite en 2000 par le Comité national des associations et services de médiation familiale sur les services de médiation familiale, que ces services, dont le nombre s'est multiplié depuis 1991, sont majoritairement implantés dans les grandes agglomérations, 42,5 % étant situés dans des villes de plus de 100 000 habitants.

Les dispositions du nouveau code de procédure civile comportent des précisions sur les qualités requises du médiateur, qui varient selon qu'il s'agit d'une association ou d'une personne physique. Dans le premier cas, le représentant légal de l'association soumet à l'agrément du juge le nom de la personne physique qui assurera, au sein de celle-ci et en son nom, l'exécution de la mesure de la médiation. Si le médiateur est une personne physique, il doit remplir cinq conditions prévues dans l'article 131-5 du nouveau code de procédure civile :

- ne pas avoir fait l'objet d'une condamnation, d'une incapacité ou d'une déchéance mentionnées sur le bulletin n° 2 du casier judiciaire :

- ne pas avoir pas été l'auteur de faits contraires à l'honneur, à la probité et aux bonnes m_urs, ayant donné lieu à une sanction disciplinaire ou administrative de destitution, radiation, révocation, de retrait d'agrément ou d'autorisation ;

- posséder, par l'exercice présent ou passé d'une activité, la qualification requise eu égard à la nature du litige ;

- justifier d'une formation ou d'une expérience adaptée à la pratique de la médiation ;

- présenter les garanties d'indépendance nécessaires à la pratique de la médiation.

En pratique, les médiateurs familiaux sont souvent des travailleurs sociaux, des praticiens du droit tels que des avocats ou des notaires, des psychologues ou des conseillers conjugaux qui ont, en outre, reçu une formation spécifique à la médiation familiale dispensée dans certaines universités ou dans des centres de formation privés.

Ces conditions posées dans le code de procédure civile ne s'appliquant que dans l'hypothèse d'une médiation judiciaire civile, l'ensemble des personnes auditionnées par le rapporteur ont souligné la nécessité d'une organisation de la profession. Dans une perspective de recours accru à la médiation familiale, il est, en effet, indispensable de veiller à la bonne formation des médiateurs, voire à l'accréditation des organismes et des associations de médiation, certains organismes tels que l'Association pour la médiation familiale et le Comité national des associations et services de médiation familiale ayant d'ores et déjà adopté des codes de déontologie.

Afin d'assurer la qualité des services fournis lors des séances d'information et de médiation familiale, la proposition de loi prévoit, dans son article 2, que ces séances seront assurées par des organismes agréés par arrêtés conjoints du ministre de la justice et du ministre chargé de la famille. Le rapporteur a, en outre, proposé à la Commission un amendement tendant à créer un Conseil supérieur de la médiation familiale, chargé notamment de donner un avis conforme sur l'agrément des organismes précités.

Si elle ne doit pas être présentée comme une solution miracle susceptible de convenir à tous les couples et de régler tous les conflits familiaux, la médiation familiale n'en constitue pas moins un des outils qui, placés à la disposition du juge ou des familles, peut permettre d'apaiser des conflits et contribuer, dans l'intérêt des enfants, à trouver des solutions pérennes pour la réorganisation de la cellule familiale. Pour cette simple raison, elle ne saurait être négligée et tous les moyens susceptibles d'en favoriser le développement doivent être mis en _uvre.

*

* *

Après l'exposé du rapporteur, plusieurs commissaires sont intervenus dans la discussion générale.

M. François Colcombet a considéré que la médiation était une procédure séduisante. Il a constaté, à cet égard, qu'elle faisait l'objet d'expérimentations de plus en plus nombreuses, y compris en matière de droit administratif. Il a estimé, toutefois, qu'elle ne devait pas être mise en _uvre sans un certain nombre de précautions et, de ce point de vue, a exprimé la crainte que la proposition de loi présentée par le rapporteur n'apporte pas toutes les réponses nécessaires. Il a jugé que le contenu même de la médiation familiale n'était pas suffisamment défini, observant que l'on ne pouvait pas se contenter de labelliser des pratiques existantes. Il a ajouté que le fait de prévoir un agrément ministériel pour que des organismes puissent intervenir en la matière n'était pas une garantie suffisante. Il s'est demandé, de manière plus générale, si le fait d'imposer une information sur la médiation familiale en préalable à tout divorce ou séparation de corps d'un couple ayant des enfants mineurs ne risquait pas d'allonger la durée des procédures ou de renchérir leur coût. Tout en indiquant que le dispositif de médiation familiale mis en place au Canada prévoyait la gratuité de cette séance d'information, il a souligné le coût considérable de cette mesure et relevé qu'elle supposait la mise en place de structures adéquates dans toutes les juridictions. En conclusion, il a réaffirmé que, sans être hostile au principe de la médiation familiale, il jugeait préférable d'approfondir la réflexion initiée par le rapporteur et d'aborder cette question dans le cadre plus global d'une réforme de l'autorité parentale et du divorce, au demeurant souhaitée par la ministre déléguée à la famille et à l'enfance.

M. Pascal Clément a salué, à titre personnel, l'initiative du rapporteur. Il s'est félicité que la famille redevienne enfin un sujet de préoccupation pour les hommes politiques. Il a jugé que le fait de privilégier la médiation et, partant, de faire appel au sens de la responsabilité des parents d'enfants mineurs, était effectivement opportun car, dans ces situations, la procédure ne peut être identique à celle qui prévaut lorsque les enjeux sont exclusivement financiers. Il a ajouté que si l'introduction de la médiation pouvait effectivement, dans certains cas, allonger la durée des procédures de divorce, elle permettrait aussi de leur apporter des solutions plus satisfaisantes et donc de limiter les risques de différends ultérieurs.

Jugeant que la médiation serait amenée à connaître à l'avenir un développement grandissant, à l'image de ce que l'on constate dans les pays anglo-saxons, M. Jean-Pierre Soisson a estimé que l'adoption de la proposition de loi du rapporteur ne nuirait en rien, bien au contraire, à ces développements futurs ; évoquant les interventions précédentes faisant état d'un projet de loi en cours d'élaboration, qui reprendrait éventuellement le thème de la médiation familiale, il a considéré que l'adoption de la proposition de loi, dès à présent, permettrait de montrer l'intérêt du législateur pour les procédures de médiation. Il a, par ailleurs, estimé que la procédure proposée pour l'agrément et le contrôle des associations, qui prévoit un arrêté conjoint du garde des Sceaux et du ministre chargé de la famille, constituait un dispositif prudent, présentant suffisamment de garanties pour répondre aux réticences exprimées par certains parlementaires.

Reconnaissant l'intérêt qui s'attache à développer davantage la médiation, M. Gérard Gouzes a souligné les avantages que présentaient ces procédures, aussi bien en matière pénale qu'en matière civile ; il a néanmoins souligné que leur succès reposait sur le volontariat et l'accord des parties. Il s'est interrogé, dans ces conditions, sur les propositions émises par le rapporteur visant à rendre la procédure plus systématique et a exprimé la crainte que l'instauration d'une obligation ne contrevienne finalement à l'objectif recherché. Il s'est également déclaré perplexe sur les chances de réussite du dispositif, dans un contexte très difficile pour la justice aujourd'hui.

En réponse aux intervenants, le rapporteur a indiqué que, s'il ne concevait pas la médiation familiale comme une « formule miracle », il considérait cependant, notamment à la lumière des auditions qu'il avait conduites sur ce sujet, que cette procédure présentait un intérêt indéniable, en particulier pour limiter le nombre de demandes consécutives au prononcé d'un divorce ou d'une séparation de corps. Soulignant que, sans être intangibles, les accords résultant d'une médiation pouvaient être homologués par le juge à la demande des parties, il a précisé que la proposition de loi ne rendait pas obligatoire la médiation elle-même, mais seulement la participation à une séance d'information sur cette procédure. Observant que le financement des associations de médiation familiale ne semblait pas présenter de garantie de pérennité et indiquant que le prix moyen d'une séance de médiation était de 350 francs par personne, il a proposé que le coût de la séance d'information soit pris en charge par l'Etat. Soulignant que l'organisation du secteur serait de nature à éviter les dérives, il a jugé qu'elle serait d'autant plus difficile à mettre en place qu'elle se ferait tardivement. Enfin, il a insisté sur l'intérêt que présente la médiation familiale pour préserver les intérêts de l'enfant, évoquant notamment son utilité pour résoudre des situations liées à l'homoparentalité.

La Commission a ensuite engagé un débat sur l'opportunité de passer à l'examen des articles de la proposition de loi.

M. François Colcombet a jugé que de nombreux points devaient encore être éclaircis - l'objet exact de la médiation, l'éventuelle sanction à la non participation à la séance d'information, l'encadrement des professionnels assurant la médiation, la formation des magistrats en la matière et le moment de la procédure auquel il est opportun de recourir à la médiation - et estimé que la question pourrait plus utilement être évoquée à l'occasion des discussions qui pourraient être engagées prochainement sur la réforme des procédures de divorce ou de l'exercice de l'autorité parentale. M. Pascal Clément a estimé que la seule discussion générale de la proposition de loi ne suffirait pas à influencer les réflexions poursuivies par le Gouvernement sur ce sujet ; il a jugé qu'il serait préférable que ce texte soit voté, au moins en première lecture. M. Jean-Pierre Soisson a formulé le v_u que cette proposition de loi puisse être adjointe à la discussion des textes qui seront ultérieurement déposés sur le droit de la famille. M. Gérard Gouzes a considéré qu'il s'agirait, en effet, de la meilleure solution.

La Commission a décidé de ne pas procéder à l'examen des articles et, en conséquence, de ne pas formuler de conclusions.

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PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LE RAPPORTEUR

- Association française des centres de consultations conjugales :

· M. Claude Vicard, secrétaire général,

· Mme Josette Baur-Frossard, coordinatrice de la fédération Ile-de-France,

· M. Claude Heraud, administrateur.

- Association pour la médiation familiale :

· Mme Danièle Ganancia, vice-présidente,

· Mme Joëlle Rudin, membre du bureau,

· M. Stéphane Ditchev, membre du bureau.

- Barreau de Paris :

· Mme Murielle Laroque, avocate,

· Mme Marie-Pierre Sertin, avocate.

- Caisse nationale des allocations familiales :

· M. Tahar Belmounes, directeur de l'action sociale,

· Mme Véronique Delaunay-Guivarc'h, conseillère technique à la direction de l'action sociale.

- Comité national des associations et services de médiation familiale :

· M. Roger Leconte, président,

· M. Jean-Claude Sury, membre du bureau.

- Conférence des bâtonniers :

· Mme Andréanne Sacaze, chargée du droit de la famille au bureau de la conférence,

· Mme Françoise Louis, chargée des relations avec le Parlement.

- Conseil national des barreaux :

· Mme Marie-Elisabeth Breton, avocate.

- Tribunal de Grande Instance de Paris :

· Mme Roselyne Crépin-Mauriès, vice-présidente chargée du service des affaires familiales.

- Union nationale des associations familiales

· Mme Chantal Lebatard, administrateur en charge du dossier médiation.

N°2970- Rapport de M.Perrut au nom de la commission des lois sur la proposition de loi (n° 2494) de M. Bernard Perrut relative à la médiation familiale,

() Préface de Médiation familiale : regards croisés et perspectives, éditions ERES, novembre 1997.


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