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le 7 mai 2001

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N° 2995

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 18 avril 2001.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE (1) SUR LE PROJET DE LOI (N° 2931), relatif à la Corse, PAR M. BRUNO LE ROUX,

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(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

Collectivités territoriales.

La Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République est composée de : M. Bernard Roman, président ; M. Pierre Albertini, Mme Nicole Feidt, M. Gérard Gouzes, vice-présidents ; M. Richard Cazenave, M. André Gerin, M. Arnaud Montebourg, secrétaires ; M. Léo Andy, M. Jean-Pierre Blazy, M. Émile Blessig, M. Jean-Louis Borloo, M. Jacques Brunhes, M. Michel Buillard, M. Dominique Bussereau, M. Christophe Caresche, M. Patrice Carvalho, Mme Nicole Catala, M. Jean-Yves Caullet, M. Olivier de Chazeaux, M. Pascal Clément, M. Jean Codognès, M. François Colcombet, M. François Cuillandre, M. Henri Cuq, M. Jacky Darne, M. Camille Darsières, M. Jean-Claude Decagny, M. Bernard Derosier, M. Franck Dhersin, M. Marc Dolez, M. Renaud Donnedieu de Vabres, M. René Dosière, M. Jean-Pierre Dufau, M. Renaud Dutreil, M. Jean Espilondo, M. François Fillon, M. Jacques Floch, M. Roland Francisci, M. Roger Franzoni, M. Claude Goasguen, M. Louis Guédon, Mme Cécile Helle, M. Philippe Houillon, M. Michel Hunault, M. Henry Jean-Baptiste, M. Jérôme Lambert, Mme Christine Lazerges, Mme Claudine Ledoux, M. Jean-Antoine Léonetti, M. Bruno Le Roux, M. Jacques Limouzy, M. Noël Mamère, M. Thierry Mariani, M. Louis Mermaz, M. Jean-Pierre Michel, M. Ernest Moutoussamy, Mme Véronique Neiertz, M. Robert Pandraud, M. Vincent Peillon, M. Dominique Perben, M. Henri Plagnol, M. Didier Quentin, M. Jean-Pierre Soisson, M. Frantz Taittinger, M. André Thien Ah Koon, M. Jean Tiberi, M. Alain Tourret, M. André Vallini, M. Michel Vaxès, M. Alain Vidalies, M. Jean-Luc Warsmann, M. Kofi Yamgnane.

INTRODUCTION 9

I. - LA CORSE : UN ÉTAT DES LIEUX 10

A. UNE HISTOIRE MOUVEMENTÉE 10

1. La Corse : un carrefour très disputé 10

2. La Corse et la France : un destin partagé 12

3. L'émergence du mouvement nationaliste 14

B. LES HÉSITATIONS DES POUVOIRS PUBLICS 17

1. L'alternance du dialogue et de la fermeté 17

2. Les difficultés de la politique de rétablissement de l'Etat de droit 21

C. UN DEVELOPPEMENT INSUFFISANT 23

1. Des indicateurs inquiétants 23

2. Une économie déséquilibrée et fragile 24

3. Des obstacles à surmonter 26

II. - LE PROCESSUS EN COURS : UNE CHANCE HISTORIQUE 28

A. LES ETAPES DU PROCESSUS 28

1. Une démarche transparente 29

2. Un accord ambitieux 29

a) Un dialogue constructif entre le Gouvernement et les élus de Corse 29

b) Le relevé de conclusions du 20 juillet 2000 30

3. Un projet attendu 31

a) Un texte largement approuvé par les élus de Corse 31

b) Une importante responsabilité pour le Parlement 32

B. LE PROJET DE LOI : UNE DÉCENTRALISATION RENFORCÉE POUR UN DÉVELOPPEMENT DURABLE DE LA CORSE 33

1. Un nouveau statut pour la Corse 33

a) Une autonomie renforcée 33

b) La reconnaissance des spécificités culturelles insulaires 35

c) Un accroissement des compétences transférées 36

d) La réaffirmation du principe d'égalité 37

2. Un cadre propice au développement durable de l'île 38

a) Une collectivité territoriale mieux à même d'orienter et de soutenir son développement 38

b) Un dispositif d'incitation à l'investissement dans les secteurs prioritaires de l'île 40

c) Un programme exceptionnel pour combler le retard d'équipements et de services collectifs 42

AUDITIONS 45

EXAMEN DES MOTIONS DE PROCÉDURE 169

TRAVAUX DE LA MISSION D'INFORMATION SUR LA CORSE 169

EXAMEN DES ARTICLES 177

TITRE IER - DE L'ORGANISATION ET DES COMPÉTENCES DE LA COLLECTIVITÉ TERRITORIALE DE CORSE 177

Chapitre 1er - Du régime juridique des actes de l'Assemblée de Corse 177

Article premier (art. L. 4424-1, L. 4424-2 et L. 4424-2-1 du code général des collectivités territoriales ) : Attributions de l'Assemblée de Corse 177

Article 2 (art. L. 4423-1 du code général des collectivités territoriales) : Contrôle de légalité des délibérations portant adaptation des dispositions législatives ou réglementaires 186

Article 3 (Chapitre II du titre II du livre IV de la quatrième partie du code général des collectivités territoriales) : Refonte du chapitre consacré à l'organisation de la collectivité territoriale de Corse 187

Chapitre II - Dispositions relatives aux compétences de la collectivité territoriale 188

Avant l'article 4 188

Section 1 - De l'identité culturelle 189

Sous-section 1 - De l'éducation et de la langue corse 189

Article 4 (Chapitre IV du titre II du livre IV de la quatrième partie du code général des collectivités territoriales) : Carte scolaire et carte des formations 189

Article 5 (art. L. 4424-3 du code général des collectivités territoriales) : Actions de formation supérieure 192

Article 6 (art. L. 4424-4 du code général des collectivités territoriales) : Financement des établissements d'enseignement supérieur et des instituts universitaires de formation des maîtres 193

Article 7 (art. L. 312-11-1 du code de l'éducation et L. 4424-5 du code général des collectivités territoriales) : Enseignement de la langue corse 195

Sous-section 2 - De la culture et de la communication 203

Article 8 (art. L. 4424-16 du code général des collectivités territoriales) : Soutien aux activités audiovisuelles et action culturelle internationale 203

Article 9 (art. L. 4424-17 du code général des collectivités territoriales) : Compétences en matière culturelle 204

Article 10 (art. L. 1511-6-1 du code général des collectivités territoriales) : Création d'infrastructures de communication 208

Sous-section 3 - Du sport et de l'éducation populaire 209

Article 11 (art. L. 4424-8 du code général des collectivités territoriales) : Promotion des activités physiques et sportives, d'éducation populaire et d'information de la jeunesse 209

Section 2 - De l'aménagement et du développement 211

Sous-section 1 - Du plan d'aménagement et de développement durable 211

Article 12 (art. L. 4424-9 à L. 4424-15 du code général des collectivités territoriales) : Plan d'aménagement et de développement durable 211

Article 13 (art. L. 144-1 à L. 144-5 du code de l'urbanisme, art. L. 4424-18 à L. 4424-21 du code général des collectivités territoriales et art. 34 bis de la loi n° 83-8 du 7 janvier 1983) : Codification 236

Sous-section 2 - Des transports et de la gestion des infrastructures 237

Article 14 (Chapitre IV du titre II du livre IV de la quatrième partie du code général des collectivités territoriales) : Transports 237

Article 15 (Chapitre IV du titre II du livre IV de la quatrième partie du code général des collectivités territoriales) : Gestion des infrastructures de transports 244

Sous-section 3 - Du logement 248

Article 16 (Chapitre IV du titre II du livre IV de la quatrième partie du code général des collectivités territoriales) : Logement 248

Section 3 -  Du développement économique 249

Sous-section 1 - De l'aide au développement économique 249

Article 17 (Chapitre IV du titre II du livre IV de la quatrième partie du code général des collectivités territoriales) : Aide au développement économique 249

Sous-section 2 - Du tourisme 253

Article 18 (art. L. 4424-31 du code général des collectivités territoriales) : Orientations en matière de développement touristique 253

Article 19 (art. L. 4424-32 du code général des collectivités territoriales) : Classement des stations touristiques 257

Sous-section 3 - De l'agriculture et de la forêt 259

Article 20 (art. L. 4424-33 du code général des collectivités territoriales, art. 314-1 et 314-1-1 du code rural) : Orientations en matière de développement agricole, rural et forestier 259

Article 21 (art. L. 181-1 du code forestier) : Propriété et gestion des forêts 262

Sous-section 4 - De l'emploi et de la formation professionnelle 263

Article 22 (Chapitre IV du titre II du livre IV de la quatrième partie du code général des collectivités territoriales) : Formation professionnelle et apprentissage 263

Après l'article 22 265

Section 4 - De l'environnement et des services de proximité 266

Sous-section 1 - De l'environnement 266

Article 23 (Sous-sections 1 à 4 de la section 4 du chapitre IV du titre II du livre IV de la quatrième partie du code général des collectivités territoriales) : Codification 266

Après l'article 23 267

Article 24 (art. L. 222-1 et 2, 332-2, 332-6, 332-10 et 11, 332-13, 332-19, 341-1 et 411-5 du code de l'environnement) : Transfert de procédures en matière environnementale 268

Après l'article 24 273

Article 25 (art. 7 de la loi n° 85-30 du 9 janvier 1985) : Comité pour le développement, l'aménagement et la protection du massif corse 273

Sous-section 2 - De l'eau et de l'assainissement 275

Article 26 (art. L. 4424-36 du code général des collectivités territoriales) : Planification de la ressource en eau 275

Article 27 (art. L. 214-15 du code de l'environnement) : Tarification de l'eau 282

Sous-section 3 - Des déchets 286

Article 28 (art. L. 4424-37 et L. 4424-38 du code général des collectivités territoriales) : Plans d'élimination des déchets 286

Sous-section 4 - De l'énergie 289

Article 29 (art. L. 4424-39 du code général des collectivités territoriales) : Codification 289

Article additionnel après l'article 29 : Droit de préemption au profit de la collectivité territoriale de Corse 290

TITRE II - MOYENS ET DES RESSOURCES DE LA COLLECTIVITÉ TERRITORIALE DE CORSE 291

Chapitre 1er - Dispositions relatives aux services et aux personnels 291

Article 30 : Transfert ou mise à disposition des services et des biens de l'Etat correspondant aux compétences transférées 291

Après l'article 30 292

Article 31 : Mise à disposition provisoire des agents des services transférés 293

Article 32 : Droit d'option des fonctionnaires des services transférés 294

Article 33 : Droit d'option des agents non titulaires des services transférés 295

Article additionnel après l'article 33 : Titularisation des contractuels de l'Etat dont le service est transféré à la collectivité territoriale de Corse 296

Après l'article 33 297

Chapitre II - Dispositions relatives aux transferts de biens et de ressources 298

Article 34 (art. L. 4425-2 du code général des collectivités territoriales) : Compensation de charges 298

Article 35 (Chapitre II du titre II du livre IV de la quatrième partie du code général des collectivités territoriales) : Transferts de biens de l'Etat dans le patrimoine de la collectivité territoriale de Corse 301

Article 36 (art. L. 4425-4 du code général des collectivités territoriales) : Dotation de continuité territoriale 302

Article 37 (art. L. 4425-5 à L. 4425-8 du code général des collectivités territoriales) : Financement du plan d'aménagement et de développement durable 303

Article 38 (art. 34 de la loi de finances pour 1993 - art. L. 4425-1 du code général des collectivités territoriales) : Ressources fiscales de la collectivité territoriale de Corse 304

Article 39 (art. L. 112-14 du code rural) : Crédits alloués aux offices 306

Article additionnel après l'article 39 : Bilan des transferts de personnels et de ressources réalisés au profit de la collectivité territoriale de Corse 307

Chapitre III - Dispositions relatives aux offices 307

Article 40 (Chapitre IV du titre II du livre IV de la quatrième partie du code général des collectivités territoriales) : Exercice par la collectivité territoriale de Corse des missions confiées aux offices 307

Article 41 (art. L. 4424-20, L. 4424-31, L. 4434-33 et L. 4424-35 du code général des collectivités territoriales) : Disparition des offices - coordination 315

Article 42 (art. L. 112-11 et L. 112-12 du code rural) : Disparition des offices - coordination 316

TITRE III - MESURES FISCALES ET SOCIALES 316

Chapitre Ier - Mesures fiscales et sociales en faveur de l'investissement 316

Article 43 (art. 244 quater E, 199 ter D, 220 D, 223 O, 1466 B et 1466 C du code général des impôts) : Aide fiscale à l'investissement 318

Après l'article 43 334

Article 44 (art. 4 de la loi n° 96-1143 du 26 décembre 1996) : Sortie progressive des dispositifs d'exonération de charges sociales 334

Article additionnel après l'article 44 : Pérennisation du différentiel de charges sociales conféré dans le cadre de la zone franche de Corse 336

Chapitre II - Dispositions relatives aux droits de succession 336

Article 45 (art. 641 bis, 750 bis A, 885 H, 1135, 1135 bis, 1728 A et 1840 G undecies du code général des impôts) : Normalisation progressive du régime fiscal des successions en Corse 336

TITRE IV - PROGRAMME EXCEPTIONNEL D'INVESTISSEMENTS 351

Article 46 : Mise en _uvre du programme exceptionnel d'investissements 351

TITRE V - DISPOSITIONS DIVERSES 354

Avant l'article 47 354

Article 47 (art. L. 4421-3 du code général des collectivités territoriales) : Conférence de coordination des collectivités territoriales 355

Article 48 (art. L. 4422-9 du code général des collectivités territoriales) : Désignation des vice-présidents de l'Assemblée de Corse 356

Article 49 (art. L. 4422-19 du code général des collectivités territoriales) : Nombre des conseillers exécutifs 357

Article 50 (art. L. 4422-25 du code général des collectivités territoriales) : Empêchement du président du conseil exécutif 357

Articles additionnels après l'article 50 : Exercice du pouvoir de tutelle sur les offices - Contrôle de la chambre régionale des comptes 358

Article 51 : Entrée en vigueur de la loi 359

Article 52 : Décrets d'application 359

TABLEAU COMPARTIF

ANNEXE AU TABLEAU COMPARATIF

AMENDEMENTS NON ADOPTES PAR LA COMMISSION

MESDAMES, MESSIEURS,

Le 30 novembre 1999, le Premier ministre annonçait, devant l'Assemblée nationale, son intention de recevoir les élus de Corse afin de débattre de l'avenir de l'île. Cette réunion de travail devait constituer la première étape d'un long processus, qui a permis, tout au long de l'année 2000, de dégager les grands axes du projet de loi qui nous est aujourd'hui soumis. La méthode tranche avec les pratiques passées, qui ont trop longtemps privilégié la conduite de négociations officieuses. Elle a permis au Gouvernement d'aborder avec les élus insulaires les problèmes économiques, culturels et sociaux affectant l'île et d'y apporter des réponses précises.

Parallèlement à ce processus, la commission des Lois a mis en place une mission d'information, ouverte à l'ensemble de ses membres, en vue de préparer l'examen du projet de loi avant son dépôt à l'Assemblée nationale. Cette mission s'est rendue en Corse à deux reprises, en novembre 2000 et en mars dernier. Elle a pu rencontrer les principaux élus de l'île, les responsables des services de l'Etat et un nombre important de représentants de la société civile insulaire. Le rapporteur a, par ailleurs, assisté, en décembre dernier, à la séance de l'Assemblée de Corse consacrée à l'examen de l'avant projet de loi.

Ce travail, conduit dans la transparence, a permis de mieux cerner les enjeux du processus en cours : la reconnaissance des spécificités insulaires constitue un préalable au règlement d'une situation caractérisée par la persistance de la violence politique et par un retard économique important. Dans cette perspective, le renforcement des compétences de la collectivité territoriale de Corse lui permettra de disposer des outils nécessaires au développement de l'île. Puis une révision constitutionnelle doit intervenir en 2004, à l'issue du mandat actuel de l'assemblée territoriale. Cette nouvelle phase du processus vise à simplifier les structures administratives par la suppression des deux départements. Elle doit également consacrer la dévolution aux institutions insulaires d'un pouvoir normatif comparable à celui que détiennent les autres grandes îles méditerranéennes.

De nombreuses critiques se sont élevées contre le présent projet de loi, présenté par certains comme une remise en cause du pacte républicain. Les dispositions, pourtant très encadrées, relatives à l'adaptation des lois et des règlements par la collectivité territoriale ou celles concernant l'enseignement de la langue corse ont d'ailleurs focalisé l'essentiel des polémiques. Ces dernières sont excessives et font bon marché de l'histoire et des spécificités de la Corse.

Gageons que le débat parlementaire permettra d'apaiser ces inquiétudes : la mise en place d'une décentralisation renforcée en Corse et la reconnaissance de son identité culturelle ne constituent en rien une remise en cause du principe d'unité et d'indivisibilité de la République. Elles apportent, au contraire, une réponse politique claire aux problèmes de l'île et doivent permettre le retour à une situation de paix civile durable. La fin de la violence étant la condition incontournable du développement insulaire, la démarche engagée par le Gouvernement est porteuse d'espoir. Elle constitue le meilleur gage de la volonté des pouvoirs publics d'ancrer l'île dans un ensemble républicain, dont l'adaptation et la souplesse sont plus emblématiques de sa vitalité que de son déclin.

I. - LA CORSE : UN ÉTAT DES LIEUX

A. UNE HISTOIRE MOUVEMENTÉE

Rattachée à la France en 1768, la Corse a connu une histoire caractérisée par des occupations successives dues à sa position stratégique. Cette particularité historique permet de mieux comprendre les spécificités de la société corse : ses structures et son identité sont, en effet, le fruit d'une histoire marquée par l'existence de fortes tensions.

1. La Corse : un carrefour très disputé

Dès l'antiquité, la situation stratégique de la Corse, au c_ur des routes maritimes du monde méditerranéen, va susciter d'importantes convoitises. Etape obligée entre l'Europe et l'Afrique, la péninsule ibérique et l'Italie, la Corse connaît une succession d'occupations par des peuples marins : Phéniciens, Phocéens, Carthaginois et Romains se succèdent pour contrôler l'île. Après la chute de l'Empire romain, la Corse subit, tour à tour, l'occupation des Vandales, des Goths, des Byzantins, des Lombards, des Sarrasins, des Pisans, des Aragonais et des Génois.

Les rivalités entre Aragonais et Génois vont avoir d'importantes répercussions dans l'île. Au début du quatorzième siècle, le pays de « l'Au-delà » (l'actuelle Corse-du-Sud), dominé par les seigneurs, s'appuie sur l'Aragon, tandis que le pays de « l'En deçà » (l'actuelle Haute-Corse), où se forme la « Terre du commun », devient libre de toute féodalité et se dote d'une organisation démocratique fondée sur les pièves, échelon territorial regroupant plusieurs paroisses. En conflit avec les seigneurs, les insurgés du pays de « l'En deçà » font appel à Gênes à compter de 1358, afin de sortir l'île de l'instabilité politique. Gênes s'est d'ailleurs longtemps prévalue de cet appel pour justifier sa domination sur l'île.

L'action des Génois a profondément marqué l'histoire de l'île en modifiant en profondeur le système social insulaire, notamment par la suppression définitive des structures féodales de « l'Au-delà » à compter de la fin du seizième siècle. Cette remise en cause du pouvoir traditionnel des seigneurs, conjuguée à l'opposition croissante de la population insulaire à la République génoise, va structurer l'île en fonction des réseaux de parentèle et contribuer au développement d'un système politique, caractérisé par le clanisme et les pratiques clientélistes.

Gênes, dont la venue avait été sollicitée à l'origine par une partie des Corses, est de plus en plus contestée du fait de son affaiblissement face aux tentatives françaises de prendre possession de l'île, à partir du milieu du seizième siècle. Cette situation va conduire les Génois à renforcer leur tutelle et leur mainmise sur les richesses de l'île : l'exclusion des Corses des centres de décision, l'exploitation économique et fiscale de l'île, l'exercice dévoyé de la justice entraînent une insurrection qui dure de 1729 à 1768, date de la prise de possession définitive de l'île par le royaume de France.

Dans ce contexte, marqué par le rôle central du patriote Pascal Paoli (1725-1807), la cause corse va susciter l'intérêt de l'Europe des Lumières. Montesquieu, dans L'Esprit des lois, considère ainsi qu'une « République d'Italie tenait des insulaires sous son obéissance ; mais son droit politique et civil à leur égard était vicieux » ; Rousseau, par ailleurs auteur d'un projet de Constitution pour la Corse, écrit dans le Contrat social qu'il « est encore en Europe un pays capable de législation ; c'est l'isle de Corse. La valeur et la constance avec laquelle ce brave peuple a su recouvrer et défendre sa Liberté mériterait bien que quelque homme sage lui apprit à la conserver. J'ai quelque pressentiment qu'un jour cette petite isle étonnera l'Europe ».

Paoli, soutenu par l'Angleterre de George III, va tenter de fonder une république indépendante, dont la capitale est Corte, qui a pour institution centrale la Consulte, assemblée élue au suffrage universel. Ces institutions fonctionneront de 1755 à 1768, date à laquelle Gênes, incapable de rétablir sa domination sur l'île, cède par le traité de Versailles la Corse à la France, comme gage des dettes qu'elle a antérieurement contractées auprès d'elle. Cette cession, provisoire en droit, est définitive en fait, Gênes n'ayant jamais eu les moyens de procéder au remboursement. Paoli, écarté de la négociation du traité, en refuse les termes et entre en guerre avec la France : défait à Ponte-Novo le 8 mai 1769, il s'exile pour l'Angleterre.

2. La Corse et la France : un destin partagé

Connaissant un régime de forte autonomie sous le règne de Louis XV et de Louis XVI, la Corse est dotée, en 1775, du statut de pays d'Etat, ce qui lui permet de disposer d'un conseil souverain détenant des pouvoirs similaires à ceux des Parlements de France. Il faudra néanmoins attendre 1789 pour que la pérennité du rattachement de la Corse à la France soit établie : l'admission des quatre représentants de l'île aux Etats généraux n'ayant pas suffi à convaincre les partisans du rattachement définitif de la province, le député Salicetti obtient, avec le soutien de Paoli, la promulgation d'un « décret de l'Assemblée nationale portant que l'isle de Corse fait partie de l'Empire français et que ses habitants seront régis par la même Constitution que les autres français » (décret du 30 novembre 1789).

La Corse, devenue département français, reçoit ainsi la même administration que les autres départements. Paoli, de retour d'exil en juillet 1790, cumule les fonctions de président du conseil général et de commandant de la garde nationale. Son autorité est toutefois affaiblie du fait des rivalités entre les clans et de nombreux troubles éclatent dans l'île. L'évolution montagnarde du régime et la fin de la monarchie constitutionnelle vont, par ailleurs, éloigner Paoli de la République, tandis que ses adversaires, rappelant son séjour en Angleterre, le présentent à Paris comme un girondin prêt à trahir. L'échec de l'expédition contre la Sardaigne en janvier 1793 lui est imputée ; il entre dès lors en rupture avec la République, en convoquant à Corte une Consulte illégale. Bonaparte, resté fidèle à la France, est chassé par les paolistes et quitte l'île en juin 1793.

Paoli, condamné par la Convention, fait reconnaître à la Consulte la rupture avec la France et lui fait approuver une Constitution, entérinant l'alliance de l'île avec l'Angleterre. Il ne reçoit toutefois pas la charge de vice-roi, celle-ci étant confiée à un Anglais, Sir Gilbert Elliot. Dans l'île, les oppositions au nouveau régime se multiplient, d'autant qu'un Corse, Napoléon Bonaparte, emporte, au nom de la France, de nombreuses victoires. Dans ce contexte, les troupes anglaises quittent l'île en 1796.

L'arrivée au pouvoir de Napoléon Bonaparte consacre pleinement l'assimilation de la Corse au sein de l'ensemble français. L'action du Premier consul, puis de l'Empereur, est toutefois caractérisée par son ambivalence entre la reconnaissance d'avantages spécifiques à l'île et la conduite d'une politique de répression. C'est ainsi que le conseiller d'Etat Miot de Lélito, administrateur général des deux départements du Golo et du Liamone, consacre, par des arrêtés auxquels reste attaché son nom, des particularités fiscales destinées à tenir compte des spécificités de l'île mais qui, avec le temps, deviendront de véritables « privilèges » : la réduction des droits d'enregistrement pour les ventes, donations et mariages, celle des droits de timbre pour les infractions mineures, l'exemption de la patente pour les communes de moins de 1 800 habitants et pour les citoyens ouvrant un établissement nouveau en Corse, ainsi que la diminution des droits de douane pour les denrées venues de l'extérieur. Pour le reste, Miot s'intéressera surtout à la pacification de l'île et son successeur, le Général Morand, en poste de 1802 à 1811, conduit une action répressive implacable contre les paolistes et les anciens émigrés.

L'action de l'Empereur se fait également ressentir dans l'organisation administrative de l'île, puisqu'il décide en 1811 de regrouper les deux départements, institués en 1793, en choisissant comme chef-lieu sa ville natale, Ajaccio. Bastia devient, pour sa part, le siège de la Cour d'appel.

A compter de l'Empire, l'enracinement de la Corse au sein de la France ne fait plus de doute : l'administration, l'armée, les colonies vont devenir des lieux de promotion sociale et de carrière pour de nombreux insulaires, qui ne peuvent trouver dans l'île des débouchés en nombre suffisant. Cette situation a toutefois pour conséquence de vider l'île de sa substance et d'en freiner le développement. Celle-ci sera d'ailleurs, tout au long du dix-neuvième siècle, en proie à une violence endémique, due au développement du banditisme, au phénomène de la vendetta et à la rivalité entre les clans, exacerbée par les tensions politiques de l'époque. C'est à ce moment que la littérature, avec les ouvrages de Mérimée, Flaubert et Maupassant, va contribuer à figer l'image de l'île et alimenter les clichés des continentaux à son égard.

Le soutien massif apporté par la population corse au Prince-président, puis à l'Empereur Napoléon III, va également favoriser l'émergence d'un discours politique hostile à l'île dans son ensemble. Michel Vergé-Franceschi (1) cite ainsi plusieurs exemples éclairants sur la virulence des discours tenus par certains continentaux à l'égard de l'île : « Le désastre de Sedan a entraîné pour la Corse des conséquences inattendues. En effet, au lendemain de la déchéance de Napoléon III, face à l'attitude des députés corses à l'Assemblée nationale et face à l'attitude des maires corses qui démissionnent en masse, la presse continentale et les républicains se déchaînèrent et se mirent à orchestrer une véritable campagne de dénigrement à l'égard des Corses présentés pour être les suppôts du bonapartisme déchu : dès 1870, un journal lyonnais envisage de donner l'île à la Prusse pour récupérer l'Alsace et la Lorraine ! A l'Assemblée, Clemenceau et le club positiviste de Paris "demandent que la Corse cesse immédiatement de faire partie de la République française" (8 février 1871). Dans le journal Le cri du peuple, Jules Vallès s'écrie : "La Corse n'a jamais été et ne sera jamais française !" (4 mars 1871). » Toujours d'après le même auteur, le voyage du Président Sadi Carnot en Corse en 1890 est relaté dans Le Petit Journal, quotidien tiré à un million d'exemplaires, par un article intitulé : « Le Président chez les sauvages ».

Malgré ce contexte de malentendu entre la Corse et le continent, le mouvement de fonctionnarisation et de participation des Corses à l'aventure coloniale va fortement s'accélérer sous la IIIe République. La politique d'expansion coloniale et la généralisation de l'instruction publique vont ainsi contribuer au déclin démographique constant de l'île à compter de 1880. La première guerre mondiale, en touchant durement l'île, qui perd environ 30 000 hommes, accélère son déclin démographique et économique.

LA PRÉSENCE CORSE DANS LES COLONIES AU MILIEU DU XXe SIÈCLE

Régions

Nombre d'habitants

Proportion pour 100 000 habitants
du département d'origine

Corse

268 000

281

Haute-Savoie

270 000

31

Charente

311 000

71

Deux-Sèvres

313 000

47

Hérault

461 000

77

Ensemble de la France

40 millions

56

Source : Xavier Crettiez, La Question corse, Editions complexe, 1999.

Dans ce contexte d'enlisement, l'Italie mussolinienne tente de jouer la carte de l'irrédentisme. La propagande fasciste, qui exacerbe l'italianité de l'île, a cependant peu d'échos et la présence de l'occupant se limite, entre 1940 et 1942, à l'installation d'une double commission d'armistice germano-italienne. A compter de l'occupation de la zone libre, la Corse est envahie conjointement par les forces allemandes et italiennes. La résistance s'amplifie et la Corse s'insurge, en 1943, avec le soutien de la France libre. Premier département français libéré, la Corse est également celui qui fournit les plus forts contingents à l'armée de débarquement en Provence.

Après la seconde guerre mondiale, l'île est profondément affectée par la décolonisation et principalement par les événements d'Algérie, où près de 100 000 Corses s'étaient établis. Après la création d'un Comité de salut public dans l'île à la suite des troubles d'Alger en mai 1958, elle doit accueillir un nombre important de rapatriés d'origine insulaire. Cette période affecte profondément l'équilibre de la société corse et entraîne d'importantes tensions, qui contribuent à expliquer l'émergence et la persistance d'une violence de caractère politique à partir des années soixante-dix.

3. L'émergence du mouvement nationaliste

Le retard accumulé par l'île dans les années cinquante et soixante, conjugué avec la décolonisation et les projets d'un développement touristique de masse vont cristalliser les mécontentements dans l'île et favoriser l'émergence d'un mouvement autonomiste, puis de courants nationalistes partagés entre vitrines légales et organisations clandestines.

Dans son ouvrage sur La Question corse, Xavier Crettiez rattache le développement du nationalisme au contexte économique particulier des années soixante (2) : « Le nationalisme corse naît dans le sillage de l'agitation régionaliste qui s'attache à mettre en exergue la situation économique insulaire, dénoncée comme catastrophique. L'île serait oubliée de l'Etat et ses habitants, volontairement écartés de la brutale modernisation à l'_uvre dans les années soixante. En rationalisant à travers un discours anticolonialiste un sentiment diffus d'injustice, les leaders régionalistes cristallisent sur leur mouvement les mécontentements de nombreux Corses à l'égard de la politique d'aide économique de l'Etat et de certains projets de développement perçus comme fondamentalement contraires aux intérêts de l'île. »

L'arrivée en Corse de plus de 17 000 rapatriés d'Afrique du Nord entre 1957 et 1966 et la politique de redistribution des terres opérées par l'Etat à leur profit vont exacerber le mécontentement de la population insulaire. Edmond Siméoni, leader historique de l'Action régionaliste corse (ARC), conteste une politique jugée discriminatoire, car mise en _uvre par l'Etat au profit des seuls rapatriés. Le sentiment d'injustice et de spoliation qui se développe dans la population explique la multiplication concomitante des plasticages.

Dans ce contexte, les événements d'Aléria, survenus le 22 août 1975, constituent l'un des chocs les plus violents de l'histoire contemporaine de la Corse. En réponse à l'occupation de la propriété d'un viticulteur pied-noir, mêlé à un scandale d'enrichissement frauduleux, par huit militants armés de l'ARC dirigés par Edmond Siméoni, les pouvoirs publics opèrent une impressionnante démonstration de force : des blindés légers, des hélicoptères Pumas, plus de 2 000 gardes mobiles sont déployés sur place. Deux gendarmes sont tués au cours de l'opération. Le 27 août, l'ARC est dissoute et une manifestation de protestation à Bastia donne lieu à des affrontements avec les forces de l'ordre, qui se soldent par un mort et seize blessés.

L'opération commando d'Aléria apparaît, bel et bien, comme l'acte fondateur de la violence politique en Corse. Le FLNC, créé en juillet 1976, s'inscrit d'ailleurs dans le prolongement de l'action d'Aléria. Mais, tout en reprenant une partie des thèmes développés par le mouvement autonomiste désormais incarné par l'Union du peuple corse (UPC), le FLNC passe de la revendication de l'autonomie à celle de l'indépendance et justifie l'action violente par le rejet de l'Etat colonialiste. Il développe, dans le même temps, un discours virulent contre le système clanique, accusé de collusion avec l'Etat.

Celui-ci n'aura de cesse d'hésiter face au mouvement nationaliste, tentant alternativement de réprimer les actions terroristes et de dialoguer avec leurs auteurs. Cette attitude fluctuante des pouvoirs publics va provoquer d'importantes dissensions au sein du mouvement nationaliste, qui se divise en raison de désaccords sur la stratégie à suivre vis-à-vis de l'Etat et du fait de conflits portant sur la répartition des fonds servant au financement du mouvement. Le FLNC, dissous le 5 janvier 1983, va se scinder en 1990 en deux blocs, s'articulant autour d'une organisation militaire clandestine et d'une vitrine légale : on distingue ainsi l'ex-FLNC - canal historique / A Cuncolta Naziunalista (3) et l'ex-FLNC - canal habituel / Mouvement pour l'autodétermination (MPA).

Cette division du mouvement nationaliste va entraîner la multiplication des groupes clandestins et une véritable surenchère dans l'action violente. Celle-ci s'exerce tout aussi bien à l'encontre de l'Etat, que de simples particuliers ou des nationalistes eux-mêmes. Elle change néanmoins de nature dans les années quatre-vingt-dix, les atteintes aux personnes devenant de plus en plus fréquentes, alors même que le mode opératoire traditionnel du terrorisme insulaire a longtemps tenu à l'exercice d'une « violence mesurée », principalement centrée sur les biens.

Dans la période récente le terrorisme insulaire s'est encore radicalisé : le conflit entre les deux branches de l'ex-FLNC s'est soldé par une vingtaine de morts entre 1994 et 1996 ; un attentat à la voiture piégée sur le vieux port de Bastia, en pleine journée, en juillet 1996, dans le cadre d'un règlement de comptes entre nationalistes, a blessé de nombreuses personnes de manière aveugle ; l'assassinat du préfet Erignac, le 6 février 1998, a profondément choqué l'ensemble du pays.

Le mouvement nationaliste ne saurait, toutefois, être réduit à sa seule expression clandestine et violente. Longtemps exclus du jeu politique, du fait du mode de scrutin en vigueur pour les élections municipales et cantonales, les nationalistes vont bénéficier, à compter de 1982, d'une représentation au sein de l'assemblée régionale. L'examen de leurs résultats aux différents scrutins souligne, d'ailleurs, leur progression électorale au sein de l'opinion insulaire, comme l'illustre le tableau ci-après.

Résultats électoraux du mouvement nationaliste aux élections régionales

 

1982

1984

1986

1992

1998

1999

Listes

PPC, UPC et liste de Charles Santoni

UPC et PPC

MCA

CN et MPA

CN

CN

Voix

14 502 (UPC)
3 287
(Charles Santoni)
2 886 (PPC)

8 484 (PPC)
7 146 (UPC)

13 997

21 872 (CN)
10 360 (MPA)

12 233

20 076

%

10,61
2,40
2,11

6,19
5,21

8,97

16,85
7,98

9,86

16,77

Total %

16,13

11,41

8,97

24,84

9,86

16,77

Sièges

7 + 1 + 1

6
(3 UPC et 3 PPC)

3

13
(9 CN et 4 MPA)

5

8

1982 : élections régionales suite au statut de 1982

1984 : élections régionales suite à la dissolution de l'assemblée régionale par M. Deferre

1986 : élections régionales sur l'ensemble du territoire national

1987 : élections régionales uniquement dans le département de la Haute-Corse suite à l'annulation des élections dans ce seul département (ne figure pas dans le tableau récapitulatif)

1992 : élections régionales sur l'ensemble du territoire national

1998 : élections régionales sur l'ensemble du territoire national

1999 : élections territoriales suite à l'annulation du vote de 1998

UPC : Union du peuple corse (menée par Edmond Siméoni)

PPC : Parti du peuple corse

MCA : Mouvement corse pour l'autodétermination (mené par Pierre Poggioli)

MPA : Mouvement pour l'autodétermination (mené par Alain Orsoni)

CN : Corsica Nazione

 

Alors que ce contexte politique spécifique met en lumière la nécessité pour l'Etat d'apporter une réponse politique cohérente adaptée aux préoccupations de l'opinion publique insulaire, l'attitude des pouvoirs publics a été, par le passé, caractérisée par le manque de continuité dans l'action et par une hésitation constante entre la conduite du dialogue et l'application ferme de la loi.

B. LES HÉSITATIONS DES POUVOIRS PUBLICS

Face à la persistance de la violence politique dans l'île, les pouvoirs publics ont oscillé entre la reconnaissance des spécificités insulaires et la répression des infractions, qu'elles relèvent du terrorisme ou du droit commun. La récente décision d'appliquer une politique dite du « rétablissement de l'Etat de droit » s'est, pour sa part, heurtée à d'importantes difficultés.

1. L'alternance du dialogue et de la fermeté

Alors que la violence politique fait irruption en Corse dans les années soixante-dix, du fait du retard économique et des tensions induites par l'accueil des rapatriés d'Afrique du Nord, les pouvoirs publics refusent de reconnaître l'existence d'une spécificité insulaire.

En matière statutaire, l'île est soumise aux dispositions de la loi du 5 juillet 1972, qui a érigé les circonscriptions d'action régionale en établissements publics régionaux. La loi du 15 mai 1975 portant réorganisation de la Corse a, pour sa part, rétabli les deux départements institués en 1793 et supprimés en 1811, l'une des motivations de ce dispositif étant de « permettre une application rationnelle de la loi portant création des régions » en faisant en sorte que la Corse soit soumise au droit commun (4).

Parallèlement, la politique de répression des mouvements autonomistes va être privilégiée, que ce soit lors de l'affaire d'Aléria, en août 1975, ou en juin 1978, lorsque la visite du chef de l'Etat dans l'île est précédée d'une vague d'arrestations de dizaines de nationalistes, déférés par la suite à la Cour de sûreté de l'Etat.

François Mitterrand, nouvellement élu à la présidence de la République, décide de rompre avec cette politique, résumée par son prédécesseur en une formule restée célèbre : « il n'y a pas de problème corse, il y a des problèmes en Corse ». L'amnistie présidentielle et la suppression de la Cour de sûreté de l'Etat constituent autant de signes de décrispations à l'égard des nationalistes. La reconnaissance des spécificités insulaires trouve, pour sa part, une première réponse avec les lois du 2 mars et du 30 juillet 1982 fixant respectivement l'organisation administrative et les compétences de la région corse : en dotant la Corse de compétences renforcées par rapport aux régions continentales et en prévoyant, dès 1982, l'élection de la première assemblée régionale dans le cadre d'une circonscription unique à la proportionnelle intégrale, elles constituent une première réponse politique aux revendications des mouvements nationalistes.

Ce statut particulier se heurte néanmoins à l'absence de majorité stable au sein de l'assemblée régionale, dissoute après un an d'existence. La loi du 10 juillet 1985, qui organise l'élection des conseils régionaux au suffrage universel direct, se substitue ensuite au régime spécifique à la Corse et une nouvelle assemblée régionale est élue dans le cadre départemental en 1986. Celle-ci connaît, du fait du grand nombre de formations politiques existant dans l'île et du mode de scrutin retenu, les mêmes problèmes de fonctionnement que les assemblées précédentes.

Par ailleurs, la recrudescence de la violence conduit l'Etat à opérer un changement de stratégie : l'année 1982, marquée par plusieurs « nuits bleues » et un total de près de 800 attentats, incite les pouvoirs publics à créer en janvier 1983 un poste de commissaire de la République délégué en charge de la police, compétent sur les deux départements. Le chef de la brigade antigang, M. Robert Broussard, est désigné pour occuper ce poste et diriger l'action de l'ensemble des forces de sécurité dans l'île. La même année, le FLNC et sa vitrine légale, les CCN, sont dissous, tandis que l'organe nationaliste U Ribombu fait l'objet de nombreuses saisies judiciaires. D'importantes missions d'inspection et de contrôle sont parallèlement diligentées dans l'île, pour mettre un terme à certaines infractions.

Cette politique de fermeté sera poursuivie entre 1986 et 1988, sous l'égide du ministre de l'intérieur, M. Charles Pasqua. Celui-ci fait procéder le 21 janvier 1987 à la dissolution du Mouvement corse pour l'autodétermination (MCA), qui avait succédé aux CCN. Des poursuites sont, par ailleurs, diligentées à l'encontre de la direction régionale de FR3, soupçonnée de collusion avec les nationalistes. Plusieurs dizaines de membres des mouvements nationalistes sont interpellés tout au long de l'année 1987. Ceux-ci sont, pour la plupart, soumis aux procédures particulières de la loi du 9 septembre 1986, qui a été adoptée pour répondre à la vague d'attentats commis en France par des terroristes du Moyen-Orient. Cette loi, qui allonge la durée de la garde à vue et prévoit la compétence de structures judiciaires spécialisées dans la lutte antiterroriste, rattachées au tribunal de Paris, a ainsi, dès l'origine, été mise en _uvre à l'encontre du terrorisme insulaire.

La réélection de François Mitterrand à la présidence de la République en 1988 inaugure une nouvelle période de dialogue, conduite par le ministre de l'intérieur, M. Pierre Joxe. Après l'amnistie présidentielle, le climat s'apaise dans l'île, l'ex-FLNC ayant décrété une trêve. Pour sa part, l'assemblée régionale adopte, en octobre 1988, sur proposition des élus territoriaux de la Cuncolta, une motion demandant la reconnaissance du peuple corse. Après une période de négociations intenses, M. Pierre Joxe annonce le 12 mars 1990, à Ajaccio, l'intention du Gouvernement de mettre en _uvre un nouveau statut pour la Corse. Celui-ci, reconnaît, dans son article 1er, l'existence de « la communauté historique et culturelle vivante que constitue le peuple corse, composante du peuple français », met en place une organisation institutionnelle spécifique, prévoit d'importants transferts de compétences de l'Etat vers la collectivité territoriale et impose, dans un souci de moralisation, une refonte complète des listes électorales de l'île.

Malgré la censure de l'article 1er de la loi portant statut de la collectivité territoriale par le Conseil constitutionnel, le statut de 1991 consacre la reconnaissance de la spécificité corse au sein de la République. L'île est ainsi dotée d'institutions caractérisées par la séparation des pouvoirs : le conseil exécutif est un organe collégial de six membres, responsable devant une assemblée élue dans le cadre d'une circonscription unique. Le mode de scrutin retenu vise à garantir la diversité de la représentation des formations politiques, en permettant de dégager des majorités stables : le scrutin proportionnel à la plus forte moyenne est tempéré par l'octroi d'une prime de cinq sièges à la liste arrivée en tête ainsi que par la mise en place d'un seuil de 5 % des voix pour participer à la répartition des sièges.

Par ailleurs, les transferts de compétence, dans des domaines aussi variés que l'éducation, la formation professionnelle, la communication, la culture, l'environnement, l'aménagement du territoire, le développement économique, la politique agricole, le logement, les transports et l'énergie, placent la collectivité territoriale de Corse dans un cadre de décentralisation renforcée, en lui conférant de nombreuses attributions qui la distinguent des conseils régionaux du continent.

Après cette réforme statutaire importante, le retour de M. Charles Pasqua au ministère de l'intérieur est marqué par la rupture avec la politique conduite sous la première cohabitation. Abandonnant la logique de la répression, le ministre de l'intérieur privilégie le dialogue avec la branche historique de l'ex-FLNC et met en _uvre un plan d'action économique dans l'île, en annonçant l'instauration d'un programme d'options spécifiques à l'éloignement et l'insularité pour la Corse (POSEICOR), ainsi que la mise en place d'un statut fiscal particulier. Son successeur, M. Jean-Louis Debré, poursuit cette politique, sans toutefois parvenir à enrayer la multiplication des attentats et des actions violentes.

Le rapport de la commission d'enquête sur le fonctionnement des services de sécurité en Corse (5), constituée par l'Assemblée nationale en juin 1999, a mis en lumière, à travers quelques exemples tirés de la période la plus récente, les conséquences néfastes des changements constants de stratégie des pouvoirs publics à l'égard du terrorisme insulaire :

-  l'arrestation, en flagrant délit, de quatorze membres d'un commando de l'ex-FLNC canal historique à Spérone, le 27 mars 1994, au moment où ce mouvement était en discussion avec le ministre de l'intérieur, a été suivie par la libération rapide des personnes arrêtées, provoquant le scepticisme des forces de l'ordre et de l'opinion publique insulaire sur l'impartialité de la justice ;

-  l'épisode de la conférence de Tralonca, survenu dans la nuit du 11 au 12 janvier 1996, censé conforter la politique de négociation conduite par M. Jean-Louis Debré, avec l'annonce d'une trêve de trois mois afin « d'ouvrir la voie à un règlement progressif de la question nationale corse », aboutit, tant par l'ampleur de la démonstration de force, que par l'importance de l'arsenal exhibé à cette occasion, à traumatiser l'opinion publique, en soulignant l'incapacité de l'Etat à faire régner l'ordre sur le territoire de la République ;

-  la circulaire du procureur général de Corse, en date du 1er février 1996, qui appelle à « la plus grande circonspection dans la conduite de l'action publique », dès lors que sont en cause des nationalistes, révèle l'instrumentalisation de la justice par les pouvoirs publics dans l'île et accrédite la thèse de l'impunité pour certains fauteurs de troubles.

2. Les difficultés de la politique de rétablissement de l'Etat de droit

Après l'épisode de Tralonca et l'attentat contre la mairie de Bordeaux le 5 octobre 1996, le Gouvernement dirigé par M. Alain Juppé va rompre avec la stratégie précédemment appliquée au profit d'une logique de fermeté. Celle-ci se traduit par l'arrêt des négociations officieuses avec les mouvements nationalistes et par la stricte application de la légalité dans l'île.

Ce changement de cap s'est d'abord manifesté par la nomination de trois nouveaux préfets dans l'île, dont M. Claude Erignac, nommé préfet de région le 12 décembre 1996. Celui-ci va renforcer les contrôles administratifs, notamment dans le but d'assainir les mécanismes de financement de l'agriculture insulaire. L'Assemblée nationale décide, pour sa part, de créer, le 22 octobre 1996, une mission d'information commune sur la Corse, présidée par M. Henri Cuq. Celle-ci, après un important travail d'audition, ne peut toutefois remettre son rapport, en raison de la dissolution intervenue en avril 1997.

L'alternance politique de 1997 devait conforter la politique de rétablissement de l'Etat de droit dans l'île. Dans sa déclaration de politique générale du 19 juin 1997, le Premier ministre définit ainsi clairement la stratégie de l'Etat en Corse : « En Corse - comme partout ailleurs sur le territoire national - le Gouvernement veillera au respect de la loi républicaine auquel la population aspire et sans lequel il n'y a pas de possible. Parallèlement, il fera en sorte que la solidarité nationale s'exerce pour rattraper le retard de développement dû à l'insularité. Le Gouvernement encouragera l'affirmation de l'identité culturelle de la Corse et l'enseignement de sa langue ». Dans ce cadre, le Premier ministre met en _uvre une gestion interministérielle du dossier corse, rompant avec les habitudes passées, consistant à confier la charge de l'île au seul ministre de l'intérieur.

Soulevant une intense émotion dans l'ensemble du pays, l'assassinat du préfet Erignac, le 6 février 1998, conduit la représentation nationale à se saisir une nouvelle fois de la question corse. C'est dans ce contexte que l'Assemblée approuve, en mars 1998, la création d'une commission d'enquête sur l'utilisation des fonds publics et le fonctionnement des services publics en Corse, présidée par M. Jean Glavany (6).

Le rapport de la commission d'enquête permet de cerner l'ampleur des problèmes affectant l'île : il pointe les défaillances des outils de financement de l'économie, tels la CADEC ou le Crédit agricole, souligne le laxisme de la gestion de la Mutualité sociale agricole, fait état du manque de rigueur dans la gestion de certaines collectivités locales, rend compte de l'importance des pratiques frauduleuses en matière de paiement des impôts et des cotisations sociales. Le rapport invite les pouvoirs publics à poursuivre l'application stricte de la loi dans l'île, en même temps qu'il appelle à une réflexion sur son évolution institutionnelle.

En effet, en dénonçant le « maquis institutionnel », le rapport de la commission d'enquête souligne l'existence d'une sur-administration de la Corse. Tout en approuvant la décentralisation renforcée mise en _uvre dans le statut de 1991, il met en exergue les effets pervers de la superposition sur un petit territoire d'un grand nombre de communes, de deux départements faiblement peuplés et d'une collectivité territoriale disposant d'attributions renforcées. Il analyse également les difficultés organisationnelles de la collectivité territoriale de Corse, qui résultent de l'exercice d'une partie importante de ses compétences par les offices et agences, établissements publics industriels et commerciaux de l'Etat, créés par le statut de 1982 et rattachés à la collectivité territoriale par le statut de 1991.

Dans l'île, l'action du successeur de Claude Erignac, le préfet Bernard Bonnet, et du procureur général, M. Bernard Legras, installé en juin 1998, va se traduire par une stricte application de la loi : les missions d'inspection se multiplient, le contrôle de légalité des collectivités locales est strictement exercé, la justice est saisie par l'autorité préfectorale de nombreuses irrégularités dans le cadre de l'article 40 du code de procédure pénale. Un pôle économique et financier est, parallèlement, installé au tribunal de Bastia, afin de lutter plus efficacement contre la délinquance financière, dénoncée par le rapport de la commission d'enquête parlementaire présidée par M. Jean Glavany.

Cette politique devait toutefois se heurter à l'affaire des paillotes, survenue dans la nuit du 19 au 20 avril 1999, qui aboutit à la mise en examen du commandant de la légion de gendarmerie de Corse le 26 avril, ainsi qu'à l'incarcération du préfet Bonnet et de son directeur de cabinet le 6 mai suivant. En discréditant l'action des services de l'Etat dans l'île, cette affaire allait susciter d'importantes interrogations dans l'ensemble du pays et motiver la création de deux commissions d'enquête parlementaires, l'une présidée par M. Raymond Forni à l'Assemblée nationale, l'autre, par M. Jean-Patrick Courtois au Sénat.

Ces deux rapports (7) devaient pointer les dysfonctionnements des forces de sécurité dans l'île et souligner les conséquences de l'affaire des paillotes, auprès d'une opinion publique insulaire partagée face à la politique de rétablissement de l'Etat de droit mise en _uvre par les pouvoirs publics depuis 1996. Ils encouragent, dans le même temps, les pouvoirs publics à maintenir une politique d'application de la légalité républicaine en Corse. Le traitement judiciaire de l'affaire des paillotes, marqué par le respect de l'indépendance des magistrats dans un dossier mettant en cause le représentant de l'Etat dans l'île, devait, pour sa part, constituer la première illustration du maintien du cap du rétablissement de l'Etat de droit.

Le rappel des événements ayant frappé la Corse depuis l'affaire d'Aléria souligne la complexité des problèmes affectant l'île et la diversité des réponses qui leur ont été apportées par les pouvoirs publics. Cette histoire récente, conjuguée aux caractéristiques sociales et géographiques de la Corse, permettent de mieux comprendre les difficultés endémiques de développement auxquels l'île est confrontée. Dans le même temps, le retard économique conforte les blocages de la société insulaire et appelle une réponse spécifique de la part des pouvoirs publics.

C. UN DEVELOPPEMENT INSUFFISANT

Force est de constater que, trop longtemps, les pouvoirs publics se sont contentés de répondre au retard économique de l'île par des transferts massifs d'argent public. Sans doute depuis 1997, comme toutes les régions françaises, la Corse connaît-elle une embellie économique. Toutefois, cette amélioration demeure fragile et de nombreux efforts restent à accomplir pour gommer les handicaps structurels dont souffre l'économie insulaire.

1. Des indicateurs inquiétants

Le terme de « désastre » est parfois employé pour décrire la situation économique de la Corse. Cette qualification est sûrement excessive, mais plusieurs indicateurs objectifs témoignent d'un certain retard de développement.

_ Le PIB par habitant de la Corse est très inférieur à la moyenne des régions de l'Union européenne comme à la moyenne nationale. Certes, pour la nouvelle période de programmation des fonds structurels communautaires, la Corse n'est plus classée parmi les régions en retard de développement, dites « régions de l'objectif 1 », son PIB par habitant étant devenu supérieur à 75 % de la moyenne communautaire. Toutefois, il représentait seulement 77 % du PIB par habitant de l'Union européenne en 1998, selon le deuxième rapport sur la cohésion économique et sociale de la Commission européenne du 31 janvier 2001.

Ainsi que le soulignait récemment une étude réalisée par l'INSEE (8), en 1998, le produit intérieur brut de la Corse s'élevait à 28 845 millions de francs et représentait 0,3 % du PIB national. La Corse se situait alors à l'avant-dernière place des régions françaises en termes de PIB par habitant et de PIB par emploi. Le PIB par habitant était inférieur de 21,5 % à la moyenne nationale, le PIB par emploi de 15,2 %.

Les écarts en termes de revenu sont heureusement moindres. Le revenu disponible des ménages corses (82 000 francs en 2000) se situe deux points en dessous de celui des autres ménages français. Cette relative homogénéisation par rapport au niveau national s'explique par l'importance des transferts sociaux dont bénéficie l'île en raison du vieillissement de la population résidente et du poids de la population exclue du marché du travail. Elle ne reflète en rien le dynamisme de l'économie.

_ Le marché de l'emploi est plus dégradé en Corse que la moyenne nationale. Certes depuis 1997, le chômage connaît une baisse régulière, tant au niveau global que pour les chômeurs de longue durée et les jeunes, mais à des rythmes encore inférieurs à ceux observés sur l'ensemble du territoire national. Le taux de chômage régional a atteint, en septembre 2000, son niveau le plus bas depuis 1991, avec un taux de 10,1 % de la population active, mais il demeure supérieur d'un demi point à la moyenne nationale (9,5 %). Par ailleurs, comme le souligne l'INSEE (9), si la forte progression de l'emploi est en partie imputable à la croissance soutenue des effectifs dans le secteur tertiaire, elle s'explique aussi par de nombreuses créations d'emplois aidés. Enfin, les salaires sont inférieurs à la moyenne nationale. Les différentes organisations syndicales représentatives entendues par le rapporteur, le 24 novembre 2000, au cours du déplacement de la mission d'information en Corse, ont indiqué que les salaires du secteur privé demeurent de 12 % inférieurs à ceux versés au niveau national, tandis que les prix restent supérieurs de 6 % à ceux constatés au niveau national.

2. Une économie déséquilibrée et fragile

La structure de l'économie insulaire est déséquilibrée : elle se caractérise par la très forte prééminence du secteur tertiaire, la part de l'industrie et de l'agriculture demeurant très limitée. En outre, le tissu économique est très émietté. Ainsi le président de l'Agence de développement économique de Corse dresse un constat inquiétant de la situation de l'île en dépit des améliorations de la conjoncture : « Structurellement, les bases n'ont pas bougé : le tertiaire reste hypertrophié, l'outil productif est quasiment nul, les flux marchands sont uniquement liés au tourisme. Le modèle économique corse n'est pas compétitif. Sur 22 000 établissements, 80 % sont dans le tertiaire, 8 % seulement dans l'industrie, dont un quart dans l'agro-alimentaire. Plus de la moitié n'ont pas de salariés et 95 % en ont moins de dix. La Corse est la région française à plus forte densité artisanale et la moins industrialisée ».

_ Soumise aux contraintes de l'insularité, la Corse n'a en effet jamais affiché de véritable vocation industrielle, ce qui explique que l'industrie soit quasiment inexistante sur l'île. Les entreprises présentes sont, pour la plupart, des micro-structures artisanales  ; le nombre de moyennes ou grandes entreprises est très faible. A ces caractéristiques s'ajoutent une extrême faiblesse de la représentation syndicale et un système de régulation interne défaillant.

_ Après vingt ans de mutations, parfois difficiles, l'agriculture insulaire offre, pour sa part, un visage contrasté : moderne et intensive dans la plaine, et notamment sur la côte orientale, elle a connu des déboires dans la commercialisation de certaines productions fruitières et légumières et doit réorienter certaines de ses filières ; de type traditionnel et extensif sur les coteaux et dans la montagne, elle est centrée autour des activités pastorales et de transformations laitières et charcutières et souffre d'un manque d'organisation. En dépit de l'importance des aides publiques dont elle bénéficie, l'agriculture occupe une place réduite dans l'économie insulaire, puisqu'elle ne représente que 2 % de la valeur ajoutée de l'île. Elle doit relever des défis majeurs : assurer sa professionnalisation, affirmer son savoir-faire, face à la concurrence externe, et générer un revenu suffisant pour permettre l'installation et le maintien de nouveaux exploitants en zone difficile à l'intérieur de l'île.

_ L'économie de la Corse est largement tributaire du secteur tertiaire : en 1997, il représentait 78 % de l'emploi total et couvrait à lui seul 80 % de la valeur ajoutée régionale, contre 70 % en moyenne nationale. Cette prédominance traduit le poids du secteur public, qui représente 38 % de l'emploi régional et un quart de la valeur ajoutée de l'île, et la place croissante du tourisme.

Si le tourisme est encore vécu par certains comme une agression, il constitue néanmoins le principal moteur de développement de l'île. De fait, les dirigeants d'entreprises et les membres des organismes consulaires, entendus par la mission d'information à Ajaccio, le 24 novembre 2000, ont insisté sur l'importance de cette activité, en forte croissance depuis 1997. Premier secteur économique privé de la région, il représente 10 % de son PIB. Il s'agit, bien sûr, d'un secteur fragile, extrêmement sensible aux fluctuations touristiques.

En outre, son développement se heurte à une saturation des capacités d'hébergement, qui expliquerait que la croissance de ce secteur en 2000 soit demeurée moindre que celle observée en 1999. Il souffre d'une trop forte concentration dans l'espace et dans la durée : l'essentiel des visiteurs se concentre sur le littoral et la saison touristique se limite à la période juillet-septembre, ce qui s'explique en partie par la faiblesse des structures d'accompagnement du tourisme susceptibles de retenir le visiteur sur une plus grande durée. Cette concentration de la saison touristique entraîne une sous-utilisation des structures d'accueil et une précarité de l'emploi lié au tourisme. Par ailleurs, les opérateurs touristiques sont souvent peu professionnalisés, ce qui nécessite une intensification de la formation dans le secteur de l'hôtellerie et la promotion d'une offre de qualité. Les hôtels de haut niveau et les grandes chaînes internationales de l'hôtellerie demeurent absentes des agglomérations corses. Enfin, l'offre est insuffisamment diversifiée et certaines formes de tourisme, telles que le tourisme d'affaires ou archéologique, sont pratiquement inexistantes.

3. Des obstacles à surmonter

Les handicaps naturels et géographiques, le climat politique et social ainsi que la faiblesse du secteur productif sont autant de freins au développement de l'île.

_ Les handicaps naturels et géographiques dont souffre la Corse sont connus. Ile montagneuse peu peuplée et presque totalement dépourvue de ressources énergétiques et minières, elle constitue un marché étroit et morcelé, loin des grands flux économiques. L'insularité vient en tête de ces handicaps naturels ; son poids est économique, mais aussi psychologique. Au-delà du renchérissement des coûts qu'elle entraîne, que le mécanisme de la dotation territoriale s'est efforcé de pallier depuis 1976, elle complique les problèmes logistiques et accroît la dépendance des acteurs économiques.

Montagne dans la mer, la Corse est particulièrement cloisonnée, divisée en micro-régions qui ont développé leur particularisme. Les communications intérieures sont rendues particulièrement difficiles, mais la géographie n'est pas la seule responsable de cet état de fait : le réseau routier a été longtemps délaissé ; l'île est la seule région de l'Union européenne qui ne compte pas un kilomètre d'autoroute et la seule montagne qui ne soit pas traversée par un tunnel. De plus, les grands axes ne relient pas la moitié des communes. Toutefois, la géographie de l'île n'a pas pour seul effet de la desservir, puisqu'elle est dotée d'un patrimoine naturel exceptionnel, qui constitue un potentiel évident.

La démographie de l'île n'est, par ailleurs, pas favorable au développement. La Corse est la région la moins peuplée de la France métropolitaine, avec un peu plus de 260 000 habitants recensés en 1999 et la répartition spatiale de sa population est déséquilibrée. La croissance de sa population est supérieure à la moyenne nationale depuis 1990, principalement en raison du solde migratoire qui vient au secours d'une natalité en forte baisse, mais ne suffit pas cependant à enrayer le vieillissement de la population. Les personnes de moins de quarante ans sont désormais minoritaires ; la part des plus de soixante ans dans la population ne cesse de se rapprocher de celle des moins de vingt-cinq ans ; l'écart de 6,5 points en 1990 est seulement de 2,3 points en 1999 (10). Parmi les plus de soixante ans, c'est plus particulièrement le nombre des plus de soixante-quinze ans qui augmente. Ils représentent aujourd'hui un résident sur onze. Les 20-25 ans se font plus rares en Corse-du-Sud qu'en Haute Corse, du fait de l'implantation de l'Université à Corte.

Lors du déplacement de la mission d'information, en mars dernier, à l'Université de Corte, il a été indiqué au rapporteur qu'un jeune diplômé sur deux quittait l'île. Il convient, par ailleurs, de préciser que beaucoup de jeunes sortent du système éducatif sans qualification. Selon les chiffres de l'INSEE, le taux de sortie sans qualification des formations du
secondaire s'élevait à 15 % en Corse en 1996 (8,4 % pour la moyenne nationale) (11). Par ailleurs, si le nombre de bacheliers augmente, les résultats globaux du baccalauréat sont moyens. Dans les séries générales et technologiques, les scores sont mitigés avec respectivement 72,6 % et 71,2 % de reçus, soit 6 et 8 points de moins que les moyennes nationales en 1999 (12).

_ Au-delà de ces handicaps naturels, des facteurs politiques et sociaux peuvent être mis en avant pour expliquer les difficultés de l'économie corse. Incontestablement, comme l'ont souligné les dirigeants d'entreprises et les membres des organismes consulaires entendus par la mission d'information, l'image de violence politique et sociale associée à la Corse a un effet répulsif pour les opérateurs économiques. Entendu par la commission d'enquête sur l'utilisation des fonds publics et la gestion des services publics en Corse, le directeur régional de la Banque de France déclarait sur ce point en février 1997 : « Il ne faut pas sous-estimer l'impact du contexte social défavorable de ces dernières années : grèves répétées des transports, grèves prolongées du secteur public, climat d'agitation politique et de violence ». Dans le secteur du tourisme, la corse pâtit de son image « d'île à problèmes ».

Par ailleurs, la Corse souffre encore du poids de son passé. Société paysanne jusqu'à la fin du XIXe siècle, elle n'est entrée dans la modernité que dans les années soixante. Les mutations psychologiques et sociales de cette évolution ne sont pas totalement achevées. Ainsi, certains observent que l'esprit d'entreprise et d'initiative fait parfois défaut. La motivation des créateurs d'entreprise est surtout sociale - il s'agit de créer son propre emploi - et les aspects économiques souvent sous-estimés. La disparition des entreprises non viables est mal acceptée et toute solution pour éviter le dépôt de bilan est recherchée. Il faut souligner, par ailleurs, que la Corse compte peu d'établissements de service aux entreprises (13) (11 % du total des établissements contre 15 % pour la moyenne nationale en 1999).

Autre phénomène, l'économie corse est caractérisée par la persistance du régime de l'indivision en matière de propriété foncière et immobilière. Imputée à la culture locale reposant sur un grand attachement à la terre des ancêtres et à la famille et encouragée par l'absence de sanctions de déclaration en matière de succession, elle s'ajoute à l'absence fréquente de titres de propriété et freine le développement économique en bloquant les transactions et en accentuant la dégradation du patrimoine.

_ Enfin, la faiblesse du système productif et la grande vulnérabilité des entreprises constituent un frein au développement de l'île.

Les entreprises corses sont principalement tournées vers le marché insulaire, qui est étroit compte tenu de la faiblesse de sa population. Elles se cantonnent parfois au cadre encore plus restreint de la micro-région dans laquelle elles sont implantées. En conséquence, elles conservent une structure familiale et une taille très modeste. Manquant le plus souvent d'envergure et de moyens financiers, elles sont extrêmement vulnérables à la concurrence externe. Peu de grandes entreprises se sont installées dans l'île.

Par ailleurs, les entreprises ont été confrontées à de graves problèmes d'endettement. La situation s'est améliorée depuis la mise en place de la zone franche fiscale, dans un contexte de reprise économique, et les défaillances ont connu un recul sensible. Au premier trimestre 2000, 69 défaillances étaient enregistrées contre 108 au premier trimestre 1999. Les entreprises ont poursuivi l'assainissement de leur bilan et la réduction de leur endettement. Selon les indicateurs de la Banque de France établis à partir des bilans de 1998, la proportion d'entreprises saines en Corse devient comparable à celle des autres régions, mais la proportion d'entreprises fortement détériorées reste très supérieure à la moyenne nationale. Le problème du financement des entreprises qui manquent de fonds propres demeure important.

II. - LE PROCESSUS EN COURS : UNE CHANCE HISTORIQUE

A. LES ETAPES DU PROCESSUS

Face à la situation de blocage économique et social de la Corse, le Gouvernement a souhaité apporter une solution appropriée s'inscrivant dans le cadre de la politique de rétablissement de l'Etat de droit et de la reconnaissance de la spécificité insulaire, conformément aux orientations fixées par le Premier ministre dans sa déclaration de politique générale de juin 1997. L'examen du projet de loi qui nous est soumis constitue une étape fondamentale du processus engagé le 13 décembre dernier, dont l'aboutissement est prévu en 2004 avec une éventuelle révision de la Constitution.

1. Une démarche transparente

Ce processus apparaît à bien des égards exemplaire. La démarche a été parfaitement transparente. Reposant sur un dialogue avec les élus de la Corse, elle a consacré la primauté du débat politique. A la différence des pratiques passées, les discussions entamées ont eu lieu au grand jour avec les seuls élus de la région, toutes tendances politiques confondues. Les nationalistes n'en ont pas été exclus, puisqu'ils représentent une part importante de l'électorat insulaire, mais ils n'ont pas non plus été privilégiés. Aucune tractation secrète n'a été engagée. Le « pari du Premier ministre » (14), l'appel à la responsabilité des élus insulaires, a fonctionné. Pour la première fois, toutes oppositions surmontées, les responsables politiques de l'île ont manifesté qu'ils étaient prêts à oublier leurs divergences et à engager leur responsabilité d'élus sur un projet d'ensemble pour la Corse.

Certes, le Premier ministre n'a pas attendu la fin des désordres pour engager ce processus et a levé le préalable de la condamnation de la violence par les nationalistes. Mais, subordonner l'engagement des discussions à la fin de la violence aurait fait de leurs auteurs les seuls maîtres du jeu. Ce processus ne constitue nullement un reniement de la politique de rétablissement de la légalité républicaine mise en _uvre par l'actuel Gouvernement ; il l'accompagne et y participe dans un but ultime : rétablir la paix civile. La prévention et la répression des activités illégales ont continué d'être poursuivies ; l'amnistie n'a jamais été à l'ordre du jour.

2. Un accord ambitieux 

a) Un dialogue constructif entre le Gouvernement et les élus de Corse

La première étape du processus en cours s'est d'abord limitée à un dialogue entre le Gouvernement et les élus de l'île et a abouti à un accord ambitieux.

Conformément à l'annonce qu'il avait faite le 30 novembre 1999 devant notre Assemblée, le Premier ministre a reçu, le 13 décembre 1999, les élus de la Corse, parlementaires, présidents des conseils généraux, président du conseil exécutif et responsables des groupes représentés à l'Assemblée de Corse, et les a invités à dégager un certain nombre de points susceptibles de faire l'objet d'une discussion avec le Gouvernement.

A l'initiative du président de l'Assemblée de Corse, M. José Rossi, les élus de l'assemblée, au sein des groupes politiques et en séance plénière, et avec la participation du conseil économique, social et culturel (15), ont travaillé sur un ensemble de propositions. L'Assemblée de Corse a adopté deux délibérations le 10 mars 2000 : la première a obtenu exactement la majorité des suffrages des membres de l'assemblée, soit 26 voix, la seconde en a recueilli 22 (16).

Le 6 avril 2000, le Premier ministre a, de nouveau, reçu les élus corses à Matignon pour leur faire part de ses observations sur les deux motions et fixer les modalités de déroulement des travaux ultérieurs. Un groupe de travail, composé des élus de Corse (17) et de représentants du Gouvernement (18), a ensuite examiné les différents thèmes abordés par les délibérations de l'Assemblée afin de dessiner les bases d'un accord.

Le 10 juillet 2000, le Gouvernement a retenu une première série d'orientations autour de huit points : l'organisation institutionnelle, le transfert des compétences, la fiscalité des successions, le financement de l'économie, l'Europe, l'enseignement de la langue corse et la loi de programmation d'investissements publics. Les présidents des groupes de l'Assemblée de Corse ont tenu une conférence deux jours plus tard pour définir leurs positions sur ces propositions. Le 20 juillet 2000, après une ultime réunion du groupe de travail constitué le 15 mai, le Gouvernement a présenté ses propositions de réforme aux élus de Corse dans un relevé de conclusions qui a été approuvé par l'Assemblée de Corse, à une très large majorité, le 28 du même mois.

b) Le relevé de conclusions du 20 juillet 2000

Le relevé de conclusions du 20 juillet 2000 comporte une série de propositions de caractère institutionnel, économique et social. Ainsi, il prévoit d'augmenter les compétences de la collectivité territoriale de Corse, tout en simplifiant son organisation administrative, en supprimant les deux départements existants. Il envisage, par ailleurs, un nouveau statut fiscal, destiné à remplacer la zone franche, une loi de programmation d'investissements publics, des mesures de soutien au financement de l'économie et l'application progressive du droit commun de la fiscalité des successions. Il propose, enfin, la mise en place d'un dispositif permettant d'assurer un enseignement généralisé de la langue corse dans les écoles maternelles et primaires.

Pour assurer la mise en _uvre de ces propositions, le Gouvernement s'est engagé à déposer un projet de loi, dans un délai compatible avec son adoption en 2001. Certaines des mesures prévues dans le texte
- telles que la création d'une collectivité unique et la délégation à la collectivité territoriale de Corse d'un pouvoir d'adaptation des normes nationales au-delà d'une phase d'expérimentation -, qui impliquent une révision de la Constitution, n'ont été envisagées que pour une deuxième étape, à l'expiration du mandat de l'Assemblée de Corse, en 2004. Elles nécessiteront l'accord des pouvoirs publics alors en fonction et sont conditionnées par le rétablissement préalable de la paix civile.

3. Un projet attendu

a) Un texte largement approuvé par les élus de Corse

Suivant ses engagements et conformément aux dispositions du statut de 1991 (article L. 4424-2 du code général des collectivités territoriales) qui imposent la consultation de l'Assemblée de Corse sur les projets de loi ou de décret la concernant, le Gouvernement a soumis à l'Assemblée de Corse un avant-projet de loi modifiant et complétant le statut de la collectivité territoriale de Corse. Celle-ci l'a adopté à une large majorité (42 voix pour, 5 contre et 4 abstentions), le 9 décembre 2000. Le vote est intervenu après 24 heures de débats ininterrompus, au cours desquels ont été discutées plus de cent propositions de modifications du texte initial, dont la moitié ont été retenues. Le rapporteur, qui a assisté à ces débats, a pu apprécier la forte implication des membres de tous les groupes de l'Assemblée.

Pour tenir compte de certaines des observations émises par les représentants de l'Assemblée de Corse, le Gouvernement a ensuite remanié son avant-projet et l'a soumis au Conseil d'Etat en décembre 2000. Dans son avis, rendu le 8 février 2000, la juridiction a estimé que les dispositions du texte ouvrant à la collectivité territoriale de Corse la possibilité d'adapter des lois et des décrets d'application dans les matières de sa compétence ne pouvaient être mises en _uvre dans le cadre constitutionnel actuel. Il a également considéré que les dispositions relatives à l'enseignement du Corse et les modalités retenues dans le projet de loi pour le retour au droit commun en matière de fiscalité des successions posaient des problèmes de constitutionnalité.

Le Gouvernement a estimé qu'il appartiendrait au Parlement d'en débattre et a souhaité une inscription rapide de ce texte à l'ordre du jour du conseil des ministres, afin que l'Assemblée nationale puisse en commencer l'examen. Se fondant sur l'article 9 de la Constitution, le Président de la République a, toutefois, retiré l'examen du projet de l'ordre du jour du conseil des ministres du 14 février 2001. Le texte a finalement été examiné en conseil des ministres le 21 février puis déposé le même jour sur le bureau de notre Assemblée.

b) Une importante responsabilité pour le Parlement

La discussion au Parlement doit permettre de poursuivre le débat démocratique et d'adopter un texte définitif, conforme à nos principes constitutionnels.

Pour préparer l'examen de ce texte capital pour l'avenir de la Corse, la commission des Lois a mis en place, à l'initiative de son président, M. Bernard Roman, une mission d'information sur la Corse, le 9 novembre 2000. Ouverte à l'ensemble des membres de la Commission, elle a offert à notre Assemblée la possibilité de se saisir du dossier en amont et d'enrichir son information. La mission a ainsi effectué deux déplacements en Corse : les 22, 23 et 24 novembre 2000 et les 26 et 27 mars dernier. Elle a pu rencontrer un nombre important d'acteurs économiques et sociaux de l'île.

La Commission a, par ailleurs, souhaité poursuivre l'examen du projet de loi dans la transparence. Elle a ainsi procédé à l'audition publique des élus corses. Recueillir leur avis était d'autant plus important que la compatibilité du projet avec la Constitution avait été mise en cause. Les différents groupes de l'Assemblée de Corse ont ainsi été entendus le mercredi 28 mars dernier ; le président du conseil exécutif de Corse et des deux présidents du conseil général se sont exprimés devant elle le 4 avril. La Commission a également procédé à l'audition publique du ministre de l'intérieur le 17 avril, avant d'engager la discussion du projet de loi (19).


Les principales dates du processus

-  1re réunion à Matignon : le 13 décembre 1999

-  1res délibérations de l'Assemblée de Corse (vote de 2 motions) : le 10 mars 2000

-  2e réunion à Matignon : le 6 avril 2000

-  Réunions des groupes de travail : les 5, 22 et 29 mai ; 5, 15, 19 et 27 juin  et le 3 juillet 2000

-  Remise des orientations du Gouvernement : le 10 juillet 2000

-  Conférence des présidents des groupes de l'Assemblée de Corse : le 12 juillet 2000

-  Ultime réunion du groupe de travail le 20 juillet 2000 et dépôt du « relevé de conclusions » du Gouvernement

-  Délibération de l'Assemblée de Corse approuvant le relevé de conclusions : le 28 juillet 2000

-  Délibération de l'Assemblée de Corse consultée par le Gouvernement sur un avant-projet de loi : le 8 décembre 2000

-  Avis du Conseil d'Etat sur le projet de loi remis par le Gouvernement en décembre : le 8 février 2001

-  Approbation du projet de loi en conseil des ministres et dépôt du projet à l'Assemblée Nationale : le 21 février 2001

B. LE PROJET DE LOI : UNE DÉCENTRALISATION RENFORCÉE POUR UN DÉVELOPPEMENT DURABLE DE LA CORSE

1. Un nouveau statut pour la Corse

a) Une autonomie renforcée

La situation de l'île justifie pleinement qu'elle soit dotée d'un statut spécifique, afin de disposer des instruments juridiques lui permettant de prendre les mesures adaptées à sa situation particulière. Cette démarche a d'ores et déjà été partiellement mise en _uvre par le législateur dans le statut de 1991, puisqu'il a institué une collectivité territoriale sui generis, dotée d'une organisation institutionnelle fondée sur le principe de la séparation des pouvoirs, qui la distingue radicalement des autres institutions régionales françaises. En outre, la collectivité territoriale a été dotée, en plus des compétences attribuées aux conseils régionaux par les lois de décentralisation, d'attributions nouvelles relevant de l'Etat ou des conseils généraux (comme l'entretien des collèges).

Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 9 mai 1991 (DC n° 91-290) a validé cette organisation particulière en confirmant sa jurisprudence du 25 février 1982 (DC n° 82-138) reconnaissant la possibilité pour le législateur de créer « une nouvelle catégorie de collectivité territoriale, même ne comprenant qu'une seule unité », de la doter « d'un statut spécifique » et de lui attribuer des compétences nouvelles à condition que ce transfert n'ait « pas pour conséquence d'affecter de façon substantielle les attributions des deux départements de Corse ».

Ce statut original a, par ailleurs, institué une procédure de dialogue entre la collectivité territoriale et les pouvoirs publics, puisque l'article 26 de la loi du 13 mai 1991 prévoit la consultation de l'Assemblée de Corse sur les projets de loi ou de décrets comportant des dispositions spécifiques à la Corse et lui reconnaît un pouvoir de proposition tendant à modifier ou à adapter les dispositions législatives ou réglementaires relatives au statut de l'île et à son développement économique, social et culturel. Cette disposition novatrice n'a, toutefois, pas eu les résultats escomptés, puisque les pouvoirs publics successifs n'ont pas donné de suite aux demandes et aux avis formulés par la collectivité territoriale de Corse.

Le relevé de conclusions du 20 juillet 2000 a reconnu la nécessité pour la collectivité territoriale de disposer des outils juridiques lui permettant d'adapter les lois et les règlements en vigueur. L'exemple des lois dites littoral et montagne est, sur ce point, éclairant : les mesures de protection qu'elles instituent visent à concilier développement et sauvegarde des espaces naturels, mais elles s'opposent à tout développement de l'île du fait de sa faible densité et de sa géographie partagée entre côtes maritimes et massifs montagneux. Aussi, le projet de loi prévoit-il la possibilité pour la collectivité territoriale d'adapter les décrets d'application des lois intéressant ses compétences et d'adapter, à titre expérimental, les dispositions législatives, dès lors qu'elles présentent des difficultés d'application pour l'exercice de ses compétences (article 1er).

Ce dispositif s'inscrit dans la perspective de la révision constitutionnelle de 2004 : il est en effet limité en raison du cadre constitutionnel actuel et le projet de loi se fonde sur la décision du Conseil constitutionnel du 28 juillet 1993 (DC n° 93-322) pour reconnaître à la collectivité territoriale la possibilité d'expérimenter l'adaptation de mesures législatives dans le cadre défini par le législateur.

Cette disposition ne constitue en rien une remise en cause du cadre républicain. Celui-ci admet en effet, d'ores et déjà, l'existence d'un régime différencié d'application des lois, que ce soit en Alsace-Moselle ou dans les collectivités territoriales de l'outre-mer. Certaines expérimentations, dans des domaines aussi variés que le RMI, les finances locales, la prestation dépendance ou la régionalisation des transports ferroviaires, ont par ailleurs été autorisées par le législateur et une récente proposition de loi constitutionnelle, déposée par M. Pierre Méhaignerie et adoptée par l'Assemblée nationale le 16 janvier 2001, vise à généraliser la possibilité d'habiliter les collectivités locales à procéder à l'adaptation des lois et des règlements à des fins expérimentales.

En tout état de cause, cette disposition répond à la demande des élus de la collectivité territoriale et permet d'ancrer la Corse dans un ensemble républicain, dans lequel unité et indivisibilité n'impliquent pas nécessairement uniformité.

b) La reconnaissance des spécificités culturelles insulaires

Revendication constante des élus nationalistes et d'une frange importante de l'opinion insulaire, la question de la reconnaissance des spécificités culturelles de la Corse est parmi les plus contestées du projet de loi.

Il est vrai que l'article 1er de la loi du 13 mai 1991, qui disposait que « la République française garantit à la communauté historique et culturelle vivante que constitue le peuple corse, composante du peuple français, les droits à la préservation de son identité culturelle et à la défense de ses intérêts économiques et sociaux spécifiques. Ces droits liés à l'insularité s'exercent dans le respect de l'unité nationale, dans le cadre de la Constitution, des lois de la République et du présent statut », a été censuré par le Conseil constitutionnel au motif que la Constitution « ne connaît que le peuple français, composé de tous les citoyens français sans distinction d'origine, de race ou de religion. » Ce faisant, le Conseil a privilégié une lecture juridique d'une disposition déclarative, porteuse d'une forte valeur symbolique.

Dans ce contexte, la revendication d'une reconnaissance de la spécificité culturelle insulaire devait logiquement se cristalliser sur la langue corse et sur les conditions de son enseignement. Si la co-officialité de cette langue avec le français, longtemps demandée par les nationalistes sur le modèle catalan, a été écartée en raison des problèmes de principe qu'un tel régime soulève, le Gouvernement et les élus des différents groupes de l'assemblée territoriale ont convenu d'inscrire dans la loi le principe de la généralisation de l'enseignement du corse à l'ensemble des élèves des écoles maternelles et primaires (article 7).

Les polémiques suscitées par ce dispositif sont excessives : le régime de co-officialité étant écarté et l'enseignement de cette matière n'ayant pas de caractère obligatoire, du fait de la possibilité reconnue aux parents d'obtenir systématiquement une dispense pour leurs enfants, les inquiétudes manifestées par certains à ce sujet sont infondées. Non seulement, il serait absurde de penser que l'enseignement de la langue corse constituerait une menace pour le français, mais il serait dommage d'entériner la disparition de cette langue régionale, au même titre que toutes celles qui font partie de notre patrimoine national. C'est d'ailleurs pour préserver et transmettre cet élément de richesse de notre patrimoine culturel, que le ministre de l'éducation nationale, M. Jack Lang, a annoncé, le 25 avril dernier, qu'il souhaitait mettre en place un nouveau cadre réglementaire tendant à contribuer à la reconnaissance de la diversité des identités culturelles. Celui-ci doit notamment permettre, par un partenariat avec les collectivités territoriales concernées, que l'enseignement des langues régionales commencé à l'école primaire se poursuive sur l'ensemble des cycles de la scolarité.

Les deux visites de la mission d'information dans l'île, que ce soit dans les écoles élémentaires, au rectorat ou à l'Université de Corte, ont d'ailleurs permis de constater sur place l'absence de crispation sur cette question. Les parents d'élèves rencontrés ont, dans leur immense majorité, fait part de leur intérêt pour l'apprentissage du corse, que ce soit pour favoriser les échanges entre les générations, pour ceux qui sont originaires de l'île, ou comme un facteur d'intégration, pour les autres. Les enseignants ont, pour leur part, rejeté tout risque de « corsisation » des emplois par le biais de la généralisation de l'enseignement du corse, en indiquant que le fait de dispenser cet enseignement dans le cadre de l'horaire normal permettait de procéder à des échanges d'élèves entre enseignants locuteurs et non locuteurs.

Par ailleurs, le projet de loi envisage de renforcer les compétences de la collectivité territoriale en matière culturelle en lui transférant la charge des monuments historiques et des sites archéologiques et en lui reconnaissant le rôle de collectivité de référence pour la définition de la politique culturelle en Corse (article 8). Ce dispositif permettra ainsi à la collectivité territoriale de préserver et de promouvoir le patrimoine culturel insulaire en complément des actions relevant de la politique culturelle nationale.

c) Un accroissement des compétences transférées

Les élus de l'Assemblée de Corse et les membres du conseil exécutif ayant fait part de leurs difficultés à exercer les responsabilités qui leur ont été dévolues dans le cadre du statut de 1991, le projet de loi vise à clarifier les compétences précédemment transférées, qu'elles concernent l'aménagement de l'espace, le développement économique, la politique agricole, l'éducation, la formation professionnelle, le tourisme, la gestion des infrastructures de proximité ou les transports. Il confère, par ailleurs, à la collectivité territoriale, des compétences nouvelles en matière d'environnement en lui donnant la possibilité de mettre en _uvre des règles dérogatoires à la loi littoral. Il lui attribue également de nouvelles attributions en matière de politique sportive, de gestion des ressources en eau et forestières, de planification de l'élimination des déchets.

Ces transferts de compétences sont opérés avec le souci de favoriser la constitution de blocs cohérents. L'Etat sera recentré sur ses missions régaliennes de mise en _uvre des politiques nationales et de contrôle administratif. Les services déconcentrés seront redéployés, après concertation avec les organisations syndicales, pour tenir compte de la nouvelle répartition des compétences avec la collectivité territoriale de Corse.

S'agissant des autres collectivités locales, leurs compétences ne sont pas affectées par le présent projet de loi, qui s'inscrit dans le respect du principe de l'absence de tutelle d'une catégorie de collectivité territoriale sur une autre. Aussi, dans l'attente des mesures de simplification administrative demandées par les élus de l'Assemblée de Corse, qui ont marqué leur préférence pour la suppression des départements et le transfert de leurs compétences vers la collectivité territoriale, le projet de loi institue-t-il un mécanisme de coordination entre la collectivité territoriale, les conseils généraux et, le cas échéant, les communes et leurs groupements (article 47). En tout état de cause, la suppression des départements nécessite une révision de la Constitution et ne pourra avoir lieu avant 2004.

Enfin, la mise en _uvre de certaines compétences de la collectivité territoriale de Corse étant exercée par les offices en application des dispositions du statut de 1991, le projet de loi vise à mettre un terme aux dysfonctionnements causés par cette situation. Il donne à la collectivité territoriale la possibilité d'exercer elle-même les missions confiées à ces offices, ce qui entraînerait leur dissolution de droit (articles 40 à 42). Cette rationalisation administrative est indispensable et nécessaire en vue du plein exercice de ses compétences nouvelles par la collectivité territoriale.

d) La réaffirmation du principe d'égalité

Alors que de nombreuses craintes se sont exprimées sur la mise en _uvre d'un processus conduisant à l'indépendance de la Corse, le présent projet de loi tend, au contraire, à inscrire pleinement cette région dans l'ensemble républicain en réaffirmant deux principes fondamentaux : l'égalité des citoyens devant la loi et leur égalité devant l'impôt.

La condition d'un retour à la paix civile comme préalable à la révision constitutionnelle envisagée pour 2004, qui figure dans le relevé de conclusions du 20 juillet dernier, souligne la volonté de l'Etat de garantir la sécurité dans l'île et d'assurer l'égalité de tous les citoyens devant la loi. La démarche de dialogue mise en _uvre par le Gouvernement a, en effet, été accompagnée d'une volonté de faire appliquer la loi par les services administratifs et judiciaires et de rompre avec certaines pratiques passées marquées par la compromission.

En prévoyant, par ailleurs, un retour progressif au droit commun en matière de droits de succession, le projet de loi entend réaffirmer le principe de l'égalité devant l'impôt. Les règles existantes, conséquence des arrêtés Miot de 1801, conduisent à une exonération de fait des successions, faute de sanction en cas d'absence de déclaration et de base légale pour l'évaluation des biens immobiliers situés en Corse.

Le projet propose de rendre obligatoire, à compter du 1er janvier 2002, le dépôt des déclarations de toutes les successions intervenues sur l'île ; le délai de dépôt des déclarations comportant des immeubles ou droits immobiliers situés en Corse serait de vingt-quatre mois, au lieu de six dans le droit commun, jusqu'au 31 décembre 2010.

Ensuite, il prévoit les modalités de mise en _uvre des droits de succession en Corse à compter du 1er janvier 2002, dans une perspective de retour au droit commun :

-  pour les successions ouvertes entre le 1er janvier 2002 et le 31 janvier 2010, les immeubles et droits immobiliers situés en Corse seront totalement exonérés ;

-  pour les successions ouvertes entre le 1er janvier 2011 et le 31 décembre 2015, l'exonération ne sera plus que de 50 %.

Cette période transitoire est destinée à favoriser la reconstitution des titres de propriété et la sortie de l'indivision. Les exonérations ne seront applicables qu'à la condition que les attestations notariées soient publiées dans les vingt-quatre mois suivant le décès s'agissant des successions pour lesquelles le droit de propriété du défunt n'a pas été constaté antérieurement par un acte régulièrement transcrit et publié. De même, l'exonération des droits de licitation et de partage ainsi que des droits sur les procurations et les attestations notariées après décès sera reconduite.

2. Un cadre propice au développement durable de l'île

Initier un développement économique durable est l'un des objectifs du processus engagé par le Premier ministre. Le retour à l'apaisement permettra aux mesures concrètes proposées de donner leur plein effet. Le projet de loi reprend l'ensemble des engagements du relevé de conclusions de juillet 2000 relevant de la loi ordinaire. Il permet à la collectivité territoriale de Corse de tracer les orientations de son développement, en la dotant des outils juridiques nécessaires. D'autre part, il propose des mesures permettant de favoriser l'investissement dans des secteurs d'activité prioritaires et de rattraper le retard en matière d'infrastructures.

a) Une collectivité territoriale mieux à même d'orienter et de soutenir son développement

L'Etat reste responsable de la mise en _uvre en Corse de la politique économique et sociale nationale, mais la collectivité territoriale se voit dotée des compétences pour orienter et soutenir son développement, en tenant compte des spécificités de son territoire.

_ La maîtrise des grandes orientations de l'aménagement du territoire et du développement durable

Le projet de loi prévoit l'élaboration par la collectivité territoriale de Corse d'un plan d'aménagement et de développement durable fixant ses orientations en matière d'aménagement du territoire et ses objectifs de développement économique, mais aussi social et culturel (article 12). Ce document, soumis à enquête publique et élaboré en associant les acteurs économiques et institutionnels de l'île, est appelé à se substituer aux documents de planification existants : plan de développement et schéma d'aménagement, qui reposent sur des procédures d'élaboration et d'adoption diverses et dont l'entrée en vigueur est parfois subordonnée à une approbation préalable de l'Etat. Cet effort de simplification s'imposait : la Corse n'est, en effet, jamais parvenue à adopter de schéma d'aménagement, le schéma actuellement en vigueur ayant été élaboré par les services de l'Etat en 1992. Le projet n'envisage pas de délai pour l'élaboration d'un plan d'aménagement et de développement durable, mais il lie la conclusion des futurs contrats de plan à son approbation par la collectivité territoriale.

Le plan d'aménagement et de développement durable vaudra schéma de mise en valeur de la mer et directive territoriale d'aménagement : à ce titre il pourra préciser les modalités d'application des dispositions particulières relatives aux zones de montagne et du littoral. En outre, le projet de loi prévoit que la collectivité territoriale pourra, dans le cadre de ce plan, à titre expérimental, déroger à certaines dispositions de la loi littoral pour tenir compte des spécificités géographiques de l'île. Elle pourra ainsi autoriser des aménagements légers et des constructions non permanentes destinés à l'accueil non hôtelier du public dans la bande des cent mètres contiguë au rivage, alors que cette compétence relève du préfet selon le droit commun. Surtout, elle pourra définir des règles d'extension d'urbanisation dans la partie rétro-littorale, où l'urbanisation n'est en principe admise qu'en continuité ou groupée. Il s'agit, simplement, de lui permettre de trouver un meilleur équilibre entre une logique de développement nécessaire et le respect de son patrimoine naturel. D'ailleurs, si le projet de loi renforce les attributions de la collectivité territoriale en matière de développement économique, il lui confie également plus de compétences dans le domaine de l'environnement. En définitive, il lui appartiendra de concilier la défense de son patrimoine naturel avec sa logique de développement. Dégrader l'un pour favoriser l'autre serait contreproductif et les élus en sont bien conscients.

_ Des compétences renforcées dans les secteurs clefs de l'économie

Le projet de loi propose d'attribuer à la collectivité territoriale des capacités d'intervention accrues dans les secteurs clefs de l'économie insulaire.

Ainsi, par exemple, il renforce ses attributions en matière de développement touristique (articles 18 et 19), en la chargeant notamment d'assurer le traitement et la diffusion des données relatives aux activités touristiques et de coordonner les initiatives publiques et privées menées dans ce domaine. Il prévoit aussi de lui confier le classement des stations touristiques.

Dans le domaine des transports, la collectivité territoriale est déjà chargée de l'organisation des liaisons maritimes et aériennes entre la Corse et le continent, de l'exploitation des transports ferroviaires et des routes nationales. Le projet envisage de lui attribuer la propriété des grandes infrastructures de transports appartenant à l'Etat : les ports d'Ajaccio et de Bastia, les quatre aérodromes internationaux de l'île et le réseau ferré (article 15). Ainsi, elle aurait la maîtrise complète des moyens de lutter contre les contraintes de l'insularité. Dans cette même logique, le projet de loi prévoit de lui conférer une compétence nouvelle lui permettant de réaliser directement des infrastructures de télécommunication, en la dispensant de constater la carence de l'initiative privée (article 10).

Le projet de loi propose également d'étendre les compétences de la collectivité territoriale de Corse en matière d'aide au développement économique. Elle serait autorisée à définir des nouveaux régimes d'aides directes et indirectes aux entreprises, dans le respect du droit communautaire. Elle pourrait, en outre, participer, par le versement de dotations, à la constitution d'un fonds d'investissement auprès d'une société de capital-investissement ayant pour objet d'apporter des fonds propres aux entreprises (article 17).

Enfin, le transfert de compétences à la collectivité territoriale de Corse en matière d'apprentissage et de formation professionnelle continue des jeunes et des adultes est envisagé (article 22). Ainsi, la collectivité pourrait déterminer l'ensemble du programme des formations et des opérations d'équipement de l'association nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA) réalisées en Corse.

Afin de lui permettre d'assumer pleinement ses nouvelles compétences, il faut souligner que le projet de loi prévoit de transférer à la collectivité les moyens matériels et humains nécessaires (titre II, des moyens et des ressources de la collectivité territoriale de Corse). Les nouvelles charges financières en résultant seront intégralement compensées (article 35) ; le transfert ou la mise à disposition des services et des personnels concernés est organisé (articles 30 à 33).

b) Un dispositif d'incitation à l'investissement dans les secteurs prioritaires de l'île

L'objectif du développement économique a guidé la définition d'un nouveau statut fiscal pour la Corse, appelé à succéder à la zone franche, à compter de janvier 2002.

S'inscrivant dans une « logique de projet », en opposition avec la précédente « logique de guichet », le projet de loi propose d'instituer, sur une période de dix ans, un dispositif d'aides fiscales, destinées à encourager l'investissement des entreprises et, partant, la création d'activités et d'emplois dans les secteurs prioritaires de l'économie insulaire (articles 43 et 44). Ce dispositif doit se substituer à celui de la zone franche qui, venant à échéance le 31 décembre 2001, est loin d'avoir atteint tous ses objectifs. Afin de permettre une transition souple, une sortie progressive du régime de la zone franche pour l'exonération de taxe professionnelle et de cotisations sociales est organisée.

_ Le bilan mitigé de la zone franche

La loi n° 96-1143 du 26 décembre 1996 relative à la zone franche de Corse a mis en place un mécanisme d'exonération d'impôt sur les bénéfices et de taxe professionnelle, et prévu une majoration spécifique de la réduction de charges sociales sur les bas salaires instaurée par la loi de finances pour 1996 (n° 95-1346 du 30 décembre 1995). L'exonération d'impôt sur les bénéfices, d'une durée de cinq ans, dans la limite d'un plafond annuel de 400 000 F, concerne les entreprises et les particuliers pour les activités exercées en Corse au 1er janvier 1997 ou créées avant le 31 décembre 2001 ; l'exonération de taxe professionnelle de plein droit, sauf délibération contraire des communes ou de leurs groupements, s'applique aux établissements existants en Corse au 1er janvier 1997 et à la création d'établissements réalisée en Corse jusqu'au 31 décembre 2001.

Le bilan de la zone franche est mitigé. Destinée à donner un nouveau souffle à l'économie corse, elle a bénéficié à de nombreuses entreprises et a certainement contribué à la sauvegarde des sociétés existantes, dont la situation financière était critique ; mais elle n'a pas réussi à attirer des porteurs de projet et a vraisemblablement généré d'importants effets d'aubaine.

_ Un dispositif recentré

Le mécanisme proposé par le projet de loi s'articule autour d'une éaide fiscale à l'investissement », constituée d'un crédit d'impôt déductible de l'impôt sur les bénéfices et d'une exonération de taxe professionnelle.

-  Le crédit d'impôt est réservé aux investissements réalisés en Corse par les petites et moyennes entreprises dans les secteurs jugés prioritaires pour le développement de l'île, conformément au relevé de conclusions du 20 juillet 2000, et dans le respect des exclusions imposées par le droit communautaire. Sont concernés les investissements réalisés dans le secteur de l'hôtellerie, compte tenu de l'importance du tourisme pour l'île, mais aussi dans les secteurs des nouvelles technologies, de l'énergie, à l'exception de la distribution, de l'industrie hors secteur exclu par la réglementation communautaire et de l'agro-alimentaire hors pêche.

A cette logique sectorielle s'ajoute une autre dimension relevant de l'aménagement du territoire et de la nécessité d'assurer un développement équilibré de l'île. Les investissements réalisés dans les zones de revitalisation rurale par les entreprises commerciales, mais également artisanales, seront éligibles au crédit d'impôt.

Le gain de cette mesure (20) est subordonné, bien évidemment, à la réalisation de bénéfices, mais cette exigence est conforme à son esprit. Il s'agit de soutenir les projets viables, dont on attend un retour sur investissement, dans une logique de projet et non de guichet.

-  L'exonération de taxe professionnelle proposée par le projet de loi est destinée à prendre le relais de celle qui était applicable au titre de la zone franche. Il existe une certaine ambiguïté sur son champ d'application. Selon l'étude d'impact et l'exposé des motifs du projet de loi, elle doit bénéficier à toutes les entreprises pour les investissements corporels effectués en Corse (21), mais l'article 43, dans sa rédaction actuelle, limite son champ d'application aux PME, intervenant, de surcroît, dans les secteurs prioritaires retenus pour le mécanisme du crédit d'impôt. Cette nouvelle exonération s'appliquera de droit, sauf délibération contraire des communes ou EPCI la percevant, pour une période de cinq ans au plus et jusqu'au 31 décembre 2012 au plus tard. Une dotation budgétaire devra compenser pour les collectivités concernées les pertes de recettes résultant de ce dispositif. Afin de faciliter la sortie de la zone franche, un dispositif de sortie en sifflet est prévu (22).

Le coût du nouveau dispositif de crédit d'impôt et d'exonération de taxe professionnelle, ajouté à celui de la zone franche (390 millions de francs en 2001) qui continuera à peser sur les finances publiques durant plusieurs années, est estimé à 550 millions de francs en 2002, 390 millions de francs en 2003, 510 millions de francs en 2004, 450 millions de francs en 2005 et 510 millions de francs en 2006.

c) Un programme exceptionnel pour combler le retard d'équipements et de services collectifs

Conformément au relevé de conclusions du 20 juillet 2000, le projet de loi prévoit la conclusion d'une convention entre l'Etat et la collectivité territoriale de Corse pour mettre en place, sur quinze ans, un programme exceptionnel d'investissements publics, destiné à combler le retard d'équipement et de services collectifs dont souffre la Corse (article 46). Expression de l'effort exceptionnel de solidarité de la collectivité nationale envers la Corse, la contribution de l'Etat pourra aller jusqu'à 70 % du coût total de ce programme.

Ce programme devra s'articuler avec les actions entreprises dans le cadre du contrat de plan Etat-région et du document unique de programmation communautaire (DOCUP), qui représentent 4,5 milliards de francs de 2000 à 2006, auxquels s'ajoutent les 2 milliards de francs non encore utilisés sur le précédent contrat de plan. Tenant compte de la capacité d'absorption de l'île, il privilégiera les opérations lourdes de long terme. A la demande du Premier ministre, le préfet de région a, d'ores et déjà, engagé les discussions avec la collectivité territoriale pour déterminer les axes prioritaires de ce programme. Il ne s'agit pas de définir a priori une somme à investir pour déterminer ensuite son affectation, mais de se fonder sur une évaluation des besoins à satisfaire.

Selon le premier recensement effectué, le coût des réalisations à financer pourrait être de 13 milliards de francs. Le Gouvernement a, d'ores et déjà, retenu quelques orientations. Il est prévu de renforcer les infrastructures de base nécessaires au développement de la Corse. Dans le domaine des transports, par exemple, avec un soutien aux investissements routiers, mais aussi dans le secteur de la formation, avec l'achèvement des équipements universitaires de Corte. L'amélioration des services collectifs dans le domaine sanitaire ou dans celui des relations du travail est également envisagée.

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Avant d'examiner le projet de loi, la Commission a procédé à plusieurs auditions.

Le 28 mars 2001, elle a entendu MM. José Rossi, président de l'Assemblée de Corse ; Camille de Rocca Serra, président du groupe « le Rassemblement » ; Paul Quastana, président, et Jean-Guy Talamoni, membre du groupe « Corsica Nazione » ; Nicolas Alfonsi, président du groupe « Radical de gauche » ;  Simon Renucci, président du groupe « Corse Social-Démocrate » ; Robert Feliciaggi, président du groupe « Corse Nouvelle » ; Jean-Louis Albertini, président du groupe « Un autre avenir » ; Toussaint Luciani, président du groupe « Mouvement pour la Corse » ; Paul-Antoine Luciani, président du groupe « Communiste et Démocrate de Progrès », et Laurent Croce, président du groupe « Socialiste ».

M. Bernard Roman, président : Monsieur le président de l'Assemblée de Corse, messieurs les présidents de groupe et membres de l'Assemblée de Corse, je voudrais souligner que votre audition par la commission des Lois, qui constitue la première phase de l'examen du projet de loi relatif à la Corse par le Parlement, est emblématique du processus en cours, puisqu'elle est un gage de transparence et marque la volonté forte de régler, dans le cadre des institutions républicaines, les problèmes politiques et économiques qui touchent la Corse.

La transparence est, en effet, l'un des maîtres mots du processus en cours : à la différence des pratiques passées, les discussions entamées par le Premier ministre, le 13 décembre 1999, ont eu lieu dans un cadre officiel, avec les seuls élus de la collectivité territoriale, toutes tendances politiques confondues.

Cette démarche de dialogue entre le Gouvernement et les élus de l'Assemblée de Corse s'est traduite par un impressionnant travail de proposition, de part et d'autre : l'Assemblée de Corse a ainsi adopté deux motions au cours de sa séance du 10 mars 2000, afin de faire connaître son sentiment sur les orientations à retenir en vue de régler les difficultés de l'île ; le Gouvernement a, pour sa part, présenté aux élus de l'Assemblée de Corse ses propositions le 20 juillet 2000 ; l'Assemblée a ensuite adopté, à une très large majorité, le texte proposé par le Gouvernement, qui a constitué la matrice du projet de loi, dont la première version a été rendue publique par le ministre de l'Intérieur le 30 novembre dernier.

L'Assemblée de Corse s'est prononcée, une nouvelle fois, sur le texte les 8 et 9 décembre dernier, en présence de M. Bruno Le Roux, rapporteur de la mission d'information, mise en place par notre Commission, en vue de préparer l'examen du projet de loi par le Parlement. Le travail accompli à cette occasion par l'Assemblée de Corse a souligné la convergence des différents courants politiques insulaires vis-à-vis du processus en cours, en même temps qu'il a permis un enrichissement du texte aujourd'hui soumis à notre Assemblée.

Dans le prolongement de cette démarche transparente et respectueuse des institutions issues du suffrage universel, il était donc logique que notre Commission entame l'examen du projet de loi en recueillant l'avis des différents groupes de l'Assemblée de Corse.

La mission d'information avait déjà pu vous entendre à Ajaccio sur les dispositions de l'avant-projet de loi ; il est aujourd'hui pour nous essentiel de vous entendre, à nouveau, avant l'examen du texte par le Parlement, d'autant que certaines critiques sur la compatibilité du projet de loi avec le cadre républicain ont été émises, y compris au plus au niveau de l'Etat. Sur ce point, je souhaiterais répondre à ces objections, en indiquant que le projet de loi qui nous est soumis vise, avant tout, à mettre un terme à une situation de violence préjudiciable, tout autant à la Corse, qu'à l'Etat de droit, et à créer un contexte favorable au développement économique et social de l'île.

Tout d'abord, je voudrais souligner que l'engagement des discussions ne pouvait être subordonné à la fin de la violence existant dans l'île, car une telle démarche aurait inéluctablement abouti à faire de ses auteurs les seuls maîtres du jeu. Le dialogue qui a été conduit avec les élus constitue donc la meilleure réponse pour rétablir la légalité républicaine et l'exercice serein de la démocratie.

Ensuite, la prise en compte des spécificités de 1a Corse en matière statutaire ne constitue en rien une atteinte aux grands principes républicains. Unité et indivisibilité n'impliquent pas uniformité et la République connaît, d'ores et déjà, et depuis bien longtemps, avec l'Alsace-Moselle ou l'outre-mer, un régime différencié d'application des lois. En outre, alors que la plupart des autres îles méditerranéennes disposent d'un statut particulier, et d'une forte autonomie pour certaines d'entre elles, qu'y a-t-il de choquant à mettre en place pour la Corse un statut particulier, la dotant d'instruments juridiques qui devraient lui permettre d'apporter les réponses nécessitées par sa situation spécifique ?

Je souhaite que cette audition permette d'engager un débat constructif et riche, qui évite les caricatures et les polémiques stériles. Le Parlement doit pleinement jouer son rôle de législateur et trouver les réponses adaptées aux problèmes de la Corse, dans le respect du cadre constitutionnel actuel.

Une seconde étape a, d'ores et déjà, été prévue pour 2004, afin d'opérer la révision constitutionnelle qui serait nécessaire à la mise en _uvre de réformes plus profondes, telles que l'institution d'une collectivité unique, exerçant à la fois les compétences des départements et celles de l'actuelle collectivité territoriale, et la dévolution à cette collectivité d'un pouvoir normatif autonome dans les matières relevant de sa compétence.

Le Conseil d'Etat, dans son avis sur le projet de loi relatif à la Corse, a, pour sa part, estimé que certaines dispositions du texte relatives à l'adaptation des lois et de leurs décrets d'application ne pouvaient être mises en _uvre dans le cadre constitutionnel actuel. Il a également jugé que les dispositions relatives à l'enseignement de la langue Corse ou la durée retenue dans le projet de loi pour le retour au droit commun en matière de fiscalité des successions soulevaient des problèmes de constitutionnalité.

Certes, cet avis, dont la communication est, en principe, réservée au Gouvernement, ne lie aucunement le législateur. Mais il importe, néanmoins, que le texte qui sera adopté par le Parlement respecte notre norme fondamentale. Pour cette raison, monsieur le président de l'Assemblée de Corse, messieurs les représentants des différents groupes politiques, présents aujourd'hui, je souhaiterais que vous puissiez nous faire part de votre point de vue sur le projet de loi dans son ensemble, et peut-être plus particulièrement sur les dispositions dont la constitutionnalité a été critiquée par le Conseil d'Etat qui, pour certaines d'entre elles, pourraient, le cas échéant, être amendées, quitte à être à nouveau traitées dans le cadre de l'étape prévue pour 2004.

Je vous propose donc de procéder à un premier tour de table.

M. José Rossi, président de l'Assemblée de Corse : Je souhaiterais, pour entamer nos travaux, insister sur le sens politique de notre démarche et indiquer, d'emblée, que nous ne sommes pas une assemblée de juristes ou de parlementaires aguerris, même si certains d'entre nous, dont M. Nicolas Alfonsi avant moi, ont eu le privilège de siéger dans cette assemblée et d'être membres de la commission des Lois.

Quoi qu'il en soit, nous ne sommes pas là, aujourd'hui, pour répondre à des questions pointues, mais pour porter un jugement politique d'ensemble sur le processus que nous avons engagé. C'est, je crois, la première fois, depuis que nous siégeons les uns et les autres dans une assemblée régionale, qu'une volonté politique s'exprime de manière aussi claire, malgré les désaccords qui peuvent exister et qu'il ne faut pas nier. C'est, en effet, la première fois que des majorités aussi massives - quarante-quatre voix en juillet et quarante-deux voix sur cinquante et une en décembre - s'expriment dans la continuité pour affirmer leur volonté.

La démarche que nous avons entreprise se poursuivra sur quatre ans : nous avons débuté nos travaux en janvier 2000 et il convient de faire en sorte que, lorsque le mandat de l'assemblée territoriale s'achèvera en 2004, nous ayons pu atteindre la deuxième phase de la réforme, afin de mettre en _uvre, sauf si le Parlement en décidait autrement, la fin du processus qui nécessite une réforme constitutionnelle et l'adoption d'un deuxième projet de loi.

Si je rappelle cela d'emblée, c'est parce que le problème de la constitutionnalité du texte qui nous est soumis aujourd'hui, a été posé au sommet de l'Etat, à l'occasion de son adoption par le Conseil des ministres, et qu'une sorte de polémique s'engage sur la constitutionnalité de deux ou trois des mesures qu'il comprend.

Je serai tenté de dire que cela a peu d'importance puisque tout le monde admet - comme le confirme le relevé de conclusions de Matignon - que, pour aller au terme du processus, une réforme constitutionnelle est nécessaire. J'aurais donc très envie de vous dire, bien que l'Assemblée de Corse n'ait pas délibéré une nouvelle fois sur le dossier, que ce premier texte doit évidemment être parfaitement conforme à la Constitution. C'est incontestable, puisque l'objet même de la deuxième étape, au travers d'une réforme constitutionnelle, est la mise en place d'un véritable pouvoir insulaire, avec la création d'une collectivité unique impliquant la suppression des deux conseils généraux et l'attribution à cette collectivité d'un pouvoir normatif autonome.

Par conséquent, la vraie question qui se pose, non seulement aux élus de la Corse, mais à tous les membres du Parlement, c'est de savoir si, au lendemain des grandes échéances nationales de 2002, il y aura, dans le pays, une volonté politique de procéder à une réforme constitutionnelle permettant de différencier les régions à statut ordinaire des régions à statut spécial ou périphériques et des régions qui ont vocation à avoir une originalité plus forte, grâce à une nouvelle définition du principe de libre administration des collectivités locales. Aujourd'hui, l'interprétation très stricte qu'en donne la jurisprudence du Conseil constitutionnel et du Conseil d'Etat et le relatif conservatisme du législateur qui, faute d'avoir le courage de procéder à une réforme suffisamment ambitieuse, empile les textes les uns sur les autres, limitent, en effet, la possibilité d'avancer davantage dans la voie de la décentralisation.

Si, quel qu'en soit l'instigateur, cette grande réforme s'opère pour l'ensemble du pays, le dossier corse y trouvera naturellement sa place ; si, en revanche, la timidité prévalait au plan national, d'un côté ou l'autre de cet hémicycle, il faudrait alors, pour poursuivre le processus que nous avons engagé, en passer par une réforme constitutionnelle spécifique pour la Corse.

Telles sont les raisons pour lesquelles, sans dire qu'il faut banaliser le dossier du pouvoir d'adaptation des normes législatives et réglementaires, je pense qu'il faut veiller à rester en conformité avec la Constitution, car, si le texte adopté par le Parlement devait être sanctionné par le Conseil constitutionnel, ce serait perçu comme l'échec d'un processus qui se poursuit depuis des mois. Il nous appartiendra, ensuite, de proposer, au cours des trois prochaines années, une solution complète, puisque, compte tenu de notre volonté collective exprimée très clairement, nous ne faiblirons pas à cet égard.

Un deuxième problème qui se pose est celui de l'enseignement de la langue corse. Je rappelle qu'à l'Assemblée de Corse, tous les groupes politiques s'étaient prononcés en faveur du principe de l'enseignement obligatoire. Dans les deux motions du mois de mars 2001, cela apparaissait clairement. Cependant, dans le relevé de conclusions de Matignon, approuvé par l'Assemblée de Corse en juillet, de même que dans l'avant-projet gouvernemental présenté à l'Assemblée en décembre, ce n'est plus d'enseignement obligatoire qu'il s'agit mais d'une « offre généralisée » de l'enseignement du corse. Ce ne peut donc être qu'une rédaction maladroite de ce texte qui a donné l'occasion aux adversaires de la réforme de faire semblant de croire qu'une référence à l'enseignement obligatoire était maintenue ; elle ne figure pas dans le texte du projet de loi.

Nous pensons qu'il convient de poursuivre l'objectif que nous nous sommes fixé pour être en mesure de passer des 70 ou 80 % d'élèves concernés par l'enseignement actuellement dispensé, dans des conditions incomplètes ou défectueuses, à une offre réellement généralisée de l'enseignement du corse, avec des moyens satisfaisants, des maîtres réellement formés ou des intervenants extérieurs si cela est nécessaire. Il faut faire en sorte que, d'ici trois à cinq ans, l'ensemble des élèves de maternelle et du primaire qui souhaitent suivre des cours puissent le faire en toute liberté, et je ne doute pas qu'ils le feront à la quasi-unanimité.

On a donc inventé un problème politique sur la question de la langue corse, sur laquelle il existe, en fait, un très large consensus en Corse. Il convient donc de retenir une rédaction compatible avec le texte de la Constitution, puisque, de toutes façons, il n'y a pas d'équivoque sur ce que nous souhaitons.

Le troisième point sensible, qui me semble le plus délicat, est celui des droits de succession. Paradoxalement, nous sommes suspectés de crouler sous les privilèges, alors que la Corse reste la lanterne rouge des régions françaises en termes de richesse. Si un effort de solidarité nationale se manifeste depuis longtemps en sa faveur, force est de constater qu'il n'a pas encore produit ses fruits.

On ne peut, d'ailleurs, véritablement parler d'un « effort de solidarité » à propos du régime des droits de succession, puisqu'il correspond, en fait, à la reconnaissance d'une situation spécifique, vieille de deux siècles, que nous tentons de normaliser, aujourd'hui, à travers un effort de concertation.

L'accord politique conclu avec le Gouvernement est très clair : pour revenir sur les fameux arrêtés Miot, dont la légalité a été reconnue par la Cour de cassation, il faut accepter une neutralisation du dossier des droits de succession pendant dix années. Pourquoi ? Tout simplement pour remettre en ordre, dans la transparence, les titres de propriété, comme tout le monde s'y est engagé, et aussi permettre aux Corses, qui n'ont pas utilisé le système de donations pendant les décennies précédentes, de pouvoir le faire, de sorte qu'ils ne se trouvent pas, par contrecoup, victimes d'une situation discriminatoire par rapport à l'ensemble des Français.

Pour nous, cette période transitoire de dix ans est incompressible et nous ne pouvons accepter d'en rediscuter. Le Conseil d'Etat me semble d'ailleurs avoir, sur cette affaire, davantage exprimé une appréciation d'opportunité qu'une position juridique : le législateur doit donc prendre ses responsabilités en toute transparence et il appartiendra, éventuellement, au Conseil constitutionnel de trancher.

J'en arrive à la dernière question évoquée par le Conseil d'Etat : la comptabilité de certaines des dispositions financières du projet de loi avec les règles européennes. En cette matière, il va de soi que les choses peuvent être remises en ordre et négociées avec les instances compétentes.

Je voudrais, enfin, évoquer les questions financières et fiscales sur lesquelles d'autres que moi s'exprimeront plus longuement, en particulier M. Camille de Rocca Serra, qui a travaillé sur ce dossier en tant que président de la commission des Finances de l'Assemblée de Corse.

Un effort d'investissement public extrêmement important doit être consenti en faveur de la Corse pendant une période de quinze ans. C'est un très long délai et la réalité de cet effort devra, en fait, se mesurer sur une période décennale ; il faut aller très vite, tant les retards à rattraper sont importants ! Sans doute peut-on admettre que la négociation de cette forme de nouveau contrat de plan de développement se déroule entre l'autorité territoriale corse et l'autorité déconcentrée de l'Etat qu'est le préfet. Cependant, il conviendrait peut-être de mieux formaliser les conditions de mise en _uvre de cette programmation des investissements ; le Parlement devra y réfléchir.

S'agissant de la réforme fiscale, nous avons un peu le sentiment que « le compte n'y est pas » dans le dispositif actuel du projet de loi. Nous sommes d'accord sur le principe de base, qui consiste à sortir d'un système assez disparate, résultant de l'accumulation de strates d'avantages successifs, dénués de réelle cohérence, pour nous orienter vers une politique d'aide à l'investissement productif. En effet, nous parions résolument sur un développement économique de la Corse, qui lui permette de sortir d'une situation d'assistance, tellement dénoncée, et l'amène vers une économie d'entreprise, susceptible de relayer progressivement l'économie totalement administrée qui est la sienne.

Pour autant, cette évolution va prendre du temps et nous craignons qu'en abandonnant, sur une période très courte, ce qu'on a appelé d'ailleurs improprement « la zone franche », une rupture de trois, quatre ou cinq ans n'apparaisse, pendant laquelle les flux financiers, aujourd'hui essentiels à l'économie insulaire, seraient coupés, alors que le dispositif de crédit d'impôt représenterait, en masse financière, beaucoup moins de moyens et bénéficierait à un nombre beaucoup plus réduit d'entreprises. Il nous semble donc que l'assiette du nouveau dispositif fiscal devrait être améliorée.

Sur ce point, des représentants du monde économique, notamment le MEDEF, les chambres de commerce, la CGPME, ont fait des propositions. L'assemblée territoriale a reçu les professionnels comme l'a fait la mission d'information constituée au sein de votre commission, et nous avons le sentiment que certaines de leurs propositions devraient être retenues.

Il ne faudrait pas que la sortie de la zone franche insulaire soit moins favorable que ce qui est envisagé pour les zones franches urbaines dans l'ensemble du pays !

Or, une grande incertitude pèse sur le mécanisme du crédit d'impôt puisque, pour que celui-ci fonctionne bien, il faut que le volume des investissements soit suffisamment important pour tirer la machine. Tout cela doit être apprécié de manière fine.

Donc, sur cet aspect des choses qui, en définitive, est beaucoup moins conflictuel qu'il n'y paraît, une approche très précise des effets probables des mesures que nous allons mettre en _uvre est nécessaire ; elle suppose une concertation, la plus poussée possible, jusqu'à la fin du processus législatif, de façon à trouver une solution qui convienne non seulement aux élus que nous sommes, mais également aux principaux intéressés, c'est-à-dire aux entrepreneur.

M. Camille de Rocca Serra, président du groupe « le Rassemblement » : Je ne reviendrai sur les propos que vient de tenir le président de l'Assemblée de Corse : nous sommes, effectivement, pour ce qui nous concerne, favorables à ce que le texte reste dans le cadre de la Constitution, telle qu'elle est aujourd'hui. En conséquence, tout ce qui serait de nature à lui être contraire nous paraît inutile. Nous avons fixé une échéance à 2004 pour que ce qui exige une réforme constitutionnelle. Aujourd'hui rien que la Constitution, toute la Constitution !

Dans ce cadre constitutionnel, nous avons privilégié une réforme profonde reposant sur le transfert de blocs de compétences, et j'insiste bien sur le fait qu'il ne s'agit pas de parcelles de compétences, mais de blocs homogènes, dans l'ensemble des domaines essentiels au développement de la Corse, sans que cela fasse obstacle aux politiques nationales, ni à l'unité de la République.

Dans ce cadre, que ce soit, par exemple, en matière culturelle ou environnementale, il est donc nécessaire que le transfert soit complet et inclue les services de l'Etat, les moyens, les ressources, à travers les dotations et la fiscalité, de sorte qu'il soit possible à la collectivité territoriale de faire fonctionner l'ensemble des services concernés et de mener une action performante au service de la Corse.

Or, le texte qui nous est proposé ne prévoit que des transferts partiels des blocs de compétences que nous avons définis comme essentiels, puisque les services demeurent sous l'autorité de l'Etat, ce qui ne semble nullement justifié, notamment dans des domaines comme la culture, l'environnement ou la jeunesse et les sports.

Par ailleurs, dans le cadre du programme exceptionnel d'investissements (PEI), il semblerait préférable, pour avoir une plus grande efficacité, de globaliser l'ensemble des moyens, comme cela était le cas dans le cadre de la mission ministérielle jusqu'en 1982-1983, plutôt que de dépendre individuellement de chaque ministère.

En outre, pour que la collectivité territoriale de Corse puisse apporter sa contribution au financement de ce grand programme, qui devrait permettre de rattraper les retards structurels de la Corse en matière d'équipement, il faudrait qu'elle puisse bénéficier d'un transfert de dotations et de fiscalité, que l'on peut estimer à hauteur de 100 ou 150 millions de francs ; il pourrait provenir d'une part supplémentaire de la taxe intérieure sur les produits pétroliers (TIPP) ou d'une dotation spécifique versée pendant la durée du PEI.

Je voudrais également mettre l'accent sur les mesures fiscales, qui ont pour objectif de permettre à la Corse de soutenir un développement durable. Or, en Corse, nous partons d'une situation dégradée, le tissu « entrepreneurial » est très limité, il n'existe qu'un nombre limité d'activités, il n'y a pas de véritable tissu industriel. Pour passer d'une économie de précarité, essentiellement fondée sur la consommation, à une économie de production, il faut un certain temps. Si nous voulons vraiment aboutir, nous devons donc nous donner les moyens de la durée.

A cet égard, je dois revenir sur la sortie de la zone franche, la question de la taxe professionnelle et du crédit d'impôt.

Le crédit d'impôt est une mesure intéressante, mais son effectivité est subordonnée au niveau des investissements ; or, certaines filières s'en trouvent exclues. Il serait nécessaire, je dirai même impératif, de prendre en compte la totalité de la filière touristique, et non pas uniquement l'hôtellerie comme le propose le projet de loi : il est inconcevable, en effet, d'écarter une partie de cette filière, sur laquelle repose l'essentiel de l'économie de la Corse et de son développement futur. C'est la raison pour laquelle l'Assemblée de Corse a demandé, dans le cadre de l'avis rendu le 8 décembre, que la totalité de la « filière tourisme » soit éligible au crédit d'impôt.

Mais il y a d'autres barrières à lever, qui tiennent à la durée du crédit d'impôt ainsi qu'au moment à partir duquel les entreprises pourront en bénéficier : il serait aberrant qu'elles doivent attendre dix ans lorsque le montant du crédit d'impôt excède l'impôt dû au titre des exercices précédents. C'est dans cette optique que nous avons demandé que le crédit d'impôt puisse être accordé dès que 50 % de l'investissement est réalisé.

Ces corrections sont nécessaires, faute de quoi les mesures resteraient virtuelles et ne permettraient pas de soutenir, de défendre, de construire une économie durable pour la Corse. En effet, si la paix civile reste une impérieuse nécessité, le développement sera, demain, la condition de la réussite du processus, et l'on ne peut imaginer qu'il s'inscrive dans une durée inférieure à dix ou quinze ans.

Pour que le crédit d'impôt ait une réelle efficacité, il faut du temps et de l'investissement et pour qu'il y ait de l'investissement, nous devons trouver les moyens de financer l'économie, par le biais du PEI mais également de l'économie privée. Or nous nous heurtons toujours au problème bancaire ; nous avons besoin du concours du CEPME.

Les moyens que la collectivité territoriale et l'Etat ont mis en place, à cet égard, n'ont pas encore, aujourd'hui, prouvé leur efficacité. Le crédit d'impôt et la taxe professionnelle sont donc des mesures d'accompagnement indispensables au développement.

Sur la taxe professionnelle, il faut aller plus loin ; nous souhaitons, contrairement à ce qui existait dans le cadre de la zone franche, que les exonérations soient inscrites dans la durée, celle-ci devant être au moins égale à celle qui est proposée pour le crédit d'impôt : il n'est pas pensable de mettre en place des « mesurettes » d'une durée limitée, alors qu'il faudra compter dix ans, voire quinze ans, pour atteindre l'objectif du développement durable. Il conviendrait donc de porter la durée d'exonération à dix ans.

Par ailleurs, dans la mesure où le crédit d'impôt est limité à certaines activités, il est indispensable que l'exonération de la taxe professionnelle puisse bénéficier à tous les secteurs. Nous avons aujourd'hui une activité qui est fragile et c'est pourquoi, pendant des années, nous avons eu besoin de la zone franche. Si ses effets n'ont pas été entièrement positifs, elle a, au moins, permis de maintenir un tissu d'entreprises, un niveau d'activité et l'emploi. Aujourd'hui, nous voulons dépasser ce stade et créer les conditions de la croissance, pour aboutir à des créations d'emplois : l'ensemble des mesures préconisées et des demandes formulées par l'Assemblée de Corse le 8 décembre doivent être prises en compte si l'on souhaite atteindre ce développement durable.

M. Jean-Guy Talamoni, membre du groupe « Corsica Nazione » : Sur les enjeux de cette réforme, je voudrais dire que si elle doit comporter deux phases, il ne faudrait pas, pour autant, que la première soit revue à la baisse, au point de perdre toute signification.

Il est vrai que, pour notre part, nous fondons beaucoup d'espoirs sur la mise en _uvre de la seconde phase, qui exige une révision constitutionnelle. C'est elle qui, de toute évidence, devrait permettre de résoudre le problème politique corse.

Cela étant dit, s'agissant de l'actuel projet de loi, j'observe qu'il a été soumis à l'Assemblée de Corse, qui a fait des propositions, dont - me semble-t-il - il n'a pas été tenu grand compte, notamment pour ce qui concerne les blocs de compétences sur lesquels devrait s'exercer la compétence de principe de l'Assemblée de Corse.

Ces propositions ont pourtant été adoptées par une large majorité à l'Assemblée de Corse et sont également soutenues par d'autres instances, notamment les professionnels et les syndicats. Elles portaient, en particulier, sur les questions d'agriculture, de forêt, de pêche et elles sont très importantes à nos yeux.

Le compte n'y est donc pas en ce qui concerne les transferts de compétences et, par ailleurs, ainsi que le soulignait M. Camille de Rocca Serra, lorsque des transferts sont opérés, ils ne le sont pas par blocs, certains services restant sous le contrôle de l'Etat. Disperser de la sorte les centres de décision et les centres de travail ne va pas dans le sens d'un fonctionnement rationnel des administrations, mais conduit, au contraire, à une totale opacité.

Aujourd'hui, les institutions de la Corse, qui sont l'élément principal de la réforme en cours, n'ont pas un fonctionnement transparent ; le citoyen ne sait à qui s'adresser lorsque quelque chose ne fonctionne pas. En effet, une multitude d'organismes se chevauchent, exercent des compétences parfois très voisines, sinon identiques, de telle sorte que, pour en revenir à l'exemple agricole que j'ai précédemment cité, en cas de difficulté personne ne sait s'il doit s'adresser au directeur départemental de la Corse du Sud ou de la Haute-Corse, au président de l'Office de développement agricole et rural de la Corse (ODARC) ou au président des chambres d'agriculture de l'un des deux départements. En fait, nous souffrons d'un déficit de transparence dans le fonctionnement des institutions, qui se traduit également par un déficit en termes de démocratie, puisque personne n'est responsable de rien et qu'aucune politique n'est réellement conduite dans aucun secteur.

C'est la raison pour laquelle nous vous avions demandé, rejoignant un peu en cela, je crois, l'esprit des propositions de l'Assemblée de Corse, des transferts par blocs de compétences homogènes, qui permettraient au citoyen de savoir très clairement, sans être au fait des subtilités du fonctionnement institutionnel, qui est responsable dans un domaine d'activité déterminé.

Notre groupe Corsica nazione n'a pas le sentiment qu'avec le texte proposé on aille dans le bon sens, dès lors que certains services, relevant pourtant de domaines de compétence transférés à la collectivité territoriale, restent sous le contrôle de l'Etat, par exemple dans le domaine culturel. Nous disons donc très clairement que le compte n'y est pas sur ce point et qu'il faudra trouver le moyen de procéder à la rationalisation des institutions de la Corse, qui constitue, selon nous, l'un des enjeux majeurs du débat actuel.

Sur la langue, je serai très bref. Comme l'a dit M. José Rossi, il faut savoir et répéter que les conseillers de Corse se sont prononcés, à l'unanimité, en mars 2000, pour l'enseignement obligatoire de la langue corse ; ce point figurait dans les deux motions.

Aujourd'hui, dans le projet de loi soumis à l'Assemblée, cet enseignement ne présente plus de caractère obligatoire et, si nous devions revoir encore à la baisse le dispositif proposé, nous serions très éloignés de ce qu'a souhaité la représentation de la Corse et de ce que souhaitent les Corses eux-mêmes ; s'ils n'ont pas été consultés par référendum, comme nous le demandons depuis plus d'un an, ils n'en ont pas moins manifesté, à travers toute une série de sondages, qu'ils sont tout à fait favorables à l'enseignement obligatoire de leur langue. Il ne faudrait donc pas nous éloigner encore de cette volonté ; sinon les dispositions prises en faveur de la langue corse perdraient tout intérêt et toute signification.

Pour ce qui est de la fiscalité, un certain nombre de contestations s'élèvent, provenant notamment des milieux socioprofessionnels, et il faudra en tenir compte. Même si nous n'avons pas aujourd'hui le temps de rentrer dans le débat technique, il conviendra, je crois, d'y travailler de manière extrêmement sérieuse.

D'une façon générale et pour traduire le sentiment du groupe Corsica nazione, je dirai qu'il y a encore beaucoup à faire, dans le cours de la procédure parlementaire, pour élever ce projet à un niveau acceptable qui en fasse une première étape vers la réforme ambitieuse, aujourd'hui nécessaire à la résolution du problème corse.

J'en aurai terminé lorsque j'aurai dit, profitant de la composition diversifiée de cette commission, que le processus actuel, avec ses deux phases et dans sa globalité, n'est pas seulement l'affaire du Gouvernement et de la gauche socialiste. C'est l'affaire de l'ensemble des Corses, qui sont, je crois, assez cohérents, notamment au sein de l'Assemblée de Corse, et de l'ensemble des responsables politiques français, qu'ils soient de gauche ou de droite.

Ce processus, si nous parvenons à le mener à son terme et à atteindre les enjeux que nous nous sommes fixés, sera profitable à tous. Il est donc très important que l'on ne fasse pas de la politique politicienne ni en Corse - ce n'est plus tellement le cas - ni à Paris, dans un domaine qui est d'intérêt commun. C'est pourquoi nous appelons tout particulièrement ceux qui ne sont pas directement impliqués aujourd'hui dans la conduite de la politique à Paris à nous aider à porter, dans les meilleures conditions, ce processus jusqu'à son terme, à ne pas livrer une guérilla, au Parlement ou ailleurs, et à ne pas faire de la politique politicienne sur un sujet de cette importance. En effet, même si la Corse est petite, il est important pour Paris de trouver une solution à un problème qui empoisonne ses relations avec les gouvernements successifs.

Selon nous l'enjeu est majeur ; nous sommes, au sein du groupe nationaliste à l'Assemblée de Corse, tout à fait déterminés à aller jusqu'au bout de ce processus, si cela est possible, mais il faut que chacun y mette du sien.

M. Nicolas Alfonsi, président du groupe « Radical de gauche » : Je voudrais d'abord faire une observation liminaire. J'ai siégé à l'Assemblée nationale pendant treize ans. Une règle de vie personnelle m'a conduit à ne jamais y revenir : faut-il donc que ce dossier soit important et l'enjeu grave pour que j'accepte d'y déroger...

En même temps que je déroge à cette règle, je sors du cadre républicain, puisque l'on pourrait s'interroger, à bon droit, sur la question de savoir pourquoi des élus de la région corse, des élus locaux, viennent s'exprimer devant la représentation nationale et au nom de quels principes républicains ils y sont appelés.

Comme vous l'avez dit, monsieur le président, le problème est politique et, par conséquent, puisque je parle aujourd'hui au nom du groupe Radical de gauche - dont l'originalité tient au fait qu'une très grande diversité d'opinions s'y exprime : j'ai voté contre ce texte, M. Emile Zuccarelli s'est abstenu et M. Paul Giaccobbi a voté pour - je m'exprimerai exclusivement sur le problème politique, me réservant si j'avais le sentiment de ne vous avoir pas tout dit, d'évoquer d'autres questions la semaine prochaine, lorsque je viendrais devant vous en qualité de vice-président du conseil général de Corse du Sud.

Je voudrais d'abord évoquer la question du pouvoir législatif, en soulignant qu'il faut être attentif à la sémantique. Nous sommes en effet dans une situation où l'Assemblée délibère sur les affaires de la Corse, les différentes parties étant l'Etat français et la Corse, et nous ne sommes plus dans une hiérarchie des rapports de droit, mais dans des rapports qui sont progressivement devenus des rapports d'égalité. C'est un point fondamental sur lequel il me paraît important d'insister et qui, au demeurant, n'est démenti par personne.

J'en arrive, sans polémique, au concept du pouvoir législatif. Lors de la réunion qui s'est tenue le 10 juillet 2000 à Matignon, les premières conclusions rappelaient que le Gouvernement estimait que cette question était extrêmement aléatoire au regard des exigences constitutionnelles. Aucun élu n'avait encore exprimé l'ombre du début d'une idée sur le domaine dans lequel pourrait s'exercer ce pouvoir législatif. Nous sommes donc dans une situation extrêmement originale puisque, avant même qu'un texte ne vienne en commission, puis devant l'Assemblée, toute la question est de savoir s'il est constitutionnel. Je présume que cela ne doit pas être fréquent et, par conséquent, c'est qu'il y a un vrai problème !

Je suis opposé au principe de la reconnaissance d'un pouvoir législatif à l'Assemblée de Corse. Je souligne, d'ailleurs, que M. Robert Badinter a considéré qu'il faudrait donner une interprétation vertigineuse de la décision du Conseil constitutionnel du 28 juillet 1993 portant sur la loi relative aux établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel aux enseignements dispensés dans les établissements scolaires et universitaires pour en faire le fondement de ce pouvoir. Mais tout cela, le Gouvernement le sait...

En acceptant le principe du pouvoir législatif, on reconnaît de facto le peuple corse et ce n'est pas moi qui le dis mais notre collègue Talamoni ! C'est l'un des motifs qui a justifié mon vote contre ce texte, parce qu'il nous fait sortir, encore une fois, du cadre républicain. Récemment dans la presse, le vendredi 9 février, M. Jean-Guy Talamoni déclarait :  « Nous ne demanderons pas la reconnaissance du peuple corse sur le plan constitutionnel ». Cette demande avait été prise en compte par le statut Joxe, auquel je m'étais opposé, et vous savez le sort qui lui a été réservé par le Conseil constitutionnel. Mais M. Jean-Guy Talamoni ajoutait : « L'objectif essentiel doit être d'obtenir cette reconnaissance juridique de notre peuple, d'une part, de l'Assemblée de Corse dotée du pouvoir législatif, d'autre part, des instances internationales. » Nous sommes donc au c_ur même du débat : celui de la reconnaissance de facto du peuple corse.

On nous dit que, dans le cadre du processus en cours, le pouvoir législatif doit être conféré à l'Assemblée de Corse, à titre expérimental, pendant deux ans, la réforme constitutionnelle devant intervenir en 2004. Comment sera exercé ce pouvoir expérimental et quelles conclusions pourra-t-on en tirer ? Dans le meilleur des cas, la réforme entrera en application au début de 2002, si tant est que le Conseil constitutionnel ne l'annule pas. En 2002, vous savez ce qui va se passer ; je doute que l'on se passionnera pour le pouvoir législatif en Corse ; l'expérience se déroulera donc globalement sur un an.

Sur quels domaines portera-t-elle ? Il n'y a pas de sujet qui exige une intervention de nature législative en Corse, à l'exception peut-être de l'application de la loi littoral. D'ailleurs à Matignon on s'est beaucoup interrogé pour savoir ce que pourrait être le domaine d'intervention législative de la Corse et l'on a évoqué les questions d'environnement, les problèmes de zones inondables, de sécurité, la question des routes, des explosifs. A côté de l'Europe, la région avec, au milieu, le pouvoir d'Etat... En fait, il n'y a pas de matière !

Donc on ne pourra pas expérimenter ce pouvoir législatif. Autant dire que les dés sont pipés. Pourquoi ? Parce que l'on sait à l'avance que la censure du Conseil constitutionnel va s'exercer, ce qui permettra de dire qu'il faut une révision constitutionnelle. On invente, en fait, un problème qui n'existe pas, pour démontrer, ensuite, qu'il faut une réforme constitutionnelle : c'est l'idée fondamentale qu'il faut garder présente à l'esprit.

On pourrait gloser des heures, mais il me semble que l'on a déjà trop parlé de la singularité, de l'uniformité, de la diversité républicaine. La diversité républicaine, oui, nous y sommes favorables. Nous souhaiterions une réforme constitutionnelle qui s'appliquerait sur l'ensemble du territoire de la France. Mais une telle réforme qui concernerait toutes les régions, l'Alsace comme la Bretagne ou la Corse, dans un cadre global, ne donnerait pas satisfaction à certains. A cet égard, il serait intéressant que vous posiez la question à nos collègues de l'Assemblée de Corse, notamment à celui qui vient de s'exprimer. Je suis sûr que sa réponse serait négative, parce que pour lui ce qui est important c'est de distinguer la situation de la Corse. Ce n'est pas la diversité qui compte dans cette affaire, mais la singularité corse. Ce que certains souhaitent c'est une réforme constitutionnelle, un référendum, pour la seule Corse.

Hors dans cette hypothèse, nous pourrions, pour ce qui nous concerne, adhérer à une réforme constitutionnelle globale. Nous ne sommes pas, même si c'est ainsi que l'on tente de nous présenter, des pourfendeurs de la décentralisation. Ce sont des malentendus que nous ne pouvons accepter.

S'agissant de singularité, il faut se garder de comparaisons en trompe-l'_il. Pour ce qui a trait à l'Alsace, le particularisme tient à des conditions historiques et je ne sache pas qu'il y ait eu de nouvelles dispositions législatives spécifiques depuis la fin de la première guerre mondiale. On s'est contenté de figer une situation historique.

On s'abrite pour procéder à une réforme exclusivement politique en Corse derrière le principe de la transparence, on évoque la légitimité des élus de Corse qui ont négocié à Matignon. On a même renoncé au préalable de la cessation de la violence, ce qui revient déjà à reconnaître la faiblesse de l'Etat, puisque l'on admet que c'est une situation endémique qu'il ne peut réduire.

Mais on pourrait discuter longtemps de la légitimité de l'Assemblée de Corse : deux voix seulement se sont exprimées contre la première version de ce texte - la mienne et celle d'un de mes collègues - et six ou sept voix contre sa deuxième version. Peut-on sérieusement soutenir qu'il n'y aurait en Corse que 5 ou 10 % de la population qui serait hostile aux accords de Matignon ? Il a pu y avoir, à un moment donné, mille motifs différents pour le vote de l'Assemblée sur un accord politique global qui, en réalité, engage la Corse dans un processus calédonien.

Bien sûr, tout le monde a hypocritement réclamé une consultation populaire, en sachant parfaitement qu'elle n'était pas possible, puisque, en métropole, il ne peut y avoir de référendum local que sur des sujets d'intérêt communal. On ne pouvait donc pas consulter la population corse, puisqu'il aurait fallu, au préalable, réformer la Constitution.

Il y aurait bien eu une solution : la dissolution de l'Assemblée de Corse, qui aurait permis de saisir et de photographier à chaud l'état de l'opinion. Mais il aurait fallu le faire immédiatement ; dans trois ans, lors du renouvellement normal de l'Assemblée, songera-t-on encore aux accords de Matignon ? Il y a donc eu une forme de viol de l'opinion publique et il ne pouvait en être autrement, puisqu'une consultation aurait nécessairement abouti à une division des Corses en deux camps, ce qui aurait interdit la référence à un accord politique global. Lorsque j'ai demandé, au sein d'une commission, à l'Assemblée de Corse, dans quelle situation nous nous trouverions si demain les Corses votaient non à un référendum constitutionnel concernant exclusivement la Corse, alors que l'ensemble de la nation voterait oui, mes collègues ont considéré qu'il s'agissait d'une idée fantaisiste.

M. José Rossi : Cela s'est déjà produit pour le référendum de 1969, qui prévoyait un statut très particulier pour la Corse et a été adopté massivement en Corse, alors qu'il était rejeté par l'ensemble des Français.

M. Bernard Roman, président : M. Alfonsi faisait allusion au cas de figure inverse.

M. Simon Renucci, président du groupe « Corse Social-Démocrate » : En préambule, je tiens à souligner que c'est la première fois qu'une volonté politique aussi forte se manifeste tant au niveau de l'Assemblée de Corse, comme le soulignait précédemment le président Rossi, qu'à celui de la représentation nationale. Quand il y a une volonté, il y a un chemin, mais Dieu sait qu'il risque d'être encore long. Par ailleurs, je voudrais préciser que si nous avons bien demandé une consultation de nos concitoyens, ce n'était pas hypocritement, puisque nous l'avons proposé dès le 17 décembre. Nous n'avons donc pas eu le temps d'être hypocrites et si nous souhaitions cette consultation c'est parce que nous sentions bien la difficulté dans laquelle nous nous débattions.

Nous sommes entièrement d'accord sur le fait que l'unité et l'indivisibilité de la République n'impliquent pas son uniformité.

Notre groupe à l'Assemblée de Corse a beaucoup travaillé. Il a participé activement au processus initié par le Premier ministre. Il a contribué à l'accord de juillet 2000, comme à la délibération de l'Assemblée de Corse de décembre dernier. Il est très attaché à la réussite de ce processus qui nous semble de nature à apaiser durablement la situation politique et sociale, à impulser une relance du développement économique, à rattraper les retards d'équipement, à simplifier et à rendre plus performantes les institutions de la Corse. Notre mouvement Corse social-démocrate est donc disposé à jouer son rôle pour accompagner et soutenir le processus, jusqu'à son aboutissement.

Le processus forme un tout, en deux étapes. Nous restons favorables à ces deux étapes, à celle d'aujourd'hui comme à celle prévue en 2004, sous réserve naturellement que les conditions de passage à la seconde étape soient réunies. Leur réussite signifiera qu'une paix civile durable a pu s'installer en Corse.

S'agissant de la première étape, elle s'incarne dans le projet de loi aujourd'hui soumis à l'Assemblée nationale. Nous ne sommes pas d'accord, là encore, pour distinguer tel ou tel aspect de ce texte, qui forme un tout, dans sa dimension institutionnelle, économique, comme dans ses perspectives finales.

C'est le résultat d'un équilibre politique difficile qui ne doit pas et ne peut pas être rompu. C'est parce que cet équilibre s'est réalisé qu'une large majorité s'est dégagée en sa faveur, par deux fois, à 1'Assemblée de Corse. Ainsi, sur le fond, toutes les dispositions du projet nous paraissent également importantes.

Cependant, le texte qui vous est soumis ne tient pas suffisamment compte de la délibération de l'Assemblée de Corse. C'est particulièrement vrai dans le domaine économique et nous approuvons, du moins dans leurs grandes lignes, les remarque formulées par l'Assemblée de Corse sur les mesures fiscales. Tel qu'il est, le projet ne semble pas suffisant dans ce domaine. Nous comptons donc sur la représentation nationale pour l'étayer, le renforcer, le muscler. Les amendements qui prendront davantage en compte les délibérations de l'Assemblée de Corse seront particulièrement bienvenus, car de nature à rééquilibrer le texte dans le sens de l'accord passé en juillet dernier avec le Gouvernement.

Nous ne voulons pas être dogmatiques et, bien que nous soyons attachés, sur le fond, aux dispositions principales du projet de loi, nous sommes prêts à examiner de nouvelles rédactions - et même à contribuer à leur élaboration - qui tiendraient compte, par exemple, de l'avis du Conseil d'Etat et permettraient ainsi d'écarter le risque d'une censure du Conseil Constitutionnel.

Dans cette perspective, nous souhaiterions vivement disposer de l'avis du Conseil d'Etat, ainsi que d'un tableau comparatif faisant ressortir précisément, par rapport au projet initial, la manière dont les délibérations de l'Assemblée de Corse de décembre dernier ont été prises en compte.

Sur la question de l'enseignement de la langue corse, sur 1'effectivité d'un pouvoir réglementaire, comme sur le transfert d'une compétence législative expérimentale encadrée, nous sommes disposés, si cela est nécessaire, à améliorer les rédactions du projet.

Nous sommes d'autant plus enclins à nous inscrire dans ce cadre qu'une révision de la Constitution est annoncée à l'horizon 2004 et nous avons toujours considéré que celle-ci permettrait de donner, sur la base de l'expérience acquise jusqu'à cette date, toute leur réalité à ces dispositifs.

M. Robert Feliciaggi, président du groupe «  Corse Nouvelle » : L'engagement politique du groupe Corse Nouvelle est fondé sur une double ambition : contribuer à sortir la Corse d'une longue période de désordres et de violences pour rétablir durablement la paix et la tranquillité publiques ; donner aux insulaires les moyens d'un développement harmonieux, qui soit exemplaire et respectueux de leur originalité. C'est donc résolument que nous avons répondu, en 1999, à la volonté de dialogue du Gouvernement, pour rechercher ensemble, dans la transparence et la confiance mutuelle, des solutions adaptées aux problèmes de la Corse.

Nous avons approuvé les principales orientations retenues par le Gouvernement : reconnaître la spécificité de la Corse, seule région insulaire de métropole dans la République ; donner à ses habitants une véritable responsabilité dans la gestion de leur avenir, avec notamment la possibilité d'adapter les normes nationales aux réalités régionales ; rationaliser l'action des collectivités locales et des pouvoirs publics en simplifiant l'organisation administrative ; encourager l'investissement productif, par un statut fiscal refondu, et renforcer par, un effort exceptionnel d'investissement public, la modernisation des infrastructures et des équipements collectifs.

Vous avez souhaité - et je tiens à vous remercier publiquement pour cette initiative - poursuivre le dialogue avec les élus de l'Assemblée de Corse, avant d'examiner le projet de loi. Je vais tenter de synthétiser les observations de mon groupe à la lumière de l'état d'esprit que je viens de rappeler en préalable.

Sur les dispositions ayant trait à la répartition des compétences entre l'Etat et la collectivité territoriale, nous avons le souci commun de clarifier cette répartition en constituant des blocs de compétences cohérents. Au plan national, la confusion qui régit la répartition des compétences entre le pouvoir central et les collectivités locales est reconnue comme l'un des obstacles majeurs à une décentralisation efficace.

En Corse, la pratique du statut particulier nous fait mesurer, plus qu'ailleurs, combien cette situation peut être source de dysfonctionnements et d'inefficacités. Je souhaite donc, à mon tour, appeler votre attention sur la nécessité de donner à la collectivité territoriale de Corse, dans ses domaines de responsabilité, des compétences de principe claires.

Le Gouvernement a tenu compte des avis de l'Assemblée de Corse dans les domaines du tourisme, de la culture et des sports, pour lesquels le projet de loi permet de constituer des blocs homogènes. Ce n'est cependant pas le cas dans d'autres secteurs importants, notamment celui de l'environnement et de l'aménagement du territoire.

Le groupe Corse Nouvelle affirme, depuis longtemps, la nécessité de prendre en compte la gestion du littoral et du domaine maritime, dont la protection et la valorisation intelligente représentent un enjeu considérable pour l'aménagement et le développement du territoire insulaire.

Je formulerai une remarque sur les dispositions concernant les moyens juridiques et financiers conférés à la collectivité territoriale de Corse.

Il me paraît souhaitable de donner au pouvoir régional, dans le cadre de ses domaines de compétences, le pouvoir réglementaire exercé par les services de l'Etat. Cette mesure ne relève peut-être pas d'un texte législatif, mais il convient que vous ayez présente à l'esprit cette nécessité.

S'agissant du statut fiscal, je rejoins mes collègues des autres groupes pour affirmer que nous avons, sur ce sujet, l'obligation de concevoir des mesures qui puissent être effectivement sollicitées par les acteurs économiques. Or, il apparaît clairement que le dispositif proposé a un contenu opérationnel limité. J'insiste, à mon tour, sur ce problème, car ses conséquences pour les entreprises locales seraient considérables si le texte était maintenu en l'état.

Les propositions qui vous sont faites au sujet d'une exonération durable de la taxe professionnelle, d'un élargissement des secteurs éligibles au crédit d'impôt et des conditions de sortie de la zone franche recueillent l'adhésion de tous mes collègues et le groupe Corse Nouvelle y souscrit pleinement.

Enfin, concernant le programme exceptionnel d'investissement, je considère que le sujet n'est pas évoqué de manière suffisamment précise pour vérifier si les avis de l'Assemblée de Corse ont été bien intégrés par le Gouvernement.

Le groupe Corse Nouvelle considère donc que le projet de loi est conforme aux objectifs communément admis par le Gouvernement et les élus de Corse, mais qu'il doit être amélioré sur deux aspects principaux : la répartition des compétences et surtout le statut fiscal.

M. Paul-Antoine Luciani, président du groupe « Communiste et Démocrate de Progrès » : Je voudrais d'abord remercier la commission des Lois d'entendre les élus de Corse. C'est une étape nouvelle du dialogue qui s'est amorcé en décembre 1999 et que nous avons voulu, pour ce qui nous concerne, accompagner, soutenir, pensant qu'il offrait à la Corse une possibilité de progresser, non seulement vers la paix, mais aussi vers le développement, et qu'il permettait, en tout cas, une meilleure intelligence entre les représentants de la Corse et le Gouvernement. Je rappelle, pour mémoire, mais c'est important, que la Corse sortait d'une période extrêmement troublée, qui avait vu successivement l'assassinat d'un préfet de la République et la mise sous écrou de son successeur. Oublier ces faits majeurs pourrait conduire à de graves désillusions et à de graves erreurs.

Je crois que le Gouvernement a pris la mesure des difficultés de la Corse et a su s'inscrire dans une démarche de dialogue et de progrès, qui n'est pas celle d'une marginalisation et d'une mise à l'écart de la République de notre territoire. Si je le rappelle, c'est que j'ai fondamentalement confiance dans la visée générale du Gouvernement, s'agissant de sa politique corse, comme de sa politique nationale.

Pour autant, il faut reconnaître que, sur un certain nombre de points, je partage, pour une part, les craintes de M. Nicolas Alfonsi concernant la sémantique et les glissements de sens de telle ou telle appréciation.

Sans revenir sur l'ensemble du processus depuis le mois de décembre, je souhaiterais rappeler, très sommairement, le déroulement des faits : le Gouvernement ouvre un dialogue ; il engage des discussions avec les représentants de la Corse ; les élus corses proposent deux motions au mois de mars. Ces motions ne sont pas identiques, mais elles ne sont pas opposées ; elles sont votées concurremment, mais pas en opposition, puisque personne ne vote contre personne ! C'est un détail qui compte aussi : la volonté qui s'est exprimée au mois de mars était de n'exclure personne du débat.

Le Gouvernement s'est trouvé un peu embarrassé face à ces deux textes distincts, votés l'un par une majorité absolue et l'autre par une majorité relative, qui comprenaient des points communs et des points de divergence importants, dont la question de l'enseignement de la langue corse. En effet, en dépit de ce qui a été dit et s'il est vrai qu'il y a eu un texte unanime parce qu'il s'agissait d'un texte global que l'on ne pouvait plus amender, pour ce qui me concerne, je ne suis pas favorable à l'enseignement obligatoire de la langue corse. Je n'y suis pas favorable pour de multiples raisons, que je n'ai pas le temps de développer ici mais, en particulier, parce que, derrière cette notion d'obligation, il y a l'idée d'une contrainte politique exercée sur les familles. Ce n'est pas une question scolaire : c'est une question politique. Ainsi, nous sommes tout à fait favorables à l'enseignement des langues régionales, qui fonctionne depuis longtemps et correspond à un droit de la République qu'il faut appliquer partout. Mais dans le fait d'imposer aux familles l'obligation pour leurs enfants de suivre cet enseignement, nous voyons une distorsion car, qu'on le veuille ou non, il y a une contrainte politique.

Je précise ces points pour souligner que la prétendue unanimité du mois de mars 2000 n'est vraiment qu'apparente puisque, sur le fond, il y a, en Corse, un désaccord profond sur cette question de l'enseignement obligatoire. En revanche, une très large majorité, pour ne pas dire l'unanimité, défend la généralisation de cet enseignement, ce qui est très différent : enseignement généralisé, oui ; enseignement imposé, non !

Le Gouvernement s'empare donc, au mois de mars, des textes de ces deux motions et propose une discussion approfondie, inédite, entre les élus de Corse et ses services.

Je dois dire que cette expérience a été, pour tout le monde, aussi bien pour les élus que pour le Gouvernement, extrêmement enrichissante. Elle a débouché, après un travail très approfondi, sur des premières orientations du Gouvernement et un texte de conclusion, qu'il a proposé le 20 juillet et qui a été adopté par l'Assemblée de Corse le 28 juillet.

Pour ma part, je m'en tiens à ces conclusions, que j'ai votées, et je m'y tiendrai à la lettre. De ce point de vue, je déplore un léger glissement de sens en ce qui concerne le passage de la première à la deuxième étape. Ce qui est envisagé par le Gouvernement, et non prévu le 20 juillet, c'est d'opérer la révision constitutionnelle nécessaire à la mise en _uvre de réformes plus profondes. Oui, il y a nécessité de réviser la Constitution, si l'on veut aller au-delà de ce qui est actuellement possible, mais le texte du mois de juillet précisait : « le Gouvernement est disposé à se placer dans cette perspective... » - celle d'une réforme qui interviendrait à l'expiration du mandat de l'Assemblée de Corse - « ... tout en relevant que celle-ci n'a pas à être concrétisée durant la présente législature et qu'elle impliquerait une révision constitutionnelle ». Il est dit plus loin : « Il est bien entendu, que les révisions constitutionnelles ci-dessus envisagées supposeraient l'accord des pouvoirs publics alors en fonction - cela va de soi - et nécessiteraient en tout état de cause le rétablissement durable de la paix civile. »

Ce caractère conditionnel de la seconde étape correspond à ce que notre groupe avait appelé les fameux « cliquets républicains », qu'il me paraît essentiel de rappeler à chaque étape, car il est bien évident que rien n'est prévu : il n'y a pas d'engagement d'Etat pour la seconde étape, qui est conditionnée à l'évaluation qui sera faite de l'expérimentation législative, à l'accord des pouvoirs publics et, bien sûr, au rétablissement durable de la paix civile.

Ce sont des conditions essentielles que je préfère rappeler tant il y a de glissements. Tout à l'heure notre collègue M. Jean-Guy Talamoni, a insisté sur la seconde étape, qu'il a qualifiée d'essentielle, au motif que ce serait elle qui garantirait la paix publique. La paix publique n'est garantie par personne d'autre que les pouvoirs publics et je pense que, pas plus la première étape que la seconde étape, ne changera quoi que ce soit au combat de ceux qui mènent une politique de libération nationale incluant la lutte armée pour obtenir l'indépendance de la Corse !

En tout cas, pour ce qui me concerne, je ne fais aucune confiance à une organisation clandestine, qui déclare avoir recours à la lutte armée parce qu'elle mène une lutte de libération nationale.

La première et la seconde étape relèvent donc du débat démocratique, mais le choix qui a été fait de s'engager dans la violence armée est un choix politique « souverain », qui appartient à ceux qui l'ont fait et il ne dépend nullement du Gouvernement ou d'une quelconque majorité de le faire changer. Ce choix ne dépend pas d'un projet de loi, mais de la seule volonté politique ce ceux qui se sont engagés dans la voie qu'il préconise. C'est essentiel de le préciser, car ne pas le faire reviendrait à laisser entendre qu'une quelconque deuxième étape pourrait être un élément de négociation par rapport à la violence clandestine. Je n'y crois pas et je le dis très franchement !

En d'autres termes, je ne pense pas que dans la discussion avec les élus de Corse la question de la paix civile soit un élément de négociation. Je n'ai pas l'impression que cela soit possible. Je suis favorable à tous les dialogues : le dialogue, bien sûr ; la décentralisation, bien sûr ; les compétences nouvelles, bien sûr, mais à condition de ne pas s'imaginer que c'est par ce genre de mesures que la paix civile va revenir. Elles vont peut-être faciliter son retour mais tout dépendra des choix qui seront faits de l'autre côté, d'un côté que nous ne maîtrisons pas et dont les responsables ne discutent pas avec nous.

Concernant le programme de réformes du Gouvernement, il me paraît donc primordial de distinguer ce qu'il faut à la Corse de la question de la paix civile. Pour ce qui a trait aux besoins de la Corse, je crois que le Gouvernement a pris le bon chemin. La Corse a besoin de mesures de rattrapage pour combler ses retards de développement. C'est la raison pour laquelle nous pensons que le programme exceptionnel d'investissement est un aspect essentiel de ces réformes.

Je constate cependant que s'est opéré, là aussi, un petit glissement, puisqu'on parlait au départ de loi de programme ou de loi de programmation. Or, d'après l'article 34 de la Constitution, les lois de programme définissent les grands objectifs de la politique de l'Etat en matière économique et sociale. Autrement dit, il devait s'agir d'un programme entièrement financé par l'Etat, alors que nous sommes co-financeurs du programme expérimental d'investissement...

Quoi qu'il en soit, l'essentiel est de résolument s'engager dans un rattrapage qui est absolument nécessaire : il suffit de venir en Corse pour s'en persuader et tout le monde constate que les équipements structurants sont, en Corse, inexistants ou déficients.

Il me paraît donc indispensable que la communauté nationale s'investisse vraiment dans ce rattrapage, car en luttant contre la misère, on luttera également contre toute une série de formes de protestation contre la misère, qui ne sont pas forcément les bonnes, ni les plus républicaines, mais qui, néanmoins, existent.

Sous cet angle des retards de développement, je crois que le Gouvernement a pris la bonne mesure des choses et je crois qu'il avait déjà entendu nos demandes lors de la visite du Premier ministre, au mois de septembre 1999, avant que la démarche ne soit engagée.

S'agissant de la décentralisation, nous sommes favorables, pour ce qui nous concerne, à ce que soient accordés des pouvoirs nouveaux aux collectivités territoriales. Nous nous inscrivons positivement dans toute cette démarche.

Toutefois, nous émettons des réserves sur le fait d'accorder un pouvoir législatif à la Corse. En effet, on peut se poser la question de savoir si ce qu'il faut à la Corse c'est l'application sereine, consciente et citoyenne des lois ou l'obtention de pouvoirs nouveaux, sans tenir compte de ce que doivent être les contrôles publics.

Actuellement, je ne pense pas que la Corse souffre d'un excès de contrôles publics. Elle souffre plutôt d'une absence de citoyenneté. Nous ne souhaitons pas la citoyenneté corse, mais la citoyenneté en Corse, ce qui est tout à fait différent.

La citoyenneté en Corse suppose aussi un fonctionnement normal des institutions, des rapports citoyens nouveaux entre les partenaires sociaux, une attention plus grande apportée aux organisations syndicales et, d'ailleurs, le Gouvernement s'est engagé dans des discussions avec elles, mais de manière séparée. Peut-être aurait-il été nécessaire de voir comment mutualiser davantage ces réunions et ces informations, de manière à procéder à des croisements ou, pour le moins, à des convergences entre le monde social, le monde syndical et le monde politique, car nous avons le sentiment que les choses ont été un peu trop cloisonnées.

D'une manière générale, ce qu'il faut à la Corse c'est un peu plus de respect des lois. On peut se poser la question de savoir pourquoi on respecte moins la loi en Corse. Beaucoup de Corses sont très respectueux des lois, mais peut-être l'Etat a-t-il été défaillant... J'ai souvenir d'un rapport parlementaire qui a été beaucoup discuté en Corse, le « rapport Glavany » qui mettait l'accent sur les différentes responsabilités en la matière. Les responsables sont nombreux. On peut évoquer les Corses eux-mêmes, mais aussi les gouvernements successifs et, enfin, un retard de développement essentiel, ancien, traditionnel, structurel, que l'on s'attache à rattraper.

Pour ce qui est des aspects sociaux, la Corse a subi, comme les autres territoires montagneux en difficulté, une forme de déréliction. Si les citoyens corses n'ont pas été victimes de discriminations, leur territoire l'a été d'une certaine manière : les investissements ne sont jamais allés véritablement, en Corse dans le sens de l'intérêt collectif ; ce qui a été fait l'a toujours été par privilège, soit fiscal, soit social, mais il n'y a pas eu d'investissements productifs susceptibles de développer une économie sur ce territoire. Par voie de conséquence, ce dernier s'est désertifié, la population s'étant regroupée pour l'essentiel dans deux pôles urbains et sur les bandes littorales, pour vivre d'une économie, dite saisonnière, catastrophique pour la Corse. Le tourisme est un avantage, mais l'économie saisonnière est réellement une catastrophe !

Il faut donc changer tout cela et il est très important d'imaginer un dispositif où toutes les dimensions des problèmes de la Corse seront prises en compte.

Nous pourrions disserter à l'infini sur la nécessité, pour la Corse, de sortir de son sous-développement car, ce faisant, elle sortira peut-être aussi de la violence, encore que cette dernière, qui a pu être une conséquence du sous-développement, est devenue aujourd'hui l'une de ses causes et appelle un traitement spécifique, qui passe par le respect des lois.

En conclusion, je tiens à redire que, si nous sommes favorables à une certaine forme de pouvoir réglementaire, nous sommes, en revanche, résolument défavorables au pouvoir législatif, car nous estimons que le Parlement doit rester le seul législateur en France.

M. Bernard Roman, président : Puisque nous sommes dans un débat de nature juridique, je crois qu'il faut être précis sur les termes que nous employons.

Or, j'ai entendu parler, à plusieurs reprises, de « pouvoir législatif ». Ce n'est pas ici que l'on vous dira que le pouvoir législatif ne peut échapper à la représentation nationale et, à aucun moment, ces termes ne sont mentionnés dans le projet de loi. Je vous rappelle la rédaction de l'article premier qui vise : « l'autorisation de prendre par délibération de l'assemblée, dans un but d'intérêt général, à titre expérimental, des mesures d'adaptation des dispositions législatives en vigueur ou en cours d'élaboration ».

Il s'agit donc de mesures d'adaptation de textes législatifs en vigueur ou en cours d'élaboration et, en aucun cas, de pouvoir législatif. Nous sommes à la frontière du politique et du juridique mais, si nous utilisons cette formule de « pouvoir législatif », nous ne pourrons effectivement pas nous entendre, surtout dans ce lieu, vous le comprendrez.

Je rappelle, en outre, qu'il n'est question, dans l'immédiat, que de la première étape ; d'autres perspectives pourront ensuite s'ouvrir, mais cela ne fait pas partie de notre débat actuel.

M. José Rossi : Vous pourriez même ajouter, Monsieur le président, que les mesures d'adaptation qui seraient susceptibles d'être prises par l'assemblée territoriale seraient de nature réglementaire.

M. Bernard Roman, président : C'est exact !

M. Toussaint Luciani, président du groupe « Mouvement pour la Corse » : Vous êtes, mesdames et messieurs les députés, les représentants légitimes de la République et je vous remercie de recevoir ici les représentants légitimes de l'Assemblée de Corse.

C'est une question qui a été posée : sommes-nous bien des représentants légitimes ? Je regrette, en effet, qu'un référendum local soit impossible pour consulter la population corse sur la question du projet de loi actuel et du projet futur qui forment, me semble-t-il, un tout. Cela prouve que la Constitution n'est pas adaptée à certaines situations.

Le Gouvernement a engagé, il y a déjà un an, une réforme de nature à la fois institutionnelle et économique, dans le cadre d'un processus en deux étapes, qui conduit, aujourd'hui, à examiner un premier projet, qui n'a pas de sens en lui-même, s'il ne s'inscrit dans la perspective du second projet de nature constitutionnelle.

Il faut s'interroger aujourd'hui pour savoir si le projet soumis au Parlement est constitutionnel. Si certains de ses aspects ne le sont pas, il faudra, en 2004, les intégrer dans le cadre de la réforme constitutionnelle prévue pour la seconde étape.

Si le Gouvernement a décidé d'initier tout ce processus, c'est parce que la Corse souffre depuis sinon cinquante ans, du moins trente ans, d'une situation de crise sur tous les plans - moral, économique, social, culturel, sans même mentionner la violence - et il est temps qu'elle en sorte.

Pour y parvenir, il faut poser la vraie question : quelle est la place de la Corse dans la République ?

Cette place il faut la définir dans le cadre d'une République, aujourd'hui extrêmement centralisée, qui ne peut plus résister au mouvement européen et mondial et se trouve ainsi contrainte de se transformer par la pression extérieure, faute d'en avoir trouvé la volonté à l'intérieur : c'est tout notre problème !

Les résistances à ces évolutions, nous les connaissons : 1981, statut Defferre ; 1991, statut Joxe ; 2001, statut Jospin ou Vaillant, pour arriver à 2004 ou à 2010, car nous irons vers l'autonomie soit dans le calme, la tranquillité, l'évolution sereine, soit dans la souffrance et la douleur que nous avons déjà connues et peut-être pire ! Tel est le fond de la question du point de vue du Mouvement pour la Corse.

Alors que la langue se meurt, on discute encore pour savoir si son enseignement doit être obligatoire ; mais s'il ne l'est pas, la langue corse disparaîtra. Lorsque l'on évoque la question des arrêtés Miot dans le cadre d'une commission mixte présidée par un haut fonctionnaire de Bercy, on nous explique que la Corse jouit de privilèges, alors qu'elle est la dernière région de France en termes de richesse. En réalité, il règne dans le domaine foncier un tel désordre qu'au lieu de tenter de le fiscaliser il faudrait d'abord songer à y mettre de l'ordre. Plutôt que de penser le statut fiscal en termes de privilège, par référence à la loi de 1994, il faudrait prendre conscience que la Corse, du fait de l'évolution de la législation nationale sur la taxe professionnelle, qui a supprimé 50 % de la part salariale, a déjà beaucoup perdu sur l'enveloppe de 1,5 milliard de francs, non pas d'avantages, mais de différentiel dont elle disposait par rapport au continent : environ 170 millions de francs de taxe professionnelle sur la loi de 1994 et 70 ou 80 millions de francs sur le statut de la zone franche !

La Corse a ainsi perdu 250 millions de francs sans que personne n'en parle et le dispositif prévu va lui en faire perdre autant : c'est la raison pour laquelle nous émettons les plus extrêmes réserves sur les dispositions fiscales du projet de loi et demandons fermement que le principe de l'enveloppe constante soit respecté.

La Corse est-elle dans une situation exceptionnelle ? Oui parce que c'est une île, une île quasiment déserte, que la montagne y occupe une place considérable, que ces désavantages ne peuvent simplement s'additionner, car ils s'amplifient les uns, les autres, ce qui explique la dégradation totale du tissu économique.

Sur le plan de l'identité, la situation est pire encore. Si la Corse est dans cette situation catastrophique, c'est parce qu'elle se sent niée, niée dans son histoire. L'histoire remonte à 1914 pour l'Alsace et pourtant, dans une République laïque, on admet que les officiers du culte y soient rémunérés. Or, l'histoire de la Corse est vieille de 2000 ans et notre langue se meurt ; notre territoire est aujourd'hui l'objet d'extraordinaires convoitises.

La question est donc de savoir si, une fois pour toutes, on est prêt à aller au bout d'une logique ou si l'on préfère baisser les bras et prendre des demi-mesures ? Nous le saurons en 2004.

Si l'on choisit la seconde hypothèse, de très grands problèmes nous attendent ; si, au contraire, on choisit la première, il faut effectivement aller au bout d'une logique, qui consiste à transformer l'organisation administrative - je n'évoquerai pas les superpositions administratives que vous connaissez -, que l'action publique ait une réelle lisibilité, que la collectivité territoriale dispose des pouvoirs réels, pas seulement d'adaptation réglementaire, mais aussi de pouvoirs financiers et fiscaux. L'autonomie fiscale, toutes les régions en ont besoin.

Notre objectif n'est pas de nous séparer de la France. Nous nous sentons Corses, Français et Européens. Il n'y a pas de contradiction pour nous dans toutes ces appartenances, mais nous craignons un mondialisme, un ultra-libéralisme, qui représente une menace extraordinaire, contre laquelle l'Etat n'est déjà plus armé pour lutter, parce que les multinationales vont beaucoup plus vite que lui. Désormais, les seules résistances sont locales. Il faut les organiser dans le cadre d'une nouvelle citoyenneté et d'une nouvelle législation. Quel sera, en effet, demain l'objet de la loi locale ? De faire en sorte que ce ne soit pas la propriété du sol qui s'exprime au moment des élections. Ce n'est pas parce que l'on est propriétaire d'un puits de pétrole saoudien que l'on doit pouvoir acheter la moitié de la Corse...

Pour nous c'est d'une nouvelle citoyenneté qu'il s'agit. C'est cela qui est en jeu en l'an 2000. Nous comptons sur le Parlement pour nous donner un statut adapté au cadre européen, car ce qui est envisagé aujourd'hui pour la Corse, d'autres régions, en Europe, l'ont acquis depuis très longtemps ! La France a trop longtemps vécu refermée sur elle-même.

M. Jean-Louis Albertini, président du groupe « Un autre avenir » : Notre groupe a activement participé, depuis le mois de décembre 1999, au processus de réflexion sur la situation de la Corse, engagé par le Premier ministre et relayé par son Gouvernement. Compte tenu de l'importance de l'enjeu, il continuera à _uvrer pour l'aboutissement et la réussite de ce processus. Il est donc satisfait de pouvoir, à nouveau, s'exprimer devant vous et vous en remercie.

Nous avons, à plusieurs reprises déjà, exprimé notre position et, le 28 juillet 2000, nous avons formulé un avis positif au sein de l'Assemblée de Corse sur les propositions du Gouvernement. A ce stade, notre travail, en tant qu'élu de la collectivité territoriale, est donc largement avancé, tandis que le vôtre, c'est-à-dire celui de la représentation nationale, qui est bien plus important, commence.

Je voudrais rappeler deux grands principes qui doivent, selon nous, être pris en compte dans la loi. Les énoncer revient, d'ailleurs, à réfuter l'assimilation facile, faite par M. Nicolas Alfonsi, entre l'évolution de la Corse et le processus calédonien, si respectable soit-il.

Le premier principe tient à l'affirmation d'une volonté politique en faveur de l'accès à l'égalité des chances pour les habitants d'une région française qui fait partie intégrante de la République. A cet égard, il me semble que dire dans l'exposé des motifs du projet de loi qu'il faut enraciner durablement la Corse dans la République est un peu inapproprié : la région Corse appartient pleinement à la République et elle a contribué à l'enracinement des valeurs républicaines.

L'Europe a reconnu l'existence de régions défavorisées. Avant d'être une région défavorisée d'Europe, ce que l'application stricte de certains critères n'a pas, récemment, permis d'admettre, la Corse est une région défavorisée de France. On ne saurait appréhender ce problème au travers du seul critère, sans doute pertinent mais réducteur, du coût des flux financiers entre l'Etat et la région.

Le second principe repose sur l'existence d'une volonté politique qui s'exprime en faveur d'une reconnaissance identitaire de cette région, ne serait-ce qu'en termes de territoire, de territoire vécu, de territoire valorisé, de territoire transmis par les femmes et les hommes qui y vivent. La Corse est peut-être, même si j'en doute, la seule région de France à formuler cette revendication ; c'est probablement ce qui fait la difficulté à résoudre ses problèmes.

Le texte qui est soumis au Parlement diffère sensiblement, sur certains points, de celui qui a été voté par l'Assemblée de Corse, le 28 juillet 2000. Il s'engage prudemment dans la recherche de la résolution de cette double problématique.

Je ne suis pas, moi-même, législateur, je n'ai pas cette responsabilité. Sans doute y a-t-il des contraintes, des rigidités d'autant plus fortes que se construit un ensemble plus vaste que l'ensemble national et que cette construction contraint la tradition administrative et politique française. Il convient, cependant de les dépasser pour prendre en compte les principes que je viens d'énoncer et qui doivent impérativement se traduire dans la lettre de la loi.

La résolution de cette problématique exige des dépassements, souvent même des dépassements de soi. Elle ne peut laisser la place
- certains de mes collègues l'ont également souligné - aux stratégies, aux calculs politiciens ou aux affrontements manichéens. Je sais que la représentation nationale, émanation de la nation française, ne tombera pas dans ces pièges et j'ai confiance dans son action.

Certains de mes collègues ont abordé des points particuliers du projet de loi dépassant le cadre que vous nous aviez initialement fixé et je voudrais, à mon tour, en évoquer deux ou trois.

Si l'accès à l'égalité des chances passe par un effort de solidarité nationale, celui-ci doit se traduire dans les faits avec beaucoup de générosité. Le programme exceptionnel d'investissement répond partiellement à cette attente. Il convient qu'il soit bien défini et financé presque intégralement par l'Etat, les capacités financières des collectivités étant, comme chacun le sait, excessivement réduites.

Les mesures fiscales, dont mes collègues ont amplement parlé, répondent également à cette attente ainsi que la fiscalité des successions. Ce sont, je crois, des points extrêmement importants et il conviendra, dans la mesure du possible, de prendre en compte les remarques faites à leur sujet par les représentants de l'Assemblée de Corse.

De la même façon, la reconnaissance identitaire passe, dans un premier temps, par l'acceptation des différences, notamment en ce qui concerne la langue et la culture. S'agissant du problème de la langue, je ne suis pas totalement d'accord avec certains de mes collègues. En effet, la reconnaissance d'une langue dite « maternelle » est physiologiquement admise par des linguistes et des scientifiques. Elle ne me paraît pas contraire à l'affirmation de l'unité de la République. D'ailleurs, le sang versé par ceux qui ont défendu cette République sans en parler la langue - c'était le cas de nos grands-parents - pourrait en témoigner utilement !

Au nombre des problèmes particuliers que soulève le projet de loi, il me semble important d'évoquer aussi le statut des personnels. C'est un élément essentiel, tant en ce qui concerne les fonctionnaires d'Etat que les personnes qui travaillent au sein des offices ou des agences. Il ne faudrait pas que les modifications prévues puissent entraver leur vie familiale, leur vie professionnelle ou leur intégration sociale.

Il est un autre point fondamental qui conditionne la réussite de cette démarche ; je veux parler de l'adhésion populaire au projet et à la loi. Je suis obligé d'admettre que, même s'il y a eu concertation avec les parlementaires, les présidents de conseils généraux et les membres de l'Assemblée de Corse, qui sont ses représentants légitimes, il existe une volonté forte de la population de Corse de s'exprimer sur ce sujet. Sans méconnaître les difficultés de réalisation, je crois que, d'une manière ou d'une autre, il faudra procéder à sa consultation.

En résumé, notre groupe, compte tenu des déchirements que vit la Corse, continue, de manière non dogmatique et sur un plan humaniste, à participer au processus engagé, tout en sachant qu'il n'apporte pas toutes les solutions à ses problèmes.

Je compte sur la représentation nationale pour exercer cette haute responsabilité qui consiste à ramener la paix civile en Corse et la prospérité économique dans une région profondément attachée à la France.

M. Laurent Croce, président du groupe « Socialiste » : Je n'ignore pas que parler de la Corse soulève toujours la passion. Cependant, je voudrais d'abord rappeler que, contrairement à ce que peuvent penser certains, la Corse n'appartient pas au bassin parisien mais au bassin méditerranéen, qu'elle a ses spécificités, ses problèmes, que nous avons vécus depuis des années dans les larmes, le sang, la violence et les meurtres.

Aussi, lorsque le Premier ministre a pris cette initiative courageuse d'associer les élus de la Corse à la recherche d'une solution, nous avons considéré qu'il s'agissait d'un moment fort. Nous faisons donc tout pour que cette démarche réussisse, parce que c'est la démarche de la République.

Notre île a été trop souvent oubliée. Souvenez-vous du traité de Rome : on y mentionnait les départements d'Algérie et d'outre-mer, mais non la Corse. Le Portugal et l'Espagne ont posé comme préalable à leur adhésion à la communauté européenne la prise en compte des spécificités de leurs îles, qui ont été reconnues, tandis que la Corse, dont la population souhaite également voir ses spécificités prises en compte, a été oubliée, et par la République et par l'Europe.

C'est pourquoi, désormais, une volonté très forte doit s'affirmer pour faire aboutir les deux phases du processus en cours, dans le cadre de la Constitution, bien sûr, s'agissant de la première, car l'évolution de la Corse nécessite une réforme constitutionnelle. Cependant, lorsque que j'entends dire que la mise en _uvre des deux phases du projet aboutirait à l'indépendance pour la Corse, tandis que les mêmes mesures appliquées à l'ensemble des régions françaises n'auraient pas, pour elles, le même effet, je m'inscris en faux contre cette affirmation. Les circonstances exigent que nous soyons sérieux car, il faut bien l'admettre, nous sommes aujourd'hui au pied du mur, nous avons une responsabilité énorme, celle de tenter, tous ensemble, de régler ce problème. Je crois d'ailleurs que tous ceux qui ont participé au débat, depuis décembre 1999, se sont appliqués à faire en sorte que la reconnaissance tranquille des spécificités de la Corse ancre définitivement l'île dans la République.

Il faut se garder des excès et évoquer l'octroi à la collectivité territoriale d'un « pouvoir législatif » en est un. On déforme toujours la vérité ! Il ne faudrait pas, non plus, que le débat sur la Corse soit un enjeu de politique politicienne à l'approche des échéances électorales.

Après les moments difficiles que la Corse a vécus, nous souhaitons, à travers les deux phases du processus, qu'il soit possible de répondre aux attentes de la population de l'île.

Certaines préoccupations se manifestent dans cette région, notamment par rapport aux mesures fiscales. Une interrogation pèse sur la taxe professionnelle, sur le crédit d'impôt qui demande à être précisé, sur la sortie de la zone franche. Mais on perçoit aussi une très forte inquiétude sur l'équilibre des territoires entre les deux pôles que sont Bastia et Ajaccio ; certains évoquent l'éventualité d'instituer une assemblée politique à Ajaccio et une assemblée des territoires à Bastia. Toutes ces questions méritent débats, mais, en réalité, ce qui est important c'est que, aujourd'hui, le Gouvernement essaye, avec tous les élus de la Corse, de trouver une solution. C'est là un point qui me paraît essentiel.

La plupart des choses ayant été dites, sur les compétences, la langue, le PEI, je n'y reviendrai pas, si ce n'est pour souligner que nous allons dans le bon sens ; je voudrais simplement souligner que la Corse mérite une réforme constitutionnelle. C'est la solution qui s'impose pour régler définitivement les problèmes de cette île qui ne souhaite qu'une chose : rester dans la République française !

M. Bruno Le Roux, rapporteur : Dans le cadre de la mission d'information que la commission des Lois avait instituée, j'ai eu l'occasion de me rendre en Corse à trois reprises et j'ai notamment pu assister aux débats de l'Assemblée de Corse sur l'avant-projet de loi. J'en ferai, bien entendu, état dans mon rapport, car ils me semblent de nature à éclairer les travaux de l'Assemblée nationale sur chacun des articles et ils mettent en lumière le sérieux des réflexions qui ont été conduites au sein de cette assemblée territoriale.

Tout en restant dans le cadre politique, et sans entrer dans le détail des éléments juridiques, je souhaiterais poser quelques questions que j'évoquerai également avec le président du conseil exécutif et les présidents des conseils généraux la semaine prochaine, ainsi qu'avec le ministre de l'Intérieur lorsque nous l'entendrons.

D'abord, je voudrais savoir pourquoi, à votre avis, le statut de 1991 n'a pas fonctionné ? Nous avons déjà eu l'occasion de discuter de cette question. On m'a répondu que ce statut n'avait pas été appliqué de façon suffisamment rigoureuse. Mais, au moment où nous tentons de mettre en place un nouveau statut, il me paraît important de comprendre les principaux problèmes qui ont fait obstacle à sa réussite.

Le deuxième point sur lequel j'aimerais recueillir votre avis à trait à l'enseignement de la langue. A cet égard, je voudrais souligner un curieux paradoxe : alors que ce qui est envisagé c'est de rendre obligatoire l'offre d'enseignement de la langue corse, il semble que l'on se plaise à dire que c'est l'apprentissage de cette langue que l'on va rendre obligatoire. Il y a, pourtant, je crois, une différence !

En même temps, j'ai pu constater en rencontrant notamment des parents d'élèves qu'ils manifestent sur ce point une volonté quasiment unanime : on observe, en effet, dans les établissements où l'enseignement de la langue corse est proposé, que ce sont presque 100 % des élèves qui, aujourd'hui, souscrivent à cet apprentissage. Dans ces conditions, je souhaiterais savoir quelles difficultés pourrait soulever l'obligation faite à l'Etat d'assurer l'enseignement de la langue dans tous les établissements de niveau élémentaire, maternel et primaire.

J'en arrive au troisième et dernier sujet, qui n'a pas encore été évoqué ce matin, mais qui est revenue fréquemment au cours des auditions auxquelles la mission a procédé : je veux parler de l'environnement, notamment sous l'angle de l'adaptation de la loi « littoral ». L'article 12 du présent projet de loi semble susciter, dans l'île, de nombreuses interrogations. Nous avons reçu des associations de défense de l'environnement qui sont assez réservées sur le fait de donner à la collectivité la possibilité d'adapter la loi littoral.

Parallèlement à la crainte d'une urbanisation massive de la côte, des interrogations sont également soulevées sur les flux financiers qui pourraient exister dans l'île. Je souhaiterais donc, d'un point de vue politique plutôt que technique, recueillir votre avis sur l'équilibre qu'il convient de trouver entre le développement économique maîtrisé de la Corse et la protection d'une richesse naturelle qui, aujourd'hui, constitue également un formidable atout pour cette région française.

M. Louis Mermaz : Nous sommes nombreux à concevoir une évolution de la République au sein de l'Union européenne qui puisse évoluer jusqu'au fédéralisme : c'est dire l'importance des relations entre le continent et la Corse, qui peuvent, à cet égard, constituer une expérience intéressante.

A vous entendre les uns et les autres, j'ai le sentiment que la République a mieux réussi pour les Corses que pour l'île elle-même. Il est frappant, en effet, de constater le nombre de Corses qui, sur le continent ou à travers le monde, ont joué, depuis deux siècles, un rôle décisif dans l'histoire de la République, alors que cette même République n'a pas encore réussi à régler le problème de la continuité territoriale, dont on parle, pourtant, depuis si longtemps. La faiblesse de l'investissement en Corse est surprenante, surtout par comparaison avec ce qui a pu être fait dans d'autres îles comme la Sardaigne, la Sicile ou même la Crète, qui ont bénéficié d'investissements massifs en provenance de leur pays mais aussi de l'Europe. On en vient à se demander pourquoi notre île de Corse affiche un tel retard.

C'est la République, l'Etat qui ont trop longtemps été faibles en Corse, ce qui explique la situation dégradée dont elle souffre. Pour autant, il ne faudrait pas substituer à la faiblesse de l'Etat et de la République une autre faiblesse, celle de futures institutions propres à l'île. Je crois qu'il y a là un passage essentiel auquel nous devons être excessivement attentifs.

J'ai eu l'honneur de recevoir, à Grenoble et à Vienne, le regretté Jean-Marie Tjibaou : ne soyez pas surpris de cette comparaison. C'était un homme qui voulait la plus grande autonomie pour son île, mais qui, pour autant, ne souhaitait pas rompre avec la République. Il voulait mettre fin à un certain nombre de privilèges, à un statut demeuré, celui-là, véritablement colonial. Est-ce qu'aujourd'hui, les gouvernements locaux de Nouvelle-Calédonie ou de Tahiti représentent vraiment les populations ? Est-ce que les Kanaks ont conquis tout le pouvoir qu'ils étaient en droit d'espérer en Nouvelle-Calédonie ? Et le peuple tahitien, où en est-il ?

Il ne faudrait pas qu'il y ait demain une confiscation des responsabilités par des minorités, c'est pourquoi j'aimerais savoir comment vous concevez l'évolution des institutions corses. Bien sûr, vous n'avez sans doute pas tous le même point de vue. Quoi qu'il en soit, je crois que nous ne pourrons réussir la prise en compte des spécificités de l'île, la définition du rôle de nos compatriotes corses sur place, que si la République est, plus que jamais, présente. C'est seulement si la République, dont vous faites partie, assume pleinement ses missions, que pourra se produire une évolution qui n'est nullement à craindre si elle se fait dans le cadre de France, laquelle doit aussi être disposée à s'inscrire dans un ensemble européen, pour résister aux effets néfastes de la mondialisation que certains d'entre vous ont évoquée.

M. Robert Pandraud : Il faut bien reconnaître - et sur ce point je pense qu'il y aura consensus - que la nécessité d'élaborer un nouveau statut résulte de notre échec commun. Elle est le fruit de l'échec complet des politiques gouvernementales menées depuis des années et aussi, sans doute, de la politique des élus insulaires. Partant de cette constatation, je ne suis opposé à aucune novation susceptible de conduire vers une Corse apaisée au sein de la République française.

Je n'ai pas la superstition du monopole gouvernemental du pouvoir réglementaire. Que signifie le transfert d'un pouvoir réglementaire ? Que l'on va enlever quelques pouvoirs à des chefs de bureau de ministères pour les transférer à d'autres chefs de bureau de l'assemblée régionale !

Je n'ai pas même le culte du monopole du pouvoir législatif. Je l'aurais eu si nous avions strictement appliqué l'article 34 de la Constitution, mais il y a longtemps qu'on ne l'invoque plus et beaucoup de nos lois sont aujourd'hui d'ordre réglementaire.

Je ne suis donc nullement contre une évolution : il est vrai que la Corse est une île et, comme le disait André Siegfried de la Grande-Bretagne, cela explique toute son histoire et toute sa géographie !

Il y a cependant un sujet sur lequel je suis hostile à toute novation : le problème de la langue corse. Je ne suis pas contre les enracinements culturels, mais vous m'excuserez de dire que, selon moi, la langue corse n'a pas une dimension internationale.

Il est vrai, comme le soulignait M. Louis Mermaz, que les Corses ont très bien réussi au sein de la République ; mais c'était à une époque où, que ce soit dans l'ancien empire français, sur le continent ou sur l'île, le corse s'apprenait dans les familles et non à l'école laïque. Souvent d'ailleurs les Corses parlaient une langue vivante véhiculaire.

Quel bagage intellectuel auront les jeunes Corses qui s'exprimeront dans cette langue dans la compétition internationale et européenne actuelle? Que l'on donne la possibilité aux enfants d'apprendre le corse, comme de recevoir un enseignement religieux, je n'y vois pas d'inconvénient, mais à la condition que cet enseignement soit dispensé en dehors des heures scolaires.

J'ignore si vous vous en rendez compte, mais avant d'enseigner le corse, il faut que les instituteurs le connaissent ; généraliser l'enseignement de cette langue revient donc à donner un monopole de fait au corps enseignant d'origine insulaire, à empêcher les mutations dans la fonction publique, qui sont pourtant très positives, dès lors qu'elles s'opèrent dans la réciprocité.

Pour me résumer, je suis donc ouvert à toutes les évolutions, sauf à celle concernant l'apprentissage obligatoire de la langue corse, dont je resterai un adversaire irrévocable ! On a dit que parler corse n'avait pas empêché de nombreux Corses de mourir pour la France : c'est tout à fait vrai ! Je suis moi-même originaire d'une région où l'on a parlé patois pendant des années et qui, avec la Corse et la Bretagne, a perdu, durant la guerre 14-18, le plus grand nombre d'hommes dans les régiments d'infanterie : c'est peut-être parce qu'il fallait leur traduire les commandements et qu'avant de comprendre qu'ils devaient se coucher, les soldats étaient déjà morts !

Il est vrai que la Corse a été victime de l'histoire, victime des saignées de 14-18, très fortement victime de la décolonialisation, et si la France a pu, pendant des années, maintenir un empire c'est en bonne partie grâce aux Corses qui acceptaient plus volontiers de s'expatrier que les habitants des autres régions françaises.

M. Bernard Roman, président : Je voudrais évoquer le travail que nous avons conduit, au sein de la mission d'information, précisément sur cette question de l'apprentissage de la langue corse. J'ai indiqué à nos interlocuteurs, en Corse, qu'il s'agissait d'un sujet suscitant de vifs débats à l'Assemblée nationale et vous en avez l'illustration ce matin.

Lors de notre déplacement dans l'île, nous avons souhaité, au-delà des rencontres avec des interlocuteurs institutionnels, nous rendre dans des écoles, aussi bien dans des écoles où le corse est enseigné que dans des écoles où il ne l'est pas. Nous avons voulu rencontrer les enseignants, comme les parents d'élèves ; à ces derniers nous avons demandé s'ils avaient choisi que leur enfant suive cet enseignement, là où il était assuré, ou s'ils étaient désireux que l'enseignement de la langue corse soit dispensé, là où il ne l'était pas. Le rapporteur fera état de ces rencontres dans son rapport.

Il y a cependant un problème que je voudrais évoquer ce matin, un sujet sur lequel il faut se garder des fantasmes : c'est celui de la « corsisation » des emplois. En effet, dans l'école que nous avons visitée où la langue corse était enseignée, près de la moitié des maîtres étaient originaires du continent ; ils n'assuraient donc pas eux-même cet enseignement, qui était dispensé par d'autres intervenants, issus de l'école ou, pour quelques uns, communs à plusieurs écoles. Cela ne suscitait pas le moindre problème.

La généralisation de l'enseignement de la langue corse n'aura donc nullement pour corollaire un monopole de fait des enseignants insulaires.

M. Jean-Pierre Blazy : Je voudrais dire, d'abord, que j'ai abordé la question corse en tant que membre de la commission d'enquête parlementaire sur la coordination des forces de sécurité en Corse et, plus récemment, en tant que membre de la mission d'information lors de son dernier déplacement. Je voudrais ajouter que je suis, bien évidemment, d'accord tant avec la philosophie d'ensemble du processus dit « de Matignon » qu'avec la volonté gouvernementale de trouver de véritables réponses, des réponses durables, aux problèmes de la Corse.

En même temps, je suis en désaccord sur certains points et notamment sur le caractère obligatoire de l'apprentissage de la langue corse. En effet, je pense - et les interventions des représentants des différents groupes de l'assemblée territoriale le confirment - que ce problème soulève celui des rapports de la Corse et de la République.

Sur ce sujet, j'ai cru percevoir qu'il y avait deux types de réponses : une réponse, apparemment très majoritaire, selon laquelle la Corse doit rester ancrée dans la République, ce qui n'exclut pas, bien évidemment, la reconnaissance de la spécificité insulaire ; une autre réponse tend, au contraire, à placer la Corse hors de la République ou, à tout le moins, à côté de la République. Au travers de la Corse, c'est donc la question plus vaste du rapport entre la République et ses territoires qui est posée, celle de la nécessité d'approfondir la décentralisation, pour répondre à l'intégration européenne et à la mondialisation.

Mais, pour en revenir plus concrètement au projet de loi, il semble qu'il y ait un point sur lequel on ne va pas assez loin ou sur lequel on manque de clarté : celui des transferts de compétences. Des observations et des propositions ont été formulées à ce sujet, ce matin, et je crois qu'il conviendra de les approfondir. Autant je reste en désaccord sur le caractère obligatoire de l'enseignement de la langue corse, autant j'estime qu'il faut poursuivre les discussions sur les transferts de compétences, qui doivent être approfondis, tant en matière de fiscalité que de culture.

Ma dernière question s'adresse à M. Jean-Guy Talamoni. Il nous a dit, en effet, que la première phase du processus lui semblait insuffisante, incomplète, y compris sur l'enseignement de la langue, dont le caractère obligatoire ne serait pas affirmé, alors même que le projet prévoit une offre généralisée dans les écoles élémentaires, ce qui me paraît déjà très important puisque, pour ma part, je serais favorable à ce que des enseignants soient formés pour que cette offre soit élargie, sans pour autant que l'enseignement ne devienne obligatoire. Il a insisté sur l'urgence de la seconde phase. Mais, il n'a pas parlé de sa vision de la Corse dans la République et je souhaiterais qu'il puisse développer ce sujet, car j'aimerais en savoir plus sur les garanties qu'il peut nous donner sur le retour à la paix civile.

M. René Dosière : Ma première question s'adresse à M. Jean-Guy Talamoni qui a évoqué les insuffisances du projet de loi s'agissant des transferts de compétences ; pourrait-il nous préciser ce qu'il propose en la matière et, en particulier, quels services de l'Etat devraient, selon lui, être transférés ?

Ma deuxième question intéresse M. Toussaint Luciani, qui a mentionné des pertes de taxe professionnelle pour la collectivité territoriale, alors que toutes les diminutions ou suppressions de taxe professionnelle ont, à ma connaissance, été compensées par l'Etat, tant en Corse que sur le continent. Je voudrais donc savoir par quels calculs il aboutit à des pertes aussi lourdes que celles qu'il a indiquées.

Ma troisième question s'adresse plus directement à notre collègue, M. José Rossi et concerne l'article 12 du projet de loi. Nous avons constaté que les Corses avaient des positions très différenciées sur la question de l'application de la loi littoral, certains souhaitant des aménagements, tandis que d'autres les refusent catégoriquement. J'aimerais savoir si, sur ce sujet, l'Assemblée de Corse a une position unanime ou si des divergences s'expriment en son sein.

Enfin j'en arrive à ma dernière question, que je pose à l'ensemble de nos interlocuteurs. On nous a dit que les deux motions adoptées par l'Assemblée de Corse émettaient le v_u que l'enseignement de la langue corse devienne obligatoire. Or, vous avez pu constater que cette perspective soulève sur le continent, notamment au sein de la représentation nationale, des réactions très vives. Pourtant, il semble bien, comme le président de la Commission l'a d'ailleurs rappelé, que le problème soit, en fait, réglé. Tous les interlocuteurs que nous avons rencontrés, aussi bien dans l'enseignement supérieur que chez les plus jeunes, nous ont dit que tous ceux qui souhaitent aujourd'hui apprendre le corse en ont la possibilité, tandis que ceux qui ne le désirent pas n'y sont pas contraints. Peut-être manque-t-il un enseignant ici ou là mais, globalement, il n'y a plus guère de problème.

Au fond, le fait de vouloir donner à cet enseignement un caractère obligatoire relève donc plutôt du symbole. Sans méconnaître l'importance des symboles, je me demande si cette revendication ne risque pas d'occulter bien d'autres aspects importants du texte qui nous est soumis.

M. Henry Jean-Baptiste : Je voudrais très brièvement revenir sur une question qui a été évoquée par plusieurs orateurs : celle de la consultation populaire, qui se pose un peu partout, puisque toute évolution statutaire suppose une adhésion populaire qu'il faut pouvoir vérifier. Or, paradoxalement, il n'existe aujourd'hui, ni dans nos lois, ni dans notre Constitution, de moyens de consulter les populations sur des questions d'intérêt local.

Je prendrai le cas minuscule de la petite île que je représente, Mayotte, qui a toujours souhaité rester française. Sa population devait être consultée, conformément à une loi de 1976 qui n'a, d'ailleurs, jamais été appliquée. Or, si une consultation peut avoir lieu à Mayotte, alors qu'elle est impossible ailleurs, c'est parce que cette loi n'a pas été mise en cause devant le Conseil constitutionnel. Pour le reste, la Constitution ne prévoit de consultation que dans des cas très précis. Pour l'outre-mer, l'article 53 permet de consulter les populations sur l'autodétermination. Quant à l'article 11, il définit le champ d'application du référendum de manière finalement très limitative. Je dois ajouter que, sur ces questions, la jurisprudence du Conseil d'Etat et du Conseil constitutionnel est extrêmement restrictive.

Je crois donc - et je pense aller dans le sens de ce qui a été demandé par la majeure partie de nos interlocuteurs - que s'il doit y avoir réforme de la Constitution, c'est bien un point qu'il faudra prendre en compte, sans crainte excessive. Pour l'outre-mer, en particulier, qui n'est évidemment pas la Corse, il est essentiel d'affirmer que l'adhésion est le seul véritable fondement de l'appartenance à la République française.

M. Jean-Pierre Dufau : Je tiens à dire que je ne suis nullement un spécialiste du problème corse et c'est, sans doute, pour moi, une excellente raison de m'intéresser à ce débat.

Chacun admet la spécificité insulaire et les sujétions tout à fait particulières qui en découlent effectivement. M. Robert Pandraud a souligné, à juste raison, les échecs successifs de la République face à la question corse. Nous sommes donc confrontés, aujourd'hui, à une situation juridique, que nous souhaitons améliorer et réformer, et à une situation de fait, qui est, à l'évidence, peu satisfaisante, toute la problématique étant de concilier la situation de fait et la situation juridique, alors que chacun l'envisage différemment.

Plusieurs de nos interlocuteurs ayant critiqué les dispositions du projet de loi relatives aux transferts de compétence, je souhaiterais qu'ils soient un peu plus précis et nous exposent ce qu'il conviendrait de faire, en distinguant, bien sûr, la première et la seconde phase, sans qu'il y ait d'ambiguïtés sur la continuité de ces deux phases.

S'agissant de la langue corse, nous sommes manifestement confrontés à une situation paradoxale et vous me permettrez d'en souligner un aspect un peu anecdotique. Nous évoquons, en effet, le caractère obligatoire de l'enseignement de la langue corse dans les classes maternelles, alors qu'elles ne font pas, elles-mêmes, partie de l'enseignement obligatoire, qui ne le devient qu'à compter du niveau élémentaire.

La question de fond est donc la suivante : pourquoi souhaiter rendre cet enseignement obligatoire ; cette revendication mérite d'être explicitée pour être mieux comprise. Subsidiairement, et pour apprécier les implications d'un tel apprentissage et l'objectif poursuivi, jusqu'à quel niveau cet enseignement doit-il être dispensé ?

J'en arrive à ma dernière interrogation qui concerne l'adaptation de la loi littoral. Elle est essentielle si l'on se réfère à certains exemples étrangers, dont il faut savoir tirer les enseignements. On constate, en effet, que dans certaines îles, notamment les Baléares, le développement du tourisme a conduit à des aberrations ; il ne semble plus y avoir aujourd'hui d'autres solutions que de détruire les immeubles ou les hôtels qui y ont été construits.

M. Michel Vaxès : Chaque région a ses singularités et ses spécificités. Certaines en ont plus que d'autres du fait de l'histoire et des particularismes géographiques et c'est, sans doute, le cas de la Corse.

Le processus dans lequel elle est engagée a pour objectif de la faire évoluer économiquement, socialement et culturellement. Il est intéressant et, du même coup, la question qui se pose est de savoir si les réponses que l'on tente d'apporter pour prendre en compte ses spécificités ne pourraient pas ensuite être adaptés également à d'autres régions françaises.

Cette question s'adresse aux présidents de groupe de l'Assemblée de Corse, mais également à l'ensemble des parlementaires : pourquoi ce qu'ils considèrent bon pour la Corse dans les principes - je ne parle pas du contenu précis qui doit être adapté à la spécificité de chaque région - ne le serait-il pas pour d'autres régions françaises ? J'inclus la question de la langue parce que je fais partie de ceux qui considèrent que les langues régionales sont une richesse pour la France.

Ma deuxième question s'adresse plus précisément à M. Jean-Guy Talamoni, puisque je crois avoir compris que, compte tenu des contraintes de constitutionnalité, la formule d'une offre généralisée de l'enseignement de la langue corse semble à M. José Rossi - mais je ne voudrais pas trahir sa pensée - une bonne formule.

M. José Rossi : Sur ce point, je tiens à préciser que la rédaction actuelle du projet de loi ne fait pas référence au caractère obligatoire de l'enseignement de la langue corse, malgré ce que plusieurs parlementaires ont cru voir. J'ai d'ailleurs compris que M. Jean-Guy Talamoni le regrette et il est vrai que l'Assemblée de Corse avait effectivement employé cette formule dans les deux motions qu'elle a adoptées. C'est donc bien d'offre généralisée qu'il est question, en l'état actuel des choses, et il ne faudrait pas nous faire porter la responsabilité d'un enseignement obligatoire qui n'existe pas dans le texte...

M. Michel Vaxès : Je relève cependant que le Conseil d'Etat, auquel je ne souhaite pas me substituer, semble en avoir jugé autrement dans le rapport confidentiel qu'il a fait sur le projet de loi. Dans ces conditions, on doit se demander s'il ne serait pas prudent de modifier la rédaction du projet de loi plutôt que de prendre le risque de voir le Conseil constitutionnel bloquer le processus en déclarant le texte non conforme à la Constitution.

M. André Vallini : Je serai très bref puisque nous sommes là ce matin pour écouter ce qu'ont à nous dire les représentants de l'assemblée territoriale de Corse, leur poser des questions, et non pour développer longuement notre appréciation sur le processus en cours ou le texte qui va nous être soumis bientôt. Nous aurons l'occasion de le faire, en commission et en séance ; nous aurons la possibilité de jouer tout notre rôle de parlementaire, en présentant des amendements, si cela semble nécessaire, y compris sur l'article concernant la langue corse.

Je me limiterai donc à poser une question très générale à ceux qui sont favorables au processus de Matignon que, bien sûr, je soutiens également. Le statut Joxe comportait déjà de nombreuses dispositions prenant en compte la singularité de la Corse, notamment la faculté pour l'Assemblée de Corse de formuler des propositions d'adaptation de dispositions législatives ou réglementaires. Or, tout le monde s'accorde à le reconnaître, ces dispositions n'ont pas eu le succès attendu. Je voudrais donc savoir ce qui vous incite à penser que, cette fois-ci, le processus va fonctionner, que les pouvoirs qui doivent être reconnus à la collectivité de Corse pour administrer ses propres affaires pourront être utilisées, à bon escient bien sûr ? Pour reprendre le mot le plus juste employé pour désigner ce processus - qui est celui de M. Lionel Jospin - qu'est-ce qui vous incite à penser que le « pari » va réussir ?

M. Bernard Roman, président : Je tiens d'abord à vous redire que, dans le cadre de ce débat parlementaire, nous souhaitons rester fidèles à l'esprit du dialogue qui s'est engagé entre le Gouvernement et les élus de l'île, dialogue qui s'est concrétisé par une succession de textes et, enfin, par l'élaboration d'un projet de loi. Cependant, nous avons également la volonté d'aboutir à un texte qui puisse être validé, dans l'ensemble de ses dispositions, par le Conseil constitutionnel. C'est la tâche que nous a assignée le Premier ministre et il s'agit évidemment d'un exercice à la fois politique et juridique délicat.

Je souhaiterais, par ailleurs, recadrer certaines questions et mettre l'accent sur celles qui vont être au c_ur de la discussion parlementaire, afin que vous puissiez nous livrer votre sentiment à leur sujet.

La première a été soulevée par M. Louis Mermaz et a trait à la présence de l'Etat en Corse. Je crois, en effet, qu'il est important que l'Etat continue à exercer ses fonctions régaliennes, que sa présence reste forte, et même, qu'elle soit renforcée dans l'île. C'est un point fondamental, qui rejoint, d'ailleurs, certaines des préoccupations exprimées, notamment, par les élus locaux, qui nous ont confiés, lorsque nous les avons rencontrés au cours de nos déplacements, qu'ils souhaiteraient, en amont de leurs décisions, être davantage épaulés par les services de l'Etat. Ils ont également évoqué l'appui que pourrait leur apporter la Chambre régionale des comptes. Il me semble que cette question se posera avec plus d'acuité encore à l'occasion de la mise en _uvre de compétences nouvelles.

Une autre question concerne les transferts de compétences. Certains domaines de compétences ont été précisés : c'est notamment le cas de l'agriculture ou de l'environnement. Il serait bon, cependant, que vous puissiez concrétiser les souhaits que vous avez formulés d'une manière un peu générale.

Le problème de l'environnement et, en particulier de l'application de la loi littoral, est également central. Le développement économique de l'île passe par le développement touristique. Or, l'application littérale de la loi littoral et de la loi montagne constitue un frein au développement touristique. Cependant, il faut prendre en compte également le risque de dérives, mis en avant par les associations de défense de l'environnement de l'île et par un certain nombre de parlementaires, qui redoutent des opérations débridées d'aménagement. Il est donc important, pour nous, de savoir ce qu'en pensent les élus, qui exerceront, si ce processus va à son terme, la compétence ou une part de la compétence en matière d'aménagement du territoire et d'adaptation éventuelle de la loi littoral et de la loi montagne. Si le sujet de la bande des cent mètres semble assez consensuel, qu'en est-il du problème de la constructibilité dans le cadre du développement économique et touristique de l'île ?

La dernière question, qui a été largement évoquée, est celle de l'enseignement de la langue corse. Personne n'ignore que l'avis du Conseil d'Etat a appelé sur ce point l'attention du Gouvernement. La difficulté tient au membre de phrase : « sauf volonté contraire des parents », qui ne figure pas dans le texte sur la langue polynésienne, validé par le Conseil constitutionnel, et est, paradoxalement, interprété comme susceptible de donner, dans les faits, un caractère obligatoire à cet enseignement.

Pourtant, comme l'a souligné M. José Rossi, l'adjectif « obligatoire » ne figure pas dans le texte du projet de loi. Peut-on trouver un accord sur le principe de la généralisation de l'enseignement du corse, qui n'est actuellement assuré que dans 80 % des écoles ? Dans ce cas, il ne sera pas difficile de trouver une formulation satisfaisante, qui marque clairement que c'est l'offre de l'enseignement du corse qui est obligatoire pour l'Etat et non l'apprentissage de cette langue par tous les élèves.

M. José Rossi : Sur cette question de la langue, il faut être très clair : si l'Assemblée de Corse s'est effectivement prononcée, par deux délibérations, en mars 2000, en faveur de l'enseignement obligatoire de la langue corse, nous sommes, cependant, parfaitement conscients que, dans le projet de loi, il n'en est pas question !

Par conséquent, je ne vois pas quel est le problème. Paradoxalement, c'est l'adjonction du membre de phrase : « sauf avis contraire des parents » qui semble soulever une difficulté, alors qu'il s'agissait d'une précaution que le Gouvernement - et non l'Assemblée de Corse - a souhaité introduire. Il est vrai qu'elle ne figure pas dans le texte polynésien, mais, à cet égard, je dois vous préciser que la référence à la Polynésie nous gêne - car les TOM ont leurs spécificités qui ne sont pas les nôtres - et nous préfèrerions donc que la rédaction du projet de loi ne soit pas identique à celle qui figure dans le statut de la Polynésie. Je crois que, psychologiquement, ce serait mal perçu en Corse !

Nous sommes évidemment sur une ligne de repli par rapport à ce qui avait été voté par l'Assemblée de Corse en mars. Quelle que soit la rédaction que vous retiendrez, nous savons qu'il ne s'agira pas d'un enseignement obligatoire, mais seulement d'un enseignement véritablement généralisé, en maternelle et en primaire. Il faut donc surtout se donner les moyens de le mettre effectivement en _uvre, pour qu'il ne soit pas purement théorique. J'observerai, d'ailleurs, que certains de nos collègues ont fait valoir qu'il n'était même pas nécessaire de faire figurer la généralisation de l'enseignement dans la loi, puisqu'elle suppose seulement une décision du recteur !

M. Robert Pandraud : Je souhaiterais savoir si M. José Rossi accepterait que l'on renverse la rédaction pour prévoir, non pas que les enfants suivent un enseignement du corse « sauf volonté contraire des parents », mais plutôt qu'ils ne le suivent que sur leur volonté expresse ? Dans ce cas, je serai favorable au texte, car je suis d'accord pour généraliser l'offre, ce qui peut parfaitement se faire, en effet, sans recourir à la loi.

M. Roger Franzoni : Bien sûr, c'est ce qui s'appelle « une matière à option ».

M. José Rossi : Sur cette affaire, je ne peux m'exprimer qu'à titre personnel et sans engager personne, puisque l'Assemblée de Corse a déjà délibéré sur un texte. Je rappelle - et M. Bruno Le Roux a assisté à notre séance - qu'elle s'est prononcée en faveur de l'ensemble de l'avant-projet de loi, sous réserve des propositions de modification qu'elle a faites, aucune d'entre elles ne portant sur l'article relatif à la langue corse, dont la rédaction lui a paru satisfaisante.

Dès lors qu'il n'est pas question d'enseignement obligatoire, s'il y a un problème constitutionnel, je crois que la commission des Lois devrait pouvoir trouver une rédaction satisfaisante. En réalité, ce sujet ne pose pas, pour nous, de problème dans l'immédiat. Lorsque nous parviendrons à la seconde étape, lorsqu'il y aura un transfert de compétences en matière de culture, d'environnement, d'aménagement du territoire, la question se posera différemment ; mais nous n'en sommes pas là et, dans le cadre de cette première étape, la rédaction la plus conforme à la Constitution, qui garantisse l'offre généralisée d'enseignement, me paraît être la voix de la sagesse !

Vous avez évoqué la question de la présence de l'Etat, de l'exercice de ses prérogatives régaliennes. Je crois, en effet, que l'Etat doit rester fort pour être en situation de garantir l'application de la loi, d'assurer la sécurité ou d'assumer la solidarité au quotidien. Il ne me semble pas souhaitable que ces missions fondamentales de l'Etat soient remises en cause mais, là encore, ces propos n'engagent que moi.

Je ne peux m'exprimer pour M. Talamoni ou M. Quastana, qui, bien entendu, lorsqu'ils interviennent, le font en tant qu'indépendantistes. Vous ne pouvez pas vouloir, dans ces conditions, qu'ils reconnaissent aujourd'hui la République française telle qu'elle est...

Dans le processus que nous avons engagé, le vrai problème n'est pas l'existence des indépendantistes - on trouve aussi des indépendantistes en Savoie qui participent aux débats du conseil régional - c'est celui de la violence clandestine, celui de l'incapacité de l'Etat régalien à assumer, en Corse, depuis trente ans, sa mission, et cela quels que soient les gouvernements. Si, aujourd'hui, nous avons dû en venir à une démarche de règlement politique du problème corse, c'est précisément parce que l'Etat régalien n'a pas été en mesure, nous le reconnaissons tous, d'assurer sa mission.

Il convient donc de trouver un nouvel équilibre dans la République, qui permette à l'Etat de se réapproprier les missions qui sont les siennes. Elu pour la première fois conseiller municipal en 1971 et conseiller général en 1973, en un quart de siècle, je n'ai jamais vu le pouvoir régalien exercé dans des conditions efficaces et mon souhait le plus cher est que l'Etat y parvienne ! Cela passe par un apaisement général et tel est l'objectif de ce processus en deux étapes, dont la première est importante, mais dont la seconde constitue la condition inéluctable du règlement politique du problème corse.

C'est vrai qu'il s'agit effectivement d'un « pari », d'un acte de confiance dans un apaisement, dont l'absence mettrait le processus en péril, voire en échec. Mais, si nous n'entamons pas cette démarche, si nous ne relevons pas ce pari, nous sommes sûrs de l'échec. Il faut donc faire cet acte de confiance et ne pas préjuger, d'emblée, que le désordre, l'anarchie, la violence régneront encore dans trois ans : si l'on tient un tel raisonnement, sans doute faut-il s'arrêter avant l'examen du premier projet de loi ! Pour ma part, j'ai confiance en l'avenir. Je ne pose de conditions à personne aujourd'hui et je prétends que c'est en avançant que nous pourrons juger de l'évolution de la situation. Telle est ma conception !

Sur la question des blocs de compétences, je dirai très simplement - et cela ne vaut pas seulement pour la Corse, mais pour toutes les régions - que l'on ne peut, à la fois, donner et retenir. Dès lors que l'on opère des transferts dans des domaines aussi essentiels que l'aménagement du territoire, l'environnement, la culture, la formation professionnelle, on doit faire confiance aux Corses et les inciter à assumer leurs responsabilités ; on ne peut prétendre, en même temps, qu'ils seraient incapables de le faire pour l'application de la loi littoral et exprimer la crainte qu'ils ne se laissent envahir par des intérêts maffieux. Si l'on doit tenir un tel raisonnement, autant ne pas faire de décentralisation en Corse !

A cet égard, je voudrais d'ailleurs rappeler que, à la fin des années cinquante, au début de la Vème République, lorsque l'Etat, pour répondre à la grande ambition du général de Gaulle, a créé une mission d'aménagement du territoire de portée nationale et, pour la première fois, engagé un plan de développement pour la Corse, on a bétonné le Languedoc-Roussillon, la côte Ouest de la France, la côte d'Azur. La Corse n'y aurait pas échappé - je voudrais rappeler, à cet égard, les projets d'aménagement du littoral à travers le Houston Institute - s'il n'y avait eu, sur le terrain, des gens pour réagir et créer, par des actes illégaux et condamnables, une situation de désordre général, qui a indiscutablement nui à son développement harmonieux et tranquille, mais l'a également protégé contre le bétonnage de ses côtes !

Que faut-il faire aujourd'hui ? Vous avez évoqué les mises en garde des associations écologistes ; mais elles font leur travail et vous ne pouviez vous attendre, en les rencontrant, à ce qu'elles vous disent qu'il faut laisser aménager le littoral ! Cependant, je souhaite - et je le dis avec passion - qu'on ne nous suspecte pas. Sachez que notre intention est de protéger le littoral corse sans doute plus strictement que d'autres ne le feraient. Mais il faut être cohérent : on ne peut prétendre transférer aux élus corses les compétences en matière d'environnement et les subordonner, en même temps, à un strict contrôle. En outre, on nous a souvent reproché, parfois à juste titre, d'être des assistés, de dépendre des fonds publics ; c'est une des conclusions de la commission d'enquête présidée par M. Jean Glavany, qui contient quelques vérités, mais qui comporte aussi de grandes approximations...

M. Jean-Pierre Michel : Même très souvent !

M. José Rossi : ... Je vous communiquerai, à ce sujet l'excellent travail présenté à l'Assemblée de Corse, à la suite de ce rapport, par M. Camille de Rocca Serra, qui met en lumière un certain nombre d'éléments qui pourraient servir d'enseignements pour l'avenir et montre comment les Corses et la Corse ont fait l'objet d'ostracisme, ce qui a débouché sur la triste période du préfet Bonnet ! A cet égard, nous conservons quelques souvenirs cuisants qui ne sont peut-être pas étrangers à la situation que nous connaissons aujourd'hui. Dorénavant, il faut faire confiance aux responsables insulaires ; sinon le processus en cours n'a pas de sens.

Par ailleurs, dans les domaines de compétence transférés, il me semble qu'une part du pouvoir réglementaire - non pas législatif, mais réglementaire - pourrait être donné à la collectivité territoriale et je compte déposer des amendements en ce sens.

Je prendrai comme exemple un sujet pourtant conflictuel : dès lors que l'on respecte les directives européennes et la loi, est-il vraiment indispensable que ce soit le préfet qui fixe les dates d'ouverture et de fermeture de la chasse ? L'Assemblée de Corse ne pourrait-elle pas le faire ? Ne pourrait-elle, aidée par ses services et en concertation avec les chasseurs, établir les plans de gestion de chasse qui relèvent actuellement du pouvoir réglementaire du préfet ? Pour ma part, j'estime qu'elle serait en mesure de le faire.

Concernant la loi littoral, le dispositif proposé résulte d'une réflexion approfondie conduite par les services de l'Office de l'environnement et son président, M. Jérôme Polverini, le président du conseil exécutif, M. Jean Baggioni et le Préfet de la région Corse, qui a beaucoup travaillé sur ces questions et connaît les difficultés d'application que suscite, en Corse, une loi conçue pour le littoral continental déjà bétonné. La loi littoral prévoit, par exemple, que l'on ne peut construire que dans la continuité des agglomérations. Ces dispositions permettent, sur la côte d'Azur, de construire à peu près partout, alors que, en Corse, elles interdisent pratiquement toute construction. Il y a donc trois fois plus de délivrances de permis de construire sur la Côte d'Azur, pourtant déjà très bétonnée, qu'en Corse.

Notre perspective est bien de protéger, très strictement, en Corse, ce qui doit l'être. Le Conservatoire du littoral, présidé M. Nicolas Alfonsi, a - je tiens à le dire - effectué un excellent travail, puisqu'il a déjà acheté 12 % du littoral, qui sera ainsi éternellement protégé et fait désormais partie du patrimoine national. Par ailleurs, il y a des zones qui ne sont pas équipées et donc, par définition, ne peuvent être construites ; au total, c'est plus de 80 % du littoral insulaire qui restera protégé. Le problème ne porte, en fait, que sur l'aménagement des 15 ou 20 % de côtes qui abritent déjà des stations balnéaires, non pas, comme sur la Côte d'Azur ou la côte atlantique, à partir de bourgs et de villages, mais sous la forme d'un habitat beaucoup plus diffus.

A dire vrai, comme l'a très justement souligné M. Nicolas Alfonsi, l'enjeu pratique n'est pas, dans l'immédiat, fondamental, puisque nous sommes dans une période de transition, qui ne doit durer que deux ans. Cependant, si vous étiez conduits à supprimer les dispositions de l'article 12, qui ont reçu un avis favorable de l'assemblée territoriale, ce serait ressenti comme une suspicion à l'égard des élus de la Corse qui, je crois, aurait des effets extrêmement négatifs.

Par ailleurs, je voudrais réagir à l'inquiétude exprimée par M. Louis Mermaz sur le risque que la faiblesse des institutions corses ne viennent, en fait, se substituer à la faiblesse de l'Etat, mais aussi répondre à d'autres intervenants, qui se sont demandés pourquoi le statut issu du processus actuel fonctionnerait mieux que les précédents.

D'abord, je crois nécessaire de nuancer certains propos tenus sur le statut Joxe, qui n'a pas si mal fonctionné. Il a apporté un progrès indéniable par rapport à la période précédente, marquant des avancées, notamment en matière d'organisation décentralisée, dont je tire, d'ailleurs, quelque fierté, puisque j'en étais moi-même rapporteur.

Ainsi, j'observe, s'agissant de l'équilibre entre l'exécutif et l'organe délibérant, que l'Assemblée est de plus en plus portée à exercer sa fonction de contrôle ; vous avez mentionné les contrôles juridictionnels, mais notre Assemblée a également vocation à contrôler l'exécutif et elle l'a fait, sans que celui-ci soit, pour autant, empêché de travailler en toute stabilité, puisqu'il n'a jamais été renversé, malgré l'existence de majorités de coalition. D'ailleurs, le principe de mise en cause de la responsabilité de l'exécutif dans des conditions inspirées par le système allemand a fait école et est maintenant appliqué dans toutes les régions pour le vote de leur budget.

En outre, le statut Joxe a supprimé beaucoup de mécanismes de co-décision. Progressivement, l'exécutif régional et ses services se sont libérés de la tutelle de l'Etat et ont trouvé leur vitesse de croisière. Ils ne sont plus sous assistance technique permanente.

Enfin, la gestion au quotidien semble satisfaisante dans un certain nombre de domaines, qu'il s'agisse, par exemple, du tourisme ou de l'environnement, l'Agence, présidée successivement par M. Paul Giaccobbi et M. Jérôme Polverini fonctionnant bien. Quant au secteur agricole, s'il est toujours en effervescence, c'est du fait d'une situation complexe, qui dépasse le problème de l'Office.

Il reste, cependant, des faiblesses qui tiennent notamment à la lourdeur des structures administratives, qui limite la capacité d'action de la région. Certaines, imputables aux pouvoirs exercés par les conseils généraux ou les offices, ne pourront être corrigées qu'au cours de la seconde étape. S'agissant des offices, on a cru bien faire en inscrivant leur existence dans la loi en 1991. Mais paradoxalement la région Corse dispose, de ce fait, de moins de pouvoirs que n'en ont les autres régions françaises, puisque ces dernières peuvent créer ou supprimer un office, alors que l'Assemblée de Corse, si elle peut librement en créer, se trouve dans l'impossibilité de supprimer ceux qui sont visés expressément par le statut de 1991. Il conviendrait, en la matière, de revenir au droit commun.

Une autre faiblesse du statut actuel tient aux compétences, qui n'ont été transférées que de manière incomplète. C'est un point sur lequel je crois qu'une montée en charge est parfaitement possible. Autant j'admets que, dans la première phase, le dispositif d'adaptation, à titre expérimental, de certaines dispositions législatives et réglementaires soit limité par l'objectif de conformité à la Constitution, parce qu'il serait absurde que le texte soit sanctionné par le Conseil constitutionnel, autant il apparaît sans péril d'avancer en matière de transfert de compétences. J'ai d'ailleurs fait observer à Mme Dominique Voynet qui, lors de sa venue en Corse, s'est prononcée en faveur d'une démarche d'autonomie, que c'est paradoxalement dans le domaine de l'environnement, que la Corse en disposait le moins. Il me semble qu'il y a, à cet égard, une contradiction qu'il faut lever.

M. Laurent Croce : Je souhaiterais, pour ce qui me concerne, répondre à M. AndréVallini qui nous a interrogés sur les conséquences d'un éventuel échec du processus.

Il s'agit là d'une question importante : nous nous sommes inscrits dans une démarche de responsabilité et, comme l'a dit M. Paul-Antoine Luciani, la paix ne s'achète pas, mais se construit et génère du développement. L'espoir pour la Corse tient à cette possibilité de sortir de la situation que nous connaissons actuellement.

Il a été dit que la Corse devait passer d'une politique de consommation à une politique de production ; j'ajouterai qu'elle doit aller d'une politique de guichets à une politique de projets.

Il ne fait aucun doute, si ce processus devait échouer, que ce serait grave pour la paix civile et que la Corse pourrait se trouver aux portes de l'aventure, avec des revendications d'indépendance, s'accompagnant éventuellement de la reprise de la violence et des meurtres.

Nous ne privilégions naturellement pas une telle démarche : nous pensons que celle dans laquelle nous sommes engagés aujourd'hui a beaucoup de chances de réussir parce qu'elle se fait dans la transparence.

Nous avançons progressivement, par étapes, et nous sentons dans la population une volonté d'aller dans ce sens. Même si, dans le dessein d'effrayer tel ou tel, certains peuvent parfois travestir la vérité en parlant de dévolution du pouvoir législatif ou d'enseignement obligatoire, je pense en réalité que nous sommes aujourd'hui dans une démarche constructive et je nourris beaucoup d'espoirs quant au succès de ce processus.

Je fonde l'espoir que la Corse qui ne dispose d'aucun équipement - il faut compter trois heures pour franchir les 150 kilomètres qui séparent Bastia d'Ajaccio - et qui ne compte aucune infrastructure, puisse sortir de son sous-développement et, pour ce faire, il faut aider les Corses, et non pas toujours les accuser de je ne sais quels maux...

Nous avons connu des moments difficiles. Le meurtre du préfet Erignac et la période pendant laquelle M. Bonnet était préfet ont été très durs à vivre pour la Corse et les Corses qui ont été montrés du doigt et ont tous fait figure d'assassins - il faut dire les choses comme elles sont. Si, lors de ma première intervention à Matignon, j'ai dit que la Corse s'éloignait de la République parce qu'elle était montrée du doigt et soupçonnée de vivre d'expédients, de becquées et de cueillettes, je pense aujourd'hui que la situation s'est inversée, qu'elle aspire à se rapprocher de plus en plus du continent et que nous nous inscrivons dans une démarche républicaine qui reflète la volonté de la plupart des élus.

M. Jean-Louis Albertini : Je constate que la plupart des questions ont porté sur le transfert à la collectivité de Corse de blocs de compétences
- et plus particulièrement ceux concernant la loi littoral prévus à l'article 12 du projet de loi - et sur la langue ; aussi je m'en tiendrai à ces sujets.

S'agissant de l'adaptation de la loi littoral, je partage les propos de M. José Rossi qui nous présentait comme les gardiens très vigilants du temple et du sanctuaire. C'est, en tout cas, en vestales jalouses et ombrageuses que nous concevons notre rôle, au point d'ailleurs que certains nous ont reproché une rigueur excessive qui contrarierait parfois le développement économique.

De ce point de vue, je ne crois donc pas que ce soit prioritairement en pensant à la Corse que la loi littoral a été votée en 1986. Il est un peu paradoxal de voir aujourd'hui certains élus, qui ont autorisé, dans le passé, des constructions anarchiques, comme on peut en voir dans certaines régions de France, et qui ont tant tardé à voter une loi protégeant le littoral, venir nous interpeller sur ce sujet. A cet égard, je peux vous assurer que, en ce qui nous concerne, nous nous montrerons particulièrement vigilants sur la question de la préservation du patrimoine.

L'enseignement de la langue corse pose un problème beaucoup plus vaste et beaucoup plus complexe. J'ai entendu avec beaucoup d'intérêt les argumentations développées par l'ensemble de la représentation nationale. Je comprends les questions techniques qui peuvent se poser lors de la mise en place d'un enseignement généralisé et non obligatoire, comme je comprends également le caractère discriminatoire et coercitif qu'implique l'adjectif obligatoire.

Néanmoins, si l'on prend en compte la double problématique que soulève la question de l'enseignement du corse - à savoir l'égalité des chances et la reconnaissance d'une identité ou d'un fait identitaire - on ne peut pas se contenter de dire que la reconnaissance du fait identitaire se limite à la reconnaissance d'une singularité géographique : c'est surtout la langue qui fait la reconnaissance du fait identitaire. Vous me permettrez donc de renvoyer la question à d'autres questions qui sont les suivantes : qu'est-ce qui empêche, actuellement, dans un Etat nation comme la France, le bilinguisme ? Qu'est-ce qui empêche le plurilinguisme ? Qu'est-ce qui va empêcher la langue française à laquelle vous êtes attachés, à laquelle nous sommes attachés, de disparaître dans un ensemble beaucoup plus vaste ? Si ce risque venait à exister, je pense qu'alors vous la défendriez avec autant de passion que nous défendons aujourd'hui la langue corse.

J'ajouterai qu'il y a un aussi un avantage à parler plusieurs langues et, pour vous en convaincre, vous me permettrez de faire référence à une expérience scientifique. On s'est ainsi aperçu qu'en cas de perte du langage consécutive notamment à des accidents vasculaires cérébraux ou autres, les capacités de récupération étaient beaucoup plus nettes et plus rapides chez ceux qui pratiquaient plusieurs langues dès la plus jeune enfance. Je regrette que cette expérience, pour le moment, n'ait pas pu être vérifiée au niveau régional car je ne doute pas qu'elle permettrait de méditer longuement à partir des propos que je viens d'entendre tenir sur la langue corse...

M. Robert Pandraud : Il y a deux théories qui s'affrontent sur le sujet...

M. Jean-Louis Albertini : Il s'agit là d'une école reconnue scientifiquement et je tiens à votre disposition l'ensemble des travaux qui ont été conduits sur ce point ; je crois qu'ils sont très éclairants.

M. Toussaint Luciani : S'agissant des pouvoirs régaliens de l'Etat, le problème aujourd'hui est moins celui de l'exercice de ces pouvoirs en Corse, que celui du devenir de l'Etat ! En effet, le pouvoir régalien de battre monnaie ne relève plus de la responsabilité de l'Etat mais est dorénavant exercé à Bruxelles par les instances communautaires ; il en est de même du domaine de la défense et il en sera ainsi demain pour les affaires étrangères et ainsi de suite...

En réalité, entre l'exercice de pouvoirs « par le haut », c'est-à-dire par les autorités communautaires, et « par le bas », à travers la politique de décentralisation, c'est l'Etat qui ne parvient pas à se situer et la question de la Corse ne fait que refléter son malaise.

S'agissant de la question de l'adaptation de la loi littoral, il faut savoir que la Corse est actuellement soumise aux règles de droit commun régies par le code de l'urbanisme, la loi littoral, la loi montagne, ainsi que par un schéma d'aménagement. Autrement dit, puisque tout est stérilisé, comment peut-on parler de développement ? La vérité, c'est que la Corse entre les mains des Khmers verts !

Quant à de l'enseignement de la langue corse, il ne met en cause ni l'unité de la République, ni la primauté de la langue française : la langue est un moyen d'identification à la culture ! Nous ne voulons pas faire de la langue corse une grande langue littéraire, nous voulons pouvoir nous reconnaître à travers cette langue et à travers l'enseignement de l'histoire ; nous n'avons pas encore parlé de cet enseignement mais j'aimerais que l'on y revienne.

La première étape du processus est prévue pour 2002, la seconde pour 2004 et il faudra aller au bout de la logique.

Je répondrai maintenant à la question qui m'a été posée concernant la taxe professionnelle. Certes, les pertes de taxe professionnelle sont effectivement compensées par l'Etat, mais il faut rappeler que la Corse a toujours bénéficié d'un avantage relatif en la matière par rapport au continent : le niveau de la taxe professionnelle y est sensiblement plus modeste. Or, des réformes mises en _uvre au plan national ont réduit l'ampleur de ce différentiel ; je pense à la suppression, au demeurant justifiée, de la « part salaire » qui rentrait, auparavant, dans le calcul de la taxe professionnelle. De ce fait, sur le différentiel dont nous bénéficions, nous avons tranquillement enregistré des pertes dont je vous confirme qu'elles se situent bien à hauteur de 250 millions de francs.

S'agissant maintenant des transferts de blocs de compétences à la collectivité territoriale de Corse, la question est simple puisque, comme je vous l'ai dit, si nous en sommes arrivés à la situation que nous connaissons, c'est parce que la Corse n'est pas reconnue en tant que peuple, qu'elle est niée dans son histoire et dans sa culture. Nous proposons donc que la compétence culturelle revienne à la Corse, et notamment à l'Assemblée de Corse. Nous sommes Français, nous parlons français et le problème de la culture corse et de son enseignement est un problème mineur : laissez-nous le régler !

Quand on décrète que l'enseignement d'une seconde langue est obligatoire en classe de quatrième, donne-t-on le choix aux enfants ? Non, ils doivent apprendre soit l'anglais, soit l'allemand : c'est obligatoire au même titre que l'est l'enseignement de la gymnastique. La solution consiste donc à dire que, comme ces matières, la langue corse doit également être enseignée à titre obligatoire à raison de trois ou six heures par semaine. Nous n'en sommes qu'à l'école primaire, mais il faudra, demain, inclure cet enseignement également dans les programmes de l'école secondaire, parce que cette langue, comme cela a déjà été dit, constitue une immense richesse, que l'on cherche tuer !

M. Paul-Antoine Luciani : Je voudrais dans un premier temps aborder le sujet de la langue corse, au sujet de laquelle règne, à mon avis, une certaine confusion.

Cette question ne devrait pourtant pas susciter de difficultés majeures. Il est, en effet, précisé à l'article 7 du projet de loi : « La langue corse est enseignée dans le cadre de l'horaire normal des écoles maternelles et élémentaires à tous les élèves, sauf volonté contraire des parents ou du représentant légal de l'enfant. » Le dernier membre de phrase paraît poser des difficultés d'interprétation, mais il faut simplement en retenir la philosophie générale, qui se résume à une obligation faite à l'Etat de proposer cet enseignement, tandis que la liberté est laissée aux enfants de ne pas le suivre. Les familles auront ainsi le droit de refuser cet enseignement. Il ne s'agit même pas, comme c'est le cas pour l'enseignement de l'éducation physique, de solliciter une dispense, mais simplement de ne pas s'inscrire...

On peut ne pas être d'accord avec cette option, mais il faut savoir que c'est actuellement ce qui fonctionne déjà, pour l'enseignement du corse, en classe de 6ème et de 5ème, sans difficultés, sans loi et sur simple recommandation du recteur ! Personne ne s'est plaint de ce système! Nous ne faisons en fait que codifier les choses...

La question qui est posée et que j'ai d'ailleurs moi-même soulevée à l'Assemblée de Corse est la suivante : pourquoi inscrire dans la loi un système qu'il suffit d'appliquer. On peut l'appliquer sans problème puisqu'il fonctionne déjà !

Je pense que le choix de mentionner cet enseignement dans la loi permet de lancer un signe fort sur l'identité corse, d'autant plus qu'il est prévu dès le premier degré. En dehors de cette symbolique, il n'y aura pas une très grande différence avec ce qui existe déjà actuellement! L'enseignement bilingue qui est déjà dispensé dans certaines écoles primaires et l'enseignement généralisé en 6ème et en 5ème ne posent aucune difficulté d'application : je vous engage à le vérifier sur le terrain.

La question posée renvoie à un débat académique sur le caractère obligatoire ou non de cet enseignement. Sans cette notion d'obligation, il n'y a plus, à mon avis, de problème ! L'Éducation nationale fonctionne déjà aujourd'hui à partir du droit pour les familles d'avoir un enseignement en langue régionale. C'est un droit reconnu ! Ce n'est pas une nouveauté puisque cela fonctionne depuis des années et je ne vois donc pas où est la difficulté, sauf à vouloir absolument trouver des sujets de polémique, ce qui implique une démarche différente. Si l'on veut se singulariser politiquement, il est possible de prendre comme cheval de bataille la question de l'enseignement du corse, mais il faut quand même savoir que ce n'est pas vraiment le sujet qui divise actuellement les Corses.

Il est vrai que les élus nationalistes ont réclamé un enseignement du corse obligatoire. Si cette notion d'obligation faite aux familles a trouvé un tel écho, c'est parce qu'il y a eu à l'origine une concession faite aux nationalistes : il faut le dire très clairement ! Je ne partage nullement leur conception, mais je suis favorable à l'enseignement généralisé de la langue corse, sans assortir cette généralisation d'une obligation pour les familles. Tout cela est finalement assez simple à condition de ne pas en faire de querelles linguistiques et de formation.

Pour ce qui est de l'intérêt que représente pour les élèves l'étude de la langue corse, j'observe qu'il existe déjà des classes méditerranéennes dans les collèges, où l'on apprend parallèlement le corse, le latin, l'espagnol et l'italien : cette ouverture sur toutes les langues romanes est extrêmement intéressante et il est désormais reconnu que la pratique de la langue corse représente un atout pour l'apprentissage du latin, et inversement. Si l'enseignement du latin, malheureusement, régresse, cette ouverture aux langues romanes doit néanmoins être préservée.

En résumé, je crois qu'il faut développer l'enseignement dans les conditions où il est dispensé actuellement et surtout ne pas restreindre cette offre d'enseignement. Il faut pouvoir donner à tous la chance de s'approprier le fonctionnement des langues romanes et de s'ouvrir à la culture européenne, voire internationale. C'est important et il ne faut pas réduire cette démarche à des batailles politiciennes internes à la Corse : les concessions faites aux nationalistes sur ce point sont subalternes !

S'agissant de la question de l'imbrication des phénomènes de violence et de la protection de l'environnement, le président de l'Assemblée de Corse a affirmé précédemment que, d'une certaine façon, c'est la violence qui avait protégé la Corse de « la bétonnisation ». Je m'inscris totalement en faux contre cette assertion : elle est fausse et contribue à faire le lit du terrorisme.

Il faut rappeler en effet que, dans la pratique, ce n'est pas le terrorisme qui a poussé le Conservatoire du littoral à se porter acquéreur de terrains ; ce n'est pas non plus la violence qui a poussé le Conseil Général, en 1971, sinon à repousser, du moins à amender très largement le schéma d'aménagement ; ce n'est pas elle qui a contraint le maire de Sartène à prendre des mesures pour protéger le littoral. Ce serait même plutôt, dans ce cas précis, le contraire : c'est la violence qui lui a sans doute fait perdre les élections, pour permettre à certains de bétonner le littoral ! J'ai donc l'impression que ce débat sur la violence et l'environnement est un débat biaisé - un de plus ! - et qu'il constitue un malentendu supplémentaire.

J'en arrive maintenant aux questions relatives à la réussite du processus. Pour ma part, je suis confiant et je n'ai pas d'a priori. Ce qui, selon moi, est fondamental pour la réussite du processus, c'est le changement de cap qu'a opéré le Gouvernement en instaurant un dialogue. La permanence d'un dialogue politique entre le Gouvernement et la Corse est indubitablement un gage d'espoir.

A cela s'ajoute le rôle nouveau de l'Etat : l'Etat s'est engagé dans une action de conseil en direction des élus, de contrôle de légalité et de contrôle budgétaire ; c'est en persévérant dans cette voie et en conciliant ces prérogatives avec le dialogue que les choses iront alors dans la bonne direction.

Cependant, l'essentiel reste, selon moi, le volet concernant les mesures d'ordre économique et structurel prévues pour développer et équiper la Corse.

Il ne faut pas non plus oublier ce qui représente pour moi une garantie absolument primordiale pour la réussite du dispositif : il s'agit de l'appel à la responsabilité des Corses eux-mêmes. Le projet de loi comprend un appel à la responsabilité et il faut qu'il soit entendu !

Cet appel signifie beaucoup de choses. Il ne se limite pas à la responsabilité du citoyen ou de l'élu, mais s'étend également à tous ceux qui se reconnaissent encore dans la violence et qui devraient réfléchir aussi à l'étape nouvelle dans laquelle nous sommes entrés.

J'ai entendu, de divers côtés, dire que l'on regrettait les erreurs du passé et je m'en réjouis. Il y a eu un constat d'échec et une voie nouvelle a été prise aujourd'hui ; il convient que tout le monde, que toutes les parties prenantes du dialogue en tirent les conséquences et pas uniquement le Gouvernement ou les élus corses !

M. Robert Feliciaggi : Après ce brillant plaidoyer de M. Paul-Antoine Luciani, je n'ajouterai que quelques mots pour dire que la décision du Gouvernement d'ouvrir un dialogue transparent va dans le bon sens ; j'en veux pour preuve que, en dépit de quelques soubresauts amplement médiatisés, il est indubitable que nous sommes depuis maintenant un an et demi sur la voie de l'apaisement.

Notre groupe trouve dans cet apaisement la justification de sa position de soutien à la politique gouvernementale : il lui demande de poursuivre dans cette voie qui, seule, permettra la paix et le développement économique.

M. Simon Renucci : Lors de sa présentation, qui était longue et certainement très complète, M. José Rossi a laissé transparaître dans son discours un certain manichéisme, laissant entendre que le seul choix résidait dans la réussite du processus ou la poursuite de la violence ; je refuse ce manichéisme, qui ne correspond nullement à l'esprit dans lequel nous inscrivons notre démarche de soutien au processus.

M. José Rossi : Cher collègue, si c'est l'interprétation que vous faites de mes propos, je les retire, car elle ne reflète absolument pas ma pensée : je voulais simplement dire que, à l'époque où l'on a bétonné partout ailleurs, la Corse ne s'est pas développée, parce que l'Etat n'a pas mené comme il l'aurait dû son effort de solidarité nationale alors que se développait dans le même temps une violence non maîtrisée, phénomène que je déplore fondamentalement !

M. Simon Renucci : M. José Rossi est toujours aussi habile ! Ce n'est cependant pas du tout sur ce point que je suis intervenu, mais sur la seconde partie de son intervention qui laissait entendre qu'en cas d'échec du processus, les choses pourraient aller très loin...

Mon intention n'était pas de déformer les propos du président de l'Assemblée de Corse, mais plutôt de les éclairer à l'intention des parlementaires, car cette déclaration ne correspond pas du tout à l'esprit qui nous a tous animés - y compris M. Rossi - jusqu'à présent ; je souhaitais donc revenir sur ce qui pourrait semer un doute chez les parlementaires, alors qu'un travail très important a été accompli, de part et d'autre, chez tous les élus, quelle que soit leur appartenance. Je l'ai même entendu qualifié d'impressionnant, ce que je confirme. Je voulais donc présenter une autre forme d'approche, non pas construite sur un quelconque manichéisme, mais qui repose plutôt sur un pari de confiance, repris par tout le monde et auquel nous souscrivons.

S'agissant de l'adaptation de la loi littoral, il est certain que la vigilance s'impose afin d'éviter toute dérive ; il faut toutefois préciser que la plupart de nos militants et de nos adhérents font justement partie de ceux qui défendent le littoral et que nous n'allons donc pas aujourd'hui remettre en cause ce qui a été pour nous un fer de lance dans notre action ! Néanmoins, il ne faut pas non plus geler toute opération d'aménagement sur l'ensemble du littoral : il y a là un juste milieu difficile à trouver ; la tâche sera délicate, mais il nous faut garder à l'esprit ce souci de préserver un certain équilibre.

S'agissant de l'enseignement de la langue corse, je souscris aux propos tenus par M. Paul-Antoine Luciani, car nous pensons depuis toujours que les langues sont une richesse nationale. Il est donc important pour nous de préserver la langue et d'élargir son enseignement, en favorisant notamment son apprentissage par le biais de l'enseignement des langues romanes. Il est également nécessaire de mettre en place les conditions d'un apprentissage précoce, car ce n'est un secret pour personne qu'un tel apprentissage induit chez l'enfant des qualités qui me semblent, en tant que médecin, essentielles.

S'agissant des conclusions du rapport Glavany, elles ont permis de poser le problème important du contrôle ! Nous sommes naturellement favorables à un contrôle, mais également à ce qui ne relève pas exactement du contrôle mais plutôt de l'évaluation des politiques publiques. Nous sommes extrêmement attachés à la mise en place de mesures qui permettront, à chaque étape, de faire la part de ce qui fonctionne ou non.

Cette précision répond indirectement à la question concernant les difficultés successives de mise en _uvre des différents statuts qui ont régi la Corse ; si une évaluation peut être opérée à chaque étape de la mise en place du nouveau statut, nous serons à même de faire le point, tous les ans ou tous les deux ans, ce qui nous permettra notamment de mieux connaître les contours des blocs de compétences à transférer et de savoir ensuite comment utiliser au mieux ces compétences.

J'ajouterai en conclusion que j'ai, moi aussi, décidé de relever ce pari de la confiance. Nous considérons aujourd'hui que l'Etat doit, bien sûr, conserver l'ensemble de ses prérogatives, notamment en ce qui concerne l'exercice de ses pouvoirs de contrôle et d'évaluation ; mais il faut également faire appel à une volonté nouvelle, que nous avons, pour notre part, manifestée lors de notre campagne de 1999 et qui visait à rénover, à réconcilier et à construire. Je crois que le processus initié par le Gouvernement suit cette démarche et nous y adhérons.

M. Nicolas Alfonsi : Je vais m'efforcer d'être précis et de mettre un terme à quelques confusions.

S'agissant du statut adopté en 1991, je souhaite préciser que j'ai eu, à l'époque, l'originalité de le combattre. Il était le fruit de circonstances, le prix à payer de l'amnistie à laquelle, au demeurant, je ne m'étais pas associé et une concession faite au travers de la reconnaissance du peuple corse.

Pour le reste du dispositif, le statut reprenait textuellement, à quelques aménagements près, les lois de décentralisation adoptées à l'initiative de M. Defferre. Si vous comparez la loi de 1982 avec le statut de 1991, vous ne trouverez aucune différence, hormis quelques petits aménagements de détails qui donnaient l'illusion de l'innovation : il s'agissait notamment de la constitution d'un Conseil exécutif, remplaçant les vice-présidents existant dans les autres régions, et qui se trouvait doté des mêmes compétences, ou bien de l'instauration d'une procédure de mise en cause de la responsabilité du président du Conseil exécutif.

Pourtant, contrairement à ce que disait à l'instant M. José Rossi, nous avons, par rapport aux autres régions, un retard en termes institutionnels, puisque la procédure dite de « motion de défiance constructive », qui permet, à l'image de l'article 49-3 de la Constitution, à un président de conseil régional de faire adopter son budget n'existe pas aujourd'hui en Corse. De ce fait, la situation institutionnelle, en Corse, peut se trouver bloquée simplement à la suite du rejet du vote du budget.

S'agissant de la question de la protection de l'environnement et du débat sur l'adaptation de la loi littoral, je suis consterné par la différence qui existe entre tout ce qui se dit dans la confusion et la réalité sur le terrain ! Je préside le conseil des rivages de Corse depuis exactement vingt ans. Ce conseil a toujours veillé à rester à l'abri des enjeux.

Le conseil est parvenu à acheter, dans la discrétion, 12 000 hectares de sites, de terrains, 120 kilomètres de côtes, soit 10 à 15 % du littoral corse. Si l'on ajoute à cela ce qui relève du domaine communal, ce qui est physiquement inconstructible car trop rocheux ou non équipé, ce qui relève des sites protégés par des lois nationales - et notamment la loi de 1930 sur les sites classés - on parvient à une proportion qui va au-delà du tiers du littoral préservé, proportion qui correspond aux recommandations de la DATAR. Seule demeure la question de savoir si, en Corse, il ne convient pas d'aller plus loin en réservant au domaine préservé, par des directives nationales d'aménagement du territoire, plus du tiers du territoire. C'est en tout cas notre sentiment !

Néanmoins, s'il était décidé d'appliquer sur le terrain les dispositions de l'article 12 du projet de loi autorisant des adaptations de la loi littoral, je crains que cela ne soulève d'importantes difficultés de mise en _uvre. Pourquoi ? Parce que ces dispositions particulières dérogatoires à la loi littoral sont subordonnées à l'existence, dans les communes, de documents d'urbanisme. Cette condition paraît très restrictive : depuis le statut Joxe de 1991 aucun schéma d'aménagement n'a été élaboré ! Il faut donc que l'on m'explique comment il est prévu, en six mois, de régler des problèmes qui ne l'ont jamais été.

En outre, l'article 12 du projet de loi prévoit que les dispositions permettant l'adaptation de la loi littoral à la situation particulière de l'île ne sont applicables que pour une période de quatre ans ; cela signifie que l'on nous demande de porter une appréciation sur la manière spécifique dont la loi littoral est appliquée en Corse au bout de quatre ans, soit à un moment où la réforme sera mise en place depuis un certain temps!

S'agissant de l'action de l'Etat en Corse, s'il est vrai que certains combattent le projet au nom de la République, parce qu'ils craignent un délitement de la France, je redoute, pour ma part, davantage un délitement de l'action publique en Corse. En effet, je ne sais pas - et M. Mermaz a posé la bonne question - si nous possédons la capacité de gérer localement les outils institutionnels qui vont nous être confiés.

La véritable interrogation - un parlementaire a utilisé le terme de pari - concerne l'action de l'Etat en Corse ; j'ai personnellement combattu cette action pendant dix ans et je n'ai jamais soutenu aucun Gouvernement. J'ai ainsi toujours fait partie, tout comme M. Toussaint Luciani, de ceux qui ont dénoncé la démission de l'Etat en Corse. S'il y a eu véritablement démission de l'Etat en Corse, depuis trente ans, je ne vois pas en vertu de quoi l'Etat, demain, accepterait de nouveau de s'investir. Ne s'étant pas investi hier, qu'est-ce qui pourrait le conduire à s'investir demain ?

M. Jean-Guy Talamoni a affirmé que, bien qu'il s'agisse d'une loi française, cette loi littoral le satisfaisait, en attendant la mise en _uvre d'une future loi corse ; mais quand il s'agit de savoir quel va être le contenu de cette future loi, personne n'est en mesure de fournir un commencement de réponse.

S'agissant de l'enseignement de la langue corse, il faut reconnaître que nous n'en sommes pas encore à la situation décrite par Levi-Strauss, qui faisait état, en Ouzbekistan, d'une langue parlée par une seule personne !

La langue corse est encore, bien évidemment, pratiquée dans le monde rural, mais peut-être plus encore, compte tenu de la désertification rurale, en milieu urbain. S'agit-il pour autant d'un bilinguisme ? Est-il concevable que nous puissions d'ici peu rendre, au nom du bilinguisme, des jugements en langue corse? La question a été posée au sein de l'Assemblée de Corse ; un rapport concernant le bilinguisme des délibérations de l'Assemblée a conclu par le refus car il est difficile d'imaginer le fonctionnement d'une institution, surtout dotée des nouvelles compétences prévues par le projet de loi, sur le principe du bilinguisme. Cette possibilité doit donc être écartée d'emblée. Il faut dès lors reconnaître que la revendication est exclusivement politique.

Les neuf personnes qui sont présentes devant vous parlent toutes le corse. La langue italienne a beaucoup plus évolué que la langue corse ; celle-ci est restée une langue repliée sur elle-même, une langue pauvre qui a peu évolué depuis l'époque de Cicéron. L'affirmation identitaire consiste à dire qu'il faut effectivement préserver ce véhicule d'expression quotidienne ; il ne faut pas toutefois croire que nous avons en ce domaine des prétentions extraordinaires. En réalité, le problème qui se pose est politique et il risque de susciter des difficultés juridiques lors du contrôle de la loi par le Conseil constitutionnel. En effet, l'exercice d'une liberté qui n'est en fait reconnue que de manière négative ne peut être considéré comme une liberté ! Je crois qu'il existe une jurisprudence très explicite sur le sujet. Dès lors, il me semble que préciser, comme le fait le projet de loi, que l'enseignement serait obligatoire - « sauf volonté contraire des parents » - risque de poser, compte tenu de sa tournure négative, des difficultés devant le Conseil constitutionnel.

Je suis tenté de penser que tout cela n'est en fait qu'un rideau de fumée et que, finalement, la seule chose qui compte, c'est le référendum constitutionnel sur la Corse en l'an 2004. Ce référendum aura lieu quel qu'en soit le contenu ; en effet, les nationalistes souhaitent ce référendum, et même si la question était : « voulez-vous qu'il fasse beau demain ? », ils en accepteraient le contenu. Ils veulent avant tout nous distinguer et nous singulariser. Nous sommes, avec cette question du référendum, au c_ur du pari et, en ce qui me concerne, je le refuse.

M. Paul Quastana, président du groupe « Corsica Nazione » : Je dirai d'abord à M. Nicolas Alfonsi que nous ne sommes pas des fanatiques de la singularité pour la singularité, nous estimons simplement qu'elle répond à un certain nombre de besoins !

Le statut Joxe qui, je le rappelle, a succédé au statut Deferre, s'est traduit concrètement par l'attribution à la collectivité territoriale de Corse de nouvelles compétences qui se sont superposées à celles de l'Etat ; les décrets d'application ont longuement tardé à venir et l'ont rendu inopérant. L'article 26 qui permet à l'Assemblée de Corse de présenter des propositions tendant à adapter des dispositions législatives ou réglementaires n'a jamais fonctionné ; nous avons saisi un vingtaine de fois le Gouvernement sans jamais obtenir de réponse. Le statut et les dysfonctionnements des offices et des agences ont mis l'Assemblée de Corse dans l'incapacité de régler les problèmes de fond, qu'ils soient d'ordre économique ou politique. En conséquence, il est nécessaire de rationaliser cette organisation et donc d'opérer des transferts de compétences par blocs entiers.

Pourquoi nous autres, nationalistes, avons-nous accepté le pari du processus initié par le Gouvernement ? Pour la très simple raison que l'échec du statut Joxe réside essentiellement dans le fait qu'il a été imposé unilatéralement : il n'a pas été discuté, il n'a pas été négocié, ou plus probablement a été négocié clandestinement, et il n'a pas donné lieu à un débat public. Le statut à venir a été discuté par l'ensemble des forces politiques de l'île. C'est la raison pour laquelle, nous avons accepté ce pari, étant clairement entendu que, pour nous, il ne sera définitivement gagné qu'après la révision constitutionnelle de 2004.

Sur la langue, nous n'avons pas d'états d'âme : cela fait des années que nous demandons que la langue corse soit obligatoire et nous nous réjouissons d'avoir été progressivement rejoints par la quasi-totalité du monde politique. Je crois qu'il faut se garder de toute caricature. M. Pandraud, nos ancêtres ne sont pas morts à Verdun faute d'avoir compris l'ordre de se coucher - quand les balles sifflent, on se couche instinctivement - mais tout simplement parce qu'on les a envoyés se faire tuer avec beaucoup d'autres Français. La langue corse n'a rien à voir dans cette hécatombe ! Par ailleurs, on critique le fait que le corse ne soit pas une langue internationale. Certes, mais de même que l'alsacien permet l'ouverture sur l'Allemagne et sur l'Est, la langue corse, qui est issue du latin et est très proche de l'italien et de l'espagnol, facilite pour nos enfants la compréhension des langues du bassin méditerranéen.

M. Jean-Guy Talamoni : Monsieur le président, je me bornerai à répondre aux questions qui ont été plus directement posées au groupe Corsica Nazione.

Pourquoi le précédent statut n'a-t-il pas marché ? Il n'a pas marché pour les raisons exposées par M. Paul Quastana, mais aussi parce qu'il était difficile de le faire fonctionner tel qu'il avait été agencé et pensé. Il faut considérer, par exemple, que le conseiller exécutif en charge du tourisme, qui est en quelque sorte un ministre local, se retrouve soumis au conseil d'administration de l'agence du tourisme. Après avoir présenté ses orientations devant l'Assemblée de Corse et les avoir fait valider par la majorité censée le soutenir, il n'est pas « sorti de l'auberge ». En effet, il lui faut encore revenir devant le conseil d'administration de l'agence pour faire avaliser la mise en _uvre de ses orientations par des professionnels. Ceux-ci doivent naturellement être consultés, mais dans le cadre de commissions paritaires et non pas dans celui d'un conseil d'administration. Enfin, la minorité de l'Assemblée de Corse, l'opposition - nous, par exemple - est représentée au conseil d'administration de l'agence du tourisme.

Ce système est extrêmement compliqué. L'exemple de l'agriculture est, en ce sens, particulièrement frappant : la multiplicité des institutions intervenantes fait que le citoyen de base ne sait pas qui est responsable. Lorsque, par exemple, les gens sont mécontents de l'unique route desservant la région du cap corse, ils vont voir le président du conseil exécutif, celui-ci les renvoie devant le président du conseil général, qui les adresse à son tour au président du conseil exécutif, en charge de la gestion des fonds structurels communautaires. C'est un autre exemple de la façon dont les choses aujourd'hui sont gérées, ou plutôt ne sont pas gérées, en Corse. Il règne une opacité totale dans le fonctionnement des institutions. Il n'y a pas de responsabilisation des élus de telle sorte que le citoyen ne sait même pas qui sanctionner, personne n'étant responsable. Je crois qu'il faut aller vers une plus grande rigueur, une plus grande transparence et une plus grande identification des responsabilités politiques. C'est très important pour le nouveau statut que l'on veut aujourd'hui mettre en _uvre.

Il est également vrai que le premier statut a été imposé unilatéralement sans que la Corse n'ait été consultée, si ce n'est à travers quelques conférences clandestines auxquelles Paul Quastana et moi-même ne participions pas ! Le groupe Corsica nazione a dit de manière très claire qu'il n'y aurait plus, pour ce qui le concerne, de négociations clandestines pour la bonne et simple raison qu'elles n'ont jamais marché en Corse ! Continuons donc à faire les choses dans la transparence : cela ne se passe pas si mal et il est important d'essayer de mener jusqu'à son terme un processus qui peut vraiment conduire à la construction de la paix.

Il est exact que la paix ne se marchande pas, mais qu'elle se construit : c'est ce que nous essayons de faire. Nous pensons que, si un certain nombre de revendications, qui sont aujourd'hui largement partagées par l'ensemble des Corses, comme le prouve la décision de l'Assemblée de Corse approuvée massivement par 44 voix sur 51, sont satisfaites, les choses vont s'améliorer. L'évolution sera progressive et prendra probablement des années, mais elle est possible.

Pour répondre directement à M. Jean-Pierre Blazy qui soulignait que je n'avais pas parlé de la Corse et de la République, je dirais qu'il faut distinguer la République française du concept républicain. Nous pensons qu'il n'est pas nécessaire pour accéder à ce concept qui est universel - même si la contribution des Français a été déterminante pour son élaboration au XVIIIe siècle - de passer par le filtre français. La Corse au XVIIIe siècle a apporté sa petite pierre à l'élaboration de ce concept en construisant une République qui a duré une quinzaine d'années, ce qui n'est d'ailleurs pas passé inaperçu à l'époque dans l'ensemble de l'Europe et particulièrement en France. Par conséquent, M. Paul Quastana et moi-même sommes des républicains, mais il est clair que nous ne nous situons pas dans une perspective où la Corse aurait vocation à demeurer française pour l'éternité.

Mais, ce n'est pas ce qui est en cause dans les accords Matignon. Aujourd'hui, nous ne sommes pas en train de traiter de l'indépendance de la Corse. Nous essayons de trouver un compromis historique qui permette aux indépendantistes que nous sommes, Paul Quastana, moi-même et bien d'autres - les indépendantistes représentent 17 % du corps électoral d'après les résultats des dernières élections territoriales corses de 1999 - de défendre leur point de vue par les voies politiques et à ceux qui ne sont pas favorables à l'indépendance de continuer à défendre leur position également ! En Irlande, les accords du Vendredi Saint, qui commencent à être appliqués avec beaucoup de difficulté, ont apporté la paix, sans pour autant trancher à terme la question de l'unification du pays : certains sont pour, d'autres contre et ils continuent à en débattre et à construire leur pays. Malgré tout, cela se fait désormais de façon apaisée !

Notre contribution à ce processus va dans le même sens. Il ne s'agit pas de renoncer à l'indépendance : nous pensons que cette dernière, bien sûr dans le cadre de l'Union européenne, est une réponse adaptée aux besoins de la Corse et nous continuerons à le dire. Notre participation à ce processus n'a qu'un but : après sa validation par le peuple corse - elle est possible car, y compris juridiquement, les obstacles ne sont pas tels qu'ils ont été décrits - nous souhaitons commencer à travailler avec l'ensemble des élus ici présents et, au-delà, avec l'ensemble des Corses. Maintenant, nous ne pourrons pas dire, même pour vous faire plaisir et même si nous avons la volonté d'être ouverts, que nous allons renoncer aux idées qui sont les nôtres.

En raison du peu de temps dont nous disposons aujourd'hui, notre groupe demande à être reçu par l'ensemble des groupes de l'Assemblée nationale qui le souhaiteraient pour expliquer son point de vue, sujet par sujet. Cela nous permettra de parler notamment de la République et des futurs rapports entre la Corse et la France, que nous souhaitons dans l'avenir beaucoup plus constructifs.

J'en arrive à une question qui m'a été directement posée et qui concerne la nécessité d'opérer les transferts de compétences par blocs. Ce n'est pas prévu, par exemple, pour la culture où certains services de l'Etat continueront à avoir prise sur la politique menée : nous pensons que cette situation sera difficile à gérer de manière rationnelle. Pour l'agriculture, la forêt et la pêche, si nous tenons compte de l'avis de l'Assemblée de Corse et que cette dernière se voit confier une compétence de principe, cela signifie que l'ensemble des services et des moyens matériels et humains devront être transférés : les DDA et la DRAF avec leur personnel, en maintenant bien sûr leurs acquis. Ce genre de transferts a été appliqué, bien que de façon plus limitée, pour les personnels de la DDE et il est tout à fait possible de le mettre en _uvre, à condition qu'il s'agisse de blocs de compétences, sinon plus personne ne saura plus qui fait quoi.

Il me semble que c'est M. Michel Vaxès qui m'a demandé si l'on pouvait prendre le risque de bloquer le processus. Comme cela a été largement souligné, la langue est très importante pour nous et nous n'allons pas y renoncer. Je ferai observer à M. Nicolas Alfonsi, qui disait que notre langue était toujours celle de Cicéron que, si tel était le cas, ce serait déjà beaucoup ! Ce qui est certain c'est que l'apprentissage de la langue corse facilite celui des autres langues romanes et ceci est très important. En outre, le simple respect de la démocratie devrait imposer de prendre en compte les décisions de l'Assemblée de Corse à cet égard. Cela étant, je crois qu'il existe un fantasme et qu'il convient de lever toute ambiguïté sur la question de la faculté pour les parents de s'opposer à l'enseignement du corse à leurs enfants.

En effet, dans la pratique le problème ne se pose pas : dans un grand nombre d'établissements, ainsi que vous avez pu le vérifier, cet enseignement est, d'ores et déjà, dispensé et les parents qui le refusent sont très peu nombreux. Je peux même vous dire que dans le primaire où certains instituteurs enseignent depuis des années le corse, parfois par militantisme culturel, ceux qui, au sein des classes en sont le plus heureux ne sont pas les petits Corses, mais les fils de gendarmes et les petits Maghrébins, qui de surcroît l'apprennent très vite, parce que c'est un facteur d'intégration. Un journaliste de RFO avec qui je discutais à l'instant me disait d'ailleurs qu'on observait le même phénomène chez les petits métropolitains qui étudiaient le tahitien. Tout cela prouve bien que cette question ne se pose pas, hormis au sein d'une certaine intelligentsia parisienne, qui craint que l'on ne fasse pression sur les gens.

Cet enseignement est déjà dispensé avec succès dans un grand nombre d'établissements, il faut donc le généraliser pour que les choses se fassent de façon uniforme et pour que chacun puisse apprendre la langue corse dans de bonnes conditions. J'ignore si ce point est de nature à bloquer le processus. J'en doute, car concernant la Polynésie française, il existe une jurisprudence du Conseil constitutionnel qui doit également être applicable à la Corse. Mais, s'il fallait que le processus soit bloqué en raison de la langue corse, je pense franchement que cela en vaudrait la peine !

M. Camille de Rocca Serra : J'estime que la question concernant les raisons du mauvais fonctionnement du statut de 1991 a été mal posée. En réalité, ce statut était imparfait, car il a laissé à l'écart beaucoup de secteurs, dont ceux qui sont traités aujourd'hui dans le plan exceptionnel d'investissement, et a renvoyé ces questions au statut fiscal, qui lui-même était imparfait. Je crois que jamais nous n'avons eu à réfléchir globalement comme c'est le cas aujourd'hui. Face à la question qui nous a été posée - quel avenir pour la Corse ? - nous nous sommes tous impliqués, avec nos différences. Je ne suis pas nationaliste, et encore moins indépendantiste, et si je rejoins mes autres collègues sur la langue, je ne la fais pas forcément pour les mêmes raisons qu'eux.

Quel est l'objectif pour la langue ? Pour ce qui me concerne, il s'agit de sauver ce qui, à un moment donné, se trouve menacé, non pas par la langue française, ni par l'Etat, mais par nous-mêmes qui n'avons pas su préserver ce vecteur de culture et d'histoire. J'en suis un exemple ! Tout à l'heure Nicolas Alfonsi a dit que nous étions neuf à parler le corse, mais moi comme je le parle mal, je ne le parle pas ! En conséquence, je souhaiterais que mes enfants, sans que cela s'oppose à leur appartenance indéfectible à la nation française et à l'amour qu'ils porteront à la langue française, puissent acquérir cette culture et la transmettre comme d'autres, venant de l'extérieur. La famille qui est le meilleur endroit pour apprendre une langue, cesse d'être, comme elle l'a été pendant des générations, la matrice de la transmission. Arrivés à ce stade, nous avons donc réfléchi et nous avons pensé que l'école pouvait être un moyen de préserver la langue corse. Toute ma famille a parlé le corse et cela ne l'a pas empêchée de servir la République. Je connais des personnes âgées, des grands-mères qui, ne s'exprimant qu'en corse, n'ont pratiquement jamais parlé français : ce n'est pas pour autant qu'elles ne portaient pas le drapeau français...

Aujourd'hui, l'objectif est simplement de préserver le vecteur d'une culture pour qu'elle ne meure pas, sans s'opposer à la langue de la République, à la langue de la nation, et sans manifester un quelconque ostracisme. L'essentiel est le parler, et c'est pourquoi nous privilégions l'enseignement au niveau de la maternelle et du primaire, par rapport à l'enseignement au niveau secondaire ou universitaire. Cela étant, il faudrait aussi donner des moyens pour qu'ensuite les adultes puissent retrouver dans la cellule familiale la possibilité de pratiquer cette langue ; pour y parvenir des moyens audiovisuels s'avèrent nécessaires. Je crois que cette démarche n'est en rien contraire à l'unité de la nation, mais qu'elle vise simplement, comme en Alsace ou ailleurs, à respecter une culture, qui est un enrichissement pour l'ensemble de la nation.

S'agissant maintenant des blocs de compétences, je crois que rien n'est pire que des compétences partagées dans des domaines qui ne mettent pas en cause les pouvoirs régaliens. Il n'est nullement question de partager ces pouvoirs, l'Etat, au contraire, doit être encore plus fort dans sa fonction de contrôle et de conseil. Puisqu'il a été fait mention tout à l'heure de la Chambre régionale des comptes, je dirai qu'elle doit jouer un rôle. Le contrôle de légalité doit s'exercer en Corse, au moins autant qu'ailleurs, et plus les transferts de compétences seront importants, plus les contrôles de légalité seront nécessaires, afin de garantir l'équité et la justice dans tous les domaines. Pour autant, est-il nécessaire d'avoir des services déconcentrés de l'Etat dans des domaines, tels que la culture, alors que l'essentiel des compétences a déjà été transféré depuis 1991 à la collectivité territoriale de Corse ? Dans le domaine de l'environnement, quel est aujourd'hui le rôle de la DIREN, alors qu'il existe un office de l'environnement doté d'importantes compétences ? En matière d'urbanisme, les lois nationales s'appliquent en Corse, par conséquent, le contrôle de légalité du préfet est suffisant !

Je crois qu'il faut transférer l'ensemble des compétences opérationnelles pour le développement de la Corse qui ne mettent pas en cause l'unité nationale, le tout sous le contrôle de l'Etat. Est-il alors encore nécessaire pour le rectorat d'avoir un architecte des équipements scolaires alors que, dans leur ensemble, les constructions scolaires - collèges et lycées contrairement au droit commun qui ne concerne que les collèges - sont réalisées par la collectivité territoriale ?

J'en viens maintenant à la loi littoral. Ce qu'on peut entendre à ce propos est assez ahurissant et rappelle le proverbe « qui veut noyer son chien l'accuse de la rage ». La seule région qui soit sous-développée et non bétonnée est la Corse, mais ce n'est pas uniquement grâce à la loi littoral ou à d'autres raisons qui ont pu êtres évoquées : c'est simplement parce que les Corses eux-mêmes ont su, de tout temps, protéger leur espace et le respecter.

Comme le rappelait M. Nicolas Alfonsi, ce sont 15 à 20 % du littoral, soit le plus grand espace national, qui appartiennent au Conservatoire du littoral, sans parler des autres réserves également nationales, des sites remarquables et des espaces protégés au titre de l'article L. 146-6 du code de l'urbanisme. Personne ne souhaite toucher à ces espaces qui ne seront jamais urbanisables. Je crois donc que nous n'avons pas attendu 1986 pour préserver la Corse de bien des dégâts. Pour autant, la Corse doit pouvoir se développer.

Quel est le problème de la loi littoral ? C'est qu'elle ne constitue pas le seul et le dernier rempart contre la « barriérisation ». Prétendre le contraire reviendrait à dire que la Corse ne s'étant pas industrialisée au XIXe siècle, il ne lui resterait plus que ce moyen pour assurer son développement. Je suis convaincu que la « barriérisation », comme l'industrialisation appartiennent au passé et qu'aujourd'hui la Corse peut se développer autrement !

La loi littoral pose des problèmes d'interprétation et d'application et appelle certainement des adaptations. Elle ne prévoit qu'une extension limitée de l'urbanisation. Or, la Corse étant un désert, 80 % de son territoire ne pourraient à ce titre pas être développé, y compris de façon limitée. A cela s'ajoute le fait que le concept des « hameaux nouveaux » ne s'applique pas à la Corse ou alors très difficilement. Il ne pourrait s'appliquer qu'à travers d'énormes réalisations qui sont justement contraires à son esprit !

Toutefois la Corse souffre d'un sous-développement en matière d'hôtellerie. Nous ne disposons pour accueillir 1 500 000 à 2 000 000 touristes que de 25 000 lits dans des structures hôtelières totalement inadaptées de 27 ou 28 chambres. Il nous faudrait des structures de 100 chambres au minimum pour pouvoir être compétitifs dans l'économie touristique internationale. Dans le respect strict de la loi, de telles infrastructures pourraient actuellement se faire uniquement dans les agglomérations. Cela ne fera qu'y augmenter la concentration, alors que nous pouvons disposer d'autres espaces.

L'article L. 146-6 du code de l'urbanisme nous permet de protéger l'environnement. Nous pourrons définir ensemble les espaces remarquables, et il serait normal que l'Assemblée territoriale puisse définir d'autres espaces comme les espaces boisés, d'autant que c'est tout le territoire corse qui est boisé. En résumé, nous pensons que la loi littoral est bonne et doit être respectée dans ses principes, mais que, dans des domaines très limités, des adaptations sont nécessaires.

Le plan d'aménagement et de développement durable doit se substituer au schéma d'aménagement de la Corse. La loi de 1991 était en partie inadaptée parce qu'elle prévoyait un schéma d'aménagement, et notamment un schéma d'aménagement de la mer sur 1 000 kilomètres de côtes, alors que toutes les autres régions continentales pouvaient bénéficier de directives territoriales d'aménagement, beaucoup plus simples à mettre en _uvre.

Tout le problème tient aujourd'hui au fait que l'on substitue à un dispositif trop compliqué, mais qui avait une certaine valeur puisqu'il devait être contrôlé et approuvé par décret en Conseil d'Etat, un système qui va générer un contentieux permanent devant les tribunaux administratifs. Il aurait sans doute suffi de prévoir la transmission du schéma au préfet pour simple avis et au Conseil d'Etat pour validation. Dans la période 1991-2000, le préfet pouvait faire obstacle à la transmission du schéma au Conseil d'Etat sans même qu'il y ait discussion ou négociation. C'est ainsi que des dysfonctionnements se sont produits et que nous n'avons pas eu de schéma de la Corse, car le préfet a opposé son veto. Je pense qu'aujourd'hui il faut une simplification dans ce domaine, ce qui n'implique pas que les élus veulent bétonner la Corse. Nous voulons simplement, dans le cadre de la préservation d'un environnement de qualité, développer les infrastructures nécessaires pour que la Corse puisse enfin décoller !

M. Bernard Roman, président : Au terme de cette audition de plus de quatre heures, je voudrais vous remercier pour la qualité de ces échanges, qui n'étaient nullement convenus.

Les parlementaires ont un certain nombre de préoccupations qu'ils ont exprimées clairement comme vous l'avez fait vous-mêmes à travers la diversité de vos opinions qui, je veux le rappeler, sont légitimes à condition qu'elles respectent le cadre démocratique. Au travers de cette audition nous avons ressenti des différences d'approche, mais également une adhésion largement majoritaire à un processus qui relève d'une immense responsabilité collective. En effet, il nous donne la chance historique de mettre fin au climat de violence qui s'est développé depuis quelques décennies dans une de nos régions. Je considère qu'il est un devoir d'Etat et un honneur de citoyen responsable de saisir cette chance. C'est dans cet esprit qu'avec le rapporteur, M. Bruno Le Roux, et les parlementaires de la commission des Lois, nous abordons cette question et je tiens simplement, en leur nom, à vous remercier très sincèrement pour votre participation.

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* *

Le 4 avril 2001, la Commission a entendu M. Jean Baggioni, président du Conseil exécutif de Corse.

M. Bernard Roman, président : Je voudrais rappeler que nous recevons le président de l'exécutif d'une collectivité territoriale qui présente, depuis 1991, la particularité d'avoir un président de l'exécutif distinct du président de l'organe délibératif. Cette spécificité rejoint un débat plus général sur l'organisation des collectivités locales : celle-ci pourrait s'inspirer du dispositif mis en _uvre par le législateur dans le cadre du statut de la collectivité territoriale de Corse de 1991.

Sachez que nous portons au sein de la commission des Lois un intérêt tout particulier à poursuivre le travail engagé par le Premier ministre, qui a souhaité mettre en _uvre un dialogue ouvert et transparent avec les élus de l'île. Nous avons, d'ailleurs, déjà pu dialoguer ensemble dans le cadre de la mission d'information que nous avons mise en place avant le dépôt du projet de loi. Nous avons eu l'occasion, avec M. Bruno Le Roux, rapporteur de la mission d'information et du projet de loi relatif à la Corse, d'avoir à plusieurs reprises des échanges dont nous avons tiré un certain nombre d'enseignements.

Nous sommes très intéressés par ce que vous pourrez nous dire à ce stade du travail législatif, tant sur votre approche générale du texte que sur les points concernant l'exercice de votre mission de président de l'exécutif. Enfin, nous souhaiterions connaître votre réaction sur l'avis émis par le Conseil d'Etat, celui-ci ayant exprimé des doutes sur la constitutionnalité de certaines dispositions du projet de loi.

J'évoquerai brièvement ces difficultés : l'adaptation des normes réglementaires, qui pose le problème des blocs de compétence ; l'adaptation des normes législatives, dont je veux redire ici qu'elle ne constitue nullement l'octroi d'un pouvoir législatif à l'Assemblée de Corse, puisqu'il s'agit d'une simple adaptation, mise en _uvre dans le cadre d'une expérimentation autorisée par le législateur ; la question des arrêtés Miot et de la fiscalité sur les successions ; la question de l'enseignement de la langue corse, puisque la formulation qui a été retenue par le Gouvernement a suscité des controverses, alors même qu'elle ne semble pas soulever d'objections particulières auprès des élus et de la population corse.

M. Jean Baggioni, président du Conseil exécutif de Corse : Mesdames, messieurs, étant quelque peu impertinent, je vais poser à voix haute la question que je me suis posée à voix basse. Suis-je bien devant la commission des Lois ? (Sourires.) Car, pour ma part, je ne suis pas celui qui est annoncé par la convocation et par le Journal Officiel. Je ne suis pas membre de l'Assemblée régionale et je n'appartiens pas à l'un de ses groupes ! Il est assez décevant d'être convoqué à une audition aussi importante, en une qualité qui n'est pas la mienne ! Il est décevant de penser que certains d'entre vous sont venus, s'imaginant qu'ils rencontreraient un membre d'un groupe de l'Assemblée de Corse, tandis que d'autres sont absents, parce qu'ils pensent que le président du Conseil exécutif n'est pas présent.

M. Robert Pandraud : Pour ma part, j'ai bien été convoqué pour entendre le président du Conseil exécutif de Corse.

M. Jean Baggioni, président du Conseil exécutif de Corse : C'est bien lui qui va s'exprimer et je suis heureux que cela n'ait pas échappé à tout le monde. Pourquoi cette réflexion ? J'ai été installé le 2 avril 1992 et depuis neuf ans et deux jours les confusions demeurent. Il est temps d'aborder la troisième réforme car, manifestement, elle est nécessaire. C'est un premier constat.

Deuxième constat, même si je me réjouis de voir qu'un certain nombre de députés sont présents, je note que la région de Corse, dont tout le monde se préoccupe quand il y a un micro et une caméra, n'attire pas des foules de parlementaires lors des réunions de commission, à part une bonne mais maigre représentation des différents groupes et je ne suis pas sûr que tous soient représentés. Ce désintérêt me choque autant que peut choquer le désintérêt que manifestent les élus de Corse quand ils sont convoqués pour discuter d'un projet de décret ou d'une réforme quelconque. C'est avec respect que je le dis.

M. Robert Pandraud : La qualité supplée la quantité.

M. Jean Baggioni, président du Conseil exécutif de Corse : Je l'ai dit, M. le ministre, « bonne mais maigre représentation. »

M. Bernard Derosier : Encore ne faut-il pas s'en prendre aux présents.

M. Jean Baggioni, président du Conseil exécutif de Corse : C'est le seul moyen de le faire savoir aux absents, parce que je suis sûr que les présents le répéteront à leurs collègues. En tout cas, je vous prie par avance d'excuser mon impertinence.

Vous me demandez de faire part à la Commission de mon approche générale sur le projet de loi et de livrer le sentiment du président du Conseil exécutif sur ce texte. Que les choses soient claires ! Quand le Premier ministre nous a conviés, le 13 décembre 1999, à une réunion pour nous proposer de nous emparer du problème de la Corse et de lui faire des suggestions, j'ai dit qu'il appartenait au Gouvernement de formuler des propositions, même si pouvions apporter notre contribution. Inverser l'ordre des responsabilités revenait à confier aux élus de l'assemblée de Corse une mission que j'aurais voulu voir exercée par le seul Gouvernement. Pourquoi cette position en décembre 1999 ? Parce que depuis le 2 avril 1992, j'ai dénoncé un certain nombre de choses. Je me félicite finalement de voir qu'il m'est donné aujourd'hui, 4 avril 2001, de revenir sur ce que j'ai dit entre avril 1992 et le 13 décembre 1999. Cela justifiera ma présence le 13 décembre 1999, mon opposition en mars 2000 et mon adhésion à compter de juillet 2000.

Pourquoi ? Parce que j'ai vécu la mise en _uvre des statuts, celui de 1982 et celui de 1991. Je vous prie de m'excuser d'employer la première personne, mais je le fais sans prétention. En effet, je suis le seul élu de France qui exerce la fonction originale de président du Conseil exécutif. J'ai été confronté, dès le 3 avril 1992, à la mise en _uvre du statut et j'ai eu des difficultés à rencontrer le ministre de l'intérieur cette année là. Ce n'est pas faute d'avoir réclamé des rendez-vous, mais je n'ai jamais eu de réponse. Je regrette que l'on ait conçu une réforme pour une région qui vit depuis déjà près d'un quart de siècle dans des situations difficiles, conflictuelles, dramatiques, sans rencontrer celui qui en est le premier interlocuteur. C'est donc un premier constat : l'Etat, en 1992, s'est totalement désintéressé de la mise en _uvre du statut qu'il avait crée et pendant des mois et des années, quel que soit le Gouvernement, je n'ai pas obtenu une seule réponse à mes demandes de modification des textes. J'ai dû en référer au préfet à diverses reprises ; j'ai dû solliciter de sa part qu'il mette en place une commission de la clarification des compétences : elle fut régionale. Avec le préfet et les deux présidents des conseils généraux, nous avons tenté de clarifier les choses. Mais on ne pouvait pas demander aux présidents de conseil général d'abandonner une partie de leurs responsabilités pour les confier à une collectivité à qui elles revenaient pourtant par l'esprit de la loi. On ne pouvait pas davantage demander à l'Etat de donner à cette collectivité les pouvoirs que l'esprit de la loi lui conférait, parce que l'Etat savait qu'en ne prenant pas les décrets nécessaires le statut de 1991 ne pouvait pas fonctionner.

Il faut le constater : c'est clair, c'est objectif ! Il y a eu une volonté manifeste de ne pas se soucier de la mise en _uvre du statut. Pour ma part, j'étais de ceux qui ne le souhaitaient pas et qui ne l'attendaient pas. Mais je suis un républicain. En effet, l'occasion m'est ainsi offerte de vous dire que je suis profondément républicain et que je ne supporte pas que l'on puisse douter de mon engagement dans la défense des valeurs républicaines. Quelle que soit la position que je prends aujourd'hui, je ne supporte pas que l'on puisse m'opposer à certains de mes amis au simple motif que si vous n'êtes pas avec ceux-là, c'est que vous êtes avec les autres ! Je suis avec la Corse française et républicaine. Dans le respect de ces valeurs là, j'ai toujours dit ce qu'il fallait dire et tous mes écrits attestent de ce que j'ai fait et de ce que j'ai dit. Tous mes écrits, je le répète, visent à démontrer le caractère inopérant du statut de 1991, parce que l'Etat s'en est désintéressé. Je ne vous citerai pas les noms des Premiers ministres, des ministres ou de leurs directeurs de cabinet qui ont systématiquement refusé d'écouter. Quand nous parlions de « toilettage », mot tout simple à la connotation peut-être amusante, on nous disait de ne pas ouvrir la boîte de Pandore ! Il en allait de même quand nous parlions de décret.

Voici un premier exemple : les transferts de responsabilités et de compétences ont été faits sans être opérationnels, faute d'un transfert du patrimoine correspondant. J'ai été le premier président de l'office d'équipement économique de la Corse après 1992. J'avais pour mission essentielle de gérer le service des eaux, c'est-à-dire de capter, stocker, distribuer de l'eau et de mettre en _uvre une politique d'investissement et de commercialisation. Nous nous servions du réseau et d'ouvrages qui ne nous appartenaient pas : ils appartenaient à l'Etat et, à ce jour, c'est encore le cas ! Pendant huit ans, j'ai dit à l'Etat qu'il devrait me poursuivre, parce que j'engageais des crédits publics sur la propriété de l'Etat. Celui-ci ne l'ignore pas, puisque le commissaire du Gouvernement assiste systématiquement au conseil d'administration de l'agence de développement économique et que les délibérations des conseils d'administration des agences et offices sont soumises au contrôle de légalité. Et jamais, en neuf ans, une délibération tendant à investir sur la propriété de l'Etat n'a été déférée. Cela a été fait ainsi parce que cela convenait à l'Etat.

M. José Rossi : Vous êtes passible d'une voie de fait ! (Sourires.)

M. Jean Baggioni, président du Conseil exécutif de Corse : Pendant neuf ans, l'Etat nous a fait comprendre qu'il était impossible de transférer son patrimoine, parce que cela n'avait jamais été fait.

Je pourrais vous citer un autre exemple, lié aux règles de préséance applicables à la fonction que j'exerce. Il a fallu attendre sept ans pour que l'on veuille bien reconnaître que nous existions ! Sept ans pour reconnaître qu'en Corse, il y avait un Conseil exécutif et que son président, à l'occasion d'une manifestation, devait se situer à telle ou telle place. Par exemple, lorsque le Président de la République est venu fêter le cinquantième anniversaire de la libération de la Corse, son chef de cabinet, qui croyait que c'était une région de droit commun, a prévu un fauteuil pour le seul président de l'assemblée territoriale. Quand je suis monté à la tribune pour m'asseoir, je n'avais pas de fauteuil. Sept ans après, on n'avait pas pris les décrets nécessaires pour adapter les réalités aux dispositions législatives en vigueur.

Je salue l'audace du Gouvernement qui, après le statut de 1982, a proposé, en 1991, une décentralisation avancée pour la Corse. Mais celle-ci n'est pas opérationnelle, car cette réforme est un trompe-l'_il. Comme une autre réforme est engagée, mieux vaudrait, cette fois-ci, qu'elle fonctionne véritablement. Après dix ans, on se rend compte que nous connaissons toujours des drames liés à la violence, à l'incompréhension, au rejet, à l'inadaptation des textes et des moyens. Ne récréons pas des situations aussi difficiles. Cela voudrait dire que si la providence nous accorde la chance d'être là dans dix ans, on repartirait pour un quatrième statut. Pour ma part, je n'ai pas du tout l'intention d'attendre dix ans pour venir en reparler, à supposer que l'on veuille bien me garder, et je ne suis pas sûr non plus que vous ayez tous la possibilité d'être là le moment venu. En tout cas, je dis qu'il faut éviter les erreurs du passé et pour ce faire, nous devons regarder ce qui nous est proposé aujourd'hui. C'est à partir de là que s'engagera le débat général.

Je salue avec respect l'initiative gouvernementale soutenue et instruite par les propositions des groupes de travail mis en place par l'Assemblée de Corse, par l'exécutif et par les parlementaires de l'île. Je salue l'initiative d'une véritable avancée institutionnelle. Quand on lit les chapitres du projet de loi consacrés aux transferts de compétence, on peut dire qu'on a effectivement pris conscience qu'il y avait quelque chose à faire. Quand on les lit en prenant une loupe et en cherchant la signification des mots, on s'aperçoit qu'en fait nous sommes en train de faire bégayer l'histoire. Bis repetita. Dans pas mal de secteurs dits transférés, la frilosité de la rédaction conduira inévitablement à une impossibilité de mise en _uvre de la volonté du législateur. Il faut par conséquent, des corrections, non pas audacieuses, mais simplement objectives. Nous examinerons, au cas par cas, si vous le voulez bien, un certain nombre de secteurs.

Qu'avez-vous donc fait pendant un an, me direz-vous ? N'avez-vous jamais dit cela ? Nous nous sommes rencontrés deux ou trois fois, monsieur le président, et dans toutes les réunions auxquelles j'ai assisté, même si je n'étais pas le premier concerné, je me suis fait entendre. Qu'il s'agisse des blocs de compétences transférés, dans le domaine de la formation, de l'éducation, de l'enseignement supérieur, de la culture, de l'environnement, je me suis fait entendre. Mais, entre les idées partagées et la rédaction du texte, il y a plus qu'un fossé, c'est un océan ! Comme nous sommes au début de la procédure législative et que le projet de loi pourra être amendé, mieux vaut que nous fassions part de nos observations. Mon propos sera relayé par une note que je vous laisserai. Si elle justifie des questions, des interrogations, des concertations supplémentaires, bien entendu je resterai à votre disposition. Si, au cours du débat parlementaire, elle justifie des interventions auprès des divers groupes, je ne manquerai pas d'y procéder.

Je termine ce propos préliminaire en disant que ce qui est vraiment très satisfaisant, c'est que ce projet de loi a la mérite de traiter les problèmes de l'île dans leur globalité. Je ne retranche pas ce que je viens de dire sur les détails. Un bon moteur peut être excellent, mais il suffit que l'une des plus petites pièces soit mal conçue pour que le moteur n'ait pas la performance requise. Ceci dit, ce projet est très satisfaisant dans sa globalité, parce qu'il montre la volonté du Gouvernement d'offrir à la Corse, pour une période transitoire, les moyens d'une décentralisation avancée, pour qu'elle assume mieux ses responsabilités, son destin, son devenir, avec des compétences et des moyens financiers et humains à la hauteur de ses besoins. Il traite donc de problèmes institutionnels, de problèmes sociaux et économiques ; il traite aussi - et cela ne s'est jamais vu - d'un plan de rattrapage, à travers un volet financier et économique que je considère tout à fait opportun et réaliste, parce qu'il a fait l'objet, et qu'il continue de le faire, d'une véritable concertation. Personne n'a parmi vous d'information précise sur son contenu, et peut-être suis-je l'un des rares à pouvoir en parler avec le préfet de Corse, sous l'autorité du ministre de l'intérieur. Nous élaborons chaque jour le contenu d'un programme exceptionnel d'investissements dont on connaît à peu près l'enveloppe. Mais je dois dire ici que ce programme exceptionnel d'investissements est le corollaire indispensable de l'évolution statutaire de la loi. On ne saurait en effet préparer et proposer un projet de loi, sans traiter tous les problèmes. Dans sa globalité, le projet est bien conçu. Dans son détail, il mérite d'être lu, relu, complété et révisé. Je crois que c'est le rôle de votre commission.

M. Bruno Le Roux, rapporteur : Nous avons déjà eu l'occasion de discuter assez longuement avec vous, dans le cadre de la mission d'information, des institutions corses et des relations entre l'Assemblée et le Conseil exécutif. Il serait intéressant que vous puissiez nous dire votre sentiment sur ces neuf années d'application de la réforme de 1991. Parmi les compétences transférées par le projet de loi, à la lumière de votre expérience, certaines d'entre elles vous semblent-elles susceptibles de soulever de grandes difficultés d'application dans les années qui viennent ? Quelles sont vos propositions en matière de constitution de blocs de compétences ?

Vous savez qu'il y a, par ailleurs, un débat sur l'article 1er du projet de loi. Celui-ci tire les conséquences de l'échec de la procédure prévue par l'article 26 du statut de 1991. Mais pouvez-vous nous donner des éléments concrets montrant la nécessité pour la collectivité territoriale de Corse d'adapter les normes réglementaires ? Pouvez-vous énumérer les matières où cela vous semble tout à fait nécessaire ?

Nous aurons peut-être l'occasion de revenir dans le courant de la discussion sur des problèmes tels que l'enseignement de la langue corse ou les dérogations à la loi littoral. Il serait également intéressant que nous ayons un premier élément d'analyse sur les mesures fiscales contenues par le projet de loi.

M. Robert Pandraud : Je crois qu'il faut adopter un texte qui soit simple et efficace. En 1991, un statut a été voté. Je me souviens que M. José Rossi en était le rapporteur et à l'époque, j'avais voté contre, surtout contre une disposition qui a d'ailleurs été annulée par le Conseil constitutionnel. Mais le passé est le passé et, comme l'a dit M. Jean Baggioni, il faudrait que nous évitions de tomber dans les mêmes travers. Depuis 1991, si l'on fait le bilan du nombre de ministres de l'intérieur qui se sont succédé, il est plus élevé que sous la IVe République. En général, les gouvernements tombaient, mais les ministres les plus importants restaient aux mêmes postes. Maintenant, les gouvernements restent, mais les ministres changent. Nous en avons vu une kyrielle depuis 1991. Comment voulez-vous que l'on puisse assumer un pouvoir réglementaire correct avec cette valse ministérielle ? C'est la raison pour laquelle je suis tout à fait pour la décentralisation du pouvoir réglementaire en certaines matières. Ce sera plus efficace sur le plan régional et sur le plan national. Après tout, les élus sont peut-être plus responsables que des chefs de bureau de ministère.

Il est vrai qu'il y a un problème sur le plan fiscal. A cet égard, nous voulons savoir si le respect des traditions permet de transgresser le sacro-saint principe d'égalité. Vous refuser des dérogations me paraît difficile. On a bien maintenu le statut d'Alsace-Lorraine en 1918, alors qu'il ne datait que de 1875-1880. Les arrêtés Miot sont en vigueur depuis bien plus longtemps. Vous avez au moins l'histoire pour vous.

Puisque nous avons déjà entendu des hauts fonctionnaires, je crois qu'il serait bon que nous puissions vous entendre en séance publique. Rien ne l'interdit dans notre règlement : il suffit que la conférence des présidents le décide. Je ne parle évidemment pas de M. José Rossi, car il pourra intervenir en sa qualité de député.

Enfin, je voudrais évoquer un point qui n'intéresse pas spécialement M. Jean Baggioni, mais qui intéresse le président de la commission des Lois. Cela fait seize ans que je demande à tous les Gouvernements, à tous les Gardes des Sceaux et à tous les Premiers ministres, de communiquer au Parlement les avis du Conseil d'Etat sur les projets de loi dont nous débattons. On ne les connaît, en effet, que par des fuites savamment organisées, partielles et partiales, alors que nous sommes tous attelés à une tâche commune qui est d'avoir des textes de loi corrects, lisibles, interprétables. Il ne serait tout de même pas anormal que nous ayons, nous aussi, cet avis sur les projets de loi déposés devant le Parlement, ce qui n'enlèverait rien à l'autorité gouvernementale. Il me semble que le Gouvernement, lorsqu'il dépose le projet de loi, devrait y joindre l'avis du Conseil d'Etat. Ou alors, transformons le Conseil d'Etat en comité Théodule qui publie des arrêts et a ses « correspondants » attitrés dans la grande presse nationale.

M. René Dosière : S'agissant des arrêtés Miot, pourriez-vous nous dire ce qui tient de la réalité et ce qui tient du symbole ? J'ai le sentiment que, pour ce qui concerne les successions les plus importantes, tout se passe, aujourd'hui, en Corse, comme sur le continent, les exonérations ne concernant, en réalité, que des personnes très modestes. D'ailleurs, le Gouvernement lui-même nous dit que le retour au droit commun ne rapporterait au trésor public que des sommes très faibles.

J'en viens à ma deuxième question. Vous nous dites que le statut de 1991 n'a pas été appliqué par le Gouvernement avec toute la rigueur nécessaire. Or il est prévu dans le statut d'aujourd'hui un certain nombre de mesures de suivi. Avez-vous le sentiment que ce qui est prévu en la matière est suffisant ?

Ma troisième question est plutôt l'expression d'une inquiétude. J'ai cru comprendre que le contrôle de légalité ne fonctionnait pas très bien en Corse.

M. Jean Baggioni, président du Conseil exécutif de Corse : Je l'ai mentionné sur un point précis. Il fonctionne, par ailleurs, très bien.

M. René Dosière : J'ai le sentiment que sur le continent, le contrôle de légalité ne fonctionne pas. Fonctionne-t-il un peu mieux en Corse ?

M. Bernard Roman, président : M. Dosière a exprimé un avis personnel et j'ai observé quelques moues dubitatives sur la qualité du contrôle de légalité. Certains se plaignent qu'il est quelquefois trop tâtillon...

M. Bernard Derosier : C'est ce que notre collègue voulait dire. (Sourires.)

M. René Dosière : On pourrait améliorer son fonctionnement.

M. Robert Pandraud : Il est trop dur pour ce qu'il a de mou et trop mou pour ce qu'il a de dur. (Sourires.)

M. René Dosière : Vous avez souligné que, sur le plan institutionnel, la Corse était en avance sur les régions du continent. Nous sommes un certain nombre - et j'ai été moi-même rapporteur de textes sur les conseils régionaux - à souhaiter que l'on puisse étendre au continent la formule qui est en application en Corse, c'est-à-dire la séparation des fonctions de président de l'exécutif et de président de l'assemblée. Quels sont, de votre point de vue, les avantages de ce fonctionnement ?

M. Jean Baggioni, président du Conseil exécutif de Corse : M. Bruno Le Roux a évoqué la question du transfert de compétences. Sur ce point, une chose n'a jamais été dite durant les quatorze derniers mois et elle ne transparaît pas du tout dans le projet de loi. Peut-on faire de la décentralisation sans faire de la déconcentration ? Si vous me répondez oui, mon propos s'arrêtera là et je m'en remettrai à votre réponse, sans faire d'autre observation. Pour ma part, je dis non. En effet, si l'on ne fait pas les deux en même temps, on arrive à une sur-administration et à l'entrecroisement de responsabilités et d'autorités. En Corse, région de droit commun jusqu'en 1982 et de 1986 à 1991, nous avions les mêmes structures administratives et politico-administratives que l'ensemble des régions de France. En 1991, un statut particulier a conduit à mettre en place une institution régionale avec les compétences que vous savez. Eh bien, sachez-le, strictement rien n'a changé dans les structures de l'Etat. Il n'a pas été envisagé un seul instant, par un seul préfet, par un seul recteur, par un seul directeur départemental de l'équipement, par un seul directeur régional de l'agriculture et de la forêt, qu'il fallait revoir l'organisation de ses services, pour tenir compte des transferts de compétence opérés au profit de la collectivité territoriale.

Ce faisant, l'organe créant la fonction, l'administration a continué à vivre sa vie, en perdant ses moyens financiers, mais en gardant ses moyens humains et réglementaires, et donc en se trouvant des raisons d'exister. Dès lors, à quoi sommes-nous arrivés ? A une confusion des genres invraisemblable. Je réponds donc à l'observation du rapporteur en disant que l'accroissement des responsabilités, pour qu'il aille au bout de sa logique, exige une clarification dans l'organisation non seulement des compétences, mais aussi des structures, des procédures et des moyens. Je note, après la lecture du projet de loi, que les services déconcentrés de l'Etat seront toujours maintenus dans les domaines de compétences transférées. Cela est vrai, même quand le secteur est apparemment transféré globalement ; il reste, en effet, aux services de l'Etat la mise en _uvre d'une politique nationale. Vous verrez qu'aucune disposition n'est prévue pour la déconcentration ! Pas une ligne ! Cela peut relever du décret, pourrait-on me répondre, et cela viendra ultérieurement. Autant que cela soit évoqué dans l'exposé des motifs ou dans un article de la loi.

Vous noterez que les relations contractuelles et financières entre l'Etat et la collectivité demeureront aussi lourdes et complexes qu'aujourd'hui. Par exemple, les modalités de signature d'un contrat de plan ou d'un document unique de programmation avec l'Union européenne restent exactement les mêmes que pour une région de droit commun ; il faudra y ajouter une nouvelle politique contractuelle à travers le programme exceptionnel d'investissements et cela sera encore d'une complication inouïe. De sorte qu'aux structures existantes, dotées des compétences existantes, s'ajouteront d'autres structures et l'on arrivera à une sur-administration inconcevable pour une région de 250 000 habitants.

J'ai déjà eu l'occasion de parler d'organismes que nous sommes pratiquement les seuls à connaître : les agences et les offices. Sur ce point, le projet de loi se montre particulièrement prudent. Je sais bien que tout ce que j'ai pu dire entre décembre 1999 et juillet 2000 n'a pas été entendu et je sais aussi que cela n'a pas été retenu. Pour preuve, entre l'audace du premier texte qui conduisait à supprimer les agences et les offices et la frilosité du texte qui nous est soumis - il conduit à dire que la collectivité fera ce qu'elle entend - il y a un fossé, qui n'est que politique. Je suis obligé de dire aux représentants de la nation que je ne demande rien en la matière. Mais l'on ne peut pas se cacher derrière son petit doigt. Vous ne pouvez pas faire une réforme pour la Corse et ne pas aborder un aspect essentiel qui consiste à donner de la lisibilité, de la clarté, de l'efficacité, pour que l'on sache qui fait quoi. Aucune disposition n'est prévue pour permettre à la collectivité d'exercer sa tutelle sur les agences et offices. Mais, comme il n'y a pas de réforme, par ailleurs, je note que nous gardons des organismes consulaires et des services déconcentrés, au même titre que les régions de droit commun.

Je prends l'exemple de l'agriculture. Selon le statut de 1991, l'ODARC - office de développement agricole et rural de la Corse, outil de la collectivité crée par la loi - met en _uvre la politique agricole de la Corse. Toutefois l'ODARC ne peut se substituer aux chambres d'agriculture, à la direction régionale de l'agriculture et de la forêt ou aux directions départementales, qui n'ont perdu ni en autorité, ni en moyens. Comment rendre la politique agricole lisible, si elle est exercée à la fois par les chambres d'agriculture, par l'ODARC, par l'Etat et par la collectivité. Celle-ci devrait normalement avoir la tutelle sur les offices, mais elle ne l'a pas. Ce constat de l'absence de tutelle a été récemment établi par une décision de la Cour administrative d'appel de Marseille, en date du 20 décembre dernier. Selon cette jurisprudence, ni l'Assemblée de Corse, ni l'exécutif, n'exercent la tutelle sur les agences et offices que la loi a créés en 1991. Or, pour votre compréhension, je dois préciser que les agences et offices reçoivent 50 % du budget de la collectivité territoriale. Jusqu'à quand allons-nous persister ? Certes, en n'évoquant pas le problème, on persiste ! C'est la politique de l'autruche. Mais il faut bien l'évoquer, que ce soit en 2002 ou en 2004 ! Je pense que nous sommes tous attelés à la même tâche : servir la Corse. Nous ne sommes pas là pour répondre aux aspirations politiciennes du Gouvernement ou de l'opposition. Nous sommes bien là pour servir la Corse, pour qu'elle sorte de ses difficultés, pour qu'elle abandonne la violence, pour qu'elle s'installe dans le développement. Eh bien, cela est impossible si l'on n'opère pas une clarification et une simplification. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, nous nous retrouverons dans quelques mois confrontés aux difficultés inhérentes à des textes dont on ne veut pas corriger tout ou partie.

Vous parliez de contrôle de légalité et je rebondis sur ce point. A mon avis, il s'exerce correctement en Corse. Mais dans le cadre des compétences transférées, je serai appelé à vous demander de partager ma réflexion. Dans le cadre de la future loi sur la Corse, les responsabilités de l'exécutif et de l'assemblée délibérante seront vastes. Pour que le respect de la légalité soit garanti, il faudrait que cette collectivité nouvelle soit assistée comme il faut. Je verrais très bien une participation accrue de la Chambre régionale des comptes, qui pourrait être appelée à aider, en tant que conseil financier, la collectivité territoriale dans la préparation de son budget. Je verrais très bien la possibilité de saisir le tribunal administratif sur la préparation d'un texte qui rentrerait dans le cadre de sa nouvelle responsabilité dans le domaine du pouvoir réglementaire. Il y a nécessité de prévoir les outils qui sont nécessaires à une collectivité pour qu'elle exerce ses nouvelles compétences.

Transférer des compétences vers la collectivité territoriale et ne pas lui donner les moyens de les exercer, c'est exactement ce que l'on a fait quand on nous a transféré les routes en 1991 et que l'on ne nous a pas donné les ingénieurs. Nous n'avions pas les personnels qualifiés pour exercer nos responsabilités sur les routes nationales et il nous a fallu les recruter nous-mêmes. Certains détails sont instructifs. Par exemple, quand on nous a transféré les lycées et les collèges, savez-vous ce que l'on a fait pour ne pas nous transférer l'unique architecte, responsable des constructions scolaires, en poste au rectorat de la Corse ? On a supprimé le poste ! Ensuite, on en a recrée un pour suivre la chancellerie et l'université, non pas en tant que maître d'_uvre, mais en tant que conseiller du maître d'ouvrage. Or si vous lisez le texte de 1991, c'est nous qui avons l'autorité et la compétence en ce domaine.

Alors, si vous ne corrigez pas tout cela, les mêmes causes ayant les mêmes effets, et si vous y ajoutez des compétences nouvelles sans les moyens correspondants, vous amplifierez encore les dysfonctionnements. Si vous le voulez bien, nous pouvons aborder un certain nombre de secteurs de compétence et je vous montrerai qu'il y a effectivement loin de la coupe aux lèvres. Qu'il s'agisse de culture, d'éducation, d'environnement, il y a des choses à mettre au point.

M. Bernard Roman, président : Est-ce que je puis vous suggérer de prendre une compétence particulière pour illustrer le problème que vous évoquez.

M. Jean Baggioni, président du Conseil exécutif de Corse : J'en prends une : la culture. Dans le domaine de la culture, le projet consacre une distinction qui n'est pas sans ambiguïté. Je lis : « La politique culturelle en Corse, définie par la collectivité territoriale... » et quelques lignes plus bas : « La politique nationale mise en _uvre par l'Etat... ». Des élus locaux sont ici présents et ils savent de quoi je parle. Qu'est-ce qu'une direction régionale de l'action culturelle (DRAC) ? Cinq ou six pièces dans un immeuble, avec un directeur régional, deux ou trois conseillers et trois ou quatre agents administratifs. La DRAC n'a plus les moyens financiers, mais elle met en _uvre la « politique nationale ». Soyons clairs ! Parce qu'elle n'a pas de moyens financiers, mais qu'elle garde ses personnels et ses locaux, parce qu'elle garde l'objectif d'une « politique nationale » - ce sera, par exemple, la promotion du livre, la journée du cinéma, la fête de la musique... - on va donner à cette direction régionale la capacité d'être tous les jours en position d'interlocuteur de la collectivité territoriale pour justifier sa présence.

Je peux continuer ainsi. Nous avons, par exemple, des compétences en matière de fouilles archéologiques, mais toute cette politique est sous le contrôle de l'Etat. La carte même des interventions en matière d'archéologie et de protection du patrimoine relève de l'Etat, alors que les moyens appartiennent à la collectivité. Je n'aborderai pas ce que tout le monde connaît et dénonce en France : le rôle de l'architecte des bâtiments de France ou de l'architecte des monuments historiques, véritable Etat dans l'Etat. Mais dans une région décentralisée où les moyens ne relèvent plus de l'Etat, c'est nous qui les possédons. Laisser un rôle à un agent de l'Etat, c'est lui donner un pouvoir de tutelle, car, quand il s'adresse à nous, il nous ordonne de payer. Voilà un exemple précis et je peux en donner d'autres. Nous retrouvons le même problème dans le domaine du sport.

M. Bernard Roman, président : Le débat est fort intéressant mais restons dans le domaine de la culture. Nous retrouvons en effet des questions qui se posent dans bien d'autres régions. Les fouilles archéologiques font d'ailleurs réagir l'ensemble de nos collègues. Si l'on considère l'avancée effectuée par le projet de loi en matière de définition de la politique culturelle par la collectivité territoriale de Corse, ne croyez-vous pas utile que l'on s'interroge sur le maintien d'une politique culturelle nationale dans l'île ? Je suis frappé que, dans une région comme la Corse, il n'existe pas de scène nationale, pas de grand établissement représentant la culture nationale. Je me dis qu'il est sans doute tout à fait possible de décentraliser la politique culturelle en Corse et de maintenir un lien culturel fort par la présence d'une politique culturelle nationale. L'exemple que vous évoquez concernant le rectorat me semble tout à fait significatif d'une difficulté de l'administration française à assumer un certain nombre d'évolutions. Mais, s'il ne faut pas avoir une DRAC hypertrophiée, je crois qu'il en faut tout de même une. Je vous interroge donc car il n'est pas aussi simple d'affirmer que lorsqu'on décentralise une politique, on supprime complètement le service de l'Etat correspondant.

M. Jean Baggioni, président du Conseil exécutif de Corse : On ne peut pas imaginer qu'il y ait deux politiques, sauf à admettre par avance qu'il y ait opposition et concurrence. Je lis une phrase du projet qui soulève un problème : « Dans toutes les actions qu'elle conduit en matière culturelle, la collectivité territoriale de Corse reste soumise au contrôle scientifique et technique de l'Etat. » Je dis bien « dans toutes les actions », la collectivité est « soumise ». Notez ce dernier mot ! Voulez-vous donc me dire quelle politique elle peut entreprendre librement ? Je vous retourne ainsi la question. Les mots ont un sens. Je vous l'ai dit, tout paraît beau, mais les mots conduisent à voir que c'est un trompe-l'_il. Or, ce n'est pas le souci de réformer les institutions de la Corse pour aller vers le développement et la paix, mais la pesanteur des services centraux d'un ministère qui se traduit dans cette phrase. S'il faut céder aux pesanteurs, aux lourdeurs, aux exigences des services centraux, je n'ai rien à faire ici ! Cela fait dix ans que je dénonce cela. Nous avons dû trouver un contenu aux activités des personnels de l'Etat pour justifier leur présence.

Nous pouvons élargir le débat : à la décentralisation avancée dont on pourrait se prévaloir, il y a eu substitution d'une recentralisation rampante. J'en donne la preuve dans le domaine de la culture et je pourrais en donner la preuve aussi dans les domaines du sport, des routes, de l'environnement. Une clarification s'impose. Certes, tout est possible car les majorités font ce qu'elles croient utile. Mais, en conscience, je crois que, pour servir la Corse, nous ne pouvons pas accepter cela, parce que nous savons que nous irons ainsi vers des dysfonctionnements aggravés. J'ai répondu ! Si vous pensez que vous devez adopter de telles dispositions dans la loi, faites-le ! Moi, j'userai de tous les moyens qui me seront permis pour dénoncer - et j'espère que les médias voudront bien me relayer - l'illusion d'un transfert en trompe-l'_il, qui conduira à des dysfonctionnements.

La politique culturelle se mène avec des publics, notamment associatifs. Avec de telles dispositions, comment expliquer au public qui est responsable de quoi, puisque la collectivité est soumise au contrôle non seulement de police - c'est normal dans tous les cas de figure - mais aussi au « contrôle technique » de l'Etat. Qu'est-ce qu'un contrôle technique ? La mise en _uvre d'une pièce ? L'organisation d'une manifestation, d'un festival, d'un récital ?

Vous cherchez des scènes nationales ? Je souscris à votre approche mais c'est là un autre problème, celui de l'investissement. Nous allons y venir. En effet, il est prévu que le transfert des moyens à la collectivité territoriale doit être égal à la moyenne du montant investi par l'Etat au cours des cinq dernières années. Comme durant cette période, l'Etat n'a rien investi dans ce domaine, la moyenne est égale à zéro. Ne jouons donc pas à ce jeu là : le stade de Furiani n'est pas encore refait, la scène nationale n'est pas encore réalisée. Je vais vous faire rire et que l'on me pardonne si cet exemple est inélégant, venant de moi, mais il est instructif.

M. Bernard Roman, président : Nous sommes prévenus.

M. Jean Baggioni, président du Conseil exécutif de Corse : Dans le texte, il est question de transférer la forêt et le patrimoine. Or j'ai découvert dans un courrier que les maisons forestières, les tours génoises, étaient mises en vente aux enchères. J'ai dit que c'était inélégant de ma part, parce que le Préfet a fait une rectification. Il n'en demeure pas moins que c'est l'administration des domaines qui a proposé la mise en vente d'un patrimoine qui doit normalement être transféré en application de cette loi. C'était vendredi dernier, 30 mars. Fermons la parenthèse.

Vous êtes venus en Corse ! Prenez votre temps et revenez s'il vous plaît ! Revenez tant qu'il faudra. Mais, de grâce, n'évoquez pas une troisième réforme qui soit en trompe-l'_il. Celle qui est proposée est belle, mais il faut en réécrire un certain nombre de lignes, qui relèvent de la frilosité, de la pesanteur des services centraux de l'Etat et ne relèvent en rien d'une démarche de décentralisation avancée. Si vous voulez la décentralisation avancée sans toucher aux fondements de la République, il faut partir des réalités du terrain et non de celles que je dénonce.

J'en viens à la fiscalité et à la question de M. René Dosière qui voulait savoir s'il s'agissait, à cet égard, d'un symbole ou d'une réalité.

De manière générale, La Corse bénéficie d'avantages fiscaux qui remontent à l'Empire et qui lui donnent, tout confondu, un produit. Il y a ici des élus de la collectivité territoriale et je m'exprime sous leur contrôle. Que voulons-nous ? Bien sûr, avec des compétences accrues, nous ne pouvons pas imaginer que nous perdions les produits antérieurs. J'aimerais, à cet égard, vous parler des produits nécessaires aux compétences transférées, car ils ne sont prévus nulle part.

J'ouvre ici une rapide parenthèse. Une fois que nous avons mobilisé nos crédits ordinaires, ainsi que ceux relevant du contrat de plan avec l'Etat et ceux relevant de la politique contractuelle avec l'Europe - et elle est chaque fois de plus en plus ambitieuse - nous n'avons plus de crédits ordinaires pour financer le programme exceptionnel d'investissements. Celui-ci vient en réponse à notre attente, mais nous devons en payer au moins 20 %. S'agissant d'un retard que l'Etat reconnaît comme étant historique et remontant à un siècle, on nous demande en quinze ans - certains le proposent même sur dix ans - de trouver 20 % sur nos crédits ordinaires. Où voulez-vous qu'on prenne ces 20 %, puisque nous les avons mobilisés dans la politique contractuelle et que nous avons atteint nos limites ? Si l'on me dit de jouer en seconde division, je ferai peut-être un match honorable ! Mais si l'on me dit de jouer en première division, je ferai un match un peu moins bon ! S'il s'agit de jouer en coupe d'Europe, la prestation sera minable et, en coupe du monde, on va me sortir ! De même, ne nous faites pas jouer une partie que nous ne sommes pas capables de jouer et donnez-nous les moyens de la partie. A défaut, nous ne pourrons pas mettre en _uvre de programme exceptionnel d'investissement. Si nous n'avions pas augmenté nos investissements depuis le transfert des compétences, n'aurait-on pas dit que la Corse est incapable d'assumer son destin. En francs constants et à compétences égales, nous avons moins de ressources aujourd'hui qu'en 1991. Les compétences ayant augmenté, nous avons dû trouver sur nos moyens propres, par un recours à l'emprunt et à la fiscalité, ce qui était nécessaire pour répondre aux objectifs que la première loi de décentralisation nous a assignés. Une deuxième loi nous donnerait de nouveaux objectifs, sans que l'on ne prévoie des ressources supplémentaires, nouvelles et originales ? Ce serait nous rendre incapables de financer le programme exceptionnel d'investissements.

J'en viens à la question sur les droits de succession. Ils relèvent à la fois du symbole et de la réalité. Leur produit serait en tout état de cause insignifiant. Par ailleurs, la Corse ne souhaite pas figer le différentiel fiscal dont elle bénéficie et qui s'élève, dans le cadre actuel, à 1 500 millions de francs environ : arrêtés Miot, réfaction de TVA, exonérations fiscales, etc. Elle souhaite l'orienter vers le soutien à une économie moderne. Comme ces produits là sont soumis à l'avis de l'Union européenne, il nous faut aussi négocier avec elle un certain nombre d'adaptations qui sont liées à des exonérations fiscales sur lesquelles je ne pense pas qu'il soit bon d'ouvrir le débat.

M. Bernard Derosier : Je souhaite revenir sur l'exemple que vous avez pris de l'intervention de la collectivité territoriale dans le domaine culturel et du rôle de l'Etat. Vous nous avez présenté une formulation raccourcie des dispositions de l'article 9 du projet de loi. Je souhaiterais que vous nous donniez votre sentiment sur cette articulation entre la collectivité territoriale et l'Etat et je me réfère à votre propos sur votre engagement républicain. Je suis profondément décentralisateur et profondément attaché à la capacité d'initiative des collectivités territoriales en général, et donc à celle de Corse en particulier. Mais je crois aussi à la nécessité d'un Etat régulateur, y compris dans le domaine culturel. Je me demande si la rédaction selon laquelle « la collectivité territoriale de Corse reste soumise au contrôle scientifique et technique de l'Etat » est contestable. Pour ma part, je ne vois pas dans le mot « soumise » une notion péjorative, mais la simple expression d'une relation juridique entre la collectivité territoriale et l'Etat. D'une manière générale, est-ce que vous ne souhaitez plus que l'Etat exerce en Corse un rôle de régulateur, y compris dans le domaine culturel ?

M. Jean Baggioni, président du Conseil exécutif de Corse : M. le député, je fais un gros effort pour ne pas voir ce qu'il y a d'agressif dans votre question, mais sans doute me taquinez-vous. J'entends que l'Etat reste l'Etat, que son rôle régulateur s'exerce dans tous les domaines. Mais il n'est pas nécessaire d'avoir une DRAC au troisième étage d'un immeuble avec dix agents qui n'ont rien à faire, à part utiliser les crédits de la collectivité. Il suffit de donner au préfet et aux services déconcentrés les compétences qui sont nécessaires dans une région décentralisée : il suffit de lui donner un conseiller technique en matière culturelle pour que le rôle de régulation de l'Etat puisse s'exercer normalement. Mais maintenir une DRAC est une illusion.

M. Bernard Derosier : Ne soyez pas agressif, M. le président.

M. Jean Baggioni, président du Conseil exécutif de Corse : Non, M. le député, mais vous l'étiez dans la formulation de votre question. Vous avez fait état de mes sentiments républicains et vous vous interrogez sur la conception que j'ai de l'Etat. Je souhaite ardemment que l'Etat reste l'Etat. Je suis profondément républicain et je ne soutiendrai jamais une politique qui porte atteinte aux valeurs républicaines. J'ai été fonctionnaire et je m'honore d'avoir appartenu au service public de l'Etat.

S'agissant de la mention de la politique nationale, vous le savez bien, lorsqu'il interprète une loi, un tribunal administratif prend des morceaux de phrase pour fonder des jugements et des arrêts. Des morceaux de phrase ! Des mots ! Et comme nous sommes soumis aux jugements des tribunaux administratifs, des chambres régionales des comptes et des cours administratives d'appel, d'un seul mot on met par terre toute une politique. Comme en plus, les agents de l'Etat s'accrochent à leurs fauteuils, à leurs bureaux, à leurs prérogatives et que la loi ne prévoit pas que cela puisse être contesté, je suis obligé d'être un peu agressif, pour que vous compreniez qu'il faut trouver un équilibre entre la nécessité de maintenir un pouvoir régulateur de l'Etat et le plein exercice par la collectivité territoriale de ses responsabilités nouvelles. Cela peut se faire et cela ne compromet pas la République.

M. Michel Vaxès : J'entends bien la nécessité de décentraliser des pouvoirs pour conduire des politiques locales, de décentraliser aussi les moyens matériels et humains, et de clarifier les conditions d'exercice des responsabilités entre la collectivité territoriale et les services de l'Etat. Mais la question que je souhaiterais poser tient à l'articulation entre la nécessaire prise en compte de l'identité d'un territoire et l'appartenance à l'unité de la République. Comment se conjuguent ces deux impératifs ? Cette question se pose aussi bien dans le domaine culturel que dans le domaine de l'enseignement, dans le domaine économique, dans le domaine de l'aménagement du territoire, et plus généralement dans tous les domaines relevant des politiques nationales.

Mme Nicole Catala : Vous avez plaidé pour un développement des moyens alloués à la collectivité territoriale, qui soit parallèle au développement de ses compétences. Mais en même temps, vous refusez le retour au droit commun pour les droits de succession, alors qu'il pourrait accroître les ressources de la collectivité ou, en tout cas, les ressources de l'Etat, ce qui l'aiderait à financer les besoins de la collectivité. Les Corses, semble-t-il, et leurs porte-parole, refusent toujours l'abrogation des arrêtés Miot. Je considère pour ma part qu'il y a là quelque chose de tout à fait anormal dans la République d'aujourd'hui. Si nous expliquons à nos électeurs continentaux qu'il faut accorder plus de crédits à la Corse, alors que les Corses ne payent pas les mêmes droits de succession que les continentaux, je crains que cela n'entraîne une réaction très négative à l'égard de l'évolution de l'île. J'aimerais avoir votre sentiment sur cette question.

M. José Rossi : J'ai participé au nom de l'Assemblée de Corse à l'ensemble des discussions qui ont duré pendant des mois. J'indique à Mme Nicole Catala que le régime dérogatoire qui s'applique en Corse depuis deux siècles bénéficie non seulement aux Corses, mais aussi à tout citoyen français, propriétaire d'un bien immobilier en Corse. Il y a là une dérogation incontestable, mais qui ressemble d'assez près, dans son principe, aux dérogations de la législation alsacienne. Les arrêtés Miot sont une dérogation de niveau législatif, admise par la Cour de cassation, et qui a, par ailleurs, été consacrée dans un texte de loi voté en 1994, alors que M. Nicolas Sarkozy était ministre du Budget. Les arrêtés Miot faisaient donc partie du droit positif. A la suite de l'ensemble des discussions qui ont eu lieu, il a été convenu qu'il fallait sortir progressivement de ce régime dérogatoire. L'objectif que vous affichez n'est donc pas fondamentalement contesté. Mais dix ans pour sortir de deux siècles de dérogation est une durée qui paraît réaliste et je ne dis pas raisonnable ! Pourquoi ? Tout simplement parce qu'il y a en Corse un immense désordre juridique au niveau des titres de propriété. Si vous demandiez demain aux services compétents de l'Etat, ceux du cadastre en particulier, d'appliquer de manière stricte la législation nationale, ils en seraient totalement incapables. S'agissant d'un sujet politiquement sensible, le choix qui est fait et qui consiste à revenir au droit commun après une période neutralisée est un choix responsable et qui va, en même temps, tout à fait dans votre sens. La préconisation que nous avons faite est de ne pas toucher d'un iota à l'accord qui a été largement approuvé dans l'île. De grands débats sur ce point ont eu lieu entre la droite et la gauche. La proposition qui figure dans le texte de synthèse que nous avons voté repose sur un très fragile équilibre et fait suite à des périodes extrêmement conflictuelles que nous avons vécues. Personnellement, je pense qu'il serait extrêmement délicat de toucher à un dispositif qui est le fruit d'un large accord politique et qui conduit à l'objectif que vous souhaitez.

M. Jean Baggioni, président du Conseil exécutif de Corse : Pour ma part, je puis dire que nous ne souhaitons pas le maintien des arrêtés Miot. Mais la sortie d'un acquis valable pendant deux siècles, fut-il dérogatoire, ne se fait pas en un jour, sauf à créer des troubles. La mise en place doit se faire progressivement dans le temps et il vient d'être fait allusion aux difficultés matérielles que l'Etat admet fort bien, quant à la reconstitution des titres de propriété. Nous y consentons et, sans doute, direz-vous que le mot est inapproprié. Mais il est d'autres avantages ou droits acquis en France continentale sur lesquels l'on ne consent même pas à discuter. Nous pourrions parler un jour de toutes ces exceptions, car il y en a quelques-unes. En tout cas, dans une région particulière où depuis deux siècles il existe un avantage fiscal représentant un faible produit, la mise en place d'un dispositif de sortie progressive me paraît être une réponse satisfaisante. Cela devrait conduire le juge constitutionnel à considérer qu'il y a effectivement une volonté de normalisation de la situation. C'est tout ce que je puis ajouter à la réponse de M. José Rossi, en soulignant qu'il y a sur ce point entre l'Etat et les groupes politiques de l'Assemblée de Corse une approche partagée et prudente.

Pour répondre à M. Michel Vaxès, je dirais qu'unité et uniformité ne sont pas synonymes. Qu'est-ce que l'unité de la République ? La République est une et indivisible, mais les régions constituent une mosaïque. La mosaïque n'est belle que dans la diversité de ses couleurs et de ses morceaux. Qu'un morceau soit différent d'un autre n'a jamais compromis la beauté, la réalité, la solidité d'une mosaïque. Il faut, par conséquent, cultiver les originalités, dès lors qu'elles ne sont pas incompatibles avec l'unité de la nation, à laquelle je tiens. Croyez-vous qu'une région insulaire - la seule région insulaire métropolitaine - serait exclue du champ de la République parce qu'elle aurait une politique originale en matière de sport ou de culture ? Pensez-vous qu'un ingénieur subdivisionnaire qui serait sous l'autorité du président du Conseil exécutif pour mettre en _uvre une politique de promotion des équipements routiers porterait atteinte à la République ? Des adaptations, qui respectent l'unité de la République dans la diversité des approches, peuvent être faites. J'en reviens aux couleurs et à la composition d'une mosaïque : je suis pour la recherche de textes qui garantissent les deux. Il ne peut pas y avoir une région géographiquement et économiquement originale, sans qu'elle relève d'un dispositif particulier.

Nous n'avons pas évoqué l'Union européenne. Vous n'imaginez pas les difficultés que peut rencontrer une île, même si elle bénéficie aussi d'avantages, surtout lorsquelle se trouve sous cette latitude. Elle peut avoir une très grande difficulté à entreprendre une politique interrégionale, transfrontalière, si elle ne bénéficie pas des adaptations législatives qui lui permettent de le faire. Passer de Menton à la Riviera italienne est une chose faisable. Mais le problème est tout autre pour aller de Bastia à la Toscane ! Par conséquent, il faut permettre à une région insulaire - l'insularité par elle-même et à elle seule suffit à justifier les particularismes - d'avoir des particularités institutionnelles fondées sur la loi, dans le respect de la loi fondamentale. Je suis convaincu que les parlementaires sauront trouver les amendements nécessaires pour garantir l'unité et la diversité. L'uniformité est une erreur : c'est le regard que l'on porte qui rend identiques des choses qui sont différentes. A moins de souffrir de strabisme ou d'une cécité partielle, on ne peut prétendre que les régions de France sont identiques. Parmi celles-ci, la première qui puisse s'en prévaloir, c'est la seule région métropolitaine qui soit insulaire, ceci justifiant tout le reste.

M. Michel Vaxès : Je suis complètement convaincu que la diversité est un facteur de richesse. La seule question que je me pose est sous-jacente à tous les processus de décentralisation. Comment faire en sorte que cette mosaïque que vous souhaitez, et que je souhaite avec vous, ne soit pas faite de morceaux éclatés. Si les morceaux peuvent être beaux en eux-mêmes, comment se retrouvent-ils dans le cadre d'une vision, d'un souffle communs, si ce n'est par le biais des politiques nationales ? Je pose simplement la question. Le débat s'ouvre et nous aurons encore à y réfléchir pour trouver une traduction législative appropriée. Il n'était pas du tout dans mon intention de remettre en cause la nécessité de la décentralisation des pouvoirs. A mon sens, ce débat n'est d'ailleurs pas seulement limité à la Corse, mais c'est une autre question.

M. Bernard Roman, président : M. le président du conseil exécutif de Corse, je vous remercie vivement. L'objet de ces auditions est de pouvoir mener un dialogue qui ne soit pas convenu, mais direct et franc. Elles ne sont pas confidentielles, puisque la chaîne de télévision parlementaire les retransmet. Elles ne doivent pas exclure une franchise de ton et quelquefois la passion, car nous touchons à des domaines qui concernent la conception de nos institutions et de la République. Cette audition aura apporté un certain nombre d'éléments tout à fait constructifs pour le travail auquel les députés vont s'atteler dans le cadre de la préparation de la discussion et du vote de cette loi, importante tant pour la Corse que pour la France

M. Jean Baggioni, président du Conseil exécutif de Corse : J'allais vous demander d'excuser la vigueur de mes propos, mais je vois que vous m'avez accordé votre pardon avant même que je ne le sollicite ! Je mets peut-être un excès de passion dans mes propos, mais votre dernier mot me conduira à en mettre encore. Vous avez parlé « de la Corse et de la France. » Je dis : « La France et la Corse dans la France ! » Nous n'avons jamais rien demandé d'autre.

M. Bernard Roman, président : Il s'agit bien entendu de l'avenir de la région Corse dans la France.

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Le 4 avril 2001, la Commission a ensuite entendu M. Paul Giacobbi, président du conseil général de Haute-Corse et M. Nicolas Alfonsi, vice-président du conseil général de Corse-du-Sud.

M. Bernard Roman, président : Nous poursuivons cette série d'auditions avec les présidents des deux conseils généraux de Corse, M. Paul Giacobbi, président du conseil général de Haute-Corse, et M. Noël Sarrola, président du conseil général de Corse-du-Sud. Ce dernier m'a prié de vous présenter ses excuses et s'est fait représenter par le premier vice-président du conseil général de Corse-du-Sud, M. Nicolas Alfonsi, qui a déjà eu l'occasion de s'exprimer devant nous au titre du groupe qu'il préside à l'Assemblée de Corse.

Vous n'êtes pas sans savoir qu'avec la révision constitutionnelle envisagée en 2004, les conseils généraux de Haute-Corse et de Corse-du-Sud devraient disparaître. C'est donc presque une forme de provocation de demander à ceux que nous recevons aujourd'hui ce qu'ils pensent de cette disparition programmée. Mais, je le répète, l'intérêt de ces auditions est qu'il y ait un dialogue direct et franc entre les parlementaires et les personnalités que nous entendons.

M. Paul Giacobbi, président du conseil général de Haute-Corse : Je voudrais d'abord formuler brièvement quelques remarques. Ce débat est passionnant et souvent passionné, mais je suis tout de même frappé par le fait que les projets présentés à propos de la Corse manquent singulièrement d'ambition, voire d'originalité. Personne ne le dit, puisque tout le monde pense que c'est une révolution ! Manque d'ambition et d'originalité par rapport à ce qui se fait partout en Europe et dans le monde. Manque d'ambition également, par rapport à ce que beaucoup de régions de France, et non des moindres, souhaitent ouvertement : je pense en particulier à l'Alsace et je n'ai pas le sentiment que nous soyons en avance par rapport au statut qu'elle demande depuis vingt ans. Je citerai également le vote par votre assemblée d'une proposition de révision constitutionnelle permettant aux collectivités territoriales d'adapter les lois et les règlements dans un but d'expérimentation. Nous nous situons en définitive dans des limites extrêmement raisonnables et non pas dans le cadre d'une véritable révolution. J'ajoute que, pour moi, l'évolution envisagée pour la Corse s'inscrit très largement dans le cadre d'une évolution plus générale de notre pays.

Je suis très choqué ces temps-ci par un certain nombre de procès d'intention qui nous sont faits. Je suis choqué et j'en souffre ! D'abord, nous dit-on, ce processus s'inscrit dans le cadre de la violence. Pour ma part, je ne m'inscris pas dans ce cadre : j'ai toujours lutté contre la violence et j'ai toujours appelé au respect des lois. En 1982, j'écrivais dans la presse, à propos de la violence, dite politique, que le mobile en était en fait crapuleux. Personne n'écrivait cela à l'époque ! J'ai continué dans cette voie.

Au moment où le Gouvernement dialogue démocratiquement avec les élus de la Corse, au moment où il saisit la représentation nationale d'un projet important, le respect de la loi a fait l'objet des plus grands progrès en Corse, qu'il s'agisse de la répression de la criminalité organisée, de la corruption publique ou de la violence dite politique. Il suffit d'ouvrir les journaux pour constater, aujourd'hui, que la loi est appliquée avec fermeté. Tout laisse même à penser qu'une infraction commise en Corse est punie avec beaucoup plus de sévérité que sur le continent. Soit dit entre parenthèses, chaque fois qu'il y a le moindre événement en Corse, les journaux s'en emparent : les cinquante voitures récemment brûlées à Strasbourg n'ont pas fait la une de la presse, alors que tout le monde parle d'une voiture brûlée à Bastia. Qu'aurait-on dit en Corse si l'explosion d'une bombe dans un syndicat intercommunal avait tué un employé ? Cela s'est pourtant passé à La Baule et si le même fait s'était produit en Corse, on en parlerait encore. Je dirais que même si ces faits n'avaient eu aucun caractère politique, nous ne serions pas ici aujourd'hui, car tout le processus aurait été gelé. En tout cas, la répression existe, elle est forte et elle donne des résultats. Malgré les rodomontades des uns et des autres, il n'est pas facile aujourd'hui de commettre des crimes et des délits en Corse.

Il y a également un progrès considérable dans l'application des lois dans d'autres domaines. Cela se voit dans le taux de recouvrement des impositions, notamment l'impôt sur le revenu et la TVA : les gens payent plus, le système fonctionne mieux. Il y a également un meilleur respect du code de la route et des règles d'urbanisme. Pour des raisons professionnelles, je connais quelque peu ce dernier sujet et je puis vous dire qu'en Corse le contrôle de légalité opéré par les DDE s'applique à peu près à tous les actes de construction présentés par les communes. Savez-vous qu'ailleurs le contrôle de légalité s'exerce sur 10 à 30 % des actes. J'ai même trouvé des départements où il descend à 2 ou 3 %. Autrement dit, on est beaucoup plus sévère en Corse et on contrôle beaucoup plus qu'ailleurs, ce qui est normal, compte tenu des enjeux existant sur le littoral. Je voulais répondre par cet exemple à certains présupposés.

Il en existe d'autres qui me font souffrir et me choquent : les Corses et leurs élus ne seraient pas capables de préserver l'environnement. Et si l'on parle d'adapter la « loi littoral » dans le projet de loi, ce serait pour bétonner la Corse. Depuis quarante ans, tous les projets et tous les résultats acquis en matière de protection de l'environnement l'ont été à l'initiative de la représentation élue de la Corse. Avant même que le Conservatoire du littoral n'existe, le département unique de la Corse achetait des terrains pour les protéger. Le département de la Haute-Corse a ainsi acheté une immense lagune de plusieurs milliers d'hectares au sud de Bastia pour en faire une réserve naturelle. Le travail de protection de l'environnement mené dans le désert des Agriates et par le parc naturel régional de la Corse sont également des initiatives locales. L'exemple des deux parcs naturels marins montre que l'Etat n'est pas plus doué que nous en matière d'environnement. Le parc de Bonifacio était difficile à mettre en place, puisqu'il s'agit d'un parc international connaissant des enjeux considérables de constructibilité : ce projet a été confié à l'Office de l'environnement de la Corse, émanation de la collectivité territoriale, et il a été mené à bien. Le Conservatoire du littoral y a acheté des terrains et l'ensemble fonctionne. En revanche, l'Etat a été chargé de mettre en place le parc naturel de Scandola et nous en sommes toujours au stade du projet, alors que ce parc était plutôt plus facile à mettre en place que celui de Bonifacio. Mais je ne porte pas de jugement. Peut-on dire après cela que la Corse est une région dans laquelle les élus bétonnent ? Je trouve qu'une telle affirmation est tout à fait injuste. Au contraire, bien des initiatives ou des techniques de protection de l'environnement sont nées en Corse.

Il existe un paradoxe : les gens les plus autonomistes sont, en même temps, les plus réticents face à la possibilité d'adapter la loi littoral. Ceux qui vous disent qu'il faudrait que la Corse fasse la loi, excluent de ce principe la loi littoral. Mais il y a aussi ceux qui estiment qu'on n'en fait pas assez pour modifier la loi littoral dans le projet actuel. Je vous fais, par ailleurs, remarquer que je n'ai entendu personne à Matignon demander que l'on transfère la propriété du Conservatoire du littoral à la Corse ou qu'on le supprime. Personne ! Tout le monde est apparemment d'accord : les plus autonomistes, voire les plus nationalistes, sont assez satisfaits, me semble-t-il, de l'existence d'une telle instance nationale.

Il existe un autre débat sur ce que les Corses pensent du processus en cours. Nous entendons en permanence que les élus ne représentent rien et qu'ils ne peuvent pas parler au nom des Corses. Le 10 mars 2000, deux motions ont été présentées à l'Assemblée de Corse. Celle que j'ai eu l'honneur de rédiger et de présenter a été jugée d'une audace infinie. Elle demandait, avant d'aller plus avant, l'organisation d'un référendum consultatif en Corse. Nous savions qu'un certain nombre de raisons constitutionnelles s'y opposaient. On nous a dit que c'était techniquement impossible, alors que cela a quand même été fait pour Mayotte. En tout cas, on nous objecte que l'on ne sait pas ce que pensent les Corses, mais quand on demande d'organiser un référendum consultatif, on nous répond qu'il ne faut pas le faire. Dans le même temps, les élections sont toujours interprétées dans le même sens, malgré des résultats totalement différents. Lors d'une élection municipale partielle à Ajaccio, on a dit que M. Marc Marcangeli a été élu parce qu'il s'opposait au processus de Matignon. Pourtant, lorsqu'il a été battu six mois après moi par M. Simon Renucci qui, lui, a voté pour lesdits accords à l'Assemblée de Corse, on nous explique que c'est encore l'opposition au processus qui a triomphé. Je voudrais comprendre ! Les récentes élections municipales et cantonales ont démontré qu'à tout le moins les ténors de « l'anti-Matignon » ont quand même pris un peu de plomb dans l'aile et que ceux qui défendaient le processus ne s'en sont finalement pas si mal portés.

J'expliquais tout à l'heure à M. Bernard Roman : que je n'avais pas caché mes idées et que j'ai même passé mon temps à les défendre. Il n'y a pas eu un mot durant toute la campagne pour critiquer ma gestion au conseil général, y compris de la part de mes adversaires. En revanche, on a dit que je me présentais à la tête d'un département, alors que je voulais le dynamiter. J'en profite pour demander au représentant de l'AFP - s'il y en a un dans la salle - de corriger ce terme car je n'ai jamais rien dynamité, ce mot étant tout à fait inapproprié s'agissant de la Corse ! J'ai également entendu que je voulais scier la branche sur laquelle je suis assis. Tout cela parce que je m'étais prononcé, d'ailleurs bien avant les accords de Matignon, pour une simplification administrative, passant par la fusion des départements et de la région au sein d'une collectivité unique. Toujours est-il qu'en prenant cette position clairement et en étant combattu uniquement sur ce point, j'ai été réélu par dix-huit voix contre neuf, alors que j'avais été élu la première fois par quatorze voix contre treize. Je ne prétends pas que cela a une grande signification, mais si le peuple voulait à tout prix se débarrasser de gens comme moi, il ne se serait pas gêné et il l'aurait fait.

Le débat sur la langue corse fait partie des autres présupposés existants. S'agit-il ou non d'une langue ? M. Renaud Denoix de Saint-Marc a dit que le corse n'est pas une langue, parce qu'il n'y a pas beaucoup de littérature en corse. Un journaliste d'origine insulaire et bastiaise a également écrit que le corse n'est pas une langue. Je me réfère à Claude Hagège, chacun ayant les références qu'il peut : le corse est une langue ancienne, romane, fort proche du latin, ce n'est donc par un patois. Surtout, que ceux qui n'ont jamais fait l'effort d'ouvrir un livre de linguistique évitent de se forger une opinion définitive sur ce qu'est une langue. Je ne suis pas moi-même linguiste, mais il faut arrêter de dire des bêtises. Une autre idée perverse a cours sur la langue, une idée très parisienne défendue par des gens qui n'ont jamais mis les pieds dans une école primaire en Corse et qui n'ont jamais quitté le Palais-Royal ou ses abords. Ainsi, on nous dit que les parents qui ne voudront pas qu'on enseigne le corse à leurs enfants seront marqués au fer rouge et qu'ils subiront tous les ostracismes du monde ! Les élus et notamment les maires ici présents savent bien que tout le monde se fiche éperdument de telles considérations. De surcroît, il existe une convention signée par les présidents des conseils généraux et du conseil régional d'Alsace avec le ministre de l'Education nationale prévoyant que l'enseignement de l'alsacien doit être étendu à tous les élèves. J'ai beau chercher, je ne trouve pas de trace d'une disposition prévoyant qu'un petit Corse ou un petit Breton résidant en Alsace pourrait échapper à l'enseignement de l'alsacien parlé ou de l'allemand écrit. Personne ne s'en indigne. On trouve normal qu'en Alsace les petits enfants qui vont à l'école soient initiés à l'alsacien : cela ne me choque pas, d'autant que ma grand-mère est alsacienne. J'aimerais donc bien que l'on nous traite de la même manière

Troisième élément important, c'est la confusion qui règne entre décentralisation et rôle de l'Etat. A mon sens, la décentralisation la plus forte s'accompagne d'un rôle très fort de l'Etat, mais d'un rôle épuré. Comme le disait le président Baggioni tout à l'heure, il ne s'agit plus d'avoir une direction régionale de l'action culturelle avec dix agents qui affectent les crédits régionaux, il s'agit que l'Etat fasse son métier. Il y a bien des domaines dans lesquels il doit le faire. Il y a l'environnement où le rôle régalien de l'Etat reste indispensable, ne serait-ce que parce que la Corse étant belle, les espaces à protéger sont souvent d'intérêt national, voire supra-national. Il y a aussi une politique culturelle nationale à conduire. Bref, il y a bien des domaines dans lesquels l'Etat doit continuer - et même plus que par le passé - à mener des politiques. Il a aussi deux rôles fondamentaux à jouer, qu'il ne faut jamais oublier et qui doivent être renforcés : la police et la justice. Je crois qu'actuellement nous sommes dans une période où ces institutions fonctionnent enfin. Dans la motion que j'ai présenté le 10 mars 2000 à l'Assemblée de Corse, il était indiqué que le corollaire du renforcement des pouvoirs locaux, c'est le renforcement des contrôles de l'Etat. Cela veut dire qu'il faut renforcer la chambre régionale des comptes, le tribunal administratif, les inspections.

Dernier point que je souhaite évoquer, la simplification administrative et l'équilibre territorial. Je rappelle en un mot que je me place dans la lignée d'une tradition familiale à cet égard. En 1975, quand on a crée les deux départements, mon défunt père regrettait que l'on ait brisé l'unité administrative et politique de l'île. Il disait également que si l'on voulait équilibrer le nord et le sud de l'île, Bastia et Ajaccio, il n'était pas nécessaire de briser cette unité : il fallait transférer des services d'une ville à l'autre et leur donner des pouvoirs. Je dis la même chose aujourd'hui : il faut retrouver l'unité administrative et politique de l'île. Je regrette un peu que M. Noël Sarrola ne soit pas là, parce que c'est lui qui m'a appris qu'au moment où se sont créés les établissements publics régionaux, quelques conseillers généraux de la Corse étaient allés voir M. Raymond Marcellin, alors ministre de l'intérieur, lequel leur avait dit que les pouvoirs donnés aux régions continentales seraient attribués au conseil général de Corse, ce qui aurait simplifié les choses. Mais, cela n'a pas plu à un homme politique célèbre de Corse-du-Sud, aujourd'hui disparu, et l'on a créé un établissement public régional dans l'île. Si l'on en était resté à l'idée qu'en Corse l'unité est nécessaire et que la faiblesse de la population ne justifie pas la présence de deux départements et d'une région sur un territoire de 250 000 habitants, l'équilibre entre le nord et le sud aurait pu se faire autrement que par cette multiplication d'institutions.

Je rappelle que lorsque Napoléon, dans sa finesse, a fusionné les deux départements, il a eu l'intelligence de placer le préfet à Ajaccio, parce qu'il y était né, tout en installant l'institution judiciaire à Bastia, ce qui, à l'époque, était plutôt un avantage du point de vue du nombre des personnels : une cour d'appel regroupait en effet alors plus de monde qu'une préfecture. Autrement dit, Napoléon n'avait pas cette vision stupide qu'on lui prête parfois. Aujourd'hui, nous avons un problème d'équilibre géographique et un problème de simplification administrative : 250 000 habitants, 400 communes, deux départements et une région, c'est trop et cela ne peut pas marcher, d'ailleurs cela ne marche pas et nous avons les plus grandes difficultés du monde ! Il se pose un problème d'équilibre territorial : la Haute-Corse est plus peuplée, plus accessible, mais c'est pourtant Ajaccio qui est privilégiée dans les choix d'implantation. Je n'en prends qu'un seul exemple : le schéma de services collectifs, exercice technocratique et sans grand intérêt, indique que l'on va créer un grand lieu de spectacle culturel en Corse - ce qui est très bien - et qu'on va l'implanter à Ajaccio. Si une étude conclut dans ce sens compte tenu des flux, des populations, des besoins, c'est très bien ! En réalité, la logique conduirait plutôt à choisir Bastia. Mais l'on choisit Ajaccio parce que c'est la capitale régionale. Si Napoléon était né ailleurs, il en serait autrement ! Je m'exprime bien sûr sans acrimonie à l'égard de la Corse-du-Sud, car il ne faut pas non plus déshabiller Pierre pour habiller Paul. Il faut une logique d'équilibre et si le siège de la collectivité territoriale unique future est à Ajaccio, il faut songer au problème de la présence des services de proximité et aux critères de représentation, y compris dans les modes de scrutin. Tous ces éléments sont tout à fait essentiels pour la réussite du projet. Voilà ce que j'avais à dire et je n'aime pas le pathos habituel sur la France unique et multiple !

En conclusion, si le fait d'être français a une signification, je suis très choqué que l'on veuille à tout prix nous exclure au motif que nous voulons être corses et avoir notre identité régionale. Nous la défendons et elle a sa valeur. Serions-nous pour autant de mauvais Français ? Tel est le discours ambiant et j'en suis désolé. Je crois que les Corses ont contribué, autant que d'autres, à forger l'identité de la France, pour reprendre une expression braudélienne. Mais nous, nous voulons cette France diverse et tolérante sur le plan culturel et institutionnel. Je ne vois pas en quoi ce serait antinomique d'une forte unité nationale. En tout cas, laissez-moi vous dire que si les Français ont raison dans leur modèle centralisateur, alors que tous les pays du monde de taille comparable font autrement, nous avons sans doute raison contre tout le monde. Mais soyons pragmatiques : je crois que l'on a tort !

M. Nicolas Alfonsi, premier vice-président du conseil général de Corse-du-Sud : Mon propos vise à compléter celui de M. Paul Giacobbi tant sur le projet de loi que sur la deuxième phase du processus. Des questions se posent sur la coordination entre les deux collectivités pendant la période intermédiaire : le bon fonctionnement de cette coordination dépendra des hommes. Je rappelle que le statut Joxe prévoyait déjà une disposition de ce type. Or cette coordination a mal fonctionné pour des raisons diverses. Il y a des dispositifs en trompe-l'_il et il y a trop de structures ; il faut donc en supprimer. Mais j'observe qu'il n'y a pas de lien entre une réalité démographique et des normes institutionnelles. Les liens d'un département corse avec la région sont de même nature que ceux du département des Basses-Alpes, qui n'a que 120 000 habitants, avec la région PACA. Il y a, en Corse, 4 000 élus et 360 communes. Quand vous aurez fait des réformes, vous aurez encore 3 950 élus parce que l'on ne s'attaque pas au véritable problème, qui est celui du regroupement communal.

La position que nous exprimons est simple : elle tend au maintien d'un département. D'ailleurs, le département de Haute-Corse vient récemment de voter une délibération quelque peu en contradiction avec l'exposé des motifs du projet de loi qui prévoit la suppression des départements : cette délibération affirme qu'il faut maintenir une représentation du territoire. Or, sur la côte ouest de l'île, vous avez exactement le quart du territoire de la Corse avec seulement 10 000 habitants. Comment va s'organiser leur représentation dans la future assemblée unique ?

Quelle va être, par ailleurs, la fonction économique assurée par la propriété dans l'île ? M. Paul Giacobbi a raison quand il dit que ce texte manque d'ambition. Si, à terme, on devait aboutir à une réforme constitutionnelle, il faudrait tout mettre à plat, notamment le régime de la propriété, car elle n'assume plus aucune fonction économique, notamment à l'intérieur de l'île. S'agissant des droits de succession, la disposition la plus concrète est celle qui a été négociée par M. José Rossi et qui consiste à reculer la date du retour au droit commun. Personnellement, j'étais plutôt opposé aux dispositions dérogatoires en matière de droit des successions, car on ne peut pas être citoyen et ne pas payer l'impôt comme tout le monde. J'ai donc toujours manifesté mon indifférence face à ces 50 millions auxquels on s'accroche, alors qu'ils ne représentent qu'une somme modique. Je vous demande donc de prendre la mesure du caractère dérisoire de cette mesure fiscale, eu égard aux problèmes que cela pose en Corse.

Enfin, je redoute qu'à terme, si nous allions vers une plus grande décentralisation, nous ne finissions par vendre les bijoux de famille dans dix ou quinze ans, c'est-à-dire les terrains du Conservatoire du littoral, pour construire. Je ne suis pas assuré que ceux qui viendront construire à ce moment-là nous donneront toutes les garanties de défense de l'environnement au même titre que celles que nous avons pu donner, avec Paul Giacobbi, pendant les vingt dernières années.

M. Bruno Le Roux, rapporteur : La seconde phase prévue en 2004 par le relevé de conclusions devrait conduire à une révision constitutionnelle avec la création d'une collectivité unique. En attendant, le projet de loi prévoit, à l'article 47, un mécanisme de coordination entre les collectivités. Qu'en pensez-vous ? Je souhaite avoir votre avis sur la façon dont peut s'opérer la liaison entre la collectivité territoriale et les deux conseils généraux durant la période transitoire. Je voudrais aussi connaître votre avis sur les mesures fiscales : nous sommes assaillis de demandes sur les arrêtés Miot, sur la question de la sortie de la zone franche, sur la question des crédits d'investissement. Quelle est votre position sur ces points ?

M. René Dosière : Ma première question a trait à la coordination entre les départements, l'exécutif et l'Assemblée régionale dans la période de transition entre l'entrée en application du projet de loi actuel et celui qui pourrait éventuellement venir ultérieurement. MM. Nicolas Alfonsi et Paul Giacobbi viennent de nous dire que les mécanismes de coordination existants n'avaient pas du tout été mis en application du fait d'un problème d'hommes. Compte tenu de cette expérience, que faudrait-il envisager pour être assuré que le nouveau dispositif ne restera pas lettre morte ?

Ma deuxième question s'adresse à M. Paul Giacobbi qui se dit tout à fait favorable à la disparition du conseil général de Haute-Corse pour retrouver l'unité de la Corse. Or, lors du deuxième déplacement de la mission d'information, le préfet de Haute-Corse - et citer ma source ne le met nullement en cause - nous faisait remarquer que compte tenu des distances entre Ajaccio et Bastia, la présence d'une entité administrative en Haute-Corse recueillait l'adhésion de la population et que la rupture pourrait être mal vécue. Je ne cherche nullement à opposer les hommes et je souhaite simplement connaître votre sentiment sur ce point.

M. Paul Giacobbi, président du conseil général de Haute-Corse : Autant que je m'en souvienne, l'article 47 a été introduit dans le projet de loi à l'initiative du président Baggioni ; nous en avons discuté lors d'une longue nuit à l'Assemblée de Corse. Naturellement, pour ce qui me concerne, j'étais tout à fait d'accord. Si cela n'a pas marché dans le statut actuel, c'est peut-être parce qu'il n'y avait pas de perspective. Ici, il y a tout de même la perspective de la fusion des collectivités : on supprimera d'ailleurs tout autant la région que les départements, si l'on fait ce qui est prévu en 2004.

Il est vrai qu'il n'y a pas de tutelle d'une collectivité locale sur une autre et que les conseillers généraux sont réticents à se soumettre à un pouvoir de coordination de la région. Mais tel n'était pas du tout l'esprit de la demande de M. Jean Baggioni. Je crois que l'Etat a aussi un rôle à jouer en la matière. Des questions concrètes doivent également être abordées si l'on se place dans la perspective - qui n'est pas certaine - de cette réunification administrative et politique. Celle-ci est quand même inscrite dans l'exposé des motifs du projet de loi et elle est admise par une large majorité de l'Assemblée de Corse. Des questions pratiques se posent : personnels, services, organisation, transferts de propriété. Ce sont autant de points qu'il faudra bien mettre en musique. Je prendrai donc les initiatives nécessaires, la main dans la main avec M. Jean Baggioni, pour essayer d'avancer et je n'ai aucunement la prétention de dire que mon département, autonome et souverain, n'a pas à être placé sous la tutelle de la région. Il faut laisser de côté de tels raisonnements.

Une autre question m'a été posée sur le problème des transferts de service de Bastia vers Ajaccio. A ma connaissance, au plan national, les Français ne sont pas autant attachés qu'on le dit au département : il suffit de consulter les sondages. Il en est de même en Corse. En outre, des élections ont eu lieu : j'ai clairement fait campagne aux élections cantonales en me déclarant partisan de la suppression du département dans trois ans. Notre position n'était pas facile et vous vous rendez compte de son effet à Bastia. Cela n'a pas empêché nos concitoyens de voter pour moi. Dans un canton situé au nord de Bastia, M. Padovani était candidat divers gauche, avec des positions très précises en faveur de la collectivité unique. Il a eu deux adversaires - à gauche également - qui ont mené une campagne acharnée, avec des papiers dans la presse tous les matins, expliquant que cette élection cantonale serait un référendum pour ou contre les départements. M. Padovani a eu 58 % des voix au premier tour. Certes, c'est un homme sympathique ! Quand les candidats sont pour Matignon et qu'ils perdent, on met en avant leur position en faveur du processus. Quand ils gagnent, on dit que c'est parce qu'ils sont sympathiques. En tout cas, le peuple nous trouve plus sympathiques que les départements.

Certes la distance entre Bastia et Ajaccio est grande, mais elle n'est tout de même pas insurmontable. La route n'est pas très bonne pour le moment, mais, avec les efforts accomplis par la collectivité, la route nationale commence à s'améliorer. Je veux dire par là que, tant que c'était l'Etat qui s'occupait de la route nationale, c'était un désastre permanent. Quand ce sont les élus régionaux qui ont la charge d'une route, les gens viennent les trouver dès qu'il y a un problème. Mais quand le responsable est le patron d'un bureau de la division des routes au ministère de l'Equipement, personne ne vient lui faire de remontrance. Ce fait explique aussi que les compétences décentralisées sont parfois mieux gérées. Bref, les routes commencent à exister depuis que la région s'en occupe. Il y a déjà eu des progrès considérables, d'autres sont en cours. D'ailleurs, il y a aussi le train pour lequel nous allons faire des efforts considérables, comme cela est prévu par le contrat de plan et dans le programme exceptionnel d'investissement. Nous allons améliorer les liaisons ferroviaires de ville à ville. Il ne faut pas non plus oublier les relations informatiques. Tout cela connaît des progrès et je ne crois pas du tout que la distance soit un obstacle par rapport à l'immense avantage que présente l'unité administrative et politique de cette île.

S'agissant de la fiscalité, dont je ne suis pas un spécialiste, je me limiterai à quelques remarques rapides. Pendant deux cents ans, la Corse a eu un régime fiscal spécifique et personne n'a jamais rien dit. Le jour vient où les élus de la Corse, en accord avec le Gouvernement, acceptent de mettre fin à ces dispositions absurdes - je parle des arrêtés Miot, par exemple - et de les remplacer par une fiscalité intelligente. On abandonne également la zone franche, en la remplaçant par des mesures économiques plus intelligentes et qui auront plus d'effets bénéfiques. C'est ce jour-là que tout le monde se lève en disant : « Pourquoi ne les a-t-on pas supprimées plus vite et plus tôt ? » C'est également le cas du Conseil d'Etat qui a fustigé les arrêtés Miot en oubliant, petit détail au passage, que M. Miot était lui-même conseiller d'Etat ! Les gens étaient peut-être plus intelligents à l'époque en matière de diversité fiscale au sein de la République. Quand bien même on voudrait revenir tout de suite au droit commun en la matière, on ne pourrait y parvenir. Arrêtons de nous raconter des histoires ! Nous aurions les plus grandes difficultés à percevoir les droits de succession comme on le fait partout. Cela demande un certain temps et M. Nicolas Alfonsi y faisait allusion à l'instant : il y a toute une réorganisation de la propriété foncière à opérer, car elle a souffert du maintien dans l'indivision. Néanmoins, si les Corses veulent un certain étalement dans le temps pour l'acquittement des droits, ils se prononcent en faveur de l'obligation immédiate de déclarer les successions, ce qui est un moyen de ne pas aggraver le passif des indivis. En tout cas, la sortie de la zone franche, l'abrogation des arrêtés Miot et les autres mesures ne seront pas favorables à la Corse en termes financiers. En effet, les mesures prévues dans le projet mettront du temps à produire de l'effet : il faudra par exemple plusieurs années à compter de la sortie de la zone franche avant que les entreprises ne puissent bénéficier des mesures prévues en leur faveur.

Un point passe inaperçu, car il est périphérique par rapport au sujet principal : c'est celui de la filière tabacole. Là encore, des jugements sanitaires et moraux peuvent toujours être portés et, si tel est le cas, il faut interdire la consommation du tabac sur tout le territoire. En Corse, le tabac est un peu moins cher pour des raisons historiques : il en découle à la fois l'existence d'un nombre important de débitants de tabac, qui font essentiellement leur miel sur la fréquentation touristique, et une activité de production du tabac dans l'île. Tout cela disparaîtrait si l'on aligne purement et simplement le prix du tabac sur celui du continent. D'ailleurs, il en résultera un problème technique, car quelques raisons pratiques expliquent que la distribution du tabac revienne un peu plus cher en Corse que sur le continent, notamment les quantités et la distance. Je signale au passage que quelques centaines d'emplois risquent ainsi de disparaître. Il est vrai que je ne suis pas très optimiste en matière de fiscalité incitative et je ne sais pas combien d'emplois les mesures prévues contribueront à créer en dix ans. Si j'en juge par ce qui s'est passé avec la zone franche, le chiffre ne sera pas très élevé mais je crois tout de même que ce sont des mesures intelligentes qui, à terme, porteront leurs fruits.

Sachez que pendant que l'on parle de ces Corses qui ne veulent pas payer d'impôts, ils en payent en fait de plus en plus. Pourquoi ? Parce qu'ils s'alignent sur les pratiques nationales en termes de paiement de l'impôt et parce que les taux de recouvrement de la TVA et de l'impôt sur le revenu, ainsi que l'établissement de l'assiette progressent beaucoup. Finalement, sans en avoir fait le calcul, je suis intimement persuadé que ce rattrapage des recouvrements est tel, qu'il est au moins équivalent en volume, pour l'Etat ou pour les collectivités, aux avantages que l'on continue à nous donner au titre d'une fiscalité rénovée. L'un dans l'autre, je ne suis pas certain que la République ait beaucoup à perdre dans cette affaire. On passe donc à un nouveau système, dans lequel, après une période transitoire, on remplace une fiscalité stupide par une fiscalité intelligente et incitative. Surtout, on se donne les moyens de mieux établir l'assiette et de mieux recouvrer l'impôt. Franchement, cela est bien et tant mieux si l'on est capable d'aller plus vite et de faire mieux. Si l'on doit dire en plus aux Corses qu'en acceptant de renoncer à une fiscalité idiote ils doivent en même temps rentrer dans le droit commun, alors il faut renoncer aussi aux fiscalités spécifiques d'outre-mer et à celles des zones franches urbaines. Si tout le monde doit payer partout et toujours le même impôt, que ce soit donc le cas pour tout le monde. Je pense par exemple aux ouvriers couteliers de Thiers et aux ouvriers lunetiers de je ne sais quelle commune de l'Est de la France qui bénéficiaient d'une réfaction de 20 ou 30 % de l'impôt sur le revenu. Les bergers de Corse n'avaient pas, pour leur part, une décote spécifique au même titre que ces catégories professionnelles.

M. Nicolas Alfonsi, premier vice-président du Conseil général de Corse du Sud : Oublions l'effet « Matignon » ou « anti-Matignon » à l'occasion des consultations électorales, car tel n'est pas le débat. Je rappelle simplement qu'il y a eu une délibération du conseil général de Haute-Corse demandant la mise en place d'une assemblée unique ayant son siège à Bastia, élue au scrutin cantonal uninominal. Cette délibération, qui remonte à février, a pu donner le sentiment que le département devait continuer à exister. Personnellement, je rappelle que j'avais été le seul parlementaire à voter contre la partition en deux départements en 1975, et l'on peut concevoir un retour au département unique.

Concernant la fiscalité, M. Paul Giacobbi a raison de dire que l'article intéressant du texte est celui prévoyant la déclaration des successions. On ne peut pas imputer aux seuls Corses le vide juridique dans lequel nous nous sommes trouvés en matière de droits de succession depuis 1948, année où a été abandonnée la circulaire de M. Blot, directeur du cabinet du ministre du Budget, M. Edgar Faure, qui prévoyait qu'il fallait calculer les droits de succession à partir de la valeur cadastrale. Il y a eu un vide juridique et personne n'a jamais assumé la responsabilité d'y remettre de l'ordre. La déclaration de succession est intéressante car elle permet de photographier le patrimoine, tant immobilier que mobilier. Pendant très longtemps, le vide juridique a consisté à ne faire aucune déclaration, notamment sur les biens meubles, ce qui aboutissait à des injustices flagrantes, en particulier pour les droits de succession des collatéraux, qui s'élèvent à 50 %. Des neveux vidaient les CCP de leur tante six mois avant son décès et ils n'étaient pas poursuivis parce qu'il n'y avait pas de déclarations, d'autres payaient parce que le fisc, par hasard, mettait la main sur le non-déclarant : c'était en quelque en sorte une injustice à rebours. Désormais, il y a un progrès.

S'agissant de l'exonération de la taxe professionnelle contre laquelle M. Paul Giacobbi et moi-même avions voté il y a cinq ans, lorsqu'elle a été instituée, la modification du dispositif envisagée va sans doute dans le sens du progrès. Encore faudra-t-il faire comprendre cette situation à ceux qui bénéficient des avantages actuels de la zone franche. C'est là un problème politique qui ne sera pas simple, il faut le savoir.

M. Bernard Roman, président : Ma première question est liée au problème fiscal. En fait, le projet de loi prévoit un retour au droit commun pour les droits de succession sur quinze ans, avec une remise à plat en fin de période. Le Conseil d'Etat a fait un certain nombre d'observations qui portent sur deux points : d'une part, la durée de quinze ans peut sembler excessive ; d'autre part, il ne ressort pas assez clairement du texte que l'objectif du législateur est le retour au droit commun. Sur ce point, l'observation de Mme Nicole Catala, lors de l'audition précédente, à propos de la réaction de l'opinion publique continentale me paraît assez juste. Il est vrai que celle-ci n'est pas très au fait de ces questions, pas plus d'ailleurs qu'elle ne connaissait, par le passé, les dispositifs effarants de la loi Pons. Il n'en demeure pas moins que cette opinion publique peut être choquée par la quasi inexistence de l'impôt sur les successions dans l'île. A mon sens, l'objectif doit être d'afficher clairement les moyens de revenir au droit commun. Il serait tout à fait contre-productif, y compris pour l'idée que nous nous faisons de notre mission de parlementaires, de revenir au droit commun le 1er janvier 2002, car une telle décision ne pourrait pas être opérationnelle. En effet, l'ensemble des titres de propriété doit être reconstitué et cela prend du temps. Il faut donc essayer de travailler sur les mesures que nous allons prendre pour reconstituer les titres de propriété et pour réactualiser les valeurs cadastrales en vue d'arriver au droit commun dans les délais définis par le législateur. Partagez-vous ce point de vue ?

Ma deuxième question reprend le dialogue qui s'est instauré entre M. Jean Baggioni, M. Bernard Derosier, M. Michel Vaxès et M. René Dosière tout à l'heure, sur le problème du rôle de l'Etat dans l'île. Je n'exclus aucune évolution future de la décentralisation et de nos institutions mais, s'agissant du cas spécifique de la Corse, nous voulons à la fois que la collectivité territoriale prenne en mains sa destinée dans le cadre d'un certain nombre de compétences qui lui sont transférées, et nous voulons, en même temps, afficher très clairement, y compris dans l'architecture institutionnelle, que cette décentralisation ne peut pas se faire au détriment d'une certaine idée de la République qui exclut que l'on puisse déroger à un certain nombre de valeurs fondamentales. Cette idée nous conduit immédiatement au problème évoqué par M. Paul Giacobbi, à savoir qu'il n'y a pas de forte décentralisation sans une forte présence de l'Etat. Pouvez-vous nous donner votre sentiment sur l'exemple concret de la culture que nous avons déjà évoqué avec le président du Conseil exécutif de Corse ? Sans doute ne faut-il pas que l'on décentralise des compétences culturelles, tout en disant que la collectivité territoriale reste « sous le contrôle scientifique et technique des services de l'Etat », formule qui me semble juridiquement quelque peu contestable. Qu'on n'en profite pas pour autant pour faire disparaître les services culturels de l'Etat dans l'île ! En termes d'identité, la culture n'est pas rien et je parle de l'identité régionale, naturellement, mais aussi de l'identité nationale. Une DRAC n'est peut-être pas utile si la politique culturelle est confiée à la collectivité territoriale, mais une absence totale de représentation du ministère de la Culture dans l'île me semblerait être quelque peu problématique. Comment réagissez-vous par rapport à cet exemple de partage des compétences ?

M. José Rossi : Je laisse bien sûr à M. Paul Giacobbi le soin de répondre d'une manière plus globale. Je veux simplement indiquer qu'à l'occasion des débats de l'Assemblée de Corse, ce type de question a été posée. L'une des idées qui avait été émise était d'avoir la plus grande unité possible dans la gestion des administrations, considérant que rien ne s'opposait à ce que l'Etat ait une politique nationale forte en Corse, avec un conseiller de haut niveau auprès du préfet et une administration placée sous l'autorité de l'exécutif régional. Cette dernière pourrait travailler à la fois pour le compte de la collectivité territoriale et, en tant que de besoin, pour le compte de l'Etat. L'idée était d'éviter de mettre en concurrence deux administrations qui, fort logiquement, dès lors qu'elles ont une organisation relativement séparée et autonome, finissent par se marcher sur les pieds. Evidemment, il faut que certaines compétences restent assumées par l'Etat, s'agissant des grandes politiques nationales. Mais, de même qu'aujourd'hui pour la mise en _uvre des choix d'équipement, des administrations de l'Etat travaillent pour le compte de la collectivité régionale, il est possible d'imaginer qu'un service de la région soit mis à la disposition de l'Etat pour l'exercice des compétences et des missions qui sont les siennes.

M. Bernard Roman, président : Je ne crois pas que les choses soient aussi simples dans le domaine culturel. En effet, lorsque l'on décentralise les routes, y compris dans le cadre d'un programme d'équipement défini à l'avance, il peut être envisagé que l'on mette à disposition les services de l'équipement, exactement comme on l'a fait en 1982, 1984, 1985, pour les compétences qui ont été dévolues aux collectivités territoriales dans le cadre des premières lois de décentralisation. Cela est d'autant plus facile que l'on transfère les compétences par bloc entier. S'agissant de la culture, on est beaucoup plus dans l'immatériel et dans l'irrationnel. J'insiste sur la notion d'identité nationale : je vous avoue qu'à l'occasion de mes déplacements en Corse, j'ai été frappé par ce problème, lorsque des habitants aisés d'Ajaccio m'ont dit que, pour sortir, ils se rendaient une fois par mois à Marseille. J'ai été frappé de voir que l'offre culturelle en direction de la jeunesse paraît sous-dimensionnée par rapport aux besoins. A cet égard, je me dis que la responsabilité nationale existe et qu'il faut aussi qu'elle s'exerce. Or, on n'y répond pas uniquement avec un chargé de mission placé auprès du préfet ; il faut aussi une présence de l'administration de la culture et des moyens. Cette question de l'équilibre entre ces deux réalités n'est donc pas simple.

M. René Dosière : Combien de pays européens ont un ministère de la culture ?

M. Bernard Roman, président : C'est en effet une bonne question. Il faut dire qu'il fait quand même la beauté de la France. (Sourires.)

M. Paul Giacobbi, président du Conseil général de Haute-Corse : La France est un pays qui n'a pas la culture de la décentralisation. Aussi, ne sait-on pas comment faire lorsque l'Etat se retire. Dans les autres pays, l'Etat encadre par ses lois, par ses agents et par divers autres éléments, mais il n'exerce plus les compétences relevant de l'échelon local. On n'a pas cette conception du rôle de l'Etat, ni des collectivités supérieures, parce qu'on a posé ce principe - parfaitement français en l'occurrence - qu'il n'y a pas de tutelle d'une collectivité sur une autre. Que signifie l'absence de tutelle du conseil général sur une petite commune ? Bien entendu, elle existe dans les faits ! Mais le principe sacré a été posé, principe qui n'existe nulle part ailleurs. Il est très paradoxal d'être un pays aussi faiblement décentralisé et de poser le principe qu'une collectivité échappe à toute tutelle !

Dès que l'Etat n'est plus compétent, on prétend qu'il ne fait rien, qu'il se retire, qu'il ne pose pas les règles d'encadrement. Voici un exemple très simple : en Grande-Bretagne, dans les lycées et collèges les enseignants sont payés par les collectivités, mais les règles de rémunération, l'encadrement, les programmes relèvent de l'Etat. Ainsi, l'Etat existe très fortement, mais en même temps il ne gère pas le quotidien. En France, on opte pour des solutions absurdes : par exemple, on a donné la charge des routes nationales à la collectivité territoriale, mais l'Etat continue à les entretenir. Autrement dit, celui qui balaie les routes est l'employé de l'Etat et celui qui a la conception des travaux sur la route nationale relève de la collectivité.

M. Bernard Roman, président : C'est le cas dans la France entière, par exemple avec les personnels ATOS des lycées et collèges.

M. Paul Giacobbi, président du Conseil général de Haute-Corse : Nous avons la culture des solutions transitoires, nous n'avons pas cette culture de l'articulation entre l'échelon national et l'échelon local. Soit l'Etat détient la responsabilité et il la met en _uvre par ses agents, soit il s'en va et, à la limite, il met des agents à disposition des collectivités locales. Mais il n'a plus alors le rôle de cohérence qu'il joue partout ailleurs.

Prenons l'exemple de la culture, et plus particulièrement du domaine du patrimoine : nous sommes dans l'aberrant. Encore une fois, certains nous disent que, dans le cadre de la nouvelle loi sur la Corse, l'environnement ne relèvera plus de l'Etat, mais de la seule collectivité territoriale. Qu'en est-il dans les pays du monde les plus décentralisés ? Aux Etats-Unis, les grands parcs naturels sont fédéraux. En Inde, les monuments historiques, c'est Delhi avec l'Archelogical Survey of India ! Je l'ai rappelé à l'Assemblée de Corse, car un amendement déposé par un de nos collègues proposait que les monuments historiques passent à la collectivité territoriale.

M. René Dosière  Vous citez des Etats fédéraux !

M. Paul Giacobbi, président du Conseil général de Haute-Corse : Oui, c'est la Nation qui surveille les monuments historiques. A fortiori, si nous ne sommes pas un Etat fédéral, un certain nombre de missions doivent rester à l'Etat, puisque même dans les Etats fédéraux elles relèvent de l'Etat fédéral. Je prends l'exemple des monuments historiques, de l'archéologie, des sites et paysages ou même du Conservatoire du littoral. Quel est le rôle de l'Etat en la matière ? Il a d'abord une valeur régalienne, puisque l'Etat détient le monopole de la contrainte et qu'il a une certaine indépendance.

Deuxièmement, il faut prendre en compte le niveau d'intérêt du patrimoine que l'on va protéger. Si c'est un patrimoine d'intérêt national, voire mondial, il est légitime que ce ne soit pas la collectivité territoriale qui s'en occupe, mais que ce soit un échelon supérieur, notamment celui de l'Etat. Tout le monde raisonne ainsi.

Troisièmement, l'Etat a des méthodes et un savoir remarquables, qui ont été développés depuis Victor Hugo et Mérimée. C'est d'ailleurs un des domaines dans lequel la France se situe à la pointe et son expérience est demandée à l'étranger. Cette compétence ne se recréera pas région par région, y compris en Corse.

Cela dit, dans une perspective de décentralisation, il est envisageable qu'un certain nombre d'actes de gestion du patrimoine et un certain nombre de mises en valeur soient directement confiés aux collectivités. Mais il n'empêche que l'Etat doit continuer à exercer un rôle fort. C'est l'exemple du Conservatoire du littoral, qui gère des espaces d'intérêt national. Ailleurs on parlerait de « terres fédérales », « acquisitions foncières fédérales » ou « parc national » : la gestion de ces espaces, sous contrôle de l'Etat, y est remise aux collectivités locales. Le Conseil général de Haute-Corse est propriétaire de l'étang de Biguglia et nous l'avons fait classer en réserve naturelle : c'est l'Etat qui le surveille et il n'est pas possible d'y faire des travaux sans son autorisation. Ce sont là de bonnes manières, parce que l'étang de Biguglia est d'une richesse biologique, paysagère et patrimoniale d'intérêt national, voire européen. Scandola est d'intérêt national, européen et peut-être mondial. En tout cas, cette réserve naturelle est inscrite au patrimoine mondial de l'UNESCO. Il est normal que ce patrimoine s'inscrive dans un cadre où l'Etat joue un rôle fort.

Je rappelle donc les trois conditions justifiant la présence de l'Etat en terme de patrimoine : l'indépendance régalienne, le niveau d'intérêt du patrimoine en cause, la méthode et le savoir qui ne peuvent se développer que par une longue tradition. Il est illusoire de réinventer les méthodes et les systèmes des monuments historiques à l'échelon d'une région de 250 000 habitants : en matière de patrimoine naturel ou monumental, il s'agit largement de pratiques et de techniques de niveau international. C'est donc faire fausse route dans ce domaine que de dire que tout est remis à la collectivité. C'est plus compliqué que cela et l'Etat a un rôle à jouer.

S'agissant du domaine de l'animation culturelle, j'en suis moins convaincu. D'ailleurs, je suis grand lecteur d'un autre Corse, Marc Fumaroli, auteur de l'Etat culturel. Il n'empêche que si l'Etat mène une politique culturelle nationale, il faut aussi qu'il l'affirme dans une île comme la Corse. Le message que je veux faire passer, c'est que cette confusion permanente qui veut que la décentralisation soit l'abandon par l'Etat de son rôle est une erreur complète. La décentralisation n'est pas que le renforcement des contrôles - la police et la justice - mais c'est aussi la conduite des politiques nationales qui se justifient même dans les systèmes les plus décentralisés. Quand je dis cela à l'Assemblée de Corse, nos collègues, y compris nationalistes, sont, malgré tout, sensibles à l'argument. Ils disent qu'en effet il vaut peut-être mieux que les monuments historiques relèvent de l'Etat. Personne n'a dit non plus qu'il fallait que le Conservatoire du littoral se retire ou qu'il cède ses terrains à la collectivité. En tout cas, je ne l'ai pas entendu dire et je ne crois pas à un tel danger.

M. Nicolas Alfonsi : Cela viendra !

M. Paul Giacobbi, président du Conseil général de Haute-Corse : Non, cela ne viendra pas. Encore une fois, les décentralisations les plus larges, les fédérations vont de pair avec des présences paradoxalement très fortes de l'Etat. De même, on croit qu'un préfet défend toujours l'intérêt de l'Etat. La vérité pratique - et que nous connaissons tous - c'est que bien souvent le préfet tord toujours les lois nationales pour céder à la pression des élus. Je l'ai constaté lorsque j'étais au bureau des sites du ministère de l'Equipement : normalement, le préfet devrait défendre la politique d'Etat du ministère de l'Environnement, du ministère de l'Equipement ou de celui de la Culture dans leurs domaines respectifs, mais la plupart du temps, il tord les lois nationales pour céder à la pression des élus. Je vous assure que c'était le cas dans les commissions départementales des sites, du moins il y a dix ans, quand je m'occupais de ces questions quotidiennement. Vu de l'administration centrale, nous voyions le préfet bien plus comme l'allié des collectivités locales que comme le garant de l'application de la loi.

M. Nicolas Alfonsi : Je partage l'avis de M. Paul Giacobbi sur la fonction de l'Etat : il serait désastreux qu'il se retirât ! Je pense même que par précaution, on devrait vérifier quelle est la qualité des politiques culturelles conduites dans l'ensemble des régions. Je ne suis pas convaincu que ce qui a été fait jusqu'à présent soit extraordinairement productif. Je ne suis pas persuadé qu'il faille traduire Becket en Corse, ni financer des opérations de ce genre.

Tout ce qui s'est fait jusqu'à présent peut être corrigé et l'action de l'Etat doit être conduite avec force : l'Etat ne doit pas se retirer, au contraire ! Toutefois, je doute d'un retour en force de l'Etat en Corse après le vote des projets de loi, et je pense surtout au texte constitutionnel prévu pour 2004.

Il faut toutefois relativiser l'importance de la question de la politique culturelle par rapport à l'ensemble des problèmes qui se posent en Corse. Cet aspect des choses est à côté de nos préoccupations et cela ne constitue pas l'essentiel du texte. Pensez ainsi au moment où il y aura un programme d'investissement de 10 milliards de francs alors que les entreprises ne peuvent pas absorber plus de 100 millions de travaux par an en Corse du Sud. C'est dire qu'il convient de s'interroger d'abord sur de telles questions, beaucoup plus concrètes que les problèmes d'action culturelle.

M. Bernard Roman, président : Je ne partage pas votre jugement de valeur. Nous n'allons pas nous séparer sur un constat de désaccord sur l'intérêt des politiques culturelles et je ne reprends pas ce débat. Cet exemple n'était qu'une illustration d'un problème fondamental de notre démarche : celui de la place respective de l'Etat et des collectivités territoriales dans une vision décentralisée de la République. La question culturelle étant la question la plus difficile à traiter de ce point de vue, notamment en termes d'organisation des services, il était utile de prendre cet exemple. C'est là une question centrale qui, je n'en doute pas, sera au c_ur de nos débats, du moins si je m'en réfère aux premiers échanges que nous avons eus à l'Assemblée nationale sur cette question.

Messieurs, je vous remercie de la franchise de vos propos et de la clarté avec laquelle nous avons pu échanger nos points de vue.

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* *

Le 17 avril 2001, la Commission a entendu M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur.

M. Bernard Roman, président : Je suis heureux d'ouvrir cette réunion de la commission des Lois, à laquelle la presse a été exceptionnellement autorisée à assister. Nous recevons le ministre de l'Intérieur dans le cadre du travail que nous effectuons, depuis plusieurs mois maintenant, sur le projet de loi relatif à la Corse. Avant même que la commission des Lois ne soit saisie de ce texte, nous avons tenu un certain nombre d'auditions dans le cadre de la mission d'information sur la Corse. La commission a ensuite entendu, au cours de deux séances également ouvertes à la presse, les élus de l'Assemblée de Corse, le président du conseil exécutif ainsi que les présidents des conseils généraux.

Je souhaite la bienvenue à M. Daniel Vaillant qui, après nous avoir présenté une première fois, le 4 octobre dernier, le relevé de conclusions du 20 juillet 2000, va nous exposer le contenu du projet de loi qui a quelque peu évolué par rapport à cet accord. Je donnerai ensuite la parole au rapporteur et aux parlementaires qui le souhaitent, cet échange tenant lieu de discussion générale. Après le départ de M. Daniel Vaillant, nous poursuivrons éventuellement la discussion générale et nous voterons sur les motions de procédure.

M. Daniel Vaillant, ministre de l'Intérieur : Je vous remercie, monsieur le président, de me donner à nouveau l'occasion de m'exprimer devant votre commission. Le 4 octobre dernier, en effet, dès la rentrée parlementaire, j'avais rappelé dans quel contexte historique s'inscrivait l'initiative du Premier ministre pour tenter de dégager, pour la Corse et la République, une réponse politique à un problème spécifique. J'avais souligné également combien la démarche suivie - démarche transparente et de responsabilisation - était en elle-même importante. Pour dissiper tout malentendu et écarter toute polémique inutile, j'avais enfin affirmé qu'il n'était aucunement question de choisir entre l'Etat de droit et de nouvelles responsabilités confiées aux élus de Corse.

Je peux encore vous le confirmer aujourd'hui : l'Etat s'inscrit dans la durée et cette constance lui a parfois fait défaut dans le passé.

Je ne développerai donc pas, à nouveau, l'ensemble de ces thèmes pour consacrer mon propos aux événements qui ont jalonné, depuis notre dernière rencontre, l'avancement d'un processus qui entre, dans les jours prochains, dans une phase décisive, avec l'examen, en première lecture, du projet de loi à l'Assemblée nationale. A l'issue de la Conférence des présidents de ce matin, le ministre chargé des relations avec le Parlement a fait savoir que l'examen de deux projets de loi, l'un portant sur diverses mesures d'ordre social, l'autre sur diverses mesures à caractère économique et financier, conduisait à fixer aux 15, 16 et 17 mai les dates de l'examen en première lecture du projet de loi relatif à la Corse et non, comme cela avait été envisagé, à compter du 2 mai. Ce report, de quelques jours seulement, pour des motifs strictement liés aux contraintes du calendrier parlementaire ne saurait être interprété comme une remise en cause du caractère prioritaire de ce texte.

J'ai engagé avec la commission des Lois un travail de collaboration confiant et efficace. Dès les 2 et 3 novembre, Bernard Roman a bien voulu m'accompagner lors de mon premier déplacement en Corse comme ministre de l'Intérieur pour nouer directement un contact avec les élus de la Corse. La mission d'information qu'il a créée depuis a multiplié initiatives et déplacements pour poursuivre ce dialogue, non seulement avec les élus, mais aussi avec l'ensemble des acteurs, aux opinions diverses et parfois contraires, concernés par les dispositions du projet de loi. Je sais le profit que la Commission en a retiré. Ce travail considérable lui permet de mieux comprendre les réalités dont nous nous sommes saisis et de se forger une libre opinion sur le texte que nous lui soumettons.

Le Gouvernement a saisi l'Assemblée de Corse fin novembre pour consultation sur l'avant-projet de loi relatif à la Corse, conformément aux dispositions de l'article 26 de la loi de 1991. Comme elle l'avait déjà fait le 28 juillet 2000, l'assemblée de Corse a renouvelé, le 8 décembre dernier, à une très large majorité de ses membres, son adhésion au projet du Gouvernement, assortissant ce soutien d'avis et de suggestions qui ont été examinés avec soin. Nous avons retenu ceux qui nous semblaient compléter notre texte, sans s'écarter des conclusions du 20 juillet 2000. Le texte a ensuite été soumis pour avis au Conseil d'Etat, agissant en l'espèce comme conseil du Gouvernement et non comme juge administratif ou constitutionnel. Les objections qu'il a pu formuler ont suscité des échanges nourris au sein même du Conseil d'Etat, révélant ainsi leur complexité. Elles portent sur des questions qui divisent les juristes : possibilité de réaliser des expérimentations, étendue du pouvoir réglementaire des collectivités locales, reconnaissance des langues régionales et des particularités locales en matière fiscale. Parce qu'il lui a semblé que rien dans le projet de loi ne contredisait nos principes constitutionnels, et tout en tenant le plus grand compte des remarques du Conseil d'Etat sur le reste du texte, le Gouvernement n'a pas souhaité modifier son projet sur ces dispositions essentielles, en considérant qu'il revenait désormais au Parlement, dans un débat public et démocratique, d'apporter d'éventuelles modifications. Le Conseil des ministres du 21 février a ainsi adopté le projet de loi qui vous est soumis.

Le Gouvernement ne se présente pas devant votre commission, et bientôt devant l'Assemblée, avec un texte verrouillé, même s'il entend rester naturellement fidèle aux engagements pris le 20 juillet dernier. Cette position ne surprendra pas ceux qui veulent bien se souvenir qu'en quatre ans, il n'a jamais eu recours aux dispositions de l'article 49-3 pour contraindre les débats parlementaires et forcer l'adoption d'un texte. Le Gouvernement est disposé à apporter sa contribution à ce débat, en poursuivant avec vous et l'ensemble des députés, un dialogue déjà engagé avec M. Bernard Roman, votre président, et M. Bruno Le Roux, votre rapporteur, en vue d'améliorer le texte, si besoin est. Il s'agit de l'améliorer sans le dénaturer, car le risque serait alors certain d'une rupture du consensus si patiemment construit dans l'île au fil des mois. Nous pouvons en effet nous fixer un objectif commun : rassembler une large majorité d'idées sur ce texte. La réussite de cette réforme n'en sera que mieux assurée. Les conditions d'une telle approbation peuvent être réunies à entendre les déclarations de tel ou tel responsable politique, toutes sensibilités confondues. Les élus de l'assemblée de Corse n'ont-ils pas su eux-mêmes surmonter leurs différences ?

Des amendements seront très certainement déposés à l'initiative de la commission des Lois et des députés qui souhaiteront s'impliquer positivement dans ce débat. Ce travail d'écriture est nécessairement délicat, puisqu'il s'agit de transcrire en termes juridiques les éléments d'un texte à caractère politique. Le cabinet et les services du Premier ministre, mon cabinet et la direction générale des collectivités locales, dont je tiens à saluer le travail, se sont préparés, dans le prolongement du travail entrepris avec l'ensemble des ministères depuis maintenant 7 mois, pour apporter leur concours aux travaux de votre Commission avec un triple objectif, que je sais largement partagé : la fidélité aux engagements pris, la nécessaire précision du texte - car elle conditionne sa bonne application -, sa sécurisation au regard des impératifs constitutionnels. Nous connaissons bien les articles les plus sensibles qui font débat. Je n'entends aucunement me substituer à votre Commission et à son rapporteur, mais je connais les remarques qu'ils ont pu susciter et l'état de leurs réflexions. Elles ne sont en rien contraires aux positions du Gouvernement, dont je rappellerai ici brièvement les données essentielles.

S'agissant de l'adaptation des dispositions réglementaires, il est acquis que la compétence conférée à l'assemblée de Corse ne saurait empiéter sur celle que le Premier ministre tient de l'article 21 de la Constitution. Nous soutiendrons toute rédaction plus précise allant en ce sens. S'agissant de l'adaptation des dispositions législatives, le texte proposé n'est en fait qu'un article de procédure qui renvoie à des lois futures les habilitations que le Parlement définirait souverainement. Vous souhaiterez peut-être, et nous en convenons par avance, qu'il soit amélioré en reprenant de façon plus explicite les conditions posées par le Conseil constitutionnel dans sa jurisprudence relative à l'expérimentation, car il s'agit bien d'expérimentation, à l'initiative du Parlement, dans les conditions qu'il aura définies, et sous son contrôle permanent.

S'agissant de la langue corse, et comme je vous l'ai déjà dit le 4 octobre dernier, le Gouvernement s'est engagé en faveur d'une généralisation de l'offre de cet enseignement. Il n'a jamais employé le terme « d'apprentissage obligatoire ». Il a dû rechercher une rédaction de synthèse avec les élus de Corse qui s'étaient unanimement prononcés pour un enseignement obligatoire. Notre position est constante et, s'il fallait, au prix d'une nouvelle rédaction, dissiper toute ambiguïté sur les termes employés, y compris ceux qui affirment la capacité pour les parents de s'opposer à l'enseignement de la langue corse à leurs enfants, je ne pourrais que livrer à vos réflexions, sur un sujet de même nature, les dispositions de la loi organique de 1996 sur les langues polynésiennes. Elles ont été, en leur temps, validées par le Conseil constitutionnel, sans que des références à l'outre-mer ou au statut d'autonomie aient constitué, dans sa décision, un facteur discriminant qui nous empêcherait de nous en inspirer pour la Corse.

S'agissant de la fiscalité des successions, j'aborde ici un sujet politiquement et techniquement particulièrement délicat. La population de Corse a massivement manifesté son attachement à ce qui est vécu comme un héritage de l'histoire. L'enjeu financier pour l'État est minime (50 à 60 millions de francs de ressources fiscales). Le retour au droit commun ne peut cependant être sérieusement contesté, mais il ne peut être que progressif. La durée du dispositif proposé par le Gouvernement - quinze ans - peut paraître longue à certains, elle reste néanmoins à rapprocher de deux siècles vécus sous le régime actuel. J'avoue aussi qu'un retour au droit commun, dès le 1er janvier 2002, ne serait pas sans poser de sérieuses difficultés techniques compte tenu de l'absence massive de titres de propriété. Ainsi, il nous paraît difficile à ce stade de faire évoluer le texte sans le dénaturer totalement, avec le risque évident d'une rupture du consensus dans l'île. Il ne faudrait pas, par ailleurs, réduire ce texte aux seules mesures d'exonération accompagnant la reconstitution des titres de propriété. A partir du 1er janvier 2002, toutes les successions intervenues en Corse devront faire l'objet d'une déclaration, le délai de dépôt étant porté à deux ans pour celles comportant des biens immobiliers en Corse. C'est une novation qu'il ne faut pas négliger, ne serait-ce que parce qu'elle contribue à mettre fin au désordre juridique et rend automatiquement taxables les biens mobiliers, ce qui n'était pas le cas précédemment.

Je limite mon propos à ces questions essentielles pour laisser le temps au débat. Elles n'épuisent pas le champs des amendements possibles. Le Gouvernement souhaite par exemple que le délai du droit d'option pour les personnels de l'Etat dont les services seront transférés à la collectivité territoriale de Corse soit porté de un à deux ans, conformément aux conclusions du dialogue engagé avec les organisations syndicales. Je sais aussi que les dispositions relatives aux mesures fiscales de soutien à l'investissement suscitent des demandes reconventionnelles. Le Gouvernement ne souhaite pas cependant que soit remise en cause leur orientation vers le développement, qui marque, il est vrai, une rupture avec les dispositifs antérieurs.

Les enjeux de ce débat, difficile s'il s'engage avec trop de passion, ne nous échapperont pas. Le texte proposé par le Gouvernement est un texte d'équilibre qui conjugue le respect des principes républicains avec la prise en compte de l'évidente spécificité de la Corse. Aucune des institutions de la République n'est remise en cause, aucune de ses valeurs n'est bafouée. Les Corses sont français et veulent très majoritairement le rester, ils souhaitent aussi tourner la page d'une histoire trop douloureuse. Cette appartenance peut se nourrir sans danger, mais au contraire de façon féconde et durable, d'une prise en compte de leur identité par les seules voies démocratiques. C'est toute l'ambition de notre projet, dans le prolongement des lois de 1982 et 1991, dont il approfondit les avancées en s'enrichissant de l'expérience acquise. Ayons du reste la lucidité de reconnaître que ces textes fondateurs, et je pense tout spécialement au statut Joxe de 1991, dont je tiens à saluer la clairvoyance, n'ont pas toujours été mis en _uvre comme ils auraient dû l'être, par les Corses sans doute, mais aussi par les gouvernements successifs. Reconnaissons qu'il leur manquait peut-être une dimension relative au développement économique que le volet fiscal du projet et le programme exceptionnel d'investissement tendent à assurer.

Il y a enfin, et ne serait-ce pas l'essentiel, l'espérance démocratique qui scelle tout enracinement dans la République, car cette loi est avant tout une loi de responsabilité. Elle est exigeante pour les Corses, puisqu'il leur revient de mieux maîtriser leur avenir sans tenir systématiquement l'Etat pour responsable des choix qu'ils doivent assumer dans un débat démocratique qui ne peut s'accommoder de la violence. Vous me direz qu'il s'agit d'un pari insensé. Je répondrai plutôt d'un espoir raisonné, parce que les Corses le veulent et parce que l'Etat reste fort, recentré sur ses compétences essentielles et garant du respect des lois. Commentant les résultats des dernières élections en Corse, et sans approche partisane, la presse locale en parlait en ces termes : « le corps électoral redécouvre les vertus du choix et du changement. C'est un peu l'effet Matignon sans Matignon, les insulaires savent que l'on peut voir la politique autrement ». J'ai envie de dire : qui oserait briser cet élan ?

M. Bruno Le Roux, rapporteur : Le Gouvernement a souhaité apporter au problème corse une solution appropriée qui s'inscrit dans le cadre de la politique de rétablissement de l'Etat de droit et de la reconnaissance de la spécificité insulaire, conformément aux orientations fixées par le Premier ministre, dans sa déclaration de politique générale de juin 1997. L'examen du projet de loi qui nous est soumis constitue une étape fondamentale du processus engagé, le 13 décembre dernier, dont l'aboutissement est prévu en 2004, avec une éventuelle révision de la Constitution. Avant d'aborder le contenu de ce projet, je voudrais revenir, dans un premier temps, sur la méthode suivie et sur l'accord qui en est résulté.

Ce processus apparaît exemplaire à bien des égards. La démarche a été parfaitement transparente. Reposant sur un dialogue avec les élus de Corse, elle a consacré la primauté du débat politique. Les discussions entamées ont eu lieu au grand jour, avec les seuls élus de la région, toutes tendances politiques confondues. Aucune tractation secrète n'a été engagée. La première étape du processus en cours s'est d'abord limitée à un dialogue entre le Gouvernement et les élus de l'île et a abouti à un accord ambitieux. Le relevé de conclusions du 20 juillet 2000 comporte une série de propositions à caractère institutionnel, économique et social. Il prévoit ainsi d'augmenter les compétences de la collectivité territoriale, tout en simplifiant son organisation administrative, en supprimant les deux départements existants. Il envisage, par ailleurs, un nouveau statut fiscal, destiné à remplacer la zone franche, une loi de programmation d'investissements publics, des mesures de soutien au financement de l'économie et l'application progressive du droit commun de la fiscalité des successions. Il propose, enfin, la mise en place d'un dispositif permettant d'assurer un enseignement généralisé de la langue corse dans les écoles maternelles et primaires. Certaines des mesures de cet accord, telles que la création d'une collectivité unique et la délégation à la collectivité territoriale de Corse d'un pouvoir d'adaptation des normes nationales au-delà d'une phase d'expérimentation, impliquent une révision de la Constitution, qui n'a été envisagée que pour une seconde étape, à l'expiration du mandat de l'Assemblée de Corse en 2004.

Suivant les engagements contenus dans le relevé de conclusions du 20 juillet 2000 et conformément aux dispositions du statut de 1991, qui impose la consultation de la collectivité territoriale de Corse sur les projets de loi ou de décrets la concernant, le Gouvernement a soumis à l'Assemblée de Corse un avant-projet de loi modifiant et complétant le statut de la collectivité territoriale de Corse. Celle-ci l'a adopté, à une large majorité, le 9 décembre 2000. J'ai pu assisté aux débats qui ont eu lieu à cette occasion et me rendre ainsi compte de la forte implication de l'ensemble des élus corses sur ce texte.

La commission des Lois a mis en place, à l'initiative de son président, une mission d'information sur la Corse, qui a effectué deux déplacements en Corse, les 22, 23 et 24 novembre 2000 et les 26 et 27 mars derniers. Elle a pu rencontrer un nombre important d'acteurs économiques et sociaux de l'île, tous ceux qui en ont fait la demande, à l'exception de quelques-uns qui pourront être entendus dans les jours qui viennent. La Commission a, par ailleurs, souhaité poursuivre l'examen du projet de loi dans la transparence et a ainsi procédé à l'audition publique des élus corses. Les divers groupes de l'assemblée de Corse ont été entendus le mercredi 28 mars. Le président du conseil exécutif de Corse et les deux présidents des conseils généraux se sont exprimés devant elle le 4 avril. Nous avons donc, monsieur le ministre, en préalable à l'examen de ce projet de loi par l'Assemblée nationale, entamé un travail de fond dans le cadre de la mission d'information sur la Corse ainsi qu'au sein de notre commission. Nous avons souhaité respecter l'accord du 20 juillet 2000, en écoutant les revendications des acteurs corses et des associations, et en tenant compte des réserves émises par le Conseil d'Etat sur la conformité à la Constitution de certaines dispositions. L'ensemble des travaux menés ont révélé que quelques points emblématiques réclament une attention particulière, en raison des difficultés juridiques qu'ils soulèvent ou de leur caractère polémique. Je parle du pouvoir d'adaptation des lois et des règlements, de l'enseignement la langue corse, de l'aménagement de la loi littoral et du dispositif fiscal, notamment des arrêtés Miot.

Je proposerai une réécriture de l'article 1er. S'il n'a pas été officiellement rendu public par le Gouvernement, l'avis du Conseil d'Etat a beaucoup circulé et il n'est pas possible d'ignorer les réserves de constitutionnalité que soulève cet article. Lors de leur audition par notre commission, les élus de l'Assemblée de Corse ont indiqué que rien ne serait pire que la censure du texte par le Conseil constitutionnel et souligné que les problèmes constitutionnels pourraient être traités dans un second temps, c'est-à-dire lors de la révision constitutionnelle de 2004. Dans ce contexte, je proposerai à la Commission une rédaction nouvelle de l'article 1er qui réorganisera, en la renforçant, la compétence particulière reconnue à l'Assemblée de Corse par l'article 26 du statut de 1991. Celui-ci prévoit une procédure de consultation sur les projets de lois et décrets qui comportent des dispositions spécifiques à la Corse et un pouvoir de proposition, de modification et d'adaptation des lois et règlements relatifs au statut et au développement économique, social et culturel de l'île.

Vous avez eu raison de dire que la question de l'enseignement de la langue corse, abordée par l'article 7 du projet de loi, a été vécue avec passion. La mention selon laquelle la langue corse est enseignée « sauf volonté contraire des parents » a fait couler beaucoup d'encre, laissant penser à certains qu'il s'agirait d'un enseignement d'obligatoire. Bien entendu, le texte ne dit pas cela. Vous avez fait référence à l'article de la loi organique de 1996 relatif à l'enseignement de la langue polynésienne. Je cherche à m'inspirer de ces dispositions, mais elles ont fait l'objet de réserves d'interprétation par le Conseil constitutionnel et je me pose la question de savoir s'il ne serait pas possible de trouver une formulation qui ne soit pas soumise à de telles réserves.

L'article 12, a également beaucoup mobilisé l'attention. Il vise à permettre à la Corse de déroger aux règles fixées par la loi littoral en matière d'urbanisation qui, compte tenu de la topographie de l'île et de ses caractéristiques - villages sur les hauteurs, littoral vierge, etc. - interdisent toute construction. Or, il faut bâtir pour le tourisme, moteur du développement, tout en respectant l'environnement, moteur du tourisme. Je proposerai un amendement qui permettra à la collectivité de Corse de trouver un équilibre entre développement et protection de l'environnement, tout en apportant les précisions demandées par le Conseil d'Etat pour assurer la constitutionnalité du dispositif : les espaces fragiles, rares ou utiles resteront ainsi préservés.

Enfin, s'agissant de la fiscalité des successions, le dispositif prévu est destiné à permettre un retour progressif au droit commun et s'articule en deux étapes : dix ans d'exonération totale de droits de succession pour reconstituer les titres de propriété et cinq ans d'exonération à hauteur de 50 %. Si les délais prévus sont susceptibles d'être contestés, il faut remarquer que l'instauration d'une phase transitoire constitue le seul moyen d'assurer un retour au droit commun des successions. En effet, la reconstitution préalable des titres est indispensable : sans elle, il n'y aura pas de base d'imposition et donc pas d'établissement de l'impôt. Cette reconstitution prendra nécessairement du temps pour assurer un retour progressif au paiement de l'impôt. Je pense aussi qu'il faut prévoir expressément dans la loi un retour au droit commun. L'exposé des motifs l'envisage, mais le texte ne dit rien.

M. Michel Vaxès : La loi prévoit que la collectivité territoriale de Corse disposera d'un pouvoir d'adaptation législative. Si j'ai bien compris le texte, le législateur devra autoriser les dérogations. C'est pourquoi les dérogations relatives à la loi littoral sont prévues dans le présent projet de loi. Ma question est la suivante : qui décide si les propositions de l'Assemblée de Corse relèvent de l'adaptation ou de la dérogation ? Il semble que ce soit le Gouvernement, puisqu'il reviendra au préfet d'informer l'Assemblée de Corse de la suite donnée à ces demandes. Autrement dit, il semble que le législateur soit écarté de la possibilité de revenir sur une proposition d'adaptation.

Ma deuxième question porte sur l'enseignement de la langue corse. La langue nationale est le français. L'obligation de choisir une option dans une perspective de plurilinguisme ou de bilinguisme me paraît tout à fait recevable, dès lors que l'on considère le bilinguisme ou le plurilinguisme comme un vecteur d'épanouissement et d'intégration. De surcroît, les recherches en cours semblent indiquer qu'il ne contrarie en rien l'apprentissage de la langue nationale. Inclure dans l'offre d'options des langues régionales, des langues de France, qui font la richesse du patrimoine culturel national, me paraît légitime. En revanche, je m'interroge sur le fait de limiter le choix de l'option à une seule langue, ce qui n'est pas le cas pour les offres présentées dans le secondaire. Cela me paraît réduire la liberté des parents ou des représentants légaux de l'enfant qui auraient peut-être préféré l'enseignement d'une autre langue, dès le cycle élémentaire ou maternel.

Ma troisième question est relative aux transferts de compétences. Le transfert de l'exercice d'un nombre accru de compétences au plus près de nos concitoyens me paraît, lui aussi, aller dans le bon sens. Il faut l'encourager, le développer au maximum, sans remettre en cause la nécessaire cohérence d'ensemble de la politique nationale et le statut des personnels de la fonction publique qui sont concernés par ces transferts. Ces transferts de compétences exigent évidemment le transfert des moyens correspondants. S'ils devaient se faire en dehors d'un cadre démocratique, ils perdraient l'essentiel de l'intérêt que peut représenter une perspective décentralisatrice véritable, qui vise à mieux associer une population, en l'occurrence le peuple corse, à l'exercice d'une véritable citoyenneté. Il me paraît donc important de recourir plus efficacement à la consultation populaire. A cet effet, je rappelle que notre groupe a déposé une proposition de loi organisant le débat citoyen à tous les échelons des collectivités territoriales. Quel prolongement entendez-vous donner à cette proposition ?

Je voudrais, par ailleurs, vous poser une question relative à l'investissement. L'article 46 prévoit un programme exceptionnel d'investissement avec une contribution de l'Etat ne pouvant excéder 70 % du total du coût du programme. Nous savons - cela nous a été dit lors d'un déplacement de la mission d'information en Corse - que l'ensemble de nos interlocuteurs corses considèrent, comme beaucoup de collectivités territoriales, qu'ils auront de grandes difficultés pour mettre en _uvre le contenu des contrats de plan et ils sont inquiets de leur capacité à suivre, compte tenu du retard pris. La question est de savoir s'il faut exprimer cet investissement exceptionnel en termes de pourcentages ou en termes de volumes financiers et à quelle hauteur.

Ma dernière question porte sur les mesures fiscales et sociales en faveur de l'investissement. Des dispositifs sont prévus. Ils vont beaucoup plus loin que ceux que nous avons connus : le crédit d'impôt et les exonérations de taxe professionnelle. Toutefois, il faut tirer des enseignements du rapport de la commission d'enquête sur l'utilisation des fonds publics et la gestion des services publics en Corse présidée par M. Jean Glavany, qui a été voté à l'unanimité. Le souci de la bonne utilisation de l'argent public, et donc du contrôle de l'utilisation des finances publiques, ne peut échapper à personne. Quelles suites peut-on donner à cette préoccupation ?

M. Henri Plagnol : J'ai écouté avec attention votre présentation de ce projet de loi et vous avez dit vous-même qu'au fond, toute la difficulté de l'exercice est de traduire juridiquement un compromis politique, le fameux relevé de conclusions de juillet 2000, qui a motivé le départ de notre collègue M. Jean-Pierre Chevènement de son poste de ministre de l'Intérieur. Or, cet exercice est impossible - me semble-t-il - si l'on reste dans le cadre de la Constitution. Mais, c'est précisément ce que vous voulez faire. La Constitution interdit de satisfaire les principales revendications des autonomistes ou indépendantistes corses, qui ont approuvé cet accord de juillet 2000, et en particulier les deux points cruciaux sur lesquels se focalisent nos débats : la reconnaissance d'un pouvoir législatif autonome pour l'Assemblée de Corse et la systématisation de l'enseignement du corse. La reconnaissance du peuple corse est impossible dans le cadre de notre Constitution, puisque c'est sur ce point que le statut Joxe avait été censuré, avec les répercussions politiques dont tout le monde se souvient. Notre Constitution ne permet pas de donner à une collectivité territoriale un pouvoir réglementaire ou législatif autonome. Notre rapporteur vient, d'ailleurs, de le reconnaître avec un grand mérite, en disant que la rédaction de l'article 1er, si modeste soit-elle dans votre projet, est incompatible avec la Constitution. La seule façon de s'en sortir est de l'amender, en renvoyant au statut qui existe, le statut Joxe de 1991. Mais dans ce cas, il n'est nul besoin de faire un projet de loi. L'article 1er devient superfétatoire, de même que les dispositions sur l'enseignement du corse. Il suffirait par circulaire de donner instruction aux rectorats et aux inspections académiques de faire le nécessaire pour que tous ceux qui le souhaitent puissent suivre des cours de corse, si l'on prétend - comme vous le faites - ne pas le rendre obligatoire.

Comment comptez-vous sortir de cette difficulté vis-à-vis de vos partenaires politiques ? Vous avez choisi, monsieur le ministre, de scinder en deux et de renvoyer en 2004 le vrai débat sur la nécessité d'un statut spécifique pour la Corse, alors que la bonne façon de légiférer eût été de faire l'inverse. Très au-delà des clivages habituels entre la gauche et la droite, nous avons voté, à une grande majorité, une proposition de l'UDF sur l'expérimentation pour l'ensemble des régions françaises. Plutôt que de prétendre faire un statut pour la Corse, alors qu'il ne peut rien apporter au droit existant, tant que l'on se refuse à modifier la Constitution, il eût mieux valu poser le problème pour l'ensemble des régions françaises, permettre une très large expérimentation et là, nous aurions été très nombreux à vous suivre. Or, une fois de plus, vous avez choisi de faire de la Corse une exception. Vous n'avez pas les moyens politiques de modifier, non pas l'exception corse, mais l'exception française.

Voilà pourquoi, monsieur le ministre, votre projet ne peut que décevoir ceux qui attendaient plus, c'est-à-dire vos partenaires politiques de l'accord de juillet 2000. Il ne reste à peu près rien des prétentions constitutionnelles originelles et cela ne peut qu'inquiéter ceux qui, comme moi, se soucient de l'indivisibilité de la République. Nous ne voulons pas que, sous couvert de voter un projet de loi anodin, on cautionne une démarche dangereuse qu'auront à gérer ceux qui gouverneront la France en 2004.

M. Jean-Pierre Michel : Monsieur le ministre, vous êtes entendus par la commission des Lois, et même si sa réunion est ouverte à des membres extérieurs, je m'en tiendrai à une question proprement juridique, laissant à la séance publique le débat politique. Vous avez dit que, dans cet exercice, il s'agissait de transcrire en termes juridiques des problèmes politiques. C'est le cas de tous nos textes de loi et ce n'est pas propre à celui-ci. Encore faut-il que cette transcription recouvre une réalité. Or, j'ai l'impression qu'elle ne recouvre rien de nouveau sur bien des points. Concernant le transfert du pouvoir réglementaire, je vous demande de me rappeler des souvenirs très lointains de droit administratif. Vous dites qu'il n'est pas question de transférer le pouvoir réglementaire de l'article 21 de la Constitution. Que transférez-vous alors ? A ma connaissance, il n'y a pas d'autre pouvoir réglementaire. Il y a certes un pouvoir réglementaire qui appartient aux collectivités locales, mais il s'agit alors d'un pouvoir réglementaire subordonné à celui, autonome, du Premier ministre. Je me demande, dès lors, ce qu'il s'agit de transférer. J'espère que l'on n'a pas fait au peuple corse des promesses qui ne pourraient pas être tenues en termes juridiques. Voilà une question à laquelle je ne vois pas de réponse.

M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur : Je voudrais d'abord revenir sur l'analyse du projet de loi présentée par M. Bruno Le Roux, qui m'avait déjà informé de ses réflexions, y compris sur l'article 1er et sur les dispositions relatives aux droits de successions : ses suggestions peuvent permettre d'avancer dans le cadre du débat parlementaire. Concernant le pouvoir d'adaptation du pouvoir législatif, M. Michel Vaxès demande qui décide de ce qui relève de l'adaptation et de la dérogation. Les choses sont claires, y compris dans l'exposé des motifs et dans le texte même de la loi. C'est le conseil exécutif de l'Assemblée de Corse qui, par l'intermédiaire du Gouvernement, saisit le législateur lequel, bien évidemment, décide et tranche cette question. La réponse est très claire, il suffit de se reporter à l'article 1er du projet de loi.

S'agissant de la langue corse, la généralisation de l'offre d'enseignement de la langue corse dans les classes maternelles et primaires dans le cadre de l'horaire normal ne semble pas poser de problèmes. Sur la possibilité d'un choix d'options, je rappelle que cette proposition pourra tout à fait valoir pour le corse comme elle vaut pour l'anglais, par exemple. A mon avis, cette question ne sera pas posée. La question est de savoir si l'Etat s'oblige à généraliser l'offre de l'enseignement de la langue corse dans des horaires normaux. La réponse est oui et c'est bien l'objet du projet de loi. Comme je l'ai dit dans mon propos liminaire, il faut maintenir ce consensus large, même s'il ne fait pas l'unanimité en Corse. C'est un élément fondamental et cela a été dit par des élus en Corse récemment. La suggestion que j'ai faite, et que le rapporteur a bien voulu reprendre, de se référer au précédent de la langue polynésienne, répond de ce point de vue à la préoccupation des élus corses dans leur grande majorité, voire dans leur unanimité, de voir figurer cette généralisation de la langue corse. Il n'y a pas de difficultés de ce point de vue et s'il y en avait, elles pourraient être facilement surmontées.

S'agissant du statut des fonctionnaires de l'Etat, dont les services seront transférés à la collectivité territoriale de Corse du fait du transfert de compétences, j'ai dit dans mon propos liminaire que le Gouvernement souhaitait que le texte soit amendé, pour que le délai pendant lequel ils pourront choisir de conserver leur statut ou devenir fonctionnaire territorial soit allongé de un à deux ans. S'agissant du souhait de M. Michel Vaxès de voir la population consultée, en Corse, ou ailleurs, nous butons là sur une difficulté constitutionnelle. Même si nous le voulions, cela ne serait pas possible. Peut-être cela le sera-t-il après 2004, mais ce n'est pas proposé aujourd'hui parce que ce n'est pas prévu dans la Constitution.

A propos du programme d'investissement, en réponse à M. Michel Vaxès, j'indique que je comprends son souci. Il y a ce que l'Etat s'engage à faire : prendre sa part à travers la prise en charge de 70 % du programme ; mais restent les 30 %. Je comprends bien la difficulté, mais c'est aussi le but de ce projet de loi : faire appel à la responsabilité des élus devant leurs électeurs. Il faudra donc procéder à une sélection, faire des choix dans la transparence pour accompagner le programme d'investissement. Les élus de la Corse devront prendre la responsabilité de définir leurs choix. Par ailleurs, je vous rappelle qu'ils auront la possibilité de faire appel à des fonds communautaires. Dans le cadre de cette responsabilisation et de cette volonté d'aboutir, je pense que des capacités de financement peuvent être trouvées. Déjà des pistes ont été suggérées et elles ont trouvé un bon écho auprès de la Commission européenne. L'utilisation des fonds publics a fait l'objet d'une loi, notamment grâce à une proposition de loi de M. Robert Hue qui a subi l'onction positive du Parlement avec l'accord du Gouvernement. Je veux rappeler aussi que les préfets, et particulièrement en Corse, devront se montrer vigilants comme ils l'ont toujours été sur le contrôle de légalité. C'est donc aussi un des points importants du rôle de l'Etat dans le cadre de la République en Corse.

M. Henri Plagnol considère que ce projet de loi constitue un exercice impossible puisqu'on ne peut pas le mener à bien dans le cadre constitutionnel actuel. Je ne le crois pas, sinon nous ne nous serions pas engagés dans cette démarche. Les propositions qui sont faites par le rapporteur sont de nature à lever les doutes sur ce point et à éviter tout risque. En distinguant deux étapes, une en 2001 et une en 2004, je ne crois pas que le Gouvernement ait choisi une mauvaise façon de procéder. Au contraire, il a pris la voie de la réussite. Je vais me situer sur un terrain purement politique : quand les gouvernements successifs ont échoué et que l'Etat de droit ou la République n'a pu surmonter les difficultés en Corse, il faut trouver des solutions. Se satisfaire de l'échec n'est jamais bon. Le choix qu'a fait le Gouvernement est de sortir des difficultés, avec les élus corses, dans la transparence et dans la diversité de ce qu'ils sont. Cela dépasse les clivages politiques, puisqu'il s'agit d'enraciner la Corse dans la République, en reconnaissant son identité, sa spécificité, dans le souci d'avoir une Corse apaisée. Comme il m'est arrivé de le dire, les Français du continent ouvraient chaque matin leur poste de radio en apprenant ce qui s'était passé en Corse, et ce n'était jamais très positif. Il fallait sortir de cette logique de l'échec. C'est le sens de ce cheminement. Avançons en 2001 avec ce projet de loi et avec tout ce qu'il comporte par ailleurs en matière d'investissement. C'est le pari que nous faisons. Vous n'allez pas dans ce sens. Je le regrette, mais je ne désespère pas que vous soyez convaincu par une majorité de vos collègues de l'Assemblée nationale.

Concernant l'expérimentation, vous avez évoqué la proposition de loi dont M. Méhaignerie était le premier signataire. Je veux vous dire qu'au travers de cette proposition - à laquelle d'ailleurs le Gouvernement et une majorité de députés ont porté intérêt - le Gouvernement ne prend pas la Corse comme un champ d'expérimentation en vue d'une généralisation. Ce n'est pas le sens de la démarche suivie. La démarche est de prendre le problème tel qu'il est pour essayer de le régler. Je confirme notre démarche : oui à l'unité et à l'indivisibilité de la République, mais cela ne passe pas par l'uniformité.

M. Henri Plagnol estime que les dispositions relatives au pouvoir réglementaire ont été introduites dans le projet de loi «  à la demande des indépendantistes ou des autonomistes ». Cela revient à attribuer à l'ensemble des élus qui ont pris acte du relevé de conclusions du 20 juillet une qualité qu'ils ne revendiquent pas. Ils sont très nombreux à l'Assemblée de Corse, 80 %, à avoir voté en faveur du processus engagé ; la plupart de ces 80 % d'élus ne se déclarent pas indépendantistes ou autonomistes. Ce n'est pas ainsi que l'on fait avancer les choses. La loi de 1991 prévoit déjà un pouvoir réglementaire spécifique à la collectivité territoriale, en matière notamment d'aides économiques. Je rappelle que le Conseil d'Etat a donné un avis favorable à un assez grand nombre de dispositions qui figurent dans les articles relatifs aux transferts de compétences.

Concernant le pouvoir d'adaptation des normes législatives, le Conseil constitutionnel en a accepté le principe, dans ses décisions du 28 juillet 1993 et du 6 novembre 1996, tout en fixant les conditions. De ce point de vue, toutes les précisions qui pourront être apportées au texte seront utiles dans le sens qu'a indiqué le rapporteur. Quant à la question de M. Jean-Pierre Michel sur le transfert du pouvoir réglementaire, la loi peut confier aux collectivités locales le pouvoir de prendre des mesures en matière réglementaire pour permettre l'adaptation nécessaire au terrain, sans remettre en cause l'article 21 de la Constitution, car le Premier ministre conserve bien évidemment ses prérogatives. On sait très bien que la Corse, de ce point de vue, est dans une situation particulière et le Conseil d'Etat a validé cette partie du projet. A partir du moment où les sujets concernent la collectivité visée, en l'occurrence la Corse, je ne crois pas qu'il y ait de difficultés majeures pour aller dans ce sens.

M. Christian Estrosi : M. le ministre, vous avez souhaité répondre à M. Henri Plagnol en précisant que vous vous placiez sur le terrain politique. Permettez-moi d'évoquer, sur ce même terrain, la méthode de négociation du processus dit « de Matignon », ainsi que les conditions dans lesquelles ce texte de loi arrive aujourd'hui en discussion. Ce processus a été initié à la suite des revendications de certains nationalistes, qui me paraissent inacceptables : chantage à l'attentat, demande d'amnistie, demande d'un processus vers l'indépendance de la Corse, demande de dissolution de la 14section du parquet de Paris chargée des affaires terroristes, rapprochement des prisonniers. Ils ont donc placé la France en situation d'otage. Notre République ne doit souffrir aucune pression, d'aucune sorte. Au sein même de votre majorité, ce dialogue biaisé a été dénoncé, notamment par votre prédécesseur. Ce qui est choquant, c'est que vous ayez fait droit aux revendications des nationalistes, y compris sur une future indépendance. Ils souhaitaient un pouvoir législatif et c'est l'article 1er du projet de loi. Ils souhaitaient l'enseignement obligatoire du Corse et c'est l'article 7. Ils souhaitaient un pas vers l'indépendance, par une mention expresse de l'après 2004 et ils l'ont obtenue dans l'exposé des motifs. Bref, on peut se demander qui a rédigé ce texte !

Je rappelle également la stagnation de l'enquête sur l'assassinat du préfet Erignac. Vous semblez avoir relancé l'enquête alors au moment où notre assemblée procède à diverses auditions et certaines indiscrétions laisseraient entendre que M. Yvan Colonna serait en Corse. Pouvez-vous nous dire où en est l'enquête ? Quels sont les moyens mis en _uvre depuis deux ans pour l'arrêter ? Ne pensez-vous pas qu'en faisant de l'arrestation de M. Yvan Colonna une condition préalable à l'examen de ce projet de loi, l'enquête avancerait sans doute plus vite. Etes-vous, par ailleurs, prêt à affirmer que le crime perpétré contre le préfet Erignac, et donc contre la République, ne sera pas amnistié ? Existe-t-il une réelle coordination entre les divers intervenants, alors que, le 2 avril, l'Office central de répression du banditisme et la Gendarmerie ont mené des opérations de police sans concertation aucune ?

Le Premier ministre avait conditionné la poursuite du processus de Matignon à l'arrêt de la violence. Or, une caserne de gendarmerie a été mitraillée mardi dernier, un sympathisant du MPA a été tué par balle le 6 avril, deux attentats ont eu lieu le 5 avril, la maison d'arrêt et une gendarmerie ont été mitraillées dans la nuit du 25 mars. M. le ministre, je souhaiterais savoir si cette condition est toujours d'actualité ? Je voudrais également connaître les raisons qui ont fait, il y a quelques semaines, qu'une des quatre personnes interpellées pour être soupçonnée d'avoir participé à des attentats a été relâchée en raison d'une non-présentation au tribunal dans les délais prescrits ? Nous ne pouvons pas laisser la France se faire dicter sa conduite par une minorité violente. J'espère, M. le ministre, que vous pourrez répondre à ces questions. Elles me paraissent fondamentales pour aborder ce débat sur le texte de loi.

M. Bernard Roman, président : M. Christian Estrosi a une grande liberté de ton, et je lui reconnais ce droit, mais il n'est pas un habitué de la commission des Lois et il ne connaît pas nos traditions dont je n'ai fait qu'hériter et qui consiste à éviter les débats schématiques, les mots trompeurs, voire les arguments politiciens. Ils ne sont pas de mise en ces lieux. Cela me semble d'autant plus important que nous sommes sur un sujet qui touche à la paix civile. Chacun peut prendre les positions qu'il souhaite, c'est le sens de la démocratie et du débat parlementaire. Mais brandir l'épouvantail de l'indépendance, brandir l'épouvantail du pouvoir législatif qui, à aucun moment, ne figure dans ce texte et dont aucun des élus corses reçus ici ne revendique l'attribution, brandir l'épouvantail - pourtant démonté à l'instant par le rapporteur - de l'enseignement obligatoire de la langue corse, tout cela ne sied pas à un débat qui doit être constructif en évitant la caricature et la schématisation. La liberté est donnée à chacun dans l'hémicycle de s'exprimer comme il l'entend, en utilisant les arguments qu'il souhaite, mais j'aimerais que l'on garde le sérieux qu'ont donné à cette Commission un certain nombre de mes prédécesseurs, et je ne citerai que M. Pierre Mazeaud et Mme Catherine Tasca.

M. Richard Cazenave : Je voulais poser une question purement technique et concrète, et l'intervention du président de la commission des Lois m'amène à souhaiter que le ministre sorte du flou pour apporter une expression plus juridique de ses propositions et de ses intentions. En effet, dans l'expression politique, on peut tenter de faire plaisir à tout le monde, mais dans l'expression juridique, soit le texte est conforme à la Constitution soit il ne l'est pas. S'il ne l'est pas, le texte ne pourra pas entrer en vigueur ; s'il l'est, après sa réécriture, je crains que nous ne soyons très près de ce qui existe déjà et que ce texte de loi se révèle, par conséquent, inutile.

Je retournerais ses propos à M. Bernard Roman pour dire que je suis quelque peu choqué de voir que la commission des Lois se réunit pour entendre des discours qui tiennent au flou artistique et sûrement pas du sérieux juridique. Vous nous dites, M. le ministre, que ce texte est le moyen de rétablir l'ordre républicain en Corse. Je voudrais que vous nous expliquiez comment vous pouvez avoir cette assurance. Au vu des expériences passées, les avancées institutionnelles n'ont jamais garanti que les mouvements les plus extrêmes, en opposition avec la République, n'aillent pas reprendre leurs activités. En quoi le fait d'adopter un texte qui réponde pour partie à certaines revendications nationalistes pourrait-il nous garantir le rétablissement de l'ordre républicain en Corse ? Je voudrais aussi que l'on échappe à la caricature d'une alternative selon laquelle soit nous adoptons ces propositions et nous entrons alors dans la paix civile, soit nous les refusons et nous serions alors responsables du désordre en Corse. C'est un peu plus compliqué que cela et j'aimerais là aussi des précisions sur cette question.

Par ailleurs, qu'est-ce qu'un enseignement qui est inscrit en maternelle et en primaire dans le cadre des horaires normaux de la scolarité ? Il n'y a qu'un instituteur en primaire et en maternelle ! Lorsque le moment de l'enseignement du corse arrive, que se passe-t-il ? Les enfants qui ne veulent pas de cet enseignement doivent-ils sortir de la classe ? Cet enseignement est-il dispensé en fin de journée ? Comment cela s'organise-t-il concrètement ? Le dispositif retenu prévoit une offre généralisée de l'enseignement du corse, mais n'est-ce pas simplement une pirouette sémantique pour masquer en réalité un enseignement obligatoire, sauf à ce que les parents s'y opposent ?

M. François Fillon : Je ne suis pas non plus membre de la commission des Lois et je ne doute pas qu'elle ait des traditions. Je m'efforcerai de les respecter. Je ne crois pas cependant qu'elles puissent conduire à limiter la liberté d'expression d'un parlementaire.

Vous avez, M. le ministre, qualifié le statut Joxe d'excellent. Je vous laisse la responsabilité de cette appréciation, mais je constate que pour des raisons liées aux contraintes politiques et constitutionnelles, vous nous proposez un texte qui, finalement, ne va pas beaucoup plus loin que le statut Joxe. La seule différence entre les deux statuts est que l'un n'a pas été appliqué et que selon vous, celui-là le sera. Quels sont les arguments juridiques, voire politiques, qui vous amènent à penser que ce statut, à la différence des autres, sera appliqué ?

M. Jean-Pierre Chevènement : Je n'avais pas du tout prévu d'intervenir, étant donné que les accords de Matignon ont été passés avant même que vous ne preniez vos fonctions et par égard pour la difficulté de votre tâche. Néanmoins, je ne peux laisser passer l'idée qu'il s'agirait, par ce processus, de tirer les enseignements d'un échec de l'Etat. Il me semble en effet que la raison principale de la situation que connaît la Corse est l'absence de continuité, de volonté et d'unité depuis près d'une génération. Je n'ai pas relevé trois années d'affilée où un gouvernement ait fait la même politique. Celui-ci, malheureusement, ne manque pas à la tradition puisque - vous le savez - au départ, il ne s'agissait que d'appliquer en Corse la loi républicaine, comme partout ailleurs. Par conséquent, il y a eu un changement de politique, dont j'ai peine à penser que la ridicule affaire des paillotes puisse être la cause.

Ma deuxième observation rejoint celle que vient de faire M. François Fillon. Il eut été normal de faire le bilan de l'application du statut de 1991 et de voir pourquoi ce statut avait été un échec.

Ma troisième observation est pour vous rendre hommage. Vous avez donné de ce processus par étape - 2001 puis 2004 - une justification purement politique. En effet, c'est une justification purement politique, mais pas forcément au bon sens du terme, qui permet d'éclairer ce processus. Cela consiste, dans un premier temps, à payer au comptant, par un certain nombre d'avantages plus ou moins mirobolants, le consentement d'une majorité des élus corses. Dans un deuxième temps, il s'agit d'obtenir l'acquiescement de parlementaires qui pensent qu'après tout il n'y aurait pas d'autre voie et que l'on achète peut-être, à terme, la paix civile, en reportant au lendemain des élections présidentielles le paiement au comptant des avantages bien réels consentis aux indépendantistes. C'est, en effet, à leurs conditions qu'a été passé l'accord du 20 juillet dont je ne vous tiens pas pour comptable, puisque vous ne faites que l'exécuter.

M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur : Avant de répondre à M. Christian Estrosi sur un ton moins caricatural que celui qu'il a employé, je précise que sur les cinquante et un membres de l'Assemblée de Corse, huit se prétendent nationalistes alors que quarante-quatre puis, dans un second temps, quarante-deux ont approuvé l'avant-projet de loi présenté par le Gouvernement, le 8 décembre, conformément à l'article 26 du statut de 1991. Je crois savoir qu'il y avait, parmi ces quarante-deux élus, des membres de l'opposition nationale. Vous ne pouvez pas qualifier des élus RPR ou DL, d'indépendantistes ou d'autonomistes, voire de nationalistes ! Voilà une manière calme de vous répondre, mais vous appelant à une meilleure appréciation des choses. Vous avez, par ailleurs, énuméré une liste de conditions. J'ai beau chercher, je n'en trouve nulle trace, ni dans l'exposé des motifs, ni dans le texte du projet de loi sur la Corse. Que les choses soient claires : il n'est pas dans l'intention du Gouvernement de céder à de quelconques pressions. Les revendications que vous évoquez ne sont apparues ni dans les discussions qui ont été conduites dans la transparence, ni dans le relevé des conclusions.

Sur ce point, je tiens à dire à M. Jean-Pierre Chevènement qu'il ne s'agit pas des « accords de Matignon », mais bien d'un relevé de conclusions, qui a ensuite été transcrit en projet de loi. M. Christian Estrosi, je dirai avec un peu de solennité que notre devoir de républicains et d'élus est de ne pas caricaturer la position des élus de la Corse et des Corses dans leur ensemble. C'est comme cela que l'on creuse le fossé et que l'on arrive à des situations d'incompréhension qu'il ne faut jamais concourir à augmenter, car cela peut faire des dégâts. En Corse, on est quelquefois lassés d'être caricaturés : c'est aussi un devoir pour nous d'essayer de sortir de ces clichés et d'éviter les amalgames. Car il y a en Corse des gens qui cherchent à sortir l'île de ses difficultés et quand je parle de sortir la Corse de ses difficultés, je devrais dire de sortir la République et l'Etat de leurs difficultés dans l'île.

S'agissant de la violence, le Premier ministre s'est exprimé sur l'assassinat du préfet Erignac : les choses sont très claires et nous rassemblent. Personne ne souhaite que soient exonérés de leur forfait ceux qui l'ont commis ou sont présumés l'avoir commis à ce stade. Six des sept auteurs présumés sont sous les verrous. Ce n'est pas mon fait, puisque cela remonte à une période antérieure à mon arrivée au ministère de l'intérieur. Cela se fait de toute façon sous l'autorité de la justice. Il en manque un et je puis vous dire que tout est fait pour le retrouver. Vous imaginez bien que si nous étions en capacité de l'arrêter, ce serait déjà fait. Ce sera fait parce que personne ne peut échapper à la justice de son pays. Je n'ai rien à dire de plus sur l'enquête car il ne serait pas concevable que je délivre ici des éléments d'enquête. Bien évidemment, aucune amnistie n'est envisagée : sur ce point, l'engagement du Premier ministre est extrêmement clair.

Nous souhaitons tous que la violence cesse. Mais de ce point de vue, je veux, sans aucun esprit polémique, vous dire qu'elle n'a jamais été aussi faible en Corse, même s'il est vrai qu'elle est trop forte encore : les actes de violence ont baissé des deux tiers de 1995 à 2000. Le climat qui a changé rassemble les Corses et les élus de Corse, de droite comme de gauche. Je ne parle pas de la délinquance et de l'élucidation des faits de délinquance, qui est plus forte en Corse que partout ailleurs : 10 points de plus que la moyenne nationale pour l'élucidation des faits de droit commun, grâce au travail de la police, de la gendarmerie et de la justice. Ces éléments concourent à restaurer la paix civile en Corse. Et si ce projet de loi y concourt lui aussi, ce sera très utile, d'autant que personne n'y croyait il y a cinq ans. Sur la question de savoir s'il y aura des préalables, avant ou après, la réponse est non. Il faut tout faire pour que ceux qui ont commis des actes de violence n'aient aucune raison d'en commettre à nouveau. Les résultats me paraissent aujourd'hui encourageants, même s'il ne faut jamais relâcher la vigilance et les efforts en la matière. Enfin, concernant un événement que M. Christian Estrosi a relaté, je voudrais rappeler que la loi sur la présomption d'innocence a été adoptée à une très large majorité, si ce n'est à l'unanimité et je tiens à dire qu'une chose a changé : la justice est indépendante ! Il ne dépend pas du ministre de l'intérieur que tel ou tel soit relâché. La justice a ses procédures et ses règles. Je n'ai pas à les commenter, même si certains le font. Je m'en tiens à ce propos. Il est rarement arrivé que l'on arrête des poseurs de bombe avant qu'ils ne commettent leur forfait, comme ce fut le cas en Corse récemment. Cela signifie que les services de police et de gendarmerie font leur travail avec succès.

Je dirais à M. Richard Cazenave, que je ne suis pas venu ici pour faire un commentaire juridique du texte que je défends. Ce texte est à la disposition de chacun et il appartient aux parlementaires de l'améliorer. Je leur fais confiance à cet égard.

S'agissant de la question de la langue, j'ai déjà fait allusion à la possibilité - comme le rapporteur l'a également souligné - de se référer à l'article de la loi organique sur la Polynésie qui a été validé par le Conseil constitutionnel ce qui reviendrait à prévoir que la langue corse est une matière enseignée dans le cadre de l'horaire normal des écoles maternelles et élémentaires. C'est la rédaction qui a été retenue pour la langue polynésienne ; elle ne soulève donc pas de difficulté ; elle aurait, en outre, le mérite de ne pas dénaturer l'esprit du relevé de conclusions qui rassemblait la quasi-unanimité des élus de Corse sur cette question, sans, pour autant, heurter ceux qui n'apprécient pas que l'on demande aux parents de manifester leur volonté pour refuser cet enseignement. Les débats qui auront lieu au sein de votre Commission permettront de lever le doute, s'il existe encore.

Par ailleurs, pour répondre à M. Richard Cazenave, puisqu'il a évoqué cette question, je pense que ce texte est de nature à garantir la paix civile.

S'agissant du problème de sa constitutionnalité, j'ai la conviction que le travail que la Commission va faire, notamment sur la base des suggestions de son président et de son rapporteur, permettra de lever des doutes et d'éviter des risques. Je crois qu'il ne faut pas prendre le risque d'adopter un texte qui serait censuré par le Conseil constitutionnel, pour peu que les parlementaires le saisissent. Nous sommes au début de l'examen du projet de loi. Je ne préjuge pas de ce qu'il en sera fait jusqu'à son adoption. Qu'il ait la meilleure rédaction possible, c'est le rôle du Parlement. J'ai souhaité que ce soit à ce dernier que revienne ce rôle d'amender le texte pour en parfaire l'écriture sans en dénaturer le sens. Car si nous en dénaturions le sens, ce serait accepter que le processus s'arrête, et donc prendre le risque qu'aucune solution ne soit apportée aux problèmes de la Corse. Pour ma part, je fais le pari de la réussite du processus et de ce projet qui apporte une réponse juridique, politique et économique, avec des engagements forts de l'Etat, notamment en matière d'investissements.

Quant au statut Joxe, je ne l'ai pas qualifié d'excellent. C'est une loi de la République, votée par le Parlement. J'ai simplement salué le travail qui a été fait à l'époque. Le statut Joxe a été appliqué. Le seul problème majeur tient à l'application de son article 26. Vous savez que nous proposons d'en préciser les termes. Je rappelle, par ailleurs, que la responsabilisation des élus de Corse constitue un élément essentiel pour la réussite de ce projet de loi.

Quant à M. Jean-Pierre Chevènement, je ne souhaite pas entretenir quelque polémique que ce soit avec lui, pas plus qu'il ne l'a fait avec moi d'ailleurs. J'ai déjà répondu sur le fait que le relevé de conclusions ne résultait pas de tractations ou de négociations. Si l'initiative a été prise d'engager des discussions avec les élus de l'île, c'est parce le constat a été fait d'une situation d'échec dont il fallait sortir. Cet échec n'était pas imputable à tel ou tel : il était le résultat de l'absence de continuité des politiques conduites en Corse. Je sais que M. Jean-Pierre Chevènement ne visait pas spécialement ce Gouvernement. C'est vrai qu'il y a eu des changements. Il est vrai aussi que, face à des difficultés, il peut être souhaitable de changer. J'ai connu des gouvernements précédents qui ont également changé d'attitude. Cela n'a pas pour autant donné les résultats attendus, notamment pour réduire la violence en Corse. Or, il y a des périodes où l'on s'en accommodait. Il y a eu d'autres périodes où l'on a dit avec beaucoup d'autorité que cela cesserait. Et le terrorisme a repris ! Force est de constater que l'on en est resté là. Il y a désormais un changement qui consiste à traiter le problème différemment et à prendre à témoin l'ensemble de nos compatriotes en Corse, l'ensemble des élus, et aussi l'ensemble des Français d'un débat qui doit avoir lieu au Parlement. Je ne crois pas qu'il y ait un prix à payer à qui que ce soit. Il s'agit simplement d'adopter un texte, de l'appliquer et de faire en sorte qu'en matière d'investissement, de légalité - et la France doit bien cela à la Corse, partie intégrante de la République - le pari du développement et de la responsabilité dans la transparence l'emporte sur le passé. Je souhaite que les débats au sein de la commission des Lois et en séance publique soient abordés dans l'objectivité et dans la bonne foi.

M. Jean-Pierre Chevènement : M. le ministre, puis-je vous demander une précision ? Je ne comprends pas la distinction que vous faites entre un relevé de conclusions et un accord, étant donné que vous avez vous-même, dans votre exposé introductif, évoqué la fidélité aux engagements pris. Si des engagements ont été pris, c'est donc bien qu'il s'agit d'un accord et que la transparence dont on nous rebat quelque peu les oreilles fait oublier la nature même de la démarche qui nous est soumise. On finit par ne plus discuter du bien-fondé de cette démarche en affirmant qu'elle a été transparente. J'ai mon opinion sur ce point, mais je n'en ferai pas état ici. Quelle différence faites-vous entre relevé de conclusions et accord ?

M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur : Je répondrais qu'un accord, est signé par les deux parties tandis qu'un relevé de conclusions fait l'objet d'une écriture unilatérale. C'est le Gouvernement qui a dressé le relevé de conclusions, qui l'a transmis aux élus de Corse, lesquels l'ont approuvé par une délibération, et donc un vote de l'Assemblée de Corse. Ensuite, le Gouvernement et ses services ont retravaillé pour rédiger ce projet de loi et donner une forme juridique à une démarche politique. Sans esprit polémique, je tiens à souligner que le relevé de conclusions n'a pas fait l'objet d'une co-signature.

M. Jean-Pierre Chevènement : Etes-vous sûr que c'est vraiment le Gouvernement qui a écrit ce texte ?

M. Bernard Roman, président : Vous voulez demander s'il est d'accord avec le relevé de conclusions ?

M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur : Je puis vous le confirmer : oui, absolument. Je ne crois pas que d'autres que le Gouvernement - vous y étiez d'ailleurs à l'époque - sous l'autorité du Premier ministre, aient tenu la plume.

M. José Rossi : Dans un souci de clarification, je rappelle que le relevé de conclusions a été soumis à l'Assemblée de Corse par le Gouvernement qui nous a dit clairement que nous n'avions pas la possibilité de l'amender. Le seul choix qu'avait l'Assemblée de Corse était de l'approuver ou de le rejeter. Le texte nous a été transmis par le Gouvernement, on ne peut donc pas imaginer qu'il n'ait pas été assumé politiquement par celui-ci ou par le ministre de l'intérieur de l'époque qui en était, en apparence au moins, entièrement solidaire.

M. Jean-Pierre Chevènement : Puis-je rappeler à M. José Rossi que le 12 juillet, il y a eu une réunion des présidents de groupes de l'Assemblée de Corse, qui a très clairement défini les conditions dans lesquelles un accord pouvait intervenir. Je me souviens notamment de l'intervention d'un élu du RPR, à l'Assemblée de Corse, expliquant qu'il modifiait la position qui était la sienne le 10 mars de la même année, parce que c'était la condition de l'accord. C'est dans le texte même du relevé de conclusions que vous avez diffusé. Il n'est pas inutile de mentionner ce point pour comprendre les conditions de gestation de ce texte.

M. José Rossi : Je réitère mes premiers propos : le texte du relevé de conclusions nous a bien été présenté par le Gouvernement qui en a assumé la responsabilité. Il a été soumis à l'Assemblée de Corse, qui a dû, en son sein, faire des arbitrages. Certains de ses membres - cela ne vous a pas échappé, M. le ministre - ont évolué progressivement en faveur du relevé de conclusions. L'accord dont il est question n'est donc pas un accord entre le Gouvernement et les élus de l'Assemblée de Corse, mais celui qui s'est dégagé progressivement au sein de l'Assemblée de Corse pour parvenir, le 28 juillet, à une majorité de quarante-quatre voix, qui s'est réduite à quarante-deux en décembre lorsque nous avons été saisis de l'avant-projet de loi, toujours assumé par le Gouvernement, cette fois ci dans une forme plus juridique.

M. Robert Pandraud : Finalement, tout ce texte repose sur un pari qui est que les propositions du Gouvernement peuvent parvenir à diminuer le risque terroriste. Ce pari sera-t-il gagné ? Si le projet est voté, je l'espère. Toutes les autres tentatives ont échouées depuis vingt-cinq ans ; ce projet est peut-être une chance d'en sortir. Il est sûr en tout cas qu'il faut nous dire la vérité et que vous ne nous la dites pas toujours. Il en est ainsi lorsque vous nous dites que le statut Joxe a été appliqué sans problème. M. Jean Baggioni, ici même, nous a dit l'inverse : l'Etat donnait, mais retenait en même temps. On a transféré les affaires culturelles, tout le monde en était d'accord, mais l'Etat a aussitôt créé une direction régionale des affaires culturelles et a pratiquement repris tout ce qu'il avait transféré en gardant les fonctionnaires. Si j'ai bien compris M. Jean Baggioni, les transferts qui avaient été promis n'ont jamais été faits.

Où en est le débat sur le transfert du pouvoir réglementaire ? Doit-on finalement le laisser au Premier ministre ou envisage-t-on de le donner aux autorités régionales ? On a complètement faussé l'équilibre en la matière depuis quelques années, puisque le pouvoir législatif ne respecte pas l'article 34 de la Constitution. Si cet article était appliqué, je crois que le problème ne se poserait pas : une grande partie du travail que nous faisons serait du domaine réglementaire. A cet égard, je regrette que le Conseil constitutionnel ait eu une jurisprudence aussi laxiste. Quant au pouvoir réglementaire, ce n'est pas le Premier ministre qui l'exerce en réalité, mais des sous-directeurs ou des chefs de bureau. Dès lors, qu'on le donne à des autorités régionales me semblerait plus adapté à la réalité locale, puisqu'il ne serait plus exercé par des techniciens dans les bureaux des ministères.

J'ai commencé ma carrière au ministère de l'intérieur à une époque où la décentralisation n'existait pas et où l'Etat s'occupait aussi, avec moitié moins de fonctionnaires qu'aujourd'hui, de l'Algérie et des départements d'outre-mer. Sans en tirer de conclusion, je ne voudrais pas que l'on donne à la Corse des attributions, tandis que, dans le même temps, on conforterait sur place les administrations de l'Etat de telle sorte que les circuits administratifs seraient encore compliqués.

M. René Dosière : En tant que socialiste et partisan de la décentralisation, je ne peux qu'être globalement favorable au texte qui nous est soumis et que j'aborde avec beaucoup d'humilité. Sans faire référence à ce qui a pu se passer avant que cette majorité n'arrive au pouvoir - je tiens à dire que j'ai vu avec horreur la tenue de certains rassemblements nocturnes et clandestins à la veille du déplacement d'un ministre de l'intérieur - je n'oublie pas ce qui s'est passé il y a peu, lorsque ce Gouvernement, soucieux de faire appliquer l'Etat de droit, s'est trouvé face à une impasse, quand son représentant s'est vu mis en cause dans une affaire que M. Jean-Pierre Chevènement qualifie de ridicule, mais dont les conséquences ont été considérables. Je pense qu'il faut être humble quand on aborde les problèmes de Corse. Il faut également l'être parce que les problèmes de l'île sont difficiles, sinon ils auraient pu être réglés depuis longtemps.

Cela dit, je crois qu'il faut aussi engager ce débat avec un minimum de sérieux et lire les textes. Je dis à M. Christian Estrosi que nous sommes très heureux de sa présence en commission des Lois. S'il intervient, encore faut-il qu'il ait lu les textes car rien, dans le texte qui nous est soumis, ne peut conduire à dire qu'il y a la moindre délégation du pouvoir législatif. J'ai vu dans le relevé de conclusions qu'au cours d'une étape ultérieure, après une réforme de la Constitution, si les conditions politiques sont réunies, une évolution pourrait être envisagée vers la dévolution d'une forme de pouvoir législatif à l'Assemblée de Corse. Mais dans le texte qui nous est présenté ici, et en particulier dans l'article premier, il n'y a pas de délégation du pouvoir législatif, puisqu'il est précisé que les adaptations des dispositions législatives interviennent toujours dans le cadre de lois votées par le Parlement. Il ne faut pas mélanger les choses et nous sommes très loin de ce qui se passe en Nouvelle-Calédonie, où le Congrès a, depuis la révision de la Constitution, le droit de voter des lois de pays qui sont directement soumises au Conseil constitutionnel. C'est le seul cas qui existe en France, s'agissant d'une collectivité territoriale et cette particularité tient à une situation tout à fait différente de celle de la Corse.

Nous devons donc engager ce débat sérieusement. Je souhaiterais d'abord évoquer à l'article 1er, le paragraphe 2 qui prévoit une adaptation du pouvoir réglementaire que je ne désapprouve pas. Je me suis rappelé, en effet, que le 10 décembre 1979, une proposition de loi portant décentralisation de l'Etat était déposée par deux de nos collègues aujourd'hui en fonctions, MM. Bernard Derosier et Jean-Pierre Chevènement, ainsi que par M. Pierre Mauroy et François Mitterrand. Cette proposition de loi allait, en matière de pouvoir réglementaire des collectivités locales, beaucoup plus loin que ce texte. Je m'interroge seulement sur la rédaction retenue, puisqu'il est écrit que la collectivité territoriale de Corse peut modifier des décrets : cela peut-il se faire aussi simplement ?

S'agissant des transferts de compétences, il me semble que l'on reste un peu trop en retrait. Je fais allusion à l'intervention de M. Jean Baggioni : on transfère un certain nombre de compétences, mais en même temps, on a le sentiment que les ministères veulent garder leurs prérogatives. S'agissant des transferts de personnel, ne serait-il pas souhaitable de vérifier à un moment donné que l'Etat a bien réorganisé ses services pour qu'ils ne fonctionnent plus de la même manière après le transfert des compétences au profit de la collectivité territoriale. Il est, en effet, indispensable de vérifier que l'on n'a pas superposé les fonctionnaires.

Ma dernière interrogation concerne les droits de succession. La période transitoire me paraît un peu longue. Je me demande si l'on ne pourrait pas envisager de la raccourcir, tout en transférant à la collectivité territoriale de Corse le produit de ces droits, ce qui serait une incitation pour réduire la période pendant laquelle ils ne sont pas perçus. Il y aurait alors une amorce de décentralisation financière qui ne serait pas négligeable.

M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur : Je voudrais remercier M. Robert Pandraud qui est déjà intervenu à plusieurs reprises, y compris devant la commission des Lois. J'apprécie toujours son humilité lorsqu'il parle de la Corse et de ses statuts. Je pense que le statut adopté en 1991 a permis d'apporter un certain nombre d'améliorations. M. José Rossi le disait lui-même. Disons que nous pouvons - comme le souhaite M. Robert Pandraud - faire preuve de plus de volonté au niveau de l'Etat, de plus d'engagement. Je voudrais également souligner que la seconde étape, prévue dans le relevé de conclusions pour 2004, permettra l'évaluation de la présente réforme, tant en matière de transfert de compétences que d'exercice des responsabilités nouvelles confiées aux élus de Corse. Réciproquement, l'Etat devra tenir ses engagements, y compris sur les transferts de compétences. On aura ainsi le moyen de vérifier si les engagements de l'Etat valent plus que ce qu'ils ont valu dans le passé. Sur la première partie de l'intervention de M. René Dosière, je ne peux qu'aller dans son sens, et je n'en dirai donc pas plus. Sur les transferts de compétences, la réflexion de M. René Dosière est assez justifiée et le travail parlementaire permettra peut-être de préciser les choses, de les rendre plus lisibles, plus efficaces, notamment pour ce qui concerne les personnels de l'Etat.

S'agissant de la durée du retour au droit commun en matière de droits de succession, le Gouvernement avait prévu une période de quinze ans. En même temps, on voit bien les difficultés que soulève la longueur de ce délai. La suggestion de réduire la période à dix ans et de la faire suivre d'un recouvrement progressif sur cinq ans me paraît intelligente. Je m'en remets, sur ce point, à la sagesse des parlementaires, pour garder la mesure, à la fois de l'histoire et de la volonté légitime de revenir au droit commun. Enfin, en matière d'emplois, reconnaissons que le présent projet de loi est plus clair que celui de 1991 et c'est aussi un gage d'amélioration.

M. Bernard Roman, président : Je vous remercie, monsieur le ministre, de votre participation à cette audition.

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A l'issue de cette audition, la Commission a rejeté l'exception d'irrecevabilité n° 1, présentée par M. Jean-Louis Debré, et la question préalable n° 1, présentée par M. Jean-François Mattei.

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TRAVAUX DE LA MISSION D'INFORMATION
SUR LA CORSE

Sur proposition de M. Bernard Roman, président, la commission des Lois a procédé, au cours de la réunion du jeudi 9 novembre 2000, à la création d'une mission d'information ouverte à l'ensemble de ses membres dans le but de préparer l'examen du projet de loi relatif à la Corse. M. Bruno Le Roux en a été désigné rapporteur.

L'objectif de cette mission d'information était de permettre à l'Assemblée nationale de se saisir du texte en amont de son dépôt, intervenu le 21 février dernier. En effet, les grandes lignes de celui-ci ayant été définies après discussion entre le Gouvernement et les élus de l'île, il convenait que la représentation nationale se tint informée du processus en cours.

A cette fin, la mission d'information s'est déplacée à deux reprises dans l'île. Elle a rencontré, dans ce cadre, les principaux élus de l'île, des responsables des services de l'Etat ainsi que des représentants du monde socio-économique. Son rapporteur a, par ailleurs, assisté, les 8 et 9 décembre 2000, aux délibérations de l'Assemblée de Corse sur l'avant-projet de loi transmis par le Gouvernement.

Le programme de travail de la mission d'information et la liste des personnes entendues par elle figurent ci-après.

DÉPLACEMENT DU 22 AU 24 NOVEMBRE

graphique

La délégation de la mission d'information était ainsi composée :

-  M. Bernard Roman, président ;

-  M. Bruno Le Roux, rapporteur ;

-  M. Jean-Yves Caullet ;

-  M. Roger Franzoni ;

-  M. Claude Goasguen ;

-  M. Didier Quentin ;

-  M. André Vallini.

Mercredi 22 novembre

· M. Jean-Pierre Lacroix, préfet de Corse.

· Conseil exécutif :

-  M. Jean Baggioni, président ;

-  M. Antoine Giorgi, conseiller exécutif ;

-  M. Ange Fraticelli, conseiller exécutif.

· M. Marc Marcangeli, président du conseil général de Corse-du-Sud.

· Personnalités insulaires :

-  M. Jean-Claude Torre, gérant de la SARL « Hyper Corsaire » ;

-  M. Jean-François Antoniotti, président de la SA « Femu Qui », société de capital risque ;

-  M. Raymond Ceccaldi, président du Conseil économique, social et culturel ;

-  M. Jean-Pierre Rolland, président du tribunal de commerce d'Ajaccio ;

-  M. Vincent Carlotti, président de la SITEC « SSII » ;

-  M. Pierre-François Bellini, directeur de « A Merenda », entreprise de restauration ;

-  M. Paul Silvani, écrivain et journaliste ;

-  M. Francis Aïqui, directeur du centre culturel « Aghja », scène théâtrale à Ajaccio ;

-  Mme Michèle Salotti, président de l'association « U Levante », association de défense de l'environnement ;

-  M. Pierre Bessières, président de la Falep, association d'insertion sociale ;

-  Mme Noëlle Vincensini, présidente de « Ava Basta », association de défense des droits de l'homme ;

-  M. Didier Léonetti, directeur de la station touristique de Porto-Vecchio ;

-  M. François Ollandini, président du groupe « Ollandini Voyages » ;

-  M. Philippe Riera, directeur de la société « Gloria Maris », spécialisée dans l'aquaculture ;

-  M. René Modat, président de la chambre d'agriculture.

Jeudi 23 novembre

· Services de sécurité :

-  M. Ange Mancini, préfet adjoint pour la sécurité (PAS) ;

-  M. Dominique Rossi, directeur du cabinet du PAS ;

-  M. Henri Hansemann, chargé de mission du PAS en Haute-Corse ;

-  Général Gérard Rémy, commandant de la légion de gendarmerie en Corse ;

-  Lieutenant-colonel Michel Gotthab, commandant de la section de recherches de la gendarmerie ;

-  M. Francis Choukroune, chef du service régional de la police judiciaire ;

-  M. Jean-Pierre Larrue, directeur départemental de la sécurité publique de Corse-du-Sud ;

-  M. Arnaud Vieules, directeur régional adjoint des renseignements généraux ;

-  Mme Sylvie Prisciandaro, chef d'état-major représentant le directeur départemental de la police aux frontières de Corse-du-Sud.

· Services administratifs :

-  M. Jean-Régis Borius, secrétaire général pour les affaires de Corse ;

-  M. Patrice Devos, directeur régional de l'agriculture et de la forêt ;

-  M. Alain Bonel, trésorier payeur général de Corse ;

-  M. Jean-Marie Miserey, directeur régional des affaires culturelles ;

-  Mme Catherine Cerlier, déléguée régionale au tourisme ;

-  M. Patrice Vermeulen, directeur régional de l'environnement ;

-  M. Jacques Morel, directeur régional du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle ;

-  M. Gérard Courtalin, directeur des services fiscaux ;

-  M. Jean Cagniart, directeur régional et départemental de l'équipement ;

-  M. Jean-Claude Ardin, directeur régional de l'industrie, de la recherche et de l'environnement ;

-  M. Joseph Cesari, architecte conservateur des monuments historiques ;

-  M. Jean-Claude Cargnelutti, directeur de la solidarité et de la santé.

· Rectorat :

-  M. Jacques Pantaloni, recteur ;

-  M. Christian Pellaumail, inspecteur d'académie de Corse du Sud ;

-  M. Gilles Amat, inspecteur d'académie de Haute-Corse ;

-  M. Jean-Marie Arrighi, inspecteur pédagogique régional ;

-  M. Joseph Pietri, inspecteur de l'éducation nationale.

· Ecole de Mezzavia.

· Ecole de Pietralba.

· Assemblée de Corse :

-  M. José Rossi, président ;

-  M. Camille de Rocca Serra (groupe « Le Rassemblement ») ;

-  M. Marie-Jean Vinciguerra (groupe « Le Rassemblement ») ;

-  M. Jean-Guy Talamoni (groupe « Corsica Nazione ») ;

-  M. César Filippi (groupe « Corsica Nazione ») ;

-  M. Nicolas Alfonsi (groupe « Radical de gauche ») ;

-  Mme Madeleine Mozziconacci (groupe « Radical de gauche ») ;

-  M. Simon Renucci (groupe « Corse Social-Démocrate ») ;

-  Mme Marie-Jeanne Boschi (groupe « Corse Social-Démocrate ») ;

-  M. Robert Feliciaggi (groupe « Corse nouvelle ») ;

-  M. Philippe Ceccaldi (groupe « Corse nouvelle ») ;

-  M. Toussaint Luciani (groupe « Mouvement pour la Corse ») ;

-  M. Jean-Louis Albertini (groupe « Un autre avenir ») ;

-  M. Antoine Sindali (groupe « Un autre avenir ») ;

-  M. Paul-Antoine Luciani (groupe « Communiste et démocrate de progrès ») ;

-  M. Laurent Croce (groupe socialiste) ;

-  M. Jean Motroni (groupe socialiste).

· M. Christian Sapède, préfet de Haute-Corse.

· Conseil général de Haute-Corse :

-  M. Paul Giacobbi, président ;

-  M. Claude Olivesi, conseiller général.

· M. Emile Zuccarelli, maire de Bastia.

· Autorités judiciaires :

-  M. Michel Jeannoutot, premier président de la Cour d'appel de Bastia ;

-  M. Bernard Legras, procureur général ;

-  M. André Valat, président de la chambre régionale des comptes ;

-  M. Jean-Pierre Panazza, président du tribunal administratif de Bastia.

Vendredi 24 novembre

· Associations de maires :

-  M. Louis-Ferdinand de Rocca Serra, président de l'association des maires de Corse-du-Sud ;

-  M. François Dominici, maire de Alata ;

-  M. Jean-Claude Bonnacorsi, président de l'association des maires de Corse-du-Nord ;

-  M. Ange-Pierre Vivoni, maire de Sisco ;

· Dirigeants d'entreprises :

-  M. Charles Cappia, président du MEDEF (Corse) ;

-  M. Alain Perret, président du MEDEF (Corse-du-Sud) ;

-  M. Raymond Talbot, représentant du secteur BTP (MEDEF) ;

-  M. Pierre Casalonga, président de l'URPME ;

-  M. Claude Sozzi, président de la Chambre des métiers ;

-  M. François Gabrielli, président du syndicat des artisans ;

-  M. Dominique Subrini, président par intérim de la CCI.

· Syndicats :

-  M. Michel Beveraggi (Union régionale CFDT Corsica) ;

-  M. Antoine Castelli (CFE/CGC) ;

-  Mme Liliane Cerf (FEN/UNSA) ;

-  M. Philippe Domergue (CGT) ;

-  M. Paul Giaccomoni (FO) ;

-  M. André Luciani (CFTC) ;

-  M. Henri Marchesi (FSU) ;

-  M. Noël Zicchina (Union régionale CGT de Corse).

DÉPLACEMENT DU 26 AU 27 MARS 2001

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La délégation de la mission d'information était ainsi composée :

-  M. Bruno Le Roux, rapporteur ;

-  M. Jean-Pierre Blazy ;

-  M. René Dosière ;

-  M. Michel Vaxès.

Lundi 26 mars 2001

· Préfecture de Haute-Corse :

-  M. Christian Sapede, préfet ;

-  M. Jean-François Verdier, secrétaire général ;

-  Mme Corinne Chauvin, directrice de cabinet ;

-  Mme Katia Dubourget, responsable de l'enseignement et de la formation de l'ENSAM ;

-  M. René Lota, président de la technopole ;

-  M. Miguel Fabiani, directeur de la technopole.

· Office de l'environnement :

-  M. Jérôme Polverini, président de l'office ;

-  M. Roger Pantalacci, directeur de l'office ;

-  M. Guy-François Frisoni, responsable du département « Mise en _uvre du parc marin international des Bouches-du-Rhône et du parc naturel régional de Corse » ;

-  M. Charles Pasqualini, responsable du département « Valorisation de l'environnement ».

· Université de Corte :

-  M. Jacques Henri Balbi, président de l'université ;

-  M. Robert Alberti, secrétaire général ;

-  M. Jean-Christophe Angelini, directeur de cabinet du président ;

-  M. Jean Costa, doyen de l'UFR Sciences ;

-  M. Jean-François Poli, doyen de l'UFR droit-sciences économiques ;

-  M. Antoine Aiello, directeur de l'IUT ;

-  M. Rolland Jouve, directeur de cabinet du recteur ;

-  M. Hervé Ettori, directeur du CRDP.

· Visite des locaux Grossetti : pédagogie, recherche, innovation.

· M. Norbert Laredo et une délégation de « i Verdi Corsi ».

Mardi 27 mars 2001

· Parc naturel régional de Corse :

-  M. Jean-Luc Chiappini, président du parc naturel régional de Corse ;

-  Mme Joselyne Fazy, membre du comité syndical du parc, maire de la commune de Reno ;

-  Mme Marie-Jeanne Boschi Andréani, membre du comité syndical du parc ;

-  M. José Filippi, directeur du parc, directeur de la réserve naturelle de Scandola ;

-  M. Jacques Léoni, chargé de mission développement durable.

· Associations de défense de l'environnement :

-  Mme Michèle Salotti, présidente de l'association « U Levante », et des membres de son bureau ;

-  M. Gérard Boncristiani, président de l'association pour la défense du libre accès aux plages ;

-  M. Serge Vandepoorte, membre de l'exécutif du mouvement « A Manca Naziunale ».

· Membres du conseil départemental de la jeunesse, des lauréats du prix Défi jeunes, des représentants de diverses associations de jeunes :

-  Mlle Véronique Marciset, lauréat Défi jeunes ;

-  Mlle Lavinie Boffy, lauréat Défi jeunes ;

-  M. François Xavier Bartoli, lauréat Défi jeunes ;

-  M. Laurent Lefort, conseil départemental de la jeunesse ;

-  Mlle Zouaouïa Aida, lauréat Défi jeunes et conseil départemental de la jeunesse ;

-  Mlle Angélique Venditti, conseil départemental de la jeunesse ;

-  M. Jean-Christophe Lemasson, emploi jeune ;

-  M. Paul-Antoine Folacci, conseil départemental de la jeunesse ;

-  M. Christophe Gianni, capitaine de l'équipe GFCOA handball 1e division ;

-  M. Frédéric Fresi, emploi jeune, coordonnateur contrats éducatifs locaux ;

-  Mlle Eleanor Robertson, emploi jeune info point Europe.

· Préfecture de Corse-du-Sud :

-  M. Jean-Pierre Lacroix, préfet de Corse, préfet de Corse-du-Sud ;

-  M. Bruno Delsol, secrétaire général ;

-  M. Jean-Régis Borius, secrétaire général aux affaires de Corse ;

-  M. Olivier Jacob, directeur de cabinet du préfet ;

-  M. Patrice Vermeulen, directeur régional de l'environnement.

AUDITIONS DU RAPPORTEUR

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Mardi 20 mars 2001

-  M. Charles Capia, président du MEDEF région Corse ;

-  M. Alain Perret, MEDEF Corse-du-Sud ;

-  M. Jean Femenia, président de la chambre de commerce et d'industrie de Haute-Corse ;

-  M. Raymond Ceccaldi, président de la chambre de commerce et d'industrie de Corse-du-Sud.

Jeudi 5 avril 2001

-  M. Pierre Santoni, président du comité régional olympique et sportif (CROS) ;

-  M. Raymond Fromon, secrétaire général du CROS ;

-  M. Jean-Christophe Lemasson, secrétaire administratif du CROS.

*

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EXAMEN DES ARTICLES

TITRE IER

DE L'ORGANISATION ET DES COMPÉTENCES
DE LA COLLECTIVITÉ TERRITORIALE DE CORSE

La Commission a rejeté un amendement de M. Jean-Pierre Soisson, défendu par M. José Rossi, modifiant la rédaction de l'intitulé du titre premier du projet de loi afin de préciser que la réforme proposée s'inscrivait dans une démarche transitoire devant conduire, à terme, à une révision de la Constitution.

Chapitre 1er

Du régime juridique des actes de l'Assemblée de Corse

Article premier

(art. L. 4424-1, L. 4424-2 et L. 4424-2-1
du code général des collectivités territoriales )

Attributions de l'Assemblée de Corse

Objet de controverses, sans doute excessives, cet article tend à reconnaître à la collectivité territoriale de Corse un pouvoir d'adaptation des normes nationales dans le but de tenir compte des spécificités de l'île. Cette disposition s'inscrit dans le prolongement de l'article 26 du statut de 1991, qui permet, d'ores et déjà, à la collectivité territoriale de Corse d'émettre des propositions tendant à adapter ou à modifier les dispositions législatives ou réglementaires concernant le développement économique, social et culturel de l'île, ainsi que son organisation institutionnelle. Cette procédure n'a, toutefois, pas fonctionné de manière satisfaisante, puisque les pouvoirs publics n'ont donné aucune suite aux propositions qui leur ont été adressées dans ce cadre. Le relevé de conclusions du 20 juillet 2000 a pris acte de l'échec de ce mécanisme et proposé que la faculté d'adaptation des normes soit désormais dévolue à la collectivité elle-même, dans des conditions définies par la loi.

Le présent article s'inscrit dans cette perspective en complétant les dispositions du code général des collectivités territoriales issues de l'article 26 de la loi de 1991, afin de reconnaître à la collectivité territoriale la possibilité d'adapter les décrets d'application des lois entrant dans son domaine de compétences et de lui permettre, après habilitation législative, d'adapter, à titre expérimental, les dispositions législatives en vigueur. Le relevé de conclusions précise clairement que ce dispositif est la première étape d'un processus nécessitant une révision constitutionnelle : « Les élus de l'Assemblée de Corse ont exprimé le souhait qu'au-delà de cette procédure autorisant des délégations temporaires par le Parlement du pouvoir de déroger à des dispositions législatives, et à l'issue de ce qu'ils qualifient de période transitoire s'achevant avec la mise en place de la collectivité unique, soit reconnue de manière permanente à la collectivité territoriale de Corse la possibilité d'adapter par ses délibérations des dispositions législatives, selon des principes généraux et dans des conditions définies par le Parlement. »

Cet article constitue donc l'amorce d'une plus grande autonomie normative de la collectivité territoriale de Corse. Il s'inscrit dans le cadre d'un processus qui vise à responsabiliser davantage les organes de la collectivité en lui donnant les outils juridiques permettant d'apporter les réponses les plus appropriées aux spécificités insulaires. La Corse serait ainsi dotée d'un statut comparable à celui des autre grandes îles méditerranéennes, telles la Sardaigne, la Sicile ou les Baléares, qui, tout en étant rattachées à des Etats unitaires, disposent d'une large autonomie.

De nombreuses critiques ont été émises à l'encontre de cette disposition au motif qu'elle remettrait en cause les principes d'égalité, d'unité et d'indivisibilité de la République. Ces critiques ne tiennent pas compte de la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui affirme, de manière constante, que « le principe constitutionnel d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l'objet de la loi qui l'établit ». Elles laissent, par ailleurs, de côté l'existence d'un régime différencié d'application des lois au sein de la République, que ce soit en Alsace-Moselle ou dans les collectivités territoriales d'outre-mer.

La nécessité d'adapter les lois et les règlements pour tenir compte des particularités locales est d'ailleurs une question qui se pose de manière plus générale et qui rejoint certaines interrogations relatives à la seconde étape de la décentralisation. Une proposition de loi constitutionnelle, déposée par M. Pierre Méhaignerie et adoptée par l'Assemblée nationale le 16 janvier dernier, s'inscrit dans le cadre de cette problématique d'ensemble, puisque le texte adopté vise à reconnaître aux collectivités locales un droit à l'expérimentation en leur permettant d'adapter les lois et les règlements en vigueur, après habilitation législative.

Le processus prévu par le relevé de conclusions du 20 juillet 2000 et sa traduction dans le projet de loi ne constituent donc en rien une étape vers l'indépendance de la Corse : ils visent à assouplir un régime juridique caractérisé par sa trop grande rigidité, en confiant à la collectivité territoriale des prérogatives nouvelles de nature à favoriser l'initiative des élus insulaires et à accroître leurs responsabilités.

Pour ce faire, l'article 1er du projet de loi modifie les articles L. 4424-1 et L. 4424-2 du code général des collectivités territoriales et il introduit un nouvel article au sein du code en vue de préciser les modalités du contrôle et de la publicité des délibérations adoptées par l'Assemblée de Corse ayant pour objet d'adapter les lois et décrets.

L'article L. 4424-1 du code général des collectivités territoriales définit, dans sa rédaction actuelle, les prérogatives de l'Assemblée de Corse. La rédaction nouvelle proposée pour cet article tient compte de l'accroissement des compétence de la collectivité territoriale et marque un renforcement des attributions de son organe délibératif.

Conformément au dispositif en vigueur pour les conseils municipaux, pour les conseils généraux et pour les conseils régionaux, résultant respectivement des articles L. 2121-29, L. 3211-1 et L. 4221-1 du code général des collectivités territoriales, l'article L. 4424-1, issu du statut de 1991, prévoit que « l'Assemblée de Corse règle par ses délibérations les affaires de la collectivité territoriale de Corse et contrôle le conseil exécutif ». La rédaction proposée par le présent article, sans modifier la compétence de contrôle dévolue à l'Assemblée de Corse, consacre un élargissement de sa mission délibérative, puisqu'elle dispose que celle-ci « règle par ses délibérations les affaires de la Corse ». Cette disposition de principe consacre ainsi le renforcement des compétences dévolues à la collectivité territoriale par le présent projet de loi.

Dans le même temps, par coordination avec l'article 12 du projet de loi, qui substitue au plan de développement et au schéma d'aménagement de la Corse un document unique intitulé « plan d'aménagement et de développement durable de la Corse », la rédaction nouvelle proposée pour l'article L. 4424-1 intègre cette nouvelle terminologie dans la liste des actes devant faire l'objet d'un vote de l'assemblée insulaire.

L'article L. 4424-2 du code général des collectivités territoriales a été introduit par l'article 26 de la loi n° 91-428 du 13 mai 1991 portant statut de la collectivité territoriale de Corse en vue de reconnaître à l'Assemblée de Corse une compétence consultative à l'égard des projets de loi ou de décret intéressant la Corse, ainsi qu'une faculté d'émettre des propositions tendant à modifier ou à adapter les dispositions législatives et réglementaires en vigueur ou en cours d'élaboration concernant les compétences, l'organisation et le fonctionnement de l'ensemble des collectivités territoriales de Corse ou le développement économique, social et culturel de l'île. Le présent projet de loi reprend ces dispositions, tout en accroissant les prérogatives de la collectivité territoriale à l'égard des normes édictées par les autorités nationales. Pour ce faire, il remanie l'article L. 4424-2 en le divisant en cinq paragraphes.

Le premier paragraphe reprend intégralement les dispositions du troisième alinéa de l'article L. 4424-2, qui confèrent à l'Assemblée de Corse la faculté d'émettre des propositions en matière législative ou réglementaire. L'initiative de ces délibérations revient à l'Assemblée de Corse, au conseil exécutif ou au Premier ministre ; celles-ci peuvent porter sur l'ensemble des normes législatives ou réglementaires concernant les compétences, l'organisation et le fonctionnement des différentes collectivités territoriales de Corse, ainsi que celles relatives au développement économique, social et culturel de la Corse. Cette faculté de proposition permet ainsi à l'Assemblée de Corse de se prononcer, à tout moment, sur les dispositions relevant des autorités nationales, qu'elles soient en vigueur ou en cours d'élaboration : cette procédure demeure un cadre utile d'échange et de dialogue pour les années à venir, notamment dans la perspective des réformes tendant à accroître les prérogatives de la collectivité territoriale de Corse envisagées pour 2004.

Le deuxième paragraphe constitue, en revanche, une innovation dans notre système juridique et marque un net renforcement des prérogatives de la collectivité territoriale de Corse, puisqu'il tend à lui conférer un pouvoir général d'adaptation des décrets d'application des lois intéressant les matières relevant de sa compétence. On observera que ce pouvoir est d'autant plus large que le champ des compétences de la collectivité territoriale est accru par le présent projet de loi. Ainsi la faculté d'adapter des dispositions réglementaires pourrait s'exercer dans des domaines aussi divers que l'aménagement du territoire, la formation professionnelle, l'action culturelle ou la protection de l'environnement.

La prérogative reconnue en la matière à l'assemblée territoriale n'est conditionnée à aucune autorisation des autorités nationales, mais relève d'une procédure spécifique : l'initiative en revient au seul conseil exécutif et la délibération correspondante doit être adoptée en la forme motivée. En outre, l'adaptation des normes réglementaires nationales par la collectivité territoriale est subordonnée à la poursuite d'un but d'intérêt général et ne peut intervenir dans les matières relevant des conditions essentielles d'application de lois organisant l'exercice d'une liberté publique. Cette précision constitue d'ailleurs une précaution qui relève plus des principes que de considérations pratiques, puisque la collectivité territoriale n'exerce pas de compétence dans des domaines susceptibles de mettre en cause les libertés publiques. En outre, ces adaptations doivent être justifiées par les spécificités insulaires appréciées au regard de l'objet de la réglementation considérée.

Enfin, dans le souci de garantir le principe de la sécurité juridique, les délibérations tendant à l'adaptation d'un décret deviennent caduques dans un délai de six mois suivant la modification de ce décret. Il reviendra, en conséquence, à la collectivité territoriale de se prononcer sur le projet de modification du décret concerné en application des dispositions du paragraphe I de l'article L. 4424-2 et, le cas échéant, de procéder à une nouvelle délibération en vue d'une nouvelle adaptation du décret concerné.

En conférant à une collectivité territoriale le pouvoir de modifier unilatéralement des normes réglementaires édictées par le Gouvernement, cette disposition suscite des interrogations constitutionnelles. Certes, celles-ci ne se fondent pas sur la remise en cause du principe d'égalité, puisque le Conseil constitutionnel a admis dans sa décision du 9 mai 1991 que le législateur puisse « créer une nouvelle catégorie de collectivité territoriale, même ne comprenant qu'une unité, et la doter d'un statut particulier » et qu'il a admis la possibilité de traiter de manière différente des situations différentes, dès lors que cette dérogation au principe constitutionnel est justifiée par un but d'intérêt général. Elles portent, en revanche, sur la compatibilité de cette prérogative nouvelle avec les dispositions de l'article 21 de la Constitution conférant au Premier ministre l'exercice du pouvoir réglementaire.

Dans son avis sur le projet de loi, le Conseil d'Etat a ainsi considéré que « les dispositions de l'article 21 de la Constitution en vertu desquelles le Premier ministre assure l'exécution des lois et, sous réserve des dispositions de l'article 13, exerce le pouvoir réglementaire, ne font pas obstacle à ce que le législateur confie à une collectivité territoriale dont, en vertu de l'article 72, la loi prévoit les conditions de la libre administration, le soin de définir les conditions d'application d'une loi, mais il ne peut le faire qu'à condition que cette habilitation porte sur des mesures dont elle définit précisément le champ d'application et les conditions de mise en _uvre et ne porte pas atteinte à la compétence qui appartient au Premier ministre d'édicter des règles nationales applicables à l'ensemble du territoire ».

Le Conseil d'Etat s'inscrit ainsi dans le prolongement de la jurisprudence du Conseil constitutionnel relative au pouvoir réglementaire conféré par le législateur aux autorités administratives indépendantes, puisque celui-ci avait considéré dans sa décision n° 88-248 DC du 17 janvier 1989, relative à la loi modifiant la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, que les dispositions de l'article 21 de la Constitution « confèrent au Premier ministre, sous réserve des pouvoirs reconnus au Président de la République, l'exercice du pouvoir réglementaire à l'échelon national ; que si elles ne font pas obstacle à ce que le législateur confie à une autorité de l'Etat autre que le Premier ministre le soin de fixer des normes permettant de mettre en _uvre une loi, c'est à la condition que cette habilitation ne concerne que des mesures de portée limitée tant par leur champ d'application que par leur contenu. »

En tout état de cause, le pouvoir normatif des collectivités locales s'inscrit dans le cadre des dispositions de l'article 72 de la Constitution, qui dispose que « ces collectivités s'administrent librement par des conseils élus et dans les conditions prévues par la loi ». Or, le troisième alinéa de cet article subordonne le principe de libre administration des collectivités territoriales au respect du principe de légalité en conférant au préfet « la charge des intérêts nationaux, du contrôle administratif et du respect des lois ».

L'Assemblée de Corse, pour sa part, a considéré dans l'avis qu'elle a rendu sur le projet de loi, que cette disposition « représente un élément clé du futur statut », tout en souhaitant « tenir compte des contraintes constitutionnelles » et en demandant au Gouvernement de « clarifier les dispositions relatives au pouvoir réglementaire ».

Le troisième paragraphe vise à donner à la collectivité territoriale de Corse la faculté d'adapter les dispositions législatives en vigueur ou en cours d'élaboration. L'initiative en revient au conseil exécutif ou à l'Assemblée, mais dans le second cas, la délibération ne peut intervenir qu'après le rapport du conseil exécutif. Comme pour l'adaptation des normes réglementaires, ces délibérations de l'assemblée territoriale doivent être motivées. Elles sont, en outre, subordonnées à l'existence de difficultés d'application des lois liées aux spécificités de l'île dans les domaines relevant de la compétence de la collectivité territoriale. En revanche, à la différence du dispositif prévu pour l'adaptation des décrets d'application des lois, la procédure introduite par le présent paragraphe prévoit une habilitation législative préalable à toute adaptation des lois. L'Assemblée de Corse ne peut donc procéder à de telles adaptations sans l'autorisation du Parlement. A cette fin, la délibération de l'Assemblée de Corse doit être adressée au Gouvernement, qui conserve toute latitude quant au dépôt d'un projet de loi autorisant la collectivité territoriale de Corse à procéder à l'adaptation des dispositions législatives concernées.

Enfin, conformément aux motifs de la décision du conseil constitutionnel du 28 juillet 1993 n° 93-322 DC portant sur la loi relative aux établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel, plusieurs conditions sont requises pour que le législateur puisse habiliter la collectivité territoriale à procéder aux adaptations nécessitées par sa situation particulière : celles-ci doivent avoir lieu dans un but d'intérêt général et à titre expérimental, ce qui implique que la durée de l'autorisation soit limitée et que les adaptations entreprises dans ce cadre donnent lieu à une évaluation.

Le Conseil constitutionnel a, en effet, considéré dans cette décision que le législateur peut dans un « objectif d'intérêt général (...) prévoir la possibilité d'expériences comportant des dérogations aux règles [relatives à une catégorie d'établissements publics déterminée] de nature à lui permettre d'adopter par la suite au vu des résultats de celles-ci, des règles nouvelles appropriées à l'évolution des missions de la catégorie d'établissements en cause ; que toutefois il lui incombe alors de définir précisément la nature et la portée de ces expérimentations, les cas dans lesquels celles-ci peuvent être entreprises, les conditions et les procédures selon lesquelles elles doivent faire l'objet d'une évaluation conduisant à leur maintien, à leur modification, à leur généralisation ou à leur abandon. »

Les présentes dispositions s'inspirent de cette affirmation de principe en la transposant à une collectivité territoriale à statut particulier. Elles prévoient ainsi que le législateur doit définir les modalités selon lesquelles la collectivité territoriale peut procéder à l'adaptation des dispositions législatives. Elles imposent dans le même temps au Gouvernement de procéder à une évaluation annuelle des mesures prises par l'Assemblée de Corse dans ce cadre en retraçant la réalisation des objectifs fixés par les délibérations de cette assemblée dans un rapport qu'il doit présenter au Parlement. Le législateur pourrait ainsi revenir sur l'habilitation accordée à l'Assemblée de Corse, en cas d'évaluation non concluante des adaptations effectuées.

Dans son avis, le Conseil d'Etat a estimé sur ce point que « s'il est loisible au législateur d'adopter des dispositions particulières applicables à une catégorie de collectivités territoriales déterminée même si celle-ci ne comprend qu'une unité, il lui appartient de préciser lui-même (...) la nature, l'étendue et la portée des dérogations que ces dispositions apportent au droit commun : il ne peut, en revanche, déléguer l'exercice de la compétence législative à quelque autorité que ce soit ».

Le Conseil constitutionnel avait, en effet, déjà exclu une telle délégation de la compétence du législateur à la collectivité territoriale de Corse dans sa décision DC n° 91-290 du 9 mai 1991, puisqu'il avait considéré que l'organisation spécifique de cette collectivité territoriale ne méconnaissait pas l'article 72 de la Constitution, dès lors que « ni l'Assemblée de Corse, ni le Conseil exécutif ne se voient attribuer des compétences ressortissant au domaine de la loi. » La transposition de la décision du Conseil constitutionnel relative aux établissements publics universitaires à la collectivité territoriale de Corse pourrait donc être de nature à soulever des difficultés en l'absence de révision constitutionnelle préalable. Il serait donc préférable qu'elle trouve une réponse plus sûre dans le cadre de la révision envisagée en 2004, puisque celle-ci définira clairement l'articulation des prérogatives de la collectivité territoriale de Corse vis-à-vis des pouvoirs publics nationaux.

Le quatrième paragraphe constitue une reprise du droit existant prévoyant la consultation de l'Assemblée de Corse sur les projets de loi ou de décret comportant des dispositions spécifiques à la Corse. L'Assemblée de Corse a, pour sa part, demandé que la procédure de consultation préalable vise également les propositions de loi et que l'avis émis dans ce cadre soit publié au Journal officiel.

Le cinquième paragraphe définit le régime de transmission des avis et des délibérations de l'Assemblée de Corse tendant à l'adaptation des dispositions législatives. Conformément à la procédure prévue au dernier alinéa de l'actuel article L. 4424-2 du code général des collectivités territoriales, ces actes sont transmis au Premier ministre par l'intermédiaire du président du conseil exécutif. Le dispositif du projet de loi prévoit, en outre, la transmission simultanée de ces avis et délibérations au représentant de l'Etat dans la collectivité territoriale de Corse.

Par ailleurs, une procédure d'audition du représentant de l'Etat est prévue, dans le but de permettre à l'Assemblée de Corse d'être informée sur les suites données aux avis et demandes de la collectivité territoriale. Dans ce cadre, un débat sans vote peut suivre la communication du préfet. Ce mécanisme vise ainsi à remédier aux insuffisances du dispositif en vigueur, aucune suite, même sous forme d'information, n'ayant été donnée aux délibérations et avis de la collectivité territoriale de Corse émis dans le cadre de l'article 26 du statut de 1991.

Enfin, le dernier paragraphe de l'article 1er insère l'article L. 4424-2-1 au sein du code général des collectivités territoriales dans le but de définir le régime des délibérations de l'Assemblée tendant à adapter les décrets ou les dispositions législatives en vigueur. Ces délibérations sont soumises au contrôle de légalité, tel qu'il est défini à l'article L. 4423-1 du code général des collectivités territoriales modifié par l'article 2 du projet de loi. Dans ce cadre, le représentant de l'Etat dans la collectivité territoriale de Corse bénéficiera de prérogatives renforcées, puisqu'il pourra assortir son recours devant le tribunal administratif d'une demande de suspension dont la durée est portée à deux mois, contre un mois pour les autres actes de la collectivité territoriale. Le dispositif introduit par le projet de loi prévoit, en outre, la publication des délibérations portant adaptation des dispositions législatives ou réglementaires au Journal officiel.

La Commission a été saisie d'un amendement de M. Pierre Albertini tendant à la suppression de l'article 1er du projet de loi. M. Charles de Courson, soutenant cet amendement, a considéré que le dispositif d'adaptation des lois et des décrets prévu par le projet de loi présentait deux inconvénients majeurs : une grande complexité pouvant être la source d'un contentieux important ; une application limitée à la collectivité territoriale de Corse rendant impossible l'ouverture d'une réflexion cohérente d'ensemble sur la décentralisation.

Convenant que les dispositions de l'article 1er qui constituent un élément essentiel du projet de loi, étaient complexes et méritaient d'être améliorées, le rapporteur a indiqué qu'il souhaitait poursuivre sa réflexion et annoncé qu'il présenterait, en conséquence, un amendement à la Commission lors de la réunion qu'elle tiendra en application de l'article 88 du Règlement. Il a souhaité, à titre conservatoire, que la Commission adopte l'article premier en l'état et donc rejette l'amendement de M. Pierre Albertini. M. Bernard Roman, président, a observé que les auditions auxquelles la Commission avait procédé montraient que les dispositions de cet article suscitaient des débats particulièrement intenses. Evoquant les réserves émises par le Conseil d'Etat sur leur conformité à la Constitution, il a considéré qu'il était du devoir de la commission des Lois de trouver une rédaction équilibrée, respectant à la fois les objectifs politiques définis par le relevé de conclusions du 20 juillet 2000 et les exigences constitutionnelles. C'est pourquoi il a jugé préférable que la Commission utilise le temps dont elle dispose avant l'examen en séance publique pour aboutir à une rédaction plus satisfaisante et, en conséquence, a invité les auteurs des amendements déposés sur cet article à les retirer, quitte à les soumettre, à nouveau, à la Commission lors de la réunion qu'elle tiendra en application de l'article 88.

M. Michel Vaxès a estimé que la difficulté majeure que soulevait cet article tenait à la distinction entre ce qui relève de la dérogation à la législation en vigueur et ce qui relève de simples mesures d'adaptation, ainsi qu'à la définition de l'institution compétente pour en décider. M. Roger Franzoni a jugé choquante la disposition de l'article premier qui prévoit que l'assemblée territoriale règle par ses délibérations les affaires de la Corse - et non de la collectivité territoriale de Corse - comme s'il s'agissait d'un Etat souverain et indépendant. M. José Rossi a d'abord tenu à préciser qu'il n'entendait nullement entraîner la Corse vers l'indépendance et ne partageait, à cet égard, aucun des objectifs politiques défendus par les mouvements indépendantistes. Il a ensuite rappelé que l'Assemblée de Corse avait adopté à l'unanimité le dispositif de l'article premier du projet de loi. Observant que ce texte reprenait en partie les termes de l'article 26 du statut de 1991, qui permet à l'Assemblée de proposer au Gouvernement des adaptations des lois et règlements en vigueur, M. René Dosière a souhaité connaître le bilan de l'application de cette disposition. Le rapporteur a indiqué que sur une vingtaine de propositions formulées, aucune n'avait connu de suites.

Après le rejet de l'amendement de suppression présenté par M. Pierre Albertini, compte tenu de la proposition formulée par le président de revenir sur les dispositions de cet article lors de la réunion que la Commission tiendra en application de l'article 88 du Règlement, les amendements présentés sur cet article ont été retirés par leurs auteurs.

La Commission a adopté cet article sans modification.

Article 2

(art. L. 4423-1 du code général des collectivités territoriales)

Contrôle de légalité des délibérations portant adaptation
des dispositions législatives ou réglementaires

L'article L. 4423-1 du code général des collectivités territoriales dispose que les articles du chapitre du code général des collectivités territoriales consacré au contrôle de légalité des actes de la région sont applicables aux délibérations de l'Assemblée de Corse et du conseil exécutif, ainsi qu'aux actes du président de l'Assemblée de Corse et du président du conseil exécutif.

Conformément aux dispositions de l'article L. 4142-1 du code général des collectivités territoriales, le préfet de région peut assortir son recours devant le tribunal administratif d'une demande de sursis à exécution, dès lors que l'un des moyens invoqués « paraît propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de l'acte attaqué ». Ce sursis à une durée maximale d'un mois.

Les dispositions nouvelles introduites par le présent article tendent à renforcer les prérogatives du représentant de l'Etat en cas de déféré relatif à une délibération portant mesure d'adaptation de dispositions législatives ou réglementaires : la demande de sursis à exécution n'est pas conditionnée par l'existence d'un doute sérieux sur la légalité de l'acte attaqué, ce qui semble logique s'agissant notamment de mesures d'adaptation législative ; sa durée maximale est, par ailleurs, portée de un à deux mois, les actes déférés redevenant exécutoires à l'issue de ce délai.

L'Assemblée de Corse a, pour sa part, émis un avis défavorable à cette disposition en estimant qu'elle renforçait de manière injustifiée le contrôle exercé sur ses délibérations.

La Commission a été saisie de deux amendements tendant à la suppression de cet article, le premier présenté par M. Pierre Albertini et le second par M. Jean-Pierre Soisson, défendu par M. José Rossi. Celui-ci a estimé peu cohérent d'accroître, dans le même temps, les pouvoirs de l'Assemblée de Corse et le contrôle de légalité exercé sur ses actes par le représentant de l'Etat. M. René Dosière s'est interrogé sur la compétence de ce dernier pour contrôler les mesures d'adaptation de dispositions législatives et sur les sanctions susceptibles d'être prises, si le tribunal administratif ne statue pas sur le recours présenté par le préfet, dans le délai de deux mois prévu par l'article L. 4423-1 du code général des collectivités territoriales. Jugeant peu compatible avec le pouvoir reconnu en la matière à l'Assemblée territoriale de Corse, de donner compétence au tribunal administratif pour connaître des recours présentés contre une délibération portant mesure d'adaptation de dispositions législatives ou réglementaires, M. Robert Pandraud a estimé qu'il aurait été préférable de confier au Conseil d'Etat le soin de statuer sur ces recours. M. Noël Mamère a exprimé son désaccord à cet égard.

Rappelant que les discussions sur l'avenir de la Corse avaient permis de souligner la nécessité d'un renforcement de la présence de l'Etat sur l'île, M. Bernard Roman, président, a jugé inopportun d'adopter ces amendements, qui pourraient être interprétés comme une volonté de réduire le contrôle de légalité exercé sur les actes de l'Assemblée de Corse, exprimant, au contraire, le souhait que les contrôles exercés par le représentant de l'Etat, les chambres régionales des comptes et les juridictions administratives soient renforcés. Après avoir précisé que le contrôle de légalité exercé par le préfet sur les mesures d'adaptation législatives était justifié par le fait qu'il s'agit d'actes réglementaires d'une collectivité territoriale et rappelé que l'article 2 du projet de loi se limitait à porter de un à deux mois le délai de suspension des actes déférés devant le juge administratif, le rapporteur s'est déclaré défavorable à ces amendements, qu'il a jugés étroitement liés à l'article premier.

La Commission a rejeté ces amendements, puis adopté l'article 2 sans modification.

Article 3

(Chapitre II du titre II du livre IV de la quatrième partie
du code général des collectivités territoriales)

Refonte du chapitre consacré à l'organisation
de la collectivité territoriale de Corse

Le chapitre II du titre II du livre IV de la quatrième partie du code général des collectivités territoriales est consacré à l'organisation de la collectivité territoriale de Corse. Le présent article vise à réorganiser le plan et la numérotation des articles de ce chapitre :

- la numérotation des articles de la section 1 relative à l'Assemblée de Corse est modifiée pour tenir compte de l'introduction du nouvel article L. 4422-18-1 par la loi du 5 avril 2000 relative à la limitation du cumul des mandats et des fonctions électives ;

- la section 2, relative au conseil exécutif et à son président, est enrichie de deux nouvelles sous-sections, l'une relative aux compétences du conseil exécutif, l'autre qui a trait aux compétences du président du conseil exécutif, reprenant les dispositions des actuelles sections 2 et 3 du chapitre consacré aux attributions de la collectivité territoriale de Corse ;

- la numérotation des articles de la section 3, relative aux rapports entre l'Assemblée et le conseil exécutif, est modifiée par coordination avec les modifications précédentes ;

- la section 4, relative au conseil économique, social et culturel de la Corse est divisée en deux sections : la première relative à l'organisation du conseil, la seconde consacrée à ses compétences ; la numérotation des articles de cette section est, en outre, modifiée par coordination avec les modifications précédentes ;

- la numérotation des articles de la section 5, relative au représentant de l'Etat, est modifiée par coordination avec les modifications précédentes ; la seule disposition de cette section qui soit modifiée sur le fond concerne la suppression du pouvoir du préfet de région en matière d'élaboration du plan de développement, celui-ci relevant désormais de la seule collectivité territoriale de Corse, en application des dispositions de l'article 12 du projet de loi ;

- la numérotation des articles de la section 6, relative aux services et biens de l'Etat mis à disposition de la collectivité territoriale de Corse, est également modifiée par coordination avec les modifications précédentes.

Enfin, par coordination avec les dispositions de l'article 12 du projet de loi, la notion de « plan d'aménagement et de développement durable de Corse » est substituée dans l'ensemble du chapitre à celle de « plan de développement de la Corse et de schéma d'aménagement de la Corse » existant dans le droit en vigueur.

La Commission a adopté deux amendements d'ordre rédactionnel, présentés par le rapporteur (amendements nos 1 et 2), puis l'article 3 ainsi modifié.

Chapitre II

Dispositions relatives aux compétences
de la collectivité territoriale

Avant l'article 4

La Commission a été saisie d'un amendement de M. Jean-Pierre Soisson, tendant à introduire une section nouvelle et un nouvel article au sein du code général des collectivités territoriales en vue de définir le champ de compétence de la collectivité territoriale de Corse et de préciser qu'elle assure, dans les domaines de compétence qui lui sont attribués, un rôle de coordination et de concertation avec les différentes collectivités territoriales de l'île, dans le respect de leurs compétences respectives. Défendant cet amendement, M. José Rossi a jugé nécessaire que les compétences dévolues à la collectivité territoriale de Corse soient clairement définies. Après avoir précisé que cette question avait fait l'objet de discussions particulièrement intéressantes au sein de l'Assemblée de Corse, le rapporteur a indiqué qu'il n'était pas favorable à cet amendement, jugeant qu'il était contraire au principe constitutionnel de libre administration des collectivités locales et que son adoption était subordonnée à la révision constitutionnelle de 2004. La Commission a rejeté cet amendement.

Section 1

De l'identité culturelle

Sous-section 1

De l'éducation et de la langue corse

Article 4

(Chapitre IV du titre II du livre IV de la quatrième partie
du code général des collectivités territoriales)

Carte scolaire et carte des formations

Cet article vise à renforcer les attributions de la collectivité territoriale de Corse en matière de définition de la carte scolaire et de détermination de l'offre pédagogique.

Il restructure, dans le même temps, le chapitre IV du titre II du livre IV de la quatrième partie du code général des collectivités territoriales, dont l'intitulé est modifié, la notion de compétences étant substituée à celle, plus restrictive, d'attributions. La section 5, consacrée aux attributions de la collectivité territoriale de Corse en matière d'identité culturelle de la Corse, est déplacée en tête du chapitre et devient la section relative à l'identité culturelle de la Corse. En outre, la sous-section 2, intitulée « Communication, culture et environnement » devient la sous-section « Culture, communication », tandis qu'une nouvelle sous-section, intitulée « Sport et éducation populaire », est insérée pour tenir compte des nouvelles compétences transférées à la collectivité territoriale en la matière. Dans un souci de lisibilité, il apparaît néanmoins préférable de renvoyer les dispositions relatives aux sous-sections 2 et 3 aux articles 8 et 11 du projet de loi, puisqu'ils concernent les articles codifiés relevant de ces deux sous-sections. La Commission a adopté deux amendements du rapporteur en ce sens (amendements nos 3 et 4).

Outre ces modifications formelles, cet article modifie également l'article L. 4424-11 du code général des collectivités territoriales (qui devient l'article L. 4424-1) en vue d'accroître les prérogatives de la collectivité territoriale de Corse en matière de définition de l'implantation des établissements de formation. L'article 50 de la loi du 13 mai 1991 donnait, d'ores et déjà, compétence à l'Assemblée de Corse pour arrêter la carte des implantations des établissements suivants : collèges, lycées, établissements publics d'enseignement professionnel, établissements d'enseignement artistique, établissements d'éducation spéciale, écoles de formation maritime et aquacole, établissements d'enseignement agricole, centres d'information et d'orientation. Mais cette compétence est actuellement exercée sur proposition du représentant de l'Etat dans la collectivité territoriale, après consultation des départements et communes intéressées ainsi que du conseil économique, social et culturel de Corse.

Le dispositif proposé par le projet de loi supprime l'initiative du représentant de l'Etat et donne pleine compétence à la collectivité territoriale pour arrêter la carte des implantations des établissements précédemment mentionnés. Elle étend, par ailleurs, cette compétence à la définition des capacités d'accueil et du mode d'hébergement des élèves concernés. Il est cependant regrettable que cette disposition ne prévoie pas la consultation du représentant de l'Etat, des communes et du conseil économique, social et culturel en matière d'implantation des établissements, alors même qu'ils interviennent dans la procédure actuellement en vigueur. Pour cette raison, la Commission a adopté un amendement du rapporteur tendant à prévoir leur consultation pour la définition de la carte des implantations scolaires et des formations supérieures (amendement n° 5).

Par ailleurs, cet article donne compétence à l'Assemblée de Corse pour arrêter annuellement la liste des opérations d'investissement à effectuer dans les établissements après consultation du conseil économique, social et culturel de Corse et du représentant de l'Etat : la collectivité territoriale sera ainsi dotée des instruments juridiques lui permettant de programmer et d'inscrire à son budget les investissements à effectuer dans les établissements dont elle a la charge.

Une compétence nouvelle est également conférée à la collectivité territoriale par cet article, puisque celle-ci reçoit compétence pour définir annuellement la carte des formations, à l'exclusion de celles relevant de l'enseignement supérieur. La collectivité pourra ainsi délibérer sur l'offre pédagogique, alors même que cette compétence relève actuellement des seuls services académiques. Le dispositif proposé retient, en la matière, la mise en place d'une logique conventionnelle entre l'Etat et la collectivité territoriale : une fois la collectivité informée des moyens que l'Etat envisage d'attribuer à l'Académie de Corse, la carte des formations ne peut entrer en vigueur qu'après son approbation conjointe par le représentant de l'Etat et la collectivité territoriale de Corse.

La Commission a été saisie d'un amendement de M. Jean-Pierre Soisson, défendu par M. José Rossi, tendant, d'une part, à préciser que les moyens attribués à l'académie de Corse tiennent compte des constructions ou extensions programmées par la collectivité territoriale de Corse dans les schémas prévisionnels des formations et des investissements et, d'autre part, à supprimer la disposition selon laquelle la carte des formations devient définitive lorsqu'une convention définissant les moyens attribués par l'Etat a été conclue entre le représentant de l'Etat et la collectivité territoriale de Corse. Le rapporteur ayant souligné son attachement aux mécanismes conventionnels, la Commission a rejeté cet amendement.

La Commission a ensuite été saisie d'un amendement de M. Jean-Pierre Soisson, tendant à préciser que l'Etat est tenu de transférer à la collectivité territoriale de Corse les personnels nécessaires à l'exercice des compétences qui lui sont reconnues en matière d'enseignement. Défendant cet amendement, M. José Rossi a rappelé qu'aucun transfert significatif n'avait été effectué en la matière depuis 1982. Le rapporteur a considéré que l'amendement était satisfait par les articles 30 et 34 du projet de loi, mais, relevant que cette question avait été évoquée à plusieurs reprises lors des auditions qu'il a conduites, il a indiqué qu'il interrogerait sur ce point le Gouvernement en séance publique. M. Robert Pandraud a estimé que l'absence de transfert de moyens humains et matériels - qu'il a imputée à l'inertie des administrations de l'Etat - expliquait la non-application des précédents statuts et considéré qu'une simple intervention du ministre en séance publique ne serait d'aucun effet.

Après avoir fait observer que, sur le continent, aucun transfert des personnels de l'éducation nationale n'avait été organisé, au motif que les compétences en matière d'éducation étaient partagées entre l'Etat et les collectivités locales, M. René Dosière a souligné l'importance d'accompagner les transferts de compétences par des transferts de moyens et indiqué qu'il proposerait un amendement tendant à renforcer en ce sens l'article 30 du projet de loi. Puis, observant qu'aucun transfert pédagogique n'était prévu en matière d'enseignement supérieur, il s'est interrogé sur l'éventuel transfert des personnels ATOS. M. José Rossi a précisé que l'Assemblée territoriale de Corse n'avait pas souhaité ce transfert, tandis que le rapporteur indiquait qu'il était particulièrement attentif à ces questions et présenterait, d'ici la séance publique, un amendement imposant au Gouvernement de remettre, chaque année, au Parlement, un rapport sur la réalisation des transferts de personnels et des moyens matériels. La Commission a ensuite rejeté cet amendement.

Les dispositions de l'article L. 4424-12, qui devient l'article L. 4424-2, ne sont, quant à elles, pas modifiées au fond : la compétence de la collectivité en matière de financement, de construction, d'équipement et d'entretien des établissements scolaires, collèges inclus, qui avait été introduite par l'article 51 de la loi du 13 mai 1991 a ainsi été intégralement reprise du précédent statut.

Enfin, par coordination avec les compétences nouvelles reconnues à la collectivité territoriale de Corse en matière de définition de la carte des formations, l'article L. 4424-15 donnant compétence au président du conseil exécutif pour répartir les emplois dans les établissements scolaires sur proposition de l'autorité académique est abrogé.

La Commission a adopté l'article 4 ainsi modifié.

Article 5

(art. L. 4424-3 du code général des collectivités territoriales)

Actions de formation supérieure

Cet article complète les dispositions de l'actuel article L. 4424-13 du code général des collectivités territoriales - dont il modifie la numérotation par coordination avec les dispositions de l'article 4 du projet de loi - en vue d'accroître les compétences de la collectivité territoriale en matière de formation supérieure.

La collectivité territoriale a, d'ores et déjà, des compétences en la matière : le président du conseil exécutif dispose, après consultation de l'Université de Corse, d'un pouvoir général de proposition dans le domaine des formations supérieures et des activités de recherche ; l'Assemblée est, pour sa part, compétente pour définir la carte des formations supérieures et des activités de recherche universitaire, après consultation du conseil économique, social et culturel de Corse. Afin de concilier cette compétence avec les prérogatives de l'Etat en matière d'enseignement supérieur ainsi qu'avec le principe d'autonomie des établissements universitaires, la carte des formations supérieures doit être approuvée par une convention avec l'Etat et l'Université de Corse.

Le présent article donne, par ailleurs, à la collectivité territoriale de Corse la possibilité d'organiser de nouvelles actions de formation supérieure et de recherche. Dans ce cadre, la collectivité territoriale doit agir par la voie conventionnelle avec des établissements d'enseignement supérieur ou des organismes de recherche : elle reçoit ainsi les instruments juridiques lui permettant de développer des actions en matière d'enseignement supérieur, sans remettre en cause la compétence de l'Etat en matière d'homologation des titres et diplômes et en respectant l'indépendance des universités et des organismes de recherche. A la différence de la compétence relative à la définition de la carte des formations supérieures, cette compétence nouvelle n'est pas limitée à la seule université de Corse et peut s'exercer sur l'ensemble du territoire national.

La Commission a été saisie d'un amendement de M. Michel Vaxès, tendant à préciser que les actions de formation supérieure et de recherche organisées par la collectivité territoriale de Corse sont complémentaires de celles de l'Etat. Son auteur a précisé qu'il s'agissait ainsi, sans modifier l'esprit de la disposition, de ne pas priver l'Etat de son intervention prééminente en matière d'enseignement supérieur. Après que le rapporteur eut indiqué que le mécanisme conventionnel prévu dans le projet de loi impliquait, de fait, une complémentarité entre l'Etat et la collectivité territoriale corse, la Commission a adopté cet amendement (amendement n° 7).

La Commission a ensuite été saisie d'un amendement de M. Jean-Pierre Soisson, tendant à substituer aux mots : « de formation supérieure et de recherche », les mots : « d'enseignement supérieur, de recherche et de formation ». Défendant cet amendement, M. José Rossi a souligné qu'il s'agissait uniquement d'harmoniser les termes employés avec ceux figurant dans les autres textes relatifs à ces questions. Après les interventions du rapporteur, de M. Robert Pandraud, de Mme Christine Lazerges et de M. Bernard Derosier, la Commission a adopté cet amendement (amendement n° 6).

La Commission a ensuite adopté l'article 5 ainsi modifié.

Article 6

(art. L. 4424-4 du code général des collectivités territoriales)

Financement des établissements d'enseignement supérieur
et des instituts universitaires de formation des maîtres

Le premier paragraphe de cet article introduit dans le code général des collectivités territoriales un nouvel article transférant à la collectivité territoriale de Corse la compétence en matière de financement, de construction, d'équipement et d'entretien des établissements d'enseignement supérieur. Alors que la collectivité territoriale de Corse exerce déjà cette compétence pour les collèges et les lycées, cette disposition nouvelle poursuit donc le transfert de compétences en la matière, en confiant à la collectivité territoriale la charge des bâtiments universitaires. L'Etat continuera, pour sa part, à intervenir pour le financement des activités pédagogiques et de recherche.

Le second paragraphe de cet article accroît, par ailleurs, les prérogatives de la collectivité territoriale en matière de gestion des instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM). Tandis que les bâtiments et certains personnels des anciennes écoles normales étaient gérés par les conseils généraux, la loi du 4 juillet 1990 relative aux droits et obligations de l'Etat et des départements concernant les instituts universitaires de formation des maîtres a prévu le rattachement de ces instituts aux établissements publics d'enseignement supérieur. Le législateur a néanmoins autorisé les départements qui le souhaitaient à conserver les responsabilités qu'ils exerçaient précédemment à l'égard des biens et des personnels affectés à l'entretien et à la gestion de ces établissements. Dans ce cadre, l'Etat et le département doivent passer convention pour régler les modalités de gestion de l'IUFM : l'institut de Bastia est soumis à ce régime.

La disposition introduite par le présent paragraphe substitue la collectivité territoriale à l'Etat dans l'ensemble des articles du titre II du livre VII du code de l'éducation, à l'exception des dispositions relatives aux personnels. En effet, comme pour les établissements publics universitaires, la collectivité territoriale reçoit la responsabilité du financement, de la construction, de l'équipement et de l'entretien des établissements, mais non la charge des personnels ou des frais correspondant aux activités pédagogiques et de recherche qui demeurent de la responsabilité de l'Etat. Cette disposition doit toutefois être précisée, car elle prévoit la substitution de la collectivité territoriale à l'Etat en visant l'intégralité des articles du code de l'éducation relatifs aux IUFM : cette rédaction laisse ainsi un doute sur le maintien de la compétence de l'Etat en matière de recrutement des enseignants et de définition des contenus des enseignements délivrés dans ces instituts de formation. Pour cette raison, la Commission a adopté un amendement du rapporteur, précisant les modalités de substitution de la collectivité territoriale de Corse à l'Etat en visant les articles du code de l'éducation relatifs à la seule gestion des biens (amendement n° 8).

La Commission a ensuite été saisie d'un amendement de M. Jean-Pierre Soisson proposant une nouvelle rédaction des dispositions régissant les modalités de transfert de compétences en matière d'enseignement supérieur au profit de la collectivité territoriale de Corse. Défendant cet amendement, M. José Rossi a indiqué qu'il s'agissait, par une disposition d'ordre général, de renforcer ce transfert et d'en préciser les modalités. Le rapporteur s'est interrogé sur cette nouvelle rédaction, observant qu'elle paraissait impliquer un transfert de propriété des bâtiments universitaires au profit de la collectivité, alors que le projet de loi se limite à un transfert de charges. Après avoir rappelé que, dans le droit commun, les collectivités locales ne sont pas propriétaires des bâtiments universitaires, M. François Fillon a fait part de sa perplexité au sujet de cet amendement, le jugeant, sur le fond, quelque peu contradictoire avec le refus de la collectivité territoriale de Corse de prendre en charge la gestion des personnels ATOS, mentionné par M. José Rossi.

Celui-ci a observé que la collectivité territoriale ne disposait pas des moyens suffisants pour prétendre assurer, dès aujourd'hui, cette prise en charge. Précisant cependant que son refus n'était que provisoire, il a présenté les deux étapes qui avaient été retenues, la première consistant à engager la collectivité dans une prise en charge de construction des bâtiments, et la seconde, qui interviendrait après une évaluation et un diagnostic précis, impliquant la prise en charge des personnels. Rappelant que la question de la prise en charge de l'enseignement universitaire par la collectivité territoriale avait donné lieu à des longs débats à l'Assemblée territoriale de Corse, M. Paul Patriarche a souligné qu'il avait personnellement, lors de ce débat, émis des réserves sur la possibilité d'une prise en charge du personnel ATOS par la collectivité territoriale ; il a, en effet, constaté que ces personnels n'étaient pas exclusivement affectés à l'entretien et comprenaient également des agents administratifs et des techniciens de recherche. Il a ainsi exprimé sa crainte, dans le contexte de suspicion de clientélisme qui pèse sur les collectivités locales, que la gestion de cette catégorie de personnels à l'échelon territorial ne soit très mal comprise. Le rapporteur ayant indiqué qu'il était défavorable à l'amendement, la Commission l'a rejeté.

Puis la Commission a adopté l'article 6 ainsi modifié.

Article 7

(art. L. 312-11-1 du code de l'éducation
et L. 4424-5 du code général des collectivités territoriales)

Enseignement de la langue corse

Cet article s'inscrit dans le prolongement direct du relevé de conclusions du 20 juillet 2000, puisque celui-ci indique que « les élus de l'Assemblée de Corse ont unanimement demandé la définition d'un dispositif permettant d'assurer un enseignement généralisé de la langue corse dans l'enseignement maternel et primaire, de manière à favoriser la vitalité de cette langue. » Il retient également le « principe selon lequel l'enseignement de la langue corse prendra place dans l'horaire scolaire normal des écoles maternelles et primaires et pourra ainsi être suivi par tous les élèves, sauf volonté contraire des parents. »

Ce dispositif a suscité de nombreuses oppositions, au motif qu'il revenait à rendre obligatoire l'enseignement du corse. Il a également été présenté comme une concession excessive aux demandes des nationalistes, susceptible de favoriser la « corsisation » des emplois d'enseignant. Il a, enfin, été l'objet de polémiques contestant l'intérêt d'enseigner les langues régionales, en général, et la langue corse, en particulier.

S'agissant de l'obligation de suivre cet enseignement, le dispositif retenu par le présent article se borne à généraliser l'offre de l'enseignement du corse à toutes les écoles maternelles et élémentaires dans le cadre de l'horaire normal, c'est à dire durant les heures habituelles de classe. Il ne lui confère donc pas donc pas de caractère obligatoire, puisqu'à la différence des autres disciplines enseignées, le refus exprimé par les parents de suivre cette matière ouvre droit à une dispense systématique.

Cet article s'inscrit ainsi dans le cadre défini par le Conseil constitutionnel dans sa décision DC n° 96-373 sur la loi organique portant statut d'autonomie de la Polynésie française à propos de l'enseignement de la langue tahitienne. Dans cette décision le Conseil avait considéré que l'enseignement de cette langue dans le cadre de l'horaire normal des écoles « ne saurait sans méconnaître le principe d'égalité revêtir un caractère obligatoire pour les élèves », et « qu'il ne saurait non plus avoir pour objet de soustraire les élèves scolarisés dans les établissements du territoire aux droits et obligations applicables à l'ensemble des usagers des établissements qui assurent le service public de l'enseignement ou sont associés à celui-ci ».

Le Conseil d'Etat a, toutefois, considéré que le dispositif retenu par le projet de loi contraignait « à la différence de la procédure d'inscription applicable à tous les autres enseignements optionnels, les représentants légaux de l'enfant à accomplir une démarche expresse pour faire dispenser l'élève de l'obligation de suivre cet enseignement », et il a estimé que cela reviendrait « à instituer dans les faits un enseignement obligatoire de la langue corse. » Cette interprétation est discutable, dans la mesure où l'existence d'un mécanisme de dispense automatique souligne bien le caractère facultatif de cet enseignement. Une nouvelle rédaction du dispositif pourrait néanmoins utilement clarifier ce point de telle sorte que l'obligation pour le système éducatif de proposer cet enseignement ne puisse plus être confondue avec l'obligation d'étudier cette discipline.

S'agissant des conditions dans lesquelles ce dispositif a été négocié, il convient de rappeler que les nationalistes souhaitaient au départ obtenir un statut de co-officialité pour la langue corse, comparable à celui existant dans les régions autonomes de Catalogne et du Pays basque en Espagne. Il convient également de rappeler que le dispositif retenu a fait l'objet d'un consensus de tous les élus de la collectivité territoriale. Le choix d'une généralisation de l'enseignement du corse dans l'enseignement maternel et primaire constitue ainsi un compromis satisfaisant, qui permet d'atteindre l'objectif d'un accroissement de l'offre en matière d'enseignement de la langue corse, dans le respect des missions dévolues à l'Education nationale.

Ce dispositif évite ainsi le risque du développement de filières extérieures au service public de l'enseignement et laisse à l'Etat toute compétence pour définir les contenus pédagogiques et pour recruter les enseignants. Certaines critiques ont néanmoins été émises sur le choix de mettre en _uvre l'enseignement du corse dans le cadre de l'Education nationale, du fait d'un risque de « corsisation » des emplois d'enseignants. Les visites effectuées sur le terrain dans le cadre de la mission d'information ont permis de constater que cette thèse n'était pas conforme à la réalité. En effet, le choix d'intégrer cet enseignement dans le cadre de l'horaire normal favorise les échanges de classe entre les enseignants et ne nécessite donc pas un recrutement systématique d'enseignants maîtrisant la langue corse. Par ailleurs, dans les écoles où le nombre de locuteurs est trop faible, des intervenants extérieurs, recrutés par l'Education nationale, peuvent assurer cet enseignement auprès de plusieurs établissements scolaires.

Les services du rectorat de Corse ont, en outre, indiqué que la formation initiale et continue des formateurs intégrerait un volet consacré à l'enseignement de la langue corse, mais que les conditions de recrutement des enseignants des écoles maternelles et primaires dans l'île n'inclueraient pas d'épreuve systématique en langue corse. En revanche, le nombre de postes offerts au CAPES de corse devrait être augmenté pour accroître l'offre de cet enseignement optionnel dans les collèges et les lycées et un concours spécial de professeur des écoles parlant le corse a été créé conformément à l'annonce faite par le ministre de l'éducation nationale le 25 avril dernier pour l'ensemble des langues régionales.

S'agissant de la contestation de l'utilité d'un tel enseignement, elle rejoint le débat plus général sur l'enseignement des langues régionales dans notre pays. A cet égard, nombreux sont ceux qui continuent à considérer que la défense des langues régionales constitue une remise en cause du cadre républicain. L'hégémonie du français, sous la Révolution puis, tout au long du dix-neuvième siècle, a, en effet, longtemps constitué un enjeu de pouvoir opposant progressistes, héritiers des Lumières, et nostalgiques de l'Ancien régime. C'est ainsi que dans son Rapport sur la nécessité et les moyens d'anéantir les patois et d'universaliser l'usage de la langue française présenté devant la commission de l'Instruction publique de la Convention, l'Abbé Grégoire indiquait en 1794 : « le fédéralisme et la superstition parlent breton ; l'émigration et la haine de la République parlent allemand ; la contre-révolution parle italien, et le fanatisme parle basque. Cassons ces instruments de dommage et d'erreur. » Sans doute un tel point de vue était-il compréhensible à un moment où l'instruction publique en français était considérée comme le principal moyen de sceller l'unité de la Nation et de garantir l'égalité des citoyens, mais un tel combat n'a plus grand sens alors même que l'usage du français est devenu une évidence dans l'ensemble du territoire national.

Pourtant la France est longtemps restée en retrait en matière de diffusion et d'enseignement des langues régionales, puisqu'il a fallu attendre la loi du 11 janvier 1951, dite « loi Deixonne », pour que l'enseignement des langues et dialectes locaux (à l'origine le breton, le basque, le catalan et l'occitan, puis le corse en 1974, le tahitien en 1981 et les langues mélanésiennes en 1992) accède à la reconnaissance officielle. Par cette loi les instituteurs des écoles maternelles et élémentaires sont autorisés à utiliser les langues régionales chaque fois qu'ils peuvent en tirer profit dans leur enseignement, tandis que le développement des enseignements optionnels dans ces matières est autorisé dans les collèges et les lycées. La loi d'orientation sur l'éducation n° 89-486 du 10 juillet 1989 a pour sa part reconnu dans son article 1er que la formation scolaire devait être « adaptée dans ses contenus et ses méthodes aux évolutions économiques, technologiques, sociales et culturelles du pays et de son environnement européen et international » et qu'elle pouvait « comprendre un enseignement, à tous les niveaux, de langues et cultures régionales. »

Dans le même esprit, la circulaire du 7 avril 1995 édictée par le ministre de l'Education nationale, M. François Bayrou, a réaffirmé l'engagement de l'Etat en faveur de l'enseignement des langues régionales dans « le souci de veiller à la préservation d'un élément essentiel du patrimoine national dans l'expression de sa diversité, ainsi que la nécessité de maintenir l'identité culturelle à l'intérieur de la communauté nationale. » Plus récemment, la loi n° 99-533 du 29 juin 1999 d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire a instauré un schéma de services collectifs culturels qui « détermine les actions à mettre en _uvre pour assurer la promotion et la diffusion de la langue française ainsi que la sauvegarde et la transmission des cultures et des langues régionales ou minoritaires. »

Enfin, le ministre de l'éducation nationale, M. Jack Lang a annoncé, le 25 avril dernier, qu'il souhaitait mettre en place un nouveau cadre réglementaire dans le but de promouvoir l'enseignement des langues régionales sur l'ensemble du territoire. Dans ce cadre, le partenariat avec les collectivités territoriales serait privilégié, afin de généraliser l'offre d'enseignement des langues régionales dans tous les cycles de la scolarité comme dans l'enseignement supérieur. Les écoles bilingues seraient, en outre, reconnues et organisées par une carte académique, tandis que des concours spéciaux de professeurs des écoles devraient être ouverts dans dix-sept académies différentes pour les langues suivantes (23: basque, corse, breton, catalan, créole, occitan-langue d'Oc et langues régionales d'Alsace et des pays mosellans.

Malgré cette attention récente du législateur et du pouvoir réglementaire, la reconnaissance des langues régionales se heurte aujourd'hui à un obstacle constitutionnel, puisque l'article 1er de la Constitution contient, depuis la révision de 1992, une disposition, adoptée pour garantir l'usage du français dans le cadre communautaire, selon laquelle « La langue de la République est le français ». Alors que nos voisins espagnols et britanniques reconnaissent un régime de co-officialité pour les langues basques, catalanes et galloises et qu'elles confient aux autorités régionales le soin de légiférer sur leur utilisation et leur enseignement, la France a, paradoxalement, conforté le caractère précaire du statut juridique de ses langues régionales.

C'est ainsi que le Conseil constitutionnel, dans sa décision DC n° 99-412 du 15 juin 1999 sur la conformité de la charte européenne des langues régionales à la Constitution, a considéré que le principe d'égalité devant la loi et le principe d'unicité du peuple français « s'opposent à ce que soient reconnus des droits collectifs à quelque groupe que ce soit, défini par une communauté d'origine, de culture, de langue ou de croyance » ; il a également affirmé dans cette décision que le principe de liberté, proclamé par l'article 11 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen, et celui reconnaissant au français le caractère de langue de la République imposent l'usage du français aux services publics et implique « que les particuliers ne peuvent se prévaloir, dans leurs relations avec l'administration et les services publics, d'un droit à l'usage d'une langue autre que le français, ni même être contraints à un tel usage ».

En excluant toute co-officialité des langues régionales dans le cadre constitutionnel actuel, le Conseil a ainsi clairement défini le régime applicable aux langues régionales dans notre système juridique. Il a dans le même temps exclu toute reconnaissance de droits spécifiques «  à des groupes de locuteurs de langues régionales ou minoritaires, à l'intérieur de "territoires" dans lesquels ces langues sont pratiquées ». Il n'exclut toutefois pas la mise en _uvre des autres objectifs de la charte, dès lors qu'ils « se bornent à reconnaître des pratiques déjà mises en _uvre par la France en faveur des langues régionales ». Le dispositif relatif à l'enseignement de la langue corse devra donc s'inscrire dans ce cadre, afin de concilier l'objectif de préservation de la langue corse avec les principes d'égalité et d'indivisibilité de la République.

La Commission a été saisie d'un amendement présenté par M. Jean-Pierre Soisson, visant à généraliser l'offre d'enseignement de la langue corse, sans référence à une volonté manifeste ou contraire des parents, et à assortir cet enseignement d'une initiation à l'histoire de la Corse. Défendant cet amendement, M. José Rossi a précisé qu'il s'agissait, par cette référence à l'histoire de Corse, de répondre à un v_u émis par l'Assemblée territoriale.

M. Robert Pandraud s'est interrogé sur les modalités concrètes de cet enseignement, exprimant sa crainte que les élèves ne désirant pas suivre les cours de corse ne soient laissés à eux-mêmes dans les salles d'études ou en cours de récréation. Faisant valoir que cette question de l'organisation des cours rendrait, de facto, l'enseignement du Corse obligatoire, il a ajouté que cet enseignement devrait, en outre, obligatoirement être professé par des enseignants itinérants, toute autre solution, et notamment celle confiant cet enseignement à l'instituteur, impliquant une « corsisation » plus ou moins avouée des emplois. Il a conclu son propos en estimant qu'une initiation à l'histoire de Corse, telle que proposée dans l'amendement présenté par M. José Rossi, pourrait constituer une solution alternative intéressante pour les élèves ayant refusé de suivre l'enseignement du corse.

Déplorant la crispation que semblait susciter, chez certains, le débat sur la langue corse, M. Noël Mamère a rappelé que le Corse faisait déjà l'objet d'un enseignement, à raison de 1 h 30 par semaine, observant que, en l'absence de toute obligation, 1,03 % seulement des élèves ne suivaient pas ces cours. En réponse à M. Robert Pandraud, il a indiqué que ceux-ci se voyaient proposer à la place un enseignement général sur les langues et les cultures régionales. Regrettant ainsi que le débat ait été présenté de manière oblique, sans aucune référence à ce qui était pratiqué actuellement, il a considéré qu'il faudrait désormais aller au-delà de la pratique et intégrer véritablement la question de la langue corse dans la réflexion sur le statut de la collectivité. Il a précisé que c'était dans ce but qu'il avait proposé un amendement étendant l'enseignement du Corse aux établissements du second degré. S'agissant plus précisément de la référence à l'histoire de la Corse, inscrite dans l'amendement soutenu par M. José Rossi, il a jugé cette précision superfétatoire, estimant qu'une langue s'inscrivait obligatoirement dans une histoire particulière et qu'aucun enseignement linguistique ne saurait se dispenser d'un contexte historique.

Soulignant la richesse que représentent les langues régionales pour une nation, M. Michel Vaxès a émis le souhait que le débat sur la langue corse puisse être abordé de manière plus générale, l'enseignement d'une langue régionale devant pouvoir, comme le prévoit l'amendement qu'il a présenté, être proposé sur l'ensemble du territoire. Reconnaissant qu'une telle exigence impliquait des moyens financiers importants et une organisation complexe, il a néanmoins plaidé pour l'enseignement d'une seconde langue dès le plus jeune âge, le bilinguisme étant un facteur reconnu de l'épanouissement de l'enfant. S'agissant plus précisément de l'amendement présenté par M. José Rossi, il a considéré qu'il ne relevait pas de la compétence du législateur de définir les programmes scolaires. Il a également souhaité attirer l'attention sur la rédaction retenue qui, en l'absence de toute référence à la volonté parentale, risquerait de se traduire par une offre généralisée à l'ensemble du territoire et par le caractère obligatoire de cet enseignement.

M. Jean-Yves Caullet a estimé que la rédaction soutenue par M. José Rossi permettrait de lever toute ambiguïté sur le caractère obligatoire de l'enseignement du corse, l'emploi du terme « offert » impliquant, de manière explicite, qu'il ne le serait pas. Il a, cependant, indiqué qu'il préférerait le terme « proposé ». S'agissant de l'autre aspect du débat sur la langue corse, tenant aux horaires de son enseignement, il s'est déclaré très favorable à la rédaction du projet de loi, reprise dans l'amendement, qui précise que cet enseignement doit avoir lieu dans le cadre de l'horaire normal. Il a estimé, en effet, que seuls des horaires normaux garantiraient un enracinement dans la République de cet enseignement. Il a considéré, en revanche, que la proposition de Monsieur Michel Vaxès consistant à étendre le principe de l'enseignement à toutes les langues régionales outrepassait le cadre du projet de loi, jugeant inopportun de résoudre, dans un texte spécifique à la Corse, une question d'ordre plus général.

Considérant que la question de l'enseignement du corse était avant tout un débat politique, M. Roger Franzoni a évoqué les revendications des élus locaux, notamment nationalistes, qui s'articulaient à l'origine autour du triptyque de la co-officialité de la langue corse, de la corsisation des emplois et du code des investissements. Estimant essentiel, dans ce débat, de préserver l'intérêt des enfants, il a émis la crainte qu'un enseignement de la langue corse ne surcharge inutilement les programmes ; reconnaissant que l'enseignement du corse à l'école maternelle et en primaire pouvait revêtir un aspect ludique, il a, en revanche, considéré qu'un tel enseignement dans le secondaire impliquerait d'y consacrer 4 à 5 heures par semaine, ce qui, compte tenu des programmes, paraît irréaliste. Il a plaidé en conclusion pour que le corse puisse devenir une option à l'école, insistant sur le libre choix, qui devrait revenir aux parents, dans la décision de faire suivre aux enfants cet enseignement.

Exprimant son accord avec les propos de M. Roger Franzoni, selon lesquels la question de l'enseignement de la langue corse serait essentiellement politique, M. François Fillon s'est interrogé sur la constitutionnalité du dispositif et sur les revendications que pourraient être amenées à formuler ultérieurement les autres régions, au vu de cette expérience corse. Il s'est également interrogé sur les modalités pratiques de cet enseignement, considérant que le faible pourcentage, avancé par M. Noël Mamère, des élèves ne suivant pas actuellement l'enseignement du corse s'expliquait à la fois par des questions d'organisation, compte tenu des enseignements proposés en échange, et également par la crainte qu'éprouvaient les familles d'être mises à l'écart. Tout en estimant envisageable de prévoir, au niveau des classes maternelles et élémentaires, une initiation au corse, il s'est déclaré beaucoup plus réservé sur une extension de cet enseignement aux classes secondaires, un tel enseignement exigeant des moyens et une organisation des cours autrement plus complexe.

Complétant les propos de M. François Fillon, M. Paul Patriarche a rappelé qu'il existait déjà, dans les collèges et lycées, un enseignement du corse. Il a, pour sa part, mis l'accent sur l'utilité que pouvait représenter l'enseignement d'une telle langue, d'origine romane, dans le contexte d'un développement des échanges avec les pays méditerranéens. Estimant regrettable de perdre un tel atout, il a néanmoins exprimé son désaccord à l'encontre de tout dispositif qui revêtirait un caractère contraignant pour les élèves ou les parents.

Evoquant le scepticisme dont il faisait preuve à l'origine, lors de la présentation de l'avant-projet de loi, compte tenu notamment des revendications sur la langue corse exprimées par les nationalistes, M. Bernard Roman, président, a indiqué qu'il avait été convaincu de l'importance de l'enseignement du corse à la suite des déplacements dans l'île, qu'il avait eu l'occasion de faire dans le cadre de la mission d'information. Il a précisé qu'il avait pu rencontrer, au cours de ces déplacements, des enseignants, des parents d'élèves et également visiter des écoles où l'on enseignait le corse, certaines d'entre elles faisant appel, pour cet enseignement, à leurs enseignants, d'autres à des intervenants extérieurs, pris en charge par le rectorat. Précisant qu'aucun parent d'élève n'avait déclaré vivre cet enseignement comme une contrainte, et que l'on était donc loin de la vision fantasmatique développée par certains, il a ajouté que les familles issues du continent choisissaient cet enseignement dans l'objectif de mieux connaître une région et sa culture. S'agissant des 20 % des écoles qui n'assurent pas actuellement cet enseignement du corse, il a observé que les inquiétudes des instituteurs et des parents d'élèves portaient uniquement sur les futurs moyens de mise en _uvre de cet enseignement et ajouté qu'il n'avait pas ressenti d'autres réticences. Il a estimé, en définitive, que l'on était loin des revendications des nationalistes, qui réclamaient la co-officialité de la langue corse et la corsisation des emplois. Reconnaissant qu'il était néanmoins possible d'améliorer la rédaction proposée par le projet de loi, afin notamment de tenir compte de l'avis du Conseil d'Etat et de la décision du Conseil constitutionnel sur les langues polynésiennes, il a préconisé de retenir comme objectif la généralisation de l'enseignement de la langue corse, avec, comme corollaire indispensable, la totale liberté laissée dans le choix des parents. A cet égard, il a estimé que la rédaction du projet de loi, qui pouvait suggérer implicitement une contrainte, méritait d'être améliorée. Il a considéré que la rédaction défendue par M. José Rossi répondait à cet objectif, sous réserve toutefois de supprimer toute référence à l'initiation à l'histoire de la Corse, qui paraissait compliquer inutilement le débat.

Rappelant qu'il s'agissait de reprendre un souhait de l'Assemblée territoriale de Corse, M. José Rossi a reconnu néanmoins que l'histoire était un outil de l'enseignement du corse et qu'une précision spécifique à ce sujet se révélait inutile. Le rapporteur a précisé que la mission d'information, lors de ses déplacements, s'était particulièrement intéressée à l'objectif de généralisation de l'enseignement du corse et à la faisabilité de cette généralisation. Il a ajouté que le dispositif d'enseignement en vigueur fonctionnait bien et considéré, dès lors, que sa généralisation ne susciterait pas de difficultés. Il a proposé d'adopter l'amendement présenté, sous réserve cependant d'améliorations rédactionnelles et de suppression de la dernière phrase concernant l'initiation à l'histoire de Corse. La Commission a adopté cet amendement ainsi rectifié (amendement n° 9), rendant, dès lors, sans objet un amendement présenté par M. Michel Vaxès sur l'enseignement d'une langue régionale au choix des parents, un amendement présenté par M. Pierre Albertini, soumettant l'enseignement de la langue corse à la demande des parents ou du représentant légal et un amendement de M. Noël Mamère étendant l'enseignement de la langue corse aux établissements du second degré.

Enfin, l'article 7 du projet de loi modifie l'article L. 4424-14 du code général des collectivités territoriales, renuméroté L. 4424-5, en vue de préciser le contenu et les modalités de mise en _uvre du plan de développement de l'enseignement de la langue et de la culture corses. Le droit en vigueur prévoit que ce plan, qui est adopté par l'Assemblée de Corse sur proposition du conseil exécutif et après consultation du conseil économique, social et culturel, doit notamment prévoir les modalités d'insertion de l'enseignement de la langue corse dans le temps scolaire. Par coordination avec la disposition prévoyant que cet enseignement a lieu dans le cadre de l'horaire normal, cette précision est supprimée dans la rédaction nouvelle proposée pour cet article.

Le contenu de la convention conclue par la collectivité territoriale avec l'Etat est plus précisément défini, puisque celle-ci doit désormais prévoir les mesures d'accompagnement nécessaires à la mise en _uvre du plan de développement. La formation des formateurs, qu'elle relève de la formation initiale ou de la formation continue, doit ainsi être organisée par la voie conventionnelle après adoption du plan de développement de la langue et de la culture corses par la collectivité territoriale.

La Commission a adopté l'article 7 ainsi modifié.

Sous-section 2

De la culture et de la communication

Article 8

(art. L. 4424-16 du code général des collectivités territoriales)

Soutien aux activités audiovisuelles et action culturelle internationale

Cet article réorganise la sous-section relative à la culture et à la communication, qui devient la deuxième sous-section de la section 1 intitulée « Identité culturelle de la Corse » en application des dispositions de l'article 4 du présent projet de loi. Dans ce cadre, il modifie la numérotation de l'ancien article L. 4424-16 qui devient l'article L. 4424-6. Il procède également à deux modifications au sein de cet article : la compétence de la collectivité territoriale en matière de soutien des initiatives et des actions dans le domaine de la création et de la communication est élargie à l'ensemble des initiatives et des actions intervenant dans les domaines de la culture et de la communication ; la mention de la Communauté européenne est, quant à elle, remplacée par la terminologie nouvelle d'Union européenne.

La Commission a adopté un amendement rédactionnel du rapporteur (amendement n° 10) ainsi qu'un amendement de Jean-Pierre Soisson, défendu par M. José Rossi, précisant que les actions culturelles internationales de la collectivité territoriale de Corse auront lieu dans le cadre de la coopération décentralisée (amendement n° 11).

Elle a ensuite adopté l'article 8 ainsi modifié.

Article 9

(art. L. 4424-17 du code général des collectivités territoriales)

Compétences en matière culturelle

Modifiant l'article L. 4424-17 du code général des collectivités territoriales, qui devient l'article L. 4424-7, cet article renforce les compétences de la collectivité territoriale en matière d'action culturelle et définit les modalités de ses relations avec l'Etat ainsi qu'avec les autres collectivités locales dans ce domaine.

La rédaction nouvelle proposée pour définir la compétence de la collectivité territoriale en matière d'action culturelle consacre le renforcement de ses prérogatives en lui reconnaissant une compétence générale de définition et de mise en _uvre de la politique culturelle en Corse. Cette compétence n'est toutefois pas exclusive, puisqu'elle doit s'articuler avec celle détenue en la matière par l'Etat, les communes et les départements. La collectivité territoriale apparaît néanmoins, dans ce cadre nouveau, comme le pivot de la définition des politiques culturelles.

En effet, s'agissant des compétences de l'Etat en la matière, elles sont définies limitativement par référence aux seules actions relevant de la politique nationale. Dans ce cadre, l'articulation des compétences culturelles de la collectivité territoriale avec celles de l'Etat doit être organisée par la voie conventionnelle. Sur ce point, la Commission a été saisie d'un amendement de M. Jean-Pierre Soisson permettant aux services de la collectivité territoriale de Corse d'intervenir, dans le cadre de conventions, dans la mise en _uvre de la politique culturelle de l'Etat. Défendant cet amendement, M. José Rossi a souligné la nécessité de bien identifier les responsabilités en la matière, afin d'éviter des interférences contre-productives entre les différents services. Il a précisé que, tout en conservant au préfet son rôle d'impulsion dans le domaine culturel, cet amendement permettrait à l'Etat de faire appel aux services de la collectivité territoriale.

En réponse à M. Robert Pandraud, qui souhaitait connaître le rôle exact de la direction régionale des affaires culturelles en Corse, le rapporteur a indiqué que ce service avait, dans l'île, un fonctionnement spécifique, dû au manque d'ambition et de moyens de la politique culturelle menée par l'Etat. Tout en reconnaissant que l'amendement permettrait sans doute une meilleure coordination entre les services de l'Etat et ceux de la collectivité, il a souhaité que leur association par convention soit facultative et a donc proposé que l'amendement soit rectifié en conséquence. M. José Rossi s'est déclaré favorable à cette modification, sous réserve, toutefois, qu'il soit clairement affirmé que cet élargissement des compétences doit s'accompagner d'un transfert de services.

Rappelant que la Corse faisait, avant tout, partie de l'archipel toscan et n'était devenue française qu'en raison d'un aléa historique, M. Roger Franzoni a souhaité que la culture française s'affirme pleinement en Corse, afin de contenir la poussée irrédentiste et d'éviter que la géographie ne reprenne ses droits. Tout en soulignant l'insuffisance de la présence culturelle de l'Etat en Corse, M. Bernard Roman, président, a indiqué que les dysfonctionnements de la DRAC n'étaient pas un problème spécifique à la collectivité territoriale, les directions régionales du continent souffrant également d'un manque de coordination avec les élus locaux. Il a appelé l'attention sur le fait que le transfert de compétences proposé ne devait pas donner l'impression que l'on souhaitait affaiblir la politique culturelle de l'Etat. A l'issue de cet échange, la Commission a adopté l'amendement, rectifié pour tenir compte de la proposition du rapporteur (amendement n° 12).

Par ailleurs, alors que la consultation du conseil économique, social et culturel, déjà prévue dans le texte actuel, est maintenue, les relations entre la collectivité territoriale et les autres collectivités locales de l'île sont plus clairement définies que dans le droit en vigueur. Celui-ci reconnaît en effet aux communes et aux départements un simple pouvoir de proposition en vue de la définition de l'action culturelle par la collectivité territoriale. Le dispositif proposé prévoit que la collectivité définit et met en _uvre la politique culturelle de l'île en concertation avec les départements et les communes, et lui reconnaît en même temps un rôle de coordination et de conseil à l'égard de ces collectivités. Sans attribuer à la collectivité territoriale un rôle de chef de file en matière culturelle, le projet de loi consacre cependant son rôle de collectivité de référence en matière d'action culturelle.

Les compétences de la collectivité territoriale en matière culturelle sont par ailleurs précisément définies dans le deuxième paragraphe de l'article L. 4424-7 :

-  la compétence en matière de travaux de conservation des monuments historiques n'appartenant pas à l'Etat reconnue par le statut de 1991 est précisée, puisque la rédaction nouvelle de cet article permet à la collectivité territoriale de conduire les études et de définir les actions s'inscrivant dans le cadre de la protection du patrimoine et lui reconnaît la possibilité de proposer à l'Etat les mesures de classement des monuments historiques ;

-  une compétence nouvelle de conservation et de mise en valeur des sites archéologiques est également transférée à la collectivité territoriale ; celle-ci contribue par ailleurs à l'élaboration de la carte archéologique nationale en transmettant à l'Etat les éléments en sa possession ; une procédure de consultation systématique de la collectivité est en outre instituée dans le cadre de l'élaboration du programme de fouilles menées en Corse en application des dispositions du titre II de la loi du 27 septembre 1941 portant réglementation des fouilles archéologiques qui définit le cadre de l'exécution des fouilles par l'Etat ;

-  une série de compétences nouvelles, actuellement exercées par l'Etat, est également transférée par le présent article ; il s'agit de l'inventaire du patrimoine, des recherches ethnologiques, de la muséographie, de l'aide au livre et à la lecture publique ;

-  la compétence de soutien à la création, de diffusion artistique et culturelle et de sensibilisation à l'enseignement artistique figurant dans le deuxième alinéa de l'article L. 4424-17 en vigueur est, pour sa part, réintroduite dans le nouvel article L. 4424-7.

La Commission a rejeté deux amendements tendant à accroître les compétences de la collectivité territoriale de Corse en matière culturelle :

-  le premier, de M. Jean-Pierre Soisson, défendu par M. José Rossi, impliquant l'association de la collectivité territoriale de Corse aux procédures de classement des monuments historiques, au travers de la coprésidence de la commission du patrimoine et des sites, après que le rapporteur eut fait valoir que le pouvoir de proposition de la collectivité territoriale en la matière semblait suffisant, M. Bernard Derosier s'étant déclaré, par principe, défavorable aux coprésidences de commissions ;

-  le second, du même auteur, renforçant les compétences de la collectivité territoriale de Corse dans le domaine des fouilles archéologiques, le rapporteur ayant observé que cet élargissement de compétences soulèverait de graves problèmes techniques.

Un débat s'est ensuite engagé sur un amendement de M. Jean-Pierre Soisson défendu par M. José Rossi précisant que la collectivité territoriale de Corse définit les actions menées en matière de création d'établissements d'enseignement artistique spécialisé et d'élaboration de leurs programmes de formation. Le rapporteur a indiqué que la première partie de l'amendement était satisfaite par l'article L. 4424-1 du code général des collectivités territoriales, modifié par l'article 4 du projet de loi, qui dispose que la collectivité territoriale de Corse définit la carte des implantations des établissements d'enseignement artistique, tandis que la deuxième partie soulevait des difficultés puisque les contenus pédagogiques relèvent de la compétence de l'Etat. M. José Rossi a souhaité que la première partie de l'amendement soit maintenue, estimant qu'elle permettrait de préciser la portée de l'article 4. Répondant ensuite à M. Bernard Derosier qui s'interrogeait sur la signification de la notion « d'établissement d'enseignement artistique spécialisé », il a indiqué que ce terme figurait déjà dans les textes qui donnent compétence à l'Etat en la matière. Après que M. Jean-Yves Caullet eut souligné la nécessité de coordonner l'article 4 et l'article 9, tant sur la forme que sur le fond, et proposé en conséquence de réexaminer cette question au cours de la réunion qui se tiendra au titre de l'article 88 du Règlement, la Commission a rejeté l'amendement.

Par ailleurs, le dernier alinéa du deuxième paragraphe de cet article consacré aux compétences de la collectivité territoriale de Corse en matière culturelle rappelle que l'Etat conserve une compétence générale de contrôle scientifique et technique de la politique culturelle de la collectivité territoriale. Sur ce point, la Commission a été saisie d'un amendement de M. Jean-Pierre Soisson défendu par M. José Rossi supprimant la mention du contrôle scientifique et technique de l'Etat sur les actions menées par la collectivité territoriale en matière culturelle. M. Jean-Yves Caullet ainsi que le rapporteur ayant critiqué ce type de contrôle jugé purement technocratique, la Commission a adopté cet amendement (amendement n° 13).

Le troisième paragraphe de ce nouvel article complète, en outre, les transferts de compétence en matière culturelle par le transfert de la propriété des monuments historiques et des sites archéologiques appartenant à l'Etat. Ce transfert vaut également pour les objets mobiliers contenus dans ces monuments ou ces sites. Les bâtiments occupés par l'Etat ou par les organismes placés sous la tutelle de celui-ci sont cependant exclus du dispositif de transfert de propriété. Ce transfert ne peut, en tout état de cause, prendre effet qu'après publication d'un décret en Conseil d'Etat. Parmi les bâtiments et sites les plus importants concernés par ces transferts devraient figurer la cathédrale d'Ajaccio et le site archéologique d'Aléria, ainsi que les biens immobiliers qu'ils contiennent.

Enfin, cet article porte modification de l'article L. 144-6 du code de l'urbanisme relatif au conseil des sites de Corse. Cet organe exerce en Corse les attributions de la commission régionale du patrimoine et des sites, de la commission spécialisée des unités touristiques nouvelles et de la commission départementale des sites existant sur le continent. La composition de cette commission est actuellement fixée par décret, après avis des assemblées locales. La loi impose, pour sa part, la participation de représentants de la collectivité territoriale et des départements sans en préciser la proportion, ni les modalités de nomination.

La rédaction proposée pour cet article du code de l'urbanisme prévoit désormais que les membres de la commission sont nommés pour moitié par le représentant de l'Etat et pour moitié par le président du conseil exécutif. Cette disposition garantit ainsi une meilleure représentation des représentants de la collectivité territoriale au sein de cette commission. Sa composition sera, pour sa part, définie par la voie réglementaire. Pour cette raison, la Commission a rejeté un amendement de M. Jean-Pierre Soisson défendu par M. José Rossi, prévoyant la coprésidence du conseil des sites par le représentant de l'Etat et par le président du conseil exécutif.

La Commission a adopté l'article 9 ainsi modifié.

Article 10

(art. L. 1511-6-1 du code général des collectivités territoriales)

Création d'infrastructures de communication

Cet article insère un nouvel article au sein du code général des collectivités territoriales, afin de donner à la collectivité territoriale de Corse une compétence nouvelle lui permettant de réaliser directement des infrastructures de télécommunications, par dérogation aux dispositions de l'article L. 1511-6 du code général des collectivités territoriales relatives à la carence des fournisseurs d'accès aux réseaux de télécommunication.

L'article L. 1511-6 définit le cadre de l'intervention des collectivités locales en matière de réalisation d'infrastructures et de fourniture de services dans le domaine des réseaux de télécommunication à haut débit. En application du premier alinéa de cet article, les collectivités ou leurs groupements ne peuvent intervenir en la matière qu'à la condition que l'offre fournie par les acteurs du marché excède un prix abordable ou ne réponde pas aux exigences techniques et de qualité définies par les collectivités concernés.

La mise en _uvre de cette faculté de substitution reconnue aux collectivités territoriale ne peut toutefois intervenir qu'après une procédure de constat de carenc des opérateurs privés. Les modalités de cette procédure sont définies au quatrième alinéa de l'article L. 1511-6 : lorsque la carence est constatée de manière publique, la collectivité doit procéder à une évaluation des besoins des opérateurs susceptibles d'utiliser les infrastructures qui pourraient être directement réalisées par la collectivité territoriale.

Le nouvel article introduit dans le code général des collectivités territoriales vise à alléger ce dispositif pour tenir compte du retard d'équipement pesant sur la Corse en matière de réseaux indispensables au développement des nouvelles technologies. La collectivité reçoit ainsi une compétence directe de réalisation des infrastructures à haut débit, sans être obligée de constater la carence des opérateurs privés ou l'absence de fourniture d'une prestation à un prix abordable. Elle devra néanmoins, en application du cinquième alinéa de l'article L. 1511-6, procéder à une analyse des dépenses et des recettes prévisibles, ainsi que des besoins des opérateurs susceptibles d'utiliser les infrastructures réalisées directement par la collectivité. Celle-ci sera ainsi en mesure de réaliser les infrastructures indispensables au développement des nouvelles technologies dans l'île au plus près des besoins existants.

La Commission a adopté l'article 10 sans modification.

Sous-section 3

Du sport et de l'éducation populaire

Article 11

(art. L. 4424-8 du code général des collectivités territoriales)

Promotion des activités physiques et sportives, d'éducation populaire et d'information de la jeunesse

L'objet de cet article, qui introduit une disposition nouvelle au sein du code général des collectivités territoriales, est de conférer à la collectivité territoriale de Corse une compétence pour mener des actions en direction de la jeunesse et des sports.

Par coordination avec l'amendement n° 3 supprimant à l'article 4 du projet de loi la mention de l'intitulé de la sous-section consacrée au sport et à l'éducation populaire, la Commission a adopté un amendement réintroduisant cet intitulé au sein de l'article 11 du projet de loi (amendement n° 14).

Le premier paragraphe de cet article définir le cadre d'action de la collectivité territoriale et prévoit les modalités de son articulation avec celle des services de l'Etat en la matière. La compétence reconnue en la matière à la collectivité territoriale est vaste, puisqu'elle concerne la conduite « des actions en matière de promotion des activités physiques et sportives, d'éducation populaire et d'information de la jeunesse. » Quant à la compétence de l'Etat, elle est définie de manière limitative sur le même mode que celui retenu en matière de politique culturelle, puisqu'elle porte sur les actions relevant de la politique nationale. Compte tenu de ce nouveau partage des compétences, un mécanisme conventionnel est prévu en vue d'assurer la coordination entre les actions menées par la collectivité territoriale et celles relevant des services déconcentrés de l'Etat.

La Commission a examiné un amendement de M. Jean-Pierre Soisson, défendu par M. José Rossi, permettant aux services de la collectivité territoriale de Corse d'intervenir, dans le cadre de conventions, dans la mise en _uvre de la politique nationale de promotion des activités physiques et sportives d'éducation populaire et d'information de la jeunesse. M. René Dosière a souhaité que l'amendement prévoie la consultation du conseil économique, social et culturel de Corse, sur le modèle du dispositif adopté à l'article 9 en matière culturelle. M. Jean-Yves Caullet a également souhaité une harmonisation des rédactions entre ces deux articles, approuvant la proposition du rapporteur de remplacer l'association obligatoire des services de la collectivité territoriale de Corse par une association facultative. Après que M. José Rossi eut rappelé que cet élargissement de compétences devait s'accompagner d'un transfert de services, la Commission a adopté l'amendement, rectifié pour tenir compte des propositions de M. René Dosière et du rapporteur (amendement n° 15).

Le second paragraphe de cet article donne, pour sa part, compétence à la collectivité territoriale pour répartir les subventions de fonctionnement provenant de la part régionale du fonds national pour la développement du sport (FNDS). Créé par la loi de finances pour 1979, ce fonds est alimenté par un prélèvement sur les jeux de hasard, et délivre des subventions qui correspondent à quatre types d'interventions : les subventions de fonctionnement de la part nationale sont destinées aux fédérations sportives ; les subventions de fonctionnement de la part régionale sont attribuées aux clubs sportifs ; des subventions, enfin, sont consacrées au financement d'équipements sportifs et aux dépenses diverses.

Le conseil du FNDS, composé de représentants des services de l'Etat et de représentants du mouvement sportif, propose au ministre de la Jeunesse et des sports les règles d'attribution des aides à accorder. C'est dans ce cadre que les commissions régionales du FNDS sont consultées par les préfets de région afin de répartir les aides accordées pour les organismes et actions d'intérêt régional, tandis que les préfets de département sont consultés pour l'attribution d'aide aux organismes et actions d'intérêt local.

Le nouveau mécanisme prévu maintient la compétence générale du conseil du FNDS en matière de définition des orientations, mais il transfère la compétence précédemment détenue par le représentant de l'Etat dans la collectivité territoriale à cette collectivité. Celle-ci aura donc la responsabilité de décider des subventions accordées au titre de la part régionale du fonds. La rédaction retenue laisse toutefois de côté la consultation de la commission régionale dont la composition et les attributions ont été définies par le décret n° 87-65 du 4 février 1987. Il apparaît, en conséquence, judicieux de réintroduire la consultation des représentants du monde sportif dans la nouvelle procédure d'attribution des subventions. Pour cette raison, la Commission a adopté un amendement du rapporteur en ce sens, prévoyant la consultation, avant toute décision de la collectivité en matière de financement des groupes sportifs locaux, d'une commission régionale spécifique à la Corse, dont la composition sera définie par décret (amendement n° 16).

La Commission a adopté l'article 11 ainsi modifié.

Section 2

De l'aménagement et du développement

Sous-section 1

Du plan d'aménagement et de développement durable

Article 12

(art. L. 4424-9 à L. 4424-15 du code général des collectivités territoriales)

Plan d'aménagement et de développement durable

Le présent article tend à conférer à la collectivité territoriale de Corse les moyens de définir, et de maîtriser, les orientations du développement et de l'aménagement de son territoire. Il s'inscrit dans une triple perspective d'approfondissement de la décentralisation, de renforcement de l'efficacité des actions engagées et de simplification administrative.

A cet effet, il est proposé que l'Assemblée de Corse approuve un plan d'aménagement et de développement durable, qui fixera ses objectifs et ses orientations fondamentales en matière de développement économique, social, culturel, touristique et environnemental. Ce plan se substituera aux documents de planification existants (plan de développement et schéma d'aménagement), vaudra schéma de mise en valeur de la mer et directive territoriale d'aménagement ; il pourra adapter, de façon limitée, certaines contraintes propres aux zones littorales.

Ce faisant, cet article s'inscrit dans le prolongement des précédents transferts de compétences, opérés depuis 1982, et traduit la mise en _uvre du relevé de conclusions du 20 juillet 2000, qui prévoyait une décentralisation accrue en matière d'aménagement de l'espace. Il conforte, également, les nouveaux transferts réalisés par le présent projet de loi.

Il compte deux paragraphes.

Le paragraphe I permet d'insérer, dans le code général des collectivités territoriales, les dispositions nouvelles proposées par les articles 12 à 16 du projet de loi. Il crée, dans le chapitre VI du titre II du livre IV de sa quatrième partie, une section 2 intitulée : « Aménagement et développement durable », qui comprendra trois sous-sections : « Plan d'aménagement et de développement durable » (sous-section 1) ; « Transports et gestion des infrastructures » (sous-section 2) ; « Logement » (sous-section 3).

Le paragraphe II détermine le contenu de la première sous-section et, partant, la portée du plan d'aménagement et de développement durable. Les sous-sections 2 et 3 font l'objet des articles 14 à 16 du projet de loi.

I. - LES DOCUMENTS DE PLANIFICATION : ÉTAT DES LIEUX

« Le territoire français est le patrimoine commun de la nation. Chaque collectivité publique en est le gestionnaire et le garant dans le cadre de ses compétences ».

Ce principe général figure en ouverture du Livre 1er du code de l'urbanisme, à l'article L. 110, qui énumère les objectifs de notre pays en matière d'utilisation de l'espace : l'aménagement du cadre de vie ; l'assurance sans discrimination des conditions d'habitat, d'emploi, de services et de transports ; la gestion du sol de façon économe ; la protection des milieux naturels et des paysages ; la sécurité et la salubrité publiques ; la promotion de l'équilibre entre les populations ; la rationalisation de la demande de déplacements.

La réalisation de ces objectifs suppose une harmonisation des prévisions et des décisions des différentes collectivités publiques, à travers un ensemble cohérent de documents de planification, qui sont présentés ci-après.

1. Le régime de droit commun

La législation applicable en matière d'aménagement de l'espace a été profondément remaniée par la loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains. Certaines des réformes décidées à cette occasion n'ont encore qu'une portée théorique ; plusieurs d'entre elles n'entreront en vigueur qu'à la fin de l'année 2001. Toutefois, c'est bien par rapport à ce cadre rénové qu'il convient d'apprécier les dispositions proposées, en l'espèce, pour la Corse.

L'article L. 111-1-1 du code de l'urbanisme (modifié par l'article 11 de la loi du 13 décembre 2000) place, au sommet de la hiérarchie des normes, les directives territoriales d'aménagement ; puis viennent les schémas de cohérence territoriale, les plans locaux d'urbanisme et les cartes communales, qui déterminent, aux termes de l'article L. 121-1 du même code, les conditions permettant d'assurer, notamment, l'équilibre, la préservation, la diversité et l'utilisation économe des espaces et de leurs fonctions.

a) Les directives territoriales d'aménagement

Les directives territoriales d'aménagement (articles L. 111-1-1 et suivants du code de l'urbanisme) sont élaborées sous la responsabilité de l'Etat, à son initiative ou à la demande d'une région, en association avec les collectivités concernées. Elles sont soumises à enquête publique et approuvées par décret en Conseil d'Etat.

Elles fixent, sur certaines parties du territoire, les orientations fondamentales de l'Etat en matière d'aménagement et d'équilibre entre développement, protection et mise en valeur des territoires ; elles énoncent ses principaux objectifs en ce qui concerne la localisation de certains équipements et infrastructures de transport, d'une part, de préservation des espaces naturels, des sites et des paysages, d'autre part.

Les directives territoriales d'aménagement peuvent également préciser, pour les territoires concernés, les modalités d'application des dispositions propres aux zones de montagne et du littoral (articles L. 145-2 et L. 146-1 et suivants du code de l'urbanisme). Il peut s'agir, par exemple, de définir certaines notions, telles que : « espaces proches du rivage », « extension limitée de l'urbanisation », « capacité d'accueil », etc.

b) Les schémas de cohérence territoriale

Les schémas de cohérence territoriale, que l'article 3 de la loi du 13 décembre 2000, dont l'entrée en vigueur est fixée au 14 décembre 2001, substitue aux anciens schémas directeurs (24), établissent un diagnostic au vu des prévisions économiques et démographiques et des besoins répertoriés en matière de développement économique, d'aménagement de l'espace, d'environnement, d'équilibre social de l'habitat, de transports, d'équipements et de services. Ils arrêtent un projet d'aménagement et de développement durable, qui fixe les objectifs des politiques publiques d'urbanisme. Pour la mise en _uvre de ce projet, ils définissent les orientations générales de l'organisation de l'espace et de la restructuration des espaces urbanisés, et déterminent les grands équilibres entre les espaces urbains et à urbaniser et les espaces naturels et agricoles ou forestiers. Ils désignent, enfin, les espaces et sites naturels ou urbains à protéger et peuvent définir les grands projets d'équipements et de services nécessaires à la mise en _uvre de ces objectifs.

Les schémas de cohérence territoriale peuvent être complétés, pour leur exécution, par des schémas de secteur, qui précisent leur contenu.

Les schémas de secteur sont élaborés à l'initiative des communes ou de leurs groupements compétents, dans un périmètre (d'un seul tenant et sans enclave) arrêté par le préfet, après avis des départements concernés, sur proposition des conseils municipaux ou des établissements publics de coopération intercommunale compétents.

Les programmes locaux de l'habitat, les plans de déplacement urbains, les schémas de développement commercial, les plans locaux d'urbanisme, les plans de sauvegarde et de mise en valeur, les cartes communales, les opérations foncières et les opérations d'aménagement doivent être compatibles avec les schémas de cohérence territoriale et les schémas de secteur.

Les schémas de cohérence territoriale et les schémas de secteur doivent être compatibles, quant à eux, avec les directives territoriales d'aménagement ; en l'absence de directive territoriale, ils doivent être compatibles avec les dispositions propres aux zones de montagne et du littoral (articles L. 145-1 et L. 146-1 et suivants du code de l'urbanisme).

c) Les plans locaux d'urbanisme

Les plans locaux d'urbanisme, que l'article 4 de la loi du 13 décembre 2000, dont l'entrée en vigueur est également fixée au 14 décembre 2001, substitue aux anciens plans d'occupation des sols (25), fixent les règles générales et les servitudes d'utilisation des sols permettant d'atteindre les objectifs énoncés à l'article L. 121-1. Ils peuvent imposer des interdictions de construire. Elaborés à l'initiative et sous la responsabilité des communes, selon une procédure qui associe l'Etat et, le cas échéant, d'autres collectivités (la région et le département), ils sont approuvés, après enquête publique, par délibération du conseil municipal ou de l'établissement public compétent.

d) Les cartes communales

Les communes qui ne se sont pas dotées d'un plan local d'urbanisme peuvent élaborer, dans le cadre de groupements intercommunaux, une carte communale précisant des règles générales d'urbanisme. Approuvée, après enquête publique, par le conseil municipal et le préfet, la carte délimite les secteurs où les constructions sont autorisées et ceux où elles ne le sont pas (article L. 124-1 du code de l'urbanisme).

Les plans locaux d'urbanisme et les cartes communales, ou les documents en tenant lieu, doivent être compatibles avec les orientations des schémas de cohérence territoriale et des schémas de secteur ou, à défaut, avec les directives territoriales d'aménagement ; en l'absence de directive territoriale d'aménagement, ils doivent être compatibles avec les dispositions propres aux zones de montagne et au littoral.

2. Le régime actuel de la collectivité territoriale de Corse

Des dispositions particulières s'appliquent, néanmoins, dans certaines parties du territoire. Elles sont regroupées dans le titre IV du code de l'urbanisme ; son chapitre IV a trait à la collectivité territoriale de Corse (les chapitres V et VI portent sur les zones de montagne et le littoral).

La reconnaissance, dans ce domaine, d'une spécificité corse, témoigne de l'importance des transferts de compétence déjà réalisés, en matière d'aménagement de l'espace, par les lois du 30 juillet 1982 et du 13 mai 1991.

a) Le plan de développement

L'article L. 4424-19 du code général des collectivités territoriales prévoit, aujourd'hui, que la collectivité territoriale de Corse élabore un plan de développement, qui est préparé par le conseil exécutif et adopté par l'Assemblée de Corse ; les départements, les communes, le conseil économique, social et culturel de Corse, ainsi que les partenaires économiques et sociaux, doivent être consultés. Ce plan détermine les objectifs à moyen terme du développement économique, social et culturel de l'île, ainsi que les moyens nécessaires à leur réalisation.

b) Le schéma d'aménagement

Le schéma d'aménagement est élaboré par le conseil exécutif, en association avec les représentants des départements, des communes, le préfet de région et différents partenaires. Il est adopté par l'Assemblée de Corse, puis approuvé par décret en Conseil d'Etat. Il définit les orientations fondamentales de l'aménagement de l'espace, de la protection et de la mise en valeur du territoire, de l'implantation des grandes infrastructures et de la localisation des activités économiques, ainsi que des extensions urbaines (article L. 144-1 du code de l'urbanisme).

Le schéma d'aménagement a les mêmes effets que les directives territoriales d'aménagement. Les schémas directeurs (devenus schémas de cohérence territoriale) et les plans d'occupation des sols (devenus plans locaux d'urbanisme) doivent être compatibles avec lui (article L. 144-5 du code de l'urbanisme). Il vaut schéma de mise en valeur de la mer (SMVM), notamment en ce qui concerne les orientations fondamentales de la protection, de l'aménagement et de l'exploitation du littoral.

On rappellera que le schéma de mise en valeur de la mer est un instrument d'analyse et de gestion de l'espace maritime et littoral, qui peut préciser, dans les zones côtières, les orientations fondamentales de la protection, de l'exploitation et de l'aménagement du littoral ; à cet effet, il détermine la vocation des différentes zones, entre développement industriel et portuaire, cultures marines et activités de loisirs. Ses effets sont identiques à ceux des directives territoriales d'aménagement et, partant, il se situe à un niveau intermédiaire entre les lois dites d'aménagement et d'urbanisme (dont la « loi littoral ») et les autres documents d'urbanisme.

c) Des difficultés d'application

Le régime particulier conçu pour la Corse n'a pas fonctionné. La complexité des règles, la diversité des procédures d'élaboration et d'adoption des documents, et l'exigence maintenue d'une approbation préalable de l'Etat, ont consacré son échec.

De fait, le schéma d'aménagement, pourtant institué par la loi du 30 juillet 1982, n'a jamais été adopté par la collectivité territoriale, malgré plusieurs prorogations des délais initiaux fixés par le législateur. Certes, sur le fondement de la loi du 13 mai 1991, un plan de développement a finalement été approuvé par l'Assemblée de Corse et, dans ce cadre, le président du conseil exécutif a pu arrêter, en septembre 1997, un projet de schéma d'aménagement, contenant un chapitre particulier valant SMVM. Mais ce chapitre a fait l'objet de deux avis négatifs, de la part du conseil des sites et du conseil économique, social et culturel de Corse ; en conséquence, le préfet de Corse s'est opposé à son adoption, en décembre 1998. Le désaccord portait sur le périmètre de ce volet, qui ne couvrait que certains espaces du littoral, et sur les aménagements proposés, qui excédaient parfois les limites prévues par la loi.

Sans doute cette difficulté n'est-elle pas propre à la Corse. Partout, l'élaboration des SMVM soulève des difficultés ; d'après les informations recueillies par le rapporteur, un seul schéma de mise en valeur de la mer a été adopté : celui de l'étang de Thau, dans l'Hérault. Implicitement, le Gouvernement a reconnu, dans le Bilan de la loi littoral qu'il a présenté au Parlement en février 1999, que la procédure d'élaboration et d'adoption des SMVM n'était pas satisfaisante : « Ce bilan peut paraître mitigé. Après 12 ans, un certain nombre d'interrogations se posent, notamment en matière de procédure et des améliorations sont envisagées ».

Toutefois, les conséquences de ce blocage sont beaucoup plus dommageables dans le cas de la Corse. En effet, l'article L. 144-2 du code de l'urbanisme prévoit que les dispositions relatives à la mise en valeur de la mer « sont regroupées dans un chapitre individualisé au sein du schéma d'aménagement. Ces dispositions doivent avoir recueilli l'accord du représentant de l'Etat préalablement à la mise à disposition du public de l'ensemble du projet de schéma d'aménagement ». Autrement dit, le SMVM est intégré dans un document de planification de portée générale ; à ce titre, il doit couvrir l'intégralité du territoire de l'île ; s'il n'est pas approuvé, le schéma de développement dans son ensemble ne peut être adopté.

Ainsi, la Corse a été privée de tout document stratégique relatif à l'aménagement de son territoire, et, en particulier, de son littoral, alors même qu'elle est déjà, par ailleurs, singulièrement dépourvue de plans d'occupation des sols.

Certes, dans ce contexte, et comme le prévoit la loi, les services de l'Etat se sont substitués à la collectivité territoriale : ils ont élaboré un schéma d'aménagement, qui a été approuvé, par décret, en 1992 (26). Mais il s'agit d'un document très général, au contenu controversé : « Le schéma d'aménagement étatique actuel est un document lacunaire et peu prescriptif, en ce sens qu'il peut autoriser bien des applications. Il ne définit pas, par exemple, le périmètre du schéma de mise en valeur de la mer, pas plus que les applications des notions juridiques de la loi littoral » (27).

Cette dernière observation permet de comprendre pourquoi, en Corse, la législation relative aux zones littorales, qui n'est déjà guère adaptée à la topographie de l'île, est encore plus rigoureuse qu'ailleurs. Ses modalités d'application n'ont jamais été précisées, bien que cette possibilité soit prévue par les articles L. 145-2 et L. 146-1 du code de l'urbanisme (qui renvoient aux directives territoriales d'aménagement ou au schéma d'aménagement). Les documents d'urbanisme et les aménagements ou constructions envisagés doivent se conformer directement aux termes de la loi.

Dans ce contexte, il est proposé de simplifier cette réglementation et de renforcer les compétences de la collectivité territoriale. Le présent article lui confère les moyens d'élaborer, et d'adopter, un document unique, qui cumulera les fonctions du plan de développement et du schéma d'aménagement et lui permettra, concomitamment, de protéger son environnement sans annihiler son développement.

II. - LE PLAN D'AMÉNAGEMENT ET DE DÉVELOPPEMENT DURABLE

Le plan d'aménagement et de développement durable fait l'objet de la sous-section 1 de la nouvelle section 2 relative à l'aménagement et au développement durable, insérée, par le paragraphe I du présent article, dans le chapitre VI du titre II du livre IV du code général des collectivités territoriales. Cette sous-section 1 comprendra sept articles (L. 4424-9 à L. 4424-15), qui sont présentés, ci-après, dans l'ordre de leur numérotation.

1. Le contenu du plan

L'article L. 4424-9 prévoit que la collectivité territoriale de Corse élabore le plan d'aménagement et de développement durable et arrête son contenu. Ce plan a une double portée, de planification générale, comme le plan de développement, et de définition spatiale, c'est-à-dire à vocation cartographique, dans un esprit proche de l'actuel schéma d'aménagement. Il intègre, également, les apports de la loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains et les transferts de compétence mis en _uvre par le présent projet de loi.

Ainsi, le plan d'aménagement et de développement durable fixe « les objectifs » du développement économique, social et culturel de la Corse, comme le plan de développement, ainsi que ceux de la politique touristique et de la préservation de l'environnement. A cet égard, la Commission a rejeté un amendement de M. Michel Vaxès tendant à supprimer la référence explicite au tourisme parmi les objectifs du plan d'aménagement et de développement durable. Elle a également rejeté un amendement de M. Noël Mamère prévoyant que le plan d'aménagement doit respecter les normes juridiques communautaires et nationales en vigueur, le rapporteur ayant jugé cette précision inutile.

A un second niveau, il définit « les orientations fondamentales » de l'aménagement de l'espace, de la protection et de la mise en valeur du territoire de l'île, comme le schéma d'aménagement, mais également des politiques menées en matière de transport, de télécommunication et de valorisation des ressources énergétiques. Ces orientations respectent, dans une perspective de développement durable, les principes qui figurent, désormais, à l'article L. 121-1 du code de l'urbanisme : l'équilibre entre renouvellement et développement urbains, la diversité sociale de l'habitat, la préservation des activités agricoles et forestières, la protection des espaces.

Enfin, à un niveau plus opérationnel, il détermine « les principes de localisation » qui relevaient, jusqu'à présent, du schéma d'aménagement, en ce qui concerne les principales infrastructures de transport et les grands équipements, auxquels s'ajoutent les espaces à protéger et les extensions urbaines, les activités industrielles, artisanales et agricoles, mais également commerciales, forestières, culturelles et sportives, en cohérence avec les nouvelles compétences transférées à la collectivité territoriale.

2. L'application et l'adaptation de la loi littoral

L'article L.4424-10 occupe une place importante dans le présent projet de loi. Il tend à permettre à l'Assemblée de Corse d'exercer, dans le cadre du plan d'aménagement et de développement durable, mais par une délibération particulière et motivée, des compétences réglementaires pour l'application de la loi n° 86-2 du 3 janvier 1986 relative à l'aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral, voire de déroger à certaines de ses dispositions. Ce faisant, il utilise les possibilités offertes par l'article 1er (paragraphes II et III) du projet de loi, qui prévoit de conférer à la collectivité territoriale une compétence expérimentale d'adaptation des normes.

Trois notions de la « loi littoral » sont concernées : les espaces remarquables ; la « bande des cent mètres » ; les règles d'urbanisation dans la partie dite « rétro-littorale ».

a) La liste des espaces remarquables

Le paragraphe I de l'article L. 4424-10 permet à la collectivité territoriale de Corse de fixer la liste des espaces remarquables prévue par l'article L. 146-6 du code de l'urbanisme.

Les espaces les plus beaux ou les plus riches du littoral, du point de vue écologique, sont, souvent, les plus menacés ; pour cette raison, ils doivent être protégés des conséquences négatives de l'urbanisation. C'est ce que prévoit l'article L. 146-6 du code de l'urbanisme, qui fait référence à : « des espaces terrestres et marins, sites et paysages remarquables ou caractéristiques du patrimoine naturel et culturel du littoral, et les milieux nécessaires au maintien des équilibres biologiques ».

Selon les termes de la loi, leur liste est fixée par décret. On renverra, à cet égard, au décret du 20 septembre 1989 (n° 89-694), codifié aux articles R. 146-1 et R. 146-2 du code de l'urbanisme (ce dernier autorisant l'installation d'aménagements légers, justifiés par des impératifs de gestion, après enquête publique). Ainsi, en Corse, ont été classés « espaces remarquables » : Canettu, La Testa, Rundinara, Palumbaghja, Nonza, Barcaggiu, Tuara, Piantarella, Ostriconi, Saleccia, etc.

Il est proposé que, en Corse, dans le cadre des compétences reconnues par la loi à la collectivité territoriale (environnement, urbanisme, etc.), une délibération de l'Assemblée puisse tenir lieu du décret prévu par la loi. Cette délibération fixera, également, la localisation des espaces à protéger, ce que ne fait pas le décret précité, sans pour autant atteindre le degré de détail qui revient aux plans locaux d'urbanisme.

Ainsi, l'Assemblée de Corse aura la possibilité d'ajouter ou de retrancher des espaces par rapport à la liste qui est aujourd'hui fixée par l'article R. 146-1 précité. Toutefois, elle devra, bien évidemment, respecter les termes de l'article L. 146-6, qui sont extrêmement précis sur les types d'espaces à préserver.

Après avoir adopté un amendement de précision du rapporteur (amendement n° 17), la Commission a examiné un amendement de M. Noël Mamère, confirmant la faculté conférée à l'Assemblée de Corse de créer de nouveaux espaces remarquables, mais sans possibilité de supprimer des espaces d'ores et déjà classés, et inscrivant dans l'article L. 4424-10 du code général des collectivités territoriales une liste non limitative des différents espaces susceptibles d'être préservés.

L'auteur de l'amendement ayant insisté sur la nécessité d'adopter des dispositions précises en matière environnementale, le rapporteur a estimé que cet amendement allait à l'encontre de la logique du projet de loi, qui tend à responsabiliser la collectivité territoriale corse, et a fait observer que l'article L. 146-6 du code de l'urbanisme donne déjà une définition détaillée des espaces remarquables.

Après avoir souligné que la définition des espaces remarquables relevait du pouvoir réglementaire, M. René Dosière s'est interrogé sur l'opportunité de publier au Journal officiel la liste qui en serait établie par délibération particulière de l'Assemblée de Corse. M. José Rossi a jugé cette suggestion intéressante, notamment pour l'information des investisseurs, insistant, par ailleurs, sur la nécessité que la collectivité corse puisse fixer librement la liste des espaces remarquables. M. Bernard Roman, président, a considéré que, même si les modalités de publication des actes des collectivités locales, particulièrement dans le cadre d'un pouvoir d'adaptation des lois et règlements, devaient être améliorées, il n'était pas envisageable de retenir la proposition de M. René Dosière, compte tenu de la nomenclature des actes publiés au Journal officiel.

La Commission a rejeté l'amendement de M. Noël Mamère.

b) La bande des cent mètres

Les paragraphes II et III de l'article L. 4424-10 permettent à la collectivité territoriale de Corse de préciser, voire d'adapter, certains principes d'aménagement fixés par l'article L. 146-4 du code de l'urbanisme.

L'article L. 146-4 poursuit un double objectif : repousser en profondeur, et regrouper, l'urbanisation. A cet effet, il distingue trois catégories d'espaces :

-  La partie rétro-littorale, où l'urbanisation est admise en continuité ou regroupée (L. 146-4-I). Elle couvre la totalité du territoire des communes littorales, sur lesquelles : « L'extension de l'urbanisation doit se réaliser soit en continuité avec les agglomérations et villages existants, soit en hameaux nouveaux intégrés à l'environnement ». La loi n° 99-574 d'orientation agricole du 9 juillet 1999 a fait exception à cette règle, dans des conditions et modalités qu'elle précise, pour des constructions ou installations liées à des activités agricoles ou forestières incompatibles avec le voisinage des zones habitées.

-  Les espaces proches du rivage (notion appréciée en fonction des réalités géographiques et topographiques du territoire), où la construction ne peut être admise que de façon exceptionnelle, dans le respect des documents d'urbanisme en vigueur (L. 146-4-II).

-  La partie contiguë au rivage, au-delà du domaine public maritime, où, en dehors des espaces urbanisés : « Les constructions ou installations sont interdites sur une bande littorale de cent mètres à compter de la limite haute du rivage ou des plus hautes eaux pour les plans d'eau intérieurs [supérieurs à 1 000 hectares] ». Toutefois, cette interdiction ne s'applique pas aux constructions ou installations nécessaires à des services publics ou à des activités économiques exigeant la proximité immédiate de l'eau, qui peuvent être autorisées par le représentant de l'Etat dans le département ou par le maire (L. 146-4-III).

Dans ce cadre, le paragraphe II de l'article L. 4424-10 prévoit que le plan d'aménagement et de développement durable pourra déterminer, en tenant compte de la fréquentation touristique des sites et de la préservation de leur environnement, des espaces situés dans la bande littorale visée par le paragraphe III de l'article L. 146-4, dans lesquels pourront être autorisés : « des aménagements légers et des constructions non permanentes destinés à l'accueil non hôtelier du public ».

Il s'agit donc de conférer à une collectivité territoriale à statut spécial, dans le cadre des compétences qui lui sont reconnues par la loi, des prérogatives qui appartiendraient, ailleurs, au représentant de l'Etat. Ces prérogatives sont de nature réglementaire, car les installations visées devant être légères et, surtout, « non permanentes », elles ne contreviennent pas à l'interdiction de construction (implicitement « définitive ») énoncée par le paragraphe III de l'article L. 146-4 du code de l'urbanisme.

De surcroît, ces aménagements et constructions doivent être destinées à l'accueil « non hôtelier » du public, conformément à une demande formulée par l'Assemblée de Corse, au cours de sa séance du 8 décembre 2000. Il pourrait s'agir, par exemple, de petits espaces de restauration, de parkings, de toilettes, etc.

M. José Rossi a considéré que cette disposition n'avait d'autre objet que de régulariser des installations existantes, tout en assurant une remise en ordre des lieux et des durées d'implantation desdits établissements.

Sous réserve d'une modification d'ordre rédactionnel proposée par le rapporteur, la Commission a adopté un amendement de M. Noël Mamère, tendant à indiquer expressément que les aménagements légers et les constructions non permanentes susceptibles d'être autorisées dans les espaces situés sur la bande littorale concernent l'accueil du public, « à l'exclusion de toute forme d'hébergement » (amendement n° 19). Elle a également adopté deux amendements de précision du rapporteur (amendements nos 18 et 20).

En toute hypothèse, leur réalisation sera soumise à enquête publique, selon les modalités prévues par la loi n° 83-630 du 12 juillet 1983 relative à la démocratisation des enquêtes publiques et à la protection de l'environnement (articles L. 123-1 à L. 123-16 du code de l'environnement). Le cas échéant, une enquête publique unique pourra être organisée pour l'ensemble des aménagements et constructions envisagés.

On rappellera que cette enquête a pour objet d'informer le public et de recueillir ses appréciations, suggestions et contre-propositions. Elle débute par une saisine, par le préfet, du tribunal administratif, qui désigne, dans un délai de quinze jours, un commissaire enquêteur (ou une commission d'enquête). Après consultation de celui-ci, le préfet ouvre l'enquête, par arrêté, en précisant son objet, sa durée, les modalités de consultation du dossier et de formulation des observations. Le public en est informé par tous moyens appropriés d'affichage. La durée de l'enquête ne peut être inférieure à un mois ni excéder deux mois (sous réserve d'une éventuelle prorogation par le commissaire enquêteur). A son terme, le dossier est transmis au commissaire enquêteur, qui établit un rapport et rend des conclusions, motivées, favorables (avec recommandations ou réserves, le cas échéant) ou défavorables à l'opération envisagée. Dans un délai d'un mois, le dossier, le rapport et les conclusions sont transmis au préfet. Celui-ci en adresse une copie au président du tribunal administratif, au maître d'ouvrage, à l'autorité compétente pour prendre la décision, à la mairie des communes où s'est déroulée l'enquête et à la préfecture des départements concernés.

L'administration n'est pas tenue de suivre un avis négatif du commissaire enquêteur. Toutefois, pour passer outre à des conclusions défavorables, une délibération de l'organe délibérant de la collectivité ou du groupement concerné est nécessaire. De plus, dans cette hypothèse, les juridictions administratives peuvent faire droit à une demande de sursis à exécution.

Lorsque les aménagements ou ouvrages qui ont fait l'objet de l'enquête publique n'ont pas été entrepris dans un délai de cinq ans à compter de la décision, il y a lieu, sous réserve d'une éventuelle prorogation de ce délai, de procéder à une nouvelle enquête.

c) L'urbanisation dans la partie rétro-littorale

Le paragraphe III prévoit que, dans les mêmes conditions, le plan d'aménagement et de développement durable peut définir, dans des espaces qu'il détermine, des règles d'extension de l'urbanisation adaptées aux particularités géographiques locales, qui dérogent aux dispositions précitées du paragraphe I de l'article L. 146-4 du code de l'urbanisme.

A la différence des mesures proposées par le paragraphe II, la portée de ces dérogations est, potentiellement, très large. C'est à l'Assemblée de Corse qu'il reviendra de « définir » les règles de cette extension de l'urbanisation et les modalités de leur organisation et insertion dans les sites et les paysages. La seule réserve tient au fait qu'elles ne pourront s'appliquer que dans des « périmètres restreints », où existent des documents d'urbanisme. Dès lors, cette disposition s'apparente davantage à une dévolution du pouvoir législatif qu'à la reconnaissance d'une compétence réglementaire.

C'est la raison pour laquelle le Conseil d'Etat a disjoint cette mesure du reste du projet de loi : « En l'absence dans le projet de loi de précisions suffisantes sur la nature, l'étendue et la portée des dérogations ainsi apportées au régime législatif de droit commun, les dispositions susmentionnées équivalent à une délégation du pouvoir législatif à la collectivité territoriale de Corse, délégation qui est contraire à l'article 34 de la Constitution ».

Le rapporteur confirme le bien-fondé de ces observations et partant, considère qu'il convient de leur apporter une réponse appropriée, pour rendre compatible le dispositif proposé avec les règles de notre Constitution. Mais, sous cette réserve, il estime que les orientations retenues par le Gouvernement sont légitimes : la collectivité territoriale saura, mieux que l'autorité administrative, fixer la liste des espaces remarquables de l'île ; l'accueil du public le long des plages est nécessaire ; surtout, une extension de l'urbanisation, dans des conditions respectueuses de l'environnement, doit pouvoir être mise en _uvre.

Certes, ces mesures, en particulier en ce qui concerne le paragraphe I de l'article L. 146-4 du code de l'urbanisme, ont suscité, et suscitent encore, une inquiétude diffuse : certains redoutent que le littoral corse soit livré au béton, aux spéculateurs, que ses rivages soient « privatisés »... C'est la raison pour laquelle le rapporteur a tenu à rencontrer, dans le cadre de la mission d'information sur la Corse, les 26 et 27 mars 2001, à Ajaccio, une délégation des « Verdi Corsi », les responsables du Parc naturel régional, et les représentants de trois associations de défense de l'environnement : U Levante, A Rinacita et l'association pour la défense du libre accès aux plages. Leurs critiques devaient être entendues ; elles manifestent un attachement de la Corse dans son ensemble à un patrimoine à tous égards remarquable. La vitalité, sur l'île, des associations de protection de l'environnement, en témoigne.

De fait, le rapporteur a constaté que tous ses interlocuteurs, élus, acteurs de la vie économique ou simples citoyens, étaient conscients que la qualité de l'environnement est une condition du développement de la Corse. Dégrader l'environnement pour développer le tourisme serait une logique contreproductive et, à terme, sans issue. Nombreux sont ceux, d'ailleurs, qui pensent que la Corse pourrait offrir un modèle exemplaire de ce qu'il est convenu d'appeler : « l'économie écologique » (28). Dans cette perspective, le fait de disposer de rivages encore peu urbanisés, possédant d'importants secteurs vierges de tout aménagement, est assurément un atout majeur. Comme l'écrivait M. Jean-Louis Andréani dans Comprendre la Corse, publié en 1999 : « L'utilisation d'un espace remarquable très faiblement peuplé, d'un littoral le plus souvent préservé de l'invasion du béton, fatale aux côtes méditerranéennes du continent, est l'un des enjeux du développement de la Corse du XXIe siècle ».

Dès lors, ce consensus montre que les mesures proposées, qui sont également très attendues, ont, en fait, une portée à la fois ambitieuse dans leurs objectifs, et modeste compte tenu des garanties qui les entourent : il s'agit, simplement, de permettre à la collectivité territoriale de rechercher un équilibre entre une logique de développement nécessaire et le respect de son patrimoine naturel. De surcroît, la vigilance de tous les habitants de l'île en matière de protection de l'environnement est un gage de leur succès.

L'équilibre précité ne peut être atteint dans le cadre législatif existant. Certes, et il n'est pas inutile de le rappeler, la « loi littoral » n'était pas uniquement destinée, à l'origine, à protéger l'environnement. Son article 1er s'inscrit dans un cadre plus large : « Le littoral est une entité géographique qui appelle une politique spécifique d'aménagement, de protection et de mise en valeur ». Mais l'application de cette législation à la Corse, sans tenir compte de ses spécificités géographiques et topographiques, a fait prévaloir la protection sur la mise en valeur.

Déjà, en soi, le principe d'un texte unique pour un littoral de 5 500 kilomètres et trois façades maritimes, pour ne parler que de la métropole (et sans prendre en compte les étangs salés et les plans d'eau intérieurs d'une superficie supérieure à 1000 hectares), peut susciter des interrogations. En témoigne cet avertissement, qui figure en introduction du Bilan de la loi littoral présenté au Parlement, en février 1999, par le Gouvernement : « Aborder cette diversité sous l'angle d'une seule loi générique, embrassant tout le littoral (ou tous les littoraux ?) a été un premier enjeu. La loi peut-elle être efficace partout, de la même manière ? La question de la prise en compte des circonstances locales sera sous-jacente à de nombreux endroits du rapport ».

La question se pose d'autant plus pour un territoire qui s'apparente à « une montagne dans la mer ». Toutes les communes de Corse sont soumises soit à la loi montagne, soit à la loi littoral ; toutes les communes du littoral (soit 90 sur 360) sont soumises aux deux lois. Selon les experts, 70 % du linéaire côtier de Corse du Sud mérite d'être catalogué « espace remarquable », au sens de l'article L. 146-6 du code de l'urbanisme ; en tout état de cause, 56 % du littoral est déjà classé ou inscrit. Le Conservatoire du littoral possède 19 % du littoral de l'île.

En matière d'urbanisation, les contraintes imposées par le paragraphe I de l'article L. 146-4 sont trop rigoureuses : les possibilités d'extension urbaine, dans les zones proches du littoral, sont limitées, ces espaces étant peu urbanisés et les villages souvent implantés en retrait, « sur les hauteurs ». Les responsables de l'Office de l'environnement, rencontrés, à Corte, le 26 mars dernier, par la mission d'information, ainsi que M. Camille de Rocca Serra, devant la commission des Lois, le 28 mars, se sont d'ailleurs étonnés que la loi autorise la construction de « hameaux nouveaux », qui ne correspondent pas à la culture des habitants de l'île, et interdise aux entrepreneurs individuels de construire, même de façon modeste, en dehors des agglomérations et villages existants. « Small is beautiful »... ont-ils plaidé. La Corse serait-elle victime d'un « Littoralement correct » ?

Enfin, le champ des adaptations proposées est strictement délimité. Contrairement à ce qui est dit parfois, elles ne remettent pas en cause d'autres principes fondamentaux de la « loi littoral », tels que le droit d'accès pour tous au rivage, codifié aux articles L. 146-3, L. 160-6 et L. 160-6-1 du code de l'urbanisme. On rappellera que ces dispositions imposent aux opérations d'aménagement d'organiser ou de préserver le libre accès du public au rivage ; permettent de grever les propriétés privées riveraines du domaine public maritime, sur une bande de trois mètres de largeur, d'une servitude destinée à assurer le passage des piétons ; autorisent l'administration, sous le contrôle du juge administratif, à instituer une servitude de passage des piétons sur les voies et chemins privés d'usage collectif, pour relier la voirie publique au rivage de la mer ou aux sentiers d'accès immédiat à celui-ci, en l'absence de voie publique située à moins de 500 mètres et permettant l'accès au rivage.

M. Noël Mamère a néanmoins considéré que cet article constituait une remise en cause inacceptable du régime de protection garanti par la « loi littoral » et a estimé qu'il ouvrait la possibilité, pour les « bétonneurs » et les blanchisseurs d'argent sale, de porter atteinte à une île, caractérisée par la beauté de son environnement et la richesse de son biotope. Il a déclaré qu'il souhaitait le maintien pur et simple de l'application de la « loi littoral », dans l'attente d'un transfert de l'ensemble de la compétence législative concernant cette matière à la collectivité territoriale. Estimant qu'un tel transfert devrait être assorti de garanties de transparence et de consultation des populations, au travers, notamment, de procédures d'enquêtes publiques, il a jugé qu'il serait préférable au démantèlement de la « loi littoral » envisagé par le projet de loi. Rappelant l'opposition de la ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement sur ce point, il a considéré que cette question relevait de l'intérêt supérieur de la Corse et de la République.

Approuvant ces propos, M. Roger Franzoni a déclaré qu'il était inacceptable de confier à la collectivité territoriale le pouvoir d'autoriser l'installation de paillotes et de transférer à son profit le patrimoine historique de l'Etat. Il a, par ailleurs, fait observer que Corsica Nazione avait souhaité que les élus de Corse soient en mesure de rédiger une loi de protection du littoral plus rigoureuse que celle qui est actuellement en vigueur. Il a souligné que cette question était éminemment sensible du fait des appétits immobiliers existants. Evoquant le risque d'une arrivée d'argent maffieux dans l'île, il a indiqué que tous les élus de l'île n'avaient malheureusement pas pour souci principal de préserver le littoral et a estimé, en conséquence, préférable que les dispositions en vigueur dans le cadre national en matière de préservation du littoral continuent à s'appliquer dans l'île.

Madame Christine Lazerges a fait part de son accord avec les positions précédemment exprimées et a jugé que la remise en cause des dispositions de la « loi littoral » était extrêmement lourde de conséquences. Evoquant l'exemple de la côte languedocienne, elle a considéré qu'il ne fallait pas reproduire les erreurs d'aménagement commises sur le continent. Observant que le tourisme avait évolué, elle a estimé que le bétonnage constituait désormais plus un handicap qu'un atout en matière de développement. Après avoir indiqué qu'elle avait reçu, en tant que présidente du conservatoire du littoral, de nombreuses lettres de protestation contre les dispositions du projet de loi, elle a considéré que la faculté laissée à la collectivité territoriale de déroger au régime de protection en vigueur était une lâcheté, destinée à éviter aux pouvoirs publics d'assumer la responsabilité de modifier la loi littoral sur l'ensemble du territoire. Elle s'est enfin inquiétée de la possibilité de revenir, à terme, sur le caractère inaliénable des biens du conservatoire du littoral, qui détient, en Corse, près de 200 kilomètres de côtes, évoquant, par ailleurs, les intérêts financiers douteux qui cherchaient à s'investir dans l'île.

M. René Dosière a fait part de ses doutes sur la constitutionnalité d'un dispositif donnant aux délibérations d'une collectivité territoriale la possibilité de déroger à la loi.

M. François Fillon a estimé que ce dispositif constituait une illustration des problèmes de principe posés par la délégation du pouvoir législatif à une collectivité territoriale. Il a considéré que la dérogation mise en _uvre par le projet de loi n'avait aucune justification et a souhaité que ceux qui en avaient pris l'initiative s'expliquent sur les raisons qui ont motivé sa rédaction.

Le rapporteur a rappelé que de nombreuses auditions auprès d'associations de défense de l'environnement et de représentants des milieux socio-économiques avaient été conduites sur cette question sensible. Il a souligné que l'environnement constituait pour la Corse un patrimoine qu'il convenait de protéger. Dans le même temps, il a observé que la géographie de cette région insulaire la soumettait en totalité au régime de protection résultant des « lois littoral et montagne », de telle sorte qu'il était pratiquement impossible de mettre en _uvre une politique d'aménagement permettant le développement du tourisme. Il a souhaité que la collectivité territoriale se voit confier la compétence nécessaire à la conciliation des objectifs de préservation et d'aménagement équilibré du littoral et a indiqué qu'il proposerait un amendement en ce sens.

M. Robert Pandraud a considéré que la protection dont le littoral corse avait bénéficié résultait davantage du terrorisme que des lois en vigueur. Il a notamment souligné que si la maffia ne s'était pas infiltrée dans l'île, c'était en raison des risques de plasticage, qui empêchent toute spéculation immobilière. Il a, enfin, estimé qu'il n'était pas justifié de suspecter les Corses et leurs élus de vouloir porter atteinte à la qualité de leur environnement.

M. José Rossi a insisté sur le fait que l'article 12 ne recelait pas d'intentions douteuses, mais visait seulement à permettre le développement touristique dans l'île, soulignant que le tourisme constituait le principal vecteur de développement économique à court terme, compte tenu des retards existant dans les secteurs industriel et agricole. Rappelant que l'Etat, qui avait eu la pleine maîtrise de l'aménagement dans les années soixante et soixante-dix, avait, dans ce cadre, opéré des choix contestables suscitant des protestations dans l'île, il a plaidé pour la nécessité de concilier développement et protection de l'environnement. Observant que la loi littoral avait été adoptée à un moment où, sur le continent, le littoral était déjà très largement construit, il a constaté que le principe retenu, permettant de construire dans le prolongement des agglomérations existantes, ne limitait pas la poursuite de l'urbanisation de nombreuses zones côtières continentales, tandis qu'il faisait pratiquement obstacle à toute construction en Corse hors des agglomérations d'Ajaccio et de Bastia. Faisant état de la situation de blocage actuelle en matière d'urbanisme, il a souhaité qu'une certaine souplesse soit introduite dans l'attente de la révision constitutionnelle de 2004.

M. Bernard Roman, président, a considéré que la protection du littoral en Corse résultait davantage de l'action d'élus responsables que de celle des terroristes. Il a également estimé qu'il n'était pas conforme à la réalité d'évoquer une dérive maffieuse de la Corse, une telle vision relevant du fantasme. Insistant sur la difficulté qu'il pouvait y avoir à concilier la préservation de la qualité de l'environnement de l'île et le développement du tourisme, il a souhaité que le rapporteur présente son amendement encadrant la possibilité pour la collectivité territoriale de déroger aux dispositions législatives relatives à l'urbanisation de la partie rétro-littorale, jugeant qu'il constituait un point d'équilibre permettant d'intégrer les différents points de vue.

La Commission a donc été saisie de cet amendement modifiant l'article L. 4424-10 du code général des collectivités territoriales, qui précise, pour les limiter, la nature, l'étendue et la portée des dérogations susceptibles d'être apportées par la collectivité territoriale de Corse aux règles d'urbanisation fixées au premier paragraphe de l'article L. 146-4 du code de l'urbanisme.

Le rapporteur a indiqué que son amendement excluait du champ d'application des dérogations les espaces remarquables ou nécessaires au développement de certaines activités, en soulignant que le caractère naturel des milieux concernés devrait être, en toute hypothèse, préservé. Il a également précisé que les aménagements seraient réservés aux zones pourvues de plans locaux d'urbanisme ou de cartes communales et que la chambre d'agriculture et le conseil des sites seraient consultés.

Mme Christine Lazerges a estimé que cet amendement ne permettrait pas d'empêcher le « mitage » du littoral. Elle a observé, par ailleurs, que la loi littoral n'avait pas pour objet d'empêcher le développement du tourisme, jugeant illusoire d'opposer tourisme et développement, alors même que les attentes des touristes ont changé, puisqu'ils sont de plus en plus attentifs à la qualité de l'environnement.

M. Bernard Roman, président, a souligné que, selon la plupart des opérateurs du tourisme qu'il avait pu rencontrer lors des déplacements de la mission en Corse, la loi littoral empêchait le développement de la capacité hôtelière de la Corse, qui est actuellement très limitée, et freinait ainsi son développement touristique. Estimant que l'amendement du rapporteur ne permettrait pas d'organiser le « mitage » du littoral, puisqu'il en préserverait la majeure partie, il a souligné qu'il était nécessaire de rechercher un équilibre entre les contraintes liées à la préservation de l'environnement et la nécessité du développement économique.

M. René Dosière a observé que la rédaction proposée par le rapporteur constituait un progrès indéniable, tout en soulignant qu'il comprenait parfaitement la position de Mme Christine Lazerges, compte tenu de sa qualité de présidente du conservatoire du littoral. Soucieux de favoriser le développement de la Corse, qui repose essentiellement sur son activité touristique, il a estimé qu'il fallait trouver les moyens de parvenir à un aménagement maîtrisé de l'île, alors que les dispositions de la « loi littoral » ne prennent pas suffisamment en compte ses spécificités géographiques.

Précisant qu'il avait eu l'occasion de se pencher sur les questions relatives à l'aménagement du littoral, M. Jean-Pierre Dufau, a indiqué qu'il fallait, en la matière, se fixer des objectifs clairs et prévoir la consultation de la population par le biais, notamment, d'enquêtes publiques. Il a rappelé que l'application de la loi littoral n'avait pas toujours été conforme aux intentions du législateur car, en l'absence de décrets d'application, la jurisprudence est intervenue pour définir un grand nombre de ses principes dans un sens parfois trop restrictif, tandis que les dispositions permettant de tenir compte de la spécificité de chaque région n'ont pas suffisamment été mises en application. Il a estimé que l'amendement du rapporteur allait dans le bon sens et suggéré qu'une mission spécifique sur le développement touristique de la Corse soit mise en place sur le modèle de la mission interministérielle d'aménagement de la côte aquitaine.

M. Noël Mamère a rappelé que les amendements présentés par son groupe apportaient des restrictions aux dérogations à la loi littoral prévues par l'article 12 qui permettraient d'éviter toute dérive. Il a estimé qu'il ne fallait pas que les zones d'urbanisation futures situées dans les espaces définis par la collectivité territoriale puissent être créées dans le cadre des cartes communales, à défaut de plans locaux d'urbanisme, en raison du caractère sommaire de ces documents et souhaité l'introduction d'une procédure d'enquête publique avant la création de chacune des zones d'urbanisation future.

Compte tenu de ces observations, le rapporteur a modifié son amendement pour supprimer la référence aux cartes communales et prévoir une procédure d'enquête publique pour la création de nouvelles zones d'urbanisation.

La Commission a adopté l'amendement ainsi modifié (amendement n° 21).

La Commission a ensuite rejeté trois amendements de M. Noël Mamère : le premier transférant dans le champ de compétences de la collectivité territoriale de Corse l'application de la loi du 3 janvier 1986 relative à l'aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral ; le deuxième prévoyant la réalisation d'une enquête publique préalablement à toute délibération de l'Assemblée de Corse sur l'adaptation d'une disposition propre au littoral, cette orientation ayant été prise en compte par l'amendement rectifié du rapporteur, précédemment adopté ; le troisième tendant à préciser que les délibérations précitées de l'Assemblée de Corse requièrent la présence ou la représentation des deux tiers de ses membres, l'auteur ayant précisé que cette disposition figurant dans l'avant-projet de loi avait pour objet d'éviter des votes hâtifs sur des sujets essentiels, tandis que le rapporteur jugeait inopportun de modifier ponctuellement les règles de délibération de l'Assemblée de Corse.

Puis elle a rejeté un amendement de M. Michel Vaxès et trois amendements de M. Noël Mamère, limitant les adaptations aux règles d'urbanisation susceptibles d'être apportées par l'assemblée territoriale corse, devenus sans objet compte tenu des précédentes décisions de la Commission.

d) La mise en _uvre de l'adaptation

Le paragraphe IV prévoit des conditions particulières pour la mise en _uvre des mesures précitées (II et III).

Il est proposé que ces dispositions soient applicables pour une période de quatre ans à compter de la promulgation de la présente loi. La collectivité territoriale serait tenue d'établir, chaque année, à l'intention du Premier ministre, qui le transmettrait au Parlement et au représentant de l'Etat dans le département, un rapport évaluant les conditions de leur mise en _uvre. Avant l'expiration de ce délai de quatre ans, l'ensemble de ces dispositions devraient être étendues ou prorogées par une loi, faute de quoi les délibérations de l'Assemblée de Corse prises sur leur fondement deviendraient caduques.

Le choix d'une évaluation annuelle est important, afin de mesurer les conditions de mise en _uvre de ces mesures au regard de l'objectif de protection de l'environnement, qui sous-tend les paragraphes I et III de l'article L. 146-4 du code de l'urbanisme.

En revanche, on peut s'étonner que la possibilité, pour l'Assemblée de Corse, d'autoriser des aménagements légers et constructions non permanentes dans la « bande des cent mètres » soit inscrite dans un cadre expérimental, qui ne s'impose pas.

En ce qui concerne l'extension de l'urbanisation dans la partie rétro-littorale, et indépendamment de la question de la compatibilité des dispositions proposées avec l'article 34 de la Constitution, l'Assemblée de Corse était fondée à estimer, dans sa délibération du 8 décembre 2000, que : « Intervenant dans un sujet particulièrement sensible et complexe, il importe que les adaptations à réaliser par la collectivité territoriale de Corse disposent d'une stabilité juridique suffisante. A cet égard, l'Assemblée propose que le délai d'application soit porté à 6 ans, et que les adaptations prises restent en vigueur tant qu'une loi ne les aura pas expressément rapportées ». En effet, les contraintes imposées par le paragraphe IV de l'article L. 4424-10 reviennent à exiger de l'Assemblée de Corse que, dans un délai de quatre ans, elle procède aux délibérations requises, adopte le plan d'aménagement et engage la réalisation des extensions de l'urbanisation. Il va de soi que, compte tenu des difficultés déjà observées pour l'élaboration du schéma d'aménagement et des contentieux prévisibles, ce scénario est peu crédible.

M. René Dosière s'est donc interrogé sur la possibilité, pour la collectivité territoriale, de mettre en _uvre, dans ces conditions, des dérogations à la loi littoral.

De fait, la Commission a été saisie d'un amendement du rapporteur, supprimant le caractère expérimental des compétences conférées à la collectivité territoriale pour la définition des règles particulières en matière d'aménagement et d'organisation du littoral, tout en conservant le principe d'un rapport annuel d'évaluation. Le rapporteur a indiqué que ce caractère expérimental ne s'imposait plus du fait des précisions apportées par la Commission sur la nature, l'étendue et la portée de ces dérogations.

Elle a également été saisie d'un amendement de M. Noël Mamère, précisant que le rapport annuel sur l'évaluation de ces mesures doit comporter une analyse de leur impact sur l'environnement et le développement durable, que le rapporteur a proposé d'intégrer dans son propre amendement.

M. René Dosière s'étant interrogé sur l'opportunité de compléter l'amendement du rapporteur afin de préciser la date à laquelle ce rapport devra être établi, M. Robert Pandraud a exprimé des doutes sur l'opportunité de cet ajout, proposant, en revanche, de supprimer la mention de sa transmission au représentant de l'Etat en Corse, considérant qu'il appartiendrait au Premier ministre de déterminer ses destinataires.

La Commission a adopté l'amendement du rapporteur, modifié afin de tenir compte de cette observation et de l'amendement de M. Noël Mamère (amendement n° 22). Par coordination, elle a rejeté deux amendements de M. Jean-Pierre Soisson, défendus par M. José Rossi, tendant à porter de quatre à six ans la période d'application des dispositions permettant des dérogations en matière d'urbanisation.

3. La portée du plan

L'article L. 4424-11 place le plan d'aménagement et de développement durable au même niveau, dans la « hiérarchie des normes », que l'ancien schéma d'aménagement. Il aura les mêmes effets que les directives territoriales d'aménagement. Comme elles, il pourra donc préciser, ce qui n'a jamais été possible dans le cas de la Corse, les modalités d'application, en fonction des particularités géographiques locales, des articles L. 145-1 à L. 146-9, qui définissent les règles propres aux zones de montagne et au littoral.

Reprenant le principe de hiérarchie des documents d'aménagement, qui permet d'assurer la cohérence des politiques menées en la matière, il dispose, également, que les schémas de cohérence territoriale, les schémas de secteur, les plans locaux d'urbanisme et les cartes communales devront être compatibles avec le plan d'aménagement et de développement durable.

L'article L. 4424-12, qui reprend, pour partie, des règles actuellement applicables au schéma d'aménagement, dispose que le plan d'aménagement et de développement durable vaut schéma de mise en valeur de la mer, les dispositions correspondantes étant regroupées dans un chapitre individualisé. On relève, toutefois, par rapport au droit existant, deux différences importantes. En premier lieu, ce chapitre ne devra plus recueillir l'accord préalable du préfet. En second lieu, conformément à une demande exprimée par le conseil exécutif de Corse et tirant la leçon des expériences passées, il est précisé que le plan ne vaudra schéma de mise en valeur de la mer que pour les secteurs qu'il détermine : il sera donc possible de prévoir des dispositions particulières, en matière d'aménagement, pour certaines parties du littoral seulement.

Le plan vaut également schéma régional d'aménagement et de développement du territoire, au sens de l'article 34 de la loi n° 83-8 du 7 janvier 1983. Sur ce point, la Commission a adopté un amendement rédactionnel du rapporteur (amendement n° 23).

Enfin, les dispositions relatives aux services collectifs de transport vaudront schéma régional de transport, au sens de l'article 14-1 de la loi n° 82-1153 du 30 décembre 1982 d'orientation des transports intérieurs, et s'imposeront aux plans d'orientation des transports.

4. L'élaboration et l'adoption du plan

L'article L. 4424-13 fixe la procédure d'élaboration et d'adoption du plan d'aménagement et de développement durable.

La responsabilité de cette élaboration est confiée au conseil exécutif, selon des modalités définies par l'Assemblée de Corse. Toutes les parties prenantes (préfet, départements, communes et groupements compétents en matière d'urbanisme) seront associées à ce travail, ainsi que les chambres d'agriculture, de commerce et d'industrie, de métiers, et le comité régional des pêches maritimes.

Cette mention du comité régional des pêches maritimes répond à une demande de l'Assemblée de Corse, qui semble avoir jugé que celui-ci n'était pas suffisamment associé par les chambres de métiers. Il reste que cette référence isolée à un organisme professionnel est contestable ; il serait préférable, en effet, de laisser à l'Assemblée de Corse le soin de désigner les organismes professionnels qu'elle juge opportun d'associer à l'élaboration du plan d'aménagement. La Commission a adopté un amendement en ce sens présenté par le rapporteur (amendement n° 24).

Comme le schéma de cohérence territoriale, le plan d'aménagement et de développement durable devra prendre en compte les projets d'intérêt général qui présentent un caractère d'utilité publique (une grande opération d'aménagement, par exemple) et les opérations d'intérêt national (infrastructure routière ou ferroviaire, notamment), qui sont portés à la connaissance du conseil exécutif par le préfet. Aux termes de l'article L. 121-9 du code de l'urbanisme, la nature de ces projets et la liste des opérations sont définies par des décrets en Conseil d'Etat.

Arrêté par le conseil exécutif, le projet de plan sera soumis, comme l'était le schéma d'aménagement, à l'avis du conseil économique, social et culturel de Corse, et du conseil des sites. On rappellera que le paragraphe II de l'article 9 du projet de loi propose de modifier la composition de ce dernier : il comprendra, désormais, pour moitié, des membres nommés par le représentant de l'Etat.

Puis le projet de plan sera soumis à l'Assemblée de Corse, qui délibérera sur l'ensemble de ses dispositions ; comme on l'a vu, des délibérations particulières et motivées sont néanmoins requises pour les mesures prises en application de l'article L. 4424-10.

Enfin, le plan d'aménagement et de développement durable sera adopté par l'Assemblée de Corse, et soumis à enquête publique. Au vu des résultats de l'enquête, il sera approuvé par l'Assemblée de Corse, selon les mêmes modalités que pour son adoption.

5. Le plan et le contrat de plan

L'article L. 4424-14 prévoit que le prochain contrat de plan entre l'Etat et la collectivité territoriale (le plan actuel couvrant la période 2000-2006) ne pourra être conclu qu'après l'approbation, par l'Assemblée de Corse, du plan d'aménagement et de développement durable. Cette condition, qui subordonne l'octroi des financements d'Etat à la conclusion d'une démarche portant vision stratégique du développement de l'île, sera, bien sûr, fortement incitatrice.

Sous cette réserve, on signalera, toutefois, dès à présent, que l'article 13 du projet de loi dispose que : « Le schéma d'aménagement de la Corse et le plan de développement applicables à la date de publication de la présente loi restent en vigueur jusqu'à l'approbation du plan d'aménagement et de développement durable de Corse ». Cette précision avait été réclamée par le conseil exécutif et par l'Assemblée de Corse.

6. La modification du plan

L'article L. 4424-15 prévoit que le préfet de Corse pourra demander à la collectivité territoriale de modifier le plan d'aménagement et de développement durable, pour permettre la réalisation d'un projet d'intérêt général ou d'une opération d'intérêt national. On rappellera que l'article L. 4424-13, inséré par le présent article dans le code général des collectivités territoriales, prévoit, déjà, que, dans sa phase d'élaboration, le plan devra prendre en compte les projets et opérations portés à la connaissance du conseil exécutif par le préfet.

La procédure de modification devra aboutir dans les six mois, faute de quoi il y sera procédé par décret en Conseil d'Etat. En cas d'urgence, il est proposé que cette modification puisse intervenir sans délai, mais selon une procédure plus formalisée, par décret en conseil des ministres.

Sans doute le caractère exceptionnel de ces dispositions ne fait-il aucun doute. Dans la plupart des cas, la réalisation des projets résultera d'un dialogue équilibré entre le représentant de l'Etat et la collectivité territoriale.

De plus, la procédure proposée pour résoudre les conflits éventuels repose sur des instruments de niveau élevé dans la hiérarchie des normes : un décret en Conseil d'Etat, voire en conseil des ministres. Cette solution reprend, d'ailleurs, des règles déjà prévues pour le schéma d'aménagement : des modifications peuvent lui être apportées, à la demande du représentant de l'Etat, pour assurer sa conformité à certaines prescriptions et servitudes en matière d'aménagement et d'urbanisme. L'article L. 144-4 du code de l'urbanisme dispose que : « En cas d'urgence constatée par décret en conseil des ministres, il y est procédé sans délai ». De fait, il est assez rare que la délibération de textes réglementaires en conseil des ministres soit rendue obligatoire par les textes, qu'il s'agisse de la Constitution (29) ou de la loi (30) ; une telle délibération répond, le plus souvent, à des considérations d'opportunité. Elle a pour effet de désigner le Président de la République comme l'autorité compétente pour édicter cet acte, qui relève, en principe, du Premier ministre ; l'article 13 de la Constitution dispose, en effet, que : « Le Président de la République signe les ordonnances et les décrets délibérés en Conseil des ministres ». Par la suite, cette compétence ne peut être remise en cause : « Le président de la République va pouvoir conserver cette compétence pour les modifier ou abroger, et cela sans même devoir provoquer de nouvelles délibérations du conseil des ministres, en raison du principe selon lequel les procédures d'édiction ne doivent également être suivies pour les modifications et abrogations que si elles étaient juridiquement imposées » (31).

Pour autant, ce pouvoir d'injonction peut surprendre. Le conseil exécutif de Corse a d'ailleurs considéré que : « La collectivité territoriale de Corse doit pouvoir apprécier l'intérêt et la faisabilité des projets ».

La Commission a donc examiné un amendement de M. Jean-Pierre Soisson, défendu par M. José Rossi, tendant à supprimer la possibilité donnée aux représentants de l'Etat de demander, voire d'imposer, une modification du plan d'aménagement et de développement durable pour permettre la réalisation de certains projets d'intérêt général. M. José Rossi a jugé cette disposition contraire à l'esprit du projet de loi. La Commission a par ailleurs été saisie d'un amendement de M. Noël Mamère, imposant à la collectivité territoriale de répondre, dans un délai de six mois, à la demande ainsi formulée par le préfet, mais supprimant également la possibilité de modification du plan par décret. Suivant l'avis de son rapporteur, la Commission a rejeté l'amendement de M. Jean-Pierre Soisson et adopté celui de M. Noël Mamère (amendement n° 25).

Elle a ensuite adopté l'article 12 ainsi modifié.

Article 13

(art. L. 144-1 à L. 144-5 du code de l'urbanisme,
art. L. 4424-18 à L. 4424-21 du code général des collectivités territoriales
et art. 34 bis de la loi n° 83-8 du 7 janvier 1983)

Codification

Le présent article procède, notamment, à des opérations de codification, par coordination avec d'autres dispositions du projet de loi.

Son paragraphe I est lié à l'article 12. Il propose l'abrogation : des articles L. 144-1 à L. 144-5 du code de l'urbanisme, relatifs au schéma d'aménagement que la collectivité territoriale devait, jusqu'à présent, élaborer ; de l'article L. 4424-19 du code général des collectivités territoriales, relatif au plan de développement ; du second alinéa de l'article 34 bis de la loi n° 83-8 du 7 janvier 1983 relative à la répartition des compétences entre les communes, les départements, les régions et l'Etat, qui prévoit que, en Corse, le schéma d'aménagement et de développement du territoire n'est élaboré qu'en l'absence de schéma d'aménagement.

On rappellera que le plan d'aménagement et de développement durable (article 12) a vocation à se substituer à ces différents documents. Il est précisé, toutefois, conformément à une demande du conseil exécutif et de l'Assemblée de Corse, que le schéma d'aménagement et le plan de développement applicables à la date de publication de la présente loi resteront en vigueur jusqu'à l'approbation du nouveau plan d'aménagement et de développement durable.

Son paragraphe II propose d'abroger l'article L. 4424-20 du code général des collectivités territoriales, relatif aux aides et aux interventions économiques de la collectivité territoriale. Cette abrogation résulte de modifications de fond apportées à ces interventions par l'article 17 du projet de loi (articles L. 4424-27 à L. 4424-29 du code général des collectivités territoriales), et de forme par le paragraphe V de l'article 14.

De même, le paragraphe III dispose que l'article L. 4424-18 du code général des collectivités territoriales (relatif aux actions de la collectivité territoriale pour l'environnement et le développement local) devient l'article L. 4424-35 (sous réserve des mesures proposées au II de l'article 23 et au IV de l'article 41), et l'article L. 4424-21 (relatif au comité de coordination pour le développement industriel de la Corse) l'article L. 4424-30.

La Commission a adopté un amendement de coordination du rapporteur (amendement n° 26), puis l'article 13 ainsi modifié.

Sous-section 2

Des transports et de la gestion des infrastructures

Article 14

(Chapitre IV du titre II du livre IV de la quatrième partie
du code général des collectivités territoriales)

Transports

Cet article a pour principal objet d'adapter les dispositions relatives aux dessertes maritimes et aériennes à l'évolution du droit national et communautaire.

_ Le premier paragraphe (I) comporte de simples mesures de codification. Il transfère l'actuelle sous-section 5 : « Transports » figurant dans la section 6 : « Attributions de la collectivité territoriale de Corse en matière de développement économique » dans la nouvelle section 2 : « Aménagement et développement durable » et qui devient ainsi le premier paragraphe de la nouvelle sous-section 2 : « Transports et gestion d'infrastructures » créée à l'article 12.

_ Le deuxième paragraphe (II) modifie la numérotation de l'actuel article L. 4424-25 relatif aux transports interdépartementaux, qui devient l'article L. 4424-16. Il en supprime, par ailleurs, les deux premiers alinéas, qui prévoient que la collectivité territoriale de Corse établit un schéma de transports interdépartementaux dont les dispositions s'imposent aux plans départementaux des transports. Ce schéma sera, en effet, intégré dans le nouveau plan d'aménagement et de développement durable de Corse, prévu à l'article 12 du présent projet. Seul le dernier alinéa de l'actuel article L. 4424-25 est conservé avec une modification rédactionnelle tenant compte de l'intégration des dispositions relatives aux services collectifs de transport dans le nouveau plan d'aménagement et de développement durable. Il prévoit que la collectivité territoriale de Corse charge, par convention, les départements de l'organisation des liaisons interdépartementales prévues par ce plan.

_ Le troisième paragraphe (III) de cet article a pour seul objet de donner une nouvelle numérotation aux articles L. 4424-26 et L. 4424-27, qui deviennent respectivement les articles L. 4424-17 et L. 4424-18.

-  L'article L. 4424-17 concerne l'exploitation des transports ferroviaires. La collectivité territoriale de Corse en a la charge et reçoit un concours budgétaire de l'Etat à ce titre, le transfert de cette compétence remontant à la loi n° 82-569 du 30 juillet 1982 portant statut particulier de la région Corse.

-  L'article L. 4424-18 attribue à la collectivité territoriale de Corse la définition des modalités d'organisation des dessertes aériennes et maritimes entre l'île et le continent sur la base du principe de continuité territoriale, destiné à pallier les contraintes de l'insularité.

Avant 1982, c'est à l'Etat qu'il appartenait d'organiser les modalités de desserte de la Corse. La loi n° 82-569 du 30 juillet 1982 précitée avait prévu la conclusion d'une convention entre l'Etat et la région de Corse pour déterminer les modalités d'organisation des transports maritimes et aériens entre l'île et le continent et chargé un établissement public industriel et commercial, l'Office des transports de la région de Corse, sur la base de cette convention, de conclure des conventions particulières avec les compagnies concessionnaires des liaisons.

La loi n° 91-428 du 13 mai 1991 a supprimé l'intervention de l'Etat dans l'organisation des transports maritimes et aériens desservant la Corse, tout en laissant à sa charge l'octroi d'une dotation de continuité territoriale. Elle a également a rattaché l'Office des transports à la collectivité territoriale de Corse.

_ Le quatrième paragraphe (IV) de cet article crée un nouvel article L. 4424-19. Il encadre la compétence de la collectivité territoriale de Corse en matière d'organisation des liaisons aériennes et maritimes entre la Corse et le continent, en intégrant les évolutions du droit national et surtout communautaire.

-  L'article L. 4424-28 qui définit actuellement les modalités d'intervention de la collectivité prévoit que l'ensemble des liaisons maritimes et aériennes entre la Corse et le continent est assuré dans le cadre d'un service public et réserve l'octroi de concessions de service public sur ces liaisons à des compagnies maritimes dont la flotte est immatriculée en France et à des compagnies aériennes titulaires d'un agrément ou d'une autorisation délivré par le ministère en charge des transports. Ses dispositions ne sont plus en conformité avec le droit communautaire et sont donc remplacées par celles du nouvel article L. 4424-19.

Le règlement (CEE) n° 2408/92 du 23 juillet 1992 concernant l'accès des transporteurs aériens communautaires aux liaisons aériennes intra-communautaires a posé le principe du libre accès aux lignes aériennes intérieures de chaque Etat membre ; cette libéralisation est devenue totalement effective à partir du 1er avril 1997. Il permet cependant à un Etat membre d'imposer des obligations de service public sur des services aériens réguliers vers un aéroport desservant une zone périphérique ou de développement ou sur une liaison à faible trafic à destination d'un aéroport régional, si ces liaisons sont considérées comme vitales pour le développement de la zone concernée. Incontestablement, les lignes assurant la desserte de la Corse vers le continent français sont susceptibles de répondre à ces critères.

Les obligations de service public peuvent porter sur les conditions de continuité, de régularité, de capacité et de prix et doivent faire l'objet d'une publication au Journal officiel des Communautés européennes. Si aucun transporteur aérien n'a commencé ou n'est prêt à exploiter la liaison soumise à des obligations de service public, conformément à ces obligations et sans subvention, le droit d'exploiter cette liaison en exclusivité peut être concédé, après appel d'offres communautaire, à un seul transporteur aérien, pour une période maximale de trois ans à l'issue de laquelle la situation doit être réexaminée. Le règlement autorise l'octroi par un Etat membre d'une compensation au transporteur sélectionné.

Quant au règlement (CEE) n° 3577/92 du 7 décembre 1992 concernant l'application du principe de libre circulation des services aux transports maritimes à l'intérieur d'un Etat membre, il a reconnu l'accès aux liaisons maritimes à l'intérieur d'un Etat membre aux armateurs communautaires exploitant des navires immatriculés dans un Etat membre et battant pavillon de cet Etat. Il s'applique au cabotage avec les îles depuis le 1er janvier 1999 (32). Toutefois, il apporte également des tempéraments au principe de la libre circulation. Il reconnaît en effet la possibilité pour un Etat membre de conclure des contrats de services publics ou d'imposer des obligations de service public à des compagnies qui participent à des services réguliers à destination et en provenance d'île ainsi qu'entre îles ; les obligations de service public peuvent porter sur les exigences des ports à desservir, la régularité, la continuité, la fréquence, les tarifs, l'équipage du navire et faire l'objet de compensations. La conclusion d'un contrat de service public permet d'imposer plus de contraintes de service public que la simple définition d'obligation de service public ; en revanche, elle oblige à recourir à la procédure de l'appel d'offres communautaire. Il faut souligner qu'aucune exclusivité sur la liaison maritime faisant l'objet d'un contrat de service public ne peut être accordée au transporteur sélectionné. Cependant, afin d'éviter que d'autres compagnies maritimes ne viennent trop facilement écrémer le trafic sur cette ligne, des obligations de service public peuvent également être imposées en parallèle pour les autres exploitants.

-  Pour tenir compte de ces prescriptions du droit communautaire, le nouvel article L. 4424-19 prévoit que la collectivité de Corse pourra imposer des obligations de service public sur certaines liaisons aériennes ou maritimes afin d'assurer le respect du principe de continuité territoriale. Ces obligations porteront sur les conditions d'accès, de qualité, de régularité et de prix et seront destinées à atténuer les contraintes d'insularité et à faciliter le développement économique de l'île et l'aménagement équilibré de son territoire. La collectivité territoriale sera ainsi libre de définir le contenu du service public.

Elle pourra désigner, pour leur exploitation, les compagnies aériennes titulaires d'une licence d'exploitation de transporteur aérien délivré par un Etat membre de l'Union européenne ou partie à l'espace économique européen et les compagnies maritimes dont la flotte est immatriculée dans un Etat membre de l'Union européenne ou partie à l'espace économique européen, sous réserve que les navires de cette flotte remplissent toutes les conditions fixées par cet Etat membre ou partie pour être admis au cabotage.

Par ailleurs, la collectivité territoriale de Corse pourra établir un régime d'aides individuelles à caractère social pour certaines catégories de passagers. La Commission européenne a admis que de telles aides pouvaient être compatibles avec le marché commun, sous réserve de respecter certaines conditions.

-  Dans les faits, les liaisons aériennes et maritimes entre la Corse et le continent s'organisent déjà dans le cadre des prescriptions du droit communautaire et cet article ne fait qu'entériner la pratique retenue par la collectivité territoriale de Corse. En 1999, le trafic global a atteint 5,509 millions de passagers dont 2,402 millions pour le transport aérien et 3,106 millions pour le transport maritime.

S'agissant des liaisons aériennes, les conventions actuelles ont été conclues dans les conditions prévues par le règlement communautaire de 1992. Pour les lignes reliant la Corse à Paris, les obligations de service public portent sur les fréquences, les capacités et les tarifs. Un appel d'offres communautaires a eu lieu. Des conventions de délégation de service ont été signées avec la compagnie Air France, pour les lignes reliant Paris à Ajaccio, Bastia et Calvi, et avec la compagnie Air Liberté, pour la ligne reliant Paris à Figari, pour une période allant du 1er janvier 2000 au 28 octobre 2002. Ces deux compagnies bénéficient des crédits de la dotation de continuité territoriale et de l'exclusivité sur leurs lignes. Pour 2001, il est prévu d'octroyer 100,8 millions de francs à la compagnie Air France et 8,2 millions de francs à la compagnie Air Liberté au titre des crédits de la dotation territoriale.

Les lignes reliant la Corse à Marseille et à Nice (dites bord à bord), comme les lignes reliant l'île à Montpellier et à Toulon, sont soumises à des obligations de service public plus « légères ». Elles ont fait l'objet d'appels d'offres infructueux, qui ont conduit la collectivité territoriale de Corse à redéfinir les obligations de service public qu'elle avait imposées et à instaurer un système d'aides à caractère social à destination des passagers compensant ces obligations. Elles sont exploitées par la compagnie Corse-Méditerranée, Air Liberté et Air Littoral. Celles-ci ne bénéficient d'aucune exclusivité et sont liées à la collectivité territoriale par des conventions dites « d'aides sociales » d'un an, renouvelables par tacite reconduction. Les aides sociales au passager sont préfinancées par les compagnies aériennes, qui se font rembourser leur montant sur présentation de justificatifs à l'office des transports de Corse. Leurs montants sont imputés sur l'enveloppe de continuité territoriale. Pour 2001, 170 millions sont prévus pour financer ces aides.

S'agissant des liaisons maritimes, le transport de passagers et de marchandises relevant du service public est actuellement assuré par deux compagnies la Société nationale maritime Corse-Méditerranée (SNCM), qui est le premier employeur maritime français, et la Compagnie méridionale de navigation (CMN), surtout centrée sur le fret. Toutefois, neuf compagnies assurent le transport de passagers vers l'île, à partir de treize ports continentaux (trois ports français de Marseille, Toulon et Nice et dix ports italiens) tandis que, depuis 1996, une compagnie privée, la Corsica Ferries, dessert des ports français en concurrence avec la SNCM (33).

La SNCM et la CMN assurent la desserte des liaisons maritimes dans le cadre de concessions de service public, qui expirent le 31 décembre 2001 ; des conventions particulières, renouvelables tous les cinq, ans définissent les tarifs, les conditions d'exécution du service et modalités de son contrôle. Elles bénéficient des crédits de la dotation territoriale (à hauteur de 730,6 millions de francs en 2000).

Les concessions de la SNCM et de la CMN arrivant à échéance, les modalités d'organisation du service public des transports maritimes ont été redéfinies par la collectivité territoriale de Corse et toute compagnie battant pavillon communautaire pourra être candidate pour l'assurer. La collectivité territoriale, après consultation de la Commission européenne, a défini deux types d'obligations de service public : les unes concernent la desserte à partir de Marseille, les autres les liaisons à partir de Toulon et de Nice. Pour la desserte à partir de Marseille, une procédure d'appel d'offres est en cours ; la date limite de remise des offres était fixée au 29 mars 2001. Les obligations de service public portent sur les lignes à desservir, les fréquences, les capacités, les tarifs et la continuité de services. La procédure d'appel d'offre prévoit la conclusion d'une convention de cinq ans et l'octroi d'une compensation financière, mais ne garantit pas d'exclusivité sur la desserte. La collectivité territoriale de Corse est en négociation avec la SNCM et la CMN, la Corsica Ferries ne s'étant pas portée candidate. Pour les liaisons à partir de Toulon et de Nice, les obligations de service public sont plus légères et ne portent que sur les fréquences, les capacités minimales et tarifs maximaux. La mise en place d'un dispositif d'aide à caractère social est prévue. Les compagnies prêtes à assurer l'exploitation de ces lignes sans entrer dans ce dispositif seront soumises à des obligations de service public encore plus légères portant sur la durée annuelle du service.

La Commission a été saisie d'un amendement de M. Jean-Pierre Soisson, défendu par M. José Rossi, tendant à préciser que la collectivité territoriale de Corse définit les modalités d'organisation des transports maritimes et aériens entre l'île et toute destination de la France continentale, dans le cadre d'un service public, à l'exclusion d'une exploitation en régie directe. Le rapporteur ayant précisé que cette disposition intégrait les liaisons entre la Corse et le continent dans un service public alors que le projet de loi laisse à la collectivité territoriale de Corse le soin de déterminer les lignes soumises à des obligations de service public, M. José Rossi a indiqué qu'il retirait cet amendement.

La Commission a ensuite adopté un amendement de M. Michel Vaxès (amendement n° 27), tendant à assurer l'effectivité du principe de continuité territoriale, en affirmant plus nettement le principe selon lequel les obligations de service public définies sur certaines liaisons aériennes et maritimes doivent permettre d'atténuer les contraintes de l'insularité. Elle a également adopté un amendement de M. Jean-Pierre Soisson (amendement n° 28), substituant au mot : « continent » les mots : « France continentale », M. José Rossi, défendant cet amendement, ayant précisé qu'il s'agissait ainsi de lever une ambiguïté rédactionnelle, le terme de continent pouvant également désigner l'Italie.

La Commission a ensuite été saisie d'un amendement de M. Michel Vaxès, tendant à supprimer la possibilité pour la collectivité territoriale de Corse de désigner des compagnies d'un Etat membre de l'Union européenne ou partie à l'espace économique européen pour l'exploitation des liaisons de desserte aérienne ou maritime qu'elle décide de soumettre à des obligations de service public, son auteur ayant précisé qu'il s'agissait ainsi d'éviter la constitution d'un service public à plusieurs vitesses. Observant que la question de la continuité territoriale était un élément essentiel au développement de l'île, M. Roger Franzoni a souligné qu'il était nécessaire de déterminer qui, de l'Etat, de la collectivité territoriale de Corse ou de l'office des transports, en avait la responsabilité. Tout en souhaitant qu'elle incombe effectivement à la collectivité territoriale, il a relevé que celle-ci disposait de peu de moyens pour l'assumer. Après avoir rappelé que la dotation relative à la continuité territoriale de l'île s'élevait à environ un milliard de francs par an, M. Bernard Roman, président, a indiqué que cette question était abordée dans les articles ultérieurs du projet de loi. Le rapporteur a donné un avis défavorable à l'adoption de cet amendement, soulignant qu'il était contraire au droit communautaire, puis a indiqué qu'il poursuivrait sa réflexion sur la question de la continuité territoriale avant l'examen du texte en séance publique. La Commission a en conséquence rejeté cet amendement.

_ Le cinquième paragraphe (V) de cet article comporte trois séries de dispositions.

-  Son premier alinéa donne une nouvelle numérotation à l'article L. 4424-29 qui définit le rôle de l'office des transports de Corse ; il devient ainsi l'article L. 4424-20.

-  Son deuxième alinéa modifie également le contenu de l'actuel article L. 4424-29, en cohérence avec les nouvelles dispositions introduites par le quatrième paragraphe. Il est actuellement prévu que la collectivité territoriale octroie des concessions de service public aux compagnies assurant le service public maritime et aérien entre la Corse et le continent. L'office des transports est chargé de les mettre en _uvre dans le cadre de conventions quinquennales particulières. Ce paragraphe met fin à ce dispositif en confiant à l'office le rôle de conclure des conventions de délégation de services publics avec les compagnies désignées par la collectivité territoriale de Corse pour assurer l'exploitation des lignes sur lesquelles elle aura défini des obligations de service public. L'expression de convention de délégation de service public est plus large que celle de concession de service public ; l'usage de cette nouvelle terminologie s'explique par la volonté de laisser plus de liberté à la collectivité territoriale de Corse pour organiser les modalités d'organisation du transport aérien et maritime. Elle pourra choisir de recourir à d'autres modes de gestion que la concession, par exemple à l'affermage, pour assurer la gestion des liaisons.

-  Enfin, par erreur, le troisième alinéa de ce paragraphe cherche à modifier dans l'actuel article L. 4424-29 une référence pourtant exacte à l'article L. 4425-4 relatif à la dotation de continuité territoriale. En conséquence, la Commission a adopté un amendement du rapporteur (amendement n° 29) tendant à le supprimer.

_ Le sixième paragraphe (VI) de cet article abroge l'article L. 4424-28, relatif aux modalités d'organisation des liaisons maritimes et aériennes entre la Corse et le continent, qui sont redéfinies dans l'article L. 4424-19, ainsi que l'article L. 4424-31 relatif à la taxe due par les transporteurs publics aériens et maritimes et l'article L. 4424-32 relatif à la formation professionnelle. L'abrogation de l'article L. 4424-31 permet de supprimer l'obligation pour la collectivité territoriale de Corse d'affecter le produit de la taxe due par les transporteurs publics aériens et maritimes dans un chapitre spécifique de son budget et rend ainsi cette ressource libre d'emploi (34). La suppression de l'article L. 4424-32 constitue une erreur puisque cet article est repris dans l'article 22 du projet de loi. En conséquence, la Commission a adopté un amendement du rapporteur (amendement n° 30) revenant sur cette suppression.

_ Le septième paragraphe (VII) de cet article donne une nouvelle numérotation à l'article L. 4424-30, qui devient l'article L. 4424-21. Il confie à la collectivité territoriale de Corse la construction, l'aménagement, l'entretien et la gestion des routes nationales tout en lui laissant la faculté de déléguer la mise en _uvre de cette compétence aux départements. Il faut souligner que, depuis 1991, les routes nationales ont été transférées du patrimoine de l'Etat vers celui de la collectivité territoriale.

_ Le huitième paragraphe (VIII) de cet article donne une nouvelle numérotation de certains articles qui n'ont aucun lien avec le transport :

-  l'article L. 4424-22 relatif à l'agriculture devient l'article L. 4424-33 ;

-  l'article L. 4424-23 relatif au tourisme devient l'article L. 4424-31 ;

-  l'article L. 4424-33 relatif à l'énergie devient l'article L. 4424-39.

La Commission a adopté l'article 14 ainsi modifié.

Article 15

(Chapitre IV du titre II du livre IV de la quatrième partie
du code général des collectivités territoriales)

Gestion des infrastructures de transports

Cet article transfère à la collectivité territoriale de Corse la propriété des principales infrastructures de transport appartenant à l'Etat lui donnant ainsi pleinement les moyens de lutter contre le handicap de l'insularité.

_ Le premier paragraphe (I) crée un second paragraphe intitulé : « Gestion des infrastructures » dans la sous-section 2 : « Transports et gestion des infrastructures » de la section 2 : « Transports ». Ce paragraphe comportera quatre nouveaux articles.

-  L'article L. 4424-22, dans son premier alinéa, donne compétence à la collectivité territoriale de Corse pour créer, aménager et exploiter les ports maritimes de commerce et de pêche et pour en étendre le périmètre. Il s'agit d'une dérogation à l'article 6 de la loi n° 83-663 du 22 juillet 1983 complétant la loi n° 83-8 du 7 janvier 1983 relative à la répartition des compétences entre les communes, les départements, les régions et l'Etat. Celui-ci a, en effet, attribué aux départements l'aménagement et l'exploitation des ports maritimes, à l'exception des ports maritimes autonomes et des ports maritimes d'intérêt national, qui sont restés de la compétence de l'Etat. Toutefois, les ports qui relèvent actuellement des deux départements de Corse resteront gérés par eux.

Le deuxième alinéa de cet article transfère à la collectivité territoriale de Corse la propriété des biens des ports d'Ajaccio et de Bastia. Ces deux seuls ports, sur les sept que compte l'île, qui relèvent actuellement de l'Etat en tant que ports d'intérêt national, seront désormais gérés par la collectivité territoriale de Corse. Il faut souligner que les départements ne sont pas propriétaires des ports qu'ils sont chargés d'exploiter, ceux-ci ayant juste été mis à leur disposition par l'Etat. L'activité du port d'Ajaccio s'articule principalement autour du transport de passagers, des croisières et du trafic d'hydrocarbures et de produits de consommation courante à l'importation. En 2000, son chiffre d'affaires était évalué à 28,9 millions de francs. L'activité du port de Bastia réside essentiellement dans le transport de passagers et le trafic de ciment et de produits de consommation courante à l'importation, le trafic d'hydrocarbures s'effectuant à l'extérieur du port sur un dépôt pétrolier. Son chiffre d'affaires était estimé à 38,7 millions de francs en 2000.

Le troisième alinéa de cet article prévoit, par ailleurs, que la collectivité territoriale de Corse pourra délivrer, sur les ports d'Ajaccio et de Bastia, des autorisations d'occupation constitutives de droits réels, dans les conditions prévues pour le domaine public de l'Etat par les articles L. 34-1 à L. 34-7 du code du domaine de l'Etat (35). Ces autorisations devront être prises par le président du conseil exécutif après consultation du représentant de l'Etat. Un décret en Conseil d'Etat devra préciser les modalités d'application de cet article. Ces dispositions constituent une dérogation à l'article L. 1311-1 du code général des collectivités territoriales, qui pose le principe de l'inaliénabilité du domaine public de ces collectivités. Toutefois, elles ne font qu'aligner le régime applicable aux ports maritimes gérés par la collectivité territoriale de Corse sur celui des ports maritimes départementaux. En effet, la loi n° 97-1051 du 18 novembre 1997 d'orientation sur la pêche maritime et les cultures marines a donné au président du conseil général la possibilité de délivrer des autorisations constitutives de droit réels sur les ports maritimes de commerce et de pêche relevant de la compétence des départements.

Le quatrième alinéa de cet article précise que l'Etat demeurera compétent pour exercer la police des ports maritimes et prévoit que les installations et aménagements nécessaires au fonctionnement des services chargés de la police et de la sécurité devront être mis gratuitement à sa disposition dans des conditions définies par une convention. Il convient de souligner que, dans les ports relevant de la compétence des départements, si l'Etat fixe les règles relatives à la sécurité du transport maritime et des opérations portuaires et garde la responsabilité de la police des eaux, les compétences de police spéciale de conservation et d'exploitation ainsi que la police des épaves sont exercées par le président du conseil général.

La Commission a adopté un amendement du rapporteur (amendement n° 31) clarifiant la rédaction de cet article.

-  L'article L. 4424-23 donne compétence à la collectivité territoriale de Corse, dans les conditions prévues au code de l'aviation civile, pour créer, aménager et gérer des aérodromes. Il ne s'agit pas d'une véritable innovation juridique, puisque l'article L. 221-1 du code de l'aviation civile prévoit déjà la possibilité, pour une personne publique, ou privée, de créer des aérodromes ouverts à la circulation aérienne publique, cette création étant soumise à la conclusion d'une convention avec le ministre en charge de l'aviation civile. Conformément au droit commun, la collectivité de Corse devra signer une telle convention.

La véritable portée de cet article résulte de son deuxième alinéa. Il transfère à la collectivité territoriale de Corse les biens des aérodromes d'Ajaccio, de Bastia, de Calvi et de Figari, qui appartiennent à l'Etat. La collectivité territoriale devient ainsi propriétaires des quatre aéroports internationaux de l'île. Toutefois, l'Etat conservera la propriété des emprises et installations nécessaires pour assurer les besoins de la défense nationale, de la police et de la sécurité de la circulation aérienne. Elles ne seront pas mises à sa disposition par la collectivité territoriale contrairement à ce qui a été retenu pour le transfert des ports d'Ajaccio et de Bastia. Il serait souhaitable de retenir la logique de la mise à disposition dans les deux cas, avec une exception pour les installations nécessaires aux services de la circulation aérienne, qui comprennent notamment les tours de contrôle. Ces installations qui font partie du réseau national de navigation aérienne et répondent à des normes de conception et d'entretien drastiques, homogènes sur l'ensemble du territoire national devraient, contrairement aux installations nécessaires à la sécurité des ports, restées hors du transfert de propriété.

Le troisième alinéa de cet article paraît mal rédigé. Il prévoit que la convention prévue à l'article L. 221-1 du code de l'aviation civile pour la création des aérodromes réglera les relations entre l'Etat et la collectivité territoriale de Corse et comprendra notamment les mesures nécessaires au fonctionnement des services chargés de la police et de la sécurité de la circulation aérienne. Cette précision est inutile pour les aérodromes que la collectivité de Corse serait amenée à créer, puisque le premier alinéa de cet article renvoie déjà aux dispositions du code de l'aviation civile et donc à la signature d'une telle convention. Elle n'a de sens que pour les aérodromes dont la propriété est transférée par l'Etat à la collectivité territoriale de Corse. Mais, dans ce cas, la référence à la convention prévue par l'article L. 221-1 du code de l'aviation civile paraît inadéquate puisque celle-ci est liée à la création d'un nouvel aérodrome.

La Commission a adopté d'un amendement du rapporteur (amendement n° 32) alignant partiellement les conditions de transfert des aérodromes appartenant à l'Etat au profit de la collectivité territoriale de Corse sur celles retenues pour le transfert des ports.

M. Roger Franzoni a considéré que la région corse ne disposait pas des ressources suffisantes pour s'occuper de façon satisfaisante des ports et jugé, en conséquence, préférable qu'ils restent de la compétence de l'Etat. Le rapporteur a indiqué qu'il était du devoir de l'Assemblée nationale de veiller au transfert des ressources suffisantes permettant à la collectivité territoriale de Corse d'exercer pleinement ses nouvelles prérogatives. M. François Fillon s'est interrogé sur la prise en compte, par la majorité plurielle, des conséquences des amendements qu'elle proposait sur les autres collectivités territoriales de la République qui pourraient être tentées de demander l'extension à leur profit des nouvelles prérogatives accordées à la seule collectivité territoriale de Corse. Après avoir souligné que le projet de loi entendait apporter une solution particulière à une situation spécifique, M. Bernard Roman a estimé que cette démarche limitée n'était pas exclusive d'une réflexion plus globale sur la décentralisation. Observant que la Corse était dotée de quatre aérodromes, M. René Dosière a indiqué que l'importance de cet équipement témoignait de l'effort d'investissement consenti par l'Etat en matière d'infrastructures. Réagissant à ces propos, M. Paul Patriarche a tenu à préciser que c'était la collectivité territoriale de Corse qui avait financé, à l'aide de fonds européens, la modernisation de l'équipement de ces aéroports.

-  L'article L. 4424-24 transfère dans le patrimoine de la collectivité territoriale de Corse le réseau ferré de Corse qui avec une voie unique s'étend sur 231 kilomètres. Depuis la loi n° 82-659 du 30 juillet 1982 portant statut particulier de la région Corse, la collectivité en assure l'exploitation, mais il est actuellement mis à sa disposition par l'Etat.

-  L'article L. 4424-25 attribue, pour sa part, à la collectivité territoriale de Corse la propriété des ouvrages hydraulique qui sont mis actuellement à disposition de l'office d'équipement hydraulique de Corse.

_ Le deuxième paragraphe (II) de cet article modifie l'article L. 211-1 du code des ports maritimes, qui autorise la perception d'un droit de port à raison des opérations commerciales ou des séjours des navires dans les ports maritimes relevant de la compétence de la collectivité de l'Etat, des départements et des communes. Ces droits sont versés aux organismes qui assurent l'exploitation des ports. Pour les ports d'Ajaccio et de Bastia, il s'agit actuellement des chambres de commerce et d'industrie. Afin de permettre la perception de tels droits dans les ports maritimes qui relèveront de la collectivité territoriale, ce paragraphe élargit le champ d'application de l'article L. 211-1 aux ports maritimes relevant des collectivités territoriales ou de leurs groupements.

La Commission a adopté l'article 15 ainsi modifié.

Sous-section 3

Du logement

Article 16

(Chapitre IV du titre II du livre IV de la quatrième partie
du code général des collectivités territoriales)

Logement

Cet article ne confère aucune attribution nouvelle à la collectivité territoriale de Corse en matière de logement. Il reprend seulement les dispositions en vigueur en les transférant de la sous-section 4 de la section 6, relative au développement économique, dans une sous-section 3 de la nouvelle section 2, relative à l'aménagement et au développement durable de la Corse, afin de rendre plus lisible la présentation des compétences. Il remplace, par ailleurs, la référence au plan de développement dans le cadre duquel la collectivité établit ses priorités en matière de logement par une référence au plan d'aménagement et de développement rural, ce document étant appelé à le remplacer.

La collectivité territoriale continuera de définir ses priorités en matière d'habitat, après consultation des départements et en tenant compte des propositions adressées par les communes, dans le cadre du plan d'aménagement et de développement durable. Elle reste également compétente pour arrêter la répartition des aides attribuées par l'Etat, sous forme de bonifications d'intérêt ou de subventions, entre les programmes d'accession à la propriété, de construction de logements locatifs neufs et d'amélioration de l'habitat existant. Elle peut toujours, en outre, accorder des subventions, des prêts, des bonifications d'intérêt ou des garanties d'emprunt.

L'avant-projet de loi, rendu public le 30 novembre 2000, avait prévu de lui donner la possibilité d'acquérir et de gérer directement ou indirectement des immeubles à usage locatif social et d'être à l'initiative de la création d'offices publics d'aménagement et de construction (OPAC) ou d'offices publics d'habitations à loyer modéré (OPHLM) ; cependant, le président du conseil exécutif, de même que l'Assemblée de Corse, se sont montrés défavorables à ces dispositions. Ils ont estimé que l'attribution de nouvelles compétences à la collectivité de Corse en matière de logement empiétait sur celles des départements et anticipait la réforme constitutionnelle de 2004 qui pourrait aboutir à leur suppression.

La Commission a adopté l'article 16 sans modification.

Section 3

Du développement économique

Sous-section 1

De l'aide au développement économique

Article 17

(Chapitre IV du titre II du livre IV de la quatrième partie
du code général des collectivités territoriales)

Aide au développement économique

Cet article définit les pouvoirs de la collectivité territoriale de Corse en matière d'aide aux entreprises, en lui offrant des facultés d'intervention plus larges.

_ Le premier paragraphe (I) contient de simples mesures de coordination concernant la codification. Il procède à la renumérotation et à la réorganisation de la section consacrée au développement économique.

Ainsi cette section 3 « Développement économique » (ancienne section 6) ne comprendra désormais plus que quatre sous-sections :

- « Interventions économiques »,

- « Tourisme »,

- « Agriculture et forêts »,

- « Formation professionnelle et apprentissage ».

Les sous-sections « Logement », « Transports » et « Energie » sont transférées dans d'autres sections.

La Commission a adopté un amendement présenté par le rapporteur (amendement n° 33) améliorant la rédaction de ce paragraphe.

_ Le deuxième paragraphe (II) donne une nouvelle rédaction à la sous-section 1 : « Interventions économiques ». Elle ne comprendra plus désormais que les dispositions relatives aux aides aux entreprises ainsi que celles portant sur les projets industriels d'intérêt régional figurant dans l'actuel article L 4424-21 qui devient l'article L. 4424-30 en vertu de l'article 13 du présent projet.

Le chapeau de ce paragraphe oubliant par erreur de mentionner l'article L. 4424-30 dans la liste des articles composant la sous-section 1 : « Interventions économiques », la Commission a adopté un amendement rédactionnel du rapporteur (amendement n° 34) pour corriger cette omission.

Les dispositions relatives aux aides aux entreprises sont codifiées dans trois nouveaux articles.

-  L'article L. 4424- 27 reprend, en la modifiant légèrement, la rédaction des trois premiers alinéas de l'actuel article L. 4424-20 relatif aux aides aux entreprises.

Il donne compétence à la collectivité territoriale de Corse, par délibération de son assemblée, pour déterminer le montant et les modalités d'attribution des aides directes ou indirectes à des entreprises, prévues par les articles L. 1511-2 et L. 1511-3 du code général des collectivités territoriales. Les conditions d'attribution des aides directes, c'est à dire la prime régionale à la création d'entreprise, la primes régionale à l'emploi, les bonifications d'intérêts et les aides à l'immobilier d'entreprise, sont fixés, pour les autres régions, par trois décrets en Conseil d'Etat. S'agissant des aides indirectes, qui ne sont pas énumérées de façon limitative par la loi, des décrets en Conseils d'Etat sont intervenus pour encadrer les aides à l'achat ou à la location de bâtiments, ainsi que pour définir la prise en charge des commissions dues par les bénéficiaires de garantie d'emprunts ; les autres aides indirectes sont libres.

Contrairement à l'actuel article L. 4424-20, cet article ne prévoit plus l'intervention d'un décret en Conseil d'Etat pour préciser les conditions dans lesquelles la collectivité territoriale doit définir le régime des aides. Il prévoit, en revanche, qu'elle doit agir dans le respect des engagements internationaux de la France, mention qui vise bien évidemment le droit communautaire. Le Gouvernement estime que la référence à un décret en Conseil d'Etat est inutile. En effet, le Conseil d'Etat, saisi dans le passé d'un projet de décret, a jugé qu'il devait se limiter à préciser les conditions de forme requises pour l'adoption des délibérations de l'Assemblée de Corse fixant le régime des aides, ce qui a conduit le Gouvernement à retirer son projet.

-  L'article L. 4424-28 autorise la collectivité territoriale de Corse à participer par versement de dotations à la constitution d'un fonds d'investissement auprès d'une société de capital-investissement ayant pour objet d'apporter des fonds propres à des entreprises, ce qui est interdit aux autres collectivités territoriales. Les régions de droit commun disposent uniquement de la faculté de participer au capital des sociétés de développement régional, des sociétés de financement interrégionales et des sociétés mixtes.

Le versement de dotations pour la constitution d'un fonds d'investissement est moins risqué que la prise de participation au capital d'une société. En effet, lorsqu'une collectivité devient actionnaire d'une société d'investissement et qu'elle en est gestionnaire de droit ou de fait, elle peut encourir une action en comblement de passif, si cette dernière fait faillite. En revanche, il présente un inconvénient de taille : les subventions versées constituent, en effet, un élément du bénéfice imposable de la société d'investissement. Leur montant réel est donc diminué du montant de l'impôt que l'entreprise doit acquitter.

Pour assurer la mixité des capitaux, le montant de la participation de la collectivité territoriale de Corse devra se limiter à 50 % du montant du fonds. Les conditions générales d'emploi des fonds seront fixées dans le cadre d'une convention passée avec la société gestionnaire.

Le statut de 1991 a ouvert à la collectivité territoriale de Corse la possibilité de participer à un fonds d'investissement, à condition qu'il soit géré par une société de développement régional régie par les dispositions du décret n° 55-876, qui subordonne leur création à la conclusion d'une convention avec le ministre de l'économie et des finances. Il s'agit d'actualiser cette disposition, les sociétés de développement régional étant en voie d'extinction.

Une seule société de développement régional, la CADEC, a été créée en Corse, en 1982, dans le cadre des lois de décentralisation et du premier statut particulier de la Corse, à l'initiative de l'Etat. La collectivité territoriale de Corse est avec l'Etat son principal actionnaire. Instrument essentiel du financement de l'économie corse, la CADEC représentait, en 1998, environ le quart des encours de crédit à moyen terme distribués sur l'île. En raison de graves difficultés, en partie imputable à des erreurs de gestion, cette société a dû cesser son activité de financement à la fin de l'année 1999, pour se concentrer sur le recouvrement des créances.

Actuellement, il existe une seule société de capital-investissement en Corse : la société « Fe muqui » (fait ici), qui a été créée en 1992 pour mobiliser l'épargne populaire, afin de favoriser la création d'emplois en Corse. Son capital est encore relativement modeste : il devrait être porter prochainement de quatre à vingt-trois millions de francs. La collectivité territoriale de Corse, qui entend soutenir cette entreprise, aura le choix, grâce aux dispositions introduites par cet article, de participer à son capital ou de constituer un fonds d'investissement auprès d'elle.

-  L'article L. 4424-29 donne à la collectivité territoriale de Corse le droit de définir de nouvelles formes d'aides directes ou indirectes, en sus de celles qui sont prévues par les articles L. 1511-2 et L. 1511-3 du code général des collectivités territoriales. La nature, la forme et les modalités d'attribution des ces aides seront fixées par délibération de l'Assemblée de Corse. Le président du conseil exécutif devra, chaque année, rendre compte à l'Assemblée du montant des aides accordées et de leur effet sur le développement économique local dans un rapport spécial.

La portée de cet article est limitée. En effet, comme il le précise, les aides devront être instaurées dans le respect des dispositions législatives en matière de concurrence et d'aménagement du territoire et des engagements internationaux de la France. Or le droit communautaire de la concurrence ne laisse guère de marge d'intervention.

En vertu de l'article 87 du traité instituant la communauté européenne, les aides d'Etat, qui faussent ou menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou productions, sont incompatibles avec le marché commun et, en conséquence, prohibées. Seules certaines aides d'Etat sont autorisées, soit parce qu'elles sont considérées d'office comme compatibles avec le marché commun, ce qui est le cas des aides à caractère social, soit parce qu'elles rentrent dans des catégories définies et remplissent certaines conditions susceptibles de les rendre compatibles avec ce marché. Il s'agit notamment des aides destinées à soutenir le développement de certaines activités ou de certaines régions ou à promouvoir d'importants projets communs d'intérêt communautaire. Les aides des collectivités territoriales aux entreprises, qui sont assimilées à des aides d'Etat, doivent respecter ces prescriptions.

En principe tout nouveau régime d'aides doit être notifié à la Commission, qui appréciera sa compatibilité avec le marché commun. La Commission a publié, sous forme de « lignes directrices » ou de « communication », les conditions que doivent respecter certaines aides pour être réputées compatibles avec le marché commun. Depuis 1988, elle a été habilitée à fixer ces conditions par voie de règlements. Les catégories d'aides visées dans ces règlements sont dispensées de la procédure de notification et d'approbation préalables. Trois règlements, dits « d'exemption », ont été adoptés à ce jour : le règlement sur les aides « de minimis » qui fixe à cent mille euros par entreprise, sur trois ans, le seuil maximum de l'aide qui peut être accordée librement, en excluant toutefois certains secteurs, le règlement sur les aides aux PME et le règlement sur les aides à la formation.

Bien que s'inscrivant dans un cadre limité, cette nouvelle disposition offre des perspectives intéressantes pour la mise en _uvre des programmes communautaires dans l'île. En effet, elle pourrait permettre à la collectivité territoriale de Corse d'apporter plus facilement les contreparties financières nécessaires, en lui permettant de créer des régimes d'aides correspondants à ceux qui sont proposés par les fonds structurels.

On peut souligner que dans l'avant-projet de loi, les dispositions de cet article avaient été introduites à titre expérimental pour quatre années ; cependant le Conseil d'Etat n'ayant pas estimé cette précaution indispensable, le projet de loi soumis à l'Assemblée nationale ne comporte plus de restriction sur la durée d'application de ces dispositions.

Après que M. Michel Vaxès eut indiqué qu'il proposerait, dans le cadre de la réunion que la Commission tiendra en application de l'article 88 du Règlement, un amendement tendant à renforcer le contrôle de l'utilisation des fonds publics en Corse, la Commission a adopté l'article 17 ainsi modifié.

Sous-section 2

Du tourisme

Article 18

(art. L. 4424-31 du code général des collectivités territoriales)

Orientations en matière de développement touristique

Le présent article tend à renforcer les compétences de la collectivité territoriale de Corse en matière de promotion et de développement touristiques.

L'enjeu est essentiel.

La situation géographique de l'île, ses caractéristiques physiques et la structure de son économie, font, en effet, des activités touristiques, un des moteurs de son développement. De surcroît, après une période morose entre 1993 et 1996, ce secteur connaît une forte croissance depuis 1997. La saison touristique 2000 a été marquée par d'excellents résultats : durant le seul mois de juillet, plus de 1,1 million de passagers ont emprunté les transports aériens et maritimes entre la Corse et le continent ; ils étaient 5,6 millions en cumul sur douze mois. Le flux touristique tend à se diversifier, au profit, notamment, de personnes en provenance du nord de l'Europe, même si la clientèle reste, à près de 70 %, française, et le tourisme familial majoritaire.

D'ores et déjà, le tourisme est le premier secteur économique privé de l'île ; d'après des éléments statistiques recueillis par le rapporteur auprès des services de la préfecture, il est à l'origine de près de 10 % du produit intérieur brut de l'île (effets d'entraînement inclus), soit davantage que l'agriculture ou la construction. L'emploi salarié du tourisme, quant à lui, se concentre dans les structures d'hébergement et de restauration : selon l'INSEE, il équivaut à 3 400 « temps complets employés toute l'année » ; en période estivale, 6 000 salariés travaillent dans le tourisme (7 000 autour du 15 août).

Pourtant, l'opportunité de développer le tourisme sur l'île a longtemps fait l'objet de controverses, en raison de ses conséquences potentiellement dommageables sur l'environnement et l'identité locale. Mais, aujourd'hui, nombreux sont ceux qui pensent que l'on peut concilier développement touristique, valorisation des sites et préservation de l'environnement. Pour les dirigeants d'entreprise et les membres des organismes consulaires, reçus, à Ajaccio, le 24 novembre 2000, par la mission d'information, il s'agit même de la clé du succès.

Il existe donc, désormais, une chance pour que la Corse parvienne enfin à élaborer, sur ce sujet, une stratégie de long terme, dans le respect des principes d'identité culturelle et de préservation de l'environnement. L'enjeu est réel car, malgré les bons résultats obtenus depuis quelques années, le tourisme conserve, en Corse, un fort potentiel de développement. Les flux sont limités par la qualité moyenne de l'offre, la saturation des capacités d'hébergement et le manque de professionnalisation de la filière.

Il s'agit donc, aujourd'hui, dans l'esprit du relevé de conclusions du 20 juillet 2000, qui mentionnait le tourisme parmi les compétences susceptibles de faire l'objet d'une décentralisation renforcée, d'approfondir un transfert de compétences déjà largement entamé par la loi n° 91-428 du 13 mai 1991 portant statut de la collectivité territoriale de Corse. On rappellera, en effet, que l'article 69 de la loi du 13 mai 1991 (premier alinéa de l'article L. 4424-23 du code général des collectivités territoriales) dispose que : « La collectivité territoriale de Corse détermine dans le cadre du plan de développement les grandes orientations du développement touristique de l'île ».

Les dispositions nouvelles qui sont proposées reprennent, largement, les souhaits exprimés par l'Assemblée de Corse dans ses délibérations du 8 décembre 2000. Elles reposent, selon des modalités qui ont fait l'objet d'un amendement rédactionnel du rapporteur adopté par la Commission (amendement n° 35), sur une réécriture du premier alinéa de l'article L. 4424-31 du code général des collectivités territoriales (c'est-à-dire, en fait, le premier alinéa de l'actuel article L. 4424-23 précité, compte tenu des modifications introduites par l'article 14 du projet de loi, qui dispose que l'article L. 4424-31 est abrogé et que l'article L. 4424-23 se substitue à lui), qui serait remplacé par trois alinéas présentés ci-après.

· Il est indiqué, en premier lieu, que la compétence de la collectivité territoriale en matière de tourisme s'exerce, désormais, dans le cadre du nouveau plan d'aménagement et de développement durable. De plus, il est précisé que la collectivité territoriale détermine et met en _uvre les orientations du développement touristique de l'île, et non pas seulement ses « grandes » orientations.

· Il est affirmé, ensuite, que la collectivité territoriale de Corse définit, met en _uvre et évalue, la politique du tourisme de l'île et les actions de promotion. Surtout, elle assure : « le recueil, le traitement et la diffusion des données relatives à l'activité touristique en Corse », qui relevaient, jusqu'à présent, aux termes de l'article 2 de la loi n° 92-1341 du 23 décembre 1992 portant répartition des compétences dans le domaine du tourisme, de l'Etat.

· Enfin, la collectivité territoriale est chargée de coordonner les initiatives publiques et privées dans les domaines du développement, de la promotion et de l'information touristiques.

La Commission a rejeté un amendement de M. Jean-Pierre Soisson, défendu par M. José Rossi, tendant à préciser que la collectivité territoriale de Corse est également en charge de la gestion et de l'exécution des interventions financières publiques en matière de tourisme et assure l'organisation des professions touristiques, le rapporteur ayant exprimé des réserves sur la rédaction de cet amendement.

Sans doute l'ambition de cet article n'est-elle pas de confier à la collectivité territoriale de Corse une compétence exclusive en matière de développement touristique : par définition, de très nombreux intervenants (services de l'Etat, collectivités territoriales, organismes professionnels) ont un rôle à jouer dans ce secteur. Il est significatif, à cet égard, que les lois du 3 janvier 1987 (n° 87-10), relative à l'organisation régionale du tourisme, et du 23 décembre 1992 (n° 92-1341), précitée, aient largement pour objet de favoriser la coordination des actions engagées. C'est la raison pour laquelle, d'ailleurs, il n'est pas proposé de supprimer, comme le réclamait le conseil exécutif de Corse dans son avis sur l'avant-projet de loi, la « délégation régionale au tourisme » (dont il pas inutile de rappeler, toutefois, qu'elle ne compte guère, aujourd'hui, que six agents, dont deux contractuels).

Cependant, il place délibérément la collectivité territoriale de Corse au centre du dispositif, en tant que force de définition, d'impulsion et de coordination des actions conduites sur l'île. De plus, la portée de cet article ne peut être appréciée sans prendre également en compte les dispositions proposées à l'article 19 du projet de loi, qui lui permet de mettre en _uvre, concrètement, la compétence qui lui est reconnue, en lui confiant le classement des stations et de l'ensemble des organismes de tourisme. Enfin, il lui appartiendra d'arrêter les modalités de ses interventions, les articles 40 et 41 du projet de loi l'autorisant à exercer directement les missions qui sont aujourd'hui confiées à l'agence du tourisme de Corse.

A cet égard, la Commission a été saisie d'un amendement du rapporteur, instaurant un pouvoir de tutelle de la collectivité territoriale de Corse sur l'agence du tourisme et prévoyant que son conseil d'administration est composé, à titre majoritaire, de représentants élus de l'Assemblée de Corse.

Considérant que la création, par la loi, des offices et des agences, n'avait pas été l'initiative la plus heureuse des pouvoirs publics, M. Paul Patriarche a toutefois jugé cet amendement peu opportun.

M. José Rossi a estimé que cet amendement restreignait inutilement la liberté qu'il convenait de laisser à la collectivité territoriale de Corse pour déterminer les modalités de son contrôle sur les offices et agences. Convenant que la collectivité territoriale de Corse ne disposait pas aujourd'hui de tous les moyens nécessaires pour contrôler l'activité de ces organismes, il a ajouté que la solution proposée par le rapporteur pouvait conduire à créer des situations de conflit entre l'Assemblée et l'agence, ce qui n'était pas souhaitable. Puis, reconnaissant que la multiplication de ces organismes avait conduit à l'éclatement du pouvoir exécutif local en Corse, il a jugé préférable de placer les élus devant leur responsabilité plutôt que d'imposer une solution par la loi.

MM. Roger Franzoni et Robert Pandraud ont exprimé leur accord avec les propos tenus par M. José Rossi.

Le rapporteur a indiqué qu'il résultait des multiples auditions qu'il avait menées que nombre d'élus corses souhaitaient renforcer leur contrôle sur ces structures. Puis, rappelant que l'avant projet soumis à la consultation de l'Assemblée de Corse prévoyait la dissolution immédiate des offices et agences, ce qu'elle avait refusé, il a considéré que son amendement proposait une solution équilibrée rapprochant le régime applicable en Corse de celui du droit commun applicable aux régions et souligné sa cohérence avec les dispositions de l'article 40 du présent projet de loi, qui autorisent l'Assemblée de Corse à exercer directement les missions confiées aux différents offices.

Evoquant les travaux de la mission d'information de la commission des Lois en Corse, M. Bernard Roman a indiqué que l'un des enseignements qu'il en avait retiré était que l'existence des offices, leurs modalités de fonctionnement et leur latitude d'action pouvaient constituer un obstacle à l'exercice par les élus des nouvelles prérogatives accordées à la collectivité territoriale de Corse. Prenant acte du fait que l'assemblée territoriale n'avait pas souhaité la dissolution immédiate de ces organismes, il a estimé que l'amendement du rapporteur permettrait cependant d'améliorer considérablement la situation existante en garantissant la présence majoritaire des élus au sein du conseil d'administration de l'agence du tourisme.

La Commission a adopté cet amendement du rapporteur (amendement n° 36). Puis elle a adopté l'article 18 ainsi modifié

Article 19

(art. L. 4424-32 du code général des collectivités territoriales)

Classement des stations touristiques

L'article 18 du projet de loi ayant renforcé les attributions confiées, en 1991, à la collectivité territoriale de Corse, en matière de promotion et de développement touristique, le présent article tend à lui permettre d'exercer, concrètement, cette compétence, en lui conférant la charge du classement des stations et de l'ensemble des organismes de tourisme.

Cette mesure, qui met en _uvre l'une des conclusions du relevé du 20 juillet 2000 et satisfait tant le conseil exécutif que l'Assemblée de Corse (avis sur l'avant-projet de loi), va dans le sens d'une décentralisation accrue de certaines décisions qui, aujourd'hui, relèvent encore de l'Etat.

A cet effet, il est proposé de compléter les dispositions du code général des collectivités territoriales relatives aux compétences de la collectivité territoriale de Corse en matière de tourisme, par un nouvel article, numéroté L. 4424-32, comprenant deux paragraphes, présentés ci-après.

· Le paragraphe I porte sur le classement des stations touristiques mentionnées aux articles L. 2231-1 et L. 2231-3 du code général des collectivités territoriales.

On rappellera que, en application de l'article L. 2231-1, les communes, fractions de communes et groupes de communes, qui offrent, soit un ensemble de curiosités naturelles, pittoresques, historiques ou artistiques, soit des avantages résultant de leur situation géographique ou hydrominéralogique, de leur climat ou de leur altitude, tels que ressources thermales balnéaires, maritimes, sportives ou uvales, peuvent être érigés en « stations classées ». Ce classement a pour objet de faciliter la fréquentation de la station, de permettre son développement et, le cas échéant, de faciliter le traitement des personnes privées de ressources suffisantes.

L'article L. 2231-3 dispose que les communes, fractions de communes et groupes de communes qui possèdent, sur leur territoire, soit une ou plusieurs sources d'eaux minérales, soit un établissement exploitant une ou plusieurs sources d'eau minérale, peuvent être érigés en « stations hydrominérales ». Ceux qui offrent aux malades des avantages climatiques peuvent être érigés en « stations climatiques ». Ceux sur le territoire desquels est cultivé un raisin de table reconnu apte à une cure thérapeutique peuvent être érigés en « stations uvales ». Ceux qui offrent aux visiteurs des curiosités naturelles ou artistiques peuvent être érigés en « stations de tourisme ».

Le classement de ces stations est prononcé, en application de l'article L. 2231-5, par décret en Conseil d'Etat, soit à la demande des collectivités locales intéressées, soit d'office.

Il est proposé que, en Corse, il soit désormais prononcé par une délibération de l'Assemblée de Corse, à la demande ou sur avis conforme de la commune ou de l'établissement public de coopération intercommunale compétent en matière de tourisme, après consultation du conseil départemental d'hygiène (36) et du conseil des sites (dont la composition est modifiée par le paragraphe II de l'article 9 du projet de loi), et enquête publique.

· Son paragraphe II a trait à la procédure d'agrément et de classement d'un certain nombre d'équipements et organismes.

Le troisième alinéa de l'article 2 de la loi n° 92-1341 du 23 décembre 1992 portant répartition des compétences dans le domaine du tourisme dispose que : « L'Etat détermine et met en _uvre les procédures d'agrément et de classement des équipements, organismes et activités touristiques selon des modalités fixées par décret ». Par dérogation, l'Assemblée de Corse pourra, dorénavant, déterminer « les règles de procédure relatives à l'instruction des demandes d'agrément et de classement » des équipements et organismes suivants :

-  Hôtels (aujourd'hui classés en cinq catégories, de une à 4 étoiles et « Luxe ») et résidences de tourisme (établissements dotés d'un minimum d'équipements et de services communs, constitués, en principe, d'un ensemble de chambres ou d'appartements meublés, disposés en unités collectives ou pavillonnaires).

-  Campings et caravanages (également classés, aujourd'hui, en cinq catégories).

-  Villas, appartements et chambres meublées loués à la semaine.

-  Restaurants de tourisme.

-  Offices de tourisme (créés par les conseils municipaux ou, dans les stations classées, ainsi que dans les communes littorales, par arrêté du préfet, à la demande du conseil municipal intéressé).

La décision de classement ou d'agrément, quant à elle, sera prise, désormais, non plus par le préfet, mais par le président du conseil exécutif de Corse, par arrêté.

Il convient de souligner, toutefois, que les dispositions précitées ne font référence qu'aux « règles de procédure » et à la « décision » de classement. D'après les indications communiquées au rapporteur, ces formulations n'englobent pas la définition des normes (de confort, de qualité des équipements et des services, d'accessibilité aux personnes handicapées, etc.) qui fondent ce classement : visées, dans la loi du 23 décembre 1992, sous l'expression : « les procédures d'agrément et de classement », elles sont et resteront fixées par le secrétariat d'Etat au tourisme.

Le champ couvert par cette compétence nouvelle est cependant assez large puisque, au total, la Corse dispose, aujourd'hui, d'une capacité d'hébergement d'environ 400 000 lits, dont 60 % correspondent, il est vrai, à des résidences secondaires.

D'après les indications contenues dans Les tableaux de l'économie corse (INSEE, février 1999) et l'étude d'impact du projet de loi (transmise au Parlement par le Premier ministre), le nombre d'établissements touristiques susceptibles d'être concernés par les mesures de classement précitées s'élèverait, aujourd'hui, à : 348 hôtels (10 408 chambres, soit 1,8 % du parc national, classées, pour près de la moitié d'entre elles, dans la catégorie « deux étoiles ») ; 15 résidences de tourisme (2 167 lits) ; 9 résidences hôtelières non classées ; 159 campings (2,4 % du parc national et 60 % de l'offre d'accueil sur l'île) ; 644 gîtes ruraux ; 29 gîtes communaux ; 4 gîtes d'étape ; 5 chalets de loisirs ; 45 chambres d'hôte avec table ; 75 chambres d'hôte sans tables ; 12 campings à la ferme.

On observe, également, que l'implantation de ces hébergements est fortement concentrée sur le littoral, dans quatre zones au demeurant assez spécialisées en termes de structures d'accueil : la zone « Ajaccio et nord » (un tiers de la capacité hôtelière et près de la moitié des résidences de tourisme) ; l'extrême sud de l'île (plus du quart des campings) ; la plaine orientale (près de la moitié des lits offerts par les villages de vacances) ; la Balagne, qui joue la carte de la diversification. L'intérieur de l'île offre également de nombreux gîtes qui participent à l'essor du tourisme rural.

La Commission a adopté l'article 19 sans modification.

Sous-section 3

De l'agriculture et de la forêt

Article 20

(art. L. 4424-33 du code général des collectivités territoriales,
art. 314-1 et 314-1-1 du code rural)

Orientations en matière de développement agricole, rural et forestier

Le présent article affirme la compétence de la collectivité territoriale de Corse pour la détermination des grandes orientations du développement agricole, rural et forestier. Il propose, également, de créer une commission consultative pour les actions menées, sur l'île, en matière agricole.

Revendiquée de longue date, la compétence en matière agricole et rurale n'est pas nouvelle. Certes, ce secteur ne réalise que 2 % environ du PIB de l'économie insulaire. Le nombre d'exploitations est en forte diminution ; elles connaissent des difficultés incontestables, liées, pour partie, à la topographie de l'île. Toutefois, l'agriculture conserve un rôle essentiel dans la vie sociale de la Corse, qui demeure une terre de tradition agricole. L'élevage occupe une place importante, ainsi que les productions végétales (les fruits, notamment, et les agrumes, en particulier) et la viticulture. Cette agriculture présente, en fait, un double visage, tous deux typiquement méditerranéens : une agriculture de montagne, dans l'intérieur, d'aspect traditionnel, fondée sur l'élevage extensif et la culture du châtaignier et de l'olivier ; une agriculture de plaine (notamment sur la côte orientale), moderne, mécanisée, intensive, tournée vers les productions végétales, viticoles et fruitières. La superficie agricole utilisée couvre, selon l'INSEE, 309 515 hectares, soit 36 % du territoire régional, dont 71 % en Haute-Corse. La main d'_uvre agricole familiale représente, environ, 5 000 personnes.

Aussi, dès la loi du 30 juillet 1982, la collectivité territoriale s'est-elle vu confier une compétence en matière agricole, qui a été élargie par l'article 64 de la loi du 13 mai 1991.

La portée principale du présent article est donc de compléter cette compétence par un volet forestier, ce qui est cohérent avec le champ exhaustif du plan d'aménagement et de développement durable.

· Son paragraphe I insère un article, numéroté L. 4424-33, dans la sous-section 3 « Agriculture et forêts », elle-même insérée dans la section 3 du chapitre IV du titre II du livre IV de la quatrième partie du code général des collectivités territoriales par le paragraphe I de l'article 17 du projet de loi.

· Ses paragraphes II et III modifient la rédaction de cet article L. 4424-33, qui correspond, en fait, dans le droit actuel, à l'article L. 4424-22, dont la numérotation a été modifiée par le paragraphe VIII de l'article 14 du projet de loi.

Dans sa rédaction en vigueur, cet article dispose que : « La collectivité territoriale de Corse détermine dans le cadre du plan de développement les grandes orientations du développement agricole et rural de l'île ».

Il est proposé que, désormais, elle détermine, dans le cadre non plus du plan de développement mais, bien sûr, du plan d'aménagement et de développement durable, les grandes orientations du développement agricole, rural, et aussi forestier, de l'île.

Toutefois, à l'image de ce qui est proposé, par exemple, pour les actions de promotion des activités physiques et sportives (article 11), les conditions de mise en _uvre de la politique forestière devront faire l'objet d'une convention entre l'Etat et la collectivité territoriale. Cette condition apparaît, ici, particulièrement nécessaire. En effet, l'Etat conserve, en matière forestière, un rôle conséquent, à travers le Centre régional de la propriété forestière, qui intervient auprès des propriétaires privés, ou de l'Office national des forêts, qui sera en charge de la gestion des forêts domaniales transférées à la collectivité territoriale, dans le cadre des directives fixées par celle-ci (voir l'article 21). Une coordination est donc indispensable.

· Son paragraphe IV tend à redéfinir le rôle de l'Office du développement agricole et rural de Corse (ODARC).

Il convient de rappeler, préalablement, que les articles 40 et 41 du projet de loi autorisent la collectivité territoriale (par délibération de l'Assemblée de Corse) à mettre fin à l'existence des offices (dont l'office de développement agricole et rural), et à exercer directement leurs attributions.

Sous cette réserve, il est proposé, dès à présent, de restreindre les compétences de l'ODARC. Celui-ci conservera les attributions normalement dévolues au Centre national pour l'aménagement des structures des exploitations agricoles, c'est-à-dire, notamment, l'application des dispositions législatives et réglementaires d'aide à l'aménagement des structures agricoles. En revanche, il n'exercera plus les compétences dévolues à la commission départementale d'orientation de l'agriculture (rôle consultatif sur les actions menées en matière agricole). Celles-ci seront désormais assurées par une commission territoriale d'orientation de l'agriculture (paragraphe V du présent article), comprenant des représentants de l'Etat, des collectivités territoriales et des professionnels, mais dont la composition sera fixée par décret. Il est indiqué, toutefois, qu'elle sera présidée, conjointement, par le préfet et le président du conseil exécutif ou leurs représentants.

Cette orientation constitue, selon les termes utilisés par le président du conseil exécutif de Corse dans son rapport sur l'avant projet de loi, « un progrès par rapport à la situation actuelle ».

La Commission a adopté deux amendements du rapporteur, le premier d'ordre rédactionnel, le second assurant une représentation majoritaire des élus de l'Assemblée de Corse au sein des conseils d'administration des offices de développement agricole et rural et d'équipement hydraulique (amendements nos 37 et 38).

Puis, elle a adopté l'article 20 ainsi modifié.

Article 21

(art. L. 181-1 du code forestier)

Propriété et gestion des forêts

Le présent article procède, en cohérence avec les dispositions mises en _uvre à l'article 20, au transfert, à la collectivité territoriale de Corse, de la propriété des forêts domaniales. Il organise les conditions de leur gestion.

Cette disposition est importante sur le plan symbolique ; elle recouvre également un enjeu très concret pour une île dont 57 % du territoire est couverte par les forêts et le maquis.

· Dans cette perspective, son paragraphe I propose de compléter le livre 1er du code forestier par un titre VIII, intitulé : « Dispositions particulières à la collectivité territoriale de Corse », comprenant un article L. 181-1, qui dispose que la propriété des forêts et terrains à boiser qui font partie du domaine privé de l'Etat, ou sur lesquels l'Etat a des droits de propriété indivis, est transférée à la collectivité territoriale de Corse.

Les biens transférés relèveront du régime forestier. Ils seront désormais gérés, dans les conditions prévues au titre IV du livre 1er du code forestier, comme les autres forêts et terrains à boiser non domaniaux (appartenant à des collectivités territoriales, des établissements publics, des établissements d'utilité publique, des sociétés mutualistes ou des caisses d'épargne) soumis à ce régime, par l'Office national des forêts (ONF).

En effet, l'Office national des forêts, établissement public à caractère industriel et commercial, créé en 1964 et placé sous la double tutelle du ministère de l'agriculture et de la pêche et du ministère de l'aménagement et du développement du territoire, gère les forets publiques relevant du code forestier, c'est-à-dire : 1,7 million d'hectares de forêts domaniales ; 2,6 millions d'hectares de forêt (soit 17 % de la forêt française) appartenant à 11 000 communes (dont 81 000 hectares appartenant, d'ores et déjà, aux collectivités locales de Corse) ; 8,4 millions d'hectares de forêts dans les départements d'outre-mer (dont huit millions en Guyane) ; certains terrains reboisés par l'Etat pour le compte de leurs propriétaires tant que ces derniers restent débiteurs de l'Etat ; des bois, forêts et terrains à boiser appartenant à des groupements fonciers. L'ONF intervient, également, par convention, comme prestataire de services, pour réaliser des travaux de protection, d'aménagement et de développement des ressources, pour le compte de propriétaires forestiers publics et privés. Ses missions concernent, essentiellement, la conservation des espèces et l'aménagement des espaces forestiers.

A ce stade, il convient de rappeler, toutefois, qu'un projet de loi d'orientation sur la forêt est actuellement en cours d'examen par le Parlement. Sans remettre en cause les fondements d'une politique forestière dont le succès n'est plus à démontrer, il contient de nombreuses dispositions qui modifient le code forestier, pour assurer les conditions d'une politique de gestion durable et multifonctionnelle, favoriser le développement et la compétitivité de la filière, inscrire la politique forestière dans la gestion des territoires, renforcer la protection des écosystèmes et améliorer l'organisation des institutions et des professions concernées. Ce projet de loi a, d'ores et déjà, été adopté, en première lecture, par l'Assemblée nationale, le 8 juin 2000 (37) et par le Sénat, le 5 avril 2001 (38).

Les forêts domaniales concernées par le transfert représentent plus de 51 000 hectares, selon l'INSEE.

L'ONF interviendra sous la responsabilité et conformément aux directives de la collectivité territoriale, qui, en application de l'article 20, est chargée, comme on l'a vu, de déterminer les grandes orientations du développement forestier de l'île, sous réserve de la convention qu'elle devra conclure avec l'Etat.

· Son paragraphe II précise que les modalités de ce transfert feront l'objet d'une convention entre l'Etat, la collectivité territoriale de Corse et l'Office national des forêts.

Cette convention déterminera, en particulier, la compensation financière induite par ce transfert de propriété, dont il est précisé qu'elle sera calculée sur la moyenne actualisée des crédits nécessaires pour assurer l'équilibre des comptes de l'Office national des forêts en Corse relatifs à la gestion de ces biens au cours des dix dernières années (déduction faite des dépenses restant à la charge de l'Etat et de l'ONF).

La Commission a adopté l'article 21 sans modification.

Sous-section 4

De l'emploi et de la formation professionnelle

Article 22

(Chapitre IV du titre II du livre IV de la quatrième partie
du code général des collectivités territoriales)

Formation professionnelle et apprentissage

Cet article modifie la place et l'intitulé de l'actuelle sous-section 6 de la section 6 du chapitre IV relative aux attributions de la collectivité territoriale de Corse en matière de développement économique, qui devient la sous-section 4 de la section 3, relative à la formation et à l'apprentissage. Il modifie en outre la numérotation de l'article L. 4424-32, qui devient l'article L. 4424-34.

Le contenu de l'article est par ailleurs modifié afin d'accroître les prérogatives de la collectivité territoriale en matière de formation professionnelle et d'actions d'apprentissage et de définir les relations de la collectivité territoriale avec l'association nationale de la formation professionnelle des adultes.

Sur le premier point, le statut de 1991 prévoyait qu'en plus des compétences revenant aux régions en application des dispositions de la loi n° 83-8 du 7 janvier 1983 relative à la répartition des compétences entre les communes, les départements, les régions et l'Etat, la collectivité territoriale pouvait passer une convention avec le représentant de l'Etat, afin de mettre en _uvre des programmes de stages dans le cadre des orientations prioritaires déterminées par le comité interministériel de la formation professionnelle et de la promotion sociale institué par l'article L. 910-1 du code du travail.

Sur le second point, l'article L. 4424-32 en vigueur prévoit un régime différencié pour la réalisation d'équipements menée au titre de l'association nationale pour la formation des adultes (AFPA). S'agissant des opérations d'équipement d'intérêt national, celles-ci sont conduites par l'Etat et doivent faire l'objet d'une concertation entre le préfet et la collectivité territoriale. S'agissant des autres opérations d'équipement de l'AFPA, celles-ci sont déterminées par la collectivité territoriale de Corse.

Ce régime est simplifié, puisque la collectivité territoriale reçoit compétence pour élaborer un « Plan régional de développement de la formation professionnelle des jeunes et des adultes », qui devient le document de référence en la matière.

La collectivité territoriale est par ailleurs chargée de la mise en _uvre de ce plan et reçoit, à ce titre, compétence pour arrêter le programme des formations et de l'ensemble des opérations d'équipement de l'AFPA. La distinction existante entre les opérations d'équipement d'intérêt national et les autres est donc supprimée en vue de conforter les prérogatives de la collectivité territoriale. Ces prérogatives nouvelles doivent néanmoins s'articuler avec celles de l'Etat et celles qu'exerce pour son compte l'AFPA. Pour cette raison, la mise en _uvre du plan régional est subordonnée à la signature d'une convention, dont l'AFPA est obligatoirement partie prenante. Le régime de concertation prévu dans le droit en vigueur est ainsi remplacé par une procédure conventionnelle consacrant l'accroissement des compétences de la collectivité territoriale en matière de formation professionnelle et d'apprentissage.

Enfin, le dernier paragraphe de l'article 22 complète les dispositions de l'article L. 910-1 du code du travail par coordination avec les nouvelles compétences attribuées à la collectivité territoriale en matière de formation professionnelle et d'apprentissage. Cet article du code du travail prévoit en effet la constitution dans chaque région de comités régionaux de la formation professionnelle, de la promotion sociale et de l'emploi réunissant des représentants des pouvoirs publics et des organisations professionnelles et syndicales. Ces comités sont obligatoirement consultés sur les programmes et les moyens mis en _uvre dans chaque région par l'AFPA. Le dispositif introduit par le projet de loi vise à tenir compte des compétences spécifiques de la collectivité territoriale de Corse en matière de définition des programmes d'équipement de l'AFPA : la procédure de consultation du comité régional de Corse est ainsi étendue aux programmes définis par la collectivité territoriale en application des dispositions figurant au nouvel article L. 4424-34 du code général des collectivités territoriales.

La Commission a adopté un amendement d'ordre rédactionnel présenté par le rapporteur (amendement n° 39) ainsi que l'article 22 ainsi modifié.

Après l'article 22

La Commission a rejeté un amendement présenté par M. Jean-Pierre Soisson, défendu par M. José Rossi, permettant d'adapter à la Corse les dispositions applicables dans les départements d'outre-mer concernant les organismes paritaires collecteurs de fonds destinés à la formation professionnelle, après que le rapporteur eut précisé qu'une telle dérogation au code du travail n'était envisageable qu'outre-mer, compte tenu du principe d'adaptation prévu à l'article 73 de la Constitution.

Section 4

De l'environnement et des services de proximité

Sous-section 1

De l'environnement

Article 23

(Sous-sections 1 à 4 de la section 4 du chapitre IV du titre II du livre IV
de la quatrième partie du code général des collectivités territoriales)

Codification

Le présent article procède à des opérations de codification rendues nécessaires par les articles 24 à 29 du projet de loi, en créant, dans le chapitre IV du titre II du livre IV de la quatrième partie du code général des collectivités territoriales, une section 4 intitulée : « Environnement et services de proximité ».

Cette section 4 comprendra, en application du paragraphe I de cet article, quatre sous-sections.

-  Sous-section 1 : « Environnement », elle-même constituée d'un article L. 4424-35 (paragraphe II du présent article). Ce dernier correspond à l'actuel article L. 4424-18, relatif aux attributions de la collectivité territoriale en matière d'environnement, qui est renuméroté par le paragraphe III de l'article 13 du projet de loi et modifié par le paragraphe IV de l'article 41.

-  Sous-section 2 : « Eau et assainissement », comprenant un article L. 4424-36, dont le contenu est fixé par l'article 26 du projet de loi.

-  Sous-section 3 : « Déchets », comprenant les articles L. 4424-37 et L. 4424-38, dont le contenu est déterminé par l'article 28 du projet de loi.

-  Sous-section 4 : « Energie », qui correspond à l'actuelle sous-section 7 « Energie » de la section 6 du chapitre IV du titre II du livre IV de la quatrième partie du code général des collectivités territoriales, dont la numérotation est modifiée par l'article 29 du projet de loi. Cette sous-section comprend l'article L. 4424-39 (c'est-à-dire l'actuel article L. 4424-33, dont la numérotation est modifiée par le paragraphe VIII de l'article 14 du projet de loi).

La Commission a adopté un amendement du rapporteur, donnant un pouvoir de tutelle à la collectivité territoriale de Corse sur l'office de l'environnement ainsi qu'une représentation majoritaire des élus de l'Assemblée de Corse au sein de son conseil d'administration (amendement n° 40). Puis elle a adopté l'article 23 ainsi modifié.

Après l'article 23

La Commission a été saisie d'un amendement de M. Jean-Pierre Soisson définissant les compétences attribuées à la collectivité territoriale de Corse dans le domaine de l'environnement, M. José Rossi, défendant cet amendement, ayant précisé qu'il s'agissait de faire de l'environnement une compétence de principe de la collectivité. Il a déploré, en effet, la timidité du projet de loi en la matière qui, en dehors des adaptations de la loi « littoral », ne prévoit aucun transfert de compétence d'importance.

Le rapporteur a estimé que, s'agissant notamment de la prévention de la pollution et des risques, cet amendement contenait des précisions intéressantes. Il a néanmoins fait part de ses réserves à l'encontre d'autres dispositions, et notamment de celles confiant à la collectivité des compétences aussi essentielles que les réserves nationales de chasse et les dates d'ouverture de la chasse. Il s'est déclaré, pour ces raisons, défavorable à l'amendement.

M. Charles de Courson a précisé que les dates d'ouverture de la chasse étaient exclusivement de la compétence des autorités communautaires.

Après que M. Bernard Roman eut proposé de revoir ce dispositif avant la réunion que la Commission tiendra en application de l'article 88 du Règlement, afin de renforcer la compétence de la collectivité territoriale en matière d'environnement, la Commission a rejeté cet amendement.

Elle a, en conséquence, rejeté également un amendement du même auteur visant à permettre aux agents assermentés de la collectivité territoriale de Corse de concourir à l'exercice des pouvoirs de police spéciaux de l'Etat dans le domaine de l'environnement.

Article 24

(art. L. 222-1 et 2, 332-2, 332-6, 332-10 et 11, 332-13, 332-19,
341-1 et 411-5 du code de l'environnement)

Transfert de procédures en matière environnementale

Le présent article propose de transférer à la collectivité territoriale de Corse la maîtrise de plusieurs procédures afférentes à la protection de la nature et des paysages.

L'environnement représente, pour la Corse, un enjeu essentiel. La qualité et la diversité de ses espaces naturels, mais également de sa faune et de sa flore, font de cette île, communément appelée : « l'île de beauté », l'un des derniers « réservoirs de nature » européens.

La population est attachée à la préservation de ce patrimoine naturel. Le rapporteur a pu le constater en rencontrant, dans le cadre de la mission d'information sur la Corse, à Ajaccio, le 27 mars 2001, des représentants d'associations de défense de l'environnement (U Levante, A Rinacita et l'association pour la défense du libre accès aux plages), ainsi que les responsables du Parc naturel régional de Corse (39). De plus, au même titre que le tourisme, l'environnement est aussi un facteur de développement et d'emploi.

Il n'est donc pas surprenant que, dans ce domaine, les transferts de compétences aient débuté dès la loi du 30 juillet 1982 ; son article 7 dispose que : « La région de Corse définit les actions qu'elle entend conduire pour la protection de l'environnement, après consultation des départements et, notamment, au vu des propositions qui lui sont adressées par les communes ».

L'article 57 de la loi du 13 mai 1991 dispose que : « Dans le cadre de la politique nationale de l'environnement, la collectivité territoriale de Corse définit les actions qu'elle entend conduire pour la protection de l'environnement dans l'île et détermine ses priorités en matière de développement local ».

L'approfondissement de cette décentralisation a été logiquement demandé par le conseil exécutif et l'Assemblée de Corse qui, dans leur avis sur l'avant-projet de loi, ont jugé insuffisantes les propositions gouvernementales. De fait, la protection de l'environnement figurait, dans le relevé de conclusions du 20 juillet 2000, parmi les compétences éligibles à une telle orientation. Le transfert des procédures proposé par le présent article, qui ne figurait pas encore dans l'avant-projet de loi, va dans le sens de leurs demandes, même s'il est encore jugé trop modeste par certains représentants de la collectivité territoriale. Le Gouvernement n'a pas estimé possible de répondre à toutes leurs observations, qu'il s'agisse, par exemple, du transfert des pouvoirs de contrôle et de police de l'Etat, voire de la capacité de celui-ci à mettre en _uvre ses obligations internationales et communautaires (40).

En toute hypothèse, il paraît cohérent que des pouvoirs renforcés soient confiés à la collectivité territoriale dans le domaine de la protection de l'environnement, au moment même où celle-ci disposera de compétences nouvelles dans le domaine du tourisme (articles 18 et 19 du présent projet de loi). En effet, tourisme et environnement sont liés par une relation à double sens (l'environnement favorise le tourisme ; le tourisme peut nuire à l'environnement) ; l'équilibre est possible, mais fragile, et la collectivité territoriale est la mieux placée pour le définir et le faire respecter.

a) Le plan régional pour la qualité de l'air

Les paragraphes I et II du présent article concernent le plan régional pour la qualité de l'air. Aux termes de l'article L. 222-1 du code de l'environnement, celui-ci fixe, en s'appuyant sur un inventaire des émissions et une évaluation de la qualité de l'air et de ses effets sur la santé publique et l'environnement, des orientations qui permettent de prévenir ou de réduire la pollution atmosphérique ou d'en atténuer les effets.

Le paragraphe I (art. L. 222-1 du code de l'environnement) propose que ce plan soit désormais élaboré par le président du conseil exécutif, et non plus par le préfet comme dans les autres régions. Toutefois, les services de l'Etat seront associés à son élaboration.

Le paragraphe II (art. L. 222-2) propose, par cohérence, que le plan ne soit plus arrêté par le préfet après avis de l'Assemblée de Corse, mais par une délibération de l'Assemblée de Corse sur proposition du président du conseil exécutif, après avis du représentant de l'Etat.

b) Les réserves naturelles

Les paragraphes III à VIII concernent les réserves naturelles, classées ou agréées.

· L'article L. 332-1 du code de l'environnement dispose que : « Des parties du territoire d'une ou plusieurs communes peuvent être classées en réserve naturelle lorsque la conservation de la faune, de la flore, du sol, des eaux, des gisements de minéraux et de fossiles et, en général, du milieu naturel présentent une importance particulière ou qu'il convient de les soustraire à toute intervention artificielle susceptible de les dégrader ».

Actuellement, cinq sites présentent, en Corse, un intérêt écologique et paysager majeur et sont, de ce fait, protégés par un classement en réserve naturelle : l'étang de Biguglia, Scandola (également inscrit au titre des biens naturels de la convention de l'UNESCO), les îles Cerbicale, Finocchiarola et Lavezzi. Ces espaces couvrent une superficie totale de 9 152 hectares. A cette liste, il convient d'ajouter la réserve naturelle des Bouches de Bonifacio (80 000 hectares), l'un des sites les plus attrayants de la méditerranée occidentale du point de vue de l'environnement, instituée par un décret du 23 septembre 1999 ; elle est appelée à constituer, avec le parc national de l'archipel de la Maddalena, le c_ur du futur parc marin international corso-sarde, dont la création a été décidée par les ministres de l'environnement français et italien, à Aoste, le 31 octobre 1992.

Le paragraphe III du présent article (art. L. 332-2 du même code) propose que la décision de classement des réserves soit prononcée par délibération de l'Assemblée de Corse, et non plus par décret.

Toutefois, on relève que l'exercice de cette compétence est strictement encadré : les collectivités locales intéressées devront être consultées et le représentant de l'Etat saisi pour avis ; la réglementation communautaire et les conventions internationales devront être respectées, le préfet conservant la faculté de demander, à défaut, le classement d'une réserve naturelle, qui pourra être prononcé, in fine, s'il n'est pas fait droit à cette demande, par l'Etat, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat ; surtout, il n'est pas proposé de modifier le troisième alinéa de cet article L. 332-2, qui dispose que : « A défaut du consentement du propriétaire, le classement est prononcé par décret en Conseil d'Etat ».

La Commission a néanmoins adopté un amendement présenté par le rapporteur confiant à l'Assemblée de Corse la définition des modalités de gestion des réserves naturelles qu'elle a constituées, son auteur ayant précisé qu'il s'agissait ainsi de répondre à un souhait de l'office de l'environnement exprimé devant la mission d'information lors des déplacements dans l'île (amendement n° 41).

Le paragraphe IV (art. L. 332-6 du code de l'environnement) porte sur la notification d'un projet de classement aux propriétaires des terrains. Actuellement, elle revient à l'autorité administrative et, à compter du jour où l'intention de constituer une réserve naturelle est notifiée à un propriétaire, aucune modification ne peut plus être apportée à l'état des lieux ou à leur aspect durant quinze mois, ce délai étant renouvelable une fois par arrêté préfectoral, sous réserve que les premières consultations ou l'enquête publique aient commencé. En application du paragraphe VIII (art. L. 332-19-1 du code de l'environnement), ce pouvoir de notification reviendra à : « La collectivité territoriale de Corse lorsque l'Assemblée de Corse a pris la décision de classement ou d'agrément » ; le délai précité de quinze mois sera renouvelable, dans les mêmes conditions, par décision du conseil exécutif (paragraphe IV).

On observera, néanmoins, que, en pratique, la rédaction proposée ne permet plus de procéder à une notification préventive, avant la décision de classement elle-même, pour empêcher toute modification de l'état des lieux ou de leur aspect, ce qui n'est pas satisfaisant. La Commission a donc adopté un amendement présenté par le rapporteur tendant a apporter les précisions nécessaires (amendement n° 42).

Corrélativement, le paragraphe V (art. L. 332-10 du même code) rend l'Assemblée de Corse compétente pour décider, après enquête publique, le déclassement total ou partiel d'un territoire dont elle a prononcé le classement en réserve naturelle, une telle décision faisant l'objet des mesures de publicité prévues par l'article L. 332-4 du code de l'environnement. Toutefois, cette compétence ne s'étend pas aux réserves naturelles classées à la demande du représentant de l'Etat, ce qui, selon les responsables de l'Office de l'environnement, réduit la portée du transfert opéré : la carte des réserves naturelles est, en fait, assez largement achevée.

· Le paragraphe VI (art. L. 332-11 du même code) porte sur les réserves naturelles volontaires, qui peuvent être agréées, à la demande des propriétaires concernés, par l'autorité administrative, après consultation des collectivités territoriales intéressées, afin de protéger, sur ces propriétés privées, les espèces de la flore et de la faune sauvage présentant un intérêt scientifique et écologique. Il est proposé que, en Corse, cet agrément soit prononcé par une délibération de l'Assemblée de Corse, après consultation des collectivités territoriales intéressées et avis du représentant de l'Etat.

Le paragraphe VII (art. L.332-13 du même code) porte sur la protection des réserves naturelles, classées ou agréées. Il est proposé qu'une servitude ne puisse être établie dans une réserve naturelle qu'avec l'accord de l'Assemblée de Corse, et non plus du ministre chargé de la protection de la nature.

c) Les monuments naturels et les sites protégés

Le paragraphe IX (art. L. 341-1 du même code) porte sur la liste des monuments naturels et des sites dont la conservation ou la préservation présente, au point de vue artistique, historique, scientifique, légendaire ou pittoresque, un intérêt général. On rappellera que cette liste doit être établie dans chaque département, à l'initiative de la commission départementale des sites, perspectives et paysages, qui donne son avis sur les propositions qui lui sont soumises, après en avoir informé le conseil municipal de la commune intéressée. Toutefois, l'inscription sur la liste, qui fait peser sur les propriétaires concernés un certain nombre d'obligations et de servitudes, en particulier pour procéder à des travaux autres que d'exploitation courante, est prononcée par arrêté du ministre chargé des sites ; en Corse, elle sera désormais prise par délibération de l'Assemblée de Corse, après avis du représentant de l'Etat.

De fait, la Corse possède de nombreux sites et monuments. Sur les 249 monuments appartenant au patrimoine insulaire, plus de la moitié, dont la conservation est reconnue d'intérêt public, bénéficie, selon l'INSEE, d'un classement. Le nombre de sites répertoriés est en augmentation constante ; environ 260 missions archéologiques sont programmées chaque année.

d) Les inventaires de la faune et de la flore

Le paragraphe X (art. L. 411-5 du même code) concerne les inventaires locaux et régionaux du patrimoine faunistique et floristique, dont l'Etat peut décider l'élaboration : les collectivités territoriales en sont informées ; les inventaires sont étudiés sous la responsabilité scientifique du Muséum national d'histoire naturelle.

Ces inventaires sont particulièrement utiles dans le cas de la Corse, qui possède une faune et une flore très riches et spécifiques, mais parfois menacées. Plus de 10 % des 2 500 espèces recensées en Corse sont uniques au monde ; des plantes méditerranéennes inexistantes en France continentale sont présentes sur l'île. La Corse est aussi dotée d'un capital forestier de grande valeur. La faune est abondante mais des espèces sont très menacées, comme le mouflon ou le cerf ; certains oiseaux sont en voie de disparition.

Il est proposé que la collectivité territoriale de Corse partage, désormais, avec l'Etat, l'initiative de leur élaboration.

Les responsables de l'Office de l'environnement de la Corse ont fait valoir, toutefois, au rapporteur, à l'occasion d'une rencontre organisée à Corte le 26 mars 2001, que le choix du partage de la compétence n'était guère opérant : il peut susciter des initiatives concurrentes dans des conditions peu respectueuses des deniers publics et aboutir à des résultats contradictoires et, partant, insatisfaisants. Au demeurant, le rapport d'activité de l'Office de l'environnement pour 1999 témoigne de l'engagement déjà important de la collectivité territoriale dans ce domaine.

La Commission a donc adopté un amendement présenté par le rapporteur reconnaissant à la collectivité une compétence exclusive dans le domaine de l'élaboration des inventaires du patrimoine faunistique et floristique, tout en conférant à l'autorité administrative un pouvoir de prescription en cas de carence (amendement n° 43).

La Commission a ensuite adopté l'article 24 ainsi modifié.

Après l'article 24

La Commission a rejeté un amendement de M. Jean-Pierre Soisson, défendu par M. José Rossi, transférant à la collectivité territoriale de Corse la compétence relative à la fixation des conditions d'institution et de fonctionnement des réserves de chasse.

Article 25

(art. 7 de la loi n° 85-30 du 9 janvier 1985)

Comité pour le développement, l'aménagement
et la protection du massif corse

Le présent article tend à renforcer le rôle de la collectivité territoriale de Corse dans le fonctionnement du comité pour le développement, l'aménagement et la protection du massif corse, d'une part, et la répartition de certains crédits destinés aux zones de montagne, d'autre part.

Le comité de massif a été créé par l'article 7 de la loi n° 85-30 du 9 janvier 1985 relative au développement et à la protection de la montagne. Sa composition a été précisée, en ce qui concerne la Corse, par un décret n° 85-998 du 20 septembre 1985. Il compte, aujourd'hui, 31 membres, dont cinq représentants de la région, quatre des départements, sept des communes de montagne, six des établissements publics consulaires, deux membres d'associations de protection de la nature, deux personnalités compétentes et un représentant de chacun des organismes suivants : l'office de développement agricole et rural (ODARC) ; la société d'aménagement foncier et d'établissement rural ; l'agence régionale de tourisme ; le parc naturel régional de la Corse ; la section régionale de la fédération française de la montagne. Ils sont nommés, en principe, pour trois ans, par arrêté du préfet ; toutefois, les représentants de la région, des communes ou de leurs groupements sont nommés pour la durée de leur mandat électif, tandis que les représentants des départements le sont lors de chaque renouvellement triennal des conseils généraux.

Aux termes de la loi, le comité de massif a pour mission de définir les objectifs et les actions souhaitables pour le développement, l'aménagement et la protection du massif. Il facilite, par ses avis et ses propositions, la coordination et l'organisation des actions et des services publics dans le massif. Il est associé à l'élaboration du schéma interrégional de massif, ainsi qu'aux dispositions relatives au développement économique, social et culturel du massif contenues dans les plans des régions concernées ; il est consulté sur les prescriptions particulières aux massifs et sur les projets d'unités touristiques nouvelles ; il peut proposer une modification de la délimitation des massifs ; il est informé des programmes d'investissement de l'Etat, des régions, des départements et des établissements publics dans le massif.

La réforme proposée par le présent article repose sur une modification, en trois points, de l'article 7 de la loi du 9 janvier 1985 précitée.

· Le 1° complète son troisième alinéa, qui dispose que ce comité est présidé par « le représentant de l'Etat désigné pour assurer la coordination dans le massif », afin de préciser que, en Corse, cette présidence est assurée par le président du conseil exécutif.

· Le 2° insère, après le sixième alinéa, un septième alinéa, qui modifie le mode de répartition de certains crédits destinés aux zones de montagne.

Il s'agit, en l'occurrence, des crédits inscrits dans la section à gestion déconcentrée du Fonds national d'aménagement et de développement du territoire, au budget de la délégation à l'aménagement du territoire (DATAR). Le préfet est chargé de leur répartition ; il est simplement tenu d'en informer le comité de massif, au moyen d'un rapport annuel.

Aucune modification de ce mode de gestion n'était proposée dans l'avant-projet de loi, ce qui avait provoqué des observations convergentes du conseil exécutif et de l'Assemblée de Corse. Ces deux institutions ont demandé le « transfert » de ces crédits à la collectivité territoriale.

Il est donc proposé que, en Corse, ces crédits fassent désormais l'objet, dans des conditions déterminées par la loi de finances, d'une subvention globale à la collectivité territoriale. L'Assemblée de Corse sera chargée de les répartir entre les différents projets à réaliser en zone de montagne, sur proposition du conseil exécutif, après avis du préfet. Le président du conseil exécutif sera chargé d'en informer le comité de massif, au moyen, toujours, d'un rapport annuel.

D'après les informations communiquées au rapporteur, le montant de cette subvention était de 0,8 million de francs en 1998, 1,2 million de francs en 1999, et 1,8 million de francs en 2000.

· Le 3° propose de compléter son dernier alinéa par de nouvelles dispositions tendant à prévoir que, par dérogation, la composition et les règles de fonctionnement du comité de massif de Corse seront fixées par délibération de l'Assemblée de Corse. Le comité devra compter, parmi ses membres, des représentants des personnes morales concernées par le développement, l'aménagement et la protection du massif, notamment celle de l'Etat, des autres collectivités locales de l'île et du parc naturel régional.

La Commission a adopté un amendement rédactionnel du rapporteur (amendement n° 44) ainsi que l'article 25 ainsi modifié.

Sous-section 2

De l'eau et de l'assainissement

Article 26

(art. L. 4424-36 du code général des collectivités territoriales)

Planification de la ressource en eau

Le présent article propose que la Corse soit reconnue, pour l'élaboration du schéma d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE), en raison de sa spécificité insulaire et des difficultés qu'elle rencontre dans le domaine de l'eau, comme un bassin hydrographique, distinct de celui de l'agence Rhône-Méditerranée-Corse, dont elle relève. Dans le même temps, il confère à la collectivité territoriale un rôle central pour l'élaboration de ce document de planification, ainsi que, à l'échelle des sous-bassins, pour celle des schémas d'aménagement et de gestion des eaux (SAGE). Ce transfert est cohérent avec la compétence générale qui est reconnue à la collectivité territoriale, par l'article 12 du présent projet de loi, pour fixer les orientations de l'aménagement et de la planification du territoire.

1. Les outils et les principes de la gestion de l'eau en France

Le fondement de la politique de l'eau dans notre pays est la loi n° 64-1245 du 16 décembre 1964 relative au régime et à la répartition des eaux et à la lutte contre leur pollution, qui a fait le choix de la décentralisation dans un contexte, pourtant, peu propice à une telle orientation.

Dans cet esprit, la loi a découpé la France en six circonscriptions administratives, correspondant à autant de bassins hydrographiques : « Seine-Normandie », « Rhône-Méditerranée-Corse », « Rhin-Meuse », « Loire-Bretagne », « Adour-Garonne » et « Artois-Picardie&