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le 11 juin 2001

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N° 3116

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 6 juin 2001.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE (1) SUR LA PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE (N° 3091) DE M. JEAN-MARC AYRAULT ET LES MEMBRES DU GROUPE SOCIALISTE ET APPARENTÉS, tendant à modifier l'article 68 de la Constitution,

PAR M. BERNARD ROMAN,

Député.

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(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

Président de la République.

La Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République est composée de : M. Bernard Roman, président ; M. Pierre Albertini, Mme Nicole Feidt, M. Gérard Gouzes, vice-présidents ; M. Richard Cazenave, M. André Gerin, M. Arnaud Montebourg, secrétaires ; M. Léo Andy, M. Léon Bertrand, M. Jean-Pierre Blazy, M. Émile Blessig, M. Jean-Louis Borloo, M. Michel Bourgeois, M. Jacques Brunhes, M. Michel Buillard, M. Dominique Bussereau, M. Christophe Caresche, M. Patrice Carvalho, Mme Nicole Catala, M. Jean-Yves Caullet, M. Olivier de Chazeaux, M. Pascal Clément, M. Jean Codognès, M. François Colcombet, M. François Cuillandre, M. Henri Cuq, M. Jacky Darne, M. Camille Darsières, M. Francis Delattre, M. Bernard Derosier, M. Franck Dhersin, M. Marc Dolez, M. Renaud Donnedieu de Vabres, M. René Dosière, M. Jean-Pierre Dufau, M. Renaud Dutreil, M. Jean Espilondo, M. François Fillon, M. Jacques Floch, M. Roger Franzoni, M. Claude Goasguen, M. Louis Guédon, Mme Cécile Helle, M. Philippe Houillon, M. Michel Hunault, M. Henry Jean-Baptiste, M. Jérôme Lambert, Mme Christine Lazerges, Mme Claudine Ledoux, M. Jean-Antoine Léonetti, M. Bruno Le Roux, M. Jacques Limouzy, M. Noël Mamère, M. Thierry Mariani, M. Louis Mermaz, M. Jean-Pierre Michel, M. Ernest Moutoussamy, Mme Véronique Neiertz, M. Robert Pandraud, M. Vincent Peillon, M. Dominique Perben, M. Henri Plagnol, M. Didier Quentin, M. Jean-Pierre Soisson, M. Frantz Taittinger, M. André Thien Ah Koon, M. Jean Tiberi, M. Alain Tourret, M. André Vallini, M. Michel Vaxès, M. Alain Vidalies, M. Jean-Luc Warsmann, M. Kofi Yamgnane.

INTRODUCTION 5

I. - LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE AU-DESSUS DES LOIS ? 8

A. L'IRRESPONSABILITÉ PRÉSIDENTIELLE... 8

1. De la responsabilité pénale à la responsabilité politique ? 8

2. Existe-t-il une tradition fondant l'immunité pénale du Président de la République ? 10

3. Quelle interprétation donner à l'article 68 de la Constitution du 4 octobre 1958 ? 14

4. Quelles leçons tirer des pratiques étrangères ? 19

B. ... RENFORCÉE PAR LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL 26

1. La lecture « discrètement constructive » de l'article 68 de la Constitution 26

2. La doctrine divisée sur la portée de la décision 28

3. Les conséquences incertaines de la décision 30

II. - UNE INEXTINGUIBLE ASPIRATION À LA JUSTICE 34

A. EN PARTIE SATISFAITE PAR DES RÉFORMES RÉCENTES... 34

1. Les origines de la Cour de Justice de la République 34

2. La révision constitutionnelle de 1993 36

3. La réforme de l'immunité parlementaire en 1995 37

B. ...CETTE ASPIRATION TROUVE UNE RÉPONSE DANS LA PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE 39

1. Le maintien d'un privilège de juridiction et d'une immunité relative pour les actes accomplis dans l'exercice des fonctions 39

2. La compétence des juridictions de droit commun pour les délits et crimes commis par le Président de la République en dehors de ses fonctions 42

DISCUSSION GÉNÉRALE 46

EXAMEN DES ARTICLES 54

TEXTE ADOPTÉ PAR LA COMMISSION 57

TABLEAU COMPARATIF 59

AMENDEMENTS NON ADOPTÉS PAR LA COMMISSION 61

« La responsabilité du Président de la République pour infraction de droit commun reste donc intacte. Le Président de la République bénéficie seulement d'un privilège de juridiction. Même pour les infractions de droit commun, il ne peut être jugé que par le Sénat. Cependant dans un pays qui se pique de pratiquer l'égalité démocratique, un pareil privilège ne devrait point exister ».

Léon Duguit, Manuel de droit constitutionnel, 1923.

Mesdames, Messieurs,

D'essence divine, le monarque a longtemps été considéré comme intouchable. Nul ne pouvait porter la main sur lui, sous peine d'être arrêté pour crime de lèse-majesté et soumis aux pires supplices. Le sort subi par Ravaillac, assassin de Henri IV, ou Damiens, écartelé en place de Grève pour avoir attenté à la vie de Louis XV, fit longtemps partie de l'imagerie populaire. L'exemple de leur mise à mort dans des conditions horribles devait édifier le peuple, pour que soit inscrite dans les esprits l'idée qu'il ne pouvait être porté atteinte à la personne du roi. Le caractère sacré du chef de l'Etat, lieutenant de Dieu sur terre et monarque absolu, excluait que l'on puisse mettre en cause sa responsabilité, qu'elle soit politique, ou plus encore, pénale.

Le monarque ne pouvait être accusé, poursuivi et condamné. Certes des contre-pouvoirs ont progressivement vu le jour dans les anciennes monarchies. L'Angleterre a su, dès 1215 avec la Grande Charte, mettre en place un Parlement contrôlant l'action du monarque et surtout de ses ministres. En France, ces modalités de rééquilibrage des pouvoirs furent plus tardives et timorées, les Parlements du royaume ne jouant guère le rôle assigné, outre-Manche, aux Communes et à la Chambre des Lords.

La mise en cause du roi, responsable uniquement devant Dieu, n'intervenait donc que lors de crises de violence irrépressibles et paroxystiques, que nul ne pouvait contenir. Elle prenait souvent un visage effrayant : celui du complot et de l'assassinat. Le régicide, pour exceptionnel qu'il ait été, apparaissait donc comme la conséquence directe de cette absence de mécanismes de régulation, qui permettent de demander au monarque de rendre des comptes, en matière pénale ou politique.

Mais la construction des Etats occidentaux est marquée, explicitement depuis le XVIe siècle et les Six livres de la République de Jean Bodin, par un long processus de détachement du champ politique de la sphère sacrée. Peu à peu, les hommes se sont libérés du règne de la transcendance divine et le fondement religieux de l'autorité monarchique s'est étiolé pour laisser place au droit, fruit de la raison proprement humaine. L'édification de l'Etat moderne est donc un lent cheminement vers la mise en place de règles, de procédures, dont le principal objectif est de réduire a minima la place de la violence dans nos sociétés. La civilisation des m_urs passe par le sentiment qu'un droit rationnel, issu de la délibération, égal pour tous, peut réguler les relations entre les individus vivant au sein d'une même communauté.

Nous avons, aujourd'hui, atteint une étape essentielle de ce processus. Face à la montée en puissance du droit, la société politique française reste, pourtant, en retrait. L'exception française a parfois pris l'aspect d'une résistance à ce mouvement tendant à s'abstraire de la transcendance pour organiser une société humaine fondée sur des règles juridiques.

La figure du Président de la République apparaît, en particulier depuis 1958, comme l'illustration la plus caractéristique de cette résistance. Sous les apparats, par la symbolique, ont été maintenus, vaille que vaille, l'idée ou le sentiment diffus que le chef de l'Etat, monarque républicain, bénéficiait d'une forme d'onction sacrée, conférée par le vote populaire. La pratique institutionnelle et politique a conforté cette idée, qui semble pourtant peu à peu s'estomper aujourd'hui.

Au-delà des controverses circonstancielles, qui présentent le mérite de mettre en lumière des problématiques traversant notre société, mais aussi l'inconvénient d'empêcher d'aborder ce sujet dans la sérénité, la question de la responsabilité pénale du Président est le point de rencontre de toutes les tensions qui agitent notre République.

Comment rompre avec la sacralité des institutions, tout en maintenant un nécessaire respect à leur égard ? Comment reconnaître au Président de la République une forte légitimité, issue de l'élection par la majorité des Français, tout en le considérant comme un citoyen, soumis à ce titre aux lois ordinaires du pays ? Comment assurer l'égalité devant la loi, tout en évitant une immixtion excessive de l'autorité judiciaire dans le fonctionnement du pouvoir exécutif, alors que la séparation des pouvoirs est au c_ur de notre conception de l'Etat, en vertu de l'article XVI de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ?

Les récentes affaires ont mis en évidence ces questions, auxquelles il est difficile d'apporter une réponse simple et convenue. Longtemps, le problème de la responsabilité pénale du chef de l'Etat est apparu comme anecdotique. Elle n'intéressait que peu les professeurs de droit constitutionnel. Ainsi en 1987, un auteur soulignait : « La doctrine contemporaine ne traite plus du sujet que de manière cursive, comme s'il devait être relégué au musée du droit constitutionnel » (1). Mais les événements intervenus depuis une dizaine d'années ont permis à une question beaucoup plus structurelle d'affleurer. Plus encore que les faits, c'est le droit qui est à la racine de cette difficulté.

L'article 68 de la Constitution fixe les conditions dans lesquelles la responsabilité pénale du Président de la République peut être engagée devant la Haute Cour de justice. Ce dispositif n'avait soulevé que peu de controverses jusqu'à ce qu'en l'interprétant, au détour de sa décision du 22 janvier 1999 relative à la Cour pénale internationale, le Conseil constitutionnel lui donne une portée nouvelle. Dès lors, une controverse est apparue sur cette interprétation, ses fondements, ses conséquences et les difficultés qu'elle soulève dans le cadre de procédures actuellement diligentées.

Il est clair que la seule majesté du Président de la République ne suffit plus à le protéger contre l'application du droit. L'impunité n'est plus possible, en particulier lorsqu'elle touche à des infractions qui, commises par n'importe quel citoyen, lui vaudrait un renvoi devant un tribunal correctionnel. Comme le note le professeur Dominique Turpin, il faut admettre « avec Benjamin Constant que, décidément : " Les ministres sont souvent dénoncés, accusés quelquefois, condamnés rarement, punis presque jamais", observation valable "a fortiori" pour le chef de l'Etat » (2).

Le vaste mouvement dans lequel notre pays s'est engagé est celui de la construction d'un Etat de droit. Or le c_ur de ce concept est celui du respect par l'Etat des règles de droit. Par sa vertu exemplaire, le chef de l'Etat ne peut déroger à ce précepte. Il est clair cependant que, citoyen particulier, il ne peut être un justiciable ordinaire. La voie est donc étroite pour le constituant. Il lui appartient de préserver des principes cardinaux - la séparation des pouvoirs, la continuité de l'Etat - tout en assurant le respect du fondement de notre République qu'est l'égalité devant la loi.

Dans le contexte actuel - celui d'une crise de confiance et de conscience - la controverse ouverte par le Conseil constitutionnel impose au pouvoir constituant d'intervenir. Alors que certains agitent la menace d'un gouvernement des juges, il convient que le souverain prenne la parole, par la voix du Parlement, puis du peuple consulté. La proposition de loi constitutionnelle, soumise aujourd'hui à l'Assemblée nationale, s'inscrit dans cette logique. Elle entend répondre à une aspiration inextinguible des Français à la justice, aspiration avec laquelle le statut d'un Président de la République maintenu, coûte que coûte, au-dessus des lois, est incompatible.

I. - LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE AU-DESSUS DES LOIS ?

L'irresponsabilité de la tête de l'exécutif s'est longtemps fondée sur une fiction juridique résumée par la célèbre formule « The King can not do wrong » - le roi ne peut mal faire - qui s'appliquait au monarque britannique. Quoi qu'il arrive, on ne pouvait le mettre en cause, ses ministres assumant progressivement la responsabilité de ses actes. Cette fiction a été, pour l'essentiel, étendue à tous les chefs d'Etat, qu'ils soient ou non monarques. En dépit de la rupture révolutionnaire et de l'exécution du roi le 21 janvier 1793, la France a intégré cette idée. Devenue une règle traditionnelle, elle a été, cependant, adaptée au fil du temps, pour aboutir à l'article 68 de la Constitution de 1958, dont le Conseil constitutionnel a donné, en 1999, une interprétation, que le doyen Vedel a qualifié de « discrètement constructive » (3).

A. L'IRRESPONSABILITÉ PRÉSIDENTIELLE...

1. De la responsabilité pénale à la responsabilité politique ?

On ne saurait aborder la question de l'irresponsabilité du chef de l'Etat sans s'attarder un instant sur la distinction entre les notions de responsabilité pénale et politique. La construction des démocraties occidentales a été, avant tout, celle du passage de la responsabilité pénale individuelle des gouvernants à la responsabilité politique et collective des gouvernements.

Cette évolution, visible en Angleterre, a concerné d'abord les ministres, le monarque restant à l'écart et continuant à bénéficier d'une irresponsabilité, doublée d'une immunité. Outre-Manche, la responsabilité des ministres a été mise en cause selon une procédure pénale jusqu'à la fin du XVIIIe siècle. Après une mise en accusation par la Chambre des communes, le ministre était jugé par la Chambre des lords. Peu à peu, cette procédure de nature pénale va prendre un caractère politique, fondant ainsi le régime parlementaire, aux termes duquel le Gouvernement est responsable devant le Parlement. Le passage de l'un à l'autre peut être fixé en 1782, lorsque le cabinet de Lord North, Premier ministre britannique, tombe après le vote d'une motion de défiance par la Chambre des communes. Ce vote semblant annoncer l'engagement d'une procédure d'impeachment, c'est-à-dire de mise en cause pénale contre les ministres, le Gouvernement préféra démissionner collectivement, ouvrant la voie à la pratique de la motion de censure.

La construction du régime parlementaire, fondée sur le passage à une responsabilité politique collective du Gouvernement devant le Parlement, va se réaliser également dans d'autres pays européens. En France, ni la Charte de 1814, ni celle de 1830 ne prévoient de mécanismes de mise en cause politique de la responsabilité du gouvernement. Seule la responsabilité pénale est envisagée. La pratique parlementaire va, peu à peu, introduire une telle forme de responsabilité politique avec le jeu des questions au Gouvernement et des interpellations. Il faudra, cependant, attendre les lois constitutionnelles de 1875, pour qu'apparaisse en France, de manière explicite, cette notion. Désormais, aux termes de l'article 6 de la loi constitutionnelle du 2 février 1875, « les ministres sont solidairement responsables devant les chambres de la politique générale du gouvernement ».

Si la lente et empirique construction du régime parlementaire passe par la responsabilité politique du Gouvernement, elle suppose aussi que le chef de l'Etat demeure irresponsable de ce point de vue. La logique démocratique s'imposant, le monarque ou le Président de la République demeure cantonné à un rôle d'arbitre, de nature essentiellement symbolique, le plus souvent. Le chef de l'Etat, sans légitimité démocratique directe dans les formes pures de régimes parlementaires, est irresponsable. Incarnant la continuité de l'Etat, il ne peut être mis en cause pour son action politique. Cette irresponsabilité va de pair avec la faiblesse réelle de ses pouvoirs. La technique du contreseing rend compte de cette réalité. Le chef de l'Etat ne peut prendre un acte sans que celui-ci soit revêtu de la signature d'un ministre qui engage, de ce fait, la responsabilité du Gouvernement, devant le Parlement et devant le peuple.

A cette irresponsabilité politique s'ajoute traditionnellement une immunité pénale. Cela est vrai pour les monarques, mais aussi pour les Présidents de la République. Seules certaines infractions peuvent être poursuivies. Elles ressortissent souvent à l'idée de haute trahison, dont le contenu est d'ailleurs moins pénal que politique. Il s'agirait d'un crime, non contre les personnes et les biens, mais contre les institutions et la Constitution. Au total, le passage de la responsabilité initialement pénale vers une mise en cause politique et démocratique des ministres, symbole de l'entrée dans la modernité politique, n'a pas touché de la même manière la tête de l'exécutif. Figure symbolique de l'unité nationale, celle-ci demeure largement marquée par un statut hérité des anciennes monarchies.

La Constitution de 1958 et le référendum de 1962, ouvrant la voie à l'élection du Président de la République au suffrage universel direct, ont placé le chef de l'Etat dans une situation qui ne correspond plus tout à fait au schéma classique du régime parlementaire. Car le Président de la République dispose de prérogatives importantes, qu'il exerce pleinement, appuyé sur une légitimité démocratique incontestable. Ce renforcement de l'institution présidentielle ne s'est nullement accompagné d'une plus grande responsabilité politique. De plus, il n'a pas conduit à une remise en cause de son statut pénal, particulièrement protecteur et hérité de l'histoire.

2. Existe-t-il une tradition fondant l'immunité pénale du Président de la République ?

Il serait faux de croire que le chef de l'Etat a toujours bénéficié en droit d'un régime d'irresponsabilité. Si l'assertion est largement vérifiée en matière politique, elle est moins nettement établie dans le domaine pénal. Sous la IIIe République, la question a été sujette à discussion, sans qu'une solution claire sorte de ces débats. Sous la République suivante, l'immunité du Président de la République et son privilège de juridiction a pu apparaître beaucoup moins large. Faute de jurisprudence, aucun Président de la République n'ayant été inquiété sur ce fondement, on ne peut mesurer qu'elle était la portée exacte des dispositions constitutionnelles de 1875 et 1946. En tout état de cause, elles apparaissent comme un fondement bien fragile à l'idée selon laquelle la Constitution de 1958 aurait institué un privilège de juridiction général en matière pénale pour le Président de la République, conformément à une tradition républicaine bien établie.

Lors de l'élaboration de la Constitution de 1791, la question de l'inviolabilité du roi a été débattue, alors qu'on jetait les bases d'une monarchie tempérée, en rupture avec l'absolutisme de l'Ancien régime. Dans un discours devant la Constituante, le 14 juillet 1791, le député Duport s'exprime de la sorte : « Si chacun peut l'accuser, dès lors le roi se trouve dans la dépendance de tous. Qu'est-ce qu'un pouvoir suprême qui dépend de chaque individu, qui dépend du tribunal qui le jugera ? » (4). De fait la constitution du 3 septembre 1791 dispose que « la personne du roi est inviolable et sacrée ». Il est prévu, en revanche, que lorsque le roi a abdiqué, il est « dans la classe des citoyens, et pourra être accusé et jugé comme eux pour les actes postérieurs à son abdication ». Ainsi le monarque bénéficie d'une immunité totale pendant son règne, cette protection s'étendant, à la fin de celui-ci, aux actes accomplis dans l'exercice de ses fonctions royales.

Parallèlement, la responsabilité des ministres peut, à l'inverse, être mise en cause dans certaines conditions énoncées par la Constitution. Ils sont responsables de tous les délits qu'ils peuvent commettre contre la sûreté nationale et la Constitution, ainsi que de tout attentat à la propriété et à la liberté individuelle et de toute dissipation des deniers destinés aux dépenses de leur département. En aucun cas, l'ordre du roi ne peut soustraire un ministre à sa responsabilité. Dans le même temps, les ministres ne peuvent être poursuivis en matière criminelle, pour fait de leur administration, sans un décret du corps législatif. Mais, en dépit du principe de séparation stricte des pouvoirs contenu dans la Constitution de 1791, l'Assemblée étendit ses prérogatives en la matière et chercha à s'arroger un pouvoir de mise en cause des ministres pour des raisons politiques. Ainsi, en 1792, le corps législatif décréta d'accusation le ministre Delessart, pour le seul motif que la politique qu'il conduisait ne satisfaisait pas la majorité de l'Assemblée. Le monarque resta à l'écart d'une telle dérive institutionnelle. Les événements le rattraperont quelques mois plus tard...

Les Constitutions qui suivirent celles de 1791 ont maintenu le principe d'une immunité pénale du chef de l'Etat, alors que la responsabilité des ministres était aménagée. Comme le rappelle le professeur Turpin, sur quatorze tentatives de traduire des ministres devant la Haute Cour de justice, trois aboutirent de 1815 à 1940 : en 1830, contre le prince de Polignac et les ministres de Charles X, signataires des ordonnances « scélérates » à l'origine de la Révolution de juillet, qui furent condamnés à la prison perpétuelle pour trahison par la chambre des Pairs, pour avoir aidé le pouvoir royal à usurper la puissance législative ; en 1847, contre le ministre Teste, pour un acte commis lorsqu'il était en charge des travaux publics ; en 1918, enfin, contre le ministre de l'intérieur Malvy, pour forfaiture en raison de son attitude jugée trop favorable à l'égard des pacifistes. De 1789 à nos jours, seuls deux chefs d'Etat, Louis XVI et Pétain, furent condamnés, dans des circonstances pour le moins particulières (5).

Seule la Constitution de 1848 a rompu avec le principe d'irresponsabilité politique du chef de l'Etat en prévoyant, dans son article 68, que « le Président de la République, les ministres, les agents et dépositaires de l'autorité publique, sont responsables, chacun en ce qui le concerne, de tous les actes du Gouvernement et de l'administration. Toute mesure par laquelle le Président de la République dissout l'Assemblée nationale, la proroge ou met obstacle à l'exercice de son mandat, est un crime de haute trahison. Par ce seul fait, le Président est déchu de ses fonctions ; les citoyens sont tenus de lui refuser obéissance ; le pouvoir exécutif passe de plein droit à l'Assemblée nationale. Les juges de la Haute Cour de justice se réunissent immédiatement à peine de forfaiture... ».

En matière pénale, la Constitution de 1848 prévoit, dans son article 100, que le Président de la République n'est justiciable que de la Haute Cour de justice. Il ne peut, à l'exception du cas prévu par l'article 68 - la haute trahison - être poursuivi que sur l'accusation portée par l'Assemblée nationale, et pour crimes et délits déterminés par la loi. Il apparaît clairement que le Président de la République ne bénéficie donc pas d'une immunité pénale, mais uniquement d'un privilège de juridiction.

Les lois constitutionnelles de 1875 ne renouent pas avec les dispositions de 1848, dont a pu mesurer l'inefficacité face au coup de force de Louis-Napoléon Bonaparte. Aux termes de l'article 6 de la loi constitutionnelle du 25 février 1875, « le Président de la République n'est responsable que dans le cas de haute trahison ». L'article 12 de la loi constitutionnelle du 16 juillet 1875 dispose, quant à lui, que « le Président de la République ne peut être mis en accusation que par la Chambre des députés, et ne peut être jugé que par le Sénat ».

La question de la responsabilité pénale du Président de la République fit l'objet de grands débats doctrinaux sous la IIIe République, comme le rappellent les professeurs Carcassonne et Chagnollaud (6). Bien que critique à l'égard du dispositif de 1875, Léon Duguit présente l'interprétation qui en est couramment faite. Le Président de la République est responsable des actes commis dans l'exercice de ses fonctions seulement en cas de haute trahison. En revanche, « la responsabilité du Président de la République pour infraction de droit commun reste intacte. Le Président de la République bénéficie seulement d'un privilège de juridiction. Même pour les infractions de droit commun, il ne peut être jugé que par le Sénat. Cependant dans un pays qui se pique de pratiquer l'égalité démocratique, un pareil privilège ne devrait point exister » (7). Le privilège de juridiction est applicable à tous les actes commis par le Président de la République, parce que la disposition qui le fonde est indépendante de celle relative à la haute trahison. Elles apparaissent, en effet, dans deux lois constitutionnelles différentes.

Maurice Hauriou propose une interprétation légèrement différente, en suggérant que le Président de la République n'est responsable pénalement que pour haute trahison, la Haute Cour de justice étant alors compétente. Le privilège de juridiction se double, selon lui, d'un immunité pénale presque totale (8). Barthélémy et Duez partagent ce point de vue, en critiquant la doctrine classique, telle qu'exposée par Duguit(9).

Le rappel de ces débats doctrinaux met en lumière des questions qui ne sont pas étrangères aux interrogations que se posent aujourd'hui les professeurs de droit et les commentateurs de la décision du Conseil constitutionnel du 22 janvier 1999.

De manière indirecte, les juridictions ont eu à se prononcer sur cette question lors de l'Affaire Dreyfus. L'immunité du Président de la République pour les actes accomplis dans l'exercice de ses fonctions a été interprétée comme interdisant toute audition du chef de l'Etat en qualité de témoin. Ainsi, lors du procès d'Emile Zola, à la suite de la publication de son « J'accuse », le défenseur de l'écrivain cita à comparaître l'ancien Président Casimir-Périer, en fonction jusqu'en 1895. Celui-ci se présenta, mais refusa de répondre aux questions de Maître Labori au sujet de la communication du dossier secret de Dreyfus devant le conseil de guerre de décembre 1894, qui condamna finalement l'innocent. Par arrêt du 8 février 1898, la Cour d'assises de la Seine approuva le refus de témoigner de l'ancien Président de la République (10).

La Constitution du 27 octobre 1946 met en place un dispositif proche de celui adopté en 1875, introduisant cependant une nuance importante. Comme en 1875, son article 42 prévoit que « le Président de la République n'est responsable que dans le cas de haute trahison » mais dispose ensuite qu' « il peut être mis en accusation par l'Assemblée nationale et renvoyé devant la Haute Cour de justice dans les conditions prévues à l'article 57 ci-dessous ». De la sorte, la possibilité de renvoyer le Président de la République devant des juridictions de droit commun, en cas de haute trahison, ne semble pas exclue formellement. La mise en accusation devant l'Assemblée nationale est une possibilité et non une obligation, comme la Constitution de 1875 le prévoyait. C'est notamment l'interprétation que donne le professeur Lafferière, en 1947, dans son manuel de droit constitutionnel (11). Le doyen Vedel écrit par ailleurs : « La compétence de la Haute Cour est exactement limitée aux infractions commises par les membres du pouvoir exécutif dans l'exercice de leurs fonctions. (...) Même pour le Président de la République et les ministres, la Haute cour ne peut être saisie qu'en raison des actes de la fonction » (12).

Le régime juridique de la responsabilité du Président de la République ne semble pas finalement si solidement établi avant 1958. Certes, en dehors de l'expérience sans lendemain de 1848, l'irresponsabilité politique est reconnue. Mais, pour ce qui concerne la mise en cause pénale du Président de la République, les Constitutions hésitent entre une immunité totale, en dehors du seul cas de haute trahison, une immunité partielle en faveur des actes commis dans l'exercice des fonctions, assortie d'un privilège de juridiction total ou limité aux seuls actes accomplis en tant que chef de l'Etat.

A l'issue de ce bref retour en arrière sur notre histoire institutionnelle, on constate donc que, si l'immunité pénale du Président de la République est ancienne, ses contours sont cependant fluctuants. On ne peut interpréter, en conséquence, les dispositions de la Constitution de 1958 en se tournant vers une tradition institutionnelle, finalement mal établie. L'interprétation des dispositions de 1958 doit donc procéder d'un examen marqué par une grande fidélité au texte de la Constitution, sans laisser place à une quelconque démarche prétorienne. Il n'est pas évident que le Conseil constitutionnel ait absolument respecté cette prescription de prudence.

3. Quelle interprétation donner à l'article 68 de la Constitution du 4 octobre 1958 ?

L'article 67 de la Constitution du 4 octobre 1958 institue une Haute Cour de justice. Il prévoit également que :

« Elle est composée de membres élus, en leur sein et en nombre égal, par l'Assemblée nationale et par le Sénat après chaque renouvellement général ou partiel de ces assemblées. Elle élit son Président parmi ses membres.

Une loi organique fixe la composition de la Haute Cour, les règles de son fonctionnement ainsi que la procédure applicable devant elle. »

C'est l'ordonnance n° 59-1 du 2 janvier 1959 portant loi organique sur la Haute Cour de justice qui a arrêté les conditions de fonctionnement de cette juridiction. On y reviendra lors de la présentation de la révision constitutionnelle de 1993, créant une Cour de Justice de la République.

L'article 68 de la Constitution arrête les conditions dans lesquelles la responsabilité pénale du Président de la République peut être mise en cause :

« Le Président de la République n'est responsable des actes accomplis dans l'exercice de ses fonctions qu'en cas de haute trahison. Il ne peut être mis en accusation que par les deux assemblées statuant par un vote identique au scrutin public et à la majorité absolue des membres les composant ; il est jugé par la Haute Cour de Justice. »

Par rapport au texte de 1946, celui de 1958 semble, à première vue, plus clair. Il établit tout d'abord un principe d'immunité partielle par une affirmation nette : le Président de la République n'est responsable des actes accomplis dans l'exercice de ses fonctions qu'en cas de haute trahison. Il n'est donc pas responsable de tous les autres actes accomplis en qualité de Président de la République. Puis est décrite la procédure qui s'engage alors. La mise en accusation relève de la compétence exclusive des deux assemblées, qui statuent par un vote identique au scrutin public et à la majorité absolue de leurs membres. Il appartient alors à la Haute Cour de justice de juger le chef de l'Etat pour haute trahison.

A contrario, puisque la Constitution ne contient aucune disposition permettant explicitement au Président de la République d'échapper à des poursuites pénales pour des actes commis en dehors de l'exercice de ses fonctions, on doit conclure que, le principe d'égalité devant la loi ayant une valeur constitutionnelle, le chef de l'Etat est, comme tout citoyen, passible des tribunaux de droit commun, lorsqu'il commet des actes réprimés par le droit.

Etroitement associé à la rédaction de l'article 68, le président Jean Foyer a livré une telle interprétation de cette disposition : « Il est admis unanimement de nos jours que le Président de la République répond pénalement des actes détachables de sa fonction. Pour le jugement de telles infractions, il ne bénéficie d'aucun privilège de juridiction » (13)

Si les travaux préparatoires de la Constitution de 1958 sont peu nourris sur l'article 68, on peut cependant y trouver quelques éléments d'informations qui viennent à l'appui de l'interprétation livrée par le président Foyer. On constate ainsi que, dans l'avant-projet présenté par Michel Debré à la mi-juin 1958, le titre A consacré au Président de la République contient un article 8 ainsi rédigé :

« Le Président de la République n'est responsable que dans le cas de haute trahison.

Dans ce cas, il est mis en accusation par ......... et renvoyé devant la Haute Cour de justice ». (14)

Ce texte permet de tirer deux conclusions. D'une part, il tendait, sans doute, à instituer une immunité pénale et politique du Président de la République, seule la haute trahison pouvant être poursuivie. En effet, la référence à la notion « d'actes accomplis dans l'exercice de ses fonctions » n'apparaît pas, contrairement à la rédaction finale de l'article 68. En revanche, le lien entre la haute trahison et la Haute Cour de justice est clairement établi, les termes « dans ce cas » qui débutent le second alinéa de cet article établissant le lien entre les deux alinéas. Ce texte avait le mérite d'être plus précis que la proposition faite par MM. Louis Bertrand et Jérôme Solal-Céligny, le 18 juin 1958 :

« Art. 15 - Le Président de la République n'est responsable que dans le cas de haute trahison.

Il peut être mis en accusation par ......... et renvoyé devant la Haute Cour de justice.

L'organisation de la Haute Cour de justice et la procédure applicable devant elle sont fixées par une loi organique ». (15)

On ignore si la compétence de la Haute Cour de justice est ici obligatoire ou seulement optionnelle, puisqu'il est fait état d'une simple possibilité de mise en accusation et de renvoi devant la Haute Cour de justice.

L'avant-projet du 10 juillet 1958 reprend la rédaction précédente mais en ne formant plus qu'un seul alinéa.

« Le Président de la République n'est responsable qu'en cas de haute trahison. Il peut être mis en accusation par l'Assemblée nationale statuant au scrutin secret et à la majorité absolue de ses membres la composant et envoyé devant la Haute Cour de justice. » (16)

Le fait de réécrire ce dispositif dans un seul alinéa permet de faire l'économie des termes « dans ce cas », utilisé dans la version de mi-juin. On verra que ce détail présente toute son importance. L'incertitude demeure ici sur la compétence exclusive de la Haute Cour de justice en cas de haute trahison. En revanche, la possibilité de poursuivre le Président de la République, en dehors de la haute trahison, semble exclue.

La rédaction que nous connaissons aujourd'hui est, en fait, adoptée lors du conseil de cabinet des 23 et 25 juillet 1958, en présence du Général de Gaulle. Les notes manuscrites de M. Michel Debré ne donnent pas d'indication sur les raisons qui ont conduit à cette modification substantielle d'un texte qui semblait stabilisé (17). La différence de rédaction est patente. Il est, en effet, précisé que ne sont visés que les actes accomplis par le Président de la République dans l'exercice de ses fonctions. En outre, la mise en accusation devient une compétence exclusive des deux assemblées. Il en est de même pour le jugement qui échoit obligatoirement à la Haute Cour de justice.

La définition de la haute trahison, telle qu'elle peut apparaître dans les travaux préparatoires de la Constitution de 1958 est assez éclairante. Elle montre que le Président de la République est visé, non pas en tant qu'individu commettant des actes ordinaires, mais bien en qualité de chef de l'Etat. De là, il semble ressortir que l'article 68 de la Constitution ne concerne pas les actes commis par le Président de la République, en dehors de ses fonctions, avant ou pendant son mandat, qui devraient donc relever des juridictions pénales de droit commun.

En effet, les débats qui se sont tenus au Conseil d'Etat, dans le cadre de la commission constitutionnelle, les 25 et 26 août 1958, mettent en lumière que la notion de haute trahison renvoie à l'accomplissement du mandat de président et non aux actes que le chef de l'Etat peut accomplir en tant que simple particulier. Le fait que les membres du Conseil d'Etat lient la question de la haute trahison à l'extension du champ pour lequel le contreseing ministériel n'est plus exigé montre que la haute trahison a un contenu, en fait, de nature plus politique que pénal (18). Le Président de la République pouvant prendre désormais des décisions sans contreseing, aux termes de l'article 19 de la Constitution, décisions pour lesquels les ministres n'endossent aucune responsabilité, les membres du Conseil d'Etat estiment que le chef de l'Etat doit alors répondre de ses actes, lorsque ceux-ci portent atteinte aux institutions et relèvent ainsi de la haute trahison. La position émise par le Vice-président du Conseil d'Etat, René Cassin, lors de l'examen de l'avant-projet par l'assemblée générale de cette institution, confirme cette interprétation. Il indique ainsi que, pour le Président de la République, à la différence des ministres, l'article 68 porte sur « la violation des fonctions et pas du tout d'infraction pénale » (19).

Deux autres indices permettent de compléter cette démonstration. Tout d'abord le titre IX qui, en 1958, accueillait l'article 68 de la Constitution, s'intitulait : « De la Haute Cour de justice », et non : « De la responsabilité pénale du Président de la République et des membres du Gouvernement ». Or, à l'occasion de la révision constitutionnelle de 1993, relative à la Cour de justice de la République, on a pris soin de libeller ainsi le titre qui lui est consacré : « De la responsabilité pénale des membres du Gouvernement », et non : « De la Cour de Justice de la République ». On peut en déduire qu'en 1958, on a souhaité distinguer le cas du Président de la République de celui des membres du Gouvernement, cette distinction étant reprise en 1993.

En effet, en 1958, l'article 68 de la Constitution traitait, dans son premier alinéa, du chef de l'Etat et, dans son second alinéa, des membres du Gouvernement, pénalement responsables des actes accomplis dans l'exercice de leurs fonctions et qualifiés crimes ou délits au moment où ils ont été commis. Il est patent que le premier alinéa de l'article 68 n'évoquait à aucun moment la responsabilité pénale du Président de la République (le terme « pénal » n'apparaît pas), non pas parce qu'il l'excluait et fondait ainsi une immunité du Président de la République en la matière, ce qui aurait d'ailleurs nécessité une mention expresse, comme l'exige le principe d'égalité devant la loi, mais parce que, précisément, cet alinéa ne concernait aucunement cette responsabilité pénale. La haute trahison est un crime d'essence politique et non pénale. Elle est une atteinte aux institutions, un détournement de ses fonctions commis par le Président de la République.

Le second alinéa de l'article 68, dans sa version initiale, rend les ministres responsables pénalement pour les actes commis dans l'exercice de leurs fonctions. Ils bénéficient, à ce titre, d'une procédure spéciale et d'un privilège de juridiction. Les tribunaux de droit commun sont, en revanche, compétents pour connaître des infractions qu'ils peuvent commettre en dehors de leurs fonctions.

A l'inverse, le Président de la République n'est responsable d'aucun des actes accomplis dans le cadre de ses fonctions, quelle que soit la nature de cette responsabilité - pénale, civile ou politique - hormis le cas de la haute trahison. Dans cette dernière hypothèse, il bénéficie d'un privilège de juridiction. Seule la Haute Cour de justice est compétente, après une mise en accusation votée par les assemblées. En dehors de ces fonctions il est un citoyen comme un autre. Il peut être déféré devant les juridictions de droit commun.

La doctrine semble avoir massivement retenu cette lecture scrupuleuse de l'article 68 de la Constitution. Dans l'édition de 1997 de son Précis de droit constitutionnel de la Ve République, le professeur Lavroff n'écrit-il pas : « Cette irresponsabilité de principe ne signifie pas que le Président de la République soit placé au-dessus des lois et qu'il bénéficie d'un privilège qui le mettrait en dehors de la soumission à la législation. En effet, pour les actes du Président de la République qui sont accomplis en dehors de l'exercice de ses fonctions, ils engagent sa responsabilité civile ou pénale, devant les juridictions de droit commun qui se reconnaissent d'ailleurs comme étant compétentes » (20). L'analyse proposée par le professeur Fabre n'est guère différente : « Pour les crimes et délits qu'il a accomplis en dehors de l'exercice de ses fonctions, le Président de la République relève, comme tout citoyen français, des tribunaux de droit commun » (21).

Ce régime juridique n'est pas très différent de celui qui existe dans la plupart des démocraties occidentales. Même si des nuances apparaissent, il semble possible de dégager, pour l'essentiel, des principes assez proches.

4. Quelles leçons tirer des pratiques étrangères ?

Toute démarche comparative présente un intérêt évident mais trouve également ses limites. Si elle permet, le cas échéant, de mettre en évidence, des évolutions convergentes, elle ne revêt pas toujours une pertinence absolue. La question de la responsabilité pénale du Président de la République n'échappe pas à ce relativisme. Peut-on, en effet, comparer les régimes parlementaires dans lesquels le chef de l'Etat est un monarque sans réel pouvoir, comme c'est le cas au Royaume-Uni ou aux Pays-Bas, à ceux dans lesquels le Président de la République exerce des prérogatives réelles, comme en France ou au Portugal ? La même question se pose pour tout rapprochement opéré entre un régime présidentiel et parlementaire. Sous ces réserves, un regard porté sur les expériences étrangères peut être de nature à éclairer les travaux de l'Assemblée nationale.

·  La procédure américaine de l'impeachment est connue, notamment depuis les développements récents liés à l'"affaire Lewinski". Le Président des Etats-Unis, comme son vice-président et les principaux responsables de l'administration, peuvent être mis en accusation par la majorité des membres de la Chambre des représentants en cas de trahison, de concussion ou autres crimes ou délits graves. Le Sénat juge ensuite le Président et le condamne, en cas de culpabilité, par un vote de la majorité des deux tiers de ses membres. La responsabilité ainsi mise en cause revêt un caractère ambigu. On peut la qualifier de politico-judiciaire, selon les termes du professeur Gicquel (22). Cette procédure n'a jamais abouti. Le président Nixon a ainsi démissionné de ses fonctions, avant que le Sénat ne le condamne, probablement, à la suite de l'affaire du Watergate, en 1974.

La tentation a pu être grande, à la fin du XIXe siècle, pour le Congrès de recourir à cette procédure afin d'introduire un mécanisme de responsabilité politique du Président devant les chambres, à la manière de ce qui s'était produit en Grande-Bretagne un siècle plus tôt. Mais la tentative de 1868, destinée à abattre le successeur de Lincoln, Andrew Johnson, échoua à une voix près devant le Sénat. L'affaire Lewinski a pu apparaître comme une nouvelle tentative de renverser le Président des Etats-Unis, pour des motifs autant politiques que pénaux. Mais la faiblesse des accusations et leur caractère dérisoire ont finalement eu raison de l'action menée par le procureur indépendant Kenneth Starr, soutenu par la frange la plus conservatrice des Républicains.

Ce dérapage est souvent utilisé par les tenants d'une immunité pénale du Président de la République. Ils entendent le préserver d'actions intempestives destinées, non à faire respecter le droit, mais à déstabiliser une institution. Il ne semble pas qu'une telle crainte soit fondée. La procédure engagée aux Etats-Unis en 1998 relevait d'un procureur indépendant, doté de pouvoirs exorbitants qui ont, d'ailleurs, été sévèrement critiqués par les observateurs américains, sa neutralité étant mise en cause. Or, il n'existe pas, en France, de magistrats disposant de pouvoirs équivalents et la procédure pénale semble offrir des garanties suffisantes pour éviter des dérives telles que celles observées outre-Atlantique. Il est, d'ailleurs, significatif que le Congrès, pourtant défavorable au Président Clinton, n'ait pas reconduit, en juin 1999, la loi de 1978 instituant le procureur indépendant. L'échec final des enquêtes diligentées contre le Président des Etats-Unis, qui avaient coûté plus de 40 millions de dollars aux contribuables américains, a évidemment constitué l'élément déterminant de cette décision du Congrès.

Quoi qu'il en soit, en dehors des actes commis dans l'exercice de ses fonctions, le Président des Etats-Unis peut être poursuivi devant les juridictions de droit commun. La Cour suprême en a décidé ainsi, dans le cadre d'une autre affaire mettant en cause le Président Clinton, dans une procédure pour harcèlement sexuel. En mai 1991, la plus haute juridiction du pays a décidé, à l'unanimité, que le Président des Etats-Unis devait répondre des actes commis dans un cadre purement privé, sans attendre la fin du mandat présidentiel. Les juges ont, cependant, précisé que le Président pouvait être entendu à la Maison Blanche et non dans le cadre d'un tribunal.

Dans les républiques parlementaires européennes, la responsabilité du chef de l'Etat ne peut être engagée, pour les actes qu'il accomplit dans le cadre de ses fonctions, que dans les cas d'atteinte aux institutions et à la norme suprême. Pour les actes commis en tant que simple particulier, dans la plupart des cas, une procédure peut être engagée devant les tribunaux de droit commun, moyennant cependant un filtrage, souvent exercé par une des assemblées.

·  En Allemagne, le Président de la République fédérale connaît un régime d'immunité relative, organisé par la Loi fondamentale du 23 mai 1949. Une distinction est opérée entre les actes qu'il commettrait dans l'accomplissement de ses fonctions et les infractions susceptibles d'être commises dans le cadre de sa vie privée, y compris pendant son mandat.

Pour les actes commis dans l'exercice de ses fonctions, en application de l'article 6 de la Loi fondamentale, le Président fédéral ne peut être mis en accusation que devant la Cour constitutionnelle et en cas de violation délibérée de la Constitution ou d'une loi fédérale. Faute de précédent, la doctrine s'est livrée à une interprétation de ce dispositif, estimant majoritairement que la commission d'infractions pénales de droit commun permettrait d'engager cette procédure, puisque le code pénal allemand émane d'une loi fédérale. On doit noter que le droit constitutionnel prévoit un principe de proportionnalité qui tendrait à exclure, selon la doctrine, les poursuites pénales pour des faits mineurs, le terme fort significatif employé en allemand étant celui de Bagatellesachen.

L'article 61, alinéa 2, de la Loi fondamentale fixe les conditions de mise en accusation du Président. La demande doit être présentée par un quart au moins des membres du Bundestag ou un quart des voix du Bundesrat. La décision de mise en accusation ne peut ensuite être votée qu'à la majorité des deux tiers des membres de l'une des deux chambres. La Cour constitutionnelle fédérale est alors saisie. Si elle constate un manquement qui le justifie, elle proclame la déchéance du Président. Elle peut également prévoir son empêchement pendant la durée de la procédure.

Pour ce qui concerne les infractions commises en dehors de l'exercice de ses fonctions pendant son mandat, le Président bénéficie d'une protection assimilable à celle des membres du Bundestag. L'article 60, alinéa 4, de la Loi fondamentale renvoie aux dispositions relatives aux parlementaires, qui prévoient que le Président ne peut être mis en cause et arrêté qu'après accord du Bundestag, à moins qu'il n'ait été pris en flagrant délit ou arrêté le lendemain du jour de la commission de l'infraction. L'agrément de la chambre est également nécessaire pour toute mesure restrictive à la liberté personnelle du Président fédéral, le Bundestag pouvant, d'ailleurs, demander à tout moment que la procédure pénale suspendue soit engagée ou la mesure restrictive de liberté prononcée.

Dans ce cadre, le Président de la République fédérale d'Allemagne ne bénéficie pas d'un privilège de juridiction. La Constitution de 1949 organise simplement une forme de filtrage de nature politique pour éviter les actions intempestives. La culture politique allemande étant marquée par un grand attachement au respect du droit, on peut penser que ce mécanisme ne jouerait que de manière minimale, sans entraver le cours de la justice.

·  En Autriche, il existe deux régimes distincts de poursuites engagées contre le Président fédéral : le premier relatif aux procédures de droit commun ; le second aux violations de la Constitution, qui peuvent être comparées à la haute trahison.

Dans le premier cas, l'article 63 de la Constitution du 1er octobre 1920 prévoit que le Président fédéral ne peut faire l'objet de poursuites par les autorités publiques qu'avec le consentement de l'Assemblée fédérale, qui regroupe les deux chambres du Parlement. La demande de poursuite est soumise par l'autorité compétente au Conseil national - la chambre basse - qui décide si l'Assemblée fédérale doit en être saisie. Il existe donc un double mécanisme de filtre, exercé par la chambre basse, puis par les deux assemblées réunies.

L'article 68 de la Constitution dispose, par ailleurs, que le Président fédéral est responsable des actes commis dans l'exercice de ses fonctions devant l'Assemblée fédérale, conformément à l'article 142 de la Loi fondamentale. Sur décision du Conseil national et du Conseil fédéral, le chancelier convoque l'Assemblée fédérale pour la mise en jeu de la responsabilité du Président. La décision de mise en accusation requiert la présence de plus de la moitié des membres de chacune des chambres et une majorité des deux tiers des voix exprimées. Il appartient alors à la Cour constitutionnelle de juger le Président, comme tous les organes fédéraux et fédérés qui violeraient la Constitution.

·  En Grèce, l'article 49 de la Constitution du 9 juin 1975 fixe les conditions de mise en cause de la responsabilité du Président de la République. Le chef de l'Etat n'est responsable des actes accomplis dans l'exercice de ses fonctions qu'en cas de haute trahison ou de violation délibérée de la Constitution. Pour ce qui est des actes sans rapport avec l'exercice de ses fonctions, la poursuite pénale est suspendue jusqu'à l'expiration du mandat présidentiel.

La proposition de mise en accusation et de traduction en justice du Président de la République doit être signée par un tiers au moins de ses membres pour être soumise à la Chambre des députés. Elle ne peut être adoptée que par une résolution prise à la majorité des deux tiers du nombre total des députés. Dans ce cas, le Président de la République est traduit devant la Cour spécialement constituée à cet effet, dans les conditions prévues à l'article 86 de la Constitution. Dès son renvoi devant la Cour, le chef de l'Etat doit interrompre l'exercice de ses fonctions.

La Cour spéciale constituée pour juger le Président de la République est composée de douze magistrats, tirés au sort par le président de la Chambre des députés sur la liste de tous les membres de la Cour de cassation et de tous les présidents des cours d'appel. Cette Cour est présidée par le président de la Cour de cassation. Elle est également compétente pour connaître des affaires impliquant les membres du gouvernement.

·  Au Portugal le système existant est assez proche de celui applicable dans la République hellénique. L'article 133 de la Constitution du 2 avril 1976 dispose que le Président de la République est responsable des crimes qu'il commettrait dans l'exercice de ses fonctions devant le Tribunal suprême de justice. L'initiative de la procédure appartient à l'Assemblée de la République sur proposition d'un cinquième des députés et par délibération approuvée à la majorité des deux tiers. La condamnation entraîne la destitution et l'impossibilité d'être réélu.

Le Président de la République répond des crimes qu'il commettrait en dehors de l'exercice de ses fonctions devant les tribunaux ordinaires à l'expiration de son mandat, la question des actes commis avant son élection n'étant cependant pas traitée dans la Constitution.

·  En Irlande, l'article 13, alinéa 8, de la Constitution du 1er juillet 1937 prévoit que le Président de la République n'est « responsable devant aucune des chambres du Parlement, ni d'aucune cour, de l'exercice et de l'accomplissement des pouvoirs et fonctions de sa charge ou des actes faits ou envisagés par lui dans l'exercice et l'accomplissement desdits pouvoirs et fonctions ». Néanmoins, cet article dispose que « le comportement du Président peut être soumis à la critique d'une des chambres dans les conditions fixées à l'article 12 de la Constitution. »

Aux termes de l'article 12, le Président peut être mis en accusation sous l'inculpation de « mauvaise conduite spécifiée », que l'on peut, semble-t-il, assimiler à une atteinte aux institutions. La mise en accusation peut résulter de l'initiative d'au moins trente membres de l'une des deux chambres et doit être votée à la majorité des deux tiers. Les fonctions du Président peuvent être suspendues pendant la durée de la procédure. La Constitution ne règle pas clairement la question de la juridiction compétente pour juger des actes ayant justifié une mise en accusation par l'une des deux chambres. Il apparaît que l'article 13, alinéa 8, laisse au Parlement le soin de désigner la cour compétente.

·  En Italie, le régime de la responsabilité du Président de la République dans le cadre de ses fonctions est assez proche de celui qui existe en France. L'article 90 de la Constitution du 22 décembre 1947 prévoit que le chef de l'Etat n'est responsable des actes accomplis dans l'exercice de ses fonctions qu'en cas de haute trahison ou d'attentat à la Constitution. Il doit être mis en accusation par le Parlement, siégeant en session commune, par un vote acquis à la majorité absolue de ses membres. La loi du 5 juin 1989 fixe les règles de procédure qui sont alors applicables. Les rapports et les dénonciations relatives aux faits imputés au Président de la République sont transmis au Président de la Chambre des députés, qui saisit une commission composée de parlementaires. Cette commission, présidée par le Président de la Chambre ou du Sénat, présente ensuite ses conclusions au Parlement. Il appartient à la Cour constitutionnelle, compétente en application de l'article 134 de la Constitution, de juger le Président de la République, en se prononçant sur sa culpabilité et en déterminant la peine qui doit lui être infligée.

La question de la responsabilité du Président de la République pour les actes commis en dehors de ses fonctions n'est pas réglée par la Constitution de 1947. Il semble, cependant, que de tels actes pourraient relever des juridictions ordinaires. La Cour d'appel de Rome a, en effet, infirmé deux jugements d'un tribunal condamnant le Président de la République, M. Cossiga, à verser des dommages et intérêts pour des propos injurieux tenus contre des parlementaires. Contrairement au tribunal, la cour d'appel a estimé que ces déclarations, tenues lors de conférences de presse, n'étaient pas détachables des fonctions de chef de l'Etat. A contrario, cette décision semblerait indiquer que les juridictions ordinaires seraient compétentes pour juger des actes manifestement détachables des fonctions de Président de la République.

Dans les monarchies parlementaires, les chefs d'Etat bénéficient d'une immunité quasi-totale, résultant d'une tradition ancienne. La responsabilité de tous les actes du roi est assumée par les ministres.

·  Comme le Royaume-Uni, qui ne dispose pas de Constitution écrite, l'Espagne présente un exemple classique de monarchie parlementaire, dans laquelle le statut du chef de l'Etat est tout particulier. Conformément à la logique monarchique, qui reconnaît au roi une forme de sacralité, les actes du chef de l'Etat ne peuvent engager sa responsabilité, qu'ils soient ou non commis dans le cadre de ses fonctions. Aux termes de l'article 56, alinéa 1, de la Constitution espagnole du 27 décembre 1978, « le roi est le chef de l'Etat, symbole de son unité et de sa permanence ». En conséquence, l'alinéa 3 du même article dispose que « la personne du roi est inviolable et n'est pas soumise à responsabilité. Ses actes seront toujours soumis à contreseing étant dépourvus de valeur sans celui-ci ». L'article 64, alinéa 2, ajoute que les personnes apposant ce contreseing sur les actes du roi en seront responsables.

Comme en France, l'Espagne s'est interrogée sur la nécessité de réviser sa constitution pour ratifier le traité instituant la Cour pénale internationale. Saisi de la question, le Conseil d'Etat espagnol a estimé que cela n'était pas nécessaire dans la mesure où le roi n'est responsable d'aucun acte, seules les autorités qui les contresignent pouvant être poursuivies devant une juridiction.

L'irresponsabilité s'étend aux actes commis par le monarque en dehors de l'exercice de ses fonctions. Seule peut être engagée, le cas échéant, la responsabilité civile de la maison du roi, en cas d'accident de la circulation, par exemple.

·  Le régime applicable en Belgique se rapproche de celui-ci applicable en Espagne. L'article 88 de la Constitution du 17 février 1994 prévoit que « la personne du roi est inviolable ; ses ministres sont responsables », alors que l'article 106 dispose que « aucun acte du roi ne peut avoir d'effet, s'il n'est contresigné par un ministre, qui, par cela seul, s'en rend responsable ».

·  La situation au Luxembourg diffère peu, puisque le Grand-Duc n'est pas responsable de ses actes, les ministres assumant cette responsabilité, aux termes des articles 78 et 80 de la Constitution du 17 octobre 1868. L'article 4 dispose clairement que « la personne du Grand-Duc est inviolable ». On retrouve les mêmes dispositions dans la Constitution des Pays-Bas du 17 février 1983 (article 42-2).

Il ressort de l'analyse des exemples étrangers, que, en dehors des monarchies parlementaires, si les chefs de l'Etat bénéficient d'une protection pour les actes commis dans l'exercice de leurs fonctions, des poursuites sont cependant possibles pour les atteintes les plus graves portées aux institutions et aux lois fondamentales de l'Etat. Dans cette hypothèse, le Président de la République est soumis à une procédure spécifique, tant pour la mise en accusation que pour le jugement. La juridiction compétente est alors, le plus souvent, composée de magistrats, soit réunis au sein de la Cour suprême, soit au sein d'une formation spéciale. L'existence d'une juridiction politique spécifique constitue une exception.

Pour les actes commis en dehors de ses fonctions, le régime de la responsabilité des chefs de l'Etat varie. Sauf pour les rois, l'impunité totale n'existe pas. Elle peut être simplement temporaire comme en Grèce et au Portugal. Les actions devant les juridictions de droit commun sont généralement filtrées, par exemple par une assemblée, comme en Allemagne et en Autriche.

L'irresponsabilité du Président de la République est donc toujours relative. Dans la plupart des cas, elle est, en outre, la contrepartie de la faiblesse des pouvoirs exercés par les chefs d'Etat. Or le Président de la République française est, sans doute, celui qui dispose des prérogatives les plus étendues. Il y aurait donc un paradoxe évident à ce qu'il puisse bénéficier d'une irresponsabilité, de droit ou de fait, conséquence directe de procédures finalement trop complexes à mettre en _uvre. Ce raisonnement ne s'applique pas seulement à sa mise en cause politique mais également à sa responsabilité pénale, qui semble devoir s'imposer, selon certaines limites. Les pouvoirs que le Président de la République détient lui imposent la plus haute tenue morale, civique et juridique. Or il n'est pas certain que la procédure prévue par l'article 68 de la Constitution, tel qu'il a été interprété par le Conseil constitutionnel, permette de donner aux citoyens toute garantie à cet égard et contribue, par là-même, à asseoir l'autorité du chef de l'Etat.

B. ... RENFORCEE PAR LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL

1. La lecture « discrètement constructive » de l'article 68 de la Constitution

La décision du Conseil constitutionnel, en date du 22 janvier 1999, a été rendue à la suite d'une saisine conjointe du Président de la République et du Premier ministre, aux fins de savoir si la ratification du traité portant statut de la Cour pénale internationale, signé à Rome le 18 juillet 1998, devait être précédée d'une révision de la Constitution.

La question était justifiée par le fait que ce traité reconnaît la compétence de la Cour pénale internationale pour juger les responsables des crimes de génocide, de crime de guerre, de crimes contre l'humanité et de crimes d'agression. Ces responsables peuvent être de simples exécutants, mais aussi des dirigeants politiques, dont le rôle est souvent capital dans ce type d'agissements.

Il convenait donc de déterminer si l'immunité juridique, totale ou partielle, dont bénéficient le Président de la République et les membres du Gouvernement en France était compatible avec la faculté ouverte à la Cour pénale internationale de les poursuivre, dans l'hypothèse où ils se rendraient coupables d'actes entrant dans le champ de sa compétence.

Le Conseil constitutionnel a jugé que :

« Aux termes du 1 de l'article 27 du statut [de la Cour pénale internationale] : "Le présent statut s'applique à tous de manière égale, sans aucune distinction fondée sur la qualité officielle. En particulier, la qualité officielle de chef d'Etat ou de gouvernement, de membre d'un gouvernement ou d'un parlement n'exonère en aucun cas de la responsabilité pénale au regard du présent statut, pas plus qu'elle ne constitue en tant que telle un motif de réduction de la peine" ; qu'il est ajouté, au 2 de l'article 27, que "les immunités ou règles de procédure spéciales qui peuvent s'attacher à la qualité officielle d'une personne, en vertu du droit interne ou du droit international, n'empêchent pas la Cour d'exercer sa compétence à l'égard de cette personne" ;

Considérant qu'il résulte de l'article 68 de la Constitution que le Président de la République, pour les actes accomplis dans l'exercice de ses fonctions et hors le cas de haute trahison, bénéficie d'une immunité ; qu'au surplus, pendant la durée de ses fonctions, sa responsabilité pénale ne peut être mise en cause que devant la Haute Cour de Justice, selon les modalités fixées par le même article ; qu'en vertu de l'article 68-1 de la Constitution, les membres du Gouvernement ne peuvent être jugés pour les crimes et délits commis dans l'exercice de leurs fonctions que par la Cour de justice de la République ; qu'enfin, les membres du Parlement, en vertu du premier alinéa de l'article 26 de la Constitution, bénéficient d'une immunité à raison des opinions ou votes émis dans l'exercice de leurs fonctions, et, en application du deuxième alinéa du même article, ne peuvent faire l'objet, en matière criminelle ou correctionnelle, hors les cas de flagrance ou de condamnation définitive, d'une arrestation ou de toute autre mesure privative ou restrictive de liberté qu'avec l'autorisation du bureau de l'assemblée dont ils font partie ;

Considérant qu'il suit de là que l'article 27 du statut est contraire aux régimes particuliers de responsabilité institués par les articles 26, 68 et 68-1 de la Constitution ».

S'appuyant également sur d'autres motifs, la décision du Conseil constitutionnel concluait à la nécessité de réviser la Constitution de 1958. Cela fut fait par la loi constitutionnelle du 8 juillet 1999, qui a introduit un article 53-2 ainsi rédigé : « La République peut reconnaître la juridiction de la Cour pénale internationale dans les conditions prévues par le traité signé le 18 juillet 1998 ». En application du principe selon lequel la loi spéciale prévaut sur la loi générale, les règles du traité de 1998 devront donc s'imposer aux autres dispositions constitutionnelles, avec lesquelles elles entrent en conflit.

Les réactions suscitées par cette décision tiennent moins à ses conclusions qu'à une phrase, apparaissant au détour d'un raisonnement. La surprise est, en effet, venue de l'incidente soulignée dans le considérant relatif à l'immunité dont bénéficie le Président de la République.

Le Conseil constate que le chef de l'Etat dispose d'un régime spécial, aux termes de l'article 68 de la Constitution, puisque, dans l'exercice de ses fonctions, il ne peut être poursuivi que dans le cas de haute trahison. Mais, alors même que le Conseil constitutionnel n'évoque nullement le principe du privilège de juridiction énoncé à l'article 68 en cas de haute trahison - ce qui est surprenant dans le cadre de l'examen de la compatibilité du traité de 1998 avec la Constitution - il prend soin d'indiquer, qu'au surplus la responsabilité pénale du Président de la République ne peut être engagée pendant la durée de ses fonctions que devant la Haute Cour de justice.

Cette précision ne semblait pas s'imposer dans le cadre de la saisine du Conseil constitutionnel, puisque, à l'évidence, ce sont plutôt les actes commis par le Président de la République dans l'exercice de ses fonctions qui pourraient relever de la juridiction de la Cour pénale internationale. Il s'agit donc, en quelque sorte, d'une incidente ultra petita qui n'apparaissait pas nécessaire à la démonstration et semble plaquée de manière bien artificielle.

La décision a d'autant plus étonné qu'elle était en totale contradiction avec l'essentiel des positions doctrinales émises sur ce sujet (23). Le constat de Me Eric Dezeuze est sans appel : « Ainsi, considérée comme une "hypothèse d'école", la responsabilité pénale du chef de l'Etat ne suscitait guère les passions des constitutionnalistes, résignés sur ce point à "étudier (...) à froid des institutions qui ne semblent pas devoir être utilisées fréquemment". Cette mer morte vient cependant d'être démontée par une tempête que n'avaient pas permis d'annoncer des souffles récents » (24).

Quoi qu'il en soit, la décision du Conseil constitutionnel a engendré un débat doctrinal d'une rare intensité, sous la lumière crue des médias. Deux interrogations sont apparues : l'une sur la portée de la décision ; l'autre sur l'autorité de cette décision à l'égard des juridictions pénales.

2. La doctrine divisée sur la portée de la décision

Le débat s'est d'abord focalisé sur le contenu de la décision du 22 janvier 1999 : introduit-elle une immunité pénale du Président de la République ou n'a-t-elle d'autre d'effet que de lui reconnaître un privilège de juridiction pendant son mandat ?

La question a été tranchée par la doctrine avec netteté en faveur du second terme de l'alternative. Le professeur Luchaire, ancien membre du Conseil constitutionnel, l'écrit sans ambages : « La décision que nous rapportons n'établit aucune immunité. C'est un problème de répartition des compétences entre la Haute Cour de justice et les juridictions de droit commun qui se trouve posé : le Conseil a-t-il voulu reconnaître au chef de l'Etat un privilège de juridiction pendant qu'il est en fonction et pour tous les actes accomplis en dehors de ses fonctions ? » (25) Le professeur Michel Troper répond, comme l'ensemble de ses confrères, par l'affirmative à cette question, estimant que le Conseil constitutionnel n'a entendu accorder aucune immunité pénale au Président de la République : « Le Président de la République n'est pas irresponsable ; conformément au principe d'égalité, il peut être poursuivi pour tous les actes qui ne sont pas liés à l'exercice des fonctions, mais, conformément au principe de la séparation des pouvoirs, il ne peut l'être que par les Assemblées » (26).

Reste que, même limitée à une simple extension du privilège de juridiction, cette décision est contestée. S'exprimant avant la décision du Conseil, en 1998, le professeur Dominique Chagnollaud estimait ainsi que le « chef de l'Etat répond pénalement des infractions détachables de sa fonction, sans même bénéficier d'un privilège de juridiction. Si tel n'était pas le cas, il serait alors à l'image du monarque inviolable, à l'abri de toute poursuite pénale, quelle que soit la nature de l'acte commis »(27). Commentant la décision du Conseil, il la qualifie ensuite de « thèse fragile »(28). M. François Terré, professeur émérite à l'université Paris II, considère également que le Président de la République ne bénéficie d'aucune immunité ni de privilège de juridiction, en qualité de personne privée (29). M. Pierre Esplugas, maître de conférence à l'université de Toulouse I, considère, pour sa part, que le Conseil constitutionnel a pris ici une décision qui lui est, en fait, préjudiciable. « Il serait dommageable que le Conseil constitutionnel soit en définitive présenté comme un frein au développement de l'Etat de droit », conclut-il dans un article consacré à la question (30).

D'autres voix se sont exprimées en faveur de la décision du Conseil constitutionnel. Le professeur Guy Carcassonne n'a pu que constater que le Conseil avait suivi sa thèse, telle qu'il l'avait exprimée en mai 1998, dans la presse. Evoquant la tradition républicaine et les lois constitutionnelles de 1875, il considérait alors que le privilège de juridiction était clairement établi, jugeant que la seconde phrase de l'article 68 de la Constitution - qui prévoit que le Président de la République ne peut être mis en accusation que par les assemblées et jugé par la Haute Cour de justice - devait se lire indépendamment de la première, portant sur la responsabilité du Président de la République en cas de haute trahison (31). Après la décision du Conseil, il relève donc que la procédure spéciale mentionnée dans la seconde phrase de l'article 68 vaut pour tous les actes commis par le Président de la République pendant son mandat et estime que cette lecture s'impose pour que le principe de séparation des pouvoirs ne soit pas compromis, par des interventions judiciaires intempestives (32).

Dans un article portant défense et illustration de la décision du 22 janvier 1999, M. Jean-Eric Schoettl, secrétaire général du Conseil constitutionnel, égrène les raisons qui lui semblent devoir la justifier. Il reprend à son compte les arguments de M. Guy Carcassonne, estimant que les deux phrases de l'article 68 de la Constitution peuvent se lire de façon indépendante. Il en appelle également à la tradition de la IIIe République, oubliant d'évoquer les dispositions de la Constitution de 1946 et les interprétations qui en ont été faites. Puis, en dernier ressort, il estime que, même si l'interprétation selon laquelle les deux phrases de l'article 68 ne pouvaient être dissociées prévalait, le Conseil constitutionnel se devait d'adopter une interprétation extensive du privilège de juridiction. Il considère, en effet, qu'il n'y aurait pas d'autre moyen de concilier les principes constitutionnels d'égalité devant la justice, de légalité des peines et des délits, de séparation des pouvoirs, de continuité de l'Etat tout en respectant la place éminente assignée aux fonctions présidentielles par la Constitution (33).

On voit ce que cette dernière argumentation peut avoir de choquant. Il n'appartient pas, en effet, au Conseil constitutionnel de concilier des principes constitutionnels à l'encontre des termes mêmes de la Constitution. Il ne saurait, sans outrepasser gravement ses fonctions, qu'il ne tient que de la Constitution elle-même, se substituer au pouvoir constituant. C'est d'ailleurs parce que sa décision du 22 janvier 1999 a pu être qualifiée de prétorienne, qu'il importe de s'interroger sur sa portée.

3. Les conséquences incertaines de la décision

Selon la décision du Conseil constitutionnel, les actes du Président de la République relèvent de trois catégories distinctes :

-  les actes accomplis dans l'exercice de ses fonctions qui relèvent de la haute trahison : ils sont susceptibles d'être poursuivis devant la Haute Cour de justice ;

-  les actes accomplis dans l'exercice de ses fonctions mais qui ne relèvent pas de la haute trahison : ils bénéficient d'une totale impunité, y compris après la fin du mandat (34) ;

-  les actes antérieurs à son entrée en fonction  ainsi que les actes accomplis pendant son mandat qui sont sans lien avec ses fonctions : ils ne sont susceptibles d'être poursuivis que devant la Haute Cour de justice pendant la durée de son mandat et, le cas échéant, devant les juridictions ordinaires ensuite.

Mais le régime de mise en cause de la responsabilité du Président de la République ainsi défini par le Conseil constitutionnel s'impose-t-il aux juridictions ? La portée de la décision du 22 janvier 1999 suscite, à cet égard, des interprétations contrastées. Le fait que l'extension du privilège de juridiction à tous les actes du Président de la République, qu'ils soient ou non en lien avec ses fonctions, résulte d'une phrase incidente n'est pas sans conséquence.

L'article 62 de la Constitution dispose que les décisions du Conseil constitutionnel « s'imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles ». Le Conseil a, en outre, considéré, dans sa décision n° 62-18 L du 16 janvier 1962, que l'autorité de ses décisions s'étend non seulement au dispositif mais aussi à ses « motifs qui en sont le soutien nécessaire et en constituent le fondement même ». Mais l'incidente du 22 janvier 1999 doit-elle être considérée comme un motif, au sens de la jurisprudence de 1962, alors que, manifestement, elle ne peut apparaître comme relevant de la décision elle-même.

La question a été âprement débattue. Hostile à la décision du Conseil, le professeur Olivier Duhamel a considéré qu'il s'agissait là d'un obiter dictum (35), c'est-à-dire d'une incidente superflue qui n'est pas nécessaire pour résoudre le problème posé et n'a donc pas de portée juridique (36). Pour cet auteur, rejoint par le professeur Dominique Rousseau, la seule immunité du Président de la République dans l'exercice de ses fonctions rendait incompatible l'article 68 de la Constitution avec le traité instituant la Cour pénale internationale(37). Il n'était donc pas nécessaire de viser les actes commis en dehors de ses fonctions.

M. Pierre Esplugas ne partage pas ce point de vue. Il constate avec le professeur Duhamel qu'il s'agit bien là d'un obiter dictum, mais considère, cependant, que les juridictions judiciaires se soumettront à cette interprétation, leur ligne de conduite étant très clairement de respecter les décisions du Conseil constitutionnel dans leur intégralité (38). M. Louis Favoreu défend également cette idée (39).

Le plus ardent défenseur de l'obligation pour les juridictions de se soumettre à cette décision est, sans nul doute, M. Jean-Eric Schoettl, secrétaire général du Conseil constitutionnel, dans un article qui prend la forme d'un plaidoyer pro domo. Pour lui, le Conseil ne pouvait pas ne pas traiter de la question des actes accomplis par le Président de la République en dehors de l'exercice de ses fonctions pour juger si le régime de ces actes faisait obstacle à la ratification du traité sur la Cour pénale internationale. Défendant l' « interprétation constructive » faite par le Conseil, il estime alors que cette incidente fait partie de la décision et s'impose donc aux juridictions, en application de l'article 62 de la Constitution (40).

Le professeur Luchaire propose une solution plus convaincante. Evoquant les deux interprétations avancées, il considère que seuls les juges pourront trancher : « Qui doit en définitive reconnaître ou ne pas reconnaître un privilège de juridiction, au chef de l'Etat pour des actes accomplis en dehors de ses fonctions ? C'est le juge. Ce juge peut être la Cour de Cassation, statuant en dernier ressort si une poursuite est engagée devant les tribunaux. Ce peut être la Haute Cour de justice si le Président de la République est traduit devant elle. Or, aucun organisme, et notamment pas le Conseil constitutionnel, n'a la possibilité juridique d'imposer au juge la réponse aux questions que nous venons de poser. Au total la liberté du juge paraît entière.», écrit-il (41). On ne peut que souscrire à cette conclusion.

Néanmoins, en attendant que la Cour de cassation ne tranche cette question, on doit constater que la décision du Conseil constitutionnel a déjà produit des effets.

Dans le cadre de procédures en cours, des juges d'instruction se sont déclarés incompétents pour mettre en _uvre des actes de poursuite portant sur des faits délictueux ayant pu être commis par le chef de l'Etat. En revanche, la chambre d'accusation de la cour d'appel de Versailles a jugé que les mesures d'instruction pouvaient être menées contre le chef de l'Etat dans la mesure où elles pourraient aboutir à une mise en examen à l'issue du mandat présidentiel (42). De fait, la prescription serait ainsi suspendue pendant la durée de sa présidence (43).

En dehors de ces effets immédiats, la décision de 1999 laisse planer encore trop d'incertitudes. La Haute Cour de justice serait-elle encore compétente pour juger, à l'issue de son mandat, de délits ou de crimes commis par le chef de l'Etat lors de sa présidence ? Raisonnant par analogie, M. Bruno Genevois estime qu'il faut répondre à cette question par l'affirmative, compte tenu de la compétence reconnue à la Cour de Justice de la République pour juger les actes commis par les ministres dans le cadre de leurs fonctions, alors même qu'ils n'exercent plus ces fonctions (44). Pourtant, ce raisonnement se heurte au fait que, suivant le Conseil constitutionnel, la compétence de la Haute Cour de justice porte aussi sur des actes du Président de la République sans lien avec ses fonctions, ce qui n'est pas le cas pour la Cour de Justice de la République. Peut-on admettre qu'une juridiction d'exception statue sur des actes accomplis par un Président de la République redevenu simple citoyen ?

De même, on peut s'interroger sur le sort d'une procédure engagée devant les assemblées, pour ce qui est de la mise en accusation, ou portée devant la Haute Cour de justice, pendant le mandat du Président de la République, qui n'aurait pas abouti au terme de celui-ci. Les juridictions de droit commun prendraient-elles le relais ? Dans quelles conditions ?

Compte tenu de la difficulté de mener à bien une procédure devant la Haute Cour de justice, on observe que, de fait, la décision du Conseil constitutionnel introduit une forme d'immunité pour les actes du Président de la République commis en dehors de ses fonctions. Si l'on peut imaginer qu'en cas de faute grave, qualifiable de haute trahison, la procédure de l'article 68 puisse être mise en _uvre, en dehors de tout clivage partisan et au nom de l'intérêt supérieur de l'Etat et de la Constitution, il semble, en revanche, improbable qu'elle le soit pour de simples délits, en particulier s'ils sont liés au financement des partis.

La polémique qui a suivi la décision du Conseil constitutionnel et les incertitudes concernant sa portée montre que l'état du droit n'est pas stabilisé. Dans un domaine aussi sensible, une telle situation est difficilement acceptable. C'est pourquoi le pouvoir constituant doit intervenir, alors même que le problème de la responsabilité pénale du Président de la République prend des proportions de plus en plus difficiles à maîtriser. Cette nécessité apparaît d'autant plus justifiée que la volonté de nos concitoyens se manifeste clairement pour que la loi s'applique à tous. Une révision constitutionnelle, éclaircissant et fondant durablement le droit de la responsabilité pénale du Président de la République, parachèverait l'effort mené depuis une décennie pour réformer les rapports entre la politique et la justice.

II. - UNE INEXTINGUIBLE ASPIRATION À LA JUSTICE

Le principe de l'égalité devant la loi est l'une des conditions primordiales de la justice dans une société. C'est pour cette valeur essentielle que la Révolution de 1789 a été conduite.

L'aspiration à une justice égale pour tous trouve un regain de vigueur aujourd'hui dans les démocraties, peut-être en raison de la mise en évidence de manquements à la loi de certains dirigeants politiques, qui choquent profondément les simples citoyens. Ce mouvement n'est nullement cantonné à l'hexagone. Les actions menées en Italie, les procédures diligentées contre le Président Clinton, mais aussi l'arrestation en Angleterre du général Pinochet, ou celle de l'ex-président Milosevic, à Belgrade, montrent, que tant sur le plan national qu'international, on n'accepte plus que les dirigeants politiques soient protégés contre la justice. L'impunité n'est plus tolérée et l'on doit s'en réjouir.

Ce mouvement s'est particulièrement manifesté en France, au tournant des années 90, à la suite, notamment, de l'affaire dite du « sang contaminé ». On a pu constater, à cette occasion, que les mesures qui sont supposées protéger les responsables politiques peuvent aussi constituer un terrible handicap, lorsqu'il s'agit, pour eux, de prouver leur innocence.

A. EN PARTIE SATISFAITE PAR DES RÉFORMES RÉCENTES...

1. Les origines de la Cour de Justice de la République

Les années quatre-vingts ont été marquées par plusieurs procédures diligentées contre des ministres qui n'étaient plus en fonction. Le dispositif initial de l'article 68 de la Constitution, applicable au Président de la République et aux membres du Gouvernement, a alors montré ses faiblesses. C'est pourquoi il a été jugé utile de le réformer en 1993.

Le second alinéa de l'article 68 disposait que « les membres du Gouvernement sont pénalement responsables des actes accomplis dans l'exercice de leurs fonctions et qualifiés de crimes ou délits au moment où ils ont été commis. La procédure définie ci-dessus [celle de la Haute Cour de justice] leur est applicable ainsi qu'à leurs complices dans le cas de complot contre la sûreté de l'Etat. Dans les cas prévus au présent alinéa, la Haute Cour est liée par la définition des crimes et délits ainsi que par la détermination des peines telles qu'elles résultent des lois pénales en vigueur au moment où les faits ont été commis ».

La jurisprudence de la Cour de cassation avait conduit à rigidifier la procédure en excluant la possibilité de poursuivre les anciens ministres devant les juridictions de droit commun pour des actes commis dans l'exercice de leurs fonctions (45). Cette interprétation du second alinéa de l'article 68 suscita des critiques, le doyen Vedel, la jugeant « assez arbitraire et, en tout cas, peu démocratique » (46).

Il en est résulté, en effet, qu'aucune poursuite contre un ministre ou un ancien membre du Gouvernement n'a pu aboutir. Il faut bien constater que la procédure qui leur était applicable, très proche de celle qui l'est aujourd'hui pour la mise en accusation et le jugement du Président de la République, relevait d'une véritable course d'obstacles.

Ainsi, une proposition de résolution devait être signée par un dixième des députés ou des sénateurs, le texte énonçant sommairement les faits reprochés, et viser les dispositions législatives en vertu desquelles la procédure était engagée. Après que le Bureau de l'assemblée saisie eut déclaré recevable la proposition de résolution, une commission ad hoc devait vérifier la réalité et la qualification juridique des faits. Un rapport était ensuite proposé à l'assemblée, qui devait voter à la majorité des membres la composant la mise en accusation, transmis ensuite à l'autre assemblée qui devait l'adopter dans les mêmes termes. Puis, une commission d'instruction, composée de magistrats professionnels, instruisait le dossier, ayant compétence pour décider, sans appel, du renvoi des ministres devant le Haute Cour de justice ou du rejet de la mise en accusation. La Haute Cour n'a finalement jamais été saisie.

Dans l'affaire dite « du Carrefour du développement », l'Assemblée nationale adopta une résolution de mise en accusation de M. Christian Nucci en octobre 1987, votée par le Sénat à la fin de la même année. La procédure suivit son cours jusqu'à ce que la commission d'instruction rende, en avril 1990, un arrêt constatant l'extinction de l'action publique, par suite du vote d'une loi d'amnistie. L'échec de cette procédure suscita quelques critiques (47).

Les poursuites engagées dans l'affaire dite « du sang contaminé » mirent en évidence, de manière encore plus douloureuse, les limites de la procédure devant la Haute Cour de justice. En décembre 1992, le Sénat et l'Assemblée nationale adoptèrent une résolution tendant à la mise en accusation de M. Laurent Fabius, ancien Premier ministre, Mme Georgina Dufoix, ancien ministre des affaires sociales et de la solidarité nationale, et M. Edmond Hervé, ancien secrétaire d'Etat chargé de la santé. L'ancien Premier ministre avait lui-même souhaité que la procédure puisse être engagée, afin d'obtenir justice des accusations dont il était l'objet. Cependant, la commission d'instruction constata la prescription de l'action publique en février 1993, de sorte que la procédure ne put être poursuivie.

L'échec de ces procédures faisait suite à d'autres initiatives qui n'avaient pas même pu atteindre le stade de la mise en accusation. Au regard de la demande de justice, de plus en plus vive, émanant de nos concitoyens, sur des sujets sensibles, la situation n'était plus tenable. C'est dans ces circonstances que l'article 68 de la Constitution a alors été révisé.

2. La révision constitutionnelle de 1993

Le comité consultatif pour la révision de la Constitution, présidé par le doyen Vedel, avait tracé les principales lignes de la réforme envisageable. Considérant alors que la responsabilité du Président de la République pour haute trahison devant la Haute Cour de justice ne soulevait pas de critiques, il constatait dans son rapport, remis au Président de la République le 15 février 1993, que la situation des ministres était, en revanche, devenue incompréhensible pour l'opinion publique, conduite à penser que la loi réservait un sort privilégié aux ministres par rapport aux simples citoyens.

Refusant cependant la banalisation totale de la procédure, au risque de paralyser le fonctionnement de l'Etat par des recours abusifs à des fins partisanes, le comité Vedel préconisait la création d'une juridiction, proche des tribunaux ordinaires, mais néanmoins spécifique. Il suggérait aussi de séparer nettement le cas du Président de la République de celui des ministres.

A la suite de ce rapport, la question devenant réellement brûlante, une révision constitutionnelle aboutit en juillet 1993. Deux nouveaux articles 68-1 et 68-2 furent adoptés, mettant en place la Cour de Justice de la République et fixant les conditions de mise en cause de la responsabilité pénale des membres du Gouvernement pour les actes commis dans l'exercice de leurs fonctions.

On n'analysera pas dans le détail cette réforme constitutionnelle ; tel n'est pas l'objet de ce rapport. On constatera simplement que ces nouveaux articles de la Constitution disposent que les membres du Gouvernement sont pénalement responsables des actes accomplis dans l'exercice de leurs fonctions et qualifiés de crimes ou délits au moment où ils ont été commis. Ils sont alors jugés par la Cour de Justice de la République, composée de quinze juges, douze parlementaires élus et trois magistrats du siège de la Cour de cassation. Toute personne, qui se prétend lésée par un crime ou un délit commis par un membre du Gouvernement dans l'exercice de ses fonctions, peut porter plainte auprès d'une commission des requêtes. Celle-ci ordonne soit le classement de la procédure, soit sa transmission au procureur général près la Cour de cassation, aux fins de saisine de la Cour de Justice de la République.

Ce dispositif était destiné à réaliser un équilibre entre la nécessité d'une justice efficace et le respect du principe de séparation des pouvoirs. Sa mise en _uvre dans l'affaire du « sang contaminé » a montré qu'il était sans doute perfectible, notamment pour ce qui concerne la représentation des victimes au cours de la procédure. Néanmoins, il a le mérite de permettre à la justice d'être rendue. Tel a été le cas pour l'affaire déjà évoquée en mars 1999, mais aussi pour une plainte en diffamation portée contre un ministre en exercice, qui a abouti à un non-lieu.

Les ministres sont donc désormais responsables pénalement des actes liés à leurs fonctions dans le cadre d'une procédure assouplie. Ils sont, par ailleurs, soumis au droit commun pour les actes commis en dehors de leurs fonctions. La Cour de cassation a clairement jugé, le 26 juin 1995, que la Cour de Justice de la République ne pouvait être saisie des poursuites engagées contre un ministre pour des actes détachables de ses fonctions, ces actes relevant des juridictions répressives de droit commun.

La réponse apportée, en 1993, à la demande de justice de nos concitoyens a été complétée, en 1995, par la réforme touchant l'immunité parlementaire.

3. La réforme de l'immunité parlementaire en 1995

Les origines de l'immunité parlementaire remontent au début de la Révolution française. Il s'agissait de préserver les membres du corps législatif contre les menées du pouvoir exécutif et de la justice. Deux formes d'immunités ont alors été définies : une irresponsabilité absolue, en premier lieu, pour les écrits et les propos tenus dans le cadre de l'exercice du mandat parlementaire, les députés et les sénateurs devant pouvoir s'exprimer librement au sein des assemblées sans crainte de représailles ; une forme d'inviolabilité, en second lieu, encadrant les possibilités d'arrêter et de juger les parlementaires, pour leur permettre d'exercer leur mandat sans être harcelés par des procédures judiciaires.

Il faut souligner que l'irresponsabilité ne couvre que les propos et les écrits produits dans le cadre des fonctions parlementaires, à l'exclusion de tout acte effectué par le député ou le sénateur en dehors de l'exercice de son mandat. L'inviolabilité est, quant à elle, enserrée dans des limites strictes, que la révision de 1995 a renforcées.

Avant cette réforme, l'article 26 de la Constitution prévoyait que les parlementaires ne pouvaient être poursuivis et arrêtés, en matière correctionnelle ou criminelle, pendant la durée des sessions, qu'avec l'autorisation de l'assemblée dont ils étaient membre, sauf en cas de flagrant délit. M. Guy Carcassonne jugeait que cette protection était nuisible à un double titre. Elle entravait le fonctionnement de la justice et, l'assemblée étant saisie, donnait une publicité excessive, parfois injustifiée, à des procédures, qui ne le méritaient pas (48).

Depuis l'adoption de la loi constitutionnelle du 4 août 1995, l'inviolabilité des parlementaires ne s'oppose plus à l'engagement des poursuites même pendant la durée des sessions. Les députés et les sénateurs sont désormais susceptibles d'être poursuivis, à tout moment, comme tous les citoyens. Une forme d'immunité ne subsiste que pour les mesures privatives de liberté, telles que la garde à vue, l'arrestation ou la détention, ou simplement restrictives de liberté, comme certaines mesures de contrôle judiciaire (49). Lorsqu'elle envisage la mise en _uvre de telles mesures, l'autorité judiciaire doit solliciter l'autorisation du Bureau de l'assemblée concernée, celle-ci n'étant pas cependant requise en cas de délit ou de crime flagrant ou de condamnation définitive.

La détention, les mesures privatives ou restrictives de liberté ou la poursuite d'un membre du Parlement peuvent, en outre, être suspendues pour la durée de la session si l'assemblée dont il fait partie le requiert.

Le Professeur Carcassonne estime que « ce système est parfaitement cohérent avec le principe selon lequel l'immunité protège le mandat et non la personne. Les poursuites n'empêchent pas l'exercice du mandat. La personne doit donc être traitée comme les autres personnes. Mais ce qui restreint ou supprime sa liberté peut restreindre ou supprimer sa possibilité d'exercer effectivement le mandat. Il y faut donc l'accord préalable d'une autorité parlementaire » (50).

La distinction qu'il établit ainsi entre la protection du mandat et celle de la personne semble tellement pertinente qu'on souhaiterait qu'elle soit transposée au Président de la République.

Car le chef de l'Etat est, désormais, le seul qui échappe à l'évolution de nos institutions qui tend à renforcer l'égalité devant la loi. La décision du Conseil constitutionnel du 22 janvier 1999 semble, à cet égard, aller à contre-courant. Par ses ambiguïtés, elle maintient l'état du droit dans un cadre mouvant, qui ne satisfait personne, ni les victimes, ni les personnes mises en cause. Cette situation impose l'intervention du pouvoir constituant.

B. ... CETTE ASPIRATION TROUVE UNE RÉPONSE DANS LA PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE

La proposition de loi constitutionnelle présentée par M. Jean-Marc Ayrault et les membres du groupe socialiste entend répondre à l'aspiration à la justice de nos concitoyens. Reposant sur la volonté d'assurer l'égalité de tous devant la loi et de désacraliser la fonction présidentielle, tout en la respectant, la réforme envisagée respecte un équilibre. Parce que la fonction présidentielle a sa logique, qui n'est peut-être pas compatible avec une responsabilité totale, pour les actes accomplis dans ce cadre, la proposition ne concerne que les crimes et délits commis en dehors des fonctions, et comporte, en outre, quelques aménagements de procédure destinés à éviter tout risque de « harcèlement judiciaire » du Président de la République.

Faire du chef de l'Etat un véritable « président-citoyen », telle est l'ambition de ce texte. Au-delà des questions conjoncturelles, il ouvre aussi la voie à une nouvelle manière d'aborder la fonction présidentielle.

1. Le maintien d'un privilège de juridiction et d'une immunité relative pour les actes accomplis dans l'exercice des fonctions

Le texte proposé entend revenir à la lecture de l'article 68 qui semblait prévaloir jusqu'à la décision du Conseil constitutionnel de 22 janvier 1999. Il maintient donc le principe d'une irresponsabilité du Président de la République pour les actes accomplis dans l'exercice de ses fonctions, hormis le cas de haute trahison. Dans cette hypothèse, la Haute Cour de justice resterait compétente pour juger des faits en cause, après une mise en accusation votée par la majorité des membres de chacune des deux assemblées.

On peut considérer qu'il serait nécessaire de revenir sur la notion de haute trahison. L'incrimination semble imprécise, son contenu trop politique et aléatoire. Tel n'est pas l'objet de la proposition.

Des essais de définition ont été tentés, notamment par le sénateur Etienne Dailly, en 1993. Il avait estimé que le Président de la République commettrait un acte de haute trahison, dans les hypothèses suivantes : « lorsqu'il trahit sciemment les intérêts de la France au profit d'une puissance étrangère, lorsqu'il s'abstient sciemment d'accomplir les actes auquel il est tenu en vertu de la Constitution, lorsqu'il s'arroge une compétence qu'il ne tient pas de la Constitution ou lorsqu'il fait un usage anticonstitutionnel des pouvoirs que la Constitution lui confère » (51).

Un tel essai de définition n'a pas convaincu les observateurs. M. Guy Carcassonne estime cette définition tout simplement fausse, dans la mesure où la seule qui puisse être donnée le serait par la Haute Cour de justice : est haute trahison tout acte que la Haute Cour, régulièrement saisie, jugerait comme telle(52).

Le professeur Chagnollaud partage ce point de vue (53), comme le doyen Vedel qui considère que la haute trahison « ne s'entend pas de l'un des crimes prévus par le code pénal sous le nom de trahison, intelligence avec l'ennemi ou actes de nature à nuire à la défense nationale. Il s'agit d'une notion politique sui generis qui implique un manquement grave du Président de la République aux devoirs de sa charge » (54).

Le débat autour de la définition de la haute trahison n'est pas nouveau. Déjà lors des travaux de l'Assemblée constituante de 1946, Paul Coste-Floret s'était opposé à la démarche proposée par Pierre Cot, considérant qu'il ne convenait pas de limiter le pouvoir conféré à l'Assemblée nationale de qualifier souverainement les faits pour lesquels elle entend déférer le Président de la République à la Haute Cour (55). En 1875, la loi constitutionnelle du 16 juillet avait, quant à elle, annoncé une loi définissant la haute trahison qui ne vit jamais le jour.

Au total, il apparaît que la haute trahison renvoie à une responsabilité plus politique que pénale. Il est donc normal qu'elle relève d'une juridiction de nature également politique comme la Haute Cour de justice. Dans la mesure où la haute trahison est une atteinte à la Constitution et à la vie démocratique, il paraît logique que les parlementaires aient à en connaître.

Les conséquences d'une condamnation pour haute trahison ne sont pas définies dans l'article 68 de la Constitution. La proposition de loi ne modifie pas cet état du droit. La sanction applicable en la matière serait, sans aucun doute, la déchéance, assortie, le cas échéant, d'une peine d'emprisonnement. Contrairement à ce qui est prévu pour les membres du Gouvernement par les articles 68-1 et 68-2, la Haute Cour de justice n'est pas tenue de respecter la définition légale des délits et des crimes ainsi que les peines qui leur sont applicables. Le caractère singulier de la haute trahison ne permet pas de la soumettre au principe de la légalité des délits et des peines.

La proposition de loi constitutionnelle qui est soumise à l'Assemblée nationale maintient donc la compétence de la Haute Cour de justice pour la haute trahison. Elle préserve également le principe d'irresponsabilité du Président de la République pour tous les actes commis dans l'exercice de ses fonctions, qui ne sont susceptibles d'être qualifiés de haute trahison.

Dans un régime parlementaire, les actes du chef de l'Etat sont traditionnellement soumis au contreseing ministériel. L'article 19 de la Constitution maintient ce principe, en dehors de quelques exceptions, telles que le droit de dissolution ou la convocation d'un référendum qui constituent des pouvoirs propres au Président de la République. Le contreseing transfère au ministre la responsabilité des actes, dont le Président de la République ne peut être juridiquement comptable.

Le Président de la République pourrait-il, dans le cadre de ses fonctions, commettre des crimes ou des délits autres que la haute trahison, pour lesquels il bénéficierait d'une totale impunité ? Le risque semble réduit compte tenu de la nature même de ses fonctions, qui sont essentiellement de souveraineté et l'expose moins que les membres du Gouvernement, chargés de conduire l'action politique quotidienne, à prendre des décisions susceptibles de constituer des infractions pénales. En toute hypothèse, l'imprécision même de la notion de haute trahison permettrait d'engager une procédure devant la Haute Cour, si la nécessité apparaissait.

S'il ne semble donc pas absolument nécessaire de remettre en cause le régime de responsabilité limitée du Président de la République pour les actes commis dans l'exercice de ses fonctions - et tel n'est pas, en tout cas, l'objet du débat actuel - il est, en revanche, nécessaire de revenir sur l'impunité de fait dont il bénéficie pour des crimes ou des délits commis en qualité de simple citoyen, sans lien avec ses fonctions, qu'ils aient été commis avant ou le soient pendant la durée de son mandat.

2. La compétence des juridictions de droit commun pour les délits et crimes commis par le Président de la République en dehors de ses fonctions

Benjamin Constant l'admettait déjà : « Il est certain que si un ministre ou le président, dans un accès de passion, enlevait une femme ou, dans un accès de colère, tuait un homme, il ne devrait pas être accusé comme ministre ou président, d'une manière particulière, mais subir comme violateur des lois communes les poursuites auxquelles son crime serait soumis par les lois communes et dans les formes prescrites par elles » (56).

Si le Président est irresponsable, il semble légitime que, comme simple citoyen, il soit responsable de ses actes. Le principe de justice l'exige, en effet.

La proposition de loi constitutionnelle définit les conditions de mise en _uvre de ce principe, dans le second alinéa de son article premier. Elle prévoit que le Président de la République est pénalement responsable des actes susceptibles d'être qualifiés de crimes ou de délits, commis avant ou pendant son mandat, sans lien avec l'exercice de ses fonctions. La procédure applicable est celle de droit commun, moyennant une adaptation inspirée du dispositif prévu par l'article 68-2 de la Constitution pour les membres du Gouvernement. Les poursuites ne pourront être engagées contre le Président de la République que sur décision d'une commission des requêtes, saisie par le parquet ou la partie qui se prétend lésée. Il appartiendra à cette commission d'ordonner le classement de la procédure ou sa transmission au parquet.

Ce dispositif a pour objet d'éviter des procédures abusives, qui pourraient déstabiliser le chef de l'Etat et, à travers lui, la fonction présidentielle. La commission des requêtes instituée en 1993 pour les procédures diligentées devant la Cour de Justice de la République a montré son efficacité, procédant à un filtrage précis des demandes qui lui sont présentées.

La composition de la commission des requêtes de l'article 68-2 est fixée par l'article 12 de la loi organique n° 93-1252 du 23 novembre 1993. Cette commission est composée de trois magistrats du siège hors hiérarchie à la Cour de cassation, de deux conseillers d'Etat et de deux conseillers maîtres à la Cour des comptes désignés pour cinq ans. Le dernier alinéa de l'article premier de la proposition de loi constitutionnelle renvoie à une loi organique pour fixer la composition de la commission chargée de traiter les recours formés, devant les juridictions de droit commun, contre le Président de la République. Une composition similaire à celle prévue pour la Cour de Justice de la République serait sans doute opportune.

On notera que les contraventions ne sont pas visées par la nouvelle rédaction de l'article 68. En cela, la proposition reprend l'esprit de l'article 68-1 relatif à la responsabilité pénale des membres du Gouvernement. Le Président de la République ne doit pas, selon les auteurs de la proposition, être poursuivi pour de simples contraventions. Pour ce qui concerne les procédures civiles menées contre le Président de la République en dehors de ses fonctions, elles ressortissent au droit commun, sans adaptation cependant de la procédure, comme c'est le cas en matière pénale avec l'intervention de la commission des requêtes.

Des critiques s'élèvent contre les risques qui pourraient résulter de l'ouverture de procédures devant les juridictions de droit commun. On parle d'atteinte à la séparation des pouvoirs, d'immixtion de l'autorité judiciaire dans le fonctionnement du pouvoir exécutif (57). On remarquera, tout d'abord, que la justice examinera, en l'occurrence, des affaires ne relevant en aucune manière des fonctions présidentielles. Si tel était le cas, les autorités judiciaires saisies auraient à se déclarer incompétentes, au bénéfice éventuel de la Haute Cour de justice. Par ailleurs, on comprend mal en quoi l'intervention d'un juge serait plus attentatoire au principe de séparation des pouvoirs, que la procédure de la Haute Cour de justice, qui conduit des parlementaires à s'immiscer directement dans le fonctionnement du pouvoir présidentiel. On notera, d'ailleurs, s'agissant par hypothèse de délits de droit commun, sans lien avec les fonctions présidentielles, qu'il semble plus légitime que les poursuites soient engagées et le jugement rendu par l'autorité judiciaire, hors de l'intervention d'autorités politiques, ce qui n'est pas le cas avec la procédure de la Haute Cour de Justice.

La crainte d'une avalanche de plaintes contre le Président de la République ne paraît pas plus justifiée. Les ministres et, en particulier, le Premier ministre ne bénéficient d'aucun régime dérogatoire contre les poursuites pénales susceptibles d'être engagées pour des actes sans lien avec leurs fonctions. La seule dérogation au droit commun tient au fait qu'ils ne peuvent être entendus qu'avec l'autorisation du Conseil des ministres. Pour autant, ils ne semblent pas faire l'objet d'un « harcèlement judiciaire ». Quoi qu'il en soit, la commission des requêtes aura précisément pour mission de rejeter les recours fantaisistes ou abusifs.

La question de la distinction entre les actes relevant des fonctions de Président de la République et ceux pouvant en être détachés ne semble pas soulever de difficultés majeures. Les juridictions ont déjà montré qu'elles étaient en mesure de procéder à une telle séparation, dans le cadre d'affaires impliquant des ministres (58). Aucune raison n'existe pour qu'elles ne puissent pas le faire également s'agissant du Président de la République.

A l'instar des exemples portugais ou grec, serait-il préférable de « geler » les procédures engagées contre le Président de la République, pendant toute la durée de son mandat. Cette solution semble la moins souhaitable de toutes. En effet, la situation actuelle montre que rien n'est pire que des procédures qui ne peuvent aboutir. Le sentiment d'injustice se développe, tandis que les personnes impliquées ne sont pas en mesure de faire valoir et, le cas échéant, d'établir leur innocence. Le Président de la République, lors d'un entretien télévisé à l'automne dernier, regrettait lui-même de ne pouvoir se défendre contre les mises en cause dont il était l'objet. Maintenir un état d'incertitude, de suspicion, laissant la rumeur et les insinuations prospérer, contribue à créer une atmosphère malsaine, qui nuit à la République. Il incombe au pouvoir constituant de créer des conditions qui permettent au chef de l'Etat d'asseoir son autorité en établissant qu'il est irréprochable.

La proposition de loi constitutionnelle prévoit, par ailleurs, dans son article 2, l'entrée en vigueur du nouveau dispositif en 2002, à l'issue des prochaines élections présidentielles. S'agissant d'un texte relatif à la procédure pénale, il entrerait normalement en application dès sa promulgation, conformément à l'article 112-2 du code pénal. Cependant, il est proposé d'en différer la mise en _uvre pour qu'apparaisse clairement que l'objectif n'est pas de susciter des procédures judiciaires à l'encontre du Président de la République dans une période préélectorale.

Il serait dangereux de confondre la cause et les effets, en ce domaine. Le développement des actions judiciaires n'est pas le fruit d'une tendance inéluctable à la judiciarisation de notre société. Il est la conséquence d'une inadaptation de nos institutions et de nos procédures à une demande sociale forte, celle de l'égalité de tous devant la loi. Pendant trop longtemps, nous n'avons pas su répondre à cette aspiration à la justice, qui n'est, somme toute, que la République en action. Le sentiment que quelques privilégiés bénéficient d'une protection particulière attise les mécontentements et le fait que les actions judiciaires butent trop longtemps contre des obstacles peut faire perdre à certains magistrats leur sérénité.

Les auteurs de cette proposition de loi constitutionnelle font le pari que la normalisation des procédures aura un double effet bénéfique sur notre société. Elle permettra de lever ce voile de suspicion, qui, trop longtemps, a nimbé la sphère publique. Elle incitera les élus, au premier rang desquels figure le Président de la République, à se montrer vigilants et intransigeants vis-à-vis de la loi.

Face au soupçon qui sape l'esprit public, la stratégie de l'étouffement et du silence serait la pire des solutions. Nous affrontons aujourd'hui une période de crise de confiance. La transition vers une conception renouvelée de la morale publique et de l'engagement sera douloureuse. Le devoir des politiques est d'accompagner cette transition et non de la subir. Cette proposition de loi constitutionnelle s'inscrit résolument dans cette perspective.

Après l'exposé du rapporteur, plusieurs commissaires sont intervenus dans la discussion générale.

Contestant la présentation faite par le rapporteur de la proposition de loi, dont les objectifs ne sont pas, comme il a tenté de le faire accroire, désintéressés et d'ordre juridique, M. Claude Goasguen a estimé que le débat actuel ne devait pas être limité à la seule question de la responsabilité pénale du Président de la République, mais porter sur l'ensemble des relations entre le pouvoir politique, la justice et les médias. Il a jugé indispensable, dans ce cadre, que soit engagée une réflexion approfondie sur la justice, et plus précisément sur les conditions dans lesquelles se déroule l'instruction ; constatant, notamment, que les mises en cause d'hommes politiques, par la voie des médias, dans des affaires en cours d'instruction, étaient désormais quotidiennes, il s'est interrogé sur le maintien du principe du secret de ces instructions. Jugeant que l'attitude des parlementaires socialistes sur la question de la responsabilité pénale du Président de la République n'avait fait que contribuer à détériorer encore ce climat politique, il a observé, néanmoins, que cette querelle juridique ne suscitait finalement de la part de l'opinion publique qu'une indifférence blasée. Constatant, en effet, que la mise en cause d'hommes politiques dans des affaires récentes n'avait pas empêché leur réélection ultérieure, il a mis en garde les parlementaires contre la tentation de faire trancher par le peuple les conflits entre justice et pouvoir politique.

M. Claude Goasguen a, ensuite, rappelé la genèse de l'article 68 de la Constitution, conçu par les constituants, à l'origine, comme une protection utile contre les tentations autoritaires prêtées au Général de Gaulle et comme un contrepoids à l'article 16. Il a précisé que la référence à la haute trahison avait été introduite dans la loi fondamentale bien avant la Constitution de la Cinquième République, dès 1815, sans qu'une définition précise de cette incrimination ne soit jamais donnée. Il a estimé que l'interprétation faite par le Conseil constitutionnel de l'article 68, compte tenu de son ambiguïté, ne pouvait être ni infirmée, ni confirmée. Il a jugé que la démarche entreprise par M. Montebourg avait, par rapport à celle des auteurs de la proposition de loi, le mérité de la clarté, et était, juridiquement, moins contestable, puisque, en donnant une interprétation extensive de la haute trahison, elle s'inscrivait dans le cadre d'une responsabilité liant le juridique et le politique. Evoquant la procédure d'impeachment existant dans la Constitution américaine, M. Claude Goasguen a, en effet, plaidé pour un dispositif qui permettrait véritablement, comme aux Etats-Unis, une fusion de la responsabilité pénale et de la responsabilité politique ; considérant que l'article 68 de la Constitution, dans sa rédaction actuelle, constituait une première ébauche de cette responsabilité politico-judiciaire, il a contesté le bien-fondé du dispositif proposé, qui s'éloigne de cet objectif, sans aller, pour autant, jusqu'à une responsabilité entièrement pénale. Il s'est ainsi interrogé sur la pertinence d'un dispositif, qui prévoit une sanction sans préciser la nature de la peine, jugeant inconcevable le maintien en fonction d'un Président de la République qui aurait fait l'objet d'une condamnation pénale. Reconnaissant néanmoins qu'une réflexion s'imposait sur le sujet de la responsabilité pénale de l'exécutif, il a suggéré qu'elle soit conduite par un conseil d'experts qui serait chargé de proposer une réforme en la matière.

M. Jean-Pierre Michel a observé qu'avant la décision du Conseil constitutionnel du 22 janvier 1999, l'interprétation de l'article 68 ne soulevait aucune difficulté, puisqu'un consensus se dégageait pour considérer que le privilège de juridiction ne s'appliquait que dans les cas de haute trahison. Il a indiqué que si cette notion n'était pas clairement définie, il était généralement admis qu'elle recouvrait les manquements commis par le Président de la République aux devoirs de sa charge, manquements pouvant se traduire notamment par des délits de droit commun. Après avoir souligné que l'interprétation contestée du Conseil constitutionnel était une simple incise dans une décision portant sur un tout autre sujet, il a relevé que le secrétaire général de la haute juridiction avait ajouté à la confusion en donnant son analyse personnelle de cette interprétation dans une revue juridique. Il a jugé, à cet égard, nécessaire que le législateur réfléchisse à l'adoption d'un dispositif définissant plus strictement le statut du secrétaire général de cette institution afin, notamment, de lui imposer le respect du devoir de réserve qui s'applique à tous les fonctionnaires. Après avoir considéré que l'interprétation faite le 22 janvier 1999 de l'article 68 avait pour seul objectif de prendre en compte la situation du Président de la République en exercice, il a indiqué que les procureurs généraux et les procureurs de la République n'avaient eu d'autre choix que de suivre cette interprétation, les juges d'instruction se déclarant, dès lors, incompétents. Observant que les chambres de l'instruction étaient actuellement saisies des ordonnances des juges d'instruction, il a souligné que la Cour de cassation ne s'était pas encore prononcée sur cette question, ajoutant qu'il était difficile de préjuger de sa décision, puisque cette juridiction n'a pas lieu de se considérer liée par une simple incise figurant dans une décision du Conseil constitutionnel. Faisant valoir qu'il n'y aurait plus d'ambiguïté sur l'interprétation de l'article 68 si la Cour de cassation confirmait la doctrine prévalant avant la décision du 22 janvier 1999, il a considéré que la proposition de loi était un peu prématurée, tout en reconnaissant que le dispositif proposé réglait la question de la responsabilité pénale du Président de la République de façon démocratique, en respectant le principe d'égalité devant la justice.

Estimant, contrairement à M. Jean-Pierre Michel, que l'interprétation de l'article 68 par la doctrine reconnaissait au Président de la République une immunité totale pour tous ses actes, hors le cas de haute trahison, M. Jacques Brunhes a considéré que les difficultés actuelles provenaient de la décision du Conseil constitutionnel du 22 janvier 1999 et surtout de son communiqué de presse d'octobre 2000, qui fait disparaître l'immunité pénale au profit d'un privilège de juridiction pendant toute la durée du mandat du Président de la République. Jugeant ce privilège de juridiction inacceptable, il a souhaité une adoption rapide de la proposition de loi, afin de mettre fin à une particularité contestable de la vie politique française. Tout en soulignant le bien fondé de cette révision constitutionnelle, il a émis des réserves sur la multiplication des modifications ponctuelles de la Constitution, estimant qu'il serait souhaitable d'avoir une vue d'ensemble sur la réforme des institutions.

Evoquant les propos liminaires du rapporteur affirmant sa volonté d'aborder avec sérénité la question du régime de la responsabilité pénale du chef de l'Etat, M. Philippe Houillon a regretté qu'il n'ait pas respecté cette attitude dans la présentation de son rapport, constatant que, derrière un discours en apparence juridique, se dissimulait, en fait, un objectif politicien. Considérant qu'il n'était pas possible, à moins d'un an du premier tour de la prochaine élection présidentielle, d'engager de manière apaisée une réforme de cette nature, il a dénoncé la multiplication des initiatives de la majorité qui, par crainte de la sanction électorale, recourt à tous les artifices imaginables. Il a évoqué, à cet égard, l'inversion du calendrier électoral, mais également la demande de mise en accusation de l'actuel chef d'Etat devant la Haute Cour de justice, résultant d'une initiative d'un certain nombre de députés de la majorité plurielle, qu'il a jugée « téléguidée ». Il a estimé que la présente proposition de loi s'inscrivait dans la même logique de manipulation, observant que, déposée le 29 mai dernier, elle était inscrite à l'ordre du jour du 12 juin, tandis que son rapporteur, désigné aujourd'hui même, semblait avoir déjà beaucoup avancé dans la préparation de son rapport. Il a ajouté que, compte tenu de l'actuelle configuration politique du Sénat, les auteurs de la proposition ne pouvaient espérer qu'elle soit adoptée dans les mêmes termes par les deux assemblées.

Regrettant que le rapporteur n'ait pas fait mention dans son exposé des exemples étrangers, qui font ressortir que les procédures de mise en cause de la responsabilité pénale des membres de l'exécutif sont toujours dérogatoires au droit commun, il a contesté la référence, faite par le rapporteur, à un président citoyen. Il a, en effet, souligné que, dès lors qu'un citoyen accédait à la fonction présidentielle, il ne pouvait plus être considéré comme un citoyen ordinaire, en raison du principe de la séparation des pouvoirs, mais aussi parce qu'il devenait, aux termes mêmes de la Constitution, chef de l'exécutif, chef des armées et président du Conseil supérieur de la magistrature. Tout en reconnaissant que certaines difficultés juridiques concernant la responsabilité du Président de la République étaient apparues récemment, il a conclu son propos en invitant les auteurs de la proposition à la retirer pour qu'une réflexion sereine puisse être conduite sur cette question après les prochaines échéances électorales.

Observant que la qualité des interventions montrait qu'il n'était pas nécessaire de recourir à un collège d'experts pour légiférer sur cette question, M. Jacques Floch a insisté sur l'importance de certains événements historiques pour comprendre la genèse de l'article 68 de la Constitution. Il a évoqué notamment le contexte trouble de la guerre d'Algérie et la tentative de coup d'Etat perpétrée par certains militaires, le 13 mai 1958, qui avaient renforcé les appréhensions nourries par de nombreux hommes politiques à l'égard de la personnalité du général de Gaulle. Il a insisté sur les obstacles s'opposant au vote d'une mise en accusation du Président de la République devant la Haute Cour de justice, la procédure impliquant un scrutin public, un vote à la majorité absolue et une adoption du texte par les deux assemblées. Enfin, s'agissant du motif il a relevé que la notion de haute trahison n'avait pas été définie par les rédacteurs de la Constitution, le code militaire étant le seul texte normatif en vigueur faisant mention de trahison et la réprimant.

M. Arnaud Montebourg a remercié le rapporteur d'avoir initié ce débat, jugeant effectivement nécessaire de modifier l'article 68 de la Constitution. Il a considéré, comme M. Jacques Brunhes, qu'il serait tout à fait opportun de profiter de cette occasion pour corriger d'autres aspects de notre loi fondamentale, qui confère une place excessive au pouvoir exécutif et ne prévoit pas suffisamment de contre-pouvoirs, notamment au profit du Parlement. Il a jugé légitime et cohérente la position de certains parlementaires de l'opposition, qui refusent l'idée d'un président citoyen, susceptible de faire l'objet d'enquêtes judiciaires, qui, il est vrai, peuvent parfois apparaître comme abusives, tout en précisant qu'évidemment il ne partageait pas ce point de vue. Il a observé que, dans cette optique, il serait plus cohérent de défendre le statu quo juridique, plutôt que de réclamer la mise en place d'une commission d'experts, une telle initiative équivalant à admettre, implicitement, la nécessité de modifier le statut pénal actuel du Président de la République.

Estimant que le Conseil constitutionnel était une curieuse institution, de surcroît à la dérive, il a, cependant, constaté que ses décisions s'imposaient aux parlementaires, aussi bien qu'aux magistrats de l'ordre judiciaire et au Président de la République lui-même. Il a donc considéré que, compte tenu de son interprétation de l'article 68 de la Constitution, les députés n'avaient d'autre choix, aujourd'hui, pour répondre aux attentes des citoyens, qui exigent « que la justice passe », que d'engager des poursuites devant la Haute Cour de justice, en signant la proposition de résolution qu'il a rédigée à cet effet. Il a admis que cette procédure n'était pas satisfaisante, mais a souligné qu'elle permettait au moins de garantir la continuité des poursuites, satisfaisant ainsi une exigence démocratique et offrant, le cas échéant, à une personne soupçonnée à tort, la possibilité d'être innocentée des accusations portées à son encontre. Il a rappelé, à cet égard, qu'un ancien Premier ministre avait été contraint de demander sa propre mise en accusation pour pouvoir, enfin, être jugé d'un acte dont il se savait innocent. Il s'est donc réjoui qu'une alternative soit, aujourd'hui, offerte aux députés, consistant à s'engager, comme les y invitent MM. Jean-Marc Ayrault et Bernard Roman au nom de l'ensemble des membres du groupe socialiste, en faveur d'une modification de la Constitution. Ce faisant, il a appelé les parlementaires à mettre fin à une intolérable impunité judiciaire, qui profite à un justiciable placé, de facto, au-dessus des lois.

M. Renaud Donnedieu de Vabres a jugé ce débat choquant et lamentable. Il a considéré que tous les démocrates et les républicains devraient contribuer à restaurer la place de l'autorité politique, plutôt que de participer à son affaiblissement, au profit de comité d'experts ou d'autorités plus ou moins indépendantes, dont l'ancien Président de la République, François Mitterrand, avait dénoncé, en son temps, le poids excessif. Il a estimé que le principe d'une distinction entre la responsabilité politique et la responsabilité pénale était essentiel. Tout en admettant qu'il pourrait être utile d'entamer une réflexion de fond sur la façon de traiter des fautes susceptibles d'être commises par un Président de la République, il a considéré que cette proposition de loi constitutionnelle était, en réalité, un texte de circonstance. Il a ajouté que les affaires visées par le groupe socialiste avaient essentiellement trait à d'éventuelles infractions aux règles qui encadrent le financement des campagnes électorales, alors même que cette législation n'est pas satisfaisante. Il a considéré, en effet, qu'il ne serait pas possible aux candidats à la prochaine élection présidentielle, à l'exception du Président de la République en fonction et du Premier ministre, de mener une campagne à la hauteur de leurs ambitions sans y contrevenir.

De façon plus générale, M. Renaud Donnedieu de Vabres a estimé, qu'une évolution vers une présidence totalement citoyenne ne pourrait être envisagée, tant que le code de procédure pénale permettrait d'obtenir la mise en examen d'un responsable politique pour des motifs contestables ou futiles. Il a jugé urgent d'entamer le travail préparatoire nécessaire à l'élaboration d'un projet de plus vaste ampleur. Précisant que, pour cette raison, l'UDF demanderait le renvoi en commission de cette proposition de loi constitutionnelle, il a regretté, dans l'attente, que le débat initié par le groupe socialiste ne soit qu'une étape misérable d'une campagne électorale, d'ores et déjà engagée.

Constatant qu'il était possible soit de feindre d'ignorer la question de la responsabilité pénale du Président de la République, soit d'essayer d'y répondre, M. François Colcombet a volontiers admis que le dépôt de la proposition de loi constitutionnelle, tout comme la décision rendue par le Conseil constitutionnel le 22 janvier 1999, ne pouvaient être totalement détachés de considérations conjoncturelles. Estimant que les constituants n'avaient certainement pas envisagé, en rédigeant l'article 68 de la Constitution, l'hypothèse de poursuites judiciaires à l'encontre du général de Gaulle, il a souligné que de nombreuses voix s'étaient élevées pour juger imprudente l'interprétation de ces dispositions donnée par le Conseil constitutionnel. Il a considéré que, dans ce contexte, quatre solutions pouvaient être retenues par la Cour de cassation : elle pourrait s'estimer liée par les décisions du Conseil constitutionnel, ne pas se juger tenue mais prendre, de fait, la même position, considérer que les faits antérieurs à l'élection ou détachables de l'exercice des fonctions présidentielles doivent être poursuivis et jugés selon les règles de droit commun, ou estimer que, si le droit commun s'applique, il ne revient pas à une juridiction ordinaire de statuer.

Jugeant peu souhaitable que ces incertitudes juridiques demeurent, M. François Colcombet a, par ailleurs, observé qu'aujourd'hui la tendance était plutôt à ramener le personnel politique vers un régime de droit commun. A cet égard, il a rappelé que, sous réserve de quelques garanties procédurales, les parlementaires y étaient désormais soumis et a souligné que, récemment encore, une ministre avait été poursuivie devant la Cour de justice de la République sans, pour autant, cesser d'exercer ses fonctions. Considérant que les hommes politiques devraient être soumis au droit commun, sous la seule réserve d'une procédure protectrice, adaptée à leurs fonctions, il a souligné que la mise en place d'une commission des requêtes prévue par la proposition de loi répondait à cet objectif, en instaurant un filtre susceptible de protéger efficacement le Président contre les actions abusives, tout en lui laissant le temps de réagir.

M. Pascal Clément a d'abord regretté que les débats sur la question de fond ne s'engagent qu'à l'occasion d'événements conjoncturels. Il a souligné les paradoxes de l'attitude des membres de la majorité qui, après avoir longtemps dénoncé l'exercice personnel du pouvoir, avaient défendu la prééminence de l'élection du Président de la République pour inverser le calendrier électoral et insistaient aujourd'hui sur la nécessité de traiter le chef de l'Etat comme un citoyen ordinaire, ce que la lecture de la Constitution ne justifie aucunement. Sans contester la compétence du Conseil constitutionnel pour interpréter la Constitution, il s'est déclaré « abasourdi » par sa décision du 22 janvier 1999, s'étonnant qu'il ait pu poser le principe de sa responsabilité pénale, alors que le texte même de la Constitution indique explicitement qu'il n'est responsable qu'en cas de haute trahison. Par ailleurs, il a considéré que la Cour de cassation n'avait pas compétence pour interpréter la Constitution, son rôle étant seulement d'appliquer la loi.

Observant que les auteurs de la proposition de loi justifiaient son dépôt par l'impossibilité qu'il y aurait à mettre en _uvre les dispositions de l'article 68, M. Pascal Clément a contesté cette affirmation. Il a considéré qu'il était parfaitement envisageable que les parlementaires votent une résolution portant mise en accusation du Président de la République en cas de forfaiture ou de haute trahison, soulignant qu'ils n'étaient pas prêts à le faire, en revanche, pour une affaire de droit commun, liée au financement des partis, alors même que tous les partis se trouvent, à cet égard, dans la même situation et qu'il n'y a donc nulle raison de pointer uniquement le délit d'un seul. Evoquant le dispositif de la proposition de loi, il a considéré que la possibilité donnée aux procureurs et aux parties de saisir une commission des requêtes pourrait se traduire par un harcèlement judiciaire du Président de la République, dont la presse ne manquerait pas de se faire l'écho, ce qui mettrait inévitablement en cause l'autorité que constitue le chef de l'Etat et fragiliserait, à travers lui, les institutions. Insistant sur les mérites de la Ve République, qui a fait la preuve de sa longévité et de sa capacité à s'adapter à des situations différentes - qu'il s'agisse de l'alternance ou de la cohabitation -, il a plaidé pour que le fonctionnement des institutions actuelles ne soit pas compromis par une multiplication de révisions constitutionnelles, qui devraient être conduites dans la sérénité et avec prudence.

M. André Vallini a indiqué que le dépôt de la proposition de loi constitutionnelle par le groupe socialiste était justifié par la volonté de mettre fin aux incertitudes juridiques résultant de l'actuelle rédaction de l'article 68 de la Constitution, auxquelles la décision du Conseil constitutionnel du 22 janvier 1999 n'a pas apporté de réponse adéquate, et de tenir compte de l'évolution de l'opinion publique et des juges, qui acceptent de plus en plus mal que le Président de la République échappe à la juridiction de droit commun pour les actes détachables de l'exercice de ses fonctions. Soulignant que cette proposition ne visait pas à atteindre l'actuel chef de l'Etat, il a estimé, toutefois, que l'impossibilité de faire aboutir les procédures en cours mettait en évidence la nécessité de régler la question de la responsabilité pénale du Président de la République.

Il a ajouté que la proposition de loi permettrait de faire du chef de l'Etat un véritable « président-citoyen », soumis aux lois de la République, comme chacun de nos concitoyens, tout en évitant qu'il ne soit soumis à une quelconque forme de « harcèlement judiciaire », nuisible à la stabilité des institutions, grâce à l'instauration d'un filtre permettant d'écarter des poursuites manifestement dénuées de fondements sérieux

En réponse aux différents intervenants, le rapporteur a apporté les précisions suivantes :

-  L'argument qui consiste à soutenir que la proposition de loi est motivée par le souci de mettre en accusation M. Jacques Chirac est erroné. En permettant au Président de la République de répondre des actes détachables de l'exercice de ses fonctions devant la justice ordinaire, la proposition de loi lui donnera également la possibilité de répondre aux attaques dont il est objet ; la justice n'a pas pour seule fonction de punir, mais peut, tout autant, innocenter.

-  La question de savoir si un Président de la République qui fait l'objet d'une condamnation pénale doit être destitué est distincte de l'objet de la proposition de loi.

-  Il n'est pas nécessaire d'attendre une décision de la Cour de cassation sur l'interprétation de l'article 68 pour éclaircir et fonder durablement le droit de la responsabilité pénale du Président de la République, ni d'ailleurs une réforme constitutionnelle plus large portant sur l'ensemble des institutions.

-  Il ressort des exemples étrangers, que seules les monarchies, telles que l'Espagne ou le Royaume-Uni, retiennent le principe de l'immunité juridictionnelle du chef de l'Etat. Dans les autres Etats, la pratique est différente. Dans certains pays, tels que l'Allemagne ou l'Autriche, le Président de la République peut être poursuivi pénalement pour les actes accomplis en dehors de l'exercice de ses fonctions devant les juridictions ordinaires pendant son mandat, tandis que dans d'autres, comme le Portugal ou la Grèce, il est nécessaire d'attendre la fin de son mandat pour engager d'éventuelles poursuites, ce qui ne semble pas une solution entièrement satisfaisante.

-  Le choix est simple : si l'on accepte l'interprétation du Conseil constitutionnel, il faut alors saisir la Haute Cour de Justice, comme le propose actuellement M. Arnaud Montebourg, pour poursuivre le président de la République, ce qui n'est pas sans inconvénient tant sur le plan institutionnel que politique ; sinon, il faut modifier la Constitution afin de fonder clairement la responsabilité pénale du Président de la République en remettant en cause l'interprétation discutable du Conseil constitutionnel.

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La Commission a rejeté l'exception d'irrecevabilité n° 1 et la question préalable n° 1 respectivement présentées par M. Jean-Louis Debré et M. Jean-François Mattei.

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La Commission est ensuite passée à l'examen des articles de la proposition de loi constitutionnelle.

A l'article premier, la Commission a été saisie d'un amendement de M. Jean-Pierre Michel tendant à permettre que le témoignage du Président de la République puisse être recueilli dans le cadre d'une enquête préliminaire ou par un juge d'instruction lorsqu'une information est ouverte. M. Jean-Pierre Michel a souhaité que ce dispositif soit introduit dans la proposition de loi, afin de régler un problème dont on a pu mesurer récemment la portée, l'obligation pour le Président de la République de témoigner n'étant pas ici soumise au filtre de la commission des requêtes instituée par la proposition de loi.

M. Pascal Clément a souhaité savoir s'il serait possible à un juge de signer un mandat d'amener contre le Président de la République, tandis que M. Renaud Donnedieu de Vabres s'interrogeait sur l'opportunité de faire intervenir la commission des requêtes lorsque le Président est appelé en qualité de témoin.

Le rapporteur a précisé qu'il proposait un amendement soumettant à l'autorisation de cette commission toute mesure privative ou restrictive de liberté à l'encontre du chef de l'Etat, soulignant, par ailleurs, que, si la proposition de loi constitutionnelle prévoyait des règles spécifiques pour la mise en cause de la responsabilité pénale du Président de la République destinées à éviter qu'il ne soit l'objet d'un harcèlement judiciaire, tous les actes de procédure sortant de ce cadre strictement défini relevaient, en revanche, du droit commun. Il a donc considéré que le Président de la République devrait normalement témoigner dans les conditions du droit commun. A l'issue de ce débat, la Commission a rejeté l'amendement de M. Jean-Pierre Michel.

Puis la Commission a été saisie d'un amendement de M. Pascal Clément supprimant la possibilité pour une partie se prétendant lésée de saisir la commission des requêtes, cette faculté étant réservée au parquet général près la Cour de cassation, lui-même saisi par des magistrats du siège ou du parquet. Après que son auteur eut insisté sur le risque de voir le Président de la République harcelé par des requêtes abusives, Monsieur André Vallini a exprimé son intérêt pour cet amendement. Faisant référence à la commission des requêtes placée auprès de la Cour de justice de la République qui est saisie de manière assez fréquente, M. François Colcombet a observé qu'aucune publicité excessive n'était donnée à ces saisines. Il a considéré, par ailleurs, que les magistrats du parquet n'offraient pas une garantie absolue contre les procédures abusives, s'interrogeant, en outre, sur l'opportunité d'inscrire tous les détails de la procédure dans la loi constitutionnelle, alors qu'ils pourraient l'être dans la loi organique. Le rapporteur ayant souhaité que le dispositif de cet amendement, qu'il a jugé d'un grand intérêt, soit précisé, M. Pascal Clément a préféré le retirer pour en revoir la rédaction.

Après que le rapporteur eut rappelé que les parlementaires bénéficiaient d'une protection équivalente aux termes de l'article 26 de la Constitution, la Commission a adopté un amendement qu'il a présenté pour prévoir que le Président de la République ne pourrait faire l'objet d'une arrestation ou de toute autre mesure privative ou restrictive de liberté qu'avec l'autorisation de la commission des requêtes, celle-ci n'étant pas, cependant, requise en cas de crime ou délit flagrant ou de condamnation définitive.

La Commission a ensuite adopté l'article premier ainsi modifié.

Après l'article premier, la Commission a adopté un amendement portant article additionnel, présenté par le rapporteur, modifiant l'intitulé du titre IX de la Constitution, qui serait désormais libellé : « De la responsabilité du Président de la République ».

Puis, à l'article 2, la Commission a adopté deux amendements du rapporteur, l'un de coordination et l'autre précisant que la proposition de loi constitutionnelle entrera en vigueur à l'expiration du mandat présidentiel ayant débuté en 1995, la référence à l'élection présidentielle de 2002, contenue dans le texte soumis à la Commission, ne permettant pas d'établir une date d'entrée en vigueur précise.

La Commission a adopté l'article 2 ainsi modifié.

La Commission a ensuite adopté l'ensemble de la proposition de loi ainsi modifiée.

*

* *

En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République vous demande d'adopter la proposition de loi constitutionnelle dont le texte suit.

TEXTE ADOPTÉ PAR LA COMMISSION

Proposition de loi constitutionnelle tendant à modifier
l'article 68 de la Constitution

Article premier

L'article 68 de la Constitution est ainsi rédigé :

« Art. 68. - Le Président de la République n'est responsable des actes accomplis dans l'exercice de ses fonctions qu'en cas de haute trahison. Il ne peut être mis en accusation pour ces actes que par les deux assemblées statuant par un vote identique au scrutin public et à la majorité absolue des membres les composant ; il est jugé par la Haute Cour de justice.

« Pour les actes susceptibles d'être qualifiés crimes ou délits, qu'ils aient été commis antérieurement ou au cours de son mandat, et qui sont sans lien avec l'exercice de ses fonctions, le Président de la République est pénalement responsable. Les poursuites ne peuvent être engagées contre lui que sur décision d'une commission des requêtes, saisie par le parquet ou la partie qui se prétend lésée. Celle-ci ordonne soit le classement de la procédure, soit sa transmission au parquet. Le Président de la République ne peut faire l'objet d'une arrestation ou de toute autre mesure privative ou restrictive de liberté qu'avec l'autorisation de la commission des requêtes. Cette autorisation n'est pas requise en cas de crime ou délit flagrant ou de condamnation définitive.

« Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article. »

Article 2

L'intitulé du titre IX de la Constitution est ainsi rédigé : « De la responsabilité du Président de la République »

Article 3

Les dispositions des articles précédents entrent en application à l'expiration du mandat présidentiel ayant débuté en 1995, quelle que soit la date à laquelle les faits ont été commis.

TABLEAU COMPARATIF

___

Texte en vigueur

___

Texte de la proposition de loi

___

Conclusions de la Commission

___




Constitution
du 4 octobre 1958

Article premier

L'article 68 de la Constitution est ainsi rédigé :

Article premier

(Alinéa sans modification).

Art. 68. - Le Président de la République n'est responsable des actes accomplis dans l'exercice de ses fonctions qu'en cas de haute trahison. Il ne peut être mis en accusation que par les deux assemblées statuant par un vote identique au scrutin public et à la majorité absolue des membres les composant ; il est jugé par la Haute Cour de justice.

« Art. 68. - Le Président de la République n'est responsable des actes accomplis dans l'exercice de ses fonctions qu'en cas de haute trahison. Il ne peut être mis en accusation pour ces actes que par les deux assemblées statuant par un vote identique au scrutin public et à la majorité absolue des membres les composant ; il est jugé par la Haute Cour de justice.

« Art. 68. - (Alinéa sans modification).

 

« Pour les actes susceptibles d'être qualifiés crimes ou délits, qu'ils aient été commis antérieurement ou au cours de son mandat, et qui sont sans lien avec l'exercice de ses fonctions, le Président de la République est pénalement responsable. Les poursuites ne peuvent être engagées contre lui que sur décision d'une commission des requêtes, saisie par le parquet ou la partie qui se prétend lésée. Celle-ci ordonne soit le classement de la procédure, soit sa transmission au parquet.













... parquet. Le Président
de la République ne peut faire l'objet d'une arrestation ou de toute autre mesure privative ou restrictive de liberté qu'avec l'autorisation de la commission des requêtes. Cette autorisation n'est pas requise en cas de crime ou délit flagrant ou de condamnation définitive.

 

« Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article. »

(Alinéa sans modification).

   

Article 2

L'intitulé du titre IX de la Constitution est ainsi rédigé : « De la responsabilité du Président de la République ».

 

Article 2

Les dispositions de l'article précédent entrent en application à compter de l'élection présidentielle de 2002, quelle que soit la date à laquelle les faits ont été commis.

Article 3

Les dispositions des articles précédents entrent en application à l'expiration du mandat présidentiel ayant débuté en 1995, quelle ...

AMENDEMENTS NON ADOPTÉS PAR LA COMMISSION

Article premier
(art. 68 de la Constitution du 4 octobre 1958)

Amendement présenté par M. Jean-Pierre Michel :

Après la première phrase de deuxième alinéa de cet article, insérer la phrase suivante : « Son témoignage peut être recueilli dans le cadre d'une enquête préliminaire ou par un juge d'instruction lorsqu'une information est ouverte. »

Amendement présenté par M. Pascal Clément [retiré] :

Dans le deuxième alinéa de cet article, substituer aux mots : « saisie par le parquet ou la partie qui se prétend lésée », les mots : « saisie par le parquet général près la Cour de cassation, lui-même saisi par les magistrats du siège ou du parquet ».

N°3116-Rapport de M.Roman au nom de la commission des lois sur la proposition de loi constitutionnelle (N 3091) de M. AYRAULT tendant à modifier l'article 68 de la Constitution,

() Jean Rossetto, « L'introuvable faute des gouvernants », Droits, 5, 1987, p. 108.

() Dominique Turpin, « Parfaire l'Etat de droit en réformant ou supprimant la Haute Cour de justice », Les Petites affiches, 4 mai 1992, n° 54, p. 40.

() Georges Vedel, Pouvoirs, n° 92, p. 75.

() Cité par François Furet et Ran Halévy, Orateurs de la Révolution française. Les Constituants, Gallimard, « La Pléiade », 1989, p. 319.

() Dominique Turpin, Ibid.

() Guy Carcassonne, « Le Président de la République française et le juge pénal », Mélanges Ardant, Droit et politique à la croisée des cultures, LGDJ, 1999, p. 275 et s. ; Dominique Chagnollaud, « Le Président et la doctrine : à propos de la responsabilité pénale du chef de l'Etat », Revue du droit public et de la science politique, n° 6, 1999, p. 1669-1679.

() Léon Duguit, Manuel de droit constitutionnel, Boccard, 1923, pp. 486-487.

() Maurice Hauriou, Précis de droit constitutionnel, Sirey, 1929, p. 415.

() Barthélémy et Duez, Traité de droit constitutionnel, Dalloz, 1933, p. 620.

() Voir Eric Dezeuze, « Un éclairage nouveau sur le statut pénal du Président de la République », Revue de sciences criminelles, juillet-septembre 1999, p. 504.

() Julien Lafferière, Manuel de droit constitutionnel, Domat, 1947, p. 1028.

() Georges Vedel, cité par François Luchaire, « La cour pénale internationale et la responsabilité du chef de l'Etat devant le Conseil constitutionnel », Revue du droit public et de la science politique, n° 2, 1999, p. 458.

() Jean Foyer, « Haute Cour de justice », Répertoire Dalloz de droit pénal, n° 34.

() Comité national chargé de la publication des travaux préparatoires des institutions de la Ve République, Documents pour servir à l'histoire de la Constitution du 4 octobre 1958, volume I, La Documentation française, 1987, p. 252.

() Comité national chargé de la publication des travaux préparatoires des institutions de la Ve République, op. cit., p. 267.

() Comité national chargé de la publication des travaux préparatoires des institutions de la Ve République, op. cit., p. 425. L'avant-projet du 15 juillet 1958 dit « de la Celle-Saint-Cloud » ne diffère que de peu de cette rédaction, Ibid. , p. 439.

() Ibid., p. 490.

() Comité national chargé de la publication des travaux préparatoires des institutions de la Ve République, op. cit., volume III, p. 170-171.

() Ibid, p. 390.

() Dimitri-Georges Lavroff, Précis de droit constitutionnel de la Ve République, Dalloz, 1997, p. 588.

() Michel-Henry Fabre, Principes républicains de droit constitutionnel, LGDJ, 1984, p. 371. Cette interprétation est également celle de Pierre Pactet : « Les actes délictueux ou dommageables commis par le Président en dehors de l'exercice de ses fonctions donnent lieu à une responsabilité pénale ou civile appréciée dans des conditions de droit commun, mais en fait, ils ne constituent qu'une hypothèse d'école », cité par Frédéric Naud, « L'irresponsabilité présidentielle ? Une erreur de droit. », Le Monde, 26 septembre 1998.

() Jean Gicquel, Droit constitutionnel et institutions politiques, Montchrestien, 1997, p. 295.

() M. Bruno Genevois constate ce fait explicitement. Bruno Genevois, « Les immunités prévues par la Constitution et le contrôle juridictionnel », Revue française de droit administratif, n° 16, mai-juin 2000, p. 517.

() Eric Dezeuze, « Un éclairage nouveau sur le statut pénal du Président de la République », op. cit., p. 498.

() François Luchaire, op. cit., p. 459.

() Michel Troper, « Comment décident les juges constitutionnels », Le Monde, 13 février 1999, p. 16.

() Dominique Chagnollaud, Libération, 7 septembre 1998.

() Dominique Chagnollaud,  « Le Président et la doctrine : à propos de la responsabilité pénale du chef de l'Etat », op. cit., p. 1678.

() François Terré, Libération, 29 mars 2001.

( ) Pierre Esplugas , « Le Conseil constitutionnel et la responsabilité pénale du chef de l'Etat », Les Petites affiches, 5 juillet 1999, n° 132, p. 9.

() Guy Carcassonne, « L'immunité du Président », Le Point, 23 mai 1998 et « Le Président de la République française et le juge pénal », op. cit.

() Guy Carcassonne, Libération, 29 mars 2001.

() Jean-Eric Schoettl, « La responsabilité du chef de l'Etat », Revue du droit public et de la science politique, n° 4, 1999, p. 1037-1046.

() On se reportera sur cette question aux conclusions de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale chargée d'examiner les conditions dans lesquelles des fonds ont pu être affectés depuis 1976 à une invention scientifique susceptible de bouleverser la recherche pétrolière (affaire dite des « avions renifleurs »). M. Valéry Giscard d'Estaing avait été sollicité pour témoigner devant la commission. Il s'y refusa, soutenu sur ce sujet par une lettre de son successeur à la présidence de la République, M. François Mitterrand  ; Voir rapport n° 2418.

() La locution latine se traduit littéralement par « soi dit en passant », comme nous le précise Pierre Esplugas in « Le Conseil constitutionnel et la responsabilité pénale du chef de l'Etat », op. cit., p. 6.

() Olivier Duhamel, « Le point de vue du Conseil n'a pas d'effet en droit », Le Monde, 26 janvier 1999, p. 5.

() Dominique Rousseau, La Croix, 27 janvier 1999.

() Pierre Esplugas, op. cit., p. 9.

() Louis Favoreu, Le Figaro, 26 janvier 1999.

() Jean-Eric Schoettl, « La responsabilité du chef de l'Etat », op.cit., p. 1045-1046.

() François Luchaire, op. cit., p. 461-462. Eric Dezeuze retient aussi cette interprétation, n'excluant pas que les juridictions pénales ne suivent pas le Conseil constitutionnel sur ce point. Il le regrette cependant. Eric Dezeuze, op. cit., p. 515-517.

() Arrêt du 11 janvier 2000.

() Sur la question de la prescription, voir Robert Badinter, « La responsabilité pénale du Président de la République sous la Ve République », Mélanges en l'honneur de Patrice Gélard, Montchrestien, 1999, p. 159. Voir également Eric Dezeuze, op. cit., p. 512.

() Bruno Genevois, « Les immunités prévues par la Constitution et le contrôle juridictionnel », op. cit., p. 519.

() Cass. crim., 14 mars 1963, 7 mai 1963, 7 juin 1963 et 9 juillet 1984.

() Georges Vedel, Le Monde, 31 octobre 1992.

() Bertrand Mathieu, « La Haute Cour de justice et la responsabilité pénale des ministres ou comment se servir d'un sabre de bois », Revue française de droit constitutionnel, 1990, n° 4, p. 735.

() Guy Carcassonne, La Constitution, Seuil, 1996, p. 139.

() Il est évident que certaines des mesures de contrôle judiciaire prévues par l'article 138 du code de procédure pénale, comme les restrictions à la liberté de mouvement notamment - si elles interdisent au parlementaire de se rendre à Paris ou dans sa circonscription - peuvent faire obstacle à l'exercice du mandat parlementaire.

() Guy Carcassonne, Ibid., p. 140.

() JO débats Sénat, 27 mai 1993, p. 461.

() Guy Carcassonne, La Constitution, op. cit., p. 278.

() Dominique Chagnollaud, « Le Président et la doctrine : à propos de la responsabilité pénale du chef de l'Etat », op. cit., p. 1677.

() Georges Vedel, Droit constitutionnel et institutions politiques, Les cours de droit, 1960-1961, p. 826.

() Cité par Jean Rossetto, « L'introuvable faute des gouvernants », Droits, 5, 1987, p. 112.

() Cité par Frédéric Naud, « L'irresponsabilité présidentielle ? Une erreur de droit », op. cit..

() Michel Troper, « Comment décident les juges constitutionnels », op. cit.

() Cass. crim. 26 juin 1995, Carignon ; Cass. crim. 6 février 1997, Noir.


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