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le 25 juin 2001

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N° 3164

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 20 juin 2001.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES (1) SUR LE PROJET DE LOI, ADOPTÉ PAR LE SÉNAT, autorisant la ratification de l'accord euro-méditerranéen établissant une association entre les Communautés européennes et leurs Etats membres, d'une part, et le Royaume hachémite de Jordanie, d'autre part (ensemble sept annexes, quatre protocoles, un acte final, douze déclarations communes et un échange de lettres),

PAR M. PIERRE BRANA,

Député

--

(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

Voir les numéros :

Sénat : 484 (199-2000), 144 et T.A. 71 (2000-2001)

Assemblée nationale : 2981

Traités et conventions

Commission des affaires étrangères

La Commission des affaires étrangères est composée de : M. François Loncle, président ; M. Gérard Charasse, M. Georges Hage, M. Jean-Bernard Raimond, vice-présidents ; M. Roland Blum, M. Pierre Brana, Mme Monique Collange, secrétaires ; Mme Michèle Alliot-Marie, Mme Nicole Ameline, M. René André, Mme Marie-Hélène Aubert, Mme Martine Aurillac, M. Édouard Balladur, M. Raymond Barre, M. Henri Bertholet, M. Jean-Louis Bianco, M. André Billardon, M. André Borel, M. Bernard Bosson, M. Bernard Brochand, M. Jean-Christophe Cambadélis, M. Hervé de Charette, M. Yves Dauge, M. Jean-Claude Decagny, M. Patrick Delnatte, M. Jean-Marie Demange, M. Xavier Deniau, M. Paul Dhaille, M. Jean-Paul Dupré, M. Charles Ehrmann, M. Jean-Michel Ferrand, M. Raymond Forni, M. Michel Fromet, M. Georges Frêche, M. Jean-Yves Gateaud, M. Jean Gaubert, M. Valéry Giscard d'Estaing, M. Jacques Godfrain, M. Pierre Goldberg, M. François Guillaume, M. Jean-Jacques Guillet, M. Robert Hue, Mme Bernadette Isaac-Sibille, M. Didier Julia, M. Alain Juppé, M. André Labarrère, M. Gilbert Le Bris, M. Alain Le Vern, M. Jean-Claude Lefort, M. Guy Lengagne, M. Pierre Lequiller, M. François Léotard, M. Bernard Madrelle, M. René Mangin, M. Jean-Paul Mariot, M. Gilbert Maurer, M. Jean-Claude Mignon, M. Jacques Myard, Mme Françoise de Panafieu, M. Étienne Pinte, M. Marc Reymann, M. François Rochebloine, M. Gilbert Roseau, Mme Yvette Roudy, M. René Rouquet, M. Georges Sarre, M. Henri Sicre, M. Dominique Strauss-Kahn, Mme Christiane Taubira-Delannon, M. Michel Terrot, Mme Odette Trupin, M. Joseph Tyrode, M. Michel Vauzelle.

SOMMAIRE

___

INTRODUCTION 4

I - LE PARTENARIAT EURO-MÉDITERRANÉEN 5

A - QUELQUES RAPPELS SUCCINCTS 5

B - LES PROGRÈS DES NÉGOCIATIONS DES ACCORDS D'ASSOCIATION
     EURO-MÉDITERRANÉENS
8

II - L'ACCORD D'ASSOCIATION UE-JORDANIE 9

A - L'ÉTAT DES RATIFICATIONS 9

B - UN ACCORD TRADITIONNEL 9

C - LES ATTENTES JORDANIENNES 12

D - LES APPRÉHENSIONS JORDANIENNES 14

D - LA QUESTION DES DROITS DE L'HOMME 15

CONCLUSION 19

EXAMEN EN COMMISSION 20

Mesdames, Messieurs,

La ratification des accords d'association donne l'occasion au Parlement français d'intervenir quelque peu dans la politique euro-méditerranéenne de l'Union européenne.

Elle rappelle également, si besoin était, que parmi les priorités des relations extérieures de l'Union européenne figure, outre le processus d'élargissement vers l'Est, la prise en considération, non seulement par les Etats membres de l'Union européenne riverains de la Méditerranée mais de l'ensemble de la Communauté, des intérêts du Sud de la Méditerranée, qui s'illustre au travers du Partenariat euro-méditerranéen.

Ce dialogue euro-méditerranéen s'articule essentiellement autour d'un système très souple d'accords d'association dont les principaux objectifs sont la mise en _uvre d'un dialogue politique, la création d'une zone de libre-échange en 2010 et l'instauration d'une large coopération financée par les programmes MEDA (mesures d'accompagnement financières et techniques à la réforme des structures économiques et sociales dans le cadre du Partenariat euro-méditerranéen). Ce que rappellera brièvement votre Rapporteur avant de s'intéresser plus en détails à l'accord euro-méditerranéen établissant une association entre l'Union européenne et la Jordanie, dont nous sommes saisis.

I - LE PARTENARIAT EURO-MÉDITERRANÉEN

A - Quelques rappels succincts

Votre Rapporteur n'a pas pour ambition de décrire dans le détail ce que l'on appelle communément le processus de Barcelone, puisqu'il fait l'objet d'un rapport d'information récent1. Cependant, il estime important de rappeler les grandes lignes du Partenariat euro-méditerranéen.

Le Partenariat euro-méditerranéen issu de la Conférence de Barcelone (27-28 novembre 1995) signifie pour l'Union européenne et les pays méditerranéens non membres de l'Union européenne -que l'on appelle depuis lors les Partenaires méditerranéens2- agir ensemble pour établir une zone de dialogue, d'échanges et de coopération qui garantisse la paix, la stabilité et la prospérité dans le bassin méditerranéen.

· La politique méditerranéenne de l'Union européenne repose sur deux piliers complémentaires :

- le partenariat global engagé par la Conférence de Barcelone, lui-même constitué de trois volets :

* le volet politique et de sécurité,

* le volet économique et financier,

* le volet social et humain ;

- le renouvellement des accords bilatéraux de coopération conclus dans les années soixante-dix avec la plupart des pays du Maghreb et du Machrek, qui se limitaient aux aspects économiques et étaient assortis de Protocoles financiers.

· Le volet politique et de sécurité

Il vise à établir "un espace commun de paix et de sécurité" à travers le respect de certains principes qui touchent à l'organisation politique interne des Etats (respect de la démocratie et des droits de l'Homme) et à la conduite de leur politique étrangère avec l'idée de mettre en _uvre à terme une déclaration politique agréée par les vingt-sept Partenaires (quinze pays membres de l'Union européenne + douze Partenaires euro-méditerranéens) sous le titre de "Charte euro-méditerranéenne pour la paix et la stabilité". Le texte de cette charte est en cours de rédaction et son entrée en vigueur est évidemment liée aux progrès à accomplir dans le processus de paix au Proche et Moyen-Orient puisque cet accord engagera politiquement et moralement les vingt-sept Partenaires à prévenir les tensions et les crises et à maintenir la paix et la stabilité au moyen d'une sécurité fondée sur la coopération.

Certes le processus de paix est indépendant du Partenariat euro-méditerranéen, mais fortifier ce dernier et soutenir le développement ne peuvent que contribuer à la paix. C'est d'ailleurs ce qui ressort de l'un des attendus de la déclaration de Barcelone :

"Cette initiative euro-méditerranéenne n'a pas vocation à se substituer aux autres actions et initiatives entreprises en faveur de la paix, de la stabilité et du développement de la région, mais elle contribuera à favoriser leur succès. Les participants appuient la réalisation d'un règlement de paix juste, global et durable au Moyen-Orient, basé sur les résolutions pertinentes du Conseil de sécurité des Nations unies et les principes mentionnés dans la lettre d'invitation à la Conférence de Madrid sur la paix au Moyen-Orient".

· Le volet économique et financier

Il prévoit la suppression de la préférence commerciale européenne en instaurant une zone de libre-échange pour les produits industriels qui entreront dans la Communauté européenne exemptés de droits de douane et sans quotas en 2010. Les Partenaires méditerranéens devront donc s'ouvrir à la concurrence européenne dans le domaine industriel alors qu'ils sont jusqu'à présent protégés par des barrières douanières. Le libre-échange est instauré progressivement sur une période transitoire de douze ans (délai maximal autorisé dans le cadre de l'OMC), soit à partir de la date de signature de l'accord le 24 novembre 1997 et jusqu'en 2010.

En contrepartie cependant, les compensations européennes sont certes assez minimes puisque, d'une part, l'Union européenne est déjà ouverte dans le domaine industriel et, d'autre part, ne souhaite pas démanteler ses protections dans le secteur agricole. Ainsi pour les produits agricoles le mécanisme des contingents demeure. Toutefois, une clause de rendez-vous, fixée en 2002, engage les Parties à examiner la possibilité de libéraliser davantage leurs échanges agricoles.

Le traitement de la nation la plus favorisée en matière de droit d'établissement des sociétés (sauf concernant les transports aériens, fluviaux et maritimes) est prévu ainsi que la libre circulation des capitaux, la concurrence et la protection de la propriété intellectuelle, industrielle et artistique. Les Parties libéraliseront également les prestations de services.

· Cette ouverture étant susceptible d'entraîner des bouleversements économiques et sociaux, il est prévu de développer la coopération économique et financière planifiée à Barcelone grâce à deux mécanismes :

- les accords d'association conclus entre l'Union européenne et chacun des pays partenaires, dédiés à la libéralisation des échanges, à l'organisation de la coopération bilatérale et à l'instauration d'un dialogue politique ; ils viennent se substituer aux accords de coopération signés dans les années soixante-dix qui offraient aux produits méditerranéens un accès privilégié sans obligation de réciprocité au marché communautaire (libre accès pour les produits industriels, contingents pour les produits agricoles) mais étaient limités aux dispositions économiques et commerciales et à l'assistance financière sous la forme de Protocoles financiers ;

- et les programmes d'assistance technique communautaire MEDA, instruments financiers de l'Union européenne pour la mise en _uvre du Partenariat euro-méditerranéen et couvrant toute une série de domaines de coopération (industrie, investissements, secteur privé, formation, environnement, énergie, transports et télécommunications, sciences et techniques, drogue, blanchiment d'argent, coopération régionale, culture et dialogue en matière sociale).

Pour la période 1995-1999, ce sont 4,685 milliards d'euros (aides non remboursables MEDA I), auxquels s'ajoutent les prêts (remboursables) de la Banque européenne d'investissement (BEI) pour un montant de 3,9 milliards d'euros sur la même période. A l'issue de la quatrième Conférence euro-méditerranéenne qui s'est tenue à Marseille le 13 novembre 2000, sous Présidence française, l'Union européenne a confirmé l'importance de son engagement en faveur de la Méditerranée puisqu'elle a annoncé qu'elle mobiliserait, pour la période 2000-2006, 5,35 milliards d'euros en crédits MEDA II (aides non remboursables) et 6,7 milliards de prêts remboursables de la BEI.

Votre Rapporteur l'a dit, ces programmes font suite à vingt années de coopération basée sur le système des Protocoles financiers. L'une des nouveautés est qu'il n'y a pas d'allocation financière fixe par pays mais une ligne budgétaire unique de la partie "dépenses non obligatoires" (DNO) du budget (c'est-à-dire toutes les autres dépenses que les dépenses agricoles et celles découlant directement de l'application des traités qui constituent les "dépenses obligatoires" ou DO). Ces affectations doivent être votées chaque année par le Conseil et le Parlement européen et sont soumises au respect de certaines conditions (respect des accords d'association, avancée des réformes, respect des droits de l'Homme).

· Le volet social et humain

Il s'agit de développer les ressources humaines et de favoriser les échanges entre les sociétés civiles des pays signataires. Est également prévue une coopération visant à diminuer la pression migratoire.

B - Les progrès des négociations des accords d'association euro-méditerranéens

Votre Rapporteur a jugé intéressant de dresser un premier bilan des accords d'association déjà conclus ou en cours de discussion.

Quatre accords d'association sont d'ores et déjà entrés en vigueur, à savoir avec la Tunisie, depuis mars 1998, avec le Maroc, depuis mars 2000, avec Israël, depuis juin 2000, et avec l'Autorité palestinienne sous une forme intérimaire depuis juillet 1997.

Un accord doit être signé avec l'Egypte le 25 juin 2001.

Des négociations sont en cours avec le Liban, la Syrie et l'Algérie.

Trois pays se situent dans une logique de "pré-adhésion" : Chypre, Malte et la Turquie et les accords de coopération "à l'ancienne" sont toujours en vigueur.

Enfin, l'accord Union européenne-Jordanie est présenté devant le Parlement français.

II - L'ACCORD D'ASSOCIATION UE-JORDANIE

A - L'état des ratifications

Sur les quinze Etats membres de l'Union européenne, treize avaient achevé leur procédure nationale de ratification au 31 décembre 2000, comme l'indique le tableau ci-dessous. Il ne reste plus que la France et la Belgique. La Jordanie, quant à elle, a ratifié l'accord le 30 septembre 1999.


Accord UE-Jordanie
Etat de la ratification dans l'Union européenne

Allemagne

4 juillet 2000

Belgique

-

Danemark

19 avril 2000

Espagne

5 mars 1999

Finlande

28 avril 1999

France

-

Grèce

20 septembre 2000

Irlande

8 novembre 2000

Italie

5 juin 2000

Luxembourg

25 août 2000

Pays-Bas

8 novembre 1999

Portugal

8 juillet 1999

Royaume-Uni

22 octobre 1999

Suède

3 juin 1999

B - Un accord traditionnel

L'Union européenne étant dans une logique de partenariat global avec l'ensemble des pays de la zone méditerranéenne et de mise en place du libre-échange régional, l'accord conclu avec la Jordanie ne se distingue en rien du texte type des accords d'association euro-méditerranéens.

Il s'agit d'un accord conforme aux accords euro-méditerranéens, structuré en considérants, suivis de deux articles et de huit titres.

· Les considérants et les articles 1er et 2

Il s'agit tout d'abord de rappeler les objectifs de l'accord mais aussi et surtout l'importance du respect des principes démocratiques et des droits de l'Homme, "élément essentiel du présent accord".

Titre Ier - Dialogue politique (articles 3 à 5)

L'instauration d'un dialogue régulier entre les Parties est prévue au niveau ministériel et au niveau des hauts fonctionnaires portant sur tous les sujets présentant un intérêt commun et plus particulièrement sur les conditions propres à garantir la paix, la sécurité, le respect des droits de l'Homme et le développement régional.

Titre II - Libre circulation des marchandises - Principes de base

(articles 6 à 29)

Dans les douze ans au maximum suivant l'entrée en vigueur de l'accord sera établie une zone de libre-échange. Ainsi la Jordanie, qui jusqu'à présent n'accordait aucune concession à la Communauté, éliminera progressivement les droits sur ses importations de biens industriels et appliquera des droits réduits à ses importations de produits agricoles.

En échange, la Communauté accordera aux produits industriels jordaniens le libre accès au marché communautaire et des concessions aux produits agricoles avec une clause de rendez-vous prévue en 2002, année au cours de laquelle les deux Parties pourront prendre des mesures de libéralisation de leurs échanges agricoles.

Sont également prévues des clauses de sauvegarde et d'anti-dumping.

Titre III - Droit d'établissement et services (articles 30 à 47)

L'accord s'appliquera au droit d'établissement de sociétés et à la libéralisation des prestations de services selon des modalités à définir ultérieurement.

En particulier, l'article 40 prévoit que les Parties examineront au plus tard cinq ans après l'entrée en vigueur de l'accord la possibilité d'étendre les dispositions du présent titre en vue d'établir un "accord d'intégration économique".

En attendant cependant, sont maintenues les obligations respectives des Parties conformément aux règles du GATS et notamment l'octroi du traitement de la nation la plus favorisée.

Titre IV - Paiements, circulation des capitaux et autres questions économiques (articles 48 à 58)

Aucune restriction ne s'appliquera aux paiements relatifs à des transactions courantes et aux capitaux liés à des investissements directs.

Des règles de concurrence du type de celles en vigueur dans la Communauté sont prévues (interdiction de toute pratique susceptible d'affecter le jeu de la concurrence : accords entre entreprises, abus de position dominante, aides publiques, monopoles).

Les Parties s'engagent également à assurer une protection adéquate et effective des droits de propriété intellectuelle, industrielle et commerciale.

Une libéralisation progressive des marchés publics est fixée comme objectif.

Titre V - Coopération économique (articles 50 à 79)

Le renforcement de la coopération économique tel qu'il est prévu va dans le sens d'un accompagnement de la libéralisation des échanges en général et de la mise en place d'un libre-échange industriel. Il s'agit de rapprocher les économies, de développer des secteurs créateurs d'emplois et d'intégrer les régions.

La coopération couvre ainsi l'éducation et la formation, les communautés scientifiques, techniques et technologiques, l'environnement, l'industrie, les investissements, les normes, les législations, les services financiers, l'agriculture, les transports, les télécommunications et technologies de l'information, l'énergie, le tourisme, les douanes, le secteur statistique, le blanchiment d'argent, la lutte contre la drogue.

Les moyens utilisés sont variés : un dialogue économique régulier entre les Parties, des échanges d'informations et d'idées, des actions de conseil, d'expertise et de formation, l'organisation de séminaires et ateliers, l'assistance technique, administrative et réglementaire et l'encouragement des coentreprises.

Titre VI - Coopération en matière sociale et culturelle (articles 80 à 85)

Un dialogue est instauré entre les Parties portant sur les questions sociales (conditions de vie et de travail, migrations et immigration clandestine, égalité de traitement entre ressortissants).

Il en sera de même au niveau culturel grâce à la mise en place de programmes en faveur de la jeunesse, au développement des moyens de communication écrits et audiovisuels et de la protection du patrimoine.

Titre VII - Coopération financière (articles 86 à 88)

Les règles d'utilisation des moyens destinés à la coopération financière sont fixées par le règlement financier MEDA, c'est pourquoi les dispositions de ce titre restent assez générales.

Titre VIII - Dispositions institutionnelles générales et finales

(articles 89 à 107)

Les institutions dédiées à l'accord sont le Conseil d'association (réunion annuelle au niveau ministériel) et le Comité d'association (organe gestionnaire de l'accord composé de fonctionnaires).

Les dispositions finales sont traditionnelles : clauses de dénonciation, de protection des intérêts essentiels de sécurité territoriale, de non-discrimination, d'arbitrage, de durée du présent accord et d'entrée en vigueur, etc.

C - Les attentes jordaniennes

C'est dans l'espoir de remédier à un contexte économique difficile que la Jordanie espère une entrée en vigueur rapide du présent accord.

En effet, les bases de l'économie jordanienne sont fragiles :

- faibles ressources naturelles, mis à part le phosphate et la potasse, et cruel manque d'eau ;

- marché intérieur exigu (moins de 5 millions d'habitants et faible pouvoir d'achat).

A cette fragilité structurelle s'ajoutent des handicaps liés à un environnement géographique et politique instable et aux conséquences de la guerre du Golfe (embargo contre l'Irak). Le cumul de ces deux facteurs la rend très dépendante de l'aide extérieure provenant de l'Arabie Saoudite, de l'Union européenne, des Etats-Unis et des bailleurs de fonds multilatéraux.

Ses rapports commerciaux avec l'Union européenne sont déficitaires de l'ordre de 2 milliards d'euros. En 1999, les exportations jordaniennes ont représenté seulement 1,4 milliard de dollars US, dont seuls 6 % ont été absorbés par l'Union européenne (phosphates, potasses et dérivés). A l'inverse, l'Union européenne représente un tiers des importations jordaniennes. Le véritable enjeu des relations économiques avec l'Union européenne concerne les services, surtout le tourisme et les nouvelles technologies de la communication.

Il convient cependant de saluer la situation exceptionnelle des flux d'investissements communautaires et notamment français favorisés par la stabilité politique jordanienne. La France occupe la première place avec plus de 80 % des investissements directs étrangers réalisés depuis 1998 en Jordanie, en partie grâce à quelques grosses opérations comme le rachat par France Télécom de 36 % du capital de la compagnie publique Jordan Telecom, soit 500 millions de dollars US. Le stock total d'investissements français en Jordanie représente ainsi 700 millions de dollars US.

L'aide que l'Union européenne apporte à la Jordanie la place au quatrième rang des bénéficiaires des crédits MEDA I par habitant (29 euros contre 13,2 en moyenne). Ainsi de 1996 à 1999, 254 millions d'euros ont été engagés en Jordanie, soit 60 % de plus que l'enveloppe indicative initialement prévue de 158 millions d'euros. Ce montant représente une augmentation considérable comparée à l'aide affectée à la Jordanie sous forme de dons au titre du quatrième Protocole financier (46 millions d'euros) qui couvrait une période de quatre ans. Cependant les deux tiers de l'enveloppe jordanienne (180 millions d'euros) ont été octroyés sous forme de deux tranches d'ajustement structurel (proportion plus importante que pour les autres Partenaires méditerranéens). La première (100 millions d'euros) a été effectivement décaissée, la convention de financement de la seconde (80 millions d'euros) a été signée en avril 2000. Enfin la capacité d'absorption des crédits MEDA par la Jordanie est l'une des plus élevées parmi les pays méditerranéens (42,5 % pour la période 1995-1999) et s'explique essentiellement par la place prépondérante occupée par l'ajustement structurel qui donne lieu à des déboursements plus rapides que les projets.

Mais si les Jordaniens placent beaucoup d'espoir dans l'entrée en vigueur de cet accord d'association, ils ressentent tout de même quelques appréhensions.

D - Les appréhensions jordaniennes

L'instauration de la zone de libre-échange, qui est au c_ur de la mise en _uvre des accords d'association, et qui concerne les produits industriels, constitue une préoccupation constante des Partenaires méditerranéens. Il est donc tout à fait légitime que la Jordanie éprouve quelques appréhensions que l'on retrouve d'ailleurs sur la question des services.

S'agissant des dispositions sociales (réadmission des personnes en situation irrégulière et droits des travailleurs), celles-ci n'ont pas véritablement soulevé de difficultés majeures. Il est toutefois à noter que la Jordanie s'était interrogée sur le point de savoir pourquoi les dispositions qui lui étaient proposées étaient plus strictes que celles inscrites dans les accords d'association UE-Tunisie et UE-Maroc, alors même que les flux migratoires en provenance de ces deux pays vers l'Union européenne sont beaucoup plus importants que ceux constatés à partir de la Jordanie. L'explication tient simplement à un durcissement du texte type communautaire pour ces accords d'association entre le moment où les accords avec la Tunisie et le Maroc ont été signés et le déroulement de la négociation avec la Jordanie.

Plus importantes sont les difficultés ayant trait à l'agriculture. Lors de la négociation, la Commission avait, de façon inhabituelle, introduit une clause évolutive qui prévoyait la réévaluation des contingents agricoles, outrepassant de fait son mandat. En effet, il est simplement prévu dans les accords d'association euro-méditerranéens que les Parties s'engagent, aux termes d'une clause dite de "rendez-vous agricole" à négocier la libéralisation accrue et réciproque de leurs échanges dans ce domaine, une fois l'accord entré en vigueur.

De ce point de vue l'initiative prise par la Commission constituait une anomalie dont le Conseil n'avait pas été informé. Pour autant, un texte comportant une clause évolutive a été paraphé en marge de la réunion ministérielle du Partenariat à Malte (16 avril 1997).

Constatant que la Commission avait outrepassé son mandat, plusieurs Etats membres de l'Union européenne, notamment la France, l'Espagne, l'Italie, le Portugal et la Grèce, ont alors souhaité que le texte paraphé soit remis en cause. La Commission a dû procéder à une révision de sa proposition initiale pour que l'accord puisse être signé avec la Jordanie en novembre 1997. La clause évolutive a été supprimée et en contrepartie, l'Union européenne s'est engagée, de manière anticipée, à une concession améliorée sur le concentré de tomates (produit agricole qui intéresse le plus la Jordanie) portant sur 4 000 tonnes par an, au lieu des 3 000 tonnes initialement prévues. Le risque que comportait la clause initiale était celui de créer un précédent beaucoup plus lourd de conséquences avec d'autres partenaires méditerranéens.

Enfin, votre Rapporteur ne saurait s'attacher à décrire les relations euro-jordaniennes dans le cadre du dialogue euro-méditerranéen sans s'attarder sur la question du respect des droits de l'Homme, "élément essentiel" de chaque accord d'association dont la violation peut entraîner la suspension de l'accord.

E - La question des droits de l'Homme

La Jordanie est sans doute l'un des Etats de la région où l'on enfreint le moins les droits de l'Homme. Elle a ratifié les principaux traités relatifs aux droits de la personne (Pacte international sur les droits civils et politiques, Pacte international sur les droits économiques sociaux et culturels, Convention contre la torture, Convention relative aux droits de l'enfant, Convention sur l'élimination de toute forme de discrimination à l'égard des femmes).

Les autorités font par ailleurs régulièrement preuve de leur intention d'améliorer la protection des droits de l'Homme dans le pays. Le Comité Royal des Droit de l'Homme, présidé par la Reine, créé en mai 2000, vient de rendre un rapport qui devrait permettre la mise en place d'une structure permanente de contrôle, comme le Premier Ministre s'y était engagé lors de la visite de Mme Robinson, le Haut Commissaire des Nations unies pour les droits de l'Homme.

Trois associations de défense des droits de l'Homme travaillent sans être inquiétées dans le pays.

· En dépit de nombreuses imperfections, l'intégrité de la personne est relativement assurée en Jordanie.

Il semble qu'il n'y ait pas d'assassinats politiques, ni de disparitions ou de détentions politiques prolongées. Les personnes arrêtées, quel que soit le délit, ne peuvent être détenues plus de quatorze jours sans jugement (cette règle a été respectée lors des arrestations effectuées à la suite des manifestations violentes de soutien à l'Intifada palestinienne). La Croix-Rouge internationale a accès aux prisonniers et estime qu'ils sont détenus dans des conditions acceptables. On note toutefois des cas de « passage à tabac », voire des décès en prison qui pourraient être dus à des mauvais traitements mais en tout état de cause pas sur une grande échelle.

Les procès en revanche souffrent du manque d'indépendance de la Justice et de la corruption quasi générale des juges. Le Roi lui-même a appelé de ses v_ux à une réforme qui permettrait d'assurer des procès plus équitables.

Enfin, lorsque la sécurité de l'Etat est considérée comme étant en jeu, le dispositif juridique, aussi élaboré soit-il, ne constitue plus une protection. Les quatre membres du bureau du Hamas fermé à Amman en août 1999 ont été "exilés" au Qatar bien que ce soit expressément interdit par la Constitution.

Les libertés d'association (une autorisation doit être demandée mais généralement accordée) et de religion (la liberté de religion est garantie par la Constitution) sont également assurées sous conditions.

La peine de mort existe en Jordanie. Dix à vingt condamnés de droit commun sont exécutés chaque année par pendaison. La condamnation de six personnes à la peine capitale à la suite du procès de "la base", organisation accusée d'avoir préparé des actes terroristes, devrait alourdir ce chiffre si ces personnes ne sont pas graciées par le Roi, comme cela a toujours été le cas pour les condamnés à mort "politiques".

En dehors de la peine de mort, les difficultés principales qui demeurent, bien que sur des plans différents, concernent la liberté d'expression et les crimes d'honneur.

· La liberté d'expression

La loi sur la presse très répressive de 1998 a été assouplie en 1999, facilitant la création de journaux et limitant la liste des infractions qui peuvent conduire à la fermeture d'un journal.

Cependant, la profession reste strictement encadrée. Les journalistes ont l'obligation d'adhérer à un syndicat qui peut les exclure à la moindre incartade (comme cela a été le cas le mois dernier pour Nidal Mansour, rédacteur en chef du Hadath). Une juridiction spéciale a été créée pour juger des infractions commises par les journalistes dans l'exercice de leur métier. Perçue comme un moyen de les protéger, cette mesure n'en contribue pas moins à faire des journalistes une catégorie particulièrement surveillée.

Certains continuent de faire l'objet de pressions et de rappels à l'ordre musclés.

Enfin, la grande majorité des médias est sous le contrôle de l'Etat. La télévision et la radio sont des monopoles d'Etat, le Gouvernement détient 65 % des actions du Rai, premier quotidien du pays, et de manière indirecte participe au capital de nombreuses autres publications. Le Ministre de l'Information vient toutefois de se prononcer pour la privatisation du Rai et un projet de loi prévoyant la privatisation de la télévision a été adopté par le Parlement.

· Les crimes d'honneur

Une vingtaine de femmes sont assassinées chaque année par leur proches pour avoir porté atteinte à l'honneur de leur famille en ayant contrevenu aux règles de la morale.

Le Gouvernement a tenté de faire approuver par le Parlement un projet de loi proposant la suppression de l'article de loi prévoyant un quasi acquittement des assassins en cas de crime d'honneur. A une large majorité, la Chambre a repoussé ce projet, faisant notamment valoir qu'il fallait garder un dispositif permettant de protéger la vertu des femmes.

La famille royale, les associations de femmes, de défense des droits de l'Homme sont hostiles à l'immunité dont bénéficient les auteurs de ces crimes et conscients du tort que cela cause à l'image internationale de la Jordanie. La résistance des députés leur a montré que le choc frontal avec "la Jordanie profonde" n'était pas la bonne stratégie pour faire évoluer les m_urs.

Depuis les dix années écoulées, la situation des droits de l'Homme s'est considérablement améliorée en Jordanie. Le Gouvernement a démantelé le système qui, sous la loi martiale, permettait les arrestations, les détentions pour délit d'opinion, la torture et les procès inéquitables. Il semble aujourd'hui prêt à améliorer le dispositif, s'agissant notamment de la liberté d'expression et de la réforme de la Justice.

Toutefois, il est clair que cette évolution vers davantage de liberté ne pourra se faire que dans un contexte de stabilité régionale et de détente sur la scène intérieure entre les deux principales communautés du pays (palestinienne et transjordanienne). Les tensions dans la région et les menaces qu'elles font peser sur la sécurité intérieure ne constituent pas actuellement un terrain propice.

CONCLUSION

Les raisons sont donc pour le moins nombreuses qui militent en faveur de la ratification rapide de cet accord d'association entre l'Union européenne et la Jordanie.

Si l'on ne devait cependant en retenir qu'une seule, votre Rapporteur estime que le rôle joué par la Jordanie dans le processus de paix au Proche et Moyen-Orient, outre le fait qu'il s'agit là d'une actualité toute brûlante, est la plus incontestée.

C'est en octobre 1994 que la Jordanie et Israël ont mis fin officiellement à l'état de guerre qui existait entre eux. Et depuis l'origine, ce pays est le porte-parole le plus modéré des pays arabes face à Israël. A la tête, avec l'Egypte, d'une initiative diplomatique en faveur d'une cessation des violences, alliant à la fois mesures de sécurité et perspectives politiques, la Jordanie a une nouvelle fois proposé un plan de paix (plan de paix jordano-égyptien du 25 avril 2001) visant à relancer le processus de paix entre Israël et l'Autorité palestinienne.

Au vu de ces observations, votre Rapporteur vous recommande l'adoption du présent projet de loi.

EXAMEN EN COMMISSION

La Commission a examiné le présent projet de loi au cours de sa réunion du mercredi 20 juin 2001.

Après l'exposé du Rapporteur, observant qu'il s'agit là d'un pays qui occupe une place très importante dans la région, le Président François Loncle a annoncé qu'une mission de la Commission des Affaires étrangères, conduite par M. Georges Hage, Vice-Président, serait effectuée en Jordanie, au Liban et en Syrie à l'automne prochain. Il a également souligné que le présent projet de loi sera examiné en séance publique le jeudi 28 juin prochain et proposé qu'il soit soumis à la procédure d'examen simplifiée de l'article 107 du Règlement de l'Assemblée nationale.

Conformément aux conclusions du Rapporteur, la Commission a adopté le projet de loi (n° 2981).

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La Commission vous demande donc d'adopter, dans les conditions prévues à l'article 128 du Règlement, le présent projet de loi.

NB : Le texte de la convention figure en annexe au projet de loi (n° 2981).

3164 - Rapport de M. Brana (affaires étrangères) : ratification de l'accord euro-méditerranéen établissant une association entre les Communautés européennes et leurs Etats membres, d'une part, et le Royaume hachémite de Jordanie, d'autre part

1 Le dialogue euro-méditerranéen après Barcelone : Bilan et perspectives, M. Michel Vauzelle, rapport d'information n° 1737, Commission des Affaires étrangères, 1999.

2 Algérie, Autorité palestinienne, Chypre, Egypte, Israël, Jordanie, Liban, Malte, Maroc, Syrie, Tunisie, Turquie.


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