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le 19 novembre 2001

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N° 3367

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 7 novembre 2001.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES (1) SUR LE PROJET DE LOI, ADOPTÉ PAR LE SÉNAT, autorisant la ratification de la convention internationale pour la répression du financement du terrorisme,

PAR M. RENÉ MANGIN,

Député

--

(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

Voir les numéros :

Sénat : 259, 355 (2000-2001) et T.A. 3 (2001-2002)

Assemblée nationale : 3330

Traités et conventions

La Commission des affaires étrangères est composée de : M. François Loncle, président ; M. Gérard Charasse, M. Georges Hage, M. Jean-Bernard Raimond, vice-présidents ; M. Roland Blum, M. Pierre Brana, Mme Monique Collange, secrétaires ; Mme Michèle Alliot-Marie, Mme Nicole Ameline, M. René André, Mme Marie-Hélène Aubert, Mme Martine Aurillac, M. Édouard Balladur, M. Raymond Barre, M. Henri Bertholet, M. Jean-Louis Bianco, M. André Billardon, M. André Borel, M. Bernard Bosson, M. Philippe Briand, M. Bernard Brochand, M. Jean-Christophe Cambadélis, M. Hervé de Charette, M. Jean-Claude Decagny, M. Patrick Delnatte, M. Jean-Marie Demange, M. Xavier Deniau, M. Paul Dhaille, M. Jean-Paul Dupré, M. Charles Ehrmann, M. Jean-Michel Ferrand, M. Raymond Forni, M. Georges Frêche, M. Michel Fromet, M. Jean-Yves Gateaud, M. Jean Gaubert, M. Valéry Giscard d'Estaing, M. Jacques Godfrain, M. Pierre Goldberg, M. Michel Grégoire, M. François Guillaume, M. Jean-Jacques Guillet, M. Robert Hue, Mme Bernadette Isaac-Sibille, M. Didier Julia, M. Alain Juppé, M. Gilbert Le Bris, M. Jean-Claude Lefort, M. François Léotard, M. Pierre Lequiller, M. Alain Le Vern, M. Bernard Madrelle, M. René Mangin, M. Jean-Paul Mariot, M. Gilbert Maurer, M. Jacques Myard, Mme Françoise de Panafieu, M. Étienne Pinte, M. Marc Reymann, M. Jean Rigal, M. François Rochebloine, M. Gilbert Roseau, Mme Yvette Roudy, M. René Rouquet, M. Georges Sarre, M. Henri Sicre, M. Dominique Strauss-Kahn, Mme Christiane Taubira-Delannon, M. Michel Terrot, Mme Odette Trupin, M. Joseph Tyrode, M. Michel Vauzelle.

SOMMAIRE

___

INTRODUCTION 5

I - UNE CONVENTION NÉCESSAIRE 7

A - LA RÉALITÉ FINANCIÈRE DU TERRORISME 7

1) Les masses en jeu 7

2) Les sources du financement du terrorisme 8

B - UN DISPOSITIF TRADITIONNEL AVEC QUELQUES AUDACES 10

1) L'objectif de prévention et de répression
du financement du terrorisme 10

2) L'approfondissement d'une coopération judiciaire 11

II - UNE CONVENTION A APPROFONDIR 14

A - DES FAILLES PERSISTANTES 14

1) Les centres offshore 14

2) La coopération judiciaire 15

B -POUR UNE MEILLEURE TRANSPARENCE FINANCIÈRE 16

1) Des résultats médiocres 16

2) La nécessité d'un dialogue constructif 16

CONCLUSION 18

EXAMEN EN COMMISSION 19

ANNEXE : état des signatures et des ratifications 19

Mesdames, Messieurs,

Les fondements de la lutte contre la criminalité financière internationale ont en permanence évolué. A la fin des années 1980, la menace principale résidait dans l'argent de la drogue, et les risques qu'il faisait courir, en termes de stabilité, à certaines régions du monde en développement - principalement le continent sud-américain - mais aussi aux économies occidentales, comme la Suisse, indirectement corrompues, aux sens propre et figuré, par l'afflux de cette manne financière. Vers le milieu des années 1990, la lutte contre le blanchiment de l'argent a eu plus largement comme visée de s'attaquer aux phénomènes criminels organisés (prostitution, trafic d'êtres humains, d'armes...) et à l'évasion fiscale. A la fin de ces mêmes années 1990, les scandales politico-financiers (affaire Elf, financement de la CDU, avatars du clan Eltsine...) y ont ajouté la lutte contre la corruption.

Les événements du 11 septembre 2001 ont donné une actualité nouvelle à la lutte contre cette forme de criminalité. Les Etats ont redécouvert, mais un peu tard, à l'occasion des enquêtes sur le financement de Al Qaida, l'organisation de Ben Laden, la possibilité, à travers les circuits financiers, de remonter au c_ur des organisations criminelles, voire de les empêcher de nuire.

L'utilité de la présente Convention, que les attentats récents nous conduisent à ratifier rapidement, a été confortée a posteriori. L'initiative de cette Convention revient à la France. Notre pays avait initié ce projet à l'été 1998, suite aux attentats contre les ambassades américaines de Nairobi (Kenya) et de Dar Es Salaam (Tanzanie). Les négociations ont été relativement rapides puisque le texte définitif fut adopté dès le 9 décembre 1999 par l'Assemblée générale des Nations unies. La Convention a été ouverte à la signature le 10 janvier 2000, date à laquelle la France l'a signée.

Ce n'est pas la première convention que les Nations unies consacrent au terrorisme. On recense déjà onze conventions « onusiennes » sur ce sujet, dont la première remonte à 1963. Mais ces conventions se préoccupaient avant tout d'organiser la lutte contre les diverses formes et manifestations du terrorisme (détournements d'avions, prises d'otages...). Aujourd'hui, l'angle d'attaque est modifié ; il s'agit de compléter ces modes traditionnels de lutte par un objectif de démantèlement des réseaux financiers.

Je tiens tout particulièrement à remercier M. Jean-François Thony, Conseiller à la Cour d'appel de Versailles et ancien directeur du programme mondial contre le blanchiment de l'argent, dont l'expertise m'a été très précieuse lors de la préparation de ce rapport.

I - UNE CONVENTION NÉCESSAIRE

A - La réalité financière du terrorisme

1) Les masses en jeu

Il est très difficile de chiffrer les masses financières servant au financement du terrorisme ; on ne peut procéder en ce domaine que par approximations.

Les experts ont créé un nouvel instrument statistique appelé Produit criminel brut (PCB) qui représente le chiffre d'affaires mondial annuel de l'ensemble des activités illicites. Le FMI estime le montant de ce PCB annuel entre 500 et 1 500 milliards de dollars. Le GAFI évoque plus volontiers quant à lui 1 000 milliards de dollars. A titre de comparaison, le PIB de la France était estimé en 2000 à 1 333 milliards de dollars.

D'autres experts estiment pour leur part que la définition ci-dessus est trop large car elle englobe à la fois les vols d'objets courants - comme les automobiles - les revenus cachés au fisc et les revenus du crime organisé. Ils préconisent des mesures plus restrictives limitées à l'argent du crime organisé et la finance terroriste. On atteint alors des chiffres plus « raisonnables », qui malgré tout font frémir, de l'ordre de 100 milliards par an.

Tous ces chiffres doivent bien sûr être pris avec beaucoup de prudence car il devient de plus en plus difficile de mesurer le flux de l'argent sale. Au cours de ces dernières années, les organisations criminelles ont adapté leurs méthodes en tenant compte des mesures prises par les autorités pour lutter contre le blanchiment. Les grosses transactions criminelles n'impliquent plus obligatoirement de paiements liquides, dont l'intégration dans les circuits financiers constitue une étape autorisant une détection ; elles donnent désormais de plus en plus souvent lieu à des virements de compte à compte sur des banques offshore ou s'effectuent par le biais d'échanges de marchandises : armes ou équipements électroniques contre drogues par exemple1.

Il est assez difficile d'établir précisément une géographie de l'argent du terrorisme. Beaucoup souhaiteraient limiter cette zone à quelques pays complaisants des Caraïbes, d'Amérique centrale et d'Asie du Sud-Est. La réalité est plus complexe et c'est toute l'originalité et toute la force des rapports de notre collègue Arnaud Montebourg, au nom de la Mission parlementaire d'information présidée par M. Vincent Peillon, de démontrer, preuves à l'appui, que les pays européens sont utilisés par les trafiquants de toutes natures. Les enquêtes ont mis à jour la présence d'Al Qaida dans soixante pays du monde. La comparaison des listes noires publiées par les diverses institutions - l'ONU, le GAFI, le Département d'Etat américain...- illustre souvent de manière caricaturale que ces listes sont en fait le fruit d'un subtil équilibre entre réalisme politique, intérêts croisés des Etats et lutte contre le blanchiment.

2) Les sources du financement du terrorisme

Ce qui est sûr et certain aujourd'hui, c'est que le lien entre activités criminelles et terrorisme se resserre.

Dans les années 1970-1980, l'essentiel de l'argent du terrorisme international provenait des Etats, en l'occurrence et pour l'essentiel la Libye, la Syrie et l'Irak. Désormais, les sources sont beaucoup plus diversifiées. Celles représentées par le grand banditisme occupent une place de plus en plus importante.

Au sein de la criminalité de droit commun, trois types d'activités semblent particulièrement utilisées pour le financement du terrorisme : le trafic de drogue et de matières premières, les prises d'otages ainsi que le racket ou le hold-up.

Oussama Ben Laden est soupçonné d'avoir tiré d'importants profits du trafic d'opium, dont l'Afghanistan est le plus grand producteur mondial. La drogue représente également des ressources importantes pour le Sentier lumineux au Pérou. De manière générale, le trafic de matières premières, et notamment celui des diamants et des pierres précieuses, est très apprécié des terroristes car il s'agit de ressources faciles à exploiter, à stocker, à dissimuler et dont la provenance est difficile à établir. C'est un argument supplémentaire pour la proposition que j'avais formulée dans mon rapport consacré aux sanctions internationales d'instaurer une traçabilité sur les diamants et les pierres précieuses2.

Les enlèvements et les prises d'otages sont de plus en plus facilités par le tourisme. Le groupe Abu Sayyaf , qui rassemble de petits groupes islamistes terroristes, s'est ainsi spécialisé dans l'enlèvement contre rançon et aurait ainsi réussi à amasser un trésor de guerre évalué à plus de 100 millions de francs.

Le racket ou le hold-up sont également très utilisés. La fatwa promulguée dans les années 1970 par le Cheikh Omar Abdel Rahman, emprisonné aux Etats-Unis après l'attentat contre le World Trade Center de 1993, rendait licite, en cas de besoin, le vol à main armée, assassinat compris, contre « les Chrétiens mécréants et l'Etat impie ». On se souvient également que la fraction « armée rouge » a pratiqué des hold-up politiques qualifiés « d'expropriations prolétariennes ».

D'autres sources de financement sont également utilisées comme la contrefaçon commerciale ou le trafic de médicaments, notamment des drogues de synthèse (ectasy, kétamine et autres amphétamines..)...

Mais les sources du financement du terrorisme peuvent être également légales. Il semblerait que Oussama Ben Laden ait été ainsi financé grâce à des dons de centaines de milliers de Musulmans, souvent de bonne foi, en faveur d'ONG islamiques « charitables ». Selon un informateur saoudien cité par l'Associated Press, « Jusqu'aux attaques du 11 septembre, les dons des personnes privées collectés en Arabie saoudite pour Ben Laden s'élevaient à plus de un million de dollars par mois ». Dans ce cas, le problème consiste à « noircir » l'argent légal : des sommes importantes disparaissent ainsi chaque année des comptabilités publiques nationales.

De fait, l'imbrication entre les différents modes et acteurs liés au financement du terrorisme est de plus en plus étroite. Des liens complexes s'établissent entre organisations terroristes, régimes politiques, organisations mafieuses, guérillas, organisations nationalistes ou organisations fondamentalistes religieuses, liens qu'il est souvent difficile de démêler.

L'expérience acquise dans la lutte contre le blanchiment du crime peut être utilisée pour combattre le financement du terrorisme. Certes, une organisation terroriste n'a pas pour finalité, comme une organisation criminelle classique, le profit mais dans les deux cas, ces organisations sont vulnérables sur le plan financier quand elles se mettent « à l'air libre » pour leur opérations financières3.

B - Un dispositif traditionnel avec quelques audaces

La présente Convention constitue un bon texte. Même s'il fait appel à des dispositifs somme toute traditionnels, il contient également quelques avancées intéressantes.

1) L'objectif de prévention et de répression du financement du terrorisme

La Convention oblige les Etats à mettre en place un régime de répression efficace contre le financement du terrorisme (article 4). Elle engage les Etats parties à rendre possible dans leur droit interne la mise en cause de la responsabilité des personnes morales compromises dans le financement du terrorisme (article 5). Elle oblige les Etats à adopter les mesures nécessaires à l'identification, au gel, à la saisie, ainsi qu'à la confiscation des fonds visés, qui pourront servir à indemniser les victimes des attentats et leurs familles (article 8).

Les avancées les plus notables de cette Convention, en dehors de l'harmonisation des infractions et la mise en _uvre d'une stratégie commune par tous les Etats parties, concernent à notre sens deux points particuliers : la définition particulièrement large de l'infraction et la remise en cause des sociétés offshore.

La définition retenue par la Convention de l'infraction de financement du terrorisme est particulièrement large puisqu'elle recouvre l'acte de fournir ou de collecter des fonds en vue d'un acte terroriste, et que les fonds en question peuvent être de toute nature et avoir une origine légale. Cela dépasse en conséquence le seul cadre du blanchiment. La Convention vise aussi bien les « donneurs d'ordre » que leurs complices et les autres contributeurs, y compris les personnes morales, comme les associations ou les entreprises. Pour que l'infraction soit constituée, il n'est pas nécessaire que les fonds aient été utilisés, il suffit que des fonds aient été réunis dans le but de commettre un acte terroriste.

La définition d'un acte terroriste prévue par la Convention renvoie aux traités anti-terroristes annexés à la Convention ou à « tout autre acte destiné à tuer ou blesser grièvement un civil, ou toute autre personne qui ne participe pas directement aux hostilités dans une situation de conflit armé, lorsque, par sa nature et son contexte, cet acte vise à intimider une population et à contraindre un gouvernement ou une organisation internationale à accomplir ou à s'abstenir d'accomplir un acte quelconque »(article 2).

Un autre aspect important de cette Convention tient à sa volonté de lutter contre la constitution de sociétés-écrans qui dérogent à l'ensemble des standards habituels en matière de constitution de sociétés commerciales : identification des organes de direction, constitution d'un capital effectivement libéré, publication des comptes annuels... Il est prévu dans la Convention que les Etats exigent « que les institutions financières prennent, si nécessaire, des mesures pour vérifier l'existence et la structure juridique du client en obtenant d'un registre public ou du client, ou des deux, une preuve de la constitution en société comprenant notamment des renseignements concernant le nom du client, sa forme juridique, son adresse, ses dirigeants et les dispositions régissant le pouvoir d'engager la personne morale » (article 18-b-ii).

2) L'approfondissement d'une coopération judiciaire

La coopération dans le cadre des demandes d'entraide judiciaire ou policière d'Etats étrangers est un élément important de lutte contre le financement du terrorisme. Selon un magistrat français auprès de l'Office européen de la lutte antifraude « l'activité criminelle est dispersée dans de nombreux pays, alors que les justices sont enfermées dans les souverainetés et que les juges butent sur les frontières comme les mouches sur la vitre ». Il est donc nécessaire d'empêcher les Etats de se retrancher derrière des artifices juridiques ou procéduriers pour refuser de donner suite à des demandes d'enquête au motif que la requête s'oppose aux règles du droit ou de la procédure interne au pays.

Selon la Convention, les Etats s'engagent à s'accorder « l'entraide judiciaire la plus large possible» . Elle prévoit que ni le secret bancaire (article 12), ni le caractère fiscal d'une infraction (article 13) ne pourront être invoqués par un Etat pour refuser une demande d'entraide ou d'extradition.

Aujourd'hui la plupart des pays pratiquent un secret bancaire relatif, qui peut s'assimiler à la notion de confidentialité, et qui autorise habituellement la fourniture d'informations par les banques dans certains cas, en particulier à la requête d'une autorité judiciaire dans le cadre d'une enquête criminelle, ou dans le cadre de la législation sur la déclaration de soupçons. Certains pays en revanche, comme par exemple les Philippines ou le Liban - qui ne sont pas signataires de cette Convention - pratiquent un secret bancaire absolu qui interdit la levée du secret même sur réquisition judiciaire.

La Convention prévoit également dans son article 18 tout un ensemble de dispositions directement inspirées des recommandations du groupe d'action financière internationale, le GAFI. Ces mesures reposent pour l'essentiel sur la coopération des institutions financières, incitées à surveiller plus étroitement et à signaler sans délai toute opération suspecte.

Au total, ces clauses déjà contenues dans d'autres conventions internationales ont peu de probabilités de révolutionner le monde de la coopération judiciaire. Elles n'en demeurent pas moins utiles. Elles devraient par exemple conduire la Suisse et le Luxembourg, qui ont signé cette Convention, a abandonner leur refus de demandes d'entraide, lorsque celles-ci interviennent dans le cadre d'une enquête sur des infractions fiscales.

II - UNE CONVENTION A APPROFONDIR

Il est sans doute assez audacieux de prétendre porter dès aujourd'hui un jugement sur l'efficacité d'une telle convention, alors même que cette dernière n'est pas encore entrée en vigueur, celle-ci étant subordonnée à l'adhésion de vingt-deux Etats (article 26). Si l'Assemblée nationale accepte d'autoriser cette ratification, la France sera le onzième Etat à y adhérer. A la date du 12 novembre 2001, cette Convention a été signée par 97 Etats mais ratifiée uniquement par dix d'entre eux (voir liste en annexe). Alors que l'adoption s'était effectuée dans un relatif anonymat (seulement 7 pays avaient signé la Convention le premier jour), les signatures se sont accélérées depuis le 11 septembre. Soit de nombreux pays ont été convaincus de la pertinence des dispositions de cette convention par les attentats du 11 septembre, soit plus prosaïquement, ils veulent éviter un effet d'image désastreux résultant d'un refus de signature.

La stratégie qui consiste à connaître et démêler les écheveaux financiers des organisations terroristes afin de mieux les combattre est une stratégie potentiellement porteuse, surtout à l'encontre des organisations puissantes et ramifiées contre lesquelles les modes de répression traditionnels ont montré leurs limites. Toutefois elle se heurte aux difficultés relatives à l'opacité financière qui existe encore en dépit des mesures mises en place depuis douze ans par le Groupe d'action financière contre le blanchiment des capitaux (GAFI).

A - Des failles persistantes

Il ne saurait y avoir de transparence financière sans la volonté résolue de lutter contre les deux obstacles persistants que constituent les centres offshore et les insuffisances de la coopération judiciaire.

1) Les centres offshore

Le problème des centres financiers offshore4 est ancien et constitue une assurance d'opacité pour l'argent qui emprunte ces chemins. Force est de constater que ces centres font l'objet, en dépit de déclarations indignées, d'une tolérance certaine de la part des mêmes gouvernements qui font de la lutte contre les circuits financiers clandestins une priorité. La raison est peut-être à chercher dans les usages parapublics de ces centres.

Le montage offshore est par exemple utilisé dans le cadre de transactions commerciales internationales pour faire échapper des marchés à l'impôt sur les bénéfices et assurer ainsi une meilleure compétitivité, ou bien pour contourner les embargos, financer des mouvements de guérillas sans que cela apparaisse dans les comptabilités publiques, ou encore pour financer des partis politiques, assurer certaines ristournes à des chefs d'Etat en remerciement de l'obtention de marchés publics ou de licences d'exploitation pétrolière... Il est moins étonnant de constater que les pays de la zone GAFI laissent ainsi leurs institutions financières et bancaires multiplier les filiales et agences dans les centres offshore. Ainsi que l'écrit Jean-François Thony : « ces agences sous le soleil permettent aux sièges sociaux des banques d'afficher une politique de transparence financière et de lutte contre le blanchiment la plus stricte dans son pays d'origine et de laisser effectuer ses opérations à risque, son « dirty business » pour parler autrement, par une filiale dans un pays dans lequel tous les coups sont permis. Il y a là une énorme zone de non-droit dans la législation des pays occidentaux sur laquelle le GAFI ne s'est curieusement jamais penché sérieusement ».

2) La coopération judiciaire

Nous avons déjà souligné l'importance de la coopération judiciaire dans le cadre de la lutte contre l'argent sale. Les experts ont parfois coutume de parler du « triangle des Bermudes » pour parler des pays dits « non-coopératifs » qui ne donnent, sans le faire savoir officiellement, aucune suite aux demandes d'entraide judiciaire : celles-ci disparaissent mystérieusement sans laisser de trace. Cette technique permet à ces Etats d'afficher en façade un minimum de bonne volonté tout en continuant à exercer des pratiques les assimilant à des paradis financiers.

La coopération judiciaire est souvent difficile entre pays de bonne volonté, comme a priori ceux de l'Union européenne. L'appel dit de Genève lancé en 1996 par 7 magistrats européens voulait attirer l'attention sur l'insuffisance des instruments internationaux existants qui ne permettaient pas selon les signataires des résultats satisfaisants en matière de lutte contre les formes de criminalité internationale. Elle demeure aujourd'hui inexistante avec nombre de pays plus lointains, et de culture différente.

Je suis convaincu que les futurs progrès dans la lutte contre les systèmes criminels internationaux passent aujourd'hui par la levée de cette hypocrisie d'Etat. J'ai déjà souligné ci-dessus l'écart entre les pays ayant signé cette Convention et ceux l'ayant ratifiée. Parmi ces derniers, combien introduiront dans leur législation l'ensemble des recommandations contenues dans le texte ?

B -Pour une meilleure transparence financière

1) Des résultats médiocres

Force est de constater que les résultats aujourd'hui obtenus dans la lutte contre le blanchiment sont plutôt médiocres : peu de poursuites sont lancées sur cette base, peu d'organisations ont été démantelées grâce à ces actions, peu d'avoirs ont été confisqués. Il risque d'en être de même dans quelques années quant au bilan de la présente Convention.

Il existe bien évidemment des problèmes de volonté. On ne peut à la fois placer la barre très haut, être économe en hommes et moyens techniques, et regretter que cela ne marche pas. A l'évidence, le renseignement financier n'est pas suffisamment développé dans nos pays. Mais il existe aussi des problèmes de méthode.

2) La nécessité d'un dialogue constructif

Le choix a été fait par les pays occidentaux de privilégier l'action du GAFI. Rappelons que ce dernier a été créé au sommet du G7 à Paris en 1989 ; c'est un organisme intergouvernemental dont l'objectif est de concevoir et de promouvoir des stratégies de lutte contre le blanchiment des capitaux. Au lendemain des attentats du 11 septembre, le G7 a élargi sa compétence à la lutte contre le financement du terrorisme. Le GAFI est composé aujourd'hui de 29 pays, pour la plupart membres de l'OCDE.

Si les quelque quarante recommandations du GAFI, élaborées pour constituer un cadre mondial de lutte contre le blanchiment, sont difficilement acceptées, et par conséquent appliquées, par un certain nombre d'Etats à l'évidence concernés, c'est que celles-ci apparaissent trop souvent comme des politiques dictées par un groupe de pays riches, ayant taillé des règles à sa mesure et voulant les imposer aux autres. La Suisse, le Luxembourg, le Royaume-Uni, dont les activités ont été à juste raison dénoncées par la mission parlementaire sur le blanchiment, font partie du GAFI. A l'évidence, il existe encore beaucoup de travail à l'intérieur des pays du GAFI et se pose la crédibilité de préceptes que ces pays veulent imposer aux autres sans toujours les respecter eux-mêmes.

Utiliser le GAFI de manière hégémonique m'apparaît être comme une erreur à la fois diplomatique et stratégique. C'est donner aux Etats les plus pauvres non-membres du GAFI, et ayant fondé une part, sinon la totalité, de leur développement, sur des systèmes d'ingénierie financière et bancaire, l'impression de vouloir une fois encore faire prévaloir les intérêts des pays riches sous prétexte de lutte contre le terrorisme. Une nouvelle architecture internationale reste à construire qui distinguerait les différents niveaux d'élaboration, de mise en _uvre et de contrôle des politiques de lutte contre la criminalité financière. On pourrait par exemple imaginer de créer pour le terrorisme ce qui existe pour les drogues avec l'Organe international de contrôle des stupéfiants (OICS), dont les membres sont élus par le Conseil économique et social de l'ONU. L'OICS demeure cependant indépendant des gouvernements et de l'ONU.

L'ONU a d'ores et déjà décidé de s'impliquer davantage dans la lutte contre le terrorisme. La résolution 1373 du Conseil de sécurité, adoptée à l'unanimité le 28 septembre 2001, demande notamment aux Etats de geler sans attendre les fonds des personnes et entités liées aux actes de terrorisme et d'interdire à leurs nationaux de mettre des ressources financières à la disposition des personnes qui commettent, tentent de commettre, facilitent ou participent à des actes de terrorisme. Les Etats ont été invités à faire sous 90 jours rapport des mesures prises pour l'application de cette résolution. Un comité anti-terroriste a été créé au sein du Conseil de sécurité, dont il comprend tous les membres, afin de veiller à l'application de la résolution 1373 et recevoir les rapports. Cette initiative est la bienvenue ; il est à espérer que cette mobilisation se maintiendra et s'approfondira au fil des mois.

Quelle que soit la solution retenue, je reste convaincu que toute avancée ne pourra se faire dans l'avenir que par l'établissement d'un dialogue constructif avec les Etats concernés et en leur offrant des alternatives crédibles à l'abandon de la filière offshore plutôt que par l'établissement de règles imposées par les pays les plus riches de la planète, rarement au-dessus de tout soupçon.

CONCLUSION

La présente Convention, qui est soumise aujourd'hui à notre approbation, est porteuse d'avancées, d'autant qu'elle n'a pas été prise dans l'urgence mais de manière réfléchie et prémonitoire. J'ai pu dans ce rapport exprimer certains doutes quant à son efficacité et essayer d'indiquer quelques pistes pour surmonter les obstacles à son application. Je reste persuadé néanmoins que dans l'attente de l'expression d'une véritable solidarité politique dans la lutte contre le terrorisme, la voie des « petits pas » techniques demeurent la seule praticable. C'est la raison pour laquelle je vous convie à adopter ce projet de loi.

EXAMEN EN COMMISSION

La Commission a examiné le présent projet de loi au cours de sa réunion du mardi 6 novembre 2001, sur le rapport de M. René Mangin.

Après l'exposé du Rapporteur, M. Pierre Brana, Président, a souhaité connaître le nombre des pays qui avaient signé et ratifié cette Convention.

M. René Mangin a répondu que 97 pays avaient signé cette Convention et que jusqu'à maintenant dix d'entre eux l'avaient ratifiée.

Suivant les conclusions du Rapporteur, la Commission a adopté le projet de loi (no 3330).

*

* *

La Commission vous demande donc d'adopter, dans les conditions prévues à l'article 128 du Règlement, le présent projet de loi.

NB : Le texte de la convention internationale figure en annexe au projet de loi (n° 3330).

ANNEXE - ÉTAT DES SIGNATURES ET DES RATIFICATIONS

3367. - Rapport de M. René Mangin (COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES) SUR LE PROJET DE LOI, ADOPTÉ PAR LE SÉNAT : ratification de la convention internationale pour la répression du financement du terrorisme (commission des affaires étrangères)

1 Voir notamment la présentation, devant l'IFRI, de M. Jean-François Thony sur les pratiques financières illégales ; cette présentation est disponible sur le site Internet de l'IFRI.

2 Voir René Mangin, ONU : les sanctions en question, Rapport d'information n°3203, 2001.

3 Voir Jean-Charles Brisard et Guillaume Dasquié in Ben Laden : la vérité interdite, Denoël, 2001 et notamment son chapitre 8 sur les réseaux saoudiens du financement de Ben Laden.

4 Voir notamment, Jean-François Thony, « le monde offshore, la mondialisation et le blanchiment de l'argent du crime » dans le prochain rapport moral sur l'argent dans le monde.


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