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le 16 janvier 2002

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N° 3532

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 15 janvier 2002.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES FINANCES, DE L'ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU PLAN (1) SUR LA
PROPOSITION DE
LOI DE MM. BERNARD ACCOYER ET PATRICK OLLIER (n° 3244 rectifié), visant à dédommager les commerçants de proximité et artisans pour la mission qui leur a été confiée d'introduction et de diffusion auprès du public des pièces et billets en euro.

PAR M. Bernard ACCOYER,

Député.

--

(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

Commerce et artisanat.

La Commission des finances, de l'économie générale et du Plan est composée de : M. Henri Emmanuelli, président ; M. Michel Bouvard, M. Jean-Pierre Brard, M. Yves Tavernier, vice-présidents ; M. Pierre Bourguignon, M. Jean-Jacques Jégou, M. Michel Suchod, secrétaires ; M. Didier Migaud, Rapporteur Général ; M. Bernard Accoyer, M. Maurice Adevah-Poeuf, M. Philippe Auberger, M. François d'Aubert, M. Dominique Baert, M. Jean-Pierre Balligand, M. Gérard Bapt, M. Alain Barrau, M. Jacques Barrot, M. Christian Bergelin, M. Éric Besson, M. Augustin Bonrepaux, M. Jean-Michel Boucheron, Mme Nicole Bricq, M. Christian Cabal, M. Jérôme Cahuzac, M. Thierry Carcenac, M. Gilles Carrez, M. Henry Chabert, M. Jean-Pierre Chevènement, M. Didier Chouat, M. Alain Claeys, M. Charles de Courson, M. Christian Cuvilliez, M. Arthur Dehaine, M. Yves Deniaud, M. Michel Destot, M. Patrick Devedjian, M. Laurent Dominati, M. Tony Dreyfus, M. Jean-Louis Dumont, M. Daniel Feurtet, M. Pierre Forgues, M. Dominique Frelaut, M. Gérard Fuchs, M. Gilbert Gantier, M. Jean de Gaulle, M. Hervé Gaymard, M. Louis Guédon, M. Jacques Guyard, M. Pierre Hériaud, M. Edmond Hervé, M. Jean-Louis Idiart, Mme Anne-Marie Idrac, M. Jean-Pierre Kucheida, M. Marc Laffineur, M. Jean-Marie Le Guen, M. Maurice Ligot, M. François Loos, M. Alain Madelin, Mme Béatrice Marre, M. Pierre Méhaignerie, M. Louis Mexandeau, M. Gilbert Mitterrand, M. Jean Rigal, M. Gilles de Robien, M. Alain Rodet, M. José Rossi, M. Nicolas Sarkozy, M. Gérard Saumade, M. Philippe Séguin, M. Georges Tron, M. Jean Vila, M. Kofi Yamgnane.

Mesdames, Messieurs,

En déposant avec plusieurs de ses collègues, dès le 16 juillet 2001 la présente proposition de loi, votre Rapporteur n'entend témoigner d'aucun euroscepticisme, ni d'aucune hostilité à l'égard de la monnaie unique. Il ne s'agissait pas non plus d'anticiper et de se réjouir à l'avance, avec une quelconque gourmandise, d'éventuelles difficultés techniques ou pratiques au moment de l'introduction effective de l'euro fiduciaire dans notre pays.

Au contraire, la présente proposition de loi se borne à prévoir un mécanisme de dédommagement des commerçants et des artisans pour leur contribution éminente à la diffusion des billets et des pièces en euros et, corrélativement, au retrait du franc.

A cet égard, les conditions globalement satisfaisantes dans lesquelles s'opère la mise en place de l'euro renforce la justification d'une telle proposition. En effet, elles sont la preuve que ces professions ont fourni des efforts considérables et dignes d'éloges pour assurer, à leur niveau, la réussite de cette opération historique.

D'ailleurs, même s'il n'en tirait pas les mêmes conséquences que votre Rapporteur, le dirigeant d'un groupe bien connu de la grande distribution n'a-t-il pas déclaré, le 5 janvier dernier, au micro d'une radio du service public : « Pour les petits commerçants, c'est une contrainte extraordinaire [transformer le commerce en formidable bureau de change], ils n'ont pas bénéficié comme nous d'une dimension financière qui leur permettait de se payer des programmes de formation. Il faut les saluer, c'est un bel exploit ! »

En effet, la mise en circulation des billets et pièces en euros a entraîné pour le commerce de proximité et l'artisanat des contraintes considérables, coûteuses à la fois en termes financiers et en temps consacré. Or, force est de reconnaître que l'État a chichement mesuré les gestes à l'égard d'une profession qui s'est acquittée d'une véritable mission de service public qui n'entre pas dans sa vocation.

A.- LE PASSAGE A L'EURO EST A L'ORIGINE DE CONTRAINTES MULTIPLES

Les modalités du passage à la monnaie unique, telles qu'elles ont été retenues par les pouvoirs publics, ont exigé de l'ensemble des acteurs économiques des efforts considérables d'adaptation de leurs matériels, de formation d'eux-mêmes et de leurs personnels et d'information de leur clientèle. En particulier, le choix d'une période de double circulation du franc et de l'euro, du 1er janvier au 17 février 2002, pèse plus particulièrement sur les entreprises commerciales et artisanales de notre pays, et en particulier sur le commerce de proximité, pour lequel l'essentiel des transactions quotidiennes s'effectuent en espèces.

1.- Les adaptations indispensables

La préparation de la mise en place de l'euro a d'abord conduit les professionnels à renouveler ou à adapter leur matériel, qu'il s'agisse des caisses enregistreuses, des balances ou des terminaux de paiement électroniques, etc. Par ailleurs, la coexistence de deux monnaies différentes et la substitution progressive de l'une à l'autre ont entraîné l'apparition d'outils spécifiques, pour certains d'un usage qui sera limité dans le temps :

- la possibilité de payer en francs jusqu'à la fin de la période de double circulation et l'obligation pesant sur les commerçants de rendre la monnaie en euros ont rendu indispensable des calculettes spéciales permettant de calculer le rendu en euros,

- la découverte tardive des nouveaux billets et des nouvelles pièces en euros, qui ne leur a pas permis de se familiariser avec eux, ont pu conduire certains commerçants à acquérir des outils permettant de déceler d'éventuels faux,

- les exigences du retrait des pièces et billets en francs ont conduit à l'apparition de machines compteuses de monnaie.

Votre Rapporteur pourrait multiplier les exemples de tels outils ayant fait leur apparition au cours des derniers mois, certains coûtant plusieurs milliers de francs. Certes, l'ensemble des commerçants n'en a pas fait forcément l'acquisition et certains de ces appareils se sont sans doute peu vendus. Néanmoins, on ne peut nier que l'arrivée de la monnaie unique a fait apparaître un marché, dont on découvrira mieux, dans les prochains mois, l'importance. Ainsi, les fabricants de terminaux électroniques s'attendaient à une augmentation de 25 % de leur chiffre d'affaires en 2001.

D'ailleurs dans son dernier numéro, la lettre La volonté des PME, éditée part la Confédération générale des PME (CGPME) a estimé un coût moyen compris entre 1 500 et 6 100 euros (soit de 9 800 à 40 000 francs). Dans certains secteurs, le coût de l'adaptation était si important et les contraintes si lourdes, que certains chefs d'entreprise ont préféré cesser leur activité avant la date fatidique. Ainsi, nombre de stations-services en milieu rural ont fermé tant le coût du changement des pompes (le chiffre de 70 000 francs a parfois été avancé) apparaissait prohibitif.

Au-delà des matériels, l'introduction de l'euro a conduit les commerçants et artisans, comme l'ensemble des acteurs économiques certes, à prendre un certain nombre de dispositions concernant leur comptabilité ou l'information de leurs clients, et la vie de leur entreprise en général.

En ce qui concerne les obligations comptables, les choses sont claires. Toutes les opérations comptables, fiscales, juridiques, financières, sociales doivent être effectuées en euros depuis le 1er janvier 2002. Même si la comptabilité fonctionne en exercice décalé par rapport à l'année civile, elle devra avoir basculé obligatoirement à cette date, au besoin par un arrêté intermédiaire simplifié.

De même, les impôts et cotisations sociales devront être payés en euros à partir du 1er janvier 2002. A cette date, les salaires des employés devront également être établis et payés dans la monnaie européenne. Pour ceux exerçant en société, le capital social aura dû être converti selon des règles très précises.

Toutes ces obligations et adaptations sont loin d'être mineures. Elles exigent, de la part du chef d'entreprise, un effort de formation et de recherche de conseil auprès de ses partenaires habituels, au premier rang desquels leur expert-comptable, forcément onéreux. Elles supposent également une adaptation des logiciels informatiques utilisés dans l'entreprise. Dans tous les cas, elles entraînent un investissement personnel particulièrement gourmand en temps.

Enfin, même s'il n'était pas obligatoire, les commerçants ont largement procédé au double affichage de leurs prix, adaptant leurs étiquettes ou autres panneaux d'information.

S'il fallait une preuve de l'ampleur et des difficultés de la préparation à la monnaie unique, on en trouverait une dans l'initiative prise par une société d'assurance qui a proposé un produit, qu'elle destinait aux petites entreprises commerciales et artisanales, afin de garantir le remboursement des pertes financières dues aux erreurs de conversion ou aux confusions entre les deux monnaies !

En effet, d'après les informations recueillies par votre Rapporteur, le taux d'erreurs lors des rendus de monnaie, normalement de 0,01 % du chiffre d'affaires journalier, devrait croître fortement, certains tests faisant apparaître des taux de 3 ou 5 % selon les cas.

D'ailleurs, le Guide officiel du passage à l'euro, destiné aux entreprises artisanales, commerciales et de service et diffusé par les pouvoirs publics, reconnaît l'ampleur de la tâche : « Contacter les prestataires, adapter votre matériel, convertir les prix en euros, préparer le double affichage, effectuer les tests et les contrôles... Tout cela prendra du temps et il est nécessaire d'anticiper en fonction de votre situation propre. Il est donc prudent de ne pas vous y prendre au dernier moment. Prévoyez en 2001 un délai d'adaptation d'environ 3 mois au minimum. »

Parce que la journée est naturellement consacrée au service de la clientèle, toutes ces dispositions à prendre ont entraîné pour le chef d'entreprise, pour une période plus ou moins longue, une véritable double journée de travail, particulièrement dure à vivre alors qu'il devait, dans le même temps, négocier avec ses salariés les conditions du passage aux trente-cinq heures.

2.- Les contraintes liées à la double circulation des monnaies

Les modalités d'introduction de l'euro fiduciaire retenues dans notre pays prévoit un période de sept semaines de double circulation des pièces et billets en euros et des pièces et billets en francs. Dans la mesure où, sauf impossibilité, les commerçants devront rendre la monnaie en euros que le paiement ait été réalisé en francs ou en euros, ceux-ci vont incontestablement jouer un rôle majeur dans l'approvisionnement des particuliers en monnaie européenne et dans le retrait des francs. Ils vont donc jouer un rôle de bureau de change qui, on en conviendra aisément, n'est pas le leur et appartient plutôt aux établissements bancaires.

Cette situation n'est pas due au hasard. Au contraire, elle est parfaitement conforme aux prévisions. Comme le reconnaît un responsable d'une grande banque mutualiste, « le scénario voulait que la remontée des pièces en francs se fasse par les commerçants vers les agences ». De plus, il allait jusqu'à regretter que « la trappe à francs prévue n'a pas suffisamment fonctionné au niveau des commerçants les tous premiers jours. »1

Pour être en mesure de rendre la monnaie en euros, les commerçants ont dû se préapprovisionner en pièces et billets. A partir du 1er décembre 2001, ils ont ainsi pu se procurer auprès de leur banque un fond de caisse standardisé, constitué de 640 pièces (l'équivalent de deux rouleaux pour chaque type) d'une valeur de 222 euros (1 456,22 francs). La quasi-totalité des 1,5 million d'unités ont été effectivement distribués. De plus, les commerçants ont pu compléter leur demande par des billets et des pièces en vrac. De même, certains ont pu se procurer une partie des kits (d'une valeur équivalent à 100 francs) destinés aux particuliers pour compléter leur fonds de caisse ou pour changer les francs apportés par leurs clients.

Nécessité de tenir une double caisse, obligation d'accepter des paiements en grosses coupures ou à l'inverse en petite monnaie (petite monnaie que nombre d'agences bancaires rechignaient à échanger, encourageant leurs clients à les écouler chez les commerçants), craintes pour leur sécurité en raison de l'importance inhabituelle des sommes en liquide conservées dans le magasin, passages plus fréquents dans les agences bancaires pour remettre, après de longues attentes, les francs récoltés : voilà autant d'exemples des contraintes dont ont dû, et doivent encore pour plus d'un mois encore, s'accommoder les commerçants et artisans.

Un exemple, parmi beaucoup d'autres de mesures censées faciliter les opérations, mais qui se retournent contre les commerçants mérite qu'on s'y arrête. Ceux-ci sont en effet invités à rapporter les pièces et billets en francs qu'ils ont collectés dans des sachets en vrac remis par leurs banques. Cependant, les délais de décompte des sommes rapportées, les banques ayant recours à des sous-traitants peu formés, font que les comptes des commerçants ne seront crédités qu'au bout de quelques semaines, alors que les sommes qu'ils auront retirées à titre de fonds de caisse au cours du mois de décembre auront été débitées dès le 2 janvier.

Ce faisant, ils remplissent une mission dont tout le monde s'accorde à dire qu'elle aurait dû prioritairement être du ressort des banques. Les informations recueillies par votre Rapporteur, nombre d'articles parus dans la presse au cours des derniers jours témoignent que celles-ci n'ont pas rempli leurs obligations dans les meilleures conditions, s'exposant même aux remontrances publiques du ministre de l'Economie, des finances et de l'industrie et du gouverneur de la Banque de France.

B.- LA FAIBLESSE DES GESTES DES POUVOIRS PUBLICS

Il ne s'agit pas pour votre Rapporteur de négliger l'ensemble des mesures d'information, d'accompagnement, de formation et de conseil prises par les pouvoirs publics, les chambres consulaires ou les organisations professionnelles à destination des petits commerçants et des artisans. Cependant, cette assistance ne saurait suffire et ne saurait dispenser le Gouvernement de consentir des gestes plus tangibles pour, comme l'indique le titre de la présente proposition de loi, « dédommager les commerçants pour diffusion des euros ».

Or, à l'exception de discours de remerciements, de simples « paroles verbales » comme l'on dit parfois, force est de reconnaître que les pouvoirs publics n'ont consenti à leur égard que deux gestes d'ampleur très limitée. Pire, le Gouvernement a largement communiqué sur les nombreux contrôles qu'il a diligentés pour s'assurer que les commerçants ne profiteraient pas du passage à l'euro pour augmenter anormalement leurs prix, mettant en doute leur sens des responsabilités et le respect qu'ils portent à leurs clients. D'ailleurs, les résultats de ces contrôles ont montré le caractère exceptionnel des dérives redoutées.

Le premier geste résulte de l'article 19 de la loi du 11 décembre 2001 portant mesures urgentes de réformes à caractère économique et financier. Cette disposition prévoit que « les matériels destinés exclusivement à permettre l'encaissement des espèces et le paiement par chèques et cartes en euros peuvent faire l'objet d'un amortissement exceptionnel sur douze mois à compter de leur mise en service ». Réservée aux entreprises réalisant moins de 7,63 millions d'euros de chiffre d'affaires (50 millions de francs) et remplissant certaines conditions d'indépendance de chiffres d'affaires, cette disposition ne pourra s'appliquer de fait, étant donnée sa date d'entrée en vigueur, qu'aux seuls équipements acquis en 2001. Votre Rapporteur ne peut que partager le point de vue exprimé par Mme Nicole Bricq, Rapporteure du projet de loi, qui jugeait dans son rapport que cette mesure est « de portée limitée », dont le coût pour l'État est extrêmement faible, puisqu'il ne s'agit que « d'un coût de trésorerie sur une courte période ».

Le second résulte de l'article 56 de la loi de finances rectificative pour 2001 qui prévoit un blocage des commissions perçues par les banques sur les paiements par carte effectués pendant la période de double circulation au niveau du montant perçu au cours de la même période de l'année précédente. Cette disposition rencontre un vif succès, les commerçants étant particulièrement nombreux à accepter les paiements par carte de faible montant. Cependant, votre Rapporteur tient à rappeler que cette disposition, passablement compliquée à mettre effectivement en _uvre lors du prélèvement effectif des commissions, résulte de la volonté de la majorité de ne pas retenir la solution beaucoup plus simple et beaucoup plus lisible adoptée par le Sénat, à savoir la suppression de toute commission sur les paiements inférieurs à 30 euros effectués au cours de la même période.

Cette surdité des pouvoirs publics à l'égard des demandes légitimes des commerçants et artisans est d'autant plus injustifiable que « l'État est l'un des rares agents économiques à gagner de l'argent du fait du passage à l'euro », comme l'a reconnu M. Paul Loridant, sénateur appartenant à la majorité plurielle et Rapporteur spécial pour les comptes spéciaux du Trésor.

En effet, rappelons que le budget pour 2002 prévoit des recettes non fiscales de 773 millions d'euros (5 070,55 millions de francs), dont 533 au titre des pièces (soit 3 496,25 millions de francs) et 240 au titre des billets (1 574,3 millions de francs). Même si l'on tient compte des soldes négatifs du compte d'émission des monnaies métalliques constatés depuis le début du programme de frappe des pièces en euros (193,65 millions d'euros, soit 1 270,3 millions de francs, entre 1998 à 2001), la gain pour l'État - pour ne pas parler de « cagnotte », mot qui gêne manifestement le Gouvernement - de l'introduction de l'euro fiduciaire est loin d'être négligeable (près de 590 millions d'euros, soit près de 3,9 milliards de francs).

C.- LE DEDOMMAGEMENT PROPOSÉ PAR LA PROPOSITION DE LOI

« Le souci d'équité et de solidarité ne peut se concilier avec une mise à contribution sans contrepartie, pour des professions non financières ou bancaires. La sujétion ainsi supportée doit se traduire par une compensation financière pour service rendu. »

L'exposé des motifs de la proposition de loi est parfaitement clair sur l'objectif poursuivi. Le dédommagement des commerçants et des artisans pour les contraintes subies à l'occasion du passage à l'euro est totalement justifié puisqu'ils ont grandement contribué au succès d'une étape importante de la construction européenne.

C'est pourquoi, l'article premier pose le principe de l'indemnisation des entreprises de moins de 20 salariés, inscrites au registre du commerce ou au répertoire des métiers, au prorata du nombre de pièces et billets en euros qu'elles auront retirés auprès des établissements bancaires entre le 1er décembre 2001 et le 17 février 2002. L'article 2 renvoie les modalités d'application à un décret en Conseil d'État, pris après consultation des organisations professionnelles représentatives du commerce et de l'artisanat, en précisant néanmoins que le montant de cette indemnité ne peut être inférieur à 6 000 francs (914,69 euros). Ce montant a été déterminé par comparaison avec la rémunération moyenne annuelle dont bénéficiaient les débitants de tabac pour la distribution de la vignette automobile. Enfin, l'article 3 comporte un gage.

Votre Rapporteur présentera néanmoins deux amendements.

Le premier propose une nouvelle rédaction de l'article 1er en substituant au mécanisme d'indemnisation un mécanisme de crédit d'impôt ayant le même objet. Par ailleurs, cet amendement ciblera avec plus de précision les entreprises bénéficiaires de cette mesure. Afin de viser véritablement le commerce ou l'artisanat de proximité, cet amendement limite le bénéfice de ce crédit d'impôt aux entreprises du secteur du commerce et aux artisans remplissant une double condition : employer moins de 10 salariés et réaliser un chiffre d'affaires inférieur à 3 millions d'euros (19 678 710 francs).

Le second amendement propose une nouvelle rédaction de l'article 2, afin de revaloriser le plafond de garantie des chèques. Fixé à 100 francs par la loi du 3 janvier 1975 et inchangé depuis, ce plafond a perdu toute signification en raison de l'érosion monétaire. L'amendement reprend le dispositif de la proposition de loi déposée par votre Rapporteur en juillet dernier et portant ce plafond de garantie à 50 euros (327,90 francs).

Votre Rapporteur n'avait pas, initialement, l'intention d'introduire cette disposition dans la présente proposition de loi, tant il reconnaît que le lien entre celle-ci et le passage à l'euro est pour le moins ténu. Cependant, les dispositions de l'article 51 de la loi de finances rectificative pour 2001, en arrondissant ce plafond à 15 euros (98,39 francs), a entraîné une diminution subreptice de la garantie des petits chèques (- 1,6 %). Cette véritable provocation a conduit votre Rapporteur à revenir sur ce sujet dans un sens évidemment plus favorable aux commerçants et artisans.

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La présente proposition de loi constitue donc une mesure de justice qui reconnaît à sa juste valeur les efforts consentis par des professionnels qui, comme l'indique la lettre publiée par la CGPME, ont fait office de « cobayes, [de] formateurs, [de] médiateurs, [ et d'] agents de change ».

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EXAMEN EN COMMISSION

Dans sa réunion du 15 janvier 2002, la Commission a procédé à l'examen, de la proposition de loi visant à dédommager les commerçants de proximité et artisans pour la mission qui leur a été confiée d'introduction et de diffusion auprès du public des pièces et billets en euros.

Se déclarant attaché à la logique qui veut que tout service rendu soit rémunéré, votre Rapporteur a souligné que les conditions dans lesquelles se déroulait l'introduction de l'euro fiduciaire témoignaient des efforts considérables réalisés par les commerçants de proximité. Sa proposition de loi entend rétablir l'équité au profit d'un secteur qui a subi les plus lourdes tâches avec les moyens les plus faibles. Ainsi, l'écart s'est creusé entre le commerce de proximité et la grande distribution, qui a pu se tailler des avantages supplémentaires notamment en termes d'image, ayant par exemple augmenté ses prix juste avant de communiquer sur leur gel jusqu'au 17 février.

Les petits commerçants ont subi des contraintes multiples, se voyant obligés de jouer un rôle de guichetier qui n'est pas le leur, d'adapter l'ensemble de leurs matériels, de se former eux-mêmes ainsi que leur personnel, d'informer largement leur clientèle, notamment les personnes les plus fragiles. Ces contraintes ont naturellement été alourdies par la décision des pouvoirs publics de retenir une longue période de double circulation des monnaies. Elles ont donc représenté une lourde charge conduisant les commerçants à subir une double journée de travail.

En réponse à ces efforts, les pouvoirs publics n'ont répondu que par quelques bonnes paroles, une mesure fiscale de portée limitée - l'amortissement accéléré des matériels de paiement - et une mesure dont la mise en _uvre devrait être fort compliquée - le plafonnement des commissions prélevées sur les paiements par carte bancaire.

Rappelant que l'État était le seul acteur économique à gagner de l'argent à l'occasion de l'introduction de la monnaie unique, votre Rapporteur a indiqué que sa proposition de loi ne visait qu'à consacrer une partie de ce gain à l'indemnisation des commerçants de proximité. L'indemnisation serait fonction du montant des pièces et billets en euros qu'ils auront retirés auprès de leur banque entre le 1er décembre 2001 et le 17 février 2002. Elle ne pourrait être inférieure à 6.000 francs, c'est-à-dire ce que les débitants de tabac percevaient lorsqu'ils distribuaient la vignette automobile.

Votre Rapporteur a indiqué qu'il présenterait deux amendements. Le premier substitue au mécanisme de l'indemnité prévu par la proposition de loi un dispositif de crédit d'impôt d'effet équivalent, tout en limitant les entreprises bénéficiaires à celles employant moins de dix salariés et réalisant un chiffre d'affaires inférieur à 3 millions d'euros (environ 20 millions de francs). Le second revalorise le plafond de garantie des petits chèques à 50 euros, alors que la loi de finances rectificative pour 2001 l'a subrepticement ramené à 15 euros, soit un montant légèrement inférieur au chiffre de 100 francs en vigueur depuis 1975 et que l'érosion monétaire a privé de toute signification.

Il a appelé ses collègues à adopter la proposition de loi, ainsi modifiée.

Mme Nicole Bricq a salué le rôle joué par les commerçants dans le passage à l'euro. Elle a cependant estimé que la réussite du passage à l'euro est celle de tous les Français qui ont fait preuve de civisme et ont consenti, entre 1992 et 1997, un effort évident. Dès lors, la proposition de loi apparaît à la fois curieuse, inopportune et infondée. Il est en effet curieux qu'une telle proposition soit mise en discussion dix-sept jours après l'introduction de l'euro, alors qu'elle aurait pu, à plusieurs reprises, être discutée à l'occasion des débats antérieurs. Il est en outre pour le moins paradoxal de présenter cette proposition comme une mesure indispensable à la réussite du passage à l'euro, au moment où les premiers résultats montrent que ce passage s'est parfaitement bien déroulé, sans indemnisation. Enfin, la proposition de loi ne tient pas compte des mesures d'accompagnement d'ores et déjà décidées par les pouvoirs publics : financement par l'État de la constitution de fonds de caisse standardisés, distribution d'outils de calcul, organisation de formations, amortissement accéléré de matériels, plafonnement des commissions prélevées sur les paiements par carte bancaire, mesures spécifiques en faveur des débits de tabac et des pompistes de proximité, recul de la date des soldes ... Le résultat de ces mesures est d'ores et déjà perceptible : d'après les projections réalisées par la Banque de France, le franc devrait disparaître bien avant le 17 février 2002.

Si les commerçants ont joué un rôle indispensable, il n'y a pas de raison de les privilégier par rapport aux autres acteurs du passage à l'euro, et notamment vis-à-vis des caissières en poste dans la grande distribution qui ont été mises à contribution avant et pendant cette opération, sans bénéficier de prime particulière. En outre, la proposition de loi prévoit, pour un coût non négligeable (13 millions d'euros), une indemnisation uniforme, alors que les contraintes diffèrent d'un commerce à l'autre. Certains commerçants ont par exemple institué une caisse en francs et une caisse en euros et n'ont, en continuant à rendre la monnaie en francs, pas participé à diffusion de la nouvelle monnaie.

Mme Nicole Bricq a par conséquent souhaité que la Commission, en application de l'article 94 du Règlement, ne présente pas de conclusions sur la proposition de loi.

En réponse à Mme Nicole Bricq, votre Rapporteur a exprimé sa déception sur le fait que le service rendu par les commerçants ne soit pas, encore une fois, reconnu à sa juste valeur. Sa proposition de loi n'était ni inéquitable, ni redondante par rapport aux quelques mesures prises par les pouvoirs publics. Les commerçants ont assumé avec dévouement et efficacité une véritable mission de service public. Il aurait donc été légitime que les gains engrangés par l'État soient en partie utilisés pour les dédommager.

En conséquence, la Commission a décidé de ne pas passer à la discussion des articles de la proposition de loi et, conformément à l'article 94 du Règlement de l'Assemblée nationale, de ne pas présenter de conclusion sur celle-ci.

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1 La Tribune, 15 janvier 2002.


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