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Document E3974
(Mise à jour : 12 décembre 2009)


Action commune du Conseil portant nomination du représentant spécial de l'Union européenne pour la crise en Géorgie.


E3974 déposé le 19 septembre 2008 distribué le 22 septembre 2008 (13ème législature)

M. Thierry MARIANI , rapporteur, a rappelé que l’Abkhazie (8.600 Km2 et environ 190.000 habitants) et l’Ossétie du Sud (3.900 Km2 et 70.000 habitants) sont entrées en sécession contre la Géorgie (69.700 Km2 et 4,7 millions d’habitants) après son accession à l’indépendance le 9 avril 1991, en raison du refus de son premier président, M. Gamsakhourdia, de maintenir le statut d’autonomie culturelle et administrative accordé par le pouvoir soviétique à ces deux régions géorgiennes. Au terme des guerres de 1991-1992 en Ossétie du Sud et de 1992-1993 en Abkhazie, ces régions se sont installées dans une indépendance de fait, contestée par la Géorgie et ignorée par la communauté internationale après le blocage de ses efforts de règlement de ces conflits. Elle a en effet déployé en Abkhazie une mission d’observation des Nations unies en Géorgie (MONUG) ainsi qu’une force russe de maintien de la paix, et organisé, sous les auspices de l’ONU, un groupe composé de représentants des Etats-Unis, de la France, du Royaume-Uni et de la Russie et de l’OSCE en vue du règlement du conflit. En Ossétie du Sud a été déployée une force de maintien de la paix tripartite, formée de contingents géorgien, russe et ossète, et a été créée une commission mixte de contrôle quadripartite composée de la Géorgie, de la Russie, de l’Ossétie du Nord et de l’Ossétie du Sud, épaulée par la mission de l’OSCE en Géorgie. L’absence de règlement du statut des régions d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud en Géorgie, ainsi que de la Transnistrie en Moldavie et du Haut Karabakh entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan a formé, depuis quinze ans, une ceinture de « conflits gelés » dans les Etats voisins de la Russie issus de l’ex-Union soviétique.

Dès son arrivée au pouvoir en 2003, le Président géorgien, M. Mikhaël Saakachvili, a affirmé une double ambition – restaurer l’autorité de son pays sur la totalité de son territoire et adhérer à l’OTAN et à l'Union européenne – qui a transformé les tensions latentes avec la Russie en véritable confrontation. La Russie ne faisait plus face seulement à la perte de son statut de superpuissance internationale et à l’échec de la construction de nouvelles relations avec ses anciennes possessions au travers de la Communauté des Etats indépendants. Elle était désormais confrontée à l’élimination de son influence au Caucase et en Asie centrale par les Etats-Unis et à la perte du contrôle de l’approvisionnement énergétique de l'Europe transitant par le nœud géorgien.

La Russie a progressivement conforté les tendances séparatistes en Abkhazie et en Ossétie du Sud par des mesures de plus en plus provocatrices, comme la délivrance de passeports russes aux populations abkhazes et ossètes du Sud, d’abord pour tenter de réduire l’hostilité géorgienne, puis pour la défier.

L’entrée de l’armée russe en Géorgie, en réaction immédiate et disproportionnée à la tentative de la Géorgie de rétablir son autorité par la force sur son territoire d’Ossétie du Sud, a été stoppée grâce à l’accord de cessez-le-feu du 12 août entre la Géorgie et la Russie, sous médiation de la présidence française de l'Union européenne.

L’accord comporte six engagements :

- ne pas recourir à la force ;

- cesser les hostilités de façon définitive ;

- donner libre accès à l’aide humanitaire ;

- les forces militaires géorgiennes devront se retirer dans leurs lieux habituels de cantonnement ;

- les forces militaires russes devront se retirer sur les lignes antérieures au déclenchement des hostilités. Dans l’attente d’un mécanisme international, les forces de paix russes mettront en œuvre des mesures additionnelles de sécurité ;

- ouverture de discussions internationales sur les modalités de sécurité et de stabilité en Abkhazie et en Ossétie du Sud.

Les troupes russes ont commencé leur retrait huit jours après leur intervention mais avec lenteur, de sorte qu’elles n’ont commencé à se retirer vraiment des zones tampons, hors territoires séparatistes, qu’après l’accord du 8 septembre.

Dans une guerre, la première victime est toujours la vérité, les deux parties s’accusant mutuellement de nettoyage ethnique. L’Ossétie du Sud s’est désormais vidée de ses habitants « ethniquement » géorgiens (près de 20.000 personnes) comme l’Abkhazie s’était vidée de près de 250.000 Géorgiens d’origine y résidant après le conflit de 1992.

Par ailleurs, le 26 août, la Russie a reconnu l’indépendance proclamée unilatéralement, de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie et mis l'Union européenne et la communauté internationale devant le fait accompli. Le Président Medvedev a déclaré ce choix définitif et irréversible et cette décision sans appel et a annoncé qu’il signerait avec les deux « Etats » des accords de coopération énergétique et de coopération militaire lui permettant d’intégrer leurs réseaux énergétiques à la Russie et d’y installer des bases militaires. Cependant, le refus de la Chine et des pays d’Asie centrale issus de l’ex-Union soviétique de suivre la Russie dans sa démarche souligne l’isolement diplomatique dans lequel elle s’est enfermée.

La Russie a également décidé de suspendre une partie de sa coopération avec l’OTAN, en particulier les visites officielles, celle de navires de l’OTAN dans les ports russes ainsi que la participation des forces russes à des exercices militaires communs. En revanche, elle a maintenu sa coopération dans les groupes de travail du Conseil Russie-OTAN en matière de non-prolifération d’armes de destruction massive, de nucléaire et de sauvetage en mer, ainsi que sur le transit de vivres et d’équipements pour les forces de l’OTAN en Afghanistan.

Le Conseil européen extraordinaire, réuni le 1er septembre pour débattre de l’avenir des relations de l'Union européenne avec la Russie et la Géorgie, est parvenu à maintenir l’unité de l'Union européenne dans une crise internationale majeure où elle jouait pour la première fois un rôle clé, entre les Etats membres partisans du dialogue avec la Russie (Allemagne, Italie, France, Portugal, Grèce, Autriche) et ceux qui étaient partisans d’un durcissement (Royaume-Uni, Pologne, Suède, République tchèque, Etats baltes). Après avoir condamné la réaction disproportionnée de la Russie et sa décision unilatérale de reconnaître l’indépendance de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud, et souligné qu’une solution pacifique et durable devait reposer sur le respect des principes d’indépendance, de souveraineté et d’intégrité territoriale et sur le fait que chaque Etat en Europe a le droit de déterminer librement sa politique étrangère et ses alliances, l'Union européenne s’est refusée à la confrontation et a écarté les sanctions économiques à l’encontre de la Russie.

Considérant qu’en raison de l’interdépendance mutuelle entre l'Union européenne et la Russie, il n’y avait pas d’alternative à une coopération forte et qu’il n’était pas de l’intérêt de la Russie de s’isoler de l'Europe ni celui de l'Europe de remettre en cause ses liens avec la Russie, le Conseil européen a décidé de reporter les négociations sur un partenariat renforcé avec la Russie, ouvertes en juillet, tant que le retrait des troupes sur leurs positions antérieures au 7 août n’aurait pas été réalisé. La séance de négociations prévue le 15 septembre a donc été annulée. Le Conseil européen a également demandé au Conseil et à la Commission européenne d’évaluer les différentes dimensions des relations UE-Russie dans la perspective du prochain sommet UE-Russie prévu le 14 novembre à Nice.

Rappelant l’urgence de mettre au point le mécanisme international de supervision et d’engager les discussions internationales prévues aux points 5 et 6 de l’accord du 12 août, le Conseil européen a décidé l’envoi d’une mission exploratoire en Géorgie pour préparer une mission civile d’observation au titre de la politique européenne de sécurité et de défense. Il a par ailleurs décidé de renforcer la relation de l'Union européenne avec la Géorgie, à travers la facilitation des visas et la mise en place d’une zone de libre échange complète et approfondie dès que les conditions en seront réunies, et de prendre l’initiative de réunir une conférence internationale des donateurs pour la reconstruction de la Géorgie. Il a décidé en outre la nomination d’un représentant spécial de l'Union européenne pour la crise en Géorgie.

Enfin, il a invité la Commission européenne à lui soumettre des propositions dès décembre 2008 sur un partenariat oriental que le Conseil européen souhaite adopter en mars 2009, en complément de la politique de voisinage et de la synergie de la Mer Noire. Il a également appelé le Conseil et la Commission européenne à prendre des initiatives en matière de diversification des sources d’énergie et des routes d’approvisionnement.

Lors de leur réunion du 6 septembre, les ministres des affaires étrangères de l'Union européenne ont par ailleurs demandé une enquête internationale sur les responsabilités dans le conflit en Géorgie.

L’accord du 8 septembre Russie-UE , conclu entre le Président Nedvedev et le Président Sarkozy, accompagné du Président de la Commission européenne, M. Barroso, et du Haut représentant de l’Union européenne pour les PESC, M. Solana, a prévu, en particulier :

- un retrait de toutes les forces russes de paix des cinq postes d’observation sur la ligne de Poti à Sénaki dans un délai maximum de sept jours, compte tenu de la signature, le 8 septembre, des documents juridiquement contraignants et garantissant le non-recours à la force contre l’Abkhazie ;

- un retrait complet des forces russes de Géorgie, hors des zones adjacentes à l’Ossétie du Sud et à l’Abkhazie, sur leurs positions antérieures au début des hostilités le 7 août, dans les dix jours du déploiement, dans ces zones, des mécanismes internationaux, y compris au moins 200 observateurs de l'Union européenne, qui devra intervenir au plus tard le 1er octobre ;

- l’ouverture de discussions internationales sur les modalités de sécurité en Abkhazie et en Ossétie du Sud, sur la question des réfugiés et des déplacés et sur tout autre sujet, d’un commun accord entre les parties, à compter du 15 octobre à Genève.

Le retrait des forces russes a commencé dès le 13 septembre, des cinq postes stratégiques d’observation à l’ouest de la Géorgie, autour du port de Poti et de la ville de Sénaki, située sur l’axe central de la Géorgie, près de l’oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan. La question reste posée du retrait sur les lignes d’avant le 7 août dans certaines régions comme les gorges de Kodori, dans la région séparatiste d’Abkhazie. La Russie a annoncé qu’elle maintiendrait 3.800 militaires dans chacun des deux territoires, soit 7.600 au total.

Par ailleurs, les observateurs européens ont, en principe, vocation à se déployer partout en Géorgie mais dans des conditions encore incertaines dans les deux régions séparatistes. Le mandat de la MONUG en Abkhazie va faire l’objet d’un examen par le Conseil de sécurité avant le 15 octobre, pour déterminer si les Nations unies peuvent s’engager avec une mission élargie, non seulement en Abkhazie mais en Ossétie du Sud, dans des conditions agréées par la Russie disposant d’un droit de veto. Enfin, un accord est intervenu au sein de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) pour déployer 100 observateurs militaires en Géorgie, une partie en Ossétie du Sud, l’autre dans les zones adjacentes. Au total, environ 500 observateurs internationaux seront présents en Abkhazie et en Ossétie du Sud vers le début du mois d’octobre.

Enfin, les discussions internationales sur les modalités de sécurité et de stabilité dans la région aborderont les problèmes nés des conflits de 1991-1993, comme celui des réfugiés et déplacés ou, dans des conditions très difficiles, celui du statut des deux régions hypothéqué par la décision unilatérale de la Russie de reconnaître leur indépendance.

La Commission chargée des affaires européennes a été saisie de quatre projets d’action commune mettant en œuvre les décisions du Conseil européen du 1er septembre :

- le document E 3964 relatif à la mission de surveillance de l'Union européenne en Géorgie (EUMM Géorgie), qui a fait l’objet d’une procédure d’urgence et d’une réponse du Président Pierre LEQUILLER le 12 septembre 2008. L’EUMM Géorgie assure une observation civile des actions des parties, y compris le respect intégral de l’accord en six points et des mesures d’application à travers la Géorgie arrêtées par la suite, en étroite coordination avec les partenaires, en particulier les Nations unies et l’OSCE, pour contribuer à la stabilité à long terme dans l’ensemble de la Géorgie et de la région limitrophe. Cette mission aura une durée d’un an et sa phase opérationnelle débutera le 1er octobre 2008 au plus tard. Elle sera composée d’un peu plus de 300 observateurs européens et non des 200 prévus à l’origine, afin notamment de compenser le blocage des discussions à l’OSCE concernant l’envoi de 80 observateurs sur les 100 que l’organisation avait décidé d’envoyer en août en Ossétie du Sud, et dont seulement 20 sont arrivés juste après la guerre ;

- le document E 3973 modifiant l’action commune 2008/736/PESC concernant la mission d’observation de l'Union européenne en Géorgie, pour augmenter le montant de référence financière de la mission, actuellement de 31 millions d’euros, d’un montant non encore arrêté pour couvrir les besoins opérationnels additionnels ;

- le document E 3974 portant nomination du représentant spécial de l'Union européenne pour la crise en Géorgie. M. Pierre Morel, actuel représentant spécial de l'Union européenne pour l’Asie centrale, ancien ambassadeur de France en Géorgie en 1992-1993, a été nommé pour une période allant jusqu’au 15 mars 2009 ;

- le document E 3975 modifiant le mandat du représentant spécial de l'Union européenne pour le Caucase du Sud, pour tenir compte de la création d’un représentant spécial de l'Union européenne pour la crise en Géorgie et de leur nécessaire coordination.

Les prochaines étapes du règlement de cette crise seront ponctuées par :

- la conférence sur les modalités de stabilité et de sécurité en Abkhazie et en Ossétie du Sud le 15 octobre ;

- la conférence des donateurs à Bruxelles : après l’aide d’urgence engagée (6 millions d’euros par la Commission européenne, 9 par les Etats membres), la Commission européenne envisage de verser 500 millions d’euros à la Géorgie jusqu’en 2010 et escompte une aide équivalente de la part des Etats membres ;

- le sommet UE-Russie le 14 novembre à Nice ;

- le sommet de l’OTAN en décembre où sera à nouveau posé l’accès de la Géorgie et de l’Ukraine au MAP (Plan d’action en vue de leur adhésion), après le rejet de leur candidature au sommet de Bucarest en avril.

Le règlement de cette crise se développera dans une actualité internationale dominée par l’élection présidentielle du 4 novembre au Etats-Unis et dans un contexte régional marqué par plusieurs évolutions.

Au sommet UE-Ukraine du 9 septembre à Paris, l'Union européenne a confirmé sa volonté d’approfondir ses relations avec l’Ukraine, grâce à un accord d’association qui devrait être conclu en 2009, sans toutefois offrir une perspective d’adhésion à ce pays. L’éclatement de la coalition pro-occidentale au pouvoir vient de survenir au moment où se profilent des tensions entre l’Ukraine et la Russie sur le statut de la base navale de Sébastopol, louée par la Russie jusqu’en 2017, et de la Crimée à majorité russophone.

La Biélorussie n’a pas suivi la Russie dans la reconnaissance de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie. L’Union européenne envisage d’atténuer ses sanctions contre la Biélorussie si les élections législatives du 28 septembre se déroulent dans le respect de la démocratie, et de débloquer une assistance financière gelée depuis quatre ans dans le cadre de la politique européenne de voisinage.

La Russie est intervenue le 25 août auprès du Président de la Moldavie, M. Vladimir Voronine, dont le mandat s’achève en 2009, pour qu’il accepte son plan de fédéralisation de ce pays, comportant un statut particulier pour le contingent russe en Transnistrie, et qu’il confirme le statut de neutralité inscrit dans la Constitution moldave de manière à éviter tout rapprochement avec les structures euro-atlantiques. La crise pourrait favoriser la négociation d’un nouvel accord de partenariat renforcé avec l'Union européenne pour remplacer l’actuel accord de partenariat et de coopération.

Enfin, l'Union européenne a renforcé son dialogue avec les pays d’Asie centrale lors du premier forum UE-Asie centrale, le 18 septembre à Paris, sur les enjeux de sécurité, en examinant la prévention du terrorisme et de la prolifération nucléaire, la lutte contre les trafics et la sécurité énergétique à la lumière des derniers développements de la guerre en Géorgie.

La Commission a approuvé les propositions d’acte de l'Union européenne, en l’état des informations dont elle dispose, au cours de sa réunion du 23 septembre 2008.