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le 6 octobre 1998

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N° 1103

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 1er octobre 1998.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES (1) SUR LES PROJETS DE LOI :

- autorisant la ratification de l'accord européen concernant les personnes participant aux procédures devant la Cour européenne des droits de l'homme (n° 1075),

- autorisant la ratification du sixième Protocole additionnel à l'Accord général sur les privilèges et immunités du Conseil de l'Europe (n° 1076),

PAR M. PAUL DHAILLE,

Député

——

(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

Traités et conventions

La Commission des Affaires étrangères est composée de : M. Jack Lang, président ; MM. Georges Hage, Jean-Bernard Raimond, Roger-Gérard Schwartzenberg, vice-présidents ; M. Roland Blum, Mme Monique Collange, M. René Rouquet, secrétaires ; Mmes Michèle Alliot-Marie, Nicole Ameline, M. René André, Mmes Marie-Hélène Aubert, Martine Aurillac, MM. Edouard Balladur, Raymond Barre, Dominique Baudis, François Bayrou, Henri Bertholet, Jean-Louis Bianco, André Billardon, André Borel, Bernard Bosson, Pierre Brana, Jean-Christophe Cambadélis, Hervé de Charette, MM. Yves Dauge, Patrick Delnatte, Jean-Marie Demange, Xavier Deniau, Paul Dhaille, Mme Laurence Dumont, MM. Jean-Paul Dupré, Charles Ehrmann, Jean Espilondo, Jean-Michel Ferrand, Georges Frêche, Jean-Yves Gateaud, Jean Gaubert, Valéry Giscard d'Estaing, Jacques Godfrain, Pierre Goldberg, François Guillaume, Jean-Jacques Guillet, Robert Hue, Mme Bernadette Isaac-Sibille, MM. Didier Julia, Alain Juppé, André Labarrère, Gilbert Le Bris, Jean-Yves Le Déaut, Michel Lefait, Jean-Claude Lefort, François Léotard, Pierre Lequiller, François Loncle, Bernard Madrelle, René Mangin, Jean-Paul Mariot, Gilbert Maurer, Charles Millon, Mme Louise Moreau, M. Jacques Myard, Mme Françoise de Panafieu, MM. Etienne Pinte, Marc Reymann, Jean Rigal, Mme Yvette Roudy, MM. Georges Sarre, Henri Sicre, Mme Christiane Taubira-Delannon, MM. Michel Terrot, Joseph Tyrode, Michel Vauzelle, Aloyse Warhouver.

SOMMAIRE

___

INTRODUCTION 5

Mesdames, Messieurs,

L'Assemblée nationale est appelée à se prononcer sur deux projets connexes et complémentaires : celui autorisant la ratification du sixième protocole additionnel à l'Accord général sur les privilèges et immunités du Conseil de l'Europe et celui autorisant la ratification de l'accord européen concernant les personnes participant aux procédures devant la Cour européenne des droits de l'Homme. Ces deux accords ouverts à la signature depuis le 5 mars 1996, visent à restructurer le mécanisme de contrôle établi par la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950. Ils permettent l'application concrète du protocole N° 11 à la Convention précitée. Ce protocole ratifié par la France, le 12 mars 1996, institue une Cour permanente européenne des droits de l'Homme à la date de son entrée en vigueur, soit le 1er novembre 1998. Ce protocole marque une étape essentielle dans le fonctionnement des instances juridictionnelles mises en place à Strasbourg car il met fin à la structure tripartite actuelle (Commission, Cour, Comité des ministres) dans sa fonction juridictionnelle et crée une cour unique permanente et composée d'un nombre de juges égal à celui des Etats parties à la Convention, soit quarante à ce jour.

En effet, le système prévu par la Convention en 1950 devait être réformé car il connaît depuis des années un engorgement, voire même un début de paralysie, sous la double contrainte de l'élargissement du nombre d'Etats parties et de la progression constante du nombre des plaintes individuelles, près de 12.000 par an (dont 1.500 émanant de justiciables devant les juridictions françaises).

La création d'une Cour permanente vise à simplifier et accélérer les procédures d'examen des requêtes présentées par les particuliers, tout en maintenant le haut niveau de protection des droits de l'Homme, garanti par la Convention et ses protocoles additionnels.

Devant la nouvelle Cour, le droit de saisine individuel devient obligatoire, alors qu'il était soumis jusqu'à présent à une déclaration d'acceptation des Etats, au demeurant souscrite par l'ensemble des Etats membres. Les affaires portées devant la Cour sont d'abord soumises à un "Comité de trois juges" qui peut d'emblée, à l'unanimité, les déclarer irrecevables sans examen complémentaire et de manière définitive. Actuellement, c'est la Commission qui effectue ce tri. Elle rejette près de 90 % des requêtes qu'elle reçoit. Dans le nouveau système, la requête déclarée recevable sera soumise à une "chambre" de 7 juges, qui se prononcera sur la recevabilité et sur le fond. Dans des cas exceptionnels, l'affaire pourra être jugée par une formation contentieuse plus nombreuse, la Grande Chambre, composée de 17 juges.

Le protocole n° 11 prévoit le dessaisissement de la Chambre en faveur de la Grande Chambre, quand elle estime que l'affaire soulève une question grave relative à l'interprétation de la Convention ou qu'il existe un risque de contradiction de jurisprudence. En outre, le renvoi devant la Grande Chambre à la demande d'une partie ou de l'Etat requérant est également possible dans des cas exceptionnels et ce dans le délai de trois mois à compter de l'arrêt de la Chambre. Cette faculté d'interjeter appel devant la Grande Chambre est toutefois limitée par l'appréciation d'un Comité de filtrage de 5 juges de la Grande Chambre qui statuent sur la pertinence de cette demande au regard de l'interprétation ou de l'application de la Convention. L'arrêt de la Grande Chambre est définitif.

Les arrêts des Chambres ou de la Grande Chambre sont transmis au Comité des Ministres qui en surveille l'exécution. Cette fonction résiduelle de contrôle sera donc laissée à l'instance politique du Conseil de l'Europe, comme c'est le cas dans le système actuel. Par ailleurs, le protocole n° 11 maintient la possibilité de requêtes interétatiques qui n'a été que rarement utilisée jusqu'à présent.

Les deux accords soumis à ratification s'inscrivent dans le contexte identique du fonctionnement de cette nouvelle Cour. Ils adaptent les accords antérieurs à la création de cette instance. Le sixième protocole additionnel à l'Accord général sur les privilèges et immunités du Conseil de l'Europe rénove le statut des juges de cette Cour pour accroître leur indépendance. L'accord européen concernant les personnes participant aux procédures devant la Cour européenne des droits de l'Homme renforce leur protection.

Avant d'analyser successivement ces deux accords, votre Rapporteur examinera l'impact de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme sur le droit français.

I - L'IMPACT DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L'HOMME
SUR LE DROIT FRANÇAIS

En 1997, le Secrétariat de la Commission européenne des droits de l'Homme a reçu 12500 plaintes émanant de l'ensemble des Etats parties à la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, dont près de 2000 adressées par des justiciables devant les juridictions françaises. La grande majorité de ces requêtes est déclarée d'emblée irrecevable, pour défaut d'épuisement des voies de recours internes, non-respect du délai de saisine (6 mois au plus tard après la décision interne définitive), ou invocation d'un droit non couvert par la Convention. Parmi celles retenues, 150 ont été communiquées au Gouvernement français pour observation.

Ce nombre d'affaires place notre pays depuis plusieurs années, avec l'Italie et le Royaume-Uni, en tête des Etats parties à la Convention européenne des droits de l'Homme, contre lesquels des requérants individuels ont introduit des requêtes pour violation d'un ou plusieurs articles de la Convention. Cependant, la forte progression observée dans plusieurs nouveaux Etats membres (Hongrie, Pologne, République tchèque, Roumanie) pourrait remettre en cause, à terme, la prépondérance des anciens pays du Conseil de l'Europe. 70% des requêtes contre la France concernent l'ordre judiciaire et portent le plus souvent sur l'application de l'article 6 § 1 de la Convention qui recouvre la notion de "droit à un procès équitable" sous ses différents aspects : délai raisonnable de la procédure, respect du contradictoire et de l'égalité des armes, respect de la présomption d'innocence, etc... Nombre de requêtes portent également sur la durée de la détention provisoire (Art. 5 § 3 de la Convention). Enfin, un nombre significatif d'affaires relève du droit des étrangers, le plus souvent sous l'angle de l'article 3 (risques de traitements inhumains ou dégradants en cas de renvoi vers leur pays d'origine) et de l'article 8 de la Convention (droit au respect de la vie familiale et privée), invoqués pour demander l'abrogation d'une mesure de reconduite ou d'expulsion.

De ce fait, l'impact de la jurisprudence de la Cour européenne sur notre ordre juridique interne est considérable et se traduit à différents niveaux.

A - L'impact de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme sur les lois

Les projets de loi font l'objet, tant dans leur phase administrative qu'au cours des débats parlementaires, d'un examen de conformité aux exigences du droit issu de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales.

En outre, l'adoption de certains textes tels que des lois ou décrets est venue adapter l'ordre juridique interne aux exigences de cette Convention, soit pour remédier à des constats de violation, soit pour éviter le développement de contentieux en cours, ou prévenir de nouveaux contentieux. A titre d'exemple, on peut citer les textes suivants :

La loi 91-646 du 10 juillet 1991, relative au secret des correspondances émises par la voie des télécommunications a été adoptée pour faire suite aux arrêts Krüslin et Huvig du 24 avril 1990, constatant la violation de l'article 8 de la Convention aux motifs que les garanties posées par la jurisprudence antérieure de la Cour de Cassation était insuffisamment prévisible, précise, claire et détaillée pour procurer la sécurité juridique indispensable aux citoyens vis-à-vis des procédés d'écoutes téléphoniques de plus en plus perfectionnés.

La loi 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridictionnelle a modifié le système d'octroi de celle-ci. Elle a établi auprès de chaque tribunal de grande instance, de la Cour de Cassation, du Conseil d'Etat et de la Commission de recours pour les réfugiés, des bureaux d'aide juridictionnelle qui se prononcent sur les demandes qui leur sont soumises et dont les décisions peuvent faire l'objet d'un recours. Cette loi est intervenue alors que le contentieux ayant donné lieu à l'arrêt Pham Hoang c. France du 25 septembre 1992 était pendant devant les organes de Strasbourg.

Le décret du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat prévoit qu'en matière disciplinaire, le conseil de l'Ordre des avocats peut décider la publicité des débats si l'avocat mis en cause en fait expressément la demande.

L'examen des débats parlementaires précédant l'adoption des lois n ° 93-2 du 4 janvier 1993 et 93-1013 du 24 août 1993, portant réforme de la procédure pénale, montre que la Convention et la jurisprudence des organes de Strasbourg, ont été évoquées lors de la discussion, s'agissant par exemple des garanties nouvelles en matière de présomption d'innocence et de la nécessité d'améliorer la protection des personnes gardées à vue.

L'ordonnance du 2 novembre 1945, relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France, amendée par la loi du 29 octobre 1981 qui mentionnait des catégories de personnes à l'abri de toute mesure d'expulsion sauf cas de nécessité impérieuse, a été modifiée par lois des 24 août et 30 décembre 1993, à la suite de l'arrêt Beldjoudi c. France, du 26 mars 1992 dans lequel la Cour européenne des droits de l'Homme avait constaté la violation de l'article 8 de la Convention.

Le décret n° 93-306 du 12 juillet 1993 qui précise les conditions d'exercice par le fonds d'indemnisation des hémophiles et des transfusés condamnés par le Sida de l'action subrogatoire devant les juridictions civiles a été adopté alors que le contentieux des affaires Vallée et Karakaya c. France, qui ont donné lieu à deux arrêts de condamnation en dates des 26 avril 1994 et 26 août 1994 , était encore pendant.

La loi n° 96-1235 du 30 décembre 1996 relative à la détention provisoire a inséré dans le code de procédure pénale (CPP) un nouvel article 144-1 selon lequel "la détention provisoire ne peut excéder une durée raisonnable au regard de la gravité des faits reprochés à la personne mise en examen et de la complexité des investigations nécessaires à la manifestation de la vérité". Comme le précisent tant l'exposé des motifs du projet de loi que la circulaire du 3 mars 1997 la commentant, cet article consacre dans notre législation interne la notion de délai raisonnable prévue par l'article 5 § 3 de la Convention, déjà appliquée par les juridictions françaises.

B - L'impact de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme sur les tribunaux français

Dès 1990, la Cour de Cassation a tiré les conséquences de plusieurs arrêts de condamnation rendus par la Cour européenne des droits de l'Homme sur le fondement des dispositions de l'article 6 § 1 de la Convention pour sanctionner des situations dans lesquelles des magistrats ne présentaient pas de garanties suffisantes d'impartialité.

Sous la poussée des contentieux engagés devant les organes de Strasbourg, la chambre criminelle de la Cour de cassation a, dans plusieurs arrêts, affirmé sa volonté d'exiger des juges du fond qu'ils se conforment aux dispositions de l'article 6 § 3 et veillent à ce que l'accusé dispose de la faculté de contester un témoignage à charge et d'en interroger l'auteur au moment de la déposition ou plus tard (arrêt Randhawa du 12 janvier 1989 et Dobbertin du 7 mars 1991), et ce avant même les dispositions nouvelles du CPP sur ce point.

A la suite des arrêts de condamnation de la France pour violation de l'article 5 § 3 de la Convention en raison de la motivation trop abstraite et stéréotypée utilisée par les chambres d'accusation à l'occasion de la prolongation de la durée de la détention provisoire des inculpés (arrêts Letellier du 26 juin 1991, Kemmache du 27 novembre 1991 et Tomasi du 27 août 1992), la Cour de Cassation a commencé à exercer son contrôle sur l'insuffisance ou la contradiction de la motivation des juges. Plusieurs arrêts de la Chambre criminelle ont ainsi cassé les décisions de chambres d'accusation qui s'étaient abstenues de répondre au moyen tiré de la violation de l'article 5 § 3 de la Convention.

Il convient de souligner qu'à la suite des arrêts Krüslin et Huvig précités en matière d'écoutes téléphoniques, la Cour de cassation avait, avant même l'intervention de la loi du 10 juillet 1991, complété sa jurisprudence en encadrant plus strictement les conditions dans lesquelles pouvaient être autorisées et retranscrites ces écoutes dans le sens réclamé par la Cour européenne. Ces solutions ont largement inspiré les dispositions législatives adoptées en 1991.

Par ailleurs, à la suite de l'arrêt B c. France du 25 mars 1992, l'Assemblée plénière de la Cour de Cassation a, par deux arrêts du 11 décembre 1992, cassé deux arrêts de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence déboutant des transsexuels de leur demande en rectification de leur acte de naissance.

En 1990, la Cour de Cassation a reconnu à une personne morale étrangère, par l'effet des dispositions combinées des articles 6-1 et 14 de la Convention, 1er et 5 de son protocole additionnel et 55 de la Constitution, le droit de se constituer partie civile devant une juridiction française, malgré une loi du 30 mai 1857 qui subordonnait l'action en justice d'une société étrangère à sa reconnaissance par décret ou convention diplomatique.

Le Conseil d'Etat se montre, comme la Cour de Cassation, de plus en plus attentif à la jurisprudence des organes de Strasbourg.

C'est sans aucun doute en matière de droit des étrangers et d'application de l'article 8 de la Convention sur le droit au respect de la vie privée et familiale que l'influence directe de la jurisprudence de la Cour européenne sur celle Conseil d'Etat est manifeste. Quelques mois après que la Cour eut censuré une mesure d'éloignement forcé du territoire dans l'affaire Moustaquim c. Belgique du 18 février 1991, le Conseil d'Etat a, dans des circonstances de fait voisines, annulé l'arrêté d'expulsion de France d'une personne invoquant cette jurisprudence. Depuis lors, les requérants se fondent fréquemment et avec succès sur l'article 8 de la Convention. Il en est de même pour l'article 3 relatif aux peines et traitements inhumains et dégradants, lorsqu'est en cause le pays vers lequel l'étranger doit être renvoyé, si celui-ci établit qu'il risque dans ce pays d'être exposé à de tels traitements. Le juge administratif français s'inspire ici, tant de la décision de la Cour dans l'affaire Soering c. Royaume-Uni du 7 juillet 1989 que de la jurisprudence ultérieure de la Cour européenne des droits de l'Homme relative au droit des étrangers.

Dans d'autres matières, le Conseil d'Etat procède à une application de certains articles de la Convention qui est très voisine de celle de la Cour, et qui relève du même souci de recherche de la proportion entre les atteintes portées à ces droits et ce qui est nécessaire, dans une société démocratique, pour préserver les seuls intérêts de nature à légitimer ces atteintes. Il en est ainsi en matière de liberté de conscience (article 9), de liberté d'expression (article 10) ou encore de droit d'association (article 11).

Le contrôle exercé par la Cour européenne des droits de l'Homme, par sa qualité, a largement influencé le droit positif français grâce à sa conception précise et exigeante de la défense des droits de l'Homme. Aussi, la réforme proposée, qui permet d'assurer concrètement la permanence de la Cour, est-elle particulièrement pertinente.

II - LA PROTECTION DES JUGES DE LA COUR EUROPÉENNE

Aux termes du protocole n° 11, la Cour est composée d'un nombre de juges égal à celui des Etats membres de la Convention et non plus du Conseil de l'Europe, comme actuellement. Ils sont élus par l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe pour une durée normale de 6 ans (au lieu de 9 dans le système actuel). Toutefois, afin de permettre un renouvellement progressif des effectifs de la Cour, il a été procédé le 28 avril 1998 à un tirage au sort permettant de déterminer quels seront les 19 juges dont le mandat sera limité à 3 ans. En tout état de cause, le mandat des juges s'achève dès qu'ils atteignent l'âge de 70 ans.

L'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe (APCE) a estimé utile de renforcer la procédure d'examen des candidatures proposées par les Etats, par un système d'auditions. 39 juges ont été élus. Seule l'élection du juge russe reste à intervenir. Le juge français est M. Jean-Paul Costa, Conseiller d'Etat, dont la durée du mandat est de 6 ans, qui sera l'un des deux vice-présidents de la Cour, l'autre étant Mme Elisabeth Palm, de nationalité suédoise. On constate un renouvellement limité au sein de la nouvelle Cour car la moitié des juges sont des membres des actuelles instances de contrôle. Parmi les élus, on compte notamment 14 magistrats professionnels, 13 professeurs de droit, 6 hauts fonctionnaires, 6 diplomates et 3 avocats. La Cour sera présidée par le professeur suisse Luzius Widhaber.

Le sixième protocole additionnel à l'Accord général soumis à ratification s'efforce de prendre en compte les nouvelles servitudes qu'implique pour les juges, le caractère permanent de la Cour. Dans le système actuel, la Commission et la Cour ne siègent pas de manière permanente, mais pendant une dizaine de sessions de deux semaines chacune par an, ce qui a permis à de nombreux membres de ces deux instances de conserver d'autres activités et de ne pas être installés de manière permanente à Strasbourg. Or, le nouveau système instaure une juridiction permanente exigeant des juges qu'ils résident à Strasbourg ou dans sa région et se consacrent de manière quasi exclusive à cette activité. Ils percevront désormais une rémunération mensuelle et non plus des per diem. Le salaire annuel d'un juge à la nouvelle Cour s'élève à 1 100 000 francs auxquels s'ajoutent 37 500 francs pour un vice-président et 75 000 francs pour le président.

A - La situation antérieure au nouvel accord : des privilèges fiscaux limités.

Aux termes de l'article 59 de la Convention européenne des droits de l'Homme qui trouve un équivalent dans le nouvel article 51, issu du protocole n° 11, les membres de la cour jouissent, pendant l'exercice de leurs fonctions, des privilèges et immunités prévus à l'article 40 du Statut du Conseil de l'Europe et dans les accords conclus en vertu de cet article. L'article 40 garantit notamment aux représentants des membres du Conseil de l'Europe, ainsi qu'au secrétariat les privilèges et immunités nécessaires à l'exercice de leurs fonctions. Il invite les Etats membres à conclure un accord définissant les privilèges et immunités reconnus sur leurs territoire. Cet accord dit "Accord général sur les privilèges et immunités du Conseil de l'Europe" a été adopté le 2 septembre 1949, et complété par six protocoles additionnels.

Les deuxième et quatrième protocoles accordent respectivement aux membres de la Commission européenne des droits de l'Homme et aux juges de l'actuelle Cour européenne des droits de l'Homme, au greffier et greffier adjoint, les immunités d'arrestation et de juridiction.

Le cinquième protocole à l'accord général sur les privilèges et immunités du Conseil de l'Europe confère aux membres de la Commission et de l'actuelle Cour le bénéfice de l'exonération de l'impôt sur les revenus. Ouvert à la signature le 18 juin 1990, ce texte est entré en vigueur le 1er novembre 1991 mais n'a pas été signé par la France en raison de l'opposition du ministère de l'Economie, des finances et du budget, hostile par tradition aux exemptions d'impôt. Ce ministère estimait en effet que le cinquième protocole à l'accord précité qui "accordait aux membres de la commission et de l'actuelle Cour le bénéfice de l'exonération de l'impôt sur le revenu, conduisait à une exemption totale d'impôt les personnes considérées et était donc contraire à la politique menée vis-à-vis des régimes fiscaux applicables aux organisations internationales".

Cet instrument inscrit dans l'actuel système de contrôle des organes de Strasbourg doit être réformé car il vise outre les membres de la Cour, ceux de la Commission qui est appelée à disparaître à l'issue de la période transitoire d'un an prévue par l'article 5 du protocole n° 11. De plus, il ne tient pas compte du changement de rémunération des magistrats de la nouvelle Cour qui percevront désormais un salaire et non des per diem.

B - La portée du sixième protocole.

L'article 1 du sixième protocole accorde aux juges de la nouvelle Cour, à leurs conjoints et enfants mineurs, les privilèges et immunités prévus à l'article 18 de l'accord général sur les privilèges et immunités du Conseil de l'Europe de 1969. Outre l'exonération de l'impôt sur les traitements qui faisait l'objet du cinquième protocole, le nouvel accord étend aux juges les privilèges réservés dans l'accord général précité au Secrétaire général et au Secrétaire général adjoint du Conseil de l'Europe (article 16 de ce texte), à savoir les privilèges, immunités, exemptions et facilités accordés conformément au droit international, aux envoyés diplomatiques résultant de l'article 34 de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques (immunité de juridiction, facilités en matière d'immigration, de change, rapatriement en période de crise internationale, importation et exportation en franchise).

1) Les privilèges douaniers et fiscaux résultant du sixième protocole et de ses renvois successifs.

L'exonération de l'impôt sur les rémunérations, l'importation et l'exportation en franchise de leur mobilier et de leurs effets, à l'occasion de leur installation et de la cessation de leurs fonctions sont directement accordées aux intéressés par référence aux privilèges de l'article 18 de l'accord général précité, dont bénéficient tous les agents du Conseil de l'Europe.

L'exonération de la taxe d'habitation, comme de la TVA sur les carburants et l'achat d'un véhicule en franchise, réservés dans l'accord général au Secrétaire général et au Secrétaire général adjoint du Conseil de l'Europe sont accordés aux juges par assimilation de ces derniers à des envoyés diplomatiques, ce qui est susceptible de revêtir une signification particulière dans le cas du juge français. Traditionnellement, la France exclut ses ressortissants et les "résidents permanents" sur son territoire du bénéfice des privilèges fiscaux ou douaniers accordés aux envoyés diplomatiques. C'est pourquoi le Gouvernement a prévu d'assortir le dépôt des instruments de ratification du présent accord d'une déclaration interprétative en ce sens.

"Le Gouvernement de la République française déclare qu'il interprète, conformément à sa pratique habituelle s'agissant des exemptions fiscales et douanières accordées aux envoyés diplomatiques, l'article 1 in fine du Protocole, en tant qu'il accorde de telles exemptions par assimilation des juges à des envoyés diplomatiques, comme ne s'appliquant ni à ses ressortissants, ni aux "résidents permanents" sur son territoire".

Selon le ministère des Affaires étrangères, cette déclaration ne serait pas en contradiction avec l'objectif de renforcement de l'indépendance des juges de la nouvelle Cour. L'exonération de l'impôt sur les traitements du juge français et des juges qui seraient susceptibles d'être considérés comme des résidents permanents n'est pas affectée par cette déclaration car elle est directement accordée aux juges par référence aux privilèges de l'article 18 précité dont bénéficient tous les agents du Conseil de l'Europe.

En revanche, l'exonération de la taxe d'habitation, de la TVA sur les carburants, ainsi que la franchise sur l'achat d'un véhicule qui ne sont accordés par l'article 1er du sixième protocole que par assimilation des juges à des envoyés diplomatiques, ne pourraient pas bénéficier au juge français ni aux juges étrangers qui seraient par ailleurs résidents permanents. En effet, sont considérés comme "résidents permanents", les personnes majeures de nationalité étrangère qui, au moment de la notification de leur recrutement en l'espèce, il s'agit de l'élection des juges par l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, résidaient régulièrement en France depuis plus d'un an. A défaut de convention fiscale spécifique entre la France et le pays dont l'intéressé est ressortissant, ce sont les critères du droit interne, définis à l'article 4 B 1 du Code général des impôts, qui permettront de déterminer la notion de résidence en France 11).

En principe, les contribuables qui séjournent en France pendant plus de six mois, de manière continue ou non, au cours d'une année donnée sont assimilés aux résidents permanents par l'article 4 B 1 précité. Comme la durée annuelle de séjour en France des membres de la Commission ou des juges de l'actuelle Cour, au titre de cette activité, est très largement inférieure à six mois, le critère de séjour principal en France ne devrait pas en principe concerner les juges de la nouvelle Cour qui exerçaient au préalable de telles activités. La moitié des juges de la nouvelle Cour sont des membres des actuelles instances de contrôle, soit 10 juges et 10 membres de la Commission. Par ailleurs, au vu des renseignements figurant dans les curriculum vitae des 19 nouveaux juges de cette Cour, il ne semble pas que ces derniers puissent être considérés comme résidents permanents en France depuis un an au moment de leur élection à la nouvelle Cour. Toutefois compte tenu du caractère permanent de la nouvelle Cour la question pourra se poser si lors du renouvellement ultérieur du mandat des magistrats, certains étaient réélus. Comme cette pratique est fréquente, les juges réélus pourraient se voir opposer les dispositions de cette déclaration.

Il n'est donc pas exclu qu'à l'avenir cette déclaration suscite des difficultés et génère une inégalité entre les magistrats de la nouvelle Cour au regard de leur privilèges fiscaux, voire les encourage à résider en Allemagne même si le projet de règlement intérieur de cette juridiction prévoit que les juges sont tenus de résider en France sauf dérogation.

C'est d'ailleurs ce point qui est à l'origine de la signature tardive le 1er mars 1998 par la France de cet accord ouvert à la signature depuis le 5 mars 1996. En effet, de longues discussions interministérielles ainsi que des échanges avec le Conseil de l'Europe en ont retardé la signature, le ministère de l'économie, des finances et du budget ayant adopté la même attitude que pour la signature par la France du cinquième protocole à l'accord général sur les privilèges et immunités du Conseil de l'Europe. Ce ministère n'est revenu sur sa position de principe sur l'exonération de l'impôt sur le revenu uniquement en raison du caractère permanent des fonctions des juges de la nouvelle Cour.

2) Les immunités et leur régime

Les juges de la nouvelle Cour sont couverts par l'immunité de juridiction en ce qui concerne leurs paroles, leurs écrits ou les actes réalisés dans l'exercice de leur fonction. En outre, assimilés à des envoyés diplomatiques, il bénéficient de facilités, de change et de rapatriement en période de crise internationale et d'immigration. En effet, plusieurs Etats membres du Conseil de l'Europe sont soumis à la délivrance de visa pour l'entrée de leurs ressortissants sur le territoire français.

Enfin l'inviolabilité des documents et papiers de la Cour, des juges et du greffe est posée par l'article 6, paragraphe 1, qui interdit également la rétention et la censure de la correspondance officielle et des autres communications officielles des intéressés.

Aux termes de l'article 4 du sixième protocole les privilèges et immunités sont accordés aux juges non pour leur bénéfice personnel, mais en vue d'assurer en toute indépendance l'exercice de leurs fonctions. Ce même article règle les conditions dans lesquelles la Cour peut prononcer la levée des immunités. S'agissant du greffier et du greffier adjoint lorsqu'il fait fonction de greffier, l'article 5 précise que les privilèges et immunités qui leur sont accordés visent à permettre le bon accomplissement de leurs fonctions et règle, à l'instar de l'article 4 pour les juges, les conditions de la levée des immunités. L'article 5 fixe également les conditions dans lesquelles le Secrétaire général du Conseil de l'Europe peut lever l'immunité de juridiction des autres membres du greffe, en tenant compte des considérations figurant à l'article 3 et avec l'accord du Président de la Cour.

Aucune condition spécifique n'est posée pour permettre à la Cour de prononcer la levée des immunités prévue aux articles 4 et 5. Ces articles prévoient toutefois que la Cour doit prononcer la levée de l'immunité dans tous les cas où, à son avis, l'immunité empêcherait que justice soit faite et où elle pourrait être levée sans nuire au but pour lequel elle est accordée. Aucun cas de levée d'immunité, ni même de demande de levée d'immunité, n'a été recensé à ce jour.

3) Les incidences financières de l'accord.

Il convient de préciser que bénéficieront des privilèges prévus par l'accord soumis à ratification, les quarante juges de la nouvelle Cour, ainsi que, le cas échéant, les juges "ad hoc" au sens de l'article 221) , c'est-à-dire susceptibles d'être désignés par un Etat pour siéger comme juges, en cas d'empêchement du juge élu, le greffier et le greffier adjoint de la Cour lorsque ce dernier fait fonction de greffier. Quarante deux personnes bénéficieront donc de ces privilèges de manière permanente.

Les incidences financières n'ont pas été chiffrées mais elles devraient être faibles au regard de l'importance pour la France, patrie des droits de l'Homme, d'être le pays où siège la nouvelle Cour. C'est pourquoi on peut s'interroger sur l'intérêt de la déclaration interprétative qui réduit certains des privilèges fiscaux des magistrats de cette juridiction, d'autant qu'il ne paraît pas établi que le Conseil de l'Europe ait accepté la teneur de la déclaration française.

III - LA PROTECTION DES PERSONNES PARTICIPANT AUX PROCÉDURES DEVANT LA COUR EUROPÉENNE
DES DROITS DE L'HOMME

La création de la nouvelle Cour le 1er novembre 1998 implique également l'adaptation du statut des personnes participant aux procédures. Le nouvel accord adopte une conception extensive de la notion de participation aux procédures et renforce quelque peu la protection des personnes y participant par rapport à l'accord précédent signé à Londres le 6 mai 1969.

A - Les personnes participant aux procédures

L'article 1er définit les personnes protégées dans l'accord européen précédent comme dans le nouveau qui est plus concis car l'ensemble des dispositions qui visaient les personnes participant aux procédures devant la Commission européenne des droits de l'Homme a disparu. Le nouvel article 1er reprend la distinction faite entre les personnes participant à la procédure en tant que partie, représentant, conseil d'une partie d'une part, et témoins, experts, personnes appelées par l'organe de contrôle à participer à la procédure d'autre part.

Conformément à la pratique instaurée devant les anciennes instances de contrôle, certaines personnes morales invitées à participer à la procédure jouissent de la protection, il n'en est pas de même des personnes privées de libertés.

1) "Les autres personnes invitées à participer à la procédure" au sens du nouvel accord.

L'association de certaines personnes morales au déroulement de la procédure devant la Cour représentait une innovation du nouveau règlement de la Cour adopté le 24 novembre 1982. Cette association ne se concrétisait pas seulement par la faculté de présenter des observations écrites, mais également par la possibilité de suggérer à la chambre certaines mesures d'instruction et d'être entendu par la chambre 31).

Des organisations non gouvernementales, ainsi que des associations non requérantes ont été associées à certaines procédures. C'est ainsi qu'Amnesty International, Liberty, Committee on the administration of Justice Inquest, British-Irish Rights Watch ont été autorisés à présenter des observations écrites dans l'affaire Mc Cann et autres c. Royaume Uni (arrêt du 27 septembre 1995) concernant des agents de la sûreté ayant tué trois membres de l'IRA, soupçonnés de préparer un attentat à la bombe.

Cette pratique figure désormais dans l'article 14 du protocole n° 11 qui stipule que "Dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, le président de la Cour peut inviter toute haute partie contractante qui n'est pas partie à l'instance ou toute personne intéressée autre que le requérant à présenter des observations écrites ou à prendre part aux audiences".

Les tiers, c'est à dire les Etats contractants non-parties en cause ainsi que les personnes intéressées autres que le requérant ne sont toutefois pas titulaires d'un droit d'intervention : ils ne sont associés au déroulement de la procédure que s'ils y ont été invités ou autorisés par le président.

2) Le cas des personnes privées de liberté

L'article 4 de l'accord exige des parties contractantes d'assurer aux personnes protégées la liberté de circuler et de voyager librement pour assister à la procédure devant la Cour. Des restrictions à ces déplacements ne peuvent être imposées que si "prévues par la loi, elles constituent des mesures nécessaires dans une société démocratique, à la souveraineté nationale, à la sûreté publique, au maintien de l'ordre public, à la prévention des infractions pénales...". Ces dispositions figurant au paragraphe 1 b) de l'article 4 excluent donc les personnes détenues du bénéfice de la protection.

D'ailleurs, la France entend expressément reprendre les termes de la déclaration contenue dans l'instrument de ratification de l'accord de 1969, déposé par la République française et à laquelle l'exposé des motifs du projet de loi fait expressément référence. Elle dispose : "Le Gouvernement de la République française déclare qu'il interprète le paragraphe 1 a) de l'article 4 comme ne s'appliquant pas aux personnes détenues". En effet la France considère que le principe de libre circulation est incompatible avec la situation des personnes privées de liberté et a estimé qu'il était donc préférable d'exclure les personnes détenues du bénéfice de ce principe. Les personnes placées en détention provisoire sont également concernées par la déclaration.

Les raisons qui motivaient cette déclaration perdurent. Toutefois l'expression "personne détenue" devra être entendue au sens large que lui confère l'article 5 de la Convention européenne des droits de l'Homme, qui énumère six cas de détention : détention après condamnation, détention en vue d'être conduit devant l'autorité judiciaire compétente, arrestation pour insoumission, détention des mineurs, détention des personnes susceptibles de propager une maladie contagieuse, des aliénés, des alcooliques, des toxicomanes ou des vagabonds, ainsi que la détention de personnes faisant l'objet d'une mesure de refoulement, d'expulsion ou d'extradition. C'est pourquoi l'expression "personnes privées de liberté", également utilisée dans l'article 5 de la Convention susvisée, devrait se substituer à celle de "personne détenue" dans la déclaration que la France envisage d'effectuer lors du dépôt de ces instruments de ratification.

3) Le cas des ressortissants français participant aux procédures

Le paragraphe 2 a) de l'article 4 interdit notamment, dans le "pays où se déroule la procédure", c'est-à-dire la France, la poursuite, la détention ainsi que toute autre restriction de leur liberté individuelle des personnes participant à la procédure devant la Cour, en raison de faits ou condamnations antérieurs au commencement du voyage. Le paragraphe 2 b) de l'article précité autorise expressément les Etats à déclarer que ce paragraphe ne s'applique pas à leurs ressortissants. A ce jour la République tchèque, la Hongrie et l'Italie ont usé de cette faculté.

La déclaration précitée effectuée lors du dépôt de l'instrument de ratification de l'accord de 1969 étendait l'exclusion à l'égard "des personnes résidant habituellement en France" : ainsi un Français ou un étranger résidant habituellement en France qui aurait commis un délit ou crime plusieurs mois avant de se rendre à Strasbourg pour participer à une procédure devant la Cour, pouvait être appréhendé au cours de son voyage. Il n'en allait pas de même des Français résidant habituellement à l'étranger. Aussi la déclaration devrait-elle être modifiée à l'occasion de la ratification du nouvel accord, en prévoyant expressément l'exclusion des ressortissants français, comme l'autorise le paragraphe 2 b) de l'article 4, tout en maintenant l'exclusion des résidents habituels, afin de couvrir l'ensemble des hypothèses utiles.

D'après les informations transmises par le ministère des Affaires étrangères, elle devrait être rédigée comme suit : "3. Conformément aux dispositions du paragraphe 2b) de l'article 4, le Gouvernement de la République française déclare que les dispositions de ce paragraphe ne s'appliqueront pas à ses ressortissants. Par ailleurs, compte tenu des termes du paragraphe 4 de l'article 4, il interprète le paragraphe 2 a) de cet article comme ne s'appliquant pas sur le territoire français aux personnes résidant habituellement en France".

B - Les immunités bénéficiant aux personnes participant aux procédures devant la Cour européenne des droits de l'Homme.

1) L'immunité de juridiction

a) Etendue de l'immunité

L'immunité de juridiction est prévue par l'article 2 du nouvel accord qui reprend les dispositions du précédent. Elle s'applique exclusivement aux déclarations écrites ou orales faites à la Cour et non en dehors d'elle et couvre les pièces produites.

Une personne participant à la procédure devant la Cour qui communiquerait en dehors de celle-ci des pièces par ailleurs produites devant la Cour ou la teneur de déclarations faites devant elle, ne pourrait se prévaloir de l'immunité de juridiction garantie par l'alinéa 1 de l'article 2.

La personne qui se plaint de n'avoir pas bénéficié d'un procès équitable et met en cause devant la Cour, l'attitude personnelle du juge ou des jurés, ou tente de jeter le discrédit sur une décision de justice, pourra invoquer son immunité pour échapper à des poursuites en diffamation à raison des propos tenus ou des pièces versées devant la Cour. Mais cette immunité ne couvrira pas les mêmes propos ou écrits, cités dans un ouvrage, un article ou une conférence de presse.

b) Sanctions

L'article 37 de la Convention modifiée par le protocole n° 11 prévoit qu'à tout moment de la procédure la Cour peut décider de rayer du rôle une requête lorsque les circonstances permettent de conclure que, pour tout motif dont elle constate l'existence, il ne se justifie plus de poursuivre l'examen de la requête. Or aux termes de l'article 38 du texte précité la procédure par laquelle la Cour déclare une requête recevable est confidentielle.

Outre la levée de l'immunité d'autres sanctions existent. Notamment dans certaines hypothèses de retrait de la requête du rôle. Ainsi, cette faculté, conférée à la Commission européenne des droits de l'Homme dans le système actuel par l'article 30 de la Convention, a été utilisée pour censurer le non-respect par le conseil d'un requérant du caractère confidentiel de la procédure 41).

2) La protection des correspondances

L'article 3 du nouvel accord, qui pose le droit de libre correspondance avec la Cour des personnes visées lorsqu'elles sont détenues, ne confère plus comme l'accord précédent, de possibilité de contrôle de cette correspondance par les autorités compétentes ce qui constitue un progrès dans la protection des droits de ces détenus.

3) La liberté de circulation

La liberté de circulation est assurée aux personnes participant aux procédures par l'article 4 qui pose le principe de leur libre circulation. La déclaration jointe par la France à ses instruments de ratification de l'accord de 1969 reprise dans l'exposé des motifs prévoyait sur ce point que : "pour l'application du paragraphe 1 de l'article 4, les ressortissants étrangers visés au paragraphe 1 de l'article 1er de l'accord devront être munis des documents de circulation requis pour l'entrée en France et obtenir s'il y a lieu le visa nécessaire 52) .Un visa dit "visa spécial" devra en outre être obtenu par les étrangers expulsés du territoire français. Ces visas seront délivrés dans les délais les plus brefs par les représentants consulaires français compétents, sous réserve des dispositions du paragraphe 1 b) de l'article 4 de l'accord".

Cette déclaration précise que le principe de libre circulation ne dispense pas les personnes participant aux procédures devant la Cour qui sont de nationalité étrangère de se munir préalablement à leur déplacement, des documents requis pour l'entrée sur le territoire français, et ce tout particulièrement, pour les personnes qui auraient fait l'objet d'une décision d'expulsion. La fin de la déclaration a pour objet d'insister sur la diligence nécessaire de la part des représentants consulaires français afin que ces formalités ne constituent pas une entrave au principe de libre circulation.

La procédure de délivrance de visa dit "visa spécial" concerne les étrangers - quelle que soit leur nationalité - privés du droit d'entrée ou de séjour en France en raison soit de leurs antécédents judiciaires (étranger sous le coup d'une interdiction judiciaire de territoire), soit pour des motifs d'ordre public ou de sécurité nationale (étranger faisant l'objet d'un arrêté d'expulsion...) qui sont dans la nécessité absolue de se rendre en France, notamment pour comparaître devant une juridiction. Seules des considérations impérieuses de sécurité nationale, conformes au paragraphe 1 b) de l'article 4 de l'accord, pourraient, dans certains cas d'espèce exceptionnels, justifier un refus de délivrance d'un visa spécial.

Les administrations françaises n'ont pas connaissance de cas dans lesquels un "visa spécial" aurait été refusé dans le passé à un étranger devant assister à une procédure devant la Cour. Ce problème toujours d'actualité justifie le maintien de ces dispositions dans la déclaration que la France effectuera lors du dépôt de signature.

C - La levée de l'immunité

La demande de levée de l'immunité dont bénéficient les personnes participant aux procédures relève de la seule compétence de la Cour européenne des droits de l'Homme.

L'article 5 du nouvel accord est identique à celui de l'accord de 1969 mais il ne spécifie plus qu'une demande de levée de l'immunité de juridiction qui relève de la seule compétence de la Cour doive être adressée au Secrétaire général du Conseil de l'Europe. Or selon le secrétariat du Conseil de l'Europe cet article n'a jamais donné lieu à aucune demande de levée d'immunité. L'immunité de juridiction est, conformément au paragraphe 1 de l'article 5, uniquement accordée en vue d'assurer à ces personnes la liberté de parole et l'indépendance nécessaires à l'accomplissement de leurs fonctions, tâches ou devoirs, ou à l'exercice de leurs droits devant la Cour. Or, la procédure qui se déroule devant les organes de Strasbourg est parfois l'occasion pour les parties de présenter des observations ou de produire des pièces dont le rapport avec la défense de leurs intérêts est particulièrement ténu.

Face à des demandes de levée de l'immunité dans le cas de poursuites engagées en droit interne contre un requérant pour obtention frauduleuse d'un document et production de celui-ci devant la Cour, voire dans des hypothèses de poursuites devant le conseil de l'ordre d'un avocat ayant transmis devant la Cour les notes confidentielles d'un confrère, la Cour pourrait lever l'immunité des intéressés si elle estimait que les documents en question n'étaient manifestement pas utiles à la démonstration de la recevabilité ou du fondement de la requête.

La marge d'appréciation de la Cour est large pour refuser de lever l'immunité car il lui suffit de considérer que la liberté de parole et l'indépendance nécessaires à l'exercice des droits du requérant ou à l'accomplissement des fonctions de l'avocat impliquent une latitude absolue dans les moyens de défendre la requête.

Le paragraphe 2 a) de l'article 5 prévoit que la Cour a le devoir de lever l'immunité "dans tous les cas où à son avis" elle estime que l'immunité entrave le cours de la justice et que sa levée totale ou partielle ne nuit pas au but défini à l'alinéa 1 de l'article précité. L'expression "dans tous les cas où à son avis", montre que dans cette hypothèse également la marge d'appréciation de la Cour est grande, même si la décision de lever l'immunité ou le refus de le faire doivent être motivés.

La Cour n'est donc véritablement tenue de lever l'immunité que lorsqu'une partie contractante atteste que cette décision est nécessaire aux fins de poursuites pour atteinte à la sécurité nationale. Dans ce cas, la Cour doit lever l'immunité "dans la mesure spécifiée dans l'attestation" comme le stipule expressément le paragraphe 3 de l'article 5 de l'accord.

D - La portée de l'engagement souscrit par les Etats

L'article 9 de l'accord confère aux Etats contractants la faculté d'en étendre l'application à tout territoire désigné dans la déclaration pour lequel il est habilité à stipuler. L'article 10 permet à toute partie contractante de dénoncer l'accord.

1) L'application territoriale de l'accord.

Cette disposition contient une clause d'application territoriale qui constitue une exception expresse à la règle consacrée par l'article 29 de la Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités, selon laquelle un traité lie chacune des parties à l'égard de l'ensemble de son territoire. Elle est inspirée des paragraphes 1 et 2 de l'article 63 de la Convention européenne des droits de l'Homme et des articles correspondants des protocoles additionnels. Des déclarations ont été faites par le Danemark pour le Groënland, le Royaume Uni pour les îles Anglo-Normandes, l'île de Man et un nombre considérable d'autres territoires, et par les Pays-Bas pour le Surinam, les Antilles néerlandaises et Aruba. A l'instar des Pays-Bas pour le Surinam, le Royaume-Uni a cessé d'assurer les relations internationales de nombreux territoires auxquels il avait déclaré la Convention applicable, au moment de leur accession à l'indépendance, et la Convention a automatiquement cessé de leur être appliquée.

Il ne semble donc pas nécessaire que la France use de la faculté de déclaration prévue à l'article 9 de l'accord de 1996, pour que celui-ci soit applicable aux départements et territoires d'outre-mer qui sont, aux termes de la Constitution française, des collectivités territoriales de la République, une et indivisible, au même titre que les départements métropolitains. Il n'avait d'ailleurs pas été fait usage de cette faculté sous l'empire de l'accord de 1969 contenant un article similaire. Lorsque la France a ratifié la Convention européenne des droits de l'Homme et les protocoles n° 1 et n° 4 en 1974, elle a déclaré que ces textes s'appliqueraient à l'ensemble du territoire de la République, compte tenu, en ce qui concerne les territoires d'outre-mer, des nécessités locales auxquelles l'article 63 fait référence.

A ce jour seuls les Pays-Bas ont utilisé la faculté offerte par l'article 9 de l'accord pour le rendre applicable aux Antilles néerlandaises et Aruba.

2) L'effet de la dénonciation de l'accord sur les procédures en cours

L'effet de la dénonciation de l'accord, prévue par l'article 10, sur les procédures en cours doit être distingué en fonction des immunités et facilités prévues par celui-ci.

L'alinéa 3 de l'article 10 prévoit que la dénonciation prend effet six mois après la date de réception de la notification par le Secrétaire général, mais qu'elle ne peut avoir pour effet "de délier la partie contractante intéressée de toute obligation qui aurait pu naître en vertu du présent accord à l'égard de toute personne visée au paragraphe 1 de l'article 1er". En conséquence, ces personnes doivent continuer à bénéficier, après la prise d'effet de la dénonciation, de l'immunité prévue à l'article 2 à l'égard des déclarations faites oralement ou par écrit à la Cour ainsi qu'à l'égard des pièces qu'elles lui soumettent avant la date de cette prise d'effet. En revanche s'agissant des déclarations ou pièces soumises à la Cour après la prise d'effet de la dénonciation, la partie contractante serait libérée de son engagement et les personnes concernées ne devraient plus pouvoir se prévaloir de l'immunité de juridiction.

Pour le droit de libre correspondance avec la Cour (article 3), la libre circulation pour assister à la procédure devant la Cour (article 4), la prise d'effet de la dénonciation pourrait être interprétée comme faisant cesser le bénéfice des droits ou facilités accordés par ces articles.

CONCLUSION

En cette année de cinquantenaire de la Déclaration universelle des droits de l'Homme toute avancée en ce domaine se voit conférer une dimension symbolique particulière et doit être saluée et soutenue.

Aussi l'Assemblée nationale se doit-elle d'approuver ces deux accords pour plusieurs raisons.

Ils confirment le caractère permanent de cette juridiction et renforcent ainsi une institution qui garantit le respect des droits de l'Homme auxquels la France est particulièrement attachée et pour lesquels elle a toujours combattu.

Ils confèrent à la nouvelle Cour européenne des droits de l'Homme les moyens d'assumer son importante mission dans de bonnes conditions.

Ils renforcent les privilèges et immunités dont bénéficient les magistrats de cette juridiction et la protection des personnes participant aux procédures.

Ils resserrent les liens entre Conseil de l'Europe, Assemblée parlementaire de ce conseil et Cour européenne des droits de l'Homme.

Ils contribuent au rayonnement d'institutions internationales qui ont leur siège en France ce dont l'Assemblée nationale se félicite.

EXAMEN EN COMMISSION

La Commission a examiné le présent projet de loi au cours de sa réunion du jeudi 1er octobre 1998.

Après l’exposé du Rapporteur, M. Jacques Myard a observé que la déclaration interprétative de la France correspondait à une tendance répandue dans les pays anglo-saxons d'exclure leurs nationaux des privilèges fiscaux. Il s'est interrogé sur la pertinence de nombreux recours devant la Cour Européenne.

Le Président a expliqué que la procédure d'examen de la recevabilité des requêtes permettait d'emblée d'en écarter le plus grand nombre.

M. Pierre Brana s'est interrogé sur les possibilités de refus du "visa spécial".

M. Paul Dhaille a précisé que 90 % des requêtes étaient déclarées irrecevables et que le "visa spécial" ne pouvait être refusé que pour des motifs liés à la défense nationale.

Suivant les conclusions du Rapporteur, la Commission a adopté les projets de loi (N° 1075 et 1076).

*

* *

La Commission vous demande donc d’adopter, dans les conditions prévues à l’article 128 du Règlement, les présents projets de loi.

NB : Les textes des présents accords figurent respectivement en annexe aux projets de loi (n° 1075 et 1076).

ANNEXE 1

REPUBLIQUE FRANCAISE

________

Ministère des Affaires étrangères

PROJET DE LOI
autorisant la ratification de l’accord européen concernant les personnes participant aux procédure devant la Cour européenne des Droits de l’Homme

_____

Projet de déclaration à inclure dans l’instrument de ratification de l’Accord

“ 1. Le Gouvernement de la République française déclare qu’il interprète le paragraphe 1 a de l’article 4 comme ne s’appliquant pas aux personnes détenues.

2. Pour l’application du paragraphe 1er de l’article 4, les ressortissants étrangers visés au paragraphe 1er de l’article 1er de l’Accord devront être munis des documents de circulation requis pour l’entrée et obtenir s’il y a lieu le visa nécessaire. Un visa dit “ visa spécial ” devra en outre être obtenu par les étrangers expulsés du territoire français.

Ces visas seront délivrés dans les délais les plus brefs par les représentants consulaires français compétents, sous réserve des dispositions du paragraphe 1 b de l’article 4 l’Accord.

3. Le Gouvernement de la République française déclare que, compte tenu des termes du paragraphe 4 de l’article 4, il interprète le paragraphe 2 a de cet article comme ne s’appliquant pas sur le territoire français aux personnes résidant habituellement en France . ”

_______________

N° 1103.- Rapport de M. Paul Dhaille (au nom de la commission des affaires étrangères), sur les projets de loi,
- autorisant la ratification de l'accord européen concernant les personnes participant aux procédures devant la Cour européenne des droits de l'homme (n° 1075),
- autorisant la ratification du sixième Protocole additionnel à l'Accord général sur les privilèges et immunités du Conseil de l'Europe (n° 1076).

1 1) "Sont considérés comme ayant leur domicile fiscal en France au sens de l'article 4 A :

a) les personnes qui ont en France leur foyer ou lieu de leur séjour principal,

b) celles qui exercent en France une activité professionnelle, salariée ou non, à moins qu'elles ne justifient que cette activité y est exercée à titre accessoire.

c) celles qui ont en France le centre de leurs intérêts économiques".

2 1) D'après le Ministère des Affaires étrangères, et en l'absence de jurisprudence précise de la Cour, l'empêchement du juge peut être provoqué soit par un cas de force majeure (maladie, etc..) soit par le lien entre le juge et une des parties à une procédure ; dans ce cas il est remplacé pour cette seule affaire.

3 1) Ainsi dans l'affaire Open Door et Dublin well Woman c. Irlande qui a donné lieu à un arrêt du 29 octobre 1992 et portait sur l'interdiction faite à des sociétés de conseil, de fournir aux femmes enceintes des informations sur les possibilités de se faire avorter à l'étranger, la Cour a autorisé la Société pour la protection des enfants à naître (SPUC) à déposer des observations écrites, mais a refusé à ses avocats de prendre la parole devant elle.

4 1) Voir la décision de retrait du rôle de la requête n° 26135/95 de M. Jean-Marie Malige contre la France, rendue par la Commission le 5 mars 1996.

5 2) La France exige un visa pour les ressortissants de onze pays membres du Conseil de l'Europe ; il s'agit de l'Albanie, la Bulgarie, l'Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Moldavie, la Roumanie, la Russie, l'ex-République yougoslave de Macédoine, la Turquie, l'Ukraine.