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le 4 décembre 1998

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N° 1220

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 25 novembre 1998

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES (1) SUR LE PROJET DE LOI, ADOPTÉ PAR LE SÉNAT, autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République tunisienne sur l'encouragement et la protection réciproques des investissements (ensemble un échange de lettres),

PAR M. ETIENNE PINTE,

Député

——

(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

Voir les numéros :

Sénat : 348, 419 et T.A. 140 (1997-1998)

Assemblée nationale : 918

Traités et conventions

La Commission des Affaires étrangères est composée de : M. Jack Lang, président ; MM. Georges Hage, Jean-Bernard Raimond, Roger-Gérard Schwartzenberg, vice-présidents ; M. Roland Blum, Mme Monique Collange, M. René Rouquet, secrétaires ; Mmes Michèle Alliot-Marie, Nicole Ameline, M. René André, Mmes Marie-Hélène Aubert, Martine Aurillac, MM. Edouard Balladur, Raymond Barre, Dominique Baudis, François Bayrou, Henri Bertholet, Jean-Louis Bianco, André Billardon, André Borel, Bernard Bosson, Pierre Brana, Jean-Christophe Cambadélis, Hervé de Charette, MM. Yves Dauge, Patrick Delnatte, Jean-Marie Demange, Xavier Deniau, Jacques Desallangre, Paul Dhaille, Mme Laurence Dumont, MM. Jean-Paul Dupré, Charles Ehrmann, Jean Espilondo, Jean-Michel Ferrand, Georges Frêche, Jean-Yves Gateaud, Jean Gaubert, Valéry Giscard d'Estaing, Jacques Godfrain, Pierre Goldberg, François Guillaume, Jean-Jacques Guillet, Robert Hue, Mme Bernadette Isaac-Sibille, MM. Didier Julia, Alain Juppé, André Labarrère, Gilbert Le Bris, Jean-Yves Le Déaut, Jean-Claude Lefort, François Léotard, Pierre Lequiller, François Loncle, Bernard Madrelle, René Mangin, Jean-Paul Mariot, Gilbert Maurer, Charles Millon, Mme Louise Moreau, M. Jacques Myard, Mme Françoise de Panafieu, MM. Etienne Pinte, Marc Reymann, Jean Rigal, Mme Yvette Roudy, MM.  Henri Sicre, Mme Christiane Taubira-Delannon, MM. Michel Terrot, Joseph Tyrode, Michel Vauzelle, Aloyse Warhouver.

Mesdames, Messieurs,

L'accord entre la France et la Tunisie sur l'encouragement et la protection réciproques des investissements est d'une texture classique puisqu'il s'inspire très largement du modèle-type élaboré par l'OCDE.

Cependant, il a pour caractéristique de participer à la solution de certains contentieux qui entachaient les relations franco-tunisiennes.

Il est en outre conclu avec un pays dont l'évolution récente est originale, marquée par d'incontestables succès économiques et une situation politique contrastée.

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Cet accord, signé le 20 octobre 1997, est comparable aux 70 conventions du même type que la France a conclues avec d'autres Etats.

Conclu pour une période de quinze ans et renouvelable par tacite reconduction, il consacre le principe d'un traitement juste et équitable des investissements réciproques. Il consacre également le principe d'un traitement non moins favorable que celui accordé aux investisseurs nationaux ou à ceux de la nation la plus favorisée à l'exception des privilèges liés à la participation à une organisation d'intégration économique régionale et à l'exclusion du domaine fiscal. La liberté des transferts est garantie, ainsi qu'une indemnisation juste et équitable en cas de dépossession. L'accord prévoit également la possibilité de recourir à un arbitrage international en cas de différend entre un investisseur et les autorités du pays hôte, ou entre les parties contractantes.

Cet accord ne présente pas de différence avec le modèle de l'OCDE à l'exception des dispositions figurant dans l'échange de lettres qui lui est joint. Cet échange précise que les dispositions de l'accord ne s'appliquent qu'aux investissements existant au moment de son entrée en vigueur, même s'ils ont été réalisés antérieurement à cette entrée en vigueur, ce qui exclut les investissements ayant existé, par exemple ceux ayant fait l'objet d'une expropriation. Afin d'éviter toute ambiguïté, il est précisé que la clause relative aux organisations d'intégration économique régionale s'étend à l'Union du Maghreb Arabe. Enfin, il est stipulé que l'indemnité en cas d'expropriation ou de nationalisation doit être calculée de manière juste et équitable, conformément au principe de traitement national et de la clause de la nation la plus favorisée. Cette disposition s'applique également pour le calcul des intérêts de retard.

L'échange de lettres précise également que l'accord ne s'applique qu'aux investissements réalisés conformément à la législation nationale. Cette disposition a surtout pour conséquence de préserver la loi tunisienne qui interdit l'acquisition de terres agricoles par des étrangers.

Cet accord marque la volonté des autorités tunisiennes d'encourager les investissements étrangers afin de compenser l'insuffisance de l'investissement national privé. A ce titre, ces autorités ont pris une série de décisions : convertibilité du dinar pour les transactions courantes, création d'un marché des changes, code d'incitation aux investissements, création de deux zones franches à Bizerte et à Zarzis. Toutefois, les terres agricoles et les activités de service non totalement exportatrices demeurent à l'écart de cette libéralisation.

La France est le premier investisseur étranger en Tunisie. Sa part représente un peu plus de 30% de ces investissements, soit un stock de 3,2 milliards de francs. De nombreuses grandes entreprises françaises sont installées en Tunisie mais aussi, quoique plus récemment, des PME qui délocalisent leurs activités de production. Par ailleurs, la France est le premier partenaire commercial de la Tunisie avec laquelle elle dégage un solde commercial positif de 1,8 milliard de francs. Elle est également le premier bailleur de fonds bilatéraux ; ses crédits s'élevant, en moyenne, à 733 millions de francs par an depuis la fin des années 1980.

Cet accord peut donc consolider des liens qui font de la Tunisie un partenaire économique important. Mais il a surtout pour caractéristique de contribuer à la solution de contentieux anciens.

Le premier contentieux a évolué de manière très positive à l'occasion de la visite du Président Ben Ali en France, en octobre 1997.

Il s'agit du contentieux relatif aux biens immobiliers détenus en Tunisie par des ressortissants français. Ces ressortissants étaient soumis à une procédure longue - trois à cinq ans étaient parfois nécessaires - et complexe, en particulier à une autorisation préalable discrétionnaire, lorsqu'ils entreprenaient de vendre leurs biens. En outre, une fois l'opération réalisée, le transfert du produit de la vente se heurtait aux limitations tunisiennes en matière de sortie des devises.

En 1984, puis en 1989, des accords ont défini dans quelles conditions ces biens pouvaient être cédés. Mais seul un tiers des quelque 7000 propriétaires ont accepté ces conditions. Un autre tiers n'a pas pu être identifié et le dernier tiers a tout bonnement refusé de céder ses biens à des prix de vente beaucoup plus faibles que le marché.

La question essentielle de la suppression de l'autorisation préalable de vente de biens, construits ou acquis avant 1956, a été définitivement réglée lors de la visite en France du Président tunisien. Le nombre de Français potentiellement concernés par ces nouvelles dispositions est estimé à plus de deux mille. L'accord signé le 20 octobre 1997 met un terme au régime discriminatoire de l'autorisation de vente et permet à nos ressortissants propriétaires en Tunisie de céder leurs biens dans les mêmes conditions que les propriétaires tunisiens.

Cependant, malgré de multiples démarches, l'accord d'octobre 1997 n'a toujours pas été ratifié par le Parlement tunisien.

L'accord sur l'encouragement et la protection des investissements contribue au règlement de ce contentieux. L'article premier, qui donne une liste non limitative des investissements concernés par l'accord, cite les biens immobiliers. L'échange de lettres, annexé à l'accord, précise qu'il s'applique aux investissements réalisés à partir de son entrée en vigueur mais aussi aux investissements existants à cette même date. L'article 4 pose le principe d'un traitement égal des investisseurs tunisiens et français, ce qui consacre la suppression de l'autorisation préalable. L'article 6 prévoit le libre transfert du produit de la cession de l'investissement.

L'accord devrait aussi, mais dans une moindre mesure, faire avancer un deuxième contentieux relatif aux expropriations de terres agricoles.

La Tunisie dispose, depuis 1964, d'une législation qui lui permet d'exproprier, sans indemnisation, des propriétaires de terres agricoles. Par ailleurs, la nature agricole d'un terrain est appréciée selon sa vocation à la date où cette législation a été adoptée. Des terrains devenus urbains ont ainsi été nationalisés.

L'accord ne contredit pas cette législation puisque son article 5, s'il proscrit les mesures d'expropriation ou de nationalisation dans leur principe, les admet pour cause d'utilité publique à condition que ces mesures ne soient pas discriminatoires.

En revanche, l'article 5 prévoit une "indemnité prompte et adéquate" alors que les expropriations de terres agricoles n'ont jamais fait l'objet d'indemnisations.

Ces dispositions contribuent à tourner définitivement la page d'un contentieux issu de l'indépendance et constituent également un signal encourageant pour de nombreux entrepreneurs français qui souhaiteraient investir dans ce pays.

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Depuis quelques années, la Tunisie est entrée dans une nouvelle phase de son histoire, en rupture avec la période post-coloniale.

Sur le plan économique, la Tunisie s'est engagée sur la voie du libéralisme économique. Depuis 1987, les réformes se sont succédé : libéralisation des prix, libéralisation du commerce extérieur, réforme du système bancaire et financier, privatisations d'entreprises publiques. La politique monétaire et budgétaire a permis de restaurer les grands équilibres : l'inflation est inférieure à 4 % et le déficit budgétaire représentait 4 % du PIB en 1997.

Les objectifs du plan d'ajustement structurel des années 1987 à 1995 ont été atteint et la Tunisie connaît un taux de croissance élevé (5,6 % en 1997). Néanmoins, le taux de chômage est lui aussi élevé : 17 % des actifs.

Surtout, l'économie tunisienne s'est largement diversifiée. Désormais, les exportations tunisiennes sont constituées à plus de 50 % par des produits manufacturés - en particulier par la confection et l'ingénierie électrique et mécanique - alors que l'agriculture en constituait 95 % en 1956.

Une autre évolution paraît décisive pour l'avenir : la transition démographique qui s'est traduite par une diminution du taux d'accroissement naturel de la population qui est passé de 2,6 % en 1984 à moins de 1,9 % en 1994.

Ces données placent la Tunisie en excellente position pour développer ses relations avec l'Union européenne.

La Tunisie a signé, dès juillet 1995, un accord d'association avec l'Union européenne, accord qui est entré en vigueur en mars 1998. Cet accord prévoit notamment la création d'une zone de libre-échange pour les produits industriels dans un délai de 12 ans et une plus grande libéralisation pour les produits agricoles.

Même si l'économie tunisienne tend à s'adapter spontanément à cette concurrence accrue, il est clair que son effort doit être soutenu par une coopération sectorielle. A cette fin, la Tunisie bénéficie d'une partie des crédits du programme MEDA11) et d'autres financements européens : 270 millions d'écus ont été engagés en faveur de la Tunisie entre 1996 et la fin 1997. L'aide à l'ajustement structurel s'est élevée à 100 millions d'écus, et les autres crédits ont été affectés à divers programmes, le développement rural et la gestion des ressources naturelles notamment.

Au-delà de l'économie, l'accord d'association a pour finalité de créer un partenariat entre l'Union et la Tunisie, qui englobe tous les aspects de la société euro-méditerranéenne. Il s'agit de construire un espace commun de paix et de sécurité dans une zone qui demeure, encore largement, une ligne de fracture géopolitique.

A cet égard, l'évolution de la Tunisie se prête à des interrogations.

En effet, sa situation politique en fait un pays particulièrement stable et ouvert à l'influence européenne. La crainte d'une dérive islamiste de type algérien est au coeur de la politique intérieure. Celle-ci passe notamment par la promotion de l'Islam officiel et la mise en oeuvre d'une politique sécuritaire axée sur la lutte contre les mouvements islamistes. Les structures clandestines du parti islamiste ont été démantelées et les militants arrêtés. Les autorités affirment avoir éradiqué le mouvement mais restent extrêmement vigilantes. La surveillance frontalière avec l'Algérie a également été renforcée par crainte d'infiltrations. Après une période marquée par un discours d'ouverture et le projet d'engager le pays sur la voie du multipartisme, intégrant les partis islamistes dans l'opposition légale, le pouvoir s'est orienté, à partir de 1989, dans une politique de plus en plus marquée par un strict contrôle de l'opposition.

La France et l'Union européenne ont fait le choix de développer leurs relations avec la Tunisie, conscientes que seuls l'ouverture, le dialogue et le développement économique pouvaient permettre, à terme, l'émergence d'une démocratie tunisienne conforme aux normes européennes. Ce serait céder à un angélisme destructeur que d'isoler un pays dont la stabilité est une des conditions de la stabilité régionale.

Pour autant, selon votre Rapporteur, ce soutien est compatible avec un discours sensible aux droits de l'Homme.

La Tunisie estime pour sa part respecter les droits de l'Homme. Un certain nombre d'instances ont été créées pour y veiller : "Comité supérieur des droits de l'Homme et des Libertés fondamentales" et, dans chaque ministère, un responsable des droits de l'Homme.

Plusieurs décisions de mise en liberté conditionnelle prises à la fin 1996 en faveur de personnalités condamnées au terme de procès qui avaient été jugés politiques ont constitué des avancées positives dans ce domaine.

CONCLUSION

Au bénéfice de ces observations, votre Rapporteur vous propose d'adopter le présent projet de loi.

EXAMEN EN COMMISSION

La Commission a examiné le présent projet de loi au cours de sa réunion du mercredi 25 novembre 1998.

Après l’exposé du Rapporteur,. le Président Jack Lang a souhaité que le renforcement des liens entre la France et la Tunisie contribue à la démocratisation de ce dernier pays.

M. Hervé de Charette a estimé que cet accord était important car il contribuait à régler un contentieux ancien. Les familles françaises ayant quitté la Tunisie après l'indépendance étaient dans des conflits insolubles avec les locataires qui occupaient leurs biens. Ils ne pouvaient vendre facilement des biens qui avaient perdu les trois quarts de leur valeur. Cependant, l'application de cet accord supposera que soient réglées les éventuelles contestations de propriété.

M. Etienne Pinte a rappelé que deux accords conclus en 1987 et en 1989 ont abouti à un règlement partiel de ce contentieux. En effet, un tiers des propriétaires français ont bénéficié de ces accords qui définissaient dans quelles conditions ils pouvaient céder leurs biens.

Il a précisé que l'accord réglant le contentieux immobilier était en instance de ratification au Parlement tunisien.

Suivant les conclusions du Rapporteur, la Commission a adopté le projet de loi (no 918).

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La Commission vous demande donc d’adopter, dans les conditions prévues à l’article 128 du Règlement, le présent projet de loi.

NB : Le texte de l'accord figure en annexe au projet de loi (n° 918).

N°1220. - Rapport de M. Etienne PINTE (au nom de la commission des affaires étrangères) sur le projet de loi, adopté par le Sénat (n° 918), autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République tunisienne sur l’encouragement et la protection réciproques des investissements (ensemble un échange de lettres)

1 1) Programme d'accompagnement financier et technique créé en 1995 par la Communauté européenne au profit des pays tiers méditerranéens