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N° 1474

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 17 mars 1999.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES (1) SUR :

- LE PROJET DE LOI, ADOPTÉ PAR LE SÉNAT, autorisant l'approbation de l'Accord de coopération entre le Royaume de Belgique, la République fédérale d'Allemagne, la République française, le Grand-Duché de Luxembourg, le Royaume des Pays-Bas, la République italienne, le Royaume d'Espagne, la République portugaise, la République hellénique, la République d'Autriche, le Royaume de Danemark, la République de Finlande, le Royaume de Suède, Parties contractantes à l'Accord et à la Convention de Schengen, et la République d'Islande et le Royaume de Norvège, relatif à la suppression des contrôles de personnes aux frontières communes (ensemble une annexe),

- LE PROJET DE LOI, ADOPTÉ PAR LE SÉNAT, autorisant l'approbation de l'Accord d'adhésion du Royaume de Suède à la Convention d'application de l'Accord de Schengen du 14 juin 1985 relatif à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes,

- LE PROJET DE LOI, ADOPTÉ PAR LE SÉNAT, autorisant l'approbation de l'Accord d'adhésion de la République de Finlande à la Convention d'application de l'Accord de Schengen du 14 juin 1985 relatif à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes,

- LE PROJET DE LOI, ADOPTÉ PAR LE SÉNAT, autorisant l'approbation de l'Accord d'adhésion du Royaume de Danemark à la Convention d'application de l'Accord de Schengen du 14 juin 1985 relatif à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes,

PAR M. FRANÇOIS LONCLE,

Député

——

(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

Voir les numéros :

Sénat : 568 (1997-1998), 104 et T.A. 38 (1998-1999)

Assemblée nationale : 1304, 1309, 1310, 1311

Traités et conventions

La Commission des Affaires étrangères est composée de : M. Jack Lang, président ; MM. Georges Hage, Jean-Bernard Raimond, Roger-Gérard Schwartzenberg, vice-présidents ; M. Roland Blum, Mme Monique Collange, M. René Rouquet, secrétaires ; Mmes Michèle Alliot-Marie, Nicole Ameline, M. René André, Mmes Marie-Hélène Aubert, Martine Aurillac, MM. Edouard Balladur, Raymond Barre, Dominique Baudis, François Bayrou, Henri Bertholet, Jean-Louis Bianco, André Billardon, André Borel, Bernard Bosson, Pierre Brana, Jean-Christophe Cambadélis, Hervé de Charette, Yves Dauge, Jean-Claude Decagny, Patrick Delnatte, Jean-Marie Demange, Xavier Deniau, Paul Dhaille, Mme Laurence Dumont, MM. Jean-Paul Dupré, Charles Ehrmann, Laurent Fabius, Jean-Michel Ferrand, Georges Frêche, Jean-Yves Gateaud, Jean Gaubert, Valéry Giscard d'Estaing, Jacques Godfrain, Pierre Goldberg, François Guillaume, Jean-Jacques Guillet, Robert Hue, Mme Bernadette Isaac-Sibille, MM. Didier Julia, Alain Juppé, André Labarrère, Gilbert Le Bris, Jean-Claude Lefort, Guy Lengagne, François Léotard, Pierre Lequiller, François Loncle, Bernard Madrelle, René Mangin, Jean-Paul Mariot, Gilbert Maurer, Charles Millon, Mme Louise Moreau, M. Jacques Myard, Mme Françoise de Panafieu, MM. Etienne Pinte, Marc Reymann, Gilbert Roseau, Mme Yvette Roudy, MM. Georges Sarre, Henri Sicre, Mme Christiane Taubira-Delannon, MM. Michel Terrot, Joseph Tyrode, Michel Vauzelle, Aloyse Warhouver.

SOMMAIRE

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INTRODUCTION 5

I - DES CANDIDATURES PROMETTEUSES 7

A - PRÉSENTATION DES ACCORDS 7

B - L’ÉTAT DE PRÉPARATION DES CANDIDATS 9

II - L’ACCORD DE COOPÉRATION AVEC LA NORVÈGE ET L’ISLANDE :
LA RECHERCHE D’UNE SOLUTION PRAGMATIQUE À UN PROBLÈME COMPLEXE
11

A - SCHENGEN ET UNION NORDIQUE DES PASSEPORTS :
UNE COEXISTENCE POSSIBLE ?
11

B - DES RELATIONS FUTURES ENCORE À PRÉCISER 13

CONCLUSION 15

EXAMEN EN COMMISSION 17

Mesdames, Messieurs,

Ce ne sont pas moins de quatre textes liés aux accords dits de Schengen – relatifs à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes – qui nous sont aujourd’hui soumis.

Tous ne sont cependant pas de même nature : trois d’entre eux visent à autoriser l’approbation d’actes d’adhésion aux accords de Schengen, textes de facture désormais classique. En effet, notre assemblée a, par le passé, été consultée sur les actes d’adhésion de l’Italie, de l’Espagne, du Portugal, de la Grèce et de l’Autriche. Il nous est à présent demandé d’examiner les candidatures du Danemark, de la Finlande et de la Suède. Il n’y a là semble-t-il rien que de très banal et logique, compte tenu de la part qu’il prennent à la construction européenne. Par ailleurs, de telles candidatures semblent, intuitivement, poser moins de difficultés que certaines des précédentes, davantage exposées aux risques migratoires.

Le quatrième accord dont il nous est demandé d’autoriser l’approbation est lui tout à fait singulier. Les trois candidats à l’adhésion aux accords de Schengen ont en effet lié celle-ci au respect de l’accord qu’ils ont conclu en 1957 avec la Norvège en vue de constituer un espace de libre circulation des personnes, l’Union nordique des passeports (UNP). Danemark, Finlande et Suède ne souhaitaient pas que leur adhésion à Schengen conduise de fait au rétablissement de contrôles frontaliers supprimés depuis des décennies. Le quatrième accord définit donc les relations entre les parties signataires des accords de Schengen d’une part, et l’Islande (qui a rejoint l'UNP en 1965) et la Norvège de l’autre.

De nature différente, ces accords n’en forment pas moins de toute évidence un ensemble cohérent et ne peuvent être dissociés.

Sans revenir sur le bilan et les perspectives de la coopération Schengen qui font l’objet du rapport d’information n° 1476 de notre Commission, votre Rapporteur entend dans le présent rapport faire le point sur les difficultés spécifiques des trois adhésions proposées, sur l’état de préparation des candidats et étudier la teneur et les conséquences de l’accord conclu avec l’Islande et la Norvège.

I - DES CANDIDATURES PROMETTEUSES

Les trois nouveaux candidats à l’adhésion présentent des traits communs qui laissent présager une intégration relativement rapide à l’espace Schengen : des négociations débouchant sur des actes d’adhésion sans dispositions restrictives, une tradition de contrôle efficace des frontières extérieures soutenue par de réels moyens sur le terrain, des législations sévères en matière de lutte contre l’immigration illégale et contre le trafic de stupéfiants, un souci de respect des libertés imprégnant l’ensemble de l’édifice normatif.

A - Présentation des accords

Leur appartenance commune à l’Union nordique pose de toute évidence un problème pratique : il était et il reste très difficile d’envisager l’insertion d’une partie seulement des Etats signataires dans l’espace Schengen. Telle est sans doute la raison pour laquelle le Danemark n’a pas rejoint plus rapidement les signataires des accords de Schengen en dépit de son adhésion de longue date aux Communautés européennes et de la réalité de son engagement européen.

A contrario, l’adhésion de la Finlande et de la Suède à l’Union européenne le 1er janvier 1995 a constitué une sorte de catalyseur : ces deux pays ont immédiatement, suivis par le Danemark, libéré en quelque sorte de son obligation de réserve, demandé à adhérer aux accords de Schengen, sous la seule réserve que soient adoptées des dispositions permettant le maintien de l’Union nordique des passeports (UNP).

Cette demande a quelque peu ralenti le rythme des négociations : un mandat de négociation a été élaboré le 20 décembre 1995, les trois pays ont participé aux travaux des instances Schengen comme observateurs à compter du 1er mai 1996, les actes d’adhésion ont été signés le 19 décembre 1996. A titre de comparaison, l’Autriche qui a formulé sa demande au même moment a signé son acte d’adhésion dès le mois d’avril 1995.

Toutefois, la négociation du contenu des actes d’adhésion n’a pas posé de difficultés majeures. Chacun des adhérents s’est naturellement engagé à reprendre l’intégralité de ce qu’il est convenu d’appeler l’acquis Schengen, comprenant notamment l’accord de 1985, la convention d’application de 1990 et les décisions du comité exécutif Schengen.

Les trois actes d’adhésion comportent également les dispositions classiques précisant quelles sont les autorités nationales servant de relais dans les relations avec les autres Etats signataires dans l’application des accords et quels sont les services chargés des contrôles aux frontières extérieures. Elles n’appellent de la part de votre Rapporteur aucune observation particulière.

Deux des trois accords d'adhésion comportent cependant des dispositions spécifiques.

L’accord d’adhésion avec le Danemark prévoit ainsi dans son article 5 un traitement particulier pour les îles Féroé et le Groenland. Ces deux territoires autonomes – qui ne font d’ailleurs pas partie du territoire de la Communauté européenne – sont exclus du champ de l’accord. Le Danemark a cependant souhaité que la libre circulation des personnes entre les pays de l’Union nordique et ces territoires qui participent à celle-ci continue d’être possible. Par conséquent, l’article 5 prévoit une mise en vigueur de l’adhésion danoise après que le comité exécutif Schengen aura constaté que les deux territoires autonomes pratiquent de fait à leurs frontières extérieures des contrôles conformes aux normes Schengen. Bref, sans en être formellement membres, ces deux territoires constitueront une sorte d’extension de l’espace Schengen.

Deuxième particularité nationale, la Finlande a, par une déclaration annexée à l’acte final de son accord d’adhésion, rappelé que les îles d’Åland faisaient l’objet d’un article 2 dans le protocole n°2 de l’acte relatif – entre autres dispositions – à son adhésion à l’Union européenne : la conséquence pratique de cette déclaration à l’allure énigmatique est que les personnes circulant entre ces îles et le reste de l’espace Schengen feront l’objet d’un contrôle de bagages.

On voit bien que ces deux clauses spécifiques ne remettent pas en cause l’application pleine et entière des accords de Schengen par les deux pays.

Il est même possible de forger sur ces trois adhésions de grands espoirs. Si l’Union nordique a pu apparaître dans un premier temps comme un obstacle à la participation de ces trois Etats à la coopération Schengen, elle est surtout la preuve qu’ils sont capables de s’en remettre pour partie à leurs partenaires pour leur sécurité intérieure.

Reste à voir si cet état d’esprit, fondamental – on voit bien à quelles difficultés est confrontée la Grèce faute de bénéficier d’une confiance unanime de ses partenaires – trouve chez les trois candidats son indispensable complément, la capacité à remplir les obligations concrètes liées à l’adhésion.

B - L’état de préparation des candidats

La situation géographique des trois candidats rend à l’évidence leur adhésion moins délicate que celle de pays exposés à des flux de biens et de personnes plus importants en volume, comme l’Italie ou l’Autriche par exemple. Leur territoire ne constitue pas une zone naturelle de transit, ce qui facilite le contrôle de leurs frontières extérieures.

Toutefois la difficulté de celui-ci n’est pas à négliger. Le Danemark n’aura certes que très peu de frontières extérieures à contrôler et pas du tout de frontières extérieures terrestres. En revanche, la frontière de la Finlande avec la Russie s’étire sur plus de 1 300 kilomètres. On peut encore moins ignorer le caractère essentiel de ce contrôle : la moindre défaillance dans le système de contrôle Schengen ouvre l’accès à un espace au sein duquel la libre circulation est la règle. Toute faiblesse, voire tout signe pouvant être - même à tort - perçu comme tel, provoque immédiatement une augmentation des tentatives d’entrée par ce point faible.

Fort heureusement, le contrôle assuré par les trois Etats aux frontières de l’Union nordique est déjà d’un niveau proche de celui opéré au sein de Schengen et ne nécessitera donc que quelques aménagements.

S’agissant du Danemark, le principal point d’entrée sera l’aéroport international de Copenhague dont les autorités danoises sont prêtes à assurer rapidement la mise aux normes Schengen. En attendant la séparation physique des flux Schengen et extra-Schengen, il est convenu de mettre en place un contrôle d’une sévérité équivalente. L’autre exigence à laquelle le Danemark devra se conformer est celle de l’instauration d’un contrôle à la sortie aux frontières extérieures.

La Suède se trouve dans une situation comparable à son voisin danois.

La Finlande répond quant à elle d’ores et déjà aux obligations posées par l’article 6 de la Convention d’application de 1990 d’un contrôle à l’entrée et à la sortie du territoire sur sa frontière la plus exposée, celle avec la Russie, et dans les ports maritimes. La mise en conformité des aéroports concerne essentiellement celui de Helsinki-Vantaa (95% du trafic international) et devrait être achevée au cours du présent semestre.

Par ailleurs, les trois candidats disposent de législations performantes en matière de lutte contre l’immigration irrégulière (sanctions des personnes entrées de façon irrégulière, de ceux qui ont aidé à cette entrée ou facilité le séjour, ….). Elles font d’ailleurs l’objet de révisions destinées à les rendre pleinement conformes aux exigences de Schengen : ainsi la Finlande modifie sa législation afin de rendre possible la condamnation de personnes morales ayant organisé des entrées illégales.

De même, ces Etats se sont dotés de législations d’une sévérité au moins égale aux normes Schengen en matière de lutte contre le trafic de stupéfiants ; ils ont tous ratifié les conventions conclues sous l’égide de l’ONU et prennent d’ailleurs une part active dans les forums internationaux aux initiatives lancées en la matière.

Enfin, leurs législations relatives à la protection des données à caractère personnel sont toutes conformes aux normes en vigueur au sein de Schengen, même si la législation finlandaise doit faire l’objet de quelques compléments ou précisions.

Bref, sans constituer des paradis sur terre, des Etats épargnés par la pression migratoire, le trafic de stupéfiants ou la criminalité organisée (on ne fera qu’évoquer les méfaits accomplis au Danemark par les « drug runners », les affrontements entre bandes de motards), les trois candidats ne menacent aucunement par leur adhésion la sécurité de l’espace Schengen et peuvent même, semble-t-il, contribuer à la renforcer sur certains points. On estime qu’ils seront prêts pour la mise en vigueur de l’ensemble des dispositions Schengen au deuxième semestre de l’an 2000, date prévue pour leur rattachement au SIS.

Il n’en demeure pas moins que des adaptations restent à réaliser (mise en place des vignettes-visa, procédures de consultation, harmonisation des tarifs de visas par exemple) et qu’il appartiendra au Comité exécutif Schengen de vérifier avec sa vigilance habituelle que la mise en vigueur est possible.

II - L’ACCORD DE COOPÉRATION AVEC LA NORVÈGE ET L’ISLANDE : LA RECHERCHE D’UNE SOLUTION PRAGMATIQUE À UN PROBLÈME COMPLEXE

La volonté des trois nouveaux adhérents à Schengen de préserver l’Union nordique des passeports et donc d’associer la Norvège et l’Islande à cette coopération ne pose guère de problèmes en termes de sécurité, ces deux Etats n’étant guère plus éloignés des normes Schengen que leurs partenaires de l’UNP. En revanche, elles posaient un redoutable problème juridique, la convention de Schengen ne prévoyant pas l’adhésion d'Etats extérieurs à l’Union européenne. L’accord du 19 décembre 1996 apporte une réponse qu’il convient d’évaluer à la lumière de la conclusion postérieure du Traité d’Amsterdam.

A - Schengen et Union nordique des passeports : une coexistence possible ?

Le Danemark, la Finlande, la Norvège et la Suède ont signé le 12 juillet 1957 une convention créant une Union nordique des passeports, convention entrée en vigueur le 1er mai 1958 et à laquelle s’est jointe l’Islande le 24 septembre 1965. Elle constitue l’une des réalisations majeures du Conseil nordique institué en 1952. De fait, en dépit de son caractère très informel, l’UNP a mis en place une concertation étroite, systématique sur toutes les décisions relatives au franchissement des frontières extérieures dont les résultats vont même parfois au delà du niveau de coopération atteint dans Schengen : ainsi les ressortissants de l’UNP peuvent-ils se déplacer d’un pays membre à l’autre sans pièce d’identité. Ils restent en revanche en-deçà des résultats obtenus par Schengen quant aux relations avec les ressortissants des Etats tiers.

On comprend donc aisément que les trois Etats scandinaves membres de l’Union européenne n’aient pas souhaité après quatre décennies de libre circulation rétablir des contrôles aux frontières communes avec l’Islande et la Norvège. Ceci conduirait par exemple la Suède à devenir frontière extérieure de l’espace Schengen pour la frontière commune avec la Norvège. Outre qu’elle se traduirait par une régression du principe de libre circulation des personnes en Europe, contraire à l’esprit des accords de Schengen, cette évolution impliquerait une réorganisation profonde et une augmentation des moyens consacrés au contrôle des frontières par les Etats quittant l’Union nordique.

Les trois candidats à l’adhésion ont donc dès le départ subordonné celle-ci au maintien de l’UNP. Le problème était de taille : Islande et Norvège ne pouvaient adhérer à Schengen, n’appartenant pas à l’Union européenne ; il était cependant impossible d’ouvrir une brèche éventuelle dans la frontière extérieure de l’espace Schengen en confiant la surveillance d’une partie de celle-ci à des Etats non-assujettis aux obligations de la Convention.

Le Comité exécutif Schengen a donc dans sa réunion du 20 décembre 1995 décidé d’engager des négociations en vue de la conclusion d’un accord sui generis avec l’Islande et la Norvège. Il en a précisé les grandes lignes dans sa réunion à La Haye le 18 avril 1996 soulignant la nécessaire reprise par ces deux Etats de l’acquis Schengen et la possibilité pour eux de participer de façon active mais sans droit de vote aux travaux des instances Schengen. Après discussion, il a été admis que cette participation concernerait l’ensemble des instances Schengen. De fait, ils assistent depuis le 1er mai 1996, comme observateurs, à l’ensemble des réunions.

Se posait naturellement la question de la conduite à tenir au cas où la coopération Schengen et l’UNP se révéleraient incompatibles. L’accord signé le 19 décembre est de ce point de vue parfaitement clair et affirme la primauté des accords de Schengen.

Ainsi l’article 4 de l’accord d’association prévoit qu’en cas d’incompatibilité entre les dispositions des deux conventions, « les dispositions du présent accord ne font pas obstacle à la coopération dans le cadre de l’Union nordique des passeports, dans la mesure où elle ne contrevient ni n’entrave l’application du présent accord ».

Toutefois, il ne semble pas y avoir pour l’heure d’incompatibilité et les deux Etats semblent même en mesure de rejoindre rapidement les normes en vigueur au sein de Schengen compte tenu des exigences déjà imposées par leur appartenance à l’UNP.

Le contrôle des frontières extérieures est facilité dans le cas de l’Islande par sa situation géographique. La seule frontière extérieure terrestre de la Norvège, avec la Russie, répond déjà aux exigences de l’article 6 de la convention d’application. Par ailleurs, les deux Etats font preuve d’une réelle volonté de se conformer aux normes Schengen comme en attestent les conditions dans lesquelles a été ouvert le nouvel aéroport d’Oslo Gardemoen en octobre 1998.

S’agissant des législations relatives la protection des données à caractère personnel, ainsi que de celles afférentes à la lutte contre l’immigration irrégulière et contre le trafic de stupéfiants, Islande et Norvège répondent également aux exigences de la coopération Schengen. Il convient de souligner que ces deux Etats participent - comme les trois postulants à l’entrée dans Schengen - à la coopération policière nordique qui fonctionne depuis 1972 ainsi qu’à la coopération nordique dite PTN (police-douanes-stupéfiants) en place depuis 1982. Celle-ci repose sur des pratiques qui rappellent étrangement celles en vigueur au sein de Schengen : échanges d’informations, livraisons surveillées, réseau d’officiers de liaison, …

A l’heure actuelle, les deux Etats semblent techniquement aptes à coopérer rapidement avec les membres de l’espace Schengen et l’articulation des dispositions existantes deux accords internationaux ne pose pas de difficulté.

Se pose en revanche la question de leur éventuelle incompatibilité future.

B - Des relations futures encore à préciser

L’acquis Schengen est naturellement appelé à évoluer dans le sens d’une coopération toujours plus étroite. On peut tout à fait imaginer que les deux Etats associés puissent ne pas désirer reprendre la totalité des dispositions nouvelles : il s’agirait là d’une manifestation légitime de souveraineté dans une coopération intergouvernementale.

Dès lors, deux solutions étaient envisageables. La première aurait consisté à accepter une différenciation de la coopération Schengen, elle a d’emblée été réfutée par les Etats Schengen comme contraire à l’esprit de la Convention et revenant de fait à un alignement de l’ensemble de l’espace sur les normes les moins exigeantes. La seconde, retenue par l’article 10 alinéa 2 de l’accord d’association, résidait dans la dénonciation de l’accord d’association au cas où l’un des deux Etats associés refuserait d’appliquer une disposition votée par le Comité exécutif Schengen.

Il va de soi qu’il ne s’agit là que d’une solution extrême et que les Etats parties à l’accord ne souhaitent ni les uns ni les autres en arriver à une telle situation. Les garde-fous sont réels. Islande et Norvège sont présentes dans les instances Schengen et peuvent y faire valoir leur position : la perspective d’une dénonciation de l’accord de leur part est de nature à faire réfléchir le Comité exécutif Schengen et éviter qu'il n’adopte inconsidérément des décisions inacceptables pour ces deux Etats. Le poids de la solidarité nordique agit dans le même sens : Danemark, Finlande et Suède joueraient de toute évidence les conciliateurs en cas de crise.

Cependant, l’intégration de Schengen dans l’Union européenne rend la question de l’articulation entre les deux conventions moins théorique. Elle pose le problème des modalités pratiques d’association des deux Etats aux instances de l’Union européenne qui prendront le relais des enceintes Schengen, l’Union européenne ne prévoyant pas la présence d’observateurs à ses réunions.

Elle pose aussi celui du changement de nature de la coopération. Le rôle accru de la Commission et le passage à la majorité qualifiée pour certains domaines relevant précédemment d’une coopération strictement intergouvernementale sont susceptibles de créer une dynamique d’intégration. Celle-ci ne conviendra pas nécessairement aux Etats associés, ils seront plutôt moins en mesure de s'y opposer (comment l’Union européenne accepterait-elle de voir bloquée par un Etat tiers une décision adoptée éventuellement contre l’avis d’un ou plusieurs de ses propres membres ?) et la seule solidarité nordique ne suffira pas à stopper les décisions. Il faudra également régler les questions relatives au rôle éventuel de la Cour de Justice des Communautés européennes et à celui du Parlement. Le précédent de l’Espace économique européen montre que ces problèmes sont solubles, mais que le règlement peut en être long et complexe.

L’article 6 du Protocole intégrant l’acquis Schengen dans l’Union européenne prévoit la conclusion d’un nouvel accord entre le Conseil de l’Union européenne statuant à l’unanimité et la Norvège et l’Islande. Un mandat a été adopté à cet effet à la fin du mois d’août 1998.

CONCLUSION

Ces quatre accords ne présentent pas de difficultés majeures en dépit de la singularité – et de l’incertitude pesant sur sa forme définitive - de la relation établie entre les Etats membres de Schengen et les deux Etats associés. Ils ne remettent en tout cas pas en cause la sécurité de l’espace Schengen.

Bien au contraire, le niveau de contrôle atteint et les habitudes de coopération nouées par ces pays au sein de l’Union nordique des passeports semblent de nature à renforcer l’efficacité de la coopération Schengen.

Dès lors, votre Rapporteur ne peut que vous inviter à adopter les quatre projets de lois autorisant l’approbation de ces accords.

EXAMEN EN COMMISSION

La Commission a examiné les présents projets de loi au cours de sa réunion du mercredi 17 mars 1999.

Après l’exposé du Rapporteur, M. Pierre Brana s'est déclaré surpris que les contrôles des flux en provenance du Sud ne soient pas plus étroits.

M. Charles Ehrmann a estimé que les services de contrôle à la frontière franco-italienne étaient saturés et que les saisies de drogue avaient atteint un haut niveau. Que peut-on faire contre les Etats narco-trafiquants et l'emprise de la mafia sur le trafic de drogue ? Le développement des pays pauvres est la seule solution à terme.

M. Gilbert Le Bris a demandé quel était aujourd'hui, parmi les pays membres de l'espace Schengen, le maillon faible du dispositif de contrôle des frontières.

M. Guy Lengagne a rappelé que certains territoires du Nord de l'Europe avaient d'importantes ressources halieutiques et que, pour cette raison, ils ne faisaient pas partie de la Communauté européenne. Faut-il accepter qu'ils bénéficient des avantages de la Communauté, par le biais d'accords partiels, alors qu'ils en refusent les inconvénients ?

M. François Léotard a considéré que la question de la libre circulation des personnes était un sujet aussi important que celui de la monnaie unique. Il a posé une série de questions :

- Que sont devenus les 250 000 étrangers régularisés récemment par le gouvernement italien ?

- Quelle est la langue de Schengen ? Quels sont les efforts de formation linguistique entrepris en faveur des policiers ?

- Qu'en est-il de l'harmonisation des législations s'agissant de la garde à vue et de la rétention administrative ?

- Le SIS est-il respectueux des droits de la personne ? Les signalements font-ils référence aux appartenances ethniques et religieuses ?

- Quelle est la capacité d'action des policiers ayant la possibilité d'intervenir au-delà des frontières nationales dans un Etat Schengen ? Est-il envisageable qu'ils puissent verbaliser sans l'assistance d'un policier de cet Etat ?

- Des policiers des autres Etats Schengen ont-ils assisté la police italienne lors de l'afflux des Kurdes ?

- Ne pourrait-on envisager de créer à l'étranger des consulats communs aux différents Etats parties aux accords de Schengen ?

Il a estimé en outre que seule une politique d'aide au développement du Maghreb était susceptible de mettre un terme aux phénomènes comme le franchissement illégal du détroit de Gibraltar.

M. Georges Sarre a tout d’abord fait observer que les douaniers français devaient parler français. Ayant compris de l'exposé du Rapporteur que la coopération Schengen ne fonctionnait pas, il a demandé si celui-ci disposait de statistiques permettant d'évaluer son efficacité. S’agissant de la proposition d’une CNIL européenne, il a souhaité savoir sur quelle base elle pourrait être édifiée. Enfin, il a demandé plus d’analyse et de réflexion quant à la proposition d’instituer des consulats communs. Il faut être euroréaliste et ne pas poursuivre des chimères. Il a néanmoins précisé qu’il approuvait les quatre conventions.

M. François Loncle, rapporteur, a répondu aux questions des commissaires.

Les différences relevées dans les modalités de contrôles aux frontières nord de la France traduisent une divergence d’approche fondamentale entre Etats-membres.

S’agissant des faiblesses du dispositif Schengen, géographiquement, le maillon le plus fragile est encore la Grèce. Bien qu’elle ait consenti des efforts considérables, la surveillance de ses frontières extérieures reste, du fait de sa géographie, difficile et retarde la mise en vigueur intégrale des accords sur son territoire. Quant aux progrès à apporter au fonctionnement de Schengen, la priorité doit aller au développement de contrôles mobiles réalisés par des équipes plurinationales.

Le Rapporteur s’est déclaré hostile à une Europe à la carte, il souhaite la réduction progressive des coopérations différenciées par lesquelles certains Etats cherchent à n’adopter que les avantages desdites coopérations tout en refusant les contraintes qui leur sont liées. Cependant, dans le cas d’espèce, pour l’Islande et la Norvège, il n’était pas possible de faire autrement.

En ce qui concerne l’Italie, elle est incontestablement une frontière sensible de l’espace Schengen du fait de la proximité des Balkans et donc de pays sources d’émigration (Kosovo, Albanie).

Les inquiétudes relatives aux droits de l’Homme sont légitimes : toute harmonisation européenne en la matière doit être opérée par le haut. Par exemple, la situation de certains centres de rétention est indigne. Cependant, le SIS ne constitue pas un danger en la matière et ne comporte pas d’information de nature discriminatoire.

Les inquiétudes manifestées sur l’efficacité de la coopération Schengen sont en revanche sans fondement. Schengen, en dépit de ses imperfections, est efficace, et notamment plus efficace que ce que les Etats faisaient isolément.

Conformément aux conclusions du Rapporteur, la Commission a adopté les projets de loi (nos 1304, 1309, 1310 et 1311).

*

* *

La Commission vous demande donc d’adopter, dans les conditions prévues à l’article 128 du Règlement, les présents projets de loi.

NB : Le texte des accords figure en annexe aux projets de loi (n° 1304, 1309, 1310 et 1311 ).

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N° 1474.- Rapport de M. François Loncle (au nom de la commission des affaires étrangères) sur :
- le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de l'Accord de coopération entre le Royaume de Belgique, la République fédérale d'Allemagne, la République française, le Grand-Duché de Luxembourg, le Royaume des Pays-Bas, la République italienne, le Royaume d'Espagne, la République portugaise, la République hellénique, la République d'Autriche, le Royaume de Danemark, la République de Finlande, le Royaume de Suède, Parties contractantes à l'Accord et à la Convention de Schengen, et la République d'Islande et le Royaume de Norvège, relatif à la suppression des contrôles de personnes aux frontières communes (ensemble une annexe),
- le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de l'Accord d'adhésion du Royaume de Suède à la Convention d'application de l'Accord de Schengen du 14 juin 1985 relatif à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes,
- le projet de loi, adopté par le Sénat , autorisant l'approbation de l'Accord d'adhésion de la République de Finlande à la Convention d'application de l'Accord de Schengen du 14 juin 1985 relatif à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes,
- le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de l'Accord d'adhésion du Royaume de Danemark à la Convention d'application de l'Accord de Schengen du 14 juin 1985 relatif à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes.