Document mis

en distribution

le 29 mai 2000

graphique

N° 2411

--

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 24 mai 2000.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE (1) SUR LA PROPOSITION DE LOI (N° 1988) DE M. BERNARD ACCOYER ET PLUSIEURS DE SES COLLÈGUES, tendant à protéger le patrimoine des artisans et commerçants,

PAR M. THIERRY MARIANI,

Député.

--

(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

Commerce et artisanat.

La commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République est composée de : M. Bernard Roman, président ; M. Pierre Albertini, Mme Nicole Feidt, M. Gérard Gouzes, vice-présidents ; MM. Richard Cazenave, André Gerin, Arnaud Montebourg, secrétaires ; MM. Léo Andy, Léon Bertrand, Jean-Pierre Blazy, Emile Blessig, Jean-Louis Borloo, Patrick Braouezec, Mme Frédérique Bredin, MM. Jacques Brunhes, Michel Buillard, Dominique Bussereau, Christophe Caresche, Mme Nicole Catala, MM. Jean-Yves Caullet, Philippe Chaulet, Olivier de Chazeaux, Pascal Clément, François Colcombet, François Cuillandre, Henri Cuq, Jacky Darne, Camille Darsières, Jean-Claude Decagny, Bernard Derosier, Franck Dhersin, Marc Dolez, Renaud Donnedieu de Vabres, René Dosière, Jean-Pierre Dufau, Renaud Dutreil, Jean Espilondo, Jacques Fleury, Jacques Floch, Roger Franzoni, Claude Goasguen, Louis Guédon, Mme Cécile Helle, MM. Philippe Houillon, Michel Hunault, Henry Jean-Baptiste, Jérôme Lambert, Mmes Christine Lazerges, Claudine Ledoux, MM. Jean-Antoine Léonetti, Bruno Le Roux, Mme Raymonde Le Texier, MM. Jacques Limouzy, Noël Mamère, Thierry Mariani, Roger Meï, Louis Mermaz, Jean-Pierre Michel, Ernest Moutoussamy, Mme Véronique Neiertz, MM. Robert Pandraud, Christian Paul, Dominique Perben, Henri Plagnol, Didier Quentin, Jean-Pierre Soisson, Frantz Taittinger, Jean Tiberi, Alain Tourret, André Vallini, Alain Vidalies, Jean-Luc Warsmann.

INTRODUCTION 5

1. Protéger une partie des rémunérations de l'entrepreneur individuel 7

2. Protéger une partie du patrimoine de l'entrepreneur individuel 8

DISCUSSION GÉNÉRALE 13

ANNEXE : Textes de référence visés dans la proposition de loi 17

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LE RAPPORTEUR 21

MESDAMES, MESSIEURS,

Les artisans et les commerçants sont les premiers employeurs du pays et représentent un maillon essentiel de l'aménagement du territoire. Même si l'on considère que le risque est consubstantiel à l'entreprise individuelle, se lancer dans cette aventure revient à s'exposer au risque de tout perdre en cas de difficultés professionnelles : il n'est plus acceptable que, à la moindre défaillance de l'entrepreneur individuel, l'ensemble de ses revenus et de son patrimoine, y compris la part qui n'est pas affectée à son activité professionnelle, deviennent saisissables. Bien que ce point de vue soit largement partagé, aucun modification législative n'est intervenue à ce jour pour protéger le patrimoine des artisans et des commerçants.

Pour remédier à cette lacune, le groupe RPR a demandé que la proposition de loi n° 1988, déposée le 1er décembre 1999 par M. Bernard Accoyer et les membres du groupe RPR, soit inscrite à la séance du 30 mai réservée à l'ordre du jour fixé par l'Assemblée nationale. Compte tenu du temps limité imparti aux parlementaires pour faire valoir en séance publique leurs initiatives, le choix a été fait de ne proposer que deux modifications circonscrites mais concrètes de notre législation : il n'est, en effet, pas possible de débattre en une matinée d'une réforme d'ensemble du statut d'artisan et de commerçant, et notamment de commerçant non sédentaire. Une proposition de loi identique à celle de notre collègue Bernard Accoyer a, par ailleurs, été déposée au Sénat, le 25 janvier dernier, par M. Jean-Jacques Robert et plusieurs sénateurs RPR.

L'artisanat occupe une position particulière dans l'économie française car il est défini à la fois par un critère de taille et par l'appartenance à des secteurs d'activité très précis : il est transversal aux secteurs économiques que sont l'industrie, le commerce, les services et le bâtiment. En nombre d'entreprises, c'est dans le bâtiment, l'alimentation et la production de biens que la place de l'artisanat est prépondérante. Dans les secteurs du commerce, du transport et des services, l'artisanat l'emporte dans quelques activités spécifiques telles que le commerce de détail des viandes, les taxis ou encore la coiffure et les activités de réparation. Au 1er janvier 1998, 790 000 personnes physiques ou morales (DOM non compris) étaient inscrites au Répertoire des métiers au titre de leurs activités principale ou secondaire : 32 % des entreprises artisanales étaient installées dans les communes rurales, 38 % dans les unités urbaines de moins de 200 000 habitants et 30  % dans les communes de plus de 200 000 habitants. Le statut juridique des personnes immatriculées au Répertoire des métiers a beaucoup évolué ces dernières années, mais les personnes physiques restent majoritaires (66 %) tandis que les sociétés sont minoritaires (SARL : 30 %, SA : 2 %, autres sociétés : 0,5 %). En 1997, d'après la répartition des radiations du Répertoire des métiers, les défaillances (1) (19 189) ont représenté un quart des cessations d'activité (72 906). En moyenne, une défaillance artisanale a supprimé trois emplois.

A la moindre défaillance de l'entrepreneur individuel, l'ensemble de son patrimoine est saisissable, voire celui de son conjoint s'il s'est porté caution solidaire comme l'exigent presque toujours les établissements de crédit. Il pourrait être tentant d'interdire à ces établissements d'exiger le cautionnement solidaire du conjoint de l'entrepreneur individuel. Mais, comme le souligne l'exposé des motifs de la proposition de loi, cette solution partielle pourrait conduire à raréfier davantage encore l'offre de crédit à destination de cette catégorie d'entrepreneurs.

Aussi, afin de protéger le patrimoine des artisans et des commerçants en cas de difficultés professionnelles, deux mesures simples sont-elles proposées, qui concernent leurs revenus et leur patrimoine : l'article 1er de la proposition de loi applique aux revenus de l'entrepreneur individuel les dispositions du code du travail relatives à la saisie des rémunérations, afin qu'ils bénéficient des mêmes garanties que les salariés dont une partie seulement de la rémunération est saisissable ; l'article 2 tend à porter de 50 000 F à 800 000 F la valeur du bien de famille insaisissable, réévaluation pleinement justifiée puisque la dernière remonte à 1953.

A la suite des auditions qu'il a conduites, votre rapporteur s'étonne du peu d'intérêt manifesté par le ministère de la justice, tant pour le maintien d'un minimum vital au bénéfice de l'entrepreneur individuel, que pour la préservation de son patrimoine privé en cas de difficultés de l'exploitation. Les représentants de la Chancellerie se sont contentés d'opposer des considérations théoriques, qui conduisent le droit à l'immobilisme, aux deux dispositions contenues dans la proposition de loi, ne proposant aucune amélioration technique du dispositif et indiquant que le ministère n'avait, par ailleurs, engagé aucune réflexion sur ce sujet. En revanche, l'Union professionnelle artisanale, la Fédération nationale des syndicats de commerçants non sédentaires, la Chambre de commerce et d'industrie de Paris et la Chambre des métiers du Vaucluse ont approuvé, dans son principe, cette initiative tendant à protéger le patrimoine des artisans et commerçants, en particulier lorsqu'est concerné un entrepreneur individuel qui s'engage intégralement dans sa personne et ses biens.

1. Protéger une partie des rémunérations de l'entrepreneur individuel

Permettre à l'entrepreneur individuel qui connaît des difficultés de bénéficier des dispositions protectrices applicables à la saisie des rémunérations des salariés relève de l'équité : garantir un minimum vital, condition du respect de la dignité, est une exigence qui s'impose aussi bien pour un chef d'entreprise que pour un salarié.

Cette modification des règles applicables aux saisies de rémunération a d'ailleurs été appelée de ses v_ux par notre collègue Mme Raymonde Le Texier, lors de l'audition, le 2 mai dernier, de la secrétaire d'Etat aux petites et aux moyennes entreprises, au commerce et à l'artisanat par la Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. (2).

L'article premier de la proposition de loi applique donc aux revenus de l'entrepreneur individuel les dispositions du code du travail relatives à la saisie et la cession des rémunérations dues par un employeur. Aux termes des articles L. 145-1 à L. 145-13 de ce code, l'intégralité de ces rémunérations ne peut, en effet, être saisie : la fraction saisissable dépend du montant de la rémunération, de ses accessoires ainsi que, le cas échéant, de la valeur des avantages en nature, après déduction des cotisations obligatoires. En outre, est fixée une fraction insaisissable égale au montant du revenu minimum d'insertion (RMI). Ne peuvent, par ailleurs, être saisis les indemnités insaisissables, les sommes allouées à titre de remboursement de frais exposés par le salarié et les allocations ou indemnités pour charge de famille.

Le décret n° 99-1150 du 28 décembre 1999 a fixé les quotités de salaire saisissables pour l'année 2000 comme suit :

Tranche de rémunération annuelle

Fraction saisissable

Jusqu'à 18 9000 F

De 18 900 F à 37 500 F

De 37 500 F à 56 300 F

De 56 300 F à 74 800 F

De 74 800 F à 93 400 F

De 93 400 F à 112 200 F

Au-delà de 112 200 F

1/20e

1/10e

1/5e

1/4

1/3

2/3

Totalité

Ces seuils sont augmentés d'un montant de 7 000 F par personne à charge du débiteur saisi. Dans le cadre d'une procédure de saisie pour paiement de pension alimentaire, l'intégralité du salaire est saisissable. Il n'est laissé à la disposition du débiteur qu'une somme minimum égale au montant du RMI.

La proposition de loi a pour légitime objet de vouloir appliquer aux revenus de l'entrepreneur individuel les dispositions du code du travail relatives à la saisie des rémunérations. En effet, à la différence des salariés, les entrepreneurs individuels risquent de voir leurs revenus saisis en totalité en cas d'impossibilité d'honorer une dette. Cette situation est d'autant plus choquante que les sommes disponibles sur leur compte, destinées au paiement des charges sociales ou des factures des fournisseurs, peuvent être saisies. Or, la saisie totale du solde créditeur d'un commerçant, d'un artisan ou d'une personne exerçant une profession libérale place l'intéressé dans l'impossibilité d'assumer le paiement de ses fournisseurs et de ses charges sociales, ce qui risque de l'enfermer dans une spirale infernale pouvant conduire jusqu'à la faillite.

Conscient qu'il est difficile, en pratique, de transposer sans adaptation aux entrepreneurs individuels le régime applicable aux salariés, votre rapporteur a proposé à la Commission de l'adapter aux spécificités de l'entrepreneur individuel : les revenus d'un entrepreneur individuel ne seraient saisissables ou cessibles que dans la limite de 65 % du solde créditeur de ses comptes bancaires ; en outre, il serait tenu compte, d'une fraction insaisissable égale au montant de ressources dont il disposerait s'il ne percevait que le revenu minimum d'insertion, comme le prévoit le code du travail pour les salariés.

Cette solution assurerait à l'entrepreneur un revenu décent et, plus important encore, lui permettrait de faire face aux échéances fiscales, sociales et professionnelles pour qu'il puisse poursuivre son activité et ne pas se trouver condamner à la faillite.

2. Protéger une partie du patrimoine de l'entrepreneur individuel

La question de la préservation du patrimoine privé du chef d'entreprise en cas de difficultés de l'exploitation n'est pas traitée de manière pleinement satisfaisante par notre législation. La volonté de protection de l'entrepreneur individuel s'est notamment traduite par le vote de la loi du 11 juillet  1985 sur l'EURL, forme juridique qui en pratique n'a pas rencontré un grand succès, et par la loi du 11 février 1994, dite loi Madelin, relative à l'initiative et à l'entreprise individuelle. Lors de son audition par la Délégation aux droits des femmes, le 2 mai dernier, la secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce et à l'artisanat a exprimé, à plusieurs reprises, son souhait d'assurer la protection de la résidence familiale en cas d'échec de l'entreprise individuelle.

L'article 2 de la proposition de loi va dans ce sens puisqu'il accroît la valeur du bien de famille, dont le principal avantage est d'être insaisissable, en le portant de 50 000 F à 800 000 F.

La notion de bien de famille a son origine dans une institution apparue au Texas vers le milieu du XIXe siècle sous le nom de home steadt. Elle pénétra en France vers la fin du siècle et aboutit à la loi du 12 juillet 1909, modifiée plusieurs fois depuis lors.

Le bien de famille est un immeuble que son propriétaire soumet à un régime d'insaisissabilité destiné à en assurer la conservation dans l'intérêt de la famille. Chaque famille ne peut avoir qu'un seul bien de famille. La constitution peut être faite par le mari, la femme, le conjoint survivant, un aïeul. Plus généralement, toute personne capable de disposer peut constituer un bien de famille au profit d'une autre personne.

Le bien considéré peut être un immeuble par nature ou par destination : une maison, une maison avec des terres attenantes ou voisines, une maison avec boutique ou atelier et le matériel ou outillage le garnissant. Il doit être occupé et exploité par la famille, ce qui exclut l'habitation secondaire. La constitution ne peut concerner ni un bien indivis, ni un bien grevé de privilège ou d'hypothèques conventionnelle ou judiciaire.

La valeur du bien constitué est au maximum, lors de sa constitution, de 50 000 F. Ce faible montant explique que l'institution ait peu de succès, ne puisse concerner que des constitutions anciennes et soit en pratique remplacée par un jeu de donations successives avec clause d'inaliénabilité et réserve d'usufruit en faveur du constituant.

La constitution doit être faite par acte notarié (testament, contrat de mariage ou donation). Elle fait l'objet d'une publicité par affiches, d'insertion dans les journaux d'annonces légales du département et d'une publication au bureau des hypothèques. L'acte est homologué par le juge d'instance.

Le principal intérêt du bien de famille est d'être insaisissable, tant pour les fruits que pour le fonds lui-même ; toutefois, les fruits peuvent être saisis pour des dettes alimentaires, le paiement d'impôts ou de condamnations pénales. L'insaisissabilité est complétée par l'interdiction d'hypothéquer. Elle cesse lors de l'aliénation du bien ou s'il y a renonciation. Après la dissolution du mariage, l'insaisissabilité peut se prolonger pendant le temps de l'indivision (cinq ans). A la cessation de l'indivision, le bien peut être attribué sur estimation à l'un des intéressés, à la majorité des voix de ceux-ci ou par tirage au sort.

Afin de revivifier cette institution, l'article 2 de la proposition de loi porte de 50 000 F à 800 000 F la valeur du bien de famille insaisissable, ce qui permettrait effectivement de mettre le logement familial à l'abri des vicissitudes que peut connaître l'entrepreneur individuel dans l'exploitation de son entreprise.

Toutefois au terme des auditions conduites par votre rapporteur, il est apparu que la revalorisation du bien de famille ne suffirait pas à inciter les entrepreneurs individuels à avoir recours à cette formule : les formalités restent, en effet, assez contraignantes, mais surtout les organisations professionnelles d'artisans et de commerçants ont exprimé la crainte que la constitution d'un bien de famille n'assèche toute possibilité de crédit bancaire. Votre rapporteur a donc proposé à la commission de mettre en place un statut particulier du patrimoine professionnel affecté à l'entreprise. Selon des voies différentes, ce dispositif et la solution retenue par la proposition de loi tendent à protéger une partie du patrimoine des artisans et des commerçants.

L'exercice d'une activité par un entrepreneur individuel entraîne, en l'absence de personne morale ayant pour objet la gestion de l'entreprise, la confusion des biens affectés à l'activité professionnelle et de ceux entrant dans son patrimoine personnel, en application du principe de droit civil d'unicité du patrimoine. Mais l'idée de l'affectation d'une partie du patrimoine à un objet déterminé (contrats de mariage, par exemple) fait progressivement son chemin. En effet, l'absence de personnalité juridique de l'entreprise, la confusion de celle-ci et de celui qui la gère, entraînent une telle prise de risque que l'entrepreneur individuel se voit contraint soit d'opter pour la forme sociétaire (qui lui permet de limiter sa responsabilité, sans pour autant que cette option se justifie au plan économique), soit à renoncer à son projet car, en cas de défaillance, l'ensemble de son patrimoine est saisissable. En outre, les établissements de crédit exigeant quasi systématiquement la caution solidaire du conjoint préalablement à l'octroi d'un prêt, si l'entreprise individuelle connaît une défaillance, les biens propres du conjoint sont également mis en péril. Or l'entreprise individuelle constitue une réalité bien ancrée, y compris pour les entreprises en création, car la plupart des artisans, commerçants et petits entrepreneurs ne souhaitent pas transformer leur entreprise en société, même si c'est aujourd'hui plus simple qu'hier.

Il est donc souhaitable, comme le réclament depuis de nombreuses années les professionnels, d'instituer une séparation entres les patrimoines professionnel et personnel en permettant à l'entrepreneur individuel d'affecter une part de son patrimoine nécessaire à l'exploitation de l'entreprise. Suivant les recommandations contenues dans le rapport présenté, en 1993, par M. Jacques Barthélémy au nom du Conseil économique et social sur l'entreprise individuelle, votre rapporteur a fait une double proposition à la commission : la déclaration d'existence de l'entreprise pourrait s'accompagner de la constitution d'un capital d'au moins 50 000 F (comme pour la SARL) gagé par des biens immobiliers ou mobiliers d'un même montant affectés à l'activité de l'entreprise ; la responsabilité de l'entrepreneur individuel, pour les pertes liées à son activité professionnelle, serait limitée à concurrence de son apport. En dotant ainsi, à sa création, l'entreprise de fonds propres suffisants, elle deviendrait moins vulnérable aux difficultés de toutes sortes.

observations du président

de la chambre des métiers du vaucluse

sur les dispositions de la proposition de loi tendant à protéger
le patrimoine familial de l'entrepreneur individuel

aspects positifs

aspects négatifs

questions

Favorise l'intention de création d'entreprise
individuelle

Difficulté à obtenir un emprunt professionnel (méfiance du banquier)

La mesure concerne-t-elle tous les créanciers ?

Protège le bien existant et la constitution de ce bien et donc la cellule familiale

Risque de favoriser le patrimoine privé au détriment de l'entreprise

Comment est défini le revenu de l'artisan au moment de la saisie ?

Diminution des échecs
sociaux, l'éclatement du patrimoine entraînant l'éclatement de la famille

Détournement des prêts professionnels vers des prêts personnels

 

Retour vers un statut de l'entreprise individuelle, qui est délaissé artificiellement au profit de sociétés

   

Par ailleurs, M. Paul Gilles, président de la chambre des métiers du Vaucluse, a proposé qu'il y ait deux paliers pour la constitution d'un bien de famille : 400 000 F en cas de création d'une entreprise et 800 000 F en cas de reprise.

*

* *

Plusieurs commissaires sont intervenus dans la discussion générale.

M. Alain Vidalies a rappelé que la protection du patrimoine des artisans et des commerçants était un sujet récurrent, auquel tous les gouvernements avaient tenté d'apporter des réponses sans parvenir cependant à résoudre tous les problèmes. Il a néanmoins considéré qu'il était, en pratique, impossible d'étendre aux revenus non salariés les principes applicables à la saisie des salaires comme le prévoyait la proposition de loi de M. Bernard Accoyer et observé que l'amendement du rapporteur tendant à viser les comptes bancaires ouvrait la voie à des fraudes. Il a jugé pittoresque l'exhumation de la loi de 1909 adoptée pour préserver l'unité de l'entreprise agricole, soulignant que la valeur du bien de famille avait été actualisée pour la dernière fois en 1953 et ajoutant que l'ensemble de la loi mériterait d'être revue, puisqu'elle comportait encore des articles datant d'une époque où les femmes étaient juridiquement incapables. Convenant des difficultés engendrées par la contradiction entre le nécessaire accès au crédit et la logique du système bancaire français consistant à ne prêter qu'avec des garanties très fortes, il a souligné que le Gouvernement avait atteint une phase avancée dans ses réflexions sur l'accès au crédit, Mme Marylise Lebranchu ayant notamment indiqué, devant la Délégation aux droits des femmes, qu'elle était favorable à une généralisation des procédures de cautionnement mutuel avec garantie de l'Etat, du type SOFARIS, et à l'interdiction de saisir la résidence principale des cautions. Aussi a-t-il proposé à la Commission, en application de l'article 94 du Règlement, de ne pas présenter de conclusions.

Soulignant que les commerçants et artisans sont collectivement les professionnels qui prennent le plus de risques économiques et représentent le premier employeur de France, M. Jean-Antoine Léonetti a relevé que certains d'entre eux se trouvaient dans une situation difficile et n'entraient pas dans le champ d'application des différentes protections prévues par la loi. Il a ajouté que de telles situations constituaient une atteinte aux principes d'égalité qu'il convenait de combattre. Abordant le dispositif de la proposition de loi, il a observé qu'il tendait seulement à limiter la possibilité de saisine des biens personnels des entrepreneurs individuels en cas de faillite. Il a considéré que la proposition était amendable et précisé que le groupe UDF était favorable à son adoption.

Se déclarant, au contraire, défavorable à la proposition de loi, M. Jacky Darne a estimé qu'elle soulevait plusieurs problèmes juridiques importants. S'agissant, tout d'abord, de la définition d'une fraction insaisissable du revenu et des biens personnels des commerçants et des artisans, il a considéré que le dispositif proposé par M. Thierry Mariani n'était pas pertinent. Il a observé, en effet, que, si le commerçant ou l'artisan avait contracté des dettes sociales et commerciales, ce n'était qu'après la cessation de son activité, l'engagement d'une procédure d'apurement du passif et le prononcé de la liquidation par le tribunal, que la question de la détermination d'une fraction minimale du revenu ou du patrimoine attribuée au commerçant pourrait légitimement être abordée. Il a donc jugé qu'il conviendrait plutôt d'envisager un dispositif juridique permettant au tribunal de laisser au commerçant ou à l'artisan, se trouvant dans une telle situation, une partie de ses revenus futurs et de son patrimoine existant pour lui assurer des conditions de vie minimales. Soulignant que le régime de la responsabilité des commerçants ou artisans était très défavorable par rapport à celui des sociétés, il a jugé qu'il convenait d'abord de s'interroger sur la faible proportion de commerçants ou artisans choisissant le régime juridique de l'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL), pourtant protecteur. Puis, il a souligné que les problèmes liés au montant, parfois excessif, du cautionnement demandé par les établissements bancaires ne concernaient pas exclusivement les artisans ou les commerçants mais également de très nombreuses petites ou moyennes entreprises.

M. Richard Cazenave a regretté que la majorité, s'abritant derrière une approche d'« esthétique juridique », se refuse à apporter une réponse aux problèmes concrets que rencontrent les commerçants et les artisans. Il a considéré que renvoyer la solution de ces problèmes à des projets de loi à venir ou en cours d'examen constituait, en fait, un prétexte permettant de dissimuler l'inaction. Il a jugé qu'il était impératif d'apporter une protection à des catégories professionnelles qui sont les plus exposées aux risques économiques et bénéficient le moins des prestations du système de la sécurité sociale. Reconnaissant que la proposition de loi pourrait faire l'objet d'améliorations techniques et juridiques sous la forme d'amendements, il a exprimé le souhait que la représentation nationale puisse aboutir à un texte consensuel permettant de mettre fin à des situations d'injustice dont chacun reconnaît l'existence.

En réponse aux différents intervenants, M. Thierry Mariani, rapporteur, a apporté les précisions suivantes.

-  Il est satisfaisant de constater que tous les intervenants ont reconnu que les problèmes auxquels la proposition entend apporter une réponse existent réellement.

-  Certaines objections présentées sont effectivement justifiées, en particulier celles relatives au caractère désuet de la loi de 1909. Des amendements pourraient être présentés pour remédier à ces imperfections techniques, qui tiennent compte, notamment, des remarques formulées par l'Union professionnelle artisanale lors de son audition par le rapporteur.

-  Sans doute peut-on préférer au dispositif, simple et concret qui est proposé, une réforme de plus grande ampleur. Cependant, avant qu'elle n'intervienne, les difficultés auxquelles sont confrontés les commerçants et les artisans demeurent, ce qui n'est pas acceptable.

Après avoir constaté la qualité des échanges entre les commissaires, M. Bernard Roman, président, a observé que la majorité et l'opposition ne s'accordaient pas sur les réponses qu'il convenait d'apporter à des préoccupations dont tous admettaient la réalité. Il a donc jugé qu'il était préférable, comme le suggérait M. Alain Vidalies, en application de l'article 94 du Règlement, que la Commission ne présente pas de conclusions sur ce texte.

Mme Nicole Catala a regretté que la Commission ne passe pas à l'examen des articles. Elle a observé que la procédure d'initiative parlementaire était largement vidée de sa substance, dès lors que les textes en discussion étaient présentés par l'opposition.

La Commission a décidé de ne pas procéder à l'examen des articles et, en conséquence, de ne pas formuler de conclusions.

*

* *

ANNEXE

Textes de référence visés dans la proposition de loi

Article 1er

Les revenus d'un entrepreneur individuel ne sont cessibles ou saisissables que dans les conditions prévues aux articles L. 145-1 à L. 145-13 du code du travail.

Texte de référence

Code du travail

Art. L. 145-1. - Les dispositions du présent chapitre sont applicables aux sommes dues à titre de rémunération à toutes les personnes salariées ou travaillant, à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs, quels que soient le montant et la nature de leur rémunération, la forme et la nature de leur contrat.

Art. L. 145-2. - Sous réserve des dispositions relatives aux créances d'aliments, les sommes dues à titre de rémunération ne sont saisissables ou cessibles que dans des proportions et selon des seuils de rémunération affectés d'un correctif pour toute personne à charge, fixés par décret en Conseil d'Etat. Ce décret précise les conditions dans lesquelles ces seuils et correctifs sont révisés en fonction de l'évolution des circonstances économiques.

Pour la détermination de la fraction saisissable, il est tenu compte du montant de la rémunération, de ses accessoires ainsi que, le cas échéant, de la valeur des avantages en nature, après déduction des cotisations obligatoires. Il est en outre tenu compte d'une fraction insaisissable, égale au montant de ressources dont disposerait le salarié s'il ne percevait que le revenu minimum d'insertion. Sont exceptées les indemnités insaisissables, les sommes allouées à titre de remboursement de frais exposés par le travailleur et les allocations ou indemnités pour charges de famille.

Art. L. 145-3. - Lorsqu'un débiteur perçoit de plusieurs payeurs des sommes saisissables ou cessibles dans les conditions prévues par le présent chapitre, la fraction saisissable est calculée sur l'ensemble de ces sommes. Les retenues sont opérées selon les modalités déterminées par le juge.

Art. L. 145-4. - Le prélèvement direct du terme mensuel courant et des six derniers mois impayés des créances visées à l'article 1er de la loi n° 73-5 du 2 janvier 1973 relative au paiement direct de la pension alimentaire peut être poursuivi sur l'intégralité de la rémunération. Il est d'abord imputé sur la fraction insaisissable et, s'il y a lieu, sur la fraction saisissable.

Toutefois, une somme est, dans tous les cas, laissée à la disposition du bénéficiaire de la rémunération dans des conditions fixées par le décret prévu à l'article L. 145-2.

Art. L. 145-5. - Par dérogation aux dispositions de l'article L. 311-12-1 du code de l'organisation judiciaire, le juge compétent pour connaître de la saisie des rémunérations est le juge du tribunal d'instance. Il exerce les pouvoirs du juge de l'exécution.

La procédure ouverte par un créancier muni d'un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible est précédée d'une tentative de conciliation.

Art. L. 145-6. - Les rémunérations ne peuvent faire l'objet d'une saisie conservatoire.

Art. L. 145-7. - En cas de pluralité de saisies, les créanciers viennent en concours sous réserve des causes légitimes de préférence.

Art. L. 145-8. - Le tiers saisi doit faire connaître la situation de droit existant entre lui-même et le débiteur saisi ainsi que les cessions, saisies, avis à tiers détenteur ou paiement direct de créances d'aliments en cours d'exécution.

Le tiers saisi qui s'abstient sans motif légitime de faire cette déclaration ou fait une déclaration mensongère peut être condamné par le juge au paiement d'une amende civile sans préjudice d'une condamnation à des dommages-intérêts et de l'application des dispositions du deuxième alinéa de l'article L. 145-9.

Art. L. 145-9. - Le tiers saisi a l'obligation de verser mensuellement les retenues pour lesquelles la saisie est opérée dans les limites des sommes disponibles.

A défaut, le juge, même d'office, le déclare débiteur des retenues qui auraient dû être opérées et qu'il détermine, s'il y a lieu, au vu des éléments dont il dispose.

Le recours du tiers saisi contre le débiteur ne peut être exercé qu'après mainlevée de la saisie.

Art. L. 145-10. - Les lettres recommandées auxquelles donne lieu la procédure de cession ou de saisie des rémunérations jouissent de la franchise postale.

Art. L. 145-11. - Les parties peuvent se faire représenter par un avocat, par un officier ministériel du ressort, lequel est dispensé de produire une procuration, ou par tout autre mandataire de leur choix muni d'une procuration ; si ce mandataire représente le créancier saisissant, sa procuration doit être spéciale à l'affaire pour laquelle il représente son mandant.

Art. L. 145-12. - En cas de saisie portant sur une rémunération sur laquelle une cession a été antérieurement consentie et régulièrement notifiée, le cessionnaire est de droit réputé saisissant pour les sommes qui lui restent dues, tant qu'il est en concours avec d'autres créanciers saisissants.

Art. L. 145-13. - En considération de la quotité saisissable de la rémunération, du montant de la créance et du taux des intérêts dus, le juge peut décider, à la demande du débiteur ou du créancier, que la créance cause de la saisie produira intérêt à un taux réduit à compter de l'autorisation de saisie ou que les sommes retenues sur la rémunération s'imputeront d'abord sur le capital.

Les majorations de retard prévues par l'article 3 de la loi n° 75-619 du 11 juillet 1975 relative au taux de l'intérêt légal cessent de s'appliquer aux sommes retenues à compter du jour de leur prélèvement sur la rémunération.

Article 2

La loi du 12 juillet 1909 sur la constitution d'un bien de famille insaisissable est ainsi modifiée :

I. - Le deuxième alinéa de l'article 2 est ainsi rédigé :

« La valeur dudit bien, y compris celle des cheptels ou immeubles par destination, ne devra pas, lors de sa fondation, dépasser 800 000 F. »

II. - Les troisième et quatrième alinéas de l'article 4 sont ainsi rédigés :

« Toutefois, lorsque le bien est d'une valeur inférieure à 800 000 F, il peut être porté à cette valeur au moyen d'acquisitions qui sont soumises aux mêmes conditions et formalités que la fondation. Le bénéfice de la constitution du bien de famille reste acquis alors même que, par le seul fait de la plus-value postérieure à la constitution, le montant de 800 000 F se trouverait dépassé. »

III. - Le second alinéa de l'article 15 est ainsi rédigé :

« La femme pourra exiger l'emploi des indemnités d'assurances ou d'expropriation soit en immeubles, soit en rentes sur l'Etat français, à concurrence d'un maximum de 800 000 F. »

Texte de référence

Loi du 12 juillet 1909
sur la constitution d'un bien de famille insaisissable

Art. 2. - Le bien de famille pourra comprendre soit une maison ou portion divise de maison, soit à la fois une maison et des terres attenantes ou voisines occupées et exploitées par la famille, soit seulement des terres exploitées par la famille, soit une maison avec boutique ou atelier et le matériel ou outillage le garnissant, occupés et exploités par une famille d'artisans.

La valeur dudit bien, y compris celle des cheptels et immeubles par destination, ne devra pas, lors de sa fondation, dépasser 50 000 F.

Art. 4. - Le bien de famille ne peut être établi que su r un immeuble non indivis.

Il ne peut en être constitué plus d'un par famille.

Toutefois, lorsque le bien est d'une valeur inférieure à 50 000 F, il peut être porté à cette valeur au moyen d'acquisitions qui sont soumises aux mêmes conditions et formalités que la fondation.

Le bénéfice de la constitution du bien de famille reste acquis alors même que, par le seul fait de la plus-value postérieure à la constitution, le chiffre de 50 000 F se trouverait dépassé.

Art. 15. - Il en sera de même pour l'indemnité allouée à la suite d'une expropriation pour cause d'utilité publique.

La femme pourra exiger l'emploi des indemnités d'assurances ou d'expropriation soit en immeubles, soit en rentes sur l'Etat français, à concurrence d'un maximum de 50 000 F.

Article 3

Les charges qui pourraient résulter pour l'Etat de ces dispositions sont compensées, à due concurrence, par le relèvement des tarifs visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

Article 4

Les conditions d'application de la présente loi sont fixées par décret en Conseil d'Etat.

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES
PAR LE RAPPORTEUR

Chambre des métiers du Vaucluse

M. Paul Gilles, président

Fédération nationale des syndicats de commerçants non sédentaires

M. Claude Cornoueil, président

Ministère de la justice

M. Christian Thévenot, conseiller technique au cabinet de la ministre

Mme Catherine Chadelat, sous-directrice de la législation civile

Union professionnelle artisanale

M. Jean Delmas, président

M. Pierre Burban, secrétaire général

Mme Brigitte Laurent, chargée des relations avec le Parlement

La Chambre de commerce et d'industrie de Paris a envoyé une contribution écrite.

() Lorsqu'une entreprise se trouve en état de cessation de paiements, une procédure de redressement judiciaire doit être ouverte : à la suite du jugement qui prononce cette ouverture, l'entreprise est dite en défaillance.

() « En cas de faillite, la situation est effectivement dramatique ; l'idée de préserver la résidence principale est donc intéressante. Mais il faudrait aller au-delà, et modifier les règles applicables aux saisies de rémunérations. Il y a des gens qui travaillent et qui se retrouvent avec 2 800 F par mois, parce qu'ils sont saisis pendant des années. Ce sont des situations tragiques qui se terminent parfois par un suicide. »


© Assemblée nationale