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Document E1966
(Mise à jour : 12 décembre 2009)


Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil sur la responsabilité environnementale en vue de la prévention et de la réparation des dommages environnementaux.


E1966 déposé le 20 mars 2002 distribué le 21 mars 2002 (11ème législature)
   (Référence communautaire : COM(2002) 17 final du 23 janvier 2002)

Base juridique :

Article 175, paragraphe 1 du traité instituant la Communauté européenne.

Procédure :

Article 251 du traité instituant la Communauté européenne (codécision).

Avis du Conseil d’Etat :

Cette proposition de directive a pour objet de déterminer un régime de responsabilité en matière de prévention et de réparation des dommages causés à l’environnement. Ces principales dispositions relèveraient en droit interne du droit législatif .

Motivation et objet :

Le Livre blanc sur la responsabilité environnementale présenté, le 9 février 2000, par la Commission européenne, visait à étudier les possibilités de mise en œuvre du principe pollueur-payeur dans la politique communautaire environnementale. Il préconisait une directive-cadre pour encadrer juridiquement un régime communautaire de responsabilité environnementale.

La présente proposition de directive vise ainsi à établir un cadre pour la prévention et la réparation des dommages environnementaux, ces derniers étant définis comme étant ceux affectant la biodiversité, les eaux et la santé humaine (lorsque la source de la menace sanitaire pour l’homme est une contamination du sol).

Fiche d’évaluation d’impact :

On peut regretter que la fiche établie par le ministère de l’écologie et du développement durable ait été transmise à l’Assemblée nationale près d’un an après sa rédaction.

Appréciation au regard du principe de subsidiarité :

De nombreux Etats membres ont déjà fixé des règles en matière de responsabilité environnementale, mais une action communautaire apparaît néanmoins nécessaire car :

- le principe du pollueur-payeur doit être applicable dans tous les Etats membres, afin de ne plus voir se perpétuer les comportements ayant conduit à la pollution d’environ 300 000 sites dans la Communauté ;

- les législations nationales en vigueur restent en deçà de la proposition de directive, puisqu’elle ne font pas obligation aux pouvoirs publics de dépolluer les sites dits « orphelins », c’est-à-dire ceux pour lesquels les parties responsables de la pollution sont introuvables ou insolvables ;

- de la même façon, aucune législation nationale n’impose aux parties privées une responsabilité pour les dommages à la biodiversité ; ainsi, en France, les principes généraux du droit de la responsabilité civile (articles 544, 1382, 1383,1384 et 1386 du code civil) permettent surtout de réparer les atteintes à une personne, un bien ou à un intérêt économique.

- enfin, en l’absence d’un cadre harmonisé au niveau communautaire, certains acteurs économiques pourraient exploiter les différences entre les Etats membres en réalisant des montages juridiques destinés à éviter tout engagement de responsabilité.

Le cadre communautaire proposé laisse, par ailleurs, d’importantes marges d’intervention aux Etats membres, s’agissant des modalités institutionnelles et procédurales applicables pour atteindre les objectifs prescrits. En particulier, les pouvoirs nécessaires pour la mise en œuvre du régime proposé peuvent être conférés aux tribunaux, à des institutions juridictionnelles ou à des autorités administratives.

Contenu et portée :

Bien que précédée par de nombreux rapports et études (notamment un Livre vert publié en 1993 et le Livre blanc précité), ainsi que par une phase de consultation des parties intéressées (Etats membres, pays candidats, organisations non gouvernementales, industrie et autorités locales et régionales), cette proposition de directive a suscité des réactions négatives. Il était effectivement difficile de concilier des positions opposées, en particulier celles des organisations non gouvernementales et celles de l’industrie. Les critiques portent essentiellement sur la délimitation du champ d’application de ce texte et sur les risques financiers potentiels que le mécanisme proposé fait supporter aux pouvoirs publics. En fait, l’une des questions principales soulevées par cette proposition de directive concerne la portée du principe pollueur-payeur.

1) Un champ d’application contesté

Le dispositif de responsabilité ne concerne que les dommages environnementaux et ces derniers sont pris en compte de manière restreinte.

 Les dommages corporels et les dommages aux biens n’entrent pas dans le champ de la proposition

La Commission a choisi d’exclure ces dommages, essentiellement parce qu’ils relèvent du droit civil et non pas du droit public. En outre, les systèmes juridiques nationaux sont très développés en ce qui concerne ces dommages.

Néanmoins, la Commission admet que la réflexion pourrait être poursuivie sur ce point, surtout si la Communauté souhaitait adhérer aux instruments internationaux relatifs à la responsabilité civile qui compléteront les accords internationaux dans le domaine de l’environnement.

En l’état actuel, le texte proposé ne vise donc que les dommages environnementaux c’est-à-dire :

- les dommages à la biodiversité, à savoir tout dommage qui affecte gravement et de manière négative l’état de conservation de la biodiversité ;

- les dommages affectant les eaux, à savoir tout dommage qui affecte négativement l’état écologique, le potentiel écologique et/ou l’état chimique des eaux concernées d’une manière telle que cet état va ou est susceptible de se détériorer grandement ;

- les dommages affectant les sols, à savoir tout dommage qui nuit potentiellement ou effectivement à la santé publique du fait de la contamination du sol et du sous-sol.

 Une définition restreinte des dommages environnementaux

Tout d’abord, les dommages régis par des conventions internationales sur la responsabilité ne sont pas visés par la proposition de directive. Cela concerne, en particulier, les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures transportés par mer et les dommages dus à la pollution par énergie nucléaire.

Ensuite, le texte proposé exclut de son champ d’application la pollution diffuse et les activités menées exclusivement aux fins de la défense nationale.

Ce texte prévoit également des dérogations au mécanisme de responsabilité qu’il institue. Ainsi, la directive ne devrait pas s’appliquer aux dommages environnementaux causés par certains événements indépendants de la volonté de l’exploitant (conflit armé, phénomène naturel exceptionnel).

Enfin, le régime proposé n’est pas rétroactif et ne concerne donc pas les sites déjà pollués.

Malgré ces restrictions, les représentants des compagnies d’assurance et de l’industrie considèrent encore que le champ d’application est trop vaste du fait notamment de la notion de dommages à la biodiversité, à laquelle ils préféreraient substituer celle de dommages aux ressources naturelles.

2) La mise en œuvre du principe pollueur-payeur

? Un double système de responsabilité pour les pollueurs

La proposition de directive distingue les activités professionnelles dangereuses (énumérées dans son annexe 1), assujetties à une responsabilité sans faute pour l’ensemble des dommages environnementaux, et les autres activités professionnelles qui ne sont soumises qu’à un régime de responsabilité pour faute (en cas de négligence) en cas de dommage à la seule biodiversité.

Les activités dangereuses peuvent, dans certains cas, relever également de la responsabilité pour faute, lorsque les dommages sont causés soit par un événement autorisé par les lois et règlements applicables ou par une autorisation spécifique, soit par des émissions ou des activités qui n’étaient pas considérées comme néfastes conformément à l’état des connaissances scientifiques au moment où l’émission ou l’activité a eu lieu.

Les organisations non gouvernementales souhaiteraient que la liste des activités soumises au régime de responsabilité sans faute soit étendue.

 Une responsabilité non plafonnée

A la différence des dispositifs prévus par les conventions internationales régissant les responsabilités pour les dommages liés au transport par mer d’hydrocarbures ou de substances nocives, la présente proposition de directive ne fixe pas un plafond financier à la responsabilité des pollueurs.

Ce choix est surtout justifié par la nécessité de renforcer l’impact de ce texte en matière de prévention. L’absence de plafond a été critiquée par les représentants de l’industrie, qui craignent de rencontrer des difficultés pour s’assurer, la Commission s’est engagée à réexaminer cette question en temps voulu.

 Une assurance non obligatoire

Les craintes des industriels pourraient également être atténuées par le fait qu’ils ne sont pas tenus de s’assurer contre les risques visés par la directive. Cette dernière se contente d’inciter les Etats membres à encourager la prise par les opérateurs de toute assurance ou autres formes de garantie financière appropriée.

Cette mesure pourrait accroître les coûts susceptibles d’être supportés par les pouvoirs publics (néanmoins, les autorités françaises sont opposées à l'instauration d'un régime d'assurance obligatoire).

3) Un mécanisme potentiellement coûteux pour les pouvoirs publics

 Le rôle essentiel des pouvoirs publics dans la mise en œuvre de la responsabilité des pollueurs

La ou les autorités compétentes désignées par chaque Etat membre auront de larges compétences tant en matière de prévention qu’en matière de réparation.

S’agissant de la prévention, l’autorité compétente devra obliger l’exploitant à prendre les mesures nécessaires lorsqu’il existera une menace imminente d’un dommage environnemental ou prendre elle-même ces mesures.

En ce qui concerne la réparation, l’autorité compétente devra, dans un premier temps, évaluer l’étendue du dommage et déterminer – en coopération autant que possible, avec l’exploitant pollueur – les mesures de réparations les plus appropriées. Dans un second temps, elle pourra soit obliger l’exploitant à réparer, soit agir elle-même par l’intermédiaire d’un tiers. La réparation mentionnée par la présente proposition vise donc la remise en état des milieux atteints, et non pas une réparation financière.

Les pouvoirs publics ne pourront méconnaître leurs compétences, puisque la proposition de directive donne aux tiers affectés ou susceptibles d’être affectés par des dommages environnementaux, la faculté de demander à l’autorité compétente d’entreprendre une action et d’engager une procédure en justice contre les décisions ou omissions de cette autorité.

 Les risques financiers supportés par les pouvoirs publics

L’évaluation du coût total des dommages visés par la proposition de directive soulève des difficultés, mais la Commission l’estime à environ 1 455 millions d’euros par an (précisons, à titre illustratif, que les travaux de dépollution du site de « Métaleurop » de Noyelles–Godault sont estimés entre 100 et 300 millions d’euros). Les pouvoirs publics supporteront au moins temporairement une partie de cette charge, puisqu’ils seront tenus de réparer en cas d’inaction de l’exploitant. Ils auront évidemment le droit de recouvrir les sommes engagées auprès de l’exploitant qui a causé le dommage, mais deux obstacles sont contenus dans ce texte :

- d’une part, le caractère facultatif de l’assurance pour les exploitants se traduira par leur insolvabilité en cas de dommages de grande ampleur ;

- d’autre part, la proposition ne prévoit de responsabilité que pour les exploitants (alors que le dispositif similaire en vigueur aux Etats-Unis – le CERCLA ( comprehensive environmental response, compensation and liability act ) – vise de nombreuses parties ; producteurs, transporteurs, exploitants, sociétés–mères, banques, assureurs...).

En tout état de cause la Commission a cherché à limiter le coût des réparations en n’imposant pas une restauration des ressources endommagées à l’identique. La proposition fait ainsi explicitement référence à l’option du moindre coût parmi les formules susceptibles d’apporter des bénéfices environnementaux équivalents.

Textes législatifs nationaux susceptibles d’être modifiés :

La présente proposition de directive n’est pas appelée à se substituer à la législation française sur les installations classées (loi du 19 juillet 1976, désormais codifiée aux articles L 511–1 et suivants du code de l’environnement), mais à la compléter, au moins à 3 niveaux :

au niveau des dommages couverts tout d’abord : le champ de la législation sur les installations classées est vaste puisque cette dernière a non seulement pour objectif la protection de la nature et de l’environnement mais vise également les dangers ou inconvénients présentés pour la commodité du voisinage, pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, pour l’agriculture ou encore pour la conservation des sites et des monuments. Néanmoins, les dommages concernés par cette législation sont essentiellement ceux affectant les biens et les personnes. La prise en compte, par la proposition de directive, des dommages environnementaux constituerait donc un progrès ;

au niveau des activités concernées, ensuite : les dispositions de la proposition de directive s’appliquent à l’ensemble des activités économiques et vont donc bien au–delà des quelques 63 000 installations classées actuellement recensées ;

au niveau des obligations de réparation du pollueur, enfin : l’autorité compétente, au sens de la directive, disposera de la possibilité d’imposer des mesures réparatrices plus étendues que celles prévues par la législation sur les installations classées, susceptibles, par exemple, de provoquer des interventions sur des terrains n’appartenant pas au pollueur.

L’adoption de la directive renforcerait donc le dispositif juridique à l’encontre des pollueurs. A cet égard, on peut rappeler qu’un rapport conjoint du Conseil général des mines et de l’Inspection générale des finances sur le dispositif juridique et financier relatif aux sites et sols pollués, remis en 2000, a souligné que « la loi de 1976 est un colosse aux pieds d’argile : à la lettre, elle donne des pouvoirs presque sans limite à l’Etat, mais ces pouvoirs trouvent difficilement matière à s’appliquer envers les entreprises qui s’y opposent ou périclitent ».

La coexistence des dispositions législatives sur les installations classées et des nouvelles dispositions communautaires pourrait, toutefois, soulever des difficultés non négligeables, en particulier du fait de l’atténuation de responsabilité accordée aux émissions ou événements autorisés par les lois et règlements ou par une autorisation spécifique.

On peut rappeler, en effet, que les dommages imputables à de telles émissions ou événements sont soumis à une responsabilité pour faute et non pas à une responsabilité sans faute.

Or, il apparaît probable que les installations classées, au moins celles soumises à autorisation (un doute subsistant pour celles assujetties à déclaration), pourront être considérées comme autorisées par les lois et règlements ou par une autorisation spécifique (cette difficulté apparaîtra également pour les installations autorisées au titre de la loi sur l’eau). Dès lors, il est évident que le champ de la responsabilité sans faute sera singulièrement restreint (même si la liste des activités dangereuses figurant à l’annexe I de la proposition de directive est plus large que le champ d’application de la législation française sur les installations classées).

Réactions suscitées et état d’avancement de la procédure communautaire :

En l’état actuel des travaux, les autorités françaises formulent de nombreuses critiques à l’encontre de la présente proposition, visant tant son champ d’application que les modalités retenues en matière de prévention et de réparation.

1) Les critiques françaises quant au champ d’application de la proposition de directive

La France souhaiterait que la définition du dommage environnemental intègre le principe de seuils minima et se fonde sur des éléments objectifs, mesurables et quantifiables, ce qui conduirait à une définition spécifique par type de milieu (eau, sol, biodiversité).

De même, la définition de la biodiversité devrait être réexaminée pour ne couvrir, au moins dans un premier temps, que les zones Natura 2000 . Il serait d’ailleurs souhaitable que le terme de « biodiversité » soit remplacé par celui de « patrimoine naturel protégé », afin d’éviter des confusions par rapport à des définitions existant déjà au niveau international et communautaire pour la biodiversité.

La France estime aussi nécessaire de préciser expressément que le régime de responsabilité ne pourra être mis en jeu en cas d’évolution spontanée de l’environnement, en dehors de toute intervention humaine. En outre, l’état initial du site, pris comme référence pour la réparation, devrait être l’état du site au moment où le dommage est constaté (et non pas lorsque le fait générateur s’est produit, car ce dernier peut s’étaler sur une longue période en cas de pollution diffuse).

Enfin, la France serait favorable aux exemptions prévues par la directive en cas de dommages survenus dans le cadre d’une autorisation ou d’un permis (la responsabilité ne peut alors être engagée que pour faute), mais elle souhaiterait que la charge de la preuve incombe à l’opérateur. Il convient néanmoins de préciser que le ministère de l’écologie et du développement durable ne soutient pas cette position et souhaiterait que ces exemptions soient supprimées.

2) Les critiques françaises quant aux modalités retenues en matière de prévention et de réparation

Les autorités françaises insistent fortement pour restreindre les cas d’intervention de l’autorité compétente en cas de défaillance de l’exploitant, afin de ne pas substituer le principe contribuable-payeur au principe pollueur-payeur.

En revanche, la France est favorable à la rédaction actuelle du texte, excluant l’assurance obligatoire des opérateurs.

3) Les réactions au niveau européen

Les autres membres

Le Conseil « Environnement » du 25 juin 2002 a examiné les questions relatives à l’assurance des industriels et aux modalités d’intervention des pouvoirs publics. La Présidence a tenté de proposer un compromis sur ces deux points, sans succès.

Lors du Conseil « Environnement » du 4 mars 2003, un débat d’orientation sur la présente proposition a permis de préciser les positions des divers Etats membres sur les principaux points en discussion et de constater que de nombreuses divergences subsistent :

Sur le champ d’application :

La Présidence grecque ayant proposé, à titre de compromis, de remplacer le terme « biodiversité » par « espèces et habitats naturels protégés au titre du réseau Natura 2000 , tant au niveau communautaire que national », une majorité d’Etats membres a soutenu cette position.

Toutefois, le Royaume-Uni, l’Allemagne (et la France) ont souhaité une définition plus restrictive, ne visant que les espèces et habitats situés exclusivement dans les sites désignés par les Etats membres pour faire partie du réseau Natura 2000 (ce qui conduirait à ne couvrir qu’entre 10 et 12 % du territoire de l’Union).

Il convient de signaler, par ailleurs, que plusieurs Etats membres, dont la France, sont favorables à l’extension du champ d’application de la directive aux organismes génétiquement modifiés (OGM). Cette position est partagée par le Comité économique et social, dans son avis du 18 juillet 2002.

Sur le régime d’assurance des entreprises :

Au Conseil de juin 2002, le compromis proposé par la Présidence visait à imposer un niveau minimum (non déterminé) de responsabilité pour le pollueur, tout au moins pour les activités les plus dangereuses, assorti d’une obligation d’assurance. Ce mécanisme n’aurait été appliqué qu’à l’issue d’un délai de cinq années à compter de l’entrée en vigueur de la directive, afin de permettre le développement de ce marché de l’assurance.

La Présidence grecque a de nouveau présenté, le 4 mars 2003, une solution de compromis, plus souple que la précédente : l’assurance ne pourrait être obligatoire qu’à l’issue d’une période transitoire comprise entre six et neuf ans selon le type d’activité (et non plus à l’issue d’un délai uniforme de cinq années).

Néanmoins, le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Italie, les Pays–Bas et l’Irlande (de même que la France) continuent de préconiser un régime facultatif d’assurance, craignant que le marché des assureurs ne soit pas en mesure de se développer dans ce secteur où les risques sont difficiles à quantifier.

Sur les exemptions de responsabilités :

Sur ce point également les avis sont partagés. Si l’Autriche et l’Irlande se sont déclarées favorables au maintien des exemptions, la Belgique et le Luxembourg ont estimé qu’elles étaient inacceptables.

Le Parlement européen

Le rapport pour avis de la Commission de l’environnement, publié en janvier 2003, et le rapport de la commission juridique et du marché intérieur, compétente au fond, qui a été voté par cette commission le 29 avril 2003, adoptaient deux points de vue assez distincts, même s’ils allaient tous les deux dans le sens d’un renforcement des obligations imposées par la directive.

En séance publique, le 14 mai 2003, dans le cadre de la procédure de codécision, le Parlement européen a finalement adopté un texte visant à une stricte application du principe pollueur–payeur. Il est ainsi prévu que :

– la responsabilité pour atteinte à la biodiversité vaut non seulement dans les espaces protégés par l'Union européenne, mais aussi dans ceux protégés par les droits nationaux ;

– la directive s’appliquera, cinq années après son entrée en vigueur, à tous les dommages environnementaux causés par toutes les activités professionnelles (et pas seulement celles mentionnées dans la proposition de la Commission) ;

– le champ d’application de la directive doit être étendu aux pollutions nucléaires et maritimes dans tous les cas où les conventions internationales spécifiques à ces domaines n’ont pas été ratifiées par la Communauté européenne et/ou ses Etats membres ;

– la responsabilité sans faute doit être étendue aux dommages imputables aux activités autorisées par la législation (mais l’autorité compétente ou le juge doivent prendre ce facteur en considération lorsqu’ils interviendront) ;

– les Etats membres ne doivent pas simplement être encouragés mais obligés à promouvoir les systèmes de sécurité financière.

4) La proposition de résolution du Sénat

Lors de sa réunion du 6 novembre 2002, la Délégation du Sénat pour l'Union européenne a entendu une communication de M. Marcel Deneux sur la présente proposition de directive. Elle a également conclu au dépôt d’une proposition de résolution – n° 56 (2002–2003) – demandant :

« – l’engagement de responsabilité de l’exploitant, même lorsqu’il détient un permis d’émissions de substances polluantes ;

– l’engagement de responsabilité de l’exploitant, même s’il démontre avoir respecté les lois et règlements en vigueur ;

– la limitation de l’étendue de la responsabilité, qui peut finalement incomber à l’Etat lorsqu’il est amené à se substituer au pollueur, soit en cas de défaillance ou d’insolvabilité, soit dans certains cas d’atteintes à la biodiversité ;

– une définition détaillée et opérationnelle de la notion de biodiversité, qui conditionne, pour une large part, l’application du dispositif de responsabilité proposé ;

– la suppression, dans le corps même de la directive, de l’incitation à instaurer un système spécifique d’assurance, dont les modalités restent encore largement à définir. »

On peut donc constater que la position du Sénat s’éloigne sensiblement de celle du Gouvernement en ce qui concerne les exemptions de responsabilité accordées aux exploitants détenant un permis ou respectant les lois et règlements.

L’une des principales questions de ce dossier est effectivement de savoir s’il convient d’accepter que les exploitants d’installations classées échappent au régime de la responsabilité sans faute (ce qui peut se concevoir dans la mesure où l’autorisation n’est accordée que si les dangers ou inconvénients de l’installation peuvent être prévenus par des mesures spécifiées par l’arrêté préfectoral, mais ce qui peut se révéler très coûteux pour l’Etat, qui devrait prendre à sa charge la réparation des dommages en l’absence de faute de l’exploitant) ou s’il importe de renforcer le sens des responsabilités des exploitants, en leur opposant le principe pollueur-payeur dès la survenance d’une pollution.

Conclusion :

L’exposé de M. Bernard Deflesselles, rapporteur, a été suivi d’un débat au cours de la réunion de la Délégation du 20 mai 2003.

M. Daniel Garrigue a indiqué qu’il comprenait le souci de protéger la biodiversité, d’ailleurs particulièrement riche en France. Pour autant, l’extension du principe pollueur-payeur pour atteinte à la biodiversité au-delà des zones définies par la directive 79/409 (dite « oiseaux ») et la directive 92/43 (dite « habitat ») ne lui paraît pas justifiée. Il est en effet plus facile pour les pays ayant une biodiversité moins complète de demander une application plus stricte de ce principe.

Il a estimé, par ailleurs, peu opportun d’étendre l’application du principe pollueur-payeur dans les cas où les activités ont été autorisées et où aucune faute n’est imputable aux entreprises, au risque de faire peser sur elles des contraintes excessives. En outre, compte tenu du caractère de plus en plus étoffé de la réglementation, cela pourrait défavoriser l’entreprenariat dans certains secteurs industriels dont on a besoin.

M. Michel Delebarre s’est prononcé en faveur d’une application relativement stricte du principe pollueur-payeur. Il a considéré que l’absence d’un marché de l’assurance en la matière ne saurait constituer un obstacle et que si une assurance obligatoire était à terme imposée, ce marché serait amené à se développer. Par ailleurs, la délivrance d’une autorisation ne saurait, selon lui, exempter les entreprises de toute responsabilité quant aux conséquences de leur action. En témoigne le cas de « MetalEurope » qui, bien qu’ayant donné lieu à plusieurs autorisations de la Direction régionale de l’industrie, de la recherche et de l’environnement (DRIRE), a causé par son fonctionnement même des dommages à l’environnement. Enfin, il a estimé qu’une intervention obligatoire de l’Etat pourrait déresponsabiliser les entreprises.

Le rapporteur a considéré, s’agissant des assurances, que la proposition de conclusions était équilibrée. En effet, elle n’oblige pas les entreprises à s’assurer, tout en les incitant progressivement à le faire. Concernant les sites classés, il a indiqué que la proposition s’inspirait du même souci d’équilibre et de la nécessité de responsabiliser les entreprises.

Considérant que des règles européennes communes sont nécessaires pour la protection de l’environnement, M. Jacques Myard a observé que, dans le domaine du droit de la responsabilité – qui relève principalement de la compétence des Etats –, la directive devait se borner à ne formuler que des grands principes. Il a rappelé qu’en matière de responsabilité civile, prévaut traditionnellement en France le principe contenu dans l’article 1384 premier alinéa du Code civil, selon lequel chacun est responsable du dommage causé du fait des choses que l’on a sous sa garde. Cela étant, il y a lieu de s’interroger sur la détermination d’une limite à cette responsabilité, sous la forme notamment d’un plafond financier.

M. Jérôme Lambert a considéré que si le législateur devait tenir compte des contraintes de la réglementation sur les entreprises, il était également de son devoir de faire respecter avec rigueur des principes aussi importants que celui du pollueur-payeur.

Le rapporteur a précisé que la notion de responsabilité prévue par la proposition de directive impliquait seulement la remise en état du site, à l’exclusion de l’indemnisation des dommages causés aux personnes ou aux biens. Or, s’il convient, de fait, de ne pas décourager les entrepreneurs par une réglementation trop contraignante, il est en même temps souhaitable que les industriels soient obligés de réparer les dégâts commis à l’encontre de l’environnement, faute de quoi il appartiendrait à l’Etat ou aux collectivités locales de le faire.

M. Michel Delebarre a relevé que la réglementation applicable en la matière variait beaucoup selon les Etats, créant ainsi des distorsions de concurrence. Cette situation appelle, selon lui, une harmonisation communautaire. Il s’est en outre montré favorable à la poursuite d’une réflexion sur la création d’un plafond en matière d’assurance. Il a enfin précisé que les industriels pouvaient également se retourner contre l’administration en cas d’erreur ou de carence de celle-ci.

M. Jacques Floch a estimé qu’il ne fallait pas, en termes de droit à réparation, verser dans certains excès, tels que ceux observés aux Etats-Unis concernant les effets du tabac. Il a évoqué par ailleurs d’autres possibilités de réparation, à l’instar, par exemple, de la participation de Gaz de France au financement de la remise en état d’un futur terrain à bâtir mis en vente dans la région nantaise.

Le rapporteur a proposé à la Délégation, qui l’a accepté, l’ajout d’un paragraphe avant le dernier alinéa de la proposition de conclusions, rédigé en ces termes :

« - souhaite que le système de contrôle des installations autorisées mis en œuvre dans tous les autres Etats membres puisse atteindre un niveau équivalent à celui constaté en France ; ».

La Délégation a ensuite adopté les conclusions dont le texte figure ci-après :

« La Délégation pour l’Union européenne,

- Vu l’article 88-4 de la Constitution,

- Vu la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil sur la responsabilité environnementale en vue de la prévention et la réparation des dommages environnementaux (COM[2002] 17 final du 23 janvier 2002) (document E 1966),

* sur le champ d’application de la directive :

- souhaite la prise en compte des dommages environnementaux imputables aux organismes génétiquement modifiés ;

- considère que la définition de la biodiversité doit permettre la mise en œuvre de la responsabilité sans faute du pollueur sur une partie significative du territoire communautaire, ce qui exclut une application dans les seuls sites identifiés comme protégés au titre de la directive 79/409/CEE du 2 avril 1979 (dite « oiseaux ») et de la directive 92/43/CEE du 21 mai 1992 (dite « habitats ») ;

* sur la portée du principe pollueur-payeur :

- estime qu’un régime obligatoire d’assurance des entreprises serait difficile à mettre en œuvre compte tenu de la diversité des situations et de l’inexistence actuelle d’un marché de l’assurance pour ce type de dommages. Une démarche progressive visant à assurer obligatoirement, dans un premier temps, certains risques et certaines activités pourrait toutefois être adoptée ;

- soutient que l’application du principe pollueur-payeur, prévu par l’article 174, paragraphe 2, du traité instituant la Communauté européenne, rend inopportune une limitation de la responsabilité des exploitants dont les activités sont autorisées par les lois et règlements applicables ou par des permis ou autorisations. Dès lors, il convient de supprimer les exclusions envisagées en leur faveur et qui, dans le cas de la France, conduiraient à restreindre sensiblement la portée de la présente proposition de directive, en excluant du régime de la responsabilité sans faute les installations classées soumises à autorisation et les installations autorisées au titre de la loi sur l’eau ;

- souhaite que le système de contrôle des installations autorisées mis en œuvre dans tous les autres Etats membres puisse atteindre un niveau équivalent à celui constaté en France ;

- propose, compte tenu de la stricte application souhaitable du principe pollueur-payeur, que l’intervention de l’autorité compétente présente un caractère facultatif, lorsque l’exploitant ne prend pas les mesures de prévention ou de réparation nécessaires, afin de ne pas déresponsabiliser les exploitants. Tout au moins serait-il nécessaire de prévoir une limitation de l’étendue de la responsabilité susceptible d’incomber aux pouvoirs publics lorsqu’ils sont amenés à se substituer aux pollueurs. »